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La question est aujourd’hui tombée dans l’oubli, quand bien même notre temps considère comme un progrès de réaffirmer la " métaphysique ".
Néanmoins, l’on se tient pour dispensé des efforts requis pour rallumer une nouvelle ηιηαντομαχια περι της ουσιας.
La question soulevée n’est pourtant pas arbitraire.
C’est elle qui a tenu en haleine la recherche de Platon et d’Aristote, avant de s’éteindre bien entendu après eux, du moins en tant que question thématique d’une recherche effective.
Ce que les deux penseurs avaient conquis s’est maintenu, au prix de diverses déviations et " surcharges ", jusque dans la Logique de Hegel.
Et ce qui autrefois avait été arraché aux phénomènes en un suprême effort de la pensée, les résultats fragmentaires de ces premiers assauts sont depuis longtemps trivialisés.
Mais ce n’est pas tout.
Car sur la base des premiers essais grecs en vue de l’interprétation de l’être un dogme s’est élaboré, qui non seulement déclare superflue la question du sens de l’être, mais encore légitime expressément l’omission de la question.
On dit : l’" être " est le concept le plus universel et le plus vide.
En tant que tel, il répugne à toute tentative de définition.
Du reste, ce concept le plus universel, donc indéfinissable, n’a même pas besoin de définition.
Chacun l’utilise constamment en comprenant très bien ce qu’il entend par là.
Du coup, ce qui, en son retrait, avait jeté et tenu dans l’inquiétude le philosopher antique est devenue une " évidence " si aveuglante que quiconque persiste à s’en enquérir se voit reprocher une faute de méthode.
Au seuil de cette recherche, nous ne pouvons élucider en détail tous les préjugés qui ne cessent d’entretenir l’indifférence à l’égard d’un questionner de l’être.
Ils jettent leurs racines dans l’ontologie antique elle-même.
Quant à celle-ci, elle ne saurait à son tour être interprétée de manière satisfaisante — en ce qui concerne le sol où sont nés les concepts ontologiques fondamentaux ainsi que la légitimation adéquate de l’assignation des catégories et de leur énumération complète — qu’au fil conducteur de la question de l’être préalablement clarifiée et résolue.
Par conséquent, nous ne discuterons ici les préjugés cités qu’autant qu’il est requis pour faire apercevoir la nécessité d’une répétition de la question du sens de l’être.
Ils sont au nombre de trois : L’" être " est le concept " le plus universel " : το ον εστι καθολου μαλιστα παντων " Illud quod primo cadit sub apprehensione est ens, cujus intellectus includitur in omnibus, quaecumque quis apprehendit " : " Une compréhension de l’être est toujours déjà comprise dans tout ce que l’on saisit de l’étant " Mais l’" universalité " de l’" être " n’est pas celle du genre.
L’" être " ne délimite pas la région suprême de l’étant pour autant que celui-ci est articulé conceptuellement selon le genre et l’espèce : ουτε το ον ηενος L’" universalité " de l’être " transcende " toute universalité générique.
Selon la terminologie de l’ontologie médiévale, l’être est un transcendens.
L’unité de ce transcendantalement " universel ", par opposition à la multiplicité des concepts génériques réals suprêmes, a déjà été reconnue par Aristote comme unité d’analogie.
Par cette découverte, Aristote, en dépit de toute sa dépendance à l’égard de la problématique ontologique de Platon, a situé le problème de l’être sur une base fondamentalement nouvelle.
Bien sûr, lui non plus n’a point éclairci l’obscurité de ces relations catégoriales.
L’ontologie médiévale a discuté multiplement ce problème dans les écoles thomiste et scotiste, sans parvenir à une clarté fondamentale.
Et lorsque finalement Hegel détermine l’" être " comme l’" immédiat indéterminé " et qu’il place cette détermination à la base de toutes les explications catégoriales ultérieures de sa Logique, il se maintient dans la même perspective que l’ontologie antique, à ceci près qu’il abandonne le problème, déjà posé par Aristote, de l’unité de l’être par rapport à la multiplicité des " catégories " réales.
Lorsque l’on dit par conséquent, que l’ " être " est le concept le plus universel, cela ne peut pas vouloir dire qu’il est le plus clair, celui qui a le moins besoin d’élucidation supplémentaire.
Bien plutôt le concept d’" être " est-il le plus obscur.
Le concept d’" être " est indéfinissable.
C’est ce que l’on concluait de son universalité A bon droit — si " definitio fit per genus proximum et differentiam specificam ".
L’être ne peut en effet être conçu comme étant ; " enti non additur aliqua natura " ; l’être ne peut venir à la déterminité selon que de l’étant lui est attribué.
L’être n’est ni dérivable définitionnellement de concepts supérieurs, ni exposable à l’aide de concepts inférieurs.
Mais suit-il de là que l’" être " ne puisse plus poser de problème ? Nullement.
Tout ce qu’il est permis d’en conclure, c’est ceci : l’" être " n’est pas quelque chose comme de l’étant.
