text
stringlengths
2
1.57k
Phénoménologie veut donc dire : αποφαινεσθαι τα φαινομενα : faire voir à partir de lui-même ce qui se montre tel qu’il se montre à partir de lui-même.
Tel est le sens formel de la recherche qui se donne le nom de phénoménologie.
Mais ce n’est alors rien d’autre qui vient à l’expression que la maxime formulée plus haut : " Aux choses mêmes ! " Le titre de phénoménologie présente donc un sens autre que les désignations comme théologie, etc.
Celles-ci nomment les objets de la science considérée selon leur teneur réale propre.
Mais " phénoménologie " ne nomme point l’objet de ses recherches, ni ne caractérise leur teneur réale.
Le mot ne révèle que le comment de la mise en lumière et du mode de traitement de ce qui doit être traité dans cette science.
Science " des " phénomènes veut dire : une saisie telle de ses objets que tout ce qui est soumis à élucidation à leur propos doit nécessairement être traité dans une mise en lumière et une légitimation directes.
L’expression tautologique de " phénoménologie descriptive " n’a pas au fond d’autre sens.
Description ne signifie pas ici un procédé comparable — par exemple — à celui de la morphologie botanique ; bien plutôt ce titre a-t-il à nouveau un sens prohibitif : tenir éloignée toute détermination non légitimatrice.
Quant au caractère de la description elle-même, c’est-à-dire au sens spécifique du λοηος, il ne peut être fixé qu’à partir de la " réalité " de ce qui doit être " décrit ", c’est-à-dire porté à une déterminité scientifique conforme au mode d’encontre de phénomènes.
Formellement, la signification du concept formel et vulgaire de phénomène autorise à appeler phénoménologie toute mise en lumière de l’étant tel qu’il se montre en lui- même.
Mais par rapport à quoi le concept formel de phénomène doit-il être dé-formalisé en concept phénoménologique, et comment celui-ci se distingue-t-il du concept vulgaire ? Qu’est-ce donc que la phénoménologie doit " faire voir " ? Qu’est-ce qui doit, en un sens insigne, être appelé phénomène ? Qu’est-ce qui, de par son essence est nécessairement le thème d’une mise en lumière expresse ? Manifestement ce qui, de prime abord et le plus souvent, ne se montre justement pas, ce qui, par rapport à ce qui se montre de prime abord et le plus souvent, est en retrait, mais qui en même temps appartient essentiellement, en lui procurant sens et fondement, à ce qui se montre de prime abord et le plus souvent.
Mais ce qui en un sens privilégié demeure retiré, ou bien retombe dans le recouvrement, ou bien ne se montre que de manière " dissimulée ", ce n’est point tel ou tel étant, mais, ainsi que l’ont montré nos considérations initiales, l’être de l’étant.
Il peut être recouvert au point d’être oublié, au point que la question qui s’enquiert de lui et de son sens soit tue.
Ce qui par conséquent requiert, en un sens insigne et à partir de sa réalité la plus propre, de devenir phénomène, c’est cela dont la phénoménologie s’est thématiquement " emparée " comme de son objet.
La phénoménologie est le mode d’accès à et le mode légitimant de détermination de ce qui doit devenir le thème de l’ontologie.
L’ontologie n’est possible que comme phénoméno– logie.
Le concept phénoménologique de phénomène désigne, au titre de ce qui se montre, l’être de l’étant, son sens, ses modifications et dérivés.
Et le se-montrer n’est pas quelconque, ni même quelque chose comme l’apparaître.
L’être de l’étant peut moins que jamais être quelque chose " derrière quoi " se tiendrait encore quelque chose " qui n’apparaît pas ".
" Derrière " les phénomènes de la phénoménologie il n’y a essentiellement rien d’autre, mais ce qui doit devenir phénomène peut très bien être en retrait.
Et c’est précisément parce que les phénomènes, de prime abord et le plus souvent, ne sont pas donnés qu’il est besoin de phénoménologie.
L’être-recouvert est le concept complémentaire du " phénomène ".
La modalité de recouvrement possible des phénomènes est à chaque fois différente.
Un phénomène peut d’abord être recouvert en ce sens qu’il est encore en général non-découvert.
De sa nature, il n’y a alors ni connaissance ni inconnaissance.
Un phénomène peut ensuite être obstrué.
Cela implique qu’il a auparavant été une fois découvert, mais a succombé à nouveau au recouvrement.
Celui-ci peut devenir total, ou bien, comme c’est la règle, ce qui a été auparavant découvert est encore visible, bien que seulement en tant qu’apparence.
Mais autant d’apparence, autant d’" être ".
Ce recouvrement comme " dissimulation " est le plus courant et le plus périlleux, parce que les possibilités d’illusion et de fourvoiement sont ici particulièrement tenaces.
Les structures d’être disponibles, mais voilées en leur solidité, ainsi que les concepts leur correspondant peuvent à la rigueur revendiquer leur droit à l’intérieur d’un " système " : sur la base de leur insertion en un système, elles se donnent comme quelque chose qui n’a pas besoin de justification supplémentaire, qui est " clair " et peut donc servir de point de départ au progrès d’une déduction.
