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Lamande - Castagnol.djvu/221 |
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||[[Castagnol/01|Chapitre {{sc|i}}]]. — Où l’on voit les principaux héros de ce roman réunis au ''Gargantua Couronné''
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||[[Castagnol/02|Chapitre {{sc|ii}}]]. — De quelques lignes ennuyeuses, que le lecteur ne lira pas, sur le passé et la fortune de Justin Castagnol
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||[[Castagnol/03|Chapitre {{sc|iii}}]]. — Où l’on apprend entre autres choses substantifiques qu’un fils d’académicien ne doit pas déroger
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||[[Castagnol/04|Chapitre {{sc|iv}}]]. — Où l’on voit Castagnol confondre une pécore et menacer sa fille amoureuse des pires châtiments
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||[[Castagnol/05|Chapitre {{sc|v}}]]. — Où l’on voit Castagnol, en une minute de grand courroux, dissimuler aimablement
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||[[Castagnol/06|Chapitre {{sc|vi}}]]. — Venez, demain, et vous verrez... ce que vous verrez...
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||[[Castagnol0/7|Chapitre {{sc|vii}}]]. — Où deux jeunes gens, roucoulant d’amour, se voient traiter simultanément de colombe et de croquefredouille
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||[[Castagnol/08|Chapitre {{sc|viii}}]]. — Comment on peut, à propos de mariage, s’élever aux plus hautes considérations philosophiques
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||[[Castagnol/09|Chapitre {{sc|ix}}]]. — Où l’on voit, en un chapitre mouvementé, le malin Castagnol pris au piège
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<references/> |
Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Cuirasse | CUIRASSE, s. f. (curasse). Le mot cuirasse n’est adopté que vers la fin de l’époque du moyen âge, et ne s’applique habituellement alors qu’à l’habillement du torse pendant les joutes. La cuirasse faite de deux pièces, l’une pour le devant (le plastron), l’autre pour garantir le dos (la dossière), ne date que de la fin du xve siècle. Il est rare, avant cette époque, de voir des cuirasses composées seulement de ces deux pièces. Celles de cette sorte que présentent des vignettes de manuscrits sont des corsets ou surcots de fer (voy. Surcot), ou ce qu’on appelait au xve siècle des curasses closes. Généralement, jusqu’à la fin du xve siècle, les cuirasses de guerre se composaient d’un assez grand nombre de pièces : pour le devant, du plastron, de la pansière, du voulant ou volant qui était posé sous le colletin ; pour le dos, de la dossière indépendante ou dépendante de la ceinture, et parfois des spallières fixes ou spallières doubles qui masquaient le défaut entre les spallières mobiles et la dossière. On donnait aux brigantines le nom de curassines. Souvent une pansière et un garde-reins doublaient la curassine de la ceinture au thorax et au-dessous des omoplates. La pansière était elle-même, parfois, faite de plusieurs pièces articulées, qui prenaient alors le nom de faulx. La lame inférieure (celle qui formait ceinture) recevait les braconnières. L’ensemble de ces parties était le harnois de corps. (Voyez Armure, Braconnière, Brigantine, Harnois, Dossière et Pansière, Plastron, Spallière, Surcot.) |
L’Amour aux champs | Octave Uzanne L’amour aux champs Son altesse la femme, A. Quantin, imprimeur-éditeur, 1885 (p. 225-248). ◄ Sous la restauration La parisienne moderne ► collectionL’amour aux champsOctave Uzanne illustré par Henri Gervex, Juan-Antonio Gonzales, Charles Louis Kratke, Albert Lynch, Adrien Moreau, Félicien Rops et couverture de Gustave Fraipont.A. Quantin, imprimeur-éditeur1885ParisCL’amour aux champsUzanne - Son altesse la femme.djvuUzanne - Son altesse la femme.djvu/5225-248 L’AMOUR AUX CHAMPS ────•──── BALLADE EN PROSE L’AMOUR AUX CHAMPS C’est aux grands pouls de la nature que l’amour bat aux champs. Ici point de névrose cérébrale, pas de psychologie : le chercheur le plus micrographe aurait peine à découvrir des cas intéressants pour l’étude pathologique du cœur et de l’esprit. L’Amour éclôt sous le soleil, avec un étourdissement de sève qui fermente et monte dans l’animalité humaine ; les sens sont le plus souvent surpris avant que le cœur soit atteint ; la création dicte normalement ses lois ; mais l’âme, cet astre interne qui sait répandre en nous sa nappe de lumière chaude et bienfaisante, Târne qui drape de pourpre et d’azur nos illusions juvéniles et sème à profusion les fleurs rares si tôt fanées sur l’autel de notre bonheur, l’âme, cette essence des affinés, l’âme, cet officiant divin qui chante en tierce dans nos ivresses un Te Deum au Grand-Tout, l’âme apparaît peu dans le rut brutal et fugitif des accointances champêtres. L’Adolescent se dégauchit vite — sans qu’il ressente l’époque de la mue — dans la sauvagerie des champs ; ses yeux ont tôt appris à lire et à interpréter les lois de la nature ; il connaît, avant l’âge de formation, l’amour des êtres, ou mieux, la relation des sexes. Tout jeunet, au retour de l’école, son panier au bras, le long des haies vives, dans le calme troublant du crépuscule, il a vu le paysan cupide, ramenant, satisfait, de la ferme voisine, sa vache efflanquée, qui, le matin même, demandait le taureau, et, maintenant calme, fait résonner mollement son sabot sur les cailloux du chemin ; il a surpris les ébats amoureux des oiseaux se poursuivant dans les taillis, et son regard malin, perspicace et fureteur, ce regard développé à l’extrême a tout compris, tout supputé, dans sa logique impitoyable dont rien n’est venu fausser la droiture et le naturel développement. — Près des fillettes, il a garçonne dans l’ignorance des décences convenues et des pudeurs inoculées par la délicatesse des mères, aussi le jeune gars montre-t-il moins de curiosité ayant moins de mystères à pénétrer, car l’esprit de l’enfant aime despotiquement à connaître la raison des choses et à déchirer les voiles qu’on lui oppose. Tout parle à ses sens, car tout germe, tout fermente, tout pousse, tout se développe autour de lui. Rien ne murmure dans son cœur laissé en jachère, sans culture sentimentale et sans idéalité. Entre le père, qui entend qu’on travaille ferme et le rudoie, criant : « gamin, va quérir les vaches ! » et la mère accablée de travail, qui, à la fois, écume la marmite pendue à la crémaillère, chasse en jurant les chiens de la chambre, gourmande et mouche les mioches, relève la litière des bœufs, gave les dindons, jette l’avoine aux poules, écréme les pots de la laiterie, nettoie la bauge du porc, — cet asiatique de basse-cour ; — entre ces deux êtres courbés sur la terre, plus myopes sur la vie que des sauvages du centre de l’Afrique, le pauvre enfant ne connaît point ces refuges caressants, ces gîtes douillets et reposants, où des parents épient anxieusement l’éveil des idées et la poussée morale de leur fils, à mesure de ses degrés de croissance. A sept ans, il a déjà l’aspect fatigué, vieillot, d’un petit homme avec ses culottes rapiécées, montant au-dessus des hanches et retenues par des bretelles minuscules. Les mains dans les poches, la gueule ouverte, l’œil malicieux, il assiste à toutes les opérations agricoles. Déjà dur à la fatigue et habitué aux privations, il suivra le père à la charrue, marchant dans le sillon avec ses sabots ou ses souliers ferrés, glissant sur les mottes de terre, se relevant en riant, lançant au ciel tous les blasphèmes qu’il a entendu proférer, tous les mots orduriers, qui, dans sa bouche enfantine, font rire les gars le soir à la veillée. Déjà aussi a-t-il toutes les perversités précoces, la rage de la destruction, une sorte d’instinct de chat cruel. Son œil perçant a compté tous les nids des environs, arbre par arbre, buisson par buisson ; il les connaît, il les guigne, et partout il grimpe ou se hisse, plongeant ses petites mains meurtrières et impitoyables dans les embranchements où l’oiseau a maçonné de brindilles et tapissé de duvet le lit d’une famille nouvelle. Là où ce singe paysannesque a passé règne la dévastation. Sous ce crâne bombé, allongé en noix de coco, résistant au choc des chutes non moins qu’aux idées de charité, de bienfaisance, de tendresse et de protection des faibles, on ne peut faire pénétrer l’amour de l’oiseau et de sa couvée et la conception des pertes irréparables, que la maternité pleure au sein de la nature. Rossignols, alouettes, rouges-gorges, bouvreuils, bergeronnettes qui planez dans l’harmonie vivante des bois et des prairies, hirondelles familières qui logez sous notre toit, chardonnerets, pinsons, loriots, linottes et mésangettes, n’êtes-vous pas cependant les plus divins chantres de l’Amour aux champs, et les anciens ne disaient-ils pas : « Tout vient de l’œuf, c’est le berceau du monde ! » C’est au grand pouls de la nature que l’amour bat aux champs ! La fillette, plus encore peut-être que le petit gars, a été sevrée d’affection. Saluée dès son entrée dans la vie par cette imprécation : Une pisseuse ! Quel gueux de sort ! elle pousse, comme elle peut, sans qu’on y prenne garde, sauvagement. On la voit, la pauvrette, ficelée comme un paquet, presque sordide et morveuse, sur le seuil de la chaumière, manœuvrant dans ses petites pattes humides, noires et potelées le premier ustensile venu qu’elle brandit en hochet, bégayant au soleil de ces mots inarticulés d’enfant dont on ne sait pas faire éclore les paroles une à une, ou vautrée dans la poussière, se livrant à de naïfs ébats dans les pattes d’un jeune chien, doux compagnon d’enfance, qui la bouscule délicatement, la lèche, aboie, s’éloigne en folâtrant, revient joyeux et subit les caresses de ces menottes tremblantes et mal assurées qui le saisissent au museau, aux oreilles, au cou, tandis que le baby grogne presque tendrement, montrant ses petites cuisses à l’air, son visage renversé, rieur, ses lèvres roses couvertes d’une bave de plaisir. C’est à peine si la mère la prend, remporte, la berce et l’embrasse. Le plus souvent elle dort dans le haut lit de duvet, sous l’édredon paternel, écrasée entre les deux corps qui l’ont conçue, mettant son sommeil calme de petit chat au milieu des ronflements sonores des époux que le labeur du jour a paralysés de fatigue. — À l’aurore, elle repose seule, perdue dans la plume, tandis que la basse- cour s’éveille, que le père en sabots casse une croûte et que la mère déjà vêtue, coiffée de sa marmotte, va et vient, agitant dans un lavage hâtif tous les vases de fer-blanc de l’étable où le lait de la vache va tomber tout à l’heure avec un tambourinement sac- cadé. Le soleil n’est pas haut à l’horizon que déjà on la fagote plutôt qu’on ne l’habille, précipitamment, à coups de tapes et sans ménagement ; puis, à peine nourrie de sa pâtée, elle est campée sur un siège : « Tiens-toi là... t’entends, et n’ bouge pas ! » Parfois, au mitan de la journée, en dépit de la chaleur, du froid et de la pluie, soit que la bourgeoise aille à l’herbe, au fanage, à la semaille ou au repiquage, soit qu’elle se rende au ruisseau ou à la mare voisine pour taper à la volée le linge de son Rouilleau, la gosse est sans façon hissée dans la hotte, comme les enfants de Croqueraitaine. Elle est ballottée le long des chemins, à moitié endormie, n’osant crier de peur des taloches ; puis enfin déposée à l’endroit du travail, sous un saule crevassé, contre le talus d’un fossé, au-dessus d’une botte de paille, la petiote abandonnée glapit de vagues et plaintifs mugissements. Elle pousse gaillarde et drue cependant, bien que gauche, timide et farouche. Peu à peu, vers la douzième année, elle se déchrysalide, s’élance droite et déjà s’arrondit un brin dans son corsage d’indienne ; des cheveux de chanvre flottent sur son cou bruni ; ses yeux, enfoncés sous un front proéminent, semblent moins épeurés, moins effarés, moins boudeurs ; ils osent luire maintenant, s’avancer au premier plan en éclairant de leurs feux l’arcade sourcilière. Son instinct s’éveille très vite, trop vite peut-être, car elle devient un embarras à la maison. On lui met alors un panier sous le bras, on la munit de tartines beurrées, de noisettes, de cahiers de classe, et l’on envoie le petit chaperon rougè se dégourdir à l’école du bourg le plus proche, en compagnie de jeunes loups qui la croqueront un jour. Aussitôt, cette chafouine morveuse, si craintive la veille, devient garçonnière, turbulente, espiègle et perverse comme un diable. Elle s’affole dans les rondes de village, parmi les ritournelles chantées, dans la griserie tournoyante des enchaînements de gamins. Pimpante et plus coquette avec les moutards, elle s’échappe le soir avec grand bruit de l’école au milieu d’une nuée de marmaille déchaînée et prend plaisir au retour à taquiner et à bousculer ses compagnons de route, les fatiguant par des courses à travers champs, grimpant aux arbres, en jouant à chat perché et pirouettant souvent gaiement, cul par-dessus tête, sans songer à baisser sa cotte ; très savante d’ailleurs en mots expressifs, en gestes libres, parfois même très froidement vicieuse avec la naïve ignorance de son vice. De retour sous le chaume, ses cahiers mis en place, ses parents la dépêchent aussitôt au bétail épars dans les pâturages pour les ramener à l’étable. Une longue baguette en main, la fillette court essoufflée dans la prairie, avec une allure homasse, cinglant ferme les bestiaux au jarret, sautant derrière les génisses bondissantes, appelant le chien diligent qui, la langue tendue, guette ses ordres, prêt à se lancer sur les bêtes écartées ; criant d’une voix âpre et forte : — « Tiens, tiens, Noiraud, ramène-la !.... va, mords-la, la garce ; .... vite ramène, mords-la.... Ici..., ici ! » — et, tandis que le brave molosse jappe, se précipite et donne de la gueule, elle vole à la rescousse et tape dur sur les échines des normandes ou des charolaises, qui secouent la tête et vont de l’avant. Elle franchit enfin les bouchures, marchant à l’arrière de ses bêtes dont la sonnaille scande le pas lourd et les abroutissements le long du chemin, et elle s’en revient à l’heure mélancolique de l’angélus, dans le crépuscule tombant, ébouriffée, le visage rouge, perlé de sueur, déchirant de ses dents superbes un lambeau de pain de seigle mis en réserve dans son tablier. ⁂ C’est au grand pouls de la nature que l’amour bat aux champs ! A douze ou quinze ans le gars abandonne l’école, aide aux travaux, remplace le père à la charrue, fait le binage des vignes, sert à la fenaison et, de l’aube au soleil couché, durcit ses mains à la fatigue. L’âge de la puberté ne l’a point troublé, c’est à peine si la période de mue a eu prise sur lui. — Depuis long- temps, il ne lui reste rien à connaître des sensations amoureuses. Aux heures de repos, pendant la méri- dienne dans la grange, ou la nuit, sur le lit dressé dans l’écurie, à la lueur d’une lanterne fumeuse, une servante Messaline effrontée ou quelque plantureuse fille en journée l’a cyniquement initié aux mystères de la nature, sans qu’il le désirât ou s’en défendît, le tapotant, le prenant de force, faisant éclore avant le temps ses démonstrations d’homme. — Il a conté cela un soir aux parents assemblés autour de la table pour le souper ; la mère, par tempérament jalouse de ses mâles, a grogné entre ses dents : « Oh ! la gueuse ; la rien du tout ! » — Le père, patriarche incontesté, a levé la tête à cette exclamation et, tout en coupant lentement la miche de pain, s’est écrié : — -« Tais- toi, la femme ! pas de jérémiades 1 il n’y a rien de cassé, ben sûr ; il est bon que l’enfant connaisse ce qu’il doit apprendre tôt ou tard... ; quand il sera en âge d'aller de lui-même à la femelle, il saura au moins comment s’y prendre. Je n’y vois point grand dommage. » Aller à la femelle ! Là est le terme consacré pour ces rabelaisiens sans métaphore. Aller à la femelle est un honneur, on boit à ces premières virilités. Il y va toujours assez tôt, le gars ! — Ses dix-sept ans ne sont pas révolus, que chaque dimanche, après la soupe, il se rend à la danse du village ; vêtu d’une blouse neuve flottante, aux plis bleus laminés par le fer, avec des soutaches au col et aux épaules, culotté d’un pantalon de drap gris, chaussé de gros souliers bien cirés, la casquette de soie posée sur le côté de sa chevelure luisante de pommade, il part avec un petit écu dans sa poche, plus fier qu’un, compagnon qui fait son tour de France ; il se dan- dine, une fleurette aux dents, en chantonnant, s’il est seul, quelque complainte traînarde comme sa démarche ; en braillant, s’il est en compagnie, des chansons grossières et farceuses apprise ? au café, à la ville, lors de la dernière foire. L’aubergiste du hameau dirige d’ordinaire la salle de bal, sorte de grange peinte à la chaux vive, avec un banc de bois de chêne à l’entour. Sur une estrade faite de fûts dressés et recouverts de planches, un piston et un violon jouent désespérément. La salle se peuple lentement. Un à un, timidement, traînant la jambe comme s’ils portaient une charge, les bras ballants, gênés, gauches et malheureux d’apparence, les blouzards rougeauds arrivent ; leurs souliers ferrés font sonner creux les larges lames d’un parquet primitif ; les filles et les femmes retardent un peu. Elles apparaissent cependant avec cette allure craintive, empesée, presque ridicule de la paysanne en toilette qui semble ne savoir où dissi- muler ses mains rouges marbrées d’engelures. Les robes de mauvais goût, aux plis disgracieux, les lourdes bottines, les cravates aux tons criards et crus, les cheveux plaqués aux tempes, enlaidissent ces superbes filles, si sculpturalement campées au travail dans le grand décor des champs aux jours de semaine. Ici parées comme des châsses, elles mon- trent la déformation de leur corps ratatiné et engoncé dans, de pauvres jupes ou des corsages mal taillés qui aplatissent leur gorge. — Orchestre et toilettes, dans ces bals contribuent à faire hurler l’harmonie. En place pour le quadrille ! — Les couples se rendissent et se donnent des mains de bois articu- lées ; à peine si l’on se chuchote quelques mots ; le plaisir est muet, cérémonieux, attristant pour qui regarde ; cela a quelque chose d’une noce de domes- tiques. Est-il rien de plus navrant ? —Le piston et le violon, qui font mauvais ménage, lancent leurs notes au loin dans la nuit profonde, et danseurs et danseuses inflexibles vont, viennent, passent, le visage sérieux, consterné, jouissant d’une liesse intime, bien que peu débordante. Dans les entr’actes on se traîne à « l’abreuvoir » et on se remue davantage en buvant la « bonne bière de Mars », le cidre ou la limonade qui’ saute au grand plaisir des filles. Les amoureux ne se mettent pas « pour lors » en frais inutiles de paroles : ils se tiennent la main dans la main et se regardent avec des yeux qui s’alluchent, qui s’allument et s’approfondissent dans la bestialité, plutôt qu’ils ne se causent. Il faut voir aussi dans ces œillades la mélancolie inconsciente de deux regards qui se désirent et se craignent, qui se veulent et redoutent de s’exprimer et aussi la gaucherie troublante des amours qui voudraient se peindre et qui cherchent en vain la façon de se préciser. Hop ! Le cuivre a retenti : Debout les femmes ! Le ménétrier annonce la polka, quelquefois la valse, on paye chaque tour de bal, et l’on dansote dans la guinguette bien avant dans la nuit, avec cette même réserve, attendant l’heure bénie du retour, l’heure des amours démonstratives, où le jeune gars sera le rameneux, où la jeune fille gravira son premier calvaire d’amour et tombera lourdement « comme une motte » au revers des fossés. Le rameneux, l’heureux rameneux, dans la nuit épaisse, sous le ciel étoile, comme un manteau de magicien, sent sourdre en lui l’éloquence des désirs brutaux ; il a enlacé la fillette à l’épaule près du cou, la pressant durement, et tous deux marchent lentement, en parlant bas, si bas que rien ne détruit la symphonie nocturne : le chant des grillons et des insectes dans l’herbe et le coassement régulier des grenouilles qui monte berceur dans l’ombre. Dans la plaine, la fraîcheur dégage les senteurs vivifiantes de la verdure et les arbres ont des formes indécises qui font que les femmes se serrent contre le mâle. Le galant rameneux approche tout à coup son visage contre celui de sa compagne ; il a retrouvé maintenant ses pipeaux rustiques et en joue de son mieux, bien que sobrement. Il l’embrasse, il la presse, sans qu’elle veuille se défendre... ; il déclare la trouver la plus gente, la plus avenante du village, la plus laborieuse, et a toujours pensé qu’elle ferait une rude petite femme. Elle répond à peine, très émue ; « pour sûre qu’aussi elle le trouve un beau garçon, dur à la besogne et dont le père, à la maison, parle toujours avec éloge ». — Ils causent d’avenir, très absorbés par leurs projets, sincères en ce moment ; à la lueur de l’espérance qui brille à ses yeux, la pauvrette ne voit pas les embûches sous ses pieds. Ils se sont arrêtés et assis sur un talus, contre une haie. Ici, le fier mâle se démasque et la mange de baisers ; il ne supplie pas, il attaque.... Il n’incline pas son amie sous les baisers, il la renverse... il la bouscule et se cabre à ses côtés... Elle, déjà savante sur les conséquences, le conjure de prendre garde. Elle se dit qu’après tout il faut bien céder..., et puis, qu’importe !... puisque peut-être on se mariera. ⁂ C’est au grand pouls de la nature que l’amour bat aux champs ! Peu à peu la fillette s’aguerrit et les rameneux se succèdent à son cou, le long des sentiers, au retour des danses ; elle ne songe même plus à repousser les assauts, elle glisse à volonté sans essayer de se retenir, étouffant ses rires, ses soupirs et ses cris dans la nuit ; elle a toutes les lassitudes, toutes les passivités de la femelle, parfois aussi l’indifférence de la poule maîtrisée par le coq. Elle se relève un peu chiffonnée, rouge et muette, décontenancée, sens dessus dessous, donne un coup de main à ses cottes, pleines de poussière, d’herbes sèches, de petits chardons et tous deux, silencieux, confus, reprennent leur marche avec plus d’accablement près des grands peupliers qui bruissent agités par le vent, en côtoyant les ruisseaux qui traînent leurs murmures en glouglous et leur susurration sur les rochers. L’effraie ou la hulotte lancent leurs cris dans les ténèbres ; au loin les chiens des métairies jappent longuement et se répondent de la hauteur des collines aux profondeurs des vallées. On entend tous les dix ou quinze pas le bruit sec de leurs baisers et quelques éclats de voix criarde de fille lutinée : ah ! finis donc ! — chien d’homme ! — ou bien... t’as pas ja fini tes bêtises ?... — Ils se sont assis mainte- nant de nouveau, arrachant par maintien des brindilles d’herbe : elle, l’œil égaré et distrait, écoutant, avec émoi, si personne ne vient au loin dans le chemin ; mais lui la happe soudain convulsivement aux lèvres avec des salivations de dogue qui mâtine une levrette et la renverse dans ses crispations pour la seconde fois. — Ce n’est plus le Colin des opérascomiques, le Jeanniot des romances à sous-entendus polissons, c’est l’étalon dans la libre campagne qui, sans ménagement, se rue aveuglément à la chair. Pour la pauvresse, c’est le bel âge que cet âge des amours brutales, puissantes, farouches et des ruts subis. Si le père a du bien, elle se marie un beau matin avec l’un de ses amoureux qui a jugé de sa robustesse, des services qu’elle lui pourra rendre et qui l’épouse en finaud, pour avoir un ouvrier solide à atteler à sa vie. — A dater de ce jour, tout est fini pour elle ; courbée par le travail, tirant sur le trait comme un cheval aveugle, déformée par les couches, elle n’a plus de fête ni de répit. Les mômes arrivent qu’il faut nourrir et élever comme on peut ; ce n’est plus la femme fraîche et appétissante, la rose donzelle délurée de la veille, qu’on rencontrait pimpante sous sa cornette blanche à la messe du village, c’est l’esclave, durcie au soleil, maigrie, voûtée, ravagée, bientôt sans formes féminines, plus maigre qu’un poulet de table d’hôte. Elle s’écrase du soir au matin sous les gros labeurs, grattant la terre, la tête en bas, portant la lourde hotte chargée d’herbages, traînant sa perpétuelle grossesse dans tous les travaux rustiques par la pluie, le froid, le vent ou la chaleur, sans se plaindre, sans geindre, tout attentive aux ordres, aux duretés et aux exigences de son homme, du maître devant qui seul elle tremble. Plus de plaisirs, plus de bal, plus de Dimanches pour elle ! — Lui, le rustaud, fidèle au jour du Seigneur, se fait la barbe sur le midi, met la chemise blanche apprêtée par les soins de la mère, sort de l’armoire ses hardes neuves, puise de l’argent dans le coin des réserves et les mains dans ses poches, comme un bourgeois, frais, dispos, heureux de vivre, se rend au cabaret du village où il fume, boit sans mesure, joue avec opiniâtreté, bavarde sans fin et rigole ou se chamaille avec les amis. Il rentre tard dans la nuit, un peu trébuchant, le verbe haut, rond comme une pomme, le gilet plein, la « marianne dans l’œil », avec toute l’importance d’un homme bu !... : « Les femmes, c’est fait pour attendre », déclaret-il..., et bien que la bourgeoise ne souffle mot, il ajoute pour prévenir les reproches... : « Et pas de larmes, pas de cris, ou j’cogne. » L’amour est bien parti ; la malheureuse est bien domptée ; dans son esprit écourté, économe, âpre au gain, peu lui importe que son homme soit ivre, qu’il rentre tard, qu’il l’abandonne à sa solitude, à ses travaux. C’est son sort de femme ; mais, ménagère avant tout, elle s’inquiète de l’argent dépensé. Le lendemain de cette gogaille, avant que le soleil soit levé, pendant que le rustre fait entendre ses hoquets d’ivrogne endormi, ses rauques ronflements de gorge sèche, elle se glisse furtivement à bas du lit, et, sans lumière, à tâtons, d’un pas furtif s’empresse de regarder cupidement ce qu’il peut bien rester dans sa bourse de la menue monnaie emportée la veille, après une si copieuse ribote ! ⁂ C’est au grand pouls de la nature que l’amour bat aux champs ! Quelquefois, — il faut le dire, afin d’apporter un peu de couleur parmi tant de réalités ternes, — on constate des amours simples et touchantes, des églogues poétiques, d’une sentimentalité naïve, des passions d’une sincérité sublime, et dont il faut voir la cause dans des penchants invincibles contrariés par l’avarice des parents. Alors, dans ces âmes sans culture, sans ambitions, sans désirs élevés, il se développe tout à coup un étonnant machiavélisme, une extrême ingéniosité, une finauderie merveilleuse et patiente pour tourner adroitement tous les obstacles. Faut-il un exemple ? Voici un argument de roman dans sa naïveté presque vulgaire. Pierre aime Jeannette, la meunière du Bois-Joli, là-bas, là-bas, derrière la colline, à dix kilomètres au loin. Jeannette est éprise de Pierre, pauvre gueux, enfant de l’hospice, maintenant valet de ferme aux Ormeaux. Ils se veulent et ont juré tendrement un soir, dans l’émotion d’un premier aveu, de fusionner leur vie, quoi qu’il advienne ; le meunier a gourmande sa fille le jour où elle lui a parlé de Pierre... « Un enfant trouvé... un propre à rien, un méchant bouvier... de quoi s’avise-t-elle ? — Jamais, qu’elle en prenne bonne note, il n’entendra parler d’un pareil chenapan. » Pierre et Jeannette se voient cependant ; lui quitte au soir la ferme endormie et retrouve du courage en songeant sur la route que, à deux lieues de là, près des vannes où chante l’eau du ru, son amourée guette sa venue dans la nuit. Il arrive presque courant, essoufflé et, de loin en loin, chuinte en signe de ralliement ; la petite franchit alors bravement sa fenêtre et saute au delà des hautes murailles, apaisant par ses caresses les chiens de garde prêts à aboyer. Les amoureux se retrouvent et, sans parler, font communier leur passion ; ils s’en vont derrière les buissons se conter leurs peines et nourrir leurs espoirs. Leur amour s’échauffe, se surexcite, grandit ; Jeannette refuse tous les prétendus, essuie les farouches colères du père, les supplications de la mère, tandis que les années passent en attisant leur flamme par l’attente. Toutes les ruses, ils les emploient pour se voir et sentir leurs cœurs battre à l’unisson, jour ou nuit selon les occasions. Le soleil leur est doux ; ils aiment à sentir neiger les aubépines sur leurs têtes et à baiser les corolles roses des églantines ; derrière les meules de foin ou dans les blés jaunissants, parmi les coquelicots et les bluets, ils se dérobent des baisers. Partout l’amour les porte et les fait radieux. Ils chantent en se tenant la taille, des rondes naïves : Je voudrais bien m’y marier, Mais j’ai trop peur de m’y tromper. J’en veux rester fillette, La verdurette, durette ; J’en veux rester fillette, La verdurette du bois. Lui, de sa forte voix de vacher, qui s’est développée dans le grand air des pâturages, ne sait rien d’aussi gracieux ; il ne connaît que de plaintives mélopées bourguignonnes, des ranz des vaches, à refrains du Tyrol, et tandis qu’ils rentrent tristement, épaule contre épaule, il attaque en lourant, l’œil perdu dans le vide, un vieux Deo Laus de laboureurs à l’aube que l’écho répercute. V’lai l’soulei qui s’ieuve biau, I fait ramaiger le oisiau. Tretçus ditoint en leu langaige : S’iV breûilloit, hâ ! queû dommaige ! Quand j’monte su’ces coûtas, Je m’sens pus léger à tous pas. La floriote av’tou la verdure Flatont mes yeux et ma flairure. Ainsi se bercent ces amoureux dans l’ivresse de leurs rendez-vous. Un soir, Jeannette, lassée, surmenée de désirs et d’attente, demande, presque suppliante, à Pierre de ne pas verser son blé à la porte du moulin... A ses yeux, c’est là un acte héroïque, un courage qui lui est venu de la lassitude des vaines attentes, un suprême moyen pour vaincre l’entêtement des siens par son déshonneur affiché. Ainsi forcera-t-on le consentement des parents, et si le père la chasse, tous deux iront vivre en service dans un pays voisin ou bien à la ville. Lui se fera toucheur, maquignon, ou se louera à la saison des foires, tandis qu’elle ira en journée dans les fermes, comme ouvrière pour les lessives ou les ravaudages. La jeune mère laissera orgueilleusement deviner son état ; le meunier jurera, fera les cent mille coups, menacera, puis, peu à peu radouci, pardonnera enfin, disant : Allons, prends-le, ton gars..., Misère de misère ! Berquinade champêtre, dira-t-on en souriant ; mais ces patients révoltés sont idéalement heureux et, longtemps après les épousailles, on les peut voir toujours à deux dans les travaux agrestes, tirant le rouleau ou la herse, penchés l’un sur l’autre à l’heure des siestes. Souvent même le soir, au soleil couchant, dans l’accalmie de la nature, en un moment de répit, quand on n’entend plus monter dans la campagne que le chant affaibli des pâtres, qu’on ne perçoit dans l’air que le sifflement d’ailes des hirondelles hâtives qui rentrent au nid, ils tombent encore affamés d’amour aux bras l’un de l’autre, dans une étreinte de passion farouche, vibrants de désir et de bonheur, les lèvres sur les lèvres. Leurs silhouettes n’en font qu’une, tandis que debout, enlacés, palpitants, ils apparaissent sur le fond incendié du couchant comme l’expression d’une superbe communion de l’humaine créature devant l’Eternel. De telles amours durent souvent jusqu’aux limites extrêmes de la vieillesse. La simplicité rustique les conserve et les fait indestructibles. Ainsi vis-je en pays vendômois, sur le seuil d’une des jolies grottes de Trooz, creusées dans le calcaire, une paysanne chenue et voûtée, berçant sur ses genoux un petit vieillard sec et ridé dont les yeux brillaient de reconnaissance. Elle lui offrait du lait, le faisant boire avec soin, et comme j’approchais, il dit : « — La chère femme, voyez-vous, elle m’a fait ben du service, toujours avenante et dure au travail et si jolie... ma Simonne ! » Et la vieille d’une voix chevrotante répétait presque amoureusement : « — Oui, oui, t’es un bon p’tit gars, t’es un bon p’tit gars ! » 0 pays de Ronsard qui me faisait songer aux souvenirs classiques et répéter : Baucis devint tilleul, Philémon devint chêne. C’est au grand pouls de la nature que l’amour bat aux champs ! Fichier:Uzanne - Son altesse la femme - illustration p248.jpg |
Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance (1873-1874), tome 5.djvu/18 | {{nr||— 8 —|}}pour faire adopter à toute une armée un modèle de guêtre ou de ceinturon ; chacun cherchait ce qui pouvait être commode, utile, et l'armement atteignait ainsi une perfection pratique qui donne à penser. L’équipement d’un de nos soldats en Afrique, ou pendant le long siège de Sébastopol, nous intéresse, parce qu’il résulte des difficultés et des besoins impérieux en un cas particulier de guerre. Or, pendant le moyen âge, l’équipement de l’homme de guerre présente sans cesse cet intérêt ; ce n’est point une affaire administrative, la conséquence d’une discussion dans des bureaux entre gens qui n’ont pas fait campagne et ne songent qu’à la bonne apparence des revues ; c’est le résultat de la pratique du plus rude et du plus dangereux des métiers, de celui qui exige la promptitude, la prévoyance en toute chose, la liberté d’allures pendant l’action. Le vrai soldat ne songe pas seulement à ses armes, il doit avoir son hygiène, car il faut qu’il soit dispos après de longues attentes pendant les nuits froides et les jours pluvieux. Il doit préserver de la maladie ce corps qui, à un moment donné, agira dans sa pleine vigueur ; il doit éviter tout emploi inutile de force, et cependant ne manquer d’aucune des choses nécessaires, non-seulement à sa défense, mais à sa santé.
Observons nos soldats après quelques semaines de campagne ; ils ont bien vite modifié ce que leur équipement réglementaire présente de défectueux ou d’incommode. Les chefs ferment les yeux sur ces inobservations des règlements, et c’est ce qu’ils peuvent faire de mieux ; car le soldat, en France particulièrement, sait bien vite s’équiper de la façon la plus commode. Cette faculté, nous l’avons toujours possédée, aussi nos équipements militaires présentent-ils des qualités pratiques toutes particulières, qualités que nos articles feront ressortir. Il en était de même des exercices, qui, pendant la paix, devaient préparer les hommes d’armes aux combats futurs ; ces exercices étaient bien autrement pratiques que ne le sont nos simulacres de bataille. Les tournois n’étaient que de véritables mêlées de cavalerie où les hommes comme les chevaux apprenaient sérieusement leur métier. On en venait aux mains, et nos vieux connétables des temps passés seraient fort surpris s’ils nous voyaient manœuvrer des escadrons de cavalerie pendant les simulacres de bataille commandés aujourd’hui à nos troupes, simulacres plus funestes qu’utiles à la cavalerie, notamment, puisque l’on fait faire demi-tour à droite et à gauche aux escadrons chargeant un carré d’infanterie sous le feu ; de telle sorte que les chevaux, habitués de longue main à cette manœuvre, ne manquent pas, un jour de vraie |
Hamont - Dupleix d’après sa correspondance inédite, 1881.djvu/73 | nabab. Faites-moi un plan suivi de la façon dont vous
voulez que je traite la ville. »
Cependant Dupleix s’occupait d’organiser l’administration
dans la cité conquise. Fidèle aux traditions de la
Compagnie, qui imposaient la création d’un conseil et la
nomination d’un gouverneur dans tout nouvel établissement,
il désigna le nombre voulu de conseillers pour
former l’assemblée coloniale, dont il confia la présidence
à La Bourdonnais. Cet acte purement administratif fit
évanouir toutes les bonnes dispositions de l’amiral et
le porta aux extrémités les plus violentes. Il se crut
outragé. Il ne vit dans l’institution du conseil qu’un
empiétement à ses pouvoirs, et dans les conseillers que
des espions ; son orgueil l’empêcha de reconnaître
qu’il subissait la loi commune, et que Dupleix lui-même
avait à côté de lui un conseil. « Quel a été, mon étonnement
d’apprendre que vos conseillers font ligue contre
moi et tâchent de suborner les chefs de mes troupes et
de mes vaisseaux ! Le tout, disent-ils, par ordre de
M. Dupleix et pour le faire reconnaître. Sont-ce là
des moyens permis ? écrivait-il au gouvernement de Pondichéry,
car enfin raisonnons : ou M. Dupleix aie droit
de commander dans cette colonie, ou il ne l’a pas. S’il l’a,
il fallait me le faire connaître avant de m’embarquer
dans cette affaire, afin que je me comportasse comme il
convenait. Or, on ne m’a rien dit, et je suis venu comme
un homme qui a toute l’autorité. Je me suis engagé en
conséquence. Je ne doute point que si j’eusse gardé
Madras comme une colonie française, elle n’eût été de
votre ressort ; mais puisqu’il n’y a aucun autre gouverneur
que celui qui l’a conquis, mon parti est pris, et il
<references/> |
Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance (1873-1874), tome 5.djvu/23 | {{nr||— 13 —|[ AIGUILLETTE ]}}qui les traversaient<ref>Voyez {{sc|Ailette}}.</ref>. Ce mode d'attache persista jusqu’au {{s|xv}}, ainsi que le fait voir la figure 2<ref>Statue de Judas Machabée, tour de la chapelle au château de Pierrefonds (1400) ; celle du roi Artus, même château.</ref>. Cette spallière circulaire, légèrement conique, est percée d’un trou au centre, par lequel passent les deux courroies munies d’aiguillettes et cousues au haubert ou à la cotte d’armes. En ''a'' est la ''guige'' de l’écu.
Lorsqu’on adopta les plates, c’est-à-dire les pièces d’armures de fer ou d’acier pour couvrir les diverses parties du corps de l’homme{{Img float
| style =
| above =
| file = 05-023.png
| cap =
| capalign =
| alt =
}} d’armes par-dessus la maille ou conjointement avec elle, vers la seconde moitié du {{s|xiv}}, afin d’éviter les chocs des masses d’armes et de faire glisser les coups de lance ou d’épée, les bras furent armés de deux pièces : l’une qui enveloppait la partie supérieure, du coude à l’aisselle ; l’autre la partie inférieure, du coude au poignet. La maille paraissait ainsi sur l’épaule et au coude ; l’épaule fut garantie par une spallière ; le tube de fer qui enveloppait l’arrière-bras fut attaché à la maille par trois aiguillettes, et la |
Hamont - Dupleix d’après sa correspondance inédite, 1881.djvu/72 | otages ; il n’est pas encore tout à fait convenu de ces
arrangements, mais je me flatte de l’y amener. » Le
lendemain, La Bourdonnais recevait de Pondichéry un
avis qui aurait dû à tout jamais lui faire repousser le
projet de rançonner la ville.
Un événement imprévu venait de se produire : l’intervention
du nabab d’Arcate en faveur des Anglais.
Dupleix, déterminé à poursuivre ses projets sur les
établissements anglais, mais ne voulant pas se mettre
l’armée d’Anaverdikan sur les bras, « conçut un plan
par lequel Madras serait à toujours perdu pour les
Anglais ; dans ce but, il envoya immédiatement à son
agent à Arcate des instructions pour informer le
nabab qu’il ne prenait Madras que pour le lui remettre
aussitôt après la reddition ». Par une dépêcbe datée
du 21, il prévenait La Bourdonnais de cette nouvelle
phase de l’affaire : « Le nabab, sans doute gagné par les
offres des Anglais, vient de me dépêcher une lettre,
par laquelle il me marque sa {{corr|suprise|surprise}} de ce qui se passe
à Madras et menace, si je ne fais lever le siège, d’y envoyer
son armée. Je sais à merveille ce que cela veut
dire, et je crois avoir trouvé le moyen de le faire taire
en lui faisant dire par l’homme que nous avons à
Arcate que lorsque nous serons maîtres de Madras,
on la lui remettra, bien entendu dans l’état que nous
jugerons convenable. Il faut prendre la place et ne point
écouter les propositions que l’on pourrait faire pour la
rançonner. Ce serait tromper le nabab et l’engager à se
joindre à nos ennemis. » Le conquérant de Madras, dans
l’élan du premier mouvement, répondit le 24 : « Dites-moi
l’état où je dois mettre la place pour la rendre au
<references/> |
Vie, travaux et doctrine scientifique d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire.djvu/80 | {{nr|70|CHAPITRE II.|}}''subordination'' ne s’y trouve nulle part écrit, du moins l’idée y brille à chaque page. Ce grand travail restera en zoologie, a dit un de nos plus célèbres savants, ce que sont en physiologie les ''{{lang|la|primæ lineæ}}'' de Haller.
Dans le mémoire sur les Orangs, les auteurs soulèvent une question bien plus grande encore, la plus grande peut-être de la philosophie naturelle. « Dans ce que nous appelons des ''espèces,'' disent-ils, ne faut-il voir que les diverses dégénérations d’un même type ? » La question n’est que posée ; et pouvait-il en être autrement ? Des deux auteurs, l’un était destiné à devenir le plus puissant défenseur de la fixité des espèces ; l’autre, avec Lamarck, le soutien non moins persévérant de l’idée inverse.
Suivons maintenant Geoffroy Saint-Hilaire dans les Mémoires qui lui sont propres.
En 1796, à l’occasion des animaux à bourse, tout en maintenant l’unité de ce groupe, il en compare les divers genres, les diverses formes, aux genres, aux formes analogues déjà connus parmi les Mammifères ordinaires, et fait le premier pas vers l’admission d’une série parallèle ; par conséquent, vers la conception, dans un cas particulier, de cette ''classification parallèlique'' qui commence à peine aujourd’hui à être comprise.
En 1797, il commence son Mémoire sur les prolongements frontaux des Ruminants par une idée
<references/> |
Annales de mathématiques pures et appliquées, 1824-1825, Tome 15.djvu/70 | {{SA/f|désormais superflus, on obtiendra pour l’équation différentielle des courbes cherchées}}
{{c|<math>\left(x^2-y^2\right)\operatorname{d}y=2xy\operatorname{d}x,</math>}}
{{SA|ou bien}}
{{c|<math>\left(x^2+y^2\right)\operatorname{d}y=2y(x\operatorname{d}x+y\operatorname{d}y),</math>}}
{{c|<math>\frac{\operatorname{d}y}{y}=\frac{\operatorname{d}\left(x^2+y^2\right)}{x^2+y^2},</math>}}
{{SA|d’où}}
{{c|<math>x^2+y^2=2Cy,</math>}}
{{SA|équation commune à tous les cercles qui touchent l’axe des <math>x</math> à l’origine.}}
On peut donc définir indistinctement le cercle ''une courbe telle que les tangentes aux extrémités de ses cordes font des angles égaux avec elles, ou une courbe telle que les tangentes aux extrémités de ses cordes se coupent sur les perpendiculaires à leurs milieux'' ; ce qui rentre à peu près dans ce qui a été démontré géométriquement ({{tom.|XIV}}, {{pag.|316}}).
''PROBLÈME. Quelle est l’équation la plus générale des surfaces courbes dans lesquelles les plans tangens aux deux extrémités de leurs cordes se coupent sur le plan perpendiculaire au milieu de ces cordes ?''
''Solution''. Prenons respectivement pour plan des <math>xy</math> et pour axe des <math>z</math> le plan tangent et la normale en un point quelconque de la surface cherchée, lequel point sera conséquemment l’origine des coordonnées rectangulaires ; et soit <math>(x',y',z')</math> un autre point quelconque de cette surface. La corde qui joindra ces deux points aura pour ses équations
<references/> |
Le Cheval de guerre à travers les âges | Paul Couissin Le Cheval de guerre à travers les âges Revue des études anciennes,, série 4, tome 34, 1932 (p. 82-85). journalRevue des études anciennes,Le Cheval de guerre à travers les âgesPaul CouissinUniversité de Bordeaux, Faculté des lettres et sciences humaines1932Csérie 4, tome 34Le Cheval de guerre à travers les âgesRevue des études anciennes, série 4, tome 34, 1932.djvuRevue des études anciennes, série 4, tome 34, 1932.djvu/482-85 La spécialisation en matière de science et d’érudition est assurément une pratique excellente et nécessaire et l’on ne connaît vraiment bien que son propre domaine. Mais il serait dangereux que chaque spécialiste se confinât étroitement dans le trou qu’il creuse sans jamais jeter les yeux sur le travail d’autrui. Au contraire, le chercheur qui va visiter le champ de fouilles du voisin y découvre parfois des détails importants jusque-là inaperçus, et de telles démarches obtiennent souvent d’heureux et féconds résultats. De cette vérité il est sans doute peu d’exemples plus convaincants que celui que fournissent les découvertes du commandant Lefebvre des Noëttes. Ces découvertes sont actuellement bien connues. Chacun sait que le commandant Lefebvre des Noëttes, cavalier expérimenté, connaissant à fond tout ce qui concerne le cheval et son emploi, a consacré de longues années à étudier ce qu’on pourrait appeler l’histoire du cheval à travers les âges et, accessoirement, celle du bœuf, de l’âne et du mulet. Une première série de recherches a abouti, il y a quelques années, à la publication d’un ouvrage sur les modes successifs d’attelage à travers les siècles. L’auteur, comme on sait, y montrait que, depuis les origines jusqu’au xe siècle de notre ère, les procédés d’attelage employés ne permettaient d’utiliser qu’une faible partie de la force des bêtes de trait. Cette insuffisance avait eu d’importantes conséquences sociales et principalement l’obligation où l’on fut, pour les travaux importants, « de recourir à la force motrice humaine, d’où l’institution de l’esclavage ». Le commandant Lefebvre des Noëttes vient de publier un nouvel ouvrage, comprenant deux parties. La première reprend, augmentée et entièrement remaniée, la matière de l’ouvrage précédent. La thèse en demeure d’ailleurs la même. La seconde, complètement nouvelle, constitue une étude historique du cheval de selle. L’ouvrage est présenté par une pénétrante préface de M. Carcopino. De la partie concernant l’attelage, je dirai peu de chose, ayant ici même parlé assez longuement du premier ouvrage du commandant Lefebvre des Noëttes. Je me bornerai à constater que cette seconde édition est, non seulement plus riche, mais beaucoup plus claire que la première. Je renouvelle aussi les réserves que j’ai faites, et que d’autres font comme moi, sur le caractère un peu trop absolu de la thèse. Assurément, l’insuffisance du rendement animal a été l’une des causes de l’institution de l’esclavage ; peut-être est-il excessif de dire qu’elle en fut la cause unique. « Cette vérité veut quelque adoucissement », comme dit Molière, ou, comme dit M. Carcopino, cette théorie « appelle ici et là quelques atténuations ». Elle contient cependant une grande part de vérité, ce qui est assez rare pour une idée neuve. ⁂ La seconde partie montre comment a évolué le harnachement du cheval de selle et quelles ont été les conséquences de cette évolution pour l’emploi tactique de la cavalerie. L’insuffisance du harnachement n’a pas eu de conséquences aussi graves et d’une portée aussi générale que celle du harnachement de trait. L’étude en est cependant fort intéressante, apporte nombre d’idées neuves, souvent importantes, et éclaire plus d’un passage des historiens anciens. Le cheval a été utilisé comme monture beaucoup plus tôt qu’on ne pourrait croire : il apparaît comme tel, en Mésopotamie, dès le IVe millénaire. Le harnachement, bien entendu, était fort élémentaire (mors de bridon et rênes). Mais il se passa bien des siècles avant que le cavalier se sentit assez ferme pour oser se servir de cheval à la guerre : ce n’est guère qu’à la fin du IIe millénaire qu’apparaissent les premières figurations de cavaliers armés et au ixe siècle seulement que la cavalerie, en Assyrie, joue un rôle, encore bien effacé, dans la bataille. Peu à peu, elle se développe et en Assyrie et en Perse, puis en Grèce et en Italie, et, longtemps après, en Europe occidentale. Mais tous ces cavaliers montaient sans selle proprement dite et sans étriers. Ils n’avaient donc pas l’assiette suffisante pour supporter un choc violent ; par conséquent, ils ne pouvaient pratiquer la charge proprement dite et toute leur tactique consistait à s’escrimer de la lance ou à lancer le javelot ou les flèches, sans venir jamais au contact. C’est en Chine qu’apparaissent pour la première fois la selle d’abord, au vie siècle, de notre ère, puis, au viie, les étriers. Ces inventions passent dans le Turkestan, puis dans l’Inde, et, peut-être apportées par les Arabes, sont adoptées par l’Europe occidentale au ixe siècle, en même temps que le fer à clous. Au bout de trois siècles seulement, semble-t-il, on s’avise qu’elles permettent une nouvelle tactique : le cavalier, bien emboîté dans sa selle, solidement appuyé sur les étriers, peut désormais, la lance sous le bras, se précipiter sur l’ennemi et user du poids et de la vitesse de son cheval pour le choc : c’est la charge véritable. Cette tactique nouvelle dure jusqu’au xvie siècle, où le prestige des armes à feu, joint à quelques autres circonstances, la fait abandonner pour le « caracol », tactique dans laquelle la cavalerie n’use plus que du pistolet. Malgré les efforts de quelques grands capitaines, ce n’est qu’à la fin du xviiie siècle que l’on revient à la pratique de la charge. Mais au xix les progrès constants des armes à feu réduisent de plus en plus le rôle de la cavalerie sur le champ de bataille, où l’auteur juge qu’elle pourra encore faire office d’infanterie montée. Le cheval de bataille a vécu. ⁂ Cette analyse sommaire est, en outre, incomplète : j’ai omis tout ce qui concerne l’Inde, l’Extrême-Orient, l’Amérique, l’équitation féminine. J’ai omis, surtout, un certain nombre de détails spécialement intéressants et notamment les passages où l’auteur explique maint endroit des auteurs anciens, rectifiant au passage de vieilles et tenaces erreurs : sur les prétendues charges de la cavalerie d’Alexandre ou des cataphractaires sarmates, sassanides ou romains. Il faut signaler aussi l’explication relative aux cavaliers numides, qui montaient « sans frein ». Or, en effet, ils n’avaient pas de mors, ni de frein ordinaire, mais ils entouraient l’encolure du cheval d’une courroie qui servait de frein. Et cette méthode, réinventée par hasard au camp de Vincennes en 1885, donna des résultats satisfaisants. Voilà un curieux mystère définitivement éclairci. À noter encore la date attribuée à la tapisserie de Bayeux : d’après l’examen des armes et du harnachement, il faudrait en placer l’exécution non pas au xie, mais au xiie siècle. Ces quelques exemples indiquent, dans une certaine mesure, l’intérêt de l’ouvrage ; ils montrent aussi l’excellence de la méthode suivie, méthode à la fois simple, et scientifique en ce qu’elle consiste dans la collation, l’examen, la confrontation d’un nombre considérable de monuments antiques et de ce qui reste des historiens grecs et romains. À peine peut-on, semble-t-il, relever quelques rares omissions. J’aurais souhaité que l’auteur remarquât la selle des cavaliers figurés sur le mausolée de Saint-Rémy-de-Provence et aussi l’objet considéré comme selle sur l’un des trophées de l’arc d’Orange. Il eût été bon d’indiquer que la date du trophée d’Adam-Clissi (fig. 251) et son attribution à Trajan est contestée (avec raison). Je ne crois pas non plus qu’on puisse taxer d’inexactitude les figurations des monuments grecs (p. 203), dont certains détails, omis par le sculpteur, étaient vraisemblablement indiqués par la peinture. Mais ce sont là de petites chicanes. Peut-être doit-on regretter davantage l’absence de bibliographie. Assurément, jamais le rôle du cheval dans l’Antiquité n’avait été l’objet d’une enquête aussi complète et aussi pénétrante. Cependant, il existait déjà des études intéressantes et dignes d’attention. Pour n’en citer qu’un exemple, il suffit de nommer Helbig pour se rappeler ses importants travaux sur les hippeis athéniens et sur les equites romains. M. Lefebvre des Noëttes y eût trouvé l’emploi d’une méthode analogue à la sienne et des résultats concordants, mais, sur certains points, plus complets ou du moins plus précis. C’est, du reste, une remarque très digne d’intérêt que quand M. Lefebvre des Noëttes se rencontre involontairement avec ses devanciers, c’est dans les cas où ils avaient vu juste, tandis que, quand il les contredit, c’est toujours lui qui a raison. Il est aisé de s’en rendre compte grâce à la méthode d’exposition non seulement très claire, mais de la plus scrupuleuse honnêteté. Pas de texte allégué qui ne soit cité, pas de monument invoqué dont l’image photographique ne soit placée sous les yeux du lecteur. Ces figures sont au nombre de cinq cents, auquel il faut ajouter quarante-six figures au trait, parfaitement exécutées, réparties dans le texte. C’est là l’attestation visible de la valeur de l’ouvrage et l’un de ses titres à figurer dans la bibliothèque de l’archéologue, du philologue, de l’historien. Un excellent index alphabétique complète heureusement l’ouvrage. ⁂ J’ajoute, enfin — je l’avais déjà dit pour le précédent ouvrage — que ce livre fait penser. D’une part, volontaire ou non, c’est un argument de premier ordre en faveur du « matérialisme historique ». D’autre part, on est confondu de voir combien de siècles l’Antiquité, si souvent ingénieuse, a attelé le cheval sans inventer le cellier d’épaules et l’a monté sans inventer les étriers. Il faut avouer que notre admiration pour elle en sort quelque peu diminuée. Elle a heureusement d’autres titres à notre estime. Le premier ouvrage du commandant Lefebvre des Noëttes est déjà classique. Le second ne tardera pas à l’être et nul historien, désormais, ne saurait être excusé d’en ignorer les conclusions. Paul COUISSIN. Marseille, château Borély. Elles ne le sont cependant pas partout. J’en ai vraiment cherché mention dans quelques ouvrages allemands, par exemple dans Kromayer et Veith, Heerwessen und Kriegsführung der Griecher und Romer, 1929. Ct Lefebvre des Noëttes, La force motrice animale à travers les âges, Paris, Berger-Levrault », 1924, in-8°, 132 p., 127 fig. Id., L’attelage ; le cheval de selle à travers les âges. Contribution à l’histoire de l’esclavage. Préface de Jérôme Carcopino. Paris, A. Picard, 1931, 2 vol. in-8o écu, l’un de texte (VII-312 p.), l’autre de planches (500 fig.) ; prix : 60 fr. Revues des Études anciennes, t. xxx, 1928, p. 224-226. |
Silvestre - Le Conte de l’Archer, 1883.djvu/78 |
— Hi ! hi ! hi ! reprit dame Mathurine épouvantée
de ce tableau.
— La peste soit du vieil imbécile ! pensa frère
Étienne.
— Mais par cela même, poursuivit le tanneur
avec plus de feu, que tu n’as rien à attendre de
bon de la carrière où tu entres, mais des horions
et de la misère, tu n’en dois que plus admirer le
courage de ton père, qui n’a pas dévié un instant,
dans son esprit, de t’y destiner. Et puis-je dire
que Brutus lui-même, lequel envoya cependant son
fils à la mort et en fut très loué par tous les historiens,
ne se montra pas plus héroïque que moi-même !
En effet, son fils, à lui, avait commis un crime
épouvantable, voulant livrer son pays à un tyran ;
tandis que toi, ô mon Tristan, grâce à la façon
dont je t’élevai dans le respect des lois, tu es
innocent comme un lis : en quoi mon sacrifice
est bien autrement méritoire. Aussi me comparerais-je
volontiers à la mère des Macchabées qui
se plaignait de ne pas avoir assez d’enfants à offrir
au martyre. Car moi, j’aurais voulu pouvoir
lever une armée entière composée de fils de mes
entrailles pour l’envoyer au secours de notre bon
Roi si fort empêtré à Péronne, en ce moment. |
Silvestre - Le Conte de l’Archer, 1883.djvu/79 | {{nr||''Le Conte de l’Archer''.|59}}Mais votre mère n’est pas entrée dans mon pieux
dessein.
— Ho ! ho ! ho ! fit dame Mathurine tout à fait
offusquée de ce propos.
— Gros vantard ! murmura frère Étienne.
— Mais le ciel, reprit Guillaume, et le Roi me
sauront gré du peu que je fais, ne leur sacrifiant
que mon fils unique, ce qui est bien peu de chose.
Aussi, je te conjure, Tristan, de ne point marchander
ni tes peines, ni ta vie. Il te faut avoir du
courage pour quarante et affronter, à toi seul,
plus de dangers qu’il n’en faudrait pour épouvanter
la plus brave compagnie. C’est la seule
façon que tu aies de réparer l’insuffisance de mon
dévouement. Je veux que ton nom, qui est le mien,
demeure célèbre dans le corps des archers, afin
que quelque chroniqueur dise un jour de toi, dans
quelque livre immortel : « Il avait reçu de son
père de telles leçons de bravoure, qu’il ne se trouvait
pas un homme plus indomptable dans toute
l’armée ! » Et ne te contente pas, mon fils, d’être
terrible aux ennemis du Roi, mais fais-toi craindre
de tes compagnons eux-mêmes. Ne souffre pas
qu’ils te plaisantent, et si quelqu’un d’entre eux
surtout raillait la profession de tanneur devant toi,
ne manque pas de le provoquer en champ clos, |
Silvestre - Le Conte de l’Archer, 1883.djvu/80 | {{nr|60|''Chroniques du Temps passé.}}fût-il beaucoup plus habile que toi et dusses-tu
demeurer sur le terrain.
Ah ! si jamais tu me reviens sain et sauf, mon
benoît enfant, ou seulement estropié de quelque
membre inférieur, comme je te chargerai volontiers
de punir les marauds qui ont fait semblant
de rire de ton vieux père, à commencer par ce
Mathieu Clignebourde qui est un sot et un envieux !
Car, pour ce qui est de les châtier moi-même,
je ne le puis, n’ayant pas envie de compromettre
la plus pacifique des professions et de
perdre une clientèle laborieusement acquise à
gratter des peaux de bêtes. Mais c’est affaire à un
homme d’armes et à un bon fils comme toi. Tu
seras la terreur de Chinon et il ne sera personne
osant se servir chez un autre que moi, si tu le
regardes seulement de travers.
Malheureusement, ô mon fils, la guerre qui se
fait en ce moment est particulièrement meurtrière
et il y a gros à parier que quelque méchant soldat
de Charles le Téméraire t’enverra ''ad patres'', avant
que tu puisses venger les injures de ton propre
foyer. Je te donne donc ma suprême accolade,
cher Tristan. Ta mère et moi prierons Dieu qu’ils
te fassent trépasser de quelque héroïque façon
qui nous fasse grand honneur. |
Romanische Studien VOL5 (1880).djvu/84 | E sel ꝑ son orguel prendre nol deina
Non pinsar pois sa guerre une salmeina
{{NumVers|4100}}Mais p̃ge danlideu que te meintena
Eu taiudera sein rein que enp{{e|ꝛ}}ina
</poem>
<section end="laisse261"/>
<section begin="laisse262"/><poem style="margin-left:10%;">
{{NumVers|259.|30em}}{{intervalle|1.0em}}'''G'''irarz fu en sa cābre ꝑ consellar
E feiz sos mellors omes o lui intrar
Aidunt les p̃s lo cons a coiurar
{{NumVers|4105}}Mei amic e mei ome e mei par
Sabesz mei dune rien consel donar
Carles lo reis me mande que lan dreit far
A rains u a seisōs a sun estar
E mein los mellors omes queu pois menar
{{NumVers|4110}}Qui ostagent lo dreit se no pois far
Vos lai non ires mige dist bos lo bar
{{NumVers|f. 72{{e|r}}|33em}}Per tot aquel consel q̃ uos sai dar
Ne per negū cōduit de bachelar
Q{{e}}r me uint uns mesages a lauesprar
{{NumVers|4115}}Aicil partit deu plait de mongimar
Carles lo reis de france nos uuel t{{e|a}}ar
Far lo li faire armanz cil de bisclar
E ace dauinnū gi de beu clar
Per duc teuri que carles out tan char
{{NumVers|4120}}Negun ome ne pout om tant amar
Trues que cōs o uiscōs an senepar
O bibes o ris un ꝑ ben guidar
Ꝑ mon cap dist girarz fan agardar
Mal aie toz li pas qui quer ānar
</poem>
<section end="laisse262"/>
<section begin="laisse263"/><poem style="margin-left:10%;">
{{NumVers|4125}}{{NumVers|260.|30em}}{{intervalle|1.0em}}'''A'''i bos co respont folco no lo direz
Si ia deus uos aiut ne sainta fez
Ja a carlon cest blasme no i metez
Car nol se penserie carles lo rez
Por tote aiquele anor quāc agissez
{{NumVers|4130}}Na u͞r͞e don girart (n̄) cōsellez
Que a la cort n̄ ant daqueste fez
Si girarz uai a cort uol qui annez
Sostages i couen uos lo facez
E si auers i coite uos lo donez
{{NumVers|4135}}Car si girarz a dan uos si aurez
E si mos do[z] en plore uos nē tirez
</poem>
<section end="laisse263"/>
<section begin="laisse264"/><poem style="margin-left:10%;">
{{NumVers|261.|30em}}{{intervalle|1.0em}}'''T'''ot lo mellor consel queu m̄ sai
Vierement quo dist folco le uos dirai
Lo reis tendra sa cort en ist mimai
{{NumVers|4140}}E seron i sui ome mellor co sai
{{NumVers|f. 72{{e|v}}|33em}}E pos carles nos mande annē en lai
E si girarz i uai eu lo sigrai
Sostages i couen eu lo ferai
E si auers i coite eu li derai
{{NumVers|4145}}Car si girarz a dan eu si aurai
E si mos donz en plere eu ne rirai
</poem>
<section end="laisse264"/>
<section begin="laisse265"/><poem style="margin-left:10%;">
{{NumVers|262.|30em}}{{intervalle|1.0em}}'''G'''ilberz de senesgarz fiz nodelon
Faire conte bosun e dan focon
E bernart e segin de besencon
</poem><section end="laisse265"/>
<references/> |
LeMoine - Chasse et pêche au Canada, 1887.djvu/47 | que nos chaussures et nos manteaux fumaient et se rôtissaient
évidemment. Mais à un mètre de distance, l’eau-de-vie
se congelait dans nos bouteilles. Nous étions pourtant
très chaudement vêtus et entortillés dans des fourrures
épaisses. Jamais, je {{corr|l’avourai|l’avouerai}} humblement, jusqu’à cette
nuit mémorable, je n’avais éprouvé un froid aussi terrible... »
{{M.|Révoil}}, et son ami le Capitaine McLean, ayant réalisé
ce que c’est qu’un froid de Janvier au Canada, après une
marche longue et {{corr|fatiguante|fatigante}} de dix-huit milles dans les
bois, découvrirent enfin, guidés par leurs Indiens, les environs
du ''ravage'' des élans que les chiens firent bientôt
{{corr|detaler|détaler}}, au sein des neiges. Soit par un hasard fortuit, soit
par une tactique particulière, les trois élans prirent trois
directions différentes, Mac-Lean se mit à la poursuite du
premier ; moi, je suivis le second, et un des Indiens se
précipita sur les pas du troisième. D’abord nous fûmes
tous {{corr|dévancés|devancés}} par les quadrupèdes ; le mien, surtout, se
maintint à une distance de six ou huit portées de fusil ;
mais, peu à peu, ses bonds devinrent moins rapides, et de
larges taches de sang me prouvèrent que la glace durcie,
foulée par ses pieds sous la couche de neige fraichement
tombée l’avait grièvement blessé.
Les taillis épais, dont les pentes abruptes de la colline
étaient recouvertes, cachaient aux yeux de chaque chasseur
l’animal de sa meute ; mais on entendait distinctement
le bruit de son souffle, qui {{corr|s’échapait|s’échappait}} à travers ses naseaux fumants, et le craquement des branches qu’il brisait dans
sa course. La terre, {{corr|profondement|profondément}} labourée en certains endroits, trahissait les chûtes de l’animal, dont le désespoir
accru par l’instinct du danger et l’impossibilité de l’éviter,
se manifestait au moyen de sauts sans pareils.
Plus nous avancions, plus le craquement des branches
devenait terrible, plus le bruit de la respiration de l’ani-
<references/> |
Annales de mathématiques pures et appliquées, 1824-1825, Tome 15.djvu/59 | {{SA/f|des côtés consécutifs de celui-là. L’aire de ce second polygone se réduira alors{{lié}}à}}
{{c|<math>\frac{m}{2}r^2\operatorname{Cos}.^2\frac{\varpi}{m}\operatorname{Sin}.\frac{2\varpi}{m},</math>}}
{{SA|comme on le trouverait d’ailleurs directement.}}
La distance <math>k</math> étant quelconque, plus <math>m</math> sera grand et plus le polygone régulier donné tendra à devenir un cercle ; donc aussi l’autre polygone tendra de plus en plus à devenir une ligne courbe ; et il le deviendra en effet lorsque <math>m</math> sera infini ; mais, dans ce cas, on aura <math>\operatorname{Cos}.\frac{2\varpi}{m}=1</math> et <math>m\operatorname{Sin}.\frac{2\varpi}{m}=</math><math>m.\frac{2\varpi}{m}=2\varpi\,;</math> en conséquence, la surface terminée par cette courbe aura pour expression
{{c|<math>\varpi r^2+\frac{1}{2}\varpi k^2,</math>}}
{{SA|c’est-à-dire qu’elle excédera la surface du cercle donné d’une quantité égale à la moitié de la surface du cercle qui aurait à pour rayon. Cherchons l’équation de cette courbe.}}
Soit
{{c|<math>x^2+y^2=r^2,</math>}}
{{SA|l’équation du cercle donné ; l’équation de la tangente en l’un quelconque <math>(x',y')</math> des points de sa circonférence sera}}
{{c|<math>xx'+yy'=r^2,\qquad\qquad</math>(1)}}
{{SA|sous la condition}}
{{c|<math>x'^2+y'^2=r^2.\qquad\qquad</math>(2)}}
{{SA|Si d’un point fixe <math>(a,b)</math> nous abaissons une perpendiculaire sur cette tangente, l’équation de cette perpendiculaire sera}}
{{c|<math>(x-a)y'-(y-b)x'=0.\qquad</math>(3)}}
<references/> |
Silvestre - Le Conte de l’Archer, 1883.djvu/58 | {{nr|38|''Chroniques du Temps passé.}}célébrée par quelques chanteurs enroués qui prenaient
devant elle des poses de favoris et de
bouffons !
— Qu’ils étaient loin les jours de la <i>Dame de
Beauté</i>, devant laquelle le brave Xaintrailles lui-même
avait fléchi le genou, qui faisait mentir les
astrologues pour rendre à son royal amant l’espérance
perdue, aimant son pays comme Jehanne la
bonne Lorraine, cœur de Française dans un corps
de déesse grecque ! C’était là, dans ce lieu désormais
plein d’ombre, qu’avait rayonné l’or clair
et vivant de sa chevelure, que les choses elles-mêmes
avaient pris à son bleu regard je ne sais
quoi de vibrant et de doux. C’est là qu’elle avait
trôné à l’heure où tout était ruines, non pas mêlant
son deuil inutile au deuil de la patrie vaincue,
mais ranimant les cœurs, réveillant la foi, gardant
comme la vestale romaine, et pareil au feu sacré,
l’héritage d’esprit, d’art, de poésie, d’idéal sans
lequel il ne sera jamais de France !
Telle, au cœur même de notre doux pays, elle
entretenait le foyer de tout ce qui nous fait vivre,
gardant pure une goutte de ce sang vermeil comme
celui de nos vignes !
Telle, elle brillait dans cette nuit, l’emplissant
de la seule clarté de son front, tandis qu’au |
Silvestre - Le Conte de l’Archer, 1883.djvu/70 | {{nr|50|''Chroniques du Temps passé.}}dans un livre, passer les pages ennuyeuses pour
arriver bien vite à celles qu’illumine un peu d’héroïsme
ou un peu d’amour. À quoi vous me répondrez
que, s’il en était ainsi, il en est beaucoup
d’entre nous qui ne vivraient pas la longueur d’une
heure en quatre-vingts années.
Mettons donc que la Providence a bien fait,
qui sème le cours de notre existence de rares
fleurs, lesquelles n’y croissent pas comme dans
une terre généreuse, mais y flottent comme un
bouquet délié sur un torrent. Vous savez tous,
d’ailleurs, où va cette onde, emportant nos joies
rapides et nos fragiles souvenirs vers ce grand
océan de la Mort qui ne cesse de gémir et d’engloutir.
Mais ce n’est pas le lieu de nous jeter en
mélancolique philosophie. Vive le bon vin et bran
pour le reste ! comme avait coutume de dire frère
Étienne. Vive l’amour, et le reste meure ! comme
ne manquait pas de répondre maître Mathieu
Clignebourde. En quoi je les veux mettre d’accord
tous les deux en m’écriant moi-même : Vivent le
bon vin et l’amour !
Durant les dix années que je jette au gouffre
sans m’en plus soucier que d’une poignée de
guignes défraîchies, Tristan avait grandi et frère
Étienne l’avait instruit dans ses humanités, {{tiret|déplo|rant}} |
Silvestre - Le Conte de l’Archer, 1883.djvu/85 | {{nr||''Le Conte de l’Archer''.|65}}la fenaison couchée, toute vive encore de ses
belles couleurs. Et en même temps elle frottait son
joli bras blanc contre celui de Tristan, de façon
qu’un frisson lui courut par tout le corps, au
pauvre garçon, et qu’il faillit tomber de ravissement.
— Allons ! petite, marchez devant, dit maître
Clignebourde à sa fille d’un air de grande autorité.
Il était parbleu bien temps.
Mais ainsi font souvent les parents, prenant
mille précautions rétrogrades et se donnant grand
souci de prévenir le mal quand il est fait depuis
longtemps.
Le mal ! Et qui donc ose nommer ainsi la plus
délicieuse chose qui soit en ce monde ? Quel mal
font-ils donc les amoureux, d’écouter la douce
voix de nature qui leur crie que, hors l’amour, il
n’est rien qui vaille la peine qu’on le recherche ?
''{{lang|la|Magnum omnino bonum}}'', dit un livre saint que
frère Étienne savait par cœur ; mais seulement
appliquait-il à la bonne chère ce que l’auteur avait
entendu dire de l’amour. Grand mal, en vérité,
que l’innocente joie de ces deux jouvenceaux qui
se sentaient défaillir, rien qu’à se toucher l’épaule
au travers de leurs vêtements !
Ah ! que j’eusse voulu, morbleu, pour la {{tiret|con|servation}} |
L’Épaulette/Texte entier | Georges Darien L’Épaulette Fasquelle, 1905 (p. 1-487). bookL’ÉpauletteGeorges DarienFasquelle1905ParisVDarien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvuDarien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/51-487 Le colonel Gabarrot racontait de belles histoires. Il disait que les Russes étaient des coquins, que les Prussiens étaient des bandits, et que les Anglais valaient encore moins. Quelquefois, il me montrait sa croix d’officier de la Légion d’Honneur qu’il avait gagnée à grands coups de sabre, et qu’il gardait dans une belle boîte noire ; si je voulais en avoir une pareille, quand je serais grand, je n’aurais qu’à tuer beaucoup de Russes, beaucoup de Prussiens, et surtout beaucoup d’Anglais. — Malheureusement, disait-il, on ne tue plus guère, à présent ; on est devenu sentimental. Et il ricanait. Mon père lui faisait observer qu’on tuait encore pas mal. La Crimée, par exemple. Le colonel avouait que la Crimée, c’était très bien. Tuer des Russes, rien de mieux ; on n’en éventrerait jamais assez. Mais pourquoi s’allier avec les Anglais ? Sans doute, l’Empereur avait eu ses raisons, et des bonnes ; quand on est un Napoléon, on a une cervelle sous son chapeau ; mais enfin, il n’aurait pas dû oublier que les Anglais, c’est des Anglais, et qu’ils avaient empoisonné son oncle. Mon père haussait les épaules ; et le colonel éclatait. — Tonnerre de Brest ! commandant Maubart, je ne souffrirai jamais !... Ils l’ont empoisonné à Sainte-Hélène, je vous dis ! Sans ça, il serait revenu, mille bombes ! Je l’ai connu, moi, et depuis la campagne d’Égypte, encore ! Et je puis vous le dire, qu’il serait revenu, et qu’il ne nous aurait pas laissés en panne, les bras ballants, à nous manger le sang en demi-solde, sous des gueux de Bourbons qui n’avaient jamais vu le feu qu’au bout des cierges ! Il serait revenu, pour sûr, si les Anglais ne l’avaient pas empoisonné ! Mon père faisait semblant d’admettre la chose, et parlait de la campagne d’Italie. Le colonel avouait que l’Italie, c’était très bien. Tuer des Autrichiens, rien de mieux ; on n’en éventrerait jamais assez. — Quoique, à vrai dire, ce ne soit pas la mer à boire que de donner une raclée aux Autrichiens ; nous leur avons flanqué une telle volée à Wagram que, depuis ce temps-là, ils ont le foie plus blanc que leurs tuniques ; vous avez vu, il y a deux ans, comment ils se sont fait battre par les Prussiens. Qu’est-ce que vous voulez ? Quand un peuple se laisse vaincre par des Prussiens, des vagabonds, des Cosaques manqués, il n’y a plus qu’à prononcer son de profundis. Mon père prenait la défense des Prussiens, fort à la mode en 1868 ; mais le colonel tenait bon. Il connaissait les Prussiens, et très bien. — Je n’ai pas été à Iéna pour le roi de Prusse, peut-être ! Tenez, je vais vous dire ce qu’ils savent faire, les Prussiens : ils savent vous tirer dans le dos pendant que vous bourrez votre pipe. C’est tout. Et pour leur fameux fusil à aiguille, voici mon opinion : avec ce fusil-là, on n’a pas à déchirer la cartouche, et c’est rudement commode pour des gens qui n’ont jamais pu regarder l’ennemi sans claquer des dents. Nous aimions beaucoup le colonel Gabarrot ; il avait été l’ami intime de mon grand-père, le colonel Maubart ; après avoir fait les dernières guerres de la République et celles de l’Empire, jusqu’à Waterloo, ils n’avaient repris du service, ensemble, qu’en 1830, lorsque le drapeau tricolore remplaça le torchon blanc dans lequel les traîtres de l’Émigration avaient empaqueté leurs goupillons et leurs poignards, avant de quitter Coblentz. Il y avait bien un coq au lieu d’un aigle, à la hampe de ce drapeau-là ; et Gabarrot, pas plus que mon grand-père, n’aimait « les oiseaux qui se laissent manger ». Mais enfin, les couleurs y étaient ; et, sous ces couleurs, ils combattirent en Algérie pendant plusieurs années ; puis, mon grand-père étant mort, frappé d’une balle arabe, le colonel Gabarrot ne tarda pas à prendre sa retraite. Je le vois encore, très distinctement. Un grand vieillard, sec, et droit malgré ses quatre-vingt-neuf ans, avec un nez mince et courbé comme une lame de yatagan, une longue moustache blanche et pendante, et des yeux couleur de noisette. Oh ! oui, il raconte de belles histoires. Il sait toutes les guerres de Napoléon, toutes ses batailles et tous ses généraux, et beaucoup de choses encore, qui ne seront jamais écrites dans les livres, parce qu’il faudrait trop de place pour écrire tout ; peut-être aussi, parce qu’elles feraient trop peur aux femmes. Ma mère s’est effrayée, à plusieurs reprises, aux récits du colonel ; une fois, elle s’est évanouie. De sorte que l’on invite très rarement M. Gabarrot, à présent. — Ses habitudes sont tellement extraordinaires ! dit ma mère. Il pourrait bien en faire le sacrifice lorsqu’il dîne hors de chez lui. Mais le colonel ne veut faire aucun sacrifice ; il a sa façon de manger, et il mange à sa façon, chez lui, et hors de chez lui ; qu’on l’invite ou non, ça lui est égal ; mais qu’on ne s’attende jamais à le voir se servir d’une assiette, d’un verre, ou d’une fourchette. C’est dans une écuelle de terre grossière qu’on doit lui apporter son repas : de la soupe aux légumes noyant un morceau de bœuf bouilli ; il mange la soupe d’abord avec une cuiller d’étain, la viande ensuite avec un couteau. L’écuelle vidée, il y verse une bouteille de vin, qu’il avale en deux ou trois coups. L’extrême simplicité du système déplaît fortement à ma mère ; pas à moi. Je m’arrange de façon à me faire retenir à déjeuner ou à dîner, chaque fois qu’on m’a mené voir le colonel ou qu’il est venu me chercher pour une promenade. J’ai mon écuelle, une vilaine écuelle de terre brune, si jolie, — défense d’en parler à la maison — et quand j’ai fini ma soupe, M. Gabarrot y verse un verre de vin, très suffisant pour mes sept ans. Je n’aurai droit à la bouteille que plus tard. — Dans treize ou quatorze ans, dit le colonel, quand tu porteras ta première épaulette, sacré mâtin, et que je ne serai pas là pour te voir, sacré mâtin de sacré mâtin ! Malheureusement non, il ne sera pas là. — Ce pauvre vieux Gabarrot baisse rapidement, disait mon père, l’autre soir. Le fait est qu’il semble s’affaiblir de jour en jour ; le corps se tasse, se voûte ; les jambes raidies se refusent au coup de talon, sec, autoritaire. Le colonel avait une autre vigueur, l’année dernière, quand il m’a mené porter une couronne à la Colonne, le 5 mai ; il était droit comme un i dans sa longue redingote ; on le saluait à cause de la rosette à sa boutonnière, moitié rouge et moitié verte, Légion d’honneur et médaille de Sainte-Hélène ; et comme sa main serrait la mienne ! Comme sa voix tonnait, au défilé des Vieux de la Vieille dans leurs uniformes d’Austerlitz ! — Vive la France ! Vive l’Empereur ! Il semblait fort, indestructible, aussi, le jour de la grande revue de Longchamps, à laquelle assistèrent les souverains étrangers ; et lors de nos nombreuses visites à l’Exposition, où il me donnait, jamais fatigué, toutes les explications que je lui demandais, et même davantage. Mais c’est surtout vers la fin de l’hiver dernier, deux ou trois jours avant Noël, qu’il m’apparut comme un être d’une puissance et d’une énergie surhumaines, fait pour durer éternellement. C’était dans notre salon, après dîner ; quelqu’un se mit à parler d’un discours prononcé au Corps Législatif, dans l’après-midi, par Jules Simon. Le colonel Gabarrot, peu au courant des affaires politiques, demanda des informations. On lui lut la partie d’un journal qui reproduisait le discours. Alors il se leva. — Est-ce dans une cellule du Mont-Valérien ou dans un cachot de Vincennes qu’on a logé le nommé Jules Simon ? demanda-t-il d’une voix qui fit sursauter mon père en grande conversation avec Mme de Lahaye-Marmenteau, et le général de Rahoul très empressé auprès de ma mère. Mon père, en riant, répondit qu’on ne gardait plus que des araignées dans les cachots de Vincennes et que les procédés auxquels faisait allusion le colonel étaient peu compatibles avec la clémence de l’Empereur. — L’Empereur a tort d’être clément, reprit M. Gabarrot d’une voix vibrante. Il a tort. Si je me permets de juger Sa Majesté, ce n’est pas à la légère, croyez-le. Mais je suis convaincu, profondément convaincu, qu’il est très mauvais pour la France que des propos comme ceux qu’on vient de citer puissent être impunément tenus à la tribune. Comment ! voilà un paroissien qui ose venir déclarer qu’il nous faut une armée qui ne soit à aucun degré une armée de soldats, qui ne soit imbue, à aucun prix, de l’esprit militaire, qui soit hors d’état de porter la guerre au-dehors, en un mot une grande armée qui n’en soit pas une ! qui réclame sans ambages l’abolition de l’armée permanente ! Et on le laisse dire !... Mais c’est absolument comme si l’on permettait à ce drôle de bâillonner la France, de lui lier pieds et poings et de la livrer au couteau de l’étranger. Il y a des choses qu’il ne faudrait point oublier, voyez-vous : c’est, d’abord, qu’il n’y a rien de plus dangereux pour une nation que les utopies sentimentales, les fadaises humanitaires ; on n’est libre que lorsqu’on est respecté, et l’on n’est respecté que lorsqu’on est fort. C’est, ensuite, qu’il y a toujours, même chez le peuple le plus brave, un grand fonds de couardise ; il ne faut pas lui donner d’excuses ; ou, autrement, ça va loin. Quand un coquin qui mérite d’être envoyé au bagne n’est pas coiffé du bonnet vert, il y a de grandes chances pour que la lâcheté publique, après un cataclysme, aille le chercher afin d’en faire un ministre. La France n’est pas invincible, après tout, et il n’est pas bon qu’elle soit vaincue ; parce que... Je l’ai vue après Waterloo. Plus on tombe de haut, plus on s’aplatit. Je n’aime pas à dire ça, mais c’est la vérité. Quand on supprime le bruit de l’acier dans les camps, on entend trop le bruit de l’or dans les arrière-boutiques — dans toutes les arrière-boutiques. — Pour conserver le sentiment de sa dignité, un homme doit savoir tenir une épée ; une nation doit avoir une armée, et s’en servir. — L’humanité ! un prétexte à toutes les défaillances qu’on cherche à justifier, à toutes les trahisons qu’on prémédite. Nous aussi, les grognards, nous avons travaillé pour l’humanité, avec nos sabres ; nous n’en disions rien ; mais les Anglais comprenaient ce que ça voulait dire, quand nous criions : Vive l’Empereur ! Du reste, je n’admets pas cette opposition qu’on aime à établir entre la plume et l’épée ; l’une est le complément de l’autre. Le penseur va clouer l’infamie de son époque, comme un hibou, sur les portes du Futur ; mais elles ne s’ouvrent pas, ces portes-là ; et il faut que le soldat vienne, et les enfonce à coups de canon ! ⁂ Je me souvenais de cette soirée, avant-hier, pendant que je m’étonnais de la lenteur avec laquelle M. Gabarrot montait la rue du Bac, où il demeure, et où demeurent aussi mes parents, pour me conduire aux Tuileries. Il ne m’a pas grondé, comme d’habitude, quand je me suis arrêté, d’abord au coin du Pont-Royal pour admirer la Frégate, puis sur l’autre quai afin de regarder s’il ne venait pas des soldats du côté de la place de la Concorde. Mais c’est le matin que passent les soldats, vers dix heures, pour aller relever la garde du Château ; qu’ils arrivent, avec, en tête, les sapeurs si terribles, le scintillement de l’énorme hache à l’épaule, caparaçonnés de tabliers de cuir blanc, coiffés de bonnets velus comme des ours, hauts comme des tours et fleuris de plumets écarlates ; alors, la canne merveilleuse du tambour-major s’élance vers le ciel, telle une étrange flèche d’or, tournoie, paraît planer, retombe dans la main du colosse qui suit les sapeurs et dont la tête empanachée domine leurs bonnets à poils ; alors, la canne décrit des moulinets épiques, sa grosse pomme étincelle ainsi qu’une boule de feu ; elle vibre, elle frémit, elle semble vivante ; et alors, elle jaillit de nouveau, glorieuse, si haut cette fois qu’on ne s’attend plus à la voir redescendre. Le géant se retourne vers ses tambours dont les doigt se crispent sur les baguettes, leur donne un ordre, fait volte-face, et, juste à temps, sa main se ferme sur la canne qui retombe et dont le bout brillant, au lieu de toucher la terre, se met à voltiger ainsi qu’un papillon. Les tambours frappent les caisses qui résonnent à vous faire trembler, les sonneries des clairons déchirent l’air, et le bataillon passe dans l’éclat des uniformes et des armes, comme au milieu d’un poudroiement de gloire. Avant-hier il était beaucoup trop tard pour voir ça ; trois heures après midi au moins. M. Gabarrot était venu longtemps après déjeuner ; il est un peu souffrant ; un rhume qu’il a pincé le 1er janvier, dit-il, parce qu’il a mis un pardessus, et dont il n’a pu se guérir encore quoique nous soyons aux derniers jours d’avril. Il toussait ; et bien qu’il se fût redressé pour passer devant le factionnaire qui lui portait les armes — un voltigeur du régiment de mon père — on eût dit que sa haute taille se courbait de plus en plus sous la pression d’une invisible main. Il s’est mis à causer avec le gardien en chef du Jardin, un vieil officier d’Afrique qui est son ami ; moi je poussais mon cerceau ; et lorsqu’il m’arrivait de passer à coté des deux vieux guerriers, je les entendais parler du col de Mouzaïa ; ou dire qu’Abd-el-Kader était un rude lapin. Quand j’ai été fatigué de courir, j’ai examiné la terrasse du bord de l’eau, où l’on a installé un chemin de fer pour le petit Prince, un si joli petit chemin de fer, sur lequel j’aurais bien voulu aller encore faire un tour ; j’avais eu cette chance il n’y avait pas très longtemps, un jour que mon père était de service au Château et que le prince conduisait lui-même la locomotive. Ah ! quelle joie ! Et j’ai regardé tristement le palais où le petit Prince travaillait, sûrement, peut-être dans ce pavillon central sur le toit duquel je voyais flotter le drapeau tricolore. Le colonel, qui avait quitté son ami, est venu me rejoindre et m’a demandé si je me souvenais du départ de la Cour pour Saint-Cloud, auquel j’avais assisté, avec lui, l’été précédent. Si je me souvenais ! Les piqueurs dorés, les chevaux fringants aux harnais de glace sonore, les calèches attelées à la Daumont et pareilles à des bateaux de laque, l’Empereur qui saluait en souriant, et l’impératrice, plus belle qu’une fée, les jolies dames et les généraux empanachés, la soie des toilettes et l’or des uniformes, les dentelles, les Cent-Gardes, les plumes et les diamants, les reflets des ombrelles et l’éclat des lames de sabre ! Oh ! si je me souvenais ! Comme si l’on pouvait oublier cela, comme si ce défilé prestigieux, quand on l’a vu avec des yeux d’enfant, ne devait pas rester à jamais dans la mémoire, pour ternir et ridiculiser, du pouvoir seul de son évocation, les parades chaotiques des saltimbanques libérâtres ! Et j’ai avoué à M. Gabarrot que j’avais pensé, souvent, qu’il me serait peut-être donné un jour de figurer en bonne place dans un pareil cortège. — C’est très possible, répondit-il ; tu peux devenir général, ministre, tout ce que tu veux. Il s’agit seulement de faire ton devoir, et tout ton devoir. J’ai demandé ce que c’était, exactement, que faire son devoir. Le colonel a réfléchi un instant, et a répondu : — C’est bien servir l’Empereur Mais, peu après, il s’est repris. — Non. C’est bien aimer la France, toujours ; même quand il n’y a plus d’Empereur. Seulement, alors, il y a des fois que c’est bougrement difficile ! Le soleil baissait ; il faisait presque froid sous les jeunes frondaisons des vieux arbres. Nous avons été nous asseoir, un instant, près du mur de l’autre terrasse, dans ce coin abrité qu’on appelle la petite Provence. J’ai demandé au colonel de me raconter une histoire, et il m’en a raconté une, superbe ; la plus belle, je crois, qu’il m’ait jamais dite. C’était une histoire de Russes. L’Empereur Napoléon Ier avait battu les Russes et poussait leur armée vers une rivière. (Je ne sais plus qu’elle rivière c’était, mais ça ne fait rien.) Il avait donné l’ordre au régiment de dragons du colonel Gabarrot de passer la rivière à gué, en amont, et d’aller attendre l’ennemi sur l’autre bord. — Nous arrivâmes, dit le colonel, juste au moment où les premiers de ces coquins qui s’étaient jetés à la nage afin d’échapper aux boulets français commençaient à sortir de l’eau ; nous les tuâmes sans miséricorde. Après quoi, ayant mis pied à terre, nous descendîmes sur la berge pour attendre les autres qui approchaient en grand nombre, portés par les eaux du fleuve. Et quand ils touchaient le rivage et cherchaient à saisir, pour se hisser sur le sol, des touffes d’herbes et des branches d’arbustes, nous, à grands coups de sabre — nous coupions les mains ! Depuis avant-hier je n’ai pas cessé de voir ce que j’ai perçu, ainsi qu’à la lueur d’un éclair, au récit du colonel : les lames des dragons s’abattant sur les poignets qu’elles tranchent ; les yeux révulsés des nageurs, blancs dans les faces ou la bouche qu’ouvre un cri suprême n’est plus qu’un grand trou noir ; les corps, les têtes disparaissant sous les flots, au-dessus desquels, un instant, s’agitent des moignons écarlates ; les eaux du fleuve, dans la pâleur froide du crépuscule, rougies comme par les rayons d’un invisible soleil ; et gisant sur la berge, fermées, ouvertes, ou bien agrippées aux branches, crispées aux herbes, désespérées et blêmes, frangées d’éclats de chairs et de caillots sanglants — des mains, des mains... Ah ! c’était une fameuse histoire, pour sûr ! Et j’ai obligé M. Gabarrot à me la répéter trois fois. ⁂ Et aujourd’hui, on m’apprend que le colonel va mourir. Avec mon père et ma mère, je vais lui faire une dernière visite. Il est assis devant le feu dans son grand fauteuil, une couverture sur les genoux ; il n’a pas voulu se coucher, disant qu’il n’était pas assez malade pour ça. Je le regarde attentivement pour voir quelle figure ont les hommes qui vont mourir. Leur figure n’a rien d’extraordinaire ; elle est pâle et fatiguée, simplement. Ils semblent aussi avoir une grande difficulté à parler. Malgré les exhortations de ma mère, je prie M. Gabarrot de me faire encore une fois le récit qu’il m’a fait avant-hier. Il commence, d’une voix pâteuse et sourde ; mais une quinte de toux l’interrompt presque aussitôt. Ma mère s’empresse auprès de lui, et mon père me prend par la main, pour m’emmener hors de la chambre. Mais, comme nous sommes sur le seuil, j’entends la voix du colonel, très basse, mais impérative, qui me rappelle. — Jean ! Je me retourne. Il est assis, le buste d’aplomb, les yeux grands ouverts et brillants, le bras droit levé comme pour un terrible coup de taille ; et au bout de ce bras il me semble voir une lame qui descend, en sciant, sur un poignet tendu. — Jean !... Nous... coupions... les... mains... Le colonel s’affaisse dans le fauteuil, et sa tête se renverse sur le dossier. ⁂ Mes parents vont à l’enterrement ; et Lycopode (c’est ma bonne, qui s’appelle Victoire, mais qu’on appelle Lycopode) me conduit jeter de l’eau bénite sur le cercueil. Les épaulettes du colonel, son épée et sa croix, sont placées sur le drap noir. Il y a des soldats rangés en bataille, avec des tambours voilés de crêpes et un drapeau déployé à la hampe duquel l’aigle a crispé ses serres ; un groupe nombreux d’officiers en grand uniforme ; et des curieux innombrables, hommes qui passent chapeau bas, femmes qui saluent en se signant... Lycopode me ramène à la maison par le chemin des écoliers ; pour me distraire, me dit-elle, mais je crois que c’est afin de passer par la rue de Lille, où sont casernés les turcos. Lycopode aime les turcos ; elle dit que c’est pas vrai ; mais c’est vrai. Moi aussi, j’aime les turcos. Mais Jean-Baptiste ne les aime pas. Il dit qu’ils sont vilains comme le diable, qu’ils se débarbouillent dans le pot à cirage, qu’ils mangent trop de réglisse, et toutes sortes de bêtises comme ça. Lorsque je parle de leurs beaux uniformes, de l’éclat de leurs dents blanches et des grands feux qui éclairent si étrangement leurs faces noires, Jean-Baptiste hausse les épaules. Tout ça, c’est parce qu’il est jaloux de Lycopode, et parce qu’il sait que Lycopode pense comme moi au sujet des turcos, sans pourtant oser l’avouer. Une belle fille, Lycopode, grande et forte, avec de grosses joues rouges sur lesquelles les baisers claquent, un gros chignon de cheveux noirs et, sur la poitrine, des boîtes à lait numéro un, comme dit Jean-Baptiste. Jean-Baptiste est l’ordonnance de mon père, l’ordonnance en titre, l’homme de confiance. Il aura fini son congé dans un an environ, à l’automne de 1870, mais peut-être qu’il restera au régiment ; ça dépend de Lycopode ; si elle veut lui promettre de se marier avec lui, Jean-Baptiste reprendra du service, remplacera un homme appelé sous les drapeaux. Jusqu’ici, Lycopode n’a rien voulu promettre ; elle prétend que Jean-Baptiste est beaucoup trop jeune pour elle ; en réalité, il aura bientôt vingt-sept ans et elle n’en a pas encore trente. La différence n’est pas considérable, et il me semble que Lycopode pourrait bien passer là-dessus, d’autant plus que Jean-Baptiste est son pays, qu’il est né en Bourgogne, comme elle. À l’occasion, je fais mon possible pour la décider ; car je regretterais le départ de Jean-Baptiste. Sait-on qui le remplacerait ? Une ordonnance modèle, capable de donner toute satisfaction, non seulement à son officier, mais au fils de cet officier, et à sa famille en général, ne se trouve pas tous les jours dans l’armée. Avant Jean-Baptiste, mon père a eu bien des ordonnances qui ne valaient pas cher. Le brasseur qui a précédé Jean-Baptiste, par exemple, était un Alsacien qui hachait de la paille à bouche que veux-tu, et qui m’appelait monsieur Chan. Mon père ne l’a pas gardé longtemps, heureusement ; il déplaisait à tout le monde. On aime si peu les Alsaciens ! On les méprise tellement ! Ils sont si gauches, si lourds, si maladroits ! Ils manquent à un tel point du tact le plus élémentaire ! Ce sont de faux Allemands et ils ne seront jamais Français. On n’aime pas les amphibies, en France, les êtres qui ne sont ni chair ni poisson, il faut être, catégoriquement, l’un ou l’autre. Un franc Allemand, un Cosaque bon teint, même, ne déplaisent point ; au contraire. C’est ainsi qu’on admire les Prussiens ouvertement, et même tapageusement. Déjà, il y a deux ans, en 67, ils ont été les héros d’une réception offerte à l’occasion de l’Exposition ; le roi Guillaume et Bismarck ont reçu un de ces accueils qui engagent les gens à revenir. On s’est extasié sur la bonne mémoire du roi qui, d’un faubourg de Paris, avait désigné sans hésitation l’endroit où il avait campé, en 1814, auprès de Romainville. — Il y a un fort là, aujourd’hui, avait expliqué le général français qui accompagnait Sa Majesté. Et le roi avait souri, avait demandé des renseignements sur le fort, renseignements qui lui avaient été obligeamment fournis. Pourquoi pas ? Est-ce que la France pourrait avoir quelque chose à redouter de la Prusse ? Les Français ne sont pas des Autrichiens, Dieu merci ! et les Sadowa ne sont pas faits pour eux. Aussi, lorsque le général de Moltke, l’année dernière, a visité incognito la frontière de l’Est, étudiant les positions et prenant des notes, on s’est bien gardé de le gêner ; on l’a fait suivre par quelques agents auxquels la plus grande discrétion avait été recommandée, et voilà tout. La Prusse n’existe que parce que nous permettons son existence, tout le monde le sait ; Jean-Baptiste me le disait encore hier. Car Jean-Baptiste me tient au courant de la politique, des affaires militaires, de beaucoup de choses dont les conversations dont je suis l’auditeur quelquefois indiscret ne me donnent qu’une vague idée, et que je suis curieux d’approfondir. Il n’est ni ignorant, ni bête, Jean-Baptiste ; tant s’en faut ; et il serait au moins caporal, et peut-être même sergent, s’il n’avait préféré être ordonnance, entrer au service de mon père au départ de l’Alsacien. C’est à cause de Lycopode qu’il a renoncé à tout espoir de conquérir les galons de laine et la sardine. Quelquefois, il dit qu’il a peut-être eu tort, et que les femmes sont bien trompeuses ; ça doit être vrai, mais je ne sais pas. Du reste, Jean-Baptiste ne soupire pas trop ; généralement, il est très gai et chante comme un pinson ; il m’intéresse et m’amuse ; et j’aime bien les histoires qu’il me raconte, même les histoires pacifiques de son village, lorsqu’il me mène à la promenade. Ça ne vaut pas les récits du colonel Gabarrot, tout de même. Depuis la mort du colonel, je n’ai plus d’amis ; j’ai bien des amis de mon âge, des enfants avec lesquels il m’est agréable de jouer ; mais on ne peut pas jouer tout le temps, et l’on sent souvent le besoin d’amis sérieux, d’un âge variant entre cinquante et quatre-vingt-dix ans, qui ont vu la vie, qui connaissent l’existence, et qui peuvent vous parler de choses intéressantes, de choses qu’ils ont vues ou qu’ils ont faites. C’est un ami comme ça qu’il me faudrait ; j’ai essayé de le trouver dans un vieil officier en retraite qui demeure presque en face de chez nous, et qui vient à la maison de temps en temps. J’ai été le voir plusieurs fois ; il a de beaux livres avec des images de batailles, mais il est triste comme tout. Je sais pourquoi il est triste : c’est parce que son fils, qui était sous-lieutenant, a déserté pendant la campagne du Mexique ; c’était un jeune homme d’avenir, dit mon père, mais il s’est pris d’un malheureux amour pour une Mexicaine qui l’a déterminé à passer du côté de Juarez ; de sorte que, ayant abandonné son drapeau, il sera fusillé sans merci s’il revient jamais en France. Quelquefois je songe à ce jeune homme, que je n’ai jamais vu, et je me dis qu’il n’est peut-être pas malheureux au Mexique, surtout si la Mexicaine est jolie. Mais le vieil officier ne pense pas comme moi ; il déclare que son fils l’a déshonoré, et que c’est le dernier des bandits ; s’il le tenait, dit-il, il le tuerait. Dernièrement, même, il m’a fait assister à une scène étrange. C’était l’anniversaire de la naissance du jeune homme dont un grand portrait, qui le représente en uniforme, est accroché dans le salon ; ce portrait était percé de cinq petits trous ronds ; mais je ne savais pas pourquoi. — C’est aujourd’hui l’anniversaire du traître, m’a dit le vieil officier en me conduisant au salon ; tu vas voir comment je traite les déserteurs. Il avait à la main un pistolet. Il s’est placé en face du portrait de son fils, a tiré, et la balle a creusé, à la place du cœur, un sixième petit trou. Tous les ans, à pareille époque, il passe le portrait par les armes. Voilà une chose amusante ; il est seulement malheureux qu’elle ne se reproduise pas plus souvent ; à mon avis, c’est tous les huit jours que le vieil officier devrait exécuter son fils en effigie ; ça ne ferait pas de mal au jeune homme, et ça me divertirait. J’ai grand besoin d’être diverti, mais le vieil officier ne s’en doute pas. Il parle toujours de la patrie, de l’honneur, du devoir sacré, et d’un tas d’autres choses qui sont très belles mais qui m’embêtent. Je lui ai demandé de me faire des récits de combats, de campagnes, mais il ne veut pas ; il prétend que je suis trop petit. Mais peut-être qu’il ne sait rien ; peut-être qu’il n’a jamais été à la guerre. Je finis par croire que c’est un vieux Riz-pain-sel, et je refuse d’aller le voir davantage. À quoi bon ?... Ah ! il n’y avait encore que le colonel Gabarrot pour me raconter de belles histoires — des histoires comme celle des Russes auxquels les dragons coupaient les mains. ⁂ Mon père compte, bien entendu, quelques amis qui n’appartiennent point à l’armée ; mais j’ai peu de goût pour ces civils ; je suis sûr que mon père, lui-même, ne les estime que modérément. — Les pékins, disait-il l’autre jour à deux officiers de son régiment, les pékins pleurent de temps en temps parce que les militaires les méprisent. Nous ne les mépriserons jamais autant qu’ils nous aiment. Dans nos rapports avec eux, ne nous gênons donc pas. Les deux officiers ont souri, en signe d’assentiment. Toute ma vie, je me suis souvenu de la phrase de mon père et du sourire de ses amis. Aujourd’hui, ces deux officiers, en retraite, vivent en province ; et j’ai eu l’idée, lorsque j’ai pris la détermination d’écrire ce livre, de leur demander de vouloir bien faire appel à leurs souvenirs et de retracer l’existence de mes parents, durant les quelques années qui suivirent immédiatement ma naissance. Ils l’ont fait, l’un et l’autre, en style de rapport et, je crois, avec un grand souci de la vérité. Sur mon père, par exemple, le premier officier s’exprime ainsi : « M. Maubart (Paul-Frédéric-Eugène) naquit à Paris en 1828. Il sortit de Saint-Cyr en 1849. Il prit part, comme sous-lieutenant, à la répression des troubles des premiers jours de décembre 1851. Il fut promu lieutenant en 1852. C’est en cette qualité qu’il fit, au 91e régiment d’infanterie de ligne, la campagne de Crimée. Le 8 septembre 1855, il fut blessé par l’explosion d’une poudrière, dans la courtine qui flanquait la redoute Malakoff, à droite. Il fut fait, à cette occasion, chevalier de la Légion d’honneur. Revenu en France, et à peine guéri de sa blessure, il se maria, dans les derniers jours de cette même année 1855, à Mlle von Falke (Cécile-Augustin). Il fut nommé, en 1858, capitaine au 18e régiment de voltigeurs. Il se fit remarquer, à plusieurs reprises, en 1859, pendant la campagne d’Italie ; une aventure galante, qui fit quelque scandale à Milan, l’empêcha seule d’obtenir l’avancement que méritait sa belle conduite. De retour en France, cependant, il obtint de passer avec son grade dans la Garde Impériale (voltigeurs). En 1862, naquit son fils (Jean-Edmond-Louis), aujourd’hui capitaine d’infanterie. En 1865, le capitaine Paul Maubart fut nommé chef de bataillon (voltigeurs de la Garde) ; en 1867, il fut créé officier de la Légion d’honneur. Physiquement, M. Maubart (Paul-Frédéric-Eugène) était un fort bel homme, d’une taille sensiblement au-dessus de la moyenne, et d’irréprochables proportions ; ses yeux bruns étaient fort vifs ; son nez, assez fortement accentué ; sa bouche, parfaitement dessinée et laissant voir des dents superbes ; il était blond, d’un blond tirant sur le roux, et portait la moustache longue et effilée, ainsi que l’impériale. Au point de vue intellectuel, nous ne saurions faire un éloge immodéré de M. Maubart ; nous ne pouvons, d’autre part, sans altérer la vérité, lui dénier certaines qualités mentales ; telles, par exemple, qu’une compréhension rapide des circonstances et une perception vive, presque intuitive, du caractère des personnages avec lesquels il se trouvait en contact. Ses aptitudes étaient nombreuses ; et ses facultés naturelles, étendues ; il avait négligé de les cultiver, pourtant, et avait sacrifié toute étude sérieuse au développement de talents de société qui lui assuraient des succès mondains. En cela, il n’avait fait qu’imiter la plupart des officiers de l’armée française, avant 1870, au sujet desquels le général Thoumas écrivait les lignes suivantes : « La lecture de l’Annuaire et le calcul de leurs chances d’avancement formaient la base de leur instruction militaire. L’étude était en défaveur, le café en honneur. Les officiers qui seraient restés chez eux pour travailler auraient été suspectés comme vivant en dehors de leurs camarades. Pour arriver, il fallait avant tout avoir un beau physique et une tenue correcte, affecter un grand mépris pour les connaissances techniques ; être, surtout, recommandé. » M. Maubart possédait les qualités requises pour « arriver » ; il fut, à différentes reprises, chaudement recommandé ; et le souci de l’exactitude nous oblige à dire que de puissantes influences féminines ne furent pas étrangères à ces recommandations. « Cela nous amène à déclarer que M. Maubart, du point de vue moral, et même aux yeux d’hommes sans étroitesse d’esprit, n’était point irréprochable. Qu’on nous pardonne cette expression un peu risquée : c’était un homme à femmes. Avant l’expédition de Crimée, il avait eu plusieurs liaisons tapageuses, non seulement avec des personnes du demi-monde, mais avec des femmes mariées ; un duel, dans lequel il blessa mortellement son adversaire, avait été la conséquence d’une de ces liaisons. Lorsqu’il revint de Crimée, blessé et avec la croix d’honneur, il ne tarda pas à faire la connaissance de Mlle Cécile von Falke, jeune fille accomplie, d’origine allemande. Cette jeune fille s’éprit d’un violent amour pour M. Maubart, qui l’épousa peu de temps après ; elle possédait une belle fortune, ses parents étaient riches, et l’on pouvait espérer que ce mariage, qui donnait à M. Maubart une situation stable et enviable, obligerait ce brillant officier à mettre un frein à ses débordements blâmables. Malheureusement, il n’en fut rien. Pour excuser jusqu’à un certain point M. Maubart, on peut dire qu’il avait des appétits irréguliers, fort violents ; qu’il était spirituel, gai, et aimait à faire apprécier son esprit et sa gaîté, ainsi, du reste, que ses avantages physiques ; que, s’il brava souvent les lois les plus élémentaires de la morale courante, il fit sans doute de louables efforts pour mettre une certaine réserve dans les manifestations de son tempérament primesautier, trop instinctif. Ces efforts, d’ailleurs, restèrent vains. Nous avons déjà dit quelques mots de la regrettable affaire dont furent cause, à Milan, en 1859, ses relations avec une dame de l’aristocratie italienne ; nous ne reviendrons pas sur ce pénible sujet, et nous ne ferons qu’une allusion fort discrète aux rumeurs — corroborées, hélas ! par des faits significatifs — qui attribuèrent longtemps à M. Maubart une place spéciale dans les affections de Mme de L.-M., la femme d’un des généraux qui, à l’heure actuelle, sont à la tête de l’armée française. La naissance de son fils, en 1862, n’attacha pas plus sérieusement M. Maubart au foyer conjugal. Bien qu’on ne puisse lui reprocher d’avoir usé d’aucun mauvais traitement à l’égard de sa femme, on peut avancer qu’il la faisait beaucoup souffrir, indirectement. L’incorrigible légèreté de M. Maubart, ses infidélités constantes et trop peu dissimulées, avaient assombri l’esprit de Mme Maubart, et peut-être même porté atteinte à ses facultés mentales. Cela seul suffirait à expliquer la mort soudaine de cette dame, mort demeurée toujours quelque peu mystérieuse, qui offrit toutes les apparences du suicide, et... » J’interromps ici la citation, car le second officier a justement écrit, au sujet de la mort de ma mère, quelques lignes qui ne sont point sans intérêt. Les voici : « La mort de Mme Maubart, survenue vers la fin de 1869, a été le sujet de bien des discussions, d’ailleurs parfaitement oiseuses. Cette dame s’est donné la mort, s’est empoisonnée. Le fait est hors de doute. Il ne fut point constaté officiellement, c’est certain, et l’autopsie ne fut même pas ordonnée ; mais tout cela ne prouve rien. La situation du mari, l’intérêt de la famille, exigeaient qu’on fît, autour de ce malheureux événement, le moins de bruit possible. Quant aux raisons qui poussèrent Mme Maubart à mettre elle-même un terme à son existence, on s’est accordé à les trouver dans la continuelle inconstance de son époux. Mme Maubart, en somme, se serait donné la mort parce qu’elle était jalouse de son mari ; par jalousie impuissante. Telle n’est point mon opinion. Que Mme Maubart ait été jalouse de son mari, je ne le nie point ; qu’elle ait souffert de son infidélité, je l’accorde. Pourtant, elle avait supporté pendant des années les écarts de son conjoint ; ces écarts devenaient de moins en moins nombreux ; les expansions extra-conjugales de M. Maubart se concentraient, si j’ose m’exprimer ainsi, dans sa liaison presque avouée avec Mme de Lahaye-Marmenteau ; cette liaison avait déjà assagi, devait assagir de plus en plus, moraliser en quelque sorte, la vie de M. Maubart. Le général de Lahaye-Marmenteau, en effet, était à cette époque fort malade ; il était condamné par les médecins qui l’avaient envoyé passer l’hiver à Nice, sans aucun espoir de l’en voir revenir. On pouvait présumer que Mme de Lahaye-Marmenteau, devenue, veuve, obligerait son amant à la plus grande réserve, et que ce dernier serait enfin forcé de mener, entre sa femme et sa maîtresse, une existence non pas irréprochable sans doute, mais superficiellement correcte. Mme Maubart, qui avait accepté un partage indéfini, pouvait admettre un partage défini, au moins en désespoir de cause. Je ferai observer, à ce sujet, qu’elle continuait à fréquenter Mme de Lahaye-Marmenteau. Donc, à mon avis, ce n’était point la jalousie en elle-même, dont l’acuité avait été émoussée par le temps, qui aurait pu conduire Mme Maubart à attenter à ses jours. Il faut, pour bien juger les faits, se rendre un compte exact de la situation domestique de cette dame. « Mme Maubart avait, en fait, toujours vécu isolée, complètement à part soit dans sa famille soit dans la société qu’elle fréquentait ; son existence était admise, tolérée plutôt, mais à condition qu’elle ne s’affirmât point. Elle se trouvait dans la situation d’une esclave dont on n’exige rien, qu’on laisse libre, mais qui ne cesse de se sentir esclave ; dont les chaînes sont remplacées par d’énormes étendues d’égoïsme, par d’immenses solitudes d’âmes où ne jaillit la source d’aucune affection, où ses cris d’angoisse vont se perdre sans trouver d’écho. Mme Maubart était une nature sentimentale et tendre ; s’il en eût été autrement, elle n’aurait pas eu la force d’endurer ce qu’elle eut à souffrir. Elle désirait être aimée, certes ; mais ce qu’elle aurait voulu surtout, ce qu’elle souhaitait ardemment, c’était de faire accepter entièrement son amour à elle, l’affection sans bornes qu’elle avait vouée à l’homme qu’elle avait choisi. Et elle sentait que cet homme n’acceptait pas son amour, n’en agréait que des bribes, par-ci par-là ; ne le considérait point comme une chose précieuse entre toutes, bien au-dessus de tous les sentiments et de toutes leurs expressions. Plus encore ; elle sentait que, l’amour complet dont elle lui faisait offrande, l’homme qu’elle avait choisi ne pouvait point l’accepter. Elle le sentait, lui, blasé, fatigué et comme soûlé d’hommages de toutes sortes, d’admirations innombrables qui semblaient naturelles à son inconsciente vanité. Tel un dieu, dans l’or et le chatoiement de son uniforme, il attirait à soi tous les enthousiasmes et toutes les déférences ; il les acceptait en bloc, comme son dû, sans faire la moindre attention à la qualité de l’encens qu’on lui brûlait sous le nez, et s’inquiétant peu du zèle ou de la foi des thuriféraires, pourvu qu’il fussent en nombre. Mme Maubart avait rêvé d’être la grande-prêtresse de l’idole ; et la divinité se suffisait à elle-même, préférait l’extension du culte à son raffinement, ne voulait point d’intermédiaire entre sa toute-puissance et ses adorateurs. Toutes les admirations, toutes les obéissances, toutes les flatteries, allaient au mari ; les plus hautes et les plus humbles, celles des puissances et celles des domestiques ; celles aussi, de son enfant. Et, dans ce concert de louanges et d’exclamations ravies, la voix de l’épouse ne se distinguait pas. Son admiration totale, son amour complet, que rien n’avait pu entamer, ne comptaient guère, leur valeur toute spéciale restant inappréciée, insoupçonnée, perdue dans l’énorme et continuel tribut d’adulations qu’on déposait aux pieds du maître... Il arriva, et il devait arriver, que cette situation de femme incomprise ou dédaignée qui était celle de Mme Maubart, fut soupçonnée, devinée ; et que des gens peu scrupuleux cherchèrent à l’exploiter à leur avantage. Je ne dirai pas combien de fois Mme Maubart, dont la beauté était encore dans tout son éclat lorsqu’elle mourut, à l’âge de trente-neuf ans, eut à se défendre contre les entreprises de personnages qui lui apportaient, en même temps que l’expression de leur compassion, l’offre de consolations possibles. Je ne dirai pas comment elle réussit à écarter ces sympathies intéressées. Il advint pourtant qu’elle ne put parvenir à décourager les tentatives d’un homme fort bien en cour, mais que la brutalité de son caractère et le peu d’urbanité de ses manières laissaient insensible aux mille artifices de la diplomatie féminine. Cet homme, le général de Rahoul, poursuivit pendant longtemps Mme Maubart de ses obsessions ; un jour même, oubliant toute retenue, il fut près de la compromettre. Mme Maubart crut devoir avertir son mari et lui demander d’intervenir. Le commandant Maubart, soit qu’il ne crût pas qu’on pût lui réserver l’affront qu’il avait infligé à tant d’autres, soit qu’il eût quelques raisons particulières de ménager le général de Rahoul, soit pour toute autre cause, ne jugea pas à propos de s’émouvoir. Mis par sa femme en demeure d’agir, il refusa net. C’est alors que Mme Maubart, placée brutalement en présence de la réalité, voyant s’évanouir les dernières illusions qui masquaient l’inutilité de son existence, prit le parti d’en finir avec la vie... On peut croire que la mort de Mme Maubart fut fâcheuse pour son mari... » ⁂ Elle le fut surtout pour moi. Je suis certain que ma mère, si elle avait vécu, aurait fait tous ses efforts pour m’empêcher d’entrer dans l’armée, et sans doute aurait-elle réussi. Le souvenir qui m’est resté d’elle n’est qu’un souvenir de réverbération, pour ainsi dire ; mais je comprends, même en laissant à part les témoignages de personnes qui l’ont bien connue et qui confirment mes suppositions, combien il lui aurait été douloureux de voir son fils choisir un genre d’existence qu’elle avait appris à haïr et auquel elle imputait tous les déboires, toutes les humiliations et toutes les souffrances qui rendirent sa vie misérable. Elle fût peut-être parvenue, aussi, à m’inculquer quelques-uns de ces sentiments humains dont l’or d’une paire d’épaulettes compense mal la privation ; et dont l’absence fit de ma vie, en dépit des apparences, quelque chose d’aussi discordant, instable et tourmenté que les éléments peu cohérents qui constituent mon caractère. Ces sentiments, il me fut impossible, à moi comme à beaucoup d’autres, de les acquérir plus tard. Bien des gens ont passé dans mon existence, et j’ai traversé l’existence de bien des gens. Ils entrèrent dans ma vie comme on pénètre dans un monument dont la structure ou la réputation vous intéresse, et où l’on n’ose point rester parce que la température n’y est pas normale, parce qu’il y fait trop froid ou trop chaud, parce qu’on y redoute une bronchite ou une attaque d’apoplexie. J’entrai dans la leur par désœuvrement ; par curiosité narquoise et défiante, probablement ; plutôt (bien que la comparaison ne me plaise point) comme le serpent qui se glisse dans une habitation par besoin de chaleur et de bien-être, et demeure prêt à mordre s’il est dérangé — peut-être parce que sa digestion et son sommeil sont les seules manifestations possibles de sa gratitude et de son affection. — Il y a des êtres à sang froid pour lesquels l’indifférence est un état naturel que solidifient encore de rares crises d’émotion, et qui ne peuvent se charger longtemps du faix des sentiments. Pour moi, je me suis toujours vu forcé de me débarrasser rapidement de ce fardeau ; de poser ça là, avec un Ouf ! de délivrance, comme le troupier, à la halte, jette sac à terre et envoie dinguer son fourniment. Les êtres au cœur tendre souffrent de l’insensibilité des êtres au cœur dur. Certainement. Mais pourquoi existe-t-il des âmes sentimentales et délicates dans notre monde de bêtes brutes ? Qu’est-ce qu’elles viennent faire dans notre abattoir, ces brebis ? Si elles n’accouraient point sans cesse pour présenter à nos couteaux leurs gorges bêlantes, peut-être que nos couteaux se rouilleraient, ou que nous serions contraints d’en briser les lames sur notre armure d’indifférence. Voilà ce que j’ai pensé chaque fois qu’il m’est arrivé, malgré moi ou non, de froisser ou d’écraser une de ces pauvres petites âmes qui sont si gentilles et si naïves, qui sont comme ces fleurs qui s’en viennent pousser innocemment sur le talus d’un rempart, auprès des gueules des canons ; chaque fois, aussi, que je me surpris à songer à cette nuit de décembre 1869 où mourut ma mère, et dont le souvenir, quelquefois, se présente à ma mémoire comme à travers une brume. ⁂ Des cris me réveillent dans la petite chambre, contiguë à celle de ma mère, où je viens de m’endormir. — Monsieur ! Monsieur !... Pour l’amour de Dieu, venez vite !... Jean-Baptiste !... Dites à Jean-Baptiste de courir chercher le docteur. Vite ! Vite !... Ah ! mon Dieu ! Mon Dieu ! Ah ! mon Dieu !... Qu’y a-t-il ? Je me lève et, à tâtons dans l’obscurité, je me dirige vers la porte que j’essaye d’ouvrir. Elle est fermée. Je voudrais crier, mais je ne peux pas ; quelque chose m’en empêche et je reste là, haletant, prêtant l’oreille. Je ne distingue plus rien que des bruits confus, des chuchotements. Le froid me gagne. Je retourne à mon lit, bien décidé à rester éveillé ; mais le sommeil, naturellement, a bientôt raison de ma volonté. Je ne sais pas combien de temps je dors, plusieurs heures sans doute, mais un grand cri tout à coup me réveille ; d’autres cris ; les cris d’une femme ; puis des sanglots. Et puis, je perçois une voix d’homme, une voix lourde, lente, comme voilée, la voix de mon grand-père. — Ma pauvre Cécile ! Ma pauvre Cécile !... Au matin, on me fait habiller rapidement et l’on me conduit chez une dame qui me retient près d’elle sous des prétextes variés et qui ne me reconduit à la maison que le lendemain dans l’après-midi. J’ai été très calme chez cette dame ; je suis resté sombre, seulement, et taciturne. Mais quand Lycopode, tout de noir vêtue, vient ouvrir la porte, je me jette dans ses bras et j’éclate en sanglots ; j’ai une terrible crise qui dure encore quand mon père un crêpe à la manche, et mon grand-père, vêtu de deuil, entrent dans le salon où l’on m’a transporté. — Maman ! Maman ! Où est maman ? Mon père me fait des réponses vagues. Mon grand-père aussi bégaye des phrases à travers ses larmes ; il essaye de me calmer, me caresse, me propose de m’emmener chez lui, à Versailles. Mais, je ne veux pas. Oh ! je ne veux pas m’en aller. Et j’ai une nouvelle crise de larmes, tout mon corps secoué de frissons, ma tête enfouie dans les coussins du divan. Mon père, brusquement, me saisit par les bras, m’enlève, me met sur mes pieds. — Jean ! Veux-tu être un homme ? Veux-tu être un soldat ? Alors, une force intérieure me raidit tout entier. Mes larmes se sèchent et je réponds : — Oui ! — Alors, mon enfant, il faut aller avec ton grand-père. Le fiacre qui nous conduit à la gare, mon grand-père et moi, ne va pas très vite à cause de la neige qui s’est mise à tomber à gros flocons ; elle a déjà recouvert les rues d’une épaisse couche blanche et enfariné les passants. Je regarde par l’une des portières, mon grand-père par l’autre. — Grand-papa, est-ce que tu étais tout blanc de neige comme ces-gens là pendant la retraite de Russie ? — Oui, mon enfant. — Mais il y avait plus de neige que ça ? — Oui, mon enfant ; beaucoup plus. Silence. Mon grand-père a pris ma main qu’il garde dans la sienne. Tout à coup, il me demande de sa voix lente, dont l’accent allemand n’a jamais complètement disparu : — Jean, as-tu pensé à ce que tu veux faire quand tu seras grand ? — Oui ; je veux être officier, comme papa. Mon grand’père regarde par la portière, très loin. Et je l’entends qui murmure : — Ma pauvre Cécile ! Ma pauvre Cécile !... Les premiers jours que je passe à Versailles ne sont pas gais ; les visites se succèdent, visites de condoléance au cours desquelles je suis forcé de faire mon apparition, vêtu de noir, et avec des remerciements plein la bouche pour les personnes compatissantes qui viennent de s’apitoyer sur mon infortune. Des messieurs et des dames, aux faces indifférentes, viennent assurer mon grand-père et ma grand’mère de la part qu’ils prennent à leur douleur ; me déclarent qu’ils me plaignent beaucoup ; que mon sort est bien cruel ; que rien ne remplace une mère, etc. Je sens très bien que leur sympathie est toute superficielle ; elle m’énerve ; et j’aspire au moment où tous les amis et connaissances de mes grands-parents auront défilé dans la maison, emportant chaque jour avec leurs figures de circonstance un peu de la douleur vraie que j’ai ressentie, et que m’arrache chacune de leurs consolations banales, de leurs phrases de convention. Ce jour vient. Mais c’est la fin de l’hiver qui ne vient pas. Il est terriblement froid, et l’on ne me permet que rarement de sortir de la maison, de courir dans le jardin. Ce jardin est grand, avec beaucoup d’arbres, qui détachent leurs squelettes sur la blancheur de la neige ; et je me rappelle comme il y faisait bon, sous ces arbres, pendant les chaleurs de l’été dernier. C’est à cette époque que mon grand-père avait acheté cette grande villa, une des plus jolies de l’avenue de Villeneuve-l’Étang ; il espérait que ma mère et moi nous viendrions y vivre ; mais mon père se déclara contraint à habiter Paris et ma mère ne put se résoudre à le laisser seul. Auparavant, mes grands-parents habitaient une maison plus petite, rue de Clagny, à côté de la propriété qui appartient au maréchal Bazaine. Cette maison est maintenant à louer. Ma grand’mère regrette beaucoup sa petite maison. C’est une vieille femme de soixante-quinze ans environ, qui semble regretter beaucoup de choses, qui semble toujours regretter quelque chose. Elle n’est pas toute petite, ainsi que beaucoup de dames âgées, mais les années l’ont un peu courbée ; et elle est mince, les mains sèches et la face pâle, pâlie encore par d’épais bandeaux de cheveux blancs. Elle a de grands yeux noirs qui ne sont pas vieux du tout, très profonds et pensifs ; des yeux qui ont vu beaucoup de choses, de grandes et de petites choses, joyeuses et tristes, plutôt tristes, et qui maintenant semblent regarder comme à travers un voile de fatigue, dans les gestes des gens et l’affirmation des faits, une sorte de réflexion d’actes et d’êtres abolis depuis longtemps, et vivants tout de même. Je crois que toutes les choses qu’elle a vues ont laissé une petite marque dans ses yeux et que c’est pour cela qu’ils parlent tant. Ce sont surtout ses yeux qui parlent ; car elle est généralement silencieuse, et j’ai cru pendant longtemps qu’elle ne m’aimait pas beaucoup. Mais, maintenant, je sais qu’elle m’aime. Depuis quelques jours elle m’a parlé sérieusement, comme à un homme. Elle m’a parlé de ma mère, m’a raconté ma mère quand elle était petite, quand elle était jeune fille. Oh ! c’est si gentil de penser de ma mère comme une petite fille ! Ma grand’mère m’a dit que je devais ne jamais perdre la mémoire de ma mère, me la rappeler surtout quand je serais grand, lorsque j’aurais l’âge de me marier ; et ne pas oublier qu’il ne faut point épouser une femme si l’on n’est pas absolument sûr de la rendre heureuse. C’est bon. Je me souviendrai. Mais pour le moment, l’image de ma mère, telle que je l’ai connue, et telle que je la voyais, il y a quelques semaines à peine, s’efface malgré moi de mon esprit ; c’est comme une enfant que je la vois, pas beaucoup plus grande que moi, en robe courte et avec ses cheveux dénoués ; et j’ai rêvé plus d’une fois de grandes parties que nous faisions ensemble ; elle m’est apparue, dans mon sommeil, comme une amie qui partageait mes jeux, comme une sœur ; il y a beaucoup de choses que je sens confusément, que je ne m’explique pas à moi-même, et que je dirais à une sœur ; et que peut-être, alors, je comprendrais. Il y a tout plein de choses que je voudrais savoir et que je n’ose pas demander aux grandes personnes parce que, sans doute, elles se moqueraient de moi. Ces choses-là sont peut-être expliquées dans les livres. C’est dommage que je n’aie pas le droit de lire les livres. Je me suis bien hasardé, l’autre jour, à entr’ouvrir deux ou trois des gros volumes qui s’alignent sur les rayons des bibliothèques, dans le cabinet de mon grand-père ; mais mon grand-père m’a surpris pendant l’opération. Il m’a assuré qu’il n’y avait rien là qui pût m’intéresser ; je ne suis pas encore assez grand. (C’est toujours la même chose). D’ailleurs, il a peu de livres français ; presque tous ses livres sont allemands. Mon grand-père lui-même est Allemand. Un grand vieillard, très droit, très sec, avec des yeux d’un bleu très pâle, pleins de bonté, comme d’une bonté un peu fatiguée, mais qui n’a pas dû être sans énergie, autrefois ; la fatigue, l’amertume aussi, ont mis leurs marques aux coins des paupières et aux commissures des lèvres ; le front est large et haut, le nez droit et mince, et une longue cicatrice, qui a laissé sa marque profonde sur la joue droite, raye la face pâle et calme, soigneusement rasée. La blessure qui n’apparaît plus que comme un sillon, tantôt blanc, tantôt bleuâtre, fut produite par le furieux coup de sabre d’un Russe, en 1812. ⁂ Mon grand’père, Ludwig von Falke, naquit à Karlsruhe, en 1790. En 1808, il entra comme sous-lieutenant au régiment des Grenadiers-gardes-du-corps de Bade. En 1812, ce régiment fit partie d’une brigade de troupes badoises, commandée par le général Markgraf Wilhelm von Baden, et qui contribua à la formation du neuvième corps de la Grande Armée, placée sous les ordres du maréchal Victor. Au cours de la campagne, mon grand’père se prit d’une grande amitié pour un officier de dragons français, à peu près du même âge que lui, et qui se nommait Henri Delanoix. Les deux jeunes gens se rendirent de mutuels services pendant la désastreuse retraite. Après avoir échappé à bien des périls, ils furent blessés l’un et l’autre, le 12 décembre, à Kowno ; Henri Delanoix à l’épaule gauche, et mon grand-père à la tête. Ce fut grâce aux efforts surhumains de mon grand-père que l’officier français put franchir la frontière ; mais il restait peu d’espoir de sauver sa vie lorsque, avec l’arrière-garde de la Grande Armée, il arriva à Königsberg. Son père, fournisseur des troupes, se trouvait dans cette ville ; il avait avec lui ses deux autres enfants, une fille, Marthe, âgée de dix-sept ans, et un fils, Ernest, qui n’en avait que douze. M. Delanoix tenta l’impossible pour arracher à la mort son fils aîné. Mais tout fut inutile et le pauvre garçon expira dans les premiers jours de 1813. Je ne dirai pas combien mon grand’père fut affligé de la mort de son camarade, ni comment il conçut un attachement de plus en plus vif pour Mlle Marthe Delanoix, dont les bons soins contribuèrent puissamment à sa rapide guérison ; ni comment, dégoûté de la guerre par les horribles scènes dont il avait été témoin, il prit le parti de quitter l’armée et épousa peu de temps après la sœur de son ami défunt. Mes grands-parents, après avoir longtemps vécu à Karlsruhe, vinrent habiter la France ; ils eurent deux enfants : un fils, Karl, né en 1825, qui est officier dans l’armée prussienne et que j’ai vu rarement ; et une fille, Cécile-Augusta, née en 1830, qui épousa mon père, et qui mourut récemment. ⁂ Mon père, le voici justement qui arrive. Je le vois descendre d’une voiture qui s’arrête devant la grille, tandis que Jean-Baptiste, qui était assis à côté du cocher, en lapin, suit à distance respectueuse avec un gros paquet sous le bras. Je sais ce que contient le paquet : des cadeaux. C’est demain Noël ; et en nous réveillant, c’est au coin de la cheminée que nous allons voir ce que nous allons voir. En attendant, je suis rudement content de voir mon père ; ça manquait d’uniformes dans la maison. Rien comme les uniformes pour égayer l’existence. Mon père, certes, n’est pas joyeux outre mesure ; il est en deuil, et il n’oublie pas qu’il a un crêpe à sa manche ; mais il est amusant tout de même et parvient de temps en temps à faire sourire mes grands-parents. — Sacrédié ! grand’maman, qu’est-ce que vous lui donnez donc à manger, à ce galopin-là ? Il a encore grandi de deux pouces depuis la semaine dernière ! Il faut le mettre à la demi-portion, vous savez ; autrement, on le flanquerait dans les grenadiers, et je ne l’aurais pas sous mes ordres !... Arrive ici, toi, garnement, que je te regarde. Demi-tour !... par principes, nom d’un petit bonhomme ! Demi-tour ! À la bonne heure ! Ça ne te va pas, le noir, mon garçon... Allons, qu’est-ce que je dis !... Enfin ! Des couleurs il ne faut pas disputer. Dites donc, grand-papa, j’ai rencontré le petit Noël, en route. Veux-tu te sauver, toi ? Est-ce que ça te regarde, ce que disent les grandes personnes ? Va donc demander des nouvelles du petit Noël à Jean-Baptiste. J’y vais. Ah ! quel bon garçon, ce Jean-Baptiste ! Et comme nous nous amusons bien ensemble ! Nous avons fait un grand bonhomme de neige dans le jardin, et mon père dit qu’il ressemble tout à fait à un Autrichien qu’il a tué ; seulement, l’Autrichien avait une longue moustache. — Attendez-un peu, mon commandant, dit Jean-Baptiste, on va lui en mettre une aussi, de moustache, au bonhomme. On va en faire un homme à poil. Mon père reste plusieurs jours à la maison ; ou plutôt, il va et vient entre Paris et Versailles ; et Jean-Baptiste l’accompagne généralement. Mais voilà que les fêtes de Noël et du Jour de l’an sont passées, et les voilà partis ; voilà le dégel venu ; voilà le bonhomme de neige qui est pris d’une faiblesse et s’affaisse ignominieusement sur sa base ; voilà l’année 1870 commencée, an de grâce, comme d’habitude ; et me voilà avec un gros rhume de cerveau. Donc les sorties me sont interdites et je reste en tête à tête avec les jouets dont on vient de me faire présent, et les livres qui les accompagnent. Livres verts comme des lézards, jaunes comme des omelettes, rouges comme des homards et bleus comme le chapeau à Lycopode, brillants et chargés d’or comme les uniformes de mon père sortant des mains de Jean-Baptiste. Ils sont pleins d’images et débordent de beaux sentiments ; des Robinsons Suisses, très Suisses, des aventures de Robert-Robert et des Histoires d’Enfants Célèbres. Mais les deux plus intéressants, à mon humble avis, m’ont été apportés hier par l’aumônier du régiment de mon père, qui est venu me faire une visite. L’un des livres dont il m’a fait présent est une histoire de Henri IV qui fait voir clairement combien il fut heureux pour la France que ce grand roi abjurât les erreurs de sa jeunesse ; l’autre est intitulé : Michel le Réfractaire et raconte les aventures d’un honnête jeune homme qui, appelé au service en 1814, se cacha dans un souterrain pendant que les étrangers envahissaient la France et n’en sortit qu’après l’abdication de l’Empereur, pour acclamer Sa Majesté Louis XVIII enfin remise en possession du trône de ses aïeux. Le livre, édité par Mame, qui exalte en termes dithyrambiques la sagesse et la piété du jeune réfractaire, produit sur moi une impression bizarre. Je ne sais vraiment que penser de la conduite du réfractaire, et je me décide à aller demander, à ce sujet, l’opinion de mon grand’père. Il est précisément en train de jouer aux échecs avec un vieil officier anglais qui est notre voisin, M. Freeman, lorsque j’entre dans le salon. J’expose l’objet de ma visite. M. Freeman ne me laisse pas achever, m’arrache des mains le livre que j’ai apporté, et en parcourt quelques feuilles à la hâte. Alors, il jette violemment le livre sur la table et s’écrie : — Vraiment ! C’est une indignité ! Voilà un livre qui prêche ouvertement la trahison, la désertion, le mépris de la France et la haine de la liberté, qui calomnie lâchement l’empereur Napoléon ! Et c’est un prêtre, un aumônier de régiment, qui apporte ce livre au fils d’un officier ! Il mérite d’être fusillé. Voilà mon avis !... Falke, dit-il à mon grand-père, gardez ce livre et ne laissez pas cet enfant le lire davantage. Je parlerai de la chose à son père. Quant à moi, veuillez m’excuser pour aujourd’hui. Je suis tellement indigné que j’ai besoin de prendre l’air. Il sort, rouge comme la veste d’un horse-guard, mâchant des jurons anglais ; et je reste seul avec mon grand-père, un peu contrarié de voir sa partie d’échecs interrompue. — M. Freeman est le meilleur des hommes, dit-il au bout d’un instant, mais il est un peu vif. Il est plus Français que la France et plus bonapartiste que Napoléon. La France et Napoléon sont ses deux idoles. Ces Anglais sont vraiment bien curieux. Du reste, il avait complètement raison. Ce livre est un très mauvais livre, et il ne faut pas que tu le lises. C’est aussi l’avis de M. Curmont, un autre voisin qui vient d’entrer et qui propose à mon grand-père de remplacer sa partie d’échecs par une partie de piquet. M. Curmont, que je vois pour la première fois, me semble peu sympathique ; sa démarche est hésitante, sinueuse ; ses épaules ont l’air inquiètes et ses derrières mal assurés ; il semble redouter une attaque de flanc, et exécute, avant de prendre place sur la chaise que vient de quitter M. Freeman, un mouvement tournant des plus compliqués. Ses grosses lèvres remuent d’une façon singulière quand il parle ; mais c’est pour la frime, car je vois très bien que c’est avec son nez qu’il s’exprime ; il prononce les voyelles avec la narine gauche et les consonnes avec la narine droite. Ses yeux humides, des yeux qui semblent avoir fait naufrage, paraissent curieux de ce qui se passe derrière les oreilles en colimaçon ; et le front, qu’envahissent des cheveux vainement refoulés en arrière, retombe sur ces yeux-là comme la visière d’un casque. Je ne parle pas du menton ; on n’en voit point ; une longue barbe, une de ces horribles barbes que j’ai su depuis être des barbes à principes, semble avoir pour mission de dissimuler la hideur de la mâchoire. Si je n’ai pas, jusqu’ici, vu M. Curmont, j’ai entendu parler de lui plusieurs fois. C’est un républicain, un républicain austère, qui n’a pas d’autre désir que celui de se sacrifier au bien-être de son pays. Il a un fils, pourtant, qui, bien que républicain comme son père, a des ambitions ; mais ses ambitions sont légitimes, car c’est un jeune homme du plus grand avenir. Il a fait son droit, ce qui est beau, et vit à Paris avec d’autres personnages qui ont aussi fait leur droit et qui feront bien autre chose avant peu. Il y en a un, dans la bande, qui s’appelle Léon et dont M. Curmont fait le plus grand éloge. Il est fier, d’ailleurs, de recevoir ces messieurs chez lui, de temps à autre ; ils lui sont amenés par son fils. Ce fils, ayant d’aussi belles relations, dépense beaucoup d’argent. M. Curmont n’est pas bien riche, et ne pourrait pas fournir cet argent. Heureusement, Mme Curmont est une musicienne hors ligne ; en donnant des leçons du matin au soir et en jouant dans les concerts, autant que possible, du soir jusqu’au matin, elle parvient à subvenir aux besoins de son fils. Je voudrais bien voir, pour mon compte, ce jeune homme à grand avenir ; je voudrais bien voir, aussi, ses amis ; d’autant plus que mon père, dernièrement, en a parlé devant moi en termes peu flatteurs. — Des vauriens, a-t-il dit. Des piliers d’estaminets, des avocats sans cause, des poches à bave. Si l’Empereur faisait fusiller ces gaillards-là, ce serait un grand bien pour lui et pour la France. C’est grâce à cette sale clique que nous n’avons pas d’armée de seconde ligne. Malgré tout, on pourrait encore se tirer d’affaires, si ces gredins n’étaient pas là pour empoisonner le public. M. Freeman, à qui s’adressait mon père, a trouvé que les moyens préconisés par lui étaient plutôt excessifs. Il pense que toutes les opinions doivent être libres, au moins jusqu’à un certain point. Mais ce qu’il n’admet pas, c’est qu’on vilipende la France et la mémoire du Grand Empereur. Et il a parlé à mon père du livre que m’avait apporté l’aumônier. Mon père a haussé les épaules. — Oui, oui, vous avez raison. Mais qu’est-ce que vous voulez ? Nous sommes entre deux feux. La calotte d’un côté, le spectre rouge de l’autre. Les pékins sont las de gagner de l’argent ; l’empire les a gavés ; et maintenant, ils ont une indigestion. Qu’est-ce que vous voulez faire à ça ? Quant à la propagande des oiseaux noirs, quant aux bouquins qu’ils distribuent, ça ne produit pas plus d’effet qu’un cautère sur une jambe de bois. L’influence du livre, c’est de la blague. Il n’y a qu’une chose qui ait une influence : c’est ça. Et, du plat de la main, il a frappé son épée. — Vous n’avez peut-être pas tort, a dit M. Freeman ; cependant l’esprit public devrait être mis à l’abri... — Il n’y a pas d’esprit public en France, a répondu mon père. La Dette publique nous suffit. M. Curmont, lui, croit à l’existence de l’esprit public. Il croit à l’Opinion, à l’Histoire, aux Principes et au jugement de la postérité ! Il a des convictions profondes... Il a surtout une petite fille qui s’appelle Adèle et qui est la plus charmante petite fille que j’aie jamais vue. À vrai dire, elle n’est pas toute petite ; elle est même plus grande que moi. Elle a douze ans, et je n’en ai que huit. Mais elle est si mignonne, si délicate et si fraîche ! Avec ses grands yeux bruns, les longues boucles mordorées de ses cheveux soyeux, et sa petite bouche rose à la moue pensive, elle donne l’idée d’une de ces poupées, qu’on expose dans les magasins luxueux, à l’époque des étrennes. Elle est presque aussi rose qu’une poupée ; pas triste, mais pas bruyante ; très raisonnable et très instruite aussi. Elle joue du piano presque aussi bien que sa mère. Je l’ai entendue jouer et j’ai été honteux de ne rien savoir, ni musique, ni autre chose ; j’ai regretté qu’on ne m’eût rien fait apprendre. La musique aussi m’a ému profondément, a remué en moi beaucoup de choses qui doivent être très embrouillées. Je songeais que ma mère, si elle vivait encore, aimerait Adèle plus qu’elle ne m’aimait ; je me suis demandé, aussi, si ma mère m’aimait réellement, et si j’avais jamais eu pour elle une affection profonde ; ou bien, plutôt, si je n’avais jamais pu parvenir à aimer ou à me faire aimer. J’ai pensé qu’Adèle, qui est si savante, pourrait m’expliquer beaucoup de choses que je ne comprends pas ; et je me suis décidé à lui exposer, ainsi que j’avais rêvé si longtemps de le faire à une sœur, tout ce que je ressens. Elle m’écoute avec attention, un doigt sur les lèvres et la tête un peu penchée. Quand j’ai fini, elle me regarde longtemps, silencieuse, avec des yeux pleins de surprise. — Je ne sais pas, dit-elle à la fin. Oh ! je t’assure que je ne sais pas. Je n’ai jamais pensé à tout ce que tu me dis. J’aime mon père, j’aime ma mère, j’aime mon frère, j’aime tout le monde. Je crois bien que tout le monde m’aime aussi. Personne ne me le dit jamais, mais c’est parce qu’on n’a pas le temps. Papa lit son journal et parle politique toute la journée ; maman travaille continuellement, et Albert ne vient de Paris que de temps en temps, et ne reste que quelques heures, juste le temps de prendre l’argent qu’on a mis de côté pour lui. Tu vois qu’ils sont tous très occupés. Mais je suis sûre qu’ils m’aiment beaucoup. Pourquoi ne m’aimeraient-ils pas ? Toi, tu m’aimes bien... Je ne comprends pas beaucoup ce que tu m’as dit. Je ne sais pas... Ce sera toute l’histoire sentimentale de ma vie, cela. Aux questions que je ne poserai plus jamais, mais qu’elles comprendront, les femmes que je rencontrerai répondront toutes, par le silence : Je ne sais pas. — Pour la musique, continue Adèle, je ne comprends pas qu’elle t’émeuve autant. Moi, ça ne me fait rien. Mais si tu savais comme c’est fatigant, surtout au commencement ! Toujours les doigts sur les touches... Je n’ai jamais eu le temps de m’amuser beaucoup. Mais nous jouerons à toutes sortes de choses ensemble, n’est-ce pas ? lorsqu’il fera beau temps, lorsque le printemps sera venu. ⁂ Le printemps est venu. Les feuilles commencent à crever l’enveloppe des bourgeons, et si les fleurs ne se montrent pas encore en pleine terre, il y en a déjà de jolies dans la serre, au bout du jardin. Mon père en a fait faire plusieurs fois des bouquets, qu’il a envoyés à la maréchale Bazaine. J’ai vu souvent la maréchale passer en voiture ; c’est une bien belle femme. M. Curmont raconte d’horribles histoires sur son compte, affirme que le maréchal a fait au Mexique massacrer toute la famille de sa femme. Mais je ne crois pas un mot de tout cela. Comment un maréchal de France pourrait-il être coupable de tels actes ? Pourtant, dernièrement j’ai assisté à une scène curieuse. Comme je passais dans la rue de Clagny, j’ai vu un rassemblement devant la propriété du maréchal. La grille était ouverte et, dans le jardin, devant la maison, se tenait un monsieur bien vêtu, au teint basané et à la moustache noire, qui criait à tue-tête : — Voleur ! Canaille ! Traître ! Assassin ! Et il tendait son poing crispé vers quelqu’un qui devait se trouver dans la maison, derrière les volets d’une fenêtre. Le garde de Clagny, qu’on avait été chercher, est accouru, son sabre au côté. Il a mis la main sur l’épaule du monsieur, qui s’est décidé à le suivre après une dernière bordée d’injures et s’est dirigé, accompagné par le garde, vers la station du chemin de fer. On disait dans la foule que c’était un parent de la maréchale qui était venu lui emprunter de l’argent, et qui, ne pouvant avoir cet argent, se vengeait par des grossièretés. M. Curmont dit que ces grossièretés sont des vérités absolues. Mais mon père assure que ce sont d’odieuses calomnies. Il me défend, d’ailleurs, de répéter à qui que ce soit ce que j’ai vu et entendu. Mon père vient très souvent à Versailles, à présent. Fréquemment des officiers de ses amis l’accompagnent. Mes grands-parents tiennent, pour ainsi dire, table ouverte. Mon grand-père est présenté à ces messieurs comme un Vieux de la Vieille, ce qui lui attire tous les respects. — Voilà un homme, messieurs, dit mon père, qui fut l’un des compagnons du Grand Empereur. Il était à la Bérésina, messieurs ! — La Bérésina ! disent en chœur les officiers. Terrible affaire ! Le froid ! La glace ! Effroyable désastre ! Le plus épouvantable épisode de la grande retraite... Mon grand-père, chaque fois, ébauche un geste de contradiction et essaye de dire quelque chose. Mais, comme il parle très lentement, on lui coupe toujours la parole aux premiers mots ; et il n’insiste pas. Du reste, il paraît s’affaiblir depuis quelque temps ; il se casse, ses mains tremblent beaucoup, et il semble prendre pour toutes choses une indifférence de plus en plus grande. Je soupçonne mon père d’avoir profité de cet état pour engager le vieux, comme il l’appelle, à louer, pour un prix très bas, sa maison de la rue de Clagny au général de Rahoul. Ma grand’mère a paru très peu satisfaite de la transaction ; mais mon père compte beaucoup sur le général de Rahoul, qui est devenu son ami intime et son commensal ordinaire. Je n’aime pas le général de Rahoul, et ma grand’mère le hait. — Vous voudrez bien m’excuser, a-t-elle dit à mon père qui s’est mis à sourire d’un sourire forcé, lorsque vous jugerez à propos d’inviter ce monsieur. Ma grand’mère n’est pas au courant des affaires militaires, et des conditions dans lesquelles s’opère l’avancement. Mais mon père sait à quoi s’en tenir ; il n’a pas pour rien quatre galons sur la manche. Il n’ignore pas que le général de Rahoul, en sa qualité d’ami intime du maréchal Bazaine, peut lui être fort utile ; et il le traite en conséquence. Le général est donc venu s’installer dans la maison de la rue de Clagny. Jusqu’ici, je l’avais cru veuf ou célibataire. Mais il est marié. Il a épousé, lorsqu’il était lieutenant, et pour son argent, une femme dont on dit qu’elle n’est pas méchante mais d’une désespérante vulgarité. Cette femme est séquestrée par son mari ; quoiqu’elle se porte fort bien et qu’elle pèse au moins cent kilos, elle doit se prétendre continuellement malade, ne voir et ne recevoir personne. En somme, elle a disparu du monde. Son mari, qui la zèbre de coups de cravache, l’appelle son Panari. Je tiens ces détails et bien d’autres de Jean-Baptiste. Mme de Rahoul ne doit jamais se montrer en public et prend l’air à la dérobée, une fois la nuit tombée, comme un pensionnaire de lazaret. Quelquefois, quand il fait noir, je m’échappe et je cours jusqu’à la rue de Clagny. À travers les grilles du jardin j’aperçois quelque chose de sombre qui va et vient dans les allées, comme une grosse boule noire qui roule silencieusement. C’est le Panari qui se promène. Jean-Baptiste a toujours une bonne histoire à me raconter. Mais ce matin il m’a apporté une bien mauvaise nouvelle. Mon grand-père a été pris d’une faiblesse hier soir, vers onze heures, et le médecin, qui est déjà venu trois fois, a dit qu’il ne fallait plus conserver aucun espoir. On m’habille à la hâte et l’on me conduit dans la chambre de mon aïeul, où se trouvent déjà ma grand’mère et mon père. Le vieillard est étendu dans son lit, immobile, les yeux clos. — Il a perdu toute connaissance, murmure mon père. Je m’agenouille devant le lit, ému d’une émotion toute physique que je ne puis analyser, car il me semble que j’ai la tête vide. Et tout d’un coup, comme on me fait sortir de la chambre, le souvenir du colonel Gabarrot s’empare de moi ; il me hante, ne me quitte point, ni vers le soir, lorsqu’on annonce la mort de mon grand-père, ni le lendemain, pendant qu’on procède aux préparatifs des funérailles ; ni même le surlendemain matin, tandis que les employés des pompes funèbres viennent tendre de noir la porte de la maison. ⁂ Mon grand-père est mort le 7 mai, et c’est aujourd’hui, le 9, à midi, qu’on l’enterre. Hier, le 8 mai, a eu lieu le Plébiscite ; mais ce matin, naturellement, on n’en connaît pas encore le résultat. Mon père est venu un moment dans ma chambre pour jeter un coup d’œil sur les journaux ; mais il est interrompu dans sa lecture par l’arrivée des membres de la famille qu’il se hâte d’aller recevoir. Ils sont venus de loin, pour la plupart. D’abord, M. Xavier Delanoix, un neveu de mes grands-parents, le fils d’Ernest Delanoix, frère cadet de ma grand’mère. C’est un homme de quarante ans, légèrement bedonnant, d’une taille au-dessus de la moyenne, avec des favoris qui inspirent confiance, et des petits yeux vrillonnants. Il est entrepositaire dans le nord de la France, non loin de la frontière belge, et présente l’aspect d’un homme qui fait de bonnes affaires. J’ai eu l’occasion de le voir déjà deux ou trois fois, à Paris. Mais il a amené avec lui sa fille, une jeune personne de dix-huit ans que je ne connais pas encore. C’est une jolie blonde, avec de grands yeux bleus et des dents pareilles à des perles ; dans ses vêtements de deuil, je ne sais pourquoi, elle me donne l’idée de Marie Stuart quittant la France. J’entends qu’elle s’appelle Estelle. Puis, c’est mon oncle Karl qui arrive, le major Karl von Falke, de l’artillerie prussienne. Je crois que mon grand-père, lorsqu’il avait quarante-cinq ans, c’est-à-dire l’âge actuel de mon oncle, devait présenter la même apparence. Un homme droit, sec, dont les yeux ont un regard direct et franc, et dont la voix claire donne aux phrases françaises une précision particulière. J’ai peu vu mon oncle jusqu’ici, mais je me sens une grande affection pour lui. Je regrette seulement qu’il ait revêtu des habits civils ; j’aurais bien voulu le voir dans son uniforme. J’ai tellement envie de voir des officiers prussiens ! Ça viendra peut-être, si je suis sage. Un peu avant onze heures, arrive un monsieur que personne ne semble connaître. Il se présente comme un parent, et décline à mon père ses noms et prénoms : Séraphus-Gottlieb Raubvogel, de Mulhouse. Il donne des explications : il est le fils d’une sœur cadette de mon grand-père, qui naquit vers 1800 et qui se maria, se trouvant en de mauvais termes avec sa famille, avec M. Gustave Raubvogel, honorablement connu. Il est, lui, Séraphus-Gottlieb Raubvogel, l’unique fruit de ce mariage. Et, bien que sa mère eût cessé, durant toute sa vie, d’entretenir aucun rapport avec sa famille, il a pris sur lui de renouer des relations avec ses parents. Il s’est enquis de leur adresse, sachant seulement qu’ils habitaient Versailles ; et comme réponse, a reçu de l’agence à laquelle il s’était adressé un télégramme lui annonçant le déplorable décès de son oncle. — Je regrette bien vivement, dit-il, qu’un événement aussi malheureux soit la cause de notre première rencontre. C’est une si grande joie pour moi, de lier enfin des nœuds de parenté réelle avec une famille dont le sort m’a tenu injustement éloigné, et à la tête de laquelle je suis heureux de voir maintenant un des plus distingués officiers de notre glorieuse armée ! M. Raubvogel s’incline légèrement en prononçant ces derniers mots, et mon père, visiblement flatté, lui tend la main. Pourtant, quelques instants après, comme je me trouve dans la chambre de ma grand’mère, avant le départ du convoi, mon père entre rapidement, s’approche d’elle et lui demande à voix basse : — Avez-vous connaissance d’un certain Séraphus-Gottlieb Raubvogel, de Mulhouse ? — Non, dit ma grand’mère, pas du tout. — Il est en bas, dit mon père ; il est venu pour l’enterrement. Il se dit votre neveu, le fils d’une sœur de votre mari. — Ah ! oui, dit ma grand’mère, je me rappelle. Mon mari avait une sœur qui quitta brusquement la famille, à Karlsruhe, peu de temps après notre mariage. Elle partit avec un acteur qui, je crois, l’épousa. — Vous n’avez jamais eu d’autres renseignements sur elle ? — Jamais. Ludwig n’a jamais pu retrouver ses traces. — Et vous ne savez pas si cet acteur qui l’épousa se nommait Raubvogel ? — Non. C’est-à-dire... peut-être... Je ne me souviens pas. Mon père redescend au rez-de-chaussée et je le suis. Je considère attentivement Raubvogel qui, dans un coin du salon, cause avec Delanoix. C’est un homme de vingt-cinq ans environ, de taille moyenne, aux épaules larges, aux yeux vifs et souriants, au nez recourbé en bec d’oiseau, à la bouche ironique et à la chevelure châtain clair. Cette couleur est aussi celle de la barbe. J’admire cette barbe. Elle n’est pas longue ; elle n’est pas épaisse ; elle n’est même pas belle, si l’on veut. Mais elle est quelque peu diabolique, avec sa petite pointe effilée qui se recourbe en crochet, et elle donne à toute la physionomie un caractère si original ! Quelle peut bien être la profession de M. Raubvogel ? C’est précisément la question qu’adresse mon père, à demi-voix, au général de Rahoul qui vient d’arriver. — Écoutez, répond le général, voici ce que je vais faire : je vais charger le service secret du ministère de la guerre de prendre des renseignements sur le personnage. Vous les aurez par retour du courrier et vous saurez à quoi vous en tenir. Je dois dire que sa figure ne me déplaît pas. À moi non plus. Il est certainement le premier civil qui ait eu mon admiration pleine et entière. Jusqu’ici, je n’ai jamais eu pour les pékins une large place dans mon cœur. Mais je dois dire que Raubvogel, s’il ne porte pas l’uniforme, est digne de le porter. J’établis un parallèle entre lui et les nombreux officiers présents dans le salon ; il ne perd pas à la comparaison. Et pourtant il y a là trois généraux, le colonel du régiment de mon père et un officier d’ordonnance du maréchal Bazaine... — Messieurs de la famille... Mon père me prend par la main ; je dois marcher derrière le cercueil, entre mon oncle Karl et lui. Avant de sortir du salon, je jette un dernier coup d’œil d’admiration sur la barbe de Raubvogel. Les funérailles terminées, nous sommes revenus à la maison, mon oncle Karl, mon père et moi. Ma grand’mère, souffrante et en proie à la plus grande douleur, ne quitte pas sa chambre. Les rapports de mon oncle et de mon père ne sont pas des plus cordiaux, et leur conversation est plutôt froide, toute de surface. Ce n’est guère amusant. Après dîner, heureusement, M. Delanoix vient nous faire une visite. M. Delanoix est un homme tout d’une pièce, rond en affaires, qui ne mâche pas ce qu’il a à dire et n’y va point par quatre chemins. Du moins, il l’affirme. — Moi, je suis franc comme l’or. Je pense qu’il n’y a rien de tel que de parler pour s’entendre. Cependant, c’est à l’aide de nombreuses tournures circonlocutoires qu’il expose à mon père l’objet de sa visite. Des sentiments de vénération profonde l’ont poussé à venir à Versailles pour assister aux funérailles de son oncle ; il aurait même pris le premier train et serait arrivé un peu plus tôt, c’est-à-dire le 8, si ses devoirs de citoyen ne l’avaient retenu chez lui ce jour-là : il lui fallait, en effet, voter, et ajouter son humble voix à toutes celles des vrais Français qui ont affirmé leur loyauté à la dynastie impériale. — Car, pour moi, le résultat du Plébiscite d’hier, bien que nous ne le connaissions pas encore d’une façon certaine, ne peut pas faire l’objet d’un doute. Mon père incline la tête en souriant, et Delanoix continue : — Je dois dire pourtant que des considérations d’un ordre plus matériel m’ont engagé à entreprendre mon voyage. Les affections de famille sont les plus sûres et lorsqu’on a l’honneur et le bonheur de compter parmi ses parents des personnes qui occupent dans la hiérarchie sociale une place proéminente, et auxquelles leurs glorieux états de service assurent l’oreille des pouvoirs établis, je crois qu’il est permis, sans présomption, de compter sur leurs conseils, et même, à l’occasion, sur leur appui. Mon père s’incline encore, un peu plus grave. Delanoix alors, sans transition, déclare que la fourniture du fourrage à l’armée, dans la région du Nord, est à renouveler avant peu ; il a l’intention de soumissionner. Il est bien certain que c’est une entreprise importante. Pourtant, ce sont moins les bénéfices qu’elle pourrait lui rapporter qu’il ambitionne, que le titre de fournisseur de l’armée. Sa fille, en effet, Estelle, va bientôt être en âge de se marier, et... Mon père interrompt, brusquement. — Je vois ; ce sont des recommandations qu’il vous faut. Eh ! bien, c’est une affaire à débattre... Mon oncle se lève, priant mon père de l’excuser. Il désire aller passer quelques instants avec sa mère. Je demande à l’accompagner. Ma grand’mère est assise dans son fauteuil, la tête baissée, les yeux fixés sur les braises ardentes. Elle se redresse à notre entrée et essaye de sourire ; et, ses yeux, tout d’un coup, se remplissent de larmes. Mon oncle vient s’asseoir à côté d’elle, prend une de ses mains dans les siennes ; et, pendant quelques instants, pas un mot n’est prononcé. C’est mon oncle qui rompt le silence. — Maman, avez-vous pensé à ce que vous allez faire maintenant ? Avez-vous l’intention de rester à Versailles ? Ou bien... Ma grand’mère regarde mon oncle, qui continue d’une voix plus rapide : — Oui, j’avais pensé que vous n’aimeriez pas demeurer ici. Pour beaucoup de raisons. Je crois inutile de les détailler. J’avais pensé aussi que peut-être vous voudriez bien m’accompagner quand je retournerai en Allemagne. Ma grand’mère m’attire à elle et pose sa main sur ma tête. — J’y avais pensé, dit-elle, mais je ne puis abandonner cet enfant-là. Je suis sa mère, à présent. — C’est précisément pourquoi j’avais songé à vous faire l’offre que je vous fais, reprend mon oncle au bout d’un instant. Jean est très jeune, et vous êtes âgée. Les circonstances peuvent devenir difficiles pour vous. Il peut se produire des événements, des événements graves, qui mettraient vos forces à une trop rude épreuve. L’horizon est noir... Et mon oncle se met à parler bas, en allemand. Je ne comprends que quelques mots, de temps en temps : Krieg, guerre, par exemple. — Je crois que tu as raison, Karl, répond ma grand’mère ; les choses dont tu parles me semblent, à moi aussi, inévitables. Mais c’est justement pourquoi je ne puis accepter ton offre, dont je te remercie de tout mon cœur. Cet enfant est Français. Et pour moi, bien que mon mariage avec ton pauvre père m’ait faite légalement Allemande, je ne puis pas oublier que je suis née Française. N’insiste pas, mon cher enfant. ⁂ Le lendemain matin j’ai une grande joie. De la fenêtre de ma chambre, je vois poindre, au coin de la grille, la barbe de M. Raubvogel. Je descends quatre à quatre, et je rencontre sur le perron l’heureux propriétaire de cette barbe. — Bonjour, mon cousin ! s’écrie-t-il, — oui, il m’appelle son cousin, comme ça ! — Bonjour, mon cousin ! Comment vous portez-vous, ce matin ? Vous avez l’air plus éveillé qu’une potée de souris. Voilà comme j’aime les enfants ! Ah ! quel fier luron vous ferez avant peu ! Très flatté et très ému, je bégaye une phrase quelconque. — Je me porte très bien, monsieur, et j’espère... — Monsieur ! s’écrie Raubvogel, monsieur ! Ah ! pas de Monsieur entre nous, s’il vous plaît. Nous sommes cousins. Appelez-moi votre cousin. — Oui, mon cousin. — C’est curieux, vraiment, dit Raubvogel à mon père qui vient de lui serrer le bout des doigts ; c’est curieux, mon commandant, — il appelle mon père : mon commandant ! Ah ! j’avais bien deviné que le cousin Raubvogel n’était qu’un demi-pékin ! — C’est curieux comme votre cher fils ressemble à ma mère quand elle était jeune : en plus mâle, bien entendu. Il y a déjà en lui quelque chose qui annonce le guerrier sans peur et sans reproche, qui montre qu’il sera le vrai fils de son père. Mais j’ai une miniature de ma mère, peinte lorsqu’elle avait une dizaine d’années... M. Delanoix et sa fille Estelle succèdent au cousin Raubvogel. Puis, arrive le général de Rahoul, accompagné de l’officier d’ordonnance du maréchal. Il est midi, et, quelques instants après, mon oncle Karl ayant présenté les excuses de ma grand’mère, trop souffrante pour quitter sa chambre, on passe dans la salle à manger. Ce n’est pas un repas de circonstance, mais un simple déjeuner de famille entre parents et amis, réunis par un pieux devoir, et que les nécessités de l’existence vont bientôt de nouveau éloigner les uns des autres. Pourtant, mon père a tenu à bien faire les choses. Il a adjoint à la cuisinière de ma grand’mère, jugée insuffisante pour la circonstance, un chef tenu en haute estime à Versailles. Ce chef a confectionné des plats dont les noms rappellent les endroits où s’illustrèrent les Français et les hommes dont s’honore la France : Crécy, Soubise, etc. Le service est fait par Jean-Baptiste et par l’ordonnance en second de mon père, soldat-valet irréprochable. Malgré l’abondance, la diversité et la qualité des vins (car mon grand-père avait une excellente cave), le ton des convives est plutôt calme jusqu’au dessert. Mais alors, l’officier d’ordonnance ayant assuré que le maréchal, à la communication du résultat complet du Plébiscite, avait donné libre cours à la joie la plus intense, tout le monde se met à parler à la fois. C’est un débordement d’enthousiasme. Le général de Rahoul déclare que ce sera une leçon pour ces bougres de républicains, et que cela leur fera voir d’où le vent souffle. Mon père affirme que, malgré le deuil qui l’a frappé, il n’a pas manqué d’aller porter son bulletin l’un des premiers. Delanoix assure qu’il a décidé par son exemple plusieurs de ses compatriotes, qui hésitaient, à voter oui. — Messieurs, dit alors Raubvogel, en caressant sa barbe, je regrette vivement qu’il ne m’ait point été donné d’imiter votre patriotisme. Mais, nouvellement installé à Mulhouse et n’y jouissant pas encore des droits électoraux, je n’ai pu déposer dans l’urne le suffrage que mes traditions de famille me faisaient un devoir d’y apporter. Cependant, messieurs, — et ici Raubvogel pose la main sur son estomac — cependant, je puis vous l’affirmer sur l’honneur : j’ai voté de cœur ! Des applaudissements saluent les derniers mots de Raubvogel. Mon père se lève et s’écrie, son verre à la main : — Messieurs, je vous propose de boire à la santé de S. M. Napoléon III et à la prospérité de son règne. Les acclamations se croisent ; les verres s’entrechoquent ; c’est comme si la phrase prononcée par mon père avait insufflé une nouvelle vie aux convives, leur avait permis de donner carrière à une exubérance que, jusqu’à présent, ils avaient difficilement contenue. Le général de Rahoul, particulièrement, semble plein d’un entrain tout militaire. Ses yeux d’ardoise luisent dans sa face de brique. On dit qu’il est un dur-à-cuire ; mais il a l’air cuit. Il est à la gauche d’Estelle, sur le flanc droit de laquelle on m’a posté. Et, soit parce qu’il n’aime pas le voisinage des femmes, soit qu’il manque d’air et ait besoin de place (car il est excessivement rouge), il la pousse continuellement du genou ; de sorte qu’Estelle, en demoiselle réservée, appuie ses réserves de mon côté et que son aile gauche est sur le point de déborder dans mon assiette, où Jean-Baptiste accumule les petits fours. Ma position devient de moment en moment plus dangereuse, mais personne ne semble s’en apercevoir. La conversation roule maintenant sur les ressources militaires de la France. On les déclare énormes, inépuisables. L’officier d’ordonnance sollicite à ce sujet l’opinion de mon oncle Karl, qui approuve, brièvement, les opinions émises. Là-dessus, on admet que l’armée prussienne est très forte aussi. L’événement a prouvé que l’alliance française, recherchée par la Prusse avant Sadowa, ne lui était pas nécessaire pour vaincre l’Autriche. — Il est vrai, dit mon père, que l’Autriche avait été terriblement affaiblie par Napoléon, et que la neutralité de la France a été d’un grand secours à la politique de Bismarck. Mais de l’Autriche à l’Empire français, il y a un pas. L’affaire du Luxembourg, il y a deux ans, a d’ailleurs prouvé que la Prusse ne recherchait pas une lutte avec la France. Le fusil à aiguille est une arme sérieuse, mais le chassepot lui est évidemment supérieur... — Moi, s’écrie le général de Rahoul, en opérant en avant un mouvement qui entraîne la jambe d’Estelle, j’étais partisan de l’adoption du fusil Plumerel. — Le fusil Plumerel avait de bons côtés, assure Delanoix en regardant avec inquiétude du côté de sa fille. — Ah ! mon cousin, dit Raubvogel en cherchant évidemment à concentrer sur lui l’attention de Delanoix auprès duquel il est assis, vous paraissez avoir de profondes connaissances en balistique. Tire-t-on toujours à l’arc, dans votre pays ? — Plus que jamais ! répond Delanoix, se tournant complètement vers Raubvogel qui semble très désireux d’être mis au courant des coutumes du Nord de la France. Le cousin Delanoix donne au cousin Raubvogel toutes les explications qu’il réclame. Pendant quoi Estelle s’enquiert auprès de moi de mes facultés d’absorption, les petits fours étant en cause. Pendant quoi, aussi, le général de Rahoul, ayant retrouvé son aplomb, déclare que tout ce qu’on raconte au sujet de la supériorité de l’artillerie allemande est une simple farce. — Si la France le voulait, dit-il, elle aurait aussi des pièces à fermeture de culasse. Le général Treuil de Beaulieu en a inventé une dernièrement. Mais le maréchal Le Bœuf, président du comité d’artillerie dont je fais partie, a donné l’ordre de ne pas accepter cette bouche à feu. Nous sommes du même avis : tout ça, c’est de la ferraille. — Il est bien certain, dit à son tour l’officier d’ordonnance, que la Prusse, malgré sa puissance que je suis le premier à admettre, n’aurait aucune chance de succès dans une lutte contre la France. Je voudrais vous dire, continue-t-il en riant sardoniquement, combien le maréchal Bazaine s’est amusé à la lecture d’un mémoire rédigé en mai 1867 par le général Frossart et qui lui fut communiqué l’autre jour. Ce précepteur du prince impérial prévoit dans son mémoire la défense de la frontière de l’Est, jusqu’à ce que l’armée ait reculé à Langres. On n’a pas idée de choses pareilles !... ⁂ Je me suis échappé de la salle à manger au milieu de l’inattention générale, afin de descendre à la cuisine pour voir le chef. Il est si beau, tout en blanc, tablier blanc, bonnet blanc, avec des grands couteaux dans sa ceinture. Et Jean-Baptiste, qui vient de siffler deux ou trois verres de champagne, est tellement amusant ! — Avez-vous vu le général de Rahoul, monsieur Jean ? En voilà un chaud de la pince ! S’il n’a pas mis le feu à votre cousine, c’est pas de sa faute. Le général de Rahoul, c’est un homme à poil ! — Jean ! C’est mon oncle qui m’appelle. Il a pris congé des convives avant le café, afin de faire une grande promenade à pied, et il me demande de l’accompagner. Nous voilà partis ; mon oncle, l’air triste et soucieux ; et moi, persuadé qu’il a quelque chose de très important à me dire. Mais je me trompe ; mon oncle ne me parle que de choses fort ordinaires. Il me demande ce que je sais, ce qu’on m’a appris. Je n’ai pas de mal à lui répondre ; il me dit que je dois chercher à m’instruire ; que je ferais bien, par exemple, de demander à ma grand’mère de m’apprendre l’allemand. — Cela te servira beaucoup, plus tard ; et puis cela occupera ta grand’mère, lui fera prendre de l’intérêt à l’existence. Il faut bien aimer ta grand’mère, et l’écouter toujours. Elle t’aime de toutes ses forces ; et si tu savais, mon petit Jean, comme elle a été bonne pour nous, pour ta mère et pour moi, quand nous étions enfants... — Oncle, raconte-moi quand tu étais enfant, quand maman était petite. Mon oncle me prend par la main et se met à raconter. J’écoute, — oui j’écoute avec tant de joie, et je voudrais tant que mon oncle pût me parler toujours... Nous marchons, nous marchons. Nous sommes sortis de la ville par la grille de l’Orangerie, nous avons longé la pièce d’eau des Suisses et nous montons une route qui serpente au milieu du bois que le printemps a paré de jeunes feuilles. À un dernier détour de la route apparaît l’immensité d’un plateau presque nu, avec des bâtiments à toits rouges, à gauche. C’est le plateau de Satory. — Revenons par ici, dit mon oncle, après avoir jeté un regard devant lui. Et il indique un chemin qui descend, à gauche, après avoir contourné un massif d’arbres. Au pied d’un de ces arbres, un colporteur est assis sur l’herbe, sa balle à côté de lui ; il mange un morceau de pain et lève les yeux sur nous comme nous passons. Son regard croise celui de mon oncle, qui tressaille et s’arrête une seconde. Cependant il se remet en marche ; et il a fait deux ou trois pas lorsque son nom, prononcé d’une voix sourde, le force à se retourner tout d’un coup. Le colporteur s’est levé et s’approche. — Falke ! — Holzung ! C’est vous ? Le colporteur est tout près de mon oncle, à quelques pas de moi, et je ne puis entendre ce qu’il lui dit. Il parle pendant quelques minutes ; pas en français, je crois ; puis mon oncle vient me rejoindre. Sa figure a une expression singulière ; et je sens que sa main, qui prend la mienne, tremble très fort. — Connais-tu cet homme, mon oncle ? — Non, non... c’est-à-dire... non, dit mon oncle, en rougissant un peu. Il croyait me reconnaître... il s’est trompé. Malgré tout, ne parle pas de cela à la maison. Je n’en parlerai pas, certainement. Mais je n’oublierai pas non plus le nom de l’homme : Holzung. Des officiers passent sur la route, à cheval, chamarrés d’or. — Toi aussi, tu seras officier, me dit mon oncle. C’est une profession qui a sa noblesse, quoi qu’on en dise ; mais à condition qu’on recherche moins les avantages qu’elle peut rapporter que la satisfaction de servir bien sa patrie. Et la patrie exige de nous non seulement des actions dangereuses et éclatantes, mais aussi des actes plus périlleux encore et sans gloire — sans gloire... ⁂ Mon oncle a encore passé la journée d’hier à Versailles. Nous avons été ensemble au cimetière où nous nous sommes longtemps agenouillés sur la tombe de mon grand-père. Et ce matin, il est parti. C’est dommage. S’il était resté deux heures de plus, il aurait appris ce que c’est que Raubvogel. Il n’avait pas l’air d’en faire beaucoup de cas, mais il aurait vu que le cousin n’est pas le premier venu, et que c’est, comme dit Jean-Baptiste, un homme à poil. Le général de Rahoul vient justement d’arriver avec le rapport qu’il avait demandé au service secret du ministère de la guerre de lui fournir sur Raubvogel. Il a tenu à lire, lui-même, de sa grosse voix, le rapport à mon père ; et, comme je n’étais pas loin, j’ai tout entendu. « Le nommé Raubvogel (Séraphus-Gottlieb) se donne comme originaire de Strasbourg ; mais malgré toutes nos recherches, il nous a été impossible de vérifier le fait. Un informateur allemand à notre service le croit originaire de Mayence ; mais cette supposition ne repose sur aucune base sérieuse. La présence du personnage a été signalée, à plusieurs reprises, sur le territoire français ; il est à présumer pourtant qu’il a principalement habité l’Allemagne. On ne lui connaît, de façon précise, aucun parent. Au point de vue de la fortune, il est à croire qu’il vit d’expédients. Il a des hauts et des bas très sensibles. Bien qu’il ne soit âgé que de vingt-cinq ans environ, son existence doit avoir été mouvementée. Rien ne donne à penser qu’il s’occupe de politique ou d’espionnage. Aucun fait précis à relever contre sa moralité. Il a fait son apparition, il y a deux mois environ, à Mulhouse ; voici dans quelles conditions : Un habitant notable de la ville, M. Isidore Raubvogel, propriétaire de l’hôtel des Trois Cigognes, avait été frappé d’une attaque d’apoplexie. Il était veuf et sans enfants ; et, comme il restait peu d’espoir de le sauver, ses amis et le personnel de l’établissement ne savaient qui prévenir de son état. M. Isidore Raubvogel, très réservé au sujet de ses affaires de famille, n’avait jamais parlé d’aucun parent ; et comme il avait perdu connaissance, on n’en pouvait tirer le moindre renseignement. Quelques parents de sa femme, habitant Mulhouse, essayèrent de pénétrer auprès du mourant. Mais le personnel de l’hôtel, les sachant en très mauvais termes avec lui, refusa de leur permettre l’accès de l’appartement. C’est alors qu’arriva un soir le nommé Raubvogel (Séraphus-Gottlieb) qui fait l’objet de ce rapport, et dont personne n’avait jamais entendu parler à Mulhouse. Il se donna comme le neveu du moribond ; parvint, soit par force, soit par corruption, à gagner l’accès de sa chambre, dans laquelle il resta seul avec lui, et dont il n’ouvrit la porte que lorsque M. Isodore Raubvogel fut près de rendre le dernier soupir. M. Isidore Raubvogel étant mort, le prétendu neveu fit procéder aux funérailles. Pendant plusieurs jours on ne put trouver aucun testament. Cependant, après bien des recherches, on finit par découvrir un morceau de papier, signé de M. Isidore Raubvogel, sur lequel il déclarait, au crayon, léguer tous ses biens, meubles et immeubles, à son neveu Séraphus-Gottlieb. Bien qu’un domestique, du nom de Gédéon Schurke, ait déclaré avoir vu M. Isidore Raubvogel, quelques jours avant sa mort, écrire quelque chose au crayon sur cette feuille de papier, beaucoup de gens se refusent à croire à l’authenticité du testament. Les parents de Mme Raubvogel, susmentionnés, en poursuivent l’annulation. Cependant, Séraphus-Gottlieb Raubvogel s’est installé en maître à l’hôtel des Trois Cigognes. Il est juste de dire que son habileté commerciale et ses manières affables ont augmenté la clientèle de l’établissement, et lui attirent la sympathie d’une grande partie de la population. Invité à présenter au magistrat compétent des preuves de sa filiation, Séraphus-Gottlieb Raubvogel a donné de compendieuses explications verbales, mais n’a pu fournir aucune pièce confirmant ses dires. Il se prétend allié aux familles Delanoix, von Falke et Maubart, si honorablement connues. Il est parti récemment pour Paris, afin d’engager les membres de sa famille à témoigner de la véracité de ses assertions. Durant son absence l’hôtel des Trois Cigognes est géré par Gédéon Schurke, qui, pour des motifs d’intérêt sans doute, est dévoué, corps et âme, au nommé Raubvogel (Séraphus-Gottlieb). » Quand le général de Rahoul a fini sa lecture, mon père reste silencieux. Il ne sait que penser, évidemment. Pour mon compte, je suis porté à croire que le rapport n’est guère sérieux. J’ai toujours cru que Raubvogel, s’il n’était pas tout à fait officier, touchait à l’armée par quelque point. Quant à admettre que Raubvogel soit un simple hôtelier, ça, jamais ! Le malheur des temps, ou quelque raison d’ordre supérieur, peut-être son respect pour la mémoire de l’oncle qu’il vient de perdre, l’ont poussé à exercer cette profession pendant quelque temps ; mais voilà tout. Mon père, cependant, remercie le général, et se déclare bien embarrassé. — Si ma belle-mère n’était pas aussi souffrante, je la mettrais en face du paroissien, et elle ne tarderait pas à savoir si, oui ou non, il appartient à la famille. Elle me disait hier que l’individu avec lequel se maria la sœur de son mari, après avoir quitté le toit paternel, s’appelait bien Raubvogel. Mais ce n’est pas une preuve. Le Raubvogel qui nous est apparu l’autre jour est-il le fils de l’autre Raubvogel ? D’ailleurs, la mémoire des vieilles gens est sujette à caution. En vérité, je suis contrarié. Mais je crois que ce que j’ai de mieux à faire, est de l’envoyer promener. Vous retiendrai-je à déjeuner, mon général ? — Mille fois merci, mais je ne pourrais accepter. Mon Panari est malade ; j’espère que c’est pour le bon motif, cette fois. Vous comprenez qu’il faut respecter les convenances. Quant à votre Raubvogel, je ne sais quel conseil vous donner. Attendons un peu ; nous en recauserons. — Oui, c’est le mieux. En attendant, je vais demander l’avis de Delanoix. C’est un homme de jugement sûr ; et comme il doit venir déjeuner... justement le voici. Et mon père désigne du doigt, par la fenêtre, Delanoix qui descend de voiture avec Estelle. Le général de Rahoul se rejette un peu en arrière et semble réfléchir un instant. — Après tout, dit-il, mon Panari m’attendra bien pour passer l’arme à gauche. Faites-moi donc mettre un couvert. Pendant le déjeuner, le cas de Raubvogel est exposé à Delanoix qui opine pour le bannissement perpétuel. Estelle, consultée, rend le même verdict que son père ; et le général de Rahoul, qui la couve des yeux, se range sans difficulté à son opinion. Mon père déclare donc qu’il signifiera à Raubvogel, qui doit venir le voir demain, qu’il ne veut avoir rien de commun avec lui. Là-dessus, on passe à d’autres sujets de conversation. Le général de Rahoul raconte des histoires gaillardes, qui permettent à Estelle de montrer ses jolies dents. Et le temps passe si bien que Delanoix s’aperçoit tout d’un coup qu’il est deux heures moins un quart. Et mon père qui a promis de le présenter au maréchal à deux heures ! Et le maréchal qui va attendre ! — Nous avons le temps, dit mon père. Je boucle mon ceinturon, pendant que vous mettez votre chapeau, et nous partons. — Je ne vous accompagne pas, dit le général de Rahoul. Il ne faut point avoir l’air de forcer la main au maréchal. Je vous attends ici en sirotant un petit verre de chartreuse. Mon père et M. Delanoix partis, le général m’engage à aller m’amuser au jardin. C’est excellent pour mon âge. J’y vais. Mais, au bout d’une demi-heure environ, je m’y ennuie ; et je reviens dans la salle à manger. Elle est vide. Où sont passés Estelle et le général de Rahoul ? Dans le salon, dont la porte est fermée, j’entends comme un piétinement, un bruit de voix. Des bouts de phrases parviennent à mes oreilles. — Non, non, laissez-moi... — Voyons, voyons, ma petite, ma chérie... Puis, il y a un grand bruit comme celui que ferait un corps qu’on renverse, et je perçois des cris de femme, à demi étouffés. Je ne sais que croire... Mais j’entends la grille s’ouvrir. Ce sont mon père et Delanoix qui reviennent. Je me précipite au-devant d’eux pour leur dire qu’il se passa quelque chose d’étrange dans le salon. Ils se hâtent ; et, dans le vestibule, ils se trouvent nez à nez avec le général de Rahoul, rouge comme une pivoine, qui va sortir de la maison. — Que s’est-il passé ? interroge Delanoix qui pénètre dans la salle à manger et se dirige vers le salon, tandis que mon père, qui sait sans doute à quoi s’en tenir, dit au général : — Vraiment, mon général, vraiment, je n’aurais jamais cru... — Allons, allons, commandant, ne faites pas l’enfant ; vous savez bien qu’on n’est pas de zinc. Et puis, voulez-vous que je vous dise ? continue-t-il plus bas. J’ai été volé ; elle avait vu le loup. Le général sort ; et Delanoix, un moment après, arrive. — Réellement, dit-il, pendant que les sanglots d’Estelle, toujours dans le salon, ponctuent les paroles de son père, réellement c’est scandaleux, horrible, monstrueux... — Allez ! dit mon père froidement, en croisant les bras ; allez ! continuez ! Donnez-vous en à cœur-joie ! Seulement, souvenez-vous que si vous mettez le général contre vous, votre fourniture est dans le lac. Delanoix laisse tomber ses bras et se mord les lèvres. Mon père, au bout d’un instant, ajoute à voix basse : — Allez consoler votre fille et tranquillisez-la. Je trouverai moyen de tout arranger au mieux de nos intérêts communs. Je vous le promets. J’ai une idée. ⁂ Je n’ai pas l’intention de vous apprendre quelle est l’idée de mon père. Je vous informerai seulement de ce fait : qu’il vient d’avoir une longue entrevue avec le cousin Raubvogel. Je l’appelle encore cousin, parce que, en dépit des déterminations prises au déjeuner d’hier, il a été résolu d’admettre définitivement Séraphus-Gottlieb Raubvogel comme membre de la famille. Je n’ai pas été témoin, bien entendu, de l’entretien de mon père et de Raubvogel ; et je n’essayerai point de vous faire croire que j’étais derrière la porte et que j’ai écouté, par le trou de la serrure, tout ce qu’ils se sont dit. Mais, par la connaissance des résultats qu’elle a donnés, je puis aisément reconstituer le sens de leur conversation. Les expressions que je place dans leur bouche ne sont sans doute pas celles dont ils firent usage, et les choses ne se sont peut-être point passées exactement comme je les représente. Mais qu’est-ce que ça fait ? Voici, donc, le dialogue : Mon père. — Enfin, M. Raubvogel, vous venez me parler de vos affaires. Permettez-moi une question ; vous êtes à Versailles depuis huit jours, pourquoi ne l’avez-vous pas fait plus tôt ? Raubvogel. — Mon commandant, je voulais vous laisser le temps de prendre des informations sur mon compte. Mon père. — Vraiment ! Et ces informations, croyez-vous que je les possède actuellement, et complètes ? Raubvogel. — Si vous ne les possédiez pas, le service des renseignements du ministère ne vaudrait pas grand chose. Mon père. — Hum !... Vous prétendez donc être le fils d’un M. Gustave Raubvogel qui épousa la sœur de feu M. Ludwig von Falke, et qui était, lui-même, le frère du sieur Isidore Raubvogel, de son vivant propriétaire de l’hôtel des Trois Cigognes à Mulhouse ? Raubvogel. — C’est ma prétention. Mon père. — Comme vous ne pouvez établir cette assertion sur aucune base sérieuse, vous avez pensé que l’appui de parents bien cotés, qui contresigneraient vos allégations, vous serait fort utile, et pourrait vous permettre sinon d’établir définitivement vos droits, au moins de gagner beaucoup de temps, et de décourager les oppositions qui se sont produites à votre entrée en possession de l’héritage de celui que vous appelez votre oncle. Raubvogel. — Oh ! Après sa mort ça ne peut pas le gêner... ça ne peut pas le gêner, le pauvre cher oncle, qu’on vienne révoquer en doute les liens de parenté qui nous unissaient. Mon père. — Eh ! bien, je ne veux pas vous laisser plus longtemps dans l’indécision ; je vais vous dire quelle résolution nous avons prise après mûres délibérations. Comme homme, vous êtes certes loin de nous déplaire. Nous savons que, légalement, on n’a rien à vous reprocher. Au point de vue de la morale stricte, je... nous... de la conscience... je dois dire... Raubvogel. — Rien de plus vrai. Mon opinion, à ce sujet, concorde avec la vôtre. Mon père. — En tous cas, nous ne doutons point que vous ne compreniez que la famille est une chose sacrée. C’est une union... c’est-à-dire c’est une alliance... ou plutôt une institution providentielle. Nous avons donc décidé de vous reconnaître comme membre de notre famille, et de vous considérer, à tous les points de vue, comme notre parent. Il est bien entendu que vous ne devez pas oublier que la famille, ainsi que je vous le disais, est une union des cœurs et une institution divine... Raubvogel. — La famille est quelque chose de très bête ou de très intelligent, de très nuisible ou de très utile. C’est intelligent et utile lorsque c’est une association d’individus, mâles et femelles, qui sont toujours prêts à s’aider les uns les autres, pour arriver à triompher des difficultés de l’existence. La voix du sang, c’est la voix de l’intérêt. Jouez cartes sur table, mon commandant. Qu’est-ce que vous attendez de moi ? Mon père. — Mon garçon, vous avez un fier toupet. Raubvogel. — J’ai du toupet, oui. C’est pour ça que vous me prenez aux cheveux, comme l’occasion. Voyons, de quoi s’agit-il ? Mon père. — Parole d’honneur ! j’aime votre façon de comprendre les choses. Eh ! bien, mon ami, il faut vous marier. Raubvogel. — La pénitence est douce. Laissez-moi passer la revue de ces dames. Le diable m’emporte ! Il n’y en a qu’une, Mlle Estelle. Hi ! hi ! ah ! ah ! Le général de Rahoul la serrait d’un peu près, l’autre jour. Est-ce que ?... Mon père. — Un accident est vite arrivé... Raubvogel. — Et vite réparé quand les ouvriers ont du cœur à l’ouvrage. Moi, j’aime la besogne faite. Mon père. — Estelle est charmante. Une jeune fille accomplie ; un moment d’oubli ne prouve rien contre la pureté de ses sentiments. Elle fera une femme de premier ordre. Raubvogel. — Elle sera ma femme ; ça vaudra mieux. En attendant, elle est la fille de son père. Qu’est-ce que ça représente ? Mon père. — Delanoix a une certaine fortune. C’est un homme actif et intelligent. Raubvogel. — Naturellement. S’il ne l’était pas, il ne serait point venu vous trouver pour vous demander de lui faire obtenir une fourniture de fourrage. Mon père. — Comment savez-vous ça ? Raubvogel. — Comme ça. Je pense aussi que, en bon parent, vous ne serez pas fâché de lui voir obtenir cette fourniture ; de le voir, donc, demeurer en bons termes avec le général de Rahoul ; et de le voir, par conséquent, réparer par le mariage de sa fille le dommage causé par l’incontinence du général. Combien pensez-vous que Delanoix donnera à sa fille ? Mon père. — Laissez-moi compter, Delanoix possède bien 200.000 francs, en mettant les choses au plus bas. Sa fourniture, dont il est sûr maintenant, peut lui rapporter en moyenne 80.000 francs par an. Il est vrai que, pour la première année, il a 30.000 francs de commission à donner à de Rahoul, et 20.000 francs à moi... Allons ! allons ! Qu’est-ce que je dis ?... Raubvogel. — Vous dites 50.000 francs. Tenez ; je ne suis pas dur. Obtenez-moi 30.000 de commission, pour moi tout seul, en guise de dot, et je fais cadeau de mon célibat à sa fille. Mon père. — J’obtiendrai ça. Même, à votre place... Raubvogel. — Non, ça me suffit ; je ne suis pas un glouton. Avec ça et ma maison de Mulhouse, il y a moyen de moyenner. À propos de Mulhouse, mon opinion est que le mariage doit avoir lieu dans cette ville. Voici comment on pourrait s’arranger. Le général de Rahoul est désigné pour faire à l’improviste, en Alsace, vers le 10 juin, une tournée d’inspection, qui doit être tenue secrète. Mon père. — Tonnerre ! Comment savez-vous ça ? Raubvogel. — Comme ça. Vous devez accompagner le général de Rahoul. Eh ! bien, vous passerez par Mulhouse ; vous y resterez même le plus longtemps possible ; car je ne pense pas qu’il y ait grand’chose qui puisse vous intéresser dans les forteresses et dans les garnisons alsaciennes. Je viendrai vous chercher à Versailles, où je trouverai également mon futur beau-père et ma fiancée ; nous irons directement à Mulhouse où se célébrera le mariage ; le général de Rahoul et son officier d’ordonnance voudront bien, j’espère, servir de témoins à Estelle ; et si vous voulez me faire l’honneur d’être l’un des miens, mon commandant, je prendrai comme second témoin un des plus honorables habitants de la ville, M. Lügner. Si vous ne voyez pas d’objection à ce plan, et si Delanoix me permet, comme vous me le faites espérer, de me laisser faire le bonheur de sa fille, je partirai pour l’Alsace dans deux ou trois jours, afin de préparer les choses et de faire publier les bans. Mon père. — Votre projet me semble excellent, mon cher cousin. Vous n’avez rien à ajouter ? Raubvogel. — Deux mots seulement. Vive l’Empereur ! Le cousin Raubvogel reste encore trois jours à Versailles. Le premier jour, il a une longue conversation avec Delanoix. Le second jour, il a une petite conversation avec Estelle. Le troisième jour, il vient nous dire au revoir et à bientôt. ⁂ Estelle et son père sont partis aussi. J’en suis bien fâché. Nous étions devenus bons camarades, Estelle et moi. Quand son mariage avec Raubvogel a été annoncé, je n’ai pu me défendre d’un petit mouvement de jalousie. J’ai fait part de mes sentiments à Jean-Baptiste qui m’a remonté le moral. Il m’a fait comprendre que les choses n’auraient pas pu se passer autrement. — Monsieur Jean, j’avais prévu ça dès le commencement. On peut dire ce qu’on veut, mais votre cousin Raubvogel, c’est un homme à poil ! Jean-Baptiste, heureusement, ne quitte guère la maison à présent. Mon père s’est, pour ainsi dire, installé à Versailles. J’ai entendu dire, à ce sujet, des choses que je n’ai pas très bien comprises. Il paraît que le général de Lahaye-Marmenteau s’est rétabli, contre toute espérance, et qu’il est revenu de Nice en parfaite santé. De sorte que les relations de mon père avec Mme de Lahaye-Marmenteau sont devenues malaisées. Quelles relations ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que la langue allemande est fameusement difficile. J’ai suivi le conseil de mon oncle Karl et j’ai demandé à ma grand’mère, toujours souffrante, de m’initier aux beautés de la grammaire germanique. Il y a des moments où je le regrette. Mais le devoir avant tout. Je sais que, lorsqu’on a donné sa parole, il faut la tenir. C’est une chose que Delanoix et Estelle n’ignorent point ; et quinze jours environ après leur départ de Versailles, ils reviennent avec des bagages à n’en plus finir ; des caisses et des malles qui contiennent le trousseau d’Estelle, et une belle robe blanche, ornée de fleurs d’oranger, que j’ai pu entrevoir du coin de l’œil et qui a excité mon admiration. Ah ! si le cousin Raubvogel pouvait voir ça, il ne tarderait pas à accourir !... Mais le voici ! Il arrive, il arrive ! Il arrive avec sa belle barbe ! La joie règne à la maison. Delanoix, Estelle, Raubvogel, le général de Rahoul, les officiers qui font partie de la mission secrète... Un grand dîner. Deux grands dîners. Et puis, les voilà partis pour l’Alsace. Bon voyage ! Je me suis tellement habitué à la société des grandes personnes que je fréquente exclusivement depuis quelque temps, qu’il m’est devenu difficile de me plaire longtemps avec Adèle Curmont et d’apprécier le charme de sa compagnie. Adèle m’avait promis, l’hiver dernier, que nous nous amuserions bien, quand le printemps serait venu ; mais voici l’été, et les grandes parties qu’elle m’avait fait espérer sont restées à l’état de projet. D’autres divertissements, très peu. Les enfants de ma classe, petits êtres froids à jeunesse momifiée, me déplaisent. J’aimerais mieux les autres, les fils des pauvres, les sales gosses. Mais je comprends que leur contact me compromettrait. Je n’ignore pas que ce sont mes inférieurs, que je suis naturellement destiné à les avoir plus tard sons mes ordres, avec droit de vie ou de mort sur leurs méprisables personnes. Je me suis donc habitué à vivre d’une façon plutôt solitaire, un peu méfiant, un peu sceptique, un peu fatigué des quelques années que j’ai déjà vécues, fatigué d’avance des années d’études indispensables qui m’attendent, et n’aspirant qu’au jour où, portant enfin l’épaulette, je pourrai faire dans la vie ma véritable entrée. J’ai fait part à Adèle de ma conception de l’existence ; vingt ans, ou à peu près, d’ennui, de travail et d’attente, et le reste pour s’amuser. Adèle accepte cette conception comme absolument normale. Elle sait aussi, pour son compte, ce qui l’attend dans la vie ; sa mère, que le travail a usée avant l’âge, ne vivra pas très vieille ; Adèle aura donc à la remplacer et à gagner le plus d’argent possible pour son père et pour son frère. — Mais, est-ce que ton père et ton frère ne gagnent jamais d’argent ? — Mon père en gagne quelquefois, quand il fait des affaires avec Me Larbette, le notaire de Preil. Mon frère Albert n’en gagne jamais ; mais il en dépense énormément. — Pourquoi ? — Pour arriver. On ne peut pas arriver sans argent ; il le dit toujours. — Arriver ? À quoi ? — Arriver à quoi ? Tu ne sais pas ? Mais à être préfet, ministre, président de la République. J’ai de la difficulté à comprendre. Adèle me donne des explications, essaye de m’apprendre quelles sont les gens qui fréquentent chez elle, et quelles sont leurs opinions et leurs idées ; elle me parle de son père et des amis de son frère qui viennent assez souvent, pendant la belle saison. Ce sont tous des gens qui seront les maîtres de la France avant peu... Alors, que deviendront les officiers ? J’avoue que la question me semble insoluble. Et je fais à Adèle une peinture, aussi consciencieuse que possible, des personnes qui fréquentent chez moi, de leur fidélité à l’empereur, de leurs convictions et de leurs façons de voir. C’est à son tour de ne pas comprendre. Pourtant, elle déclare que les militaires l’intéressent beaucoup. Est-ce que je serai toujours son ami quand je serai officier ? Toujours. Et, pour ne pas être en reste de politesse, je déclare à Adèle que les républicains excitent grandement ma curiosité, et que je voudrais bien en voir. En quoi, d’ailleurs, je n’exagère pas. M. Curmont est bien républicain ; mais il ne m’amuse pas, parce que, lorsqu’il a fini de lire les journaux, il se met à grogner et à maugréer sans interruption. Il dit que c’est honteux, abominable. Il y a deux cent mille fonctionnaires. « L’agence électorale de la tyrannie », dit-il. Ces fonctionnaires sont tous amis et parents des gens en place. « Le népotisme », dit-il. On ne sait pas où va l’argent des contribuables. « La corruption impériale », dit-il. Il assure qu’il y a des scandales financiers qu’un gouvernement césarien, seul, peut engendrer. « Jecker », dit-il. Il se moque aussi des Allemands qui bâtissent des systèmes. « La métaphysique », dit-il. Je me demande avec anxiété si tous les républicains sont pareils à M. Curmont, et si le grognement est leur caractéristique. Mais tous les républicains ne sont pas comme M. Curmont. Son fils Albert, par exemple, ne lui ressemble pas du tout. D’abord, il n’a pas de barbe ; à peine trois ou quatre poils sous le nez ; il est presque complètement chauve. Il a un profil en lame de serpe, des dents gâtées ; des yeux verdâtres dont la prunelle tremblotte, comme baignée d’une viscosité jaune, entre des paupières en jambon. Les narines aussi se bordent de rouges, les oreilles se décollent et les épaules s’effacent. Ensuite, M. Albert Curmont est très gai. Il trouve l’univers, et tout ce qui s’y passe, très rigolo. Victor Noir a été tué : « C’est rigolboche ! » La candidature Hohenzellern va amener des complications : « C’est rien rigolo. » Quand la France aura été battue à plate couture, elle vomira l’Empire, et la République sera proclamée : « Chouette, papa ! » L’Empire a commencé dans le sang, il finira dans le sang : « Mince de rigolade ! » M. Albert Curmont a l’air très fatigué ; en fait, on dirait qu’il n’en peut plus. Son père dit qu’il « passe les nuits ». Ça doit être bien mauvais pour les cheveux. Ça fait donc deux républicains que je connais. Mais je suis destiné à en connaître bien d’autres. Pour commencer, une après-midi que je vais voir Adèle à l’improviste, j’en aperçois une bonne demi-douzaine. Ces messieurs sont assis dans le jardin, à l’ombre des arbres, autour d’une table surchargée de verres et de bouteilles. Ils ont l’air fort satisfaits d’eux-mêmes ; assez râpés, et débraillés au possible, le gilet déboutonné, la chemise douteuse, la cravate de travers. Ils mènent grand bruit, disant que la France est prête à se réveiller et qu’ils tiennent la République ; la République qu’ont bien gagnée leurs labeurs herculéens. Ils appellent l’Empereur, Badinguet ; et le Petit Prince, Oreillard. Quand ils apprennent que je suis le fils d’un officier, ils jettent sur moi un regard étrange, chargé de compassion ; et l’un d’eux, que les autres appellent Léon, déclare que le règne des traîneurs de sabre est passé. Ce Léon a une tignasse de photographe qui conserve tous ses clichés ; une voix de dentiste, nourri de cuisine à l’huile ; un nez de circoncis, et un œil. N’a qu’un œil. L’autre est dans la tombe ; ou plutôt, dans la châsse de la légende. C’est la châsse de la légende. Ce Léon est évidemment, ici, le personnage important ; il semble avoir laissé prendre un grand nombre d’hypothèques sur son savoir-vivre. Autour de lui, se groupent plusieurs individus dont la Renommée s’apprête à souffler les noms dans sa trompe de carnaval. L’un, qui sangle son ventre à la Prud’homme d’un gilet à la Robespierre ; un autre, qui trouve moyen de parler belge avec un accent badois ; un autre, qu’on appelle Petit-Gris, et qui a l’air d’un crapaud — un crapaud qui jouera le rôle de la grenouille dans le bocal barométrique où se conserve l’échelle sociale — ; deux autres, qui ont des manières de sergents de ville et des figures de malfaiteurs. Ces deux-là me font presque peur. Ils se ressemblent tellement qu’on dirait deux frères. — Ils le sont, me dit Adèle. Ils sont les frères de Me Larbette, le notaire de Preil qui vient souvent voir papa. Il les appelle les deux vauriens. — Pourquoi ? — Je ne sais pas. En tous cas, tous les gens qui sont là vont être au pouvoir avant peu, et ils donneront une belle place à Albert. Tu verras ça. Je le verrai, peut-être ; mais, en attendant, je ne sais vraiment que croire. Je pense, au fond, que tous ces êtres-là sont fous. Comment peuvent-ils avoir l’idée de prendre la place de l’Empereur ? Comment peuvent-ils penser, comme je le leur ai entendu dire, que les armées vont être supprimées ? Est-ce que mon père ne le saurait pas, si c’était vrai !... Et pourtant, s’ils ont raison, je sens que toutes mes chances d’avenir doivent disparaître. Que pourrais-je faire dans l’existence, si je ne puis pas être officier ? Ces questions graves me troublent énormément. Je voudrais bien savoir comment les résoudre ; mais j’ignore à qui faire part de mes inquiétudes. Ma grand’mère, je le sais, n’entend guère la politique. M. Freeman est Anglais et n’est certainement que très imparfaitement au courant des affaires de la France. Quant à M. Curmont, je sens qu’il manquerait d’impartialité. Ah ! si mon père était là, ou le général de Rahoul, ou le cousin Raubvogel, ou même Jean-Baptiste !... Mais, il me vient une idée. J’ai souvent entendu parler de la haute intelligence et des grandes qualités de Me Larbette, le notaire de Preil ; je l’ai vu plusieurs fois ; c’est un petit homme, difforme, bossu, mais avec des yeux pleins de vivacité, et qui ne me déplaisent pas. Ce n’est qu’un officier ministériel, il est vrai ; donc, un officier avec une adjonction péjorative ; mais je sens qu’on ne doit pas en vouloir à un homme d’être un pékin, lorsqu’il a l’air intelligent et qu’il est infirme. Comme Me Larbette vient souvent voir M. Curmont, à présent, je saisirai la première occasion de lui demander son opinion ; je lui demanderai, simplement, s’il pense que les armées vont être supprimées, et s’il croit que je n’aurai pas le temps de devenir officier. L’occasion se présente. Une après-midi que je suis venu voir Adèle, Me Larbette arrive, me dit bonjour en traversant le jardin, me tapote amicalement la joue, et entre dans la maison. Un moment après, Mme Curmont appelle sa fille pour sa leçon de piano, et je reste seul dans le jardin. Je m’approche de la fenêtre du salon, dans lequel parlent le notaire et M. Curmont, et j’écoute. J’en suis presque pour mes frais d’espionnage. Il n’est question, dans la conversation entre les deux hommes, que de choses que je ne comprends pas. Ils ne parlent que de transactions à opérer, de valeurs à vendre ou à acheter, de propriétés à transférer, d’ordres à donner, de Bourse, et de la nécessité de se hâter, car les événements vont se précipiter. M. Curmont déclare qu’il ne faut rien oublier, car l’occasion qui va s’offrir est de celles qui ne se présentent pas deux fois. Me Larbette, en ricanant, dit qu’il a tout prévu. Il dit qu’il est enchanté de son Ingénieur. — L’Ingénieur va on ne peut mieux. En voilà un que j’ai couvé ! J’entretiens la smala depuis assez longtemps pour que ma philanthropie désintéressée me rapporte de jolis bénéfices. L’Ingénieur est le résultat le plus complet qu’ait jamais fourni l’École Polytechnique. Cet homme-là, c’est l’x incarnée ; pas d’opinions, pas de convictions, pas de cœur, pas de sentiments d’aucune sorte. Et intelligent avec ça ! Habile à se faufiler ; une souris !... Vous verrez... Il pioche la stratégie et la tactique, dans les meilleurs auteurs, à vous en faire venir les larmes aux yeux. Ah ! il nous prépare un ministre de la guerre comme les nations n’en ont pas vu souvent. Ha ! ha ! Et vous verrez que, grâce à lui, je finirai par faire quelque chose de mes deux vauriens de frères. Ha ! Ha !... Je prends le parti d’abandonner mon poste, sous la fenêtre. Je regrette d’avoir écouté — peut-être parce que je n’ai pas compris. — Et quand Me Larbette sort de la maison, bien qu’il vienne seul faire un tour dans le jardin afin de regarder les rosiers, bien qu’il m’adresse la parole à plusieurs reprises, je me sens tout honteux de ce que j’ai fait, et je n’ose lui poser aucune question. Mais je prends ma revanche, quelques jours plus tard. Pas avec Me Larbette ; avec son premier clerc, M. Hardouin ; ce M. Hardouin vient très souvent voir M. Curmont depuis quelques jours, et il a avec lui des entretiens qui durent peu. Après quoi, M. Curmont sort en toute hâte, généralement avec une grande serviette d’avocat sous le bras, et se dirige vers la ville ; M. Hardouin attend son retour ; quelquefois, pendant plusieurs heures. C’est justement ce qui vient d’arriver. Et M. Hardouin est venu se promener dans le jardin, où je suis en train de m’amuser, tout seul, à ratisser une allée. M. Hardouin est un grand jeune homme de vingt-cinq ans à peu près, aux yeux spirituels, à la face glabre ; s’il avait de la barbe, il ressemblerait beaucoup au cousin Raubvogel. Je me décide, au bout de quelque temps, à lui demander son opinion sur les points que je désire éclaircir. M. Hardouin se montre fort aimable avec moi. Il me déclare que l’armée n’est pas sur le point d’être supprimée ; elle le sera sans doute un jour, mais vraisemblablement pas avant plusieurs siècles. J’aurai donc tout le temps nécessaire, non seulement pour devenir officier, mais même pour mourir officier et centenaire en même temps. Ce qu’il pense de M. Albert Curmont ? Il pense que M. Albert Curmont est le fils de M. Curmont et de Mme Curmont, et qu’il demeurera leur fils pendant un certain temps. Ce qu’il pense de M. Curmont lui-même ? Rien ; d’un homme de paille, il vaut mieux ne rien penser. D’ailleurs, il a une barbe qui peut mener loin, sous un régime démocratique. Ce qu’il pense des amis républicains de M. Albert ? Mon Dieu ! Ça dépend. Que buvaient-ils l’autre jour, là, sous les arbres ? De la bière ? Eh ! bien, ils aspirent à boire du champagne. Croit-il que l’empire sera renversé ? Oui, il le croit. Et après ? Après, ce sera la même chose. Est-ce bien sûr ? Non, ce sera pis. Y aura-t-il une guerre ? Sans aucun doute. ⁂ Mon père, lui, est persuadé qu’il n’y aura pas de guerre. Il revient de l’Alsace avec le général de Rahoul ; ils sont absolument enchantés. Tout est en ordre et dans le meilleur état possible, hommes, matériel, etc. Ils n’ont fait leur tournée d’inspection que pour la forme ; rien de plus sérieux n’était nécessaire. Ils ont passé presque tout leur temps à Mulhouse, à l’hôtel des Trois Cigognes (un fort bel établissement, s’il vous plaît) ; et ils se sont séparés à regret de M. et Mme Raubvogel, qui forment bien le couple le plus uni qu’on puisse voir. Mon père, donc, est sûr qu’aucun nuage noir ne viendra troubler la sérénité du présent. Il s’étonne que M. Hardouin, un jeune homme sérieux, ait pu me dire ce que je lui rapporte. — Ce qu’il t’a dit, mon garçon, c’est pour se moquer de toi ; c’est pour te punir de ta curiosité. Je le vois bien. Personne n’a l’air de redouter une catastrophe. Bien au contraire. À Paris, où l’on m’a conduit l’autre jour, la gaîté règne plus que jamais ; c’est comme une fête perpétuelle. Le temps est si beau, en ces premiers jours de juillet ! C’est le matin surtout qu’il fait bon ; et j’ai pris le parti de me lever de bonne heure, afin de descendre au jardin pendant qu’il est frais encore de la fraîcheur de la nuit. Hier, comme je me levais, vers sept heures, j’ai entendu chuchoter sur le palier, à côté de la porte de ma chambre ; puis, j’ai entendu quelqu’un descendre doucement l’escalier. J’ai regardé par la fenêtre, et j’ai vu une belle dame, à chignon rouge, qui traversait le jardin, ouvrait la grille, et s’en allait. Un instant après, j’ai entendu la voix de ma grand’mère, voix comme étranglée par l’émotion, qui disait : — Oui, je l’ai vue ! C’était une rousse... Et la voix de mon père a répondu : — Une rousse ! Une rousse ! En voilà des histoires ! Faudrait peut-être que je prenne des négresses, parce que je suis en deuil ! J’ai compris que quelque chose de très vilain s’était passé, dont la belle dame avait été la cause. Je n’ai pas pensé à incriminer mon père ; mais j’ai conçu une triste idée du sexe faible. Depuis, j’ai lu le Mérite des Femmes, de Legouvé, et j’ai quelque peu modifié mon opinion. ⁂ Il n’y a pas à en douter, la guerre est imminente. Avant-hier, mon père, qui vient d’être nommé lieutenant-colonel d’un régiment d’infanterie de ligne, a fait transporter à Versailles les meubles qui garnissaient notre appartement de Paris. Hier matin, il est allé à Paris, et en est revenu vers deux heures en disant qu’il n’y avait guère raison d’espérer que la guerre pût être évitée. Il a passé l’après-midi et la soirée, après avoir été voir le général de Rahoul et plusieurs de ses amis, à mettre ses affaires en ordre. Ce matin, 19 juillet, il est reparti pour Paris ; nous l’attendons d’heure en heure. Il est près de six heures quand il arrive. — La guerre est déclarée ! s’écrie-t-il, en franchissant la grille. Il nous annonce qu’il part le soir même à neuf heures. M. Freeman, M. Curmont et plusieurs autres viennent lui faire leurs adieux. Des télégrammes arrivent. Un de Delanoix, un de Raubvogel : Bonne chance et Heureux retour. — C’est une affaire de deux ou trois mois, tout au plus, dit mon père. L’Allemagne du Sud ne marchera pas ; ou fera défection, suivant son habitude, après la première bataille perdue. Quant à l’armée prussienne, elle n’existe pas ; je suis de l’avis du maréchal Le Bœuf, qui la nie. Les Prussiens font les malins, mais nous soufflerons dessus. — Ah ! s’écrie M. Freeman, il n’y a pas un Français qui souhaite plus que moi le triomphe de la France. Et, très ému, il donne l’accolade à mon père. Jean-Baptiste, aidé de Lycopode, a préparé les cantines. — Rien n’est oublié, mon commandant, vient dire Jean-Baptiste ; les cartes d’Allemagne sont sous les gilets de flanelle. — C’est moi qui les ai mises là, dit Lycopode. C’est plus facile à trouver. Lycopode, bien qu’elle cherche à le dissimuler, est troublée du départ de Jean-Baptiste. Quant à Jean-Baptiste, qui accompagne mon père à son nouveau régiment actuellement à Châlons, et qui fait partie du Corps d’armée commandé par le maréchal Canrobert, il paraît enchanté d’aller à la guerre. — Les Prussiens, dit-il, nous allons leur montrer ce que c’est que des hommes à poil. Le dîner est triste. Mon père se contraint pour être gai. Avant le dessert, je vais dire adieu à Jean-Baptiste qui part en avance à la gare, avec les bagages. Notre séparation est pathétique. Lycopode, tout d’un coup, éclate en sanglots, je rentre dans la salle à manger, le cœur gros. Là encore, une scène émouvante et rapide a dû avoir lieu ; car ma grand’mère a les yeux rouges, et mon père a une larme au coin des paupières. Il me recommande d’être bien sage et bien obéissant pendant son absence, et refuse de m’autoriser à l’accompagner à la gare. Les émotions sont inutiles. Pourtant, quelques minutes plus tard, quand l’heure du départ a sonné, je sens qu’il est très ému lorsqu’il me serre sur sa poitrine ; et il a peine à maîtriser son émotion aussi, lorsque ma grand’mère, après l’avoir embrassé, lui dit : — Au revoir, mon cher Paul, et n’oubliez pas que nous vous aimons de tout notre cœur et que nous ne cesserons pas de penser à vous... ⁂ Je dois avouer que, bien que j’aie souvent pensé à mon père pendant les jours qui suivirent son départ, je n’ai pas pensé à lui exclusivement. Il y a tant à voir, tant à entendre partout ! C’est comme une nouvelle vie qui a commencé pour moi, pour la ville, pour tout le monde. C’est le départ des troupes ; c’est l’arrestation des faux espions ; c’est ceci, c’est cela ; c’est aussi la lecture des journaux. Lycopode, à l’insu de ma grand’mère, me fournit abondamment de feuilles publiques. Je trouve moyen, aussi, de m’échapper de temps en temps de la maison, et de me joindre aux bandes de garnements qui, divisés en Prussiens et en Français, se livrent à de terribles luttes. Il y a si longtemps que je rêvais de prendre part à leurs guerres ! et je m’en donne à cœur-joie. Mes vêtements, cependant, témoignent par leurs accrocs de ma généreuse audace et de mes résistances désespérées, et ma grand’mère prend les mesures les plus strictes pour m’empêcher de figurer dans toute bataille en règle, voire même dans de simples escarmouches. Les vraies batailles, heureusement, vont commencer au delà du Rhin. Elles ont déjà commencé. Ce matin, le 3 août, nous avons pu lire le compte rendu de la grande victoire de Saarbrück. J’ai lu et relu le journal. Et, tout d’un coup, mes yeux se sont portés sur l’entrefilet suivant que je n’ai pas vu tout d’abord, perdu qu’il est à la fin de la troisième page. « Ce matin, à six heures, a eu lieu l’exécution, au Polygone de Vincennes, de l’espion allemand dont nous avions annoncé hier l’arrestation. Une cour martiale, réunie la veille, l’avait condamné à mort. Il avait le grade de lieutenant dans l’artillerie allemande, et se nommait Albrecht von Holzung. » Holzung... le colporteur du plateau de Satory... Pendant deux jours, les journaux ont été remplis de détails sur le grand succès remporté à Saarbrück par l’armée française. Ce succès n’est que le prélude de victoires plus importantes, qui doivent amener, en peu de temps, le définitif triomphe de la France. Ce triomphe est certain, et les journaux disent pourquoi. Notre armée est aguerrie, elle a confiance en ses chefs, qui sont doués de capacités hors ligne et animés du patriotisme le plus pur ; l’armement de notre infanterie est excellent ; nous possédons des mitrailleuses qui doivent faucher les bataillons ennemis comme la faulx des moissonneurs, au mois d’août, jette sur le sol les épis mûrs. Nous avons sur le Rhin des canonnières qui doivent remonter le fleuve, et réduire en cendres les villes qui s’élèvent sur ses rives, Koblenz, Cologne, etc. Notre flotte doit bombarder et ruiner à jamais les villes du littoral allemand, de Hambourg à Danzig. Il faut, en effet, que nous apportions aux barbares Teutons la civilisation qui leur manque. Tout cela est très beau, certainement ; mais ce n’est pas ce que j’aimerais à voir dans les journaux. Je voudrais y lire des récits terribles et détaillés de luttes sanglantes, de combats sans merci, des anecdotes amusantes et tragiques, des histoires d’armées entières s’évanouissant à la simple approche du drapeau tricolore, s’effondrant sous le feu des canons français ; des choses, enfin, comme le colonel Gabarrot m’en décrivait autrefois. Mais le 5 août, au lieu d’une victoire, c’est la défaite de Wissembourg, qu’annoncent les journaux : l’écrasement d’une division française, la mort du général Abel Douay... J’ai lu cela avec un amer étonnement, avec une sorte de rage indignée contre les Prussiens, qui se sont permis d’avoir l’avantage dans une rencontre avec nos troupes. Cela me semble illogique, pas naturel ; c’est le monde renversé, en vérité. Ces Prussiens ont dû avoir recours à des stratagèmes odieux pour escamoter la victoire. Fausse victoire, sûrement, et qui sent la tricherie d’une lieue. Néanmoins, je lis et je relis le compte rendu du conflit, avec une grande émotion, le sang à la tête, les joues empourprées, presque comme si j’avais éprouvé une humiliation personnelle. Cependant, ainsi que le dit le journal, le succès des Allemands à Wissembourg n’a été que le résultat d’une surprise ; instruites par l’expérience, les troupes françaises n’offriront plus à l’ennemi d’avantages aussi faciles. Nous recevrons avant peu, sans aucun doute, la nouvelle d’une glorieuse revanche. Il n’est pas possible que l’armée française ne se maintienne point à la hauteur où l’a placée sa gloire passée. Il est impossible qu’elle n’ajoute point une page magnifique à sa prestigieuse histoire. Elle nous offrira avant peu des spectacles en rapport avec ses hauts faits légendaires, des spectacles semblables à ceux qu’évoque en moi le souvenir des récits qui me furent faits par les acteurs des luttes héroïques d’autrefois. Mais le 7, arrivent, en même temps, la nouvelle de la déroute de Wörth — une déroute que des dépêches menteuses avaient travestie, d’abord, en un grand succès qu’on avait commencé à fêter — et celle de la défaite de Forbach. C’est extraordinaire, inconcevable ! Comment cela est-il possible ? Comment peuvent-ils être vaincus, décimés et mis en fuite, ces grenadiers, ces voltigeurs, ces chasseurs de Vincennes, ces lanciers, ces zouaves, ces dragons et ces cuirassiers que j’admirais, il y a quelques jours à peine, dans l’éclat de leurs uniformes et que j’ai vus partir si pleins d’enthousiasme et si sûrs de vaincre ? Comment la victoire a-t-elle pu les abandonner ? — Et les turcos ! s’écrie Lycopode en pleurant. Il y a un mystère là-dessous, voyez-vous, Monsieur Jean ! Comment expliquer des choses pareilles ? Je ne sais pas, je ne comprends pas. Je ne puis deviner la cause de nos revers. Et si j’étais tenté de leur donner une raison, j’attribuerais plutôt ces stupéfiantes défaites à une influence supérieure, mystérieuse, providentielle, qu’à des causes purement humaines. Une question, surtout, me préoccupe : Que fait l’Empereur ? Que va-t-il faire ? Pourquoi n’a-t-il rien fait jusqu’ici ? C’est un Napoléon, pourtant ; c’est le plus puissant souverain de l’Europe ; c’est l’arbitre du monde. Comment se fait-il que cette grande force, la plus puissante qui existe, hésite à se manifester ?... De sombres récits, que m’a faits autrefois le colonel Gabarrot, me reviennent à l’esprit : Waterloo, la déroute, l’invasion... l’invasion ! Mais elle a commencé, déjà ! Les Prussiens sont en France. Ah ! que va-t-il se passer ? Il me semble entendre encore une des phrases du vieux colonel retentir à mes oreilles : « Il n’est pas bon que la France soit vaincue ; plus on tombe de haut, plus on s’aplatit »... Sommes-nous vaincus, à présent ? Avons-nous eu des insuccès partiels et sans grande importance, ainsi que M. Freeman, l’autre jour, le disait à ma grand’mère ? Ou sommes-nous vaincus pour de vrai, pour de bon, comme à Waterloo ? Lycopode dit que non ; elle jure que non ; elle crie sur les toits que ce n’est pas possible. J’hésite à la croire, malgré tout. Mais mon père pense comme Lycopode. Nous venons de recevoir plusieurs lettres de lui qui sont arrivées en même temps, le 10 août, et qui affirment sa confiance la plus absolue dans le succès de l’armée française. Dans l’une, il nous apprend que le sixième Corps, commandé par le maréchal Canrobert, et dont fait partie le régiment d’infanterie dont il est lieutenant-colonel, a été complètement formé à Châlons le 6 août. Dans la dernière en date, il nous annonce que le sixième Corps vient de recevoir l’ordre de se rendre à Metz, où l’Empereur se propose d’arrêter l’ennemi, et de le battre à plate couture, avant de le rejeter de l’autre côté du Rhin. Ah ! quelle joie j’éprouve à la lecture de cette lettre ! Elle contient bien des choses intéressantes, et même de bons conseils à mon adresse, mais ce sont les informations militaires seules qui m’intéressent. Je suis enthousiasmé par l’idée, surtout, que mon père va enfin prendre part à la lutte. Les choses vont changer, à présent. Avec le général de Rahoul à la tête d’une brigade, mon père lieutenant-colonel et Jean-Baptiste dans son régiment, les Prussiens vont trouver leurs maîtres. Ils vont sortir de France plus vite qu’ils n’y sont entrés, les gredins ; et on va les envoyer, à coups de baïonnette, manger leur choucroute dans leurs tanières. C’est maintenant qu’il va falloir lire les journaux avec attention. Les journaux, pendant une semaine environ, sont pleins d’informations, souvent contradictoires, mais qui font présager des victoires prochaines ; ils contiennent aussi de grands articles, composés de grandes phrases faites avec de grands mots, qui tendent à exciter l’énergie des populations et à réveiller leur confiance. Tout le monde se met à espérer ; on ne parle que d’une revanche certaine et définitive, de l’écrasement inévitable des Allemands devant Metz ; et l’on prépare d’avance les drapeaux et les lampions qui ont servi à pavoiser et à illuminer lorsque arrivèrent la nouvelle du succès français à Saarbrück et la nouvelle — fausse, hélas ! — de la grande victoire remportée à Wörth par Mac-Mahon. Mais, coup sur coup, après les tentatives ordinaires de mensonges, les journaux sont obligés d’avouer la perte des trois grandes batailles livrées sous les murs de Metz le 14, le 16, et le 18 août. Les troupes françaises ont été obligées de se réfugier dans la grande forteresse lorraine, et ont perdu tout espoir de se frayer un chemin à travers les hordes ennemies qui les enserrent. L’Empereur a quitté l’armée du Rhin avec le Prince impérial. On n’a pu mettre à la disposition de Sa Majesté qu’un wagon à bestiaux, à l’endroit où elle a pu prendre le train ; Sa Majesté ayant très soif, le chef de la gare n’a pu lui offrir qu’un verre d’eau ; le Prince impérial ayant témoigné le désir de se débarbouiller, il a été impossible de lui présenter pour sa toilette un autre récipient que le verre dans lequel son auguste père venait de boire. Ah ! quelle misère !... Et mon père à moi, que devient-il ? Je ne vois pas son nom figurer parmi ceux des officiers que citent les journaux. Il est à Metz, pourtant, puisque son régiment fait partie du Corps de Canrobert... j’interroge ma grand’mère, elle-même en proie à l’anxiété la plus profonde, et dont tous les efforts ne peuvent calmer mon inquiétude. J’interroge tous les gens que je rencontre ; je charge Lycopode de prendre des informations. Mais personne ne sait rien d’exact, bien que les nouvelles les plus fantastiques circulent incessamment ; personne ne peut dissiper mon incertitude. Je me décide à aller demander des renseignements à M. Curmont qui, peut-être, sait quelque chose. Je ne m’y résous qu’à la dernière extrémité, car M. Curmont, surtout depuis que sont arrivées les nouvelles des dernières défaites, ne cesse de déblatérer contre le gouvernement impérial, et je comprends que ma place n’est pas chez lui. Pourtant, il lit tant de journaux, qu’il pourra peut-être me donner des nouvelles de mon père. Il est assis dans son jardin, quand j’arrive, avec son fils et quelques amis de celui-ci qui viennent de Paris. Ils discutent tous à grand bruit, en présence d’un nombre imposant de bouteilles de bière. — Badinguet, s’écrie M. Curmont, n’a même pas le courage d’abdiquer ! — Tant mieux ! répond le jeune homme à l’œil crevé, que les autres appellent Léon. S’il peut encore contribuer à un nouveau désastre, nous sommes sûrs de notre affaire. — Chouette ! glapit Albert. Ce ne sera pas trop tôt. — La France ne peut vaincre, dit sentencieusement le têtard qu’on appelle Petit-Gris, tant qu’elle conservera l’Empire. Qu’on proclame la République, et les jours de Valmy reviendront. — Ce sera rien chic ! déclare Albert. — En tous cas, dit M. Curmont, l’Empire, ce fumier, peut se flatter d’avoir travaillé pour nous, en déclarant cette guerre. Fameuse idée ! Laissez seulement les Prussiens envahir la Champagne, et vous verrez quel coup de balai le lion populaire donnera dans les Tuileries. — Mince de rigolade ! ricane Albert. L’autre jour, en lisant le compte rendu de la bataille de Gravelotte, je me tenais les côtes. C’est tordant ! Moi, les comptes rendus des batailles ne me font pas rire. J’ai même un pressentiment que mon père y a été blessé ou tué, à cette bataille de Gravelotte qui fait tant rire Albert. Pourquoi rit-il d’une bataille, celui-là ? Les batailles ne les font pas rire, ceux qui se sont battus ! Pourquoi ne vont-ils pas se battre, ceux-là ? Qu’est-ce qu’ils font là, ce Léon, ce Petit-Gris, et cet Albert, qui vident ici des bouteilles à l’ombre, tandis que les bouches des canons, là-bas, vomissent du feu sous le soleil ?... ⁂ M. Curmont m’aperçoit, vient à moi, et s’enquiert du motif de ma visite. Mais la colère refoule les paroles dans ma gorge, et je puis à peine prononcer quelques mots sans suite. — Tu viens voir Adèle ? Elle est dans la maison, avec sa mère. Tu peux aller jouer avec elle. — Pourvu qu’elle ait fini ses exercices ! s’écrie Albert. Mais je préfère ne pas voir Adèle aujourd’hui ; je préfère ne voir personne, et je rentre à la maison. Bien m’en prend ! Une lettre de mon père, qui est restée plusieurs jours en route, est arrivée pendant mon absence. Le Corps d’armée du maréchal Canrobert n’a pu parvenir entièrement à Metz ; la brigade des gardes-dragons allemands, avec une compagnie d’infanterie qui avait été envoyée dans des voitures, a coupé la ligne du chemin de fer à Dieulouard ; et quatre trains, pleins de troupes du sixième Corps, parmi lesquelles se trouvait mon père, ont été obligés de retourner à Châlons. Ces troupes doivent faire partie du nouveau douzième Corps, qu’on se hâte de former. — Dieu soit loué ! s’écrie ma grand’mère. Nous sommes enfin fixés sur le sort de ton père. Nous savons au moins qu’il n’a pas été l’une des victimes de ces affreux carnages autour de Metz. C’est tellement horrible, ces boucheries ! Si les lettres pouvaient arriver plus rapidement !... Enfin, je suis bien contente... Moi aussi, je suis bien content. Pourtant je dois avouer que j’ai éprouvé comme une déception en apprenant que mon père n’a point assisté aux grandes batailles de ces jours derniers. Il aurait eu tant de choses à me raconter, à son retour ! Et il aurait certainement accompli des actions d’éclat, gagné des grades ; peut-être qu’il serait général, à l’heure qu’il est... Je lui écris une longue lettre, dans laquelle je le prie de me donner tous les détails possibles, lui promettant d’être bien sage pour la peine. J’hésite pendant longtemps à lui parler de ce que j’ai entendu chez M. Curmont ; peut-être pourrait-il le faire savoir à l’Empereur, et l’on mettrait en prison Albert, Léon et Petit-Gris. C’est ça qui serait rigolo ! Pourtant, je sais qu’il ne faut jamais rapporter. Et après avoir sucé très longtemps le manche de ma plume, je me détermine à ne rien dire. C’est juste à ce moment qu’entre Lycopode qui vient me prier de présenter ses compliments à mon père et de demander, incidemment, des nouvelles de Jean-Baptiste. Excellente idée ! Je pourrai ainsi terminer mes quatre pages. Moi qui oubliais Jean-Baptiste !... Il y a encore bien d’autres personnes que j’oublie. Je m’en aperçois en pénétrant dans la chambre de ma grand’mère à laquelle je vais remettre ma lettre, et que je trouve occupée à écrire en allemand. Tout d’un coup, je me rappelle mon oncle Karl. C’est à mon oncle Karl qu’elle écrit. — Oui, mon enfant ; je ne sais rien de ton oncle depuis le commencement de cette terrible guerre. C’est tellement affreux ! Penser que les hommes, que cependant Dieu a doués de raison, s’entre-déchirent comme des bêtes fauves ! Pourquoi ne vivent-ils pas tous en frères ? C’est tellement odieux et bête, ces haines de nation à nation ! Oh ! les gens qui entretiennent ces sentiments sauvages sont de bien grands misérables ! J’essaye de comprendre ma grand’mère, de penser comme elle, mais je ne peux pas ; je ne peux pas dire que j’aime la guerre, car je ne l’ai pas vue. Mais j’aime les récits que j’en ai entendu faire ; je ne connais rien de plus intéressant. Il y a peut-être des choses plus intéressantes, mais je ne les connais pas. Il existe sans doute beaucoup de gens comme moi, puisque presque tout le monde aime la guerre. Comment comprendre des choses pareilles ? J’aime beaucoup mon oncle Karl, et je serais vraiment désolé s’il était blessé. Mais je hais les Prussiens de tout mon pouvoir. Pourquoi ont-ils battu les Français ? Ils me font ressentir une colère que je ne peux pas exprimer. Et pourtant, l’autre jour, j’ai ressenti contre un Français une colère plus grande encore. M. Freeman, le vieil Anglais qui aime tant la France, était venu me chercher pour faire une promenade au parc. Au retour, comme il était un peu fatigué, il s’est assis à la terrasse d’un café et m’a offert un verre de bière, comme à un homme. Il a demandé un journal, qu’il s’est mis à lire. À l’intérieur du café, plusieurs personnes discutaient avec animation ; et, par les fenêtres ouvertes, le son de leurs voix parvenait jusqu’à nous. — Si nous sommes vaincus, disait l’une de ces voix, que je crus reconnaître, nous ne le devons qu’à l’indiscipline et au manque de patriotisme de notre armée prétorienne, et à l’impéritie honteuse de ses chefs. Que peut-on attendre de traîneurs de sabres, de coureurs de femmes, de piliers d’estaminets dont toutes les études militaires n’ont consisté que dans l’absorption d’absinthes sans nombre et dans le pillage de Bédouins sans défense ! Nos officiers ne sont qu’un ramassis d’ivrognes et de vauriens, et chaque fois que j’apprends qu’ils ont été battus, j’applaudis. J’en ai un pour voisin, malheureusement, et c’est un échantillon complet de l’espèce ; il a fait mourir de chagrin sa femme, il a fait une esclave de sa belle-mère, et il élève son fils de telle façon que ce petit garnement deviendra, comme son père, un vrai gibier de potence... Un brouhaha s’est produit, et il m’est devenu impossible de distinguer les paroles. Très rouge, je me suis tourné vers M. Freeman qui, impassible, lisait toujours son journal. Mais, avant que j’aie pu prononcer un mot, la voix s’est élevée de nouveau. — C’est du lieutenant-colonel Maubart que je parle... Alors M. Freeman s’est levé. Il a posé tranquillement son journal sur la table et s’est dirigé vers l’intérieur du café, où le silence le plus complet a accueilli son entrée. Un instant après j’ai entendu sa voix, calme et claire, qui disait : — Monsieur Curmont, vous avez grand tort de parler comme vous le faites, et surtout d’insulter un absent. Je ne comprends pas comment, sous prétextes d’opinions politiques, un Français peut considérer les revers de son pays comme des triomphes personnels. Je n’admets pas, surtout, lorsqu’on se tient prudemment à l’écart de la lutte, qu’on injurie un homme qui, quelles que soient ses convictions, défend sa patrie. Dorénavant, je vous préviens que je prendrai à mon compte les propos qui seront tenus sur le colonel Maubart. N’oubliez pas. M. Freeman est sorti et m’a emmené. Au tournant de la rue, je lui ai serré les mains avec effusion, et j’ai voulu lui dire combien je lui étais reconnaissant de ce qu’il venait de faire. — C’est bon, c’est bon, a-t-il dit de sa grosse voix ; tu n’iras plus voir les Curmont, et n’en parlons plus. Un instant après il a ajouté, comme se parlant à lui-même : — Ces républicains sont vraiment méprisables. Ils rêvent de renverser l’Empire, et n’osent même pas l’attaquer. C’est après Forbach, s’ils avaient su agir proprement, qu’ils auraient dû opérer un mouvement insurrectionnel. Mais ils ont peur de risquer leur peau. Ils attendent que les balles prussiennes aient couché à terre le dernier porte-drapeau qui tiendra la dernière aigle, pour envahir les Tuileries et y installer leur Marianne. C’est misérable. Ainsi M. Freeman, lui aussi, croit à la défaite complète de la France ? Oh ! que je voudrais que notre armée pût vaincre les Allemands, et qu’elle pût revenir vite, afin de faire taire M. Curmont, et sa bande, et tous ceux qui ne vont pas se battre, et qui insultent ceux qui se battent... ⁂ Le 27 août, nous avons reçu une lettre de mon père, annonçant que l’armée de Châlons marche sur Steney et Montmédy, afin d’opérer sa jonction avec l’armée de Metz. Cette lettre ne contient que quelques lignes ; elle paraît avoir été écrite à la hâte, et a mis plusieurs jours à nous parvenir. Que s’est-il passé dans l’intervalle ? Les journaux donnent des informations contradictoires, et ma grand’mère et moi, très anxieux, nous attendons des nouvelles de moment en moment. Le 30, enfin, une nouvelle lettre arrive. Ma grand’mère la décachète avec émotion, la laisse tomber sur une table, hoche la tête d’un air désolé. Dans sa lettre, plus brève encore que la précédente, mon père nous apprend qu’il a reçu à la cuisse, pendant la marche, un coup de pied de cheval, qui le met hors d’état de remplir ses fonctions. Il vient d’être évacué sur l’hôpital de Châlons. Il a obtenu pour Jean-Baptiste la permission de l’accompagner. Il nous recommande de ne pas nous faire de mauvais sang ; il espère pouvoir être sur pied dans quelques semaines ; et il déplore la ridicule malchance qui l’éloigne du combat au moment où un grand conflit se prépare. Cette lettre me cause une déception énorme. Je m’étais attendu à des choses tellement différentes !... Depuis le commencement de cette guerre, tous mes espoirs ont été trompés, détruits, l’un après l’autre. Que de désillusions, que de mécomptes ! J’ai, pour la première fois, le pressentiment, la notion confuse, de notre impuissance à diriger les événements, à lutter contre les circonstances. Quelle influence n’aura pas ce coup de pied de cheval sur la destinée de mon père ? Qui aurait pu penser à une chose semblable ? J’avais songé à des possibilités tragiques, et une blessure grave, même à la mort... Mais ce coup de pied de cheval... ⁂ Le 2 septembre, arrive la nouvelle de la défaite essuyée le 31 août par Bazaine ; le maréchal et ses troupes sont définitivement refoulés dans Metz. Le 3 septembre, au soir, les nouvelles sont plus mauvaises encore. On annonce l’écrasement complet de l’armée de Châlons ; d’après les dires des journaux, l’armée française aurait capitulé à Sedan, et l’Empereur se serait rendu à l’ennemi avec 80.000 hommes. Le lendemain matin, ces informations sont confirmées ; il n’y a plus à douter du désastre. Dans la soirée, la République est proclamée. Le nouveau gouvernement, sur des affiches qui tapissent les murs, déclare ceci : « Pour sauver la patrie en danger, le peuple a demandé la République. La République a vaincu l’invasion en 1792 ; la République est proclamée. La Révolution est faite au nom du Droit, du Salut public. » Et un journal, qui a peine à cacher la joie que lui cause la catastrophe, s’écrie : « Hier, la Prusse avait devant elle une armée ; aujourd’hui, elle a devant elle un peuple... » ⁂ Ça n’arrête pas les Prussiens, d’avoir devant eux un peuple au lieu d’une armée. Ah ! non ! Ça semble leur donner des ailes, au contraire. On dirait que ces barbares Teutons ne comprennent pas ce que ça veut dire : un Peuple. Ils n’ont pas l’air d’avoir le moindre respect pour les grands mots ; mais on va leur montrer ce qu’ils valent. En attendant, il paraît qu’ils s’avancent vers Paris à marches forcées. M. Freeman disait hier à ma grand’mère que la lutte est devenue impossible ; que la continuer dans des conditions déplorables ne serait que travailler au triomphe d’un parti ; et que la France aurait tout intérêt à faire la paix. Mais M. Curmont pense autrement. Je ne lui parle pas, bien entendu, — et même je ne vois Adèle que de temps en temps à la dérobée — mais je l’entends. Il fait des discours de tous les côtés, crie, hurle, vocifère. Il dit que la guerre ne fait que commencer ; qu’on luttera jusqu’au dernier grain de poudre, jusqu’au dernier morceau de plomb ; que la paix ne sera possible que le jour où le dernier Prussien aura repassé la frontière. Il dit qu’il faut imiter nos pères, ces Géants. Cependant, on adjure les gens valides de s’enrôler pour la défense du territoire. Il n’y a pas beaucoup d’hommes valides, à Versailles ; ou, au moins, le bureau de recrutement en voit très peu. L’autre matin, pourtant, un homme a franchi la porte de cet établissement, et a demandé à contracter un engagement. Il avait soixante-cinq ans et n’était pas Français. Comme on refusait de l’enrôler, à cause de son âge, il est sorti du bureau en pleurant. C’était M. Freeman. Quant à Albert Curmont, il déclare partout qu’il ne se présente pas à l’enrôlement parce qu’il est trop faible de constitution. C’est rigolo, mais c’est comme ça. Il n’a pas de faiblesse dans le gosier, néanmoins. Il crie presque aussi fort que son père, et c’est vraiment chouette. Il crie : Vive la République ! Je sais ce que c’est que la République : c’est rigolboche (pour Albert Curmont). Il crie aussi quelquefois : Vive la République démocratique et sociale. Je ne sais pas ce que c’est que la République démocratique et sociale. Je ne le saurai jamais. Le 8 septembre, nous recevons une lettre de mon père. Il nous apprend qu’il vient d’être évacué sur l’hôpital de Beauvais. Il va mieux. Les journaux annoncent, presque en même temps, que les Allemands se rapprochent de plus en plus de Paris. Il y a plusieurs généraux français qui pratiquent devant eux l’art difficile de la retraite, comme s’ils l’avaient inventé. Ils se replient en bon ordre. Voilà une consolation dans nos malheurs. Il est entendu que les Prussiens doivent trouver leur tombeau sous les murs de Paris ; ils commettent la sottise de vouloir s’attaquer à la Ville-Lumière, mais c’est une faute qu’ils vont payer cher. Pourtant, pour plus de précautions, on organise la résistance en province. Le Gouvernement, dont le borgne qu’on appelle Léon est l’un des principaux personnages, choisit pour cette besogne les hommes les plus compétents. C’est ainsi qu’Albert Curmont vient de recevoir la mission d’aller former un camp en Bretagne. Il y a des cas, a-t-on dit, où c’est le poste qui honore l’homme. Le Gouvernement de la Défense Nationale a voulu faire une règle de cet aphorisme. Les hommes qu’il choisit ont tous besoin d’être honorés. M. Curmont fils est parti de Versailles en grande pompe, chargé des bénédictions républicaines de M. Curmont père, au bruit des applaudissements républicains d’une population, hier encore férocement bonapartiste, qui l’accompagne de ses vœux. Le 12 septembre, nous recevons une lettre de mon père. Il nous apprend qu’il vient d’être évacué sur l’hôpital de Melun. Il va mieux. Les journaux annoncent, presque en même temps, que les Allemands se rapprochent de plus en plus de Paris. Une fièvre patriotique s’empare de la population de la ville. L’enthousiasme est à son comble. La nuit dernière, vers dix heures, des bandes ont passé devant la maison, en insultant ma grand’mère. — Mort aux espions prussiens ! À bas la vieille Prussienne ! Le 14 septembre, nous recevons une lettre de mon père. Il nous apprend qu’il vient d’être évacué sur l’hôpital de Chartres. Il va mieux. Les journaux annoncent, presque en même temps, que les Allemands arriveront sûrement devant Versailles dans quelques jours. M. Curmont se frotte les mains. — Laissez-les seulement s’installer ici, dit-il, et vous verrez combien de temps les troupes de Paris, renforcées par les recrues que mon fils va leur envoyer de Bretagne, mettront à les en faire sortir. Mais M. Freeman est d’un autre avis. Il dit qu’il serait honteux, absolument honteux, de ne point défendre la ville. Et il assure que c’est en défendant le territoire pied par pied qu’on pourra lasser les Allemands, et les obliger à la retraite. La foule, que fait vibrer un grand enthousiasme patriotique, se range à son avis. On exalte M. Freeman ; on dit que c’est vraiment beau pour un Anglais d’aimer autant la France ; on loue très fort l’énergie britannique. M. Curmont lui-même se voit obligé d’avouer que M. Freeman a raison. Il ne peut pas trouver assez d’éloges pour lui. Il déclare que plus tard, quand Versailles aura repoussé les Prussiens, il faudra se souvenir du dévouement de M. Freeman. Il laisse entendre, à demi voix, qu’il se chargera de lui faire obtenir la croix de la Légion d’honneur. Pour défendre la ville, il faut des fusils ; et pour avoir des fusils, il faut des fonds. M. Freeman les offre. On prend son argent. Des soldats français, isolément ou par petits groupes, arrivent constamment dans la ville. Éclopés, égarés, traînards, fuyards. Ils viennent on ne sait d’où, ils ne savent d’où ; de partout où l’on s’est battu, où l’on fut battu, où l’on a battu la charge, où l’on a battu en retraite ; où l’on a avancé, reculé, piétiné, lâché pied ; de partout où les arrêta l’ennemi, ou bien des blessures, ou bien la fatigue, ou bien le dégoût. J’aurais voulu les voir ; malheureusement ma grand’mère me défend de sortir. Mais Lycopode les a vus. Il paraît que ces malheureux sont dans un état lamentable et que leur aspect fait frémir d’horreur et de pitié. Noirs de hâle, de poudre, de poussière et de boue, leurs uniformes en haillons, ils traînent le long des rues leurs pieds meurtris et sanglants, accusant tout haut leurs chefs de les avoir trahis et vendus, et disant qu’il n’y a plus de France. On les pousse, en dépit de leurs menaces, de leurs jurons et de leurs insultes, dans les trains qui partent pour Paris. — Ah ! monsieur Jean, ce n’est pas les mêmes que nous avons vu partir ! C’est pas Dieu possible que ce soit les mêmes. C’est vraiment pas possible. Et Lycopode me raconte, dix fois de suite, ce que lui ont dit quelques-uns de ces malheureux, à qui elle a parlé et offert un peu d’argent. Depuis le début de la campagne, ils ont constamment manqué de vivres et de munitions, et ils ont été conduits à la tuerie par des généraux qui sont tous vendus aux Prussiens. Ça, c’est une chose que je ne peux pas croire. L’idée que le maréchal Bazaine, le général de Lahaye-Marmenteau ou le général de Rahoul aient pu se vendre à l’ennemi, me semble ridicule à l’extrême. Mais les soldats ne sont pas dans le secret des opérations, et expliquent les choses comme ils peuvent. D’ailleurs, un soldat n’a qu’à obéir et non à comprendre ; alors, comment pourrait-il concevoir les sentiments d’honneur qui animent les officiers ? Malgré tout, quelle que soit la raison qu’on assigne à nos défaites, ces Prussiens doivent être des hommes terribles. Naturellement, bien que je me sois décidé à admettre franchement leur supériorité, que je ne peux pourtant m’expliquer, je ne crois pas un seul mot de toutes les histoires extraordinaires que l’on débite sur leur compte. Mon grand-père était un Allemand, mon oncle Karl est un officier allemand, et je sais bien que les Allemands ne sont pas des cannibales. Il m’est donc impossible d’ajouter foi aux racontars des habitants des campagnes qui viennent, affolés, chercher un refuge dans la ville ; poussant devant eux leur bétail, leurs meubles et leurs nippes empilés sur des charrettes. Lycopode me rapporte les récits que font ces pauvres gens et dans lesquels ils accusent les Allemands, sur ouï-dire, de tous les crimes imaginables. Quoique ces contes ne fassent aucune impression sur moi, je dois avouer qu’ils me donnent une forte envie de voir enfin l’armée prussienne. Mais viendra-t-elle ? Osera-t-elle se présenter devant Versailles, que la garde nationale et la population ont juré de défendre jusqu’à la mort ? Je commence à croire que non. Mais tout d’un coup, le 17 septembre, vers dix heures du matin, la nouvelle se répand dans la ville que quatre uhlans viennent d’arriver. Ils ont déclaré au maire que, pour trois heures de l’après-midi, les arbres qu’on a coupés et jetés en travers des routes devront être enlevés ; que les tranchées qu’on a creusées à travers les dites routes devront être comblées ; et que la ville doit se tenir prête à recevoir un corps d’armée tout entier. Immédiatement après le départ des uhlans, des centaines d’hommes munis de pelles et de pioches se sont hâtés d’aller remettre les chemins dans leur état normal ; et les tambours de ville se sont rendus de quartier en quartier pour lire une proclamation du maire qui exhorte les habitants au calme et les engage à recevoir leurs hôtes avec toute la dignité que comportent les circonstances. — C’est à coups de fusil qu’il faut les recevoir ! s’est écrié M. Freeman devant la maison duquel un tambour venait de lire son papier. Il faut que la ville se hérisse de barricades. Aux armes ! Et il est sorti de sa maison, un fusil à la main. Aussitôt, la foule, qui s’était rassemblée autour du tambour, s’est ruée sur lui, et l’a accablé d’imprécations. — En voilà un vieux fou ! Qu’est-ce qui lui prend ? Avez-vous l’intention de nous faire fusiller tous et de faire brûler la ville, dites donc ? M. Curmont, qui faisait partie du rassemblement, s’est écrié : — Il faut le désarmer ! Il va faire un malheur ! Alors, plusieurs hommes se sont précipités sur M. Freeman, l’ont frappé, lui ont arraché son fusil. — Avez-vous vu un vieil enragé pareil ? Et il n’est pas Français encore ! Qu’il s’en retourne en Angleterre ! Tous las Anglais sont des traîtres et des espions ! — Oui ! s’est écrié M. Curmont. Depuis Waterloo, les Anglais s’entendent comme larrons en foire avec les Allemands. La preuve, c’est qu’ils ne sont pas venus nous aider. À bas les Anglais ! M. Curmont, quand il a poussé ce cri, se trouvait derrière deux ou trois hommes qui le séparaient de M. Freeman. Ce dernier, des deux mains, a écarté les hommes, et a levé son poing sur M. Curmont. M. Curmont s’est rejeté en arrière, a buté contre les pieds du tambour, et est tombé sur le dos en criant : Au secours ! M. Freeman l’a considéré un instant avec mépris ; il a jeté sur les assistants le même regard dédaigneux, pendant que M. Curmont se relevait en se frottant le derrière ; il a repris son fusil des mains du tambour et il est rentré tranquillement dans sa maison. Avant de fermer les grilles de son jardin, il a dit, d’une voix qui trahissait une émotion profonde : — Vous n’agissez pas comme des Français. Je souhaite que les Prussiens vous traitent comme vous le méritez. ⁂ Mais le souhait de M. Freeman ne s’accomplit pas. Les Allemands, installés dans la ville comme chez eux, se comportent vis-à-vis des Versaillais avec un savoir-vivre irréprochable. Ce ne sont pas du tout les sauvages qu’on s’est plu à dépeindre. Ce sont des gens fort civilisés ; et même de bons clients. Les commerçants le déclarent, la main sur la conscience. Qu’on ne vienne plus leur parler de la barbarie des Teutons ! Les Prussiens font la guerre d’une façon civilisée, sont des hommes d’ordre, respectent les non-combattants et la propriété particulière. Et les habitants de Versailles, qui sont des non-combattants et possèdent particulièrement, respectent les Allemands. Respect pour respect. Voilà ce que c’est que d’être civilisé. Les Versaillais pensent que, lorsqu’on prend du respect, on n’en saurait trop prendre ; et ils vont tellement loin dans cette voie qu’ils se sont mis à respecter très fort ma grand’mère, qu’ils insultaient il y a quelques jours. Ils ne l’appellent plus : vieille Prussienne. Ah ! mais, non ! Maintenant que les Prussiens sont les maîtres, on ne saurait montrer trop de déférence aux personnes qui parlent allemand. On témoigne donc à mon aïeule une vénération sans égale. L’estime générale pour ma grand’mère s’est même accrue hier, lorsque le bruit s’est répandu qu’un colonel allemand était logé chez nous. Ce bruit mérite confirmation. Ce colonel fait partie du Grand État-Major ; c’est un homme charmant, qui ressemble pas mal à mon oncle Karl que, d’ailleurs, il connaît très bien. Mon oncle est maintenant devant Metz ; nous avons reçu ce matin une lettre de lui ; et ma grand’mère, qui n’avait pas eu de ses nouvelles depuis longtemps, a été bien heureuse. Moi aussi, j’ai été content ; et je le serais plus encore si nous avions des nouvelles de mon père. Depuis la lettre où il nous annonçait qu’il était évacué sur l’hôpital de Chartres, nous n’avons rien reçu de lui ; nous ignorons où il se trouve : à Chartres, à Paris, ou ailleurs. Ah ! que je voudrais que cette guerre fût terminée ! Le colonel parle souvent avec ma grand’mère, et lui donne des nouvelles. Malheureusement, il ne peut pas se prononcer quant à la durée possible de la guerre. Il dit que le Feldmarschall von Moltke croit à la paix prochaine ; le maréchal est persuadé que, pour la fin d’octobre, il pourra chasser le lièvre à Kreisau. L’autre jour, il s’exclamait sur la beauté de l’automne qui teint d’or et de rouge les feuilles des arbres ; il parlait de son domaine, aux pelouses duquel les pluies récentes ont dû faire grand bien ; de ses plantations de jeunes arbres. Il aspire au repos et croit que la résistance des Français touche à sa fin. Dès le lendemain de la bataille de Sedan, la marche rapide sur Paris a été décidée. Le danger d’une intervention étrangère en faveur de la France avait été écarté par les premières victoires allemandes. Bismarck émit donc l’opinion, opinion qu’il fit prévaloir, qu’une attaque immédiate de Paris était nécessaire, « Paris est la France, dit-il. Le seul moyen d’éviter toute intervention de puissances actuellement neutres, et de terminer rapidement la guerre, c’est de prendre Paris au plus vite. » On a discuté, nous apprend le colonel, au sujet de la façon dont il conviendrait d’attaquer Paris. L’opinion prussienne est que le plus grand ennemi des forteresses est le nombre de leurs défenseurs, la quantité des bouches qu’il faut nourrir. L’avis de l’État-Major général, par conséquent, fut que la famine était non seulement le meilleur moyen, mais en vérité le seul moyen de venir à bout de la résistance parisienne. Au commencement de septembre, les généraux allemands, et même les généraux français (Mac-Mahon, par exemple), pensaient que Paris n’essayerait pas de se défendre sérieusement. Après Sedan, Moltke et von Roon étaient convaincus qu’il capitulerait après une quinzaine de jours. L’État-major avait fait une évaluation beaucoup trop faible des approvisionnements de la capitale française. Du reste, à Paris même, on ne savait guère à quoi s’en tenir sur ce point. Mais quelques jours avant d’arriver à Versailles, les Allemands furent informés, de source sûre, que Paris faisait tous ses préparatifs pour une défense sérieuse, et qu’une nouvelle armée se formait sur la Loire. Quand les troupes allemandes arrivèrent à Versailles, la résolution était prise de bloquer Paris et d’assurer aux forces assiégeantes l’appui de l’artillerie de siège. Pour amener le matériel d’artillerie, aucune voie ferrée n’existait d’une façon continue ; la ligne directe était interrompue à Toul. Cette place n’avait pas encore capitulé ; et Strasbourg ne capitula que le 28 septembre. On ne pouvait donc se servir que de la ligne de Nanteuil, pour le service des subsistances aussi bien que pour celui du matériel de siège ; de sorte que les transports souffraient d’interruptions continuelles. Le roi, Bismarck et Roon commencèrent à croire alors que la guerre durerait plus longtemps qu’ils ne l’avaient pensé. Moltke, pourtant, ne modifia guère son opinion ; il maintint que Paris n’avait point de vivres et ne pourrait résister au delà de quelques semaines. Il croyait aussi que le parti radical ou révolutionnaire ferait preuve d’une grande énergie, qu’il terroriserait les classes dirigeantes et hâterait la reddition de la ville. On ne savait que lui répondre, car l’incertitude continuait à régner au sujet des approvisionnements de Paris ; quelques-uns estimaient que les vivres manqueraient à la ville après trois ou quatre semaines ; d’autres pensaient qu’ils ne lui feraient pas défaut avant trois ou quatre mois. Le colonel assure qu’il partage cette dernière opinion. Le 9 octobre, c’est-à-dire au moment où le bruit courut à Versailles que Gambetta avait quitté Paris en ballon, le siège en règle avait été résolu. Depuis quelques jours, les préparatifs se font activement ; d’énormes canons sont débarqués au chemin de fer et traînés dans la direction de Paris par d’interminables attelages ; on assure que la capitale va être bombardée comme l’a été Strasbourg. Il paraît que ç’a été terrible, à Strasbourg. J’ai entendu faire, là-dessus, des récits qui vous donnent la chair de poule. Mais ne sont-ils pas un peu exagérés ? ⁂ Ils ne sont pas exagérés le moins du monde. J’en ai maintenant la preuve certaine, indiscutable. Et qui croyez-vous qui me l’ait donnée, cette preuve ? Qui croyez-vous qui vienne de me l’apporter, là, tout à l’heure ? J’aime mieux ne pas vous faire languir, car vous ne devineriez jamais. C’est M. Raubvogel, le cousin Raubvogel, lui-même, en personne, avec son doux sourire et sa belle barbe. Il est arrivé, il y a deux heures à peine, à Versailles et a tout juste pris le temps de secouer la poussière du voyage, avant de venir nous voir. Il a amené Mme Raubvogel. Estelle me semble plus jolie encore qu’il y a quatre mois ; elle est aussi vive, aussi gracieuse ; ses yeux bleus, seulement, semblent avoir pris une teinte plus foncée. Mais, à l’examen, je m’aperçois qu’ils ont seulement changé d’expression ; et que l’expression qu’ils ont prise est précisément celle des yeux de son mari. Les époux Raubvogel ne sont pas venus les mains vides ; ils ont apporté un grand nombre de cadeaux ; il y en a pour ma grand’mère, pour moi, pour mon père « quand il reviendra de la guerre avec les étoiles de général », dit Raubvogel, et même pour Lycopode. Raubvogel fait preuve d’une politesse pleine de vénération à l’égard de ma grand’mère, qu’il a à peine entrevue au mois de juin, et qu’aujourd’hui il appelle « ma tante » gros comme le bras. — Oui, ma tante, dit-il, pas un jour ne s’est écoulé depuis le commencement de ces temps d’épreuves sans que nous pensions à vous. Vous savoir seule ici, sans appui, avec ce cher enfant, était pour nous un tourment de tous les instants. Ne pas avoir de nouvelles des gens qu’on aime, est une chose terrible. Ah ! c’est alors qu’on sent quelle est la puissance des liens de famille ! Je disais tous les jours à Estelle : Pourvu qu’il n’arrive rien de fâcheux à notre chère tante (et aussi, ajoute-t-il, à notre gentil petit cousin) ! Pourvu qu’il ne leur arrive rien de fâcheux ! Estelle me répondait : Ne crains rien ; la providence veillera sur eux. — Oui, dit Estelle en essuyant ses yeux qu’est venue mouiller une larme, je répondais ça... Ces démonstrations ne semblent pas produire un effet énorme sur ma grand’mère ; mais Raubvogel se montra si prévenant et si aimable, Estelle si pleine d’attentions délicates, que je sens fondre peu à peu la froideur qu’a d’abord témoignée mon aïeule. Elle arrive bientôt à dire : « ma chère nièce » à Estelle ; et même, deux ou trois fois, elle appelle Raubvogel « mon neveu ». Les époux Raubvogel restent à dîner avec nous. Ils sont enchantés. En-dehors de la joie bien naturelle qu’ils ressentent à se trouver dans leur famille, ils éprouvent un grand plaisir à entendre, de temps en temps, tonner le canon. — Cela prouve, dit le cousin, que la guerre n’est pas finie, quoi qu’en disent messieurs les Teutons. Mon idée est qu’avant longtemps ils vont se voir obligés de repasser la frontière, il doit y avoir un châtiment pour tous les crimes... Raubvogel s’arrête soudain, pris d’une quinte de toux ; mais en même temps, il ne quitte pas des yeux ma grand’mère, dont il surveille attentivement l’expression et cherche visiblement à deviner les sentiments. Il n’a pas oublié, en effet, que bien que Française, elle fut la femme d’un Allemand ; et que si son gendre est officier dans l’armée française, son fils combat dans l’armée prussienne. Il sonde le terrain, comme on dit, et cherche à savoir de quel côté se ranger. Ma grand’mère n’ayant pas soufflé mot, Raubvogel comprend, cesse de tousser et continue : — Je dis qu’il doit y avoir un châtiment pour tous les crimes que fait commettre la guerre. Si les Allemands se sont livrés à des excès regrettables, les Français sont loin d’être sans reproches ; je ne cherche à innocenter ni les uns, ni les autres. Mais je ne veux pas les blâmer non plus ; ce n’est pas l’homme qui est coupable ; c’est la guerre, l’affreuse guerre, qui arme les uns contre les autres des êtres qui sont faits pour s’entendre et pour vivre en frères. — Ah ! que vous avez raison, mon neveu ! s’écrie ma grand’mère. Voilà ce que j’ai toujours pensé. Et Raubvogel parle de la fraternité des peuples, qui serait si belle, et de l’horreur de la guerre. Il espère, cependant, que les Français pourront remporter une ou deux victoires, ce qui leur permettrait de signer une paix honorable ; chose qui serait à l’avantage des deux nations. Ma grand’mère le pense aussi. — Voilà pourquoi, affirme Raubvogel, je disais que je suis heureux de voir la lutte continuer. C’est de cette façon seulement qu’elle pourra prendre fin. Ah ! la paix ! Quand aurons-nous la paix ? Les sentiments pacifiques des époux Raubvogel sont tellement vifs qu’il leur était impossible de demeurer en Alsace, dans ce pays qui peut-être doit cesser bientôt d’être français. Ils ont donc cédé, à perte, l’établissement qu’ils exploitaient à Mulhouse. Et que comptent-ils faire, à présent ? Ils ne savent pas encore. M. Delanoix, le père d’Estelle, doit venir avant peu à Versailles et les aidera à prendre une décision. Ma grand’mère est tellement satisfaite des Raubvogel qu’elle les invite à s’installer dans la maison. Mais ils refusent, tout en remerciant très fort. Ils ont pris un appartement, pour quelques jours, à l’hôtel du Sabot d’or. Estelle, en se retirant, m’invite à venir déjeuner avec eux, le lendemain. J’y vais. Le déjeuner est excellent. Le service est fait par le valet de pied du cousin Raubvogel, un homme de taille exiguë, aux yeux verdâtres, à la chevelure poivre et sel ; il s’appelle Gédéon Schurke. Il a toujours l’air d’être sur le point de dire une plaisanterie, ou d’en exécuter une. Il était gérant de l’hôtel des Trois Cigognes, à Mulhouse, et n’a accepté provisoirement la situation de valet de pied qu’afin de ne point quitter ses patrons, pour lesquels il a une grande affection. Il m’intéresse beaucoup. Mais ce qui est surtout intéressant, c’est la conversation de Raubvogel. Il me dit, à moi, bien des choses qu’il n’a point voulu dire à ma grand’mère afin de ne point la froisser ; il me raconte toutes les atrocités que les Allemands ont commises en Alsace ; il me narre les excès dont ils se sont rendus coupables à Strasbourg. Il m’avoue que sa haine des Prussiens est tellement grande qu’il a préféré faire tous les sacrifices et quitter sa terre natale plutôt que de demeurer dans une province occupée par eux. Il va s’en aller, lui et sa femme, avec Delanoix, dans le Nord ou autre part, enfin dans un endroit où il pourra voir flotter le drapeau tricolore. — Toutes les privations, dit-il, toutes les misères, mais la France ! J’en pleure. Alors, le cousin me parle de mon père et de ses hautes capacités militaires. L’histoire du coup de pied de cheval le navre. Il ne doute pas, néanmoins, que mon père ne reprenne avant peu sa place à la tête d’un régiment et ne devienne un des vengeurs de la patrie. Quand on se lève de table, Estelle me fait présent d’une belle cravate qu’elle a achetée le matin pour moi ; et le cousin glisse une pièce de cinq francs dans chacune des poches de mon gilet. Avant de quitter Gédéon Schurke, qui me reconduit à la maison en toute dignité, marchant à deux pas derrière moi, je lui mets une de ces deux pièces dans la main. Il l’accepte avec un grand salut, mais un drôle d’air. ⁂ M. Delanoix est arrivé ce matin, et nous a fait un effrayant tableau de la désorganisation qui règne en France. Les provinces occupées par l’ennemi sont les seules qui ne soient point en proie au chaos. Ailleurs, c’est un désordre effroyable, c’est l’anarchie. Les lois ne sont plus respectées ; les autorités ont disparu ou sont sans pouvoir. Les vagabonds pullulent ; et dans la région du Nord, qu’il habite, les contrebandiers, profitant du départ des douaniers pour l’armée, ne mettent plus de bornes à leur audace. C’est, en vérité, terrible. Et les affaires ne marchent pas, pas du tout. Pour lui, il ne sait vraiment que conseiller à sa fille et à son gendre. M. Delanoix secoue la tête avec tristesse ; et toute sa personne, son ventre sur lequel tremblottent des breloques d’or, ses petits yeux vrillonnants baissés vers le sol, ses favoris maintenant mélancoliques, semble exprimer un désespoir complet. Mais Raubvogel ne désespère pas. Il l’a dit, cette après-midi même, au cimetière, sur la tombe d’un officier français. Il a dit qu’il espérait, et fermement. « L’espoir ! a-t-il dit d’une voix vibrante. N’abandonnons jamais l’espoir, et nous serons toujours la Grande Nation ! » Alors, Raubvogel a fait un discours ? Certainement. Voici dans quelles circonstances. Un officier français, blessé dans un des combats livrés sous Paris, avait été rapporté à l’hôpital de Versailles. Il y est mort avant-hier et on devait l’enterrer aujourd’hui à trois heures ; personne ne songeait à faire, des funérailles de cet officier, le prétexte d’une démonstration patriotique. Mais Raubvogel, informé des faits ce matin, a pris une résolution courageuse. Pendant plusieurs heures il s’est multiplié ; on a pu voir la voiture découverte qui le transportait parcourir la ville en tous sens ; pendant qu’un fiacre fermé conduisait Mme Raubvogel chez les autorités allemandes. À trois heures moins un quart, accompagné d’un nombre respectable de citoyens vêtus de noir et de quelques dames en grand deuil, parmi lesquelles sa femme, Raubvogel s’est présenté à l’hôpital. Il a remis à l’officier qui dirige l’établissement un ordre du commandant de place, dûment signé et contresigné. L’officier s’est incliné et a permis aux citoyens versaillais, représentés par M. Raubvogel, de prendre la direction des obsèques. Le cercueil de l’officier français, mort au champ d’honneur, a été recouvert d’un énorme drapeau tricolore, commandé le matin par Estelle ; le corbillard était surchargé de fleurs bleues, blanches et rouges ; et du poêle descendaient des cordons tricolores que tenaient, avec componction et dignité, M. Raubvogel, M. Delanoix, M. Curmont, et un héroïque citadin qui se trouvait justement de faction à la porte du Chesnay, en qualité de garde national, lorsque les Prussiens firent leur entrée. La cérémonie a été imposante. Un peloton de soldats allemands accompagnait le cortège et a rendu au défunt les honneurs militaires. Après quoi, devant la fosse encore ouverte, Raubvogel a fait son discours. Ah ! que c’était beau ! Quelle éloquence poignante ! Et comme je voudrais pouvoir me rappeler tout ce qu’il a dit, mot pour mot !... Estelle pleurait. Tout le monde pleurait. Et Gédéon Schurke, qui se tenait près de moi, m’a glissé sournoisement un mouchoir dans la main, et m’a dit entre ses dents : — Mais pleure donc aussi, toi ! ⁂ J’ai été très choqué de m’entendre tutoyer par Gédéon Schurke, et je me propose de lui demander la raison d’une telle familiarité. Malheureusement, c’est une chose que je ne peux pas faire devant tout le monde, et il m’est très difficile de me trouver en tête-à-tête avec le valet de pied du cousin. Il est constamment en courses, à droite ou à gauche ; Delanoix et Raubvogel, profitant des longues absences d’Estelle qui fait des visites prolongées aux fonctionnaires allemands, tiennent à l’hôtel du Sabot d’or des conciliabules à n’en plus finir ; comment, dans ces conditions, pouvoir exposer mes griefs à Gédéon ? L’occasion, pourtant, se présente, un jour qu’il est venu faire une commission à ma grand’mère. Je le prends à part, et je lui demande les raisons de son peu de considération pour ma personne. Il sourit et répond : — Veuillez accepter toutes mes excuses, monsieur Jean ; j’aurais dû vous témoigner plus d’égards, surtout étant donnée la générosité dont vous avez fait preuve envers moi, l’autre jour, et qui est bien rare à votre âge. Quant aux raisons qui m’ont fait manquer au respect que je vous dois, je serais tout prêt à vous les exposer s’il vous était possible de vous départir en ma faveur de la seconde des pièces de cent sous dont, dernièrement, vous gratifia mon maître. J’ai encore la pièce dans ma poche, et dédaigneusement je la tends à Gédéon qui la fait disparaître. — J’ai l’honneur de vous remercier, dit-il ; mais toute peine mérite salaire. Je me suis permis de vous tutoyer parce que la France est aujourd’hui dans une situation terrible, et que je pense parfois que, dans des circonstances aussi tragiques, il ne doit plus y avoir ni inférieurs, ni supérieurs, mais seulement des Français. — Mais, dis-je en rougissant de colère, car je crois que Gédéon se moque de moi, comment se fait-il, si vous êtes si bon Français, que vous n’alliez pas à la guerre ? Vous, et mon cousin Raubvogel, et M. Delanoix ? — Nous allons à la guerre, répond Schurke, en secouant la tête ; nous sommes à la guerre ; nous y sommes, nous y sommes en plein. Seulement, voyez-vous, monsieur Jean, chacun a sa façon de faire la guerre ! Nous autres, nous faisons la guerre comme les gens qui ne se battent pas. — Peuh ! fais-je avec dédain. — Votre mépris n’est pas justifié, répond lentement Schurke. Quand vous apprendrez l’histoire, vous verrez comment un grand général, Annibal, après avoir vaincu les Romains en plusieurs rencontres, s’avança jusqu’aux portes de Rome ; et comment, ayant pris ses quartiers à Capoue, son armée s’endormit dans les délices de cette ville, et, énervée et affaiblie par les plaisirs, fut enfin chassée de l’Italie. Nous faisons tous nos efforts pour que les Allemands trouvent dans Versailles, et même dans toute la partie de la France qu’ils occupent, la Capoue qu’ils méritent. — Ah ! dis-je avec étonnement. Et comment vous y prenez-vous ? — Ça dépend. Par exemple, vos parents, MM. Delanoix et Raubvogel, sont convaincus qu’il est important d’assurer aux Allemands tout le bien-être possible, et de prévenir leurs moindres besoins ; ils s’occupent donc d’organiser un service qui fera parvenir à ces Messieurs différents objets qui leur sont nécessaires ; objets dont le prix de revient, bien que fort élevé, sera diminué du total des frais de douane par un habile système de contrebande patriotique. — Mais est-ce que les Prussiens n’auront pas à payer pour tous ces objets ? — Si, et plutôt deux fois qu’une. Autrement, ils s’apercevraient du mauvais tour qu’on leur veut jouer. — Alors, c’est pour ça qu’ils sont sans cesse en rapport avec les autorités allemandes, et qu’ils demandent des autorisations ?... — Oh ! s’écrie Schurke en m’interrompant, ils ne demandent rien par eux-mêmes ; ils ne voudraient pas se compromettre avec l’ennemi. C’est Mme Raubvogel qui demande pour eux ; et c’est par son canal qu’on obtient tout. Rappelez-vous ça, Monsieur Jean ; ça pourra vous servir plus tard. Quand on veut obtenir quelque chose, et quand on a une jolie femme, c’est elle qu’il faut envoyer faire les demandes. Elle n’a qu’à aller de l’avant, et ça réussit toujours. C’est bien extraordinaire ; je me demande encore si Gédéon ne se moque pas de moi. Pourtant, tous les habitants de Versailles, tous les gens qui vivent auprès de moi, semblent envisager les choses de la même façon que lui... À tout hasard, je me risque à remarquer : — Il serait peut-être encore plus simple, pour venir à bout de l’ennemi, de prendre un fusil et de lui tirer dessus. — J’aurais pensé de la même façon, il y a seulement quinze ans, répond Schurke avec son sourire bizarre. Mais l’expérience m’a instruit. D’ailleurs, elle m’a instruit trop tard ; autrement, je ne serais pas aujourd’hui un valet de pied... Quand j’ai compris qu’il faut hurler avec les loups, j’avais usé ma voix à hurler contre eux... Pour en revenir à notre façon spéciale de conduire les hostilités, je dois vous dire que le grand point, à la guerre, est bien moins l’affaiblissement de l’adversaire, que l’augmentation des forces dont on dispose. Nous augmentons nos forces. Nous nous réservons pour la revanche future. Aussi, lorsque les Allemands, après être sortis de France, voudront y revenir, ils auront les idées les plus fausses sur la véritable force du pays, et seront aisément battus. — Et alors, vous irez à la guerre, à la vraie guerre ? — Ça dépend, répond Schurke au bout d’un instant. Si je ne possède rien, je n’irai pas. Si je possède quelque chose, j’irai. À moins, bien entendu, que je ne trouve des gens qui ne possèdent rien disposés à aller se battre pour moi. Là-dessus, Gédéon Schurke me salue et se retire. Je reste perplexe. Je méprise cet homme, je méprise ce qu’il m’a dit, et cependant il m’intéresse. Je ne regrette pas les cinq francs que je lui ai donnés. Même, je me rends compte que j’aurais voulu parler plus longtemps avec lui. Il y a tant de choses que je ne m’explique pas et que je voudrais comprendre ! Je me souviens des questions que j’ai posées il y a quelques mois, à Adèle Curmont, et auxquelles elle n’a pu répondre. Les réponses de Schurke, au lieu de me satisfaire, ont évoqué devant mon esprit tout un monde de questions nouvelles. Je ne sais ni que croire, ni que penser. Je me sens tourmenté, mal à l’aise, un peu honteux, et plus pour les autres que pour moi-même. C’est comme si une série d’événements, des faits racontés, des actes vus, des phrases entendues, des paroles surprises, avaient tiré hors de moi quelque chose qui, je le sens, va me quitter de plus en plus. J’ai su depuis les noms de ce quelque chose : la confiance et la sincérité. J’éprouve, malgré moi, une grande satisfaction à voir Delanoix et les époux Raubvogel quitter Versailles. Ils partent pour le nord de la France. Ils promettent à ma grand’mère de faire tous leurs efforts pour avoir des nouvelles de mon père ; en tout cas, ils écriront le plus souvent possible. Je pense que ces lettres me permettront peut-être de satisfaire la curiosité, mélangée de soupçon, qu’ils m’inspirent. Mais des nouvelles importantes, que nous donne le colonel prussien qui loge chez nous, viennent distraire mon attention. Metz a capitulé... Les Allemands, par des réjouissances et des illuminations, célèbrent leur triomphe. Le colonel est d’avis que la guerre touche à sa fin ; la continuer serait, de la part des Français, pure folie. C’est aussi l’opinion du Feldmarschall von Moltke qui a donné, le 27 octobre, l’ordre d’interrompre le transport du matériel d’artillerie de siège. Cet ordre a causé, chez plusieurs hauts personnages, particulièrement Bismarck et von Roon, une indignation profonde. Ils parlent d’influences non militaires, etc. Ils déclarent avoir hâte d’en finir. Les gens qui dirigent la France à présent n’ont point la même impatience. Le 31 octobre, ils s’opposent, à Paris, à une tentative du parti avancé qui voudrait, enfin, faire quelque chose. Le même jour, à Tours, ils décrètent la levée en masse. La levée en masse. Les pauvres diables, les pauvres hères, les Pauvres, forcés de prendre les armes. Les Riches, faisant des neuvaines pour la paix ; pour la guerre ; ou faisant des affaires ; avec les Français ; ou avec les Allemands. Les républicains de la République à N’a-qu’un-Œil, en des abris confortables, pondant des proclamations terrifiantes et prêchant la guerre à outrance. Les Pauvres, cependant, vont se faire tuer. Ils ont des Mots à défendre : France, République, Honneur, Patrie. Vêtus de mauvaises blouses et de pantalons de toile, chaussés de souliers de carton, mal armés, affamés, conduits par des chefs incapables, qui se vengent sur leurs soldats de leurs continuelles défaites, ils vont se faire tuer. Et puis, c’est la neige, le froid terrible, la famine, encore la trahison. Et puis ce sont les marches imbéciles, les retraites imbéciles, les carnages imbéciles. Et puis — et puis ; Le Midi bouge, Tout est rouge. Rouge de honte. ⁂ Dans la première semaine de novembre, nous avons reçu une lettre de Raubvogel, lettre qui a passé par la Belgique et par l’Allemagne, et qui nous apprend que mon père est très probablement en ce moment colonel d’un régiment de marche, à l’armée de la Loire. Cependant, Raubvogel n’ose pas affirmer le fait. Il promet de nous donner des renseignements plus complets, s’il peut en obtenir. Ma grand’mère cherche à se faire donner, par le colonel d’état-major, quelques informations sur cette armée de la Loire. Mais il ne se laisse arracher que des réponses assez vagues, étant pressé par son travail. Du reste, il quitte bientôt Versailles, ayant reçu inopinément l’ordre de se rendre sur le front nord. Mais, quelques jours après, un autre officier prussien, dont nous n’attendions pas la venue, nous apporte les renseignements que nous désirons. C’est mon oncle Karl, qui a été appelé brusquement de Metz à Versailles et qui est arrivé à la maison sans avoir eu le temps de nous prévenir. Je revenais de chez M. Freeman, que je vais voir tous les jours à présent et qui m’apprend l’anglais, lorsque, en ouvrant la porte du salon, j’ai aperçu mon oncle assis au coin du feu, en face de ma grand’mère, — mon oncle qui, pour la première fois de ma vie, m’apparaît en uniforme. — D’abord, je suis resté bouche bée, cloué à ma place par l’étonnement. Puis, mon oncle s’étant levé, je n’ai plus douté de la réalité de l’apparition ; je me suis précipité vers lui, et il m’a serré dans ses bras. Ah ! comme ma grand’mère est heureuse et gaie ! Elle semble plus jeune de dix ans, parlant allemand, parlant français, ne tarit pas de demandes et d’exclamations. Moi aussi, je voudrais bien m’exclamer un peu et poser des questions. Il y a tellement de choses dont mon oncle pourrait me donner l’explication ! Mais il est très fatigué et a besoin de repos. Il me donnera tous les éclaircissements que je désire demain ou après-demain ; il pense, en effet, rester une dizaine de jours à Versailles. Mais, le lendemain, il est absent toute la journée, retenu au Quartier-Général ; et le surlendemain il nous apprend, au profond chagrin de ma grand’mère, qu’il doit nous quitter dans deux jours. Il a reçu l’ordre d’accompagner le général von Stosch qui est envoyé comme chef d’état-major à l’armée du grand-duc de Mecklembourg, qui opère contre l’armée française formée sur la Loire. Les qualités militaires du grand-duc sont des plus douteuses ; et le général von Stosch doit jouer auprès de lui le rôle d’agent de confiance du Quartier-Général. Mon oncle nous donne des renseignements sur cette armée de la Loire, mais il ignore si mon père s’y trouve ou non. En tout cas, l’état-major est décidé à agir vigoureusement contre cette armée, d’autant plus qu’un demi-succès des Français, à Coulmiers, vient de nécessiter l’évacuation d’Orléans. On est convaincu en haut lieu que Paris capitulera dès qu’il saura qu’il n’a pas à compter sur l’aide de la province, en lequel il espère. L’armée de la Loire, par conséquent, doit disparaître. Quant à Paris, en dépit de Moltke qui a déclaré que « l’acte le plus stupide pendant toute cette guerre a été l’envoi de l’artillerie de siège devant Paris », les Anti-Bombardeurs ont perdu toute influence et le bombardement va commencer. Von Roon a triomphé sur toute la ligne. Quand mon oncle nous a quittés, par un froid et sombre matin d’hiver, ma grand’mère retombe dans sa tristesse et je me sens ressaisi par l’ennui. Ma seule distraction est l’étude des langues étrangères qui m’intéressent beaucoup. Ma grand’mère m’apprend l’allemand, et M. Freeman l’anglais ; je fais, dit-on, des progrès très grands dans ces deux langues. En fait, vers la fin de la guerre, je les parlais parfaitement ; je n’ai commencé à les désapprendre pas mal, ainsi que beaucoup d’autres choses utiles, qu’à Saint-Cyr. Et les jours passent, lentement, lentement... ⁂ Ma grand’mère ne quitte que très rarement la maison ; aussi ai-je été surpris, ce matin, de la voir descendre, enveloppée de sa grande pelisse, et sortir sans me dire où elle allait. Elle est revenue, une heure après environ, en compagnie d’une dame que je n’ai jamais vue. C’est une dame de quarante-cinq ans à peu près, à peine grisonnante, et de forte corpulence ; elle a de grands yeux noirs, et a dû être très belle. Ses manières sont très distinguées et très affables ; sa conversation est fort intéressante et dénote une femme d’intelligence et de savoir. Elle a déjeuné avec nous, et ma grand’mère m’a dit son nom : c’est Mme de Rahoul. Ma surprise a été grande. Je me figurais le Panari tout autrement. Je m’étais imaginé une créature ridicule, une sorte de mastodonte humain, dépourvu de tout intérêt, et très vilain. Mais Mme de Rahoul est fort avenante et fort agréable. Elle est très grosse, simplement à cause du manque d’exercice. Les gens séquestrés sont tous très gros. À moins, bien entendu, qu’on ne leur donne pas à manger ; mais le général de Rahoul donne à manger à sa femme. C’est-à-dire, pour être exact, qu’il lui a donné à manger jusqu’à la guerre. Quand il est parti, il lui a laissé une petite somme, une très petite somme, le moins qu’il a pu, en lui disant que les hostilités ne dureraient pas plus de deux ou trois semaines. Depuis, il n’a point donné de ses nouvelles à sa femme ; il ne lui a pas envoyé un sou. On croit qu’il a capitulé quelque part et qu’il est prisonnier en Allemagne ; mais on n’est sûr de rien. La situation du Panari, sans aucune ressource, était devenue très difficile ; Mme de Rahoul mourait simplement de faim dans la maison de la rue de Clagny, que ma grand’mère a louée au général, et dont celui-ci a toujours négligé de payer le loyer. Néanmoins, ma grand’mère, mise au courant des faits, n’a pas hésité à aller offrir son aide à sa locataire. — La conduite de son mari à son égard a été très blâmable, pour ne rien dire de plus, m’a dit ma grand’mère lorsque Mme de Rahoul nous a eu quittés. Et elle me laisse entendre que le général, après avoir dilapidé la fortune de sa femme, fortune considérable, n’a cessé de se comporter envers elle d’une façon abominable. Ma grand’mère, d’ailleurs, est très discrète ; trop discrète, à mon avis, car je voudrais bien en savoir plus long sur le ménage de Rahoul. Je m’aperçois, de jour en jour davantage, que la conception que je m’étais faite jusqu’ici de l’existence des gens que je connais, et de la vie en général, a grand besoin d’être amendée. L’étonnement me quitte de plus en plus, et je suis prêt à tout comprendre. À tout imaginer aussi. Je pense que le général de Rahoul, lorsqu’il reviendra, et lorsqu’il saura que son Panari a osé sortir de sa maison, venir ici, et même accepter d’être secourue dans sa détresse — car j’ai bien vu ma grand’mère lui glisser dans la main, à la dérobée, quelques billets de banque —, je pense que le général de Rahoul, lorsqu’il apprendra tout cela, entrera dans une de ces grandes colères qui rendent sa figure toute rouge ; et qu’il tuera peut-être le Panari. Ou bien, se contentera-t-il de l’enchaîner ? Grave question, que je n’ai pas le temps de résoudre, car nous venons de recevoir de mon oncle Karl une dépêche qui nous annonce son arrivée immédiate. Et nous apprenons presque en même temps, par un officier prussien qui passe quarante-huit heures à la maison, qu’Orléans vient d’être repris, hier 6 décembre, par les Allemands qui ont fait plus de 10.000 prisonniers et se sont emparés de 77 canons et de quatre canonnières. C’était peut-être ces canonnières-là qui devaient remonter le Rhin en dévastant tout sur leur passage..... Mon oncle Karl est revenu, mais avec un bras en écharpe ; il a été blessé, au-dessus du coude droit, au combat de Nourhas. La blessure, sans être très grave, est assez sérieuse pour alarmer ma grand’mère ; mais c’est une consolation pour elle de pouvoir elle-même soigner son fils, et de ne pas le savoir abandonné aux soins peu attentifs d’ambulanciers surchargés de besogne. Mon oncle a surtout besoin de repos, dit le chirurgien qui vient le voir tous les jours. La campagne à laquelle il a pris part a été sans doute la plus pénible de la guerre. Elle doit suffire à établir la réputation du général von Stosch comme un grand général. Pendant plus de vingt jours, à la tête seulement de deux faibles divisions prussiennes et du second Corps bavarois que les fatigues de la campagne avaient décimé, il parvint à repousser, par des combats quotidiens, l’armée française dont la force était immensément supérieure aux effectifs allemands ; et il réussit à rejeter les Français en-deçà d’Orléans. Plus d’une fois, au cours de cette lutte inégale mais victorieuse, il lui arriva de considérer avec joie le coucher du soleil d’hiver, ou d’attendre avec anxiété la tombée des ténèbres, après que ses dernières réserves avaient été engagées. Il est peu probable que mon oncle prenne de nouveau part à la guerre. Le conflit est sur le point de se terminer, fatalement ; mon oncle, quelquefois, en donne les raisons. Il dit que la désorganisation de l’armée française est à son comble ; qu’elle ne lutte plus que pour le triomphe et l’établissement définitif des cabotins sanguinaires qui ont usurpé le pouvoir au 4 septembre ; qu’elle obéit aux ordres supérieurs d’un ministre de la guerre civile, ingénieur douteux qui n’a de génie que pour l’intrigue ; qu’elle est commandée par des chefs dont le seul mérite est de s’être faits les laquais des coryphées de la guerre à outrance, et que son écrasement final n’est qu’une question de jours. Il ajoute qu’il est vraiment pitoyable de voir les forces vives d’un grand pays comme la France sacrifiées à l’ambition stérile de politiciens de bas-étage. Mon oncle, chose inespérée, nous a donné des nouvelles de mon père. À ce combat de Nourhas auquel il a été blessé, mon père était présent aussi. Il commandait l’extrême arrière-garde française ; il a reçu une légère blessure et a été fait prisonnier. Mon oncle pense qu’on l’a dirigé sur l’Allemagne ; aussitôt que possible, il prendra des informations à ce sujet. C’est en vain que je presse mon oncle de questions sur ce combat de Nourhas ; que je cherche à le faire parler de mon père et de la défense courageuse qu’il a dû opposer aux troupes allemandes. Mon oncle fait des réponses brèves et vagues ; il prétend n’avoir assisté au combat que de loin, avoir été blessé au début de l’action, et n’en guère connaître autre chose que les résultats. Mes insistances restant sans effet, je prends le parti de me contenter, pour le moment, de ce qu’on veut bien me dire. L’idée me vient, cependant, de demander à mon oncle s’il n’a pas vu Jean-Baptiste, pendant le combat. — Jean-Baptiste ? demande mon oncle. Jean-Baptiste ? Un sous-officier, n’est-ce pas ? Je me mets à rire. Jean-Baptiste, sous-officier ! Quelle idée ! Et j’explique à mon oncle que Jean-Baptiste est l’ordonnance de mon père. — Ah ! oui, je savais bien que je l’avais vu quelque part, ce garçon-là ! répond mon oncle. Eh ! bien, il était sergent, ton Jean-Baptiste. Et je te donne ma parole que c’est un brave homme. Mon oncle semble réfléchir un instant, et je m’attends à d’intéressantes révélations ; mais il ajoute simplement : — Oui, c’est un très brave homme. Et, malgré tous mes efforts, il m’est impossible d’en tirer autre chose. Du reste, mon oncle semble, ainsi que beaucoup d’officiers allemands, fatigué de la guerre au delà de toute expression. Moltke, paraît-il, déclarait l’autre jour qu’il n’aspire qu’au repos et à la tranquillité sereine du Kapellenberg ; et que les nouvelles qu’il reçoit de son domaine sont comme des rayons de soleil dans la sombre et fiévreuse incertitude au milieu de laquelle il vit. Et cette incertitude, lourde et angoissante, pèse sur tout le monde, Français et Allemands, pendant ces dernières semaines du siège de Paris. Le dénouement est prévu, inévitable ; et l’on sait bien que ce ne sont pas les canons qui maintenant tonnent sans interruption qui l’amèneront, mais seulement la famine dont l’ombre plane déjà sur la grande ville. On s’ennuie, on s’énerve. Et je pense que ce sont sans doute cette sorte de crispation morale, cette insurmontable lassitude qui se sont emparées de moi, qui m’ont rendu insensible à tous les incidents quotidiens qui ne peuvent pas concourir à la grande solution qu’on attend seule, anxieusement. Voilà pourquoi, sans doute, les figures de mon oncle et de ma grand’mère, en dépit de l’affection intelligente et de la tendresse qu’ils m’ont alors témoignées, de l’intérêt profond qu’ils m’ont inspiré, ne m’apparaissent pas aussi clairement, à cette époque, qu’à des périodes plus éloignées. Et voilà pourquoi, au risque de passer pour insensible, je ne chercherai pas davantage à évoquer ces figures. Vers le 1er janvier 1871, nous avons reçu une lettre de mon père, datée de Wiesbaden. Il ne parle guère de la façon dont il a été fait prisonnier, mais donne plutôt des détails sur sa captivité. Il est interné, ainsi que nous pouvons le voir, à Wiesbaden, où se trouve aussi ce héros, le maréchal de Mac-Mahon. Il dit que Wiesbaden est une ville très gaie et qu’il regrette de ne pas l’avoir connue plus tôt ; l’aspect général est cosmopolite bien plus qu’allemand ; les distractions ne manquent pas ; on est en pleine saison d’hiver ; l’air est excellent et la température relativement douce. Mon père a joint à sa lettre un post-scriptum pour ma grand’mère, dans lequel il la prie de lui envoyer de l’argent ; et un billet spécial pour moi, dans lequel il me recommande d’étudier beaucoup, de façon à pouvoir bientôt conquérir l’épaulette et contribuer à la revanche nécessaire. Je n’ai point conservé ce billet, mais je pourrais encore le citer mot pour mot. Est-ce parce qu’il m’apportait l’assurance que mon père était sain et sauf ? Est-ce parce qu’il faisait jaillir soudainement en mon esprit, tout armée, l’idée de la Revanche ? Qui pourrait dire pourquoi l’on se rappelle, sans raison apparente, certaines choses et non pas d’autres ? Comment se fait-il que je me souvienne clairement avoir entendu mon oncle Karl, un soir, citer un propos tenu par Moltke ? « Ce pays est tellement riche, avait dit le maréchal, que les traces laissées par les calamités de cette guerre seront bientôt effacées. » Et mon oncle a ajouté — je l’entends encore — que le souvenir même de la guerre servirait seulement de tremplin aux charlatans ambitieux ; il a dit aussi que les gens qui arrivaient maintenant au pouvoir, en France, avaient de grands appétits, et que leurs ripailles et leurs digestions dureraient bien un quart de siècle. Il a dit encore que la France allait reconstituer son armée sur le modèle allemand ; et que, étant donnés son caractère et ses tendances, elle commettrait, en agissant ainsi, un acte des plus maladroits. Et puis, les événements se sont tellement précipités, que je ne me rappelle plus bien ; l’armistice, la paix, le départ des troupes allemandes, les adieux de mon oncle, le retour d’Allemagne des premiers prisonniers français ; et mon père... Et mon père, qui arrive, un beau matin, sans nous avoir prévenus. Quelle surprise ! Comme il est content de se retrouver enfin dans sa famille, dans sa patrie ! Comme on voit bien que, la famille et la patrie, il n’y a que ça ! — Oui ! s’écrie-t-il après avoir embrassé tout le monde, ma grand’mère, moi, et même Lycopode, oui ! il n’y a que ça ! On peut dire ce qu’on veut, et les pays étrangers peuvent avoir leurs agréments, mais il n’y a encore que la France ! La France, au moins si je me permets d’en juger par ce que je vois autour de moi, semble extrêmement reconnaissante des sentiments d’affection filiale que ses guerriers surent lui conserver dans l’exil. Elle les accueille avec des manifestations de joie enthousiaste, avec une allégresse sans bornes. Honneur au courage malheureux ! Ils ont été vaincus, c’est vrai, mais si la fortune ne les avait point trahis, que n’auraient-ils point fait ? Le sénat romain, après le désastre de Cannes, va recevoir avec honneur ses consuls battus par Annibal. La France sait prouver au monde qu’elle n’a point oublié ses origines latines. Ah ! que n’aurait-ce point été, si nos troupes avaient été victorieuses ! En vérité, ce qui s’est passé, revers, déroutes et capitulations, semble au peuple français absolument naturel, normal ; on ne dirait pas qu’il ait jamais espéré, au fond de l’âme, un autre dénouement. Quant à moi, devant l’imperturbable assurance, devant la présomption ingénue que nos officiers paraissent avoir rapportées, intactes, des forteresses allemandes, je me prends à douter de la réalité de nos désastres ; je me demande s’ils ont été aussi complets, aussi irrémédiables, que les Prussiens ont voulu nous le faire croire. Mon père, auquel j’expose mes doutes à ce sujet, se met à rire. — La France, dit-il, a été battue à plate couture ; son désastre est sans analogue dans l’histoire moderne. Garde cela pour toi, bien entendu, et dis le contraire à l’occasion. Mais c’est la vérité. Et comme je demande quelle a été la cause de nos défaites, il répond : — C’est l’existence des pékins. Une nation ne peut pas subsister, en temps de guerre, si l’élément civil a la moindre influence sur ses destinées. La première partie de la guerre a été désastreuse, parce que le gouvernement impérial, par crainte des pékins braillards qu’il aurait dû faire fusiller, n’a pas pris les mesures que nécessitait la situation ; la seconde partie de la guerre a été désastreuse, parce que ces pékins nous commandaient. Les pékins, cependant, ne semblent pas soupçonner la mauvaise opinion qu’ont d’eux les officiers. Ils leur font fête. Ils les complimentent et déclarent les admirer. C’est ainsi que M. Curmont, à la nouvelle du retour de mon père, s’est empressé de venir lui présenter ses hommages. Ayant été mis au courant du fait, j’ai cru devoir informer mon père de la scène qui avait eu lieu à son sujet, quelques jours après son départ, entre M. Freeman et M. Curmont. Mon père a pâli de rage ; il s’est levé et a fait deux pas vers la porte. Puis, il s’est arrêté ; — Pas un mot là-dessus, mon enfant ! m’a-t-il dit en posant sa main sur ma tête. Pas un mot ! J’ai les épaulettes de colonel, tu vois ; mais ces épaulettes ne tiennent pas ; il y a tant d’autres colonels qui sont revenus d’Allemagne ou qui vont en revenir, et qui redemanderont leurs places ! On me rétrogradera si je n’ai pas l’appui de gens bien en cour. Il y a toujours une Cour en France ; à présent, c’est la Cour des Miracles... M. Curmont, son fils et ses amis, sont de la Cour ; alors... Notre intérêt nous indique la voie à suivre. Plus mon épaulette sera grosse, plus tu auras de facilité à obtenir la tienne et à la voir grossir... D’ailleurs, reprend-il d’une voix ironique, il vaut mieux ne point s’inquiéter des propos qui sont tenus derrière votre dos ; s’ils sont tenus en face, c’est différent. Au fond, ce qu’a dit ce sacripant prouve simplement qu’il y a quelques mois nous n’avions pas les mêmes opinions politiques. Il était républicain, je ne l’étais pas. Aujourd’hui, je le suis autant que lui. Je l’ai été après lui, et je cesserai probablement de l’être avant lui. Mais pour le moment, puisque nous sommes en république, vive... — Vive la République ! dis-je. — Non ; pas encore, mon garçon. On n’est sûr de rien. Vive la France ! et vive l’Armée ! — en attendant. En attendant quoi ? Des gens disent que l’Empereur va revenir ; d’autres affirment que c’est le comte de Chambord, qui ramènera le drapeau blanc. Des histoires commencent aussi à circuler au sujet de l’héroïsme des troupes françaises pendant la guerre ; j’ai plusieurs fois entendu parler avec admiration de la belle défense qu’opposa mon père, à Nourhas, aux envahisseurs. Mon père est assez réservé, à ce sujet. Par modestie, certainement. Mais je ne m’explique pas qu’il pousse, sur ce point, la discrétion aussi loin que mon oncle Karl. Il a paru très mécontent quand il a appris que mon oncle avait passé trois mois ici ; et il a cherché maintes fois, indirectement, à savoir si mon oncle nous avait fait le récit détaillé de ses campagnes. Ma grand’mère a toujours répondu négativement. J’ai ajouté que mon oncle avait seulement parlé de Jean-Baptiste ; et qu’il avait dit qu’il était à présent sous-officier, et très brave. Mon père a haussé les épaules, déclarant ignorer même où son ordonnance avait pu passer. Et j’en ai conclu que mon oncle avait du se tromper, et que Jean-Baptiste, s’il vit encore, ce que je lui souhaite, n’est pas plus sous-officier que moi. ⁂ Mais si, il est sergent ! Il n’y a pas à en douter. Voilà le galon d’or à son képi et les sardines sur les manches de la vieille capote décolorée et rapiécée qu’il a portée pendant la campagne et la captivité. Il vient d’entrer dans le petit jardin qui précède la maison et où je suis en train de jouer. De l’avenue, il m’a aperçu et n’a pu résister, dit-il, au plaisir de venir me voir. Ah ! que je suis content ! Et nous nous serrons les mains, et nous parlons tous deux ensemble, et Jean-Baptiste s’écrie que j’ai grandi et que j’ai tout à fait l’air d’un homme à poil, et je m’étonne, avec des battements de mains, de le voir sous-officier. Comme mon père va être content de le retrouver ! Y a-t-il longtemps qu’il est revenu ? Non, ce matin, 19 mars, seulement. On l’a renvoyé d’Allemagne avec beaucoup d’autres soldats, parce qu’il se passe des choses à Paris, des choses que Jean-Baptiste m’explique d’une façon tellement embrouillée que je ne peux pas comprendre. Il parle de traîtres, de Bazaine, de cochons vendus, de capitulards, d’un tas de choses et de gens que je ne connais pas. Ça ne fait rien, nous finirons bien par nous entendre. Et je cherche à entraîner Jean-Baptiste vers la cuisine où Lycopode, qui sera heureuse de le revoir, lui offrira un verre de vin ou deux ; et nous pourrons causer de tout ce que nous voudrons, et surtout de ce combat de Nourhas, auquel mon oncle Karl a vu Jean-Baptiste prendre part. Jean-Baptiste résiste un peu, mais se décide à se laisser faire. Et nous avons déjà fait quelques pas dans la direction de la maison lorsque la voix de mon père, tout à coup, éclate à la grille du jardin. — Qu’est ce que vous faites ici, vous ? Qui est-ce qui vous a autorisé à pénétrer chez moi ? Hein ? Je vous défends de ficher les pieds ici ! Jean-Baptiste s’est retourné ; il dévisage mon père un moment, et répond en haussant les épaules : — C’est bon, c’est bon, on s’en va. — C’est sur ce ton-là que vous parlez à vos supérieurs ? rugit mon père. — Oh ! des supérieurs comme ça... répond Jean-Baptiste en ricanant... Mon père se précipite sur le soldat, lui place la main sur l’épaule et s’écrie : — Vous insultez vos chefs ! Je vous montrerai... Jean ! va fermer la grille ! Je ne me presse pas, au contraire. Jean-Baptiste échappe à l’étreinte de mon père, bondit vers la grille, sort, et la referme derrière lui ; et il crie à travers les barreaux : — Je vais à Paris, vous savez ; avec ceux qui vont prendre la peau des capitulards pour faire des tambours ! On va vous donner de nos nouvelles ! On va vous faire voir ce que c’est que des hommes à poil ! Et il disparaît. À la porte de la cuisine, Lycopode, attirée par le bruit et qui a assisté à la scène, s’essuie les yeux avec son tablier, et mon père me reproche violemment d’avoir introduit chez lui un mauvais drôle qu’il va faire traiter comme il le mérite. Mon père est d’une humeur massacrante. Je finis par savoir pourquoi. Il paraît que les gardes nationaux de Paris se sont révoltés hier matin. Ils ont refusé de laisser livrer leurs canons aux Prussiens, et ils ont fusillé deux généraux. Voilà un affreux malheur. Et ce n’est pas la seule catastrophe qu’on ait eue à déplorer dans cette néfaste journée. Le général de Cissey, escorté de son état-major dont faisait partie le général de Rahoul, était allé reconnaître les positions des insurgés, vers Montmartre, et s’était vu obligé de se replier en bon ordre. À la descente de la rue de Clichy, deux accidents éternellement regrettables se sont produits. Malgré la grande habitude qu’ils avaient l’un et l’autre de la retraite, le général de Cissey a perdu son képi et le général de Rahoul a fait une chute de cheval. Le képi est resté sur le terrain ; le général de Rahoul aussi. Il était tombé sur le crâne et, bien qu’il eût la tête dure, s’était tué net. Il paraît que le Panari est dans les larmes ; je crois qu’on exagère. En tous cas, j’espère que Mme de Rahoul se consolera. Elle pourra vivre sur sa pension de veuve de général ; mais pour avoir un bureau de tabac, elle est trop vieille. C’est dommage. Mon père, donc, est furieux contre les Parisiens qui veulent continuer à faire la guerre ; mais le général de Lahaye-Marmenteau, qui vient le voir dans la soirée, lui fait comprendre qu’il y a là une superbe occasion de gagner de nouveaux galons — ou de conserver ceux qu’on a. — De fait, deux jours après, on donne à mon père le commandement d’un des régiments qu’on forme avec les prisonniers qu’on fait revenir d’Allemagne en toute hâte, pour aller combattre l’insurrection. ⁂ Je ne raconterai pas ici la lutte de l’armée de Versailles, armée des honnêtes gens, contre l’armée de la Commune ; ni la répression qui suivit cette lutte. Je me contenterai de dire que, dans l’une et dans l’autre, mon père se fit remarquer. Quant à moi, étant donnée la façon dont j’ai été élevé et le milieu dans lequel je vis, il est évident que je trouve justifiée, et même naturelle, la conduite du parti de l’Ordre. Je considère comme des hauts faits les actes du général de Galliffet qui supprime sommairement les perturbateurs, du capitaine Garcia qui réussit à extraire Millière du sein de la société, du capitaine Desmarets qui remporte sur Flourens une victoire mémorable, et du lieutenant Sicre qui capture la montre de Varlin. Les massacres de Paris, l’arrivée à Versailles des communards prisonniers qu’on parque à Satory ou à l’Orangerie, les Conseils de guerre, les fusillades, ne m’émeuvent que médiocrement. Les communards, à mon avis, n’ont que ce qu’ils méritent. Pourquoi se révoltaient-ils ? Est-ce qu’on s’est révolté à Versailles ? Alors ?... Dans tout cela, il n’y a qu’une chose qui m’étonne, et que je cherche vainement à m’expliquer : pourquoi Jean-Baptiste a-t-il déserté et s’est-il joint aux insurgés ? Il avait sans doute une raison. Laquelle ? Et surtout, qu’est-il devenu ? Lycopode, que je trouve toute en larmes, un après-midi, me l’apprend. Il est mort. Il vient d’être fusillé à Satory. Fait prisonnier à Paris, parmi les derniers défenseurs de la Commune, il a été conduit à Versailles ; jugé ; condamné à mort. Mon père a figuré au procès comme témoin ; témoin à charge. L’exécution a eu lieu hier matin. Je pense que Jean-Baptiste a dû mourir courageusement — comme un homme à poil. ⁂ Mais pourquoi tous ces cadavres ? Pourquoi tout ce sang ? Pourquoi !... Voila des mois et des mois qu’on tue, qu’on égorge et qu’on mitraille : Français contre Allemands, Français contre Français. Pourquoi ? Qui pousse ces hommes à se massacrer ? Un mot apparaît, en réponse ; un mot dont l’austérité se dresse, auréolée par les âges, devant mon esprit d’enfant : le Devoir. C’est ça. « Faire son devoir, m’a dit le colonel Gabarrot, c’est bien servir la France. » Le Devoir. Voilà. C’est le sentiment du devoir qui a poussé mon père à déposer contre Jean-Baptiste, au Conseil de guerre ; c’est par devoir qu’on traque les communards et qu’on les extermine comme des bêtes fauves. Le Devoir. Ça me fait l’effet d’une puissance mystérieuse qui vous pousse à faire ce que vous ne feriez jamais de vous-même, ni par instinct, ni par raison. C’est beau. Seulement, c’est grave ; très grave. Et depuis que j’ai découvert la signification, la toute-puissance du Devoir, je suis sombre, retiré, taciturne. L’idée me hante qu’il me faudra tuer, aussi, pour préserver l’Ordre, et massacrer n’importe qui, pour faire mon devoir. Il faut être sérieux, pour bien faire son devoir ; et dur, surtout. Je me jure de ne plus jamais me laisser attendrir par quoi que ce soit. Je me tiens parole. Et je me sens très peu remué, en vérité, lorsqu’on m’apprend ce soir, à mon retour d’une longue visite à M. Freeman, que ma grand’mère est très malade. Je demande à la voir. On me le défend. Je cherche à avoir quelques renseignements. On me fait des réponses vagues. Lycopode, cependant, que j’interroge habilement, finit par m’avouer la vérité : Ma grand’mère est morte cet après-midi. Comment ? Lycopode ne sait pas bien. Il y a eu une grande discussion entre ma grand’mère et mon père ; on a entendu du bruit, des cris. À quel sujet, cette discussion ? Lycopode ne sait pas bien. Elle parle d’argent, de questions d’argent. Elle commence une histoire très confuse, dans laquelle beaucoup de choses sont mêlées, et qui ne m’apprend rien. Depuis la mort de Jean-Baptiste, le cerveau de Lycopode semble un peu dérangé ; elle n’a fait aucune réflexion au sujet du trépas de son ami, parce qu’elle est sous les ordres de mon père et ne peut se permettre la moindre observation ; mais elle a été très affectée. Je n’écoute donc guère Lycopode. Mais le mot qu’elle a prononcé à plusieurs reprises, le mot : argent, me fait réfléchir profondément. Je me rappelle que mon père, il y a quelques jours, a donné des papiers à M. Curmont, en lui disant qu’il fallait absolument les faire escompter ; et M. Curmont a pris les papiers en secouant la tête. Je me souviens d’autres choses encore... Et, par un enchaînement rapide et surprenant, — le mot : Argent, tintant en mon cerveau comme un appel de tocsin — mes pensées de l’autre jour accourent et défilent de nouveau devant moi ; non plus avec l’austère allure de Vérités inflexibles alignées derrière le Devoir, maître de cérémonies ; mais avec la hideuse dégaine de mensonges difformes se bousculant derrière l’Argent, tambour-major à postiches. L’Argent. C’est peut-être parce qu’ils n’avaient point d’argent que les communards se sont révoltés ; et c’est peut-être pour être sûrs de garder leur argent que les Versaillais les ont fusillés. L’Argent ! Et pas de Devoir, alors ? Non... J’ai de la colère, et beaucoup de dégoût, d’avoir été trompé, de m’être trompé... Je ne raisonne point, certes ; je pense à peine ; je sens. Je sens, pour la première fois, qu’il y a des riches et des pauvres ; des pauvres qui sont toujours trop pauvres et des riches qui ne sont jamais assez riches. Il y a longtemps, peut-être, que cette sensation monte en moi, silencieusement ; mais la voilà tout en haut, à présent, et qui fait signe à la pensée. Je suis énervé, agacé, las. Et tout d’un coup, une grande émotion me saisit. Je comprends, j’entrevois, je vois une multitude de choses que j’ai pressenties vaguement jusqu’ici, de moins en moins vaguement, et qui se précisent subitement en mon esprit. Ah ! il faut que j’aille voir ma grand’mère, ma pauvre grand’mère, et que je lui crie, à cette morte, tout ce que j’aurais dû lui dire, tout ce que je lui aurais dit, si je l’avais compris plus tôt... J’arracherai peut-être à ses lèvres immobiles le secret de ce que je dois penser, de ce que je dois faire. Peut-être que je pourrai découvrir, sur la face glacée de cette vieille femme qui m’a tant aimé — à laquelle j’ai montré si peu d’affection, et que j’aimais pourtant, je le sens à présent — peut-être que j’y pourrai découvrir, gravées par la mort, les réponses aux questions que je n’ai jamais voulu poser, des réponses que j’aurais pu pourtant épeler dans les grands beaux yeux d’aïeule que l’âge n’avait point ternis... Je me précipite vers l’escalier. Mais mon père, qui descend, me barre le passage. À la vue de ma figure bouleversée, sans doute, il comprend que je sais tout. — Non, pas maintenant, dit-il en m’entraînant ; ce soir... Mais le soir, mon émotion m’a quitté. C’est une idée qui s’est emparée de moi, une idée fixe qui me possède tout entier. Je sais que mon oncle Karl va venir pour l’enterrement ; je lui parlerai et je lui demanderai de m’emmener avec lui en Allemagne ; je suis sûr qu’il ne me refusera pas. J’en suis tellement sûr qu’un grand calme, soudain, descend en moi ; le tumulte de mes pensées et de mes sentiments s’apaise et s’évanouit ; la certitude s’est faite en moi que je ne puis échapper à ma présente situation d’esprit que par l’évasion, l’évasion physique. J’attends l’arrivée de mon oncle le lendemain soir, épiant sa venue de moment en moment ; je l’attends encore le surlendemain matin alors que les hommes noirs sont déjà venus pour les préparatifs des funérailles, alors que mon père explique aux amis et connaissances, qui arrivent avec des figures sérieuses, que ma grand’mère est morte subitement, d’un coup de sang... Comme l’heure de la levée du corps va sonner, je me décide à demander à mon père s’il sait quand mon oncle Karl doit venir. — Il ne viendra pas, répond-il. Je ne lui ai télégraphié qu’hier soir. J’avais oublié... ⁂ J’avais rêvé d’une évasion physique. Cette évasion matérielle n’étant pas possible, l’évasion morale n’est pas possible non plus. Du reste, je n’essayerai même pas ; ce serait trop difficile. Je comprendrai, mais je ferai semblant de ne point comprendre, ainsi que presque tout le monde. Je resterai dans le rang ; dans la geôle dont les barreaux furent poinçonnés à Francfort, le 10 mai dernier, et scellés avec le sang des pauvres quinze jours après. On élabore de nouveaux règlements pour l’établissement ; les gardes-chiourmes, depuis leur victoire à Paris, ont repris de l’assurance ; les forçats ont repris leur chaîne, à laquelle l’impôt a ajouté plusieurs boulets ; les partis politiques continuent leurs promenades en queue de cervelas. L’Assemblée Nationale « élue dans un jour de malheur » siège à Versailles ; elle représente la France, « qui veut la paix », et elle « libère le territoire » à grands coups de milliards. Il y a pourtant une portion du territoire qu’on ne libérera pas, hélas ! C’est l’Alsace-Lorraine. La perte des chères provinces est bien cruelle à tous les cœurs français ; et particulièrement au cœur de M. et de Mme Raubvogel. M. Raubvogel est Alsacien ; et Mme Raubvogel est devenue Alsacienne par son mariage. Je devrais dire, pour être plus exact, qu’ils sont tous deux devenus Français ; et il conviendrait d’ajouter, pour mettre les points sur les i, que Raubvogel vient d’opter pour la France. Raubvogel a éprouvé quelque difficulté, pour cette option ; il ne pouvait pas présenter les papiers nécessaires. Son acte de naissance, par exemple, et d’autres documents, ne pouvaient être découverts à Strasbourg, berceau du cousin, d’après son propre témoignage. — Si on ne les trouve pas, disait Raubvogel, cela prouve qu’ils ont été détruits dans l’un des incendies occasionnés par le bombardement ; ou bien encore, que les Allemands, qui me haïssent, font exprès de ne pas me délivrer les pièces administratives qui me sont indispensables. La preuve, c’est que je ne suis pas seul dans mon cas. Voyez Gédéon Schurke, par exemple ; sa situation est semblable à la mienne ; et l’on ne vit jamais un meilleur Alsacien. Voyez encore M. Lügner, qui vient d’abandonner sa ville chérie de Mulhouse afin d’habiter la France ; sa position est identique à la nôtre. Nous sommes victimes d’un incendie, ou de la mauvaise volonté des Teutons. Ce raisonnement sans réplique a convaincu les autorités françaises, qui se sont déclarées prêtes à constituer au cousin Raubvogel un état civil complet, à condition qu’il pût trouver des répondants. MM. Lügner et Schurke se sont portés garants de Raubvogel. Après quoi, MM. Raubvogel et Schurke se sont portés garants de M. Lügner. Après quoi, MM. Raubvogel et Lügner se sont portés garants de M. Schurke. Voilà trois bons Français. Il y en a eu tant de mauvais, que ça ne laisse pas de faire plaisir. Est-ce que j’ai pensé à vous apprendre que le cousin Raubvogel est très riche ? Je ne me rappelle plus. En tous cas, au risque de me répéter, je veux vous dire qu’il a fait fortune. Comment, je ne sais pas trop ; je n’ai pu avoir, à ce sujet, tous les éclaircissements que j’aurais désirés. Je sais seulement qu’il a fait des opérations, pendant la guerre, avec son beau-père Delanoix. Vous n’en saurez donc pas davantage. Delanoix est venu ici, avec les époux Raubvogel, pour assister à l’enterrement de ma grand’mère ; puis, il est reparti dans le Nord, où l’appellent ses affaires. Les époux Raubvogel sont restés à Versailles. Ils se sont installés dans un magnifique appartement de la rue de l’Orangerie. Ils fréquentent la meilleure société, et tiennent le haut du pavé. Les toilettes d’Estelle font sensation ; elle porte le grand deuil (le deuil de la patrie) comme toutes les dames qui se respectent ; mais un deuil patriotique comme on en voit peu. Je regrette de n’avoir jamais été couturière, car je vous décrirais ce deuil-là. Le cousin Raubvogel qui, ainsi que sa femme, se montre charmant pour mon père et pour moi, ne pouvait rester indifférent aux souffrances de ses compatriotes ; surtout de ceux qui ont opté pour la France sans avoir eu la précaution, auparavant, de faire des opérations pendant la guerre. Il a pris un petit accent alsacien qu’il n’avait pas lorsque nous eûmes le plaisir de le voir pour la première fois ; flatterie délicate. Mais cela n’a pas suffi au cousin. Il a ouvert, avec l’appui du gouvernement, une grande souscription dont le but est d’acheter en Algérie de larges domaines, où l’on créera des villages-modèles dans lesquels iront s’établir les émigrés pauvres. L’argent afflue ; les domaines sont achetés ; les villages-modèles sont créés. L’un d’eux, le plus grand, a été nommé Estelleville, en l’honneur de Mme Raubvogel. Après une grande fête spéciale, au cours de laquelle Raubvogel fait un discours vibrant du plus pur patriotisme, et où sa femme apparaît, vêtue en Alsacienne, au bras du ministre de la guerre, les émigrés partent pour la terre promise. Ils y sont conduits par M. Lügner en personne. Le même M. Lügner revient, trois semaines après, enchanté, et avec des larmes d’attendrissement dans les yeux. Et Raubvogel se frotte les mains, des mains qu’on se dispute, à présent, l’honneur de lui serrer. ⁂ Depuis quelque temps, en dépit des attentions dont il est comblé par les époux Raubvogel, mon père semble mécontent, inquiet. C’est que la Commission de Revision des grades tient ses séances, et qu’elle va bientôt examiner les titres du colonel Maubart à la grosse épaulette. Mon père est partagé, comme on dit, entre l’espoir et la crainte. Mais cette dernière semble dominer. Le général de Lahaye-Marmenteau qui n’a point conquis de grade pendant la campagne, ayant été fait prisonnier à Wörth, et qui est revenu d’Allemagne avec les étoiles de général de brigade qu’il avait à son départ, vient fréquemment remonter le moral de mon père. Le général est un homme de haute stature, mince, avec une taille aussi exiguë que celle d’une jeune fille, un crâne chauve, un front proéminent, un menton en galoche et des yeux d’inquisiteur. Ses manières sont extrêmement courtoises ; mais sa voix siffle. À propos, je m’aperçois que j’ai oublié de relater la mort de Mme de Lahaye-Marmenteau, en 1871. J’en suis tout à fait honteux. Mme de Lahaye-Marmenteau qui était restée à Paris pendant la Commune, n’ayant pu fuir à temps, a été trouvée morte devant la maison qu’elle occupait, boulevard Malesherbes, trois jours après l’entrée des troupes versaillaises dans la capitale. Deux balles de chassepot lui avaient troué la poitrine. Le plus curieux, c’est que le quartier était justement occupé par la brigade de son mari. Toute balle, dit-on, a son billet. On ne sait pas toujours qui a signé le billet... J’ai entendu dire que le général et mon père avaient été débarrassés, en même temps, l’un d’une femme compromettante, l’autre d’une maîtresse gênante. Quoi qu’il en soit, ils sont, à présent, dans les meilleurs termes. — Je ne vous comprends vraiment pas ! s’écrie le général. Que pouvez-vous avoir à craindre ? Comment voulez-vous qu’on ait même l’idée de rétrograder le héros de Nourhas ? Mon père paraît flatté, mais peu convaincu. Quelquefois, il dit que, justement en raison de son action d’éclat, il a tout à redouter. D’autres fois, il dit qu’il n’a rien à craindre. D’abord, il a été blessé. Ça, c’est vrai. J’ai vu la cicatrice, une petite cicatrice au bras, qui aurait pu être dangereuse. — De plus, dit-il, j’ai aussi reçu ce coup de pied de cheval, qui peut compter pour une blessure. Du reste, il ne faudrait pas m’embêter ; j’en sais long. Il y a des blessures de maréchaux, reçues à Sedan, qui n’ont pas laissé beaucoup de traces. Et si je voulais parler d’autres personnages, de certains amiraux filant sur la Belgique... Et puis, ses appréhensions le reprennent. En fait, il n’a peut-être pas tort de s’alarmer. La Commission est très sévère. Dernièrement, elle a eu à se prononcer sur le cas d’un officier qui, chef de bataillon au début de la guerre, avait été créé général de division sur le champ de bataille. Cet officier avait été victorieux dans le seul combat de toute la campagne où les Français remportèrent sur les Allemands un succès réel. La Commission a rétrogradé le général jusqu’au rang de lieutenant-colonel. Le général a brisé son épée et donné sa démission. ... Plus tard, j’ai appris que cet homme, malgré tous les obstacles qu’on plaça sur son chemin, chercha à vivre ; il chercha à vivre par tous les moyens, même les plus infimes. Puis, il disparut. Un jour, dans un taudis d’un faubourg, on trouva le corps d’un individu misérablement vêtu et décharné par la misère. Le revolver dont il s’était servi pour se brûler la cervelle fit reconnaître le cadavre. C’était le général... Mais à quoi bon dire son nom ? Il y a peut-être encore une demi-douzaine de Français qui ne l’ont point oublié. ⁂ La Commission de Revision des grades a conservé à mon père, sans discussion, ses épaulettes de colonel. C’est à cette occasion que j’ai vu, pour la première fois, les journaux donner des détails sur le combat de Nourhas. Mon père s’y est admirablement conduit. Quand ses troupes, composées pour la plupart de jeunes recrues, commencèrent à lâcher pied ; lorsque, écrasées sous le nombre et décimées par les obus lancés d’énormes distances, elles se retirèrent en désordre, le colonel Maubart ne renonça pas à la lutte. Après avoir vainement tenté de rallier ses hommes, et après avoir, pour donner l’exemple, tué de sa propre main un capitaine de mobiles qui s’obstinait à fuir, il prit le parti de se défendre jusqu’à la mort. À la tête d’une vingtaine d’hommes résolus, il gagna sous les balles la ferme de la Chevrette, bâtiment quadrangulaire élevé sur un mamelon qui domine le village de Nourhas. Il s’y enferma ; s’y barricada ; et là, pendant trois heures, contre des forces cent fois supérieures en nombre, il se défendit avec le courage du désespoir. Et l’ennemi ne pénétra dans la ferme, éventrée par les boulets, que lorsque les trois quarts de ses défenseurs eurent été tués ou mis hors de combat, lorsque le colonel Maubart lui-même eut été grièvement blessé, et lorsqu’il ne resta plus une seule cartouche. C’est à peu près à l’époque où la réputation de mon père s’établit fermement, qu’on prend le parti de me mettre au lycée. Il m’est assez difficile d’expliquer quel changement se produit alors, lentement, en moi. Le contraste entre l’agitation du milieu dans lequel j’ai récemment vécu, et le calme de mon existence actuelle, extrait de moi, pour ainsi dire, des quantités d’impressions et de pensées reçues et accumulées, souvent à mon insu ; et me force à en passer la revue, à en faire l’inventaire ; à poser, à comparer, à juger, et presque à conclure. Je ne vais pourtant point jusque-là. Il m’est arrivé déjà de sentir, particulièrement une fois, lors de la mort de ma grand’mère ; mais je n’avais pas encore pensé. À présent, je pense ; seulement, je m’arrête devant les conséquences et les conclusions. J’admettrais, jusqu’à un certain point, avec Napoléon, que l’Histoire est une fable sur laquelle on s’est mis d’accord. Mais je n’ose point penser que l’histoire de la campagne de 1870, toute notre histoire, toute notre politique, n’est qu’un tissu de mensonges convenus et de fictions officielles. Je n’ose point penser que nos soldats ont versé leur sang, pendant la guerre, d’abord pour l’Empire, puis pour la République bourgeoise, et jamais pour la France. Si je m’arrêtais à cette idée, qui pourtant, me harcèle, je sens que j’aboutirais à des résultats monstrueux. Je me verrais obligé de reconnaître l’effronterie et l’infamie des éloges que se décernent mutuellement les gens que j’ai entendu, plus d’une fois, traiter de capitulards. Je serais obligé d’admettre qu’un homme, afin d’arriver à faire bonne figure dans l’armée française, doit d’abord se faire enlever la rate ; après quoi, à la vue de l’ennemi, il n’a plus qu’à faire face en arrière, et à jouer des jambes. Absurdités, évidemment. À ce compte-là, le héros de l’Iliade devrait être Thersite. Mais j’ai tort de faire cette comparaison. Je suis encore trop loin d’Homère ; et la France en est déjà trop loin. Est-il nécessaire de rappeler ici que le maréchal de Mac-Mahon a remplacé Thiers, le 24 mai 1873, à la présidence de la République ? Peut-être, car il ne faut pas oublier que mon père a été, à Wiesbaden, le compagnon de captivité du maréchal : et qu’il est resté, autant que le permettent les différences de grades, son ami. Or, si les amitiés sont jamais de quelque utilité, c’est dans l’armée. On est en train de la réorganiser, cette armée, sur une base démocratique et égalitaire ; le service militaire est universalisé. Tout citoyen français doit être soldat pendant cinq ans. Il y a bien quelques petites exceptions à cette règle ; le volontariat d’un an, par exemple ; et beaucoup d’autres. Mais ne faut-il pas des exceptions pour confirmer la règle ? Les lois récentes, naturellement, ont leurs admirateurs ; elles ont aussi, bien entendu, leurs détracteurs. Mon père était de ces derniers. Mais le général de Lahaye-Marmenteau l’a amené à modifier ses opinions ; il lui a fait voir que la création des armées nationales conduisait, comme principal résultat, à la création d’une énorme bureaucratie militaire ; et que, derrière les remparts de paperasses qui deviendront nécessaires, les malins trouveront moyen de s’embusquer dans de lucratives sinécures. Le fait est que le général, qui occupe une situation quelconque au ministère de la guerre, y a fait donner à mon père la direction d’un vague service. Versailles, étant le siège du gouvernement, est naturellement plein d’officiers. Tous les chers camarades que la guerre avait séparés, avait dispersés aux quatre coins de l’Allemagne, se retrouvent ici avec joie, en bonne santé et pleins d’espoir. Le maréchal Bazaine, seul, manque au rendez-vous. Il est, présentement, détenu ; et, bien qu’on prétende généralement dans l’armée que c’est une indignité, il va bientôt être traduit devant un Conseil de guerre qui siégera à Trianon. Souvent, le jeudi, en nos promenades de lycéens, nous passons devant la maison qui sert de prison au maréchal, tout au bout de l’avenue de Picardie. Nos promenades sont tristes, sévères et silencieuses. On nous élève à la Spartiate (brouet compris et exercices physiques non compris). On nous affuble d’uniformes vaguement militaires ; on règle notre existence au tambour ; on nous gave de connaissances variées, avariées, invariablement inutiles. Nous travaillons comme des nègres, sans répit ; il faut que les jeunes générations soient très instruites, car c’est le maître d’école allemand qui nous a battus ; (après tout, il faut bien que ce soit quelqu’un). Nous apprenons l’histoire, comptabilité d’abattoir tenue par des bedeaux, au point de vue providentiel et inévitable. Nous apprenons les langues mortes ; nous admirons l’honnêteté de Cicéron et le patriotisme de Thémistocle ; nous vivons dans un monde de casques, de cuirasses, de javelots, de flèches, de catapultes, d’antiques ferrailles. Nous calculons aussi très bien ; nous computons la hauteur qu’atteindrait une pyramide formée avec les pièces de vingt francs nécessaires au payement de la rançon de cinq milliards exigée par la Prusse ; nous calculons combien de wagons il faudrait pour transporter la même somme à Berlin, en pièces de cent sous. Je n’oublie pas, pour mon compte, que ces pièces d’or et d’argent portent, en exergue, cette légende : Dieu protège la France. Je ne sais pas si c’est la une prière, ou une constatation ; dans le premier cas, c’est inefficace ; dans le second, c’est dérisoire. ⁂ Avec ou sans protection divine, la France a payé sa rançon en un tour de main. Elle en est aussi fière que si, au lieu de la débourser, elle l’avait empochée après un tour de Rhin. Voilà le territoire libéré, ou peu s’en faut. L’argent est une belle chose. J’ai eu l’occasion de m’en rendre compte plusieurs fois, récemment. Je ne fais ici aucune référence au procès Bazaine, terminé par la condamnation à mort, temporaire, du traître ; il a été établi que Bazaine n’avait point trahi pour de l’argent, n’avait point touché en écus sonnants le prix de sa félonie ; il avait simplement subordonné les opérations de son armée aux combinaisons de sa politique personnelle. Il n’avait songé qu’à échafauder sa propre grandeur sur la défaite de son pays ; l’argent n’était donc pour rien dans l’affaire, ainsi que le font remarquer justement les nombreux officiers qui cherchent à réhabiliter le maréchal. Je ne fais pas davantage allusion au vote de la Constitution, établie en 1875, à une voix de majorité ; ce n’est qu’à l’Opéra qu’on paie les voix, et plus cher qu’elles ne valent. Je veux simplement parler du second mariage de mon père, qui s’est effectué dans des conditions que je vais relater sommairement, et telles qu’elles m’ont été rapportées fidèlement par Gédéon Schurke quelques années plus tard. Mon père était, comme je l’ai dit, à la tête d’un des services du ministère de la guerre ; il était en relations constantes avec des fournisseurs de l’armée ; il se prêta à certaines complaisances rémunérées. Personne, hormis peut-être le général de Lahaye-Marmenteau, n’eut connaissance de ces choses ; pourtant, elles s’ébruitèrent. On voit que les murs ont des oreilles. Il y eut commencement de scandale, qui n’avorta que grâce à la complication de la situation politique et aussi à l’intervention du cousin Raubvogel ; car Raubvogel, qui a de gros intérêts sur la place et subventionne un journal, est devenu une puissance. Raubvogel, donc, agit en bon parent. Mon père, réduit soudainement à la portion congrue, c’est-à-dire à sa solde, se mit aussitôt à traiter Raubvogel en bon parent, c’est-à-dire en caissier. Raubvogel finança ; puis, se lassa de financer ; cependant, n’en fit rien paraître. Il prit conseil de Delanoix qui était venu passer plusieurs jours à Versailles pour une affaire. Delanoix déplora la situation, mais lui trouva une issue. Il fallait marier le colonel Maubart. Oui ; mais comment ? Delanoix savait comment. Il rappela à Raubvogel un incident de leur carrière commune, alors qu’ils opéraient dans le Nord, pendant la guerre. Leur entreprise générale de contrebande, ainsi que je crois l’avoir déjà suffisamment fait entendre, allait à merveille. Pourtant, il y avait une ombre au tableau. Cette ombre, c’était la concurrence acharnée que faisait aux associés un fraudeur émérite, nommé Vanhostel. Delanoix, sans la moindre hésitation, dénonça son concurrent, comme espion prussien, au général commandant les troupes françaises cantonnées dans la région. Sa dénonciation était appuyée de preuves irréfutables, consistant en documents d’un caractère écrasant pour l’inculpé. Ces documents avaient été composés, avec un grand souci des formes, par Séraphus Gottlieb Raubvogel. Le traître Vanhostel fut donc saisi ; condamné à mort ; fusillé. La concurrence redoutable fut ainsi supprimée ; et la fortune de Vanhostel, fortune considérable, revint à sa nièce, Mlle Elisa Ducornet, alors âgée d’une douzaine d’années. À l’époque dont je parle, Mlle Ducornet n’avait guère plus de dix-sept ans ; elle était orpheline ; et son tuteur, un notaire de Lille, la faisait élever avec le plus grand soin dans un couvent choisi. C’est sur cette intéressante orpheline que Delanoix jeta les yeux lorsqu’il songea à pourvoir mon père d’une seconde épouse. Au mieux avec le notaire de Lille, et s’étant concilié les bonnes grâces des chères sœurs par quelques-uns de ces petits cadeaux qui, non seulement entretiennent l’amitié, mais la créent, il ne tarda pas à réussir dans son honnête entreprise. Mon père a donc épousé dernièrement, en secondes noces, Mlle Elisa Ducornet. J’ai assisté à la cérémonie, fort imposante, dans un uniforme tout neuf. Les témoins de mon père étaient le général de Lahaye-Marmenteau et M. Delanoix ; les témoins de la mariée étaient le général Laffary d’Hondaine et M. Raubvogel. Ce mariage, si j’ose dire, a refait à mon père une virginité. La jeune Mme Maubart, chaperonnée par Mme Raubvogel, est reçue partout avec enthousiasme. Entre nous, ma belle-mère, bien qu’elle ne soit pas laide, est une petite sotte ; c’est une dinde, pour dire le mot. Mais il n’y a personne comme Mme Raubvogel pour faire valoir les gens et les présenter sous leur meilleur aspect. Comment elle s’y prend, je l’ignore ; mais tout le monde chante ses louanges et elle obtient tout ce qu’elle veut. Et il est certain que le ministre de la guerre, sur la demande de ma cousine, accorde à mon père le commandement d’un régiment d’infanterie caserné à Saint-Denis. ⁂ Mon père, avant de quitter Versailles pour Saint-Denis, vend la maison de l’avenue de Villeneuve-l’Étang ; la maison où mon grand-père et ma grand’mère sont morts. Cette maison a fait partie de mon lot lors de la division de l’héritage qu’ont laissé mes grands-parents. Mon père, qui est mon tuteur, a toujours prétendu avoir défendu mes droits avec acharnement, à cette occasion, contre la rapacité toute prussienne de mon oncle Karl. Il veille sur ma fortune avec un soin jaloux ; et la fait valoir habilement, mais prudemment. C’est, dit-il, un dépôt sacré ! Je n’ai jamais cru beaucoup à la rapacité de mon oncle, qui s’est fait représenter dans cette affaire par un homme de loi ; mon père a fréquemment insulté l’homme de loi, disant qu’il était vraiment honteux pour un Français de se faire le factotum d’un Allemand. Je reste donc seul à Versailles, sans foyer et sans famille. Mon père ne m’invite guère à Saint-Denis qu’une ou deux fois par mois ; d’ailleurs, je n’aime pas beaucoup voir ma belle-mère. Cette pauvre créature inoffensive prend, de plus en plus, l’aspect d’une victime. Mon père semble la traiter en quantité négligeable. Et Lycopode elle-même affecte de ne la tolérer que par pitié. Elle me met la mort dans l’âme. Je comprends que je l’intimide, et je me sens vaguement gêné devant elle. Elle paraît ne savoir ni que dire, ni que faire ; on la prendrait pour l’indécision incarnée. Cette impression est justement celle que donne la France, à présent. Je puis citer un fait qui fera comprendre l’incertitude politique de cette période que caractérisent le 16 mai, le mouvement des curés et des évêques, les 363, l’agitation en faveur de Pie IX, l’acte du major Labordère et les discours de MM. de Fourtou et Gambetta. Mon père, en quittant Versailles, m’a donné pour correspondant M. Curmont, qui est à la tête du parti républicain versaillais ; et il m’a confié, en même temps, aux bons soins de l’abbé Portelange, un prêtre qui est au mieux avec les chefs de la réaction. Deux sûretés valent mieux qu’une, et l’on ne sait jamais de quel côté le vent peut tourner. Chaque jeudi et chaque dimanche, je vais donc faire une visite à l’abbé ; après quoi, je vais passer le reste de la journée chez M. Curmont. Au début, j’allais assez souvent voir aussi M. Freeman, qui m’aime tant, et auquel ma présence causait visiblement un grand plaisir. Il me parlait de la France qu’il chérit toujours de la même passion idéale ; il me parlait de la Revanche, et me disait qu’il serait heureux de ne pas mourir avant de l’avoir vue. Mais j’ai dû cesser mes visites, qui me compromettaient ; M. Curmont et l’abbé me l’ont fait comprendre. M. Freeman, dit l’un, est un vieil enragé qui ne rêve que plaies et bosses ; c’est, dit l’autre, un hérétique. M. Curmont ne semble avoir gardé rancune ni à mon père ni à moi des mauvais propos qu’il a tenus sur notre compte. Mme Curmont est malade, usée, épuisée par son travail incessant de tant d’années ; Albert Curmont n’est encore rien dans le gouvernement ; c’est rigolo ; mais ça viendra sûrement avant peu. Ce sera rigolboche. En attendant, il a la bouche pleine des prouesses qu’il a accomplies durant la guerre ; on ne se figure pas combien sa conduite a été remarquable dans ce camp qu’il a formé en Bretagne. Quant à Adèle, c’est une belle jeune fille, intelligente et fine, que mes manières brutales choquent un peu, mais qui me témoigne beaucoup d’affection. Je sens aussi quelque chose pour elle dans le coin de mon cœur ; et je déplore, d’avance, sa vie qui sera sacrifiée, ainsi que, l’a été celle de sa mère, à de soi-disant devoirs de famille. M. Curmont me parle souvent de politique. Il me prône l’excellence des républicains. Pourtant, il me dit qu’il faut me méfier des exagérations et me garder des extrêmes. L’abbé me parle souvent de politique et de religion. Il me prône la grandeur du trône et de l’autel. Pourtant, il me dit qu’il faut me méfier des exagérations et me garder des extrêmes. — Ne soyez pas trop républicain, dit M. Curmont. — Ne soyez pas trop religieux, dit l’abbé. ⁂ L’Exposition de 1878, qui fut l’une des premières manifestations du relèvement de la France, a été pour moi l’occasion de divertissements nombreux. Je me rappelle parfaitement avoir assisté, le derrière sur l’herbe, à la grande fête de nuit donnée, à Versailles, en l’honneur du Shah de Perse. Je me souviens aussi que c’est le lendemain de cette fête qu’une communication importante me fut faite par un de mes condisciples. Ce jeune homme, neveu du ministre de la guerre, avait appris que le colonel Maubart se trouvait dans une vilaine situation. Il paraît que mon père avait engagé sa femme à offrir l’hospitalité à une jeune parente, âgée de douze ou treize ans, de l’innocence de laquelle il s’est permis d’abuser. L’enfant s’est plainte. Et, bien que les personnes à qui elle s’était adressée l’eussent engagée à se taire, l’affaire a été ébruitée. Généralement, on ne sait pas par qui ; mais mon condisciple le sait. Il a entendu dire à son oncle que le général de Lahaye-Marmenteau, qui avait recueilli les renseignements nécessaires, l’a mis au courant des faits. Le ministre va être forcé d’agir car la presse, sans doute à l’instigation sournoise du général, va commencer une campagne contre le colonel Maubart. Deux jours après, un dimanche, je vais à Saint-Denis et, carrément, j’informe mon père de ce que je sais. Il s’étonne, nie, balbutie, cherche à s’excuser, parle de ces petites filles qui sont toujours dans vos jambes. Mes révélations au sujet du général de Lahaye-Marmenteau l’émeuvent très fort. — Ah ! le brigand ! le cafard ! C’est une vengeance ! Il se venge, le sale cocu, de toutes les cornes que je lui ai fait porter !... Et je m’explique, maintenant, ma mésaventure au ministère. C’est encore lui qui m’avait dénoncé... Je lui revaudrai ça, n’aie pas peur... En attendant, il faut parer au plus pressé, il y a déjà un cochon de journal, ce matin, qui m’appelle « satyre à épaulettes. » Voyons... Je vais d’abord aller voir Gambetta ; Lahaye-Marmenteau est un cagot et un ratapoil qu’il déteste ; moi, je suis républicain, libre-penseur ; c’est l’exemple de Gambetta qui m’a soutenu et inspiré, à l’armée de la Loire ! Étais-je à Nourhas, oui ou non ? Gambetta peut clore le bec aux journaux... Et puis, j’irai voir Mac-Mahon... Vieux camarade... Wiesbaden... Il ne permettra jamais que pour une peccadille... Et mon père me met au courant des démarches qu’il veut faire. Il les commencera dès demain, et nous verrons. Nous avons vu. La presse n’a pas soufflé mot. Mon père a été nommé attaché militaire à l’ambassade française à Berlin. Il est parti pour l’Allemagne à la fin du mois de septembre. ⁂ Je ne suis pas très « avancé » pour mon âge. Près de trois années doivent donc s’écouler avant que je puisse me présenter à Saint-Cyr. Quand et comment ai-je pris la détermination d’entrer à Saint-Cyr ? Je ne pourrais le dire. À parler franc, je n’ai même jamais pris aucune détermination à ce sujet. La chose s’est faite d’elle-même, se fait d’elle-même, comme normalement. Je vais à l’armée sans hésitation et sans examen, naturellement ; à peu près comme le jeune caneton, dès qu’il a brisé sa coquille, se dirige vers la mare afin d’y faire un plongeon. Je n’ai pas beaucoup le temps de réfléchir ; mais s’il m’arrive parfois de jeter un coup d’œil sur la route que j’ai choisie et que je devrai suivre, et de me questionner moi-même sur les avantages et les désavantages de mon choix, je dois dire que je ne regrette jamais, en définitive, le parti que j’ai pris de propos plus ou moins délibéré. Quand je compare l’état militaire à tous les autres métiers, à celui du paysan, de l’ouvrier, de l’employé, du fonctionnaire civil, du juge, du financier, du politicien, et à tous ces métiers que la Société n’admet pas, mais qu’elle crée, il m’est impossible de voir en quoi la profession de soldat peut leur être inférieure. Le raisonnement me démontre, au contraire, qu’elle leur est supérieure. Il me semble que tous les êtres qui constituent la Société, hommes, femmes et même enfants, exercent des métiers ; hormis deux catégories d’individus dont l’action sociale ne peut se classifier comme métier, mais seulement comme état. Ces individus sont les militaires professionnels et les prêtres. L’existence des êtres qui exercent des métiers est tellement terne et abjecte, tellement opposée à toute manifestation libre de force morale et de vigueur physique, que ces pauvres gens mourraient d’ennui et de désespoir, crèveraient de la nostalgie de leur virilité, s’ils ne pouvaient se donner, de temps en temps, le spectacle décevant et pompeux, l’illusion éblouissante et tapageuse des forces mentales et matérielles de la réalité desquelles le Mensonge Social les châtra. Cette illusion leur est fournie par les deux classes d’individus qui n’exercent pas un métier, mais qui ont un état. Tous les dimanches, dans cent mille églises, des hommes, des femmes et des enfants prient, chantent, pleurent, s’agenouillent, dans le vieil esprit du Moyen-Âge ; cherchent à s’imprégner, en dépit de leur connaissance des réalités présentes, des misérables déceptions du passé, Ils s’efforcent de se donner l’illusion de la foi — de la foi dans la présence d’un être supérieur qui les guide, les conseille et les protège... Le Prêtre leur donne l’illusion de la force mentale. Les déploiements de drapeaux, les parades militaires entretiennent leur amour et leur respect de traditions sanglantes, leur inculquent la vénération des légendes pétrifiées de la Force. L’éclat des armes, le tintamarre des cuivres évoquent dans leur esprit des visions de gloire, font apparaître à leurs yeux glauques des fantômes de splendeurs héroïques. Ils cherchent, pendant que résonne la grosse caisse et que roulent les canons, à se donner l’illusion du courage — du courage civique, patriotique, humain... Le Soldat leur donne l’illusion de la force matérielle. Autant, alors, être parmi ceux qui donnent l’illusion — ou qui la vendent — que parmi ceux qui l’achètent. J’ai encore d’autres choses à dire ; mais ce sera pour plus tard. Pour le moment, je pioche et je pioche, afin de rattraper beaucoup de temps perdu. Des succès modestes récompensent mes généreux efforts. Je décroche deux ou trois prix consistant en des Histoires de la guerre de 1870, couronnées par l’Académie Française, et qui célèbrent, comme il convient, la gloire des vaincus. Je travaille tant, que je me tiens très peu au courant de la politique dont l’étude, pourtant, est si nécessaire à l’officier ambitieux. J’en connais tout juste les plus gros événements, tels que le remplacement de Mac-Mahon à la Présidence par Jules Grévy, le 30 janvier 1879. C’est à peine, même, si je prends le temps de faire le paon et de poser à l’officier, pendant mes sorties. J’ai appris, bien entendu, à jouer du torse dans ma tunique de collégien et à faire des effets de képi ; mais à quoi bon ? Versailles reprend de plus en plus son caractère indifférent et morne ; la ville perd la population que lui avaient donnée les événements ; toutes les personnes que je connaissais, les Raubvogel par exemple, l’ont quittée pour Paris. Je ne me mets en frais ni pour M. Curmont, ni pour l’abbé Portelange, ni pour Adèle que le peu de raffinement de mes manières semble détacher de moi ; ni même pour les quelques femmes hors d’âge avec lesquelles j’ai appris à connaître l’amour, sur le pouce. Je travaille donc ; et c’est avec la certitude du succès que je me présente, en 1881, parmi les candidats à l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr. Vous allez voir comme j’ai de la chance et comment, quoi qu’on en dise, la vertu et le travail sont rarement récompensés en ce monde. La veille de l’ouverture du concours, je reçois de mon père une dépêche m’informant de la mort, à Berlin, de ma belle-mère. Il paraît que c’est le mal du pays qui l’a tuée. On n’est pas veinard, dans sa famille. Quoi qu’il en soit, je regrette son décès, dans les circonstances présentes ; mes examens m’interdisent de quitter Paris. Si elle était morte seulement huit jours plus tard, j’aurais eu l’occasion d’aller en Allemagne, pour assister à ses funérailles. Serai-je reçu ou ne le serai-je pas ? Le général Laffary d’Hondaine, que je rencontre quelque temps après, et qui est dans le secret des dieux, m’annonce confidentiellement que je suis reçu avec le numéro 234. Ça vaut mieux qu’un échec. Je n’ai donc plus guère que deux ans à attendre pour porter l’épaulette de l’infanterie, Reine des Batailles. Les informations données par le général Laffary d’Hondaine n’étaient pas tout à fait exactes ; il est bien vrai que je suis reçu à Saint-Cyr, mais avec le numéro 432 seulement. Le général avait cité d’une façon précise les chiffres qui composent le nombre ; mais il leur avait fait faire face en arrière, les avait amenés, pour ainsi dire, à battre en retraite ; simple affaire d’habitude. Mon succès n’est pas brillant. Pourtant, cela ne prouve rien. Ce ne sont pas les premiers partis qui arrivent le plus vite. Consultez l’Annuaire. Pour moi, j’avoue que j’ai eu la faiblesse d’aller consulter une tireuse de cartes. Cette dame, dont la réputation est grande et qui a la clientèle de l’aristocratie, m’a prédit le plus brillant avenir. Nous n’avons plus qu’à attendre, pour voir si la prophétie se réalisera. Je n’ai pas parlé des énormes difficultés du concours ; ni du monôme des candidats, généralement revêtus de la toge et coiffés de la toque de l’avocat, qui serpenta joyeusement le long du boulevard Saint-Michel ; ni du nombre de ces candidats. Nous étions 2.200. L’École ne devait recevoir que 450 élèves. Quel élan vers la carrière militaire ! Comme on voit bien que l’espoir de la revanche est resté populaire chez nous ! Qui donc a dit que la race française n’était plus une race guerrière ? Nous sommes pleins d’enthousiasme, mes camarades et moi, lorsque nous pénétrons, au mois de novembre, dans la grande demeure. Nous avons hâte d’endosser l’uniforme et, melons que nous sommes, de répéter ces vers héroïques et traditionnels : « À nous, cette mêlée ardente. — À nous, cette plaine sanglante, — À nous la gloire et le trépas, — À nous ces nuages de poudre, — À nous les éclairs de la foudre, — Et la volupté des combats. » ⁂ Mon enthousiasme a passé rapidement. De l’enthousiasme !... Je n’arrive même pas à comprendre pourquoi on nous oblige à demeurer deux ans à Saint-Cyr. Est-ce pour nous enseigner l’Art de la guerre ? Mais qu’est-ce donc que cet Art de la guerre qu’on dit aujourd’hui si savant et si complexe ? N’est-ce pas simplement l’Art de la Destruction ? Et est-il donc nécessaire à un homme, afin de devenir un bon destructeur, de consacrer deux ans de sa vie à l’étude théorique de la dévastation ? Je ne m’explique pas qu’on ne nous envoie point, plutôt, passer ces vingt-quatre mois parmi des tribus sauvages que nous pourrions massacrer à l’aise, ou parmi des populations laborieuses et d’esprit révolutionnaire que nous pourrions mettre à la raison. Ce serait là un excellent moyen, le seul, de nous permettre de nous faire la main. S’il faut détruire, s’il faut maintenir, comme agents de l’existence sociale, la ruine et la mort, pourquoi ne pas simplifier l’art de la tuerie, au lieu de le compliquer ? Et c’est seulement à la complication que pousse le développement continuel de la soi-disant Science militaire. La guerre, par suite de l’intrusion de la Science dans le carnage, — intrusion dont les Intérêts ont vite appris à tirer parti — devient une farce, dont les peuples ont à payer les frais bien plus en espèces qu’en nature, et qui menace de se jouer éternellement. Au fond, l’enseignement qu’on nous donne est surtout moral ; je devrais dire immoral. On ne se lasse point de nous faire entendre que nous sommes des êtres supérieurs, faits pour dominer et commander ; on nous démontre d’une façon fort claire que, sans nous, la société se dissoudrait dans le chaos ; que cette société en désarroi ne se maintient que grâce à l’existence de l’armée, qui a seule survécu au milieu de la désorganisation générale ; et que l’armée, c’est nous. La Patrie, c’est l’Armée ; et l’Armée, c’est l’Officier. Par conséquent, on nous apprend à figurer la Patrie... Rossel écrivait : « Le Prince doit savoir la guerre, disait Machiavel ; aujourd’hui, le Prince, c’est le Peuple. » Mais on a fusillé Rossel parce qu’il ne fallait pas que le peuple sût la guerre. C’est l’officier qui doit la savoir ; et il n’a pas beaucoup de mal à l’apprendre. Il n’a qu’à se persuader qu’il incarne, qu’il représente la Patrie. Soit. Mais alors, je me demande pourquoi on ne nous distribue pas le seul livre qui nous serait de quelque utilité pour régler notre attitude : le Manuel du Parfait Vainqueur (traité de la Victoire morale). Une chose que je ne me demande plus, par exemple, c’est la cause de nos désastres de 1870. Elle m’apparaît. Je commence à percevoir en même temps que, pour que la guerre reprenne une signification et tende à disparaître, il faut que le Peuple fasse la guerre par lui-même et pour lui-même. Et je me rends compte de tout l’odieux et de tout le ridicule de cette comédie du Relèvement qui se déroule, depuis tant d’années déjà, sous la voûte d’acier formée par des épées trempées dans l’eau bénite. Toute l’instruction technique qu’on nous donne, en dépit des apparences, se réduit à rien. Des tas de notions, généralement inutiles et inapplicables en elles-mêmes, se bousculant sur la base chancelante d’extravagantes hypothèses, et qui doivent être rendues plus inapplicables encore, en pratique, par suite de l’existence de ce fait certain : que la Politique est devenue la fatalité qui, de plus en plus, appuie sa patte crochue sur l’épaulette des chefs militaires. La guerre n’est plus un acte héroïque, ni même une œuvre nécessaire ; c’est une opération mercantile. C’est le Boutiquier, du fond de son échoppe, de son bureau, de sa banque, de cette succursale de la Bourse qu’on appelle le Parlement, qui la décrète, la déchaîne, la conduit, l’arrête. Et c’est pourquoi la plus grande puissance banquière de notre époque, l’Église, cherche aujourd’hui à prendre ouvertement la direction de l’Armée. Le cléricalisme règne en maître à Saint-Cyr. L’aumônier est le personnage important ; et le catholicisme des professeurs éclipse leur érudition. Toutes les faveurs sont réservées aux écoliers des collèges de Jésuites, qui sont en grand nombre. On dirait que les bons pères ont fait ce rêve de la reconstitution d’une caste guerrière, qui s’élèverait peu à peu au-dessus des autres classes de la nation, et les dominerait, pour la plus grande gloire de Rome. Quant aux élèves des établissements laïques, ils sont fort méprisés par la clique religieuse ; et, s’ils n’affectent pas quelque dévotion, traités en parias. