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La " présupposition " de l’être a le caractère d’une prise préalable de perspective sur l’être, de telle manière qu’à partir de cette perspective l’étant prédonné soit provisoirement articulé en son être.
Cette perspective directrice sur l’être jaillit de la compréhension moyenne de l’être où nous nous mouvons toujours déjà et qui finalement appartient à la constitution essentielle du Dasein.
Un tel " présupposer " n’a rien à voir avec la postulation d’un principe d’où une suite de propositions serait déductivement dérivée.
S’il ne peut y avoir en général de " cercle démonstratif " dans la problématique du sens de l’être, c’est parce que ce dont il y va avec la réponse à cette question n’est point une fondation déductive, mais la mise en lumière libérante d’un fond.
Mais si la question du sens de l’être ne commet aucun " cercle démonstratif ", elle ne s’en caractérise pas moins par une " rétro-" et " pré-référence " du questionné (être) au questionner en tant que mode d’être d’un étant.
Ce concernement essentiel du questionner par son questionné appartient au sens le plus propre de la question de l’être.
Or cela signifie simplement que l’étant qui a le caractère du Dasein est lui-même en rapport — et peut-être même en un rapport insigne — à la question de l’être.
Or à travers ce rapport un étant déterminé ne se trouve-t-il pas déjà assigné en sa primauté d’être ? L’étant exemplaire qui doit fonctionner comme l’interrogé premier de la question de l’être n’est-il pas déjà prédonné ? Mais il s’en faut que les élucidations précédentes suffisent à manifester la primauté du Dasein, ou à décider de sa fonction possible ou même nécessaire d’étant à interroger primairement.
Au moins quelque chose comme une primauté du Dasein s’est-elle annoncée à nous.
Notre caractérisation de la question de l’être au fil conducteur de la structure formelle de la question comme telle a permis de discerner que cette question avait ceci de spécifique que son élaboration et même sa solution exigeaient une série de considérations fondamentales.
Toutefois, le caractère insigne de la question de l’être ne peut venir pleinement en lumière que si elle est suffisamment délimitée du point de vue de sa fonction, de son intention et de ses motifs.
Jusqu’ici, la nécessité d’une répétition de la question a été motivée par la noblesse de sa provenance, et surtout par l’absence d’une réponse déterminée, ou même par le défaut d’une position suffisante de cette question.
Cependant l’on peut désirer savoir à quoi cette question doit servir.
Reste-t-elle — est-elle en général la simple affaire d’une spéculation en l’air sur les plus générales des généralités — ou bien est-elle la question tour à tour la plus principielle et la plus concrète ? Être est toujours l’être d’un étant.
Le tout de l’étant peut, en ses diverses régions, devenir le champ d’une libération et d’une délimination de domaines réals déterminés.
Ces domaines, quant à eux, l’histoire, la nature, l’espace, la vie, le Dasein, la langue, etc.
, peuvent être thématisés comme objets par autant de recherches scientifiques correspondantes.
La recherche scientifique accomplit de manière naïve et grossière le dégagement et la première fixation des domaines de choses.
L’élaboration du domaine en ses structures fondamentales est en quelque mesure déjà accomplie par l’expérience et l’explicitation préscientifiques de la région d’être où le domaine de choses est lui-même délimité.
Les " concepts fondamentaux " ainsi formés demeurent d’abord les fils conducteurs de la première ouverture concrète du domaine.
Même si le poids de la recherche réside toujours dans cette positivité, néanmoins son progrès véritable ne s’accomplit pas tant dans le rassemblement des résultats et leur consignation dans des " manuels " que dans les questions — suscitées le plus souvent de manière réactive à partir de cette connaissance croissante des choses — portant sur les constitutions fondamentales du domaine considéré.
Le " mouvement " véritable des sciences se produit dans la révision plus ou moins radicale et transparente pour elle-même des concepts fondamentaux.
Le niveau d’une science se détermine par la mesure en laquelle elle est capable d’une crise de ses concepts fondamentaux.
En de telles crises immanentes des sciences, le rapport entre le questionner positivement scientifique et les choses interrogées vient lui-même à chanceler.
De toutes parts aujourd’hui, dans les disciplines les plus diverses, se sont éveillées des tendances à reconstruire la recherche sur des fondations nouvelles.
La science apparemment la plus rigoureuse et la plus solidement articulée, la mathématique, est entrée dans une " crise des fondements ".
La lutte entre formalisme et intuitionnisme a pour enjeu de conquérir et d’assurer le mode primaire d’accès à ce qui doit être l’objet de cette science.
La théorie de la relativité en physique doit sa naissance à la tendance à fixer le contexte propre de la nature, tel qu’il subsiste " en soi ".
En tant que théorie des conditions d’accès à la nature elle-même, elle cherche à garantir par la détermination de toutes les relativités l’immutabilité des lois du mouvement, et elle se convoque ainsi devant la question de la structure du domaine qui lui est prédonné, devant le problème de la matière.