Par suite, le mode de détermination de l’étant justifié dans certaines limites — la " définition " de la logique traditionnelle, qui a elle-même ses fondations dans l’ontologie antique — n’est pas applicable à l’être.
L’indéfinissabilité de l’être ne dispense point de la question de son sens, mais précisément elle l’exige.
L’" être " est le concept " évident ".
Dans toute connaissance, dans tout énoncé, dans tout comportement par rapport à l’étant, dans tout comportement par rapport à soi-même, il est fait usage de l’" être ", et l’expression est alors " sans plus " compréhensible.
Chacun comprend : " le ciel est bleu ", " je suis joyeux ", etc.
Seulement, cette intelligence moyenne ne démontre guère qu’une incompréhension.
Ce qu’elle manifeste, c’est qu’il y a a priori, dans tout comportement, dans tout être par rapport à l’étant comme étant, une énigme.
Que toujours déjà nous vivions dans une compréhension de l’être et qu’en même temps le sens de l’être soit enveloppé dans l’obscurité, voilà qui prouve la nécessité fondamentale de répéter la question du sens de l’" être ".
Invoquer l’" évidence " dans le domaine des concepts philosophiques fondamentaux, et même à propos du concept d’" être ", est un procédé douteux, s’il est vrai que l’" évident ", et lui seulement, que " les jugements secrets de la raison commune " (Kant) doivent devenir et rester le thème exprès de l’analytique (" du travail philosophique ").
Toutefois, notre énumération des préjugés a en même temps montré que ce n’est pas seulement la réponse qui manque à la question de l’être, mais encore que la question elle- même est obscure et dépourvue d’orientation.
Répéter la question de l’être signifie donc : commencer par élaborer de façon satisfaisante la position de la question.
La question du sens de l’être doit être posée.
Si elle est une, ou plutôt la question- fondamentale, alors un tel questionner requiert une transparence appropriée.
Par suite, il nous faut brièvement élucider ce qui appartient en général à une question, afin de rendre visible à partir de là la question de l’être comme question insigne.
Tout questionner est un chercher.
Tout chercher reçoit son orientation préalable de ce qui est cherché.
Le questionner est un chercher connaissant de l’étant en son " être-que " et son " être-ainsi ".
Le chercher connaissant peut devenir " recherche ", en tant que détermination qui libère ce qui est en question.
Le questionner a, en tant que tel, quelque chose dont il s’enquiert : son questionné.
Mais s’enquérir de.
est d’une certaine manière s’enquérir auprès de.
Au questionner, outre le questionné, appartient donc un interrogé.
Enfin, lorsqu’une question est recherche, c’est-à-dire spécifiquement théorique, il faut que le questionné soit déterminé et porté au concept.
Le questionné inclut donc, à titre de proprement intentionné, le demandé : ce auprès de quoi le questionnement touche au but.
Le questionnement lui-même, en tant que comportement d’un étant, celui qui questionne, a un caractère d’être propre.
Un questionnement peut être accompli en tant que " simple information ", ou bien en tant que position de question explicite.
La spécificité de cette dernière consiste en ce que le questionnement devient préalablement transparent pour lui- même du point de vue de tous les caractères constitutifs cités de la question même.
La question qui s’enquiert du sens de l’être doit être posée.
Ainsi nous trouvons-nous devant la nécessité d’élucider la question de l’être par rapport aux moments structurels cités.
En tant que chercher, le questionner a besoin d’une orientation préalable à partir du cherché.
Par suite, le sens de l’être doit nécessairement nous être déjà disponible d’une certaine manière.
On l’a suggéré : nous nous mouvons toujours déjà dans une compréhension de l’être.
C’est de celle-ci que prend naissance la question expresse du sens de l’être et la tendance vers son concept.
Nous ne savons pas ce qu’" être " signifie.
Mais pour peu que nous demandions : " Qu’est-ce que l’“être” ? ", nous nous tenons dans une compréhension du " est ", sans que nous puissions fixer conceptuellement ce que le " est " signifie.
Nous ne connaissons même pas l’horizon à partir duquel nous devrions saisir et fixer le sens.
Cette compréhension moyenne et vague de l’être est un fait.
Cette compréhension de l’être a beau être flottante, confuse, toute proche d’une simple connaissance verbale, cette indétermination de la compréhension toujours déjà disponible de l’être n’en est pas moins elle-même un phénomène positif, qui requiert un éclaircissement.
Néanmoins, une recherche sur le sens de l’être ne prétendra pas apporter celui-ci dès le commencement.
L’interprétation de la compréhension moyenne de l’être ne peut recevoir son fil conducteur nécessaire que du concept élaboré de l’être.
C’est à partir de la clarté du concept et des modes de compréhension explicite qui lui appartiennent qu’il faudra établir ce que vise la compréhension obscurcie — ou non encore éclairée — de l’être, et quels types d’obscurcissement, ou d’empêchement d’un éclairage explicite du sens de l’être, sont possibles et nécessaires.