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à une pareille situation. Au cours d’un des nombreux voyages que fait mon père de Berlin à Paris, et pendant lesquels il oublie rarement de me rendre visite, je l’ai mis au courant des faits. Il a paru fort étonné. Il se doutait bien de quelque chose comme ça, m’a-t-il déclaré, mais il n’aurait jamais pensé... — De mon temps, a-t-il dit, les différences d’origine d’écoles préparatoires n’avaient pas encore apporté leur note discordantes à Saint-Cyr. Deux seulement des jeunes gens de ma promotion sortaient d’institutions religieuses. Leur séjour à l’École ne fut pas enviable. Ils furent mis en quarantaine et eurent à subir des brimades cruelles. L’un se fit tuer en Crimée, presque volontairement, et l’autre donna sa démission peu de temps après sa sortie de l’École. Nous n’aimions pas les cagots, et les convictions religieuses nous semblaient des idées d’un autre âge, très peu respectables. À vrai dire, je me suis toujours douté de ce qui arrive ; et je prévois que l’esprit clérical se développera sans interruption. J’avais même pensé à te faire élever dans un établissement religieux ; mais j’y ai renoncé. C’est vraiment trop malpropre. Toute jeune fille élevée par les bonnes sœurs est une tribade ; tout jeune homme qui sort d’une jésuitière est un bardache. Voilà mon opinion ; et ça me dégoûte. La France est moins délicate que moi ; elle aime ça. La France, terre de liberté et de pensée libre, foyer du progrès, cuve de fermentation révolutionnaire !... La France est une cuve de fermentation, avec le derrière du prêtre en guise de couvercle ; et ça pèse lourd, un derrière de curé ! Enfin, qu’est-ce que tu veux ? Il faut, sinon hurler avec les loups, au moins ouvrir la gueule en même temps qu’eux. Sans approuver ouvertement, il ne faut point désapprouver. Déclarons-nous partagés entre le culte de la liberté de conscience et celui du drapeau. La liberté de conscience, a-t-il conclu en ricanant, en voilà une fameuse affaire pour nous tirer d’embarras, à notre époque de consciences en caoutchouc ! ⁂ Vous voyez que mon père a des idées à lui sur bien des choses. Je ne vous exposerai pas toutes ses opinions sur Saint-Cyr. Je vous répéterai seulement ce qu’il m’a dit dernièrement, peu de jours après qu’il fut revenu à Paris après avoir été relevé de son poste à l’ambassade française en Allemagne ; c’est-à-dire dans les derniers jours de novembre 1881. — Saint-Cyr n’est ni une école théorique, ni une école pratique. On a de la peine à faire, en cinq ans, de bons soldats au régiment. On prétend pouvoir créer, en deux ans, d’excellents officiers dans des dortoirs — auxquels, il est vrai, on a adjoint une chapelle, qu’on agrandit tous les jours. — Ce qu’on cherche à faire de l’élève de Saint-Cyr, de plus en plus, ce n’est pas un militaire ; c’est un apôtre. C’est un missionnaire inconscient de la routine ; un automate voué à l’apostolat, par la parole et par l’acte, de toutes les âneries qui constituent la saine doctrine sociale. Voilà l’évidence même. Si l’on désirait seulement avoir de bons officiers, pourquoi ne les prendrait-on pas parmi les jeunes soldats du contingent ayant un certain degré de culture intellectuelle ? Ces jeunes gens pourraient compléter leur instruction dans des établissements spéciaux ; ou, ce qui vaudrait mieux, par eux-mêmes. Pour être un bon officier subalterne, il est plus nécessaire de connaître la grammaire et des langues vivantes que d’avoir ingurgité péniblement les quintessences mal distillées de la grande et de la petite tactique. Mon avis est que notre système militaire ne peut pas être réformé efficacement. On devra, s’il doit durer, le démolir et le reconstruire complètement. Pour cela, il faut attendre une autre guerre ; peut-être une autre débâcle. C’est sous le feu que ces grands changements s’accompliront. En attendant, Saint-Cyr, comme institution, est une chose morte. C’est un vieux tambour crevé, sur lequel le Jésuite bat le rappel des vanités rapaces de la bourgeoisie et des ambitions creuses d’une impotente noblesse. Mon père me parle de l’Allemagne, qui est un beau pays, mais qui a besoin de beaucoup d’argent pour se développer complètement ; les Allemands ont eu tort de nous prendre cinq milliards ; il leur en aurait fallu vingt-cinq. Il me parle de Berlin, qui est une ville sans caractère ; les monuments ne l’ont pas intéressé et la Siegessäule elle-même l’a laissé froid. Il me parle des fonctions qu’il a remplies : une vraie moquerie. Rien à voir ; on invite les attachés français à des manœuvres sans intérêt du côté de Breslau ou de Koenigsberg. Le prédécesseur de mon père, cependant, ayant pris l’habitude d’envoyer au ministère six ou sept kilogrammes de rapports chaque mois, mon père, pour ne pas demeurer en reste, n’en n’expédiait jamais moins de dix kilogrammes mensuellement. Le gouvernement n’avait donc pas lieu de se plaindre. Du reste, rien à apprendre. Ou du moins... ... Ici, mon père s’arrête un instant ; mais, après quelque hésitation, il se décide à me confier qu’il a fait, à Berlin, la connaissance d’une dame de l’aristocratie qui lui a souvent donné des renseignements curieux. Au fond, les informations qu’elle fournissait étaient peut-être plus sensationnelles qu’exactes ; mais la femme était charmante. Mon père me fait de cette dame — qui s’appelle la baronne de Haulka — une description enthousiaste ; comme elle est libre, étant veuve, il l’a fortement engagée à venir se fixer en France. Mon père est en veine de confidences. Il me fait part, sous le sceau du secret, d’un bon tour qu’il a joué, avant de quitter l’ambassade, à son ennemi le général de Lahaye-Marmenteau. Le général faisait espionner mon père par un agent secret nommé Lügner. Ce Lügner était en relations avec le cousin Raubvogel ; ce dernier informa mon père. Mon père fit fournir au sieur Lügner, par l’intermédiaire d’un ami de la baronne de Haulka, des renseignements vraisemblables, mais complètement faux. Ces renseignements portaient sur de prétendus déplacements de troupes allemandes ; ils furent aussitôt transmis à Lahaye-Marmenteau. Celui-ci, sans se livrer à aucune vérification des avis qui lui étaient donnés, fit prendre des dispositions qui apportèrent une indescriptible confusion dans l’organisation de nos troupes et de nos approvisionnements le long de la frontière de l’Est. — Sans perdre un moment, dit mon père, je communiquai avec le ministre de la guerre. Je fis voir que les renseignements reçus par Lahaye-Marmenteau étaient mensongers, et qu’il s’était laissé prendre dans le piège le plus grossier. Je déplorai amèrement que les bureaux n’eussent pas une plus grande confiance dans ma vigilance, et qu’ils se missent entre les mains de personnages équivoques. J’allai même jusqu’à envoyer un rapport spécial des faits à Gambetta qui vient, comme tu le sais, d’être nommé premier ministre, il y a quinze jours. Veux-tu connaître les résultats de ma diplomatie ? Je viens d’être rappelé en France afin d’être nommé général de brigade ; de plus, j’aurai pour mes étrennes la cravate de commandeur, en récompense de mes services à Berlin. Quant à Lahaye-Marmenteau, il a été censuré comme il convient. Il s’attendait à être placé à la tête de l’État-Major général ; il peut attendre. Sa sottise, m’a dit Gambetta dans un long entretien que j’ai eu avec lui avant-hier, a coûté plus de six millions au Trésor. Je t’avais bien dit que j’aurais ma revanche !... Et mon père se frotte les mains. Donc, mon père est l’ami de Gambetta. Il est son grand ami. Il est son grand admirateur. Il dit que c’est l’homme providentiel, l’homme qu’il fallait. Il dit que le Grand Ministère va accomplir les œuvres les plus étonnantes. Il chante la gloire de Gambetta partout, à droite, à gauche, et même chez le cousin Raubvogel. Mais le cousin Raubvogel, qui est devenu très riche, ne cherche plus à dissimuler sa pensée. Il a répondu à mon père : — Laissez-moi donc tranquille. Votre grand homme est en baudruche. Je ne lui donne pas trois mois pour se dégonfler à tout jamais, et de piteuse façon. Mais mon père ne se déconcerte pas ; il continue à se dire gambettiste, patriote et démocrate. L’autre dimanche, chez M. Curmont, qui nous avait invités à déjeuner, il s’est mis, après le café, à défendre avec chaleur les idées de Gambetta sur la colonisation. Il a exalté le projet d’un grand empire colonial, présenté par Gambetta en 1880 après que les Allemands eurent pris pied en Afrique, et qui assigne à la France tout le continent africain au nord du golfe de Guinée. — Pour qu’une entreprise pareille puisse réussir, dit-il, entreprise libérale et démocratique au premier chef, il faut que toute opposition disparaisse. Il faut que les interpellations soient interdites à la Chambre... — C’est bien peu démocratique, interrompt M. Curmont, surpris. — Je veux dire, continue mon père, fort ennuyé, je veux dire ces réunions, ces choses, ces... ces... Enfin, il faut qu’on cloue le bec à la Presse. Voilà ! — Mais, demande M. Curmont, de plus en plus étonné, où démêlez-vous la démocratie, là-dedans ? — Je ne la démêle pas ! crie mon père, exaspéré. Je l’emmêle — à pied et à cheval ! ⁂ La Démocratie, cependant, s’affirme. La Démocratie consciente d’elle-même, qui n’a point oublié que des heures mauvaises sonnèrent pour la patrie, et qui se prépare à la revanche prochaine. Les discours, les sociétés de tir, de gymnastique, les orphéons, les bataillons scolaires, témoignent de l’imminence de cette revanche ; la Presse aussi. Elle a été unanime, cette Presse, dans les éloges qu’elle a décernés à mon père, le 1er janvier, à l’occasion de son élévation au grade de commandeur dans l’ordre de la Légion d’Honneur. Elle a rappelé ses hauts faits, a reproduit le récit historique du combat de Nourhas. Et elle a encore applaudi, quelques jours après, lorsqu’il a été désigné, comme brigadier, pour le commandement de la 312e brigade d’infanterie. Mon père est parti pour son nouveau poste au milieu d’un concert de louanges, patriotiquement accordées à « un général réellement républicain, comme nous en avons trop peu. » On est républicain, et sérieusement. On fête le 14 Juillet, anniversaire de la prise de la Bastille. (La Bastille. Il n’y en a qu’une). Et « le cléricalisme étant l’ennemi », la libre pensée a distribué son étiquette aux personnages du monde officiel. À ce propos, il faut que je vous fasse part — d’une lettre de faire part, encadrée de noir. — Tous les enterrements auxquels je vous ai invités jusqu’ici vous ont fait passer par l’église. Je pense qu’il est grand temps de vous demander de m’accompagner à un enfouissement civil (style 16 Mai). Voilà qui est fait. Vous êtes priés d’assister aux obsèques, purement civiles, de Mme Curmont, décédée en sa quarante-cinquième année, en son domicile, etc., etc. Si vous vous étonnez des sentiments anti-religieux de cette dame, je vous dirai qu’elle était très pieuse, même dévote, et qu’elle avait instamment demandé un prêtre à ses derniers moments. Mais voici ce qui s’est passé. On a su que le gouvernement avait résolu de créer sous-préfet M. Albert Curmont ; là-dessus certains journaux ont assuré qu’Albert n’était pas assez anti-clérical, et qu’il n’était point prudent de confier un pareil poste à un homme dont l’athéisme n’était pas sûr. Les funérailles religieuses de Mme Curmont, à un pareil moment, eussent compromis et sans doute ruiné l’avenir de son fils. Donc, afin de mettre un terme aux criailleries de la Presse et afin de lui prouver péremptoirement qu’elle avait tort, l’entrée de la maison a été interdite au prêtre que la mourante avait fait appeler. Adèle a bien essayé de s’interposer, cette pauvre petite Adèle qui est si jolie, aujourd’hui, dans ses vêtements de deuil. Mais les nécessités de la politique l’ont emporté. Vous comprenez donc, et cela pourra vous servir à l’occasion, ce que c’est que la politique. Si le corps de sa mère avait été porté à l’église, Albert n’aurait pu être nommé fonctionnaire de la République française. Mais sa mère ayant été enterrée civilement, il obtient la situation qu’il ambitionne. Car, en effet, il l’obtient. On finit toujours par obtenir ce qu’on mérite. C’est pourquoi, vers la fin du mois d’août 1883 — juste comme mon père est rappelé à Paris pour prendre la direction d’un service au ministère — je vois mon nom figurer, avec le numéro 222, dans le classement de fin de seconde année à Saint-Cyr. Je la tiens donc, mon épaulette ! ⁂ Si vous croyez que je vous ai fait jusqu’ici un récit exact et complet de mon existence, vous vous trompez. Ces mémoires sont des mémoires. J’omets certains événements, je néglige de parler de certains personnages ; je décris le moins possible, surtout parce qu’il n’y a guère que de l’horreur à décrire. Des acteurs qui passent rapidement, haillons d’êtres sous les oripeaux qu’il leur faut, me suffisent donc. Je n’ai pas un mot pour les planches sur lesquelles ils évoluent, aujourd’hui estrade de théâtre, demain plate-forme d’échafaud. Vilaine peinture, de bric et de broc, et pas de cadre. Et voici encore un bonhomme, un sale bonhomme, pas le plus sale, sale tout de même, qui s’échappe de la palette crottée, au bout du pinceau du souvenir, et qui se profile sur la toile, avec son nez crochu. Un Juif. Lévy. Je ne vous l’ai pas présenté jusqu’ici parce que, bien qu’il ait été le facteur de beaucoup des joies et des ennuis qui rompirent la monotonie de ma seconde année à Saint-Cyr, il n’est intéressant ni par lui-même ni par les transactions dont il vit. C’est l’usurier qui, régulièrement, tient le jeune officier sur les fonts baptismaux de l’église militaire. C’est le parrain qui répond de l’avenir de son filleul à épaulettes devant des tailleurs, des bijoutières, des marchands d’objets divers, à conditions que le filleul s’engage sur l’honneur à payer quelques petits billets. Combien de carrières militaires brise cet honnête homme, je n’ai pas à le dire ici. Je vous apprendrai seulement qu’ayant reçu du personnage, durant les six derniers mois, une somme de 1.500 francs environ, je me trouve aujourd’hui lui devoir 4.000 francs, moins des centimes. Pourquoi je me suis endetté à pareil point, c’est mon affaire ; mon père ne me laissait pas manquer d’argent, et le cousin Raubvogel se montrait souvent généreux à mon égard ; mais il y avait du côté du Panthéon une certaine Noisette... on ne la cueillait pas pour des prunes... Les billets arrivent à échéance demain matin ; et j’en suis fort ennuyé. Je n’ose rien dire à mon père ; je pourrais, il est vrai, lui tout avouer, et même en exiger de l’argent ; car enfin, il ne m’a pas encore rendu ses comptes de tutelle ; mais une fausse honte m’empêche de parler. Je prends donc le parti, ce matin, d’aller demander à l’usurier de reporter à trois mois la date d’échéance des effets. Mon uniforme d’officier est là, tout battant neuf ; mais je ne l’endosse pas, de peur d’éveiller l’attention de mon père qui m’a offert l’hospitalité dans son appartement, et qui ne doit pas se douter des motifs de ma sortie. Je quitte la maison sans avoir été remarqué, encore une fois vêtu en Saint-Cyrien, et je me dirige vers la rue de Rennes. Il me faut d’abord attendre un bon quart d’heure dans l’antichambre de l’entresol luxueux qu’habite l’usurier ; le domestique me déclare que Monsieur est très occupé. Enfin, je suis introduit. J’expose à M. Lévy — un homme trapu, grassouillet, chauve, à la face jaune ponctuée d’une barbiche noire, aux yeux humides et ronds, — l’objet de ma visite. M. Lévy secoue la tête d’un air désenchanté. Il n’aurait jamais cru que je viendrais, moi, jeune homme de si bonne famille et fils d’un général, lui demander une chose pareille. Il en est vraiment stupéfait. Renouveler mes billets ! Mais, ai-je seulement réfléchi à tous les sacrifices qu’il s’est imposés pour m’avancer les sommes qu’il m’a prêtées ? Ne puis-je comprendre combien il a hâte de rentrer dans ses fonds ? La vie est si dure, les affaires si difficiles ! Non, non, tout renouvellement est impossible. J’insiste, plaidant ma cause avec éloquence. Le prêteur insiste aussi, avec une éloquence non moins grande. Pourtant, après vingt minutes de discussion, il finit par s’humaniser. Il me déclare qu’il consent à reporter l’échéance à trois mois, à condition que je signe de nouveaux billets qui porteront la somme due, intérêts compris, au chiffre de 5.000 francs. Je me récrie ; mais le préteur est inflexible. Il me signifie que c’est à prendre ou à laisser. Tout en parlant, il avance sur le bureau, derrière lequel il est assis, d’oblongs papiers timbrés. Quant à moi, je me décide à m’asseoir de l’autre côté du bureau et à prendre une plume. Mais, tout à coup, elle me tombe de la main, et je me lève. Un grand bruit vient de s’élever dans l’antichambre, et les éclats d’une voix, d’une voix que je connais bien, parviennent jusqu’à nous. — Tonnerre de Dieu ! Laissez-moi entrer, mon garçon ou je vous passe sur le ventre ! La porte du cabinet, violemment tirée, s’ouvre ; et mon père apparaît. Mon père, vêtu d’habits civils, un jonc à pomme d’or à la main. Il s’avance, prend une chaise, s’assied à côté du bureau et dit froidement : — Que je ne vous dérange pas, messieurs ! Continuez vos manigances. Où en étiez-vous ? — Je suppose, dit M. Lévy, très déconcerté tout d’abord mais qui a maintenant repris son aplomb, que c’est à M. le général Maubart que j’ai l’honneur de m’adresser ? — À lui-même, répond mon père. J’ai pensé que les affaires que vous étiez en train de traiter avec mon fils m’intéressaient, au moins indirectement ; et vous ne trouverez pas mauvais, j’espère, que... Brusquement, il s’interrompt, tourne le dos à l’usurier et s’adresse à moi. — Qu’est-ce que tu dois à cet individu ? Combien as-tu reçu de lui ? — Quinze cents francs, il y a trois mois. — Ah !... Et ça, c’est du papier pour le renouvellement. Combien te préparais-tu à déclarer devoir, aujourd’hui ? — Cinq mille francs, dis-je, après avoir hésité un instant. Mon père éclate de rire, et se retourne vers l’usurier. — Vous ne vous mouchez pas avec un manche de pelle, vous ! Cinq mille francs pour quinze cents, en trois mois ! — Mon général, dit Lévy résolument, je ne discute pas les chiffres que vient de citer monsieur votre fils. Je vous informe simplement que j’ai là des billets revêtus de sa signature, dont le montant s’élève à 4.000 francs, et qui arrivent à échéance demain. Ils seront donc présentés dans vingt-quatre heures à l’adresse qu’ils portent, la vôtre. — Présentés est une chose ; payés, une autre. — Monsieur votre fils, reprend Lévy, ne s’est pas borné à signer ces effets ; il a, de plus, mis sa signature au bas d’un papier par lequel il s’engage sur l’honneur à ne jamais s’opposer au payement de ce qu’il me doit. — Sur l’honneur ! s’écrie mon père. Ah ! bah ! Il s’est engagé à ça sur l’honneur ! Eh ! bien, je vous déclare sur l’honneur, moi, que je m’oppose à ce que mon fils vous paye un sou de ce qu’il ne vous doit pas. Vous aurez quinze cents francs, plus les intérêts à six pour cent, et pas un fifrelin de plus. En outre, je vous déclare sur l’honneur, monsieur Lévy, je vous déclare que vous êtes une franche canaille. Vous inondez de vos prospectus les Écoles spéciales ; vous préparez consciemment la ruine de nombreux officiers. Vous brisez leur avenir ; après quoi, vous leur prenez l’honneur ou la vie. Dans la brigade que je commandais dernièrement, deux jeunes gens ont été obligés de donner leur démission ; les plaintes que vous adressiez à leur colonel les ont contraints à quitter l’armée ; l’un vient de se brûler la cervelle. Vous savez ça ? Vous êtes non seulement un voleur, vous êtes un assassin. Faites présenter demain vos billets, et nous verrons. — C’est tout vu, ricane l’usurier, blême de rage sous sa peau jaune ; les effets seront payés, ou je poursuivrai à boulets rouges, conformément aux lois. De plus, dès que monsieur votre fils sera affecté à un régiment, je préviendrai le colonel de l’existence d’un engagement sur l’honneur qui porte le nom de Jean Maubart. Mon père ne répond pas. La tête baissée, il semble considérer attentivement le tapis dont il suit les dessins, du bout de sa canne. Le juif l’examine attentivement ; et, enhardi par cette immobilité et ce silence, il pose ses deux courtes mains à plat sur le bureau, se penche un peu en avant et s’écrie : — Ah ! vous croyez m’intimider ! Vous vous figurez que je vais me laisser effrayer par vos menaces. Vous vous trompez. Vous pensez, parce que vous portez une épaulette que vous pouvez venir impunément insulter d’honnêtes commerçants ? Mais je vous ferai payer vos insultes, tout général que vous êtes. Les lois sont pour nous ; les tribunaux sont pour vous. Quand on a signé, il faut payer ! Et si vous ne payez pas, je vous montrerai de quel bois je me chauffe... — Du bois de ma canne ! s’écrie mon père. Il s’est précipité sur l’usurier qui s’est aplati sur son bureau, et lui a asséné, entre les épaules, un formidable coup de jonc. — Aïe ! Aïe ! Holà ! À moi ! glapit l’usurier, qui se met à geindre lamentablement. — Avez-vous fini de hurler, animal ? demande mon père, qui saisit l’homme par le bras, le relève, le cale dans son fauteuil. Attendez donc qu’on vous écorche, pour vous plaindre. Ah ! vous croyez que vous insulterez impunément des officiers de l’armée française, un général, et que tout vous est permis, gredin !... — Je vais déposer une plainte, gémit Lévy. — Oui ! dit mon père ; mais pas pour rien. Je vais vous jeter par la fenêtre, d’abord, et je dirai pourquoi au procès ; et l’on verra s’il y a des juges pour me condamner. Vous êtes un filou et un perturbateur ; et nous, les militaires, nous sommes là pour rétablir l’ordre. Allez ! Oust ! Il empoigne le juif par le collet, le soulève, l’entraîne vers la fenêtre. Il est hors de lui, assurément, va faire un malheur si je n’interviens pas. — Grâce ! gémit l’usurier. Ne me tuez pas !... — Demandez pardon, alors ! répond mon père. Et vite ! — Pardon, pardon ; lâchez-moi, balbutie Lévy, blême de terreur, tandis que mon père continue à le secouer avec rage. — À une condition, dit mon père, en repoussant sa victime vers le bureau. À la condition que vous allez faire ce que je vais vous dire. Vous vouliez avoir un billet de 5.000 francs, payable à trois mois ? Vous l’aurez. Mon fils va vous le signer. Et comme vous lui avez avancé 1.500 francs, vous allez lui verser, séance tenante, 3.000 francs. Vous aurez 500 francs pour l’intérêt, soit 10 p. 100 l’an, soit 20 p. 100 pour six mois. C’est coquet. Acceptez ou je vous fous par la fenêtre, comme j’ai dit. Allons ! Est-ce oui ? Non ? Il fait un pas en avant. Un rictus épouvantable tord la face du juif qui, pourtant, ne prononce pas une parole. Il semble se décider tout d’un coup, et ouvre un tiroir. Pour y prendre une arme, peut-être ?... Non, un papier, timbré pour 5.000 francs et au-dessous, qu’il place sur le bureau, en face de moi. Sur un signe de mon père, debout, les bras croisés, à côté de l’usurier, je remplis et signe le billet que je tends à Lévy. Il l’examine attentivement sans un mot, le place dans un second tiroir qu’il vient d’ouvrir, et dont il sort un portefeuille. De ce portefeuille, lentement, il extrait trois billets de mille francs qu’il étale, du pouce, sur la table. Mon père les saisit, les fourre dans sa poche ; reprend sa canne, remet son chapeau sur sa tête, et me fait signe de le suivre. Le juif nous regarde sortir, appuyé au dossier de son fauteuil, les yeux brillants, muet. En descendant l’escalier, mon père siffle un air de valse. Nous marchons côte à côte, silencieusement, jusqu’au boulevard Saint-Germain ; lui, impassible en apparence, moi, encore très remué. — Si nous prenions un apéritif ? me demande-t-il, comme nous passons devant la terrasse d’un café. Nous nous asseyons. Il parle de choses indifférentes, très indifférentes. Il dit que le temps est beau pour la saison. Je prends le parti de l’interroger. — Peux-tu me dire, père, comment il se fait... ? — Que je t’aie rencontré tout à l’heure ? Voyons, me crois-tu assez godiche pour ne pas avoir deviné que tu avais des dettes ? Tu ne m’avais jamais parlé de rien ; c’était assez pour exciter ma méfiance ; je n’ignore pas non plus que c’est au moment de la nomination que les créanciers des Saint-Cyriens exigent le payement de ce qui leur est dû. Quand j’ai su que tu sortais ce matin, je me suis donc douté de quelque chose ; je t’ai fait suivre par mon ordonnance, qui est revenu me donner l’adresse de la maison où tu étais entré. J’ai su à quoi m’en tenir. Tu connais le reste... À propos, continue-t-il, en tirant de sa poche les billets de banque de l’usurier, il faut que nous partagions ; voilà mille francs. Ça te suffira pendant quelque temps. J’en garde 2.000 pour moi. Je dois te dire que ça tombe à pic ; je n’avais plus le sou. Par la même occasion, il faut que je t’apprenne pourquoi, jusqu’à présent, je ne t’ai pas encore rendu mes comptes de tutelle. J’ai mangé ton argent. Tout : billets, or, argent, et même le cuivre. Je ne sais pas où ça passe. Ça ne fait rien ; je te rembourserai, à un sou près. Il te revenait 400.000 francs, environ. Est-ce que tu serais content de toucher ces jours-ci 100.000 francs là-dessus ? — Ma foi, dis-je, un peu rasséréné par cette offre inespérée qui corrige l’amertume de l’aveu qu’on vient de me faire, ma foi, certainement ; mais si tu as... — J’ai tout mangé, oui, mais j’ai gardé une poire pour la soif. Une bonne poire ; M. Freeman. Tu l’as bien négligé, ce pauvre vieux qui t’aimait tant ; tu l’as bien abandonné ; vous êtes comme ça, vous, les jeunes gens. Et si je ne m’étais pas trouvé là, moi, pour lui écrire, pour aller le voir, pour t’excuser auprès de lui et mettre ta négligence sur le compte de tes études, il t’aurait sans doute oublié dans son testament... — Est-ce que M. Freeman est mort ? demandé-je d’une voix basse, étranglée par un gros regret. — Oui, il y a quelques jours. Et son notaire vient de m’annoncer qu’il t’a laissé 100.000 francs. Tu comprends bien qu’au fond, ces 100.000 francs, c’est à moi que tu les dois. Si je n’avais pas été là, pour te rappeler sans cesse à la mémoire du vieux bonhomme, tu aurais pu te fouiller. Donc, mon garçon, c’est 100.000 francs que je compte à mon actif et que je déduis de ce que je te dois. Par conséquent, je me reconnais ton débiteur pour 300.000 francs, plus quelque petite chose que je viens de t’emprunter. Je ne réponds pas. Ce que j’ai vu, ce que j’entends depuis ce matin, me bouleverse, me stupéfie. Je ne puis revenir de mon étonnement, étonnement mélangé de répulsion. Tout cet argent gaspillé, empoigné, happé, perdu ; cette façon de disposer de choses qui ne vous appartiennent pas ; l’usure, l’inconscience, la cupidité, le cynisme ; l’ignominie de tous ces dessous de l’existence qui m’apparaissent tout à coup dans leur nudité... Et le mensonge peut-être. Car est-il vrai que mon père ait engagé le pauvre vieux Freeman à me laisser une part de sa fortune ? Est-il vrai, même, qu’il lui ait rendu visite une seule fois ?... Mon père me frappe sur l’épaule. — Eh ! bien, à quoi penses-tu ? Tu n’as guère une mine d’héritier. À ton âge, si l’on m’avait apporté une nouvelle comme celle que je viens de t’annoncer, j’aurais fait une autre figure. À propos, tu ne m’as pas dit ce que tu as fait avec les quinze cents francs du Lévy. Des femmes ? Maintenant que tu as l’épaulette, j’espère bien... En tous cas, tu sais, pas de collage. À ton deuxième galon, il te faut un mariage, et un fameux. J’en ai fait deux bons ; par conséquent... — Père, dis-je rapidement, afin de placer la conversation sur un autre terrain, comment t’es-tu laissé entraîner à menacer cet homme d’une pareille façon, tout à l’heure ? S’il avait refusé, pourtant ? Il y a tant de gens qui préfèrent la perte de leur vie à celle de leur argent ! — Leur argent, oui, répond mon père en ricanant ; mais pas celui des autres. Ce Lévy n’est qu’un homme de paille. L’argent qu’il prête ne lui appartient pas. Et tu connais son bailleur de fonds ? — Je devine, dis-je. C’est Raubvogel ! — Non, murmure mon père. C’est le général de Lahaye-Marmenteau. Je dois avouer que je ne suis ému d’aucune fierté lorsque, vers le soir, j’endosse pour la première fois mon uniforme. Je ne suis nullement boursouflé des dilatations de l’amour-propre ; je ne sens pas monter en moi, à la vue des dorures qui chatoient sur le drap neuf de mes habits, les grisantes fumées de l’orgueil. Il m’est impossible de me défaire d’idées sérieuses et désagréables. Je vois clairement que mon entrée dans la vie — ce que j’ai désiré et considéré jusqu’ici comme mon entrée dans la vie — n’est que mon admission dans une caste. La vie ? Je n’ai qu’à imaginer une action au moins moralement indépendante des liens de l’association, pour me rendre compte de son impossibilité. Si la patrie est l’armée, et si l’armée est la caste des officiers, cette caste est une immense machine à fabriquer le patriotisme artificiel ; et chacune des individualités qui la composent devient un rouage. Je ne serai donc, ainsi que tout ce qui porte l’épaulette, qu’un ressort, qu’un automate. Et s’il m’est jamais permis d’affirmer ma personnalité, ce ne sera que dans les poursuites extra-militaires, dans la chasse aux plaisirs et aux honneurs, à l’argent — et encore, conformément aux usage de l’armée. Un automate. Mais pourrais-je être autre chose ? Si je n’étais pas officier, que pourrais-je faire dans l’existence ? Pas grand’chose, probablement ; peut-être rien. Et si la classe des officiers français n’était point la seule expression régulière, sociale, des forces viriles du pays — si l’officier français n’était point le représentant exclusif de la France armée — quel droit aurais-je, plus qu’un autre, à une autorité quelconque sur mes concitoyens ? Mes titres à l’épaulette : quelques années passées au collège et quelques mois dans une école spéciale. Et encore, moi, je suis fils de soldat ; je sais, au sujet des affaires militaires, un peu plus qu’un grand nombre de mes camarades, fils de bourgeois, dont toutes les connaissances pratiques se bornent à la distinction des uniformes. Si je n’avais pas été destiné à devenir un officier, j’aurais pu être soldat depuis trois ans ; j’aurais pu acquérir, par mon intelligence générale ou mes qualités spéciales, le droit rationnel de commander à mes compatriotes. Officier sorti de l’école, je vais être leur chef en vertu d’un monopole de caste. C’est en vertu de ce monopole que je vais servir mon pays comme fonctionnaire privilégié ; comme fonctionnaire supérieur qui ne peut être cassé aux gages, car il y a une loi de 1831 qui nous confère, à nous officiers, la propriété de nos grades. C’est en vertu de ce monopole que je vais commander aux Baïonnettes Intelligentes. Ça ne me rend pas fier ; non. Mais voici des gens qui sont fiers pour moi : d’abord, Lycopode, cette excellente Lycopode, qui s’est constituée l’ombre discrète de mon père, qui le suit partout comme un chien fidèle, faisant pour ainsi dire partie du mobilier et sans autre profit, je le crains, que l’honneur de servir un tel maître ; elle gratte doucement à la porte de ma chambre, l’entre-bâille ; et, comme j’ai justement achevé ma toilette, elle se répand en exclamations. Ah ! que je suis beau, que je suis beau, que je suis beau !... Je me sens flatté, malgré tout, de l’admiration naïve, et verbeuse de cette pauvre créature, à laquelle une longue habitude inocula l’enthousiaste respect des ajustements militaires. Puis, lorsque je pénètre dans le salon, c’est un monsieur que je trouve en conversation avec mon père, et qui se récrie sur ma bonne mine et ma martiale apparence. Ce monsieur, à la forte carrure, à l’épaisse moustache tombante, me rappelle Vercingétorix ; et je vous laisse à penser si les compliments d’un Gaulois indubitable, guerrier illustre sans aucun doute, chatouillent délicieusement mon amour-propre. Mais le Gaulois auquel me présente mon père est un Gaulois pacifique ; s’il n’y en eut pas autrefois, il en existe aujourd’hui ; la moustache n’est là que pour la frime, souvenir presque ironique de temps qui ne sont plus. Ce monsieur s’appelle M. Glabisot ; il est directeur au ministère des Finances. Il n’a jamais manié d’autre métal que celui qui affirme, sur sa tranche, que Dieu protège la France. M. Glabisot, comme son physique évocateur d’époques héroïques lui en fait un devoir, et peut-être une nécessité, est patriote au plus haut point ; et, non content d’occuper dans la hiérarchie officielle un poste élevé, il est artiste à ses heures ; artiste-peintre. Il expose chaque année, au Salon, des natures mortes sans prétention, mais qui révèlent des aptitudes sérieuses. M. Glabisot pourtant, se déclare simple amateur ; il ne lui viendrait pas à l’idée de vouloir rivaliser avec sa femme, Mme Antoinette Glabisot, l’illustre peintre de batailles qui commence à faire oublier Horace Vernet, et au pinceau de laquelle nous avons dû, l’été dernier, ce magnifique tableau Le Maréchal de Mac-Mahon blessé à Sedan, qui a fait courir tout Paris. Je n’ai pas vu le tableau, mais je décris avec la plus grande exactitude l’émotion qu’il m’a causée. Mon père m’apprend que Mme Glabisot a l’intention de consacrer son grand talent, pour le Salon prochain, à une peinture qui représentera la défense de Nourhas. Elle a bien voulu lui demander de lui accorder quelques séances ; et il ne sait quel parti prendre ; sa modestie est mise vraiment à une bien rude épreuve. — Général ! s’écrie M. Glabisot, vous devez à vous-même, vous devez à la Patrie, de ne point refuser. Le devoir de l’Art, devoir sacré, est d’immortaliser des actes comme celui dont vous fûtes le héros. Et vous ne pouvez vous dérober au devoir, devoir sacré aussi, de léguer vos traits à la postérité. C’est dans la contemplation de vos mâles exploits, retracés par un pinceau fidèle, que les générations futures apprendront que, si nous fûmes vaincus, ce ne fut pas sans gloire ; et qu’elles puiseront l’énergie nécessaire à la prochaine revanche ! — Votre éloquence est entraînante, répond mon père ; et si vous parlez de la revanche, vous finirez par me convaincre. — Je l’espère bien ! s’écrie M. Glabisot, enchanté. Toute la grandeur de la France, voyez-vous, est là... Et il touche le sabre qui me pend au côté, un beau sabre qui me fut apporté, hier, de la part de Mme Raubvogel. C’est justement chez le cousin Raubvogel que nous allons dîner ce soir, M. Glabisot, mon père et moi. Le coupé de M. Glabisot nous attend. Nous partons. ⁂ Je ne vois pas la nécessité de décrire minutieusement le dîner offert par le cousin Raubvogel en l’honneur de ma promotion ; ni de rappeler les différents toasts portés à mon avenir et à la grandeur de la France ; ni de répéter les propos tenus à table, lieux communs, médisances, étonnements, admirations et critiques de commande — tout le verbiage de gens décidés à jacasser pour ne rien dire. — Vous annoncer que le cousin Raubvogel a fait fortune, et qu’il vit aujourd’hui sur un grand pied, ne serait pas vous apprendre grand’chose ; c’est un fait connu de tout le monde. M. Raubvogel est fort riche, mène de grosses affaires ; il est au mieux avec les sommités du monde politique et financier ; il commandite un journal, le Lutèce, qui défend les bons principes démocratiques, et ne les défend pas mal ; enfin, comme on dit, c’est un gros bonnet. Comment il a fait fortune, on ne sait pas bien ; mais a-t-on besoin de savoir ? Il s’est livré à des opérations financières, ce qui est une façon de contribuer à la prospérité du pays ; il s’est intéressé, en bon patriote, aux entreprises coloniales, Tunisie, Tonkin, etc. ; il s’est occupé aussi de découvertes qui concernent la fabrication des munitions de guerre et s’est constitué l’ange gardien, la Providence, de l’inventeur Plantain. Voilà des titres à la gratitude publique. Dire que je ne soupçonne point, à l’existence du cousin, des dessous plus ou moins avouables, serait exagérer ; j’en soupçonne, hélas ! partout. Cependant, pour être juste, je dois déclarer que les gens que M. Raubvogel reçoit à sa table m’apparaissent comme une garantie vivante de son honorabilité. Par exemple (à part M. Glabisot, mon père et moi, que vous avez déjà l’honneur de connaître), je vais vous présenter les convives de ce soir : Mme Glabisot, l’artiste célèbre, élancée, brune, altière ; l’air d’une Diane chasseresse dans l’exercice de ses fonctions ; la bouche sans cesse entr’ouverte pour des questions rarement posées ; des yeux tabac, froids, mobiles, très en éveil. Affectant, pas trop bien, un ton dégagé, le sans-façon artistique, un sans-façon à façons ; et l’on devine un éternel calcul, accumulant ses termes, sous le chignon trop peu compliqué. — M. Ganivais, le directeur du Lutèce, le journal que commandite Raubvogel ; le décorum de la barbe sur le décorum du plastron, décoré, décoratif. — M. Pronc, le rédacteur en chef du même journal, siégeant au Sénat, ancien communard, communicatif, commun. — M. Dufour-Hagalon, président à la Cour, rougeaud, vieillot, maigriot, finaud, aux trois quarts fini, blanc des favoris, l’air d’un vieil ami des jeux et des ris. — Mme Dufour-Hagalon, femme du précédent, personne mûre, tellement mûre qu’elle en semble près d’éclater ; d’une énormité débordante, avec un visage fripé, à bajoues, sans doute acajou, mais truqué, maquillé à vous faire brailler ; bouche goulue aux dents fausses, incarcérant mal une langue triangulaire ; cheveux faux d’un noir de jais ; noir de jais des yeux frétillards ; une façade peinte et des derrières. — M. Issacar, jeune israélite silencieux, au nez énigmatique, fouinard, renifleur d’intérêts, intéressant. — M. Triboulé, brasseur d’affaires, à ce que je crois comprendre : peau noire, œil noir au regard noir, poil noir en barbiche et en moustache à crocs ; l’aspect d’un capitaine de déshabillement. — Mme Triboulé, femme du précédent ; rousse superbe, grassouillette et flexible, avec une gorge sûre d’elle-même, des dents magnifiques, du sang rapide sous la peau blanche ; la gloire simple d’une affirmation charnue, pas atténuée, même, par la grâce plus consciente et plus maniérée d’Estelle. — Enfin, M. Camille Dreikralle, député, rapporteur du budget de la guerre ; l’interprétation judaïque d’un traité des maladies de peau ; chauve, paupières cramoisies, lèvres moisies ; clous, boutons, furoncles ; tout un bourgeonnement à fleur de cuir ; des yeux de léporide, un nez qui tente un retour sur lui-même, une voix nasillarde et des doigts en saucisses. Ce parlementaire me paraît être ce soir le convive important. Pourtant, il est possible que je me trompe. J’en suis réduit aux conjectures, et je ne possède pas le moindre document pour étayer mes suppositions. Les voies du monde me sont étrangères ; et, à part mon père dont je suspecte un peu l’impartialité, je ne connais personne qui puisse me servir de guide dans le labyrinthe de la civilisation. Je serais heureux cependant, pour commencer, d’être éclairé sur le caractère et les mœurs, sur la valeur fiduciaire et réelle des personnages ici présents. Et dans le salon où nous passâmes après le dîner, assis un peu à l’écart, je compatis à mon propre isolement spirituel tandis que la voix bourdonnante d’un domestique, de temps en temps, annonce les noms de gens qui me sont pour la plupart inconnus, mais qui néanmoins viennent me féliciter en vieux amis. Un nom que je viens d’entendre, et qui tout à coup réveille en moi des souvenirs, excite ma curiosité. — Monsieur Schurke. Schurke ! Gédéon Schurke ! Est-ce possible ? Est-ce lui ? Est-ce le même ? Est-ce l’unique, le seul Gédéon Schurke ?... Oui, c’est bien lui, il n’y a pas à en douter ; tel, ou peu s’en faut, qu’il m’apparut autrefois à Versailles, lorsqu’il offrit à mes juvéniles méditations ses opinions cyniques sur la société moderne. L’homme n’a point changé ; c’est à peine s’il a vieilli ; il vient à moi après un semblant d’hésitation, le sourire sur les lèvres ; sourire sardonique, bien entendu, mais engageant tout de même — et qui m’engagerait, en fait, à poser à Gédéon Schurke des questions aussi nombreuses sinon aussi naïves que celles que je lui posai jadis, si Schurke n’allait de lui-même au-devant de mes demandes. — Comment ? Pour le savoir, vous n’avez qu’à prêter l’oreille à notre conversation, tandis qu’un pianiste fameux commence à évoquer l’âme de Mozart en frappant de ses doigts agiles d’authentiques dépouilles d’éléphants. C’est Schurke qui parle d’abord, naturellement. — Voilà déjà bien des années que je n’ai eu l’avantage de vous voir, monsieur Jean ; et j’ai plaisir à constater que vous n’avez point perdu votre temps ; permettez-moi de vous féliciter des résultats qu’ont obtenus vos efforts et votre application. Quant à moi, j’ai fait bien du chemin ; peut-être en arrière, si nous allons au fond des choses ; mais socialement, c’est-à-dire superficiellement, j’ai monté. J’étais une manière de valet ; je suis à présent secrétaire particulier de M. Raubvogel ; son bras droit, comme il dit : ce qui ne laisse pas d’être honorable, étant donné ce que doit faire la main gauche. Enfin, me voilà dans les huiles. Passez-moi cet argot militaire. — De bon cœur. Auriez-vous des fréquentations dans les casernes ? — Pas directement. Mes tendances n’ont rien de belliqueux. — Je sais. Vous m’avez exposé autrefois vos sentiments à ce sujet ; et s’ils n’ont point changé... — Ils sont inaltérables ; de même que ma conception de la société et des gens vertueux qui la composent. — Je me souviens de cette conception. Je m’en suis souvenu souvent, et j’ai le regret de dire que je l’ai généralement trouvée correcte. — Votre mémoire est excellente, dit Schurke en souriant ; vous n’avez sans doute pas oublié que ce ne fut pas gratuitement que je vous fis mes confidences... Voyons, rappelez-vous, je vous mis à contribution d’une pièce de cinq francs. — En effet. Ce n’était pas cher. Mais à ce moment j’étais bien jeune... — Et aujourd’hui, je commence à me faire vieux ; aussi, j’augmente mes prix ; pourtant ils restent abordables. Par exemple, si je vous proposais de vous faire profiter de mon expérience, de vous montrer sans voiles, au fur et à mesure de vos besoins, le monde dans lequel vous faites présentement vos débuts, ne consentiriez-vous pas à diminuer de 500 francs, à mon bénéfice, les 100.000 francs dont vous allez hériter ces jours-ci ? — Je serai enchanté de vous être utile. Pouvez-vous, pour commencer, me donner quelques indications sur les personnages ici présents ? — Facilement. Ils constituent, en raccourci, la France dirigeante ; quant à la France dirigée, elle ne se constitue pas, même en raccourci ; on ne la conçoit qu’en émincés, en rognures, en purée. Voici Mme Glabisot, pour commencer ; la femme artiste et patriote ; ni femme, ni artiste, ni patriote ; une femelle au tatouage tricolore ; l’âme française palpite devant les navets de cette gaupe. M. Glabisot, directeur des Défalcations au ministère des finances, et membre du Conseil des Transactions ; vous savez ce que c’est que ce Conseil ? Les tarifs prohibitifs français constituant une prime indirecte à la fraude, les fraudeurs sont très nombreux ; quand ils sont pincés, ils sont condamnés à l’amende, à la prison, au payement de sommes toujours considérables à l’administration des Douanes ; les fraudeurs ne peuvent pas payer, ou désirent ne pas payer ; c’est alors que le Conseil des Transactions entre en scène ; il transige avec les fraudeurs, je n’ai besoin de vous dire ni au détriment de qui, ni au bénéfice de qui. Voici, pour vous donner un exemple, comment les choses se passent. L’honorable M. Delanoix, qui est votre parent, et en même temps l’un de nos grands contrebandiers nationaux, j’oserai dire patentés, a connaissance d’une fraude qui se pratique quelque part et d’une certaine façon ; il en informe M. Raubvogel, qui est en même temps son gendre, votre cousin et mon patron. M. Raubvogel s’arrange de façon à faire poursuivre les fraudeurs, qui sont condamnés, grâce à des influences mystérieuses, à des remboursements ruineux, amendes, etc. Les fraudeurs, je suppose, doivent verser 500.000 francs au Trésor et payer une amende de 3.000 francs ; ils demandent à transiger ; le Conseil des Transactions, présidé par M. Glabisot, patriote, et composé d’autres patriotes, décide de se contenter de l’amende et de renoncer à exiger le remboursement des 500,000 fr. Faut-il vous dire que les fraudeurs, dans leur joie de se voir quittes à si bon compte, oublient une somme rondelette sur la table du Conseil ? M. Glabisot a sa part, mon patron a sa part, M. Delanoix a sa part, tous ces messieurs ont leur part. Les contribuables... — Que disent-ils ? — Ils ne savent rien ; donc, ils ne disent rien. Il est vrai qu’ils pourraient savoir. Mais ils préfèrent crier : Vive la France ! Ils préfèrent lire le journal Lutèce, commandité par le gouvernement et M. Raubvogel, dirigé par M. Ganivais, voleur, fils de voleur, qui ignore l’orthographe, et rédigé par M. Pronc, dégoûtant raté qui met aux enchères son honnêteté douteuse et considère la République comme sa propriété particulière ; ils préfèrent lire le Petit Journal, jouer aux cartes, se faire cocus et se soûler. M. Dufour-Hagalon est magistrat ; est-il nécessaire de vous apprendre ce que c’est, à part de rares exceptions, qu’un magistrat français ? — Non ! Non ! — Je suis heureux de voir que vous n’avez pas encore perdu toute foi en la Justice, puisque vous ne voulez pas entendre parler des gens qu’on paie pour la rendre. Ce Dufour-Hagalon, vous le voyez, n’est plus qu’une ruine, un débris ; simple particulier, il serait inoffensif, un gaga bénévole ; juge, il est simplement terrible. Ses vices honteux, qu’exaspère l’âge, l’ont placé sous la domination absolue de sa femme, qui pourvoit elle-même aux passions de son mari et lui procure les enfants qu’il aime comme les aimait Tibère. Ce vieillard infâme est donc devenu un instrument docile aux mains d’une femme avide d’argent qui lui fait faire la quête, au su de tout le monde, dans les plateaux de la balance de Thémis. Pourquoi Mme Dufour-Hagalon a-t-elle besoin d’argent ? Pour s’offrir des admirateurs. La réalisation de ses désirs ne pourrait pas s’opérer gratuitement ; regardez-la : c’est un monstre de graisse. Même pour de l’argent, tout le monde n’est pas disposé à l’adoration du phénomène. Telle qu’elle est à présent, la dame n’est guère alléchante ; mais, lorsqu’elle laisse tomber ses derniers voiles, c’est à terrifier les plus intrépides ; elle a, paraît-il, un harnais, poitrail, sous-ventrière, plate-longe et avaloire ; et c’est insuffisant. Mon patron, qui a grand besoin d’un jugement rendu dans un certain sens par le Président à la Cour, vient de découvrir un admirateur pour l’épouse d’icelui... — Pas vous, j’espère ? — Non. Il m’est arrivé autrefois... — Et vous avez fait votre Joseph ? — Permettez-moi de rééditer un mot fameux : j’ai fait mon Jonas. Mais c’est assez pour une existence. C’est ce jeune Israélite que vous apercevez là-bas, M. Issacar, qui va goûter du fruit défendu. Ma patronne, qui sans doute l’a mis à l’épreuve pour s’amuser, et qui en répond comme d’elle-même, l’a invité ce soir afin de le présenter à la présidente. Voyez comme le mastodonte le couve des yeux. Ce garçon-là, qui d’ailleurs n’a pas l’air bête, fait preuve d’un courage rare à son âge. Je ne crois pas me tromper en lui attribuant une grande ambition et en prédisant qu’il ira loin. — Pourriez-vous en dire autant de ce monsieur noirâtre... ? — M. Triboulé ? Non. Il n’ira pas jusqu’à Cayenne. Clairvaux lui suffira ; et encore, il n’y restera pas fort longtemps. C’est un des parasites de la défense nationale ; entremetteur, intermédiaire, agent ; traduisez : espion, escroc, traître ; une de ces mouches charbonneuses qui volent autour de ce char de Bellone qui n’est que le corbillard de la gloire. Cet être-là entre partout, surprend tout, vend tout. Sa femme, cette jolie femme qui cause justement avec Monsieur votre père, lui ouvre toutes les portes du ministère de la guerre. Qu’en dire de plus ? Qu’elle trafique de dispenses, d’exemptions, de congés militaires ? En régime démocratique, ce sont là péchés véniels... Puisque nous parlons de la démocratie, je dois vous dire deux mots de l’un de ses plus éminents serviteurs, M. Camille Dreikralle. Ce député n’est pas beau, comme vous pouvez le constater, mais il est assez habile pour s’être réservé depuis plusieurs années le rapport du budget de la guerre. Ce que cela lui vaut, je vous le laisse à deviner ; croyez, en tout cas, que c’est préférable à une ferme en Normandie. — J’imagine en effet... — N’imaginez rien. Attendez un peu, et vous verrez. Les terribles leçons de 1870 n’ont porté aucun fruit. On dit que l’expérience instruit les imbéciles ; mais les Français ne sont pas des imbéciles, car l’expérience ne les instruit pas. Tenez ! Voilà deux ou trois vieux généraux là-bas, papillonnant autour de Mme Raubvogel ; vous savez de quels désastres ils furent les artisans ; vous voyez de quel respect et de quelle adulation ils sont l’objet ; et pas seulement ici ; partout. Parler de leurs défaites, de leur incapacité, de leurs trahisons, serait vouloir se faire lapider. « Ce sont des choses, disait l’autre jour un journal, sur lesquelles il est de bon goût de faire le silence. » De bon goût !... Et tout ce monde-là, je n’ai pas besoin de vous le dire, va manifester devant la statue de Strasbourg, le 28 septembre, le 14 juillet, à d’autres dates encore. Ma patronne, en grand costume d’Alsacienne, mène la danse, escortée à gauche de son mari, volontaire de 1870 comme vous savez, et flanquée à droite de M. Glabisot, patriote qui passa l’année terrible en Belgique. La France est assez riche pour payer sa gloire ; elle l’est même assez pour payer sa honte, voire sa sottise. Une riche nature, la France ! Voilà encore des types français, au bout du salon ; bien français, et même bien parisiens ; un romancier, cochon triste ; un vaudevilliste, truie lugubre. Plus loin, le peintre Coquard, qui cuisine à l’huile la gloire des vaincus, concurrent souvent heureux de la femme Glabisot. Et puis, le Dr Kaulbach ; de celui-là, on ne sait positivement rien, sinon qu’il a le diabète. Ça, c’est certain. On dit que c’est Clemenceau qui le lui a donné. Ce n’est pas sûr. C’est plutôt sucré. J’aperçois même un socialiste, à côté du piano ; n’ayez pas peur ; c’est un socialiste qui a donné pour base à son socialisme la suprématie nécessaire de l’Armée et du Capital. — Et patriote aussi, probablement ? — À tout casser. Ce sont des patriotes à tous crins, les possédants, les arrivés, les nantis. Ils ont camouflé le salon de leur lupanar en salle d’attente ; prétendent attendre un train pour l’Allemagne, le train de la revanche, qui ne partira jamais, qu’ils savent ne point exister ; et ils ont un petit instrument qui fait grand bruit, qui souffle et qui crache, et qui siffle de temps en temps ; et le bon peuple, auquel l’entrée de la confortable salle d’attente est interdite, croit à l’existence d’un énorme engin, frémissant et sous pression ; et il paie joyeusement, le bon peuple, pour l’alimentation et l’entretien de la machine qu’il suppose — ou plutôt, car il faut dire tout, — qu’il fait semblant de supposer. — Et l’Armée existe pour défendre tout ça ? — Oui. Et surtout — écoutez-moi bien — pour être défendue par tout ça. ⁂ Je ne peux pas dire que j’étais positivement gai en regagnant la maison. Malgré des essais de flirtation assez bien accueillis par Mme Triboulé, malgré les amabilités que m’avaient prodiguées les hôtes de Raubvogel, la conversation que j’avais eue avec Gédéon Schurke ne cessait de répercuter en mon esprit ses phrases désabusées. L’entrée que je venais de faire dans l’existence me semblait une assez piètre entrée ; j’avais eu le temps de m’apercevoir qu’un sous-lieutenant n’est qu’un sous-lieutenant. Et la vie elle-même ne m’offrait aucune des illusions qu’elle doit présenter d’ordinaire aux jeunes gens de mon âge qui se sentent, pour la première fois, une épée au côté. Elle m’apparaissait, cette vie, comme une sorte de jeu de hasard ou plutôt d’artifices. Chacun peut jouer qui s’arrange à s’approcher des tables ; la tricherie est permise, sinon encouragée ; l’argent roule sous le râteau des croupiers cyniques ; et de temps en temps une main rude, noire, calleuse, — la main d’un personnage malpropre qu’on ne voit jamais, heureusement, — vient jeter sur le tapis de l’or tout humide de sueur ; de l’or qui remplace incessamment celui qu’ont raflé les doigts des joueurs auxquels la chance a souri. C’est seulement le jour où je pourrai m’approcher des tables, avoir ma part, que j’entrerai réellement dans la vie ; et ce ne sera pas sans coudoiements, sans bousculades et sans promiscuités. Ou bien, alors, végéter... Ce matin encore, dans le train qui m’emmène à Versailles où j’ai rendez-vous avec le notaire, je suis perplexe et morose. Je ne me sens pas, naturellement, ambitieux ; et j’hésite à me convaincre de la nécessité de le devenir. Et d’abord, quelle ambition ? L’ambition du bonheur en gros. La petite ambition des hommes qui courent après les honneurs, les postes et les grades est seulement le résultat de leur vain désir d’être heureux. La vie est telle que peu de gens peuvent être heureux en eux-mêmes et par eux-mêmes. Généralement, on se crée un bonheur illusoire qui n’est que le froid reflet de la foi qu’ont les autres en votre félicité, de l’admiration qu’ils professent, plus ou moins sincèrement, pour le personnage social que vous figurez. Pouvoir, richesse, — mais quel pouvoir ! et quelle richesse ! — c’est-à-dire bonheur — mais quel bonheur ! — voilà le but, le fruit de l’ambition. Peuh !... Et puis, ce doit être si fatigant, l’ambition, surtout lorsqu’elle est voulue, non instinctive ! Ça doit vous user et vous ronger si impitoyablement ! Et la fortune ne vient-elle pas en dormant ? Pourquoi donc ne pas dormir, laissant au Destin le soin d’arranger les choses ? Du reste, ce n’est pas tout de faire le plongeon : faut savoir nager. Saurais-je nager ?... Mais mes préoccupations disparaissent comme par enchantement devant l’accueil que me fait le notaire. J’ai rarement vu un homme plus aimable que ce tabellion. D’abord, avec force compliments, il m’apprend que le legs que m’a fait le regretté M. Freeman s’élève, toutes réalisations opérées, à plus de cent mille francs ; puis, il me propose de me faire immédiatement, sur cette somme, une avance de vingt mille francs ; ce que j’accepte avec plaisir ; ensuite, il me retient à déjeuner. Madame la tabellionne, qui frise la quarantaine, mais a tout l’attrait des fruits mûrs, se montre charmante pour moi ; le déjeuner est exquis ; les vins, de première marque. Aussi, lorsque je prends congé du notaire, vingt billets de mille francs dans mon portefeuille, et légèrement allumé, l’existence se présente à moi sous les plus riantes couleurs. Je me sens vivre. Du haut de mon importance, je réponds aux saluts des soldats, je toise dédaigneusement les pékins, je regarde les femmes dans le blanc des yeux. Je me sens décidément pétri d’une autre argile que le commun des mortels. Aujourd’hui, tout le monde est soldat ; mais tout le monde ne porte pas l’épaulette ; l’obligation du service militaire a rehaussé le prestige des officiers. Nous ne sommes plus simplement une classe à part ; nous sommes une classe supérieure. Un sentiment domine tous ceux qui m’agitent : Je porte l’épaulette ; tout le monde doit m’en savoir gré ; tout le monde doit m’en récompenser. Je m’achemine, cependant, vers la demeure de M. Curmont, décidé à faire admirer au bonhomme, dans tout son lustre, le représentant par excellence de l’armée française que je me sens devenir de plus en plus à chaque pas. J’approche de la maison. J’entends le son du piano ; Adèle est là. Tiens ! Adèle... je l’avais presque oubliée. C’est elle justement qui vient m’ouvrir et qui pousse un cri de joie en m’apercevant. Elle est seule à la maison. Son père est à Paris et regrettera bien de s’être absenté lorsqu’il sera informé de ma visite. Comme elle est heureuse de me voir en uniforme ! etc., etc... Je suis resté trois quarts d’heure chez M. Curmont. Pendant le premier quart d’heure, Adèle me complimente sur ma bonne mine et mon allure martiale. Je lui dis mon plaisir de la revoir et je hasarde quelques mots discrets sur sa beauté, qui est réelle, et sur son charme plus réel encore. Nous nous rappelons réciproquement des souvenirs d’enfance ; et nous nous trouvons, tout d’un coup, assez embarrassés de continuer. Adèle, pour rompre le silence, s’extasie sur le magnifique avenir qui m’attend. Et son avenir à elle ? Elle secoue la tête. Pas brillant, son avenir. Moins que brillant. Elle est fatiguée, lasse de la musique, du monotone tran-tran des leçons et des concerts, dégoûtée de la vie qu’elle mène ; pas d’horizon, pas de futur, rien. Elle se sent seule, très seule, trop seule. Pendant le second quart d’heure, je compatis sincèrement aux douleurs et aux soucis d’Adèle ; j’affirme ma sympathie, j’offre... je ne sais pas ce que j’offre... Je suis prêt à tout offrir, pourvu qu’on m’offre tout. N’avons-nous pas été, pour ainsi dire, frère et sœur ? Oui, oui ! Oh ! pourquoi ne le serions-nous pas encore, et encore davantage ?... Je me rapproche d’Adèle, tout en parlant. Je lui saisis la main. Elle se laisse prendre un baiser. J’essaie d’en dérober un autre. Elle résiste ; se lève. Je l’enlace ; elle se débat mollement, recule d’abord dans la direction du piano ; puis, plus loin, vers un coin où se trouve un canapé. Pendant le troisième quart d’heure, Adèle me conjure de la respecter. Et c’est en vain. ⁂ Dans le train qui m’a ramené à Paris, j’ai sommeillé et j’ai rêvé, chose bizarre, d’Adèle se promenant au bras du rapporteur du budget de la guerre, Camille Dreikralle. Depuis j’ai encore rêvé d’elle plusieurs fois ; elle fait, du reste, tous ses efforts pour ne point se laisser oublier. Elle m’écrit lettre sur lettre, me sommant de faire mon devoir, de me conduire en galant homme, etc. Je ne réponds pas à ces lettres. Épouser Adèle est impossible. Son père ne lui accorderait sans doute pas la dot réglementaire ; et je ne pourrais lui reconnaître cette dot qu’en me prêtant à des manœuvres que réprouve mon honneur de soldat. Quant à vivre avec elle en dehors du mariage, je ne veux même pas y penser. L’autorité militaire frappe l’officier qui s’obstine dans une liaison irrégulière, incompatible avec le décorum qu’exige l’épaulette ; elle le met en non-activité. Pas de ça. Pourtant, les objurgations d’Adèle, ses reproches de plus en plus violents, m’énervent. L’agacement, la crispation continuelle de tout mon être, me rendent féroce. Je rêve de guerre, de massacres, de boucheries. Évoqués par une rage impuissante contre les autres et surtout contre moi-même, toutes sortes de besoins cruels montent en moi, ou remontent en moi. « Donnez à l’humanité dix ans de carnage, a écrit un philosophe, et vous verrez reparaître le cannibalisme. » Je compte sur ces dix années-là. Et j’espère que, dans les bons hôtels du futur, les anthropophages seront admis à table d’hôtes. Heureusement, ainsi que le dit Herbert Spencer, la licence sexuelle exclut la férocité. Vous allez voir comme c’est vrai. ⁂ Et puis, à quoi bon ? À quoi bon étaler la banalité d’aventures douteuses qui valent à peine qu’on en chasse le blafard souvenir d’un haussement d’épaules ? Ces femmes... Leur vénalité bruyante ou leur sot enthousiasme me rappelaient de plus en plus vivement l’autre femme, l’amie dont ma brutalité vaniteuse avait fait une victime ; leurs caresses éveillaient ou ravivaient en mon cœur la honte de moi-même, m’emplissaient d’un grand désir d’expiation. Car je comparais, et je comparais sans cesse malgré moi, le semblant d’amour que j’avais aux réalités passionnelles qui auraient pu être miennes. C’est pour moi, pour moi surtout, pour moi seul, que j’aurais voulu réparer ; que j’aurais réparé, si j’avais pu... Pouvoir ! Comment ? Adèle n’écrit plus. Voilà un mois qu’elle n’écrit plus. Que faire ? Comment entrer en communication avec elle ? Des moyens, je n’en trouve point ; peut-être pas exprès. Une fois, deux fois, je vais à Versailles ; je rôde autour de sa maison, espérant la voir ; espoir vain. Je rentre à Paris, persuadé qu’elle va m’écrire. Pas de lettre ; son silence, qui m’a d’abord attristé, m’irrite à présent. Je le ressens comme une insulte. C’est presque un commencement de vengeance, on dirait, ce silence ; c’est comme si elle s’était résolue à lutter contre moi. À lutter !... Ah ! Ah !... L’exaspération m’empoigne. Une réparation ? Pour rire ! Des phrases cyniques, des images grossières me montent à la tête, se bousculent. Eh ! bien, j’en aurais une couche, comme on dit, d’être plus chevaleresque que tout le monde. D’abord, pourquoi ? Ma propre opinion ? Elle m’absout. Mon devoir vis-à-vis de moi-même est de ne pas briser mon avenir, de ne point placer d’obstacles dans ma vie. Adèle serait un boulet. Je suis un officier ; pas un galérien. L’opinion des autres ? Sans valeur. Les autres se conduisent comme moi ; encore plus mal ; et avec la connivence, l’approbation ou la tolérance générales. Ils ont même, pour les aider dans leurs trafics, des gens comme Schurke, le « bras droit » de Raubvogel, qui les traitent de coquins dans leurs propres maisons, au coin de leur cheminée. Quelle sécurité ont-ils donc, excepté la certitude de l’apathie ou de la lâcheté publiques — apathie voulue, lâcheté soldée ? — Et j’irais me gêner pour ces êtres-là ? Des nèfles... Ah ! Dieu de Dieu, que je m’ennuie !... Mon père, heureusement, m’aide à secouer ma mélancolie. Il a toujours le mot pour rire ; la pièce pour rire, pas toujours. Il me fait de petits emprunts et de grandes confidences. Il m’assure que, l’argent, il n’y a que ça ; c’est une découverte qu’il a faite récemment : ah ! s’il s’était seulement douté de la chose plus tôt ! Et il me parle, avec une amertume sarcastique, de certains de ses collègues qui ont toujours accordé au vil métal, dans leurs préoccupations, la place qu’il mérite. Ainsi, Lahaye-Marmenteau ; en voilà un qui a toujours eu le flair, pour l’argent ! Tout lui est bon, pour s’en procurer. Et malin ! Il prête à intérêts, il fait l’usurier ! Oui ; mais c’est afin de prêter sans intérêts, et à fonds perdus. À qui ? À tous ceux qui peuvent l’aider — ou qui peuvent le gêner. — Il a son but ; il veut être mis à la tête de l’État-Major Général. Ah ! l’argent est tellement nécessaire, pour arriver !... Mon père, surtout lorsque ses fonds sont en baisse, a horreur de l’isolement ; il ne me quitte pas ; on nous voit partout ensemble. Nous avons l’air d’avoir résolu de réhabiliter la Famille. ⁂ Par exemple, nous voilà assis tous deux sur un large divan, dans le vaste atelier de Mme Glabisot. Aux murs, ce ne sont que trophées d’armes, casques, drapeaux, cuirasses, équipements de toute espèce et de toute époque ; dans les coins, des mannequins revêtus d’uniformes variés, un cheval empaillé ; on s’étonne de ne point voir des flaques de sang sur les tapis. La dame évolue devant nous, culottée de velours noir, car c’est vêtue d’un costume masculin qu’elle élabore ses chefs-d’œuvre. — Voyons, général, demande Mme Glabisot en étendant sa main armée d’une brosse vers l’écran blanc d’une immense toile, comment concevez-vous la disposition des groupes ? — Ma foi, madame, répond mon père en se levant, voici, à mon humble avis, la meilleure façon d’opérer : Nous avons dix mètres de longueur sur six de haut ; nous accorderons six mètres à l’attaque et quatre mètres à la défense. Les six premiers seront occupés par les troupes allemandes, à raison de trois mètres et demi pour les vivants et deux mètres et demi pour les cadavres. Les quatre autres mètres seront consacrés à la reproduction de la ferme de la Chevrette et de ses défenseurs ; ne me mettez pas au premier plan, je vous en prie ; au fond de la toile, on apercevra les maisons de Nourhas... — Parfait ! s’écrie Mme Glabisot. Voilà bien l’exposé clair et précis d’un soldat. Et quelle compréhension des nécessités artistiques !... Mais, général, il faut que je vous le demande, car l’histoire est muette à ce sujet ; combien de temps pûtes-vous vous maintenir dans cette ferme contre les hordes teutonnes ? Mon père rougit légèrement, hésite un peu. — À peu près... À peu près... Une heure. Une bonne heure... Vous comprenez, c’est déjà si loin !... — Oh ! ces héros ! glapit la femme-peintre. Quel courage, et quelle modestie ! Des âmes d’enfants dans des... Elle s’arrête à temps. ⁂ Mon père, lui, n’a pas dû s’arrêter ; car je m’aperçois bientôt, à la prospérité soudaine de sa situation financière, qu’il est dans les meilleurs termes avec la femme-peintre. Je dois dire que moi aussi je suis devenu l’un des familiers de Mme Glabisot. Son mari m’a pris en grande amitié et a entrepris de parachever mon éducation patriotique. Bien que je méprise ce Gaulois et que je juge à leur juste valeur ses tirades revanchardes, il est parvenu, je ne sais comment, à me faire partager ses sentiments tricolores et à m’imprégner de son chauvinisme. La maladie n’a pas duré longtemps, mais elle a duré quelque temps. J’ai été parader avec les Glabisot, les Raubvogel et les gueulards des Ligues imbéciles à la statue de Strasbourg. La méditation m’a guéri ; la méditation forcée. Mme Glabisot, en effet, m’a demandé de vouloir bien poser pour un jeune officier qui figure dans son tableau de la Défense de Nourhas ; j’ai été forcé de m’exécuter. L’immobilité des poses m’a conduit à réfléchir. J’ai compris, définitivement, combien sont ridicules et couardes ces manifestations patriotardes qui masquent mal la décision irrévocable de la France d’accepter, coûte que coûte, les faits accomplis. Et comment ces faits s’accomplirent, je me sens pris de l’idée de le savoir. Grâce à ma connaissance de l’allemand, il m’est facile d’étudier, plus sérieusement qu’on ne le fait d’ordinaire, l’histoire vraie de 1870. Et je ne tarde pas à me convaincre que la première partie des défaites éprouvées par la France est due exclusivement à l’incapacité et à la félonie des chefs militaires ; et que la seconde partie de ces désastres est due, aussi, à la lâcheté nationale. La France a été conduite au feu par des ignorants ; elle a été trahie ; mais surtout, elle n’a pas voulu se défendre. Devant les faits, la légende doit disparaître. La France qui, après Wörth, place une seconde épée de commandement dans les mains d’un Mac-Mahon ; qui, après que Bazaine a trahi Frossart à Forbach, le garde à la tête de l’armée de Metz ; qui met au pouvoir, après Sedan, les fantoches des Principes républicains ; qui se plaint sans cesse d’être « écrasée sous le nombre » lorsque 500.000 hommes, à Paris, ne peuvent triompher des 200.000 Allemands qui investissent la capitale, et lorsque 100.000 hommes, le 19 janvier 71, sont battus en dépit de l’appui des canons des forts par les 25.000 soldats du 5e Corps d’armée prussien — cette France-là mérite son sort. — Je pense, de plus, qu’elle l’a désiré ; qu’elle a désiré la paix à n’importe quel prix. Je me souviens d’avoir vu, autrefois, une chromolithographie qui représentait les soudards germaniques obligeant la France à signer la paix. La femme échevelée qui figure la France est entourée de Prussiens ivres, brandissant des coutelas et des torches, qui lui tiennent le poignet et la forcent à signer un papier. Ah ! ce n’est pas ça ! La paix honteuse, celle qui fut ratifiée à Francfort le 10 mai 1871, fut conclue volontairement, en toute connaissance d’infamie. En fermant les livres qui m’ont appris ce qu’il faut croire, qui m’ont démontré l’inanité du mensonge tricolore, j’ai une crise de dégoût et d’indignation, moi qui vais entrer dans cette armée qui succède à celle de l’Année Terrible — oh ! l’horreur de cette expression — et qui en diffère si peu... Et puis, ça passe... On s’habitue à tout. On oublie tout... Le seul témoignage qui nous reste de la Commune, c’est la basilique du Sacré-Cœur, cette église du Vœu National, Vérité catholique enfin sortie de ses puits pour démontrer l’absurdité de ces grossières erreurs humaines qu’on appelle des appétits. Et combien de gens pensent à la création de l’Empire Allemand lorsqu’ils vont à Versailles afin, comme disait Louis Borne, « de voir couler en jets d’eau et en cascades les larmes de leurs ancêtres » ? L’effort, l’énergie, à quoi bon ?... Je tente de réagir, pourtant. Me rappelant que je vais bientôt avoir à prendre ma place dans un régiment, j’essaye de travailler un peu ; je me sens trop classé, spécialisé dans mon arme ; trop fantassin. Mais tout effort me dégoûte vite. À quoi bon ? N’est-ce pas la règle que l’infanterie ignore tout de l’artillerie, et vice-versa ? Les galons viendront tout seuls. Il n’y a qu’à laisser pleurer le mérinos. Sur ces entrefaites, je reçois avis que je suis affecté au régiment d’infanterie qui tient garnison à Nantes. Ce régiment vient de perdre, coup sur coup, un sous-lieutenant et un lieutenant. Le sous-lieutenant a été tué involontairement, à une revue, par le général Dufrocard ; le brave général, examinant le revolver de l’officier, a pressé la détente par mégarde ; le revolver, étant chargé, a envoyé deux balles dans la tête du malheureux jeune homme, qui s’est affaissé sur lui-même. On a beau être sous-lieutenant, on n’est pas de bois. Quant au lieutenant, il n’a pas été tué ; il a tué, ce qui a motivé sa radiation des cadres ; il a tué sa femme, une femme riche qui ne lui donnait pas tout l’argent qu’il demandait, bien qu’il ne l’eût épousée, au su de tous, que pour sa fortune. Comme elle n’était pas morte sur le coup, il a demandé, en bon catholique, qu’on lui administrât les sacrements. Ce n’est pas tout, de tuer sa femme. Il y a la manière. Je me souviens parfaitement que mes premières sensations, à Nantes, furent dominées de haut par l’ennui et le désappointement. Je sais aussi que les premières impressions que me donna la vie militaire peuvent trouver leur somme en ces deux termes : monotonie et vulgarité, qui eux-mêmes, se résoudraient facilement en celui-ci : néant. Par son côté strictement soldatesque, l’existence de l’officier ne présente qu’un intérêt très relatif au moins en temps de paix ; elle se rapproche, non pas même de celle du professeur, mais de celle du pion ; la caserne étant surtout, de même que l’école, une fabrique de servilité. Il ne m’a pas déplu, certes, au début, d’être pris, au sérieux par mes subordonnés et même par mes chefs ; de pouvoir m’affirmer comme homme. Mais je n’ai pas tardé à constater le peu de valeur de notre raison d’être à tous, supérieurs et inférieurs ; et à reconnaître que je n’étais qu’un automate dont la fonction consistait, une fois remonté, à remonter d’autres automates. Obéir et commander, ces deux infinitifs autour desquels les épaulettiers accomplissent leur promenade en queue de cervelas, ne me semblaient ni d’une infinie grandeur ni d’une infinie beauté. Quant à de l’amour et à de l’admiration pour ma profession, quant à l’enthousiasme, au feu sacré, au culte des traditions et autres breloques morales, tout cela n’existait en moi que pour mémoire. Il est excessivement rare qu’il en soit autrement. Se couvrir de gloire, accomplir des actions d’éclat, gagner la réputation d’un grand stratège ou d’un Poliorcète, ce sont des rêves qu’on fait quelquefois ; mais de moins en moins ; et ça passe vite. Généralement, après quelque temps, on en vient à se considérer comme fonctionnaire. Fonctionnaire inamovible, privilégié ; et d’essence supérieure. Cette supériorité dont on se flatte n’est pas tout illusoire : la fonction militaire est sans doute la seule que l’homme ne puisse pas déshonorer tout à fait ; il n’est pas toujours possible de fuir ou de capituler. Comme le rôle de fonctionnaire ne me plaît que modérément, je me reproche parfois d’avoir fait fausse route. Je crois que beaucoup de mes collègues, au début, pensent de la même façon, s’il leur arrive de penser. Mais on s’habitue ; le métier conquiert l’être. On reste dans l’armée comme les nations modernes restent aux pieds de leurs armées ; par une résignation un peu ahurie, assez couarde, mal déguisée en volonté. Je cherche à me rappeler à peu près mes débuts dans l’armée. Toutes sortes de tableaux défilent devant mes yeux ; des sensations revivent, atténuées, aiguës, rapides ; des souvenirs voltigent, passent, s’affirment, s’écroulent. Je saisis des bouts d’images ; il y a des lueurs, des échos ; des odeurs se précisent, se transforment, s’unifient — relent d’un passé qui n’a point cessé d’être le présent. — Des souvenirs, donc... Ce que je voudrais surtout retracer ici, c’est la vie de l’officier, non pas au quartier, mais en dehors du quartier ; c’est-à-dire, si vous voulez, dans ses rapports avec cette partie de la population qui n’est pas strictement militaire. De la caserne, par conséquent, je ne dirai pas grand-chose. Ce qu’on en ignore, du reste, c’est juste ce qu’on n’en veut point savoir. Moi, de plus, je ne suis soldat que par définition générale ; officier, pas troupier. J’ignore donc la caserne ; je n’en connais guère que l’aspect extérieur. Je la soupçonne horrible ; je la suppose infecte. Je sais que lorsque nous visitons les chambrées, nous autres chefs, à certains jours fixés d’avance, nous ne pouvons nous donner qu’une idée très réduite de leur abjection réelle. La caserne, étant donnés ses indéniables résultats : abrutissement, avilissement, épidémies et taux exagéré de mortalité, pourrait apparaître à un cerveau mal fait comme le conservatoire de la vermine morale, comme l’antre du typhus. Mais, en créant l’esprit de servilité, elle tue l’esprit militaire réel. L’impression qu’elle produit sur les hommes qu’on y jette chaque année est plutôt sinistre. L’abattement, le découragement qui s’emparent des conscrits dès leur arrivée au corps ne peuvent être niés. Pour un rien, pour la cause la plus futile, sans cause précise, ils se tuent ou désertent ; il y a, en moyenne, vingt mille désertions par an ; le nombre des insoumis est considérable. Mais ne sont-ce pas là des maux nécessaires ? Discipline, astiquage, parades. Voilà des modes, peut-être pas les plus hauts, de l’activité humaine. Méchanceté du cadre supérieur pour le cadre inférieur ; méchanceté du cadre inférieur pour la troupe : méchanceté du vieux soldat pour le jeune soldat. Comme le jeune soldat devient à son tour le vieux soldat, il y a compensation. Labeur dérisoire, mais acharné. Le travail de l’armée est irréel, vain ; mais il est accompli avec un incontestable sérieux. Certaines besognes imposées aux soldats, obligatoires bien que peu réglementaires, sont cependant effectives : il faut avoir le courage de l’avouer. Ils opèrent le déménagement des officiers, de leurs familles, de leurs amis, et des congrégations non autorisées ; ils servent de rabatteurs dans les grandes chasses et de domestiques un peu partout ; on les met au service des patrons, dont ils fusillent les ouvriers mécontents et dont ils font l’ouvrage, sans salaire. On en fait des larbins, des cochers, des marmitons, des blanchisseuses, des bonnes à tout faire et des nourrices sèches. Quand ils ont des talents particuliers, on en tire parti sans hésitation : j’avais dans ma compagnie, il n’y a pas longtemps, un tailleur pour dames auquel ne laissait nul répit la partie féminine de la garnison. Et un homme que j’avais pour ordonnance n’a pas mis les pieds trois fois au quartier pendant les dix-huit mois qu’il est resté à mon service. C’est de cette façon que les officiers préparent les soldats à la défense de la patrie. Cela ne vaut-il pas mieux que de ne point les préparer du tout ? On a dit que le service militaire obligatoire développe l’esprit, élargit l’intelligence, force l’homme à sortir de son trou, à voir du pays, à étendre son horizon mental. Les faits prouvent le contraire. Qu’il aille à droite ou à gauche, le soldat est enfermé dans une camisole de force qui l’empêche de se mouvoir librement. Les mêmes vices, les mêmes tentations, le guettent partout ; il est la proie des mêmes trafics. Le Militarisme, expression faussée de la nécessité de défense nationale, pervertit l’entendement, tue l’initiative, l’esprit d’aventure, le besoin d’action, fait d’un homme une bête fonctionnante ou une sale loque. Il ne faut pas de caractères, dans l’armée. Il faut l’obéissance passive. Ou bien — Biribi. Ou bien — la Mécanique. Les réservistes et les territoriaux viennent accomplir leurs périodes d’instruction ; quelquefois joyeux de reparaître sous les drapeaux. Pendant vingt-huit jours, pendant treize jours, ils sont employés à des corvées dégoûtantes mais peut-être nécessaires ; cassent des cailloux ; nettoient des vieux effets ; graissent des cuirs ; font quelques manœuvres ; n’apprennent point le maniement des armes nouvellement mises en service. Et leurs officiers, anciens volontaires d’un an ou gloires d’Écoles, généralement riches, les traitent suffisamment mal ; nous n’avons presque pas besoin de nous en mêler. On les insulte, on les punit, on les exploite, on les vole ; mais, sûrement, sans aucune mauvaise intention. L’armée n’est-elle pas une grande famille ? Si. L’armée est une grande famille. Une famille comme l’autre. Où les déshérités, les faibles, sont méprisés, tenus à l’écart, injuriés, maltraités ; avec des tyrans et des esclaves ; des exploiteurs et des dupes ; des parents pauvres et des souffre-douleurs. La Grande famille — la famille en grand. Et les officiers ? Ils ennuient les hommes. Surtout, ils s’ennuient. Ils vont du champ de manœuvres à la caserne ; de la caserne, au mess ; du mess, au café ; pérorent, hâblent ; parlent de bonnes fortunes peu réelles et peu fréquentes ; en rêvent ; se montent des scies, se jalousent, s’espionnent, se rendent des services, de mauvais services. Leurs conversations roulent sur l’exercice, les règlements, les potins du régiment, les cancans de la ville, les qualités des grands chefs, les bévues des capitaines, les faiblesses des commandants, la jalousie fatiguée et sournoise du lieutenant-colonel, la fragile et tremblante ambition du colonel. Et les femmes, les femmes, les femmes... Peu de brutes alcooliques ; des êtres vaniteux et inconscients, plutôt. La majorité affiche des prétentions aristocratiques. D’aucuns, à bon droit : petits-fils d’émigrés, rejetons de chouans, avec de l’eau bénite dans les veines, de la moelle de traître et du mercure dans les os. D’autres, sans aucun droit aux particules dont ils s’affublent, aux dénominations sonores dont ils agrémentent la vulgarité de leurs noms patronymiques, aux blasons qu’ils exhibent orgueilleusement, après boire. Cette noblesse de fantaisie emplit de ses ridicules mensonges l’Annuaire de l’Armée. Elle affecte un immense mépris pour les civils et les républicains — les voyous. L’arrogance, d’ailleurs, est de règle devant le commun des mortels ; exactement comme la platitude en présence des supérieurs. La préoccupation intime, facilement avouée, c’est la fortune, l’argent. La solde est maigre ; et, bien qu’avec la somme que nous recevons mensuellement, un ouvrier trouverait moyen de nourrir sa famille, nous ne pouvons vivre. Il y a tant de dépenses nécessaires, inutiles et obligatoires ! Heureux ceux qui ont de la fortune ; à plaindre ceux qui n’en ont pas. À quels procédés recourent ces derniers pour se procurer des fonds, l’Honneur de l’Armée seul le sait. Et cet argent ? Tout aux tavernes et aux filles — comme au bon vieux temps. — La noce basse. Le jeu. Quant à l’intellectualité, à part de très rares exceptions, néant. Nulle notion, nul soupçon du beau ou du vrai. Nul effort pour comprendre ce que c’est que la Patrie, ce qu’elle peut être ; ce que c’est qu’un soldat, en réalité ; ce que doit être un officier ; ce que c’est que la Nation armée. Ce sont là des choses qu’il n’est même pas question de savoir. Un vague sentiment d’un vague devoir professionnel, très élastique. Et un culte, d’une sincérité maladive, pour des traditions crevées, des rengaines pourries. Des types ? Pas de types. Les semblants de caractères se distinguent par leur degré plus ou moins marqué d’enfantillage. Leurs seuls signes particuliers sont des marottes, des dadas. Un être puéril, généralement, l’officier ; en dépit de sa rudesse fréquente, de son autoritarisme, même de sa cruauté ; peut-être à cause de tout ça ! Un pauvre être. En voici un, par exemple. Grand, mince ; toujours tiré à quatre épingles, au corset indubitable et au titre nobiliaire douteux. Contre ce titre, il voudrait échanger des titres de rentes. Sa seule préoccupation est celle d’un riche mariage. Il permute sans cesse, traînant d’un bout de la France à l’autre son épaulette, en quête de jeunes filles avec dot, avouant la chose comme normale... D’autres, qui ne l’avouent pas mais qui y pensent toujours sans en parler jamais. Celui-ci, à la tenue volontairement négligée, qui affecte des allures de voyou, siffle, chaloupe. Celui-là, posant au valet de cœur, coiffé en casseur d’assiettes, d’un képi très haut par derrière. Celui-là encore, ridiculement maniéré, aux gestes trop gracieux, qui salue les troupiers en minaudant. Un autre, qui n’aime pas ces manières-là, rêche, crispé, et qui déclare que le salut militaire a été institué afin de laisser à l’homme toute la hauteur de sa taille. Un autre, plus rogue et plus grincheux encore, que font grogner sans trêve les lenteurs de l’avancement ; qui se plaint surtout de ce que les officiers des corps de troupes qui vivent avec le soldat sont sacrifiés aux officiers d’état-major, sortant de l’École de guerre, et dont les brevets ne constituent, du point de vue strictement militaire, que des certificats d’ignorance. Les officiers de grades supérieurs, surtout bureaucrates, écrasés sous une énorme paperasserie. Leur selle d’ordonnance est devenue un rond-de-cuir. Le colonel, grognonnant, mâchonnant, bedonnant, inquiet, congestionné de la peur qu’on ne lui fende l’oreille avant que les étoiles qu’il convoite ne tombent sur sa manche. Le lieutenant-colonel, desséché et poussiéreux, avec des manières de bedeau, et l’air d’avoir été oublié très longtemps dans le placard d’une sacristie. Un major, qui a l’aspect d’un souteneur, et qui fut zouave pontifical. Un autre, qui a des allures de remorqueur ; souffle, ahane, halète, semble toujours tirer derrière lui quelqu’un ou quelque chose. Des capitaines, préoccupés surtout de l’ordinaire, et dont deux au moins sortent de l’ordinaire. Le premier a été promu récemment et vient d’être proposé pour la croix. Comme lieutenant, il avait été rapatrié, voilà six mois, sous prétexte de dérangement cérébral, pour avoir fait torturer et mourir sous le bâton quelques douzaines de nègres dans un Soudan quelconque. « Il avait cédé, dit un journaliste qui le défendit alors pour une somme modérée, à la tentation de ne point déranger les habitudes des noirs qui, depuis des milliers d’années, sont accoutumés à n’obéir qu’à la bastonnade et à la décapitation. » Je dois dire que la dévotion de cet assassin est exemplaire. Quant au second capitaine, c’est réellement un phénomène. Habituellement, n’est-ce pas ? les capitaines ne savent plus l’École du Soldat ; ils l’ont oubliée. Eh ! bien, lui, il la sait. Il est célèbre pour ça, à juste titre, dans tout le Corps d’armée. Quand il fait manœuvrer sa compagnie sur le cours Saint-Vincent, devant la maison qu’il habite, sa femme, cachée derrière un rideau et qui sait aussi l’École du Soldat, observe les mouvements des hommes ; à la pause, elle signale à son mari, qui monte la consulter, ceux qui manœuvrèrent mal. Femmes d’officiers : le gros sac, la certaine fortune ou la dot réglementaire. Le gros sac, que les mamans engagent fiévreusement leurs fils à décrocher, et pour le décrochage duquel, d’ailleurs, elles les destinent à l’épaulette dès leur plus jeune âge ; la certaine fortune, dont on se contente lorsqu’on sait encore allier, sous les brandebourgs du dolman, quelque sentimentalité à la soif de l’or que rend impérieuse l’oisive existence militaire ; la dot réglementaire, dernier refuge des pécheurs en perdition qui réclament un ange gardien. Au début, l’allure de ses dames varie, suivant les moyens, de celle du caporal-instructeur à celle du demi-castor ; plus tard, de celle de la petite bourgeoise aigrie à celle de la dame patronnesse, grasse de bonnes œuvres. Monde bien-pensant, bétail réactionnaire, ivre d’égoïsme, de convoitises, d’autoritarisme, de vanité, dont les mœurs appellent fréquemment l’attention des tribunaux, et dont l’Église approuve les opinions. L’Église a fait les mariages, du reste, ou la plus grande partie d’entre eux ; exactement comme elle a fait les femmes d’officiers, ou la plus grande partie d’entre elles ; et comme elle fait aujourd’hui les officiers ou la plus grande partie d’entre eux. Le cléricalisme a jeté sur l’armée son ombre dévorante, qui s’abaisse de plus en plus. Et les belles madames, « l’élite féminine de l’armée », donnent le ton à la société de la ville de garnison, dont elles cultivent les haines anti-démocratiques, les rêves de restauration monarchique. Elles n’aspirent, pour la plupart, qu’au jour où les griffes du prêtre étrangleront enfin la liberté, où coulera à gros bouillons le sang des pauvres qui les font vivre : ces femelles de meurtriers, je vous le dis, valent moins, encore que leurs mâles. Elles salonnent à la cathédrale, aux grand’messes ; paradent aux jardins publics, où joue la musique militaire ; posent, chez elles, aux maîtresses absolues de tout et de tous, fortifiées de galons d’or et de panaches, au milieu de l’admiration en jupons ou en fracs de la tourbe mercantile et fonctionnarde. Elle ne nous quitte pas, elle s’accroche à nous, cette tourbe ; cette tourbe qui, si elle s’adonne à l’industrie ou au commerce, vit beaucoup moins de ses propres efforts que des subventions et des primes accordées par le gouvernement, aux dépens des malheureux ; qui, si elle s’engraisse dans les sinécures rétribuées par l’État, vit sur les monstrueuses privations des pauvres et sur l’argent apporté, avec des virginités suspectes, par de misérables jeunes filles qui se font épouser pour leur dot. Cette tourbe, ai-je dit, ne nous lâche point. Les femmes nous laissent peu de répit, mais les hommes nous persécutent ; principalement sous prétexte qu’en cas de guerre ils seraient nos collègues, ayant des grades dans la réserve ou la territoriale. Des ingénieurs, un maître de forges, des avocats, un trésorier-payeur, un conseiller de préfecture, de gros négociants, tous officiers supérieurs de territoriale, nous abreuvent en ville et nous hébergent en leurs châteaux. D’autres personnages, moins importants, mais qui se galonnent pour les bals officiels, fréquentent assidûment le café que nous honorons de notre clientèle. Rien, dans ces hommes-là ; pensées rancies, habitudes sèches, égoïsme aveugle et forcené ; nulle compréhension des besoins de leurs concitoyens déshérités, d’un patriotisme réel. Ils sont friands de conversations sur la tactique et la stratégie, qu’ils ne comprennent point ; d’anecdotes sanglantes ou gaillardes, qu’ils savourent ; ils ne se souviennent certainement pas, un seul instant, que leur pays est un pays vaincu ; ils aiment les choses militaires à cause de leur côté théâtral et aussi, j’en suis sûr, à cause de leur côté cruel. Un quincaillier, simple sous-lieutenant, assez humble devant un architecte, lieutenant. Et ce quincaillier, pourtant, n’est point un homme ordinaire ; il a inventé un engin terrible, qu’il appelle « la Massacreuse », et qui doit — à son avis, sinon à celui de la Direction de l’Artillerie — faucher les hommes par milliers, en un clin d’œil. Ce bourgeois paisible, suant à inventer des engins de tuerie, m’a d’abord étonné ; mais j’ai compris que le commerce, qui est le vol, doit conduire à l’idée du meurtre. Un dentiste, capitaine, et qui prend, vis-à-vis des jeunes officiers de l’active, des airs protecteurs très amusants ; un mois avant l’époque des manœuvres, désole régulièrement sa femme et ses enfants en déclarant qu’il va user du droit qu’il a de demander à suivre le régiment ; quinze jours avant, se fait appeler capitaine par sa servante, et brise ses chaussures ; ne part jamais. Sa femme ne l’imite pas. Nous, nous y allons aux manœuvres ; marches, service en campagne, etc. J’ai été enfermé si longtemps dans les écoles, dans les grandes villes, que, lorsque je me suis trouvé en pleins champs, j’ai perçu comme une sensation de délivrance ; ç’a été pareil à l’impression que produit la bouffée d’air frais qui vous arrive, en même temps que la lumière, au sortir d’un long tunnel. Tout m’a semblé nouveau, frais, sain, vivant d’une vie incomparable ; j’ai été pris par la beauté des paysages, l’étendue du ciel, l’odeur de la terre et des plantes ; j’ai senti d’une façon très confuse, mais avec une force intense, que le sol de la Patrie, c’était la Patrie, toute la Patrie. Oui, j’ai senti cela sans le comprendre ; cela que je devais raisonner et comprendre plus tard. J’ai senti que l’armée, l’Armée nationale d’aujourd’hui, avait une mission ; et que cette mission consistait à faire jaillir de la terre, où l’a enterrée le mensonge des voleurs, la grande idée de la Patrie réelle. J’ai eu un moment de profond enthousiasme pour la profession des armes. Tout cela, très vite, est tombé. Les besognes embellies un moment par l’imagination sont rapidement devenues machinales, routinières. Les paysages, les spectacles variés offerts par la nature, ont cessé de présenter aucun intérêt. L’illusion s’en est allée, la réalité demeure. Ou bien, qui sait si ce n’est point la réalité qui s’en va et l’illusion qui demeure ? L’illusion compacte, sournoise, qui a pris corps et s’affirme en certitude triomphante, qui s’incarne en les mille aspects de la banalité, en les cent mille figures de la laideur ? Qui siffle, geint, ricane et pleurniche partout, froid et gluant mensonge attiédi et solidifié par les temps, les temps d’ignorance, les temps de sottise, les temps de lâcheté... N’est-ce pas une réalité, cette France qu’on rêve, d’où seraient bannies la superstition et toutes les misères qu’elle entraîne, où personne ne connaîtrait la faim, et où chacun connaîtrait la joie, qui serait comme un grand jardin, et qui serait la Belle France ? Et n’est-ce pas une illusion, une imposture, un cauchemar, que la France qui existe ? La France des grandes villes, avec sa population affamée, soularde et fanfaronne, avec ses décors de fausse richesse et de gloire en toc encadrant la lamentable agonie des volontés populaires, la défaillance calamiteuse de l’art. La France des campagnes, avec la tristesse de ses bourgs et la désolation de ses villages ; ses terres en friche ou cultivées à l’aide de procédés piteux, anachroniques ; ses maisons rechignées, avares et cancanières ; ses monuments publics, étriqués et vieillots, bafoués de l’insolente pierre neuve des couvents qui s’élèvent partout ; ses chaumières puantes où des mégères malpropres cuisent des soupes malsaines, où bêtes et gens vivent dans une indescriptible promiscuité ; où les enfants, ligotés dans leur berceau comme des suppliciés sur la claie, braillent désespérément des journées entières, couverts de sueur et de bave, noirs de mouches ; cette France des campagnes dont la terre volontairement appauvrie ne nourrit plus le paysan que grâce aux impôts épouvantables dont on écrase l’ouvrier et l’artisan ; qui se dépeuple tous les jours davantage ; dont la jeunesse, mâle et femelle, s’enfuit vers les grandes villes ; dont les routes sont parcourues par des trimardeurs, qui menacent, la faim au ventre ; dont les misérables possédants, vaguement conscients de l’iniquité de leur possession précaire, vivent dans la perpétuelle terreur de l’usurier, de l’incendiaire, du partageux ; dont les hommes, affolés par l’inquiétude, rêvent d’un despotisme protecteur, armé jusqu’aux dents, et acclament fiévreusement les soldats auxquels ils vendent l’eau, à l’étape ; dont les femmes, exaspérées par l’isolement et la monotonie de l’existence grise, hennissent hystériquement au passage des troupes et se livrent aux galonnés, perverties et gauches, avec des raffinements vicieux qui surprennent et des baisers qui font le bruit des sabots qu’on retire de la boue à grand’peine... C’est cette France-là qui parle de son relèvement... Hé ! Quelle autre France en parlerait ?... Les journaux en étaient pleins, ces jours-ci, du relèvement. Un événement s’est produit... Oui, la presse en bave encore d’orgueil et en larmoie d’admiration. C’est absolument comme si les armées françaises avaient repris Metz et Strasbourg, franchi le Rhin, envahi l’Allemagne et fait leur entrée à Berlin, traversé les Alpes, capturé Rome et rétabli le pouvoir temporel du pape. Et ce sont seulement les grandes manœuvres d’automne qui viennent de se terminer. Sur un thème banal, réglé d’avance de point en point et ne laissant aucune place à l’initiative, des masses d’hommes avancent l’une contre l’autre, évoluant d’une façon grotesque, et finissent par se trouver en présence. On canonne des pommiers inoffensifs ; on fusille des nuages menaçants ; des colonnes d’infanterie, mitraillées en flanc à cinq cents mètres par une douzaine de batteries, montent sans préparation aucune à l’assaut de positions défendues par des forces trois fois supérieures ; et la cavalerie ennemie charge avec entrain les taupinières que l’infanterie a laissées derrière elle ; défilant, naturellement, devant les bouches de ses propres canons qui tirent à toute volée. Cette petite guerre, qui n’est qu’une ridicule et inutile image de la guerre vraie, lui ressemble par quelques côtés : un certain nombre de soldats y meurt de fatigue, d’insolations ou d’accidents ; les généraux se félicitent réciproquement ; et les contribuables ont à payer les frais, c’est-à-dire plusieurs millions. Par certains autres côtés, elle diffère de la guerre véritable : le vainqueur est toujours français, et l’on ne capitule jamais. Ce magnifique spectacle, comme disent les journaux, ayant été offert à la badauderie nationale qui tient à s’assurer, chaque année, que nous avons reconquis notre situation en Europe, les régiments procèdent à la libération annuelle ; c’est-à-dire qu’ils se désorganisent complètement ; c’est-à-dire que tous les ans, après la théâtrale parade des grandes manœuvres, l’armée française se trouve dans un état de désarroi complet qui persiste pendant plusieurs mois. Quant à nous, officiers, nous reprenons le monotone tran-tran de notre existence, un instant interrompu par des exercices qui nous ont fait passer d’une théorie inutile à une pratique vaine. Mourir pour la patrie est le sort le plus beau, le plus digne d’envie. Mais vivre pour la patrie est aussi une belle chose ; et même une chose normale. Aussi notre existence semble-t-elle naturelle à tout le monde ; à moi d’abord, à part de rares exceptions ; à mes collègues, en corps et individuellement ; aux soldats en général, à la population civile en général ; au cafetier chez lequel nous aimons à nous réunir et qui, si j’en crois une communication à moi faite par Gédéon Schurke, est un espion ; à ma propriétaire, excellente personne à sentiments chauvins et qui, afin d’épargner à son fils les horreurs de la conscription, empoisonne lentement son mari ; et à une cabotine de beuglant, déjetée, patriote et sentimentale, dont j’essuie les plâtres. ⁂ Il y a pourtant dans mon régiment un homme qui ne trouve pas naturelle l’existence que nous menons. C’est le lieutenant Deméré. Je raconte ces faits et je cite son nom parce que, bien que son influence directe sur ma vie dût être nulle, mes courtes relations avec lui devaient servir de prétexte à l’une de ces persécutions basses par lesquelles s’affirme cette coagulation d’intérêts pitoyablement égoïstes et de traditions ratatinées que des idiots cherchent à exalter sous le nom d’esprit de corps. Le lieutenant Deméré n’est plus tout jeune ; plutôt trente-six ans que trente-cinq ; plutôt grand que petit ; plutôt gras que maigre ; plutôt blond que brun ; avec des yeux couleur d’acier, des dents blanches que montre rarement le rire, mais qu’expose souvent le rictus du mépris ; une voix forte, claire et précise ; des gestes rares et décisifs. Vous voyez le type. Sérieux, l’air perpétuellement ennuyé et même dégoûté, taciturne, il vit très à part et semble prendre une joie sauvage à éviter la fréquentation de ses collègues. On le voit fort peu au cercle, rarement aux réceptions et aux bienvenues, jamais à l’église. On dit qu’il est protestant, et le bruit court qu’il a des vices. On l’aime peu ; et si l’on tolère sans des moqueries trop vives l’isolement auquel il tient, c’est qu’il a dans son passé plusieurs duels qui furent sanglants. Au cours de quelques conversations que j’ai eues avec lui, j’ai pu m’apercevoir que son instruction est de beaucoup supérieure à celle des porteurs d’épaulette ; il sait des langues vivantes, que l’immense majorité des officiers français ignore éperdument ; et il connaît beaucoup d’autres choses fort nécessaires aux militaires et dont les mêmes officiers, généralement, ne soupçonnent même pas l’existence. Comme je le questionnais sur les raisons de son lent avancement, il m’a fait des réponses vagues. Je me demande si ces raisons ne sont point la rudesse bourrue qu’il apporte dans le service et sa brutalité à l’égard des hommes qu’il commande. Hier, pendant l’exercice, j’ai été vraiment choqué d’entendre les observations grossières qu’il adressait aux recrues sous ses ordres. Comme nous suivions le même chemin en sortant de la caserne, j’ai pris la liberté de lui faire part de mes impressions. — Vous avez raison, m’a-t-il répondu vivement. Je ne devrais pas me laisser emporter à de pareilles vivacités de langage. Je ne devrais pas, pour moi. Quant aux hommes dont vous parlez, ils méritent ça ; ils méritent n’importe quoi ; ils méritent tout. Comment voulez-vous qu’on respecte des êtres qui ne se respectent pas eux-mêmes ? On insultait autrefois les cochons vendus ; que dire des cochons qui se donnent ? Cochon pour cochon, je préfère celui qu’on amène de force au marché, avec la marque rouge de la misère sur les fesses, à celui qui vient se présenter de lui-même à l’abattoir, la queue en avant. Le seul résultat de la création des armées nationales a été l’avilissement du prix de la chair à canon ; et aussi de sa valeur morale. Qu’est-ce que c’est que ces troupeaux culottés de rouge auxquels c’est notre métier d’apprendre à marquer le pas ? Pouvez-vous me dire ce que c’est ? À part un certain nombre de caractères que nous ne voyons point ou que nous voyons peu, parce qu’ils ne se soumettent pas à la loi, parce qu’ils désertent ou parce qu’ils sont envoyés à Biribi, y a-t-il là autre chose qu’une masse inconsciente et servile ? Et quand ces malheureux quittent la caserne, à part encore de rares exceptions, leur échine est façonnée à l’ignominie de tous les esclavages, y compris l’esclavage du garde-chiourme. Ils deviennent des Ilotes avachis ou gueulards, ils deviennent des gendarmes, des policiers, des mouchards. À la caserne, on fait d’eux des machines, des abrutis, des larbins, tout excepté des soldats. Devant une telle situation, ils se taisent, comme dit l’autre, sans murmurer. Ils admettent qu’on leur prenne cinq ans de leur existence afin de leur inculquer, exclusivement, le respect et l’admiration de l’obéissance passive. Et remarquez qu’on fait tout pour les inciter à rejeter un pareil système, pour les pousser à la rébellion. Vous me reprochez mon langage injurieux à leur égard ; hélas ! il n’a jamais provoqué aucune réplique ; et l’insulte me monte aux lèvres devant tant de patience bête, de soumission animale. Je voudrais, par mes outrages, communiquer ma haine et ma colère à ces momies, comme on souffle la vie avec l’haleine dans la gorge des asphyxiés !... Saisi d’un grand étonnement, je me suis tourné vers mon camarade ; sa figure, qui ne traduit d’ordinaire que la lassitude et l’ennui, semblait être éclairée d’un feu intense, d’une expression de fureur hautaine. Sans prendre garde à la surprise que me causaient ses paroles, d’une voix tranchante où des enthousiasmes grondaient, il continua : — Oui, on fait tout — oh ! par sottise et sans le vouloir — pour les jeter à la révolte, ces soldats-citoyens qui ne sont ni des citoyens ni des soldats, mais des automates. Ah ! s’ils voulaient se donner la peine de réfléchir ! Le code qu’on leur lit tous les samedis... Vous connaissez le hideux refrain. Mort ! Mort ! Et mort, pourquoi ? Qu’est-ce qui entraîne la peine de mort ? Tous les actes qui pourraient donner au soldat la valeur morale, la force individuelle, qui le constitueraient en fait ; tous les actes qui pourraient contribuer à faire de la France autre chose que la malheureuse nation qu’elle est. On punit de mort les hommes qui refusent l’obéissance à un supérieur, qui insultent un supérieur ! Même si le supérieur est un imbécile avéré, même si c’est un traître indiscutable. Est-ce que les soldats, s’ils avaient deux sous d’intelligence, ne demanderaient pas à les choisir, leurs chefs ? On choisit son cordonnier, son tripier, son marchand de vins, et l’on n’a pas le droit de choisir son officier ; on vote pour l’homme qui vous représente au Parlement, et l’on ne peut pas élire l’homme qui doit vous conduire au feu. Ah ! misère !... Dites-moi donc un peu, s’il vous plaît, si ce n’est pas parce qu’on a continué, par exemple, à obéir à Mac-Mahon, le dégoûtant vaincu, et parce qu’on n’a pas insulté Galliffet, le hideux assassin, qu’on est arrivé à doter la France d’une armée comme celle qu’elle a, armée de parade, inférieure même à celle qu’elle avait en 1870, une armée qui n’est pas l’armée nationale, mais l’armée du Vœu national. Oui, c’est parce que le soldat ne veut pas comprendre qu’il doit, sous l’uniforme, rester un homme, qu’il y a à la tête des régiments français des colonels comme le nôtre, M. Casaquin du Bois des Ormes ; un militaire qui n’a jamais vu une bataille, qui s’est embusqué en 1870 derrière un pot à tisane, une non-valeur qui ne doit ses cinq galons qu’à ses relations aristocratiques et à l’activité de sa femme, toujours prête à s’agenouiller devant un crucifix ou devant un curé... Ah ! nom de Dieu ! c’est notre faute à nous, tout ça !... — À nous, officiers ? — Non. À nous, protestants. Protestants, vous entendez ? Nous aurions dû protester. C’est le cancer catholique romain qui ronge la France ; nous le savons ; nous aurions dû le dire, le crier sur les toits : nous aurions dû pratiquer l’indispensable opération. Nous aurions dû engager la guerre contre le monstre du catholicisme, le monstre dont la hideuse et noire silhouette se profile sur tous les monuments de sottise, de mensonge et d’infamie que nous appelons nos institutions ; la guerre ; la guerre réelle et sans merci ; pas une guerre de mots. Nous avons manqué de décision, de courage ; nous sommes tombés au plus abject de tous les vices : à la tolérance. Peut-être, un jour, saurons-nous encore être intolérants, et vaincre... Je vais vous dire quelle est ma conviction, ma conviction tout entière : pour que la France vive, il faut que Rome meure. À la lettre. Il faut que le Vatican soit rasé, que le prêtre infâme qui s’appelle le pape soit jeté à la mer, que toutes les églises à confessionnaux soient brûlées et que les tonsurés puissent être abattus, sans forme de procès, comme des bêtes venimeuses. Je crois qu’il faut cela, ni plus ni moins, pour que la France vive ; et je crois que, si cela ne se fait point, la France mourra. — Vraiment... ! m’écriai-je. — Elle crèvera ! Elle est en train de crever. Elle agonise. Mais regardez donc !... Et savez-vous de quoi elle meurt ? De sa défaite. De sa honteuse défaite, sans analogue dans l’histoire ; de sa défaite qui, par suite de l’égorgement de la Commune, devint le triomphe de Rome. Du jour où elle a permis qu’on bavardât et qu’on épiloguât sur sa débâcle, qu’on lui racontât des histoires sur son histoire, elle s’est affirmée prête à toutes les duperies dont personne n’est dupe, affamée de toutes les impostures ; et les impostures ont plu, mouillées d’eau bénite, saupoudrées de poudre de perlinpinpin. La Revanche ! Quelle blague ! Une blague à faire péter la bedaine du général Saussier ! Nous sommes en 84. Voilà quatorze ans qu’on la prêche, qu’on la gueule et qu’on l’annonce, la Revanche ; vous pouvez attendre encore quatorze ans, et vous n’aurez pas vu le bout de son nez. Laissez venir la fin du siècle ; ce sera la même chose. Une blague, je vous dis, une sale blague ! Voulez-vous que je vous dise la vérité ? Personne, en France, ne pense à la revanche. Et voulez-vous savoir pourquoi ? Parce que, personne, en France, ne pense à la France. Je ne suis pas un chauvin, certes. Mais je crois que recouvrer l’intégrité de la patrie, et la mettre hors d’atteinte, voilà ce qui devrait être la principale, l’unique préoccupation de tous les Français. Avoir la Patrie, constituer la Patrie, la Patrie vraie, — la Patrie pour tous et pour toutes. — Et qui donc comprend cela ? Qui donc voudrait penser à cela ? Pourquoi la France est-elle si insouciante, si honteusement veule ? Pourquoi ? D’abord, parce que les riches ont peur de la guerre. La guerre, aujourd’hui, rapporte quelque chose aux nations. Du conflit de 1870, les Allemands ont retiré des avantages énormes ; d’une guerre heureuse, les Français tireraient aussi un profit et ne le tireraient pas seulement de l’étranger ; bien des privilèges de toutes sortes, monopoles de propriété, etc., s’écrouleraient. Et si la guerre tourne mal pour la France, ce serait la Révolution avec sa grande gueule large ouverte. Voilà pourquoi tout ce qui est riche, tout ce qui est investi d’une autorité quelconque, est couard, enfonce la France de plus en plus dans cette fondrière de la lâcheté où les jésuites viennent vider leurs bénitiers. Ensuite, parce que les pauvres ont peur de la guerre, qui les ferait sortir de l’engourdissement dans lequel ils somnolent, injectés du venin de la sacristie, du virus de la presse et des poisons de l’alcool ; ils ont peur de la guerre parce qu’elle leur donnerait la liberté et qu’elle les débarrasserait, ils le sentent, des chefs qui les abrutissent et les grugent, et qu’ils respectent. On respecte dur et ferme, en France. On a trop de respect pour avoir du caractère. On est vaincu — vaincu — vaincu. Les riches savent ce que c’est que la patrie : c’est ce qu’ils possèdent. Les pauvres savent aussi ce que c’est que la patrie : c’est le drapeau. Nous en avons un, au régiment, qui porte en lettres d’or les noms d’Arcole et de Puebla. Ce drapeau, c’est la patrie. Que représentait-il à Arcole ? Le pillage. Que représentait-il à Puebla ? Le vol. Et puis, d’abord, ce n’est pas vrai, tout ça ! Le drapeau qui a flotté à Arcole a été pris en 1812 et pend aux voûtes de Notre-Dame de Kazan, une cathédrale russe ; le drapeau qui a flotté à Puebla a été pris en 1870 et est accroché au mur du Zeughaus, à Berlin. Fraude ! Blague ! C’est du mensonge qui est cloué à cette hampe, et qui palpite dans cette soie ! La Patrie, ce n’est pas le drapeau : c’est ça ! Et le lieutenant Deméré, d’un vigoureux coup de talon, a frappé la terre. J’ai gardé le silence, ne sachant que dire, n’osant approuver, très embarrassé. Au bout d’un moment, pourtant, j’ai demandé à mon collègue pourquoi, professant de telles idées, il était resté dans l’armée. Il a haussé les épaules. — Par habitude, par impossibilité de gagner ma vie autrement, sans doute ; je n’ose pas me l’avouer. J’aurais mieux fait d’avoir le courage de lâcher l’épaulette. Ce que je pense aujourd’hui, je crois que vous le penserez plus tard ; je vous ai observé et je crois ne pas me tromper ; pourtant, comme vous êtes fils de général... Enfin... Quant à moi, j’ai souffert d’injustices et de passe-droits de toute nature. Engagé volontaire en 1870, j’ai fait toute la campagne et je suis resté dans l’armée. Pourquoi, encore ? Eh ! bien, s’il faut le dire, j’espérais une revanche qui aurait amené une révolution. Vous avez vu. La revanche a été faite par la muse à Déroulède, et la révolution par les curés. Des gens qui n’ont jamais vu le feu, qui sont des ânes et des descendants de traîtres, sont à mon âge commandants, au moins capitaines ; moi, je suis lieutenant, et sans chances d’avancement rapide. La raison ? J’ai vu le feu, je ne suis pas un âne, je ne descends pas d’un traître ; surtout, je suis protestant. Dans l’armée française, on n’arrive à rien sans billets de confession. J’ai avalé tout ça. Pourtant, ce qui vient de m’arriver est un peu trop dur... Je devais me marier avec la plus honnête et la meilleure des femmes ; une femme qui avait eu le malheur d’épouser un coquin, d’ailleurs très galonné, mais qu’un divorce, prononcé à son profit à elle, en avait séparé. J’avais adressé à qui de droit la demande en autorisation de mariage. Le général commandant la division a jugé à propos d’annoter cette demande. « Le divorce, a-t-il écrit, a pu entrer dans nos lois ; il n’est point entré dans nos mœurs ; il est réprouvé par l’Église et j’estime qu’en conséquence l’autorisation de mariage ne doit pas être accordé. » Et j’ai reçu avis, ce matin, que le ministre avait partagé l’opinion du général, et refusé l’autorisation. Voilà pourquoi j’étais de mauvaise humeur tout à l’heure ; voilà pourquoi j’ai maltraité mes hommes. S’ils faisaient preuve d’un peu de dignité, nous ne serions menés, ni eux ni nous, par des jésuites à panaches et des sacristains à épaulettes. Pauvres diables ! J’ai peut-être eu tort de les injurier, après tout ; ils n’en valent guère la peine. Et puis, je ne les embêterai plus longtemps. — Qu’allez-vous faire ? ai-je demandé. — Je vais partir, quitter la France. J’en ai assez. Trop. Avec mon grade, je ne puis me marier ; si je renonce à mon grade, j’abandonne mon seul gagne-pain et je ne puis non plus me marier honorablement. Il faut donc que je disparaisse afin de rendre toute liberté à la personne dont j’aurais voulu faire ma femme. Je veux aller à Cuba ; il y a là un peuple qui commence à se soulever contre le despotisme catholique de l’Espagne ; je pourrai peut-être lui être utile. — Alors, vous allez donner votre démission ? — Ma démission ? Non. Je vais partir, voilà tout. J’aurais voulu dire quelque chose, quelque chose que je sentais que je n’oserais pas dire, quoique plus d’une des phrases du lieutenant Deméré eût traduit des sentiments et des impressions que j’avais jusque-là vainement cherché à formuler. Je prononçai quelques paroles et, soudainement, je me tus. Deméré s’arrêta. — Si vous le voulez bien, dit-il, nous allons nous quitter ici ; il n’est peut-être pas bon pour vous qu’on vous voie avec moi ; on me regarde déjà comme un pestiféré, et bientôt... Il y a de bonnes langues dans la garnison... ⁂ De bonnes langues, en effet. Ma conversation avec Deméré a été discutée, critiquée, passée au crible de tous les commérages ; personne, naturellement, n’avait pu entendre un mot de ce qui s’était dit ; mais on savait que nous avions parlé ensemble pendant une demi-heure. Et lorsque le départ du lieutenant fut constaté — un départ qu’on traita de fuite et de désertion — le bruit commença à courir que j’avais été, en quelque sorte, son complice ; d’autres rumeurs désagréables se répandirent en même temps. Je cherchai à découvrir les auteurs de ces calomnies imbéciles ; on se déroba. Je priai le colonel de s’interposer ; il balbutia des choses vagues ; sa femme, qui le remplaça au salon dont il s’esquiva aussitôt que possible, me demanda à quelle église j’avais fait mes Pâques. Je compris qu’il y avait une lutte à engager ; mais je ne voulus rien entreprendre avant d’avoir consulté mon père. Je lui demandai de me faire obtenir immédiatement un congé de quinze jours. ⁂ — Mon garçon, me dit mon père quand je lui ai fait l’exposé de ma situation à Nantes, il n’y a pas de lutte à engager ; ce serait la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Laisse-moi chercher un tour dans mon sac. Il se lève et se met à marcher de long en large dans le vaste cabinet qu’il occupe aux bureaux du ministère de la guerre. Au bout d’un instant, il s’arrête et vient frapper la table d’un grand coup de poing. — Voici ce qu’il faut faire. Tu vas demander à permuter ; je ferai accueillir ta demande immédiatement ; tu permuteras avec un sous-lieutenant du régiment d’infanterie stationné à Angenis et qui sera enchanté de venir à Nantes. Je vais arranger ça. Tu ne t’embêteras pas à Angenis plus qu’à Nantes ; tu as de l’argent, et quand on a de l’argent, les plus petites garnisons sont les meilleures. Aussitôt l’affaire arrangée, c’est-à-dire dans quelques jours, je vais m’occuper de ton colonel, ce M. Casaquin du Bois des Ormes qui abuse de ses particules douteuses, et sans la connivence duquel on ne t’aurait pas persécuté à la Basile. Je vais lui faire chercher des poux dans la tête. Deux mots à Camille Dreikralle, et cet honorable rapporteur du budget de la guerre va s’étonner et s’indigner de la monstrueuse irrégularité des comptes présentés par le régiment que commande M. Casaquin de Machin-Chouette ; il va prévenir le ministre que sa conscience l’oblige à exposer ces irrégularités à la tribune de la Chambre. Le ministre, qui tient à s’épargner tous les désagréments, cherchera un terrain d’accommodement ; il le trouvera, si j’ose dire, sur le dos du Casaquin. Ledit Casaquin sera dûment rétrogradé sur le tableau d’avancement, et recevra bientôt, au lieu des étoiles qu’il ambitionne, une fente à son oreille. Saisis-tu ? — Parfaitement ; mais... — Remarque que le colonel de ton nouveau régiment à Angenis, lequel régiment fait brigade avec celui de Nantes, n’ignorera rien des mésaventures de M. de Casaquin et n’aura pas de peine à en découvrir les vraies causes ; donc, il s’apercevra qu’il est ridicule de jouer aux petits soldats avec le fils d’un général ; et il te laissera faire tes quatre volontés. Saisis-tu ? — Parfaitement ; mais... — Quoi ? — Mais si les comptes de mon régiment actuel sont en règle ? si ses livres sont en ordre ?... — En ordre ! s’écrie mon père en éclatant de rire ; en ordre ! Mais veux-tu te taire ! Sur cent régiments, il n’y en a pas cinq dont les écritures soient à peu près correctes ; et quant aux autres... En ordre ! Tu rigoles ! En ordre ? Vous pâlissez, colonel !... ⁂ De nombreux colonels pâlissent, et même de nombreux généraux, le lundi suivant, jour du vernissage. Ils pâlissent de jalousie, toujours inavouable ; d’envie, qui peut avoir son beau côté. Le grand succès du Salon, cette année, sera certainement pour la grande toile de Mme Glabisot, la Défense de Nourhas. Les journaux, le monde officiel, le public choisi admis à la solennité ne tarissent pas d’éloges sur cette œuvre magistrale. Le Président de la République est resté plus de dix minutes devant le tableau, entouré de sa maison civile et militaire ; les puissances ont congratulé Mme Glabisot ; son pinceau patriotique, dit un critique d’art, est dans toutes les bouches. Que rêver de plus ? Voilà la récompense due au génie, au labeur patient et consciencieux, à l’amour enthousiaste de la patrie. Cette récompense, pourtant, n’est pas suffisante ; la croix de la Légion d’honneur, la chose est déjà certaine, brillera avant peu sur la poitrine de Mme Glabisot. Et mon père, dont les hauts faits de 1870 sont quotidiennement narrés par la presse, montera d’un degré dans la hiérarchie du plus beau des ordres. L’œuvre de Mme Glabisot est conçue de façon à réchauffer les plus froids. C’est un embrasement. Des flammes, de la fumée, des éclairs, des étincelles, la pourpre du soleil levant, l’écarlate des uniformes, le vermillon du sang qui ruisselle, tout cela rougeoie, flamboie, hurle, grince, pétarde, éclate, vous enflamme les yeux, vous brûle les prunelles, vous cuit l’entendement et vous calcine. Le Président, que son austérité dessèche, a couru un grand danger en regardant la toile si longtemps ; il aurait pu prendre feu. Quant à moi, en raison sans doute de mon esprit de contradiction, la vue du tableau ne m’a produit aucun échauffement ; juste le contraire. Je puis donc vous le dépeindre brièvement, mais avec toute l’impartialité qu’on attend vainement des critiques d’art. Des monceaux de cadavres allemands ; des Prussiens se cachant, suivant leur coutume, derrière des murs et des arbres et tirant à coup sûr, bien à l’abri (ce qui semble en contradiction avec les tas de cadavres, mais ça ne fait rien). Une poignée de Français dans un débraillé galant, la vieille fureur gauloise dans les yeux, se défendent avec une détermination peu commune. Mme Glabisot n’a point oublié notre vieil ami, le soldat dont un éclat d’obus a brisé le fusil et qui regarde la scène, indifférent, les mains dans les poches ; et elle a même peint — audacieuse innovation — un blessé qui se tient le ventre, dans un coin, en portant un scapulaire à ses lèvres. Elle a représenté mon père dans une attitude de capitan ; le sabre à la main ; la moustache en crocs ; le jarret tendu, et la face éclairée du sourire du défi. Le public, le gros public, a ratifié le jugement du Tout-Paris. La Défense de Nourhas est proclamée chef-d’œuvre, et Mme Glabisot une artiste de génie. On s’écrase devant la toile ; on fait queue pour pouvoir l’admirer. Quelle leçon, quelle haute et féconde leçon de patriotisme se dégage de cette toile ! Voilà ce que des douzaines de lettres déclarent chaque matin à Mme Glabisot ; et ce que des centaines d’épîtres, généralement féminines et agrémentées de l’expression plus ou moins voilée de sentiments brûlants, répètent tous les jours à mon père. Bien qu’il ait accueilli avec une modestie qui m’a étonné les témoignages d’admiration qu’on lui a décernés, il ne laisse pas de classer avec soin les missives qu’il reçoit. Une agence lui fournit des renseignements précis sur les aimables expéditrices ; ce qui permettra au général Maubart, veuf et héros, de faire un choix s’il y a lieu. Je dois dire, avant de terminer ce paragraphe, qu’il s’est décidé, après mûres réflexions ; il s’est décidé pour une vieille demoiselle, plusieurs fois millionnaire, qui habite la province. Il lui écrit tous les jours ; elle lui répond deux fois par jour. Je doute fort qu’elle devienne jamais la générale Maubart ; mais je sais pertinemment qu’elle finance. Mon père, très à court depuis quelque temps, s’est mis soudainement à régler les factures de ses fournisseurs et les billets de ses créanciers. Du reste, il ne solde jamais ces comptes sans les avoir réduits considérablement. Il appelle ça « rectifier le tir ». ⁂ Je crois que mon père n’exagérait pas en assurant que, lorsqu’on a de l’argent, les petites garnisons sont les meilleures ; il aurait pu ajouter, sans exagérer davantage, que les meilleures garnisons provinciales ne valent pas cher. Je ne vois pas la nécessité de décrire par le menu mon existence à Angenis ; mon nouveau régiment ne diffère pas sensiblement du premier ; les soldats se ressemblent autant par le caractère, ou plutôt par le manque de caractère, que par l’uniforme. Beaucoup de Bretons, comme à Nantes ; pauvres gens à cerveaux boueux, gangrenés de superstitions et qui payent l’impôt du sang avec la résignation triste des bêtes de somme ; quelques Parisiens vantards, gueulards, insolents et superficiels. Quant à mes collègues, ce qui m’a le plus frappé à leur sujet, c’est le nombre considérable de fioles pharmaceutiques qui s’alignent sur la table du mess, à l’heure des repas ; l’air d’Angenis doit être malsain, à la brune. Quant au colonel, il se montre, à mon égard, paternel à l’excès. Le pauvre homme, pourtant, doit être un peu las de la paternité. Il a un fils qui l’a désespéré par ses frasques, et qui accomplit justement une année de service à son régiment ; ce jeune vaurien ne fait aucun service actif ; est pourvu d’un emploi de vélocipédiste ; roule à travers la ville, un éternel papier administratif pris dans le revers de la manche de sa vareuse ; s’affiche impudemment avec une sale grue ; fait des dettes ; se saoûle. Son père n’ose pas le punir, de peur d’un éclat scandaleux ; entre le devoir militaire et les sentiments paternels le malheureux hésite à tel point qu’il en devient parfaitement ridicule, objet de risée, non seulement par son gredin de fils, mais pour les officiers et les hommes qu’il a sous ses ordres. Et les yeux du lieutenant-colonel roulent des reproches véhéments. Si mon existence n’est point romanesque, je n’y peux rien, et je me dois à moi-même de la décrire telle qu’elle est. Il me serait agréable, si le souci de la vérité ne me dirigeait pas, d’accumuler les événements sensationnels, d’ordonner une suite d’incidents mélodramatiques, d’aligner des personnages à rôles captivants. Mais le vrai seul sera mon guide, dût-il me faire tomber dans la monotonie. D’ailleurs, vous devez bien le savoir, il n’y a rien de plus plat, de plus terne, qu’une vie d’officier. La plus grande partie ne vous en appartient pas ; les occupations sont toujours les mêmes, prévues, réglées, machinales ; les distractions, non plus, ne varient guère, en province ; elles ne sont pas fort enviables ; quant aux prix, c’est toujours à peu près ceux des environs du Champ de Mars. Je n’essaierai pas de vous faire croire que je m’amuse au Cercle ; souvent, je changerais volontiers ma place contre celle du troubade de planton. J’ai cherché à m’intéresser à la vie générale de mes concitoyens. J’ai discerné sur la figure des pauvres l’expression du désespoir admiratif et résigné ; sur la figure des riches, celle de la résistance rageuse et désespérée. Je me rends compte que je suis encore loin de savoir comment mon pays respire. Je suis porté à croire qu’il respire difficilement, dans une atmosphère d’hôpital où glissent les robes de la nonne et du prêtre, la lévite du cafard à principes tricolores ; les poumons rongés par la phtisie ; le cerveau farci de superstitions ultramontaines et sociolâtres ; le ventre plein d’alcool et de pommes de terre. Le peuple français, cependant, ne se contente pas de respirer. Il fait autre chose, de temps en temps. Par exemple, il vote ; soit pour les riches, soit pour leurs valets. Ainsi, on va voter, présentement, dans le Nord. Élection sénatoriale. Et savez-vous quel est le candidat qui a le plus de chances ? C’est M. Delanoix, mon parent. Il s’était d’abord présenté comme candidat ministériel, partisan de la colonisation à outrance, etc. Mais, à la fin de mars 1885, c’est-à-dire dès l’ouverture de la période électorale, est arrivée la nouvelle du désastre essuyé à Lang-Son par les troupes françaises. L’effet produit a été immense ; l’opinion publique presque tout entière s’est tournée contre Jules Ferry, qu’elle rend responsable de la défaite. Delanoix a vite compris que sa première position était intenable. Prestement, il a changé son fusil d’épaule ; il a déclaré que les événements lui ouvraient les yeux, qu’il condamnait formellement les expéditions coloniales et cessait d’avoir aucune confiance en Jules Ferry. Là-dessus, il a appelé à son aide son gendre et sa fille. Raubvogel, paraît-il, a été magnifique. Comme agent électoral, comme orateur et comme polémiste, il a donné la mesure de ce qu’on peut attendre d’un vrai patriote. Si jamais un homme a démontré que la France ne doit pas éparpiller ses énergies et qu’elle doit concentrer toutes ses forces et toute son attention vers la trouée des Vosges, c’est lui. Il a été admirablement secondé par sa femme, qui n’a pas perdu une seule occasion de se faire voir aux bons endroits. Il est arrivé à convaincre les électeurs que voter pour son beau-père, c’était voter pour la France, menée à l’abîme par le Tonkinois. Et Delanoix vient d’être élu à une énorme majorité. Je ne peux pas dire que je suis fier d’avoir un père conscrit dans ma famille. Si le désastre de Lang-Son a été utile à Delanoix, pourquoi ne me servirait-il pas aussi à moi ? Pourquoi ne me donnerait-il pas le moyen de mettre un terme à la monotonie de mon existence ? On va envoyer des renforts au Tonkin et je me décide à demander à en faire partie. Mon capitaine cherche à me faire changer d’avis ; c’est un homme triste, sceptique, désabusé, qui fut marié par une agence et qui découvrit le lendemain que sa femme était loin d’être aussi riche qu’on le lui avait affirmé ; ayant été « volé » par son mariage, il ne croit plus en rien. Mon lieutenant combat aussi ma résolution ; c’est un garçon très riche, fils de général de division, officier amateur qui passe, tous les ans, cinq ou six mois en voyages de noces. Malgré tout, ma décision est bien prise. Cependant, plutôt pour la forme, j’écris à mon père afin de lui demander son opinion. Je reçois, en réponse, un télégramme qui m’appelle à Paris immédiatement. ⁂ Pendant mon voyage d’Angenis à Paris, j’ai eu le temps de me demander pourquoi mon père réclamait si impérieusement ma présence dans la capitale. À la hauteur de Nogent-le-Rotrou, j’ai trouvé. Mon père s’est arrangé de façon à me faire prendre comme officier d’ordonnance par l’un des deux ou trois généraux qu’on va envoyer en Indo-Chine : le général des Nouilles ; et il tient à me présenter au plus tôt à cet excellent tacticien. Allons, ça ne va pas mal ; me voilà sûr de mon avancement ; et je me mets à rêver tout éveillé... Mais, à Paris, c’est une autre histoire. Mon père, dès que je pénètre dans son cabinet, — car je suis arrivé vers deux heures de l’après-midi et j’ai couru de suite au ministère, — mon père, dis-je, me rit au nez, et me demande si je suis fou. Vouloir aller au Tonkin ! Mais pourquoi pas au pôle Nord ? Pourquoi pas dans la Lune ? Qu’est-ce qu’il y a à gagner, au Tonkin ? Des coups de fusil et des coups de soleil. Il faut vraiment que je sois bien embarrassé de ma peau. D’abord, il me défend d’y aller, au Tonkin ! Il me le défend, et formellement... Et il continue sur ce ton pendant un bon quart d’heure, très agile, frappant la table de coups de poing et le parquet de coups de talon. Mais, s’apercevant tout à coup que ses objurgations autoritaires ne semblent point produire grand effet sur moi, il s’arrête, s’assied, allume un cigare, en tire deux ou trois grandes bouffées et reprend : — Mon cher enfant, j’ai sans doute eu tort de te parler brutalement et de chercher à t’imposer ma volonté. Je vais te faire part des motifs qui me font agir, et tu jugeras. Tu es mon fils, mon fils unique ; tu constitues toute ma famille, tu es le seul être pour lequel je ressente autre chose que du mépris ou de l’indifférence. Je ne suis pas sentimental et je ne veux pas te faire de longues phrases ; mais tu me comprends. Après tout, la vie n’est ni assez intéressante ni assez gaie pour qu’on envisage avec insouciance la perte des gens et des choses qui nous y attachent. Tu dois donc t’imaginer facilement que je ne tiens pas à te voir t’engager dans une aventure qui ne peut que te faire courir les plus grands risques, sans aucun profit possible pour toi ni pour personne. Mon avis est que, au moins pour le moment, le Tonkin est une misérable affaire. Les choses y ont été menées d’une façon si déplorable et l’opinion publique en est tellement dégoûtée, qu’il serait impossible à un officier, fût-il à la fois un héros et un génie, de s’y créer l’ombre d’une réputation. Quant au côté pratique, néant ; tout ce qui valait la peine d’être pris a été pillé depuis longtemps. Pour le reste... Les Français, pères de famille, qui sont assez sots pour envoyer leurs fils à cet abattoir, à ce charnier pestilentiel, sont excusables jusqu’à un certain point : ils ne connaissent rien ou presque rien de ce qui s’y passe ; mais nous, officiers, généraux, qui sommes au courant de tout, qui n’ignorons rien de l’effroyable désordre qui règne dans cette soi-disant colonie, nous serions impardonnables si nous imitions ces braves gens. Si tu savais toutes les infamies dont nous avons connaissance et que nous gardons secrètes ! Les défaillances du commandement, l’insuffisance de l’intendance, les scandales des hôpitaux, l’ignorance et l’incurie de tous, la malhonnêteté et la couardise... La couardise, oui ; le découragement, la démoralisation, se sont emparés des troupes qui n’ont, à juste titre, aucune confiance dans leurs chefs. À Lang-Son, des généraux ont donné le signal de la fuite, des compagnies entières ont crié Sauve-qui-peut ! et jeté sacs et fusils pour courir plus vite ; une batterie d’artillerie a été précipitée dans un arroyo ; les conducteurs de voitures d’ambulance ont dételé afin de fuir sur les chevaux, abandonnant les blessés ; et l’armée n’a été sauvée d’un désastre complet que grâce aux hommes du Bataillon d’Afrique qui ont couvert la retraite — ces mêmes pégriots qu’on conduit au corps menottes aux poignets, entre des baïonnettes... Maintenant, on envoie des soliveaux, comme cet idiot de général des Nouilles, avec ordre de ne rien faire contre les Chinois ; quant à ces derniers, on les payera ce qu’ils demandent afin qu’ils nous laissent tranquilles, et on appellera cela pacification. Voyons, Jean, tu n’iras pas là, n’est-ce pas ? — Ma foi, dis-je après un moment d’hésitation, du moment que... — Allons, allons, c’est entendu ! s’écrie mon père d’une voix où perce l’émotion. Du reste, si tu tiens à voir du pays, tu pourras en voir avant peu ; et peut-être avec moi. La France n’est pas lasse des expéditions coloniales ; elle n’est lasse de rien ; et il y a des brasseurs d’affaires qui en redemandent. Il se pourrait bien que, grâce à certaines influences, j’obtienne bientôt le commandement d’une de ces expéditions ; je te prendrais avec moi. Ou bien, dans le cas où — ce qui est fort possible, et nous en reparlerons — dans le cas où une réaction patriotique et revancharde se produirait contre le mouvement d’expansion coloniale, je trouverais bien le moyen de te dénicher un bon poste. En attendant... Un officier qui, de la part du ministre, vient chercher mon père, interrompt notre conversation. Mon père me demande de l’attendre et sort. Et je reste livré à mes réflexions ; réflexions, commentaires sur ce que je viens d’entendre, comparaisons entre l’armée que m’a représentée mon père, l’armée que je connais, et l’armée que j’ai rêvée autrefois, très autrefois... Mon père revient, l’air affairé ; il presse le bouton d’un timbre : un capitaine paraît bientôt, la main au képi. — Capitaine, veuillez m’envoyer de suite le lieutenant Boisselle. — Mon général, il vient justement de partir pour la Place. — Alors veuillez m’envoyer le lieutenant de Ressonne. — Mon général, il était un peu souffrant et vient de sortir. — Alors, quoi ? Personne ? Après tout... Merci, capitaine. J’ai mon affaire. Le capitaine disparaît et mon père se tourne vers moi. — J’ai besoin d’un officier correct et discret pour une mission très délicate. L’idée me vient de t’en charger. Ce n’est pas fort amusant, mais cela peut servir à te mettre bien en cour. Tu es justement en civil ; ça va bien. Voici de quoi il s’agit : il y a un bonhomme à suicider. Ne saute donc pas comme ça ! Je vais te dire le nom. C’est le général duc de Schaudegen. Un grand nom, oui ; mais un sale monsieur ; noblesse d’Empire ; vices grecs. Il vient d’être pincé dans une affaire dégoûtante. Mais non, mais non, pas des petites filles ; on comprendrait encore ; des petits garçons. Enfin, il a été pincé, et sérieusement. Qui est-ce qui l’a fait prendre ! Mystère en jupons, et la bague au doigt. Si on l’arrête, c’est la cour d’assises, la maison centrale, le déshonneur sur lui et sur l’armée. Empêcher ça est nécessaire. Il est actuellement dans le cabinet du ministre, qui vient de le convaincre de l’obligation où il est de se brûler la cervelle. La chose doit avoir lieu dans une petite maison où il s’amusait à sa façon, à Passy. Il faut que nous le fassions suivre afin qu’il n’échappe pas. Je te charge de la chose. Tu ne quitteras le général que lorsqu’il aura rendu l’âme. — Mais, père... — Je ne te dis pas qu’il a une âme ; c’est une façon de parler. Allons, viens ; tu m’attendras un instant devant le cabinet du ministre, et je te remettrai le duc en mains propres. Aussitôt l’affaire faite, tu reviendras m’avertir. Dépêche-toi : la veuve est en bas. — Je t’assure, père, que j’aurais préféré... — Ta, ta. Pour l’avancement, des affaires comme ça valent mieux que le Tonkin. J’oubliais ; si, au dernier moment, il manquait de l’énergie nécessaire, comme les liqueurs ne doivent pas faire défaut dans la petite maison, verse-lui un bon verre de quelque chose. — Et s’il ne veut rien prendre ? — Donne-lui tout de même à boire, dit mon père. Après avoir attendu pendant quelques minutes dans le vestibule qui donne accès au cabinet ministériel, je vois apparaître mon père précédé d’un homme d’une cinquantaine d’années environ, de taille moyenne, mince, sec, mais les épaules voûtées et la tête basse comme s’il venait de recevoir un coup sur la nuque. C’est le général duc de Schaudegen. Mon père me présente à lui en quelques mots rapides ; il redresse la tête un instant, sa tête au teint terreux, au grand nez tranchant, à la bouche longue et mince, aux traits impitoyables, aux yeux de poisson féroce ; il salue silencieusement et nous descendons l’escalier. Un fiacre attend dans la cour ; nous y montons, le général et moi ; et mon père ordonne au cocher de nous conduire au coin de la rue de Boulainvillers et d’une autre rue. Nous partons. Durant la première partie du trajet, le général reste silencieux, immobile, les yeux perdus dans le vague. Pense-t-il à quelque chose ? Je l’ignore ; mais moi, qui ne veux point troubler ses méditations possibles, je me mets à réfléchir. D’abord, quelle était la raison d’être de cet homme, jusqu’ici, sa raison d’être comme personnage important dans la société et dans l’armée ? Par lui-même il n’en avait point. Ce qu’il était, il le devait entièrement à son nom et à sa richesse. Son nom, c’était celui du fils de vigneron qui, soldat heureux, avait trouvé dans sa giberne le bâton de maréchal ; et le titre de duc qu’il portait était l’un des titres octroyés à l’aïeul par Napoléon. Et il avait semblé naturel et nécessaire, parce que cet homme s’appelait le duc de Schaudegen, qu’il occupât une situation élevée dans la hiérarchie militaire ; qu’on lui confiât, en raison de la gloire et du renom du grand homme de guerre qu’avait été son ancêtre, une autorité énorme sur ses concitoyens ; et qu’il fût défendu de mettre en question ses capacités spéciales et son intelligence générale. Il avait paru indispensable à la France, qui s’oppose à la manifestation de tous les talents ou les écrase avec fureur, de choisir pour l’un de ses chefs ce mannequin au ventre creux duquel grelottait un nom sonore, ce fantôme que masquait un spectre. Sa richesse, elle était faite de l’argent pris en Europe, au temps des grandes guerres ; volé en Allemagne, surtout. Ah ! le sang, les pleurs, la honte et la misère qu’elle représentait, cette fortune-là ! Les infamies de toutes sortes qu’elle représente encore, qu’elle représentera demain ! Les cupidités, les égoïsmes, les conspirations sordides, les vilenies, les crimes — pires peut-être que ceux dont a été coupable ce malheureux, que celui dont il fut victime... Allons, j’en parle déjà au passé... Et maintenant, pourquoi cet homme va-t-il mourir ? Parce qu’il a manqué à l’honneur ; à l’honneur de l’armée. Cet honneur de l’armée, il l’a incarné jusqu’ici, pendant plus de trente ans ; il l’a affiché, plastronnant, comme il exhibe encore à présent, à la boutonnière de sa redingote, la rosette de la Légion fameuse. Et tout le monde savait ce qui se cachait derrière ce déploiement d’honneur. Tout le monde. Et ce vice à culotte de peau, boursouflé d’ignorance et de sottise, ce vice à panache et à décorations, incarnait l’honneur de l’armée. Et il l’incarnait jusqu’à ce que l’ombre du policier, grassement payé pour faire son devoir, se fût projetée sur les grosses épaulettes, et eût fait apparaître en caractères éclatants un nom d’infamie qu’on affectait de ne pouvoir lire dans l’étincellement des dorures. Une voiture de blanchisseur frôle le fiacre, est près de l’accrocher. Le général sort brusquement de sa rêverie, regarde autour de lui avec ahurissement ; il grognonne, tousse, et prend le parti de m’adresser la parole. — Lieutenant Maubart ? Fils du général ? Bonne chose, ça, fils de général ; soldat, fils de soldat, excellent. On vous inculque de bonne heure les grands préceptes de droiture, de fidélité au devoir et au drapeau, d’obéissance nécessaire. Indispensable, tout ça. Voilà la conviction de ma vie entière ; et je vais le prouver. L’honneur, le sentiment de l’honneur, c’est la base de tout. Vous avez un bel avenir ouvert devant vous, jeune homme ! L’épaulette... Horrible, ce pédéraste conventionnel et bien-pensant moralisant encore au bord du tombeau. En un pareil moment, dans cette tête qu’ont entièrement vidée les événements qui se sont précipités, c’est ce verbiage professionnel, creux, stupide, qui revient et qui revient seul. Le duc de Schaudegen s’arrête. Je me décide à lui poser une question qui, comme on dit, me brûle la langue. — Mon général, je voudrais vous demander quelque chose, quelque chose qui m’intéresse beaucoup. J’espère que vous aurez la bonté d’excuser mon indiscrétion. Je voudrais savoir si, réellement, vous avez été heureux. — Heureux ! s’écrie le général en tressautant. Heureux ! Qu’est-ce que vous voulez dire ? Heureux ? Est-ce que je sais, moi ?... Et il semble se mettre à chercher la solution d’un difficile problème, les mains sur les genoux, la bouche ouverte. La voiture s’arrête. Je descends et paye le cocher. Nous suivons, le général et moi, une petite rue ; puis, une autre petite rue, bordée de murs de jardins. Dans un de ces murs, une porte basse. Le général l’ouvre et je la referme derrière moi. Nous longeons quelques plates-bandes, où des arbrisseaux poussent leurs premières feuilles ; nous montons le perron d’une petite maison et nous pénétrons, au rez-de-chaussée, dans un salon meublé de bric et de broc. Le duc s’assied sur une chaise, près d’une table, prend sa tête dans sa main et reste silencieux quelques instants. — Vous désirez savoir, dit-il soudainement, en me regardant bien en face, si j’ai été heureux. C’est une question que je ne m’étais pas posée, jusqu’ici. Mais je puis y répondre aujourd’hui. Non, je n’ai pas été heureux. J’ai été effroyablement malheureux ; toujours, toujours. Pourquoi ? Je ne sais pas... Moi, je sais. C’est parce que le bonheur est à vendre ; alors, personne ne peut l’acheter... Le duc reprend : — Oui, j’ai été très malheureux. Aussi, je n’ai nul regret de la vie ; je suis prêt à mourir. Il se lève ; semble hésiter. Moi aussi, j’hésite. J’hésite à parler. Je sais à quoi il pense. Il pense qu’il regrette la vie — peut-être une autre vie que celle qu’il a menée, une vie qu’il ne connaît pas ; et peut-être celle qu’il a menée. — Il pense qu’il n’est pas prêt à mourir. Et pourquoi mourrait-il, d’abord ? Pour un mot vide de sens, voilà tout. Pour l’honneur, cet honneur qui n’a eu pour lui, en fait, aucune signification jusqu’à présent ; qui n’a été qu’un vain simulacre, qu’un maléfique épouvantail dont il jouait, et qui se dresse tout à coup, idole implacable et altérée de sang qui réclame la chair des victimes. Il ferait bien mieux de fuir que de se tuer, de se sauver quelque part d’où l’on ne pourrait pas l’extrader et où il connaîtrait peut-être le bonheur. L’homme ne m’est pas sympathique ; mais il serait intéressant, après tout, qu’il vécût afin de déjouer les calculs qu’on a basés sur sa mort, les combinaisons qui vivent déjà de son cadavre. Et il est bien possible que si je disais deux mots... Je les dis. — Mon général ne croyez-vous pas qu’une nouvelle existence... — Pas une parole de plus ! s’écrie le duc ; je vous en prie. Ce que vous venez de dire me rappelle à moi-même, à mon devoir. Je dois me sacrifier à l’honneur de l’armée. Je ne reculerai pas. Soit. Une phrase de Goethe sonne dans ma mémoire. « Dès que ces petits cerveaux ne trouvent pas d’issue, c’est la mort qu’ils conçoivent immédiatement. » Je n’insiste point. Le général a ouvert un meuble, en a sorti un revolver qu’il charge et place sur la cheminée ; puis des papiers, des livres, des albums, qu’il dépose sur la table. — Lieutenant, je vous confie le soin de brûler toutes ces choses-là dans la cheminée ; je n’ai pas le temps de les détruire moi-même. Pour moi, je vais dans une grande salle, au bout du corridor, qui était autrefois un atelier d’artiste ; je m’y exerçais de temps à autre au pistolet. Je vais disposer une cible, etc., de façon à ce qu’on puisse croire à un accident de tir. Quand vous entendrez une détonation, vous pourrez venir. Si je respirais encore, je compte sur vous pour m’achever. Fermez bien les portes de la maison et du jardin en vous en allant. Voici les clefs. Adieu. Le général est sorti que je suis encore là, immobile, glacé par un froid singulier ; je cherche à échapper à l’émotion qui m’étreint, malgré moi ; je jette une brassée de papiers dans la cheminée et je les allume ; la flamme monte... J’écoute ; j’écoute. Rien... Je saisis une grande poignée de papiers et, avant de les lancer dans le feu, j’y jette un coup d’œil : des écrits, des dessins pornographiques. Je les livre à la flamme ; et d’autres ; et d’autres. Je saisis un album ; mais il me tombe des mains... Une détonation vient d’éclater ; très sourde, faiblement répétée par les échos du corridor. Je me dirige vers l’atelier dont a parlé le général ; j’ouvre la porte ; une petite odeur de poudre me monte à la gorge. Le général est étendu sur un sofa, un bras pendant dont la main a laissé échapper le revolver. Il y a un petit trou à la tempe droite, très noir et très profond, d’où coule un mince filet de sang. Je m’assure que le duc de Schaudegen est bien mort ; puis, je contemple le cadavre quelques instants. Duc, général, riche, puissant... avoir vécu comme ça et mourir comme ça ! Une farce qui se termine en tragédie ! Et ne serait-ce pas, plutôt — tout considéré — une tragédie qui se termine en farce ? Je n’en sais rien. C’est la France qui doit savoir ça... Je quitte l’atelier et je reviens dans le petit salon. Un monceau de cendres dans l’âtre. L’obscurité commence à envahir la pièce ; je n’ai guère le courage de brûler là les livres et les albums qui sont encore sur la table ; je les détruirai aussi bien ailleurs. J’en fais un paquet que je place sous mon bras ; je sors de la maison ; je sors du jardin dont je ferme soigneusement la porte. Trois minutes après, je hèle un fiacre ; et une demi-heure plus tard j’entre dans le cabinet de mon père, au ministère. — Eh ! bien, me demande-t-il, c’est fait ? — Oui. — Ça s’est bien passé ? Je fais un geste vague. Mon père se lève. — Je vais prévenir le ministre, et la veuve. À propos, qu’est-ce que tu as apporté là ? Qu’est-ce que c’est que ce colis ? Je donne des explications. — Comment ! s’écrie mon père en coupant la ficelle qui lie le paquet et en ouvrant deux ou trois albums ; comment ! tu as brûlé des papiers pareils ! Mais c’est de la folie !... Enfin, heureusement que tu as conservé ça. C’est d’un curieux !... Je vais en montrer quelques échantillons au ministre ; ça l’amusera. Et puis, ça vaut un billet de mille comme un sou, rue Colbert. ⁂ Je suis de retour à Angenis depuis quelques mois ; quelques mois qui m’ont paru bien longs. Sans les femmes, à Angenis, on ne saurait que devenir ; et les femmes sont difficiles à découvrir à moins qu’on ne puisse employer, comme moi, beaucoup de temps, de ressources et un bon rabatteur. J’avoue simplement ce que je fais sans chercher à le justifier ; mettre une chose en pratique n’est point la canoniser. Mon rabatteur s’appelle Lamesson. C’est un sous-officier réengagé qui, sans être précisément procureur général, rend plutôt des services que des arrêts. Il n’a jamais connu les arrêts qu’au féminin. Il a fait autrefois le gros dos, au soleil parisien, sous le nom de Coco des Ternes. Au régiment, ses aptitudes spéciales furent appréciées ; elles lui valurent rapidement l’adjonction d’une paire de sardines (complétées aujourd’hui d’un ver solitaire) ; elles furent largement utilisées par le cadre supérieur. Je ne suis pas le premier à emboîter le pas à Lamesson ainsi que l’hyène, dit-on, suit le chacal. Lamesson, malheureusement, va quitter le régiment. Ses quinze années de service touchent à leur fin et il est sur le point d’être libéré. Lamesson désire obtenir le plus rapidement possible un de ces emplois civils auxquels il a droit ; il désire choisir l’emploi. Il pense qu’une recommandation du général Maubart lui serait fort utile ; il vient me prier d’écrire, à ce sujet, à mon père. Lamesson ne veut pas être garde forestier (c’est trop retiré) ; ni facteur (c’est trop fatigant) ; ni gardien de poudrière (c’est trop dangereux) ; ni gardien de musée (c’est trop monotone) ; ni fonctionnaire colonial (le voyage par eau lui fait peur). Il voudrait être porteur de contraintes ou employé de l’Assistance publique (il y a de bons pourboires). J’écris la lettre ; Lamesson, qui part pour Paris, l’emporte. Je l’avoue, moi qui ne regrette ni grand’chose ni grand monde, je regrette de plus en plus le départ de Lamesson. Depuis qu’il a quitté Angenis, j’ai plusieurs fois tenté d’opérer moi-même, mais toujours sans succès ; j’ai même essuyé quelques-unes de ces rebuffades qui ne sont pas seulement désagréables, mais qui peuvent devenir compromettantes. Alors ?... Alors il faut attendre, je suppose, que les femmes se présentent toutes seules et qu’on les trouve près de soi, à son réveil, ainsi qu’au temps heureux du Paradis terrestre. Et en fait, c’est justement à mon réveil, ou très peu après, un beau dimanche matin de fin d’automne, qu’une dame vient tirer ma sonnette. Une dame de noir vêtue, d’allure un peu mystérieuse, et voilée comme une héroïne de roman. La voilette, d’ailleurs, est relevée tout de suite ; et je ne puis me défendre d’une émotion violente en reconnaissant Adèle Curmont. Adèle ! Il y a des mois et des mois que je n’ai pensé à elle ! Oui — et lorsque la sonnette a tinté, à l’instant, j’ai su que c’était elle qui était là, à la porte ; je sais maintenant que je l’ai su. — Et devant cette femme, immobile et muette, je ne peux comprendre quelle peur me saisit ; pas un remords ; non, plus que ça : la frayeur physique causée par une rapide vision intérieure de représailles possibles. Je me trouble, je balbutie, je prononce des mots sans suite. Je m’attendais si peu, si peu... — Naturellement, dit Adèle en souriant ; je suis une revenante, ou presque ; mais comme je n’apparais pas la nuit, vous voudrez bien m’excuser de ne point avertir de ma visite. Vous ne m’offrez pas un siège ? Je m’excuse, j’approche une chaise du feu. Adèle s’assied, très calme, très maîtresse d’elle-même. Je me demande avec inquiétude ce que cache cette apparente tranquillité ; une haine féroce, sans doute ; d’autant plus implacable qu’elle refuse de s’exhaler dans la colère. Ah ! je préférerais des plaintes, des récriminations, des insultes et des menaces. Je pense avec terreur qu’un scandale brise, quelquefois, l’avenir d’un officier, et qu’une main de femme peut arracher une épaulette... J’ai secoué l’émotion qui s’était emparée de moi tout d’abord, mais je me sens encore affreusement gêné, perplexe, anxieux. Je reste debout et j’examine Adèle tandis qu’elle joue avec son parapluie, silencieusement. Il reste peu de la jeune fille d’autrefois, dans cette femme ; les traits n’ont point changé, certes, mais l’expression est tout autre. Le front haut, comme pincé aux tempes, s’affirme plus volontaire qu’auparavant ; les cheveux sont d’une nuance plus provoquante, on dirait perfide et cruelle ; la vérité de leur blond a pris les tons impitoyables du mensonge ; la bouche est plus nerveuse, les lèvres plus minces avec des contractions artificielles, le menton plus accusé. Une jolie femme, sûrement ; mais... Elle parle. — Vous ne vous êtes pas beaucoup occupé de moi, n’est-ce pas ? Non ? Point du tout ? C’est peu flatteur ; mais cela va me permettre de vous exposer ma vie depuis... depuis que nous nous sommes vus pour la dernière fois. C’était à la fin d’août 1883, vous rappelez-vous ? et nous voici à la fin d’octobre 1885 ; un peu plus de deux ans. La première année, j’ai beaucoup pleuré ; la seconde année, j’ai essayé de rire ; ç’a été encore plus triste. Mais il faut procéder par ordre. Au début... Oh ! quand je me rappelle ! Ces lettres, ces lettres suppliantes que je vous écrivais tous les jours, deux fois par jour, et qui toutes sont restées sans réponse, toutes !... J’allais à la poste restante six fois par semaine. « Rien pour vous, mademoiselle. » Les employés me riaient au nez. Vous... Elle s’arrête un instant et me toise, l’œil brillant, la lèvre frémissante. — Vous portiez l’épaulette, pendant ce temps-là. Je ne réponds pas. Je regarde au loin — très loin ; tout un passé, si court, et si vide d’honneur, tout plein de vilenies, déjà... Adèle reprend : — Et puis, un jour, je me suis résolue à ne plus écrire. Savez-vous quel jour ? Le jour où je me suis aperçue que j’étais enceinte. Une idée de folle. Je me disais : « Il doit savoir que je vais être mère ; il le sait ; il va revenir ; il fera de moi sa femme ; un officier est un homme d’honneur. » Je vous dis que j’étais folle... Et du temps a passé, des semaines longues faites de jours sans fin. Un soir de décembre — je me souviens ; il faisait si froid, la neige — je me suis trouvée mal. On a envoyé chercher le docteur qui a révélé à mon père la vérité que j’avais cachée jusque-là. Papa a été atterré ; il ne pouvait croire. Cela, de moi !... Il parlait de se venger, de tribunal : il voulait le nom du séducteur. Que sais-je ?... En réalité, s’il avait été laissé à lui-même, il m’aurait pardonné, il m’aurait aidé à cacher ma faute. Ma faute. Vous entendez ? Ma... Adèle s’arrête un moment, ricane ; elle continue : — Mais Albert est venu ; il a été mis au courant des choses. Il a déclaré que je n’étais plus sa sœur, il a dit que j’étais une fille perdue, et que je devais quitter la maison paternelle, que j’avais souillée. Il a parlé de devoir sacré, de vertu outragée, de la chasteté des femmes qui fait la force des nations. Il a cité Renan. Il s’est cité lui-même. Il a rappelé mon père aux principes, aux grands principes. Il l’a adjuré d’agir avec une fermeté républicaine. Alors, papa a cédé. Pour lui épargner l’ennui d’une décision, qu’il allait prendre cependant, je me suis déclarée prête à partir... Écoutez ; je vous haïssais bien, jusque-là ; mais, à ce moment, ma haine de vous s’est subitement diminuée de toute la haine que j’ai vouée à Albert. Ah ! celui-là !... Je me vengerai, je vous le jure, quoi qu’il arrive et quoi que cela doive me coûter !... La voix d’Adèle trahit une telle sincérité d’exécration, un tel pouvoir de volonté, que j’ai peine à maîtriser mon étonnement. Et je me souviens, je ne sais pourquoi, du jour où elle m’a dit, lorsque nous étions encore enfants, que la musique ne l’émouvait pas. — Donc, dit Adèle, papa m’a sacrifiée aux grands principes évoqués par Albert. Je suis partie. Où j’ai été, ce que j’ai fait, cela vous intéresserait très peu. Quand je vous dirai que pendant six mois j’ai vécu honnêtement, vous ne pourrez vous étonner que d’une chose, c’est que j’aie vécu. Dans les derniers jours de mai 1884, j’ai mis au monde une petite fille... Ne passez donc pas votre main sur votre front, mon cher ; ça ne se fait plus, même au Gymnase... Une petite fille très gentille, qui a vécu cinq semaines. Étant donné ce que vaut la vie, c’est suffisant. Vous dites ?... Pas un seul mot, je vous prie. C’était mon enfant à moi. Pas à vous. Elle ne se serait pas appelée Maubart, je vous en donne ma parole ! J’essaye de parler ; mais Adèle m’impose silence, d’un geste. — Laissez-moi finir. Depuis, je me suis déterminée à vivre, à vivre bien, c’est-à-dire sans aucun souci de l’honnêteté. Cependant, je n’ai pu parvenir à vivre que médiocrement. Une expérience de quinze mois m’a démontré que, pour réussir dans ce genre d’existence, ainsi que dans les autres, il faut un capital. Voilà pourquoi je suis venue vous voir. Je ne vous demande point de m’exprimer vos regrets et de réparer vos fautes ; je vous demande de l’argent. Je vous réclame mon salaire, puisque vous m’avez traitée en fille. J’étais vierge. Une virginité a un prix. Payez-le. Le récit d’Adèle, qu’elle n’aurait certainement pu faire plus court, a duré assez longtemps pour me permettre de reprendre complète possession de moi-même et d’envisager froidement la situation. Adèle veut de l’argent. Bien. Elle en aura. Cet argent qu’elle recevra me garantira contre de nouvelles tentatives de sa part. Mais, puisqu’elle a fait de la question une simple question d’affaires, qu’elle n’attende de moi que le langage et la façon d’agir d’un homme qui traite une affaire. Elle aurait aisément pu faire prendre aux choses une tournure différente, faire dévier l’aventure sur un terrain qui m’eût été moins favorable ; elle n’a pas su ; ou elle n’a pas voulu. Tant mieux pour moi. Adèle se méprend à mon silence, qui sans doute l’énerve. Elle se lève et vient vers moi, la tête haute, menaçante. — Vous avez entendu ? Vous m’avez eue. Il faut me payer. — Soit, dis-je froidement. Je vais vous payer. Combien voulez-vous ? Ses lèvres tremblent. Ses mains tremblent. Des larmes, soudain, emplissent ses yeux. Elle regagne sa chaise, se renverse sur le dossier, et sanglote. Je la regarde, sans un mot. Au bout d’un instant, je répète : — Combien voulez-vous ? Elle essuye ses yeux, me jette un regard si désespéré ; et d’une voix très basse, de la même voix qu’elle avait quand elle était petite et qu’elle faisait la moue : — Jean, je t’assure que je n’ai rien ; sinon... Je crois... Peux-tu me prêter dix mille francs ? — Je vous donnerai dix mille francs demain à midi, dis-je d’un ton d’autant plus sec que j’ai grand’peine à dissimuler mon trouble. Demain à midi. Je vous le promets. Adèle se lève. — Merci, dit-elle péniblement. Je savais bien... Je pensais... Elle mordille son mouchoir, et reprend d’une autre voix où tremble quelque chose comme un espoir : — J’aurais mieux fait de vous écrire. Cela nous aurait épargné... Pour ma punition, j’aurai toute une grande journée de dimanche à passer seule dans une ville que je ne connais pas. Ça n’a pas l’air de la gaîté même, Angenis. Je fais semblant de ne point comprendre. Adèle me quitte. D’une fenêtre, derrière un rideau, je la regarde traverser la rue, disparaître. Et la conviction germe en moi, grandit vite, que je me suis conduit comme un sot. D’abord, c’est clair, Adèle était prête à accepter n’importe quoi ; à la fin, elle s’est trahie ; elle s’offrait ; je n’avais qu’un mot à dire... Pourquoi ne l’ai-je pas dit ? Qu’avais-je à risquer ? Après ce qu’elle a fait ces temps derniers, ce qu’elle a avoué, elle ne peut songer à un mariage avec moi. Ma maîtresse, pourquoi pas ?... Et je pèse longuement, en mon esprit, les avantages et les désavantages d’une liaison avec Adèle ; il y a du pour, mais il y a du contre ; tout compte fait, ça se balance. J’aurais pu jouer la chose à pile ou face, pendant qu’Adèle parlait, sans avoir l’air de rien. Je crois qu’elle ressent encore quelque chose pour moi ; de mon côté, je ne sais pas ; mais ça aurait pu venir. En tous cas, ça aurait duré ce que ça aurait duré ; et après... Par exemple, ça m’aurait peut-être coûté plus de dix mille francs. Une somme, dix mille francs... Si j’avais proposé six mille ? Cinq mille ? Ça aurait pu prendre si j’avais laissé percer un peu d’attendrissement, un petit bout de sentimentalité. Quelle sottise, de me raidir ainsi, de vouloir jouer l’homme de bronze — et tout ça, par dépit de ce que la femme n’ose point faire le premier pas, montrer le fond de son cœur, malgré l’envie qu’elle en a. — L’image d’Adèle pleurant là, tout à l’heure, se précise. J’ai un moment d’émotion profonde. Je me juge sévèrement, impitoyablement. Et je vois clairement ce que j’ai à faire, la seule chose que j’aie à faire. Cette chose-là — prendre Adèle pour femme — se synthétise, s’exprime en un mot : le Devoir. Mon devoir... Devoir. Pouah ! Le mot, tout d’un coup, m’apparaît ridicule, dégoûtant, éculé, stupide ; le déguisement vulgaire de sales n’importe quoi. Devoir... Pourquoi ai-je pensé à ce mot-là ? À ce mot qui est une claie sur laquelle les grands sentiments naturels sont traînés, ligotés de chapelets, à la voirie de l’honnêteté ?... Le mot a défiguré, fait disparaître, la chose qu’il représentait. C’est fini. Passée, l’émotion ; mort, le grand désir qui m’avait saisi. Adèle ne sera pas ma femme, jamais... C’est égal, j’ai eu tort de ne point lui proposer de passer la journée avec moi, lorsqu’elle parlait de la tristesse d’Angenis, avant de sortir. C’est cela, cela surtout, qu’elle ne me pardonnera pas. Et alors... Je songe à des représailles. Elle laissait deviner une telle haine, lorsqu’elle parlait de son frère... Jusqu’au soir, je me reproche mes maladresses... Le lendemain, à midi, Adèle revient. Nous échangeons à peine quelques paroles. Je lui remets un chèque que j’ai été chercher à la banque. (Un chèque, ça laisse des traces ; elle ne pourra nier avoir reçu une indemnité.) Adèle, avant de partir, me tend la main. — Sans rancune, me dit-elle. Sans rancune... Est-ce sûr ? Je ne sais pas pourquoi, je ne veux pas savoir pourquoi, le séjour d’Angenis me devient insupportable. La vie de garnison, avec son fastidieux tran-tran, ses intérêts mesquins, ses intrigues petites, me pèse de plus en plus. C’est un cimetière, cette ville de province. Oh ! être quelque part où l’on vive, où l’on se sente vivre, où l’on ne soit pas seul avec ses pensées... J’écris à mon père pour le prier de trouver un général disposé à me prendre comme officier d’ordonnance. Il me répond qu’il a déjà cherché, sans succès, et qu’il n’a pas grand espoir pour le moment. Pourtant, le 10 janvier 1886, c’est-à-dire trois jours après la nomination du général Boulanger au ministère de la Guerre, mon père m’écrit qu’il a réussi à me faire demander par son ami intime, le général de Porchemart. ⁂ Son ami intime est équivoque ; on ne sait pas si le général de Porchemart est l’ami intime du général Boulanger ou celui de mon père. En fait, il est l’ami intime de l’un et de l’autre ; ou, du moins, prétend l’être. Une observation rapide, mais attentive, m’a convaincu qu’il les hait tous deux. Je suis absolument certain, d’autre part, que mon père déteste cordialement le général de Porchemart ; et j’ai quelque raison de croire que ses sentiments sont partagés par le ministre de la Guerre. Trio de chers camarades, de vieux camarades. On s’aime, dans l’armée. Ah ! qu’on s’aime ! Ce n’est pas de l’amour, c’est de la rage. Et l’on peut facilement comprendre l’intensité des sentiments qui lient les uns aux autres les grands chefs militaires, lorsqu’on se rappelle que c’est à des sentiments, les plus hauts et les plus purs, et non à de vils intérêts, que le soldat sacrifie son existence. La profession des armes est un sacerdoce. C’est là une grande vérité que le général de Porchemart n’oublie point. Petit-fils d’un chef vendéen qui rôtissait les pieds des Bleus et pillait les diligences pour l’amour de Dieu et du Roi, il s’est sincèrement rallié à la République, gouvernement que le pays a librement choisi ; il n’a pas jugé nécessaire, toutefois, d’abandonner ses croyances religieuses. Il a l’air d’un prêtre ; d’un prêtre, si j’ose m’exprimer ainsi, toujours à cheval sur le Devoir, avec la Patrie en croupe et le Soupçon pour tenir la bride de l’animal ; d’un prêtre impitoyable aux défaillances des simples mortels. Cette implacabilité s’est manifestée dernièrement, assure-t-on, par une dénonciation documentée contre le général de Lahaye-Marmenteau. Ce dernier, convaincu de s’être livré indirectement à des trafics répréhensibles, a dû se démettre des fonctions qu’il remplissait au ministère, et commande au loin une division d’infanterie. On n’a fait aucun bruit autour de cette affaire ; on parle tout bas de scandales nombreux et graves que sa divulgation eût fait éclater. Le général de Porchemart, sans doute, sait à quoi s’en tenir là-dessus ; mais sa face impénétrable ne laisse point deviner les secrets qu’il possède et qu’il utilisera peut-être, le moment venu, avec l’autorité que lui donnent sa réputation de droiture et la juste célébrité que lui valut une authentique action d’éclat, en 1870. La vie du général de Porchemart est des plus simples et des plus régulières. Sa femme est une dame déjà âgée qui fréquente fort les églises, s’occupe de bonnes œuvres et fait de la charpie pour la prochaine. Il n’a pas d’enfants ; et jusqu’à ces derniers temps, chose inouïe, on ne lui avait jamais connu de maîtresse. Il en a une à présent ; mais cette liaison, qui, assure-t-on, ne date que de deux mois environ, est demeurée très mystérieuse. La dame est invisible ; cloîtrée, séquestrée comme une beauté de harem. Personne n’a vu son visage ; tout le monde ignore son nom. Le bruit court, je ne sais pourquoi, que c’est une femme supérieure, extraordinaire ; on affirme que le général de Porchemart a l’intention de se lancer avant peu dans la politique et l’on assure que l’amie qu’il dérobe à la vue de ses contemporains l’aide à préparer des plans machiavéliques. C’est, dit-on, son Égérie. J’ai parlé de la chose à mon père, pour voir ; et il a éclaté de rire aux premiers mots. — Une Égérie ! C’est à se tordre. Porchemart-Pompilius ! Vraiment, ne pouvez-vous voir les choses telles qu’elles sont ? Pourquoi vouloir toujours trouver cinq pieds sous un mouton ? Porchemart a une maîtresse qu’il ne montre pas. Bon. Qu’est-ce que c’est que cette maîtresse-là ? C’est une Égérie. Fous que vous êtes ! S’il ne la montre point, c’est qu’il ne peut pas la montrer. Donc, ce n’est point une Égérie. C’est une mineure. Ma foi, probablement. Après tout, ça m’est égal. L’essentiel, c’est que mon tableau de service ne soit pas trop chargé ; et il ne l’est pas. L’officier d’ordonnance est un heureux mortel. Il sort presque toujours de l’École. (Au fait, bien peu d’officiers sortent du rang ; récemment, sur 230 lieutenants d’infanterie proposés pour le grade de capitaine, 8 seulement n’avaient point passé par Saint-Cyr ; et il est à présumer qu’ils n’iront pas loin). L’officier d’ordonnance — généralement fils, neveu, cousin ou gendre de haut fonctionnaire militaire ou même civil, refusé aux examens d’état-major ou qui n’a pas osé les affronter — trouve une situation paisible auprès d’un général pourvu d’un emploi catalogué ; il s’embusque dans des bureaux, parade aux revues, prépare des fêtes, règle des danses. Il est le héros des mamans à l’amabilité mûre et des demoiselles à écus auxquelles il faut des oiseaux tricolores pour picorer leurs cœurs en massepains. Et pas de danger, au moment critique du cotillon, que ces demoiselles marquent l’officier d’ordonnance du petit pompon... Vous savez. Le général de Porchemart est charmant pour moi. Peut-être un peu trop. Je crois parfois découvrir dans ses manières quelque condescendance ironique. Cela m’ennuie. Le général, ainsi que tous les hommes qui ne se laissent pas deviner, exaspère. On est toujours tenté de se dire qu’ils n’ont réellement rien d’extraordinaire ; qu’ils ne valent pas mieux que les autres ; et cela, on ne peut pas se le dire. Je vois grimacer autour de moi l’ambition grotesque, odieuse ou naïve d’un grand nombre de jeunes officiers pourvus d’emplois analogues au mien ; l’ambition militaire, telle que je l’ai trouvée au régiment, mais avec des espoirs moins chimériques et des succès plus fréquents. Et je me demande pourquoi le général de Porchemart, ayant subitement besoin d’un officier d’ordonnance, ne l’a pas choisi parmi ces jeunes gens dont beaucoup le poursuivaient de leurs sollicitations, je le sais, et est venu me chercher. Afin de faire plaisir à mon père ? C’est douteux... Je finis par trouver. Le général de Porchemart veut m’avoir auprès de lui, parce qu’il espère savoir par moi, grâce aux indiscrétions de mon père, ce qui se passe autour du général Boulanger ; et mon père, de son côté, compte que je le tiendrai au courant des faits et gestes du général de Porchemart, que le ministre a intérêt à surveiller. C’est certain ; absolument évident. Le général de Porchemart, personne n’en doute, est l’homme des opportunistes ; et chacun sait que le général Boulanger est l’homme des radicaux. Il est donc probable qu’on réclamera de moi avant peu, de droite et de gauche, des renseignements confidentiels. Je ne sais pas encore si j’en donnerai ; pourtant, à tout hasard, je veux me mettre au courant de la situation politique. Pour commencer, je voudrais bien connaître un radical qui m’exposât ses vues. On pourrait croire que mon père, en qualité d’ami du ministre, est un fervent radical ; et beaucoup de gens n’en doutent point. Mais je ne suis pas sûr du fait. Lui non plus. Je prends donc le parti de m’adresser à un radical bon teint, indubitable, et cependant sans mesquins préjugés de coterie. ⁂ C’est du cousin Raubvogel qu’il s’agit. Depuis cette mémorable élection par laquelle, grâce à lui, les populations du Nord offrirent une chaise curule à son beau-père M. Delanoix, le cousin Raubvogel s’est séparé de ses anciens amis les opportunistes et a adopté des opinions de plus en plus radicales. Il est aujourd’hui l’intime ami du chef de son nouveau parti et de ses séides, le docteur Kaulbach et autres. La rumeur publique assure que Raubvogel n’a point, financièrement, gagné au change. Il en fait lui-même l’aveu ; ajoutant avec modestie qu’un bon Français doit savoir sacrifier sans hésitation ses intérêts à ses principes. Il laisse entendre, néanmoins, qu’il attend avec patience de nouveaux sourires de la Fortune, car il a pleine confiance dans la destinée de l’homme rare que le parti radical vient de hisser au ministère de la Guerre. Tout d’abord, je crois qu’il va m’être facile de tirer du cousin des informations précieuses ; de l’amener à me dire de quel côté, le cas échéant, il sera préférable de me ranger. Raubvogel m’écoute attentivement, ouvrant de grands yeux, hochant la tête tantôt à gauche, tantôt à droite. Quand j’ai fini, il m’invite à passer dans son cabinet. — Mon cher cousin, me dit-il après avoir soigneusement fermé la porte, ce que vous me demandez est tellement grave et mon désir de vous répondre à cœur ouvert est si grand, que je pense qu’il est nécessaire de nous mettre à l’abri d’oreilles indiscrètes. Ici, où nous sommes en sûreté, je puis vous dire ce que je ne dirais certainement pas à tout le monde. La France se reprend, mon cher cousin. Elle se reprend ! Oui, quoi qu’on en dise, la France se reprend. À ce moment, on frappe à la porte ; et Raubvogel, avec un geste d’ennui, va ouvrir. C’est Mme Raubvogel. C’est Estelle qui s’exclame, se précipite vers moi et, presque, me saute au cou. Quelle joie ! Quel plaisir ! Qu’elle est heureuse de me revoir ! Comme je dois être content d’avoir quitté cette vie de garnison ! Il n’y a que Paris au monde. Puisque je suis là, elle ne me quitte pas ; il faut que je reste à déjeuner, d’abord ; et après, je vais l’accompagner au bois... Raubvogel me jette un regard désolé et pousse un soupir de résignation. Allez donc parler sérieusement, avec les femmes !... Je comprends, bien que ce soit peu flatteur pour mon amour-propre, qu’il n’y a guère à compter sur les indiscrétions du cousin. Si encore Estelle entendait la politique ! Mais elle n’y comprend rien ; absolument rien ; elle me l’a dit elle-même. Pourtant, si Raubvogel ne parle point, pourquoi un autre ne parlerait-il point ? Gédéon Schurke, par exemple ? J’essaye. Et, deux jours après, cet excellent Schurke m’ouvre son cœur, entre la poire et le fromage. — Je vais vous expliquer la situation, M. Jean. Nous sommes en 1886. Durant les quinze années qui se sont écoulées depuis sa défaite, la France a trouvé moyen de faire deux choses ; en laissant égorger la Commune, elle a détruit toutes ses chances de relèvement réel ; et elle a permis l’établissement d’une république opportuniste qui n’a vécu que de mensonges de toutes sortes. Cette république a appelé à la curée tous les coquins qui crevaient de faim sous l’Empire. Ils ont été, avec leurs amis et leurs petits, s’asseoir à la table du Riche, et se sont gavés. Et ils ont laissé Lazare à la porte, avec son drapeau tricolore autour du ventre pour tenir chauds ses boyaux vides. Comme Lazare aurait pu dérouler son drapeau, pendant une canicule, et compromettre ainsi la sûreté de ses nouveaux maîtres, ceux-ci ont inventé les expéditions coloniales. On a cessé de parler de la trouée des Vosges, mais on a commencé à faire trouer la peau du populo. Les seuls résultats des expéditions coloniales ayant été, pour le pays, des pertes énormes d’hommes et d’argent, sans parler de honteux revers, la patience publique s’est lassée. Les radicaux, qui guettaient depuis longtemps l’occasion, ont jugé que le moment était venu pour eux de s’emparer de l’assiette au beurre. Ils se sont décidés à agir... — Oui ; et par procuration. — Comme vous dites. Et cela vous donne leur mesure. Le parti radical est un fantôme de parti. Son programme date de 1869 ; une loque. Son incapacité est désolante. Pour se frayer la voie, c’est un militaire professionnel qu’il va choisir. Il n’y a qu’à ouvrir l’Histoire pour voir que le soldat trahit toujours. Excusez-moi ; c’est la vérité. Un soldat, c’est un homme qu’on soudoye. Qui paye ? Le Riche ! Avec quoi ? Avec l’argent du Pauvre. Donc... Vous me direz que, pour transformer sa misérable république nominale en république réelle, il fallait au peuple français une grande énergie ; et qu’il n’en a pas l’ombre. Vous me direz que, pour arracher les esprits à leur torpeur, il fallait les violents soubresauts d’un pitre, les appels de trompe d’un charlatan. Vous me direz que, telle la grenouille que seul attire hors de sa vase un morceau de drap écarlate, la nation française pouvait être déterminée à l’action par le prestigieux éclat d’une calotte rouge. Je vous répondrai que vous avez tort ; lorsque des gens sont trop lâches pour se sauver eux-mêmes, il ne faut point leur présenter de sauveur ; c’est simplement donner un nouveau prétexte à leur veulerie. Et puis, vraiment, est-ce là le rôle du parti radical ? Vous allez voir comment leur grand homme va les récompenser, les radicaux... — Et que pensez-vous qui arrivera ? — Rien. Du bruit, des sottises, du vent. Les opportunistes ne feront rien, les radicaux ne feront rien, Boulanger ne fera rien. La France, surtout, ne fera rien. Donc, conclut Schurke, ne vous inquiétez point de l’agitation qui se produit, qui va se produire. Elle est, et sera de plus en plus, superficielle, dérisoire. Ne craignez pas non plus qu’on vous demande des renseignements. On n’en a pas besoin. Tous les acteurs de la tragi-comédie qui commence s’espionnent entre eux, se vendent réciproquement, portent habit de deux paroisses et mangent à tous les râteliers. Il est inutile de se gêner. Et c’est au grand soleil qu’une cocotte, avant peu, va transporter le mannequin à barbe blonde du cerisier de Clemenceau dans le néflier de M. de Mun. ⁂ On ne me demande, en effet, de me livrer à aucun reportage spécial ; je m’étais donc trompé dans mes conjectures. Et la seconde partie de la prophétie de Gédéon Schurke se réalise rapidement. Le général Boulanger devient, de jour en jour davantage, l’espoir de la réaction et du cléricalisme. Mon père hésite à le suivre dans son évolution ; il s’y décide cependant en se ménageant, suivant son expression, des portes de sortie. Le général de Porchemart, de son côté, hésite à se ranger parmi les adversaires déclarés du général Boulanger ; il s’y décide cependant en se ménageant, sans en rien dire, des portes de sortie. La popularité du ministre de la Guerre s’accroît sans cesse ; cultivée, à l’aide de procédés intensifs, par des gens qui se dissimulent de leur mieux, eux et les intérêts variés qu’ils représentent. La foule des admirateurs, des fidèles, augmente ; foule que pousse une certaine honte de sa longue et abjecte inertie et à laquelle les indécents beuglements des Ligues et autres troupeaux d’ahuris donnent l’illusion de l’action. Boulanger accepte cette popularité comme un tribut naturel, dû. Il couche dessus ; étendu de tout son long, bottes vernies et barbe teinte, sur cette chose flasque et cotonneuse qui constitue l’âme française. Un peuple de barnums s’évertue, camelots de la haute et de la basse pègre, mâles, femelles et l’autre sexe. La presse maquille ses brêmes ; l’aristocratie maquille sa vieille gueule, se camoufle en tricoteuse ; les banques donnent des écus ; les tonsurés, des conseils. On maquignonne l’opinion publique, pitoyable Rossinante ; on lui fourre du coton tricolore dans les oreilles et un piment rouge autre part ; et le Don Quichotte de la manchette, sa lyre de fer-blanc au poing, se prépare à l’enfourcher pour de grandes expéditions à la statue de Strasbourg. Les assassins et les massacreurs prêchent la nécessité de l’union ; les voleurs prêchent l’honnêteté ; les sacristains, la tolérance ; les gardes-chiourmes, la liberté ; les cocottes chantent la vertu ; et les maquereaux, la famille. Le Devoir est à la mode. — Trop de beaux sentiments, murmure tristement Gédéon Schurke. Voyez-vous, monsieur Jean, le Boulangisme mourra, non pas de son improbité — l’improbité est l’âme des partis forts — mais de ses prétentions à la vertu. Il ne parle que d’honneur, de pureté, de droiture. C’est une grande faute. Il ne faut abuser de rien, même des pires choses. Le ministère de la Guerre est une sentine. Boulanger vit au milieu d’une population d’escarpes, de rastas, de grues, d’aigrefins, d’espions, d’imbéciles et de filous décidés à faire la France, à la tête ou à la dure. Tout ça grouille, gesticule, braille, minaude, bave, jacasse, espère, désespère, s’enthousiasme, se multiplie. Et pour base de cet échafaudage d’envies, de haines, de convoitises, de rancunes et d’appétits qu’érigea le Hasard, de ses doigts puants, il y a un Mot. Le Mot éternellement mystérieux, cabalistique, le Mot qu’on n’explique jamais, qu’il est criminel de chercher à définir. — Il y a le mot : Patrie. — La Patrie ! La Patrie ! Chose curieuse, c’est aussi la Patrie que les adversaires du Boulangisme prétendent servir. Ils combattent la dictature menaçante au nom de la Patrie. « Nous avons le monopole de la Patrie ! » s’écrie la bande opportuniste qui, menacée dans ses privilèges et dans son existence même, s’apprête à faire face à l’attaque. Les opportunistes ont été renforcés par beaucoup de radicaux, furieux d’avoir été plaqués par l’homme dont ils voulaient jouer, et par les socialistes dont c’est la caractéristique de redouter tout ce qui peut porter atteinte à l’ordre de choses actuel. Et ces honnêtes gens, si honnêtes, font appel aussi aux plus purs sentiments du peuple, lui parlent de la Patrie et même de la République. La République ? Les Boulangistes ne veulent pas autre chose. Ils veulent une République honnête, voilà tout. Raubvogel me l’affirmait hier. Vive la République ! Tel est le cri de M. de Mun, de M. de Mackau et de la duchesse. Et le nonce du pape, derrière leur dos, fredonne la Marseillaise. On est républicain, dans la boulange. — Oui, dit encore Raubvogel ; et la preuve qu’on est républicain, c’est qu’on a Paris. Paris... J’essaye, évoquant le passé libertaire de la grande ville, de la juger en homme imbu fortement, mais sans lyrisme, des idées qu’elle incarna. Je vois que Paris a donné à l’humanité, en ce XIXe siècle, deux torches sans lesquelles la route de la Révolution serait encore obscure : 1848 et 1871. Février et juin 1848 ont prouvé, il me semble, qu’aucune transformation sociale n’est possible sans des changements politiques complets ; et 1871 a démontré, je pense, que des changements politiques ne peuvent s’effectuer sans la complicité de cette partie de la population qui, portant les armes, est jusqu’à présent le meilleur et même le seul soutien de l’État autoritaire. Et je me demande comment Paris a pu devenir ce qu’il est aujourd’hui ; comment les Parisiens, après avoir entendu tomber de l’abominable gueule d’un pitre des couplets patriotards qui sont le dérisoire écho de la lâcheté publique, peuvent acclamer le brave général Boulanger, qui fit preuve de sa bravoure en les fusillant... — Le peuple de Paris, ricane le général de Porchemart, a été peint de main de maître, et une fois pour toutes, par Rabelais ; ce peuple qui est « tant sot, tant badault, et tant inepte de nature ». Il ne faut pas le prendre au sérieux, même dans ses moments de férocité. Les Sans-Culottes, par exemple, n’ont jamais eu d’autre idéal qu’une nouvelle mode ; leurs plus abominables excès témoignaient simplement d’un goût maladif pour le pantalon. Les Parisiens... Aujourd’hui, 14 juillet, c’est par centaines de mille qu’ils se sont rendus à Longchamps afin d’assister à la Revue — la misérable revue annuelle instituée pour satisfaire la curiosité badaude d’un demi-million d’idiots. Ça foisonne, ça grouille, ça sue, ça pue ; ça noircit les rues et les avenues ; les fourrés du bois en sont pleins : singes, guenons, chapeaux de paille, gluants, saucissons et litres à seize. On reconnaît au passage les petits oignons du veau ; y a du bleu, du blanc, du rouge, vive le drapeau français !... Ah ! Vive tout ce qu’on veut, pourvu qu’on gueule, qu’on fasse la guerre à coups de gosiers. Voilà la revue, le défilé, les saluts, les acclamations. Vive Boulanger ! Vive Boulanger !... Cri d’espoir et de foi, pour sûr. Vive Boulanger ! Vive l’Armée ! Vive la revanche ! La guerre, alors ? Certainement. Pas aujourd’hui ; mais demain, sans faute. Le peuple français n’attendra pas plus longtemps. Il lui faut la guerre, au peuple français. Il la lui faut parce qu’il sait que maintenant la France s’est relevée et que son armée est prête. Il la lui faut afin de reprendre l’Alsace-Lorraine, sûrement, mais avant tout pour se délivrer de l’effroyable taxation dont on le chargea au lendemain du désastre ; pour en finir avec les écrasants impôts dont le produit devait servir à organiser une armée de revanche, l’armée qui est prête aujourd’hui. Elle est prête, l’armée ! Elle est prête, car pas un sou n’a été gaspillé, car pas une minute n’a été perdue. Vive l’armée !... Nous remontons l’avenue du Bois de Boulogne au milieu d’une poussière aveuglante et d’acclamations qui assourdissent. J’ai simplement entendu les cris de la foule, jusqu’ici ; et l’idée me vient d’examiner ses visages, de scruter ses pensées intimes, de les déchiffrer sur ses faces. Ses faces ? Elle n’en a qu’une. Une figure terne, indifférente, lasse, aux yeux vitreux, avec une énorme bouche noire ; une figure animale, résignée, sans trace de résolution, de volonté, de caractère ; la figure d’une foule infirme dont l’emballement tient de la danse de Saint-Guy plutôt que de l’enthousiasme ; d’une foule qui n’est qu’une foule et veut rester une foule — ne veut pas devenir un peuple. — Tout d’un coup, je me souviens de la conversation que j’ai eue avec le lieutenant Deméré, à Nantes. « Laissez passer quinze ans encore, laissez venir la fin du siècle... » — Vive Boulanger ! Vive Boulanger ! Vive l’armée !... Des scintillements d’acier, sur la gauche. Un régiment de cuirassiers contourne l’Arc de Triomphe. Je lève la tête. La masse du monument est devant nous, énorme, avec son arche vide... C’est par là qu’ont passé les Hommes disparus. En descendant, après la revue du 14 juillet, cette avenue des Champs-Élysées où bivouaquèrent si souvent les vainqueurs, j’ai demandé au général de Porchemart s’il croyait qu’une guerre prochaine fût probable. — Une guerre ! s’est-il écrié avec un étonnement tellement complet qu’un moment je l’ai cru simulé. Une guerre ? Mais ça ne dépend pas de nous. Ça dépend des Allemands. Ça ne dépend pas des Français, assurément. Ils aspirent toujours à la revanche, bien entendu ; mais ils ont le cœur trop tendre pour désirer un conflit. Vouloir la guerre — la guerre qui mettrait fin à une situation équivoque et terrible — cela s’appelle vouloir lancer le pays dans des aventures. Toute la question est donc ici : sous quel maître les Français continueront-ils à jouir des bienfaits de la paix ? Sous la patte crochue du Pouvoir civil, ou sous le sabre de bois du Pouvoir militaire ? Le général de Porchemart paraît croire de plus en plus au succès définitif du ministre ; je m’en aperçois aux éloges pas trop grincheux qu’il fait de son administration. Mon père semble aussi persuadé du triomphe prochain de Boulanger ; je le devine à la jalousie qu’il laisse éclater fréquemment. — Les Français sont singuliers ! Qu’a-t-il jamais fait, ce Boulanger, qui explique sa popularité ? Où était-il, pendant la guerre ? À quoi sert d’avoir risqué sa peau comme je l’ai fait, moi, à Nourhas ? L’ingratitude est notre vice national. La mauvaise humeur de mon père provient sans doute du fait que les admirateurs du ministre commencent à lui témoigner leur sympathie d’une façon tangible. Les Espagnols ont un proverbe qui affirme que l’honneur et l’argent ne vont pas dans le même sac. Boulanger prouve tous les jours la fausseté de ce proverbe ; il accumule les honneurs et l’argent. Peut-être, après tout, que les Espagnols ne parlent pas de l’honneur militaire, qui est un honneur spécial. Si l’honneur militaire est un honneur spécial, on peut dire, je pense, que le militaire actuel est un militaire spécial. L’esprit du soldat n’est plus ce qu’il a été. Il m’arrive parfois de comparer mentalement les militaires du commencement du siècle aux militaires que nous sommes ; et de comparer, aussi, le militaire du second Empire au militaire de la troisième République. J’évoque mes souvenirs du colonel Gabarrot, j’établis un parallèle entre le commandant Maubart, des voltigeurs, et le général Maubart, des bureaux de la guerre. Et il me semble que le soldat à idées étroites souvent, mais profondes, que poussait au combat une ambition énorme et puérile éperonnée d’enthousiasmes, a fait place à un autre soldat qui n’aimait guère l’aventure que pour les aventures, qui se battait plutôt pour les récompenses décernées par la gloire que pour les intimes satisfactions qu’elle procure. Et je vois disparaître ce soldat, à son tour, devant l’être qui porte aujourd’hui l’épaulette — être obligé d’éliminer de son horizon les idées d’enthousiasme, d’aventure et de gloire, être exerçant une profession classifiée, stable, à salaires gradués, routinière, presque sans aléas — être que j’appellerai le Militaire qui ne se bat pas. Je crois voir, encore, que moins le soldat se bat, plus il s’éloigne du peuple, de la Nation ; et qu’il ne reste en contact avec ses concitoyens que comme le garde-chiourme reste en contact avec les forçats. Le Militaire qui ne se bat pas a pour mission particulière la conservation de la paix. Il est là pour maintenir les peuples dans l’apathie. Au lieu de grouper les hommes pour l’action, il les parque pour l’inaction. Les mains fortes qui servaient les démences élues — ah ! je me souviens des mains des dragons du colonel Gabarrot, dont les sabres coupaient les mains des Russes ! — les mains fortes qui servaient les démences élues et qui n’ont point su forger l’arme de liberté ont été enchaînées par le Calcul et la Ruse, sous l’œil froid du Militaire qui ne se bat pas. Oui, je le vois, le soldat pacifique est le complément nécessaire du voleur légal ; le militaire qui conserve la paix au lieu de la mettre en péril est indispensable au coquin qui fabrique les lois au lieu de les transgresser. — Français ! s’écrient les Anti-Boulangistes, ne vous laissez pas entraîner dans des aventures. Prenez garde à la guerre ! Rappelez-vous que la paix est le premier des biens. Avec nous, pas de guerre ! Pas de Sedan ! Et maintenant, s’il vous plaît, que dit l’homme empanaché, à la belle barbe teinte en blond ? Il dit : — Français ! je vous épargnerai la guerre. Pas d’aventures ! Quand on vous dit que j’ai des goûts belliqueux, on vous trompe. Tout ce que je rêve pour vous, c’est une République honnête. Honnête. Par conséquent, pacifique. Vive la paix ! Avec moi, rien à craindre. Pas de guerre ! Là-dessus, la France fait semblant de réfléchir et se tâte le pouls. Si l’on essayait de l’empanaché ? Pourquoi pas, puisqu’on est libre ; et que la liberté, c’est la possibilité de changer de maître ? Après tout, l’empanaché, c’est simplement un civil avec un panache. Pas plus de danger avec l’un qu’avec l’autre ; et c’est moins triste à regarder, moins banal et moins marmiteux. Allons-y ! Mais tout le monde n’y va pas. Les prébendés, les nantis, se rebiffent ; leurs amis et connaissances en font autant ; il y a aussi des gens à principes. Du côté militaire même, une grande opposition au boulangisme se produit. Mon père n’a pas encore tourné casaque, mais le général de Porchemart a repris courage. Il s’est remué énormément, a excité des jalousies et des défiances. Vous connaissez le résultat de la contre-attaque. Boulanger est obligé de quitter le ministère. La date exacte ? Je ne sais plus. Je n’ai pas l’intention de feuilleter de vieux almanachs. Ce doit être au mois d’octobre 1886. Deux souvenirs m’aident à donner cette date approximative. Le premier a trait à un événement qui précède la chute de Boulanger. Je veux parler de l’énorme manifestation à la statue de Strasbourg et à la statue de Jeanne d’Arc, mascarade tricolore où se firent remarquer, au premier rang, le cousin Raubvogel et sa femme vêtue en Alsacienne. Le second souvenir se rapporte à un fait qui se produisit peu de temps après le départ du ministre populaire, et juste au moment où la classe 1886 allait rejoindre les drapeaux. Nous sortions du Bois, à cheval, mon père et moi, lorsqu’une bande de conscrits déboucha, en hurlant, d’une certaine rue. L’immense drapeau qui les précédait effraya le cheval de mon père ; il eut toutes les peines du monde à maîtriser sa monture qui se cabrait et cherchait à se dérober. À la fin, furieux, il s’écria : — Bande de cochons ! Leur sacrée ordure de drapeau ! Ah ! les salauds ! Qu’ils tombent jamais sous ma coupe, et tu verras si leurs jours de salle de police font des petits ! ⁂ La France est triste, depuis que Boulanger ne préside plus à ses destinées guerrières. On dirait qu’elle a perdu son joujou. Mais elle a ses étrennes, et même un peu avant l’époque ; le 11 décembre 1886, Boulanger reprend le portefeuille de la guerre. Et moi aussi j’ai mes étrennes ; le 1er janvier 1887, je suis nommé lieutenant. J’ai donc deux galons sur ma manche. Ça me fait une belle manche. Cette dernière phrase pourrait vous faire croire que je ne prends pas ma profession fort au sérieux, et vous auriez à moitié tort. Je suis, si vous voulez, comme un homme convaincu en matière de doctrine, mais auquel manque la ferveur spirituelle. Il me faudrait des raisons bien puissantes pour quitter l’armée ; mais si une occasion tentante se présentait, je laisserais là l’épaulette. À vrai dire, j’ai cherché cette occasion, pour différents motifs ; mon argent qui file rapidement, l’insipidité de mon existence, d’autres raisons. Vous comprenez qu’il s’agit de tentatives matrimoniales. J’ai fait insérer dans les journaux une des 50.000 annonces militaires que vous pouvez y lire chaque année. « Officier (Saint-Cyr), vingt-cinq ans, bien sous tous rapp., gr. espér., sans sots préjug., épous. jeune fille ou veuve (divorcées non accpt.) Fort. aisée. Tr. sérieux. Ecr. M. E. C. 89. » Les résultats n’ont pas été encourageants ; je n’en dirai pas davantage. Des intermédiaires obligeants, entre autres un général en retraite et deux veuves de colonels, se sont occupés de m’aider à convoler en justes noces. Ils m’ont présenté successivement plusieurs jeunes personnes, élevées aux Oiseaux, qui avaient de beaux cheveux et aimaient beaucoup leurs mères ; mais, comme dit l’autre, j’ai reculé. Tout cela ne prouve point que je ne ferai pas un jour un beau mariage ; mais, pour le moment, je me contente de jouer au petit ménage, avec celle-ci ou avec celle-là ; on en pince pour la culotte, à Paris ; ça dure ce que ça dure ; et après la rupture, on jase, on prétend que les caresses de Mars coûtent cher à Vénus. Mais tout cela n’entame pas le prestige de l’épaulette. En dépit de l’opinion courante, j’ose affirmer que la fréquentation des femmes, des femmes élégantes, est indispensable à l’officier d’avenir. Cette fréquentation seule peut le mettre à l’abri de bien des tentations et de bien des périls. — Je cesse de croire au succès final de Boulanger, m’a dit l’autre jour mon père ; il se laisse entortiller par toutes les grues. Les femmes le perdront. Rappelle-toi ce que je te dis, mon garçon : les femmes le perdront. Et sais-tu pourquoi ? Parce que cet homme, toute sa vie, a ignoré les femmes. Jusqu’à ces temps derniers, il n’avait jamais connu que les pantalons de madapolam de son épouse. Dès qu’il a vu une chemise de soie, il a été fichu. Un militaire doit connaître les dessous luxueux ; c’est de première importance. Moi, avec mon tempérament, si j’ai pu faire mon chemin, c’est parce que, dès le début, je n’ai rien ignoré de ces choses-là. Ta mère, pour ne citer qu’un cas, ta mère avait un trousseau magnifique. Mon père sera peut-être bon prophète ; et il est possible, en effet, que les femmes causent la ruine du général Boulanger. Mais, pour le moment, sa popularité ne fait qu’augmenter. La lutte politique engagée, timide, malhonnête, peureuse et bruyante, est certainement ridicule. Malgré tout, c’est un jeu. Ça intéresse, ça prend, ça captive comme un jeu. Le cousin Raubvogel, avec lequel je suis dans les meilleurs termes, est un des plus fervents disciples du Sauveur ; il prêche la bonne parole boulangiste avec une conviction qui émeut. Avant-hier, il a offert en l’honneur du général un grand dîner auquel nous avons assisté, mon père et moi. Une foule énorme, subitement rassemblée par le plus grand des hasards, a envahi la rue pour acclamer le général à sa sortie de la maison. La manifestation, bien qu’inopinée, a été grandiose et a fortement ému le gouvernement. Et hier, le cher cousin, pensant que le prêtre doit vivre de l’autel, a lancé sa nouvelle affaire des Tapiocas militaires, dont le succès est prodigieux. Raubvogel, donc, nage dans l’opulence. Mais pas dans la joie. Il y a une ombre au tableau de sa félicité. Delanoix, ce beau-père que Raubvogel a contribué, plus que tout autre, à asseoir sur une chaise curule, Delanoix fait preuve de la plus noire ingratitude. Il est républicain, républicain austère et convaincu, et jette l’anathème au Boulangisme, deux fois par semaine, du haut de la tribune du Sénat. « Renierons-nous, s’écrie-t-il, nos pères, ces géants ? La France va-t-elle se prostituer à un nouveau César ? » Voilà des choses qui désolent Raubvogel, et lui font verser des larmes, dans le silence du cabinet. Du moins, il me l’a dit ; je l’ai cru, et je l’ai répété au général de Porchemart, qui s’en est tenu les côtes pendant dix minutes. Le général est peut-être au courant de choses que j’ignore. Ce que je n’ignore pas, par exemple, c’est que Delanoix a dénoncé violemment, dans son dernier discours, la continuelle présence, au ministère de la guerre, de personnages louches et d’individus équivoques. Il est certain que, là-dessus, Delanoix n’exagère point. Les types les plus étranges, mâles et femelles, pullulent au ministère. On en trouve dans tous les bureaux, sous toutes les tables, derrière tous les fauteuils ; ça sent le juif, le jésuite et la putain ; c’est une pétaudière. Mais ce sont là des détails que le public ne sait pas, ne veut pas savoir. Tout ce qu’il voit, c’est le port de la barbe autorisé dans l’armée, les réfectoires, les guérites tricolores... Et, chose curieuse, ce sont précisément ces mesquines réformes qui indisposent contre Boulanger beaucoup des grands chefs militaires. L’armée, bien entendu, n’est nationale que de nom ; c’est un vieux squelette dans un linceul neuf. Et le haut commandement redoute que le squelette, rappelé à la vie, apparaisse hors de son suaire, avec une chair jeune sur sa vieille ossature ; et la moindre évocation, pensent-ils, pourrait produire le miracle. C’est pourquoi il ne faut pas toucher à la tradition, à la routine ; les innovations sont superficielles aujourd’hui ; mais demain il est possible qu’elles deviennent sérieuses ; peut-être voudra-t-on affaiblir la discipline ! Et les grands chefs sentant en péril leurs privilèges, même les plus inutiles et les plus nominaux, flairant une ère nouvelle pour l’armée, se groupent afin de résister. On ne se figure pas avec quelle rage, un homme, une caste, se cramponne à ses immunités, à ses prérogatives. Les employés du fisc ne sont point encore consolés qu’on ait enlevé aux commis des gabelles le droit de pendre les faux-sauniers. Les grands chefs, donc, déclarent en sourdine que la Défense nationale est compromise. Et les Boulangistes, avec le peuple presque tout entier derrière eux, hurlent que la France ne craint personne, et que son armée est prête. ⁂ Et un fait vient soudain souffleter, de sa brutale et silencieuse éloquence, tous ces vantards et tous ces menteurs. Vous n’avez pas oublié cette piteuse histoire. Vous vous rappelez comment ces deux grandes nations qui depuis seize ans s’observaient par-dessus leur frontière — l’une fière de ses triomphes passés et confiante dans sa force, l’autre équivoquant sur son désastre et en proie à des convulsions rageuses — furent presque jetées dans l’arène, un beau matin, par le plus trivial des incidents, par une querelle de mouchards, par des démêlés d’argousins... L’affaire Schnœbelé... En France, d’abord, ce fut de la stupeur. La guerre ! La guerre ? était-ce possible ?... Puis, ce fut la détermination prise, visiblement prise et à la presque unanimité, d’éviter la lutte coûte que coûte. L’affreuse peur sous laquelle avaient vécu pendant seize années les classes possédantes, qui flairent la révolution dans la guerre, apparut. On murmurait, en claquant des dents, que le conflit était impossible, serait insensé. Pendant des jours, on vécut ainsi qu’en un cauchemar. Au ministère, on ne rencontrait que visages effarés, que figures consternées. Mon père — combien d’autres avec lui ? — avouait tout bas que rien n’était prêt ; les milliards avaient été gaspillés, jetés aux mains avides de tripoteurs ; c’était 1870 qui allait recommencer... La presse, par ordre, recommandait aux citoyens de rester calmes. Calmes ! Ils étaient glacés par l’effroi, pétrifiés. Et pourtant, une fièvre intense s’était emparée d’eux, les consumait intérieurement, en silence ; fièvre qu’alimentait sans doute, plus encore que le pressentiment des périls du lendemain, le mortifiant souvenir des bravades de la veille. La transformation soudaine apportée dans un être par l’épouvante est énorme ; le sang des bêtes poursuivies, des cerfs traqués, des taureaux pourchassés dans le cirque, est empoisonné, littéralement empoisonné par la peur. Et tout d’un coup, ce fut la délivrance. L’affaire, osait-on dire, était arrangée. Les patriotes des Ligues se remirent à narguer, moites encore de leurs transes. ⁂ Le danger étant passé, on explique à grand renfort de détails (bien français et surtout bien parisiens) quelles mesures on avait prises afin de le conjurer. Les militaires qui ont failli aller se battre exposent avec candeur comment ils se seraient battus. Le public écoute, bouche bée, saoul d’admiration. On assure que le général Boulanger avait envoyé à la frontière de l’Est quarante bataillons d’infanterie. Quarante bataillons ne suffisent point. On affirme qu’il en avait envoyé quatre-vingts. Puis, une centaine. — C’est vraiment incroyable ! me dit mon père. La crédulité de ces gogos est insondable. Quatre-vingts bataillons ! La vérité, c’est que nous avons pu à grand’peine en expédier douze ou quinze. La compagnie de l’Est n’aurait pu en transporter davantage. Tout le monde devrait savoir qu’elle est hors d’état de rendre aucun service. En temps de guerre, à mon avis, elle serait obligée de bloquer ses locomotives sur la ligne de Lyon dès le début des opérations. La panique causée par la menace d’un conflit a servi les parlementaires. Bien des gens qui leur étaient hostiles inclinent à penser qu’ils présentent, contre les entreprises du hasard, une protection supérieure à celle que peut offrir le héros populaire. Les législateurs commencent donc à attaquer vigoureusement l’homme providentiel ; et, dans les derniers jours de mai, l’homme providentiel abandonne son portefeuille. Certaines irrégularités dans l’emploi des fonds à lui confiés avaient été reprochées au ministre. Les preuves de ces irrégularités ayant été fournies secrètement aux parlementaires par le général de Porchemart, ledit général de Porchemart s’attendait à se voir offrir, en récompense, la place laissée vacante par Boulanger. Il a été cruellement déçu. C’est le général Ferron qui s’installe rue Saint-Dominique. Le général de Porchemart, bien entendu, ne m’avait pas mis au courant de ses projets et de ses espoirs ; mais je n’avais pas eu de mal à les deviner. Comme il se croyait sûr du succès, il ne prenait plus guère la peine de dissimuler. J’éprouvais même quelque chagrin à penser que cet homme, que je ne pouvais m’empêcher de juger supérieur, n’avait assigné d’autre but à son ambition qu’un rond-de-cuir ministériel. Mais l’autre matin, pendant une promenade, il m’a dit certaines choses qui m’ont fait penser que j’avais été trop prompt à tirer des conclusions. Je n’ai pas très bien compris, il est vrai, et je n’ai point osé questionner ; mais j’ai senti que le plan, quel qu’il soit, que cet homme avait tracé et que les circonstances lui interdisent de mettre à exécution, était terrible et grand. — Au ministère de la guerre, m’a dit le général, il ne faut qu’une mazette. Un homme, là, ferait trop peur. Les Français, représentants et représentés, n’ont qu’une crainte : la guerre. C’est une crainte irraisonnée, physique, et voilà pourquoi elle est insurmontable. Vous l’avez vu dernièrement, lors de l’incident Schnœbelé. Que la guerre éclate réellement, vous verrez autre chose encore. À moins, bien entendu, que ce ne soit la France qui déclare la guerre, à moins qu’elle ne soit poussée au combat par un homme qui méprise les vaincus et qui rêve pour son pays autre chose que l’enlisement dans un marécage d’imbécillité. L’apathie actuelle, je vous le dis, n’a d’autre cause que la peur. L’oubli de la défaite est peut-être dans les esprits, mais le souvenir est là, grimaçant, dans le cœur... ou dans le foie. Écoutez, je vais vous dire une histoire ; vous la comprendrez. Un fermier belge m’a raconté ceci : Le lendemain de la bataille de Sedan, il trouva dans l’un de ses prés, à une dizaine de lieues de la frontière, un cheval qui avait appartenu à l’armée française. L’animal était exténué, semblait affolé. Comment il était venu là, avec sa selle tournée sous le ventre, à travers un pays coupé en tous sens de ruisseaux, de canaux et de fossés, ne pouvait guère s’expliquer. Le fermier garda le cheval, jeune et forte bête qui, bien traitée, ne tarda pas à s’attacher à son nouveau maître. C’était un animal patient, docile et sagace, qui semblait fait pour les tâches pacifiques qui étaient devenues les siennes et qui ne paraissait pas avoir gardé le moindre souvenir des événements terrifiants auxquels il avait assisté. Un jour, six années plus tard à peu près, il avait été attelé à une voiture qui devait conduire le fermier et ses enfants à une ducasse des environs. Comme la voiture allait pénétrer dans le village, des jeunes gens firent partir deux ou trois bombes et des pétards. Le cheval, soudain, s’arrêta ; une sueur froide couvrit son corps et il se mit à trembler d’une façon terrible. Rien ne put le décider à avancer. Le fermier dut le reconduire à l’écurie. Une fièvre violente s’empara du pauvre animal ; en dépit de tous les soins, il mourut dans la nuit... J’ai la curiosité de demander à mon père ce qu’aurait fait le général de Porchemart, à son avis, si le portefeuille de la guerre lui avait été confié. — Rien de mieux que les autres, répond-il. Il aurait satisfait quelques-uns et mécontenté le plus grand nombre ; il aurait été, ainsi que ses prédécesseurs, l’humble serviteur de ses bureaux... Du reste, Porchemart n’a que ce qu’il mérite. Voilà ce que c’est que d’être égoïste et de vouloir être trop malin. Les documents qu’il a fournis contre Boulanger étaient trop précis, témoignaient d’un esprit trop clairvoyant, trop fouineur ; les gens du Palais-Bourbon n’aiment pas à avoir à leur service un individu trop perspicace ; cet individu, justement parce qu’il les a servis, pourrait les desservir. Crois-tu, par exemple, que Camille Dreikralle tienne à voir Porchemart au ministère ? Si Porchemart avait été un peu moins retors et plus pratique, il m’aurait confié les papiers que j’aurais communiqués à Reinach, tout en représentant Porchemart comme le seul successeur possible de Boulanger. J’aurais monté un beau bateau aux parlementaires. Porchemart aurait été ministre. Et, comme don de joyeux avènement, il m’aurait fait cadeau de ma troisième étoile, qui met si longtemps à descendre de la nue que je commence à croire, ma parole d’honneur, que je n’ai jamais été à Nourhas !... Je dois dire que la popularité du général Boulanger n’a point été affaiblie par son départ du ministère. L’enthousiasme qu’il excite est énorme ; soit que la nation espère beaucoup de lui, soit qu’elle sache pertinemment qu’il n’y a rien à en attendre ; soit qu’elle le considère comme l’un de ces hommes d’action dont l’heure doit nécessairement sonner, soit qu’elle le regarde comme un de ces impuissants dont la jactance seule est terrible et qui sont de vivantes garanties d’inaction. L’impopularité du général Ferron, par contre, va croissant. Et aujourd’hui, 14 juillet, au lieu des délirantes acclamations qui avaient, l’année dernière, accueilli son prédécesseur, ce sont des imprécations et des hurlements qui retentissent sur le passage du ministre de la guerre. À Longchamps, tout le long de la route, à l’aller et au retour, l’injure pleut sur les membres du cabinet, parmi lesquels figure un ridicule mulâtre. Le spectateur de l’an passé est là, chauvinisme et saucisson compris, applaudissant le défilé prestigieux ; sa sœur qui aime les pompiers acclame ces fiers troupiers ; sa belle-mère bat des mains quand défilent les Saints-Cyriens ; il est gai, content, triomphant, le cœur à l’aise. Mais, sitôt la revue terminée, il roule les yeux et tord sa gueule pour l’invective. — À bas Ferron ! Vive Boulanger ! À bas les traîtres !... Il écume, il grince, il siffle. On lui a enlevé son fétiche. Il ne sera heureux que lorsqu’on le lui rendra. Celui-là ou un autre. N’importe quel pantin dont il pourra faire une idole, qu’il pourra encenser ; n’importe quel raté, n’importe quel vaincu, n’importe quel fuyard... Les scandales de la fin de 1887 ne m’ont surpris qu’à moitié. Avant le déchaînement de la tempête, le paysage a déjà changé son aspect ; tout événement important, avant de se produire, semble préparer son atmosphère, son cadre. Des bruits, des rumeurs, des éclats fâcheux, des esclandres, des révélations honteuses faisaient prévoir à beaucoup que des turpitudes énormes, avant longtemps, allaient s’étaler au grand jour. C’était une chose dont, pour ma part, j’étais convaincu ; dont des entretiens que j’avais eus avec mon père, Raubvogel et plusieurs autres personnes bien informées, ne me permettaient pas de douter. Le général de Porchemart et Delanoix eux-mêmes, bien que tenant pour les parlementaires, laissaient entendre qu’ils n’étaient point sans inquiétudes. Et toutes les craintes et tous les espoirs que j’avais entendu exprimer de différents côtés me furent résumés clairement, vers la fin d’octobre, à l’Hôtel des Invalides. Une note de service, que j’avais à remettre à l’officier principal d’administration, m’a mis en rapport avec l’un des cinq secrétaires civils attachés à sa personne. Et il s’est trouvé que ce secrétaire n’était autre qu’un jeune israélite dont j’avais fait la connaissance autrefois chez Raubvogel, M. Issacar, celui-là même auquel Gédéon Schurke prédisait, en raison de son intrépidité sexuelle, un brillant avenir. Nous avons causé. M. Issacar n’est point surchargé de travail ; il ne se plaint pas de la situation qu’il occupe aux Invalides et qu’il doit à son coreligionnaire Camille Dreikralle. Son emploi n’est qu’une sinécure ; ainsi, d’ailleurs, que presque tous les emplois du personnel de l’Hôtel. Ce personnel n’a pas varié depuis l’époque où les Invalides servaient de refuge à trois mille hommes ; il est de cent vingt-cinq individus ; et le nombre des malheureux qu’hospitalise l’Hôtel s’élève aujourd’hui à cent vingt tout au plus. M. Issacar n’est point hostile aux sinécures, au moins pour son compte ; elles conviennent, dit-il, aux tempéraments méditatifs et philosophiques, toujours utiles à l’humanité ; et il approuve presque le gouvernement de les entretenir avec un soin jaloux. — Il est seulement regrettable, a-t-il dit, que ce pauvre gouvernement ne veille pas aussi jalousement sur lui-même. L’honnêteté n’est pas nécessaire au système parlementaire ; j’oserai même dire qu’elle lui est funeste. Car le système parlementaire est, par essence et définition, une représentation, c’est-à-dire un simulacre instable ; et l’honnêteté est une réalité rigide ; il y a donc incompatibilité, grosse de périls. Mais un certain décorum est indispensable. Nos honorables en manquent trop. Du haut en bas, — je devrais dire du bas en haut, afin de monter jusqu’à l’Élysée, — c’est la même chose. Qu’on vende tout, je l’admets ; qu’on empoche son salaire en public et qu’on fasse trébucher la monnaie sur la tribune, je ne l’admets pas. Quand Judas recevait ses trente pièces d’argent, il se les faisait présenter dans une bourse. Il donnait là un grand exemple, qu’on a trop vite oublié. Enfin... Les parlementaires ne sont pas solides ; le gouvernement peut s’effondrer d’un moment à l’autre ; Boulanger a plus de chances que jamais. Il a des chances, surtout, parce qu’il tient Paris, quoi qu’on en dise. Ce Paris est réellement absurde ; c’est une éternelle dupe, qui passe d’un extrême à l’autre, ainsi que toutes les dupes. Il a été Cosmopolite enragé ; le voilà Nationaliste féroce. (J’invente le mot ; il fera fortune.) Vous savez quelles sympathies il avait témoignées aux peuples opprimés, à la Pologne, à l’Italie, à l’Irlande ; pendant la Commune, c’est-à-dire dès qu’ils trouvent une occasion propice, les Polonais comme Dombrowski et les Italiens comme La Cecilia brûlent les monuments de Paris ; et les Irlandais, comme Mac-Mahon, en fusillent les habitants. Voilà pourquoi ils veulent se livrer aujourd’hui à un César indigène. C’est un grand malheur, voyez-vous, que Wellington ait empêché Blücher de détruire Paris lors de la chute du premier Empire. La France ne serait point ce qu’elle est ; une nation dont toutes les forces, et la puissance militaire elle-même, sont organisées pour la misérable routine administrative et non pour la vie active et large ; une nation qui ne témoigne de son existence que par des soubresauts grotesques. La France demande un sabre ! Ce n’est pas d’un sabre qu’elle a besoin : c’est d’un forceps ; elle est pleine d’intelligences qu’elle hait imbécilement et auxquelles elle refuse de donner le jour... Pour le moment, je crois que le gouvernement roulera au fond du fossé, un de ces matins ; que le Boulangisme n’aura pas la force de l’enfoncer dans la vase ; et que le Parlementarisme se relèvera pour un temps. Et voilà que, à la fin de novembre, la première partie de la prophétie de M. Issacar s’accomplit. Les scandales viennent de monter aussi haut qu’il l’avait prédit. Le Président de la République vient d’être sommé de donner sa démission. Peut-être demain la France se soulèvera-t-elle ; peut-être l’armée sera-t-elle appelée à maintenir l’ordre. On prend, à la hâte, des précautions. Les commandants de Corps d’armée, qui se trouvaient tous à Paris pour les promotions de fin d’année, reçoivent l’ordre de regagner le siège de leur commandement. Ils partent. ⁂ Pas tous. Le général Boulanger, commandant le treizième Corps, n’a pas quitté Paris. C’est ce soir, 30 novembre, qu’a lieu le dîner de la promotion de Crimée-Sébastopol. Des jeunes Saint-Cyriens nommés sous-lieutenants le 1er octobre 1856, le général Boulanger est aujourd’hui le plus élevé en grade : et il ne veut pas renoncer au plaisir de trinquer avec ses camarades. Peut-être, aussi, espère-t-il que ses partisans vont pouvoir tenter quelque chose. L’occasion semble propice. Le peuple a pu se rendre compte de l’effroyable corruption de ses gouvernants actuels ; il a pu voir jusqu’à quel point il était berné, bafoué, volé. Il sait que tout : places, faveurs, distinctions et croix d’honneur, est à vendre au plus offrant, et que les trafiquants à mandat ont ouvert leurs comptoirs partout, des couloirs de la Chambre à l’Élysée, en passant par les ministères. Peut-être en a-t-il assez. Paris, en tous cas, semble surexcité au plus haut point, frémit comme dans l’attente d’un événement considérable, imminent. Cette agitation fébrile de la grande cité ressemble sans doute à l’exaspération d’une forte femme, lasse enfin des parasites auxquels elle a permis trop longtemps de vivre à ses crochets ; ou bien, elle peut ressembler encore à l’émotion d’une vieille coquette hésitant à essayer une nouvelle toilette qui la rajeunira ou la rendra ridicule. Je pencherais plutôt vers la seconde comparaison. Mon père, auquel je fais part de mon sentiment, hausse les épaules, ricane, sifflote. Il m’a envoyé un télégramme me priant de venir le voir au plus tôt. Maintenant, qu’a-t-il à me dire ? Pas grand’chose, sinon qu’il assiste au dîner de la promotion Crimée-Sébastopol, chez Narquerie, et qu’il me recommande de venir le retrouver au restaurant, à onze heures. En uniforme ? Non, en civil. Pourquoi faire ? Je verrai ; mais, comme il est six heures passées, il lui faut se hâter de se mettre en tenue. Alors, à ce soir ? À ce soir. ⁂ J’ai à peine eu le temps de pénétrer dans un petit salon qui précède la salle où se termine le bruyant banquet, que mon père vient me rejoindre. — Jean, me dit-il à demi-voix en me prenant par la main et en m’attirant dans un coin, je compte absolument sur ta discrétion. Tu vas être mis au courant d’une combinaison politique de la plus haute importance et qui, j’espère, réussira. Nous nous sommes décidés à insister auprès du Président pour qu’il ne donne pas la démission qu’on lui réclame, et à lui offrir un excellent moyen de conserver le pouvoir. Un personnage de nos amis, ici présent, doit se rendre immédiatement à l’Élysée. Tu vas l’accompagner ; c’est entendu. Un plan magnifique, tu verras. Je suis sûr du succès. Et le succès, ça nous vaudra quelque chose. Pour mon compte, je deviens chef de la Maison militaire du Président. C’est de l’or en barre. Quant à toi, ton avenir... Mais pas de temps à perdre. Je vais chercher notre ami ; un moment... Mon père disparaît, et revient deux minutes plus tard, accompagné du personnage dont il m’a parlé. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, grand, sec, physionomie ouverte, traits accentués et légèrement fatigués. Mon père me présente, le Personnage me serre la main, et nous partons. Nous montons dans un coupé de cercle qui attend devant le restaurant et qui, rapidement, nous conduit faubourg Saint-Honoré. Le Personnage descend, pénètre dans le Palais. Il est convenu que je dois l’attendre dans la voiture. J’attends. J’attends, sans exagération, une bonne heure. Le Personnage est-il mort ? Y a-t-il des oubliettes à l’Élysée ? A-t-il été saisi par Wilson, qui l’a ligotté avec des grands cordons de la Légion d’honneur, l’a bâillonné avec de vieux numéros de la Petite France, l’a marqué au front du cachet présidentiel, et ne le relâchera que contre rançon ?... Suppositions excessives, craintes chimériques. Voici le Personnage qui revient, le sourire aux lèvres ; les lueurs d’un bec de gaz, un instant, éclairent ce mince sourire. Il donne une adresse au cocher, s’installe auprès de moi, et, pendant que le coupé repart au grand trot, me met au courant du résultat de sa visite. — Ça y est ! Ça y est ! Le Président accepte. Je savais bien, moi, qu’il accepterait. Grévy est un vieux renard qui connaît à fond le tempérament français, qui sait que le peuple, en dépit de tout, a la défiance des phraseurs et des parlementaires, et qu’il ne les suivra jamais s’il peut faire autrement. Grévy se rappelle qu’il n’a dû son élection à la présidence de l’Assemblée de Bordeaux qu’à ce fait qu’il avait contrecarré la Délégation de Tours, Gambetta et sa queue ; et il sait que ce sont les gambettistes d’alors et leurs petits, gavés aujourd’hui, qui hurlent après ses chausses. Il m’a écouté silencieusement, puis s’est levé. « J’ai besoin, m’a-t-il dit, de considérer sérieusement la proposition que vous me faites. Veuillez m’accorder un quart d’heure de réflexion. » Il m’a laissé seul et n’a reparu qu’au bout d’une longue demi-heure. « Je consens, a-t-il déclaré, à toute combinaison qui me permettra de ne point quitter mon poste comme un serviteur infidèle ou comme un soldat déloyal. Quelles que soient les fautes commises autour de moi, et qu’on a fort exagérées, je n’en suis pas responsable. Que gagnerait le pays à mon départ ? Rien. Il verrait s’ouvrir une ère de troubles misérables et de scandales monstrueux. Ah ! si vous connaissiez ceux qui nous jettent des pierres à présent ! Je les connais, moi, les scélérats, et je n’ai pas l’intention de me faire, de gaîté de cœur, leur bouc émissaire. Donc, si vous pouvez, d’ici deux heures du matin, trouver les éléments d’un cabinet solide, je suis votre homme. J’adresserai immédiatement aux Chambres un message dans lequel je déclarerai que je reste en fonctions ; je constituerai un nouveau ministère ; le général Boulanger aura le portefeuille de la Guerre ; des gens sérieux seront les titulaires des autres portefeuilles. Ce cabinet aura pour première mission de prononcer la dissolution du Parlement et de procéder à des élections générales. Je donnerai la parole au peuple. Maintenant, un point reste à débattre. Il faut, comme président du Conseil, un homme de caractère irréprochable, qui ait la confiance de la population. Qui voyez-vous ? » J’ai proposé Anatole du Foyer, l’intégrité privée, l’impartialité politique en personne ; et, au cas où il n’accepterait point, Klocroy, cher aux Parisiens, surtout comme parent du poète. « Bien, a dit le Président ; revenez avec l’un d’eux et le général. Je vais rédiger mon message ; après avoir conféré avec ces messieurs, je l’enverrai à l’Imprimerie. Je vous attends jusqu’à deux heures. » Et voilà. — Alors, demande-je, tandis que le Personnage se frotte les mains, nous allons chez Anatole du Foyer ? — Oui ; un être vide et pompeux, que la dérision du Sort a transformé en symbole vivant de l’Honneur ; une moule ; juste ce qu’il nous faut. Dans quelques semaines, nous aurons enfin un gouvernement fort, un Parlement plein d’hommes intelligents. Et puis, la revision de la Constitution, et puis... La France, mon jeune ami, est sur le point de s’engager dans une voie nouvelle... La voiture s’arrête et nous allons sonner à la porte de la maison qu’habite M. du Foyer. Avec quelque difficulté, nous pénétrons jusqu’à son appartement. Un domestique nous apprend que son maître est absent. Est-ce vrai ? Absolument sûr. Où pouvons-nous espérer le trouver ? Le domestique ne sait pas ; il nous donne une adresse, deux adresses. Nous voilà repartis, brûlant le pavé, carillonnant aux portes des maisons indiquées, nous informant. En vain. Anatole du Foyer n’a été vu nulle part ; on dirait un être légendaire, une création de l’imagination vertueuse des foules. — Où est-il passé ? Où s’est-il caché ? demande le Personnage en se tordant les mains. Dans quelle cave s’est-il terré ?... Ah ! l’animal ! Voilà trois quarts d’heure qu’il nous fait perdre. C’est assez. Tant pis pour lui. Rabattons-nous sur Klocroy. Chez Klocroy — pas de Klocroy. On pense que nous pourrons le rencontrer aux bureaux du journal Le Falot. C’est une chose dont, pour mon compte, je suis loin d’être certain. Je commence à croire, ou à une facétie du hasard, ou à une conspiration d’un nouveau genre. Mais le Personnage est d’un autre avis. — Si l’on nous dit que Klocroy est peut-être au Falot, prononce-t-il dès que le coupé s’est remis en route, c’est qu’il y est sûrement. Et s’il est au Falot, c’est qu’il est au courant de tout. — Mais qui l’aurait informé ?... — Les murs. Les murs ont des oreilles... S’il est au courant de tout et s’il ne disparaît pas de l’horizon, c’est qu’il est prêt à accepter. Du reste, nous allons bien voir ; nous voici arrivés. Voulez-vous m’attendre cinq minutes ? Le Personnage descend, disparaît. J’attends donc, sans impatience ; mes pensées, si elles n’étaient point aussi indifférentes, tourneraient plutôt au scepticisme ; je suis plein de la tranquille certitude que la magnifique combinaison échouera, qu’on ne trouvera pas plus de Klocroy qu’on n’a trouvé d’Anatole. Cependant, un tableau s’ébauche, se complète en mon esprit, de la vie nouvelle qui s’ouvrirait pour la France, si les avides bavards qui la gouvernent faisaient place à des hommes d’action. Puis, je pense à la bonne fortune que ce serait pour mon père et pour moi... mon père, chef de la Maison militaire du Président, moi... Et tout d’un coup, un désir violent me saisit de voir la combinaison réussir ; la conviction m’empoigne qu’elle doit réussir, qu’elle réussira. J’attends anxieusement, comptant les minutes... huit, dix, douze... J’écoute. Il me semble entendre un bruit de pas... Oui. Deux hommes apparaissent ; le Personnage et un autre. C’est Klocroy. Le Personnage me présente rapidement, Klocroy et lui s’installent, je prends place sur le strapontin et nous partons. Un énervement intense, une sorte de fièvre, s’empare de moi. Je cherche à distinguer le visage de Klocroy, à la lueur des réverbères, à y lire l’énergie véhémente, l’enthousiasme qui me pénètre. Ils restent muets, le Personnage et lui, et il me semble que leur silence est l’expression même d’une inflexible détermination... La voiture remonte une rue, longe le boulevard et s’arrête devant le restaurant Narquerie. Je descends le premier, le Personnage me suit. Juste comme il met pied à terre, une bande de noctambules passe à côté de nous, nous coudoie, nous bouscule un peu. Klocroy, encore dans le coupé, referme violemment la portière et crie au cocher, d’une voix que la terreur étrangle : — Cocher ! Place de la Bastille ! Vite ! vite ! Le cocher, immédiatement, fouette son cheval qui part comme un trait. Et, muets de surprise et de désespoir, nous regardons la voiture s’éloigner, disparaître. Que faire ? Que faire ?... — Rien, dit le Personnage, au bout d’un moment. Rien... Non, rien, reprend-t-il d’une voix sourde. Pourquoi ce couard a-t-il fui ? Il a cru que ces noceurs étaient des agents, sans doute, et qu’ils venaient l’arrêter. Ah ! Dieu de Dieu ! des hommes, ça ! Des représentants du peuple ! Allons... Le Personnage se dirige vers le restaurant, monte l’escalier. Je le suis. Nous pénétrons dans le petit salon. Mon père, au bruit des pas, s’est précipité. — Eh ! bien ? Eh ! bien ?... Un silence complet s’est fait subitement dans la grande salle, et il me semble entrevoir, derrière les portières, quelques silhouettes aux aguets. Le Personnage explique, en peu de mots, ce qui s’est passé. Mon père balbutie : — Mais... mais... mais... mais... — Foutu, quoi ! conclut le Personnage avec un geste désespéré. Ce ridicule poltron nous a fichus dans le lac, mon vieux. C’est foutu. Mon père, tout pâle, recule jusqu’au mur, s’y appuie. Une pendule, très distinctement, sonne deux heures. L’année 1888 a commencé sous d’heureux auspices. Le premier janvier, M. Xavier Delanoix a été créé chevalier de la Légion d’honneur. (Services exceptionnels.) Voilà une distinction qui n’a pas été volée. Je ne veux pas dire par là que Delanoix serait encore capable de voler quelque chose. Il y a déjà longtemps qu’il ne vole plus. À vrai dire, je crois qu’il y aurait quelque injustice à lui faire un crime des peccadilles qu’il a pu commettre autrefois. Il est parvenu, après avoir beaucoup louvoyé, à débarquer dans l’île escarpée et sans bords ; et c’est là l’important. L’entreprise n’est point aisée, quoi qu’on en dise ; l’honneur civil se différencie, en ses origines sinon en sa nature, de l’honneur militaire ; ce n’est pas une prérogative ; c’est, généralement, un résultat ; on n’en est point investi en recevant une paire d’épaulettes ; le plus souvent il faut l’acquérir. Il faut s’efforcer de l’atteindre, même par des procédés qu’on réprouve et qui ne sont qu’à demi blâmables dès qu’on ne les considère que comme transitoires ; dès qu’on demeure convaincu que l’honnêteté, sitôt qu’elle devient possible, constitue, comme disent les Anglais, la meilleure des politiques. Delanoix, donc, est consacré homme de probité et d’honneur ; il est une preuve vivante de cette grande vérité : qu’on n’est pas béni par les anges avant d’avoir lutté contre eux. Au point de vue commercial, les bons offices de Delanoix envers le pays sont bien connus et fort nombreux ; ils vont par bande, et même par contrebande. Mais les services exceptionnels qui lui ont valu la croix d’honneur sont d’un caractère plutôt politique. En fait, c’est lui qui a provoqué l’élection de Sadi Carnot à la présidence de la République. Grand ami et admirateur de Jules Ferry — qu’il n’avait renié que pendant deux ans à peine — il a su faire en cette circonstance le sacrifice de ses préférences et de ses sympathies. Il a convaincu la grande majorité des parlementaires républicains de la nécessité d’abandonner leur chef. Il leur a parlé, avec une émotion communicative, du Devoir, de la France, peut-être aussi de leurs intérêts ; il leur a fait comprendre qu’il fallait à tout prix écarter les dangers d’une perturbation. Il les a conjurés d’abandonner leur ami et de voter pour l’être neutre et décoloré dans la nullité duquel il pressentait la meilleure sauvegarde du parlementarisme. Tout en agissant ainsi par pur patriotisme, Delanoix a tenu à donner à l’homme politique qu’il désertait de nouveau un témoignage de son estime et de sa vénération personnelles ; il avait fait modifier la coupe de sa barbe avant de se rendre au Congrès et avait adopté les favoris si longtemps chers à Jules Ferry. On voit que Delanoix ne manque pas de délicatesse, en dépit de ses fermes convictions républicaines. Les convictions républicaines redeviennent à la mode. Bien des gens qui les reniaient hier les affirment aujourd’hui ; ils ont cessé de voir briller l’étoile de l’homme à la barbe blonde. Pour le commun des mortels, Boulanger n’est pas mort, loin de là ; mais pour les gens perspicaces, il est virtuellement enterré ; par conséquent, il ne vaut pas un chien vivant. Croyez-vous que mon père en soit là ? Mon Dieu, oui, il en est là. — Oui, j’en suis là ! Quand on est chef de parti, on agit autrement. On ne laisse pas ses partisans en panne sous prétexte de légalité. La légalité ! En voilà une balançoire pour enfants de chœur ! Et maintenant, les tripoteurs du Palais-Bourbon peuvent dormir tranquilles avec leur homme en bois à l’Élysée et un civil au ministère de la guerre ! Mon père parle très haut, dans la salle à manger de son appartement où nous déjeunons ensemble au commencement d’avril, un jour ou deux après l’intallation de M. de Trisonaye rue Saint-Dominique. — Un pékin au ministère de la guerre ! Il y a de quoi faire rougir cette sauce blanche. Et on l’a mis là sous prétexte qu’il faut réformer notre organisation militaire. Réformer ! Mais c’est aussi impossible que de donner un croc-en-jambe à un cul-de-jatte. Tout ficherait le camp aussitôt qu’on poserait la patte dessus. Et puis, il faudrait une patte solide. Tu l’as vu, toi, le ministre ? Tiens, tu vois cette asperge-là ? C’est ça, comme envergure. Il donne l’impression d’une souris blanche ; pas blanchie sous le harnais. Par exemple, voilà un poulet qui n’y a pas blanchi non plus, sous le harnais... Ce qu’il est noir ! On dirait Carnot. Parole d’honneur, il est en bois. Si j’avais dix ans de moins, et lui aussi, j’essayerais de le découper en m’asseyant dessus. Dis donc, Cornac, pourquoi vas-tu chercher tes poulets au musée de Cluny ? Est-ce que tu les achètes au stère ou à la corde ? — Mon général, répond l’ordonnance, c’est pas moi qui achète la volaille. — Je vois. C’est Lycopode. Alors, il n’y a rien à faire. Cette pauvre Lycopode, elle est dévouée comme un terre-neuve, mais pour la cuisine, c’est un chameau. De plus, elle a la longévité de l’éléphant. Cornac ! Sais-tu combien de temps vivent les éléphants ? — Non, mon général. — Alors, pourquoi t’appelles-tu Cornac ? — J’sais pas, mon général. Mes parents s’appelaient comme ça. — Voilà les résultats de l’institution familiale ! Les parents de Cornac s’appellent Cornac, et ils procréent un Cornac. Les parents de Larbette le bossu s’appelaient Larbette, et ils produisent en même temps trois Larbette, un Gambetta et un Trisonaye ; sans compter les autres. Le petit bossu, le notaire de Preil — tu te souviens, quand tu étais enfant ? « Et jamais on n’avait vu — un petit bossu — aussi résolu... ». Il en a couvé, du monde, sous sa bosse ! Et du drôle de monde, qui n’a pas pu entrer en danse complètement jusqu’ici, mais qui va se mettre à secouer ses puces, je ne te dis que ça ! Avec l’homme en bois pour donner le branle, du haut de son intégrité, et Trisonaye pour battre la mesure avec nos sabres... Veux-tu que je te dise, mon garçon ? Nous avons travaillé pour eux en poussant au cul du char à Barbapoux. À propos, en voilà un qui va boire un bouillon !... — Tu crois ? — Un peu. Il y a longtemps que je te l’ai dit : il sera perdu par les femmes. Qu’est-ce que ça veut dire, tout ce qu’il a fait ? Sa démission, ses élections, toutes ces farces ? Et son hôtel, et tout le tralala ? C’est un panier percé. S’il avait eu le sens commun, il se serait installé à Paris, dans un coin ; tiens, dans l’ancien appartement du général Lamarque ; il était justement à louer. Il se serait montré de temps en temps, vêtu d’une vieille redingote, raide de dignité ; et avec sa femme à son bras... Dame ! Quand on veut arriver... Au lieu de ça... Il finira comme le duc de Schaudegen, par un suicide, vrai ou simulé. Authentique, probablement. Ou bien, un de ces quatre matins, il va se trotter avec des jupons dans ses bagages. — Il reviendra — Quand le tambour battra — Quand le clairon sonnera... — Veux tu te taire ! il ne reviendra même pas quand sonnera le clairon de l’huissier le sommant d’avoir à comparaître devant la Haute Cour qu’on va convoquer avant peu. Il est fini, le Henri IV démocratique. Et quant à son bon peuple, tu vois comme il le lâche, tu vas voir comme il va le lâcher ; aussi facilement que les parlementaires ont plaqué Ferry, au mois de décembre. Ça n’a pas de moelle, tout ça. Ça fait semblant de s’emballer, mais ça ne va pas loin. Non, pas de nerf ! On peut les faire grincer des dents, mais pour les faire crier au charron, y a pas mèche. Le rôle de l’armée est terminé avant le lever du rideau. L’opposition au régime établi ne pourra s’appuyer, désormais, que sur la prêtraille. Le pape va faire sonner aux évêques, un de ces jours, afin de les mener à l’assaut de la République sous le drapeau tricolore. « À gauche alignement ! commandera Sa Sainteté. Et attention au commandement. Je ne veux entendre qu’une crosse ! » — Vraiment, père, tu vois les choses bien en noir. — Et même en violet. Si tu crois que tout cela me réjouit le cœur !... Les filous du parlement vont se mettre à se venger de tous ceux qui ont trempé dans la Boulange. Si je deviens jamais général de division... Pourtant, tout le monde sait que si j’ai suivi un instant Boulanger, c’était parce que je pensais servir la France. J’étais toujours décidé à l’abandonner dès qu’il ne jouerait pas franc jeu ; il est bien vrai qu’en attendant... Qu’est-ce que tu veux ? Il y a des animaux dont on tire du lait avant d’en faire du bouillon. Enfin, j’ai toujours désiré le bien de mon pays. Un militaire doit servir la France avant de servir le gouvernement. Tout le monde est d’accord là-dessus. Malgré tout, je ne suis pas tranquille ; surtout depuis que ce Trisonaye est au pouvoir... Et quelque chose me dit qu’il en a pour un bout de temps... — Est-ce qu’il n’avait pas le portefeuille de la guerre, en 1870, à la Délégation de Tours ? — Ah ! s’écrie mon père avec fureur, ne me rappelle pas ça ; il y a de quoi me rendre fou ! Je ne sais que faire. J’ai été voir Delanoix, hier, et lui ai demandé de s’interposer en ma faveur, le cas échéant. Il n’a pas refusé, mais a promis de telle façon que j’ai bien vu qu’il n’y a pas à compter sur sa promesse. Il joue à l’honnête homme, il pose à l’incorruptible ! Ah ! la crapule ! Quand je pense à tout ce qu’il me doit ! N’est-ce pas moi qui ai marié sa fille ? Hein ? N’est-ce pas moi ? Tu te rappelles, j’espère... Raubvogel, lui, a toujours été reconnaissant ; sa femme aussi. Voilà des bons parents. Mais ce Delanoix ! Ah ! le cochon !... Attends un peu ; qu’il m’arrive quelque chose et tu vas voir ! Je vends toutes les mèches ! Je casse du sucre sur tout le monde ! Et j’en sais ! Et j’en sais !... Cornac, qui apporte une carte sur un plateau, interrompt mon père. Jeter les yeux sur la carte, pousser un cri, se lever, se précipiter vers la glace afin de remettre en ordre sa toilette, voilà ce que mon père sait faire en moins de temps que je ne pourrais le dire. C’est étonnant comme il est agile, vif, malgré son embonpoint et son âge. On lui donnerait à peine cinquante ans ; et je me prends à l’envier, presque ; à jalouser son exubérance, son insouciance, l’inconsciente et rapide naïveté de son langage et de ses mouvements, tout, jusqu’à sa vie mouvementée et amusante, que je compare tristement à la monotonie de la mienne. Il a compris l’existence, lui... — Tu m’excuses, n’est-ce pas ? me demande-t-il en quittant la salle à manger. Si tu es pressé, ne m’attends pas ; j’en ai peut-être pour quelque temps. Il sort. Il a oublié la carte sur la table ; je l’attire à moi. « Baronne de Haulka. » Je crois connaître ce nom ; mais où diable... ? Ah ! je me souviens ; c’est le nom d’une dame avec laquelle mon père s’était lié lorsqu’il était attaché à l’ambassade de Berlin. S’il revenait ici cinq minutes, je lui demanderais des détails. Je lui demanderais aussi de m’avancer quelques louis dont j’ai justement besoin. Mais il ne revient pas. Je vais sortir lorsque j’aperçois dans une coupe, sur une console, deux billets de cent francs pliés en quatre. Juste mon affaire. Je mets les billets dans ma poche et je cherche un crayon, de façon à laisser un mot explicatif. Je ne trouve pas de crayon. Ça ne fait rien. Demain, je mettrai mon père au courant de mon larcin. ⁂ Pendant quatre ou cinq jours, je suis tellement occupé qu’il m’est absolument impossible d’aller rendre visite à mon père. Cet après-midi, cependant, comme je puis disposer d’une heure ou deux, je me décide à aller le voir au ministère. Je le trouve dans son bureau, se promenant de long en large, le cigare aux lèvres. Il vient à moi, la main tendue, un large sourire éclairant la face. — Eh ! bien, mon petit, je suis hors de difficultés. Tu vois qu’il y a une providence pour les... enfin, pour ceux qui en sont dignes. Et tu vas voir combien ce que je t’ai dit dernièrement, au sujet des femmes, est vrai. Boulanger, qui ne les connaissait pas, est perdu par elles ; moi qui les connais, je me sauve par elles. Sais-tu qui est venu me voir, l’autre fois, à la fin de notre déjeuner ? C’est la baronne de Haulka, une femme que j’ai connue à Berlin, et qui a les relations les plus hautes et les plus étendues. Sa situation sociale est telle que son influence est énorme dans plusieurs pays, même en France. Je t’avoue que j’ai été légèrement surpris lorsqu’elle m’a proposé de s’occuper de mon affaire ; elle me disait bien être dans les meilleurs termes avec Trisonaye ; mais je ne m’attendais guère au succès de ses démarches. J’avais tort. Elle a tout arrangé au mieux. Hier, j’en ai eu la preuve ; le ministre m’a fait appeler et nous avons causé pendant une grande demi-heure. C’est un homme charmant, absolument charmant ; je crois fermement qu’il accomplira de grandes réformes. Au fond, après les histoires de ces temps derniers, la présence d’un civil au ministère était indispensable. Il faut voir les choses telles qu’elles sont. Bref, il est entendu que je vais être relevé de mes fonctions ici, et qu’on va me donner le commandement d’une brigade quelque part. L’air de la campagne me fera du bien ; je n’aurai pas à essuyer les regards courroucés d’anciens coreligionnaires politiques, et ce ne sera qu’une affaire de huit ou dix mois. Après quoi, je reviendrai à Paris, sans doute avec les trois étoiles. Je ne pouvais pas rêver mieux. Et tout cela, tu le vois, grâce à la baronne de Haulka ; c’est-à-dire, par conséquent, à ma profonde connaissance des femmes. Malgré tout, je lui dois une reconnaissance éternelle. Éternelle !... Qu’est-ce que tu dis de ça, mon vieux lapin ? demande-t-il en me tapant sur le ventre. J’ai écouté avec émerveillement, et je présente mes félicitations. Mon père fredonne les Pioupious d’Auvergne, et reprend au bout d’un instant : — C’est une chance ! Si je n’étais pas veuf, on pourrait comprendre, mais vraiment... Ah ! à propos, il faut que je te dise : tu sais, Cornac, le fameux Cornac, l’abruti de Cornac ? Il m’a volé... Il m’a pris deux billets de cent francs qui... J’interromps mon père ; je lui apprends ce qui s’est passé, je lui dis que je suis seul coupable. — Ma foi ! s’écrie-t-il, c’est bien embêtant ! J’ai fait arrêter Cornac ; il est en prison, en prévention de conseil de guerre. Que faire ? — C’est bien simple ! Il faut expliquer ce qui s’est passé, retirer ta plainte, et ne pas laisser condamner un innocent. — Jamais de la vie ! Je serais propre ! — Si tu ne le fais pas, je le ferai sûrement. — Eh ! bien, essaye ! hurle mon père. Si tu fais une chose pareille, je te renie ! Je te maudis ! Je fais plus : je te déshérite ! — Tu n’as pas le sou. — Tu crois ça ?... Attends un peu, mon garçon, et tu vas voir ! Tu vas voir si je n’ai pas le sou. D’ici un an, tu m’en diras des nouvelles !... Ah ! réellement, continue-t-il en s’asseyant et en prenant sa tête dans ses mains, l’ingratitude des enfants est épouvantable ! Après tout ce que j’ai fait pour toi, mes sacrifices, mes conseils, les exemples que je t’ai donnés !... Ah ! nos vieux et chers sentiments familiaux, où sont-ils ? Où sont-ils ?... — Mais, père, je ne comprends vraiment pas en quoi... — Tu ne comprends pas ! Mais, malheureux, si je vais déclarer que j’ai commis une erreur, que j’ai fait incarcérer un innocent, j’attire l’attention sur mon nom. L’infâme presse boulangiste, toujours altérée de scandale, s’empare du fait ; je suis discuté, bafoué, insulté ; on me représente comme un misérable ou comme un imbécile, et je suis perdu. Que peut le ministre lui-même contre l’opinion publique déchaînée ? Rien. Je serais fichu, foutu, archifoutu. Et, après m’être tiré du mauvais pas dans lequel je m’étais engagé, j’irais me fourrer dans un pareil guêpier ? Tu n’y penses pas ! — Cependant, il est tout à fait impossible... — Je ne veux rien savoir !... Je ne désire pas plus que toi laisser condamner un innocent, mais pourtant il faut que je tienne compte de ma situation spéciale. Voici donc ce que je ferai : au moment où Cornac passera devant le conseil de guerre, j’irai trouver le président et lui demanderai, sous des prétextes et comme un service personnel, d’acquitter le prévenu. L’acquittement sera certainement prononcé. Ne me demande rien de plus. Je n’insiste pas. Je ne fais pas, alors, plus de réflexions philosophiques que je n’en veux faire ici. À quoi bon ? Vous vous demanderez peut-être, il est vrai, si je cesse complètement de penser à Cornac, et si je ne lui porte aucun intérêt. Je ne porte pas d’intérêt. Je porte une épaulette. Néanmoins, si vous voulez savoir ce qui s’est passé, je vais vous le dire. Grâce à l’intervention de mon père, Cornac été acquitté par le conseil de guerre et versé dans un escadron du train. Il a eu d’abord à subir la punition infligée à tous les hommes qui passent devant le conseil de guerre, qu’ils soient condamnés ou non : soixante jours de prison. Ensuite, son peu d’habileté à des manœuvres qu’il ne connaissait pas, ayant toujours été ordonnance, l’a fait punir fréquemment ; chacune de ses punitions a été terriblement augmentée en suivant la voie hiérarchique ; quatre jours, huit jours, quinze jours, un mois, deux mois de prison. Ce qui, ajouté aux deux premiers mois, a donné un total de cent-vingt jours d’incarcération. Juste ce qu’il faut pour entreprendre un voyage à Biribi. (Voir Biribi, Armée d’Afrique.) Cornac a donc été envoyé à Biribi. Dès son arrivée à Gafsa, il a été accusé d’avoir insulté un supérieur, et condamné, pour ce fait, à dix ans de travaux publics. On pourrait faire là-dessus beaucoup de commentaires. Je préfère m’abstenir. ⁂ Mon père a quitté la capitale pour aller prendre le commandement d’une brigade d’infanterie, à L... La ville de L... a, paraît-il, fait le meilleur accueil au héros de Nourhas. Quant à moi, je ne m’amuse que modérément à Paris. Si le général de Porchemart ne me pressait pas de n’en rien faire, je demanderais certainement à être réintégré dans un régiment. M. de Trisonaye paraît s’affermir de jour en jour au ministère. Le petit bossu de Preil doit se frotter les mains. Les Parlementaires, bien que harcelés encore par la meute boulangiste, affichent la certitude d’un triomphe prochain et définitif ; on parle de mesures de rigueur qu’ils sont prêts à employer contre leurs adversaires, de poursuites, d’arrestations, etc. On épure à tour de bras. Le ban et l’arrière-ban de l’opportunisme, la queue de la queue gambettiste, occupent, enfin, les situations enviées. Les deux Larbette que leur frère, autrefois, appelait les deux vauriens, ont trouvé leur voie, l’un dans la diplomatie, l’autre dans les prisons et non dans la prison. M. Albert Curmont est préfet, préfet à poigne ; M. Curmont père, trésorier-payeur. D’autres se casent tous les jours, tant bien que mal, aux frais des contribuables. Ils arrivent en file indienne, nombreux et avides, pareils aux animaux sortant de l’arche de Noé. Le peuple semble oublier rapidement ses égarements militaires, ses faux appétits de gloire ; il devient de plus en plus placide. De grands efforts sont faits pour le convaincre de la nécessité de la paix, de la stabilité de cette paix, pour lui donner une calme confiance en lui-même. On parle de découvertes merveilleuses qui assurent à la France une énorme supériorité sur les autres nations. On affirme que les effets de notre artillerie seront douze ou quinze fois plus meurtriers que par le passé ; on exalte la mélinite ; on s’étend sur les terrifiants résultats de poudres nouvelles, d’obus mystérieux dont la puissance pénétrante est incroyable (bien qu’ils détonnent au premier choc, comme j’ai pu m’en convaincre). On annonce la fabrication d’explosifs plus formidables encore. Persuadée de l’immense valeur des engins à son service, la nation doit nécessairement renoncer à ses dispositions plus ou moins belliqueuses, et s’abandonner sans réserves à la bienfaisante tutelle du Pouvoir civil. C’est le triomphe des pékins. Des voyous, ainsi que dit mon père dans une lettre qu’il vient de m’adresser et où, à l’occasion de l’avènement de l’Empereur Guillaume II, le 15 juin 1888, il m’assure que les sentiments intimes du nouveau monarque allemand sont aussi pacifiques que ceux de nos gouvernants. Mon père semble très au courant de la politique étrangère. Je soupçonne la baronne de Haulka de lui faire de fréquentes visites. Peut-être même s’est-elle installée à L. Je ne suis sûr de rien. Mon père m’apprend qu’il espère revenir à Paris avant peu. Les sentiments patriotiques de la ville de L. sont, dit-il, des plus douteux ; pourtant, elle possède une Société de tir à l’arbalète rayée qui vient de le nommer président d’honneur. « Voilà enfin une présidence, écrit-il ; qui sait ? peut-être un acheminement à la présidence du Conseil. » Mon père serait-il devenu ambitieux ? ⁂ Pour moi, je dois avouer que l’ambition me fait peur. D’abord, elle menace mon indifférence générale et ma paresse d’esprit ; elle effraye mon scepticisme, ce compagnon complaisant dont le sourire toujours prêt décourage les provocations de l’effort. Ensuite, j’ai pu me rendre compte récemment des terribles exigences de l’ambition et de la difficulté que des imbéciles mêmes, que ne gêne aucune idée, éprouvent à les satisfaire ; de plus, il m’est donné de constater tous les jours quels épouvantables ravages elle peut exercer dans une âme bien trempée lorsque les moyens de l’assouvir ont disparu sans espoir. Le général de Porchemart se meurt. Ce qui le tue, ce sont les déceptions qu’il a éprouvées, l’impossibilité où il se voit de jouer jamais le rôle pour lequel il avait jalousement réservé l’expression pleine et réelle de son être. Et ce rôle, il n’a pas pu le jouer parce que, en dépit de sa grande habileté, il a laissé pressentir l’intelligence et l’énergie qui étaient en lui. Ces qualités viriles du général de Porchemart que j’étais certes loin de soupçonner, bien que j’eusse vécu dans son intimité depuis de longs mois, se sont révélées à moi tout d’un coup. J’ai vu que cet homme qui avait toujours vécu, par choix, dans une demi-obscurité, qui avait toujours été un isolé et un taciturne, intriguant seulement par à-coups, avait une âme ardente et forte ; j’ai vu aussi que des circonstances sordides avaient empêché cette âme de briser l’enveloppe de médiocrité qu’elle s’était faite et de jaillir, flamme de réalité dévoratrice de mensonges, comme un signal d’action. Le général de Porchemart avait puissamment, bien qu’indirectement, contribué à la chute de Boulanger. Il espérait le remplacer au ministère. S’il eût pu y réussir, il aurait mis à exécution, de suite, un plan qu’il avait longuement mûri et dont voici les principales lignes : En finir immédiatement avec Boulanger par la simple publication de documents écrasants concernant le brave général de la duchesse ; exposer les insuffisances de notre système militaire ; établir un projet de réorganisation complète sur la base la plus démocratique ; présenter ce projet au Parlement, même contre l’avis des autres membres du cabinet ou du Président ; l’obliger à prendre parti pour ou contre cette transformation de l’armée incohérente actuelle en une armée vraiment nationale ; et, en cas d’opposition du Parlement, provoquer immédiatement, par des moyens sûrs, une guerre avec l’Allemagne. — La constitution d’une armée nationale, m’a dit l’autre jour le général, constitution qui n’a pas été et ne sera jamais effectuée par des votes d’Assemblées, se serait alors opérée sous le feu. Nous aurions été vainqueurs ou vaincus, je ne sais pas ; mais la défaite, même irrémédiable, eût été préférable à notre existence actuelle. Il vaut mieux être mort que d’exister par tolérance. Les forces du général de Porchemart diminuent rapidement ; il sait qu’il n’a plus que quelques jours à vivre et a tenu à les passer dans l’isolement le plus complet ; à part sa femme qui lui fait de rares visites, qu’il abrège, je suis la seule personne qu’il admette auprès de lui. J’ai classé certains de ses papiers, qu’il veut léguer à un ami ; j’en ai détruit beaucoup d’autres. Il a laissé tomber devant moi ce masque d’indifférence froide et silencieuse qu’il a porté si longtemps, et sous la placide conventionnalité duquel les Parlementaires, pourtant, ont su deviner la terrifiante physionomie de l’Individu. — Les Parlementaires sont les maîtres ; et je prévois que leur règne durera, en dépit de tout. L’épée de la France, ce sera l’épée de parade qui bat le flanc du Pipeau. L’École Polytechnique — cette École qui a fait plus de mal au pays que les guerres les plus désastreuses — va fournir par grosses à la nation les gouvernants dont elle est digne. Le Bœuf sortait de Polytechnique, Trisonaye en sort aussi. Carnot aussi. Attendez un peu, et ils vont en sortir tous, pour s’occuper de vos intérêts matériels et moraux ; de vos finances ; pour défoncer vos routes et combler vos canaux ; pour fabriquer votre ignoble tabac et vos allumettes infâmes ; pour bâtir des constructions qui s’effondrent, des ponts qui croulent, des cuirassés qui coulent ; pour vendre vos chemins de fer aux grandes compagnies ; pour vous lancer dans les expéditions coloniales les plus misérables ; pour vous faire admirer leur splendide flair d’ingénieurs, de financiers et d’artilleurs ; pour vous faire cracher au bassinet, et pour se faire graisser la patte à tous les carrefours. Voyez-vous, 1870 + Carnot + Trisonaye + leurs successeurs probables = X. Et, soyez-en convaincu, X = le démembrement. C’est une affaire de temps, simplement. Les propos du général sont d’une effroyable amertume. Je ne veux pas répéter ses sarcasmes et ses invectives contre des gens qui, à un titre ou à un autre, ont influencé ou influencent les destinées de leur pays et qui figureront dans l’histoire de France. Je dirai seulement qu’il les traite, avec preuves à l’appui, de malfaiteurs et de filous. Quant à nos institutions, civiles et militaires, il en fait des éloges pompeux ; affirmant qu’elles ne peuvent convenir qu’à un peuple de braves, assurant que c’est très beau d’avoir partout substitué la discussion à l’action et d’avoir rendu définitif le triomphe de l’anonymat. Il lui arrive de rompre de longs silences pour dire des choses comme celles-ci : « Je suis petit-fils de chouan et j’aurais travaillé à l’avènement du peuple. Je lui aurais donné la guerre, la seule chose qui lui soit nécessaire. Je comprends que les temps de l’aristocratie sont finis, par sa faute, et je hais la bourgeoisie ; c’est une ordure. Pour que la nation se démocratise en réalité, il faut que l’armée se démocratise d’abord, qu’elle devienne l’Armée nationale. Et elle ne se démocratisera que par elle-même, à la gueule des canons ennemis. » « Liberté, égalité, fraternité, compréhension mutuelle, sympathie universelle — toutes ces grandes idées qui pénètrent de plus en plus dans les esprits et imprègnent la raison humaine, ne mourront point dans les carnages d’une nouvelle grande guerre ; mais, au contraire, dépouilleront sous le feu leur forme idéale, utopique, et apparaîtront comme des nécessités simples et pratiques, comme d’indispensables vérités. » « La guerre tue très peu de gens intelligents, même parmi les professionnels. C’est la paix, la cruelle paix d’aujourd’hui, qui saigne à blanc les êtres supérieurs. Je ne crois pas que le conflit de 1870 ait coûté à l’Allemagne un seul grand homme. Quant à nous, nous n’avons guère perdu que Henri Regnault. Une perte ? Le cheval du général Prim suffit à l’étonnement des vétérinaires. » « Napoléon considérait la guerre comme un jeu. Et pourquoi la considérer autrement ? Nous sommes trop sérieux lorsque nous parlons de la guerre. On dirait que nous ignorons l’existence des abattoirs. Un beau paysage a sans doute causé plus de souffrances, en tortures de plantes, en agonies d’insectes, qu’une bataille en douleurs humaines. Fatuité ridicule, de toujours plaindre l’homme et rien que lui. » « Nos chères provinces ne nous ont jamais coûté aussi cher que depuis que nous ne les avons plus. Ce sont de chères provinces. Il faudrait tout de même essayer de les reprendre, par raison d’économie. La chair à canon devrait bien comprendre ça, et descendre de son étal. » « Le malheur de l’humanité vient de ce qu’elle a préféré, en somme, la balance au sabre, la supposant moins meurtrière. Tant que la balance existe, on ne peut juger un homme que par la façon dont il sait donner et recevoir un coup de sabre. C’est assez bête. Pourquoi tolère-t-on la balance ? » Il me semble, je ne puis m’expliquer pourquoi, que le général a une confidence à me faire, qu’il est souvent sur le point de me révéler quelque secret important. Il commence des phrases, hésite, s’arrête ; c’est comme s’il reculait devant le moment où il devra parler. Après tout, il n’y a là sans doute qu’un effet de l’extrême faiblesse du mourant et je me suis déjà reproché plus d’une fois de donner prise à l’extravagance des pressentiments. Mais ces pressentiments, hier, ont été pleinement justifiés. Le général m’a fait signe de m’approcher de son lit. — Écoutez-moi bien, m’a-t-il dit. J’ai de l’affection pour vous et je veux vous en donner la preuve avant de mourir. Vous savez, bien que j’aie toujours de mon mieux caché la chose et la personne, que j’ai une liaison avec une dame. Cette liaison, la première que j’aie jamais eue, a commencé peu de temps avant votre nomination comme officier d’ordonnance. Je dois vous dire aujourd’hui que la dame... Le général a été interrompu par une quinte de toux vraiment terrible ; et, tout en m’empressant, je devinais facilement la commission dont il allait me charger. Un dernier souvenir à porter, des consolations à prodiguer, etc., etc. Je me voyais déjà moi-même, en mon rôle d’ange consolateur, auprès de la jeune femme probablement très jolie et si longtemps invisible ; je m’écoutais parler, d’une voix insinuante... Le moribond, à ce moment, a pu continuer. — La dame qui était devenue ma maîtresse avait été tout d’abord la vôtre. Ne vous récriez pas... Ne m’interrompez pas ; j’ai très peu de forces... Elle s’appelle Mlle Adèle Curmont. Ai-je besoin, maintenant, de vous dire pourquoi j’ai demandé qu’on vous attachât à moi ? Vous comprenez à l’instigation de qui j’ai agi. On m’avait tout dit. On vous avait gardé une rancune affreuse. On voulait que je me servisse de ma position pour vous compromettre irrémédiablement, pour vous obliger à quitter l’armée, pour vous arracher votre épaulette. On m’a fait promettre de vous attirer dans un piège. J’ai promis, me réservant de tenir ma parole au cas où vous seriez un sot ; car je pense que les imbéciles doivent être sacrifiés, partout et toujours. Comme je vous ai trouvé intelligent, j’ai gagné du temps, sous des prétextes... Et puis, voyez-vous, il faut autant que possible éviter de se constituer l’agent de représailles féminines. Si la femme croyait à sa vengeance, la désirait sincèrement, elle se vengerait elle-même. Si elle n’agit pas, c’est qu’elle aime celui qu’elle prétend vouloir frapper ; et, par conséquent, haïrait l’instrument de sa vengeance. Je ne tenais pas à m’attirer l’aversion de la femme dont je parle... C’est une créature supérieure, n’en doutez pas. Ce qu’elle fera, je l’ignore. Beaucoup ou rien du tout. Voyez ce que vous avez à faire ; réfléchissez. Elle pourrait probablement vous aider, dans l’armée ou ailleurs ; la vie n’est facile nulle part. Servez-vous de ce que je viens de vous dire, si vous voulez. L’adresse est là, sur cette lettre que vous voudrez bien mettre à la poste dès que j’aurai quitté cette vallée de larmes... Le mourant a eu la force de ricaner ; et, quelques minutes après, il a repris : — Si je n’ai pas parlé avant aujourd’hui, c’est que j’aurais voulu la revoir. J’aurais voulu. Mais je n’ai pas voulu, tout de même ; par mépris d’une condescendance envers moi. J’ai bien fait. Autant m’en aller avec le souvenir, un souvenir très doux. Elle ne m’aimait guère ; pas du tout ; mais je l’aimais. C’était la première fois que j’aimais. Avant, je n’avais aimé que mon ambition. Une viande creuse, l’ambition. Si. J’avais aimé mon pays. C’est vieux jeu. Il est vrai que j’aurais tout osé ; je l’aurais jeté à la bataille, si j’avais pu. Pouvoir ! Quelle dérision, la toute-puissance des circonstances ! On dirait la force, muette et terrible, de la cohue des cerveaux vides. Soyez moins bête que moi ; tâchez de vivre. Carpe diem. Je parle latin ; mauvais signe... Je... je... Une syncope a interrompu le général. Il est mort peu après. Pendant les quelques jours qui ont suivi, jusqu’aux funérailles, j’ai tenté de mettre devant mes yeux un tableau exact de ma position actuelle et de mon avenir probable ; j’ai essayé de me représenter les avantages et les désavantages d’une réconciliation avec Adèle. J’ai vu que j’étais seul, ou presque seul, car mon père est trop naturellement égoïste pour que je puisse beaucoup compter sur son appui ; et j’ai vu aussi de quel poids pèsent les influences extérieures dans la vie d’un officier. Je suis arrivé à me convaincre qu’il était nécessaire, en tous cas, d’avoir une explication franche avec Adèle ; qu’il me fallait cesser de l’avoir pour ennemie, dussé-je pour cela consentir à en faire une alliée. Je me suis tracé tout un plan de conduite, assez habile je crois, suffisamment machiavélique, et dont j’étais certainement fort satisfait. Mais, une fois revenu du cimetière — et bien qu’un enterrement puisse, moins encore qu’un autre spectacle, me convaincre de la vanité des choses de ce monde — ma résolution m’a quitté. J’ai refusé de discuter davantage avec moi-même ; je me suis décidé à ne faire aucune démarche, aucune tentative, aucun effort. Par paresse d’esprit et surtout dégoût d’action physique, peut-être aussi par curiosité narquoise, je me suis abandonné au sort... Trois semaines après la mort du général de Porchemart qui, sans m’en avoir prévenu, m’a légué une certaine somme, je suis affecté au régiment d’infanterie qui tient garnison à Malenvers. Je remplace un lieutenant qui a été disgracié pour avoir divulgué certaines malversations du colonel ; le colonel a été blâmé, avec tous les égards dus à son rang, et l’officier a été expédié en Corse. Malenvers est une petite ville assez curieuse dont il faudra que je vous donne la description, si j’y pense, dans le chapitre suivant. Un militaire étranger, peu au courant de la politique française, s’étonnerait de voir deux régiments casernés à Malenvers. Cette ville est d’un accès difficile et il est presque impossible d’en sortir ; elle se trouve en dehors de toutes les grandes lignes de communication et l’unique chemin de fer qui y conduit, à voie simple et sinueuse, pourrait à peine être utilisé en cas de mobilisation ; stratégiquement, Malenvers n’a aucune valeur. Malenvers, néanmoins, possède un régiment d’infanterie et un régiment de cavalerie. Voici pourquoi : jusqu’à ces dernières années, Malenvers était un centre anti-républicain, et élisait des députés ultra-réactionnaires ; mais aux dernières élections le gouvernement, qui tenait à assurer le succès de son candidat, un vieil apothicaire nommé Laventoux, promit à la ville une garnison si elle votait bien. Elle vota bien, grâce aux efforts combinés des boutiquiers anxieux de voir augmenter leur clientèle et des femmes qui, d’avance, faisaient fonds sur les culottes rouges pour un supplément de distractions. Laventoux ayant pris place sur les bancs de la gauche démocratique, un régiment de dragons et un régiment d’infanterie débarquèrent dans la ville. L’un eut pour quartier des bâtiments délabrés qui dataient de Louis XV ; l’autre fut caserné dans les ruines d’un couvent. La santé des soldats ne tarda point à se ressentir de ces installations hâtives. Mais cela est de peu d’importance. Voici une chose plus intéressante : si la plupart des habitants de Malenvers, au moins au moment des élections, sont républicains, les deux régiments peuvent être remarqués, même dans l’armée française, pour leur esprit réactionnaire et clérical. Je parle des officiers ; les soldats, bien entendu, ont abdiqué, en endossant l’uniforme, tous les privilèges du citoyen et n’ont le droit ni de professer une opinion, ni même de l’avoir. Le colonel des dragons est un descendant d’émigrés ; la plus grande partie de ses officiers et même de ses sous-officiers appartient à des familles de traîtres, riches, bien-pensantes ; ces messieurs affectent de mépriser la République ; ces misérables affectent de mépriser le peuple. Le colonel consigne son régiment, en marque de deuil, le jour anniversaire de la mort de Louis XVI. Mon colonel à moi s’appelle Durandin. C’est plus qu’un plébéien ; je me suis assuré que son grand-père était aide du bourreau à Brest, pendant la Révolution. Honteux sans doute de cet honnête ancêtre qui eut la gloire de contribuer au raccourcissement patriotique de quelques centaines d’aristocrates, le colonel Durandin affiche une dévotion extrême et pose au gentilhomme. Il a rétabli en fait, dans son régiment, l’aumônier supprimé par la loi. Il a puissamment contribué au développement de l’œuvre de Notre-Dame des Armées que le colonel de dragons a installée à Malenvers. Les locaux affectés à cette œuvre sont devenus trop étroits. On vient d’inaugurer une nouvelle chapelle. C’est par la voie du rapport que les officiers ont été invités à assister à cette inauguration. Comme je n’étais pas présent à cette cérémonie, qui