Mais le recouvrement lui-même, qu’il soit saisi au sens du retrait, de l’obstruction ou de la dissimulation, comporte encore une double possibilité.
Il y a des recouvrements fortuits et il y en a de nécessaires, c’est-à-dire de fondés dans le mode de subsistance du découvert.
Tout concept ou proposition phénoménologique puisée originairement est soumise, en tant qu’énoncé communiqué, à la possibilité de la dénaturation.
Elle est simplement propagée dans une compréhension vide, elle perd sa solidité et devient une thèse flottant en l’air.
La possibilité que se durcisse ou qu’échappe ce qui avait été à l’origine " capturé " fait partie du travail concret de la phénoménologie elle-même.
Et la difficulté de cette recherche consiste précisément à la rendre, en un sens positif, critique à l’égard d’elle-même.
Le mode d’encontre de l’être et des structures d’être en tant que phénomènes doit tout d’abord être conquis sur les objets de la phénoménologie.
C’est pourquoi aussi bien le départ de l’analyse que l’accès au phénomène que la traversée des recouvrements régnants exigent une confirmation méthodique propre.
L’idée de la saisie et de l’explication " originaires " et " intuitives " des phénomènes est diamétralement opposée à la naïveté d’une " vision " gratuite, " immédiate " et irréfléchie.
Sur la base du pré-concept de la phénoménologie tel qu’il vient d’être délimité, il devient également possible de fixer le sens des termes " phénoménal " et " phénoménologique ".
Nous appelons " phénoménal " ce qui est donné et explicitable dans le mode d’encontre du phénomène — d’où l’expression de structures phénoménales —, et " phénoménologique " tout ce qui appartient au mode de mise en lumière et d’explication, et qui constitue la conceptualité requise par cette recherche.
Comme le phénomène au sens phénoménologique est toujours seulement ce qui constitue l’être, et que l’être est toujours être de l’étant, il est d’abord besoin, afin de libérer l’être, d’un apport correct de l’étant lui-même.
Celui-ci doit aussi bien se montrer selon le mode d’accessibilité qui lui appartient authentiquement.
Ainsi le concept vulgaire de phénomène devient-il phénoménologiquement pertinent.
Cependant, la tâche préalable d’une confirmation " phénoménologique " de l’étant exemplaire comme point de départ pour l’analytique proprement dite est toujours déjà pré-dessinée à partir du but de celle-ci.
Considérée en son contenu, la phénoménologie est la science de l’être de l’étant — l’ontologie.
Lors de notre éclaircissement des tâches de l’ontologie, nous est apparue la nécessité d’une ontologie-fondamentale ayant pour thème l’étant ontologico-ontiquement privilégié, le Dasein, mais aussi pour intention de se convoquer devant le problème cardinal, à savoir la question du sens de l’être en général.
Or la recherche même nous montrera que le sens méthodique de la description phénoménologique est l’explicitation.
Le λοηος de la phénoménologie du Dasein a le caractère de l’ερμηνευειν par lequel sont annoncés à la compréhension d’être qui appartient au Dasein lui-même le sens authentique de l’être et les structures fondamentales de son propre être.
La phénoménologie du Dasein est herméneutique au sens originel du mot, d’après lequel il désigne le travail de l’explicitation.
Cependant, dans la mesure où par la mise à découvert du sens de l’être et des structures fondamentales du Dasein en général est ouvert l’horizon de toute recherche ontologique ultérieure sur l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein, cette herméneutique devient en même temps " herméneutique " au sens de l’élaboration des conditions de possibilité de toute recherche ontologique.
Et pour autant, enfin, que le Dasein a la primauté ontologique sur tout étant — en tant qu’il est dans la possibilité de l’existence —, l’herméneutique en tant qu’explicitation de l’être du Dasein reçoit un troisième sens spécifique, à savoir le sens, philosophiquement premier, d’une analytique de l’existentialité, de l’existence.
Dans cette herméneutique, en tant qu’elle élabore ontologiquement l’historialité du Dasein comme la condition ontique de possibilité de la recherche historique, s’enracine par conséquent ce qui n’est nommé que dérivativement " herméneutique " : la méthodologie des sciences historiques de l’esprit.
L’être, en tant que thème fondamental de la philosophie, n’est pas un genre d’étant, et pourtant il concerne tout étant.
Son " universalité " doit être cherchée plus haut.
Être et structure d’être excèdent tout étant et toute déterminité étante possible d’un étant.
L’être est le transcendens par excellence.
La transcendance de l’être du Dasein est une transcendance insigne, dans la mesure où en elle réside la possibilité et la nécessité de la plus radicale individuation.
Toute mise à jour de l’être comme transcendens est connaissance transcendantale.
La vérité phénoménologique (ouverture de l’être) est veritas transcendantalis.
Ontologie et phénoménologie ne sont pas deux disciplines distinctes juxtaposées à d’autres disciplines philosophiques.
Les deux titres caractérisent la philosophie elle-même quant à son objet et son mode de traitement.