En biologie se manifeste la tendance à questionner en deçà des déterminations de l’organisme et de la vie fournies par le mécanisme et le vitalisme, et à déterminer à neuf le mode d’être du vivant comme tel.
Dans les sciences historiques de l’esprit, la percée vers l’effectivité historique a été encore renforcée par la tradition elle- même, c’est-à-dire par sa formulation et sa transmission : l’histoire littéraire doit devenir histoire des problèmes.
La théologie est en quête d’une interprétation plus originelle de l’être de l’homme par rapport à Dieu, qui soit pré-dessinée par le sens même de la foi et qui demeure en lui.
Lentement, elle recommence à comprendre l’aperçu de Luther, suivant lequel sa systématique dogmatique repose sur un " fondement " qui n’est point issu d’un questionnement primairement croyant, et dont la conceptualité non seulement ne suffit pas à la problématique théologique, mais encore la recouvre et la dénature.
Des concepts fondamentaux sont les déterminations où le domaine réal fondamental à tous les objets thématiques d’une science accède à une compréhension préalable et directrice pour toute recherche positive.
Leur assignation et leur " légitimation " authentique, ces concepts ne la reçoivent donc que d’une exploration non moins préalable du domaine réal lui- même.
Mais dans la mesure où chacun de ces domaines est conquis à partir de la région de l’étant lui-même, une telle recherche préalable et créatrice de concepts fondamentaux ne signifie rien d’autre que l’interprétation de cet étant quant à la constitution fondamentale de son être.
Une telle recherche doit nécessairement devancer les sciences positives, et elle le peut.
Le travail de Platon et d’Aristote en est la preuve.
Une telle fondation des sciences se distingue fondamentalement de cette " logique " après coup qui examine un état fortuit de telle ou telle science du point de vue de sa " méthode ".
Elle est logique productrice en ce sens qu’elle se jette pour ainsi dire en un domaine déterminé de l’être, qu’elle l’ouvre (erschliesst) pour la première fois en sa constitution d’être, et qu’elle met les structures obtenues à la disposition des sciences positives comme autant de règles transparentes pour leur questionnement.
C’est ainsi par exemple que le travail philosophiquement premier n’est pas une théorie de la formation des concepts en histoire, pas davantage la théorie de la connaissance historique, ni même la théorie de l’histoire comme objet de la science historique, mais l’interprétation de l’étant proprement historique en son historicité.
C’est ainsi encore que la contribution positive de la Critique de la raison pure de Kant consiste dans le coup d’envoi qu’elle donne à l’élaboration de ce qui appartient en général à une nature, et non point dans une " théorie " de la connaissance.
La logique transcendantale de Kant est une logique apriorique réale du domaine d’être " nature ".
Toutefois un tel questionnement — l’ontologie prise au sens le plus large, et indépendamment de tel ou tel courant ou tendance ontologique particulière — exige lui-même un fil conducteur.
Certes le questionnement ontologique est plus originaire que le questionnement ontique des sciences positives.
Néanmoins, il reste lui-même naïf et opaque si ses investigations du sens de l’être de l’étant laissent le sens de l’être en général inélucidé.
Et justement, la tâche ontologique d’une généalogie non déductive des différents modes possibles de l’être requiert que l’on s’entende préalablement sur " ce que nous visons proprement par le mot “être”.
" La question de l’être recherche donc une condition apriorique de la possibilité non seulement des sciences qui explorent l’étant qui est de telle ou telle manière et se meuvent alors toujours déjà dans une compréhension de l’être, mais encore des ontologies mêmes qui précèdent les sciences ontiques et les fondent.
Toute ontologie, si riche et cohérent que soit le système catégorial dont elle dispose, demeure au fond aveugle et pervertit son intention la plus propre si elle n’a pas commencé par clarifier suffisamment le sens de l’être et par reconnaître cette clarification comme sa tâche fondamentale.
La recherche ontologique bien comprise donne elle-même à la question de l’être sa primauté ontologique sur la simple reprise d’une tradition vénérable et la poursuite d’un problème demeuré jusque-là obscur.
Seulement, cette primauté réelle et scientifique n’est pas la seule.
La science en général peut être définie le tout d’une connexion de fondation de propositions vraies.
Mais cette définition, pas plus qu’elle n’est complète, ne touche le sens propre de la science.
Les sciences, en tant que comportements de l’homme, ont le mode d’être de cet étant (homme).
Cet étant, nous le saisissons terminologiquement comme DASEIN.
La recherche scientifique n’est ni le seul ni le prochain mode d’être possible de cet étant.
En outre, le Dasein a un privilège insigne par rapport à tout autre étant.
Ce privilège, voilà ce qu’il convient de mettre provisoirement en évidence.
Son élucidation devra nécessairement anticiper sur des analyses ultérieures, qui seules le mettront véritablement en lumière.
Le Dasein est un étant qui ne se borne pas à apparaître au sein de l’étant.
Il possède bien plutôt le privilège ontique suivant : pour cet étant, il y va en son être de cet être.