fut, paraît-il, imposante, j’ai été fort mal noté. Les mauvaises notes, je pense, ne doivent point m’être épargnées. J’ai la réputation d’un fricoteur et d’un athée ; d’ailleurs, bien que fils de général, je suis certainement très au-dessous du gentilhomme Durandin, dont la noblesse d’âme sut évoluer des bois de justice au bois de la vraie croix ; très au-dessous des fils de bourgeois qui lui font cortège et qui mouillent d’eau bénite leur gaucherie de courtauds, leur ignorance de cancres vaniteux. Quant à songer à me hisser au niveau des seigneurs authentiques dont les aïeux eurent, en Prusse, de si jolis états de service, ce serait de la folie pure. Je sais trop à quelle hauteur la troisième République, qui s’intitule République française, à su placer cette engeance. On comprend que des gens aussi distingués, aussi supérieurs, ne vivent pas sans un grand train ; il leur faut une nombreuse valetaille. Cette valetaille, ils la recrutent économiquement parmi les citoyens qu’ils ont sous leurs ordres. Et ces citoyens trouvent la chose toute naturelle. Ignorant visiblement qu’ils ne sont envoyés au régiment pendant plusieurs années qu’afin de se mettre en état de défendre leur pays, ils consentent avec joie à consacrer ce temps aux plus serviles besognes. Aux ordres de l’officier, mauvais Français, qui cherche à dresser des laquais au lieu de former des hommes, le soldat, mauvais Français, se soumet avec empressement. Je ne cesse de m’étonner de cette fureur d’asservissement ; je pense parfois que l’obéissance passive est peut-être la forme la plus enthousiaste d’un choix personnel, et qu’il faut autant de courage individuel pour se dépouiller de sa dignité et de son caractère que pour se précipiter dans un torrent ou dans un brasier. Quel contraste entre l’Armée, conception, et l’Armée, fait ! Et quel pouvoir d’imagination maladive dans les êtres et dans les masses pour qu’ils idéalisent les hommes ou les institutions dont l’horreur et l’imposture s’étalent cyniquement ! Ces réflexions m’ont été suggérées, une fois de plus, par un événement assez banal mais que, pourtant, je veux rapporter ici. Lorsque je suis arrivé à Malenvers, on m’a assuré que je trouverais à me loger confortablement chez une dame âgée, veuve de général, qui possède une grande maison sur le cours Saint-Gonzague et qui accepte souvent un officier comme locataire. Je me suis présenté chez la vieille dame ; et quel n’a pas été mon étonnement de retrouver en cette septuagénaire une femme que j’ai connue à Versailles, pendant la guerre de 1870, Mme de Rahoul ! J’ai à peine besoin de le dire, Mme de Rahoul a été enchantée de me revoir ; elle a été ravie d’apprendre que je désirais m’installer chez elle ; elle me traite comme son propre fils. Elle vit modestement de sa pension de veuve de général, et de quelque argent apporté, en même temps que la maison, par un héritage. Nous causons souvent, du présent quelquefois, mais surtout du passé. Et je n’ai pu me défendre d’un mouvement de surprise, et même de colère, lorsque je me suis pour la première fois aperçu du culte qu’elle a voué à la mémoire de son mari. Elle ne parle du général de Rahoul qu’avec des larmes dans les yeux et de l’émotion dans la voix. Cette femme, qui est instruite et intelligente, qui est la bonté même et dont le jugement est sain, a gardé pour l’armée et toutes les choses militaires un respect et un enthousiasme qui touchent à la démence. Elle a tout oublié, les humiliations, les souffrances, les insultes et les trahisons ; elle sait seulement que son époux portait la grosse épaulette, honneur immense, honneur complet. Ce n’est point l’ignoble brute que fut son mari qu’elle se rappelle ; elle a conservé seulement le souvenir d’un héros généreux qu’elle auréole d’un halo de gloire et qu’elle encense de tendresse... Souvent en l’écoutant me parler des grandes qualités du défunt, je songe que cette vieille femme symbolise, sans s’en douter, le sentiment populaire. L’armée... Les hommes sont surtout retenus sous les drapeaux pour l’agrément ou le profit des galonnés, afin de leur créer une permanente raison d’être. Vingt-cinq pour cent sont donnés comme esclaves aux commerçants régimentaires ou comme larbins aux officiers. Vingt-cinq pour cent sont sans cesse employés à des corvées aussi dégradantes qu’inutiles. Le reste est condamné à des travaux pénibles et stériles, à des manœuvres sans objet. Je pense à cela, ce soir, après avoir lu des pages d’un ouvrage de Hœnig dans lequel est démontrée la nécessité d’exercer spécialement la troupe aux travaux de retranchements, dans lequel il est prouvé que les luttes du futur transporteront en rase campagne la guerre de forteresse. C’est l’évidence même. Les terrassements considérables, rapidement exécutés, joueront dans les conflits à venir le rôle le plus important ; l’usage de la pelle et de la pioche doit être aussi familier au soldat que l’usage du fusil. Voilà une chose dont on se doute peu dans l’armée française. Ruse basse plus encore qu’ignorance, peut-être. Fouir le sol, le travailler et le retourner, rapprocheraient sans doute, moralement, intellectuellement et en fait, l’homme de la terre ; cela lui ferait comprendre que cette terre est le patrimoine de tous les Français, qu’il est abominable et impossible qu’elle appartienne seulement à quelques-uns, et qu’elle constitue la Patrie — toute la Patrie... Je rouvre le livre de Hœnig sur la tactique de l’avenir, mais je ne puis arriver à lire, même de l’allemand. Je rêve. Je rêve d’une autre France... Après tout, rêver, c’est avoir la foi. Peu militaire, par conséquent. Je déplie des journaux que je viens de recevoir de Paris. Et je crois rêver encore, ma foi, en lisant dans ces gazettes de longs et élogieux articles concernant mon père. À propos, mon père a été nommé général de division dernièrement, le 1er janvier 1889 (je savais bien que j’avais oublié de vous dire quelque chose), grâce surtout à l’entremise de la baronne de Haulka, très bien en cour, et du petit notaire Larbette auquel le ministre de la Guerre n’a rien à refuser. M. de Trisonaye s’affermit de jour en jour au pouvoir. Il semble vouloir consacrer sa vie entière au service de la France, ainsi que tous les Anciens et tous les Antiques de l’École Polytechnique, — « cette poule aux œufs d’or, dit le président Carnot, qui a donné à la France tant de couvées de bons citoyens ». Mon père n’a point été couvé par la poule aux œufs d’or (il a toujours préféré les cocottes aux poules) mais c’est un bon citoyen tout de même. La preuve, c’est qu’il vient de publier une brochure, Le vrai Ressort de l’Allemagne, où il prouve que la puissance de nos voisins n’a d’autre base que le respect profond de l’élément civil pour l’élément militaire. « À Berlin, dit-il en un éloquent passage, à Berlin (in Berlin, sagt er,) j’ai vu la foule s’écarter respectueusement devant un capitaine d’infanterie. Voilà ce qu’on ne voit pas en France ! » Hélas ! non ; pas encore ; mais ça viendra. Du moins, la presse l’espère ; elle déclare que la brochure de mon père est un chef-d’œuvre ; et elle le représente comme un officier général du plus haut mérite et du plus grand avenir, comme un tacticien hors ligne et comme un puits de science. De plus, elle parle de l’intégrité qui le caractérise, et déclare que la dignité de sa vie privée défie la calomnie. Ça, par exemple... Pourtant, si c’était vrai, à présent ? ⁂ C’est vrai ! C’est vrai ! L’assurance m’en est donnée dès mon arrivée à Paris où je viens, au commencement d’avril, passer les deux mois d’un congé de convalescence (attaque opportune d’influenza). Et qui me la donne, cette assurance ? Mon père lui-même, que je trouve installé dans son ancien bureau du ministère où il a reparu, voici quelques semaines, avec les trois étoiles. — C’est vrai ; voilà plusieurs mois déjà que ma conduite n’a donné prise aux blâmes du critique le plus sévère. Ma vie a été édifiante. Je le dis non sans orgueil, mais sans joie. Tu ne sais pas, toi, ce que c’est qu’une existence exemplaire ! Ne cherche jamais à le savoir ! C’est trop pénible. Si je t’énumérais tous les plaisirs auxquels il faut renoncer, toutes les habitudes qu’il faut perdre, toutes les relations auxquelles il faut dire adieu, tu ne me croirais pas. Ce qu’on appelle la dignité de la vie, c’est une souffrance de tous les instants ; c’est un supplice, c’est une torture, c’est un martyre ! Ah ! il m’était arrivé bien souvent de me moquer des caractères rigides, de blaguer les gens austères ; c’est une chose qui ne m’arrivera plus, je t’en fiche mon billet ! J’ai trop vu ce qu’ils ont à endurer, les pauvres diables ! — Mais, père, pourquoi t’es-tu soumis à un pareil régime ? — Mon ami, c’est la baronne. C’est la baronne qui l’a voulu. Elle prétendait que c’était indispensable à mon avenir. Moi, n’est-ce pas ? je savais bien que ce n’était pas indispensable ; l’expérience de ma vie tout entière est là pour le prouver. Mais enfin, elle y tenait ; et ce que femme veut, le diable... — Cette dame paraît avoir un grand empire sur toi. — N’exagère pas, je t’en prie. Elle ne porte pas les culottes, non, mais... mais elle me met des bretelles. Et ce que ça me gêne ! Généralement on ne fait des sacrifices, pour se faire remarquer, que jusqu’à un certain point ; Alcibiade coupe la queue de son chien, mais pas la sienne. Moi, il a fallu que je coupe la mienne, et rasibus ! Tous mes amis, toutes mes connaissances mâles et femelles, il m’a fallu rompre avec tout, il m’a fallu les plaquer comme des médecines. Je reste seul avec mon... avec mon honneur. C’est pas gai. Malgré tout, ça servira sans doute à quelque chose. Je vais te dire. Le gouvernement est sur le point d’entreprendre, à la faveur du tohu-bohu que causera bientôt l’ouverture de l’Exposition, une nouvelle expédition coloniale. Il s’agit de conquérir le Garamaka. Sais-tu où c’est, toi, le Garamaka ? — Non. — Moi non plus. D’après ce que j’ai entendu dire, ça doit être au Soudan, quelque part, dans un coin. Enfin, la France en a besoin. Eh ! bien, j’espère la commander, cette expédition. L’administration coloniale est contre moi, c’est vrai ; mais je suis l’homme du véritable pouvoir, du conseil occulte qui dirige en réalité nos entreprises et nos possessions d’outre-mer. Je suis à tu et à toi avec les membres de cette confrérie puissante ; je trinque avec eux ; à la tienne, Étienne ! Ils finiront bien par avoir le dessus, une fois de plus, et à moi le Garamaka ! La marine voudrait avoir le commandement de l’expédition ; elle a, pour chacun de ses régiments d’infanterie et d’artillerie, à peu près deux généraux et cinq ou six colonels qui pensent qu’on ne leur fait pas casser assez de gueules, et qui voudraient bien trouver de l’emploi. Mais je crois que la marine pourra se taper. Bien entendu, si je suis nommé, je te prends comme officier d’ordonnance. Je mènerai l’affaire rondement. Le Garamaka doit nous appartenir. Vois-tu, mon petit, l’avenir de la France est au Soudan. — On le dirait. Et l’Alsace-Lorraine, naturellement, est oubliée ? — C’est curieux ! Tu me poses juste la question que me posait hier Raubvogel... À propos, il a été très bas, Raubvogel. Il a éprouvé d’énormes pertes d’argent ; ce n’était pas très clair ; on a parlé de poursuites. Mais tu connais le pèlerin ; il retombe toujours sur ses pattes. Il a obtenu une magnifique concession à l’Exposition. Il se relèvera avant peu. Il a du ressort ; sa femme aussi. Tu sais, elle est plus jolie que jamais. Ah ! ces Alsaciennes !... — Mais Estelle n’est pas Alsacienne ; elle est née dans le Nord... — Allons, allons ! Qu’est-ce que tu rabâches ? Estelle n’est pas Alsacienne ! Mais tu bats la breloque, mon pauvre ami. Tout le monde le sait, qu’elle est Alsacienne ! Toi-même, tu as été à la statue de Strasbourg avec elle. Ah ! Est-ce vrai ? Hein ?... Voyons, tu me demandais si l’Alsace-Lorraine est oubliée ? Non elle n’est pas oubliée. Nous en parlons toujours et nous n’y pensons jamais... C’est-à-dire... c’est juste le contraire. Enfin, c’est comme disait Gambetta, quoi. Seulement, les Allemands ne veulent pas discuter. Alors... Du reste, tiens, il y a justement dans le Petit Papier un article de Gudais sur la question... Mon père pousse vers moi le journal, et je lis : « Voilà qui reste bien entendu et définitivement exprimé : la question alsacienne-lorraine n’existe pas pour l’Empire allemand, parce que les Alsaciens-Lorrains ne comptent pas à ses yeux, au prix de ses intérêts militaires. Nous devons donc reconnaître que toute discussion devient impossible. Nous ne nous faisons aucune illusion sur les préparatifs guerriers que Berlin accumule pour défier le bon sens et l’équité, pour imposer la terreur de sa suprématie, joignant à la sauvagerie des procédés la folie d’une haine délirante... » Entre l’Empire allemand aux yeux duquel (style Gudais) la question alsacienne-lorraine n’existe pas, et la République française dont l’avenir est au Soudan, la position des Alsaciens-Lorrains est vraiment triste. ⁂ C’est une chose, cependant, dont les époux Raubvogel bien qu’originaires des chères provinces, ne semblent pas se rendre compte. J’ai rarement vu faces plus épanouies que celles des heureux conjoints le jour d’ouverture de l’Exposition. Après tout, elle n’est pas si loin de nous, cette Exposition, que vous ne puissiez vous rappeler le Pavillon Alsacien-Lorrain avec sa décoration si artistique et si patriotique en même temps, avec ses salles de dégustation et de vente des produits nationaux, avec sa grande brasserie qui devint vite l’établissement à la mode, où le service était fait par des jeunes filles vêtues du costume d’Alsace, légères et charmantes et qui s’envolaient, pareilles à des fusées tricolores, vers les escaliers conduisant aux cabinets particuliers. Peut-être vous rappelez-vous quel fut le succès du Pavillon Alsacien-Lorrain ; peut-être même vous souvenez-vous de m’y avoir vu. Moi, en tous cas, je ne vous ai pas oubliés. Je vous vois encore, courant d’un palais à un autre, hébétés et fourbus ; vous extasiant, dans la galerie des Machines, devant des monstres d’acier dont vous ne comprenez pas l’usage, et qui vous offrent vainement un bonheur dont vous ne voulez pas ; vous étonnant, dans le Palais des Beaux-Arts, devant des chefs-d’œuvre dont la signification et la beauté restent pour vous lettre close ; buvant et mangeant des choses très malsaines et très chères ; admirant très fort, à l’Exposition du ministère de la Guerre, les engins de destruction qui par-dessus tout vous intéressent, qui vous effrayent un peu et qui vous rassurent beaucoup ; passant du Pavillon Alsacien-Lorrain évoquant les provinces que l’Allemagne ne veut pas vous rendre, à cette rue du Caire qui évoque l’Égypte que l’Angleterre refuse de vous offrir. Oui, je vous vois encore. Et je vois aussi partir mon père, qui a obtenu le commandement de l’expédition du Garamaka, et qui n’a pu, à notre regret commun, me prendre pour officier d’ordonnance. Qu’on crie donc au népotisme ! Mais qu’on dise, surtout, quelle est la puissante influence qui s’est opposée à mon départ ! Il y a là un mystère que je cherche, sans succès, à éclaircir. D’ailleurs, je ne reste pas très longtemps à Paris, dans cette ville qui est devenue une sorte de sentina gentium et que secouent encore les dernières convulsions du boulangisme. Les adhérents de cette cause malheureuse ont vraiment un beau courage de s’évertuer dans la poussière soulevée par les pieds plats de tant d’imbéciles. Pourtant, il convient aussi de rendre hommage aux champions du parlementarisme ; l’audace de ces exploiteurs publics, sous la dénonciation permanente, sous l’insulte quotidienne et méritée, est sûrement belle à voir. Ils parlent, pour rétamer un peu leur popularité vertdegrisée, de ramener au Panthéon les os de Marceau, de Baudin et de plusieurs autres grands hommes ; ils parlent aussi de réduire à un an le service militaire des étudiants, fils de la bourgeoisie. Sous le régime de la loi de 1872, ces jeunes vauriens payaient 1.500 francs à l’État pour servir un an comme simples soldats ; à présent, avec un diplôme de n’importe quelle École, ils feront, sans rien payer, un an comme officiers. Un joli soufflet sur la face du soldat, sur celle du pauvre et même sur celle de l’officier. Mais le peuple français s’inquiète bien de la façon dont ceux qui devront le conduire au feu acquièrent leurs galons ! Il admire la tour Eiffel ; il savoure les délicieuses plaisanteries sur les parents de province que lui servent ses journaux comiques — les plus spirituels du monde, — plaisanteries qui seront conservées soigneusement et qu’on resservira en 1900. Paris a depuis longtemps perdu tout caractère ; mais il a aujourd’hui tant d’esprit que je vais sans doute trouver réconfortante la sottise de la province. ⁂ Les fenêtres du petit appartement que j’occupe à Malenvers s’ouvrent sur un grand jardin ; après ce grand jardin il y en a un autre, au bout duquel on aperçoit une jolie maison blanche. De chez moi je puis voir nettement, comme découpée entre les branches verdoyantes, tout au fond des frondaisons des grands arbres, l’une des fenêtres de cette maison, au premier étage. Je pourrais même distinguer, si l’envie m’en venait, ce qui se passe dans la chambre qu’éclaire cette fenêtre, généralement ouverte. Et un jour, l’idée m’en vient. Je prends donc ma jumelle, et j’aperçois immédiatement... — Une femme ? Naturellement, naturellement. Jeune, belle, gracieuse et à sa toilette — ça va sans dire. — Mais ce qu’il convient d’expliquer, c’est le caractère spécial de la toilette à laquelle procède cette beauté. La dame, qui possède d’épais et longs cheveux bruns, essaye tour à tour les coiffures les plus excentriques ; elle se maquille, se farde les joues, se poudre, se fait les yeux, se rougit les lèvres. Elle se pare de bijoux divers et nombreux ; elle se drape en d’élégantes tea-gowns dont chacune donne à son charme une originalité nouvelle ; elle s’admire devant des glaces, prend des poses voluptueuses et risquées, s’envoie des baisers — semble jouer, pour son profit personnel, une perverse et délicieuse comédie. — Cela dure assez longtemps ; puis la dame se sépare, comme à regret, de ses soies et de ses bijoux ; elle enlève soigneusement tout l’éclat emprunté dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage, range systématiquement en des tiroirs des quantités de boîtes et de flacons, et reparaît, quelque temps après, vêtue d’une honnête robe d’intérieur et coiffée en bourgeoise modeste. Je vous décris là un manège auquel j’eus le plaisir d’assister plusieurs fois, et que la psychologie — c’est si commode et ça coûte si peu ! — m’a permis d’expliquer de la façon suivante. La dame, qui est sans doute mariée et riche, s’ennuie ; son mari, qu’elle n’aime pas, lui mesure les satisfactions auxquelles elle croit avoir droit ; son existence provinciale, routinière et mesquine, lui déplaît ; des rêves vagues d’indépendance qui la hantent depuis longtemps, peut-être depuis toujours, se sont cristallisés tout à coup en des besoins violents et plus qu’à demi conscients d’immoralité. Ces désirs l’ont saisie puissamment, ne la lâchent pas ; son imagination vagabonde autour d’une image toujours la même, de plus en plus fascinante. — Cette femme-là est bonne à faire. Toute la question est de savoir si c’est pour moi que le four chauffe. La maison blanche, Mme de Rahoul me l’a dit, appartient au principal notaire de la ville. J’apprends que ce notaire s’appelle Me Hardouin. Hardouin, voilà un nom qui réveille en moi des souvenirs, qui est comme un écho de mon enfance ; et l’image se précise aussitôt ; je me revois, avant la guerre, conversant dans le jardin de M. Curmont avec un jeune homme qui est le premier clerc de Me Larbette, le notaire de Preil, et qui s’appelle Hardouin. Si le Hardouin de Malenvers était le Hardouin de Versailles ?... C’est lui. Il se souvenait parfaitement de moi, de ma famille, et a été enchanté de me revoir. Nous sommes à présent les meilleurs amis du monde et je suis fréquemment invité à la maison blanche. Mme Hardouin est vraiment très belle et très captivante ; je suis à peu près sûr maintenant que mes déductions de psychologue étaient des plus justes ; pourtant, je n’ai point cherché à mettre à profit l’état mental de la notairesse. J’aurais quelque scrupule à tromper Me Hardouin ; c’est un homme fort intelligent, d’une grande pénétration, et qui me plaît beaucoup. Il a pour amis plusieurs hommes qui m’intéressent aussi vivement. Je ne veux pas parler de l’avocat Courbassol, politicien hors cadres, verbeux et vide, auquel le notaire témoigne une ironique déférence, et qui fait une cour assidue à Mme Hardouin. Je pense surtout à l’abbé Lamargelle, un personnage bien curieux. Faire le portrait physique de l’abbé serait assez difficile, et je préfère laisser ce soin à d’autres. Il est, pour le moment, professeur d’un garçon d’une douzaine d’années, assez niais, le fils du comte de Movéans et de la comtesse, née Pilastre. Il ne semble pas que ce poste soit autre chose qu’une sinécure ; les commérages, il est vrai, assurent que l’abbé sacrifie à la mère le temps qu’il ne consacre pas au fils ; mais faut-il ajouter foi aux commérages ? Le sacrifice, d’ailleurs, n’aurait rien de particulièrement pénible. La comtesse est une femme jolie encore, aimable, que ne défigure pas l’embonpoint de la quarantaine ; des manières vives, un peu trop primesautières, qui trahissent l’impétuosité du sang et l’origine plébéienne ; la voix d’une franchise étudiée, la physionomie d’une Parisienne futée, un peu blasée, beaucoup curieuse, avec des paillettes de rire dans les yeux et l’amertume d’un pli sarcastique au coin des lèvres. Le comte est un être maigre et long, terne et solennel. Il descend d’une vieille famille du Poitou, et l’abbé l’appelle « un vase des Deux-Sèvres ». Ce n’est pas, pourtant, un vase d’élection ; il a fait trois fois appel à ses concitoyens, et trois fois ses concitoyens ont refusé de l’envoyer siéger au Parlement. De dégoût, M. le comte de Movéans a transporté ses pénates de Niort à Malenvers. Il a acquis, au sortir de la ville, une grande et belle propriété, le château du Valvert. C’est là que j’ai eu récemment l’honneur de faire sa connaissance. L’abbé, qui m’a présenté, m’avait prévenu de la complète nullité du comte ; il n’avait pas exagéré. Intellectuellement, cet aristocrate est un fantôme ; et les idées qu’il exprime en phrases toujours les mêmes ont perdu leur dernière goutte de sang, au siècle dernier, sous le couperet de la guillotine. Comment des créatures semblables peuvent-elles exister de nos jours ? — On les fabrique, dit l’abbé ; et non sans difficulté, croyez-le. Pour ma part, je me donne un mal énorme à faire de mon jeune élève le digne successeur de son père. J’y réussirai, car je me pique d’honneur ; mais c’est souvent pénible. Vous avez quelque peu parlé avec le jeune homme et vous avez facilement sondé la profondeur de sa sottise. Cette sottise, vous l’avez deviné, ne peut être naturelle. Laissé à lui-même, cet enfant serait devenu un Movéans-Pilastre, un aristocrate dans lequel se serait agité le bourgeois ; un bourgeois possédé d’un aristocrate. De ce conflit dans un être moyennement doué aurait pu naître quelque chose. C’est ce quelque chose que je suis chargé de condamner à l’avortement. L’enfant, au lieu de devenir un Movéans-Pilastre, deviendra donc un Movéans tout court ; vicomte d’abord ; comte ensuite. Homme, jamais. — Des hommes dans les rangs de l’aristocratie seraient cependant utiles à l’Église pour sa lutte contre les peuples. — Des hommes ne sont utiles qu’à eux-mêmes, dit l’abbé. Du reste, l’Église ne lutte point contre les peuples. Elle les bénit. C’est bien suffisant. J’oserais dire que l’Église est faite pour les peuples si je n’étais convaincu que les peuples sont faits pour l’Église. Les peuples d’aujourd’hui, surtout. Leur vie est essentiellement religieuse. La raison d’être de leur existence, qui est aussi la base même de la religion, c’est la croyance irraisonnée, l’obéissance aveugle. On croit sans examen, sans discussion, par simple besoin de croire. On a foi dans l’État, dans la presse, dans la science, dans l’armée, dans tout ce qui a l’audace de prétendre exister ; on a foi dans le progrès, et, chose plus étrange encore, on a foi dans la perpétuité du présent. C’est seulement en soi-même que l’homme refuse de croire. Époque religieuse, cher monsieur. Époque de foi, de paix et de résignation, et que menace un seul danger. — Lequel ? — Les grandes armées nationales. Les peuples sont comme des enfants qui ne demandent qu’à rester bien sages, mais entre les mains desquels on commet l’imprudence de laisser un instrument dangereux ; un jour ou l’autre, une catastrophe se produit. L’Église, heureusement, s’est rendu compte du péril. Par un savant système d’alliances, d’ententes, auquel le Vatican travaille activement, je le sais, on arrivera à équilibrer à peu près les forces européennes. Puis, après une campagne habile et sans doute longue, à laquelle viendra sûrement en aide l’imbécillité des socialistes, on réussira à présenter aux nations, comme un bienfait, la transformation des grandes armées actuelles en armées réduites. On arrachera de leurs mains une force qui pourrait devenir un facteur de libération et on les ramènera au système des armées prétoriennes. Cela se fera tout simplement, vous verrez. — Je ne pense pas. On serait forcé de laisser sur le pavé, chaque année, quelques centaines de mille hommes. — Cela augmenterait l’indigence, voulez-vous dire ? Petite affaire. Ça se tassera. Ça s’égalisera. La misère, comme les liquides, tend vers son niveau. Je vais assez souvent au Valvert. La comtesse est fort aimable pour moi ; le comte lui-même semble m’avoir pris en amitié ; cela vient sans doute de ce que je me suis fait une règle de ne jamais lui poser une question. Quant à l’abbé, j’ai toujours grand plaisir à le voir ; son ironie me met, ou me remet, du cynisme dans l’âme, me donne un amer et pressant désir de vivre, de dépenser des forces. Et je me souviens, à ces moments-là, que Mme Hardouin est très belle ; et j’en redeviens amoureux, éperdûment amoureux. C’est une chose, je pense, dont Mme Hardouin se doute un peu, mais qu’elle doit feindre d’ignorer jusqu’à ce que j’aie fait l’indispensable déclaration. Et cet aveu nécessaire des sentiments qui m’agitent m’est assez difficile. Ce n’est pas que je sois arrêté par les scrupules qui m’avaient retenu tout d’abord ; j’ai acquis la conviction que Me Hardouin se préoccupe fort peu de ce que peut faire sa femme ; toute l’affection du notaire est certainement concentrée sur une enfant qu’il a eue d’un premier mariage, une petite fille de dix ans environ. Les obstacles auxquels je faisais allusion sont purement matériels. La maison du notaire est transformée, depuis quelques temps, en une sorte d’agence électorale. Le député de Malenvers, le vieux Laventoux, est mort dernièrement et la ville doit lui donner un remplaçant. Les conservateurs, qui mascaradent en boulangistes, ont choisi pour leur champion un avocat clérical nommé Letonnelier, et le candidat des républicains est l’avocat Courbassol, gloire locale, ancien député de Paris auquel la grande ville, aux dernières élections, a préféré un boulangiste. Le gouvernement fait l’impossible pour assurer le triomphe de Courbassol ; et Me Hardouin travaille énergiquement au succès de l’homme dont la continuelle présence chez lui fait tant jaser, et qu’il méprise assurément. La politique a de ces mystères. Comme il m’est impossible d’avoir avec Mme Hardouin, chez elle, l’entretien que je désire, je m’avise d’un expédient. Je sais qu’elle se rend assidûment à l’église, chaque soir, afin d’ouïr les sermons d’un moine que le gouvernement a secrètement chargé, dans le département, d’une mission des plus délicates. Les gens au pouvoir, justement effrayés des progrès rapides de la dépopulation, ont fait marché avec certaines congrégations qui ont entrepris de prêcher, par toute la France, la bonne parole de la fécondité. Les prédicateurs en robes brunes, blanches ou noires effrayent les femmes volontairement stériles de l’horreur des châtiments éternels ; ils stigmatisent la prudence conjugale ; jettent l’anathème aux ablutions ; déclarent au nom du ciel que l’eau bénite doit suffire à une épouse chrétienne. Les femmes, que terrorise l’idée d’être exclues de la sainte table, au vu de toute la ville, promettent d’obéir aux recommandations du moine, et y obéissent quelquefois. C’est au cours du sermon d’un capucin repopulateur que j’ai pu entamer avec Mme Hardouin, auprès de laquelle je m’étais placé comme par hasard, une petite conversation d’un tour légèrement immodeste. Et je n’ai pas quitté la dame, que j’avais reconduite chez elle, avant de lui avoir fait, ainsi qu’on disait autrefois, l’aveu de ma flamme. Cette flamme, j’espère que Mme Hardouin consentira, comme on disait encore, à la couronner. En fait, elle m’accorde un rendez-vous ; puis, un second ; puis, un troisième. Et enfin, un soir, elle couronne... Le lendemain de ce soir-là, le lieutenant Labourgnolle, un bon camarade, me déclare avoir vu sortir de ma maison Mme la notairesse ; comme supplément d’informations, il ajoute qu’il l’a vue entrer, un quart d’heure plus tard, dans la maison qu’habite Courbassol. Est-ce possible ?... Comme psychologue, persuadé qu’il n’y a que le premier pas qui coûte, fût-ce un pas redoublé, je suis assez disposé à admettre la chose ; mais comme amoureux, je me rebiffe... D’ailleurs, Courbassol serait trop heureux ; il aurait toutes les chances à la fois. Il vient d’être élu député à une forte majorité. Cette élection a produit dans Malenvers une sensation énorme. Cette sensation, pourtant, disparaît sous l’émotion que causent coup sur coup plusieurs vols très importants, commis dans la ville ou aux environs, et dont les auteurs restent inconnus. Ces cambriolages audacieux se répètent à de courts intervalles ; on dirait que les criminels agissent d’après un plan très habile et sur des indications certaines. Le colonel de dragons vient d’être volé d’une quantité de titres, valeurs allemandes pour la plus grande partie : actions de la Brasserie des Jésuites de Ratisbonne, actions des Tramways de Munich, titres de Chemins de fer prussiens et du Sud de l’Allemagne, lettres de gages de la Banque bavaroise, etc., etc. Le brave colonel est désolé ; non seulement d’avoir été dépouillé d’une centaine de mille francs, mais surtout d’avoir été obligé de laisser savoir qu’il contribuait, financièrement, à la prospérité de gens qu’il doit considérer comme ses ennemis. Après tout, les artilleurs seulement s’étant, jusqu’à présent, vantés d’avoir du flair, on ne peut reprocher à un dragon de ne point trouver d’odeur à l’argent. Une nuit que je sortais furtivement de la maison de la notairesse, dans la chambre de laquelle je me hasarde de temps en temps, j’ai aperçu, en traversant le jardin, de la lumière à l’une des fenêtres du rez-de-chaussée. Je me suis approché à pas de loup ; j’ai distingué, à travers les vitres, Me Hardouin qui semblait donner des explications à un personnage dont, malheureusement, je n’ai pu voir la figure. Ce conciliabule, à deux heures du matin, m’a paru singulier ; et j’ai fait part des conjectures qu’il m’a suggérées, aussitôt que possible, à la notairesse. Elle s’est troublée, a commencé à parler de choses très graves, s’est rétractée, a fini par déclarer qu’elle ne savait rien et que mes suppositions n’avaient pas le sens commun. Peut-être. Du reste, même en admettant que Me Hardouin donne un caractère plus direct et plus brutal à cette industrie judiciaire et extra-judiciaire qui est organisée pour la spoliation générale, — que m’importe ? Mme Hardouin est une maîtresse aimable ; son mari ne me la dispute pas ; et voilà l’important. Et puis, n’y a-t-il pas des gens pour prétendre que le voleur a son utilité ? Paradoxe, c’est possible. Mais les crimes que le brigand inconnu vient de perpétrer à Malenvers, la France, fille aînée de l’Église, n’est-elle pas en train de les commettre, multipliés à l’infini, in partibus infidelium ? ⁂ Le général Maubart, qui n’était jusqu’ici que le héros de Nourhas, est maintenant le conquérant du Garamaka. La France est plus fière de sa dernière conquête que le triomphateur lui-même ; les journaux qu’elle lit ne lui laissent point ignorer l’énorme valeur de sa nouvelle possession ; et elle semble tout à fait convaincue de cette grande vérité : que son avenir est au Soudan. Quant à mon père, il n’est certainement pas insensible à la douceur des louanges ; il est loin de dédaigner la gloire que lui vaut son succès ; mais il a laissé au second plan les satisfactions d’amour-propre. Ce sont des considérations d’un ordre plus matériel qui provoquent son allégresse. Je le trouve à Paris, où j’ai été le voir dès son retour, installé dans un luxueux appartement de l’avenue de Villiers. C’est la baronne de Haulka, paraît-il, qui lui a préparé cette délicieuse retraite ; le goût de la baronne est indiscutable, mais ne doit pas laisser d’être coûteux. — Qu’est-ce que ça fiche ! s’écrie mon père. Est-ce que tu te figures que je reviens les mains vides ? Pour te détromper, mon garçon, je vais t’annoncer une bonne nouvelle. Je n’ai point oublié que je n’ai pas eu l’occasion, jusqu’ici, de régler mes comptes de tutelle, et que je te dois encore une certaine somme ; je tiens cette somme à ta disposition. Aie patience, et tu ne pourras pas dire que ton père t’aura fait tort d’un sou. Après-demain, je te remettrai une somme de cinquante mille francs... Qu’est-ce que tu dis ? — Je ne disais rien ; mais je te remercie... — C’est bon, c’est bon ; nous ne nous disputerons pas pour ça ; si tu ne veux pas cinquante mille francs, nous dirons vingt-cinq mille ; moi, ça m’est égal. Mettons vingt mille francs pour faire un chiffre rond. C’est juste ce que doit me verser demain un marchand d’antiquités pour quelques bibelots que je lui ai vendus. Ces sauvages du Garamaka avaient une sorte de civilisation, et leurs objets d’art ont du prix. J’en ai rapporté douze caisses, de cinq cents kilos chacune ; tout le plus chouette. Il y a des choses charmantes que la baronne elle-même admire. — Alors, ces sauvages avaient de bons côtés ? — C’étaient des gens très doux, très calmes, presque sans mauvais instincts. La preuve, c’est que nous les avons massacrés par centaines et par milliers, et qu’ils n’ont pas rouspetté. Les histoires de cruauté qu’on débitait sur leur compte n’étaient que des mensonges inventés par les missionnaires. Malgré tout, ces mensonges n’ont pas fait de mal, puisqu’ils ont amené la guerre. Tu sais que je n’en pince pas pour la calotte, mais je dois dire que les missionnaires nous ont été très utiles ; ils nous ont donné tous les renseignements au sujet du pays, qu’ils connaissaient parfaitement car ils y avaient toujours été bien reçus, au sujet des taxes à imposer, des amendes à infliger, des contributions, etc. Si ces bons pères n’avaient pas été là, nous nous serions fait rouler ; nous n’aurions pas exigé assez ; mais avec eux... confiscations, rançons, razzias, ça n’arrêtait pas. Tu comprends ce que tout ça me vaut ; tu peux te reporter aux règlements ; tu y verras que les prises faites par les détachements leur appartiennent. Avec les retours du bâton, ça m’a fait un joli denier. Le trésor seul du roi Gabaurin s’élevait à huit millions. Ce pauvre roi ne nous pas donné beaucoup de fil à retordre ; sans son fils Melahdou, la campagne n’aurait duré qu’un mois. Ces brigands de sauvages n’ont que des fusils à pierre qui portent à deux cents mètres. C’est à peine s’ils m’ont tué une douzaine d’hommes. — Pourtant, les journaux disent que la mortalité a été très élevée ? — Ça, mon petit, c’est la faute des médicaments ; il n’y en avait pas. C’est peut-être aussi la faute de la nourriture ; il n’y en avait pas. Même les officiers avaient à peine leur petit confortable ; dans des cas pareils, bien entendu, la troupe se brosse le ventre. Les mesures avaient été mal prises. C’est la faute à ce salaud de Boulanger ; s’il laissait le gouvernement tranquille, on aurait le temps de préparer les expéditions, et l’on gaspillerait moins d’existences et moins d’argent. Mais pourquoi donc ? Pourquoi épargner le sang et les ressources d’un peuple qui devrait faire la guerre, qui ne veut pas faire la guerre, et qui est assez vil pour consentir aux misérables entreprises coloniales qui ne servent qu’à engraisser une bande de galonnés et de mercantis ? L’Allemagne crache au nez de la France, l’Angleterre lui botte le cul. Ça ne compte pas : l’Allemagne et l’Angleterre sont fortes. Mais le Garamaka a brûlé la chapelle d’un Jésuite : À bas le Garamaka ! En avant pour le Garamaka ! Annexons le Garamaka ! Misérable et imbécile, tout ça. D’autant plus que c’est reculer pour mieux sauter. Il faudra encore y passer, par la terrible route de la Guerre, pour arriver à cette existence que les nations pressentent et admirent dans leurs rêves, rêves qui en se réalisant tueront la guerre et qui ne peuvent être, pourtant, réalisés que par la guerre. — Quel peuple ! dis-je en conclusion ; et quels chefs il a choisis ! Mais, étant donnée une nation pareille, que mettre à la place d’un pareil gouvernement ? — Mets-y un clou ! s’écrie mon père ; et si tu veux faire ton chemin dans l’armée, ne parle jamais de la nécessité d’une guerre. Nous sommes là pour maintenir la paix ; rappelle-toi ça. C’est juste ce que les pouvoirs publics m’ont dit à Marseille, lorsqu’ils sont venus me recevoir à mon retour. Ils m’ont dit que j’avais conquis le Garamaka pour maintenir la paix. C’est bien possible. Il y avait des petites filles, gentilles à croquer, qui m’ont offert des fleurs, des fonctionnaires écailleux qui m’ont infligé des discours, un poète déplumé qui a lu une pièce de vers où il me disait que je lui débarquais dans le cœur. Je suis dur à épater, mais il m’en a bouché un coin. Enfin, on a été bien gentil... Tu comprends, je suis enchanté d’avoir dirigé cette expédition. Profits pécuniaires à part, j’ai maintenant l’avantage d’avoir commandé en chef devant l’ennemi. Et puis, j’ai la satisfaction personnelle d’avoir combattu pour la civilisation. Un peu pour dissimuler un sourire, je me dirige vers une table sur laquelle est déposée une grande boîte ; j’en soulève le couvercle, mais je le laisse retomber immédiatement. Cette boîte est pleine de petits os, d’ongles, de dents qui ont appartenu à des hommes. — Ah ! ah ! ah ! ricane mon père, tu ne sais pas ce que c’est que ça ? C’est pour faire des bijoux porte-veine. Une idée d’un bijoutier de la rue de la Paix ; il m’avait demandé de lui rapporter ces choses-là : il doit les monter en or. Ça va faire fureur ; on était las du cochon. On appellera ça la breloque humaine... ⁂ Je ne reste que quelques jours à Paris. Pas assez longtemps pour être présenté à la baronne de Haulka, qui vient de se voir obligée d’entreprendre un petit voyage en Allemagne pour affaires personnelles. Assez longtemps cependant pour recevoir une partie de la somme que m’avait promise mon père ; dix mille francs environ ; le marchand d’antiquités ne l’a pas payé complètement et le bijoutier de la rue de la Paix ne lancera la breloque humaine qu’au moment des étrennes. Enfin, dix mille francs valent mieux que rien. À vrai dire, je n’ai pas de grosses dépenses à faire à Malenvers. L’été est venu, et les plaisirs champêtres qu’il ménage ne sont pas très coûteux. De plus, vous savez combien il est avantageux (en province) d’avoir pour maîtresse une femme mariée. En province, ce n’est pas du tout comme à Paris, où ce sont les femmes qui ne coûtent rien qui coûtent le plus cher. Quoique les femmes mariées aient du bon, il ne faut pas aller jusqu’à croire que leur fidélité à leurs amants est éternelle. Tout passe, tout lasse, tout casse. Mme Hardouin semble vouloir me démontrer le bien-fondé de ce vieux dicton. Elle me délaisse de plus en plus. J’ai entendu dire qu’on l’a vue plusieurs fois en compagnie du député Courbassol, dont la réputation grandit tous les jours, que la presse représente comme ministrable, et qui est venu passer quelque temps à Malenvers. Ces rumeurs m’ont ému ; d’autant plus que la notairesse ne m’a pas honoré d’une seule visite depuis près d’un mois. Une pareille indifférence blesse profondément mon amour-propre. Je me décide à faire tenir à Mme Hardouin une lettre de reproches. Elle me répond qu’elle a résolu de rompre toutes relations avec moi. Si je réfléchissais, je n’insisterais certainement pas. Mais je ne réfléchis point, ma vanité froissée me persuade de la nécessité d’explications, et je suis sur le point d’insister lorsque je reçois, un soir, la visite de l’abbé Lamargelle. ⁂ L’abbé, je ne tarde point à m’en rendre compte, est au courant de mes affaires et de mes préoccupations les plus intimes. En quelques phrases de tournure vague, mais dont le sens précis ne m’échappe pas, il fait le procès de mon indifférence aux promesses et aux offres de l’existence, il blâme le détachement d’amateur blasé avec lequel je semble considérer la vie. Il me laisse entendre que je devrais prendre plus d’intérêt aux choses et aux gens qui m’environnent, à moi-même, surtout à moi-même ; pourquoi négliger des bons vouloirs et des sympathies qui pourraient n’être pas inutiles et méritent sûrement d’être appréciés ? Pourquoi, par exemple, ne m’a-t-on pas vu depuis longtemps déjà au château du Valvert ? Le comte de Movéans, hier soir, regrettait mon absence... Je m’excuse. Je promets une visite pour le lendemain. Au fait, pourquoi perdrai-je mon temps à poursuivre Mme Hardouin de mes récriminations ? Je laisserai entendre, au besoin, que c’est moi qui ai voulu la rupture. On lui découvrira des remplaçantes, à la notairesse... Au Valvert, je trouve plusieurs personnes récemment arrivées de Paris, et qui me sont inconnues. L’abbé ne m’avait pas soufflé mot de leur présence, et je m’en étonne. Parmi elles, il y a une jeune nièce de la comtesse, Mlle Pilastre, et Mlle de Lahaye-Marmenteau, sœur du général et marraine de la jeune fille ; cette dame, qui, paraît-il, connaît beaucoup mon père, est charmante pour moi. En somme, la réception qui m’est faite est plus que cordiale ; et, telle est ma simplicité vaniteuse ou nonchalante, il me semble tout naturel qu’il en soit ainsi. C’est pourquoi ma surprise est grande lorsque, deux jours plus tard, j’apprends indirectement qu’il n’est bruit, au régiment et en ville, que de mon prochain mariage avec Mlle Pilastre. Après réflexion, je me décide à feindre d’ignorer ces rumeurs ; mais je me promets aussi, me rappelant que l’amabilité de l’accueil qui me fut fait avait quelque chose d’insolite, d’étudier sérieusement les hôtes du Valvert à ma prochaine visite au château. Je n’y manque point. Et je m’aperçois assez facilement qu’on a des vues sur moi. On a tort ; je ne me marierai point, je m’en fais le serment à moi-même. Et là-dessus, je laisse venir. Mlle Pilastre est une jeune fille de vingt ans, jolie, mais très visiblement difforme ; cette difformité paraît-il, est le résultat d’un accident. Intelligente, je le crois ; sans pourtant pouvoir l’affirmer. Mlle Pilastre parle peu ; sa timidité est très grande. Elle paraît décontenancée, dépaysée ; elle a l’air peu accoutumée à la comtesse, sa tante, et au comte de Movéans, son oncle par alliance ; elle semble n’avoir jamais vu le jeune vicomte. Ce sont là, m’a dit l’abbé, des choses qui s’expliquent aisément. Mlle Pilastre a toujours vécu très en dehors de sa famille ; son père, le grand industriel parisien, était complètement pris par ses affaires ; sa mère, qui mourut en 1886, avait une si mauvaise santé qu’il ne lui fut jamais possible de s’occuper de son enfant. La jeune fille a donc été élevée par sa marraine, Mlle de Lahaye-Marmenteau, sœur du général qui lui-même fut parrain de l’enfant. Mlle Pilastre, sur l’avis des médecins, a presque toujours vécu dans le Midi ; elle n’a eu que peu d’occasions de voir ses parents ; de plus, elle est d’un naturel assez réservé. Les yeux et les cheveux très noirs, la peau mate de Mlle Pilastre rappelant fortement le type italien, je cherche à savoir si Mme Pilastre, la mère, était Italienne. L’abbé me fait des réponses évasives. Il n’a pas l’air de tenir outre mesure à me voir convoler en justes noces. C’est un entremetteur peu convaincu. La comtesse, au contraire, fait du zèle ; elle ne me permet pas de décliner une seule de ses invitations, qui se succèdent rapidement ; elle développe des aptitudes de marieuse fûtée, mais pas sans discrétion. Quant à Mlle de Lahaye-Marmenteau, elle ne me presse en aucune façon ; c’est son sourire seul qui semble me dire : « Si vous n’épousez pas ma filleule, vous serez un sot. » Cette vieille demoiselle, qui a dépassé la cinquantaine, me plaît beaucoup ; elle sait être vieille, et n’a ni les manières pédantesques ni l’amertume de la vieille fille. Elle a des convictions optimistes qu’elle pousse très loin ; par exemple, elle croit que la guerre est une excellente institution destinée par la Providence à réduire la population mâle de la terre. Elle a des yeux bleus très vifs, une bouche en éveil, un air général de satisfaction ; quelque chose de sautillant, dansant, jamais en repos, clignant sur de la joie, souvenue plutôt que ressentie ; et beaucoup d’intelligence, très calme et très fine, là-dessous. Je ne me marierai pas, c’est certain ; mais si je devais par impossible changer d’avis, c’est Mlle de Lahaye-Marmenteau qui opérerait ma conversion. Cependant, au régiment, on jase. On parle de mes fiançailles comme d’un fait accompli. On me complimente de mon alliance avec une famille en si bons termes avec le général de Lahaye-Marmenteau ; le général va être mis avant peu à la tête de l’État-Major général. Quel veinard je suis !... Je ne puis arriver à décourager les commérages. Je commence à penser qu’un mariage, à bien prendre, me serait plus utile que cinq ou six actions d’éclat. Et les actions d’éclat, où sont-elles possibles aujourd’hui ? L’armée est devenue si peu militaire !... Quant à quitter le service... Le fait me serait sans doute possible, même facile ; mais l’idée m’en est insupportable ; je pourrais vivre sans épaulette, mais je ne me vois pas vivre sans épaulette... Un mariage, il est vrai, me priverait de ma liberté. Hé ! Qu’est-ce que j’en fais, de ma liberté ? Suis-je libre, seulement ?... Me Hardouin, auquel je vais faire une visite, m’assure que le célibataire est le seul être qui ignore la liberté des mœurs. « Si vous voulez connaître cette liberté, dit-il, et en jouir, mariez-vous. » Le notaire me laisse entendre que je ne retrouverai pas l’occasion qui m’est offerte. Il m’assure que la difformité de la jeune fille est à peine apparente. « Du reste, ajoute-t-il, ce n’est point un brevet de longue vie. » Je médite, en m’en allant... Au Valvert, on s’impatiente. La comtesse devient agressive. Le comte me prend à part, deux ou trois fois, et ânonne des choses. « Mariage... lien sacré... devoir patriotique... béni de Dieu... l’Église... l’Armée... » Mlle de Lahaye-Marmenteau, maintenant, entre en lice. Elle parle dix fois par jour de mon père, l’appelle invariablement « le héros de Nourhas, conquérant du Garamaka ». Elle dit qu’il serait si heureux de me voir faire souche. Elle fait sonner très haut la fortune de sa filleule ; elle ne cache pas non plus — loin de là — son intention d’en faire son héritière. Mais Mlle de Lahaye-Marmenteau est-elle riche ? On dit oui. Pourtant, aussi, on dit non. On dit qu’elle s’est ruinée pour son frère, autrefois, et s’est ainsi condamnée au célibat ; et que depuis ce temps le général subvient à ses besoins. On dit que les Lahaye-Marmenteau n’ont pas le sou. On dit que le général, bien que dépensant à pleines mains — c’est surtout à sa « générosité » qu’il va devoir, demain, sa situation à la tête de l’État-Major — n’a rien à lui. On dit qu’il se procure des fonds par des moyens douteux. On dit, pourtant, que ses mariages — et surtout le second — lui ont valu de grosses sommes. Mais on dit, encore, que sa présente femme a obtenu une séparation de biens. Que croire ? Je sais pertinemment, pour ma part, que le général s’est livré à des trafics auxquels ne songerait même pas un homme riche ; mais... Après tout peu importe ; il est certain que M. Pilastre est riche. Est-ce sûr ?... J’interroge l’abbé, qui me déclare que, s’il faut en croire des gens bien informés... Il me sonde ; il cherche à connaître mes intentions. Je le presse : dois-je songer au mariage ? Il répond comme l’avocat de Panurge. Je le quitte — décidé à dire le soir même à la comtesse que je ne veux pas me marier. Mais, le soir, j’ai à peine le temps d’apercevoir la comtesse ; elle est indisposée et se retire de bonne heure. Et Mlle de Lahaye-Marmenteau me montre une lettre de son frère le général, lettre qu’elle vient de recevoir et qui contient des phrases excessivement flatteuses pour mon père et pour moi. Et puis, le hasard fait que j’ai une longue conversation avec Mlle Pilastre ; une conversation telle que je ne l’aurais jamais espérée, pleine de charme. Mlle Pilastre ne me produit plus l’impression qu’elle m’avait donnée tout d’abord, celle d’un pauvre petit animal apeuré ; elle me semble une douce imperfection, très délicate et très intéressante, anxieuse de l’harmonie qui vibre dans le bonheur qu’on reçoit et qu’on donne. Je sens chanceler mes résolutions. On a beau dire, un mariage... Pourtant... Que faire ?... ⁂ Et voici quelqu’un, tout d’un coup, qui m’apparaît pour me dire ce qu’il faut faire. Adèle Curmont. Je reçois un mot, une après-midi, m’annonçant qu’elle vient d’arriver de Paris et qu’elle m’attend, toute affaire cessante, à l’hôtel du Chariot d’Or. Me rappelant le « sans rancune » avec lequel elle a pris congé de moi à Angenis et la façon dont elle a tenu parole, au dire du général de Porchemart, j’hésite à me rendre à l’invitation. Je m’y décide cependant, peut-être autant par curiosité que par crainte. Adèle m’apprend, dès les premiers mots, qu’elle sait que je vais me marier. Il paraît que M. Pilastre, auquel sa fortune de grand industriel, plus encore que son grade dans la territoriale, assure de nombreuses amitiés au Cercle Militaire, s’y est vanté du prochain mariage de sa fille avec le fils du héros de Nourhas. La nouvelle a été colportée avec d’autant plus d’activité que la richesse de M. Pilastre lui crée bien des envieux, et que sa paternité réelle fait l’objet de plus d’un doute ; je n’ignore pas, probablement, que jusqu’à ces temps derniers M. Pilastre avait toujours été tenu pour célibataire et que personne n’a jamais connu sa femme. Ou bien, ne suis-je au courant d’aucune des légendes qui circulent à ce sujet ? Adèle parle d’une voix moqueuse, pointue, méchante, qui m’inspire une grande défiance. Et puis, je me sens peu à mon aise sous son regard clair, froid, qui darde comme une flèche de volonté. Je devine en cette femme, dont la beauté est grande et les manières élégamment simples, une science complète de la vie, une énorme habileté à poser et à résoudre les problèmes de l’existence moderne. Ce qu’elle a fait et ce qu’elle fut, je l’ignore ou peu s’en faut. Mais je sens qu’elle est devenue un être de calcul et de force implacable ; et je dois courber mon orgueil devant sa supériorité. Du reste, elle semble me traiter un peu en quantité négligeable ; elle n’a pas fait paraître la moindre émotion en m’apercevant, me parle aussi posément que si elle m’avait vu hier encore, et a même repris tout de suite un tutoiement qui me gêne... Je réponds que je n’ai entendu parler de rien et que les cancans n’ont pour moi aucun attrait ; que, d’ailleurs, je n’ai nullement pris la résolution d’épouser qui que ce soit. — Tu as raison, dit Adèle. Tu n’es pas poussé au mariage par des raisons d’honneur, n’est-ce pas ? Un homme d’honneur, je le sais, doit toujours payer ses billets protestés et ses dettes de jeu, même s’il doit se marier pour trouver de l’argent. Mais tel n’est point ton cas, j’en suis sûre. Un mariage même avec une demoiselle plus ou moins apparentée à des archevêques à plume blanche, ne te servirait pas à grand’chose. Vois-tu, il n’y a rien à faire sous l’épaulette. La carrière militaire n’a plus d’issue. Ni pour les intelligents, ni même pour les sots. Regarde, par exemple, ces deux hommes : Boulanger et Porchemart. Ils avaient tous deux tout ce qu’il faut pour réussir. Boulanger était un imbécile et avait pour lui tous les imbéciles. Porchemart était une intelligence et il était seul. Cependant ils n’arrivent à rien, ni l’un ni l’autre. Pourquoi ? Parce qu’ils portent l’épaulette. Et les gens qui portent l’épaulette sont désormais les sous-ordres, les comparses ou les victimes des gens qui ne la portent point. — On ne réussit pas toujours non plus, dis-je en ricanant, dans les professions civiles. Ton frère, si je voulais citer quelqu’un... Je lis les journaux, tu sais. — Tu ferais mieux de lire l’Annuaire, répond Adèle froidement. Tu y verrais depuis combien de temps tu es lieutenant. Quant à mon frère, il a mal tourné, c’est vrai. Mais, mon cher, c’est grâce à moi. J’avais une vengeance à satisfaire, tu te rappelles ? Je lui ai lancé une petite femme, dans sa préfecture ; une petite femme dont j’étais sûre et qui avait les dents longues. Il a commis des faux. Pas grand’chose, par le temps qui court ; mais ils sont tombés dans mes mains. C’est moi qui ai provoqué le scandale, indirectement. On a été obligé d’arrêter Albert. C’était le bagne. Le gouvernement, au dernier moment, lui a permis de s’échapper, de disparaître. Réflexion faite, je préfère le laisser où il est — à perpétuité. — Où est-il ? — À la Trappe. Il est trappiste. Il édifie le couvent par sa dévotion. (Adèle éclate de rire). Ah ! non ! Quand je pense qu’il a fait enterrer maman civilement !... Quelle farce !... J’ai un frisson. Je ne puis m’empêcher d’admirer et d’envier, presque, la force de volonté de cette femme ; et cette énergie féroce m’épouvante. Adèle m’attire et m’effraye. Je sens qu’elle serait à moi, tout à moi, si je voulais, en dépit d’elle-même ; n’est-ce pas parce qu’elle a été à moi qu’elle est ce qu’elle est, qu’elle a fait ce qu’elle a fait, que toutes ces choses sont arrivées ? N’est-ce pas à moi, de moi peut-être, sa cruauté et sa volonté ? De moi ?... Je suis fouetté de cette vérité, que je n’osais m’avouer : que je suis un être veule ; et de cette autre vérité, que je pressentais : qu’Adèle est très dangereuse. Du reste, si je l’ignorais, je l’apprendrais maintenant. — Écoute, dit-elle, je suis méchante, et je n’oublie rien. De toi aussi j’ai voulu me venger. Je ne la laisse pas achever. Je lui répète ce que m’a dit le général de Porchemart à ses derniers moments. Elle reste impassible. — Je ne regrette rien, dit-elle quand j’ai fini. Mais Porchemart a bien fait. C’est-à-dire que je suis heureuse qu’il ait agi ainsi. Autant que tu sois indemne, après tout ; je crois que j’aurais eu un remord. Quant à Porchemart, il a fait ce qu’il a pu, ce qu’il a osé ! Rien. Pas de nerf, pas de moelle. Même lui. Pas un seul homme, pas un seul. Tiens... Rapidement, d’une voix où vibre le mépris et parfois la colère, elle énumère en les qualifiant les nombreuses personnalités du monde politique, militaire et financier qu’elle a connues, qu’elle a pu voir et juger comme peut juger une aventurière intelligente. Quelle galerie ! Des types défilent, défilent, hideux d’infamies et lamentables de sottises, glaires d’humanité, toute la France dirigeante contemporaine. — Et il faut trouver un homme là-dedans ! s’écrie-t-elle. Il faut, car une femme ne peut agir seule, en ce beau pays de France. Et je veux agir, moi... J’en ai trouvé un — la moitié d’un, le quart, le vingtième. — Ce n’est pas le plus vil, mais c’est un des moins nuls. Il m’offre sa main. J’hésite. C’est un être qui ne saura jamais résister à l’appât d’une poignée de gros sous ; il se noiera, un jour ou l’autre, dans une cuvette de fange. Et je resterai là, avec un nom déshonoré qui m’imposera l’honnêteté la plus scrupuleuse ; et il faudra que je devienne, pour vivre, rédactrice d’un journal de modes... J’aimerais mieux autre chose. J’aimerais mieux toi. Je sursaute. Moi ! Parce que je serais plus malléable que les autres dans ses mains, sans doute. Ou n’est-ce qu’un piège qu’elle me tend ? La haine de la femme supérieure commence à me saisir ; la peur haineuse de la femme exempte de cette faiblesse, sentimentale et nourrie de vieux rêves, qui rend ses sœurs si vulnérables. Adèle se rapproche de moi et reprend : — Il y a de grandes choses à faire. La face du monde est sur le point d’être changée, et de grandes convulsions sont proches. Ces convulsions, c’est le choc des grandes armées nationales qui les provoquera ; il faut donc que ces armées deviennent conscientes de leur mission ; qu’elles sachent, au moins, que leur état présent n’a pas de sens. Et cela, c’est un soldat seul qui le leur apprendra ; c’est un soldat seul qui jettera ces troupeaux humains sur la route de l’avenir... Je me rappelle une phrase prononcée, il y a bien des années, par le colonel Gabarrot : « Les portes du futur ne s’ouvrent pas toutes seules ; et il faut que le soldat vienne, et les enfonce à coups de canon. » Adèle continue, d’une voix rapide et profonde, convaincue : — N’est-ce pas pitoyable, le spectacle de cette Europe armée jusqu’aux dents et tremblant de peur ? De cette armée française qui parade et fanfaronne avec les duplicata de ses drapeaux ? De ces peuples se saignant aux quatre veines afin d’entretenir ça ? N’est-ce pas honteux, cette couardise de la nation française vautrée sur sa défaite et qui hurlerait de terreur si on lui disait cette chose si simple et si certaine : qu’elle n’échappera pas à la fatalité d’une guerre contre l’Allemagne ? Et il y a tant de braves parmi ces lâches ! Il faut un soldat pour changer tout cela, de fond en comble ; pour faire de l’armée, en réalité, l’Armée Nationale ; pour mettre fin au honteux gaspillage pratiqué par les voleurs tricolores qui organisent la déroute. Il faut un soldat, mais un soldat qui ne soit plus entravé par les liens des coteries militaires et qui ait brisé la ridicule épée de parade que lui confie un gouvernement de vaincus ! Ah ! ce qu’il pourrait faire, cet homme-là ! Comme son geste large balayerait les Mayeux de la Défaite et les Tartufes de la Revanche ! Comme sa voix appellerait à l’Acte nécessaire les Français qui veulent vivre !... Une stupeur m’enveloppe, ligotte mon entendement. Cette femme pratique est une idéologue, une idéologie vivante ! Est-ce que l’action, donc, n’est point possible sans l’illusion ? Sans l’aveuglement partiel et voulu qui permet l’enthousiasme ? Est-ce que trop regarder les différents aspects des choses, trop voir toutes les faces d’une question, est-ce que cela estropie l’énergie, l’annihile ? Je sens que ce qu’il y a de plus lugubre en moi, ce n’est pas mon manque de volonté ; c’est mon désir mou de vouloir. Je pense que je ressemble à mon pays... Adèle parle toujours, véhémente, avec une lueur dans les yeux qui m’effraye, et que je n’ose soutenir de peur d’être tiré hors de moi-même. Elle développe son plan, expose ses projets. Elle dit que je puis entrer d’emblée dans le monde politique, que mon élection est assurée, qu’elle a de l’argent, qu’elle saura en trouver, qu’elle agira avec moi et pour moi, qu’elle ne demande que sa part d’action à mes côtés... Je ne l’écoute plus, je ne peux plus l’écouter. Je crois qu’elle a raison ; que tout ce qu’elle dit est vrai, est possible, serait grand. Mais je suis las, las. C’est une lutte qu’elle me propose ; et je me sens incapable d’un effort, incapable de tout. Je suis pénétré d’un besoin subit et absurde d’aimer, d’être aimé, de vivre tranquille, hors du monde. La lutte... Et si elle est vaine ? Me donner tant de mal pour rien, comme tous les autres !... Le bonheur, plutôt... Mais où ? Comment ? Je songe à des sottises. Je pense qu’Adèle a quatre ans de plus que moi, qu’elle a trente-deux ans, qu’elle a eu des aventures, des amants... Toutes ces pensées roulent les unes sur les autres en mon cerveau, s’enchevêtrent, tournoient, tourbillonnent, s’écroulent. Et je me découvre subitement la volonté arrêtée, forcenée, de refuser les propositions d’Adèle. Je me découvre cette volonté. Des raisons affluent, aussitôt, empesées d’orgueil, raides de fierté. Ne suis-je pas officier ? Ne porté-je pas l’épaulette ? N’ai-je pas l’avenir largement ouvert ? De quoi se mêlent-elles, ces femmes ? La hantise perpétuelle du sexe — qui s’offre avec des primes. — Celle-ci apporte une fortune, des protections. Qu’elle les garde ! Celle-là prétend apporter du bonheur, de la gloire. Du bonheur, je puis m’en passer ; de la gloire !... je vois des soleils là-bas, à l’horizon... Je déclare à Adèle que je réfléchirai ; que je ne sais pas ; que je verrai ; que je la mettrai, dans deux jours, au courant de ma décision ; qu’elle m’a vivement intéressé. Elle me laisse partir, étonnée. Je reviens chez moi énervé, exténué, comme écrasé du poids de toutes les choses que je ne veux pas faire..... Après tout, si je demandais la main de Mlle Pilastre ? La vie serait agréable, facile..... Trop facile, trop réglée d’avance, trop monotone. Il convient de laisser place à du pittoresque, à de l’inattendu. Des sentimentalités accourent, pour boucher les trous du raisonnement avec le carton-pâte de leurs truismes, avec leurs loques de souvenirs. Je me rappelle le mariage de ma mère, mariage d’argent, si malheureux ; je me rappelle la recommandation de ma grand’mère : n’épouser qu’une femme que je serai sûr de rendre heureuse..... Cependant, si j’écrivais à mon père pour lui demander conseil ? Il se moquerait de moi. Si j’écrivais à Gédéon Schurke pour le prier de m’éclairer au sujet des rumeurs dont Adèle m’a parlé ? Je commence une lettre ; ne l’achève point. Je me décide, avec toute l’inflexible détermination des irrésolus fatigués, à ne pas épouser Mlle Pilastre. J’en donne l’assurance, le soir même, à l’abbé Lamargelle, qui ne me croit point ; qui ne croit pas à mon désir de repos, ou plutôt d’inaction ; qui me prend pour un profond ambitieux ; qui me soupçonne de vastes desseins ; que je laisse très intrigué, pensif. J’en informe la comtesse de Movéans, à laquelle je déclare que je ne puis songer au mariage avant d’avoir reçu les épaulettes de capitaine. La comtesse semble désolée. Quelques heures plus tard, Mlle de Lahaye-Marmenteau et sa filleule partent pour Paris. Ce départ me soulage. Enfin, voilà quelque chose de fait. Maintenant, au tour d’Adèle ; ses propositions..... Je me remémore ces propositions dans leurs moindres détails, je les analyse, je les critique. Au fond, elles ordonnent systématiquement beaucoup de conceptions, d’idées, d’opinions, de projets qui se profilèrent déjà, plus ou moins fantomatiques, devant mon esprit. Des choses possibles, certes ; mais dont l’ombre m’épouvante ; auxquelles je n’ose penser que quelquefois, à la sourdine ; auxquelles je me défends de penser. L’idée seule d’une tentative de réalisation me terrifie : la crainte de l’effort à faire, d’abord ; mais aussi l’horreur de toute rébellion, inculquée par plusieurs années d’existence passive. J’arrive à me persuader à moi même que toute entreprise est vouée à l’avortement ; qu’Adèle me trahirait..... Je vais la prier, le lendemain, de ne pas compter sur moi. Je parle de devoir, de principes, d’honneur militaire... Elle m’écoute sans un mot, une flamme de colère dans les yeux, une moue de dégoût sur les lèvres. Rentré chez moi, je suis saisi d’une grande fièvre d’action. « Soyons homme ! » me dis-je. Je pense à arriver aux plus hauts grades à la force du poignet ; à travailler d’arrache-pied ; à me faire recevoir à l’École de Guerre. La nullité vaniteuse de quelques capitaines brevetés que j’eus l’occasion de coudoyer, et que je me rappelle, me fait renoncer à ce projet sitôt ébauché ; du moins, c’est un prétexte que je me donne. Et puis, est-ce que mon père a jamais eu besoin de tant étudier, pour décrocher les trois étoiles ? Je ferai comme lui. Du moment qu’on porte une épaulette..... Là-dessus, j’éprouve le besoin de converser quelque peu avec Mme de Rahoul. — Figurez-vous, madame, lui dis-je, qu’on m’a proposé de donner ma démission et de me lancer dans la politique. — Seigneur ! s’écrie-t-elle. Donner votre démission ! Mais à quoi pense-t-on ? Abandonner la carrière militaire ! Renoncer à l’épaulette ! Quelle folie ! Voyez-vous, mon cher enfant, il n’y a que les gens qui appartiennent, qui ont appartenu à l’armée, qui sachent la comprendre et l’apprécier..... ! La bonne dame parle, parle ; elle dit que la profession militaire est la plus belle de toutes ; elle dit que le désintéressement, l’héroïsme ne se trouvent intacts que sous l’uniforme ; elle dit des choses qui heurtent mon esprit et calment mes nerfs ; elle s’interrompt, elle reprend, — elle somnole..... ..... Plus ou moins ouvertement, les camarades du régiment se moquent de moi. Ces dames ne me trouvent pas en formes, décidément. La filleule du général de Lahaye-Marmenteau m’a plaqué, comme m’avait déjà plaqué la notairesse. Mon amour-propre est blessé. Si je pouvais prouver à ces cancaniers que je suis rentré en grâce auprès de Mme Hardouin ? Je cherche un moyen ; et je crois en avoir trouvé un. ⁂ Il existe au bout de la propriété du notaire une petite porte par laquelle, il n’y a pas encore longtemps, je m’introduisais souvent dans le jardin, vers les minuit ; je me dirigeais avec précaution jusqu’à la maison ; je lançais du gravier contre la fenêtre de la chambre occupée par la notairesse, et cette épouse adultère descendait me chercher quelques instants après. J’ai conservé la clef de la petite porte. Si je recommençais le manège qui m’a si souvent réussi ? Il est justement onze heures et demie..... Me voilà dans la rue ; ouvrant sans bruit la petite porte ; me glissant dans le jardin — et apercevant tout d’un coup la grande porte vitrée du salon ouverte et le salon lui-même vivement éclairé. Je suis sur le point de rebrousser chemin, mais la curiosité me retient ; je m’approche le plus possible, tout doucement. Il y a dans le salon trois personnes, M. et Mme Hardouin, et Courbassol ; ce dernier est sur le point de se retirer ; après quelques phrases banales qui parviennent distinctement à mes oreilles, il prend congé. Mme Hardouin, à ma grande joie, se dispose à quitter le salon. Mais, comme elle va sortir, son mari la retient. — Je désirerais vous parler, lui dit-il ; voulez-vous m’accorder quelques instants d’entretien ? — Très volontiers, répond-elle avec étonnement. De quoi s’agit-il ? — Je vais vous l’apprendre aussi brièvement que possible, dit Me Hardouin en s’asseyant et en faisant signe à sa femme de l’imiter. Depuis deux ans, nous ne sommes mariés que de nom. Pour mon compte, je vous ai beaucoup aimée physiquement. Je vous ai épousée, vous le savez, pour votre beauté ; non pas par coup de tête, mais par raison. J’ai de mauvais instincts, voyez-vous ; des instincts anti-sociaux. Je m’en suis toujours méfié, mais je n’ai jamais pu les dompter. La grande défiance que j’ai de moi-même m’a poussé à ne point m’établir à Paris, comme je l’aurais pu, et à venir accrocher mes panonceaux à Malenvers. Ce que j’ai fait sous ces panonceaux, ce qui s’est passé dans mon étude, j’aime autant ne pas vous le dire en détail. Vols, escroqueries, spoliations, faux, mensonges, horreurs de toutes sortes. C’est le bilan de la profession ; mais je l’ai enluminé de culs-de-lampe inédits. Nous sommes des corbeaux, mais j’ai joué le vautour ; j’ai risqué le bagne trois cents fois. L’attachement profond de ma première femme, qui m’avait deviné, l’affection énorme que je porte à ma petite fille, n’ont pu me retenir. J’espérais que le violent amour physique que vous m’inspiriez tuerait en moi les dangereux instincts. Au bout de quelques mois, j’ai été détrompé. De là est venu, subitement, ma froideur envers vous. Je vous ai dédaignée. Vous avez pris votre revanche, votre revanche de femme. Vous avez bien fait. Mme Hardouin ne proteste pas, ne fait pas un geste ; elle écoute, immobile, comme hypnotisée par son mari. Le notaire reprend : — Il vaudrait mieux, à tous les points de vue, que nous reprissions chacun notre liberté. C’est une chose qu’un divorce seul pourra nous permettre. Je vous proposerais bien de me faire pincer en flagrant délit d’adultère avec la première guenon venue. Malheureusement, c’est impossible ; cet acte immoral au premier chef m’enlèverait la confiance de mes clients ; et j’ai besoin de leur confiance. Il faudra donc vous dévouer et entendre le divorce prononcé en ma faveur. Cela, dans l’état actuel des mœurs parisiennes et parlementaires, ne saurait vous gêner. Quand vous serez madame Courbassol..... Mme Hardouin sursaute. — Il faut que vous soyez Madame Courbassol, prononce lentement le notaire. Il le faut. Prenez vos précautions ; au besoin, je vous aiderai. Je regarde donc la chose comme faite ; et je vous considère dès ce moment comme l’épouse divorcée du sieur Hardouin, femme Courbassol. Maintenant, écoutez bien. Dès que la Loi vous a liée à Courbassol, c’est-à-dire après que j’ai eu le temps de jouer le rôle de victime qui me vaudra considération et confiance, je lève le pied avec les fonds de mes clients. Je mets ces fonds en lieu sûr, et je me constitue prisonnier. Je suis jugé, condamné, le tout conformément aux usages du notariat, et incarcéré. C’est ici que je compte sur vous. Il faudra que, grâce à Courbassol et aux influences dont il dispose, vous me fassiez évader. Ces choses-là se font assez souvent avec la connivence du gouvernement. Je passerai pour mort, si l’on veut. Et je pourrai entreprendre tranquillement à l’étranger, et à l’abri de toutes demandes d’extradition, un petit trafic conforme à mes aptitudes réelles. La chose vous convient-elle, en principe ? — Mon Dieu ! murmure Mme Hardouin au bout d’un instant, tout ce que vous venez de me dire m’étourdit tellement... — Des étourdissements ne constituent pas une solution, ricane le notaire. Vous avez à choisir. La continuation de votre existence à Malenvers, existence qui vous déplaît et que je puis rendre pire dans tous les sens, ou bien la liberté et une vie nouvelle, agréable et facile. Si nous nous entendons, je vous indemniserai largement du temps que vous m’avez consacré. Quant à l’exécution du plan, je m’occuperai de tous les détails. Vous n’aurez qu’à me laisser faire. En principe, acceptez-vous ? Mme Hardouin, très pâle, incline la tête en signe d’assentiment. — Je disais que vous n’auriez qu’à me laisser faire, continue Me Hardouin. Mais il faudra vous laisser faire aussi. Vous ne pouvez vous laisser pincer avec Courbassol. La loi vous interdit d’épouser votre complice. Dura lex, sed lex. Une idée. Si vous vous faisiez prendre avec ce petit officier, le lieutenant Maubart ? — Je lui ai écrit l’autre jour, murmure la notairesse, que je ne voulais plus le voir. — Bon. Il viendra vous demander des explications. Prévenez-moi de l’heure. — Mais, hasarde timidement Mme Hardouin, s’il ne vient pas ? — Dame ! Alors, il y a Renard, mon premier clerc. Il y a longtemps qu’il vous aime. — Oh ! vraiment, proteste la notairesse... Mais, ajoute-t-elle, on peut toujours faire semblant... — Ce ne serait pas suffisant, dit le notaire. Il se douterait de quelque chose, et il faut qu’il n’ait aucun soupçon. Du reste, une fois de plus ou de moins... Vous en verrez bien d’autres, dans la politique !... Renard est un gentil garçon ; je ne l’ai pas augmenté depuis longtemps, et je suppose qu’il est resté à l’étude pour vos beaux yeux. Vous lui devez un dédommagement. Donnez-le lui. Mme Hardouin se lève et fait quelques pas vers la porte. Son mari vient à elle, la main tendue. — Si vous acceptez, ma chère amie, topez-là. Elle met sa main dans celle du notaire, et sort. Me Hardouin, resté seul, se frotte les mains ; puis, il vient fermer la porte vitrée et éteint le gaz. Je ne dirai pas un mot des sentiments qui m’agitaient tandis que j’écoutais cette conversation. Je suis sorti du jardin, je suis rentré chez moi, et j’essaye de remettre un peu d’ordre dans le chaos de mes pensées. Personnellement, je me félicite de ce que j’ai fait ce soir ; si j’avais attendu jusqu’à demain... Je l’ai échappé belle. Je garderai le silence sur tout ce que j’ai entendu, naturellement ; et je ne veux juger personne. Cette femme, pourtant... Je l’ai aimée — un peu, beaucoup, passionnément — pas du tout. Le plus souvent, pas du tout. Et nous n’en parlerons plus. À moins que... À moins que je ne vous donne le dénouement, et même la moralité de l’histoire. Tout s’est passé le mieux du monde. C’est-à-dire que Mme Hardouin a été surprise en flagrant délit d’adultère avec le premier clerc Renard ; que le divorce a été prononcé entre les époux Hardouin au profit du mari ; que l’ex-notairesse n’a pas tardé à devenir Mme Courbassol ; que Me Hardouin a disparu avec les épargnes confiées à ses soins vigilants ; qu’il a reparu, peu de temps après, et sans un sou ; qu’il a été jugé et condamné à plusieurs années de réclusion ; qu’il doit subir sa peine à la maison centrale de Saint-Orme, près de Malenvers ; qu’il est actuellement incarcéré dans cette prison... Non, non ! Il n’y est plus. Il s’est évadé. Mon camarade, le lieutenant Labourgnolle, m’a raconté ce qu’il a vu, l’autre matin, étant de service à l’établissement pénitentiaire. Il a vu sortir de la prison un prêtre qui, lui a-t-on dit, était entré visiter les détenus avant qu’on eût relevé la garde. Ce prêtre, qui était accompagné par le gardien-chef, a été rejoint au dehors par un autre ecclésiastique, l’abbé Lamargelle ; ils sont montés tous deux dans une voiture qui les attendait et qui est partie dans la direction d’une gare voisine. Labourgnolle a essayé de faire parler le gardien-chef, qui s’est drapé dans sa dignité et est resté muet. Mais Labourgnolle avait eu le temps de reconnaître le prêtre au passage, en dépit des précautions prises. Et il est sûr, complètement sûr, que ce prêtre n’était autre que le notaire Hardouin. Moi aussi, j’en suis sûr ; plus sûr encore que Labourgnolle. D’autant plus certain que Courbassol est, depuis quelque temps, ministre de la justice. Oui, c’est Hardouin que le gardien-chef de Saint-Orme aidait à s’évader ; ce gardien-chef qui prétend ne connaître que le devoir et la consigne, qui est si horriblement dur pour les prisonniers, qui se vante d’être inflexible... La brute ! Il y a deux mois environ, comme je commandais la garde à Saint-Orme, il vint durant la nuit, avec des chaussons caoutchoutés et une lanterne sourde, prendre le fusil d’un de mes hommes qui sommeillait en faction. Malgré toutes mes objurgations, il fit son rapport, assurant faussement que le soldat dormait à poings fermés. Et le soldat passa devant le conseil de guerre, et fut sévèrement condamné. Je ne puis penser au crapuleux gardien-chef sans me rappeler, par une association d’idées assez naturelle, ce que m’a dit l’abbé Lamargelle : les gouvernements, anxieux d’enlever aux peuples, avant qu’ils aient appris à en faire un outil d’émancipation, la force militaire qu’on tremble de voir en leurs mains. Je songe alors au cri des soldats, de garde dans les chemins de ronde : Sentinelles, prenez garde à vous !... Et cette pensée me revient souvent pendant les mois que je passe encore à Malenvers, m’ennuyant, ennuyé, ennuyant les autres. Le 20 novembre 1890, je suis à Bruxelles. J’ai été envoyé en Belgique par le bureau des renseignements du ministère de la guerre. Ce bureau avait été avisé de la présence, dans la capitale brabançonne, de personnages suspects ; son agent secret, un certain Foutier, l’avait mis au courant des allées et venues de ces personnages, mais n’avait pu l’informer du caractère de leurs occupations ; les individus, vraisemblablement sujets britanniques, parlant anglais, et l’agent n’entendant pas cette langue. Le bureau des renseignements comprit la nécessité d’envoyer sur les lieux un officier parlant anglais et capable de se livrer au contre-espionnage avec intelligence. Cet officier n’existant pas au ministère, où l’on est trop patriotique pour connaître autre chose que les rudiments du français, il fut décidé qu’on le chercherait dans les corps de troupes. Mon père, immédiatement, me proposa ; il avait vu là, du premier coup, une excellente occasion de me faire obtenir de suite une situation au ministère, et peu de temps après les galons de capitaine. Je fus mandé à Paris ; la mission me fut confiée. Je me suis rendu à Bruxelles et me suis abouché avec l’agent secret. Ce Foutier est un être ridicule, capable tout au plus d’être le plat valet d’une coterie. Son ignorance est sans bornes en dépit (ou plutôt en raison) du ruban violet qu’il arbore à sa boutonnière ; une sorte de commerçant louche qui n’évite la faillite que grâce aux subsides qu’il arrache à la naïveté de l’État-Major. Ce paltoquet m’a donné des informations, absurdes à première vue, sur les individus suspects, et m’a affirmé qu’il avait mis le gouvernement à même de s’assurer de machinations qui ne tendent à rien moins qu’à ceci : la conquête de la Belgique par l’Angleterre, appuyée par l’Allemagne. Je me suis mis en campagne. J’ai filé, comme on dit, les individus désignés, deux hommes d’une trentaine d’années environ ; je les ai épiés à l’hôtel du Roi Salomon, où ils sont descendus. J’ai vite acquis la certitude que ces personnages mystérieux n’étaient autres que de vulgaires voleurs. J’ai écouté, sans qu’ils s’en doutassent, leurs conversations qui m’ont vivement intéressé, car elles m’ont révélé un côté de notre vie sociale que j’ignorais profondément. (Voir Le Voleur.) Ce matin encore, j’ai déjeuné à l’hôtel du Roi Salomon, et j’ai entendu ces messieurs discuter au sujet de la vente de bijoux qu’ils ont achetés au prix faible, la nuit dernière, à des marchands qui dormaient. Ma conviction étant établie, je me demande si je vais en faire part au nommé Foutier ou envoyer simplement mon rapport au ministère. Je ne tiens pas à revoir le nommé Foutier. Il m’a montré, il est vrai, des lettres émanant des chefs du second bureau qui le félicitent de son habileté et de son zèle, et dans l’une desquelles on lui dit : « Vous devez vous considérer comme un bénédictin. » Néanmoins, je persiste à me représenter le nommé Foutier moins comme un bénédictin que comme un frère quêteur. Mon unique entrevue avec cet être me suffit ; elle m’a fait voir, une fois de plus, de quelle façon honteuse se gaspille l’argent des contribuables. Non, je ne reverrai pas le nommé Foutier. Ce n’est pas sa qualité d’espion qui me répugne, c’est son incapacité comme espion. Un espion peut avoir son intérêt, voire sa grandeur ; il peut faire preuve de talent, de dévouement, même de génie... Et je pense à ce colporteur du plateau de Satory, qui s’appelait Holzung, qui était un officier allemand, qui était l’ami de mon oncle Karl, et qui tomba pour sa patrie, sous les balles d’un peloton d’exécution, au début de la guerre de 1870... Ce Holzung, qui ne se considérait sans doute pas comme un bénédictin, était un Prussien, et le Foutier, qui se considère probablement comme un Français, n’est qu’un ignorant mouchard. Il est digne de figurer, comme inutile utilité, à la suite des premiers rôles de l’actuelle tragi-comédie française, à la suite de ces épauletiers qui ne savent pas l’allemand et dont les épées se recourbent en pinces-monseigneur, à la suite de ces diplomates qui ne savent pas l’anglais et dont le verbiage ne constitue qu’un boniment d’escrocs. Non, je n’irai pas voir le Foutier. J’aurais à lui dire que les hommes qu’il a pris pour des agents britanniques sont des voleurs, et il les dénoncerait pour avoir vingt francs, — ou la croix d’honneur si les coffres de l’État sont vides. — Je ne tiens pas à causer l’arrestation de ces criminels. D’abord, le voleur, le voleur franc, le cambrioleur, me dégoûte beaucoup moins que le charlatan militaire ou l’histrion politique. Puis, ces brigands m’ont vivement intéressé ; ils ont presque excité ma sympathie ; leur existence accidentée ne doit rien avoir de déplaisant ; il ne faut pas oublier non plus que s’ils portent des instruments de destruction, c’est pour s’en servir. Tout le monde ne pourrait pas en dire autant. L’épée n’est souvent qu’un attribut de parade ; mais la pince n’est pas une blague. J’entre dans un café. Bien que l’établissement soit des plus vastes, j’ai peine à y trouver une place. Des gens affublés d’habits militaires, mais d’allure peu martiale, l’encombrent. L’armée belge, garde civique comprise, est en liesse ; j’ignore pourquoi. Ce ne sont que chapeaux brodés, panaches, kaulbachs et casques ; des sabres et des épées d’une longueur inouïe ; des médailles pareilles à des fonds de casseroles ; des aiguillettes comme des cordes à puits ; des galons dont un collet étoilé arrête à grand’peine la marche ascendante et tortueuse ; des épaulettes semblables à des cacolets ; des plumets qui balaient la nue. Il y a tant de dorures qu’on ne voit guère les hommes, et j’éprouve une grande difficulté à évoluer parmi tous ces guerriers. Décidément, ils ont pris d’assaut toutes les chaises. Pas toutes. Il y en a encore une, là-bas, tout au fond, devant une table à laquelle est assis un pékin qui lit un journal. Je vais lui demander la permission de prendre place en face de lui. Et je découvre tout à coup — réellement, ces choses-là n’arrivent qu’à moi ! — que je connais ce pékin. C’est M. Issacar ; M. Issacar qui se déclare, ma foi, enchanté de me rencontrer. Après quelques plaisanteries faciles sur l’armée belge, M. Issacar m’apprend pourquoi il se trouve à Bruxelles : une petite surveillance exercée sur l’entourage du général Boulanger. J’ai un léger mouvement de recul, mais M. Issacar fait semblant de ne pas s’en apercevoir. — C’est là, dit-il d’un ton dégagé, une de ces missions qu’on est forcé d’accepter lorsqu’on a quelque ambition. Je voudrais me faire une petite situation ; et, comme je n’ai personne pour m’aider, je m’aide moi-même, afin que le ciel me vienne en aide. Il y a l’honnêteté dans les buts et l’honnêteté dans les moyens ; elles vont rarement ensemble, malheureusement ; le mieux est d’en prendre son parti. Pour moi, je place l’honnêteté dans mon but ; je ne dis pas : l’honneur, bien entendu ; il appartient à l’armée. Du reste, il ne faut pas être trop terre-à-terre ; ce qui est religion pour le peuple est la négation même de la religion pour les gens supérieurs. Et puis, qu’est-ce que c’est qu’un principe ? Un expédient auquel on a laissé le temps de moisir. Pourtant, il ne faut pas médire des principes ; ils nous épargnent une grande perte de temps. À propos, cher Monsieur, j’espère que vous n’avez pas perdu les heures que vous avez passées à Bruxelles ? Je suis tout interloqué et ne sais que répondre. Mais M. Issacar, à ma surprise plus grande encore, me tire de mon embarras en ajoutant : — Je veux parler de la petite affaire dont vous étiez chargé ; ces deux individus signalés... Vous savez que, d’une administration à une autre, la jalousie aidant, il n’y a guère de secrets. J’ai donc su... Je présume que vous n’avez pas eu de mal à découvrir la stupidité des informations du sieur Foutier. — Ç’a été l’affaire de quelques instants, dis-je en me résolvant à parler sans détours. Ces agents anglais ne sont que des voleurs. — Oui, répond M. Issacar ; des gens qui commettent des actes extra-légaux. On a dit que les lois sont des inventions diaboliques qui permettent aux coquins de s’engraisser de la substance des imbéciles ; voilà une parole que les scélérats en question auraient bien fait de méditer. Ils auraient sans doute commencé leur droit au lieu de faire des fausses clefs ; ce n’est pas plus difficile. Ils aiment tant l’argent et ils sont si pressés d’en avoir qu’ils n’ont sans doute pas pensé à cela. L’argent, entre nous, est un fléau. Pourtant, si on le supprimait, cet argent qui seul donne de l’intelligence à la masse, la grande majorité de l’espèce humaine sombrerait immédiatement dans l’imbécillité sans fond et sans espoir. Pouvez-vous vous faire une idée de pareille catastrophe ? Et pouvez-vous, si vous êtes en veine d’imagination, vous figurer la surprise des Anglais, lorsqu’ils apprendront dans quelques jours qu’ils sont sur le point de conquérir la Belgique ? — Comment apprendront-ils une chose semblable ? — Par la voie de la Presse française à laquelle sera communiqué le rapport que vous allez faire. — Mais, dis-je, je me bornerai à déclarer dans ce rapport que l’agent Foutier a suivi une fausse piste, et que... — Ne faites pas cela ! s’écrie M. Issacar. Ne faites pas cela, ou vous briserez votre avenir ; vous vous créerez des inimitiés qui ne pardonneront jamais. Je vous en préviens sérieusement. Je suis ici pour vous prévenir. — Comment ! Vous ne m’auriez même pas vu si je n’étais entré dans ce café où je vous ai aperçu par hasard. — J’y suis entré sur vos pas, dit Issacar ; je vous suis depuis votre arrivée à Bruxelles. Vous ne vous en êtes pas aperçu, mais c’est comme ça. Ce que vous deviez découvrir ici, je ne l’ignorais pas ; je n’ignorais pas que les renseignements donnés par Foutier au ministère étaient erronés ; je le savais d’autant mieux que, ces renseignements, c’est moi qui les lui avais fait tenir. — Pas pour votre compte, je pense, car je ne crois pas que vous désiriez supplanter Foutier. Alors, à l’instigation de qui ? — C’est assez difficile à dire. À l’instigation d’un homme qui en représente plusieurs autres, qui en représentent un autre. Mettez, si vous voulez, que le premier s’appelle Camille Dreikralle ; les seconds, Raubvogel, Triboulé, etc. ; et le troisième, de Trisonaye. — Vraiment, dis-je, de plus en plus surpris, je ne comprends pas... — Je ne puis vous en dire davantage, répond Issacar. Du reste, si vous avez besoin d’explications supplémentaires, je crois que monsieur votre père pourra vous les donner à Paris. Écoutez seulement le conseil que je vous donne, de ne rien faire en hâte, et vous m’en remercierez. Je ne réponds pas. Je ne sais, ni que croire, ni que penser. Il me semble bien qu’Issacar ne parle ni à la légère ni pour son propre compte. Mais alors, quelle est la signification, la portée du rôle que j’ai commencé à jouer sans m’en douter ? J’ai été, je le vois, l’agent inconscient de tripoteurs haut placés probablement, qui maintenant réclament de moi un faux témoignage ; et si je ne donne pas ce témoignage, je sens que je serai à leur merci et qu’ils me briseront comme verre. L’indescriptible horreur de la servitude militaire m’apparaît tout d’un coup. Et beaucoup de choses que je sais, que j’ai vues, qu’on m’a racontées, me reviennent soudain à l’esprit ; je me rappelle aussi ces fameux rapports que mon père expédiait par kilos, et le cœur léger, lorsqu’il était attaché à l’ambassade de Berlin. Est-ce que tout, absolument tout, alors, serait fraude, rapine et imposture ? — En vérité, dis-je tout bas, ce ministère de la guerre est comme une caverne ; on dirait qu’il n’y grouille que des coquins... — Il y a quelques honnêtes gens aussi, ricane Issacar ; il s’en fourre partout. Mais au fond, c’est un peu comme vous dites. Que voulez-vous ? L’homme est très corruptible. Il ne peut se guérir d’un mal qu’en employant des remèdes qui lui donnent une nouvelle infirmité ; la guerre produit la férocité ; et la paix, la dépravation. Il faut ajouter que le pouvoir provoque souvent un scepticisme énervé chez l’homme qui l’exerce, et excite ses appétits. — Cela n’excuse rien. On ne devrait pas oublier l’existence de la Patrie. — Voilà le point, reprend Issacar. On ne devrait pas oublier l’existence de la Patrie, et on l’oublie. Et savez-vous pourquoi les gouvernants l’oublient ? Parce que les gouvernés n’y pensent point. Qu’est-ce que c’est que la Patrie, pour le peuple en général ? On a dit que ce n’était qu’un mot ; mais c’est un peu plus ; c’est un excitant ; un stimulant aux tâches serviles et en somme inutiles ; un stimulant comme le café, l’honneur, l’alcool ou le paradis. Les choses étant ainsi, quel peut-être le patriotisme des gens au pouvoir ? Lorsque le peuple se décidera à faire de la patrie une réalité, ceux qui le gouvernent seront bien obligés d’en faire autant. Les foules ont toujours la sottise de croire que l’exemple doit leur être donné d’en haut ; mais c’est elles qui ont à donner l’exemple ; ou plutôt qui ont à donner des ordres. Ne croyez point aux souffrances des victimes ; à côté de celles des bourreaux, elles n’existent pas. Si vous saviez combien d’hommes politiques, qu’on a taxés d’indifférence, ont déploré la torpeur des masses ! — Le canon les réveillera, ces masses ! — C’est possible, dit Issacar ; bien que les gouvernements n’aient aucun intérêt à la guerre et n’en veuillent point. À propos. Dans l’éventualité d’une guerre entre la France et l’Allemagne, avez-vous pensé à l’intérêt que prendrait immédiatement le territoire belge ? Étant donné que la France ne pourrait se défendre effectivement que par l’offensive ; étant donné que les barrières élevées à l’Est par les Allemands sont infranchissables, et que ce serait folie pure d’aborder de front, si même possible, les défenses de Metz, de la forêt de Haguenau, et de Strasbourg, il est certain que c’est la Belgique qui ouvre la seule route praticable à une marche en avant vers l’Allemagne ; le point de direction, afin de tourner la ligne de la Meuse et les places du Rhin, Mayence et Cologne, devant se trouver au nord de Düsseldorf, du côté d’Elberfeld, vers la vallée de la Ruhr. L’étude du territoire belge et de son système de défense est donc des plus nécessaires ; on ne manque certes pas d’informations à ce sujet à Paris ; mais j’ai lieu de croire que la plupart de ces informations sont incorrectes ; et le jour où l’on voudrait envahir... — Croyez-vous donc que le gouvernement français oserait violer la neutralité belge ? — Pas le gouvernement bourgeois d’aujourd’hui, répond Issacar en souriant ; mais le gouvernement révolutionnaire qui lui succédera, dès les premiers coups de canon, c’est-à-dire après la première défaite française. La défaite de la France au début des opérations ne peut même pas être mise en question. Nous serons forcés d’abandonner Nancy, qu’un honteux article secret du traité de Francfort nous interdit de fortifier ; on parle, il est vrai, de créer un 20e corps d’armée dont cette ville serait le chef-lieu ; mais cela ne ferait qu’accentuer les difficultés de la retraite nécessaire derrière la ligne Verdun-Toul-Épinal, ligne mauvaise et trop étendue à laquelle on a eu le tort de ne pas préférer la création d’une région fortifiée, plus au sud. La France étant envahie, de deux choses l’une : Ou le peuple français, voyant 1870 recommencer, conservera sa confiance en ses chefs actuels ; et ce sera la débâcle et le démembrement ; ou il mettra à sa tête des hommes décidés à continuer la lutte par la Révolution ; et dans la main de ces hommes, la neutralité belge ne pèsera guère. De ces deux éventualités, la seconde est de beaucoup la plus probable. Et si, au moment voulu, on trouvait dans les cartons du ministère des documents de premier ordre sur la Belgique, la France devrait beaucoup à l’homme qui aurait fourni ces documents. À mon avis, vous pouvez facilement être cet homme. Profitez de l’occasion qui vous est offerte par l’affaire plutôt puérile à laquelle vous êtes mêlé et envoyez un rapport dans lequel vous donnerez des informations de la plus haute valeur ; vous prétendrez, naturellement, vous les être procurées par l’observation des faits, gestes, paroles et même papiers des individus qui vous furent désignés et que vous représenterez, ce qui ne tire nullement à conséquence, comme des espions anglais. La proposition me semble engageante ; pourtant..... M. Issacar continue : — Je vous fournirai, si vous voulez bien, tous les renseignements nécessaires. Je possède une grande quantité de documents que je mettrai avec plaisir à votre disposition. Les distances, etc., sont prises en mesures anglaises, ce qui donnera plus de vraisemblance à la fiction grâce à laquelle vous ferez passer de grandes vérités. Vous trouverez, dans les papiers que je vous communiquerai, des indications précieuses sur Anvers, le centre du système de défense belge, car les nouveaux et admirables forts de Namur et de Liége (construits principalement par des entrepreneurs français) ne sont que des têtes de pont. La valeur de la vieille enceinte, d’une circonférence de huit milles et demi, a été étudiée ; aussi, le cercle des anciens forts bâtis immédiatement hors de cette enceinte ; aussi, le second cercle de forts détachés. L’état très incomplet de ces derniers forts est détaillé ; tout le côté Est, complètement ouvert sur une distance de quatorze milles, de Lierre à Schooten, est décrit avec le plus grand soin. La situation des neuf nouveaux forts qu’on se propose d’élever est discutée. Quant à Lillo..... J’interromps M. Issacar. Pendant qu’il parlait j’ai pris ma détermination. Le conseil qu’il me donne est peut-être bon, mais je ne le suivrai pas. Je ne veux pas m’engager davantage dans une affaire qui me semble des plus louches. Je le déclare à M. Issacar. Il me prie de réfléchir ; me fait entrevoir le sort peu enviable d’officiers en disgrâce, surveillés, espionnés sans cesse ; mais il n’ébranle pas ma résolution. Nous sortons du café ensemble, et nous nous séparons bientôt. À peine ai-je quitté M. Issacar, que je regrette de ne pas avoir accepté ses offres. Mais je me cramponne à ma décision. Et, afin de ne point céder à de nouvelles tentations, je vais écrire et envoyer de suite au ministère un bref rapport dans lequel je déclare que les informations données par l’agent Foutier sont absolument sans base. ⁂ Quand j’arrive à Paris, mon père est déjà au courant de la communication que j’ai adressée à l’État-Major. Il ne cherche pas à dissimuler sa mauvaise humeur. On lui a fait sur mon compte les plus mauvais compliments ; on m’accuse de manquer d’esprit de subordination et d’intelligence, de ne pas savoir l’anglais. Mon père déclare que ces reproches ne sont guère exagérés. Ne m’avait-on pas déclaré, à mon départ, que les individus que j’avais à surveiller étaient des agents britanniques ? Ne m’avait-on pas dit qu’on attendait de moi une confirmation du rapport de l’agent secret ? J’aurais dû comprendre. Comprendre à demi-mot, cela révèle des aptitudes militaires. Un homme qui comprend à demi-mot possède le coup d’œil d’aigle nécessaire aux grandes opérations stratégiques. Mais moi..... Réellement, il désespère de mon avenir. La fibre militaire me manque complètement. — J’ai cru, dis-je, que dire la vérité était agir en soldat. — C’est agir en pompier ! répond mon père. Sous un régime démocratique comme le nôtre, un soldat est aussi un citoyen, mon garçon ! Et en cette qualité doit tenir compte des nécessités politiques. Ha ! Ha !... Mais on veut en faire à sa tête, ne rien écouter. Enfin..... Moi, je m’étais mis en quatre ; je pensais que je t’avais procuré le moyen de t’embusquer ici, tranquille comme Baptiste. Je te voyais déjà les galons de capitaine. Va te faire fiche..... Tout est à l’eau. Tu as une singulière façon de servir ! — De servir le gouvernement, oui. Je le méprise, ce gouvernement, ainsi que tous ceux qui l’ont précédé. Depuis 1870, les gouvernements disent à la France qu’ils n’existent que pour l’aider à réparer ses forces et pour la mettre à même de prendre sa revanche. Il mentent. Ils n’ont rien préparé et ils prêchent la paix à outrance. Si un homme ne tient pas sa parole parce qu’il ne veut pas la tenir, on dit que c’est un escroc ; s’il ne tient pas sa parole parce qu’il ne peut pas la tenir, on dit que c’est un banqueroutier. Il n’y a point de raisons pour ne pas appliquer les mêmes termes, le cas échéant, aux gouvernements. Mon père vient se camper devant moi et place ses deux mains sur mes épaules. — Mon pauvre enfant ! murmure-t-il, où as-tu pris des idées pareilles ? C’est ce que tout le monde pense, mais personne ne le dit. Si tu exprimes des opinions semblables, comment peux-tu espérer arriver à quelque chose ? Nous vivons sous un régime démocratique, c’est vrai. Mais, enfin, un soldat est un soldat ; ce n’est pas un citoyen. Et qu’est-ce qui constitue le soldat ? C’est l’obéissance. Nous ne devons pas avoir d’opinion personnelle ; nous devons être de l’avis de nos chefs. L’autre jour, le général de Paramel, chef de l’État-Major, m’a dit : « La République française est l’instrument des volontés de Dieu sur la terre, l’épée et le bouclier de son Église. » Ça m’a coupé la chique, je dois le dire, mais je lui ai répondu tout de suite qu’il avait raison ; qu’est-ce que ça fout ? Au fond, peut-être pas grand’chose. Et je fais expliquer à mon père pourquoi les bureaux tenaient tant à recevoir la confirmation de menées anglaises en Belgique. C’est assez compliqué, mais très simple. L’inventeur de la fameuse poudre qui assure à l’armée française une si grande supériorité sur ses rivales, M. Plantain, est depuis quelque temps déjà en mauvais termes avec le ministère de la guerre. Se croyant joué par l’élément militaire qui n’a pas conservé pour ses découvertes l’enthousiasme qu’il témoignait tout d’abord, M. Plantain est entré en relations avec une maison anglaise. Cette entrée en relations fut amenée par un certain Triboulé, capitaine d’artillerie de la territoriale et correspondant en France de la maison anglaise. — Tu te rappelles certainement avoir vu ce Triboulé chez Raubvogel ? Sa femme est si jolie ! C’est grâce à elle que Triboulé a depuis longtemps ses grandes et petites entrées au ministère. Bref, au moment où Plantain, dépité et découragé, allait signer un traité avec l’établissement anglais, il reconnut dans les pièces du dossier des plans français, des dessins d’appareils français. Il refusa de signer, s’informa, et acquit la certitude que les plans et dessins en question avait été volés à la France par Triboulé. Immédiatement, Plantain dénonça Triboulé. Cela se passait à la fin de décembre 1888. Depuis, Plantain n’a cessé de dénoncer, et M. de Trisonaye n’a cessé de refuser de tenir compte de ces dénonciations. Tu comprends, on ne peut pas poursuivre Triboulé. C’est un traître, incontestablement. Mais l’arrêter serait provoquer un énorme scandale. Triboulé est lié avec tout le monde, et il en sait long. Du reste, notre système de défense n’est pas atteint ; personne ne manque à son devoir, à part de rares exceptions ; l’armée est digne de la confiance du pays ; on exploite partout — et je crois que notre cousin Raubvogel s’en occupe — les découvertes de Plantain ; de cette exploitation, bien entendu, Plantain ne retire pas un sou. Tout est donc pour le mieux. À quoi bon réveiller le chat qui dort ? Malheureusement, ce Plantain ne veut pas comprendre ça ; il ne nous laisse pas en repos cinq minutes. On lui a promis des enquêtes, on a nommé des commissions ; et il n’est pas content ! Il y a des gens qui sont insatiables. Dernièrement, il a fait une nouvelle démarche, menaçant de faire un scandale si on n’arrête pas Triboulé. C’est dégoûtant. Mme Triboulé est venue pleurer ici pendant un quart d’heure. J’ai eu toutes les peines du monde à la consoler, la pauvre petite. Comment se débarrasser de Plantain ? Voici, je pense, ce qu’on avait imaginé. Si tu avais envoyé de Bruxelles un rapport constatant la présence dans cette ville d’agents britanniques tramant de noirs complots, ce rapport aurait été communiqué à la Presse, par des voies détournées ; un grand mouvement d’opinion contre l’Angleterre aurait été créé artificiellement ; profitant de l’agitation, M. de Trisonaye se fût fait interpeller par un faux ennemi ; il eût empoché un ordre du jour rédigé par un ami, l’assurant de la confiance de la Chambre et l’invitant à poursuivre toutes les culpabilités. Le soir même, Plantain eût été arrêté, tout seul, et il eût été condamné au maximum, malgré toutes ses protestations. — C’est simplement honteux ! m’écrié-je. — Certainement, répond mon père ; c’est ce que j’ai toujours dit. Ces dénonciations continuelles faites par Plantain sont absolument honteuses ; elles sont indécentes ; elles portent atteinte au prestige de l’armée. Je suis heureux de voir que tu en conviens toi-même. Que ne t’ai-je exposé les choses plus tôt ! Tu aurais compris... Et le ministre eût pu faire arrêter Plantain. Tandis qu’à présent... Ah ! quelle sottise tu as faite ! Il me semble que je rêve, que je me débats dans un horrible cauchemar. C’est infâme, infâme, infâme... — Voilà pourquoi, dis-je me parlant à moi-même, voilà pourquoi Issacar avait été envoyé par Camille Dreikralle pour me pousser... — Dreikralle ? s’écrie mon père. Tu dis Camille Dreikralle ? Il paraît réfléchir ; et, au bout d’un instant, s’avance vers moi. — Mon garçon, me dit-il, tu as commis une sottise. Mais tu ne pouvais rien faire de plus habile. Il m’est impossible d’amener mon père à expliquer ses paroles. Peu importe ; je sais que, n’ayant pas fourni au ministre les faux derrière lesquels il aurait abrité l’infamie qu’il méditait, je serai disgracié. Quelques jours plus tard, en effet, je suis affecté à un régiment stationné dans le Nord ; le bataillon dont je dois faire partie tient garnison à Navesnes. ⁂ Navesnes est une petite ville lugubre ; la tristesse monotone et sale qui caractérise les agglomérations des départements industriels, qui leur donne un aspect hostile, las, peureux, défiant. On dirait que les maisons sont rongées de la lèpre de l’esclavage ; qu’elles rampent devant les hautes cheminées des usines qui les bafouent ; qui érigent leur insolence de nouvelles tours féodales et crachent, sous la liberté du ciel bleu, le ciel noir des servitudes sans fin. La population ne respire que dans la respiration des machines ; son pouls ne bat que dans le va-et-vient des pistons. Ça pue la misère ; ça empeste la patience. Les faces n’ont point d’expression. C’est comme si l’éclat de la vie s’était échappé de toutes les prunelles, pour venir se figer sur l’acier des monstres qui mâchent la vapeur meurtrière, sur l’acier des baïonnettes qui prolongent les fusils Lebel, protecteurs de l’Ordre. Dans une ville pareille les distractions sont rares et difficiles. Les riches mêmes ne peuvent jouir avec intelligence de leur argent ; il n’y a pas de bibliothèque. On est invité de temps en temps chez les grands patrons, qui vous offrent la pâtée arrosée de champagne que le possédant doit à son chien de garde. Bon souper, souvent ; bon gîte, quelquefois ; mais le reste, non. Ce serait peut-être possible, mais ce serait sans doute long ; et, généralement, le jeu ne vaut guère la chandelle que tient le mari, entre ses comptes. Quelques dames, dans la ville, plus ou moins boutiquières, et coiffées à la dernière mode des Bersaglieri. Farouches, farouches. C’est avec peine que j’ai pu découvrir une bourgeoise veuve, travaillée par l’âge critique dans un mobilier moral. Je m’en contente. Le sage sait se contenter de peu. Voilà une chose que n’ignorent pas les ouvriers, mâles et femelles, ilotes de l’usine. Ils sentent que le peu, le très peu qui leur est accordé, doit leur suffire ; leur résignation est vraiment chrétienne. Ils semblent comprendre que leur vie ne leur appartient que parce qu’elle est utile à leurs maîtres. C’est là un sentiment purement humain, et qu’on ne trouve ni chez les vaches, ni chez les cochons, ni chez aucun des bons animaux qu’on mange. Mon parent, M. Delanoix, sénateur du Nord, et qui a des intérêts dans plusieurs des filatures du pays, a fait deux voyages à Navesnes. Chaque fois, des réunions ont été organisées, où il a pris la parole. Delanoix sait parler aux ouvriers ; il leur parle de ses débuts, qui ont été laborieux et pénibles ; de l’honnêteté, sans laquelle on n’arrive à rien ; de l’ordre et de l’économie, qui mènent à tout ; du travail, qui est la liberté ; du gouvernement, qui veille paternellement sur la classe ouvrière. Enfin, il sait leur parler. Il leur dit de se méfier des meneurs, et leur prêche la modération. Vous avez faim ? Soyez modéré. Votre femme grelotte sous des haillons ? Soyez modéré. Vos enfants, rongés par la maladie, n’ont ni remèdes, ni nourriture ? Soyez modéré. La misère vous étrangle et vous dépèce ? Soyez modéré. Vous crevez ? Modérez-vous. Ne crevez, mon ami, qu’avec la plus extrême modération. Quelquefois, devant les faces hâves des esclaves qui sortent de leurs géhennes, je pense à tous ces monstres, épouvantails créés par des imaginations malsaines, que les Pauvres ont placés comme d’inconquérables sphinx sur les chemins du bonheur ; le Capitalisme, le Militarisme... Capitalisme ? Le Capital, c’est le crédit que leur patience imbécile fait à la cupidité des Riches. Militarisme ? L’Armée, c’est leur sang, leur chair et leur argent ; elle est formée par eux, elle est payée par eux. C’est eux, l’Armée. C’est eux qui tiennent le sabre — ce grand couteau qui finira bien, j’espère, par couper du pain pour tous. Le tambour bat, le clairon sonne. Qui reste en arrière ? Personne. C’est un peuple qui se défend. En avant ! C’est un peuple qui se défend. Un peuple riche, heureux, plein d’honneur et de patriotisme, épris de traditions grandioses, qui se sent tout à coup menacé dans la tranquille possession de ses biens et dans la sérénité de ses digestions par la malignité de l’Ennemi. Sus à l’Ennemi ! Sus à l’Ennemi !... Deux compagnies, l’une appartenant à mon bataillon, l’autre à un bataillon du 245e de ligne qui tient aussi garnison à Navesnes, reçoivent l’ordre de partir sur-le-champ. Nous partons. Tenue de campagne, avec tous les accessoires, vivres pour plusieurs jours, cartouches au complet, la menace au coin de la bouche et la bravade au coin de l’œil. Le commandant Bacardier est à la tête de ma compagnie, le commandant Sappue est à la tête de la compagnie du 245e. Les autorités civiles sont à la station pour assister à notre départ. Le nouveau sous-préfet, M. Issacar — titulaire de la sous-préfecture de Navesnes depuis quelque temps — a une conférence avec les deux commandants pendant que l’embarquement des hommes s’opère tant bien que mal, plutôt mal que bien. Puis, tout étant prêt, il passe lentement devant les wagons, et je remarque sur sa face une expression de gravité qui me surprend un peu. Au passage, M. Issacar échange quelques paroles avec moi ; on dirait qu’il cherche à faire vibrer l’autorité dans sa voix. Pourquoi se donne-t-il ces airs importants ? Je n’aime pas les gens qui se prennent si fort au sérieux. Mais le train s’ébranle, et d’autres préoccupations s’emparent de moi. Je ne pense plus qu’à l’Ennemi. ⁂ L’Ennemi. Une face émaciée, blafarde, lasse, tellement fatiguée ; une face aux joues creuses, à la bouche tordue par un douloureux rictus, aux yeux éteints, comme noyés ; une face que la misère a serré dans son étau, très fort, et sur laquelle la faim a frappé à petits coups, très longtemps. Et cette face sur des corps d’hommes que ronge l’alcool, que mine le travail bestial ; sur des corps de femmes dont la misérable anatomie se dissimule sous des haillons ; sur des corps d’enfants qu’alourdit et courbe vers la terre hostile le pressentiment de la vie. La chiourme productive. Voilà l’ennemi que doit tenir en échec la chiourme soldatesque. C’est pour assurer l’ordre que nous avons été envoyés de Navesnes à Courmies. Il paraît que les serfs de l’usine ont menacé de chômer demain vendredi, 1er mai, fête du travail. Les patrons se sont immédiatement solidarisés et se sont engagés à renvoyer tous les ouvriers qui ne se présenteraient pas à l’atelier le 1er mai. Là-dessus, une certaine agitation s’est produite. Le maire, effrayé, a écrit au sous-préfet pour demander des troupes ; et le sous-préfet, au lieu d’intervenir auprès des industriels, a envoyé des soldats. Notre arrivée a été accueillie par quelques démonstrations hostiles, mais sans grande importance ; les gens du pays, nous le savons, sont d’un caractère contrariant, au moins à la surface. Les patrons étant opportunistes (ainsi que beaucoup d’honnêtes gens) les ouvriers, par esprit d’opposition, ont été successivement bonapartistes et boulangistes. On prétend qu’ils commencent à mordre au socialisme. Il y a, dit-on, quelques commis-voyageurs du marxisme qui pérorent ce soir dans la ville. Ils prêchent le calme, pour commencer. Ils disent que les marxistes « restent dans la tradition historique ; et qu’ils cherchent à faire arriver au pouvoir la classe ouvrière, afin qu’elle puisse alors légiférer selon ses intérêts, comme le fit la bourgeoisie en 1789 ». Pour finir ils prêchent la modération. Delanoix doit être jaloux. Il est justement ici, Delanoix. Il est arrivé ce matin et cherche, en sa qualité de père conscrit, à rétablir la bonne harmonie entre patron et ouvrier. Que faut-il pour cela ? Un peu de complaisance de part et d’autre. Que les salariés fassent toutes les concessions, et que les chefs d’établissements les acceptent. Malheureusement, les salariés ne veulent plus écouter M. Delanoix. Ils préfèrent écouter les socialistes, qui leur disent exactement la même chose, mais d’une façon un peu plus neuve. Delanoix fait la grimace, paraît songer profondément. Deux ou trois phrases qu’il m’a dites ce soir m’ont livré le secret de ses méditations. Il pense à se faire socialiste. Qu’a-t-il à risquer ? Il a été assez habile pour devenir un bourgeois ; il sera assez habile pour le demeurer, sous tous les régimes. Si jamais la classe ouvrière arrive au pouvoir pour légiférer dans ses intérêts, ce sera la bourgeoisie nouveau système (c’est-à-dire ancien système). Et Delanoix consentira aisément à porter un knout au lieu d’un parapluie. Ah ! ce n’est pas une chose commode, pour les forçats du travail, de choisir entre les panacées qu’on leur propose. Tout est confusion dans leur esprit, si vieux et si puéril. À voir de quelle façon dérisoire ils étalent leurs souffrances, on comprend qu’ils ne puissent réussir à leur trouver un remède simple ; on comprend qu’ils se laissent berner sans trêve par la sottise rapace des charlatans. Et comment voulez-vous qu’ils expriment leurs misères morales, même qu’ils s’en rendent compte ? Ils sont hors d’état de dire au médecin de quoi ils souffrent, quand ils sont malades. Tant d’êtres qui ont cessé d’exister comme individus et qui sont devenus des choses ; des choses qu’on jette au rancart, à la voirie, dès que leur capacité de production disparaît ou s’affaiblit. Tant d’êtres pour lesquels la perte d’un membre, d’un bras, d’une jambe, d’un doigt, signifie la débine noire, la stagnation, la mort... Et ce sont ces pauvres êtres qu’on nous ordonne de rejeter dans leurs bagnes, à la pointe des baïonnettes — nous ! nous qu’ils payent ! — Quelle farce ! quelle lâcheté ! C’est battre un infirme avec ses béquilles... Ce matin, 1er mai, les ouvriers se sont rendus aux ateliers. Mais ils n’ont pas tardé à en sortir, décidés à chômer. Ils se sont répandus par les rues, formant des groupes, discutant. Nous recevons l’ordre de faire des patrouilles et de disperser les rassemblements. Il y a quelques escarmouches ; et aussi quelques arrestations. Les prisonniers sont enfermés à la mairie. L’agitation semble croître. Des patrouilles sont attaquées par la population, surtout par les femmes, et tirent à blanc pour intimider la foule. Vers la fin de l’après-midi, le sous-préfet, M. Issacar, arrivé de Navesnes quelques heures plus tôt, vient nous faire une communication importante. Il est accompagné du maire et de Delanoix et il nous annonce que nous allons être attaqués par ceux qu’il appelle les émeutiers. La population, dit-il, veut tenter de délivrer les prisonniers. Nous recevons l’ordre d’occuper la place de l’Église, un espace d’une centaine de mètres de long sur cinquante de large ; quatre rues aboutissent à cette place, sur laquelle s’élèvent la mairie, l’église et le presbytère. La compagnie du 245e, sous les ordres du commandant Sappue, se range devant la mairie ; ma compagnie se déploie sur la droite. De grands cris éclatent au loin : « C’est huit heures, huit heures, huit heures ! C’est huit heures qu’il nous faut !... Vive la grève ! Vive la grève ! » Les fonctionnaires civils, le maire, le procureur de la République, M. Delanoix, se dirigent vers la mairie. M. Issacar adresse quelques mots au commissaire de police qui vient se porter sur notre gauche ; puis, il s’avance rapidement vers le commandant Sappue et lui parle à voix basse, avec des gestes énergiques. Le commandant donne l’ordre de charger les fusils. M. Issacar rejoint les fonctionnaires groupés devant la mairie ; ils pénètrent tous dans l’édifice dont la porte se referme sur eux juste comme s’élève une énorme clameur, très proche. — Vive la grève ! Vive la grève ! Le commandant Sappue s’écrie : — Croisez... elle ! ⁂ Tout d’un coup, la place est envahie. L’Ennemi s’avance vers la mairie, s’avance à grands pas. L’Ennemi... des hommes désarmés, des femmes, des enfants ; des femmes et des enfants surtout. Au premier rang, une jeune fille qui tient un mai en fleurs, un jeune homme qui porte un drapeau tricolore. L’Ennemi s’avance, n’est plus qu’à une vingtaine de mètres de la mairie. Le commandant Bacardier, à cheval derrière nous, crie quelque chose qu’on entend à peine : « Retirez-vous, retirez-vous ou... » Je jette les yeux sur le commissaire de police dont c’est le devoir de s’interposer. Il ne bouge pas. Soudain, la première ligne du 245e fait double pas en avant, puis double pas en arrière. Et la voix du commandant Sappue, aussitôt, siffle : — Joue !... Feu ! Point de fumée. Une détonation sèche, hypocrite, implacable. Des cris désespérés s’élèvent. Des femmes, des enfants, viennent de tomber, frappés par les balles ; la jeune fille qui tenait le mai en fleurs est étendue à terre, la tête fracassée, la cervelle répandue ; le jeune homme qui portait le drapeau a été tué d’une balle dans la bouche, et gît, couvert de sang... La foule s’enfuit, hurlant d’horreur. Des hommes du 245e épaulent encore, tirent. Un enfant que sa mère tient par la main est tué ; une jeune fille qui entre dans un café est tuée. Un jeune homme, au bout de la place, relève un blessé. Un soldat le couche en joue et il tombe. Il y a une quarantaine de corps étendus sur la place, défigurés par d’horribles blessures faites à bout portant ; corps de femmes, corps d’enfants. Deux cadavres d’hommes seulement ; l’un celui d’un vieillard... Des filets de sang commencent à couler sur la terre noirâtre, forment des flaques rouges qui s’étendent, s’étendent... ⁂ Dès que le feu eut cessé, et tandis que les quatorze morts et les vingt-deux blessés gisaient sur la place, quelque chose s’est passé que je regretterais d’oublier. La porte du presbytère s’est ouverte, trois prêtres en sont sortis et se sont approchés des victimes, comme des messagers de bienveillance et de consolation. La porte du presbytère s’est ouverte, trois prêtres en sont sortis et se sont approchés des victimes, comme des chacals qui viennent flairer des cadavres. D’autres chacals arrivent d’heure en heure ; des noirs, des blancs, des rouges et des tricolores. Tous les vampires du reportage ; des agitateurs boulangistes, derniers fidèles d’une cause perdue, qui voudraient bien créer des difficultés au gouvernement ; le préfet, menteur abject, qui a déclaré que les émeutiers portaient des revolvers ; des gens de justice ; un député socialiste, qui fut bourreau versaillais pendant la Commune, et qui vient d’acheter la chemise sanglante d’une des victimes qu’il se propose d’exhiber à la tribune. Tout ça parle, parle, parle, pendant que des troupes arrivent à chaque instant ; infanterie, cavalerie, défilant la tête basse sous les insultes de la population qui reproche à l’armée sa couardise et sa férocité. Le télégraphe parle aussi. D’abord, il nous apprend qu’on va envoyer de Lille des ambulances où les blessés seront fort bien soignés (et où l’on pourra étudier à loisir l’effet produit sur eux par les balles Lebel). Ces ambulances n’arriveront guère avant seize ou dix-huit jours. On ne va pas encore très vite, dans les hôpitaux militaires ; pourtant, depuis 1870, on a fait des progrès. Puis, le télégraphe nous apporte le compte rendu de la séance du 5 mai, à la Chambre. L’enquête a été repoussée et la Chambre a voté un ordre du jour où elle déclare qu’elle « unit dans sa patriotique préoccupation et dans ses ardentes sympathies les travailleurs de France et l’armée nationale, et qu’elle est résolue à faire aboutir pacifiquement les réformes sociales ». Elle ne dit pas dans combien de temps ; mais ça ne fait rien. M. Delanoix parle aussi. Il m’a affirmé qu’il y a eu dans sa vie peu d’heures aussi douloureuses que celles qui se sont écoulées depuis la fusillade. L’effroyable catastrophe ne se serait pas produite, dit-il, si au lieu d’infanterie on eût envoyé de la cavalerie ; vingt dragons font plus de besogne que cinq cents lignards ; à quoi bon faire fusiller les gens, quand on peut les faire écraser sous les pieds des chevaux ? M. Issacar parle aussi. Pas publiquement ; mais hier, m’ayant rencontré à la mairie, il m’a dit quelque chose que je veux répéter. — Oui, a-t-il avoué, je suis seul responsable, ou plutôt premièrement responsable, de ce qui s’est passé. J’ai cru qu’un massacre, perpétré de sang-froid et sans aucune provocation, créerait dans le peuple une indignation profonde qui se traduirait par un soulèvement. Vous voyez le résultat. Le peuple ne veut pas se soulever ; il reste insensible à la pire misère, aux pires outrages. Cependant, il faudra qu’il se soulève. Puisque la tragédie — la tragédie dont il fournit les cadavres — ne l’émeut point, nous essayerons du mélodrame ; du bon vieux mélo, avec le forçat innocent, sa famille en pleurs, et le traître escorté des complices nécessaires ; du bon vieux mélo qui fera voir aux masses quelles basses crapules le gouvernent. Peut-être le peuple, trop abruti pour s’émouvoir de ses souffrances personnelles, se laissera-t-il exaspérer par des forfaits qui ne le concernent qu’indirectement. Pareille chose s’est vue, peut se voir encore... Oui, je sais ce que vous pensez ; malgré tout, ce que j’ai fait est horrible. Soit. Seulement, il y a des lâchetés que peu d’hommes ont le courage de commettre..... Je vais quitter l’administration, mais je resterai en relations avec les gens au pouvoir. Je veux les aider à commettre leurs crimes et leurs sottises jusqu’au bout. Il faut lasser le destin. En haut et en bas, il n’y a que des vaincus en France, de sales vaincus. Sans doute ne secoueront-ils leur abjection que lorsqu’ils seront mis, subitement, en face d’une nouvelle débâcle. Ce sera ma dernière carte — et je la jouerai bien, vous verrez. La physionomie de M. Issacar, dépouillée de son masque habituel de scepticisme, exprimait une résolution farouche. Le juif moderne avait disparu ; et l’Hébreu, frémissant du sombre enthousiasme des vieux âges, se dressait devant moi. J’ai quitté M. Issacar sans lui répondre. Mais je pense à ce qu’il m’a dit, aujourd’hui, tandis qu’ont lieu les obsèques des victimes. Ces autorités civiles qui n’osent point se montrer, ces troupes alignées le long des rues, massées sur toutes les places ; ces ouvriers cravatés de rouge et ces ouvrières au chignon fleuri d’écarlate ; ces musiciens avec leurs trombones funèbres, ces sociétés avec leurs bannières encrêpées et leurs drapeaux tricolores, ces prêtres qui insultent les cadavres de leurs dérisoires prières et de leur eau bénite putréfiée, ces charlatans du socialisme qui vont égrener au bord des fosses leurs théories misérables — des vaincus tout ça... des vaincus... ⁂ En rentrant à Navesnes, nous avons rencontré un troupeau de moutons qu’un berger et un chien poussaient vers l’abattoir. Les moutons étaient des moutons ; le berger était infirme ; le chien avait la gale. En quelques jours le peuple est arrivé à considérer le massacre de Courmies comme un événement normal, tout au plus comme un inévitable accident. Le ministre, responsable de la tuerie, est généralement regardé comme un homme à poigne, c’est-à-dire en bon français (d’après 1870), comme un homme supérieur. Les énervés, les fuyards, les vaincus en un mot, aiment la poigne. Donc, le ministre est populaire en qualité d’homme à poigne. On prétend, en clignant de l’œil et en pinçant la narine, que c’est un cynique de premier ordre. Le fait est qu’il a roulé son tonneau (inodore). Ses ennemis l’accusent d’avoir commis plusieurs crimes, assassinats et empoisonnements. Le pauvre homme en est bien incapable. C’est, ainsi que tous les colosses français d’aujourd’hui, une espèce de mauvais roquet auquel un coup de pied d’homme — s’il restait un homme en France — renfoncerait pour toujours ses fausses dents au fond des boyaux. Non, ce prudhomme à tinette n’est pas un gaillard, et sa femme est la première à s’en rendre compte. Pourtant, il a réussi à débarrasser Paris de ce ridicule pantin, le général Boulanger. Voilà un jouet perdu pour la foule, et elle se demande à quoi passer son temps. On lui donne le procès Plantain. L’honorable M. de Trisonaye, en effet, obligé enfin de faire arrêter son ami Triboulé, a fait aussi poursuivre le malheureux Plantain. Et, grâce à la complicité d’une magistrature infâme, le grand ingénieur qui a rendu tant de services à son pays vient d’être condamné comme traître. La foule admire fort la décision des juges, mais réclame d’autres amusements. En voici un. La flotte française va faire, à Kronstadt, une visite à la flotte russe. Et la Russie, non contente de promettre un bon accueil à nos vaisseaux, déclare aussi qu’elle recevra notre argent avec un grand plaisir ; elle émet en France son premier emprunt. Les Français exultent, se voient déjà accouplés aux Cosaques. « Enfin ! s’écrient-ils, nous ne sommes plus seuls ! » On dirait qu’ils ont quelque chose à porter — quelque chose qui pèse très lourd. — De la gloire, peut-être... ⁂ Dans l’automne de 1891, j’ai demandé à être envoyé au Tonkin. Je vous fais grâce des raisons qui m’ont poussé à m’éloigner du charmant pays de France. Mon père, informé de ma décision, m’a répondu par lettre qu’il me laissait libre d’agir à ma guise. Il m’a fait entendre que ma gaucherie lui a causé la plus pénible impression ; pourquoi n’ai-je pas été malade, le jour où l’on nous a donné l’ordre d’aller à Courmies ? Qu’allais-je faire dans cette galère ? Mon métier. Mon métier de garde-chiourme. J’ai aidé à maintenir dans le devoir, par la terreur, des esclaves blancs. Selon toute prévision, maintenant que j’ai reçu l’ordre de partir pour l’Indo-Chine, je vais aller aider à maintenir dans le devoir, par la terreur, des esclaves jaunes. Les prévisions se sont réalisées. Cependant, je ne donnerai pas le moindre détail sur mon existence pendant les vingt-huit mois que j’ai passés au Tonkin. C’est là un sujet qui ne pourrait que médiocrement intéresser le public français. L’indifférence de la France pour ses possessions d’outre-mer est sans bornes ; on dirait qu’elle ne conquiert des colonies que pour n’en rien faire, que pour les abandonner complètement au bon plaisir de la tourbe à galons et en habit noir, dont l’infamie peut se donner libre carrière. Les pauvres de France, qui payent les impôts, ignorent que ce sont leurs fils qui vont mourir, exclusivement, dans ces colonies, de la mitraille, et surtout de la fièvre et de la dysenterie. Ils ignorent que chaque classe fournit environ 75.000 dispensés bourgeois qui ne font qu’une année de service et qui, par conséquent, ne vont jamais aux colonies. Ils ignorent que l’effectif des troupes que nous entretenons hors de France, pour le bénéfice d’une poignée de gredins, s’élève à 140.000 hommes, soit aux trois-dixièmes de l’armée métropolitaine ; ils ignorent que les colonies dévorent chaque année plus de 190 millions du budget de la guerre. Ils ignorent tout, parce que l’ignorance est commode à leur veulerie. Pendant le temps que j’ai passé au Tonkin, deux choses surtout ont absorbé l’attention de la France ; d’abord, la formation de plus en plus évidente d’une alliance avec la Russie ; la visite de l’amiral Avellan en France, précédée et suivie d’emprunts nouveaux, ayant été l’un des plus heureux symptômes de ce rapprochement, célébré comme il convient par la presse française dont deux représentants distingués, le forban Ganivais et le vide-cuvettes Arthur Meyer, encadraient l’amiral lorsqu’il fit son entrée à l’Opéra. Puis, la scandaleuse comédie du Panama, farcie de calomnies infâmes et de vérités plus infâmes encore, a commencé à présenter ses tableaux aux yeux émerveillés d’un public de gogos gagas. Et il paraît que personne n’a eu l’idée de faire la moindre allusion à un traité qui fut signé à Francfort, le 10 mai 1871. Le peuple français a une longue patience. C’est la longue patience, a dit Buffon, qui constitue le génie. Tout est possible. ⁂ Donc, je suis revenu à Paris, au commencement de mai 1894, en congé de convalescence. Vous ai-je dit que j’avais été blessé au Tonkin, vers la fin de 1893 ? Pas très sérieusement ; mais cependant j’ai été inscrit au tableau, et je compte recevoir mon troisième galon au mois de juillet. Quelques jours après mon retour, je reçois la visite, dans le petit appartement que j’occupe rue de Varenne, d’un monsieur vénérable, à barbe patriarcale et à gestes onctueux, que je ne reconnais qu’au bout d’un instant. C’est M. Curmont. Comment a-t-il découvert mon adresse ? C’est sans doute mon père qui la lui a donnée ? M. Curmont sourit affirmativement. M. Curmont m’apprend qu’il est membre de la Société de Paix et d’Arbitrage. Je le croyais trésorier-payeur ; mais il paraît qu’il a pris sa retraite, il y a quelque temps. Est-ce en sa qualité de membre de la susdite Société, que M. Curmont vient me surprendre ? Oui, c’est en cette qualité. La Société, dans son désir de voir la fraternité régner sur la terre, cherche à recueillir de la bouche de témoins irrécusables des preuves de l’infamie de la Guerre et des horreurs qu’elle entraîne. Il est bien entendu que la plus grande discrétion est de règle. Les communications de toute nature sont strictement confidentielles. Beaucoup d’officiers, comprenant qu’ils servaient la cause de l’humanité, ont déjà livré à la connaissance de la Société des faits intéressants. Voudrais-je les imiter ? Je n’y tiens pas énormément. La guerre est horrible, sale, et haïssable ; c’est certain. Mais je pense que ce sont ses excès mêmes qui la feront disparaître. Je ne crois nullement à l’influence des Sociétés pacifiques. Les gens qui en font partie me donnent l’idée d’officiers de santé pour volcans. Je serais assez disposé à les taxer d’hypocrisie ; si la guerre était supprimée d’après leurs formules, l’instinct combatif disparaîtrait et l’exploitation des pauvres deviendrait plus facile encore qu’elle ne l’est. Une ligne d’omnibus tout entière résume mon opinion : Passy-Bourse. Quant à l’arbitrage, il a simplement pour but, à mon avis, de renforcer le principe abject de Justice indirecte, de requinquer le trône pourri de l’Équité actuelle, de faire une idole de la Chose jugée. D’ailleurs, l’arbitrage existe ; c’est la mission même de la Diplomatie ; si la diplomatie est tombée partout, particulièrement en France, aux mains de vermineuses nullités, ce n’est pas ma faute. Non, je n’ai aucune sympathie pour les bonzes qui prêchent la paix éternelle du haut de leur compétence à barbe. La paix monotone qu’ils rêvent dans la platitude résignée qu’ils aiment, ne sera jamais possible ; la lutte est nécessaire à l’espèce humaine ; le conflit existera toujours d’une façon latente, sinon patente, entre deux êtres. Que dis-je ? S’il ne restait qu’un seul homme sur la terre, un homme qui aurait réussi à détruire tous ses semblables, cet homme serait en état de guerre ; car il faut être au moins deux pour signer un traité de paix. La guerre donne une très mauvaise direction à l’instinct combatif, je l’admets ; mais cet instinct combatif est excellent, indispensable à l’humanité ; c’est le palladium de ses libertés ; il ne s’agit donc pas de le supprimer, mais de l’employer à d’efficaces besognes. Et c’est la guerre, qui l’a faussé et assombri, qui le fera briller comme une généreuse étoile à la pointe de l’épée de la Révolution. Supprimer la guerre à présent ? À présent qu’elle devient la guerre civile ! qu’elle est devenue la guerre sociale ! À présent qu’elle est à la veille de se transformer, au bord d’un grand lac rouge, en la lutte intelligente et fraternelle ! En voilà une blague ! En voila une farce !... Quant aux atrocités qu’entraîne la guerre, je les déplore en théorie. Mais je les explique. Elles ne sont pas autre chose que les honnêtes ignominies que crée, développe et nourrit l’abominable paix actuelle, et qui se font jour subitement, sous leur aspect réel. Une preuve ? Les excès commis dans une lutte armée sont toujours en raison inverse des dangers courus par le soldat. Celui-ci, donc, calcule bassement, commercialement, pacifiquement, honnêtement ! Nous sommes devenus si affreusement civilisés, tellement confits en moralité infâme, qu’il nous faut la guerre pour nous faire voir quelles horribles réalités se dissimulent sous les douces hypocrisies de nos systèmes de civilisation et de morale. Il faudrait aussi savoir si la vile férocité de l’homme moderne n’est pas due, pour une grande part, aux inoculations qu’on lui prodigue, à la hideuse vaccination, à l’habitude qu’il a prise de considérer comme normaux les avortements réguliers ou intermittents de sa compagne. La sauvagerie actuelle, j’en suis convaincu, n’est point la sauvagerie ancestrale ; c’est la sauvagerie civilisée. D’ailleurs, elle ne m’émeut que médiocrement ; je ne me range pas avec les sentimentaux ; ces gens-là me dégoûtent ; on dirait qu’ils n’ont jamais vu un accouchement. Je crois que c’est la guerre qui affranchira le monde, et je crois qu’elle ne pourra se manifester dans sa force purifiante et libératrice qu’en se dépouillant de toute hypocrisie — qu’en apparaissant, nue et rouge, hors du manteau des conventions. J’expose, aussi poliment que possible, mes opinions à M. Curmont ; mais il insiste ; il veut savoir si des bruits qui ont couru au sujet d’exécutions sommaires, de massacres, de pillages et de viols, peuvent être considérés comme dignes de foi. Oui, certainement. Et, demande M. Curmont, est-il vrai que la torture sévisse au Tonkin ? Très vrai. Et que des impôts et des amendes soient prélevés dont aucun compte n’est tenu ? Très vrai. Que certains officiers fassent égorger la population de villes entières, égorgements qu’ils travestissent en glorieuses batailles, afin d’escroquer honneurs et avancements ? Très vrai. Et que d’autres officiers commettent des faux et usurpent des fonctions judiciaires afin de dépouiller de riches indigènes ? Très vrai. Et que le général commandant le corps d’occupation ait commis des actes qui, au jugement des tribunaux, tombent sous le mépris public ? Encore vrai. — Voilà les odieuses conséquences de la guerre ! s’écrie M. Curmont. — Ou plutôt, dis-je, les conséquences de l’existence actuelle. Si les bandits qui commettent ces infamies n’étaient pas sûrs de recevoir, comme salaires de leurs crimes, des récompenses de toutes sortes, ils ne les commettraient point. Leurs actes déshonorent non seulement eux-mêmes, mais l’armée à laquelle ils appartiennent, mais leur nation, mais leur époque. Croyez-moi, tout se tient dans l’ignoble système d’aujourd’hui ; et c’est seulement sous les boulets que croulera ce système. M. Curmont se retire, un sourire énigmatique sur les lèvres. Je ne l’ai sûrement pas convaincu, mais je ne désirais pas le convaincre ; je ne désire convaincre personne. Du reste, j’espère ne jamais le revoir. Il m’embête, cet homme de paix. ⁂ Cet homme de paix est une infernale canaille. Vous ne devineriez jamais ce qui vient de m’arriver. J’ai reçu ce matin un numéro du journal la Nation Française, dont le directeur est Camille Dreikralle. En tête se trouve un article, que quelqu’un a marqué d’une croix rouge, et qui est intitulé : Les théories anarchistes dans l’Armée. — Un officier félon. Cet article reproduit la conversation que j’ai eue hier avec M. Curmont. On ne me nomme pas ; mais je suis indirectement désigné de la façon la plus claire. L’auteur de l’article anonyme a placé dans ma bouche beaucoup de phrases subversives que je n’ai point prononcées. Ces enjolivements ne sont certainement pas involontaires. On me fait dire, par exemple, que la présence d’une très forte partie de nos troupes aux colonies compromet la défense du territoire national ; que l’infériorité militaire de la France est déjà trop marquée ; que les cadres supérieurs de notre armée sont encombrés de nullités avérées, incapables d’organiser autre chose qu’une nouvelle débâcle ; que la France, avant d’aller civiliser les nègres et les jaunes, ferait bien de se civiliser elle-même et de se débarrasser de ses honteuses superstitions romaines ; et qu’elle ferait bien, aussi, au lieu d’aller rétablir l’esclavage au delà des mers, de fonder chez elle cette liberté et cette fraternité dont les Français parlent toujours et qu’ils ne connaissent point. Ce sont là des choses que je puis penser, que je pense probablement ; mais, enfin, je ne les ai pas dites. Je ne me dissimule pas, néanmoins, que cet article peut me causer un préjudice énorme. Curmont n’était évidemment qu’un instrument ; mais l’instrument de qui ? Je ne pense pas que Dreikralle ait aucun intérêt à me nuire. Alors ?... Mon père sera peut-être plus habile que moi à déchiffrer l’énigme. Je cours au ministère, où je le trouve dans son bureau, le numéro de la Nation Française déplié devant lui. — Eh ! bien, s’écrie-t-il, tu ne vas pas mal. Tu ne m’avais pas dit que tu allais te lancer dans la politique et poser ta candidature de socialiste irréductible. Mes compliments. À qui donc as-tu fait tes confidences ? J’expose les choses à mon père ; et je termine en lui demandant s’il ne soupçonne pas... — Je ne soupçonne pas ! s’écrie-t-il. Je sais. Tu es en train d’expier, mon garçon, une grande faute que tu as commise. Vois-tu, il n’y a pas de crime sans châtiment ; c’est une loi de la providence. La vengeance est bossue, comme a dit le poète, mais elle vient. Elle est venue pour toi. Sais-tu qui a poussé Camille Dreikralle à publier cet article qui, si je n’étais pas là, briserait ton avenir et t’obligerait même peut-être à donner demain ta démission ? C’est sa femme. Et sais-tu comment s’appelait Mme Dreikralle avant son mariage ? Elle s’appelait Mlle Adèle Curmont. Ha !... Tu peux faire tes yeux de merlan frit, mon vieux lapin ; c’est comme ça. Ah ! il arrive de drôles de choses dans la vie du monde !... Moi, il y a déjà longtemps que je sais à quoi m’en tenir. Quand j’ai vu qu’on ne voulait pas me laisser te prendre comme officier d’ordonnance lors de l’expédition du Garamaka, je me suis douté de quelque chose ; je me suis informé et j’ai appris que l’opposition venait de Camille Dreikralle. Ne comprenant pas bien, j’ai cherché à savoir davantage ; j’ai appris ce que je viens de te dire — et aussi ce que tu ne m’avais jamais dit. — Entre nous, tu n’es qu’un cochon... Comment ! tu abuses de cette jeune fille, tu la plantes là et tu ne lui donnes plus signe de vie ! Tu n’as même pas l’idée de lui envoyer des fleurs ! Mais à quoi penses-tu ? Il y a des choses qui se comprennent d’elles-mêmes : on doit toujours envoyer des fleurs à la femme, après. Elle interprète l’envoi à sa façon, c’est-à-dire d’une façon qui ne lui est jamais désagréable, et elle ne vous en veut pas. Réellement, mon ami tu n’as pas la moindre notion de savoir-vivre. Que tu n’aies pas revu Adèle Curmont, que tu ne lui aies pas écrit, c’était parfait. Mais il fallait lui envoyer des fleurs. Ce n’était pas compromettant, ça n’engageait à rien, mais ça constituait un tendre souvenir et ça coupait la rancune. Des fleurs ! Des fleurs !... Ah ! si mon père savait tout !... Au bout d’un instant, il continue : — Le mariage de Dreikralle ne paraît pas lui avoir porté bonheur ; il a cessé d’être rapporteur du budget de la guerre ; tout le monde le croyait inamovible. Et je sais qu’il a recours, actuellement, à de tristes expédients. Cet article qu’il vient de publier à l’instigation de sa femme pourrait être un sale coup pour toi, pour nous ; mais en somme, c’est très maladroit. Toi aussi, tu es très maladroit ; mais tes maladresses sont quelquefois intelligentes. Oh ! tu ne le fais pas exprès. Rappelle-toi ta mission à Bruxelles, par exemple ; si tu avais envoyé le rapport qu’on te demandait, ayant contre toi l’hostilité de Dreikralle, tu aurais été frais ; il se serait servi de ton rapport pour attaquer Trisonaye, dont il convoitait la place ; il aurait vendu la mèche, et tu aurais été le dindon de la farce. Quant aux révélations que tu as faites à Curmont, malgré leur noire stupidité, elles vont nous être utiles. D’abord, il faut que tu nies, que tu nies mordicus avoir jamais dit un mot à ce vieux scélérat ; on l’a chassé de sa place de trésorier-payeur en raison de nombreuses malversations ; la parole d’un vieux coquin de son espèce ne vaudra donc rien en présence du serment d’honnêtes gens comme nous. Donc, c’est bien entendu : tu n’as pas vu Curmont depuis plusieurs années et tu n’as parlé à personne. Maintenant, j’ai déjà ébauché une petite combinaison. Je ne tiens pas à rester au ministère ; Lahaye-Marmenteau a été mis à la tête de l’État-Major général ; nous ne sommes pas en bons termes ; et j’aime autant aller prendre l’air de la province. Je vais t’expliquer la chose tout à l’heure, en présence de Raubvogel ; je l’avais envoyé chercher en même temps que toi, il y a une demi-heure ; tu a dû te croiser avec l’estafette. — Mais pourquoi la présence de Raubvogel est-elle nécessaire ? — Ha ! Ha ! s’écrie mon père, c’est que le cousin a une jolie petite vengeance à tirer des Dreikralle. Écoute-moi et tu verras que, bien que tu aies été au Tonkin, tu n’en connais pas aussi long sur cette colonie que moi qui suis toujours resté à Paris. Une Société s’était formée, il y a deux ans environ, pour exploiter le monopole de l’opium en Indo-Chine. Elle avait à sa tête : M. Raubvogel, directeur pour l’Europe ; M. de Saint-Joséphin, directeur pour l’Indo-Chine ; et MM. Camille Dreikralle et Ganivais comme agents généraux accrédités auprès du gouvernement pour les rapports ordinaires de la Compagnie avec les administrations publiques. Ne ris pas. C’est très sérieux. Je ne te dirai pas par quels moyens cette Société obtint la ferme de l’opium ; tu comprends qu’il s’agit d’une pression, motivée, sur le gouverneur-général. Pendant dix-huit mois, la Compagnie, qui avait fort mal exploité son monopole, refusa de tenir ses engagements et de verser un centime dans les coffres de la colonie. Non contente de se soustraire à ses obligations, elle menaça même de demander des dommages-intérêts. Une clause du contrat donnait au gouverneur-général le soin de prévenir la contrebande. Et la Compagnie assurait que le gouvernement ne réprimait pas la contrebande ; la Compagnie en était d’autant plus sûre, entre nous, que c’est elle-même qui organisait et facilitait la contrebande. Le gouverneur-général essaya de montrer les dents ; aussitôt, une campagne terrible commença contre lui dans la presse parisienne ; la Nation Française, organe de Dreikralle, et la Lutèce, journal de Ganivais, attaquèrent avec la dernière violence l’administration du Tonkin. Le gouverneur-général, effrayé, se décida à signer la convention de rachat du monopole, comme le lui proposait M. de Saint-Joséphin. La Compagnie reçut une indemnité de quatre millions, somme qui représentait au moins trois fois le capital qu’elle avait engagé. M. de Saint-Joséphin, tout chargé d’or, se mit donc en route pour Paris, où l’attendait le cousin Raubvogel, tout prêt à procéder à une juste répartition. Malheureusement, Camille Dreikralle et Ganivais avaient pris les devants et avaient été attendre M. de Saint-Joséphin à Marseille. Je ne sais pas quels arguments ils employèrent, mais il le persuadèrent de leur faire remise de la plus grande partie de la somme qu’il rapportait. Ces messieurs s’étant ainsi adjugé la part du lion, il resta relativement peu de chose pour le cousin et les autres intéressés. J’avais mis quelques fonds dans l’affaire, mes derniers souvenirs du Garamaka ; et ils m’ont à peine rapporté 120 p. 100. C’est dérisoire. Tu comprends que Raubvogel n’a jamais pardonné à Dreikralle et à Ganivais. La Presse concourt à la création et au développement de nos colonies, mais enfin elle ne doit pas les accaparer... Un planton, qui vient annoncer M. Raubvogel, interrompt mon père ; et avant que j’aie pu placer un mot, le cousin fait son entrée. — Hé ! s’écrie mon père, en brandissant le journal, vous avez vu ? Un nouveau tour de votre ami Dreikralle !... — Mon ami ! ricane Raubvogel ; et ses yeux brillent, et son nez se recourbe un peu plus, et sa bouche dévore une grimace ; mon ami ! Ah ! si je le tenais !... — Je crois, dit mon père, que je puis vous donner un bon moyen de vous venger... — De nous venger, vous voulez dire ? corrige Raubvogel. — Naturellement, grogne mon père. Eh ! bien, je sais de source certaine que le Dreikralle et le Ganivais sont en train, depuis quelques jours, de faire chanter Hablez, le fabricant d’équipements militaires, etc. Vous savez ? — Oui. Et il chante ? Ce n’est pas nouveau. Gastibelza, l’homme à la carabine, chantait ainsi. Et pourquoi chante-t-il ? — Voilà, dit mon père, légèrement embarrassé. C’est une histoire de gamelles, de bidons, d’ustensiles de campement ; est-ce qu’on sait ? — Je vois, fait Raubvogel ; c’est une affaire de casseroles. Et qui est-ce qui tient la queue de la poêle ? — J’espère que ce sera moi, dit mon père ; car si je n’y réussis pas, je me vois déjà lancé à la rue avec un joli chaudron au derrière. Vous comprenez ? Non ? Alors, faites semblant. Non ? Eh bien ! voici la chose en deux mots. Jusqu’à ces temps derniers, Hablez avait un assez gros stock de fournitures qui lui avait été refusé par mon prédécesseur à la tête de la Commission de contrôle. Depuis que je suis devenu président de cette Commission, il a présenté de nouveau ces fournitures ; et, ma foi, elles ont été acceptées ; je ne vous dirai pas comment ça s’est fait... — Inutile, dit Raubvogel. Grands dieux ! nous ne sommes pas des enfants ; et nous n’avons pas besoin de tant d’explications. — Heu ! Le fait est, dit mon père, que pour quelques plats et quelques marmites qui n’ont pas toute la solidité désirable... — La belle affaire ! s’écrie Raubvogel. Toute cette quincaillerie ne servirait qu’en cas de guerre ; et comme l’armée n’existe que pour conserver la paix... — Justement. Il n’y a pas là-dedans de quoi fouetter un chat. Mais ces deux gredins de Dreikralle et Ganivais ont eu connaissance de la chose, je ne sais comment ; et supposant que Hablez avait cent mille francs dans la gosier, ils lui ont écrit avant-hier pour le menacer... — Hablez a les lettres ? demande anxieusement Raubvogel. — Non, répond mon père ; je les ai. Il est venu me voir hier pour me demander conseil et j’ai retenu les papiers, sous un prétexte. Les voici. Et il tend à Raubvogel deux lettres que celui-ci parcourt rapidement. — Vous voyez, dit mon père, que des poursuites sont inévitables si une plainte est formulée. Cette plainte, mon cher cousin, il faut déterminer Hablez à la déposer. S’il hésite, dites-lui que je dépose immédiatement une plainte moi-même. L’article abominable publié ce matin par Dreikralle me prouve que ce coquin veut commencer une campagne contre moi. Eh ! bien, mon système de défense, c’est l’attaque. Donc, j’attaquerai si Hablez n’agit pas. Démontrez à Hablez qu’il a tout intérêt à agir. — Soyez tranquille, dit Raubvogel. Pourtant, le fait demeure que des fournitures refusées ont été présentées de nouveau par Hablez et acceptées par vous. — Voilà une chose, dit mon père, dont je me fiche comme de colin-tampon ; Dreikralle et Ganivais, bien que directeurs de journaux, députés et chevaliers de la Légion d’honneur, seront poursuivis pour chantage et foutus dedans comme des tambours. Quant à Hablez, il est possible qu’on l’inquiète ; il se tirera de là comme il pourra. Dites-lui qu’il n’a rien à craindre. C’est tout ce que nous pouvons faire pour lui. — Je lui démontrerai aussi, dit Raubvogel en clignant de l’œil, que nous lui tirons une fameuse épine du pied. Je vous ferai part de ce qu’il répondra. Mais pour vous, ne craignez-vous rien ? — Rien ; et j’espère beaucoup. Je vais immédiatement aller trouver le ministre et le mettre au courant des choses. Je lui montrerai l’article de la Nation Française, pour commencer. Je lui exposerai ensuite l’affaire Hablez. Je n’ai rien à me reprocher à ce sujet-là ; j’ai pu être imprudent, ou tout au moins un peu négligent, mais ça arrive à tout le monde. Après tout, je ne peux pas vérifier par le menu les qualités de cinquante mille bidons ; je ne suis pas dedans. J’établirai les faits suivants : d’abord, on a calomnié mon fils, on a mis dans sa bouche des propos qu’il n’a jamais tenus, afin de commencer une campagne contre moi ; ensuite on s’attaque à moi, c’est-à-dire à toute l’armée française, afin de peser sur Hablez et de faire chanter à tue-tête cet honorable industriel. Il ne doit pas être dit qu’on peut insulter impunément les défenseurs de la patrie. Je demanderai donc des compensations pour mon fils et pour moi ; pour mon fils, les galons de capitaine qu’il devrait avoir depuis longtemps ; pour moi-même, un Corps d’armée. — Un Corps d’armée ! s’exclame Raubvogel qui semble s’affaisser dans un fauteuil. — Ni plus ni moins, dit mon père. J’ai des états de service, mon vieux lapin, comme pas un des cocos qui sont ici. J’ai été à Nourhas, vous savez, bien qu’on fasse semblant de l’oublier. Et j’ai commandé en chef devant l’ennemi, au Garamaka. J’ai droit à un Corps d’armée, et je l’aurai. Comment ! On fout Lahaye-Marmenteau à la tête de l’État-Major, et on me refuserait un Corps d’armée. Qu’on s’en avise ! Vous savez, le ministre, avec son flair d’artilleur ? Hein ? Hein ? Son flair ! Faudrait pas qu’il me le mette dans le nez, son flair ! Sa femme est Anglaise, d’abord ; et le mari d’une Anglaise dirigeant la Défense nationale, ça peut sembler drôle. De plus, c’est un réactionnaire, et je n’ai qu’à dire la moitié de ce que je sais pour l’asseoir sur le pavé du boulevard Saint-Germain, sans paillasson. Pas de Corps d’armée ? Je pose ma candidature au ministère. Toute la presse républicaine me soutiendra. On m’a déjà fait des propositions, vous savez. Il n’y en a pas à revendre, des généraux républicains. Moi, j’ai des convictions ; mes vieilles convictions démocratiques. C’est ça qui me soutient. Voyons, mon garçon, dit-il en s’adressant à moi, tu vas accompagner le cousin ; nous nous reverrons ce soir. Je suis sûr que j’aurai réussi, pour toi et pour moi. Et vous, Raubvogel, que Dieu vous bénisse ! ça vous apprendra... ⁂ Il y a des faits qui sont trop connus pour que je les rappelle ici. Tout le monde se souvient des condamnations qui frappèrent et déshonorèrent à jamais Dreikralle et Ganivais ; des poursuites intentées à Hablez, et qui firent à cet industriel une magnifique réclame. On ignore sans doute que j’ai été nommé capitaine, et attaché à l’État-Major général ; mais on n’a peut-être pas oublié que mon père a été appelé au commandement du —zième Corps d’armée, à Nortes. Mme Dreikralle a quitté la France après la condamnation de son mari. J’avais pu l’apercevoir un instant, au cours du procès. Elle ne m’avait point paru très découragée. Après tout, elle avait prévu son sort — et l’avenir lui réserve peut-être des revanches. Mon père assure qu’il est heureux de quitter Paris. Le ministère, dit-il, commence à puer le cléricalisme à plein nez ; à vrai dire, c’est une jésuitière. Mon père ne peut pas se résoudre, selon son expression, à donner dans la calotte. Il a essayé, mais il n’a pas pu. Il a simplement réussi à devenir anti-sémite ; et encore, voici pour quelle raison : il y a tant de faux Juifs parmi les Chrétiens qu’on n’a pas besoin des vrais Juifs. Mon père est tellement vif, alerte, jovial et frétillant qu’on ne lui donnerait guère plus de cinquante-cinq ans ; le fait est qu’il a été récemment atteint par la limite d’âge, et qu’il n’a été maintenu au cadre d’activité qu’en raison du commandement qu’il a exercé. Tel est le cas de plusieurs autres généraux, le général de Lahaye-Marmenteau par exemple. Mais bien que l’âge n’ait eu aucune influence sur la gaîté de mon père, il est certain que sa bonne humeur a pu être affectée, de temps en temps, par des événements fâcheux. C’est justement ce qui vient d’arriver. La baronne de Haulka, à laquelle l’attachaient les liens d’une amitié déjà longue, a décidé de rompre toutes relations avec lui. Pourquoi ? À en croire mon père, parce qu’il a demandé un Corps d’armée sans prendre l’avis de la baronne ; et parce que la baronne est convaincue que de grands changements politiques sont imminents et qu’il aurait été facile au général Maubart, s’il était resté au ministère, de saisir le portefeuille de la guerre. La raison est admissible. La baronne, que je n’ai vue que deux ou trois fois, et d’assez loin, est certainement une intrigante fieffée ; elle cherche à atteindre un but que j’ignore, mais dans la poursuite duquel mon père lui a été utile, complice inconscient dont la valeur augmente en raison de l’élévation du poste qu’il occupe. Et il est certain que mon père, à présent, tient son bâton de maréchal. C’est peut-être la conscience de ces choses qui assombrit, pendant quelques jours, le caractère de mon père ; peut-être aussi le regret d’avoir à abandonner, en quittant Paris, les indemnités variées (légales et extra-légales) qui augmentent sa solde, et dont il trouvera difficilement l’équivalent à Nortes. Quoi qu’il en soit, il a fait, en termes pathétiques, ses adieux aux officiers placés sous ses ordres : « Appelé à d’autres fonctions, a-t-il dit, soldat dans l’âme et par tradition de famille, j’obéis et me rends à mon nouveau poste... Heureux au moins que le sacrifice que j’accomplis en me séparant de vous puisse vous être un dernier enseignement, car il est subordonné à l’idée inspiratrice de nos actes, à l’idée de patrie qui nous domine de très haut. » Mais aujourd’hui, comme il se rend à la gare de l’Ouest, en route pour le siège de son commandement, il a recouvré sa gaîté et son insouciance ordinaires. Dans la voiture, il perpètre des calembours inavouables, se livre à des plaisanteries d’une telle indécence qu’elles font rougir l’officier d’ordonnance qu’il emmène avec lui. Il sifflote : « Grenadier, que tu m’affliges, En m’apprenant ton départ... » Sur le quai d’embarquement une foule d’amis et connaissances, d’admirateurs, de journalistes, se presse pour faire ses adieux à mon père. Beaucoup de dames dans cette foule ; des dames qui luttent avec les reporters pour avoir quelques instants d’entretien avec le héros de Nourhas, qui sourient de toutes leurs dents, et qui ont apporté des fleurs. — Je ne sais pas ce que les femmes ont à me courir après comme ça, me dit mon père en s’installant dans son coupé ; elles grillent toutes de se vautrer sur ma vieille peau ; on dirait qu’elles me prennent pour un wagon-lit. Le train part au milieu de démonstrations enthousiastes. « Il reviendra, dit la foule en se dispersant ; il reviendra... » (Quand le clairon sonnera, taratata). Le lendemain un rédacteur d’un journal bien-pensant déclare que « malgré de bas calculs, préparés avec un acharnement maladif », il a pu interviewer le héros de Nourhas. « Tandis que le général Maubart parle, écrit-il, j’écoute la musique de sa voix métallique, je regarde ses yeux dans lesquels perce la tendresse, et je vois briller sur son front la petite étoile mystérieuse qui illumine les élus de Dieu... « Au revoir ! » me dit-il d’une voix qui descend jusqu’à mon cœur. Que tous ceux qui me lisent se partagent le salut suprême du glorieux soldat aux bons Français, et qu’ils devinent l’émotion profonde que j’ai ressentie et les larmes délicieuses que j’ai pleurées ! » ⁂ Comme je demandais un jour au capitaine de Bellevigne, peu de temps après mon entrée au ministère, quelle était l’utilité d’une section de mobilisation dans les bureaux de l’État-Major, il me répondit qu’il n’en savait rien. — Je pense, dis-je, qu’elle est destinée beaucoup plus à rassurer les Français qu’à inquiéter les peuples étrangers. — Ce n’est pas très sûr, répondit Bellevigne ; les Français ne demandent qu’à être rassurés ; et du moment qu’on leur dit qu’ils peuvent avoir confiance en ceux qui veillent sur leurs destinées, ils dorment sur les deux oreilles. Mais les nations voisines doivent être amenées à supposer que l’armée française possède un plan de mobilisation qu’on complète et qu’on perfectionne sans relâche. Il est vrai que nos ennemis éventuels, très au courant de notre situation générale, savent qu’il nous est impossible, normalement, d’élaborer un plan tant soit peu praticable ; pourtant, nous devons faire tous nos efforts pour les tenir sur le qui-vive. En somme, la section de mobilisation existe surtout pour assister les gens, amis ou ennemis, disposés à croire au miracle en matière d’organisation militaire. Pour qu’une mobilisation rapide fût possible... — Il faudrait bien des choses ! m’écriai-je. — Il faudrait avant tout, reprit Bellevigne, un gouvernement intelligent et fort, c’est-à-dire sûr de la légitimité de son existence et dont le pouvoir se fortifierait sans cesse de la sève toujours jeune qui monte du vieux tronc des traditions ; il faudrait un peuple décidé à comprendre l’efficace grandeur des symboles ouvrés par les âges, un peuple qui sentirait que la foi donne une autre vigueur que le scepticisme, et qui rouvrirait enfin à Dieu, qu’il en a chassé, son âme et son cœur. — Il faudrait, dis-je à mon tour, que toutes les misérables idoles d’aujourd’hui — répugnants simulacres de ce qui fut et de ce qui sera — fussent renversées et réduites en poudre. Il faudrait qu’il y eût un peuple. Non pas le peuple d’à présent, amas de haillons humains croupissant sur la loque d’abstraction qui s’appelle une patrie ; mais un peuple libre, respirant largement sur une terre libre, sur le sol enfin arraché aux griffes des voleurs — sur le Sol qui est la Patrie. — Vous savez, reprit Bellevigne en souriant, que je ne puis considérer vos idées que comme chimériques. Cependant, je comprends que le spectacle des ignominies actuelles puisse les faire germer dans un cerveau que lasse et révolte le perpétuel mensonge. N’est-ce pas mensonge, et mensonge seulement, tout ce qu’on enseigne à la nation au sujet de sa puissance militaire ? Et comment cette nation, si elle n’était point aveuglée par une incrédulité compliquée de fatigants mirages, comment cette nation pourrait-elle ajouter foi à d’aussi grossières impostures ? Croyez-moi, mon cher ami : pour la foule, quand la croyance disparaît, c’est la superstition qui vient ; toutes les superstitions. Je me suis rappelé les paroles prononcées à Malenvers par l’abbé Lamargelle. Le prêtre, qui est un athée, avait dit : religion ; l’officier, qui est un croyant, a dit : superstition ; moi, qui voudrais être un Français, j’ai pensé : lâcheté. Le capitaine de Bellevigne a continué : — Comment le public peut-il croire à la possibilité d’une mobilisation rapide dans un pays qui a rejeté le recrutement régional et qui distribue ses réservistes avec l’unique souci de les éloigner de leurs foyers ? N’est-il pas évident que la seule préoccupation des gouvernants est de diminuer les chances d’un soulèvement que provoqueraient leur malhonnêteté et leur insuffisance ? N’est-il pas clair que cette préoccupation met en péril la défense nationale ? N’est-il pas certain que notre réseau ferré est hors d’état de rendre, à un moment critique, les services qu’on en doit attendre ? Et qui ignore que, s’il en est ainsi, c’est parce que les gens qui se sont succédé au pouvoir depuis 1870 ont toujours sacrifié les intérêts supérieurs du pays à des considérations de l’ordre le plus vil ? Le système de mobilisation qu’on entoure de tant de mystères n’est qu’une absence complète de système ; les plans ébauchés par le général de Paramel et par d’autres sont réduits à néant par d’insurmontables obstacles, soigneusement entretenus par la Crapule qui légifère. S’il en était autrement, que serait-il besoin de tant de secrets ? Est-ce que le système allemand n’est pas parfaitement connu ! Il est excellent ; donc, on n’a nulle raison de le cacher. Mais à nous, le mystère est indispensable. — Cette malheureuse situation, dis-je, est connue de nos voisins ; ils sont aussi au courant des mesures presque dérisoires qu’on a prises pour y remédier. Pourtant, ils ne savent rien d’une façon absolue. Des fuites, comme nous disons, des indiscrétions commises nous ne savons par qui, les renseignent de temps en temps sur des points de détail. Mais j’ai souvent pensé à l’hypothèse suivante : un traître d’intelligence supérieure vendant à l’étranger la preuve de notre infériorité, lui livrant la démonstration circonstanciée de notre irrémédiable impuissance à mobiliser rapidement nos troupes ; la trahison découverte ; et cet homme arrêté. Devant la réalisation de cette hypothèse, que feraient le Gouvernement et l’État-Major ? — Le mieux serait de supprimer l’homme sans bruit, sans dire pourquoi. — Mais, répliquai-je, de nos jours on ne supprime les gens que par jugement, et il faut dire pourquoi. — On ne pourrait pas dire pourquoi, reprit Bellevigne ; on dirait tout, excepté la vérité. La vérité que les étrangers connaîtraient tout entière, il faudrait que la France continuât à l’ignorer. On condamnerait l’homme, non pas pour le forfait qu’il aurait commis, mais pour des crimes imaginaires ; et pour cela, on entasserait fraudes sur mensonges, faux sur parjures. — Oui ; et tout cela en pure perte, probablement. Car l’étranger aurait intérêt à faire briller quelques rayons de la vérité aux yeux du peuple français, à obliger l’État-Major à ouvrir ses coffres-forts et à exhiber quelques-uns de ses mystérieux dossiers. Il aurait intérêt à voir si le peuple français, mis en présence d’indiscutables faits, se révolterait contre l’imposture organisée et exigerait la transformation totale de son armée ; ou bien s’il continuerait à accepter la situation qu’on lui a créée. Ce qui signifierait, évidemment, qu’il a fait abnégation de son existence propre et qu’il est prêt au démembrement. ⁂ On comprendra pourquoi je rapporte ici cette conversation. On comprendra aussi pour quelles raisons je me dispense de décrire par le menu mon séjour aux bureaux de l’État-Major général. ⁂ Je ne sais pas si vous y avez pris garde, mais jusqu’ici ma vie n’a pas été égayée une seule fois du sourire de l’amitié. Je ne m’en plains pas ; j’en fais simplement la remarque. Mais à présent, c’est une affection peut-être pas très profonde, mais réelle, qui me lie au capitaine de Bellevigne. Le comte de Bellevigne appartient à une famille qui fut toujours opposée aux idées libérales, mais qui n’émigra point à la fin du siècle dernier et n’a jamais porté les armes contre la France ; l’indélébile tache morale qui stigmatise la plus grande partie de l’aristocratie française ne souille donc pas son caractère. Il est un peu plus jeune que moi ; d’esprit point étroit, mais concentré ; intelligent, mais dominé par de vieilles idées ; et sincère jusqu’à la naïveté. Son idéal franchement réactionnaire m’intéresse ; comment de telles convictions peuvent-elles, en notre temps, régenter l’esprit d’un homme ? Nous méprisons tous deux l’abjection présente ; il la pèse au poids d’un passé qu’il poétise, et je la toise à la mesure d’un avenir qu’auréole mon imagination. Au fond, le grand point est de mépriser cette abjection. L’être qui accepte la laideur de la vie actuelle, qui en jouit, qui ne sent pas pour elle haine et dégoût, cet être-là cesse d’être un homme. Les idées que j’exprime intéressent aussi le capitaine de Bellevigne. Il admet l’essence, mais rejette le mode. Moi, j’admets le mode, et de plus en plus. J’ai vu. J’ai lu. J’ai trouvé, formulées, beaucoup de pensées qui ne s’étaient présentées à mon esprit que tronçonnées ou en désordre. J’ai compris la Comédie Inhumaine jouée sur notre Terre par ces deux monstres, l’Église et l’État, par tous ceux qui en vivent et par tous ceux qui en meurent. Comédie inhumaine — infâme, imbécile, indigne d’hommes. Comédie Inhumaine partout. Et quelle comédie plus grotesque et plus sinistre en même temps que cette comédie de la Revanche qui se joue en France, sans interruption, depuis 1870 ? Le Pouvoir Civil agite aux yeux d’une tourbe abrutie le bulletin de vote, qui représente la volonté civique ; le Pouvoir Militaire brandit le drapeau, qui représente la Patrie. La tourbe applaudit, admire, bâille, bave, crache au bassinet parlementaire, casque militairement. Et l’homme au bulletin de vote et l’homme au drapeau se partagent les écus, se les partagent en frères (de la côte). Les liens les plus étroits les attachent l’un à l’autre. Les filous des assemblées parlantes ne peuvent continuer leurs trafics que grâce à l’existence perpétuée de l’armée prétorienne ; et l’armée prétorienne ne peut continuer à exister au bénéfice de l’aristocratie à galons, que grâce à la complicité des vomissures de l’urne. Si le Pouvoir Civil a réussi à conserver l’armée telle qu’elle est, quelles transformations n’aurait-il pu facilement lui faire subir, s’il l’avait voulu ? Mais il sait qu’il a tout à perdre, et son existence même, à la constitution d’une armée vraiment nationale ; et il tient à vivre, au milieu de toutes les ordures et de toutes les hontes, afin de pouvoir saigner les pauvres et vider leurs bas de laine. Les scandales du Panama ont éclaté, continuent. On perquisitionne, on arrête des gens, on les relâche, on les emprisonne, on rend des ordonnances de non-lieu — mais on ne rend pas l’argent. — Petit-Gris, vertueux républicain, a volé 1.600.000 francs ; M. de Trisonaye, qui représenta si longtemps l’intégrité au ministère de la guerre, n’a volé qu’une centaine de mille francs (télégraphiquement). Tout ce qui est au pouvoir a volé. Il n’y a que des voleurs au pouvoir ; des voleurs qui ont dépouillé leur patrie non seulement de son argent, mais de son intelligence et de son énergie. Devant de telles infamies, le peuple ne se soulève pas. Vingt-quatre ans d’avilissement en ont fait une chose inerte, une éponge à bottes, un crachoir. Il ne comprend plus que, pour qu’il puisse vivre, pour que la France vive, il faut que la canaille dirigeante soit jetée à l’égout. Il ne comprend plus rien, même pas qu’il est devenu la risée du monde entier. Il s’indigne lorsque les bombes de Ravachol ou d’Émile Henry blessent ou tuent quelques-uns de ses exploiteurs, quelques-uns de leurs valets ; il s’indigne lorsque le couteau de Caserio crève le plastron de Carnot. Il a de la pitié pour tout le monde, mais pas pour lui-même. Alors, pourquoi aurait-on pitié de lui ?..... En avant, fils de pauvres ! Sac au dos ! Allez crever sur le champ de bataille ! Et vous ! les vieux, payez, payez et payez encore, pour que vos fils puissent crever ! En guerre ! Pas du côté des Vosges, la guerre. Non. Pas encore pour cette fois-ci. Nous sommes prêts, bien entendu, mais nous préférons attendre (comme le lapin). Chacun, n’est-ce pas ? est libre de choisir son heure. Et on nous a pris tant de pendules que nous pouvons bien y mettre le temps, à choisir notre heure..... Mais il y a une grande île, tout là-bas, où les Jésuites ne peuvent pas s’installer à leur aise et ont besoin de la République française pour les aider... La Marianne donc, se campe sur l’oreille le bas de laine vidé qui lui sert de bonnet phrygien, relève sur ses fesses noires de coups sa cotte raide de fange, retrousse ses manches rouges de sang français — et pousse au cul du Jésuite. — La civilisation malgache doit disparaître devant la barbarie française. En avant, fils de Pauvres ! Allez crever de la fièvre et de la dysenterie ! Et vous, les vieux, payez, payez et payez encore pour que vos fils puissent crever !... C’est nous qui avons préparé l’expédition, et c’est quelque chose de chouette. On n’a jamais rien vu de pareil. (Pour sûr !) Tout le monde a déjà fait son petit bénéfice, en attendant les gros ; tout le monde, y compris le personnage à guêtres blanches, gendre de voleur et voleur lui-même, qui est Président de la République. J’ai essayé de faire partie de l’expédition ; je n’ai pas pu. Toutes les bonnes places sont réservées aux officiers qui furent élèves d’établissements congréganistes ; et ils sont légion. Le cléricalisme s’empare de la France de plus en plus, et rapidement, grâce à la complicité des politiciens républicains ; ces misérables n’ont jamais été que les plus répugnants des Tartufes ; ils ont toujours envoyé leurs femmes s’agenouiller devant les prêtres qu’ils prétendaient combattre, ils ont toujours mis leurs filles au couvent et leurs fils dans les jésuitières. Mille fois, le concours de l’Église leur a été précieux ; et surtout pour l’édification, aujourd’hui presque complète, de cette immense Blague : l’alliance franco-russe. Je demeure donc aux bureaux de l’État-Major, où je m’ennuie suffisamment. Je m’ennuie, mais on ne m’ennuie pas ; au contraire. Le général de Lahaye-Marmenteau, dont j’avais redouté l’hostilité, n’a jamais fait preuve envers moi que de la plus grande bienveillance. Mes camarades, à part le capitaine de Bellevigne, ne m’intéressent guère. Ils sont tous réactionnaires et cléricaux jusqu’aux moelles, convaincus d’ailleurs qu’ils doivent l’être, dans l’intérêt de leur pays — de leur pays qu’ils ignorent incroyablement. — Le principe d’autorité, dont le culte les imprègne, pervertit leur pauvre entendement. Leur état d’esprit est celui de ces émigrés que Napoléon flétrissait dans sa proclamation du golfe Juan ; celui de ces comtes de Bernis et de Vogüé qui égorgeaient, en 1815, les soldats en garnison à Nîmes, celui de ces aristocrates qui, en 1871, applaudissaient au meurtre de la Commune par les hideux Capitulards ; un état d’esprit misérable, qu’on ne supprimera jamais qu’en supprimant ceux qui l’incarnent. Et les types défilent, identiques moralement, laids physiquement, grelottant d’hypocrisie et de servilité ; de l’or, sur tout ça, récompensant des années de service dérisoire, des besognes souvent inavouables. Des gens vont, viennent, militaires ou civils, escrocs ou mouchards, on ne sait pas quoi, on ne sait pas pourquoi ; boutonnant leurs redingotes sur des plans de forteresses, emportant des dossiers confidentiels dans la coiffe de leurs chapeaux. Devant les cartons vides ou bourrés de paperasses suspectes (mais dans lesquels nous avons réussi à enfermer l’énergie et l’initiative de la nation) évoluent des êtres étranges ; le général Schnick, pâle, fantomatique ; le général Schnack, énorme, rouge, impérieux, tonitruant ; le général Schnock, figure poupine, voix fêlée, geste désarticulé ; tous personnages destinés à exercer de grands commandements, en temps de guerre. Que font là ces grosses légumes ? On l’ignore. Un officier supérieur, l’autre jour, a passé son après-midi à polir soigneusement une lanterne sourde (j’ai pensé que c’était pour traverser la Forêt Noire, à l’occasion) ; ce personnage, m’a-t-on dit, n’était autre que le fameux colonel... Mais j’ignorais alors le nom du colonel, et je suis le seul à l’avoir oublié depuis. Ai-je oublié le nom de cet honnête guerrier, aux allures de rastaquouère, qui s’appelle le commandant Karpathanzy ? Il n’y paraît pas. ⁂ J’ai déjà dit que le général de Lahaye-Marmenteau était fort aimable pour moi. Rien ne m’empêche de le répéter. Le général est un de ces hommes froidement et tenacement insinuants dont on peut deviner l’esprit continuellement agité sous un calme apparent, très réservés et très fureteurs, à volonté toujours tendue, qui vous inquiètent et vous fatiguent. La première impression qu’ils vous font ressentir est extrêmement déplaisante ; mais leur habileté à jouer leur rôle la modifie rapidement, et peut même changer l’antipathie qu’ils inspiraient d’abord en une sorte de sympathie, non exempte de toute défiance pourtant. J’insiste sur ce dernier point afin d’expliquer pourquoi ce fut seulement vers le milieu de 1895 que je me décidai à répondre aux marques d’intérêt, que me prodiguait le général, par autre chose que par l’expression de la plus froide politesse. C’est durant l’automne de la même année que le général, au Cercle Militaire, me présente à son ami M. Pilastre. La chose est faite comme par hasard. Mais est-elle faite par hasard ? N’a-t-on pas l’intention de recommencer les tentatives ébauchées à Malenvers ? J’ai très peu le temps de me poser, même, la question. M. Pilastre m’enlace de sa sympathie, m’enveloppe, me capture ; le moyen de résister aux avances de M. Pilastre, homme rond en affaires et carrément sans façons ?... Vous connaissez tous, au moins de nom, ce gros industriel qui est si fier de sa rosette d’officier de la Légion d’honneur et de son grade de commandant dans la territoriale. Sa fortune est considérable ; son intelligence, beaucoup moindre. J’ai essayé deux ou trois fois de plaisanter la pesanteur d’esprit de l’industriel devant le général ; mais ce dernier a pris un front sévère et a changé le sujet de la conversation. Il est impossible que son opinion diffère de la mienne ; il est bien plus probable qu’il a de bonnes raisons pour ne point l’exprimer. Après tout, peu importe. Pilastre est, actuellement, un lourdaud ; mais il n’a pas encore atteint la cinquantaine, et tout espoir n’est pas perdu. Pilastre est très militaire, très cocardier ; cela peut prouver qu’il est d’esprit libre, car le sentiment de la liberté, c’est le sentiment du pouvoir au repos ; et ce sentiment ne peut être inspiré à un être ou à une nation que par les armées permanentes modernes, qui sont un pouvoir et qui sont au repos. Le chauvinisme de Pilastre, d’ailleurs, n’a rien d’attristant. — Shakespeare, Gœthe, Ibsen, Carlyle, dit-il, corrompent le goût français, embrument l’inspiration gauloise. Cependant, il ne faudrait pas aller trop loin. Ainsi, il y a quelque chose dans la musique de l’Allemagne, bien que j’aie cru de mon devoir de protester contre la première représentation de Lohengrin. Et il n’existe peut-être pas aujourd’hui, à Paris, dix écrivains égaux à Shakespeare. Je suis souvent invité par M. Pilastre, qui habite un grand appartement du boulevard Malesherbes. J’accepte presque toujours ces invitations ; et la raison pour laquelle je les accepte est justement celle qui m’avait poussé à me promettre à moi-même de les décliner le plus souvent possible. Mlle Pilastre, dès l’instant où je l’ai revue, a exercé sur moi une grande attraction. L’impression pénible qu’elle m’avait produite autrefois ne s’est pas renouvelée ; les sentiments qu’elle excite en moi à Paris sont tout différents de ceux que m’inspirèrent à Malenvers, à une époque où nous étions plus jeunes tous deux, sa difformité et sa faiblesse. Je cherche à m’expliquer ces choses. Je hais la sentimentalité et je suis peu accessible à l’émotion. Je ne sais pas ressentir la pitié. La vue de l’infirme, du faible, du pauvre, produit en moi l’ennui et la colère. La difformité, qui a créé tant de philanthropes, ne pourrait jamais faire de moi qu’un révolté. C’est la rage qu’excite en moi la laideur des monstruosités actuelles qui me pousse à désirer ardemment des transformations sociales ; et non pas une soif de sympathie provoquée par la beauté plus ou moins chimérique d’un idéal quelconque. Les peintres qui ont peint des Tentations ont généralement entouré leurs saints, au grand étonnement des imbéciles, d’êtres horribles à contempler, de créatures anormales ; sachant bien que si la beauté peut attirer l’homme fort hors d’une certaine position morale, la laideur pourra beaucoup plus sûrement le pousser à en sortir... La difformité de Mlle Pilastre donc, ne me rebute point ; me stimule. Cette difformité, d’ailleurs, n’est pas toujours apparente. Il y a des heures où elle disparaît, non pas derrière les brumes d’une pitié dont je suis incapable, mais devant la lumière d’une intelligence supérieure, glorieusement révélée. Mlle Pilastre est fort instruite, et sa conversation très intéressante ; ses idées, ses façons de voir et de penser, sont d’un esprit d’élite qui sait s’affirmer ; elle doit avoir un joli mépris pour le chauvinisme de son père. C’est en vain qu’on chercherait à trouver, dans les opinions et les manières, la moindre ressemblance entre le père et la fille. La grâce des attitudes, la joliesse du geste, la musique de la voix donnent à Mlle Pilastre un charme particulier, la rendent subitement très prenante ; sa difformité cesse très vite de choquer ; il ne reste bientôt devant vous qu’un être frêle, comme arrêté momentanément dans son développement, et dont la laideur n’est pour ainsi dire qu’à fleur de peau. C’est une laideur d’ensemble ; mais les détails sont jolis. Les yeux surtout sont magnifiques, rayonnants de pensée, avec une grande force d’amour scintillant quelquefois dans leur profondeur noire. Et c’est cette lueur-là, dans ses yeux-là, que j’appréhende et que je hais. L’amour. Mais pas l’amour libre, maître de soi-même et volontairement offert. L’amour catalogué, classé, matriculé ; l’amour dont la jeune fille est la dépositaire soupçonnée, qu’elle a en consigne, mais qui ne lui appartient point réellement et dont elle ne peut disposer. Ah ! cette lueur-là dans ces yeux-là ! L’amie, que je suis joyeux de connaître, que je serais heureux d’avoir toujours, disparaît et fait place à l’épouse garantie sur facture et à vendre à prix fixe. Je n’aurai pas l’amie, que je voudrais ; et l’on m’offre l’épouse, dont je ne veux pas. Cette pensée m’exaspère. La femme — la femme qui est à vendre, qui sera vendue, et que je refuse d’acheter ou de recevoir — se transfigure soudain. Son charme s’évanouit ; sa voix captivante cesse de chanter. Ses imperfections physiques s’affirment, s’imposent, exagérées ; sa laideur croît, touche à l’horreur, devient insupportable. Et les êtres à qui elle appartient, qui disposent d’elle, ceux qui veulent trafiquer de son âme et de sa chair, s’approchent de moi et cherchent à me faire parler. Le général de Lahaye-Marmenteau m’apprend que je ne déplais pas à sa filleule ; Pilastre m’assure qu’il devient jaloux de moi ; Mlle de Lahaye-Marmenteau me laisse entendre que si je ne suis pas absolument hostile au mariage... J’hésite à comprendre. Je refuse de comprendre. Je me promets de ne pas comprendre. Et pourquoi pas ? Pourquoi reculer devant un marché, hésiter devant un échange ? Toute notre vie est faite de ça. Si la femme a des défauts physiques, n’ai-je pas des vices ? J’apporte mon nom et ma situation sociale ; mais elle apporte son argent et la certitude, pour moi, de protections efficaces. Si elle est à vendre — moi aussi. — L’officier, qui se fait payer pour entrer en campagne, se fait aussi payer pour entrer en ménage ; toujours relativement à son grade et à ses risques ; la nation crache, et la femme casque. Quoi de plus normal ? Et peut-être que nous nous aimerions, tout de même... Tout de même... Peut-être... Eh ! bien, non, je ne ligoterai pas ma vie à ce Tout de même ! Je ne clouerai pas à ce Peut-être l’existence d’une femme — surtout de cette femme-là ! — Puisqu’il faut vivre au milieu de choses et d’êtres qui nous emplissent l’âme de répugnance et d’aversion, en face de la répulsion sans cesse grandissante qu’on s’inspire à soi-même, je vivrai seul. Je n’ose pas le dire — je ne sais pas pourquoi je n’ose pas le dire — mais je me jure de vivre seul. Les liens qui m’attachent à cette Société que je méprise sont déjà trop nombreux ; je n’ai pas le courage de les briser, mais je ne les augmenterai pas. Le sabre que je traîne inutilement depuis tant d’années déjà, je ne le mettrai pas dans la balance à peser les dots ; j’aurais sans doute mieux fait de m’en débarrasser ; mais qui sait s’il ne me servira pas un de ces jours — l’un de ces jours où l’on se réjouit d’être resté libre ? — Quelque chose me dit que de grandes convulsions sont proches, et qu’avant longtemps, au-delà et en-deçà des frontières — on entendra pas mal — résonner le Brutal. On peut s’amuser tout de même, en attendant ; et la bénédiction nuptiale n’est pas indispensable à l’existence. (Je pense à Mme Raubvogel, en écrivant ça). J’en pince pour Estelle. Autant l’avouer ; vous le devineriez tout de suite. Ça été long à venir, mais c’est venu. Estelle a quarante-deux ans sonnés, si je sais compter ; mais elle est plus belle que jamais ; d’une beauté plantureuse, montante, qui vous attire et vous retient. Ah ! qu’il y a de belles femmes dans ma famille ! C’est peut-être ma qualité de parent qui empêchait Estelle, au début, d’attacher aucune importance à mes déclarations. Mais peu à peu je suis arrivé à la convaincre de la réalité de mes sentiments et aussi de leur ardeur. Je crois qu’Estelle, si elle avait le temps, me prouverait qu’elle n’est point insensible. Mais elle n’a pas le temps. Les Russes l’accaparent ; ils lui prennent tous ses instants. On ne se figure pas comme ces Slaves sont exigeants. « Grattez le Russe, a-t-on dit, et vous trouverez le Tartare. » Mme Raubvogel, qui a mis le dicton à l’épreuve, assure qu’il n’exagère point. Cependant, le devoir avant tout. Le Devoir est une chose avec laquelle on ne plaisante point, chez les époux Raubvogel. Le devoir patriotique surtout. Raubvogel est de longue date affilié à toutes les sociétés revanchardes ; il figure dans toutes les démonstrations patriotiques à côté de sa femme qui, aux yeux de tous les Parisiens, représente l’Alsace ; il n’a cessé de proposer les motions les plus violentes contre l’Allemagne. Un jour, il déclare qu’on devrait trouver moyen de communiquer le phylloxera aux vignes de l’Ennemie, des maladies à son blé et à ses pommes de terre ; un autre jour, il lance l’anathème contre les gens qui se désaltèrent avec de la bière de Munich ou qui ronflent comme des toupies d’Allemagne ; ces gens-là, dit-il, ne sont pas des patriotes. Il demande qu’on élève, sur la place de la Concorde, une statue à Metz ; il réclame une décoration spéciale pour tous les combattants de 1870-71. Des multitudes approuvent ces propositions ; la presse les appuie ; on admire généralement le beau zèle français de M. Raubvogel. Toute peine mérite salaire. Et qui est-ce qui est récompensé de son dévouement à la patrie dès que l’alliance franco-russe est conclue ? C’est le cousin Raubvogel. (D’autres aussi, mais n’en parlons pas.) Les Moscovites affluent chez le cousin ; non pas précisément de hauts personnages, mais de gros personnages tout de même, des financiers, des brasseurs d’affaires, d’honnêtes gens qui suivent l’exemple donné par leur gouvernement et qui viennent échanger leur papier contre de l’or français. Raubvogel aide ces bienfaiteurs de la France à écouler leur excellent papier, et Mme Raubvogel les met à même d’apprécier, sous toutes ses faces, le charme de l’existence fin-de-siècle. Je dois dire que, à force de se frotter à des notabilités de l’armée, de la finance et de la politique, Estelle a acquis des connaissances plus que superficielles sur des sujets qui restent, d’ordinaire, fermés aux femmes. Ainsi, elle savait que nous ne possédions à l’État-Major que des renseignements fort incomplets sur les côtes de la mer du Nord et de la Baltique ; un général russe l’avait mise au courant du fait, et son patriotisme s’alarmait. J’ai rassuré Estelle ; je lui ai appris, confidentiellement, que deux officiers, le capitaine de Rouy et un autre, venaient justement de partir sur un yacht, en touristes, pour inspecter les côtes en question. Pour mon compte, je ne crois guère aux résultats de l’espionnage ; pas plus, d’ailleurs, que je ne crois à l’efficacité d’une alliance avec la Russie. Nous n’y voyons pas plus clair depuis que les Russes mangent la chandelle par les deux bouts ; le caractère français s’est seulement transformé d’une façon curieuse : il s’est englué de solennité. Mais la presse à la solde du pouvoir chante l’alliance russe (tout en crevant d’envie de débiner la Russie, par lassitude de la louange). Des journalistes écrivent ceci : « Le Czar jette sa cavalerie sur l’Est allemand. Des chevaux comme nous n’en n’avons jamais vus en France, qui s’agenouillent, se couchent et se relèvent au plus léger sifflement de leur maître ; les voilà en Allemagne, et ils coupent les fils télégraphiques, et ils font sauter les ponts et ils minent les voies ferrées »... « Les fantassins russes ont des grappins de fer pour monter sur les branches des arbres et les maisons »... « La France avait vécu longtemps repliée sur elle-même, mais depuis que les fêtes de Cronstadt ont éclaté comme une fanfare, l’incendiaire poignée de mains franco-russe nous a rendu notre vigueur. » Une bonne moitié des rédacteurs de journaux français, il faut le dire, ne s’abandonne pas à un enthousiasme aussi désordonné. Les Belges sont trop expansifs, c’est vrai ; mais les Suisses modèrent leurs transports. M. Delanoix, que je vois assez souvent chez son gendre, bien qu’il soit grand partisan de l’alliance, me semble plutôt Suisse dans l’expression de ses sentiments. Il dit que la Russie est l’alliée naturelle de la France, mais qu’il faut constater ce fait indéniable avec modération ; que la France sera toujours la France pourvu qu’elle reste modérée ; que l’armée est une institution grandiose et démocratique, et qu’il ne faut la critiquer qu’avec modération. M. Delanoix est devenu tellement père conscrit, il l’est devenu si complètement et avec tant de bonne foi, que je commence à l’aimer. Mais j’aime mieux sa fille, ô gué, j’aime mieux sa fille ! ⁂ J’ai chanté tellement haut qu’on m’a entendu. Et voici les reproches éloquents, muets, ironiques et chagrins qui commencent à pleuvoir. M. Pilastre me gratifie de longs discours qui tendent à prouver que le moindre écart dans la conduite d’un officier porte atteinte au prestige de l’armée territoriale, à laquelle il appartient. Mlle Pilastre, qui vient de revenir de Nice, au commencement de cette année 1896, m’accueille avec une froideur que la température ne suffit pas à justifier ; Mlle de Lahaye-Marmenteau approuve sardoniquement mon goût pour les fruits mûrs, et le général de Lahaye-Marmenteau me transperce de regards sévères. On dirait vraiment que je suis la propriété de tous ces gens-là, et que je commets un crime en faisant mine de leur échapper. D’abord, pourquoi diable me témoignent-ils tant d’intérêt ? Ou plutôt, quel intérêt peuvent-ils avoir à me passer la corde au cou ? Le capitaine de Bellevigne, auquel je demande des renseignements à ce sujet, n’en a point à me donner. Il se souvient seulement qu’un officier employé à la direction de l’infanterie lui a posé, il y a deux ans environ, les questions que je lui pose à présent. Lui, Bellevigne, ne comprend pas plus aujourd’hui qu’alors. Étrange... Heureusement, mon père m’écrit de Nortes qu’il va faire un petit voyage à Paris ; il pourra sans doute me donner des explications. Il vient me voir un matin, en coup de vent, me remet une somme assez ronde et me donne rendez-vous pour le surlendemain ; il est très préoccupé, très affairé. Le surlendemain, je reçois une lettre qui m’apprend que mon père a été obligé de repartir tout de suite pour Nortes. Embêtant... Après tout, ça ne fait rien ; les renseignements que je n’ai pu avoir ni de Bellevigne, ni de mon père, le cousin Raubvogel me les donnera sans aucun doute. Je vais aller... Ah ! mais, non ! Pas de bêtises ! Raubvogel mettrait sa femme au courant de mes petites affaires, et Estelle doit rester persuadée qu’elle seule me préoccupe. Alors ?... J’ai trouvé. Schurke. Je m’en souviens parfaitement ; c’est le 1er mai 1896, à la suite d’un dîner auquel je l’ai prié, que Gédéon Schurke me fait les révélations suivantes : Mlle Pilastre, qui est née à Nice peu de temps avant la guerre de 1870, n’est pas la fille de M. Pilastre. Elle est la fille du général de Lahaye-Marmenteau et d’une danseuse alors célèbre, la Saltazzi. Le général assista à la naissance de sa fille. Il s’était rendu à Nice sur l’avis des médecins auxquels il était parvenu à faire croire que sa santé était des plus délabrées. Pourtant, il ne put reconnaître son enfant ; il était marié ; sa femme, qui fut assez longtemps la maîtresse du général Maubart, ne mourut qu’en 1871, accidentellement. Depuis, malgré ses promesses, il négligea de remplir cette formalité. La Saltazzi mourut à Venise en 1886. Le général de Lahaye-Marmenteau s’était remarié six mois auparavant, avec une jeune femme fort riche. Néanmoins il n’abandonna pas sa fille, qu’il lui était de nouveau devenu impossible de reconnaître comme sienne, et qu’il ne pouvait avouer. Il chargea sa sœur, qui était déjà la marraine de l’enfant, de veiller sur la jeune fille qui avait alors seize ans. La Saltazzi, qui possédait une assez grosse fortune, avait laissé par testament tous ses biens à sa fille ; hormis une somme de deux cent mille francs qui, disait-elle, « devra être remise au général de Lahaye-Marmenteau le jour où ma fille sera reconnue par son père, et mariée ; ou, en cas de décès de ma fille avant que ces deux conditions ne soient remplies, devra être distribuée aux pauvres de Venise ». Cette clause n’intéressa d’abord que médiocrement le général, qui a toujours eu de grands besoins, mais qui avait la libre disposition de la fortune de sa femme. Cependant, vers 1890, Mme de Lahaye-Marmenteau s’émut des brèches faites à son patrimoine ; bien conseillée par Me Lerequin, avoué, elle confia à cet habile officier ministériel la direction de ses affaires. Le général se mit alors à songer aux deux cent mille francs. Le testament de la Saltazzi exigeait d’abord la reconnaissance de l’enfant par son père ; mais il ne disait pas quel était le père ; le père pouvait, par conséquent, être n’importe qui ; le général se mit donc à chercher ce n’importe qui, déterminé, pourtant, à ne pas se contenter du premier venu. Des agents secrets du ministère furent mis en campagne ; et après avoir usé largement des fonds publics, découvrirent chez l’ambitieux M. Pilastre la bosse de la paternité fictive. La croix de la Légion d’honneur, puis la rosette, et les galons de commandant d’un bataillon de la territoriale, furent promis à M. Pilastre, s’il consentait à reconnaître pour sa fille l’enfant de la Saltazzi. Il consentit. Et le général tint ses promesses. La première des conditions imposées par la danseuse est donc remplie ; il reste à exécuter la seconde. Comme on ne veut pas, une fois de plus, se contenter du premier venu, la chose est assez malaisée. Cependant, il faudra se hâter, car le général de Lahaye-Marmenteau est fort pressé d’argent. — Voilà, dit Gédéon Schurke en terminant. Monsieur votre père aurait pu vous mettre au courant des faits, l’autre jour, tout aussi bien que moi. Mais il était très pressé ; il avait Mme Plantain à enlever... — Mme Plantain ! m’écrié-je, la femme de l’inventeur ? — Elle-même, répond Schurke. Son mari a quitté la France depuis qu’il est sorti de prison, mais elle habitait toujours à Paris ; le général Maubart lui faisait la cour depuis déjà longtemps ; il a réussi à l’emmener à Nortes ; peut-être, après tout, en tout bien tout honneur. — C’est vraiment curieux, dis-je. Mais que vous savez de choses, Schurke ! Que vous en savez !... — J’en sais trop, ricane Schurke, beaucoup trop. J’en sais tellement que j’en suis las, fourbu, exténué. Et voulez-vous que je vous dise ? C’est toujours la même chose. Il n’y a que des dupes partout ; même ceux qui tendent les pièges sont des dupes. C’est ridicule, lamentable, et tuant. Pour moi, j’en ai par-dessus la tête. Un de ces jours... Vous êtes-vous demandé quelquefois ce que c’est qu’un traître ? Et avez-vous pensé qu’un homme puisse trahir sans aucune raison, sans aucun intérêt, machinalement, pour ainsi dire, et sous la pression réactive d’un invincible dégoût ? Pensez-y. J’y songerai, si j’ai le temps. Mais j’ai justement dans ma poche un billet d’Estelle qui m’accorde un rendez-vous pour après-demain, et je ne veux penser à rien d’autre. C’est chez moi qu’Estelle m’a donné rendez-vous. Comme je vais quitter le bureau, vers quatre heures, sous un prétexte, le capitaine de Bellevigne entre et vient m’annoncer tout bas qu’il a une importante communication à me faire. Nous sortons ensemble ; et sitôt dehors, il m’apprend... Il m’apprend une chose inouïe, extraordinaire, monstrueuse, absolument incroyable. Les époux Raubvogel viennent d’être mis en état d’arrestation. Ils sont sous les verrous, accusés d’espionnage. Le capitaine de Rouy et son compagnon (ces deux officiers qui étaient partis récemment, sur un yacht, pour examiner le littoral germanique) ont été arrêtés à Danzig ; et l’on prétend qu’ils ont été capturés sur des indications fournies par Raubvogel. De simples présomptions ! Non ; presque une certitude. C’est Gédéon Schurke qui a dénoncé les Raubvogel et il ne reste plus qu’à contrôler ses déclarations, qui sont des plus vraisemblables. Jusqu’à présent, on garde le secret sur l’affaire. Quel scandale ! D’abord, je suis saisi d’étonnement, comme pétrifié. Certes, je n’ai jamais cru à la sincérité des démonstrations patriotiques du cousin ; je pensais qu’il s’y livrait parce qu’elles lui étaient utiles, commercialement ; mais qu’elles fussent destinées à couvrir une trahison systématique... Quelle chose stupéfiante !... Et cette chose stupéfiante, tout d’un coup, m’apparaît comme la plus simple du monde. Raubvogel, espion ? Naturellement ; il n’a jamais cessé d’être au service de l’Allemagne ; c’est un espion-né, c’est l’espion... Et je me souviens des informations sur le voyage de de Rouy que j’ai moi-même données à Estelle. Et je m’avoue que je suis la cause inconsciente, mais pas innocente, de la mésaventure dont mes camarades ont été victimes. J’ai été joué par une femme. Et dire que je n’ai jamais pu jouer avec cette femme-là ! Schurke aurait bien pu attendre jusqu’à demain... Des cris, des pleurs, des lamentations, des objurgations, des supplications ; et tout ça en pure perte. C’est M. Delanoix qui accourt, effaré, atterré, affolé, qui crie, qui gémit, qui se multiplie, qui cherche à étouffer la terrible affaire. Étouffer l’affaire, le gouvernement ne demanderait pas mieux ; malheureusement, il ne peut pas. Le capitaine de Rouy a un frère que Schurke a mis aussi au courant des choses ; ce frère est journaliste, et menace de commencer une violente campagne contre le gouvernement, s’il fait preuve de clémence envers les Raubvogel. Le silence est donc impossible. La presse s’empare des faits, hurle au scandale, clabaude, grince. Mon père, de Nortes, m’écrit : « Ces Raubvogel sont d’horribles crapules ; je l’avais toujours pensé. Désavoue-les, comme je le fais moi-même. Ils ne sont pas nos parents. Combien je regrette d’avoir été assez faible pour le laisser croire ! Voilà ce que c’est que la bonté... » M. Delanoix quitte Paris, désespéré ; je le conduis à la gare du Nord. Le pauvre homme fait pitié ; il est plus mort que vif. Plus mort que vif ? Je te crois ! Le télégraphe, ce soir, nous apporte la nouvelle de son décès ; il est mort ce matin, subitement. On parle d’un suicide... Des blagues ! Pas plus de suicide que sur ma main. M. Delanoix est mort de honte ; il est mort de honte, comme un honnête homme. Voilà tout. Donc, voilà le beau-père mort et le gendre en prison. Voyez-vous quel thème aux méditations d’un moraliste offrent les destinées de ces deux hommes ? Ils avaient, l’un et l’autre, un rôle à jouer dans la Comédie Inhumaine ; le premier a pris cette comédie au sérieux, et en a oublié sa vraie nature ; le second s’est toujours souvenu que cette comédie était une comédie, et s’est toujours souvenu aussi que ses instincts devaient dominer son jeu. Raubvogel, quels qu’aient été les masques — invariablement souriants, d’ailleurs — dont il ait agrémenté sa figure, est toujours resté un irrégulier, un fantaisiste ; et, bien qu’il paye aujourd’hui la pénalité due aux artistes, il a tellement acquis l’élasticité, la flexibilité du virtuose, qu’il ne souffre pas le moins du monde de ce qui lui arrive. Il n’en mourra pas. Il en tirera sans doute de nombreux bénéfices. Je suis sûr qu’il s’en tient les côtes, dans sa prison. Quant à Delanoix, le masque d’austérité immuable qu’il s’est posé sur la face a pénétré sa chair, est devenu sa chair même. Delanoix s’est transformé, réellement, en ce quelque chose de raide, de routinier, de rigide et de fragile, qu’il aurait dû seulement représenter : un honnête homme. Et la main du Destin, au lieu de le courber, de lui faire faire une pirouette, ou de le faire rire, l’a brisé. Le voilà mort. Et bien avancé, n’est-ce pas ? Lisez les journaux, et voyez la réputation qu’ils lui font. On le traite d’hypocrite, de tartufe, de canaille ; on assure qu’il était de mèche avec son gendre, et que c’est pour cela qu’il s’est tué. On sort de sales histoires sur son compte, et même on en invente. (Pourquoi ? oh ! pourquoi ?) Si Delanoix, au lieu de prendre la Comédie Inhumaine au tragique, avait simplement haussé les épaules, il vivrait encore ; on le respecterait ; et il boirait tranquillement son apéritif avec Ranc, en père peinard. Avant de mourir, Delanoix a donné une irréfutable preuve de sa vertu intransigeante. Il a déshérité sa fille dans toute la mesure du possible et m’a institué son légataire. J’ai accepté la succession, bien entendu ; et j’ai chargé du soin de mes intérêts Me Lerequin, l’avoué dont m’avait parlé Gédéon Schurke. Un samedi, tout à la fin du mois de juin, les époux Raubvogel comparaissent devant le tribunal. Le mari est condamné à plusieurs années de prison ; la femme est acquittée. Qu’on châtie Raubvogel, soit ; mais les intérêts de la France seraient bien mieux servis si, au lieu de le condamner pour espionnage, on le punissait pour avoir appartenu à ces absurdes sociétés patriotiques, à ces honteuses ligues qui se sont fait un monopole de la Revanche et l’ont tuée sous l’excès du ridicule. Quant à Mme Raubvogel, je dois dire... Mais pourquoi m’occuper d’une femme que je ne reverrai jamais ? ⁂ Le lendemain, dimanche, une paresse sans cause, mais invincible, me retient au lit. J’ai renvoyé mon ordonnance et lui ai dit de ne pas revenir avant midi ; là-dessus, je me suis rendormi du sommeil du juste. Il est environ neuf heures lorsqu’un coup de sonnette me réveille en sursaut. Qui peut venir ?... Ah ! que je suis sot ! C’est Bellevigne qui m’a promis de m’apporter des billets pour un concert d’orgue, au Trocadéro. Je saute à terre, je traverse en courant (et en bannière) le petit salon qui précède ma chambre à coucher, je tourne la clef de la porte de l’appartement, je crie : « Entrez ! » et je reviens en toute hâte me mettre au lit. J’entends la porte s’ouvrir et se refermer, des pas pressés dans le salon, et tout d’un coup... Estelle ! C’est Estelle ! Elle est là, là, à la porte de ma chambre. Là, enveloppée d’un grand cache-poussière, coiffée d’une toque sans voilette... Non, pas à la porte de ma chambre, mais plus près, beaucoup plus près, près de moi. Non pas enveloppée d’un manteau et coiffée d’une toque ; la toque s’est envolée sur une table, le cache-poussière est tombé sur un fauteuil et il disparaît sous un jupon, sous deux jupons. Non pas près de moi, mais très près, très près ; très près, avec sa magnifique toison fauve éparse sur les oreillers, avec des baisers et des frissons, et des sanglots — et des sanglots... Elle m’aime, elle m’aime, elle m’aime ! Ah ! qu’elle m’aime ! Elle m’aime surtout à cause de mes mérites moraux, de ma générosité, de mes grandes qualités de cœur. Elle me dit tout ça à travers ses larmes. Elle est bien, bien malheureuse ; elle est seule au monde ; elle n’a que moi ; elle n’a confiance qu’en moi ; elle n’a de ressource qu’en moi... Ça, c’est vrai. Tout dépend de moi ; si je m’obstine à conserver l’héritage... Mais ma force de résistance est mise à une bien rude épreuve. Il y a un proverbe qui dit que tout est loyal en amour et en guerre. Je ne sais pas trop si c’est ici une question d’amour ou de guerre, mais il est certain que l’attaque d’Estelle a été aussi perfide que hardie, et qu’il y a peu de chances pour que l’avantage me reste. C’est d’autant plus triste que les illusions que j’ai pu avoir un instant s’envolent à tire-d’aile, et que je sens de plus en plus vivement qu’on n’en veut qu’à ma bourse. Allons, il n’y a qu’à me résigner... Je me résigne. Je laisse Estelle gagner son procès. Elle a été déshéritée par son père, mais je lui promets de la remettre en jouissance. Un bon procédé en vaut un autre. Je tiens ma parole (ou peu s’en faut). Je vais, accompagné d’Estelle, faire plusieurs visites à Me Lerequin. Il y a beaucoup d’avoués à Paris, mais Me Lerequin est le seul bon. C’est un homme respectueux des lois, qui s’engage à jongler avec les dernières volontés de Delanoix sans heurter aucune prescription légale. En secret, il me conseille de conserver un petit souvenir de l’héritage : une centaine de mille francs ; je me rends à son avis. Estelle fait la grimace, mais tant pis... Mme Raubvogel passe encore une semaine à Paris, liquidant son établissement, solidifiant les liens qui nous attachent l’un à l’autre. Puis, elle part pour le Nord. Deux jours après, je suis invité à me présenter devant le général de Lahaye-Marmenteau. Je trouve le général seul, dans son cabinet, jouant nerveusement avec un crayon ; il a une drôle de figure, pas drôle. — Il faut avouer, me dit-il d’une voix sévère, que vous avez été bien inconsidéré. Après la misérable affaire dans laquelle ont été compromis deux membres de votre famille, vous commettez la légèreté de vous afficher en la compagnie de la femme du traître. J’ai ici des rapports qui ne me permettent point de douter du fait. On ne pousse pas l’imprudence à ce point-là ! Une pareille imprudence, en vérité, devient de l’impudence. Vous avez l’air de narguer l’autorité... J’essaye de protester, de m’expliquer ; mais le général m’impose silence. Personnellement, dit-il, il ne doute pas de moi ; il a seulement voulu me mettre face à face avec les résultats possibles de mon étourderie. La preuve qu’il ne m’en veut point, c’est qu’il va me donner un bon conseil. Pourquoi ne profité-je pas de la situation particulière que me font ma présence à l’État-Major et ma qualité de fils de général pour m’établir socialement dans une position qui me mettrait à l’abri de tous et de moi-même ? Cette position, un mariage pourrait me l’assurer ; un bon et honorable mariage ; et si... Froidement, je remercie le général ; je lui déclare que je suis décidé à ne point me marier. Il me lance un regard chargé de haine, baisse la tête et reprend, d’une voix qui siffle entre ses dents : — Vous êtes libre. Souvenez-vous seulement que la situation privilégiée à laquelle je faisais allusion tout à l’heure ne sera pas toujours la vôtre ; votre poste à l’État-Major peut vous être enlevé d’un moment à l’autre ; votre père, qui n’est plus jeune, peut vous manquer aussi. Et alors... Et alors, murmure le général au bout d’un instant, des langues se délieront peut-être et diront des choses que, jusqu’à présent, on n’a pas dites : des choses qui ternissent à jamais une mémoire. Notre époque aussi poursuit l’iniquité des pères sur les enfants... Très surpris, plus que surpris, j’invite le général à s’expliquer. Il refuse. J’insiste. Il me donne l’ordre de me retirer. J’éprouve, en quittant le cabinet du général, des sensations étranges : gêne violente, colère, inquiétude ; un mystérieux et menaçant inconnu m’enserre, plane sur moi. Que faire ? Écrire à mon père ? Et lui rapporter... Non ; ne pas lui écrire, aller lui parler. Je rentre chez moi au plus vite. Mon ordonnance, qui m’attend, me remet un télégramme daté de Nortes ; mon père, qui est au plus mal, me demande en toute hâte. Je quitte Paris par le premier train. ⁂ Je n’ai jamais essayé de vous faire prendre mon père comme le type de l’amour paternel, ni de me présenter à vous comme un modèle de piété filiale. Cependant, il est certain que nous avons toujours éprouvé l’un pour l’autre, mon père et moi, une affection moyenne. Nous ne sommes ni d’aveugles enthousiastes, ni d’orgueilleux imbéciles ; nous allons, par conséquent, rarement aux extrêmes ; et les sentiments que nous éprouvons ne nous étreignent point, ne nous consument point, n’existent que relativement. Nous ne les empalons pas, ainsi que de ridicules rabat-joies, sur la seringue verticale des grands principes ; nous n’avons pas de temps à perdre à de pareilles sottises. Mon père n’aurait pas donné sa vie pour son fils, comme Loizerolles ; mais il ne l’aurait pas condamné à mort, comme Brutus. En somme, je crois que notre affection commune n’a jamais eu d’autre base que l’habitude, n’est que l’intérêt tempéré et pour ainsi dire artistique que porte la créature au créateur, et sans doute le créateur à la créature. Cet intérêt, surtout par le temps qui court, peut être considéré comme de l’affection. Et une semblable affection est-elle durable ? Hélas ! non. Je ne sais pas pourquoi je m’écrie : Hélas ! Cette interjection n’a rien à faire ici. J’aurais dû simplement dire : Non. Non, non, une semblable affection n’est point durable. Elle ne persiste qu’autant que les êtres qu’elle influence existent, communiquent, sont conscients de leur présence, de leur force réciproques. Car, ne procédant que de l’habitude, elle ne trouve son essence que dans la dérisoire réalité de la vie actuelle, dans ses institutions et ses complications ; elle n’a nul effet créateur et fécond sur la vie intérieure, mentale et morale, et ne peut donc s’affirmer dans le souvenir. La mort la brise, d’un seul coup, et en détruit la mémoire même avant que soient équarries les planches dont on va faire le cercueil. De cela je viens de me rendre compte, à l’instant même. Lorsque je me suis trouvé, subitement, en présence du cadavre de mon père — car il était mort deux heures avant mon arrivée à Nortes — j’ai senti monter en moi un grand flux d’aversion, j’ai été secoué d’un remous d’amertume. Bile, fiel, rancune, exécration. J’avais besoin de lui ; peut-être avait-il besoin de moi ; nous aurions pu nous aider encore, puisque nous étions associés, puisque la vie nous avait imposé l’association ! Et il m’a abandonné, il a manqué au contrat ; il est là, inerte, grotesque... il n’est plus là. Alors, quoi ?... Sa mort me semble une désertion. C’est une désertion. C’est plus encore. C’est la fin, non pas seulement d’un homme, mais de toutes les choses auxquelles je m’efforçais de croire à travers cet homme. C’est l’évanouissement définitif de convictions spectrales qu’évoquait en moi son geste. C’est l’écroulement du prestige militaire, du prestige français, de l’Armée, de l’Épaulette, de tout. C’est comme si tout, tout, était mort avec ce mort. Comme si ce cadavre était le cadavre de la Société entière... — Ah ! qu’il est pâle ! Ha ! Ha ! Ah ! qu’il est pâle ! ricane une voix derrière moi. Je me retourne. C’est Lycopode qui vient d’entrer dans la chambre où je me croyais seul. — Ah ! oui, alors, on peut le dire, qu’il est pâle ! continue-t-elle, en se dandinant ; je ne l’ai jamais vu blanc comme ça depuis le jour où Jean-Baptiste lui a dit ses quatre vérités, à Versailles. Vous rappelez-vous, Monsieur Jean ?... Lycopode est ivre. Je me souviens d’avoir entendu dire que la vieille femme s’était mise à boire. C’est avec difficulté que je la décide à quitter la chambre... Dans l’après-midi, de nombreuses visites de condoléances. Fonctionnaires civils et militaires, amis et connaissances, beaucoup de dames. Des fleurs arrivent, des croix, des couronnes. Tout cela, peu à peu, appelle hors de l’ombre, où je les avais vues s’effondrer ce matin, toutes les choses qui n’étaient point mortes. Elles montent, elles montent, triomphantes de plus en plus, s’affirment autour du cadavre. Et dans cette chambre mortuaire, maintenant parée, fleurie et comme vivante, surgit le prestige de la France, en fierté ! ⁂ La journée a été horriblement longue et fatigante. Pourtant, je n’ai pris que quelques heures de repos ; et, bien avant minuit, j’ai été relever les deux officiers d’ordonnance qui veillaient le corps de mon père. Je suis donc seul dans la chambre mortuaire, et m’ennuie ferme. Mon père avait bien des défauts, c’est certain ; mais je puis assurer, non sans un certain orgueil filial, que c’est la première fois que je m’embête avec lui. Si encore j’avais apporté quelque chose à lire... Les scellés ont été posés sur tous les meubles ; à l’exception pourtant d’un secrétaire, à gauche de la cheminée ; ce secrétaire, m’a-t-on dit, ne contient que des papiers personnels et de l’argent ; la clef m’en a été remise à mon arrivée. Si j’en faisais l’inventaire ? Les tiroirs sont dans le plus grand désordre. Je trouve d’abord deux cassettes ; l’une qui contient de l’argent, l’autre qui contient des lettres dont la suscription semble récente. J’ouvre l’une de ces lettres ; puis, toutes les autres ; elles m’intéressent beaucoup (vous verrez pourquoi, mais un peu plus tard). À part cela, je ne découvre rien de bien curieux. De vieilles lettres d’amour ou d’affaires ; des factures ; des fleurs séchées, des mèches de cheveux ; des compliments que j’ai tracés péniblement, aux jours lointains de mon enfance, pour la fête paternelle ; des billets à ordre et des photographies ; des lettres de ma mère et de mes grands-parents ; et un cahier, au papier jauni, sur la couverture duquel s’allongent des mots allemands, couleur de rouille. Je prends ce cahier, dont le titre seul (Der Beresina-Uebergang. Eine Berichtigung) éveille en moi des souvenirs nombreux. C’est un manuscrit qui fut composé, voilà bien des années déjà, par mon grand-père, Ludwig von Falke. Et je revois le vieillard très distinctement, avec ses yeux bleus si profonds et sa grande cicatrice ; je le revois essayant d’expliquer des choses que personne ne voulait entendre ; souriant, avec de l’ironie au coin des lèvres, lorsqu’on lui parlait du passage de la Bérésina, auquel il avait assisté, comme un terrible désastre qui avait mis en relief une fois de plus, pourtant, l’admirable héroïsme des troupes françaises... Je m’installe dans un fauteuil et je commence la lecture du manuscrit, tracé d’une écriture haute et ferme dont les lettres germaniques accentuent encore le caractère de logique et d’artistique vérité. Bien que j’aie conservé le manuscrit et qu’il soit là, sur ma table, tandis que j’écris ces pages, je ne puis ni le reproduire ici ni même en citer les passages les plus importants. À quoi bon ? Mes compatriotes qui, en fait d’histoire, n’admettent guère que des légendes putréfiées, ne modifieraient point leur système en raison de ce que je pourrais dire. Leur siège est fait. (Tous leurs sièges sont faits. Le reste aussi.) Ils continueraient à se figurer que la Grande Armée de 1812, après des misères sans nom causées surtout par le froid, fut en fait annihilée par les Russes à la Bérésina en dépit du magnifique dévouement des troupes françaises. Comment pourraient-ils admettre que le passage de la Bérésina, au lieu d’être la lamentable catastrophe que représentent les historiens, est le plus haut exploit de Napoléon durant la retraite de 1812 ? Et comment pourraient-ils croire que l’Empereur ne dut le succès de son opération qu’à la bravoure des troupes allemandes, et surtout à l’héroïsme de la brigade badoise ? Des Allemands sauvant d’une destruction fatale et complète la Grande Armée et Napoléon lui-même, ce serait, pour les Français, ridiculement paradoxal et inadmissible. Voilà pourquoi je ne veux pas reproduire ici le travail de mon grand-père. Comme la lecture du manuscrit, cependant, a produit sur moi une impression profonde, et a eu, par contre-coup, une grande influence sur mon existence, je me vois forcé d’en donner un résumé aussi bref que possible. « Les troupes du Grand-Duché de Bade qui prirent part à la campagne de 1812 se composaient de 7.666 hommes de toutes armes. (Il faut remarquer que le 1er bataillon du 2e régiment d’infanterie badoise faisait partie de la Garde Impériale.) Une brigade d’infanterie, forte de 5.000 hommes, avec son artillerie (deux batteries, une à pied et une à cheval), et commandée par le général Markgraf Wilhelm von Baden, formait part du 9e Corps, placé sous les ordres du maréchal Victor. « Mon grand-père était lieutenant dans le Leib-Infanterie-Regiment Grossherzog no 1, dont le colonel était von Franken. La brigade badoise faisait partie de la division du général Dändels (26e division) ; le 9e Corps comprenait deux autres divisions d’infanterie : celle de Partonneaux, composée de jeunes soldats recrutés en Hollande et dans les Villes Hanséatiques, et celle de Gérard, formée de Polonais et de Saxons ; de plus, une division de cavalerie commandée par le général Fournier, et ne comprenant que des troupes allemandes, particulièrement les Chevau-légers Hessois ; la 2e brigade (31e de l’armée), sous les ordres du colonel badois von Laroche, étant formée par le « Sächsisches Dragonerregiment » (colonel prince Jean de Saxe), et le « Badisches Husarenregiment von Geusau » (colonel von Cancrin). « Le 2e et le 9e Corps, dont le commandement, depuis le départ d’Oudinot et de Gouvion Saint-Cyr, avait été confié au maréchal Victor, restèrent cantonnés à Ssjenno jusque vers le 18 novembre, date à laquelle Napoléon commença sa retraite de Smolensk. Leurs forces combinées s’élevaient (y compris la brigade badoise) à 25.000 hommes ; ils tenaient Wittgenstein en échec à l’ouest et un peu au nord de Orscha, où la Grande Armée devait passer le Dnieper. Le maréchal Oudinot, presque guéri de sa blessure, étant revenu prendre le commandement de son Corps et ayant reçu peu après l’ordre de marcher sur Borissow, Victor concentra ses troupes à Tschereja ; couvrant le flanc droit de l’armée contre Wittgenstein et ses 25.000 Russes. « Victor était arrivé à Tschereja le 20 novembre, après s’être avancé contre Wittgenstein jusqu’à Tschaschinki ; un combat dont le résultat fut indécis s’était engagé en cet endroit ; la cavalerie badoise commandée par le colonel von Laroche s’y était particulièrement distinguée, mais avait perdu von Cancrin, colonel du régiment des hussards de Bade. Le maréchal Victor avait avec lui environ 12.000 hommes. Il avait reçu un ordre de Napoléon l’avisant qu’Oudinot, avec ses 13.000 soldats, serait le 23 sur la Bérésina pour couvrir le passage de l’armée, qui aurait lieu au plus tard le 24 ; quant à lui, Victor, il devait occuper fortement la route Lepel-Baran-Borissow et empêcher Wittgenstein d’attaquer Oudinot. « Victor, cependant, au lieu de s’établir sur la route Lepel-Borissow, laissa cette route ouverte à l’ennemi et marcha, à une assez grande distance de la rivière, par Cholopenitschi et Ratutitschi. Le maréchal, en ne se conformant pas à ses instructions, rendit pire la situation de l’armée française. Sa retraite était couverte par la cavalerie allemande de von Laroche, qui se comporta admirablement. Le 22, on apprit que Borissow avait été capturé le 21 par l’avant-garde de l’amiral Tschitschagof, sous les ordres du général Lambert ; le 23 au soir, on apprit que Napoléon venait d’arriver à Bohr, et que Tschitschagof avait été battu par Oudinot dans la plaine de Loschniza (sur la rive gauche de la Bérésina, un peu au nord de Borissow) ; il avait perdu un millier de prisonniers, tous ses bagages, et le pont de Borissow aurait été repris s’il n’avait été brûlé par les Russes. Le 24, à Baturi, l’arrière-garde de Victor, commandée par le général Delaitre, se trouva dans une situation désespérée. Le Markgraf Wilhelm von Baden envoya à son secours le régiment Grossherzog no 1 ; mais l’ennemi attaqua avec une telle violence que le Markgraf se vit obligé de faire prendre position à sa brigade tout entière à l’entrée d’une forêt. Compagnie après compagnie fut déployée en tirailleurs ; et il fut ainsi possible, au prix de grands sacrifices, d’abord de délivrer l’arrière-garde, puis de repousser définitivement les forces très supérieures de l’ennemi. Cette action valut au Markgraf (qui n’était âgé que de vingt ans) les plus grands éloges du maréchal. « Le 25, à midi, le neuvième Corps atteignit la grande route de Moscou à Loschniza. La brigade badoise fit halte juste comme l’armée de Pologne passait sur cette route. D’abord, venaient environ vingt aigles portées par des sous-officiers ; puis, une quinzaine de généraux, la plupart à pied, enveloppés de manteaux de dames et de fourrures souillées ; 500 hommes en armes, tout au plus, suivaient. C’étaient les misérables restes d’un Corps d’armée qui avait passé le Niemen, quelques mois plus tôt, fort de 40.000 hommes. Le temps était très beau, et le plus brillant soleil éclairait de ses rayons le lamentable spectacle. La brigade badoise bivouaqua à Loschniza ; le Markgraf avait encore sous ses ordres 2.240 hommes. « Napoléon avait fait, dans la journée du 25, une forte démonstration devant Ucholodÿ (au-dessous de Borissow) ; il avait envoyé là une division de cuirassiers, un bataillon d’infanterie, du canon, et plusieurs milliers de traînards (d’amateurs), qui devaient donner à Tschitschagof l’impression d’une formidable force destinée à couvrir le passage. L’amiral russe fut pris au piège, fit replier tous ses détachements au nord d’Ucholodÿ et concentra ses troupes sur ce point. À huit heures du soir, les sapeurs et les pontonniers commencèrent à construire deux ponts ; l’un, pour l’infanterie, un peu au nord du village de Studienka, l’autre, pour l’artillerie, presque en face du village. Un peu plus tard, l’Empereur, accompagné du roi de Naples, visita les bivouacs. « Napoléon avait envoyé au maréchal Victor, le soir du 25, une dépêche furieuse dans laquelle il lui reprochait d’avoir laissé ouverte la route Lepel-Borissow, et de ne pas avoir attaqué Wittgenstein avec toutes ses forces, à Baturi ; il lui donnait l’ordre de se rendre le lendemain avant l’aube à Borissow, avec deux divisions, et de revenir de là à Studienka. La division Partonneaux et la division Dändels (dont faisait partie la brigade badoise) se mirent donc en route le 26, à trois heures du matin. Pendant la marche, par une coïncidence extraordinaire, la brigade badoise rencontra un convoi qui était parti de Karlsruhe en juillet, et qui lui apportait à l’instant le plus critique, après avoir traversé presque toute l’Europe au milieu de difficultés sans nombre, les provisions et les chaussures dont elle avait le plus pressant besoin. C’est avec la plus grande difficulté, entouré et pressé par des hordes de traînards appartenant à tous les Corps, que le Markgraf put ramener sa brigade de Borissow, où la division Partonneaux avait été laissée avec ordre de ne se replier qu’au dernier moment. Une énergie énorme permit seule d’atteindre les ponts de Studienka, vers le soir ; la brigade badoise, avec la division Dändels, traversa la rivière sur le pont de l’artillerie et eut à prendre position près du pont, tout aussitôt ; là, elle se trouva côte à côte avec le brave 1er bataillon du 2e régiment d’infanterie de Bade, qui avait servi pendant toute la campagne dans la Garde Impériale. Les ponts avaient été prêts à trois heures de l’après-midi ; le Corps d’Oudinot avait passé tout aussitôt, s’était déployé, avait repoussé l’avant-garde de Tschitschagof, et bivouaquait dans le bois au nord de Staschow. Le reste de l’armée française se rapprochait en toute hâte de Studienka, et une vaste multitude d’amateurs grouillait sur les terrains bas, au sud du village. « Ce sont sans doute les feux innombrables allumés par ces amateurs, et qui lui firent croire à la présence de forces considérables, qui empêchèrent Wittgenstein, alors près de Barau, de marcher sur Studienka, et qui le poussèrent à se diriger sur Borissow, par Kostriza. Quoi qu’il en soit, le passage de l’armée put s’effectuer sans encombre le 27. L’Empereur passa à une heure après midi. À quatre heures, le pont de l’artillerie se rompit, et des milliers d’amateurs essayèrent de se frayer un passage ; à deux autres reprises aussi. Malheureusement, ils n’essayèrent pas de traverser la rivière pendant la nuit, lorsque l’armée, à l’exception du Corps de Victor, qui formait l’arrière-garde, eut passé ; les ponts restèrent alors libres pendant plusieurs heures, et l’État-Major français, s’il avait fait son devoir, aurait alors envoyé sur la rive droite ces pauvres gens, les blessés et les bagages. Mais l’État-Major français ne fit pas son devoir ; ainsi que le dit Napoléon lui-même, il n’était bon à rien. « Le 28, à l’aube, la brigade badoise reçut l’ordre de repasser la rivière afin de renforcer Victor. Ce maréchal était à Studienka avec une faible partie de son Corps (en fait, avec la division Gérard et la cavalerie), la division Dändels ayant passé sur la rive droite dans la nuit du 26, avec presque toute l’artillerie du neuvième Corps ; et la division Partonneaux, qui avait été laissée à Borissow le 26 au matin, ne s’étant pas encore repliée. La brigade badoise éprouva une difficulté inouïe à repasser la rivière. Un nombre énorme de voitures et de caissons encombrait les ponts, sur lesquels s’écrasait une cohue désordonnée de maraudeurs et de traînards ; malades et blessés étaient précipités sans pitié dans les flots qui charriaient d’énormes glaçons ; d’autres malheureux essayaient de passer la rivière à gué et périssaient bientôt ; c’était, de tous côtés, une scène de misère et d’horreur. Le froid, qui jusque-là n’avait pas été bien vif, devenait de plus en plus intense ; une tempête de neige commençait à rager. Le Markgraf réussit enfin à faire passer son infanterie sur la rive gauche ; mais il fut impossible de transporter les canons ; ils furent laissés sur la rive droite, en position en avant des ponts et en équerre, de façon à couvrir les approches de Studienka. « Comme le maréchal Victor commençait à prendre ses dispositions, les Russes attaquèrent vigoureusement sur la rive droite. Tschitschagof, avec 30.000 hommes, s’avança contre Oudinot, qui n’avait que 8.000 hommes, mais qui réussit à le repousser avant l’arrivée de Napoléon et de la Vieille Garde. Oudinot ayant été grièvement blessé, Ney prit le commandement. Les Russes attaquèrent une seconde fois, furieusement ; les Français commençaient à plier, lorsque Ney fit charger la division de cuirassiers de Dumerc. (Cette charge, à peine connue, n’est égalée dans les annales de la guerre que par le fameux « Todesritt » de la brigade von Bredow, à Vionville.) Les Russes furent repoussés dans le plus grand désordre jusqu’à Staschow et mis dans l’impossibilité de renouveler leur attaque. L’Armée put commencer sa retraite sur Sembin. « Mais, sur la rive gauche, Victor attendait anxieusement l’arrivée de la division Partonneaux, forte de 4.000 hommes, qui devait avoir évacué Borissow et marché sur Studienka. Ce fut seulement un bataillon du 56e avec quatre canons, qui parut, et qui déclara n’avoir nulle connaissance du sort de sa division dont il formait l’arrière-garde. Quelques fuyards, pourtant, qui avaient échappé au désastre, apprirent bientôt au maréchal ce qui s’était passé. Partonneaux, négligeant les plus élémentaires précautions, s’était trompé de route, s’était heurté quelques heures plus tôt à l’avant-garde de Wittgenstein, avait été lui-même fait prisonnier ; et le général Camus, qui lui avait succédé, avait capitulé. « Le maréchal, ne doutant pas qu’il allait être attaqué par toutes les forces de Wittgenstein — et comprenant que le sort de la Grande Armée tout entière était maintenant entre ses mains — prit les dispositions suivantes. Il appuya à la rivière son aile droite, commandée par le Markgraf Wilhelm von Baden et composée de six bataillons badois et du bataillon du 56e (jeunes soldats originaires de Hambourg et de Lübeck) avec 4 canons ; il plaça au centre treize bataillons allemands et polonais commandés par Gérard ; et à l’aile gauche, la brigade saxonne avec l’artillerie de Gérard, 14 pièces en tout. En échelon à l’extrême gauche, fut placée la cavalerie de Fournier, hussards de Bade, dragons de Saxe, chevau-légers de Hesse. On voit que toutes ces troupes, à l’exception de quelques bataillons polonais, étaient allemandes. La position couronnait des hauteurs dont la dernière déclivité, au nord-ouest, supportait les masures ruinées du hameau de Studienka. En avant de la position s’étendait une plaine large de 500 mètres environ où courait un petit ruisseau, trop étroit pour arrêter l’avance de l’ennemi ; au delà, on n’apercevait que des bois. Des tirailleurs furent disséminés sur le penchant des collines, mais le gros des troupes resta posté derrière les crêtes. « Bientôt, les Russes apparurent, sortant des bois. Wittgenstein déploya ses forces en arrière du ruisseau, et avança sa gauche vers le long de la Bérésina afin de tourner la droite française et de couper la retraite de Victor. Le choc de l’attaque tomba sur le bataillon badois placé à l’extrême droite et qui, après une longue et héroïque résistance, ayant brûlé ses dernières cartouches, commença à plier. Immédiatement, le Markgraf s’élança à la tête d’un second bataillon, chargea les Russes en flanc et les rejeta à la pointe de la baïonnette au delà du ruisseau. À l’aile droite, les Français — c’est-à-dire, bien entendu, les Allemands — étaient donc vainqueurs. À l’aile gauche, au contraire, l’immense supériorité numérique des Russes leur avait permis de tourner les Français, dont la situation était des plus critiques. Victor renforça sa gauche en toute hâte, mais en vain ; les Russes gagnaient du terrain de minute en minute, grâce à leur nombre, en dépit de l’admirable résistance des Saxons. Tout semblait perdu, lorsque Victor donna à la cavalerie l’ordre de charger. Les hussards de Bade et les chevau-légers de Hesse formèrent la première ligne ; les dragons de Saxe, sous le prince Jean, la seconde. Le général Fournier ayant été grièvement blessé, le colonel badois von Laroche prit le commandement. La charge balaya la première ligne russe, rompit le carré formé par le 34e Chasseurs, et força l’ennemi à la fuite. Les cavaliers allemands furent chargés à leur tour par un corps de cuirassiers russes ; le colonel von Laroche fut blessé d’un coup de sabre qui lui fendit la figure de la bouche à l’oreille, fut fait prisonnier ; une terrible mêlée s’ensuivit, au cours de laquelle le colonel von Laroche fut délivré ; et les Russes furent obligés de tourner bride. Les pertes de la cavalerie française — c’est-à-dire allemande — avaient été énormes ; mais l’ennemi cessa de rien tenter contre l’aile gauche, se contentant de la canonner à longue distance. « Vers la fin de l’après-midi, au moment où la tempête de neige redoublait, Wittgenstein attaqua une seconde fois l’aile droite avec fureur. Le Markgraf fit preuve de la plus grande habileté et du plus grand courage ; bien qu’ils perdissent 1100 hommes et vingt-huit officiers, et malgré le nombre écrasant de leurs adversaires, les Badois obligèrent les Russes à se retirer en désordre. Quand la nuit tomba, les troupes badoises avaient non seulement conservé leurs positions mais avaient même gagné du terrain ; et Wittgenstein était obligé de renoncer à toute nouvelle attaque. Le Markgraf n’avait plus avec lui que 900 hommes. Et c’étaient ces 900 hommes qui, le lendemain 29, à une heure du matin traversaient les derniers la Bérésina, sauvant blessés et canons ; et se déployaient face aux ponts tandis qu’on les détruisait, formant l’extrême arrière-garde de la Grande Armée... » La lecture du manuscrit, je l’ai dit, a produit sur moi une impression profonde. Cette impression, je ne veux pas l’analyser. Pourtant, elle pourrait se diviser en deux parties. D’abord, absurdité honteuse des haines internationales. La composition des armées napoléoniennes, l’existence de l’Empire français avec des chefs-lieux qui s’appelaient Amsterdam, Rome et Hambourg, ne prouvent-elles point, par l’absurde, la possibilité de la fraternité des peuples ? Si les nations peuvent vivre en bonne harmonie sous le sabre d’un despote, ne pourraient-elles vivre fraternellement dans l’indépendance de fédérations libres ? Et quand je pense que l’homme qui a tracé ce manuscrit, mon grand-père, était un Allemand et qu’il a su donner toute une existence de bonheur à cette Française qui était ma grand’mère, je me demande si les frontières n’ont pas surtout pour mission de barrer la route à l’amour qui pourrait fondre les races, développer l’homme en force et en intelligence. Ensuite, le Mensonge tricolore. De l’héroïsme dont firent preuve les troupes allemandes à la Bérésina et ailleurs, en 1812, Napoléon n’a pas dit un mot dans ses bulletins célèbres ; pas plus qu’il ne voulut parler de la bravoure déployée par les Saxons à Wagram ; pas plus qu’il ne voulut jamais faire leur part de gloire à aucun de ses alliés ; cela, disait-il, « aurait été contraire à la politique et à l’honneur national ». Il aurait été contraire à l’honneur national, selon Napoléon et selon bien d’autres qui l’avaient précédé ou qui le suivirent, de dire la vérité. Donc, on mentit ; donc, on ment ; donc, on mentira. La nation française est invincible, elle est la reine de la civilisation, elle est la première nation du monde. Et, quels sont les fruits de l’imposture et de la hâblerie, on l’a vu en 1870, on le voit aujourd’hui, on le verra peut-être demain — et pour la dernière fois. — Ce prestige de la France que j’ai vu surgir ici, il y a quelques heures, c’est un mensonge. C’est de l’irréel, c’est du truqué ; c’est du décor, c’est du plagiat. C’est le semblant de vie et de grandeur qu’il y a dans cette chambre, que crée l’animation factice de choses mortes, de tentures, de fleurs coupées, de drapeaux— de choses mortes qui font un cadre éphémère à un corps qui se corrompt, qui pue... Je me lève et je vais et viens. Le vide, le vide énorme de l’existence qui fut celle de mon père, qui est la mienne, qui est celle de mon pays, m’apparaît tout d’un coup. Oh ! je veux vivre, vivre complètement, et libre. Je quitterai l’armée ; ma détermination est bien prise... Mais le sommeil me saisit ; je regagne mon fauteuil et j’essaye en vain de relire quelques pages du manuscrit. Le jour va se lever, le frisson du matin me secoue. La pluie commence à tomber, frappe les vitres. Le bruit des cordes d’un luth touché aux endeuillées mesures du vieux temps, d’une gaîté lente, voilée de crêpe. Puis, de longs silences ; des chansons jamais chantées. Puis, des bruits clairs, des cliquetis, des sifflements d’aciers froissés, des crépitements secs ; des demi-rêves de bataille ; des rêves de révolte. Puis, le sommeil. ⁂ Les funérailles. Les obsèques d’un général commandant un corps d’armée. De temps en temps, on peut voir ça. Vous n’avez sans doute pas oublié ces lettres que j’avais trouvées dans le secrétaire (à gauche de la cheminée). Je vous avais promis de vous dire pourquoi elles m’avaient intéressé. Je vais tenir ma promesse, bien que vous ne le méritiez guère. Vous n’avez même pas protesté contre la manière, vraiment par trop rapide, dont j’ai enterré mon père. Vous n’avez même pas dit qu’il est réellement honteux de conduire les morts au triple galop à leur dernière demeure. Et j’ai profité de votre silence pour ne point vous faire part de mille incidents qui vous auraient affectés ; pour ne point vous apprendre par exemple, que le général de Lahaye-Marmenteau, représentant l’État-Major, avait assisté aux funérailles et s’était montré fort aimable envers moi ; ce qui m’avait amené à considérer comme de simples paroles en l’air les vagues menaces qu’il avait proférées à Paris. Ce fait, joint à cette autre circonstance que mon père, en dépit de tout, m’a laissé une somme assez ronde, m’a mis en cet état de belle humeur qui, maintenant, ne doit plus vous surprendre. Quant aux lettres que j’ai justement à la main, ce matin, en me dirigeant vers Sainte-Luce (l’un des jolis faubourgs de Nortes), ce sont tout bonnement les missives envoyées à mon père par Mme Plantain et que je vais reporter à cette dame. Vous décrirai-je l’agréable villa qu’habite Mme Plantain ? Vous dépeindrai-je Mme Plantain elle-même ? Ne vous contenterez-vous pas de savoir qu’elle s’appelle Isabelle ? Vous penserez, naturellement, que je vous donne là un renseignement qui ne m’a pas coûté cher et que j’ai simplement trouvé au bas de chacune des épîtres que je viens de remettre, en mains propres, à Mme Plantain. Eh ! bien, vous vous trompez ; je n’ai point lu les lettres... Ah ! sapristi, je viens de vous dire qu’elles m’avaient beaucoup intéressé... Enfin, je les ai lues sans les lire ; je les ai parcourues ; je lis très vite... Mme Plantain, aussi, lit très vite ; elle vient de me le déclarer ; (vous voyez que notre conversation est assez longue, assez amicale, et qu’il n’y aurait rien d’étonnant à ce que Mme Plantain elle-même m’eût appris son petit nom). Mme Plantain — Isabelle ! Isabelle ! — Isabelle avoue qu’elle raffole de Dumas père. Je confesse que je suis sanguinaire, mais que les abattoirs du roman d’aventures me dégoûtent. Alors, elle dit que ce n’est pas Dumas père qu’elle aime ; mais Dumas fils. Hélas ! Hélas ! Elle dit qu’elle adore la psychologie et qu’elle lit Bourget ; (ça, c’est pas vrai. On ne peut pas). Elle voit tout à travers des pièces et des romans. Quel vide ! Mais quel joli vide ! Des yeux qui ont la profondeur des rêves. (On dirait des puits. J’aime mieux m’arrêter ici ; je descends trop, pour commencer.) Mme Plantain m’explique pourquoi elle a quitté son mari. Plantain n’était plus jeune, tant s’en faut ; c’était un savant, toujours enfermé dans son laboratoire, et qui ne supposait pas qu’une jeune femme pût désirer trouver dans la vie autre chose que des cornues. Je vois ça. Vous aussi. Mme Plantain est une femme incomprise. (Voilà un type neuf.) Un type fréquent chez les nations en décadence, lorsque l’intelligence, comme dit Gibbon, a renoncé « avec un sourire ou avec un soupir ». Une bêtise touchante et noire, que ne percent pas les rayons blafards d’une instruction hâtive ; point de sens moral, car, pour les cerveaux spongieux, dès que le crime cesse d’être le péché, il n’existe plus ; et une sensibilité extrême, douloureuse un peu, qui n’est pas la bonté, mais le rappel intérieur et pénible, l’évocation amèrement égoïste de souffrances rêvées. Mme Plantain croit à l’idéal, sourit à des futurs couronnés de promesses ; des romances lui pourrissent dans le cœur. Ce genre de femme n’est pas mon fait ; je suis encore trop jeune, ou plus assez. Mais pour un vieux, ce serait le rêve. Mon père s’y connaissait, tout de même. Mme Plantain déplore la mort de mon père ; elle avait grande confiance en lui ; la preuve, c’est qu’elle est venue habiter Nortes. Mais comment retourner à Paris, où le bruit fait autour du nom de son mari a rendu sa position, à elle, si difficile ? D’autre part, rester à Nortes... Est-ce que je ne pense pas que sa situation est un peu fausse ? Peut-être. Et ne pourrais-je pas donner quelques conseils à l’amie de mon père ? Mais si. Et d’autant plus désintéressés que je suis décidé, malgré le charme de la jeune femme, à ne point naviguer dans les eaux paternelles. « Non, non, me dis-je chaque jour, je ne serai jamais autre chose que l’ami d’Isabelle ; ce sera plus original ; ça sentira moins le roman. » Mais la nuit vient ; et, ma foi... Je ne me dissimule pas qu’une liaison entre Isabelle et moi nous placerait tous deux dans une situation particulière, peu compatible avec les préceptes de la morale courante. Mais un officier n’a rien à faire avec la morale courante. Son guide n’est pas la morale courante, mais l’honneur militaire. Et des manifestations passionnelles peuvent-elles porter atteinte à l’honneur militaire ? En conscience, je ne le crois pas. D’ailleurs, toute discussion sur ce point serait oiseuse ; ce n’est pas là qu’est la question ; et je puis vous en exposer le nœud en quelques mots. Mon père a respecté Isabelle. S’il était possible d’avoir des preuves de la chose, j’en aurais. Il l’a respectée, peut-être, parce qu’il ne pouvait faire autrement ; mais enfin, il l’a respectée. De sorte que je suis parfaitement libre de ne point l’imiter. J’en fais ici le serment : si tel n’était point le cas, je m’abstiendrais. Cela ferait saigner mon cœur, c’est certain ; mais je le laisserais saigner. Je ne suis pas de ceux qui traitent les choses à la légère et ricaneraient, à ma place : « Où le père a passé, passera bien l’enfant. » Non. Je sais être sérieux quand il faut l’être. Et c’est précisément parce qu’elle apprécie ma bonne foi et la gravité de mon caractère qu’Isabelle se décide à me donner son cœur. Nous voilà heureux. À Nortes ? Pendant quelques jours. À Paris ? Pendant quelques jours. Puis, Isabelle part pour Trouville où elle reste jusque vers le milieu de septembre et où je vais la retrouver le plus souvent possible. Nous faisons des projets d’avenir ; dès qu’elle aura obtenu son divorce (l’instance a été introduite, il y a déjà longtemps, sur l’avis de mon père), nous nous marierons. Isabelle aura alors la libre disposition de sa fortune, dont elle ne touche à présent que les intérêts, et qui est considérable ; je m’attache de plus en plus à Isabelle. Sa compréhension de la Société, de l’Armée, etc., est au niveau de celle de la foule ; mais pourquoi pas ? Et pourquoi l’ordre social actuel n’existerait-il point, puisque ses victimes sont assez sottes et assez lâches pour l’accepter ? Et pourquoi n’en tirerions-nous pas tout le profit possible, nous, les privilégiés ? Isabelle croit à mon avenir, me voit déjà colonel, général... Quoi ? Ma détermination de quitter l’armée ?... Vous voulez rire. Il y a beau jour que j’ai changé d’avis. Savez-vous à quoi je me suis décidé, à présent ? À imiter les méthodes de mon père ; ni plus, ni moins. Elles lui ont réussi ; pourquoi ne me réussiraient-elles point, à moi ? Je plaisante, je ris, je blague, je fais du bruit, de la poussière et de l’esbrouffe ; je joue au bon garçon et au bon diable ; je mélange une inconscience voulue à une franchise maquignonnée ; je commence à entrer dans la peau du bonhomme. Ça prend, ça prend. Ça prend même sur moi ; je vois les choses sous un nouvel aspect, très riant. Les amitiés, les sympathies, les appréciations flatteuses pleuvent. Et lorsque le czar vient à Paris, en octobre, lorsque l’État-Major français doit préparer, de concert avec un représentant de Sa Majesté, la grande revue que ladite Majesté passera à Châlons, savez-vous qui est désigné pour donner à l’illustre Moscovite tous les renseignements qu’il peut désirer ? C’est moi. Je suis spécialement attaché à la personne du célèbre tacticien russe, le général Knoutkoff. ⁂ L’aigrefin que la République a choisi pour président ayant été contempler à Saint-Pétersbourg les clefs d’un grand nombre de villes françaises et les drapeaux de la Grande Armée, le czar lui rend sa politesse. Le czar vient en France, vient à Paris. Quel bonheur ! « Qu’est-ce que c’est que le bonheur ? écrit Nietzsche. C’est sentir que notre pouvoir augmente, qu’une résistance est surmontée. » Les Français sont heureux parce qu’ils sentent que leurs facultés serviles se développent, qu’ils ont maîtrisé la répugnance que causent les définitifs avilissements. Le peuple français possède aujourd’hui cette alliance russe qu’il a achetée au prix de tant de palinodies et de tant d’abjections ; « alliance naturelle » des « Fils de Bélial » et des « Diables rouges » avec les Saints Cosaques et les Chevaliers du Knout ; alliance naturelle — mais oui ! — du lâche tortionnaire Prudhomme avec l’infâme geôlier de la Sibérie. Les peuples ? Le pauvre peuple russe croupit dans son esclavage, dans sa vermine morale et physique, se débat contre l’ignorance, contre la fièvre, contre la faim. Le misérable peuple français croupit sur sa honteuse défaite dont le souvenir lui donne le cauchemar, se débat fébrilement contre les vérités qui veulent lui ouvrir les paupières, et qu’il refuse de voir. Le peuple russe « qui ne connaît, dit Adam Mickiewicz, qu’un seul héroïsme : celui de la servitude », est lié, par l’Autocrate blanc et le Tartufe tricolore, au peuple français qui ne connaît plus qu’un seul héroïsme : celui du mensonge. — Vive la Russie ! crie le peuple français, qui se dit libre, et qui est esclave, et qui n’est plus même un peuple — et qui le sait. — Vive la Russie ! crie Prudhomme en brandissant son parapluie ou en agitant son sabre (retour d’Allemagne). La Russie, parbleu ! continue-t-il tout bas, ne peut rendre aucun service à la France dans une guerre de revanche. Elle ne pourrait jouer un rôle important dans une lutte avant un mois, deux mois peut-être, à dater du jour de la mobilisation. L’Allemagne, avec deux ou trois corps d’armée empêcherait (s’il en était besoin) toute action rapide de l’armée russe. D’ailleurs, la Russie est incapable de tout. Il lui a fallu un an pour étouffer l’insurrection polonaise, malgré les atrocités commises par Mourawieff le Bourreau. Au Caucase, elle n’est arrivée qu’à des résultats partiels, après des années et des années de guerre. Depuis 1877, depuis Plevna où la clef de la position, la redoute de Grivitza, ne put être emportée que par les Roumains, son armée n’a fait aucun progrès ; au contraire. Elle serait battue, sur mer, par l’Italie ; et sur terre, par le Japon. Mais cette guerre de revanche qu’elle ne peut nous aider à entreprendre, elle peut — justement — l’empêcher. En concluant une alliance avec nous, elle contresigne le traité de Francfort — cet excellent traité grâce auquel nous prospérons, nous, les riches ; grâce auquel nous pouvons nous soûler du sang des misérables. La possibilité de la guerre de revanche — que c’est notre seule mission de préparer — est donc écartée. Quel bonheur ! Et si, par impossible, cette guerre éclate quand même, et si (comme c’est probable) nous sommes encore vaincus, nous pourrons contenir le peuple ; lui dire que s’il bouge, les Russes ne viendront pas nous aider, et lui faire prendre patience — ce qui est le grand point — jusqu’aux capitulations libératrices. Et après, si, comme en 1871, il se rend compte de la comédie jouée par nous et tente de se soulever — mon Dieu ! nous recommencerons 1871, nous aussi !... Voilà les idées qui me chevauchent par la tête, bien malgré moi, mais que je me garde d’exprimer. Je n’énonce que les idées qu’exprimait mon père, ou qu’il exprimerait. J’ai promis de l’imiter en tout et je tiendrai parole. Cependant, je ne suis pas maître de mes pensées ; du reste, je ne sais point si les mêmes pensées, malgré leur peu d’orthodoxie, ne se présenteraient pas à l’esprit de mon père. S’efforcer de penser ce qu’on dit et de ne pas dire ce qu’on pense, tout est là, quand on veut faire son chemin. Du chemin, j’en ai déjà fait beaucoup, aux côtés du général Knoutkoff. Nous avons parcouru Paris en tous sens, avec des haltes aux bons endroits. Actuellement, nous sommes en route pour Châlons ; le général va jeter un coup d’œil — le coup d’œil du maître — sur les derniers préparatifs de la revue qui doit avoir lieu après-demain. Les troupes commencent à encombrer les localités qui avoisinent la plaine fameuse. C’est avec peine que j’ai pu découvrir un logement convenable pour Isabelle au Grand Mourmelon ; Isabelle mourrait de chagrin si elle n’assistait pas à la revue ; il y aura place pour elle dans la tribune officielle, grâce à l’aimable entremise du général Knoutkoff. Le brave général est expansif et n’hésite pas à me laisser voir, comme on dit, le fond de son sac. Il prononce des phrases comme celles-ci : — Le soldat n’est que de la matière brute... Les armées démocratiques ! Quelle imbécile utopie !... Ce qui vous manque, c’est un gouvernement fort avec un prince, un empereur à sa tête ; nous vous tenons en réserve l’homme providentiel... La suppression de la Pologne a été une excellente chose ; elle a réduit énormément les causes de guerre entre les grands États... Une guerre, dans l’état présent des esprits, serait une catastrophe ; elle amènerait certainement une révolution sociale. Mais nous tiendrons la main à ce qu’il n’y ait pas de guerre ; les expéditions coloniales suffiront à faire pousser la graine d’épinards... Maintenant que l’alliance franco-russe est conclue, mon auguste maître va s’occuper de la suppression progressive des grandes armées nationales ; un désarmement partiel s’impose ; il faut revenir au principe des armées réduites, seuls instruments efficaces et sûrs au service des Pouvoirs forts... Des envies me prennent parfois de souffleter ce garde-chiourme convaincu de son importance, orgueilleux de sa tunique à plis, couleur vert-bouteille, fier de son pantalon bleu à bandes rouges bouffant au-dessus des bottes. Mais je me contiens ; j’approuve ; j’admire ; j’applaudis. La revue. L’immense plaine s’embrase d’une flamme d’acier. L’immense plaine où l’épée d’Aëtius faucha les hordes d’Attila. L’immense plaine où l’épée de la France... Elle pend au côté du Barbare, l’épée de la France ; elle se cache, rouge de rouille, peut-être de honte, dans le fourreau de l’Autocrate ; elle appartient à l’Autocrate, qui a consenti à l’accepter, à la fin ; à la ramasser sur un tas d’or ; et qui l’accrochera, ce soir, à côté de son knout. Il y avait des noms gravés sur la lame : Zurich, Austerlitz, Friedland, Eylau, Borodino, Krasnoë, La Bérésina, Sébastopol ; ils n’y sont plus ; c’est l’aigrefin à tuyau-de-poêle et à guêtres blanches, accroupi là-bas dans un char-à-bancs, qui les a effacés, avec sa lime. Et l’Autocrate part au galop, soudain. Suivi d’une armée de généraux galonnés, chamarrés, brodés, étincelants d’étoiles, de croix, de médailles, de crachats, de cordons, de rubans, d’aiguillettes. « Ils brillent tous, mais non de leur propre lumière : ils empruntent leurs rayons aux regards du Maître. » Le Maître passe sur le front des régiments — un pauvre être, chafouin, étique, jaunâtre, à l’œil inquiet et sournois. — Le Maître passe sur le front des régiments dont les drapeaux frémissent, désespérés, en de grands efforts pour s’envoler des hampes, lances de Cosaques, auxquelles les clouèrent les Vaincus. Au bruit de musiques éructant des hymnes russes et vomissant des marseillaises, au bruit des acclamations de foules délirantes, le défilé commence. Les troupes de la République Française, ivres d’orgueil, défilent devant l’Autocrate. Infanterie, cavalerie, artillerie, l’Armée de la Revanche, l’Armée qui est prête, l’Armée qui est prête à donner sa vie — pour le Czar... Spectacle sublime, grandiose, enivrant, qui devrait m’emplir d’enthousiasme, moi aussi, et de fierté... Mais... mais... Grillenhaftes Herz, warum tirilierst du nicht ? ... ⁂ Le dégoût que m’a causé l’avilissement national a été tellement violent que je n’ai pu m’empêcher d’exprimer à plusieurs reprises mon opinion. Et le capitaine de Bellevigne vient de me prévenir que mes propos ont été rapportés en haut lieu, et que je puis m’attendre à une disgrâce. En effet, je reçois brusquement avis que je suis affecté au régiment d’infanterie qui tient garnison à Sandkerque. Je dois aller immédiatement occuper mon poste. Je quitte donc Paris sans tarder. Isabelle viendra me rejoindre dès que j’aurai préparé son installation. Sandkerque, le vieux port sur la mer du Nord ; ville très propre ; assez gaie ; assez triste. Municipalité réactionnaire ; donc, casernes vieilles et en mauvais état, maigres subventions au Cercle d’officiers, etc. ; si la municipalité était socialiste, il n’en serait pas de même, chacun le sait. Personne comme les socialistes pour soigner l’armée. Stratégiquement, on aurait dû placer de la cavalerie à Sandkerque ; mais l’eau y est très mauvaise, et ferait crever les chevaux ; on n’y a donc mis que des fantassins. Je ne m’amuse pas énormément à Sandkerque ; mes camarades qui sont mariés — mon Dieu ! c’est toujours la même chose : monotonie des papotages, détresse plus ou moins dorée ; ceux qui sont restés garçons — de vieux étudiants, qui n’étudient pas. Ils font leur devoir, tellement quellement ; des parties de manille ; leurs pâques. D’ailleurs, peu de temps pour s’amuser. Les conscrits sont arrivés récemment, et font leurs classes ; un certain nombre de Parisiens parmi eux. (À propos, Paris a présenté au dernier tirage au sort 18.000 jeunes gens, sur lesquels 11.000 seulement ont été reconnus propres au service militaire. Si la population décroît en quantité, on peut dire qu’elle ne laisse pas de décroître en qualité.) De plus, un certain nombre de réservistes ajournés, dont plusieurs Parisiens aussi, ont été versés dans ma compagnie ; bruyants, fanfarons, sans morale et sans façons. L’un d’eux, un ouvrier d’art, un ciseleur je crois, nommé Fermaille, m’amuse pas mal ; je ne le lui laisse pas voir, naturellement. Mon lieutenant, l’autre jour, m’a dit que ce Fermaille a amené avec lui une petite femme rigolote, connue à Montmartre sous le nom de la Môme-Chichi, et qui danse au Moulin-Rouge. Une de ces professions équivoques qui sont l’indispensable corollaire des professions honorables ; la beauté de la vertu nous condamnant, hélas ! à la laideur du vice... Mon lieutenant m’a fait le portrait de la petite femme et m’a dit que, s’il était à ma place, il la chaufferait. (Lui, il ne peut pas ; il est collé.) Mais je ne veux pas chauffer la petite femme ; je ne veux même pas aller au café Franco-Russe, où on peut la voir, tous les soirs, avec son amant. Avant-hier, pourtant, sur la Grand’Place, je me suis trouvé tout à coup en sa présence. Je l’ai reconnue tout de suite à la description qu’on m’en avait faite. Et j’ai été très pris, immédiatement empoigné. Le coup de foudre. Une poupée de Montmartre ; très noire ; du faux Orient ; des yeux riants, bruyants ; des dents d’un bel orient. Un profond petit animal. Des idées confuses se pressent, se bousculent : me venger de ma relégation ici ; happer de la chair parisienne, souvenir qui passe ; affirmer ma volonté, mon pouvoir. J’aborde la petite femme, lui parle. Elle répond — ce qu’elle répond ; — sourit et sourit ; un œil dit non, un œil dit oui. L’effet produit est inouï. (Toujours le même.) Presque immédiatement après l’avoir quittée, je rencontre Fermaille ; il doit m’avoir vu, affecte de ne pas me saluer ; je lui fais répéter le salut. Le soir, je vais au café Franco-Russe ; la Môme-Chichi y est, très sérieuse cette fois ; Fermaille aussi, qui me regarde de travers. Nous allons voir ça. Hier, sous un prétexte, j’ai retiré à Fermaille la permission de coucher en ville. Lui a-t-on dit que je me suis promené longtemps hier soir avec sa maîtresse ? Peut-être. En tout cas, à la revue d’armes aujourd’hui, il répond insolemment à une observation que je lui fais. Comme je lui porte une punition, il me lance à la tête un ceinturon qui ne m’atteint pas. Il est immédiatement arrêté ; en prévention de Conseil de guerre. Là-dessus, penserez-vous, la Môme-Chichi me ferme sa porte. Pas du tout ; elle me l’entr’ouvre. La Môme-Chichi est une bonne Française. Elle comprend très bien que les officiers doivent toujours faire leur devoir, si pénible qu’il soit ; que, sans discipline, il n’est point d’armée possible ; et qu’il faut une armée, car le café-concert doit croire à quelque chose. Donc, la Môme-Chichi a le cœur bien gros, mais elle me fait les yeux doux. Je n’ai pas l’intention de qualifier l’acte que j’ai commis, pas plus que je ne veux décrire la situation d’esprit dans laquelle je me trouve. Après tout, si vous ne voulez pas qu’un homme abuse de son autorité — ne lui donnez pas d’autorité. — Le hasard est un grand maître. Pourquoi cette femme, cette Môme-Chichi, s’est-elle trouvée sur mon chemin ? Et juste au moment où il était dangereux pour moi de rencontrer des cheveux bruns, des yeux noirs ? Les dernières femmes que j’ai connues, Estelle et ses devancières, étaient blondes, très blondes. Ce sont là des détails qu’il ne faut point négliger de relater dans un livre sérieux. Ils feront comprendre ici mon enthousiasme pour les brunes. Ils expliqueront pourquoi j’ai été aussi violemment attiré par Isabelle, très brune, et par la Môme-Chichi, très noire. Et puis, pourquoi Isabelle n’est-elle pas ici ? Ce n’est pas tout à fait ma faute. Et puis... et puis... J’installe la Môme-Chichi à Nalo-les-Bains, la plage de Sandkerque, à sept ou huit cents mètres des fortifications. Elle habite à quelques pas de la maison où j’ai mon appartement. Ça durera ce que ça durera. J’ai écrit à Isabelle de ne pas venir encore ; je lui dis que je n’ai pas pu louer la villa que je désire prendre pour elle ; je lui dis qu’il fait horriblement froid. Ce n’est pas vrai ; le temps est beau pour la saison. Cependant, la Justice militaire (qui relève de la Direction de la Cavalerie) ne reste pas inactive. Le Conseil de guerre, au chef-lieu, juge Fermaille. Le malheureux avoue, bégaye presque. Je dépose froidement, implacablement ; quelque chose encore me crispe, me force à affirmer ma volonté, mon pouvoir. Les témoins, des soldats, déposent aussi ; plus implacables même que moi ; heureux, visiblement, d’exhiber leur servilité. Le réquisitoire réclame une condamnation exemplaire ; Fermaille est une mauvaise tête qui tenait sur ses chefs des propos horribles, si l’on en croit une rumeur publique qui en ébruitait en ville la nouvelle. L’acte qu’il a commis, en jetant à la tête de son capitaine le ceinturon qui confirme les bruits répandus sur son compte, est abominable ; l’officier, qui n’a pas été atteint, étourdi par la douleur et le danger, a été frappé dans son prestige. Quel doit être le châtiment d’un pareil crime ? La mort ! L’avocat d’office, un sous-lieutenant, présente la défense de l’accusé ; il fait appel à la clémence du Conseil. Le jugement est rendu. Des circonstances atténuantes ayant été accordées, ce ne sera pas la mort. Vingt ans de travaux publics — seulement. La vie du nommé Fermaille est donc brisée. Et pourquoi pas ? Puisque les citoyens acceptent le système militaire actuel, qu’ils l’acceptent avec toutes ses conséquences. Ce n’est pas fini. Je vais faire du service. J’en fais. Je me reprends — ou plutôt, pour la première fois, je me prends de goût pour ma profession. En peu de temps, j’acquiers dans le régiment une réputation épouvantable. Il y a des pleurs — mais pas de grincements de dents. — Pleurez donc, — jean-foutres ! J’écrirai avec une plume. J’écrirai avec un sabre. J’écrirai avec un couteau de boucher. La chair qui ne veut point être libre, « qui se méprise », doit être traitée comme de la viande — comme de la charogne. ⁂ Mon ordonnance est un garçon dégourdi. Tout est relatif, bien entendu ; il se figure, ainsi que beaucoup de Français, que Napoléon III a succédé à Napoléon Ier, qu’en 1870 c’est contre les Russes que la France a fait la guerre, et que l’Alliance récemment conclue est un pacte d’oubli de nos désastres. Mais, malgré tout, c’est un matois. La preuve, c’est que ce soir vers neuf heures, juste comme je reviens avec la Môme-Chichi de la ville, où nous avons dîné, je le trouve qui guette mon passage auprès du pont-levis ; il se précipite vers moi dès qu’il m’aperçoit et m’annonce qu’une dame est venue, il y a une heure environ, me demander. Il n’a pu faire autrement que de la laisser s’installer chez moi, où elle m’attend ; mais il a cru bien faire en venant au-devant de moi, pour m’avertir. Pour sûr, qu’il a bien fait ! Je lui glisse une pièce ; je renvoie la Môme-Chichi dans ses foyers par la voie la plus rapide, avec ordre d’attendre patiemment mes instructions ; et je rentre chez moi au plus vite. Un vent froid souffle en tempête, ridant les eaux du fossé-canal qui ceinture la ville, soulevant de temps en temps le sable des dunes ; sifflant à travers les branches dénudées des arbres plantés sur les glacis ; la nuit est noire, noire ; je suis à peine sorti de la ville, que je ne puis voir, en me retournant, l’énorme masse des fortifications que semblent avoir dévorée les nuages. Je pense, tout en marchant. Pourquoi Isabelle est-elle venue ? Pourquoi ?... Car c’est Isabelle qui m’attend, sûrement... Et que vais-je lui dire ?... Je ne puis me décider à rien ; je me fie complètement au hasard. C’est le mieux... J’arrive chez moi. Isabelle est assise au coin de la cheminée, et se lève à mon arrivée. Un seul coup d’œil a suffi à me convaincre qu’elle est au courant de ma conduite ; je m’attends à une scène. Mais, après avoir repoussé la main que je lui offre, elle commence à me donner simplement les raisons de son voyage. Elle parle froidement, sans un geste, d’une voix calme, comme fatiguée, que secoue un peu d’amertume. Elle me dit qu’une lettre anonyme, qu’elle jette sur la table, lui a appris, il y a quelques jours, ce que je faisais à Sandkerque ; cette femme que j’ai enlevée à ce pauvre diable que j’ai fait condamner, et avec laquelle je vis. J’essaye de protester. Mais Isabelle m’apprend qu’elle est à Sandkerque depuis deux jours déjà et qu’elle est sûre de ce qu’elle avance. Elle ne peut, malheureusement, conserver aucune illusion. Elle me demande seulement pourquoi j’ai agi envers elle d’une pareille façon. N’a-t-elle pas été pour moi une bonne amie, franche et sincère ? Peut-être m’est-il impossible, pour une raison ou pour une autre, de lui retourner l’affection qu’elle me porte, peut-être la trouvé-je, par exemple, trop peu intelligente. Mais alors, j’aurais dû lui dire sans détours ce que je pensais. Elle aurait pu continuer à m’estimer. Au lieu qu’à présent... Elle ne peut comprendre pourquoi je me suis joué d’elle, pourquoi je l’ai bassement trompée, pourquoi je lui ai imposé une humiliation aussi imméritée. Je ne réponds pas. Les paroles si justes, si exemptes d’exagération et si dignes, d’Isabelle, me réduisent au silence. Je me sens violemment saisi par le contraste entre l’esprit sincère, libre et haut représenté par cette femme que j’ai méprisée, trompée, et la vilenie, l’hypocrisie mesquine et féroce qui caractérisa mes actions. Quelles infamies j’ai commises, et non seulement envers elle ! Et lui demander de me pardonner !... Oui... je vais... Mais Isabelle, après un silence de quelques instants, déclare qu’elle a simplement voulu, en venant, me prouver qu’elle n’a aucun tort envers moi et qu’elle n’est pas ma dupe. Elle a été sa propre dupe, et trop longtemps ; elle a agi follement, misérablement, elle aussi. Elle ne savait pas. Aujourd’hui, elle comprend. Le mal qu’elle a fait, peut-être pourra-t-elle le réparer. Elle a écrit hier à son mari, qui est en Belgique, pour lui demander de lui pardonner et de venir la chercher. S’il veut la reprendre, elle sera à lui, honnêtement et complètement ; et elle conservera toujours l’amer regret de ses égarements, qui lui semblent déjà si loin d’elle, si loin qu’ils n’existent plus que comme de mauvais et sales rêves, des rêves de mensonge. Encore, je ne réponds pas. Je suis étourdi par le choc de pensées contradictoires, confuses, dont je ne puis saisir que des fragments. Oui... non... oui... Ce sera le mieux pour elle. Et quant à moi... quant à moi... J’essaye de parler ; je bégaye des mots sans suite. Alors, Isabelle s’avance vers moi, les poings crispés, et s’écrie : — Des rêves de mensonge ! Il n’y a que du mensonge, en toi et en tes pareils ! Tu es un lâche ! Tu es un traître ! Vous êtes tous des lâches et des traîtres ! Mon mari le disait, que rien n’existe pour vous, que vous n’avez ni cœur ni honneur, et que vous sacrifieriez tout, patrie comprise, à vos plaisirs et à vos besoins d’argent. Je ne voulais pas le croire ; et je l’ai détesté pour avoir dit ça. Mais maintenant, je vois bien qu’il avait raison. Je vois bien qu’on l’a torturé, persécuté, emprisonné, parce qu’il a dit la vérité. S’il veut encore de moi, de moi qui me suis salie à tes épaulettes, j’irai vivre à l’étranger, avec lui ; et je n’aurai plus de patrie, comme lui !... Elle saisit son manteau, s’en enveloppe, s’élance hors de la chambre, sort de l’appartement, descend l’escalier. Et je reste là, cloué sur place par ses paroles, échos de tant de pensées qui, de plus en plus fort, grondent en moi. Pourtant, je ne peux pas laisser Isabelle seule, dans la nuit noire ; elle ne connaît pas les chemins, et l’état de surexcitation dans lequel elle se trouve... Je sors en toute hâte. Dans la rue, personne. Je cours jusqu’à la place du Kursaal. Personne encore. Je m’informe auprès de l’homme de l’octroi, à l’entrée de l’avenue qui mène à Sandkerque ; depuis une bonne demi-heure, il n’a vu passer âme qui vive ; il a vu seulement, il y a quelques minutes, une dame traverser la place dans la direction de la digue. Je me précipite de ce côté ; la digue, balayée par des rafales, me semble déserte ; cependant, l’obscurité est tellement grande !... Je remonte la digue en courant, jusqu’au glacis ; je descends sur le chemin militaire qui borde, extérieurement, les larges fossés des fortifications ; je le suis jusqu’au pont-levis, appelant d’instant en instant. Tout est désert et silencieux. Que faire. Si je savais au moins à quel hôtel Isabelle est descendue... Je reviens à Nalo et je demande à l’homme de l’octroi s’il ne s’est pas trompé, tout à l’heure, en me donnant un renseignement. Si, il s’est trompé ; il se souvient maintenant que, deux minutes avant d’avoir répondu à ma question, il avait vu passer une dame qui marchait très rapidement, se dirigeant vers la ville. Une dame enveloppée d’un grand manteau ? Oui, précisément. Quel imbécile !..... Je rentre chez moi. Le lendemain matin, vers dix heures, comme je reviens de l’exercice, je trouve le commissaire de police qui m’attend. Il m’apprend que ce matin on a retiré du fossé-canal, au bout de la digue, le cadavre d’une femme... Je vivrais cent ans que je n’oublierais pas l’émotion qu’ont produite en moi les paroles de cet homme ; émotion tellement poignante, tellement vraie, que je ne veux même pas essayer de la faire revivre, ici, avec des mots. J’avais senti hier, pendant qu’Isabelle me parlait, j’avais senti qu’elle allait mourir. J’ai senti que cette femme, qui m’insultait justement, était déjà une morte... je sentais que je l’avais tuée..... — Vous m’excuserez, mon capitaine, dit le magistrat au moment de se retirer, de vous avoir dérangé. Mais on avait vu cette dame avec vous, et il était de mon devoir... Il est absolument certain que la mort est due à un accident. L’hypothèse d’un suicide doit être écartée. Madame Plantain avait donné rendez-vous ici à son mari qui est arrivé à huit heures, juste comme on venait de rapporter le cadavre à l’hôtel. La douleur du pauvre homme est navrante ; il m’a fait pitié à moi-même... bien que je n’aie pu oublier un moment, mon capitaine, les ignobles calomnies qu’il a déversées sur notre brave armée... J’ai passé les dernières semaines de 1896 et les premiers jours de 1897, à Sandkerque, de la façon la plus misérable. Je m’élance des profondeurs du découragement à d’excessifs désirs d’action, à de frénétiques besoins de manifestations violentes ; et le dégoût que j’éprouve pour moi-même, pour tout ce qui m’entoure, m’arrache brusquement l’énergie nécessaire à l’effort. J’ai renvoyé la Môme-Chichi à Paris, et le contact de mes semblables, leur vue, me sont devenus insupportables. J’erre, pendant des heures et des heures, au bord de la mer, dans les dunes, ruminant sans cesse le même désespoir, mâchant la même exaspération. Je suis condamné à une vie pour laquelle je ne suis point fait, à laquelle j’ai été destiné dès mon enfance, jeté dès que je devins un homme, et que je n’ai pas le courage d’abandonner. À la mort de mon père, j’avais pris la résolution de quitter l’armée ; résolution bien faible, sans doute, puisque le premier prétexte m’a permis d’y renoncer. Et j’ai voulu essayer d’imiter mon père, de jouer, comme lui, un rôle dans une comédie ; et j’ai vu que j’étais aussi incapable de jouer un rôle que d’être purement et simplement moi-même... Incapable d’être moi-même ? Après tout, je ne sais pas ; il faudrait oser essayer. Et l’audace ne me serait pas difficile, car j’ai du pain assuré, au moins pour plusieurs années ; il me reste 150.000 francs environ ; et si je donne ma démission... Mais, immédiatement, une idée s’empare de moi : j’ai des ennemis, des gens qui m’en veulent — cette lettre anonyme, envoyée à Isabelle, en est encore une preuve — et si je pars, ces gens-là diront que j’ai eu peur d’eux, que j’ai fui, que je n’ai pas même eu le courage d’engager la lutte contre leur puissance. Ils vont probablement m’attaquer encore, traîtreusement, un de ces jours. Qu’ils viennent !... Mes pressentiments ne me trompent guère. Vers la fin de janvier, juste au moment où mes nerfs commencent à se calmer un peu, je reçois l’ordre de me rendre à Paris, où le général de Lahaye-Marmenteau désire me demander quelques explications. — À propos de quoi ? ⁂ À propos de certains papiers que mon père, en sa qualité de commandant de Corps d’armée, avait en dépôt ; on ne retrouve point ces papiers. Ne pourrais-je mettre l’État-Major sur leurs traces ? (Je flaire là, immédiatement, un prétexte d’entrevue.) Je réplique sèchement que j’ai toujours ignoré l’existence même de ces papiers. Le général, piqué, me fait observer que mon affirmation ne suffit pas. Je réponds, plus sèchement encore, que cette affirmation doit suffire. Le général, qui paraît plus surpris qu’irrité, me regarde un instant dans le blanc des yeux ; et il se décide à dire, lentement : — La disparition de ces documents peut avoir pour vous, indirectement, des résultats très sérieux. Si la mémoire de votre père est ternie, vous comprenez... Votre père a souvent été fort imprudent. Il a vécu, par exemple, durant plusieurs années, avec une personne des plus suspectes, une Allemande, cette baronne de Haulka... — Il est certain, dis-je en interrompant le général, que mon père n’a pas toujours été très scrupuleux au sujet des femmes. Il lui est même arrivé d’emprunter celle du voisin. Mais, mon général, pourquoi n’avez-vous jamais attiré son attention sur ce point pendant sa vie, vous qui étiez mieux placé que tout autre pour le faire ? — Que voulez-vous dire ? demande le général d’une voix rauque, en crispant les poings. — Rien d’autre que ce que je dis. — Alors, reprend-il en mâchant les mots avec rage, je vous rappellerai que vous oubliez nos situations réciproques, et que cela peut vous coûter cher. Si je voulais... La mort mystérieuse de Mme Plantain, à Sandkerque, si nous nous donnions la peine de chercher... — Mon général, il faut vous donner cette peine, et tout de suite ; je vous en prie. Et découvrir en même temps, si c’est possible, l’ignoble personnage qui avait envoyé une lettre anonyme à cette malheureuse femme... — Malheureuse femme ! s’écrie le général en frappant du poing la table devant laquelle il est assis. Cela vous va bien ! Cela vous va bien, de la plaindre ! En vérité ! À peine échappée aux griffes du père, elle tombe dans celles du fils. Parbleu ! Elle était riche ! — Dans ma famille, dis-je en ricanant, on a toujours aimé l’argent. Famille militaire, mon général. Cependant, on ne s’est jamais caché derrière des hommes de paille pour pratiquer l’usure. Lahaye-Marmenteau a un haut-le-corps ; pourtant, il affecte de ne pas comprendre ; il siffle : — Votre conduite vis-à-vis de Mme Plantain a été atroce. Vous n’avez pas de cœur. — Si ; en vous écoutant, je l’ai sur les lèvres. Le général, à l’instant, est sur ses pieds ; la bouche écumante, le bras tendu vers moi. — Vous qui faites passer vos hommes au Conseil de guerre, s’écrie-t-il, vous allez... Vous osez m’insulter... moi !... Dans mon cabinet de chef... — Un cabinet ? Un cabinet ? répété-je à demi-voix — car l’idée ne vient tout à coup que je pourrais être entendu par quelque invisible témoin aposté derrière une porte — ; un cabinet ? Je ne savais pas ; je croyais que c’était une agence matrimoniale. — Cela vaudrait mieux pour vous, grince le général en regagnant son fauteuil et en avançant les mains vers un timbre ; les agences matrimoniales ne possèdent point, sur le compte du général Maubart, héros de Nourhas, des documents semblables à ceux qui sont ici, dans un tiroir de mon bureau. Leur publication s’impose, vous comprenez. L’iniquité des pères... Le général appuie le doigt sur le timbre et, comme un officier d’ordonnance paraît, me congédie de la main. Mais je veux avoir le dernier mot. — Mon général, dis-je en faisant un pas vers Lahaye-Marmenteau, je me souviendrai toujours de ce que vous venez de me faire comprendre : qu’il ne faut jamais redouter les gens assez couards pour s’attaquer aux morts et dont le métier consiste à prêter leur incompétence à leur pays, comme on dit, à la petite semaine. ⁂ Ce serait une erreur de croire que les menaces du général de Lahaye-Marmenteau m’ont laissé froid. Elles m’inquiètent, au contraire, énormément. D’autant plus que ces menaces ne s’adressent pas directement à moi, mais à la mémoire d’un homme dont, malgré les liens de parenté les plus étroits, je ne connais qu’imparfaitement la vie. Je sais bien que l’existence de mon père n’a point été sans reproche ; mais quel crime a-t-il pu commettre dont l’énormité, une fois divulguée, marquerait d’un signe d’infamie la pierre de son tombeau ?... Une idée me vient, tout d’un coup, quelques instants après ma sortie du ministère. Il y a quelqu’un, à Paris, qui est certainement au courant des moindres détails de la vie de mon père ; c’est la baronne de Haulka. Je ne connais pas la baronne, que j’ai simplement aperçue deux ou trois fois ; mais je n’ai jamais entendu mon père, assez sarcastique et assez rancunier, parler d’elle d’une façon défavorable. Il n’hésitait même jamais à reconnaître qu’elle ne lui avait donné que d’excellents conseils. Et pourquoi, si je lui expose la situation difficile dans laquelle je me trouve, refuserait-elle de me donner les renseignements qu’il me faut ? Je prends un fiacre et me fais conduire chez la baronne, dont je me rappelle heureusement l’adresse. Elle est chez elle, et me reçoit immédiatement. La baronne est une femme de taille moyenne, plutôt mince, pâle et brune ; elle a quarante-cinq ans au moins, mais on lui en donnerait à peine quarante ; le front est d’une idéaliste, mais le menton indique la décision rapide et la force de caractère. Les yeux sont très beaux, d’un grand silence imperturbable ; c’est comme de la lumière qui dort. Les lèvres sont fines, et il y a, à leurs commissures, un petit pli désespéré ; les mouvements sont pleins de grâce, mais discrets, presque timides. La baronne s’exprime en français avec une facilité et une élégance rares. Elle m’assure aimablement de toute sa sympathie, et me met si bien à mon aise, et d’une façon tellement naturelle, et si délicatement, que je n’éprouve aucune difficulté à lui exposer l’objet de ma visite. La baronne, quand j’ai fini, reste un moment silencieuse. — Ce que vous m’apprenez, dit-elle enfin, me surprend plus que je ne saurais dire. Le général Maubart, je le sais, n’était pas en fort bons termes avec le général de Lahaye-Marmenteau ; pourtant, ils n’étaient point animés, l’un contre l’autre, d’une de ces haines qui poussent les hommes aux pires extrémités. Et, comme j’ai toujours entendu dire par votre père lui-même que, pendant votre séjour à l’État-Major, vous n’aviez eu qu’à vous louer du général de Lahaye-Marmenteau... Je me vois obligé de détromper la baronne, de la mettre au courant des faits qui ont motivé le changement d’attitude du général à mon égard. Je lui apprends quelles tentatives on fit pour me marier à Mlle Pilastre, et aussi quels liens attachent réellement cette jeune personne au général ; j’explique comment ce dernier a conçu pour moi une haine profonde. — La haine est mauvaise conseillère, dit la baronne en secouant la tête ; elle aveugle. Et voilà pourquoi le général de Lahaye-Marmenteau, exaspéré de voir qu’il ne peut marier Mlle Pilastre, juste au moment où ce mariage l’aiderait à réparer le désordre de ses affaires, se laisse aller à tenir des propos qu’il ne pèse point et qu’il regrettera bientôt. Les menaces qu’il vous a faites sont insensées, ne valent pas la peine d’être discutées ; elles émanent d’un homme dont l’esprit n’est pas calme, est obsédé par de gros soucis. De cette situation mentale du général de Lahaye-Marmenteau j’ai eu moi-même des preuves. La complète confiance que j’ai en vous, monsieur, m’autorise à vous l’apprendre ; le général est arrivé à se convaincre que je suis une personne dangereuse — tranchons le mot : une espionne — et il cherche à me faire expulser. Naturellement, je ne crains rien ; ma conscience est tranquille et mes sympathies françaises sont bien connues. Je ne cite le fait que pour vous montrer jusqu’à quel degré d’exagération l’insuccès, la hantise de circonstances défavorables, peuvent entraîner un homme. — Il faut ajouter, dis-je, qu’en raison de la crainte qu’on a de voir ressusciter une malheureuse affaire, une épidémie de soupçon s’est abattue sur l’État-Major. Il y a de nombreuses fuites, comme nous disons : on ne sait à qui les attribuer, et l’on soupçonne et l’on surveille tout le monde. Et je cite des exemples, quelques-uns amusants. Ainsi, le cas du capitaine de Bellevigne, qui a des relations épistolaires avec une dame mariée, et qui n’ose pas permettre à cette dame de correspondre directement avec lui : il craint que ces lettres ne soient interceptées chez son concierge, et l’amoureux secret découvert. La dame lui écrit poste restante, au bureau de la rue du Bac ; et le capitaine va chercher les lettres tous les deux jours. La baronne écoute sans manifester d’autre intérêt qu’un intérêt de politesse. — Il est certain, dit-elle, que tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes ; mais pourtant, avec beaucoup de patience, on arrive à vivre. Une chose nécessaire, aussi, c’est être sûr de soi-même, ne point se laisser effrayer. Et c’est le conseil que j’ose vous donner, monsieur. Soyez convaincu que votre père, qui avait ses fautes, car il était homme, n’a jamais commis aucun acte dont vous puissiez avoir à rougir. Je quitte la baronne, enchanté ; enchanté d’elle, et de moi aussi. J’ai eu une fameuse idée, d’aller la voir ! Je pensais bien que Lahaye-Marmenteau parlait pour me faire peur ; à présent, j’en suis sûr. Il cherchera sans doute encore à m’effrayer, mais il perdra son temps. Maintenant que je sais que je n’ai rien de bien sérieux à redouter, je puis attendre l’attaque de pied ferme. J’ébauche peu à peu un système de défense, que je me propose de compléter à Sandkerque, où je me décide à retourner ce soir même. Mais, en descendant un escalier, je glisse, je me tords le pied, et il me devient impossible de faire un pas. ⁂ Le médecin-major que j’ai fait appeler a déclaré que je souffre d’une foulure, que je ne serai pas rétabli avant douze on quinze jours, et que je dois rester au lit environ une semaine. Et voilà le sixième jour que je gis sur ma couche solitaire ; étudiant, pour toute distraction, le style audacieux des journalistes français ; ne recevant pas d’autres visites que celles du major, qui vient de m’annoncer, heureusement, que je pourrai me lever demain. J’avais écrit au capitaine de Bellevigne dès le premier jour, pour le prier de me venir voir ; en dépit d’une seconde et d’une troisième lettres, il n’est point venu. Mais, ce soir, juste comme je cherche à trouver les raisons qui ont pu l’amener à rester invisible et silencieux, le domestique l’introduit. Inutile de dire combien je suis heureux de voir Bellevigne. Quant à lui, je ne le trouve guère démonstratif ; il semble préoccupé, horriblement ennuyé. Je n’ose pas lui demander les raisons de sa mélancolie ; mais, au moment où je vais lui faire le récit de mon entrevue avec Lahaye-Marmenteau, il m’apprend qu’il vient d’être la victime de l’aventure la plus déplorable que l’on puisse imaginer. — Il faut, dit-il, que je vous raconte en détail ce qui m’est arrivé. C’est tellement monstrueux que vous le croirez à peine. Cela suffirait, si mes sentiments religieux n’étaient pas aussi profonds, à me faire douter de tout et à me pousser aux théories subversives que vous aimiez à exposer..... Vous savez que j’allais chercher tous les deux jours, au bureau de poste de la rue du Bac, des lettres de Mme d’Artoulle. Hier matin, comme je réclamais les missives adressées à mes initiales, le buraliste me remit un assez grand nombre de lettres ; ce à quoi je ne pris pas garde. Comme je les mettais dans ma poche, un individu qui faisait semblant d’écrire à un pupitre — et que je reconnus dès qu’il se retourna pour le commandant Karpathanzi, s’approcha de moi ; il me pria, par ordre, de le suivre. Très étonné, plus qu’étonné, je le suivis. Un fiacre, en quelques minutes, nous conduisit au ministère ; le commandant me mena immédiatement au cabinet du général de Lahaye-Marmenteau avec lequel il me laissa seul. Le général me pria de lui montrer les lettres qu’on m’avait remises au bureau de poste. Je les sortis de ma poche ; il y en avait cinq, deux que j’ai reconnu à la suscription avoir été envoyées par Mme d’Artoulle, et trois qui portaient des timbres allemands. Le général m’ordonna d’ouvrir les lettres devant lui ; ce que je fis. Il jeta à peine un coup d’œil sur les billets de Mme d’Artoulle, et me les rendit. Quant aux lettres expédiées d’Allemagne, il me demanda des explications à leur sujet. Je déclarai ne pouvoir en donner aucune ; j’affirmai, de plus, ne connaître l’allemand que très imparfaitement. Le général, qui ne sait pas un mot de cette langue, fit appeler l’archiviste Irmaudin. Ce dernier parut aussitôt et traduisit les lettres ; dans l’une, on me remerciait des renseignements que j’avais envoyés au sujet des nouveaux freins hydrauliques ; dans les deux autres, on me priait de compléter mes indications sur les défenses de Verdun, et on me demandait le croquis des projets pour le fort d’arrêt de Hirson. L’archiviste se retira. Je restai seul avec le général. J’étais écrasé, anéanti. Je n’ai pas besoin de vous dire, mon cher ami, combien innocent je suis de la monstrueuse accusation qui pesait sur moi. Cependant, toutes les apparences me condamnaient ; je le sentais, j’étais accablé par d’irréfutables évidences ; je me voyais pris dans un piège dont je ne m’expliquais pas, dont je ne m’explique pas, même maintenant, le mécanisme. — Et, demandé-je, plein d’une émotion que Bellevigne, heureusement, est trop troublé pour remarquer, et comment vous êtes-vous..... ? — Comment je me suis tiré de là ? complète Bellevigne en souriant amèrement. Vous pouvez le deviner. Lahaye-Marmenteau me tenait en son pouvoir. Comment me défendre ? Vous comprenez à quelle condition il a promis de détruire les lettres..... Du reste, continue-t-il, j’ai sans doute tort d’accuser le général ; il était visiblement de bonne foi. Une idée m’était venue, il est vrai..... mais est-elle juste ? Il ne faut pas porter de jugements téméraires. Je suis victime d’une horrible machination, mais je ne puis accuser personne. Je dois être, jusqu’au bout, fidèle à mes principes..... Dieu saura trouver les coupables, et les punir. Malgré tout, il m’impose une bien rude épreuve... Ah, j’avais toujours pensé que mes relations condamnables avec Mme d’Artoulle auraient leur châtiment !..... Bellevigne s’est retiré depuis longtemps que je suis encore sous le coup des révélations qu’il m’a faites. Y a-t-il quelque moyen de ruiner l’odieuse intrigue dont je crois distinguer, à présent, tous les fils et tous les acteurs ? Je n’en vois aucun. Peut-être demain trouverai-je quelque chose. Mais, dans les journaux du matin que je puis lire debout, enfin, je trouve un écho ainsi conçu : « Hier, grande soirée chez M. Pilastre, le sympathique industriel, commandant de la territoriale, officier de la Légion d’honneur, à l’occasion des fiançailles de Mlle Pilastre avec le capitaine comte de Bellevigne. Remarqué : le général Schnock, la comtesse d’Heumartel, M. et Mme Courbassol, l’académicien Jacques Lemaître, la baronne de Haulka, le général de Lahaye-Marmenteau..... » Ces deux derniers noms, accouplés, me font voir tout à coup une chose que j’avais à peine entrevue jusqu’ici. Je croyais tenir tous les fils de l’intrigue, et pourtant... À présent, je comprends que c’est la baronne, craignant une expulsion, qui a mis à profit une indiscrétion que j’ai commise pour donner enfin à Lahaye-Marmenteau le moyen de marier sa fille ; en raison de quoi, elle est dans les meilleurs termes avec lui, et sûre de pouvoir continuer à habiter Paris. C’est moi qui ai, involontairement, fourni à cette femme la possibilité d’une manœuvre habile. Elle s’est jouée de moi. Elle m’a déçu. Donc, toutes les assurances qu’elles m’a données étaient fausses ; donc, j’ai tout à redouter. Mais quoi ? Qui pourra me dire ce que j’ai à craindre ? Qui pourra m’apprendre, enfin, la vérité sur mon père ?..... Fou que je suis ! Si l’acte qu’on reproche à mon père avait été commis après 1870, je le connaîtrais ; donc, il a été commis — s’il l’a été — auparavant..... Et peut-être..... Cette affaire de Nourhas !..... Lahaye-Marmenteau m’en a parlé, l’autre jour. Nourhas !..... Oui, il y a quelqu’un qui pourra me dire la vérité ; mon oncle Karl. Je prendrai ce soir le train pour Wiesbaden, où je sais qu’il vit. Le train n’est pas plutôt parti que je me rends compte de l’absurdité du raisonnement qui m’a fait entreprendre mon voyage. La baronne a certainement fait un usage inavouable d’une indiscrétion que j’ai commise, mais il ne s’ensuit pas que toutes les assurances qu’elle m’a données soient fausses. Elles peuvent être fausses ; mais il n’est pas sûr qu’elles le soient. Je ne vois pas pourquoi elle ne m’aurait point dit la vérité ; elle n’est certainement pas femme à gaspiller les mensonges. La conscience du détestable rôle que j’ai joué malgré moi dans l’intrigue ourdie contre Bellevigne m’a certainement tourné la tête, m’a empêché de voir clairement les choses. Ce voyage à Wiesbaden est une entreprise inconsidérée, un pas de clerc. D’abord, je m’absente de Paris, je quitte même la France, sans aucune permission ; c’est, dans les circonstances présentes, souverainement imprudent. Puis, j’aurais dû m’assurer, avant de me mettre en route, des sentiments de mon oncle à mon égard. Pendant longtemps je lui ai écrit, au moins à l’occasion de sa fête et du premier janvier, et j’en ai toujours reçu des réponses affectueuses ; mais depuis plusieurs années déjà, par pure négligence, j’ai cessé de correspondre avec lui. J’aurais dû au moins l’avertir de ma visite..... Mais le train file rapidement, je m’endors, et je ne me réveille qu’à la frontière. Je ne serai pas à Wiesbaden avant midi ; c’est encore loin..... Pourtant, ça vient. Comme je descends du wagon, un commissionnaire, qui s’empare de ma valise, me recommande l’hôtel « Die drei Störche », un établissement récemment ouvert dans la Wilhelmstrasse, à deux pas de la gare. Pourquoi pas là aussi bien qu’ailleurs ? Cette enseigne des « Trois Cigognes » me rappelle l’hôtel où le cousin Raubvogel fit jadis ses premières armes, à Mulhouse. C’est déjà si vieux, tout ça !... L’hôtel est un établissement de premier ordre. J’envoie un mot à mon oncle, pour l’aviser de mon arrivée, je fais rapidement ma toilette, je déjeune, et il n’est guère plus de deux heures et demie lorsque je sonne à la porte de l’appartement occupé, dans la Rheinstrasse, par le général en retraite von Falke. Nous éprouvons, mon oncle et moi, lorsque nous nous trouvons en présence, un embarras momentané. Il y a plus de vingt-cinq ans que la vie nous a séparés ; le souvenir que nous avons gardé l’un de l’autre, en dépit de toute logique, est la représentation un peu effacée des êtres que nous étions, il y a un quart de siècle. En l’homme qu’il a devant lui, mon oncle doit retrouver l’enfant, doit voir l’enfant qui a grandi. Et l’homme fort, dont j’ai conservé l’image, descend rapidement en mon imagination le cours des années et devient le vieil homme que j’ai sous les yeux — un vieillard que j’ai déjà vu, j’en ai la sensation soudaine, un vieillard que je connais. Mon oncle, avec ses cheveux blancs, son large front, ses profonds yeux bleus et sa haute taille un peu courbée, mon oncle me rappelle trait pour trait mon grand-père — son père à lui. Il laisse voir franchement la joie que lui cause ma visite ; mais sous cette joie perce une certaine inquiétude, qu’il ne tarde pas à exprimer en deux ou trois questions brèves. Est-ce que quelque événement fâcheux n’a pas été la cause de mon voyage ? Est-ce que... ? Je rassure mon oncle ; je lui affirme qu’aucune affaire embarrassante, au moins m’intéressant directement, n’a motivé ma visite. Son visage se rassérène ; mais il s’assombrit de nouveau dès que je répète les menaces vagues proférées par le chef de l’État-Major, et qui visent la mémoire de mon père. Et lorsque je déclare à mon oncle que j’ai compté sur lui pour m’apprendre s’il y a dans ces insinuations autre chose que de la calomnie, il se lève et se met à marcher dans le salon sans répondre, très agité. — Il n’est pas nécessaire, dit-il enfin, de t’apprendre combien je regrette d’avoir à te parler comme je vais le faire. Il est bien inutile aussi de te donner mon opinion sur les gens qui, après avoir fait bonne figure à ton père durant sa vie, s’attaquent à lui dès qu’il est mort. Il s’agit seulement de te dire si, à ma connaissance, ton père a commis un acte de nature à changer en exécration, sitôt connu, les sentiments admiratifs professés pour lui par tes compatriotes. Je te réponds franchement : oui. Ton père a laissé la réputation d’un homme qui avait fait plus que son devoir en 1870 ; réputation usurpée. On l’appelait communément : le héros de Nourhas. Il n’y a pas eu de héros à Nourhas ; ou, s’il y en eut un, ce ne fut pas ton père. C’est à l’affaire de Nourhas, sois en sûr, que faisait allusion le chef de votre État-Major ; or, comme tu t’en souviens, j’assistais à cet engagement. Je puis donc te dire exactement quel fut, ce jour-là, le rôle joué par ton père. Je vais t’exposer les faits sèchement, et sans aucun commentaire. J’écoute avec l’émotion la plus grande ; l’accusation portée contre le mort se précise, va s’affirmer ; et je sais que c’est moi que doit frapper, le jour où la vérité sera connue, la condamnation qu’elle entraîne. Mon oncle, qui s’est arrêté un instant, s’assied et continue : — Voyons ; les Français avaient été battus le 28 novembre à Beaune-la-Rolande, et le 2 décembre à Loigny... En fait, je m’en souviens très bien maintenant, c’était le surlendemain de la reprise d’Orléans par nos troupes. Nous ne poursuivions que fort mollement l’armée française qui battait en retraite sur Vendôme, démoralisée et dans le plus grand désordre... Ce matin-là, donc, à l’aube, nous fûmes avertis qu’un corps français, qu’on évaluait à 1.500 hommes environ, avec du canon, avait pris position pendant la nuit à Nourhas, un gros village sur notre droite et complètement en dehors de la ligne de retraite. L’information nous sembla tellement invraisemblable que nous refusâmes d’abord d’y ajouter foi. Mais, comme elle fut bientôt confirmée par une reconnaissance de cavalerie, il fut décidé que trois bataillons et une batterie iraient attaquer immédiatement. Je partis avec ces troupes, placées sous le commandement du colonel von Kern. Nous n’étions guère qu’à un kilomètre de Nourhas lorsque le brouillard, qui jusque-là avait été assez épais, se leva. Nous pûmes apercevoir les bivouacs des Français, sur la grande plaine qui s’étend en avant du village ; ces malheureux bivouaquaient ainsi toutes les nuits, leurs officiers craignant, s’ils les laissaient pénétrer dans les maisons, de ne pouvoir les en faire sortir. Ils semblaient n’avoir pris aucune des précautions les plus élémentaires. Point de grand’gardes, pas même de sentinelles ; aucun officier n’était visible. On ne voyait nulle trace de travaux de défense, de retranchements ; on aurait pu les distinguer facilement car la neige, dont une couche épaisse couvrait le sol, avait cessé de tomber depuis la veille. Un bataillon fut envoyé sur la gauche, à travers champs, de façon à occuper le chemin vicinal qui rejoint la route de Vendôme, au sud du village ; l’artillerie alla au galop prendre position sur les talus de la route ; deux compagnies se déployèrent en tirailleurs, avec une troisième en soutien. C’est alors seulement que nous fûmes aperçus ; les Français se précipitèrent vers le village, tandis que notre infanterie ouvrait le feu et que nos canons lançaient leurs premiers obus. Nos tirailleurs gagnèrent rapidement du terrain ; des fenêtres de quelques maisons l’ennemi s’était décidé à riposter, mais faiblement. Comme il paraissait résolu à ne pas se servir de son artillerie, ordre fut donné à la nôtre de tirer rapidement. Au bout de quelques minutes, nous vîmes paraître à l’entrée du village le drapeau blanc d’un parlementaire. Le colonel von Kern fit immédiatement cesser le feu et s’avança quelque peu, accompagné de deux capitaines et de moi, au-devant de l’officier français qui s’approchait de nos lignes. Ce dernier nous déclara que le colonel commandant les troupes françaises, jugeant sa situation intenable, demandait à se rendre ; il était à la tête de 1.200 hommes, mobiles pour la plupart ; il avait aussi trois canons. Von Kern répondit qu’il ne pouvait accepter qu’une reddition sans conditions, et qu’il accordait une demi-heure au colonel français pour se décider ; s’il acceptait, ses hommes devaient évacuer Nourhas, jeter leurs armes en un monceau sur la route, et aller ensuite se masser sur la plaine. L’officier français partit au galop et nous attendîmes. Vingt minutes plus tard, nous vîmes les Français sortir du village, déposer leurs fusils à l’endroit convenu, et commencer à se grouper sur la plaine. La compagnie qui s’était déployée à l’extrême droite reçut l’ordre de se reformer et de se diriger vers les prisonniers dont elle devait avoir la garde. Comme elle quittait un bouquet de bois pour s’engager dans la plaine, une détonation retentit ; puis deux, puis plusieurs ; nous vîmes tomber trois hommes. Les officiers français qui s’avançaient vers nous, sur la route, s’arrêtèrent un instant, très étonnés. Von Kern m’envoya vers la compagnie, qui avait fait halte, et que j’atteignis au moment où elle ouvrait le feu contre une ferme située sur une éminence, au nord du village ; c’était de là qu’étaient partis les coups de fusil, que d’autres à présent suivaient, fréquents et bien dirigés. Une dizaine d’hommes étaient déjà hors de combat. Le capitaine voulait attaquer de suite ; je le laissai libre d’agir, sans grande confiance. À l’aide de ma longue-vue, je voyais que la ferme (elle s’appelle la ferme de la Chevrette) avait été rapidement mise en état de défense, un travail qui nécessitait la présence de vingt-cinq ou trente hommes. Cependant, nos tirailleurs s’avançaient, envoyant des balles dans les fenêtres barricadées, mais sans réponse de l’ennemi ; comme ils n’étaient guère qu’à deux cents mètres du bâtiment, un feu terrible éclata qui coucha sur le sol une douzaine d’hommes, et me convainquit que je ne m’étais pas trompé sur le nombre des défenseurs de la ferme. Je fis replier la compagnie derrière le bouquet de bois ; mouvement pendant lequel elle perdit encore plusieurs soldats. Von Kern, qui avait suivi l’action, venait de donner l’ordre d’agir à l’artillerie. Un obus, bientôt, éclata devant la porte de la ferme ; un second lézarda le mur du haut en bas ; un troisième défonça le toit ; d’autres suivirent, dont l’explosion provoquait des craquements, des éboulements, soulevait des nuages de poussière. De la ferme, peu à peu, on cessa de tirer. Les canons s’étant tus, la compagnie s’avança une seconde fois, au pas de charge, accueillie seulement par trois ou quatre coups de feu ; l’une des balles m’atteignit au bras droit. Un instant après, nous pénétrions dans la ferme où nous trouvions, au milieu des décombres, une dizaine de cadavres et cinq ou six blessés. Parmi ces derniers se trouvait l’homme qui avait organisé et dirigé la défense ; c’était un sergent. Lorsqu’il avait vu son colonel envoyer aux Allemands un parlementaire, il s’était résolu, quant à lui, à ne point rendre ses armes sans s’en être servi ; par un chemin détourné, il avait gagné la ferme de la Chevrette avec quelques braves gens, et... Tu sais le reste. Je reconnus de suite ce sergent pour l’avoir vu chez vous, à Paris et à Versailles, en qualité d’ordonnance. Il s’appelait... il s’appelait... — Jean-Baptiste, dis-je. Et un flot de sang monte à mes joues ; et je sens quelque chose dans ma gorge, qui m’étrangle. Mon oncle demande : — Qu’est-il devenu ? — Je ne sais pas, dis-je tout bas, très bas ; je... je... je crois qu’il est mort. — Ah !... Les blessés furent soignés immédiatement ; la balle que j’avais reçue dans le bras fut extraite ; la blessure, sans être fort grave, me mit dans l’impossibilité de continuer la campagne ; tu te rappelles que je revins à Versailles. Les prisonniers furent dirigés sur Orléans ; de là, sur l’Allemagne. Quant au colonel qui commandait les Français — j’ai entendu dire qu’un officier de mobiles, qui s’opposait à la capitulation, l’avait blessé de son sabre et avait été tué par lui d’un coup de revolver — quant à ce colonel que, bien entendu, je ne pus voir qu’après l’engagement... — Oui, murmuré-je, j’ai compris. — Comment les Français sont arrivés à transformer cette affaire de Nourhas en un glorieux fait d’armes, je l’ignore. L’origine des légendes est mystérieuse ; c’est sans doute pourquoi elles ont la vie dure ; et c’est sur la terre de France, surtout, qu’elle croissent et multiplient. Comme individus, vous êtes généralement clairvoyants et intelligents ; comme nation, vous vous refusez absolument à voir les choses telles qu’elles sont. Voilà pourquoi, courbés sous des jougs de plus en plus lourds et de plus en plus grotesques, vous parlez toujours de résister au monde... Quant à ton père dont, comme Allemand, il m’est impossible d’excuser l’acte, je crois que si j’étais Français je pourrais trouver beaucoup de raisons à sa décharge. Depuis Sedan, la guerre ne continuait que parce qu’elle servait l’ambition de la horde de gredins qui cherchaient à se hisser au pouvoir et que vous avez eu le temps de voir à l’œuvre. Les coquins qui avaient installé à Tours leur sanguinaire incompétence, et qui ne constituèrent jamais que le gouvernement de la Trahison nationale, sous le nom de gouvernement de la Défense nationale, s’étaient improvisés administrateurs, financiers et stratégistes. Tu peux étudier aisément, car les documents abondent, leurs étranges systèmes d’administration et de finance. Je me contenterai de dire que la continuelle et ridicule intervention de Gambetta et de Trisonaye auprès des chefs militaires a beaucoup facilité notre succès sur la Loire. Ces imbéciles voulurent à tout prix prendre l’offensive. Tu connais leurs plans. C’est d’une bêtise noire. À l’un, vous avez osé élever une statue. À l’autre, vous n’avez pas osé élever une potence... Le village de Nourhas n’offrait qu’une position détestable ; il était complètement en dehors de la ligne de retraite ; et le général en chef ne l’avait fait occuper que sur un ordre exprès venu de Tours, qu’il ne pouvait s’expliquer, mais auquel, après hésitation, il résolut d’obéir. Ton père, à qui fut confiée la mission de défendre le village, n’ignorait rien de la situation ; il se savait sacrifié à la criminelle sottise de misérables dilettanti. De plus, la grande majorité des hommes qu’il avait sous ses ordres n’étaient que des recrues mal exercées, des éclopés, des traînards. Les artilleurs qui conduisaient les trois canons mis à sa disposition s’étaient enfuis pendant la nuit sur leurs chevaux, abandonnant leurs pièces que personne ne savait servir. Il ne peut être question de manque de bravoure ; ton père avait fait ses preuves ; d’ailleurs, Frédéric fuyant à Molwitz, Napoléon se cachant à Hanau... Pourtant, il y a un courage moral que ton père, peut-être, ne montra pas souvent. Ce courage, il est vrai, aurait dû être fortement trempé, pour subsister encore chez un Français à la fin de 1870. Il était évident qu’on ne se battait plus pour la France. Les scélérats de Tours, hommes de paille d’un vaste syndicat de rapine et de concussion, ne continuaient leur lamentable guerre à outrance que dans l’intérêt de leur parti et des fournisseurs-bandits qui leur graissaient la patte. Et les pauvres soldats, affamés, en haillons, mouraient de froid et de faim ; étaient fusillés sous prétexte d’indiscipline, dix et vingt à la fois, par des chef indignes auxquels le Borgne infâme, arraché à sa taverne par l’émeute, recommandait d’étouffer à tout prix l’esprit révolutionnaire... — Malgré tout, dis-je, quand on porte une épaulette... — Et ceux qui parlent d’accuser ton père, s’écrie mon oncle, ne portent-ils pas une épaulette, eux aussi ? Et où étaient-ils en 1870 ? Qu’ont-ils fait en 1870 ? Ils ont une belle audace de se poser en justiciers, et même d’ouvrir la bouche ! Peut-être, au moment d’agir, s’en apercevront-ils. L’histoire n’est pas muette, après tout ; bien qu’elle soit souvent volontairement faussée, elle n’est muette ni sur l’affaire de Nourhas ni sur bien d’autres faits encore plus odieux ; mais les peuples refusent d’écouter sa voix ; le peuple français, surtout. Il ne vit que sur le mensonge ; le mensonge du passé, le mensonge du présent. La France parle de son relèvement ; où en sont les preuves ? N’est-elle pas liée, à l’heure actuelle, des mêmes entraves qu’elle accepta après ses désastres ? Sa population décroît ; commercialement, elle se trouve dans la position qu’elle occupait en 1865 ; militairement, les mêmes vices qui ont perdu son armée en 1870 subsistent, aggravés. Vos fanfaronnades ne trompent personne. Vous oubliez trop, voyez-vous, qu’il y a des juges à Berlin. Tout le mal vient de ce que vous n’avez pas eu le courage de regarder en face votre défaite. Voilà pourquoi vous avez cessé d’être vous-mêmes. Voilà pourquoi, en réorganisant votre armée, vous avez servilement imité l’armée allemande, sans vous douter que l’état de l’Allemagne diffère énormément de la situation de la France ; voilà pourquoi vous n’avez pas su trouver, pour votre gouvernement et pour votre armée, une formule adaptée à votre position particulière, extraite de cette position même ; en harmonie avec votre caractère... — Du caractère, dis-je, nous n’en avons plus. Je refuse, au grand regret de mon oncle, l’invitation qu’il me fait de passer quelques jours à Wiesbaden. Je veux repartir le soir même. Après un dîner rapide, j’ai juste le temps de passer à l’hôtel avant d’aller à la station. On me remet ma note, que je paye et que je vais mettre dans ma poche lorsque mes regards tombent, par hasard, sur ces deux mots imprimés en tête du papier : « Eigenthümer : G. S. Raubvogel. » Raubvogel, propriétaire ! Est-ce que ?... Mais le temps presse ; je n’ai pas une minute à perdre. En me rendant à la station, j’interroge le domestique qui porte ma valise. Quel est le propriétaire de l’hôtel ? — C’est, dit-il, une dame ; une belle femme ; Mme Raubvogel, dont le mari a été mis injustement en prison par les perfides Français. C’est une bonne patriote allemande, une Alsacienne... une vraie Alsacienne... Hâtons-nous, monsieur, le train va partir... Je ne tiens pas à vous faire part des pensées qui me harcèlent pendant le voyage. Vous pouvez facilement les imaginer. J’arrive à Paris le lendemain, et le surlendemain matin j’ai rejoint ma garnison. ⁂ À Sandkerque, j’ai d’abord passé quelques jours dans un état de prostration complète, n’ayant même pas la force de suivre une idée. Une image dominait toutes mes pensées, descendait sur elles, les écrasait : l’image de l’acte commis par mon père ; et je refusais de me présenter à moi-même une condamnation ou une justification de cet acte, mon père n’ayant jamais conformé sa vie à un étalon moral, ou même immoral, ayant seulement cherché à vivre. Je sentais que j’aurais pu, au besoin, juger l’homme ; mais ses actes ! mais un de ses actes !... Puis, j’ai essayé de réfléchir, de prendre une détermination, de me tenir prêt, au moins, à faire face à toute éventualité ; mais l’énergie, encore, m’a fait défaut. Mon indifférente indolence a même fini par me persuader que je n’ai rien à craindre ; que Lahaye-Marmenteau, comme l’a prévu mon oncle, hésitera avant de rien tenter contre moi ; et que, le temps aidant, il cessera même de penser à me persécuter. Ma sécurité me semble de plus en plus certaine. Un matin, cependant, je suis appelé chez le général gouverneur de la ville. Ce général, qui n’a encore que les deux étoiles bien qu’il ait presque atteint la limite d’âge, ne m’est pas inconnu ; je l’ai rencontré plusieurs fois chez mon père. C’est un homme de valeur. Mais ses opinions irreligieuses et bonapartistes, franchement avouées, lui ont barré la route des honneurs, ouverte seulement à la double hypocrisie républicaine et cléricale. Il n’a jamais pu pénétrer dans ces comités et ces services centraux, dans ces dortoirs et ces antichambres de toute espèce qui absorbent en France un nombre effrayant de généraux ineptes et assurent leur avancement ; qui leur procurent d’énormes traitements et des indemnités extravagantes ; qui constituent des sinécures ignorées partout, excepté chez nous. Il n’a jamais exercé que des fonctions actives, relativement mal rétribuées. Il me fait un accueil qui m’étonne un peu, très cordial certainement, mais manifestement embarrassé. — Vous savez, me dit-il, que j’ai été l’ami de votre père. Je vais donc vous parler rondement, en toute franchise. On vous en veut ; on vous en veut terriblement. J’ai reçu l’ordre de faire exercer sur vous une surveillance de tous les instants. Je ne devrais pas vous prévenir. Je vous préviens parce que je flaire là-dessous une machination dégoûtante. Votre père a laissé derrière lui des haines qu’on cherche à assouvir sur vous. N’est-ce pas ? Enfin, moi, je ne sais pas. Je suppose. C’est à vous d’ouvrir l’œil. Je vais encore vous dire quelque chose. On vous accuse d’avoir fait récemment un voyage en Allemagne, à Wiesbaden ; il paraît qu’on vous a vu là en compagnie d’officiers allemands. Tout ça, pour moi, c’est des histoires à dormir debout ; pourtant, vous savez où va la malignité des gens. Vous n’ignorez pas que nous vivons à une époque où le personnage important, dans l’armée comme ailleurs, c’est le mouchard. Maintenant, je dois vous donner un autre avis. On m’a ordonné de vous faire surveiller ; mais il y a d’autres gens qu’on a chargés de la même mission, et qui s’en acquitteront avec plus de zèle que moi. Je veux parler de ces gredins en robes noires qui sont devenus les vrais maîtres de nos régiments ; qui dirigent partout l’œuvre de Notre-Dame des Armées, qui sont les aumôniers des garnisons. Nous en avons un ici, l’abbé Chouanard, qui envoie rapport sur rapport à qui de droit, j’en ai la certitude ; il tient dans sa main la plupart des soldats qu’on embauche jusque dans les casernes, les ordonnances, les femmes. Il espionne, dénonce et calomnie sans trêve ; tout cela se passe dans l’ombre, mais se passe. Il fallait avoir la République pour en venir là. Tout les officiers qui ne pratiquent pas, qui ne sortent pas des jésuitières, sont tenus en suspicion, mal notés, végètent, sont persécutés. On n’épargne rien, ni personne. Si je n’étais pas sur le point de prendre ma retraite, j’en ai la conviction, j’aurais été déplacé, envoyé en disgrâce dans un trou. J’ai aimé passionnément ma profession ; mais, je l’avoue, je suis heureux de la quitter bientôt ; l’armée républicaine est trop cléricale pour moi, bonapartiste. Ainsi, prenez garde ; vous voilà averti. Je remercie le général qui, après un moment d’hésitation, ajoute : — Je crois que je n’ai pas assez insisté. On cherche à vous jouer un sale tour, par tous les moyens ; vous comprenez. Je ne sais donc pas si vous feriez bien de persister à rester... Par exemple, si vous demandiez un long congé ? Hein ?... Ou bien... ou bien... Enfin, réfléchissez. J’ai réfléchi. Et j’ai deviné, sans peine, le plan de Lahaye-Marmenteau. Un nouveau moyen d’action lui a été fourni par mon voyage à Wiesbaden. L’État-Major a été informé de ce voyage, certainement, par Estelle qui doit jouer maintenant vis-à-vis de l’Allemagne le rôle qu’elle a joué si longtemps vis-à-vis de la France, ne serait-ce qu’afin de hâter la libération de son mari ; et je m’arrête un moment à penser à cet excellent Raubvogel qui, au sortir de sa prison, se retrouvera à la tête d’un hôtel des Trois Cigognes, exactement comme s’il n’avait jamais quitté Mulhouse, comme s’il n’avait connu ni grandeur ni décadence ; encore un qui s’est donné beaucoup de mal pour rien !... Donc, Lahaye-Marmenteau se gardera bien de faire publier quoi que ce soit sur le compte de mon père. Un de ces jours, après m’avoir fait suffisamment espionner par ses mouchards en soutanes, après avoir accumulé contre moi un certain nombre de calomnies difficiles à détruire, il me fera appeler à Paris. Il me forcera à m’expliquer sur mon voyage à Wiesbaden, voyage entrepris par moi clandestinement et sans aucune autorisation, voyage dont il connaît fort bien les motifs — qu’il feindra d’ignorer. — Ces motifs, devant les accusations portées contre moi, il faudra que je les révèle, afin de me disculper. Et l’acte commis par mon père en 1870, dont la divulgation doit me déshonorer et que Lahaye-Marmenteau n’aura pas rendu public, sera exposé par moi-même... Toute lutte est devenue impossible. Cette fois, je prends rapidement mon parti. J’envoie ma démission au ministère. Elle est immédiatement acceptée. J’ai réglé, d’avance, mes affaires ; et le soir même je pars pour Paris. ⁂ Ne vous imaginez pas que j’aie l’intention d’aller chercher querelle au général de Lahaye-Marmenteau. Le général et ses pareils sont des gens trop difficiles à attaquer. Si vous leur aplatissez le nez d’un coup de poing, ils vous font mettre en prison ; si vous écrivez la vérité sur leur compte, le public français, fier de ses incomparables Capitulards, refuse de vous lire. Et puis, il ne faut pas empiéter sur les prérogatives des Prussiens. Je ne me suis rendu à Paris qu’afin de me mettre en route pour Marseille ; et je ne vais à Marseille qu’afin de m’embarquer pour Bône. Je m’embarque ; et le bateau, n’appartenant point à la marine militaire, arrive à bon port. À Bône, une statue de M. Thiers, d’abord, excite mon étonnement ; je ne puis arriver à comprendre pourquoi les Algériens ont jugé nécessaire d’élever ce monument à la mémoire du sanguinaire Foutriquet qui libéra le territoire à grands coups de milliards. Ensuite, je prends discrètement des informations ; je m’enquiers de l’atelier de Travaux publics, qu’on m’indique immédiatement (vous voyez comme j’ai de la chance) ; je m’enquiers aussi d’un nommé Fermaille, condamne à vingt ans... Et justement un garçon d’hôtel, dont le beau frère est chaouch aux Travaux, peut me donner tous les renseignements désirables. Le nommé Fermaille fait partie d’un détachement qui vient d’être envoyé à Macheda, pour réparer une route. Macheda est un tout petit village, assez misérable, où une dizaine de colons luttent péniblement contre l’usure et la tyrannie militaire. Une pauvre auberge, dépôt d’absinthe, où je trouve à me loger. Le mercanti, je m’en aperçois tout de suite, est un ancien fagot qui polit sa canne et sur lequel on peut absolument compter pour vous aider à faire un mauvais coup (et même un bon), pourvu qu’on lui graisse la patte. Je mets cet honnête citoyen au courant de mes projets, et il m’aide à les réaliser ; il va trouver moyen, dans la journée, de se mettre en relations avec Fermaille. Pour moi, je dois autant que possible éviter de me faire voir. Pourtant, je puis regarder. D’une fenêtre, je contemple une vaste étendue de cette terre d’Algérie qui devrait, comme autrefois, nourrir une partie de l’Europe et qui ne peut arriver à suffire à ses propres besoins. Sous la domination française, mille fois pire que la domination barbaresque, la ferox Africa est devenue un pays de misère, de stérilité et de désolation. C’est le domaine de l’Exploiteur et du Tortionnaire. Si la France avait dépensé là une moitié de l’argent qu’elle a stupidement semé au Tonkin, au Soudan, au Dahomey, au Congo, à Madagascar — si elle avait seulement donné à l’Algérie la liberté — l’Algérie aurait fait de la France une nation heureuse et forte. Mais la France, qui refuse la liberté à ses colonies comme elle se la refuse à elle-même, veut être malheureuse et faible. Elle gaspille l’argent, sué douloureusement par les pauvres. Elle gaspille aussi les hommes. J’aperçois là-bas le camp des condamnés aux Travaux publics. Ils peinent comme des nègres sous la matraque des surveillants, gardés de près par des tirailleurs au fusil chargé. Pauvres diables dont tout le crime est d’avoir dit son fait à quelque supérieur imbécile ; fils de pauvres souvent, mais fils de bourgeois aussi ; car la tyrannie de l’autorité militaire, que les Riches ne peuvent imposer aux Pauvres sans en souffrir dans une certaine mesure, est tellement abominable qu’elle les pousse eux-mêmes à la révolte dès qu’elle se fait sentir à eux. Plus loin, je distingue un détachement de disciplinaires, haillonneux, sinistres, qui cassent des pierres sous l’œil d’infâmes chaouchs armés de revolvers (Voir Biribi, Armée d’Afrique). Le crime de ces hommes est d’avoir manqué à la discipline ; discipline odieuse, imbécile, et qui n’existe que parce que la Patrie n’est qu’une Blague au lieu d’être une Réalité. Voilà des êtres (et ils sont des milliers !) forts et intelligents pour la plupart, dont on ruine la santé et la raison, de parti pris. La France gaspille les hommes ; elle gaspille leur intelligence et leur force ; à l’heure où sa population décroît ; à l’heure où, tous les quatre ans, un contingent tout entier passe par l’ajournement ou est réformé ; à l’heure où la population de l’Allemagne augmente sans cesse ; à l’heure où la France peut être facilement envahie, non seulement par l’Est, mais par le Nord-Ouest — car la flotte du Nord et de l’Ouest de la France n’a pas la moitié de la puissance de la marine de guerre allemande ! — Et la France, la France de la Bourgeoisie catholique, répète que la force principale des armées, c’est la discipline. La force principale des armées, leur seule force, c’est le sentiment patriotique de l’Égalité ; c’est la conscience de la patrie réelle, de la terre appartenant également à tous ceux qui la défendent. Et la discipline est un crime, un crime commis pour entretenir l’inégalité et la misère, un crime atroce, un crime contre la Nation ! Ce ne sont pas ces forçats, que j’aperçois, qui sont des criminels ; ce sont ceux qui les envoyèrent au bagne. Ah ! ces hommes à képis noirs, à capotes grises !... Une envie me prend de vivre avec eux, de souffrir avec eux ; et de sortir de leur Enfer d’obéissance, et de revenir en France ; et de battre la charge, contre Prudhomme, sur un tambour de régiment !... Un nom que le mercanti prononce par hasard excite ma curiosité. Estelleville. Qu’est-ce que c’est que ça, Estelleville ? C’est un village, pas très loin, qui fut fondé après 1870 par des Alsaciens... Et toute une histoire très vieille, l’histoire de cette colonie d’émigrants alsaciens que Raubvogel créa en Algérie, me revient en mémoire. Dans l’après-midi, je me décide à pousser jusqu’à Estelleville. À peine un hameau ; quelques misérables masures autour d’un puits à l’eau saumâtre, des ruines, un immense cimetière. Quatre ou cinq familles, au type et à l’accent alsacien, vivent là. Un vieux se rappelle M. Raubvogel qui était, croit-il se souvenir, un ministre, et qui leur avait fait de belles promesses ; mais on n’a jamais connu que la misère, à Estelleville ; l’endroit n’est pas sain, non plus ; et le vieux étend la main dans la direction du cimetière. D’ailleurs, ces pauvres gens ne se plaignent point ; ils semblent trop abrutis pour ça ; ils regrettent seulement de ne pas être restés en Alsace, de ne pas être devenus Allemands. Le soir venu, le mercanti m’annonce que Fermaille trouvera moyen de s’échapper du camp, et que nous pouvons nous attendre à le voir arriver vers minuit. Il n’est pas beaucoup plus tard, en effet, lorsque nous entendons frapper timidement à la porte de la maison. Le mercanti va ouvrir, et revient avec un homme vêtu du costume pénitentiaire mais que, malgré son crâne complètement rasé, je reconnais immédiatement. C’est Fermaille. Lui aussi me reconnaît, et son trouble devient extrême ; il craint un piège, évidemment. J’ai beaucoup de peine à le rassurer, à le convaincre que je ne désire que son évasion. Il risque quelques objections ; il hésite à fuir le bagne ; c’est comme s’il craignait de faire tort à l’État de sa personne. Il persiste, malgré tout ce que je peux dire, à m’appeler continuellement : « Mon capitaine. » C’est avec le plus grand mal que nous le décidons à quitter sa défroque de galérien et à s’envelopper d’un burnous. De ce garçon, naturellement assez énergique, intelligent et frondeur, quelques mois de captivité ont fait un idiot, une chiffe... Le mercanti, sans bruit, a attelé une sorte de tape-cul. Il est une heure du matin comme nous partons, Fermaille, moi, et un jeune Maltais qui sert de domestique au mercanti, et qui doit ramener la voiture. Le petit cheval ne va pas mal, et il n’est guère plus de trois heures lorsque nous entrons dans Bône. Un peu avant d’arriver à la caserne des zouaves, nous descendons de la voiture, Fermaille et moi, et nous nous dirigeons à pied vers le port. Je reconnais bientôt le navire italien avec le capitaine duquel j’ai fait marché, il y a deux jours, avant d’aller à Macheda. Le capitaine, qu’un matelot a été chercher, paraît sur le pont, et nous montons à bord ; je verse à l’Italien la somme convenue, et je remets Fermaille entre ses mains. Puis, avant de descendre sur le quai, je donne à Fermaille un portefeuille qui contient vingt mille francs. C’est beaucoup, certainement ; mais je ne veux pas faire les choses à demi. Fermaille veut se jeter à mes pieds, m’assure de son éternelle reconnaissance, se confond en remerciements ; il trouve aussi que c’est beaucoup, vingt mille francs ; après tout, la liberté ne vaut peut-être pas cher, en monnaie française... Je suis obligé de faire signe au capitaine, qui fait disparaître Fermaille par une écoutille. De l’avant-port, au lever du jour, je vois le bateau se mettre en route, gagner la haute mer, se diriger vers l’Italie. Quelques heures après, je prends passage à bord d’un steamer anglais qui va à Malte, où je désire passer plusieurs jours. Après quoi, j’irai quelque part, je ne sais où. Pas en France ; j’en ai assez, pour le moment. Sans doute en Angleterre. Depuis un an environ je vis en Angleterre, principalement à Londres, m’efforçant de donner une forme précise, exacte, à des idées qui vibrent en moi, complètes et puissantes, mais qu’estropient et défigurent toutes les tentatives d’expression. À l’homme qui n’a jamais rien fait, tout travail est excessivement malaisé, presque impossible. Des difficultés plus grandes encore se dressent devant l’homme qui fait effort vers l’Action réelle, mais dont une longue habitude a tronqué les facultés et l’énergie, les ajustant aux courtes exigences du simulacre d’action. Voici une mine : les aptitudes. Quelque minerai en est arraché, à un pied ou deux de la surface ; transformé, par des procédés grossiers et faciles, en une mauvaise fonte ; mais il s’agit d’aller chercher au cœur même de la mine, par le travail persistant et dur qu’exige la perforation des puits et des galeries, la matière supérieure qu’un labeur ardu, compliqué, changera en un pur métal. On essaye, on peine, on trime. On se lasse, on se décourage, on renonce. Pourtant, agir ! agir... Et c’est toujours le même genre d’action qui se présente comme seul praticable, celui dont j’ai si longtemps fait le geste vain : l’épée au poing ; l’arme... Est-il possible, donc, qu’un homme porte en soi quelque chose d’énorme, de grand, et ne puisse pas l’exprimer, et ne puisse exposer, malgré tous ses efforts, que des déformations ridicules des réalités qu’il voudrait vivre ? Oui, c’est possible. Et la même impuissance, certainement, doit se manifester chez les peuples. Elle se manifeste, aujourd’hui, chez la nation française. La France d’à présent n’interprète pas la France ; la travestit, la trahit. Pourquoi ?... Parce que, peut-être, avant l’action intellectuelle, idéale, une autre action qui, pour ainsi dire, lui servira d’assise, doit s’effectuer ; l’action matérielle, brutale. Je n’ai pu réussir parce que je ne suis pas sûr de moi, sûr de la vie ; parce que je ne me sens pas libre. La France non plus n’est pas sûre d’elle-même ; ne sent pas la sécurité de l’existence ; n’est pas libre. On n’est pas libre quand on achète sa liberté ; on est libre quand on la prend, sa liberté ; quand on l’empoigne. Nous, nous sommes libres — au bout de cette chaîne de papier qu’on appelle le traité de Francfort. — Et nous payons, pour ça. Est-ce que nous payons les intérêts des cinq milliards, et des autres milliards, oui ou non ? On nous vend des bouts d’indépendance, un mensonge de liberté ; nous sommes acheteurs. Qui paye ? Les pauvres. J’aurais voulu écrire un livre sur les pauvres ; je n’ai pas pu. D’abord, pour écrire sur les pauvres, il faut les observer, les voir. C’est un hideux spectacle. C’est la servitude, non seulement volontaire, mais quémandée, mais achetée par les esclaves. J’aurais voulu montrer aux pauvres ce qu’ils dépensent d’efforts et d’intelligence, à croupir dans l’ignorance. J’aurais voulu leur faire voir ce qu’il leur faut de courage pour être lâches. Mais leur abjection est trop énorme, en vérité. Cette chair, étiquetée, à vendre, vendue, se méprise trop, me dégoûte trop. Dans tous les pays du monde les pauvres sont des troupeaux d’êtres vils, aimant leurs chaînes de papier, vénérant leurs gardes-chiourmes, pleins d’estime et d’admiration pour les laquais de leurs gardes-chiourmes, pour leurs valets d’épée et de plume. Toute une immonde racaille bourgeoise, grimauds, cabotins, et rapins — tourbe d’assassins et d’empoisonneurs que je voue à la mort — vit, prospère et multiplie sur l’argent donné par les pauvres, avec plaisir. Les pauvres se repaissent des ordures bourgeoises, s’en gavent. Et quant aux hommes qui leur parlent de liberté et d’égalité, quant aux hommes qui leur consacrent leurs forces, leur talent, leur vie — les pauvres n’en ont cure ; je suis sûr qu’ils les haïssent. La colère me saisit, quand je pense à ça ; et je souhaite une nouvelle Commune — pour la répression. J’aurais voulu crier aux Pauvres français : « On vous dit que votre pays s’est relevé de sa défaite de 1870. C’est un mensonge. On vous dit que vous êtes un peuple libre. Vous êtes des vaincus. On se rit de vous, partout, et on vous nargue. Situation honteuse, qu’ont seulement intérêt à prolonger ceux qui tiennent à conserver leur argent, leurs grades, — et leur peau. — Situation honteuse dont vous payez tous les frais et dont vous avez intérêt à sortir au plus vite. L’acceptation nette des faits accomplis, le désarmement complet, ne sont pas possibles. Vous, et vos voisins, vous êtes trop bêtes. Vous serez trop bêtes jusqu’à ce que les boulets de canon vous aient ouvert l’intellect. L’acceptation sournoise des faits accomplis, et le désarmement partiel ? Ce n’est pas une solution ; pourtant, le premier point a été réalisé par l’alliance russe, qui a ratifié le traité de Francfort. Quant au désarmement partiel et simultané des grandes puissances, on commence à vous l’offrir ; on vous le proposera, de plus en plus ouvertement, car on tient à ne point laisser trop longtemps entre vos mains des armes dont vous pourriez faire un mauvais usage. Économiquement, ce désarmement partiel ne changerait rien, tout compte fait, à votre situation. Politiquement, il resserrerait vos liens. Vous vivriez, esclaves bénis par l’Église, sous le knout d’une nouvelle Sainte-Alliance. Alors, la guerre ?... « Oui, la guerre. À quoi vous sert-elle, la paix actuelle ? À végéter, à crever. Les Riches en vivent, de cette paix. Ils vous font la guerre, pendant cette paix, et vivent de vous ; et vivent bien. Ils chantent les bienfaits de la paix, et ses beautés ; vous accompagnez le cantique avec les borborygmes de vos boyaux vides. Pourquoi donc que vous n’attaqueriez pas le refrain, pour voir, avec une clarinette de six pieds ? La Civilisation est un fléau, et l’Art une moquerie, et la Science un mensonge, lorsque la paix, comme aujourd’hui, est une imposture ; lorsqu’elle cause plus de désastres et plus de meurtres que la guerre ; lorsque tout le monde le sait, et que personne n’ose le dire. « La guerre ? À moins que vous ne soyez que des hordes de mercenaires idiots, elle vous donnera la liberté et le bonheur. Les grandes armées nationales ont pour mission nécessaire, forcée, de créer la réalité des patries, de donner la terre à l’homme. Les Riches le savent si bien qu’ils ne veulent d’une lutte européenne à aucun prix ; que l’idée seule d’un conflit les fait trembler ; qu’ils refusent, partout, de laisser étudier les conséquences d’une guerre ; qu’en France, quand Burdeau nomma un comité chargé de rechercher comment l’organisme social continuerait à fonctionner en temps de guerre, les autorités intervinrent et suspendirent l’enquête. Parbleu ! Les grandes armées nationales étant constituées en fait, les boulets tirés sur les ennemis ricocheraient sur l’Ennemi — sur l’affameur. — Pauvres ! n’ayez pas peur de la guerre ! Elle vous libérera. Elle tuera la Misère qui vous étrangle, et l’Hypocrisie qui vous ligotte. Elle vous donnera une patrie. Vous aurez la victoire — la victoire qui vous permettra de faire jaillir la fraternité internationale de votre Nationalisme réel. — Vous aurez la victoire, la plus glorieuse de toutes, lorsque vous tendrez la main à vos frères, délivrés aussi, par-dessus les corps éventrés de vos ignobles tyrans... » Mais un grand découragement s’empare de moi ; un fatalisme déprimant. — Pourquoi parler ? Je ne suis pas fait pour parler. L’épaulette, je le sens, est entrée comme une marque dans ma chair : je suis fait pour combattre. Et puis, tout n’a-t-il pas été dit pour pousser les esclaves à la liberté, pour les jeter au bonheur ? Tous les livres n’ont-ils pas été écrits, et tous les poèmes, et le plus grand de tous les poèmes — la Carmagnole ? — Vive le son du canon ! Et c’est juste comme je fredonne, une après-midi, à Hyde Park, le refrain de la chanson splendide, que je vois passer à côté de moi une dame qui sourit ; j’ai à peine eu le temps de la reconnaître qu’elle m’aborde. C’est la baronne de Haulka. ⁂ Certes, si j’avais pu apercevoir à une certaine distance la baronne de Haulka, je me serais arrangé de façon à l’éviter. Quant à la baronne, elle se dit enchantée de me rencontrer, et elle semble considérer une conversation entre nous comme la chose la plus naturelle. La froideur de mon attitude ne paraît pas la gêner ; on dirait qu’elle ne s’en aperçoit pas. Elle me parle comme à un ami de longue date. Elle m’apprend qu’elle est venue passer cinq ou six semaines à Londres. Elle s’exprime avec tant de laisser-aller, de bonhomie, que je sens ma défiance et ma rancune fondre peu à peu, et malgré moi. Je me laisse entraîner à dire deux mots de mes affaires, puis trois ; et j’arrive aux confidences. J’avoue que je suis un peu las de mon existence présente, et que... — Vous regrettez votre épaulette, interrompt la baronne au moment où j’hésite à continuer ma phrase. Eh ! bien, pourquoi ne la reprenez-vous pas ? Vous aviez un si bel avenir ! Après tout, quoi qu’on en dise, les gens d’intelligence arrivent toujours à faire leur chemin dans l’armée ; des obstacles peuvent être placés sur leur route, mais un peu de patience leur permet d’en triompher. À propos, je me rappelle que vous étiez lié avec le capitaine de Bellevigne ; savez-vous qu’il doit être nommé commandant le mois prochain ? Son mariage lui a porté bonheur. Étiez-vous encore en France lorsqu’il a épousé Mlle Pilastre ? Un gros sac..... Allons ! où ai-je la tête ? N’avez-vous pas été amoureux de Mlle Pilastre ?..... Voyons, au moins un peu ? Je crois me rappeler quelque chose comme ça. Si je ne me trompe pas, vous avez eu tort de pas pousser votre pointe. La présente Mme de Bellevigne ne vivra pas vieille ; et, dame ! un bel héritage. Ah ! si vous m’aviez consultée !... Je suis légèrement abasourdi, et ne sais trop que dire. La baronne, évidemment, n’a pas la moindre intention de me convaincre de sa bonne foi ; elle m’indique simplement ce qu’elle préfère me voir faire semblant d’admettre. Elle continue : — Je me suis toujours souvenue de cette visite que vous m’avez faite... vous rappelez-vous ? au sujet de votre père... C’était tellement singulier ! Nous étions tous deux, au même moment, menacés par Lahaye-Marmenteau. Entre nous, cet homme est toqué, pour ne pas dire plus. Il voulait alors me faire expulser, ainsi que je vous l’ai dit. Huit jours après, nous étions les meilleurs amis du monde. Expliquez des caractères pareils. L’amitié, d’ailleurs, n’a point été éternelle. Nous sommes, à présent, à couteaux tirés. Je m’en console, vous pouvez m’en croire. Mais vraiment, ce guerrier devrait se purger, comme disaient vos poètes du XVIIe siècle, avec quelques grains d’ellébore ; après tout, peut-être son manque d’équilibre cérébral lui assure-t-il quelque joie. « Il y a à être fou, écrivait Dryden, un plaisir que les fous seuls connaissent. » Vous voyez que j’ai ma façon à moi d’expliquer les choses. Je m’en aperçois, en effet. Après avoir fait silencieusement quelques pas dans Rotten Row, la baronne reprend : — Lahaye-Marmenteau voulait me faire expulser comme espionne. L’invention était comique ! Moi qui ai toutes mes relations dans l’armée et la diplomatie ! Remarquez que je ne voudrais pas médire de l’Espion. Il a son utilité dans notre système social ; c’est incontestable. Il consolide des liens ; ou les dénoue ; comme on veut. Il achète, surprend, livre et vend des secrets dont la plupart sont des mensonges. Il contribue donc ainsi au triomphe de la vérité. Il est l’ennemi-né de toutes les choses clandestines ; par conséquent, de l’hypocrisie. Pourquoi lui jeter la pierre ? Et puis, toujours juger ! Vouloir que la certitude des perceptions, qui n’existe point dans le monde physique, existe dans le monde moral ! Il ne faut pas oublier, non plus, que l’espion aime son pays. Aimer son pays est beau. C’est grand. Moi, par exemple, bien que mes sympathies intellectuelles soient toutes françaises, je n’ai jamais oublié que je suis Allemande. Je ne condamne même pas complètement le chauvinisme d’à présent. Je pense que le sentiment cosmopolite du XVIIIe siècle, un peu grossier, doit s’épurer en passant par notre période de patriotisme étroit et hystérique. Oui ! l’amour de la patrie est vraiment beau ! Voilà pourquoi, pensant ainsi, j’ai toujours aimé le soldat. Voilà pourquoi l’aiment les peuples, dont le cœur est simple et franc ; voilà pourquoi ils le vénèrent spécialement dans l’histoire ; et même dans cette poétique et puissante transfiguration de l’histoire qui s’appelle la légende. À mon avis, la légende est souvent supérieure, même en véracité symbolique, à l’histoire. Je l’ai dit plusieurs fois à votre père qui, un jour, à ma grande joie, adopta mon opinion... À propos, vous n’ignorez pas, j’espère, que le monument qu’on doit élever par souscription publique au général Maubart, à Nourhas, sera inauguré dans deux mois ?... Je l’ignorais. La baronne se récrie. Comment ! Est-ce possible ? Moi, le fils du général !... Enfin, la France, elle, n’oublie pas. Et Mme de Haulka, se faisant très amie, presque maternelle, m’assure que je devrais profiter de cette occasion pour demander ma réintégration dans l’armée. Elle m’apprend qu’elle peut m’être utile. Je n’ai qu’à essayer. Elle répond du succès. ⁂ La baronne ne se vantait pas. Elle m’a été fort utile. Peu de temps après notre première rencontre, c’est-à-dire vers le 20 juin 1898, j’ai reçu notification du fait que je suis affecté au régiment d’infanterie qui tient garnison à O... Il est entendu qu’on considérera le temps passé par moi à l’étranger comme ayant été consacré à une mission spéciale. J’aurai simplement à dire ce que je pense de l’armée anglaise. Pas difficile. Je n’aurai rien à dire. Avant de quitter Londres, j’ai revu plusieurs fois Mme de Haulka, qui s’est toujours montrée fort aimable pour moi. (Ici, je dois ouvrir une parenthèse. On a prétendu, je le sais, que la baronne m’avait remis des documents intéressant le général de Lahaye-Marmenteau et plusieurs de ses collègues, documents dont la possession m’assurait la neutralité et même la bienveillance des personnages en question. C’est un point que je ne veux pas discuter.) Quelques jours avant mon départ, un matin, je me trouve nez à nez, au coin d’une rue, avec une jeune femme qui pousse un cri en m’apercevant. C’est la Môme-Chichi. Elle me raconte une histoire touchante. Elle est venue à Londres retrouver Fermaille, qui exerce avec succès son métier de ciseleur dans la capitale britannique ; elle n’aime pas beaucoup l’Angleterre, mais le devoir avant tout. Elle est si heureuse de me rencontrer ! Et Fermaille aussi sera si content !... Comment ? Elle s’explique. Fermaille a reconstitué les 20.000 francs que je lui ai donnés à Bône, et avait déjà cherché à se procurer mon adresse, afin de me les renvoyer. Si je voulais venir, demain, chez eux, il me remettrait la somme en mains propres. Mais, certainement... Je viens. Fermaille, avec des remerciements infinis, m’offre de me rendre les 20.000 francs immédiatement. J’accepte. Comme j’empoche la somme, il me demande si je crois qu’il pourra un jour rentrer en France. Je lui réponds que je prendrai des informations et l’aviserai. La Môme-Chichi, tout émue d’une pareille condescendance, m’admire. Moralement, elle s’agenouille devant moi. Relève-toi, créature de Dieu !... Ne croyez pas que je vais m’emballer ; j’ai simplement l’intention de vous faire comprendre que la Môme-Chichi ne m’en veut pas plus que son amant, et que pour ma part je ne lui garde pas rancune. Notre réconciliation, du reste, est scellée chez moi, le soir même. L’apposition des scellés (ou des sceaux) ne dure guère qu’une petite heure. Mais il est entendu qu’après-demain matin, j’enlève la Môme-Chichi. Je l’emmène en France avec moi. Cependant, après le départ de ladite Môme-Chichi (et voici un passage que je conseille aux femmes de méditer), je réfléchis. Je perçois clairement que la France est pleine de Mômes-Chichi ; en vérité, il n’y a guère que de ça, en France, des bêtes de somme en puissance de maris et de la paillasse à curés ; alors, à quoi bon réimporter l’objet ? Je me décide donc à partir, non le surlendemain matin, mais le lendemain matin — tout seul. C’est aujourd’hui qu’a lieu l’inauguration du monument élevé à mon père. D’abord, j’avais résolu de ne point assister à cette cérémonie ; inutile de vous donner mes raisons. Mais mon absence aurait été remarquée, commentée ; et du moment que je suis rentré dans l’armée... Je me suis donc rendu à Nourhas ; j’y suis arrivé hier soir. Un gros village, déjà pavoisé, enguirlandé de chapelets de lampions ; masures piteuses, vieilles, sales ; demi-chaumières dont l’agglomération hasardeuse fut récemment bastionnée d’énormes bâtiments industriels, construits de brique. Au centre, une grande place où se tient le marché, au milieu de laquelle s’élève la statue que des toiles verdâtres cachent aux regards ; une église cagneuse grimace dans un coin ; une fontaine larmoie dans un autre. Le pavé est horrible, rhumatismal ; et des auberges, des caboulots, sur les quatre faces étalent leurs enseignes : « Au Héros de Nourhas. — Au Glorieux Vaincu. — À la Belle Vue du Héros. » J’étais arrivé hier soir et je m’étais logé dans une sorte d’hôtel, au bout du village, près de la gare. J’avais donné l’ordre qu’on me réveillât de bonne heure. Et ce matin, avant six heures, je sors et je gagne la campagne. Je m’efforce de retrouver les endroits dont mon oncle, l’année dernière, m’a donné la description. Voici la plaine, le bois dont il m’a parlé ; je m’avance le long de la route par où sont arrivés les Allemands. Ah ! je voudrais pouvoir douter du récit qui m’a été fait. Je cherche à interroger les lieux, à leur arracher la vérité. Ils sont muets. Ils ont oublié. — Non ; ils n’ont jamais su. — Dans sa hautaine indifférence, la terre est prête encore pour de nouvelles tueries, si la sottise humaine le veut — si l’intelligence humaine l’exige. — Je marche vers une colline, là-bas ; un océan de feuillage se brise, à sa base, en une odorante écume. Ça sent le bonheur, on dirait. Doux, aussi, et chargé de mémoires anciennes, de passer le petit ruisseau qui chantonne sur les cailloux blancs. Et les sentiers pleins d’une buée transparente, qu’on devine montant comme une marée d’air, lavée par la rosée... Je reviens sur mes pas. Un beau pays, la France ; mais... Un bâtiment blanc sur une éminence, tout au bout de la grande plaine qui précède le village ; la ferme de la Chevrette, sûrement ; si j’allais là ? Je suis bien reçu à la ferme. Elle est habitée par la même famille qui l’occupait en 1870. Trois générations, à présent. Un vieux et une vieille, de soixante-dix ans environ ; leurs enfants, deux garçons et une fille, de trente à quarante ans ; les petits-enfants, de cinq à dix-huit. Est-ce que ces braves gens ont quelque souvenir du glorieux fait d’armes dont leur ferme fut le théâtre ? Pour sûr ! Ils en sont pleins, de souvenirs ; l’enfant de cinq ans, lui-même, en a. Et c’était un colonel qui commandait les Français ? Oui, un colonel ; un colonel avec cinq galons sur ses manches. — Un colonel ; oui, Monsieur, affirme l’homme de quarante ans ; le colonel Maubart. Je n’avais guère que douze ans, alors, mais je m’en souviens comme si c’était hier. Le colonel Maubart a dit comme ça, en entrant : « Nous allons mourir pour la France ! » Oui, Monsieur... La vieille, assise dans un coin, essaie de dire quelque chose ; mais le vieux lui coupe la parole : — Moi, Monsieur, j’étais dans cette chambre, quand il est entré avec son bataillon. Même qu’il m’a dit : « Nous allons mourir pour la France ! » qu’il m’a dit, dit-il... — Veux-tu te taire ! glapit la vieille, de son coin ; t’étais dans le bois avec les p’tiots, vieux capon... T’as rien vu, rien de rien... Y n’vous disent que des menteries, monsieur, ajoute-t-elle, en se tournant vers moi ; j’étais toute seule ici, quand y sont venus. Y avait pas pus de colonel qu’y en a aujourd’hui, l’bon Dieu m’est témoin. Y avait qu’un sergent, et pis v’là tout. À preuve qu’y m’a dit : « Allez donc vous cacher dans le cellier, la mère ; c’est pas la peine que vous gobiez une prune. » À preuve... Mais des exclamations indignées couvrent la voix de la vieille. Mari, enfants, petits-enfants, hurlent en même temps. La grand’mère a perdu la tête ; elle ne sait plus ce qu’elle dit ; elle bat la breloque. Un sergent ! Un sergent défendant la ferme de la Chevrette ! Est-ce possible !... Un colonel, Monsieur, le colonel Maubart... Je sors de la ferme, écœuré. Tout est imposture, ici et ailleurs. — Est-ce qu’un petit nombre de Français à l’âme haute, persécutés toujours, et affreusement, dans leur pays, n’ont pas donné au monde l’illusion d’une France généreuse, noble et libre ? La légende, partout. La légende dominant des troupeaux qui n’ont point conscience d’eux-mêmes, le cerveau fangeux, la chair faite de mensonge. Dès le matin, donc, c’est le dégoût qui m’envahit. ⁂ Les personnages officiels sont arrivés. Un banquet a eu lieu, au cours duquel on a porté beaucoup de toasts à beaucoup de choses. Et maintenant, en présence de notabilités de tout ordre, au son des instruments des musiques locales, les toiles qui masquaient le monument viennent de tomber. Sous les rayons d’un soleil aveuglant, le bronze apparaît dans toute son horreur. Vous connaissez la statue. C’est la même que les autres. On en a mis partout. Une grande question, j’ai oublié de vous le dire, s’était posée devant l’esprit patriotique du Comité qui prit l’initiative de l’érection du monument : représenterait-on mon père en uniforme de colonel, ou en uniforme de général ? On s’est décidé pour l’uniforme de général. Mon père, a fait valoir quelqu’un, non seulement avait été héros en 1870, mais depuis il avait continué. L’argument était sans réplique. Le sculpteur, homme de génie original, et qu’on va décorer, a osé représenter mon père tête nue. Voilà de la hardiesse ; tout le monde loue l’audace du sculpteur. En France, on aime l’audace... La chaleur est étouffante. Pas d’air, pas un souffle de vent. Au loin, l’orage gronde..... Et la longue série des discours va commencer. Une grande lassitude s’est emparée de moi ; je ne me sens pas bien ; ah ! que je voudrais que tout cela fût terminé !..... Courbassol, ministre de la Justice, qui représente le gouvernement, prend la parole. — Il y a moins de trente ans, dit-il, la terre sur laquelle s’élève le glorieux monument que nous inaugurons aujourd’hui, et qui est maintenant sillonnée par les soldats français, était occupée par les armées étrangères ; et quand nous comparons la France d’alors, désemparée, à bout de forces, à la nation vigoureuse qui revit sous nos yeux dans sa mâle vitalité, nous éprouvons une douce consolation et un légitime sentiment de fierté ! Courbassol, pourtant, déclare que cette fierté ne va pas jusqu’à l’enivrement. Si son patriotisme est ardent, il sait se contenir ; il grandit dans le silence ; il se recueille. Mais, il faut qu’on le sache bien, le jour où la France serait obligée de se lever..... — Il s’est produit, s’écrie-t-il, des sectes qui ont nié la patrie ; et de nos jours, sous nos yeux, quelques adeptes de ces folies maladives balbutient parfois je ne sais quelle malsaine négation ; mais la conscience nationale les réprouve ; et leur âme noire est obligée de rougir de ses blasphèmes... Non ! on ne renie pas la patrie. Ce serait renier son père et son berceau ! Je me sens de plus en plus mal ; ma faiblesse augmente de moment en moment. — L’homme que nous honorons aujourd’hui nous offre l’exemple du patriotisme le plus pur et le plus désintéressé. C’était un héros. C’était, dans toute la force du terme, un caractère. C’était une âme droite, une âme d’acier, forgée dans les temps antiques sur l’enclume du devoir, messieurs !..... Cette dernière phrase est saluée par des acclamations enthousiastes. Ah ! cela ne finira donc pas... Courbassol continue, de sa voix qui bourdonne : — Ce qui a distingué le général Maubart, c’est son respect du gouvernement établi ; du régime que le pays s’est librement donné. Et qu’on ne vienne pas nous dire que la piété et les sentiments démocratiques sont inconciliables. Le héros de Nourhas a su allier une dévotion exemplaire à la fidélité la plus étroite aux institutions républicaines !.... Des applaudissements éclatent et retentissent douloureusement dans ma tête ; c’est comme s’ils ne devaient jamais cesser. Le bruit change, change, se transforme en une clameur de plus en plus distante. Et j’ai une vision, tout d’un coup : un champ de bataille, immense, couvert de blessés qui râlent, de morts ; c’est la nuit. Et l’aube verdit ; rougeoie ; et des tambours battent ; et des tocsins sonnent à des beffrois ; et les blessés se lèvent ; et les morts se lèvent ; et les blessés et les morts s’élancent, derrière un homme qui tient un drapeau rouge ; et puis, il n’y a plus que du feu, partout ; et puis..... Nous n’avons pas été vaincus !... ⁂ Je reprends connaissance dans la salle d’une auberge où l’on m’a transporté. Je m’étais évanoui, il y a quelques minutes, sur la place : la qualité des vins du banquet, la colère, l’ennui, la chaleur..... je ne sais pas. On a déboutonné mon dolman, ouvert ma chemise ; plusieurs personnes, qui étaient dans la salle, sortent dès qu’elles me voient reprendre mes sens ; une vieille femme, seule, reste à mes côtés. Courbassol, sur la place, continue son discours ; il crie : — Oui, c’est Gambetta, pour lequel le général Maubart avait une si vive admiration, qui a posé la fondation de ce courant de liberté, de cette grande vague de patriotisme qui nous emplit d’une légitime fierté ! Formidable, un coup de tonnerre couvre les applaudissements. Je m’approche d’une fenêtre. D’un ciel couleur d’encre, les ténèbres tombent, comme un couvercle énorme ; une marée d’air froid balaye le sol ; les faces de la foule se décomposent, verdissent ; les façades des maisons sont blêmes ; les drapeaux tricolores se violacent, palpitent comme des ailes d’oiseaux faibles fuyant devant la tempête... Il y a un silence. Mais la voix de Courbassol, toute secouée de peur, s’élève pourtant : — Et savez-vous, messieurs, ce qui constitue la principale grandeur, la supériorité de notre brave armée ? C’est qu’elle est l’armée démocratique, nationale. C’est qu’elle est l’armée de la République, du gouvernement de tous par tous et pour tous, soucieux des humbles, épris d’idéal, fidèle à la grande devise française scellée de notre sang : Liberté, Égalité..... Et l’orage crève. Des éclairs déchirent la nue de sillons livides ; la foudre gronde, roule son fracas, éclate ; les maisons tremblent ; des trombes d’eau s’abattent sur la place. Elle est vide tout d’un coup, cette place. Ç’a été une fuite soudaine, une débandade, un sauve-qui-peut. Foule, pompiers, fonctionnaires, musiciens, orateur, ont disparu. Un torrent, que grossit la pluie diluvienne, cache le pavé, vient écumer contre les murs. Aux fenêtres vite fermées pendent les restes des guirlandes et des lampions, des guenilles qui furent les drapeaux. Et derrière les vitres de ces fenêtres, partout, en haut, en bas, j’aperçois des visages blafards — des bouches ouvertes comme hébétées par l’inattendu qui termina la fête lamentable, des yeux fixés sur la statue... La statue ; le simulacre qui regarde ces figures-là ; qui les regarde, le front haut, fier, dans une pose de défi ; dans une pose de défi que je comprends, tout d’un coup. Et je les contemple, plein d’une amertume désespérée, — face à face, séparés par le verre que fait trembler la foudre, le peuple-souverain, Blague de chair, et la statue, Mensonge de bronze... Londres, 1900-1901. |