La philosophie est une ontologie phénoménologique universelle, partant de l’herméneutique du Dasein, laquelle, en tant qu’analytique de l’existence, a fixé le terme du fil conducteur de tout questionner philosophique là où il jaillit et là où il re-jaillit.
Les recherches qui suivent ne sont devenues possibles que sur le sol posé par E.
Husserl, dont les Recherches logiques ont assuré la percée de la phénoménologie.
Les éclaircissements apportés sur le pré-concept de la phénoménologie indiquent que ce qu’elle comporte d’essentiel n’est point sa réalité de " courant " philosophique.
Plus haut que l’effectivité se tient la possibilité.
La compréhension de la phénoménologie consiste uniquement à se saisir d’elle comme possibilité En ce qui concerne la lourdeur et l’absence de " grâce " de l’expression au cours des analyses qui suivent, il est permis d’ajouter une remarque : une chose est de rendre compte de l’étant de façon narrative, autre chose de saisir l’étant en son être.
Or pour la tâche à l’instant indiquée, ce ne sont pas seulement les mots qui manquent le plus souvent, mais avant tout la " grammaire ".
Si l’on nous autorise à faire allusion à des recherches ontologiques plus anciennes et assurément incomparables par la dignité, que l’on compare des passages ontologiques du Parménide de Platon ou le chapitre 4 du livre VII de la Métaphysique d’Aristote avec un chapitre narratif de Thucydide, et l’on verra à quel point étaient inouïes les formulations que les Grecs se virent imposer par leurs philosophes.
Or là où les forces sont sensiblement moindres et, de surcroît, le domaine d’être à ouvrir bien plus difficile ontologiquement que celui qui s’offrait aux Grecs, le caractère circonstancié de la conceptualité et la dureté de l’expression ne peuvent que s’accroître.
La question du sens de l’être est la plus universelle et la plus vide ; toutefois, elle contient en même temps la possibilité d’être individuée de manière plus aiguë sur le Dasein singulier.
L’obtention du concept fondamental d’" être " et l’esquisse de la conceptualité ontologique par lui exigée, ainsi que de ses modifications nécessaires, ont besoin d’un fil conducteur concret.
L’universalité du concept d’être n’est pas contradictoire avec la " spécialité " de l’enquête, c’est-à-dire avec une percée jusqu’à lui qui emprunte le chemin d’une interprétation spéciale d’un étant déterminé, le Dasein, où doit être conquis l’horizon pour la compréhension et l’explicitation possible de l’être.
Mais cet étant lui-même est en soi " historial ", de telle sorte que l’éclairage ontologique le plus propre de cet étant devient nécessairement une interprétation " historique ".
L’élaboration de la question de l’être se subdivise en deux tâches, auxquelles correspondent respectivement les deux parties du présent essai : Première partie : l’interprétation du Dasein par rapport à la temporalité et l’explication du temps comme horizon transcendantal de la question de l’être.
Deuxième partie : traits fondamentaux d’une destruction phénoménologique de l’histoire de l’ontologie au fil conducteur de la problématique de l’être-temporal.
La première partie se divise en trois sections : L’analyse fondamentale préparatoire du Dasein.
Dasein et temporalité.
Temps et être.
De même pour la seconde partie, ainsi divisée : La doctrine kantienne du schématisme et du temps comme étape préparatoire d’une problématique de l’être-temporal.
Les fondations ontologiques du cogito sum de Descartes et la reprise de l’ontologie médiévale dans la problématique de la res cogitans.
Le traité d’Aristote sur le temps comme discrimen de la base phénoménale et des limites de l’ontologie antique.
L’interrogé primaire dans la question du sens de l’être est l’étant qui a le caractère du Dasein.
L’analytique existentiale préparatoire du Dasein a elle-même besoin, conformément à sa spécificité, d’être préalablement esquissée et délimitée par rapport à des recherches apparemment équivalentes (chapitre 1).
Puis, compte tenu du point de départ fixé à cette recherche, il convient de libérer dans le Dasein une structure-fondamentale : l’être-au-monde (chapitre II).
Cet " a priori " de l’interprétation du Dasein n’est point une déterminité composite, mais une structure originellement et constamment totale.
Toutefois, elle procure des points de vue divers sur les moments qui la constituent.
Tout en maintenant le regard constamment fixé sur la totalité à chaque fois première de cette structure, il faut discerner phénoménalement ces moments.
Aussi l’analyse prendra-t-elle successivement pour objet : le monde en sa mondanéité (chapitre III), l’être-au-monde comme être-avec et être-soi-même (chapitre IV), l’être-à comme tel (chapitre V).
Sur la base de l’analyse de cette structure fondamentale, une indication provisoire de l’être du Dasein deviendra possible.
Son sens existential est le souci (chapitre VI).
L’étant que nous avons pour tâche d’analyser, nous le sommes à chaque fois nous- mêmes.
L’être de cet étant est à chaque fois mien.
Dans son être, cet étant se rapporte lui- même à son être.
En tant qu’étant de cet être, il est remis à son propre être.
C’est de son être même que, pour cet étant, il y va à chaque fois.
Or deux conséquences résultent de cette caractérisation du Dasein : L’" essence " de cet étant réside dans son (avoir-) à-être.