En outre, la compréhension moyenne, vague de l’être peut être contaminée par des théories ou des opinions traditionnelles sur l’être, ces théories demeurant cependant inapparentes en tant que sources de la compréhension dominante.
— Le cherché dans le questionnement de l’être n’est pas quelque chose de totalement inconnu, même si c’est d’abord quelque chose d’absolument insaisissable.
Le questionné de la question à élaborer est l’être : ce qui détermine l’étant comme étant, ce par rapport à quoi l’étant, de quelque manière qu’il soit élucidé, est toujours déjà compris.
L’être de l’étant n’" est " pas lui-même un étant.
Le premier pas philosophique dans la compréhension du problème de l’être consiste à ne pas μυθον τινα διηηεισθαι1, " raconter d’histoire ", c’est-à-dire à ne pas déterminer l’étant comme étant en sa provenance par le recours à un autre étant, comme si l’être avait le caractère d’un étant possible.
L’être comme questionné requiert donc un mode propre de mise en lumière, qui se distingue essentiellement de la découverte de l’étant.
Par suite le demandé, le sens de l’être, requerra lui aussi une conceptualité propre, qui se dissocie à nouveau essentiellement des concepts où l’étant atteint sa déterminité significative.
Dans la mesure où l’être constitue le questionné et où être veut dire être de l’étant, c’est l’étant lui-même qui apparaît comme l’interrogé de la question de l’être.
C’est lui qui, pour ainsi dire, a à répondre de son être.
Mais s’il doit pouvoir révéler sans falsification les caractères de son être, il faut alors que, de son côté, il soit d’abord devenu accessible tel qu’il est en lui-même.
Du point de vue de son interrogé, la question de l’être exige l’obtention et la consolidation préalable du mode correct d’accès à l’étant.
Seulement, nous appelons " étant " beaucoup de choses, et dans beaucoup de sens.
Étant : tout ce dont nous parlons, tout ce que nous visons, tout ce par rapport à quoi nous nous comportons de telle ou telle manière — et encore ce que nous sommes nous-mêmes, et la manière dont nous le sommes.
L’être se trouve dans le " que " et le " quid ", dans la réalité, dans l’être-sous-la-main, dans la subsistance, dans la validité, dans l’être-là [existence], dans le " il y a ".
Sur quel étant le sens de l’être doit-il être déchiffré, dans quel étant la mise à découvert de l’être doit-elle prendre son départ ? Ce point de départ est-il arbitraire, ou bien un étant déterminé détient-il une primauté dans l’élaboration de la question de l’être ? Quel est cet étant exemplaire et en quel sens a-t-il une primauté ? Si la question de l’être doit être posée expressément et être accomplie dans une pleine transparence d’elle-même, alors une élaboration de cette question, d’après les élucidations antérieures, exige l’explication du mode de visée de l’être, du comprendre et du saisir conceptuel du sens, la préparation de la possibilité du choix correct de l’étant exemplaire, l’élaboration du mode authentique d’accès à cet étant.
Or viser, comprendre et concevoir, choisir, accéder sont des comportements constitutifs du questionner, et ainsi eux-mêmes des modes d’être d’un étant déterminé, de l’étant que nous, qui questionnons, nous sommes à chaque fois nous-mêmes.
Élaboration de la question de l’être veut donc dire : rendre transparent un étant — celui qui questionne — en son être.
En tant que mode d’être d’un étant, le questionner de cette question est lui-même essentiellement déterminé par ce qui est en question en lui — par l’être.
Cet étant que nous sommes toujours nous-mêmes et qui a entre autres la possibilité essentielle du questionner, nous le saisissons terminologiquement comme DASEIN.
La position expresse et transparente de la question du sens de l’être exige une explication préalable adéquate d’un étant (le Dasein) au point de vue de son être.
Mais pareille entreprise ne se meut-elle point dans un cercle manifeste ? Devoir d’abord nécessairement déterminer un étant en son être, puis, sur cette base, vouloir poser seulement la question de l’être — qu’est-ce d’autre que tourner en rond ? N’est-ce pas déjà " présupposer " pour l’élaboration de la question ce que seule la réponse à cette question doit apporter ? Mais ces objections formelles — ainsi de l’argument cité sur le " cercle dans la démonstration ", qu’il n’est toujours que trop aisé d’alléguer dans le domaine de la recherche des principes — sont toujours stériles lorsqu’il est question des chemins concrets d’une recherche.
Loin d’apporter quoi que ce soit à la compréhension de la chose, elles empêchent de pénétrer dans le champ de la recherche.
Du reste, il n’y a en réalité dans la problématique qu’on vient de caractériser aucun cercle.
L’étant peut très bien être déterminé en son être sans que pour cela le concept explicite du sens de l’être doive être déjà disponible.
Autrement, aucune connaissance ontologique n’aurait jamais pu se constituer, et l’on ne saurait en nier l’existence de fait.
L’" être " est assurément " présupposé " dans toutes les ontologies antérieures, mais non pas en tant que concept disponible — non pas comme ce comme quoi il est recherché.
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