Sainte Lydwine de Schiedam/Texte entier | Joris-Karl Huysmans Sainte Lydwine de Schiedam Plon-Nourrit, 1912 (p. 11-372). bookSainte Lydwine de SchiedamJoris-Karl HuysmansPlon-Nourrit1912VHuysmans - Sainte Lydwine de Schiedam (1912).djvuHuysmans - Sainte Lydwine de Schiedam (1912).djvu/711-372 AVANT-PROPOS La vie de sainte Lydwine a été successivement écrite par trois religieux qui furent, tous les trois, ses contemporains : Jan Gerlac, son parent, sacristain du monastère augustin de Windesem. Il vécut, pendant de longues années, auprès de la sainte, dans sa maison même, et il nous raconte de visu son existence. Jan Brugman, frère mineur de l’Observance. Il reprit l’histoire de Gerlac qu’il traduisit du teuton en latin et il l’amplifia surtout avec les renseignements que lui fournit Jan Walter de Leyde, le dernier confesseur de Lydwine. Thomas A Kempis, sous-prieur des chanoines augustins du Mont Sainte-Agnès, près de Zwolle ; sa relation est un abrégé de celle de Brugman, mais elle contient des détails inédits qu’il recueillit dans l’entourage de la Bienheureuse, à Schiedam même. Je note enfin, pour mémoire, un résumé de ces livres, rédigé, plus tard, au XVIe siècle, par Surius, et d’anciennes traductions françaises du texte de Brugman, éditées au XVIIe siècle par Walrand Caoult, prêtre, Douay, in-12, 1600 ; par Michel d’Esne, évesque de Tournay, Douay, in-12, 1608 ; par le P. Thiersaut, Paris, in-12, 1637. Quant aux biographies modernes, il en sera question plus loin. Les monographies de Gerlac et de Brugman ont été imprimées et annotées par Enschenius et Papebroch dans la collection des Bollandistes, les Acta sanctorum. Jan Gerlac fut un écrivain renommé dont les Soliloques sont encore, au point de vue ascétique, recherchés ; il fut, d’après le témoignage de ses contemporains, un très fervent et un très humble moine ; — Jan Brugman, un ami de Denys le Chartreux, est cité par Wading, dans les Annales de son ordre, comme l’un des prédicateurs célèbres de son siècle ; il l’atteste admirable et par la noblesse de son éloquence et par l’ampleur de ses vertus ; — Thomas A Kempis, un des auteurs présumés de l’Imitation de Jésus-Christ, naquit la même année que Lydwine et mourut, en odeur de sainteté, en 1471, après avoir écrit toute une série d’œuvres mystiques dont plusieurs traductions françaises furent tentées. Ces trois hagiographes sont donc des gens connus et dignes, par leur situation et par leur probité d’âme, d’être crus ; l’on doit ajouter encore que les détails de leurs ouvrages peuvent se contrôler avec un procès-verbal officiel que rédigèrent, après une attentive et minutieuse enquête, les bourgmestres de Schiedam, du temps même de la sainte, dont ils passèrent la vie au crible. Il n’y a donc pas de livres historiques qui se présentent, ainsi que les leurs, dans des conditions de bonne foi et de certitude plus sûres. Cela dit, il faut bien avouer qu’une histoire de Lydwine est, grâce à eux, un écheveau qu’il est fort difficile de débrouiller. Il est, en effet, impossible d’adopter l’ordre chronologique ; Brugman déclare tranquillement « qu’il jugerait inconvenant de procéder de la sorte » ; sous le prétexte d’être plus édifiant, il groupe les scènes de la vie de la Bienheureuse, suivant la liste de ses qualités qu’il s’apprête à faire ressortir ; avec cette méthode qui est également celle de Gerlac et d’A Kempis, il n’y a pas moyen de savoir si tel événement qu’ils nous rapportent eut lieu avant ou après tel autre qu’ils nous racontent. Cette façon d’écrire l’histoire était celle, d’ailleurs, de tous les hagiographes de cette époque. Ils narraient, pêle-mêle, des anecdotes, ne s’occupant qu’à classer les vertus, afin d’être à même de tirer, à propos de chacune d’elles, un tiroir de lieux-communs qui pouvaient s’adapter, du reste, à n’importe quel saint ; ils entrelardaient ces pieuses rengaines de citations des psaumes, et c’était tout. Il semble, à première vue, qu’il y ait moyen de remédier à ce désordre, en extrayant et en comparant les dates éparses, çà et là, dans les livres des trois écrivains et en les utilisant, ainsi que des points de repère, pour ponctuer la vie de la Bienheureuse ; mais ce système n’aboutit nullement aux résultats promis. Gerlac et Brugman nous apprennent bien parfois qu’une aventure qu’ils relatent survint aux environs ou le jour même de la fête de tel saint ; l’on peut évidemment, à l’aide de cette indication, retrouver le quantième et le mois, mais pas l’année qu’ils omettent de spécifier ; les dates plus précises qu’ils accusent, Gerlac surtout, n’ont trait bien souvent qu’à des épisodes de minime importance et elles ne concordent pas toujours avec celles de Thomas A Kempis. Très méticuleux quand il s’agit de noter les fêtes liturgiques, celui-ci nous fournit un certain nombre de chiffres, mais comment s’y fier ? Ses dates, dès qu’on les examine de près, sont inexactes ; c’est ainsi qu’il fait mourir une nièce de Lydwine, Pétronille, en 1426, alors qu’il nous la montre assistant chez sa tante à une scène où elle fut blessée, en 1428. L’une des deux dates est par conséquent fausse, la seconde, très certainement, car le chiffre de 1425 donné par les deux autres écrivains paraît, cette fois, certain. Fussent-elles même toujours d’accord entre elles, ces dates, et justes, qu’il n’en resterait pas moins à emboîter au hasard entre tel ou tel fait datés d’autres qui ne le sont pas ; et ce classement, rien ne l’indique. Quoi que l’on fasse, il faut donc renoncer à la précision chronologique en ce récit. D’autre part, dans l’œuvre des trois biographes figurent plusieurs personnages qui sont les amis et les garde-malades de Lydwine et aucun renseignement ne nous est laissé sur eux ; ces comparses s’agitent, à la cantonade, viennent d’on ne sait où et finissent on ne sait comme ; enfin, pour aggraver la confusion, trois des confesseurs de la sainte s’appelèrent Jan. Or, au lieu d’ajouter à ce prénom le nom de famille ou de ville qui les distingue, la plupart du temps, les trois religieux n’écrivent que le prénom, si bien que l’on ignore si le confesseur Jan dont il est question à propos de tel ou de tel incident, est Jan Pot, Jan Angeli, ou Jan Walter. C’est, on le voit, un tantinet, le gâchis. Je ne me flatte nullement de l’avoir élucidé. Je me suis servi, pour condenser cette vie, des trois textes de Gerlac, de Brugman et d’A Kempis, complétant leurs anecdotes les unes par les autres et j’ai rangé les événements qu’ils retracent suivant l’ordre qui m’a semblé être, sinon le plus rigoureux, au moins le plus intéressant et le plus commode. En sus des histoires de France, d’Angleterre, des Flandres, de la Hollande et autres pays et de la chronologie universelle de Dreyss, j’ai dû consulter pour cet ouvrage une série de volumes dont voici la liste : ⁂ Acta Sanctorum, aprilis, tomus secundus, pages 270-365, édition des Bollandistes, Palmé, Paris, 1866. Une traduction anonyme du texte de Brugman, concernant Lydwine, a paru en un volume à Clermont-Ferrand en 1851, puis à Paris, sans date, chez Périsse. Elle est très incomplète et par suite d’une extravagante pudibonderie, volontairement inexacte. Quant au texte de Gerlac, le plus alerte, le plus vivant des deux, il n’a jamais été translaté du latin en français. Ven. viri Thomœ A Kempis opera omnia, 1 vol. Coloniæ Agrippinæ, apud Joannem Busæum, MDCLX, pages 143-207. Une traduction de la vie de Lydwine et de Gérard le Grand, extraite de ce livre par le P. Saint-Yves, a été éditée chez Victor Sarlit, à Paris, sans date. — Elle forme le tome VII des Œuvres spirituelles de Thomas A Kempis. La Vie de la Très saincte et vrayment admirable Vierge Lydwine, tirée du latin de Jean Brugman, de l’ordre de Saint-François, et mise en abrégé par Messire Michel d’Esne, évesque de Tournay, 1 vol., à Douay, de l’imprimerie de Baltazar-Bellière, au Compas d’Or, l’an 1608. Ce petit livre, très rare, se borne, en y adjoignant quelques détails personnels, à résumer, en 80 pages, la biographie de Brugman. Vie de la Bienheureuse Lydwine, vierge, modèle des infirmes, par M. l’abbé Coudurier, Paris, 1 vol., Ambroise Bray, 1862. Cette biographie, tissée avec les vies expurgées des Acta Sanctorum et celle d’A Kempis, est agrémentée, à la fin de chacun de ses chapitres, de pieuses réflexions et de sages conseils. Elle vient d’être rééditée par la maison Victor Retaux, à Paris. ⁂ La Flamboyante Colomne des Pays-Bas autrement dict des XVII provinces, 1 vol., Amsterdam, chez Jacob Colom, 1636. Natales Sanctorum Belgii, auctore Joanne Molano, 1 vol., Duaci, typis viduæ Petri Borremans, sub signo SS. Apostolorum Petri et Pauli, 1616. L’Abrégé du Martyrologe ou Hagiologe Belgic, ou recueil des Saincts et Bien-heureux du Païs-Bas, par Bauduin Villot, Binchois, S.J., 1 vol., Lille, chez Ignace et Nicolas de Rache, au Soleil d’Or, 1658. La Hollande Catholique, par Dom Pitra, O.S.B., 1 vol., Paris, Bibliothèque nouvelle, 1850. Particularités curieuses sur Jacqueline, duchesse de Bavière, comtesse de Hainaut, de Hollande et de Zèlande, etc., par Léopold Devillers, 1 vol., Mons, Dequesne-Masquillier, 1879. ⁂ Principes de Théologie mystique, par le R.P. Séraphin, 1 vol., Paris et Tournai, Casterman, 1873. Principes de Théologie mystique, par Mgr Chaillot, 1 vol., Paris, Hervé, 1866. La Mystique divine, naturelle et diabolique, par Görres, 5 vol., Paris, Poussielgue-Rusand, 1861. La Mystique divine distinguée des contrefaçons diaboliques et des analogies humaines, par Ribet, 3 vol., Paris, Poussielgue, 1879. Vie et œuvres spirituelles de saint Jean de la Croix, 4 vol., Paris, Oudin, 1890. La Vie spirituelle et l’oraison d’après la Sainte Écriture et la tradition monastique, Solesmes, imprimerie Saint-Pierre et Paris, Retaux, 1899. Les Stigmatisées, par le Dr Imbert-Gourbeyre, 2 vol., Paris, Palmé, 1873. La Stigmatisation, par le même, 2 vol., Clermont-Ferrand, Bellet et Paris, Vic et Amat, 1894. ⁂ Essai sur le mysticisme spéculatif en Allemagne au XIVe siècle, par H. Delacroix, 1 vol., Paris, Félix Alcan, 1900. Étude sur les mystiques des Pays-Bas, au moyen âge, par Auger. Collection des mémoires publiés par l’Académie royale des sciences, lettres et beaux-arts, en Belgique, avril 1882, tome XLVI. Introduction aux œuvres choisies de Thomas A Kempis, Étude sur la mystique dans les Flandres et les Pays-Bas, par Sigismond Ropartz, Paris, Waille, sans date. ⁂ Les Petits Bollandistes, de Mgr Guérin, 17 vol., plus 3 de suppléments, par Dom Piolin, O.S.B., Paris, Bloud et Barrai, sans date. Les Fleurs de la vie des Saints de Ribadeneira, 2 vol. in-fol., Paris, Christophe Journel, 1687. Dictionnaire des ordres religieux, par le R.P. Helyot, 4 vol., Paris, Migne, 1847. Tableau historique du monachisme occidental, par Dom Bérengier, O.S.B., 2e édition, Solesmes, 1892. Histoire de l’Église, par l’abbé Hemmer, 2 vol., Paris, Colin, 1895. Dictionnaire des hérésies de Pluquet, 2 vol., Paris, 1764. Histoire et filiation des hérésies, par l’abbé Morère, 1 vol., Paris, Poitiers, Oudin, 1881. ⁂ Essai historique sur l’abbaye de Cluny, par Lorain, 1 vol., Dijon, Popelain, 1839. L’Abbaye de Mont-Olivet-Majeur, par Dom Grégoire Thomas, O.S.B., 1 vol., Florence, 1881. Le Ménologe du Carmel, par le R.P. Ferdinand de Sainte-Térèse, carme déchaussé, 3 vol., Société de Saint-Augustin, Bruges et Paris, 1879. Vies des Saints et Bienheureux de l’ordre de Saint-François, par le R.P. Léon, franciscain, 1 vol., Paris, Bloud et Barrai, 1887. Vie de saint Bruno, avec diverses remarques, par le P. de Tracy, théatin, 1 vol., Paris, 1785. Denys le Chartreux, par Mougel, 1 vol., Montreuil-sur-Mer, imprimerie de la Chartreuse de Notre-Dame-des-Prés, 1896. ⁂ Vie de la Bienheureuse Marie d’Oignies, traduite du latin du cardinal de Vitry, 1 vol., Nivelle, chez l’imprimeur Pion, 1822. Sainte Brigitte, par la comtesse de Flavigny, 1 vol., Paris, Oudin, 1892. Sainte Catherine de Sienne, par le Bienheureux Raymond de Capoue, traduction Cartier, i vol., Paris, Sagnier et Bray, 1853. Sainte Françoise Romaine, par Dom Rabory, O.S.B., 1 vol., Paris, librairie catholique internationale, 1886. Sainte Françoise Romaine, traduite des Acta Sanctorum, par un vicaire général d’Évreux, 1 vol., Paris, Périsse, sans date. Sainte Françoise Romaine, par la comtesse de Rambuteau, 1 vol., Paris, Lecoffre, 1900. Sainte Colette, par l’abbé Douillet, curé de Corbie, 1 vol., Paris, Bray et Retaux, 1869. La Bienheureuse Jeanne de Maillé, par Bourassé et Janvier, vol., Tours, Marne, 1873. Saint Bernardin de Sienne, par Thureau-Dangin, 1 vol., Paris, Pion, 1897. Saint Vincent Ferrier, par le P. André Pradel, de l’ordre des Frères Prêcheurs, 1 vol., Paris, Veuve Poussielgue-Rusand, 1864. La Vie et les œuvres spirituelles de Catherine d’Adorny de Gennes, 1 vol., Paris, chez Martin Durand, rue Saint-Jacques, au roy David, 1627. Sainte Catherine de Gênes, Vie et œuvres, par le vicomte de Bussière, 1 vol., Paris, Allard, sans date. Sainte Térèse, sa Vie écrite par elle-même, traduite par le P. Marcel Bouix, S.J., tome I des œuvres, Paris, Lecoffre, 1884. Histoire de sainte Térèse (par une carmélite), 2 vol., Paris, Retaux-Bray, 1887. Vie de sainte Catherine de Ricci, par le P. Bayonne, de l’ordre des Frères prêcheurs, 2 vol., Paris, Poussielgue frères, 1873. La Vie de sainte Madeleine de Pazzi, par le P. Lézin de Sainte-Scolastique, 1 vol., Paris, Sébastien Cramoisy, 1670. La Vie de sainte Madeleine de Pazzi, par Fabrizzi, 1 vol., Lyon et Paris, Pélagaud, 1873. Vie de Marguerite du Saint-Sacrement, par de Cissey, 1 vol., Paris, Ambroise Bray, 1856. Vie de la sœur Marie Ock, par le P. Albert de Saint-Germain, 1 vol., Tournai et Paris, Casterman, 1886. Vie de Marcelline Pauper, publiée par le P. Marcel Bouix, S.J., 1 vol., Nevers, imprimerie Fage, 1871. Anne-Catherine Emmerich, Œuvres, 9 vol., Tournai et Paris, Casterman, sans date. Anne-Catherine Emmerich, sa Vie, par le P. Schmœger, de la Congrégation du T.S. Rédempteur, traduite de l’allemand, par l’abbé Cazalès, 3 vol., Paris, Bray, 1868. Anne-Catherine Emmerich, Vie merveilleuse, intérieure et extérieure, par le P. Thomas Wegener, O.S.A., 1 vol., Tournai et Paris, Casterman, sans date. La Vénérable Anna-Maria Taïgi et la servante de Dieu, Elisabeth Canora Mori, par le P. Calixte, trinitaire déchaussé, 1 vol., Bruxelles, Gœmare, 1871. Vie de la servante de Dieu, Élisabeth Canori Mora, anonyme, 1 vol., Paris, bureau des Annales de la Sainteté, 1870. Marie-Claire-Agnès Steiner, Abrégé de la vie du P. de Reus, traduit de l’italien, par Mgr Constans, 1 vol., Paris, librairie catholique internationale, 1883. Les Stigmatisées du Tyrol, par Léon Boré, 1 vol., Paris, Lecoffre, 1846. Les Voix prophétiques, par l’abbé Curicque, 2 vol., Paris, Palmé, 1872. Mme du Bourg, mère Marie de Jésus, fondatrice de la Congrégation des Sœurs du Sauveur et de la Sainte Vierge, par l’abbé Bersange, 1 vol., Paris et Lyon, Delhomme et Briguet, sans date. Louise Lateau (figure dans les Stigmatisées du Dr Imbert-Gourbeyre, déjà citées). Louise Lateau, Étude médicale, par le Dr Lefebvre, 1 vol., Louvain, Peeters, 1873. Vie de la sœur Marie-Catherine Putigny (par une sœur visitandine), 1 vol., imprimerie de Notre-Dame-des-Prés, à Neuville-sur-Montreuil, 1888. L’on peut encore joindre à la liste de ces ouvrages, les quelques livres que j’ai dépouillés à propos des épidémies et de la condition des lépreux, au Moyen Âge : Notice historique sur la maladrerie de Voley, par le Dr Ulysse Chevalier, 1 vol., Romans, 1870. Les Lépreux de Reims au XVe siècle (par Tarbé), Société des bibliophiles de Reims, 1857. Les Signes d’infamie au moyen âge, par Ulysse Robert, 1 vol., Paris, Champion, 1891. Chéruel, Dictionnaire des institutions, mœurs et coutumes de la France, 2 vol., Paris, Hachette, 1870 (voir article ladres et léproseries dans le tome II). Dr Dupouy, Le Moyen âge médical, 1 vol., Paris, Meurillon, 1888. Dr Louis Durey, La Médecine occulte de Paracelse, 1 vol., Paris, Vigot frères, 1900. ⁂ Est-il utile d’ajouter que dans ce volume au cours duquel défilent les noms d’un grand nombre de célicoles, les expressions « Saint et Sainteté », « Bienheureux et Vénérable », ne sont parfois employées que d’une manière relative et non dans le sens rigoureux que leur assignent les décrets du pape Urbain VIII ; il n’y a donc pas à attribuer une signification absolue à ces termes, lorsqu’ils s’appliquent à des personnages dont la béatification ou la canonisation n’ont pas été officiellement proclamées par les pouvoirs sans appel de Rome. Il ne convient pas davantage de considérer ainsi que des saintes, dans l’acception stricte du mot, les victimes expiatrices dont l’origine céleste des souffrances n’a pas encore été certifiée par l’Église. I L’état de l’Europe, pendant le temps que vécut Lydwine, fut effroyable. En France, règnent Charles VI puis Charles VII. Lydwine naît l’année même où Charles VI, âgé de douze ans, monte sur le trône. Dans le lointain des âges, les années de ce règne évoquent d’abominables souvenirs ; elles dégouttent de sang et, à mesure qu’elles s’éboulent, les unes sur les autres, elles se dévergondent ; aux lueurs des vieilles chroniques, derrière le transparent poussiéreux de l’histoire, quatre figures passent. L’une est celle d’un aliéné, au teint hâve, aux joues creuses, aux yeux tantôt ardents et tantôt morts ; il croupit dans un palais à Paris et ses vêtements sont des pacages de vermines et ses cheveux et sa barbe sont des haras à poux. Ce malheureux qui fut, avant qu’il ne divaguât, un être familier et libertin, irascible et débile, c’est le roi Charles VI. Il assiste, maintenant idiot, à la bacchanale enragée des siens. L’autre est celle d’une intrigante, baroque et vénale, d’une femme impérieuse, bruyamment décolletée et traînant après elle, sous un hennin planté, comme une tête de diable, de deux cornes, une robe historiée et qui n’en finit point ; et elle souffle lorsqu’elle marche, chaussée de souliers à becs de deux pieds de long ; c’est la reine de France, la bavaroise Ysabeau, qui apparaît, grosse des œuvres d’on ne sait qui, près d’un mari qu’elle abhorre. La troisième est celle d’un bavard et d’un fat dont les dames de la Cour raffolent et qui se révèle, à la fois, cordial et rapace, avenant et retors ; il pressure le pays, draine l’argent des campagnes et des villes et le dissipe en de scandaleuses équipées ; celui-là, c’est le duc d’Orléans, le maudit des peuples, ainsi que l’appelle, en pleine chaire, un religieux de l’ordre de saint Augustin, Jacques Legrand. La quatrième, enfin, est celle d’un petit chafouin, malingre et taciturne, sournois et cruel, le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, qualifié de Jean sans pitié, par tous. Et tous les quatre se démènent, s’invectivent, s’écartent et se rejoignent, exécutent une sorte de chassé-croisé macabre, dans la débandade d’une nation qui répercute l’insanité d’un roi. La France, en effet, se convulsé ; à Paris, ce sont les atrocités de la guerre civile, la dictature des bouchers et des égorgeurs qui saignent les bourgeois, tels que des bêtes ; en province, ce sont des troupes de malandrins qui assomment le paysan, incendient les récoltes et jettent les enfants et les femmes dans le brasier des meules ; ce sont les hordes scélérates des d’Armagnac, la tourbe avide des Bourguignons et ceux-là tendent la main aux Anglais pour les aider à sauter la Manche ; et les voilà, en effet, qui débarquent près d’Harfleur, remontent vers Calais et rencontrent, en chemin, l’armée française, dans le comté de Saint-Pol, à Azincourt. Ils l’attaquent et sans peine abattent, ainsi que des quilles, les files de ces lourds chevaliers emprisonnés comme en des guérites de fer dans leurs armures et huchés sur des chevaux qui demeurent immobiles, les quatre pattes enfoncées dans l’argile détrempée du sol ; et, tandis que la région est envahie, le Dauphin fait assassiner le duc de Bourgogne qui a lui-même fait occire le duc d’Orléans, le lendemain du jour où il s’est réconcilié et a communié de la même hostie, avec lui ; de son côté, la reine Ysabeau, stimulée par ses besoins de luxe, se vend à l’ennemi et oblige le fou qui règne à signer le traité de Troyes ; et, ce faisant, elle déshérite son fils au profit du souverain d’Angleterre devenu héritier de la couronne de France. Le Dauphin n’accepte pas cette déchéance et, trop faible pour résister, il prend la fuite et est proclamé roi par quelques aventuriers, dans un manoir de l’Auvergne ; le pays est scindé en deux camps, trahi par les uns, roué de coups par les autres, rançonné par tous. Il semble que sa dispersion soit proche quand, à quelques mois d’intervalle, le roi d’Angleterre Henri V et le roi de France, Charles VI, meurent ; la lutte n’en continue pas moins entre les deux nations, Charles VII, insouciant et craintif, toujours vu de dos, prêt à décamper, se perd en de basses intrigues, pendant que l’ennemi lui rafle, une à une, ses provinces ; on ne sait plus très bien ce qu’il va rester de la France, quand le ciel jusqu’alors impassible s’émeut ; il envoie Jeanne d’Arc, elle accomplit son œuvre, chasse les étrangers, mène sacrer son misérable monarque à Reims et expire, délaissée par lui, dans les flammes, deux années avant que Lydwine ne trépasse. Le sort de la France, à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe, fut donc atroce, et il le fut merveilleusement, car les fureurs humaines ne suffirent point et les fléaux s’en mêlèrent ; la peste noire sévit et faucha des milliers d’êtres ; puis elle disparut pour céder la place au tac, une épidémie singulièrement redoutable, à cause de l’ardeur meurtrière de ses toux ; celle-là s’éteignit à son tour et la peste revint, vida Paris seul de cinquante mille personnes en cinq semaines et s’en alla, laissant à sa suite, trois années de famine ; ce après quoi, le tac surgit encore et acheva de dépeupler les villes. Si la situation de la France est lamentable, celle de l’Angleterre, qui la torture, ne vaut guère mieux. Aux soulèvements du peuple, succèdent les révoltes des nobles ; on s’égorge dans l’île et l’on s’y noie. Le roi Richard II se rend odieux à tous par ses débordements et ses rapines. Il part pour réprimer les troubles de l’Irlande ; on le dépose et on lui substitue le duc de Lancastre, Henri VI, qui le claquemure dans un cul de basse fosse et le décide, en lui imposant trop de jeûnes forcés, à mourir. Le règne de l’usurpateur se passe à modérer des discordes et à déjouer des brigues ; entre temps, il brûle, sous couvert d’hérésie, ceux de ses sujets qui lui déplaisent et traîne dans des crises d’épilepsie une existence de malade que les manœuvres de son fils, aux aguets de sa succession, désespèrent. Il trépasse à l’âge de quarante sept ans et ce fils connu jusqu’alors comme un pilier de cabarets et un chenapan qui ne fréquentait que les voleurs et les filles, se décèle, dès qu’il monte sur le trône, ainsi qu’un homme froid et cassant, d’une arrogance démesurée et d’une piété féroce. Le pharisaïsme et la cupidité de la race anglaise se sont incarnés en lui ; il préfigure la sécheresse et le bégueulisme éperdu des protestants ; il est, en même temps qu’un usurier et un bourreau, un pasteur méthodiste, avant la lettre. Il rénove la campagne de Normandie, affame les villes, falsifie les monnaies, pend, au nom du Seigneur, les prisonniers, accable de sermons ses victimes ; mais son armée est lacérée par la peste et cette curée qu’il sonne du terroir de France, l’épuisé. Il est néanmoins victorieux à Azincourt ; il massacre tous ceux qui ne peuvent se racheter et exige d’énormes rançons des autres et, tandis qu’il agit de la sorte, il se signe, il marmotte des oraisons, il récite des psaumes ; puis il décède au château de Vincennes et son héritier est un enfant de quelques mois. Ses tuteurs, l’un violent et dissolu, maladroit et vénal, le duc de Glocester ; l’autre vaniteux et rusé, le duc de Bedford, ravagent la France, mais ils sont battus à plate couture par Jeanne d’Arc et se souillent à jamais en l’achetant pour la faire périr, après un infâme procès, sur un bûcher. Et après la France et l’Angleterre, ce sont les Flandres qui, atteintes en plein flanc, gisent, démâtées par les bourrasques. Leur histoire est intimement liée à la nôtre et, elles sont, elles aussi, dévorées par les luttes intestines ; la rivalité commerciale de Gand et de Bruges fait jaillir, durant des années, de ses prairies devenues des ossuaires, des sources de sang. Gand se décèle ainsi qu’une cité orgueilleuse et têtue, peuplée d’un amas d’éternels mécontents et de pieuses brutes ; avec ses corps de métier, elle est le bivac des jacqueries, le camp dans lequel se ravitaillent les séditions des vilains ; tous les révolutionnaires de l’Europe font cause commune avec elle ; — Bruges semble plus policée et moins opiniâtre, mais sa superbe égale celle de Gand et son âpreté au gain est pire. Elle est le grand comptoir de la chrétienté et elle asservit, avidement, les villes qui l’entourent ; elle est une négociante implacable et à propos d’un canal qui peut avantager l’une de ces agglomérations au profit de l’autre, des haines de cannibales naissent. Le comte de Flandre Louis III dit de Male, tyranneau vaniteux et prodigue, malchanceux et cruel, se heurte à l’entêtement des Gantois et vainement il s’efforce de le briser par des supplices. Leur chef Philippe d’Artevelde marche contre lui, le défait, pénètre dans Bruges dont il tue, de préférence, les plus riches commerçants ; ce après quoi, il saccage les hameaux et spolie les bourgs. La noblesse des Flandres appelle la France à l’aide ; c’est une croisade de castes où le rôle d’infidèles est joué par des tisserands ; Charles VI et le duc de Bourgogne franchissent la frontière, rejoignent, à la tête d’une armée, d’Artevelde à Roosebeke et ils foncent sur les Flamands qui se sont bêtement reliés entre eux avec des chaînes, pour ne pas reculer ; ils les refoulent, les acculent les uns sur les autres, les suffoquent dans un étroit espace, sans même qu’ils puissent résister. Ce fut le triomphe de l’asphyxie, un combat sans blessures, un massacre sans plaies, une bataille pendant laquelle le sang sortit seulement, comme de tonnes qu’on débouche, par les bondes éclatées de visages bleus. D’Artevelde fut, heureusement pour lui, reconnu parmi les morts, car aussitôt après la victoire, les bas instincts se décagèrent ; on pilla les campagnes, l’on trucida les enfants et les femmes ; celles des places qui ne voulurent pas être détruites, se rachetèrent à prix d’or : ce fut la bourse ou la vie ; cette noblesse, qui avait tremblé devant la troupe de ces gueux, se montra inexorable ; les Gantois exaspérés recoururent aux Anglais qui débarquèrent mais glanèrent surtout le butin que les Français omirent ; ce malheureux pays devint alors la proie et de ceux qui l’attaquèrent et de ceux qui le défendirent ; mais ni les déprédations, ni les tortures n’amollirent son incroyable énergie. Ackermann a succédé à d’Artevelde et soutenu par un corps d’outre-Manche, il assiège Ypres. Charles VI le déloge et s’empare de Bergues où il ne tolère pas un être vivant, puis, las de ces orgies de meurtres, il conclut pour se reposer une trêve. Sur ces entrefaites, Louis de Male décède et Philippe de Bourgogne hérite, du chef de sa femme, de cette terrible succession des Flandres. Il reprend les hostilités interrompues et les massacres et les incendies se suivent ; la place de Dam est réduite en cendres ; le pays dit des Quatre Métiers n’est plus qu’un amas de ruines ; et comme si ces horreurs ne suffisaient pas, les querellés religieuses viennent se greffer sur cet interminable conflit. Deux papes ont été élus à la fois qui se bombardent à coups de bulles. Le duc de Bourgogne prône l’un de ces pontifes et entend que ses sujets acceptent son obédience ; ceux-ci refusent et Philippe s’irrite, décapite les meneurs du parti qui regimbent ; mais, une fois de plus, les Flamands se révoltent ; les églises se ferment, les offices religieux cessent, la Flandre semble frappée d’interdit et le duc, excédé par ces disputes, finit par laisser ce peuple dont il ne peut venir à bout, tranquille ; il se contente, en échange de sa liberté de conscience, de lui extirper des sous. Telle la situation des Flandres ; si nous passons dans la Hollande même, nous la voyons, elle aussi, bouleversée par d’incessants combats. Au moment où naît Lydwine, le duc Albert gouverne, en qualité de Ruwaard ou de vice-régent, le Hainaut, la Hollande, la Zélande, la Frise, les provinces réunies sous le titre de Comté du Pays-Plat. Il remplace le véritable souverain, son frère, Wilhelm V qui, après des luttes impies avec Marguerite de Bavière, sa mère, est devenu fou ; et tandis qu’on l’interne, le pays à vif se démène ; une bataille enragée se livre entre les bonnets rouges ou Hoecks et les bonnets gris ou Kabelljauws ; ces deux partis, les Guelfes et les Gibelins des Pays-Bas, s’étaient formés à propos de la guerre entreprise par Wilhelm contre la princesse Marguerite, les uns tenant pour le fils et les autres pour la mère ; mais ces haines survécurent aux causes qui les engendrèrent, car nous les retrouvons, encore vivaces, au XVIe siècle. Aussitôt qu’il est nommé vice-régent, le duc Albert met le siège devant Delft, dont il mate la sédition, en dix semaines ; puis ce fut une prise d’armes contre le duc de Gueldre et l’évêque d’Utrecht ; ce fut enfin le scandaleux litige d’un père et d’un fils, faisant en quelque sorte pendant à la rivalité de la mère et du fils du précédent règne. Wilhelm V meurt, et le duc Albert est proclamé gouverneur des provinces ; le pays, fourbu par ces dissensions, s’apprête à souffler un peu ; mais le duc Albert est dominé par sa maîtresse Adélaïde de Poelgeest et il trahit, sous son influence, le parti des Hoecks qui l’avait jusqu’alors protégé. Poussé par ceux-ci, son fils Wilhelm fait assassiner Adélaïde au château de La Haye, puis, craignant la vengeance de son père, il se sauve en France ; mais la Frise se soulève et cette rébellion rapproche le père du fils. Persuadé que le meurtrier est seul capable de commander les troupes, le duc Albert lui accorde son pardon et le rappelle. Il débarque au Kuinder et les saignées commencent. La Frise ruisselle de sang, mais elle ne s’avoue pas vaincue ; l’année suivante elle se révolte derechef, est réduite et elle s’insurge encore, rompt cette fois les armées du duc et le force à souscrire à un traité de paix. L’on dirait d’une Gand hollandaise, rude et tenace. Cette guerre est à peine terminée qu’une autre éclate ; un vassal, le seigneur d’Arkel se déclare indépendant, au moment où le duc Albert trépasse. Wilhelm VI, qui succède à son père, marche contre le rebelle, conquiert ses châteaux et l’oblige à se soumettre ; mais le duc de Gueldre se mutine à son tour et les Frisons une fois de plus fermentent. Wilhelm à bout de ressources et malade signe avec eux, après qu’ils ont capturé la ville d’Utrecht, un armistice, et décède laissant, avec de nombreux enfants naturels, une fille légitime Jacqueline. Elle occupe la place de son père et le désordre s’accroît. La vie de cette singulière princesse ressemble à un roman d’aventures. Son père la marie à seize ans à Jean, duc de Touraine, dauphin de France, qui périt, quelque temps après, empoisonné. Elle se remarie sans tarder avec son cousin germain, Jean IV, duc de Brabant, une sorte d’énervé et de niais, qui la dédaigne et vit publiquement avec une autre femme. Elle le quitte et s’enfuit en Angleterre auprès d’Humphrey, duc de Glocester, dont elle s’est amourachée ; elle obtient de l’antipape, Pierre de Lune, un bref qui prononce le divorce entre elle et le duc de Brabant et elle épouse le duc de Glocester. Ils sont à peine unis, qu’il leur faut rentrer précipitamment en Hollande pour en expulser Jean de Bavière, évêque de Liège, oncle de Jacqueline, qui a profité de l’absence de sa nièce pour envahir ses États ; ce prélat est vaincu et se retire. Glocester, qui ne paraît pas très épris de Jacqueline, l’installe à Mons et retourne en Angleterre. Alors la malheureuse se débat dans un lacis d’intrigues ; son oncle, le duc de Bourgogne, en tient les fils ; elle se sent enveloppée de toutes parts ; tous sont contre elle, son oncle, l’évêque de Liège, qu’elle a vaincu, son second mari Jean de Brabant, qui capte le Hainaut, alors qu’elle ne peut le secourir et le duc de Bourgogne qui, résolu à appréhender la Hollande, impose les garnisons de ses soudards de la Picardie et de l’Artois, aux villes. Jacqueline, qui comptait au moins sur la fidélité de ses sujets de Mons, est livrée par eux au duc de Bourgogne ; celui-ci l’enferme dans son palais de Gand où elle reste trois mois, mais elle profite d’un moment où les soldats chargés de la surveiller s’enivrent, pour fuir, déguisée en homme et elle gagne, bride abattue, Anvers et atteint Gouda. Là, elle se croit en sûreté et appelle son mari à l’aide, mais le Glocester a oublié qu’elle était sa femme et il en a épousé une autre. Il refuse d’intervenir. Jacqueline se décide alors à se défendre seule. Elle fortifie Gouda que les troupes de Bourgogne assiègent, elle fait percer la digue de l’Yssel et inonde le territoire pour abriter d’un côté la ville ; puis, elle se porte de l’autre côté au-devant de l’ennemi et le taille en pièces ; mais son triomphe fut de courte durée, car l’année suivante, elle essaie vainement de prendre Harlem d’assaut et ses partisans sont dispersés, tandis que, sur les instances du duc de Bourgogne, le véritable pape déclare que son mariage avec le duc de Glocester est nul et qu’il constitue, en dépit du bref de l’antipape, un adultère. Alors tous lui tournent le dos ; abandonnée par ceux qui lui étaient demeurés fidèles, elle se résout, pour sauvegarder sa liberté, à demander grâce au duc de Bourgogne et elle conclut avec lui, à Delft, une convention aux termes de laquelle elle le reconnaît comme son héritier, lui cède, de son vivant, ses provinces et s’engage en sus, car son second mari vient de mourir, à ne pas se remarier sans son consentement ; mais elle est à peine libre qu’elle omet ses promesses, car elle tombe amoureuse de Frank de Borselen, stathouder de Hollande, et l’épouse en secret. Philippe de Bourgogne, qui la cerne d’espions, apprend cette union et ne dit mot ; mais il attire de Borselen dans un guet-apens et l’interne à Rupelmonde, dans les Flandres ; puis il fait savoir à Jacqueline qu’il le pendra haut et court si elle ne renonce pas, une bonne fois et sans conditions, à ses droits sur les districts des Pays-Bas. Afin de sauver son mari, elle abdique tous ses pouvoirs entre les mains du duc et se retire avec de Borselen, le seul homme qui paraisse l’avoir réellement aimée, à Teylingen. Là, dans ce donjon, les chroniqueurs la montrent malade et triste, ne parvenant pas à se consoler de sa déchéance, s’amusant à modeler des petites cruches de terre et finissant par s’éteindre de consomption, à l’âge de trente-six ans, trois années après le décès de Lydwine, sans laisser, de ses quatre maris, aucun enfant. Telle est, en quelques lignes, son histoire. Quelle fut au juste cette étrange Jacqueline ? Sur son compte les avis diffèrent. Les uns la représentent comme une aventurière et une dévergondée, les autres comme une femme tendre et chevaleresque, victime de l’ambition des siens ; elle semble avoir été surtout une impulsive, inapte à résister aux émois de ses sens. Un portrait plus ou moins exact d’elle, inséré dans « La Flamboyante Colonne des Pays-Bas », nous la dépeint sous les traits d’une forte hollandaise, avenante et commune, d’une virago énergique et hagarde ; et on se la figure en effet assez bien ainsi, impérieuse et versatile, intrépide et toquée, mais au fond brave femme. En attendant, cette Hollande qu’elle gouvernait devait supporter les conséquences de ses coups de cœur et le pays saccagé par les troupes des Bourguignons, lacéré par les bandes des Hoecks et des Kabelljauws, perdait son sang ; des inondations qui engloutirent des villages entiers achevèrent de le désespérer et, pour parfaire le tout, ce fut la peste. Le reste de l’Europe fut-il mieux partagé et plus heureux ? Il ne le paraît guère. En Allemagne règne une fastueuse crapule, l’empereur Wenceslas ; celui-là ne dessaoule pas ; il trafique des charges, tandis que ses vassaux s’assomment et, pour avoir la paix, il faut le balayer, lui et ses concubines, dehors. En Bohême et en Hongrie, c’est la lutte exaspérée des Slaves contre les Turkomans ; puis ce sont les massacres en masse des Hussites ; la vallée du Danube est un immense charnier au-dessus duquel plane la peste. En Espagne, les indigènes se déciment avec les Maures et c’est une haine sans merci entre les provinces. En Castille, Pierre le Cruel, une sorte de forcené, tue ses frères, son cousin, sa femme Blanche de Bourbon et invente d’épouvantables tourments pour torturer des captifs. En Aragon, Pierre le Cérémonieux vole les biens de sa famille et exerce d’horribles sévices sur ses ennemis. Le maître de la Navarre est un empoisonneur, Charles le Mauvais. En Portugal, un autre Pierre le Cruel, épris de fanfares et de supplices, fait arracher le cœur à des gens qui, après avoir été martyrisés, respirent encore et, atteint d’un accès de vampirisme aigu, il déterre sa maîtresse morte, l’assied, vêtue d’ornements royaux et couronnée d’un diadème, sur un trône et il force tous les seigneurs de sa Cour à défiler devant ce cadavre et à lui baiser la main. En vérité, la péninsule est un douaire d’épimanes et la démence quasi-débonnaire d’un Charles VI semble presque raisonnable si on la compare aux aberrations de ces possédés-là ! En Italie c’est, avec la guerre civile, la peste ; et dans ce déchaînement de fléaux, des ruffians s’écharpent ; on se bat dans les rues de Rome ; la famille des Colonna et ses séïdes s’insurgent contre le pape et, sous le prétexte de rétablir l’ordre, le roi de Naples, Ladislas, s’empare de la ville et, après l’avoir pillée, la quitte et revient pour la piller encore ; entre Gênes et Venise, c’est une collision qui aboutit à de féroces représailles ; à Naples, c’est la reine Jeanne qu’on enlève pour l’étouffer entre deux matelas, dans un château de la Basilicate ; à Milan, ce sont les atrocités de factions aux prises ; mais ce qui fut pis encore, ce fut le sort de l’Église devenue soudain bicéphale. Si les membres de son pauvre corps, si les régions catholiques s’étiolaient, malades et à bout de sang, ses deux têtes à elle, qui se dressaient, l’une à Avignon et l’autre à Rome, ne cherchaient qu’à s’entredévorer. Elle était, en effet, dominée par d’effrayants pontifes ; c’était l’époque du grand schisme de l’Occident. La situation du Saint-Siège était celle-ci : le roi de France Philippe le Bel avait autrefois assis sur la chaire de Saint-Pierre l’une de ses créatures, Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux. Après avoir été consacré à Lyon, ce souverain, au lieu de se fixer à Rome, s’était installé dans la principauté d’Avignon ; avec lui commença cette période que les écrivains appellent l’exil de Babylone ; des papes se succédèrent, moururent sans avoir pu se décider à regagner leurs États ; enfin, en 1376, Grégoire XI reprit possession de la ville éternelle et décéda au moment où, dégoûté de l’Italie, il s’apprêtait à retourner en France. Il trépasse et c’est une suite de pontifes qu’on élit et qu’on rejette. Rome en nomme un et Avignon un autre ; l’Europe se divise en deux camps. Urbain VI, le pape de Rome le plus honnête, mais le plus imprudent et le plus sanguinaire des deux, est reconnu par la Germanie, l’Angleterre, la Hongrie, la Bohême, la Navarre, les Flandres et les Pays-Bas ; l’autre, Clément VII, le pape d’Avignon, est de mœurs plus douces, mais il est dénué de scrupules ; il pratique la simonie, vend les indulgences, brocante les bénéfices, bazarde les grâces. Il est accepté par la France, l’Écosse, la Sicile, l’Espagne. Les deux pontifes guerroient à coups d’interdits, rivalisent de menaces et d’injures. Ils meurent ; on les remplace et leurs successeurs s’excommunient à tour de bras, tandis qu’un troisième pape, élu par le concile de Pise, les couvre, de son côté, d’anathèmes. Le Saint-Esprit se promène au hasard de l’Europe et l’on ne sait plus auquel de ces pasteurs il convient d’obéir ; la confusion devient telle que même l’entendement des saints se brouille. Sainte Catherine de Sienne tient pour Urbain VI et le bienheureux Pierre de Luxembourg pour Clément VII. Saint Vincent Ferrier et sainte Colette se soumettent, un moment, à l’obédience de l’antipape Pierre de Lune, puis finissent par se rallier à une autre tiare ; c’est le désarroi le plus absolu ; jamais on ne vit chrétienté dans un chaos pareil. Dieu consent à démontrer l’origine divine de l’Église, par le désordre et l’infamie des siens ; il n’est point, en effet, d’institution humaine qui eût pu résister à de tels chocs. Il semble que Satan ait mobilisé ses légions et que les barathres des enfers soient vides ; la terre appartient à l’Esprit du Mal et il bloque l’Église, l’assaille sans répit, réunit toutes ses forces pour la culbuter et elle n’est même pas ébranlée. Elle attend patiemment que les saints que Dieu lui enverra la dégagent ; elle a des traîtres dans la place, des papes affreux, mais ces pontifes de péchés, ces êtres si misérables lorsqu’ils se laissent séduire par l’ambition, par la haine, par le lucre, par toutes ces passions que le Diable attise, se retrouvent infaillibles aussitôt que l’Ennemi s’essaie à détruire le dogme ; le Saint-Esprit que l’on croyait perdu revient et les assiste ; lorsqu’il s’agit de défendre les enseignements du Christ, aucun pape, si vil qu’il soit, ne défaille. Il n’en est pas moins vrai que les malheureux croyants qui vécurent dans l’horreur de ces extravagantes années, crurent que tout allait s’effondrer ; et, en effet, de quelque côté qu’ils se tournent, ils ne voient que des champs de carnage. Au sud, dans l’Orient chrétien, ce sont les Grecs, les Mongols et les Turcs qui s’exterminent ; au nord, ce sont les Russes qui avec les Tartares et la Suède, qui, avec les Danois, s’égorgent ; et si, regardant plus loin encore, ils franchissent, d’un coup d’œil, les territoires saccagés de l’Europe, s’ils vont jusqu’à la ligne de ses frontières, c’est la fin du monde qu’ils aperçoivent, ce sont les menaces de l’Apocalypse qui sont sur le point de se réaliser. Sur un ciel qui tremble, déchiré par le fouet des foudres, les limites de l’univers chrétien se dessinent en des traits de feu ; les hameaux situés sur les confins des pays idolâtres flambent ; la zone des démons s’éclaire, Attila est ressuscité et l’invasion des barbares recommence ; dans un tourbillon de janissaires, l’émir des Ottomans, Bajazet, passe, rasant comme un ouragan les campagnes et balayant les villes ; il se précipite à Nicopolis contre les forces catholiques réunies pour lui barrer la route ; il les broie, il va déraciner la chaire de Saint-Pierre et c’en est fait de l’Occident des chrétiens, quand un autre conquérant, le Mongol Tamerlan, célèbre par la pyramide de 90.000 crânes qu’il élève sur les ruines de Bagdad, arrive à fond de train des steppes de l’Asie, se rue sur Bajazet et l’emporte après avoir pilé, en un effroyable combat, ses hordes. Et l’Europe, épouvantée, assiste à la rencontre de ces deux trombes qui se heurtent et éclatent en l’inondant d’une pluie de sang. L’on peut aisément s’imaginer la terreur des simples gens, Combien parmi ceux qu’épargnèrent les désastres de ces consternantes époques, vécurent, l’âme détraquée et le corps épuisé, par les famines et les paniques ! les danses macabres, les convulsions, les chorées rythmiques et une maladie que les anciens chroniqueurs désignent sous le nom de « la rage de tête » et qui paraît être la méningite, les rendent, lorsqu’elles ne les tuent pas, quasi fous. Avec cela, les vivres manquent et les épidémies sont à l’état endémique, dans les pays ; la peste noire parcourt l’Occident et nulle région n’est indemne ; elle infeste aussi bien l’Italie que la France, l’Angleterre que l’Allemagne, la Hollande que la Bohême et l’Espagne ; elle est le plus redoutable des fléaux de ces siècles, celui que les réservoirs infernaux du Levant versent sans relâche sur la pauvre Europe. Bientôt, dans ces organismes débilités et dans ces âmes mal étanches que la peur démantèle, Satan s’immisce et l’immondice des sabbats, au fond des forêts, s’affirme. Les forfaits et les sacrilèges les plus exécrables se commettent ; les messes noires se célèbrent et la magie s’atteste. Gilles de Rais trucide de petits enfants et ses sorciers épluchent leurs entrailles, cherchent, dans ces tristes dépouilles, le secret de l’alchimie, le pouvoir de transmuter les métaux sans valeur en or. Le peuple gît effaré et par ce qu’il apprend et par ce qu’il voit ; il appelle une justice, il implore une consolation à tant de maux et tout se tait. Il se tourne vers l’Église et il ne la trouve plus. Sa foi vacille ; dans sa naïveté, il se dit que le Représentant du Christ sur la terre n’a plus rien de divin, puisqu’il ne peut le sauver. Il en vient à douter de la mission des successeurs de saint Pierre ; il n’arrive pas à les concevoir et si humains et si faibles, car il se rappelle ce spectacle déconcertant, l’empereur d’Allemagne Wenceslas, toujours ivre, venant rendre visite au roi de France Charles VI qui délire, pour déposer, à eux deux, un pape. Le Saint-Esprit jugé par un pochard et un dément ! Il n’est donc pas surprenant que, dans une telle débâcle, en sus même des pratiques de la goétie et des sabbats, les hérésies les plus véhémentes ne s’imposent ; elles pullulent d’un bout du monde à l’autre. En Angleterre, Jean Wiclef, membre de l’université d’Oxford et curé de Lutterworth, nie la transsubstantiation, y substitue la doctrine de rémanence, autrement dit du pain et du vin demeurant, après qu’ils sont consacrés, intacts ; il attaque le culte des saints, rejette la confession, abolit le purgatoire, conspue le pouvoir admis des papes. Son enseignement, qui obtient un succès immense, réunit une foule de forcenés contre l’Église et c’est en vain que deux carmes, Étienne Patrington et Jean Kinningham, luttent, pied à pied, pour les repousser. Wiclef meurt, mais ses disciples, les Lollards, continuent de propager ses erreurs. Elles pénètrent jusqu’en Bohême avec Jean Huss et Jérôme de Prague. Eux acceptent le dogme de l’Eucharistie, mais à la condition que le sacrement soit administré aux laïques sous les deux espèces ; ils déclarent cependant que les indulgences n’existent pas, que la papauté est une invention des hommes, que l’Église est la synagogue de Satan. Jean Huss fut, ainsi que son élève Jérôme de Prague, brûlé ; mais leurs partisans, dont les désordres du Saint-Siège augmentaient le nombre, incendièrent les chapelles et les cloîtres, égorgèrent les prêtres et les moines ; l’on tenta sans succès de les réduire ; ils se défendirent si bravement que le roi Sigismond finit par traiter avec eux pour terminer la lutte. Alors, ils se divisèrent en sectes de plusieurs sortes : en Thaborites, qui érigèrent la vengeance à l’état de vertu et exaltèrent le bienfait des meurtres ; en Orébites, plus féroces encore, qui dépecèrent les fidèles dans d’affreux tourments ; en Adamites, venus de la Picardie, qui se promenaient nus, pour imiter le premier homme, enfin en sectes moins fanatiques, plus sociables, en Calixtins, c’est-à-dire en fidèles auxquels on accorda de boire au calice, et en Frères bohèmes qui, après avoir nié la Présence réelle, se séparèrent complètement de l’Église. En Italie, les partis dérivés des vieilles hérésies albigeoises foisonnent ; les restes de ces Fratricelles qui se développèrent si vigoureusement a la fin du XIIIe siècle, renouvellent les ignominies des Adamites et des Gnostiques ; tous prétendent avoir atteint le degré de l’impeccabilité et soutiennent que, dès lors, l’adultère et l’inceste leur sont acquis ; tous refusent de travailler pour être plus certains de demeurer pauvres. On eut beau les détruire par le feu, ils repoussèrent. Saint Jean de Capistran les assaillit sans relâche, mais ses efforts furent inutiles ; ils s’étendirent en Allemagne et la dépravèrent ; et au XVe siècle, on les découvre en Angleterre, mêlés aux Lollards, et se livrant à une propagande enragée, encore activée par les supplices. Et tandis que les papes les frappent d’excommunications, des confréries de flagellants s’organisent en Allemagne, se répandent dans l’Alsace, dans la Lorraine, dans la Champagne, s’insinuent jusque dans le midi de la France, à Avignon, et ceux-là bannissent la vertu des sacrements, prônent le sang des coups de fouets comme matière valide du baptême, prêchent partout que le pouvoir du Vicaire du Christ, sur la terre, est nul. Dans cette Flandre où naquit la série d’erreurs connue sous le nom de ce Gauthier Lollard qui les y sema, les extravagances se multiplient. Une béguine, Marguerite Porrette, revivifie, elle aussi, les abominations de la Gnose, en enseignant que la créature anéantie dans la contemplation de son Créateur, peut tout se permettre. Cette femme donnait des audiences, assise sur un trône d’argent et elle se prétendait escortée de deux séraphins, lorsqu’elle s’approchait de la Sainte Table. Elle finit par être grillée vive, à Paris, où elle était venue pour faire des prosélytes ; elle périt en 1310, c’est-à-dire bien des années avant la naissance de Lydwine, mais les disciples qu’elle avait dressés empoisonnaient, du temps de la sainte, le Brabant. Une autre possédée Blommardine ou Bloemardine, morte à Bruxelles en 1336, s’était mise à la tête de la secte et elle soulevait là Flandre du midi et du nord contre l’Église. Ruysbroeck l’Admirable, l’ermite de la vallée verte, le plus grand des mystiques flamands, la combattit, mais le virus conservé de l’antique Gnose ne s’en infiltra pas moins dans la Belgique et les Pays-Bas. En 1410, alors qu’on le croyait usé, il se redéveloppe tout à coup et l’hérésie reparaît, colportée par des gens qui s’intitulent « hommes d’intelligence ». Un carme défroqué, Guillaume de Hildernissen et un laïque de Picardie, Ægydius Cantoris, la dirigent. Ils sont condamnés, abjurent leurs croyances, mais en 1428, l’on retrouve leurs erreurs plus vivaces que jamais ; elles serpentent en Allemagne et en Hollande, finissent par se fondre avec les débris toujours actifs des Fraticelles et des Lollards qui en viennent à proclamer le règne de Lucifer injustement chassé du Paradis et devant, lui et les siens, expulser à leur tour de l’Eden saint Michel et les anges. Et rien ne put exterminer les racines de ces impiétés ; les dominicains et les franciscains succombèrent à cette tâche ; les disciples de Ruysbroeck, son fils spirituel Pomerius, Gérard Groot, Pierre de Hérenthals essayèrent de les extirper, mais les souches qu’ils arrachaient devenaient sataniquement fécondes, repoussaient ainsi que ces végétations fongueuses, que cette flore de teigne qui se ramifie dans les égouts, loin du jour. En dehors même de ce culte, plus ou moins caché, du Démon, il faut encore signaler, dans les Pays-Bas, l’influence de doctrines qui furent pour ce pays ce que les erreurs de Wiclef et de Jean Huss furent pour l’Angleterre et la Bohême ; l’on voit poindre déjà les théories des partisans de la Réforme, avec Jean Pupper de Goch, fondateur d’un couvent de femmes à Malines, qui n’admet que l’autorité des Écritures, nie celle des conciles et des papes, hue le mérite des vœux et décrie les principes de la vie monastique ; — avec Jean Ruchrat de Wesel qui honnit les sacramentaux, contemne l’extrême-onction, répudie les commandements de l’Église ; — avec Jean Wessel, de Groningue, aux œuvres duquel, plus tard, Luther empruntera ses arguments pour contester la valeur des indulgences. Et ce fut alors que l’Église était sapée par les hérésies, écartelée par de dangereux papes, alors que la chrétienté semblait perdue, que Dieu suscita des saintes pour enrayer la marche en avant du Malin et sauver le Saint-Siège. Déjà, avant que le schisme d’Occident n’éclatât, Notre-Seigneur avait dispensé à deux d’entre elles la mission de prévenir ses Vicaires qu’ils eussent à abandonner Avignon et à réintégrer Rome. Sainte Brigitte fut, en effet, dépêchée de Suède pour ramener le Souverain Pontife en Italie. Tandis qu’elle s’évertue à le convaincre, il décède ; un autre le remplace qu’elle investit, et il périt à son tour. Le troisième enfin, Urbain V l’écoute ; il rentre à Rome puis il se lasse de cette ville et retourne à Avignon où il trépasse. Brigitte objurgue son successeur, Grégoire XI, de fuir la France, mais pendant qu’il hésite, elle-même disparaît et ce n’est que, sur les instances d’une autre sainte, Catherine de Sienne, qu’il se détermine à franchir les Alpes. Sainte Catherine poursuit l’œuvre de sainte Brigitte et s’entremet pour réconcilier le pape avec l’Église, mais Grégoire XI meurt. Et le schisme se déclare avec les deux papes élus, l’un à Avignon et l’autre à Rome ; la pauvre sainte essaie vainement de conjurer le mal et Dieu la rappelle à Lui, en 1380 et elle quitte ce monde, désolée de cet avenir d’ouragans qui se prépare. Aussitôt Dieu ordonne dans une vision à une pieuse fille, Ursule de Parme, de se rendre à Avignon, auprès de Clément VII et de l’inviter à abdiquer ; elle part et ce pape, ébranlé par ses sommations, va céder, mais les cardinaux qui l’ont élu s’y opposent ; ils emprisonnent Ursule comme sorcière et elle n’est préservée que par un tremblement de terre qui disperse ses bourreaux, au moment où ils allaient lui appliquer la torture. Dieu la tire du mauvais pas où elle s’est engagée, mais son entreprise échoue. En attendant que d’autres déicoles la suppléent dans cette mission d’aventurière divine et que les saintes qui se préparent soient assez âgées pour prendre la succession de Catherine de Sienne, une tertiaire de saint François, la bienheureuse Jeanne de Maillé, qui a déjà tenté de libérer la France, en parlant, au nom du Seigneur, à la reine Ysabeau et au roi Charles VI, assiège, à son tour, le ciel de suppliques, fait procéder, sous forme de suffrages, à des prières publiques, organise des processions dans les collégiales et les cloîtres pour refréner la décomposition qui s’accélère des papautés aux prises. Elle remplit, en quelque sorte, un intérim, car elle ne s’immisce pas directement dans le conflit ; elle semble vouée plus particulièrement, d’ailleurs, aux œuvres de miséricorde, aux soins des pestiférés et des lépreux et aux visites des captifs ; la véritable succession de Catherine, elle échoit, le temps venu, à trois saintes : sainte Lydwine de Schiedam, sainte Colette de Corbie et sainte Françoise de Rome, une Hollandaise, une Française et une Italienne. Sainte Lydwine et sainte Colette naissent en 1380, c’est-à-dire l’année même où sainte Catherine de Sienne s’inanime ; et toutes deux s’efforcent de sauver l’Église, en souffrant mort et passion pour elle ; l’une active, l’autre passive. Avec des existences absolument différentes, elles présentent cependant des ressemblances ; toutes deux nées de parents pauvres, de jolies deviennent, selon leur désir, laides ; toutes deux endurent sans répit d’épouvantables douleurs ; toutes deux portent les stigmates du Calvaire ; toutes deux, lorsqu’elles meurent, recouvrent la beauté de leur jeunesse et leurs cadavres embaument. Durant leur vie, elles furent dévorées d’une pareille soif de tortures ; seulement Colette reste, malgré tout, valide, car il lui faut parcourir la France, d’un bout à l’autre, tandis que Lydwine voyage, immobile, dans l’au delà, sur un lit ; et chacune d’elles décèle encore cette similitude, qu’elle est une sauvegarde pour sa patrie. Sainte Colette est, en somme, adjointe à Jeanne d’Arc pour chasser les Anglais ; elle l’aide avec le renfort surhumain de ses larmes. Pendant que Jeanne se charge de la partie matérielle, qu’elle combat à la tête des troupes, Colette commande à la partie spirituelle ; elle réforme les monastères des clarisses, en fait des remparts de mortifications et de prières, jette dans la mêlée les pénitences de ses filles, se pend aux jupes de la Vierge jusqu’à ce qu’elle ait obtenu la défaite des Bedford et des Talbot et le renvoi de l’ennemi dans son île. De son côté, Lydwine, par la puissance de ses exorations et de ses tourments, protège la Hollande envahie par les routiers de Bourgogne et empêche une flotte d’attaquer Schiedam. Comme sainte Brigitte et sainte Catherine de Sienne, Colette est appelée à batailler, en personne, par les voies visibles, contre le schisme ; elle intervient avec saint Vincent Ferrier au concile de Constance, et elle essaie encore, quelques années après, d’empêcher, par ses démarches et ses conseils, le concile de Pise de substituer à un pape réel, un intrus. Lydwine ne prit, humainement parlant, aucune part aux tribulations de cette sœur inconnue qui luttait si ardemment contre des cardinaux égarés et de faux papes ; elle n’aurait dû connaître, au fond de son village de la Hollande, les détresses de l’Église que par ce que ses confesseurs en surent, mais elle eut certainement des révélations du Sauveur ; en tout cas, l’amas de ses souffrances fut un trésor de guerre où, bien qu’ignorant sans doute qui l’avait rassemblé, Colette puisa, de concert avec sainte Françoise Romaine. Celle-là fut plus spécialement choisie pour l’assister dans la partie de sa tâche inhérente au schisme. Plus jeune de quatre ans que Colette et que Lydwine, Françoise était issue d’une famille illustre de Rome et elle s’allia à un seigneur qui comptait parmi ses ancêtres un pape et un saint. Elle différait donc, par son origine, par sa situation de fortune, par sa condition de femme mariée, des deux vierges, ses sœurs ; mais si elle s’écarte d’elles par certains points, elle s’en rapproche par d’autres ou plutôt, elle tient des deux, empruntant à chacune un trait particulier, devenant une succédanée tantôt de sainte Colette et tantôt de sainte Lydwine. Elle s’assimile à la vierge de Corbie, par son existence active, par sa vocation de manieuse d’âme et de fondatrice d’ordre, par le rôle qu’elle assume dans la politique de son temps, par les combats qu’elle livre au démon qui la roue, elle aussi, de coups ; — à la vierge de Schiedam, par sa guérison miraculeuse de la peste, par son contact perpétuel avec les anges, par ses voyages dans le Purgatoire, en quête d’âmes à délivrer, par sa mission très spéciale d’être une réparatrice des crimes du siècle, une figure victimale de l’Église souffrante. Par des voies opposées et souvent pareilles, ces trois femmes qui furent, toutes les trois, des stigmatisées, se sont donc mesuré contre les influences infernales de leur époque ; quelle tâche fut plus accablante ! Jamais, en effet, l’équilibre du monde ne fut plus près de se rompre ; et il semble aussi que jamais Dieu ne fut plus attentif à surveiller la balance des vertus et des vices, et à entasser, quand le plateau des iniquités descendait, comme contre-poids, des tortures de saintes ! Cette loi d’un équilibre à garder entre le Bien et le Mal, elle est singulièrement mystérieuse, quand on y songe ; car, en l’établissant, le Tout-Puissant paraît avoir voulu fixer lui-même des bornes et mettre des freins à sa Toute-Puissance. Pour que cette règle s’observe, il faut, en effet, que Jésus fasse appel au concours de l’homme et que celui-ci ne se refuse pas à le prêter. Afin de réparer les forfaits des uns, il réclame les mortifications et les prières des autres ; et c’est là qu’est vraiment la gloire de la pauvre humanité ; jamais Dieu, si respectueux de la liberté de ses enfants que l’on peut compter ceux qu’il priva du pouvoir de Lui résister, jamais Dieu ne fut leurré. Toujours il a trouvé, à travers les âges, des saints qui ont consenti à payer, par des douleurs, la rançon des péchés et des fautes. Et cette générosité s’explique maintenant pour nous, à peine. En sus de notre nature même qui répugne à la souffrance, il y a encore le Maudit qui intervient pour la détourner du sacrifice, le Maudit auquel son Maître a concédé, dans la triste partie qui se joue, ici-bas, les deux plus formidables atouts, l’argent et la chair. Et ce qu’il abuse, celui-là, de la lâcheté de l’homme qui sait bien pourtant que la grâce du Sauveur suffirait à lui assurer la victoire, s’il essayait seulement de se défendre ! Ne dirait-on pas vraiment qu’après le renvoi d’Adam du Paradis, le Seigneur, sollicité par l’ange rebelle, lui a dédaigneusement accordé les moyens qu’il jugeait les plus sûrs pour vaincre les âmes et que la scène de l’Ancien Testament, de Satan réclamant à Dieu et obtenant de Lui la permission de tâcher de faire succomber, à coups d’épreuves, le malheureux Job, a pu se passer d’abord à la sortie de l’Eden ? Et, depuis ce temps, le fléau de la balance oscille ; quand il incline trop du côté du Mal, quand les peuples deviennent trop ignobles et les rois trop impies, Dieu laisse se déchaîner les épidémies, les tremblements de terre, les disettes, les guerres ; mais sa miséricorde est telle qu’il active alors le dévouement de ses saints, les assiste, renchérit sur leurs mérites, triche peut-être un peu avec Lui-même, pour que sa justice s’apaise et que l’équilibre se rétablisse. L’univers serait, sans cela, et depuis quand ! en ruines ; seulement, étant donné les ressources dont le Très-Bas dispose et la faiblesse des âmes qu’il assiège, l’on comprend la sollicitude toujours en éveil de l’Église, chargée de dégrever autant qu’elle le peut, le plateau des péchés, de neutraliser le lest des offenses en ajoutant sans cesse sur l’autre plateau de nouveaux poids d’oraisons et de pénitences ; l’on s’explique la raison d’être des redoutes de suppliques et des citadelles d’offices que, sur les ordres de l’Époux, elle érige, le bien-fondé de ses cloîtres impitoyables, de ses ordres durs, tels que ceux des Clarisses, des Calvairiennes, des Carmélites, des Trappes, et l’on peut concevoir aussi la somme inouïe de souffrances endurées par les saints, les maladies, les chagrins même que le Très-Haut distribue à chacun de nous pour nous assainir et nous faire participer un peu à cette œuvre de compensation qui suit, pas à pas, l’œuvre du Mal. Or, la dissolution de la société, à la fin du XIVe et au commencement du XVe siècle fut, nous l’avons dit, effroyable. Le XIIIe siècle qui, malgré ses conflits et ses tares, nous apparaît, dans le recul des âges, si candide avec saint Louis et Blanche de Castille, si chevaleresque et si pieux avec ses fidèles quittant leurs femmes, leurs enfants, tout, pour arracher le sépulcre du Christ des mains des mécréants ; ce siècle qui connut le pape Innocent III, qui vit saint François d’Assise, saint Dominique, saint Thomas d’Aquin, saint Bonaventure, sainte Gertrude et sainte Claire, le siècle des grandes cathédrales, était bien mort ; la foi s’affaiblissait ; elle allait se traîner pendant deux siècles, pour finir par choir dans ce cloaque déterré du Paganisme que fut la Renaissance. En résumé, si nous jetons un coup d’œil sur l’état de l’Europe, au temps de sainte Lydwine, nous n’apercevons que des guets-apens de seigneurs cherchant à s’entredévorer, que des guerres de peuples rendus par la misère féroces et par la peur, fous. Les souverains sont des scélérats ou des déments, comme Charles VI, comme Pierre le Cruel, comme Pierre le Cérémonieux, comme Wilhelm V de Hollande, des toquées comme Jacqueline, d’autres sont des ivrognes luxurieux comme l’empereur d’Allemagne Wenceslas, de pharisaïques gredins comme le roi d’Angleterre ; quant aux anti-papes, ils crucifient le Saint-Esprit, et lorsqu’on les regarde, c’est l’épouvante ! Si c’était seulement tout ! mais il sied de l’avouer encore, pour excéder la patience de Dieu, ceux qui lui furent consacrés, s’en mêlèrent. Le schisme, soufflant en tempête, avait démâté les barques de sauvetage et les bateliers de Jésus étaient devenus de vrais démons. Il n’y a qu’à lire les sermons de saint Vincent Ferrier, leur reprochant leurs turpitudes, les invectives de sainte Catherine de Sienne les accusant d’être cupides et orgueilleux, d’être impurs, leur criant qu’ils vendent à l’encan les grâces du Paraclet, pour se figurer le poids énorme qu’ils ajoutèrent à la balance de Justice, sur le plateau du Mal. Devant une pareille somme de sacrilèges et de crimes, devant une pareille invasion des cohortes de l’Enfer, il semble probable que, malgré tout leur dévouement et leur bravoure, sainte Lydwine, sainte Colette, sainte Françoise Romaine, eussent succombé sous le nombre, si Dieu n’avait levé des armées pour les secourir. Ces armées, il est bien possible que jamais elles ne les connurent, pas plus, du reste, qu’elles ne se connurent entre elles, car le Tout-Puissant est le seul maître en cette stratégie et seul, il voit l’ ensemble ; les saints sont entre ses mains, ainsi que des pions qu’il place sur l’échiquier du monde, à sa guise ; eux s’abandonnent simplement, corps et âme, à Celui qui les dirige ; ils font sa volonté et ne demandent pas à en savoir plus. Aussi, n’est-ce que bien longtemps après, lorsqu’on examine les ressources dont le Seigneur disposait et les divers éléments dont il se servit, que l’on parvient à vaguement entrevoir la tactique dont il usa pour vaincre, à telle ou telle époque, les hordes séduites par les mauvais anges. À cette fin du XIVe siècle, nous ne pouvons que difficilement établir le dénombrement de ces milices qui s’armèrent, sous les ordres du Christ, pour assister Lydwine et les deux autres saintes. Quelques-unes nous sont connues, d’autres resteront probablement à jamais ignorées ; d’autres encore paraissent avoir été plus spécialement occupées à opérer des diversions sur le champ de bataille de l’au-delà. Sans crainte de se leurrer cependant, l’on peut signaler les troupes engagées en première ligne et s’avançant, sous l’abri de prières des redoutes contemplatives, des forteresses mystiques défendues, en France, par les clarisses de sainte Colette ; en Italie, par les clarisses de sainte Catherine de Bologne et les tertiaires franciscaines cloîtrées de la bienheureuse Angéline de Marsciano ; par les dominicaines réformées, avec l’aide de Marie Mancini de Pise, par la bienheureuse Claire de Gambacorta ; par les tertiaires de saint Dominique qui adoptèrent la clôture, sous l’autorité de Marguerite de Savoie ; par les cisterciennes qu’avait ramenées à leurs strictes observances le pape Benoît XII ; par les sœurs chartreuses qu’exaltait encore le souvenir de sainte Roseline. Ces troupes d’avant-garde étaient formées par les bataillons des franciscains et des frères-prêcheurs ; — les premiers marchant sous les ordres de saint Bernardin de Sienne qui naquit la même année que Lydwine et remplit une mission analogue à celle de sainte Colette, en redressant les règles fléchies de saint François ; de son disciple saint Jean de Capistran qui le soutient dans cette tâche et combat, plus spécialement, ainsi que le bienheureux Thomas Bellacio de Linaris, les hérésies des Fratricelles et des Hussites ; de saint Jacques de la Marche qui lui est adjoint pour prêcher contre les infidèles ; de saint Mathieu d’Agrigente qui restaure les us réguliers dans les maisons de l’Espagne ; du bienheureux Albert de Sartéano qui fut plus particulièrement chargé de guerroyer contre les schismes ; — les seconds, conduits par saint Vincent Ferrier, le thaumaturge, qui évangélisa surtout les mécréants ; par saint Antoine de Florence qui lutta contre les œuvres de magie ; par le bienheureux Marcolin dont les genoux, à force de traîner sur le sol, étaient devenus ainsi que les bosses rugueuses des vieux arbres ; par le bienheureux Raymond de Capoue, le confesseur de sainte Catherine de Sienne, qui, avec Jean Dominici et Laurent de Ripafratta, stimula la piété ralentie et renoua les coutumes déliées de l’ordre ; par le bienheureux Alvarez de Cordoue qui travailla à l’extinction du schisme et convertit, de même que saint Vincent Ferrier, les idolâtres. Et ces colonnes, destinées, par la nature même de leur vocation, aux labeurs de l’apostolat, habituées au métier d’éclaireurs, aux rencontres d’avant-poste, s’étendaient en un interminable front de bataille, en tête de l’immense armée du Seigneur dont les deux ailes s’éployaient : — l’une composée par les régiments drus des carmes, commandés par leur prieur général Jean Soreth qui ranima la ferveur déchue des siens et créa l’institut des carmélites ; par saint Antoine d’Offen et le bienheureux Stanislas de Pologne qui périrent martyrisés, l’un et l’autre pour la cause du Christ ; par Jean Arundine, prieur de la maison de Bruges ; Ange de Mezzinghi qui contribua à implanter la réforme de la règle en Toscane ; par Bradley, promu évêque de Dromory, en Irlande, et dont les austérités furent célèbres ; — l’autre, par les masses compactes des augustins, scindés en de multiples observances, et ralliés et réformés, eux aussi, en Italie, par Ptolomée de Venise, Simon de Crémone, Augustin de Rome ; en Espagne, par Jean d’Alarcon qui introduisit les couvents de la stricte obédience, dans la vieille Castille ; les augustines dont le tiers-ordre venait de pousser une fleur de Passion, la bienheureuse Catherine Visconti. Et ces masses, fraîchement exercées, encadraient les détachements plus faibles et insuffisamment armés, des camaldules qui, dans le désordre de leurs rangs, comptaient pourtant un savant religieux Ambroise Traversari et deux saints : Jérôme de Bohême, l’apôtre de la Lithuanie et l’oblat Daniel ; — des birgittins et des birgittines à peine nés à la vie religieuse et mal préparés au service de campagne ; — des servites dont la discipline fut alors resserrée par Antoine de Sienne et dont le porte-oriflamme était une tertiaire, la bienheureuse Élisabeth Picenardi ; — des prémontrés dont les circaries étaient, ainsi que les couvents de Fontevrault que Marie de Bretagne allait bientôt remanier, si relâchés, que leurs effectifs de secours furent quasi nuls. Enfin, entre ces deux ailes, derrière la ligne avancée des enfants de saint-François et de saint-Dominique, évoluait la partie résistante, le gros de l’armée, le centre dense et massif de l’ordre le plus touffu du Moyen Âge, de l’ordre de saint-Benoît, avec ses grandes divisions : — les bénédictins, proprement dits, dirigés, en Allemagne, par l’abbé de Castels, Othon, qui reprend la partie intégrale de la règle et l’abbé Jean de Meden qui convertit les mœurs dissolues de cent quarante-sept abbayes ; en Italie, par Louis Barbo, abbé de sainte-Justine de Padoue, qui réassujettit aux lois sévères de son cloître de nombreux monastères, parmi lesquels celui du Mont-Cassin, le berceau de l’ordre ; en France, par l’abbé de Cluny, Odon de la Perière, le cellerier Étienne Bernadotte, le prieur Dom Toussaint, un neveu de sainte Colette, qui fut, à cause de ses vertus, comparé à Pierre le Vénérable ; par Guillaume d’Auvergne, cité dans les chroniques comme ayant été un véritable saint ; par le bienheureux Jean de Gand, prieur de saint-Claude, qui s’interpose entre le roi d’Angleterre et le roi de France, pour tâcher de les résoudre à conclure la paix ; — les cisterciens, par le bienheureux Eustache, le premier abbé du Jardinet, par les vénérables Martin de Vargas et Martin de Logrôno qui réorganisent les dépôts bernardins de l’Espagne ; — les célestins qui délèguent un de leurs plus saints moines, Jean Bassand, pour être le confesseur de sainte Colette, mais dont les escouades nombreuses et très famées en France, n’en sont pas moins mal entraînées et peu solides ; — les olivétains mieux aguerris et menés à l’assaut par le vénérable Hippolyte de Milan, abbé du Mont-Olivet, par le frère Laurent Sernicolaï de Pérouse, le convers Jérôme de Corse qui mourut en odeur de sainteté, au couvent de San Miniato, à Florence, par le vénérable Jérôme Mirabelli de Naples, par le bienheureux Bernard de Verceil qui fonda deux couvents de l’observance, en Hongrie ; — les humiliés, dans les cloîtres desquels figure une oblate, la bienheureuse Aldobrandesca, illustre par ses miracles, à Sienne. L’on peut compter encore, dans le contingent de cette armée, une légion d’élite, celle des recluses, de ces femmes qui vécurent la vie érémitique, telle que sainte Colette la pratiqua, elle-même, pendant quatre années, à Corbie, des femmes anachorètes, enfouies dans les solitudes de l’Occident ou volontairement emmurées dans les villes et auxquelles l’on passait, par une lucarne, un peu de pain et une cruche d’eau. Les noms de quelques-unes de ces célestes sauvages nous sont connus, ceux d’Aliz de Bourgotte, internée dans une celle à Paris ; de la bienheureuse Agnès de Moncada qui, à la voix de saint Vincent Ferrier, s’en fut, ainsi que Madeleine, pleurer les péchés du monde dans une grotte ; de la bienheureuse Dorothée, la patronne de la Prusse, qui se séquestra près de l’église de Quidzini, en Pologne ; de la bienheureuse Julie Della Rena qui s’incarcéra à Certaldo, en Toscane ; de Perrone Hergolds, une stigmatisée, tertiaire de saint François, qui se retira dans un ermitage des Flandres ; de Jeanne Bourdine, claquemurée à La Rochelle ; de Catherine Van Borsbecke, une carmélite qui s’écroua dans une sorte de laure contiguë à un sanctuaire près de Louvain ; d’une autre fille du carmel, appelée Agnès, que l’on retrouva, quelques années après la mort de Lydwine, encore enfermée dans un réduit situé près de la chapelle des carmes, à Liège. Enfin, la fleur des servantes de Jésus, la garde d’honneur du Christ des rangs de laquelle sont sorties — il faut le remarquer — sainte Catherine de Sienne, sainte Lydwine, sainte Colette, sainte Françoise Romaine, la bienheureuse Jeanne de Maillé — les victimes plus particulièrement chères à Dieu, les effigies vivantes de sa Passion, ses vexillaires, les stigmatisées ! En Allemagne, c’est une tertiaire franciscaine la bienheureuse Élisabeth la bonne de Waldsee, et la Clarisse Madeleine Beüttler ; en Italie, c’est une tertiaire de saint François, Lucie de Norcie, une clarisse Marie de Massa, une veuve, la bienheureuse Julienne de Bologne, une augustine sainte Rite de Cassie ; c’est l’extatique Christine dont le nom nous est conservé, mais sans renseignements, par Denys le chartreux ; en Hollande, c’est la dominicaine Brigide et la béguine Gertrude d’Oosten ; et combien perdues dans d’anciennes annales, tombées dans un complet oubli ! À ces troupes actives, l’on peut annexer encore des soldats qui ne furent incorporés dans aucun régiment et firent la guerre de partisans, seuls, de leur côté, tels que le bienheureux Pierre, évêque de Metz et cardinal de Luxembourg, tels que saint Laurent Justinien, évêque de Venise, qui s’infligèrent d’incomparables macérations pour expier les péchés de leur temps ; tels que saint Jean de Kenty, l’apôtre de la charité, en Pologne, saint Jean Népomucène, le martyr de la Bohême, tels que la bienheureuse Marguerite de Bavière, une amie de sainte Colette, et le corps de réserve recruté parmi les volontaires laïques ou prêtres, religieuses ou moines que les razzias diaboliques n’emportèrent point. Ainsi se peut résumer le bilan de l’armée qui entre en campagne, à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe, sous les bannières du Christ. Au premier abord, elle semble imposante et décidée, mais quand on l’examine de près l’on s’aperçoit que si les chefs qui la dirigèrent, selon le plan de Jésus, furent admirables, les troupes placées sous leur commandement manquèrent de cohésion, furent irrésolues et débiles ; le gros du contingent était, en effet, fourni par les corps des monastères d’hommes et de femmes et, nous venons de le voir, les désordres et les brigues perturbaient les cloîtres ; les règles agonisaient et la plupart des statuts étaient morts ; les phalanges monastiques étaient par conséquent sans endurance de piété et à peine exercées aux marches de la voie mystique. Il fallut donc, avant tout, refaire les cadres, ramener les religieux et les nonnes au maniement oublié de leurs armes, les équiper à nouveau d’offices, leur réenseigner la pratique des mortifications, leur réapprendre la manœuvre délaissée des coulpes. Seuls, les chartreux faisaient, dans ce relâchement général, exception. Ils s’étaient divisés en deux camps, au moment du schisme, mais la discipline n’en était pas moins demeurée, dans leurs rangs, intacte. Ils avaient, parmi eux, d’habiles stratégistes et de puissants saints : Denys de Ryckel, dit le chartreux, l’un des plus grands mystiques de l’époque ; Henri de Calcar, le prieur de la chartreuse de « Bethléem Maria », à Ruremonde, le maître de Gérard Groot, l’un des écrivains auquel l’on a parfois attribué la paternité de l’Imitation de Jésus-Christ ; Étienne Maconi, le disciple bien-aimé de sainte Catherine de Sienne ; le bienheureux Nicolas Albergati, devenu cardinal après avoir été prieur de l’ascétère de Florence ; Adolphe d’Essen, l’apôtre du rosaire, qui fut directeur de la bienheureuse Marguerite de Bavière ; d’autres encore. Les compagnies Cartusiennes formèrent un noyau de vieux soldats bronzés au feu des batailles infernales et elles servirent d’arrière-garde, abritèrent, avec les remparts de leurs prières, le train de l’armée, couvrirent les garnisons des pupilles, des jeunes recrues qui venaient d’être rassemblées, leur donnant ainsi le temps de se fortifier et de se préparer à la lutte ; parmi ces conscrits qui composèrent des bataillons de renfort, il faut noter la poignée d’oblates de saint-Benoît fondées par sainte Françoise Romaine, et surtout le groupe des nouvelles carmélites dressées au service des places mystiques, par des saintes telles que sainte Angèle de Bohême qui se clôtura dans le monastère de Prague, la vénérable Agnès Correyts, la fondatrice du carmel de Sion, à Bruges ; la vénérable Jeanne de l’Erneur qui créa le monastère de Notre-Dame de la Consolation à Vilvorde et fut une des premières filles spirituelles de Jean Soreth ; par la bienheureuse Jeanne Scopelli, supérieure du monastère de Reggio ; par la bienheureuse Archangèle Girlani, prieure de la maison de Mantoue, dont le cadavre incorruptible eut la spécialité de guérir, par son attouchement, les femmes atteintes de chancres à la figure et à la gorge. Lydwine, elle, ne leva aucune armée, ne fit partie d’aucun corps et elle n’amena à la rescousse des mécréants l’appoint d’aucun cloître ; elle combattit, solitaire, en enfant perdue, sur un lit ; mais le poids des assauts qu’elle supporta fut le plus énorme dont on ait jamais ouï parler ; elle valut une armée à elle seule, une armée qui devait faire face à l’ennemi sur tous les points. Elle expia, de même que les autres saints de son siècle, pour les âmes du Purgatoire, pour les abominations du schisme, pour les ribotes des clercs et des moines, pour les scélératesses des peuples et des rois ; mais en outre de cette obligation qu’elle accepta de réparer les fautes commises d’un bout de l’univers à l’autre, elle eut encore la charge d’être le bouc émissaire de son pays. Ainsi que l’observent ses biographes, toutes les fois que Dieu voulait châtier la Hollande, c’était à elle qu’il s’adressait ; c’était elle qui recevait les premiers coups. Fut-elle la seule, dans la région batave, à supporter la responsabilité des méfaits punis ? ne fut-elle pas aidée dans cette mission spéciale aux Pays-Bas comme elle le fut dans sa mission d’expiatrice du monde, par d’autres saints ? cela semble à peu près sûr. Les stigmatisées que nous avons nommées, Gertrude d’Oosten et Brigide, n’existaient déjà plus lorsqu’elle commença, par procuration, de souffrir, car l’une était morte en 1358 et l’autre en 1390 ; elles n’intervinrent donc pas dans l’œuvre propitiatoire qu’elle entreprit ; elles la commencèrent, sans savoir qui la finirait et Lydwine fut simplement instituée la légataire plaintive de leurs biens. Elle prit leur succession comme elle avait déjà pris celle d’une sainte qui vécut au siècle précédent, d’une compensatrice dont l’existence présente de singulières analogies avec la sienne, sainte Fine de Toscane ; celle-là passa, en effet, sa vie sur un lit et fut couverte d’ulcères dont le pus exhalait de frais parfums. Il est impossible d’énumérer les personnes dont les mérites allégèrent, dans la Hollande même, la tâche de Lydwine ; tout ce que nous savons, mais cela nous le savons d’une façon sûre, par les chroniques des monastères de Windesem et du mont sainte-Agnès, c’est que Dieu fit croître à cette époque, dans les provinces septentrionales de la Néerlande, d’admirables semailles mystiques. Il y eut alors une école d’ascèse pratique, issue des enseignements de Ruysbroeck et elle s’épanouit dans la région de l’Over-Yssel et plus particulièrement à Deventer. Un homme originaire de cette ville et qui, après avoir été converti par le prieur de la chartreuse de Monnikhuisen, près d’Arnhem, devint, par sa sanctimonie et par sa science, fameux, Gérard Groot ou le Grand, le traducteur de Ruysbroeck, prêchait en ce temps à Campen, à Zwolle, à Amsterdam, à Leyde, à Zuphten, à Utrecht, à Gouda, à Harlem, à Delft et son éloquence embrasait les masses ; les églises ne pouvaient contenir les foules qu’il entraînait et il les haranguait, en plein vent, dans les cimetières ; il opérait d’innombrables conversions et peuplait, avec ses recrues, les abbayes. Il finit par fonder, avec son élève Florent Radewyns, vicaire à Deventer, un institut « de frères et de sœurs de la vie commune » qui poussa rapidement ses racines dans les Pays-Bas et la Germanie. Cet ordre que l’on pourrait qualifier d’un nom qu’il ne porta jamais « les oblats de saint Augustin » fut un véritable centre d’études et de prières. Les hommes habitaient dans la maison de Radewyns et s’occupaient à transcrire les anciens manuscrits de la Bible et des Pères, et les femmes, des sortes de béguines, résidaient chez Gérard et s’adonnaient, en dehors des heures d’oraisons, à des travaux d’aiguille. Gérard mourut en 1384, à l’âge de quarante-quatre ans, en soignant les pestiférés de Deventer et, après sa mort, fidèles à ses recommandations, Florent Radewyns et les autres frères érigèrent, sous la règle de saint Augustin, un monastère à Windesem ; et ce lieu, qui n’était alors qu’une saulaie, donna naissance en Hollande à quatre-vingt-quatre couvents d’hommes et treize couvents de femmes. Ces congrégations de « la vie commune » furent, avec les cisterciens et les chartreux qui étaient, les seuls, à observer leurs constitutions primitives dans les Pays-Bas, de véritables réservoirs de suffrages et de pénitences et elles désarmèrent souvent le Seigneur que devait singulièrement irriter la dissolution des autres ordres, car si nous en croyons Ruysbroeck, Denys le chartreux et Pierre de Hérenthals, le dérèglement des moines dans les Provinces-Unies et les Flandres fut affreux. Il est certain, en tout cas, que l’école mystique de Deventer étaya de ses prières l’œuvre de Lydwine qu’elle connut et aima, car deux des augustins qui en firent partie, Thomas A Kempis, et Gerlac, ont, chacun, écrit une biographie de la sainte. Et ils nous apprennent qu’elle ne se contenta même pas de se substituer, pour en subir le châtiment, aux crimes de l’univers et à ceux de sa propre ville ; elle consentit encore à prendre à son compte les péchés des gens qu’elle connaissait et les maladies corporelles qu’ils ne pouvaient supporter sans accabler le ciel de reproches et de plaintes. Cette vorace de l’immolation, elle s’empara de tout ; elle fut en même temps et à la fois l’infatigable danaïde de la souffrance et le vase de douleurs qu’elle s’efforçait elle-même de remplir, sans pouvoir en atteindre le fond ; elle fut la bonne fermière de Jésus, celle qui éprouva les tourments de sa Passion et la charitable suppléante qui voulut, pendant trente-huit ans, acquitter, par la largesse de ses maux, le loyer de santé et les dettes d’insouciance que les autres ne songeaient guère à payer. Elle fut, en un mot, une victime générale et spéciale. Cette existence d’expiation, elle serait incompréhensible si l’on n’en avait tout d’abord indiqué les causes et montré le nombre et la nature des offenses dont la réparation fut, en quelque sorte, ici-bas, sa raison d’être. Ce résumé de l’histoire de l’Europe, à la fin du XIVe et au commencement du XVe siècle, explique le pourquoi de cette exubérance de tortures qui fut, dans les annales des saints, unique. Elles surpassent, en effet, par leur durée, celles des autres élus auxquels fut accordé, avec un supplice souvent assez court, la gloire plus retentissante du martyre. II Lydwine naquit, en Hollande, à Schiedam, près de la Haye, le lendemain de la fête de sainte Gertrude, le dimanche des Rameaux de l’an du Seigneur 1380. Son père, Pierre, occupait l’emploi de veilleur de nuit de la ville et sa mère Pétronille était originaire de Ketel, un village voisin de Schiedam. Ils étaient issus, l’un et l’autre, paraît-il, de familles qui, après avoir connu une certaine aisance, étaient devenues pauvres. Les ancêtres de Pierre, qui auraient appartenu à la noblesse, étaient de valeureux capitaines, dit A Kempis. Nous ne possédons aucun autre renseignement précis sur leurs lignées ; les historiens de la sainte nous entretiennent seulement du père de Pierre, c’est-à-dire du grand-père de Lydwine, Joannes, qu’ils nous présentent tel qu’un pieux homme, priant nuits et jours, ne mangeant de la viande que le dimanche, jeûnant deux fois par semaine et se contentant, le samedi, d’un peu de pain et d’eau. Il perdit sa femme à l’âge de quarante ans et fut opiniâtrement assailli par le Démon. Sa chaumine subit les phénomènes des maisons hantées ; le Diable la secouait du haut en bas, chassait les domestiques, brisait la vaisselle sans cependant, spécifie assez bizarrement Gerlac, que le beurre contenu dans les pots qui se cassaient, se répandît. Quant à son fils Pierre il eut de sa femme Pétronille neuf enfants, une fille Lydwine qui fut la quatrième par rang d’âge et huit garçons dont deux nous sont signalés par les biographes, l’un par son nom de Baudouin simplement ; l’autre Wilhelm qui apparaît, à plusieurs reprises, dans l’histoire de sa sœur. Il se maria et eut une fille qui porta le nom de son aïeule Pétronille et un garçon qui s’appela comme son oncle Baudouin. Si nous citons encore un cousin Nicolas, dont on aperçoit deux fois, le profil, à la cantonade dans ce récit et un autre parent, Gerlac l’écrivain, qui, tout en étant moine, demeura longtemps, sans qu’on sache pourquoi, dans la maison de la sainte, nous aurons donné, je pense, tout ce que les anciens textes nous apprennent sur cette famille. Le jour où naquit Lydwine, sa mère qui ne se croyait pas sur le point d’enfanter se rendit à la grand’messe ; mais les douleurs la saisirent et elle dut rentrer précipitamment à la maison ; elle y accoucha, au moment même où, en cette fête des Palmes, l’on chantait à l’église la Passion de Notre-Seigneur, selon saint Mathieu. Sa délivrance fut indolore et facile alors que ses précédentes gésines avaient été si laborieuses, qu’elle avait failli y succomber. L’enfant reçut sur les fonts baptismaux le nom de Lydwine, ou Lydwyd, ou Lydwich, ou Liedwich, ou Lidie, ou Liduvine, nom qui, sous ces orthographes et ces résonnances différentes, dériverait du mot flamand « lyden » souffrir, ou signifierait, d’après Brugman, en langue germanique « grande patience ». Les biographes observent, à ce sujet, que cette appellation et que le moment même de la fête où la petite vint au monde, furent prophétiques. Si nous exceptons une maladie dont nous aurons à parler, nous n’avons sur son bas âge aucun détail qui mérite d’être noté. Gerlac, Brugman, A Kempis jettent entre ces premières années et celles qui leur succédèrent d’édifiants ponts-neufs au bout desquels ils remarquent la dévotion de l’enfant pour la Vierge de Schiedam, représentée par une statue dont voici l’histoire : Un peu avant la naissance de Lydwine, un sculpteur, selon Gerlac et A Kempis, un marchand, suivant Brugman, vint à Schiedam ; il était possesseur d’une vierge de bois qu’il avait sculptée lui-même, ou achetée à un imagier et il se proposait d’aller la vendre à la foire qui se tenait, aux environs de l’Assomption, à Anvers ; cette statue était assez légère pour qu’un homme pût aisément la manier ; cependant, lorsqu’il l’eut déposée dans le navire qui devait faire le trajet entre les deux villes, elle devint subitement si lourde qu’il fut impossible au bateau de démarrer. Plus de vingt marins réunirent leurs efforts pour le tirer du rivage ; le peuple qui assistait à ce spectacle, sur le quai, se moquait de leur impuissance et ne leur ménageait point les quolibets. Piqués au vif, ils s’épuisèrent, puis finirent, n’ayant jamais éprouvé une telle malencontre, par se demander si cette effigie de Madone n’en était pas la cause. Ils voulurent, en tout cas, en avoir le cœur net et le marchand, menacé par eux, d’être précipité à l’eau, dut reprendre la statue qui se refit légère entre ses mains et il la débarqua, aux acclamations de la foule, tandis que le bâtiment allégé gagnait le large. Tous crièrent alors que la Vierge n’avait agi de la sorte que parce qu’Elle voulait se fixer auprès d’eux et qu’il fallait par conséquent la garder. On courut chercher les prêtres de la paroisse et les membres de la fabrique et, séance tenante, ils l’acquirent et la placèrent dans l’église où l’on fonda une confrérie, en son honneur. Il n’est donc point surprenant que Lydwine, qui fut certainement bercée par cette aventure, dès son jeune âge, ait aimé à prier devant cette statue. Ne pouvant aller la voir, le soir, alors que l’on chantait à genoux devant son autel des cantiques et des hymnes, elle s’arrangeait pour la visiter durant le jour et encore pas aussi souvent qu’elle l’aurait désiré, car sa vie n’était rien moins qu’oisive. En effet, à sept ans, elle remplissait l’office de servante dans la maison de sa mère et c’est à peine si elle trouvait le loisir de prier et de se recueillir. Aussi, profitait-elle des matinées où Pétronille l’envoyait porter leur repas à ses frères, à l’école pour s’acquitter au plus vite de la commission et se conserver, en revenant, le temps de réciter un ave Maria, dans l’église ; et une fois qu’elle s’était attardée et que sa mère, mécontente, lui demandait quel chemin elle avait suivi, elle répondit naïvement : — Ne me gronde pas, petite mère, je suis allé saluer Notre-Dame la Vierge et Elle m’a rendu, en souriant, mon salut. Pétronille demeura songeuse ; elle savait sa fille incapable de mentir et d’âme assez pure pour que Dieu la préservât d’illusions, et se plût à s’arrêter en elle ; elle se tut et toléra désormais sans esquisser de trop grises mines, ses légers retards. Son enfance se passa de la sorte à aider sa mère qui, avec ses huit autres enfants et le peu d’argent que rapportait le métier de son mari, avait bien du mal à joindre les deux bouts. Aussi devint-elle habile ménagère, en grandissant ; à douze ans, elle fut une fillette sérieuse n’aimant guère à participer aux jeux de ses amies et de ses voisines et refusant de se mêler à leurs amusements de promenades et à leurs danses ; elle n’était à l’aise, au fond, que dans la solitude. Sans appuyer, sans préciser encore ses touches, sans lui parler son langage intérieur, sans se montrer, Dieu la liait déjà étroitement, lui laissant obscurément entendre qu’elle n’était qu’à Lui. Elle obéissait sans comprendre, sans même soupçonner cette voie des angoisses qui s’étendait devant elle et dans laquelle il lui allait falloir bientôt entrer. Une seule clarté se fit, fulgurante celle-là, le jour où des jeunes gens de la ville la demandèrent en mariage. Elle était alors avenante et bien tournée, douée de cette beauté spéciale aux blondines des Flandres, une beauté dont le charme tient surtout à la candeur des traits, à la gracieuse ingénuité du rire, à l’expression de tendresse sérieuse et cependant toujours un peu étonnée des yeux ; d’aucuns, parmi ces prétendants, étaient dans une condition de fortune et de famille fort supérieure à la sienne. Pierre, son père, ne put s’empêcher de se réjouir de cette aubaine et d’insister auprès de sa fille pour qu’elle se décidât ; mais, du coup, elle se rendit compte qu’elle devait vouer sa virginité au Christ et elle refusa net à son père de l’écouter ; il s’entêta. — Si vous voulez me contraindre, s’écria-t-elle, j’obtiendrai de mon Seigneur quelque difformité si repoussante qu’elle mettra tous ces épouseurs en fuite ! Et comme Pierre, qui ne voulait pas s’avouer battu, revenait encore à la charge, la mère intervint et dit : voyons, mon homme, elle est trop jeune pour songer au mariage et trop pieuse pour que cet état lui convienne ; puisqu’elle veut se consacrer à Dieu, offrons-la-lui, au moins, de bonne grâce. On finit par se résigner à ses volontés, mais, elle demeura inquiète de se savoir jolie et, en attendant qu’elle fût, ainsi qu’elle le souhaita, laide, elle sortit le moins possible ; elle comprenait maintenant que tout amour qui s’égare sur une créature est un dol commis envers Dieu et elle supplia Jésus de l’aider à le seul aimer. Alors, il commença de la cultiver, l’émonda de toutes les pensées qui pouvaient lui déplaire, lui sarcla l’âme, la racla jusqu’au sang. Et il fit plus ; comme pour attester la justesse du mot terrible à la fois et consolant de sainte Hildegarde : « Dieu n’habite pas les corps bien portants », il s’attaqua à sa santé. Cette chair jeune et charmante dont il l’avait revêtue, elle semble tout à coup le gêner et il la coupe et il l’ouvre dans tous les sens, afin de mieux saisir l’âme qu’elle enferme et la broyer. Il élargit ce pauvre corps, lui donne l’effrayante capacité d’engloutir tous les maux de la terre et de les brûler dans la fournaise expiatrice des supplices. Vers la fin de sa quinzième année, elle n’était déjà plus elle ; alors comme un aigle d’amour, il se précipite sur sa proie et la légende de saint Isidore de Séville et de Vincent de Beauvais sur l’aigle qui suspend ses petits à ses serres et les élève jusque devant l’astre du jour dont ils doivent fixer, sous peine d’être lâchés, le disque incandescent se vérifie en Lydwine ; elle regarde sans ciller le soleil de Justice ; et le symbole de Jésus, pêcheur d’âmes, la redépose doucement dans son aire et, là, son âme va monter et fleurir en une coque charnelle qui deviendra, avant sa sépulture, quelque chose de monstrueux et d’informe, d’on ne sait quoi. Derrière elle, se profile, en une ascendance lointaine, la grande figure de Job, pleurant sur sa couche de fumier. Elle en est la fille ; et les mêmes scènes se reproduiront, à travers les âges, des confins de l’Idumée aux bords de la Meuse, d’irréductibles souffrances endurées avec une inébranlable patience, aggravées par les discussions d’impitoyables amis, par les reproches même des siens, avec cette différence pourtant que les épreuves du Patriarche prirent fin, de son vivant, et que celles de sa descendante ne cessèrent qu’avec sa mort. III Jusqu’à sa quinzième année, Lydwine semble s’être assez bien portée ; ses historiens nous apprennent seulement qu’en bas âge, elle fut atteinte de la gravelle et expulsa de nombreux calculs ; mais ni Gerlac, ni Brugman, ni A Kempis, ne nous parlent des affections infantiles qu’elle put subir ; ce n’est, en somme, que vers la fin de sa quinzième année, que l’amoureuse furie de l’Époux s’abattit sur elle. Alors, elle eut une maladie qui ne mit point ses jours en danger, mais qui la laissa dans un état de faiblesse qu’aucun des pharmaques prônés par les mires et les apothicaires de cette époque ne parvint à vaincre. Devenue étonnamment débile, elle languit ; ses joues se creusèrent et ses chairs fondirent ; elle maigrit à n’avoir plus que la peau et les os ; l’avenance même de ses traits disparut dans les saillies et les vides d’une face qui, de blanche et rose qu’elle était, verdit, puis se cendra. Ses souhaits s’exauçaient ; elle était cadavériquement laide. Ses prétendants se réjouirent d’avoir été évincés et elle ne craignit plus de se montrer. Cependant, comme elle n’arrivait pas à recouvrer ses forces, elle gardait la chambre, quand quelques jours avant la fête de la Purification, ses amies la visitèrent. Il gelait, à ce moment, à pierre fendre et la rivière, la Schie, qui traverse la ville, était ainsi que les canaux, glacée ; par ces temps de froidure acérée, toute la Hollande patine. Ces jeunes filles invitèrent donc Lydwine à patiner avec elles ; mais, préférant demeurer seule, elle prétexta du mauvais état de sa santé pour ne pas les suivre. Elles insistèrent, tant et si bien, lui reprochant son manque d’exercice, l’assurant que le grand air lui ferait du bien, que, de peur de les contrarier, elle finit, avec l’assentiment de son père, par les accompagner sur l’eau devenue ferme du canal derrière lequel sa maison était située ; elle s’était relevée, après avoir chaussé ses patins, quand l’une de ses camarades, lancée à fond de train, se rua sur elle, avant qu’elle eût pu se détourner et elle culbuta sur un glaçon dont les aspérités lui brisèrent l’une des fausses côtes du flanc droit. On la ramena, en pleurant, chez elle et la pauvre fille fut étendue sur un lit qu’elle ne devait plus guère quitter. Cet accident fit aussitôt le tour de la ville et chacun crut de son devoir d’émettre son avis. Lydwine dut supporter, comme Job, l’intarissable bavardage des gens que le malheur des autres rend loquaces ; quelques-uns cependant plus sages, au lieu de la réprimander d’être sortie, se bornèrent à la plaindre, pensant que Dieu avait eu sans doute des raisons spéciales pour la traiter ainsi. Sa famille, désolée, résolut de tout tenter pour la guérir ; malgré sa pauvreté, elle appela les médecins en renom des Pays-Bas. Ils la droguèrent éperdument et le mal empira ; à la suite de ces traitements, un apostème induré se forma dans la fracture. Elle souffrit le martyre ; ses parents ne savaient plus à quels saints se vouer, quand un praticien célèbre de Delft, homme très charitable et très pieux, Godfried de Haga, surnommé Sonder-Danck parce qu’il répondait invariablement avec ce mot qui signifie en hollandais « pas de merci » à tous les malades qu’il traitait gratuitement, vint en consultation la voir. Ses idées sur la thérapeutique étaient celles qu’exprima dans son « Opus paramirum » Bombast Paracelse qui naquit quelques années après la mort de Lydwine. Au milieu du fatras plus ou moins incohérent de son occultisme, cet homme étonnant avait saisi la grande loi de l’équilibre divin lorsqu’il écrivait à propos de l’essence de Dieu : « il faut savoir que toute maladie est une expiation et que si Dieu ne la considère pas comme finie, aucun médecin ne peut l’interrompre... le médecin ne guérit que si son intervention coïncide avec la fin de l’expiation déterminée par le Seigneur. » Godfried de Haga examina donc la patiente et il parla de la sorte à ses confrères assemblés, curieux de connaître son verdict : cette maladie-là, mes très chers, n’est point de notre ressort ; tous les Gallien, les Hippocrate et les Avicenne du monde y perdraient leur renom. Et il ajouta prophétiquement : « la main de Dieu est sur cette enfant. Il opérera des merveilles en elle ; plût au ciel qu’elle fût ma fille, je donnerais de bon cœur un poids d’or égal à celui de sa tête, pour payer cette faveur, si elle était à vendre. » Et il partit, en ne prescrivant aucun remède ; alors tous les médicastres s’en désintéressèrent et elle y gagna, au moins pour quelque temps, de n’être plus contrainte à s’ingérer des remèdes inutiles et coûteux ; mais le mal s’accrut encore et les douleurs devinrent intolérables ; elle ne put rester ni couchée, ni assise, ni debout. Ne sachant plus que faire et ne pouvant s’immobiliser dans la même position, un seul instant, elle demandait qu’on la transférât d’un lit dans un autre, croyant amortir ainsi un peu l’acuité de ses tortures ; mais les secousses de ces déplacements achevèrent d’exaspérer son mal. La veille de la Nativité de saint Jean-Baptiste, ses tourments atteignirent leur paroxysme ; elle sanglotait sur son lit, dans un état d’énervement affreux ; à un moment, elle n’y tint plus ; les douleurs s’accélérèrent si déchirantes qu’elle jaillit de sa couche et tomba, cassée en deux, sur les genoux de son père qui pleurait, assis auprès d’elle. Ce saut fit éclater l’abcès ; mais, au lieu de crever au dehors, il perça en dedans et elle rendit le pus à pleine bouche. Ces vomissements la secouaient de la tête aux pieds et ils étaient avec cela si abondants qu’ils emplissaient des écuelles que l’on avait à peine le loisir de vider à mesure qu’elles débordaient, dans un grand coquemar. Finalement, elle s’évanouit dans un dernier hoquet et ses parents la crurent morte. Elle reprit cependant connaissance et alors la vie la plus sinistre qui se puisse imaginer commença pour elle ; incapable de s’appuyer sur ses jambes et toujours agitée de ce besoin de changer de place, elle se traîna sur les genoux, rampa sur le ventre, s’accrochant aux escabeaux et aux angles des meubles ; brûlée de fièvre, elle fut obsédée par des goûts maladifs et but l’eau sale ou l’eau tiède qu’elle rencontrait et elle la rejetait, tordue par d’affreux cahots. Trois ans se passèrent de la sorte ; pour parfaire son martyre, elle fut abandonnée par ceux qui venaient encore, de temps en temps, la saluer. L’aspect de ses tortures, ses gémissements et ses cris, le masque horrible de son visage tuméfié par les larmes, mirent les visiteurs en déroute. Sa famille, seule, l’assistait, son père dont la bonté ne se démentit pas, sa mère qui, moins résignée à son sort de garde-malade, s’agaça, et, impatientée de l’entendre toujours geindre, la brusqua. Le chagrin qu’elle ressentait, en étant déjà si malheureuse, d’être obligée de subir encore des algarades et des reproches aurait sans doute fini par la tuer, si Dieu, qui semblait demeurer jusqu’alors sur l’expectative avec elle, n’était subitement intervenu, lui montrant par un soudain miracle qu’il ne la délaissait point et infligeant, par la même occasion, une leçon de miséricorde à sa mère. Voici, en effet, ce qui advint : Un jour, deux hommes se querellèrent sur la place ; après s’être couverts d’injures, ils se gourmèrent et l’un d’eux, tirant son épée, fondit sur l’autre qui, ou désarmé ou moins courageux, s’enfuit ; il aperçut, à un tournant de rue, la maison de Lydwine dont la porte était ouverte et il s’y précipita. Son adversaire, qui ne l’avait pas vu entrer, soupçonna néanmoins qu’il s’était réfugié en ce lieu et considérant Pétronille qui le regardait, effarée, sur le seuil, il s’écria, écumant de rage : Où est-il, ce fils de la mort ? n’essayez pas de me tromper, il doit être caché chez vous ! Elle l’assura, en tremblant, que non ; mais il ne la crut pas ; et l’écartant d’un revers de main et proférant les plus terribles menaces, il pénétra jusque dans la chambre de Lydwine et somma la malade de ne pas lui déguiser la vérité. Lydwine, incapable de mentir, répondit : Celui que vous poursuivez est, en effet, ici. À ces mots, Pétronille qui s’était glissée derrière l’énergumène ne put se contenir et elle gifla sa fille, disant : Comment, misérable folle, vous livrez un homme qui est votre hôte alors qu’il est en danger de mort ! Cependant le forcené ne voyait et n’entendait rien de cette scène. Il cherchait, en blasphémant, son adversaire devenu invisible pour lui et qui était pourtant, là, debout, devant lui, au milieu de la pièce. Ne le découvrant pas, il s’élança dehors pour retrouver ses traces, tandis que le malheureux décampait, à son tour, d’un autre côté, à toutes jambes. Lorsqu’ils furent partis, Lydwine qui avait reçu, sans se plaindre, cette correction, murmura : J’ai cru, ma mère, que le fait seul de dire la vérité suffirait à sauver cet homme ; — et Pétronille, admirant la foi de sa fille et le miracle qui l’en avait récompensée, conçut de plus débonnaires sentiments et supporta désormais avec moins de malveillance et d’aigreur les fatigues et les peines que lui causaient les infirmités de Lydwine. Il convient d’avouer, d’ailleurs, qu’elle avait, pour excuse de ses acrimonies, d’incessants embarras et de harassantes besognes, la brave femme ! car si les infirmités de son enfant lui semblaient excessives déjà, elles n’étaient que bénignes en comparaison de celles qui surgirent. Bientôt, Lydwine ne put même plus se traîner sur les genoux et s’agripper aux huches et aux sièges ; il lui fallut croupir sur sa couche et ce fut, cette fois, pour jamais ; la plaie qui n’avait pu se cicatriser, sous les côtes, s’envenima et la gangrène s’y mit ; la putréfaction engendra les vers qui parvinrent à se faire jour sous la peau du ventre et pullulèrent dans trois ulcères ronds et larges comme des fonds de bols ; ils se multiplièrent d’une façon effrayante ; ils paraissaient bouillir, dit Brugman, tant ils grouillaient ; ils avaient la grosseur du bout d’un fuseau et leurs corps étaient gris et aqueux et leurs têtes noires. L’on rappela des médecins qui prescrivirent d’appliquer sur ces nids de vermines, des cataplasmes de froment frais, de miel, de graisse de chapon, auxquels d’aucuns conseillèrent d’ajouter de la crème de lait ou du gras d’anguille blanche, le tout saupoudré de chair de bœuf desséchée et réduite en poudre, dans un four. Et, en effet, ces remèdes qui exigeaient, pour les préparer, certains soins — car il fut remarqué que si la farine de froment était tant soit peu éventée, les vers ne s’en repaissaient point — la soulagèrent et l’on arriva, par ce moyen, à retirer de ses blessures de cent à deux cents vers par vingt-quatre heures. À ce propos d’emplâtre façonné avec de la graisse de chapon, les biographes de Lydwine nous racontent cette anecdote : Le curé de Schiedam était alors un P. André, de l’ordre des prémontrés, détaché de son couvent de l’île Sainte-Marie. Ce religieux était pourvu d’une âme vraiment turpide. Goinfre et rapace, ne songeant qu’à son bien-être, il dut, aux approches du Carême, traiter les recteurs de sa paroisse et il tua des chapons qu’il avait eu le soin préalable d’engraisser. Or, il se présenta à ce moment chez Lydwine pour la confesser ; connaissant les desseins annoncés de cette bombance et l’apport préparé des volatiles, elle lui demanda de lui donner la graisse de l’un d’eux pour la confection de son onguent. Il répondit, avec mauvaise humeur, qu’il ne le pouvait, attendu que ses chapons étaient maigres et que le peu de jus qui en coulerait devait servir à la cuisinière pour les arroser pendant la cuisson. Elle insista, lui proposa même en échange une mesure de beurre égale à celle de la graisse ; il persista dans sa résolution ; alors, elle le regarda et lui dit : — Vous m’avez refusé ce que je vous quêtais, à titre d’aumône, au nom de Jésus, eh bien, je prie maintenant notre Sauveur pour que votre volaille soit dévorée par les chats. Et ainsi fut fait ; quand le matin du repas l’on inspecta le garde-manger, l’on y découvrit, en guise de bêtes à rôtir à la broche, des fragments broyés d’os. Si cette aventure ne rendit point, comme nous le verrons par la suite, ce religieux moins égoïste et moins vil, elle lui valut au moins de se montrer, dans une circonstance analogue, plus sagace et moins chiche, car Gerlac nous narre cet autre épisode : En sus de ces cataplasmes de fleur de froment et d’axonge, Lydwine se servait quelquefois de tranches de pomme coupées fraîches, pour les apposer sur ses plaies et en rafraîchir l’inflammation. Or, le curé possédait des pommes en abondance, dans son jardin. La sainte lui en réclama quelques-unes pour cet usage. Il commença par rechigner, déclarant qu’il ne savait pas s’il en restait, mais quand il fut rentré chez lui, il se remémora ses chapons perdus et il envoya aussitôt quelques pommes à sa pénitente, en disant : je les lui offre de peur que ce ne soient, cette fois, les loirs qui me les mangent. Au fond, ces médicaments étaient anodins et ne la secouraient guère. Un médecin du diocèse de Cologne qui avait entendu parler d’elle, peut-être par Godfried de Haga dont il semble avoir été l’ami, parut mieux réussir, bien qu’en fin de compte, il se soit borné à changer, en l’aggravant, la nature du mal. Il lui fit appliquer sur ses foyers purulents des compresses imbibées d’une mixture qu’il préparait, en distillant certaines plantes cueillies dans les forêts par les temps secs, au point du jour, lorsqu’elles sont encore couvertes de rosée. Cette mixture, mélangée à une décoction de centaurée ou de mille-fleurs, sécha peu à peu les ulcères. Ce médecin était un brave homme car, pour être sûr qu’elle ne serait pas privée, s’il mourait avant elle, de son remède, il avait chargé son gendre, un apothicaire du nom de Nicolas Reiner, de lui expédier, après son décès, toutes les fioles dont elle aurait besoin pour fermer ses plaies. Mais le moment arriva où tous ces palliatifs furent définitivement infidèles, car le corps entier de la malheureuse fut à vif ; en outre de ses ulcères dans lesquels vermillaient des colonies de parasites qu’on alimentait sans les détruire, une tumeur apparut sur l’épaule qui se putréfia ; puis ce fut le mal redouté du Moyen Âge, le feu sacré ou le mal des ardents qui entreprit le bras droit et en consuma les chairs jusqu’aux os ; les nerfs se tordirent et éclatèrent, sauf un qui retint le bras et l’empêcha de se détacher du tronc ; il fut dès lors impossible à Lydwine de se tourner de ce côté et il ne lui resta de libre que le bras gauche pour soulever sa tête qui pourrit à son tour. Des névralgies effroyables l’assaillirent qui lui forèrent, ainsi qu’avec un villebrequin, les tempes et lui frappèrent, à coups redoublés de maillet, le crâne ; le front se fendit de la racine des cheveux jusqu’au milieu du nez ; le menton se décolla sous la lèvre inférieure et la bouche enfla ; l’œil droit s’éteignit et l’autre devint si sensible qu’il ne pouvait supporter, sans saigner, la moindre lueur ; elle éprouva aussi des rages de dents qui durèrent parfois des semaines et la rendirent quasi-folle ; enfin, après une esquinancie qui l’étouffa, elle perdit le sang, par la bouche, par les oreilles, par le nez, avec une telle profusion que son lit ruisselait. Ceux qui assistaient à ce lamentable spectacle se demandaient comment il pouvait sortir, d’un corps si parfaitement épuisé, une telle quantité de sang et la pauvre Lydwine essayait de sourire. — Dites, faisait-elle, vous qui en savez plus long que moi, d’où peut venir au printemps cette sève dont se gonfle la vigne, si noire et si nue pendant l’hiver ? Il semblait qu’elle eût parcouru le cycle possible des maux. Il n’en était rien ; à lire les descriptions de ses biographes que j’adoucis, l’on se croirait dans une clinique où défilent, une à une, les maladies les plus terrifiantes, les cas de douleur les plus exaspérés, les crises les plus rares. Bientôt, en sus de ses autres infirmités, sa poitrine jusqu’alors indemne s’attaqua ; elle se moucheta d’ecchymoses livides, puis de pustules cuivrées et de clous ; la gravelle, qui l’avait torturée dès son enfance et qui était disparue, revint et elle évacua des calculs de la grosseur d’un petit œuf ; ce furent ensuite les poumons et le foie qui se carièrent ; puis un chancre creusa un trou à pic qui s’étendit dans les chairs et les rongea ; enfin quand la peste s’abattit sur la Hollande, elle en fut infectée, la première ; deux bubons poussèrent, l’un sur l’aine, et l’autre dans la région du cœur. — Deux, c’est bien, s’exclama-t-elle, mais s’il plaît à Notre Seigneur, je pense qu’en l’honneur de la sainte Trinité, trois seraient mieux ! — et un troisième abcès lui fouilla aussitôt la joue. Elle serait morte vingt fois si ces affections avaient été naturelles ; une seule eût suffi pour la tuer ; aussi, n’y avait-il, pour essayer de la guérir, rien à tenter, rien à faire. Mais la renommée de ces maux réunis si étrangement sur une seule personne qui continuait de vivre, en étant sur toutes les parties du corps mortellement atteinte, s’était répandue au loin. Si elle lui avait amené des empiriques qui avaient parfois aggravé par de douteuses panacées, son état, elle lui valut, par contre, une nouvelle visite de ce brave Godfried de Haga qui l’avait soignée après sa chute. Il arriva à Schiedam, accompagné de la comtesse Marguerite de Hollande dont il était le médecin, et qui voulait vérifier par elle-même le cas de cette extraordinaire malade dont elle entendait souvent, par les seigneurs de sa Cour, parler. Elle pleura de pitié, en voyant l’aspect inhumain de Lydwine. Godfried, qui avait jadis pronostiqué l’origine divine de ces maux, ne pouvait que constater l’impuissance de son art à les guérir ; croyant cependant qu’il parviendrait peut-être à soulager la patiente, il lui retira du ventre les entrailles qu’il déposa dans un bassin ; il les tria et remit, après les avoir nettoyées, celles qui n’étaient pas hors d’usage, en place. Son diagnostic fut qu’elle était affligée d’une putréfaction de la moelle qu’il attribua assez bizarrement à cette cause que Lydwine ne salait jamais ses aliments ; il ajouta, en se retirant, qu’une nouvelle maladie, l’hydropisie se produirait à bref délai, et ses prévisions se réalisèrent ; l’hydropisie s’attesta dès que les ulcères soignés par les solutions et les compresses du médecin de Cologne se fermèrent. Quand ils ne suppurèrent plus, la malheureuse gonfla et regretta d’avoir échangé, contre un pire, son mal. Et cet incroyable assaut de calamités physiques, elle l’endura pendant trente-huit années ; elle n’eut, durant ce temps, pas un instant de répit, pas une heure de bon. Il convient de remarquer maintenant que parmi ces méchéances dont elle souffrit, deux sont comprises dans les trois fléaux venus de l’Orient qui désolèrent l’Europe pendant le Moyen Âge : le mal des ardents, une sorte d’ergotisme gangreneux, brûlant ainsi qu’un feu caché les chairs des membres et délitant les os, jusqu’à ce que la mort achevât le supplice ; la peste noire qui, selon l’observation d’un médecin de l’époque, « se déclarait avec fièvre continue, apostèmes et carboncles ès parties externes, principalement aux aisselles et aux aisnes et l’on en mourait en cinq jours ». Reste donc le troisième fléau qui fit, lui aussi, le désespoir de ces siècles, la lèpre. Il manque à la série des affections subies par la pauvre fille. Dieu qui, dans les Écritures, et dans les vies des saints, paraît s’intéresser d’une façon particulière au « mesel » ou lépreux qu’il guérit ou dont il emprunte la repoussante image pour tenter la charité des siens, Dieu ne voulut pas imposer à sa pitoyable servante cette dernière épreuve ; et le motif de cette exception qui étonne tout d’abord, on le comprend pour peu que l’on y réfléchisse. La lèpre eût contrecarré les desseins du Seigneur et rendu l’expansion de la sainteté de Lydwine, nulle. Il faut se rappeler, en effet, que, pendant le Moyen Âge, les lépreux, considérés comme incurables, car toute la pharmacopée de ses docteurs, l’ellébore, les bains de soufre, la chair de vipère usités dès l’antiquité déjà, l’arsenic essayé par Paracelse, n’avaient pu parvenir à en guérir un, furent enfermés, par peur de la contagion, dans des hospices spéciaux ou isolés dans de petites maisons, dans des « bordes » qu’il leur était interdit, sous menace des plus dures peines, de quitter. Ils durent même revêtir un costume distinctif, une sorte de housse grise ou d’esclavine, agiter avec une main toujours enveloppée d’un gant une crécelle dite tartavelle pour empêcher les gens de s’approcher. Le lépreux était un paria, mort civilement, séparé à jamais du monde, et on l’enterrait, après son trépas, dans un lieu à part. La liturgie était pour lui, terrible ; avant de le séquestrer, l’Église célébrait, en sa présence, une messe du Saint-Esprit avec l’oraison « pro infirmis », puis elle le conduisait processionnellement à la cabane qui lui était destinée ou à la maladrerie, s’il en existait une, dans le pays ; on lui lisait les effrayantes prohibitions qui le retranchaient du nombre des vivants, l’on jetait trois pelletées de terre, prises dans le cimetière, sur son toit, l’on plantait une croix devant sa porte et c’était fini du mesel. Dans certaines contrées de la France, le rituel qui le concernait était plus sinistre encore. Le malheureux féru de la maladie de « Monsieur sainct Ladre » n’entrait à l’église, le jour fixé pour son internement, qu’allongé sur une civière et couvert d’un drap noir, de même qu’un mort. Le clergé chantait le « libera » et faisait la levée du corps. Le lépreux ne se tenait debout qu’une fois arrivé devant le lazaret ou devant la hutte qui devait l’abriter et, là, tête basse, il écoutait la lecture de l’arrêt qui lui enjoignait de ne pas risquer un pied dehors, de ne pas toucher à quoi que ce fût, qui allait jusqu’à lui prescrire de passer sous le vent des personnes saines, si celles-ci venaient par hasard à le croiser. Les règlements relatifs à la lèpre ont été, à quelques détails près, partout les mêmes. Le Coutumier du comté de Hainaut qui fut, au XIVe siècle, l’une des provinces composant le domaine des Pays-Bas, contient une série d’ordonnances de ce genre. Il est donc certain que si Lydwine avait été atteinte de ladrerie, elle eût été emportée de chez elle et ensevelie, pour ainsi dire, vivante ; elle n’aurait pu recevoir les secours de son père et de sa mère et, après leur décès, de ses neveu et nièce que l’on eût écartés par crainte de la diffusion du mal ; elle fût, dès lors, sans que quiconque l’eût pu visiter, demeurée inconnue et les exemples auxquels Dieu désirait qu’elle servît, seraient à jamais ignorés. Il faut noter aussi que cette question des soins à lui donner paraît avoir été envisagée d’une façon très particulière par Notre Seigneur. Il l’accabla de tourments, il la défigura en substituant au charme de son clair visage l’horreur d’une face boursouflée, d’une sorte de mufle léonin raviné par des rigoles de larmes et des rainures de sang ; il la mua en un squelette et bomba sur cette consternante maigreur le dôme ridicule d’un ventre rempli d’eau ; il la promut, pour ceux qui ne voient que les apparences, hideuse ; mais s’il accumula sur elle toutes les disgrâces des formes, il entendit que les gardes-malades chargées de la panser ne pussent être dégoûtées et lassées de leurs charitables offices, par l’odeur de décomposition qui devait forcément s’exhaler des plaies. En un constant miracle, il fit de ces blessures des cassolettes de parfums ; les emplâtres que l’on enlevait, pullulant de vermines, embaumaient ; le pus sentait bon, les vomissements effluaient de délicats arômes ; et de ce corps en charpie qu’il dispensait de ces tristes exigences qui rendent les pauvres alités si honteux, il voulut qu’il émanât toujours un relent exquis de coques et d’épices du Levant, une fragrance à la fois énergique et douillette, quelque chose comme un fumet bien biblique de cinnamome et bien hollandais, de cannelle. IV Parlant incidemment de Lydwine dans sa biographie de l’admirable sœur Catherine Emmerich qui fut, au XIXe siècle, l’une des héritières directes de la sainte de Schiedam, un religieux allemand le P. Schmœger s’efforce de rapprocher chacune de ses souffrances de celles qu’endurait alors l’Église et il en vient, par exemple, à assimiler ses ulcères aux blessures de la chrétienté lésée par les désordres du schisme, à prétendre que les douleurs de la pierre dont elle pâtit, symbolisèrent l’état de concubinage dans lequel vivaient alors de nombreux prêtres, que les pustules de sa gorge signifièrent les enfants « privés du lait de la sainte doctrine, » etc. La vérité est que ces analogies sont singulièrement tirées par les cheveux et, un tantinet même cocasses et qu’il paraît et plus exact et plus simple de ne rien spécifier et de s’en tenir à cette indication générale que nous avons déjà posée, que Lydwine expia, par des maladies, les fautes des autres. Mais son âme fut-elle, en cette gaine déchirée, dans ce vêtement troué et mangé par les vers, tout d’abord ferme ? Fut-elle assez fervente, assez robuste pour supporter, sans se plaindre, le poids sans mesure de ses maux ? Lydwine fut-elle, dès que les infirmités la prostrèrent, une sainte ? Nullement ; les quelques renseignements qui nous furent laissés affirment le contraire ; elle ne ressembla point à ces déicoles qui possédèrent, soi-disant, d’emblée, toutes les vertus sans même s’être infligé la peine de les acquérir ; ses biographes, si vagues sur certains points, ne nous ont pourtant pas leurrés, ainsi que tant de leurs confrères dont les histoires nous présentent des femmes qui n’en sont pas, des héroïnes impeccables mais fausses, des êtres qui n’ont rien de vivant, rien d’humain, en un mot. Elle, s’ébroua devant la douleur et voulut fuir ; quand elle sévit, captive sur un lit, elle pleura toutes ses larmes et fut bien près de tomber dans le désespoir. Comment aurait-il pu en être autrement, d’ailleurs ? Elle n’était pas préparée à gravir en d’aussi terrifiantes étapes la pente du Calvaire. Jusqu’au jour où elle se brisa une côte, la vie avait été pour elle laborieuse et facile ; son enfance ne différa guère de celle de beaucoup de petites filles du peuple que la misère mûrit avant l’âge, car il leur faut, lorsqu’elles s’échappent de la classe, aider leur mère à élever les autres enfants ; elle fut plus heureuse néanmoins que ses camarades d’école et que ses voisines, car elle fut choyée comme pas une, par la Vierge qui condescendit à animer sa statue et à sourire pour lui plaire ; mais Lydwine, qui ne savait pas ce qu’étaient les voies mystiques, ne pouvait croire que ces attentions n’étaient que le prélude d’affreux tourments ; elle s’imagina, naïvement, que ces gâteries dureraient et il en fut d’elle ainsi que de tous ceux dont Jésus saisit l’âme pour la liquéfier dans la forge de l’Amour et la verser, alors qu’elle entre en fusion, dans le moule nuptial de sa croix ; elle allait expérimenter que le mariage de l’âme ne se consomme le plus souvent que lorsque le corps est réduit à l’état de poussier, à l’état de loque ; brusquement, pour elle, les joies du début cessèrent ; dès qu’elle lui eut sevré l’âme, la Madone la descendit de ses bras par terre et elle dut apprendre à chercher sa subsistance et à marcher, sans lisières, seule ; elle suivit, en somme, avant que de pénétrer dans les sentiers extraordinaires, la route commune. Les quatre premières années de ses maladies, elle put se croire vraiment damnée ; toute consolation lui fut refusée. Après l’avoir accablée de coups, Dieu se détourna, ne parut même plus la connaître. Sa situation fut certainement alors celle de tous ceux que les maladies alitent. Après ces prémices de souffrances qui stimulent la prière, qui font supplier avec l’espoir, sinon d’une guérison immédiate, au moins d’une détente dans l’acuité du mal, le découragement s’impose à ne voir aucun de ses souhaits exaucés et les oraisons se débilitent, à mesure que les misères s’accroissent ; le recueillement s’exclut ; le sort pitoyable que l’on subit absorbe tout ; l’on ne peut plus penser qu’à soi-même et le temps se passe à déplorer son infortune. Ces prières que l’on continue cependant, par un reste d’habitude, par une incitation secrète du ciel, ces prières que l’on jugerait devoir être d’autant mieux écoutées qu’elles sont plus méritoires, car elles coûtent tant ! elles finissent, à un moment de trop grande douleur, par s’exaspérer, par se dresser devant Dieu, comme une sommation, comme une mise en demeure de tenir les promesses de ses Évangiles ; l’on se répète amèrement le « demandez et il vous sera donné », et elles s’achèvent dans la lassitude et le dégoût ; l’à quoi bon s’insinue peu à peu de tant d’efforts et lorsque dans un instant de provisoire ferveur, dans une minute d’adoucissement des crises, l’on veut se remettre à prier, il semble que l’on ne sait plus. Les invocations, à peine lancées du bord du cœur, retombent à plat et l’on croit sentir que le Christ ne se baisse pas pour les ramasser ; c’est la tentation de désespoir qui commence ; et, tandis qu’il tisonne le brasier des tortures, l’Esprit de Malice devient pathétique et plaintif ; il insiste sur la fatigue des vœux réprouvés, sur l’inefficace des oraisons et le malade s’abat sur lui-même, à bout de force. L’horizon est noir et les lointains sont clos. Dieu dont le souvenir quand même domine n’apparaît plus qu’ainsi qu’un inexorable thaumaturge qui pourrait vous guérir d’un signe et ne le veut pas. Il n’est même plus un indifférent, il est un ennemi ; l’on aurait plus de miséricorde que Lui, si l’on était à sa place ! Est-ce qu’on laisserait ainsi souffrir des gens que l’on pourrait, si aisément, soulager ? Dieu semble être un mauvais Samaritain, un Juge inconcevable. On a beau se dire, dans une lueur de bon sens, que l’on a péché, que l’on expie ses offenses, l’on conclut que la somme des transgressions commises n’est pas suffisante pour légitimer l’apport de tant de maux et l’on accuse Notre-Seigneur d’injustice, l’on prétend Lui démontrer qu’il y a disproportion entre les délits et la peine ; dans ce désarroi, l’on ne tente plus de se consoler qu’en s’attendrissant sur soi-même, qu’en se plaignant d’être la victime d’une inéquitable rigueur ; plus on gémit et plus l’on s’aime ; et l’âme détournée de son chemin par ces quérimonieuses adulations de ses propres aîtres, vague, excédée sur elle-même et finit par s’étendre dans la ruelle, tournant presque le dos à Dieu, ne voulant plus Lui parler, ne désirant plus, ainsi qu’un animal blessé, que souffrir, cachée, dans un coin, en paix. Mais cette désolation a des hauts et des bas. L’impossibilité de se remonter de la sorte réoriente la pauvre âme, qui ne peut tenir au même endroit, vers son Maître. L’on se reproche alors ses contumélies et ses blâmes ; l’on implore son pardon et une douceur naît de ce rapprochement ; peu à peu, des idées de résignation à la volonté du Sauveur s’inculquent et prennent racine, si le Diable, aux aguets, ne se mêle pas de les extirper, si une visite motivée par la charité et, par l’espoir de vous apporter un réconfort ne manque pas résolument son but, en vous rejetant dans des sentiments de regrets et d’envie ; car c’est encore là l’une des tristesses spéciales aux grabataires ; si la solitude leur pèse, le monde les accable. Si personne ne vient, l’on se dit abandonné, lâché par ceux dont l’amitié était la plus sûre et s’ils viennent, l’on effectue un retour sur soi-même, en considérant la bonne santé des visiteurs ; et cette comparaison vous afflige davantage ; il faut être déjà bien avancé dans la voie de la perfection pour pouvoir, en de telles circonstances, s’omettre. Lydwine, que la hantise de ses détresses incitait à se fréquenter, à penser à elle surtout, dut connaître ces alternatives d’âme écorchée, ces douloureux abois. Ce que nous savons positivement, en tout cas, c’est que lorsqu’elle entendait les rires de ses amies jouant dans la rue, elle fondait en larmes et demandait au Seigneur pourquoi elle était, à l’écart des autres, si durement traitée. Il faut croire cependant qu’elle était déjà de taille à supporter les plus effarantes des calamités, car Dieu ne tint aucun compte de ses pleurs et, au lieu de l’alléger, il la chargea. À ses tortures corporelles, à ces tourments de l’âme issus de la pensée toujours ramenée à son propre dessein, ne tarda pas à se joindre l’horreur de la ténèbre mystique. Tandis qu’elle essayait de réagir contre le découragement, elle entrait dans le laminoir de la vie purgative et s’y tréfilait ; ce fut alors, en sus de l’obsession de son impotence, l’aridité de tout son être ; ce fut l’ataxie spirituelle qui fait que l’âme fléchit, incapable d’aller droit, fauche quand elle marche, jusqu’au moment où toutes les facultés se paralysent. Ainsi que l’observe saint Jean de la Croix, Dieu plonge l’entendement dans la nuit, la volonté dans les sécheresses, la mémoire dans le vide, le cœur dans l’amertume. Et ce stade de délaissement intérieur, greffé et comme confondu avec le navrement têtu des maux, Lydwine l’éprouva pendant des années ; elle se crut maudite par l’Époux et put encore allier à ses angoisses l’appréhension que cet état durerait toujours. Aucune créature humaine n’eût pu résister à de tels assauts si elle n’avait été divinement surveillée et ardemment soutenue ; mais Dieu cacha à Lydwine, pendant cette période d’épuration, son aide ; il lui supprima les consolations sensibles ; il ne lui prêta même pas l’appui d’un prêtre, car ce n’était point, à coup sûr, ce curé de Schiedam, l’homme aux chapons, qui était capable de la secourir dans son dénuement ! il ne paraît pas non plus que le dictame des affligés, que le souverain magistère de l’âme, que la communion lui ait été souvent accordée, car Gerlac et Brugman notent qu’au temps où elle pouvait encore se traîner, ses parents la conduisaient, le jour de Pâques, à l’église où elle s’agenouillait tant bien que mal devant la rampe de l’autel. Plus tard, quand elle fut immobilisée sur sa couche, ils marquent encore que l’esquinancie dont elle était atteinte l’empêchait souvent de consommer les célestes Apparences ; enfin, A Kempis, plus précis, déclare formellement qu’elle ne communiait, lorsqu’elle était saine, qu’à la fête de la Résurrection ; puis, ajoute-t-il, lorsqu’elle ne put quitter sa chambre, elle obtint de recevoir le corps de Notre-Seigneur une fois de plus ; enfin, longtemps après qu’elle fut complètement alitée, on lui porta l’Eucharistie, six fois l’an. À cette époque, on le voit, le Sacrement se distribuait à d’assez rares intervalles, mais n’est-ce pas à cette privation du seul Cordial qui eût été assez puissant pour la ranimer que l’on peut attribuer, en partie, cette anémie spirituelle qui l’accablait ? En résumé, jamais femme ne parut ainsi abandonnée par Celui dont les caresses implorées se résolvaient en d’âpres décevances et de brusques rebuts ; son cas peut sembler, en effet, presque unique. Les autres saints et les autres saintes connurent évidemment des angoisses pareilles ; ils passèrent comme elle par les épreuves de la vie purgative, mais ils ne la subirent pas, pour la plupart, en même temps que l’enfer des tortures physiques ; l’âme était en sang, mais le corps était valide ; il soutenait de son mieux sa compagne, il la promenait au moins, telle qu’une enfant malade qu’on berce sur les bras ; il l’emmenait dans les églises, il tentait de tromper ses angoisses en la sortant ; ou bien, c’était le contraire ; l’organisme défaillait mais l’âme était dispose et elle relevait, à force d’énergie, son acolyte ; chez Lydwine, hélas ! l’âme et sa coque étaient à l’avenant ; toutes deux étaient délabrées et inaptes à s’étayer ; elles étaient sur le point de crouler, quand subitement le Seigneur qu’elle croyait si loin, lui affirma, magnifiquement, par le miracle de l’homme devenu invisible, qu’il veillait là, à ses côtés, qu’il s’occupait enfin d’elle. Jugeant que les ténèbres de la pauvre fille avaient suffisamment duré, il les déchirait dans cet éclair de grâce, puis il confiait à un intermédiaire humain, à un prêtre du nom de Jan Pot, le soin de lui expliquer sa vocation et de la consoler. Qu’était ce Jan Pot qui fut son confesseur en même temps que dom André, le curé de Schiedam ? Gerlac et A Kempis le désignent comme étant cet ecclésiastique qui venait la communier alors qu’elle avait obtenu la permission de consommer le « Mengier de Dieu » deux fois l’an. Il ne paraît pas, avoir tenu le curé en une très ample estime, car ce fut lui qui annonça à Lydwine — avec joie, dit Gerlac — que les chats avaient dévoré les chapons. D’où venait-il ? quelle était sa situation dans la ville ? comment connut-il la sainte ? Autant de questions qui subsistent sans réponse nette. Cependant, si l’on rapproche deux passages, l’un de Gerlac, l’autre de Brugman, relatifs tous deux à la tentation de suicide d’un échevin de Schiedam dont nous parlerons plus loin, l’on pourrait peut-être admettre que Jan Pot fut le vicaire de la paroisse. En tout cas, ce que l’on peut attester, c’est qu’il fut réellement délégué par Dieu pour définir à Lydwine sa mission et la diriger. Après lui avoir, un jour, débité les lieux communs qui se récitent d’ordinaire aux malades, il conclut simplement : — Ma fille, vous avez trop négligé jusqu’ici de méditer la Passion du Christ. Faites-le désormais et vous verrez que le joug du Dieu des amoureuses douleurs deviendra doux. Accompagnez-le, au jardin des Olives, chez Pilate, sur le Golgotha et dites-vous, que lorsque la mort lui interdira de souffrir encore tout ne sera pas fini, qu’il vous faudra dorénavant, comme une fidèle veuve, accomplir les dernières volontés de l’Époux, suppléer par vos souffrances à ce qui manque aux siennes. Lydwine l’écouta, sans bien comprendre ce que signifiaient ces mots. Elle le remercia de s’être montré si charitable pour elle et quand il fut parti, elle voulut profiter de son conseil et réfléchit ; mais ce fut en vain qu’elle essaya de se représenter les scènes du Calvaire ; elle s’évaguait et ses tourments l’intéressaient plus que ceux de Jésus ; elle tenta de s’arracher à elle-même et, en observant une méthode que Jan Pot lui avait brièvement indiquée pour faciliter la pratique de cet exercice, elle s’efforça de rallier ses pensées et, après les avoir groupées, de les lancer sur la piste du Sauveur ; mais elles se retournèrent et revinrent au galop sur elle ; alors, elle perdit complètement la tête. Quand elle se fut un peu reprise, elle réunit toute sa volonté pour s’appliquer des œillères sur les yeux de l’esprit, afin de s’empêcher de regarder de côté et d’autre et de se contraindre à ne suivre qu’une trace, mais ce procédé n’obtint aucun succès ; l’âme se buta et refusa d’avancer ; bref, cette méditation sur commande l’épuisa, tout en l’ennuyant à mourir ; et elle le confessa très franchement au prêtre lorsqu’il la visita de nouveau. — Mon père, fit-elle, j’ai voulu vous obéir, mais je n’entends rien du tout à la méditation ; lorsque je m’évertue à considérer les tortures du Christ, c’est aux miennes que je songe ; le joug du Sauveur n’est pas, ainsi que vous me l’assuriez, devenu léger ; ah ! si vous saviez ce qu’il pèse ! Jan Pot ne se montra nullement surpris de cette réponse. Il loua Lydwine de son effort et patiemment lui expliqua que son état de siccité, que son peu d’élan, que ces écarts de l’imagination inapte à cingler vers un seul but, étaient quand même des grâces ; il lui décela sans doute que l’oraison récitée par sujétion est peut-être la plus agréable qui soit à Dieu, puisqu’elle est la seule qui coûte ; il lui dit, avec sainte Gertrude, que si le Seigneur accordait toujours des consolations intérieures, elles seraient nuisibles, car elles amolliraient les âmes et diminueraient le poids de leurs acquis ; et l’on peut croire qu’après ce préambule, il déchira brusquement le voile qui couvrait l’avenir, qu’il lui révéla son rôle de victime sur la terre, qu’il lui précisa le sens de cette phrase de saint Paul « parfaire la Passion du Christ ». Il lui apprit certainement que l’humanité est gouvernée par des lois que son insouciance ignore, loi de solidarité dans le Mal et de réversibilité dans le Bien, solidarité en Adam, réversibilité en Notre Seigneur, autrement dit, chacun est, jusqu’à un certain point, responsable des fautes des autres et doit aussi, jusqu’à un certain point, les expier ; et chacun peut aussi, s’il plaît à Dieu, attribuer, dans une certaine mesure, les mérites qu’il possède ou qu’il acquiert à ceux qui n’en ont point ou qui n’en veulent recueillir. Ces lois, le Tout-Puissant les a promulguées et il les a, le premier, observées en les appliquant à la Personne de son Fils. Le Père a consenti à ce que le Verbe prît à sa charge et payât la rançon des autres ; il a voulu que ses satisfactions qui ne pouvaient lui servir, puisqu’il était innocent et parfait, profitassent aux mécréants, aux coupables, à tous les pécheurs qu’il venait racheter ; il a voulu qu’il présentât, le premier, l’exemple de la substitution mystique, de la suppléance de Celui qui ne doit rien à celui qui doit tout ; et Jésus, à son tour, veut que certaines âmes héritent de la succession de son sacrifice. Et, en effet, le Sauveur ne peut plus souffrir par Lui-même, depuis qu’il est remonté près de son Père, dans la liesse azurée des cieux ; sa tâche rédemptrice s’est épuisée avec son sang, ses tortures ont fini avec sa mort. S’il veut encore pâtir, ici-bas, ce ne peut plus être que dans son Église, dans les membres de son corps mystique. Ces âmes réparatrices qui recommencent les affres du Calvaire, qui se clouent à la place vide de Jésus sur la croix, sont donc, en quelque sorte, des sosies du Fils ; elles répercutent, en un miroir ensanglanté, sa pauvre Face ; elles font plus ; elles seules donnent à ce Dieu tout-puissant quelque chose qui cependant lui manque, la possibilité de souffrir encore pour nous ; elles assouvissent ce désir qui a survécu à son trépas, car il est infini comme l’amour qui l’engendre ; elles dispensent à ce merveilleux Indigent une aumône de larmes ; elles le rétablissent dans la joie qu’il s’est interdite des holocaustes. Ajoutez, Lydwine, que si ces âmes, qui admettent comme leur Créateur d’être châtiées pour des crimes dont elles sont indemnes, n’existaient pas, il en serait de l’univers de même que de notre pays, sans l’abri des digues. Il serait englouti par la crue des péchés, ainsi que la Hollande par le flux des vagues. Elles sont donc à la fois et les bienfaitrices du Ciel et les bienfaitrices de la terre, ces âmes ! Mais alors, ma fille, quand une âme en est à ce point, sa façon de souffrir change. Dieu rapproche, en quelque sorte, les deux sensations extrêmes de la béatitude et de la douleur et elles s’amalgament. Où est l’une et qu’est-il resté de l’autre ? nul ne le sait ; c’est l’incompréhensible fusion d’un excès et d’une défaillance ; et l’âme éclaterait sous cette pression, si le martyre du corps n’intervenait pour lui permettre de reprendre haleine, afin de se mieux réjouir ; en somme, c’est par les marches de la souffrance que l’on fait l’ascension des joies ! À l’heure actuelle, vos aîtres spirituels sont à vif ; mais comprenez-le, vous souffrez parce que vous ne voulez pas souffrir ; le secret de votre détresse est là. Accueillez-la et offrez-la à Dieu cette douleur qui vous désespère et il l’allégera ! Il la compensera par de telles consolations que le moment viendra où vous vous écrierez : mais je le leurre ! il a contracté avec moi un marché de dupe ; je me suis offerte pour expier par les plus terribles châtiments les forfaits du monde et il m’inonde d’un bonheur sans dimension, d’une allégresse sans mesure ; il m’expatrie, il me dépossède, il me débarrasse de moi-même, car c’est Lui qui rit et qui pleure, c’est Lui qui vit en moi ! Quand nous en serons là, je vous répéterai comme maintenant, ma fille, soyez sans inquiétude, Notre Seigneur sait fort bien qu’il s’est prêté à un marché de dupe, mais il n’aime que ceux-là ! Votre mission est claire ; elle consiste à vous sacrifier pour les autres, à réparer les offenses que vous n’avez pas commises ; elle consiste à pratiquer la charité dans ce qu’elle a de sublime et de vraiment divin. Dites à Jésus : je veux me placer, moi-même, sur votre croix et je veux que ce soit Vous qui enfonciez les clous. Il acceptera ce rôle de bourreau et les Anges lui serviront d’aides ; — eh oui, il vous prendra au mot, votre Sauveur ! — on lui apportera les épines, les tarières, les cordes, l’éponge, le fiel, la lance, mais lorsqu’il vous verra, écartelée sur le gibet, suspendue entre ciel et terre, ainsi qu’il le fut sur le bois, ne pouvant encore vous élancer vers le firmament, mais ne touchant déjà plus au sol, son cœur se fondra de pitié et il n’attendra pas que sa Justice soit satisfaite pour vous descendre. De même que Nicodème et Joseph d’Arimathie, il soutiendra votre tête, alors que la Vierge vous couchera sur ses genoux ; mais il n’y aura plus de sanglots, Marie sourira ; Madeleine ne pleurera plus et elle vous embrassera, gaiement, telle qu’une grande sœur ! Les yeux de Lydwine se dessillaient ; elle commençait à comprendre les causes de ses incroyables maladies et elle se soumettait, elle agréait d’avance cette mission que le Rédempteur l’appelait à remplir ; mais comment procéder ? En accomplissant les prescriptions que je vous ai spécifiées, répondit le prêtre, en méditant sans cesse la Passion du Christ. Il sied de ne pas vous rebuter et parce que vous n’avez point réussi, du premier coup, à vous exproprier de vous-même, de renoncer à un exercice qui vous amènera justement, lorsque vous y serez habituée, à perdre votre propre trace pour suivre celle de l’Époux. Ne vous imaginez pas, non plus, que votre supplice est plus long, plus aigu que celui de la croix qui fut relativement court et, qu’après tout, bien des martyrs en subirent de plus barbares et de plus continus que Notre Seigneur, quand ils furent roués, grillés, déchiquetés avec des peignes de fer, coiffés de casques rouges, bouillis dans l’huile, sciés en deux ou lentement broyés sous le poids des meules, car rien n’est plus faux ; aucune torture ne se peut comparer à celle de Jésus. Songez au prélude de la Passion, au jardin de Gethsémani, à cet inexprimable moment où, pour ne pouvoir s’empêcher d’être intégralement géhenne dans son âme et dans son corps, le Verbe arrêta, mit, en quelque sorte, en suspens sa divinité, se spolia loyalement de sa faculté d’être insensible, afin de se mieux ravaler au niveau de sa créature et de son mode de souffrir. En un mot, pendant le drame du Calvaire, l’humanité prédomina chez l’Homme-Dieu et ce fut atroce. Lorsqu’il se sentit tout à coup si faible, et qu’il envisagea l’effroyable fardeau d’iniquités qu’il s’agissait de porter, il frémit et tomba sur la face. Les ténèbres de la nuit s’ouvraient, enveloppaient de leurs pans énormes comme d’un cadre d’ombre, des tableaux éclairés par on ne sait quelles lueurs. Sur un fond de clartés menaçantes, les siècles défilaient un à un, poussant devant eux les idolâtries et les incestes, les sacrilèges et les meurtres, tous les vieux méfaits perpétrés depuis la chute du premier homme — et ils étaient salués, acclamés au passage par les hourras des mauvais anges ! — Jésus excédé baissa les yeux — lorsqu’il les releva, ces fantômes des générations disparues s’étaient évanouis, mais les scélératesses de cette Judée qu’il évangélisait, grouillaient en s’exaspérant, devant Lui. Il vit Judas, il vit Caïphe, il vit Pilate, il vit... saint Pierre ; il vit les effrayantes brutes qui allaient lui cracher au visage et lui ceindre le front de points de sang. La croix se dressait, hagarde, sur les cieux bouleversés et l’on entendait les gémissements des Limbes. Il se remit debout, mais, saisi de vertige, il chancela et chercha un bras pour se soutenir, un appui. — Il était seul. — Alors il se traîna jusqu’à ses disciples qui dormaient, dans la nuit demeurée paisible, au loin, et il les réveilla. Ils le regardèrent, ahuris et craintifs, se demandant si cet homme, aux gestes éperdus et aux yeux navrés, était bien le même que ce Jésus qui s’était transfiguré devant eux sur le Thabor, avec un visage resplendissant et une robe de neige, en feu. Le Seigneur dut sourire de pitié ; il leur reprocha seulement de n’avoir pu veiller, et, après être encore revenu, deux fois, près d’eux, il s’en fut agoniser, sans personne, dans son pauvre coin. Il s’agenouilla pour prier, mais maintenant, s’il n’était plus question du passé et du présent, il s’agissait de l’avenir qui s’avançait, plus redoutable encore ; les siècles futurs se succédaient, montrant des territoires qui changeaient, des villes qui devenaient autres ; les mers même s’étaient déformées et les continents ne se ressemblaient plus ; seuls, sous des costumes différents, les hommes subsistaient identiques ; ils continuaient de voler et d’assassiner, ils persistaient à crucifier leur Sauveur, pour satisfaire leurs besoins de luxure et leur passion de gain ; dans les décors variés des âges, le Veau d’or s’érigeait, immuable et il régnait. Alors, ivre de douleur, Jésus sua le sang et cria : Père, si vous vouliez détourner de moi ce calice ; puis, il ajouta, résigné, cependant que votre volonté se fasse et pas la mienne ! Eh bien, vous le voyez, ma fille, ces tortures préliminaires surpassent tout ce que votre imagination est capable de concevoir ; elles furent si intenses que la nature humaine du Christ se serait brisée et qu’il ne serait pas arrivé, vivant, sur le Golgotha, si des anges n’étaient venus le consoler ; et cependant le paroxysme de ses souffrances n’était pas atteint ; il ne le fut que sur la croix ; sans doute, son supplice physique fut horrible, mais combien il semble indolore si on le confronte avec l’autre ! car, sur le gibet, ce fut l’assaut de toutes les immondices réunies des temps ; les gémonies du passé, du présent, de l’avenir, se fondirent et se concentrèrent en une sorte d’essence corrosive ignoble et elles l’inondèrent ; ce fut quelque chose comme un charnier des cœurs, comme une peste des âmes qui se ruèrent sur le bois pour l’infecter. — Ah ! ce calice qu’il avait accepté de boire, il empoisonnait l’air ! — Les anges, qui avaient assisté le Seigneur au jardin des Olives, n’intervenaient plus ; ils pleuraient, atterrés, devant cette mort abominable d’un Dieu ; le soleil s’était enfui, la terre bruissait d’épouvante, les rocs terrifiés étaient sur le point de s’ouvrir. Alors Jésus poussa un cri déchirant : Père, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Et il mourut. Pensez à tout cela, Lydwine, et assurez-vous que vos souffrances sont faibles en face de celles-là ; remémorez-vous les inoubliables scènes du jardin des Olives et du Golgotha, regardez le chef dévasté par les soufflets, le chef ébouriffé d’épines de l’Époux, mettez vos pas dans les empreintes des siens et, à mesure que vous le suivrez, les étapes se feront plus débonnaires, les marches forcées se feront plus douces. Et le brave homme la quitta, après lui avoir encore promis de revenir. Lydwine fut généreuse ; elle se donna de tout cœur, comme une âme de somme, pour porter le faix des fautes ; mais cette oblation n’amortit aucune de ses peines et ne la libéra point. Quand elle voulut s’arrêter, en méditant, aux haltes des stations, elle tituba, semblable à ces gens dont on a voilé les yeux et qui ne peuvent, aussitôt qu’on les a débarrassés de leur bandeau, marcher droit. La route du Calvaire, elle la quittait, une fois de plus, pour s’égarer dans de petits sentiers qui finissaient par la ramener insensiblement à son point de départ, à ses maux. — Dieu la considérait, silencieux, et il ne bougeait pas. — Naturellement elle s’éperdit, crut que Jan Pot lui avait infligé une tâche inaccessible et elle se madéfia et recommença de pleurer. Elle était prête à sombrer dans le désespoir quand Pâques fleurit sur le cycle liturgique de l’an. Alors le bon Pot amena avec lui Notre-Seigneur sous les espèces du Sacrement et il dit : — Ma chère fille, jusqu’à ce jour, je vous ai entretenue du martyre de Jésus ; je n’ai plus maintenant qu’à me taire, car c’est Lui-même qui va heurter à la porte de votre cœur et vous parler. Et il la communia. Immédiatement son âme craqua et l’amour jaillit en une explosion, fusa en une gerbe de feux qui nimbèrent la suradorable Face qu’elle contemplait, au plus profond de ses aîtres, dans la source même de sa personne ; et folle de douleur et folle de joie, elle ne savait même plus ce qu’était son malheureux corps ; les gémissements que lui arrachaient ses tortures disparaissaient dans l’hosanna de ses cris. Ivre, de l’ébriété divine, elle divaguait, ne se souvenant plus d’elle-même que pour penser à lier précipitamment un bouquet de ses souffrances, afin de les offrir, en souhait de bienvenue, à l’Hôte. Puis ses larmes coulèrent durant deux semaines ; ce fut une pluie d’amour qui détrempa enfin ce sol aride et quasi mort ; le céleste Jardinier épandit à la volée ses semailles et aussitôt les fleurs de la Passion levèrent. Ces méditations sur la mort du Rédempteur, qui l’avaient tant harassée, elle ne pouvait plus s’en lasser ; la vue de l’Époux supplicié la ruait hors d’elle, au-devant de Lui. Ce qu’elle enviait actuellement, ce n’était plus la jubilante santé de ses compagnes, c’était la taciturne tendresse de cette Véronique qui avait été assez heureuse pour essuyer le visage ensanglanté du Christ. Ah ! être Madeleine, être ce Cyrénéen, cet homme à qui fut réservé cet unique privilège, cette unique gloire dont les plus grands des apôtres même furent privés, d’aider le Délaissé à charrier les péchés du monde, avec sa croix, de venir, lui, simple pécheur, au secours d’un Dieu ! Elle eût voulu être, parmi eux, derrière eux, se rendre utile à quelque chose, en passant aux saintes femmes l’eau, les herbes, le bassin, l’éponge, pour laver les plaies ; elle eût voulu être leur petite servante, leur prêter ses plus humbles services sans même être vue ; il lui paraissait maintenant qu’elle appuyait ses pieds dans les pas du Fils, qu’en souffrant, elle s’emparait d’une partie de ses douleurs et les lui diminuait d’autant ; et elle convoitait de tout lui ravir, lui reprochait d’en trop garder ; elle se plaignait de l’indolence de ses tortures, de la parcimonie de ses maux ! Et, sans cesse, elle ambula, en pèlerine assidue, sur le chemin du Calvaire. Afin d’imiter le Psalmiste qui priait sept fois par jour, elle se créa, pour son usage, des heures canoniales ; elle divisa la journée en sept parts et le drame de la Passion en autant de parts, et elle semblait avoir une horloge dans l’esprit, tant elle était exacte à méditer sur le sujet correspondant à l’heure fixée, sans qu’il y eût jamais une minute d’avance ou une seconde de retard. Et cependant ses tourments corporels croissaient encore. Ses rages de dents étaient devenues si féroces que sa tête tremblait ; les fièvres la minaient, avec des alternances de chaleurs violentes et de grands froids ; quand ces accès atteignaient leurs degrés extrêmes, elle crachait une eau rougeâtre et tombait dans un tel affaissement qu’il lui était impossible de proférer un seul mot et d’entendre parler les gens ; mais, au lieu de s’abandonner, ainsi que jadis, au désespoir, elle remerciait Dieu d’étancher enfin sa soif de tortures. On lui demandait quelquefois si elle désirait toujours, comme autrefois, être guérie et elle répondait : non, je ne souhaite plus qu’une chose, c’est de ne pas être dénuée de mes désaises et de mes peines. Et, bravement, elle fit un pas de plus en avant et interpella le Christ. L’époque du Carnaval était proche ; pensant au surcroît de péchés qu’engendreraient à Schiedam, les ribotes des jours gras, elle s’écria : Seigneur, vengez-vous sur moi du supplément d’offenses que ces fêtes vous infligent ! — et sa prière fut aussitôt exaucée ; elle éprouva une douleur si vive à la jambe qu’elle se tut et n’en quémanda plus. Elle endura héroïquement ce martyre qui ne cessa qu’au jour de la Résurrection et répéta à ceux dont la pitié se déversait sur elle en plaintes, qu’elle agréerait bien volontiers de subir, pendant quarante ans et plus, de telles souffrances, si elle savait obtenir, en échange, la conversion d’un pécheur ou la délivrance d’une âme du Purgatoire. V Après qu’elle fut entrée dans cette voie de la substitution mystique et qu’elle se fut, de son plein gré, offerte pour être la brebis émissaire des péchés du monde, Jésus jeta son emprise sur elle et elle vécut cette existence extraordinaire où les douleurs servent de tremplin aux joies ; plus elle souffrit et plus elle fut satisfaite et plus elle voulut souffrir ; elle savait qu’elle n’était plus seule maintenant, que ses tortures avaient un but, qu’elles aidaient au bien de l’Église et qu’elles palliaient les exactions des vivants et des morts ; elle savait que c’était pour la gloire de Dieu que le parterre odorant de ses plaies poussait d’humbles et de magnifiques fleurs ; elle pouvait vérifier, par elle-même, la justesse d’une réponse de sainte Félicité, injuriée par les railleries d’un bourreau qui se gaussait de ses cris, lorsqu’elle accoucha dans sa prison, avant que d’être livrée aux animaux féroces lâchés en un cirque. — Que ferez-vous donc quand vous serez dévorée par les bêtes ? disait cet homme. Et la sainte répliqua : — C’est moi qui souffre maintenant, mais alors que je serai martyrisée, ce sera un autre qui souffrira pour moi, parce que je souffrirai pour Lui. » Il est très difficile d’analyser cette vie si différente des nôtres qu’entremêlent, la plupart du temps, de modiques tortures et de minimes liesses. Nos exultations sont, en effet, ainsi que nos peines, médiocres ; nous vivons dans un climat tempéré, dans une zone de piété tiède où la flore est rabougrie et la nature débile. Lydwine, elle, avait été arrachée d’une terre inerte pour être transplantée dans le sol ardent de la mystique ; et la sève jusqu’alors engourdie bouillonnait sous le souffle torride de l’Amour, et elle s’épanouissait en d’incessantes éclosions d’impétueuses délices et de furieux tourments. Elle pantelait, se tordait, crissait des dents ou gisait à moitié morte et elle était ravie, au même instant ; elle ne vivait plus, dans un sens comme dans l’autre, que d’excès ; l’exubérance de sa jubilation compensait l’abus de ses peines ; elle le disait très simplement : « les consolations que je ressens sont proportionnées aux épreuves que j’endure et je les trouve si exquises que je ne les changerais pas pour tous les plaisirs des hommes. » Et cependant la meute de ses maladies continuait à la dilacérer ; elle fondait sur elle avec une recrudescence de rage ; son ventre avait fini par éclater, ainsi qu’un fruit mûr et il fallait lui appliquer un coussin de laine pour refouler les entrailles et les empêcher de sortir ; bientôt, quand on voulut la bouger, afin de changer les draps de son lit, on dut lui lier solidement les membres avec des serviettes et des nappes car autrement son corps se serait disloqué et scindé en morceaux, entre les mains des assistants. Par un miracle évidemment destiné à certifier l’origine extra-humaine de ces maux, Lydwine ne mangeait plus ou si peu ! — En trente ans, elle ne goûta pas à plus d’aliments qu’une personne valide n’en ingère d’habitude pendant trois jours. Durant les premières années de sa réclusion, elle consommait pour tout repas, du matin au soir, une rondelle de pomme de l’épaisseur d’une petite hostie que l’on grillait, au bout d’une pincette, devant l’âtre ; et si elle tentait d’avaler parfois une bouchée de pain, trempée dans de la bière ou du lait, elle n’y parvenait qu’à grand’peine ; puis ce fut trop encore de cet émincé de pomme et elle dut se contenter d’une larme d’eau rougie sucrée, stimulée par un soupçon de cannelle ou de muscade, et d’une miette de datte ; elle en vint ensuite à ne plus se sustenter qu’avec ce vin trempé d’eau ; elle le humait plus qu’elle ne le buvait et en absorbait à peu près une demi-pinte, par semaine. Très souvent, comme l’eau de source était à Schiedam assez chère, on lui donnait, faute d’argent pour en acheter, de l’eau de la Meuse ; elle était, suivant le flux ou le reflux de la mer dans laquelle elle se jette, près de la ville, salée ou douce ; mais elle préférait qu’on la puisât, au moment du flux, alors qu’elle était amère et saumâtre, parce qu’elle se changeait alors pour elle en la plus savoureuse des boissons. Seulement, lorsqu’elle fut réduite à ne plus se soutenir qu’avec ce liquide, le sommeil qui était déjà rare disparut complètement ; et ce furent des nuits qui n’en finissaient plus, des nuits implacables, où elle demeurait, immobile, sur un dos dont le derme était à vif. On a compté qu’elle n’avait pas dormi la valeur de trois bonnes nuits en l’espace de trente-huit ans ! Enfin, elle ne s’ingurgita plus rien du tout ; et une velléité de sommeil qui la tracassa et qui n’était, selon ses historiens, qu’une tentation diabolique, s’enfuit à son tour. Une sorte d’assoupissement l’accablait, en effet, chaque fois qu’elle s’apprêtait à méditer la Passion du Christ ; elle luttait en vain contre cette somnolence. — Laissez là ces exercices et dormez, lui dit Jan Pot, vous les reprendrez après. Elle obéit et cet état d’irrésistible torpeur cessa. Cette disette de nourriture et cette constance d’insomnies lui suscitèrent les plus cruelles humiliations et les plus basses injures. Toute la ville était au courant de ce cas singulier d’une jeune fille qui, sans s’alimenter et dormir, ne mourait point ; le bruit de cette merveille s’était répandu au loin ; elle semblait invraisemblable à beaucoup de gens ; ils ignoraient que de nombreux faits de ce genre avaient été relevés dans les biographies de saints qui furent les prédécesseurs ou les contemporains de Lydwine ; aussi, arrivèrent-ils, attirés par la curiosité, chez elle et elle fut explorée sans relâche et soumise à une inquisition de tous les instants ; et ses détracteurs ne furent point quatre, tels que les amis de Job, ils furent légion ! La plupart ne regardaient que cette tête fendue, du front au nez, que ce visage craqué comme une grenade, que ce corps dont les chairs en fuite avaient dû être comprimées, ainsi que celles des momies, par des lacis de bandelettes et le dégoût leur venait de tant d’infirmités ! Leur curiosité était déçue. Ils n’avaient découvert que le masque en pièce d’une gorgone, là où ils s’étaient attendus à rencontrer une face plus ou moins avenante qui aurait pu les émouvoir ou une physionomie plus ou moins bizarre dont ils auraient pu se moquer ; ils ne virent que les apparences, ne distinguèrent aucun foyer de lumière sous les vitres en corne de cette lanterne cassée, rangée dans l’ombre, en un coin ; et cependant l’âme rayonnait, embrasée d’amour, car Jésus l’inondait de ses effusions, la dorait de ses lueurs ! Ils se vengèrent de leur désappointement en l’accusant de supercherie. Elle ne gardait nullement la diète ; elle bâfrait lorsqu’elle était seule et buvait, la nuit. Ils la harcelèrent de questions, préparèrent des amorces, tâchèrent de l’amener à se contredire. À tous ces interrogatoires, elle répondait simplement : — Je ne vous comprends pas ; vous croyez qu’il est impossible de subsister sans le secours d’aucun mets, mais Dieu est bien maître, je présume, d’agir tel qu’il l’entend ; vous m’affirmez que mes maladies auraient dû me tuer, mais elles ne me tueront que lorsque le Seigneur le voudra. Et elle ajoutait pour ceux qui s’apitoyaient hypocritement sur son sort : « je ne suis pas à plaindre, je suis heureuse ainsi, et s’il me suffisait de réciter un ave Maria pour être guérie, je ne le réciterais pas. » D’autres allaient plus loin encore et brutalement l’injuriaient, criant : ne vous y trompez pas, ma belle, nous ne sommes point votre dupe ! Vous faites semblant de vivre sans nutriment et vous vous nourrissez en cachette ; vous êtes une chattemite et une fourbe. Et Lydwine un peu surprise de cet acharnement, leur demandait quel intérêt elle pouvait bien avoir à mentir de la sorte, car enfin, disait-elle, manger n’est pas un péché et ne pas manger n’est point un acte glorieux, que je sache. Embarrassés par le bon sens de ces répliques, ils changeaient alors le mode de leurs attaques et ils lui reprochaient d’être une possédée ; le Démon était seul capable d’opérer de tels prestiges ; et ces simagrées n’étaient que la conséquence d’un pacte ; rares furent ceux qui ne la crurent ni charlatane, ni sorcière, mais qui comprirent ce qu’elle était en réalité, un être victimal, broyé dans le mortier de Dieu, une lamentable effigie de l’Église souffrante. Peu à peu, pourtant, la vérité s’imposa. Agacés par ces nouvelles contradictoires, les échevins de Schiedam résolurent d’en avoir le cœur net ; ils assujettirent Lydwine, pendant des mois, à une surveillance incessante et ils durent bien reconnaître qu’elle était une sainte dont l’existence absolument anormale ne pouvait s’expliquer que par un dessein particulier du ciel ; et ils le promulguèrent dans un procès-verbal qu’ils scellèrent du sceau de la cité. Ils se réunirent, en effet, le 12 septembre 1421, pour rédiger ces lettres testimoniales qui relatent les épisodes de cette vie : la privation de toute nourriture et le manque de sommeil, l’état du corps mué en un amas répugnant de bribes et amputé d’une partie de ses entrailles alors que l’autre fourmillait de parasites et répandait cependant une bonne odeur, bref tous les détails que nous avons énumérés ; le procès-verbal est inséré tout au long dans le volume des Bollandistes, en tête de la seconde vie de Brugman. Il aurait pu constater aussi ce trait, avéré par tous les biographes, que les parents de Lydwine conservaient dans un vase les fragments d’os et les languettes de chairs qui se détachaient des membres de leur fille et que ces débris exhalaient de doux parfums. Des badauds, qui avaient ouï parler de ce prodige, accoururent pour s’assurer de sa véracité, mais Lydwine, que ces visites incommodaient, supplia sa mère d’enterrer ces pauvres dépouilles et pour ne pas la contrister, Pétronille les inhuma. Il semblait qu’après cette proclamation du bourgmestre et du municipe de Schiedam, Lydwine put demeurer tranquille ; sa bonne foi était de notoriété publique ; pourtant, quatre années après, lorsque Philippe de Bourgogne, après avoir envahi les Flandres, laissa un corps d’occupation à Schiedam, le commandant de place, qui était un Français, voulut s’assurer par lui-même si les phénomènes attestés par le manifeste de la ville, étaient exacts. Il prétexta le désir qu’il avait de préserver la sainte d’outrages possibles, pour poster chez elle une troupe de six soldats qu’il choisit parmi les plus honnêtes et les plus religieux ; puis, il écarta la famille qui dut aller camper autre part et il prescrivit à ses subordonnés de se relayer, afin de ne pas perdre de vue la prisonnière, jour et nuit, et d’empêcher qu’il ne lui parvînt aucun breuvage et aucun aliment. Ils exécutèrent cette consigne à la lettre, inspectant même les pots d’onguents pour être certains qu’ils ne contenaient point de substances propres à la réconforter ; une veuve, du nom de Catherine fut, seule, admise à la soigner et elle était fouillée alors qu’elle entrait dans la chambre. Ils montèrent ainsi la garde, autour de son lit, pendant neuf jours. Ils virent, durant ce temps, Lydwine en proie à d’extravagantes tortures, ruisselant de larmes, mais souriant, perdue dans l’extase, noyée dans la béatitude suressentielle, roulée, comme hors du monde, dans des ondes de joie. Quant à elle, c’est tout au plus si elle s’aperçut de leur présence ; Dieu la ravissait, loin de son logis, lui épargnait le spectacle gênant de ces hommes dont le regard ne la quittait point. Quand leur faction cessa, ils certifièrent hautement que la captive avait vécu, ainsi que l’on dit, de l’air du temps, sans rien prendre. Cette surveillance ne servit donc qu’à constater, une fois de plus, l’honnêteté de Lydwine et l’authenticité de l’insolite existence qu’elle souffrait. Vraiment ce luxe d’investigations était bien inutile ; la défiance d’une petite ville aux aguets, la rage d’espionnage de la province suffisaient pour tirer l’affaire au clair. Lydwine n’eût pu avaler une bouchée de pain sans que tout Schiedam ne le sût ; mais si Dieu consentit à ce que ces faits fussent examinés de près et prouvés, ce fut pour qu’aucun doute ne subsistât et que ses grâces ne fussent point reléguées à l’état d’incertaine légende. Il est à remarquer, d’ailleurs, qu’il agit presque constamment de la sorte. N’en fut-il pas de même, au XIXe siècle, pour Catherine Emmerich et pour Louise Lateau, deux stigmatisées dont les vies présentent plus d’une analogie avec celle de Lydwine ? VI Jusqu’alors, c’était surtout sa mère qui l’avait soignée, mais Pétronille tomba malade, à son tour ; elle était usée par l’âge et les soucis d’une existence toujours en alerte pour joindre, dans son pauvre ménage, les deux bouts. Les fatigues que lui imposèrent les infirmités de Lydwine et le chagrin qu’elle ressentit à la voir inculpée de simulacres et de mensonges et injuriée jusque dans son lit l’achevèrent ; elle se coucha et ne se releva plus ; elle conserva sa connaissance et comprenant qu’elle allait mourir elle trembla ; elle se rappela des coquetteries de jeunesse, des décisions ajournées, des heures oisives ou mal employées ; peut-être se reprocha-telle aussi d’avoir trop tarabusté sa fille ; toujours est-il qu’elle lui confessa ses transes et la pria d’obtenir du Sauveur son pardon. Lydwine qui pleurait, à chaudes larmes, en l’écoutant, la consola de son mieux et lui promit de la gratifier, autant que cela dépendrait d’elle, des mérites acquis par ses longues souffrances ; elle y mit cette seule condition que la mourante se résignerait à quitter la vie et s’abandonnerait en toute confiance à l’indulgente tendresse du Juge. Pétronille, qui savait de quelles prébendes de grâces son enfant était pourvue, se rassura et s’éteignit en paix ; mais Lydwine, persuadée qu’elle ne possédait plus rien, puisqu’elle avait tout cédé à sa mère, se hâta de remédier à son dénuement. Elle vendit les meubles et les nippes dont elle pouvait se passer et en distribua l’argent aux pauvres ; puis elle s’avisa que son lit était trop doux et elle s’en débarrassa au profit de son neveu et de sa nièce qui s’installèrent en qualité de garde-malade, auprès d’elle ; elle commanda ensuite que l’on étendît, sur le sol humide de la chambre, une planche ôtée au flanc d’un tonneau et qu’on la recouvrît de paille ; et cette paille qui bientôt se convertit en un abominable fumier fut désormais sa seule couche ; mais il fallut l’y transporter et, malgré les précautions dont on usa, ce fut horrible. On dut la ficeler pour qu’elle ne se séparât point et, en la soulevant, l’on ne put faire autrement que d’arracher les chairs collées au drap. Elle estima que ce n’était pas encore assez et elle se procura, afin de râper la peau de ses reins à vif, une ceinture en crins de cheval qu’elle ne retira plus. Elle avait alors vingt-huit ans ; l’hiver commençait, un hiver si long et si rigoureux que les vieillards ne se souvenaient pas d’en avoir jamais enduré un pareil ; il reçut, par excellence, le nom de grand hiver et, ajoute Thomas A Kempis, dans les fleuves devenus fermes tous les poissons périrent. Or cette saison de frimas, elle la vécut dans une pièce sans jour et sans air, privée de feu, vêtue simplement d’une de ces petites chemises de laine que tissaient pour elle les sœurs du tiers-ordre de saint-François, à Schiedam, et enveloppée d’une mauvaise couverture, alors que ses blessures et son hydropisie la rendaient, plus qu’une autre, sensible au froid. Elle pleurait, la nuit, des larmes de sang qui se coagulaient sur ses joues et, le matin, il fallait détacher de son visage bleui et comme damassé par le gel, ces stalactites ; quant au reste du corps, il était quasi paralysé et ses pieds étaient si roides qu’on devait les frotter et les enrouler de linges chauds pour les ranimer. Elle continuait cependant de vivre dans cet état pire que la mort ; et il n’y avait presque jamais un sou à la maison ! Les quelques personnes charitables qui l’avaient jusqu’alors aidée ne songeaient plus à la secourir ; elle en était réduite à ne même plus avoir de linge pour panser ses plaies ; elle serait littéralement morte de misère et de froid, si un franciscain du nom de Werembold, originaire de Gouda, qui fut, pendant plusieurs années, le recteur et le confesseur des sœurs tertiaires de sainte-Cécile d’Utrecht et le ministre général du tiers-ordre de saint-François, n’était venu la visiter. Ils se connaissaient, l’un et l’autre, par une vision qu’ils avaient eue, à la même heure, le même jour, alors que l’on célébrait la fête de l’Annonciation ; et, depuis ce moment, ce religieux, qui était un véritable saint, désirait la voir de ses propres yeux. Il entreprit, à cet effet, le voyage ; il la trouva dans une telle détresse qu’il fondit en larmes, sans pouvoir parler ; il donna ce qu’il possédait trente gros de Hollande afin qu’on lui achetât au moins une paire de draps et, indigné par la dureté de cœur des habitants de Schiedam, il monta en chaire et les vitupéra de telle sorte que plusieurs personnes, dont le zèle pour cette œuvre de miséricorde s’était affaibli, se repentirent. Et il fit plus que de lui assurer pour quelque temps le nécessaire, le brave Werembold, il paracheva les leçons de Jan Pot et l’aiguilla, à son tour, sur les voies mystiques. Il était un habile stratégiste des combats divins ; il savait combien la souffrance est un puissant engrais pour la flore de l’âme et il admirait l’amoureuse astuce du bienfaisant Tortionnaire qui s’arrangeait toujours de façon à ce que les douleurs dont il ne pouvait différer l’envoi, se changeassent, sans tarder, en liesses ; ce durent être de singuliers colloques que ceux de ces deux élus ; si l’on écoute A Kempis, ils s’entretinrent surtout de leur trépas. Werembold espérait naître à la vie, après Pâques, mais son interlocutrice le déleurra ; elle lui affirma qu’il attendrait jusqu’à la Pentecôte ; effectivement, il décéda, en l’an 1413, la veille de cette fête, le jour de saint Barnabé. Et il fut, à son tour, prophète, en lui déclarant qu’elle devait se résigner à endurer longtemps encore la lamentable aubaine de ses maux, car il lui en restait autant à supporter qu’elle en avait déjà subis ; et elle lui survécut, en effet, vingt ans. Elle assista, en état de ravissement, à son agonie. Le jour même où il mourut, les sœurs tertiaires de Schiedam annoncèrent à Lydwine qu’elles partaient pour Utrecht afin d’avoir des nouvelles de Werembold qu’elles savaient être malade ; — hâtez-vous, hâtez-vous, dit-elle ; et hochant la tête, elle leur laissa comprendre qu’elles arriveraient trop tard. — Quand elles atteignirent, le soir, Utrecht, elles purent, en écoutant sonner le glas des obsèques, constater que la sainte ne s’était pas trompée. Après la mort de Pétronille, son mari, le vieux Pierre, son fils Wilhelm et ses deux enfants Pétronille et Baudouin se relayèrent pour veiller Lydwine ; mais la malechance s’en mêla, maintenant que la mère n’était plus. Des accidents se succédèrent qui assombrirent encore le pauvre intérieur de la sainte ; son père déclinait à vue d’œil ; pendant ce grand hiver, il avait eu le gros orteil du pied droit gelé et il avait dû renoncer à son emploi de veilleur de nuit ; ce fut alors une reprise de misère noire. Il ne voulut pas, par délicatesse, mordre aux quelques aumônes que recevait sa fille et il ne vécut plus que de débris et de rogatons. Sur ces entrefaites, le duc Wilhelm VI, comte de Hollande, de passage à Schiedam, avec sa femme la comtesse Marguerite et plusieurs personnes de la Cour, entendit parler de la misère du père de la sainte. Il en eut compassion et dit au vieillard : — Combien vous faut-il pour vivre ici ? Fixez la somme et, en considération des vertus de votre fille, je vous la paierai. Pierre assura le comte que douze écus à la couronne, monnaie de France, suffiraient largement, par année, à ses besoins. Wilhelm les lui versa aussitôt ; jugeant ensuite que ces souhaits étaient trop modestes, il s’engagea à doubler, si cela devenait nécessaire, cette rente. Elle fut d’abord fidèlement acquittée, puis comme, chez les gens riches surtout, la générosité très aisément se lasse, le brave homme finit par ne plus rien toucher et il ne se crut pas le droit de réclamer. En attendant, tandis qu’il profitait de ces courtes aises, il voulut contenter ce désir qu’il n’avait jamais pu réaliser, faute de temps, fréquenter assidûment les églises ; mais il était presque aveugle et si faible des jambes qu’un rien le faisait trébucher ; aussi, quand il était sorti, Lydwine se mourait-elle d’inquiétude ; et elle ne s’alarmait pas à tort, car on le ramassa, un jour, presque asphyxié. C’était une veille de Pentecôte ; Pierre avait quitté la maison pour aller ouïr les vêpres, quand il rencontra un homme qui lui proposa de se promener hors de la ville jusqu’à l’heure de l’office. Il accepta et ils arrivèrent, tout en devisant, à un lieu nommé Damlaën. Là, tandis que, fatigué, il s’arrêtait, son compagnon se rua sur lui et l’empoignant par les reins, le précipita dans une fosse profonde, pleine d’eau et disparut. Il était en train de se noyer quand un charretier qui longeait la route l’aperçut, le hissa du bourbier et le ramena, dans sa voiture, chez sa fille. Celle-ci le pensait mort et pleurait, car quelqu’un qui avait entrevu le vieillard, allongé, sans mouvement, dans la carriole, était venu la prévenir en hâte qu’on lui rapportait le cadavre de son père. Cette aventure, à laquelle les biographes assignent une origine diabolique, consterna la sainte qui s’ingénia désormais à retenir le vieux Pierre à la maison ; mais devenu un peu, tel qu’un enfant, il s’échappait dès qu’il ne se sentait plus surveillé et comme il ne s’éloignait du logis que pour gagner l’église, sa fille n’avait pas le courage de le réprimander. En somme, il fut pour elle beaucoup plus une cause de soucis qu’un aide ; et son fils Wilhelm ne semble pas, malgré toute sa bonne volonté, avoir été plus apte que lui à la soigner. Celui-là manqua de la griller vive ; un matin, avant de se rendre à son travail, il pénétra dans la chambre pour s’assurer de l’état de sa santé et il posa la chandelle qu’il tenait allumée sur une planche placée au-dessus de la tête de sa sœur ; puis, il partit, la laissant seule dans la maison, car le père était, de son côté, sorti pour aller assister à une messe ; or, la chandelle culbuta et mit le feu à la paille sur laquelle Lydwine était couchée ; elle méditait la Passion de Notre-Seigneur et ne s’en aperçut pas tout d’abord ; mais les pétillements des brindilles qui se tordaient, la tirèrent de son ravissement et, de l’unique main qu’elle avait libre, de la main gauche, elle étreignit les flammes qui, sans la brûler, s’éteignirent. Lorsque son père revint, elle gisait non plus sur une botte de paille, mais sur un tas de cendres. Ce frère, si imprudent, nous apparaît ainsi qu’un excellent homme, dévoué à sa sœur, mais malheureusement uni à une femme sottisière et méchante qui se croyait probablement, à cause des services que ses enfants prêtaient à Lydwine, tout permis ; la sainte endurait, sans jamais se plaindre, les intarissables bavardages et les ineptes remarques de cette mégère qui ne pouvait ouvrir la bouche sans vociférer et s’exacerbait, à mesure qu’elle hurlait, sans que l’on sût jamais bien pourquoi. Mais si Lydwine acquiesçait docilement à ce genre d’épreuves, d’autres se résignaient plus difficilement à les accepter, témoin le duc de Bavière qui descendit à Schiedam pour consulter la sainte sur un cas de conscience. Les crimes dont il était coupable et l’apostasie qu’il avait commise en se dépouillant de sa robe d’évêque pour se marier, le tourmentaient sans doute. Il se fit annoncer sous un nom d’emprunt, mais Lydwine, divinement avertie, ne fut point dupe. Il était à peine assis auprès d’elle, quand la teigne entra et l’étourdit de ses réflexions saugrenues et de ses cris. Il s’agaça et s’adressant à Lydwine : Comment, dit-il, pouvez-vous supporter cette harpie ? car lorsqu’elle est là, le séjour de votre maison n’est plus tolérable. Et la sainte lui répondit en souriant : Monseigneur, que voulez-vous, il sied de souffrir les impertinences et les faiblesses de cette sorte de personnes, ne fût-ce que pour les corriger à force de patience et s’apprendre à soi-même à ne point s’irriter. En homme pratique, le duc imagina une autre solution ; il acheta, séance tenante, le silence de la créature qui, enchantée d’empocher une somme d’argent, se tut... tant qu’il fut là. Les garde-malades de Lydwine n’étaient pas, en somme, propres à grand’chose ; le père était plus encombrant qu’utile ; le frère, occupé au dehors ; sa femme insupportable ; restaient les deux enfants, Baudouin et Pétronille qui, heureusement, ne ressemblaient pas à leur mère et étaient très attachés à leur tante ; mais ils étaient trop jeunes et d’ailleurs, étant donné la nature des infirmités de la malade, elles ne pouvaient être décemment soignées que par des femmes. Dieu y veilla. Des voisines pieuses se chargèrent de panser et de changer de linge son pauvre corps ; parmi celles-là figure une femme qui fut l’amie intime de Lydwine et que l’on apercevra souvent dans ce récit. Qu’était cette Catherine Simon que nous avons déjà rencontrée auprès de Lydwine, alors que celle-ci était gardée à vue par six soldats, et qui finit par habiter tout à fait avec elle ? Gerlac l’appelle Catherine, femme de maître Simon, le barbier ; Brugman parle, à diverses reprises, d’une Catherine qu’il qualifie tantôt de servante, tantôt de veuve, tantôt de compagne fidèle de la sainte ; Thomas A Kempis désigne Catherine Simon telle qu’une femme de qualité, et il la dit non épouse ou veuve mais fille d’un sieur Simon dont il n’indique pas la profession. Y a-t-il identité entre ces Catherine et ces Simon ? on peut l’admettre, encore que l’un des traducteurs d’A Kempis distingue deux Catherine différentes, l’une fille de Simon et l’autre veuve d’on ne sait qui. Il est, en tout cas, certain que cette femme aima et soigna Lydwine comme sa propre fille ; elle la dédommagea des incroyables opprobres et du haineux abandon dont elle fut, de la part du curé de Schiedam, la plaintive victime ; l’homme aux chapons ne devait pas, en effet, tarder à persécuter, de la façon la plus atroce, la sainte. VII Avant de narrer les déplorables manigances de cet homme, il est bon de répéter, une fois de plus, à propos de ce curé et des autres pénibles prêtres que nous trouverons mêlés à la vie de Lydwine, que l’Église voguait alors à la dérive ; les papes se livraient à des pugilats de bulles ; les monastères pourrissaient sur pied, les hérésies faisaient rage ; l’Europe se dissolvait, il n’y avait pas de raison pour que la Hollande, d’abord régie par un prince coupable d’un meurtre, puis par l’héroïque farceuse qu’était sa fille, la comtesse Jacqueline, fût, plus qu’un autre pays, épargnée par le Démon ; les avaries d’âme de ses réguliers et de ses séculiers n’ont donc rien qui doive surprendre. On peut ajouter que Lydwine était singulièrement façonnée aux outrages et acclimatée aux peines ; elle semblait douée du funeste privilège d’attirer chez elle les scélérats et les fous ; d’aucuns venaient la visiter sans motifs, qui la dévisageaient insolemment et ne partaient qu’après l’avoir abreuvée d’injures ; une fois, une énergumène qui l’avait invectivée, s’affola devant son silence et son calme et lui cracha au visage ; il fallut, celle-là, la jeter dehors ; et Lydwine lui envoya un petit présent, en disant à la personne qu’elle chargeait de cette commission : — Cette chère sœur m’a rendu un grand service, car elle m’a aidé à m’épurer ; c’est moins un cadeau que le paiement d’une dette que je vous serai obligée de lui porter. Son humilité et sa patience ne se démentaient pas ; elle tolérait les grossièretés de sa belle-sœur et les sévices des intrus, sans broncher ; elle considérait pendant ce temps, Notre Seigneur, couvert de crachats et martelé de coups, et elle le remerciait de lui laisser ramasser les miettes de son supplice. Étendue, telle que Job sur son fumier, elle ne discutait plus, comme le Patriarche, mais sortait hors d’elle-même et s’en allait rôder sur le chemin du Calvaire ; elle aimait les humiliations, ainsi que d’autres aiment les honneurs ; le révulsif des avanies n’agissait plus ; il devenait nécessaire qu’elle endurât de plus sérieuses abominations que celles qu’elle avait jusqu’alors subies, pour se remettre vraiment à souffrir. Ce fut dom André qui s’acquitta de cette tâche. Lydwine, nous l’avons dit, ne s’approchait des Sacrements qu’à de rares intervalles, durant les premiers temps de ses maladies ; mais, après que ses infirmités se furent accrues, elle éprouva la nécessité de recevoir le corps du Sauveur plus souvent et elle demanda la permission de communier aux principales fêtes de l’année. Le curé de Schiedam, qui était alors un ecclésiastique ou un moine dont nous ignorons le nom, y consentit ; mais bientôt, il disparut, — l’histoire ne nous raconte pas comment ; — et ce fut le prémontré Dom André qui lui succéda. Aussitôt qu’il eut pris possession de la cure, Lydwine le pria de la traiter de même que son prédécesseur, mais il la rabroua. Elle revint à la charge, lui fit remarquer que sa situation était exceptionnelle, qu’elle était l’immolée par procuration d’autrui, que la priver de l’Eucharistie, c’était la priver de toute consolation et de tout secours. Il persista plus brutalement encore dans son refus ; alors, elle put savourer l’amertume de cette vérité que formula, pour les âmes réparatrices, bien longtemps après elle, sa dernière descendante, l’une des stigmatisées du XIXe siècle, la visitandine Marie Putigny, de Metz : « désirer la communion, c’est appeler sur soi la souffrance ! » Ce déni la crucifia et elle pleura toutes ses larmes, sans parvenir à émouvoir cet homme ; elle finit par taire son chagrin, mais — ses garde-malades l’observèrent — lorsqu’une cloche de l’église annonçait le moment de l’élévation à la messe ou qu’une clochette tintait pour prévenir du passage du Viatique, dans la rue, elle se dressait, ardente, sur sa couche, puis retombait et semblait prête à expirer. Des amis s’entremirent à l’occasion d’une fête solennelle, mais ils n’obtinrent aucun succès ; le curé ne daigna d’ailleurs leur fournir aucune explication ; la vérité est qu’il se butait, qu’il devenait, de jours en jours, plus hostile ; comme il lui fallait bien s’imaginer pour lui-même des excuses à sa conduite, il tâchait de se persuader que Lydwine était une affidée du Démon ; sous prétexte de démasquer ses fraudes et mu, sans doute aussi, par la pensée d’orgueil qu’il allait se montrer plus perspicace que ses confrères, il résolut d’employer un subterfuge qui confondrait Lydwine, en prouvant qu’elle était déshéritée de ce don de voyance des choses cachées que les personnes, un peu au courant de sa vie, lui attribuaient. En conséquence, il parut s’adoucir et, la veille de la Nativité de Notre-Dame, il confessa la sainte et promit de lui apporter les saintes Espèces, le lendemain. Elle demeura triste, car un ange lui dit aussitôt : un nouvel orage se prépare ; ce curé te donnera un pain non consacré ; Dieu veut que je te prévienne, afin que tu ne sois pas trompée. Il arriva donc le lendemain et, devant un certain nombre des amis de Lydwine, il leva l’hostie de la custode et la fit, sacrilègement, adorer ; puis il communia la malade qui, prise d’un haut de cœur, rejeta l’oublie. Dom André feignit l’indignation et cria : comment, misérable folle, vous osez vomir le corps de Notre-Seigneur ! — Il m’est aisé de distinguer le corps de Jésus d’un simple azyme, répondit Lydwine. Si cette hostie avait été consacrée, je l’aurais avalée sans la moindre difficulté, mais celle-là ne l’est pas ; toute ma nature s’oppose à ce que je la consomme et, bon gré, mal gré, il faut que je la rende. Le curé blêmit, mais il paya d’audace, jura que le Rédempteur était bien célé sous ces Apparences et, pour en imposer aux assistants, il voulut retransférer solennellement l’hostie dans son église. À la suite de cette aventure, Lydwine vécut navrée. Où était donc alors le docte et le pieux Jan Pot ? avait-il quitté Schiedam, à la suite de démêlés avec ce curé ; occupait-il un poste d’aumônier ou de vicaire dans une autre ville ; était-il mort ? les biographes se taisent. — Toujours est-il que ce prêtre, qui eût pu adjuver la malade et même la communier, n’était pas là. — Il avait servi de passerelle entre la sainte et Dieu, sa mission était sans doute terminée et, s’il était encore de ce monde, le Seigneur l’employait probablement à d’autres besognes ; — mais la pauvre Lydwine, dénuée de son assistance, pleura nuit et jour. Elle se retenait pour ne pas sombrer dans le désespoir quand subitement Jésus intervint. Un jour que, ruminant ses infortunes, elle gémissait, accablée, sur son lit, un ange parut et lui dit : — Ne pleurez plus, ma sœur, vous allez être consolée de vos peines ; le Bien-aimé est proche, vous le verrez de vos propres yeux. Elle crut de son devoir de prévenir Dom André, afin qu’il n’imputât point à une menée démoniale la faveur qu’elle s’apprêtait, en priant, à recevoir. Il haussa les épaules et lui rit au nez. Lorsque tomba le soir, une telle lumière illumina sa chambre que ses parents, qui devisaient dans une autre pièce, s’élancèrent chez elle, pensant que le feu se déclarait. — Soyez en paix, fit-elle, il n’y a point de feu ici et, par conséquent, nul danger d’incendie, laissez-moi seule et ayez bien soin de fermer la porte. Il était alors entre huit et neuf heures ; dès que ses proches furent sortis, son âme s’appela, se concentra au fond d’elle-même et Dieu l’imbiba jusqu’aux plus secrètes de ses fibres ; ses souffrances l’avaient quittée, ses chagrins n’étaient plus ; son âme s’agenouilla dans sa loque couchée et tendit éperdûment les bras vers l’Époux ; mais ses yeux qu’elle avait fermés s’ouvrirent ; une étoile scintillait au-dessus de son lit et près d’elle, resplendissait, dans sa tunique de feux pâles, son ange. Il la toucha légèrement et pour quelques instants, ses plaies disparurent ; l’embonpoint et les couleurs de la santé revinrent ; une Lydwine oubliée, une Lydwine perdue, une Lydwine bien portante et fraîche, toute jeune, jaillit de cette chrysalide verdâtre, striée, sur sa paille pourrie, de raies de sang. Et les anges entrèrent. Ils tenaient les instruments de la Passion, la croix, les clous, le marteau, la lance, la colonne, les épines et le fouet ; un à un, ils se rangeaient, en demi-cercle dans la chambre, ménageant un espace libre autour du lit. Ils flambaient, revêtus de draperies de flammes bordées d’orfroi en ignition et les bluettes de fabuleuses gemmes couraient sur le feu mouvant des robes ; et, soudain, tous s’inclinèrent ; la Vierge s’avançait, accompagnée d’une suite magnifique de saints, auréolés de nimbes d’or en fusion, enveloppés d’étoffes fluides de neige et de pourpre. Marie, habillée très simplement de flammes blanches, portait dans les tresses incandescentes de ses cheveux des pierreries, dont les braises, inconnues aux joyaux de la terre, brûlaient en d’éblouissantes lueurs. Toute autre que Lydwine n’eût pu en tolérer le dévorant éclat. Et la Vierge souriait, tandis que l’Enfant Jésus arrivait à son tour et s’asseyait sur le bord du lit et parlait tendrement à Lydwine. Du coup, foulée par l’excès de la joie, l’âme de la sainte se liquéfia ; mais l’Enfant étendit les bras et se transforma en homme ; le visage s’éteignit et se décharna ; les joues se creusèrent de rainures livides et les yeux ensanglantés fuirent ; la couronne d’épines se hérissa sur le front et des perles rouges coulèrent des pointes ; les pieds et les mains se trouèrent ; un halo bleuâtre cerna la marque enfiévrée des plaies et, près du cœur, les lèvres d’une ouverture à vif battirent ; le Calvaire succédait sans transition à l’étable de Bethléem, Jésus crucifié se substituait d’emblée à Jésus Enfant. Lydwine béait, ravie et navrée ; ravie d’être enfin en présence du Bien-aimé, navrée qu’il fût supplicié de la sorte ; et elle riait et pleurait à la fois, quand les blessures du Christ dardèrent sur elle des rayons lumineux qui lui transpercèrent les pieds, les mains et le cœur. À la vue de ces stigmates, elle gémit, pensant aussitôt que les hommes concevraient une meilleure idée d’elle et lui témoigneraient plus de déférence et elle cria : « Seigneur, mon Dieu, je vous en supplie, ôtez ces signes, que cela reste entre vous et moi, votre grâce me suffit ! » « Chose merveilleuse, dit Michel d’Esne, l’évêque de Tournai, tout aussitôt une petite peau couvrit ces plaies, mais la douleur et meurtrissure ou couleur de plomb demeura ». Et, en effet, suivant son désir, la souffrance de ces empreintes divines subsista jusqu’à la fin de sa vie. Alors, la Vierge prit respectueusement des mains des anges les instruments de la Passion et Elle les lui fit baiser les uns après les autres, et à mesure que sa bouche les avait touchés, ils disparaissaient ; puis Jésus changea encore, redevint enfant, mais il était toujours cloué sur une croix dont la stature avait diminué avec la sienne. Lydwine défaillait de douleur, mais l’Enfant écartelé sourit ; transportée, elle clama : je vous remercie, mon Sauveur, d’avoir daigné visiter votre pauvre servante ! Son père, aux écoutes dans la pièce voisine, fut curieux de savoir à qui elle parlait et il s’approcha, à pas de loups, de la porte. Alors, la Lydwine, jeune et jolie, se replia dans sa chrysalide d’horreur ; les corps glorieux de la Vierge et des anges s’évanouirent, Jésus s’éleva et il commençait à devenir invisible, quand, affligée de son départ, la sainte s’écria : — Seigneur, si vous êtes réellement Celui que je crois, prouvez-moi, avant de me quitter, que je ne suis pas le jouet d’une illusion ; ne m’abandonnez pas, sans me laisser un indice certain que c’est bien Vous et non un autre qui êtes là ! À ces mots, Jésus revêtit une nouvelle forme et Lydwine aperçut, planant au-dessus de sa tête, une hostie, pendant qu’au même instant une nappe blanche descendait sur son grabat ; l’hostie doucement s’y plaça. Cependant le vieux Pierre, qui continuait à écouter à la porte sans rien comprendre à ce qui se passait, finit par entrer et s’assit sur le bord de la couche. — Agenouillez-vous, père, dit-elle, car mon Seigneur Jésus crucifié est là. Stupéfié le père s’agenouilla et vit, en effet, l’hostie. Il courut chercher ses enfants et Marguerite, Agathe et Wivina, femmes de bien, ses voisines, qui furent saisis de surprise et de peur, en considérant le corps du Christ ainsi tombé du ciel. Tous discernaient une oublie pareille, un peu plus petite que celle dont se sert le prêtre et un peu plus grande que celles réservées aux fidèles ; tous reconnaissaient que sa circonférence était bordée de rais lumineux et qu’au centre se dessinait l’image d’un enfant crucifié qui avait près du cœur une goutte de sang de la grosseur d’un petit pois et des plaies saignantes aux pieds et aux mains ; mais certains détails n’étaient perceptibles que pour quelques-uns ; ainsi, le vieux Pierre et son fils Wilhelm distinguaient cinq blessures et des voisines n’en découvraient que quatre. L’une d’elles, Catherine Simon, remarquait — et ses compagnes, pas — que le sang fluait par l’ouverture du côté et du pied droit, tandis qu’il semblait figé sur les autres points ; enfin, pour la sainte, la céleste oblate se tenait un peu en l’air, alors que pour les assistants, elle reposait, sur la nappe du lit, à plat. Bien que la nuit fût déjà avancée, Wilhelm alla réveiller le curé, afin qu’il pût examiner, de ses propres yeux, cette merveille. Il arriva les mains sales, dit Gerlac, et s’adressant d’un ton rogue à Lydwine : — Pourquoi vous permettez-vous de me déranger, à cette heure ? — Mais ne voyez-vous pas ce miracle ? répondit-elle, en montrant l’hostie. — Je ne vois qu’une imposture du Démon ! s’écria-t-il. Elle l’assura du contraire. Il regarda l’apparence de ce pain de très près et y surprenant, comme les personnes présentes, un corps ensanglanté, il demeura pantois ; puis, il recouvra son assurance, ordonna à tout le monde de sortir, ferma la porte et tourmenta Lydwine, l’adjurant, par le jugement de Dieu, de ne jamais parler de ce prodige. Il pressa sur elle pour lui arracher un serment ; elle refusa et cependant jusqu’au jour où elle fut interrogée par l’Ordinaire, elle se tut. Le refus de la sainte l’exaspéra. — En fin de compte, s’exclama-t-il, que prétendez-vous faire de cette hostie ? Cette question embarrassa Lydwine. Si je la lui remets, pensa-t-elle, il est capable d’en mésuser ; si je la garde, Jésus la quittera sans doute ; elle réfléchissait, quand une inspiration subite la décida. — Je vous prie de me communier avec, dit-elle. — Comment, vous demandez à être communiée avec le Diable ! — Non, fit-elle doucement ; ce n’est pas Satan, mais bien mon Seigneur Jésus qui est caché sous l’aspect de ce pain que je vous supplie de me donner. — Si vous tenez absolument à recevoir le Sacrement, j’irai chercher une hostie dans le tabernacle de l’église, car j’ignore d’où vient celle-ci et, une fois de plus, je vous conseille de ne pas vous y fier. À la fin, comprenant qu’elle ne céderait pas, il la lui inséra dans la bouche, en murmurant : acceptez donc cette fraude du Démon et pas autre chose ; cependant qu’elle opère en vous selon votre foi. Lydwine l’avala sans peine et, comme les autres oublies consacrées, elle s’infondit en son âme et l’enflamma. Dom André la laissa, perdue dans l’extase, et retourna, irrité et inquiet, chez lui. Le lendemain, qui était la veille de la fête de saint Thomas, il délibéra avec lui-même sur cette aventure et, craignant qu’elle ne s’ébruitât dans la ville, il résolut de la devancer ; quand les fidèles furent réunis à l’église, il monta en chaire et dit : — « Mes très chers frères, Lydwine, la fille de Pierre, dont l’intelligence est affaiblie par les maladies, a été leurrée, la nuit dernière, par le Malin ; la tentation dont elle a été la victime fut, à la fois, savante et périlleuse ; je vous demande donc de prier pour elle et de réciter notamment, à son intention, un Pater noster. » Puis il ôta du tabernacle le Saint-Ciboire, bénit les ouailles, et partit pour aller communier Lydwine suivi de cette foule dont il avait si bêtement éveillé la curiosité. Au moment de pénétrer dans la maison de la sainte, il se tourna vers les assistants dont le nombre s’était encore grossi pendant la route. — Sachez, fit-il, que l’Esprit du Mal s’est insinué dans ce logis. Il a déposé chez Lydwine, en lui assurant qu’il contenait le corps du Sauveur, un azyme vide, une simple rondelle de pâte de froment ; voilà ce que je puis vous affirmer et je veux être brûlé vif, si je mens ; mais si cette hostie est une fiction, celle que je lui apporte n’en est pas une. Jésus-Christ y est présent car elle a été transsubstantiée par le magistère du prêtre. Si donc l’un de vous cause de ce qui se passa, la nuit dernière, dans cette demeure, qu’il attribue ces actes à la malice du Déchu qui, pour mieux tromper, se transforme parfois en ange de lumière ; c’est, afin de fortifier cette malheureuse et de la mettre mieux à même de résister à ses illusions, que je lui concède la sainte Eucharistie ; priez donc charitablement pour elle. Cela dit, il salua les fidèles et s’introduisit, tête haute, chez la malade. Lydwine avait tout entendu ; elle accueillit Dom André avec sa douceur habituelle mais elle s’exclama : — Ô mon père, vous n’avez pas exactement raconté les faits ; non, je n’ai pas été séduite par un piège du Maudit et qui le sait mieux que vous, puisque je vous ai averti d’avance que Dieu me préparait cette grâce ? n’avez-vous pas constaté aussi que j’ai absorbé cette hostie sans aucune peine, alors que la moindre parcelle de pain à chanter m’eût étouffée ! enfin, n’êtes-vous pas mon confesseur, celui pour lequel je n’ai rien de secret, me considérez-vous donc ainsi qu’une fille de perdition ? Elle se tut, puis elle reprit : — J’invoquerai néanmoins le Seigneur pour qu’il ne vous impute pas à péché cette conduite. Il blêmit de rage. Ah çà ! cria-t-il, faut-il, oui ou non, que je vous communie ? Elle répondit : qu’il soit fait selon votre volonté. Et il la communia. Mais, tandis que cet étrange sacerdote se flattait de s’être tiré d’un mauvais pas, en persuadant à ses paroissiens qu’il avait miséricordieusement agi en secourant une possédée, les amis de Lydwine ne se gênèrent pas pour narrer à qui voulut l’entendre le miracle dont ils avaient été les témoins. Ils étaient gens raisonnables et pieux et on les jugeait incapables de mentir ; ce fut dans Schiedam un toile général contre ce curé dont la malhonnêteté n’était d’ailleurs que trop connue ; et celui-ci, tremblant devant cette multitude ameutée à sa porte, se réfugia dans l’église ; là, il se sentait couvert par l’immunité ecclésiastique ; les magistrats, effrayés de ce mouvement populaire, s’empressèrent de l’y joindre. — Voyons, dirent-ils, soyez franc, confessez-nous la vérité, afin que nous puissions apaiser les colères qui grondent contre vous. — Mais, répliqua-t-il, la vérité, je l’ai proclamée, ce matin, lorsque j’ai annoncé aux fidèles que la soi-disant faveur dont se targuait Lydwine, n’était qu’un mensonge et une exécrable tentation ; je n’ai rien à ajouter de plus. — Bien, demanda un des échevins, mais où est l’hostie ? Il n’osa avouer qu’il l’avait, en la croyant maléficiée, baillée à la sainte et il répondit : Je ne l’ai plus. — Ah ! et qu’en avez-vous fait ? Il mentit une fois de plus en déclarant qu’il l’avait consumée. — Où, dans quel endroit ? montrez les cendres que nous les examinions. Dom André refusa ; et ne pouvant plus rien en obtenir, les magistrats se retirèrent. Cependant, comme le tumulte allait croissant et que la fureur du peuple devenait de plus en plus menaçante, ils retournèrent, une seconde fois, à l’église et recommencèrent leur interrogatoire. Le curé, déconcerté, se coupa ; harcelé de questions, il répondit qu’il s’était débarrassé de l’oublie diabolisée en la noyant. Ils le serrèrent de près, voulurent connaître la place, le récipient dans lequel il l’avait immergée. Et, affolé, perdant la tête, il balbutia : Je l’ai enfouie dans un cloaque, afin d’empêcher que le peuple ne se rendît coupable, à cause d’elle, du crime d’idolâtrie. Quand la foule apprit qu’il avait enterré, dans un cloaque, une hostie réputée miraculeuse par des gens dignes de foi, elle tempêta et s’apprêta à écharper ce mauvais prêtre, dès qu’il s’échapperait de son refuge. Les échevins, de plus en plus inquiets de la tournure que prenaient les événements, revinrent, une troisième fois, auprès du curé et l’adjurèrent de ne pas continuer à les berner par des mensonges. — Réfléchissez, lui dirent-ils, et songez que l’indignation contre vous est telle que nous ne saurions, si vous vous écartiez de cet asile, garantir votre vie. Dom André baissa le nez, mais il fut impossible de lui extirper un mot. Alors, les magistrats, après s’être concertés, se déterminèrent à recourir à l’évêque et ils lui dépêchèrent un messager pour l’inciter à venir à Schiedam, afin d’y rétablir l’ordre. Le ciel, de son côté, avait prévenu par un songe Mgr Mathias, chorévêque d’Utrecht, duquel dépendait la paroisse de Schiedam, que sa présence y était nécessaire. Il partit, en toute hâte, accompagné de ses grands vicaires et des juges de l’Official. Le curé l’apprit et le peu d’assurance qui lui restait s’effondra. Il envoya, craignant de sortir de l’église, un ami auprès de Lydwine pour l’objurguer d’avoir pitié de lui. Je reconnais mes torts, convenait-il, mais votre charité me rassure ; veuillez, je vous prie, ne pas me charger devant le tribunal, mais, au contraire, atténuer autant que possible l’importance des griefs qui sont articulés contre moi ; je ne vous le dissimule pas, sans vous je suis perdu. La bonne Lydwine promit, à condition, bien entendu, de ne pas altérer la vérité, d’alléger le poids des accusations et, dans tous les cas, de demander au prélat de ne point sévir. L’évêque et sa suite arrivèrent, en effet, chez la sainte, amenant avec eux le curé qui pleurait ; le miracle fut l’objet d’un examen canonique ; puis les témoins à charge de Dom André furent entendus ; lorsque vint le tour de Lydwine, elle manifesta le désir que, par respect pour le caractère sacerdotal dont l’inculpé était revêtu, l’on intimât l’ordre aux laïques de se retirer. L’on acquiesça à sa requête ; mais avant de répondre aux questions précises qu’on lui posait, elle dit : — Monseigneur l’évêque, j’implore de votre Grandeur deux grâces. — Parlez, ma fille, répondit Mgr Mathias, parlez avec confiance, je vous accorderai tout ce qui ne lésera pas l’esprit de justice. — Je sollicite donc, d’abord, fit-elle, la liberté de m’exprimer ; mon pasteur m’a, en quelque sorte, liée, malgré moi, par une promesse que je ne crois pas pouvoir enfreindre sans votre permission ; je vous supplie ensuite d’user d’indulgence envers lui, en ne le frappant, ni dans sa personne, ni dans ses biens. L’évêque la délia d’un serment qu’elle n’avait d’ailleurs pas prêté et il lui promit que, sur le second point, il tiendrait compte de sa recommandation. Alors elle relata, par le menu, le miracle du Sacrement ; la vue de l’hostie, descendue sur ma couche, a fait naître en moi, dit-elle, l’attrait de la consommer ; aussi ai-je réclamé de Dom André qu’il me communiât avec. Il y a consenti, mais s’il a péché en cela, par trop grande complaisance c’est ma faute ; moi seule suis coupable ; et c’est très équitablement, Monseigneur, que je vous conjure, pour l’amour de Dieu, de l’épargner. Quelle fut, au juste, la sentence rendue par l’Official ? Les biographes nous racontent qu’il n’y en eut pas, mais que l’évêque consacra, pour le service de l’autel, la nappe sur laquelle s’était posée l’hostie ; et ils terminent cette histoire par des apostrophes laudatives, félicitant Lydwine de s’être aussi exorablement conduite envers un religieux qu’ils qualifient d’homme plus dur que Nabal et plus cruel que la Lamia. Ce qui est certain, par exemple, c’est que ce triste moine ne fut pas renvoyé dans son couvent ; il demeura curé à Schiedam et dispensa désormais, sans trop rechigner, l’Eucharistie à Lydwine ; mais il le fit sans doute beaucoup plus par crainte de se susciter de nouveaux ennuis que par devoir, car il ne s’amenda guère et ne devint ni moins goinfre, ni plus charitable pour les pauvres, qu’avant. Il finit très mal, d’ailleurs. Au moment où la peste éclata à Schiedam, Lydwine qui en fut, ainsi que nous l’avons noté plus haut, atteinte, pria le curé de lui apporter le Viatique. Il vint, en tremblant, car il appréhendait la mort et, de peur de la contagion, il fermait la bouche et se tamponnait le nez. Lydwine s’en aperçut et lui dit : — Soyez tranquille, mon père, mon mal n’est pas de ceux qui se communiquent par l’odorat ou par le goût ; il n’est pas d’origine humaine, du reste. Dom André, confus, se tut ; puis feignant un courage qu’il n’avait point, il s’écria : Plaise au ciel, Lydwine, que je vive assez pour assister à votre trépas ! — Vous n’y assisterez point, répliqua gravement la sainte ; ce sera moi qui verrai le vôtre et puisque nous en sommes sur ce sujet, écoutez-moi : mettez au plus vite ordre à vos affaires ; soyez prêt à paraître devant Dieu. Il fronça le sourcil et, suivant son habitude, se moqua d’elle ; mais quelques jours après, il tomba malade et se rappela la prédiction de sa pénitente. Épouvanté, il députa quelqu’un auprès d’elle pour lui demander pardon de ses railleries. — Je lui pardonne de tout cœur, répondit Lydwine, mais qu’il ne s’illusionne pas, il est condamné ; dites-lui qu’il se confesse et restitue sans tarder le bien d’autrui qu’il s’est approprié, car la mort le talonne. Au mot de restitution qui lui fut rapporté, Dom André eut un accès de rage et envoya déclarer à la sainte qu’il n’avait rien à se reprocher, attendu qu’il n’avait jamais rien dérobé. Elle fut effrayée par la méchanceté et par l’aveuglement de ce prêtre ; néanmoins, elle voulut essayer encore d’une tentative pour le sauver ; elle appela une personne de confiance, lui spécifia les objets volés jadis par cet homme et la dépêcha près de lui pour l’inviter à s’en dessaisir ; mais cette sommation ne fit que l’exacerber et il mourut, la bave aux lèvres, dans une crise de colère contre la sainte. VIII Le successeur de Dom André à la cure de Schiedam fut un autre prémontré, venu du même monastère de l’île sainte-Marie, Jan Angeli, de Dordrecht, Jan fils d’Angeli, dit AKempis. Celui-là était un paillard, non moins ignorant que son prédécesseur des phénomènes de l’ascèse mystique, mais il avait bon cœur, était complaisant et charitable. Il commença par ne rien entendre au cas de Lydwine. Parmi ses pénitentes, figurait une jeune fille, très dévouée à la sainte. Ils causaient souvent d’elle et toujours il se demandait quel agrément cette jeune fille pouvait bien trouver à demeurer pendant des heures auprès d’une grabataire dont l’aspect l’avait personnellement dégoûté. Un beau jour, il voulut tirer la chose au clair et il l’interrogea. Comme elle était très timide, elle n’osa d’abord lui répondre, puis, à la fin, harassée par ses instances, elle ne put s’empêcher de s’écrier : mais si quelqu’un a le droit d’être étonné, c’est moi, mon père, car enfin vous êtes son confesseur ! Comment n’avez-vous jamais rien ressenti de ce que je ressens toutes les fois que je l’approche ? — Bah ! s’exclama Jan Angeli — qu’éprouvez-vous donc de si extraordinaire lorsque vous êtes en sa présence ? — Je ne sais, c’est indéfinissable — l’on n’est plus ici-bas, auprès d’elle. Je ne suis pas capable de m’exprimer, mais ce que je puis vous affirmer, c’est que si vous connaissiez cette âme, vous la visiteriez plus souvent ! — Je veux bien être pendu, si je comprends un mot à ce que vous me racontez ! — Eh bien, mon père, vous devez aller chez elle, demain, pour la confesser, regardez sa main et peut-être alors comprendrez-vous. Le curé se rendit, en effet, le lendemain, à la demeure de Lydwine ; son premier soin fut de chercher à voir la main de la sainte, mais elle était, enfouie sous ses couvertures, parce qu’elle ne l’avait pas revêtue, ainsi qu’elle le faisait d’habitude, d’un gant. La vérité est que si quelqu’un en avait examiné de très près la paume, il aurait découvert la marque plombée des stigmates ; or, elle n’avait jamais parlé à personne de ces douloureux sceaux. Une seule femme, la veuve Catherine Simon, sans doute, les avait aperçus, et avait pressé Lydwine de questions ; mais celle-ci qui se défendait et d’avouer la vérité et de mentir, gardait le silence. À un certain moment, cependant, poussée à bout, elle s’exclama, en serrant joyeusement la main de son amie : ô tête, ô tête ! — ce qui voulait dire, selon Brugman, taisez-vous, mon secret est à moi ! Toujours est-il qu’elle cachait de son mieux cette main gauche, la seule dont elle pouvait se servir, mais ce qu’elle ne parvenait pas à dissimuler, c’était le parfum têtu d’épices qui s’en exhalait. Il était, selon Gerlac, perceptible au goût et, quand on l’avait respiré, l’on avait en quelque sorte aussi dégusté de célestes friandises dont la saveur rappelait, mais ainsi que de précieux crûs rappellent de fallacieuses vinasses, le bouquet fébrile des girofles, l’ardeur poivrée du gingembre, la candeur fûtée de la cinnamome, de la cannelle, surtout. Résolu à ne pas s’éloigner, sans avoir contenté sa curiosité, Dom Angeli dit : — Ma très chère mère Lydwine, veuillez me donner votre main. Par obéissance, elle la lui tendit et la chambre fut aussitôt embaumée. — Ah ! s’écria-t-il, pourquoi ne m’avez-vous jamais révélé que vous disposiez des aromates perdus de l’Eden ? et comment ne me suis-je pas rendu compte, moi-même, alors que je vous confessais, que vous étiez une de ces âmes que Jésus se plaît à emplir jusqu’aux bords de ses grâces ! — Souvenez-vous de nos entretiens, mon père, répliqua Lydwine ; je vous ai bien souvent insinué que mes peines n’étaient que la contre-partie de mes joies ; si vous n’avez pas mieux deviné le sens de mes allusions, c’est sans doute parce que Dieu désirait qu’il en fût ainsi. Il s’exclama : vos paroles ont été pour moi comme des roses que l’on offrirait à un porc ! Et il était de bonne foi, en se traitant ainsi, car cette odeur qui fluait des doigts de la malade agissait non seulement sur son odorat et sur son goût, mais encore elle pénétrait jusqu’au fond de sa conscience et en faisait jaillir le remords d’affreux péchés. Il n’y tint plus et il soupira, en fondant en larmes : — Écoutez-moi, je sens que le Seigneur m’ordonne de me confier à vous ; j’ai commis des turpitudes sans nom, des fautes horribles. Il se jeta à genoux, mais pris de vergogne, effaré par l’immondice de désolants aveux, il n’osa se traîner jusqu’au bout de ses accusations et se tut. D’abord interdite par cette scène, Lydwine avait vite discerné qu’elle seule pouvait avoir assez d’influence sur ce malheureux pour le racheter ; elle vint donc à son aide, lui fractura l’âme et en sortit un péché qu’il célait. — Voyons, fit-elle, ce péché d’adultère vous le commettez fréquemment ? Tremblant de honte, il nia, jura que non. La sainte parut le croire et n’insista pas. Il partit, gêné par son mensonge et revint. — Pourquoi, lui dit-elle, brusquement, m’avez-vous menti ? Je vous ai vu et depuis notre entretien, tel jour, à telle heure, à tel endroit, encore en tête à tête avec cette femme ; est-ce vrai ? Confondu, il s’écria : qui a pu vous révéler ainsi mes méfaits ? et ses larmes l’étouffant il quitta la chambre et se réfugia dans le jardinet attenant à la maison, pour y pleurer à son aise. Quand il se fut soulagé, il rentra et promit à la sainte de s’amender. Depuis ce moment, il aima réellement Lydwine et elle ne fut pas, on le verra, ingrate. Ce Jan Angéli, qui n’occupa pas très longtemps la cure de Schiedam, semble d’ailleurs n’avoir tenu qu’une place intérimaire, n’avoir été qu’un passant dans la vie de Lydwine. Un autre prêtre, un saint homme, celui-là, Jan Walter, de Leyde, fut plus spécialement désigné par la Providence pour l’exhorter. Qu’était ce Walter qui eut trois sœurs germaines, amies et garde-malade de la sainte ? était-il vicaire ou prêtre habitué ou aumônier d’un des couvents de la ville ? appartenait-il à cet ordre des fils de saint-Norbert qui administraient, à cette époque, la paroisse ? fut-il enfin, après la mort du titulaire, promu curé ! je l’ignore ; les historiens nous relatent bien le trépas de Dom Angeli qui eut lieu en 1426, mais ils ne nous parlent pas plus de son successeur que s’il n’avait jamais existé. D’autre part, Walter a-t-il rempli, auprès de Lydwine, du temps de Jan Angeli, l’office que Jan Pot emplit auprès d’elle, du temps de Dom André ? Oui, Gerlac l’affirme expressément. Lydwine étant décédée en 1433, l’on peut même ajouter qu’il commença à exercer son ministère envers elle, en 1425, car Brugman atteste qu’il fut son confesseur pendant les huit dernières années de sa vie. Il l’ont donc dirigée ensemble, mais pendant une année seulement, puisque Jan Angéli mourut, comme il vient d’être dit, en 1426. Ce qu’il est possible d’assurer, en tout cas, c’est que cette haine sacerdotale, qui avait tant torturé Lydwine, se termina avec le décès de Dom André. Elle put recevoir le dictame de l’autel autant de fois que les besoins de son âme l’exigeaient. Jan Angéli et Jan Walter le lui accordèrent même, à une certaine époque, tous les deux jours ; mais quelquefois l’esquinancie dont elle souffrait et les fièvres qui la rongeaient lui desséchaient la bouche et lui contractaient à un tel point la gorge qu’il fallait lui verser de l’eau entre les lèvres pour lui permettre d’avaler l’hostie ; et l’effort de déglutition qu’elle devait faire était si douloureux, qu’elle défaillait presque. Dieu lui épargna donc les nouveaux tourments de mauvais prêtres ; certes, beaucoup se pressèrent encore autour d’elle, mais ceux-là n’avaient aucune obédience sur sa personne, ceux-là n’avaient le droit, ni de lui nuire, ni de la commander ! Elle avait, au reste, assez de tortures pour être au moins dispensée de celle-là ! car ses maux allaient toujours en s’aiguisant. Aucune partie de son corps n’était plus saine ; la tête, le col, la poitrine, le ventre, le dos et les jambes lui arrachaient, en se décomposant, jours et nuits, des cris ; seuls les pieds et les mains étaient demeurés presque indemnes et désormais ils furent dévorés par les flammes sourdes des stigmates ; celui de ses yeux qui n’était pas complètement mort mais qui ne tolérait déjà plus aucune lueur, devint encore plus sensible et saigna même dans la pénombre ; il lui fallut se séquestrer derrière des rideaux, gémir, immobile, les plaies avivées, dès qu’on essayait de la remuer pour la changer de linge, par les barbes hérissées des pailles. Le temps n’était plus où elle pouvait regarder par l’étroite fenêtre, placée en face du lit, un peu de ces ciels charmants des Pays-Bas, de ces ciels d’un bleu étonnamment tendre sur lequel moussent des buées d’argent et floconnent des vapeurs d’or ; les silhouettes des passants, les cimes d’arbres remuées par le vent, les mâts des barques filant sur les canaux voisins, tous ces aperçus de la vie qui circulaient derrière sa croisée et qui parvenaient peut-être à la distraire, avaient, pour la quasi-aveugle qu’elle était, disparu. L’hiver même, lorsque le firmament lourd de neige descendait jusqu’au faîte des toits et qu’un jour d’eau trouble brouillait les contours des bâtisses et des routes, il lui était jusqu’alors resté cette gaieté intime des choses, si particulière en Hollande, dans les intérieurs des plus pauvres gens ; elle avait eu, pour se délasser, dans ses moments d’accalmie, le côté plaisant de la grande cheminée devenue vivante avec le froid et si éveillée et si réjouie avec sa crémaillère aux dents de laquelle toujours oscille, dans une spirale de fumée bleue, la marmite qui chante. Et c’était sur la plaque du fond, tapissée de suie, le pétillement des étincelles, les soupirs des sarments, la blanche envolée des peluches, tandis que sous la hotte en saillie dans la chambre, près des tisons écroulés sur les carreaux de l’âtre, les hauts landiers de fer tenaient, au bout de leur tige, sur leur tête arrondie en forme de corbeille, les plats mis au chaud ; et des zigzags de feu sortaient des cendres, accrochaient des paillettes au cuivre des coquemars, tiquetaient de points d’or la panse des chaudrons, éclairaient d’une brusque lumière les ustensiles pendus au mur : les cuillers, les longues fourchettes à deux dents pour piquer la viande dans les pots, les poêles et les écumoirs, les lèche-frites, les grils et les râpes, tous les instruments qui figurent dans les plus humbles cuisines de cette époque. Cette amusette familière des braises, ce cache-cache d’étoiles que tantôt elles allument et que tantôt elles éteignent sur le flanc bombé des vases ; ces nuées qui semblent enfermées dans une cage et qui courent pourtant derrière les résilles en plomb des vitres, tous ces misérables riens qui occupent une malade, qui la désennuient pendant quelques secondes, lui étaient dorénavant refusés ; au sortir de l’ébriété divine, c’était le noir et c’était le vide ; la vue d’un charbon qui se consume lui eût troué l’œil comme une pointe de métal rouge ; on dut donc préparer les repas de la maisonnée dans une autre pièce ; ce fut, pour elle, l’abandon même des choses. Cette chambre basse et humide dans laquelle elle gisait, en une éternelle nuit, eût constitué pour toute autre que pour elle un séjour suicidaire ; elle était déjà ensevelie dans une tombe et elle n’avait point, en échange, l’avantage de la solitude, car les curieux continuaient d’affluer. Qu’elles fussent injurieuses ou simplement vaines, ces visites la crucifiaient, car elles la privaient de celle des anges. Elle vivait, en effet, ainsi qu’une sœur, avec eux. À quel moment entra-t-elle en d’étroites relations avec ces purs Esprits ? Il est impossible de le dire ; elle ne communiquait pas ses secrets, même à ses plus intimes, rapportent ses chroniqueurs ; aussi ne peut-on suivre, ainsi qu’on le fit pour d’autres élus, le pas à pas de sa marche dans les voies mystiques ; la chronologie des grâces qui lui furent imparties n’existe pas ; ce que l’on peut seulement attester, c’est que Dieu lui dépêchait, quand elle souffrait trop, ses anges pour la consoler. Elle leur parlait de même qu’à de grands frères et lorsque, pour l’éprouver, Jésus s’éloignait d’elle, elle les appelait, leur criait, éplorée : où est-il ? comment peut-il m’affliger et n’avoir pas pitié de moi, Lui qui m’a tant recommandé d’être miséricordieuse envers le prochain ; je n’agirais pas, à coup sûr, avec mes semblables, comme il agit avec moi. Ah ! si je disposais envers Lui du pouvoir d’adduction qu’il a sur moi, je l’attirerais dans mes bras, je le ferais pénétrer jusqu’au fond de mon cœur ou plutôt non, c’est moi qui pénétrerais dans le sien et m’y submergerais tout entière ! Et elle les suppliait d’aller le chercher, de l’amener, coûte que coûte, finissait par pleurer en soupirant : je deviens folle, je ne sais ce que je dis ! Et les anges la réconfortaient et lui ramenaient, en souriant, l’Époux. Alors que sa contemporaine sainte Françoise Romaine les contemplait surtout sous l’aspect d’enfants aux cheveux d’or, elle, les voyait sous la forme humaine d’adolescents, marqués au front d’une croix resplendissante, afin qu’elle pût les distinguer des démons auxquels il est interdit, quand ils se travestissent en anges de lumière, d’arborer ce signe. Mais son ange était moins rigoureux que celui de la sainte italienne qui la souffletait, en public, quand elle commettait la moindre faute ; celui de Lydwine partait simplement et ne revenait que lorsqu’elle s’était confessée, lui faisant ainsi comprendre qu’il est impossible de converser avec des hommes ou des femmes, même en étant animé des meilleures intentions, sans choir dans quelque imperfection, sans laisser échapper au moins une parole indiscrète ; aussi, assurait-elle, que si les entretiens ont quelquefois du bon, le silence vaut toujours mieux. Cette défection de ses célestes confidents, quand ils la trouvaient en compagnie, fut pour elle la cause d’un impétueux chagrin. Un jour de fête, à l’heure de midi, elle pria son confesseur et l’un de ses parents nommé Nicolas qui était venu dîner chez elle, après la messe, de la quitter, afin qu’elle pût rester, seule, pendant trois heures. Nicolas fut se promener, mais le confesseur — dont les trois biographes omettent le nom — revint secrètement à la maison et se posta aux aguets derrière la porte de la chambre de Lydwine. L’ange gardien, que la sainte attendait, parut, mais il se contenta de planer autour du lit, sans s’approcher. Elle lui demanda, peinée, si elle était coupable de quelque péché. — Non, répondit-il, en partant, si je fuis c’est à cause de celui qui t’espionne, là, derrière la porte. Lydwine se mit à sangloter. Intrigué par le bruit de ces gémissements, le prêtre sortit de sa cachette et il avoua sa faute ; mais quand elle vit que c’était son confesseur qui avait mécontenté de la sorte son bon ange, elle pleura encore plus amèrement. — Ah ! mon père, fit-elle, pourquoi vous conduisez-vous ainsi envers moi ; vous doutez donc de ma franchise, puisque vous voulez vérifier, par vous-même, ce que je vous dis ? Ces relations avec les purs Esprits, qu’elle eût voulu tenir cachées, s’ébruitèrent ; certains faits ne pouvaient, en effet, tarder à être connus ; ceux-ci surtout qui s’étaient passés devant témoins. Tous les ans, le mercredi après le dimanche de la Quinquagésime, Jan Walter lui apportait les cendres. Or, une année, il ne put se rendre chez elle, à l’heure annoncée ; Lydwine, inquiète, se demandait s’il était indisposé ou s’il l’avait oubliée, quand un ange parut à sa place et la signa. Walter arriva enfin. — C’est fait, lui dit-elle, mon frère ange vous a prévenu. — Walter ouvrait de grands yeux, pensant que sa pénitente devenait folle, mais s’étant penché sur elle, il distingua une croix de poussière très nettement tracée sur son front et il approcha son front du sien, afin de se bénir, lui aussi, avec cette poudre des buis consumés de l’Eden. Que vous êtes heureuse, ma chère Lydwine ! s’écria-t-il, en joignant les mains ; et elle sourit, lui racontant qu’après la cérémonie, son ange lui avait déclaré qu’en pareil cas, les fidèles agiraient sagement, en se présentant à l’autel avec un cierge allumé auquel pendrait une médaille gravée d’une croix, afin d’énoncer leur foi par la cire, la charité par la flamme et la mortification par la croix. Un autre jour une pieuse veuve, qui la soignait et qui n’ignorait point que les anges se révélaient à son amie sous une forme sensible, la supplia de lui en montrer un. Lydwine, reconnaissante à cette femme, qui était très probablement la veuve Catherine Simon, de tant de bons soins, implora le Seigneur et, après s’être assurée que sa prière était accueillie, elle dit à la veuve : — Agenouillez-vous, ma très chère, voici que l’ange que vous désirez connaître vient. Et l’ange jaillit dans la chambre sous la figure d’un jeune garçon dont la robe était tissée de fils de feux blancs. Cette femme était tellement enchantée qu’elle était inapte à proférer une seule parole pour exprimer sa joie. Alors Lydwine, réjouie de la voir si contente, demanda : — Mon frère, voulez-vous autoriser ma sœur à contempler, ne fût-ce que pendant une minute, la splendeur de vos yeux ? Et l’ange la fixant, cette femme se souleva hors d’elle-même et, durant quelque temps, elle ne fit plus que gémir d’amour et pleurer, sans pouvoir dormir ou manger. Lydwine disait quelquefois à ses intimes : je ne connais nulle affliction, nul mésaise qu’un seul regard démon ange ne dissipe ; son regard opère sur la douleur comme un rayon de soleil sur la rosée du matin qu’il évapore. Imaginez-vous donc de quelles allégresses le Créateur inonde ses élus dans le ciel, puisque la vue du moindre de ses anges suffit pour disperser tous les maux et nous dispenser une jubilation qui surpasse de beaucoup toutes celles que nous pouvons, ici-bas, attendre. Et elle ajoutait : il sied d’aimer et de vénérer ces purs Esprits qui, bien que très supérieurs à nous, consentent cependant à nous protéger et à nous servir ; et, elle-même, donnait l’exemple à ses fidèles en récitant devant eux, cette prière : « Ange de Dieu et bien-aimé frère, je me confie en votre bénéficence et vous supplie humblement d’intercéder pour moi auprès de mon Époux, afin qu’il me remette mes péchés, qu’il m’affermisse dans la pratique du Bien, qu’il m’aide par sa grâce à me corriger de mes défauts et qu’il me conduise au Paradis pour y goûter la fruition de sa présence et de son amour et y posséder la vie éternelle ; ainsi soit-il. » Cet ange gardien, qu’elle exorait de la sorte, se plaisait à venir la chercher et à l’emmener, en esprit, promener. Gerlac, qui vécut près d’elle, remarque, à ce propos, que lorsque l’âme émigra pour la première fois de sa gaine charnelle, Lydwine souffrit de terribles angoisses ; elle suffoqua, se crut sur le point de mourir ; et quand l’âme fut sortie, le corps devint froid, insensible, tel qu’un cadavre. Mais peu à peu, elle s’habitua à ce détachement provisoire de sa coque et il s’effectua, par la suite, sans qu’à peine elle le sentît. L’itinéraire de ses excursions était généralement celui-ci : l’ange l’arrêtait d’abord devant l’autel de la Vierge dans l’église paroissiale, puis il la guidait dans les jardins en fête de l’Eden, plus souvent encore dans les effrayants dédales du Purgatoire. Elle souhaitait d’ailleurs de visiter les âmes détenues dans les ergastules de ces tristes lieux ; personne ne leur était plus dévoué ; elle voulait, à tout prix, diminuer leurs tourments, abréger leur captivité, changer leur misère en gloire ; aussi, bien que chacun de ces voyages fût pour elle la cause d’incomparables tortures, suivait-elle volontiers son compagnon alors qu’il la dirigeait vers cette halte terrible de l’au-delà. Elle y apercevait des âmes s’agitant au centre de tourbillons de feu et elle passait au travers de ces ouragans de flammes quand l’ange lui indiquait ce moyen de les soulager. Dieu lui exhibait, sous les yeux, le détail des peines infligées à certaines de ces suppliciées ; et elle les voyait, de même que sainte Françoise Romaine, sous une forme corporelle, rôties sur des brasiers, pilées dans des mortiers ardents, déchirées avec des peignes de bronze, transpercées par des broches de métal rouge. — Quelle est cette âme qui endure cet affreux martyre ? fit-elle, un jour, en se tournant, consternée, vers son guide. — C’est celle du frère de cette femme qui vous a récemment réclamé des prières pour elle ; demandez qu’elle soit allégée et elle le sera. — Lydwine s’empressa d’adhérer à cette proposition et cette âme fut retirée de la prison particulière où elle pâtissait, pour être internée dans une autre, moins rigide et commune aux âmes qui n’ont à purger aucune peine spéciale. Quand elle fut revenue de ce voyage, la sœur du défunt la harcela pour connaître le sort de son frère. Lydwine, harassée, lui dit : Si je vous raconte ce que je sais, vous allez perdre la tête. Mais cette femme l’assura qu’elle ne se troublerait pas ; alors la sainte lui narra le changement de geôle de son frère et ajouta : pour le libérer complètement, il vous faut renoncer aux mets délicats dont vous êtes friande ; tenez, vous préparez, pour votre régal, un chapon, eh bien, vous allez vous en priver et le bailler aux pauvres. Cette femme suivit ce conseil et, à l’aube, le lendemain, elle entrevit une troupe de démons dont l’un, après avoir empoigné le chapon, la gifla, elle et Lydwine avec. Elle eut grand’peur, mais Dieu crut devoir joindre encore à ses transes des douleurs si violentes que la malheureuse cria grâce ; alors Lydwine intercéda auprès du Seigneur, subit à sa place le complément des offenses et l’âme fut enfin dégrevée. Une autre fois, pendant la nuit de la fête de la conversion de saint Paul, Lydwine regarda, en songe, un homme qui lui était inconnu et qui tentait d’escalader une montagne ; il retombait à chaque effort. Tout à coup, il aperçut la sainte et lui dit : Ayez pitié de moi, portez-moi en haut de ce mont. Elle le chargea sur ses épaules et grimpa péniblement jusqu’à la cime ; là, elle s’enquit de son nom. Il répondit : Je m’appelle Baudouin du Champ ; et elle s’éveilla. Son confesseur étant venu pour prendre de ses nouvelles, le lendemain, remarqua qu’elle pouvait à peine respirer et était brisée de fatigue. Comme il s’inquiétait de son état, elle lui décela sa vision de la nuit. Baudouin du Champ ? fit le prêtre, ce nom ne m’est pas absolument inconnu, mais où l’ai-je entendu prononcer ? il scruta vainement sa mémoire. Or, trois jours après, étant allé célébrer la messe à Ouderschie, un village situé à environ deux kilomètres de Schiedam, il apprit que le sacristain s’appelait Baudouin du Champ et était mort, la nuit même où il était apparu à Lydwine. Elle se consumait d’angoisses pour ces âmes, cherchait de tous les côtés à se procurer des messes pour elles, clamait : Seigneur, châtiez-moi, mais épargnez-les ! — et Jésus l’écoutait et la broyait sous le pressoir de ses maux. Il convient d’observer aussi qu’elle était assaillie de suppliques par ces forçâtes d’outre-tombe ; tout l’au-delà souffrant la cernait ; elle voyait ces âmes en attente, éveillée et endormie, et ce qu’elles attirèrent sur elle des avalanches de tourments ! celles surtout des mauvais prêtres. Ceux-là, après leur trépas, furent les plus assidus de ses bourreaux. L’un d’eux, nommé Pierre, dont la vie n’avait été qu’une sentine, s’était repenti, mais il était mort, avant que d’avoir pu expier, ici-bas, ses fautes. Lydwine, sur les exorations de laquelle il s’était converti, priait très souvent pour son âme dont elle ignorait les fins. Or, douze ans après le décès de cet ecclésiastique, comme elle implorait encore la miséricorde divine pour lui, son ange l’emmena dans le Purgatoire. Là, elle entendit une voix lamentable qui criait au secours du fond d’un puits. — C’est l’âme de cet abbé pour lequel vous avez adressé tant d’oraisons au Sauveur, dit l’ange. Elle fut navrée de le savoir encore dans cette géhenne. — Voulez-vous souffrir pour le sauver ? proposa son compagnon. — Oui, certes ! s’exclama-t-elle. Alors il la conduisit devant un torrent qui dégringolait, en grondant, dans un gouffre et lui commanda de le franchir. Elle recula, assourdie par le fracas des eaux, épouvantée par la profondeur de l’abîme ; elle haletait, prise de vertige, se retenait pour ne pas s’affaisser ; mais son guide la réconforta ; elle s’élança dans le vide, roula dans le tourbillon des ondes, s’accrochant aux aspérités des rocs et elle finit par s’effondrer, défaillant de fatigue et de peur sur l’autre bord ; alors l’âme de son protégé bondit du puits, et s’envola, toute blanche, vers le ciel. Elle délivra de même ce malheureux Angeli qui avait été enlevé par la peste, en quelques jours, à Schiedam. Ainsi que nous l’avons raconté, ce religieux, après s’être confessé avec larmes à Lydwine, était sorti de chez elle, plein de fermes résolutions ; mais il ne tarda pas à écouter encore les rumeurs de ses sens. Lydwine le supplia de changer d’existence, de se séparer de cette femme qui l’induisait au mal, il promettait mais il était si faible qu’il ne pouvait se résister. Enfin, les représentations énergiques de la sainte parvinrent à le délier de son vice ; mais il fut atteint de la peste huit semaines après. Il se traîna chez Lydwine et lui demanda s’il devait se préparer, par l’extrême-onction, à la mort. — Oui, fit-elle. — Il hésita et attendit ; mais, se sentant plus malade et n’étant plus en état de quitter son lit, il lui dépêcha un messager qui réitéra la question. Cette fois, elle répliqua : qu’il avale un peu de bière et de pain, s’il peut les garder, l’espace d’une heure, il ne mourra pas, sinon... Il suivit cette prescription et pendant trois quarts d’heure, il n’éprouva aucune nausée. Il se croyait déjà guéri, quand, au moment même où sonna l’heure, les vomissements affluèrent. Il appela en hâte un prêtre, reçut les derniers sacrements et trépassa, le jour même de la Nativité de la Bienheureuse Vierge. Lydwine, très inquiète pour son âme, pria, sans désemparer, s’infligea de studieuses tortures, s’ingénia, par tous les moyens en son pouvoir, à le racheter. Elle finit par interroger son ange, afin de savoir où il était. Pour toute réponse, il la mena dans un endroit effroyable. — C’est l’Enfer ? fit-elle, tremblante. — Non, c’est le district du Purgatoire qui l’avoisine, l’Enfer est là, êtes-vous curieuse de le visiter ? — Oh non ! s’exclama-t-elle, effarée par les hurlements, par les bruits de coups, par les cliquetis de chaînes, par les grésillements de charbons qu’elle entendait derrière d’immenses murailles noires, tendues comme d’un rideau de suie. Son compagnon n’insista pas ; il continua de la promener dans les aires des âmes demeurées à mi-chemin. Un puits sur la margelle duquel un ange était tristement assis, l’arrêta. Qu’est-ce ? dit-elle. — C’est l’ange gardien de Jan Angeli ; l’âme de votre ancien confesseur est enfermée dans ce puits, tenez — et son guide souleva le couvercle. — Une spirale furieuse de flammes s’en échappa et des cris. Elle reconnut la voix de son ami et l’appela. Il jaillit, embrasé, projetant des étincelles ainsi qu’un fer chauffé à blanc et, avec une voix qui n’en était plus une, il la nomma, ainsi que de son vivant, ma très chère mère Lydwine, et la supplia de le sauver. Cette âme en feu, cette voix inarticulée, la bouleversèrent si fort que sa ceinture de crins, qui était pourtant solide, éclata et qu’elle revint à elle. — Ah ! dit-elle aux femmes qui la veillaient et qui s’étonnaient de la voir si frissonnante et si abattue, ah ! croyez-moi, il n’y a que l’amour de Dieu qui puisse me faire descendre dans de tels barathres ; sans cela, je ne consentirais jamais à regarder de si terribles scènes ! Et, un autre jour, alors qu’un bon prêtre disait devant elle, en montrant un vase plein de graines de moutarde : « ma foi, je me contenterais bien de ne pas subir plus d’années de Purgatoire qu’il n’y a de grains dans ce pot », elle s’écria : que racontez-vous là ! Ne croyez-vous donc point en la miséricorde du Messie ? Si vous vous doutiez de ce qu’est ce foyer de tourments vous ne parleriez pas de la sorte ! Or, cet ecclésiastique mourut quelque temps après et diverses personnes, qui avaient assisté à cet entretien, s’enquirent auprès de Lydwine pour être informées de son sort. — Il est bien, fit-elle, parce qu’il était un digne prêtre, mais il serait mieux s’il avait eu une fiance plus efficace dans les vertus de la Passion du Christ et s’il avait, de son vivant, plus craint le Purgatoire ! En attendant, elle sut si bien appliquer les mérites de ses souffrances à cet infortuné Angeli, qu’elle parvint à le délivrer. On la consultait de toutes parts, pour connaître la destinée de certains morts ; mais constamment elle refusait de répondre. — Vous êtes bien réservée et vous faites bien la renchérie, lui dit une femme ; moi qui vous parle, j’ai souvent causé, avant sa mort, avec un saint qui n’usait pas de tant de manières pour renseigner les gens. — C’est possible, répliqua Lydwine, il ne m’appartient pas de juger si, en agissant de la sorte, ce saint avait tort ou raison. — Et au même instant, son ange lui apprenait que ce soi-disant élu souffrait dans le Purgatoire, justement pour s’être mêlé de ce qui ne le concernait pas. Il fallait donc qu’elle fût vraiment incitée par le Seigneur pour qu’elle osât s’immiscer dans de telles questions ; c’était tant pis, dans ce cas, pour les indiscrets, si ses avis, au lieu de les consoler, les alarmaient. Il en fut ainsi pour la comtesse de Hollande ; après le décès de son mari Wilhelm, le bruit courut que Lydwine, trépassée depuis trois jours, venait de ressusciter et avait rapporté de l’autre monde la nouvelle que le comte défunt participait à l’allégresse sans retour des Justes. La comtesse envoya aussitôt l’un de ses officiers à Schiedam. — Vous pouvez bien penser, lui dit Lydwine, un peu ahurie par ce message, que si j’étais morte depuis trois jours, je serais à l’heure actuelle inhumée dans une tombe ; quant à l’âme de votre prince, permettez-moi d’estimer que si elle était entrée directement dans le ciel, moi qui suis malade depuis tant d’années, j’aurais peut-être le droit d’être surprise et de pleurer sur la longueur de mon exil ; et j’ajoute que je ne me plains pas. Dans une autre circonstance, pour déraciner les mauvais instincts d’un déplorable prêtre, elle obtint du Ciel de lui faire contempler l’enfer. Cet ecclésiastique, Joannès Brest ou de Berst, qui lui avait rendu quelques petits services, en s’occupant de ses affaires de famille, fréquentait chez une dame Hasa Goswin ; cette femme tenait table ouverte et attirait de préférence chez elle les prêtres libertins et goulus. Lydwine avait mainte fois exhorté cet ecclésiastique à ne plus mettre les pieds dans ce mauvais gîte, mais il n’avait jamais écouté ses conseils. Cette créature trépassa ; il revint voir la sainte et fut désireux de savoir ce qu’elle était devenue. Dieu peut vous accorder la grâce de la regarder, dit tristement Lydwine. Elle pria et, quelques jours après, ils virent, tous deux, simultanément, Hasa Goswin torturée dans d’épouvantables forteresses par les démons, liée par des chaînes de feu, brisée par d’inénarrables supplices, dans les enfers. Joannès de Berst fut terrifié ; il promit à Lydwine de changer de conduite ; puis, il se rit de cette vision, se persuada qu’elle n’était que le résultat d’un cauchemar et continua de plus belle à se désordonner. La sainte le réprimanda sérieusement ; découragée, à la fin, elle s’exprima ainsi devant un tiers : je ne puis plus détourner la justice de Dieu de cet homme ; et il tomba subitement malade et il mourut. Lydwine n’eut malheureusement pas près d’elle, comme la sœur Catherine Emmerich, un Clément Brentano pour noter ses visions dans les rares moments où elle consentait à en parler. Il semble cependant possible, avec les différents détails précisés par ses biographes, de reconstituer le récit de ses voyages dans les territoires de l’au-delà. Au fond, son concept de l’Enfer, du Purgatoire et du Ciel est identique à celui de tous les catholiques de son temps. Dieu adapte, en effet, presque toujours, la forme de ses visions à la façon dont les pourraient imaginer ceux qui les reçoivent. Il tient généralement compte de leur complexion, de leur tournure d’esprit, de leurs habitudes. Il ne réforme pas leur tempérament pour les rendre capables de considérer le spectacle qu’il juge nécessaire de leur montrer ; il ajuste, au contraire, ce spectacle au tempérament de ceux qu’il appelle à le contempler ; cependant les saints, qu’il favorise, voient ces tableaux sous un aspect inaccessible à la faiblesse des sens ; ils les voient, intenses et lumineux, dans une sorte d’atmosphère glorieuse que les mots ne peuvent énoncer, puis, sans qu’ils puissent faire autrement, ils les rapetissent, ils les matérialisent, en essayant de les articuler dans un langage humain et ils les réduisent ainsi, à leur tour, à la portée des foules. Tel paraît avoir été le cas de Lydwine. Sa vision de l’Enfer et du Purgatoire, avec leurs donjons à lucarnes grillées, leurs hautes murailles enduites de fuligine, leurs geôles horribles, leur tapage de ferrailles, leurs puits enflammés, leurs cris de détresse, ne diffère guère de celle de Françoise Romaine et nous la trouvons également traduite par tous les imagiers et les peintres de son siècle et de ceux qui l’avoisinent. Elle s’étale sur les portails des Jugements derniers, sur les porches des cathédrales ; elle apparaît dans les panneaux que nous conservent les musées, dans celui de l’allemand Stephan Lochner, à Cologne, pour citer de tous le plus connu. Ce sont, en effet, les mêmes scènes de tortures dans des milieux pareils ; les damnés hurlent ou gémissent, sont attachés par des chaînes et des menottes, frappés par des diables armés de fourches ; ils rôtissent dans des châteaux dont les fenêtres scellées de barreaux étincellent ; seulement, dans ces attitudes des méfaits punis, les artistes qui n’eurent recours qu’à leur seule imagination, commencent déjà, ainsi que Lochner, — sans le vouloir, — à découvrir, dans ces scènes d’horreur, un côté comique que développeront plus tard, — en le voulant, — alors que la foi sera moins vive dans les Flandres, Jérôme Bosch et deux des Breughel. Quant au Paradis, Lydwine l’apercevait quelque fois, selon une donnée flamande dont usèrent les peintres du XVe siècle, sous l’aspect d’une salle de festin aux voûtes magnifiques ; les viandes y étaient servies sur des nappes de soie verte dans des bassins d’orfèvrerie et le vin versé dans des coupes de cristal et d’or. Jésus et sa mère assistaient à ces agapes ; et parmi les élus assis à cette table, Lydwine distinguait ceux qui furent prêtres, de leur vivant, revêtus d’ornements sacerdotaux et buvant dans des calices. Un jour, relate Brugman, elle reconnut dans l’un de ces christicoles dont le calice était renversé, l’un de ses frères morts, Baudouin ; il avait été destiné dès sa naissance, par leur mère Pétronille, au sacerdoce ; il en avait en effet la vocation, mais il l’avait désertée car, tout en étant un très pieux homme, il s’était assoté d’une femme et s’était marié. La conception la plus habituelle qu’avait Lydwine de l’Eden n’était cependant pas celle d’une frairie organisée dans un palais ; c’était celle d’un jardin aux pelouses à jamais fraîches, aux arbres restés en fleur, d’un jardin merveilleux dans les allées duquel les Saints chantent la gloire du Seigneur, par l’éternelle matinée d’un radieux printemps. Elle le parcourait souvent, sous la conduite de son ange qui devisait et priait avec elle et l’enlevait dans les airs, lorsqu’elle ne parvenait pas à se frayer passage au travers de buissons trop élancés de roses et de lys ou de bosquets trop drus. La description de ce jardin que ses biographes ne nous révèlent que çà et là et par bribes, elle nous est narrée tout au long et montrée dans son ensemble, dans le tableau de peintres qui furent ses contemporains, dans « l’Adoration de l’Agneau » des Van Eyck que détient aujourd’hui l’une des chapelles de l’église de Saint-Bavon, à Gand. Le panneau central de cette œuvre représente, en effet, le Paradis, sous la forme d’un verger et d’une prairie, plantée d’orangers en fruits, de myrtes en fleurs, de figuiers et de vignes ; et ce pourpris s’étend au loin, limité par un horizon pâle et fluide, par un ciel à peine bleuâtre, demeuré en plein jour un ciel d’aube, sur lequel se dressent les beffrois et les clochers gothiques, les aiguilles et les tours d’une Jérusalem céleste, toute flamande. Devant nous, au premier plan, coule la fontaine de Vie dont les jets, en retombant, fleurissent de bulles blanches les grands cercles noirs qui s’élargissent sur l’eau moirée des vasques ; de chaque côté, sur l’herbe étoilée de pâquerettes, des groupes s’assemblent d’hommes agenouillés et debout ; — à gauche, les patriarches, les prophètes, les personnages de l’Ancien Testament qui préfigurèrent ou apprirent au peuple la naissance du Fils, tous gens robustes, endurcis par les prédications du désert, exhibant des peaux tannées par le soleil, comme cuites par le feu réverbéré des sables ; tous barbus et drapés dans des étoffes foncées et tuyautées de longs plis, méditant ou relisant les textes maintenant vérifiés des promesses qu’ils annoncèrent ; — de l’autre, les apôtres agenouillés, boucanés, eux aussi, par tous les climats et délavés par toutes les pluies et derrière eux, debout, des papes, des évêques, des abbés de monastère, des laïques, des moines, les personnages de la Nouvelle-Alliance, vêtus de chapes splendides, tissées de pourpre et brochées de ramages d’or ; les papes coiffés de tiares fulgurantes, les évêques et les abbés de mitres orfrazées, rutilant sous les feux croisés des gemmes ; et ceux-là portent des croix serties d’émaux, incrustées de cabochons, des crosses grenelées de pierreries et ils prient ou lisent ces prophéties qu’ils virent réalisées, de leur vivant. Sauf les apôtres qui sont hirsutes, tous sont rasés de frais et ont le teint blanc ; et ceux qui n’arborent pas le trirègne romain ou la mitre ont le chef ceint d’une couronne monastique ou garni de somptueux bonnets de fourrures, tels que ceux qui couvrirent les riches bourgeois du Brabant et des Flandres, au temps où souffrait sainte Lydwine. Et, dans l’espace laissé vide, au-dessus d’eux, au milieu de la pelouse piquée de marguerites, bordée, à droite, par un vignoble, à gauche par des touffes gladiolées de lys, un autel sert de piédestal à l’Agneau de l’Apocalypse, un Agneau qui darde dans un calice placé sous ses pieds un jet de sang parti du poitrail, alors qu’en une blanche guirlande, une théorie disséminée de petits anges tient les instruments de la Passion et l’encense. Puis plus haut encore, là où la plaine finit et où les bosquets commencent, deux cortèges disposés, l’un au-dessus des personnages de la Bible, l’autre au-dessus des personnages des Évangiles, s’avancent lentement, sortent des halliers d’un vert rigoureux, presque noir et s’arrêtent derrière l’autel, en une sorte d’émoi déférent et d’allégresse craintive ; — à gauche, brandissant des palmes les martyrs pontifes ou non, les pontifes en tête, coiffés de bonnets étincelants d’évêques, habillés de dalmatiques d’un bleu sourd et somptueux, engoncés dans de rigides brocarts d’où semblent pendre, telles que des gouttes d’eau, des perles ; — à droite, les vierges martyres ou non et les saintes femmes, les cheveux dénoués et couronnés de roses, parmi lesquelles, au premier rang, sainte Agnès avec l’agneau et sainte Barbe avec la tour, toutes habillées de robes de nuances tendres, de bleus expirants, de rose fleur-de-pêcher, de vert moribond, de lilas déteint, de jaune défaillant ; et, elles aussi, ont en main des palmes. Et l’on se figure très bien Lydwine, mêlée à elles, dans ces vergers, parlant ainsi que son ange à tous ces membres du Commun des Saints, admise comme une amie, comme une sœur par ces élus qui la reconnaissent pour être l’une des leurs. On la voit s’agenouillant près d’eux et adorant, elle aussi, l’Agneau, dans ce paysage de mansuétude, dans ce site quiet, sous ce ciel de fête, au milieu, de ce silence qui s’entend et qui est fait de l’imperceptible bruissement des prières, jaillies de ces âmes enfin libérées de leurs geôles terrestres ; et l’on s’imagine aisément aussi que ces pures femmes aux visages si candides, que ces jeunes moines aux profils de jeunes filles, prenant en pitié la détresse de leur sœur encore écrouée dans sa prison charnelle, s’approchent et la réconfortent et lui promettent de supplier le Seigneur d’abréger ses jours. Et d’aucuns, en effet — elle le raconta à son confesseur — d’aucuns lui disaient, pour l’encourager à supporter son mal avec patience : — Considérez notre situation, que nous reste-t-il maintenant de tous les tourments que nous souffrîmes sur la terre, pour l’amour du Christ ? voyez les joies infinies qui ont succédé à de périssables tortures ! Et Lydwine, arrachée de l’extase, se retrouvant dans sa pauvre chaumine, sur sa couche de paille, pleurait du bonheur d’avoir été si bien reçue par les saints du Paradis mais, si résignée qu’elle fût, elle ne pouvait s’empêcher non plus de pleurer du regret d’être ainsi séparée de l’Agneau et éloignée de ces amis, par ces séries d’années qu’il lui fallait encore vivre. IX Ces voyages auxquels la conviait son ange, ne se confinaient pas absolument dans les régions magnifiques ou hideuses de l’au-delà ; très souvent, sans lui faire quitter la terre, il la conduisait, au loin, dans les pays sanctifiés par la mort du Christ ou à Rome pour qu’elle visitât les sept églises, voire même simplement dans les couvents du Pays-plat. Ainsi que la sœur Catherine Emmerich, elle suivait, en Palestine, l’itinéraire du Rédempteur pas à pas, de la crèche de Bethléem au sommet du Calvaire. Il n’y avait pas un endroit de la Judée qu’elle ignorât. Un jour que son confesseur, qu’elle obtint la permission d’emmener plus tard avec elle, manifestait quelques doutes à propos de la réalité de ces excursions, Jésus dit à Lydwine : — Veux-tu venir avec moi sur le Golgotha ? — Ô Seigneur, s’écria-t-elle, je suis prête à vous accompagner sur cette montagne et à y pâtir et à y mourir avec vous ! Il la prit donc avec Lui et lorsqu’elle retourna dans son lit qu’elle n’avait pas corporellement évacué, l’on aperçut des ulcères sur ses lèvres, des plaies sur ses bras, des déchirures d’épines sur son front, des échardes piquées dans tous ses membres qui exhalaient alors, la poitrine surtout, un parfum très prononcé d’épices. En la ramenant chez elle, son ange lui avait dit : — Le Seigneur veut que vous remportiez avec vous, ma sœur, des signes visibles et palpables, afin que votre directeur sache bien que votre excursion en Terre Sainte n’a pas été seulement imaginaire, mais bien réelle. Dans une autre pérégrination, alors qu’elle grimpait derrière son guide dans un ravin, elle se démit le pied et, quand elle recouvra ses sens, son pied fut, en effet, luxé et elle en souffrit pendant longtemps. Il y avait donc un côté matériel dans ces déplacements et elle pénétrait effectivement avec son ange dans les cloîtres, lorsque celui-ci l’y transportait. Une fois, le prieur du monastère de sainte Élisabeth situé près de Brielle, dans l’île de Voorne, vint la voir et elle lui fit, en causant, une description si exacte et si détaillée des cellules, de la chapelle, de la salle du chapitre, du réfectoire, de la porterie, de toutes les pièces de sa maison, qu’il en béa. — Mais enfin, s’exclama-t-il, lorsqu’il fut revenu de sa stupeur, vous n’avez jamais pourtant habité chez nous ! — Mon père, répondit-elle, en souriant, j’ai parcouru bien souvent lorsque j’étais en extase, votre couvent, et j’y ai connu tous les anges qui gardaient vos moines. Ce pouvoir qui semble extravagant de se doubler ou de se dédoubler, d’être simultanément dans deux endroits différents, la faculté de la bilocation, en un mot, qui confondait les contemporains de Lydwine, a été cependant accordée, avant et après elle, à bien des saints. Brigide d’Irlande, Marie d’Oignies, saint François d’Assise, saint Antoine de Padoue se géminèrent, apparurent en des corps tangibles, là où ils ne se trouvaient point ; la bénédictine Élisabeth de Schonau assista, bien qu’elle fût dans un bourg distant de seize lieues, à la consécration d’une église à Rome ; la présence de saint Martin de Porres fut constatée, en même temps, à Lima et à Manille ; saint Pierre Régalat adorait le Saint-Sacrement dans une ville, tandis qu’il priait, à la même minute, au vu et au su de tout le monde, dans une autre ; saint Joseph de Cupertino causait avec des gens divers, ensemble, à deux places différentes ; saint François Xavier se dimidiait pareillement, sur un navire et sur une chaloupe ; Marie d’Agréda convertissait les Indiens au Mexique tout en siégeant dans son monastère de l’Espagne ; la bienheureuse Passidée se tenait, conjointement, à Paris et à Sienne ; la mère Agnès de Jésus visitait, sans bouger de son couvent de Langeac, M. Olier, à Paris ; l’abbesse bénédictine sainte Jeanne Bonomi fut aperçue, pendant quatre jours, communiant à Jérusalem, alors qu’elle n’avait cependant pas quitté son abbaye de Bassano ; le bienheureux Angelo d’Acri soignait une agonisante chez elle et prêchait, au même instant, dans une église ; le don d’ubiquité fut également dévolu à un convers rédemptoriste, Gérard Majella ; saint Alphonse de Liguori, enfin, consolait les derniers moments du pape Clément XIV à Rome, tandis qu’il séjournait, en chair et en os, à Arinzo. Et cette grâce du Seigneur ne s’est pas arrêtée aux âges révolus. Elle existe bel et bien de nos jours. Catherine Emmerich, décédée en 1824, en est un exemple et une stigmatisée encore plus près de nous, car celle-là n’est morte qu’en 1885, la visitandine Catherine Putigny, a été vue, doublée à la même seconde, dans son cloître à Metz. Le cas de Lydwine n’est donc point un cas isolé ; il n’est pas plus surprenant, d’ailleurs, que les miracles d’autre sorte dont sa vie abonde. En résumé, ses relations avec les anges furent continuelles ; elle vivait autant avec eux qu’avec les gens qui l’entouraient. Ses liaisons furent-elles aussi fréquentes avec les saintes et les saints ? Évidemment, elle eut avec eux d’étroits rapports, pendant ses voyages dans l’Eden, mais elle ne semble pas, ainsi que tant d’autres déicoles, avoir entretenu sur la terre un commerce suivi avec tel ou tel saint déterminé ; du moins, ses chroniqueurs ne nous en avisent pas. Une fois, nous la rencontrons, contemplant plus spécialement au Paradis saint Paul, saint François d’Assise et les quatre précellents docteurs de l’église latine : saint Augustin, saint Jérôme, saint Ambroise et saint Grégoire ; une autre fois, nous la surprenons recevant la visite chez elle de ces mêmes quatre docteurs qui l’invitent à prévenir Jan Walter qu’il doit décider l’une de ses pénitentes d’Ouderschie, à se rendre chez l’évêque ou chez le grand pénitencier du diocèse, afin d’obtenir l’absolution d’un péché réservé qu’il ne peut personnellement lui remettre ; et c’est, je crois, tout. Au fond, sans négliger le culte auxiliaire de dulie, Lydwine était