Par suite, il appartient à la constitution d’être du Dasein d’avoir en son être un rapport d’être à cet être.
Ce qui signifie derechef que le Dasein se comprend d’une manière ou d’une autre et plus ou moins expressément en son être.
A cet étant, il échoit ceci que, avec et par son être, cet être lui est ouvert à lui-même.
La compréhension de l’être est elle-même une déterminité d’être du Dasein.
Le privilège ontique du Dasein consiste en ce qu’il est ontologique.
Être-ontologique, ici, ne signifie pas encore : élaborer une ontologie.
Si donc nous réservons le titre d’ontologie au questionner théorique explicite du sens de l’étant, il convient d’appeler préontologique l’être-ontologique cité du Dasein.
Néanmoins, préontologique ne signifie pas pour autant simplement " étant-ontiquement " (ontisch-seiend), mais étant sur le mode d’une compréhension de l’être.
L’être lui-même par rapport auquel le Dasein peut se comporter et se comporte toujours d’une manière ou d’une autre, nous l’appelons existence.
Et comme la détermination d’essence de cet étant ne peut être accomplie par l’indication d’un quid réal, mais que son essence consiste bien plutôt en ceci qu’il a à chaque fois à être son être en tant que sien, le titre Dasein a été choisi comme expression ontologique pure pour désigner cet étant.
Le Dasein se comprend toujours soi-même à partir de son existence, d’une possibilité de lui-même d’être lui-même ou de ne pas être lui-même.
Ces possibilités le Dasein les à lui- même choisies, ou bien il est tombé en elles, ou bien il a toujours déjà grandi en elles.
L’existence est toujours et seulement décidée par le Dasein lui-même sous la forme d’une saisie ou d’une omission de la possibilité.
La question de l’existence ne peut jamais être réglée que par l’exister lui-même.
La compréhension alors directrice de soi-même, nous la qualifions d’existentielle.
La question de l’existence est une " affaire " ontique du Dasein.
Elle ne requiert nullement la transparence théorique de la structure ontologique de l’existence.
La question qui s’enquiert de celle-ci vise à l’explicitation de ce qui constitue l’existence.
Nous appelons l’ensemble cohérent de ces structures l’existentialité.
L’analytique de celle-ci a le caractère d’un comprendre non pas existentiel, mais existential.
La tâche d’une analytique existentiale du Dasein est pré-dessinée, du point de vue de sa possibilité et de sa nécessité, dans la constitution ontique du Dasein.
Mais dans la mesure où l’existence détermine le Dasein, l’analytique ontologique de cet étant a toujours déjà besoin d’une prise de perspective préalable sur l’existentialité.
Or nous comprenons celle-ci comme la constitution d’être de l’étant qui existe.
Mais dans l’idée d’une telle constitution d’être est déjà contenue l’idée d’être.
Ainsi même la possibilité d’accomplissement de l’analytique du Dasein dépend de l’élaboration préalable de la question du sens de l’être en général.
Les sciences sont des guises d’être du Dasein où il se rapporte également à l’étant qu’il n’a pas besoin d’être lui-même.
Or au Dasein appartient essentiellement l’être dans un monde.
La compréhension d’être inhérente au Dasein concerne donc cooriginairement la compréhension de quelque chose comme " le monde " et la compréhension de l’être de l’étant qui devient accessible à l’intérieur du monde.
Les ontologies qui ont pour thème l’étant dont le caractère d’être n’est pas à la mesure du Dasein sont par conséquent elles-mêmes fondées et motivées dans la structure ontique du Dasein, qui comprend en soi la déterminité d’une compréhension préontologique de l’être.
Ainsi l’ontologie-fondamentale, d’où seulement peuvent jaillir toutes les autres ontologies, doit-elle être nécessairement cherchée dans l’analytique existentiale du Dasein.
Le Dasein a par suite une primauté multiple sur tout autre étant.
Son premier privilège est ontique : cet étant est déterminé en son être par l’existence.
Le second privilège est ontologique : le Dasein, sur la base de sa déterminité d’existence, est en lui-même " ontologique ".
Mais il lui appartient cooriginairement — en tant que constituant de la compréhension de l’existence — une compréhension de l’être de tout étant qui n’est pas à la mesure du Dasein.
Le Dasein a donc un troisième privilège en tant que condition ontico- ontologique de la possibilité de toutes les ontologies.
Ainsi, le Dasein s’est dévoilé comme l’étant qui doit, avant tout autre étant, être en premier lieu interrogé ontologiquement.
Mais l’analytique existentiale, de son côté, est en dernière instance enracinée existentiellement, c’est-à-dire ontiquement.
C’est seulement si le questionnement comme recherche philosophique est saisi lui-même existentiellement en tant que possibilité d’être du Dasein à chaque fois existant que subsiste la possibilité d’une mise à découvert de l’existentialité de l’existence, et ainsi la possibilité de s’emparer d’une problématique ontologique en général suffisamment fondée.
Mais du coup, c’est aussi la primauté ontique de la question de l’être qui s’est dégagée.