surtout hantée et possédée par l’Époux qui, du reste, lorsqu’il n’intervenait pas en personne, employait, de préférence aux saints, les anges pour lui servir de truchements auprès d’elle. Cette impatience qui la tenaillait d’aller rejoindre le Bien-aimé dans le ciel, ne l’empêchait cependant pas d’être la femme la plus attentive aux choses de la terre, la femme la plus charitable pour les pauvres et les affligés. Elle était réduite à vivre d’aumônes et elle les distribuait ces aumônes aux indigents. Condamnée à ne pouvoir sortir de son lit, elle chargeait la veuve Catherine Simon et ses autres amies de les répartir et leur recommandait d’acheter les poissons les plus fins et de les accommoder avec de fringantes sauces pour réjouir un peu les membres souffrants du Christ. La veuve Simon, qui s’occupait plus particulièrement de ces emplettes et de ces partages, s’en acquittait avec tant de dévouement qu’après avoir prié Jésus de la récompenser, Lydwine lui dit, un jour, avec un air de joie extraordinaire, lorsqu’elle revint du marché : — Le Seigneur est content de vous, ma bien chère, désignez la grâce qui vous tient le plus au cœur et j’intercéderai pour qu’elle vous soit accordée. — Si vous m’obtenez le pardon de mes péchés et la grâce de la persévérance finale, je vous regarderai comme la meilleure des sœurs et des mères, répondit la brave femme. Quant au reste, je l’abandonne à votre charité. — Vous ne réclamez pas peu de chose, fit la sainte, en souriant, cependant je me charge de présenter votre supplique qui ne peut déplaire à Dieu. Quant au reste que vous abandonnez à ma charité, le Sauveur y pourvoira ; allez donc, de ce pas, à l’église, y prier pour moi. Et cette femme, qui était entrée triste et préoccupée, partit joyeuse, sachant bien que l’exoration de son amie serait écoutée. D’autres fois, la veuve Simon et ses compagnes s’ingéniaient, dans l’intérêt même de la malade, à ne pas strictement lui obéir ; navrées de son propre dénuement, elles s’arrangeaient de façon à prélever sur les sommes qu’elle leur confiait les quelques deniers nécessaires pour subvenir à ses besoins. Elle s’apercevait de ces amicales supercheries et se plaignait. — Je sais, disait-elle, vos bonnes intentions, mais plût à Dieu que vous eussiez été plus dociles, car ces malheureux que vous avez frustrés seront, un jour, rois dans les cieux et c’est manquer au respect qui leur est dû, que de les faire ainsi attendre. Elle était, du reste, sagace et prévoyante ; quand elle détenait un peu d’argent, l’hiver, elle salait des viandes et les envoyait, l’été, garnies de petits pois, avec sa bénédiction, aux gueux qu’elle assistait ; d’autres fois, elle offrait des œufs, de la bière, du beurre, du pain, des poissons grillés et, lorsque ses moyens le lui permettaient, elle ajoutait pour les enfants malades un peu de lait d’amande ou de vin. Cette charité si prévenante fut rémunérée par de nombreux miracles. Un jour, quand on eut retiré de la marmite un quartier de vache salée et quand on l’eut divisé en trente parts pour autant de familles, le quartier se retrouva intact. — Eh bien, dit-elle, à ses intimes ébahis, eh bien de quoi vous étonnez-vous, n’est-il pas écrit, dans les Évangiles, demandez et il vous sera donné ? Ce prodige fut reconnu par toute la ville et des personnes même à l’aise voulurent par dévotion goûter à ce plat. Un autre jour, Lydwine, qui manifestait une prédilection pour les gens autrefois riches et tombés, par suite de revers de fortune, dans l’indigence, pour les pauvres honteux, en un mot, chercha vainement comment elle parviendrait à secourir certaines de ces familles ; ses provisions étaient épuisées et sa bourse était vide ; ses protégés mouraient littéralement de faim ; le cas pressait ; elle fit appel à la générosité d’un brave homme et celui-ci mit aussitôt cuire une épaule de porc et la lui apporta. Cet homme était vraiment miséricordieux, car il était, lui-même, dans le besoin et il se condamnait, en se privant du seul morceau qu’il possédait, à ne manger que du pain. Il ne fut pas peu stupéfié lorsque, retournant chez lui, il vit, pendue dans sa cuisine, une autre épaule de porc beaucoup plus forte que celle dont il s’était dessaisi ; et cependant il jugeait impossible que quelqu’un se fût pendant son absence introduit chez lui. Une autre fois encore, une mendiante épileptique, dont les accès étaient fréquents, errait par la ville ; elle fut terrassée par une attaque, en pleine rue, et se traîna, quand elle fut un peu pacifiée, jusqu’à la demeure de Lydwine ; elle bramait de soif et elle but toute la réserve d’eau de la sainte ; mais sa soif n’était pas étanchée. Se souvenant alors qu’il y avait un peu de vin dans le fond d’un pot, Lydwine l’en avisa ; elle se jeta dessus, mais ce fut comme une goutte de liquide sur une pelle rouge. De plus en plus altérée, cette femme suppliait qu’on lui découvrît un breuvage quelconque ; dans l’impossibilité où elle était de la satisfaire, Lydwine lui alloua un denier et cette femme s’en fut, joyeuse, dans un cabaret où elle finit par éteindre, avec des rasades de bière, l’incendie qui la dévorait. Quelque temps après, la sainte, consumée par la fièvre, voulut à son tour boire ; ne se rappelant plus que la mendiante avait avalé son vin, elle pria son père de lui passer le récipient qui le contenait et il fut aussitôt rempli d’un vin rouge exquis, si bien préparé qu’elle put se dispenser de le couper d’eau ; il dura, de la fête de saint Rémy jusqu’à la Conception de la Sainte Vierge, c’est-à-dire près de deux mois ; à cette époque, la veuve Simon, qui ne connaissait pas ce miracle, fit gracieusement cadeau à son amie d’une cruche de vin ; elle avait choisi le meilleur qui se débitait dans la ville, aussi n’hésita-t-elle pas pour le transvaser, à renverser le pot encore à moitié plein du suc du crû céleste ; et la source de ce précieux cordial fut tarie. Mais Lydwine ne bornait pas sa charité à des envois d’indispensables mets ; elle veillait aussi à ce que ses clients ne fussent privés de rien et elle se dépensait pour les vêtir. Un prêtre lui fut signalé qui était dénué d’habits ; malheureusement le drap nécessaire manquait chez tous les marchands de Schiedam. Voyant sa peine, une femme qui l’aimait lui dit : — Écoutez, j’ai gardé les six aunes de l’étoffe noire que voici, pour tailler une robe à ma fille ; à la rigueur, elles peuvent convenir à l’usage que vous leur destinez, les voulez-vous ? Lydwine accepta le présent, fit semblant de mesurer l’étoffe, en se servant pour cela de sa bouche et du bras qu’elle pouvait manier ; et le morceau qu’elle serrait entre ses dents s’allongea tant et si bien, qu’il y eut plus de tissu qu’il n’en fallait pour confectionner et le vêtement de l’ecclésiastique et la robe de la fille. La charité, telle qu’elle la comprenait, devait s’étendre à tout, devancer les besoins, être active et sans réticences. Un soir que son confesseur et que quelques-uns de ses amis festoyaient ensemble, une voix se leva soudain, une voix douloureuse qui implorait l’aumône. Le prêtre, sans se hâter, ouvrit la porte et ne vit rien. Il s’était à peine remis à table qu’il entendit la même voix. Il sortit derechef et parcourut la rue, elle était déserte ; il rentra et comme, pour la troisième fois, la voix continuait de gémir, il se glissa par une autre issue et s’élança pour surprendre la personne qui le dérangeait ainsi ; mais il eut beau sonder la route, elle était vide ! Troublé par cet événement, et convaincu qu’il n’était pas la victime d’une farce, il se rendit, après le dîner, avec ses convives chez Lydwine et la consulta. — Ô hommes trop lents à écouter l’appel du pauvre, s’exclama-t-elle, c’était un de vos frères, les anges, qui proférait ces plaintes. Il est venu pour vous éprouver, et pour s’assurer si vous n’oubliiez pas le Seigneur dans vos réjouissances. Plût à Dieu que vous eussiez deviné qui il était ! Cette charité extraordinaire avivait encore sa passion des souffrances qui allait, d’années en années, en grandissant. Décharger le prochain de ses maux et les ressentir à sa place, lui paraissait une chose due et parfaitement juste ; si résolue, si impitoyable pour elle-même, elle ne pouvait voir pâtir les autres, sans vouloir aussitôt les soulager. Elle accomplissait, sans faiblir, cette mission de la suppléance que le Sauveur lui avait confiée ; elle se substituait, ainsi qu’il fut narré, aux âmes du Purgatoire, pour achever de subir leur peine ; elle se subrogeait à la Hollande, à sa ville natale, pour expier par des châtiments leurs démérites. À un moment une guerre civile éclata à Schiedam. Comme toujours, au lieu de se défendre, les gens pacifiques s’enfuirent ; la cité risquait fort d’être saccagée par les vainqueurs et cependant l’un des hommes qu’ils poursuivaient et qui s’était, au début des hostilités, réfugié dans un autre hameau, revint et dit à des amis le suppliant de repartir : — Je n’ignore pas le danger que je cours, mais je sais aussi que les prières de Lydwine me protégeront moi et la ville. Ces paroles ayant été rapportées à la sainte, elle soupira humblement : je rends grâce au Seigneur qui inspire aux âmes simples une telle confiance en les prières de sa petite servante. Et elle parvint en effet, — Dieu seul connaît en échange de quels nouveaux tourments ! — à déjouer les brigues et à réconcilier tous ces gens. Une autre fois, elle dut encore intervenir auprès du Sauveur pour préserver la ville de la destruction qui la menaçait. Une flotte ennemie qui avait déjà ravagé le littoral des autres provinces parut en face de Schiedam. Lydwine s’offrit en otage à Jésus, le supplia d’assouvir sa colère sur elle et, tandis que tous les habitants s’attendaient à être égorgés, la flotte, malgré ses efforts, malgré le vent qui lui était favorable, reculait au lieu d’avancer et elle finit par disparaître, repoussée, en quelque sorte, par les exorations de la sainte. Elle était donc le paratonnerre de sa patrie ; mais quand elle avait été crucifiée pour tous, elle souhaitait encore de l’être pour chacun ; elle allait du plus grand au plus petit, du général au particulier ; elle le montra dans une autre circonstance. Entendant, une matinée, des gémissements dans la rue, elle invita un ecclésiastique assis à son chevet à vérifier qui pleurait ainsi, au dehors. C’est une de vos amies qui est torturée par une rage de dents atroce, dit-il, en rentrant. Lydwine envoya aussitôt ce prêtre la chercher et, du ton le plus naturel, lui proposa d’endurer sa rage de dents, à sa place. — Vous avez assez d’infirmités, répliqua la brave femme, sans encore vous charger des miennes ; priez seulement Notre Seigneur qu’il me délivre de cette crise. Lydwine pria ; son amie fut dégrevée sur-le-champ, mais elle, elle souffrit tellement pendant vingt-quatre heures, de la mâchoire, qu’elle en hurlait. Ce transfèrement d’un mal d’une personne à une autre, par la voie de l’oraison, se complétait par un autre phénomène. De ces calamités corporelles accumulées sur une sainte émanaient de salutaires effluences, des propriétés célestes de guérison. Une vertu sortait d’elle, ainsi qu’il est dit du Christ dans les Évangiles ; sa pourriture engendrait la bonne santé pour les autres. C’est ainsi qu’un jour, une femme dont l’enfant malade poussait des cris déchirants, vint le déposer sur le lit de Lydwine. À peine y fut-il placé que ses maux cessèrent. Elle lui sourit et lui vanta, en des termes qu’il ne pouvait encore saisir, les délices de la chasteté ; et il se remémora ces leçons lorsqu’il grandit ; il les comprit et dès qu’il eut atteint l’âge de raison, il se fit religieux, en souvenir d’elle. C’est ainsi encore qu’en Angleterre, un marchand qui n’avait jamais entendu parler de la sainte, se lamentait d’être affligé d’un mal de jambe incurable ; une nuit, tandis qu’il se désespérait, il s’endormit et une voix, en songe, lui dit : envoie quelqu’un en Hollande, à Schiedam ; il se procurera de l’eau dans laquelle une vierge du nom de Lydwine se sera lavé les mains et, tu l’appliqueras en compresse sur ton mal qui aussitôt s’évanouira. Il dépêcha, dès son réveil, un messager à la sainte ; elle lui donna l’eau qui avait servi à ses ablutions et le marchand, dès qu’il en eut imbibé sa jambe, fut, en effet, guéri. Il convient de remarquer que, dans tous ces miracles, Lydwine eut seulement recours aux obsécrations, car il est bien probable qu’en confiant un peu d’eau à l’anglais chargé de la rapporter dans son pays, elle pria pour la personne qui devait se lotionner avec ; elle était, en somme, plus passive qu’active, c’est-à-dire qu’elle n’agissait pas, par elle-même, ainsi que beaucoup d’autres saints qui chassaient les infirmités, avec un signe de croix, un attouchement, une imposition des mains. Elle, s’en remettait à Dieu, le suppliait de l’exaucer ; elle jouait le rôle d’une intermédiaire entre les malades et Jésus et c’était tout. Une seule exception apparaît dans sa biographie, à cette règle qu’elle semblait s’être tracée ; ce fut le jour où une femme qui lui était chère, la veuve Simon peut-être, fut atteinte d’une fistule. Lydwine l’incita d’abord à visiter les praticiens les plus renommés du pays. Ils furent tous d’accord pour déclarer qu’aucun espoir d’amélioration n’était possible. — Allons au grand médecin, fit alors la sainte. Elle se mit en prières, puis elle toucha doucement avec son doigt la fistule qui disparut. Son inlassable charité ne se borna pas à des actes matériels, à des aumônes, à des cures, voire même à la suppléance des misères d’autrui ; elle s’exerça aussi dans le domaine spirituel et, là, elle pratiqua, une fois, la substitution mystique à un degré inconnu jusqu’à elle et dont il n’existe pas, je crois, un second exemple, dans les annales postérieures des saints. Le fait que voici n’est-il pas, en effet, unique ? Je me contente de le raconter, tel qu’il figure dans les vies recueillies par les Bollandistes. Un homme qui était un vrai scélérat fut assailli de remords, mais il n’osait s’adresser à un prêtre pour renverser devant lui, sa vie. Un jour que la grâce le torturait, il arriva chez Lydwine et, malgré sa résistance, il lui fit un aveu complet et détaillé de ses crimes, en la priant de les endosser et de les confesser à sa place. Et elle accepta cette substitution d’âme et de personne. Elle appela un prêtre auquel elle confessa les turpitudes de cet homme, comme si elle les avait, elle-même, commises et elle accomplit la pénitence que le ministre lui infligea. Quelque temps après, le sacripant revint. — Maintenant, dit-il, que vous avez confessé mes péchés, indiquez-moi la pénitence que je dois pratiquer ; je vous jure que je l’exécuterai. — Votre pénitence, c’est moi qui l’ai effectuée, répliqua Lydwine ; je vous demande seulement, pour votre mortification, de passer une nuit entière, sans bouger, sur le dos. Le pécheur sourit, jugeant la coulpe douce et facile ; le soir, il s’étendit dans la position désignée et résolut, ainsi qu’il avait été convenu avec la sainte, de ne se tourner, ni sur le côté droit, ni sur le côté gauche ; mais il ne put s’endormir et cette immobilité ne tarda pas à lui paraître insupportable. Alors il réfléchit et pensa : je me plains et pourtant mon lit est moelleux et je n’ai pas, ainsi que la pauvre Lydwine, les épaules sur de la paille, à vif ; et cependant, elle est innocente, tandis que moi ! Le remords qui l’avait tant angoissé l’étreignit à nouveau ; il se révisa, pleura ses méfaits, se reprocha sa lâcheté et quand le jour eut commencé de luire, il courut se confesser à un prêtre, cette fois, et ce chenapan fut désormais intègre et cet impie devint pieux. La tâche de Lydwine était d’autres fois moins pénible ; au lieu d’écouter les aveux de débauchés et de gredins, elle recevait les confidences de bonnes et de naïves gens ; tel, un ecclésiastique d’une admirable candeur qui l’aborda pour être éclairé sur l’état de son âme et de celles que son ministère l’obligeait à diriger. Lydwine l’accueillit aimablement mais elle refusa de répondre à certaines de ses questions qu’elle estimait indiscrètes ; persuadé qu’il lui avait déplu, il fut, en sortant de chez elle à l’église et s’agenouilla, en pleurant, devant l’autel de la Sainte Vierge. Là, il tomba — ce qui ne lui était jamais arrivé — dans le ravissement et il vit une jeune fille s’avançant à sa rencontre, accompagnée de deux anges qui chantaient le « Salve Regina » et il fut empli d’une telle joie que son âme aurait éclaté, si l’extase n’avait aussitôt pris fin. Dès qu’il eut ressaisi ses sens, il se précipita chez la bienheureuse. — Eh bien, fit-elle, lorsqu’il entra, le beau temps succède à la pluie, mon père, n’est-ce pas ? Surpris, il s’écria : c’était donc vous qui marchiez escortée de deux anges, alors que j’étais prosterné dans la chapelle de la Madone ! Elle sourit, mais se tut. Telle encore une excellente femme qui, tentée par le démon, sombra, après s’être vainement débattue, dans le désespoir ; ses amis ne parvenant pas à la remonter l’emmenèrent chez la sainte qui lui dit tout bonnement : tenez-vous en paix et attendez. Quelques jours après, cette femme, projetée hors d’elle-même, se promena, ainsi qu’en un rêve, avec Lydwine dans un fastueux palais et elle y fut saturée de si impérieux parfums qu’une fois de retour sur la terre, les odeurs même les plus délicates lui paraissaient nauséabondes et que le cœur lui levait ; mais ses peines s’étaient évaporées dans le céleste tourbillon de ces senteurs et lorsque l’Esprit de Malice essaya encore de l’investir, elle subit ses assauts, sans fléchir. Telle enfin une autre femme qui était mariée à une sinistre brute dont les incessantes colères se résolvaient en des dégelées de coups. Patientez, lui répétait Lydwine, alors qu’elle la suppliait d’obtenir par ses prières que ce butor devînt moins rogue ; mais les semaines se succédaient et la malheureuse n’en continuait pas moins à être battue comme plâtre, au moindre mot. Lasse de cette existence elle résolut de se pendre ; des amis, qui survinrent à temps, l’en empêchèrent ; alors elle rumina de se noyer dans la Meuse et elle profita d’un moment où son mari était absent et où ses intimes ne la surveillaient pas, pour gagner le fleuve ; mais, chemin faisant, elle réfléchit : Lydwine a toujours été si dévouée pour moi que je ne veux pas cependant mourir sans lui dire adieu ; et elle se dirigea vers sa maison. À cet instant, Lydwine, entourée de ses garde-malades, s’exclama : allez au plus vite ouvrir la porte à celle qui va frapper, car son cœur se fond d’amertume ! Et dès qu’elle eut pénétré dans la chambre de la sainte, cette malheureuse s’affaissa sur les genoux et sanglota. — Allons, ma bien chère, fit Lydwine, ne songez plus au suicide et retournez chez vous ; le bourreau que vous redoutez s’est changé en le plus affable des époux, je vous l’affirme. Confiante en cette promesse, la femme, après avoir imploré et reçu la bénédiction de la malade, se rendit chez elle. Son mari était couché et il dormait ; elle se déshabilla, sans bruit, pour ne pas le réveiller et s’assoupit à son tour ; le lendemain matin, elle trouva un homme souriant qui ne l’injuriait et ne la cognait plus. — Pourvu que cela dure ! pensa-t-elle, mais cela dura. — Ce rustre devenu, par miracle, si débonnaire, ne dévia plus. X Quelque incommensurable qu’elle fût, la charité de Lydwine n’était pas de celles que l’on pouvait facilement duper. La sainte décortiquait, d’un coup d’œil, les âmes et elle n’hésitait pas, quand cela lui semblait nécessaire, à les vitupérer ; c’est ainsi qu’elle écala une femme de Schiedam qui cachait sous une écorce de fragile dévotion une infrangible astuce ; celle-là extorquait des aumônes aux familles charitables de la ville et bombançait avec. La veuve Catherine Simon la rencontra, un matin, dans la rue et, émue par ses plaintes et sachant qu’il n’y avait plus d’argent chez la sainte, la mena chez Jan Walter qui, leurré à son tour, par ses pieuses jérémiades, l’aida ; mais, le lendemain, Lydwine, à qui personne n’avait pourtant raconté cette aventure, dit à Catherine : — Cette créature vous a trompée, ainsi que mon confesseur ; soyez dorénavant plus prudente ; rappelez-vous cette parole des Écritures : il est des gens qui, sous un aspect d’humilité, cèlent des cœurs pleins de fraude et de malice et gardez-vous surtout de croire à tout esprit. Elle fouaillait sans pitié les hypocrites qui avaient l’aplomb de vanter leurs vertus devant elle ; elle secoua, un jour, d’importance, une intrigante qui se prétendait vierge et affectait des allures outrées de bigote ; or, cette femme avait des relations avec un incube. — Vous êtes vierge, vous ! s’exclama la sainte. — Mais certainement que je le suis. — Eh bien, ma fille, voulez-vous que je vous dise, vingt-cinq vierges de votre espèce danseraient aisément sur un moulin à poivre, répliqua Lydwine, attestant par cette comparaison d’un acte impossible à réaliser, la duplicité de cette papelarde qui n’insista pas d’ailleurs et sortit, furieuse d’être ainsi démasquée. Une jeune fille, qui assistait à l’exécution, fut choquée de cette sévérité et demanda à Lydwine pourquoi elle traitait si durement cette vierge. — Ne répétez pas ce mensonge du Diable, s’écria la sainte ; cette femme est telle que Dieu la connaît. Quant à sa prétendue piété, il vous est loisible de l’éprouver. Allez chez cette dévergondée et signalez-lui quelques-unes de ses imperfections ; si elle vous écoute patiemment et les avoue, c’est moi qui m’abuse ; si, au contraire, dès les premiers mots, elle fume de colère, vous serez renseignée. Cette jeune fille tenta l’expérience, mais elle tomba sur une forcenée qui l’agonit d’injures, dès qu’elle voulut lui parler de ses défauts. Cette malheureuse mourut quelques mois après qu’elle se fut attiré ces remontrances, et comme Lydwine priait pour elle, vous perdez votre temps, lui assura son ange, elle est dans l’abîme d’où l’on ne s’échappe pas. Une mésaventure de ce genre advint à un sacerdote qui lui dit, un matin : je vous quitte, car il faut que j’aille célébrer la messe. — Je vous le défends bien, proféra Lydwine. — Vous me le défendez ! Je serais curieux, par exemple, de savoir pourquoi ? — Avez-vous donc oublié le péché contre le VIe commandement que vous commîtes hier ? Il demeura muet et confus. La sainte ajouta : mettez ordre à vos affaires, car vous mourrez dans trois jours. Il geignit de frayeur, la supplia d’intercéder pour que son existence se prolongeât. — C’est impossible, répliqua-t-elle, car il y a trop longtemps que cela dure et la mesure est comble ; tout ce que je puis vous promettre, c’est de prier ardemment pour votre salut. Le troisième jour, cet ecclésiastique se leva bien portant et il s’en fut, triomphant et un tantinet narquois, chez la malade. — Eh bien, fit-il, ai-je la mine d’un homme qui va trépasser aujourd’hui ? — Ne vous fiez pas à des apparences de santé ; à telle heure, vous ne serez plus, répartit Lydwine. Et ce décès eut lieu, en effet, ainsi qu’elle l’avait prédit. Une autre fois encore, elle déclara à une jeune fille folle de son corps, qu’il lui fallait au plus vite changer de vie. Celle-ci s’engagea à se corriger et ne tint pas sa parole. Bientôt après, elle enfla ; tout le monde la crut enceinte. — C’est une tumeur due à sa corruption, soupira Lydwine ; et la malheureuse expira, sans gésine, après de longues souffrances. Si elle tançait les femmes et les hommes de la classe populaire ou moyenne, elle réprimandait avec une égale franchise, les grands ; la noblesse, la richesse la laissaient parfaitement indifférente et elle n’épargnait pas plus les princes que les bourgeois et les prêtres. L’un d’eux, dont le nom ne nous a pas été conservé, vint d’un pays assez lointain pour l’entretenir d’un cas de conscience. Il se perdait en digressions, n’osait aborder carrément le chapitre de ses hontes, tournait, comme on dit vulgairement, autour du pot. Très simplement, elle appuya le doigt sur la plaie et, tenaillé par le remords, il pleura. — Ah ! s’écria-t-elle, vous pleurez, Monseigneur, pour un péché bien moins grave que d’autres dont vous vous êtes également rendu coupable ; et ceux-là, vous n’y pensez même pas, tant votre conscience est aveuglée ! Et, brusquement, elle lui écartela l’âme et il en jaillit d’affreux méfaits qu’elle l’invita à confesser, sans aucun retard ; il écouta ce conseil et bien il fit ; car il fut à peine de retour dans ses États, qu’il mourut. Parmi ces visiteurs qui se succédaient, du matin au soir, près de son lit, figuraient un grand nombre de religieux. Plusieurs des réponses de Lydwine aux interrogations qu’ils lui posaient, ont été notées ; celles-ci, entre autres : Un moine de Cîteaux, ayant été promu à l’épiscopat, trembla de peur et ne voulut point accepter cette charge ; avant toutefois de résister à ses supérieurs, il s’en fut consulter la sainte. Il biaisa avec elle, disant : — Ma chère sœur, un de mes frères, ne se jugeant pas les ressources d’esprit nécessaires, refuse une prélature qu’on lui enjoint de recevoir ; l’approuvez-vous ? Lydwine, qui savait très bien qu’il s’agissait de lui, répliqua : — Je crains tort que les raisons alléguées par ce frère ne soient des subterfuges ; en tout cas, il est moine, soumis par conséquent à la règle d’obéissance ; s’il ne se décide pas à la suivre, il peut être sûr d’une chose, c’est qu’en cherchant à éviter un péril médiocre, il encourra un danger plus grand. Le cistercien, mal convaincu, se retira et finalement déclina les honneurs de l’épiscopat ; mais ce refus ne lui fut pas propice, car, ainsi qu’il dut l’avouer plus tard, Dieu le fit passer par des tribulations autrement pénibles que celles qu’il avait résolu de fuir. D’autres religieux arrivaient aussi, qui étaient de ces esprits toujours inquiets, mal partout où ils sont et s’imaginant qu’autre part ils seraient mieux ; Lydwine avait grand’pitié de ces âmes nomades ; elle tâchait de remonter ces malheureux, de les persuader que l’on ne devient pas meilleur, en changeant de place, qu’on emporte son âme avec soi, qu’il n’y a qu’une façon de la lénifier et de la fixer, c’est de l’assujettir à l’obéissance, de la spolier de toute volonté, de la confier humblement à la garde de son abbé et de son directeur ; et quelquefois, elle parvenait à les apaiser, à leur faire aimer cette cellule qui, ainsi que le dit l’Imitation, est vraiment douce quand on la quitte peu et engendre un mortel ennui lorsque souvent on s’en éloigne. D’autres encore la suppliaient de les préserver des tentations ou d’écarter celles d’autrui tel un chanoine régulier appartenant à un monastère, situé à Schonhovie et distant d’à peu près sept lieues de Schiedam. Celui-là doutait de sa vocation qui, aux yeux de ses maîtres, était certaine. Le prieur, le P. Nicolas Wit essayait vainement de le consoler ; mais ni les conseils, ni les objurgations, ni les prières ne le pacifiaient ; le moment vint où ce chanoine se détermina à jeter le froc. Le prieur, désespéré de cette résolution et navré du scandale qui allait en résulter, conduisit cet infortuné chez la sainte. Elle souffrait, à ce moment-là, le martyre et le moindre bruit la rendait quasi folle ; elle consentit cependant à voir Nicolas Wit, mais à condition qu’il entrerait seul. — Mon très cher père, lui dit-elle, je vous prie de m’excuser si je prends, la première, la parole, mais j’y suis contrainte par mes tortures qui ne me permettent pas d’entendre la voix des autres et me forcent, moi-même, à peu parler ; le brave religieux que vous avez amené avec vous est durement pressuré par Notre-Seigneur, mais assurez-le que son épreuve sera courte ; qu’il ne perde pas courage et, vous, mon père ; continuez à l’adjurer de vos prières. L’étonnement du prieur fut inexprimable. Il ne savait que répondre. Alors la sainte lui dit : adieu, exhortez bien votre frère à la patience et ne m’oubliez pas devant Dieu. Et le chanoine fut, effectivement, affranchi de ses obsessions, ainsi qu’elle l’avait annoncé. Elle excellait à balayer les scrupules, à conforter les malheureux désorbités par l’ingénieuse cautèle du Démon. À Schiedam, une femme était victime de noises de ce genre ; elle était agitée de la manie des scrupules et égarée à ce point qu’elle ne vivait plus qu’à l’état de vertige et était prête à succomber au désespoir, à tout instant. Le Diable l’affolait, en lui montrant, pendant son sommeil, un écrit mentionnant certain péché qu’elle avait pourtant confessé. — Tu as beau avoir reçu l’absolution et avoir accompli la pénitence qui te fut imposée, ce péché-là ne peut être pardonné ni dans ce monde, ni dans l’autre, lui criait-il ; de quelque côté que tu te tournes, tu es damnée. Cette femme se mourait de terreur quand une voix intérieure lui dit : cours chez Lydwine. Elle ne fit qu’un saut chez elle et se rua dans sa maison, comme une bête traquée ; elle s’y éplora, en clamant qu’elle était une âme perdue, une réprouvée. — Cette cédule dont l’Esprit de ténèbres vous menace n’est qu’un mensonge, affirma Lydwine. Je prierai le Seigneur de la supprimer ; rassurez-vous donc et n’y songez plus. Et aussitôt qu’elle fut sortie, Lydwine supplia le ciel de dégager des rets infernaux cette malheureuse ; et elle fut, au même moment, ravie en extase, et elle vit la Sainte Vierge arracher des mains de Satan cet écrit et le lacérer. Elle revint à elle ; les morceaux déchirés de ce parchemin jonchaient son lit ; son confesseur Walter qu’elle fit quérir les examina et la femme fut exonérée. Une autre histoire étrange est celle d’un des échevins de Schiedam. Il avait pour directeur un chapelain qui célébrait souvent la messe devant lui, Jan Pot, dit Gerlac ; un vicaire de la paroisse, note Brugman qui omet de citer le nom. Y a-t-il identité entre ce vicaire et Jan Pot ? Je ne vois pas de sérieuses raisons qui empêchent de le croire. Or, ledit échevin était hanté du désir de se pendre. Jan Pot ayant épuisé tous les moyens dont il disposait pour empêcher ce suicide, recourut à la sainte. — Il s’agit, en l’espèce, d’une tentation diabolique, assura-t-elle ; voici de quel expédient il vous sied d’user. Après avoir confessé cet homme, vous lui infligerez, comme pénitence, d’avoir justement à se pendre. — Et s’il le fait ! — Il s’en gardera bien ; le Malin qui l’incite à se brancher, sous prétexte d’humeur noire, ne le laissera jamais se tuer, par obéissance surnaturelle ; il hait trop le sacrement pour cela ! Encore qu’il eût grande confiance dans les lumières de Lydwine, Jan Pot partit de chez elle, très démâté. Il préféra tergiverser avec le monomane, mais l’heure vint où il fallut pourtant se décider. La famille de cet homme devait, à chaque instant, lui arracher la corde dont il voulait se cravater. Poussé à bout, Jan Pot suivit les instructions de Lydwine. Vous vous pendrez en expiation de vos péchés, ordonna-t-il, à l’échevin qui retourna, enchanté, chez lui. Il attacha, en hâte, à une solive du plafond, une corde qu’il se noua autour du cou, grimpa sur un escabeau, et il allait s’élancer dans le vide, lorsque, grinçant des mâchoires, les démons crièrent : « ne te tue pas, malheureux, ne te tue pas ! » En même temps, l’un d’eux cassait le licol tandis qu’un autre empoignait le patient et le jetait entre une énorme malle et le mur ; et le coup fut si violent qu’il resta évanoui, comprimé, pendant trois heures, sans pouvoir reculer la malle et se lever ; à la fin, ses parents, qui le cherchaient partout, le découvrirent à moitié écrasé dans cette ruelle et quand ils l’en eurent retiré, il bénit le Seigneur et jura bien qu’il était à jamais guéri de cette démence. Et Brugman ajoute, un peu effaré par la manière dont Lydwine trancha cette situation, la réflexion chère aux catholiques qu’un rien ébroue : « C’est là une de ces actions que l’on doit admirer mais qu’il faut surtout ne pas imiter. » Si elle était d’audacieux avis et de hardi conseil, elle était aussi singulièrement humble lorsqu’elle était contrainte de résoudre des problèmes qu’elle ne pouvait connaître. Dieu lui donnait alors la science infuse, l’éclairait de telle sorte qu’elle stupéfiait les théologiens acharnés à la confondre. L’un d’eux en fit l’essai ; c’était un dominicain, professeur de théologie à Utrecht ; il s’arrêta à Schiedam et, après quelques feintes, il dit nettement à Lydwine : — Je veux que vous m’expliquiez la façon dont les Trois Personnes ont opéré dans le sein de la Vierge Marie l’Incarnation du Verbe. Surprise, elle se récusa ; mais le dominicain le prit de haut et, d’un ton de commandement, cria : je vous adjure par le jugement du Dieu vivant de répondre, et tout de suite, à ma demande ! Lydwine, effrayée par cette brutale injonction, pleura ; mais, comme malgré ses larmes, ce religieux insistait d’une voix de plus en plus menaçante, elle s’essuya les yeux et répliqua : — Mon père, pour vous permettre de bien saisir ma pensée, je dois recourir à une comparaison ; j’imagine un corps solaire d’où sortent trois rayons qui se réunissent et se fondent en un seul ; ils sont larges à leur point de départ, mais ils se rapprochent les uns des autres à mesure qu’ils s’en éloignent et s’amincissent si bien qu’ils finissent par s’aiguiser à leur extrémité, en une seule pointe ; cette pointe elle se dirige vers l’intérieur d’une petite maison ; vous voyez déjà par cette image ma pensée, n’est-ce pas ? néanmoins, pour plus de clarté, je la développerai, si vous le voulez bien ; par le corps solaire, j’entends la Divinité elle-même, par les trois rayons distincts qui s’en échappent les trois Personnes ; par leur sortie tendant au même but l’unité de l’opération à laquelle les trois Hypostases concourent ; par l’extrémité de la pointe le Verbe ; cette pointe qui pénètre dans un intérieur signifie donc l’entrée de Jésus dans le sein de la bienheureuse Vierge Marie où il prit une partie de son sang, de sorte qu’il y eut en Lui, après qu’il se fut revêtu de la chair, deux natures et une seule Personne, la Personne du Fils. Le dominicain fut frappé de la lucidité de cette explication et il la quitta, convaincu qu’elle était bien, en effet, animée de l’esprit de Dieu. Après ce frère-prêcheur qui semble avoir été assez mal embouché, ce fut le tour d’un receveur d’impôts, homme vaniteux et cupide ; celui-là vint avec l’intention de lui soumettre des questions captieuses et de la réfuter. Familièrement, il l’aborda et commença : — Je suppose, Lydwine, que vous ayez le Seigneur présent devant vous sur l’autel en l’hostie renfermée dans la monstrance et qu’en même temps vous voyiez le même Seigneur vous apparaître sous la forme visible qu’il eut sur la terre ; auquel des deux rendriez-vous hommage ? Elle se tut et pleura ; puis, tandis que ce mécréant se flattait de l’avoir réduite au silence, d’un ton singulièrement imposant, elle dit : — Des personnes doctes et vénérables m’ont parfois harcelée d’interrogations spécieuses, à l’effet de m’éprouver, mais je ne me souviens pas que l’on m’ait encore adressé une sommation plus choquante que celle de ce percepteur dont l’âme ne vénère que les sacs d’écus. Des témoins, assis dans la chambre, qui savaient que la sainte ne connaissait ni cet individu, ni sa profession, ni son vice, rougirent pour lui, et partirent, pendant que lui-même fuyait, gêné d’être ainsi démasqué devant des tiers, de son côté, seul. On abusait, d’ailleurs, plus ou moins poliment de sa patience ; sous prétexte qu’elle était de caractère bénin et d’opinion utile, l’on venait pour des vétilles, l’empêcher de souffrir à son aise et combien qui la dérangeaient de ses méditations, de ses colloques avec les anges, par simple curiosité pour savoir, par exemple, quand aurait lieu l’avènement de l’Antéchrist qu’elle disait devoir être certifié, l’année où il naîtrait, par ce signe que, dans son pays d’origine, trois gouttes de sang découleraient de chaque feuille d’arbre ; ou bien encore pour la consulter sur des cas oiseux tels que celui-ci, présenté par une femme qui s’était introduite chez elle, afin de lui demander s’il valait mieux qu’elle travaillât ou qu’elle se tournât les pouces. Et elle avait la complaisance de se retenir de crier quand elle peinait, pour répéter ce que tout le monde sait, que l’oisiveté est un tremplin de vices, que puisque cette femme s’avérait sans fortune mais habile à tisser la laine, elle devait exercer ce métier et vivre honnêtement avec ; seulement, elle ajoutait : — Au lieu d’entreprendre ce commerce dans l’espoir de gagner de l’argent, il convient de l’entreprendre dans le but d’aider les indigents ; donc, chaque fois que vous acquérerez un lot de toisons, vous en réserverez une pour les pauvres du Seigneur ou, si vous le préférez, vous leur conserverez cinq deniers sur le produit de la vente de chacune de vos étoffes, en souvenir des cinq plaies du Sauveur ; enfin, vous aurez soin de ne pas exploiter la misère des ouvrières que vous embaucherez : vous les paierez exactement, sans abuser de leur travail, et je vous garantis que Dieu bénira vos efforts. Cette femme suivit ces avis à la lettre et réalisa d’abord, en demeurant probe, d’enviables gains ; mais vint une année où elle dut se débarrasser de ses marchandises à perte et, pour se rattraper de ses méventes, elle trompa son fournisseur de toisons et de laines, en le frustrant d’une pièce d’or. Ce marchand qui décéda, peu après, apparut à Lydwine, lui révéla le dol de sa cliente, et exigea qu’elle employât la somme dérobée à acheter des cierges et à commander des messes pour le repos de son âme. La sainte fit aussitôt quérir la voleuse qui, stupéfiée de se voir reprocher un larcin que tout le monde ignorait, satisfit aux désirs du défunt et s’amenda. Quelquefois, ces fâcheux, qui l’importunaient avec leurs requêtes, éprouvaient d’amusants mécomptes ; le résultat de ses prières n’était pas précisément celui qu’ils espéraient ; exemple, ce chanoine qui lui dit : — Je vous serai obligé d’exorer le Sauveur pour qu’il m’élague de ce qui lui déplaît le plus. La sainte accepta de prier à cette intention ; peu de temps après, ce chanoine, qui était doué d’une voix magnifique, devint aphone. Il consulta les médecins, usa de tous les gargarismes, de tous les électuaires inventés par la pharmacopée de son temps, ce fut en pure perte ; il ne s’extrayait de la gorge que des râles étouffés ou des sons rauques ; l’un de ses confrères finit par s’écrier, un jour qu’il assistait à une nouvelle réunion d’empiriques : laissez donc cela ; vos sédatifs et vos émollients sont inutiles, la voix tonitruante de M. le chanoine est à jamais perdue ! — Et pourquoi cela ? — Parce que j’étais avec lui, lorsqu’il pria Lydwine de lui faire retrancher le défaut qui lui nuisait le plus ; or, notre ami tirait un peu vanité de l’ampleur superbe de son chant ; le voilà délivré de cette imperfection ; l’intercession de la sainte a été exaucée ; c’est pour le mieux. Et il est à croire que cette disgrâce servit à son avancement spirituel, conclut gravement le bon Brugman. L’on pourrait s’imaginer qu’après des journées passées tout entières à recevoir des visites, des journées qui l’exténuaient, car, au rapport de ses biographes, elle avait le visage en feu, inondé de sueur et tombait en défaillance quand les gens sortaient, Lydwine reprenait haleine et se reposait un peu. Nullement ; elle profitait d’un moment libre, entre deux audiences, pour s’occuper alors de ceux que sa voyance lui montrait, menacés de quelque danger. Elle leur dépêchait un messager ou leur écrivait, pour les prévenir. Ainsi agit-elle envers un négociant qu’elle aimait et qu’elle empêcha de s’embarquer avec des camarades sur l’un des navires alors en partance pour la Baltique. Mais, dit le marchand, ahuri par ce conseil, si je ne pars pas en même temps que mes compagnons, il me faudra effectuer, seul, ce long et ce périlleux voyage ! — Et comme, sans s’expliquer davantage, Lydwine insistait pour qu’il l’écoutât, — il obéit assez tristement car tous ses amis se raillèrent de sa crédulité ; cependant, la flottille avait à peine gagné la pleine mer qu’elle fut abordée par des pirates qui la coulèrent bas ; et ceux des passagers qui ne se noyèrent point furent emmenés en captivité. Le protégé de la sainte s’aventura, seul, après, et revint de son expédition sans avoir, pendant l’allée et le retour de la traversée, subi la moindre encombre. Une autre fois, ce don que Dieu lui avait accordé de la double vue lui permit d’assister de chez elle à la scène que voici : Un soir, un des plus merveilleux soûlauds de Schiedam, un nommé Otger, s’attabla dans une des tavernes de la ville avec d’autres ivrognes ; ceux-ci, après avoir humé de copieuses rasades, s’avisèrent, avant de rouler sous la table, de déblatérer contre Lydwine. À les entendre, elle festinait en cachette et était, à la fois, une hypocrite et une possédée ; bien qu’il eût, ainsi que ses camarades, l’armet échauffé par la boisson, Otger ne put s’empêcher de s’indigner et s’exclama : — Écoutez, mieux vaudrait nous taire que de calomnier de la sorte une pauvre fille malade, que tout le monde sait être et pieuse et charitable : notre habituelle sottise nous incite à commettre assez de fautes sans encore que nous y ajoutions celle-là ! Cette leçon les irrita et l’un des plus enragés de ces pochards gifla Otger en criant : comment toi qui es né et nourri dans le péché, tu as l’aplomb de nous morigéner ? allons, vaurien, file et au plus vite ! — Je reçois ce soufflet sans me venger, fit Otger subitement dégrisé ; je le reçois parce qu’il m’a été donné pour avoir défendu l’honneur d’une sainte ; et il partit. Lydwine suivait, de son lit, cette scène. Elle envoya chercher Jan Walter, le mit au courant de l’incident et lui dit : — Demain matin, père, vous vous rendrez, dès la première heure, chez ce brave homme et vous lui répéterez ceci : Lydwine vous remercie de la part de Dieu d’avoir été frappé pour elle ; et elle me charge aussi de vous attester que vous serez récompensé. — Mais, demanda Otger au prêtre, comment Lydwine a-t-elle pu apprendre un fait qui s’est passé très tard, hier, dans la nuit, et qui n’a pas eu le temps de s’ébruiter ? — Qu’il vous suffise d’être certain qu’elle l’a appris, répartit Walter ; ayez confiance et vous verrez que sa prophétie s’accomplira. Ce mystère l’obsédant, Otger pensa souvent à la triste existence de la sainte et la compara à la sienne. Honteux de cette vie qui consistait à s’attabler dans des salles enfumées, devant des tables chargées de fioles et de brocs et là, à s’engouffrer des pintes en compagnie de godailleurs dont les divagations augmentaient à mesure que la cervoise et le vin diminuaient dans les pots, il résolut de rompre avec ses anciens amis et de ne plus fréquenter les cabarets. Cette déshabitude lui fut d’abord pénible. Il errait, désœuvré ; mais il eut le courage de tenir bon et d’appeler le ciel à son aide ; et, secouru par les prières de son amie, il trépassa, après de salutaires épreuves, dans la paix désirée du Seigneur. Cette faculté que possédait Lydwine de voir à distance avait fini par être admise presque sans conteste, à Schiedam et elle ne contribuait pas peu à lui amener une foule d’intrus qui venaient chez elle, comme l’on va maintenant chez une somnambule. Nous pouvons encore citer trois cas de ce don de voyance : Le premier a trait à un duel. La mère de l’un des adversaires se lamentait chez Lydwine, la suppliant de prier pour que son fils ne fût pas tué. Ne craignez rien, répondit la sainte ; les deux ennemis s’embrassent ; aucun combat n’aura lieu. Et effectivement, la réconciliation se scellait au moment même où elle l’annonçait. Les deux autres concernent des religieux. Un matin, un augustin, originaire de Dordrecht et qui avait fait quelques jours avant profession dans un couvent de chanoines réguliers d’Eemstein, entra, en traversant Schiedam, chez elle ; elle le salua aussitôt par son nom, lui parla de sa profession comme si elle y avait assisté et alors qu’ébahi, il s’écriait : — C’est trop fort ! Comment me connaissez-vous ? Elle lui répliqua simplement : mais, par le Seigneur, mon frère ! Une autre fois, un bourgeois appelé Wilhelm de Haga voulut avoir des nouvelles de son fils disparu, sans laisser de traces, depuis plusieurs mois. Il avait à peine franchi le seuil de sa chambre, qu’elle le saluait, lui aussi, par son nom et, sans attendre qu’il la questionnât, lui disait : — Apprenez que, par une insigne faveur du Christ, votre fils Henri a été reçu et va prononcer ses vœux à la Chartreuse de Diest. Le bonhomme, abasourdi, eût désiré en connaître plus long et il insista pour être renseigné sur l’origine et la certitude de sa double vue. — De grâce, fit-elle, cessez vos interrogations ; je suis souvent forcée par charité de distribuer à mon prochain les feuilles de mon arbre, mais la racine ne leur appartient pas et doit demeurer dans la terre, cachée ; contentez-vous donc de cette feuille que je vous ai, de mon plein gré, offerte et n’en réclamez pas davantage. Ces deux derniers faits ont été confiés à Thomas A Kempis par le P. Hugo, sous-prieur du monastère de sainte Élisabeth, près Brielle, qui les tenait, lui-même, des intéressés. L’on se demande comment, vivant dans un pareil tohu-bohu de monde, la pauvre fille pouvait se recueillir et suivre ce chemin de croix qu’elle s’était si strictement tracé. La vérité est peut-être que l’Esprit Saint parlait par sa bouche, alors qu’elle était, elle-même, absorbée en Dieu, loin des assaillants ; moins sévère que ses anges que ces visites agaçaient, Notre-Seigneur restait près d’elle. Peut-être aussi faisait-elle, ainsi que sainte Gertrude qui feignait, en pareil cas, de s’assoupir, pour se recouvrer ne fût-ce qu’une seconde ; mais ses réelles heures de tranquillité étaient certainement celles de la nuit. Comme elle ne dormait plus, et que son logis était enfin vide de clients, elle était libre alors de s’évader hors d’elle-même, de se serrer doucement contre l’Époux, de prendre à son contact une provision de patience et de courage, pour supporter les douleurs du lendemain. XI Sa chambre était un hôpital d’âmes toujours plein ; l’on y accourait de tous les points du Brabant et de la Flandre, de l’Allemagne, de l’Angleterre même ; mais si souvent d’inutiles curieux et d’impertinents personnages la persécutaient de leur présence, combien d’infortunés infirmes se pressaient autour de sa couche, combien de gens désemparés par la vie s’agenouillaient à ses pieds ! C’était sans doute là la partie la plus pénible de sa tâche ; il fallait consoler ce pauvre monde, ranimer et tonifier l’âme de tous ces malades venus pour demander à une plus malade qu’eux un réconfort. C’était près de cette suppliciée qui étouffait ses plaintes, un chœur de gémissements entrecoupé parfois par des exclamations d’impatience et par des cris de colère. Poussés à bout par leurs souffrances, des impotents s’élevaient contre ce qu’ils appelaient l’injustice de leur destinée, voulaient connaître pourquoi la main de Dieu s’appesantissait sur eux et non sur les autres, exigeaient que Lydwine leur expliquât l’effrayant mystère de la Douleur et les soulageât. Ceux-là la torturaient, car ils étaient des désespérés qui se pendaient après elle et ne consentaient pas à lâcher prise. D’aucuns entendaient qu’elle les guérît et quand elle répondait que cela ne dépendait pas d’elle, mais du Seigneur, ils s’entêtaient à ne pas la croire et lui reprochaient de manquer de pitié. Et ce qu’elle en acceptait pourtant des maladies pour les subir à la place de personnes qui ne lui en savaient souvent aucun gré ! Vous vous tuez pour des gens qui ne le méritent guère, lui répétaient ses amis ; mais elle répliquait : — Comptez-vous donc pour peu de chose de conserver autant que possible au Sauveur des âmes que le Démon guette ; et d’ailleurs, quel homme a droit d’être rebuté, alors qu’il n’en est pas un seul pour lequel le Fils de la Vierge n’ait versé son sang ! Et elle recevait indistinctement tous les malheureux, se bornant à soupirer, quand ils la quittaient, mécontents : les hommes charnels ne peuvent comprendre combien la vertu se perfectionne dans l’infirmité, combien même, la plupart du temps, elle ne naîtrai : pas sans elle. Gerlac et Thomas A Kempis ne nous renseignent que peu ou plutôt pas du tout sur ces entretiens. Brugman, lui, saisit cette occasion, comme toutes celles qu’il rencontre, du reste, pour placer un prêche et attribuer à la sainte une série de rengaines que, manifestement, il invente. Comment ne point noter, à ce propos, sa rhétorique essoufflée et l’obscure indigence de son latin ! Sous prétexte d’être énergique, il nous sert sans relâche des expressions imagées telles que « les coloquintes et les absinthes de la Passion » ; sous prétexte d’être pathétique, il apostrophe à tout bout de champ Lydwine et nous interpelle ; sous prétexte d’exprimer sa tendresse, il use de tous les diminutifs qu’il peut imaginer. Elle devient, sous sa plume, la petite servante du Christ, la petite femme, la petite pauvresse, la petite plante, la petite rose, la petite agnelle, Lydwinula, la petite Lydwine ! Le moindre document exact ferait beaucoup mieux notre affaire que toute cette afféterie de sentiments ; mais de cela, il faut se contenter ; enfin, en l’absence, de conversations saisies sur le vif, il semble cependant possible, étant donné les idées de la sainte, de deviner ce qu’elle répondait à tant de récriminations, à tant de doléances. À ces femmes, qui en accusant la cruauté du ciel, pleuraient à chaudes larmes sur leurs infirmités ou sur les traverses de leur ménage, elle devait répliquer : lorsque vous êtes en bonne santé ou lorsque votre mari ou vos enfants ne vous tourmentent point, vous ne pratiquez plus. Combien de prêtres, assaillis, pendant des mois, à leur confessionnal, par des troupes de pénitentes consternées, s’en voient, tout à coup, un beau matin, débarrassés ! et point n’est besoin de s’enquérir des causes de ces désertions ; ces femmes s’éloignent du Sacrement, tout simplement parce que leur sort a changé, parce qu’elles ne sont plus malheureuses ; l’étonnante ingratitude de la nature humaine est telle ; dans le bonheur, Dieu ne compte plus. Si toutes ses brebis étaient et fortunées et valides, le bercail serait vide ; il sied donc que, dans leur intérêt même, le Berger les ramène et il n’a d’autre moyen, pour les rappeler, que de leur dépêcher ses terribles chiens de garde, les maladies et les revers. À ces hommes qui, navrés du déchet de leur santé ou désolés par des calamités de toute sorte, s’irritaient, reprochaient au Créateur leur malechance, elle devait aussi répondre : vous ne revenez à Jésus que parce que vous êtes maintenant dans l’impuissance de continuer vos ripailles et de pressurer, sous couvert de commerce, votre prochain. Vous ne lui apportez que les ruines de vos corps, que les décombres de vos âmes, que des résidus dont personne ne voudrait. Remerciez-le donc de ne pas les rejeter ; vous vous alarmez de souffrir, mais il convient au contraire de vous en aduler ; plus vous pâtirez ici-bas et moins vous pâtirez, là-haut ; la douleur est une avance d’hoirie sur le Purgatoire ; mettez-vous bien dans la tête que la miséricorde du Sauveur est si démesurée qu’elle emploie les plus minimes bobos, les plus minuscules ennuis au paiement des plus inquiétantes de vos dettes ; rien, pas même une migraine n’est perdu ; si Dieu ne vous frappait pas, vous persisteriez à être, jusqu’à l’heure de votre mort, insolvables ; acquittez-vous donc, tandis que vous le pouvez et ne rechignez pas à endurer cette douleur qui est seule apte à refréner vos instincts de luxure, à briser votre orgueil, à amollir la dureté de vos cœurs. Le proverbe « le bonheur rend égoïste » n’est que trop vrai ; vous ne commencez à éprouver de la compassion pour les autres que lorsque vous en avez, pour vous-même, besoin ; le bien-être et la vigueur vous stérilisent ; vous ne produisez des actes vaguement propres que lorsque vous êtes éclopés ou réduits à l’indigence. Et elle eût pu ajouter, avec l’une de ses futures héritières, la sœur Emmerich : « je vois toujours dans chaque maladie un dessein particulier de Dieu, ou le signe d’une faute personnelle ou d’une faute étrangère que le malade, qu’il le sache ou non, est obligé d’expier — ou bien encore une épreuve, c’est-à-dire un capital que le Christ lui assigne et qu’il doit faire valoir par la patience et la résignation à sa volonté sainte. » Mais combien, parmi ces visiteurs, qu’il fallait convaincre que le Seigneur n’agit pas autrement qu’un chirurgien qui ampute les parties gangrenées et qui torture celui qu’il opère pour le sauver ! combien ne se rebellaient et ne s’épandaient point en des serments d’ivrognes, promettant d’être sages, s’ils étaient guéris ! combien n’en revenaient pas à leur question oiseuse, à leur enquête obstinée : pourquoi moi et pas tant d’autres qui sont plus coupables ? Et elle devait encore leur expliquer que, d’abord, ils n’avaient pas à juger les autres et ignoraient d’ailleurs si plus tard ceux-là ne seraient pas à leur tour durement traités ; ensuite que si Dieu comblait toujours les bons de biens et les méchants de maux, il n’y aurait plus ni mérites, ni profit de foi ; du moment que la Providence serait visible, la vertu ne serait plus qu’une affaire d’intérêt et la conversion que le résultat d’une crainte servile ; ce serait la négation même de la vertu, puisqu’elle ne serait, ni généreuse, ni détachée, ni gratuite ; elle deviendrait une couardise blanchie, une sorte de trafic, une succursale du vice, en un mot. À d’autres visiteurs, à des gens qui n’étaient plus atteints, ceux-là, dans leur organisme, dans leurs moyens d’existence et qui l’abordaient, fous de chagrin, parce qu’ils avaient vu mourir un mari, un enfant, une mère, un être qu’ils idolâtraient, à des hommes qui, après les obsèques de leurs femmes, lui confessaient leur hantise de se jeter dans la Meuse, elle devait, après de consolantes paroles, leur demander : — Voyons, affirmeriez-vous que celle que vous pleurez est avec les élus, dans le Paradis ? non, n’est-ce pas ; car, sans dénier ses vertus, il est permis de croire qu’elle subit, selon la règle commune, un stage plus ou moins long d’attente, qu’elle séjourne, pour une durée que Dieu seul connaît, dans le Purgatoire. Ne comprenez-vous pas dès lors que seul, avec vos prières, votre chagrin peut l’en tirer ? ce qu’elle n’a pas eu l’heur de souffrir, elle-même, pour s’épurer, ici-bas, vous le souffrirez à sa place ; vous vous substituerez à elle et vous achèverez ce qu’elle n’a pu terminer ; vous paierez en douleur sa rançon et plus votre douleur sera vive et plus tôt sera soldée la dette contractée par la défunte. Qui vous dit même que Notre Seigneur, touché par votre bonne volonté et vos suppliques, ne fera pas à votre femme une avance sur votre deuil et qu’il n’antécédera pas sa délivrance ? Et vous serez alors payé, en retour de vos peines ; votre femme se fera la complice du temps ; elle apaisera l’élancement de vos plaies, elle amortira le regret de son souvenir ; elle ne le vous laissera plus qu’à l’état souriant, qu’à l’état lointain et doux ; ne parlez donc pas de vous suicider, car en dehors de la perte même de votre âme, ce serait la négation absolue de votre amour ; ce serait l’abandon de celle que vous prétendez aimez, au moment où elle se trouve en péril ; vous risqueriez de replonger dans les bas-fonds du Purgatoire celle qui montait déjà à sa surface ; et quant à vous, vous vous priveriez, par ce crime, de l’espérance de jamais la revoir. Et, simplement, elle devait conclure : admirez la bonté du Créateur qui fait, en ce cas, souffrir l’un pour affranchir l’autre. Pensez que l’amour humain, qui n’est qu’une parodie du véritable amour, exclut Dieu bien souvent, qu’il est une forme de l’égoïsme à deux, car pour les gens qui s’aiment vraiment, le reste du monde n’existe pas ; et il est équitable pourtant que cet oubli du Seigneur et que cette indifférence envers le prochain s’expient ! À d’autres, à des malades, à des incurables surtout qui s’écriaient : vous avez guéri une telle, ô ma bonne Lydwine, guérissez-moi ! elle répliquait : mais je ne suis rien, mais ce n’est pas moi qui guéris, mais je ne peux pas ! — Et elle pleurait de les voir si acharnés et si tristes. — Elle les suppliait, à son tour, de se résigner, elle soupirait : rentrez en vous-même et réfléchissez ; ne maudissez pas cette douleur qui vous désespère, car elle est la charrue dont le diligent Laboureur use pour défoncer les terres de vos âmes et y semer le grain ; dites-vous que, plus tard, les anges engrangeront pour vous dans les celliers du ciel des moissons qu’ils n’auraient jamais récoltées si le soc des souffrances n’avait déchiré votre pauvre sol ! Les Rogations des infirmes sont les plus agréables qui soient à Dieu ! La Douleur ! à des prêtres, à des hommes plus experts dans les voies du Seigneur et démâtés eux aussi, pourtant, parla bourrasque, elle devait rappeler que ces mots Douleur et Amour sont presque des synonymes, que la cause du mystère de l’Incarnation et du mystère de la Croix est non seulement l’amour de Jésus pour nous et son désir de nous racheter, mais aussi l’amour indicible qu’il porte, en sa qualité de Fils, au Père. Ne pouvant, ainsi qu’un fidèle sujet, lui donner une marque déférente de cet amour, ne pouvant le glorifier en tant que son supérieur et son maître, puisqu’il est en tout son égal, il résolut de s’abaisser, en s’incarnant, si bien que, tout en demeurant son égal par sa nature divine, il ne l’est plus par sa nature humaine et il lui est dès lors possible de lui rendre des hommages infinis, de lui témoigner sa dilection et son respect, par voie d’anéantissement, de souffrances et de mort. Si la Douleur n’est pas l’exact synonyme de l’Amour, elle en est, en tout cas, le moyen et le signe ; la seule preuve que l’on puisse administrer à quelqu’un de son affection, c’est de souffrir lorsqu’il le faut, à sa place, car les caresses sont faciles et ne démontrent rien ; dès lors, celui qui aime son Dieu doit souhaiter de peiner pour Lui. Tel devait être le langage de la sainte ; elle répétait certainement aussi, aux âmes plus spécialement désignées pour l’œuvre réparatrice des holocaustes, les leçons qu’elle-même avait apprises de Jan Pot, leur avouait qu’à ce degré d’altitude, les sensations s’égarent, que la souffrance se volatilise aux flammes de l’amour, qu’on la convoite, qu’on l’appelle pour entretenir le bûcher permanent du sacrifice, que Dieu, à son tour, le modère et l’attise ce bûcher, pour tenir l’âme en haleine, qu’il alterne les allégresses et les navrements, que les grâces sont les avant-coureurs des épreuves et que les tribulations ne précèdent que de bien peu les liesses ; et elle certifiait sans doute encore que pour les amoureux du Sauveur, la souffrance proprement dite n’existe plus, qu’elle n’est plus, en tout cas, qu’une sorte de compromis entre deux sensations extrêmes, dont l’une même s’efface, cède le pas à l’autre, à celle de la jubilation et du ravissement. Et cette vérité dont elle était le vivant exemple, elle a été et elle sera exacte dans tous les temps. Il n’est point de saints qui, depuis la mort de Lydwine, ne la confirment. Écoutez-les formuler leurs vœux : Toujours souffrir et mourir, s’écrie sainte Térèse ; toujours souffrir et ne pas mourir, rectifie sainte Madeleine de Pazzi ; encore plus, Seigneur, encore plus ! s’exclame saint François Xavier, agonisant de douleurs sur les rives de la Chine ; je souhaite d’être brisée par les souffrances afin de prouver à Dieu mon amour, déclare une carmélite du XVIIe siècle, la vénérable Marie de la Trinité ; le désir de souffrir est un vrai supplice, ajoute, de nos jours, une grande servante de Dieu, la Mère Marie Du Bourg et elle confie familièrement aux filles de son monastère que si « l’on vendait des douleurs au marché, elle irait vite en chercher. » Lydwine pouvait donc assurer que l’antidote certain de la souffrance, c’était l’amour ; mais, répondaient les pauvres gens, je n’aime pas ! — Eh qu’en savez-vous ? répliquait la sainte ; est-ce que, la plupart du temps, cet état de sécheresse, cette torpeur, ce dégoût même de la prière, issus de la lassitude de vos maux, ne sont pas l’œuvre du Seigneur qui vous éprouve ? Ce n’est pas votre faute à vous, si vous êtes ainsi ; ne vous découragez donc point ; priez quand même vous ne comprendriez pas un mot des oraisons que vous débitez ; harassez Jésus, répétez-lui sans cesse : aidez-moi à vous aimer ! — Vous vous désolez de ne pas sentir encore l’amour s’irruer en vous ? Eh mais, pleurer parce qu’on n’aime pas, c’est déjà aimer ! Et elle qui parlait de la sorte, ne parvenait pas toujours, elle-même, à se consoler. Si sainte qu’elle fût, elle n’était pas arrivée au degré de maturité où Dieu la voulait ; Il exigeait d’elle plus qu’il n’eût exigé de toute autre ; sa tâche, dont elle ne mesurait pas l’énormité, nécessitait l’emploi d’exceptionnelles vertus et d’extraordinaires peines ; elle était entre les mains du Christ un contre-poids qu’il utilisait pour contrebalancer les crimes de l’Europe et les désordres de l’Église ; elle était une victime réparatrice des vivants et aussi des morts et l’Époux la pressurait, la décantait, la filtrait jusqu’à sa dernière goutte. Il la lui fallait résolument dépouillée, sans dépendance d’elle-même, seule ; et des sentiments humains qu’il tolérait chez les autres, l’irritaient chez elle. Il avait admis qu’elle déplorât la mort du vieux Pierre, son père, lorsqu’il trépassa, en un mois de décembre, la veille de la fête de la Conception de la bienheureuse Vierge. Il amortit la pesanteur de ce coup, en la prévenant à l’avance et Lydwine avertit à son tour Jan Walter, en le priant de ne pas aller dire, ce jour-là, la messe à Ouderschie, comme il en avait l’intention, afin de pouvoir assister le vieillard à ses derniers moments. Il consentit encore à ce qu’elle ne fut point victime d’une illusion diabolique qui l’obsédait, car elle voyait son père, après son décès, tourmenté par des démons et il lui dépêcha un ange pour l’aviser que le brave homme était, ainsi qu’il l’avait mérité, dans le Paradis, avec les justes ; mais il fut moins attentionné, moins patient quand, quelques années plus tard, en 1423, non frère Wilhem, qu’elle aimait tendrement, mourut. Il commença par la récompenser de sa probité et de son désintéressement. Wilhelm ne laissait en guise d’héritage à ses deux enfants Pétronille et Baudouin, que des dettes. Il était difficile qu’il en fût autrement d’ailleurs. Wilhelm avait succédé à son père dans la petite place de veilleur de nuit de la ville et il devait, avec son modique salaire, élever ses enfants, soutenir Lydwine et son père ; il est également possible que la mégère qu’il avait épousée — et qui décéda sans doute avant lui, car les historiens ne nous en parlent plus, — ait été dépensière et ait réservé pour ses fantaisies le plus gros de son gain. Toujours est-il que Lydwine vendit les quelques objets de famille que son frère avait conservés à titre de souvenirs et en remit l’argent dans une bourse à un sieur Nicolas, son cousin, qui habitait avec elle, en le priant de désintéresser les créanciers. Qu’était entre parenthèses ce Nicolas dont nous avons cité, une fois, le nom, à propos de l’indiscrétion du confesseur de la sainte, caché dans sa demeure, pour surprendre son ange ? nous l’ignorons ; nous savons seulement que Nicolas s’acquitta de la commission et restitua, à son retour, la bourse vide à Lydwine qui la renversa sur son lit et en tira huit livres, monnaie du pays ; or, cette somme était juste celle qu’elle y avait serrée, pour solder les dettes. Elle recommanda à son parent de ne pas ébruiter ce miracle et décida que cette bourse s’appellerait la bourse de Jésus ; et la sainte subvint dorénavant avec l’argent qu’elle contenait et qui ne s’épuisa plus aux besoins de ses pauvres ; le jour même de sa mort, cette bourse était encore à moitié pleine. Mais si Dieu lui fit sentir, à cette occasion, qu’il était content d’elle et la débarrassa pour l’avenir du souci de chercher les subsides nécessaires pour alimenter les indigents, il se fâcha et la punit, en la privant de ses extases habituelles, lorsque, perdant toute mesure, après le trépas de son frère elle tomba dans un état de prostration, et ne cessa de pleurer. Il estima que ces excès de tristesse refoulaient en elle les appas divins et l’alourdissaient et l’empêchaient de gravir sur le sommet de la voie mystique les derniers sentiers qui Le séparaient d’elle. Tous les historiens de Lydwine nous narrent à ce sujet, ce curieux épisode : Longtemps avant la disparition de Wilhelm, Gérard, un jeune homme du diocèse de Cologne qui ardait du désir de vivre de l’existence des anciens ermites, la visita pour connaître d’une façon sûre si cette hantise, qu’il ne parvenait pas à dominer, n’était point une folie de son imagination ou une tentation contre Dieu sommé de le nourrir par miracle dans une solitude inculte. Lydwine dissipa ses doutes sur sa vocation d’anachorète et prophétiquement lui dit : — Les trois premiers jours de votre arrivée dans le désert, vous pâtirez de la faim, mais ne vous rebutez pas, car, le troisième jour, avant le coucher du soleil, le Seigneur pourvoira à votre nourriture. Confiant en cette promesse, il partit avec deux compagnons, mais dès qu’ils eurent abordé les plaines de l’Égypte, ceux-ci, épouvantés par la mer de sables qui s’étendait à perte de vue devant eux, rebroussèrent chemin et retournèrent, désabusés, chez eux. Gérard, plus intrépide, s’enfonça dans les régions isolées du Nil et découvrit, au centre d’un site aride, un grand arbre dans les branches duquel était perchée, ainsi qu’un nid, une cellule formée avec des rameaux et des nattes, et elle était assez élevée pour que les loups et les autres bêtes sauvages ne pussent l’escalader. Il s’y installa et, après avoir jeûné, faute d’aliments, pendant deux jours, il fut, selon la prédiction de la sainte, ravitaillé, le troisième, par le Créateur qui lui envoya, comme jadis aux Hébreux, des flocons de manne. Il vivait fondu en Dieu dans cette hutte aérienne, et avait atteint les plus hautes cîmes de la contemplation quand un évêque anglais, qui revenait d’un voyage en Palestine et d’un pèlerinage au mont Sinaï où il était allé vénérer les reliques de sainte Catherine d’Alexandrie, vierge et martyre, s’aventura avec ses gens dans ces parages. Surpris d’apercevoir un arbre isolé dans un paysage dénué de végétation, il s’approcha et discernant la cabane logée dans les branches il s’écria : — Si c’est un serviteur du Christ qui habite ici, je le prie, pour l’amour de Jésus, de me répondre. À cet appel, au nom de Jésus, un être gras énorme, vêtu de guenilles et effroyablement sale, sortit du lacis des nattes. L’évêque, déconcerté, regardait cette masse qui ressemblait plus à une colossale bonbonne dont le goulot serait surmonté en guise de bouchon par une vessie de saindoux qu’à un corps et à un visage d’homme. Il commençait à être pris de peur quand la boule de cette face s’irradia en un sourire lumineux d’ange. — Dites-moi, père abbé, fit le prélat, rassuré par ce sourire, depuis combien de temps demeurez-vous dans cet arbre ? — Depuis dix-sept ans, répondit l’ermite. — Quel âge aviez-vous lorsque vous avez fui le monde ? — Dix-neuf ans. Et, reprit l’Anglais, avec quoi vous sustentez-vous ? je ne découvre pas trace d’herbes et de racines autour de votre laure et cependant votre obésité est sans égale ! — Celui qui a nourri les enfants d’Israël dans le désert veille à ce que je ne manque de rien, répliqua Gérard. L’évêque crut qu’il ne s’agissait que de nutriments tout spirituels et il lui demanda s’il connaissait une autre créature humaine qui vivait également sans manger. — Oui, en Hollande, dans une petite ville appelée Schiedam, une vierge fort infirme vit depuis des années à jeun ; cette vierge s’est élevée à un si haut point de perfection qu’elle me précède de très loin ; nous conversons cependant, de longue date, ensemble dans la lumière incréée ; une chose m’étonne, pour l’instant ; depuis quelques jours, elle ne s’évade plus de la terre et je ne perçois plus, en extase, sa présence ; et elle n’est pas morte pourtant ! Je crois deviner néanmoins, poursuivit Gérard, après un silence, qu’elle s’afflige plus qu’il ne conviendrait de la perte de l’un de ses proches ; Dieu le permettant ainsi pour l’humilier ; je pense que c’est à cause de l’intempérance de ses larmes que le Seigneur la prive momentanément de ses grâces ; au reste, lorsque vous retournerez en Europe, si vous passez par les Pays-Bas, allez la voir et posez-lui, de ma part, ces trois questions : Depuis combien de temps votre ami Gérard s’est-il retiré dans sa thébaïde ? Quel âge avait-il lorsqu’il adopta ce genre d’existence ? Pourquoi ne vous rencontre-t-il plus comme autrefois ? Il n’en fallut pas davantage pour déterminer l’évêque à se rendre, avant de regagner l’Angleterre, en Hollande. À peine débarqué, il courut à Schiedam et se fit conduire, par l’hôtelier du bourg, chez Lydwine. Il lui raconta son entretien avec Gérard et la pria de répondre à ses trois questions. Elle se déroba d’abord, disant par humilité : comment puis-je le savoir, c’est Dieu qui le sait. Mais le prélat insista, se fâcha presque et elle finit alors par avouer que Gérard résidait depuis dix-sept ans dans son arbre, que lorsqu’il avait conçu le projet de vivre de l’existence des Pères du désert, il avait dix-sept ans, mais n’avait pu réaliser son dessein que deux années après, c’est-à-dire à l’âge de dix-neuf ans. Puis elle se tut. — Vous ne répondez pas à la troisième question ? reprit l’Évêque. Alors elle soupira : — Hélas ! Monseigneur, je suis obligée de séjourner au milieu de séculiers et, bon gré, mal gré, je suis mêlée aux affaires du monde et c’est à mon détriment ; je suis salie par cette poussière que répandent autour d’eux les gens du siècle ; aussi n’avançai-je que très péniblement dans les chemins de Dieu ; mon frère Gérard n’est pas, heureusement pour lui, dans le même cas. Il habite seul avec les anges, aucun être terrestre ne le dérange et il peut s’adonner en toute liberté aux spéculations du Ciel ; il est donc bien naturel qu’il me dépasse dans la voie sublime de la vie contemplative et que je ne puisse toujours l’y suivre. J’ajouterai encore que si je suis si en retard, si lente à le rejoindre, c’est par ma faute ; j’ai trop pleuré la mort de mon frère Wilhelm et Dieu m’a fait reculer de bien des pas. L’évêque, après qu’il eut ainsi vérifié l’exactitude des renseignements que lui avait fournis l’ermite, bénit Lydwine et se recommanda à ses prières. Quand il fut parti, elle causa à ses familiers de Gérard, elle leur apprit que son embonpoint dû aux qualités nutritives de la manne, était tel, que des rouleaux de chairs descendaient de son cou et coulaient en cascades sur son dos ; il ne pouvait ni se coucher, ni s’asseoir, et il était forcé de se tenir constamment agenouillé ou debout dans son arbre ; et lorsqu’il trépassa, en l’an de l’Incarnation 1426, le 2 octobre, elle fut prévenue de son décès par son ange qui l’emmena avec lui, pour rendre les derniers devoirs au défunt. Elle vit ensuite son âme séparée de son corps et portée par de célestes Esprits dans le Paradis ; là, ils la baignèrent dans une fontaine dont l’eau était si pure que l’on en apercevait le fond, à un mille au moins de profondeur. XII Le mécontentement de Jésus contre sa pauvre servante ne dura guère et il entérina sa réconciliation par des miracles. L’ange de Lydwine la fréquenta de nouveau et ce furent encore des promenades dans les églises et dans le Paradis ; pendant que son âme voyageait, son corps demeurait insensible ; l’extase l’anesthésiait à un tel point qu’elle fut atrocement brûlée, un jour, sans s’en apercevoir. Les incendies apparaissent, à trois reprises différentes, dans la vie de la sainte ; ainsi qu’on l’a vu plus haut, par la faute de son frère, le feu grilla, un matin, la paille de son lit. Il consuma, une fois encore, sa couche. Une après-midi d’hiver, les femmes qui la servaient ne sachant comment la réchauffer, puisqu’à cause de ses yeux l’âtre devait rester mort, imaginèrent de glisser sous sa couverture un vase rempli de braises qu’elles fermèrent avec un couvercle. Lydwine était, à ce moment, ravie hors du monde ; elles sortirent, pour vaquer à leurs affaires, mais lorsque peu de temps après, elles revinrent, elles odorèrent un fumet de chair grillée et se précipitèrent sur le lit qu’elles découvrirent ; le couvercle s’était défait et les charbons étaient en train de carboniser l’une des côtes de la sainte. À cet instant, son ravissement cessa. — Ô Lydwine, s’écrièrent ses amies, quelle affreuse plaie ! ne la sentez-vous pas ? — Si, fit-elle, je la sens maintenant, mais je ne souffrais nullement tandis que j’étais avec le Seigneur. Les braves femmes pleuraient, en se reprochant leur imprudence. — Ne vous lamentez pas, murmura-t-elle, et bénissez le Sauveur qui m’a si bien absorbée en Lui que je ne me suis même pas doutée que des braises me calcinaient le flanc. En l’an 1428, un incendie menaça d’être pour elle plus terrible. Peu de semaines avant qu’il n’éclatât, Lydwine s’était exclamée, à plusieurs reprises : la colère de Dieu est sur Schiedam ! Et, tout en larmes, elle avouait à ses intimes qu’elle s’était offerte comme victime au Christ qui avait refusé d’accepter son sacrifice. Que va-t-il advenir ? lui demanda-t-on. — Un incendie détruira Schiedam ; l’iniquité de cette ville est mûre et l’heure de sa moisson est proche ; je ne puis, hélas ! désarmer le ressentiment du Juste. Et s’adressant à Catherine Simon, elle ajouta : — Je sais, ma chère sœur, que vous avez en réserve un certain nombre de planches qui n’ont pas été utilisées dans la construction de la maison que l’on vous bâtit, donnez l’ordre qu’on les transfère, sans retard, derrière le jardin, ici ; nous les emploierons à édifier un hangar où les sinistrés déposeront les objets qu’ils auront pu sauver du désastre. Catherine lui obéit ; Lydwine la remercia ; puis, la veille du jour où le feu devait se déclarer ; elle lui dit : — Rappelez-vous votre vœu d’aller en pèlerinage à Notre-Dame de Bois-le-Duc ; réalisez, demain, cette promesse ; partez et revenez au plus vite. — Mais, s’écria Catherine, vous m’avez annoncé que l’incendie de Schiedam aurait lieu demain ; ce n’est vraiment pas le moment pour moi de m’absenter, car si je m’en vais, je suis certaine de perdre tout ce que je possède ! — Écoutez ce que je vous dis, répartit Lydwine ; le Seigneur ne connaît-il pas mieux que vous ce qui doit vous être profitable ? Et la veuve Simon qui ne savait pas ne point obtempérer aux injonctions de la sainte s’en fut à Bois-le-Duc. Le lendemain était un samedi de juillet, fête de saint Frédéric, évêque et martyr et de saint Arnulphe, confesseur ; c’était la veille du jour où les marins de Schiedam prenaient la mer pour commencer la pêche du hareng. Suivant un vieil usage, ils se réunirent pour célébrer leur départ, par un banquet. Lorsque le repas, qui fut long et copieusement arrosé de cervoises et de bières, fut terminé, les cuisiniers laissèrent un fourneau qu’ils croyaient éteint près d’une cloison de roseaux ; vers les onze heures du soir, des étincelles en jaillirent qui embrasèrent la cloison et le feu gagna de proche en proche et se propagea par toute la ville ; il sautait d’une maison à l’autre et comme la plupart étaient en bois, elles flambaient ainsi que des lattes, sans même que l’on pût les secourir. Fouetté par le vent du large il franchissait les espaces vides, rasait, en passant, les jardins et allumait les arbres, dardant dans des tourbillons de fumée les déchiquetures de ses flammes qui aussitôt qu’elles avaient atteint une bicoque ne la lâchaient plus. Elles pesaient sur les croisées qu’elles évidaient et crevaient les portes ; l’on ne voyait plus alors dans une carcasse qui craquait que des solives rouges ; elles se tordaient, se dressaient, à un moment, échevelées de même que des torches puis retombaient, en une pluie de charbons, en se cassant ; et dans une détonation, la maison se décoiffait et il en fusait une gerbe de flammes qui embrasait la nuit. Il pleuvait des braises et il grêlait du feu ; l’on n’entendait que le ronflement des brasiers, le fracas des poutres qui s’écroulaient, les explosions des barriques dont les cercles cédaient, les cris de terreur de la foule qui fuyait devant ces serpents et ces ailes de feu qui rampaient et volaient de toutes parts. Il en fût ainsi du commencement à la fin de la nuit ; le lendemain matin, l’église paroissiale, un couvent de religieuses qui y attenait et la majeure partie des rues de Schiedam n’étaient plus qu’un monceau de décombres ; et le feu ne s’apaisait pas. En vain, les habitants, ranimés par la clarté du jour, s’efforçaient de circonscrire le foyer de l’incendie, il n’en continuait pas moins ses ravages. À un moment, une traînée de flammes se dirigea vers la demeure de Lydwine ; de braves gens accoururent et voulurent emporter la sainte, mais elle refusa, affirmant qu’elle n’avait rien à craindre. Ils l’abandonnèrent sur sa couche, mais démolirent par précaution la charpente et le plafond de la maison qui étaient en bois et ne laissèrent debout que la pierre des murs. Seulement, comme l’on était au mois de juillet et que le soleil sévissait cruellement, ils durent, voyant les atroces souffrances de Lydwine dont les yeux saignaient à la lumière, jeter une vieille tenture sur les pans de muraille, afin de lui procurer un peu d’ombre. Ce palliatif — qui était bien inutile, du reste, car le feu aurait pu tout aussi bien cinéfier l’étoffe que le bois du plafond et se communiquer à la paille du lit, — n’ayant pas réussi à atténuer les douleurs de la patiente, ils ne surent plus à quel expédient recourir et rétablirent au-dessus d’elle les planches qu’ils avaient détachées et partirent. Lydwine resta seule pendant toute la journée de ce dimanche ; elle avait la fièvre et rissolait sous ce soleil de plomb ; elle s’arma de patience, pria, invoqua son ange mais il ne lui répondit pas ; quand tomba le soir, elle crut mourir ; la chaleur concentrée sous les planches et la fumée des ruines que l’on noyait, l’asphyxiaient. N’y tenant plus, elle chercha un bâton qui lui servait d’habitude à attirer ou à repousser les courtines du lit et aussi à frapper des coups quand elle avait besoin d’appeler, mais elle eut beau promener en tous sens le seul bras qu’elle avait libre, elle ne le découvrit plus. Elle était sûre pourtant que le fléau ne l’atteindrait pas, qu’elle ne périrait point, suffoquée ainsi et la peur fut plus forte que la raison ; la nature prit le dessus, le silence de son ange l’accabla, elle défaillit et pleura en songeant qu’elle allait mourir sans l’aide des sacrements, seule, en son coin. L’énervement issu de la fièvre qui la rongeait accélérait cette panique. À ces détails, l’on peut juger combien lorsque le Seigneur le veut, les âmes, même les plus avancées dans la voie du sacrifice, errent et vacillent. Au fond, rien n’est plus malaisé que tuer ce que saint Paul nomme « le vieil homme ». On l’engourdit, mais, la plupart du temps il ne meurt pas. Un rien le sort de sa léthargie, et le réveille ; il semble que le Démon arrose, en secret, les anciennes racines et les empêche de jamais se dessécher ; et les premières pousses qu’elles produisent, en silence, dans l’ombre de l’âme, ce sont celles de la vaine gloire, cette ivraie spéciale des êtres privilégiés ! Lydwine était bien éloignée de ce sentiment pourtant, et néanmoins Dieu voulut l’humilier, une fois de plus, en permettant qu’elle doutât de l’efficace de ses prières, qu’elle se cabrât devant le péril et se débattît dans des affres purement humaines ! Mais il ne lui tint pas rigueur de sa faiblesse, comme il lui avait tenu rigueur du chagrin ressenti au décès de son frère, parce que ces transes étaient son œuvre, parce que c’était Lui-même qui les imposait à sa pauvre servante ; et la preuve est qu’il s’ingénia aussitôt à la secourir. L’ange invisible jusqu’alors se présenta et posa doucement sur la poitrine de Lydwine un morceau de bois de la longueur d’une aune environ. Elle le saisit et le soulevant avec peine, car il était lourd, elle écarta les rideaux et huma voracement un peu d’air. Le lendemain matin, lorsqu’elle considéra de près ce bâton, elle s’aperçut qu’il était non seulement pesant et rugueux, mais encore tordu et comme coupé à même d’un tronc ; et elle ne put s’empêcher de penser que son ange aurait beaucoup mieux fait de lui retrouver son ancienne baguette que de lui apporter cette incommode gaule ; aussi, quand Jan Walter arriva, pour savoir comment elle avait passé la nuit, lui confia-t-elle cette branche d’arbre, en le priant de la donner à dégrossir. Walter visita les menuisiers de la ville, mais leurs outils avaient été brûlés et ils ne pouvaient se charger du travail. De guerre lasse, il s’aboucha avec un tonnelier qui possédait encore une doloire et celui-ci râpa énergiquement le gourdin. Des copeaux embaumés volèrent et sous l’écorce, une couleur de cire fraîche apparut. Ce doit être du cyprès, répondit cet homme à Walter qui l’interrogeait pour connaître de quelle essence d’arbre provenait ce bois ; mais, ajouta-t-il, je n’en ai jamais vu de si parfumé et de si dur. Puis, tandis que des personnes qui assistaient à cette scène, dans son atelier, s’emparaient des rognures, à cause de leur odeur, il dit au prêtre : — Écoutez, je ne puis avec une doloire équarrir proprement votre bâton ; gardez-le tel qu’il est, cela vaudra mieux. Walter, ennuyé de ce contre-temps, repartit en quête d’un autre ouvrier. Il finit par en rencontrer un dont tous les instruments n’avaient pas été détruits et celui-là se mit à l’œuvre ; mais il n’eut pas plutôt flairé l’arôme du rondin qu’il voulut s’approprier les copeaux, alors que Walter désirait les conserver ; et pour en avoir davantage il aurait, avec son rabot, aminci le bois de telle sorte qu’il n’en serait plus resté, si le prêtre ne le lui avait enlevé des mains et ne s’était enfui avec. Il demanda à Lydwine, lorsqu’il lui rapporta la baguette, si elle savait le nom de l’arbre qui l’avait produite. — Dieu le sait, fit-elle, et moi pas ; mon frère ange ne me l’a point conté. Plus tard, à la fête de saint Cyriaque, martyr, c’est à-dire au commencement du mois d’août, l’ange conduisit Lydwine dans les pourpris de l’Eden. Là, il lui reprocha d’avoir si peu estimé son présent — ce dont elle fut très marrie — et il lui montra l’arbre, un cyprès d’une espèce particulière, et la place même à laquelle il avait coupé la branche ; et il lui apprit que cette tige châtierait le Démon et serait pour lui un objet d’épouvante. Et, en effet, Brugman déclare avoir assisté à ces expériences ; il suffisait d’approcher cette verge d’un énergumène pour lui arracher des cris plaintifs et le faire frémir de la tête aux pieds. Et, un siècle plus tard, Michel d’Esne, l’évêque de Tournai, ajoutait : « Cela est très vrai, comme j’ai non seulement ouï dire, mais vu de mes yeux ; car j’ai vu des démoniaques crier, grincer des dents et trembler extrêmement devant une petite pièce de ce bois. » Dès que l’histoire de ce bâton se fut ébruitée, toute la ville processionna chez la sainte pour le regarder et le fleurer ; il continua d’odorer, mais un libertin, amené par la curiosité, chez elle, le toucha et dès lors il cessa d’exhaler son résineux parfum. La veuve Catherine qui avait terminé son pèlerinage rejoignit sur ces entrefaites la ville et trouva, à la place de son logis, un tas de tisons calcinés et de cendre. Cette perte la désola ; elle arriva, en pleurant, chez Lydwine. — Vous voyez, s’écria-t-elle, vous voyez que je n’aurais pas dû m’absenter ; si je ne vous avais pas écoutée, j’aurais peut-être au moins sauvé quelques-unes de mes pauvres affaires ! Mais la sainte sourit. — Ô tête, ô tête, s’exclama-t-elle, il y a longtemps que vous souhaitez d’habiter avec moi ; seulement, le sacrifice qui vous coûtait le plus, c’était de vous séparer de cette maison à laquelle vous étiez trop attachée. Maintenant qu’elle n’existe plus, qui vous arrête ? Venez vous fixer, ici, et, au lieu de gémir, remerciez Dieu qui a précipité les événements de telle sorte qu’il vous dispense de discuter avec vous-même. Et Catherine s’empressa, en effet, de résider chez la bienheureuse et jusqu’à l’heure de sa mort, elle ne la quitta plus. Une autre question serait intéressante à résoudre, celle de savoir comment les Schiedamois qui étaient, pour la plupart, des marins ivrognes sans doute et luxurieux, mais pas plus que les matelots des autres plages, avaient pu attirer si résolument sur eux le courroux du Ciel. Si l’on se réfère à leur attitude, alors que feu André, leur ancien curé, affirma avoir jeté l’Eucharistie dans un amas de boue, l’on constate que ces gens avaient la foi et vénéraient le corps du Sauveur, car ils s’indignèrent et voulurent écharper ce triste sacerdote ; ils n’étaient donc ni des mécréants, ni des déicides. Comment dès lors justifier ce ressentiment du Christ ? Thomas A Kempis raconte qu’ils avaient bafoué la statue miraculeuse de la Vierge et il cite parmi les délinquants un prêtre et une femme dont la liaison publiquement affichée était un scandale pour le peuple. À quelques détails qu’il précise, il est facile de reconnaître en cet ecclésiastique et en cette gourgandine, ce Joannès de Berst et cette Hasa Goswin dont nous avons déjà parlé ; mais en sus de ce délit, l’on peut, je crois, admettre ceci : qu’en raison même de cette faveur qu’elle obtint de posséder dans ses murs une sainte qui rendait, par les miracles qu’elle opérait, les grâces de la Providence visibles, Schiedam devait être, aux yeux de Jésus, une ville plus religieuse, plus mystique que les autres, une cité modèle, et elle ne fut rien de cela ; Dieu l’épargna, une fois, sur les instances de sa servante, alors qu’une flotte s’avançait pour la détruire, mais elle ne s’amenda point et le Juge, lassé, sévit ; telle est la seule explication qui semble plausible. Malgré tout, Lydwine ne pouvait s’empêcher de croire que si elle avait été plus pure, elle aurait peut-être été mieux exaucée et cependant elle savait que ses mérites étaient là-haut, soigneusement comptés. N’avait-elle pas, quelques années auparavant, un jour qu’elle était en extase, contemplé ce spectacle qui fut montré, d’ailleurs, à beaucoup de saints, de l’Époux tenant une couronne sertie de gemmes ? Elle l’examinait et remarquait que certaines montures étaient vides. — Les pierres qui manquent s’enchâsseront avec le temps, dit Jésus ; cette couronne est celle que je te prépare. Lorsqu’elle fut revenue à elle, elle pensa justement que les fleurons inachevés symbolisaient les douleurs qui lui restaient à subir et elle s’apprêta à les endurer. Faisant alors un retour sur elle-même, humblement elle se repéra ; elle songea qu’elle n’avait jamais offert au Bien-aimé un cœur vraiment affranchi et un esprit dûment désoccupé ; elle se reprocha de ne pas s’être assez exilée de ses volontés, de ne s’être jamais entièrement bannie ; elle s’avoua ne pas s’être assez soigneusement tamisée de la lie de ce monde et elle supplia Jésus de la mettre en mesure d’expier cette avarice d’elle-même, en l’accablant d’injures et de sévices, en la traitant, ainsi qu’il avait été, Lui-même, traité. Il la satisfit sur-le-champ. À ce moment, Philippe, duc de Bourgogne, qui revendiquait, par droit d’héritage, au détriment de sa nièce, la comtesse Jacqueline, la possession des Provinces-unies, envahit à la tête d’une armée les Pays-Bas et installa des garnisons dans les places. Le 10 octobre, le jour où l’on célébrait la fête des saints martyrs Géréon et Victor, il entra à Schiedam. Il y fut reçu avec de grands honneurs et invité à un festin auquel furent conviés toutes les autorités de la ville et le curé qui était Jan Angeli, encore vivant à cette époque. À la fin du repas, quatre Picards, qui faisaient partie de la maison du duc, demandèrent au curé de les conduire chez cette Lydwine dont on leur avait relaté monts et merveilles. Il y consentit et les accompagna, eux et leurs serviteurs ; mais à peine se furent-ils introduits dans la chambre qu’ils commencèrent à tapager et, comme Jan Angeli les suppliait de se retirer, ils prétendirent qu’il était l’amant de sa pénitente et le poussèrent derrière un petit autel qui avait été dressé dans cette pièce pour y recevoir le corps du Christ, lorsqu’on venait communier la malade. Il s’y blottit, triste et confus. On n’y voit goutte, dans cette cambuse ! cria l’une de ces brutes. Il alluma une chandelle, arracha les rideaux et les couvertures du lit et le ventre hydropique de la malheureuse bomba, ainsi qu’une outre, lamentable et nu ; alors ils se tordirent et crièrent qu’elle était enceinte des œuvres de son confesseur ! La nièce de Lydwine, la petite Pétronille, assistait avec le curé à cette scène ; quand on découvrit le corps de sa tante, elle ne put se maîtriser et elle s’élança pour la recouvrir. Ils voulurent l’en empêcher, mais elle leur opposa une telle résistance, qu’ils finirent par l’empoigner et ils la jetèrent contre les marches de l’autel avec tant de violence qu’elle se blessa grièvement à l’aine et aux reins et s’évanouit. Cette encontre exaspéra ces soudards. Ils qualifièrent Lydwine de paillarde, l’accusèrent d’être mère de quatorze enfants et de se saouler, la nuit ! puis, tandis que celui qui tenait le flambeau, éclairait la couche et invectivait la martyre, en hurlant : on va te dégonfler, sale bête ! les autres enfoncèrent leurs doigts dans la peau tendue du ventre qui creva. L’eau et le sang jaillirent en abondance par trois trous et le lit fut inondé. Après qu’ils eurent accompli ce forfait, ils sortirent pour se laver les mains puis rentrèrent et se remirent à l’injurier. Lydwine, qui n’avait répondu que par des gémissements à ces tortures, les regarda alors et dit : — Comment ne craignez-vous pas de toucher au travail de Dieu, comment ne craignez-vous pas le châtiment que sa Justice vous prépare ? Ils haussèrent les épaules et, après une dernière bordée de lazzis et d’outrages, ils s’en furent. Le curé se précipita aussitôt dehors, pour chercher des secours. Les amies de Lydwine arrivèrent ; elles ranimèrent avec un cordial Pétronille qui dut s’aliter et elles pansèrent les blessures de sa tante et changèrent la paille de sa couche devenue semblable à un fumier d’abattoir, tant elle était trempée de sang ! Le lendemain, le duc de Bourgogne, qui ignorait cet attentat, partit pour Rotterdam ; mais à peine son armée eut-elle déguerpi de Schiedam, que la nouvelle du crime courut par toute la ville. Ce ne fut qu’un cri d’indignation contre ces bandits. Les échevins se présentèrent chez la malade, pour la consoler et lui annoncèrent qu’ils allaient, eux aussi, s’embarquer pour Rotterdam, afin de réclamer au duc la punition de ses gens. — N’importunez pas le prince, à mon sujet, répliqua Lydwine ; Dieu se réserve la vengeance de ce méfait ; déjà l’arrêt de ces infortunés est prononcé. Et, en effet, la répression qui les attendait ne tarda guère. Celui de ces hommes qui portait le flambeau et avait si grossièrement insulté la sainte fut, à l’instant même où il entrait dans le port de Rotterdam, saisi de vertige. Il erra, comme un fou, sur le pont du bateau et tomba et se fracassa le crâne ; un autre près de Zierikzée se tordit dans des accès de délire et fut abandonné dans une chaloupe où il mourut ; le troisième qui appartenait à l’armée navale fut tué, pendant un combat, par les Anglais ; le quatrième enfin, qui s’attribuait le titre de médecin, fut frappé d’apoplexie près de Sluse et devint aphasique. Son domestique lui rappela alors son crime et l’interrogea pour savoir s’il n’en éprouvait pas quelque remords. Il fit signe que oui et trépassa. Après son enterrement, ce serviteur, qui était un brave et pieux homme, vint à Schiedam pour solliciter, au nom de son maître, le pardon de Lydwine ; et il lui fut accordé, on peut le croire, aisément. Cette sinistre aventure désola, pendant des années, la sainte. Elle pleurait non sur les plaies qu’elle avait reçues, mais sur la perversité de ces vauriens que ses prières ne parvenaient pas à sauver ; aussi ne voulait-elle pas qu’on la plaignît de ces sévices. — Plaignez-vous plutôt, fit-elle, un jour, aux magistrats et baillis de Schiedam qui reparlaient chez elle de cette affaire ; plaignez-vous, car je vous vois menacés d’un péril dont vous ne vous doutez point. Et, en effet, peu de temps après, ils furent inculpés par le duc de Bourgogne de trahison et menacés d’avoir le cou tranché. Après ces événements, l’ange du seigneur s’approcha de Lydwine et lui dit : votre Époux vous a admise, suivant votre désir, aux tortures de la Passion, vous avez été injuriée, couverte d’ignominie, dénudée, et vous avez rendu de l’eau et du sang par vos blessures ; soyez heureuse, ma sœur, car la scélératesse de ces Picards va aider à compléter le nombre de pierres qui manquent à votre couronne. XIII Généralement, Dieu dispense à chacun de ses saints une dévotion spéciale qui s’accorde avec la tâche que chacun d’eux est plus particulièrement chargé d’accomplir ; la dévotion de cette missionnaire de la Douleur qu’était Lydwine, était naturellement celle du chemin de la Croix ; elle la pratiquait, ainsi qu’il fut dit, d’une manière canoniale, divisant en sept étapes, selon le nombre des heures liturgiques, la voie du supplice ; mais cette méditation quotidienne de la Passion, cette ardeur à suivre, sur le chemin du Calvaire, les vestiges du Christ, ne lui faisaient pas oublier cette autre dilection qu’elle avait eue, toute petite, et qui avait grandi avec elle, la dilection de la Vierge. Ne la rencontrait-elle pas, chaque jour, d’ailleurs, sur la voie du Golgotha, alors qu’elle en gravissait, en pleurant, la pente ? Notre Dame des Larmes avait toujours un regard pour elle, quand elle l’apercevait, mêlée au cortège des saintes femmes ; mais souvent aussi, Lydwine, repassant les jours de sa vie écoulée, revenant sur la route même de son enfance, pensait à cette Notre-Dame de Liesse dont la statue lui avait si aimablement souri, dans sa chapelle ; et le désir de la revoir, sous la forme de ce bois sculpté qui lui rappelait tant de souvenirs, s’implantait en elle. Sans doute, elle l’avait visitée, depuis, en extase, alors que son ange la déposait devant elle, mais ce n’était pas encore cela ; elle aurait voulu la contempler, là, près d’elle, la choyer de ce qui lui restait de regard, ne fût-ce qu’une seconde. Ce souhait lui paraissait si parfaitement inexauçable — car comment présumer qu’on ôterait cette effigie de l’église pour l’amener chez elle ? — qu’elle n’osait le formuler ; et, d’autre part, elle n’était pas femme à solliciter un miracle pour la satisfaction d’un caprice ! Mais cette convoitise la hantait quand même ; elle essayait de la repousser comme une tentation, lorsqu’elle fut avertie que la Vierge allait la contenter. C’était quelques jours avant l’incendie de Schiedam ; et Marie arrangea les choses de la façon la plus simple. L’église avait été très endommagée par le feu, mais la statue était sauve ; en attendant que l’on réparât sa chapelle, il fallait placer son image dans un lieu convenable et l’on eut l’idée de la transférer dans la chambre même de la sainte où elle fut installée sur le petit autel dressé pour recevoir les saintes Espèces, les jours de Réfection ; et tant qu’elle demeura là, elle sembla à tous ceux qui l’approchèrent plus belle qu’elle n’était en réalité ; elle eut une expression de gaieté et de douceur qu’elle perdit lorsqu’elle fut séparée de Lydwine. Elle, débordait de joie : mais l’on peut s’imaginer aussi la foule qui fit irruption dans sa chaumine, pour prier la Madone ! Comment Lydwine pouvait-elle endurer ce va et vient et ce piétinement incessant de monde même en étant enfermée, derrière les rideaux de son lit, car cette porte, constamment ouverte, introduisait, des rais de jour qui lui eussent crevé l’œil comme des flèches, si elle n’avait été abritée par des courtines ? — La vérité est que ces oraisons qu’elle entendait bruire, autour d’elle, la dédommageaient de cette gêne de n’être plus chez elle et la réjouissaient certainement, parce qu’elle pensait que la Mère les agréait et ce fut pour elle un gros crève-cœur lorsqu’on reporta la statue dans son sanctuaire recrépi à neuf. La Vierge partit, mais elle chargea l’ange gardien de Lydwine de la lui conduire plus souvent, dans le Paradis. Elle la traitait alors, en enfant qu’on gâte, la questionnait et s’amusait de l’ingénuité de ses réponses. Une nuit, elle lui dit, d’un ton sérieux : — Comment se fait-il, ma chère petite, que vous soyez arrivée, ici, dans une tenue si négligée ? vous n’avez même pas sur le front un voile ! — Ma chère dame Marie, balbutia Lydwine interdite, mon ange m’a emmenée telle que j’étais ; je n’ai, du reste, à la maison, ni robe, ni voile, puisque je suis toujours couchée ! — Eh bien, proposa en souriant la Vierge, voulez-vous que je vous donne ce voile-ci ? Lydwine contemplait ce voile que lui tendait la Mère ; elle mourait d’envie de l’accepter ; mais elle craignit de déplaire à Jésus, en contentant son propre désir et elle interrogea du regard son ange qui détourna les yeux. De plus en plus intimidée, elle murmura : mais il me semble, bonne Vierge, que je n’ai pas le droit de manifester une volonté et elle implora encore d’un coup d’œil son ange ; il lui répliqua cette fois par ces mots qui ne firent qu’accroître son embarras : — Si vous souhaitez de posséder ce voile, prenez-le. Elle savait de moins en moins à quoi se résoudre quand la Madone mit fin, en riant, à sa gêne. — Allons, dit-elle, je vais le placer moi-même sur votre tête, mais écoutez-moi bien ; de retour sur la terre, vous le garderez chez vous pendant sept heures ; ce après quoi vous le confierez à votre confesseur, en le priant de le fixer sur le chef de ma statue, dans l’église paroissiale de Schiedam. Et, après cette recommandation, Notre-Dame disparut. Revenue de son extase, Lydwine se tâta le front pour s’assurer qu’elle n’avait pas été le jouet d’une illusion ; le voile y était ; elle le retira et l’examina. Il paraissait vraiment tissé avec les fils de la Vierge, tant sa trame était fine ; sa couleur était d’un vert d’eau très pâle et il exhalait une odeur à la fois pénétrante et ténue, exquise. Tout en le considérant, Lydwine s’était si bien absorbée dans ses actions de grâce, qu’elle avait absolument perdu la notion du temps ; elle s’avisa tout à coup que le terme des heures déterminé par Marie pour conserver ce présent, allait expirer. Aussitôt et bien que le jour ne fût pas encore éclos, elle fit appeler Jan Walter et lui raconta sa vision. Il palpait, stupéfié, le voile. — Mais, s’écria-t-il, vous n’y songez pas, la nuit est très noire, l’église est fermée et je n’en ai pas les clefs ; en admettant, du reste, que je puisse y pénétrer, cela ne servirait de rien puisque je ne saurais atteindre, dans l’obscurité, le sommet de la statue qui domine l’autel et qui est, par conséquent, très haut ; attendons donc, si vous le voulez bien, que l’aube nous éclaire et j’irai. — Non, non, répartit la sainte ; l’ordre que j’ai reçu est formel ; ne vous inquiétez pas d’ailleurs de tous ces détails ; l’église s’ouvrira, la lanterne que vous avez allumée pour venir ici vous fournira une clarté suffisante pour découvrir, appuyée contre le mur latéral, au nord du sanctuaire, une échelle ; une fois monté dessus rien ne vous sera plus facile que de coiffer la statue ; partez donc, je vous en prie, mon père, sans différer. Walter s’en fut réveiller le sacristain qui lui ouvrit la porte de l’église et il trouva aussitôt l’échelle à la place indiquée par sa pénitente. — Que voulez-vous faire ? demanda le sacristain, étonné de lui voir déranger l’échelle. — Vous ne pouvez le comprendre maintenant, répliqua le prêtre, mais Dieu vous l’expliquera par la suite. Cet homme pressé de regagner son lit ne prêta que peu d’attention à cette réponse et s’éloigna. Walter s’acquitta de la commission, puis il s’agenouilla devant la statue et pria ; lorsqu’il fut sur le point de se retirer, il voulut admirer une dernière fois la délicate élégance de ce voile, mais il n’y était déjà plus. L’ange l’a aussitôt ravi, racontait plus tard Lydwine à la veuve Simon qui l’interrogeait pour savoir ce qu’il était devenu. Ces relations de la sainte avec la Madone étaient continuelles ; dans ses abominables nuits d’insomnies et de fièvre, alors que la malade se retenait pour ne pas réveiller, en criant, son neveu et sa nièce couchés dans la chambre, elle apercevait soudain, penchée sur son lit, la Vierge qui relevait son oreiller et la bordait ; et elle s’apaisait, heureuse, et remerciait, confuse. Entendait-elle parfois aussi les douces plaintes de la Mère au Fils ? Car il est impossible de ne pas se figurer la compassion de Marie devant le cumul de tant de maux ! Certes, Celle dont le cœur éclata sous la pression des glaives, savait la nécessité de ces atroces souffrances, mais elle était trop tendre pour ne point avoir pitié du martyre de sa pauvre fille. Et il semble qu’on la voit implorer la miséricorde du Christ qui sourit tristement et lui dit : — Ô Mère, rappelez-vous, sur le Calvaire, cette croix qu’en leur satanique orgueil les hommes voulurent créer plus grande que leur Dieu ; rappelez-vous qu’elle fut plus haute et plus large que mon corps qui ne l’a pas emplie ; les bourreaux ont laissé dans ce cadre de bois dont ils m’entourèrent des vides que, seuls, des monceaux de tortures peuvent combler ; et c’est précisément parce qu’il y reste de la place pour souffrir que j’ai donné à mes saints l’irrésistible attrait de l’occuper et d’y achever à leur dépens les tortures de la Passion ; puis pensez que si Lydwine n’expiait pas des fautes dont elle est innocente, une multitude dt vos autres enfants serait damnée ! — Mais cela n’empêche que notre fille a, pour cette nuit, assez souffert ; prenez-la donc dans vos bras pour l’endormir am tourments de la terre ! Et la sainte Vierge dorlotait Lydwine qu’elle remettait, ravie, à son ange pour la promener dans les jardins du ciel. Une autre fois, pendant une nuit de Noël, elle fut brusquement transportée au Paradis et elle y fut, de même que la vénérable Gertrude d’Oosten, cette béguine hollandaise qui l’avait précédée dans la voie des holocaustes, l’objet d’une singulière grâce. Cette grâce lui avait été annoncée d’avance, mais elle ne l’avait pas révélée à ses intimes. Or, la veuve Catherine Simon qui habitait maintenant avec elle, eut un songe pendant lequel un ange lui décela que son amie recevrait, dans la nuit de la Nativité, un lait mystérieux qu’elle lui permettrait de goûter. Elle en parla à Lydwine qui, par humilité, répondit évasivement ; mais elle revint à la charge et, lassée par le vague de ses répliques, finit par s’exclamer : Savez-vous, ma mie, que c’est un peu fort que d’oser nier ce qu’un ange m’a appris ! Alors, la sainte avoua qu’elle était, elle aussi, prévenue de ce miracle et elle invita Catherine à se préparer par la confession et la prière à la réception de cette faveur. Et pendant la nuit de la Théophanie, Lydwine, saisie par l’emprise divine, perdit l’usage de ses sens et son âme s’envola dans l’Eden. Là, elle fut admise, comme tout naturellement, au milieu d’une nuée de vierges vêtues de blanc, coiffées de fleurs fabuleuses ou couronnées de cercles d’or ponctués de gemmes ; toutes tenaient à la main des palmes et dessinaient un demi-cercle au centre duquel Marie siégeait sur un trône étincelant que l’on eût cru sculpté dans des éclairs solidifiés, dans des foudres durcies ; et des multitudes d’anges se pressaient derrière elles. Tous ces purs Esprits, Lydwine les contemplait, sous un aspect humain, mais seuls les contours existaient sous la neige plissée des robes ; ces corps glorieux n’étaient emplis que d’une pâle lumière qui fluait des yeux, de la bouche, du front, s’irradiait derrière la nuque en des nimbes d’or ; et de cette foule agenouillée, les mains jointes, des adorations s’élevaient éperdues vers la Maternité de la Vierge, des adorations où le verbe liturgique fusait en une flore de flammes, d’un feuillage de senteurs et de chants. De grands séraphins brûlaient, détachant de harpes en feu des perles embrasées de sons ; d’autres tendaient ces coupes d’or, pleines d’essences embaumées qui sont les prières des Justes ; d’autres versellaient les psaumes messianiques et chantaient, en des chœurs alternés, de transportantes hymnes ; d’autres, enfin, près de l’Archange debout, à la droite de l’autel des Parfums, activaient l’ignition des olibans, tissaient avec des fils de fumée bleue les langes chauds dont ils allaient envelopper, en l’encensant, la nudité frileuse de l’Enfant. En hâte, ils préparaient, car l’instant de la délivrance était proche, la layette nébuleuse des arômes, l’odorant trousseau du Nouveau-Né. Lydwine retrouvait dans le ciel les formules d’adoration, les pratiques cérémonielles des offices qu’elle avait, ici-bas, lorsqu’elle était bien portante, connues ; l’Église militante avait été, en effet, initiée par l’inspiration de ses apôtres, de ses papes et de ses saints, aux joies liturgiques du Paradis ; en une déférente imitation, elle répétait le langage réduit des louanges ; mais quelle différence entre ses émanations et ses chants et les accords vertigineux de ces harpes, la puissance et la subtilité de ces fragrances, le zèle fulgurant de ces voix ! Lydwine écoutait et regardait, ravie ; et à mesure que l’heure de la Nativité s’avançait, les accents de la psallette des anges, les exhalaisons des encensoirs et des coupes, les vibrations des cordes se faisaient plus implorants et plus doux ; et quand l’heure sonna dans les beffrois divins, quand Jésus apparut, radieux, sur les genoux de sa Mère, quand un cri d’allégresse traversa les vapeurs sacrées des thuribules et les rumeurs extasiées des harpes, le lin des chastes tuniques des Vierges s’ouvrit et, en d’intarissables flots, le lait jaillit. Et la bienheureuse fut traitée de même que ses compagnes ; l’Enfant laissait ainsi comprendre, affirme A Kempis, qu’il les associait à l’honneur de la Maternité céleste ; il signifiait, de la sorte, dit, de son côté, Gerlac, que toutes les Vierges étaient aptes à nourrir le Sauveur. La pauvre Lydwine, elle ne se possédait plus de bonheur, maintenant ! elle était si loin de sa géhenne mortelle ! — Et, déjà cependant la vision s’effaçait ; il ne restait plus sur un firmament de nuit que l’immense trajectoire de ce lait qu’éclairaient, par derrière, des milliers d’étoiles. L’on eût dit d’une autre voie lactée, d’une arche de neige saupoudrée d’une poussière d’astres ! L’entrée dans la chambre de Catherine Simon impatiente de voir se réaliser la promesse de son rêve, ramena Lydwine à elle-même et lorsque son amie lui réclama du lait, elle toucha de sa main gauche la fleur de son sein et le lait qui avait disparu avec son retour ici-bas, revint et la veuve en but par trois fois et ne put, pendant plusieurs jours, prendre aucune nourriture. Tout aliment naturel lui semblait d’ailleurs, en comparaison de cet extraordinaire suc, de bouquet plat et de saveur fade : et cette scène se renouvela, d’autres années, à cette même époque de Noël. Brugman assure que le confesseur Jan Walter obtint la même faveur que Catherine et qu’il but de ce lait ; mais Gerlac atteste, au contraire, qu’il ne put joindre en temps opportun, sa pénitente et qu’il ne profita point de cette grâce. Si l’on recense les étonnants miracles dont foisonne cette vie menée en partie double, saturée de souffrances lorsqu’elle se passe sur la terre, débordée de joies lorsqu’elle s’évade dans l’Éden ; si l’on récapitule les exceptionnels privilèges dont le Seigneur combla Lydwine ; si l’on envisage afin la somme énorme de ses bienfaits, l’on n’est pas loin de croire qu’à force de se dévouer pour les autres, de prier et de pâtir, la bienheureuse avait atteint la cime de la vie parfaite. Elle n’en était malheureusement pas pour elle encore là ; des échelons n’étaient pas gravis. La terrible remarque sur laquelle saint Jean de la Croix ne cesse d’insister, dans la « Montée du Carmel » qu’une attache quelconque, lors même qu’elle ne constituerait que la plus petite des imperfections, obscurcit l’âme et fait obstacle à sa parfaite union avec Dieu, s’appliquait, malgré tout, à elle. Elle s’appartenait encore trop ; elle possédait le déchet d’une qualité, la tare d’une vertu, elle était trop liée aux siens, elle les aimait trop. Il sied de dire, à sa décharge, que, si avancée qu’elle fût dans les voies du Seigneur, il lui était bien difficile de se rendre compte par elle-même des limites qu’il lui était interdit de franchir ; à l’âme qui le cherche, le point de repère se montre à peine, car il se dissimule sous les subterfuges les plus avantageux, sous les prétextes les plus vraisemblables. Dieu ne défend pas, en effet, d’aimer les siens, au contraire — ce qu’il défend à ceux sur lesquels il a mis l’épreinte de ses serres, à ceux qu’il désire expulser d’eux-mêmes pour qu’ils ne puissent vivre qu’en Lui, c’est cette incontinence de l’affection humaine qui refoule, en les contrecarrant, ses amoureux desseins ; — mais la pauvre âme qui, sans défiance, s’abandonne à ces excès les rapporte ou croit les rapporter à son Créateur qu’elle entretient constamment de ceux qu’elle aime ; elle le prie pour eux et elle estimerait ne pas remplir son devoir envers Lui et manquer à la charité envers eux si elle n’agissait pas de la sorte. Elle s’imagine en un mot les aimer en Lui et elle les aime autant sinon plus que Lui ; son intention est donc bonne quand elle veut imposer à son maître une association d’amitiés, un partage qui ne tend à rien moins qu’à le bannir de ses propres domaines. Il y a là une erreur que suscite l’Esprit de Malice car, ainsi que l’exprime, en des termes définitifs, dans son Traité de la vie spirituelle et de l’oraison, Madame l’abbesse de sainte Cécile de Solesmes, « le Démon aime les violences, tout ce qui est poussé à l’outrance, même dans le Bien ». Et c’est le chef-d’œuvre de son art que de détruire une vertu en l’exaltant ! Or, c’est ce qui advint à Lydwine ; elle n’avait pu se dépouiller de cette intempérance de tendresse qui lui avait déjà attiré, lors du décès de son frère, des remontrances. Depuis cette mort, sa dilection s’était accrue pour ses deux petits garde-malades, son neveu et sa nièce et le Seigneur la frappa, en plein cœur, en lui supprimant Pétronille ; cette jeune fille avait alors dix-sept ans et depuis qu’elle avait été blessée par les Picards, en voulant secourir sa tante, elle boitait et languissait, n’avait jamais pu parvenir, malgré les traitements des meilleurs médecins, à se rétablir. Une nuit, Lydwine, ravie en esprit, aperçut une procession qui sortait de l’église de Schiedam ; en une lente théorie, cheminaient sur deux lignes, précédés des cierges et de la croix, les patriarches, les prophètes, les apôtres, les martyrs, les confesseurs, les vierges, les saintes femmes, les personnages du Commun des saints ; ils se dirigèrent du sanctuaire vers sa maison, y firent la levée d’un corps exposé à la porte et l’accompagnèrent à l’église. Et, elle-même, se voyait derrière le convoi, avec trois couronnes ; une sur la tête, et une dans chaque main. Et le rêve s’évanouit. Lorsqu’elle eut repris ses sens, Lydwine pensa tout d’abord que cette vision la concernait et qu’elle était le présage de sa fin ; mais elle fut détrompée par Jésus qui lui révéla que ce simulacre se référait à sa nièce et il lui indiqua, en même temps, le jour et l’heure où Pétronille naîtrait au ciel. Lydwine sanglotait, accablée ; elle réagit pourtant en songeant à l’agonie de celle qu’elle aimait comme une fille et elle s’écria : Ah ! Seigneur, accordez-moi au moins dans ma détresse une grâce ; cette heure que vous me désignez est une de celles où je dois être rongée par cette fièvre qui se rallume, vous le savez, à des heures fixes ; et alors, je ne suis plus bonne à rien, incapable de toute attention, de tout effort ; je vous en supplie, réglez autrement la marche de mon mal, afin que je sois en état d’assister ma pauvre Pétronille, lorsque le moment de me séparer d’elle sera venu. Jésus exauça cette prière et, au grand étonnement de ceux qui soignaient la sainte, l’accès si précis d’habitude fut anticipé de six heures et sa durée fut moins longue que de coutume. À peine en fut-elle délivrée, que Pétronille entra en agonie et Lydwine, qui la voyait toute tremblante, put la soutenir et prier avec elle ; et elle mourut peu après et alla recevoir les trois couronnes que sa tante portait, en son ravissement ; l’une à cause de la virginité de son corps, l’autre à cause de sa chasteté spirituelle, la troisième enfin à cause même de cette blessure que des chenapans de la Picardie lui firent. Lydwine s’était jusqu’à ce moment roidie contre sa peine ; elle avait écouté, navrée, la sentence du Seigneur, mais elle n’avait pas faibli tant qu’il s’était agi de réconforter sa nièce ; elle avait refoulé ses larmes et adouci, par son apparente fermeté, les derniers moments de la petite ; mais lorsque celle-ci fut inhumée, sa vaillance tomba ; elle succomba à la douleur et ne cessa de pleurer ; et, au lieu de s’atténuer avec le temps, son chagrin s’aggrava ; elle le cultiva, le nourrit de ses regrets sans cesse présents, se submergea en lui de telle sorte que Jésus, délaissé, se fâcha. Il ne lui adressa aucun reproche, mais il s’éloigna. Alors, ce fut ainsi qu’à ses débuts dans la vie purgative, l’angoisse de l’âme prisonnière dans les ténèbres ; rien, pas même le pas furtif du geôlier qui rôde dans les alentours, mais un silence absolu dans une nuit noire. Ce fut l’in-pace de l’âme, enchaînée dans un corps perclus ; forcément, dans cette solitude, elle dut se replier sur elle-même et se chercher ; mais elle ne trouva plus en elle que des ruines d’allégresse, que des décombres déshabitées de joie ; une tempête avait tout jeté bas ; elle ne put devant ces débris de ses aîtres que se susciter l’amer souvenir du temps où l’Époux daignait les visiter ; et ce qu’elle était heureuse alors de servir son Hôte, de s’empresser autour de Lui et comme il payait, au centuple, ses pauvres soins ! ah ! ce logis que les anges l’aidaient à préparer pour accueillir le Bien-aimé, il en subsistait quoi, maintenant ? il avait suffi d’un instant d’inadvertance, d’une minute d’oubli pour que tout croulât ! Elle se tordait de désespoir et, sous la force expansive de la douleur, l’âme se brisa et ce fut affreux. Cependant, si l’on y réfléchit, cette détresse ne put être la même que celle qu’elle subit, lorsqu’elle préluda dans les voies du douaire mystique ; elle s’en rapproche certainement, mais elle en diffère par certains points ; dans la première qui est évidemment cette « Nuit obscure » que saint Jean de la Croix a si merveilleusement décrite, il y a, en outre des sécheresses, des aridités, du chagrin issu des dérélictions et du délaissement intérieur, une sorte de peine du dam ; l’on s’imagine, en effet, que cet état durera toujours, que l’abandon du Seigneur est irrémissible ; et cela, c’est épouvantable ; il faut avoir été tenaillé par cette angoisse dont rien ne peut donner une idée, pour se douter de ce que souffrent, dans l’Enfer, les damnés. Or, Lydwine avait vu de trop près le Seigneur pour appréhender une telle infortune ; elle se savait assez aimée pour être certaine que son repentir désarmerait le mécontentement de l’Époux ; d’autre part, elle n’était pas non plus, comme à ses débuts, dans l’impossibilité de se recueillir et de prier ; elle se recolligeait sans goût, elle priait sans ressentir de douceurs sensibles, mais elle pouvait quand même, et sans s’éparpiller, prier ; c’était une faible lueur, un rayon bien lointain qui pénétrait dans l’ombre de sa geôle, mais enfin, si pâle qu’elle fût, cette clarté attestait une attention, avérait une pitié, prouvait qu’elle n’était pas complètement répudiée, définitivement omise. Elle était, en somme, dans la situation d’une âme au Purgatoire qui souffre mais attend avec résignation sa délivrance. Et néanmoins, quelle misérable existence était la sienne ! ses tortures corporelles étaient devenues sans contre-poids ! aucun relais pour les modérer, aucune halte pour les amortir ; littéralement, elles la saccagèrent ; la nature, privée de son soutien supernel, livrée à elle-même, éclata en cris déchirants et Lydwine vomit le sang à pleine bouche. En vain, Jan Walter, qui lui était si dévoué, tentait de la consoler ; elle éprouvait une lassitude des conseils, un dégoût de tout. Effrayée de la voir ainsi déprimée, sa fidèle Catherine, installée à son chevet, s’écria, désespérée, un jour : mais enfin, mon Dieu, que se passe-t-il donc ici ? À ce moment, plus calme, Lydwine répondit : — C’est à cause de mes péchés que vous me voyez si malheureuse ; j’ai perdu par ma faute tout attrait spirituel, même lorsque je communie. Je n’ai plus, ni ravissements, ni lumière prophétique, ni réconfort, rien. Le Seigneur ne m’a laissé, pour me soulager, que la faculté de pouvoir méditer, ainsi qu’autrefois, sa vie sans m’évaguer ; mais je n’y découvre plus aucune aise. Il me semble que je suis déportée sur une terre de glace, dans une région inconnue que rien n’éclaire et où je ne suis nourrie qu’avec de la myrrhe et du fiel. Cette épreuve dura cinq mois ; puis, un 2 juillet, fête de la Visitation de la Très-Sainte Vierge, les pans de nuit qui muraient l’âme de la sainte tombèrent ; le jour jaillit à flots et Jésus parut. Ce ne fut qu’un élan et qu’un cri ; l’âme se jeta, éperdue, à ses pieds et il la releva et la serra tendrement contre Lui. Elle défaillit de bonheur et, pendant près de dix jours, vécut hors d’elle-même, au-dessus du temps, au-delà des images et loin des formes, immergée, comme absorbée dans l’océan de la divine Essence. Si elle n’eût respiré, ses amis l’auraient cru morte. Mais ce qui les émerveilla plus que tout, ce fut une odeur nouvelle qui s’échappa de ses stigmates et de ses plaies. Cette senteur si particulière, unique dans les monographies des saintes, cette senteur qu’elle seule exhalait depuis des années et qui était telle qu’une quintessence des aromates de l’Inde et des épices du Levant s’évanouit et fut remplacée par une autre et celle-là rappelait, mais épurée, mais sublimée, le parfum de certaines fleurs coupées fraîches. Brugman raconte, en effet, qu’elle expirait, au plus fort de l’hiver, des effluves tantôt de rose, tantôt de violette et tantôt de lys. Ces émanations moins rares, nous les retrouvons, avant et après Lydwine, chez d’autres saints. Rose de Viterbe qui vécut au XIIIe siècle dégageait en effet l’odeur de la rose et sainte Catherine de Ricci et sainte Térèse, qui vécurent au XVIe, fleuraient, l’une la violette et l’autre la violette et le lys, symboles de l’humilité et de la chasteté. Ce changement eut lieu, alors qu’elle s’était entièrement dépossédée et alors que le terme de ses jours était proche ; il semblait que le souffle printanier des floraisons succédant au fumet hivernal des épices conservées et des coques sèches annonçât la fin de son hiver terrestre et l’arrivée de cet éternel printemps dans lequel elle allait, après sa mort, entrer. Sa chambre embaumait à un tel point que toute la ville défila chez elle pour respirer ce bouquet. Qu’est cela ? nous n’avons jamais rien humé de pareil, s’écriaient les badauds, et Lydwine répondait : — Dieu seul le sait ; quant à moi, je ne suis qu’un pauvre être et il m’a fallu bien des châtiments pour me faire comprendre combien j’étais encore sujette aux infirmités de la nature humaine ; louez le Seigneur et priez-le pour moi ! N’est-il pas utile de remarquer, à ce propos, que les hagiologes ne contiennent guère de biographies qui soient plus odorantes que celle de Lydwine ? Je n’en connais, pour ma part, aucune où la bénéolence divine s’affirme ainsi, à chaque page. Outre que la bienheureuse était une cassolette vivante, toutes les fois que Notre-Seigneur, que sa Mère, que ses anges venaient la visiter, ils laissaient, en partant, des traces fragrantes de leur passage et les personnes même que Lydwine conduisait avec elle dans le Paradis, y étaient saturées de célestes effluences qui leur enivraient l’âme et en guérissaient les maux. XIV De toute la famille de Lydwine qui fut nombreuse, il ne restait plus, pour habiter avec elle et la veiller, qu’un neveu, âgé de douze ans. Des huit frères qu’elle avait, deux étaient morts, Wilhelm, le père de Pétronille et de Baudouin, et cet autre Baudouin dont le nom nous a été révélé par une vision de la sainte. Les six autres étaient-ils aussi décédés ou résidaient-ils au loin ? on l’ignore ; en tout cas, aucun ne nous est signalé comme s’étant jamais occupé de sa sœur. Baudouin, son neveu, était un petit garçon, sage et pieux, que l’on se figure aisément tel que tant d’enfants du peuple, en Hollande, un blondin, un peu massif, avec une face ronde, rendue avenante par de bons yeux ; il menait, en somme, une assez triste existence car, au lieu de jouer avec les gamins de son âge sur la place, il devait demeurer silencieux, dans une chambre, attentif à contenter les désirs d’une malade. Sa tante voulut lui manifester sa gratitude pour son dévouement et ses soins et elle le fit d’une façon singulière ; craignant peut-être qu’il ne fût, quand elle ne serait plus là, tenté par des doutes contre la foi, elle souhaita qu’il ne pût oublier les surprenantes merveilles dont il était le témoin, dans cette maison hantée par Notre-Seigneur, par sa Mère et par les anges, et la grande Douloureuse qu’elle était, pensa que, seule, la souffrance serait assez forte pour frapper l’imagination de l’enfant et y sceller à jamais le souvenir de tant de grâces. Elle pria, en conséquence, le Sauveur de lui envoyer un accès de fièvre qui ne mît point ses jours en danger, mais qui lui rappelât, par la suite, le temps où il vivait auprès d’elle. Sa requête fut exaucée. Un soir, vers la fête de la Nativité de sainte Marie, Lydwine demanda à son neveu, qui tenait à la main une cruche de petite bière, de la déposer sur une table, au chevet de son lit. Baudouin obéit et la cruche passa là la nuit. Le lendemain, cette bière s’était changée en un élixir aromatisé avec les fougueuses écorces d’idéales cannelles et les zestes éveillés de fabuleux cédrats. Plusieurs personnes en goûtèrent et cette liqueur les stimula de même qu’un cordial, mais l’enfant, en ayant bu quelques gouttes, fut aussitôt appréhendé par une fièvre qui ne le quitta pas avant la saint-Martin. Après qu’il eut été rétabli, ce fut le tour de Jan Walter d’être malade ; lui, fut féru d’une fièvre intermittente dont les accès correspondaient à ceux de Lydwine, ce que voyant, l’une de ses sœurs, nommée Cécile, s’enquit auprès de la sainte pour savoir combien de jours cette maladie durerait. — Jusqu’au dimanche de Carême, répondit-elle. — Et Walter recouvra, en effet, la santé, à cette époque. Plus tard, il fut encore atteint d’une affection, mais si grave celle-là, que tous ses amis le crurent perdu, tous, sauf Lydwine qui, après avoir harcelé le ciel de suppliques, obtint sa guérison. Elle éliminait par ses prières les tortures des autres, mais les siennes augmentaient d’autant. Elle approchait de sa fin. En nous racontant l’histoire de son neveu, Gerlac nous laisse entendre qu’elle eut lieu, l’année même de sa mort ; mais Thomas A Kempis antécède d’une année, et la reporte par conséquent à l’an 1432. Ce qui est certain, c’est que ses moments étaient maintenant comptés et Dieu la paracheva dans sa mission de victime réparatrice, en l’écrasant sous une dernière avalanche de maux. Elle n’avait plus une partie du corps qui fût indolore et cependant il découvrit des places de douleurs presque vides et il les emplit. Il la frappa d’attaques d’épilepsie et elle en eut jusqu’à trois par nuit. Avant la première, elle prévint ses intimes pour qu’ils eussent à la maintenir et à l’empêcher de se briser le crâne contre les murs. C’est très bien, répliquèrent-ils, mais il serait mieux de détourner ces assauts que vous nous annoncez en suppliant le Seigneur de vous en préserver ; vous avez assez de maladies sans encore y adjoindre celle-là ; mais elle les blâma de juger des volontés de Dieu. Bientôt, aux furies du haut-mal vinrent s’ajouter des crises de démence ; seulement elles furent très courtes ; elles sévirent juste assez pour qu’il fût dit, qu’excepté la lèpre, aucune maladie ne lui avait été épargnée ; elle fut encore terrassée par un coup d’apoplexie dont elle se releva, mais les névralgies et les rages de dents ne cessèrent plus ; un nouvel ulcère lui rongea le sein ; enfin depuis la fête de la Purification jusqu’à Pâques, la gravelle lui suscita des tourments terribles et elle eut de telles contractions de nerfs que ses membres déplacés se mêlèrent ; elle devint quelque chose de bizarre, d’informe d’où dégouttaient du sang et des larmes et d’où sortaient des cris. Elle souffrait le plus impitoyable des martyres, mais elle embrassait maintenant, dans son ensemble, la tâche qu’elle était chargée d’accomplir. Jésus lui exhibait, en une épouvantable vision, le panorama de son temps. L’Europe lui apparaissait, convulsée — comme elle-même l’était, — sur le lit de son sol et elle cherchait à ramener, d’une main tremblante, sur elle, la couverture de ses mers pour cacher son corps qui se décomposait, qui n’était plus qu’un magma de chairs, qu’un limon d’humeurs, qu’une boue de sang ; car c’était une pourriture infernale qui lui crevait, à elle, les flancs ; c’était une frénésie de sacrilèges et de crimes qui la faisait hurler, ainsi qu’une bête qu’on assassine ; c’était la vermine de ses vices qui la dépeçait ; c’étaient des chancres de simonie, des cancers de luxure qui la dévoraient vive ; et terrifiée, Lydwine regardait sa tête tiarée qui ballottait, rejetée tantôt du côté d’Avignon, tantôt du côté de Rome. Vois, fit le Christ, et, sur un fond d’incendies, elle aperçut, sous la conduite de fous couronnés, la meute lâchée des peuples. Ils s’égorgeaient et se pillaient sans pitié ; plus loin, en des régions qui semblaient paisibles, elle considéra les cloîtres bouleversés par les brigues des mauvais moines, le clergé qui trafiquait de la chair du Christ, qui vendait à l’encan les grâces du Saint-Esprit ; elle surprit les hérésies, les sabbats dans les bois, les messes noires. Elle serait morte de désespoir si, pour la consoler, Dieu ne lui avait aussi montré la contre-partie de ce siècle, l’armée des saints en marche ; ils parcouraient sans s’arrêter le monde, réformaient les abbayes, détruisaient le culte de Satan, mataient les peuples et refrénaient les rois, passaient, en dépit de tous les obstacles, dans des tourbillons de crachats et de huées ; et tous, qu’ils fussent actifs ou contemplatifs, souffraient, eux aussi, aidaient à acquitter par leurs oraisons et leurs tortures la rançon de tant de maux ! Devant l’immensité de la dette, elle s’estimait si pauvre ! qu’étaient ses infirmités et ses afflictions, en face de cette marée d’ordures ? une goutte d’eau, à peine ; et elle suppliait le Seigneur de ne plus la ménager, de se venger sur elle de ce monceau d’offenses ! Elle savait que le terme de son existence était proche et elle craignait maintenant de n’avoir pas rempli sa mission, d’avoir été trop heureuse ; elle se jugeait une ouvrière improductive qui n’apportait à la ruche des douleurs qu’un infime butin, qu’une faible part ; et, cependant, l’infortunée, ce qu’à certains moments, elle était lasse, lorsque, descellée de ses extases, elle retombait dans sa pauvre chambre ! mais des apparitions la réconfortèrent. Un jour qu’elle était dans le ravissement, elle rencontra son grand-père, à la porte du Paradis. — Ma très douce fille, lui dit-il, je ne puis vous permettre d’entrer dans ce lieu du perdurable repos, car ce serait une calamité pour ceux qui ont besoin de vos services ; vous avez encore des péchés d’autrui à compenser, des âmes du Purgatoire à affranchir ; mais consolez-vous, ma chère enfant, ce ne sera plus long. Une autre fois, son ange lui désigna un rosier qui avait la stature d’un arbre et qui était couvert de boutons et de fleurs et il lui expliqua qu’elle ne serait libérée de la peine de la vie que lorsque toutes les roses seraient épanouies. Mais enfin, lui demandèrent Jan Walter et la veuve Catherine Simon : reste-t-il encore beaucoup de boutons à éclore ? — Toutes les roses sont actuellement ouvertes, sauf une ou deux, fit-elle ; aussi ne tarderai-je pas à vous quitter. Elle dit également à un prieur des chanoines réguliers qu’elle semble avoir tenu en une particulière estime : — Je vous serai reconnaissante, mon cher père, de revenir encore me voir après Pâques ; cependant, si Dieu me retirait de ce monde avant votre visite, je recommande mon âme à votre charité, n’est-ce pas ? Le prieur conclut de cette restriction qu’elle ne chanterait pas l’alleluia sur la terre, à cette époque ; et, elle-même, finit par avouer à ses intimes qu’elle trépasserait pendant le temps Paschal, mais elle ne leur précisa ni le jour, ni l’heure, parce qu’elle voulait s’en aller, seule, sans autre assistance que celle de Jésus. — Et votre maison, que deviendra-t-elle, après votre décès ? — Rappelez-vous, fit-elle à ses amis qui lui posaient cette question, rappelez-vous ce que je répliquai à un bon Flamand lorsque, touché de ma détresse, il m’offrit de me bâtir un refuge plus commode ; tant que je vivrai, je n’aurai pas d’autre logement que celui-ci ; mais si, après ma mort, quelqu’un veut convertir cette triste demeure en un hôpital pour les indigents, je prie d’avance le Seigneur de le récompenser. Ce fut là, elle le savait, une parole prophétique, qu’un pieux médecin Wilhelm, le fils de ce brave Godfried de Haga, dit Sonder-Danck, qui l’avait soignée dans sa jeunesse, accomplit, après son trépas. Et à quelqu’un qui comprenant qu’elle s’attendait à prochainement mourir, l’interrogeait pour connaître si Dieu opérerait des miracles sur sa tombe, elle répartit : — Je n’ignore pas que des âmes simples s’imaginent que ma disparition s’accompagnera de phénomènes extraordinaires, elles se trompent absolument ; quant à ce qui doit survenir après mon enterrement, Dieu seul le sait et je n’ai nulle envie d’être renseignée sur ce point. Je désire seulement que mes amis n’exhument pas mes restes avant que trente années ne se soient écoulées, depuis le jour de ma sépulture et que mon corps qui n’a pas touché la terre pendant trente-trois ans, ne l’effleure même pas dans sa bière ; je voudrais enfin que mes obsèques se fissent sans aucun retard. Telles furent ses dernières volontés ; elle les communiqua aux intimes qui l’entouraient ; ils ne doutèrent plus, en l’entendant s’exprimer de la sorte, que sa fin ne fût imminente ; ils en furent plus certains encore, lorsque, les ayant tous réunis autour de son grabat, elle leur dit : — Je vous conjure de me pardonner les peines que j’ai pu vous causer ; ne me refusez pas ce merci que je sollicite pour l’amour de Dieu ; de mon côté, je le prie et le prierai bien pour vous. Tous fondirent en larmes, protestant que loin de les avoir jamais offensés, elle les avait, au contraire, grandement édifiés par sa bonté et sa patience. Enfin, le jour de Pâques fleuries vint. Lydwine sortit de sa réserve avec l’Époux. Il l’inondait de telles délices qu’elle se pencha sur son cœur et murmura : oh ! je suis lasse de vivre, enlevez-moi d’ici-bas, mon Seigneur, enlevez-moi ! Jésus sourit et la Vierge et les douze Apôtres et une multitude d’anges et de saints parurent derrière Lui. Jésus se mit à la droite de Lydwine et Marie à sa gauche ; tout près du Christ, une table jaillit sur laquelle étaient une croix, un cierge allumé et un petit vase ; les anges s’approchèrent du lit et découvrirent la patiente. Alors, le Sauveur prit le petit vase qui contenait l’huile des infirmes et il fit les onctions accoutumées, sans proférer un mot ; les anges la recouvrirent ; Jésus lui plaça le cierge dans la main et posa le crucifix sous ses yeux et il y demeura visible pour elle seule, jusqu’à sa mort. Lydwine lui dit alors humblement : — Mon doux Maître, puisque vous avez daigné vous abaisser jusqu’à la plus misérable de vos servantes ; puisque vous n’avez pas eu le dégoût d’oindre mon malheureux corps avec vos très saintes mains, soyez indulgent jusqu’au bout. Accordez-moi cette dernière grâce de souffrir autant que je le mérite personnellement, afin qu’aussitôt exonérée de la vie, je sois admise, sans avoir à passer par le Purgatoire, à contempler votre suradorable Face. Et Jésus répondit : — Tes vœux sont exaucés, ma fille ; dans deux jours, tu chanteras l’alleluia avec tes sœurs les Vierges, dans le Paradis. Lorsque le soleil fut levé, vers quatre heures du matin, son confesseur Walter la visita. Il avait été ravi en contemplation pendant la nuit et il avait vu Lydwine, rayonnante de joie, parmi les anges ; la chambre embaumait quand il y pénétra. — Oh ! s’écria-t-il, je sais que votre Époux part d’ici, mais ne l’aurais-je pas su, que je le devinerais rien qu’en aspirant ce fleur de l’Eden ! vous a-t-il annoncé votre délivrance ? ne me cachez rien, s’il se peut, chère sœur. Transportée d’allégresse, elle s’exclama : mes souffrances vont redoubler, mais ce sera bientôt terminé ! Et, en effet, la gravelle et le charbon la supplicièrent, sans aucune trêve ; elle vécut le lundi de Pâques, dans d’épouvantables affres ; le mardi, elle s’apprêta à mourir et comme sa chambre était pleine de monde, elle dit doucement : — Laissez-moi seule aujourd’hui avec le petit, — elle désignait son neveu Baudouin, assis près du lit, — si vous êtes mes amis, faites cela pour moi ; soyez sans inquiétude d’ailleurs ; au cas où j’aurais besoin de vous, j’enverrais l’enfant vous prévenir. Tous crurent qu’elle souhaitait de se recueillir et de prier, en paix et, ne pensant pas que la mort la talonnait, se retirèrent ; Jan Walter s’éloigna, à son tour, et s’en fut à l’église réciter les vigiles des trépassés pour la supérieure du couvent des sœurs Tertiaires qui venait de décéder ; à peine l’eut-il quittée, que l’agonie commença ; elle dura de sept heures du matin à quatre heures du soir ; les vomissements la déracinaient et la jetaient, brisée, sur le carreau ; elle rendait, avec des matières verdâtres, le fiel à pleine bouche ; Baudouin n’avait que le temps de vider la cuvette au dehors et de la rapporter. — Ô mon enfant, dit-elle au petit qui pleurait, si le bon Walter voyait ce que je souffre ! Baudouin s’exclama : tante, voulez-vous que j’aille le chercher ? Elle ne répondit pas ; elle avait perdu connaissance. Alors, l’enfant terrifié courut à toutes jambes à l’église qui était très peu distante de la chaumière, car l’on pouvait à peine réciter, en allant de l’une à l’autre, trois fois le psaume « Miserere ». Walter se hâta d’arriver et il trouva la sainte inanimée. Il espéra qu’elle n’était qu’insensibilisée par l’extase ; néanmoins il fit quérir toutes les amies de Lydwine qui, ne voulant pas, elles non plus, croire au décès et ignorant que le Seigneur lui avait, comme à saint Antoine de Padoue, donné, de ses propres mains, l’Extrême-Onction, lui demandèrent de leur faire connaître par un signe si elle ne désirait pas recevoir les derniers sacrements ; mais Lydwine ne bougeait plus ; alors, Walter alluma une chandelle qu’il plaça derrière la tête de la sainte, de peur que la lumière ne lui blessât les yeux, si elle respirait encore et il l’examina de près ; le doute n’était plus possible, elle avait cessé de vivre. Les femmes éclatèrent en sanglots, mais Catherine Simon, qui refoulait ses larmes, leur enjoignit de se taire. — Voyons, fit-elle, si ce que Lydwine m’a souvent prédit, que ses mains se rejoindraient, après sa mort, s’est réalisé. Son bras droit avait été, en effet, consumé par le feu des ardents et il ne tenait, depuis bien des années, que par un fil. Un chirurgien avait réussi, avec un pharmaque de sa composition, à le consolider, mais non à le guérir et à le mettre en état de remuer ; il était donc humainement impossible que les deux mains pussent se rapprocher l’une de l’autre et se toucher. Catherine souleva la couverture et constata que les doigts des deux mains étaient enlacés sur la poitrine ; elle découvrit, stupéfiée aussi, que sa rude ceinture en crins de cheval ne lui ceignait plus les reins, mais qu’elle avait été pliée, sans que les cordons qui l’attachaient eussent été dénoués, et déposée près de ses épaules, par son ange sans doute, sur le chevet du lit. J’ai palpé cette ceinture, raconte Brugman, j’ai humé le parfum qu’elle exhale et j’affirme que, m’en étant servi, dans des séances d’exorcisme, elle s’est révélée d’une puissance irrésistible contre les démons. Quant à moi, atteste, de son côté, Michel d’Esne, « je l’ai maniée de mes propres mains et ai vu par expérience que les diables l’ont en grande horreur et crainte ». La nuit après la mort, Walter qui, harassé de chagrin, ne parvenait pas à s’endormir, aperçut l’âme de sa pénitente, sous la forme d’une blanche colombe dont le bec et la gorge étaient couleur d’or, les ailes du ton de l’argent, les pattes d’un rouge vif ; et Brugman explique de la sorte le symbolisme de ces nuances : l’or du poitrail et du bec signifiait l’excellence de ses enseignements et de ses conseils ; l’argent des ailes, l’essor de ses contemplations ; l’écarlate des pieds indiquait la marche de ses pas dans les traces sanglantes du Christ ; la candeur du corps allégorisait enfin l’éclatante pureté de la bienheureuse. L’une des trois sœurs de Jan Walter, qui avaient veillé le cadavre, distingua à son tour l’âme de Lydwine, emportée au ciel par des anges et Catherine Simon la vit entrer dans sa chambre, accompagnée d’un grand nombre de déicoles et elle participa au céleste festin des noces. Toujours, en cette même nuit, elle se montra à de saintes filles qui l’aimaient sans la connaître, habillée de blanc, couronnée de roses par le Seigneur et menée au chant de la séquence « Jesu corona Virginum » qu’entonnèrent les Anges, au-devant de la sainte Vierge qui lui passa autour du cou un collier de gemmes en feu et la serra tendrement dans ses bras. Le lendemain matin, dès l’aube, Walter se rendit à la maison mortuaire ; il s’agenouilla devant le lit et, le cœur défaillant de tristesse, pleura ; puis il se releva et dit à ses sœurs et à Catherine Simon : ôtez le voile qui couvre le visage de notre amie ; elles obéirent et ce ne fut qu’un cri. Lydwine était redevenue ce qu’elle était avant ses maladies, fraîche et blonde, jeune et potelée ; on eût dit d’une fillette de dix-sept ans qui souriait, endormie. De la fente du front qui l’avait tant défigurée, il ne subsistait nulle couture ; les ulcères, les plaies avaient disparu, sauf, cependant les trois cicatrices des blessures faites par les Picards ; elles couraient comme trois fils de pourpre, sur la neige des chairs. Tous étaient, devant ce spectacle, béants et ils odoraient, sans pouvoir se lasser, une senteur inanalysable, si roborative, si fortifiante, qu’ils n’éprouvèrent, pendant deux jours et trois nuits, aucun besoin de sommeil et de nutriment. Mais bientôt ce fut une foison de visites ; dès que le bruit se fut confirmé que la sainte était morte, non seulement les habitants de Schiedam, mais encore ceux de Rotterdam, de Delft, de Leyde, de Brielle, défilèrent dans la pauvre chambre. A Kempis évalue à plusieurs milliers le nombre des pèlerins et, avec Gerlac et Brugman il narre qu’une femme de mauvaise vie ayant effleuré avec son chapelet le cou de la morte, l’on constata, après son départ, que les grains du chapelet s’étaient marqués, ainsi que des gouttes de poix, sur la peau, en noir ; pareil fait s’était produit, de son vivant, ajoutent les biographes, car lorsque ses doigts touchaient une main impure, ils se couvraient aussitôt de macules. Walter défendit alors aux visiteurs de frôler avec des objets de piété ou des linges la dépouille de la bienheureuse. Il avait hâte d’ailleurs, pour satisfaire aux vœux de Lydwine, d’inhumer son corps, mais les magistrats de Schiedam s’y opposèrent. « L’on n’osait enterrer le cadavre, dit Michel d’Esne, d’autant que le comte de Hollande avait dit de le venir voir. » N’est-il pas à observer, à ce propos, que tous les petits potentats de la Hollande fréquentèrent la sainte ? Nous avons noté ses relations avec Wilhelm VI, la comtesse Marguerite et avec le duc Jean de Bavière. Philippe, duc de Bourgogne et comte de Hollande, la connut évidemment, lui aussi, puisqu’il se proposait d’assister à ses funérailles. Seule, la légitime souveraine Jacqueline est absente de ce récit. Il est vrai qu’elle vécut, constamment évincée de ses domaines par la perfidie de ses oncles, qu’elle erra, chassée d’une province à l’autre, tantôt en prison et tantôt assiégée dans des places fortes ; elle n’ignora vraisemblablement pas l’existence de Lydwine, mais en admettant qu’elle eût pu joindre la sainte, alors qu’elle était encore libre et que ses ennemis n’occupaient pas le territoire de Schiedam, peut-être ne se souciait-elle point de réclamer des conseils ou de recevoir, à l’occasion de ses fallacieux mariages, des avis qui ne pouvaient que très certainement lui déplaire. Toujours est-il que son nom n’est même pas prononcé une fois, par les trois historiens. Pour en revenir à Lydwine, quand Walter apprit le refus des échevins d’autoriser l’enterrement, il s’indigna et voulut passer outre, mais il lui fut enjoint, sous peine de la prison et de la confiscation de ses biens, de ne pas changer le cadavre de place. Force lui fut donc de se soumettre. En attendant l’heure des obsèques, et bien que, malgré sa liaison avec les sœurs tertiaires, Lydwine ne fit pas partie du tiers-ordre de saint François, — car Brugman qui était franciscain n’eût pas manqué de nous en avertir, — on la revêtit d’une robe de laine et d’une ceinture pareilles à celles de ces religieuses ; on la coiffa, en outre, d’un bonnet de vélin sur lequel étaient écrits à l’encre les noms de Jésus et de Marie ; puis Walter glissa un oreiller de paille sous sa tête et, ainsi qu’elle en avait manifesté le désir, un petit sachet contenant ce qu’elle appelait ses « roses », qui n’étaient autres que les larmes coagulées de sang qu’elle avait tant de fois versées. Walter les détachait, en effet, du visage, lorsqu’il allait, le matin, chez elle et il les serrait avec soin chez lui, dans une cassette. Elle demeura ainsi exposée, pendant trois jours ; enfin, le duc de Bourgogne ayant avisé les magistrats qu’il ne fallait pas compter sur sa présence, l’ordre d’inhumer fut obtenu. Le vendredi matin, après un service solennel, célébré sous la présidence du P. Josse, prieur des chanoines réguliers de Brielle, celui-là peut-être qu’elle avait prié de la visiter, après Pâques, elle fut enterrée, à midi précis, dans la partie méridionale du cimetière contigu à l’église. Suivant ses volontés, pour que sa dépouille ne touchât pas la terre, l’on plaqua sur le fond et les parois de la fosse des cloisons de bois, puis on couvrit la tombe d’une maçonnerie en forme de voûte et l’on scella sur le tout à une hauteur d’environ deux coudées, une grande pierre rougeâtre à l’envers de laquelle furent tracées, avec du cinabre, des croix. L’an d’après, le clergé fit construire sur sa sépulture une chapelle de pierre qui communiqua par une ouverture avec l’église. Lydwine avait alors cinquante-trois ans et quelques jours ; elle mourut, le 18 des kalendes de mai, autrement dit le 14 avril, jour de la fête des saints martyrs Tiburce et Valérien, l’an du Seigneur 1433, le mardi dans l’octave de Pâques, après vêpres, vers quatre heures. Les miracles ne tardèrent pas à éclore ; parmi ceux qui sont avérés, nous en citerons trois : Le premier se produisit à Delft ; une jeune fille, qui gardait depuis huit années le lit, avait été abandonnée par les médecins, lorsqu’un jour Wilhelm, le fils de Sonder-Danck qui exerçait ainsi que son père la profession de médecin, lui dit, après lui avoir confessé que son mal était incurable : — Que sont vos souffrances, en comparaison de celles qu’endura cette bienheureuse Lydwine que traita mon père ? Dieu effectue maintenant, par ses mérites, de nombreux miracles dans nos contrées. Invoquez-la donc ! La malade se sentit aussitôt incitée à implorer la sainte qui lui apparut et la guérit. Le second se passa à Gouda. Il existait dans un couvent de religieuses une nonne qui avait une jambe plus courte que l’autre et si contractée qu’elle ne pouvait marcher. Elle avait demandé qu’on la transportât à Delft pour être examinée par ce Wilhelm Sonder-Danck qui avait soigné une autre sœur de ses amies ; mais ses supérieures lui refusèrent la permission de partir. Elle se désespérait, quand Lydwine surgit, pendant la nuit, dans sa cellule et l’invita à engager les moniales de la communauté à réciter, chacune, cinq pater et cinq ave, en l’honneur de Dieu et aussi pour elle ; ce après quoi, on la descendrait, le dimanche suivant, dans la chapelle du cloître où elle recouvrerait la santé ; et il advint, comme elle l’avait prédit ; l’estropiée sortit, joyeuse, et radicalement guérie, de l’église. Le troisième fut accompli, à Leyde, au profit d’une autre nonne qui avait depuis huit années, au cou, une tumeur cancéreuse de la grosseur d’une pomme. Elle fut autorisée à péleriner, par mortification, nu-pieds et simplement vêtue d’une robe de laine, sans linge dessous, au tombeau de Lydwine ; elle y alla mais en revint, navrée ; la tumeur n’avait pas disparu. Elle se coucha, suppliant la sainte de ne pas ainsi la dédaigner et elle s’endormit. Au réveil, l’excroissance s’était fondue, le cou était redevenu sain. Ces miracles, qui ont été dûment constatés et ont fait l’objet d’enquêtes approfondies, ont eu lieu en 1448, sous le pontificat de sa sainteté le pape Nicolas V. XV Telle fut la vie de sainte Lydwine de Schiedam ; elle réjouira sans doute les achristes et affligera les nombreux catholiques qui, par tiédeur de foi, par respect humain, par ignorance, relèguent de leur mieux la mystique dans les asiles d’aliénés et les miracles dans le rancart des superstitions et des légendes. À ceux-là les biographies expurgées des Jansénistes pourraient suffire, s’ils n’avaient, à l’heure actuelle, toute une école d’hagiographes prêts à satisfaire leur haine du surnaturel, en fabriquant des histoires de saints confinés, avec défense de s’en échapper, sur la terre, de saints qui n’en sont plus. N’est-ce pas l’un de ces rationalistes et non l’un des moindres, Mgr Duchesne qui, consulté, il y a quelques années, à propos d’une révélation de l’incomparable sœur Emmerich que venait de confirmer une découverte près d’Éphèse, répondit : « je vous ai déjà dit qu’il est impossible d’introduire dans un débat sérieux un livre comme celui des visions de Catherine Emmerich ; l’archéologue se fonde sur des témoignages et non sur des hallucinations. » Voilà qui proféré par un prêtre est bien ; ce qu’il doit la contemner la Mystique, celui-là ! N’en déplaise aux oracles de ce gabarit, il convient d’affirmer pourtant que, si étrange qu’elle paraisse, l’existence de Lydwine ne se singularise par rien d’anormal et par rien de neuf. Sans parler des grâces spirituelles et des apparitions de Notre Seigneur et de la Vierge et des entretiens avec les Anges qui abondent dans toutes les vies des Saints et pour s’en tenir simplement aux phénomènes physiques, la plupart de ceux que nous avons divulgués, au cours de ce livre, se retrouvent consignés dans les biographies des innombrables élus qui vécurent avant ou après Lydwine. Nous avons déjà remarqué, à l’occasion de ce don de l’ubiquité qu’elle posséda, que plusieurs autres célicoles se géminaient et se transféraient, dans des endroits différents, au même instant. Si nous recherchons maintenant quels autres saints et quels autres serviteurs ou servantes de Dieu vécurent, ainsi que Lydwine, sans autre aliment que l’Eucharistie, nous découvrons, entre beaucoup de ces privilégiés, la vénérable Marie d’Oignies, sainte Angèle de Foligno, sainte Catherine de Sienne, la bienheureuse Élisabeth la bonne de Waldsée, sainte Colombe de Riéti, Dominique du Paradis, la bienheureuse Marie Bagnesi, Françoise de Serrone, Louise de la Résurrection, la Mère Agnès de Langeac, Catherine Emmerich, Louise Lateau et pour signaler, au hasard, deux hommes : le bienheureux Nicolas de Flue et saint Pierre d’Alcantara. Parmi la foule de ceux qui vécurent aussi sans réfection de sommeil, nous discernons sainte Christine l’admirable, sainte Colette, sainte Catherine de Ricci, la bienheureuse Agathe de la Croix, saint Elpide, sainte Flore ou Fleur, hospitalière de l’ordre de saint Jean et j’en passe. Les plaies devenues des cassolettes de parfums agissant non seulement sur l’odorat, mais encore sur les âmes qu’elles sanctifient, nous les reconnaissons également chez sainte Humiliane, sainte Ida de Louvain, Dominique du Paradis, Salomoni de Venise, la clarisse Jeanne-Marie de la Croix, Venturini de Bergame, le bienheureux Didée, chez le lépreux Barthole. La bonne odeur de sainteté après la mort, elle exista chez le pape Marcel, sainte Aldegonde, saint Menard, saint Dominique, sainte Catherine de Bologne, la bienheureuse Lucie de Narni, la bienheureuse Catherine de Racconigi, sainte Claire de Rimini, sainte Fine de Toscane, sainte Élisabeth de Portugal, sainte Térèse, sainte Rose de Lima, saint Louis Bertrand, saint Joseph de Cupertino, saint Thomas de Villeneuve, saint Raymond de Pennafort, chez combien d’autres ! Au nombre des saints dont les corps furent, ainsi que celui de Lydwine, rétablis, après leur décès, dans leur jeunesse et leur beauté, figurent saint François d’Assise, saint Antoine de Padoue, saint Laurent Justinien, sainte Lutgarde, une victime réparatrice, elle aussi, sainte Catherine de Sienne, saint Didace, sainte Colombe de Riéti, sainte Catherine de Ricci, sainte Madeleine de Pazzi, la vénérable Françoise Dorothée, Marie Villani de Naples, sainte Rose de Lima et je pourrais prolonger la liste. Par contre Lydwine ne fit point partie du groupe des Myroblites, c’est-à-dire des déicoles dont les cadavres distillèrent des essences et des baumes. Tels ceux de saint Nicolas de Myre, de saint Willibrord, l’apôtre de la Hollande, de saint Vitalien, de sainte Lutgarde, de sainte Walburge, de sainte Rose de Viterbe, de la bienheureuse Mathie de Nazzarei, de sainte Hedwige, de sainte Eustochie, de sainte Agnès de Montepulciano, de sainte Térèse, de sainte Madeleine de Pazzi, de la carmélite Marguerite Van Valkenissen et je ne les inscris pas tous. Pour résumer maintenant, en quelques mots, l’existence de cette sainte que l’on ne voit jamais debout et jamais seule, l’on peut dire qu’elle fut peut-être celle qui souffrit le plus, et le moins, en paix. Cette infirme du corps devait, en effet, donner des consultations aux infirmes de l’âme ; sa chambre était une clinique des maladies de conscience ; elle y recevait indistinctement, prêtres et moines, échevins et bourgeois, patriciennes et bonnes femmes, gens de la plus basse extraction et princes et elle les opérait et les pansait. C’était un hospice spirituel ouvert à tout venant ; et Dieu le voulait ainsi pour que les grâces qu’il lui dispensait fussent connues du public, pour que les miracles qu’elle œuvrait, en son nom, fussent visibles. Sa vocation de guérisseuse des maux corporels fut, si l’on y songe, moindre. Elle fut moins prononcée, en tout cas, que celle de beaucoup d’autres saints ; mais elle présente cette particularité que les maladies ôtées par Lydwine n’étaient pas, la plupart du temps, détruites mais simplement transplantées sur elle. Au point de vue de l’ascèse même, il faut encore noter que le Seigneur exigea d’elle plus qu’il n’exigea d’autres élus ; elle était déjà parvenue au sommet de la vie unitive, et il la replongeait dans la nuit ou plutôt dans le crépuscule de la vie purgative. Cette division des trois étapes de l’ascension mystique, si distincte chez les théologiens, s’embrouille chez elle. Il n’est plus question de la halte du milieu, du relais illuminatif, mais des deux extrêmes, de la première et de la dernière étape dans lesquelles elle semble, à une certaine époque, s’être en même temps tenue. Cependant si Dieu l’humilia et la punit, il ne la fit pas descendre des cimes qu’elle avait atteintes. Il enténébra ces cimes, et il l’y esseula ; mais quand l’orage fut terminé, elle s’y retrouva, sans avoir perdu un pouce de terrain, indemne. Elle fut, en somme, un fruit de souffrance que Dieu écrasa et pressura jusqu’à ce qu’il en eût exprimé le dernier suc ; l’écale était vide lorsqu’elle mourut ; Dieu allait confier à d’autres de ses filles le terrible fardeau qu’elle avait laissé ; elle avait pris, elle-même, la succession d’autres saintes et d’autres saintes allaient, à leur tour, hériter d’elle ; ses deux coadjutrices, sainte Colette et sainte Françoise Romaine avaient encore quelques années à souffrir ; deux des autres stigmatifères de son siècle, sainte Rite de Cassie et Pétronille Hergods touchaient à leur fin ; mais de nouvelles semailles de douleurs levaient, prêtes à les suppléer. En thèse générale, tous les saints, tous les serviteurs du Christ sont des victimes d’expiation ; en dehors même de leur mission spéciale qui n’est pas toujours celle-là, car les uns sont plus personnellement désignés soit pour effectuer des conversions, soit pour régénérer des monastères, soit pour prêcher aux masses, tous néanmoins apportent au trésor commun de l’Église un appoint de maux ; tous ont été des amoureux de la Croix et ont obtenu de Jésus d’être mis en mesure de lui administrer la preuve authentique de l’amour, la souffrance ; l’on pourrait donc justement avancer que tous ont contribué à parachever l’œuvre de Lydwine ; mais elle eut des héritières plus proches encore, des légataires plus directes, des âmes plus particulièrement indiquées, comme elle-même le fut, pour servir de victimes propitiatoires, d’holocaustes ; et c’est parmi ses consœurs que le Fils blasonna de ses armes, marqua de l’étampe de ses plaies, c’est surtout parmi les stigmatisées qu’il les faut chercher. Ne sied-il pas d’observer, à ce propos, que toutes ces victimes appartiennent au sexe féminin ? Dieu paraît, en effet, leur avoir plus spécialement réservé ce rôle de débitrices ; les saints, eux, ont un rôle plus expansif, plus bruyant ; ils parcourent le monde, créent ou réforment des ordres, convertissent les idolâtres, agissent surtout par l’éloquence de la chaire, tandis que, plus passive, la femme, qui n’est pas revêtue d’ailleurs du caractère sacerdotal, se tord, en silence, sur un lit. La vérité est que son âme, et que son tempérament, sont plus amoureux, plus dévoués, moins égoïstes que ceux de l’homme ; elle est également plus impressionnable, plus facile à émouvoir ; aussi Jésus rencontre-t-il un accueil plus empressé chez elle ; elle a des attentions, des délicatesses, des petits soins qu’un homme, lorsqu’il n’est pas saint François d’Assise, ignore. Ajoutez que chez les vierges, l’amour maternel rentré se fond dans la dilection de l’Époux qui se dédouble pour elles et devient, quand elles le désirent, l’Enfant ; les allégresses de Bethléem leur sont plus accessibles qu’à l’homme et l’on conçoit aisément alors qu’elles réagissent moins que lui contre l’emprise divine. En dépit de leur côté versatile et sujet aux illusions, c’est donc chez les femmes que l’Époux recrute ses victimes de choix et c’est sans doute cela qui explique comment, sur les 321 stigmatisés que l’histoire connaît, il y a 274 femmes et 47 hommes. La liste de ces réparatrices, héritières de Lydwine, elle existe tout au long dans un ouvrage merveilleusement documenté et absolument remarquable, dans « la Stigmatisation » du docteur Imbert-Gourbeyre. Nous n’en extrairons cependant que celles des patientes dont la vocation de malades expiatrices ne peut être douteuse, celles dont la mission est écrite en toutes lettres et nous y adjoindrons quelques victimes qui, si elles ne portèrent pas sur leur corps les cachets sanglants du Christ, furent de grandes extatiques et de grandes infirmes dont la vie présente les plus complètes analogies avec celle de Lydwine. Parmi ces femmes qui, après la mort de la sainte de la Hollande, acquittèrent par des souffrances la rançon des péchés de leur temps et se substituèrent, en étant innocentes, aux coupables, nous trouvons : au XVe siècle Sainte Colombe de Riéti, une Italienne, du tiers-ordre dominicain ; celle-là ne fut pas stigmatisée ; chargée par le Seigneur de sommer le Pape de corriger ses mœurs et d’épurer sa Cour, elle fut soumise aux plus impitoyables investigations et aux pires sévices, à Rome ; elle compensa aussi, par des maladies inconnues des médecins, les forfaits de son époque et mourut à la peine, en 1501. La Bienheureuse Osanne, la patronne de la ville de Mantoue, une Italienne, tertiaire de l’ordre de saint Dominique ; elle naquit six années après le trépas de Lydwine et à sept ans Jésus lui posa sur l’épaule sa croix et lui prédit une vie de tortures ; sa chambre fut, ainsi que celle de la sainte de Schiedam, un cabinet de consultation pour les affections spirituelles. Les princes, les religieux, les laïques y défilèrent et elle débridait, elle aussi, les plaies des vices, perçait les apostumes des fautes et les pansait ; elle décéda, après une existence de douleurs atroces, en 1505. Sainte Catherine de Gênes, une Italienne. Elle fut mariée et vécut d’abord de la vie mondaine, puis Jésus jeta sur elle son épreinte et sa conversion eut lieu, en coup de foudre, comme celle de saint Paul ; modèle des maladies extraterrestres, elle fut, suivant son expression : « déchirée de la tête aux pieds » ; elle endura, de son vivant, les feux du Purgatoire pour sauver des âmes et elle a laissé, sur ce séjour des supplices, un traité persuasif et surélevé ; elle connut également les affres de la Passion et trépassa, en 1510, après une série de macérations et de souffrances dont le détail effraie. Son cadavre subsiste, à l’état d’incorruption, visible pour tous, à Gênes. au XVIe siècle La Bienheureuse Marie Bagnési, une Italienne du tiers-ordre de Saint-Dominique, non stigmatisée mais dont la vie semble une copie de celle de Lydwine ; elle souffrit pour réparer les scélératesses des hommes tout ce qu’il est possible de souffrir ; pendant quarante-cinq ans, elle fut tenaillée par des maux de tête, brisée par des fièvres, frappée de mutisme et de surdité ; elle n’eut pas un seul de ses membres qui fût intact, attestent les Bollandistes ; elle mourut de la pierre, ainsi que Lydwine, en 1577. Sainte Térèse, une Espagnole, la réformatrice des carmels, l’inégalable historienne des luttes de l’âme et des combats divins. Son histoire est trop connue pour qu’il soit besoin d’en parler ici ; notons seulement qu’elle fut constamment malade et expia, de même que la sainte des Pays-Bas, pour les âmes du Purgatoire, pour les pécheurs, pour les mauvais prêtres ; elle naquit au ciel en 1582. Sainte Catherine de Ricci, une Italienne, issue d’une illustre famille de Florence et appartenant à un monastère du tiers-ordre dominicain dont elle fut élue abbesse ; la demande qu’elle adressa à Jésus de subir dans son corps et son âme les châtiments mérités par l’expansion des hérésies et le dérèglement des mœurs fut accueillie ; son existence fut un enfer de maux ; le Seigneur avait sculpté les instruments de la Passion dans ses chairs, affirme la bulle qui la canonise ; elle trépassa en 1590. Archangèle Tardera, une Italienne, tertiaire de l’ordre de saint-François ; elle fut malade pendant trente-six ans et passa les vingt-deux dernières années de sa vie au lit ; sa mission consistait à rédimer les offenses des impies ; elle mourut en 1599. au XVIIe siècle Sainte Madeleine de Pazzi, une Italienne, carmélite ; elle avait proposé au Sauveur d’endosser les péchés du monde et elle fut prise au mot. Elle vécut toujours malade et dans un état presque permanent d’extase ; elle fut douée de l’esprit prophétique et elle a dicté des œuvres spirituelles qui sont des dialogues entre l’âme et Dieu et, surtout des apostrophes volubiles, des hourras d’allégresse, des cris enflammés de joie ; elle décéda en 1607. Pudentienne Zagnoni, une Italienne, fille d’un tailleur de Bologne, tertiaire de saint-François. Elle fut, ici-bas, écrasée par des infirmités dont l’origine sur naturelle fut reconnue par les médecins ; elle était, en outre, traînée par les cheveux et rouée de coups par les démons ; elle satisfaisait de la sorte aux iniquités qu’elle n’avait pas commises ; neuf semaines avant qu’elle mourût, les neuf chœurs des anges la communièrent, à tour de rôle ; elle succomba, en 1608. La Bienheureuse Passidée de Sienne, une Italienne, de l’ordre des capucines ; elle se sacrifia pour désarmer le Seigneur irrité par les impuretés de son temps. En sus de ses maladies qu’aucun remède n’apaisait, elle s’infligea, les jugeant inefficaces, d’épouvantables pénitences ; elle se fouettait jusqu’au sang avec des branches de genévriers et des tiges d’épines et elle étuvait ses déchirures avec du vinaigre salé chaud ; elle marchait dans la neige, pieds nus, ou se mettait des dragées de plomb dans ses chaussures ; elle s’enfonçait dans des tonnes d’eau glacée l’hiver, et l’été, se pendait, la tête en bas, au-dessus du feu ; elle fut communiée par Jésus, par sa Mère, par les anges et ses extases étaient si fréquentes que le P. Venturi, son historien, écrivait « qu’elles la faisaient bien plus vivre dans le Paradis que sur la terre ». Elle expira, en 1615. La Vénérable Stéphanie des Apôtres, une Espagnole, carmélite, non stigmatisée ; elle sollicita et obtint du Seigneur l’autorisation de se subroger aux pécheurs ; elle accéléra les détresses d’une santé déjà débile, par des jeûnes prolongés, des cilices, des cercles de fer et des chaînes. Elle acheva sa mission purificatrice en 1617. Ursule Bénincasa, une Italienne, la fondatrice de la congrégation des théatines ; elle para par ses tortures aux dangers qui menaçaient l’Église : son existence fut effroyable ; elle brûlait des flammes du Purgatoire pour exonérer des âmes et l’amour divin l’incendiait de telle sorte qu’il lui sortait une colonne de fumée de la bouche ; en sus de ses maladies propitiatoires, elle fut soumise, à Rome, aux plus durs traitements et mourut en 1618. Agathe de la Croix, une Espagnole, tertiaire de l’ordre de saint-Dominique ; elle devint par désir d’immolation estropiée et aveugle. Ses chairs, comme celles de Lydwine, tombaient en pourriture sur la paille et elle était aussi consumée par les feux du Purgatoire ; elle décéda en 1621. Marine Escobar, une Espagnole, la réformatrice de la règle de sainte-Brigitte ; elle fut cinquante ans malade et en passa trente, étendue sur sa couche ; elle exhalait, ainsi que la sainte de la Hollande, les plus délicats parfums. Quand on la changeait de linge, rapporte son biographe, il semblait que celui qu’on enlevait de son corps était un parterre odorant de fleurs ; elle trépassa en 1633. Agnès de Langeac, une Française, tertiaire de l’ordre de saint-Dominique ; elle supporta tous les tourments du Purgatoire pour affranchir des âmes ; elle vécut, infirme, se traînant sur des potences, atténuant par ses maux les méfaits du prochain ; elle mourut en 1634. Jacqueline du Saint-Esprit, une Française, dominicaine, alitée, toujours obligée de garder la chambre ; elle expira, après d’horribles souffrances réparatives, en 1638. Marguerite du Saint-Sacrement, une Française, carmélite ; celle-là endura des tortures extraordinaires ; elle souffrit de telles douleurs dans le crâne, qu’après l’avoir vainement piquée avec des clous de fer rouge, les chirurgiens la trépanèrent ; elle n’éprouva aucun allégement de ces sévices ; seule, l’apposition des reliques chassait son mal. Elle expia plus spécialement les offenses faites au Seigneur par le manque de charité des riches ; elle participa au supplice de différents martyrs pendant quinze mois, s’offrit au Sauveur, comme victime, pour délivrer la France de l’invasion des armées allemandes ; elle termina son sacrifice, en 1648. Lucie Gonzalès, une Italienne, rongée par les fièvres, n’ayant pas une place sur son corps qui fût saine ; elle racheta plus particulièrement les abominations que commirent en 1647 les révolutionnaires de Naples ; sa vie fut un livre de douleur ; il se ferma en 1648. Paule de sainte Térèse, une Italienne, du tiers-ordre de saint Dominique, prenait à son compte les péchés des séculiers et des prêtres ; elle vécut couchée et fut, ainsi que Lydwine, communiée de la main du Christ ; elle libéra aussi par ses souffrances les âmes du Purgatoire qui la cernaient de toutes parts ; son décès eut lieu en 1657. Marie de la Très Sainte Trinité, une Espagnole, tertiaire de saint Dominique ; elle était accablée d’infirmités et réduite, lorsqu’elle n’était pas allongée sur des alèzes, à se traîner sur les genoux ; sa mission piaculaire prit fin en 1660. Pudentienne Zagnoni, italienne, Clarisse, qu’il ne faut pas confondre avec sa sœur, la stigmatisée du même nom et du même prénom, citée plus haut. Elle fut, pendant trente-deux ans, malade. Ainsi que Lydwine, elle voyageait avec son ange, dans le Paradis et amendait sur son grabat les forfaits du monde ; elle mourut en 1662. Marie Ock, une Belge, tertiaire carmélite ; elle souffrait des peines appropriées aux excès des personnes qu’elle suppléait dans leur pénitence ; elle purgeait les peines des âmes du Purgatoire et était tannée par les coups, roulée dans les escaliers, plongée dans des puits par les démons. Quand elle n’était pas alitée, elle courait dans les mauvais gîtes pour en retirer leurs hôtesses ; elle fut une des compensatrices les plus fertiles et les plus résolues dont la biographie, vraiment curieuse, est à lire. Elle succomba à la peine, en 1684. Jeanne Marie de la Croix, une Italienne, tertiaire franciscaine. Constamment malade, torturée par des douleurs atroces dans les reins, elle dut subir les traitements les plus barbares des médecins qui finirent cependant par reconnaître l’origine préternaturelle de ses maux et mi permirent de gémir en paix. Elle reçut l’anneau mystique, épandit de sa personne d’inexplicables parfums, guérit par sa bénédiction les infirmes et multiplia les pains. Elle s’immola plus spécialement pour combattre l’hérésie des protestants et naquit au ciel en 1673. Marie Angélique de la Providence, une Française, tertiaire carmélite ; elle intercéda plus particulièrement pour les communautés dévergondées et pour les prêtres. Le Seigneur lui indiquait, lui-même, les pécheurs dont il voulait qu’elle neutralisât par ses maladies les offenses ; elle fut une grande adoratrice du saint Sacrement et l’une des victimes sur laquelle s’acharnèrent le plus les démons. Ils la battaient comme tapis, la cognaient contre les murailles, la piétinaient sur le sol ; elle mourut en 1685. au XVIIIe siècle Marcelline Pauper, une Française, sœur de la Charité, à Nevers ; celle-là fut une réparatrice des profanations du saint Sacrement et des vols d’hosties ; c’est elle qui disait : « ma vie est un purgatoire délicieux où le corps souffre et où l’âme jouit » ; elle décéda en 1708. Fialetta-Rosa Fialetti, Italienne, tertiaire de saint Dominique. Son existence ne fut qu’une série de maladies rédemptrices ; elle se termina en 1717. Sainte Véronique Giulani, Italienne, clarisse ; elle fut une vivante image du Christ en croix. Tandis que les maladies la dévoraient, elle criait : vive la croix toute seule et toute nue, vive la souffrance ! Comme Lydwine elle s’offrait au Seigneur pour acquitter le supplément de péchés que suscitent les godailles des jours gras. Elle eut la transverbération du cœur ainsi que sainte Térèse et l’impression des instruments du Calvaire, ainsi que sainte Claire de Montefalco. Elle mourut en 1727. Sainte Marie Françoise des cinq plaies de Jésus, une Italienne, du tiers ordre de saint François ; sa vie fut un tissu d’infirmités ; elle souffrit de douleurs d’entrailles atroces, de fièvres, de gangrène. De même que Lydwine elle transbordait sur elle-même les maladies du prochain ; elle fut persécutée par sa famille et par son confesseur et communiée par les anges. Douée de l’esprit prophétique, elle annonça longtemps à l’avance la Révolution Française et la mort de Louis XVI, mais à la vue des souffrances de l’Église qui lui furent montrées, son cœur éclata et elle supplia le Seigneur de la délivrer de la vie ; sa requête fut accueillie en 1791. au XIXe siècle Marie-Josépha Kümi, une Suissesse, dominicaine ; elle fut une victime expiatrice de l’Église, des pécheurs, des âmes du Purgatoire dont elle partagea les tourments ; son corps n’était qu’une plaie ; elle décéda en 1817. Anne-Catherine Emmerich, une Allemande, augustine, la plus grande voyante des temps modernes et qui plus est, bien qu’illettrée, une magnifique artiste ; son histoire est trop connue pour qu’il soit besoin de la rappeler ; ses livres sont entre toutes les mains. Constatons seulement que cette stigmatifère fut toujours couchée et qu’elle est parmi les réparatrices celle qui, avec Marie Bagnési, se rapproche le plus de Lydwine ; elle est son héritière directe à travers les âges ; elle est morte après une vie de douleurs sans nom, en 1824. Élisabeth Canori Mora, une Italienne, du tiers-ordre des trinitaires déchaussées ; elle amortit surtout la dette des iniquités des persécuteurs de l’Église et trépassa en 1825. Anna-Maria Taïgi, une Italienne, du tiers-ordre des trinitaires déchaussées ; elle fut saccagée par une série de tortures ; les céphalagies, les fièvres, la goutte, l’asthme ne lui laissèrent pas un instant de repos ; ses yeux, comme ceux de Lydwine, versaient du sang lorsqu’ils étaient atteints par les moindres lueurs ; elle se sacrifia plus spécialement pour les bourreaux de l’Église ; son holocauste prit fin en 1837. Sœur Bernard de la Croix, une Française, de la congrégation de Marie-Thérèse, à Lyon ; elle acceptait les tentations des personnes trop faibles pour les supporter et souffrait mort et passion pour elles ; elle mourut en 1847. Marie-Rosa Andriani, Italienne, du tiers-ordre franciscain ; elle fut, depuis l’âge de cinq ans, une martyre par délégation et le Seigneur aggravait ses tourments, en ne la consolant pas ; elle s’arrachait de la poitrine des os tout chauds et ne fut sustentée, pendant vingt-cinq ans, que par l’Eucharistie ; elle décéda en 1848. Marie Domenica Lazzari, l’une des stigmatisées du Tyrol ; médiatrice des mécréants, son existence fut une continuelle agonie ; brisée par des convulsions, par une toux opiniâtre, par des douleurs dans le bas-ventre, elle ne fut nourrie, durant quatorze années, que par les saintes Espèces ; sa mort eut lieu en 1848. Marie de saint-Pierre de la sainte-Famille, une Française, carmélite, non stigmatisée. Elle s’interposa entre Dieu et la France qui était sur le point d’être châtiée ; elle eut gain de cause mais endura le martyre. Elle résumait, elle-même, sa vie en cette phrase : « c’est pour la réparation que j’ai été mise au monde et c’est d’elle que je meurs. » Elle succomba à la peine en 1848. Marie-Agnès Steiner, une Allemande, clarisse dans un monastère de l’Ombrie ; elle éprouva, pour le bien de l’Église, les plus cruelles maladies ; elle effluait, comme Lydwine, de célestes arômes ; elle trépassa en 1862. Marie du Bourg, en religion Mère Marie de Jésus, une Française, fondatrice de la congrégation des sœurs du Saint-Sauveur et de la Sainte-Vierge ; elle fut de même que la sainte de Hollande, une gloutonne de maux ; elle a terriblement pâti pour les impies, pour les possédés et pour les âmes en attente. « Elle est tout occupée à peupler le Ciel et à vider le Purgatoire », disait l’une de ses filles ; elle subit des attaques furieuses de la part des démons et mourut en 1862. Marie de Moerl, la plus connue des stigmatisées du Tyrol, tertiaire de l’ordre de saint-François ; elle expia surtout pour l’Église ; elle était douée de l’esprit prophétique et lisait dans les âmes ; l’abbé Curicque, l’un de ses historiens, narre ce fait qui pourrait figurer dans la vie de Lydwine : un religieux dont elle ignorait jusqu’au nom vint, accompagné de plusieurs personnes, pour se recommander à ses prières ; elle accepta d’invoquer le Seigneur à son intention, mais elle jugea nécessaire de lui signaler un défaut que, lui seul, pouvait connaître et dont il lui fallait à tout prix se débarrasser. Ne voulant point l’humilier devant des tiers, elle prit, sous son traversin, le psautier, l’ouvrit et lui montra du doigt un passage qui visait expressément ce défaut ; puis elle lui sourit doucement et retomba dans l’extase que cette visite avait interrompue ; elle décéda en 1868. Barbe de saint-Dominique, une Espagnole, dominicaine ; elle assuma les péchés du prochain, fut en butte aux assauts du Maudit et mourut, victime de la substitution mystique ; elle offrit, en effet, sa vie au Christ pour la guérison d’une autre religieuse dont l’état était désespéré ; celle-ci recouvra aussitôt la santé et, elle, s’alita pour ne plus se relever ; elle avait à peine trente ans, alors qu’on l’inhuma, en 1872. Louise Lateau, Belge ; son cas est célèbre ; elle vécut toujours couchée, rachetant par ses douleurs les forfaits d’autrui ; pendant douze années, la communion fut son seul aliment. Trop de livres ont été écrits sur cette sainte fille pour qu’il soit utile d’en parier ici ; elle mourut en 1883. Marie-Catherine Putigny, une Française, visitandine ; elle s’était proposée comme victime réparatrice au Seigneur ; elle souffrit les plus lancinantes tortures pour les âmes du Purgatoire ; elle voyait, de même que Lydwine et que la sœur Emmerich, les tableaux de la Passion ; elle est décédée à son monastère de Metz, en 1885. La cause de béatification de la plupart de ces femmes a été introduite à Rome ; sans préjuger en rien le jugement qui interviendra pour chacune d elles, il sied d’espérer que l’origine céleste de leurs vocations et de leurs maux sera reconnue. L’on remarquera que, parmi ces héritières de Lydwine, il n’en est pas une qui soit issue, ainsi qu’elle, du territoire des Pays-Bas. Il y a des Italiennes, des Espagnoles, des Françaises, des Belges, des Tyroliennes, des Allemandes, une Suissesse et pas une Hollandaise ; et cependant le Dr Imbert-Gourbeyre en cite une, mais sans renseignements assez précis pour nous permettre d’affirmer qu’elle fut une victime expiatrice ; c’est une nommée Dorothée Visser, née en 1820, à Gendringen et qui aurait été étampée des stigmates de la Passion, vers 1843 ; il serait bien désirable qu’un moine ou qu’un prêtre hollandais suivît cette piste et nous montrât, s’il y a lieu, que la succession de Lydwine a été recueillie dans son pays même. L’on remarquera également la large part qui est faite au XIXe siècle dans cette répartition des donatrices. Ces listes sont, est-il utile de le dire, très incomplètes ; elles suffisent néanmoins à prouver que l’héritage de Lydwine n’est pas tombé en déshérence et que les desseins de Dieu n’ont pas varié ; son procédé de faire appel à la charité de certaines âmes pour satisfaire aux nécessités de sa Justice demeure immuable y la loi de la substitution est toujours en vigueur ; depuis l’époque de sainte Lydwine rien n’est changé. Il faut ajouter qu’à l’heure actuelle, les besoins de l’Église sont immenses ; un vent de malheur souffle sur les régions inabritées des croyants. Il y a une sorte d’affaissement des devoirs, de déchéance d’énergie dans les pays qui sont plus particulièrement les fiefs spirituels du Saint-Siège. L’Autriche est rongée jusqu’aux moelles par la vermine juive ; l’Italie est devenue un repaire maçonnique, une sentine démoniaque, au sens strict du mot ; l’Espagne et le Portugal sont, eux aussi, dépecés par les crocs des Loges ; seule, la petite Belgique paraît moins cariée, de foi moins rance, d’âme plus saine ; quant à la nation privilégiée du Christ, la France, elle a été attaquée, à moitié étranglée, saboulée à coups de bottes, roulée dans le purin des fosses par une racaille payée de mécréants. La franc-maçonnerie a démuselé, pour cette infâme besogne, la meute avide des israélites et des protestants. Dans un tel désarroi, il eût peut-être fallu recourir aux mesures abolies d’antan, user de quelques chemises dûment soufrées et de quelques bons bûchers de bois bien sec, mais l’âme poussive des catholiques eût été incapable de souffler sur le feu pour le faire prendre ! puis, ce sont là des expédients sanitaires désuets, des pratiques que d’aucuns qualifieraient d’indiscrètes et qui ne sont plus, en tout cas, d’accord avec les mœurs desserrées de notre temps. Étant donné alors que l’Église gît sans défense, l’on pourrait s’inquiéter de l’avenir, si l’on ne savait qu’elle rajeunit chaque fois qu’on la persécute ; — les larmes de ses martyrs, c’est son eau de Jouvence, à elle ! — Quand on refoule le catholicisme d’un pays, il s’infiltre dans un autre et revient à son point de départ, après ; c’est l’histoire des congrégations qui, lorsqu’on les chasse de la France, y rentrent quand même, après avoir fondé à l’étranger de nouveaux cloîtres. En dépit de tous les obstacles, le catholicisme, qui semble parfois stagnant, coule ; il s’insinue en Angleterre, en Amérique, dans les Pays-Bas, gagne peu à peu du terrain dans les régions hérétiques et il s’impose. Fût-il d’ailleurs ligoté et saigné aux quatre veines qu’il revivrait encore, car l’Église détient des promesses formelles et ne peut périr. Elle en a vu d’autres, du reste, et elle doit, tout en peinant, patiemment attendre ! Il n’en est pas moins vrai, qu’au point de vue des offenses divines, des sacrilèges et des blasphèmes, la situation de la France est lamentable. Ce commencement de siècle présente, dans ce pays surtout, cette singularité qu’il est imbibé, saturé comme une éponge de Satanisme et il ne paraît même pas s’en douter ! Dupés par les palinodies d’un fétide renégat, les catholiques ne soupçonnent même point que ce malheureux a plus menti le jour où il déclara s’être moqué d’eux que lorsque, pendant des années, il leur enrobait des documents dont la plupart étaient exacts, dans un excipient d’invraisemblables bourdes ! Il y a dans tous les cas, un fait, indéniable, absolu, sûr, c’est, qu’en dépit des dénégations intéressées, le culte Luciférien existe ; il gouverne la franc-maçonnerie et tire, silencieux, les ficelles des sinistres baladins qui nous régissent ; et ce qui leur sert d’âme à ceux-là est si pourri qu’ils ne s’imaginent même pas qu’ils ne sont, quand ils dirigent l’assaut contre le Christ et son Église, que les bas domestiques d’un maître à l’existence duquel ils ne croient pas ! Si habile à se faire nier, le Démon les mène. Le XXe siècle débute donc, ainsi que le précédent a fini en France, par une éruption infernale ; la lutte est ouverte entre Lucifer et Dieu. En vérité, il faut espérer que, pour contrebalancer le poids de tels défis, les victimes d’expiation abondent, et que, dans les cloîtres et que dans le monde, beaucoup de moines, de prêtres et de laïques acceptent de continuer l’œuvre réparative des holocaustes. Certainement, dans les ordres dont le but est la mortification et la pénitence, tels que les calvairiennes bénédictines, les trappistines, les clarisses, les carmélites, pour n’en nommer que quatre, des femmes prostrées sur des lits et dont les maladies déroutent les diagnostics des médecins, souffrent pour neutraliser les abominations démoniaques de notre époque ; mais l’on peut se demander si ces couvents d’immolées sont assez nombreux, car lorsque l’on connaît certains détails de bruyantes catastrophes, de celle du bazar de la Charité, par exemple, il est bien difficile de ne croire qu’à des causes matérielles énumérées dans des rapports de magistrats et de pompiers. Ce jour-là, ce sont, en effet, les femmes vraiment pieuses, les femmes venues non pour arborer des toilettes et s’exhiber, mais pour aider à soulager des infortunes et à faire le bien, des femmes qui avaient toutes ou presque toutes entendu la messe, ce matin-là et communié, qui ont été brûlées vives. Les autres s’en sont tirées. Il semble donc qu’il y ait eu une volonté du Ciel de choisir, dans cette mêlée, les meilleures, les plus saintes des visiteuses, pour les obliger à expier, dans les flammes, la plénitude sans regrets de nos péchés. Et finalement l’on arrive à se poser cette question : un pareil désastre aurait-il été évité s’il y avait eu plus de monastères de la dure observance, plus d’âmes déterminées à s’infliger des sacrifices volontaires et à se céder pour subir l’indispensable châtiment des impies ? L’on ne peut évidemment répondre, d’une façon nette, à une semblable question ; mais ce qu’il est possible d’affirmer, c’est qu’il n’y a jamais eu tant besoin de Lydwine qu’à présent ; car, elles seules seraient à même d’apaiser la colère certaine du Juge et de nous servir de paratonnerre et d’abri contre les cataclysmes qui se préparent ! Je ne me dissimule pas qu’en parlant, de la sorte, dans un siècle où chacun ne poursuit qu’un but : voler son prochain et jouir en paix dans l’adultère ou le divorce de ses dols, j’ai peu de chances d’être compris. Je sais très bien aussi que devant ce catholicisme dont la base est la désaccoutumance de soi-même et la souffrance, les fidèles épris de dévotionettes et abêtis par la lecture de pieuses fariboles, s’exclameront ; ce sera pour eux l’occasion de ressasser, une fois de plus, la complaisante théorie « que Dieu n’en demande pas tant, qu’il est si bon ». Oui, je sais bien, mais le malheur, c’est qu’il en demande autant et qu’il est néanmoins infiniment bon. Mais il faut le répéter, une fois de plus aussi, il dédommage, ici-bas même, par des joies intérieures, ceux qui le prient, de leurs afflictions et de leurs maux ; et chez les êtres privilégiés qu’il torture, l’outrance des liesses dépasse l’excès des peines ; tous ont dans des corps broyés des âmes qui rayonnent, tous s’écrient comme Lydwine qu’ils ne souhaitent pas d’être guéris, qu’ils n’échangeraient pas les consolations qu’ils reçoivent pour tous les bonheurs du monde. D’ailleurs, les ouailles que l’existence exceptionnelle de ces protectrices effare, auraient tort de s’alarmer ; prenant en pitié leur ignorance et leur faiblesse, Dieu les épargnera plus sans doute qu’il n’a épargné son propre Fils ; il ne cherche pas parmi ceux qu’il n’a point nanti d’âmes bien robustes les poids destinés à rétablir l’équilibre de la balance dont le plateau des fautes descend si bas... De même que personne n’est tenté au-dessus de ses forces, de même personne n’est chargé de douleurs qu’il ne puisse, d’une façon ou d’une autre, tolérer. Il les dose aux moyens de résistance de chacun ; seulement, ceux qui ne souffrent que modérément auraient tort de se trop réjouir, car cette abstinence de tourments n’est ni un signe de validité spirituelle, ni d’amoureuse préférence. Mais ce livre n’est pas écrit, en somme, pour ceux-là. Il est, en effet, difficile, pour des gens qui vivent en bonne santé, de le bien comprendre ; ils le saisiront mieux, plus tard, lorsque séviront les mauvais jours ; par contre, il s’adresse plus spécialement aux pauvres êtres atteints de maladies incurables et étendus, à jamais, sur une couche. Ceux-là sont, pour la plupart, des victimes de choix ; mais combien, parmi eux, savent qu’ils réalisent l’œuvre admirable de la réparation et pour eux-mêmes et pour les autres ? cependant, pour que cette œuvre soit véritablement satisfactoire, il sied de l’accepter avec résignation et de la présenter humblement au Seigneur. Il ne s’agit pas de se dire : je ne saurais m’exécuter de bon cœur, je ne suis pas un saint, moi, tel que Lydwine, car, elle non plus, ne pénétra pas les desseins de la Providence lorsqu’elle débuta dans les voies douloureuses de la Mystique ; elle aussi, se lamentait, comme son père Job et maudissait sa destinée ; elle aussi, se demandait quels péchés elle avait bien pu commettre pour être traitée de la sorte et elle ne se sentait pas du tout incitée à offrir de son plein gré ses tourments à Dieu ; elle faillit sombrer dans le désespoir ; elle ne fut pas une sainte du premier coup ; et néanmoins après tant d’efforts tentés pour méditer la Passion du Sauveur dont les tortures l’intéressaient beaucoup moins que les siennes, elle est parvenue à les aimer et elles l’ont enlevée dans un ouragan de délices jusqu’aux cimes de la vie parfaite ! La vérité est que Jésus commence par faire souffrir et qu’il s’explique après. L’important est donc de se soumettre d’abord, quitte à réclamer ensuite. Il est le plus grand Mendiant que le ciel et la terre aient jamais porté, le Mendiant terrible de l’Amour ! les plaies de ses mains sont des bourses toujours vides et il les tend pour que chacun les emplisse avec la menue monnaie de ses souffrances et de ses pleurs. Il n’y a donc qu’à Lui donner. La consolation, la paix de l’âme, le moyen de s’utiliser et de transmuter à la longue ses tourments en joie, ne peuvent s’obtenir qu’à ce prix. Le récepte de cette divine alchimie qu’est la Douleur, c’est l’abnégation et le sacrifice. Après la période d’incubation nécessaire, le grand œuvre s’accomplit ; il sort du brasier, de l’athanor de l’âme, l’or, c’est-à-dire l’Amour qui consume les abattements et les larmes ; la vraie pierre philosophale est celle-là. Pour en revenir maintenant à Lydwine, il nous faut narrer, en quelques lignes, le sort qui fut réservé à ses reliques. Ainsi qu’il fut dit, plus haut, les recteurs de l’église de saint Jean-Baptiste de Schiedam édifièrent, en 1434, une petite chapelle sur sa tombe et Molanus ajoute ce détail que cette chapelle fut parée de tableaux dépeignant divers épisodes de sa vie. Les reliques y furent vénérées, jusqu’au moment où les Protestants devinrent les maîtres de cette Hollande qu’ils n’ont plus quittée. Ils s’emparèrent à Schiedam de la dépouille de Lydwine et les catholiques durent la racheter. En 1615 le corps fut exhumé sur les ordres du Prince Albert, archiduc d’Autriche et souverain des Pays-Bas et de sa femme Isabelle-Claire-Eugénie, fille de Philippe II, roi d’Espagne et petite-fille de Henri II, roi de France. Cette princesse, que passionnait la mémoire de Lydwine, fit transférer ses ossements enfermés en une châsse d’argent, dans l’oratoire de son palais, à Bruxelles. Un an après, en 1616, une partie de ces restes fut remise, dans un coffret d’ébène et d’argent, aux dames chanoinesses de Mons et confiée à leur garde, dans le sanctuaire de sainte-Waudru. Cette illation eut lieu, en grande pompe ; une procession solennelle de plus de six cents cierges, à laquelle s’associèrent les magistrats de la cité, les ordres religieux, les prêtres, le peuple, se réunit à l’église sainte-Élisabeth et accompagna les reliques portées par l’abbé de saint-Denis jusqu’à la cathédrale de sainte-Waudru. Une seconde partie des ossements fut encore concédée par la princesse, en 1626, au couvent des carmélites qu’elle avait fondé, en 1607, à Bruxelles ; enfin une troisième partie échut, en 1650, après la mort d’Isabelle, à l’église sainte-Gudule, dans la même ville. Une note des Bollandistes constate, de son côté, qu’un fragment du corps et que l’un des tableaux de l’église de Schiedam furent impartis, au moment où les hérétiques allaient faire main basse sur ces biens, au supérieur des prémontrés d’Anvers. Ils furent déposés dans la chapelle des saints-Apôtres où ils demeurèrent pendant de longues années ; puis le tableau se détériora et fut jeté au rebut et quant aux reliques, elles disparurent sans qu’on ait jamais su comment. À l’heure actuelle, d’après les renseignements que nous avons pu recueillir, aucune trace ne subsiste à sainte-Waudru et à sainte-Gudule des dépouilles de Lydwine ; elles auraient été dispersées pendant la Révolution ; seul le carmel de Bruxelles garde encore son précieux dépôt, mais il en a abandonné une partie, en 1871, pour permettre au moins à la ville de Schiedam de posséder quelques vestiges de sa sainte. La portion la plus considérable de ce présent, les os entiers des deux bras, se trouvent maintenant dans l’église paroissiale de la Visitation, à Schiedam. Enfin, les jansénistes de cette ville détiendraient, eux aussi, quelques détriments, mais ils les cachent et subitement ils n’entendent plus le français, quand on leur en parle. Peut-être bien que leurs ancêtres ont dérobé un reliquaire dont on pourrait, en déchiffrant le nom ou les armes gravées dans le métal, reconnaître l’origine ; et ils ne se soucient pas d’avoir à s’expliquer sur sa provenance. Ajoutons, pour parler des honneurs rendus par l’Église à Lydwine, que l’archevêque de Malines, métropolitain de la Belgique, Mgr Mathias Hovius a, par une lettre pastorale du 14 janvier 1616, autorisé le culte de la bienheureuse dans les Flandres. Des années s’écoulèrent. Lydwine, dont le culte était antérieur aux décrets du pape Urbain VIII, était comprise au nombre des Béatifiées, mais il lui restait à acquérir le titre définitif de Sainte. Ce fut, vers la fin du siècle dernier, qu’un prêtre de la Hollande se dévoua à cette cause ; la paroisse de la Visitation de Notre-Dame venait d’être instituée à Schiedam ; son premier curé fut M. l’abbé Van Leeuven ; il admirait et vénérait Lydwine. Il se mit en campagne et décida l’archevêque de Malines, l’évêque d’Harlem ainsi que les autres prélats des Pays-Bas et la prieure du carmel de Bruxelles, à introduire des instances auprès de Rome pour obtenir la canonisation de la bienheureuse. Ces instances ont été accueillies et un décret du 14 mars 1890 a élevé Lydwine au rang des saintes ; mais le promoteur véritable de cette cause, l’abbé Van Leeuwen, n’eut pas la joie d’assister à la réussite de ses efforts, car il mourut avant la promulgation de ce décret. XVI Je songeais dans le train qui nous emportait, mes amis et moi, à Schiedam, à un incunable que j’avais consulté à la bibliothèque de La Haye, la vie de Lydwine, par Joannes Brugman, éditée à Schiedam, aux dépens des maîtres de la fabrique de l’église de Saint-Jean-Baptiste, en 1498, c’est-à-dire soixante-cinq ans après la mort de la sainte. Ce volume, mince comme une plaquette, renferme de curieuses gravures sur bois, deux entre autres — l’une représentant Lydwine, debout, vêtue en grande dame du XVe siècle, un long crucifix dans la main droite et dans la gauche la branche de ce rosier dont les boutons prêts à éclore signifiaient les jours qu’elle devait encore, ici-bas, vivre ; et elle considère, en face d’elle, assis sur une chaise de bois, le bon frère mineur Brugman en train d’écrire son livre ; mais il est si attentif et si pressé qu’il ne regarde que son manuscrit et ne voit même pas la sainte — l’autre, montrant Lydwine, plus âgée qu’elle ne pouvait être à ce moment, étendue sur le flanc et ramassée par deux femmes, tandis qu’une troisième demeure immobile, figée par la stupeur, et qu’un homme dessine derrière elle des ronds de jambes, sur la glace ; pour compléter le petit tableau, d’autres patineurs se tiennent par la main, d’un côté et, de l’autre, apparaît un enfantin donjon dessiné en quelques traits. Ces xylographies qui ont été, au point de vue de l’histoire de la gravure dans les Pays-Bas, longuement étudiées par M. Jules Renouvier, valaient pour moi surtout par leur naïveté, mais elles étaient trop brèves pour suggérer l’aspect des lieux dans lesquels vécut la sainte. Son souvenir si parfaitement oublié dans toutes les parties du monde et presque ignoré de toutes les villes calvinistes de la Hollande, existait-il au moins à Schiedam ? découvrirai-je dans ce bourg où elle naquit et mourut des traces d’elle, des débris de quartiers de son siècle, la place de sa maison, enfin des documents différents de ceux qu’avaient entassés, pêle-mêle, ses premiers biographes ? Je ruminais ces réflexions, tout en feuilletant un guide Baedeker qui se débarrassait en quelques lignes dénuées d’enthousiasme de Schiedam et ne citait même pas, bien entendu, le nom de la sainte. À dire vrai, j’avais retrouvé une Hollande si dissemblable de celle que j’avais parcourue dans mon enfance et depuis, une Hollande reconstruite, aux cités élargies pleines d’avenues et de bâtisses neuves, que je n’augurais rien de ce voyage. N’en serait-il pas de même de Schiedam que je n’avais encore jamais visité, c’était probable ? D’autre part, ce qu’il nous avait fallu effectuer de marches et de contre-marches pour parvenir à assister, dans ces agglomérations protestantes, à une messe ! allions-nous encore, dans la patrie de Lydwine, recommencer nos recherches en quête d’un sanctuaire de notre culte ? cela pouvait paraître plausible ; et cependant, mes amis et moi, nous reprenions un peu confiance ; nous savions qu’un pèlerinage très fréquenté existait dans les environs, le pèlerinage des martyrs de Gorcum, c’est-à-dire de dix-neuf fidèles dont onze capucins, deux prémontrés, un dominicain, un augustin et quatre prêtres séculiers qui avaient été pendus, après d’affreux tourments, en 1572 par les Réformés à Gorcum et béatifiés en 1675 et canonisés en 1867. Leur souvenir était si vivace dans la contrée, que les pèlerins affluaient toujours pour vénérer leurs reliques. Un courant catholique subsistait donc dans ce pays ; or, Gorcum était situé à peu de distance de Schiedam ; il y avait par conséquent une chance pour qu’à l’aller ou au retour, l’on vînt aussi révérer les restes de la sainte et alors il y avait certainement au moins une chapelle. La réponse à ces questions ne se fit pas attendre ; à peine débarqués à Schiedam, le soir, nous aperçûmes une vaste église. À tout hasard, nous y entrâmes ; elle était si noire que l’on ne distinguait rien, à deux pas, devant soi ; mais subitement, tandis que nous avancions à tâtons, nous demandant si nous n’étions pas chez des hérétiques, une lueur d’étoile scintilla au bout de la nef ; l’étoile voltigea, puis se fixa à six places différentes, en l’air ; et, dans la lueur qu’épandaient, au-dessus de l’autel, les six cierges, une statue coloriée sortit des ténèbres, une statue de femme, couronnée de roses et près de laquelle se tenait un ange ; le doute n’était pas possible ; comme pour nous rassurer, Lydwine se montrait aussitôt notre arrivée et tandis que nous l’examinions, l’église entière s’alluma et une foule silencieuse l’emplit ; des hommes, des femmes, des enfants, pénétraient par toutes les portes et se serraient dans des rangées de bancs ; l’autel se couvrit de lumières et, pendant que les prêtres arboraient le Saint-Sacrement, de majestueuses tempêtes de louanges jaillirent des grandes orgues et le « Tantum ergo » entonné en plain-chant par des centaines de voix monta dans des nuées d’encens, le long des colonnes, sous les voûtes ; puis après la bénédiction, ce fut le « Laudate » chanté également par l’assistance et, dans l’église qui s’éteignait, de ferventes silhouettes agenouillées, les mains jointes, dans l’ombre. La bénédiction du Saint-Sacrement ! nous y sommes si habitués en France qu’elle ne nous éveille plus de sensations particulières ; nous nous y présentons, heureux d’offrir une preuve d’affectueuse déférence à Celui dont l’humilité fut telle qu’il voulut naître dans la race la plus vile du monde, la race Juive, et qu’il consentit, pour guérir les maladies d’âme des siens, à se rabaisser au rôle de remède spirituel et à se donner sous l’aspect sans gloire d’un cachet de pain ! mais, à l’étranger, alors que, depuis des semaines, l’on vit, sans églises où l’on puisse à toute heure entrer, au milieu de personnes dont on ne comprend pas le langage, l’impression d’allégresse, de paix, que l’on ressent à entendre la langue latine de l’Église, à se retrouver subitement dans son milieu de prières, est vraiment exquise. Il semble que l’on soit un enfant perdu qui reconnaît les siens, un sourd qui recouvre le sens de l’ouïe ; on a envie de presser la main à tous ces braves fidèles qui vous entourent et qui, dans un idiome différent, aiment et croient comme vous ; on se rend compte plus aisément de cette vraie fraternité qui dut unir les premiers chrétiens semés dans la foule des idolâtres. Ce qui était étonnant, il sied de le dire aussi, c’était, dans ce sanctuaire inconnu, le nombre des hommes qui priaient ; c’était l’ardente ferveur de ces catholiques que l’on voyait si foncièrement, si simplement pieux. Et une fois retournés à l’hôtel où les excellentes gens qui nous reçoivent sont, eux aussi, des orthodoxes, nous apprenons que Schiedam possède trois églises et que sainte Lydwine est la patronne et la maîtresse absolue de la ville. Dans cette salle à manger du Hoogstraat où nous sommes si bien à l’aise, chez nous, dans un coin tiède et douillet, des bouffées de souvenirs de famille et d’enfance me remontent, suscitées par le parfum de la pièce, par ce parfum si spécial aux intérieurs du pays et qui est fait de pain d’épice et de thé, de gingembre et de cannelle, de salaisons et de fumures, une exhalaison blonde et tirant sur le roux, une émanation à la fois douce et acérée, très fine, qui me remémore tant d’amicales salles à manger, au moment des légers repas et qui subsiste, sans s’effacer complètement, alors même que la dînette est finie. Toute la petite et la délicieuse Hollande se lève, ici, pour nous accueillir et nous souhaite, après Lydwine dont elle nous rappelle les célestes effluves, la plus aimable des bienvenues, en ce dialecte odorant, en ce salut d’arômes. Le lendemain, nous allons visiter les églises et notre surprise de la veille s’accroît ; ce n’est pas un dimanche et beaucoup d’assistants suivent les messes, communient avant ou après le sacrifice, ainsi qu’il est d’usage, ici. De ces trois églises toujours pleines, deux appartiennent aux dominicains qui, dans un pays protestant, ne peuvent revêtir le costume de leur ordre ; l’une de ces églises, placée sous le vocable de saint Jean-Baptiste, est celle où nous nous sommes introduits, par hasard, hier. Avec le jour, le charme tomberait si la vie de prières qui l’anime ne compensait le peu d’attrait que provoque la banale laideur de sa nef. Soutenue par des piliers à chapiteaux toscans, elle est d’un style chagrin, inclassable, et cette image de la sainte entrevue dans une échappée d’ombre est un vulgaire plâtre peint. L’autre église, dite du Rosaire, est bâtie, mi-partie brique et mi-partie pierre, et éclairée par des vitres vertes ; elle simule assez gauchement le style gothique, mais elle est néanmoins plus allègre que l’autre et plus prévenante ; la chapelle dédiée à sainte Lydwine est agrémentée de vitraux sur lesquels figurent différents épisodes de sa vie, et d’une statue achetée dans le commerce et qui n’a rien à voir, de près ou de loin, avec une œuvre d’art. L’église de beaucoup la mieux est la troisième, l’église paroissiale, desservie, celle-là, par un curé et des vicaires et baptisée du nom de la Visitation de Notre-Dame ; moderne, ainsi que les deux autres, elle imite également le style ogival ; elle est sans élégance et elle est nue, mais elle détient une incomparable chapelle, tout imprégnée de sainte Lydwine dont elle conserve les reliques cédées par les carmélites de Bruxelles. Cette chapelle qui est presque un minuscule oratoire, à la décrire, serait nulle ; son charme réside en son atmosphère saturée de souvenirs et de grâces et non dans sa coque, qui avec ses poutres et ses panneaux de bois blanc paraît temporaire et est, en tout cas, inachevée ; il semble que le terrain ait manqué et qu’on ait emprunté pour la construire la place d’une petite cour ; seulement l’intimité de ce sanctuaire que n’offensent point ces bondieuseries qui gâtent les autres églises, est délicieuse. Au fond, se dresse, un autel très simple, de forme gothique, ornementé de croix et de passiflores et surmonté d’une statue de la sainte debout et à laquelle l’ange remet des roses, une statue inspirée de la statuaire des Primitifs, la seule vraiment convenable que nous ayons encore rencontrée dans ce pays ; et, sur le devant de l’autel, encastré dans la boiserie, un bas-relief de marbre représente encore la sainte, mais couchée, cette fois, et l’ange lui apporte également la symbolique branche. Malgré son concept classique et son ordonnance un peu prévue, ce bas-relief qui est l’ouvrage de M. Stracké, un sculpteur de Harlem, intéresse ; et tandis que je l’examine de près, je me dis : où ai-je déjà contemplé cette figure couverte d’un bonnet, enveloppée de bandelettes, regardant un crucifix, fixé entre ses deux mains ? et l’héritière de Lydwine, la sœur Emmerich, surgit soudain devant moi, sur son lit, telle que la dessina Clément Brentano et qu’Édouard Steinle la grava ; et j’avoue que je trouve vraiment ingénieuse l’idée de l’artiste qui, ne pouvant consulter aucun portrait authentique de la sainte, s’inspira de l’attitude, des traits pris sur le vif de sa plus parfaite image, de sa sœur en Dieu, pour nous la montrer. Des tableaux du peintre Jan Dunselman doivent compléter la parure de cette chapelle ; cinq sont déjà en place et trois restent à livrer. Parmi ces toiles qui racontent les principaux événements de la biographie de Lydwine, l’une nous relate la chute sur la glace, en une langue qui se souvient un peu de celle de Leys ; et ce panneau, avec la petite maison de la sainte, en bois et en briques, la porte à pentures, les fenêtres résiliées de plomb, les groupes des filles qui entourent l’enfant tombée dans la neige, les hommes qui ont froid et flânent, distraits, sans croire à la gravité de l’accident, tandis que, sur la droite, un vieux balayeur sort du cadre, aux cris d’une fillette, affolée par la peur, est expertement agencé et alertement peint ; c’est une œuvre moyenne, et observée. Je ne puis cependant me convaincre que la petite Lydwine avait ce nez allongé sous des yeux à fleur de tête et cette bouche commune. Logiquement elle eût dû apparaître, dans ces ouvrages, horrible, car elle était déjà maigre et laide lorsqu’elle se brisa une côte ; mais étant donné que l’artiste n’a pas, avec raison, je pense, tenu compte de la vérité historique en cette œuvre — car il aurait fallu du génie pour dégager la splendeur de l’âme de son cercueil de chairs ! — j’aurais voulu alors qu’il imaginât une Lydwine et plus éclairée et plus fine. Elle fut jolie, belle de corps, d’une taille élégante et sa voix était douce et sonore ; c’est à peu près tout ce que nous apprennent ses monographes ; c’est court, mais enfin, ils s’entendent pourtant à la faire plus accorte, plus distinguée surtout que ne la conçut le peintre. Vraiment, je crois bien que, personnellement, je la vis, un dimanche, parmi les orphelines que les sœurs dominicaines conduisaient, dans cette église même, à la messe ; elle était agenouillée, tendue vers l’autel, égrenant son chapelet ; elle avait de grands yeux d’un bleu avoisinant le vert et, sous le bonnet noir, s’échappaient d’admirables cheveux, de ces cheveux qui, cendrés près des racines, se dorent à mesure qu’ils s’en éloignent ; l’on eût dit d’un écheveau de soie éclairé par un rayon de soleil hivernal ; et la tenue de cette enfant, au teint blanc, à peine teinté de rose sur les joues, aux lèvres de fleur qui s’épanouit alors que commence à la friper le gel, était si modeste, si pieuse, si vraiment confinée en Dieu, que je ne pouvais me persuader que Lydwine eût été différente. Ainsi que je l’ai dit, aucune image véridique de sa physionomie n’existe ; sur les vingt tableaux marqués par Molanus, comme ayant autrefois orné les murs de la chapelle édifiée en son honneur par les recteurs de Schiedam, douze ont été reproduits en un insignifiant format, au XVIe siècle, par le graveur Jérôme Wierix ; ils cernent, de médaillons, un portrait plus grand de la sainte recevant des mains de son ange la fameuse branche. Il est difficile de créer un type conventionnel, plus redondant à la fois et plus piètre que celui de cette estampe ; on ne sait si Lydwine est un garçon ou une fille, car elle y grimace ainsi qu’un être hybride dont le nez busqué et fend en deux une face privée de menton. D’autre part, j’ai considéré chez un habitant de Schiedam une très belle gravure de Valdor, du commencement du XVIIe siècle, qui la portraiture ; elle y est plus sensément traitée, mais ce n’est sûrement pas encore elle ; d’autres médiocres de Pietro de Jode, de Sébastien Leclerc l’exhibent brandissant une croix, une couronne, ou une tige de rose ou une palme, seule ou accompagnée d’un ange ; une dernière enfin, toute moderne, celle-là, mais assez curieuse, en tant qu’imitation des tableaux des Primitifs, est l’œuvre d’un peintre allemand Ludwig Seitz ; c’est une des mieux ; mais dans celle-là, de même que dans toutes les autres, le visage, plus ou moins persuasif, est inventé. Il est donc, en somme, permis, puisque rien de certain ne subsiste, de nous la figurer, selon nos conceptions d’art et nos appétences de piété. Et, ce dimanche, où j’entrevis cette extraordinaire fillette, nous pouvions véritablement nous certifier les premières impressions éprouvées dans cette ville ; les églises débordaient, étaient insuffisantes à contenir la foule des orants ; à la Visitation de Notre-Dame, des gens lisaient leur missel devant les portes laissées ouvertes, au seuil de la rue ; les communions ne décessaient pas ; après les hommes et les femmes, les pensionnats s’ébranlaient ; nulle part, nous n’avions encore constaté une si placide ardeur et j’ajouterai un respect plus absolu de la liturgie, du plain-chant exécuté non par des chantres gagés, mais par des personnes de bonne volonté, ayant de la voix et s’acquittant consciencieusement de leur tâche, décidées, pour honorer le Seigneur, à très bien chanter. Cette petite chapelle de sainte Lydwine, dans les heures qui s’attristent, elle émerge de mes souvenirs, si lénitive, si familièrement attendrie ! et comment ne pas me rappeler aussi le cordial et le délicat accueil de son pieux et savant curé, M. l’abbé Poelhekke, qui célébra, un matin, pour nous, la messe à son autel sur lequel il avait voulu exposer, comme en un jour de fête, la châsse des reliques. Sauf ces ossements et sa mémoire qui resplendit dans cette ville, rien hélas ! ne reste, ici, de Lydwine, sinon sa plaque tombale ; elle a été ôtée de l’ancienne église désaffectée et muée en un temple protestant et transférée dans la petite chapelle des sœurs dominicaines qui tiennent un orphelinat et font la classe aux enfants du peuple. Cette pierre est sculptée d’une figure âgée et un peu renfrognée de femme, endormie, les mains jointes sur le ventre, et enveloppée, de la tête aux pieds, d’un linceul ; en haut, deux angelots descendent pour lui ceindre d’une couronne le chef et, aux quatre coins, les quatre animaux évangéliques sont gravés dans un cercle. Cette pierre est très bien conservée ; d’après une note des Bollandistes, les calvinistes l’auraient retournée, non pour la préserver, mais pour empêcher les catholiques de s’agenouiller devant ; d’après une autre tradition, au contraire, les protestants, par déférence pour la sainte, faisaient un détour dans l’église afin de ne pas marcher dessus et de ne point l’abîmer. Je ne sais laquelle de ces deux versions est la vraie ; je les donne telles quelles. Quant à la bâtisse qu’elle occupa, elle est le sujet de nombreuses controverses que nous allons résumer en quelques lignes : Selon les uns, sa maison aurait été située dans une sente appelée Bogaarstraat ; selon les autres, dans une ruelle dite Kortekertstraat. Il y aurait eu jadis, en cette ruelle, un puits qui guérissait les fiévreux et le bétail malade ; d’après d’anciens documents, à ce signe, l’on reconnaîtrait le gîte de la sainte ; des recherches ont été effectuées dans ce sens, mais le puits n’a pas encore été découvert ; enfin une troisième opinion qui semble la plus accréditée attribuerait sa résidence au Leliendaal, là où s’élève encore un orphelinat protestant, une bâtisse du XVIIIe siècle, flanquée d’un bonhomme et d’une bonne femme sculptés et peints, de chaque côté, en haut de la porte. Voici, dans tous les cas, l’histoire de la demeure de Lydwine. Après sa mort, le fils du docteur Godfried de Haga acheta sa maison qui devint ce qu’on appelait « une maison du Saint-Esprit », c’est-à-dire un refuge de femmes pauvres ; puis en 1461, le jour de la fête de sainte Gertrude, cette maison qui renfermait une chapelle fut cédée, avec l’assentiment des bourgmestres et des conseillers de Schiedam, par le collège du Saint-Esprit à une communauté de clarisses ou de sœurs grises de saint François, venues de Harlem. Il y avait, dans ce couvent, dit Molanus, un autel dédié à sainte Lydwine et érigé juste à l’endroit où reposait son lit ; et l’on distribuait, tous les ans, le jour de sa fête, aux personnes riches ou pauvres qui se présentaient, un pain blanc. En 1572, les gueux, après avoir dévasté l’église de saint Jean-Baptiste, démolirent la chapelle du Leliendaal et le cloître fut pillé. Il devint en 1605 un orphelinat qui fut rasé en 1779, car il tombait alors en ruine et reconstruit à la même place, c’est-à-dire à la place de la demeure de Lydwine. Mais ce dernier point est justement celui qui n’est pas admis, sans conteste, par tous. Je n’ai pas à prendre part à ce débat qui n’intéresse d’ailleurs que les habitants de Schiedam ; je dois ajouter cependant qu’une quatrième opinion me fut exprimée à Amsterdam ; celle-là aurait l’avantage de mettre tout le monde d’accord, la voici : Lydwine aurait habité plusieurs logements et aurait été transportée, après la mort de ses père et mère, au domicile de son frère. Je ne sais ce que vaut cette allégation dont je ne discerne dans les historiens aucune trace ; elle me suggère cependant une remarque. Brugman nous raconte que la maison du père de Lydwine était basse et humide, plus semblable à une tombe qu’à une chaumine ; or, je me demande comment dans une bicoque si exiguë, tant de personnes purent camper. Après la mort de son père, son fils, sa femme, ses deux enfants, un cousin nommé Nicolas, l’augustin Gerlac et finalement la veuve Catherine Simon y auraient résidé. Il est fort possible qu’ils n’y aient pas séjourné tous ensemble, au même moment, mais il n’en reste pas moins douteux que ce réduit ait pu être assez grand pour héberger autant d’hôtes. Il y aurait peut-être lieu de croire alors que la maison dans laquelle mourut Lydwine n’était pas la même que celle dans laquelle elle était née et avait vécu les premières années de ses souffrances. L’emplacement du canal sur la glace duquel elle s’est brisé une côte, est le sujet de moins de débats ; les archéologues semblent d’accord pour désigner une rue qui s’affuble encore du nom de « chemin des boiteux » « Kreupelstraat » ; cette rue était un canal, il n’y a pas bien longtemps encore, car j’ai acquis, à Schiedam même, une photographie prise sur nature et qui le représente ; elle est sans caractère et il est difficile de s’imaginer le lieu exact où se passa la scène relatée par les biographes et peinte sur l’un des tableaux de l’église. Du temps de Lydwine, il n’existe, en somme, que l’antique église de saint Jean-Baptiste, devenue un temple réformé ; mais la sainte n’y a pas, corporellement du moins, prié, puisque ce sanctuaire, brûlé dans l’incendie de 1428, fut rebâti, en partie, pendant sa vie, et alors qu’elle était alitée et ne pouvait sortir. Cette église, la seule ancienne de Schiedam, est un édifice de brique, surmonté d’une haute tour coiffée d’un petit chapeau rajouté et attifée d’un très puéril carillon ; son intérieur, à ogives, est soutenu par sept piliers à chapiteaux sculptés de feuillages et plafonné de poutres ; sa nef est coupée en deux par un tablier de bois. Au-dedans, ce sont des estrades de distribution de prix ou de foire foraine, des bancs d’œuvre, des amas de bibles. La tristesse de ce sanctuaire souillé, sans autel et sans messes ! Plus que dans cette basilique, plus que dans ces rues que je viens de citer, le souvenir de Lydwine vous hante, alors qu’on erre dans les vieux quartiers de Schiedam, moins réparés et moins remis à neuf ; que de fois, le long de ces canaux ombragés d’arbres et dont les ponts tournent pour laisser filer les bateaux, nous l’avons évoquée, tandis que les grands moulins à vent bénissaient, avec la croix de leurs ailes, la ville ; elles dessinaient le rond d’une croix grecque et me rappelaient le mémorial de cette Passion que finit par méditer si ardemment la sainte ! et, pendant que ces croix silencieuses signaient l’horizon, au loin, un sergent de ville, débonnaire, malgré son casque à pointe et sa petite épée de chasse, surveillait les déchargeurs en vêtements de laine rouge et en culotte courte, qui débarquaient des tonnes sur le quai, les manœuvres qui, devant les distilleries, pompaient la drèche chaude coulant en rigoles de café au lait dans les barques ; et moi, je songeais au père de Lydwine, au bon Pierre, qui avait été l’homme du guet, le sergent de ville de son époque, à Schiedam. Devant nos pas, les rues d’eaux s’allongeaient, en tournoyant, plantées de moulins du XVIIIe siècle, superbes avec leurs briques culottées, leurs grandes collerettes de bois, leurs petites croisées peintes en vert Véronèse ; leurs ailes parfois sans voiles simulaient alors des lames de rasoirs prêtes à fendre l’air ; et ces moulins apparaissaient géants à côté des tout petits que l’on construit maintenant et qui sont revêtus, comme d’une houppelande de peluche grise, habillés comme avec des peaux veloutées de souris. Et cette minuscule cité s’adorne de coins charmants ; dans les vieux quartiers que traverse la rivière à laquelle elle doit son nom, la Schie, ce sont des lacis de ruelles bordées par des bâtisses enfumées de briques, dessinant avec l’onde qui les mire d’amusantes courbes, d’antiques masures ajourées ainsi que des séchoirs de mégissiers ou précédées de hautes façades couvertes de grands toits qu’effleurent les mouettes ; et des files de sansonnets perchés sur leurs arêtes, de même que sur des bâtons, chantent. Subitement, au détour d’une de ces sentes, d’immenses échappées de campagne fuient, des plaines encore coupées par des canaux qui font l’effet de marcher avec les nuages qu’ils réverbèrent. Très au loin, des mâts de navires qu’on ne voit point, semblent piqués en terre ; une voile se déplace et, derrière elle, le bras d’un moulin, qu’elle cachait, surgit ; des vaches blanches et tachées d’encre, des moutons, des pourceaux noirs et roses s’aperçoivent, à perte de vue, sous l’infini d’un ciel que rien n’arrête ; et, à regarder ces végétations si fraîches et si vertes, qu’en comparaison de celles-là, les prairies les mieux arrosées de la France, sont jaunes et sèches, à contempler ce firmament d’un bleu pâle, presque polaire, que bouillonnent des nuées d’argent qui se dore, une très douce mélancolie vous vient. Ces sites placides, ces étendues taciturnes, ces paysages graves ont quelque chose de personnel, un je ne sais quoi d’affectueux et de quiet ; le charme de cette nature si spéciale tient, je crois, à cette bonhomie qu’elle dégage, une bonhomie qui sourit, un peu triste, et se recueille. Comme contraste à ces plaines et à ces petites rues qui s’embrouillent dans d’étroits canaux, à l’autre extrémité de la ville, s’épand un fleuve immense, la Meuse ; elle se jette, à cet endroit, dans la mer. Au fond, Rotterdam émerge de l’eau avec ses monuments dressés sur le ciel qui s’illimite ; les petits vapeurs qui assurent le service des côtes fument à l’horizon, tandis que le souffle d’une formidable fabrique de bougies domine tous ces bruits ; le quai est hérissé de grues à vapeur et comblé de tonnes. Ce rappel de la vie moderne, dans le pays de Lydwine, déconcerte et l’on se prend à regretter le temps où de maladroits pêcheurs incendièrent Schiedam, la veille du jour où ils s’embarquèrent sur ces plages alors vides, pour aller pêcher le hareng. Et, à ce propos d’incendie, ne faut-il pas noter que la sainte, qui en subit trois, de son vivant, est ici considérée, même par les protestants, comme une sauvegarde contre les ravages du feu ; il n’existe pas, en effet, d’exemple que lorsqu’une usine d’alcool flambe, celles qui l’avoisinent s’enflamment ; Lydwine est aussi, cela va de soi, invoquée pour la guérison des malades ; l’on prête à la cure un petit philatère d’argent contenant quelques-unes de ses parcelles, pour les faire toucher à ceux qui souffrent et, tous les lundis, à sept heures du soir, on la prie, avant le Salut du Saint-Sacrement, afin qu’elle détourne les fléaux de la ville. Elle vit, on le voit, à Schiedam où les catholiques la vénèrent et où il sied de dire, pour être juste, que les réformés ne lui sont nullement hostiles ; elle compte des amis à Harlem, mais plus loin, son souvenir s’efface. Voilà déjà près de douze jours que nous habitons la minime cité et, en sus de son aspect extérieur, nous commençons à connaître ses antécédents et à pénétrer dans sa vie intime. Schiedam ne fut jamais une grande ville, mais elle fut jadis un bourg prospère. Maintenant, elle décline ; les anciennes familles riches sont parties ; son industrie particulière, celle du genièvre, du schiedam qui lui emprunte son titre, est bien déchue, depuis que des villes telles qu’Anvers se sont décidées, elles aussi, à fabriquer les eaux-de-vie de grains. Elle possédait autrefois trois cents distilleries et l’on en compte à peine, à l’heure actuelle, cent vingt. Où sont les bateaux qui arrivaient naguères de Norwège avec leurs cargaisons de grains bleus ? Je n’en ai découvert aucun et je doute un peu que le fruit du genévrier entre désormais dans la confection de cette magnanime liqueur. Elle semble préparée, ainsi que le wiskey d’Irlande et le gin d’Écosse, avec le blé, le maïs et l’orge ; et c’est, par toutes les rues, près des canaux, non l’odeur un peu d’allumette des vrais genièvres, mais la senteur de la farine de lin chaude, de la drèche, des résidas en bouillie de l’orge. On les évacue à la sortie des usines, dans des citernes, le long des quais et, là, des hommes les pompent et les déversent dans des barques, pour servir à la nourriture des bestiaux. La population de la ville peut se composer de 13.000 réformés, de 10.000 catholiques, de 60 ou de 70 jansénistes et de 200 juifs. Les catholiques y sont donc en minorité, de même que dans la plupart des villes des Pays-Bas ; et, c’est sans doute pourquoi ils se serrent si délibérément les coudes et forment une colonie modèle de gens pieux. Un catholique qui ne l’est que de nom et qui ne pratique pas, est rare, ici ; il n’y a décidément rien de tel que d’avoir été persécuté à cause de sa religion, pour vous la rendre chère ; si le calvinisme a décimé les ouailles du Seigneur, il faut avouer qu’il a singulièrement virilisé celles qui lui résistèrent ; le catholicisme néerlandais, tel que je l’observe ici, n’a rien de ce côté efféminé qui s’affirme de plus en plus dans les races latines. Il adore un Christ au corps imparable, en croix, qu’il ne relègue pas, ainsi que trop souvent chez nous, après ses saints. En un mot, il est un catholicisme simple, un catholicisme mâle ; il convient de déclarer aussi qu’en Hollande, le clergé est excellent ; dispensé de l’éducation subalterne de nos séminaires, alimenté par de fortes études, il n’est pas soumis à ces préjugés qui font de nos ecclésiastiques une classe du monde, à part ; le prêtre hollandais est un homme comme un autre, mêlé, de même que n’importe qui, à la vie commune ; il est plus indépendant que chez nous, mais son existence s’écoule au grand jour et c’est justement parce qu’il n’a rien d’obscur, rien de caché, qu’il impose le respect, même aux cultes dissidents, par la dignité de sa vie, par la ferveur indiscutée de sa foi, par l’honnêteté reconnue de son sacerdoce. Sa tâche n’est pas des plus faciles. Il faut veiller à la sécurité d’un troupeau parqué au milieu du camp des infidèles et l’accroître, s’il se peut ; mais là, il se heurte à de terribles bornes, car ce n’est que lentement que le Pays plat revient à ses premières croyances ; et il y a un motif pour cela ; la défense acharnée du temple, la mise en quarantaine par les protestants des convertis ; il faut donc des cas bien exceptionnels pour qu’un égaré rentre au bercail ; il faut qu’il puisse se passer de l’aide de ses anciens coreligionnaires qui, avec les jansénistes, détiennent l’argent. Car la richesse est chez ces sectes, chez les jansénistes surtout ; la boîte à Perrette a fait des petits ; ceux-là distribuent, pour les convaincre, d’efficaces prébendes à ceux qui se marient en leurs églises. Il ne siérait pas, sur ce mot de janséniste, de se figurer une religion prolongée de Port-Royal, de chrétiens ascétiques péchant par excès de scrupules. Les disciples de Port-Royal qui furent très intéressants, en somme, ne sont plus ; leurs successeurs sont de honteux hétérodoxes, de troubles protestants ; s’ils pèchent, ce n’est plus par outrance de rigorisme, ce serait plutôt le contraire ; Jansénius s’est marié et Quesnel a, lui aussi, pris femme ; ils sont devenus des Hyacinthe Loyson ; leur hérésie est une hérésie de coffre-fort et de pot-au-feu ! Cette Hollande qui, avec son archevêché janséniste d’Utrecht est le dernier refuge de ce schisme, cette Hollande qui est surtout un incontestable repaire d’hérétiques, — car, si j’en crois l’annuaire du clergé, elle compterait sur une population approximative de 4.800.000 habitants, 1.700.000 catholiques, soit un peu moins de 35 %, — elle a été pourtant une terre sanctifiée, une pépinière dans laquelle la culture monastique fut intense ! les bénédictins, les cisterciens, les prémontrés, les dominicains, les augustins, les franciscains, les croisiers, les alexiens, les chartreux, les antonites y ont bâti les plus florissants des cloîtres. La Frise avait, à elle seule, 90 monastères et abbayes et, dans la seule province d’Utrecht, dit Dom Pitra, l’on a retrouvé 198 fondations d’ordres. Tout a disparu dans la tourmente. Dans ce pays de saint Éloi, de saint Willibrord, de saint Wérenfride, de saint Willehad, de saint Boniface, de saint Odulfe, de sainte Lydwine, malgré les persécutions qui s’y révélèrent terribles, le culte catholique s’est quand même maintenu ; il a beau être noyé dans la masse de cette religion réformée suivant la confession de Calvin, il s’étend. En 1897 un journal hollandais le « Katholicke Werkman » dénombrait ainsi les institutions catholiques des Pays-Bas : 96 maisons de religieux desservant 66 paroisses et instruisant dans les lycées 725 élèves ; 44 maisons de frères, soignant des malades, des aliénés, des orphelins, des sourds-muets, des vieillards, et faisant la classe à 1035 pensionnaires et à 12.120 élèves ; 22 maisons de moniales vouées à la vie contemplative ; 430 maisons de sœurs hospitalières prenant soin de 12.000 orphelins et d’incurables et d’aveugles. On enregistrait, en somme, à cette époque, 592 couvents en Hollande. D’après une autre statistique parue en 1900 dans le « Residentiebode », de la Haye, la Néerlande énumérait : En 1784 : 350 paroisses et 400 prêtres ; en 1815 : 673 paroisses et 975 prêtres ; en 1860 : 918 paroisses et 1800 prêtres ; en 1877 : 985 paroisses et 2093 prêtres ; et, en 1900 : 1014 paroisses et 2310 prêtres. La progression est lente mais sensible ; l’Église réoccupe, peu à peu, ce sol qui fut sien ; les anciennes semailles engourdies dans cette terre que la Réforme dessécha, lèvent ; l’on entend, dans la région des Tropiques, pousser certains roseaux ; il semble que si l’on écoutait bien dans les Pays-Bas, l’on entendrait les vieux ossements et la poudre de ses très antiques saints, bruire. Ligugé. Fête de sainte Scholastique, 11 février 1901 APPENDICE Il m’a paru intéressant de rechercher quelle avait été autrefois et quelle est maintenant la situation de sainte Lydwine, au point de vue liturgique. Voici les quelques renseignements que j’ai pu me procurer : Dans ses « Natales sanctorum Belgii » Joannes Molanus nous apprend, à la date du 14 avril, que l’on ornait la chapelle et la tombe de Lydwine, non ce jour-là, mais le quatrième jour après Pâques et qu’on célébrait, sur le rit solennel, en son honneur, l’office de la Trinité. De leur côté, les Bollandistes nous ont conservé la séquence « De aima virgine Lydwina » qui se chantait jadis, au temps Paschal, dans la Hollande et les Flandres. Nous en donnons ci-après le texte, avec une traduction, incomplète de quelques strophes, du Cardinal Dom Pitra. En somme, de l’année 1616, à partir de laquelle fut autorisé le culte de Lydwine, jusqu’à l’année 1892, il n’y eut pas d’office particulier pour la Bienheureuse dans le missel et dans le bréviaire des catholiques des Pays-Bas ; mais, ce qui est plus singulier, c’est qu’un office propre a existé dans l’ancien bréviaire janséniste d’Utrecht et de Harlem. Je suis parvenu à mettre la main sur ce livre ; j’en extrais, à titre de curiosité, le texte relatif à la sainte et j’y joins une traduction. Enfin, après la canonisation de Lydwine, un office spécial fut concédé par la sacrée Congrégation des Rites ; il a commencé d’être célébré, à partir de l’année 1892. Cet appendice en détient le texte en latin et en français. La messe est la messe « Dilexisti » du Commun des Vierges non martyres, avec l’oraison propre de l’office et l’Évangile selon saint Mathieu « Videns Jesus turbas » qui est l’Évangile de la Toussaint. SÉQUENCE DE LA BIENHEUREUSE VIERGE LYDIE OU LYDEWIDE XVIIe SIÈCLE SEQUENTIA DE ALMA VIRGINE LYDWINA Alleluia festivale Tempus exigit Paschale, Voce, votis, jubilo ; Benedictione plenus Jam refulsit sol serenus, Pulso noctis nubilo. Coronatur gloria Christus pro victoria, Victor victis inferis : Deus surgens creditur, Honor regni redditur Fitque pax cum Superis. Expectatio Mariæ Consolatur ipsam pie Tristem hanc inveniens Fit solatium beatis, In extremo mundi natis Omnes nos deliniens. Gaudent Archangeli, Fantur et Angeli Virgini Lydiæ : Hæccine Lydia Vernat ut lilia Santæ Cæciliæ ? Intra cujus cameram Senserat Tiburtius Rosam odoriferam. Stupens vehementius. Catharinæ virginis Juxta natalitia Fructum divi seminis Metit hæc Cæcilia. Lydewidis humilis Nata Christo Domino, Sanctis extat similis Regnans sine termino : Miræ patientiæ Vixit in hoc tempore, Nimiæ miseriæ Particeps in corpore. Non murmur resonat, Non querimonia, Sed laudem personat Devota Lydia De data gratia. O vere humilem, Quæ nunquam deficit Quam Christus debilem Seipso reficit ; Hinc virgo proficit Per se Jesus hanc invisit, Consolationem misit ; Circa lectum hujus sedens, Et ab ea non recedens, Donec ipsam pasceret : Quæstione quadam facta De nativitate nacta Opus Verbi Incarnati, Hæc adscripsit Trinitati. Sic ut quærens quæreret Radiosi luminis Talis doctrix numinis Impetret quod poscimus : Solem sic inspicere Ne contingat perdere Lumen quod nos cupimus, Trinitatem speculari, Unitatemque mirari, Quæ consistit in Divinis, Quo dictaminis est finis. Vale felix Lydewidis, Quam non ligat nexus Stygis Poscas nobis cum Maria, Ut cantemus Alleluia Amen. SÉQUENCE DE LA BIENHEUREUSE VIERGE LYDWINE <poem>C’est le joyeux alleluia Qu’appelle le temps Pascal, De voix et de cœur réjouissons-nous. Plein de bénédictions A brillé un soleil pur, Chassant l’ombre nocturne, Et couronné de gloire Le Christ a triomphé. Vainqueur de l’Enfer vaincu, Il se lève, il est Dieu, croyons ! Il a repris l’honneur de son trône Il fait régner la paix dans le cœur, Et cesser l’attente de sa Mère Qu’il console avec amour. Et les archanges se réjouissent Et les anges en chœur Disent à la vierge Lydie : Est-ce donc là Lydie ? Elle est blanche comme les lys De Sainte Cécile ! Cécile en sa demeure Fit sentir à Tiburce Le parfum de la rose Et le remplit de stupeur. Cécile, au jour où naquit au Ciel La Vierge Catherine Recueillit le fruit Que sema la grâce de Dieu, L’humble Lydwine Que le Christ fit naître pour Lui Est semblable à ses Saints Et règne à jamais. Exemple étonnant de patience, Elle a vécu en nos jours, Portant dans son corps D’intolérables souffrances. On n’entendit ni murmure Ni plainte aucune ; On n’entendit que les chants De la pieuse Lydwine Adieu, Bienheureuse Lydwine, Toi que la mort n’a pas retenue captive ; Veuille nous obtenir qu’avec Marie Nous chantions : Dieu soit loué Alleluia. — Amen. (Dom Pitra, Hollande Catholique, p. 136.) BRÉVIAIRE JANSÉNISTE XVIIIe SIÈCLE OFFICE PROPRE DE LA BIENHEUREUSE LIDUINE Breviarium ecclesiasticum ad usum Metropolitanæ ecclesiæ Ultrajectensis et cathedralis ecclesiæ Harlemensis accommodatum — pars Verna — jussu superiorum, MDCCXLIV. Bréviaire ecclésiastique, à l’usage de l’église métropolitaine d’Utrecht et de l’église cathédrale de Harlem. — Partie du Printemps, imprimée par ordre des supérieurs, 1744. Festum subsequens in diocaesi Ultrajectensi recitari poterit ad libitum La fête suivante pourra être récitée ad libitum dans le diocèse d’Utrecht. Die xiv maii 14 mai In festo beatæ Liduinæ virginis Semi duplex ad libitum En la fête de la Bienheureuse Liduine, vierge, demi-double ad libitum Omnia de communi Virginum non mart. præter sequentia In I Vesperis et Laudibus. Tout du commun des Vierges non martyres, sauf ce qui suit aux premières Vêpres et aux Laudes. Hymnus Hymne Ut semper in suis Deus Miranda præstat ! infima E fæce mundi seligens Ut altiora deprimat ! Comme toujours Dieu opère des merveilles dans les siens ! c’est au plus profond de la boue du monde qu’il va chercher ce qui doit abaisser la superbe ! Longis malis exercita Liduina, tandem Numinis Agnoscit occultam manum ; Tollit crucem, sese abnegat ; Longuement exercée par les maladies, Liduine reconnaît enfin la main qui se dissimulait de Dieu ; elle prend sa croix et se renonce. Dextræ o Dei mutatio ! Qui nauseam dabat calix Jam corde toto sumitur, Jesuque amore inebriat. Ô divin changement, ce calice qui lui donnait des nausées, elle le vide de tout cœur, maintenant que c’est cette main qui le lui présente et elle s’enivre de l’amour de Jésus. Qui virginis pœnas Deus Pænis tuis inunxeras Fac nos dolores quoslibet Amore pro tuo pati. Seigneur qui as uni à tes peines celles de cette vierge, fais que nous supportions pour ton amour, nos douleurs. Qui traditum Cruci Pater Nobis redonas Filium, Da carnis angores sacro Commitigari Spiritu. Père qui as livré pour nous ton Fils au supplice de la Croix, permets à l’Esprit-Saint de pacifier les souffrances de notre chair. Amen. Amen. Oratio ut infra ad Laudes L’oraison comme plus bas à Laudes Ad Nocturnum À Nocturne Invit. Agnum quem sequuntur Virgines, * Venite adoremus, Alleluia. — Apoc., XIV. Invitatoire. « Il est l’agneau que suivent les Vierges » — * Venez, adorons-le. Alleluia — Apocalypse, XIV. Ps. 94. — Venite Hymnus ex laudibus de Communi Ant. ℣ ℟℟℟. Lectio de Scriptura occurrente tribus in unam redactis. Psaume 94. — Venez, réjouissons-nous devant le Seigneur, etc. Hymne des Laudes, au Commun, Antiennes, versets, répons également. Ire leçon de l’Écriture occurrente dont les trois leçons sont réunies en une. Lectio ii 2e Leçon Liduina, virgo Schiedamensis, insignis futura Dominicæ Passionis imitatrix, sæculo Liduine, vierge de Schiedam, qui devait être une insigne imitatrice de la Passion du decimo quarto in lucem edita fuit, die Dominica Palmarum, ipso sacrificii Missæ tempore, dum Passio Dominici nostri Jesu Christi in ecclesia recitabatur, parentibus pietate magis quant seculari nobilitate conspicuis. Ab infantia, singulari devotione erga, Deiparem Virginem ferebatur ; eamque perpetuæ virginitatis proposito imitari studebat. Cumque pater tenellam filiam ad conjugium adhortaretur, ipsa ferventi prece a Deo obtinuit ut in sancto proposito firmaretur, carnis mortificatione id agens, ut species sua qua placere hominibus posset, periret. Piis conatibus atque gemitibus, opitulatus est Dominus, qui castitatem virginis variis ægritudinibus, tanquam lilium inter spinas, custodivit. Anno siquidem ætatis decimo quinto, cum forte per hiemalem glaciem puella incederet, costulam dextri lateris cadendo fregit, quam læsionem continua series morborum et cruciatum per annos triginta octo secuta est. Febris æstuens, intensus capitis dolor, hydrops, calculus, vermium scaturigo, pulmonum et hepatis per particulas ejectio et quod tandem morbi genus eam non afflixit, omni interim remedio ac requie, sed et ad fundandam humilitatem, animi Christ naquit, au XIVe siècle, le dimanche des Rameaux, à l’heure même où, pendant la messe, l’on récitait à l’église la Passion de Notre-Seigneur. Ses parents valaient plus par leur piété que par leur naissance. Dès son enfance, elle professa une dévotion singulière pour la Vierge, Mère de Dieu, et elle s’étudia à l’imiter, en se consacrant à son Fils par un vœu de virginité perpétuelle. Et comme son père l’exhortait au mariage, elle obtint d’être affermie dans sa pieuse résolution, par la ferveur de ses prières et en pratiquant la mortification de sa chair, d’être délivrée de cette beauté qui pouvait plaire aux hommes. Le Seigneur fut vaincu par la générosité de ses efforts et par ses gémissements. De même qu’il protège un lys, en le plaçant au milieu d’un taillis d’épines, de même il préserva sa virginité, en l’entourant d’un buisson de maux. Elle avait atteint sa quinzième année, lorsque, marchant, par hasard, sur la glace, elle tomba et se brisa une côte du flanc droit. Cette lésion engendra une série de maladies et de tortures qui dura trente-huit ans. Fièvres dévorantes, douleurs de tête aiguës, hydropisie, coliques néphrétiques, parturition de vers, éjection etiam, consolatione destitutam ? de fragments des poumons et du foie, de quel genre d’affections ne fut-elle pas atteinte ? — et, pendant ce temps, elle demeurait privée de tout remède, sans repos et même, pour bien établir son humilité, sans consolations ! Lectio iii 3e Leçon Post annos probationis quatuor, famulæ suæ misertus Dominus animum ejus sic erexit ministerio Joannis Pot, magnæ pietatis viri, ut omni deinceps in Deo solo fiducia collocata, ex contemplatione Christi patientis tota in amorem Sponsi crucifixi inardesceret, parata jam, si Sponse liberet, immissos cruciatus ad indefinitam annorum longitudinem ferre. Triginta ergo annis continuis lecto tanquam Cruci eam affixit infirmitas, quorum ferme viginti solius capitis se brachii sinistri mobilitate peregit ; cor ejus interim sacrosancta Eucharistia ad patientiam stabiliente, debili vero stomacho, ut fertur, omnem alium cibum recusante. Donec, cursu peracto feria tertia, post Pascha absque arbitrio, quod quadrienni prece a Deo postularat, et appropinquante morte, ut ita contingeret, ipsa procurarat, obdormivit in Domino, decima quarta aprilis, anno millesimo Après quatre ans de ce noviciat de douleurs, le Seigneur eut pitié de sa servante et, pour relever son âme abattue, il se servit d’un prêtre d’une grande piété, Jan Pot. Depuis lors, mettant en Dieu seul sa confiance, absorbée dans la contemplation des tortures du Christ et incendiée d’amour pour l’Époux crucifié, elle fut prête à supporter, aussi longtemps qu’il lui plairait, les plus cruels des supplices. Trente années durant, elle fut clouée sur son lit comme sur une croix par les infirmités ; pendant vingt de ces années, elle ne put remuer que son bras gauche et sa tête ; elle puisait dans la Très Sainte Eucharistie la force nécessaire pour se soutenir, car son estomac débile refusait, dit-on, toute autre nourriture. Enfin, la 3e férie après Pâques, sans témoins — par quatre ans de prières elle l’avait demandé à Dieu et, aux approches de la mort elle-même s’était arrangée de telle quadringentesimo trigesimo tertio, annos nata quinquaginta tres. Variis post mortern miraculis clara, quorum aliqua refert oculatus testis Thomas A Kempis, illico cives suos habuit cultores, erecto in ecclesia sancti Joannis Baptisti speciali sacello ad annuam ejus memoriam celebrandam, quam nec jussit, nec impedivit Sancta Sedes. Beatæ Liduinæ ædes quam desideravit pauperibus ad refugium deservire, conversa fuit in xenodochium. Ejus reliquiæ, anno millesimo sexcentesimo decimo quinto subductæ fuere Bruxellas sub Mathia Hovio, archiepiscopo Mechliniensi qui ad vota Archiducum Alberti et Isabellæ, edito Pastorali decreto, publicum eis cultum impendi permisit. sorte qu’elle put rester seule — elle s’endormit dans le Seigneur, le quatorze avril de l’an mil quatre cent trente-trois. Elle était âgée de cinquante-trois ans. Après son décès, de nombreux miracles accrurent sa renommée ; quelques-uns d’entre eux nous ont été rapportés par Thomas A Kempis qui en fut le témoin oculaire ; aussitôt ses concitoyens la révérèrent, en élevant dans l’église de saint-Jean-Baptiste une chapelle spéciale pour y célébrer chaque année sa mémoire — et ce, sans qu’il y eût approbation ou défense du Saint-Siège. La demeure de la Bienheureuse Liduine, dont elle avait désiré faire un refuge pour les pauvres, fut convertie en hôpital. Les reliques furent transférées à Bruxelles, en 1615, Mathias Hovius étant alors archevêque de Malines. Celui-ci, sur la prière de l’archiduc Albert et de sa femme Isabelle, publia un décret pastoral pour permettre qu’un culte public leur fût rendu. Ad Laudes À Laudes Hymnus « Ut semper in suis » supra ad I Vesperas Hymne « Comme toujours Dieu opère » — voir plus haut aux premières Vêpres. Oratio Oraison Domine Deus noster, qui beatam Liduinam virginem ab illecebris sæculi Seigneur, notre Dieu, qui préservas des vanités du siècle la Bienheureuse Liduine præservatam, ad tuæ Crucis amplexum toto corde transire docuisti ; concede ut ejus meritis atque exemplo discamus et perituras mundi calcare delicias et Crucis tuæ amore omnia nobis adversantia superare, qui vivis et regnas, etc. et lui appris à leur préférer l’amoureuse étreinte de ta croix, accorde-nous, par son exemple et ses mérites, d’apprendre, nous aussi, à fouler aux pieds les délices périssables de ce monde et à surmonter, par l’amour de ta croix, toutes nos adversités. Toi qui vis et règnes, etc. Reliqua omnia de Communi. Tout le reste du Commun. BRÉVIAIRE CATHOLIQUE XIXe SIÈCLE OFFICE DE SAINTE LIDUINE concédé aux églises de la hollande, par décret de la sacrée congrégation des rites en date du 24 mai 1892 Die XIV aprilis XIV avril. In festo B. Liduinæ virginis Schiedamensis En la fête de la B. Liduine, vierge de Schiedam Pro civitate Schiedamensi Duplex ij classis Pro diocœsi Harlemensi et pro monasterio Carmelitarum Bruxellensium Duplex majus Pour la ville de Schiedam Double de 2e classe Pour le diocèse d’Harlem et pour le monastère des Carmélites déchaussées de Bruxelles Double majeur Omnia de communi Virginum non Martyrum, præter sequentia : Tout du commun des Vierges non martyres, excepté ce qui suit : Oratio Oraison Deus qui B. Liduinam virginem, admirabilis patientæ et charitatis victimam effecisti, tribue, quæsumus, ut ejus exemplo et intercessione, Seigneur qui fis de la B. vierge Lydwine une victime admirable de patience et de charité, permets, nous t’en supplions, que, par son hujus vitæ ærumnas pro tua voluntate perferentes et proximis nostris propter Te succurrentes, æterna gaudia consequi mereamur. Per Dominum, etc. exemple et son intercession, après avoir supporté pour ta volonté les misères de cette vie et secouru en ton Nom notre prochain, nous soyons trouvés dignes de parvenir aux joies éternelles. Par Notre Seigneur, etc. In I Nocturno Lectiones de Virginibus ut in Communi. In II Nocturno Au I Nocturne Leçons des Vierges comme au commun Au II Nocturne Lectio iv Leçon iv Liduina virgo Schiedami, in Hollandia, nata est, die Palmarum, ipso tempore quo in oppidi ecclesia inter Missæ sacrificium Passio Domini decantabatur, re quasi jam præsagiente, quam insignis illa Christi pro humano genere patientis futura esset imitatrix. A prima ætate variis virtutibus conspicua, virginitatem perpetuo custodiendam sibi etiam statuit. Quum itaque duodennis, ut pote egregiis animi corporisque dotibus instructa, a pluribus honestate ac divitiis præstantibus, in conjugern peteretur, cælesti tamen quern elegerat Sponso fidelis permansit Deumque exoravit ut, ne quispiam deinceps conjugium sibi offerret deformitate potius morbisque afficeretur. Voti compos facta est, atque quintodecimo ætatis anno, infauste casu, La vierge Liduine naquit à Schiedam, en Hollande, le jour des Rameaux, à l’heure même où dans l’église de la ville, pendant le sacrifice de la messe, l’on chantait la Passion du Seigneur ; elle sembla présager ainsi quelle insigne imitatrice elle devait être du Christ souffrant pour le genre humain. Dès son premier âge, elle résolut de garder la virginité perpétuelle et comme, au point de vue spirituel et corporel, elle était douée des plus enviables dons, plusieurs personnes riches et bien famées de la ville, la demandèrent en mariage ; mais elle resta fidèle au divin Époux qu’elle s’était choisi, et pria Dieu, pour éviter les démarches de nouveaux prétendants, de l’affliger de difformités et de l’enlaidir par des maladies. Sa prière fut exaucée ; elle avait dexteri lateris costa confracta est. Mox, per reliquum vitæ tempus, octo nempe et triginta annos tam incredibili morborum et dolorum multitudine atque vi exagitata fuit eosque tam invicto imo lubenti animo toleravit, ut humanæ miseriæ simul et heroicæ patientiæ prodigium æstimaretur. Tota enim mente cœlestia mysteria, Dominicam præsertim Passionem assidue contemplans, quum vel acerbissime cruciaretur, quandoque etiam interna consolatione careret, Deo placide gratias agens, tribulationes augeri sibi magis quam minui optabat. quinze ans lorsqu’une chute malheureuse lui brisa une côte du flanc droit. Durant le reste de sa vie, c’est-à-dire pendant trente-huit ans, elle endura un nombre si incroyable de douleurs et de maux, avec tant de courage et de joie, qu’elle fut considérée telle qu’un prodige de misère humaine et d’héroïque patience. Son esprit tout entier s’absorbait dans la contemplation assidue des célestes mystères et surtout de la Passion du Sauveur. Lorsque ses souffrances devenaient plus acerbes, ou bien encore lorsque les consolations intérieures la délaissaient, elle rendait, sans s’émouvoir, grâces à Dieu et souhaitait l’augmentation de ses tourments plutôt que leur diminution. Lectio v Leçon v Animi demissione, obedientia ac mansuetudine in exemplum prædita atque Dei amore flagrans, eximia etiam proximorum inimicorum, licet et persequentium, dilectione refulsit. Pauperes, ipsa pauper, de sibi erogatis eleemosynis sustentabat ; spirituali qualicumque ope indigentes, omni quo poterat modo adjuvabat, maxime si de homine a vitæ pravitate convertendo, vel anima e Purgatorio exsolvenda Modèle d’humilité, d’obéissance, de mansuétude d’âme embrasée par l’amour divin, elle témoignait à ceux qui l’approchaient et qui étaient devenus ses ennemis et même ses persécuteurs, une affection extraordinaire. Pauvre, elle-même, elle soulageait les pauvres avec les aumônes qu’elle recevait. Quiconque avait besoin d’un secours spirituel était assuré de le trouver près d’elle, surtout s’il s’agissait de ageretur. Variis insuper prodigiis insolitisque gratiis, diu jam ante obitum late innotuit. Altissimæ, inter alia, contemplationis dono gaudens, multoties in extasin rapta, cælestibus sæpe apparitionibus familiari imprimis Angeli sui societate honorata, cordium abscondita perspiciens, prophetico spiritu absentia et futura revelavit. Plures mirabili ejus interventu, corporis animæve sanitatem obtinuerunt. Tandem Dei famula, passionibus et meritis cumulata, piisime in cœlum migravit, decimo octavo calendas Majas, anno Domini millesimo quadringentesimo tricesimo tertio. Corpus integrum, et decorum repertum, ingenti hominum concursu tumulatum ; sepulchrum, sacello desuper erecto atque majori loco ecclesiæ conjuncto, multis miraculis claruit. la conversion d’un homme de mauvaise vie ou de la délivrance d’une âme du Purgatoire. Longtemps déjà avant sa mort, divers prodiges et d’exceptionnelles grâces l’avaient fait connaître au loin ; douée du don de la plus haute contemplation et fréquemment ravie en extase, souvent favorisée d’apparitions divines, et vivant surtout dans la société familière de son ange, elle pénétrait les secrets des cœurs et révélait prophétiquement le passé et l’avenir. Un grand nombre de personnes obtinrent par sa merveilleuse intercession la santé de l’âme et du corps. Enfin, la servante de Dieu, après avoir accumulé les souffrances et les mérites, s’en alla pieusement au ciel, le dix-huit des calendes de mai, l’an du Seigneur, mil quatre cent trente-trois. Lorsque son corps, rétabli dans son initiale beauté, fut enseveli, il y eut pour assister aux funérailles un grand concours de peuple. Son tombeau sur lequel s’éleva une chapelle que l’on rejoignit à l’église plus spacieuse, fut glorifié par de nombreux miracles. Lectio vi Leçon vi Post duo fere sæcula, sacello ab acatholicis occupato, ob sanctitatis vero et Après environ deux siècles, la chapelle devint la propriété des hérétiques ; cependant l’ miraculorum famam virginis memoria cultuque perdurante, sacræ ejus reliquiæ Bruxellas translatæ et ab Archiepiscopo Mechliniensi recognitæ sunt. Majorem partem Belgii gubernatrix, Archiducissa Isabella, Carmelitidum discalceatarum conventui Bruxellensi tradidit ; cujus ordinis et conventus moniales, quum deinde per duo iterum cum dimidio sæcula, pretiosum illud depositum fidelissime asservassent et coluissent, Summus Pontifex Pius Nonus, Episcopali Harlemensi rogatu, insignes aliquot B. Liduinæ reliquias, e prædicto monasterio in Virginis natalem urbem, ad parochialem S. Mariæ de Visitatione ecclesiam deferi concessit. Quo facto, crescente in dies erga eam devotione, Episcopi Harlemensis, cujus precibus ceteri Nederlandiæ Episcopi una cum Archiepiscopo Mechliniensi suas libentissime preces conjunxerunt, vota suscipiens summus Pontifex Leo decimus tertius Liduinæ cultum confirmavit et in ejus honorem Missam celebrari et proprium officium recitari pro Nederlandiæ regno indulsit. éclat de la sainteté et des miracles de la vierge avaient conservé sa mémoire et son culte ; ses saintes reliques furent transférées à Bruxelles et reconnues par l’archevêque de Malines. L’archiduchesse Isabelle, gouvernante de Belgique, en donna la plus grande partie aux Carmélites déchaussées de Bruxelles. Les moniales de cet ordre et de ce couvent conservèrent pendant deux siècles et demi et honorèrent avec fidélité ce précieux dépôt. Puis le pape Pie IX, sur les instances de l’évêque de Harlem, permit de transporter, de ce monastère dans la ville natale de la vierge, à l’église paroissiale de sainte-Marie de la Visitation, quelques importantes reliques de la B. Liduine. Comme à la suite de cette illation, la dévotion qu’elle inspirait augmentait chaque jour, l’Évêque de Harlem assisté des autres évêques de la Néerlande et de l’archevêque de Malines qui avaient joint très volontiers leurs prières aux siennes, obtint du Souverain Pontife Léon XIII la confirmation du culte de Liduine. La célébration d’une messe en son honneur et la récitation d’un office propre furent également accordées par le Saint-Père au royaume de la Hollande. In III Nocturno Lectio sancti Evangelii secundum Matthæum Lectio VII — Cap. V. De homilia S. Augustini Episcopi Lib. I de sermone Domini in monte c. IV. Au IIIe Nocturne Lecture du Saint Évangile selon Saint Mathieu Lecture VII — Chapitre V. De l’Homélie de Saint Augustin, évêque. — Du sermon du Seigneur sur la montagne c. IV. |
Le Mauvais Génie (Comtesse de Ségur)/Texte entier | Comtesse de Ségur Le Mauvais Génie Hachette, 1896 (p. --338). bookLe Mauvais GénieComtesse de SégurÉmile BayardHachette1896ParisTSégur - Le mauvais génie.djvuSégur - Le mauvais génie.djvu/5--338 LE MAUVAIS GÉNIE LE MAUVAIS GÉNIE par Mme LA COMTESSE DE SÉGUR NÉE ROSTOPCHINE ouvrage illustré de 90 vignettes PAR É. BAYARD NOUVELLE ÉDITION PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 1896 Droits de traduction et de reproduction réservés LE MAUVAIS GÉNIE I une dinde perdue bonard. Comment, polisson ! tu me perds mes dindons au lieu de les garder ! julien. Je vous assure, m’sieur Bonard, que je les ai pourtant bien soignés, bien ramassés ; ils y étaient tous quand je les ai ramenés des champs. bonard. S’ils y étaient tous en revenant des champs, ils y seraient encore. Je vois bien que tu me fais des contes ; et prends-y garde, je n’aime pas les négligents ni les menteurs. » Julien baissa la tête et ne répondit pas. Il rentra les dindons pour la nuit, puis il alla puiser de l’eau pour la ferme ; il balaya la cour, étendit les fumiers, et ne rentra que lorsque tout l’ouvrage fut fini. On allait se mettre à table pour souper. Julien prit sa place près de Frédéric, fils de Bonard. Ce dernier entra après Julien. bonard, à Frédéric. Où étais-tu donc, toi ? frédéric. J’ai été chez le bourrelier, mon père, pour faire faire un point au collier de labour. bonard. Tu es resté deux heures absent ! Il y avait donc bien à faire ? frédéric. C’est que le bourrelier m’a fait attendre ; il ne trouvait pas le cuir qu’il lui fallait. bonard. Fais attention à ne pas flâner quand tu vas en commission. Ce n’est pas la première fois que je te fais le reproche de rester trop longtemps absent. Julien a fait tout ton ouvrage ajouté au sien. Il a bien travaillé, et c’est pourquoi il va avoir son souper complet comme nous ; autrement, il n’aurait eu que la soupe et du pain sec. madame bonard. Pourquoi cela ? Il n’avait rien fait de mal, que je sache. bonard. Pas de mal ? Tu ne sais donc pas qu’il a perdu une dinde, et la plus belle encore ? madame bonard. Perdu une dinde ! Comment as-tu fait, petit malheureux ? julien. Je ne sais pas, maîtresse. Je les ai toutes ramenées, le compte y était. Frédéric peut le dire, je les ai comptées devant lui. N’est-il pas vrai, Frédéric ? frédéric. Ma foi, je ne m’en souviens pas. julien. Comment ? Tu ne te souviens pas que je les ai comptées tout haut devant toi, et que les quarante-huit y étaient ? frédéric. Écoute donc, je ne suis pas chargé des dindes, moi ; ce n’est pas mon affaire, et je n’y ai pas fait attention. madame bonard. Par où aurait-elle passé puisque tu n’as pas quitté la cour ? julien. Pardon, maîtresse, je me suis absenté l’espace d’un quart d’heure pour aller chercher la blouse de Frédéric, qu’il avait laissée dans le champ. madame bonard. As-tu vu entrer quelqu’un dans la cour, Frédéric ? frédéric. Je n’en sais rien ; je suis parti tout de suite avec le collier pour le faire arranger. madame bonard. C’est singulier ! Mais tout de même, je ne veux pas que mes dindes se perdent sans que je sache où elles ont passé. C’est toi que cela regarde, Julien. Il faut que tu me retrouves ma dinde ou que tu me la payes. Va la chercher dans les environs, elle ne doit pas être loin. » Julien se leva et courut de tous côtés sans retrouver la bête disparue. Il faisait tout à fait nuit quand il rentra ; tout le monde était couché. Julien avait le cœur gros ; il monta dans le petit grenier où il couchait. Une paillasse et une couverture formaient son mobilier ; deux vieilles chemises et une paire de sabots étaient tout son avoir. Il se mit à genoux, tirant de son sein une petite croix en cuivre qui lui venait de sa mère. « Mon bon Jésus, dit-il en la baisant, vous savez qu’il n’y a pas de ma faute si cette dinde n’est plus dans mon troupeau ; faites qu’elle se retrouve, mon bon Jésus. Que la maîtresse et M. Bonard ne soient plus fâchés contre moi, et que Frédéric se souvienne que mes dindes y étaient toutes quand je les ai ramenées ! Je suis seul, mon bon Jésus ; je suis pauvre et orphelin, ne m’abandonnez pas ; vous êtes mon père et mon ami, j’ai confiance en vous. Bonne sainte Vierge, soyez-moi une bonne mère, protégez-moi. » Julien baisa encore son crucifix et se coucha ; mais il ne s’endormit pas tout de suite ; il s’affligeait de paraître négligent et ingrat envers les Bonard, qui avaient été bons pour lui, et qui l’avaient recueilli quand la mort de ses parents l’avait laissé seul au monde. De plus, il était inquiet de la disparition de cette dinde ; il ne pouvait s’expliquer ce qu’elle était devenue, et il avait peur qu’il n’en disparût d’autres de la même façon. Le lendemain il fut levé des premiers ; il ouvrit les poulaillers, il éveilla Frédéric, qui couchait dans un cabinet de la maison, et remplit d’eau les seaux qui servaient à Mme Bonard pour les besoins du ménage. Elle ne tarda pas à paraître. madame bonard. Eh bien, Julien, as-tu retrouvé la dinde ? Pourquoi n’es-tu pas venu donner réponse hier soir ? julien. Je n’ai rien trouvé, maîtresse, malgré que j’aie bien couru. Et je n’ai pas donné réponse parce que tout le monde était couché, et la maison était fermée quand je suis revenu. madame bonard. Tu es donc rentré bien tard ? C’est de ta faute aussi : si tu n’avais pas perdu une dinde, tu n’aurais pas eu à la chercher. Tâche que cela ne recommence pas ; je veux bien te le pardonner une première fois, mais, si tu en perds encore, tu la payeras. » Julien ne répondit pas. Que pouvait-il dire ? Lui-même n’y comprenait rien. Il résolut de ne plus faire les commissions de Frédéric, et de ne plus quitter ses dindes jusqu’à ce qu’elles fussent rentrées pour la nuit ; en attendant l’heure de les mener dans les champs, il fit son ouvrage comme d’habitude et une partie de celui de Frédéric, qui était toujours le dernier au travail. II deux dindes perdues La semaine se passa heureusement pour Julien, les dindes étaient au grand complet. Un soir, pendant que Julien curait l’étable des vaches, après avoir compté ses dindons en présence de Frédéric, ce dernier l’appela : « Julien, va vite au moulin et rapporte-nous du son, il en faut pour les chevaux qui vont rentrer ; je n’en ai pas seulement une poignée. julien. Pourquoi n’y as-tu pas été après dîner ? M. Bonard te l’avait dit. frédéric. Je n’y ai pas pensé ; j’avais les bergeries à nettoyer. julien. Et pourquoi n’y vas-tu pas toi-même ? Moi aussi, j’ai mes étables à curer. frédéric. Ah bien ! tu les finiras plus tard. Je suis pressé d’ouvrage ; mon père m’attend. julien. Je vais rentrer mes dindes et j’y vais. frédéric. Tu vas encore perdre du temps après tes dindes, je vais te les rentrer. julien. Tu sais que mon compte y est ; quarante-sept. frédéric. Oui, oui ; prends vite une brouette pour ramener le sac de son. » Julien hésita un instant mais, prenant son parti, il saisit une brouette et partit en courant. Le moulin n’était pas loin. Une demi-heure après, Julien ramenait à Frédéric la brouette avec le son. Ses dindes étaient rentrées, il se remit à l’ouvrage ; tout était fini quand Bonard ramena les chevaux. bonard. As-tu rapporté du son, Frédéric ? frédéric. Oui, mon père ; le sac est à l’écurie. bonard. A-t-on fait bonne mesure ? frédéric. Oui, mon père, les deux hectolitres y sont grandement. » Bonard entra à l’écurie avec Frédéric ; il délia le sac, et avant qu’il ait pu y mettre la main, un gros rat en sortit et se mit à courir dans l’écurie. bonard. Qu’est-ce que c’est ? Un rat ! Comment un rat s’est-il niché dans le sac ? Attrape-le ; tue-le. » Frédéric commença la chasse au rat, mais il le manquait toujours. Bonard appela Julien. « Viens vite nous donner un coup de main, Julien, pour tuer un rat. » Julien accourut avec son balai ; il en donna un coup au rat, qui n’en courut que plus vite ; un second coup l’étourdit. Bonard l’acheva d’un coup de talon. julien. D’où vient-il donc, ce rat ? bonard. Il a sauté hors du sac. Comment y est-il entré ? c’est ce que je demande à Frédéric. frédéric. Il y était sans doute avant qu’on ait mesuré le son. bonard. C’est drôle tout de même ! Comment s’y serait-il laissé enterrer sans essayer d’en sortir ? » Tout en parlant, Bonard mit les mains dans le sac pour en tirer du son. Il poussa une exclamation de surprise. Ce n’était pas du son, mais de l’orge qu’il retirait. « Ah çà ! Frédéric, dis donc, tu me rapportes de l’orge quand je demande du son. » Frédéric, aussi étonné que son père, ne répondait pas ; il regardait bouche béante. bonard. Me répondras-tu, oui ou non ? Tu me dis qu’il y a bonne mesure et tu fais mesurer de l’orge pour du son ? » Bonard était en colère ; Julien, voulant éviter une semonce à Frédéric, répondit pour lui. « Ce n’est pas la faute de Frédéric, m’sieur Bonard, c’est la mienne. Quand j’ai été au moulin, j’étais pressé ; Frédéric m’avait dit de me bien dépêcher pour que vous trouviez le son en rentrant. Ils m’ont donné un sac préparé d’avance ; il y en avait plusieurs ; ils se seront trompés, ils m’ont donné de l’orge pour du son. bonard, à Frédéric. Pourquoi as-tu envoyé Julien ? Pourquoi n’y as-tu pas été toi-même ? Pourquoi as-tu attendu jusqu’au soir ? frédéric, embarrassé. J’avais de l’ouvrage, je n’ai pas trouvé le moment. bonard. Et pourquoi est-ce Julien qui y a été ? Tu as eu peur de te fatiguer, paresseux ! Va vite reporter ce sac et demande du son. frédéric. Mais, mon père, on va souper. Je puis bien y aller après. bonard. Tu iras tout de suite... Entends-tu ? » Frédéric, obligé d’obéir à son père, y mit toute la mauvaise grâce possible ; il marcha lentement, après avoir perdu du temps à chercher la brouette, à trouver un sac vide, à le secouer, à reprendre le sac d’orge, à le charger sur la brouette. Julien voulut l’aider, mais Bonard l’en empêcha. « Le voilà enfin en route, dit Bonard quand Frédéric fut parti. Et toi, Julien, je te défends à l’avenir de faire son ouvrage. Il devient paresseux, coureur ; il s’est lié avec ce mauvais garnement Alcide, le fils du cafetier ; je le lui ai défendu, mais il le voit tout de même, je le sais. Vient-il ici quand je n’y suis pas ? julien. Jamais, M’sieur. Depuis que M’sieur l’a chassé, il y a bientôt trois mois, il n’est pas venu une seule fois. bonard. As-tu compté tes dindes ce soir ? Y sont-elles toutes ? julien. Oui, M’sieur, elles y sont ; j’en ai compté quarante-sept. C’est Frédéric qui les a rentrées pendant que j’étais au moulin pour avoir du son. bonard. Je n’aime pas cet échange de travail ; c’était à toi de rentrer tes dindes, et Frédéric devait aller lui-même au moulin. Je te répète qu’à l’avenir je veux que chacun fasse son ouvrage ; tous ces mélanges et complaisances n’amènent rien de bon ; il en résulte que les uns n’en font pas assez et que les autres en font trop. julien. Je suis bien fâché de vous avoir mécontenté, M’sieur ; je croyais bien faire en obéissant au fils de M’sieur, car je sais bien que je suis le dernier dans la maison de M’sieur qui a été si bon pour moi et qui m’a recueilli quand tout le monde me repoussait. bonard. Écoute, Julien ; si tu es reconnaissant du bien que je te fais, tu me le témoigneras en ne favorisant pas la paresse de Frédéric. C’est un défaut dangereux qui mène à beaucoup de sottises, et je veux que Frédéric reste bon sujet. julien. Je vous obéirai. M’sieur ; je sais que c’est mon devoir. » Tout en causant, Bonard avait donné de l’avoine aux chevaux, pendant que Julien faisait la litière. Quand les chevaux furent servis et arrangés, Bonard rentra pour souper ; Julien le suivit de près. madame bonard. Ah ! te voilà, mauvais garnement ! Tu as encore perdu une dinde, et cette fois je ne te le passerai pas. Tu n’auras que de la soupe et du pain sec pour ton souper, et je te retiendrai le prix de la dinde sur les soixante francs que te donne Bonard pour ton entretien ; ainsi, mon garçon, compte sur cinquante-six francs au lieu de soixante pour cette année. » Julien était consterné. Toutes ses dindes y étaient (il en était bien certain) quand Frédéric l’avait envoyé au moulin, et personne n’avait pu ni les prendre ni les laisser courir,... excepté... Frédéric lui-même. Julien raconta à Mme Bonard comment les choses s’étaient passées, comment c’était Frédéric qui s’était chargé de faire rentrer les dindes, de les enfermer, et que, bien certainement, les quarante-sept s’y trouvaient, puisqu’il les avait comptées devant Frédéric. « C’est impossible, lui répondit Mme Bonard, puisque c’est moi, moi-même, qui ai trouvé les dindes abandonnées dans la cour, personne pour les garder et les rentrer ; c’est moi qui les ai comptées, et je n’en ai trouvé que quarante-six. — Frédéric m’avait pourtant bien promis de les rentrer tout de suite, répondit tristement Julien, et je suis sûr que c’est bien quarante-sept dindons que je lui ai remis avant d’aller au moulin. » Bonard écoutait et paraissait contrarié. « Écoute, ma femme, dit-il, attendons Frédéric pour éclaircir l’affaire, et, en attendant, donne à Julien son souper complet ; il a expliqué la chose comme un honnête garçon, et il dit vrai, je te le garantis. C’est drôle tout de même que deux jeudis de suite il nous disparaisse une dinde et que Frédéric ne le voie pas. madame bonard. Quoi donc ? Que veux-tu dire ? Quelle est ton idée ? car tu en as une, je le vois bien. bonard. Certainement, j’en ai une ; peut-être est-elle bonne, peut-être mauvaise. madame bonard. Mais quelle est-elle ? Dis toujours. bonard. Eh bien, je dis que le jeudi est la veille du vendredi. madame bonard, riant. Voilà une idée neuve ! nous n’avions pas besoin de toi pour faire cette découverte. bonard. Oui, mais tu oublies que le vendredi est jour de marché à la ville ; qu’on y vend des volailles, et qu’un mauvais sujet a bientôt fait de saisir une dinde, de l’étouffer et de l’emporter. madame bonard. Ça, c’est vrai. Mais comment veux-tu qu’un étranger vienne jusque dans notre cour sans être vu, qu’il ait le temps de courir après les dindes et de faire son choix pour mettre la main sur la plus grasse, la plus belle ? bonard. C’est précisément là que j’ai mon idée je te la dirai plus tard. Donne-nous à souper en attendant. » La femme Bonard regarda son mari avec inquiétude elle commençait à avoir une crainte vague de l’idée de son mari ; elle se sentait troublée. Pourtant elle ne dit rien et commença les préparatifs du souper. Elle posa sur la table une terrine de soupe bien chaude et un plat de petit salé aux choux dont le fumet réjouit le cœur de Julien et lui fit vivement apprécier la bonté de son maître. « Sans m’sieur Bonard, pensa-t-il, je n’aurais pas goûté de ces excellents choux et du petit salé, tout ce que j’aime ! » Frédéric rentra au moment où l’on se mettait à table. Il prit sa place accoutumée près de sa mère et mangea de bon appétit, mais sans parler, parce qu’il avait de l’humeur. Au bout de quelques instants, surpris du silence général, il leva les yeux sur son père qui l’examinait attentivement, puis sur sa mère, dont la physionomie grave lui causa quelque appréhension. Il aurait bien voulu questionner Julien, mais on l’aurait entendu, et il ne voulait pas laisser deviner son inquiétude. Quand le souper fut terminé, Frédéric se leva pour sortir ; Bonard le retint. « Reste là, Frédéric ; j’ai à te parler. » Frédéric se rassit. bonard. Tu sais qu’il manque une dinde dans le troupeau de Julien ? frédéric, troublé. Non, mon père ; je ne le savais pas. bonard. Julien t’en a donné le compte quand tu l’as envoyé en commission. frédéric. Je ne pense pas, mon père je ne m’en souviens pas. julien. Comment, tu as oublié que nous les avons comptées ensemble au retour des champs, et qu’avant de partir pour le moulin je t’ai répété que le troupeau était au complet, qu’il y en avait quarante-sept ? frédéric. Je ne me le rappelle pas ; je n’y ai seulement pas fait attention. julien. C’est triste pour moi ; c’est la seconde fois que tu oublies, et cela me donne l’air d’un menteur, d’un négligent et d’un ingrat vis-à-vis de M’sieur et de Mme Bonard. bonard. Non, mon pauvre garçon, je ne te juge pas si sévèrement ; depuis un an que tu es chez moi, tu m’as toujours servi de ton mieux, et je te crois un bon et honnête garçon. julien. Merci bien, M’sieur ; si je manque à mon service, ce n’est pas par mauvais vouloir, certainement. bonard. Je reviens à Frédéric. Comment se fait-il que tu oublies deux fois de suite une chose aussi importante pourtant ? frédéric. Mais, papa, je ne suis pas chargé des dindes ; cela regarde Julien. bonard. Je le sais bien ; mais par intérêt pour lui, qui est si complaisant pour toi, tu aurais dû faire attention à ce qu’il te disait pour le compte de ses dindes. Et puis, comment se fait-il que les deux fois que Julien n’a plus son compte pendant que tu l’envoies en commission, je vois rôder autour de la ferme ce polisson d’Alcide que je t’avais défendu de fréquenter ? frédéric, embarrassé. Je n’en sais rien ; je ne le vois plus, vous le savez bien. bonard, sévèrement. Je sais, au contraire, que tu continues à le voir malgré ma défense, et qu’on vous a vus ensemble bien des fois. Mais, écoute-moi. Tu sais que je n’aime pas à frapper. Eh bien, je te dis très sérieusement que je te punirai d’importance la première fois qu’on t’aura vu avec ce mauvais sujet. Je ne veux pas que tu fasses de mauvaises connaissances. Entends-tu ? » Frédéric baissa la tête sans répondre. Bonard sortit pour faire boire ses chevaux. Julien aida Mme Bonard à laver la vaisselle, à tout mettre en place ; Frédéric resta seul, pensif et troublé. III l’anglais et alcide Peu de jours après, Julien était aux champs, faisant paître ses dindes, lorsqu’un homme qu’il ne connaissait pas s’approcha du troupeau et le regarda attentivement. Il s’approcha de Julien. l’homme. Eh ! pétite ! C’était à toi ces grosses hanimals ? — Non, M’sieur », répondit Julien, surpris de l’accent de l’étranger. l’homme. Pétite, jé voulais acheter ces grosses hanimals ; j’aimais beaucoup les turkeys. » Julien ne répondit pas : il ne comprenait pas ce que voulait cet homme qui parlait si mal le français. l’anglais. Eh ! pétite ! tu n’entendais pas moi ? julien. J’entends bien, M’sieur, mais je ne comprends pas. l’anglais. Tu comprénais pas, pétite nigaude ? jé disais j’aimais bien les turkeys. julien. Oui, M’sieur. l’anglais. Eh bien ? julien. Eh bien, M’sieur, je ne comprends pas. l’anglais, impatienté. Tu comprénais pas turkeys ? Tu savoir pas parler, alors. julien. Si fait. M’sieur ; je parle bien le français, mais pas le turc. l’anglais, de même. Pétite himbécile ! jé parlais français comme toi, jé parlais pas turk. Et jé té disais : jé voulais acheter ces grosses hanimals, ces grosses turkeys. julien, riant. Ah ! bien, je comprends, M’sieur appelles mes dindes des Turcs. Et M’sieur veut les avoir ? l’anglais. Eh oui ! pétite ! Combien elles coûtaient ? julien. Elles ne sont pas à moi, M’sieur ; je ne peux pas les vendre. l’anglais. Où c’est on peut les vendre ? julien. À la ferme, M’sieur ; Mme Bonard. l’anglais. Où c’est Madme Bonarde ? julien. Là-bas, M’sieur. Derrière ce petit bois, à droite, puis à gauche. l’anglais. Oh ! moi pas connaître et, moi pas trouver Madme Bonarde. Viens, pétite, tu vas montrer Madme Bonarde. julien. Je ne peux pas quitter mes dindes, M’sieur. Il faut que je les fasse paître. l’anglais. Pêtre ? Quoi c’est, pêtre ? julien. Paître, manger. Je ne les rentre que le soir. l’anglais. Moi, jé comprends pas très bien. Toi manger toutes les grosses turkeys ? Aujourd’hui ? julien. Non, M’sieur... Adieu, M’sieur. » Et Julien, ennuyé de la conversation de l’Anglais, le salua et fit avancer les dindons ; l’Anglais le suivit. Julien eut beau s’arrêter, marcher, aller de droite et de gauche, l’Anglais ne le quittait pas. Julien, un peu troublé de cette obstination, et craignant que cet étranger ne lui enlevât une ou deux de ses dindes, les dirigea du côté de la ferme pour appeler quelqu’un à son aide. Au moment où il allait tourner au coin du petit bois, il aperçut un jeune garçon qui en sortait, se dirigeant aussi vers la ferme. Julien appela. « Eh ! par ici, s’il vous plaît ! un coup de main pour rentrer plus vite mes dindes. » Le garçon se retourna ; Julien reconnut Alcide. Il regretta de l’avoir appelé. Alcide accourut près de Julien, et à son tour reconnut l’Anglais, qu’il salua. alcide. Que me veux-tu, Julien ? Tu ne m’appelles pas souvent, et pourtant je ne demande pas mieux que de t’obliger. julien. Tu sais bien, Alcide, que mon maître nous défend, à Frédéric et à moi, de causer avec toi. Si je t’ai appelé aujourd’hui, c’est pour m’aider à ramener à la ferme mes dindes qui s’écartent ; elles sentent que ce n’est pas encore leur heure. alcide. Et pourquoi es-tu si pressé de les rentrer ? julien. Parce que je me méfie de cet homme qui s’obstine à me suivre depuis deux heures ; je ne sais pas ce qu’il me veut.. Je ne comprends pas son jargon. alcide. C’est un brave homme, va ; il ne te fera pas de mal, au contraire. julien. Comment le connais-tu ? alcide. Il demeure tout proche de chez nous, la porte à côté. » L’Anglais s’approcha. « Bonjour, good morning, my dear, dit-il s’adressant à Alcide ; jé voulais acheter ces grosses turkeys, et lé pétite, il voulait pas. alcide. Attendez, Monsieur, je vais vous arranger cela. Dis donc, Julien, M. Georgey te demande une de tes dindes. Il t’en donnera un bon prix. julien. Est-ce que je peux vendre ces dindes ? Tu sais bien qu’elles ne sont pas à moi. Qu’il aille à la ferme parler à Mme Bonard, c’est elle qui vend les volailles. Je le lui ai déjà dit, et il s’obstine toujours à me suivre. Voilà pourquoi je t’ai appelé sans te reconnaître ; j’avais peur qu’il ne m’emportât une de mes bêtes pendant que je poursuivais celles qui s’écartent. alcide. Dis-moi donc, Julien, tu pourrais tout de même faire une fameuse affaire avec M. Georgey ; il ne regarde pas à l’argent ; il est riche, tu pourrais lui vendre une de tes dindes pour huit francs. julien. D’abord, je t’ai dit que c’est Mme Bonard qui les vend elle-même ; ensuite, quand je la lui vendrais huit francs, je ne vois pas ce que j’y gagnerais. alcide. Comment, nigaud, tu ne comprends pas que, le prix d’une dinde étant de quatre francs, tu empocherais quatre francs et tu en donnerais autant à Mme Bonard ? julien. Mais ce serait voler, cela ! alcide. Pas du tout, puisqu’elle n’y perdrait rien. julien. C’est vrai ; mais, tout de même cela ne me semble pas honnête. alcide. Tu as tort, mon Julien ; je t’assure que tu as tort. Laisse-moi faire ton marché, tu ne t’en seras pas mêlé ; c’est moi qui aurai tout fait, et nous partagerons le bénéfice. » Julien réfléchit un instant ; Alcide l’examinait avec inquiétude ; un sourire rusé contractait ses lèvres. alcide. Eh bien, te décides-tu ? — Oui, dit résolument Julien je suis décidé, je refuse ; je sens que ce serait malhonnête, puisque je n’oserais pas l’avouer à Mme Bonard. alcide. Mais, mon Julien, écoute-moi. julien. Laisse-moi ; je ne t’ai que trop écouté, puisque j’ai hésité un instant. alcide. Alors tu peux bien ramener ton troupeau sans moi ; ce ne sera pas moi qui te viendrai en aide. julien. Je ne te demande pas ton aide, je m’en tirerai bien tout seul. Allons, en route, mes dindes, et ne nous écartons pas. » Julien fit siffler sa baguette, les dindes se mirent en route ; l’Anglais, qui attendait à quelque distance le résultat de la négociation d’Alcide, ouvrit une grande bouche, écarquilla les yeux, et allait se mettre à la poursuite de Julien et de son troupeau, quand Alcide lui fit signe de ne pas bouger ; lui-même entra dans le fourré et se trouva en même temps que Julien au tournant du bois et près de la barrière. Profitant du moment où Julien quittait son troupeau pour ouvrir la barrière, il saisit une dinde qui était tout près du buisson où il se tenait caché, et l’entraîna vivement dans le fourré. Puis, se glissant de buisson en buisson jusqu’à ce qu’il eût gagné l’endroit où l’avait quitté Julien, il sortit du bois et se retrouva en face de l’Anglais. Celui-ci n’avait pas bougé ; il se tenait droit, immobile. Quand il vit venir Alcide avec la grosse hanimal sous le bras, il fit un oh ! de satisfaction. m. georgey. Combien que c’est, my dear ? alcide. Huit francs, Monsieur. m. georgey. Oh ! les autres c’était six. alcide. Oui, Monsieur, mais Julien n’a pas voulu donner à moins de huit, parce que la bête a quinze jours de plus que les deux dernières que vous avez mangées, et qu’elle est plus grosse. L’Anglais tira huit francs de sa poche, les mit dans la main d’Alcide, et caressa la dinde en disant : « Jé croyais, moi, que lé pétite est un pétite scélérate qui vend ses hanimals trop cher... Porte-moi mon turkey ; il allait salir mon inexpressible. alcide. Monsieur veut que je lui porte son dindon ? l’anglais. Yes, my dear. alcide. Mais, M’sieur, c’est impossible, parce que je pourrais rencontrer quelqu’un de chez les Bonard, et qu’on pourrait croire que je l’ai volé. l’anglais. Jé né comprends pas très bien. Ça faisait rien, porte le turkey. alcide. Je ne peux pas, M’sieur ; on me verrait. l’anglais. — Pas si haut, my dear. Jé ne souis pas sourde. Jé té disais : Porte le turkey. Tu n’entendais pas ? » Alcide chercha à lui faire comprendre pourquoi il ne pouvait le porter, et il profita d’un moment d’indécision de l’Anglais pour lui passer le dindon sous le bras et se sauver en courant. L’Anglais, embarrassé de son dindon qui se débattait, le serra des deux mains pour l’empêcher de s’échapper. Le pauvre dindon, fortement comprimé, réalisa les craintes de son nouveau maître ; il salit copieusement l’inexpressible, c’est-à-dire le pantalon de M. Georgey. Celui-ci fit un oh ! indigné, ouvrit les mains d’un geste involontaire, et lâcha le dindon, qui s’enfuit avec une telle vitesse, que l’Anglais désespéra de l’attraper. Il se borna à le suivre majestueusement de loin et à ne pas le perdre de vue. Il ne tarda pas à arriver à la barrière. Pendant ce temps, Julien faisait rentrer son troupeau ; Bonard était dans la cour. « M’sieur, M’sieur, cria Julien en l’apercevant, je me presse de rentrer pour sauver mon troupeau. bonard. Qu’est-ce qui t’arrive donc ? As-tu fait quelque mauvaise rencontre ? julien. Je crois bien, M’sieur ; un homme tout drôle, qui parle charabia, qui voulait absolument avoir mes dindes. Et puis, M’sieur, j’ai rencontré bien pis que ça : Alcide, qui allait du côté de la ferme, et que j’ai appelé pour m’aider à faire marcher mes bêtes. bonard. Pourquoi l’as-tu appelé ? je défends que vous lui parliez, toi et Frédéric. julien. C’est que je ne l’ai pas reconnu, M’sieur ; et puis, une fois qu’il m’a tenu, je ne pouvais plus le faire partir. » Julien raconta à Bonard ce qui s’était passé entre lui et Alcide. julien. J’ai eu un mauvais mouvement, M’sieur ; comme une envie de faire ce que me conseillait Alcide. bonard. Qu’est-ce qui t’a arrêté ? julien. C’est que j’ai pensé que si Monsieur et Madame le savaient, j’en serais honteux, et que si je faisais la chose, ce serait en cachette de M’sieur. Alors je me suis dit : « Prends garde, Julien ; ce que tu n’oses pas montrer au grand jour n’est pas bon à voir. Et si m’sieur Bonard, qui a été si bon pour toi, te fait peur, c’est que tu mériterais châtiment. » Et j’ai vu que j’avais eu une méchante envie, et j’en ai eu bien du regret, M’sieur, bien sûr ; et je me suis dit encore que, pour me punir, je vous raconterais tout. bonard. Tu as bien fait, Julien ; tu es un bon et honnête garçon. Mais compte donc tes dindes pour voir s’il ne t’en manque pas : il me semble avoir vu courir quelqu’un dans le bois il y a un instant. — Oh ! M’sieur, elles y sont toutes ; je les comptais tout en marchant. » Malgré l’assurance de Julien, Bonard fit le compte du troupeau. bonard. Je n’en trouve que quarante-cinq, mon garçon. Il t’en manque une. julien, étonné. Pas possible, M’sieur, puisque je viens de les compter en approchant de la barrière. » Au moment où ils allaient recommencer leur compte, des piaulements se firent entendre ; ils virent un dindon qui cherchait à passer à travers les claires-voies de la barrière. Julien courut lui ouvrir et s’écria joyeusement : « La voici, M’sieur, c’est notre dinde ; elle a perdu des plumes et une partie de sa queue ; c’est, bien sûr, la nôtre. Mais comment a-t-on fait pour me l’enlever, moi qui ne les ai pas quittées des yeux ? » Bonard prit la dinde, l’examina, la retourna de tous côtés, et ne vit rien qui pût faire connaître comment elle avait été prise sans que Julien ait pu voir le voleur. Il devina à peu près la vérité, mais il voulut s’en assurer avant d’en rien dire. IV raclée bien méritée Au même instant, l’Anglais arriva et alla droit à Julien en se croisant les bras. l’anglais. Pétite, tu étais malhonnête ! » Julien, surpris, resta muet et immobile. l’anglais. Pétite, tu étais oune malhonnête, tu volais mon turkey. » Bonard s’approcha de l’Anglais. « Que voulez-vous, Monsieur ? Pourquoi injuriez-vous Julien ? l’anglais, toujours les bras croisés. Juliène ! C’était Juliène, cette pétite ! Very well... Juliène, tu étais une pétite malhonnête, une pétite voleur, une pétite... abomin’ble. bonard. Ah çà ! Monsieur, aurez-vous bientôt fini vos injures ? l’anglais. Jé vous parlais pas, sir. Jé vous connaissais pas. Laissez-moi la tranquillité. Jé parlais au pétite ; il était une pétite gueuse, et jé voulais boxer lui. bonard. Si vous y touchez, je vous donnerai de la boxe ; essayez seulement, vous verrez ! » L’Anglais, pour toute réponse, se mit en position de boxer, et Bonard aurait reçu un coup de poing en pleine poitrine s’il n’avait esquivé le coup en faisant un plongeon ; l’Anglais s’était lancé avec tant de vigueur contre Bonard, qu’il trébucha et alla rouler dans le jus de fumier, la tête la première. Julien courut à son secours et l’aida à se relever, pendant que Bonard riait de tout son cœur. L’Anglais était debout, ruisselant d’une eau noire et infecte. « Oh ! my goodness ! Oh ! my God ! » répétait-il d’un ton lamentable, mais sans bouger de place. Mme Bonard avait entendu quelque chose de la scène et de la chute ; elle sortit, et, voyant ce malheureux homme noir et trempé, elle vint à lui. « Mon pauvre Monsieur, s’écria-t-elle, comme vous voilà fait ! Entrez à la maison pour vous débarbouiller et nettoyer vos vêtements. » L’Anglais la regarda un instant ; la physionomie de Mme Bonard lui plut ; il la salua avec grâce et politesse. l’anglais. Madme était bien bonne. Jé remercie bien Madme. J’étais un peu crotté. Jé n’osais pas salir lé parloir de Madme. madame bonard. Entrez, entrez donc, mon bon Monsieur ; ne vous gênez pas. l’anglais, lui offrant le bras. Si Madme voulait accepter lé bras. madame bonard, riant. Merci, mon cher Monsieur, ce sera pour une autre fois ; à présent, vous n’êtes pas en état de faire vos politesses. » Mme Bonard se dépêcha de rentrer pour préparer de l’eau, du savon, un baquet et du linge. L’Anglais la suivit à pas comptés, mais auparavant il se retourna vers Julien et lui tendit la main en disant : « Jé té pardonnais, Juliène ; tu m’avais aidé, tu étais un good fellow. » Il fit deux pas, se retourna et ajouta : « Mais tu étais une pétite voleur si tu ne me rendais pas ma grosse turkey. » Quand il entra dans la maison, Mme Bonard lui fit voir le baquet, le savon, le linge. madame bonard. Voilà, Monsieur ; voulez-vous que je vous aide ? » L’Anglais la regarda d’un air indigné. l’anglais. Oh ! Madme ! Fye ! Une dame laver un Mossieur ! Fye ! shocking ! madame bonard. Ah bien ! je n’y tiens pas ! Arrangez-vous tout seul. Je reviendrai chercher vos habits pour les nettoyer un peu. » Mme Bonard sortit, fermant la porte après elle, et rejoignit Bonard et Julien qui se lavaient à la pompe. madame bonard. Qui est cet homme ? A-t-il l’air drôle ! Comment a-t-il fait pour rouler dans cette saleté ? » Bonard lui raconta ce qui s’était passé ; ils en rirent tous deux, mais Mme Bonard voulut éclaircir l’affaire du dindon que réclamait l’Anglais. « C’est tout clair, lui répondit Bonard ; Alcide aura sauté sur la bête quand Julien ouvrait la barrière. C’est sans doute lui que j’ai aperçu courant à travers bois ; il aura vendu la dinde à l’Anglais ; celui-ci croit que c’est Julien qui avait chargé Alcide de la vente ; cet imbécile, maladroit comme tout, aura laissé échapper la dinde, qui est revenue à la ferme en courant : il l’a suivie, et, la voyant dans la cour, il a cru que Julien la lui volait. Avec ça qu’il ne comprend rien, pas moyen de s’expliquer avec lui. » Mme Bonard voulut tout de même se faire raconter l’affaire par Julien, qui avait fini de se débarbouiller. Pendant qu’ils s’expliquaient, Bonard rentra dans la salle et vit son Anglais vêtu d’une chemise si longue qu’elle lui battait les talons, les bras croisés devant ses habits, qu’il contemplait tristement. bonard. Il est certain que vos beaux habits sont un peu abîmés, Monsieur, mais donnez-les-moi, il n’y paraîtra pas tout à l’heure. » Et, avant que l’Anglais ait eu le temps de décroiser et d’allonger ses bras, Bonard avait saisi et emporté les vêtements pour les rincer dans la mare qui se trouvait tout à côté. L’Anglais eut beau crier : « Oh ! dear ! Oh ! goodness ! Mes papers ! Prenez attention à mes papers ! Pas d’eau à mes papers ! vous faisez périr mes papers ! » Bonard n’y fit pas attention, et ne rapporta les vêtements que lorsqu’ils furent bien nettoyés... et bien trempés. bonard. Tenez, Monsieur, voilà vos habits, un peu humides, mais propres. Oh ! je les ai bien tordus, allez, il n’y reste guère d’eau ; ils sécheront sur vous. » L’Anglais saisit la redingote, fouilla dans les poches et en retira précipitamment un gros portefeuille, qu’il ouvrit en tremblant. Il en retira des papiers qui étaient dans un état déplorable. Il s’avança vers Bonard, les lui mit à deux pouces du visage, et lui dit d’une voix étouffée par l’émotion : « Malhonnête ! Scélérate ! Vous avoir perdu les papers à moi ! Voyez, voyez, grosse malheureuse. Les sketches (dessins) de tous mes fabrications ! Les comprennements de tous mes machines ! Quoi je ferai à présent ? Quoi je présenterai à mes amis d’Angleterre ? » Bonard, qui le considérait comme un fou, ne se fâcha pas des injures ni de la colère injuste de l’Anglais. Il regarda les papiers à mesure que M. Georgey les déployait, et dit avec calme : « Il n’y a pas de mal, Monsieur l’Anglais, ce ne se sera rien ! Il ne s’agit que de faire sécher tout cela ; il n’y paraîtra seulement pas. Je vais appeler ma femme, elle vous donnera un coup de main. l’anglais. Arrêtez ! Moi savais pas vous étiez lé mari de Madme. Une minute, s’il vous plaisait. Jé voulais mes habits sur mes épaules et mon inexpressible sur mes jambes. Jé vous demandais des excuses, jé savais pas Madme était votre femme. En vérité, j’étais bien repenti. » Tout en parlant, M. Georgey s’était habillé ; il attendit en grelottant l’arrivée de Mme Bonard, que son mari avait été chercher. Quand elle entra, il s’épuisa en saluts, en excuses, que n’écoutèrent ni le mari ni la femme. « Allume vite du feu, Bonard. Ce pauvre Monsieur tremble à faire pitié. Chauffe-le du mieux que tu pourras ; moi je vais mettre des fers au feu pour sécher et repasser ses papiers, auxquels il paraît tenir. » L’Anglais se laissa tourner et retourner par Bonard devant un feu flamboyant ; Mme Bonard repassait et repliait les papiers pendant que l’Anglais était enveloppé de la vapeur qu’exhalaient ses habits humides. Il fallut une demi-heure pour réchauffer l’homme et faire sécher ses vêtements. Lorsqu’il se sentit sec et chaud, il dit à Bonard d’un ton radouci et modeste : « J’espérais avoir mon turkey, my dear sir (mon cher Monsieur). bonard. Écoutez, mon bon Monsieur, et tâchez de comprendre. La dinde que vous appelez Turkey (je ne sais pourquoi) n’est pas à vous, mais à moi. » L’Anglais fait un mouvement. bonard. Permettez ; laissez-moi achever. C’est Alcide qui vous l’a vendue ? l’anglais. Oh yes ! Alcide. Good fellow ! il vendait à moi si bonnes turkeys ! bonard. Eh bien, Alcide me l’a volée et il vous l’a vendue. l’anglais. Oh ! Alcide ! si bonne fellow ! Et Fridrick aussi ! bonard. Il vous en a déjà vendu deux autres, n’est-ce pas ? l’anglais. Oh oui ! excellentes ! bonard. Alcide les avait volées à Julien. l’anglais. Oh ! my goodness ! Comment ! Alcide était une malhonnête, une voleure ? Et le Fridrick aussi ? bonard. Combien vous les a-t-il vendues ? l’anglais. Deux premièrs, six ; lé grosse dernièr, houit. Il disait c’était plus grosse. bonard. Ce fripon vous a volé et moi aussi. l’anglais, inquiet. Et jé mangeais plus vos grosses turkeys ? bonard. Si fait ; je vous en vendrai à quatre francs tant que j’en aurai. » l’anglais, riant et se frottant les mains. Oh ! very well, nous bonnes amis alorse. Oh ! lé fripone Alcide, lé fripone Fridrick ! Il m’avait vendu deux premièrs. Quand jé lé revois, jé lui fais tous deux une boxe terrible. Good bye, master Bonarde. Good bye, excellent madme Bonarde. Je viendrai beaucoup souvent. Mes papers, s’il vous plaisait. madame bonard. Voilà, Monsieur ; ils sont bien secs, bien repassés, il n’y paraît pas ; un peu jaunes seulement. l’anglais. Ça faisait riène du tout. Good bye. » M. Georgey fit un dernier salut et s’en alla. Bonard regarda sa femme qui s’essuyait les yeux. bonard. Tu pleures, femme ? Et tu as raison ; pour un rien je ferais comme toi. Frédéric, notre fils, un voleur ! madame bonard. C’est Alcide qui l’aura entraîné, bien sûr ! À lui tout seul, il n’aurait jamais commis une si mauvaise action ! bonard. Je l’espère. Et voilà ce qu’il a gagné à ne pas m’obéir ; je lui avais défendu bien des fois de fréquenter ce mauvais garnement d’Alcide... Quand il sera de retour, je lui donnerai son compte. madame bonard. Oh ! Bonard, ménage-le ! Pense donc qu’il a été entraîné. bonard. Un honnête garçon ne se laisse pas entraîner. Vois Julien : il est bien plus jeune que Frédéric, il n’a que douze ans, et il a résisté, lui. » Pendant que le mari et la femme causaient tristement en attendant Frédéric, Julien avait rentré son troupeau et soignait les chevaux. Il vit la tête de Frédéric qui apparaissait derrière un tas de paille. julien, riant. Tiens ! qu’est-ce que tu fais là ? Pourquoi t’es-tu fourré là dedans ? frédéric. Chut ! Prends garde qu’on ne t’entende. J’ai aperçu l’Anglais dans la salle. Est-il parti ? julien. Oui, il vient de s’en aller. Pourquoi as-tu peur de cet Anglais ? Il a l’air tout drôle, mais il n’est pas méchant, malgré tout ce qu’il dit. D’où le connais-tu, toi ? frédéric. Je ne le connais pas beaucoup, seulement pour l’avoir rencontré avec Alcide. Qu’est-ce qu’il a dit ? Pourquoi est-il venu ici ? julien. Je n’en sais trop rien ; il me demandait son tarké ; il paraît que c’est comme ça qu’il appelle les dindons. frédéric. Oui, oui ; mais qu’a-t-il dit ? julien. Ma foi, je n’y ai pas compris grand’chose. Il voulait me boxer et puis ton père. Il demandait toujours son tarké ; il m’appelait voleur, malhonnête. Je crois bien qu’il n’a pas sa tête ; il a un peu l’air d’un fou. frédéric. A-t-il parlé de moi ? julien. Non, je ne pense pas ; mais qu’est-ce que cela te fait ? frédéric. Tu es sûr qu’il n’a rien dit de moi ? julien. Je n’ai rien entendu toujours. frédéric. Alors je peux rentrer ? julien. Pourquoi pas ? Mais qu’as-tu donc ? tu as l’air tout effaré. frédéric. Papa est-il dans la salle ? julien. Je pense que oui ; je ne l’ai pas vu sortir. » Frédéric, rassuré, sortit de derrière la porte et se dirigea vers la maison. La porte s’ouvrit et Bonard parut. « Suis-moi », dit-il à Frédéric d’une voix qui réveilla toutes ses craintes. « Suis-moi, reprit-il ; viens à l’écurie. Et toi, Julien, va-t’en. » Julien obéit, presque aussi tremblant que Frédéric. Bonard ferma la porte et décrocha le fouet de charretier. Frédéric devint pâle comme un mort. bonard. Comment connais-tu cet Anglais qui sort d’ici ? » Frédéric ne répondit pas ; ses dents claquaient. Bonard lui appliqua sur les épaules un coup de fouet qui lui fit jeter un cri aigu. bonard. D’où connais-tu cet Anglais ? frédéric, pleurant. Je l’ai... rencontré... avec Alcide. bonard. Pourquoi étais-tu avec Alcide, malgré ma défense ? Pourquoi, d’accord avec Alcide, as-tu volé mes dindons pour les vendre à cet Anglais ? Pourquoi m’as-tu laissé deux fois gronder Julien, le sachant innocent et te sentant coupable ? frédéric, pleurant. Ce n’est... pas moi,... mon père,... c’est... Alcide. » Puis, se jetant à genoux devant son père, il lui dit en sanglotant : « Mon père, pardonnez-moi, c’est Alcide qui a volé les dindons. J’ai seulement eu tort de le voir après que vous me l’avez défendu. bonard. Tu mens. Je sais tout ; avoue ta faute franchement. Raconte comment la chose est arrivée, et comment Alcide a pu vendre mes dindons à l’Anglais. frédéric. Alcide était convenu de me rencontrer dans le petit bois le soir quand je serais seul ; il m’attendait. J’ai envoyé Julien les deux fois me faire une commission, pour qu’il ne me vît pas avec Alcide ; j’ai couru dans le bois ; je l’ai trouvé avec l’Anglais ; puis Alcide a disparu un instant ; il est revenu avec un dindon sous le bras. Avant que j’aie pu l’en empêcher, il a fait le marché avec l’Anglais, qui est parti de suite emportant le dindon. Alcide m’a donné deux francs, me demandant de n’en rien dire ; j’étais tout ahuri, je ne savais ce que je faisais ; Alcide s’est sauvé, et moi je m’en suis allé aussi. bonard. Et les deux francs ? frédéric. Je n’ai pu les rendre, Alcide s’était sauvé. bonard. Et la seconde fois ? frédéric. Ça s’est fait de même. bonard. Et tu t’es laissé faire, sachant ce qui allait arriver ? Et tu as encore empoché l’argent, sachant que c’était un vol ? Et tu n’as pas rougi de laisser accuser Julien une seconde fois ? Et tu n’as pas été honteux de voler ton père, ta mère, et de t’y faire aider par un vaurien, par un voleur comme toi-même ? Tu mens, tu augmentes ta faute et ta punition. » Bonard empoigna Frédéric et lui administra une rude correction bien méritée. Il le rejeta ensuite sur le tas de paille et sortit de l’écurie. V tous les turkeys Quand Bonard rentra à la maison, il raconta à sa femme ce qui s’était passé entre lui et Frédéric. Mme Bonard pleura, tout en trouvant que son mari avait eu raison. Pendant deux ou trois jours, tout le monde fut triste et silencieux à la ferme ; petit à petit les Bonard oublièrent les torts graves de leur fils. Frédéric oublia la punition qu’il avait subie, et Julien oublia la conduite de Frédéric à son égard. Tout marchait donc régulièrement dans la maison Bonard. Quand M. Georgey fut revenu chez lui, il changea de vêtements, et alla dans le petit café tenu par le père d’Alcide. m. georgey. Mossieu Bourel, jé venais vous dire, votre jeune gentleman Alcide était une malhonnête. bourel. Alcide ! Pas possible, Monsieur Georgey. C’est un garçon de confiance. m. georgey. Jé disais, moi, c’était une garçon voleur ; il m’avait volé l’argent du turkey ; j’avais tiré, et mis dans les mains à lui, houite francs. Et quoi j’avais ? rien du tout. Lé turkey avait couru, que jé né pouvais pas lé rattraper ; et houite francs Alcide avait remportés dans son poche. Et moi étais pas content ; et moi disais à vous, Alcide était une malhonnête. » Bourel ouvrit une porte du fond et appela : « Alcide, viens donc t’expliquer avec M. Georgey ; il n’est pas content de toi. » Alcide entra et dit d’un air hypocrite : « Je suis bien fâché, Monsieur Georgey, de vous avoir mécontenté ; tout ça, c’est la faute de Julien. m. georgey, vivement. Comment tu disais ? Juliène était une good fellow. Lui relevait moi dans lé boue noire et mal parfioumée. Et lé turkey c’était pas lui. M. Bonarde m’a dit c’était pas lui. C’était pas croyable comme tu étais une malhonnête pour les turkeys. alcide. Monsieur, je vous assure que M. Bonard s’est trompé ; il croit Julien qui est un menteur ; moi, Monsieur, je vous aime bien, et je ferai tout ce que vous voudrez pour vous contenter et vous bien servir. m. georgey. Moi voir cette chose plus tardivement, moi demander à Madme Bonarde. alcide. Mme Bonard ne dira pas vrai à Monsieur, parce qu’elle ne m’aime pas et qu’elle ne croit que Julien. m. georgey. Madme Bonarde était bien aimable ; elle disait toujours le vrai. Good bye, Mossieu Bourel ; good bye, Alcide. Prends attention ! Jé n’aimais pas quand on trompait moi. » M. Georgey sortit et rentra chez lui ; il appela sa servante. « Caroline, jé voulais dîner très vite ; lé midi il était passé. » Cinq minutes après, Caroline apportait le dîner de M. Georgey. caroline. Monsieur devait acheter un dindon, et Monsieur ne m’a rien rapporté. m. georgey. C’étaient tous ces garçons qui faisaient des malentendements. Moi plus comprendre les raisonnements. J’avais donné houite francs pour une grosse, belle animal, et moi j’avais rien du tout. Pas de turkey dans lé cuisine, moins houite francs dans mon poche. Moi demander à Madme Bonarde. C’était une aimable dame, Madme Bonarde. Et moi demander toutes les choses à Madme Bonarde. » Après avoir dîné, M. Georgey se mit à copier les papiers que lui avait repassés Mme Bonard ; ils étaient d’une couleur qui sentait trop le bain qu’ils avaient pris. Tout en écrivant, il songeait à son turkey et aux moyens de le ravoir. Tout à coup une idée lumineuse éclaircit sa physionomie. « Caroline, s’écria-t-il, Caroline, vous venir vite ; je voulais parler à vous. » Caroline accourut. caroline. Qu’est-ce qu’il y a ? Monsieur se trouve incommodé ? m. georgey. Oui, my dear ; beaucoup fort incommodé par mon turkey. Vous allez tout de souite, très vitement, chez Madme Bonarde ; vous demander à Madme Bonarde ma grosse turkey, et vous apporter le turkey strangled. caroline. Qu’est-ce que c’est, strangled ? M. georgey Vous pas savoir quoi c’est strangled ? Vous, serrer lé gorge du turkey ; lui être morte et pas courir, pas sauver chez Madme Bonarde. caroline. Ah ! Monsieur veut dire étranglé ? m. georgey. Yes, yes, my dear, stranglé. Moi croyais fallait dire strangled ; c’était stranglé. C’était la même chose. Allez vitement. » Caroline partit en riant. Elle avait à peine fait dix pas qu’elle s’entendit encore appeler par la fenêtre. m. georgey. Caroline, my dear, vous acheter tous les turkeys de Madme Bonard, et tous les semaines vous prendre deux turkeys, et moi manger deux turkeys. caroline. Combien faut-il les payer, Monsieur ? m. georgey. Vous payer quoi demandait Madme Bonard, et vous faire mes salutations. Allez, my dear, vous courir vitement. » La tête de M. Georgey disparut ; la fenêtre se referma. Caroline marcha vite d’abord ; quand elle fut hors de vue, elle prit son pas accoutumé. « Quand je perdrais quelques minutes, se dit-elle, les tarké, comme il les appelle, n’auront pas disparu. Mais, avec lui, c’est toujours vite, vite. Il n’a pas de patience. C’est un brave homme tout de même, et les Bourel le savent bien. Ils l’attrapent joliment. C’est le garçon surtout que je n’aime pas. Il trompe ce pauvre M. Georgey que c’est une pitié. Je finirai bien par le démasquer tout de même. Tiens ! le voilà tout juste ; il sort du café Margot. Où prend-il tout l’argent qu’il dépense ? Ce n’est toujours pas le père qui lui en donne ; car il est joliment serré. Tiens ! voilà le petit Bonard qui le rencontre... Ils entrent dans le bois, qu’est-ce qu’ils ont à comploter ensemble ? Ça me fait l’effet d’une paire de filous. » Tout en observant et en réfléchissant, Caroline était arrivée chez les Bonard ; elle ne trouva que la femme et lui fit de suite la commission de M. Georgey. madame bonard. Ah ! c’est M. Georgey qu’il s’appelle ; mes dindes lui ont donné dans l’œil, à ce qu’il paraît. Il est un peu drôle, tout de même. caroline. Lui vendez-vous vos dindes ? il les veut toutes. madame bonard. Toutes à la fois ? Que va-t-il faire de ces quarante-six bêtes qu’il faut nourrir et mener dans les champs ? caroline. Non, non, il en veut deux par semaine ; mais il les retient toutes. Combien les vendez-vous ? madame bonard. Je les vends quatre francs ; mais s’il faut les lui garder trois ou quatre mois encore, ce n’est pas possible ; les bêtes me coûteraient cher à nourrir ; de plus, elles dépériraient et ne vaudraient plus rien. caroline. Il m’a pourtant bien recommandé de les acheter toutes. madame bonard. Écoutez ; pour l’obliger, je veux bien lui en garder une douzaine, mais je vendrai le reste à la foire du mois prochain. Pas possible autrement ; elles sont toutes à point pour être mangées. caroline. Va-t-il être contrarié ! Il tient à vos dindes que c’en est risible ; les deux dernières que je lui ai servies, je croyais le voir étouffer, tant il en a mangé. Jamais il n’en avait eu de si tendres, de si blanches, de si excellentes, disait-il entre chaque bouchée. madame bonard. Est-ce qu’il vit seul ? Que fait-il dans notre pays ? caroline. Il vit tout seul. Il n’a que moi pour le servir. Il est venu, paraît-il, pour construire et mettre en train une usine pour un ami, le baron de Gerfeuil, qui n’y entend rien et qui l’a fait venir d’Angleterre. Et il doit avoir beaucoup d’argent, car il en dépense joliment. Il travaille toujours ; il ne voit personne que les ouvriers et un interprète qui transmet ses ordres. C’est qu’on ne le comprendrait pas sans cela. madame bonard. Il a un drôle de jargon. Et comment est-il ? Est-il bonhomme ? Il me fait l’effet d’être colère. caroline. Il est vif et bizarre ; mais c’est un brave homme. Je commence à m’y attacher, et ça me taquine de le voir attrapé comme il l’est sans cesse par ces Bourel père et fils. Alcide surtout le plume à faire frémir ; c’est un mauvais garnement que ce garçon ; vous feriez bien de ne pas laisser votre Frédéric se rencontrer avec lui. madame bonard. Oh ! Frédéric ne le voit plus ; Bonard le lui a bien défendu. caroline. Mais je viens de les voir entrer ensemble dans le bois, près de chez vous. madame bonard, effrayée. Encore ! Oh ! mon Dieu ! si Bonard le savait ! Il le lui a tant défendu. caroline. Et il a bien fait, car une société comme ça, voyez-vous, Madame Bonard, il y a de quoi perdre un jeune homme. madame bonard. Je le sais, ma bonne Mademoiselle Caroline, je ne le sais que trop, et je parlerai ferme à Frédéric, je vous en réponds. Mais, pour Dieu ! n’en dites rien à Bonard, il le rouerait de coups. caroline. Je ne dirai rien, Madame Bonard ; mais... je ne sais s’il ne vaudrait pas mieux que le père connaisse les allures de son fils. Ne vaut-il pas mieux que le garçon soit battu maintenant que de devenir un filou, un gueux plus tard ? madame bonard. J’y penserai, j’y réfléchirai, ma bonne Caroline, je vous le promets. Mais gardez-moi le secret, je vous en supplie. caroline. Je veux bien, moi ; au fait, ça ne me regarde pas, c’est votre affaire. Au revoir, Madame Bonard ; donnez-moi une de vos dindes, que je l’emporte ; si je revenais les mains vides, mon maître serait capable de tomber malade. madame bonard. Mais je ne les ai pas, elles sont aux champs. caroline. Il faut que nous y allions ; je ne veux pas rentrer sans la dinde. madame bonard. Écoutez ; allez le long du bois, tournez dans le champ à gauche, vous trouverez Julien avec les dindes, et vous ferez votre choix. Vous connaissez Julien, je pense ? caroline. Ma foi, non ; il n’y a pas longtemps que je suis dans le pays, je n’y connais pas beaucoup de monde. madame bonard. Vous le reconnaîtrez tout de même, puisqu’il n’y a que lui qui garde mes dindes dans le champ. Le long du bois, puis à gauche. caroline. C’est entendu ; et je payerai Julien ? madame bonard. Comme vous voudrez ; nous nous arrangerons. » Caroline partit ; elle prit le chemin que lui avait indiqué Mme Bonard, et trouva Julien avec son troupeau. VI les pièces d’or de M. georgey À mesure que Caroline approchait, Julien la regardait et s’inquiétait ; craignant quelque nouvelle aventure, il fit avancer ses dindons à grands pas. Mais Caroline marchait plus vite que les dindons ; elle ne tarda pas à les rejoindre. Elle examina attentivement les bêtes pour avoir la plus belle. L’inquiétude de Julien augmenta ; il ne quittait pas des yeux Caroline, et fit siffler sa baguette pour lui faire voir qu’il était prêt à défendre à main armée le troupeau dont il avait la garde. Caroline n’y fit pas attention ; elle ne se doutait pas de la méfiance dont elle était l’objet. Mais quand Julien la vit se baisser pour saisir la dinde qu’elle avait choisie, il lui appliqua un coup de sa baguette sur les mains et s’avança sur elle d’un air menaçant. Caroline poussa un cri. julien. Ne touchez pas à mes dindes, ou je vous cingle les doigts d’importance. caroline. Que tu es bête ! Tu m’as engourdi les doigts, tant tu as tapé fort. On ne plaisante pas comme ça, Julien. julien. Je ne veux pas que vous touchiez à mes bêtes ; allez-vous-en. caroline. Mais puisque j’en ai acheté une à Mme Bonard ! C’est elle qui m’a envoyé ici pour la choisir. julien. Ta ! ta ! ta ! je connais cela. Je ne m’y fie plus. On m’en a déjà volé deux ; je ne me laisserai pas voler une troisième fois. caroline. Tu es plus sot que tes dindes, mon garçon. J’ai fait le prix avec Mme Bonard ; voici quatre francs pour payer ta dinde, est-ce voler, cela ? julien. Je n’en sais rien, mais vous n’y toucherez pas que Mme Bonard ne m’en ait donné l’ordre. Est-ce que je sais qui vous êtes et si vous dites vrai ? caroline. Puisque je t’appelle par ton nom, c’est que quelqu’un me l’a dit ; et ce quelqu’un, c’est Mme Bonard. Voyons, laisse-moi faire, et voici les quatre francs. julien. Je ne vous laisserai pas faire, et je ne veux pas de vos quatre francs. Vous faites comme Alcide, qui m’offrait aussi quatre francs pour avoir un dindon qu’il revendait huit francs à son Anglais. caroline. Quel Anglais ? M. Georgey ? c’est mon maître. julien. Tant pis pour vous ; votre maître emploie des fripons comme Alcide à son service, je me moque bien de votre Anglais ; je ne connais que Mme Bonard, et je ne donne rien que par son ordre. caroline. Tu n’es guère poli, Julien ; je vais aller me plaindre à Mme Bonard. julien. Allez où vous voulez et laissez-nous tranquilles, moi et mes quarante-six bêtes. caroline. Quarante-six bêtes et toi, cela en fait bien quarante-sept ; et la plus grosse n’est pas la moins bête. julien. Tout ça m’est égal. Allez vous plaindre si cela vous fait plaisir ; dites-moi toutes les injures qui vous passeront par la tête, offrez-moi tout l’argent que vous avez, rien n’y fera ; vous ne toucherez pas à mes dindes. caroline. Petit entêté, va ! Tu me fais perdre mon temps à courir. Si je voulais, j’en prendrais bien une malgré toi. julien. Essayez donc, et vous verrez. » Et Julien se campa résolument entre Caroline et son troupeau, les poings fermés prêt à agir, et les pieds en bonne position pour l’attaque ou la défense. Caroline leva les épaules et s’en alla du côté de la ferme. « Elle n’est pas méchante tout de même, pensa Julien ; c’est égal, je ne la connais pas, je dois prendre les intérêts de mes maîtres, et j’ai bien fait en somme. » Caroline revint à la ferme et conta à Mme Bonard ce qui s’était passé. Mme Bonard rit de bon cœur. « C’est un brave petit garçon, dit-elle ; il a eu peur qu’il ne lui arrivât une aventure comme avec Alcide, et il a bien fait. caroline. Grand merci ! Vous trouvez bien fait de m’avoir cinglé les doigts à m’en laisser la marque, de me... madame bonard. Écoutez donc, c’est ma faute ; j’aurais dû vous accompagner et lui expliquer moi-même notre marché. Venez, venez, Caroline, je vais vous faire donner votre dinde. » Elles retournèrent au champ, et, à leur grande surprise, elles virent près de Julien M. Georgey riant et se tenant les côtes. Quand elles approchèrent, il redoubla ses éclats de rire et ne put articuler une parole. madame bonard. Qu’y a-t-il, mon Julien ? Pourquoi M. Georgey est-il avec toi ? Pourquoi rit-il si fort ? julien. Il paraît qu’il était ici tout près, caché dans un buisson, pendant que je défendais mes dindes contre cette dame qui voulait m’en prendre une. Dès qu’elle a été partie, il a sauté hors de son buisson, il est arrivé à moi en courant ; il a voulu me saisir les mains, je me suis défendu avec ma baguette, je l’ai cinglé de mon mieux. Au lieu de se fâcher, il s’est mis à rire ; plus je cinglais, plus il riait, et le voilà qui rit encore à s’étouffer. Tenez, voyez, le voilà qui se roule... Je vais me sauver avec mes dindes ; ... le voilà qui se calme : il ne disait qu’un seul mot, toujours le même tarké, tarké ! » Les rires de l’Anglais reprirent de plus belle. madame bonard. N’aie pas peur, mon Julien, reste là ; ce M. Georgey veut une bête de ton troupeau, qu’il appelle tarké. Et voici sa servante, Mlle Caroline, qui venait en acheter une ; c’est moi qui te l’envoyais. julien, troublé. Je ne savais pas, maîtresse. Je vous fais bien mes excuses, ainsi qu’à Mlle Caroline. Je craignais, ne la connaissant pas, qu’elle ne me volât une de vos dindes, comme l’avait fait Alcide. » L’Anglais, voyant l’air confus de Julien, crut que Mme Bonard le grondait. Son rire cessa à l’instant ; il se releva et dit : « Vous, Madme Bonarde, pas gronder Juliène : Juliène il était une honnête pétite, une excellente pétite ; il avait battu mon Caroline beaucoup fort ; il avait poussé le money de Caroline ; il avait voulu boxer Caroline ; il avait battu moi. C’était très bien, parfaitement excellent. J’aimais beaucoup fort Juliène ; jé voulais lé prendre avec les turkeys ; Madme Bonarde, jé voulais emporter Juliène avec les turkeys. Il était un honnête garçone ; j’aimais les honnêtes garçones ; jé voyais pas bocoup honnêtes garçones. Good fellow, you, little dear, ajouta M. Georgey en passant la main sur la tête de Julien. Oh oui ! good fellow, toi venir avec tes turkeys chez moi, dans mes services ? Oh yes ! Disais vitement yes, pétite Juliène. madame bonard. Mais, Monsieur, je ne veux pas du tout laisser venir Julien chez vous. Je veux le garder. m. georgey. Oh ! Madme Bonarde ! Vous si aimable ! Vous si excellent ! J’aimais tant un honnête garçone ! madame bonard. Et moi aussi, Monsieur, j’aime les honnêtes garçons, et c’est pourquoi j’aime Julien et je le garde. m. georgey. Écoute, pétite Juliène, si toi venais chez moi, je donner beaucoup à toi. Tenez, pétite, voilà. » M. Georgey tira sa bourse de sa poche. m. georgey. Tu voyais ! Il était pleine d’argent jaune. Moi té donner cinq jaunets. C’était bien beaucoup ; c’était une grosse argent. » Et il les mit de force dans la main de Julien. Mme Bonard poussa un cri ; Julien lui dit : « Qu’avez-vous, maîtresse ? De quoi avez-vous peur ? madame bonard, tristement. Tu vas me quitter, mon Julien ! Moi-même, je dois te conseiller de suivre un maître si généreux ! m. georgey. Bravo ! Madme Bonarde, c’était beaucoup fort bien ! Viens, pétite Juliène, moi riche, moi te donner toujours les jaunets. julien. Merci bien, Monsieur, merci, je suis très reconnaissant. Voici vos belles pièces, Monsieur, je n’en ai pas besoin ; je reste chez M. et Mme Bonard ; j’y suis très heureux et je les aime. » Julien tendit les cinq pièces de vingt francs à M. Georgey, qui ouvrit la bouche et les yeux, et qui resta immobile. madame bonard. Julien, mon garçon, que fais-tu ? tu refuses une fortune, un avenir ! m. georgey. Juliène, tu perdais lé sentiment, my dear. Pour quelle chose tu aimais tant master et Mme Bonarde ? julien. Parce qu’ils m’ont recueilli quand j’étais orphelin, Monsieur ; parce qu’ils ont été très bons pour moi depuis plus d’un an, et que je suis reconnaissant de leur bonté. Ne dites pas, ma chère maîtresse, que je refuse le bonheur, la fortune. Mon bonheur est de vous témoigner ma reconnaissance, de vous servir de mon mieux, de vivre près de vous toujours. — Cher enfant ! s’écria Mme Bonard, je te remercie et je t’aime, ce que tu fais est beau, très beau. » Mme Bonard embrassa Julien, qui pleura de joie et d’émotion ; Caroline se mit aussi à embrasser Julien ; l’Anglais sanglota et se jeta au cou de Julien en criant : « Beautiful ! Beautiful ! Pétite Juliène, il était une grande homme ! » Et, lui prenant la main, il la serra et la secoua à lui démancher l’épaule. Julien lui coula dans la main ses cinq pièces d’or, l’Anglais voulut en vain le forcer à les accepter. Julien s’enfuit et retourna à son troupeau, qui s’était éparpillé dans le champ pendant cette longue scène. Il courait de tous côtés pour les rassembler ; Caroline et Mme Bonard coururent aussi pour lui venir en aide ; l’Anglais se mit de la partie et parvint à saisir deux des plus belles dindes ; il les examina, les trouva grosses et grasses, leur serra le cou et les étouffa. m. georgey. Caroline, Caroline, j’avais les turkeys ; j’avais strangled deux grosses ; ils étaient lourdes terriblement. » Les dindes étaient réunies ; Caroline accourut près de son maître et regarda celles qu’il tenait. caroline. Mais, Monsieur, elles sont mortes ; vous les avez étranglées ? m. georgey, souriant. Yes, my dear ; jé voulais manger des turkeys, toujours des turkeys. caroline. Mais, Monsieur, vous en avez pour huit jours. m. georgey. No, no, my dear, une turkey tous les jours... Taisez-vous, my dear. J’avais dit jé voulais, et quand j’avais dit jé voulais, c’était jé voulais. Demaine vous dites à master Bonarde, à Madme Bonarde, à pétite Juliène, jé voulais ils dînaient tous chez moi, dans mon petite maison. Allez, my dear, allez tout de suite, vitement. Jé payais les turkeys demain. » M. Georgey s’en alla sans tourner la tête ; Caroline ramassa les deux dindes et alla faire part à Mme Bonard et à Julien de l’invitation de M. Georgey. Mme Bonard remercia et accepta pour les trois invités ; ils se séparèrent en riant. Pendant ce temps, Frédéric était venu rejoindre Alcide dans le bois. « Eh bien, pauvre ami, es-tu bien remis de la rossée que t’a donnée ton père ? frédéric. Oui, et je viens te dire que je ne peux plus te voir en cachette, mon père me surveille de trop près. alcide. Bah ! avec de l’habileté on peut facilement tromper les parents. frédéric. Mais, vois-tu, Alcide, je ne suis pas tranquille ; j’ai toujours peur qu’il ne me surprenne. J’aime mieux me priver de te voir et obéir à mon père. alcide. Voilà qui est lâche, par exemple ! Moi qui te croyais si bon ami, qui faisais ton éloge à tous nos camarades, tu me plantes là comme un nigaud que tu es. Quel mal faisons-nous en causant ? Quel droit ont tes parents de t’empêcher de te distraire un instant, après t’avoir fait travailler toute la journée comme un esclave ? Ne peux-tu pas voir tes amis sans être battu ? Faut-il que tu ne voies jamais que tes parents et ce petit hypocrite de Julien qui cherche à se faire valoir ? frédéric. Julien est bon garçon, je t’assure. Il m’aime. alcide. Tu crois cela, toi ? Si tu savais tout ce qu’il dit et comme il se vante de prendre ta place ! Crois-moi, on te fait la vie trop dure. Voici la foire qui approche ; je parie qu’ils ne te donneront pas un sou, et il te faut de l’argent pour t’amuser. Il faut que nous en fassions, et nous en aurons. Veux-tu m’aider ? frédéric, hésitant. Je veux bien, si tu ne me fais faire rien de mal. alcide. Sois tranquille. Mais séparons-nous, de peur qu’on ne te voie ; je t’expliquerai ça dimanche quand nous nous reverrons ici. » Et les deux amis se quittèrent. Quand Bonard rentra du labour avec Frédéric qui était venu le rejoindre, et qu’il ne laissait plus seul à la maison que pour le travail nécessaire, Mme Bonard leur raconta les aventures de l’après-midi. Bonard rit beaucoup ; il fut touché du désintéressement et du dévouement de Julien. « Merci, mon garçon, lui dit-il ; je n’oublierai pas cette preuve d’amitié que tu nous as donnée. Merci. » Frédéric avait écouté en silence. Quand le récit fut terminé, il dit à Julien : « Il est donc bien riche, cet imbécile d’Anglais ? Tu aurais dû garder son argent. julien. Il n’est pas imbécile, mais trop bon. Je pense qu’il est riche, mais je n’avais pas mérité l’or qu’il m’offrait, et je ne voulais pas accepter son offre de le suivre. frédéric. Je trouve que tu as été très bête dans toute cette affaire. bonard, sèchement. Tais-toi ! Tu n’as pas le cœur qu’il faut pour apprécier la conduite de Julien. » VII dîner de m. georgey Le lendemain, Frédéric, qui était de mauvaise humeur de n’avoir pas été invité chez M. Georgey, s’en prit à Julien et recommença à le blâmer de n’avoir pas accepté l’or de l’Anglais. julien. Mais tu vois bien qu’il me le donnait pour entrer à son service, et je voulais rester ici. frédéric. C’est ça qui est bête ! Chez l’Anglais, tu serais devenu riche, il t’aurait payé très cher ; tu aurais pu gagner sur les achats qu’il t’aurait fait faire. julien. Comment ça ? Comment aurais-je gagné sur les achats ? frédéric. C’est facile à comprendre, Alcide me l’a expliqué. Tu achètes pour deux sous de tabac ; tu lui en comptes trois ; tu prends un paquet de chandelles, trois francs : tu comptes trois francs cinquante ; et ainsi de suite. » julien, avec indignation. Et tu crois que je ferais jamais une chose pareille ! frédéric. Tiens, par exemple ! Alcide le fait toujours. Il dit que c’est pour payer son temps perdu à faire des commissions, et c’est vrai, ça ; alors, c’est avec cela qu’il s’amuse, qu’il achète des cigares, des saucisses, toutes sortes de choses, et il ne s’en porte pas plus mal. julien. Non, mais il se gâte de plus en plus et devient de plus en plus malhonnête. Prends garde, Frédéric ! c’est un mauvais garçon ! Ne l’écoute pas, ne fais pas comme lui. frédéric. Vas-tu me prêcher, à présent ? Je sais ce que j’ai à faire. Prends garde toi-même ! Si tu as le malheur d’en dire un seul mot à mon père et à ma mère, nous te donnerons une rossée dont tu te souviendras longtemps. julien. Tu n’as pas besoin de craindre que je te fasse gronder. Tu sais que je fais toujours mon possible pour t’éviter des reproches. Que de fois je me suis laissé gronder pour toi ! frédéric, avec aigreur. C’est bon ! je n’ai pas besoin que tu me rappelles les générosités dont tu te vantes. Avec tes belles idées, Alcide dit que tu resteras un imbécile et un pauvrard à la charité de mes parents, comme tu l’es depuis un an, ce qui n’est agréable ni pour eux ni pour moi, car tu as beau faire, tu resteras toujours un étranger qu’on peut chasser d’un jour à l’autre. » Julien rougit et voulut répondre, mais il se contint, et continua à balayer la cour, pendant que Frédéric sifflotait un air qu’il recommençait toujours. Un autre sifflet, qui reprit le même air, se fit entendre dans le lointain. Frédéric se tut, prit un trait de charrue, le tordit pour le déchirer, tira dessus pour achever de le séparer en deux, et dit à Julien : « Si mon père me demande, tu lui diras que j’ai été porter ce vieux trait à raccommoder chez le bourrelier. Tu vois qu’il est cassé ; regarde bien, pour dire ce qui en est si mon père te questionne. — Je vois », répondit Julien tristement. Frédéric s’en alla avec le trait. « Je sais bien où il va, se dit Julien. Un rendez-vous avec son ami Alcide. Ce malheureux Frédéric ! comme il est changé depuis quelque temps ! Cet Alcide lui a fait bien du mal ! » « Julien, Julien ! voici l’heure de t’habiller pour aller dîner chez M. Georgey, cria Mme Bonard. Il faut te faire propre, mon garçon. Mets ta blouse des dimanches ; donne-toi un coup de peigne, un coup de savon, et viens me trouver dans la salle. Je t’y attends. » Julien avait fini son ouvrage ; il posa le balai dans l’écurie et courut se débarbouiller à la pompe. « Je me nettoierai aussi bien à grande eau que si j’usais le savon de Mme Bonard. Frédéric a dit vrai ; je suis à la charité de M. et Mme Bonard : je dois faire le moins de dépense possible. » Julien soupira ; puis il se lava, se frotta si bien, qu’il sortit très propre de dessous la pompe ; il démêla ses cheveux bien lavés avec le peigne de l’écurie qui servait aux chevaux, mit du linge blanc, une vieille blouse déteinte, mais propre, ses souliers ferrés, et alla retrouver dans la salle Mme Bonard, qui l’attendait en raccommodant du linge. Elle l’examina. madame bonard. Bien ! tu es propre comme cela. La blouse n’est pas des plus neuves, mais tu en achèteras une à la foire prochaine. julien. Et M. Bonard ? Est-ce qu’il ne vient pas ? madame bonard. Il va nous rejoindre chez l’Anglais ; il a été marchander un troupeau d’oies. » Ils se mirent en route ; Julien parlait peu, il était triste. madame bonard. Qu’est-ce que tu as, mon Julien ? Tu ne dis rien ; tu es tout sérieux, comme qui dirait triste. julien. Je ne crois pas, maîtresse, je n’ai rien qui me tourmente. madame bonard. Tu es peut-être honteux de ta blouse ? julien. Pour ça non, maîtresse ; elle est encore trop belle pour ce que je vaux et pour l’ouvrage que je fais chez vous. madame bonard. Qu’est-ce que tu dis donc ? Tu travailles du matin au soir ; le premier levé, le dernier couché. julien. Oui, maîtresse ; mais quel est l’ouvrage que je fais ? À quoi suis-je bon ? À me promener toute la journée avec un troupeau de dindes ? Ce n’est pas un travail, cela. madame bonard. Et que veux-tu faire de mieux, mon ami ? Quand tu seras plus grand, tu feras autre chose. julien. Oui, maîtresse ; mais en attendant, je mange votre pain, je bois votre cidre, je vous coûte de l’argent ; c’est une charité que vous me faites, et je ne puis rien pour vous, moi ; voilà ce qui me fait de la peine. » Julien passa le revers de sa main sur ses yeux. Mme Bonard s’arrêta et le regarda avec surprise. madame bonard. Ah ça ! qu’est-ce qui te prend donc ? Où as-tu pris toutes ces idées ? julien. On me l’a dit, maîtresse ; de moi-même je n’y avais pas pensé : je suis trop bête pour l’avoir compris tout seul. madame bonard. Si je savais quel est le méchant cœur qui t’a donné ces sottes pensées, je lui dirais ce que j’en pense, moi. Ce n’est pas toi qui es bête, c’est l’imbécile qui t’a fait croire tout ce que tu viens de me débiter. Nomme-le-moi, Julien ; je veux le savoir. julien. Pardon, maîtresse ; je ne peux pas vous le dire, puisque vous trouvez qu’il a mal fait. madame bonard. Bon garçon, va ! Mais n’en crois pas un mot, c’est tout des mensonges. J’ai besoin de toi, et tu me fais l’ouvrage d’un homme, et tu prends mes intérêts, et je serais bien embarrassée sans toi. julien. Merci bien, maîtresse, vous avez toujours été bonne pour moi. » Ils continuèrent leur chemin et arrivèrent bientôt chez M. Georgey ; le père Bonard les attendait à la porte. caroline. Entrez, entrez, Madame Bonard ; mon maître est ici dans la salle. » Caroline ouvrit la porte de la salle où M. Georgey les attendait. m. georgey. Bonjour, good morning, pour lé société. J’avais une faim terrible pour lé turkey. Vitement, Caroline ; jé sentais lé parfumerie du turkey, ça me faisait un creusement dans lé stomach. — Et vous allez bien, Monsieur ! dit Mme Bonard pour dire quelque chose. m. georgey. Oh yes ! perfectly well ! madame bonard. Julien s’est fait beau pour venir chez vous, Monsieur ; nous sommes tous bien reconnaissants... m. georgey. Oh ! dear ! taisez-vous. Quand je sentais lé turkey, moi pas dire rien du tout pour le creusement du stomach ; moi penser au turkey et pas entendre riène qué lé friturement du graisse... À table tout lé société. J’entendais lé turkey. » Caroline arrivait en effet avec la dinde cuite à point, exhalant un parfum qui fit sourire l’Anglais ; ses longues dents se découvrirent jusqu’aux gencives, ses yeux brillèrent comme des escarboucles, et il commença à dépecer la superbe bête, qui pesait plus de dix livres. Il en distribua largement aux convives, prit sa part, un quart d’heure après il n’en restait rien que la carcasse. m. georgey, avec calme. La deuxième turkey, Caroline. » Chacun se regarda avec surprise. Caroline sourit de leur étonnement. M. georgey, vivement. La deuxième turkey, j’avais commandé. Quand j’avais commandé un fois, jé voulais pas commander un autre fois ; c’était un troublement pour lé stomach. » Caroline se dépêcha d’apporter la seconde dinde ; l’Anglais la découpa et voulut en servir de larges parts comme la première fois ; mais Mme Bonard partagea son énorme morceau avec son mari. M. georgey. Oh ! quoi vous faisez, Madme Bonarde ? Vous pas manger tout ? Vous pas trouver excellent le turkey graissé par vous ? madame bonard. Si fait, Monsieur, mais nous ne pouvons plus manger, Bonard et moi. Vous nous en aviez déjà servi un gros morceau. m. georgey, à mi-voix. C’était drôle ! C’était très beaucoup drôle !... Toi, pétite Juliène, toi, ma pétite favorisé, tu veux encore et toujours ? Véritablement ? julien. Oui, Monsieur ! C’est si bon la dinde ! Je n’en avais jamais mangé. m. georgey. Jamais... mangé turkey... Pétite malheureuse ! Jé té donnais turkey, moi. Donné lé plateau... Un pièce,... un autre pièce... un tr,... — Miséricorde ! s’écria Mme Bonard en riant et en enlevant l’assiette des mains de M. Georgey ; vous allez tuer mon pauvre Julien. m. georgey. No, no, turkey jamais tuer ; turkey léger,... étouffait jamais le stomach. Il recommença à manger de plus belle. Il resta à peine la moitié du second dindon. m. georgey. Enlevez, Caroline ; donner lé..., lé..., lé hare... Vous pas comprendre lé hare ?... La longue animal... Comment vous lé dites ? Une, une lévrière ? caroline. Ah ! je comprends. Monsieur veut dire le lièvre. m. georgey. Yes, yes, my dear ; lé lévrier. Jé disais bien, pourquoi vous pas comprendre ? C’était par grognement ; vous voulais pas me donner à manger l’autre turkey, et vous furious pour cette chose. Allez, my dear, allez vitement cherchez le lévrier, et vous être bonne garçone comme pétite Juliène. » Caroline, qui n’était pas du tout furieuse, sortit en riant et rapporta un lièvre magnifique avec une sauce de gelée de groseilles. m. georgey. Madme Bonarde, my dear, vous manger un petit pièce de lévrier. madame bonard. Volontiers, Monsieur, mais pas beaucoup, très peu. » M. Georgey lui en coupa un morceau de deux livres. madame bonard. Je ne pourrai jamais avaler tout cela, Monsieur ; je vais partager avec mon mari. m. georgey. Madme Bonarde, cela était une beaucoup petit pièce ; povre m’sieur Bonarde n’avoir riène du tout. » M. Georgey eut beau insister, ils déclarèrent en avoir plus qu’ils n’en pouvaient avaler. Julien en mangea de manière à contenter M. Georgey, qui le regardait avec une satisfaction visible. Il les fit boire en proportion de ce qu’ils avaient mangé ; après le lièvre on avait servi des petits pois, puis une crème à la vanille. Julien avalait, avalait ; l’Anglais riait et se frottait les mains. Bonard riait et chantait ; Mme Bonard sentait sa tête tourner et s’inquiétait. Caroline sautillait, riait, versait à boire et parlait comme une pie. m. georgey. Stop, Caroline, my dear. Jé voulais plus donner à boire ; ils étaient tous en tournoiement. Vous, Caroline, taisez-vous et courez vitement apporter le coffee, et laissez-nous en tranquillité. » Caroline rentra peu d’instants après avec le café ; M. Georgey en fit boire deux tasses à chacun de ses convives. m. georgey. C’était très bon pour enlever lé tournoiement, my dear. Après le coffee nous parler tout lé jour ; quand lé lune est arrivée, jé rentrer vous dans lé maison à vous. madame bonard. Pardon, Monsieur, il faut que je m’en aille tout à l’heure ; nous avons à faire chez nous. m. georgey. Quoi vous avoir à faire ? Frédéric il était là. madame bonard. Mais il ne fera pas du tout ce qu’il y a à faire dans la ferme, Monsieur. Les vaches, les chevaux, les cochons à soigner. Et puis les dindes qui n’ont pas été au champ. m. georgey. Alors nous tous partir à la fois, et moi aider pour les turkeys avec ma pétite Juliène, et moi converser avec lé pétite Juliène. Jé commençais. « Écoute mon raison, pétite Juliène. Tu avais battu Caroline pour les turkeys, c’était très tort joli ; tu avais dit no, no, pour son money, c’était plus excellent encore. Tu avais battu moi, fort, très fort, c’était admirable, et jé dis admirable ! « Alors j’avais dit dans mon cervelle : Pétite Juliène était une honnête créature ; quoi il faisait avec Mme Bonarde ? Il gardait les turkeys. Ce n’était pas une instruction, garder turkeys et batter moi et Caroline. Jé voulais faire bien à pétite Juliène jé lé voulais. Quand jé disais, jé lé voulais, jé faisais. Écoutez encore. « Jé un grande multitude de money. Jé donnais à pétite Juliette des habillements ; jé payais lé master dé lecture et dé l’écriture, et dé compteries, et dé dessination, et jé lé prenais pour mon fabrication, et pour mon dessinement, et jé lé prenais pour mon comptement, et pour mon caissement ; et jé lé faisais un grande instruction, et jé lui avais un grande fortune. Voilà, pétite Juliène. Tu voulais ? Mme Bonarde voulait. Moi, jé voulais, tout le monde voulait. » Tout le monde se regardait, et personne ne savait que répondre. Refuser de si grands avantages pour Julien était une folie et un égoïsme impardonnable. Mais perdre Julien était pour les Bonard un vrai et grand chagrin. Ils se taisaient, ne sachant à quoi se résoudre. Julien pensait, de son côté, qu’il ne trouverait jamais une si bonne occasion d’assurer son avenir tout en débarrassant les Bonard de la charge qu’ils s’étaient imposée en le recueillant dans son malheur ; le souvenir du reproche de Frédéric le poursuivait et le rendait malheureux. « Que pourrai-je jamais faire pour ne plus être à la charité de mes excellents maîtres ? se disait-il. N’ont-ils pas Frédéric pour les aider à la ferme ? Il est grand, fort, robuste. Et moi qui n’ai que douze ans, qui suis petit, chétif, sans force, à quoi pourrai-je être employé ? » Et il se décidait à accepter l’offre de M. Georgey lorsque se présentait à son esprit le chagrin de quitter M. et Mme Bonard, l’apparence d’ingratitude qu’il se donnerait en acceptant la première offre qui lui était faite par un inconnu, un étranger, un homme qu’il connaissait à peine, qui semblait être, il est vrai, brave homme, généreux, mais dont les idées originales, le langage bizarre, pouvaient amener des choses fort pénibles et tout au moins très désagréables. M. Georgey ne disait plus rien ; il les examinait tous. Enfin, Mme Bonard trouva un moyen pour gagner du temps. « Monsieur, dit-elle, Julien fera comme il voudra, mais il faut que vous me le laissiez jusqu’à ce que mes dindons soient vendus à la foire. m. georgey. Quand c’est lé foire ? madame bonard. Dans trois semaines, Monsieur. m. georgey. Very well, my dear ; dans les trois semaines jé vénais demander Juliène. — Mais je n’ai encore rien dit, maîtresse », s’écria Julien. Et il éclata en sanglots. Pendant quelques instants l’Anglais le regarda pleurer. Puis il lui passa plusieurs fois la main sur la tête, et dit d’une voix attendrie et très douce : « Povre pétite Juliène ! Bonne pétite Juliène ! pleurer par chagrinement de quitter master et Mme Bonard ? C’était très joli, très attachant. Don’t cry,... mon pétite Juliène. Toi être consolé, moi t’aimer beaucoup fort ; toi aider Caroline, aider moi, misérable homme tout solitaire qui vois pas personne pour affectionner ; moi qui cherchais un honnête garçone pour rendre heureux et qui trouvais personne. « Pleure pas, pétite Juliène, toi faire comme ton volonté. Jé té faisais demain et tous les matinées un rencontrement avec les turkeys. Quand il fera trois semaines, toi diras à moi oui ou non. » Georgey lui secoua fortement la main. Julien leva sur lui ses yeux baignés de larmes, baisa la main qui serrait encore la sienne, essaya de parler, mais ne put articuler une parole. VIII fausseté d’alcide Tout le monde se leva ; les Bonard et Julien pour retourner à la ferme ; l’Anglais pour les reconduire. madame bonard. Vous venez avec nous, Monsieur ? m. georgey. Yes, Madme Bonarde ; jé promenais en votre compagnie. Moi aimais beaucoup prendre un promenade en votre compagnie. Moi voulais voir les turkeys. Jé avais un peu beaucoup peur Frédéric mangeait les turkeys dans l’absentement de pétite Juliène. madame bonard, riant. Oh ! Monsieur, Frédéric ne mangera pas quarante-quatre dindons, malgré qu’il soit un peu gourmand. m. georgey. Frédéric était gourmand Fy ! C’était laide, c’était affreuse, c’était horrible d’avoir lé gourmandise. Pétite Juliène n’avait pas lé gourmandise. Il aimait turkey, mais pas lé gourmandise. » Les Bonard ne purent s’empêcher de rire ; Julien lui-même sourit en regardant rire ses maîtres. m. georgey. Quoi vous avez, Madme Bonarde ? J’avais dit un sottise ? Eh ! j’étais content alors. Pétite Juliène il riait, il avait fini lé pleurnichement. » M. Georgey se mit à rire aussi ; mais il avait à peine eu le temps d’ouvrir la bouche et de montrer ses longues dents, que Bonard, qui marchait un peu en avant, s’écria : « Ah ! coquin ! Je t’y prends, enfin ! » Et il s’élança dans le bois. Tout le monde s’arrêta avec surprise ; Bonard avait disparu dans le fourré. M. Georgey était un peu en arrière ; il n’avait pas encore tourné le coin du bois. madame bonard. Qu’y a-t-il donc ? Julien, as-tu vu quelque chose ? julien. Rien du tout, maîtresse. Je ne sais pas ce que c’est. m. georgey. My goodness ! Jé voyais ! Jé voyais ! Il courait ! Il sautait lé fosse ! Il tombait ! Eh ! vitement ! Master Bonard il arrivait ! Oh ! very well ! il était au fondation dé fosse. Ah ! ah ! ah ! master Bonard il s’arrêtait. Master Bonard il voyait pas !... Il rentrait dans lé buissonnement. C’était sauvé ! Bravo ! bravo ! my dear ! c’était très joli. Alcide il était beaucoup fort habile. madame bonard. Que voyez-vous donc, Monsieur Georgey ? Qu’est-ce que c’est ? Je ne vois rien, moi. » M. Georgey lui expliqua avec beaucoup de peine qu’étant resté en arrière il avait vu ce qui s’était passé au tournant du petit bois. Alcide en était sorti en courant, poursuivi par M. Bonard qui se trouvait encore dans le plus épais du taillis ; Alcide, se voyant au moment d’être pris, avait sauté dans le fossé ; s’y était couché tout de son long, caché par un saule dont les branches retombaient sur le fossé ; que M. Bonard, sorti du bois, n’avait plus trouvé Alcide et revenait sans doute à la ferme à travers bois. Mme Bonard ne trouva pas la chose aussi plaisante et hâta le pas pour rejoindre son mari. Julien le suivit, malgré les appels réitérés de M. Georgey, qui restait à la même place et qui voulait aller chercher Alcide dans son fossé. Mme Bonard arriva à la ferme en même temps que son mari. madame bonard. C’est-il vrai, Bonard, que tu as vu Alcide ? Pourquoi as-tu couru après lui ? bonard. Parce que je croyais avoir aperçu Frédéric ; je voulais le prendre sur le fait. madame bonard. Étaient-ils vraiment ensemble ? M. Georgey n’a vu qu’Alcide tout seul qui est tombé dans le fossé en sortant du bois. bonard. Je n’ai plus vu personne. Mais nous allons bien voir si Frédéric est à la ferme. Si je ne le trouve pas, c’est qu’il doit être encore avec ce coquin d’Alcide, et qu’ils se sont sauvés chacun de leur côté. Va voir à l’étable pendant que je vais voir à l’écurie. » Bonard entra dans l’écurie et aperçut Frédéric couché sur des bottes de foin et profondément endormi. « C’est étonnant, se dit-il ; j’aurais juré qu’ils étaient deux. » Il s’approcha de Frédéric, le poussa légèrement ; Frédéric entr’ouvrit les yeux, se souleva à demi et retomba endormi. bonard, à mi-voix. Il dort tout de bon ! C’est singulier tout de même. » Et il s’en alla en refermant la porte. À peine fut-il sorti que Frédéric se releva. « J’ai eu une fameuse peur ! Une seconde de plus, j’étais pris. C’est-il heureux que je me sois trouvé caché par un buisson et que j’aie pu rentrer par la porte de derrière avant le retour de mon père. Alcide se sera échappé, je suppose. A-t-il détalé ! Ha ! ha ! ha ! « Et ces diables de chevaux qui n’ont pas dîné ! Heureusement qu’ils ne parleront pas... Il faut que je revoie Alcide avant la foire, tout de même ; nous ne sommes convenus de rien ; et, comme il dit, il nous faut de l’argent pour nous amuser. » Frédéric secoua les brins de foin restés attachés à ses vêtements, sortit de l’écurie et entra dans la maison, où il parut étonné de trouver tout le monde rentré. frédéric. Ah ! vous voilà de retour ? Y a-t-il longtemps ? bonard. Quelques instants seulement. Je t’ai trouvé dormant dans l’écurie ; je n’ai pas voulu te réveiller, pendant que tu avais eu du mal à faire seul tout l’ouvrage de la ferme et que tu étais fatigué. frédéric. Ça, c’est vrai, j’étais très fatigué... madame bonard, sèchement. Tu n’avais pourtant pas tant d’ouvrage ! Les animaux à nourrir ; ton dîner à chauffer et à manger ; voilà tout. frédéric. C’est que les cochons m’ont fait joliment courir ; ils avaient passé dans le bois, et de là ils étaient au moment d’entrer dans l’orge ; ils y auraient fait un joli dégât, vous pensez ! madame bonard, de même. Par où donc ont-ils passé ? tout est bien clos. frédéric, embarrassé. Par où, je ne puis vous dire ; le fait est qu’ils y étaient. madame bonard. Les as-tu enfermés ? frédéric. Je crois bien ; mais après qu’ils m’ont fait courir plus d’une heure. madame bonard. C’est bon, tais-toi ! bonard. Qu’as-tu donc, femme ? tu as l’air tout en colère contre Frédéric ; il n’a pas fait pourtant grand mal en se reposant une heure. madame bonard. Bah ! il n’était pas fatigué ; il n’avait pas besoin de se reposer. bonard. Qu’en sais-tu ? madame bonard. Je sais ce que je sais. Frédéric, va me chercher des pommes de terre et le morceau de porc frais dans la cave. » Frédéric, étonné du ton sec de sa mère, sortit tout troublé et alla à la cave, mais pour n’y rien trouver, puisqu’il venait de manger avec Alcide ce que sa mère demandait. « Que vais-je dire ? se demanda-t-il. Alcide me conseille de nier que j’y ai touché, mais ils ne le croiront pas. Cet Alcide est par trop gourmand ; j’avais beau lui dire de n’y pas toucher, de nous contenter de ce qu’on m’avait laissé (et il y en avait grandement pour deux), il m’a fallu lui céder. Il m’aurait battu ! C’est qu’il me tient, à présent. J’ai partagé avec lui le profit des dindons, et je ne peux plus m’en dépêtrer. Avec cela qu’il me mène toujours à mal et que je ne suis guère heureux depuis que je l’ai écouté ; j’ai toujours peur de mes parents, de Julien, d’Alcide lui-même... Il est méchant cet Alcide ; il serait capable de me dénoncer, de dire que c’est moi qui l’ai mal conseillé, et je ne sais quoi encore. Quand il me fait ses raisonnements, il me semble qu’il dit vrai ; mais quand je me retrouve seul, je sens qu’il a tort... Pourquoi l’ai-je écouté, mon Dieu ! Pourquoi n’ai-je pas fait comme Julien ! julien, accourant. Frédéric ! Frédéric ! Mme Bonard te demande ; elle s’impatiente ; elle dit qu’il lui faut sa viande tout de suite pour qu’elle ait le temps de la préparer pour ce soir. » Frédéric ne savait que dire. Julien le regardait avec étonnement. « Qu’as-tu donc ? Es-tu malade ? frédéric. Non, pas malade, mais embarrassé ; je ne trouve pas le morceau de porc ; je ne sais que faire. julien, l’examinant. Mais qu’est-il devenu ? frédéric. Je n’en sais rien ; quelqu’un l’aura pris. julien. Pris ! Ici, dans la cave ! C’est impossible ! Dis-moi vrai ; tu l’as mangé ? » Frédéric ne répondit pas. julien. Tu l’as mangé, et pas seul, n’est-ce pas ? frédéric, effrayé. Tais-toi ! si on t’entendait ! julien. Écoute, Frédéric, je sais qu’Alcide était avec toi tantôt ; je devine qu’il t’a donné de mauvais conseils, comme il fait toujours. Sais-tu ce qu’il faut faire ? Avoue la vérité à ta mère, elle est si bonne ; elle te pardonnera si elle voit que tu te repens sincèrement. frédéric. Je n’oserai jamais ; mon père me battrait. julien. Non ; tu sais que ce qui le met en colère contre toi, c’est quand il voit que tu mens ; mais, si tu lui dis la vérité, il te grondera, mais il ne te touchera pas. » Pendant que Frédéric hésitait, Mme Bonard s’impatientait. « Je n’aurai pas le temps de faire cuire ma viande,... dit-elle. Je vais y aller moi-même ; ce sera plus tôt fait. » Elle arriva en effet au moment où Julien disait sa dernière phrase. madame bonard. Qu’est-ce qu’il y a ? Encore une de tes sottises, Frédéric ? » Frédéric tressaillit et resta muet. julien. Parte donc ! Dis à Mme Bonard ce que tu me disais tout à l’heure, que tu es bien fâché, que tu ne recommenceras pas. » Frédéric continuait à se taire ; Mme Bonard, étonnée, regardait tantôt l’un, tantôt l’autre. madame bonard. Où est le morceau de porc frais ? L’aurais-tu mangé en compagnie de ce gueux d’Alcide ? julien. Tout juste, maîtresse ; et c’est ce que Frédéric n’ose vous dire, malgré qu’il en ait bonne envie et qu’il le regrette bien. Et il promet bien de ne pas recommencer. madame bonard. C’est-il bien vrai ce que dit Julien ? frédéric. Oui, maman, très vrai ; Alcide m’a obligé de lui laisser manger le morceau que vous aviez préparé pour ce soir, et il m’a obligé à le partager avec lui. madame bonard. Obligé ! obligé ! c’est que tu l’as bien voulu. Mais enfin, puisque tu l’avoues, que tu ne mens pas comme d’habitude, je veux bien te pardonner et n’en rien dire à ton père. Mais ne recommence pas, et ne fais plus de causerie avec ce méchant Alcide qui te mène toujours à mal. Julien, cours vite chercher quelque chose chez le boucher, et reviens tout de suite. » Julien y courut en effet et rapporta un morceau de viande, que Mme Bonard se dépêcha de mettre au feu. Bonard ne se douta de rien, car il était parti pour travailler, et quand il rentra, la soupe était prête, la viande cuite à point et le couvert mis. Mme Bonard profita de son tête-à-tête avec Frédéric pour lui parler sérieusement, pour lui démontrer le mal que lui faisait Alcide, et les chagrins qu’il leur préparait à tous. Frédéric promit de ne plus voir ce faux ami, et fut très satisfait de s’en être si bien tiré. IX il a julien Pendant quelques jours tout alla bien ; Frédéric fuyait Alcide ; Julien menait ses dindes aux champs, M. Georgey venait l’y rejoindre tous les jours à deux heures, s’asseyait près de lui, ne disait rien de ses projets et se faisait raconter tous les petits événements de la vie de son protégé : son enfance malheureuse, la misère de ses parents, la triste fin de son père mort du choléra, et de sa mère, morte un an après de chagrin et de misère ; son abandon, la charitable conduite de M. et de Mme Bonard, et leur bonté à son égard depuis plus d’un an qu’il était à leur charge. m. georgey. Et toi, pauvre pétite Juliène, toi étais pas heureuse ? demanda-t-il un jour. julien. Je serais heureux, Monsieur, si je ne craignais de gêner mes bons maîtres. Ils ne sont pas riches ; ils n’ont que leur petite terre pour vivre, et ils travaillent tous deux au point de se rendre malades parfois. m. georgey. Et Frédric ? Il était une fainéante ? julien, embarrassé. Non, M’sieur ; mais..., mais... m. georgey. Très bien, très bien, pétite Juliène, jé comprenais ; jé voyais lé vraie chose. Toi voulais pas dire mal. Et Frédric il était une polissonne, une garnement mauvaise, une voleur, une... julien, vivement. Non, non, Monsieur ; je vous assure que... m. georgey. Jé savais, jé disais, jé croyais. Tais-toi, pétite Juliène... Prends ça, pétite Juliène, ajouta-t-il en lui tendant une pièce d’or. Prendez, jé disais : prendez, répéta-t-il d’un air d’autorité auquel Julien n’osa pas résister. C’était pour acheter une blouse neuf. » M. Georgey se leva, serra la main de Julien, et s’en alla d’un pas grave et lent sans tourner la tête. Le lendemain, M. Georgey revint s’asseoir comme de coutume près de Julien, pour l’interroger et le faire causer. En le quittant, il lui tendit une nouvelle pièce d’or, que Julien refusa énergiquement. julien. C’est trop, M’sieur, c’est trop ; vrai, c’est beaucoup trop. m. georgey. Pétite Juliène, je voulais. C’était pour acheter lé inexpressible (pantalon). » Et, comme la veille, il le força à accepter la pièce de vingt francs. Le surlendemain, même visite et une troisième pièce d’or. « C’était pour acheter une gilète et une couverture pour ton tête. Jé voulais. » Pendant deux jours encore, M. Georgey lui fit prendre de force sa pièce de vingt francs. Julien était reconnaissant, mais inquiet de cette grande générosité. Tous les jours il remettait sa pièce d’or à Mme Bonard en la priant de s’en servir pour les besoins du ménage. julien. Moi, je n’ai besoin de rien, maîtresse, grâce à votre bonté ; et je serais bien heureux de pouvoir vous procurer un peu d’aisance. madame bonard. Bon garçon ! je te remercie, mon enfant ; je n’oublierai point ce trait de ton bon cœur. » Mme Bonard l’embrassa, mit sa pièce d’or dans un petit sac et se dit : « Puisse l’Anglais remplir ce sac ; ce serait une fortune pour cet excellent enfant ! Quel malheur que Frédéric ne lui ressemble pas ! » La veille du jour de la foire, M. Georgey vint à la ferme Bonard. « Madme Bonarde, dit-il en entrant, combien il reste de turkeys à vous ? madame bonard. Vous en avez mangé douze, Monsieur : il m’en reste trente-quatre. m. georgey. Madme Bonarde, vous vouloir, s’il plaît à vous, les conserver pour moi ? madame bonard. Mais, Monsieur, je ne puis pas les garder si longtemps : leur nourriture coûterait trop cher. m. georgey. Madme Bonarde, moi aimer énormément beaucoup le turkey ; moi payer graine et tout pour leur graissement, et moi payer dix francs par chacune turkey. madame bonard. Oh non ! Monsieur, c’est trop. Du moment que vous payez la nourriture, six francs par bête, c’est largement payer. m. georgey. Madme Bonarde, moi pas aimer ce largement ; moi aimer lé justice et moi vouloir forcément, absolument payer dix francs. Je voulais. Vous savez, jé voulais. madame bonard. Comme vous voudrez, Monsieur ; je vous remercie bien, Monsieur ; c’est un beau présent que vous me faites et que je ne mérite pas. m. georgey. Vous méritez tout à fait bien. Vous très excellente pour ma pétite Juliène, et moi vous demander une grande chose par charité. Donnez-moi lé pétite Juliène. Jé vous demande très fort. Donnez-moi lé pétite Juliène. madame bonard. Mais, Monsieur, je veux que mon Julien ne change pas sa religion ; les Anglais ne sont pas de la religion catholique comme nous. m. georgey. Oh ! yes ! moi Anglais catholique, moi du pays Irlande ; lé pétite Juliène catholique comme moi. Vous voyez pas moi à votre église comme vous !... Pourquoi vous pas dire rien ? Jé vous demande lé pétite Juliène. » Mme Bonard pleurait et ne pouvait répondre. m. georgey. Vous pas comprendre, lé pétite Juliène être très fort heureuse avec moi. Lui apprendre tout ; avoir l’argent beaucoup ; avoir lé bonne religion catholique. Tout ça excellent. madame bonard. Vous avez raison, Monsieur ; je le sais, je le vois... Prenez-le, Monsieur, mais après la foire. m. georgey. Bravo, Madme Bonarde, vous bonne créature ; moi beaucoup remercier vous. Jé viendrai lé jour de lendemain du foire. Adieu, bonsoir. » M. Georgey s’en alla se frottant les mains ; en passant devant le champ où Julien gardait les dindons, il lui annonça le consentement de Mme Bonard, lui promit de le rendre très heureux, de lui faire apprendre toutes sortes de choses, et de le laisser venir chez les Bonard tous les soirs. Julien ne pleura pas cette fois ; il commençait à avoir de l’amitié pour l’Anglais, qui avait été si bon pour lui ; il comprenait que chez M. Georgey il ne serait à charge à personne, qu’il y recevrait une éducation meilleure que chez Mme Bonard. Et puis, il craignait un peu de se laisser gagner par le mauvais exemple de Frédéric et par les détestables conseils d’Alcide, qu’il ne pouvait pas toujours éviter. Julien se borna donc à soupirer ; il remercia M. Georgey et lui promit de se tenir prêt pour le surlendemain. M. Georgey lui secoua la main, lui dit qu’il le reverrait à la foire, et s’en alla très content. À peine fut-il parti qu’Alcide sortit du bois. alcide. Bonjour, Julien, tu gardes toujours tes dindons ? Belle occupation, en vérité ! — J’aime mieux garder les dindons que les voler, répondit sèchement Julien. alcide. Ah ! tu m’en veux encore, à ce que je vois. Ne pense plus à cela, Julien ; j’ai eu tort, je le sais, et je t’assure que je ne recommencerai pas. Viens-tu à la foire demain ? julien. Je n’en sais rien ; c’est comme Mme Bonard voudra. Je n’y tiens pas beaucoup, moi. alcide. Tu as tort : ce sera bien amusant ; des théâtres, des drôleries, des tours de force de toute espèce. julien. Tu ne verras rien de tout cela, toi, puisque tu n’as pas d’argent. alcide. Bah ! on trouve toujours moyen de s’en procurer. Et puis, je suis convenu avec Frédéric d’y conduire l’Anglais ; il nous régalera. julien. Alcide, tu vas faire quelques tromperies à ce bon M. Georgey. Je ne veux pas de ça, moi. alcide. Quelle tromperie veux-tu que je lui fasse ? Ce n’est pas que ce soit difficile, car il est bête comme tout ; on lui fait accroire tout ce qu’on veut. julien. Il n’est pas bête ; il est trop bon. Si tu l’as trompé avec tes dindons, c’est parce qu’il a eu confiance en toi et qu’il t’a cru honnête. alcide, ricanant. Tu m’ennuies avec tes dindons, tu répètes toujours la même chose ! Si tu crains que nous ne trompions ton Anglais, viens avec lui ; tu nous empêcheras de l’attraper, tu le protégeras contre nous. julien. Ma foi, je ne dis pas non ; et ce serait une raison pour aller à cette foire dont je ne me soucie guère pour mon compte. alcide. Vas-y ou n’y va pas, ça m’est égal. Frédéric et moi, nous irons avec l’Anglais, tu peux bien y compter. » Alcide mit ses mains dans ses poches et s’en alla en sifflant : J’ai du bon tabac dans ma tabatière. J’ai du bon tabac, tu n’en auras pas. Julien le suivit des yeux quelque temps. « J’irai, se dit-il. Je vais demander à Mme Bonard d’y aller. J’irai avec le bon M. Georgey, et peut-être lui serai-je utile. » Alcide se disait de son côté : « Il ira, bien sûr qu’il ira. Il se figure qu’il nous empêchera de faire nos petites affaires. Mais il est certain qu’il nous y aidera sans le savoir... Ce Frédéric est embêtant tout de même. S’il avait bien voulu m’écouter, nous n’aurions pas eu besoin de ce grand nigaud d’Anglais pour nous amuser... Ce n’était pourtant pas si mal de chiper à ses parents une pièce de dix francs. Le bien des parents n’est-il pas le nôtre ? Avec cela qu’il est seul enfant et que ses parents ne lui donnent jamais rien pour s’amuser... Mais, faute de mieux, l’Anglais fera notre affaire. Nous le griserons et puis nous verrons... Si Julien y va avec lui,... nous le griserons aussi, nous lui ferons faire ce que nous voudrons et nous lui mettrons tout sur le dos. Et puis, d’ici à demain, je trouverai peut-être un moyen de me procurer l’argent. Vive la joie ! Vive le vin, la gibelotte et le café ! Je ne connais que ça de bon, moi ! » X le complot Julien revint avec ses dindes ; il les compta, les renferma, leur donna du grain et rentra à la maison. Il n’y trouva que Frédéric ; Bonard labourait encore, Mme Bonard était à la laiterie. « Tu ne vas pas à la foire demain ? demanda Frédéric à Julien. julien. Si fait, je crois bien que j’irai. Je le demanderai ce soir à Mme Bonard. frédéric, surpris. Comment ? tu disais hier que tu resterais à la maison. julien, avec malice. Oui, mais j’ai changé d’idée. frédéric. Qu’est-ce qui gardera les dindes si tu t’en vas ? julien. Elles ne mourront pas pour rester un jour dans la cour avec du grain à volonté. frédéric. Mais il faudra bien que quelqu’un reste pour garder la maison. julien. Ah bien ! on t’y fera rester sans doute. frédéric, indigné. Moi !... par exemple ! Moi le fils de la maison ! Pendant que toi tu irais t’amuser ! Toi qui es ici par charité pour servir tout le monde ! julien, attristé. Je n’y resterai pas longtemps ! Ce ne sera pas moi qui te ruinerai. frédéric. Et où iras-tu ? Qu’est-ce qui voudra de toi ? julien. Ne t’en tourmente pas. Je suis déjà placé. frédéric. Placé ! Toi placé ? Et chez qui donc ? julien. Chez M. Georgey. Le bon M. Georgey, qui veut bien me garder chez lui. » Frédéric retomba sur sa chaise dans son étonnement. Julien serait à la place qu’ambitionnait, qu’espérait Alcide ! Une place si pleine d’agréments, près d’un homme si facile à tromper ! Et c’était ce petit sot, ce petit pauvrard qui profitait de tous ces avantages ! « Il faut que je voie Alcide, se dit-il ; il faut que je le prévienne ; il a de l’esprit, il est fin, il trouvera peut-être un moyen de le perdre dans l’esprit de l’Anglais... Heureusement que nous avons encore une journée devant nous. » Julien examinait la figure sombre de Frédéric et se disait : « Il n’est pas content, à ce qu’il paraît. Il ne veut pas que j’aille à la foire, il a peur que je ne les empêche de tromper ce pauvre M. Georgey. Raison de plus pour que j’y aille. » Ils restèrent quelques minutes sans rien dire, sans se regarder. Mme Bonard rentra pour servir le souper. Tous deux se levèrent. Frédéric allait parler, mais Julien le prévint. « Maîtresse, dit-il en s’avançant vers elle, j’ai quelque chose à vous demander, une chose que je désire beaucoup. madame bonard. Parle, mon enfant ; tu ne m’as jamais rien demandé. Je ne te refuserai pas, bien sûr. julien. Maîtresse, j’ai bien envie d’aller demain à la foire. madame bonard. Tu iras, mon ami, tu iras. J’allais te dire de t’y préparer ; tu as bien des choses à acheter pour être vêtu proprement. Et ce n’est pas l’argent qui te manque, tu sais bien. julien. Avec tout ce que vous m’avez déjà acheté, maîtresse, je n’ai guère plus de dix francs ; à cinq francs par mois, il faut du temps pour gagner de quoi se vêtir. madame bonard. Dix francs ! Tu vas voir ce que tu as. » Et, ouvrant l’armoire, elle en tira un petit sac en toile, le dénoua et étala sur la table cinq pièces de vingt francs, quatre pièces de cinq francs et trois francs soixante centimes de monnaie. « Tu vois, mon ami, dit-elle, tu es plus riche que tu ne le pensais. julien. Ce n’est pas à moi ces cinq pièces d’or, maîtresse. Vous savez que je vous les ai laissées pour le ménage. madame bonard. Et tu crois, pauvre petit, que j’aurais consenti à te dépouiller du peu que tu possèdes et que tu dois à la générosité de M. Georgey. Non, ce serait une vilaine action que je ne ferai jamais. julien. Merci, maîtresse ; je suis bien reconnaissant de votre bonté pour moi. Je puis donc aller à la foire ? madame bonard. Certainement, mon ami ; et je t’accompagnerai pour t’acheter ce qu’il te faut. frédéric. Et moi, maman, puis-je y aller dès le matin ? madame bonard. Non, mon garçon, tu resteras ici pour garder la maison et soigner les bestiaux jusqu’à mon retour. Je partirai de bon matin, tu pourras y aller après midi. » Mme Bonard remit l’argent dans le sac, rattacha la ficelle, le remit en place, ôta la clef et la posa dans sa cachette, derrière l’armoire, Puis elle se mit à faire les préparatifs du souper. Julien l’aidait de son mieux. Frédéric resta pensif ; au bout de quelques instants, il se leva et sortit. madame bonard. Où vas-tu, Frédéric ? frédéric. Je vais voir si mon père est rentré avec les chevaux et s’il a besoin de moi. madame bonard. C’est très bien, mon ami. Cela fera plaisir à ton père. « Cela m’étonne, continua-t-elle quand il fut parti ; en général, il ne fait tout juste que ce qui lui a été commandé. Je serais bien heureuse qu’il changeât de caractère. Maintenant que nous allons te perdre, mon Julien, il va bien falloir qu’il travaille davantage. Son père le fera marcher pour le gros de l’ouvrage, mais pour le détail il faudra que Frédéric y pense de lui-même et le fasse. julien. Il le fera, maîtresse, il le fera ; moi parti, il ne comptera plus sur mon aide, et il s’y mettra de tout son cœur. madame bonard. Que le bon Dieu t’entende, mon Julien, mais je crains bien d’avoir à te chercher un remplaçant sous peu de jours. » Julien ne répondit pas, car il le pensait aussi. Il continua à s’occuper du souper. Une demi-heure après, Bonard rentra. bonard. Le souper est prêt ? Tant mieux ! J’ai une faim à tout dévorer. madame bonard. À table, alors. Voici la soupe. Donne ton assiette, Bonard ; et toi aussi, Julien. Et Frédéric, où est-il donc ? Tu l’as laissé à l’écurie ? bonard. Je ne l’ai pas vu ; je croyais le retrouver ici. madame bonard. Comment ça ? Il est allé il y a plus d’une demi-heure au devant de toi pour t’aider à rentrer et à arranger les chevaux. bonard. Je n’en ai pas entendu parler. Il y a longtemps que je suis revenu, puisque je leur ai fait manger leur avoine, je les ai fait boire, je leur ai donné leur foin, j’ai arrangé leur litière ; il faut plus d’une demi-heure pour tout cela. madame bonard. C’est singulier ! Va donc voir, Julien. » Julien se leva et alla à la recherche de Frédéric ; mais, au lieu de regarder dans la ferme, il prit le chemin du village. « Bien sûr, se dit-il, qu’il aura été prendre ses arrangements avec Alcide pour changer leurs heures. Il croyait aller à la foire dès le matin, et le voilà retenu jusqu’à midi. » En effet, il rencontra Frédéric revenant avec Alcide. « Que viens-tu faire ici ? lui dit Alcide avec brusquerie. Viens-tu nous espionner ? julien. Je venais chercher Frédéric, parce que M. et Mme Bonard m’ont envoyé voir où il était. On est à table depuis quelque temps. alcide. C’est-il vexant ! Ce mauvais garnement va te dénoncer. Prends garde ! julien. Je ne l’ai jamais dénoncé, vous le savez bien tous les deux. Pourquoi commencerais-je aujourd’hui, à la veille de quitter la maison ? alcide. Qu’est-ce que tu vas dire ? julien. Je n’en sais rien, cela dépend ; si on m’interroge, je dirai la vérité, bien sûr. Qu’il rentre le premier, il parlera pour lui-même ; alors on ne me demandera rien. frédéric, inquiet. Qu’est-ce que je dirai ? alcide. Tu diras que tu as été au champ par la traverse ; que, voyant la charrue dételée et restée dans le sillon, tu as pensé que ton père était rentré par l’autre chemin. Que tu as rencontré un ouvrier qui t’a dit que ton père était chez le maréchal pour faire ferrer un cheval, et que tu en revenais quand tu as rencontré Julien. frédéric. Bon, je te remercie ; tu as toujours des idées pour te tirer d’affaire. » Et, sans faire attention à Julien, Frédéric courut pour arriver à la maison le premier. Quand il entra, il commença son explication avant qu’on ait eu le temps de l’interroger. Et il ajouta : « Sans entrer chez le maréchal, j’ai bien vu, mon père, que vous n’y étiez pas, et je suis revenu en courant, pensant que vous ne seriez pas fâché d’avoir un coup de main. bonard. Merci, mon garçon ; mais quel est l’imbécile qui t’a fait le conte du cheval déferré. frédéric, embarrassé. Je ne sais, mon père ; c’est sans doute un des nouveaux ouvriers de l’usine, car je ne l’avais pas encore vu dans le pays. bonard. Mais comment me connaît-il ? frédéric. Il ne vous connaît pas, je pense. Quand je lui ai demandé s’il vous avait rencontré (car il venait comme de chez nous), il m’a répondu qu’il venait de voir passer un homme avec deux chevaux dont l’un était déferré ; alors j’ai pensé que vous étiez chez le maréchal. bonard. Allons, c’est très bien mais où est Julien ? frédéric. Il est resté en arrière ; le voilà qui arrive. » Julien entra. madame bonard. Viens achever ton souper, mon pauvre Julien, je suis fâchée de t’avoir fait courir pour rien. Mangez tous les deux, vous devez avoir faim ; l’heure est avancée. » Frédéric et Julien ne se le firent pas dire deux fois ; ils mangèrent la soupe, de l’omelette au lard, du boudin et des groseilles : un souper soigné ; c’était le dernier que devait faire Julien chez eux. XI départ pour la foire Le lendemain matin, comme Julien finissait son ouvrage, Mme Bonard vint le chercher pour aller à la foire. Ils se mirent en route. madame bonard. Dis donc, Julien, si nous prenions M. Georgey en passant devant sa porte ? Il ne va pas pouvoir s’en tirer tout seul à la foire ; il se fera attraper, voler, bien sûr. julien. Maîtresse, si vous voulez, nous y passerons seulement pour lui dire qu’il m’attende, que je viendrai le chercher vers midi. madame bonard. Et pourquoi pas l’emmener tout de suite, puisque nous y allons ? julien. Maîtresse, c’est que... c’est que... j’aimerais mieux que nous ayons fini nos emplettes sans lui. madame bonard. Pourquoi cela ? julien. Parce que... je crains... que..., que..., qu’il ne veuille tout payer. Et il m’a déjà tant donné, que j’en serais honteux. madame bonard. Tu as raison, Julien. C’est une bonne et honnête pensée que tu as là. » Mme Bonard lui donna une petite tape sur la joue, et ils continuèrent leur chemin. Julien monta chez M. Georgey pendant que Mme Bonard se reposait en causant avec Caroline, qui s’apprêtait aussi pour la foire. « Monsieur, dit Julien en entrant, pardon si je vous dérange. m. georgey. Pas dérangement du tout, pétite Juliène. Moi satisfait voir toi ; je voulais aller au foire avec toi. julien. Oui, Monsieur ; je venais tout juste vous demander de m’attendre jusqu’à midi, je viendrai vous prendre. m. georgey. Moi aimer plus aller dans lé minute. Moi voulais acheter une multitude de choses. julien. Il y aura plus de marchands à midi, Monsieur. m. georgey. Alors moi garder toi, pétite Juliène ; nous mangerons un turkey auparavant lé foire. julien, embarrassé. Je ne peux pas, Monsieur ; il faut que je m’en aille. m. georgey. Quoi c’est cet impatientement ? Pourquoi il fallait partir toi seul ? julien, avec hésitation. Parce que Mme Bonard m’attend à la porte, Monsieur, et que... m. georgey. Oh ! my goodness ! Madme Bonarde attendait et moi pas savoir ! C’était beaucoup malhonnête, pétite Juliène. » Et, avant que Julien eût pu l’en détourner, M. Georgey était descendu. m. georgey. Oh ! dear ! Madme Bonarde ! Moi étais fâché fort ; vous rester devant mon porte et moi pas savoir. Oh ! pétite Juliène, c’est très fort ridicoule ! Moi faire excuses, pardon. Entrez, Madme Bonarde, s’il vous plaît. madame bonard. Je ne peux pas, Monsieur, il faut que je mène Julien faire des emplettes et que nous soyons de retour à midi. m. georgey. Et lé pétite nigaude Juliène disait pas à moi les emplettes. Il disait rien. Jé allais manger un pièce. Caroline, Caroline ! vitement thé, crème, toast. Beaucoup toast, beaucoup tasses, beaucoup crème. Vitement, Caroline. » Caroline se dépêcha si bien, qu’un quart d’heure après, le thé et les accompagnements du thé étaient apportés dans la salle. M. Georgey força Mme Bonard et Julien à se mettre à table et à manger. Comme ils n’avaient encore rien pris, ce petit repas improvisé fut avalé avec plaisir. M. Georgey mangea une douzaine de toasts, c’est-à-dire des tartines de pain et de beurre grillées ; chacune d’elles était grande comme une assiette. Quatre de ces tartines eussent étouffé tout autre, mais M. Georgey avait un estomac vigoureusement constitué ; il n’éclata pas, il n’étouffa pas, et il se leva satisfait et pouvant sans inconvénient attendre l’heure du dîner. Un petit verre de malaga acheva de le réconforter ; et, prenant son chapeau, il sortit avec Mme Bonard et Julien après avoir pris la précaution de glisser dans sa poche une poignée de pièces d’or. La ville n’était pas loin ; le temps était magnifique ; ils arrivèrent au bout d’une demi-heure de marche. Pendant qu’ils achètent, que M. Georgey paye, qu’il fait d’autres emplettes pour son compte, châles, robes, fichus, bonnets, pour Mme Bonard, vêtements, chaussures, chapeau, etc., pour Julien, présents d’espèces différentes pour d’autres qu’il voulait récompenser des petits services qu’il en avait reçus, Frédéric et Alcide se rencontraient à la ferme. XII vol audacieux « Eh bien, dit Alcide en arrivant, sont-ils tous partis ? frédéric. Tous partis jusqu’à midi ; il est dix heures, nous avons deux heures devant nous. alcide. C’est bon ; on fait bien des choses en deux heures. Julien est à la foire avec ta mère, m’as-tu dit hier ; l’Anglais les rejoindra, bien sûr, ou plutôt Julien l’aura pêché quelque part. frédéric. Et toute notre partie est manquée. Julien va empêcher l’Anglais de nous amuser, de payer pour nous. Ce sera assommant ! alcide. Laisse donc ! Nous empaumerons Julien ; il n’est pas si saint qu’il le paraît ; trois ou quatre verres de vin et nous le tenons. frédéric. Mais, pour commencer, nous n’avons pas d’argent. alcide. J’y ai pensé ; il faut en faire. Il est possible que Julien prévienne l’Anglais et qu’il l’empêche de nous inviter à l’accompagner. Et moi qui pense à tout, j’ai pris mes précautions. Les dindes sont ici, n’est-ce pas ? frédéric. Mais oui, puisque l’Anglais veut les manger toutes ; on les lui garde. alcide, riant. Et ce sera toi qui les garderas ; ce sera bien amusant. frédéric. Ne m’en parle pas ; j’en suis en colère rien que d’y penser. Avec cela, mon père qui sera toujours sur mon dos. alcide. Eh bien, je vais t’aider à diminuer leur nombre pour qu’ils soient plus tôt mangés ; tu vas voir. frédéric. Tu ne vas pas en tuer, j’espère. Je ne veux pas de ça, moi. alcide. Tu me prends donc pour un nigaud. Attends-moi un instant que j’aille chercher mon homme. frédéric. Quel homme ? Je veux savoir ; je veux... » Alcide était bien loin, il avait couru à la barrière ; deux minutes après, il rentrait avec un gros homme en sabots et en blouse. « Tenez, Monsieur Grandon, voici les dindes ; elles sont belles, bien engraissées, bonnes à manger, comme vous voyez. Choisissez-en deux, comme nous sommes convenus. » L’homme examina les dindes. « Oui, elles sont en bon état ; et combien la pièce ? alcide. Dame ! voyez ce que vous voulez en donner. grandon. Trois francs ; c’est-il assez ? alcide. Trois francs ! Vous plaisantez, Monsieur Grandon ? Elles valent quatre francs comme un sou ; et vous les revendrez cinq à six francs pour le moins. grandon. Ceci est une autre affaire ; la vente ne te regarde pas. C’est pour les faire manger que je les achète et pas pour les revendre ; trois francs cinquante si tu veux, pas un liard de plus. alcide. Je tiens à quatre francs, pas un centime de moins ; on m’a commandé de tenir à quatre francs, payés comptant. grandon. Allons, va pour quatre francs, mais j’y perds ; vrai, j’y perds. alcide, ricanant. Ceci est une autre affaire ; le gain ou la perte ne me regardent pas. Quatre francs payés de suite. grandon. Passe pour quatre francs, mauvais plaisant. alcide. Deux dindes à quatre francs, ça fait... ça fait ?... Combien que ça fait, Frédéric ? » Frédéric ne répondit pas ; la surprise le rendait muet ; l’audace d’Alcide l’épouvantait ; il n’osait plus lutter, et il tremblait de ce qui pouvait arriver de ce vol impudent. grandon, riant. Ça fait sept francs, parbleu ! Tu ne sais donc pas compter ? alcide. Si fait, Monsieur Grandon, si fait ; je vois bien, ça fait sept francs, comme vous dites. grandon. C’est bien heureux ! Tiens, voici tes sept francs ; j’emporte les bêtes ; je suis en retard. » Il ouvrit la barrière, se dépêcha de placer dans une cage à volailles les deux gros dindons, monta dans sa carriole et partit au grand trot, de peur que le vendeur ne s’aperçût que les dindes étaient payées trois francs cinquante au lieu de quatre. Alcide compta son argent : les sept francs y étaient bien. « Tu vois, dit-il, que nous sommes riches, que nous avons de quoi nous amuser, et que te voilà délivré de la garde de deux de ces assommantes bêtes... Qu’as-tu donc ? tu ne dis rien. frédéric. Alcide, qu’as-tu fait ? Qu’est-ce que je vais devenir ? Que puis-je dire pour m’excuser ? alcide. Es-tu bête, es-tu bête ! Tu n’as pas plus d’imagination que ça ? Tu vas venir de suite avec moi ; nous allons prendre la traverse pour arriver à la ville par les champs, et nous n’y entrerons qu’après midi, quand nous serons sûrs que ta mère est revenue à la ferme. frédéric. Mais ça ne dit pas comment les deux dindes seront disparues ? alcide. Parfaitement ; tu diras que tu es parti un peu plus tôt, pensant que ta mère ne tarderait pas à rentrer, que les dindes étaient dans la cour quand tu es parti. Que des chemineaux auront guetté ton départ pour voler les dindes et les vendre à la foire. frédéric. Des chemineaux auraient plutôt enlevé l’argent qui se trouve dans l’armoire de la salle. alcide. De l’argent ? Il y a de l’argent ? Tu as raison, des chemineaux ne font pas les choses à demi. Tu es sûr qu’il y a de l’argent ? frédéric. Très sûr ; cent vingt-trois francs, je crois, que maman a comptés hier soir et qui appartiennent à Julien. alcide. À Julien ? Cent vingt-trois francs ! Pas possible ! frédéric. J’en suis sûr ; c’est son imbécile d’Anglais qui lui a donné cent francs. alcide. C’est beaucoup trop pour un mendiant comme Julien, et, comme tu le disais, les chemineaux ne peuvent pas l’avoir laissé sans l’enlever. Montre-moi où est l’argent. frédéric, effrayé. Qu’est-ce que tu vas faire ? alcide. Tu vas voir, je vais te sauver. Va donc, dépêche-toi. Il faut que nous soyons partis dans un quart d’heure : ta mère n’a qu’à rentrer plus tôt. » Frédéric voulut résister aux volontés d’Alcide, mais celui-ci le prit par le collet et le fit marcher jusqu’à l’armoire dans la salle. « Où est la clef ? » dit-il d’un ton impératif. Frédéric tremblait ; il tomba sur une chaise. alcide. Donne-moi la clef ou je te donne une rossée qui te préparera à celle que tu recevras de ton père, s’il te soupçonne d’avoir... d’avoir... pris tout cela. Sans compter que je dirai à ton père que je t’ai battu parce que tu m’as proposé de voler cet argent, dont moi je ne pouvais pas soupçonner l’existence. » Frédéric, stimulé par cette menace et par une claque, lui fit voir la cachette de sa mère pour la clef. Alcide ouvrit l’armoire, trouva facilement le sac, le vida, prit soixante-trois francs qui y étaient restés, y laissa dix centimes, remit la clef dans sa cachette, saisit une pince, brisa un panneau de l’armoire et arracha la serrure. alcide. À présent, viens vite : il n’y a pas de temps à perdre ; on croira que les voleurs, ne trouvant pas la clef, ont tout brisé ; de cette façon, on ne te soupçonnera pas, toi qui connais la cachette. Courons vite, nous nous amuserons joliment ; je garderai le reste de l’argent, nous en avons pour longtemps, et nous n’aurons plus besoin de l’Anglais. » Et, entraînant le malheureux Frédéric terrifié, qui avait plus envie de pleurer que de s’amuser, ils coururent prendre le chemin de traverse et disparurent bientôt derrière une colline. Ils s’arrêtèrent quelque temps dans un bois. Alcide eut peur que le visage consterné de son ami n’attirât l’attention. Il chercha à le remonter. « Allons, Frédéric, lui dit-il, remets-toi. De quoi t’effrayes-tu ? Ce n’est pas un grand crime que d’être parti quelques minutes avant l’heure. Pouvais-tu prévoir qu’on viendrait voler dans la ferme, tout juste pendant ces quelques minutes d’absence ? Tu diras à tes parents que c’est un bonheur que tu sois parti plus tôt, parce que les voleurs t’auraient peut-être tué ; tu diras qu’ils étaient probablement plusieurs pour avoir pu briser une serrure aussi forte. Tu prendras un air effrayé, indigné ; tu chercheras les traces des voleurs ; tu diras que tu te souviens à présent avoir vu passer des chemineaux, etc., etc. frédéric, tremblant. Ils ne me croiront peut-être pas ? alcide. Il est certain que si tu prends l’air que tu as maintenant, ils devineront de suite que tu leur fais un conte ; il faut arriver gaiement, comme un garçon qui vient de s’amuser, grâce à l’Anglais, lequel a voulu tout payer ; n’oublie pas ça, c’est important. Et quand on te parlera du vol, tu prendras l’air consterné et tu t’écrieras : « Quel bonheur que je n’y aie pas été ! Ces coquins m’auraient tué pour que je ne tes dénonce pas ! » N’oublie pas ça non plus. frédéric. Oui, oui, je comprends. Mais c’est une bien mauvaise action que tu m’as fait commettre ; j’ai des remords. alcide. Imbécile ! À qui avons-nous fait tort ? frédéric. À mon père et à ma mère d’abord ; et puis à ce pauvre Julien, qui me fait pitié à présent que nous lui avons volé tout ce qu’il possédait. alcide. D’abord, Julien n’y perdra rien, car son richard d’Anglais, qui l’a pris en amitié, je ne sais pourquoi, lui donnera le double de ce qu’il a perdu. Pas à tes parents non plus, qui sont assez riches pour perdre deux dindons ; ils n’en mourront pas, tu peux être tranquille. D’ailleurs, comme je te l’ai déjà dit plus d’une fois, est-ce que leur bien ne t’appartient pas ? N’es-tu pas leur seul enfant ? Ne sera-ce pas toi qui auras un jour la ferme et tout ce qu’ils possèdent ? Et s’ils ne te donnent jamais un sou pour t’amuser, n’as-tu pas droit de prendre dans leur bourse ? Est-ce qu’un garçon de dix-sept ans doit être traité comme un enfant de sept ? Tu as donc pris ce qui est à toi. Où est le mal ? — C’est pourtant vrai ! s’écria le faible Frédéric : jamais on ne me donne rien ! alcide. Tu vois bien que j’ai raison. Ils veulent que tu vives comme un mendiant. Ne te laisse pas faire. À dix-sept ans on est presque un homme. Voyons, n’y pense plus et continuons notre chemin tout doucement pour ne pas arriver trop tôt à la ville. Nous avons encore une demi-heure de marche, et je crois bien qu’il n’est pas loin de midi. » Ils continuèrent leur chemin. XIII terreur de madame bonard Tout à coup, au tournant d’une haie, Frédéric poussa un cri étouffé. alcide. Eh bien ! quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? frédéric, tremblant. Je crois reconnaître maman, là-bas, là-bas, sur la route : elle est arrêtée à causer avec quelqu’un. alcide. Vite, derrière la haie ; ils nous tournent le dos, ils ne nous ont pas vu. » Ils, se jetèrent tous deux à plat ventre, rampèrent à travers un trou de la haie et se blottirent derrière un épais fourré. Pendant quelques instants ils n’entendirent rien ; puis un bruit confus de rires et de voix arriva jusqu’à eux, puis des paroles très distinctes. « Comme vous marchez vite, madame Bonard ! Je puis à peine vous suivre ; ça me coupe la respiration. madame bonard. C’est que j’ai peur de faire attendre mon pauvre garçon, madame Blondel. Je lui avais promis d’être de retour avant midi, et voilà que j’entends sonner midi à l’horloge de la ville ; je ne serai pas revenue avant la demie. madame blondel. Ah bah ! il restera plus tard ce soir ; une demi-heure de perdue, ce n’est pas la mort. madame bonard. C’est qu’il n’est pas très docile, voyez-vous, madame Blondel ; il est capable de s’impatienter et de partir, laissant la ferme et les bestiaux à la garde de Dieu. madame blondel. Tout le pays est à la foire, il ne viendra personne. madame bonard. Et les chemineaux qui courent tout partout, qui volent, qui tuent même, dit-on ! madame blondel. Laissez donc ! Tout ça, c’est des bourdes qu’on nous fait avaler... Mais nous voici arrivées ; nous n’avons pas rencontré Frédéric, il n’est donc pas parti. » Elles entrèrent dans la cour de la ferme. madame bonard. Tiens ! où est donc Frédéric ? Je pensais le trouver à la barrière. madame blondel. C’est qu’il est dans la maison, sans doute. » Mme Bonard entra la première ; elle ôta son châle, le ploya proprement et voulut le serrer dans l’armoire. Elle poussa un cri qui épouvanta Mme Blondel. madame blondel. Qu’y a-t-il ? vous êtes malade ? Vous vous trouvez mal ? » Mme Bonard s’appuya contre le mur ; elle était pâle comme une morte. « Volés ! volés ! dit-elle d’une voix défaillante. L’armoire brisée ! la serrure arrachée ! » Mme Blondel partagea la frayeur de son amie, toutes deux criaient, se lamentaient, appelaient au secours, mais personne ne venait ; comme l’avait dit Mme Blondel, tout le pays était à la foire. Ce ne fut que longtemps après qu’elles visitèrent l’armoire et qu’elles s’assurèrent du vol qui avait été commis. madame bonard. Pauvre Julien ! tout son petit avoir ! Ils ont tout pris ! Je m’étonne qu’ils ne nous aient pas entièrement dévalisés ; ils n’ont touché ni aux robes ni aux vêtements. madame blondel. C’est qu’ils en auraient été embarrassés. Qu’auraient-ils fait du linge et des habits, qui auraient pu les faire découvrir ? madame bonard. Mais Frédéric, où est-il ?... Ah ! mon Dieu ! Frédéric, mon pauvre enfant, où es-tu ? madame blondel. Il se sera blotti dans quelque coin. madame bonard. Pourvu qu’on ne l’ait pas massacré ! madame blondel. Ah ! ça se pourrait ! Ces chemineaux, c’est si méchant ! Ça ne connaît ni le bon Dieu ni la loi. » Mme Bonard, plus morte que vive, continua à crier, à appeler Frédéric, à courir de tous côtés, cherchant dans les greniers, dans les granges, dans les étables, les écuries, les bergeries. Son amie l’escortait, criant plus fort qu’elle, et lui donnant des consolations qui redoublaient le désespoir de Mme Bonard. « Ah ! ils l’auront égorgé... ou plutôt étouffé, car on ne voit de sang nulle part... Quand je vous disais que ces chemineaux, c’étaient des démons, des satans, des riens du tout, des gueux, des gredins !... Et voyez cette malice ! ils l’auront jeté à l’eau ou enfoui quelque part pour qu’il ne parle pas. » Après avoir couru, cherché partout, les consolations de Mme Blondel produisirent leur effet obligé ; Mme Bonard, après s’être épuisée en cris inutiles, fut prise d’une attaque de nerfs, que son amie chercha vainement à combattre par des seaux d’eau sur la tête, par des tapes dans les mains, par des plume brûlées sous le nez ; enfin, voyant ses efforts inutiles, elle reprit son premier exercice, elle poussa des cris à réveiller un mort. La force de ses poumons finit par lui amener du secours ; Bonard, qui revenait tout doucement de la foire après avoir bien, très bien vendu ses bestiaux, entendit le puissant appel de Mme Blondel ; fort effrayé, il pressa le pas et entra hors d’haleine dans la maison. Peu s’en fallut qu’il ne joignit ses cris à ceux de Mme Blondel ; sa femme était étendue par terre dans une mare d’eau, le visage noirci et brûlé, les membres agités par des mouvements nerveux. Mais Bonard était homme : il agissait au lieu de crier ; il releva sa femme, l’essuya de son mieux, la coucha sur son lit, lui enleva ses vêtements mouillés, lui frotta les tempes et le front avec du vinaigre, et la vit enfin se calmer et revenir à elle. Mme Bonard ouvrit les yeux, reconnut son mari et sanglota de plus belle. bonard. Qu’as-tu donc, ma femme, ma bonne chère femme ? madame bonard. Frédéric, Frédéric ! ils l’ont assassiné, égorgé, étranglé, enfoui dans un fossé. bonard, avec surprise. Frédéric ! Assassiné, étranglé ! Mais qu’est-ce que tu dis donc ? Je viens de le quitter riant comme un bienheureux dans un théâtre de farces, en compagnie de Julien, de M. Georgey et, ce que j’aime moins, d’Alcide ; mais M. Georgey a voulu les régaler tous et leur faire tout voir. madame bonard, joignant les mains. Dieu soit loué ! Dieu soit béni ! Mon bon Jésus, ma bonne sainte Vierge, je vous remercie ! Je croyais que les voleurs l’avaient tué. bonard. Les voleurs ! Quels voleurs ? Mon Dieu, mon bon Dieu ! mais tu n’as plus ta tête, ma pauvre chère femme ! » Mme Blondel prit la parole et lui expliqua ce qui avait causé leur terreur et le désespoir de Mme Bonard. La longueur de ce récit eut l’avantage de donner aux Bonard le temps de se remettre. Mme Bonard se leva, se rhabilla, montra à son mari l’armoire et la serrure brisées. Ils firent des suppositions, dont aucune ne se rapprochait de la vérité, sur ce vol qu’ils ne pouvaient comprendre ; ils firent une revue générale à l’intérieur et au dehors ; bêtes et choses étaient à leur place. Quand ils arrivèrent au dindonnier et qu’ils eurent compté les dindons, les cris des femmes recommencèrent. « Taisez-vous, les femmes, leur dit Bonard avec autorité ; au lieu de crier, remercions le bon Dieu de ce que nos pertes se bornent à deux dindes, à quelque argent, et que les craintes de ma femme ne se trouvent pas réalisées. » Les femmes se turent. Bonard continua : « D’ailleurs, ces dindes ne sont peut-être pas perdues ; elles se seront séparées dans le bois, et tu vas les voir revenir probablement avant la nuit. » Mme Bonard, déjà heureuse de savoir son fils en sûreté, accepta volontiers l’espérance que lui offrait son mari. Quant à la femme Blondel, le calme de Mme Bonard lui rendit bientôt le sien, qu’elle n’avait perdu qu’en apparence. Mme Bonard, ayant complètement repris sa tranquillité d’esprit, commença à trouver mauvais que Frédéric fût parti avant son retour et eût livré la ferme et les bestiaux au premier venu. « Et puis, dit-elle, on n’a jamais entendu parler de vol à l’intérieur dans aucune maison ; qu’est-ce qui a pu être assez hardi pour venir briser une porte et une serrure dans une ferme qu’on sait être habitée ? madame blondel. Et puis, comment aurait-on pu deviner qu’il y avait une somme d’argent dans cette armoire ? madame bonard. Et pourquoi s’est-on contenté de prendre l’argent et n’a-t-on pas emporté du linge et des habits ? madame blondel. Et si Frédéric n’est parti qu’à midi, comme vous le lui aviez recommandé, comment des voleurs ont-ils pu avoir le temps de commettre ce vol ? madame bonard. Et si les dindons ont été volés, comment ne les aurait-on pas tous emportés ? madame blondel. Et comment supposer que des voleurs se soient entendus pour venir dévaliser votre ferme, juste pendant la demi-heure où il n’y avait personne ? madame bonard. Et comment... ? bonard. Assez de suppositions, mes bonnes femmes ; quand nous parlerions jusqu’à demain, nous n’en serions pas plus savants. Frédéric reviendra avant la nuit ; nous allons savoir par lui ce qu’il a vu et entendu. Et demain j’irai porter ma plainte au maire et à la gendarmerie : ils sauront bien découvrir les voleurs. » Cette assurance mit fin aux réflexions des deux amies. Mme Blondel continua son chemin pour se rendre au village, où elle alla de porte en porte raconter l’aventure dont elle avait été témoin. Mme Bonard s’occupa des bestiaux et de la recherche de ses dindes perdues. Bonard alla soigner ses chevaux, faire ses comptes et calculer les profits inespérés qu’il avait faits de la vente de ses génisses, vaches et poulains. Quand le travail de la journée fut terminé, le mari et la femme se rejoignirent dans la salle pour souper et attendre le retour de Frédéric et de Julien. XIV dîner au café Pendant ces agitations de la ferme, Frédéric et Alcide avaient rejoint à la ville M. Georgey et Julien. Ils ne reconnurent pas Julien au premier coup d’œil. M. Georgey lui avait acheté un habillement complet en beau drap gros bleu, un chapeau de castor, des souliers en cuir verni ; il avait l’air d’un monsieur. Le premier sentiment des deux voleurs fut celui d’une jalousie haineuse de ce qu’ils appelaient son bonheur ; le second fut un vif désir d’obtenir de M. Georgey la même faveur. alcide. Comment, c’est toi, Julien ? Qu’est-ce qui t’a donné ces beaux habits ? Je n’en ai jamais eu d’aussi beaux, moi qui suis bien plus riche que toi ! frédéric. Es-tu peureux d’être si bien vêtu ! Je serais bien content que mes parents m’eussent traité aussi bien que toi. Mais ils ne me donnent jamais rien ; ils ne m’aiment guère, et je suis sans le sou comme un pauvre. m. georgey. C’était lé pétite Juliène soi-même avait acheté tout. » Julien voulut parler. M. Georgey lui mit la main sur la bouche. m. georgey. Toi, pétite Juliène, pas dire une parole. Jé pas vouloir. Jé voulais silence. alcide. Je parie, Monsieur, que c’est vous qui avez tout payé. Vous êtes si bon, si généreux ! frédéric. Et vous aimez tant à donner ! Et on est si heureux quand vous donnez quelque chose ! m. georgey. C’était lé vérité vrai ? Alors moi donner quelque chose à vous si vous être plus jamais malhonnêtes. Vous trois venir après mon dos. Jé donner dans lé minute. Pétite Juliène, toi mé diriger pour une excellente dîner. Et après, jé donner un étonnement, une surprise à les deux. alcide. J’ai un de mes cousins qui tient un excellent café, Monsieur. Si vous voulez me suivre, je vous y mènerai. m. georgey. No. Moi voulais suivre pétite Juliène. Marchez, Juliène. » Julien obéit ; il marcha devant ; les deux autres suivirent M. Georgey, et tous les quatre arrivèrent à un des meilleurs cafés de la ville. M. Georgey prit place à une table de quatre couverts ; ses compagnons s’assirent auprès et en face de lui. m. georgey. Garçone ! un garçon. Voilà, M’sieur ! Quels sont les ordres de M’sieur ? m. georgey. Un excellent dîner. le garçon. Que veut Monsieur ? m. georgey. Tout quoi vous avez. le garçon. Nous avons des potages aux croûtes, au vermicelle, à la semoule, au riz. Lequel demande M’sieur ? m. georgey. Toutes. le garçon, étonné. Combien de portions, M’sieur ? — Houit. Deux dé chacune. » Le garçon, de plus en plus surpris, apporta deux portions de chaque potage. m. georgey. Deux à moi Georgey, deux à pétite Juliène, deux à les autres. » Le garçon posa devant M. Georgey et les trois garçons les assiettées de potages. m. georgey. Mange, pétite Juliène ; mangez, les autres. julien. Monsieur..., Monsieur..., mais... c’est beaucoup trop. m. georgey, d’un ton d’autorité. Mange, pétite Juliène ; jé disais mange. » Julien n’osa pas désobéir, il mangea ; les deux autres convives en firent autant. m. georgey. Garçon. le garçon. Voilà, M’ sieur. m. georgey. Quoi vous avez ? le garçon. Du bouilli, du filet aux pommes, du dindon... — Oh ! yes ! vous donner lé turkey ; et pouis du claret (bordeaux) blanc, rouge ; bourgogne blanc, rouge. » Le garçon apporta deux ailes de dindon et quatre bouteilles du vin demandé. m. georgey. Quoi c’est ? deux bouchées pleines ! Jé voulais une turkey toute... Vous pas comprendre. Une turkey, une dindone toute, sans couper aucune chose. » Et il avala du vin que lui versa Alcide ; M. Georgey remplit le verre de Julien. « Toi boire, pétite Juliène », dit-il en vidant son verre, qu’Alcide s’empressa de remplir de nouveau, tandis que Frédéric remplissait celui de Julien. Le garçon, émerveillé, alla chercher une dinde entière. M. Georgey donna à Frédéric et à Alcide les deux portions apportées d’abord, coupa le dindon entier, en mit une aile énorme devant Julien, et mangea le reste sans s’apercevoir que toute la salle et les garçons le regardaient avec étonnement. m. georgey. Garçone ! le garçon. Voilà, M’sieur ! m. georgey. Quoi vous avez ? le garçon. Des perdreaux, du chevreuil... m. georgey. Oh ! yes ! Moi voulais perdreaux six ; chévrel, un jambe. le garçon. M’sieur veut dire une cuisse ? m. georgey. Oh ! dear ! shocking ! Moi pas dire cé parole malpropre. On disait un jambe. » Le garçon alla exécuter sa commission au milieu d’un rire général. Quand les plats demandés furent apportés, M. Georgey donna un perdreau à Julien, un à Frédéric et à Alcide, et en mangea lui-même trois. Il avala d’un trait la bouteille de vin qu’il avait devant lui, après en avoir versé dans le verre de Julien, coupa trois tranches de chevreuil qu’il passa à ses convives, et mangea le reste. Alcide remplissait sans cesse le verre de l’Anglais, qui buvait sans trop savoir ce qu’il avalait. Alcide commença à mélanger le vin blanc au vin rouge pour le griser plus sûrement. Julien buvait le moins qu’il pouvait. M. Georgey appela : « Garçone ! le garçon. Voilà, M’sieur ! m. georgey. Apportez vitement Champagne, madère, malaga, cognac. Vitement ; j’étouffais, j’avais soif. » M. Georgey ne s’apercevait pas du manège d’Alcide, du mélange des vins, et du nombre de verres qu’il lui versait sans cesse. Le reste du dîner fut à l’avenant ; M. Georgey demanda encore des bécasses, des légumes, quatre plats sucrés, des fruits de diverses espèces, des compotes, des macarons, des biscuits, un supplément de vin. Quand il demanda la carte, qui était de quatre-vingt-dix francs, il dit : « C’était beaucoup, mais c’était une bonne cuisson. Moi revenir... Voilà. » Il posa sur la table cent francs, se leva et se dirigea vers la porte en chancelant légèrement. le garçon. Si M’sieur veut attendre une minute, je vais apporter la monnaie à M’sieur. m. georgey. Moi attendais jamais. » Et il sortit. Julien le suivit, chancelant plus que l’Anglais. Alcide dit au garçon : « Apportez-moi le reste ; c’est moi qui lui garde sa monnaie. » Le garçon rapporta à Alcide les dix francs restants ; celui-ci les mit dans sa poche. le garçon. Et le garçon, M’sieur ? alcide. C’est juste. Frédéric, donne-moi deux sous. » Frédéric les lui donna ; Alcide les mit dans la main du garçon, qui eut l’air fort mécontent et qui grommela : « Quand je verrai le maître, je lui dirai la crasserie de ses valets. » Malgré que M. Georgey fût habitué à boire copieusement, la quantité de vin qu’il avait avalé et le mélange des vins firent leur effet : il n’avait pas ses idées bien nettes. Julien, qui ne buvait jamais de vin, se sentit mal affermi sur ses jambes ; ils marchaient pourtant, suivis de Frédéric et d’Alcide ; plus habitués au vin et plus sages que Julien, ils avaient peu bu et conservaient toute leur raison. Ils dirigèrent la marche du côté du théâtre, où ils firent entrer M. Georgey et Julien. Alcide paya les quatre places, se promettant bien de rattraper son argent avec profit. C’était là que les avait vus Bonard entre deux et trois heures de l’après-midi. On jouait des farces ; tout le monde riait. Après les farces vint une pièce tragique. Alcide profita de l’attention des spectateurs, dirigée sur la scène, et de l’assoupissement de M. Georgey et de Julien, pour glisser doucement sa main dans la poche de l’Anglais et en retirer une poignée de pièces d’or, qu’il mit dans son gousset, après en avoir glissé une partie dans la poche de Julien. « Pourquoi fais-tu cela ? demanda Frédéric. alcide. Chut ! tais-toi. Je te l’expliquerai tout à l’heure. » La pièce continua ; quand elle fut finie et que chacun se leva pour quitter la salle, M. Georgey et Julien dormaient profondément. Personne n’y fit attention ; la salle se vida. Alcide et Frédéric étaient partis. Vers huit heures du soir, la salle s’éclaira et commença à se remplir une seconde fois. M. Georgey se réveilla le premier, se frotta les yeux, chercha à se reconnaître, se souvint de tout et fut honteux de s’être enivré devant trois jeunes garçons et surtout devant Julien, dont il devait être le maître et le protecteur à partir du lendemain. Il chercha Julien ; il le vit dormant paisiblement près de lui. « Quoi faire ? se demanda-t-il. Quel racontement je lui dirai ! Quoi dire ! Quoi j’expliquerai ! Pauvre pétite Juliène ! C’était moi qui lui avais donné lé boisson !... Jé suis très terriblement en punissement ! » Pendant qu’il rougissait, qu’il s’accusait, qu’il secouait légèrement Julien, celui-ci fut réveillé par le bruit que faisaient les arrivants et par les efforts de M. Georgey. Il regarda de tous côtés, vit M. Georgey debout, sauta sur ses pieds. « Me voilà, M’sieur. Je vous demande bien pardon, M’sieur. Je ne sais ce qui m’a pris. Je suis prêt à vous suivre, M’sieur. » M. Georgey se leva sans répondre ; il sortit, suivi de Julien. Il faisait déjà un peu sombre, mais la lune se levait ; la route était encombrée de monde ; M. Georgey marchait sans parler. « M’sieur, lui dit enfin Julien, je vois que vous êtes fâché contre moi... Je vous demande bien pardon, M’sieur. Je sais bien que j’ai eu tort. Je ne bois jamais de vin, M’sieur ; je n’aurais pas dû en accepter autant. Je vous assure, M’sieur, que je suis bien honteux, bien triste. Jamais, jamais je ne recommencerai, M’sieur. Je vous le jure. m. georgey. Pauvre pétite Juliène ! Moi pas du tout en colère, pauvre pétite. Seulement, de moi-même j’étais furieuse et j’étais en rougissement. Jé avais fait une actionnement mauvaise, horrible ; j’étais une stupide créature ; et toi, povre pétite Juliène, pas mal fait, pas demander excuse, pas rien dire mauvais pour toi-même. Voilà lé barrière de Mme Bonarde ; bonsoir, good bye, little dear ; bonsoir. Jé revenir demain. » XV réveil et retour de julien M. Georgey continua sa route, laissant Julien à la barrière. Julien entra, alla à la maison, et trouva les Bonard inquiets de lui et de Frédéric. Il faisait tout à fait nuit ; il était neuf heures. « Ah vous voilà, enfin ! dit Mme Bonard ; je commençais à m’inquiéter. Où est Frédéric ? j’ai à lui parler. julien, d’un air embarrassé. Je ne sais pas, maîtresse ; il y a longtemps que je ne l’ai vu. madame bonard. Et pourquoi vous êtes-vous séparés ? julien, baissant la tête. Maîtresse, c’est que... je me suis endormi au théâtre, et M. Georgey ne m’a éveillé qu’a huit heures. madame bonard. Endormi ! Éveillé à huit heures ! par M. Georgey ! Qu’est-ce que cela signifie ? julien, éclatant en sanglots. Oh ! maîtresse, cela signifie que je suis un malheureux, indigne des bontés de M. Georgey ; je me suis enivré ; c’est pourquoi je me suis endormi. Oh ! maîtresse, pardonnez-moi ; je vous jure que je ne recommencerai pas. madame bonard. Mon pauvre garçon, je te pardonne d’autant plus volontiers que tu ne t’es pas grisé tout seul, sans doute, et que M. Georgey t’aura payé ton vin. julien. Oui, maîtresse. madame bonard. C’est donc lui qui t’a grisé ? julien. Oh non ! maîtresse, il dînait ; il ne faisait pas attention à moi ; je buvais quand je n’aurais pas dû boire. Et moi qui avais été à la foire pour l’empêcher d’être trompé ! madame bonard. Trompé par qui ? julien. Par... par... Alcide. madame bonard. Mais il n’était pas avec vous, Alcide. julien. Pardon, maîtresse, il nous a rejoints avec Frédéric. bonard, frappant du poing sur la table. Avec Frédéric ? Encore ! Quand je l’avais tant défendu ! madame bonard. Et sont-ils restés ensemble ? julien. Je ne sais pas, maîtresse ; je ne les ai plus vus quand je me suis réveillé. bonard. C’est égal, mon garçon, ne t’afflige pas ; tu n’y as pas mis de méchanceté, tu ne savais pas que ce vin te griserait. Tu as l’air fatigué ; va te coucher. madame bonard. Ôte tes beaux habits neufs, d’abord. Je vais les serrer ici à côté. » Julien ôta sa redingote, puis son gilet. Il mit les mains sur les poches. « Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce qu’il y a donc ?... De l’argent !... De l’or !... D’où vient ça ? Ce n’est pas à moi !... Je n’y comprends rien. madame bonard. De l’or ! Comment as-tu de l’or dans tes poches ? Et que de pièces ! » Elle et son mari comptèrent les pièces : il y en avait dix, plus quelques pièces d’argent. Ils étaient stupéfaits. « Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria Julien, on va croire que je les ai volées ! Mais quand et comment tout cet or a-t-il pu venir dans ma poche ? Je ne me souviens de rien que d’avoir dîné et puis dormi au théâtre. bonard. Écoute, Julien, M. Georgey n’était-il pas un peu gris comme toi ? julien, avec hésitation. Je crois bien que oui, Monsieur... Un peu, car ses jambes n’étaient pas solides ; il marchait un peu de travers dans la rue. Alcide et Frédéric le soutenaient. bonard. C’est peut-être lui qui t’a mis tout cela lui-même dans ta poche. julien. Je ne peux pas garder ça, M’sieur. Si c’est lui, bien sûr il ne savait guère ce qu’il faisait. J’étais près de lui, il se sera trompé de poche ; il l’aura voulu mettre dans la sienne et il l’a mis dans la mienne... Oh ! M’sieur, laissez-moi lui reporter cet argent tout de suite, qu’il ne croie pas qu’il a été volé. bonard. Tu le lui reporteras demain, mon ami ; il est trop tard aujourd’hui. Tu le trouverais couché, et, comme il a trop bu, il ne serait pas facile à éveiller. julien. Ce pauvre M. Georgey ! Ce n’est pas sa faute. Je me souviens, à présent, qu’Alcide le pressait toujours de boire, et qu’il lui mettait du vin blanc avec du rouge ; et puis il lui a fait boire à la fin du cidre en bouteilles, qui moussait comme son champagne ; c’est ça qui lui aura porté à la tête ! Ce pauvre M. Georgey ! C’est donc pour cela qu’il me demandait pardon le long du chemin en revenant ; il paraissait honteux. Et moi qui me méfiais d’Alcide et qui allais à la foire pour empêcher qu’il ne fût attrapé ! Je l’ai laissé enivrer et... voler peut-être. madame bonard. Volé !... Comment ?... tu crois que..., qu’Alcide... ? julien, avec précipitation. Non, non, maîtresse, je ne crois pas ça ; je ne crois rien, je ne sais rien. J’ai parlé trop vite. » Bonard et sa femme gardèrent le silence ; ils engagèrent Julien à aller se coucher. Il leur souhaita le bonsoir et alla regagner son petit grenier. Arrivé là, il pria et pleura longtemps. « Ce que c’est, pensa-t-il, que le mauvais exemple et de mauvais camarades ! Sans eux, je n’aurais pas la honte de m’être enivré ; le pauvre M. Georgey n’aurait pas non plus à rougir de sa journée de foire ! Pauvre homme ! c’est dommage ! il est si bon !... Et comme Alcide a gâté Frédéric ! Mes malheureux maîtres ! il leur donnera bien du chagrin ! Et moi qui m’en vais ! Ils n’auront personne pour les aider, les soigner... Et de penser qu’il faut que je m’en aille pour ne pas leur être à charge ! Ah ! si je n’avais pas eu cette crainte, je ne les aurais jamais quittés. Mes bons maîtres ! s’ils étaient plus riches ! mais le bon Dieu fait tout pour notre bien, dit M. le curé ; il faut que je me soumette. » Et, tout en pleurant, Julien s’endormit. XVI les montres et les chaînes Pendant ce temps, qu’avaient fait Alcide et Frédéric ? À la fin du spectacle, ils s’en allèrent tout doucement, de peur de réveiller M. Georgey et Julien. Quand ils se trouvèrent hors du théâtre, Frédéric demanda à Alcide : « Pourquoi as-tu mis des pièces d’or dans la poche de Julien ? Où les as-tu prises ? alcide. Dans la poche de l’Anglais, parbleu ! frédéric. Comment ? tu l’as volé ? alcide. Tais-toi donc, imbécile ! Tu cries comme si tu parlais à un sourd. On ne dit pas ces choses tout haut. J’ai pris, je n’ai pas volé. frédéric. Mais puisque tu as pris dans sa poche sans qu’il s’en doutât. alcide. Eh bien, je les ai prises pour empêcher un autre de les prendre. Il était ivre, tu sais bien ; il dormait et soufflait comme un buffle. Le premier mauvais sujet venu pouvait le dévaliser et peut-être même l’égorger. Ainsi, en lui vidant ses poches, je lui ai probablement sauvé la vie. frédéric. Ah ! je comprends. Tu veux lui rendre son argent. alcide. Je ne lui rendrai pas ses jaunets ; pas si bête ! Il nous avait promis de nous faire un présent, il ne nous a rien donné ; je lui ai épargné la peine de chercher ; nous achèterons nous-mêmes ce qui nous convient le mieux. frédéric. Mais pourquoi en as-tu mis dans la poche de Julien ? alcide. Pour faire croire que c’est Julien qui a dévalisé celle de l’Anglais, dans le cas où celui-ci s’apercevrait de quelque chose. frédéric. Mais c’est abominable, ça ! Après avoir volé Julien, tu fais une vilaine chose et tu veux la rejeter sur ce pauvre garçon ! alcide. Tu m’ennuies avec tes sottes pitiés, et tu es bête comme un oison, D’abord l’Anglais, qui est un imbécile fieffé, ne pensera pas à compter son argent ; il croira qu’il a tout dépensé ou qu’il a perdu ses pièces par un trou que j’ai eu soin de lui faire au fond de sa poche. Et, s’il se plaint, on lui dira que c’est Julien qui aura cédé à la tentation ; on fouillera dans les habits de Julien, on trouvera les pièces d’or ; l’Anglais, qui l’aime, ne dira plus rien : il emmènera son povre pétite Juliène, et on n’y pensera plus. frédéric. Mais mon père et ma mère y penseront, et ils croiront que Julien est un voleur. alcide. Qu’est-ce que cela te fait ? Ce Julien est un petit drôle, c’est ton plus grand ennemi ; il travaille à prendre ta place dans la maison et à t’en faire chasser. Crois bien ce que je te dis. Tu le verras avant peu. frédéric. Comment ? Tu crois que Julien... ? alcide. Je ne crois pas, j’en suis sûr. C’est un vrai service d’ami que je te rends... Mais parlons d’autre chose. As-tu envie d’avoir une montre ? frédéric. Je crois bien ! Une montre ! C’est qu’il faut beaucoup d’argent pour avoir une montre ! Et toi-même, tu n’en as pas, malgré tout ce que tu as chipé à tes parents et à d’autres. alcide. Je n’en ai pas parce que je n’ai jamais eu une assez grosse somme à la fois. Mais à présent que nous avons de quoi, il faut que chacun de nous ait une montre. Allons chez un cousin horloger que je connais. frédéric. Mais si on nous voit des montres, on nous demandera qui nous les a données. alcide. Eh bien, la réponse est facile. Le bon Anglais, l’excellent M. Georgey. frédéric. Et si on le lui demande à lui-même ? alcide. Est-ce qu’il sait ce qu’il fait, ce qu’il donne ? D’ailleurs il ne comprendra pas, ou bien on ne le comprendra pas. frédéric. J’ai peur que tu ne me fasses faire une mauvaise chose et qui n’est pas sans danger, car si nous sommes découverts, nous sommes perdus. alcide, ricanant. Tu as toujours peur, toi. Tu as près de dix-sept ans, et tu es comme un enfant de six ans qui craint d’être fouetté. Est-ce qu’on te fouette encore ? — Non, certainement, répondit Frédéric d’un air piqué. Je n’ai pas peur du tout et je ne suis pas un enfant. alcide. Alors, viens acheter une montre, grand benêt ; c’est moi qui te la donne. » Frédéric se laissa entraîner chez le cousin horloger. Alcide demanda des montres ; on lui en montra plusieurs en argent. « Des montres d’or, dit Alcide en repoussant avec mépris celles d’argent. — Tu es donc devenu bien riche ? répondit le cousin. alcide. Oui ; on nous a donné de quoi acheter des montres en or. l’horloger. C’est différent. En voici à choisir. alcide. Quel prix ? l’horloger. En voici à cent dix francs ; en voilà à cent vingt, cent trente et au delà. alcide. Laquelle prends-tu, Frédéric ? frédéric. Je n’en sais rien ; je n’en veux pas une trop chère. l’horloger. En voici une de cent vingt francs, Monsieur, qui fera bien votre affaire. — Et moi, dit Alcide, je me décide pour celle-ci ; elle est fort jolie. Combien ? l’horloger. Cent trente, tout au juste. alcide. Très bien ; je la prends. l’horloger. Une minute : on paye comptant ; je ne me fie pas trop à ton crédit. alcide. Je paye et j’emporte. Voici de l’or ; ça fait combien à donner ? l’horloger. Ce n’est pas malin à compter ; cent vingt et cent trente, ça fait deux cent cinquante. Voici vos montres et leurs clefs ; plus un cordon parce que vous n’avez pas marchandé. » Alcide tira de sa poche une multitude de pièces de vingt francs ; il en compta dix, puis deux ; puis deux pièces de cinq francs que lui avait rendues le garçon de café, et rempocha le reste. l’horloger. Tu as donc fait un héritage ? alcide. Non, mais j’ai un nouvel ami, riche et généreux, qui a voulu que nous eussions des montres. Au revoir, cousin. l’horloger. Au revoir ; tâche de m’amener ton ami. alcide. Je te l’amènerai ; ce sera un vrai service que je t’aurai rendu, car la vente ne va pas fort, ce me semble. l’horloger. Pas trop ; d’ailleurs, plus on a de pratiques et plus on gagne. » Les deux fripons s’en allèrent avec leurs montres dans leur gousset ; Alcide était fier et tirait souvent la sienne pour faire voir qu’il en avait une. Frédéric, honteux et effrayé, n’osait toucher à la sienne de peur qu’une personne de connaissance ne la vît et n’en parlât à son père. « À présent, dit Alcide, allons voir les autres curiosités. » Et il se dirigea vers le champ de foire, où se trouvaient réunis les baraques et les tentes à animaux féroces ou savants, les faiseurs de tours, les théâtres de farces et les danseurs de corde. Ils entrèrent partout ; Alcide riait, s’amusait, causait avec les voisins. Frédéric avait la mine d’un condamné à mort, sérieux, sombre, silencieux. Sa montre lui causait plus de frayeur que de plaisir ; sa conscience, pas encore aguerrie au vice, le tourmentait cruellement. Sans la peur que lui inspirait son méchant ami, il serait retourné chez l’horloger pour lui rendre sa montre et reprendre l’argent, qu’il aurait reporté à M. Georgey. Toute la salle riait aux éclats des grosses plaisanteries d’un Paillasse en querelle avec son maître Arlequin. Alcide avait à ses côtés deux jeunes gens aimables et rieurs avec lesquels il causait et commentait les tours d’adresse et les bons mots du Paillasse. Alcide y aurait volontiers passé la nuit ; jamais il ne s’était autant amusé. Mais Arlequin et Paillasse avaient épuisé leur gaieté et leur répertoire ; ils saluèrent, sortirent et la salle se vida. Dans la foule pressée de courir à de nouveaux plaisirs, Alcide se trouva séparé de ses aimables compagnons, et il eut beau regarder, chercher, il ne put les retrouver. « C’est ennuyeux, dit-il à Frédéric, me voici réduit à ta société, qui n’est pas amusante. Tu ne dis rien, tu ne regardes rien, tu ne t’amuses de rien. J’aurais bien mieux fait de venir sans toi. frédéric. Plût à Dieu que je ne t’eusse pas accompagné à cette foire maudite. Depuis ce matin, je n’ai eu que du chagrin et de la terreur. alcide. Parce que tu es un imbécile et un trembleur ; tu n’as pas plus de courage qu’une poule ; si je t’avais écouté, nous serions partis et revenus les poches vides ; nous nous serions mis à la suite de ce sot Anglais et de son petit mendiant ; nous n’aurions pas eu nos montres ni tout ce que nous allons encore acheter. frédéric. Oh ! Alcide, je t’en prie, n’achète plus rien ; cette montre me fait déjà une peur terrible. alcide. Ah ! ah ! ah ! quel stupide animal tu fais ! Suis-moi ; je vais te mener chez un brave garçon qui nous complétera nos montres. frédéric. Que veux-tu y mettre de plus ? Elles ne sont que trop complètes et trop chères. alcide. Tu vas voir. Et cette fois, si tu n’es pas content, je te plante là et tu deviendras ce que tu pourras. frédéric, avec résolution. Si tu me laisses seul, j’irai chez M. Georgey, je lui rendrai sa montre, et je lui raconterai tout. alcide. Malheureux, avise-toi de faire ce que tu dis, et je mets tout sur ton compte ; et je m’arrangerai de façon à te faire arrêter et te faire mettre en prison ; et ce sera toi qui auras tout fait. Et mon cousin l’horloger dira comme moi, pour avoir ma pratique et celle de mon riche et généreux ami. » L’infortuné Frédéric, effrayé des menaces d’Alcide, lui promit de se taire et de prendre courage. Ils entrèrent chez un bijoutier. le bijoutier. Qu’y a-t-il pour votre service, messieurs ? alcide. Des chaînes de montre, s’il vous plaît. le bijoutier. Chaînes de cou ou chaînes de gilet ? alcide. Chaînes de gilet. (Bas à Frédéric.) Parle donc, imbécile ; on te regarde. — Chaînes de gilet, répéta Frédéric timidement. le bijoutier. Voilà, messieurs. En voici en argent... (Alcide les repousse.) En voici en argent doré. (Alcide repousse encore.) En voici en or. alcide. À la bonne heure. Choisis, Frédéric, il y en a de très jolies. » Ils en prirent quelques-unes, les laissèrent et les reprirent plusieurs fois. Le bijoutier ne les perdait pas de vue ; l’air effronté d’Alcide et la mine troublée, effarée de Frédéric lui inspiraient des soupçons. « Ça m’a tout l’air de voleurs, pensait-il. alcide. Choisis donc celle qui te plaît, Frédéric ; veux-tu celle-ci ? » Alcide lui en présenta une. Frédéric la prit en disant : « Je veux bien » d’une voix si tremblante, que le bijoutier mit instinctivement la main sur ses bijoux et les ramena devant lui. le bijoutier. Vous savez, Messieurs, dit-il, que les bijoux se payent comptant. alcide. Certainement, je le sais. Combien cette chaîne ? le bijoutier. Quatre-vingts francs, Monsieur. — Voilà, dit Alcide en jetant sur le comptoir quatre pièces de vingt francs. Et celle-ci ? — Quatre-vingt-cinq francs, Monsieur, répondit le bijoutier avec une politesse marquée. — Voilà », dit encore Alcide. Il voulut tirer sa montre pour la rattacher à la chaîne, il ne la trouva plus ; elle était disparue. Il eut beau chercher, fouiller dans tous ses vêtements, la montre ne se retrouva pas. « Vous avez été volé, Monsieur ? lui dit le bijoutier ; soupçonnez-vous quelqu’un ? — Au théâtre, j’étais entre deux jeunes gens qui m’ont fait mille politesses, et auxquels j’ai donné, sur leur demande, l’heure de ma montre, répondit Alcide d’une voix tremblante. le bijoutier. Il faut aller porter plainte au bureau du commissaire de police, Monsieur. — Merci, Monsieur ; viens, Frédéric. » Frédéric, voyant la figure consternée de son ami, saisit avec bonheur l’occasion de se débarrasser de sa montre. frédéric. Tiens, prends la mienne, Alcide, je n’y tiens pas. alcide, avec surprise. La tienne ? Et toi donc ? Que feras-tu de ta chaîne ? frédéric. Prends-la avec la montre, que le bijoutier a accrochée après. Prends, prends tout ; tu me rendras service. alcide. Si c’est pour te rendre service, c’est différent. Merci ; je la garde en souvenir de toi. frédéric. Vas-tu porter plainte ? alcide. Pas si bête ! pour ébruiter l’affaire et me faire découvrir ! Il faudrait donner mon nom, le tien, celui de l’horloger. On me demandera où j’ai pris l’or pour payer les montres, et tout serait découvert. Les coquins ! Ils avaient l’air si aimables ! » XVII les gendarmes et m. georgey « Qu’est-ce qui se passe donc par là, sur le champ de foire ? » demanda Frédéric qui avait repris de la gaieté depuis qu’il s’était débarrassé de sa montre et de la chaîne. « On dirait que les gendarmes ont arrêté quelqu’un. alcide. Allons voir, tout le monde y court ; il doit y avoir quelque chose de curieux. » Ils se dépêchèrent et vinrent se mêler à la foule. « Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Alcide à un brave homme qui parlait et gesticulait avec animation. l’homme. Ce sont deux vauriens que les gendarmes viennent d’arrêter au moment où ils enlevaient la montre d’un drôle d’original qui baragouine je ne sais quelle langue. On ne le comprend pas, et lui-même ne comprend guère mieux ce qu’on lui demande. » Ils avancèrent ; Alcide se haussa sur la pointe des pieds et vit avec effroi que l’original était M. Georgey, et que les voleurs étaient ses deux aimables compagnons. « Sauvons-nous, dit-il à Frédéric ; c’est M. Georgey et les deux gredins qui m’ont probablement aussi volé ma montre. Si l’Anglais nous voit, il va nous appeler ; nous serions perdus. » Frédéric voulut s’enfuir ; Alcide le retint fortement. « Doucement donc, maladroit, tu vas nous faire prendre si tu as l’air d’avoir peur ; suis-moi ; ayons l’air de vouloir nous faufiler d’un autre côté. » Ils parvinrent à sortir de la foule ; pendant qu’ils échappaient ainsi au danger qui les menaçait, Alcide trouva moyen de couler dans la poche de Frédéric la seconde chaîne et l’or et l’argent qui lui restaient. Quand ils se furent un peu éloignés, ils pressèrent le pas. En passant devant un café très éclairé, Alcide regarda à sa montre l’heure qu’il était. « Onze heures ! dit-il. Rentrons vite. » Mais au même moment il se sentit saisir au collet. Il poussa un cri lorsqu’en se retournant il vit un gendarme. Frédéric, qui marchait devant, fit une exclamation : « Les gendarmes ! » Et il courut plus vite. Un instant après, il se sentit arrêter à son tour. le gendarme. Ah ! tu te sauves devant les gendarmes, mon garçon : mauvais signe ! Il faut que tu viennes avec ton camarade, qui a une si belle montre avec une si belle chaîne ; le tout est mal assorti avec sa redingote de gros drap et ses souliers ferrés. frédéric. Lâchez-moi, Monsieur le gendarme. Je suis innocent, je vous le jure. Je n’ai rien sur moi, ni montre, ni chaîne. le gendarme. Nous allons voir ça, mon mignon ; tu vas venir avec nous devant M. l’Anglais, qui a déclaré avoir été volé de tout son or, de sa montre et de sa chaîne. » Frédéric tremblait de tous ses membres, le gendarme le soutenait en le traînant. Alcide, non moins effrayé, payait pourtant d’effronterie ; il soutenait que sa montre et sa chaîne lui avaient été données par l’excellent M. Georgey ; il indiquait l’horloger qui la lui avait vendue, le bijoutier qui venait de lui vendre sa chaîne. Son air assuré, ses indications si précises, ébranlèrent un peu les gendarmes ; celui qui l’escortait lui dit avec plus de douceur : « Eh bien, mon ami, si tu es innocent, ce que nous allons savoir tout à l’heure, tu n’as rien à craindre des gendarmes. Nous voici près d’arriver. M. Georgey, comme tu l’appelles, saura bien te reconnaître et nous dire que tu ne lui as rien volé, non plus que ton camarade, qui dit avoir les poches vides. » Ils arrivaient en effet devant le commissaire de police qui venait constater le vol. Quand les gendarmes eurent amené devant lui les deux amis, il commanda qu’on les fouillât. Alcide n’avait rien de suspect, mais Frédéric, qui avait protesté n’avoir rien dans ses poches, poussa un cri de détresse quand le gendarme retira de la poche de côté de sa redingote une chaîne et plusieurs pièces d’or et d’argent. « Tu es plus riche que tu ne le croyais, mon garçon », lui dit le gendarme. L’exclamation de Frédéric attira l’attention de M. Georgey ; il se retourna, reconnut Frédéric et Alcide, et s’écria : « Lé pétite Bonarde ! Oh ! my goodness ! » Le pauvre M. Georgey resta comme pétrifié. le gendarme. Veuillez, Monsieur, venir reconnaître si l’or et la chaîne que nous avons trouvés dans la poche de ce garçon sont à vous. » M. Georgey s’approcha. Il jeta un coup d’œil sur les pièces d’or, qui étaient des guinées anglaises. C’étaient les siennes, il n’y avait pas à en douter. Que faire ! La pauvre Mme Bonard et son mari se trouvaient déshonorés par le vol de leur fils ! Son parti fut bientôt pris. Il fallait sauver l’honneur des Bonard. « Jé connaissais, c’était lé pétite Bonarde. J’avais donné les jaunets au pétite Bonarde et lui avais acheté lé chaîne. C’était très joli,... ajouta-t-il en examinant la chaîne. Jé savais, jé connaissais. Lui venir avec moi, jé donnais tout. le gendarme. Et l’autre garçon, Monsieur ? N’est-ce pas votre montre et votre chaîne qu’il a dans son gousset ? m. georgey. No, no, c’était une donation. J’avais donné, j’avais donné tout. No, no, ma horloge pas comme ça. Une chiffre. Une couronne baronnet. C’étaient les deux grands coquins avaient volé. J’étais sûr, tout à fait certain. » On amena les deux voleurs devant M. Georgey, et on lui présenta la montre et le porte-monnaie avec lesquels ils se sauvaient quand ils furent arrêtés. m. georgey. C’était ça ! C’était ma horloge ! Jé connais. Voyez voir, chiffre G. G. ; ça était pour dire : George Georgey. Voyez voir, couronne baronnet ; c’était moi, sir Midleway... C’était très fort visible... Le porte-argent, c’était mon. Jé connais. C’était mon petit nièce avait fait. Voyez voir, G. G., c’était pour dire : George Georgey. Couronne baronnet, ça était pour dire sir Midleway... Jé connais ; c’était Alcide, ça. Laissez, laissez tous les deux garçons, jé emmener eux ; il était noir, il était moitié la nuit. Good bye, sir. Venez, Alcide ; Fridric, marchez avant moi. » Les deux voleurs, trop heureux d’en être quittes à si bon marché, ne se firent pas répéter l’ordre de M. Georgey ; s’échappant du milieu de la foule, ils rejoignirent l’Anglais et marchèrent devant lui en silence. Quand ils furent hors de la ville, Alcide, qui avait retrouvé son effronterie accoutumée, commença à vouloir s’excuser aux yeux de M. Georgey. « Vous êtes bien bon, Monsieur, d’avoir défendu Frédéric et moi contre ces méchants gendarmes... m. georgey. Tenez vos langue, malhonnête, voleuse ; je vous défendais les paroles. alcide. Mais, Monsieur, je vous assure... m. georgey. Je disais : tenez lé langue. Jé voulais pas écouter votre voix horrible : voleur, gueuse, grédine. Moi tout dire à Madme Bonarde, à Master Bonarde, à papa Alcide. Ah ! tu avais volonté volé moi ! Tu croyais Georgey une imbécile comme toi ! Tu croyais moi disais des excuses pour toi ? Moi savoir tout ; moi parler menteusement pour Madme Bonarde, par lé raison de Fridric voleur avec toi. Moi avoir pitié povre Madme Bonarde. Moi savoir Madme Bonarde, Master Bonarde, moree pour la honte de Fridric. Voilà comment moi avoir parlé contrairement au vérité. Et toi, coquine, mé rendre à la minute lé montre, lé chaîne, lé guinées tu avais volé à moi Georgey. alcide. C’est Frédéric, Monsieur, ce n’est pas moi... m. georgey. Menteuse ! gredine ! Donner sur lé minute à moi tout le volement. » M. Georgey saisit Alcide, qui se débattit violemment, mais qui fut bien vite calmé par les coups de poing du vigoureux Anglais. La montre et sa chaîne passèrent en un instant de la poche d’Alcide dans celle de M. Georgey. Frédéric n’attendit pas son tour et remit lui-même en sanglotant la chaîne et tout l’or et l’argent que lui avait rendus le gendarme. « Oh ! Monsieur, s’écria-t-il, ne croyez pas que ce soit moi qui vous ai volé. C’est Alcide qui a tout fait et qui m’a poussé à mal faire. Je ne voulais pas, j’avais peur ; il m’a forcé à le laisser faire, à acheter la montre et la chaîne ; il m’a coulé votre or dans la poche quand nous avons été dans cette foule qui arrêtait les deux voleurs. Je ne l’ai su que lorsque les gendarmes m’ont fouillé. Pardonnez-moi, Monsieur ; ne dites rien à mon père, il m’assommerait de coups. m. georgey. Il faisait très bien, et jé voulais dire. C’était trop horrible. » Alcide voulut aussi demander grâce et accuser Julien ; mais l’Anglais le fit taire en lui boxant les oreilles. m. georgey. Jé défendais à toi, scélérate, de parler une parole. Jé voulais dire à les deux parents et jé dirai. Demain, jé dirai. Va dans ton maison, et toi, Fridric, va dans lé tien. Jé rentrais chez moi. Caroline, vitement, une lumière ; jé voulais aller dans le lit. » M. Georgey repoussa les deux garçons, entra chez lui, ferma la porte à double tour et monta dans sa chambre. Caroline l’entendit longtemps encore se promener en long et en large et parler tout haut. « Il devient fou, pensa-t-elle : il l’était déjà à moitié, la foire l’a achevé. » XVIII colère de bonard Frédéric et Alcide restaient devant la porte de M. Georgey, muets et consternés : Frédéric pleurait ; Alcide, les poings fermés, les yeux étincelants de colère, réfléchissait au moyen de se tirer d’affaire en jetant tout sur Frédéric. frédéric. Qu’allons-nous devenir, mon Dieu, si M. Georgey va tout raconter à nos parents ! Donne-moi un bon conseil, Alcide, toi qui m’as entraîné à mal faire et qui as toujours de bonnes idées pour t’excuser. alcide. J’en ai une pour moi ; je n’en ai pas pour toi. frédéric. Comment, tu vas m’abandonner, à présent que je suis dans la crainte, dans la désolation ! alcide. Je m’embarrasse bien de toi. Tu es un imbécile, un lâche. C’est ta sotte figure effrayée qui a attiré l’attention des gendarmes et qui nous a fait prendre. Maudit soit le jour où je t’ai mis de moitié dans mes profits ! frédéric. Et maudit soit le jour où je t’ai écouté, où je t’ai aidé dans tes voleries ! Sans toi, je serais heureux et gai comme Julien ; je n’aurais peur de personne et je serais aimé de mes parents comme jadis. alcide. Vas-tu me laisser tranquille avec les jérémiades. Va-t’en chez toi, tu n’as que faire ici. » Au moment où il disait ces mots, un seau d’eau lui tomba sur la tête et il entendit une voix qui disait : « Coquine ! Canaille ! » Alcide, suffoqué d’abord par l’eau, ne put rien distinguer ; mais, un instant après, il se tourna de tous côtés et ne vit rien ; il leva les yeux vers la fenêtre de M. Georgey : elle était fermée, le rideau était baissé, on n’y voyait même pas de lumière. Il était seul. Frédéric même avait disparu. Surpris, un peu effrayé, il prit le parti de rentrer chez lui et de se coucher ; l’horloge du village sonnait deux heures. Frédéric courait de toute la vitesse de ses jambes pour arriver chez ses parents, qu’il croyait trouver endormis depuis longtemps. Il ouvrit la barrière, se dirigea vers l’écurie, où il comptait passer la nuit, et vit, à sa grande frayeur, de la lumière dans la salle, dont la porte était ouverte. Il n’y avait pas moyen d’éviter une explication. « Je vais tâcher, pensa-t-il, de faire comme Alcide ; l’effronterie lui réussit toujours. » Il entra. Mme Bonard poussa un cri de joie ; Bonard, qui sommeillait les coudes sur la table, se réveilla en sursaut. frédéric. Comment, mes pauvres parents, vous m’attendez ? J’en suis désolé ; si j’avais pu le deviner, je ne me serais pas laissé entraîner par la dernière représentation au théâtre ; et puis ce bon M. Georgey, avec lequel je suis revenu, m’a fait manger dans un excellent café. Tout cela m’a attardé ; je vous croyais couchés depuis longtemps et bien tranquilles sur mon compte. madame bonard. Pendant que tu t’amusais, Frédéric, nous nous faisions du mauvais sang nous nous tourmentions, te croyant seul avec ce mauvais sujet d’Alcide, car M. Georgey nous avait ramené Julien vers neuf heures. » Frédéric parut troublé ; la mère pensa que c’était le regret de les avoir inquiétés. bonard. Et sais-tu ce qui nous est arrivé pendant que tu t’amusais ? » Frédéric ne répondit pas. bonard. Nous avons été volés... Tu ne dis rien. Tiens, regarde l’armoire, on l’a brisée ; on a pris l’argent du pauvre Julien ; on a emporté nos deux plus belles dindes. Pourquoi es-tu parti avant le retour de ta mère ?... Mais parle donc ! Tu es là comme un oison, à écarquiller tes yeux. Qui est le voleur ? Le connais-tu ? l’as-tu vu ? frédéric. Je n’ai rien vu. Je ne sais rien ; j’étais parti... Je croyais... Je ne savais pas. bonard. Va te coucher. Tu m’impatientes avec ta figure hébétée. Demain tu t’expliqueras. M. Georgey t’aura fait boire comme ce pauvre Julien. Va-t’en. » Frédéric ne se le fit pas répéter ; il alla dans sa chambre, plus inquiet encore que lorsqu’il était arrivé. Il se coucha, mais il ne put dormir. Au petit jour il tendit l’oreille, croyant toujours entendre M. Georgey. L’heure de se lever était arrivée ; Bonard alla soigner les chevaux ; Julien, levé depuis longtemps, l’aidait de son mieux ; Frédéric n’osait quitter son lit et faisait semblant de dormir. Enfin, vers huit heures, sa mère entra, le secoua. Frédéric, feignant d’être éveillé en sursaut, sauta à bas de son lit. frédéric. Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Les voleurs ? madame bonard. Il faut te lever, Frédéric. Ton père a déjeuné avec nous, puis il est parti pour aller faire sa déclaration à la ville. Voyons, habille-toi et viens manger ta soupe. » Frédéric se leva. Il n’avait pas prévu que son père porterait plainte du vol commis à la ferme ; toutes ses craintes se réveillèrent. Il tremblait, ses dents claquaient. madame bonard. Quelle drôle de mine tu as ! De quoi as-tu peur ? frédéric. De rien, de rien. Ce n’est pas moi qui vous ai volés. Ce sont les chemineaux. madame bonard. Comment le sais-tu ? Tu les as donc vus ? frédéric. Je n’ai rien vu. Comment les aurais-je vus ? De quoi aurais-je peur ? Où est Julien ? Est-ce que M. Georgey est venu ? madame bonard. Non. Pourquoi viendrait-il ? frédéric. Pour le vol. Vous savez bien. madame bonard. Mais en quoi cela regarde-t-il M. Georgey ? frédéric. Je n’en sais rien. Est-ce que je peux savoir ? Puisque je n’y étais pas. madame bonard. Tiens, tu ne sais pas ce que tu dis. Viens manger ta soupe, il est tard. frédéric. Je n’ai pas faim. madame bonard. Tu es donc malade ? Tu es pâle comme un mort ? Voilà ce que c’est que de trop s’amuser et rentrer si tard. Viens manger tout de même. Il ne faut pas rester à jeun, tu prendrais du mal ; l’appétit te viendra en mangeant. » Frédéric, obligé de céder, suivit sa mère et trouva Julien qui balayait la salle et rangeait tout. Ils se regardèrent tous deux avec méfiance. Frédéric craignait que Julien n’eût deviné quelque chose ; Julien avait réellement des soupçons, qu’il ne voulait pas laisser paraître. Frédéric finissait sa soupe quand M. Georgey parut. Julien courut à lui. « Je suis content de vous voir, Monsieur. Hier soir, en me déshabillant, j’ai trouvé beaucoup de pièces d’or dans la poche de mon habit : elles ne sont pas à moi. Elles doivent être à vous ; j’étais tout près de vous, je pense que vous vous êtes trompé de poche ; au lieu de mettre dans la vôtre, vous avez mis dans la mienne. m. georgey. No, no, jé n’avais mis rien ; jé n’avais touché rien. Jé avais dormi comme toi, povre pétite Juliène. Jé comprénais, jé savais. C’était lé malhonnête, les coquines Alcide, Fridric ; ils avaient volé moi et mis une pétite somme dans lé gilet de toi, pour dire : C’était Juliène le voleur de Georgey. » Mme Bonard ne pouvait en croire ses oreilles ; elle tremblait de tout son corps. m. georgey. Où Master Bonard ? Jé avais à dire un terrible histoire à lui et à povre Madme Bonarde... Ah ! lé voilà Master Bonard. Venez vitement. Jé avais à dire à vous votre Fridric il était un voleur horrible ; Alcide, une coquine davantage horrible, abominable. » Bonard, qui venait d’entrer, devint aussi tremblant que sa femme ; Frédéric, ne pouvant s’échapper, était tombé à genoux au milieu de la salle, Julien était consterné. Personne ne parlait. M. Georgey raconta de son mieux ce qui lui était arrivé depuis qu’ils avaient rencontré Alcide et Frédéric. Il dit comment il avait trouvé sa poche vidée en rentrant chez lui ; comment il était retourné à la ville pour porter plainte ; qu’en cherchant Alcide et Frédéric, il avait été encore volé par deux jeunes gens qu’on avait arrêtés, et sur lesquels on avait trouvé sa montre, sa bourse et une autre montre dont les gendarmes cherchaient le propriétaire, et qui était celle qu’Alcide et Frédéric venaient d’acheter. Il parla avec émotion de sa douloureuse surprise quand il avait vu Frédéric amené par des gendarmes en compagnie d’Alcide ; quand il avait vu Frédéric ayant dans sa poche une chaîne d’or et des guinées qui étaient précisément celles qu’on lui avait volées à lui Georgey. Il raconta sa généreuse résolution de sauver l’honneur de ses amis Bonard. Il avait dû en même temps, quoique à regret, certifier l’innocence d’Alcide, puisque les deux garçons avaient été arrêtés ensemble ; il expliqua comment il avait déclaré leur avoir tout donné et comment, après cette déclaration, il les avait emmenés avec lui. Il raconta comment Alcide avait dû couler des pièces d’or dans la poche de Julien pour rejeter le vol sur lui. « J’avais dit toutes les choses horribles au papa Alcide, ajouta M. Georgey. Le papa avait donné à Alcide un bâtonnement si terrible, que lé misérable il était resté couché sur la terre. Je croyais Fridric pas si horrible ; il avait écouté l’Alcide abominable. Jé croyais il avait du chagrinement, du repentissement ; qu’il ferait plus jamais une volerie si méchant. Mais j’avais dit à vous, pour que le povre Madme Bonarde, et vous Master Bonard, vous savoir comment a fait votre garçone. C’était très fort vilaine, et lé pauvre Juliène avoir rien fait mauvais. Ce n’était pas sa faute avoir pris beaucoup dé boisson dé vin ; c’était moi lé criminel, lé malheureuse, avoir fait ivre lé pauvre pétite. J’avais donné méchant exemple au pétite. J’avais une honte terrible, j’avais un chagrinement horrible ; jé prenais résolution jamais boire davantage plus un seul bottle vin. Jé promettais, jé assurais, jé jurais. Un seul bouteille. J’avais fait jurement à mon cœur. » Mme Bonard sanglotait. Bonard avait laissé tomber sa tête dans ses mains et gémissait. Frédéric, atterré, plus pâle qu’un linge, s’était affaissé sur ses genoux et n’osait bouger. Julien pleurait en silence. M. Georgey les regardait avec pitié. « Povres parents ! j’avais devoir de parler. Pour les turkeys, moi j’avais rien dit ; et moi avais fait découverte que les deux étaient pétites voleurs. J’avais croyance qué plus jamais voler des turkeys, et j’avais acheté tous les turkeys pour empêchement voler eux. Mais je ne pouvais pas faire un cachement d’hier ; c’était trop mauvais. — Et le vol de l’armoire ! s’écria tout à coup Bonard en s’élançant sur Frédéric et le saisissant par les cheveux : dis, parle ; avoue, scélérat ! — C’est Alcide, répondit Frédéric d’une voix défaillante. bonard. Tu l’as vu ; tu le savais ! — J’y étais, répondit Frédéric de même. bonard. Pourquoi as-tu brisé au lieu d’ouvrir ? frédéric. C’est Alcide, pour faire croire que c’étaient les voleurs. bonard, avec désespoir. Et moi qui ai porté plainte ! Et les gendarmes qui vont venir ! Et mon nom qui sera déshonoré ! Misérable, indigne de vivre ! je ne peux plus te voir ; je ne veux pas être déshonoré par toi ! Et ta pauvre mère ? Montrée au doigt ! Mère d’un voleur ! Voleur ! Voleur ! Mon fils voleur ! » Et Bonard, fou d’épouvante et de douleur, saisit une lourde pince, et, levant le bras, allait le frapper d’un coup peut-être mortel, lorsque M. Georgey, s’élançant sur lui, l’étreignit de ses bras vigoureux, et, malgré sa résistance, l’entraîna dans la chambre voisine. Frédéric était tombé sans connaissance ; Julien soutenait Mme Bonard, à moitié évanouie sur sa chaise. L’Anglais avait fermé à double tour la porte de la chambre, de peur que Bonard ne lui échappât. m. georgey. Craignez pas, povre créature ; pas de déshonorement ; moi tout arranger ; moi dire comme hier C’était moi. bonard. C’est impossible, impossible ; on va faire une enquête ; je ne veux pas qu’on vous croie un voleur, un scélérat ! Personne ne le croirait, d’ailleurs. Vous, riche, briser un meuble pour voler un pauvre homme ! C’est impossible ! Personne ne vous croirait. m. georgey. Croirait très parfaitement. Jé disais : Moi Georgey voulais habillement joli de pétite Juliène pour lé foire. Moi Georgey pas trouvé lé clé. Moi Georgey beaucoup fort entêté, moi voulais ; jé voulais habillements. Moi Georgey riche. Moi casser fermeture, moi prendre habillements et argent pour amuser pétite Juliène et les autres, car moi oublier emporter jaunets dans ma poche. Moi révenir de foire trop tardivement hier. Moi révenir en lé jour d’aujourd’hui pour raconter, demander excuse et faire payement pour dédommager. Et jé fais payement avec les jaunets du pocket dé la pétite Juliène. C’était très bien, ça. Moi payer bon dîner à gendarmes et tout sauvé. » À mesure que M. Georgey parlait, le visage de Bonard s’éclaircissait. Quand M. Georgey eut terminé son explication, le pauvre Bonard, rempli de reconnaissance, se précipita à genoux devant le généreux Anglais, et, joignant les mains, s’écria : « Oh ! monsieur, vous me sauvez plus que la vie ! Vous sauvez notre honneur à tous ! Vous sauvez mon misérable fils ! Vous me sauvez d’un crime ! Je n’aurais pu le voir sans le maudire, sans le tuer peut-être. Oh ! Monsieur, soyez béni ! Toute ma vie je vous bénirai comme mon bon ange, mon sauveur ! m. georgey. No, no, my dear ! c’était trop pour une povre homme solitaire, ridicoule. Jé savais que jé faisais des sottises, beaucoup, que les autres riaient de moi. Jé savais. Jé savais. Ils faisaient justice. » Quand Bonard fut tout à fait remis, M. Georgey lui permit de rentrer dans la salle pour consoler et rassurer Mme Bonard. « Quant à Frédéric, dit Bonard, faites-le partir, que je ne le voie plus. m. georgey. No, Master Bonarde, c’était pas bon, c’était mauvais. Fridric très désolé. Fridric très fort repentissant ; Fridric toujours votre garçon. Vous lui gronder pour vous faire agrément ; vous lé taper un peu, mais faut pas chasser ; c’était mauvais, c’était méchanceté. Voyez bon Dieu, pardonnait toujours. Vous, papa comme bon Dieu, et vous pardonner. Entrez vitement. » M. Georgey ouvrit la porte, poussa dans la salle Bonard, qui hésitait encore. Frédéric était toujours étendu sans mouvement. Julien était occupé de Mme Bonard, qui continuait ses sanglots. Bonard alla à elle. « Rassure-toi, console-toi, ma pauvre femme, il n’y aura pas de déshonneur ni d’enquête. Notre sauveur, le généreux M. Georgey, a tout arrangé. » Bonard lui expliqua les intentions de M. Georgey. Quand Mme Bonard eut bien compris la généreuse résolution de l’Anglais, elle, à son tour, se jeta à ses pieds, lui embrassa les genoux, lui adressa les remercîments les plus touchants. Le pauvre M. Georgey cherchait en vain à terminer une scène qui l’embarrassait ; il n’y put parvenir qu’en lui montrant le corps de son fils étendu sur le plancher. « Et je l’avais oublié dans mon chagrin ! » s’écria Mme Bonard en s’élançant sur le corps inanimé de son fils. Avec l’aide de Julien et de M. Georgey, Frédéric fut relevé, déshabillé, couché, frictionné de vinaigre ; il ouvrit enfin les yeux, regarda d’un air effaré les personnes qui l’entouraient ; en jetant les yeux sur son père, il poussa un cri d’effroi, se débattit un instant et perdit encore connaissance. « Master Bonarde pas rester, dit M. Georgey, Fridric avait un épouvantement très gros. Madme Bonarde seule rester avec pétite Juliène. » XIX la maladie M. Georgey emmena Bonard, qu’il eut de la peine à calmer ; tantôt il s’accusait d’avoir tué son fils, tantôt il parlait de le chasser, de le rouer de coups. M. Georgey, impassible, le laissait dire. Il attendait les gendarmes. « Jé voulais dire moi-même, disait-il. Jé voulais faire explication moi seul. » Il allait sans cesse dans la chambre à côté, savoir des nouvelles de Frédéric et en rapporter à Bonard. La connaissance était revenue, mais il paraissait ne rien comprendre et ne pas savoir ce qu’il disait. Il croyait toujours voir Alcide près de son lit ; il suppliait qu’on le chassât. « Il va me faire du mal ; j’ai peur... Il est si méchant !... Au secours ! il veut m’entraîner ; il m’entraîne,... au secours ! Il appelle les gendarmes ! Il veut faire prendre Julien... On croit que Julien a volé. Pauvre Julien ! On le garrotte, on le mène en prison... Arrêtez ! arrêtez ! Ce n’est pas lui, c’est Alcide !... Je vous jure que c’est Alcide... Je l’ai vu,... il me l’a dit... Il ment, il ment... Ne l’écoutez pas, gendarmes... Voyez, voyez comme il verse du vin blanc et du rouge à M. Georgey... Il veut l’enivrer... pour le voler. Voyez-vous comme il le vole ? Voyez-vous comme il met des pièces d’or dans la poche de Julien... Mais dites-lui... ? empêchez-le... Mon Dieu, mon Dieu ! quel malheur que j’aie écouté Alcide !... » Frédéric retombait épuisé sur son oreiller. Il semblait parfois s’endormir, mais il recommençait à crier, à se débattre et à faire connaître, par ses propos incohérents, tout ce qui s’était passé entre lui et Alcide. Mme Bonard ne savait que faire. M. Georgey dit à Julien d’aller chercher le médecin. Julien y courut. Pendant qu’il faisait sa commission, les gendarmes se présentèrent pour faire leur enquête sur le vol commis la veille chez Bonard. M. Georgey alla au-devant d’eux et leur serra la main à l’anglaise en riant. « Vous voir lé vol et lé brisement !... Voilà ! » Et il montra du doigt l’armoire. « Vous voir lé voleur ?... Voilà ! » Et il se désigna lui-même du doigt. le brigadier. Comment, Monsieur ! Vous, le voleur ? Ce n’est pas possible. m. georgey. Ça était très possible, pourquoi ça était. » M. Georgey se mit à rire de la mine stupéfaite des gendarmes. Il leur expliqua le soi-disant vol, comme il l’avait promis à Bonard, et l’indemnité qu’il venait de lui offrir ; Julien avait posé les pièces d’or sur la table : elles y étaient encore. « Voilà, dit M. Georgey ; jé donnais deux cents francs. le brigadier. Il n’y a plus rien à dire, Monsieur ; du moment que vous payez si largement le dégât, je ne pense pas que M. Bonard réclame autre chose. m. georgey. Master gendarme, moi vous dire un autre chose ; lé jeune garçon qué vous attraper hier dans lé ville, c’était lé garçon de M. Bonard. Lé povre fils il était si choqué, si désolé, vous croire il était un voleur, qué il était en désespération, malade et imbécile ; il croyait toujours être une voleur ; il voyait toujours votre apparition subite. Venez voir ; voyez pauvre Madme Bonarde ; faut pas attraper si vite. C’est dangereux, bon pour faire un garçon mort. » M. Georgey ouvrit la porte, fit entrer les gendarmes au moment où Frédéric criait : « Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi !... Monsieur le gendarme, ce n’est pas moi !... Lâchez-moi, je vais mourir... Au secours ! tout le monde... Ce n’est pas moi ! — Venez vitement, dit M. Georgey en les tirant par leurs habits. Vous lui faisez épouvantement. N’ayez pas peur, Madme Bonard. Lé physicien il allait venir. C’était bon lé physicien ; il guérissait toutes les choses. » Les gendarmes se retirèrent et témoignèrent à Bonard tout leur intérêt et leurs regrets. M. Georgey les accompagna. « Voilà pour boire et manger », dit-il en leur tendant une pièce d’or. le brigadier. Pardon, Monsieur, si nous refusons ; c’est une insulte que de nous offrir de l’argent pour avoir fait notre devoir. Bien le bonsoir, Monsieur. m. georgey. J’étais bien beaucoup chagrine de offenser vous, courageuse soldat, répondit M. Georgey. Jé voulais pas ; lé vérité vrai, je voulais pas. le brigadier. Je le pense bien, Monsieur ; vous êtes étranger, vous ne connaissez pas nos usages et nos caractères français. m. georgey. Moi connaissais bien caractère français ; c’était généreuse, c’était très grande, c’était très aimable, et d’autres choses. Jé connaissais, jé savais. Bonsoir, gendarme française. » Les gendarmes partirent en riant. M. Georgey rentra. « Jé restais pour écouter lé physicien. Jé voulais savoir quelles choses il fallait pour Fridric. » Il s’assit et ne bougea plus. Julien ne tarda pas à revenir accompagné du médecin. M. Georgey le fit entrer de suite chez Frédéric. M. Boneuil tâta le pouls du malade, examina ses yeux injectés de sang, écouta sa parole brève et saccadée. « Il doit avoir eu une vive émotion, une grande frayeur. Depuis quand est-il dans cet état ? madame bonard. Depuis trois ou quatre heures, Monsieur. » L’interrogatoire et l’examen continuèrent quelque temps encore ; le résultat de la consultation fut une saignée immédiate, des sinapismes aux pieds, et diverses autres prescriptions, auxquelles se conforma scrupuleusement Mme Bonard. M. Georgey se retira avec M. Boneuil ; il l’interrogea ; le médecin comprenait mal ses questions, auxquelles il faisait des réponses que M. Georgey ne comprenait pas du tout. La conversation continua ainsi jusqu’à la porte de M. Georgey, qui salua et rentra. caroline. Monsieur ne ramène donc pas Julien ? m. georgey. No, my dear ; Madme Bonarde elle avait la nécessité de lui. caroline. Et quand l’aurons-nous ? m. georgey. Jé pas savoir. Physiciène savoir ; moi pas comprendre lé parole sans compréhension de cette mosieur Bonul. Lui parlait, parlait comme un magpie. caroline. Qu’est-ce que c’est, Monsieur, un magpie ? m. georgey. Vous pas comprendre ? C’est étonnant ! Vous rien savoir. Un magpie, c’était une grosso oison qui avait des plumets blanc et noir, qui parlait beaucoup toujours. On disait dé femmes : elle parlait comme une magpie. caroline. Ah ! Monsieur veut dire une pie ! m. georgey. Très justement ! Un pie ! C’était ça tout justement ; comme vous, Caroline. » M. Georgey, fatigué de sa journée de la veille et de sa matinée, voulut rester chez lui pendant quelque temps à travailler à ses plans et à ses modèles de mécaniques. Il alla seulement tous les jours, matin et soir, savoir des nouvelles de Frédéric ; il ne manquait jamais de demander à Julien quand il viendrait. « Quand Frédéric sera guéri, Monsieur, et quand Mme Bonard n’aura plus besoin de moi », répondait toujours Julien. La maladie fut longue, la convalescence plus longue encore. La présence de Bonard faisait retomber Frédéric dans un état nerveux qui obligea le médecin à défendre au père de se faire voir jusqu’au rétablissement complet de son fils. Un jour, deux mois après la foire, Julien entra précipitamment chez Mme Bonard. « Maîtresse, savez-vous la nouvelle ? Alcide vient de s’engager. C’est son père qui l’y a obligé ; il lui a donné le choix ou d’être soldat ou d’être chassé sans argent, sans asile. Il a mieux aimé partir comme soldat. » Les yeux de Frédéric s’animèrent. « Il a bien fait ; je voudrais bien faire comme lui. madame bonard. Toi ! Y penses-tu, mon pauvre enfant ? C’est un métier de chien d’être soldat. frédéric. Pas déjà si mauvais. On voit du pays ; on a de bons camarades. madame bonard. Ne va pas te monter la tête. Je ne veux pas que tu sois soldat, moi. Ton père ne le voudrait pas non plus. Pour te faire tuer dans quelque bataille ! frédéric. Mon père ! Ça lui est bien égal. Que je vive ou que je meure, que lui importe ? Sans M. Georgey, il y a longtemps que je ne serais plus. madame bonard. Frédéric, ne parle pas comme ça. N’oublie pas ce qui s’était passé. » Frédéric se tut, baissa la tête et resta triste et silencieux. Depuis sa maladie on ne le voyait plus sourire : on entendait à peine sa voix ; il mangeait peu, il dormait mal, il travaillait mollement. Jamais il ne parlait à son père ni de son père. Il évitait de se trouver avec lui et même de le regarder ; il semblait que la vue de Bonard lui causât une sensation pénible, douloureuse même. XX l’engagement Julien avait enfin rempli son engagement avec M. Georgey. Trois mois après la fameuse foire qui avait été témoin de si fâcheux événements, Frédéric put reprendre son travail et Julien commença le sien chez M. Georgey. Son nouveau maître le fit aller à l’école ; Julien avait de la mémoire, de la facilité, de l’intelligence et de la bonne volonté ; il apprit en moins d’un an à lire, à écrire, le calcul, les premiers éléments de toutes les choses que M. Georgey voulait lui faire apprendre. Tout le monde était content de lui ; il aidait à tout ; il était actif, complaisant, prévenant même ; il servait M. Georgey avec un zèle et une fidélité qui étaient vivement appréciés par le brave Anglais. Bien des fois M. Georgey avait voulu récompenser généreusement Julien de ses services ; Julien avait toujours refusé ; et quand son maître insistait, sa réponse était toujours la même. « Si vous voulez absolument donner, Monsieur, donnez à Mme Bonard ce que vous voulez me faire accepter et ce que je suis loin de mériter. — Very well, my dear, répondait M. Georgey ; moi porter à Madme Bonarde. » Et il remettait en effet à Mme Bonard des sommes dont nous saurons plus tard le montant, car M. Georgey lui avait défendu d’en parler, surtout à Julien, qu’il aimait et qu’il voulait mettre à l’abri de la pauvreté. « Il refuserait, disait-il, et moi voulais pas lé abandonner sans fortune. Moi voulais Juliène manger des turkeys. » Un jour il trouva Mme Bonard seule, pleurant au coin de son feu. m. georgey. Quoi vous avez, povre Madme Bonarde ? Pourquoi vous faisez des pleurements ? madame bonard. Ah ! Monsieur, j’ai bien du chagrin ! Je ne peux plus me contenir. Il faut que je pleure pour me soulager le cœur. m. georgey. Pour quelle chose le cœur à vous était si grosse ? madame bonard. Parce que, Monsieur, mon mari et Frédéric ne peuvent plus se supporter depuis ce jour terrible où vous avez empêché un si grand malheur. Le père ne peut pas voir le fils sans qu’il se sente pris d’une colère qui devient de plus en plus violente. Et le fils a pris son père en aversion, sans pouvoir vaincre ce mauvais sentiment. Je suis dans une crainte continuelle de quelque scène épouvantable. Ce matin, ils ont eu un commencement de querelle, que j’ai arrêtée avec difficulté. Frédéric voulait s’engager comme soldat ; le père lui disait qu’un voleur n’était pas digne d’être militaire. Ils se sont dit des choses terribles. J’ai heureusement pu les séparer en entraînant Frédéric ; mais si une chose pareille se passait en mon absence, vous jugez de ce qui pourrait en arriver. » L’Anglais ne répondit pas ; il réfléchissait et la laissait pleurer... Tout à coup il se leva et se plaça devant elle les bras croisés. « Madme Bonarde, dit-il d’une voix solennelle, avez-vous croyance... c’est-à-dire confidence à moi ? madame bonard. Oh oui ! Monsieur, toute confiance, je vous assure. m. georgey. Mille mercis, Madme Bonarde. Alors vous tous sauvés et satisfaits. m. georgey. Comment ? Que voulez-vous faire ? Comment empêcherez-vous le père de rougir de son fils, et le fils de garder rancune à son père ? m. georgey. Je pouvais très bien. Vous voir bien vite. madame bonard. Mais, en attendant, s’ils se reprennent de querelle ? m. georgey. Reprendre rien, du tout rien. Où il est Fridric ? madame bonard. Il bat le blé dans la grange. M. georgey. Très bon, très bon. Je voulais voir lui vitement. Vous appeler Fridric. » Mme Bonard, qui avait réellement confiance en M. Georgey, se dépêcha d’aller chercher Frédéric et l’amena dans la salle. m. georgey. Fridric, il y avait deux années toi pas heureuse, M. Bonarde pas heureuse, Madme Bonarde pas heureuse. Moi voulais pas. Moi voulais tous heureuse. Toi venir avec moi, toi prendre logement avec moi. Et moi t’arranger très bien. Bonsoir, Madme Bonarde ; demain jé dirai toute mon intention. Viens, Fridric, viens vitement derrière moi. » M. Georgey sortit, Frédéric, très surpris, le suivit machinalement sans comprendre pourquoi il s’en allait. Mme Bonard, non moins étonnée, le laissa partir sans savoir ce que voulait en faire M. Georgey, mais fort contente de le voir quitter la maison et très assurée que c’était pour son bien. En route, M. Georgey expliqua à Frédéric, tant bien que mal, ce qu’il venait d’apprendre. m. georgey. Il fallait pas rester là, Fridric. Il fallait devenir soldat, une bonne et brave militaire française. Toi avais envie. Lé père voulait pas, moi jé voulais et toi voulais. Toi demeurer avec pétite Juliène ; moi écrire lé lettre pour toi faire une bonne engagement. Jé connaissais une brave colonel ; moi lui faire recommandation pour toi. Quand lé colonel dira yes, jé enverrai toi avec des jaunets pour toi être heureuse là-bas... Tu voulais ? Dis si tu voulais. Tu avais dix-houit ans, tu pouvais. frédéric. J’en serais bien heureux, Monsieur ; mais mon père ne voudra pas, il me refusera la permission. m. georgey. Jé disais tu avais dix-houit années. Jé disais tu pouvais sans permission. Dis si tu voulais. frédéric. Oui, Monsieur ; je veux, je le veux, bien certainement. Je ne peux plus vivre chez mon père, j’y suis trop malheureux. Il ne me parle que pour m’appeler voleur, coquin, scélérat. Il me fait des menaces terribles pour m’empêcher de recommencer, dit-il. Ma pauvre mère pleure toujours ; mon père la gronde. La maison est un enfer. m. georgey. C’était mauvais, oune enfer ; il fallait oune paradis, et moi lé voulais. Toi devenir oune brave militaire ; toi gagner lé croix ou lé médaille, et toi revenir toute glorieuse. Lé papa devenir glorieuse, la maman fou de bonheur et toi contente et honorable. — Merci, Monsieur, merci, s’écria Frédéric rayonnant de joie. Depuis plus d’un an, je mène la vie la plus misérable, et c’est à vous que je devrai le bonheur. » M. Georgey regardait avec satisfaction Frédéric, dont les yeux se remplissaient de larmes de reconnaissance. m. georgey. C’était très bien, my dear. Toi rester encore bonne créature ; Alcide il était parti, toi jamais voir cette coquine, cette malhonnête. C’était très bien. » M. Georgey rentra avec Frédéric. m. georgey. Caroline, Fridric prendre logement ici. Lui rester oune semaine. Vous, préparer oune couchaison. caroline. Mais, Monsieur, je n’ai ni chambre ni lit à lui donner. m. georgey. Vous cherchez dans lé bourg vitement. caroline. Mais, Monsieur, personne ici n’a de lit à prêter. m. georgey. Jé demandais pas prêter ; jé demandais acheter. Allez vitement acheter lé lit de la coquine Alcide. caroline. Combien faudra-t-il le payer, Monsieur ? m. georgey. Caroline, vous mettez en colère moi. Payez quoi demandera lé coquine dé père. Allez vitement ; j’étais tout en bouillonnement. » Caroline disparut pour exécuter l’ordre de M. Georgey ; elle savait que la contrariété le mettait dans des colères terribles, et, malgré qu’il n’eût jamais frappé ni même injurié personne, elle avait une grande frayeur de ses yeux étincelants, de ses dents serrées, de ses poings crispés, de ses mouvements brusques, des coups qu’il frappait sur les meubles. Le marché fut débattu et pas conclu. bourel. Pour qui donc demandez-vous le lit d’Alcide ? caroline. C’est pour quelqu’un qui est pressé. bourel. Il ne vaut pas grand’chose, je vous en préviens ; il n’est pas neuf, il s’en faut. caroline. Aussi je ne pense pas que vous me demandiez un grand prix. Vous le donnerez bien pour vingt à vingt-cinq francs ? bourel Ce n’est guère, vingt-cinq francs ; mais sans couvertures, alors. caroline. Que voulez-vous que nous fassions d’un lit sans couvertures ? bourel. Nous, dites-vous ? C’est donc pour vous, c’est-à-dire pour votre maître. caroline. Certainement, et il est pressé. bourel. Ah ! c’est pour M. Georgey ? Et il est pressé ! Il m’en donnera bien cent francs. caroline. Cent francs pour une patraque de lit ! Quatre planches et une méchante paillasse ! Vous plaisantez, père Bourel. bourel. Je ne plaisante pas. Cent francs ou rien. » Caroline hésita. Si elle revenait sans lit, elle amènerait une crise de colère. D’un autre côté, payer cent francs un vieux lit vermoulu qui se composait d’une paillasse, d’un traversin et de deux mauvaises couvertures, c’était par trop se laisser duper. « Ma foi non, c’est trop fort aussi. Gardez votre lit ; j’en aurai un ailleurs. » Et Caroline sortit. bourel, criant. Mam’selle Caroline, mam’selle Caroline, revenez donc ; je le donne pour quatre-vingts,... pour soixante,... pour quarante. Revenez donc. Ne soyez pas si prompte... Je vous le porterai et je vous le monterai par-dessus le marché. » Caroline revint sur ses pas. caroline. Apportez-le, dans ce cas, et dépêchez-vous. Monsieur est impatient. bourel. Le temps de démonter le lit et je serai chez vous. » Caroline rentra triomphante ; elle raconta à son maître comment elle lui avait fait gagner soixante francs. M. Georgey rit de bon cœur. « Tenez, Caroline, voilà cent francs. caroline. C’est quarante, Monsieur, puisque j’ai marchandé. caroline. Vous faire marchandement pour vous, moi marchandais pas, jamais. caroline. Mais, monsieur, c’est soixante francs que vous me donnez. C’est trop. m. georgey. Jé disais c’était pas trop pour récompensement. L’honnête, c’était rare beaucoup ; jé payais cher lé rare. Et soixante francs c’était pas trop... Moi pas voulais voir cette malhonnête. Faisez tout l’affaire tout seul. » Caroline se retira rouge de joie, avec force remercîments et révérences. m. georgey. C’était assez, my dear. Allez-vous là-bas. Fridric aussi là-bas. Quand pétite Juliène est retourné, vous direz à lui monter. » Ils s’arrangèrent de leur mieux en bas. Caroline fit placer le lit de Frédéric dans un cabinet noir près de la cuisine ; ce n’était que pour peu de jours ; il déclara s’y trouver très bien. Une heure après, quand Julien monta chez M. Georgey, il le trouva écrivant une lettre. m. georgey Ah ! pétite Juliène, jé voulais savoir tes connaissances. Jé voulais voir tes écritures. » Julien lui fit voir ses cahiers qu’il apportait de chez le maître d’école. M. Georgey les examina. m. georgey. C’était très parfaitement bien. L’écrivement il était très joli ; lé dessination il était très fort régularisé. Lé calculement il était parfaitement exactement. julien. C’est que voilà plus d’un an, Monsieur, que je prends des leçons. m. georgey. Et jé voulais toi prendais une année encore, et alors toi pouvais rétourner avec Master et Madme Bonarde. Ça était mieux qué faire des dessinations, des fabrications comme jé voulais. Eux tout seuls, tout tristes, eux t’aimer beaucoup fort ; toi heureuse chez Madme Bonarde ; moi laisser à toi argent ; toi pas être un charge, mais un richesse. Tu devenais rouge ? Tu étais contente. julien. Oui, très content, Monsieur ; mais vous, Monsieur, que j’aime et auquel je dois tant, il faudra donc que je vous quitte ? m. georgey. Oui, my dear. Moi avoir fini ici l’établissement du fabrication. Moi faisais pour m’amuser, pour voir lé pays, pour faire des progressions dé fabrications dans lé France. Moi étais riche, très fort riche. J’avais pas besoin pour moi. Toi avoir instrouction assez dans une année encore ; moi laisser à Madme Bonarde argent pour ton vivotement et pour ton établissement. julien. Je ne sais comment vous remercier, Monsieur, de toutes vos bontés pour moi. Je voudrais ne jamais vous quitter, Monsieur. Je voudrais bien aussi rentrer chez M. et Mme Bonard, si bons pour moi. Mais Frédéric, Monsieur ? Il ne m’aime pas beaucoup, vous savez ; il ne sera pas content que je rentre chez lui. m. georgey. Fridric il avait quitté chez lui ; il sé faisait soldat français. Il était dans lé bas, chez Caroline ; va demander explication à lui. » Julien, surpris de savoir Frédéric chez M. Georgey et n’osant le questionner à ce sujet, descendit dans la salle à manger et y trouva Frédéric seul. Caroline s’occupait du ménage. Julien apprit alors ce qui s’était passé le matin entre M. Bonard et son fils ; il comprit les terreurs de Mme Bonard et le moyen qu’avait trouvé M. Georgey pour les faire cesser. julien. Mais as-tu réellement envie de t’engager, Frédéric ? frédéric. C’est le seul moyen pour moi d’échapper au mépris et à la colère de mon père ! Si tu savais comme je suis malheureux depuis près de deux ans que j’ai repris mon travail avec mon père ! J’ai fait de bien grandes fautes, c’est vrai ; mais je les ai tant regrettées ! J’en ai en un si grand chagrin, que mon père aurait dû avoir pitié de moi et me les pardonner comme a fait ma mère. Quand je serai soldat, on ne pensera plus à moi ; et si j’ai le bonheur d’être tué dans un combat, on me pardonnera peut-être. J’ai été voir plusieurs fois notre bon curé ; il a cherché à me consoler. Il trouve que je ferais bien de partir pour l’armée. julien. Je trouve aussi que ta pensée est bonne ; mais que deviendront tes pauvres parents, ta pauvre mère, surtout ? frédéric. Tu leur resteras, Julien : ils t’aiment beaucoup, et ils ont bien raison. Ah ! si j’avais fait comme toi ! Si j’avais repoussé les conseils de ce méchant Alcide ! Si je t’avais écouté ! » Frédéric tendit la main à Julien, qui la serra dans les siennes. frédéric. Mon cher Julien ! j’ai été jaloux de toi parce que tu étais bon ! Je t’ai détesté parce que tu avais refusé de faire comme moi ! Pardonne-moi, Julien ! Sois mon ami, mon frère ! Je t’aime à présent. » Julien se jeta dans les bras de Frédéric. julien. Oui, Frédéric, je suis ton ami, ton frère. Je garderai ta place pour ton retour. » Ils causèrent longtemps encore. Frédéric sentit son cœur soulagé après cette conversation ; sa tristesse se dissipa, et il se raffermit dans ses bons sentiments. Tous deux servirent M. Georgey pendant son dîner, et tous deux s’efforcèrent de lui témoigner leur reconnaissance par mille petits soins, que M. Georgey recevait avec plaisir et affection. XXI les adieux Cinq à six jours après, Caroline apporta à M. Georgey une lettre timbrée de Lyon. Il la lut et appela Frédéric. « Voilà, dit-il, c’était lé réponse du colonel. » Frédéric prit la lettre et lut : « Mon cher Georgey, envoyez-moi de suite le jeune homme dont vous me parlez, et auquel vous prenez un si vif intérêt. J’en aurai soin ; soyez tranquille sur son avenir. Il faudra qu’il passe six mois au dépôt du régiment. Après ce temps, je me le ferai envoyer en Algérie, où nous sommes pour quelques années encore. J’espère que vous n’oublierez pas la visite que vous m’avez promise. Vous trouverez ici de quoi satisfaire votre goût pour les manufactures de toute espèce. Adieu, mon ami ; mille amitiés reconnaissantes pour les services que vous m’avez rendus et que je n’oublierai jamais. « Bertrand Duguesclin, « Colonel du 102e chasseurs d’Afrique. » m. georgey. Demain, il fallait partir, Fridric. frédéric. Demain ! Déjà ! Julien, mon bon Julien, va dire à ma pauvre mère qu’elle vienne m’embrasser ce soir et demain encore. m. georgey. C’est moi qui allais dire à Madme Bonarde. Toi gardais pétite Juliène pour consolation. » M. Georgey prit son chapeau et sortit. « Comme il est bon, M. Georgey ! dit Frédéric d’un air pensif. C’est pour que je ne reste pas seul qu’il va lui-même parler à maman. Et moi qui le trompais, qui le laissais voler par ce mauvais Alcide ! julien. Ne pense plus au passé, Frédéric ; tu sais qu’un soldat doit être courageux d’esprit et de cœur aussi bien que d’action. Tu vas partir pour nous revenir tout changé ; ainsi laisse tes vieux péchés, ne songe qu’à l’avenir. frédéric. Je tâcherai ; mais, Julien, avant de tout quitter, de tout oublier, il faut que j’écrive à mon père pour emporter son pardon. Apporte-moi de quoi faire mes lettres. » Julien lui apporta papier, plume et encre, et se mit lui-même à faire un devoir pendant que Frédéric écrivait ce qui suit : « Mon père, je pars pour signer un engagement ; le bon M. Georgey m’ayant assuré qu’à dix-huit ans votre permission n’était pas nécessaire, je me borne à vous demander votre pardon pour le passé, votre bénédiction pour l’avenir. Je serai malheureux tant que je ne me sentirai pas remonté dans votre affection et votre estime. Je vous réponds que désormais votre nom sera dignement porté par votre fils infortuné, « Frédéric, « Soldat au 102e chasseurs d’Afrique. » Il écrivit une seconde lettre au bon curé, une autre à M. Georgey, pour leur exprimer une dernière fois son repentir et sa reconnaissance ; il écrivit enfin une lettre que Julien devait remettre après son départ à Mme Bonard. Quelque temps se passa avant le retour de M. Georgey. Il arriva enfin ; l’heure du dîner l’avait rappelé. m. georgey. Madme Bonarde vénir après souper des animals. J’avais dit doucement, pour pas la faire trop surpris, trop affligée. J’avais dit comme ça : « — Madme Bonarde, vous excellente créature ; vous très douce, pas murmurant à bon Dieu. Alors j’avais à dire une chose crouelle, mais pas encore ; faut laisser habituer vous au pensée cruel. » « Madme Bonarde avait prié, avait pleuré, avait supplié moi lui apprendre chose cruelle. Mais moi, je regardais à l’horloge et je disais : « — No, Madme Bonarde, c’était impossible ; je attendrai oune heure entier dé soixante minutes. » « J’avais du chagrinement, du gros cœur dé voir les larmoiements terribles dé la povre Madme Bonarde ; mais jé voulais pas ; j’avais prévenu, oune heure. Et c’était oune heure. « Quand l’horloge avait sonné, jé m’étais levé ; j’avais été debout devant Madme Bonarde, j’avais croisé lé bras, les deux, et j’avais dit : « — Madme Bonarde. » « Elle répondait rien. C’était très étonnant. Jé dis encore : « — Madme Bonarde. » « Elle répondait rien. Jé regardais, et jé voyais qu’elle pleurait si énormément fort, que pouvait pas dire un parole. Jé dis lé troisième fois : « — Madme Bonarde, jé voulais, jé devais dire à vous qué Fridric, votre garçone,... devinez quoi ? « — Est mort ! elle répondait. « — No, no, jé dis pas morte, pas morte. « — Il est très malade, elle dit. « — No, no, pas malade, jé dis. « — Alors, quoi donc ? Dites, parlez ; vous me faites mourir ! » « Fridric, jé dis, il allait très bien, il était très excellente ; mais il devait partir demain pour soldat ; aller très loin ; lui voulait vous vénir lé voir, lui donner les embrassements, lé bénédictions, lé consolations, cé soir et encore demain. » « Elle pleurait pas, elle disait : « — Quoi encore ? « — Rien », jé dis. « Et puis elle mé disait j’étais oune cruel, j’avais méchanceté ; elle très colère. Moi jé disais : « — Quoi vous avez ? J’avais fait exprès. Fridric s’en aller pour lé guerre, pour lé boulète, c’était affreux ! » « Moi lui dire rien, c’était un tourmentement terrible ; elle croire Fridric morte. « Pas du tout. Fridric seulement partir. « Madme Bonarde alors content, parfaitement heureux. Vous voyez, les deux, j’avais fait parfaitement. » Frédéric et Julien qui, dans le commencement du récit de M. Georgey, s’étaient sentis irrités contre lui, se mirent à rire à la fin, et n’eurent pas le courage de lui reprocher d’avoir tait souffrir inutilement Mme Bonard. Frédéric le remercia même et attendit avec impatience l’arrivée de sa mère. Elle vint plus tôt qu’il ne l’espérait, parce que son mari avait été au loin pour une vente de foin qu’il devait terminer en soupant chez son acheteur. Elle demanda à M. Georgey la permission de dîner chez lui pour rester le plus longtemps possible avec Frédéric. m. georgey. Et votre mari, Madme Bonarde ? lui pas venir ? madame bonard. Non, Monsieur je n’ai pas osé lui en parler. m. georgey. J’étais étonné, très étonné. Master Bonarde faisait mal ; et jé croyais il faisait toujours bien. madame bonard. Il attend peut-être une demande de Frédéric. frédéric. C’est à quoi j’ai pensé, maman, et je lui ai écrit une lettre que vous lui remettrez ce soir, n’est-ce pas ? La voici. madame bonard. Tu as bien fait, mon enfant ; je la lui remettrai certainement aussitôt qu’il sera rentré. » Mme Bonard était si contente d’avoir été rassurée sur son fils après la terrible inquiétude que lui avait causée l’ingénieuse idée de M. Georgey, qu’elle éprouvait plus de joie que de tristesse ; le souper fut assez gai. Frédéric et Julien étaient heureux de la voir si résignée. Caroline avait soigné le repas ; le vin était bon ; M. Georgey, fidèle à sa promesse, n’en but qu’une bouteille et n’en laissa boire qu’une à ses convives. Ce jour-là tout le monde mangea ensemble, car c’était le dernier repas que faisait Frédéric avec sa mère et avec Julien. Le soir, ils reconduisirent Mme Bonard chez elle. M. Georgey était reparti pendant qu’elle faisait ses adieux à Frédéric, en lui promettant une dernière visite pour le lendemain de bonne heure avant son départ. Julien demanda à Frédéric s’il ne voulait pas faire un tour dans les champs. « Non, répondit Frédéric, je retrouverais partout des souvenirs d’Alcide et des mauvaises actions qu’il m’a fait commettre ; rejoignons M. Georgey, et revenons avec lui par la route ordinaire. » La nuit fut agitée pour Frédéric et pour Julien. Le lendemain de bonne heure, Caroline leur apporta à déjeuner. Quand ils eurent mangé, Frédéric alla faire ses adieux à M. Georgey, qui lui serra la main, mit dedans un petit rouleau de pièces d’or, et lui promit d’aller le voir pendant sa visite à son ami le colonel Duguesclin, en Algérie. Frédéric lui adressa un dernier remerciement, lui baisa la main et sortit les yeux pleins de larmes. Il trouva en bas sa mère qui arrivait. « Et mon père ? demanda-t-il. madame bonard, hésitant. Ton père te remercie de ta lettre ; il a voulu venir avec moi, mais au dernier moment il n’a plus voulu. Il a dit qu’il craignait de s’emporter ; qu’il sentait bien qu’il avait tort, mais que c’était plus fort que sa volonté. Il m’a chargée de te dire qu’il te pardonnait, qu’il t’envoyait sa bénédiction. » Frédéric fut consolé par ces dernières paroles et embrassa sa mère plus de dix fois. Les adieux furent pénibles. Julien accompagna son nouvel ami jusqu’à la ville et ne le quitta qu’à la gare du chemin de fer, au moment où il montait en wagon. Il revint tout triste ; M. Georgey lui donna congé jusqu’au soir pour consoler la pauvre Mme Bonard. XXII les mauvais camarades Une année se passa encore sans aucun événement important. Au bout de ce temps il fut convenu que Julien rentrerait chez ses anciens maîtres, et que M. Georgey partirait pour faire un voyage dans le midi de la France, puis pour l’Afrique, où il projetait d’établir de nouvelles manufactures. Il avait reçu deux ou trois lettres du colonel Duguesclin, qui lui donnait d’excellentes nouvelles de Frédéric ; il était compté parmi les meilleurs soldats du régiment. Il y avait eu deux ou trois petits combats dans lesquels il s’était distingué ; il avait été nommé avec éloge deux fois dans l’ordre du jour, et le colonel ne doutait pas qu’il ne fût nommé brigadier, puis maréchal des logis très prochainement. Ces lettres changèrent entièrement les dispositions fâcheuses de Bonard à l’égard de son fils ; au lieu d’en rougir, il en devint fier et ne laissait pas échapper une occasion de parler de son fils et des éloges que faisait de lui son colonel. Quand M. Georgey dut partir pour l’Algérie, Bonard lui envoya une lettre pleine d’affection et d’encouragement pour Frédéric, le bénissant, l’appelant son cher fils, la gloire de son nom, l’espoir de ses vieux jours, etc. Pendant cette année, que devenait Alcide ? Le hasard l’avait fait entrer dans le même régiment que Frédéric ; seulement, et pour le grand bonheur de ce dernier, l’escadron d’Alcide fut envoyé dans une autre garnison assez éloignée. Mais un jour, jour fatal qui se trouva être celui du départ de M. Georgey pour l’Afrique, l’escadron de Frédéric reçut l’ordre de joindre l’autre. Huit jours après ils étaient réunis, et Frédéric reconnut avec effroi qu’Alcide faisait partie du régiment. Alcide, lui, fut enchanté de cette découverte ; il résolut de s’appuyer sur Frédéric, qu’il savait bien vu du colonel, et dont l’excellente réputation au régiment corrigerait la sienne qui était très mauvaise. « Quand on nous verra amis, pensa-t-il, on me considérera davantage et on ne me fera plus faire toutes les corvées du service. Il faudra tout de même que je ménage ce Frédéric. Pas un mot du passé ; il m’éviterait si je lui en parlais. Non, non, pas si bête. Je ferai l’honnête homme, le saint homme même, au besoin. Je le flatterai, je lui ferai faire connaissance avec mes amis, en lui disant que ce sont de braves jeunes gens qui ont besoin de bons conseils, de bons exemples ; que nous lui demandons de nous diriger, de nous compter parmi ses amis. Je saurai bien l’empaumer ; il est faible, et, une fois pris, nous profiterons de l’argent que lui envoie son imbécile d’Anglais pour faire des parties. C’est ça qui est amusant ! Et nous n’avons pas le sou, nous autres pauvres diables ! Il faut que je fasse la leçon aux amis. Qu’ils n’aillent pas se trahir devant lui ! Ils perdraient tout, les gredins ! » Alcide alla en effet à la recherche de ses camarades, leur expliqua qu’il fallait viser à la bourse de Frédéric, et que pour cela il fallait paraître sages, tranquilles, bons soldats, en un mot. « Quand il sera pris une fois seulement en manquement de service, nous le tiendrons et nous le ferons marcher. Le tout, c’est de savoir s’y prendre. » Il continua ses recommandations et ses explications ; les autres finirent par l’envoyer promener. « Est-ce que tu nous prends pour des imbéciles, pour nous mâcher la besogne comme tu le fais ? Nous saurons bien l’entortiller sans que tu t’en mêles. alcide. Non, vous ne le connaissez pas ; vous ne saurez pas le prendre ; il vous échappera, et j’en porterai la peine : il connaît bien le proverbe : Qui se ressemble s’assemble. gueusard. Fais comme tu voudras ; mais je dis, moi, qu’il faut commencer par lui faire payer la bienvenue, et l’enivrer si nous pouvons. gredinet. Et le dévaliser après, son Anglais le remplumera. alcide. Et tu crois, imbécile, qu’il se laissera faire comme un oison, sans même ouvrir le bec pour crier ? fourbillon. Qu’il crie, qu’il piaille, je m’en moque pas mal, quand j’aurai vidé son gousset. renardot. Et quand il crierait, qu’est-ce que cela nous fait ? Il ne portera pas plainte, puisqu’il se sera grisé avec nous. alcide. Faites comme vous voudrez ; seulement vous ferez fausse route, c’est moi qui vous le dis. gueusard. C’est ce que nous allons voir. Voilà l’ouvrage de la caserne fini ; tu vas nous présenter et lever le premier le lièvre de la bienvenue. alcide. Je n’en soufflerai pas mot. Ce serait tout perdre... Mais tenez, le voilà qui débusque dans la cour. Suivez-moi. » Alcide, suivi de sa bande, se dirigea vers Frédéric qui venait prendre l’air ; la journée avait été brûlante, chacun cherchait à respirer avant l’heure de la retraite. alcide. Bonjour, mon brave Frédéric. Nous voici enrôlés dans le même régiment, et bien différent de ce que nous étions quand nous nous sommes quittés. Voici des amis que je te présente. Ils ont, comme moi, entendu parler de toi. frédéric. De moi ? À propos de quoi donc ? alcide. Comment ! tu es donc seul à ne pas savoir qu’il n’est bruit que de toi dans le régiment ? Ton nom est dans toutes les bouches. Quand nous voulons faire l’éloge d’un des nôtres, nous disons « Brave comme Bonard, exact comme Bonard, bon chrétien comme Bonard, généreux comme Bonard ». N’est-il pas vrai, camarades ? Je ne blague pas, moi. tous. Oui, oui, très vrai ! Ça a passé en proverbe dans l’escadron. frédéric. Merci de votre bonne opinion, camarades. Je suis heureux de vous connaître. Et toi, Alcide, je compte bien que nous vivrons en bonne amitié et en bons soldats, en vrais chrétiens. alcide. C’est bien ma pensée ; nous emboîterons tous le même pas. gredinet. Nous serons la crème de l’escadron, toi, Bonard, à notre tête. renardot. Oui, soyons tous les grenadiers de Bonard, et ce sera notre gloire. fourbillon. Fumes-tu quelquefois ? frédéric. Non, ce n’est pas mon habitude. fourbillon. Tant pis, je t’aurais demandé un cigare ; j’ai un mal du dents à me rendre fou, et pas un centime pour en acheter un. frédéric. Qu’à cela ne tienne. Je n’ai pas de cigares, mais j’ai de quoi en acheter. Combien t’en faut-il ? fourbillon. Cela dépend des camarades. S’ils veulent fumer en ton honneur, pour fêter ta bienvenue, et si tu es généreux, comme on le dit, tu lâcheras bien deux cigares par tête. frédéric. Deux, c’est trop peu ; mettons en quatre ; nous sommes six ; mais comme je n’en suis pas, cela fait vingt cigares. À combien la pièce ? gueusard. Pour en avoir de passables, faut bien y mettre quinze centimes ; ça fait trois francs. frédéric. Tiens, voilà cinq francs. Va à la provision. gueusard. Tu mérites bien ta réputation, brave camarade. J’y cours, et vous ne m’attendrez pas longtemps. alcide, bas à Frédéric. Tu as bien fait, Frédéric. Ce sont de pauvres gens qui n’ont pas le sou, comme moi ; ils sont reconnaissants ; tu les mèneras tous à la baguette si tu les fournis de temps à autre. » Ce fut le premier essai d’Alcide et de ses compagnons. Ils continuèrent à dégarnir la bourse de Frédéric en lui faisant sans cesse de nouvelles demandes. Tantôt c’étaient des cigares, tantôt une bouteille de vin, tantôt une petite perte au jeu à payer. Frédéric, méfiant dans les commencements, se laissa aller quand il vit Alcide si complètement changé en apparence, si honteux de son passé, qu’il rappelait adroitement et indirectement sans que personne autre que Frédéric pût le comprendre. Il ne s’apercevait pas que ces prétendus amis le circonvenaient de plus en plus et le séparaient des autres camarades dont ils lui disaient sans cesse du mal. Un jour, le colonel le rencontra entouré de la bande d’Alcide ; il l’appela. le colonel. Comment ça va-t-il, mon cher ? Il y a longtemps que je ne t’ai vu. Pourquoi donc fais-tu société avec ces gens-là ? Ce sont les plus mal notés du régiment. Prends garde ! Je te porte intérêt, tu le sais, et je n’aime pas à te voir fréquenter de mauvais sujets. J’ai mes rapports ; je sais que tu leur donnes de l’argent, que tu es souvent avec eux, qu’ils boivent et te font boire quelquefois. Je te le répète, prends garde qu’ils ne t’entraînent à mal. frédéric. Je vous remercie bien de votre bon avis, mon colonel. Je croyais avoir là de bonnes relations. Je les vois bien doux, bien rangés, exacts à leur service ; je ne m’en étais pas méfié. Mais votre avertissement ne sera pas perdu, mon colonel, et dès aujourd’hui je m’en séparerai. le colonel. Ils sont donc bien changés, pour que tu en aies si bonne opinion ? Malgré les apparences, n’oublie pas mon conseil. Au revoir, mon ami, je ne te perdrai pas de vue. » Le colonel s’éloigna, les amis d’Alcide se rapprochèrent. alcide. Qu’est-ce qu’il t’a dit le colonel ? Il nous regardait en te parlant. frédéric. Il m’a dit quelque chose qui ne me fait pas plaisir et qui vous regarde tous. gredinet. Quoi donc ? Tu as l’air contrarié, en effet. frédéric. On le serait à moins. Il m’a dit de prendre garde aux camarades mal notés dans le régiment. renardot. Eh bien, en quoi cela nous regarde-t-il ? frédéric. En ce qu’il m’a dit que vous en étiez. alcide. Ah bah ! Tu ne l’as pas cru, je pense ? frédéric. Mon colonel m’a toujours donné de bons avis, et je me suis toujours bien trouvé de les avoir écoutés. alcide. Tu veux donc nous lâcher ! C’est ça qui serait un méchant tour ; tu nous manquerais trop. frédéric. Je ne vous manquerai pas en ce que vous me trouverez toujours prêt à vous obliger et à vous venir en aide. Mais je vous fréquenterai moins, pour obéir à mon colonel. » Alcide regarda les camarades et cligna de l’œil. Ils comprirent qu’il n’y avait pas de temps à perdre pour exécuter leurs projets, et avoir de Frédéric tout ce qu’ils pourraient en tirer. alcide. Je respecte ta soumission, mon ami, et nous, de notre côté, nous t’éviterons au lieu de te chercher. Mais accorde-nous une dernière soirée. Nous nous réunirons dans la chambre et nous viderons une ou deux bouteilles à la santé du colonel, quelque injuste qu’il soit à notre égard. » Frédéric, surpris et satisfait d’une obéissance qu’il n’espérait pas, consentit volontiers à cette soirée d’adieux ; il promit de les rejoindre dans la chambrée aussitôt après l’exercice. Et ils se quittèrent amicalement. XXIII le mauvais génie Quand les amis furent seuls, ils se regardèrent tous avec consternation. alcide. Le Jocrisse nous échappe. Je vous avais dit que vous alliez trop vite en besogne ; on nous a vus trop souvent ensemble ; nous l’avons mené trop souvent à la cantine. Il fallait aller plus doucement, l’enivrer sans qu’il s’en doutât, et nous aurions eu le magot. gueusard. Ce qui est différé n’est pas perdu ; nous avons encore la soirée. alcide. Que veux-tu que nous en fassions à présent que le voilà prévenu ? gredinet. Laisse-moi faire ; je me charge de lui faire avaler plus qu’il ne lui en faut pour faire passer ses jaunets dans notre poche. alcide. Essayons ; c’est notre dernière journée, nous n’avons plus à le ménager. » De concert avec Alcide, Gueusard et Gredinet se chargèrent du vin et de l’eau-de-vie. Ils allèrent en demander à la cantine pour le compte de l’ami Bonard ; on savait qu’il payait bien, et on livra aux deux amis tout ce qu’ils demandèrent, dix bouteilles de vin du Midi, du plus fort, et six bouteilles d’eau-de-vie et de liqueurs travaillées avec de l’esprit-de-vin, et autres ingrédients nuisibles. Après l’exercice, Frédéric se rendit à la chambrée, comme il l’avait promis ; les amis y étaient déjà. alcide. Tu es exact, et tu l’as toujours été. fourbillon. Je ne m’étonne pas que le colonel t’ait pris en gré ; tu fais le meilleur soldat du régiment. renardot. Et ce n’est pas seulement le colonel qui t’aime, tous tes supérieurs ont de l’amitié pour toi. gueusard. Tu iras loin, c’est moi qui te le dis. alcide. Ma foi, je ne serais pas étonné que nous ayons un jour à te présenter les armes et à t’appeler mon général. gredinet. Et le jour n’est pas loin où nous t’appellerons mon maréchal des logis. alcide. Et ce ne sera que justice de la part du colonel ; il mérite bien que nous buvions un coup à sa santé. tous. C’est ça ! À la santé du colonel ! Vive le colonel ! » Frédéric ne put refuser la santé du colonel ; il avala son verre avec empressement ; les flatteries de ses amis l’avaient bien disposé. gredinet. Ce sont tes parents qui seront fiers ! les vois-tu te voyant arriver avec les galons de maréchal des logis ? alcide. Ces chers parents ! Seront-ils heureux et fiers ! Il faut boire à leur santé. Vivent M. et Mme Bonard ! » Frédéric, attendri par la pensée du retour au pays avec les galons de maréchal des logis, but encore volontiers un verre à la santé de ses parents. renardot. Et comme le lieutenant-colonel parle de toi ! Il semblerait que tu sois son fils, tant il te regarde avec plaisir. gueusard. C’est que tu es joli garçon ! En grande tenue, dans le rang, il n’y en a pas de plus beau que toi. alcide. Et nous qui oublions de boire à sa santé ! Vive le lieutenant-colonel ! À sa santé ! » Un troisième verre fut vidé à la santé de cet excellent chef. Frédéric parlait, riait, remerciait. Un quatrième verre fut avalé à la santé du capitaine, puis un cinquième pour le lieutenant. La tête de Frédéric commençait à s’échauffer. Les amis passèrent ensuite à l’eau-de-vie, dont Frédéric ne soupçonnait pas la force. Puis vinrent les chants, les rires, les cris. Alcide était ivre ; ses amis l’étaient plus encore ; ils l’étaient au point d’avoir oublié le magot dont ils avaient voulu s’emparer. Frédéric, qui avait conservé assez de raison pour se ménager, était un peu moins ivre que les autres, mais il n’avait plus ses idées nettes. Le tapage devint si fort qu’il attira l’attention du maréchal des logis ; on s’apprêtait à sonner la retraite. « Que diantre se passe-t-il donc là-haut ? Quel diable de bruit font-ils ? Il faut que j’aille voir. » Le maréchal des logis monta, entra et vit des bouteilles vides par terre, les hommes dansant, criant, chantant à qui mieux mieux. le maréchal des logis. Arrêtez ! Arrêtez tous ! Et tous à la salle de police ! alcide. Ce n’est pas toi qui m’y feras aller, face à claques, gros joufflu. Essaye donc de me faire bouger. Je suis bien ici : j’y reste. le maréchal des logis. C’est ce que nous allons voir, ivrogne. Tu n’iras pas à la salle de police, mais au cachot. » Le maréchal des logis voulut prendre Alcide au collet, mais celui-ci le repoussa. le maréchal des logis. Fais attention ! Un soldat qui porte la main sur son supérieur, c’est la mort ! » Et il fit encore un mouvement pour emmener Alcide. alcide. Va te promener avec ta mort ; je me moque pas mal d’une canaille comme toi. » Et Alcide lui assena un coup de poing qui le fit chanceler. « À moi, le poste ! s’écria le maréchal des logis. — À moi, les amis ! À moi, Frédéric ! s’écria Alcide. Vas-tu laisser coffrer ton ami ? » Frédéric, qui n’avait pas encore bougé, s’élança au secours d’Alcide, et, sans avoir conscience de ce qu’il faisait, lutta avec le maréchal des logis pour dégager son faux ami. Le poste accourut. « Ces deux hommes au cachot, dit le maréchal des logis. Les autres à la salle de police. » Alcide cria, jura, se débattit, mais fut facilement terrassé et emmené. Frédéric se laissa prendre sans résistance ; l’instinct de la discipline militaire le fit machinalement obéir, mais malheureusement trop tard. Quand les hommes du poste reconnurent Frédéric, ce fut une surprise et une consternation générales. Le maréchal des logis lui-même partagea cette impression : il ne l’avait pas reconnu avant l’arrivée du poste. « Impossible de le sauver, pensa-t-il, maintenant que les hommes l’ont vu et l’ont emmené au cachot. Il faut que je fasse mon rapport. Je l’adoucirai de mon mieux. Mais comment s’est-il trouvé au milieu de ces ivrognes, faisant avec eux un tapage infernal, et ivre comme eux ? C’est incroyable ! Un si bon soldat ! Jamais de consigne ! Jamais à la salle de police !... Ils l’auront grisé ! Pauvre garçon ! Va-t-il avoir du chagrin demain, quand il aura cuvé son vin et qu’il se réveillera au cachot ! » Le maréchal des logis sortit triste et pensif ; il alla faire son rapport au lieutenant de semaine. Le lieutenant au capitaine. Le soir même, le colonel fut informé de ce qui s’était passé. « Pauvre garçon ! s’écria-t-il. Mauvaise affaire ! Impossible à arranger. Une lutte entre un soldat et son maréchal des logis ! C’est la mort, ou tout au moins vingt ans de boulet. Pour l’autre, cela ne m’étonne pas. Un mauvais drôle ! Toujours sur la liste de punitions ! Ce matin même j’avais prévenu Bonard de se méfier de ces mauvais garnements. Et il m’avait promis de se séparer d’eux. Pauvre garçon ! Et mon ami Georgey ! Il va être bien peiné. Il me l’avait tant recommandé. » Le soir même, la fatale nouvelle se répandit dans les deux escadrons. On ne parla pas d’autre chose dans toutes les chambrées. Chacun plaignit Frédéric ; Alcide n’en fut que plus détesté ; car on supposa avec raison que c’était lui qui avait fait boire Bonard et qui avait causé son malheur. XXIV les prisonniers Frédéric, enfermé au cachot aux trois quarts ivre, ne comprenant pas encore sa position, se jeta sur la paille qui servait de lit aux prisonniers, et s’endormit profondément ; il ne s’éveilla que le lendemain, quand le maréchal des logis vint le voir et l’interroger. frédéric. Ah ! c’est vous, maréchal des logis ! Je suis heureux de vous voir. Pourquoi donc suis-je au cachot ? Qu’ai-je fait ? Je ne me souviens de rien, sinon qu’ils m’ont fait boire tant de santés, y compris la vôtre, maréchal des logis, que ma tête est partie. J’ai peur d’avoir fait quelque sottise, car ce n’est pas pour des riens qu’un soldat se trouve au cachot. — Pauvre garçon ! dit le maréchal des logis en lui serrant la main. Pauvre Bonard ! Si j’avais pu te reconnaître plus tôt, je t’aurais sauvé ; mais le poste était arrivé, t’avait empoigné... Il était trop tard. frédéric. Me sauver ! Mon Dieu ! Mais qu’ai-je donc fait, maréchal des logis ? Dites-le-moi, je vous en supplie. le maréchal des logis. Tu as porté la main sur moi. Tu as lutté contre moi ! frédéric. Sur vous ? Sur vous, maréchal des logis, que j’aime, que je respecte ! Vous, mon supérieur ! Mais c’est le déshonneur, la mort ! » Le maréchal des logis ne répondit pas. frédéric, se tordant les mains. Malheureux ! malheureux ! Qu’ai-je fait ? La mort, plutôt que le déshonneur ! Mon maréchal des logis, ayez pitié de moi, de mes pauvres parents ! C’est pour eux, pas pour moi... Et mon excellent colonel qui m’avait prévenu le matin que j’avais de mauvaises relations ! Et moi qui voulais lui obéir, qui ne devais plus les voir ! Ils m’ont demandé une dernière soirée, une soirée d’adieu. Et moi qui ne bois jamais, je me suis laissé entraîner par eux à boire des santés pour ceux que j’aime. Mon Dieu ! mon Dieu ! ayez pitié de moi, de mes pauvres parents !... Lever la main sur mon maréchal des logis !... mais c’est affreux, c’est horrible ! J’étais donc fou ! Oh ! malheureux, malheureux ! » Le pauvre Frédéric tomba sur sa paille ; il s’y roula en poussant des cris déchirants. « Mon père, mon père ! Il me maudira ! Pauvre mère ! Que va-t-elle devenir ? Grâce, pitié. Tuez-moi, mon maréchal des logis ; par grâce, tuez-moi ! le maréchal des logis, ému. Mon pauvre garçon, prends courage ! On t’aime dans le régiment ; c’est la première faute que tu commets ; tu as été entraîné. Espère, mon ami. Le conseil de guerre sera composé d’amis. Ils t’acquitteront peut-être. frédéric. Vous cherchez à m’encourager, mon maréchal des logis. Vous êtes bon ! Je vous remercie. Mais le code militaire ? C’est la mort que j’ai méritée. Et avant la mort, la dégradation : la honte pour moi, pour les miens ! Oh ! mon Dieu ! le maréchal des logis. J’ai fait mon rapport le plus doux possible pour toi, mon ami. Pour Bourel, c’est autre chose. frédéric. Alcide ? Il vous a touché ? le maréchal des logis. Touché ! Tu es bien bon ; repoussé, battu, il m’a appelé canaille, et il m’a assené un coup de poing dans l’estomac qui a failli me jeter par terre. Celui-là, qui est un gredin, un mauvais soldat, je ne l’ai pas ménagé, j’ai dit toute la vérité. Il est sûr de son fait, lui : la mort sans rémission. frédéric. Alcide ! La mort ! Le malheureux ! quel mal il m’a fait ! il a toujours été mon mauvais génie, un Satan acharné à ma perte. le maréchal des logis. Au revoir, mon pauvre Bonard. Quand tu seras plus calme, je reviendrai avec le lieutenant pour savoir le détail de ce qui s’est passé avant mon arrivée. Espère, mon ami, ne te laisse pas abattre. Les officiers auront égard à ta bonne conduite, à ta bravoure. Le colonel, le premier, fera ce qu’il pourra pour toi. frédéric. Merci, mon maréchal des logis ; merci du fond du cœur. » En sortant de chez Bonard, le maréchal des logis entra dans le cachot d’Alcide. « Que voulez-vous ? dit ce dernier d’un ton brusque. le maréchal des logis. Je veux voir si tu as regret de ta conduite d’hier. Le repentir pourrait améliorer ta position et disposer à l’indulgence. alcide, d’un ton bourru. Me prenez-vous pour un imbécile ? Est-ce que je ne connais pas le code militaire ? Croyez-vous que je ne sache pas que je serai fusillé ? Ça m’est bien égal. Pour la vie que je mène dans votre sale régiment, j’aime mieux mourir que traîner le boulet. Chargez-moi, inventez, mentez, je me moque de tout et de tous. le maréchal des logis. Je vous engage à changer de langage, si vous voulez obtenir un jugement favorable. alcide. Je ne changerai rien du tout : je sais que je dois crever un jour ou l’autre. J’aime mieux une balle dans la tête que le choléra ou le typhus qu’on attrape dans vos méchantes casernes. Laissez-moi tranquille et envoyez-moi à manger ; j’ai faim. » Le maréchal des logis lui jeta un regard de mépris et le quitta. « J’ai faim ! » répéta Alcide avec colère pendant que le maréchal des logis sortait. « Qu’on porte à manger à ces hommes. Du pain et de l’eau à celui-ci. Du pain et de la soupe à Bonard », dit le maréchal des logis au soldat qui l’accompagnait. Il ajouta : « Quel gueux que ce Bourel ! » Dans la journée, le colonel voulut aller lui-même avec le lieutenant voir et interroger Frédéric. Ils le trouvèrent assis sur son lit et pleurant. Le colonel, ému, s’approcha. Frédéric releva la tête, et, en reconnaissant son colonel, il se leva promptement. frédéric. Oh ! mon colonel, quelle bonté ! le colonel. J’ai voulu t’interroger moi-même, mon pauvre garçon, pour pouvoir comprendre comment un bon et brave soldat comme toi a pu se mettre dans la triste position où je te trouve. Le maréchal des logis m’a raconté ce qui s’est passé pendant sa visite de ce matin. Sois sûr que si nous pouvons te tirer de là, nous en serons tous très heureux. Explique-moi comment, après ma recommandation et ta promesse, tu t’es encore réuni à ces mauvais sujets, et comment tu as partagé leur ivresse. Frédéric lui raconta en détail ce qui s’était passé entre lui et ses camarades, et comment il avait perdu la tête à la fin de l’orgie, au point de n’avoir conservé aucun souvenir de la scène avec le maréchal des logis. le colonel. C’est fâcheux, très fâcheux ! Je ne puis rien te promettre ; mais tes antécédents te vaudront l’indulgence du conseil, et tu peux compter sur moi pour le jugement le plus favorable. frédéric. Que Dieu vous bénisse, mon colonel. Au lieu de reproches, et de paroles sévères, je reçois de vous des paroles d’encouragement et d’indulgence. Oui, que le bon Dieu vous bénisse, vous et les vôtres, et qu’il ne vous fasse jamais éprouver les terreurs de la mort déshonorante dont je suis menacé par ma faute. » Le colonel, ému, tendit la main à Frédéric, qui la baisa avec effusion. La porte du cachot se referma, et il se retrouva seul, livré à ses réflexions. Quand on vint le soir lui apporter son dîner, il demanda au soldat s’il pouvait recevoir la visite de l’aumônier de la garnison. « J’en parlerai au maréchal des logis, qui t’aura la permission, bien sûr. Jamais on ne la refuse à ceux qui la demandent », répondit le soldat. Le soir même, en effet, l’aumônier vint visiter le pauvre prisonnier ; ce fut une grande consolation pour Frédéric, qui lui ouvrit son cœur en lui racontant ses torts passés, sa position vis-à-vis de son père, etc. Il lui découvrit, sans rien dissimuler, son désespoir par rapport à ses parents, sa rancune, haineuse par moments, contre Alcide, auteur de tous ses maux. Le bon prêtre le consola, le remonta et le laissa dans une disposition d’esprit bien plus douce, plus résignée. Quant à Alcide, il conserva tous ses mauvais sentiments. « Je n’ai qu’un regret, disait-il, c’est que Frédéric n’ait pas donné une rossée soignée à ce brigand de maréchal des logis ; il eût été certainement condamné à mort comme moi, ce qui reste incertain pour lui, puisqu’il a seulement lutté contre ce gueux. » XXV visite agréable Huit ou dix jours après cet événement, le colonel, seul dans sa chambre, lisait attentivement les interrogatoires des accusés et toutes les pièces du procès. Il vit avec surprise qu’Alcide accusait Frédéric de deux vols graves commis au préjudice de M. Georgey et d’un pauvre orphelin reçu par charité chez Bonard père. Il lut avec un chagrin réel le demi-aveu de Frédéric, qui en rejetait la faute sur Alcide. Il ne pouvait comprendre que ces vols n’eussent pas été poursuivis par les tribunaux ; il comprenait bien moins encore qu’un garçon capable de deux actions aussi lâches que criminelles fût devenu ce qu’était Frédéric depuis son entrée au régiment, l’exemple de tous ses camarades. « Comment Georgey a-t-il pu s’attacher à un voleur et me le recommander en termes aussi vifs et aussi affectueux ? » Pendant qu’il se livrait à ces réflexions, il entendit un débat à la porte d’entrée entre sa sentinelle et une personne qui voulait pénétrer de force dans la maison. Il écouta... « Dieu me pardonne, s’écria-t-il, c’est Georgey ! Je reconnais son accent. Il veut forcer la consigne. Il faut que j’y aille, car ma sentinelle serait capable de lui passer sa baïonnette au travers du corps pour maintenir la consigne. » Le colonel se leva précipitamment, ouvrit la porte et descendit. M. Georgey voulait entrer de force, et la sentinelle lui présentait la pointe de la baïonnette au moment où le colonel parut. « Georgey !... s’écria-t-il. Sentinelle, laisse passer. » Le soldat releva son fusil et présenta arme. le colonel. Entrez, entrez, mon ami. m. georgey. Une minoute, s’il vous plaisait. Soldat, vous avoir bien fait ; moi j’étais une imbécile, et vous étais bon soldat français. Voilà. Et voilà un petit récompense. » M. Georgey lui présenta une pièce de vingt francs. Le soldat ne bougea pas ; il restait au port d’armes. m. georgey. Quoi vous avez, soldat français. Pourquoi vous pas tendre lé main ? — Arme à terre ! commanda le colonel. Tends la main et prends. » Le soldat porta la main à son képi, la tendit à M. Georgey en souriant et reçut la pièce d’or. Le colonel riait de la surprise de M. Georgey. « Entrez, entrez, mon cher Georgey ; c’est la consigne que j’avais donnée qui vous retenait à la porte. m. georgey. Bonjour, my dear colonel. Bonjour. J’étais heureuse de voir vous. Lé pauvre soldat français, il comprenait rien ; jé parlais, il parlait ; c’était lé même chose. Jé pouvais pas vous voir. le colonel. Vous voici entré, mon ami ; je vous attendais, votre chambre est prête. Voulez-vous prendre quelque chose en attendant le dîner ? m. georgey. No, my dear. J’avais l’estomac rempli et j’avais apporté à vous des choses délicieux. Pâtés de gros foies, pâtés de partridge (perdrix) très truffés, pâtés de saumon délicieux ; turkeys grosses, grosses et truffées dans l’estomac ; oisons chauffés dans lé graisse dans des poteries ; c’est admirable. » Le colonel riait de plus en plus à mesure que M. Georgey énumérait ses succulents présents. le colonel. Je vois, mon cher, que vous êtes toujours le même ; vous n’oubliez pas les bonnes choses, non plus que vous n’oubliez jamais vos amis. m. georgey. No, my dear, jamais. J’avais aussi porté une bonne chose à Fridric ; un langue fourré, truffé, fumé ; un fromage gros dé soixante livres ; c’était très excellent pour lui, salé, fourré, fumé. Lui manger longtemps. » Le colonel ne riait plus. « Hélas ! mon cher Georgey, votre pauvre Frédéric m’inquiète beaucoup. Je m’occupais de lui quand vous êtes entré. m. georgey. Quoi il avait ? Pourquoi vous disez povre Fridric ? Lui malade ? le colonel. Non, il est au cachot depuis dix jours. m. georgey. Fridric au cachot ? Pour quelle chose vous mettre au cachot lé Fridric, soldat français ? le colonel. Une mauvaise affaire pour ce pauvre garçon. Il s’est laissé entraîner à s’enivrer par un mauvais drôle de son pays, nommé Alcide Bourel. m. georgey. Alcide ! my goodness ! Cé coquine abominable, cé gueuse horrible ! il poursuivait partout lé povre Fridric ? le colonel. Ils étaient six, ils ont fait un train d’enfer ; le maréchal des logis y est allé, Alcide l’a injurié, frappé ; Frédéric a lutté contre le maréchal des logis pour dégager Alcide. Le poste est arrivé ; tous deux ont été mis au cachot, où ils attendent leur jugement. m. georgey. Oh ! my goodness ! Lé povre Fridric ! Lé povre Mme Bonarde ! Fridric morte ou déshonorable, c’était lé même chose... Et lé Master Bonarde ! il avait un frayeur si terrible du déshonoration !... Colonel, vous étais un ami à moi. Vous me donner Fridric et pas faire de jugement. le colonel. Ah ! si je le pouvais, mon ami, j’aurais étouffé l’affaire. Mais Alcide est arrêté aussi ; les autres ivrognes sont à la salle de police. Le poste les a tous vus ; il a dégagé le maréchal des logis, qu’Alcide assommait à coups de poing. » Ils causèrent longtemps encore, M. Georgey cherchant les moyens de sauver Frédéric, le colonel lui en démontrant l’impossibilité. Quand il parla à son ami de l’accusation de vol portée par Alcide contre Frédéric, M. Georgey sauta de dessus sa chaise, entra dans une colère épouvantable contre Alcide. Lorsque son emportement se fut apaisé, le colonel l’interrogea sur cette accusation d’Alcide. M. Georgey raconta tout et n’oublia pas le repentir, la maladie, la profonde tristesse de Frédéric et son changement total. Le colonel remercia beaucoup M. Georgey de tous ces détails, et lui promit d’en faire usage dans le cours du procès. m. georgey. Jé ferai aussi usage ; jé voulais parler pour Fridric ! Jé voulais plaidoyer pour cette povre misérable. le colonel, souriant. Vous ? Mais, mon cher, vous ne parlez pas assez couramment notre langue pour plaider ? Il aura un avocat. m. georgey. Lui avoir dix avocats, ça fait rien à moi. Vous pouvez pas défendre moi parler pour une malheureuse créature très fort insultée. L’Alcide était une scélérate ; et moi voulais dire elle était une scélérate, une menteur, une voleur et autres choses. le colonel. Parlez tant que vous voudrez, mon cher, si Frédéric y consent ; seulement je crains que vous ne lui fassiez tort en voulant lui faire du bien. m. georgey. No, no, jé savais quoi jé disais ; j’étais pas une imbécile ; jé dirai bien. » L’heure du dîner arrêta la conversation. M. Georgey mangea comme quatre, et remit au lendemain sa visite au prisonnier. Frédéric végétait tristement dans son cachot. Ses camarades profitaient pourtant de l’amitié que lui témoignaient les officiers et le maréchal des logis pour lui envoyer toutes les douceurs que peuvent se procurer de pauvres soldats en garnison en Algérie ; son morceau de viande était plus gros que le leur ; sa gamelle de soupe était plus pleine, sa ration de café un peu plus sucrée. On lui envoyait quelques livres ; la cantinière soignait davantage son linge ; sa paillasse était plus épaisse ; tout ce qu’on pouvait imaginer pour adoucir sa position était fait. Frédéric le voyait avec reconnaissance et plaisir ; il en remerciait ses camarades et ses chefs. L’aumônier venait le voir aussi souvent que le lui permettaient ses nombreuses occupations ; chacune de ses visites calmait l’agitation du malheureux prisonnier. Un matin, lendemain de l’arrivée de M. Georgey, la porte du cachot s’ouvrit, et Frédéric vit entrer l’excellent Anglais suivi d’un soldat qui apportait un panier rempli de provisions. Frédéric ne put retenir un cri de joie ; il s’élança vers M. Georgey, et, par un mouvement machinal, irréfléchi, il se jeta dans ses bras et le serra contre son cœur. m. georgey. Povre Fridric ! J’étais si chagrine, si fâché ! Jé savais rien hier. Jé savais tout lé soir ; lé colonel avait tout raconté à moi. Jé avais apporté un consolation pour l’estomac et lé scélérate Alcide avoir rien du tout, pas une pièce. » Frédéric, trop ému pour parler, lui serrait les mains, le regardait avec des yeux humides et reconnaissants. M. Georgey profita du silence de Frédéric pour exhaler son indignation contre Alcide, son espoir de le voir fusillé en pièces. « Jé apportais à vous des nouvelles excellentes de Mme Bonarde, de M. Bonarde, dé pétite Juliène. » Frédéric tressaillit et pâlit visiblement. M. Georgey, qui l’observait, rentra sa main dans sa poche ; il avait apporté des lettres du père et de la mère. M. Georgey savait ce qu’elles contenaient ; Bonard remerciait son fils d’avoir honoré son nom ; il racontait les propos des gens du pays, les compliments qu’on lui adressait, son bonheur en apprenant que son fils avait été mis deux fois à l’ordre du jour ; et d’autres choses de ce genre qui eussent été autant de coups de poignard pour le malheureux Frédéric. La lettre de Mme Bonard, beaucoup plus tendre, était pourtant dans les mêmes sentiments d’orgueil maternel. « Si lé povre infortuné était justifié, se dit M. Georgey, jé remettrai après. Si la condamnation se faisait, jé brûlerai. » Ils restèrent quelques instants sans parler. Frédéric cherchait à contenir son émotion et à dissimuler sa honte ; M. Georgey cherchait les moyens de le faire penser à autre chose. Enfin, il trouva. « J’avais vu lé colonel ; Il m’avait dit c’était pas grand’chose pour toi. Lé maréchal des logis dira c’était rien, c’était lui qui avait poussé ; toi avais poussé Alcide seulement ; toi étais excellente créature et lé autres t’aiment tous. Et lé jugement être excellent. » Frédéric le regarda avec surprise. frédéric. J’ai pourtant entendu la lecture de l’acte d’accusation qui dit que j’ai lutté contre le maréchal des logis. m. georgey. Quoi c’est lutter ? Ce n’était rien du tout. Ce n’était pas taper. frédéric. Que Dieu vous entende, Monsieur ! Je vous remercie de votre bonne intention. m. georgey. Tiens, Fridric, voilà une grosse panier ; il y avait bonnes choses pour manger. Tu avais curiosité ? Tu volais voir ? jé savais. Voilà. » M. Georgey retira trois langues fourrées et fumées. « Une, ail, Une, truffes. Une, pistaches ; tout trois admirables. Une pâté, une jambon. » Il posa le tout sur la paillasse. Frédéric sourit ; il était touché de la bonté avec laquelle cet excellent homme cherchait à le consoler. Il prit un air satisfait et le remercia vivement d’avoir si bien trouvé des distractions à son chagrin. M. Georgey fut enchanté, lui raconta beaucoup d’histoires du pays, de la ferme, de Julien, et il laissa Frédéric réellement remonté et content de toutes ces nouvelles du pays. XXVI conseil de guerre Peu de jours après, le conseil de guerre s’assembla pour juger Alcide et Frédéric. Frédéric fut amené et placé entre deux chasseurs. Il était d’une pâleur mortelle ; ses yeux étaient gonflés de larmes qu’il avait versées toute la nuit. Sa physionomie indiquait l’angoisse, la honte et la douleur. Alcide fut placé à côté de lui. Son air effronté, son regard faux et méchant, son sourire forcé contrastaient avec l’attitude humble et triste de son compagnon. On lut les pièces nécessaires, l’acte d’accusation, les dépositions, les interrogatoires, et on appela le maréchal des logis pour déposer devant le tribunal. Il accusa très énergiquement Alcide, et il parla de Frédéric en termes très modérés. le président. Mais avez-vous été touché par Bonard ? le maréchal des logis. Touché pour se défendre, oui, mais pas pour attaquer. le président. Comment cela ? Expliquez-vous. le maréchal des logis. C’est-à-dire que lorsque Bourel l’a appelé, il est arrivé, mais en chancelant, parce que le vin lui avait ôté de la solidité. Quand il a approché, je l’ai poussé, il a voulu s’appuyer sur Bourel, et il s’est trompé de bras et de poitrine, je suppose, car c’est sur moi qu’il a chancelé. Je l’ai encore repoussé ; il est revenu tomber sa tête sur mon épaule. Puis le poste est accouru ; on les a empoignés tous les deux ; mais il y a une différence entre pousser et s’appuyer. — C’est bien ; vous pouvez vous retirer », dit le président en souriant légèrement. Le maréchal des logis se retira en s’essuyant le front ; la sueur inondait son visage. Frédéric lui jeta un regard reconnaissant. Les hommes du poste déposèrent dans le même sens sur ce qu’ils avaient pu voir. Quand les témoins furent entendus, on interrogea Alcide. le président. Vous avez appelé le maréchal des logis face à claques, gros joufflu, canaille ? alcide. C’est la vérité ; ça m’a échappé. le président. Vous l’avez poussé ? alcide. Je l’ai poussé et je m’en vante : il n’avait pas le droit de me prendre au collet. le président. Il en avait parfaitement le droit, du moment que vous lui résistiez et que vous étiez ivre. Mais, de plus, vous lui avez donné un coup de poing. alcide. Il n’était pas bien vigoureux. Je n’avais pas toute ma force. Le vin, vous savez, cela vous casse bras et jambes. le président. Vous avez appelé vos camarades à votre secours, et spécialement Frédéric Bonard ? Pourquoi appeliez-vous, si vous n’aviez pas l’intention de lutter contre votre maréchal des logis ? alcide. Je ne voulais pas me laisser frapper ; l’uniforme français doit être respecté. le président. Est-ce par respect pour l’uniforme que vous frappiez votre supérieur ? alcide. Si je l’ai un peu bousculé, Bonard en a fait autant. le président. Il ne s’agit pas de Bonard, mais de vous. alcide. Si je parle de lui, c’est que je n’ignore pas qu’on veut tout faire retomber sur moi pour excuser Bonard. le président. Je vous répète qu’il n’est pas question de Bonard dans les demandes que je vous adresse, mais de vous seul. De votre propre aveu, vous avez donné un coup de poing à votre chef, vous l’avez traité de canaille, et vous avez appelé vos amis dans l’intention évidente de vous délivrer par la force. Avez-vous quelque chose à dire pour votre excuse ? alcide. Quand j’aurais à dire, à quoi cela me servirait-il, puisque vous êtes tous décidés d’avance à me faire fusiller et à acquitter Bonard qui est un hypocrite, un voleur ?... C’est un jugement pour rire, ça. le président. Taisez-vous ; vous ne devez pas insulter vos juges ni accuser un camarade. Je vous préviens que vous rendez votre affaire plus mauvaise encore. alcide. Ça m’est bien égal, si je parviens à faire condamner ce gueux de Bonard, ce voleur, ce... » M. Georgey se lève avec impétuosité et s’écrie : « Jé demandais lé parole. le président. Vous aurez la parole, Monsieur, quand nous en serons à la défense. Veuillez vous asseoir. » M. Georgey se rassoit en disant : « Jé demandais excus ; cé coquine d’Alcide m’avait mis en fureur. » Alcide se démène, montre le poing à M. Georgey en criant : « Vous êtes un menteur ! c’est une ligue contre moi ! le président. Reconduisez le prisonnier à son banc. » Deux soldats emmènent Alcide, qui se débat et qu’on parvient difficilement à calmer. le président. Bonard, c’est avec regret que nous vous voyons sur le banc des accusés ; votre conduite a toujours été exemplaire. Dites-nous quel a été le motif de votre lutte contre votre maréchal des logis. frédéric, d’une voix tremblante. Mon colonel, j’ai eu le malheur de commettre une grande faute ; je me suis laissé entraîner à boire, à m’enivrer. Je me suis trouvé, je ne puis expliquer comment, dans l’état de dégradation qui m’amène devant votre justice. Je n’ai aucun souvenir de ce qui s’est passé entre moi et mon maréchal des logis. Je me fie entièrement à lui pour vous faire connaître l’étendue de ma faute ; je l’aime, je le respecte, et depuis quinze jours j’expie, par mon repentir et par mes larmes, le malheur de lui avoir manqué. le président. Ne vous souvenez-vous pas d’avoir été appelé par Bourel pour le défendre contre le maréchal des logis ? frédéric. Non, mon colonel. le président. Vous ne vous souvenez pas d’avoir engagé une lutte contre le maréchal des logis ? frédéric. Non, mon colonel. le président. Allez vous asseoir. » Frédéric, pâle et défait, retourne à sa place. On appelle les témoins ; ils atténuent de leur mieux la part de Frédéric dans la lutte. Les camarades d’Alcide avouent le complot imaginé par lui, les moyens de flatteries et d’hypocrisie qu’ils avaient employés, l’achat des vins et liqueurs pour enivrer plus sûrement leur victime ; le projet de vol, que leur propre ivresse et l’arrivée du maréchal des logis les avaient empêchés de mettre à exécution. Les interruptions et les emportements d’Alcide excitent l’indignation de l’auditoire. Après l’audition des témoins, les avocats prennent la parole ; celui d’Alcide invoque en faveur de son client l’ivresse, l’entraînement ; il promet un changement complet si les juges veulent bien user d’indulgence et lui accorder la vie. L’avocat de Frédéric rappelle ses bons précédents, son exactitude au service, sa bravoure dans les combats, les qualités qui l’ont fait aimer de ses chefs et de ses camarades ; il le recommande instamment à la bienveillance de ses chefs, tant pour lui que pour ses parents, que le déshonneur de leur fils atteindrait mortellement. Il plaide son innocence ; il prouve que Frédéric a été victime d’un complot tramé par Bourel pour se rendre maître de l’argent que possédait Bonard et le perdre dans l’esprit de ses chefs. Il annonce que M. Georgey, ami de Frédéric, se chargeait d’expliquer l’indigne accusation de vol lancée par Alcide Bourel. M. Georgey monte à la tribune des avocats. Il salue l’assemblée et commence : « Honorbles sirs, jé pouvais pas empêcher une indignation dé mon cœur quand cé Alcide malhonnête avait accusé lé povre Fridric comme une voleur. Jé savais tout, jé voyais tout ; c’était Alcide lé voleur. Fridric était une imprudente, une bonne créature ; il avait suivi lé malhonnête ami ; il croyait vrai ami, bone ami ; il savait rien des voleries horribles dé l’ami ; Fridric comprenait pas très bien quoi il voulait faire lé malhonnête ; et quand il comprenait, quand il disait : Jé voulais pas, c’était trop tardivement ; Alcide avait volé moi... Et Fridric voulait pas dire : C’était lui, prenez-lé pour la prison. Et quand lé bons gendarmes français avaient arrêté le malhonnête Alcide, cette gueuse avait coulé dans lé poche de lé povre Fridric montre, chaîne, or et tout. Quand j’étais arrivé, jé comprenais, jé savais. J’avais dit, pour sauver Fridric, c’était moi qui avais donné montre, or, chaîne. Lé gendarmes français avaient dit : « C’était bon ; il y avait pas dé voleur. » Et j’avais emmené les deux garçons ; et j’avais foudroyé Alcide et j’avais chassé lui. Et Fridric était presque tout à fait morte dé désolation du arrêtement des gendarmes. Et lé père infortuné et lé mère malheureuse étaient presque morte de l’honneur perdu une minute. Voilà pourquoi Fridric il était soldat. Et vous avez lé capacité de voir il était bon soldat, brave soldat, soldat français dans lé généreuse, brave régiment cent et deux. Et si cette scélérate Alcide avait réussi au déshonorement, à la mort du povre Fridric, lui contente, lui enchanté, lui heureuse. Et les povres Master Bonarde, Madme Bonarde, ils étaient mortes ou imbéciles du grand, terrible désolation. Quoi il a fait, lé povre accusé ? Rien du tout. Maréchal des logis disait : « Rien du tout ». Seulement tomber à l’épaule du brave, honorble maréchal des logis français. Et pourquoi Fridric tomber sur l’épaule ? Par la chose que lé grédine Alcide avait fait ivre lé malheureuse, avec du vin abomin’ble, horrible. C’était un acte de grande scélérate, donner du vin horrible. Et lé povre malheureuse il était dans un si grand repentement, dans un si grand chagrinement ! (Montrant Frédéric et se retournant vers lui.) Voyez, lui pleurer ! Povre garçon, toi pleurer pour ton honneur, pour tes malheureux parents ! Toi, brave comme un lion terrible, toi, courageuse et forte toujours, partout ; toi, à présent, abattu, humilié, honteuse ! Tes povres yeux, allumés comme lé soleil en face des ennemis,... tristes, abaissés, ternis... Pover Fridric ! Rassure ton povre cœur ; tes chefs ils étaient justes ; ils étaient bons ; ils savaient tu étais une honneur du brave régiment ; ils savaient tu voulais pas faire mal ; ils savaient ta désolation. Eux t’ouvrir les portes du tombeau. Eux te dire : Sors, Lazare ! Prends la vie et l’honneur. Tu croyais être morte à l’honneur. Nous té rendons la vie avec l’honneur. Va combattre encore et toujours pour les gloires dé notre belle France. Va gagner la croix dé l’honneur. Va crier à l’ennemi : Dieu et la France ! » Un murmure d’approbation se fit entendre lorsque M. Georgey descendit de la tribune. Frédéric se jeta dans ses bras. M. Georgey l’y retint quelques instants. Le conseil se retira pour délibérer sur le sort des deux accusés ; l’attente ne fut pas longue. Quand il rentra dans la salle : « Frédéric Bonard, dit le président, le tribunal, usant d’indulgence à votre égard, en raison de votre excellente conduite et de vos antécédents ; eu égard à votre sincère repentir, vous acquitte pleinement, à l’unanimité, et vous renvoie de la plainte. » Frédéric se leva d’un bond, tendit les bras vers le colonel. Son visage, d’une pâleur mortelle, devint pourpre et il tomba par terre comme une masse. M. Georgey s’élança vers lui ; une douzaine de personnes lui vinrent en aide, et on emporta Frédéric, que la joie avait failli tuer. Il ne tarda pas à revenir à la vie ; un flot de larmes le soulagea, et il put témoigner à M. Georgey une reconnaissance d’autant plus vive qu’il avait craint ne pouvoir éviter au moins cinq ans de fer ou de boulet. Quand le tumulte causé par la chute de Frédéric fut calmé, le président continua : « Alcide Bourel, le tribunal, ne pouvant user d’indulgence à votre égard en raison de la gravité de votre infraction à la discipline militaire, et conformément à l’article ••• du code pénal militaire, vous condamne à la dégradation suivie de la peine de mort. » Un silence solennel suivit la lecture de cette sentence. Il fut interrompu par Alcide, qui s’écria, en montrant le poing au tribunal : « Canailles ! je n’ai plus rien à ménager ; je puis vous dire à tous que je vous hais, que je vous méprise, que vous êtes un tas de gueux... — Qu’on l’emmène, dit le colonel. Condamné, vous avez trois jours pour l’appel en révision ou pour implorer la clémence impériale. alcide, vociférant. Je ne veux en appeler à personne ; je veux mourir ; j’aime mieux la mort que la vie que je mènerais dans vos bagnes ou dans vos compagnies disciplinaires. » En disant ces mots, Alcide s’élança sur le maréchal des logis, et, avant que celui-ci ait pu se reconnaître, il le terrassa en lui assenant des coups de poing sur le visage. Les gendarmes se précipitèrent sur Alcide et relevèrent le maréchal des logis couvert de sang. Quand le tumulte causé par cette scène fut calmé, on fit sortir Alcide. Le colonel ordonna qu’il fût mis aux fers. Les officiers qui composaient le tribunal allèrent tous savoir des nouvelles de Frédéric. La scène qui suivit fut touchante ; Frédéric, hors de lui, ne savait comment exprimer sa vive reconnaissance. le colonel. Remets-toi, mon brave garçon, remets-toi ; nous avons fait notre devoir ; il faut que tu fasses le tien maintenant. Bientôt, sous peu de jours peut-être, nous aurons un corps d’Arabes sur les bras. Bats-toi comme tu l’as fait jusqu’ici ; gagne tes galons de brigadier, puis de maréchal des logis, en attendant l’épaulette et la croix. » Tout le monde se retira, laissant avec Frédéric M. Georgey, qui avait reçu force compliments, et qui put se dire qu’il avait contribué à l’acquittement de son protégé. Quand M. Georgey et Frédéric apprirent la nouvelle violence d’Alcide, le premier se frotta les mains en disant : « Jé savais. C’était une hanimal féroce, horrible. Lui tué par une fusillement ; c’était très bon. » Frédéric, inquiet de son maréchal des logis, alla savoir de ses nouvelles ; il le trouva revenu de son étourdissement et soulagé par la quantité de sang qu’il avait perdu par suite des coups de poing d’Alcide. Pendant que Frédéric était au cachot, il avait à peine touché aux provisions de M. Georgey ; il proposa à sa chambrée de s’en régaler repas du soir. « Mais pas de vin, dit-il. Un petit verre en finissant ; voilà tout. J’ai juré de ne jamais boire, ni faire boire plus d’un verre à chaque repas. » Les camarades applaudirent à sa résolution, et le repas du soir n’en fut que plus gai ; les provisions de M. Georgey eurent un succès prodigieux ; Frédéric fut obligé de les retirer pour empêcher les accidents. « Nous serons bien heureux, dit-il, de les retrouver demain, mes amis. les camarades. Au fait, ton acquittement vaut bien deux jours de fête. frédéric. Tous les jours de ma vie seront des jours de fête et d’actions de grâce au bon Dieu et à mes excellents chefs. le brigadier. Notre bon aumônier était-il content ! Comme il remerciait le colonel et les autres officiers qui t’ont jugé ! un camarade. Et ce gueux d’Alcide a-t-il crié, juré ! Quelle canaille ! frédéric. Prions pour lui, mes bons amis ; j’ai demandé à M. l’aumônier une messe pour la conversion de ce malheureux. Puisse-t-il se repentir et mourir en paix avec sa conscience ! » XXVII bataille et victoire Le colonel avait prévu juste. Trois jours après le jugement, un signal d’alarme réveilla le régiment au milieu de la nuit. Un avant-poste annonça qu’un flot d’Arabes approchait ; en peu d’instants les deux escadrons furent sur pied et en rang ; les Arabes débusquaient sans bruit d’un défilé dans lequel le colonel ne voulut pas s’engager, sachant que l’ennemi couronnait les crêtes. Ils croyaient surprendre la place ; mais ce furent eux qui se trouvèrent surpris et enveloppés avant d’avoir pu se reconnaître. On en fit un massacre épouvantable ; on y fit des prodiges de valeur. Le colonel s’étant trouvé un instant entouré seul par un groupe d’Arabes, Frédéric accourut et sabra si bien de droite et de gauche qu’il réussit à le dégager, à blesser grièvement et à faire prisonnier le chef de ce groupe. Dans un autre moment, il vit son maréchal des logis acculé contre un rocher par six Arabes contre lesquels il se défendait avec bravoure. Frédéric tomba sur eux à coups de sabre, en étendit trois sur le carreau, blessa et mit en fuite le reste, et emporta le maréchal des logis, qui était blessé à la jambe et ne pouvait marcher. Le lendemain, il fut encore mis à l’ordre du jour et il reçut les galons de brigadier. M. Georgey triomphait des succès de son protégé et dit au colonel après la bataille : « J’avais toujours regardé dans une lunette d’approche. J’avais vu tout dé sur mon toit. le colonel. Comment ? Où étiez-vous donc ? m. georgey. J’avais monté bien haut sur lé toiture. Jé voyais très bien. C’était très joli en vérité. Fridric venait, allait, courait, tapait par tous les côtés. C’était un joli battement. Moi avais jamais vu batailler. C’était beau les soldats français. C’était comme un régiment dé lions. J’aimais cette chose. Jé disais bravo les lions ! » L’exécution d’Alcide eut lieu huit jours après ce combat. Il mourut en mauvais sujet et en mauvais soldat, comme il avait vécu. Il refusa d’écouter l’aumônier. Ses dernières paroles furent des injures contre ses chefs et contre Frédéric. Personne ne le regretta au régiment. M. Georgey resta deux mois avec le colonel, puis il alla près d’Alger pour établir des fabriques. Il y réussit très bien ; deux ans après il alla passer quelque temps à Alger. XXVIII le retour Un jour qu’il visitait un des hôpitaux français, en traversant une des salles, il s’entendit appeler ; il approcha du lit et reconnut Frédéric ; mais ce n’était que l’ombre du vigoureux soldat qu’il avait quitté deux ans auparavant. Maigre, pâle, affaibli, Frédéric pouvait à peine parler. Il saisit la main de son ancien défenseur et la serra dans les siennes. m. georgey. Quoi tu avais, malheureuse ? Toi étais ici dans l’hôpital ? frédéric. J’y suis depuis trois mois, Monsieur ; je suis bien malade de la fièvre, qui ne veut pas me quitter. Si je pouvais changer d’air, retourner au pays, il me semble que je guérirais bien vite. m. georgey. Il fallait, mon brave Fridric ; il fallait. frédéric. Mais je ne peux pas, Monsieur ; c’est difficile à obtenir, et je ne connais personne qui puisse faire les démarches nécessaires. m. georgey. Et lé brave colonel ? frédéric. Le régiment a été envoyé a Napoléonville, Monsieur. J’en suis bien loin. m. georgey. Et quoi tu es ? brigadier toujours ? frédéric. Non, Monsieur, je suis maréchal des logis et porté pour la croix ; mais je crains bien de ne jamais la porter. m. georgey. La croix ! Maréchal des logis ! C’était joli ! très joli ! Maréchal des logis et la croix à vingt et un ans ! Jé démandais pour toi ; je obtiendrai ; jé t’emmener avec moi ! Jé té mener à Madme Bonarde. » Frédéric lui serra les mains ; son visage rayonna de bonheur. Il le remercia chaudement. Huit jours après, M. Georgey lui apportait un congé d’un an. Il s’occupa ensuite du passage sur un bon bâtiment et des provisions nécessaires pour le voyage. Quinze jours plus tard, M. Georgey et Frédéric débarquaient à Toulon. Ils n’y restèrent que vingt-quatre heures, pour y prendre quelque repos. Frédéric écrivit à sa mère pour lui annoncer son arrivée avec M. Georgey. Trois jours plus tard, ils entraient dans la ferme des Bonard. L’entrevue fut émouvante. Mme Bonard ne pouvait se lasser d’embrasser, d’admirer son fils et de remercier M. Georgey. Le père ne se lassait pas de regarder ses galons de maréchal des logis. Julien était tellement embelli et fortifié qu’il était à peine reconnaissable. Frédéric fut beaucoup admiré ; il avait grandi d’une demi-tête ; il avait pris de la carrure ; ses larges épaules, son teint basané, ses longues moustaches lui donnaient un air martial que Julien enviait. « Et moi qui suis resté de si chétive apparence ! dit Julien en tournant autour de Frédéric. frédéric. Tu te crois chétif ? Mais tu es grandi à ne pas te reconnaître. Pense donc que tu n’as que dix-sept ans. Tu es grand et fort pour ton âge. bonard. Le fait est qu’il nous fait l’ouvrage d’un homme. Et toujours prêt à marcher ; jamais fatigué. — Pas comme moi à son âge », dit Frédéric en souriant. Il devint pensif ; le passé lui revenait. m. georgey. Allons, maréchal des logis, pas parler dé dix-sept ans. Parlé dé vingt-deux, c’était plus agréable. Voyez, papa Bonarde, combien votre garçon il était superbe. Et ses magnifiques galons ! Et moi qui voyais arriver lé galons sur mon toit. bonard. Comment, sur votre toit ? Quel toit ? m. georgey. C’était lé toiture du colonel. Jé voyais dé mon lunette. Il sé battait furieusement ! C’était beau ! magnifique ! Fridric il tapait sur les Mauricauds ! Les Mauricauds, ils tombaient, ils tortillaient. C’étaient lé serpents contre les lions. Et Fridric était après brigadier. Et une autre combattement, il était maréchal des logis. » Frédéric voulut changer de conversation, mais M. Georgey revenait toujours aux batailles, aux traits de bravoure, aux hauts faits de Frédéric ; le père était tout oreille pour M. Georgey ; la mère était tout yeux pour son fils. Quand on eut bien causé, bien questionné et bien dîné, quand Frédéric eut bien fait connaître ce qu’il devait à son excellent protecteur, sauf l’affaire du conseil de guerre que M. Georgey l’avait engagé à ne confier qu’à sa mère, Bonard voulut faire voir son maréchal des logis dans le bourg. Il lui proposa d’aller chez M. le curé. m. georgey. Et aussi, jé voulais avoir lé logement pour moi. Quoi faisait Caroline ? madame bonard. Votre logement est tout prêt, Monsieur ; nous avons une belle chambre pour vous à la ferme ; grâce aux douze mille francs que vous avez laissés à Julien, grâce à votre générosité envers lui et envers nous, nous avons bien agrandi et amélioré la maison. Si vous désirez avoir Caroline, elle viendra très volontiers ; elle est chez sa mère, elles font des gants. m. georgey. Oh ! yes ! Jé voulais très bien. Jé voulais voir mon logement chez vous. » M. Georgey fut promené dans toute la maison. Il y avait en haut deux grandes et belles chambres ; Julien en avait une près de lui ; il en restait deux, pour Caroline et pour quelque autre visiteur. En bas demeuraient Bonard et sa femme et Frédéric. En redescendant dans la salle, Frédéric jeta un regard furtif du côté de l’ancienne armoire brisée ; il vit avec une vive satisfaction qu’elle n’y était plus. M. Georgey, après le départ de Frédéric, avait acheté un beau dressoir-buffet qui avait remplacé l’armoire fatale, brûlée par son ordre. Pendant plusieurs jours Bonard triomphant mena son fils chez toutes ses connaissances et dans la ville, où il cherchait tous les prétextes possibles pour le faire passer devant la demeure des gendarmes ; les galons de Frédéric lui valaient le salut militaire des simples gendarmes et une poignée de main du brigadier. Le père saluait avec son fils et s’arrêtait volontiers pour causer et dire un mot des combats racontés par Georgey. Frédéric ne voulut pourtant pas rester oisif : il travailla comme Julien et son père ; ce fut pour Bonard un avantage réel ; il ne prenait plus d’ouvrier, tout le travail se faisait entre eux. Caroline, qui était rentrée avec joie chez son ancien maître, aidait Mme Bonard dans les soins du ménage et ceux du bétail. M. Georgey vivait heureux comme un roi, entouré de gens qu’il aimait et qui éprouvaient pour lui autant d’affection que de reconnaissance. Il résolut de se fixer dans le pays. Il acheta tout près des Bonard une jolie habitation au bord d’une rivière très poissonneuse où il pouvait se donner le plaisir de la pêche, et dont il voulut profiter pour y établir une usine. Caroline devint sa femme de ménage sous la direction de sa mère, qui était entrée avec elle au service de M. Georgey. La fin du congé de Frédéric approchait, il ne restait plus que trois mois de cette bonne vie de famille ; il regrettait souvent de ne pouvoir la continuer jusqu’à la fin de sa vie. « Mais, disait-il, il faut que je fasse mon temps ; j’ai encore trois années de service. » Mme Bonard pleurait ; Frédéric cherchait à la distraire, mais plus le moment approchait, plus la tristesse augmentait, et plus Frédéric se sentait disposé à la partager. « Ah ! si j’avais dix-huit ans, disait Julien, comme je partirais à ta place ! Et avec quel bonheur je vous donnerais à tous ce témoignage de ma reconnaissance. frédéric. Tu aimerais donc la vie de soldat ? julien. Non, pas à présent. Mais si c’était pour t’en débarrasser, je l’aimerais plus que tout autre état. » M. Georgey ne disait rien ; quelquefois il vantait l’état militaire. « C’était si magnifique ! disait-il. C’était si glorieux ! » Un jour, au moment du dîner, M. Georgey présenta une lettre à Frédéric. m. georgey. C’était lé colonel ; il demandait lé nouvelles de ta santé. frédéric. Que c’est bon à lui ! Excellent colonel ! julien. Qu’est-ce qu’il te dit ? Lis-nous cela. frédéric. « Mon cher Bonard, je t’expédie ta libération du service et la croix que tu as si bien gagnée. Je veux te donner moi-même cette bonne nouvelle et te dire que je te regrette, toi qui étais une des gloires du régiment ; tes chefs et tes camarades te regrettent comme moi. Mais puisque le médecin déclare, d’après ce que me dit Georgey, que tu ne peux retourner en Afrique sans danger pour ta vie, je n’hésite pas à t’accorder ta libération du service. La voici bien en règle. Adieu, mon ami ; j’espère bien te revoir en pékin un jour ou l’autre. « Ton ancien colonel du 102e chasseurs d’Afrique, « Bertrand Duguesclin. » Frédéric eut de la peine à aller jusqu’au bout ; la joie, la surprise, la reconnaissance lui étranglaient la voix. Quand il eut fini, il regarda M. Georgey qui souriait, et, se levant, il prit une de ses mains, la serra vivement et la porta à ses lèvres. Il voulut parler, mais il ne put articuler une parole ; de grosses larmes coulaient de ses yeux. M. Georgey se leva, le serra dans ses bras, m. georgey. C’était rien ; ce était rien ! Jé n’avais pas beaucoup de peine à faire lé chose. Seulement, j’avais fait dé écritures. Madme Bonard, il était bien joyeux. madame bonard. Oh ! Monsieur ! notre cher et respectable bienfaiteur ! Comment vous remercier ? Que faire pour vous témoigner notre reconnaissance ? m. georgey. Il fallait être bien heureuse et puis donner un pitit portion amitié pour le pauvre Georgey tout seul, sans famille. — Nous serons toujours vos plus sincères amis, vos serviteurs dévoués ; nous vous ferons une famille, cher, excellent bienfaiteur, répondit Mme Bonard en se jetant à ses genoux. Vous avez rendu le fils à sa mère. La mère n’oubliera jamais ce qu’elle vous doit. » La joie de Bonard était à son comble ; voir son fils décoré et sergent, le voir rester au pays et jouir sans cesse de sa gloire comblait tous ses vœux. À partir de ce jour, ce fut un bonheur sans mélange ; jamais M. Georgey n’éprouva le désir de quitter ses amis et de reprendre ses anciennes relations. Il trouvait au milieu des Bonard tout ce qu’il avait désiré, du calme, de l’affection, des sentiments honorables, des goûts simples, une reconnaissance sans bornes. Il a augmenté sa maison d’une jeune sœur de Caroline, bonne active et agréable ; elle a dix-neuf ans. Frédéric trouve en elle les qualités nécessaires au bonheur intérieur. Mme Bonard désire vivement l’avoir pour belle-fille. M. Georgey dit sans cesse des paroles qu’il croit fines et qui désignent clairement que ce mariage lui serait fort agréable. Frédéric sourit, Pauline rougit et ne paraît pas mécontente ; tout le monde s’attend à voir une noce avant deux mois. Frédéric a vingt-quatre ans ; il aura du bien, il est beau garçon, religieux, laborieux. Depuis la mort de son mauvais génie, comme il appelait Alcide, il n’a jamais failli. Il sera bon mari et bon père, car il est bon fils, bon ami et surtout bon chrétien. Julien compte passer sa vie près de ses bienfaiteurs, qui espèrent le garder toujours. Il parle souvent avec M. Georgey de l’avantage qu’il y aurait à profiter de la petite rivière qui traverse sa propriété, pour établir une fabrique de fil de fer et de laiton. M. Georgey ne dit pas non ; il sourit, il fait des plans qu’il explique à Julien, et ils passent des soirées entières à former des projets qui seront probablement exécutés bientôt. P.-S. J’apprends que Frédéric est marié depuis huit jours, que M. Georgey a donné en présent de noces à Frédéric la somme de dix mille francs, et cinq mille à Pauline. Il a commencé à construire une manufacture dont il donnera la direction et les produits à pétite Juliène. Ils sont tous aussi heureux qu’on peut l’être en ce monde. |
La Sculpture dans les cimetières de Paris/Père-Lachaise/D | Henry Jouin La Sculpture dans les cimetières de Paris/Père-Lachaise La Sculpture dans les cimetières de Paris, 3e série, tome 13, 1897 (p. 126-145). journalLa Sculpture dans les cimetières de ParisLa Sculpture dans les cimetières de Paris/Père-LachaiseHenry JouinCharavay frères1897ParisC3e série, tome 13Nouvelles archives de l’art français, 3e série, tome 13.djvuNouvelles archives de l’art français, 3e série, tome 13.djvu/7126-145 DAGAND (Michel). Al. exmo Sr D. Pedro José de Cardenas conde de Campo Alegre, 1786-1854. — Tombeau quadrangulaire surmonté d’une statue en marbre (H. 1m 10) : jeune femme à genoux, voilée, les mains jointes ; elle prie devant une croix placée au sommet du monument ; la tête est inclinée dans l’attitude d’une profonde douleur. Signée : Dagand, 1855. (44e div.) DALLIER (Jules). Dasson (Henry), fondeur, décédé en 1896. — Buste en bronze (H. 0m 70). Signé : J. Dallier. (82e div.) DALOU (Aimé-Jules). Blanqui (Louis-Auguste), homme politique, né à Puget-Théniers (Alpes-Maritimes) le 7 février 1805, inhumé le 5 janvier 1881. — Statue couchée en bronze (Long, 1m 75). Signée : Dalou. Fondu par E. Gonon. Le monument de Blanqui, élevé au moyen d’une souscription populaire, a été inauguré le 9 août 1885. (91e div.) Dalou. Amouroux (Charles), ouvrier chapelier, membre de la Commune (1871) ; conseiller municipal de Paris (1875) ; conseiller général de la Seine (1881) ; député de la Seine (1881) ; député de la Loire (1885), né à Chalabre (Aude) le 24 décembre 1843, décédé à Paris le 23 mai 1885. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 35). Signé : Dalou. Sur la face antérieure du monument est gravé : « Nouméa, 1872-1880. » (76e div.) Dalou. Boussingault (Jeau-Baptiste), membre de l’Institut, né à Paris le 2 février 1802, décédé le 11 mai 1887. — Buste en bronze (H. 0m 70). Signé : Dalou, Gruet, fondeur. (95e div.) Dalou. Noir (Yvan Salmon, dit Victor), journaliste, né à Attigny (Vosges) le 27 juillet 1848, tué par le prince Pierre Bonaparte le 10 janvier 1870. — Statue couchée, en bronze ( grandeur nature). Signée : Dalou, 1890. Le tombeau de Victor Noir à été élevé au moyen d’une souscription nationale. L’inauguration a eu lieu le 15 juillet 1891. (92e div.) Dalou. Wolff (Albert), publiciste, né à Cologne (Prusse rhénane) le 31 décembre 1835, décédé à Paris le 23 décembre 1891. — Buste en bronze (H. 0m 65), par Aimé-Jules Dalou. (96e div.) DANTAN (Antoine-Laurent). Dantan (Famille). Tombeau de forme antique sur lequel sont sculptés des palmes, une couronne, un buste et des outils de sculpteur. Derrière le tombeau se dresse un monument avec entablement, frise et acrotères. De chaque côté du monument est une Cariatide. Les deux Cariatides, vêtues de longs voiles de deuil sur lesquels rampent des branches de lierre, se cachent le visage dans leurs mains. Au-dessus de chaque Cariatide existe un chapiteau corinthien dont les acrotères sont décorés d’anges assis sonnant de la trompette. Sur la face antérieure du monument sont modelés quatre médaillons en marbre renfermés dans des couronnes d’immortelles : 1o Antoine-Joseph-Laurent Dantan, sculpteur, né en 1762, décédé en 1842 ; 2o Marie-Charlotte Martine, épouse Dantan, née à Anet en 1767, décédée en 1823 ; 3o Antoine-Laurent Dantan aîné, statuaire, né le 8 décembre 1798, décédé le 25 mai 1878 ; 4o Jean-Pierre Dantan jeune, statuaire, né le 28 décembre 1800, décédé le 6 septembre 1869. Dans la partie rentrante du tombeau est une tête d’enfant en marbre blanc. Les médaillons sont en outre entourés de légères guirlandes polychromes en lave émaillée. Signé sous la Cariatide de droite : Dantan aîné. (4e div., ire section.) DANTAN (Jean-Pierre). Potier (G.), décédé le 19 mai 1838. — Buste en bronze (H. 0m 55). Signé : Dantan je, 1839. (4e div., 2e section.) Dantan. Benech, docteur médecin, 1784-1854. — Buste en bronze (H. 0m 47). Signé : Dantan je, 1854. (15e div.) Dantan. Perrée (Louis), membre de l’Assembiée constituante, maire du iiie arrondissement, directeur du journal le Siècle, né le 13 mars 1817, décédé le 16 janvier 1851. — Médaillon en pierre (Diam. 0m 40). Signé : Dantan, 1862. (22e div.) Dantan. Auber (Daniel-François-Esprit), compositeur, membre de l’institut, né à Caen le 29 janvier 1782, décédé à Paris le 12 mai 1871. — Buste en marbre blanc (H. 0m 80). Au-dessous du socle sont sculptées une lyre, des palmes et une couronne. Signé : Dantan jeune sc. (4e div., 2e section.) DAVID D’ANGERS (Pierre-Jean) et CAILLOUETTE (Louis-Denis). Roland (Philippe-Laurent), sculpteur, né à Marc-en-Pevele, près de Lille, le 13 août 1746, décédé à Paris le 11 juillet 1816. — Stèle en granit, cintrée, dans la face antérieure de laquelle est sculpté le médaillon de l’artiste (Diam. 0m 34), par P.-J. David d’Angers. Au-dessous du médaillon est un bas-relief (H. 0m 65. L. 0m 34), représentant Homère chantant ses poésies d’après la statue du Musée du Louvre qui fait le plus d’honneur à la mémoire de Roland, par L.-D. Caillouette. Le médaillon et le bas-relief ont été gravés par L. Normand. Le monument de Roland a été élevé sur les dessins de L.-D. Caillouette. (44e div.) David d’Angers. Gobert (J.-N.), général de division, né à la Guadeloupe en 1770, tué à Baylen en 1808. — Le monument se compose d’une statue équestre et de quatre bas-reliefs, en marbre, dus au ciseau de David d’Angers. Le général, frappé à mort par un guérilla, est représenté tombant de cheval, groupe (H. 3m 10). Les quatre bas-reliefs (mesurant 0m 95 de haut, 2m 30 et 1m 35 de large) ont pour sujets. — Face antérieure : « Le général Gobert délivre à Saint-Domingue des soldats français renfermés dans une maison minée, et brûle la cervelle au nègre, leur gardien. » — Côté droit : « Le général Dampierre expirant remet son sabre de bataille au général Gobert. » — Côté gauche : « Le général Gobert, gouverneur de Bologne, apaise une sédition par sa seule présence. » — Face postérieure : « Napoléon Gobert, mourant en Égypte, remet son testament à un ami qui part pour la France. » Une inscription nous apprend que ce monument, où le cœur du général est renfermé, a été élevé par les soins de l’Académie française et de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, d’après le mandat qui leur a été confié par Napoléon Gobert, fils du général, dans le testament où il fait ces compagnies dépositaires d’une grande fondation pour l’encouragement des travaux d’histoire nationale. (37e div.) David d’Angers. Lefebvre (François-Joseph), duc de Dantzig, maréchal de France, né à Ruffach (Haut-Rhin) le 25 octobre 1755, décédé à Paris le 14 septembre 1820, et la maréchale, duchesse de Dantzig, née à Saint-Amarin (Haut-Rhin) le 2 février 1753, décédée à Paris le 29 décembre 1835. — Tombeau de forme antique, en marbre blanc, dans la face antérieure duquel est sculpté un bas-relief (H. 1m 23. L. 1m 50) : au centre, le médaillon du maréchal ; de chaque côté, une Victoire ailée, demi-nue, pose une branche de laurier sur le front de Lefebvre. Une guirlande de laurier et de cyprès, suspendue aux épaules des Victoires, retombe et forme support au médaillon. Au-dessous, l’épée nue du maréchal. Ces sculptures sont dues au ciseau de David d’Angers. Le monument du maréchal Lefebvre, élevé sur les dessins de Provost, architecte, a été gravé par L. Normand, et par Collette, d’après un dessin de Quaglia. (28e div.) David d’Angers. Jordan (Camille), homme politique et publiciste, né à Lyon le 11 janvier 1771, décédé à Paris le 19 mai 1821. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 53). Signé : P. J. David d’Angers, 1823. Le monument de Jordan, élevé sur les dessins de Mazois, architecte, a été gravé par L. Normand et par Collette, d’après un dessin de Quaglia. (39e div.) David d’Angers. Foy (Maximilien-Sébastien), général et orateur, né à Ham (Somme) le 3 février 1775, décédé à Paris le 28 novembre 1825. — Monument composé d’un édicule abritant la statue en marbre du général (H. 2m 13), représenté debout, et drapé à l’antique. Cinq bas-reliefs en pierre (H. 1m 05, 1m 11. L. 0m 73, 2m 84) décorent le piédestal et sont disposés de la manière suivante. Face antérieure : le Génie de l’Éloquence et le Génie de la Guerre. — Face postérieure : Le général Foy à la Tribune. — Côté gauche : Le général Foy en Espagne. — Côté droit : Funérailles du général Foy. La statue et les cinq bas-reliefs sont dus au ciseau de David d’Angers. Le monument, construit sur les dessins de Vaudoyer, architecte, a été gravé par L. Normand, par Collette, d’après un dessin de Quaglia, par Marlier, d’après un dessin de Demont, et par J.-J. Sulpis,(28e div.) David d’Angers. Bourcke (Comte Edmond de), conseiller intime des conférences de S. M. le roi de Danemark et son ministre plénipotentiaire près la Cour de France, né à Sainte-Croix (Antilles danoises) le 2 novembre 1761, décédé à Vichy le 12 août 1821 ; et Maria Assunta Leonida Butini, veuve du comte Edmond de Bourcke, née à Sienne (Grand duché de Toscane) le 31 mars 1764, décédée à Paris le 13 février 1845. — Bas-relief en marbre (H. 1m 90. L. 1m 60), représentant la comtesse de Bourcke assise sur un siège antique, ayant une branche de cyprès dans la main gauche et levant les yeux vers le buste simulé de son mari qui surmonte un cippe élevé. Signé : P. J. David, 1826. Le monument, élevé sur les dessins de Visconti, architecte, a été gravé par L. Normand et par Collette, d’après un dessin de Quaglia. (39e div.) David d’Angers. Béranger (Jean-Pierre de), poète chansonnier, né à Paris le 19 août 1780, décédé dans la même ville le 16 juillet 1857. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 60). Signé : David d’Angers, 1831, et Manuel (Jacques-Antoine), homme politique, né à Barcelonnette (Basses-Alpes) le 10 décembre 1775, décédé à Paris le 20 août 1827. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 60), par David d’Angers. Ce médaillon n’est pas signé par son auteur, et il porte le nom de F.-G. Magnades, sans doute le fondeur. Le tombeau dans lequel repose le poète chansonnier, ami de Manuel, a été élevé à celui-ci par ses concitoyens. (28e div.) David d’Angers. Augustin (Jean-Baptiste-Jacques), peintre miniaturiste, né à Saint-Dié (Vosges) le 15 août 1759, décédé à Paris le 13 avril 1832. — Médaillon en marbre (Diam. 0m 47). Signé : P.-J. David, 1832. Gravé par L. Normand. (27e div.) David d’Angers. Gouvion-Saint-Cyr (Laurent, comte, puis marquis), maréchal de France, né à Toul le 13 avril 1764, décédé à Hyères le 10 mars 1830. — Statue en marbre blanc (H. 2m 03), représentant le maréchal debout, une main posée sur un plan de bataille. Signée : P.-J. David d’Angers, 1833. Le monument de Gouvion-Saint-Cyr, élevé sur les dessins de Visconti, architecte, a été gravé par L. Normand. (37e div.) David d’Angers. Suchet (Louis-Gabriel), duc d’Albuféra, maréchal de France, né à Lyon le 2 mars 1770, décédé au château de Saint-Joseph, près de Marseille, le 3 janvier 1826. — Monument quadrangulaire en marbre blanc dans la face antérieure duquel est un enfoncement où se trouve placé le buste en marbre du maréchal (H. 0m 60). Signé : P.-J. David d’Angers, 1827. Au-dessous, un bas-relief en marbre (H. 2m 08. L. 1m 32) : Victoire traçant sur un canon, à l’aide d’une baïonnette, les victoires du maréchal. Signé : P.-J. David d’Angers, 1828. Sur la face antérieure sont sculptés en relief, par Plantar, des trophées d’armes et l’uniforme du maréchal. Le monument du maréchal Suchet, élevé sur les dessins de Visconti, architecte, a été gravé par L. Normand et par Collette, d’après un dessin de Quaglia. (39e div.) David d’Angers. Gohier (Louis-Jérôme), membre du Directoire, consul général de France à Amsterdam, né à Semblençay en 1746, décédé à Paris le 29 mai 1830. — Médaillon en marbre (Diam. 0m 52). Signé : P.-J. David d’Angers, 1830. (10e div.) David d’Angers. Geoffroy Saint-Hilaire (Étienne), naturaliste, né à Étampes (Seine-et-Oise) le 15 juin 1772, décédé à Paris le juin 1840. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 40). Signé : David, 1831. (19e div.) David d’Angers. Dulong (Pierre-Louis), secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, directeur des études à l’École polytechnique, professeur de physique et de chimie à la Faculté des sciences, né à Rouen le 14 février 1785, décédé à Paris le 19 juillet 1838. — Médaillon ovale en bronze (H. 0m 69. L. 0m 59). Signé : David, 1836. Le monument a été élevé par les élèves et les amis de Dulong. (8e div., 1re section.) David d’Angers. Daunou (Pierre-Claude-François), homme politique, historien, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions, né à Boulogne-sur-Mer le 18 août 1761, décédé à Paris le 20 juin 1840. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 50). Signé : David, 1840. Fderie de Ls Richard, Eck et Durand. « Augmentation A. Collas, 1840. » (28e div.) David d’Angers. David d’Angers. Lemercier (Louis-Jean-Népomucène), poète et auteur dramatique, membre de l’Académie française, né à Paris le 22 avril 1771, décédé le 7 juin 1840. — Médaillon en marbre blanc (Diam. 0m 42). Signé : P.-J, David d’Angers, 1840. (30e div.) David d’Angers. Bœrne (Ludwig), pseudonyme de Loeb Baruch, publiciste allemand, né à Francfort-sur-le-Mein le 22 mai 1786, décédé à Paris le 12 février 1837. — Buste en bronze (H. 0m 45), placé dans un enfoncement pratiqué au sommet d’une pierre de granit en forme de pyramide. Ce buste est dû au ciseau de David d’Angers. Au-dessous du buste, sur la face antérieure de la pyramide, est fixé un bas-relief en bronze (H. 0m 40. L. 0m 60) : La France et l’Allemagne unies par la Liberté. La Liberté debout, coiffée du bonnet phrygien, pose les mains sur les épaules de deux jeunes femmes personnifiant la France et l’Allemagne. Signé : David, 1842. Fonderie de Richard, Eck et Durand. (19e div.) David d’Angers. Baraguay (Thomas-Pierre), architecte, né le 24 juin 1748, décédé le 16 août 1820. — Médaillon en marbre blanc (Diam. 0m 40), par David d’Angers. (29e div.) David d’Angers. Wilhem (Guillaume-Louis Bocquillon, dit), compositeur, né à Paris le 18 décembre 1781, décédé dans la même ville le 26 avril 1842. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 51). Signé : David, 1843. Ce monument a été élevé par les amis, les élèves et les admirateurs de Wilhem. (11e div.) David d’Angers. Nodier (Emmanuel-Charles), poète et littérateur, bibliothécaire de l’Arsenal, membre de l’Académie française, né à Besançon en 1780, décédé à Paris le 27 janvier 1844. — Buste en marbre (H. 0m 50). Signé : À Charles Nodier, David d’Angers. (49e div., 1re section.) David d’Angers. Balzac (Honoré de), auteur dramatique, né le 20 mai 1799, décédé le 18 août 1850. — Buste en bronze (H. 0m 75). Signé : À son ami de Balzac, P.-J. David d’Angers, 1844. N. Quillet, fondeur. Gravé par Obermayer (48e div.) David d’Angers. Poinsot (Louis), géomètre, membre de l’Académie des sciences, pair de France, sénateur, né à Paris le 3 janvier 1777) décédé dans la même ville le 5 décembre 1859. — Médaillon en pierre (Diam. 0m 16). Signé : David, 1843. (4e div., Ire section.) David d’Angers. Trélat (Ulysse), médecin, homme d’État, né à Montargis le 13 novembre 1795, décédé à Menton (Alpes-Maritimes) le 29 janvier 1879. — Médaillon sculpté sur la face antérieure d’un monument en granit (Diam. 0m 35), d’après David d’Angers. Une branche de peuplier d’Italie, fixée par un ruban, des décorations honorifiques et des ouvrages de droit sont sculptés sur la pierre tumulaire. Une intendance et un hôpital avec un arbre en perspective sont représentés aux côtés du médaillon. Au-dessus, une rosace formant le couronnement du mot « Patrie » gravé en creux. Cette décoration est de J. Héritier. Le monument a été élevé sur les dessins de MM. E. Trélat et Thierry, architectes. (69e div.) David d’Angers. Thoré (Théophile), dit W. Burger, écrivain, né en 1807, décédé en 1869. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 41). Signé : David, 1847. (48e div.) David d’Angers. Gay-Lussac (Joseph-Louis), chimiste et physicien, né à Saint-Léonard (Haute-Vienne) le 6 décembre 1778, décédé à Paris le 9 mai 1850. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 35). Signé : David d’Angers. (26e div.) David d’Angers. Arago (François), astronome, membre de la Chambre des députés de 1831 à 1848, né à Estagel le 26 février 1786, décédé à Paris le 2 octobre 1853. — Buste en bronze (H. 0m 54). Signé : P.-J. David d’Angers. Fderie de Eck et Durand, 1858, Le monument d’Arago, élevé au moyen d’une souscription nationale et étrangère, sur les dessins de Duban, a été gravé par Soudain. (4e div., 2e section.) David d’Angers. Ségalas (Anaïs Ménard, dame), poète, née à Paris le 24 septembre 1814, décédée le 31 août 1893. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 18). Signé : David d’Angers. (65e div.) David d’Angers. Voy. Chapu (Henri). DAVID D’ANGERS (Robert). Ledru-Rollin (Alexandre-Auguste Ledru, dit), avocat, jurisconsulte et homme politique, né à Paris le 2 février 1807, décédé à Fontenay-aux-Roses le 31 décembre 1874. — Buste en bronze (H. 0m 78). Signé : Robert David d’Angers, 1877. F. Barbedienne, fondeur. Paris. Ce buste a été exécuté d’après celui que Joseph Garraud exposa en 1849 (no 2222). Le monument de Ledru-Rollin a été inauguré le 24 février 1878, (4e div., 2e section.) DE BAY (Jean-Baptiste-Joseph). Gros (Antoine-Jean, baron), peintre, né à Paris le 16 mars 1771, décédé dans la même ville le 26 juin 1835. — Buste en marbre (H. 0m 70). Signé : Debay, 1837. Gravé par L. Normand. (25e div.) DEGEORGE (Charles-Jean-Marie). Salignac-Fénelon (Comtesse de). — Bas-relief cintré, en marbre, placé dans le fronton d’une chapelle : Vierge assise tenant l’Enfant Jésus debout sur ses genoux ; de chaque côté est un ange agenouillé ; l’un, en adoration, a les mains jointes, tandis que l’autre déploie une banderole sur laquelle sont inscrits ces mots : Ecce agnus Dei. Signé : C. Degeorge. (56e div.) DELABRIERRE (Paul-Édouard). Delabrierre (Anne-Eugénie Allèon, Mme). — Médaillon en bronze (Diam. 0m 19), en exergue duquel est gravé : « Eugénie Delabrierre, 1878. » Signé : E. Delabrierre, (65e div.) DELARUE (Sébastien). Rode (Pierre), né le 7 avril 1816, décédé le 8 novembre 1874. — Médaillon ovale en bronze (H. 0m 51. L. 0m 40). Signé : Delarue, 1868. (20e div.) DELOYE (Jean-Baptiste-Gustave) et NOËL (Léon). Noël (Léon), artiste dramatique et sculpteur, né en 1844 — Édicule surmonté du buste en bronze (H. 0m 65) de l’artiste dramatique. Signé : G. Deloye, 89, P. Sarret fondeur. — Éléonore Chrétien, née en 1821, décédée en 1895. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 30). Signé : A ma mère, Léon Noël, 1893). Ce tombeau a été élevé sur les dessins de Ate Benoît, architecte. (20e div.). DENÉCHEAU (Séraphin). Mercier (Jean-Michel), peintre, ancien directeur du Musée d’Angers, né à Versailles le 14 décembre 1786, décédé à Paris le 15 décembre 1874. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 52). Signé : Denécheau, 1875. — Le tombeau de Mercier a été élevé par les élèves et les amis du peintre. (71e div., ire section.) DESCHAMPS (Léon). Voy. BRUCHON (Émile). DESEINE (Louis-Pierre). Rémond (Grégoire), né en Suisse, décédé à Paris le 29 octobre 1818 à l’âge de 63 ans. — Bas-relief en terre cuite (H. 0m 45. L. 0m 78) ; au centre, la Charité, debout, accueille deux mendiants ; l’un, debout, s’appuie sur un long bâton ; l’autre, à genoux, reçoit de la Charité des pièces de monnaie ; derrière ces vieillards, un malade, couché, est assisté de deux religieuses, dont l’une lui présente un breuvage. Dans la partie droite de la composition est un groupe de trois femmes ; l’une d’elles reçoit des secours de la Charité, pendant qu’elle allaite un enfant et qu’un deuxième enfant pose la tête sur son genou ; près de ce groupe, un enfant est endormi dans son berceau. Signé : « En 1820, par De Seine. » Au-dessous de ce bas-relief, on lit l’inscription suivante qui explique le sujet choisi par l’artiste : « Les pauvres conserveront et béniront sa mémoire. Il fonda pour eux des places à perpétuité dans les hospices de Paris, Chartres et Nogent-le-Rotrou. » (20e div.) DESPREZ (Louis). Girodet de Roucy-Trioson (Anne-Louis), peintre, né à Montargis le 29 janvier 1767, décédé à Paris le 9 décembre 1824. — Buste en marbre blanc (H. 0m 65). Signé : L. Desprez, 1826. Gravé par L. Normand, et par Collette, d’après un dessin de Quaglia. (28e div.) DEVAULX (François-Théodore). Beaucé (Jean-Adolphe), peintre d’histoire, attaché aux armées françaises, né à Paris le ier août 1818, décédé à Boulogne (Seine) le 11 juillet 1875. — Buste en bronze (H. 0m 75). Signé : « A son ami J.-A. Beaucé, 1855. Th. Devaulx. (49e div., ire section.) Devaulx. Bureau (Jean-Baptiste), né le s juin 1765, décédé le 12 décembre 1856. — Dans la face antérieure d’un tombeau de grandes proportions est encastré un médaillon en bronze (Diam. 0m 30). Signé : Th. Devaulx, 1857. (50e div.) DEVAULX fils (Ed.). Girard (Louis), inventeur du livre relieur dit : « Biblorhapte », décédé en 1873 à l’âge de 68 ans. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 62). Signé : Ed. Devaulx fils, 1874. (74e div.) DIEUDONNÉ (Guillaume-Marius). Chapuis (François-Claude), né le 17 juin 1799, engagé volontaire le 4 août 1816, mort général de brigade le 19 juillet 1852. — Buste en marbre (H. 0m 79). Signé : M. Dieudonnée. (34e div.) DIEUDONNÉ (Jacques-Augustin). Le Roux (Claude), caissier du Ministère de l’Intérieur, né à Paris le 30 mars 1752, décédé le 15 novembre 1835. — Médaillon en marbre blanc (Diam. 0m 35), par J.-A. Dieudonné. (39e div.). DORÉ (Louis-Christophe-Gustave-Paul). Ozi (Alice), artiste dramatique, née en 1820, décédée en 1893. — Statue en marbre blanc (grandeur nature), représentant une femme en pleurs. Elle est debout, drapée, voilée, et tient un enfant (mort ?) sur sa poitrine. Signée : G. Doré. Sur le piédestal circulaire, en granit, est sculpté un bas-relief comprenant différentes scènes. (89e div.) DORIER (I.). Demion (Constant), garde national de la 8e légion, victime des désordres civils, décédé le 24 juin 1848, à l’âge de 39 ans. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 45). Signé : I. Dorier. (59e div.) DOUBLEMARD (Amédée-Donatien). Paillet (Alphonse-Gabriel-Victor), avocat, député (1846-1849), né à Soissons le 17 novembre 1796, décédé à Paris le 16 novembre 1855. — Bas-relief en marbre blanc (H. 0m 98. L. 0m 77) : stèle simulée avec médaillon ; une jeune femme, debout, pose la tête sur le médaillon qu’elle entoure de son bras droit ; la main tient une flamme renversée ; à gauche, une autre jeune femme à genoux devant laquelle est un enfant nu qui tend les bras vers le médaillon. Signé : A. Doublemard. Roma, 1856. Gravé par Gibert. Doublemard. Bazin (François-Emmanuel-Joseph), compositeur, décédé le 2 juillet 1878. — Buste en marbre (H. 0m 75). Signé : 1879, A. Doublemard. (32e div., 2e section.) Doublemard. Ricord (Philippe), médecin, né à Baltimore (États-Unis) le 10 décembre 1800, décédé à Paris le 22 octobre 1889. — Dans le fronton de la chapelle, un buste en bronze (H. 0m 70) par Doublemard. La chapelle est décorée de têtes de chérubins, d’un écusson sur lequel est gravée la lettre R, et de deux enfants ailés posés de chaque côté de l’écusson. Tous ces ornements sont en bronze. Les enfants mesurent 0m 45 de hauteur et sont signés : Doublemard, 1880. Le dessus de porte forme double cartouche avec palme ; derrière le buste, un encadrement orné de moulures est entouré d’une guirlande de laurier ; les angles de la chapelle comportent des colonnes avec chapiteaux ; dans le fronton existent des trépieds encadrés par des pilastres et, au-dessus, une coupole ; sur les côtés des fenêtres sont sculptées des couronnes d’immortelles avec ruban. M. Jules Héritier est l’auteur de cette décoration. (54e div.) DOUDEAU (L.). Monteja Caballero (F.-J.), de Puerto, principale île de Cuba, décédé à Paris, le 7 octobre 1862, à l’âge de 54 ans. — Bas-relief en marbre (H. 0m 96. L. 0m 68) représentant, à droite, une jeune femme en pleurs devant un tombeau simulé ; à gauche, une autre jeune femme, drapée à l’antique, soulève son voile au-dessus de la tête de sa compagne ; au fond, un palmier. Signé : L. Doudeau, sculptr, 1863. (61e div.) DROSSIS (Léonidas). Boime-Simon (Eugénie), décédée le 3 février 1889, à l’âge de 77 ans. — Buste en marbre blanc (H. 0m 50). Signé : Leonidas Drossis. Roma, 1869. (8e div., ire section.) DUBOIS (Paul) et MERCIÉ (Antonin). Baudry (Paul-Jacques-Aimé), peintre, né le 7 novembre 1828, décédé le 15 janvier 1886. — Monument composé d’un sarcophage en marbre noir surmonté d’une pyramide, également en marbre noir, laquelle est adossée à une large stèle en marbre gris. Sur la pyramide est posé le buste de Baudry (H. 0m 56), par Paul Dubois. Sur un cartel en bronze, servant de support au buste, est gravée l’inscription suivante : Pavlo Bavdry pictori Pavlvs Dvbois scvlptor Amicvs amico fecit Lvtetiae Parisiorvm anno mdccclxxxii. Derrière, sur l’appui du cartel, on lit : Gruet aîné, fondeur ; à droite, une Renommée, planant dans les airs, va déposer une couronne de laurier sur la tête du peintre ; à gauche, à la base du monument, une femme debout, vêtue de longs voiles de deuil, s’appuie sur le sarcophage sur lequel sont fixés une palette, des pinceaux et une palme. Toutes ces œuvres sont en bronze. La Renommée est signée : A. Mercié, et la statue, également due au ciseau de M. Mercié, est signée E. Barbedienne, fondeur, Paris. Le monument de Paul Baudry, érigé sur les dessins de son frère, M. Ambroise Baudry, architecte, a été inauguré le 21 février 1890. (4e div.) Dubois. Bizet (Alexandre-César-Léopold, dit Georges), compositeur, né à Paris le 25 octobre 1838, décédé à Bougival le 3 juin 1875. Buste en bronze (H. 0m 65). — Signé : Paul Dubois. Gruet jne fdeur (68e div.) DUBOIS-DAVESNES (Mlle Marguerite-Fanny). Royer (Marie), artiste dramatique, née en 1841, décédée en 1873. Buste en bronze (H. 0m 48), par Mlle M.-F. Dubois-Davesnes. (65e div.) Dubois-Davesnes (Mlle). Voy. Adam-Salomon (Antony-Samuel). DUBOY (Paul). Fouchet (Paul), né le 6 mai 1864, décédé le 2 mai 1873. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 21). Signé : Paul Duboy sculp. 1868. (57e div.) DUBRAY (Vital-Gabriel). Faverolles (Famille Salvage de). Chapelle de forme antique. De chaque côté de la porte est une statue en pierre (H. 1m 30) ayant un genou en terre. Ces deux statues, drapées et voilées, posent chacune une couronne d’immortelles sur des branches de cyprès. Elles sont signées : V. Dubray, sc. — Sur le côté gauche est un bas-relief en marbre (H. 1m 50. L. 1m 10) représentant une prison au centre de laquelle est une jeune femme ; un enfant se serre contre sa poitrine, pendant qu’elle jette un regard de tristesse vers un homme dont la chaîne vient de se briser ; un vieillard accroupi tend les bras dans la direction de la jeune femme. — Le côté droit comporte un autre bas-relief en marbre de mêmes dimensions, sur lequel est sculptée une jeune femme s’élevant au ciel soutenue par trois anges. Ces bas-reliefs sont signés : V. Dubray, sc. (48e div.) Dubray. Perdonnet (Albert-Auguste), ingénieur, directeur de l’École centrale, administrateur de chemins de fer, né à Paris le 12 mars 1801, décédé à Cannes le 27 septembre 1867. — Tombeau surmonté d’une pyramide en granit posée sur un piédestal en pierre. Sur la pyramide sont sculptées une palme, une couronne d’immortelles et la croix de chevalier de la Légion d’honneur. Sur la face antérieure du piédestal, ornée d’une couronne et de palmes, est fixé le médaillon en bronze de l’ingénieur (Diam. 0m 53). Signé : Vital Duhray, 1868. — Une statue est placée de chaque côté du monument : à droite, une jeune femme debout, largement drapée, accoudée sur la corniche du piédestal, et tenant une couronne dans la main gauche, dirige son regard vers la pyramide ; à gauche, une figure de femme, voilée, vêtue à l’antique ; elle pose une main sur le piédestal et tient une couronne de l’autre main ; sous son pied est un livre fermé. Ces deux statues, en pierre (H. 2m 10), sont signées : Vital Dubray, 1869. Le monument, construit sur les dessins de R. Demimuid, architecte, a été gravé par Chappuis. (4e div., 2e section.) DUCEL (J.-J.). Bénard (Lucile-Henriette), décédée le 9 décembre 1863 dans sa 8e année. — Statue couchée, en fonte (L. 1m 06) : jeune enfant dont la tête nue repose sur deux coussins superposés ; de la main gauche, elle serre une croix sur sa poitrine. Signée : J. J. Ducel et Cie fondeurs, Paris. (4e div., Ire section.) Ducel Hugot (Famille). — Chapelle surmontée d’un groupe en fonte (H. 1m 20) : sur un rocher, un ange ailé, un genou en terre, tend les bras à un enfant agenouillé à ses pieds ; l’enfant, qui tient des fleurs dans sa main gauche, se penche, en souriant, sur le bord d’un précipice. Sur le socle est gravé : J. J. Ducel et fils à Paris. (68e div.) DUCHOISEUIL. Gennerat (Mlle), décédée à 20 ans. — Chapelle surmontée d’une statuette en bronze (H. 0m 70) : jeune fille à genoux sur un prie-Dieu. Cette œuvre a été exécutée en 1882, par Duchoiseuil, (63e div.) DUCOMMUN DU LOCLE (Henri-Joseph, dit Daniel). Ducommun du Locle (Louise-Laurence Martin de la Lande, Mme), née en 1784, décédée en 1830. — Buste en marbre blanc (H. 0m 50). Signé : Daniel Ducommun. (39e div.) DUMECQ. Montval (Ludovic-François), né en 1735, décédé en 1827. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 42). Signé : Dumecq ? (51e div.) DUMILATRE (Jean-Alphonse-Edme-Achille). Crocé-Spinelli et Sivel, aéronautes. — Sur un monument rectangulaire en marbre blanc sont leurs deux statues couchées, en bronze (Long. 1m 90. Larg. 1m 35), sur lesquelles est jetée une draperie. Les deux aéronautes ont la main dans la main. Signées : A. Dumilâtre, 1878. Gruet jne, fondeur. Sur ce monument, élevé par souscription nationale, est gravé : « Catastrophe du ballon le Zénith, 15 avril 1875. — Crocé-Spinelli et Sivel morts à 8.600 mètres de hauteur. » M. Gaston Tissandier, qui accompagnait les deux aéronautes, échappa seul à la mort. (71e div., 1re section.) DUMONT (Augustin-Alexandre). Cherubini (Marie-Louis-Charles-Zénobi-Salvador), compositeur, membre de l’Académie des Beaux-Arts, directeur du Conservatoire de musique, surintendant de la musique des rois Louis XVIII et Charles X, né à Florence le 8 septembre 1760, décédé à Paris le 15 mars 1842. — Tombeau dont la face antérieure est décorée d’un bas-relief en marbre (H. 2m. L. 1m 20) : la Musique, debout, drapée à l’antique, tient de la main gauche une lyre renversée, et de l’autre main pose une couronne sur le buste simulé de Cherubini placé sur un socle également simulé. Signé : Aste Dumont, 1846. Le tombeau, érigé d’après les dessins de A. Leclère, architecte, a été gravé par L. Normand. (11e div.) DUPUIS (Daniel-Jean-Baptiste). Ballu (Théodore), architecte, né à Paris le 8 juin 1817, décédé le 22 mai 1885. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 45). Signé : Daniel Dupuis. (74e div., 3e section.) DURAND (Ludovic-Eugène). Bernard (Famille). — Sur un tombeau en marbre blanc est une statue, également en marbre blanc (H. 1m 15) : une jeune femme ailée, ayant un genou en terre, soulève un voile qui laisse lire ces deux mots : « Famille Bernard. » Signée : Ludovic Durand, 1890, (65e div.) DURENNE (A.). Beaufond et Fremaux (Familles de). — Au sommet d’une tombe, statue en fonte (H. 1m 07) : la Vierge, en pied, debout, la tête couronnée et voilée, tient sur son bras gauche l’Enfant Jésus qui a dans la main le globe symbolique surmonté d’une croix, tandis que de son autre main il bénit. Signée : A. Durenne Paris, Modèle Thenon-Meunier. (5e div.) DURET (Francisque-Joseph) et NARET (G.-L.). Ponchard (Jean-Frédéric-Auguste), chanteur, professeur de chant au Conservatoire, né le 31 août 1787, à Paris, où il est décédé le 6 janvier 1866. — Buste en bronze (H. 0e 47). Signé : F. Duret. Broquin et Lainé frs. Gravé par J. Pensel. Sur la face antérieure du piédestal est encastré un médaillon en bronze (Diam. 0m 24). En exergue du médaillon on lit : « Ches Ponchard, 1824-1891. » Ce médaillon est signé : G. L. Naret. (11e div.) DUSEIGNEUR (Jean-Bernard). Biré (Louis-David-Jonas de), né à Lorient le 26 juin 1795, décédé à Paris le 11 janvier 1859, et Augustine Nugent, veuve de Biré, née à Londres le 30 avril 1818, décédée à Paris le 22 mars 1868. — Au fond d’une chapelle, une statue en marbre blanc (grandeur nature) représentant le Christ, en pied, debout sur le tombeau qu’il vient de quitter ; il tient une croix de la main gauche et du doigt de la main droite, levée, il indique le ciel. Cette statue est due au ciseau de J. Duseigneur. (36e div.) Voy. le Journal des Arts du 17 juillet 1891. Renseignements fournis par Mme la baronne R. de Mandell (26 juin 1897). Le marbre, d’après lequel a été obtenu le bronze qui nous occupe, a figuré au Salon de 1855, sous le no 4309. Ce buste a figuré au Salon de 1864, sous le no 2572. Monuments funéraires, etc., t. II, pl. xxii. Renseignements fournis par M. J. Marcel, arrière-petit-fils de Roland (15 juin 1897). Monuments funéraires, etc., t. I, pl. vii, viii. Le Père-Lachaise, etc., pl. xii Monuments funéraires, etc., t. I, pl. xii. Le Pére-Lacbaise, etc., pl. xvi. Monuments funéraires, etc., t. II, pl. ii, iii et iv. Le Père-Lachaise, etc., pl. xviii. Recueil de divers tombeaux, etc., pl. ix. Architecture funéraire contemporaine, 1re section C, pl. v. Monuments funéraires, etc., t. I, pl. xiii. Le Père-Lachaise, etc., pl. xvi. Monuments funéraires, etc., t. II, pl. xxxi. Monuments funéraires, etc., t. II, pl. xxxvii. Monuments funéraires, etc., t. I, pl. iii et iv. Le Pére-Lachaise, etc., pl. xviii. Dezobry, dans son Dictionnaire, écrit « 1784 ». Architecture funéraire contemporaine, etc., 2e section B, pl. iii. L’inhumation au cimetière du Père-Lachaise a eu lieu le 7 février 1879. Ce médaillon est la reproduction agrandie de l’œuvre modelée par P.-J. David d’Angers en 1845. Cet agrandissement a été exécuté par M. J. Héritier, sculpteur. Renseignements fournis par M. Émile Trélat, député, fils d’Ulysse Trélat (30 mai 1897), et par M. J. Héritier (26 juillet 1897). Architecture funéraire contemporaine, etc., ire section C, pl. vi. Voy. Vapereau, Dictionnaire des contemporains, édit. de 1880, p. 1120. Monuments funéraires, etc., t. I, pl. i. M. Léon Noël, qui a fait placer son buste sur le tombeau dans lequel reposent plusieurs membres de sa famille, compte toujours parmi les vivants. Ce buste a figuré au Salon de 1889, sous le no 4282. Ces dates ne concordent pas avec celles données par Lalanne : 5 janvier 1767 et 12 décembre 1824. Monuments funéraires, etc., t. I, pl. i. Le Père-Lachaise, etc., pl. ii. Ce buste a figuré au Salon de 1861 sous le no 3309. Renseignements fournis par M. C. Poussin (24 août 1897). Sur le monument est gravé : « Souvenir du passage de sa sœur et de son père âgé de 76 ans (4 juillet 1855). Nous ne sommes pas parvenu à découvrir le nom de Dorier dans une publication quelconque. Il se peut, au surplus, que notre lecture ne soit pas exacte. Architecture funéraire contemporaine, 2e section D, pl. xv. Son buste a été exposé au Salon de 1879 sous le no 4980. Renseignements fournis par M. Doublemard (16 juin 1897). Renseignements fournis par M. J. Héritier (26 juillet 1897). Ce monument se trouve reproduit dans la Gazette des Beaux-Arts, année 1890, 3e période, t. III, p. 42. Renseignements fournis par M. le Dr A. Royer, frère de l’artiste dramatique (25 août 1895). Architecture funéraire contemporaine, Ire section C, pl. iv. Renseignements fournis par M. Gennerat, architecte. La statuette est le portrait de la jeune morte (25 août 1897). Malgré nos recherches, nous ne sommes pas parvenu à identifier cette signature qui est d’ailleurs très fruste et dont nous ne garantissons pas l’orthographe. Monuments funéraires, etc., t. I, pl. x. Architecture funéraire contemporaine, 2e section C, pl. xiii. Voy. Revue universelle des arts, t. XII, p. 368. |
La Sculpture dans les cimetières de Paris/Père-Lachaise/R | Henry Jouin La Sculpture dans les cimetières de Paris/Père-Lachaise La Sculpture dans les cimetières de Paris, 3e série, tome 13, 1897 (p. 200-205). journalLa Sculpture dans les cimetières de ParisLa Sculpture dans les cimetières de Paris/Père-LachaiseHenry JouinCharavay frères1897ParisC3e série, tome 13Nouvelles archives de l’art français, 3e série, tome 13.djvuNouvelles archives de l’art français, 3e série, tome 13.djvu/7200-205 RAGGI (Nicolas-Bernard). Frochot (Nicolas-Thérèse-Benoist, comte), administrateur, député aux États généraux, préfet de la Seine, puis des Bouches-du-Rhône, né à Ainay-le-Duc en 1757, décédé le 29 juillet 1828. — De chaque côté de la porte d’une chapelle est un bas-relief en marbre (H. 1m 80. L. 1m). Celui de droite représente une jeune femme en pleurs, assise en face d’un édicule simulé ; elle a les mains jointes et la tête laurée. Celui de gauche a pour sujet un homme ayant le torse nu, la tête couronnée d’une branche de cyprès ; il est également assis devant un cippe simulé ; la jambe droite est relevée ; les mains sont posées sur le genou. Ces deux bas-reliefs sont signés : Raggi, 1829. La sculpture décorative a été exécutée par Plantar. La chapelle, construite en 1841, d’après les dessins de H. Godde, architecte, a été gravée par L. Normand et par Collette, d’après un dessin de Quaglia. (37e div.) Raggi. Lanneau (Pierre-Antoine-Victor de), littérateur, fondateur du collège Sainte-Barbe (1798), né à Bard (Côted’Or) le 25 décembre 1758, décédé à Paris le 31 mars 1830. — Buste en marbre blanc (H. 0m 55). Non signé. Ce buste est une copie d’un marbre sculpté par Raggi. C’est L.-P. Haudebourt, architecte, ancien élève de Sainte-Barbe, qui a dessiné et fait élever le monument. Le même artiste s’est chargé d’obtenir la répétition du buste original de Raggi. On ne sait à quel sculpteur est due cette copie. (39e div.) RAMUS (Joseph-Marius). Piquelière de Messemé (Mme de la), née Ann Holmes, auteur de poésies dramatiques et autres en langue anglaise. — Bas-relief en marbre blanc (H. 0m 38. L. 0m 32), représentant une femme assise tenant une lyre dans la main gauche et un livre dans la main droite. Signé : Ramus, 1836, (21e div.) Ramus. Aguado (Alexandre-Marie, marquis de Las Marismas del Guadalquivir), colonel, banquier, protecteur des artistes, né à Séville le 28 juin 1785, décédé à Guon (Asturies) le 12 avril 1842. — Monument surmonté de deux statues en marbre : à gauche, les Arts : une jeune femme, le torse demi-nu, tient dans sa main droite relevée un maillet de sculpteur ; à droite, la Bienfaisance : une jeune femme drapée, tenant un oiseau de la main gauche, et ayant des épis de blé dans l’autre main. Ces deux statues sont signées : Mus Ramus, 1844. Le monument, construit d’après les dessins de Pellechet, architecte, est en outre décoré de génies sculptés en relief. Il est gravé par L. Normand. (45e div.) Ramus. Seguin (Famille). — Chapelle sur les pilastres desquels sont placées deux statues : à gauche, la Science appuie la main sur le globe ; à droite, l’Industrie est accoudée sur un marteau posé sur une enclume. Ces deux œuvres sont dues au ciseau de Ramus, et datent de 1857. Sur la face latérale gauche, un bas-relief représentant des génies dessinant et mesurant ; la face latérale droite est également occupée par des génies. Ces bas-reliefs, ainsi que l’ensemble de la décoration extérieure et intérieure, sont dus au ciseau de M. Fourdrin. La chapelle a été construite sur les dessins de MM. Fourdrin frères et Nourrigat, architectes. Gravé par Guillaumot et Boudrot. (36e div.) Ramus. Blanchard (P. F. E. Gabriel), né en 1832, décédé en 1853. — Buste en bronze (H. 0m 26). Signé : Ramus. (59e div.) REDELSPERGER (Louise BELLOC, Mme). Redelsperger (Jean Jacques), né en 1815, décédé en 1882. — Médaillon ovale en bronze (H. 0m 40. L. 0m 30). Signé : Louise Redelsperger, née Belloc. (20e div.) RICCI (Étienne). Desbassyns (Joseph Panon, baron), né à l’île Bourbon le 23 février 1780, décédé à Paris le 17 avril 1850, Élisabeth Pajot, baronne Desbassyns, née à l’île Bourbon le 26 septembre 1783, y décédée le 3 mai 1844, inhumée à Paris le 21 avril 1855, et Marie-Antoinette Pajot, veuve Dumont, née à l’île Bourbon le 14 octobre 1781, décédée à Paris le 28 octobre 1861. — Statue en marbre (H. 0m 70) : Femme voilée, assise à terre ; les mains sont jointes et la tête est inclinée sur la poitrine dans l’attitude d’une profonde douleur. À sa droite est une colonne surmontée d’une urne funéraire en partie recouverte d’une draperie retombant le long de la colonne. Signée à la base de la colonne : Étienne Ricci de Florence F. (6e div.) RICHARD (F.). Wimpffen (Emmanuel-Félix de), général de division, né à Laon le 13 septembre 1811, décédé à Paris le 25 février 1884. — Buste en bronze (H. 0m 90) Signé : F. Richard, de Vannes. Thiébaut frères fondeurs. (47e div.) RINGEL D’ILLZACH (Jean). Weiss (Jean-Jacques-Auguste), conseiller d’État, ministre plénipotentiaire, né en 1827, décédé en 1891. — Buste en marbre (H. 0m 70), par Ringel. L’inscription suivante est gravée sur une pierre verticale : « Jean-Jacques-Auguste Weiss, fils de Rose et de Jacques. 1827-1891. Il fut successivement enfant de troupe, professeur, conseiller d’État, ministre plénipotentiaire. Il écrivit pour la défense des libertés publiques, de bonnes maximes de gouvernement et de bon goût. Il resta bon, pauvre et sans intrigue. Honneur à sa mémoire. » (6e div.) ROBERT (J.). Drache (Fénelon-Émile), docteur-médecin, inhumé le 24 avril 1877, à l’âge de 62 ans. — Buste en marbre (H. 0m 45). Signé : 1862, J. Robert. (86e div.) ROBINET (Pierre-Alfred). Gay (Edmond-Adolphe), lieutenant de cavalerie, décédé en Afrique le 11 mai 1842. — Tombeau en marbre (H. 2m 15) simulant un rocher et un tronc d’arbre. Au pied de l’arbre, la tunique de l’officier et des couronnes d’immortelles ; au-dessus sont disposés en pyramide, dans les branches de l’arbre, une cuirasse, un casque, des épaulettes, une épée, des gants, un revolver, etc. Signé : P. Robinet, 1844. Ce tombeau, de forme bizarre, élevé sur les dessins de Marcel, architecte, a été gravé par L. Normand. (32e div.) ROGUIER (Henri-Victor). Bellanger (François-Joseph), architecte, né le 12 avril 1744, décédé le 1er mai 1818. — Médaillon en marbre (Diam. 0m 36). Signé : Roguier f. Gravé par L. Normand. (11 div.) ROLARD (François-Laurent). Robinet (Gabriel), membre du Conseil municipal de Paris, né le 15 mars 1849, décédé le 26 juillet 1887. — Buste en bronze (H. 0m 65). Signé : F. Rolard, 1888. Aug. Gouge, fondeur, Paris. Le monument a été élevé par souscription publique. L’inauguration a eu lieu le 29 juillet 1888. C’est également Rolard qui a exécuté la sculpture décorative du monument. (20e div.) ROMAGNESI (Joseph-Antoine). Ravrio (Antoine-André), ciseleur, poète, vaudevilliste, né à Paris le 23 octobre 1759, décédé dans la même ville le 4 décembre 1814, — Buste en bronze (H. 0m 47). Signé : Romagnesi, sculpteur. Gravé par Collette d’après un dessin de Quaglia, et par Obermayer. (10e div.) ROSSEL (Édouard). Léglise (Henri), décédé en 1888. — Statue en bronze (grandeur nature). Signée : Rossel, sculpteur, 1892. Thiébaut frères, fondeurs. Léglise, représenté à demi couché sur son tombeau, tient à la main un livre ouvert sur les feuillets duquel on lit : « Industrie. Commerce. » (90e div.) Rossel. Dutheil (Pierre), membre du Syndicat des inventeurs de France et de l’Association des artistes industriels, de l’Académie nationale manufacturière de l’hygiène de l’enfance, décédé le 19 mai 1891, à l’âge de 51 ans. — Dans le fronton d’une chapelle, buste en marbre blanc (H. 0m 60), par Rossel (62e div.) ROSSETTI. Voy. BOSSETTI. ROUBAUD (Louis-Auguste). Pirou (Ls-Ae). — Buste en marbre blanc (H. 0m 50). Signé : Roubaud jeune, statuaire, 1863. Le monument de Pirou a été élevé sur les dessins de A. Dussourd, architecte. Roubaud. Léchelle (Philippe), membre de sociétés savantes et philanthropiques, né en 1812, décédé en 1875. — Buste en marbre blanc (H. 0m 80). Signé : Paris, 1879, Roubaud jeune. (86e div.) Roubaud. Voy. Lequesne (Eugène-Louis). ROUGELET (Benedict). Berthelier (J.-M.), peintre, né en 1834, décédé en 1881. — Buste en bronze (H. 0m 77). Signé : À mon ami Berthelier, Rougelet, 1882. Sur la face antérieure de la stèle supportant le buste sont fixés une palette et des pinceaux en bronze (9e div.) ROULLEAU (Jules-Pierre). Bouzou (Georges), décédé le 24 août 1894, à l’âge de 58 ans. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 40). Signé : J. Roulleau. (69e div.) Roulleau. Reliquet (Émile), docteur-médecin, né en 1837, décédé en 1894. — Buste en bronze (H. 0m 67). Signé : J. Roulleau, 1895. (96e div.) ROUSSEAU (Jean-Charles). Roussel (Henri-François-Michel), né le 30 juin 1799, décédé le 6 août 1854. — Buste en bronze (H. 0m 73). Signé : Rousseau. J. C. 1854. Fonderie de Eck et Durand. Sur la face antérieure du socle du buste est gravé : « Fois Hri Mhel Roussel. Ses ouvriers reconnaissants. » (48e div.) RUDE (François). Voy. PETITOT (Louis-Messidor). RUTXHIEL (Henri-Joseph). Monge (Gaspard), comte de Peluze, géomètre, membre de l’Institut, né à Beaune (Côte-d’Or) le 10 mai 1746, décédé à Paris le 28 juillet 1818. — Buste en marbré (H. 0m 48), par H. J. Rutxhiel. Un exemplaire du buste de Gaspard Monge décore l’une des salles de l’École polytechnique. Un deuxième exemplaire existe à la Société d’encouragement du travail national, rue Bonaparte, à Paris. Sur chacune des faces latérales du monument de Monge est gravé : « Les élèves de l’École Polytechnique à G. Monge, comte de Peluze, » et sur la face postérieure : « an mdcccxx. » Le monument, élevé sur les dessins de P. Clochar, architecte, est gravé par L. Normand et par Collette d’après un dessin de Quaglia. (18e div.) Monuments funéraires, etc., t. I, pl. xxvi. Le Père-Lachaise, etc., pl. xi. Renseignements fournis par M. Servois, petit-fils, par alliance, de Lanneau, par M. J. Favre, directeur de Sainte-Barbe (11 et 29 septembre 1897). Monuments funéraires, etc., t. II, pl. lxxi. Renseignements fournis par M. Seguin (26 juin 1897). Architecture funéraire contemporaine, 2e section A, pl. vii et viii. Ce buste n’est pas signé, mais il résulte de renseignements qui nous ont été fournis par M. Jouvensel, marbrier, qu’il est dû au sculpteur Ringel d’Illzac (7 juin 1897). Monuments funéraires, etc., t. I, pl. xxi. Monuments funéraires, etc., t. I, pl. vi. Le Père-Lachaise, etc., pl. iv. Architecture funéraire contemporaine, 2e section B, pl. iii. Renseignements fournis par M. Boiton, dit Latour, marbrier, qui a construit la chapelle (26 juin 1897). Ce buste a figuré au Salon de 1881, sous le n° 4266. Renseignements fournis par M. le comte Armand (12 juin 1897). Monuments funéraires, etc., t. I. pl. lii. Le Père-Lachaise, etc., pl. xv. |
La Sculpture dans les cimetières de Paris/Père-Lachaise/C | Henry Jouin La Sculpture dans les cimetières de Paris/Père-Lachaise La Sculpture dans les cimetières de Paris, 3e série, tome 13, 1897 (p. 113-125). journalLa Sculpture dans les cimetières de ParisLa Sculpture dans les cimetières de Paris/Père-LachaiseHenry JouinCharavay frères1897ParisC3e série, tome 13Nouvelles archives de l’art français, 3e série, tome 13.djvuNouvelles archives de l’art français, 3e série, tome 13.djvu/7113-125 CADIOT (Noémie). Voy. VIGNON (Claude). CAILLOUETTE (Louis-Denis). Voy. DAVID D’ANGERS. CAPELLARO (Charles-Romain). Capellaro (Famille). — Statue en marbre (H. 1m 85) : jeune femme ailée, les yeux levés vers le ciel, prête à s’élever dans les airs. Signée : C. Capellaro, 1863. (81e div.) Capellaro. Allan-Kardec (Hippolyte-Léon-Denizard Rivail, dit), fondateur de la philosophie spirite, né le 30 octobre 1804, décédé le 31 mars 1869. — Buste en bronze (H. 0m 53). Signé : Capellaro, 1870, Fdu par Vor Thiébaut. (44e div.) Capellaro. Houel (Charles-François), décédé le 18 juillet 1870, à l’âge de 45 ans, et Houel (Ferdinand), décédé le 5 avril 1893, à l’âge de 37 ans. — Statue en pierre (H. 1m 55) : un ange en pied, debout, ayant les ailes ouvertes et les bras croisés. Signée : C. Capellaro. (62e div.) Capellaro. Leclert (Emile), né en 1862, décédé en 1895. — Médaillon en marbre blanc (Diam. 0m 55). Signé : C. Capellaro. (52e div.) CARLIER (Émile). Carlier (Marie-Anne-Adélaïde Brillet, femme de l’architecte Ernest-Joseph-Jean-Baptiste), décédée en 1878 dans sa 36e année. — Groupe en bronze (H. 1m 35) : un ange, qui vient de terrasser Lucifer, s’élève au ciel emportant une jeune femme drapée. Signé : E. Carlier, sculp. J. Graux et Cie fondeurs. Paris, 1879. (63e div.) CARLÈS (Antonin-Jean). Cernuschi (Henri), homme politique et collectionneur, né en 1821, décédé en 1896. Une forte stèle, de forme ronde, en marbre blanc, surmontée d’un dôme, est décorée d’un médaillon de l’amateur ayant pour fond un drapeau dont les plis sont fouillés dans la stèle. Signé : Antonin Cariés, 1897. Les armoiries de Rome, Milan et Paris complètent la décoration du monument. (66e div.) CARLUS (Jean). Vallès (Jules-Louis-Joseph), journaliste, né au Puy (Haute-Loire) le 10 juin 1832, décédé à Paris le 14 février 1885. — Buste en bronze (H. 0m 65). Signé : Carlus, 1887, Griffoul et Lorge, fondeurs à Paris. Sur la face antérieure du tombeau sont gravés ces mots : « Ce qu’ils appellent mon talent n’est fait que de ma conviction. J. V. » (66e div.) CARRIER-BELLEUSE (Albert-Ernest). Wittman (Mme). — Dans une chapelle est placé le buste de Mme Wittmann, en marbre blanc (H. 0m 45), exécuté en 1869. Signé : Carrier-Belleuse. (29e div.) CARTELLIER (Pierre). Denon (le baron Dominique Vivant), dessinateur et graveur, archéologue, diplomate, né à Chalon-sur-Saône le 4 janvier 1747, décédé à Paris le 27 avril 1825. — Statue en bronze (H. 1m 55) : Denon, assis, en costume moderne, la tête nue, tient un crayon dans la main droite. Signée : P. Cartcllier, 1826, Gravé par Collette, d’après un dessin de Quaglia. (10e div.) CAVELIER (Pierre-Jules). Titeux de Fresnois (Philippe-Auguste), architecte, grand-prix de Rome (1842), né à Paris le 13 septembre 1814, décédé à Athènes le 1er février 1846. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 35). Signé : J. Cavelier, Roma, 1847. (39e div.) Cavelier. Cavelier (A.-L.-M.), architecte dessinateur, né à Paris le 9 janvier 1785, décédé le 1er février 1867. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 38). Signé : J. Cavelier, 1867. (8e div., 1re section.) Cavelier. Moore (Edmond). Médaillon en marbre blanc (Diam. 0m 43). Signé : J. Cavelier, 1878. Le tombeau a été élevé à la mémoire de Moore par ses parents et ses amis. (65e div.) CESARI (Colonna). Verdier (Paul), né en 1827, décédé en 1886. — Buste en terre cuite (H. 0m 55). Signé : Colonna Césari, 1862. (96e div.) CHABERT (C). Keller (Ferdinand-Théodore), né à Strasbourg le 3 avril 1812, décédé à Paris le 28 février 1885. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 27). Signé : C. Chabert, 1870. (96e div.) CHALLI (Giuseppe). Besson-Bey (Dora de Steinberg, veuve de l’amiral), décédée le 5 janvier 1839. — Buste en marbre blanc (H. 0m 77). Signé : Giuseppe Challi. (4e div., 2e section.) CHANNEBOUX. Lebrun (Charles-François), duc de Plaisance, homme d’État, littérateur, né à Saint-Sauveur (Manche) le 19 mars 1739, décédé à Saint-Mesme (Seine-et-Oise) le 16 juin 1824. — Monument surmonté d’un fronton porté par huit colonnes. Au-dessous, un sarcophage rectangulaire décoré de bas-reliefs en marbre (H. 0m 95. L. 2m 20 et 0m 75). Côté gauche : médaillon de Lebrun sculpté au centre d’une couronne de chêne ; de chaque côté est un génie ailé accoudé sur la couronne. — Côté droit : Au centre, une femme ailée, debout, pose une couronne de chaque main sur deux stèles simulées supportant les bustes d’Homère et du Tasse ; deux génies nus, ailés, présentent chacun une tablette aux deux maîtres ; on lit sur l’une de ces tablettes : « Traduction de la Jérusalem délivrée », et sur l’autre : « Traduction de l’Iliade d’Homère ». — Face antérieure : Femme debout, drapée, coiffée d’une couronne murale, s’appuyant de la main gauche sur une proue de vaisseau décorée d’armoiries, lions posant leurs pieds sur un écusson ; au bas est gravé : « Gv de la Hollande. » — Face postérieure : Femme debout, drapée, ayant une couronne murale sur la tête ; les mains sont croisées sur la poitrine ; le coude droit pose sur une proue de vaisseau sur laquelle est sculpté un lion passant. Au bas, on lit : « Gv de Gênes. » Ces bas-reliefs ne comportent aucune signature, mais à la base du monument est gravé : « Channeboux, sculpteur à Volvic, dépt du Puy-de-Dôme », et « L.-T. Van Cléemputte, architecte ». Gravé par L. Normand. (5e div.) CHAPU (Henri-Michel-Antoine) et BOUCHER (Alfred). Barbedienne (Ferdinand), fondeur, né à Saint-Martin-de-Fresnoy (Calvados) le 10 janvier 1810, décédé à Paris le 21 mars 1892. — Stèle quadrangulaire, en granit, surmontée du buste en bronze de Barbedienne (H. 0m 85). Signé : H. Chapu. À droite de la stèle, une jeune femme debout tenant d’une main un marteau et de l’autre une palme ; à gauche une jeune femme coiffée d’un casque, ayant une palme dans la main droite. Une jeune fille, demi-nue, est assise sur la pierre tumulaire ; d’une main elle tient une torche renversée. Ces figures, en bronze (grandeur nature), sont de A. Boucher. (53e div.) Chapu et David (Pierre-Jean). Reynaud (Jean-Ernest), philosophe et homme politique, né à Lyon le 14 février 1806, décédé à Paris le 28 juin 1863. — Haut-relief en marbre blanc (H. 2m 95. L. 1m 80) : le génie de l’Immortalité, nu, sans ailes, monte dans l’espace comme la pensée, emporté vers le ciel par son propre poids. Les deux bras sont levés ; une flamme brille sur le front ; les plis tombants d’une draperie qui suit le mouvement du corps marquent la vitesse de l’élan. Signé : H. Chapu. Au-dessous du haut-relief, se trouve le médaillon en bronze du philosophe (Diam. 0m 65). Signé : David, 1838. (63e div.) Chapu. Agoult (Marie-Sophie-Catherine de Flavigny, comtesse d’), dite Daniel Stern, née à Francfort-sur-le-Mein le 31 décembre 1805, décédée à Paris le 5 mars 1876. — Haut-relief en marbre (H. 2m 30. L. 1m 45) : la Pensée est représentée par une jeune femme assise, soulevant son voile de la main droite ; à sa gauche, le buste de Gœthe posé sur une stèle simulée. Dans la partie supérieure du monument est encastré le médaillon en marbre (Diam. 0m 50) de la comtesse d’Agoult, Ce monument est signé : H. Chapu. (54e div.) Chapu. Cogniet (Léon), peintre, membre de l’Institut, né à Paris le 29 août 1794, décédé dans la même ville le 20 novembre 1880. — Monument en marbre formé d’un soubassement, de colonnes et d’un fronton. Dans la face antérieure est sculpté le médaillon du peintre (Diam. 0m 60), par H. Chapu. À la base du monument sont sculptés une palette, des pinceaux, une couronne de laurier et une palme. (15e div.) Chapu. Picard (Louis-Joseph-Ernest), avocat, député, membre du Gouvernement de la Défense nationale, ministre des Finances, ministre de l’Intérieur, ambassadeur, sénateur, né en 1821, décédé en 1877. Demi-ronde bosse en marbre blanc (Diam. 0m 40). Signée : H. Chapu. La sculpture ornementale a été exécutée par J. Héritier, Elle se compose d’une antéfixe avec fleurs de liseron retombant autour du médaillon ; au-dessous, une guirlande traversée par des branches de cyprès ; à la naissance de la guirlande sont des doubles culots d’où partent de petites fleurs. (8e div., 2e section.) Chapu. Bancroft (Clara E. Peabody widow of Eduard), of Boston Mass U. S. A., décédée le 3 septembre 1882 à l’âge de 52 ans. — Haut-relief en bronze (grandeur nature) représentant mistress Bancroft, en pied, debout, tenant un bouquet de fleurs. Signée : H. Chapu. (41e div.) Chapu. Voy. Mercié (Antonin). Voy. Pech (Gabriel). CHAPUY (A.). Provost (Louis), instituteur primaire, né le 13 janvier 1815, décédé le 9 juillet 1865. — Médaillon en marbre blanc (Diam. 0m 40). Signé : À Chapuy, statuaire, 1866. En exergue du médaillon est gravé : « À la mémoire de M. Provost ses élèves reconnaissants. » (49e div., 2e section.) CHAPUY (Jean). Lachat (Jean), artiste dramatique. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 40). Signé : Jean Chapuy, 1876. — : Delabrousse (Marie Lachat, Mme), décédée le 7 janvier 1884 à l’âge de 50 ans. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 23). Non signé. (46e div.) CHARDIGNY-DEMOUGE (Pierre-Joseph). Gambey (Henri-Prudence), ingénieur mécanicien, membre du Bureau des longitudes et de l’Académie des sciences, né à Troyes le 8 octobre 1787, décédé à Paris le 29 janvier 1847. — Buste en bronze (H. 0m 52). Signé : Chardigny-Demouge Ft Paris, 1847, Fie de Eck et Durand. (15e div.) CHARNOD (A.). Elson (Philippe d’), né à Saint-Pétersbourg en 1785, décédé à Paris le 4 novembre 1867. — Buste en bronze (H. 0m 48). Signé : A. Charnod fondeur 1878. (56e div.) CHARODEAU. Poinat (Gabriel), chef du 94e bataillon de la garde nationale de Paris, 1870-1871, maire d’Yvry-sur-Seine, né en 1811, décédé en 1879. — Buste en bronze (H. 0m 55). Signé : Charodeau. J. Bigan, fondeur. (46e div.) CHARRIER (Pierre-Édouard). Hachin (Édouard), président d’honneur de la Lice chansonnière. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 30). Signé : Édouard Charrier, 1892. Le monument d’Édouard Hachin a été élevé à sa mémoire par sa famille et ses amis. (71e div., 1re section.) CHATROUSSE (Émile-François). Soyer (Ernest), décédé le 19 octobre 1857. — Buste en pierre (H. 0m 45). Signé : E. Chatrousse, 1852. (73e div., 2e section.) CHAVALLIAUD (Léon-Joseph). Paupy (Barthélémy), industriel, né à Noaille (Creuse) le 6 février 1826, mort à Paris le 17 mars 1892. — Buste en bronze (H. 0m 68). Signé : D’après photographie, Chavalliaud, 1892. (92e div.) CHEVALIER (Jacques-Marie-Hyacinthe). Lefébure-Wéli (Louis-James-Alfred), organiste, compositeur, né à Paris le 13 novembre 1817, décédé dans la même ville le 31 décembre 1869. — Buste en marbre (H. 0m 50), par H. Chevalier. Au-dessous du buste, un bas-relief en marbre (H. 1m 02. L. 0m 95) : la Musique, personnifiée par une figure ailée, drapée, est debout ; de la main droite elle dépose une palme sur le clavier d’un orgue dont le buffet est recouvert de tentures de deuil ; dans la main gauche, pendante, est une harpe. Signé : H. Chevalier, statuaire, 1873. Le monument de Lefébure-Wéli a été élevé par sa famille, ses élèves et ses amis. La sculpture décorative est due au ciseau de M. Paul Lebègue. (4e div., 2e section.) Chevalier. Mouton (l’abbé Eugène), aumônier de la marine, décédé à Paris le 24 avril 1862. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 30). Signé : « À mon ami A. E. Mouton, H. Chevalier, 1855. » (50e div.) Chevalier. Lerendu (Louise), décédée le 29 mars 1882 à l’âge de 13 ans. — Demi-ronde bosse en marbre blanc (Diam. 0m 45), par H. Chevalier. (60e div.) CHOISELAT (Ambroise). Barillet (Jean-Pierre), jardinier en chef de la ville de Paris, architecte paysagiste, né à Saint-Antoine, près Tours, le 7 juin 1824, décédé le 12 septembre 1873. — Buste en bronze (H. 0m 65). Signé : Amb. Choiselat, 1875. Le buste a été érigé par les amis de l’artiste. Le monument, dont la décoration sculpturale est due au ciseau de Jacomard, a été élevé sur les dessins de l’architecte P. Bénard. (69e div.) CLÉSINGER (Jean-Baptiste-Auguste). Soulié (Frédéric), littérateur et romancier, né le 24 décembre 1800, décédé le 23 septembre 1847. — Demi-ronde bosse en bronze (Diam. 0m 44). Signé : Clésinger, sculpteur. La sculpture décorative du monument a été exécutée par Roland. (48e div.) Clésinger. Chopin (Frédéric), compositeur, né à Zaclozowa-Wola (Pologne), décédé à Paris le 17 octobre 1849. — Statue en marbre (H. 1m 07) : figure allégorique de la Musique, assise, drapée à l’antique, et tenant une harpe ; la tête, couronnée de verveine, est inclinée dans l’attitude d’une profonde douleur. Signée : J. Clésinger, 1850. Sur la face antérieure du piédestal de la statue est encastré le médaillon ovale en marbre de Chopin (H. 0m 45. L. 0m 32). Signé : J. Clésinger. (11e div.) COMERRE-PATON (Mme Jacqueline). Paton (Émilie Pacini, Mme Jules), écrivain, membre de la Société des gens de lettres, décédée le 19 janvier 1887, dans sa 67e année. — Médaillon en bronze (Diam. 0m 60) placé dans le fronton d’une chapelle. Signé : Jacqueline Comerre, née Paton. On lit en exergue du médaillon, exécuté en 1887 : « Jacques Rozier ». Ce nom est le pseudonyme sous lequel Mme Paton, qui était officier d’académie, a publié ses romans et ses critiques sur les Salons (81e div.) CORDONNIER (Alphonse-Amédée). Legrand (Pierre), publiciste, député de Lille, ministre, né à Lille le 13 mai 1834, décédé à Paris le 31 mai 1895. — Sur l’acrotère d’une chapelle est placé le buste en marbre blanc de l’homme d’État (H. 0m 80), par A.-A. Cordonnier. Sur le socle du buste est gravé : « À Pierre Legrand, ses amis. » La chapelle, érigée sur les dessins de M. Alexandre Marteau, architecte, est construite en granit de Montjoie (Manche). L’attique, formant avant-corps, est supporté par deux colonnes monolithes avec chapiteaux ioniques. L’acrotère est à volutes pour ménager l’emplacement du buste ; les volutes sont reliées par une guirlande de feuilles de laurier, de chêne et de rubans, sculptée dans le granit. Le dôme, d’un seul bloc, est évidé à l’intérieur pour former coupole afin de recevoir le lampadaire. Ce dôme, qui comprend la corniche d’entablement, est à ressauts et a une hauteur de 1m 33. La croix surmontant le dôme est également d’un seul bloc, avec rosace dont les extrémités ancrées comportent une pomme de pin. La porte de la chapelle, en bronze fondu et ciselé, est à deux vantaux. Chaque panneau est décoré d’une branche de palmier à feuilles ajourées, avec une petite branche grimpante de lierre. (92e div.) CORTOT (Jean Pierre). Casimir-Périer, homme d’État, né à Grenoble le 21 octobre 1777, décédé à Paris le 16 mai 1832. — Monument quadrangulaire surmonté de la statue en bronze (H. 2m 90) de l’homme d’État. Il est représenté en pied, debout, la main gauche posée sur la tribune dont la face antérieure porte : « Charte de 1830. » Signée : Cortot, 1837. Des bas-reliefs en marbre (H. 1m. L. 2m) décorent trois côtés du monument. — Face antérieure : l’Éloquence, debout, la tête laurée, lève la main droite, tandis que la main gauche serre un manuscrit. — Côté droit : la Justice, debout, drapée à l’antique, s’appuie d’une main sur une épée nue et, de l’autre, tient les balances. — Côté gauche : la Fermeté debout, drapée à l’antique, est coiffée d’une dépouille de lion ; elle a un rameau de chêne dans la main gauche et s’accoude sur un fût de colonne. Ces bas-reliefs sont également dus au ciseau de Cortot. — Sur l’entablement du monument on lit : « Sept fois élu député, président du Conseil des ministres sous le règne de Philippe Ier, il défendit avec éloquence et courage l’ordre et la liberté dans l’intérieur, la paix et la dignité nationale à l’extérieur. » — Au-dessous de l’Éloquence est gravé : « La Ville de Paris, pour consacrer la mémoire d’un deuil général, a donné à perpétuité la terre où repose un grand citoyen. » — L’inscription suivante est gravée sur la face postérieure : « La reconnaissance publique a érigé ce monument sous la direction d’Achille Leclère architecte, de Cortot statuaire, et par les soins des commissaires. » Gravé par L. Normand et par Marlier, d’après un dessin de Demont. (Rond-point Casimir-Périer.) COUPON (Jean-Joseph). Destouches (Louis-Nicolas-Marie), né le 20 mai 1788, décédé le 24 janvier 1851, et Armandine-Edmée Destouches, née Charton, décédée le 8 juillet 1831. — Leurs deux portraits accolés dans un médaillon en marbre (Diam. 0m 50). Signés : Coupon, 1853. Le tombeau des époux Destouches, élevé d’après les dessins de Caristie, architecte, a été gravé par L. Normand. (38e div.) COURTET (Xavier-Marie-Benoît-Auguste, dit Augustin). Baroche (Ernest), chef du 12e bataillon des gardes mobiles de la Seine, tué au Bourget le 30 octobre 1870. — Buste en bronze (H. 0m 65). Signé : A. Courtet, 1872. (4e div., 2e section.) Courtet. Uhrich (Jean-Jacques-Alexis), général de division, né à Phalsbourg (Meurthe) le 15 février 1802, décédé à Paris le 9 octobre 1886. — Buste en bronze (H. 0m 75). Signé : A. Courtet, 1872. (50e div.) Courtet. Voy. Lequesne (Eugène-Louis). COUTAN (Jules-Félix). Alphand (J.-Charles-Adolphe), ingénieur, inspecteur général des ponts et chaussées, directeur des travaux de Paris, membre de l’Institut, né à Grenoble (Isère) le 26 octobre 1817, décédé à Paris le 6 décembre 1891. — Buste en bronze (H. 0m 80). Signé : Jules Coutan, 1890. Le monument a été construit sur les dessins de l’architecte Formigé (66e div.) COUTAN (Mme Laure). Laurent (Marcel), sous-officier, décédé à Phu-Lang-Thuong (Tonkin) le 2 mai 1888, à l’âge de 22 ans. — Demi-ronde bosse ovale en bronze (H. 0m 40. L. 0m 36). Signée : L. Martin Coutan. (36e div.) Coutan (Mme.) Gill (Louis-Alexandre Gosset de Guinnes, dit André), caricaturiste, né à Paris le 17 octobre 1840, décédé à Charenton le 2 mai 1885. — Buste en bronze (H. 0m 80). Signé : Laure Coutan, 1893. (95e div.) Coutan (Mme.) Balon (Camille-Constantin), décédé le 27 juillet 1892, âgé de 46 ans. — Demi-ronde bosse ovale en bronze (H. 0m 45. L. 0m 35). Signé : Laure M. Coutan, 1893. (36e div.) CRAUK (Gustave-Adolphe-Désiré). Béclard (Léon-Philippe), ministre plénipotentiaire, né en 1820, décédé à Tanger le 7 mars 1864. — Tombeau en marbre surmonté de la Douleur, statue en bronze (H. 1m 25) : jeune femme affaissée, entourant de son bras gauche un édicule sur la face antérieure duquel est sculpté le portrait de Béclard. Signé : Crauk, 1864. (4e div. 1re section.) Crauk. About (Edmond-François-Valentin), littérateur, membre de l’Académie française, né à Dieuze (Meurthe) le 14 février 1828, décédé à Paris le 26 janvier 1885. — Statue en bronze (grandeur nature) : About est représenté assis dans un fauteuil, tenant un livre dans la main gauche et une plume dans la main droite. Signée : Crauk. Thiébaut frères fondeurs. Le monument d’Edmond About, élevé par souscription, a été exécuté sur les dessins de W.-O.-W. Bouwens, architecte. L’inauguration a eu lieu le 20 décembre 1887. (36e div.) Crauk. Voy. Bra (Théophile-François-Marcel). CUGNOT (Et.) et CUGNOT (Louis-Léon). Lafabrègue (Pierre-Alexandre), né le 26 décembre 1795, décédé le 5 juin 1849. — Médaillon ovale en bronze (H. 0m 25. L. 0m 22). Signé : Et. Cugnot, 1849. — M.-L. Laperlier, veuve Lafabrègue, décédée le 23 janvier 1880, dans sa 68e année. — Médaillon ovale en marbre (H. 0m 22. L. 0m 19). Signé : Cugnot Léon, 1859. (32e div.) CUGNOT (Louis-Léon). Clément-Thomas (Jacques-Léonard), représentant du peuple, général commandant en chef la garde nationale de Paris en 1848 et en 1870, né à Ronzac (Gironde) le 31 décembre 1809, et Claude-Martin Lecomte, général de brigade, né à Thionville (Meurthe) le 8 septembre 1817. Ces deux généraux furent fusillés par les fédérés le 18 mars 1871. — Monument en granit très orné, sur la face antérieure duquel est sculptée en haut-relief (H. 2m 30) la figure allégorique de la Justice, debout, brandissant une épée de la main droite et ayant une couronne dans la main gauche. Signé : Cugnot. Le monument a été construit sur les dessins de M. Ernest-Georges Coquart, architecte. — L’inscription suivante est gravée sur le monument : « République française. L’Assemblée nationale a adopté, le Président du Conseil, chef du pouvoir exécutif de la République française, promulgue la loi dont la teneur suit : Art. Ier. L’assassinat des généraux Clément-Thomas et Lecomte est un deuil public auquel l’Assemblée appelle le pays tout entier à s’associer. — Art. 2. L’Assemblée nationale assistera à un service solennel qui sera célébré à cette occasion dans la cathédrale de Versailles. — Art. 3. Un monument funèbre sera élevé aux frais de l’État aux généraux Clément-Thomas et Lecomte. Loi du xxvi mars mdccclxxi. » (4e div. Ire section.) Le marbre appartient à M. Wittmann. Renseignements fournis par le propriétaire du buste, le 10 septembre 1897. Le Père-Lachaise, etc., pl. x. M. le comte de Maillé, sénateur de Maine-et-Loire, nous écrit, à la date du 13 juillet 1897, que le monument du duc de Plaisance a été élevé à sa mémoire, en 1851, par Mme de Chabot-Volvic et que celle-ci avait choisi Channeboux, sculpteur à Volvic, pour exécuter la sépulture dont elle avait pris l’initiative. Monuments funéraires, etc., t. II, pl. xx et xxi. Le marbre d’après lequel a été fondu ce bronze a figuré au Salon de 1882, sous le n° 4198. Le modèle de ce haut-relief a figuré au Salon de 1880, sous le n° 6177, et le marbre au Salon de 1882, sous le n° 4197. Le modèle de ce haut-relief a figuré au Salon de 1877, sous le no 3643. Mistress Bancroft, qui avait d’abord été inhumée à Passy, fut transportée au Père-Lachaise le 28 mai 1884. Une inscription gravée sur la face postérieure du monument nous apprend qu’il a été élevé, en témoignage d’un pieux souvenir, par « son gendre et ses petits-enfants pour accomplir les dernières volontés de sa fille la comtesse Tyszkiewicz. » Le modèle de ce buste a figuré au Salon de 1848, sous le n° 4661. Renseignements fournis par M. Paul Lehègue (28 juin 1897). Ibidem. Renseignements fournis par M. Justin Peytoureau, gérant de la maison G. Trouvain (27 juin 1897). Renseignements fournis par Mme Jacqueline Comerre, fille de Mme Paton (10 septembre 1897). Nous devons ces renseignements à l’obligeance de M. Alexandre Marteau (21 juin 1897). Monuments funéraires, etc., t. II, pl. xlv et xlvi. Recueil de divers tombeaux, etc., pl. x. Ce monument, élevé au moyen d’une souscription nationale à laquelle ont pris part 24.000 souscripteurs, a coûté 58.639 fr. 50. Monuments funéraires, etc., t. I, pl. xxx. Ce buste a figuré au Salon de 1872, sous le no 1622. Voy. le Petit Moniteur universel du 10 février 1888. |
Dictionnaire de Trévoux, 1771, I.djvu/904 | ''mercurielle''. C’est la femme du ''Gabrien'', ou soufre des Philosophes.
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BEYNES. Lieu du Hainaut. Il y a des Lettres de {{roi|Louis|XI}}, données à ''Beynes'' en Haynaut, le 3 Août 1461, par lesquelles il ôte l’Office de Chevalier du Guet à Philippe de la Tour.
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BEYUPURA. s. m. Poisson de la mer du Brésil, qui est fort gras, d’un bon goût & sain. Il est long de six ou sept palmes. Il a le dos noir & le ventre blanc, & approche fort de l’éturgeon de Portugal. On le prend avec l’ameçon dans la pleine mer.
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{{PetitTitre|{{sp|BEZ.}}}}
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BEZA. Nom d’une Divinité. adorée à Abyde. ''Voyez'' {{sc|BEZA}}.
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☞ BEZANITES, ou BEZANIENS. Nom d’une secte imaginaire qui s’éleva, dit Prateolas, & ceux qui l’ont copié, sous l’Empire de {{roi|Charles|V}}, & sous le Pontificat de {{roi|Jules|III}}, vers l’an 1550. Lindanus avoit dit la même chose avant lui. Ce qu’il y a de certain, dit Bayle, c’est qu’il n’y a point eu dans le XVI siècle de personnes qui, en qualité de disciples de Théodore de Beze, aient fait secte à part.
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BEZANS. s. m. pl. Toiles de coton qui se tirent de Bengale. Il y en a de blanches & de rayées de diverse couleur.
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BEVANT. ''Voyez'' {{sc|BEZANT}}.
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☞ BEZAT. ''{{lang|la|Basia}}'', ou ''{{lang|la|Besara}}''. Ville d’Afrique, au royaume de Fez, dans la Province de Habat.
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BEZESTIN, ou BEZESTAN. s. m. Terme de relation. Marché, halle, lieu où se vendent différentes marchandises à Andrinople & dans quelques autres villes des Etats du Grand-Seigneur. ''{{lang|la|Forum nundinale, atrium, porticus nundinaria}}''. Au-delà de cette mosquée, (la mosquée neuve à Constantinople) sont les deux ''Bezestins'', le vieux & le neuf, assez près l’un de l’autre. Ce sont deux grandes places carrées & couvertes, dans lesquelles se vendent tous les jours de l’année les choses qui servent plus au luxe qu’à la nécessité. On vend dans le vieux de beaux harnois, les cimeterres enrichis d’or, d’argent & de pierreries, les porcelaines, & enfin toutes les gentillesses de la vanité ; dans le neuf on y vend les tapis & les étoffes d’or, d’argent & de soie. {{sc|Du Loir}}, ''p.50''.
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BEZET. s. m. Terme de Trictrac, qui signifie deux as, en dez. ''{{lang|la|Lusoriæ tesseræ monas gemina}}''. Ce mot vient de ''{{lang|la|bis}}'', & ''{{lang|la|as}}''. On dit dans le même sens ''ambesas''.
☞ BEZETTA. s. m. Crepon ou Linon très-fin, teint avec de la cochenille dont les femmes se servent pour se farder.
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BEZI ''Voyez'' {{Tr6L|BESI}}.
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BEZIER. s. m. Poirier sauvage qui porte beaucoup de fruit fort menu & fort âpre. Les poires s’appellent ''besies, bezialles''. On en peut faire un bon fruit en les cuisant, telles que sont les ''Besies d’Heri'' & de l’Echassière. ''Dict. des Arts 1731''. Voyez {{Tr6L|BEFI|''Besi''}}, & ce qu’en dit {{M.|Huet}} dans le ''II Tom. de ses Dissertations recueillies par {{M.|l’Abbé}} de Tilladet, p. 177''.
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BEZIERS. Ville épiscopale de France, dans le Languedoc, sur une colline, autour de laquelle passe la rivière d’Orbe. Pline l’appelle ''{{lang|la|Bliterræ Septimanorum}}''. Ptolomée l’appelle {{lang|grc|Βαιτίραι}}, ''{{lang|la|Betiræ}}''. Casaubon a cru que c’étoit une faute, & qu’il falloit un L, {{lang|grc|Βλετίραι}} ; mais il s’est trompé. Julien de Tolède, Gregoire de Tours, l’Appendix de Frédégaire, la Table de Peutinger & Æthius disent ''{{lang|la|Beterras}}''. Holstenius dit que {{M.|Peyresc}} lui avoit fait présent d’une médaille, sur Laquelle on lisoit {{lang|grc|Βητηρράτον}}, qu’ainsi il faut dire ''Bæzerra'', {{lang|grc|Βαίτερρα}}, & que par-tout où il y a ''{{lang|la|Bliterra}}'' ou ''{{lang|la|Biterræ}}'', c’est une faute qui consiste en ce qu’on a pris un {{lang|grc|Α}} pour un {{lang|grc|Λ}}, & qu’au lieu de {{lang|grc|ΒΑΙΤΕΡΡΑ}} on a lu {{lang|grc|ΒΛΙΤΕΡΡΑ}}. D’autres soutiennent qu’on a dit l’un ou l’autre, ''{{lang|la|Bliterræ}}'', ou ''{{lang|la|Biterræ}}'', ou ''{{lang|la|Bæterræ}}''. Le plus ancien Evêque de Beziers, que l’on connoisse, est S. Aphrodise, que l’on prétend avoir été disciple des Apôtres. ''Beziers'' a eu des Vicomtes. {{sc|T. Cor. Maty}}. Hoffman donne à ''Beziers'' {{Angle|23|50}} de longitude, & {{Angle|24|42}} de latitude.
Cette ville a {{Angle|20|44|33}}, de longitude, & {{angle|43|20|25}} de latitude. {{sc|Acad. de Bez}}. Et selon l’Acad. de Montp. {{Angle|43|21}} de latitude. La tour de ''Beziers'' a {{Angle|20|43|36}} de longitude, & {{Angle|43|20|37}} de latitude. {{sc|Cassini}}. ''Voyez'' sur ''Beziers'' Cat. ''Hist. de Lang. Liv. II, Ch.3 p. 273 ; & Liv. IV, p. 644, 645''. Andoque, ''Hist. de Lang. p. 15, 36, 51''.
☞ La charmante situation de ''Beziers'' a donné lieu de dire que si Dieu vouloit choisir un séjour sur la terre, il n’en prendroit point d’autre que ''Beziers''. Ce qu’on a exprimé par ce vers latin :
{{Citation|''{{lang|la|Si Deus in terris, vellet habitare Bitorsis.}}''}}
Quelqu’un qui croyoit avoir lieu de se plaindre des habitans, ajouta, ''{{lang|la|ut iterùm crucifigeretur}}''. Oui pour être crucifié de nouveau.
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BÉZOARD. s. m. Plusieurs écrivent ''bézoart'', ''bézoars'', sans ''d''. Le ''Bézoard'' n’est que la pierre du fiel de plusieurs espèces d’animaux des Indes, tant orientales qu’occidentales, comme chèvres, cochons, singes, ''&c''. Cette pierre médicinale est un excellent contrepoison. ''{{lang|la|Lapis bezohar}}''. Quelques-uns disent qu’elle se trouve dans le ventre d’un animal nommé ''Pazan''. C’est une espèce de bouc, ou de chevreuil qui a le poil court, & un bois presque semblable à celui du cerf. Du Renou dit que cet animal est très-agile & fort cruel ; qu’il tue souvent les chasseurs qui se pressent trop ; qu’il a la corne des pieds fendue en deux comme le bouc ; que ses jambes sont assez grosses, sa queue courte & retroussée, son corps velu comme celui d’un bouc, mais couvert d’un poil beaucoup plus court, qui est de couleur cendrée tirant sur le roux ; sa tête est comme celle d’un bouc, armée de deux cornes fort noires, creuses en la partie inférieure, & renversées, & presque comme couchées sur le dos, sur lequel elles font un angle obtus en se réunissant. {{M.|Pomet}} confirme ceci, & dit qu’il a vu à Coubert, château du Maréchal de Vitri, deux cornes de cet animal tout-à-fait semblables à celles que Du Renou a décrites.
Le ''bézoard'' oriental qui est le plus estimé, vient de l’Inde, & sur-tout dans le royaume de Golconde, & de Cananor. Quelques-uns disent, dans une province du royaume de Golconde, tirant au nord-est. Dans la Perse & dans les Indes, il est fort ordinaire de trouver le ''bézoard'' dans l’estomac des chèvres, qu’on nourrit en certains pâturages. On ne convient pas néanmoins en quelle partie de l’animal il se forme. Quelques-uns veulent que ce soit dans le coin des yeux, d’autres dans le ventricule ; quelques-autres dans les reins, il y en a qui soutiennent que c’est dans la vésicule du fiel : quelques-uns près du foie ; & enfin les derniers auprès du cœur. Ce que nous avons dit, & ce que nous dirons encore, montre que c’est dans le ventricule, ou estomac.
La figure de ces pierres de ''bézoard'' est différente : les unes sont rondes, les autres oblonges, & les autres semblables à un œuf de pigeon, à un rein, ou à une châtaigne. Leur couleur est différente aussi, tantôt noire, & tantôt cendrée, quelquefois tirant sur le jaune, & quelquefois verdâtre ; mais pour l’ordinaire d’un gris obscur, ou d’un vert noirâtre. Elles sont composées de plusieurs couches ou enveloppes, comme les oignons, qui sont les unes sur les autres, polies {{corr|& &|&}} luisantes, la seconde plus que la première, & ainsi des autres. Ces couches concentriques prouvent que ces corps ne se forment pas tout d’un coup, mais successivement, en recevant des matières propres à leur formation. Au centre de ces pierres il y a une petite cavité, dans laquelle on trouve un peu de poudre qui est de la même nature que la pierre ; ou bien quelque paille, ou bien quelque brin d’herbe, quelques fruits, des féves, des morceaux, ou petit caillou qui sert d’ame au ''bézoard'', c’est-à-dire, qui a donné lieu à la production de la pierre, & qui en a été la base. Leur grosseur est aussi diverse : il y en a qui ne pèsent qu’une dragme, & d’autres qui en pesent douze & quinze, & même davantage.
Pour les éprouver, on les frotte avec de la chaux <section end="BÉZOARD"/>
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<references/> |
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{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|Le Chemin sans but}}, deuxième partie, par [[auteur :Jules-Philippe Heuzey|Jules-Philippe HEUZEY]] |page={{pli|532|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|Les Conditions de l’offensive générale}}, par M. le [[Auteur :Gabriel Malleterre|Général MALLETERRE]] |page={{pli|568|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|Le Troisième Centenaire de Cervantes}}, par M. [[Auteur :Alfred Morel-Fatio|A. MOREL-FATIO]], de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres |page={{pli|591|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|La Question des loyers}}, par M. [[Auteur :Raphaël-Georges Lévy|Raphaël-Georges LÉVY]], de l’Académie des Sciences morales et politiques |page={{pli|620|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|L’Échec de la restauration monarchique en Chine}}, par M. [[auteur :Fernand Farjenel|Fernand FARJENEL]] |page={{pli|640|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|Une Ambulance de gare}}, première partie, par [[auteur :José Roussel-Lépine|José ROUSSEL-LÉPINE]] |page={{pli|663|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|Revue littéraire. — Un nouveau livre de M. Joergensen}}, par M. [[Auteur :André Beaunier|André BEAUNIER]] |page={{pli|685|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|Revue scientifique. — Physiologie de l’aéroplane}}, par M. [[Auteur :Charles Nordmann|Charles NORDMANN]] |page={{pli|697|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre=[[Chronique de la quinzaine - 31 mai 1916|{{sc|Chronique de la quinzaine, histoire politique}}<includeonly> — 31 mai 1916</includeonly>]], par M. [[auteur :Charles Benoist|Charles BENOIST]], de l’Académie des Sciences morales et politiques |page={{pli|709|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|L’Ère nouvelle}}. — ''Problèmes de la guerre et de la paix''. — {{sc|I. Le Problème de la guerre}}, par M. [[Auteur :Gabriel Hanotaux|Gabriel HANOTAUX]], de l’Académie française |page={{pli|721|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|La Correspondance de M. Thiers pendant la guerre de 1870-1871}}. — ''Lettres inédites de Thiers, Mignet, duc de Broglie, Duvergier de Hauranne'', etc. |page={{pli|758|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|Le Barreau de Paris pendant la guerre}}, par M. [[auteur :Charles Chenu|Charles CHENU]] |page={{pli|782|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|La Caricature et la guerre. — II. En Allemagne et chez les neutres}}, par M. [[Auteur :Robert de La Sizeranne|Robert DE LA SIZERANNE]] |page={{pli|806|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|Le Chemin sans but}}, troisième partie, par [[auteur :Jules-Philippe Heuzey|Jules-Philippe HEUZEY]] |page={{pli|842|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|Devant Verdun. — L’Aveu allemand}}. — (''Extraits de lettres allemandes''), par M. [[Auteur :Louis Madelin|Louis MADELIN]] |page={{pli|873|4}}}}
{{table|indentation=-2|largeurp=30|titre={{sc|Une Ambulance de gare}}, dernière partie, par [[auteur :José Roussel-Lépine|José ROUSSEL-LÉPINE]] |page={{pli|910|4}}}}
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{{c|Paris. — Typ. {{sc|Philippe Renouard}}, 19, rue des Saints-Pères. — 53427.}}
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Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/963 | {{c|SIXIÈME PÉRIODE. — LXXXVI{{e}} ANNÉE.}}{{—|lh=1}}
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Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/1029 |
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[[Malgrétout (RDDM)/03|Malgrétout, troisième partie]], par M. [[Auteur:George Sand|George SAND]] |
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La Prusse et l’Allemagne. — IV. — Les états allemands du sud, les partis et les gouvernemens, par M. Victor CHERBULIEZ |
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La Question ouvrière au xix{{e}} siècle. — I. — Le Socialisme et les Grèves, par M. Paul LEROY-BEAULIEU |
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Le Chemin de fer du Pacifique, voyage de San-Francisco à New-York. — III. — Le Chemin de fer de l’Union, Chicago et New-York, par M. Rodolphe LINDAU |
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Le Concile du Vatican, ses préliminaires et sa constitution, par M. Edmond DE PRESSENSÉ |
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Étrange histoire, par M, Ivan TOURGUENEF |
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Les Conditions de la vie chez les êtres animés, par M. Émile BLANCHARD, de l’Académie des Sciences |
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{{table|largeurp=30|indentation=-2|titre=[[Chronique de la quinzaine - 28 février 1870|{{sc|Chronique de la quinzaine, histoire politique et littéraire}}<includeonly> - 28 février 1870</includeonly>]] |
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La Madone de Pérouse au Louvre, par M. L. VITET, de l’Académie Française |
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Revue littéraire. — Les Romans nouveaux |
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Théâtre. — ''L’Autre'' à l’Odéon |
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[[Malgrétout (RDDM)/04|Malgrétout, quatrième et dernière partie]], par M. [[Auteur:George Sand|George SAND]] |
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Un Bouddhiste contemporain en Allemagne, Arthur Schopenhauer, par M. P. CHALLEMEL-LACOUR |
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Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/982 | L’Empire Indo-Britannique sous le gouvernement de la reine depuis 1859, par M. C. CAILLATTE |
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L’Anatomie générale et les travaux de M. Charles Robin, par M. Fernand PAPILLON |
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La Question agraire en Irlande et en Angleterre. — II. — La grande Propriété et le prolétariat rural, par M. É. DE LAVELEYE |
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Le Fiancé de Lenora, par M. Jules GIRARDIN |
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Le Roman politique en Angleterre. — ''Lothaire'', de M. Disraeli, par M. P. CHALLEMEL-LACOUR |
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La Question ouvrière au xix{{e}} siècle. — IV. — Le rôle de la bourgeoisie dans la production, par M. Paul LEROY-BEAULIEU |
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Impressions de voyage et d’art. — V. — Les fruits tardifs de l’Italie. — Le Dominiquin, par M. Émile MONTÉGUT |
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Les Hôpitaux de Paris et le nouvel Hôtel-Dieu, par M. Maxime DU CAMP |
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Une Élection d’évêque d’autrefois. — Rainaud de Martigné, par M. HAURÉAU, de l’Institut |
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Lamartine, sa vie littéraire et politique, première partie, par M. Charles de MAZADE |
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Avice Dare, la première étape d’Anonyma, par M. E.-D. FORGUES |
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La nouvelle Philosophie en France, par M. E. VACHEROT, de l’Institut |
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La Poésie populaire des Magyars, par {{Mme}} DORA D’ISTRIA |
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Le Service de santé d’une armée en campagne, par M. Michel CHEVALIER, de l’Institut |
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La Chine depuis le traité de 1860 et le prince Kong, par M. Paul MERRUAU |
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Revue musicale. — ''L’Ombre'' de M. de Flotow et les théâtres lyriques, par M. F. DE LAGENEVAIS |
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[[Césarine Dietrich (RDDM)|Césarine Dietrich]], première partie, par M. George SAND |
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Les Hommes d’état de l’Angleterre. — Sir George Cornewal Lewis, par M. P. CHALLEMEL-LACOUR |
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Biologie générale. — La Lumière et la Vie, par M. Fernand PAPILLON |
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La dernière Campagne de notre escadre d’évolutions dans la Méditerranée, 1868-1870, par M. Louis REYBAUD, de l’Institut |
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D’une Théorie nouvelle et des idées de M. Edgar Quinet sur la création, par M. Paul de RÉMUSAT |
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La Traite des esclaves en Egypte et en Turquie, par M. Guillaume LEJEAN |
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La Disette des fourrages et les moyens d’y remédier, par M. J.-H. MAGNE |
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La Femme du consul, récits d’un conteur errant, par M. Maurice HARTMANN |
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La Population allemande de Paris, par M. Michel CHEVALIER, de l’Institut |
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Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/15 | C.-P. Arnaud Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris 1825 (Tome 2, p. 68-82). bookRecueil de tombeaux des quatre cimetières de ParisC.-P. Arnaud1825ParisTTome 2Arnaud - Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris, 2.djvuArnaud - Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris, 2.djvu/168-82 (15ème Livraison.) DESCRIPTION DES TOMBEAUX. Planches 57, 58, 59, 60. CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS. Planche 53. TOMBEAU DE LA FAMILLE DELADREUE. Pour arriver à ce monument, on se dirige, en entrant dans le cimetière, à gauche, vers l’avenue des tilleuls. Au bout de cette allée, on se détourne sur la droite et on le trouve le long du bosquet où s’élève le monument de Jacques Delille. Il est construit en marbre, granit de Flandres, et a la forme d’un petit temple de l’ordre paestum. Sa toiture, formée de même marbre, est supportée par quatre pilastres ornés de leurs chapitaux. Au dessous de ce monument, qu’entoure une balustrade en fer, est un caveau qui renferme plusieurs corps, dont voici l’épitaphe principale : Ici repose Jean-Charles DELADREUE, Ancien mnd. épicier-droguiste, à Paris ; Décédé le 17 janvier 1809, Agé de 73 ans, Universellement honoré et chéri De son vivant ; il emporte la vénération Et les regrets. CIMETIÈRE DE MONTMARTRE. Planche 58. TOMBEAU DE MADEMOISELLE CÉCILE. Ce tombeau se voit dans le fond du vallon qui fait face à la principale porte. Il est en pierre, d’une belle forme, et a bien l’aspect d’un monument funéraire. Un massif de lilas le couvre de son ombrage, et lui donne une teinte aussi agreste que lugubre. C’est bien là la nuit du tombeau. ---- CIMETIÈRE DE MONTMARTRE. Planche 59. TOMBEAU DE MONSIEUR ET DE MADAME PAYRE. Ce monument est situé dans le vallon qui est vis-à-vis la porte d’entrée, à droite, en y entrant, et au pied du coteau où il se trouve engagé. Sa forme est celle d’un sarcophage d’un bon style, élevé sur une estrade, et décoré, dans sa partie supérieure, d’une petite corniche à la capucine, architravée. Il est surmonté d’une urne circulaire ; le socle qui le supporte et le tailloir qui en fait le couronnement, sont carrés sur leur plan. L’ensemble de ce sépulcre a six pieds et demi de long sur cinq de large. Un honteux divorce n’a point séparé ces époux pendant leur vie et leurs cendres se confondent après leur mort. Époux, qui contemplez leur tombe, apprenez, par leur union, à ne jamais rompre les nœuds de votre hymen, ---- CIMETIÈRE DE VAUGIRARD. Planche 60. TOMBEAU DU COMMISSAIRE BLAVIER. Ce tombeau se voit à gauche, en entrant par la grande porte du petit Vaugirard. C’est une espèce de sarcophage, construit en pierre, surmonté d’une dalle et adossé contre le mur de clôture : sa partie supérieure est ornée d’un sablier sculpté en relief, dans un renfoncement demi-circulaire. SUR LA MORT DE MADAME DE***. Elle a vécu ce que vivent les roses. Quelle est, sous l’épaisseur d’un lugubre feuillage, Cette tombe, où les fleurs s’unissent aux cyprès ? Quels sont de toutes parts, ces sanglots, ces regrets. Ce morne désespoir, qu’en secret je partage ? La pitié me conduit vers ce fatal séjour. J’y vois, près du tombeau, la plaintive Jeunesse : Ses cheveux sont épars, une sombre tristesse Voile ses yeux mourans, qu’importune le jour ; À ses côtes gémit l’inconsolable Amour... Quel objet nouveau se présente ? C’est la Reine des Arts, en longs habits de deuil. Elle approche, soupire, et sa main languissante Peut à peine graver ces mots sur le cerceuil : » Arrêtez-vous dans ce lieu solitaire ; » À ce funèbre monument » Le malheureux redemande une mère, » Les beaux arts un appui, le monde un ornement... Ah ! je le reconnais, trop aimable Rosire ? Tous les cœurs t’ont nommée à ces augustes traits ; Jouis donc des tributs de ce nouvel empire : Ton âme parmi nous survit à tes attraits, Ombre charmante que j’adore, Puissent jusques à toi parvenir mes douleurs ! La même muse, hélas ! qui chantait ton aurore ; Vent, lorsque tu n’es plus, te célébrer encore ; Je t’offrais de l’encens, et je t’offre des pleurs. Ô toi, de nos destins souveraine sanglante, Inflexible divinité, Horrible mort ta faulx dans l’ombre étincelante, Frappe indistinctement, les talens, la beauté ; Puissai-je, signalant le transport qui m’anime, De tes avares mains arracher la victime ? Puissai-je... vains désirs ! D’effroyables tombeaux. Des antres inconnus te servent de retraite ; Tu triomphes enfin ; ta rage est satisfaite : Les jours de nos regrets sont tes jours les plus beaux... Poursuis, livre aux humains une éternelle guerre, Mais choisis des objets dignes de tes fureurs ; Et s’il faut que toujours tu moissonnes la terre, Ôtes-lui ses poisons, mais laisses-lui ses fleurs, ---- CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS. TOMBEAU DU MARÉCHAL DE CAMP DE BERMUY, ET DU LIEUTENANT DE CAVALERIE DEMÉLITO. Pour arriver à ces tombeaux l’on prend, en entrant dans le cimetière, la grande allée sinueuse à droite. Vous la suivez jusqu’au bout du bocage qui sert de sépulture au ministre Mestrézat, au ministre Rabaut, à madame Cottin et autre protestant. Ce charmant bocage se trouve à gauche près du bord de l’allée. (Voyez sur le petit plan en tête du volume, le no 35.) Le derrière de ces tombeaux se trouve à droite derrière le petit bocage sur le bord de l’allée. Ces tombeaux se composent chacun d’une dalle de pierre de liais perpendiculaire d’environ 5 pieds, de haut sur 25 pouces de large. Ces deux monumens sont souvent ornés de couronnes de fleurs d’immortelle ; la totalité du terrain est couvert en partie de gazon et de fleurs de chaque saison, de grands lauriers-roses ; des orangers, des grenadiers encaissés font l’ornement de cette sépulture, qui est entourée d’une balustrade à panneaux de croix saint-André, en forte serrurerie, revêtue d’un treillis de fil de fer, lequel est garni de chèvre-feuille, de lilas, de rosiers et autres arbustes. Derrière les monumens, le long de la balustrade, on a planté des lilas et autres arbustes à haute tige. Cette sépulture est sur un emplacement très-solitaire et d’un silence lugubre ; la verdure, l’ombrage, les cyprès mélancoliques, tout vous invite à une douce méditation. Derrière et sur un des côtés de ces monumens on a pratiqué un chemin bordé extérieurement et couvert par des arbres et arbustes d’un ancien bocage au long duquel on a adossé deux bancs à dossier en menuiserie, pour la commodité de la famille et pour celle du voyageur. L’un de ces tombeaux est habité, l’autre, qui est celui du Mal. de Bermuy, est vuide, voilà pourquoi l’on le nomme cénotaphe (suivant cette étymologie grecque Kenotaphion, qui signifie la même chose.) parce que le corps de la personne pour qui il a été élevé a été perdu dans une bataille. Ces deux monumens n’on pu être gravés, dans ce Recueil, parce que celui du Mal. De Bermuy est semblable à celui de Mme. de Durefort (Voyez la planche 3 de la 1ère livraison du 1er volume), et celui du lieutenant Demelito est semblable à celui de Mlle Étevé, excepté que dans la partie circulaire de la pierre on a gravé les armoiries de la famille de Miot Demélito (planche 80 de la 20me livraison du 2me volume.) D. O. M. A la mémoire D’Auguste-Marie JAMAIN de BERMUY, Maréchal de camp, Major des grenadiers à cheval de la garde, Chef intrépide D’une troupe intrépide. Tué le 18 juin 1815 Sur le champ de bataille de Waterloo : LA GARDE MEURT ET NE SE REND PAS : Rosalie-Françoise-Caliste MIOT DEMÉLITO, sa veuve, Qu’une même journée A privée d’un époux et d’un frère, N’ayant pu réunir sous une même terre Leurs dépouilles chéries, A fait élever ce simple monument. Une fille qui n’a joui qu’un moment Des caresses d’un père, Un fils qui ne les a jamais reçues, Viendront un jour confondre leurs larmes Avec celles de leur mère. Vers écrits au crayon sur cette pierre tumulaire. Il est mort pour la liberté ; Français, effeuillons sur sa tombe Les lauriers qu’il a mérités ; Si comme une fleur l’homme tombe, Sa vertu jamais ne succombe ; Mais passe à l’immortalité. F. H... |
Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Index Tome 14 | GRAND DICTIONNAIRE UNIVERSEL DU XIXe SIÈCLE Index Général A B C D E F G H I JK L M N O P Q R S T UV W X Y Z SA adj. poss. f. SA s. m. SA ou SAA (Emmanuel) SÂ DA BANDEIRA (Bernardo DE SÂ NOGUEIRA, marquis DE) SAA DE MÉNÉZÈS (François DE) SAA DE MIRANDA (François DE) SAÂ s. m. SAAB s. m. SAADA (BOU-) SAADA (BOU-) (CERCLE DE) SAAD-EDDYN-MOHAMMED, dit Khodjah-Effendi SAAD-IBN-ABOU-WAKKAS SAADEH SAADI ou SADI, surnommé Moslih-Eddin SAADIAS GAON BEN-JOSEPH SAADO SAAL (Marguerite DE) SAALE AUTRICHIENNE SAALE FRANCONIENNE SAALE SAXONNE ou THURINGIENNE SAALES SAALFELD SAALFELD SAALMANN (François) SAAMOUNA s. m. SAANE SAANE, SANE, SARN ou SARINE SAANEN SAAR SAAR-GEMUND SAARBRUCK SAARBURG SAARDAM SAARLUIS SAARSFIELD SAAR-UNION SAAS (Jean) SAATZ SAATZ (CERCLE DE) SAATZIG (CERCLE DE) SAAVEDRA (Alvaro DE) SAAVEDRA-FAJARDO (don Diego) SAAVEDRA (don Francisco) SAAVEDRA (Miguel CERVANTES) SAAVEDRA, duc DE RIVAS SABA (île) SABA ou SABOEA SABA (la reine de) SABACTHANI SABADELL SABADILLE s. f. SABADILLINE s. f. SABADINO DEGLI ARIENTI (Giovanni) SABADITTI s. m. SABAÏSME, SABAÏTE SABAL s. m. SABALINÉ, ÉE adj. SABANDAR s. m. SABANPUTE s. m. SABAOTH ou ZEBAOTH SABARA (VILLA-REAL-DO-) SABARIA ou SAVARIA SABARICUS ou SARABACUS SINUS SABAR-JESU Ier SABAR-JESU II SABAR-JESU III SABAR-JESU IV SABAR-JESU V SABAR-JESU, surnommé Roustam SABART SABASIES s. f. pl. SABAT s. m. SABAT SABATA ou SABATIA SABATAÏ-SÉVI SABATÈLE s. f. SABATH s. m. SABATIER (André-Hyacinthe) SABATIER (Raphaël-Bienvenu) SABATIER (Antoine) SABATIER (André) SABATIER (Mlle BÉNAZET, dame GAVEAUX-SABATIER, connue sous le nom de Mme) SABATIER DE CABRE SABATINI (Francisco) SABATRINE s. f. SABAUDIA SABAYE s. f. SABAZIE s. f. SABAZIES ou SABASIES s. f. pl. SABBAT s. m. SABBATA SABBATAIRE s. m. SABBATHIEN s. m. SABBATHIER (Pierre) SABBATHIER (François) SABBATI (Liberato) SABBATIE s. f. SABBATIN, INE adj. SABBATINI (Andrea) SABBATINI (Lorenzo) SABBATINI (Luigi-Antonio) SABBATIQUE adj. SABBATISER v. n. ou intr. SABBATISME s. m. SABBIONETTA SABDA BRAHMA s. m. SABDARIFA s. m. SABE, appelée aussi SABAT et SABBATA SABEA REGIA SABÉEN, ÉENNE s. et adj. SABÉISME s. m. SABELLAIRE s. f. SABELLE s. f. SABELLIANISME s. m. SABELLICUS (Marcantonio COCCIO, dit Marcus Antonius COCCEIUS) SABELLIEN s. m. SABELLIEN, IENNE adj. SABELLIENS SABELLINE s. f. SABELLIQUE adj. SABELLIUS SABEO (Fausto) SABERMATTI SABHIKA s. m. SABICÉE s. f. SABIE s. f. SABIEN s. m. SABIN, INE s. et adj. SABINE SABINE SABINE (Julia Sabina) SABINE (sainte) SABINE (Edouard) SABINÉE s. f. SABINIA TRANQUILLINA (Furia) SABINIEN adj. et s. m. SABINIEN SABINO (Angiolo) SABINUS (Aulus) SABINUS SABINUS (Massurius) SABINUS (Marcus Coelius) SABINUS (Julius) SABINUS (Georges SCHULER, dit) SABIO (Jean-Antoine et Etienne DE) SABIONCELLO ou SABIONERO SABIRES SABIS SABISME s. m. SABLAIS, AISE s. et adj. SABLAH s. m. SABLE s. m. SABLE s. m. SABLE (Guillaume DU) SABLÉ, ÉE part. passé SABLÉ SABLÉ (Madeleine DE SOUVRÉ, marquise DE) SABLER v. a. ou tr. SABLERIE s. f. SABLES-D'OLONNE (LES) SABLÉSIEN, IENNE s. et adj. SABLEUR, EUSE s. SABLEUX, EUSE adj. SABLIER s. m. SABLIER (Charles) SABLIÈRE s. f. SABLIÈRE (le marquis et la marquise DE LA) SABLINE s. f. SABLON s. m. SABLON SABLON (Vincent) SABLONCEAUX SABLONNER v. a. ou tr. SABLONNETTE s. f. SABLONNEUX, EUSE adj. SABLONNIER s. m. SABLONNIÈRE s. f. SABLONS (plaine des) SABLONVILLE SABOLTSCH SABOLY (Nicolas) SABORD s. m. SABORDEMENT s. m. SABORDER v. a. ou tr. SABOT s. m. SABOTABLE adj. SABOTAGE s. m. SABOTER v. n. ou intr. SABOTEUR, EUSE s. SABOTIER, IÈRE s. SABOU SABOULADE s. f. SABOULER v. a. ou tr. SABOULEUX s. m. SABOUREUX DE LA BONNETERIE (Charles-François) SABOURIN SABRACES SABRAN (Guillaume, seigneur DE) SABRAN (Garsinde DE) SABRAN (comtesse DE) SABRAN (le comte Elzéar-Louis-Marie DE) SABRAO SABRATA SABRE s. m. SABRE-BAÏONNETTE s. m. SABRE-BRIQUET s. m. SABRENAS, ASSE s. SABRENASSER v. a. ou tr. SABRENAUD, AUDE s. SABRENAUDER v. a. ou tr. SABRE-POIGNARD s. m. SABRER v. a. ou tr. SABRES SABRETACHE s. f. SABREUR s. m. SABRINA SABRINA SABRINAE AESTUARIUM SABSAB s. m. SABULAIRE adj. SABULICOLE adj. SABULINÉ, ÉE adj. SABUNDE (Raymond DE) SABURON s. m. SABURRA s. m. SABURRAL, ALE adj. SABURRE s. f. SAC s. m. SACA s. m. SACALA SACANIE SACARIA SACARTIÈNE SACASE (François) SACATECOLUCA SACATEPEQUEZ (SAN-JUAN-DE-) SACC (Frédéric) SACCADE s. f. SACCADÉ, ÉE part. passé SACCADER v. a. ou tr. SACCAGE s. m. SACCAGEMENT s. m. SACCAGER v. a. ou tr. SACCAGEUR, EUSE s. SACCAIRE s. m. SACCATIER s. m. SACCELLATION s. f. SACCELLE s. m. SACCELLION s. m. SACCHARATE s. m. SACCHAREUX, EUSE adj. SACCHARIDE s. m. SACCHARIDÉ, ÉE adj. SACCHARIFÈRE adj. SACCHARIFIABLE adj. SACCHARIFIANT, ANTE adj. SACCHARIFICATION s. f. SACCHARIFIER v. a. ou tr. SACCHARIGÈNE adj. SACCHARIMÈTRE s. m. SACCHARIMÉTRIE s. f. SACCHARIMÉTRIQUE adj. SACCHARIN, INE adj. SACCHARIQUE adj. SACCHARITE s. f. SACCHARIVORE adj. SACCHARO-GLYCOSE s. f. SACCHAROÏDE adj. SACCHAROKALI s. m. SACCHAROL s. m. SACCHAROLÉ s. m. SACCHAROLINITE s. m. SACCHAROLIQUE adj. SACCHAROLOGIE s. f. SACCHAROPHORE adj. SACCHARORRHÉE s. f. SACCHARUM s. m. SACCHARURE s. f. SACCHETTI (Franco) SACCHETTI (Giambattista) SACCHI (Pietro-Francesco) SACCHI (André) SACCHI SACCHI (Carlo) SACCHI (Joseph-Pompée) SACCHI (Giovenale) SACCHI (Defendente) SACCHINI (Francesco) SACCHINI (Antoine-Marie-Gaspard) SACCIDIE s. f. SACCIFÈRE adj. SACCIFORME adj. SACCO (Joseph-Pompée) SACCOCHILE s. m. SACCOCOME s. f. SACCODÈRE s. m. SACCOGLOTTE s. m. SACCOGYNE s. f. SACCOLABION s. m. SACCOMORPHE s. m. SACCOMYS s. m. SACCONAI (Gabriel DE) SACCONE (Pierre) SACCONIER s. m. SACCOPÉTALE s. m. SACCOPHORE adj. SACCOPTÉRYX s. m. SACCOSTOME s. m. SACCULAIRE adj. SACCULE s. m. SACCULIFORME adj. SACCULINE s. f. SACCUS (Caton) SACEDON SACÉES s. f. pl. SACELLAIRE s. m. SACELLION s. m. SACELLUM s. m. SACÈNE s. f. SACERDOCE s. m. SACERDOTAL, ALE adj. SACERDOTALISME s. m. SACES SACHA s. m. SACHANE s. f. SACHÉE s. f. SACHEM s. m. SACHET s. m. SACHET, ETTE s. SACHEVERELL (Henri) SACHIT (Abou-Iousef-Iacoub IBN) SACHON (Gabrielle) SACHONDRUS s. m. SACHOT (Octave) SACHS (Hans) SACHSA SACHSEN SACHSENLAND SACHTANGA s. m. SACI SACILE SACK s. m. SACK SACK (Fredéric-Samuel-Godefroy) SACK (Jean-Auguste) SACK (Frédéric-Ferdinand-Adolphe) SACK (Charles-Henri) SACKAMIÉLI SACKATOU SACKEN (Fabien-Guillaume VON DER OSTEN, prince DE) SACKETS-HARBOUR SACKVILLE (Georges, vicomte DE) SACKVILLE SACO SACOCHE s. f. SACOGLOTTE s. m. SACOLÈRE s. m. SACOMBE (Jean-François) SACOME s. m. SACONAY ou SACONNEX (Gabriel DE) SACQUIER s. m. SACRAMENTAIRE s. m. SACRAMENTAL, ALE adj. SACRAMENTALEMENT adv. SACRAMENTEL, ELLE adj. SACRAMENTELLEMENT adv. SACRAMENTO (COLONIAL-DEL-) SACRAMENTO SACRAMENTO-CITY SACRARIUM s. m. SACRE s. m. SACRE s. m. SACRÉ, ÉE part. passé SACRÉ, ÉE adj. SACRÉ (promontoire) SACRÉE (voie) SACRÉ (mont) SACREBLEU interj. SACRÉ-COEUR s. m. SACREDIEU interj. SACREDIRE v. n. ou intr. SACREMENT s. m. SACRER v. a. ou tr. SACRET s. m. SACRIFIABLE adj. SACRIFICATEUR, TRICE s. m. SACRIFICATOIRE adj. SACRIFICATURE s. f. SACRIFICE s. m. SACRIFIÉ, ÉE part. passé SACRIFIER v. a. ou tr. SACRILÉGE adj. SACRILÉGEMENT adv. SACRIPANT s. m. SACRISTAIN s. m. SACRISTI interj. SACRISTIE s. f. SACRISTINE s. f. SACRO-BOSCO (Johannes DE) SACRO-COCCYGIEN, IENNE adj. SACRO-COXALGIE s. f. SACRO-ÉPINEUX, EUSE adj. SACRO-FÉMORAL, ALE adj. SACRO-ILIAQUE adj. SACRO-LOMBAIRE adj. SACRO-SAINT, AINTE adj. SACRO-SCIATIQUE adj. SACRO-SPINAL, ALE adj. SACRO-TROCHANTÉRIEN, IENNE adj. SACRO-VERTÉBRAL, ALE adj. SACROVIR (Julius) SACRUM s. m. SACTI s. f. SACY-LE-GRAND SACY (Louis DE) SACY ou SACI (Louis-Isaac LEMAISTRE DE) SACY (Claude-Louis-Michel DE) SACY (Antoine-Isaac, baron SILVESTRE DE) SACY (Samuel-Ustazade SILVESTRE DE) SADACAH s. m. SADAGORA SADAO ou SAADO SADDUCÉEN, ÉENNE s. SADDUCÉISME s. m. SADE adj. SADE (DE) SADE (Hugues DE) dit le Vieux SADE (Paul DE) SADE (Jean DE) SADE (Jean-Baptiste DE) SADE (Joseph-David, comte DE) SADE (Jean-Baptiste-François-Joseph, comte DE) SADE (Jacques-François-Paul-Aldonce, abbé DE) SADE (Hippolyte, comte DE) SADE (Donatien-Alphonse-François, comte DE) SADE (Louis-Marie DE) SADE (Louis, chevalier DE) SADE (François-Xavier-Joseph-David, vicomte DE) SADEK-KHAN (Mohammed) SADELER (Hans) SADELER (Raphaël) SADELER (Egidius ou Gilles) SADELER (Philippe) SADELER (Marc) SADI SADINET, ETTE adj. SADO SADOC SADOLET (Jacques) SADOLET (Paul) SADOT s. m. SADOUR s. m. SADOUS (Alfred DE) SADOWA SADOWA-WISZNIA SADRAS SADRÉE s. f. SADUCÉEN ou SADDUCÉEN, ÉENNE adj. SADUCÉISME ou SADDUCÉISME s. m. SADYK-PACHA SAELANTHE s. m. SAËNS (SAINT-) SAERANGODE s. m. SAETABIS SAETABIS SAETTE s. f. SAFADI (Salah-Eddin-Abou-Abdallah-Khalil) SAFADI (Abdal-Kader) SAFAR s. m. SAFED ou SAFET SAFFELAERE SAFFI, AZAFFI ou ASFI SAFFRÉ SAFFRON-WALDEN SAFRAN s. m. SAFRANÉ, ÉE part. passé SAFRANER v. a. ou tr. SAFRANIER s. m. SAFRANIÈRE s. f. SAFRANINE s. f. SAFRANUM s. m. SAFRE adj. SAFREMENT adv. SAF-SAF SAG SAGA s. f. SAGACE adj. SAGACEMENT adv. SAGACITÉ s. f. SAGALASSUS SAGAMITÉ s. f. SAGAN s. m. SAGAN SAGAPÉNUM s. m. SAGAPIN s. m. SAGAR (Jean-Baptiste-Melchior) SAGARA SAGARD-THÉODAT (Gabriel) SAGARIDE s. f. SAGASTA (Praxedes-Mateo) SAGATIS s. m. SAGATYNSKI (Jean) SAGE adj. SAGE (Balthazar-Georges) SAGE (LE) SAGÉDIE s. f. SAGE-FEMME s. f. SAGEMENT adv. SAGÈNE s. f. SAGÉNITE s. f. SAGERET (Augustin) SAGERÉTIE s. f. SAGESSE s. f. SAGET, ETTE adj. SAGETTE s. f. SAGETTER v. a. ou tr. SAGH SAGHALA ou SIGHLA SAGHALIAN ou SAGHALIEN SAGHALIEN ou SAKHALIEN SAGHANY (Ahmed-Ben-Mohammed AL-) SAGIBARON s. m. SAGIEN, IENNE s. et adj. SAGII, SAII ou ESSUI SAGINATION s. f. SAGINE s. f. SAGITTAIRE s. m. SAGITTAL, ALE adj. SAGITTARIUS (Gaspard) SAGITTÉ, ÉE adj. SAGITTELLE s. f. SAGITTIFÈRE adj. SAGITTIFOLIÉ, ÉE adj. SAGITTULE s. f. SAGNE s. f. SAGOIN s. m. SAGON (François DE) SAGONE SAGONÉE s. f. SAGONTE SAGONTIA SAGOSKINE ou SAGOSKIN (Michel-Nicolaiévitch) SAGOU s. m. SAGOUFÈRE adj. SAGOUIER s. m. SAGOUIN s. m. SAGOUIN, OUINE s. SAGOUTIER s. m. SAGOUY s. m. SAGRA SAGRA (don Ramon DE LA) SAGRE s. f. SAGRÉA s. m. SAGREDO (Nicolo) SAGREDO (Giovanni) SAGRES SAGRIDE adj. SAGRINE s. f. SAGUERUS s. m. SAGUININ, INE adj. SAGUM s. m. SAGUMENTA s. f. SAGUNTUM SAGY SAHADÉVA SAHAGUN SAHAGUN (Bernardino) SAHARA SAHARIEN, IENNE adj. SAHEB IBN-ABAD (Aboul-Cacem-Ismaël) SAHEL SAH-EL-HAGGAR SAHIM-GHERAI SAHLITE s. m. SAHOUASU s. m. SAHOUDJY ou SAHOU-RADJA SAHUC (Louis-Michel-Antoine) SAHUGUET DE DAMARZIT (Jean-Baptiste-Joseph) SAHUGUET DE DAMARZIT-LAROCHE (Jean-Joseph-François-Léonard) SAÏ s. m. SAIANIENS (monts) SAIBOUYA SAID s. m. SAÏD ou SAÏDA SAÏD-PACHA (Mohammed) SAIDSCHUTZ SAIE s. m. SAIE s. f. SAIETTE, SAIETTERIE SAIETTER v. a. ou tr. SAIFF s. m. SAIFFERT (André) SAÏGA s. m. SAIGEY (Jacques-Frédéric) SAIGEY (Emile) SAIGNANT, ANTE adj. SAIGNÉ, ÉE part. passé SAIGNÉE s. f. SAIGNEMENT s. m. SAIGNE-NEZ s. m. SAIGNER v. a. ou tr. SAIGNES SAIGNEUR s. m. SAIGNEUX, EUSE adj. SAÏGON ou SAÏGONG SAII SAIL-LES-BAINS ou SAIL-LEZ-CHÂTEAU-MORAND SAILER (Jean-Michel) SAILLAGOUSSE SAILLANS SAILLANT, ANTE adj. SAILLER v. a. ou tr. SAILLET (Alexandre DE) SAILLIE s. f. SAILLIR v. n. ou intr. SAILLIR v. n. ou intr. SAILLY-SUR-LA-LYS SAILLY (Thomas) SAÏMA SAÏMIRI s. m. SAIN, SAINE adj. SAIN s. m. SAINBOIS s. m. SAIN DE BOIS-LE-COMTE (Ernest) SAINCTES (Claude DE) SAINDOUX s. m. SAINEGRAIN s. m. SAINEMENT adv. SAINETÉ s. f. SAINFOIN s. m. SAINGHIN-EN-WEPPES SAÏNO s. m. SAINS SAINS SAINT, SAINTE adj. SAINT-SAINT-AIGNAN (le duc DE) SAINT-ALBAN (Richard DE BURGH, comte DE) SAINT-ALBIN (Hortensius ROUSSELIN-CORBEAU DE) SAINT-ALBIN (Alexandre-Denis HUOT DE LONGCHAMP DE) SAINT-ALBIN SAINT-ALLAIS (Nicolas VITON DE) SAINT-ALME SAINT-AMAND (Jean DE) SAINT-AMAND (Jean-Amand LACOSTE, connu sous le nom de) SAINT-AMANS (Jean-Florimond BOUDON DE) SAINT-AMANT (Marc-Antoine GÉRARD, sieur DE) SAINT-AMOUR (Louis GORIN DE) SAINT-ANDRÉ (Jacques d ALBON, seigneur DE) SAINT-ANDRE (Charles-François, marquis THAON DE REVEL DE) SAINT-ANDRE (Mlle DE) SAINT-ANDRÉ (Jean BON) SAINT-ANGE (Ange-François FARIAU DE) SAINT-ANGE (FARIAU DE) SAINT-ARNAUD (Arnaud-Jacques-Achille LEROY DE) SAINT-ARNAUD (Louis-Adolphe LEROY DE) SAINT-AUBIN (Jean DE) SAINT-AUBIN (Charles-Germain DE) SAINT-AUBIN (Gabriel-Jacques DE) SAINT-AUBIN (Augustin de) SAINT-AUBIN (Camille) SAINT-AUBIN (Auguste-Alexandre D'HERBEY, dit) SAINT-AUBIN (Jeanne-Charlotte SCHROEDER, dame D'HERBEY, diteK SAINT-AUBIN (Anne-Cécile-Dorlise D'HERBEY, dite) SAINT-AUBIN (Gilbert-Charles DE) SAINT-AUBINET s. m. SAINT-AUGUSTIN s. m. SAINT-AULAIRE SAINT-AULAIRE (famille BEAUPOIL DE) SAINT-BALMON (Alberte-Barbe D'ERNECOURT, dame) SAINT-BARTHÉLEMY s. f. SAINT-BERNARD DES FLOTTES (Pierre DE) SAINT-BONET (Jean DE) SAINT-CASTOR (Jean-Baptiste DE) SAINT-CHAMANS (Auguste, vicomte DE) SAINT-CHAMOND (Claire-Marie, née MAZARELLI, marquise DE LA VX SAINT-CLAIR (François DE) SAINT-CLOST (Perros DE) ou PIERRE DE SAINT-CLOUD SAINT-CONTEST (Dominique-Claude BARBERIE DE) SAINT-CONTEST (François-Dominique BARBERIE, marquis DE) SAINT-CRÉPIN s. m. SAINT-CRICQ (Jacques DE) SAINT-CYR (Gouvion) SAINT-CYR (Jacques-Antoine REVERONI DE) SAINT-CYR-NUGUES (baron DE) SAINT-CYRAN (l'abbé DE) SAINT-CYRIEN, IENNE s. et adj. SAINT-DIDIER SAINTE-AMARANTHE (Jeanne-Françoise-Louise DEMIER, dame DE) SAINTE-ANNE s. m. SAINTE-AULAIRE (BEAUPOIL DE) SAINTE-AULAIRE (François-Joseph DE BEAUPOIL, marquis DE) SAINTE-AULAIRE (Martial-Louis DE BEAUPOIL DE) SAINTE-AULAIRE (Cosme-Joseph DE BEAUPOIL, comte DE) SAINTE-AULAIRE (Jean-Irien DE BEAUPOIL, marquis DE) SAINTE-AULAIRE (Louis-Clair DE BEAUPOIL, comte DE) SAINTE-BARBE s. f. SAINTE-BEUVE (Jacques DE) SAINTE-BEUVE (Charles-Augustin) SAINTE-BEUVE (P.) SAINTE-CLAIRE DEVILLE (Charles) SAINTE-CLAIRE DEVILLE (Henri-Etienne) SAINTE-CROIX (Prosper DE) SAINTE-CROIX (la soeur) SAINTE-CROIX (Gaétan-Xavier GUILHEM DE CLERMONT-LODÈVE, chevu SAINTE-CROIX (Guillaume-Emmanuel-Joseph GUILHEM DE CLERMONT-v SAINTE-CROIX (Carloman-Louis-François-Félix RENOUARD, marquiw SAINTE-CROIX (Louis-Marie-Philibert-Edgard DE RENOUARD DE) SAINTE-CROIX SAINTE-CROIX (GAUDIN ou GODIN DE) SAINT-EDME (Edme-Théodore BOURG dit) SAINT-EDME SAINTE-FOI (Eloi JOURDAIN, dit Charles) SAINTE-FOY (Charles-Louis PUBEREAUX, dit) SAINTE-HERMINE (Jean-Hélie-Marie, marquis DE) SAINT-ELME (feu) SAINT-ELME (Elselina VANAYL DE YONGH, dite Ida de) SAINTE-MARIE (Etienne) SAINTE-MARIE SAINTE-MARTHE (DE) SAINTE-MARTHE (Charles DE) SAINTE-MARTHE (Gaucher II, dit Scévole DE) SAINTE-MARTHE (Abel Ier DE) SAINTE-MARTHE (Abel II DE) SAINTE-MARTHE (Gaucher III, dit Scévole II, et Louis DE) SAINTE-MARTHE (Pierre-Gaucher, dit Scévole DE) SAINTE-MARTHE (Abel-Louis DE) SAINTE-MARTHE (Claude DE) SAINTE-MARTHE (Denis DE) SAINTEMENT adv. SAINT-EMPIRE s. m. SAINTE-NEIGE s. f. SAINTE-PALAYE (Jean-Baptiste DE LA CURNE DE) SAINTE-PREUVE (François-Georges BINET DE) SAINT-ERNEST (Louis-Nicolas BRETTE, dit) SAINTERON s. m. SAINTES SAINTES (les) SAINTES (Claude DE) SAINT-ESPRIT s. m. SAINTE-SUZANNE (Gilles-Joseph-Martin BRUNETEAU, comte DE) SAINTETÉ s. f. SAINT-ÉTIENNE (RABAUT) SAINTEUR s. f. SAINT-EVE (Jean-Marie) SAINT-ÉVREMOND (Charles de MARGUETEL DE SAINT-DENIS, seigneuž SAINT-FAL SAINT-FARGEAU SAINT-FÉLIX (Guillaume DE) SAINT-FÉLIX (Claude DE) SAINT-FÉLIX (Germain DE) SAINT-FÉLIX (Armand-Philippe-Germain, marquis DE) SAINT-FÉLIX (Félix D'AMOREUX, dit Jules DE) SAINT-FERRÉOL (Amédée) SAINT-FLORENT (GUYOT DE) SAINT-FLORENTIN (Louis-PHELYPEAUX, duc DE LA VRILLIÈRE, comt ̈ SAINT-FOIX (Germain-François POULLAIN DE) SAINT-GALL s. m. SAINT-GALL (le moine de) SAINT-GELAIS (Jean DE) SAINT-GELAIS (Octavien DE) SAINT-GELAIS (Mellin DE) SAINT-GÉNIES (Jean DE) SAINT-GENIS (Auguste-Nicolas DE) SAINT-GENOIS (François-Joseph, comte DE) SAINT-GENOIS DES MOTTES (Jules-Ludger-Dominique-Ghislain, ba2 SAINT-GEORGE (Charles-Hector DE) SAINT-GEORGE (le chevalier DE) SAINT-GEORGES (Jean-Joseph-Alexis DAVID DE) SAINT-GEORGES (Jacques-François GROUT, chevalier DE) SAINT-GEORGES (le chevalier DE) SAINT-GEORGES (Jules-Henri VERNOY DE) SAINT-GÉRAN SAINT-GERMAIN s. m. SAINT-GERMAIN (N..., dit le comte DE) SAINT-GERMAIN (Claude-Louis, comte DE) SAINT-GERMAIN (François-Charles HERVÉ DE) SAINT-GERMAIN (François-Victor-Arthur GILLES DE) SAINT-GERMAIN SAINT-GÉRY (Joseph DE) SAINT-GILLES (Jean DE) SAINT-GILLES (N... DE L'ENFANT, chevalier DE) SAINT-GRAAL s. m. SAINT-GUY (danse) SAINT-HAOUEN (Yves-Marie-Gabriel-Pierre LECOAT, baron DE) SAINT-HILAIRE (Louis-Vincent-Joseph LE BLOND, comte DE) SAINT-HILAIRE (Emile-Marc HILAIRE, connu sous le nom de MARCÇ SAINT-HILAIRE (Augustin-François-César PROUVENÇAL DE ..., diÈ SAINT-HILAIRE SAINT-HILAIRE SAINT-HILAIRE (BARTHÉLEMY-) SAINT-HIPPOLYTE (Jacques-Philippe PRADIN DE BIARGES, comte DÌ SAINT-HUBERTY (Anne-Antoinette CLAVEL, dite) SAINT-HURUGE (Victor-Amédée LA FAGE, marquis DE) SAINT-HYACINTHE (Hyacinthe CORDONNIER, dit) SAINT-IGNY (Jean DE) SAINTINE (Joseph Xavier BONIFACE, dit) SAINTINES SAINT-JACQUES DE SYLVABELLE (Guillaume DE) SAINT-JEAN SAINT-JEAN (Simon) SAINT-JOHN (James-August) SAINT-JOHN (Bayle) SAINT-JOHN (Percy) SAINT-JOHN (Horace) SAINT-JORRY (Pierre DU FAUR DE) SAINT-JOSEPH (Pierre-Foglia, connu sous le nom de Père MathiÛ SAINT-JOSEPH (le P. Ange DE) SAINT-JULIEN (Pierre DE) SAINT-JULIEN (Louis-Guillaume BAILLET, baron DE) SAINT-JULIEN (Mme DE) SAINT-JULLIEN (Barthélemy-Emé, baron DE) SAINT-JULLIEN (Octavien-Emé, baron DE) SAINT-JURÉ (Jean-Baptiste DE) SAINT-JUST (Louis-Antoine DE) SAINT-JUST (FRÉTEAU DE) SAINT-JUST (C. GODARD D'AUCOUR, baron DE) SAINT-LAMBERT (Jean-François, marquis DE) SAINT-LARY SAINT-LAURENT (NOMBRET DE) SAINT-LÉGER s. m. SAINT-LÉGIER (Jean-Georges-Laurent DE) SAINT-LÉON (Charles-Victor-Arthur) SAINT-LEONARDS (Edouard BURTENSHAW SUGDEN, baron) SAINT-LEU s. m. SAINT-LEU (DE) SAINT-LIEN (Claude DE) SAINT-LO (Alexis DE) SAINT-LOUIS (Jean-Louis BARTHÉLEMY, en religion le Père Pierñ SAINT-LOUP (Louis) SAINT-LUBIN (Léon DE) SAINT-LUC (François D'ESPINAY DE) SAINT-LUC (Timoléon D'ESPINAY, marquis DE) SAINT-MARC (Charles-Hugues LEFEBVRE DE) SAINT-MARC (Jean-Paul-André DES RASINS, marquis DE) SAINT-MARC (abbé DE) SAINT-MARC GIRARDIN (Marc GIRARDIN, dit) SAINT-MARCELLIN (Jean-Victor FONTANES, dit) SAINT-MARD SAINT-MARSAN (Antoine-Marie-Philippe ASINARI, marquis DE) SAINT-MARSAN (Charles DE) SAINT-MARTIN (Michel DE) SAINT-MARTIN (le Père Jean-Baptiste PASINATO, dit) SAINT-MARTIN (Jean-Didier DE) SAINT-MARTIN (Louis-Claude DE) SAINT-MARTIN (Antoine-Jean) SAINT-MARTIN (le Père Léandre DE) SAINT-MARTIN DE LA MOTTE (le comte Félix DE) SAINT-MAUR (E.-H.-François) SAINT-MAURICE (Charles-R.-E. DE) SAINT-MAURIS (Jean DE) SAINT-MAURIS (Jacques DE) SAINT-MAURIS (Prudent DE) SAINT-MAURIS (Charles-Emmanuel-Polycarpe, marquis DE) SAINT-MAURIS SAINT-MÉGRIN (Paul DE STUER DE CAUSSADE, comte DE) SAINT-MICHEL (Alexis DE) SAINT-MORYS (Etienne BOURGEVIN VIALART, comte DE) SAINTMORYSIE s. f. SAINT-NECTAIRE (Madeleine DE) SAINT-NON (Jean-Claude RICHARD, abbé DE) SAINT-OFFICE s. m. SAINTOIS (le) SAINT-OLON SAINTONGE SAINTONGE ou SAINCTONGE (Louise-Geneviève GILLOT, dame DE) SAINTONGEAIS, AISE s. et adj. SAINT-OUEN (Laure DE BOEN, dame DE) SAINT-OURS (Jean-Pierre DE) SAINT-PARD (Pierre-Nicolas VAN BLOTAQUE, abbé DE) SAINT-PAUL (François DE BOURBON, comte DE) SAINT-PAUL (François DE) SAINT-PAUL (François-Paul BARLETTI DE) SAINT-PAVIN (Denis SANGUIN DE) SAINT-PERAVY (Jean-Nicolas-Marcellin GUÉRINEAU DE) SAINT-PÈRE s. m. SAINT-PÉRÈS (J. DE) SAINT-PERN (Bertrand DE) SAINT-PERN (Bertrand DE) SAINT-PERN (Jude DE) SAINT-PERN DE LATAY (Charles DE) SAINT-PERN (Jude-Vincent DE) SAINT-PERN (René-Célestin-Bertrand, marquis DE) SAINT-PHAL ou SAINT-FAL SAINT-PHILIPPE (DON Vincent BACCALAR Y SANNA, marquis DE) SAINT-PIERRE (Charles-Irénée CASTEL, abbé DE) SAINT-PIERRE (Eustache DE) SAINT-PIERRE (Jacques-Henri BERNARDIN DE) SAINT-POL (François II DE BOURBON-VENDÔME, comte DE) SAINT-POL (Antoine MONTBETON DE) SAINT-POL (Jules DE) SAINT-POL (Louis DE) SAINT-PREST (Jean-Yves DE) SAINT-PREUIL (François JUS SAC D'EMBLEVILLE DE) SAINT-PREUX SAINT-PRIEST (François-Emmanuel GUIGNARD, comte DE) SAINT-PRIEST (Guillaume-Emmanuel GUIGNARD, comte DE) SAINT-PRIEST (Armand-Emmanuel-Charles GUIGNARD, comte DE) SAINT-PRIEST (Emmanuel-Louis-Marie GUIGNARD, vicomte DE) SAINT-PRIEST (Alexis GUIGNARD, comte DE) SAINT-PRIEST (Félix) SAINT-PRIX (Jean-Amable FOUCAULT) SAINT-PROSPER (Antoine-Jean CASSÉ DE) SAINT-PROSPER (André-Augustin CASSÉ DE) SAINT-QUENTINOIS, OISE s. et adj. SAINTRAILLES SAINT-RAMBERT (Gabriel DE) SAINTRE s. m. SAINTRÉ ou XAINTRÉ (Jean Ier DE) SAINTRÉ ou XAINTRÉ (Jean II DE) SAINT-RÉAL (César VICHARD, abbé DE) SAINT-REJANT (Pierre-Robinson DE) SAINT-REMI s. m. SAINT-REMY (Pierre SURIREY DE) SAINT-REMY SAINT-RENÉ TAILLANDIER (René-Gaspard-Ernest) SAINT-ROMME (Henri-François-Sylvestre) SAINT-ROMUALD (Pierre DE) SAINT-SAËNS (Charles-Camille) SAINT-SAMSON s. m. SAINT-SAMSON (Jean DE) SAINT-SAPHORIN (Armand-François-Louis DE MESTRAL DE) SAINT-SAPHORIN (François-Louis DE) SAINT-SAUVEUR SAINT-SÉBASTIEN (N. DE) SAINT-SIÉGE s. m. SAINT-SILVESTRE (Juste-Louis DU FAUR, marquis DE) SAINT-SIMON (ROUVROY DE) SAINT-SIMON (Gilles DE ROUVROY, sire DE) SAINT-SIMON (Claude DE ROUVROY, duc DE) SAINT-SIMON (Louis DE ROUVROY, duc DE) SAINT-SIMON (Claude DE ROUVROY DE) SAINT-SIMON (Maximilien-Henri, marquis DE) SAINT-SIMON (Charles-François VERMANDOIS DE ROUVROY-SANDRICOZ DE) SAINT-SIMON (Claude-Anne, marquis DE) SAINT-SIMON (Claude-Henri, comte DE) [[../SAINT-SIMON (Henri-Jean-Victor DE ROUVROY, marquis, depuis d]|SAINT-SIMON (Henri-Jean-Victor DE ROUVROY, marquis, depuis d]]] SAINT-SIMONIEN, IENNE adj. SAINT-SIMONISER v. a. ou tr. SAINT-SIMONISME s. m. SAINT-SORLIN (Jean DESMARETS DE) SAINT-SURIN (Pierre TIFFON) SAINT-SURIN (Marie-Caroline-Rosalie de GENDRECOURT, dame de)c SAINT-THOMAS s. m. SAINT-URBAIN (Ferdinand DE) SAINT-URSIN (Marie DE) SAINT-VALLIER (Jean DE POITIERS, seigneur DE) SAINT-VAST (Thérèse WILLEMS DE) SAINT-VENANT (Mme DE) SAINT-VICTOR (Jacques-Benjamin-Maximilien BINS, comte DE) SAINT-VICTOR (Paul BINS, comte DE) SAINT-VIDAL (Antoine DE) SAINT-VINCENS SAINT-VINCENT (le Père Grégoire DE) SAINT-VINCENT (Robert DE) SAINT-VINCENT (John JERVIS, comte DE) SAINT-YON SAINT-YVES (Charles) SAINVAL (Mlle ALZIARI, dite) SAINVAL (Mlle ALZIARI, dite) SAINT-YVES (Edouard DÉADDÉ, connu sous le pseudonyme de) SAINVILLE (MOREL, dit) SAIPHOS s. m. SAÏQUE s. f. SAIRANTHE s. m. SAÏS s. m. SAÏS SAISI, IE part. passé SAISIE s. f. SAISIE-ARRÊT s. f. SAISIE-BRANDON s. f. SAISIE-EXÉCUTION s. f. SAISIE FORAINE s. f. SAISIE-GAGERIE s. f. SAISIE-REVENDICATION s. f. SAISINE s. f. SAISIR v. a. ou tr. SAISIR-ARRÊTER v. a. ou tr. SAISIR-BRANDONNER v. a. ou tr. SAISIR-EXÉCUTER v. a. ou tr. SAISIR-REVENDIQUER v. a. ou tr. SAISISSABILITÉ s. f. SAISISSABLE adj. SAISISSANT, ANTE adj. SAISISSEMENT s. m. SAISON s. f. SAISONNER v. n. ou intr. SAISONNIER, IÈRE adj. SAISSAC SAISSET (Jean-Marie-Joseph-Théodore) SAISSET (Emile-Edmond) SAISSY (Jean-Antoine) SAÏTIQUE (branche) SAÏVALA s. m. SAIWO-OLNIAK SAIX (Antoine DU) SAIZIN s. m. SAJAM SAJO SAJOR s. m. SAJOU s. m. SAJOUASSOU s. m. SAKÂ s. m. SAKAÏ SAKALAVE s. m. SAKALAVES ou SÉCLAVES SAKARIA SAKATOU SAKEM s. m. SAKHALIAN, SAKHALIEN, SAGHALIAN ou SAGHALIEN SAKHAR SAKI s. m. SAKIEH s. f. SAKKA s. m. SAKKARAH SAKKI s. m. SAKMARA SAKOWICZ (Cassien-Calixte) SAKTY-POUDJA s. m. SAKYA-MOUNI ou ÇAKYA-MOUNI SAL s. m. SAL (ILHA-DO-) SALA s. f. SALA SALA SALA ou ANZIKO (ROYAUME DE) SALA-BAGANZA SALA-BOLOGNESE SALA-CONSILINA SALA-DE-PARTINICO SALA (Angelus ou Angiolo) SALA (Gaspard) SALA (Nicolas) SALA (George-Auguste-Henri) SALABERRIE s. f. SALABERRY (Charles-Marie d'IRUMBERRY, comte DE) SALABRE s. m. SALACE adj. SALACIE s. f. SALACIE SALACITÉ s. f. SALACROUX (Antoine) SALACZAC s. m. SALAD SALADE s. f. SALADE s. f. SALADELLE s. f. SALADERO s. m. SALADIER s. m. SALADIN, INE adj. SALADIN (Yousouf-ben-Ayoub SALAH-EDDYN, plus connu sous le nÏ SALADIN II (Melik-el-Nasr-Salah EDDYN YOUSOUF, plus connu sous le nom de) SALADIN (Jean-Baptiste-Michel) SALADIN (Nicolas-Joseph) SALADO SALADO (rio) SALADO (rio) SALAGE s. m. SALAGNY (Geoffroi DE) SALAGRAMAN s. m. SALAI ou SALAINO (Andrea) SALAIRE s. m. SALAISON s. f. SALAKA-POUROUCHA s. m. SALAM s. m. SALAMALEC s. m. SALAMANCA SALAMANDRE s. f. SALAMANDRIDE adj. SALAMANDRIN, INE adj. SALAMANDROPS s. m. SALAMANIE s. f. SALAMANQUE SALAMANQUE (PROVINCE DE) SALAMAS SALAMBÔ ou SALAMMBÔ SALAMI (Abdal-Malech) SALAMI (Aboul-Hassan-Mahomet) SALAMINE SALAMINE SALAMINIEN, IENNE s. et adj. SALAMIS s. f. SALAMMBÔ SALAMON (Louis-Sifrein-Joseph-Foncrosé DE) SALAMPOSE s. m. SALANDRA SALANDRELLA SALANDRI (l'abbé PELLEGRINO) SALANGA s. f. SALANGA SALANGANE s. f. SALANGE s. m. SALANGOR SALANGUET s. m. SALANKEMEN SALANT, ANTE adj. SALANX s. m. SALAOUATY SALAPARUTA SALAPIA SALARIAS s. m. SALARIAT s. m. SALARIÉ, ÉE part. passé SALARIEMENT s. m. SALARIER v. a. ou tr. SALARS SALAS-DE-LOS-INFANTES SALAS (Grégoire-François DE) SALASSES SALAT SALAT (don José) SALAT (Jacques) SALAUD, AUDE s. SALAUDERIE s. f. SALAVILLE (Jean-Baptiste) SALAXIS s. m. SALAYER SALAZA (Castro-Luis DE) SALAZAR Y MARDONES (Pedro DE) SALAZAR Y TORRES (Augustin DE) SALAZIE SALBANDE s. f. SALBRIS SALCES ou SALSES SALCETTE SALCHLI (Emmanuel) SALCHOW (Jean-Chrétien) SALCITO SALDAE SALDANA SALDANHA ou SALDAGNE (baie de) SALDANHA DA GAMA (Antonio) SALDANHA OLIVEIRA E DAUN (Jean-Charles, duc DE) SALDANITE s. f. SALDE s. f. SALDÉ SALDEN (Guillaume) SALDERN (Frédéric-Christophe DE) SALDIDE adj. SALDINIE s. f. SALDONI (Balthasar-Simon) SALDUBA SALE adj. SALE SALE SALE (George) SALE (John-Bernard) SALE (Antoine DE LA) SALÉ, ÉE part. passé SALÉ (lac) SALÉ ou VIEUX-SALÉ SALÉ (NOUVEAU-) ou RABAT SALÉBREUX, EUSE adj. SALÈGRE s. m. SALEH IBN MARDASCH SALEK (Raden) SALEL (Hugues) SALEM SALEM SALEM SALEM SALEM SALEM ou TCHELAM SALEMBRIA SALEMENT adv. SALEMI SALEMON ou SALMON (Jean-Baptiste) SALEMON ou SALMON (don Manuel-Gonzalès) SALENCY SALENGORE ou SALENGOR SALENGORE SALÉNIE s. f. SALENTE SALENTINS SALEP s. m. SALER v. a. ou tr. SALERAN s. m. SALERNE SALERNE (golfe de) SALERNES SALERON s. m. SALERS SALES (saint François DE) SALES (Louis, comte DE) SALES (Charles-Auguste DE) SALES (Charles DE) SALES (le comte Paul-François DE) SALES (Delisle DE) SALES-GIRONS (Jean) SALETÉ s. f. SALETIER (Claude) SALETTE-FALLAVAUX (LA) SALEUR, EUSE s. SALFI (François) SALGAN s. m. SALGAR (Modhafer-Eddyn) SALGHIR SALGUES (Jacques-Barthélemy) SALHIEH SALHYDRAMIDE s. f. SALI, IE part. passé SALIAIRE adj. SALIAN (Jacques) SALIANE SALIBABO SALICAIRE s. f. SALICARIÉ, ÉE adj. SALICE SALICE SALICETI (Aurèle) SALICETO (Guillaume DE) SALICETTI (Christophe) SALICICOLE adj. SALICIFOLIÉ, ÉE adj. SALICINE s. f. SALICINÉ, ÉE adj. SALICITE s. f. SALICIVORE adj. SALICOLE adj. SALICOQUE s. f. SALICOR s. m. SALICORNAIRE s. f. SALICORNE s. f. SALICORNIÉ, ÉE adj. SALICORNIN s. m. SALICOT s. m. SALICOTTE s. f. SALICYLAMATE s. m. SALICYLAMIQUE adj. SALICYLATE s. m. SALICYLE s. m. SALICYLIMIDE s. f. SALICYLIQUE adj. SALICYLITE s. m. SALICYLOL s. m. SALICYLONITRILE s. m. SALICYLOTOLUIQUE adj. SALIE s. f. SALIEN s. m. SALIEN, IENNE adj. SALIENTIA s. m. pl. SALIER (Jacques) SALIÈRE s. f. SALIERI (Antonio) SALIES SALIES SALIÈS ou SALIEZ (Antoinette SALVAN DE) SALIETTE s. f. SALIFÈRE adj. SALIFÉRIEN, IENNE adj. SALIFIABLE adj. SALIFICATION s. f. SALIFIER v. a. ou tr. SALIGAUD, AUDE s. SALIGÉNINE s. f. SALIGNAC SALIGNAC SALIGNAC ou SALAGNAC SALIGNAC (Jean DE) SALIGNON s. m. SALIGOT s. m. SALIMBENI (Arcangelo) SALIMBENI (Ventura) SALIMBENI (Simondio) SALIN, INE adj. SALIN (Alphonse) SALINA SALINA SALINAE SALINAGE s. m. SALINAS SALINAS (Francisco DE) SALINAS Y CORDOVA (Bonaventure DE) SALINATOR (Livius) SALINE s. f. SALINE SALINE SALINE SALINER v. n. ou intr. SALINIER s. m. SALINIS (Louis-Antoine DE) SALINITÉ s. f. SALINOMÈTRE s. m. SALINS SALINS (CHATEAU-) SALINS (Jean-Baptiste DE) SALINS (Hugues DE) SALIO (Giuseppe) SALIQUE adj. SALIR v. a. ou tr. SALIRÉTINE s. f. SALIS (Baptiste) SALIS (Ulysse, baron DE) SALIS (Jean-André DE) SALIS (Rodolphe DE) SALIS (Pierre DE) SALIS (Charles-Ulysse DE) SALIS (Rodolphe-Antoine-Hubert, baron DE) SALIS (Jean-Baptiste DE) SALIS (Raoul DE) SALIS (Jean-Gaudence, baron DE) SALIS (Tatius-Rodolphe-Gilbert, baron DE) SALISATEUR s. m. SALIS-SAMADE (baron DE) SALIS-SOGLIO (Jean-Ulric DE) SALISBURGUM SALISBURI s. m. SALISBURY ou NEW-SARUM SALISBURY (Jean DE) SALISBURY (Jean DE) SALISBURY (Richard-Antoine) SALISBURY (James-Brownlow-William GASCOIGNE-CECIL, marquis DE) SALISBURY (Robert-Arthur-Talbot GASCOIGNE-CECIL, marquis DE) SALISIE s. f. SALISSANT, ANTE adj. SALISSON s. f. SALISSURE s. f. SALITE s. f. SALITRE s. m. SALIUS s. m. SALIVA s. m. SALIVAIRE adj. SALIVAL, ALE adj. SALIVANT, ANTE adj. SALIVATION s. f. SALIVE s. f. SALIVER v. a. ou intr. SALIVET (Louis-Georges-Isaac) SALIVÉTINE s. f. SALIVEUX, EUSE adj. SALIX s. m. SALKEN s. m. SALLANCHES SALLANDROUZE DE LAMORNAIX (Jean) SALLANDROUZE DE LAMORNAIX (Charles-Jean) SALLBANDE s. f. SALLE s. f. SALLE (LA et DE LA) SALLÉ (Jean-Baptiste-Louis-Nicolas) SALLÉ (Françoise THOURY, dame) SALLÉ (Mlle) SALLÉ (Jacques-Antoine) SALLÉ DE CHOUX (le baron Etienne-François) SALLENGRE (Albert-Henri DE) SALLENGROS (A.-Benoît-François) SALLENTIN (Louis) SALLERAN s. m. SALLERANE s. f. SALLERANT s. m. SALLERANTE s. f. SALLERTAINE SALLES SALLES-CURAN SALLES-SUR-L'HERS SALLES-LA-SOURCE SALLES (Jean-Baptiste) SALLES (Eusèbe-François, comte DE) SALLES (Charles-Marie, comte DE) SALLES (Bertrand-Isidore DE) SALLET (Frédéric DE) SALLIER (Claude) SALLIER-CHAMONT (Gui-Marie) SALLIN (Maurice) SALLIOR (Marie-François) SALLO (Denis DE) SALLUSTE (Caïus Sallustius Crispus) SALLUSTE (Secundus Sallustius Promotius) SALLUSTE SALM SALM (Wolfgang, comte DE) SALM (François-Xavier, comte D'ALTSALM) SALM-DYCK (Joseph, prince DE) SALM-DYCK (Constance-Marie DE THEIS, dame PIPELET, plus tard princesse DE) SALM-KYRBOURG (Frédéric, prince DE) SALM-KYRBOURG (Frédéric-Ernest-Otto, prince DE) SALM-REIFFERSCHEIDT (Nicolas, comte DE) SALM-REIFFERSCHEIDT-KRAUTHEIM (Constantin DE NIEDER-SALM, prince DE) SALM (VAN) SALM SALMA s. f. SALMACIDE s. f. SALMACIS s. f. SALMACIS SALMALIE s. f. SALMANASAR SALMANTICA SALMARE s. m. SALMARINE s. f. SALMASIE s. f. SALMÉE s. f. SALMEGGIA (Enea) SALMERIN s. m. SALMERON (Alphonse) SALMERON (Cristoval-Garcia) SALMERON (Nicolas) SALMIAC s. m. SALMIE s. f. SALMIGONDIS s. m. SALMIS s. m. SALMON (Pierre) surnommé le Fruictier SALMON SALMON (Thomas) SALMON (Nathanael) SALMON (Thomas) SALMON (François) SALMON (l'abbé) SALMON (Marie) SALMON (Robert) SALMON (Urbain-Pierre) SALMON (André) SALMON (Charles-Auguste) SALMON (Louis-Adolphe) SALMON (Jean-Baptiste) SALMON (don Manuel-Gonzalès) SALMON (Jean) SALMON (Louis et Yvan) SALMONE s. m. SALMONE SALMONÉ, ÉE adj. SALMONÉE SALMONIDÉ, ÉE adj. SALMONIE s. f. SALMURIUM SALMYDESSE SALNAVE (Sylvain) SALNOVE (Robert DE) SALODURUM SALO SALOIR s. m. SALOMÉ SALOMÉ, la Danseuse SALOMÉ SALOMON s. m. SALOMON (îles) SALOMON SALOMON SALOMON Ier SALOMON II SALOMON III SALOMON SALOMON SALOMON (François-Henri) SALOMON (Jean-Pierre) SALOMON (Gotthold) SALOMON (Joseph) SALOMON (Antony-Samuel ADAM-) SALOMON DE CAUS SALOMON DE ZAMOSC SALOMONIE s. f. SALOMON'S FORK SALOMOS (Denis) SALON s. m. SALON SALON SALONE SALONINA (Publia Licinia Julia Cornelia) SALONIQUE SALONNIER s. m. SALOP s. m. SALOP SALOPE s. f. SALOPEMENT adv. SALOPERIE s. f. SALORGE s. m. SALOUEN ou TH SAN-LOUEN SALOUM SALOUM SALPA s. m. SALPE s. f. SALPÊTRAGE s. m. SALPÊTRE s. f. SALPÊTRÉ, ÉE part. passé SALPÊTRER v. a. ou tr. SALPÊTRERIE s. f. SALPÊTREUX, EUSE adj. SALPÊTRIER s. m. SALPÊTRIÈRE s. f. SALPÊTRI SATION s. f. SALPI SALPIANTHE s. m. SALPICON s. m. SALPIEN, IENNE adj. SALPIGLOSSÉ, ÉE SALPIGLOSSIDÉ, ÉE adj. SALPIGLOSSIS s. m. SALPINE s. m. SALPINGO-MALLÉEN, ÉENNE adj. SALPINGO-PHARYNGIEN, IENNE adj. SALPINGO-STAPHYLIN, INE adj. SALPINGUE s. m. SALPINX s. m. SALPLICAT s. m. SALSE s. f. SALSEPAREILLE s. f. SALSEPARINE s. f. SALSETTE SALSIFIS s. m. SALSO SALSOLA s. m. SALSOLACÉ, ÉE adj. SALSOLÉ, ÉE adj. SALSOMAGGIORE SALSORIE s. f. SALSUGINEUX, EUSE adj. SALT (Henri) SALTA ou SAN-FELIPE DE TUCUMAN SALTA (PROVINCE DE) SALTARELLE s. f. SALTASH SALTATEUR s. m. SALTATION s. f. SALTATOR s. m. SALTATRA adj. SALTCOATS SALTHOLM SALTIE s. f. SALTIENNE s. f. SALTIGRADE adj. SALTILLO SALTIMBANQUE s. m. SALTIQUE s. f. SALTUAIRE s. m. SALTZA, SALTZBOURG SALTZMANN (Balthazar-Frédéric) SALTZMANN (Balthazar-Frédéric) SALTZMANN (Chrétien-Gotthilf) SALUADE s. f. SALUBRE adj. SALUBREMENT adv. SALUBRITÉ s. f. SALUCES SALUCES (MARQUI SAT DE) SALUCES SALUCES (Thomas II, marquis DE) SALUCES (Thomas III, marquis DE) SALUCES (Louis Ier, marquis DE) SALUCES (Louis II, marquis DE) SALUCES (Michel-Antoine, marquis DE) SALUCES (Alexandre, comte DE) SALUCES (César, chevalier DE) SALUCES (Griselidis, marquise DE) SALUCES DE MENUSIGLIO (Joseph-Ange, comte DE) SALUCES-REVEL (Diodata, comtesse DE) SALUDECIO SALUÉ, ÉE part. passé SALUER v. a. ou tr. SALUEUR, EUSE s. SALUGGIA SALURE s. f. SALUSSOLA SALUT s. m. SALUT (îles du) SALUTAIRE adj. SALUTAIREMENT adv. SALUTATEUR s. m. SALUTATION s. f. SALVA (François) SALVA Y PEREZ (don Vincent) SALVADOR (SAN-) SALVADOR Y BOSCA (docteur don Juan) SALVADOR Y PEDROL (Jacques) SALVADOR (Jean) SALVADOR (Joseph) SALVADORACÉ, ÉE adj. SALVADORE s. f. SALVAGE s. m. SALVAGES (îles) SALVAGIO (Porchetti) SALVAGNAC SALVAGNOLI (Vincent) SALVAING DE BOISSIEU (Denis) SALVALÉON SALVANDY (Narcisse-Achille comte DE) SALVANDY (le comte Paul DE) SALVANOS s. m. SALVAT (Jean-François-Xavier) SALVATELLE s. f. SALVATIERRA SALVATION s. f. SALVATOR s. m. SALVATOR ROSA SALVATORE (SAN-) SALVE s. f. SALVÉ s. m. SALVELINE s. f. SALVE REGINA s. m. SALVERTE (Jean-Marie-Eustache BACONNIÈRE DE) SALVERTE (Anne-Joseph-Eusèbe BACONNIÈRE DE) SALVERTIE s. f. SALVETAT (LA) SALVETAT-PEYRALÈS (LA) SALVI (Giovanni-Battista) SALVI (Niccolo) SALVIA s. m. SALVIA SALVIAC SALVIANI (Hippolyte) SALVIANI (Salustio) SALVIATI (Jean) SALVIATI (Bernard) SALVIATI (Antonio-Maria) SALVIATI (Francesco ROSSI, dit Cecco ou Cecchino de) SALVIATI (Léonard) SALVIATI (Alamanno) SALVIATI (Giuseppe) SALVIÉ, ÉE adj. SALVIEN SALVINI (Antonio-Maria) SALVINI (Salvino) SALVINI (Thomas) SALVINIACÉ, ÉE adj. SALVINIE s. f. SALVINIÉ, ÉE adj. SALVINO DEGLI ARMATI SALVIUS SALVIUS JULIEN SALVO s. m. SALVOLINI (François) SALVONI (Pierre-Bernard) SALWYN (William) SALY (Jacques-François-Joseph) SALYAVATE s. f. SALYES, SALLUVII ou SALICES SALYLIQUE adj. SALZA ou SALTZA SALZBERGER (Zacharie) SALZBOURG ou SALTZBOURG SALZBOURG (DUCHÉ DE) SALZBOURG SALZBREZELN s. m. SALZBRUNN SALZE s. f. SALZE (GROSS-) SALZGRUB, KOLOSZ ou KLOSMARKT SALZMANN (Jean-Rodolphe) SALZMANN (Jean) SALZMANN (Frédéric-Zacharie) SALZMANN (Chrétien-Gotthilf) SALZMANNIE s. f. SALZUNGEN SALZWEDEL SAMACCHINI (Orazio) SAMADÈRE s. f. SAMAH (AL-BEN-MELIK AL-KHAULANY-) SAMAKOV SAMALHOUT ou SAMANHOUT SAMALIE s. f. SAMANA SAMANAP SAMANÉEN s. m. SAMANHOUT SAMANI (Abou-Ibrahim-Ismaël AL-) SAMANIDES SAMANIEGO (Félix-Maria DE) SAMANKA s. f. SAMAR ou IBABAO SAMARA s. m. SAMARA SAMARA SAMARA SAMARA (GOUVERNEMENT DE) SAMARA SAMARADAHNA s. m. SAMARANG SAMARATE SAMARCANDE SAMARE s. f. SAMARE s. f. SAMARIDIE s. f. SAMARIE SAMARIE ou SAMARITIDE SAMARIER s. m. SAMARITAIN, AINE s. et adj. SAMARITAIN (le bon) SAMARITAINE SAMARKAND ou SAMARCANDE SAMAROBRIVA SAMARRA SAMARY (Philippe) SAMASSI SAMATAN SAMBA ou SUMBA SAMBACH (Gaspard-François) SAMBAS SAMBIASE SAMBIASI (François) SAMBIEU interj. SAMBIN (Hugues) SAMBLANÇAY ou SEMBLANÇAY SAMBLANÇAY SAMBLEU interj. SAMBOANGAN SAMBOR SAMBOUC s. m. SAMBOULA s. m. SAMBRACITANUS SINUS SAMBRE SAMBRE-ET-MEUSE SAMBUC s. m. SAMBUCA-PISTOIESE SAMBUCA-ZABUT SAMBUCÉ, ÉE adj. SAMBUCINE s. f. SAMBUCUS (Jean) SAMBUCY (Gaston DE) SAMBUQUE s. f. SAMBUQUIER s. m. SAME s. m. SAMÉ SAMEDI s. m. SAMEK s. m. SAMEN ou SEMIN SAMEQUIN s. m. SAMER SAMESTRE s. m. SAMGAR SAMHAR SAMHIRI (Ignace-Antoine) SAMICUM SAMIEN, IENNE s. et adj. SAMIER s. m. SAMIS ou SAMIT s. m. SAMISAT ou SEMISAT SAMLAND SAMMARTINO (Matthieu) SAMMICHELI (Michel) SAM-MIRZA SAMMONACODOM SAMMONICUS (Quintus Serenus) SAMNITE s. m. SAMNITES SAMNIUM SAMNOU SAMOA (îles) SAMOCHONITIS LACUS ou AQUAE MEROM SAMOËNS SAMOGITIE SAMOIÈDES SAMOILOWITZ SAMOIS SAMOLE s. m. SAMOLÉ, ÉE adj. SAMOLOÏDE s. f. SAMON SAMOREAU s. m. SAMOREUX s. m. SAMOS SAMOSATE SAMOSATIEN s. SAMOTHRACE SAMOUN (grottes de) SAMOUR s. m. SAMOYÈDE adj. SAMOYÈDES SAMOZONKI s. f. SAMPA s. m. SAMPAC s. m. SAMPAIO (Adriaô PEREIRA-TORJAZ DE) SAMPAIO (Antonio-Rodrigues) SAMPANE s. f. SAMPATI SAMPEYRE SAMPI s. m. SAMPIERDARENA SAMPIERO D'ORNANO SAMPIETRO SAMPIGNY SAMPSÉEN s. m. SAMPSICERAMUS SAMSCRIT, ITE adj. SAMSOE SAMSOEE (Ole-Jean) SAMSON s. m. SAMSON (SAINT-) s. m. SAMSON SAMSON (Joseph-Isidore) SAMSOUN SAMUEL SAMUEL D'ANI SAMULOCÈNE SAMWER (Charles-Frédéric-Lucien) SAMYDA s. m. SAMYDÉ, ÉE adj. SAN SAN (Gérard-Xavier) SANA SANADON (Noël-Etienne) SANADON (David DUVAL) SANADROUG SAN-ANTONI s. m. SANAS s. m. SANATOIRE adj. SANATROCÈS ou SANADROUG SANBACH SAN-BENITO s. m. SANBORNTON SAN-CALPA s. m. SAN-CARLOS (DON Joseph-Michel DE CARVAJAL, duc DE) SANCAS SANI ou SANCAS SANO (Denis-André) SANCERGUES SANCERRE SANCERRE (Louis DE) SANCERRE (Jean DE BUEIL, comte DE) SANCHE Ier, dit Sanche Garcia SANCHE II SANCHE III, dit le Grand SANCHE IV SANCHE V SANCHE VI SANCHE VII SANCHE Ier SANCHE II, dit le Fort SANCHE III SANCHE IV, dit le Brave SANCHE RAMIREZ SANCHE (DOÑA) SANCHE Ier, dit le Gros SANCHE Ier SANCHE II SANCHEZ (Alonso) SANCHEZ (Alonso) SANCHEZ (François) SANCHEZ (Miguel) SANCHEZ (François) SANCHEZ (Thomas) SANCHEZ (Antoine-Nuñez-Ribeiro) SANCHEZ (Thomas-Antoine) SANCHEZ (le docteur Pierre-Antoine) SANCHEZ (Luis-Sergio) SANCHEZ DE AREVALDO (Rodriguez) SANCHEZ DEL ARCO (Francisco) SANCHÉZIE s. f. SANCHO (Ignace) SANCHO PANÇA SANCHONIATHON ou SANCHONIATON SANCIR v. n. ou intr. SANCOINS SANCOURT SANCROFT (Guillaume) SANCTIFIANT, ANTE adj. SANCTIFICATEUR, TRICE adj. SANCTIFICATION s. f. SANCTIFIER v. a. ou tr. SANCTION s. f. SANCTIONNATEUR adj. SANCTIONNER v. a. ou tr. SANCTIS (François DE) SANCTORIUS SANCTUAIRE s. m. SANCTUM SANCTORUM SANCTUS s. m. SANCY SANCY (puy de) SANCY (Nicolas HARLAY DE) SANCY (Charlotte HARLAY DE) SANCY (Achille HARLAY DE) SAND (Christophe VON DER) SAND (Karl-Ludwig) SAND (Armandine-Lucile-Aurore DUPIN, connue sous le pseudonyme de George) SAND (Maurice DUDEVANT, dit Maurice) SANDAL s. m. SANDALE s. f. SANDALIE s. f. SANDALIER s. m. SANDALINE s. f. SANDALIOLITE s. f. SANDAPILAIRE s. m. SANDAPILE s. f. SANDARACINE s. f. SANDARAQUE s. f. SANDASTRE s. m. SANDAT s. m. SANDAY SANDBERG (Jean-Gustave) SANDBERGER (Jean-Philippe) SANDBY (Thomas) SANDBY (Paul) SANDE SANDE (Jean VAN DEN) SANDÉ SANDEAU (Léonard-Sylvain-Jules) SANDEC (ALT-) SANDEC (NEU-) SANDEMAN (Robert) SANDEMANIAN s. m. SANDEO (Felino-Maria) SANDER ou SANDERS (Antoine) SANDERLING s. m. SANDERS ou SAUNDERS (Nicolas) SANDERS (Robert) SANDERSON (Robert) SANDERSON (Robert) SANDERSON (John) SANDFORD (Daniel) SANDGATE SANDHI s. f. SANDIFORT (Edouard) SANDIFORT (Gérard) SANDINI (Antonio) SANDIS interj. SANDIUS (Christophe) SANDIX ou SANDYX s. m. SANDJAR (Aboul-Hareth-Moez-Eddyn ou Moghaït-Eddyn) SANDOMIR ou SANDOMIERZ SANDON (Léon) SANDJIAC ou SANDJIAK s. m. SANDJIACAT ou SANDJIAKAT s. m. SANDORIC s. m. SANDORIQUE s. m. SANDOVAL SANDOVAL (Prudence DE) SANDRART (Joachim) SANDRART (Jacques) SANDRART (Jean-Jacques) SANDRART (Marie-Suzanne) SANDRAS (Claude-Marie-Stanislas) SANDRAS (Gatien DE COURTILZ DE) SANDRE s. m. SANDS (Robert-Charles) SANDUSKY SANDWICH s. m. SANDWICH SANDWICH (archipel) SANDWICH (archipel) SANDWICH SANDYS (Edwin) SANDYS (sir Edwin) SANDYS (George) SANDYS (Arthur-Marc Cecil Hill, baron DE) SANDYX s. m. SANE SANÉ (Jacques-Noël, baron) SANÉ (Alexandre-Marie) SANELLE s. f. SAN-FELICE (Antonio) SAN-FELICE (la marquise Louise) SANFLORAIN, AINE s. et adj. SAN-FRANCISCO SANG s. m. SANGA SANGALLI (Rita) SANGALLO (Julien GIAMBERTI, dit DA) SANGALLO (Antoine GIAMBERTI, dit DA) SANGALLO (Bastien DA) SANGALLO (Antoine PICCONI, dit DA) SANGALLO (Antoine-Baptiste-Gobbo) SANGARIUS ou SAGARIS SANGATANG SAN-GAVINO s. m. SANG-DE-DRAGON s. m. SANG-DRAGON s. m. SANGERHAUSEN SANG-FROID s. m. SANG-GRIS s. m. SANGHÂTI s. m. SANGIAC ou SANDJIAK s. m. SANGIACAT ou SANDJIAKAT s. m. SAN-GIMIGNANO (Vincenzo DA) SAN-GIORGIO (Gian-Antonio DE) SAN-GIORGIO (Benvenuto, comte DE) SAN-GIOVANNI (Jean MANOZZI DI) SAN-GIOVANNI (Ercole-Maria DI) SANGLADE s. f. SANGLANT, ANTE adj. SANGLE s. f. SANGLÉ, ÉE part. passé SANGLÉ s. m. SANGLER v. a. ou tr. SANGLIER s. m. SANGLIER, IÈRE adj. SANGLIÈRE s. f. SANGLON s. m. SANGLOT s. m. SANGLOTER v. n. ou intr. SANGOU s. m. SANGRADO SANGRO SANGRO (Raymond DE) SANGSUE s. f. SANGUEL SANGUENIE s. f. SANGUIFICATIF, IVE adj. SANGUIFICATION s. f. SANGUIFIER v. a. ou tr. SANGUIFIQUE adj. SANGUIGNON s. m. SANGUIN, INE adj. SANGUIN SANGUINAIRE adj. SANGUINARINE s. f. SANGUINE s. f. SANGUINELLE s. f. SANGUINICOLLE adj. SANGUINIPÈDE adj. SANGUINIROSTRE adj. SANGUINOLAIRE s. f. SANGUINOLE s. f. SANGUINOLENT, ENTE adj. SANGUIR SANGUISORBE adj. SANGUISORBÉ, ÉE adj. SANGUISUGE adj. SANGUSZKO (Roman) SANGUSZKO (Bartora DUNINE, princesse) SANHAGI (Abou-Abdallah-Mahomet) SANHÉDRIN s. m. SANHIA s. m. SANHILARIA s. m. SANI s. m. SANI SANICLE s. f. SANICULE s. f. SANICULÉ, ÉE adj. SANIDE s. f. SANIDIN s. m. SANIE s. f. SANIEUX, EUSE adj. SANIEWSKI (Félix) SANIFIER v. a. ou tr. SANI-JALA s. m. SANIOKHOR SANITAIRE adj. SANITÉ s. f. SANITIUM SANKARA SANKHYA s. m. SANKIKANI s. m. SANKIRA s. f. SANLECQUE (Jacques DE) SANLECQUE (Jacques DE) SANLECQUE (Louis DE) SAN-LUIS (comte DE) SAN-MARTIN (Juan-José) SAN-MICHELI ou SAMMICHELI (Michel) SAN-MIGUEL (Evaristo, duc) SANNAZAR (Jacques) SANNES s. m. pl. SANNIO SANNION s. m. SANNIONITE s. f. SANNOIS SANOK SANOTTE s. f. SANQUHAR SANREY (Agnus Benignus) SAN-ROMAN (DON Miguel) SANS prép. SANSAC (Louis PRÉVOST DE) SANSAL s. m. SAN-SALVADOR SAN-SALVADOR SAN-SALVADOR SAN-SALVADOR SAN-SALVADOR SAN-SALVADOR SAN-SALVADOR-DE-BAYAMO SAN-SALVADOR-DOS-CAMPOS SAN-SALVATORE-MONFERRATO SAN-SALVATORE-TELESINO SANSAN SANSANDING SANSAS (Pierre) SANS-CAMELOTE s. m. SANS-CHAGRIN s. m. SANSCHOUAN SANS-CŒUR s. m. SANSCRIT ou SANSKRIT, ITE adj. SANSCRITAIN ou SANSKRITAIN, AINE adj. SANSCRITIQUE ou SANSKRITIQUE adj. SANSCRITISME ou SANSKRITISME s. m. SANSCRITISTE ou SANSKRITISTE s. m. SANS-CULOTTE s. m. SANS-CULOTTERIE s. f. SANS-CULOTTIDE s. f. SANS-CULOTTISME s. m. SANS-DENT s. SAN-SEVERINO-LUCANO SAN-SEVERINO-MARCHE SAN-SEVERINO (Robert DE) SAN-SEVERINO (Galéas DE) SAN-SEVERINO (Antonello DE) SAN-SEVERINO (Ferrante DE) SAN-SEVERINO (Dominique) SAN-SEVERINO (le chevalier Jules-Robert) SAN-SEVERO SAN-SEVERO (Raimond DE SANGRO, prince DE) SANSÉVIELLE s. f. SANSÉVIÈRE s. f. SANS-FLEUR s. f. SANSKRIT, SANSKRITAIN, SANSKRITIQUE, SANSKRITISME, SANSKRITIÞ SANSON (Jacques) SANSON (Nicolas) SANSON (Nicolas) SANSON (Nicolas-Antoine) SANSON (Charles-Henri) SANSON (Henri) SANSON (Louis-Joseph) SANSON (Jose-Placido) SANSON (André) SANSONNET s. m. SANSOVINO (Andrea CONTUCCI, dit IL) SANSOVINO ou TATTI (Jacques) SANSOVINO (Francesco TATTI, dit IL) SANS-PAIR adj. SANS-PEAU s. m. SANS-PRENDRE s. m. SANS-SOUCI adj. SANS-TACHE s. m. SANSUREAU s. m. SANTA SANTA ou PARILLA SANTA-ANA (Manuel-Maria) SANTA-ANNA (Antonio LOPEZ DE) SANTA-CROCE (Prospero DE) SANTA-CROCE (don Antoine-Publicola) SANTA-CRUZ SANTA-CRUZ (DON Alonso DE) SANTA-CRUZ (Alvarez DE BAS SANO, marquis DE) SANTA-CRUZ (André) SANTA-CRUZ (Manuel) SANTA-CRUZ DE MARZENADO (DON Alvar DE NAVIA OSORIO, vicomte de PUERTO, marquis DE) SANTAL s. m. SANTALACÉ, ÉE adj. SANTALÉINE s. f. SANTALIN, INE adj. SANTALINE s. f. SANTALOÏDE s. m. SANTA-LUCIA (Salvador CESNEROS, marquis DE) SANTANDER SANTANDER (PROVINCE DE) SANTANDER (NOUVEAU-) SANTANDER (Francesco DE PAULA) SANTANDER (Charles-Antoine LA SERNA DE) SANTARELLI (Antonio) SANTARELLI (Jean-Antoine) SANTAREM SANTAREM (Manoel-Francisco DE BARROS Y SOUZA, vicomte DE) SANTA-ROSA (comte SANGTORRE DE) SANTE (Gilles-Anne-Xavier DE LA) SANTÉ s. f. SANTEE SANTEN (Laurent VAN) SANTENAY SANTERRE SANTERRE (Jean-Baptiste) SANTERRE (Antoine-Joseph) SANTEUL (Jean DE) SANTI ou SANZIO (Giovanni) SANTI (Georges) SANTIAGO SANTIAGO SANTIAGO-DE-ALANHI ou SANTIAGO-DE-VERAGUA SANTIAGO-DE-COMPOSTELLA SANTIAGO-DE-CUBA SANTIAGO-DE-LA-VEGA SANTIAGO-DE-LÉON-DE-CARACAS SANTIAGO-DEL-ESTERO SANTIAGO-DEL-ESTERO (ETAT DE) SANTIAGO-DE-LOS-CABALLEROS SANTIAGO-DE-VERAGUA SANTIE s. f. SANTILITE s. f. SANTILLANE SANTILLANE (Inigo LOPEZ DE MENDOZA, marquis DE) SANTINI (l'abbé Jean) SANTIUS (saint) SANTO (Mariano) SANTOLINE s. f. SAN-TOMMASSO (Félix, marquis CARONE DE) SANTON s. m. SANTONA SANTONES SANTONINE s. f. SANTONIQUE adj. SANTORELLI (Antonio) SANTORIN SANTORINI (Jean-Dominique) SANTORINOIS, OISE s. et adj. SANTORIO SANTOS SANTOS (LOS) SANTOS-DE-MAIMONA (LOS) SANTOS (Jean DOS) SANTOS (Manuel DOS) SANTOS E SILVA (Joas-Antonio DOS) SANTPONS (François) SANTUR s. m. SANTY-YOGA s. m. SANUDO (Marc) SANUDO (Ange) SANUTO (Marino) dit Torsello ou l'Ancien SANUTO (Marino) dit le Jeune SANUTO (Livio) SANVE s. f. SANVIC SANVITALE (Jacopo) SANVITALE (Jacopo-Antonio, comte) SANVITALIE s. f. SANZ (Augustin) SANZ PEREZ (José) SANZAC (Louis PRÉVOT DE) SANZIO (Giovanni SANTI ou) SANZIO (Raffaelle) SAOMOUNA s. m. SAONARA SAÔNE SAÔNE (DÉPARTEMENT DE LA HAUTE-) SAÔNE-ET-LOIRE (DÉPARTEMENT DE) SAORGE SAOSNOIS (le) SAOU SAOUARY s. m. SAOUL, SAOULE adj. SAOULE-BOUVIER s. m. SAOULER v. a. ou tr. SAOUNAKA ou ÇAOUNAKA SAP s. m. SAPA s. m. SAPAJOU s. m. SAPAN s. m. SAPANTIN s. m. SAPATE s. m. SAPAUDIA SAPE s. f. SAPEMENT s. m. SAPÈQUE s. f. SAPER v. a. ou tr. SAPERDE s. f. SAPEUR s. m. SAPEUR-POMPIER s. m. SAPEY (Jean-Baptiste-Charles) SAPHAN s. m. SAPHAR s. m. SAPHÈNE adj. SAPHÉNIE s. f. SAPHÉO SAURE s. m. SAPHI s. m. SAPHIQUE adj. SAPHIR s. m. SAPHIR (Moïse, puis Maurice-Gottlieb) SAPHIRE SAPHIRIN, INE adj. SAPHISME s. m. SAPHISTRIN s. m. SAPHO s. f. SAPHO ou SAPPHO SAPHON SAPIDE adj. SAPIDITÉ s. f. SAPIDUS (Jean, plus connu sous le nom de WITZ) SAPIEHA SAPIEHA (Lew ou Léon) SAPIEHA (Jean-Stanislas) SAPIEHA (Christophe-Nicolas) SAPIEHA (Casimir-Léon) SAPIEHA (Jean-Pierre) SAPIEHA (Paul-Jean) SAPIEHA (Casimir-Paul-Jean) SAPIEHA (Jean-Frédéric) SAPIEHA (Casimir-Nestor) SAPIEHA (Alexandre) SAPIEHA (Léon, prince) SAPIENCE s. f. SAPIENCE ou SAPIENZA SAPIENS NIHIL AFFIRMAT QUOD NON PROBET SAPIENTIAUX adj. m. pl. SAPIENZA (Antoine) SAPIN s. m. SAPINAGE s. m. SAPINAUD DE BOIS-HUGUET (le chevalier DE) SAPINAUD DE LA RAIRIE (Charles-Henri) SAPINDACÉ, ÉE adj. SAPINDÉ, ÉE adj. SAPINDUS s. m. SAPINE s. f. SAPINE s. f. SAPINEAU s. m. SAPINÉE s. f. SAPINER v. a. ou tr. SAPINETTE s. f. SAPINIÈRE s. f. SAPIS SAPITEUR s. m. SAPIUM s. m. SAPOCOU SAPOGÉNINE s. f. SAPOJOK SAPONACÉ, ÉE adj. SAPONAIRE s. f. SAPONARA-DI-GRUMENTO SAPONARA-VILLAFRANCA SAPONARINE s. f. SAPONÉ s. m. SAPONIFIABLE adj. SAPONIFICATION s. f. SAPONIFIER v. ou tr. SAPONIFORME adj. SAPONINE s. f. SAPONIQUE adj. SAPONITE s. f. SAPONULE s. m. SAPONULÉ s. m. SAPONURE s. m. SAPOR ou CHAHPOUR Ier SAPOR II SAPOR III SAPOR SAPORATION s. f. SAPORIFIQUE adj. SAPOTACÉ, ÉE adj. SAPOTE s. f. SAPOTIER s. m. SAPOTILLE s. f. SAPOTILLIER s. m. SAPPA DE' MILANESI INVIZIATI GORRETA (Alexandre) SAPPADILLE s. f. SAPPAN ou SAPAN s. m. SAPPANINE s. f. SAPPARE s. m. SAPPARITE s. f. SAPPEY (Pierre-Victor) SAPPHIRINE s. f. SAPRI SAPRIN s. m. SAPRISTI interj. SAPROLÉGNIE s. f. SAPROLÉGNIÉ, ÉE adj. SAPROME s. m. SAPROMYZE s. f. SAPROPHAGE adj. SAPROPYRE s. f. SAPROSMA s. m. SAPY SAPYGE s. f. SAPYGITE adj. SAQUEBUTE s. f. SAQUER v. a. ou tr. SAQUES s. f. pl. SAQUES SAQUET s. m. SAQUETTER v. a. ou tr. SAQUI (Mme veuve) SAR s. m. SARA SARA ou SARAÏ SARA SARABACUS SINUS SARABAÏTE s. m. SARABANDE s. f. SARABAT ou KEDOUS SARAC ou CHINALADAN SARACA s. m. SARACENA SARACÉNAIRE s. f. SARACÈNES SARACHA s. m. SARACINO ou SARACENI (Charles) SARADA-CAREN s. m. SARAE CASTRUM SARAE PONS SARAGOS SAIN, AINE s. SARAGOSSE SARAGOSSE (PROVINCE DE) SARAGOUSTI s. m. SARAGUE s. m. SARAI SARAIGNET s. m. SARAIST SARAKKA SARAKSI (Aboul-Abbas-Ahmet) SARAMACA SARAMON SARANE s. m. SARANCOLIN s. m. SARANGOUSTI s. m. SARANSK SARAOUAN ou SARAVAN SARAPA s. m. SARAPE s. m. SARAPHANE s. f. SARAPOUL SARAQUIER s. m. SARA SA (Alphonse-Antoine DE) SARASIN SARASIN (Jean-François) SARASINS SARA-SOU SARASWATI SARASWATI SARATOGA SARATOV ou SARATOW SARATOV ou SARATOW (GOUVERNEMENT DE) SARAUER (Frédéric-Guillaume-Henri) SARAVAN SARAZIN s. m. SARAZIN ou SARRAZIN (Jacques) SARAZIN (Pierre) SARBACANE s. f. SARBEDARIEN s. m. SARBIEWSKI (Mathias-Casimir) SARBOTIÈRE s. f. SARCANDA s. m. SARCANTHE s. m. SARCANTHÈME s. m. SARCASME s. m. SARCASTIQUE adj. SARCELLE s. f. SARCELLES SARCENIT s. m. SARCEUX, EUSE SARCEY (Francisque) SARCHE s. f. SARCHELLE s. f. SARCHIANI (Joseph) SARCINE s. f. SARCINULE s. f. SARCIOPHORE s. m. SARCLABLE adj. SARCLAGE s. m. SARCLER v. a. ou tr. SARCLET s. m. SARCLEUR, EUSE s. SARCLOIR s. m. SARCLURE s. f. SARCO préfixe SARCOBASE s. m. SARCOBIE s. f. SARCOCALYX s. m. SARCOCAPNOS s. m. SARCOCARPE adj. SARCOCARPIEN, IENNE adj. SARCOCARPON s. m. SARCOCÈLE s. m. SARCOCÉPHALE s. m. SARCOCHILE s. m. SARCOCHITON s. m. SARCOCOLLE s. m. SARCOCOLLIER s. m. SARCOCOLLINE s. f. SARCOCONE s. m. SARCOCOQUE s. m. SARCODE s. m. SARCODENDRE s. m. SARCODERME s. m. SARCODIDYME s. m. SARCODIQUE adj. SARCODON s. m. SARCOÉPIPLOCÈLE s. f. SARCOÉPIPLOMPHALE s. f. SARCOGÈNE adj. SARCOGRAPHE s. m. SARCOHYDROCÈLE s. f. SARCOÏDE adj. SARCOLACTIQUE adj. SARCOLEMME s. m. SARCOLÈNE adj. SARCOLOBE s. m. SARCOLOGIE s. f. SARCOLOGIQUE adj. SARCOLOGUE s. m. SARCOMATEUX, EUSE adj. SARCOME s. m. SARCOMPHALE s. m. SARCOMPHALOÏDE s. m. SARCOMYCÈTE adj. SARCONE (Michel) SARCOPHAGE adj. SARCOPHAGIEN, IENNE adj. SARCOPHILE s. m. SARCOPHINANTHE s. m. SARCOPHYLLE s. m. SARCOPHYME s. m. SARCOPHYTE s. m. SARCOPHYTÉ, ÉE adj. SARCOPODE s. m. SARCOPSYLLE s. f. SARCOPTE s. m. SARCOPTÈRE s. m. SARCOPTIDE adj. SARCOPYOÏDE adj. SARCOPYRAMIDE s. f. SARCORHAMPHE adj. SARCOSCYPHE s. m. SARCOSE s. f. SARCOSINE s. f. SARCOSPERME adj. SARCOSTEMME s. m. SARCOSTIGMA s. m. SARCOSTOME s. m. SARCOSTOSE s. f. SARCOSTYLE s. m. SARCOTHLASIE s. f. SARCOTIQUE adj. SARCUS SARDAIGNE SARDAIGNE (ROYAUME DE) ou SARDES (ETATS) SARDANAPALE s. m. SARDANAPALE SARDANAPALE III SARDANAPALE IV SARDANAPALE V SARDANAPALESQUE adj. SARDANAPALISME s. m. SARDE adj. SARDES (Etats) SARDES SARDI (Thomas di Matteo) SARDI (Louis) SARDI (Pierre) SARDI (Joseph) SARDI (Gasparo) SARDI (Alessandro) SARDIEN, IENNE s. et adj. SARDIN s. m. SARDINAL s. m. SARDINE s. f. SARDINEAU s. m. SARDINERIE s. f. SARDINIA SARDINIER s. m. SARDIQUE SARDIS s. m. SARDO s. m. SARDOAL SARDOINE s. f. SARDON s. m. SARDONIE s. f. SARDONIEN, IENNE adj. SARDONIQUE adj. SARDONIQUEMENT adv. SARDONS SARDONYSE s. f. SARDONYX s. m. SARDOU (Antoine-Léandre) SARDOU (Victorien) SARE s. m. SARE SAREDA SAREDATHA SAREE s. m. SARÉE s. f. SARÉE SAREGO SARELLE s. f. SAREPTA ou SAREPHTA SAREPTA SARGANS SARGASSE s. m. SARGASSÉ, ÉE adj. SARGE s. m. SARGENT (Epes) SARGET s. m. SARGETTE s. f. SARGIE s. f. SARGON s. m. SARGONOIR s. m. SARGUE s. m. SARGUEMINES SARGUET s. m. SARI SARI-D'ORCINO SARI (Napoléon-Emmanuel STÉPHANINI, dit Léon) SARIAFING SARIANA s. m. SARIAVA s. m. SARIBE s. m. SARICA s. m. SARICOVIENNE s. f. SARIDJÉ s. m. SARIETTE s. f. SARIGUE s. m. SARILLES s. f. pl. SARINE SARINENA SARION s. m. SARIONE s. f. SÂRIRA s. m. SARIS s. m. SARISSE s. f. SARISSOPHORE s. m. SARK ou SERCQ SARKIDIORNIS s. m. SARLADAIS, AISE s. et adj. SARLADAIS SARLANDIÈRE (Jean-Baptiste) SARLAT SARLOVÈSE (François FOURNIER, comte) SARLYK s. m. SARMANAKA s. m. SARMATES SARMATIE SARMATIQUE adj. SARMATIQUE (mer) SARMATIQUES (monts) SARMATIQUES (portes) SARMATO SARMEDE SARMENT s. m. SARMENTACÉ, ÉE adj. SARMENTER v. n. ou intr. SARMENTEUX, EUSE adj. SARMENTIFÈRE adj. SARMIENTA s. m. SARMIENTO (Martin) SARMIENTO (Domingo-Faustino) SARMIENTO DA GAMBOA (Pierre) SARMIZEGETHUSA SARNANO SARNELLI (Pompeo) SARNEN SARNEN (lac de) SARNIA SARNICKI (Stanislas) SARNO SARNO SARNUS SAROBRANCHE s. m. SARON ou SARONAS (plaine de) SARONIDE s. m. SARONIES s. f. pl. SARONIQUE adj. f. SARONIQUE (golfe) SAROPODE s. m. SAROS s. m. SAROS (golfe de) SAROS (NAGY-) SAROS (COMITAT DE) SAROSY et non SAROSSI (Louis) SAROTE s. m. SAROTHAMNE s. m. SAROTHRA s. m. SAROUBÉ s. m. SAROUDJ ou SEROUDJE SAROUKHAN SAROU-TAKI-KHAN (Mirza) SARP SARPÉDON SARPÉDON SARPÉDONIE s. f. SARPEJEU interj. SARPER v. a. ou tr. SARPI (Pierre) SARRABAT (Nicolas) SARRACÉNIE s. f. SARRACÉNIÉ, ÉE adj. SARRACÉNIQUE adj. SARRACHA s. f. SARRACINE s. f. SARRACOLETS SARRACUM s. m. SARRAF s. m. SARRALBE SARRALLIER s. m. SARRAN (Jean-Raimond-Pascal) SARRANCOLIN s. m. SARRANCOLIN SARRANIEN, ENNE adj. SARRANS (Bernard) SARRASIN, INE adj. SARRASIN (Jean-Antoine) SARRASIN (Philibert) SARRASIN (Louise) SARRASIN (Jean) SARRASIN (Michel) SARRASIN ou SARASIN (Jean-François) SARRASINOIS, OISE s. et adj. SARRAU s. m. SARRAU (Claude) SARRAU (Isaac) SARRAZIN s. m. SARRAZIN (Jean) SARRAZIN (Adrien, comte DE) SARRAZIN (Jacques) SARRE s. f. SARRE SARRE (PROVINCE DE) SARRE-UNION SARREBOURG SARREBOURG SARREBRUCK SARREGAN (le) SARREGUEMINES SARRELOUIS SARRÈTE s. f. SARRETTE s. f. SARRÉZI s. m. SARRIA SARRIANS SARRIETTE s. f. SARRITOR SARROCHIA (Marguerite) SARROLA-CARCOPINO SARRON s. m. SARRON SARRON (BOCHART DE) SARROT s. m. SARROTRIE s. m. SARROTRIPE s. f. SARROTROCÈRE s. m. SARROUBE s. m. SARRUS (Pierre-Frédéric) SARRUT (Thomas-Jacques) SARRUT (Germain-Marie) SARS s. m. SARSIE s. f. SARSINA SART s. m. SART SART SART SARTAGE s. m. SARTAK SARTEANO SARTELON (Antoine-Léger, chevalier) SARTÈNE SARTER v. a. SARTHE (la) SARTHE (DÉPARTEMENT DE LA) SARTHOIS, OISE s. et adj. SARTI (Mauro) SARTI (Giuseppe) SARTIÈRE s. f. SARTIGES (Bertrand DE) SARTIGES (Charles-Gabriel-Eugène, vicomte DE) SARTILLY SARTINE s. f. SARTINE (Antoine-Raymond-Jean-Gualbert-Gabriel DE) SARTIRANA-LOMELLINA SARTIS s. m. SARTO (ANDREA DEL) SARTORIUS (Georges) SARTORIUS (Wolfgang) SARTORIUS (Ernest-Guillaume-Chrétien) SARTORIUS (Luis-Jose) SARTORY (Mme DE) SARTROUVILLE SARTYNI (Matthieu) SARUS SARVA-PRAYASCHITA s. m. SARVAR ou KOTHBURG SARVE s. m. SARVIZ SARY-SOU ou SARA-SOU SARYTCHEF (Gabriel) SARZANA (le) SARZANE SARZEAU SAS s. m. SAS s. m. SAS-DE-GAND (LE) SAS (Corneille) SASA s. m. SASAPIN s. m. SASAPINE s. f. SASBACH ou SALZBACH SASENO SASIN s. m. SASKATCHÉRAN SASPIRES ou SAPIRES SASS (Frédéric) SASS (Marie-Constance Sass, dame CASTELMARY, connue au théâtre sous le nom de Marie SAX,puis sous celui de) SASSA s. m. SASSAFRAS s. m. SASSAGE s. m. SASSANIDE s. m. SASSARI SASSARI (PROVINCE DE) SASSATA s. m. SASSBACH SASSE adj. SASSÉBÉ s. m. SASSEGNAT s. m. SASSELLO SASSEMENT s. m. SASSENAGE s. m. SASSENAGE SASSER v. a. ou tr. SASSET s. m. SASSEUR, EUSE s. SASSI (Panfilo) SASSI (Francesco-Girolamo) SASSI (Giuseppe-Antoine) SASSIE s. f. SASSO-DI-CASTALDA SASSOCORVARO SASSOFERRATO SASSOFERRATO (IL) SASSOIRE s. f. SASSOLINE s. f. SASSONIA (Hercule) SASSUOLO SASTI-VASSA s. m. SASSURE s. f. SÂSTRA s. m. SASVAR SAT s. m. SATADEVEN s. m. SATADOU SATAL s. m. SATALIÉH ou ADALLIA SATAN s. m. SATAN SATANAS SATANÉ, ÉE adj. SATANICLE s. m. SATANIEN s. m. SATANIQUE adj. SATANISME s. m. SATANITE s. m. SATANOW (Isaac) SATAR SATARAH ou SETARAH SATELLITE s. m. SATELLITE s. m. SATÉRIM s. m. SATERLAND SATGONG SATHMAR SATÎ s. f. SATÎ SATI ou SATÉ SATICULA SATI-DRAP s. m. SATIÉTÉ s. f. SATIF, IVE adj. SATILLIEU SATIN s. m. SATINADE s. f. SATINAGE s. m. SATINAIRE s. m. SATINÉ, ÉE part. passé SATINER v. a. ou tr. SATINET s. m. SATINEUR, EUSE s. SATIRE s. f. SATIRIQUE adj. SATIRIQUEMENT adv. SATIRISER v. a. ou tr. SATIRISTE s. m. SATISFACTION s. f. SATISFACTIONNAIRE s. m. SATISFACTOIRE adj. SATISFAIRE v. a. ou tr. SATISFAISANT, ANTE adj. SATISFAIT, AITE part. passé SATISFECIT s. m. SATNIQUE s. m. SATORY SAT PRATA BIBERUNT SATRAPE s. m. SATRAPÈNES SATRAPIE s. f. SATRAPIQUE adj. SATRIANO SATRICUM SATSOUMA SATTEAU s. m. SATTIA-LOCA s. m. SATTUNGA SATUR (SAINT-) SATUR (Thomas) SATURABILITÉ s. f. SATURABLE adj. SATURANT, ANTE SATURATEUR s. m. SATURATION s. f. SATURÉ, ÉE part. passé SATURÉINÉ, ÉE adj. SATUREIUM SATURER v. a. ou tr. SATURITÉ s. f. SATURNALES s. f. pl. SATURNE s. m. SATURNE ou CRONOS SATURNIA SATURNIE s. f. SATURNIE SATURNIEN, IENNE adj. SATURNIGÈNE adj. SATURNIN, INE adj. SATURNIN-D'APT (SAINT-) SATURNIN-D'AVIGNON (SAINT-) SATURNIN ou SERNIN (saint) SATURNIN SATURNINUS (Lucius Apuleius) SATURNINUS (Publius Sempronius) SATURNINUS (Sextus Julius) SATURNITE s. f. SATUROMÈTRE s. m. SATYRE s. m. SATYRE s. f. SATYRESSE s. f. SATYRIAQUE adj. SATYRIASIS s. m. SATYRIASME s. m. SATYRIDE adj. SATYRIDION s. m. SATYRION s. m. SATYRIQUE adj. SAUBUSSE SAUCANELLE s. f. SAUCE s. f. SAUCÉ, ÉE part. passé SAUCER v. a. ou tr. SAUCERIE s. f. SAUCE ROBERT s. f. SAUCEROTTE (Nicolas) SAUCEROTTE (Antoine-Constant) SAUCIER s. m. SAUCIÈRE s. f. SAUCISSE s. f. SAUCISSEUR s. m. SAUCISSON s. m. SAUCLET s. m. SAUCOURT-EN-VIMEU SAUD (SAINT-) SAUDÉE s. f. SAUDRAY (Charles-Emmanuel GAULARD DE) SAUDRE SAUF, SAUVE adj. SAUF prép. SAUF-CONDUIT s. m. SAUF-RÉPIT s. m. SAUGE s. f. SAUGÉ, ÉE adj. SAUGEOIRE s. f. SAUGER s. m. SAUGERETTE s. f. SAUGERTIES SAUGET s. m. SAUGIE s. f. SAUGRAIN (Guillaume) SAUGRAIN (Claude-Marin) SAUGRENÉE s. f. SAUGRENU, UE adj. SAUGRENUITÉ s. f. SAUGUE s. f. SAUGUES SAUGUZÉE s. f. SAUIJALA s. m. SAUJON SAUKI s. m. SAUL SAÜL SAULAIE s. f. SAULAS s. m. SAULAS ou SOULAS (Gilles) SAULCY (Louis-Félicien-Joseph CAIGNART DE) SAULDRE ou SAUDRE SAULE s. m. SAULÉE s. f. SAULES (Frédéric DES) ou SALIS SAULET s. m. SAULCAU SAULGE (SAINT-) SAULGES SAULI (Alexandre) SAULIEU SAULL (William-Devonshire) SAULNIER ou SAUNYER (Guillaume) SAULNIER (Charles) SAULNIER (Guillaume) SAULNIER (Pierre-Dieudonné-Louis) SAULNIER (Sébastien-Louis) SAULNIER (Louis-Pierre-Frédéric) SAULNIER DE BEAUREGARD (en religion DOM Antoine, dans l'état civil Anne-Nicolas-Charles) SAULNOIS (le) SAULSAIE s. f. SAULT (le) SAULT SAULVE (SAINT-) SAULX SAULX SAULX-LES-CHARTREUX SAULX-LE-DUC SAULX (DE) SAULXURES SAULZAIS-LE-POTIER SAULZOIR SAUM s. m. SAUMAISE s. m. SAUMAISE (Bénigne DE) SAUMAISE (Claude DE) SAUMAREZ (lord Jacques DE) SAUMÂTRE adj. SAUMÉRIO s. m. SAUMERY (DE) SAUMIER s. m. SAUMIÈRE s. m. SAUMOIREAU s. m. SAUMON s. m. SAUMONE SAUMONÉ, ÉE adj. SAUMONEAU s. m. SAUMONELLE s. f. SAUMUR SAUMURAGE s. m. SAUMURE s. f. SAUMURÉ, ÉE adj. SAUMUROIS, OISE s. et adj. SAUNAC (Guillaume) SAUNAGE s. m. SAUNAISON s. f. SAUNDERS (William) SAUNDERS (James-Cunningham) SAUNDERSON (Nicolas) SAUNÉE s. f. SAUNER v. n. ou intr. SAUNERIE s. f. SAUNIÂRI s. m. SAUNIER s. m. SAUNIER (Gaspard) SAUNIER (François DE) SAUNIER (Pierre-Maurice) SAUNIER (Georges) SAUNIÈRE s. f. SAUPE s. f. SAUPIQUET s. m. SAUPOUDRATION s. f. SAUPOUDRER v. a. ou tr. SAUPPE (Théophile) SAUPPE (Hermann) SAUQUÈNE s. f. SAUR, SAURE adj. SAURAGE s. m. SAURAT SAURAU (François, comte DE) SAURAUJA s. m. SAURAUJÉ, ÉE adj. SAURE adj. SAURE s. m. SAUREAU s. m. SAUREL s. m. SAURER v. a. ou tr. SAURET adj. m. SAURI ou SAURY SAURIA (Jean-Charles) SAURICHTHYIEN, IENNE adj. SAURICHTHYS s. m. SAURIEN, IENNE adj. SAURIN s. m. SAURIN (Elie) SAURIN (Joseph) SAURIN (Bernard-Joseph) SAURIN (Jacques) SAURINE (Jean-Pierre) SAURIODE s. m. SAURIR v. a. ou tr. SAURIS s. m. SAURISSAGE s. m. SAURISSERIE s. f. SAURISSEUR s. m. SAURITE s. f. SAURITIS s. f. SAUROCERQUE s. m. SAUROCHAMPSE s. m. SAUROCHÉLYDE s. f. SAUROCTONE adj. m. SAURODACTYLE s. m. SAUROGLOSSE s. m. SAUROGRAPHE s. m. SAUROGRAPHIE s. f. SAUROGRAPHIQUE adj. SAUROÏDE adj. SAUROÏDICHNITE s. m. SAUROLOGIE s. f. SAUROLOGIQUE adj. SAUROLOGUE s. m. SAUROMATE s. m. SAUROMORPHE s. m. SAUROPE s. m. SAUROPHAGE adj. SAUROPHIDIEN, IENNE adj. SAUROPHIS s. m. SAUROPSIS s. m. SAUROSTOME s. m. SAUROTHÈQUE s. m. SAUROTHÈRE s. m. SAURURE s. m. SAURURÉ, ÉE adj. SAURUS SAUSARAI s. m. SAUSEUIL (Jean-Nicolas JOUIN, chevalier DE) SAUSSAIE s. f. SAUSSAY (André DU) SAUSSAY (CARPEAU DU) SAUSSAY-VALLIER (François-Charles, comte DU) SAUSSAYE (Mathurin DE LA) SAUSSAYE (Charles DE LA) SAUSSAYE (Jean-François-de-Paule-Louis DE LA) SAUSSE s. f. SAUSSE (Jean-Baptiste LA) SAUSSIER (Félix-Gustave) SAUSSURE SAUSSURE (Nicolas DE) SAUSSURE (Horace-Bénédict DE) SAUSSURE (Nicolas-Théodore DE) SAUSSURE (Albertine-Adrienne DE) SAUSSURÉE s. f. SAUSSURITE s. f. SAUT s. m. SAUTAGE s. m. SAUTANT, ANTE adj. SAUTE s. f. SAUTÉ, ÉE part. passé SAUTÉE s. f. SAUTE-EN-BARQUE s. m. SAUTE-EN-BAS s. m. SAUTEL (Pierre-Just) SAUTELER v. n. ou intr. SAUTELLE s. f. SAUTER v. n. ou intr. SAUTER (Joseph-Antoine) SAUTEREAU s. m. SAUTEREAU DE MARSY (Claude-Sixte) SAUTERELLE s. f. SAUTERELLOISE s. f. SAUTERIE s. f. SAUTÉRIE s. f. SAUTERLEUTE (François-Joseph) SAUTERNE s. m. SAUTERNES SAUTEROLLE s. f. SAUTE-RUISSEAU s. m. SAUTEUR, EUSE adj. SAUTIÈRE s. f. SAUTILLAGE s. m. SAUTILLANT, ANTE adj. SAUTILLEMENT s. m. SAUTILLER v. n. ou intr. SAUTILLON s. m. SAUTOIR s. m. SAUTRIAU s. m. SAUVAGAGI s. m. SAUVAGE adj. SAUVAGE (Denis) SAUVAGE (le Père) SAUVAGE (Piat-Joseph) SAUVAGE (Pierre-Louis-Frédéric) SAUVAGE (Etienne-Noël-Joseph, comte DE) SAUVAGE (Thomas-Marie-François) SAUVAGE (François-Clément) SAUVAGE (Elie) SAUVAGÉA s. m. SAUVAGEMENT adv. SAUVAGEON s. m. SAUVAGEOT (Charles) SAUVAGÈRE (LA) SAUVAGÈRE (Félix-François LE ROYER D'ARTEZET DE LA) SAUVAGERIE s. f. SAUVAGES DE LA CROIX (François BOISSIER DE) SAUVAGES DE LA CROIX (Pierre-Augustin BOISSIER DE) SAUVAGÉSIE s. f. SAUVAGÉSIÉ, ÉE adj. SAUVAGESSE s. f. SAUVAGIN, INE adj. SAUVAGNEUX s. m. SAUVAIRE-BARTHÉLEMY (Barthélemy-Antoine-François-Xavier SAUVAIRE, marquis de BARTHÉLEMY, dit) SAUVAL (Henri) SAUVATIER s. m. SAUVE SAUVE (LA) SAUVE (Charlotte DE BEAUNE-SAMBLANÇAY, baronne DE) SAUVÉ, ÉE part. passé SAUVÉ DE LANOUE (Jean-Baptiste) SAUVEBOEUF SAUVEDROIT s. m. SAUVEGARDE s. f. SAUVEGARDÉ, ÉE part. passé SAUVEGARDER v. a. ou tr. SAUVE-L'HONNEUR s. m. SAUVEMENT s. m. SAUVER v. a. ou tr. SAUVE-RABANS s. m. SAUVESTRE (Nicéphore-Charles SAUVAÎTRE, dit) SAUVETAGE s. m. SAUVETÉ s. f. SAUVETER v. a. ou tr. SAUVETERRE s. m. SAUVETERRE SAUVETEUR s. m. SAUVEUR s. m. SAUVEUR (SAINT-) SAUVEUR-LENDELIN (SAINT-) SAUVEUR-LE-VICOMTE (SAINT-) SAUVEUR (Joseph) SAUVEUR (Jean-Joseph DE) SAUVE-VIE s. f. SAUVIAC (Joseph-Alexandre-Betbezé-Larue DE) SAUVIGNON s. m. SAUVIGNY (Edme-Louis BILLARDON DE) SAUVO (François) SAUX SAUX SAUXILLANGES SAUZAY (Eugène) SAUZÉ-VAUSSAIS SAUZEAU (Alix) SAUZET (Jean-Pierre-Paul) SAVA SAVACOU s. m. SAVAGE (Richard) SAVAGE (James) SAVAGE (William) SAVAGE (James) SAVAGNER (François-Charles-Frédéric-Auguste) SAVAGNIN s. m. SAVALLE s. m. SAVAMMENT adv. SAVANA s. m. SAVANE s. f. SAVANNAH SAVANNAH SAVANT, ANTE adj. SAVANTAS s. m. SAVANTASSE s. m. SAVANTISSIME adj. SAVARD (Marie-Gabriel-Augustin) SAVARESI (Andrea) SAVARESI (Antonio) SAVARI DE MAULÉON SAVARIN s. m. SAVARON (Jean) SAVART s. m. SAVART (Félix) SAVARY (Jacques) SAVARY (Jacques) SAVARY (Jacques) dit Savary des Brulons SAVARY (Daniel) SAVARY (Louis-Jacques) SAVARY (Claude-Etienne) SAVARY (Jean-Julien-Marie) SAVARY (Auguste-Charles) SAVARY (Félix) SAVARY (Charles) SAVARY (Anne-Jean-Marie-René) SAVARY (François) SAVARY DE LACOSME-BRÈVES (le comte Louis-Stanislas) SAVASTANIE s. f. SAVASTANO (François-Eulalie) SAVATE s. f. SAVATELLE s. f. SAVATERIE s. f. SAVAU s. m. SAVE SAVE SAVEGIUM SAVELIEF (Paul) SAVELLI SAVENAY SAVENBACH (RINNA DE) SAVENEAU s. m. SAVENELLE s. f. SAVENNIÈRES SAVERDUN SAVERIEN (Alexandre) SAVERNE SAVERY SAVERY (Roland) SAVETÉ, ÉE part. passé SAVETER v. a. ou tr. SAVETIER s. m. SAVEUR s. m. SAVI (Gaetano) SAVIA s. m. SAVIANO SAVIARD (Barthélemi) SAVIE SAVIGLIANO SAVIGNAC-LES-ÉGLISES SAVIGNAC (Adélaïde-Esther-Charlotte DUBILLON DE) SAVIGNANO-DI-PUGLIA SAVIGNANO-DI-ROMAGNA SAVIGNIES SAVIGNY SAVIGNY-SOUS-BEAUNE SAVIGNY-SUR-ORGE SAVIGNY-EN-REVERMONT SAVIGNY (Christophe DE) SAVIGNY (Frédéric-Charles DE) SAVIGNY (Charles-Frédéric DE) SAVIGNY (Marie-Jules-César LELORGNE DE) SAVIGNYE s. f. SAVILE (Henry) SAVILE ou SAVILLE (George) SAVIN (SAINT-) SAVIN SAVINE (Charles LAFONT DE) SAVINES SAVINIEN (SAINT-) SAVINIER s. m. SAVIOLI (Louis-Victor) SAVO SAVOCA SAVODINSKITE s. f. SAVOIE SAVOIE (DÉPARTEMENT DE LA) SAVOIE (DÉPARTEMENT DE LA HAUTE-) SAVOIE (maison DE) SAVOIE (Humbert Ier DE) SAVOIE (Amédée ou Amé Ier, comte DE) SAVOIE (Odon DE) SAVOIE (Amédée II, comte DE) SAVOIE (Humbert II, comte DE) SAVOIE (Amédée III, comte DE) SAVOIE (Humbert III, comte DE) SAVOIE (Thomas Ier, comte DE) SAVOIE (Amédée IV, comte DE) SAVOIE (Boniface, comte DE) SAVOIE (Thomas II DE) SAVOIE (Pierre, comte DE) SAVOIE (Philippe Ier, comte DE) SAVOIE (Amédée V, comte DE) SAVOIE (Louis DE) SAVOIE (Edouard ou Odoard, comte DE) SAVOIE (Aimon, comte DE) SAVOIE (Amédée VI, comte DE) SAVOIE (Bonne DE BOURBON, comtesse DE) SAVOIE (Amédée VII, comte DE) SAVOIE (Amédée VIII, premier duc DE) SAVOIE (Louis, duc DE) SAVOIE (Amédée IX, duc DE) SAVOIE (Jacques DE) SAVOIE (Philibert Ier, duc DE) SAVOIE (Charles Ier, duc DE) SAVOIE (Charles II, duc DE) SAVOIE (Philippe II, duc DE) SAVOIE (Philibert II, duc DE) SAVOIE (Charles III, duc DE) SAVOIE (Emmanuel-Philibert, duc DE) SAVOIE (Charles-Emmanuel Ier, duc DE) SAVOIE (Victor-Amédée Ier, duc DE) SAVOIE (Charles-Emmanuel II, duc DE) SAVOIE (Victor-Amédée II, quinzième duc DE) SAVOIE (Charles-Emmanuel III, duc DE) SAVOIE (Victor-Amédée III, duc DE) SAVOIE (Charles-Emmanuel IV, duc DE) SAVOIE (Victor-Emmanuel Ier, duc DE) SAVOIE (Charles-Félix DE) SAVOIE-CARIGNAN (Charles-Albert DE) SAVOIE (Victor-Emmanuel II DE) SAVOIE (Philippe DE) SAVOIE (Louis DE) SAVOIE (Philibert-Emmanuel DE) SAVOIE (Maurice DE) SAVOIE-NEMOURS (Philippe DE) SAVOIE-CARIGNAN (Thomas DE) SAVOIE-CARIGNAN-SOISSONS (François-Eugène DE) SAVOIE-CARIGNAN-VILLEFRANCHE (Eugène-Emmanuel DE) SAVOIR v. a. ou tr. SAVOIR s. m. SAVOIR-FAIRE s. m. SAVOIR-VIVRE s. m. SAVOISIEN, IENNE s. et adj. SAVOLAX s. m. SAVOLDO (Girolamo) SAVON s. m. SAVONAROLA (Jean-Michel) SAVONAROLA (Frère Jérôme) SAVONAROLA (Raphaël) SAVONAROLE SAVONCEAU s. m. SAVONE SAVONIER s. m. SAVONNAGE s. m. SAVONNER v. a. ou tr. SAVONNERIE s. f. SAVONNETTE s. f. SAVONNEUR, EUSE s. SAVONNEUX, EUSE adj. SAVONNIER, IÈRE adj. SAVONNOIR s. m. SAVONULE s. f. SAVORÉE s. f. SAVOT (Louis) SAVOU SAVOURÉ, ÉE part. passé SAVOUREMENT s. m. SAVOURER v. a. ou tr. SAVOURET s. m. SAVOUREUSE (la) SAVOUREUSEMENT adv. SAVOUREUX, EUSE adj. SAVOYARD, ARDE s. et adj. SAVOYE DE ROLLIN ou simplement DE ROLLIN (Jacques-Fortunat) SAWA-CALINSKI SAWANOU (idiome) SAWASZKIEWICZ (Léon) SAW-CES SAW-DINNEH SAWELJEFF (Paul) SAWICKI (Gaspard) SAX adj. SAX (Christophe) SAX (Antoine-Joseph-Adolphe) SAXAN adj. SAXATILE adj. SAXE s. m. SAXE SAXE (ROYAUME DE) SAXE-ALTENBOURG (DUCHÉ DE) SAXE-COBOURG-GOTHA (DUCHÉ DE) SAXE-MEININGEN (DUCHÉ DE) SAXE-WEIMAR-EISENACH (GRAND-DUCHÉ DE) SAXE (Jean-Frédéric, électeur DE) SAXE (Maurice, électeur DE) SAXE (Hermann-Maurice, comte DE) SAXE (Edouard-Charles-Guillaume, prince D'ALTENBOURG, duc DE) SAXE SAXE-ALTENBOURG (Joseph, duc DE) SAXE-COBOURG (Frédéric-Josias, duc DE) SAXE-COBOURG (Ernest III, duc DE) SAXE-COBOURG-GOTHA (Ernest IV, duc DE) SAXE-COBOURG-GOTHA (François-Albert-Auguste-Charles-Emmanuel SAXE-COBOURG-KOHARY (Ferdinand-Georges-Auguste, duc DE) SAXE-GOTHA (Ernest Ier, duc DE) SAXE-GOTHA (Jean-Guillaume DE) SAXE-GOTHA (Ernest II Louis, duc DE) SAXE-GOTHA-ET-ALTENBOURG (Emile-Léopold-Auguste, duc DE) SAXE-TESCHEN (Albert-Charles-François-Xavier, duc DE) SAXE-WEIMAR (Bernard, duc DE) SAXE-WEIMAR (Charles-Auguste, grand-duc DE) SAXE-WEIMAR (Louise, grande-duchesse DE) SAXHORN s. m. SAXICAVE s. f. SAXICOLE adj. SAXICOLIDE s. m. SAXICOLIDÉ, ÉE adj. SAXICOLINÉ, ÉE SAXIFRAGACÉ, ÉE SAXIFRAGE adj. SAXIFRAGÉ, ÉE adj. SAXILAUDA s. m. SAXO GRAMMATICUS SAXON, ONNE adj. SAXONNE (SUISSE) SAXONS (pays des) SAXONIA SAXONIQUE adj. SAXOPHONE s. m. SAXOTROMBA s. m. SAXTORPH (Mathias) SAY s. m. SAY (Jean-Baptiste) SAY (Louis-Auguste) SAY (Horace-Emile) SAY (Jean-Baptiste-Léon) SAY (Thomas) SAYA s. f. SAYACOU s. m. SAYAN, SAYANSK ou SAYANIENS (monts) SÂYANA ou SÂYANATCHARYA SAYBROCK SAYE s. f. SAYER (Edouard) SAYER (Franck) SAYERS (Tom) SAYETTE s. f. SAYETTERIE s. f. SAYETTEUR, EUSE s. SAYN SAYNÈTE s. f. SAYON s. m. SAYOUS (Pierre-André) SAYPAN SAY-SAYS SAZE s. m. SBARAGLIA (Jean-Jérôme) SBIRE s. m. S. C SCABELLON s. m. SCABELLUM s. m. SCABÉRIE s. f. SCABIEUSE s. f. SCABIEUX, EUSE adj. SCABIN s. m. SCABINAL, ALE adj. SCABIOSÉ, ÉE adj. SCABRE adj. SCABREUX, EUSE adj. SCABRICAUDE adj. SCABRICORNE adj. SCABRICOSTÉ, ÉE adj. SCABRIDE adj. SCABRIFLORE adj. SCABRIFOLIÉ, ÉE adj. SCABRISÈTE adj. SCABRITE s. f. SCABRIU SCULE adj. SCABROSITÉ s. f. SCACCHI (Fortunat) SCADICACALLI s. m. SCAËR SCAEVOLA (C. Mucius) SCAEVOLA (Publius Mucius) SCAEVOLA (Quintus Mucius) SCAEVOLA (Quintus Mucius) SCAFATI SCAFERLATI s. m. SCAGLIOLA s. f. SCALA SCALA-NOVA SCALA-NOVA (golfe de) SCALA SCALA (Mastino Ier DE LA) SCALA (Albert Ier DE LA) SCALA (Barthélemi DE LA) SCALA (Alboin Ier DE LA) SCALA (Cane Ier DE LA) SCALA (Mastino II DE LA) SCALA (Can-Grande II DE LA) SCALA (Cane III ou Can-Signore DE LA) SCALA (Antoine DE LA) SCALA (Can-Francesco DE LA) SCALA (Guillaume DE LA) SCALA (Bartolommeo) SCALABIS SCALAIRE s. f. SCALAMBRA (cap) SCALANDRE s. f. SCALARIEN, IENNE adj. SCALARIFORME adj. SCALA-SANTA s. f. SCALATA s. f. SCALDE s. m. SCALDIQUE adj. SCALDIS ou TABUDA SCALEA SCALÉNAIRE s. f. SCALÈNE adj. SCALENGHE SCALÉNOÈDRE adj. SCALETTA-ZANGLEA SCALIDIE s. f. SCALIE s. f. SCALIGER (Jules-César) SCALIGER (Joseph-Juste) SCALIGÈRE s. f. SCALIGÉRIE s. f. SCALIGÉRIEN, IENNE adj. SCALION DE VIRBLUNEAU SCALLOWAY SCALME s. m. SCALOPE s. m. SCALPE s. m. SCALPEL s. m. SCALPER v. a. ou tr. SCALPRE s. m. SCALTCOATS SCAMANDRE ou XANTHE SCAMASAX s. m. SCAMBE s. m. SCAMITE s. f. SCAMMA s. m. SCAMMONÉE s. m. SCAMMONINE s. f. SCAMMONITE s. f. SCAMMONOLATE s. m. SCAMMONOLIQUE adj. SCAMOZZI (Vincent) SCAMOZZI (Ottavio-Bertotti) SCANDALE s. m. SCANDALEUSEMENT adv. SCANDALEUX, EUSE adj. SCANDALIDE s. f. SCANDALISATEUR, TRICE s. SCANDALISER v. a. ou tr. SCANDEBEC s. m. SCANDER v. a. ou tr. SCANDER-BEG (Georges) SCANDERIÉH SCANDEROUN SCANDIANESE (Titus-Jean GANZARINI, dit LE) SCANDIANO SCANDICINÉ, ÉE adj. SCANDIE SCANDINAVE adj. SCANDINAVES (Alpes) SCANDINAVIE ou SCANDIE SCANDINAVIEN, IENNE s. et adj. SCANDINAVIQUE adj. SCANDIX s. m. SCANDRIGLIA SCANELLO (Cristoforo) SCANIE SCANNABECCHI (Filippo) SCANNAVINI (Mario-Aurelio) SCANNO SCANSANO SCANSION s. f. SCANSORIPÈDE adj. SCANSORIUM s. m. SCANTILLA (Mallia) SCANZONI DE LICHTENFELS (Frédéric-Guillaume) SCAPANIE s. f. SCAPANOTE s. m. SCAPE s. m. SCAPHANDRE s. m. SCAPHANDREUR s. m. SCAPHE s. f. SCAPHÉ s. m. SCAPHÉPHORE s. m. SCAPHIDACTYLE s. m. SCAPHIDE s. f. SCAPHIDIE s. f. SCAPHIDITE adj. SCAPHIDOMORPHE s. m. SCAPHIDURE s. m. SCAPHINOTE s. m. SCAPHION s. m. SCAPHIOPE s. m. SCAPHISME s. m. SCAPHISOME s. m. SCAPHITE s. f. SCAPHOCÉPHALE adj. SCAPHOÏDE adj. SCAPHOÏDO-ASTRAGALIEN, IENNE adj. SCAPHOÏDO-CUBOÏDIEN, IENNE adj. SCAPHOÏDO-SUS-PHALANGIEN, IENNE adj. SCAPHOPHORE s. m. SCAPHORHYNQUE s. m. SCAPHULE s. f. SCAPHURE s. f. SCAPHUSIA SCAPHYGLOTTE s. f. SCAPIFLORE adj. SCAPIFORME adj. SCAPIGÈRE adj. SCAPIN s. m. SCAPIN SCAPINELLI (Louis) SCAPOLITE s. f. SCAPTE s. m. SCAPTÉ-HYLÉ SCAPTEIRE s. m. SCAPTÈRE s. m. SCAPTÉROMYS s. m. SCAPTINE s. f. SCAPTOBIE s. m. SCAPTOCORISE s. f. SCAPTODÈRE s. m. SCAPULA (Jean) SCAPULAIRE adj. SCAPULALGIE s. f. SCAPULALGIQUE adj. SCAPULO-CORACO-RADIAL, ALE adj. SCAPULO-HUMÉRAL, ALE adj. SCAPULO-HYOÏDIEN, IENNE adj. SCAPULO-RACHIDIEN, IENNE adj. SCAPULO-RADIAL, ALE adj. SCAPULUM s. m. SCARABE s. m. SCARABÉ s. m. SCARABÉE s. m. SCARABÉIDE adj. SCARAMOUCHE s. pr. m. SCARAMOUCHE SCARAMOUCHE (Tiberio FIURELLI, dit) SCARAMUCCIA (Jean-Antoine) SCARAMUCCIA (Louis-Pellegrini) SCARBOROUGH SCARCHIR s. m. SCARDASSE s. f. SCARDONA ou SKARDIN SCARDONA (île) SCARDONA (Jean-François) SCARDUS SCARE s. m. SCARIDIE s. f. SCARIEUX, EUSE adj. SCARIFICATEUR s. m. SCARIFICATION s. f. SCARIFIÉ, ÉE part. passé SCARIFIER v. a. ou tr. SCARIOLE s. f. SCARIPHÉE s. m. SCARIS s. m. SCARITE s. m. SCARITIDE adj. SCARLATE s. m. SCARLATINE adj. f. SCARLATTI (Alessandro) SCARLATTI (Domenico) SCARLATTI (Giuseppe) SCARLETT (sir James-Yarke) SCARNAFIGI SCAROLE s. f. SCARPA (Antonio) SCARPANTO ou KOJE SCARPE SCARPELLINI (l'abbé Félicien) SCARPERIA SCARPONE SCARRON (Paul) SCARSELLA (Sigismond) SCARSELLA (Hippolyte) SCARUFFI (Gaspard) SCASON s. m. SCATCHERD (Norrison-Cavendish) SCATHARE s. m. SCATOMYZE s. f. SCATOMYZIDE adj. SCATONOME s. m. SCATOPHAGE adj. SCATOPHILE adj. SCATOPSE s. m. SCAURE s. m. SCAURITE adj. SCAURUS (Marcus AEmilius) SCAURUS (Mamercus) SCAVINI (J.-M.) SCAVISSON s. m. SCAZON adj. m. SCEAU s. m. SCEAUX SCECACHUL s. m. SCEL s. m. SCÉLALGIE s. f. SCÉLARCIS s. m. SCÉLÉNOPLE s. m. SCÉLÉOCANTHE s. m. SCÉLÉRAT, ATE adj. SCÉLÉRATEMENT adv. SCÉLÉRATESSE s. f. SCÉLÉRATISME s. m. SCÉLÉTOGRAPHE s. m. SCÉLÉTOGRAPHIE s. f. SCÉLÉTOGRAPHIQUE adj. SCÉLIAGE s. m. SCÉLIDE s. f. SCÉLIDOTHÉRIUM s. m. SCÉLION s. m. SCÉLITE s. f. SCELLAGE s. m. SCELLÉ, ÉE part. passé SCELLÉ s. m. SCELLEMENT s. m. SCELLER v. a. ou tr. SCELLEUR s. m. SCELLIÈRES SCÉLOCNÉMIS s. m. SCÉLODOSE s. m. SCÉLODROME s. m. SCÉLOPHORE s. m. SCÉLOPHYSE s. f. SCÉLOPORE s. m. SCÉLOTE s. m. SCÉLOTRÈTE s. m. SCÉLOTYRBE s. f. SCÉNARIO s. m. SCÈNE s. f. SCÉNÉDESME s. m. SCÉNIQUE adj. SCÉNITES SCÉNOGRAPHE s. m. SCÉNOGRAPHIE s. f. SCÉNOGRAPHIQUE adj. SCÉNOGRAPHIQUEMENT adv. SCÉNONYME s. m. SCÉNOPÉGIE s. f. SCÉNOPINE s. f. SCÉNOPINIEN, IENNE adj. SCÉPA s. m. SCÉPACÉ, ÉE adj. SCÉPASMA s. m. SCÉPASTRE s. m. SCÉPEAUX (Marie-Paul-Alexandre-César BOISGUIGNON, vicomte DE) SCÉPHRUS s. m. SCEPSÉOTHAMNE s. m. SCEPSIS SCEPTICISME s. m. SCEPTIQUE adj. SCEPTIQUEMENT adv. SCEPTRANTHE s. m. SCEPTRATE s. m. SCEPTRE s. m. SCEPTRIFÈRE adj. SCEPUSIUM SCÉRA s. f. SCÉTÉ SCÉTIE ou SÉTIE s. f. SCEURA s. m. SCÈVE (Maurice) SCEVOLA (Lodovico) SCÉVOLE s. m. SCÉVOLÉ, ÉE adj. SCÉVOPHYLAX s. m. SCEY-SUR-SAÔNE SCEY-EN-VARAIS SCHAAF (Charles) SCHAAR SCHMIDT (Samuel) SCHAAR SCHMIDT (Auguste) SCHABAN s. m. SCHABAN Ier (Melik-el-Kamel-Zein-Eddyn) SCHABAN II (Melik-al-Aschraf Aboul Moufa-Kher Zein-Eddyn) SCHABATH s. m. SCHABOL (Jean-Royer) SCHABRAQUE s. f. SCHACH s. m. SCHACHAL s. m. SCHACHOVSKOI (Grégoire, prince) SCHACHOVSKOI (Alexandre, prince) SCHACHOVSKOI (Jean-Leontievitch, prince) SCHACHOVSKOI (Alexandre, prince) SCHACHRIAR s. m. SCHACHT (Hermann) SCHACK (Adolphe-Frédéric DE) SCHAD (Daniel) SCHAD (Elie) SCHAD (Osée) SCHAD (Jean-Baptiste-Romain) SCHADE (Pierre) SCHADI s. m. SCHADOW (Jean-Godefroi) SCHADOW (Zono-Ridolfo) SCHADOW (Friedrich-Wilhelm VON) SCHAEFELS (Henry-Raphaël) SCHAEFER (Henri) SCHAEFFER (Jacob-Christian) SCHAEFFER (Jean-Théophile) SCHAEFFER (Jacques-Chrétien-Théophile) SCHAEFFER (Jean-Ulrich-Théophile) SCHAEFFER (Geoffroy-Henri) SCHAEFFER (Adolphe) SCHAEFFÉRIE s. f. SCHAERTLIN DE BURTENBACH (Sébastien) SCHAETZLER (Jean-Laurent) SCHAEUFFELIN (Hans-Léonard) SCHAF s. m. SCHAFARIK (Paul-Joseph) SCHAFAU s. m. SCHAFEI SCHAFF s. m. SCHAFF (Philip) SCHAFFHOUSE SCHAFFHOUSE (CANTON DE) SCHAGEN (Gilles) SCHAGHTICOKE SCHAGUIRDE s. f. SCHAH ou CHAH s. m. SCHAH-AÂLEM SCHAHAN-SCHAH SCHAHARBARZ ou ROUMIZAN SCHAH-DJIHAN ou SCHAH-DJALAM SCHAHI s. m. SCHAHINDJI-BA SCHI s. m. SCHAH'IREDDOR SCHAH-KOULI SCHAH-ROUKH-MYRZA SCHAIBEK-KHAN SCHAK (Hermann-Ewald) SCHAKO s. m. SCHAL s. m. SCHALCKEN (Gotfried) SCHALDEMOSE (Friedrich) SCHALIKOFF (Pierre-Ivanovitch, prince DE) SCHALL s. m. SCHALL (Jean-Adam) SCHALL (Charles) SCHALLER (Jules) SCHALLER DE SAINT-JOSEPH (Jaroslav) SCHALMAGANY (Mohammed-Ibn-Ali, surnommé Al) SCHAMANE s. m. SCHAMMAÏ SCHAMMATA s. m. SCHAMS-EDDYN-ILEMISCH ou ALTUMASCH SCHAMYL ou SCHEMYL (Ben-Mohammed-Schamyl-Effendi) SCHANDAU SCHANFARA SCHANGINIE s. f. SCHANK (John) SCHANNAT (Jean-Frédéric) SCHAN-SI SCHAN-TOUNG SCHAO-KING SCHAPSKA ou TCHAPSKA s. m. SCHAPZIGUER s. m. SCHARAB-ÉMINI s. m. SCHARAFI s. m. SCHARANDIN (Jean-Jacques) SCHARBERG (Joseph BEDEUS DE) SCHARCHOE SCHI s. m. SCHARD (Simon) SCHARDACQ s. m. SCHARFENBERG (Georges-Louis) SCHARFFENBERG (Albrecht VON) SCHARHLUS s. m. SCHARIGI s. m. SCHARKOÉ ou SCHARDAH SCHARLING (Karl-Emile) SCHARLING (Edouard-Auguste) SCHARNHORST (Gérard-David) SCHAROK SCHARTIR s. m. SCHASSBURG SCHATTEN (Nicolas) SCHAUB (Luc) SCHAUENBURG ou SCHAUMBURG (Adolphe III DE) SCHAUENBURG ou SCHAUMBURG (Alexis-Henri-Antoine-Balthasar, baron DE) SCHAUENSTEIN SCHAUÈRE s. f. SCHAUÉRIE s. f. SCHAUFELEIN ou SCHEUFFELEIN (Hans-Léonard) SCHAUMBOURG ou SCHAUENBOURG SCHAUMBOURG (COMTÉ DE) SCHAUMBOURG (PRINCIPAUTÉ DE LIPPE-) SCHAUMBOURG (CERCLE DE) SCHAUMBOURG (Frédéric-Guillaume-Ernest, comte DE LIPPE-) SCHAUMBURG SCHAYES (Antoine-Guillaume-Bernard) SCHAZADÉ s. m. SCHÉAT s. m. SCHEBAT s. m. SCHEBISTERI (Mahmoud) SCHÉDAR s. m. SCHÈDE s. f. SCHEDE (Elie) SCHEDE (Paul) SCHEDEL (Hartmann) SCHEDO-FERROTI (D.-K.) SCHEDONE et non SCHIDONE (Barthélemi) SCHEDEL (Frédéric) SCHEDEL (Jean-Chrétien) SCHEDEL (Eugène) SCHÉDIASME s. m. SCHÉDIR s. m. SCHEDONI (Pierre) SCHÉDULE s. f. SCHEEL (Henri-Othon DE) SCHEEL (Paul) SCHEELATE s. m. SCHEELE (Charles-Guillaume) SCHEELE (Louis-Nicolas DE) SCHEELIN s. m. SCHEELITE s. f. SCHEELITINE s. f. SCHEELS (Rabode-Hermann) SCHEELSTRATE (Emmanuel DE) SCHEEMAKERS (Pierre) SCHEEPSTON s. m. SCHEER SCHEERÉRITE s. f. SCHEFER (Léopold) SCHEFFEL s. m. SCHEFFEL (Chrétien-Etienne) SCHEFFER (Jean) SCHEFFER (Henri-Théophile) SCHEFFER (Ary) SCHEFFER (Henry) SCHEFFER (Auguste-Chrétien-Guillaume-Hermann) SCHEFFLÈRE s. f. SCHEFFNER (Jean-Georges) SCHEHERAZADE (la sultane) SCHEHER-EMINI s. m. SCHEIBE (Jean-Adolphe) SCHEIBEL (Jean-Godefroy) SCHEIBENBERG SCHEID (Everard) SCHEIDAGE s. m. SCHEIDEL (François-Christophe) SCHEIDT (Balthasar) SCHEIDT (Jean-Valentin) SCHEIDT (Chrétien-Louis) SCHEIK s. m. SCHEILAN s. m. SCHEINER (Christophe) SCHÉITAN-KOULI SCHEKSNA SCHELANDRE (Jean DE) SCHELDE SCHELE DE SCHELENBOURG (Georges-Victor-Frédéric-Thierry, baron DE) SCHELE DE SCHELENBOURG (Edouard-Frédéric-Auguste, baron DE) SCHELEM s. m. SCHELER (Jean-Auguste-Udalric) SCHELESTADIEN s. et adj. SCHELESTADT ou SCHLESTADT SCHELFHOUT (André) SCHELHAMMER (Gonthier-Christophe) SCHELHAMMÈRE s. f. SCHELHAMMÉRIE s. f. SCHELHORN (Jean-Georges) dit l'Ancien SCHELHORN (Jean-Georges) dit le Jeune SCHÉLIF SCHELL (Alexandre DE) SCHELLENBERG SCHELLENBERG SCHELLENBERG (Jean-Rodolphe) SCHELLER (Emmanuel-Jean-Gérard) SCHELLING s. m. SCHELLING ou TER-SCHELLING SCHELLING (Frédéric-Guillaume-Joseph DE) SCHELLING (Charles-Everard) SCHELLINGS ou SCHELLINKS (Guillaume) SCHELLINGUE s. m. SCHELLINKS (Guillaume) SCHELME s. m. SCHELOT, SCHELOTAGE, SCHELOTER SCHELTEMA (Jacques) SCHELTINGA (Gerlach) SCHELTOPUZIK s. m. SCHELVÉRIE s. f. SCHÉMA s. m. SCHÉMATIQUE adj. SCHÉMATIQUEMENT adv. SCHÉMATISER v. a. ou tr. SCHÉMATISME s. m. SCHÉMATIZE s. f. SCHÈME s. m. SCHEMNITZ SCHEMS-EDDIN-MOHAMMED SCHÉNANTHE s. m. SCHENCK (Frédéric) SCHENCK (Jean) SCHENCK (Jean-Georges) SCHENCK (Jean-Théodose) SCHENCKEL (Lambert-Thomas) SCHENDY ou CHENDY SCHÈNE s. m. SCHENECTADY SCHENK (Edouard DE) SCHENKEL (Daniel) SCHENKENDORF (Dieudonné-Ferdinand-Maximilien DE) SCHENK-KAN s. m. SCHENK-MASS s. m. SCHÉNOBÈNE adj. SCHÉNOPINE s. m. SCHÉNOPRASUM ou SCHOENOPRASUM s. m. SCHEN-SI SCHÉOL s. m. SCHEPELER (André-Daniel-Berthold DE) SCHEPF (Thomas) SCHEPPEL s. m. SCHEPPÉRIE s. f. SCHÉRAFI s. m. SCHERBASTI s. m. SCHÉRÉMÉTOF (Boris-Petrovitch, comte DE) SCHÉRÉMÉTOF (Pierre, comte DE) SCHÉRER (Jean-Jacques) SCHÉRER (Jean-Frédéric) SCHÉRER (Barthélemy-Louis-Joseph) SCHERER (Edmond) SCHERER (Jean-Jacques) SCHERF (Jean-Chrétien-Frédéric) SCHERG s. m. SCHÉRIF s. m. SCHÉRIFIÉ s. m. SCHERLIEVO s. m. SCHERMER (Luc) SCHERR (Thomas-Ignace) SCHERR (Jean) SCHERWILLER SCHERZ (Jean-Georges) SCHERZANDO adv. SCHERZER (Charles, chevalier DE) SCHERZO s. m. SCHÈSE s. f. SCHET s. m. SCHETBÉ s. m. SCHÉTIQUE adj. SCHÉ-TOULOU s. m. SCHETSI s. m. SCHEUCHZER (Jean-Jacques) SCHEUCHZER (Jean) SCHEUCHZÉRIE s. f. SCHEUFFELEIN (Hans-Léonard) SCHEUNEMANN (Henning) SCHEUREN (Gaspard) SCHEURER (Samuel) SCHEURER-KESTNER (Auguste) SCHEURL (Christophe-Théophile-Adolphe DE) SCHEUT SCHEUTZ (Georges) SCHÉVA s. m. SCHEVAS s. m. SCHEYB (François-Christophe DE) SCHIAMINOSSI (Raphaël) SCHIAVI SCHIAVO (Dominique) SCHIAVONE (Andrea) SCHIAVONETTI (Louis) SCHIBBOLETH s. m. SCHICHKOFF (Alexandre Semenovitch) SCHICHMATOFF (Serge-Alexandrowitch, prince) SCHICHT (Jean-Godefroy) SCHICK (Théophile) SCHICKARD (Guillaume) SCHIDACÉDON s. m. SCHIDONYQUE s. m. SCHIEDAM SCHIÉDÉE s. f. SCHIEFELDEN SCHIEFERDECKER (Jean-David) SCHIEFERDECKER DE WILCKAU (Gaspard) SCHIEFNER (François-Antoine) SCHIERMONNIKOOG SCHIEVELBEIN (Hermann) SCHIFFLAST s. m. SCHIFFUND s. m. SCHIGRE s. m. SCHIITE s. m. SCHIKANEDER (Emmanuel) SCHILBÉ s. m. SCHILDA SCHILDBERG SCHILDBERGER (Jean) SCHILDBOURGEOIS, OISE s. et adj. SCHILDE s. m. SCHILDER (Charles-Andreïwitch) SCHILDESCHE SCHILGEN (Philippe-Antoine) SCHILL (Ferdinand DE) SCHILLER (le Père Jules) SCHILLER (Johann-Christophe-Friedrich) SCHILLÈRE s. f. SCHILLING s. m. SCHILLING (Diebold) SCHILLING (Diebold) SCHILLING (Godefroi-Guillaume) SCHILLING (Frédéric-Gustave) SCHILLING (Gustave) SCHILLING VON CANSTATT (Charles, baron DE) SCHILLINGSFURST SCHILT (Jean-Jacques) SCHILT (Louis-Pierre) SCHILTER (Jean) SCHILTIGHEIM SCHIMATOCHILE s. m. SCHIMMELMANN (Henri-Charles, comte DE) SCHIMMELMANN (Ernest-Henri) SCHIMMELMANNIE s. f. SCHIMMELPENNINCK (Rutger-Jean) SCHIMPER (Wilhelm) SCHIMPÈRE s. f. SCHIN s. m. SCHINAS (Constantin-Démétrius) SCHINDEL s. m. SCHINDEL (Charles-Guillaume-Othon-Auguste DE) SCHINDERHANNES (Jean BUCKLER, dit) SCHINDLER (Antoine) SCHINDYLÈSE s. f. SCHING-KING SCHING-YANG SCHINK (Jean-Frédéric) SCHINKE (J.-Chrétien-Gottelf) SCHINKEL (Charles-Frédéric) SCHINNER (Matthieu) SCHINUS s. m. SCHINZ (Jean-Henri) SCHINZ (Christophe-Salomon) SCHINZ (Jean-Rodolphe) SCHINZ (Rodolphe-Edouard) SCHINZNACH SCHIO SCHIOPPALALBA (Jean-Baptiste) SCHIPANI (Louis-Joseph, chevalier) SCHIPPENBEIL SCHIPPOND s. m. SCHIRACH (Adam-Théophile) SCHIRACH (Théophile-Benoît) SCHIR-ALI-KHAN SCHIRAZ ou CHIRAZ SCHIRMECK SCHIRMER (Guillaume) SCHIRMER (Jean-Guillaume) SCHIRVAN SCHISCHKOW (Alexandre-Semenovitch) SCHISMA s. m. SCHISMATIQUE adj. SCHISMATISER v. a. ou tr. SCHISMATOBRANCHE adj. SCHISMATOPTÉRIDE adj. SCHISME s. m. SCHISMOCÈRE s. m. SCHISMUS s. m. SCHISTE s. m. SCHISTEUX, EUSE adj. SCHISTIDIE s. f. SCHISTOCARPE adj. SCHISTOCARPHE s. m. SCHISTOCÉPHALE s. m. SCHISTOGYNE s. m. SCHISTOÏDE adj. SCHISTOMITRE s. m. SCHISTOPHRAGME s. m. SCHISTOPHYLLE s. m. SCHISTOSITÉ s. f. SCHISTOSOME adj. SCHISTOSOMIE s. f. SCHISTOSOMIEN, IENNE adj. SCHISTOSOMIQUE adj. SCHISTOSTÉGE s. m. SCHISTOSTÉGÉ, ÉE adj. SCHISTOSTÈPHE s. m. SCHISTURE s. m. SCHIWERECKIE s. f. SCHIYTE s. m. SCHIZAEA s. m. SCHIZAEACÉ, ÉE adj. SCHIZANDRACÉ, ÉE adj. SCHIZANDRE s. m. SCHIZANDRÉ, ÉE SCHIZANGION s. m. SCHIZANTHE s. m. SCHIZASTER s. m. SCHIZÉA ou SCHIZAEA s. m. SCHIZÉACÉ ou SCHIZAEACÉ, ÉE adj. SCHIZOCARPE s. m. SCHIZOCÉPHALE s. m. SCHIZOCÈRE s. m. SCHIZOCHITON s. m. SCHIZODACTYLE s. m. SCHIZODERME s. m. SCHIZODESME s. m. SCHIZODICTYON s. m. SCHIZODION s. m. SCHIZODON s. m. SCHIZOGLOSSE s. f. SCHIZOGNATHE s. m. SCHIZOGYNE s. m. SCHIZOLÈNE s. m. SCHIZOLITHE s. f. SCHIZOLOBE s. m. SCHIZOMÉRIE s. f. SCHIZONÈME s. m. SCHIZONÉMÉ, ÉE adj. SCHIZONÉPÈTE s. f. SCHIZONIE s. f. SCHIZONYQUE s. m. SCHIZOPÉTALÉ, ÉE adj. SCHIZOPÉTALON s. m. SCHIZOPHRAGME s. m. SCHIZOPHYLLE s. m. SCHIZOPLEURE s. m. SCHIZOPODE adj. SCHIZOPS s. m. SCHIZOPTÈRE adj. SCHIZORHINE s. m. SCHIZORHIS s. m. SCHIZOSIPHON s. m. SCHIZOSTACHYON s. m. SCHIZOSTEMME s. m. SCHIZOSTÉPHANE s. m. SCHIZOSTIGMA s. m. SCHIZOSTOME s. m. SCHIZOTARSE s. m. SCHIZOTRICHIE s. f. SCHIZOTROQUE adj. SCHIZYMÉNIE s. f. SCHKUHRIE s. f. SCHLABERNDORF ou d'après l'Encyclopédie Rieger, de Prague, SCHLABRENDORF (Christophe-Georges-Gustave, comte DE) SCHLADMING SCHLAGER (Jean DE) SCHLAGGENWALD SCHLAGINTWEIT (Guillaume-Auguste-Joseph) SCHLAGINTWEIT SCHLAGUE s. f. SCHLAGUER v. a. ou tr. SCHLAGUEUR, EUSE adj. SCHLAMM s. m. SCHLAN ou SLANY SCHLANGENBAD SCHLAWA SCHLAWE SCHLECHTA-WSSEHRD (Ottocar-Marie, baron) SCHLECHTENDALIE s. f. SCHLEGEL (Jean-Elie) SCHLEGEL (Jean-Adolphe) SCHLEGEL (Jean-Henri) SCHLEGEL (Jean-Frédéric-Guillaume) SCHLEGEL (Théodore-Auguste) SCHLEGEL (Théophile) SCHLEGEL (Chrétienne-Caroline LUCIUS, dame) SCHLEGEL (Jean-Chrétien-Traugott) SCHLEGEL (Charles-Gustave-Maurice) SCHLEGEL (Jean-Charles-Furchtgott) SCHLEGEL (Auguste Guillaume DE) SCHLEGEL (Charles-Guillaume-Frédéric DE) SCHLEGEL (Justin-Frédéric-Auguste) SCHLEICHER (Auguste) SCHLEICHÈRE s. f. SCHLEIDEN SCHLEIDEN (Matthieu) SCHLEIDEN (Rodolphe) SCHLEIDÉNIE s. f. SCHLEIERMACHER (Frédéric-Daniel-Ernest) SCHLEINITZ (Guillaume-Jean-Charles-Henri, baron DE) SCHLEINITZ (Alexandre-Gustave-Adolphe, baron DE) SCHLEISSHEIM SCHLEITHAL SCHLEIZ SCHLEIZ (PRINCIPAUTÉ DE REUSS-) SCHLESIEN SCHLESINGER (Jean) SCHLESINGER (Jacques) SCHLESINGER (Henri-Guillaume) SCHLESTADT SCHLESWIG SCHLEUSSINGEN SCHLEZ (Jean-Ferdinand) SCHLICH s. m. SCHLICHTERGROLL (Adolphe-Henri-Frédéric DE) SCHLICHTING (Jonas) SCHLICK (François) SCHLIPPENBACH (Ulrich-Gustave, baron DE) SCHLITTAGE s. m. SCHLITTE s. f. SCHLITTER v. a. ou tr. SCHLITTEUR s. m. SCHLITZ SCHLIZER s. m. SCHLOEMILCH (Oscar) SCHLOENBACH (Arnold) SCHLOEZER (Auguste-Louis DE) SCHLOEZER (Chrétien DE) SCHLOEZER (Dorothée DE) SCHLOEZER (Kurd DE) SCHLOGAN SCHLOSSBERG (mont) SCHLOSSER s. m. SCHLOSSER (Jean-Georges) SCHLOSSER (Frédéric-Christophe) SCHLOSSHOF SCHLOT s. m. SCHLOTAGE s. m. SCHLOTER v. a. ou tr. SCHLOTHEIM (Ernest-Frédéric, baron DE) SCHLOTHEIMIE s. f. SCHLUCHTERN SCHLUCKENAU SCHLUSSELBOURG SCHLÜTER (André) SCHLYTER (Charles-Jean) SCHMALKALDEN SCHMALZ (Théodore-Antoine-Henri, comte DE) SCHMARDA (Louis-Charles) SCHMAUSS (Jean-Jacques) SCHMEITZEL (Martin) SCHMELLER (Jean-André) SCHMERLING (Antoine, chevalier DE) SCHMETTAU (Samuel, comte DE) SCHMETTAU (Frédéric-Guillaume-Charles, comte DE) SCHMID (Jean) ou SCHMIDT SCHMID (Jean-Rodolphe) SCHMID (Nicolas) connu aussi sous le nom de CÜNTZEL DE ROTENACKER SCHMID (Sébastien) SCHMID ou SCHMIDT (Georges-Louis) SCHMID (François-Vincent) SCHMID (Jean-Christophe) dit le chanoine Schmid SCHMID (Charles-Chrétien-Erhard) SCHMID (Jean-Henri-Théodore) SCHMID (Reinhold) SCHMID (Charles-Ernest) SCHMIDEL (Ulrich) SCHMIDEL (Casimir-Christophe) SCHMIDÉLIE s. f. SCHMIDLIN (Jacques ANDRÉ, surnommé) SCHMIDT (Georges-Frédéric) SCHMIDT (Benoît) SCHMIDT (Michel-Ignace) SCHMIDT (Frédéric-Samuel DE) SCHMIDT (Christophe DE) dit Phiseldeck SCHMIDT (Henri DE) SCHMIDT (Ernest-Auguste) SCHMIDT (Frédéric-Chrétien) SCHMIDT (Jean-Adam) SCHMIDT (Frédéric-Guillaume-Auguste) SCHMIDT (Joseph-Albert-Ernest) SCHMIDT (Jean-Ernest-Chrétien) SCHMIDT (Martin-Henri-Auguste) SCHMIDT (Isaac-Jacques) SCHMIDT (Henri) SCHMIDT (Gaspard) SCHMIDT (Guillaume-Adolphe) SCHMIDT (Henri-Julien) SCHMIDT (Edouard-Oscar) SCHMIDT DE LUBECK (Georges-Philippe) SCHMIDT-PHISELDECK (Just DE) SCHMIDT-PHISELDECK (Conrad-Frédéric DE) SCHMIDTIA s. m. SCHMIDTMUELLER (Johann-Anton) SCHMIEDEBERG SCHMIEDEBERG SCHMIEGEL SCHMITT (Joseph-Guillaume) SCHMITT (Aloïs) SCHMITT (Georges-Joseph) SCHMITTH (Nicolas) SCHMITTHENNER (Frédéric-Jacques) SCHMITZ (Ch.-Fr.-L.) SCHMOELLA SCHMOELNITZ SCHMOLCK ou SCHMOLKE (Benjamin) SCHMUCKER (Jean-Lebrecht) SCHMUTZER (Jean-Adam, Joseph et André) SCHMUTZER (Jacques) SCHMUZ (Rodolphe) SCHNAASE (Charles) SCHNABEL (Georges-Norbert) SCHNAITH SCHNAPAN s. m. SCHNAPS s. m. SCHNECTADY SCHNÉE (Gotthielf-Henri) SCHNEEBERG SCHNEEBERG SCHNEEBERG SCHNEEGANS (Louis) SCHNEEKOPF SCHNEIDEMUHL SCHNEIDER (Conrad-Victor) SCHNEIDER (Lebrecht-Ehregott) SCHNEIDER (Jean-Dieudonné) SCHNEIDER (Joseph-Xaxier) SCHNEIDER (Euloge ou Jean-Georges) SCHNEIDER (Antoine-Virgile, baron) SCHNEIDER (Guillaume) SCHNEIDER (Charles-Ernest-Christophe) SCHNEIDER (Jean-Chrétien-Frédéric) SCHNEIDER (Jean-Dieudonné) SCHNEIDER (Jean-Théophile) SCHNEIDER (Louis) SCHNEIDER (Joseph-Eugène) SCHNEIDER (Catherine-Hortense) SCHNEIDEWIN (Frédéric-Guillaume) SCHNEITZHOEFFER (Jean-Madeleine) SCHNELLA s. m. SCHNELLER (Jules-François Borgia) SCHNEPFENTHAL SCHNETZ (Jean-Victor) SCHNICK s. m. SCHNITZLER (Jean-Henri) SCHNORFF (Walter) SCHNORFF (Béat-Antoine) SCHNORR DE KAROLSFELD (Weit-Hans) SCHNORR DE KAROLSFELD (Louis-Ferdinand) SCHNORR DE KAROLSFELD (Jules-Guy-Jean) SCHNORR DE KAROLSFELD (Louis) SCHNOT s. m. SCHNURRER (Christian-Frédéric) SCHNURRER (Frédéric) SCHNYDER DE WARTENSEE (Xavier) SCHOARITE s. f. SCHOBÉRIE s. f. SCHOBERL (Frédéric) SCHOBERLECHNER (François) SCHOBERLECHNER (Sophie D'ALL OCCA, dame) SCHODAC SCHOEBEL (Charles) SCHOEDDE (Georges-Guillaume) SCHOEDLER (Frédéric-Charles-Louis) SCHOEFFER (Pierre) SCHOEFFER (Jean) SCHOEFFER (Pierre) SCHOEFFER (Jean) SCHOELCHER (Victor) SCHOELL (Maximilien-Samson-Frédéric) SCHOELL (Adolphe) SCHOEMANN (Georges-Frédéric) SCHOEMBERG SCHOEN (Martin) SCHOEN (Henri-Théodore DE) SCHOENAICH (Christophe-Othon, baron DE) SCHOENAU SCHOENAU (GROSS-) SCHOENBACH SCHOENBEIN (Chrétien-Frédéric) SCHOENBERG (André) SCHOENBERG (Matthieu DE) SCHOENBOURG (maison de) SCHOENBRUNN SCHOENE s. m. SCHOENEBECK SCHOENEBERG SCHOENECK SCHOENEFELDIE s. f. SCHOENEMANN (Jean-Frédéric) SCHOENEMANN (Charles-Traugott-Gottlob) SCHOENFELD (Jean-Henri) SCHOENFELD (le baron DE) SCHOENFLIESS SCHOENGAUER SCHOENHALS (Charles DE) SCHOENHEIDE SCHOENHOF SCHOENICULE s. m. SCHOENIDIE s. f. SCHOENING (Gerhard) SCHOENINGEN SCHOENIOCÈRE s. m. SCHOENION s. m. SCHOENLANKE SCHOENLEIN (Jean-Lucas) SCHOENLINDE SCHOENMETZEL (François-Gabriel) SCHOENOBATE s. m. SCHOENOCAULON s. m. SCHOENODON s. m. SCHOENOPRASUM s. m. SCHOENORCHIS s. m. SCHOENOXYPHION s. m. SCHOENTHAL SCHOENUS s. m. SCHOEPF (Jean-David) SCHOEPFIA s. m. SCHOEPFLIN (Jean-Daniel) SCHOETTGEN (Christian) SCHOHARIE SCHOLAIRE adj. SCHOLARITÉ s. f. SCHOLARIUS ou SCOLARIUS SCHOLASQUE s. m. SCHOLASTIQUE adj. SCHOLEFIELD (James) SCHOLIE s. f. SCHOLL (Aurélien) SCHOLLÈRE s. f. SCHOLLIE s. f. SCHOLLINER (Hermann) SCHOLTEN (Johannes-Hendricus) SCHOLTÉNIEN s. m. SCHOLZ (Jean-Martin-Augustin) SCHOMBERG (Gaspard DE) SCHOMBERG (Georges DE) SCHOMBERG (Henri, comte DE) SCHOMBERG (Charles DE) SCHOMBERG (Marie DE HAUTEFORT, duchesse DE) SCHOMBERG (Armand-Frédéric, comte, puis duc DE) SCHOMBURGHIE s. f. SCHOMBURGK (sir Robert-Hermann) SCHOMBURGK (Othon) SCHOMBURGK (Maurice-Richard) SCHOMBURGKIE s. f. SCHONA (Moheb-eddin-Abou'l Vatid Mohammed ben) SCHONAEUS ou DE SCHOONE (Corneille) SCHONAEUS (Pierre) SCHONEN (Auguste-Jean-Marie, baron DE) SCHONER (Jean) SCHOOCK (Martin) SCHOOLCRAFT (Henri-Rowe) SCHOON ou SCHOONE (Corneille VAN) SCHOONER s. m. SCHOONHOVEN SCHOONHOVEN (Florent) SCHOONJANS (Antoine) SCHOORISSE SCHOP s. m. SCHOPENHAUER (Jeanne FROSINA, dame) SCHOPENHAUER (Arthur) SCHOPFHEIM SCHOPIN (Henri-Frédéric) SCHOPP (Gaspard) SCHOPPE (Emma-Sophie-Amélie WEISE, dame) SCHOPPER (Hartmann) SCHOREEL (Jean) SCHORIGÉRAM s. m. SCHORL s. m. SCHORLACÉ, ÉE adj. SCHORLIFÈRE adj. SCHORLIFORME adj. SCHORLITE s. f. SCHORN (Jean-Charles-Louis) SCHORNDORF SCHOTANUS (Christian) SCHOTANUS (Jean) SCHOTIE s. f. SCHOTT (André) SCHOTT (Gaspard) SCHOTT (Henri-Auguste) SCHOTT (Chrétien-Frédéric-Albert) SCHOTT (Albert-Lucien-Constant) SCHOTT (Arthur) SCHOTT (Guillaume) SCHOTTE (Jean-Pierre) SCHOTTISCH s. f. SCHOUMAVSKY (Joseph-Franta) SCHOUMLA SCHOUREQ s. m. SCHOUSBÉA s. m. SCHOUSTER SCHOUT s. m. SCHOUTEN (îles) SCHOUTEN (Guillaume CORNELISSEN) SCHOUTEN (Gautier) SCHOUVALOW, CHOUVALOW ou CHOUVALOFF SCHOUVALOW (Jean) SCHOUVALOW (le comte Pierre) SCHOUVALOW (le comte André) SCHOUVALOW (le comte Paul) SCHOUWEN SCHOUW (Joachim-Frédéric) SCHOUWIA s. m. SCHOW (Joachim-Frédéric) SCHRADER (Jean) SCHRADER (Hermann-Henri-Chrétien) SCHRADER (Jules) SCHRADÈRE s. f. SCHRAITSER s. m. SCHRAMBERG SCHRAMM (Jean-Paul-Adam, comte DE) SCHRANK (Francois-de-Paule DE) SCHRANKIA s. m. SCHRAPNELL s. m. SCHRAUD (François) SCHRAUDOLPH (Jean) SCHREBER (Jean-Chrétien-Daniel DE) SCHRÉBÉRA s. m. SCHRECKHORN SCHREGER (Bernard-Nathaniel-Théophile) SCHREIBER (Jean-Frédéric) SCHREIBER (Aloys-Guillaume) SCHREIBER (Henri) SCHREIBERSIE s. f. SCHREIBERSITE s. f. SCHREMS SCHRENCK (Charles, baron DE) SCHREVEL (Thierry) SCHREVEL (Corneille) SCHREYVOGEL (Joseph) SCHRIESSHEIM SCHRIMM SCHRODDA SCHROECK (Lucas) SCHROECKH (Jean-Mathias) SCHROEDER (Jean-Joachim) SCHROEDER (Philippe-Georges) SCHROEDER (Théodore-Guillaume) SCHROEDER (Frédéric-Joseph-Guillaume) SCHROEDER (Jean-Samuel) SCHROEDER (Frédéric-Louis) SCHROEDER (J.-Jérôme) SCHROEDER (Jean-Henri) SCHROEDER (Frédéric-Charles-Constantin) SCHROEDER VAN DER KOLK (Jacques-Louis-Conrad) SCHROEDER (Sophie) SCHROEDER-DEVRIENT (Wilhelmine SCHROEDER, connue sous le nom de Mme) SCHROEDER (Louis) SCHROEDTER (Adolphe) SCHROETER (Jean-Samuel) SCHROETER (Louis-Philippe) SCHROZBERG SCHRYVER (Pierre) SCHRYVER (Corneille) SCHTCHERBATOFF (Michel-Mikailowitch, prince) SCHUBART (Christian-Frédéric-Daniel) SCHUBART DE KLEEFELD (Jean-Chrétien) SCHUBERT ou DE SCHUBERT (Frédéric-Théodore) SCHUBERT (Gotthielf-Heinrich VON) SCHUBERT (Ferdinand) SCHUBERT (François-Pierre) SCHUBERT (Frédéric-Guillaume) SCHUBERTIE s. f. SCHUBIN SCHUBLÉRIE s. f. SCHUCH (Wolfgang) SCHUCHHARD (Louis-Henri) SCHUCHIA s. m. SCHUCKING (Christophe-Bernard-Levin) SCHUCKING (Louise DE GALL, dame) SCHUCKMANN (Frédéric, baron DE) SCHUDEROFF (Georges-Jonathan) SCHUÈLE s. f. SCHUIT s. m. SCHULENBOURG SCHULENBOURG (Guernard ou Werner DE) surnommé Cor Principis SCHULENBOURG (Jacques DE) SCHULENBOURG (Alexandre DE) surnommé de Jérusalem SCHULENBOURG (Jean-Mathias, comte DE) SCHULENBOURG (Achaz DE) SCHULENBOURG (Lévin-Frédéric DE) SCHULENBOURG (Guernard) SCHULENBOURG (Adolphe-Frédéric, comte DE) SCHULENBOURG (Louis-Rodolphe DE) SCHULENBOURG (Frédéric-Albert DE) SCHULENBOURG-KEHNERT (Frédéric-Guillaume, comte DE) SCHULENBOURG-OEYNHAUSEN (Louis-Ferdinand, comte DE) SCHULENBOURG-WOLFSBOURG (Guebhard-Guernard DE) SCHULENBOURG-WOLFSBOURG (Charles-Guebhard-Guernard, comte DE) SCHULENBOURG (Jean DE) SCHULENBOURG (Christophe-Daniel, baron DE) SCHULER (Charles-Auguste) SCHULHOFF (Jules) SCHULMEISTER (Charles) SCHULTENS (Albert) SCHULTENS (Henri-Albert) SCHULTÉSIE s. f. SCHULTING (Corneille) SCHULTING (Antoine) SCHULTS (Adolphe) SCHULTZ (Barthélemy) SCHULTZ D'AS SCHERADES (Charles-Gustave) SCHULTZ-SCHULTZENSTEIN (Karl-Heinrich) SCHULTZIE s. f. SCHULZ (Jean-Abraham-Pierre) SCHULZ (Frédéric) SCHULZ (David) SCHULZ (Frédéric-Guillaume-Ferdinand) SCHULZ (Wilhelm) SCHULZ (Frédéric-Edouard) SCHULZ (Albert) SCHULZ VON SCHULZENHEIM (David) SCHULZE (Jean-Henri) SCHULZE (Benjamin) SCHULZE (Dieudonné-Ernest) SCHULZE (Frédéric-Auguste) SCHULZE (Jean-Daniel) SCHULZE (Johannes) SCHULZE (Ernest-Conrad-Frédéric) SCHULZE (Frédéric-Gottlob) SCHULZE (Hermann-Johann-Friedrich) SCHULZE-DELITZSCH (Hermann) SCHULZIE s. f. SCHULZITE s. f. SCHUMACHER (Christian-Frédéric) SCHUMACHER (Heinrich-Christian) SCHUMACHER (Christian-André) SCHUMACHER (Catherine) SCHUMACHÉRIE s. f. SCHUMANN (Robert) SCHUMANN (Clara-Joséphine WIECK, dame) SCHUMEGH, SCHIMEGH ou SIMEGH SCHUMLA SCHUPFHEIM SCHUPPACH (Michel) SCHUPPEN (Pierre VAN) SCHUREN (Gert VAN DER) SCHURIG (Martin) SCHURMANN (Anne-Marie DE) SCHURTZFLEI SCH (Conrad-Samuel) SCHURTZFLEI SCH (Henri-Léonard) SCHURZ (Charles) SCHUSELKA (Franz) SCHUSSENRIED SCHUSTER (Gottwald) SCHUSTER (Ignace) SCHUT (Corneille) SCHUTT SCHUTZ (Chrétien-Godefroy) SCHUTZ (Frédéric-Charles-Jules) SCHUTZE (Jean-Etienne) SCHUTZEMBERGER (Georges-Frédéric) SCHUYLER (Philippe) SCHUYLKILL SCHUYLKILL-HAVEN SCHUYT s. m. SCHWAAN SCHWAB (Jean-Christophe) SCHWAB (Gustave-Benjamin) SCHWAB (François-Marie-Louis) SCHWABACH SCHWABE (Jean-Gottlob-Samuel) SCHWABÉA s. f. SCHWABEN SCHWAEBI SCH-HALL SCHWAECHAT ou SCHWECHAT SCHWAEGRICHÉNIE s. f. SCHWALB (Maurice) SCHWALBACH SCHWALBÉE s. f. SCHWALHEIM SCHWAN (Chrétien-Frédéric) SCHWANBECK SCHWANDEN SCHWANNIA s. m. SCHWANTHALER (Louis-Michel) SCHWARTS ou SWARTZ (Jean) SCHWARTS ou SCHWARTZ (Christophe) SCHWARTZ (Berthold) SCHWARTZ (Matthieu) SCHWARTZ (Marie-Sophie BIRATH, dame) SCHWARTZE (Gotthilf-Guillaume) SCHWARZ (Christophe-Théophile) SCHWARZ (Frédéric-Henri-Chrétien) SCHWARZ (Jean-Charles-Edouard) SCHWARZ (Charles-Henri-Guillaume) SCHWARZA SCHWARZA SCHWARZA SCHWARZBOURG SCHWARZENBERG SCHWARZENBERG (Joseph-Jean, prince DE) SCHWARZENBERG (Charles-Philippe, prince DE) SCHWARZENBERG (Félix-Louis-Jean-Frédéric, prince DE) SCHWARZENBERG (Jean-Daniel-Guillaume-Louis) SCHWARZENBOURG SCHWARZENFEL SCHWARZER (Ernest) SCHWARZIA s. m. SCHWARZKOPF (Joachim DE) SCHWARZWALD SCHWARZWASSER SCHWAZ SCHWEBEL (Nicolas) SCHWECHAT SCHWEDER (Gabriel) SCHWEDER (Christophe-Hermann DE) SCHWEDIAUER (François-Xavier) SCHWEDT SCHWEGLER (Frédéric-Albert) SCHWEICKART (Jean-Adam) SCHWEIDEL (Georges-Jacques) SCHWEIDNITZ SCHWEIGAARD (Antoine-Martin) SCHWEIGGER (Jean-Salomon-Christophe) SCHWEIGGER (Auguste-Frédéric) SCHWEIGGÉRIE s. f. SCHWEIGHAEUSER (Jean) SCHWEIGHAEUSER (Jean-Geoffroy) SCHWEINFURT SCHWEINITZIE s. f. SCHWEITZER (Chrétien-Guillaume) SCHWEITZER (Auguste-Godefroy) SCHWEIZ et SCHWEIZERLAND SCHWEIZER (Alexandre) SCHWELM SCHWENCKE (Thomas) SCHWENCKFELD (Gaspard DE) SCHWENDI (Lazare) SCHWENKFELDE s. f. SCHWENKIA s. f. SCHWENNINGEN SCHWERIN (PRINCIPAUTÉ DE) SCHWERIN SCHWERIN SCHWERIN (lac de) SCHWERIN (Otton DE) SCHWERIN (Christophe, comte DE) SCHWERIN (le comte Guillaume-Frédéric-Charles DE) SCHWERIN (Maximilien, comte DE) SCHWERTE SCHWERZENZ SCHWERZER (Sebald) SCHWET SCHKE (Charles-Gustave) SCHWETZ ou SWICIE SCHWETZINGEN SCHWIEBUS SCHWILGUE (C.-J.-A) SCHWILGUÉ (Jean-Baptiste) SCHWIND (Maurice DE) SCHWINDEL (Georges-Jacques) SCHWITZ, SCHWYTZ ou SCHWYZ (CANTON DE) SCHWITZ, SCHWYTZ ou SCHWYZ SCHWITZOIS ou SCHWYZOIS, OISE s. et adj. SCHYCHOWSKYE s. f. SCHYNDEL SCHYTE s. f. SCHYTHE (Joergen-Christian) SCIABAT s. m. SCIABLE adj. SCIACARELLO s. m. SCIACCA SCIADE s. f. SCIADÉPHORE s. f. SCIADOPHYLLE adj. SCIAGE s. m. SCIAGRAPHE s. m. SCIAGRAPHIE s. f. SCIAGRAPHIQUE adj. SCIAGURE s. f. SCIALET s. m. SCIALOJA (Antoine) SCIAMACHIE s. f. SCIAMANCIE s. f. SCIAMERONI (Philippe FURINI, dit le) SCIAMERONI (Francesco FURINI, dit) SCIANT, ANTE adj. SCIAPHILE s. m. SCIAPODES s. m. pl. SCIAQUE s. f. SCIARPA (Gherardo CURCI, dit) SCIARRA (Marc) SCIARRO s. m. SCIASSE s. m. SCIATÈRE ou SCIATHÈRE s. m. SCIATÉRIQUE ou SCIATHÉRIQUE adj. SCIATHOS SCIATIQUE adj. SCICLI SCIE s. f. SCIÉ, ÉE part. passé SCIEMMENT adv. SCIE-MOUCHE s. f. SCIENCE s. f. SCIENCÉ, ÉE adj. SCIENDUM s. m. SCIÈNE s. f. SCIÉNOÏDE adj. SCIENTIFIQUE adj. SCIENTIFIQUEMENT adv. SCIER v. a. ou tr. SCIERIE s. f. SCIÉRIES s. f. pl. SCIÉROPIE s. f. SCIEUR s. m. SCIGLIANO SCILLA ou SCIGLIO SCILLA (Auguste) SCILLE s. f. SCILLITE s. m. SCILLITINE s. f. SCILLITIQUE adj. SCILLONTE SCILLOTE s. f. SCILLY (îles) SCIN s. m. SCINA (Domenico) SCINACODE s. m. SCINAIE s. f. SCINAX s. m. SCINC s. m. SCINCOÏDE adj. SCINCOÏDIEN, IENNE adj. SCINDAPSE s. m. SCINDÉ, ÉE part. passé SCINDER v. a. ou tr. SCINQUE s. m. SCINTILLANT, ANTE adj. SCINTILLATION s. f. SCINTILLER v. n. ou intr. SCIO SCIO (Etienne) SCIO (Claudine-Angélique LEGRAND, dame) SCIOBIE s. m. SCIOCORISE s. f. SCIODOPTÈRE s. m. SCIOGRAPHE s. m. SCIOGRAPHIE s. f. SCIOGRAPHIQUE adj. SCIOLTO adj. m. SCIOMACHIE s. f. SCIOMANCIE s. f. SCIOMYZE s. f. SCION s. m. SCIONE SCIONNER v. a. ou tr. SCIOPHILE s. f. SCIOPPIUS (Gaspard SCHOPP) SCIOPTIQUE adj. SCIORTINO SCIOTE s. et adj. SCIOTÈRE ou SCIOTHÈRE s. m. SCIOTÉRIQUE ou SCIOTHÉRIQUE adj. SCIOTHAMNE s. m. SCIOTO SCIOTTE s. f. SCIOTTER v. a. ou tr. SCIPIO SCIPION s. m. SCIPIONS (les) SCIPION (Publius Cornelius) SCIPION (Lucius Cornelius) surnommé Barbatus SCIPION (Cneus Cornelius) surnommé Asina SCIPION (Lucius Cornelius) SCIPION (Cneus Cornelius) surnommé Calvus SCIPION (Publius Cornelius) SCIPION (Publius Cornelius) surnommé l'Africain SCIPION (Lucius Cornelius) surnommé l'Asiatique SCIPION ÉMILIEN (Publius Cornelius) SCIPION NASICA (Publius Cornelius) SCIPION NASICA (Publius Cornelius) surnommé Corculum SCIPION NASICA (Publius Cornelius) surnommé Serapio SCIPION NASICA (Publius Cornelius) plus connu sous le nom de SCIPIONIEN, IENNE adj. SCIPOULE s. f. SCIRE s. m. SCIRES SCIRITE s. m. SCIRITIDE SCIRON s. m. SCIRON ou SCYRON SCIROPHORIES s. f. pl. SCIROPHORION s. m. SCIROS SCIRPE s. m. SCIRPÉ, ÉE adj. SCIRPÉAIRE s. f. SCIRPOPHAGE s. m. SCIRRHE s. m. SCIRRHOCÈLE s. f. SCIRRHOPHTHALMIE s. f. SCIRRHOPHTHALMIQUE adj. SCIRRHOSE s. f. SCIRRHOTIQUE adj. SCIRTE s. m. SCIRTÈTE s. m. SCISCIANO SCISSILE adj. SCISSION s. f. SCISSIONNAIRE adj. SCISSIPARE adj. SCISSIPARITÉ s. f. SCISSURE s. f. SCISSURELLE s. f. SCITALE s. m. SCITAMINÉ, ÉE adj. SCITIE s. f. SCITIVAUX (Roger DE) SCITUATE SCIURE s. f. SCIURIEN, IENNE adj. SCIURIS s. m. SCIUROPE s. m. SCIUROPTÈRE s. m. SCLARÉE s. f. SCLAUNAGE s. m. SCLAUNEUR s. m. SCLAVOKORI SCLÉRACHNE s. m. SCLÉRANTHE s. m. SCLÉRANTHÉ, ÉE adj. SCLÈRE s. m. SCLÉRECTOMIE s. f. SCLÉRÈME s. m. SCLÉRENCHYME s. m. SCLÉRÉTINITE s. f. SCLÉREUX, EUSE adj. SCLÉRIASE s. f. SCLÉRIE s. f. SCLÉRIÉ, ÉE adj. SCLÉROCARDE s. m. SCLÉROCARPE s. m. SCLÉROCÈRE s. m. SCLÉRO-CHOROÏDITE s. f. SCLÉROCOQUE s. m. SCLÉRODERME adj. SCLÉRODERMÉ, ÉE adj. SCLÉRODERRIS s. m. SCLÉROLÈNE SCLÉROLÉPIS s. m. SCLÉROLOBE s. m. SCLÉROME s. m. SCLÉROMÈTRE s. m. SCLÉRO-MUQUEUX, EUSE adj. SCLÉRONOTE s. m. SCLÉROPE s. m. SCLÉROPHORE s. m. SCLÉROPHRYS s. m. SCLÉROPHTHALMIE s. f. SCLÉROPHTHALMIQUE adj. SCLÉROPHYLLE adj. SCLÉROPHYTON s. m. SCLÉROPODE adj. SCLÉROPTÈRE adj. SCLÉROPTÉRIS s. m. SCLÉROSARCOME s. m. SCLÉROSCIADIE s. f. SCLÉROSE s. m. SCLÉROSOME s. m. SCLÉROSTEMME s. m. SCLÉROSTOME adj. SCLÉROSTYLE s. m. SCLÉROTE s. m. SCLÉROTHAMNE s. m. SCLÉROTHÈQUE s. m. SCLÉROTHRIX s. m. SCLÉROTICAL, ALE adj. SCLÉROTICONYXIS s. f. SCLÉROTICOTOMIE s. f. SCLÉROTIQUE adj. SCLÉROTITE s. f. SCLÉRYSME s. m. SCLÈTHRE s. m. SCLOPIS DE SALERANO (le comte Frédéric-Paul) SCOBICULÉ, ÉE adj. SCOBIFORME adj. SCOBINE s. f. SCOBINÉ, ÉE adj. SCOBULIPÈDE adj. SCODINGUE (pays de) SCODIONE s. f. SCODRA SCOLAIRE adj. SCOLARI (Philippe) SCOLARITÉ s. f. SCOLARIUS SCOLARQUE s. m. SCOLASTIQUE adj. SCOLASTIQUEMENT adv. SCOLÉCIASIE s. f. SCOLÉCITE s. f. SCOLÉCOBROTE s. m. SCOLÉCODE adj. SCOLÉCOLOGIE s. f. SCOLÉCOLOGIQUE adj. SCOLÉCOPHAGE s. m. SCOLÉCOPHIS s. m. SCOLÉLÈPE s. m. SCOLÉTOME s. m. SCOLEX s. m. SCOLEXÉROSE s. f. SCOLÉZITE s. f. SCOLIASTE s. m. SCOLICOTRIC s. m. SCOLIE s. f. SCOLIE s. f. SCOLIÉ, ÉE adj. SCOLIEN adj. m. SCOLIÈTE adj. SCOLIETTE adj. SCOLIIDE adj. SCOLIOPHIS s. m. SCOLIOSE s. f. SCOLITE s. m. SCOLOBATE s. m. SCOLOBE s. m. SCOLOCHLOÉ s. f. SCOLOPACE s. m. SCOLOPACIDÉ, ÉE adj. SCOLOPACIN s. m. SCOLOPACINÉ, ÉE adj. SCOLOPACION s. m. SCOLOPAX s. m. SCOLOPENDRE s. f. SCOLOPENDRELLE s. f. SCOLOPENDRELLIDE adj. SCOLOPENDRELLIN, INE adj. SCOLOPENDRIDE adj. SCOLOPENDRIE s. f. SCOLOPENDRIN, INE adj. SCOLOPENDRITE adj. SCOLOPENDROÏDE adj. SCOLOPENDROPSIS s. m. SCOLOPIE s. f. SCOLOPISE s. f. SCOLOPLE s. m. SCOLOPOCRYPTOPS s. m. SCOLOPOMACHÉRION s. m. SCOLOPSIDE s. m. SCOLOPTÈRE s. m. SCOLOSANTHE s. m. SCOLOSPERME s. m. SCOLYME s. m. SCOLYMOCÉPHALE s. m. SCOLYTE s. m. SCOLYTIDE adj. SCOMBÉROÏDE adj. SCOMBÉROMORE s. m. SCOMBI SCOMBRE s. m. SCOMBRÉSOCE s. m. SCONE ou SCOON SCOOREL (Jean) SCOPARIA s. m. SCOPARIE s. f. SCOPARINE s. f. SCOPAS SCOPÉLISME s. m. SCOPELOS SCOPETIN, INE adj. SCOPI SCOPIFÈRE adj. SCOPIMÈRE s. m. SCOPIPÈDE adj. SCOPOLI (Giovanni-Antonio) SCOPOLIE s. f. SCOPOLINE s. f. SCOPPA (Antonio) SCOPS s. m. SCOPULAIRE s. f. SCOPULE s. f. SCOPULÉ, ÉE adj. SCOPUS s. m. SCORACRASIE s. f. SCORBUT s. m. SCORBUTIQUE adj. SCORDASSE s. f. SCORDATURA s. f. SCORDININE s. f. SCORDION s. m. SCORDISQUES SCORDIUM s. m. SCORDUS (mont) SCORESBY (William) SCORESBY (William) SCORFF SCORIACÉ, ÉE adj. SCORIAS s. m. SCORIDOR ou SCORRIDOR s. m. SCORIE s. f. SCORIFICATION s. f. SCORIFICATOIRE s. m. SCORIFIER v. a. ou tr. SCORIFORME adj. SCORODITE s. f. SCORODONIE s. f. SCORODOPRASE s. m. SCORPÈNE s. f. SCORPIIDE adj. SCORPIOÏDE adj. SCORPIOJELLE s. f. SCORPION s. m. SCORPIONE s. f. SCORPIONIDE adj. SCORPIONIDÉ, ÉE adj. SCORPIONURE s. m. SCORPIURE s. m. SCORRIDOR s. m. SCORSONÈRE s. f. SCORZA (Sinibaldo) SCORZE SCOT (Michel) SCOT (Reginald) SCOT (Jean) dit Erigène SCOT (Jean DUNS) SCOTANE s. m. SCOTASME s. m. SCOTÉBORE s. m. SCOTÉE s. m. SCOTÈRE s. f. SCOTIA s. m. SCOTIAPLEX s. m. SCOTIE s. f. SCOTIE SCOTIMYZE s. f. SCOTINE s. m. SCOTIOPTÈRE s. f. SCOTISTE adj. SCOTISTIQUE adj. SCOTLAND SCOTOBIE s. m. SCOTOCHARE s. m. SCOTODE s. m. SCOTODINIE s. f. SCOTOEBORE s. m. SCOTOME s. m. SCOTOPHILE s. m. SCOTORNINÉ, ÉE adj. SCOTORNIS s. m. SCOTORNITHINÉ, ÉE adj. SCOTS SCOTT (Daniel) SCOTT (Samuel) SCOTT (Jean) SCOTT (John) dit Scott Waring SCOTT (Jonathan) SCOTT (Thomas) SCOTT (sir Walter) SCOTT (Winfield) SCOTT (David) SCOTT (George-Gilbert) SCOTT (William-Henry) SCOTTÉA s. m. SCOTTI (Jules-Clément) SCOTTI (Marcel-Eusèbe) SCOTTI (Côme-Galéas) SCOTTIA s. m. SCOTTISH s. f. SCOTTO (Albert) SCOTTO (François) SCOTUSE SCOUE s. f. SCOUFFIN s. m. SCOURJON s. m. SCOUTETTEN (Robert-Joseph-Henri) SCRABE s. f. SCRABER v. a. ou tr. SCRAMAISON s. f. SCRAMASAXE s. m. SCRAPTER s. m. SCRAPTIE s. f. SCRIBA SCRIBAEA s. m. SCRIBANI (Charles) SCRIBANIE s. f. SCRIBE s. m. SCRIBE (Augustin-Eugène) SCRIBITUR AD NARRANDUM, NON AD PROBANDUM SCRIBLAGE s. m. SCRIBLER v. a. ou tr. SCRIBLITE s. f. SCRIBOMANE s. m. et f. SCRIBOMANIE s. f. SCRIBONIA (famille) SCRIBONIA SCRIBONIANUS (Furius Camillus) SCRIBONIUS LARGUS SCRIGNAC SCRINIAIRE s. m. SCRINIUM s. m. SCRIPLUM s. m. SCRIPTEUR s. m. SCRIPTIONAL s. m. SCRIPTURAIRE adj. SCRIPTURAL, ALE adj. SCRIPULUM s. m. SCRIVANO SCRIVE (Gaspard-Léonard) SCRIVERIUS (Pierre) SCRIVIA SCRIWANECK (Augustine-Célestine SCHRIWANECK, dite) SCROBE s. m. SCROBICULAIRE s. f. SCROBICULE s. f. SCROBICULÉ, ÉE adj. SCROBIGÈRE s. m. SCROBODE s. m. SCROFA (le comte Camille) SCROFANI (Xavier) SCROFULAIRE ou SCROPHULAIRE s. f. SCROFULARIÉ ou SCROPHULARIÉ, ÉE adj. SCROFULE s. f. SCROFULEUX, EUSE adj. SCROFULIDE s. f. SCROFULOSE s. f. SCROPE (George-Poulet THOMSON) SCROTAL, ALE adj. SCROTIFORME adj. SCROTOCÈLE s. f. SCROTUM s. m. SCRUPULE s. m. SCRUPULEUSEMENT adv. SCRUPULEUX, EUSE adj. SCRUPULOSITÉ s. f. SCRUTATEUR, TRICE SCRUTER v. a. ou tr. SCRUTIN s. m. SCRUTINER v. n. ou intr. SCUBAC s. m. SCUDENSIS PAGUS SCUDERY, SCUDÉRY ou SCUDÉRI (Georges DE) SCUDERY, SCUDÉRY ou SCUDÉRI (Madeleine DE) SCUDO s. m. SCUDO (Paul) SCULDA s. m. SCULIER s. m. SCULLY (Vincent) SCULPTABLE adj. SCULPTAGE s. m. SCULPTER v. a. ou tr. SCULPTET s. m. SCULPTEUR s. m. SCULPTURAL, ALE adj. SCULPTURE s. f. SCULTENNA SCULTET (Jean) SCUNK s. m. SCUPOLI (Laurent) SCURCOLA SCURRILE adj. SCURRILITÉ s. f. SCUTARI SCUTARI SCUTASTÉRIE s. f. SCUTE s. m. SCUTELLAIRE adj. SCUTELLARIÉ, ÉE adj. SCUTELLARINE s. f. SCUTELLARINÉ, ÉE adj. SCUTELLE s. m. SCUTELLÈRE s. f. SCUTELLÉRIEN, IENNE adj. SCUTELLÉRITE adj. SCUTELLIFORME adj. SCUTELLINE s. f. SCUTELLITE s. f. SCUTIA s. m. SCUTIBRANCHE adj. SCUTIFOLIÉ, ÉE adj. SCUTIFORME adj. SCUTIGÈRE s. m. SCUTIGÉRIDE adj. SCUTIGÉRITE adj. SCUTIPÈDE adj. SCUTO-CONCHIEN, IENNE adj. SCUTOÏDE adj. SCUTOPTÈRE s. m. SCUTO-STERNAL, ALE adj. SCUTULE s. m. SCUTULÉ, ÉE adj. SCUTUM s. m. SCUTUS s. m. SCYBALAIRE adj. SCYBALES s. f. pl. SCYBALIE s. f. SCYDMÈNE s. m. SCYLACEUM ou SCYLACIUM SCYLAX SCYLITZÈS (Jean) SCYLLA s. m. SCYLLA SCYLLA SCYLLARE s. m. SCYLLARIEN, IENNE adj. SCYLLAROÏDÉ, ÉE SCYLLÉE s. f. SCYLLIAS DE SCIONÉ SCYLLIE s. f. SCYLLIODE s. m. SCYMNE s. m. SCYMNUS DE CHIO SCYPHATE adj. SCYPHÉE s. f. SCYPHIDE s. f. SCYPHIDIE s. f. SCYPHIE s. m. SCYPHIFORME adj. SCYPHIOS SCYPHIPHORE s. m. SCYPHISTOME s. m. SCYPHOCRINITE s. m. SCYPHOFILIX s. m. SCYPHOGYNE s. m. SCYPHONOÏDE adj. SCYPHOPHORE s. m. SCYPHULE s. f. SCYPHULIFORME adj. SCYRON SCYROS SCYRTE s. m. SCYTALE s. f. SCYTALIDE s. f. SCYTALIE s. f. SCYTALIS s. m. SCYTALOPE s. m. SCYTASTER s. m. SCYTHE s. et adj. SCYTHIE SCYTHIE (PETITE) SCYTHIE (AGNEAU DE) SCYTHIQUE adj. SCYTHIQUE (océan) SCYTHISME s. m. SCYTHODE s. m. SCYTHOPOLIS SCYTHROPE s. m. SCYTHROPS s. m. SCYTODE s. m. SCYTODEPSIQUE adj. SCYTON s. m. SCYTONÈME s. f. SCYTONÉMÉ, ÉE adj. SCYTOPTÉRIDE s. f. SCYTOTHALIE s. f. SCYTOTHAMNE s. m. S. E SE préfixe SE, S' devant une voyelle, pron. pers. SÉ préfixe SEABRA (Antonio-Luiz DE) SEABRA DA SILVA (Jose DA) SEADEDDIN (Mohammed-ben-Hasandehan) SEAFIELD (James, comte DE FINDLATER ET) SEAFORD SEAFORTHIA s. m. SEAGE s. m. SEALSFIELD (Charles) SEALSKIN s. m. SEAM s. m. SÉANCE s. f. SÉANT, ANTE adj. SÉANT s. m. SEARLE (William) SEATON (John COLBORNE, premier baron DE) SEATON (William-Winston) SEAU s. m. SEAUGEOIRE s. f. SEAUNERON s. m. SEBA (Albert) SÉBACÉ, ÉE adj. SÉBACINE s. f. SÉBACIQUE adj. SÉBAEA s. f. SÉBAEÉ, ÉE adj. SÉBAMIDE s. f. SÉBANIQUE adj. SEBANSCOU s. m. SÉBASTE s. f. SÉBASTE SEBASTIAN LATRE (DON Thomas) SEBASTIANI (Lazare) SEBASTIANI (François-Horace-Bastien, comte) SEBASTIANI (Jean-André-Tiburce, vicomte) SÉBASTIANIE s. f. SÉBASTIANIQUE adj. m. SEBASTIANO DI LUCIANO SÉBASTIEN (SAINT-) SÉBASTIEN (SAINT-) SÉBASTIEN (SAINT-) SÉBASTIEN (SAINT-) SÉBASTIEN (SAINT-) SÉBASTIEN (SAINT-) SÉBASTIEN (saint) SÉBASTIEN SÉBASTIEN SÉBASTIEN (le Père) SÉBASTIEN DEL PIOMBO SÉBASTIEN DE SAINT-PAUL (le Père) SÉBASTOPOL ou SÉVASTOPOL SÉBASTOPOLIS SÉBASTOPOLIS SÉBAT s. m. SÉBATE s. m. SÉBÉA s. m. SÉBÉÉ, ÉE adj. SÉBEK-TEGHYN SEBENICO SÉBENNYTE SÉBENNYTIQUE adj. SÉBERT (Louis-Eugène) SÉBESTE s. f. SÉBESTÉNIER s. m. SÉBESTIER s. m. SEBETHUS SEBETO SÉBIFÈRE adj. SEBILAH ou CHELLAH SÉBILE s. f. SÉBINE s. f. SEBINUS LACUS SÉBIPIRE s. f. SEBIZIUS (Melchior) SEBIZIUS (Melchior) SEBIZIUS (Jean-Albert) SEBIZIUS (Melchior) SEBNITZ SÉBOIM SEBONCOURT SEBONDE (Raymond DE SABUNDE ou) SÉBOPHORE s. m. SÉBORRHAGIE s. f. SÉBORRHÉE s. f. SEBOU SEBRON (Hippolyte) SÉBUSÉEN s. m. SEC, SÈCHE adj. SEC adv. SECA (LA) SÉCABLE adj. SÉCAMONE s. m. SECANO (Jérôme) SÉCANT, ANTE adj. SÉCATEUR s. m. SECCANTE (Sébastien) SECCHI (Jean-Baptiste) SECCHI (Jean-Pierre) SECCHIA SECCHIARI (Jules) SECCHIO s. m. SECCO (Antonio-Luiz DE SOUZA HENRIQUES) SÉCESPITE s. f. SÉCESSION s. f. SÉCESSIONISTE adj. SÉCHA SÉCHAGE s. m. SÉCHAN (Polycarpe-Charles) SÉCHARD s. m. SÉCHARIE s. f. SÈCHE s. f. SÉCHÉE s. f. SÉCHELLES SÉCHELLES (Jean MOREAU DE) SÉCHELLES (HÉRAULT DE) SÈCHEMENT adv. SÉCHER v. a. ou tr. SÉCHERESSE s. f. SÉCHERIE s. f. SÉCHERON s. m. SÉCHEUR, EUSE adj. SÉCHIUM s. m. SÉCHOIR s. m. SECHTER s. m. SÉCILE ou SICILE (Jean) SECKENDORF (Veit-Louis DE) SECKENDORF (Frédéric-Hénon ou Frédéric-Henri ou Frédéric-André, comte DE) SECKENDORF (Charles-Sigismond DE) SECKENDORF (Chrétien-Adolphe, baron DE) SECKENDORF (Gustave-Antoine, baron DE) SECKENDORF (Léon, baron DE) SECKENDORF (Théodore-François-Chrétien, comte DE) SECKINGEN SECLIN SECOND, ONDE adj. SECOND (Jean EVERAERTS, dit Jean) SECOND (Albéric) SECONDAIRE adj. SECONDAIREMENT adv. SECONDAT (Jean-Baptiste, baron DE) SECONDE s. f. SECONDE (sainte) SECONDEMENT adv. SECONDER v. a. ou tr. SECONDIGNY SECONDINE s. f. SECONDO (Giuseppe-Maria) SECONDS (Jean-Louis) SECOUADE s. f. SECOUEMENT s. m. SECOUER v. a. ou tr. SECOUEUR, EUSE s. SECOÛMENT ou SECOUEMENT s. m. SECOURABLE adj. SECOURANT, ANTE adj. SECOUREUR, EUSE adj. SECOURIR v. a. ou tr. SECOURISTE s. m. SECOURS s. m. SECOUSSE s. f. SECOUSSE (Denis-François) SECQUIÈRE s. f. SECRET, ÈTE adj. SECRET s. m. SECRETA s. m. pl. SECRÉTAGE s. m. SECRÉTAIRE s. m. SECRÉTAIRERIE s. f. SECRETAN (David) SECRETAN (Louis) SECRETAN (Marc-Louis-François) SECRETAN (Charles) SECRÉTARIAT s. m. SECRÈTE s. f. SECRÈTEMENT adv. SECRÉTER v. a. ou tr. SÉCRÉTER v. a. ou tr. SECRÉTÈRE s. m. SECRÉTEUR s. m. SÉCRÉTEUR, EUSE adj. SÉCRÉTION s. f. SECRÉTISTE s. m. SECRÉTIVITÉ s. f. SÉCRÉTOIRE adj. SECTAIRE adj. SECTATEUR, TRICE s. m. SECTE s. f. SECTEUR s. m. SECTILE adj. SECTION s. f. SECTIONNAIRE s. m. SECTIONNEL, ELLE adj. SECTIONNEMENT s. m. SECTIONNER v. a. ou tr. SÉCULAIRE adj. SÉCULAIREMENT adv. SÉCULARISATION s. f. SÉCULARISER v. a. ou tr. SÉCULARITÉ s. f. SÉCULIER, IÈRE adj. SÉCULIÈREMENT adv. SECUNDO adv. SÉCURIDACA s. m. SÉCURIDAQUE s. m. SÉCURIFÈRE adj. SÉCURIFORME adj. SÉCURIGÈRE adj. SÉCURINÉGA s. m. SÉCURIPALPE adj. SÉCURITÉ s. f. SÉCUTEUR s. m. SEDAINE (Michel-Jean) SEDAN s. m. SEDAN SEDANAIS, AISE s. et adj. SEDANO (Juan-Jose-Lopez DE) SEDANOISE s. f. SÉDATIF, IVE adj. SÉDATION s. f. SEDBERGH SEDDÈRE s. f. SEDDON (Thomas) SÉDÉCIAS SEDEGLIANO SEDELAUCUM SEDELLE SEDELMEYER (Jérémie-Jacques) SÉDENTAIRE adj. SÉDENTAIREMENT adv. SÉDENTARITÉ s. f. SEDERA SÉDERBANDE s. f. SEDERHOLM (Charles) SÉDERON SEDET, AETERNUMQUE SEDEBIT INFELIX THESEUS SÉDÉTANS SEDGEFIELD SEDGEMOOR SEDGWICK (James) SEDGWICK (Théodore) SEDGWICK (Adam) SEDGWICK (Catherine-Marie) SEDHIOU ou SEGHIOU SEDICO SEDIER s. m. SÉDILLEZ (Mathurin-Louis-Etienne) SÉDILLOT (Joseph) SÉDILLOT (Jean) SÉDILLOT (Jean-Jacques-Emmanuel) SÉDILLOT (Charles-Emmanuel) SÉDILLOT (Louis-Pierre-Eugène-Amélie) SEDILO SEDIMAN SÉDIMENT s. m. SÉDIMENTAIRE adj. SÉDIMENTATION s. f. SÉDIMENTEUX, EUSE adj. SEDINUM SÉDIOLE s. f. SÉDITIEUSEMENT adv. SÉDITIEUX, EUSE adj. SÉDITION s. f. SÉDITIONNER v. a. ou tr. SEDJELMESSE SEDJER ou CHEDCHER SEDJESTAN SEDLEY (sir Charles) SEDLITZ SÉDON s. m. SÉDOR s. m. SEDRIANO SÉDUCTEUR, TRICE s. SÉDUCTION s. f. SÉDUIRE v. a. ou tr. SÉDUISANT, ANTE adj. SEDULIUS (Caïus Coelius) SÉDUM s. m. SEDUNISÉE SÉE (Germain) SÉE (Marc) SEEBECK (Jean-Thomas) SEEBODE (Joachim-Thierry-Godefroy) SEEBURG SEEGER (Christophe-Denis, baron DE) SEEGUT SEEKATZ (Jean-Conrad) SEELAND SEELBURG (ALT-) SEELEN (Jean-Henri DE) SEELING (Hans) SEEMAN (Isaac) SEEMANN (Berthold) SEEMILLER (Sébastien) SEER s. m. SEESEN SEETZEN (Ulric-Jasper) SEETZÉNIE s. f. SÉEZ ou SÉES SÉFERRIQUE adj. SEFFIN SEFIR s. m. SEFSTROEM (Nils-Gabriel) SEFY (schah) SEGA (Philippe) SÉGAIROL s. m. SEGALA (François) SEGALA (Jean) SÉGALAS (Pierre-Salomon) SÉGALAS (Anaïs MÉNARD, dame) SEGALAUNI SEGANCIER s. m. SEGARELLE (Gérard) SÉGARIÉ s. m. SEGARRA (Jayme) SEGATO (Jérôme) SEGAUD (Guillaume DE) SEGEBERG SEGELMESSE SEGESSERA SÉGESTE SÉGESTE DES TIGULIENS SEGESTICA SÉGESTRIE s. f. SEGESVAR ou SCHAESBURG SÉGÉTAL, ALE adj. SÉGÉTELLE s. f. SÉGÉTIE s. f. SÉGÉTIÈRE s. f. SEGHALIEN SEGHER (Christophe) SEGHERS ou ZEEGHERS (Gérard) SEGHERS (Daniel) SEGHION SEGMENT s. m. SEGMENTAIRE adj. SEGNER (Jean-André DE) SEGNERI (Paolo) SEGNERI (Paolo) dit le Jeune SEGNI (Bernard) SEGNI (Lothaire DE) SEGNO s. m. SEGO SEGO SEGOBRIGA SEGOBRIGES SEGODUNUM SEGONTIA SEGONTIAQUES SEGONTIUM SEGONZAC SÉGOR SEGORA SÉGORAGE s. m. SÉGORBE SEGOVELLANI SEGOVIA (Jean DE) SÉGOVIE SÉGRAIRIE s. f. SÉGRAIS s. m. SEGRAIS (Jean REGNAULD DE) SÉGRAYER s. m. SÈGRE SEGRÉ SÉGRÉGATIF, IVE adj. SÉGRÉGATION s. f. SÉGRÉGATIVEMENT adv. SÉGRÉGER v. a. ou tr. SÉGRÉYAGE s. m. SEGRIS (Emile-Alexis) SEGUE SÉGUIDILLE s. f. SÉGUIER SÉGUIER (Martin) SÉGUIER (Pierre) SÉGUIER (Louis) SÉGUIER (Antoine) SÉGUIER (Jean) dit Séguier d'Autry SÉGUIER (Pierre) SÉGUIER (Jérôme) SÉGUIER (Antoine-Louis) SÉGUIER (Antoine-Jean-Matthieu, baron) SÉGUIER (Armand-Louis-Maurice, baron) SÉGUIER (Armand-Pierre, chevalier, puis baron) SÉGUIER (Sidoine-Charles-François) SÉGUIER (Nicolas-Maximilien-Sidoine) SÉGUIER (Pierre) dit Esprit Séguier SÉGUIER (Jean-François) SÉGUIÉRIE s. f. SÉGUIN (Charles-Antoine) SÉGUIN (Richard) SÉGUIN (Auguste) SÉGUIN (Marc) SÉGUIN (Camille) SÉGUIN (Armand) SÉGUR SÉGUR (Henri-François, comte DE) SÉGUR (Jean-Charles DE) SÉGUR (Philippe-Henri, marquis DE) SÉGUR (le comte Louis-Philippe DE) SÉGUR (Joseph-Alexandre, vicomte DE) SÉGUR (Octave-Henri-Gabriel, comte DE) SÉGUR (Philippe-Paul, comte DE) SÉGUR (Sophie ROSTOPCHINE, comtesse DE) SÉGUR (Louis-Gaston DE) SÉGUR (Anatole-Henri-Philippe, comte DE) SÉGUR (Louis-Philippe-Charles-Antoine, comte DE) SEGUR D'AGUES SEAU (Raymond-Paul, comte DE) SEGURA SEGURA-DE-LÉON SEGURA-DE-LA-SIERRA SEGURANA (Catarina) SEGURO (PORTO-) SEGUSIANI ou SEBUSIANI SEGUSINI et SEGUSIENSES SEGUSTERO SEGUY (Joseph) SÉHIMA s. m. SÉHIRE s. m. SÉHIRIDE adj. SÉIBE s. m. SEIBO SEIBOLD (Chrétien) SEIBOUSE ou SEYBOUSE SEICHE s. f. SEICHES SEICHES SÉID s. m. SÉID SÉID-BÉCHAR SÉID-BEN-THABET SÉID-MOUSTAPHA SEIDAH KHATOUN SÉIDE s. m. SEIDE SEIDEL (Chrétien-Henri) SEIDEL (Charlotte-Sophie-Sidonie) SEIDEL (Charles) SÉIDISME s. m. SEIDL (André) SEIDL (Jean-Gabriel) SEIDLER (Louise-Caroline-Sophie) SEIDLIE s. f. SEIF-ED-DAULAH (Aboul-Haçan-Ali) SEIF-ED-DAULAH (Abou-Djafar-Ahmed III) SEIF-EDDYN Ier SEIF-EDDYN II SEIF-EDDYN III (padischah) SEIF-EDDYN IV SEIF-EDDYN GHAZY Ier SEIF-EDDYN GHAZY II SEIFFERT ou SAIFFERT (D. André) SEIFMANN (Pierre-Etienne) SEIGAK s. m. SEIGLE s. m. SEIGNE (col de la) SEIGNELAY SEIGNELAY (Jean-Baptiste COLBERT, marquis DE) SEIGNETTE (sel de) SEIGNEUR s. m. SEIGNEUR (Gabriel) SEIGNEURESSE s. f. SEIGNEURIAGE s. m. SEIGNEURIAL, ALE adj. SEIGNEURIALEMENT adv. SEIGNEURIE s. f. SEIGNEURIER v. n. ou intr. SEIGNEURIFIER v. a. ou tr. SEIGNORET (Pierre-Marie) SEIHOUN SEIKHS (les) SEILER (Georges-Daniel) SEILER (Georges-Frédéric) SEILER (Burkard-Guillaume) SEILHAC SEILLE s. f. SEILLE SEILLE SEILLEAU ou SEILLOT s. m. SEIM ou SEM SEIMATOSPORE s. m. SEIME s. f. SEIN s. m. SEIN (île) SEINCHE s. f. SEINE ou SENNE s. f. SEINE SEINE (DÉPARTEMENT DE LA) SEINE-L'ABBAYE (SAINT-) SEINE-INFÉRIEURE (DÉPARTEMENT DE LA) SEINE-ET-MARNE (DÉPARTEMENT DE) SEINE-ET-OISE (DÉPARTEMENT DE) SEINE-PORT ou SAINT-PORT SEINER ou SENNER v. n. ou intr. SEINETTE ou SENNETTE s. f. SEINEUR ou SENNEUR, EUSE adj. SEING s. m. SEINSHEIM (Auguste-Charles, comte DE) SEINT-GERMAN (Christophe) SEIR SEIRANOTE s. m. SEIRIDIE s. f. SEISACHTHÉIES s. f. pl. SEISLAS ou CIASLAS SEISSEL SEISSEL (Claude DE) SEISTAN SEISURE s. m. SEIT SEITENSTATTEN SÉIURE s. m. SÉIURIDÉ, ÉE adj. SEIX SEIZAIN s. m. SEIZAINE s. f. SEIZE adj. SEIZE-CENT s. m. SEIZIÈME adj. SEIZIÈMEMENT adv. SEIZIÈRE s. f. SÉJAN (AElius SEJANUS) SÉJAN (Nicolas) SÉJANIE SÉJÉ s. m. SÉJOUR s. m. SÉJOUR (Victor) SÉJOURNÉ, ÉE adj. SÉJOURNER v. n. ou intr. SEL s. m. SEL (LE) SÉLACHE s. m. SÉLACHOPS s. m. SÉLACIEN, IENNE adj. SÉLADERME s. m. SÉLAGE s. m. SÉLAGIDE s. f. SÉLAGIE s. f. SÉLAGINE s. f. SÉLAGINÉ, ÉE adj. SÉLAGINELLE s. f. SÉLAGINITE s. f. SÉLAM s. m. SÉLANDRIE s. f. SÉLANLIK s. m. SÉLANTHE s. m. SELARGIUS SÉLAS s. m. SÉLASIE s. f. SÉLASOME s. m. SÉLASPHORE s. m. SÉLATOSOME s. m. SELBODA (rio) SELBY SELBYE s. f. SELCHOW (Jean-Henri-Chrétien) SELDEN (Jean) SELDJOUCIDES SELE SELEBIA SÉLECTIF, IVE adj. SÉLECTION s. f. SÉLECTIVEMENT adv. SELEFKÈH SÉLEIME s. m. SELEMNE SÉLÈNE s. f. SÉLÉNÉ SÉLÉNÉPISTOME s. m. SÉLÉNÉTHYLE s. m. SELENGA SÉLÉNHYDRATE s. m. SÉLÉNHYDRIQUE adj. SÉLÉNIATE s. m. SÉLÉNIBASE s. f. SÉLÉNICYANURE s. m. SÉLÉNIDE s. m. SÉLÉNIDÈRE s. m. SÉLÉNIE s. f. SÉLÉNIÉ, ÉE adj. SÉLÉNIÉ, ÉE adj. SÉLÉNIEN, IENNE adj. SÉLÉNIEUX, EUSE adj. SÉLÉNIFÈRE adj. SÉLÉNIOCYANATE s. m. SÉLÉNIOCYANIQUE adj. SÉLÉNIODITHIONEUX adj. SÉLÉNIOHYPOPHOSPHITE s. m. SÉLÉNIOHYPOSULFUREUX adj. SÉLÉNIOPHOSPHATE s. m. SÉLÉNIOPHOSPHITE s. m. SÉLÉNIOPHOSPHORIQUE adj. SÉLÉNIO SEL s. m. SÉLÉNIOSULFURIQUE adj. SÉLÉNIQUE adj. SÉLÉNIQUE adj. SÉLÉNIS s. m. SÉLÉNI SEL s. m. SÉLÉNITE s. SÉLÉNITE s. m. SÉLÉNITEUX, EUSE adj. SÉLÉNIUM s. m. SÉLÉNIURE s. m. SÉLÉNOCENTRIQUE adj. SÉLÉNOCÉPHALE s. m. SÉLÉNODÈRE s. m. SÉLÉNODON s. m. SÉLÉNOGRAPHE s. m. SÉLÉNOGRAPHIE s. f. SÉLÉNOGRAPHIQUE adj. SÉLÉNOMMA s. m. SÉLÉNOPALPE s. m. SÉLÉNOPHORE s. m. SÉLÉNOPS s. m. SÉLÉNOSE s. f. SÉLÉNOSPORE s. m. SÉLÉNOSTAT s. m. SÉLÉNOTOPOGRAPHIE s. m. SÉLÉNOTOPOGRAPHIQUE adj. SÉLEUCIDE adj. SÉLEUCIDE SÉLEUCIE SÉLEUCIE-DU-PIÉRIUS SÉLEUCIE-DU-TAURUS SÉLEUCIE-TRACHÉE SÉLEUCUS Ier SÉLEUCUS II SÉLEUCUS III SÉLEUCUS IV, Philopator SÉLEUCUS V SÉLEUCUS VI, Epiphane SÉLEUCUS CYBIOSACTÈS SÉLEUCUS SELF-GOVERNMENT s. f. SELGÉ SELGOVES SÉLIDOSÈME s. m. SELIG (Godefroi) SELIG (Jean-Frédéric-Henri) SELIGENSTADT SELIGHER SELIGMAN (Jean-Michel) SÉLIM Ier SÉLIM II SÉLIM III SELIMÉH SÉLIMNE ou SELEMNE SELIMNO ou SELIMNIA SÉLIN s. m. SÉLINE s. f. SELINGHINSK SÉLINIQUE adj. SELINO SÉLINONTE SÉLINONTE SELINTI SÉLIS (Nicolas-Joseph) SÉLIUS s. m. SELIVRI ou SILIVRI SELK SELKIRK SELKIRK SELKIRK (Alexandre) SELLA (Quentin) SELLAGE s. m. SELLAIRE adj. SELLASIE SELLE s. f. SELLE (Christian-Gottlieb) SELLÉE s. f. SELLÈME s. m. SELLER v. a. ou tr. SELLERIE s. f. SELLES-SUR-CHER SELLETTE s. f. SELLIER s. m. SELLIÈRE s. f. SELLIÈRES SELLIGUÉE s. f. SELLING-STAKE s. m. SELLISTERNE s. m. SELLIUS (Adam-Bernard) SELLIUS (Gottfried) SELLOA s. m. SELLON (Jean-Jacques, comte DE) SELLOWIE s. f. SELMER (Annibal-Pierre) SÉLOCHUSE s. f. SELOMMES SELON prép. SELONGEY SÉLOT s. m. SELSEA ou SELSEY SELTZ (eau de) SELTZ SELTZ SELTZOGÈNE s. m. SÉLUNE SELVA SELVA SELVAC SELVAGO s. m. SELVATICO (Jean-Baptiste) SELVE (Jean DE) SELVES (Jean-Baptiste) SELYMBRIE SELYS-LONGCHAMPS (Michel-Edmond, baron DE) SEM SEM SEM SEMACK s. m. SEMAILLE s. f. SEMAINE s. f. SEMAINIER, IÈRE s. SEMAISON s. f. SEMALE s. f. SÉMANOTE s. m. SÉMANTIQUE s. f. SÉMANTRON s. m. SEMAO ou SIMAO SÉMAPHORE s. m. SÉMAPHORIQUE adj. SEMAQUE s. f. SÉMARILLAIRE s. m. SÉMASIE s. f. SÉMATURE s. f. SEMBELLA s. f. SEMBLABLE adj. SEMBLABLEMENT adv. SEMBLANÇAY SEMBLANÇAY (Jacques DE BEAUNE, seigneur DE) SEMBLANCE s. f. SEMBLANT s. m. SEMBLÉPHILE s. m. SEMBLER v. n. ou intr. SEMBLIDE adj. SEMBLIS s. m. SEMBLITE adj. SEMBLODÉ, ÉE SEMÉ, ÉE part. passé SEMÉ (Anne) SÉMÉCARPE s. m. SEMEDO (Alvarez) SEMÉE s. f. SÉMÉIANDRE s. m. SÉMÉIOGRAPHE s. m. SÉMÉIOGRAPHIE s. m. SÉMÉIOGRAPHIQUE s. m. SÉMÉIOLOGIE s. f. SÉMÉIOLOGIQUE adj. SÉMÉIOLOGUE s. m. SÉMÉIONOTE s. m. SÉMÉIOPHORE s. m. SÉMÉIOTIQUE adj. SEMEL adv. SÉMÉLÉ s. f. SÉMÉLÉ SÉMÉLÉ (Jean-Baptiste-Pierre) SEMÉLIER s. m. SÉMÉLINE s. f. SEMELLE s. f. SEMENCE s. f. SEMENCEAU s. m. SEMENCINE s. f. SEMEN-CONTRA s. m. SEMENDRAKI SEMENDRIA ou SEMENDEREWO SEMENOW SEMENTI ou SEMENZA (Jacques) SEMENTINE s. f. SEMENTINES s. f. pl. SEMENTINI (Antoine) SEMENTINI (Louis) SEMER v. a. ou tr. SÉMÉRIE (Eugène) SEMÉRON SEMERY (André) SEMESTRAL, ALE adj. SEMESTRE s. m. SEMESTRIEL, ELLE adj. SEMESTRIER s. m. SEMET (Théophile-Emile-Aimé) SEMEUR, EUSE s. m. SEMI préfixe SEMI-ARIANISME s. m. SEMI-ARIEN, IENNE adj. SEMI-BENZIDAM s. m. SEMI-BRÈVE s. f. SEMI-CELLÉPORAIRE s. f. SEMI-CIRCULAIRE adj. SEMI-COLON s. m. SEMI-CUBIQUE adj. SEMI-CUBITAL, ALE adj. SEMI-DIATON s. m. SEMI-DIGITAL, ALE adj. SEMI-DIURNE adj. SEMI-DOUBLE adj. SEMI-ESCHARE s. f. SEMI-ESCHARELLINE s. f. SEMI-ESCHARINELLE s. f. SEMI-FLEURONNÉ, ÉE adj. SEMI-FLOSCULEUX, EUSE adj. SEMI-GÉOMÈTRE adj. SEMI-GOTHIQUE adj. SEMI-HISTORIQUE adj. SEMI-INFÈRE adj. SÉMILLANCE s. f. SÉMILLANT, ANTE adj. SÉMILLER v. n. ou intr. SEMILLON s. m. SEMI-LOCALAIRE adj. SEMI-LUNAIRE adj. SEMI-LUNÉ, ÉE adj. SEMI-MINIME s. f. SÉMINAIRE s. m. SÉMINAL, ALE adj. SEMI-NAPHTYLAMINE s. f. SEMINARA SÉMINARISTE s. m. SÉMINATION s. f. SEMINI (Antoine) SÉMINIFÈRE adj. SEMINOLES SÉMINOTE s. f. SÉMINULE s. f. SÉMINULIFÈRE adj. SEMI-NYMPHE s. f. SEMI-OFFICIEL, ELLE adj. SÉMIOGRAPHE s. m. SÉMIOGRAPHIE s. f. SÉMIOGRAPHIQUE adj. SÉMIOLOGIE s. f. SÉMIOLOGIQUE adj. SÉMIOLOGUE s. m. SÉMION s. m. SÉMIONOTE s. m. SEMI-OPALE s. f. SÉMIOPHORE s. m. SÉMIOSCOPE s. m. SÉMIOTE s. m. SÉMIOTELLE s. m. SÉMIOTHISE s. f. SÉMIOTIQUE adj. SEMIPALATINSK ou SEMIPOLATINSK SEMI-PÉLAGIANISME s. m. SEMI-PÉLAGIEN, IENNE adj. SEMI-PHYLLIDIEN, IENNE adj. SEMI-PITE s. f. SEMI-PLANTAIRE adj. SEMI-PLAT, ATE adj. SEMI-PORINE s. f. SEMI-PRÉBENDE s. f. SEMI-PRÉBENDÉ adj. m. SEMI-PRÉBENDIER s. m. SEMI-PREUVE s. f. SEMI-QUART, ARTE adj. SEMI-QUARTILE adj. SEMI-QUINAIRE adj. SEMI-QUINTIL, ILE adj. SEMI-RADIANT, ANTE adj. SÉMIRAMIS s. f. SÉMIRAMIS SEMIS s. m. SEMISAT SEMI-SAGITTÉ, ÉE adj. SEMI-SEPTÉNAIRE adj. SEMI-SEXTIL, ILE adj. SEMISSIS s. m. SEMI-STAMINAIRE adj. SEMI-SYMPHOSTÉMONE adj. SEMITE s. f. SÉMITE s. m. SEMI-TERNAIRE adj. SEMI-TIERCE adj. SÉMITIQUE adj. SÉMITISME s. m. SÉMITISTE s. m. SEMI-TON s. m. SÉMIURE s. m. SEMI-VOYELLE s. f. SEMI-VULPES s. m. SEMLER (Jean-Salomon) SEMLIN ou ZEMLIN SEMNONS SEMNE adj. SEMNÉE s. f. SEMNOCÈBE s. m. SEMNOPITHÈQUE s. m. SEMOIR s. m. SEMOLEI (Baptiste FRANCO, dit le) SEMONCE s. f. SEMONCER v. a. ou tr. SEMONDRE v. a. ou tr. SEMONNER v. a. ou tr. SEMONNEUR s. m. SÉMONVILLE (Charles-Louis HUGUET, marquis DE) SÉMONVILLÉE s. f. SÉMOTILE s. m. SEMOTTE s. f. SEMOULE s. f. SÉMOUSSAGE s. m. SEMOY SEMPACH SEMPAD Ier SEMPAD VI SEMPAD Ier, surnommé Nahadag SEMPAD II SEMPAD Ier SEMPAD II SEMPAD SEMPER (Gottfried) SEMPER AD EVENTUM FESTINAT SEMPER VIRENS s. m. SEMPERVIVÉ, ÉE adj. SEMPERVIVUM s. m. SEMPITERNE s. f. SEMPITERNEL, ELLE adj. SEMPITERNELLEMENT adv. SEMPITERNITÉ s. f. SEMPLE s. m. SEMPLICE adj. SEMPRE adv. SEMPRONIA (famille) SEMPRONIE SEMPRONIE SEMPRONIE SEMPRONIUS A SELLIO SEMPRONIUS ATRATINUS SEMPRONIUS GRACCHUS SEMPRONIUS LONGUS (Tiberius) SEMPRONIUS SOPHUS (P.) SEMPRONIUS TUDITANUS (P.) SEMPSEN s. m. SEMUR, et pour le distinguer SEMUR-EN-AUXOIS SEMUR-EN-BRIONNAIS SENA ou SENA GALLIA SENA ou SENNA SENA ou SENNA (RIVIÈRES DE) SENA INSULA SENA JULIA SENABODI s. m. SÉNAC (Jean-Baptiste) SÉNAC DE MEILHAN (Gabriel) SÉNACIE s. f. SENACULUM s. m. SENAGE s. m. SENAGO SÉNAGRUEL s. m. SENAILLÈRE s. f. SÉNAIRE adj. SENAJI SÉNANCOUR (Etienne PIVERT DE) SÉNANCOUR (Eulalie-Virginie-Pauline DE) SÉNAPON s. m. SENAR (Gabriel-Jérôme) SENARD (Antoine-Marie-Jules) SENAREGA (Barthélemy) SENARICA SÉNARMONT (Alexandre-Antoine HUREAU DE) SÉNARMONT (Henri HUREAU DE) SÉNARMONTITE s. f. SÉNART (forêt de) SÉNARTINE s. f. SÉNAS SÉNAT s. m. SÉNATEUR s. m. SÉNATORERIE s. f. SÉNATORIAL, ALE adj. SÉNATORIEN, IENNE adj. SÉNATRICE s. f. SÉNATULE s. m. SENATUS-CONSILIUM s. m. SÉNATUS-CONSULTE s. m. SENAU s. m. SENAULT (Jean-François) SENAULT (Jean-François-Albert-Ignace-Joseph) SENAUX (Marguerite DE) SENAVE (Jacques-Albert) SENDIVOG ou SENDIVOGE (Michel) SENDOUK s. m. SENDTNÈRE s. f. SÈNE s. f. SÉNÉ s. m. SENÉ, ÉE SÉNÉ SENEBIER (Jean) SENEBIÈRE s. f. SENEBIÉRÉ, ÉE adj. SENEBIÉRIE s. f. SENECA SÉNECÉ (Antoine BAUDERON DE) SÉNÉCHAL s. m. SÉNÉCHALE s. f. SÉNÉCHAUSSÉE s. f. SÉNECILLE s. f. SÉNÉCIONÉ, ÉE adj. SÉNÉCIONIDÉ, ÉE adj. SÉNEÇON s. m. SÉNECTERRE SENEDETTE s. m. SENÉE (Charles-F.) SENEF ou SENEFFE SENEFELDER (Aloys) SÉNÉGA s. m. SÉNÉGAL SÉNÉGAL (COLONIE DU) SÉNÉGALAIS, AISE s. et adj. SÉNÉGALI s. m. SÉNÉGALIEN, IENNE adj. SÉNÉGAMBIE SÉNÉGAMBIEN, IENNE s. et adj. SENEGHE SÉNÉGINE s. f. SÉNEGRÉ s. m. SÉNÉGUINE s. f. SÉNÉKA s. m. SENELLE s. f. SÉNEMBI s. m. SENEN s. m. SÉNÈQUE (Marcus Annaeus SENECA) SÉNÈQUE (Lucius Annaeus SENECA) SÉNESTRE adj. SÉNESTRÉ, ÉE adj. SÉNESTROCHÈRE s. m. SÉNEVÉ s. m. SENEX s. m. SENEZ SENF ou SINAPIUS (Michel-Ange) SENF ou SINAPIUS (Jules) SENFEL (Louis) SENIBALDO DE MAS SENICLE s. m. SÉNIEUR s. m. SÉNIL s. m. SÉNILE adj. SÉNILITÉ s. f. SÉNILLE s. f. SENIO SENIOR (Nassau-William) SÉNIORAT s. m. SENISSE s. f. SENJEN SENKENBERG (Henri-Christian, baron DE) SENKENBERG (Jean-Christian) SENKENBERG (René-Charles, baron DE) SENKENBERGIE s. f. SENKOWSKI (Joseph-Ivanowitch) SENLIS SENN (EL-) SENNA SENNAAR ou SINHAR SENNAAR SENNAAR SENNACHÉRIB SENNE ou SEINE s. f. SENNE SENNEBIÈRE s. f. SENNECEY-LE-GRAND SENNEFELDER SENNEFELDÈRE s. m. SENNEH SENNEN SENNER v. n. ou intr. SENNERT (Daniel) SENNERT (André) SENNETERRE (Madeleine DE) SENNETTE s. f. SENNEUR, EUSE adj. SÉNO préfixe SÉNOBASE s. m. SÉNODONIE s. f. SÉNOGASTRE s. m. SÉNOMÉTOPE s. m. SÉNONAIS, AISE s. et adj. SÉNONAIS (le) SENONCHES SENONES SE NON E VERO, E BENE TROVATO SÉNONIEN, IENNE adj. SENONNES (Alexandre DE LA MOTTE-BARACÉ, vicomte DE) SÉNOPROSOPE s. m. SÉNOPTÉRINE s. f. SENS s. m. SENS SENSAL s. m. SENSARIC (Jean-Bernard) SENSATION s. f. SENSÉ, ÉE adj. SENSÉE SENSÉMENT adv. SENSIBILISABLE adj. SENSIBILISATION s. f. SENSIBILISER v. a. ou tr. SENSIBILITÉ s. f. SENSIBLE adj. SENSIBLEMENT adv. SENSIBLERIE s. f. SENSITIF, IVE adj. SENSITIVE s. f. SENSORIAL, ALE adj. SENSORIUM s. m. SENSUALISER v. a. ou tr. SENSUALISME s. m. SENSUALISTE adj. SENSUALITÉ s. f. SENSUEL, ELLE adj. SENSUELLEMENT adv. SENTA s. f. SENTANT, ANTE adj. SENTE s. f. SENTENCE s. f. SENTENCIER v. a. ou tr. SENTENCIEUSEMENT adv. SENTENCIEUX, EUSE adj. SENTÈNE s. f. SENTEUR s. f. SENTI, IE part. passé SENTIENS SENTIER s. m. SENTIES (Joseph) SENTIMENT s. m. SENTIMENTAL, ALE adj. SENTIMENTALEMENT adv. SENTIMENTALISME s. m. SENTIMENTALISTE adj. SENTIMENTALITÉ s. f. SENTINATEUR s. m. SENTINE s. f. SENTINELLE s. f. SENTINUM SENTIR v. a. ou tr. SENUS SEO-DE-URGEL SEOIR v. n. ou intr. SEOIR v. n. ou intr. SEP s. m. SÉPALE s. m. SÉPALOÏDE adj. SÉPARABLE adj. SÉPARAGE s. m. SÉPARANT, ANTE adj. SÉPARATEUR, TRICE adj. SÉPARATIF, IVE adj. SÉPARATION s. f. SÉPARATISME s. m. SÉPARATISTE s. SÉPARATOIRE s. m. SÉPARÉ, ÉE part. passé SÉPARÉMENT adv. SÉPARER v. a. ou tr. SÈPE s. m. SÉPÉ s. m. SÉPÉDOGÉNÈSE s. f. SÉPÉDON s. m. SÉPÉDONIE s. f. SÉPHANOÏDE s. m. SÉPHARDIN s. m. SEPHATA SÉPHEL s. m. SEPHELA SÉPHÈLE s. f. SÉPHEN s. m. SÉPHÉNIE s. f. SÉPHER (Pierre-Jacques) SÉPHINE s. f. SÉPHIROTH s. m. SEPHORA SEPHORIS SÉPIA s. f. SÉPIAIRE adj. SÉPICOLE adj. SÉPIDIE s. m. SÉPIIDÉ, ÉE adj. SEPINO SÉPIOLE s. f. SÉPIOLIDÉ adj. SÉPIOLOÏDE s. f. SÉPIOTEUTHE s. f. SEPITA SÉPITE s. f. SÉPLOMBIQUE adj. SEPMANVILLE (Marin-Cyprien LIEUDÉ DE) SEPMANVILLE (François-Antoine-Cyprien LIEUDÉ DE) SEPOLCRO (SAN-) SÉPOULE s. f. SEPP (Jean-Népomucène) SEPPHORIS SEPS s. m. SEPSIDÉ, ÉE adj. SEPSINE s. f. SEPSIS s. f. SEPT adj. SEPT-CAPS (les) SEPT-COMMUNS (les) SEPT-FONTS SEPT-FRÈRES (les) SEPT-ÎLES (les) SEPT-ÎLES (république des) SEPT-LAUX ou SEPT-LACS SEPT-MERS (les) SEPT-MONCEL SEPT-MONTAGNES (les) SEPTA s. m. pl. SEPTA ou SEPTUM SEPTAIN s. m. SEPTAINE s. f. SEPTAIRE s. f. SEPTAN, ANE adj. SEPTANGULÉ, ÉE adj. SEPTANTE adj. SEPTANTIÈME adj. SEPTAS s. m. SEPTCHÈNES (LECLERC DE) SEPTEMANGULÉ, ÉE adj. SEPTEMBRAL, ALE adj. SEPTEMBRE s. m. SEPTEMBRISADES s. f. pl. SEPTEMBRISEUR s. m. SEPTEMDENTÉ, ÉE adj. SEPTEMDIGITÉ, ÉE adj. SEPTEMDUODÉCIMAL, ALE adj. SEPTÊME SEPTÊMES SEPTEMFOLIOLÉ, ÉE adj. SEPTEMLOBÉ, ÉE adj. SEPTEMMACULÉ, ÉE adj. SEPTEMNERVÉ, ÉE adj. SEPTEMPONCTUÉ, ÉE adj. SEPTEMVIR s. m. SEPTEMVIRAL, ALE adj. SEPTEMVIRAT s. m. SEPTÉNAIRE adj. SEPT-EN-GUEULE s. f. SEPT-EN-HUIT s. m. SEPTENNAL, ALE adj. SEPTENNALITÉ s. f. SEPTENNAT s. m. SEPT-EN-TOISE s. m. SEPTENTRION s. m. SEPTENTRIONAL, ALE adj. SEPTÉRIES s. f. pl. SEPT-ET-LE-VA s. m. SEPTEUIL SEPTICÉMIE s. f. SEPTICÉMIQUE adj. SEPTICIDE adj. SEPTICITÉ s. f. SEPTICOLORE s. m. SEPTIDI s. m. SEPTIÈME adj. SEPTIÈMEMENT adj. SEPTIER s. m. SEPTIES adv. SEPTIFÈRE adj. SEPTIFORME adj. SEPTIFRAGE adj. SEPTILE adj. SEPTILLION s. m. SEPTIMANCA SEPTIMANIE SEPTIMATRIES s. f. pl. SEPTIME-SÉVÈRE (Lucius Septimus Severus) SEPTIMIUS SERENUS (Aulus) SEPTIMO adv. SEPTIMONTIAL, ALE adj. SEPTIMULEIUS (L.) SEPTINE s. f. SEPTINGENTESIMO adv. SEPTIOCTONAL, ALE adj. SEPTIQUE adj. SEPTIS s. m. SEPTMONCEL s. m. SEPTOBRACHION s. m. SEPT-OEIL s. m. SEPTOMÈTRE s. m. SEPTON s. m. SEPTONÈME s. m. SEPTONÉMÉ, ÉE adj. SEPTORIE s. f. SEPTOSPORE s. m. SEPTUAGÉNAIRE adj. SEPTUAGÉSIME s. f. SEPTUAGESIMO adv. SEPTULE s. f. SEPTULIFÈRE adj. SEPTUM s. m. SEPTUM s. m. SEPTUNX s. m. SEPTUOR s. m. SEPTUPLE adj. SEPTUPLER v. a. ou tr. SÉPULCRAL, ALE adj. SÉPULCRE s. m. SEPULCRETUM s. m. SÉPULTURE s. f. SEPULVEDA SEPULVEDA (Jean GINEZ DE) SEQUANA SÉQUANAIS, SÉQUANES ou SÉQUANIENS SÉQUANAISE ou SÉQUANIE (GRANDE) SÉQUELLE s. f. SÉQUENCE s. f. SEQUESTER VIBIUS SÉQUESTRATEUR, TRICE s. SÉQUESTRATION s. f. SÉQUESTRE s. m. SÉQUESTRÉ, ÉE part. passé SÉQUESTRER v. a. ou tr. SÉQUIÉRIE s. f. SEQUILLO SEQUIN s. m. SEQUOIA s. m. SER SERA SÉRAC s. m. SÉRACÉE s. f. SERADJ-ED-DAULAH (Mirz-Mahmoud-Khan) SERADPOUR SERAÏ s. m. SERAÏEVO ou SERAIO SÉRAIL s. m. SERAIN SERAIN (Pierre-Eutrope) SERAING SERAMPOUR ou FREDERIKSNAGORE SÉRAN s. m. SÉRAN SERAN DE LATOUR SÉRANÇAGE s. m. SÉRANCER v. a. ou tr. SÉRANCEUR s. m. SÉRANÇOIR s. m. SÉRANCOLIN s. m. SÉRANE s. m. SÉRANGODE s. m. SERANO SÉRANOME s. m. SERAO (Francesco) SERAOUADDY SÉRAPÉON s. m. SÉRAPÉUM s. m. SÉRAPHAH s. m. SÉRAPHE s. m. SÉRAPHIN s. m. SÉRAPHINIS (Dominique DE) SÉRAPHIQUE adj. SÉRAPHYTE s. f. SÉRAPIAS s. m. SÉRAPION s. m. SÉRAPION (saint) SÉRAPION SÉRAPIS SÉRASKIER ou SÉRASQUIER s. m. SÉRASSE s. f. SERASSI (Pierre-Antoine) SÉRAUT s. m. SERAVALLE SERAVEZZA SERBE s. et adj. SERBELLONI (Gabriel) SERBELLONI (Jean-Baptiste) SERBÈTE SERBIE ou SERVIE (PRINCIPAUTÉ DE) SERBOCAL s. m. SERCES (Jacques) SERCEY (Pierre-César-Charles-Guillaume, marquis DE) SERCHIO SERCIAL s. m. SERCQ SERDAR s. m. SERDEAU s. m. SERDOBA SERDOBSK SERDONATI (François) SÉRÉ (Ferdinand) SEREGNO SÉREILHAC SEREIN, EINE adj. SEREIN s. m. SEREINER v. a. ou tr. SEREN SERENA SERENA SÉRÉNADE s. f. SÉRÉNADER v. n. ou intr. SÉRÉNAGE s. m. SERENDA SERENDIB SERÈNE s. m. SÉRÉNISSIME adj. SÉRÉNITÉ s. f. SERENNE s. f. SÉRENT SERENT (Jean-Baptiste-Sébastien) SÉRENT (Armand-Louis, duc DE) SÉRENT (Sigismond, comte DE) SÉRENTE s. m. SERENTHIE s. f. SERENUS SAMMONICUS (Quintus) SERÈQUE s. m. SÉRÈRES SSÈRES SÉRÈS SÉRET s. m. SERETH SERETH SÉREUX, EUSE adj. SÉRÉVAN s. m. SERF, SERVE adj. SERFANTO ou SERFO SERFOUAGE s. m. SERFOUETTE s. f. SERFOUIR v. a. ou tr. SERFOUISSAGE s. m. SERGARDI (Lodovico) SERGE s. f. SERGE (saint) SERGÉ, ÉE adj. SERGEANT (Jean) SERGEANT (Jean) SERGEL (Jean-Tobie) SERGENT s. m. SERGENT-MAJOR SERGENT-FOURRIER SERGENT (Antoine-François) SERGENT (Marie DESGRAVIERS-MARCEAU, dame) SERGENTER v. a. ou tr. SERGENTERIE s. f. SERGER s. m. SERGER v. a. ou tr. SERGERIE s. f. SERGESTE s. m. SERGETTE s. f. SERGETTERIE s. f. SERGIER s. m. SERGILE s. f. SERGINES SERGIO (Vincent-Emmanuel) SERGIPE-DO-REY SERGIPE-DO-REY (PROVINCE DE) SERGIUS (les) SERGIUS PAULUS SERGIUS Ier SERGIUS II SERGIUS III SERGIUS IV SERGIUS ou SERGE SERGIUS DE RHÉSINE SERI s. m. SÉRIAIRE adj. SÉRIAL, ALE adj. SÉRIALAIRE s. f. SÉRIANE s. f. SERIATE SÉRIATION s. f. SÉRIBRANCHE adj. SÉRICAIRE s. f. SÉRICESTHE s. m. SÉRICICOLE adj. SÉRICICULTEUR s. m. SÉRICICULTURE s. f. SÉRICIGÈNE adj. SÉRICIQUE adj. SÉRICOCARPE s. m. SÉRICOCÈRE s. f. SÉRICODÈRE s. m. SÉRICODIADE adj. SÉRICODON s. m. SÉRICOGASTRE s. m. SÉRICOÏDE s. m. SÉRICOMYIE s. f. SÉRICOPHORE s. m. SÉRICORE s. f. SÉRICORNIS s. m. SÉRICOSOME s. m. SÉRICOSTOME s. m. SÉRICOSTOMITE adj. SÉRICOTHRIPS s. m. SÉRICOURT (Simon LEMAISTRE DE) SÉRICULE s. m. SÉRIDIE s. f. SÉRIE s. f. SÉRIER v. a. ou tr. SÉRIEU SEMENT adv. SÉRIEUX, EUSE adj. SÉRIEYS (Antoine) SÉRIGÈNE adj. SÉRILOPHE s. m. SERIMAN (Zacharie SCERIMAN ou) SÉRIMÈTRE s. m. SERIN, INE s. SERIN (Nicolas, comte DE) SERINAGE s. m. SERINAGOR SERINE s. f. SERINE s. f. SÉRINE s. f. SERINÉ, ÉE part. passé SERINER v. a. ou tr. SÉRINÈTHE s. f. SERINETTE s. f. SERINGA s. m. SERINGAGE s. m. SERINGAPATAM SERINGAT s. m. SERINGE (Nicolas-Charles) SERINGHAM SERINGIE s. f. SERINGOS s. m. SERINGUE s. f. SERINGUEMENT s. m. SERINGUER v. a. ou tr. SÉRINIE s. f. SERINO SERIO SERIO-MORTO SERIO (Louis) SÉRIOLE s. f. SERIONNE (Joseph ACCARIAS DE) SÉRIOSITÉ s. f. SERIPANDI ou SERIPANDO (Girolamo) SÉRIPHE s. m. SÉRIPHIÉ, ÉE adj. SÉRIPHOS SÉRIQUE s. m. SÉRIQUE SÉRIS s. f. SÉRISCIE s. f. SÉRISOME s. m. SÉRISSE s. f. SÉRISTÈRE s. m. SERIZAY (Jacques DE) SERJAN SERJANIE s. f. SERKARS SERLES (îles) SERLIO (Sebastiano) SERMAIZE SERMANO SERMEI (César, chevalier) SERMENRAI SERMENT s. m. SERMENT (Louise-Anastasie) SERMET (Antoine-Pascal-Hyacinthe) SERMIDE SERMINI (Gentile) SERMIONE SERMOCINATION s. f. SERMOLOGE s. m. SERMON s. m. SERMONETTA SERMONETTA (Jérôme LICIOLANTE DE) SERMONNAIRE adj. SERMONNER v. a. ou tr. SERMONNEUR, EUSE s. SERMONTAIN s. m. SERNAGLIA SERNÈS (le) SERNIN (SAINT-) SÉRO-DERMEUX, EUSE adj. SÉROKA s. m. SÉROLE s. f. SERON SÉRON SÉRO-SANGUIN, INE adj. SÉROSITÉ s. f. SÉROTIN, INE adj. SEROUX (Jean-Nicolas DE) SEROUX D'AGINCOURT (Jean-Baptiste-Louis-Georges) SERPA SERPA-PIMENTEL (Antonio DE) SERPE s. f. SERPENT s. m. SERPENTS SERPENTS (île des) ou FIDONISI SERPENTAIRE s. m. SERPENTAL, ALE adj. SERPENTARIDÉ, ÉE adj. SERPENTARIÉ, ÉE adj. SERPENTARINE s. f. SERPENTARINÉ, ÉE adj. SERPENTE s. f. SERPENTEAU s. m. SERPENTELLE s. f. SERPENTER v. n. ou intr. SERPENTIFORME adj. SERPENTIGÈRE adj. SERPENTIN, INE adj. SERPENTIN s. m. SERPENTINARIÉ, ÉE SERPENTINE s. f. SERPENTINEUX, EUSE adj. SERPER v. a. ou tr. SERPETTE s. f. SERPHE s. m. SERPHOPHAGE s. m. SERPICULE s. f. SERPIGINEUX, EUSE adj. SERPILIUS (Georges) SERPILLIÈRE s. f. SERPILLON s. m. SERPOLET s. m. SERPOPHAGE s. m. SERPOUKHOV SERPULAIRE s. f. SERPULE s. f. SERPULÉ, ÉE adj. SERPULIDE SERPULIEN, IENNE adj. SERPULITE s. m. SERPYLLIAIRE s. f. SERRA (Narcisso) SERRA-DE-CONTI SERRA-DI-SCOPAMENE SERRA-DO-MAR ou CORDILLÈRE-DE-LA-MER SERRA-DOS-ORGAOS SERRA-RICO SERRA-SAN-BRUNO SERRA-SAN-QUIRICO SERRA (Antoine) SERRA (Crescentin-Joseph) SERRA (le marquis Gérôme) SERRA-CAPRIOLA SERRA-CAPRIOLA (Antoine Maresca Donnorso, duc DE) SERRADELLE s. f. SERRA-DI-FALCO SERRADIFALCO (Domenico DE LA FASSA PIETRASANTA, duc DE) SERRAE SERRAEA s. m. SERRAGE s. m. SERRAGGIO SERRAGINE s. f. SERRALLIER (Auguste) SERRAMANNA SERRAN s. m. SERRANO (Thomas) SERRANO Y DOMINGUEZ (Francisco) SERRANT (comte DE) SERRAO (Jean-André) SERRASALME s. m. SERRASTRETTA SERRATE adj. SERRATI s. m. pl. SERRATICORNE adj. SERRATIFOLIÉ, ÉE adj. SERRATIFORME adj. SERRATILE adj. SERRATISTIPULÉ, ÉE adj. SERRATULE s. f. SERRATULÉ, ÉE adj. SERRAVALLE-DI-CHIENTI SERRAVALLE-PISTOIESE SERRAVALLE-SCRIVIA SERRAVALLE-TREVISANO SERRE s. f. SERRE SERRE (Pierre) SERRE (Michel) SERRE (Jean-Louis-Ignace DE LA) SERRE (Alexis-Jacques DE) SERRE (Pierre-François-Hercule, comte DE) SERRE (Jean-Jacques-Joseph) SERRE (Jean PUGET DE LA) SERRE (Jean-Antoine DE LA) SERRÉ, ÉE adj. SERRÉ, ÉE part. passé SERRÉ DE RIEUX (J. DE) SERRE-BAUQUIÈRE s. f. SERRE-BOSSE s. m. SERRE-BOUCHON s. m. SERRE-CI SEAUX s. m. SERRE-COU s. m. SERRÉE s. f. SERRE-FEU s. m. SERRE-FILE s. m. SERRE-FINE s. f. SERRE-FREIN s. m. SERRE-GOUTTIÈRE s. f. SERRE-JOINT s. m. SERREMENT s. m. SERRÉMENT adv. SERRE-MONTAGNARDE s. f. SERRE-NEZ s. m. SERRE-NOEUD s. m. SERRENTI SERRE-PAPIERS s. m. SERRE-PÉDICULE s. m. SERRE-POINTS s. m. SERRER v. a. ou tr. SERRE-RAIL s. m. SERRES SERRES (Olivier DE) SERRES (Jean DE) SERRES (Dominique) SERRES (Marcel DE) SERRES (Antoine-Etienne-Renaud-Augustin) SERRET s. m. SERRET (Joseph-Alfred) SERRET (Ernest) SERRETELLE s. f. SERRE-TÊTE s. m. SERRETTE s. f. SERREUR s. m. SERRICAUDE adj. SERRICORNE adj. SERRIE (François-Joseph DE LA) SERRIÈRE s. f. SERRIÈRE (Nicolas) SERRIÈRES SERRIGÈRE s. m. SERRIGNY (Denis) SERRIPÈDE adj. SERRIROSTRE adj. SERRISTORI (Lodovico, comte DE) SERROCÈRE s. m. SERROMYIE s. f. SERRON s. m. SERRONI (Hyacinthe) SERRONIE s. f. SERROPALPE s. m. SERROPALPIDE adj. SERROT s. m. SERRULÉ, ÉE adj. SERRURE s. f. SERRURERIE s. f. SERRURIE s. f. SERRURIER s. m. SERRURIER (Jean-Baptiste-Toussaint) SERRY (François-Jacques-Hyacinthe) SERSALE SERSALISE s. m. SERSIFIX s. m. SERT SERTAIGE s. f. SERTAO ou SERTAM SERTE s. f. SERTI, IE part. passé SERTIR v. a. ou tr. SERTISSAGE s. m. SERTIS SEUR s. m. SERTISSURE s. f. SERTORIUS (Quintus) SERTULAIRE s. f. SERTULARIÉ, ÉE adj. SERTULARIEN, IENNE adj. SERTULE s. m. SERTULIFÈRE adj. SERTURNÈRE s. f. SÉRULLAS (Georges-Simon) SÉRUM s. m. SÉRURIER (Jean-Matthieu-Philibert, comte) SERVAGE s. m. SERVAIS (saint) SERVAIS (Adrien-François) SERVAL s. m. SERVAN (SAINT-) SERVAN (Joseph-Michel-Antoine) SERVAN DE GERBEY (Joseph) SERVAN DE SUGNY (Pierre-François-Jules) SERVANCE SERVANDONI (Jean-Jérôme) SERVANT s. m. SERVANTE s. f. SERVANTE-MAÎTRESSE s. f. SERVANTINE s. f. SERVANTOIS s. m. SERVAS (LA CONDAMINE DE) SERVAT s. m. SERVE s. f. SERVE s. f. SERVE SERVERETTE SERVET (Michel) SERVETISTE s. m. SERVETUR AD IMUM QUALIS AB INCEPTO SERVEUR s. m. SERVI, IE part. passé SERVI ou CERVI SERVI (Constantin DE) SERVIABILITÉ s. f. SERVIABLE adj. SERVIABLEMENT adv. SERVIAN SERVICE s. m. SERVICEN SERVIDOU s. m. SERVIE SERVIEN, IENNE s. et adj. SERVIEN (Abel) SERVIÈRES SERVIÈRES (Joseph) SERVIÈRES (Eugénie-Honorée-Marguerite, dame) SERVIETTE s. f. SERVIEZ (Jacques ROERGAS DE) SERVIEZ (Emmanuel-Gervais) SERVIGLIANO SERVIGNY-LEZ-RAVILLE SERVILE adj. SERVILEMENT adv. SERVILIA (famille) SERVILIE SERVILIE SERVILIE SERVILISME s. m. SERVILITÉ s. f. SERVILIUS PRISCUS (Publius) SERVILIUS STRUCTUS (Spurius) SERVILIUS STRUCTUS AHALA (Caïus) SERVILIUS GEMINUS (Publius) SERVILIUS GEMINUS (Cneus) SERVILIUS PULEX GEMINUS (Marcus) SERVILIUS GEMINUS (Caïus) SERVILIUS CÉPION (Cneius) SERVILIUS CÉPION (Quintus) SERVILIUS CÉPION (Quintus) SERVILIUS CÉPION (Quintus) SERVILIUS VATIA (Publius) SERVILIUS NONIANUS (Marcus) SERVILLIE s. f. SERVIN (Louis) SERVIN (Antoine-Nicolas) SERVION s. m. SERVIOTE s. f. SERVIR v. a. ou tr. SERVIS s. m. SERVITE s. m. SERVITEUR s. m. SERVITUDE s. f. SERVIUS TULLIUS SERVIUS (Maurus Honoratus) SERVIUS (Pierre) SERVO SERVOIS (l'abbé Jean-Pierre) SERVOLINI (Bénédict) SERVUM PECUS SERWACZINSKI (Stanislas) SERY s. m. SES adj. poss. SÉSAC ou SÉSONCHIS SÉSAME s. m. SÉSAMÉ, ÉE adj. SÉSAMOÏDE adj. SÉSAMOÏDIEN, IENNE adj. SÉSAMOPTÉRIS s. m. SÉSARA SÉSARME s. m. SESBAN s. m. SESBANÉE s. f. SESBANIE s. f. SESCUNX s. m. SÉSÉ s. m. SESEF s. m. SÉSÉLI s. m. SÉSÉLINÉ, ÉE adj. SESERIN s. m. SESIA SÉSIAIRE adj. SÉSIATIQUE adj. SÉSIDE adj. SÉSIDÉ, ÉE adj. SÉSIE s. f. SÉSIÉ, ÉE adj. SÉSIÉIDE adj. SÉSIÉIDÉ, ÉE adj. SÉSIEN, IENNE adj. SÉSIIDE adj. SÉSIIDÉ, ÉE adj. SESLÈRE s. f. SESLÉRIE s. f. SESMAISONS (Louis-Humbert, comte DE) SESMAISONS (Olivier DE) SESMAISONS (Claude-Louis-Gabriel-Donatien, comte DE) SÉSOSTRIS SESQUI préfixe SESQUIALTÈRE adj. SESQUIBASIQUE adj. SESQUIFLORE adj. SESQUIHYDRIQUE adj. SESQUIOCTAVE adj. SESQUIOXYDE s. m. SESQUIPÉDAL, ALE adj. SESQUIPEDALIA VERBA SESQUIPLARE s. m. SESQUIQUADRAT s. m. SESQUIQUARTE adj. SESQUI SEL s. m. SESQUI SÉPARATISTE s. m. SESQUITÉRÉBÈNE s. m. SESQUITIERCE adj. SESSA-AURANEA SESSA-CILENTO SESSAEA s. m. SESSANO SESSE s. f. SESSILE adj. SESSILIFLORE adj. SESSILIFOLIÉ, ÉE adj. SESSILIOCLE adj. SESSION s. f. SESSITES SESTE s. m. SESTÉRAGE s. m. SESTERCE s. m. SESTIER (Félix) SESTINI (Dominique) SESTINI (Benedetto) SESTINO SESTO SESTO-CALENDE SESTO-SAN-GIOVANNI SESTO-UDINE SESESTO (César DA) SESTOLA SESTOS SESTRABEK SESTRI-LEVANTE SESTRI-PONENTE SESTUM SÉSUVE s. m. SÉSUVIÉ, ÉE adj. SÉSUVIENS SETA SÉTACÉ, ÉE adj. SÉTAIRE s. f. SETARAH SE-TCHOUAN SETEIA SÉTELLE s. f. SÉTELLIE s. f. SÉTÉRÉE s. f. SÉTÈS s. m. SÉTEUILLE s. f. SÉTEUX, EUSE adj. SETFARI s. m. SETH SETH (Siméon) SÉTHÉEN s. m. SÉTHÉNIRE s. f. SETHIA ou SITIA SÉTHIEN s. m. SÉTHISTE s. m. SÉTHON SETHON (Alexandre) SÉTHOS ou SÉTHON SETIA ou SETINUM SETIA SÉTICAUDE adj. SÉTICÈRE adj. SÉTICORNE adj. SÉTIE s. f. SETIER s. m. SETIER (L.-P.) SÉTIF SÉTIFÈRE adj. SÉTIFLORE adj. SÉTIFORME adj. SÉTIGÈRE adj. SÉTIM s. m. SÉTINE s. f. SETINUM SÉTIPÈDE adj. SÉTIPODE adj. SETIUM SETLEDJE ou SUTLEDJE SÉTODE s. m. SÉTON s. m. SÉTOPHAGE ou CÉTOPHAGE s. m. SETTALA (Louis) SETTALA (Manfred) SETTALMOLC SETTEGAST (Joseph-Antoine) SETTIGNANO (Désiré DE) SETTIMO (Ruggiero) SETTLE SETTLE (Elkanah) SÉTUBAL ou SÉTUVAL SÉTUBAL (François DE) SÉTUBAL (Morgado DE) SÉTUCES SEU D'URGEL SEUDRE SEUF s. m. SEUFFERT (Jean-Adolphe DE) SEUGNE SEUIL s. m. SEUILLET s. m. SEUL, SEULE adj. SEULEMENT adv. SEULÈRE s. m. SEULET, ETTE adj. SEULLON s. m. SEUME (Jean-Godefroy) SEUR s. m. SEURRE SEURRE (Gabriel-Bernard) SEURRE (Charles-Marie-Emile) SEUTÈRE s. f. SEV SEVANGA (lac) SÉVASTOPOL SÉVE s. f. SEVE SEVELINGES (Charles-Louis DE) SEVEN-OAKS SEVER (SAINT-) SEVER SEVERA (Valeria) SÉVÉRAC-LE-CHÂTEAU SÉVÈRE adj. SÉVÈRE (SAINTE-) SÉVÈRE Ier SÉVÈRE II (Flavius Valerius Severus) SÉVÈRE III (Vibius ou Livius Severus) SÉVÈRE (Alexandre) SÉVÈRE (Sulpice-) SÉVÈREMENT adj. SÉVÉRIE SÉVÉRIEN s. m. SÉVERIN (saint) SÉVERIN SEVERINA (SANTA-) SEVERINA (Ulpia) SEVERINO et SEVERO (SAN-) SEVERINO (Marc-Aurèle) SEVERINUS (Pierre) SÉVÉRITE s. f. SÉVÉRITÉ s. f. SEVERN ou SAVERNE SEVERO-VOSTOTCHNOÏ SÉVÉRONDE s. f. SEVERUS SÈVES (Octave-Joseph-Anthelme DE) SEVESO SÉVESTE (Jules-Didier) SÉVESTE (Jacqueline-Angélique-Julie-Laure) SEVESTRE (Joseph-Marie-François) SÉVEUX, EUSE adj. SÉVICES s. f. pl. SÉVIGNÉ SÉVIGNÉ (René-Bernard-Renaud DE) SÉVIGNÉ (Marie-Elisabeth DE PENA, dame DE) SÉVIGNÉ (Henri, marquis DE) SÉVIGNÉ (Marie DE RABUTIN-CHANTAL, marquise DE) SÉVIGNÉ (Charles, marquis DE) SEVILLA ROMERO D'ESCALANTE (Jean DE) SÉVILLAN, ANE s. et adj. SEVILLE (Armand) SÉVILLE SÉVILLE (Henri-Marie-Ferdinand DE BOURBON, duc DE) SEVIN (Pierre) SEVIN (l'abbé François) SÉVIR s. m. SÉVIR v. n. ou intr. SÉVIRAL, ALE adj. SÉVIRAT s. m. SEVRAGE s. m. SÈVRE NANTAISE SÈVRE NIORTAISE SEVRER v. a. ou tr. SÈVRES SÈVRES (DEUX-) SÈVRES s. m. SEVREUSE s. f. SEVSK SEWA-DJY SEWARD (Guillaume) SEWARD (Anna) SEWARD (William-Henry) SEWEL (Guillaume) SEWELL (Elisabeth) SEWRIN (Charles-Augustin) SEX préfixe SEXAGÉNAIRE adj. SEXAGÉSIMAL, ALE adj. SEXAGÉSIME s. f. SEXAGESIMO adv. SEXANGLE adj. SEXANGULAIRE adj. SEXANGULÉ, ÉE adj. SEXARGENTIQUE adj. SEXATRES s. f. pl. SEXCENTESIMO adv. SEXCOSTÉ, ÉE adj. SEXDÉCIMAL, ALE adj. SEXDÉCIOCTONAL, ALE adj. SEXDIGITAIRE adj. SEXDIGITAL, ALE adj. SEXDIGITISME s. m. SEXE s. m. SEXENNAL, ALE adj. SEXENNALITÉ s. f. SEXFASCIÉ, ÉE adj. SEXFIDE adj. SEXFLORE adj. SEXFORÉ, ÉE adj. SEXIES adv. SEXIFÈRE adj. SEXJUGUÉ, ÉE adj. SEXLOCULAIRE adj. SEXMACULÉ, ÉE adj. SEXOCTODÉCIMAL, ALE adj. SEXONIAE SEXPONCTUÉ, ÉE adj. SEXPUSTULÉ, ÉE adj. SEXRAYONNÉ, ÉE adj. SEXSÉTACÉ adj. SEXTAN, ANE adj. SEXTANT s. m. SEXTARIUS s. m. SEXTE s. f. SEXTÉ s. m. SEXTELLAGE s. m. SEXTÉRAGE s. m. SEXTIDI s. m. SEXTIFORME adj. SEXTIL, ILE adj. SEXTILLION s. m. SEXTINE s. f. SEXTIUS LATERANUS (Lucius) SEXTIUS CALVINUS (Caïus) SEXTIUS (Publius) SEXTIUS (Quintius) SEXTO adv. SEXTRIGÉSIMAL, ALE adj. SEXTULE s. f. SEXTUOR s. m. SEXTUPLE adj. SEXTUPLER v. a. ou tr. SEXTUS DE CHÉRONÉE SEXTUS EMPIRICUS SEXTUS TARQUINIUS SEXUALISME s. m. SEXUALITÉ s. f. SEXUEL, ELLE adj. SEY s. m. SEYANT, ANTE adj. SEYBERTITE s. f. SEYBOLD (David-Christophe) SEYBOLD (Frédéric) SEYBOUSE SEYCHELLES ou SÉCHELLES (îles) SEYCHES SEYDELMANN (François) SEYDELMANN (Jacques-Crescent) SEYDELMANN (Apollonie) SEYDELMANN (Charles) SEYDLITZ (Frédéric-Guillaume DE) SEYER (Samuel) SEYETTE s. f. SEYFFARTH (Waldemar) SEYFFARTH (Gustave) SEYFFERT (Frédéric-Everard DE) SEYFRIED (Ignace-Xavier, chevalier DE) SEYKHS SEYMERIE s. f. SEYMOUR (Jeanne) SEYMOUR (Edward) SEYMOUR (Anne, Marguerite et Jeanne) SEYMOUR (Thomas) SEYMOUR (Arabelle) SEYMOUR (sir Michel) SEYMOUR (lord Henry) SEYMOUR (Horatio) SEYMOUR-CONWAY (Richard) SEYMOUR-HADEN SEYMURIE s. f. SEYNE (LA) SEYNE SEYNES (Alphonse DE) SEYNI SEYPAN SEYSSEL SEYSSEL SEYSSEL (Claude DE) SÉZANNE SÈZE (DE) SEZZA SEZZE SFAKIA SFAX ou SFAKES SFONDRATE ou SFONDRATI (François) SFONDRATE (Niccolo) SFONDRATE ou SFONDRATI (Paul-Emile) SFONDRATE ou SFONDRATI (Célestin) SFORCE SFORZA SFORZA (Giacomuzzo ou Jacques ATTENDOLO) SFORZA (François-Alexandre) SFORZA (Galéas-Marie) SFORZA (Jean-Galéas) SFORZA (Ludovic-Marie) SFORZA (Maximilien) SFORZA (François-Marie) SFORZA (Alexandre) SFORZA (Constant) SFORZA (Jean) SFORZA (Catherine) SFORZA (Bonne) SFORZA (Sixte RIARIO-) SFORZANDO adv. SFUMATO s. m. SGANARELLE SGRAFFITE s. m. S'GRAVESANDE (Guillaume-Jacob) SGRICCI (Tommaso) SHAAVIA s. m. SHADWELL (Thomas) SHAFTESBURY ou SHASTON SHAFTESBURY (Antoine A SHLEY-COOPER, comte DE) SHAFTESBURY (Antoine A SHLEY-COOPER, comte DE) SHAFTESBURY (Anthony A SHLEY-COOPER, comte DE) SHAFTESBURY (Antoine, baron ASHLEY) SHAH-NAWAZ-KHAN-SAMSAM-AL-DOWLAK SHAKER s. m. SHAKERLEY (Jérémie) SHAKESPEAR (John) SHAKESPEARE SHAKO s. m. SHAKSPEARE (William) SHAKSPEARIEN, IENNE adj. SHAL s. m. SHALL s. m. SHALLER (Louis) SHAMROCK s. m. SHANG-HAÏ SHAN-HU s. m. SHANNON SHARK-BAY SHARP (Jacques) SHARP (Jean) SHARP (Abraham) SHARP (Samuel) SHARP (Grégoire) SHARP (William) SHARP-GRANVILLE SHARPE (sir Cuthbert) SHARPE (Daniel) SHASTON SHAUB s. m. SHAW (Thomas) SHAW (Cuthbert) SHAW (George) SHAW (Stebbing) SHAWIA s. m. SHEA (John-Gilmary) SHEBBEARE (John) SHEDD (William Greenough Thayer) SHÉE (Henri) SHEE (sir Martin Archer) SHEEP SHANKS (Richard) SHEERNESS SHEFFIELD SHEFFIELD (John BAKER-HOLROYD, comte DE) SHEFFIELD (John) SHEFFIELDIE s. f. SHEIL (Richard LALOR) SHELBURNE (Guillaume PETTY, comte DE) SHELDON (Gilbert) SHELING s. m. SHELLEY (PERCY BYSSHE) SHELLEY (Mary WOLLSTONECRAFT, dame) SHELLUH s. m. SHELTON (Frédéric-Guillaume) SHELTOPUSICK ou SHELTOPUSIK s. m. SHENANDOAH SHENSTONE (William) SHEPARD (Charles-Upham) SHÉPHERDIE s. f. SHEPPEY SHEPTON-MALLET SHERARD ou SHERWOOD (Guillaume) SHERARD (Jacques) SHÉRARDIE s. f. SHERBORNE SHERBURN SHERBURN SHERBURNE ou SHIRBURN (sir Edward) SHERIDAN SHERIDAN (Thomas) SHERIDAN (Frances CHAMBERLAINE, dame) SHERIDAN (Richard-Brinsley-Butler) SHERIDAN (Philippe) SHERIDAN-KNOWLES (James) SHÉRIF s. m. SHÉRIF s. m. SHER-KHAN SHERLOCK (William) SHERLOCK (Thomas) SHERMAN (William-Tecumseh) SHERRY s. m. SHERRY SHERWIN (Jean-Keyse) SHERWOOD SHERWOOD (miss BUTT, dame) SHETLAND SHETLAND (NOUVELLE-) ou SHETLAND DU SUD SHIELD (William) SHIELDS (NORTH-) SHIELDS (SOUTH-) SHIFFNAL SHILLING SHILOH SHINAC s. m. SHIRBURN (Edouard) SHIRE SHIRLEY (Antoine) SHIRLEY (Robert) SHIRLEY (Jacques) SHIRLEY (Thomas) SHIRWA SHITSANULOK SHOBERL (Frédéric) SHOCKING interj. SHORE (Jane) SHORÉE s. f. SHOREHAM (NEW-) SHORTHORN s. m. SHORTIA s. f. SHOVEL (Cloudesley) SHRAPNELL s. m. SHREWSBURY SHREWSBURY, SALOP ou SHROP (COMTÉ DE) SHREWSBURY (Talbot, duc DE) SHUCKBURGH-EVELYN (George-Auguste-Guillaume) SHUCKFORD (Samuel) SHULTZIA s. f. SHUTÉRÉIE s. f. SHUTÉRIE s. f. SHUTTLEWORTHIA s. m. SHYLOCK SI, S' devant il et ils, conj. SI adv. SI SI s. m. SIACALI s. m. SIAGNE SIAGONAGRE s. f. SIAGONANTHE s. m. SIAGONE s. m. SIAGONIE s. f. SIAGONIEN, IENNE adj. SIAGONOTE adj. SIAK SIAK (ETAT DE) SIAK SIAKA SIALADÉNITE s. f. SIALAGOGUE adj. SIALIDE adj. SIALIE s. f. SIALIS s. f. SIALISME s. m. SIALISTÈRE s. m. SIALOLITHE s. m. SIALOLOGIE s. f. SIALOLOGIQUE adj. SIALORRHÉE s. f. SIALOZYMASE s. f. SIAM s. m. SIAM ou THAY (ROYAUME DE) SIAM SIAM (golfe de) SIAMANG s. m. SIAMOIS, OISE s. et adj. SIAMOIS (les frères) SIAMOISÉ, ÉE adj. SI-AN SIANO SIAPHOS s. m. SIARCZYNSKI (François) SIAUVE (Etienne-Marie) SIBARITE s. m. SIBBALD (Robert) SIBBALDIE s. f. SIBBENS s. m. SIBBERN (Frédéric-Christian) SIBENIK SIBERENA SIBÉRIE s. m. SIBÉRIE SIBÉRIE (NOUVELLE-) SIBÉRIEN, IENNE s. et adj. SIBÉRITE s. f. SIBIA s. m. SIBILANCE s. f. SIBILANT, ANTE adj. SIBILATION s. f. SIBILATRIX s. f. SIBILET (Thomas) SIBINIE s. f. SIBIR ou ISKER SIBON s. m. SIBOUR (Marie-Dominique-Auguste) SIBOUR (Louis) SIBOUYAH ou SAIBOUYA (Abou-Baschar-Amrou) SIBTHORP (Jean) SIBTHORPIE s. f. SIBTHORPIÉ, ÉE adj. SIBUET (Georges) SIBUET (Benoît-Prosper) SIBUSATES SIBUTUS (Georges) SIBYLLE s. f. SIBYLLE SIBYLLE SIBYLLIN, INE adj. SIBYLLIQUE adj. SIBYLLISME s. m. SIBYLLISTE s. m. SIBYNE s. m. SIBYNOMORPHE s. m. SIBYNON s. m. SIBYNOPHIS s. m. SIC adv. SICA s. f. SICAIRE s. m. SICAIRE adj. SICAL s. m. SICAMBRES SICAMOR s. m. SICANIE SICARD SICARD SICARD (Claude) SICARD (l'abbé Roch-Ambroise CUCURRON) SICARD (François) SICAUNIES SICCARDI (Joseph, comte) SICCATIF, IVE adj. SICCA-VENEREA SICCITÉ s. f. SICELEG SICHÉE SICHEL (Jules) SICHEM SICHEM (Christophe VAN) SICIGNANO SICILE SICILES (ROYAUME DES DEUX-) SICILIEN, IENNE s. et adj. SICILIQUE s. m. SICINIUS BELLUTUS (Caïus) SICINIUS (Caïus) SICINIUS (Titus) SICINIUS SICINIUS DENTATUS (Lucius) SICINNIS s. f. SICINSKI (Ladislas) SIC ITUR AD ASTRA SICK (Paul) SICKINGEN (Franz DE) SICKINGIE s. f. SICKLER (Jean-Valentin) SICKLER (Frédéric-Charles-Louis) SICKMANNIE s. f. SICKSA SICLE s. m. SICOMORE s. m. SICON Ier SICON II SICONOLFE SICORIS ou SICORUS SICRIN s. m. SIC TRAN SIT GLORIA MUNDI SICULES SICULIANA SICULUM FRETUM SICUREL s. m. SICUS s. m. SIC VOLO, SIC JUBEO SIC VOS NON VOBIS SICYDION s. m. SICYOÏDE s. m. SICYOÏDÉ, ÉE adj. SICYONE SICYONIE s. f. SICYONIEN, IENNE s. et adj. SICYONIS SICYOS s. m. SIDA s. m. SIDAYO SIDDARTHA SIDDHA SIDDIM SIDDONS (Sarah KEMBLE, mistress) SIDE SIDÉ, ÉE adj. SIDÉRAL, ALE adj. SIDÉRANT, ANTE adj. SIDÉRANTHE s. m. SIDÉRASTRÉE s. f. SIDÉRATION s. f. SIDÉRÉTINE s. f. SIDÉRIDE adj. SIDÉRIDIE s. f. SIDÉRIQUE adj. SIDÉRIQUE adj. SIDÉRISME s. m. SIDÉRISME s. m. SIDÉRITE s. f. SIDÉRITIDE s. f. SIDÉRITIS s. m. SIDERNO SIDÉRO préfixe SIDÉROCALCITE s. f. SIDÉROCHROME s. m. SIDÉROCYANIQUE adj. SIDÉRODACTYLE s. m. SIDÉRODENDRON s. m. SIDÉROGASTRE adj. SIDÉROGRAPHE s. m. SIDÉROGRAPHIE s. f. SIDÉROGRAPHIQUE adj. SIDÉROLINE s. f. SIDÉROLITE ou SIDÉROLITHE s. f. SIDÉROLITIQUE ou SIDÉROLITHIQUE adj. SIDÉROMANCIE s. f. SIDÉROMANCIEN, IENNE s. SIDÉRONE s. m. SIDÉROPLÉ SITE s. f. SIDÉROPORE s. m. SIDÉROSE s. f. SIDÉROSTAT s. m. SIDÉROTECHNIE s. f. SIDÉROTECHNIQUE adj. SIDÉROTHÉRIUM s. m. SIDÉROXYDE s. m. SIDÉROXYLE s. m. SIDERS ou SIERRE SIDÉRURGIE s. f. SIDÉRURGIQUE adj. SIDI s. m. SIDI-BEL-ABBÈS SIDI-BOU-SAÏD SIDI-BRAHIM SIDI-FERRUCH SIDI-HESCHAM SIDI-MOHAMMED SIDI-MOHAMMED SIDI-MOHAMMED-SADOK SIDI-SAHEB SIDICINS SIDIE s. f. SIDILOCUM SIDJAN s. m. SI-DJOHA SIDMOUTH SIDMOUTH (Henri ADDINGTON, vicomte) SIDNEY SIDNEY (sir Henri) SIDNEY (sir Philippe) SIDNEY (Algernon) SIDNEY-SMITH SIDNION ou SIDNYON s. m. SIDOINE APOLLINAIRE (Caïus Sullius) SIDON SIDONIEN, IENNE s. et adj. SIDOROWSKI (Jean-Ivanovitch) SIDRAC SIDRE (golfe de la) SIDULE s. f. SIDURIE s. f. SIDYMA SIEBENBURGEN SIEBENFREUND (Sébastien) SIEBENGEBIRGE SIEBENKAES (Jean-Philippe) SIEBENPFEIFFER (Philippe-Jacques) SIÉBÈRE s. f. SIEBOG SIEBOLD (Charles-Gaspard DE) SIEBOLD (Jean-Georges-Christophe DE) SIEBOLD (Jean-Barthélemy DE) SIEBOLD (Adam-Elie) SIEBOLD (Philippe-François DE) SIEBOLD (Edouard-Gaspard-Jacques DE) SIEBOLD (Charles-Théodore-Ernest DE) SIÉBOLDIE s. f. SIÈCLE s. m. SIEDLEC SIEG s. m. SIEG SIEGBURG SIÉGE s. m. SIÉGE s. m. SIEGEN SIEGEN (Louis DE) SIÉGER v. n. ou intr. SIEGERT (Auguste) SIÉGESBECKIE s. f. SIÉGLINGIE s. f. SIEJKOWSKI (Michel) SIEMENS (Ernest-Werner) SIEMIENSKI (Lucien-Hippolyte) SIEMSSÉNIE s. f. SIEN, SIENNE adj. poss. SIENA (Simone DA) ou MEMMI SIENA (Duccio DA) ou BUONINSEGNA SIENA (Guido DA) ou GUIDONE DA GHEZZO SIENKIEWICZ (Jean-Charles) SIENNE SIENNE SIENNE (PROVINCE DE) SIENNOIS, OISE s. et adj. SIERADZ SIERAKOWSKI (Jean) SIERAKOWSKI (W.-H.) SIERAKOWSKI (Michel) SIERAKOWSKI (W.) SIERAKOWSKI (Sébastien) SIERAKOWSKI (Joseph, comte) SIERCK SIEROCINSKI (Théodore) SIERPINSKI (Zénon) SIERRA-LEONE (côte de) SIERRA-MORENA, SIERRA-NEVADA, etc. SIERRE SIERVERSHAUSEN SIESTE s. f. SIESTER v. n. ou intr. SIESTRZENCEWICZ (Stanislas) SIEUR s. m. SIEUREL s. m. SIEURIE s. f. SIEVEKING (Charles) SIEVEKING (Amélie) SIEVERS (Jean-Jacques) SIÉVERSIE s. f. SIEVSK SIEWA SIEYÈS (Emmanuel-Joseph, comte) SIF SIFAC s. m. SIFANTO SIFFLABLE adj. SIFFLADE s. f. SIFFLAGE s. m. SIFFLANT, ANTE adj. SIFFLASSON s. m. SIFFLÉ, ÉE part. passé SIFFLEMENT s. m. SIFFLER v. n. ou intr. SIFFLERIE s. f. SIFFLET s. m. SIFFLEUR, EUSE adj. SIFFLOTER v. n. ou intr. SIFFRID DE MISNIE SIFILET s. m. SIGA s. m. SIGA-GUSCH s. m. SIGALINE s. f. SIGALION s. m. SIGALON (Xavier) SIGALPHE s. m. SIGALPHITE adj. SIGAN s. m. SIGAPATELLE s. f. SIGARAS s. m. SIGARE s. f. SIGARET s. m. SIGAUD-LAFOND (Joseph-Aignan) SIGÉ s. m. SIGEAN SIGEBERT Ier SIGEBERT II SIGEBERT III (Saint) SIGEBERT DE GEMBLOURS ou GEMBLOUX SIGEBRAND SIGÉE (cap) SIGÉE (Louise) SIGEL (François) SIGER s. m. SIGER DE BRABANT SIGESBECKIE s. f. SIGETH SIGFRID (saint) SIGILLAIRE adj. SIGILLARIÉ, ÉE adj. SIGILLATEUR s. m. SIGILLATION s. f. SIGILLÉ, ÉE adj. SIGILLINE s. f. SIGILLISTE s. m. SIGILLOGRAPHIE s. f. SIGISBÉE s. m. SIGISBÉISME s. m. SIGISMOND (saint) SIGISMOND SIGISMOND Ier SIGISMOND II SIGISMOND III SIGISTAN, SEDJESTAN ou SEISTAN SIGLATON s. m. SIGLE s. m. SIGMA s. m. SIGMARINGEN SIGMARINGEN (saint Fidèle DE) SIGMATELLE s. f. SIGMATIQUE adj. SIGMATISME s. m. SIGMODON s. m. SIGMODOSTYLE s. m. SIGMOÏDAL, ALE adj. SIGMOÏDE adj. SIGNA SIGNAGE s. m. SIGNAL s. m. SIGNALÉ, ÉE part. passé SIGNALEMENT s. m. SIGNALER v. a. ou tr. SIGNALÉTIQUE adj. SIGNATAIRE s. SIGNATURE s. f. SIGNE s. m. SIGNÉ, ÉE part. passé SIGNER v. a. ou tr. SIGNET s. m. SIGNEUR, EUSE s. m. SIGNIA SIGNIFIANCE s. f. SIGNIFIANT, ANTE adj. SIGNIFICATEUR, TRICE adj. SIGNIFICATIF, IVE adj. SIGNIFICATION s. f. SIGNIFICATIVEMENT adv. SIGNIFIÉ, ÉE part. passé SIGNIFIER v. a. ou tr. SIGNOC s. m. SIGNOL (Alphonse) SIGNOL (Emile) SIGNOLLE ou SIGNOLE s. f. SIGNORELLI (Luca) SIGNORELLI (Pietro-Napoli) SIGNORINUS ou SIGNOROLLUS (Homodeus) SIGNY-L'ABBAYE SIGNY-LE-PETIT SIGOLÈNE (SAINTE-) SIGONIO (Carlo) SIGORGNE (Pierre) SIGOULÈS SIGOURNEY (Lydia HUNTLY, mistress) SIGOVÈSE SIGRAIS SIGTUNA SIGUANE s. f. SIGUENOC s. m. SIGUENZA SIGUENZA (Joseph DE) SIGUENZA Y GONGORA (Charles DE) SIGUETTE s. f. SIGURD SIGURD Ier SIGURD II SIGURD III SIGURDSSON (John) SIGVA SIGWART (Georges-Frédéric) SIGWART (Henri-Christophe-Guillaume DE) SIGYN SIHAME s. m. SIHL SIHOUN SIKELIA SIKHS, SEIKHS, SEYKHS ou SYKHS SI-KIANG SIKINO SIKIOU s. m. SIKIOUTER v. a. ou tr. SIKISTAN s. m. SIKKAKH SIKKIM ou DAMOU-DZOUNG SIKLOS SIKOF ou SIKOKO SIL s. m. SIL SILA (la) SILAHLIK s. m. SILANION SILANUS (Marcus Junius) SILARUS SILAUS s. m. SILBERBERG SILBERGROS s. m. SILBERMANN (Henri-Rodolphe-Gustave) SILBERMANN (Jean-Thiébaut) SILBERRAD (Jean-Martin) SILBERSCHLAG (Jean-Isaïe) SILBERSTADT SILBOMYIE s. f. SILCHER (Frédéric) SILÉNACÉ, ÉE adj. SILENCE s. m. SILENCIEUSEMENT adv. SILENCIEUX, EUSE adj. SILÈNE s. m. SILÈNE SILÉNÉ s. m. SILÉNÉ, ÉE adj. SILÉNIE s. f. SILENTIAIRE s. m. SILER s. m. SILÉRINÉ, ÉE adj. SILÉSIE s. f. SILÉSIE SILÉSIE (PROVINCE DE) SILÉSIE AUTRICHIENNE SILÉSIEN, IENNE s. et adj. SILEX s. m. SILEXÉ, ÉE adj. SILEXIFORME adj. SILHET SILHON (Jean DE) SILHOUETTE s. f. SILHOUETTE (Etienne DE) SILICATE s. m. SILICATÉ, ÉE adj. SILICATISATION s. f. SILICATISER v. a. ou tr. SILICE s. f. SILICÉ, ÉE adj. SILICEUX, EUSE adj. SILICICO préfixe SILICICOLE adj. SILICIDES s. m. pl. SILICIÉ, ÉE adj. SILICIFÈRE adj. SILICIFICATION s. f. SILICIFIER v. a. ou tr. SILICIQUE adj. SILICITE s. f. SILICIUM s. m. SILICIUM-HEXÉTHYLE s. m. SILICIUM-MÉTHYLE s. m. SILICIUM-TÉTRÉTHYLE s. m. SILICIURE s. m. SILICOACÉTIQUE adj. SILICOBROMOFORME s. m. SILICOCHLOROFORME s. m. SILICODÉCITUNGSTATE s. m. SILICODÉCITUNGSTIQUE adj. SILICODUODÉCITUNGSTATE s. m. SILICODUODÉCITUNGSTIQUE adj. SILICOFLUORIQUE adj. SILICOFLUORURE s. m. SILICOFORMIATE s. m. SILICOFORMIQUE adj. SILICOHYDRIQUE adj. SILICOIODOFORME s. m. SILICONE s. f. SILICONONYLE s. m. SILICONONYLIQUE adj. SILICOOXALIQUE adj. SILICOPROPIONATE s. m. SILICOPROPIONIQUE adj. SILICOTUNGSTATE s. m. SILICOTUNGSTIQUE adj. SILICULAIRE s. f. SILICULE s. f. SILICULEUX, EUSE adj. SILICULIFORME adj. SILIGINEUX, EUSE adj. SILIGINOSITÉ s. f. SILIQUA s. m. SILIQUAIRE s. f. SILIQUASTRE s. m. SILIQUASTRO s. m. SILIQUE s. f. SILIQUELLE s. f. SILIQUEUX, EUSE adj. SILIQUIER s. m. SILIS s. m. SILISTRIE SILIUS (Publius) SILIUS ITALICUS (Caïus) SILIVRI SILK-GRASS s. m. SILLA (Antoine) SILLAGE s. m. SILLAGO s. m. SILLE s. m. SILLE s. f. SILLÉ, ÉE adj. SILLÉ-LE-GUILLAUME SILLÉE s. f. SILLER v. n. ou intr. SILLER v. a. ou tr. SILLERY SILLERY (Nicolas BRUSLART DE) SILLERY (Fabio BRUSLART DE) SILLERY (Charles-Alexis BRUSLART, marquis DE) SILLET s. m. SILLIEN, IENNE adj. SILLIG (Charles-Jules) SILLIMAN (Benjamin) SILLIMAN (Benjamin) SILLIMANITE s. f. SILLOGRAPHE s. m. SILLOMÈTRE s. m. SILLOMÉTRIQUE adj. SILLON s. m. SILLONNÉ, ÉE part. passé SILLONNER v. a. ou tr. SILLONNETTE s. f. SILLONNEUR s. m. SILLY-EN-GOUFFERN SILLY (Jacques-Joseph VIPART, marquis DE) SILO s. m. SILO SILOÉ SILONDIE ou SILUNDIE s. f. SILOPE s. f. SILOUETTE s. f. SILOXÈRE s. m. SILPHAL, ALE adj. SILPHE s. m. SILPHIDE s. f. SILPHIE s. f. SILPHIÉ, ÉE adj. SILPHION s. m. SILPHIOSPERME s. m. SILPHIUM s. m. SILPHOMORPHE s. m. SILSILIS SILUBOLÉPIS s. m. SILUNDIE s. f. SILURE s. m. SILURELLE s. f. SILURES SILURIEN, IENNE adj. SILUROÏDE adj. SILUS s. m. SILV SILVA (Feliciano DE) SILVA (Jean-Baptiste) SILVA (Donat) SILVA (Antonio-Jose DA) SILVA (Antonio DE FIGUEIREDO E) SILVA (Innocencio-Francisco DA) SILVA (Clément) SILVA (Francisco-Augusto NOGUEIRA DA) SILVA (Louis-Auguste REBELLO DA) SILVA (João-Antonio DOS SANTOS E) SILVA (Juan-Manuel PEREIRA DA) SILVA (José SEABRA DA) SILVA (Rodrigo MENDES) SILVA BRUSCHY (Manoel-Maria) SILVA FERRÃO (Francisco-Antonio-Fernandes) SILVA FIGUEROA (Garcia DE) SILVA MENDES LEAL (José DA) SILVA MOUSINHO D'ALBUQUERQUE (Luiz DA) SILVA PEREIRA (Francisco-Xavier DA) SILVA-TABORDA (Francisco-Alves DA) SILVAIN SILVANECTES SILVANÈS SILVANI (Gherardo) SILVANO-D'ORBA SILVATICUS (Jean-Baptiste) SILVEIRA (Joachim-Jose-Antonio LOBO DA) SILVEIRA (Jose-Xavier MOUSINHO DA) SILVEIRA (Joaquim-Henriques TRADESSO DA) SILVEIRA-PINTO (Agostino-Albano DA) SILVÈRE (saint) SILVERET s. m. SILVERSTOLPE (Frédéric-Samuel) SILVERSTOLPE (Alexandre-Gabriel) SILVES s. f. pl. SILVESTRE (Israël) SILVESTRE (Augustin-François, baron DE) SILVESTRE (Théophile) SILVESTRE SILVESTRE DE SACY SILVESTRI (Camille, comte) SILVI SILVIA SILVINE s. f. SILVINIEN s. m. SILVIO (Dominique) SILVIO (Jean) SILVIO PELLICO SILVIUS s. m. SILVY (Louis) SILYBE s. m. SILYBÉ, ÉE adj. SIMABA s. m. SIMAERGLA SIMAGRÉE s. f. SIMAISE s. f. SIMAK s. m. SIMANCAS SIMAO SIMARD ou SYMARS (Pierre) SIMAROUBA s. m. SIMAROUBÉ, ÉE adj. SIMARRE s. f. SIMARRI s. m. SIMART (Pierre-Charles) SIMARUBACÉ, ÉE adj. SIMARUBÉ, ÉE adj. SIMBIRSK SIMBIRSK (GOUVERNEMENT DE) SIMBLEAU s. m. SIMBLÉPHILE s. m. SIMBLOCLINE s. m. SIMBLOT s. m. SIMBOR s. m. SIMBOS s. m. SIMBULÈTE s. f. SIME adj. SIMEGH SIMÉON SIMÉON SIMÉON (saint) SIMÉON STYLITE (saint) SIMÉON, dit de Durham SIMÉON (Joseph-Sextius) SIMÉON (Joseph-Jérôme, comte) SIMÉON (Joseph-Balthazar, comte) SIMÉON (Henri, comte) SIMÉON, dit le Métaphraste SIMÉON-CHAUMIER (Pierre) SIMEONI (Gabriello) SIMERI s. m. SIMÈTHE s. m. SIMÈTHE SIMFÉROPOL SIMI (Nicolas) SIMIA s. m. SIMIADÉ, ÉE adj. SIMIANE SIMIANE ou COLLONGUE SIMIANE (Charles-Emmanuel-Philibert-Hyacinthe DE) SIMIANE (Pauline-Adhémar DE MONTEIL DE GRIGNAN, marquise DE) SIMIDÉ, ÉE adj. SIMIÉ, ÉE adj. SIMIEN, IENNE adj. SIMIESQUE adj. SIMIIN, INE adj. SIMILAIRE adj. SIMILAMÈTRE s. m. SIMILARITÉ s. f. SIMILI adj. m. pl. SIMILIA SIMILIBUS CURANTUR SIMILIFER s. m. SIMILIFLORE adj. SIMILITUDE s. f. SIMILOR s. m. SIMIRA s. m. SIMLER (Josias) SIMMENTHAL SIMMER s. m. SIMMER (François-Martin-Valentin) SIMMERN SIMMIAS DE RHODES SIMMLER (Joseph) SIMMONDSIE s. f. SIMMS (William-Gilmore) SIMNEL (Lambert) SIMO s. m. SIMOCHEILE s. m. SIMODA SIMOETHE s. m. SIMOGGA SIMOÏS SIMOLIN (Charles-Gustave-Alexandre, baron DE) SIMOLIN (Jean-Mathias, baron DE) SIMOLIN (Alexandre-Christophe, baron DE) SIMOLIN (Alexandre-Henri, baron DE) SIMON s. m. SIMON (SAINT-) SIMON MACCHABÉE SIMON (saint) SIMON le Mage ou le Magicien SIMON, dit de Pavie SIMON SIMON (Richard) SIMON (Jean-François) SIMON (Denis) SIMON (Richard) SIMON (Jean) SIMON (l'abbé Louis-Benoît) SIMON (Jean-François) SIMON (Antoine) SIMON (Edouard-Thomas) SIMON (Victor) SIMON (Jean-Frédéric) SIMON (Victor) SIMON (Léon-François-Adolphe) SIMON (Alexandre) SIMON (Louis) SIMON (Auguste-Henri) SIMON (Victor) SIMON (John) SIMON (Jules-François-Simon SUISSE, dit Jules) SIMON BEN JOKHAI SIMON DE CALVI (Philibert) SIMON DE CORDO SIMON DE VERVILLE SIMON DE LA VIERGE (le Père) SIMOND (Philibert) SIMOND (Louis) SIMONDE DE SISMONDI SIMONE (X.) SIMONÉE s. f. SIMONELLI (Joseph) SIMONET (Edme ou Edmond) SIMONET (François-Xavier) SIMONETTA (Angelo) SIMONETTA (Francesco ou Cicco) SIMONETTA (Giovanni) SIMONETTA (Giacomo) SIMONETTA (Bonifazio) SIMONIAQUE adj. SIMONICH (Jean-Etienne) SIMONIDE SIMONIDIEN, IENNE adj. SIMONIE s. f. SIMONIEN adj. SIMONIN (Etienne) SIMONIN (Edmond) SIMONIN (Louis-Laurent) SIMONIS (Eugène) SIMONIS EMPIS (Adolphe-Dominique-Florent-Joseph) SIMONNEAU (Charles) SIMONNEAU (Louis) SIMONNEAU (Philippe) SIMONNEAU (Jacques-Guillaume) SIMONNET (Jean-Claude) SIMONNET (Jules) SIMONNET DE MAISONNEUVE (Louis-Jean-Baptiste) SIMONNIN (Antoine-Jean-Baptiste) SIMONOSÉKI SIMONOW (Ivan-Mikhaïlowitch) SIMON'S-TOWN SIMORGUE s. m. SIMORHYNQUE s. m. SIMORRE SIMOSAURE s. m. SIMOTE s. m. SIMOUN s. m. SIMOUSSE s. f. SIMPHÉROPOL ou SIMFÉROPOL SIMPLE adj. SIMPLE s. m. SIMPLEGADE s. f. SIMPLEMENT adv. SIMPLESSE s. f. SIMPLET, ETTE adj. SIMPLETER v. a. ou tr. SIMPLICICAULE adj. SIMPLICICORNE adj. SIMPLICIEN, IENNE adj. SIMPLICIFOLIÉ, ÉE adj. SIMPLICIMANE adj. SIMPLICIPÈDE adj. SIMPLICIS SIME adj. SIMPLICISTE s. m. SIMPLICITÉ s. f. SIMPLICIUS (saint) SIMPLICIUS SIMPLIFIABLE adj. SIMPLIFICATEUR, TRICE adj. SIMPLIFICATION s. f. SIMPLIFIER v. a. ou tr. SIMPLISME s. m. SIMPLISTE adj. SIMPLOCARIE s. f. SIMPLON SIMPSON (Edward) SIMPSON (Christopher) SIMPSON (Thomas) SIMPSON (George) SIMPSON (James-Young) SIMPULATRICE s. f. SIMPULE s. m. SIMPULOP SIS s. m. SIMPULUM s. m. SIMPUVIUM s. m. SIMRA s. m. SIMRI s. m. SIMROCK (Charles) SIMSIA s. m. SIM SIME s. m. SIMSON (Robert) SIMSON (Thomas) SIMSON (Martin-Edouard) SIMULACRE s. m. SIMULATEUR, TRICE s. SIMULATION s. f. SIMULÉ, ÉE part. passé SIMULER v. a. ou tr. SIMULIDE adj. SIMULIE s. f. SIMULION s. m. SIMULTANÉ, ÉE adj. SIMULTANÉITÉ s. f. SIMULTANÉMENT adv. SIMURS (William-Gillmore) SIMUS s. m. SIMYRE s. f. SIMZERLA SIN s. m. SIN ou SIM SIN SIN-LE-NOBLE SINA (Georges) SINAGRA SINAÏ ou SINA SINAIRE s. f. SINAÏTE s. f. SINAMINE s. f. SINAN-PACHA, surnommé dans la suite Kodjah SINAN-PACHA, surnommé Defterdar SINAN-YOUSOUF SINAPATE s. m. SINAPIDENDRON s. m. SINAPINE s. f. SINAPIQUE adj. SINAPIS s. m. SINAPISATION s. f. SINAPISER v. a. ou tr. SINAPISINE s. f. SINAPISME s. m. SINAPISTRE s. m. SINAPOLINE s. f. SINAPIUS (Michel-Ange) et SINAPIUS (Jules) SINBOUDA s. f. SINCALINE s. f. SINCAPOUR SINCÈRE adj. SINCÈREMENT adv. SINCÉRITÉ s. f. SINCERUS (Jodours) SINCIALO s. m. SINCIPITAL, ALE adj. SINCIPUT s. m. SINCLAIR (Charles-Gédéon, baron DE) SINCLAIR (le major) SINCLAIR (sir John) SINCLAIR (Catherine) SINCLAIRIE s. f. SIND ou SINDH SINDELFINGEN SINDES SINDHY SINDHYAH (ETAT DE) SINDHYAH ou SENDYAH (Mahradjy Bahadour) SINDIQUE SINDJAR SINDOC s. m. SINDON s. m. SINDONITE s. m. SINDRI SINDRIS s. m. SINDUR SINE SINE CERERE ET BACCHO FRIGET VENUS SINÉCURE s. f. SINÉCURISME s. m. SINÉCURISTE s. m. SINÉE s. f. SINÉENS SINÉMURIE s. f. SINE NOMINE VULGUS SINE QUA NON SINES SINES SINÉTHÈRE s. m. SINÉTHYLAMINE s. f. SINETY DE PUYLON (Jean-Baptiste-Ignace-Elzéar DE) SINETY (André-Louis-Esprit, comte DE) SINETY (André-Marie DE) SINEU SINGA s. m. SINGALAIS, AISE s. et adj. SI-NGAN, SI-NGAN-FOU ou SI-AN, SI-AN-FOU SINGANE s. m. SINGAPOUR, SINGAPORE ou SINCAPOUR SINGAPOUR, SINGAPORE ou SINCAPOUR SINGARA SINGE s. m. SINGÉENS SINGÉNITE s. f. SINGER v. a. ou tr. SINGERESSE adj. et s. f. SINGERIE s. f. SINGEUR, EUSE ou GERESSE adj. SINGIDUNUM SINGILE s. m. SINGITIQUE (golfe) SINGLETON s. m. SINGLETON (Henri) SINGLIN (Antoine) SINGLIOT s. m. SINGUKOGU SINGULAIRE s. m. SINGULARISER v. a. ou tr. SINGULARITÉ s. f. SINGULAXE adj. SINGULIER, IÈRE adj. SINGULIÈREMENT adv. SINGULTUEUX, EUSE adj. SINGUS SINHASSANA s. m. SINIGAGLIA SINIM SINISCOLA SINISTRE adj. SINISTRÉ, ÉE adj. SINISTREMENT adv. SINISTROPHORE s. m. SINISTRORSUM adv. SINISTROVOLUBILE adj. SINITE PARVULOS VENIRE AD ME SIN-KIANG SIN-KOO s. m. SINNAI SINNAMARI ou SINAMARI SINNAMARI SINNER (Jean-Rodolphe DE) SINNINGIE s. f. SINNIS SINOCLITE s. m. SINODENDRE s. m. SINODENDRON s. m. SINOLOGIE s. f. SINOLOGIQUE adj. SINOLOGUE s. m. SINOMBRE adj. SINON conj. SINOPE SINOPLE s. m. SINOPLIE s. f. SINOPOLI SINSART (dom Benoît) SIN SIGNOTTE s. f. SIN SIN s. m. SINSONTE s. m. SINTENIS (Chrétien-Frédéric) SINTENIS (Guillaume-François) SINTENIS (Charles-Frédéric-Ferdinand) SINTER s. m. SINTICE SINTISME s. m. SINTOÏSME s. m. SINTOR s. m. SINTOXIE s. f. SINTZHEIM SINUÉ, ÉE adj. SINUES DE MARCO (Maria DEL PILAR) SINUESSA SINUEUX, EUSE adj. SINUOLÉ, ÉE adj. SINUOSITÉ s. f. SINUPALÉAL, ALE adj. SINUS s. m. SINUSIASTE s. m. SINUSOÏDAL, ALE adj. SINUSOÏDE s. f. SIOFNA ou SIONA SION s. m. SION SION SION SION SION SION (le cardinal DE) SIONE s. f. SIONIDE adj. SIONIE ou SIOUNIE SIONITE adj. SIONITE s. m. SIONITE (GABRIEL) SIONNEST (Claude) SINT UT SUNT, AUT NON SINT SIOUAH ou SYOUAH SIOUAH SIOUAN-HOA SIOUEN-TCHÉOU SIOULE SIOUT s. m. SIOUTH ou SYOUTH SIOUTH (PROVINCE DE) SIOUX SIPALE s. m. SIPANÉE s. f. SIPARIUM s. m. SIPARUNA s. m. SI PARVA LICET COMPONERE MAGNIS SIPÈDE s. m. SIPÉRARI s. m. SI PERGAMA DEXTRA DEFENDI POSSENT, ETIAM HAC DEFENSA FUISSENT SIPHANTHÈRE s. f. SIPHARGIS s. m. SIPHILIS s. m. SIPHILITIQUE adj. SIPHISIE s. f. SIPHLOPIS s. m. SIPHNÉE s. m. SIPHNOS SIPHO s. m. SIPHOCALYX s. m. SIPHOCAMPYLE s. m. SIPHOGYNE s. m. SIPHOÏDE adj. SIPHOMÉRIS s. m. SIPHON s. m. SIPHONACANTHE s. m. SIPHONAIRE s. f. SIPHONANTHE s. m. SIPHONAPTÈRE adj. SIPHONCLE s. m. SIPHONCULE s. m. SIPHONCULÉ, ÉE adj. SIPHONE s. f. SIPHONELLE s. f. SIPHONIE s. f. SIPHONIFÈRE adj. SIPHONIPHORE adj. SIPHONOBRANCHE adj. SIPHONODON s. m. SIPHONOÏDE adj. SIPHONOLOCHE s. f. SIPHONOPHORE adj. SIPHONOPHORIDE adj. SIPHONOPHYLLIE s. f. SIPHONOPS s. m. SIPHONOSTÉGIE s. f. SIPHONOSTOMATE adj. SIPHONOSTOME adj. SIPHONOTE s. m. SIPHONULE s. m. SIPHONURE s. m. SIPHONYCHIE s. f. SIPHOPATELLE s. f. SIPHORIN, INE adj. SIPHOSE s. f. SIPHOSTOME adj. SIPHOTOXYS s. m. SIPHULE s. f. SIPHUTE s. m. SIPONCLE s. m. SIPONCULIDÉ, ÉE adj. SIPONTE SIPPAGE s. m. SIPRON SIPYLE s. m. SIPYLE SIQUE s. m. SIR s. m. SIRAMANGHITS s. m. SIRAMPOUR SIRANI (Giovanni-Andrea) SIRANI (Elisabetta) SIRAPHAH s. m. SIRAT s. m. SIRAUDIN (Paul) SIRBON (lac de) SIR-DARIA ou SIHOUN SIRDJAN SIRDÈNE s. m. SIRE s. m. SIRÈCE s. m. SIRÉDON s. m. SIRÈNE s. f. SIRÉNIDE adj. SIRÉNIEN, IENNE adj. SIRÉNOÏDE s. m. SIRÉNOMÈLE s. m. SIRÉNUSES (îles) SIRERIE s. f. SIRET (Louis-Pierre) SIRET (Pierre-Hubert-Christophe) SIRET (Charles-Joseph-Christophe) SIRET (Adolphe) SIRETH SIREULDE (Jacques) SIREX s. m. SIREY (Jean-Baptiste) SIREY (Marie-Jeanne-Catherine-Joséphine DE LASTEYRIE DU SAILLANT, dame) SIRHIND SIRI (Vittorio) SIRIAINE ou SYRIAINE (langue) adj. SIRIASE s. f. SIRICE (saint) SIRICIDE adj. SIRICIEN, IENNE adj. SIRIÈS (Violante-Béatrix) SIRIEYS DE MAYRINHAC (Jean-Jacques) SIRINAGOR ou SERINAGOR SIRIS ou SEMNUM SIRIUM s. m. SIRIUS s. m. SIRLET ou SIRLETO (Guillaume) SIRLI s. m. SIRMIO SIRMIUM SIRMOND (Jacques) SIRMOND (Jean) SIRMOND (Antoine) SIRMONDIQUE adj. SIRO s. m. SIROCO s. m. SIROCROCIS s. m. SIROD SIROÈS (Kobad II) SIROGONIE s. f. SIROLO SIROP s. m. SIROPER v. a. ou tr. SIRO SIPHON s. m. SIROSPORE s. m. SIROT s. m. SIROT (Claude LÉTOUF, baron DE) SIROTER v. a. ou tr. SIROTEUR, EUSE s. SIRSACAS s. m. SIRSAIR s. m. SIRTALE s. f. SIRTE ou SYRTE s. f. SIRTHÉNÉE s. f. SIRTORI SIRUC (Bernard-Matthieu) SIRUPEUX, EUSE adj. SIRVEN (Pierre-Paul) SIRVEN (Alfred) SIRVENTE s. m. SIRVENTOIS s. m. SIS, SISE part. passé SIS SISAPONTE SISCIA SISCO SISEBUT (Flavius) SISELLE s. f. SISENNA (Lucius Cornelius) SISERRE s. f. SISIN s. m. SISINNIUS SISMAL, ALE adj. SISMIQUE adj. SISMOGRAPHE s. m. SISMONDI (Chiuzica) SISMONDI (Ugolin) SISMONDI (Jean-Charles-Léonard SIMONDE DE) SI-SOL s. m. SISON s. m. SISOR s. m. SISSA SISSEK SISSERSKITE s. f. SISSONE s. f. SISSONNE SISSOUS DE VALMIRE SISTERON SISTIMUS HIC TANDEM NOBIS UBI DE FUIT ORBIS SISTOVA, SISTOW ou SZISTOWA SISTRE s. m. SISYGAMBIS SISYMBRE s. m. SISYMBRIÉ, ÉE adj. SISYPHE s. m. SISYPHE SISYRE s. f. SISYRINCHION s. m. SISYROPHORE s. m. SIT SITACE SITAIRE s. f. SITALCÈS SITANE s. m. SITARCHIE s. f. SITARE s. m. SITARÉE s. f. SITARIDE adj. SITARION s. m. SITARIS s. m. SITARQUE s. m. SITE s. m. SITELLE s. f. SITÉYTE s. m. SITGÈS SITHON s. m. SITHONIE SITIFIS SITIOLOGIE s. f. SITIOLOGIQUE adj. SITIOPHOBIE s. f. SITIUS (Publius) SITKA ou BARANOV SITOCHROA s. m. SITOLOBE s. m. SITOMÈTRE s. m. SITONE s. m. SITONNO (le) SITONS SITOPHAGE adj. SITOPHILE s. m. SITOPHYLAX s. m. SITÔT adv. SIT PRO RATIONE VOLUNTAS SITTACE s. m. SITTACILLE s. f. SITTANG SITTARD SITTASOME s. m. SITTÉ, ÉE adj. SITTELLE s. f. SITTEN SIT TIBI TERRA LEVIS! SITTINE s. f. SITTINÉ, ÉE adj. SITUATION s. f. SITUÉ, ÉE part. passé SITUER v. a. ou tr. SITULE s. f. SIU s. m. SIUM s. m. SIURE s. m. SIVA SIVA-BAKTA s. m. SIVADE s. f. SIVAÏSTE s. m. SIVALARCTOS s. m. SIVALOURS s. m. SIVAN SIVA-RATTRY s. m. SIVAS SIVAS ou ROUM (PACHALIK DE) SIVASCH (golfe de) SIVATHÉRIUM s. m. SIVEL (Henri-Théodore) SIVERS (Henri-Jacob) SI VIS ME FLERE, DOLENDUM EST PRIMUM IPSI TIBI SI VIS PACEM, PARA BELLUM SIVORI (Ernest-Camille) SIVRY SIWA s. m. SIWTCHA s. m. SIX adj. numér. SIX (Jean) SIX-FOURS SIXAIN s. m. SIXAINE s. f. SIXDENIERS (Alexandre-Vincent) SIX-DOIGTS s. m. SIXENER v. n. ou intr. SIXIÈME adj. SIXIÈMEMENT adv. SIXT SIXTE s. f. SIXTE Ier (saint) SIXTE II (saint) SIXTE III SIXTE IV (François D'ALBESCOLA DE LA ROVÈRE) SIXTE V SIXTE DE SIENNE SIXTE DE VESOUL (Jean PARIS, connu sous le nom de Père) SIXTINE s. f. SIYAH-GUSH s. m. SIZAIN s. m. SIZE s. f. SIZEBOLI SIZERIN s. m. SIZETTE s. f. SIZUN SJAELLAND SJOEBERG (Eric) SJOEGREN (André-Jean) SKADE SKAGEN SKAGEN SKAGERN SKAGER-RACK SKALDE s. m. SKALHOLT ou REINKIRIK SKALITZ SKARA SKARABORG SKARBEK (Frédéric-Florian, comte) SKARBMIERZA (Stanislas DE) SKARGA (Pierre-Paweski) SKAU (Laurids-Bedersen) SKEEN ou SKIEN SKEGGOLLE SKÉLIPODE adj. SKELTON (John) SKENEATELES SKÉNÉE s. f. SKENNINGE SKÉNOPODE s. m. SKEPPEL s. m. SKEVI-KARE s. m. SKIATHOS SKIBBEREEN SKIDBLADNER SKIE s. f. SKIELNIKE s. m. SKIEN SKIERNIEWICE SKIFF s. m. SKIMBOROWICZ (Hippolyte) SKIMMIE s. f. SKINNER (Stephen) SKINNÈRE s. f. SKINNÉRIE s. f. SKIPE ou SKYPE s. m. SKIPTON SKIRNER SKIRROPHORE s. m. SKITOPHYLLE s. m. SKIVRA SKOBEL (Frédéric-Casimir) SKODA (Joseph) SKOGREL SKOLD SKOPELO SKOPIN SKOPTZI s. m. SKORNIAKOW-SISSAREW (Grégoire) SKORSKI (Jean) SKOTNICKI (Jaroslaw DE) SKOTNICKI (Marcel) SKOUPTCHINA s. f. SKOURA s. m. SKOVORODA (Grégoire-Savitch) SKRZETU SKI (Gaétan-Joseph) SKRZETU SKI (Vincent) SKRZYNECKI (Jean-Sigismond) SKULD SKYE SKYRO SKYTALANTHE s. m. SKYTANTHE s. m. SKYTTE (Jean SCHRODERUS, connu sous le nom de Jean) SLABBÉRIE s. f. SLABRE s. m. SLADE (sir Adolphe) SLAGELSE SLAMI-MOKESKI s. m. SLANE SLANE (William MAC-GUCKIN, baron DE) SLANTZA s. m. SLARGANDO adv. SLATARICH (Dominique) SLATÉRIE s. f. SLATINA SLATOUST SLAUGTER (Edouard) SLAVE s. SLAVENSK SLAVISME s. m. SLAVONIE SLAVONIE SLAWIKOWSKI (Antoine) SLAWINECKIJ (Epiphane) SLAWINSKI (Pierre) SLEEMAN (sir William-Henry) SLEIDAN (Jean-Philippson) SLEIPNER SLÈPE s. m. SLESVIG SLESVIG ou SCHLESWIG (DUCHÉ DE) SLESZKOWSKI (Sébastien) SLESZKOWSKI (André) SLEVOGT (Jean-Adrien) SLÉVOGTIE s. f. SLIDELL (John) SLIDI SLIGO SLIGO (COMTÉ DE) SLINGELANDT (Pierre VAN) SLINGELANDT (Simon VAN) SLINGINEYER (Ernest) SLOANE s. f. SLOANE (sir HANS) SLOANÉE s. f. SLOBODE-PAVLOVSKAIA SLOBODSKOIÉ SLODTZ (Sébastien) SLODTZ (René-Michel) SLOGAN s. m. SLOKA s. m. SLONIM SLOOP s. m. SLOTH s. m. SLOTWINSKI (Félix) SLOTWINSKI (Constantin) SLOUTCH SLOUTCH SLOUTZK SLOVAQUE s. SLOVÈNE adj. SLOVO s. m. SLOWACKI (Jules) SLOWACZYNSKI (André) SLUSE (René-François-Walter DE) SLUYS (Jacques VAN DER) SLYNXNIS-PERLEWENU SMAALEHNEN (AMT DE) SMACK s. m. SMALA ou SMALAH s. f. SMALAND SMALEKEN s. m. SMALKALDE SMALRIDGE (George) SMALT s. m. SMALTINE s. f. SMALZ (Valentin) SMARAGDIN, INE adj. SMARAGDITE s. m. SMARAGDO-PRASE s. m. SMARDER v. a. ou tr. SMARGIASSO SMARIDE s. f. SMARIDIE s. f. SMARIS s. m. SMART (Christophe) SMARTA s. m. S'MBAL-S'MBAL s. m. SMEATHMAN (Henri) SMEATHMANNIE s. f. SMECTIQUE adj. SMECTITE s. f. SMEATON (John) SMEDEREWO SMEDLEY (Edouard) SMEE (Alfred) SMEGMA s. m. SMEGMADERMOS s. m. SMÉIA s. m. SMELLIE (William) SMÉLOWSKIE s. f. SMERDIS s. m. SMERDIS (le faux) SMÉRINTHE s. m. SMET (Joseph-Jean DE) SMETIUS (Jean SMITH VAN DER KETTEN, plus connu sous le nom de) SMETIUS (Jean) SMETS (Philippe-Charles-Joseph) SMICRONYX s. m. SMIDS (Ludolphe) SMIDT (Jean-Henri) SMIDT (Henri) SMIDTIE s. f. SMIGIELSKA (Joséphine) SMIGLECKI (Martin) SMIGURST SMILACE s. m. SMILACÉ, ÉE adj. SMILACINE s. f. SMILACINÉ, ÉE adj. SMILACITE s. m. SMILAX s. m. SMILES (Samuel) SMILIE s. f. SMILLAGE s. m. SMILLE s. f. SMILLER v. a. ou tr. SMILODON s. m. SMINTHE s. m. SMINTHURE s. m. SMINTHURIDE adj. SMIRKE (sir Robert) SMIRKE (Sidney) SMIRRING s. m. SMITH (Thomas) SMITH ou SMYTHE (Jean) SMITH (Richard) SMITH (John) SMITH (Thomas) SMITH (John) SMITH (Guillaume) SMITH (Jean) SMITH (George) SMITH (Edmond-Neale) SMITH (Robert) SMITH (Guillaume) SMITH (Adam) SMITH (Hugh) SMITH (Charlotte TURNER, dame) SMITH (Jean-Raphaël) SMITH (John-Stafford) SMITH (sir James-Edward) SMITH (Anker) SMITH (William SIDNEY) SMITH (Jean-Thomas) SMITH (John-Spencer) SMITH (William) SMITH (Constance-Spencer, née HERBERT-RATHKEALE) SMITH (Sidney) SMITH (Elihu-Hebrard) SMITH (Richard) SMITH (John-Pye) SMITH (James) SMITH (Horace) SMITH (Chrétien) SMITH (Thomas SOUTHWOOD) SMITH (Edouard) SMITH (John) SMITH (Seba) SMITH (Joseph ou Joé) SMITH (Francis-Pettit) SMITH (William) SMITH (Albert) SMITH (Alexandre) SMITHFIELD SMITHIE s. f. SMITHSON (James) SMITHSON (Henriette) SMITHSONITE s. f. SMITS (Gaspard) SMITS (Louis) SMITS SMITS (Dirk) SMITT (Frédéric) SMITTEN s. m. SMODIQUE s. m. SMOELAND ou SMALAND SMOGLER v. n. ou intr. SMOGLEUR SMOKOWSKI (Vincent) SMOLENSK SMOLENSK (GOUVERNEMENT DE) SMOLER (Jean-Arnost) SMOLKA (François) SMOLLETT (Tobie-George) SMORZANDO adv. SMOTRYSKII (Erasme) SMOTRYSKII (Mélèce) SMUGGLER s. m. SMUGLEWICZ (François) SMYBERT (John) SMYRNA SMYRNE SMYRNE (golfe de) SMYRNÉ, ÉE adj. SMYRNIÉ, ÉE adj. SMYRNION s. m. SMYRNIOTE s. et adj. SMYRNIUM s. m. SMYTH (James-C.) SMYTH (William) SMYTH (William-Henri) SMYTH (Thomas) SNAITH SNAK s. m. SNAKENBURG (Henri) SNAKENBURG (Théodore DE) SNARES (îles) SNAYERS (Pierre) SNAYERS (Henri) SNEEDORF (Jens Schelderup) SNEEK SNELGRAVE (Guillaume) SNELL (Christian-Guillaume) SNELL (Frédéric-Guillaume) SNELL (Louis) SNELL (Guillaume) SNELL (Charles) SNELL DE ROYEN (Rodolphe) SNELLAERT (Ferdinand-Augustin) SNELLENCK, SNELLINCK ou SNELLINKS (Jean) SNELLIUS (Villebrord SNELL DE ROYEN, dit) SNELLMANN (Jean-Guillaume) SNETK s. m. SNEYDERS ou SNYDERS (François) SNIADECKI (Jean-Baptiste) SNIADECKI (André) SNIATYN SNIEDERS (Jean-Renier) SNIEDERS (Auguste) SNOB s. m. SNOBBISME s. m. SNOEHATTAN SNORRI, SNORRO-STURLESON ou STURLUSON SNOTRA ou SNORRA SNOWDON SNOWHILL SNOY (Renier) SNOY (Lambert) SNYDERS SNYDERS (François) SO SOA-AGER s. m. SOALA s. m. SOALLÉE s. m. SOANDA SOANE ou SONE SOANE (sir John) SOANEN (Jean) SOANK SOARDI (Victor-Amédée) SOARDI (le comte Jean-Baptiste) SOAREZ D'ALBERGARIA (Lopez) SOAVE SOAVE (Francesco) SOBAH SOBECHI ou SOBCHI (Tadjeddin Abdalvahab) SOBEJANO Y AYALA (Jose) SOBERNHEIM SOBIESKI (Marc) SOBIESKI (Jacques) SOBIESKI (Jean III) SOBIESKI (Marc) SOBIESKI (Jacques-Louis-André) SOBIESLAU SOBIESZCZANSKI (François-Maximilien) SOBLE s. f. SOBOLE s. m. SOBOLÉ, ÉE adj. SOBOLEWSKI (Louis) SOBOLEWSKI (Ignace, comte) SOBOLEWSKIE s. f. SOBOLIFÈRE adj. SOBOTA SOBRAL SOBRALIE s. f. SOBRAON SOBRARBE ou SOBRAVA SOBRE adj. SOBREMENT adv. SOBRIER (Marie-Joseph) SOBRIÉTÉ s. f. SOBRIQUET s. m. SOBRY (Jean-François) SOBRYA s. m. SOC s. m. SOCAGE s. m. SOCAKI, SEKAKI ou SERAKI (Abou-Yacoub-Yousouf-Seradj-Eddin AL) SOCCAGE s. m. SOCCHIEVE SOCCIA SOCCOLANT s. m. SOCCOTRIN adj. m. SOCCUS s. m. SOCHACZEW SOCHER (Joseph) SOCHET s. m. SOCHO SOCIABILISER v. a. ou tr. SOCIABILITÉ s. f. SOCIABLE adj. SOCIABLEMENT adv. SOCIAL, ALE adj. SOCIALEMENT adv. SOCIALISATION s. f. SOCIALISER v. a. ou tr. SOCIALISME s. m. SOCIALISTE adj. SOCIALITÉ s. f. SOCIANTISME s. m. SOCIER v. a. ou tr. SOCIÉTAIRE s. SOCIÉTAIREMENT adv. SOCIÉTARIAT s. m. SOCIÉTÉ s. f. SOCIÉTÉ (archipel de la) SOCIN (Lelio SOZZINI, plus connu sous le nom francisé de) SOCIN (Fauste) SOCINIANISME s. m. SOCINIEN, IENNE adj. SOCIOLOGIE s. f. SOCIOLOGIQUE adj. SOCKMAT n. m. SOCLE s. m. SOCLETIÈRE s. f. SOCO s. m. SOCO SOCOLETTE s. f. SOCORRO SOCORRO (PROVINCE DE) SOCOTORA SOCQUE s. m. SOCQUEMENT s. m. SOCQUER v. n. ou intr. SOCQUET (Joseph-Marie) SOCQUEUR s. m. SOCRATE SOCRATE le Scolastique SOCRATIQUE adj. SOCRATIQUEMENT adv. SOCRATISER v. n. ou intr. SODA s. m. SODA s. f. SODADA s. m. SODAÏQUE adj. SODAÏTE s. f. SODALITHE s. f. SODALITIUM s. m. SODAMMONIUM s. m. SODA-WATER s. m. SODÉ, ÉE adj. SODEN (Frédéric-Jules-Henri, comte DE) SODERINI (Pietro) SODERINI (Giovan-Vittorio) SODERINI (Jean-Antoine) SODI (Pierre) SODICO préfixe SODIO s. m. SODIQUE adj. SODIUM s. m. SODIUM-SALICINE s. f. SODOMA (IL) SODOME SODOMIE s. f. SODOMIQUE adj. SODOMISER v. n. ou intr. SODOMITE s. m. SODOMITIQUE adj. SOEDERHAMN SOEDERKOEPING SOEDERMANLAND SOEDERMARK (Olof-Jean) SOËF s. f. SOEFLINGEN SOEMIAS (Julia) SOEMMERING (monts) SOEMMÉRINGIE s. f. SOEMMERRING (Samuel-Thomas) SOEMOND SIGFUS SON ou SOEMOND le Sage SOENDENFIELDS SOENS (Jean ou Hans) SOERBÉE s. f. SOERENSEN (Pierre) SOERENSEN (Charles-Frédéric) SOEST SOESTDIJK SOETOLF (Nicolas-Bierfreund) SOEUR s. f. SOEURETTE s. f. SOFA ou SOPHA s. m. SOFALA SOFALA SOFALA SOFFARIDES SOFFITE s. m. SOFFRE s. m. SOFI ou SOPHI s. m. SOFIA (Nicolas DI SANTA-) SOFIA (Marsilio DI SANTA-) SOFIA (Jean DI SANTA-) SOFIA (Galeazzo DI SANTA-) SOFIA (Barthélemi DI SANTA-) SOFIA (Guillaume DI SANTA-) SOFIA SOFISME ou SOPHISME s. m. SOFRA s. m. SOFRALI s. m. SOGALGINE s. f. SOGALIGNE s. f. SOGAMOSO SOGD SOGDES SOGDIANE SOGHAT ou SUGHEUD SOGHO s. m. SOGINE s. m. SOGLIANI (Jean-Antoine) SOGLIANO-AL-RUBICONE SOGO s. m. SOGRAFI (Antoine-Simon) SOGUR s. m. SOHAM SOHAR SOHET (Dominique) SOHIATAN s. m. SOHL SOHL (ALT-) SOHL (NEV-) SOHN (Charles-Ferdinand) SOHO SOI pr. pers. SOI-DISANT loc. adv. SOIE s. f. SOIERIE s. f. SOIF s. f. SOIFFARD, ARDE s. SOIFFER v. n. ou intr. SOIFFEUR, EUSE s. SOIGNÉ, ÉE part. passé SOIGNER v. a. ou tr. SOIGNEUSEMENT adv. SOIGNEUX, EUSE adj. SOIGNIES SOILETTE s. f. SOÏMONOF (Féodor) SOIN s. m. SOIR s. m. SOIRÉE s. f. SOIRON (Alexandre VON) SOISSONNAIS, AISE s. et adj. SOISSONNAIS SOISSONS s. m. SOISSONS SOISSONS (ROYAUME DE) SOISSONS (comtes DE) SOISSONS (Charles DE BOURBON, comte DE) SOISSONS (Louis DE BOURBON, comte DE) SOISSONS (Eugène-Marie DE SAVOIE-CARIGNAN, comte DE) SOISSONS (Olympe MANCINI, comtesse DE) SOIT adv. SOITOUX (Jean-François) SOIXANTAINE s. f. SOIXANTE adj. SOIXANTER v. a. ou tr. SOIXANTIÈME adj. SOJA s. m. SOJA SOJARO (Bernardino GATTI, dit IL) SOKAL SOKHONDO SOKMAN Ier AL-COTHBY SOKMAN II SOKMAN SOKO SOKOLKA SOKOLNICKI (Michel) SOKOLOF (Pierre) SOKOLOF (Pierre) SOKOLOW SOKOLOWSKI (Stanislas) SOL s. m. SOL s. m. SOL s. m. SOL s. m. SOL SOLACIER v. a. ou tr. SOLACRINE s. m. SOLACROUP (Antoine-Emile) SOLADE s. f. SOLAIRE adj. SOLAK s. m. SOLAMIRE s.f. SOLANA SOLANACÉE SOLANANDRE s. f. SOLANDER (Daniel) SOLANDRE s. m. SOLANDRE s. f. SOLANÉ, ÉE adj. SOLANGE (sainte) SOLANIDINE s. f. SOLANINE s. f. SOLANINÉ, ÉE adj. SOLANO s. m. SOLANO (DON Francisco, marquis DEL SOCORRO) SOLANO (Francisco-Constancio) SOLANO DE LUQUE (François) SOLANOCRINITE s. m. SOLANOÏDE s. m. SOLANTO SOLANUM s. m. SOLAR (Joseph, comte DE) SOLAR (Félix) SOLARD adj. SOLARI ou SOLARIO (Antonio) SOLARI ou SOLARIO SOLARI ou SOLARIO (Andrea) SOLARI (Joseph-Grégoire) SOLARI (Benoît) SOLARIEN, IENNE s. SOLARINO SOLARIUM s. m. SOLAROLO SOLAROPSIS s. m. SOLART s. m. SOLASTER s. m. SOLASTÉRIE s. f. SOLAT s. m. SOLAYRES DE RENHAC (François-Louis-Joseph) SOLBATU, UE adj. SOLBATURE s. f. SOLCIC s. m. SOLDANELLE s. f. SOLDANI (Jacopo) SOLDANI ou SOLDANI-BENZI (Maximilien) SOLDANI (Ambrogio) SOLDANIE s. f. SOLDANITE s. f. SOLDAT s. m. SOLDATE (À LA) loc. adv. SOLDATESQUE s. f. SOLDATESQUEMENT adv. SOLDAU SOLDE s. f. SOLDE s. m. SOLDÉ, ÉE part. passé SOLDER v. a. ou tr. SOLDER v. a. ou tr. SOLDEVILLE s. f. SOLDIGO s. m. SOLDIN SOLDO (Christophe DE) SOLDURIER s. m. SOLE s. f. SOLE s. f. SOLE s. f. SOLE s. f. SOLE s. f. SOLE (Antoine-Marie DAL) SOLE (Jean-Joseph DAL) SOLE (Nicolas) SOLEA s. f. SOLÉA s. f. SOLÉAIRE adj. SOLÉCISER v. n. ou intr. SOLÉCISME s. m. SOLÉCURTE s. m. SOLEDAD ou CONTI SOLÉGNATHE s. m. SOLEIL s. m. SOLEIL (Jean-Baptiste-François) SOLEILLÉ, ÉE adj. SOLEIMAN SOLEIMAN EL-KALEBY SOLÉIN, INE adj. SOLEIROLIE s. f. SOLEMENT s. m. SOLÉMYAIRE adj. SOLÉMYE s. f. SOLEN s. m. SOLENA s. m. SOLÉNACÉ, ÉE adj. SOLENANDER (Régnier) SOLÉNANDRIE s. f. SOLÉNANTHE s. m. SOLÈNE s. f. SOLÉNELLE s. f. SOLÉNIDE adj. SOLÉNIE s. f. SOLÉNIMYE s. f. SOLÉNINÉ, ÉE adj. SOLÉNISCIE s. f. SOLÉNITE s. m. SOLENNEL, ELLE adj. SOLENNELLEMENT adv. SOLENNISATION s. f. SOLENNISER v. a. ou tr. SOLENNITÉ s. f. SOLÉNOBIE s. f. SOLÉNOCARPE s. m. SOLÉNOCURTE s. m. SOLÉNODON s. m. SOLÉNODONTE s. m. SOLÉNOGLOSSE s. m. SOLÉNOGYNE s. m. SOLÉNOGYNÉ, ÉE adj. SOLÉNOÏDE s. m. SOLÉNOMÈLE s. m. SOLÉNOMYADÉ, ÉE SOLÉNOMYE s. f. SOLÉNOPE s. m. SOLÉNOPHORE s. m. SOLÉNOPSIS s. m. SOLÉNOPTÈRE s. f. SOLÉNORHINE s. m. SOLÉNOSTEMME s. m. SOLÉNOSTÉMON s. m. SOLÉNOSTERNE s. m. SOLÉNOSTÈTHE s. m. SOLÉNOSTHÉDIE s. f. SOLÉNOSTIGMA s. m. SOLÉNOSTOMATE adj. SOLÉNOSTOME adj. SOLÉNOTE adj. SOLÉNOTHÈQUE s. m. SOLENZARA SOLER DE LA FUENTE (José) SOLÈRE s. m. SOLERET ou SOLLERET s. m. SOLERI (Georges) SOLERO SOLES ou SOLOE SOLESINO SOLESMES SOLESMES SOLÉTARD s. m. SOLÉTELLINE s. f. SOLETO SOLETTE s. f. SOLEURE SOLEURE (CANTON DE) SOLFATARA (lac de la) SOLFATARE s. f. SOLFÉGE s. m. SOLFERINO SOLFIATION s. f. SOLFIÉ, ÉE part. passé SOLFIER v. a. ou tr. SOLGER (Adam-Rodolphe) SOLGER (Charles-Guillaume-Ferdinand) SOLHAC s. m. SOLI (Joseph-Marie) SOLICITOR s. m. SOLIDAGE s. f. SOLIDAGINÉ, ÉE adj. SOLIDAGO s. m. SOLIDAIRE adj. SOLIDAIREMENT adv. SOLIDARISER v. a. ou tr. SOLIDARITÉ s. f. SOLIDE adj. SOLIDEMENT adv. SOLIDICORNE adj. SOLIDIEN, IENNE adj. SOLIDIFICATION s. f. SOLIDIFIER v. a. ou tr. SOLIDISME s. m. SOLIDISTE adj. SOLIDITÉ s. f. SOLIDO (IN) loc. adv. SOLIDONGULÉ adj. SOLIDULE s. f. SOLIDUM (IN) loc. adv. SOLIÉ (Jean-Baptiste SOULIER, connu au théâtre sous le nom de) SOLIER s. m. SOLIER (François) SOLIERA SOLIÈRE s. f. SOLIÉRIE s. f. SOLIERS (Jules-Raymond DE) SOLIGNAC SOLIGNAC-SUR-LOIRE SOLIGNAC (Pierre-Joseph DE LA PIMPIE, chevalier DE) SOLIGNAC (Jean-Baptiste) SOLIGNANO SOLIGNI-LA-TRAPPE SOLIGUROU s. m. SOLIKAMSK SOLILOQUE s. m. SOLIMAN ou SOLEIMAN (Abou-Ayoub) SOLIMAN (Abou-Ayoub-al-Mostain-Billah) SOLIMAN Ier SOLIMAN II (Rokn-Eddyn) SOLIMAN Ier, dit Tchélébi SOLIMAN II SOLIMAN III SOLIMAN SOLIMAN SOLIMAN SOLIMAN, dit le Vieux SOLIMAN-AL-KHADEM SOLIMENA (Francesco) SOLIN s. m. SOLIN (Caïus Julius SOLINUS) SOLINGEN SOLINOTE adj. SOLIPÈDE adj. SOLIPSE s. m. SOLIS (Juan DIAZ DE) SOLIS (Virgile) SOLIS (Antonio DE) SOLIS (DON François DE) SOLISTE s. m. SOLISTIMUM s. m. SOLITAIRE adj. SOLITAIREMENT adv. SOLITAURILIES s. f. pl. SOLITUDE s. f. SOLITUDE SOLIVA s. f. SOLIVA (Charles-Evasio) SOLIVAGE s. m. SOLIVE s. f. SOLIVEAU s. m. SOLIVÉE s. f. SOLIVURE s. f. SOLL (Christophe) SOLLER SOLLER (Auguste) SOLLEYSEL (Jacques DE) SOLLICEUR, EUSE s. SOLLICITABLE adj. SOLLICITATION s. f. SOLLICITER v. a. ou tr. SOLLICITEUR, EUSE s. SOLLICITUDE s. f. SOLLIER (Jean-Baptiste DE) SOLLIÈS-PONT SOLLOHUB (Vladimir, comte) SOL LUCET OMNIBUS SOLLYE s. f. SOLMEZANE (Boniface PASTORET, baron DE) SOLMIFIER v. a. ou tr. SOLMISATION s. f. SOLMISER v. a. ou tr. SOLMONA ou SULMONA SOLMS (Mme Marie DE) SOLO s. m. SOLO SOLO-BENG-AWAN ou SOURAKARTA SOLOFRA SOLOGNE (maladie de) SOLOGNE SOLOGNOT, OTE s. et adj. SOLOMOS (Denis) SOLON s. m. SOLON SOLON SOLOPACA SOLOR SOLORÇANO (Alonso DE CASTILLO Y) SOLORÇANO PEREIRA (Jean DE) SOLORI s. m. SOLORINE s. f. SOLOTHURN SOLOVETZK SOLPUGE s. m. SOLPUGIDE adj. SOLRE-LE-CHÂTEAU SOLSKI (Stanislas) SOLSONA SOLSTICE s. m. SOLSTICIAL, ALE adj. SOLTAM s. m. SOLTH SOLTIKOFF (Michel) SOLTIKOFF (Jean) SOLTIKOFF (Féodorofna) SOLTIKOFF (Vasili) SOLTIKOFF (Pierre-Simon, comte) SOLTIKOFF (Jean, comte) SOLTIKOFF (Anne) SOLTIKOFF (Nicolas, prince) SOLTIKOFF (Alexis, prince) SOLTWEDEL ou SALZWEDEL SOLTYK (Stanislas) SOLTYK (Roman) SOLTYKOFF SOLUBILITÉ s. f. SOLUBLE adj. SOLUTÉ s. m. SOLUTIF, IVE adj. SOLUTION s. f. SOLUTOIRE adj. SOLUTUM s. m. SOLVABILITÉ s. f. SOLVABLE adj. SOLVE SENESCENTEM SOLVET (Louis-Charles) SOLVYNS (François-Balthazar) SOLVYTSCHEGODSKE SOLWAY (golfe de) SOLYMA SOMA s. f. SOMA ou TCHANDRA SOMAGLIA SOMAGLIA (Jules-Marie) SOMAIN SOMAIZE (Antoine BAUDEAU sieur DE) SOMAL (Sukias DE) SOMALIS SOMART s. m. SOMASCÉTIQUE s. f. SOMASQUE s. m. SOMASQUE SOMATÉRIE s. f. SOMATIQUE s. f. SOMATIQUE s. m. SOMATISTE s. m. SOMATO préfixe SOMATODE SOMATOLOGIE s. m. SOMATOLOGIQUE adj. SOMATOTOMIE s. f. SOMATOTOMIQUE adj. SOMAULIS SOMBERNON SOMBOR SOMBOUL s. m. SOMBRAGE s. m. SOMBRE adj. SOMBRÉE adj. f. SOMBREMENT adv. SOMBRER v. n. ou intr. SOMBRERETE SOMBRERO s. m. SOMBREUIL (Charles-François VIROT, marquis DE) SOMBREUIL (Charles VIROT, vicomte DE) SOMBREUIL (Mlle Marie-Maurille VIROT DE) SOMEREN (Corneille VAN) SOMEREN (Jean VAN) SOMEREN (Jean VAN) SOMERS (lord John) SOMERSET (COMTÉ DE) SOMERSET (Robert CARR, vicomte de ROCHESTER, puis comte DE) Ú' SOMERSET (Françoise HOWARD, comtesse D'ESSEX, puis DE) SOMERSET (Edouard-Adolphe SAINT-MAUR, onzième duc DE) SOMERSET (Edward SEYMOUR, duc DE) SOMERSET (James-Henry FITZROY) SOMERTON SOMERTRAS s. m. SOMERVILLE (William) SOMERVILLE (Marie FAIRFAX, dame) SOMERVILLITE s. f. SOMILEPTE s. m. SOMION s. m. SOMLYO SOMMA s. f. SOMMA-LOMBARDO SOMMA-VESUVIANO SOMMA-CAMPAGNA SOMMAGE s. m. SOMMAGER v. a. ou tr. SOMMAIL s. m. SOMMAIRE adj. SOMMAIREMENT adv. SOMMARIVA-DEL-BOSCO SOMMARIVA-PERNO SOMMATEUR, TRICE s. SOMMATINO SOMMATION s. f. SOMMATOIRE adj. SOMME s. f. SOMME s. f. SOMME s. m. SOMME SOMME (DÉPARTEMENT DE LA) SOMME (villes de la) SOMMÉ s. m. SOMMÉ, ÉE adj. SOMMÉE s. f. SOMMEIL s. m. SOMMEILLER v. n. SOMMELIER, IÈRE s. SOMMELLERIE s. f. SOMMEPUIS ou SOMPUIS SOMMER v. a. ou tr. SOMMER v. a. ou tr. SOMMER (Jean-Christophe) SOMMER (Jean-Edouard-Albert) SOMMERARD (DU) SOMMÉRAUÈRE s. f. SOMMMERDA SOMMÈRE s. f. SOMMERFELD SOMMERFELDTIE s. f. SOMMERGHEM SOMMERVILLITE s. f. SOMMERY (Fontette DE) SOMMET s. m. SOMMEVOIRE SOMMIER s. m. SOMMIER (Jean-Claude) SOMMIÈRE s. f. SOMMIÈRES SOMMISTE s. m. SOMMITE s. f. SOMMITÉ s. f. SOMMOSE s. m. SOMNAMBULE adj. SOMNAMBULIQUE adj. SOMNAMBULISME s. m. SOMNER (William) SOMNIAL, ALE adj. SOMNIFÈRE adj. SOMNILOQUE adj. SOMNO s. m. SOMNOLENCE s. f. SOMNOLENT, ENTE adj. SOMOGY SOMOÏNITE s. f. SOMOPLATE s. m. SOMOROSTRO SOMO-SIERRA SOMPEL (Pierre VAN) SOMPTUAIRE adj. SOMPTUEUSEMENT adv. SOMPTUEUX, EUSE adj. SOMPTUOSITÉ s. f. SOMPUIS SOMSICH (Paul) SOMSOIS SON, SA adj. poss., SES plur. SON s. m. SON s. m. SON s. m. SONA SONARD s. m. SONAT s. m. SONATE s. f. SONATINE s. f. SONCHUS s. m. SONCINO SONCORUS s. m. SONDAGE s. m. SONDALO SONDARÉ s. m. SONDAREINTA s. m. SONDE s. f. SONDE (archipel de la) SONDE (mer de la) SONDER v. a. ou tr. SONDERBOURG SONDÈRE s. f. SONDERLAND (Jean-Baptiste) SONDERSHAUSEN SONDEUR, EUSE s. SONDRIO SONDRIO (PROVINCE DE) SONE SONE (LA) SONERILE s. f. SONGAR s. m. SONGARE s. SONGARIA SONGE s. m. SONGE-CREUX s. m. SONGE-MALICE s. m. SONGEONS SONGER v. n. ou intr. SONGERIE s. f. SONGEUR, EUSE s. SONGIS (Nicolas-Marie DE) SONG-KHLÀ SONGNOLE s. m. SONGO s. m. SONI s. m. SONICA s. m. SONICÉPHALE s. m. SONIPÈDE adj. SONIS (Gaston DE) SON-LO s. m. SONNA s. m. SONNAILLE s. f. SONNAILLER s. m. SONNAILLER v. a. ou tr. SONNANT, ANTE adj. SONNAZ (le chevalier Hector GERBAIX DE) SONNÉ, ÉE part. passé SONNENBERG SONNENBERG (François-Antoine-Joseph-Ignace-Marie, baron DE) SONNENBURG SONNENFELS (Joseph, baron DE) SONNER v. n. ou intr. SONNERAT (Pierre) SONNERATIE s. f. SONNERIE s. f. SONNET s. m. SONNET (François-Charles) SONNET (Michel-Louis-Joseph-Hippolyte) SONNETTE s. f. SONNETTIER s. m. SONNEUR s. m. SONNEZ s. m. SONNIN (Ernest-Georges) SONNINI DE MANONCOURT (Charles-Nicolas-Sigisbert) SONNINIE s. f. SONNISTE s. m. SONOMÈTRE s. m. SONOMÉTRIE s. f. SONOMÉTRIQUE adj. SONORA SONORA (ETAT DE) SONORA-ET-CINALOA SONORA (RIO) SONORE adj. SONORISATION s. f. SONORISER v. a. ou tr. SONORITÉ s. f. SONSECA SONSONATE (SANTISSIMA-TRINIDAD-DE-) SONTAG (Henriette) SONTHONAX (Léger-Félicité) SONTIUS SON-TO s. m. SOOEMIAS, SOEMIAS, SOEMIE ou SEMIS (Julia-Varia) SOPATER SOPATROS SOPE s. f. SOPEUR s. m. SOPHA s. m. SOPHAR SOPHÈNE SOPHI, SOFI ou SOUFI, s. m. SOPHIA SOPHIA (SANGIAC ou LIVAH DE) SOPHIA SOPHIE s. f. SOPHIE (sainte) SOPHIE SOPHIE SOPHIE-CHARLOTTE SOPHIE-DOROTHÉE SOPHIE-DOROTHÉE SOPHIE-CHARLOTTE SOPHIO s. m. SOPHIS ou SOFIS SOPHISIEN s. m. SOPHISME s. m. SOPHISTE s. m. SOPHISTÈQUE s. m. SOPHISTERIE s. f. SOPHISTICATION s. f. SOPHISTIQUE adj. SOPHISTIQUÉ, ÉE part. passé SOPHISTIQUEMENT adv. SOPHISTIQUER v. a. ou tr. SOPHISTIQUERIE s. f. SOPHISTIQUEUR, EUSE s. SOPHOCLE SOPHOMANE s. m. SOPHOMANIE s. f. SOPHONIE SOPHONISBE SOPHORA s. m. SOPHORÉ, ÉE adj. SOPHRON SOPHRONANTHE s. m. SOPHRONIE s. f. SOPHRONIQUE s. f. SOPHRONISTE s. m. SOPHRONISTÈRE s. m. SOPHRONITE s. f. SOPING s. m. SOPOR s. m. SOPORATIF, IVE adj. SOPOREUX, EUSE adj. SOPORIFÈRE adj. SOPORIFIQUE adj. SOPRA adv. SOPRANI (Raffaello) SOPRANISTE s. m. SOPRANO s. SOPRANSI (Fidèle) SOPRANZI SOPRAPROVÉDITEUR s. m. SOPUBIE s. f. SOQUET s. m. SOR adj. m. SOR adj. m. SOR SORA s. m. SORA SORA (DISTRICT DE) SORABE s. m. SORABES SORACTE SORAGNA SORAMIA s. m. SORAMIER s. m. SORAMITE s. m. SORANTHE s. m. SORANUS D'ÉPHÈSE SORAT s. m. SORATA (NEVADO-DE-) SORAU Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SORAUSORAU Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SORBAIT (Paul) Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SORBASSORBAS Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SORBATE s. m.SORBATE s. m. Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SORBE s. m.SORBE s. m. Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SORBÉ s. m.SORBÉ s. m. Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SORBÉ, ÉE adj.SORBÉ, ÉE adj. Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SORBET s. m.SORBET s. m. Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SORBÉTIÈRE s. f.SORBÉTIÈRE s. f. Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SORBIER s. m.SORBIER s. m. Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SORBIER (Jean-Barthélemy)SORBIER (Jean-Barthélemy) SORBIÈRE (Samuel) SORBIN DE SAINTE-FOI (Arnaud) SORBINE s. f. SORBIQUE adj. SORBITE s. f. SORBOLO SORBON (Robert DE) SORBONIQUE adj. SORBONIQUEUR s. m. SORBONISTE s. m. SORBONNE s. f. SORBUS s. m. SORBY (Henri-Clifton) SORCELLERIE s. f. SORCIER, IÈRE s. SORCY SORDEL ou SORDELLO SORDEVOLO SORDIDE adj. SORDIDEMENT adv. SORDIDITÉ s. f. SORE s. f. SORE SORE (Jacques) SOREAU (Antoine) SOREAU (Jean-Baptiste-Etienne-Benoît) SOREC SORÉDION s. m. SOREL SOREL, CHAMBLY ou RICHELIEU SOREL (Agnès) SOREL (Charles) SOREL (Alexandre) SOREL (Albert) SORÉMA s. m. SORÉSINA SORET adj. m. SORET (Nicolas) SORET (Jean) SOREUME s. m. SOREX s. m. SOREXGLIS s. m. SOREXINÉ, ÉE adj. SORÈZE SORGHO s. m. SORGO s. m. SORGUE s. f. SORGUES SORGUES (la) SORGUES (la) SORGUEUR s. m. SORGUGE s. f. SORIA SORIA (PROVINCE DE) SORIA (Jean-Baptiste) SORIA (François-Antoine) SORIANO SORIANO SORIANO (Michel) SORIANO (Marc-Antoine) SORIANO (Nicolas) SORIANO FUERTES (Mariano) SORICICTIS s. m. SORICIDE adj. SORICIDÉ, ÉE adj. SORICIDENT s. m. SORICIEN, IENNE adj. SORICIN, INE adj. SORIDIE s. f. SORIE s. f. SORIN ou SORINUS (Tanneguy) SORINDÉIA s. m. SORINIÈRE (Claude-François DU VERDIER DE LA) SORISSERIE s. f. SORITE s. m. SORLIN (SAINT-) SORLIN (Jean-Gabriel-Désiré) SORLINGUES (îles) SORMET s. m. SORMULE s. m. SORNAC SORNA-SNEYA s. m. SORNE s. f. SORNET (Claude-Benoît) SORNETTE s. f. SORNIN SOROCÉE s. m. SOROCÉPHALE s. m. SOROE SOROE SORON s. m. SORORAL, ALE adj. SORORALEMENT adv. SORORIANT, ANTE adj. SORORICIDE adj. SORORIEN, IENNE adj. SOROSE s. f. SOROSPORE s. f. SORR SORR (Honoré SCLAFER, dit Angelo de) SORRENTE SORRÈZE SORRI (Pierre) SORS s. m. SORSO SORT s. m. SORTABLE adj. SORTABLEMENT adv. SORTANT, ANTE adj. SORTE s. f. SORTERUP (Jorgen) SORTEUR, EUSE s. SORTI, IE part. passé SORTIE s. f. SORTILÉGE s. m. SORTINO SORTIR v. n. ou intr. SORTIR v. a. ou tr. SORUBIM s. m. SOS SOSIE s. m. SOSIE SOSIGÈNE SOSIPOLIS SOSITHÉE SOSORÉ s. m. SOSOVÉ s. m. SOSPEL SOSPIROLO SOSSANO SOSTEGNO (Charles-Emmanuel ALFIERI, marquis DE) SOSTEGNO (César ALFIERI, marquis DE) SOSTENE (SAN-) SOSTENUTO adj. SOSTHÈNE SOSTI (SAN-) SOSTRATE DE CNIDE SOSVA SOSVA SOSYLE s. m. SOT, SOTTE adj. SOTA (Pio DE LA) SOTADÈS SOTADIQUE adj. SOTARD s. m. SOTER adj. SOTER SOTÈRE (sainte) SOTÉRIES s. f. pl. SOTÉRIOLOGIE s. f. SOTERIOPOLIS SOTHEBY (William) SOTHERN (Edouard-Askew) SOTHIACAL, ALE adj. SOTHIAQUE adj. SOTIE s. f. SOTIN DE LA COINDIÈRE (Pierre-Jean-Marie) SOTIO s. m. SOTION ou SOCION D'ALEXANDRIE, dit l'Aîné SOTION ou SOCION D'ALEXANDRIE, dit le Jeune SOTION ou SOCION SOTIRA SOT-L'Y-LAISSE s. m. SOTO (Dominique) SOTO (Hernando DE) SOTO (Jean DE) SOTO (DON Laurent DE) SOTO Y AB-ACH (Séraphin-Marie DE) SOTOFORIN s. m. SOTO-MAYOR (SAN-SALVADOR-DE-) SOTOMAYOR (Louis DE) SOTTAIS s. m. SOTTEGHEM SOTTELLITE s. f. SOTTEMENT adv. SOTTEVILLE-LEZ-ROUEN SOTTISE s. f. SOTTISIER, IÈRE s. SOTTO-VOCE adv. SOTZMANN (Daniel-Frédéric) SOTZMANN (Jean-Daniel-Ferdinand) SOU préfixe SOU s. m. SOUABE SOUABE (COMTÉ PALATIN DE) SOUABE (CERCLE DE) SOUABE-ET-NEUBOURG (CERCLE DE) SOUABE (maison de) SOUAGE s. m. SOUAKIM SOUAKIM ou SOUAKIN SOUANES SOUANÉTIE SOUAN-PAN SOUANVITA SOUARGA s. m. SOUARI s. m. SOUBAB s. m. SOUBABIE s. f. SOUBARBE s. m. SOUBARDIER s. m. SOU-BASCHI s. m. SOUBASSEMENT s. m. SOUBASSIS s. f. SOUBATTRE v. a. ou tr. SOUBDAR s. m. SOUBEIRAN (Jean DE SCOPON) SOUBEIRAN (Eugène) SOUBERBIELLE (Joseph) SOUBEYRAN (Pierre) SOUBEYRAN (Jean-Marie-Georges, baron DE) SOUBHAVASTOU SOUBISE s. f. SOUBISE SOUBISE (Benjamin DE ROHAN, seigneur DE) SOUBISE (François DE ROHAN, prince DE) SOUBISE (Anne DE ROHAN, princesse DE) SOUBISE (Hercule-Mériadec DE ROHAN, prince DE) SOUBISE (Charles DE ROHAN, prince DE) SOUBISE (Armand DE ROHAN, cardinal DE) SOUBOUTAI ou SOUBADAÏ SOUBRANY (Pierre-Auguste DE) SOUBRE préfixe SOUBREDENT s. m. SOUBRELANGUE s. m. SOUBRESAUT s. m. SOUBRESAUTÉ, ÉE part. passé SOUBRESAUTER v. n. ou intr. SOUBRETTE s. f. SOUBREVESTE s. f. SOUBUSE s. f. SOUBZOV SOUC s. m. SOUCHA s. f. SOUCHE s. f. SOU-CHÉ SOUCHÈRE adj. SOUCHERIE s. f. SOUCHET s. m. SOUCHET (Jean-Baptiste) SOUCHET (Etienne) SOUCHETAGE s. m. SOUCHETEUR s. m. SOUCHEVER v. a. ou tr. SOUCHON s. m. SOUCHON s. m. SOUCHON (François) SOU-CHONG s. m. SOUCI s. m. SOUCI s. m. SOUCIER v. a. ou tr. SOUCIET (Etienne) SOUCIEUX, EUSE adj. SOUCOUPE s. f. SOUCOURROUS s. m. SOUCOURRYS s. m. SOUCRILLON s. m. SOUCROURETTE s. f. SOUCROUROU s. m. SOUCY (CREUX-DE-) SOUDABILITÉ s. f. SOUDABLE adj. SOUDAGE s. m. SOUDAGH ou SOUDAK SOUDAIN, AINE adj. SOUDAINEMENT adv. SOUDAINETÉ s. f. SOUDAN s. m. SOUDAN SOUDANIEN, IENNE s. et adj. SOUDARD s. m. SOUDAY SOUDDHODANA ou ÇOUDDHODANA SOUDE s. f. SOUDÉ, ÉE part. passé SOUDER v. a. ou tr. SOUDEUR, EUSE s. SOUDHANVAN SOUDICH s. m. SOUDIER, IÈRE adj. SOUDIVISER v. a. ou tr. SOUDJA SOUDOIR s. m. SOUDOYÉ, ÉE part. passé SOUDOYER v. a. ou tr. SOUDRA ou ÇOUDRA s. m. SOUDRAKA SOUDRE v. a. ou tr. SOUDRILLE s. m. SOUDURE s. f. SOUE s. f. SOUEIRAH SOUEN-HOA SOUETTE s. f. SOUEYS SOUF (bassin du) SOUFFLABLE adj. SOUFFLAGE s. m. SOUFFLANT, ANTE adj. SOUFFLARD s. m. SOUFFLE s. m. SOUFFLÉ, ÉE part. passé SOUFFLEMENT s. m. SOUFFLENHEIM ou SUFFLEN SOUFFLER v. n. ou intr. SOUFFLERIE s. f. SOUFFLET s. m. SOUFFLET s. m. SOUFFLETADE s. f. SOUFFLETÉ, ÉE part. passé SOUFFLETER v. a. ou tr. SOUFFLETEUR s. m. SOUFFLETTE s. f. SOUFFLEUR, EUSE s. SOUFFLON s. m. SOUFFLOT (Jacques-Germain) SOUFFLURE s. f. SOUFFRABLE adj. SOUFFRANCE s. f. SOUFFRANT, ANTE adj. SOUFFRE-DOULEUR s. m. SOUFFRETEUX, EUSE adj. SOUFFRIR v. a. ou tr. SOUFI ou SOUPHI s. m. SOUFISME s. m. SOUFITE s. m. SOUFRAGE s. m. SOUFRE s. m. SOUFRÉ, ÉE part. passé SOUFRER v. a. ou tr. SOUFREUR, EUSE s. SOUFRIÈRE s. f. SOUFRIÈRE (LA) SOUFROIR s. m. SOUFRUTESCENT, ENTE adj. SOUGAR s. m. SOUGARDE s. f. SOUGHOUM s. m. SOUGORGE s. f. SOUGRIVA SOUHAIT s. m. SOUHAIT (DU) SOUHAITABLE adj. SOUHAITER v. a. ou tr. SOUHAITTY (le Père) SOUHAK s. m. SOUHAM (Joseph) SOUHANOF ou SUHANOF (Arsène) SOUHANOF (Samson) SOUHEYRAH SOUHOZANET ou SUHOZANET (Ivan) SOUÏ s. m. SOUÏ s. m. SOUIL s. m. SOUILLAC SOUILLARD s. m. SOUILLARDE s. f. SOUILLARDIÈRE s. f. SOUILLE s. f. SOUILLE s. f. SOUILLER v. a. ou tr. SOUILLON s. SOUILLONNER v. a. ou tr. SOUILLURE s. f. SOUILLY SOUÏ-MANGA s. m. SOUKALER s. m. SOUKARÉ s. m. SOUKHONA SOUKI s. m. SOUKOUM-KALÉ SOUKY-CALA s. m. SOÛL, SOÛLE adj. SOULAC SOULAGÉ, ÉE part. passé SOULAGEMENT s. m. SOULAGER v. a. ou tr. SOULAINES SOULAMÉ s. m. SOULANGE-BODIN (Etienne) SOULANGE-TEISSIER (Louis-Emmanuel SOULANGE, dit) SOULANGIE s. f. SOÛLANT, ANTE adj. SOULARD, ARDE adj. et s. SOULARY (Joseph-Marie, dit Joséphin) SOULAS s. m. SOULAS (Josias DE) SOULAUD, AUDE adj. et s. SOULAVIE (Jean-Louis GIRAUD) SOULCI s. m. SOULCIE s. f. SOULCIET s. m. SOULE s. f. SOULE (la) SOÛLÉ, ÉE part. passé SOULÉ (Pierre) SOÛLER v. a. ou tr. SOULERIE s. f. SOULÈS (François) SOULEUR s. m. SOULEVANT, ANTE adj. SOULEVÉ, ÉE part. passé SOULÈVEMENT s. m. SOULEVER v. a. ou tr. SOULEVEUR s. m. SOULFOUR (Nicolas de) SOULGAN s. m. SOULI SOULIÉ (Jean-Baptiste-Augustin) SOULIÉ (Melchior-Frédéric) SOULIER s. m. SOULIER (Pierre) SOULIÈRE s. f. SOULIGNEMENT s. m. SOULIGNER v. a. ou tr. SOULIGNEUR, EUSE s. SOULIGNEUX, EUSE adj. SOULIK s. m. SOULILI s. m. SOULIMA et SOULIMANA SOULINA SOULIOTE s. m. SOULIOTIDE SOULLIER (Charles-Simon-Pascal) SOULOIR v. n. ou intr. SOULOU (archipel de) SOULOUQUE (Faustin) SOULOUS s. m. SOULT (Nicolas-Jean-de-Dieu) SOULT (Pierre-Benoît, baron) SOULT (Napoléon-Hector) SOULTE s. f. SOULTRAIT (Jacques-Hyacinthe-Georges-Richard, comte DE) SOULTZ SOULTZ-LES-BAINS SOULTZ-SOUS-FORETS SOULTZBACH SOULTZMATT SOUMAGNE SOUMAROKOF (Alexandre-Petrovitch) SOUMBAVA SOUMET (Alexandre) SOUMET (Mme BEUVAIN D'ALTENHEYM, née Gabrielle) SOUMETTRE v. a. ou tr. SOUMILLE (Bernard-Laurent) SOUMIS, ISE part. passé SOUMISSION s. f. SOUMISSIONNAIRE s. SOUMISSIONNER v. a. ou tr. SOUMOROKOV ou SOUMAROKOF (Alexandre-Pétrovitch) SOUMPOU SOUMY SOUMY ou ABISKAN SOUNA SOUNDA SOUNGARI SOUNGARIE SOUNG-KIANG SOUNNA s. m. SOUPAPE s. f. SOUPARNA SOUPATOIRE adj. SOUPÇON s. m. SOUPÇONNABLE adj. SOUPÇONNÉ, ÉE part. passé SOUPÇONNER v. a. ou tr. SOUPÇONNEUR, EUSE s. SOUPÇONNEUSEMENT adv. SOUPÇONNEUX, EUSE adj. SOUPE s. f. SOUPÉ s. m. SOUPÉ (Alfred-Philibert) SOUPEAU s. m. SOUPENTE s. f. SOUPER ou SOUPÉ s. m. SOUPER v. n. ou intr. SOUPÈSEMENT s. m. SOUPESER v. a. ou tr. SOUPEUR, EUSE s. SOUPHI s. m. SOUPHISME s. m. SOUPIED s. m. SOUPIER, IÈRE adj. SOUPIER s. m. SOUPIÈRE s. f. SOUPIR s. m. SOUPIRAIL s. m. SOUPIRANT, ANTE adj. SOUPIRER v. n. ou intr. SOUPIREUR, EUSE s. SOUPLE adj. SOUPLEMENT adv. SOUPLESSE s. f. SOUPLET (SAINT-) SOUQUE (François-Joseph) SOUQUENILLE s. f. SOUQUER v. a. ou tr. SOUQUET s. m. SOUQUET DE LATOUR (Guillaume-Jean-François) SOUQUETAGE s. m. SOUR ou TSOUR SOURA SOURABAYA SOURAKARTA SOURAPANA s. m. SOURCE s. f. SOURCE (Marie-David-Albin LA) SOURCER v. a. ou tr. SOURCICLE s. m. SOURCIER, IÈRE s. m. SOURCIL s. m. SOURCIL s. m. SOURCILIER, IÈRE adj. SOURCILIER s. m. SOURCILLER v. n. ou intr. SOURCILLER v. n. ou intr. SOURCILLEUSEMENT adv. SOURCILLEUX, EUSE adj. SOURCILLON s. m. SOURD, SOURDE adj. SOURD (Jean-Baptiste-Joseph) SOURDAT (F.-Nicolas) SOURDAUD, AUDE s. SOURDÉAC (Alexandre DE RIEUX, marquis DE) SOURDELINE s. f. SOURDEMENT adv. SOURDEVAL SOURDEVAL (André DE) SOURDIÈRE s. f. SOURDINE s. f. SOURDIS (François D'ESCOUBLEAU, cardinal DE) SOURDIS (Henri D'ESCOUBLEAU DE) SOURD-MUET, SOURDE-MUETTE s. SOURDON s. m. SOURDRE v. n. ou intr. SOURE (DOM Juan DA COSTA, comte DE) SOURGOUT SOURIANT, ANTE adj. SOURICEAU s. m. SOURICIÈRE s. f. SOURIGUIÈRES (Jean-Marie) SOURIQUOIS, OISE adj. SOURIRE v. n. ou intr. SOURIRE s. m. SOURIS s. m. SOURIS s. f. SOURIS-CHAUVE s. f. SOURIS-ROSE s. f. SOURIVE s. f. SOURMAH SOURNIA SOURNOIS, OISE adj. SOURNOISEMENT adv. SOURNOISERIE s. f. SOUROUBÉA s. m. SOUROUGA ou SOUMP SOUSOUROUGA ou SOUMPSOU (PROVINCE DE) SOURSAC SOURSOMMEAU s. m. SOURY s. m. SOURYA SOUS préfixe SOUS prép. SOUS SOUS SOUS SOUSA, SOUSSA ou HAMANIET SOUS-ACROMIO-CLAVI-HUMÉRAL, ALE adj. SOUS-AFFERMER v. a. ou tr. SOUS-AFFRÉTEMENT s. m. SOUS-AFFRÉTER v. a. ou tr. SOUS-AFFRÉTEUR s. m. SOUS-ÂGE s. m. SOUS-AIDE s. m. SOUS-AILE s. f. SOUS-ALTERNE adj. SOUSAM-ADASSI SOUS-AMBASSADE s. f. SOUS-AMBASSADEUR s. m. SOUS-AMENDEMENT s. m. SOUS-AMENDER v. a. ou tr. SOUS-APONÉVROTIQUE adj. SOUS-ARBRISSEAU s. m. SOUS-ARGOUSIN s. m. SOUS-ARRONDISSEMENT s. m. SOUS-ASTRAGALIEN, IENNE adj. SOUS-ATLOÏDIEN, IENNE adj. SOUS-AUMÔNIER s. m. SOUS-AVOUÉ s. m. SOUS-AXILLAIRE adj. SOUS-AXOÏDIEN, IENNE adj. SOUS-BAIL s. m. SOUS-BAILLEUR, EUSE s. m. SOUS-BANDE s. f. SOUS-BARBE s. f. SOUS-BARQUE s. f. SOUS-BIBLIOTHÉCAIRE s. m. SOUS-BIEF s. m. SOUS-BOURGEON s. m. SOUS-BRIGADIER s. m. SOUS-BUSE s. f. SOUS-CAMÉRIER s. m. SOUS-CAMÉRISTE s. f. SOUS-CAP s. m. SOUS-CAPE s. f. SOUS-CHANCELIER s. m. SOUS-CHANTRE s. m. SOUS-CHAPELAIN s. m. SOUS-CHARGÉ, ÉE adj. SOUS-CHÂTELAIN s. m. SOUS-CHAUSSURE s. f. SOUS-CHEF s. m. SOUSCHÈVEMENT s. m. SOUS-CHEVRON s. m. SOUS-CLASSE s. f. SOUS-CLAVICULAIRE adj. SOUS-CLAVIER, IÈRE adj. SOUS-COLLET s. m. SOUS-COMITE s. m. SOUS-COMITÉ s. m. SOUS-COMMIS s. m. SOUS-COMMISSAIRE s. m. SOUS-COMMISSION s. f. SOUS-COMPTOIR s. m. SOUS-CONJONCTIVAL, ALE adj. SOUS-CONTRAIRE adj. SOUS-COSTAL, ALE adj. SOUS-COUCHE s. f. SOUSCRIPTEUR s. m. SOUSCRIPTION s. f. SOUSCRIRE v. a. ou tr. SOUSCRIT, ITE part. passé SOUSCRIVANT s. m. SOUS-CUISSE s. f. SOUS-CUTANÉ, ÉE adj. SOUS-DATAIRE s. m. SOUS-DÉCUPLE adj. SOUS-DÉLÉGATION, SOUS-DÉLÉGUÉ, SOUS-DÉLÉGUER SOUS-DÉTAIL s. m. SOUS-DIACONAT s. m. SOUS-DIACONESSE s. f. SOUS-DIACRE s. m. SOUS-DIAPHRAGMATIQUE adj. SOUS-DIRECTEUR s. m. SOUS-DIVISER, SOUS-DIVISION SOUS-DOMINANTE s. f. SOUS-DORSAL, ALE adj. SOUS-DOUBLE adj. SOUS-DOUBLÉ, ÉE adj. SOUS-DOUBLIS s. m. SOUS-DOYEN s. m. SOUS-DOYENNÉ s. m. SOUS-ÉCONOME s. m. SOUS-ÉGALISAGE s. m. SOUS-ÉGALISER v. a. ou tr. SOUS-ÉGALI SOIR s. m. SOUS-ENTENDRE v. a. ou tr. SOUS-ENTENDU, UE part. passé SOUS-ENTENTE s. f. SOUS-ENVELOPPE s. f. SOUS-ÉPIDERMIQUE adj. SOUS-ÉPINEUX, EUSE adj. SOUS-ESPÈCE s. f. SOUS-ÉTABLI s. m. SOUS-ÉTAGE s. m. SOUS-FACE s. f. SOUS-FAÎTE s. m. SOUS-FERME s. f. SOUS-FERMER SOUS-FERMIER, IÈRE s. SOUS-FIEF s. m. SOUS-FORCE s. f. SOUS-FORCER v. n. ou intr. SOUS-FRÉTEMENT s. m. SOUS-FRÉTER v. a. ou tr. SOUS-FRÉTEUR s. m. SOUS-FRUTESCENT, ENTE adj. SOUS-GARDE s. f. SOUS-GÉNÉRIQUE adj. SOUS-GENRE s. m. SOUS-GORGE s. f. SOUS-GOUVERNANTE s. f. SOUS-GOUVERNEUR s. m. SOUS-GUEULE s. f. SOUS-GUI s. m. SOUS-HÉPATIQUE adj. SOUS-HYOÏDIEN, IENNE adj. SOUS-HYPONITRITE s. m. SOUS-ILLUSTRE adj. et s. SOUS-INFÉODATION s. f. SOUS-INGÉNIEUR s. m. SOUS-INTENDANCE s. f. SOUS-INTENDANT s. m. SOUS-INTERPRÉTER v. a. ou tr. SOUS-INTRODUCTEUR s. m. SOUS-INTRODUITE s. f. SOUS-JACENT, ENTE adj. SOUS-JUPE s. f. SOUS-LACUSTRE adj. SOUSLIC s. m. SOUS-LIEUTENANCE s. f. SOUS-LIEUTENANT s. m. SOUS-LIGNEUX, EUSE adj. SOUSLIK ou SOUSLIC s. m. SOUS-LIMITER v. a. ou tr. SOUS-LINGUAL, ALE adj. SOUS-LOCATAIRE s. SOUS-LOCATION s. f. SOUS-LOMBAIRE adj. SOUS-LOUÉ, ÉE part. passé SOUS-LOUER v. a. ou tr. SOUS-MAIN s. m. SOUS-MAÎTRE s. m. SOUS-MAÎTRESSE s. f. SOUS-MARIN, INE adj. SOUS-MAXILLAIRE adj. SOUS-MAXILLO-CUTANÉ adj. et s. SOUS-MAXILLO-LABIAL adj. et s. m. SOUS-MÉDIANTE s. f. SOUS-MEMBRE s. m. SOUS-MENTONNIÈRE s. f. SOUS-MÉTACARPO-LATÉRI-PHALANGIEN adj. et s. m. SOUS-MÉTATAR SO-LATÉRI-PHALANGIEN adj. et s. m. SOUS-MINISTRE s. m. SOUS-MOUCHEUR s. m. SOUS-MULTIPLE adj. SOUS-NOIX s. f. SOUS-NORMALE s. f. SOUS-OCCIPITAL, ALE adj. SOUS-OEIL s. m. SOUS-OEUVRE (EN) SOUS-OFFICIER s. m. SOUS-ONGULAIRE adj. SOUS-ORBICULAIRE adj. SOUS-ORBITAIRE adj. SOUS-ORDRE s. m. SOUS-PÉNITENCERIE s. f. SOUS-PÉNITENCIER s. m. SOUS-PÉRICARDIQUE adj. SOUS-PÉRIOSTÉ, ÉE adj. SOUS-PERPENDICULAIRE s. f. SOUS-PIED s. m. SOUS-POPLITÉ adj. et s. m. SOUS-PORTIER s. m. SOUS-PRÉCEPTEUR s. m. SOUS-PRÉFECTORAL, ALE adj. SOUS-PRÉFECTURE s. f. SOUS-PRÉFET s. m. SOUS-PRÉFÈTE s. f. SOUS-PRESSION s. f. SOUS-PRIEUR, EURE s. SOUS-PRINCIPAL s. m. SOUS-PROMOTEUR s. m. SOUS-PROTE s. m. SOUS-PUBIEN, IENNE adj. SOUS-PUBIO-COCCYGIEN adj. SOUS-PUBIO-CRÊTI-TIBIAL, ALE adj. SOUS-PUBIO-FÉMORAL, ALE adj. SOUS-PUBIO-PRÉTIBIAL, ALE adj. SOUS-PUBIO-TROCHANTÉRIEN, IENNE adj. SOUS-PYRÉNÉEN, ÉENNE adj. SOUS-QUADRUPLE adj. SOUS-QUARTIER s. m. SOUS-QUINTUPLE adj. SOUS-RACE s. f. SOUS-RACHAT s. m. SOUS-RÉFECTORIER, IÈRE s. SOUS-RÉFÉRENDAIRE s. m. SOUS-RÉGIONNAIRE adj. SOUS-RENTE s. f. SOUS-RENTIER s. m. SOUS-RÉPARTITION s. f. SOUS-RÉSINE s. f. SOUS-ROI s. m. SOUS-ROITELET s. m. SOUS-SACRISTAIN s. m. SOUS-SCAPULAIRE adj. SOUS-SCAPULO-TROCHINIEN adj. SOUS-SECRÉTAIRE s. m. SOUS-SECRÉTARIAT s. m. SOUSSEE s. m. SOUS-SEING s. m. SOUS-SEL s. m. SOUS-SEPTUPLE adj. SOUS-SÉREUX, EUSE adj. SOUS-SESQUIALTÈRE adj. SOUS-SESQUITIERCE adj. SOUS-SEXTUPLE adj. SOUSSIGNÉ, ÉE part. passé SOUSSIGNER v. a. ou tr. SOUS-SOL s. m. SOUS-SOMBRER v. n. ou intr. SOUS SPHÉNOÏDAL, ALE adj. SOUS-SPINI-SCAPULO-TROCHITÉRIEN, IENNE adj. SOUS-STERNAL, ALE adj. SOUS-TANGENTE s. f. SOUS-TENANT s. m. SOUS-TENDANTE s. f. SOUS-TENDRE v. a. ou tr. SOUS-TIROT s. m. SOUS-TITRE s. m. SOUSTONNAIS, AISE s. et adj. SOUSTONS SOUSTRACTIF, IVE adj. SOUSTRACTION s. f. SOUSTRAGE s. m. SOUSTRAIRE v. a. ou tr. SOUSTRAIT, AITE part. passé SOUS-TRAIT s. m. SOUS-TRAITANT s. m. SOUS-TRAITÉ s. m. SOUS-TRAITER v. n. ou intr. SOUSTRAYEUR, EUSE s. SOUS-TRÉSORIER s. m. SOUS-TRIPLE adj. SOUS-TRIPLÉ, ÉE adj. SOUS-TROCHANTÉRIEN, IENNE adj. SOUS-TROCHANTINIEN, IENNE adj. SOUSTYLAIRE s. f. SOUS-TYRAN s. m. SOUS-VASSAL s. m. SOUS-VENTÉ, ÉE adj. SOUS-VENTRIÈRE s. f. SOUS-VERGE s. m. SOUS-VICAIRE s. m. SOUS-VICARIAT s. m. SOUS-VICOMTE s. m. SOUS-VIGUIER s. m. SOUS-ZYGOMATIQUE adj. SOUT s. m. SOUTACHE s. f. SOUTACHER v. a. ou tr. SOUTANDA s. m. SOUTANE s. f. SOUTANELLE s. f. SOUTCHAVA ou SUCZAWA SOU-TCHÉOU SOUTE s. f. SOUTE s. f. SOUTE s. f. SOUTENABLE adj. SOUTENANCE s. f. SOUTENANT, ANTE adj. SOUTENELLE s. f. SOUTÈNEMENT s. m. SOUTENEUR, EUSE s. SOUTENIR v. a. ou tr. SOUTENU, UE part. passé SOUTERRAIN, AINE adj. SOUTERRAINE (LA) SOUTERRAINEMENT adv. SOUTERRÉ, ÉE adj. SOUTH (Robert) SOUTHAMPTON SOUTHAMPTON ou HAMPSHIRE (COMTÉ DE) SOUTHAMPTON SOUTHCOTE (Jeanne) SOUTHDOWN SOUTHERN (Thomas) SOUTHEY (Robert) SOUTHEY (Caroline-Anne BOWLES, dame) SOUTHWARK SOUTHWELL SOUTHWELL (Robert) SOUTHWELL (Nathaniel) SOUTHWELLIE s. f. SOUTHWOLD SOUTIEN s. m. SOUTIRAGE s. m. SOUTIRER v. a. ou tr. SOUTMAN (Pierre) SOUTRA s. m. SOUTRAIT s. m. SOUTRE s. m. SOUTZO (Alexandre) SOUTZO (Panagiotis) SOUTZO (Constantin) SOUVALKI ou SUWALKI SOUVALKI ou SUWALKI (GOUVERNEMENT DE) SOUVAROW ou SOUVAROFF ou SOUVOROFF (Alexandre, comte DE) SOUVAROW (Alexandre, comte) SOUVENANCE s. f. SOUVENEL (Alexis-François-Jacques ANNEIX DE) SOUVENEZ-VOUS-DE-MOI s. m. SOUVENIR (SE) v. pr. SOUVENIR s. m. SOUVENT adv. SOUVENTÉ, ÉE adj. SOUVENTEFOIS ou SOUVENTES FOIS adv. SOUVERAIN, AINE adj. SOUVERAIN (Matthieu) SOUVERAINEMENT adv. SOUVERAINETÉ s. f. SOUVESTRE (Emile) SOUVIENS-TOI-DE-MOI s. m. SOUVIGNY SOUVIGNY (Gui DE) SOUVONADA SOUVRÉ (Gilles DE) SOUVRÉ (Jacques DE) SOUZA s. m. SOUZA SOUZA (Luiz DE) SOUZA (Joao) SOUZA-BOTELHO (Jose-Maria, marquis DE) SOUZA-BOTELHO (Adélaïde-Marie-Emilie FILLEUL, comtesse DE FLu, SOUZA-COUTINHO (Domingo-Antonio DE) SOUZA-PINTO (Basilio-Alberto) SOUZDAL SOVERIA-DI-MANELLI SOVIEILLE SOWERBÉE s. f. SOWERBY (James) SOWERBY (George-Brettingham) SOWINSKI (Joseph-Longin) SOWINSKI (Albert) SOY s. m. SOYA s. m. SOYE (Philippe DE) SOYÉ s. m. SOYER, ÈRE adj. SOYÉRIE s. f. SOYERSI s. m. SOYEUX, EUSE adj. SOYMIDA s. m. SOYON s. m. SOYOU s. m. SOYOUTHI ou SIOUTI (Aboul-Fadhl-Abdel-Rahman-Sjelal-Eddyn, surnommé AL) SOZOMÈNE (Hermias) SOZOMENO SOZOPOLIS SOZUSA SOZZI (Louis-François DE) SOZZINI (Alexandre) SPA SPAAN (Jean VAN) SPACCAFORNO SPACH (Edouard) SPACH (Louis-Adolphe) SPACHÉA s. m. SPACIEUSEMENT adv. SPACIEUX, EUSE adj. SPACIOSITÉ s. f. SPADA (Jean-Jacques) SPADA (Leonello) SPADACTIS s. m. SPADAFORA (Placido) SPADAFORA-SAN-MARTINO SPADARO (Micco) SPADASSIN s. m. SPADASSINER v. n. ou intr. SPADELLE s. f. SPADICE s. m. SPADICÉ, ÉE SPADICIFLORE adj. SPADICINÉ, ÉE adj. SPADILLE s. m. SPADIX s. m. SPADON s. m. SPADONIE s. f. SPADOSTYLE s. m. SPAENDONCÉE s. f. SPAENDONCIE s. f. SPAENDONCK (Gérard VAN) SPAEN-LALECQ (Guillaume-Anne, baron DE) SPAETH (le chanoine Balthasar) SPAGIRIE s. f. SPAGIRIQUE adj. SPAGIRISME s. m. SPAGIRISTE s. m. SPAHI s. m. SPAITLA SPALACODON s. m. SPALACOPE s. m. SPALANGIE s. f. SPALANGIEN, IENNE SPALANGITE adj. SPALATIN (Georges) SPALATO ou SPALATRO SPALAX s. m. SPALDING SPALDING (Charles-Auguste-Guillaume) SPALDING (Georges-Louis) SPALDING (Jean-Joachim) SPALLANZANI (Lazare) SPALLANZANIE s. f. SPALME s. m. SPALMER SPALT s. m. SPANANTHE s. m. SPANDAU SPANDAW (Haro-Albert) SPANGENBERG SPANGENBERG (Auguste-Théophile) SPANGENBERG (Cyriaque) SPANGENBERG (Ernest-Pierre-Jean) SPANGENBERG (Georges-Auguste) SPANHEIM (Ezéchiel) SPANHEIM (Frédéric) SPANHEIM (Frédéric) SPANHEIM (Georges, comte DE) SPANHEIM ou SPANI (Prosper) SPANIE s. m. SPANIOPE s. m. SPANIOPTILON s. m. SPANISH STRIPES s. m. pl. SPANISH-TOWN SPANOPOGON s. m. SPANOTRIC s. m. SPARACTE s. m. SPARADRAP s. m. SPARADRAPIER s. m. SPARAGON s. m. SPARAILLON s. m. SPARANISE SPARASION s. m. SPARASSE s. m. SPARASSIS s. m. SPARATLANTHÉLION s. m. SPARATTO SPARAXIDE s. f. SPARAXIS s. m. SPARE s. m. SPARÈDRE s. m. SPARFVENFELDT (Jean-Gabriel) SPARGANIER s. m. SPARGANION s. m. SPARGANOPHORE s. m. SPARGANOSE s. f. SPARGANOTHE s. m. SPARGELLE s. m. SPARGIS s. m. SPARGOULE s. f. SPARGOUTE s. f. SPARGULAIRE s. f. SPARGULE s. f. SPARIANÉ, ÉE adj. SPARIDÉ, ÉE adj. SPARIES s. f. pl. SPARIN, INE adj. SPARISOME s. m. SPARKS (Jared) SPARLIN s. m. SPARNACUM SPARNO SPARNODE s. m. SPAROÏDE adj. SPAROÏDÉ, ÉE adj. SPARONE SPAROPHAGE adj. SPARR (Otton-Christophe, baron) SPARRE (Eric-Larsson) SPARRE (Gehr-Georges) SPARRE (Mlle NALDI, comtesse DE) SPARRE s. m. SPARRMANN (André) SPARRMANNE s. f. SPARRMANNIE s. f. SPARSIFLORE adj. SPARSIFOLIÉ, ÉE adj. SPARSILE adj. SPARSIPORINE s. f. SPART s. m. SPARTA SPARTACUS SPARTAN s. m. SPARTE ou LACÉDÉMONE SPARTE s. m. SPARTÉCÈRE s. m. SPARTÉINE s. f. SPARTEL (cap) SPARTÉOLE s. m. SPARTERIE s. f. SPARTIANTHE s. m. SPARTIATE s. et adj. SPARTIEN (AElius Spartianus) SPARTIER s. m. SPARTIINE s. f. SPARTINE s. f. SPARTION s. m. SPARTIUM s. m. SPARTIVENTO (cap) SPARTOCÈRE s. m. SPARTOCÉRIDE adj. SPARTON s. m. SPARTOPHILE s. m. SPARTOTHAMNE s. m. SPARTYCÈRE s. m. SPASMATIQUE adj. SPASME s. m. SPASMODIQUE adj. SPASMODIQUEMENT adv. SPASMOLOGIE s. f. SPASMOLOGIQUE adj. SPASOVICZ (Vladimir) SPASTIQUE adj. SPATAGOÏDE adj. SPATAGUE s. m. SPATALANTHE s. m. SPATALIE s. f. SPATALLE s. f. SPATANGACÉ, ÉE adj. SPATANGITE s. m. SPATANGOÏDE adj. SPATANGUE s. m. SPATH s. m. SPATHACÉ, ÉE adj. SPATHANDRE s. m. SPATHANTHE s. m. SPATHE s. f. SPATHÉ, ÉE adj. SPATHÉLIE s. f. SPATHELLE s. f. SPATHELLULE s. f. SPATHICARPE s. f. SPATHIDÉ, ÉE adj. SPATHIDIE s. f. SPATHIFICATION s. f. SPATHIFIER v. a. ou tr. SPATHIFLORE adj. SPATHIFORME adj. SPATHILLE s. f. SPATHIOSTÉMON s. m. SPATHIPHYLLE s. m. SPATHIQUE adj. SPATHIUM s. m. SPATHODÉE s. m. SPATHOGÉNÉSIE s. f. SPATHOGLOTTE s. m. SPATHOLOBE s. m. SPATHOPHORE s. m. SPATHOPTÈRE s. m. SPATHULAIRE s. f. SPATHYÈME s. m. SPATOLINO SPATULAIRE s. m. SPATULARIÉ, ÉE adj. SPATULE s. f. SPATULÉ, ÉE adj. SPATULER v. a. ou tr. SPATULIFÈRE adj. SPAUTA ou MARCIANÈS SPAVENTO SPAVIE s. m. SPAZIER (Charles) SPAZIER (Richard-Otto) SPAZIGASTRE s. m. SPÉ ou SPÉ s. m. SPEAKER s. m. SPEAN SPEAUTRE s. m. SPECCHIA-DE-PRETI SPÉCERIE s. f. SPÉCIAL, ALE adj. SPECIALE (Nicolas) SPECIALE (Nicolas) SPÉCIALEMENT adv. SPÉCIALISER v. a. ou tr. SPÉCIALISTE s. m. SPÉCIALITÉ s. f. SPÉCIATIF, IVE adj. SPECIES s. m. SPÉCIEUSEMENT adv. SPÉCIEUX, EUSE adj. SPÉCIFICATIF, IVE adj. SPÉCIFICATION s. f. SPÉCIFICISTE s. m. SPÉCIFICITÉ s. f. SPÉCIFIER v. a. ou tr. SPÉCIFIQUE adj. SPÉCIFIQUEMENT adv. SPÉCIMEN s. m. SPÉCIOSITÉ s. f. SPECKBACHER (Joseph) SPECKLINIE s. f. SPECKTER (Edwin) SPECTABLE adj. SPECTACLE s. m. SPECTACULEUX, EUSE adj. SPECTATEUR, TRICE s. SPECTRAL, ALE adj. SPECTRE s. m. SPECTROMÈTRE s. m. SPECTROMÉTRIE s. f. SPECTROMÉTRIQUE adj. SPECTROSCOPE s. m. SPECTROSCOPIE s. f. SPECTROSCOPIQUE adj. SPECTRO-TUBÉRANTIEL, ELLE adj. SPÉCULAIRE adj. SPÉCULATEUR, TRICE s. f. SPÉCULATIF, IVE adj. SPÉCULATION s. f. SPÉCULATIVE s. f. SPÉCULATIVEMENT adv. SPÉCULATOIRE s. f. SPÉCULER v. a. ou tr. SPÉCULIFÈRE adj. SPÉCULUM s. m. SPEDALIERI (Archangelo) SPEDALIERI (Niccolo) SPÉE (Frédéric DE) SPÉE s. f. SPEECH s. m. SPEED (John) SPEGEL (Haquin) SPEICHER SPEIGHT'S-TOWN SPEIRÉDONIE s. f. SPEIRÉE s. f. SPEISS s. m. SPEKE (John-Hanning) SPÉLÉARCTOS s. m. SPÉLECTE s. m. SPELLO SPELMAN (Henry) SPÉLONQUE s. f. SPÉLOTE s. m. SPELTA (Antonio-Maria) SPEN s. m. SPENCE (George) SPENCE (John) SPENCE (Joseph) SPENCE (miss Elisabeth-Isabelle) SPENCE (William) SPENCER SPENCER (Charles) SPENCER (Frédéric, 4e comte) SPENCER (George) SPENCER (George-Jean, comte) SPENCER (Herbert) SPENCER (Jean-Charles, comte) SPENCER (John) SPENCER (Robert) SPENCER (sir Brent) SPENCER s. m. SPENDIUS SPENER (Christian-Maximilien) SPENER (Jacques-Charles) SPENER (Philippe-Jacob) SPENGEL (Léonard) SPENGLER (Lorenz) SPENNÈRE s. f. SPÉNOCORYNE s. m. SPENSER SPENSER (Edmond) SPENSIERATO s. m. SPENTHÈRE s. m. SPÉO s. f. SPÉOTHE s. m. SPERA (François) SPERA (François) SPERANSKY (Michel, comte) SPÉRANZA s. f. SPERCENIGO SPERCHÉE s. m. SPERCHÉITE adj. SPERCHIE s. m. SPERCHIUS SPERGES ET DE PALENTZ (Joseph ou Jean, baron DE) SPERGOULE s. f. SPERGULAIRE s. f. SPERGULASTRE s. m. SPERGULE s. f. SPERJULE s. f. SPERKISE s. f. SPERLET ou SPERLETTE (Jean) SPERLING (Jean-Christian) SPERLING (Jérôme) SPERLING (Othon) SPERLING (Othon) SPERLINGA SPERLINGIE s. f. SPERMA CETI s. m. SPERMACÉTI ou SPERMACOCE s. m. SPERMACOCÉ, ÉE adj. SPERMADICTYON s. m. SPERMAGRA s. m. SPERMATINE s. f. SPERMATIQUE adj. SPERMATISÉ, ÉE adj. SPERMATISME s. m. SPERMATISTE s. m. SPERMATOBIE s. f. SPERMATOCÈLE s. f. SPERMATOGRAPHE s. m. SPERMATOGRAPHIE s. f. SPERMATOGRAPHIQUE adj. SPERMATOLOGIE s. f. SPERMATOLOGIQUE adj. SPERMATOLOGUE s. m. SPERMATOPÉ, ÉE adj. SPERMATOPHAGE adj. SPERMATOPHILE s. m. SPERMATORRHÉE s. f. SPERMATORRHÉIQUE adj. SPERMATOSE s. f. SPERMATOZOAIRE s. m. SPERMATOZOÏDE s. m. SPERMATOZOON s. m. SPERMATULE s. m. SPERMATURE s. m. SPERMAXYRE s. m. SPERME adj. SPERME s. m. SPERME s. m. SPERME s. m. SPERME s. m. SPERMÉ, ÉE adj. SPERMESTE s. m. SPERMIOLE s. f. SPERMIQUE adj. SPERMODERME s. m. SPERMODON s. m. SPERMOEDIE s. f. SPERMOLÈGUE s. m. SPERMOLÉPIS s. m. SPERMOLITHE s. m. SPERMOLOGUE s. m. SPERMOPHAGE s. m. SPERMOPHILE s. m. SPERMOPHORE adj. SPERMOPHYLLE s. m. SPERMOPIGE s. m. SPERMOSCIURE s. m. SPERMOSIRE s. m. SPERNIOLE s. f. SPERONADE s. m. SPERONARE s. m. SPERONI DEGLI ALVAROTTI (Arnaldo) SPERONI DEGLI ALVAROTTI (Sperone) SPES ALTERA ROMAE SPESSART SPESSARTINE s. f. SPET s. m. SPETZIA SPEUSIPPE SPEY SPEYER SPÉZET SPEZIA ou SPEZIA ou SPEZIALE (Jacques) SPEZZAFER SPEZZANO-ALBANESE SPEZZANO-GRANDE SPEZZIA (golfe de LA) SPEZZIA (LA) SPEZZIA (LA) SPHACÉLAIRE s. f. SPHACÉLARIÉ, ÉE adj. SPHACÈLE s. m. SPHACÉLER v. a. ou tr. SPHACÉLIE s. f. SPHACÉLISME s. m. SPHACTÉRIE SPHADASME s. m. SPHAE SPHAERIA SPHAERISTIQUE s. m. SPHAEROSTILBITE s. f. SPHAGÉBRANCHE s. m. SPHAGÉLÉBRANCHE s. m. SPHAGIA SPHAGNÉ, ÉE adj. SPHAGNOECÈTE s. m. SPHAGODE s. m. SPHAIGNE s. f. SPHAKIA SPHALANTHE s. m. SPHALÉROCARPE s. m. SPHALÉROMORPHE adj. SPHALLOMORPHE s. m. SPHARGIDIN, INE adj. SPHARGIS s. m. SPHASE s. m. SPHÉCIE s. f. SPHÉCIFORME adj. SPHÉCODE s. m. SPHÉCODÉ, ÉE adj. SPHÉCODITE adj. SPHÉCOMORPHE s. m. SPHÉCOMYE s. f. SPHÉCOTHÈRE s. m. SPHÉGE s. m. SPHÉGIDE adj. SPHÉGIEN, IENNE adj. SPHÉGIGASTRE s. m. SPHÉGIIDE adj. SPHÉGIITE adj. SPHÉGIN, INE adj. SPHÉGINE s. f. SPHÉNACANTHE s. m. SPHÉNANDRE s. m. SPHÉNANTHE s. m. SPHÈNE s. m. SPHÉNÉAQUE s. m. SPHÉNELLE s. f. SPHÉNENCÉPHALE s. m. SPHÉNENCÉPHALIE s. f. SPHÉNENCÉPHALIEN, IENNE adj. SPHÉNENCÉPHALIQUE adj. SPHÉNIE s. f. SPHÉNISCIDÉ, ÉE adj. SPHÉNISCINÉ, ÉE adj. SPHÉNISQUE s. m. SPHÉNO préfixe SPHÉNO-BASILAIRE adj. SPHÉNOCARPE s. m. SPHÉNOCÉPHALE s. m. SPHÉNOCERQUE s. m. SPHÉNOCLÉACÉ, ÉE adj. SPHÉNOCLÉE s. f. SPHÉNOCORYNE s. m. SPHÉNODE s. m. SPHÉNODÉRIE s. f. SPHÉNODESME s. m. SPHÉNODON s. m. SPHÉNO-ÉPINEUX, EUSE adj. SPHÉNOGNATHE s. m. SPHÉNOGYNE s. m. SPHÉNOGYNÉ, ÉE adj. SPHÉNOÏDAL, ALE adj. SPHÉNOÏDE adj. SPHÉNOLÉPIS s. m. SPHÉNO-MAXILLAIRE adj. SPHÉNOME s. m. SPHÉNOMORPHE s. m. SPHÉNONQUE s. m. SPHÉNO-PALATIN, INE adj. SPHÉNO-PARIÉTAL, ALE adj. SPHÉNOPE s. m. SPHÉNOPHIS s. m. SPHÉNOPHORE s. m. SPHÉNOPHYLLE s. m. SPHÉNOPS s. m. SPHÉNOPTÈRE adj. SPHÉNOPTÉRIDE s. f. SPHÉNOPTÉRIS s. m. SPHÉNORAMPHE adj. SPHÉNORHINE s. m. SPHÉNORHYNQUE s. f. SPHÉNOSIRE s. f. SPHÉNOSOME s. m. SPHÉNOSTOME s. m. SPHÉNOSTYLE s. m. SPHÉNO-TEMPORAL, ALE adj. SPHÉNOTOME s. m. SPHÉNURE adj. SPHÉRACRE s. m. SPHÉRALCÉE s. f. SPHÉRANTHE s. m. SPHÉRANTHÉ, ÉE adj. SPHÉRASTRE s. m. SPHÈRE s. f. SPHÉRÈDE s. f. SPHÉRIACÉ, ÉE adj. SPHÉRICARPE adj. SPHÉRICITÉ s. f. SPHÉRICULÉ, ÉE adj. SPHÉRIDIE s. f. SPHÉRIDION s. m. SPHÉRIDIOPHORE s. m. SPHÉRIDIOTE adj. SPHÉRIDOPIDE adj. SPHÉRIDOPS s. m. SPHÉRIE s. f. SPHÉRIÉ, ÉE adj. SPHÉRIESTE s. m. SPHÉRIITE adj. SPHÉRIODACTYLE s. m. SPHÉRION s. m. SPHÉRIQUE adj. SPHÉRIQUEMENT adv. SPHÉRISTE s. m. SPHÉRISTÈRE s. m. SPHÉRISTIQUE adj. SPHÉRITE s. m. SPHÉRITIS s. m. SPHÉRO SPHÉRO SPHÉROBLASTE adj. SPHÉROCARPE adj. SPHÉROCARYE s. f. SPHÉROCÉPHALE adj. SPHÉROCÈRE s. m. SPHÉROCÉRIDE adj. SPHÉROCHARIS s. m. SPHÉROCOQUE s. m. SPHÉROCORE s. m. SPHÉROCORISE s. f. SPHÉRODACTYLE s. m. SPHÉRODE s. m. SPHÉRODÈME s. m. SPHÉRODÈRE s. m. SPHÉRODESME s. f. SPHÉRODON s. m. SPHÉRODORE s. m. SPHÉROÉDRIQUE adj. SPHÉROGASTRE s. m. SPHÉROÏDAL, ALE adj. SPHÉROÏDE s. m. SPHÉROÏDINE s. f. SPHÉROÏDIQUE adj. SPHÉROLOBE s. m. SPHÉROMACHIE s. f. SPHÉROMACHIQUE adj. SPHÉROMATODE adj. SPHÉROME s. m. SPHÉROMÉTOPE s. m. SPHÉROMÈTRE s. m. SPHÉROMÉTRIE s. f. SPHÉROMÉTRIQUE adj. SPHÉROMIDE adj. SPHÉROMIE s. f. SPHÉROMIEN, IENNE adj. SPHÉROMORPHE s. m. SPHÉROMORPHÉE s. f. SPHÉROMYCÈTE adj. SPHÉRONÈME s. m. SPHÉRONÉMÉ, ÉE adj. SPHÉRONITE s. f. SPHÉRONOÏDÉ, ÉE adj. SPHÉRONYQUE s. m. SPHÉROPALPE s. m. SPHÉROPÉE s. m. SPHÉROPHORE s. m. SPHÉROPHORÉ, ÉE adj. SPHÉROPHORIE s. f. SPHÉROPHYSE s. f. SPHÉROPIS s. m. SPHÉROPLACIS s. m. SPHÉROPLÉE s. f. SPHÉROPOME s. m. SPHÉROPSIDÉ, ÉE adj. SPHÉROPSIS s. m. SPHÉROPTÈRE s. m. SPHÉROPTÉRIDE s. f. SPHÉRORHINE s. m. SPHÉROSACME s. m. SPHÉROSIRE s. m. SPHÉROSOME s. m. SPHÉROSTEMME s. m. SPHÉROSTÉPHANE s. m. SPHÉROSTIGMA s. m. SPHÉROTE s. m. SPHÉROTÈLE s. m. SPHÉROTHÈQUE s. m. SPHÉROTHÉRIEN, IENNE adj. SPHÉROTHÉRION s. m. SPHÉROTILE s. m. SPHÉROZOON s. m. SPHÉROZOSME s. m. SPHÉROZYGE s. m. SPHÉRULACÉ, ÉE adj. SPHÉRULAIRE s. m. SPHÉRULE s. f. SPHÉRULÉ, ÉE adj. SPHÉRULITE s. f. SPHÉRUS SPHETTE SPHEX s. m. SPHIGGURE s. m. SPHINCTANTHE s. m. SPHINCTE s. m. SPHINCTER s. m. SPHINCTÉROSTIGMA s. m. SPHINCTÉRULE s. f. SPHINCTOCYSTE s. m. SPHINCTOLOBE s. m. SPHINCTRINE s. f. SPHINDE s. m. SPHINGIA ou SPHINGIDE adj. SPHINGIDÉ, ÉE adj. SPHINGIE s. f. SPHINGIEN, IENNE adj. SPHINGION s. m. SPHINGIUS SPHINGOÏDE adj. SPHINGOÏDÉ, ÉE adj. SPHINGURE s. m. SPHINTHÉROPHYTE s. m. SPHINX s. m. SPHODRE s. m. SPHODROS s. m. SPHONDYLANTHE s. m. SPHONDYLE s. m. SPHONDYLION s. m. SPHONDYLOCOQUE s. m. SPHRAGISTIQUE s. f. SPHYGMIQUE adj. SPHYGMOCÉPHALIE s. f. SPHYGMOCÉPHALIQUE adj. SPHYGMOGRAPHE s. m. SPHYGMOMÈTRE s. m. SPHYGMOMÉTRIE s. f. SPHYGMOMÉTRIQUE adj. SPHYRADION s. m. SPHYRÈNE s. f. SPHYRÉNIDE adj. SPHYRÉNIDÉ, ÉE adj. SPHYRÉNIDIEN, IENNE adj. SPHYRÉNIN, INE adj. SPHYRÉNINÉ, ÉE adj. SPHYRÉNODE s. m. SPHYRÉNOIDE adj. SPHYRION s. m. SPHYRO SPHYROLE s. m. SPIC s. m. SPICA s. m. SPICANARD s. m. SPICCATO adj. SPICHEL (cap) SPICIFÈRE s. m. SPICIFLORE adj. SPICIFORME adj. SPICIGÈRE adj. SPICILÉGE s. m. SPICILLAIRE s. m. SPICIPORE s. m. SPICULAIRE adj. SPICULATEUR s. m. SPICULE s. m. SPICULÉ, ÉE adj. SPICULIFÈRE adj. SPIEGEL (Frédéric) SPIEGEL (Henri) SPIEGHEL (Adrien VAN DEN) SPIEKER (Chrétien-Guillaume) SPIEL (Georges-Henri) SPIELBERG SPIELBERG (Jean) SPIELBERG (Jean) SPIELBERGER ou SPIELHAGEN (Frédéric) SPIELMANN (Jacques-Reinhold) SPIELMANN (le baron DE) SPIELMANNIE s. f. SPIERA ou SPIERINGS (Henri) SPIERRE (François) SPIERS (Albert VAN) SPIERS (Alexander) SPIÉSIE s. f. SPIESS (Auguste) SPIESS (Chrétien-Henri) SPIESS (Philippe-Ernest) SPIEZ SPIFAME (Jean-Paul) SPIFAME (Raoul) SPIGÉLIA s. m. SPIGÉLIACÉ, ÉE adj. SPIGÉLIE s. f. SPIGÉLIÉ, ÉE adj. SPIGÉLINE s. f. SPIGNO-MONTFERRATO SPILAMBERTO SPILANTHE s. m. SPILBERG ou SPILBERGEN (Georges DE) SPILE s. m. SPILENBERGER (Hans) SPILENBERGER (Hans) SPILIMBERGO SPILINGA SPILITE s. f. SPILLER DE HAUENSCHILD (Richard-Georges) SPILOBOLE s. m. SPILOCÉE s. f. SPILOGASTRE adj. SPILOMICRE s. m. SPILOMYIE s. f. SPILONOTE s. f. SPILOPLAXIE s. f. SPILOPTÈRE adj. SPILORNIS s. m. SPILOSOME s. m. SPILOTE adj. SPILOTHYRE s. m. SPILSBURG (Inigo) SPIN s. m. SPINA SPINA (Alexandre DELLA) SPINA ou DE L'E SPINA s. m. SPINA-BIFIDA s. m. SPINACANTHE s. m. SPINACE adj. SPINACHE s. m. SPINACIA s. m. SPINACIÉ, ÉE adj. SPINACIN, INE adj. SPINACORHINE s. m. SPINAIRE s. m. SPINAL, ALE adj. SPINARELLE s. f. SPINA-VENTOSA s. m. SPINAX s. m. SPINAZZI (Innocent) SPINAZZOLA SPINCKES (Nathaniel) SPINCOURT SPINCTÉRULE s. f. SPINDALIS s. m. SPINDLER (Charles) SPINE (Alphonse) SPINELLANE s. m. SPINELLE s. f. SPINELLI (Antoine) SPINELLI (Francesco-Maria) SPINELLI (Joseph-Eustache CROCÉ-) SPINELLI (Nicolas) SPINELLI (Spinello) SPINELLINE s. f. SPINELLO (Matteo) SPINESCENCE s. f. SPINESCENT, ENTE adj. SPINICAUDE adj. SPINICOLLE adj. SPINICORNE adj. SPINICRURE adj. SPINIFÈRE adj. SPINIFEX s. m. SPINIFORME adj. SPINIFRONT adj. SPINIGÈRE adj. SPINIGRADE adj. SPINILABRE adj. SPINIMANE adj. SPININERVÉ, ÉE adj. SPINIPÈDE adj. SPINITARSE adj. SPINITE s. f. SPINO (Pierre) SPINOCARPE adj. SPINOLA (Ambroise, marquis DE) SPINOLA (Thomassine) SPINOPORE s. m. SPINOSA SPINOSA (Baruch) SPINOSISME SPINOSISTE s. m. SPINOSO SPINOZA ou SPINOZISME s. m. SPINOZISTE s. SPINTHÈRE s. m. SPINTHÉROMÈTRE s. m. SPINTHÉROPIE s. f. SPINTHÉROPS s. m. SPINTRIEN, IENNE adj. SPINTURNIX s. m. SPINULE s. f. SPINULEUX, EUSE adj. SPINULIFORME adj. SPINUS s. m. SPIO s. m. SPIONADE s. f. SPIONCELLE s. f. SPIPOLE s. f. SPIPOLETTE s. f. SPIRACANTHE s. m. SPIRACULE s. m. SPIRADICLIS s. m. SPIRAL, ALE adj. SPIRALE s. f. SPIRALÉ, ÉE adj. SPIRALEMENT adv. SPIRALÉPIS s. m. SPIRALIFÈRE s. m. SPIRAMELLE s. f. SPIRANT, ANTE adj. SPIRANTHE s. m. SPIRANTHÈRE s. m. SPIRASTIGMA s. m. SPIRATELLE s. f. SPIRATION s. f. SPIRE SPIRE SPIRE (Jean DE) SPIRE s. f. SPIRÉACÉ, ÉE adj. SPIRÉE s. f. SPIRÉÉ, ÉÉE adj. SPIRÉINE s. f. SPIRICELLE s. f. SPIRICULE s. m. SPIRIDANTHE s. m. SPIRIDENT s. m. SPIRIDION (saint) SPIRIFÈRE adj. SPIRIFÉRIDE adj. SPIRIFÉRINE s. f. SPIRIFORME adj. SPIRIGÈRE s. f. SPIRIGÉRINE s. f. SPIRILLE s. f. SPIRIQUE adj. SPIRIS s. f. SPIRITE s. SPIRITI (Salvatore, marquis) SPIRITISME s. m. SPIRITISTE adj. SPIRITO (Lorenzo GUALTIERI, dit) SPIRITOSO adv. SPIRITUALISATION s. f. SPIRITUALISER v. a. ou tr. SPIRITUALISME s. m. SPIRITUALISTE s. SPIRITUALITÉ s. f. SPIRITUEL, ELLE adj. SPIRITUELLEMENT adv. SPIRITUEUX, EUSE adj. SPIRITUOSITÉ s. f. SPIRITUS PROMPTUS EST, CARO AUTEM INFIRMA SPIRIVALVE adj. SPIRLIN s. m. SPIRO SPIROBOLE s. m. SPIROBOTRYS s. m. SPIROBRACHIOPHORE adj. SPIROBRANCHE s. m. SPIROBRANCHIDÉ, ÉE adj. SPIROCHÈTE s. m. SPIROCYLISTE s. m. SPIRODÈLE s. f. SPIRODISQUE s. m. SPIROGLYPHE s. m. SPIROGRAPHE s. m. SPIROGYRE s. m. SPIROÏDE adj. SPIROLE s. f. SPIROLINE s. f. SPIROLOBÉ, ÉE adj. SPIROLOCULINE s. f. SPIROMÈTRE s. m. SPIRONÈME s. m. SPIROPÉE s. m. SPIROPLECTE s. f. SPIROPORE s. m. SPIROPTÈRE s. m. SPIRORBE s. m. SPIRORHYNQUE s. m. SPIROSTIGMA s. m. SPIROSTOME s. m. SPIROSTRAQUE s. m. SPIROSTRÉPHON s. m. SPIROSTREPTE s. m. SPIROSTREPTIDÉ, ÉE adj. SPIROSTYLE adj. SPIROTÉNIE s. f. SPIROTROPIS s. m. SPIROYLE s. f. SPIROYLURE s. m. SPIRULACÉ, ÉE adj. SPIRULE s. f. SPIRULÉ, ÉE adj. SPIRULIDE adj. SPIRULINE s. f. SPIRULIROSTRE s. m. SPISANO (Vincent) SPISSICORNE adj. SPISSIPÈDE adj. SPISSIROSTRE adj. SPISULE s. f. SPITHAME s. f. SPITHEAD SPITTA (Charles-Jean-Philippe) SPITTLER (Louis-Timothée, baron DE) SPITZBERG SPITZEL ou SPITZÉLIE s. f. SPITZNER (Jean-Ernest) SPITZWEG (Charles) SPIURE s. f. SPIX (Jean-Baptiste) SPIXIA s. m. SPIZAÈTE s. m. SPIZASTUR s. m. SPIZE s. f. SPIZÉ, ÉE adj. SPIZEL (Gottlieb) SPIZELLE s. f. SPLACHNE s. m. SPLACHNÉ, ÉE adj. SPLANC s. m. SPLANCHNEURYSME s. m. SPLANCHNIQUE adj. SPLANCHNOCÔTE s. f. SPLANCHNODENT s. f. SPLANCHNOGRAPHE s. m. SPLANCHNOGRAPHIE s. f. SPLANCHNOGRAPHIQUE adj. SPLANCHNOLITHIASIE s. f. SPLANCHNOLOGIE s. f. SPLANCHNOLOGIQUE adj. SPLANCHNOLOGUE s. m. SPLANCHNOMYCE s. m. SPLANCHNONÈME s. m. SPLANCHNOSCOPIE s. f. SPLANCHNOSQUELETTE s. m. SPLANCHNOSQUELETTIQUE adj. SPLANCHNOTOMIE s. f. SPLANCHNOTOMIQUE adj. SPLANCHNOVERTÉBRAL, ALE adj. SPLANCHNOVERTÈBRE s. f. SPLANE s. m. SPLEEN s. m. SPLÉNALGIE s. f. SPLÉNALGIQUE adj. SPLENDEUR s. f. SPLENDIDE adj. SPLENDIDEMENT adv. SPLÉNECTOMIE s. f. SPLÉNECTOMIQUE adj. SPLÉNEMPHRACTIQUE adj. SPLÉNEMPHRAXIE s. f. SPLÉNÉTIQUE adj. SPLÉNIFICATION s. f. SPLÉNIQUE adj. SPLÉNISATION s. f. SPLÉNITE s. f. SPLÉNIUS s. m. SPLÉNOCÈLE s. f. SPLÉNOGRAPHE s. m. SPLÉNOGRAPHIE s. f. SPLÉNOGRAPHIQUE adj. SPLÉNOÏDE adj. SPLÉNOLOGIE s. f. SPLÉNOLOGIQUE adj. SPLÉNOLOGISTE s. m. SPLÉNONCIE s. f. SPLÉNOPARECTAME s. f. SPLÉNOPATHIE s. f. SPLÉNOPHRACTIQUE adj. SPLÉNOPHRAXIE s. f. SPLÉNORRHAGIE s. f. SPLÉNOTOMIE s. f. SPLÉNOTOMIQUE adj. SPLITGERBÈRE s. f. SPLUGEN SPLUGEN SPODE s. f. SPODIOPOGON s. m. SPODITE s. f. SPODOCÉPHALE adj. SPODOMANCIE s. f. SPODOMANCIEN, IENNE s. SPODUMÈNE s. m. SPOERCK (Jean, comte DE) SPOERKEN SPOERKEN (François-Antoine, comte DE) SPOFFORTH (Reginald) SPOGGODIE s. f. SPOGGOSTYLE s. m. SPOHN (Frédéric-Auguste-Guillaume) SPOHN (Théophile-Leberecht) SPOHR (Louis) SPOLÈTE SPOLETI (Pierre-Laurent) SPOLIARIUM s. m. SPOLIATEUR, TRICE s. SPOLIATIF, IVE adj. SPOLIATION s. f. SPOLIER v. a. ou tr. SPOLTORE SPOLVERINI (Hilarion) SPOLVERINI (le marquis Jean-Baptiste) SPON (Charles) SPON (Jacob) SPONDAÏQUE adj. SPONDAULE s. m. SPONDAULION s. m. SPONDE (Henri DE) SPONDE (Inigo DE) SPONDE (Jean DE) SPONDÉ s. f. SPONDÉASME s. m. SPONDÉE s. m. SPONDIACÉ, ÉE adj. SPONDIAS s. m. SPONDYLALGIE s. f. SPONDYLALGIQUE adj. SPONDYLARTHROCACE s. f. SPONDYLE s. m. SPONDYLIDE s. m. SPONDYLIS s. m. SPONDYLITE s. f. SPONDYLITE s. m. SPONDYLOCLADE s. m. SPONDYLOCLADIE s. f. SPONDYLOÏTE s. m. SPONDYLOLITE s. m. SPONDYLOSAURE s. m. SPONDYLOZOAIRE s. m. SPONDYLURE s. m. SPONECK (Guillaume-Charles, comte DE) SPONGIAIRE adj. SPONGIÉ, ÉE adj. SPONGIEUX, EUSE adj. SPONGIFORME adj. SPONGILLE s. f. SPONGINE s. f. SPONGIOBRANCHE s. m. SPONGIOCARPÉ, ÉE adj. SPONGIOLE s. f. SPONGIOLITHE s. f. SPONGION s. m. SPONGIOSITÉ s. f. SPONGIPÈDE adj. SPONGIPHORE s. m. SPONGITE s. m. SPONGOBRANCHE s. m. SPONGOCARPE s. m. SPONGODION s. m. SPONGOÏDE adj. SPONGOPE s. m. SPONGOPODE s. m. SPONHEIM SPONIA s. m. SPONNECK ou SPONSALIES s. f. pl. SPONSOR s. m. SPONT s. m. SPONTANÉ, ÉE adj. SPONTANÉITÉ s. f. SPONTANÉMENT adv. SPONTÉPARISTE s. m. SPONTINI (Gaspare-Luigi-Pacifico) SPONTINI ou SPONTON s. m. SPONTONE (Cyrus) SPORADE adj. SPORADES SPORADICITÉ s. f. SPORADIPE s. m. SPORADIQUE adj. SPORADIQUEMENT adv. SPORADOPYXIDE s. f. SPORADOSIDÈRE s. m. SPORANGE s. m. SPORANGIDION s. m. SPORANGIOLE s. m. SPORANGIOLIFÈRE adj. SPORCK ou SPORCK ou SPORE s. m. SPORE s. m. SPORÉE s. f. SPORENDONÈME s. m. SPORENO (Joseph) SPORER (Wolfgang) SPORIDESME s. m. SPORIDIE s. f. SPORIDIFÈRE adj. SPORIDIFORME adj. SPORIDOQUE adj. SPORISORE s. m. SPORK, SPORK, SPORLÉDÈRE s. f. SPOROBOLE s. m. SPOROCADE s. m. SPOROCARPE s. m. SPOROCHNE s. m. SPOROCHNÉ, ÉE adj. SPOROCYBE s. m. SPOROCYSTE s. f. SPORODINIE s. f. SPORODON s. m. SPOROMÉGA s. m. SPOROMYCÈTE adj. SPOROPHORE adj. SPOROTAME s. m. SPOROTHÈQUE s. m. SPOROTRIC s. m. SPOROTRICHÉ, ÉE adj. SPORSCHIL (J.) SPORT s. m. SPORTE s. m. SPORTIF, IVE adj. SPORTSMAN s. m. SPORTULE s. f. SPORULE s. f. SPORULEUX, EUSE adj. SPORULIE s. f. SPORULIFÈRE adj. SPORULIGÈRE adj. SPORUS SPOTORNO (Jean-Baptiste) SPOTSWOOD (John) SPOULAGE s. m. SPOULIN s. m. SPOUT s. m. SPRAGGE (sir Edouard) SPRAGUE (Charles) SPRANGER (Barthélemi) SPRAT (Thomas) SPRAT s. m. SPRATELLE s. m. SPRECCHER DE BERNEK (Fortunat) SPRECHER ou SPRECHER s. m. SPRÉE SPRÉKÉLIE s. f. SPREMBERG SPRENDONÈME s. m. SPRENG (Jean-Jacques) SPRENGEL (Charles) SPRENGEL (Kurt-Polycarpe-Joachim) SPRENGEL (Matthieu-Chrétien) SPRENGEL (Wilhelm) SPRENGÉLIE s. f. SPRENGER (Aloys) SPRENGER (Balthasar) SPRENGER (Placide) SPRENGPORTEN (Joram-Magnus, baron de) SPRÉO s. m. SPRESIANO SPRETI (Didier) SPRING (Gardner) SPRINGALLE s. f. SPRINGBOK s. m. SPRINGER (Antoine-Henri) SPRINGER (Cornelis ou Corneille) SPRINGER (Jean-Christophe-Eric DE) SPRINGFIELD SPRINGFIELD SPRINGFIELD SPRINGFIELD SPROPOSITO s. m. SPROT (Rabbi Scem Tov ben Isaac ben) SPROT s. m. SPROTTAU SPRUCÉA s. f. SPRUCE-BEER s. f. SPRUCH-SPRUNER (Charles DE) SPRUYT (Philippe Lambert-Joseph) SPUCHES (Joseph DE) SPUCHES (Joséphine TURRISI-COLONNA, dame DE) SPULLER (Eugène) SPUMAIRE s. f. SPUMA-LUPI s. m. SPUMARIÉ, ÉE adj. SPUME s. f. SPUMESCENT, ENTE adj. SPUMEUX, EUSE adj. SPUMOSITÉ s. f. SPURGEON (Charles-Haddon) SPURINE s. f. SPURINNA SPURINNA (Vestricius) SPURON s. m. SPURZHEIM (Jean-Gaspard) SPUTATEUR s. m. SPUTATION s. f. SPYRIDIE s. f. SPYRIDION s. m. SQUADRONISTE s. m. SQUALE s. m. SQUALIDE adj. SQUALIDE adj. SQUALIDÉ, ÉE adj. SQUALIDIEN, IENNE adj. SQUALIDITÉ s. f. SQUALIE s. m. SQUALIN, INE adj. SQUALINÉ, ÉE adj. SQUALODON s. m. SQUALORAYA s. m. SQUAME s. f. SQUAMÉ, ÉE adj. SQUAMÉEN, ÉENNE adj. SQUAMELLE s. f. SQUAMELLIFÈRE adj. SQUAMELLI-FIMBRILLÉ, ÉE adj. SQUAMELLULE s. f. SQUAMÉRIE s. f. SQUAMEUX, EUSE adj. SQUAMIFÈRE adj. SQUAMIFLORE adj. SQUAMIFOLIÉ, ÉE adj. SQUAMIFORME adj. SQUAMIGÈRE adj. SQUAMIPÈDE adj. SQUAMIPENNE adj. SQUAMMEUX, EUSE adj. SQUAMODERME adj. SQUAMOLOMBRIC s. m. SQUAMOSITÉ s. f. SQUAMULE s. f. SQUAMULIFORME adj. SQUARCIALUPI (Antonio) SQUARCIALUPI (Marcel) SQUARCIONE (Francesco) SQUARE s. m. SQUARREUX, EUSE adj. SQUASH s. m. SQUATAROLE s. f. SQUATINE s. f. SQUATINÉ, ÉE adj. SQUATINELLE s. f. SQUATININ, INE adj. SQUATINORAJA s. m. SQUATINORAJÉ, ÉE adj. SQUEEZER s. m. SQUELETTE s. m. SQUELETTIQUE adj. SQUELETTISER (SE) v. pr. SQUELETTOLOGIE s. f. SQUELETTOLOGISTE s. m. SQUELETTOPÉE s. m. SQUIER (Ephraïm-George) SQUILLACE SQUILLACE (golfe de) SQUILLACÉ, ÉE adj. SQUILLE s. f. SQUILLÉRICHTHE s. m. SQUILLIEN, IENNE adj. SQUINANCIE s. f. SQUINE s. f. SQUINZANO SQUIRE (Samuel) SQUIRRHE ou SQUIRRE s. m. SQUIRRHEUX ou SQUIRREUX, EUSE adj. SQUIRRHOGASTRIE ou SQUIRROGASTRIE s. f. SQUIRRHOGASTRIQUE ou SQUIRROGASTRIQUE adj. SQUIRRHOSARQUE ou SQUIRROSARQUE s. m. SQUIRRHOSITÉ ou SQUIRROSITÉ s. f. SRAMANA s. m. SREE-PADA SREZNEFSKII (Izmaïl-Ivanovitch) SRI s. m. SRI-RANGA-PATANA SRI-VACHTOUMA s. m. SSÉGINOPORIENS s. m. pl. SSÉ-TCHOUAN SSE-MA-KOUANG SSE-MA-THAN SSE-MA-TCHING ou SIAO-SSEMA SSE-MA-TSIAN SSI s. m. SSIO s. m. ST! ST! interj. STAAF (Ferdinand-Nathanaël) STAAL (Charles DE) STAAL DE LAUNAY (baronne DE) STAAVIA s. m. STAB s. m. STABAT s. m. STABEN (Henri) STABERL STABÉROHA s. m. STABIES STABILISATION s. f. STABILISER v. a. ou tr. STABILISME s. m. STABILISTE s. m. STABILITÉ s. f. STABLAT s. m. STABLE adj. STABLE-BOY s. m. STABLEMENT adv. STABLÈRE s. m. STABROEK STABULATION s. f. STABULUM STACCATO adv. STACE (Publius Papinius STATIUS) STACHYANTHE s. m. STACHYBOTRYS s. m. STACHYDE s. f. STACHYDÉ, ÉE STACHYLIDION s. m. STACHYNIE s. f. STACHYQUE s. f. STACHYS s. m. STACHY STÉMON s. m. STACHYTARPHA s. m. STACHYTARPHÈTE s. m. STACHYURE s. m. STACKELBERG (Othon-Magnus, baron DE) STACKELBERG (comte Ernest DE) STACKHOUSE (Thomas) STACKHOUSE (John) STACKHOUSÉ, ÉE adj. STACKHOUSIACÉ, ÉE adj. STACKHOUSIE s. f. STACTÉ s. m. STACTEN s. m. STADE s. m. STADE STADE (ARRONDISSEMENT ou CERCLE DE) STADE (MARCHE DE) STADE (Thierry DE) STADIA s. m. STADINGH s. m. STADIODROME s. m. STADION (Jean-Philippe-Charles-Joseph, comte DE) STADLER (l'abbé Maximilien) STADMANE s. f. STADMANNIE s. f. STADNICKI (Michel) STADNICKI (Alexandre) STADNICKI (Casimir) STADT-AM-HOF STADTBERG STADTHAGEN STADTLOHN STAECK (Joseph-Magnus) STAEFA STAEGEMANN (Frédéric-Auguste VON) STAEHELIN ou STAHELIN (Jean-Henri) STAEHELIN ou STAHELIN (Benoît) STAEHELIN (Jean-Rodolphe) STAEHELIN (Jean) STAEHELIN (Benoît) STAEHÉLINE s. f. STAEHLIN-STORKSBURG (Jacques DE) STAËL-HOLSTEIN (Eric-Magnus, baron DE) STAËL-HOLSTEIN (Anne-Louise-Germaine NECKER, baronne DE) STAËL-HOLSTEIN (le baron Auguste-Louis DE) STAELIE s. f. STAELIN (Christophe-Frédéric DE) STAEMPFLI (Jacques) STAEUDLIN (Charles-Frédéric) STAEWARTS ou STEVERTS (Palamède) STAFFA STAFFARDE STAFFOLO STAFFORD STAFFORD (COMTÉ DE) STAFFORD (Henri DE) STAFFORD (Guillaume HOWARD, comte DE) STAGE s. m. STAGIAIRE adj. STAGIER s. m. STAGIRE STAGIRITE s. et adj. STAGLIENO STAGMAIRE s. m. STAGMATOPTÈRE s. m. STAGNAL, ALE adj. STAGNANT, ANTE adj. STAGNATION s. f. STAGNÉLIUS (Erik-Johan) STAGNER v. n. ou intr. STAGNICOLE adj. STAGNIE s. f. STAGNO STAGNON s. m. STAHELIN ou STAEHELIN (Benoît) STAHL (Georges-Ernest) STAHL (Frédéric-Jules) STAHL (P.-J.) STAHLIANISME s. m. STAHLIEN, IENNE adj. STAHR (Adolphe-Guillaume-Théodore) STAHREMBERG (Ernest-Rudiger, comte DE) STAHREMBERG (Guido-Ubalde, comte DE) STAIN (Charles-Léopold, comte DE) STAINER (Richard) STAINES STAINS STAIR (Jean-Hamilton DALRYMPLE) STAIR (vicomte et comte DE) STAJO s. m. STAJOLO s. m. STAKE s. m. STALACTIFÈRE adj. STALACTIS s. m. STALACTITE s. f. STALACTITIQUE adj. STALAGMIE s. f. STALAGMITE s. f. STALAGMITIQUE adj. STALAGMITIS s. m. STALAGMOMÈTRE s. m. STALAGMOSOME s. m. STALBENT (Adrien VAN) STALENS (Jean) STALIMÈNE STALLBAUM (Godefroi) STALLE s. f. STALLUPOENEN STALPART VANDER WIEL (Corneille) STAMATY (Camille-Marie) STAMBOUL et quelquefois I STAMBOUL STAMBRUGES STAMETTE s. f. STAMFORD STAMFORD STAMFORD-BRIDGE (WEST-) STAMFORD (Henri-Guillaume DE) STAMFORD-RAFFLES STAMINAIRE adj. STAMINAL, ALE adj. STAMINÉ, ÉE adj. STAMINEUX, EUSE adj. STAMINIFÈRE adj. STAMINIFORME adj. STAMINODE s. m. STAMINO-PISTILLÉ, ÉE adj. STAMINULE s. f. STAMITZ (Charles) STAMPA (Gasparde) STAMPAE STAMPALIE STAMPART (François) STAMPE s. f. STAMPFEN STANCARI (Francesco) STANCARI (Vittorio-Francesco) STANCARIANISME s. m. STANCARIEN, IENNE s. STANCE s. f. STANCEL ou STANSEL (Valentin) STANCHO STAND s. m. STANDIA STANDISH (Henri) STANDISH (Miles) STANDON STANFIELD (Clarkson) STANGÉRIE s. f. STANGHELLA STANGUE s. f. STANGUETTE s. f. STANHOPE s. f. STANHOPE STANHOPE (Jacques, comte DE) STANHOPE (Charles, vicomte DE MAHON, comte DE) STANHOPE (lady Esther) STANHOPE (Philippe-Henry, comte) STANHOPE (Philippe-Henry, comte) STANHOPE (Philippe DORMER) STANHOPÉE s. f. STANIGRADE s. m. pl. STANISLAS (saint) STANISLAS KOSTKA (saint) STANISLAS Ier LESCZYNSKI ou LECZINSKI STANISLAS II (Stanislas-Auguste PONIATOWSKI) STANISLAVOW STANKAR (François) STANLEY (Thomas) STANLEY (Thomas-John D'ALDERLEY, baronnet) STANLEY (Edouard) STANLEY (Henri) STANLEY (Edouard-Henry SMITH, lord) STANLEYE s. f. STANNAGE s. m. STANNATE s. m. STANNEUX, EUSE adj. STANNICO-PHOSPHORIQUE adj. STANNIDE adj. STANNIFÈRE adj. STANNIFÉRER v. a. ou tr. STANNINE s. f. STANNIQUE adj. STANNOÏDE adj. STANOSTHÈTE s. m. STANOVOÏ ou IABLONOÏ (monts) STANS PEDE IN UNO STANTÉ, ÉE adj. STANTON (Edwin-M.) STANTZAÏTE s. f. STANYHURST (Richard) STANYHURST (William) STANZ STANZANI (Agostino) STANZIONI (Massimo) STAOUÉLI STAPÈDE s. m. STAPÉDIEN, IENNE adj. STAPEL (Jean BODAEUS A) STAPÉLIE s. f. STAPFER (Jacques) STAPFER (Jean-Frédéric) STAPFER (Jean) STAPFER (Philippe-Albert) STAPHILIER s. m. STAPHISAIGRE s. f. STAPHISAIN s. m. STAPHYLÉACÉ, ÉE adj. STAPHYLIER s. m. STAPHYLIN, INE adj. STAPHYLINIDE adj. STAPHYLINIEN, IENNE adj. STAPHYLINIFORME adj. STAPHYLODENDRON s. m. STAPHYLOMATEUX, EUSE adj. STAPHYLÔME s. m. STAPHYLO-PHARYNGIEN, IENNE adj. STAPHYLOPLASTIE s. f. STAPHYLOPTÉRIDE s. f. STAPHYLORRHAPHIE s. f. STAPHYLORRHAPHIQUE adj. STAPHYLOTOME s. m. STAPHYLOTOMIE s. f. STAPHYLOTOMIQUE adj. STAPIE s. f. STAPLEAUX (Michel-Ghislain) STAPLEAUX (Guillaume-Léopold) STAPLETON (Thomas) STAPLETON ou STAPYLTON (Robert) STAPLETON STAPPE s. m. STAPSS (Frédéric) STARAIA-ROUSSA STARASOL STARBIE s. f. STARCK (Samuel) STARCK (Jean-Auguste DE) STARCZEWSKI (Albert) STARELLO s. m. STARGARD STARGARD STARGARD STARHEMBERG STARIKI s. m. STARIQUE s. m. STARITZA STARK (William) STARK (Jean-Chrétien) STARK (Pierre) STARKENBACH STARKENBURG STARKIE s. f. STARKIE (Thomas) STARNBERG STARNE s. f. STARNINA (Gherardo) STARNOENAS s. m. STARODOUB STAROF (Ivan-Iegorovitch) STARON s. m. STAROSTE s. m. STAROSTIE s. f. STAROWOLSKI (Simon) STARTER s. m. STARTI s. m. STASE s. f. STASINUS DE CYPRE STASSART (Henri-Ignace-Philippe DE) STASSART (Jacques-Joseph, baron DE) STASSART (Goswin-Joseph-Augustin, baron DE) STASSFURT STASZOW STASZYC (Xavier-Stanislas) STATAN et STATYNA STATEN-ISLAND STATER s. m. STATÈRE s. m. STATHMÉTIQUE s. f. STATHMOS s. m. STATHOUDER s. m. STATHOUDÉRAT s. m. STATHOUDÉRIEN, IENNE adj. STATICE s. m. STATICÉ s. m. STATICÉ, ÉE adj. STATICÉE s. f. STATIF, IVE adj. STATILIUS (Titus Taurus) STATION s. f. STATIONNAIRE adj. STATIONNAIREMENT adv. STATIONNAL, ALE adj. STATIONNARITÉ s. f. STATIONNÉ, ÉE part. passé STATIONNEMENT s. m. STATIONNER v. n. ou intr. STATIQUE adj. STATIRA STATIRA STATISTICIEN, IENNE adj. STATISTIQUE s. f. STATOR s. m. STATOR STATOR (Pierre) STATOR (Pierre) STATUAIRE adj. STATUE s. f. STATUER v. a. ou tr. STATUETTE s. f. STATU QUO s. m. STATURE s. f. STATUT s. m. STATUTAIRE adj. STATUTAIREMENT adv. STATYRE s. f. STATZ (Vincent) STAUDENMAIER (François-Antoine) STAUDIGL (Ulric) STAUFEN STAUFFACHER STAUNTON (sir George-Léonard) STAUNTON (sir George-Thomas) STAUNTON (Howard) STAUNTONIE s. f. STAUPITZ (Jean) STAURACANTHE s. m. STAURANTHÈRE s. f. STAURASTRE s. m. STAURIDIE s. f. STAURIDION s. m. STAUROBARYTE s. m. STAUROCARPE s. m. STAUROGYNE s. m. STAUROLÂTRE s. m. STAUROLÂTRIE s. f. STAUROLITHE s. m. STAURONÉIDE s. f. STAUROPE s. m. STAUROPHALLE s. m. STAUROPHORE s. m. STAUROPHRAGME s. m. STAUROPHYLAX s. m. STAUROPHYLLE adj. STAUROPTÈRE adj. STAUROSOME s. m. STAUROSPERME s. m. STAUROTIDE s. f. STAUROTIQUE adj. STAUROTYPE s. m. STAUTON STAUTON STAVANGER STAVANGER (AMT DE) STAVELEY (Thomas) STAVELOT STAVELOT (Jean DE) STAVOREN STAWIARSKI (Ignace-François) STAY (Benoît) STEAMBOAT ou STEAM-BOAT s. m. STEAMER s. m. STÉARATE s. m. STÉARATÉ s. m. STÉARINE s. f. STÉARINERIE s. f. STÉARINIER s. m. STÉARIQUE adj. STÉAROCONOTE s. f. STÉAROGLUCOSE s. m. STÉAROL s. m. STÉAROLAURINE s. f. STÉAROLÉ s. m. STÉAROLIQUE adj. STÉAROLITE s. m. STÉAROLURE s. m. STÉARONE s. f. STÉAROPHANINE s. f. STÉAROPHANIQUE adj. STÉAROPTÈNE s. m. STÉARO-RICINATE s. m. STÉARO-RICINIQUE adj. STÉAROXYLIQUE adj. STÉASCHISTE s. m. STÉATIQUE s. f. STÉATITE s. f. STÉATITEUX, EUSE adj. STÉATOCÈLE s. f. STÉATODE s. m. STÉATODÈRE s. m. STÉATOMATEUX, EUSE adj. STÉATOMATODE adj. STÉATÔME s. m. STÉATOPYGE adj. STÉATOPYGIE s. f. STÉATORNIS s. m. STÉATORRHÉE s. f. STÉATOSE s. f. STÉBÉ s. m. STÉBLÉVIEN s. m. STECH (André) STÉCHADES (les) STÉCHAS s. m. STECHMANNIE s. f. STECK s. m. STECK (Françoise-Elisabeth GUICHELIN, dame) STECKBORN STECKEN s. m. STEDINGK STEDMAN (Jean-Gabriel) STEEG (Jules) STEEK-BRINKMAN (Mme VAN) STEEL (John) STEELE (Richard) STEEN (Jan) STEEN (Corneille VAN DEN) STEENACKERS (François-Frédéric) STEENBERGEN STEENBOCK s. m. STEENHAMMÈRE s. f. STEEN STRUP (Jean-Japhet-Smith) STEENVOORDE STEENWERCK STEENWYCK (Henri VAN) STEEPLE-CHASE s. m. STEEPLE-CHASER s. m. STEEVENS (George) STEFANESCHI (Jean-Baptiste) STEFANI (Pierre DE) STEFANI (Thomas) STEFANO (SANTO-) STEFANO-D'AVETO (SANTO-) STEFANO-BELBO (SANTO-) STEFANO-DEL-CORNO (SANTO-) STEFANO-DI-CAMA STRA (SANTO-) STEFANO-QUISQUINO (SANTO-) STEFANO-ROERO (SANTO-) STEFANO-VERONESE (SANTO-) STEFANO ou ÉTIENNE DE FLORENCE STEFANO (Giovanni) STEFANO (Thomas DI) STEFFANI (Agostino) STEFFELSDORF (GROSS-) STEFFENS (Henri) STEFONIO (Bernardino) STÉGANE adj. STÉGANIE s. f. STÉGANOGRAPHE s. m. STÉGANOGRAPHIE s. f. STÉGANOGRAPHIQUE adj. STÉGANOGRAPHIQUEMENT adv. STÉGANOLOPHE s. m. STÉGANOPE s. m. STÉGANOPODE adj. STÉGANOPTYQUE s. m. STÉGANOSPORE s. m. STÉGANOTOME s. m. STÉGANOTROPIS s. m. STÉGASME s. m. STÉGASPIDE s. f. STÉGASTE s. m. STEGER (Frédéric) STÉGIE s. f. STÉGILLE s. f. STÉGILLÉ, ÉE adj. STÉGINOPORIENS s. m. pl. STEGMANN (Charles-David) STEGMANN (Charles-Joseph) STÉGNOGRAMME s. m. STÉGNOSE s. f. STÉGNOSPERME s. m. STÉGNOTIQUE adj. STÉGOBOLE s. m. STÉGOCARPE adj. STÉGOCÉPHALE s. m. STÉGONOTE s. m. STÉGOPTÈRE adj. STÉGOSIE s. f. STÉGOSTOME s. m. STÉHÉLINE s. f. STEIBELT (Daniel) STEIDL (Martin-Melchior) STEIER STEIFENSAND (François-Xavier) STEIGENTESCH (Auguste, baron DE) STEIGER (Jacques-Robert) STEIGLEHNER (Gaspard) STEIGUER (Nicolas-Frédéric DE) STEIN s. m. STEIN STEIN STEIN-AM-ANGER STEIN (Georges-Guillaume) STEIN (Charlotte-Albertine-Ernestine DE) STEIN (Henri-Frédéric-Charles, baron DE) STEIN (Chrétien-Godefroy-Daniel) STEIN STEIN (Laurent) STEIN (Frédéric) STEINAU STEINAU STEINBACH STEINBART (Gotthelf-Samuel) STEINBEISSER s. m. STEINBOCK s. m. STEINBRECH s. m. STEINBRUCK (Edouard) STEINER s. m. STEINER (Werner) STEINER (Werner) STEINER (Jean-Gaspar) STEINER (Jean-Jacques) STEINER ou STAINER (Jacques) STEINER (Jean-Conrad) STEINER (Emmanuel) STEINFURT STEINHAEUSER (Jean-Benjamin) STEINHAEUSER (Charles) STEINHEIL (Charles-Auguste) STEINHEIL (Louis-Charles-Auguste) STEINHELIE s. f. STEINHEILITE s. f. STEINKERQUE s. f. STEINKERQUE ou STEENKERQUE STEINKOPF (Jean-Frédéric) STEINKOPF (Gottlob-Frédéric) STEINLA (Maurice MULLER, dit) STEINLE (Jean-Edouard) STEINMANNITE s. f. STEINMETZ (Charles-Frédéric DE) STEINSCHNEIDER (Maurice) STEINTHAL (Heymann) STEIRA s. m. STEIRACTIS s. m. STEIRA STOME s. m. STEIRODISQUE s. m. STEIRODON s. m. STEIROGLOSSE s. f. STEIROLÉPIDE adj. STEIROLÉPIS s. m. STEIRONÈME s. m. STEIRONOTE s. m. STEIROPHIS s. m. STEIROSE s. f. STEKAN s. m. STEKENE STELAGE s. m. STELAGIER s. m. STÈLE s. f. STÉLÉCHITE s. f. STÉLÉCHOSPERME s. m. STÉLIDE s. f. STÉLIDOTE s. m. STÉLION s. m. STELLA s. f. STELLA STELLA (Aruntius ou Laruntius) STELLA (François) STELLA (Jacques) STELLA (Claudine BOUZONNET-) STELLA (Antoine BOUZONNET-) STELLA-PETRONILLA (Maria) STELLAGE s. m. STELLAIRE adj. STELLARIA s. m. STELLARINÉ, ÉE adj. STELLASTRE s. m. STELLATURE s. f. STELLÉ, ÉE adj. STELLER (Jean) STELLER ou STOELLER (Georges-Guillaume) STELLÈRE s. m. STELLÉRIDE adj. STELLÉRIE s. f. STELLÉRINE s. f. STELLIFÈRE adj. STELLIFORME adj. STELLIGÈRE adj. STELLINERVÉ, ÉE adj. STELLINI (Jacques) STELLIO STELLIOLA (Nicolas-Antonio) STELLION s. m. STELLIONAT s. m. STELLIONATAIRE s. STELLIONIDE adj. STELLIONIDÉ, ÉE adj. STELLIONIN, INE adj. STELLIPORE adj. STELLITE s. f. STELLOGNATHE s. m. STELLONIE s. f. STELLULE s. f. STELLULÉ, ÉE adj. STELLULINE s. f. STELLUTI (François) STELMIE s. f. STÉMATOSPERME s. m. STEMER (Nicolas-François-Xavier) STEMMACANTHE s. m. STEMMADÉNIE s. f. STEMMASIPHON s. m. STEMMATE s. m. STEMMATIQUE adj. STEMMATOPE s. m. STEMMATOPIN, INE adj. STEMMIULE s. m. STEMMODONTIE s. f. STÉMODIE s. f. STÉMONA s. m. STÉMONACANTHE s. m. STÉMONE s. f. STÉMONITE s. m. STÉMONURE s. m. STÉMOPTÈRE s. m. STEMPHYLION s. m. STÉN, STÉNÉO ou STÉNO préfixe STÉNACTIS s. m. STÉNANDRE s. m. STÉNANTHE s. m. STÉNANTHÈRE s. m. STÉNARRHÈNE s. m. STÉNASPIS s. m. STENAY STENBOCK (Magnus, comte DE) STENCORE s. m. STENDAL STENDARDI (Charles-Antoine) STENDHAL STÈNE s. m. STÉNELMIS s. m. STÉNÉLYTRE adj. STÉNÉO préfixe STÉNÉODON s. m. STÉNÉOFIBRE s. m. STÉNÉOSAURE s. m. STÉNÉOTHÉRIUM s. m. STÉNEPTÉRYX s. m. STENGEL (Georges) STENGEL (Jean-Petersohn) STENGEL (F.-Charles) STENGEL (Henri) STÉNHOLME s. m. STÉNIAS s. m. STÉNIDÉE s. f. STÉNIDIE s. f. STÉNIE s. f. STÉNIE s. f. STÉNINIEN, IENNE adj. STENKO (Razin) STÉNO préfixe STENO (Michel) STÉNOBÉE STÉNOCARDIAQUE adj. STÉNOCARDIE s. f. STÉNOCARPE s. m. STÉNOCÉLIE s. f. STÉNOCÉPHALE s. m. STÉNOCÈRE s. m. STÉNOCERQUE s. m. STÉNOCHARE s. m. STÉNOCHEILE s. m. STÉNOCHIE s. f. STÉNOCHILE s. m. STÉNOCHLÈNE s. f. STÉNOCINOPS s. m. STÉNOCIONOPS s. m. STÉNOCLINE s. m. STÉNOCNÈME s. m. STÉNOCORIDE s. m. STÉNOCORYNE s. m. STÉNODACTYLE s. m. STÉNODE s. m. STÉNODÈRE s. m. STÉNODERME s. m. STÉNODIDACTYLE adj. STÉNODILOBE s. m. STÉNODON s. m. STÉNODONTE s. m. STÉNOGASTRE s. m. STÉNOGLOSSE s. m. STÉNOGLOTTIDE s. f. STÉNOGONE adj. STÉNOGRAMME s. m. STÉNOGRAPHE s. STÉNOGRAPHIE s. f. STÉNOGRAPHIER v. a. ou tr. STÉNOGRAPHIQUE adj. STÉNOGRAPHIQUEMENT adv. STÉNOGYNE s. f. STÉNOÏDÉE s. f. STÉNOLOBE s. m. STÉNOLOPHE s. m. STÉNOME s. m. STÉNOMESSON s. m. STÉNOMORPHE s. m. STÉNON (canal de) STÉNON (Nicolas) STÉNONIE s. f. STÉNONOME adj. STÉNOPE s. m. STÉNOPELME s. m. STÉNOPÉTALE s. m. STÉNOPHYLLE adj. STÉNOPODE adj. STÉNOPODIDE adj. STÉNOPS s. m. STÉNOPTÈRE adj. STÉNOPTÉRYX s. m. STÉNOPTILIE s. f. STÉNORHYNQUE s. m. STÉNORRHIZE adj. STÉNOSAURE s. m. STÉNOSE s. f. STÉNOSIDE s. m. STÉNOSIPHON s. m. STÉNOSIPHONIE s. f. STÉNOSOLÉNIE s. f. STÉNOSOME s. m. STÉNOSPHÈNE s. m. STÉNOSTACHYÉ, ÉE adj. STÉNOSTÈME s. m. STÉNOSTÉPHANE s. m. STÉNOSTÈTHE s. m. STÉNOSTOLE s. m. STÉNOSTOME adj. STÉNOTAPHRE s. m. STÉNOTARSE s. m. STÉNOTARSIE s. f. STÉNOTE s. m. STÉNOTÉNIE s. f. STÉNOTÉTRADACTYLE adj. STÉNOTRACHÈLE s. m. STÉNOTRIDACTYLE adj. STENTÉ, ÉE adj. STENTERELLO ou STENTARELLO STENTOR s. m. STENTOR STENTORÉ, ÉE adj. STENTORINE s. f. STENTOROPHONIQUE adj. STÉNURE s. m. STENYCLAROS STÉNYGRE s. m. STENZEL (Gustave-Adolphe-Harald) STEPHAN (Martin) STÉPHANANDRE s. m. STÉPHANE s. m. STÉPHANHYDRE s. f. STÉPHANIDIE s. f. STÉPHANIE s. f. STÉPHANIE STÉPHANITE adj. STÉPHANIUM s. m. STÉPHANOCÉROS s. m. STÉPHANOCOME s. m. STÉPHANOCORE s. m. STÉPHANOCRINE s. m. STÉPHANOHYDRE s. f. STÉPHANOÏDE adj. STÉPHANOIS, OISE s. et adj. STÉPHANOMÉRIE s. f. STÉPHANOMIE s. f. STÉPHANOMIÉ, ÉE adj. STÉPHANOPE s. m. STÉPHANOPHORE s. m. STÉPHANOPHYLLIE s. f. STÉPHANOPHYSE s. m. STÉPHANOPODE s. m. STÉPHANOPS s. m. STÉPHANORHINE s. m. STÉPHANORHYNQUE s. m. STÉPHANOTIS s. m. STÉPHANOTRIC s. m. STÉPHANUCHE s. f. STÉPHANURE s. m. STÉPHÉGYNE s. m. STEPHEN (sir James) STEPHEN DE LA MADELAINE (Etienne-Jean-Baptiste-Nicolas MADELAINE, dit) STEPHENS (Alexandre) STEPHENS (James-Francis) STEPHENS (Henri) STEPHENS (George) STEPHENS (Annah) STEPHENS (John-Lloyd) STEPHENS (Alexandre-Hamilton) STEPHENSON (George) STEPHENSON (Robert) STEPNEY (George) STEPNIE-BARANI s. m. STEPPE s. m. STEPPEUR s. m. STÉRAGE s. m. STÉRASPIS s. m. STERBEECK (François) STERBINI (Pierre) STERCOLOGIE s. f. STERCOLOGIQUE adj. STERCORAIRE adj. STERCORAL, ALE adj. STERCORANISME s. m. STERCORANISTE s. m. STERCORATION s. f. STERCORIN, INE adj. STERCORISTE s. m. STERCORITE s. f. STERCULIACÉ, ÉE adj. STERCULIE s. m. STERCULIÉ, ÉE adj. STERCULIER s. m. STERCUS DIABOLI s. m. STÈRE s. m. STÉREBECKIE s. f. STÉREMNIE s. m. STÉRENSINE s. f. STÉRÉO STÉRÉOBATE s. m. STÉRÉOCAULE s. m. STÉRÉOCAULON s. m. STÉRÉOCÈRE s. m. STÉRÉOCHROMIE s. f. STÉRÉOCHROMIQUE adj. STÉRÉODERME s. m. STÉRÉODYNAMIQUE s. f. STÉRÉOGRAPHE s. m. STÉRÉOGRAPHIE s. f. STÉRÉOGRAPHIQUE adj. STÉRÉOGRAPHIQUEMENT adv. STÉRÉOLOGIE s. f. STÉRÉOLOGIQUE adj. STÉRÉOME s. m. STÉRÉOMÈTRE s. m. STÉRÉOMÉTRIE s. f. STÉRÉOMÉTRIQUE adj. STÉRÉONÈME s. m. STÉRÉOPE adj. STÉRÉORAMA s. m. STÉRÉOSCOPE s. m. STÉRÉOSCOPIQUE adj. STÉRÉOSCOPIQUEMENT adv. STÉRÉOSPERME s. m. STÉRÉOSPHÈRE s. f. STÉRÉOSTATIQUE s. f. STÉRÉOTHALAME adj. STÉRÉOTOMIE s. f. STÉRÉOTOMIQUE adj. STÉRÉOTYPAGE s. m. STÉRÉOTYPE adj. STÉRÉOTYPÉ, ÉE part. passé STÉRÉOTYPER v. a. ou tr. STÉRÉOTYPEUR s. m. STÉRÉOTYPIE s. f. STÉRÉOXYLE s. m. STÉRER v. a. ou tr. STÉRIGMATE s. m. STÉRIGME s. m. STÉRIGMO STÉMON s. m. STÉRILE adj. STÉRILEMENT adv. STÉRILISATION s. f. STÉRILISER v. a. ou tr. STÉRILITÉ s. f. STÉRIPHE s. m. STÉRIPHOME s. m. STERLET s. m. STERLING adj. STERLING (John) STERN (Dietrich ou Théodore VAN) STERN (Ignace) STERN (Daniel) STERNACANTHE s. m. STERNAL, ALE adj. STERNALGIE s. f. STERNALGIQUE adj. STERNAQUE s. m. STERNARQUE s. m. STERNASPIS s. m. STERNBERG STERNBERG (Joachim, comte DE) STERNBERG (Gaspard, comte DE) STERNBERG (Jean-Henri) STERNBERG (Alexandre DE) STERNBERGIE s. f. STERNBERGITE s. f. STERNE s. m. STERNE (Laurence) STERNÉBRÉ, ÉE adj. STERNÈQUE s. m. STERNICLE s. m. STERNICORNE adj. STERNINÉ, ÉE adj. STERNITE s. f. STERNO préfixe STERNOCÈRE s. m. STERNO-CLAVICULAIRE adj. STERNO-CLIDO-MASTOÏDIEN, IENNE adj. STERNO-COSTAL, ALE adj. STERNODE s. m. STERNODYNIE s. f. STERNODYNIQUE adj. STERNO-HUMÉRAL, ALE adj. STERNO-HYOÏDIEN, IENNE adj. STERNOLOPHE s. m. STERNO-MASTOÏDIEN, IENNE adj. STERNOPAGE s. m. STERNOPAGIE s. f. STERNOPAGIEN, IENNE adj. STERNOPAGIQUE adj. STERNOPLISTE s. m. STERNOPTÉRYGIEN, IENNE adj. STERNOPTYGE adj. STERNOPTYX s. m. STERNO-PUBIEN, IENNE adj. STERNOTHÈRE s. m. STERNO-THYROÏDIEN adj. STERNOTOME s. m. STERNOXE adj. STERNULE s. f. STERNUM s. m. STERNUTATIF, IVE adj. STERNUTATION s. f. STERNUTATOIRE adj. STÉROPE s. m. STERPSICÉROS s. m. STERRHE s. f. STERRHOPTÉRYX s. m. STERRHICHROTE s. m. STERTEUR s. f. STERTINIUS STERTINIUS (Lucius) STERTOREUX, EUSE adj. STERZINGER (Ferdinand) STERZINGER (Antoine-Regalat) STERZINGER DE SIEGSMUNDSRIED (dom Joseph) STÉSICHORE STÉSICLÉE STETEFELDITE s. f. STÉTHASPIS s. m. STÉTHIDION s. m. STÉTHION s. m. STÉTHODESME s. m. STÉTHOMÈTRE s. m. STÉTHOMÉTRIE s. f. STÉTHOMÉTRIQUE adj. STÉTHOSCOPE s. m. STÉTHOSCOPIE s. f. STÉTHOSCOPIQUE adj. STÉTHOXE s. m. STETTEN (Paul DE) STETTEN (Paul DE) STETTIN STETTIN (NEU-) STETTLER (Guillaume) STEUB (Louis) STEUBEN (Frédéric-Guillaume, baron DE) STEUBEN (Charles-Guillaume-Auguste-Henri-François-Louis, baron DE) STEUBENVILLE STEUCO (Agostino) STEUDÉLIE s. f. STÉVARTIE s. f. STEVÉNIE s. f. STÉVÉNISTE s. m. STEVENS (George-Alexandre) STEVENS (Thadée) STEVENS (Joseph) STEVENS (Alfred) STÉVENSIE s. f. STÉVIE s. f. STEVIN (Simon) STEWART (miss) STEWART (Mathew) STEWART (Dugald) STEWART (Charles) STEWART (Alexandre-T.) STEWART-DENHAM (sir Jacques) STEWARTIE s. f. STEWARTON STEYAERT (Martin) STEYER ou STEIER STHANÉLIE s. f. STHÉNÉLUS STHÉNIE s. f. STHÉNIEN adj. m. STHÉNIQUE adj. STHENNIS STHÉNONIE s. f. STHÉNYO s. f. STI s. m. STIA STIBADIUM s. m. STIBARE s. f. STIBIAL, ALE adj. STIBIATE s. m. STIBIATION s. f. STIBIÉ, ÉE adj. STIBINE s. f. STIBITE s. m. STIBIURE s. m. STICHART (Franz-Otto) STICHASTRE s. m. STICHÉE s. m. STICHOCARPE adj. STICHODACTYLE s. m. STICHODE s. m. STICHOMANCIE s. f. STICHOMANCIEN, IENNE adj. STICHOMÉTRIE s. f. STICHOMÉTRIQUE adj. STICHOMYTHIE s. f. STICHOPE s. m. STICHOPHORE s. m. STICHOPORE s. f. STICHOSTÈGUE adj. STICK s. m. STICOTTI (Antonio) STICTE s. f. STICTÉ, ÉE adj. STICTIQUE adj. STICTIS s. m. STICTOPÉTALE adj. STIEFEL ou STIFEL (Michel) STIEGLITZ (Chrétien-Louis) STIEGLITZ (Israël-Jean) STIEGLITZ (Louis, baron DE) STIEGLITZ (Nicolas) STIEGLITZ (Bernard) STIEGLITZ (Henri) STIELER (Adolphe) STIELER (Ch.-Jos.) STIENTA STIÉPAN (Etienne-Siméon KARSOWSKI, dit) STIER (Guillaume) STIERNHIELM (George) STIERNHOEK (Jean) STIERNSKOLD (Nils-Goeransson) STIÉVENARD (Simon-Pierre) STIÉVENART (Jean-François) STIFEL (Michel) STIFFT (André-Joseph) STIFTER (Adalbert) STIFTIA s. m. STIGAND STIGEL (Jean) STIGLIANI (Thomas) STIGLIANO STIGLMAYER (Jean-Baptiste) STIGMA s. m. STIGMAIRE s. m. STIGMANTHE s. m. STIGMAPHYLLE s. m. STIGMARIA s. m. STIGMAROTE s. m. STIGMATAIRE adj. STIGMATE s. m. STIGMATIDION s. m. STIGMATIFÈRE adj. STIGMATIFORME adj. STIGMATION s. m. STIGMATIPHORE adj. STIGMATIQUE adj. STIGMATISATION s. f. STIGMATISÉ, ÉE part. passé STIGMATISER v. a. ou tr. STIGMATOCOQUE s. m. STIGMATOGRAPHIE s. f. STIGMATOGRAPHIQUE adj. STIGMATOPHORE adj. STIGMATOPHYLLE s. m. STIGMATOPNÉ, ÉE adj. STIGMATOSTÉMONE s. m. STIGMATOTHÈQUE s. m. STIGMATOTRACHÈLE s. m. STIGME s. m. STIGMÉE s. m. STIGMELLE s. f. STIGMODÈRE s. m. STIGMONYME s. m. STIGMULE s. m. STIGONÈME s. m. STILAGE s. m. STILAGINÉ, ÉE adj. STILAGO s. m. STILBE s. m. STILBÉ s. m. STILBÈNE s. m. STILBHYDROCARBOXYLIQUE adj. STILBIE s. f. STILBINÉ, ÉE adj. STILBITE s. f. STILBOSPORE s. m. STILBYDE s. m. STIL-DE-GRAIN s. m. STILICON (Flavius) STILI STILIFÈRE s. m. STILIGÈRE s. m. STILIQUE s. m. STILKE (Hermann) STILLANT, ANTE adj. STILLATION s. f. STILLATOIRE adj. STILLICIDE adj. STILLING (corps de) STILLING STILLINGFLEET (Edward) STILLINGFLEET (Benjamin) STILLINGIE s. f. STILLINGIÉ, ÉE adj. STILLYARD s. m. STILO STILO STILODE s. m. STILPNE s. m. STILPNOGYNE s. m. STILPNOPAPPE s. m. STILPNOPHYTE s. m. STILPNOSIDÉRITE s. f. STILPON STILTON STIMULANT, ANTE adj. STIMULATEUR, TRICE adj. STIMULATION s. f. STIMULE s. m. STIMULER v. a. ou tr. STIMULEUX, EUSE adj. STIMULUS s. m. STINC s. m. STIPACÉ, ÉE adj. STIPAGRO STIS s. m. STIPE s. m. STIPE s. f. STIPELLE s. f. STIPELLÉ, ÉE adj. STIPENDIAIRE adj. STIPENDIÉ, ÉE part. passé STIPENDIER v. a. ou tr. STIPHILE s. m. STIPIFÈRE adj. STIPIFORME adj. STIPITE s. m. STIPITÉ, ÉE adj. STIPITURE s. m. STIPULACÉ, ÉE adj. STIPULAIRE adj. STIPULANT, ANTE adj. STIPULATION s. f. STIPULE s. f. STIPULÉ, ÉE adj. STIPULÉEN, ÉENNE adj. STIPULER v. a. ou tr. STIPULEUX, EUSE adj. STIPULICIDE s. m. STIPULIFÈRE adj. STIRATOR s. m. STIRBEY (Démétrius BIBESCO, prince) STIRÈTRE s. m. STIRÉTRIDE adj. STIRÉTROSOME s. m. STIRLING STIRLING (COMTÉ DE) STIRLING (William-Alexandre, comte DE) STIRLING (James-Patrick) STIRLINGIE s. f. STIRNER (Max) STIRLING (James) STIXIS s. m. STIZE s. m. STIZOCÈRE s. m. STIZOLOBE s. m. STIZOLOPHE s. m. STJERNSTOLPE (Jonas-Magnus) STLATE s. m. STOA (Quintianus) STOBE s. f. STOBÉE s. f. STOBÉE (Jean) STOBÉE (Kilian) STOBES STOC s. m. STOCCHI (Ferdinand) STOCH (Charles-Chrétien-Henri) STOCHER (Bernard) STOCHOVE (Vincent DE) STOCK s. m. STOCK (le bienheureux Simon) STOCK (Jean-Chrétien) STOCKACH STOCKDALE (PERCIVAL) STOCKFISCH s. m. STOCKFLETH (Nils-Joachim-Christian VIBE) STOCKHOLM STOCKLER DE BORJA GARÇAO (François DE) STOCKMANS (Pierre) STOCKPORT STOCKTON STODART (James) STODART (sir John) STODDARD (Charles) STODDARD (Richard-Henry) STOEBÉ s. m. STOEBER (Elie) STOEBER (Daniel-Ehrenfield) STOEBER (Auguste) STOEBER (Adolphe) STOEBER (Victor) STOECHADES ou STECHADES STOECHAS s. m. STOECHIOGÉNIE s. f. STOECHIOGÉNIQUE adj. STOECHIOLOGIE s. f. STOECHIOLOGIQUE adj. STOECHIOMÉTRIE s. f. STOECHIOMÉTRIQUE adj. STOECKHARDT (Ernest-Théodore) STOECKHARDT (Jules-Adolphe) STOEFFLER ou STOFFLER (Jean) STOERK (Antoine DE) STOERKIA s. m. STOEVER (Jean-Hermann) STOEVER (Didier-Henri) STOF s. m. STOFF s. m. STOFFEL (Eugène-Georges-Henri-Céleste, baron) STOFFLER STOFFLET (Nicolas) STOGAY s. m. STOÏCIEN, IENNE adj. STOÏCISME s. m. STOÏCITÉ s. f. STOÏQUE adj. STOÏQUEMENT adv. STOKE (Mélis ou Emile) STOKÉSIE s. f. STOKLEIT (Charles) STOKLEIT (Julien) STOLA s. f. STOLBERG (Christian, comte DE) STOLBERG (Frédéric-Léopold, comte DE) STOLE s. f. STOLÉPHORE s. m. STOLIDE s. m. STOLIDOPHIDES s. m. pl. STOLIFÈRE adj. STOLISTE s. m. STOLL (Maximilien) STOLLE (Théophile) STOLLE (Louis-Ferdinand) STOLON s. m. STOLON (Licinius) STOLONE s. f. STOLONIFÈRE adj. STOLONOMIE s. f. STOLTZ (Joseph-Alexis) STOLTZ (Rose NIVA, dame LÉCUYER, dite Rosine) STOLZE (Henri-Auguste-Guillaume) STOMACACE s. f. STOMACAL, ALE adj. STOMACHIQUE adj. STOMALGIE s. f. STOMAPODE adj. STOMARRHÈNE s. m. STOMATE s. m. STOMATELLE s. f. STOMATIQUE adj. STOMATITE s. f. STOMATO-GA STRIQUE adj. STOMATOPLASTIE s. f. STOMATOPLATYPODES s. m. pl. STOMATOPTÉROPHORES s. m. pl. STOMATORRHAGIE s. f. STOMATORRHAGIQUE adj. STOMATOSCOPE s. m. STOMBE s. m. STOMIAS s. m. STOMIDE s. m. STOMOBLÉPHARÉ, ÉE adj. STOMOBRACHION s. m. STOMOBRACHIOTE s. m. STOMOCÉPHALE adj. STOMOCÉPHALIE s. f. STOMODE s. m. STOMO-GASTRIQUE adj. STOMOPNEUSTE s. m. STOMOTÈQUE s. m. STOMOX s. m. STOMOXE s. m. STOMPHACE s. m. STONE s. m. STONE (Nicolas) STONE (Nicolas) STONE (Henry) STONE (Edmond) STONE (John-Hurford) STONE (William-Leete) STONEWALL (Jackson) STONHOUSE (sir James) STONITE s. m. STOOP s. m. STOOP (Dirk) STOP s. m. STOP interj. STOPFORD (Robert) STOPPER ou STOPER v. n. ou intr. STOPPEUR s. m. STOPY s. m. STOQUER v. a. ou tr. STOQUEUR s. m. STOR s. m. STORA STORACE (Etienne) STORAX s. m. STORCH (Nicolas) STORCH (Jean) STORCH (Louis) STORCH (Frédéric-Louis) STORE s. m. STORÉE s. m. STORELLI (Félix-Marie-Ferdinand) STORÈNE s. f. STORER (Jean-Christophe) STORER (James) STORILLE s. m. STORIOUNKAR ou STOR IUNKAR STORK (Abraham VAN) STORM (Edouard) STORM DE GRAVE (Adrien-Guillaume) STORR (Gottlob-Chrétien) STORTHIE s. f. STORTHING s. m. STORTZ s. m. STORY (Joseph) STORY (William-Wetmore) STOSATÉE s. f. STOSCH (Philippe, baron DE) STOTHARD (Thomas) STOTHARD (Charles-Alfred) STOUF (Jean-Baptiste) STOURDZA (Grégoire) STOURDZA (Jean) STOURDZA (Michel) STOURDZA (Grégoire) STOURDZA DE MICLANGENI (Démètre) STOURDZA (Alexandre) STOURNE s. m. STOURNELLE s. f. STOUT s. m. STOW (John) STOWE (Mme Harriet BEECHER) STOWELL (William-Scott, baron) STOY (Karl-Volkmar) STRAATEN (Jean VAN) STRABALE s. m. STRABIQUE adj. STRABISME s. m. STRABO (Pompeius) STRABON STRABONIE s. f. STRABOTOMIE s. f. STRABOTOMISTE s. m. STRABUS ou STRABON (Walafride) STRACCHINO s. m. STRACHIE s. f. STRACHWITZ (Maurice, comte DE) STRACHYBOTRYS s. m. STRACK (Charles) STRACK (Jean-Henri) STRACOU s. m. STRACTION s. f. STRADA (Jacopo DE) STRADA (Ottavio DE) STRADA (Famien) STRADAN (Jean) ou STRADANO, ou encore STRADANUS STRADELLA (Alexandre) STRADIOT s. m. STRADIOTE s. m. STRADIVARIUS s. m. STRADIVARIUS (Antoine STRADIVARI, plus connu sous son nom la 7 STRAETEN (VAN DER) STRAFFORD (Thomas WENTWORTH, comte DE) STRAGULE s. f. STRAGULUM s. m. STRALEN (Henri VAN) STRALENBERG (Philippe-Jean) STRALLIS STRALSUND STRALSUND (RÉGENCE DE) STRAMBINO STRAMMASETTE s. f. STRAMMASON s. m. STRAMOINE s. f. STRAMONINE s. f. STRAMONITE s. f. STRAMONIUM s. m. STRANDBERG (Charles-Guillaume-Auguste) STRANGALIE s. f. STRANGALIODE s. m. STRANGE (Robert) STRANGFORD (Percy-Clinton-Sydney-Smith, vicomte DE) STRANGFORD (George-Auguste-Frédéric-Percy-Sydney-Smith, vicomte DE) STRANGIE s. f. STRANGULATEUR, TRICE s. STRANGULATION s. f. STRANGULER v. a. ou tr. STRANGURIE s. f. STRANRAER STRANVAESIE s. f. STRAPASSER v. a. ou tr. STRAPASSON s. m. STRAPASSONNER v. a. ou tr. STRAPONTIN s. m. STRAPPAROLA DE CARAVAGE (Gian-Francesco) STRAS s. m. STRASBOURG STRASBOURGEOIS, OISE s. et adj. STRASCEWICZ (Joseph) STRASCINO (IL) STRASS ou STRAS s. m. STRASS (Jean-Frédéric) STRASS (Charles-Frédéric) STRASSBURG STRASSBURG STRASSBURG STRASSBURG STRASSE s. f. STRASSNITZ STRATA (Zanobi DA) STRATA (Maria-Vittoria FORNARI) STRATAGÉMATIQUE adj. STRATAGÈME s. m. STRATE s. f. STRATÉGE s. m. STRATÉGIE s. f. STRATÉGIQUE adj. STRATÉGIQUEMENT adv. STRATÉGISTE s. STRATÈGUE s. m. STRATFORD STRATFORD DE REDCLIFFE (lord CANNING, vicomte) STRATHAVEN STRATICO (Simon, comte) STRATIFICATION s. f. STRATIFIÉ, ÉE part. passé STRATIFIER v. a. ou tr. STRATIFORME adj. STRATIGRAPHIE s. f. STRATIGRAPHIQUE adj. STRATIGRAPHIQUEMENT adv. STRATIOME s. m. STRATIOMYDE adj. STRATIOMYE s. f. STRATIOMYIE s. f. STRATIOMYS s. m. STRATIOTE s. m. STRATIOTIQUE s. m. STRATOCÉRYCE s. m. STRATOCRATIE s. m. STRATOCRATIQUE adj. STRATOGRAPHE s. m. STRATOGRAPHIE s. f. STRATOGRAPHIQUE adj. STRATOÏDE adj. STRATON s. m. STRATON STRATON STRATONICE STRATONICÉE STRATOR s. m. STRATOS STRATTON STRATUS s. m. STRAUB (Jean-Baptiste) STRAUBINGEN STRAUCH (Georges) STRAUCH (François-Raimond) STRAUSBERG STRAUSS (Gérard-Frédéric-Abraham) STRAUSS (Frédéric-Adolphe) STRAUSS (Joseph) STRAUSS (Jean) STRAUSS (Isaac) STRAUSS (David-Frédéric) STRAUSS (Louis) STRAUZIE s. f. STRAVADIE s. f. STRAVOLÈME s. m. STRAVROPOL STRAVROPOL STREATER (Robert) STRÉBANTHE s. m. STRÉBÉE (Jacques-Louis) STRÈBLE s. m. STRÉBLOCARPE s. m. STRÉBLOCAULE s. m. STRÉBLOCÈRE s. m. STRÉBLORHIZE s. m. STRÉBLOTE s. m. STRÉBLOTRIQUE s. m. STRECKER (Guillaume) STRECKÈRE s. f. STRECKFUSS (Adolphe-Frédéric-Charles) STREHLA STREHLEN STREIN (Richard) STREIT (Frédéric-Guillaume) STRELET s. m. STRÉLITZ s. m. STRELITZ (ALT-) STRELITZ (NEU-) STRÉLITZIE s. f. STRÉLUGE s. m. STREMME s. m. STREMPÉLIE s. f. STRÈNE s. m. STRENGNOES STRÉNIE s. f. STRÉPÈRE s. m. STRÉPHIE s. f. STRÉPHOCYSTE s. m. STRÉPHOPTÉRIS s. m. STREPSAPTODACTYLE s. m. STREPSIALE s. m. STREPSICÈRE adj. STREPSICHROTE adj. STREPSIDURE s. m. STREPSILAS s. m. STREPSIPTÈRE adj. STREPSIRHIN, INE adj. STREPTACHNE s. m. STREPTANTHE s. m. STREPTAXIS s. m. STREPTICÈRE adj. STREPTIUM s. m. STREPTOCARPE adj. STREPTOCAULON s. m. STREPTOCÈRE s. m. STREPTOCHÈTE s. m. STREPTOGYNE s. m. STREPTOPE s. m. STREPTOPÉTALE s. m. STREPTOSPONDYLE s. m. STREPTOSTACHYS s. m. STREPTOTHRIX s. m. STRÉSOR (Anne-Marie-Renée) STRETTE s. f. STRETTO adj. m. STREVI STRIATELLE s. f. STRIATION s. f. STRIATULE s. f. STRIBOG STRIBORD s. m. STRICAGE s. m. STRICHOSE s. f. STRICK s. m. STRICK VAN LINSCHOTEN (baron) STRICKER STRICKER (Jean) STRICKLAND (Jane-Margaret) STRICKLAND (Agnès) STRICKLAND (Catherine-Parr) STRICKLAND (Susannah) STRICKLAND (Hugues-Edwin) STRICKNER (Joseph) STRICT, STRICTE adj. STRICTEMENT adv. STRICTION s. f. STRICTURE s. f. STRIDENT, ENTE adj. STRIDEUR s. f. STRIDO STRIDULANT, ANTE adj. STRIDULATION s. f. STRIDULEUX, EUSE adj. STRIE s. f. STRIÉ, ÉE part. passé STRIEGAU STRIER v. a. ou tr. STRIGA s. f. STRIGATELLE s. f. STRIGE s. f. STRIGÉE s. m. STRIGEL (Victor) STRIGICEPS s. m. STRIGIDÉ, ÉE adj. STRIGIDIE s. f. STRIGIE s. f. STRIGILATION s. f. STRIGILE s. m. STRIGILIFORME adj. STRIGINÉ, ÉE adj. STRIGOCÉPHALE s. m. STRIGODERME s. m. STRIGONIUM STRIGOPE adj. STRIGOPHORE s. m. STRIGOPS s. m. STRIGOPTÈRE s. m. STRIGOSULE s. f. STRIGUEUX, EUSE adj. STRIGULE s. f. STRINGOPHORE s. m. STRINNHOLM (Anders-Magnus) STRINSIE s. f. STRIOLÉ, ÉE adj. STRIPSIFÈRE s. m. STRIQUER v. a. ou tr. STRIQUEUSE s. f. STRITTER (Jean-Gotthelf DE) STRIURE s. f. STRIVALI STRIX s. m. STRIXNER (Jean-Népomucène) STROBEL (Adam-Walter) STROBELBERGER (Jean-Etienne) STROBILACÉ, ÉE adj. STROBILAIRE adj. STROBILANTHE s. m. STROBILE s. m. STROBILIFÈRE adj. STROBILIFORME adj. STROBILIN, INE adj. STROBILOCARPE s. m. STROBILOPHAGE s. m. STROBILORACHIS s. m. STROBILURE s. m. STROBOCALYX s. m. STROECK s. m. STROEMER (Martin) STROEMIE s. f. STROGANOW STROGANOWIE s. f. STROGGYLE s. m. STROGONOFF, ou STROGONOW, ou STROGANOW STROGONOFF (Alexandre, comte) STROGONOFF (Paul, comte) STROGONOFF (Grégoire, comte) STROGONOFF (Serge, comte) STROGONOFF (Alexandre, comte) STROGONOFF (Alexis) STROJEFF (Paul) STROMA s. m. STROMA STROM-APPARAT s. m. STROMATE s. m. STROMATÉE s. m. STROMATÉIN, INE adj. STROMATÉRIE s. f. STROMATES s. m. pl. STROMATIÉ, ÉE adj. STROMATION s. m. STROMATOPORE s. m. STROMBA STRÉE s. f. STROMBE s. m. STROMBECK (Frédéric-Charles VON) STROMBECK (Frédéric-Henri VON) STROMBIDE adj. STROMBIDÉE s. f. STROMBIFORME s. m. STROMBILE s. f. STROMBITE s. f. STROMBLE s. m. STROMBODE s. m. STROMBOLI STROMBOSCÈRE s. m. STROMBOSIE s. f. STROMEYER (Georges-Frédéric-Louis) STROMLING s. m. STROMNESS STROMNITE s. f. STROMO STROMSO STRONCONE STRONGLE s. m. STRONGOLI STRONGYGA STRE s. m. STRONGYLE s. m. STRONGYLE STRONGYLIEN, IENNE adj. STRONGYLION s. m. STRONGYLOCENTROTE s. m. STRONGYLOCÈRE adj. STRONGYLOCERQUE adj. STRONGYLOCORE s. m. STRONGYLODÈRE s. m. STRONGYLODON s. m. STRONGYLOME s. m. STRONGYLOPTÈRE s. m. STRONGYLORHINE s. m. STRONGYLOSOME s. m. STRONGYLOSPERME s. m. STRONGYLOTARSE s. m. STRONGYLOTE s. m. STRONGYLURE adj. STRONSAY STRONTIAN STRONTIANE s. f. STRONTIANIQUE adj. STRONTIANITE s. f. STRONTIQUE adj. STRONTITE s. f. STRONTIUM s. m. STROPHADE s. f. STROPHADES STROPHALOSIE s. f. STROPHANTE s. m. STROPHE s. f. STROPHÉSIE s. f. STROPHIDIE s. f. STROPHION s. m. STROPHIOSTOME s. m. STROPHITE s. m. STROPHIUM s. m. STROPHOCHEILE s. m. STROPHOCONE s. m. STROPHODE s. m. STROPHOMÈNE s. m. STROPHOPAPPE s. m. STROPHOSOME s. m. STROPHOSTOME s. m. STROPHOSTYLE s. m. STROPHULUS s. m. STROPPIANA STROSSMAYER (Georges) STROTHA (Charles-Adolphe DE) STROUD STROUM s. m. STROUMA STROUMNITZA STROUSBERG (Bethel-Henry) STROYNAT ou TROÏNAT STROZZI STROZZI (Pallas) STROZZI (Titus-Vespasien) STROZZI (Hercule) STROZZI (Philippe) dit l'Ancien STROZZI (Jean-Baptiste, dit Philippe) STROZZI (Pierre) STROZZI (Philippe) STROZZI (Léon) STROZZI (Laurent) STROZZI (Ciriaco) STROZZI (Laurence) STROZZI (Jean-Baptiste) STROZZI (Pierre) STROZZI (Bernardo) dit il Cappucino STROZZI (Jules) STRUCHIUM s. m. STRUCTEUR, TRICE adj. STRUCTURE s. f. STRUDEL (Pierre) STRUENSÉE (Adam) STRUENSÉE DE CARLSBACH (Charles-Auguste) STRUENSÉE (Jean-Frédéric, comte DE) STRUMAIRE s. m. STRUME s. f. STRUMELLE s. f. STRUMEUX, EUSE adj. STRUMIFÈRE adj. STRUMOSITÉ s. f. STRUMPHIE s. f. STRUND-IAGER s. m. STRUPPA STRUTHERS (John) STRUTHIDÉE s. f. STRUTHINE s. f. STRUTHIOLAIRE s. f. STRUTHIOLE s. f. STRUTHION, ONE adj. STRUTHIONIDÉ, ÉE adj. STRUTHIONINÉ, ÉE adj. STRUTHIOPHAGE adj. STRUTHIOPTÉRIS s. m. STRUTHUS s. m. STRUTT (Joseph) STRUVE (Georges-Adam) STRUVE (Burkhard-Gotthelf) STRUVE (Ernest-Frédéric) STRUVE (Henri) STRUVE (Chrétien-Auguste) STRUVE (Henri-Christophe-Godefroy DE) STRUVE (Frédéric-Adolphe-Auguste) STRUVE (Frédéric-Georges-Guillaume DE) STRUVE (Othon-Guillaume DE) STRUVE (Louis-Auguste) STRUVE (Gustave) STRUVÉA s. f. STRUVITE s. f. STRUYS (Jean) STRY STRY STRY (Abraham VAN) STRY (Jacques VAN) STRYCHNATE s. m. STRYCHNÉ, ÉE adj. STRYCHNINE s. f. STRYCHNINIQUE adj. STRYCHNIQUE adj. STRYCHNISME s. m. STRYCHNOCHROMINE s. f. STRYCHNOS s. m. STRYGE s. m. STRYJKOWSKI (Matthieu) STRYK (Samuel) STRYMON s. m. STRYMON STRYPE (John) STRYPHNODENDRON s. m. STUART STUART (Arabella) STUART (Jacques-François-Edouard) STUART (Henri-Benoît-Marie-Clément) STUART (Charles-Edouard) STUART (Jacqueline DE) STUART (James) STUART (Gilbert) STUART (sir Charles) STUART (Charles-Gilbert) STUART MILL (John) STUART-WORTLEY (Emmeline, lady) STUARTIE s. f. STUBBE (Henry) STUBBS ou STUBBE (John) STUBBS (George) STUBCHEN s. m. STUBENDORFFIE s. f. STUC s. m. STUCATEUR s. m. STUCK (Wolfram) STUCK ou STUCKIUS (Jean-Guillaume) STUCK (Théophile-Henri) STUCKENBERG (Jean-Christian) STUCKLAND (André DE) STUD s. m. STUD-BOOK s. m. STUDENEZ STUDER (Bernard) STUDIEUSEMENT adv. STUDIEUX, EUSE adj. STUFFING-BOX s. m. STUFFO STUHLINGEN STUHLWEISSENBURG ou ALBE ROYALE STUHLWEISSENBURG (COMITAT DE) STUHM STUHR (Pierre-Feddersen) STUKELEY (William) STÜLER STUNDISTE s. STUNTZ (Joseph-Hartmann) STUPÉFACTIF, IVE adj. STUPÉFACTION s. f. STUPÉFAIT, AITE adj. STUPÉFIANT, ANTE adj. STUPÉFIER v. a. ou tr. STUPETE GENTES STUPEUR s. f. STUPIDE adj. STUPIDEMENT adv. STUPIDITÉ s. f. STUPRE s. m. STUPUY (Jean-Léon-Hippolyte) STURA STURA STURE (Sten) dit l'Ancien STURE (Sten) dit le Jeune STURE (Svante) STUREL (Marie-Octavie PAIGNÉ, dame) STURGEON (William) STURIO s. m. STURIONIDE adj. STURIONIDÉ, ÉE adj. STURIONIÉ, ÉE adj. STURIONIEN, IENNE adj. STURIONIN, INE adj. STURIONS s. m. pl. STURISOME s. m. STURM (Jean) STURM (Jean-Christophe) STURM (Léonard-Christophe) STURM (Christophe-Chrétien) STURM (Jacques) STURM (Charles) STURM (Julius-Karl-Reinhold) STURME ou STURMIUS STURMER (Ignace, baron DE) STURMER (Barthélemi, comte DE) STURMIE s. f. STURMINSTER-NEWTON-CASTLE STURNELLE s. f. STURNIDÉ, ÉE adj. STURNIE s. f. STURNINÉ, ÉE adj. STURNO STURZ (Helfrich-Pierre) STURZ (Frédéric-Guillaume) STUTTERHEIM (baron DE) STUTTGARD STUTZ s. m. STUTZAÏTZA ou KARATOVA STÜVE (Johann-Karl-Bertram) STUVEN (Ernest VAN) STYGIAIRE adj. STYGIAL, ALE adj. STYGIARIDE adj. STYGIARIÉ, ÉE adj. STYGIDE s. m. STYGIDIE s. f. STYGIE s. f. STYGIEN, IENNE adj. STYGNE s. m. STYL s. m. STYLAIRE adj. STYLAIRE s. f. STYLANDRE s. m. STYLE s. m. STYLÉ, ÉE adj. STYLÉ, ÉE part. passé STYLÉPHORE s. m. STYLÉPHORIN, INE adj. STYLER v. a. ou tr. STYLÉSIE s. f. STYLET s. m. STYLEUX, EUSE adj. STYLIDÉ, ÉE adj. STYLIDIACÉ, ÉE adj. STYLIDIE s. f. STYLIDIÉ, ÉE adj. STYLIDIER s. m. STYLIDIUM s. m. STYLIE s. f. STYLIEN, IENNE adj. STYLIFORME adj. STYLIMNE s. m. STYLINAÏDE s. f. STYLINE s. m. STYLIS s. m. STYLISME s. m. STYLISQUE s. m. STYLISTE s. m. STYLISTIQUE s. f. STYLITE s. m. STYLLAIRE s. f. STYLOBASE s. m. STYLOBATE s. m. STYLOCÉRAS s. m. STYLO-CÉRATO-HYOÏDIEN, IENNE adj. STYLOCÈRE s. m. STYLOCHÉTON s. m. STYLOCHUS s. m. STYLOCLINE s. m. STYLOCORYNE s. m. STYLODE s. m. STYLODISQUE s. m. STYLOGASTRE s. m. STYLOGLOSSE adj. STYLOGLOSSE s. m. STYLOGRAPHIE s. f. STYLOGYNE s. m. STYLO-HYOÏDIEN, IENNE adj. STYLOÏDE adj. STYLOÏDÉ, ÉE adj. STYLOLÉPIS s. m. STYLO-MASTOÏDIEN, IENNE adj. STYLO-MAXILLAIRE adj. STYLOMÈTRE s. m. STYLOMÉTRIE s. f. STYLOMÉTRIQUE adj. STYLONCÈRE s. m. STYLONYCHIE s. f. STYLO-PHARYNGIEN, IENNE adj. STYLOPHORE s. m. STYLOPODE s. m. STYLOPORE s. m. STYLOPS s. m. STYLOQUE s. m. STYLOSANTHE s. m. STYLOSPORE s. m. STYLO-STAPHYLIN, INE adj. STYLOSTÉGE s. m. STYLOSTÉMONE adj. STYLURE s. m. STYMATOSE s. f. STYMPHALE STYMPHALE (lac de) STYMPHALIDE ou STYMPHALIE STYPANDRE s. m. STYPHARQUE s. m. STYPHE s. m. STYPHÉLIE s. f. STYPHÉLIÉ, ÉE STYPHLE s. m. STYPHNIQUE adj. STYPHNOLOBE s. m. STYPHONIE s. f. STYPHRE s. m. STYPNIORE s. m. STYPTICITÉ s. f. STYPTIQUE adj. STYR STYRACÉ, ÉE adj. STYRACIFLUE adj. STYRACINE s. f. STYRACINÉ, ÉE adj. STYRANDRE s. m. STYRAX s. m. STYREX s. m. STYRIASIS s. m. STYRIE STYRING-WENDEL STYRINGOMIE s. f. STYROL s. m. STYRONE s. f. STYRYLE s. m. STYRYLIQUE adj. STYX STYX (Martin-Ernest) STYZANE s. m. SU préfixe SU, SUE part. passé SUABEDISSEN (David-Théodore-Auguste) SUADER v. a. ou tr. SUAEDA s. m. SUAEDINÉ, ÉE adj. SUAGE s. m. SUAGER v. a. ou tr. SUAGEUR s. m. SUAHELI s. m. SUAIRE s. m. SUAIRE s. m. SUAKIM SUANES ou SUANÈTES SUANÉTIE SUANT, ANTE adj. SUARD (Jean-Baptiste-Antoine) SUARD (N... PANCKOUCKE, Mme) SUARÈS (Joseph-Marie) SUAREZ (François) SUASIF, IVE adj. SUASION s. f. SUASOIRE adj. SUAVE adj. SUAVE, MARI MAGNO SUAVEMENT adv. SUAVITÉ s. f. SUAVIUS (Jean) SUB préfixe SUBABDOMINAL, ALE adj. SUBACICULAIRE adj. SUBAÉRIEN, IENNE adj. SUBAGRÉGÉ, ÉE adj. SUBAIGU, UË adj. SUBAILÉ, ÉE adj. SUBALAIRE adj. SUBALPIN, INE adj. SUBALTERNE adj. SUBALTERNEMENT adv. SUBALTERNISATION s. f. SUBALTERNISER v. a. ou tr. SUBALTERNITÉ s. f. SUBAPENNIN, INE adj. SUBAPICULAIRE adj. SUBAPLYSIEN, IENNE adj. SUBAQUATIQUE adj. SUBARMALE s. f. SUBARQUÉ, ÉE adj. SUBARRONDI, IE adj. SUBAUDITION s. f. SUBAXILLAIRE adj. SUBBIANO SUBBRACHIEN, IENNE adj. SUBCAPILLAIRE adj. SUBCARÉNÉ, ÉE adj. SUBCARRÉ, ÉE adj. SUBCARTILAGINEUX, EUSE adj. SUBCAUDAL, ALE adj. SUBCAULESCENT, ENTE adj. SUBCENTRAL, ALE adj. SUBCÉPHALIQUE adj. SUBCILIÉ, ÉE adj. SUBCLAVIFORME adj. SUBCOALESCENT, ENTE adj. SUBCOLÉOPTÉRÉ, ÉE adj. SUBCOMPACTE adj. SUBCOMPRIMÉ, ÉE adj. SUBCONCENTRIQUE adj. SUBCONIQUE adj. SUBCONOÏDE adj. SUBCONTIGU, UË adj. SUBCONTINU, UE adj. SUBCONVOLUTÉ, ÉE adj. SUBCORDIFORME adj. SUBCORIACE adj. SUBCORONAL, ALE adj. SUBCORTICAL, ALE adj. SUBCOSTAL, ALE adj. SUBCYLINDRACÉ, ÉE adj. SUBCYLINDRIQUE adj. SUBDÉCURRENT, ENTE adj. SUBDÉLÉGATION s. f. SUBDÉLÉGUÉ, ÉE part. passé SUBDÉLÉGUER v. a. ou tr. SUBDELIRIUM s. m. SUBDENTÉ, ÉE adj. SUBDÉPRIMÉ, ÉE adj. SUBDIALE s. m. SUBDICHOTOME adj. SUBDIFFORME adj. SUBDIGITÉ, ÉE adj. SUB DIO loc. adv. SUBDIPTÈRE adj. SUBDISCOÏDE adj. SUBDISTIQUE adj. SUBDISTORS, ORSE adj. SUBDIVISÉ, ÉE part. passé SUBDIVISER v. a. ou tr. SUBDIVISION s. f. SUBDIVISIONNAIRE adj. SUBDOUBLE adj. SUBDUPLE adj. SUBÉLARGI, IE adj. SUBELLIPTIQUE adj. SUBÉMARGINÉ, ÉE adj. SUBENCHÉLYSOME adj. SUBENCROÛTANT, ANTE adj. SUBENROULÉ, ÉE adj. SUBENTOMOZOAIRE adj. SUBÉPINEUX, EUSE adj. SUBÉQUILATÉRAL, ALE adj. SUBÉQUIVALVE adj. SUBÉRAMIDE s. f. SUBÉRANILIDE s. f. SUBÉRANILIQUE adj. SUBÉRATE s. m. SUBÉREUX, EUSE adj. SUBÉRINE s. f. SUBÉRIQUE adj. SUBÉROMALIQUE adj. SUBÉRONE s. f. SUBÉROSITÉ s. f. SUBÉROTARTRIQUE adj. SUBERVIE (Jacques-Gervais, baron) SUBFASCICULÉ, ÉE adj. SUBFIBREUX, EUSE adj. SUBFILIFORME adj. SUBFOLIACÉ, ÉE adj. SUBFOSSILE adj. SUBFUSIFORME adj. SUBGÉLATINEUX, EUSE adj. SUBGÉMINÉ, ÉE adj. SUBGEMMIPARE adj. SUBGIBBEUX, EUSE adj. SUBGLABRE adj. SUBGLOBULEUX, EUSE adj. SUBGRANULAIRE adj. SUBGRANULEUX, EUSE adj. SUBGRONDATION s. f. SUBGRONDE s. f. SUBHASTATION s. f. SUBHASTÉ, ÉE adj. SUBHASTER v. a. ou tr. SUBHÉMISPHÉRIQUE adj. SUBHÉTÉROMÉRIEN, IENNE adj. SUBHOMOMÈRE adj. SUBHUPPÉ, ÉE adj. SUBIACO SUBICHTHYEN, YENNE adj. SUBICULE s. m. SUBIMBRICABLE adj. SUBIMBRIQUÉ, ÉE adj. SUBINÉGAL, ALE adj. SUBINÉQUILATÉRAL, ALE adj. SUBINFÉRIEUR, EURE adj. SUBINFLAMMATION s. f. SUBINFLAMMATOIRE adj. SUBINFUNDIBULIFORME adj. SUBINTÉGRIFOLIÉ, ÉE adj. SUBINTRANT, ANTE adj. SUBINVERSIBLE adj. SUBIR v. a. ou tr. SUBISSEMENT s. m. SUBIT, ITE adj. SUBITAIRE s. m. SUBITANÉITÉ s. f. SUBITEMENT adv. SUBITO adv. SUBJACENT, ENTE adj. SUBJECTIF, IVE adj. SUBJECTIFICATION s. f. SUBJECTION s. f. SUBJECTIVEMENT adv. SUBJECTIVER v. a. ou tr. SUBJECTIVISME s. m. SUBJECTIVITÉ s. f. SUBJONCTIF, IVE adj. SUBJONCTION s. f. SUBJUGATION s. f. SUBJUGUÉ, ÉE part. passé SUBJUGUER v. a. ou tr. SUBJUGUEUR s. m. SUBLACUNEUX, EUSE adj. SUBLAMELLAIRE adj. SUBLAMELLÉ, ÉE adj. SUBLAPSAIRE s. m. SUBLAPSARIEN s. m. SUBLATA CAUSA, TOLLITUR EFFECTUS SUBLET s. m. SUBLET DES NOYERS (François) SUBLEYRAS (Pierre) SUBLIGACULUM s. m. SUBLIGNY SUBLIMABLE adj. SUBLIMATION s. f. SUBLIMATOIRE s. m. SUBLIME adj. SUBLIMÉ, ÉE part. passé SUBLIMEMENT adv. SUBLIMER v. a. ou tr. SUBLIMISER v. a. ou tr. SUBLIMITÉ s. f. SUBLINÉAIRE adj. SUBLINGUAL, ALE adj. SUBLOBÉ, ÉE adj. SUBLUISANT, ANTE adj. SUBLUNAIRE adj. SUBLUXATION s. f. SUBLYRÉ, ÉE adj. SUBMAMELONNÉ, ÉE adj. SUBMARGINAL, ALE adj. SUBMARIN, INE adj. SUBMEMBRANEUX, EUSE adj. SUBMENTAL, ALE adj. SUBMERGÉ, ÉE part. passé SUBMERGEMENT s. m. SUBMERGER v. a. ou tr. SUBMERSIBLE adj. SUBMERSION s. f. SUBMICROSCOPIQUE adj. SUBMONILIFORME adj. SUBMONODACTYLE adj. SUBMONOMYAIRE adj. SUBMUTIQUE adj. SUBMYTILACÉ, ÉE adj. SUBNOUEUX, EUSE adj. SUBOCULAIRE adj. SUBODORER v. a. ou tr. SUBOLA SUBOMBILIQUÉ, ÉE adj. SUBONDULÉ, ÉE adj. SUBONGUICULÉ, ÉE adj. SUBONGULÉ, ÉE adj. SUBOPAQUE adj. SUBORBICULAIRE adj. SUBORBICULÉ, ÉE adj. SUBORDINATION s. f. SUBORDONNANT, ANTE adj. SUBORDONNÉ, ÉE part. passé SUBORDONNÉMENT adv. SUBORDONNER v. a. ou tr. SUBORNATEUR, TRICE s. m. SUBORNATION s. f. SUBORNER v. a. ou tr. SUBORNEUR, EUSE s. SUBOSTRACÉ, ÉE adj. SUBOVALE adj. SUBOVOÏDE adj. SUBPAPILLAIRE adj. SUBPARALLÉLIPIPÈDE adj. SUBPARASITE adj. SUBPECTINÉ, ÉE adj. SUBPECTORAL, ALE adj. SUBPÉDICULÉ, ÉE adj. SUBPELLUCIDE adj. SUBPENNÉ, ÉE adj. SUBPENTACHOTOME adj. SUBPENTAGONE adj. SUBPENTAMÈRE adj. SUBPERFORÉ, ÉE adj. SUBPÉRIPHÉRIQUE adj. SUBPERPENDICULAIRE adj. SUBPÉTIOLÉ, ÉE adj. SUBPÉTIOLIFORME adj. SUBPHYTOÏDE adj. SUBPIERREUX, EUSE adj. SUBPILIFÈRE adj. SUBPIQUANT, ANTE adj. SUBPIRIFORME adj. SUBPLAN, ANE adj. SUBPLISSÉ, ÉE adj. SUBPONCTUÉ, ÉE adj. SUBPROBOSCIDÉ, ÉE adj. SUBPROLIFÈRE adj. SUBPYRAMIDÉ, ÉE adj. SUBQUADRIFIDE adj. SUBQUADRIVALVE adj. SUBQUINCONCIAL, ALE adj. SUBRADIÉ, ÉE adj. SUBRAMEUX, EUSE adj. SUBRÉCARGUE s. m. SUBRÉCOT s. m. SUBRE-DORADE s. f. SUBRÉNIFORME adj. SUBREPTICE adj. SUBREPTICEMENT adv. SUBREPTION s. f. SUBRÉSINITE adj. SUBRÉTICULÉ, ÉE adj. SUBRÉVERSIBLE adj. SUBRHOMBOÏDAL, ALE adj. SUBROGATEUR s. m. SUBROGATION s. f. SUBROGATIS s. m. SUBROGATOIRE adj. SUBROGATUR s. m. SUBROGÉ, ÉE part. passé SUBROGER v. a. ou tr. SUBROSTRÉ, ÉE adj. SUBSÉQUEMMENT adv. SUBSÉQUENCE s. f. SUBSÉQUENT, ENTE adj. SUBSÉRIAL, ALE adj. SUBSESSILE adj. SUBSÉTACÉ, ÉE adj. SUBSIDE s. m. SUBSIDIAIRE adj. SUBSIDIAIREMENT adv. SUBSIGNAIRE adj. SUBSIMILAIRE adj. SUBSINUEUX, EUSE adj. SUBSISTANCE s. f. SUBSISTANT, ANTE adj. SUBSISTER v. n. ou intr. SUBSOMPTION s. f. SUBSPATHACÉ, ÉE adj. SUBSPATHULIFORME adj. SUBSPHÉRIQUE adj. SUBSPHÉROÏDAL, ALE adj. SUBSPIRAL, ALE adj. SUBSPIRÉ, ÉE adj. SUBSQUAMEUX, EUSE adj. SUBSTANCE s. f. SUBSTANTER v. a. ou tr. SUBSTANTIAIRE s. m. SUBSTANTIALISER v. a. ou tr. SUBSTANTIALISME s. m. SUBSTANTIALITÉ s. f. SUBSTANTIEL, ELLE adj. SUBSTANTIELLEMENT adv. SUBSTANTIF, IVE adj. SUBSTANTIFIER v. a. ou tr. SUBSTANTION ou SOSTANTION SUBSTANTIVEMENT adv. SUBSTITUANT s. m. SUBSTITUÉ, ÉE part. passé SUBSTITUER v. a. ou tr. SUBSTITUT s. m. SUBSTITUTIF, IVE adj. SUBSTITUTION s. f. SUBSTRATUM s. m. SUBSTRUCTION s. f. SUBSTRUCTURE s. f. SUBSULTANT, ANTE adj. SUBSUMER v. a. ou tr. SUBSUMPTION ou SUBSOMPTION s. f. SUBSURDITÉ s. f. SUB TEGMINE FAGI SUBTÉNIOSOME adj. SUBTENTACULÉ, ÉE adj. SUBTERFUGE s. m. SUBTÉRICORNE adj. SUBTERMINAL, ALE adj. SUBTERRANÉ, ÉE adj. SUBTESSULAIRE adj. SUBTÉTRACHOTOME adj. SUBTÉTRAGONE adj. SUBTHORACIQUE adj. SUBTIL, ILE SUBTILEMENT adv. SUBTILIFOLIÉ, ÉE adj. SUBTILISATION s. f. SUBTILISER v. a. ou tr. SUBTILISEUR, EUSE s. m. SUBTILITÉ s. f. SUBTOMENTEUX, EUSE adj. SUBTRANSVERSE adj. SUBTRIANGULAIRE adj. SUBTRIARTICULÉ, ÉE adj. SUBTRILOBÉ, ÉE adj. SUBTRIPLE adj. SUBTUBERCULÉ, ÉE adj. SUBTURBINÉ, ÉE adj. SUBTURRICULÉ, ÉE adj. SUBUCULE s. f. SUBULAIRE s. f. SUBULARIÉ, ÉE adj. SUBULE s. f. SUBULÉ, ÉE adj. SUBULICORNE adj. SUBULIFOLIÉ, ÉE adj. SUBULINE s. f. SUBULINS s. m. pl. SUBULIPALPE adj. SUBULIPÈDE adj. SUBULIROSTRE adj. SUBULO s. m. SUBUNIVALVE adj. SUBURA ou SUBURRA SUBURBAIN, AINE adj. SUBURBICAIRE adj. SUBUTRAQUISTE s. m. SUBVELOUTÉ, ÉE adj. SUBVENIR v. n. ou intr. SUBVENTION s. f. SUBVENTIONNAIRE adj. SUBVENTIONNEL, ELLE adj. SUBVENTIONNER v. a. ou tr. SUBVERMIFORME adj. SUBVERRUQUEUX, EUSE adj. SUBVERSIF, IVE adj. SUBVERSION s. f. SUBVERTICAL, ALE adj. SUBVERTICILLÉ, ÉE adj. SUBVERTIR v. a. ou tr. SUBVERTISSEMENT s. m. SUBVÉSICULEUX, EUSE adj. SUC s. m. SUC (Etienne-Nicolas-Edouard) SUCCÉ s. m. SUCCÉDANÉ, ÉE adj. SUCCÉDER v. n. ou intr. SUCCENTEUR s. m. SUCCENTURIAUX adj. pl. m. SUCCENTURIÉ, ÉE adj. SUCCÈS s. m. SUCCESSEUR s. m. SUCCESSIBILITÉ s. f. SUCCESSIBLE adj. SUCCESSIF, IVE adj. SUCCESSION s. f. SUCCESSIVEMENT adv. SUCCESSORAL, ALE adj. SUCCET s. m. SUCCHOSAURE s. m. SUCCIDANÉE adj. SUCCIN s. m. SUCCINAMIDE s. f. SUCCINATE s. m. SUCCINCT, INCTE adj. SUCCINCTEMENT adv. SUCCINCTORIUM s. m. SUCCINÉ, ÉE adj. SUCCINIDE s. f. SUCCINIQUE adj. SUCCINITE s. f. SUCCINO-DIBENZO-DISULFOPHÉNYL-DIAMIDE s. f. SUCCINONE s. f. SUCCINOTARTRIQUE adj. SUCCINYL-PHÉNOL s. m. SUCCINYL-TRIBROMOPHÉNOL s. m. SUCCION s. f. SUCCISE s. f. SUCCIVORE adj. SUCCOMBER v. n. ou intr. SUCCOT s. m. SUCCOTRIN s. m. SUCCOWIE s. f. SUCCUBE s. m. SUCCULEMMENT adv. SUCCULENCE s. f. SUCCULENT, ENTE adj. SUCCURSALE s. f. SUCCURSALISTE s. m. SUCCUSSION s. f. SUCÉ, ÉE part. passé SUCÉ SUCE-BOEUF s. m. SUCE-FLEUR s. m. SUCEMENT s. m. SUCE-PIN s. m. SUCER v. a. ou tr. SUCE-SANG s. m. SUCET s. m. SUCETTE s. f. SUCEUR, EUSE s. SUCHAR s. m. SUCHET (Louis-Gabriel) SUCHET (Louis-Napoléon) SUCHOSAURE s. m. SUCHTELEN (Jean-Pierre, comte) SUCHTÉLÉNIE s. f. SUCHUS s. m. SUCKLING (sir John) SUCKOW (Charles-Adolphe) SUCKOW (Gustave) SUÇOIR s. m. SUÇON s. m. SUCOTAHIO s. m. SUÇOTER v. a. ou tr. SUCQUET (Antoine) SUCQUET (Charles) SUCRATE s. m. SUCRE s. m. SUCRE (Antonio-José DE) SUCRÉ, ÉE part. passé SUCRER v. a. ou tr. SUCRERIE s. f. SUCREUR s. m. SUCRIER, IÈRE adj. SUCRILLON s. m. SUCRIN adj. m. SUCRION s. m. SUCRO SUCRONE SUCTOLT s. m. SUCZAWA SUD s. m. SUD (mer du) SUDA (golfe de la) SUDAMINA s. m. pl. SUDARIUM s. m. SUDATION s. f. SUDATOIRE adj. SUDBURY SUDERMANIE SUDEROË SUD-EST s. m. SUD-EST-QUART-EST s. m. SUD-EST-QUART-OUEST s. m. SUD-EST-QUART-SUD ou SUD-QUART-SUD-EST s. m. SUDET (Jean-Mathias DE) SUDETES (monts) SUDIS s. m. SUDISTE adj. SUDORATE s. m. SUDORIFÈRE adj. SUDORIFIQUE adj. SUDORIPARE adj. SUDORIQUE adj. SUD-OUEST s. m. SUD-OUEST-QUART-SUD ou SUD-QUART-SUD-OUEST s. m. SUDRA s. m. SUDRE (Jean-Pierre) SUD-SUD-EST s. m. SUD-SUD-OUEST s. m. SUE (Jean-Joseph) SUE (Jean-Joseph) SUE (Marie-Joseph, dit Eugène) SUE (Pierre) SUÉ, ÉE part. passé SUECA SUECIA SUÉCO Préfixe SUECO SUÉDA s. m. SUÈDE SUÉDINÉ, ÉE adj. SUÉDOIS, OISE s. et adj. SUÉE s. f. SUÉNON Ier SUÉNON II SUÉNON III (Pierre) SUÉO-GOTHIQUE adj. SUER v. n. ou intr. SUÈRE-DUPLAN (Jean-Maurice) SUERFAIS s. m. SUERIE s. f. SUESSA POMETIA ou POMETII SUESSIONES SUESSULA SUÉTONE (Caius Tranquillus SUETONIUS) SUETONIUS PAULINUS SUÈTRES SUETTE s. f. SUEUR s. m. SUEUR s. f. SUEUR (Eustache LE) SUÈVES SUÈVES (mer des) SUEVIA SUEZ (golfe de) SUEZ SUEZ (isthme de) SUFFECTE adj. m. SUFFÈTE s. m. SUFFETIUS (Metius) SUFFIBULUM s. m. SUFFICIT v. unipersonn. SUFFIRE v. n. ou intr. SUFFISAMMENT adv. SUFFISANCE s. f. SUFFISANT, ANTE adj. SUFFITION s. f. SUFFIXE s. m. SUFFOCANT, ANTE adj. SUFFOCATION s. f. SUFFOLK (COMTÉ DE) SUFFOLK (William POLL, comte, puis marquis et duc DE) SUFFOLK (le comte Jean) SUFFOQUÉ, ÉE part. passé SUFFOQUER v. a. ou tr. SUFFRAGANT, ANTE adj. SUFFRAGE s. m. SUFFREN (Jean) SUFFREN DE SAINT-TROPEZ (Louis-Jérôme DE) SUFFREN DE SAINT-TROPEZ (Pierre-André DE) SUFFRÉNIE s. f. SUFFRUTESCENT, ENTE adj. SUFFUMIGATION s. f. SUFFUSION s. f. SUFI s. m. SUFISME s. m. SUGAL s. m. SUGER SUGGARD s. m. SUGGÉRER v. a. ou tr. SUGGESTE s. m. SUGGESTEUR, TRICE s. m. SUGGESTION s. f. SUGGESTUM s. m. SUGI s. m. SUGILLATION s. f. SUGILLER v. a. ou tr. SUGLACURU s. m. SUGNY (Servan DE) SUHL SUHM (Ulric-Frédéric DE) SUHM (Pierre-Frédéric DE) SUHRIE s. f. SUI-BAPTISTE s. m. SUICER (Jean-Gaspar SCHWEITZER, plus connu sous le nom latinisé de) SUICER (Jean-Henri) SUICIDE s. m. SUICIDE s. m. SUICIDÉ, ÉE part. passé SUICIDER (SE) v. pr. SUICIDOMANIE s. f. SUIDAS SUIDBERT (saint) SUIE s. f. SUIF s. m. SUIFFER v. a. ou tr. SUIFFEUX, EUSE adj. SUI GENERIS SUIL s. m. SUILLIE s. f. SUILLIEN, IENNE adj. SUIN s. m. SUINDINUM ou CENOMANI SUINT s. m. SUINTANT, ANTE adj. SUINTEMENT s. m. SUINTER v. n. ou intr. SUINTILA SUIONES SUIPACHA SUIPPES SUIPPES SUIR SUISETH (Richard) SUISSE, SUISSESSE s. SUISSE ou CONFÉDÉRATION HELVÉTIQUE SUISSE SAXONNE SUISSERIE s. f. SUIT s. m. SUITE s. f. SUITÉE adj. f. SUITES s. f. pl. SUIVABLE adj. SUIVANT prép. SUIVANT, ANTE adj. SUIVER v. a. ou tr. SUIVI, IE part. passé SUIVRE v. a. ou tr. SUJAT s. m. SUJET, ETTE adj. SUJÉTION s. f. SUK (François) SUKIAS SOMAL (le révérend abbé) SUKOTYHO s. m. SULA s. m. SULAC s. m. SULAKA ou SULTAKAAM SULAMITE SULCATURE s. f. SULCICOLLE adj. SULCIDENTÉ, ÉE adj. SULCIFÈRE adj. SULCIFORME adj. SULCIPENNE adj. SULCIROSTRE adj. SULCULÉAIRE s. f. SULCULÉOLAIRE s. f. SULEAU (François-Louis) SULEIMAN SULF ou SULFO préfixe SULFACÉTATE s. m. SULFACÉTIQUE adj. SULFACÉTONE s. f. SULFACIDE s. m. SULFAMMONIQUE adj. SULFANTIMONIATE s. m. SULFANTIMONIQUE adj. SULFARSÉNIATE s. m. SULFARSÉNIEUX adj. m. SULFARSÉNIQUE adj. SULFARSÉNITE s. m. SULFARSÉNIURE s. m. SULFATAGE s. m. SULFATE s. m. SULFATÉ, ÉE part. passé SULFATER v. a. ou tr. SULFATEUR s. m. SULFATIQUE adj. SULFATISATION s. f. SULFATO-ACÉTIQUE adj. qual. SULFATO-IODIQUE adj. SULFAZIDIQUE adj. SULFAZILITE s. m. SULFAZITE s. m. SULFAZOTATE s. m. SULFAZOTE s. m. SULFAZOTÉ adj. SULFAZOTINATE s. m. SULFAZOTITE s. m. SULFÉTHYLIDÉNIQUE adj. SULFHYDANTOÏNE s. f. SULFHYDRATE s. m. SULFHYDRIQUE adj. SULFHYDROMÈTRE s. m. SULFHYDROMÉTRIE s. f. SULFHYDROMÉTRIQUE adj. SULFITE s. m. SULFO préfixe SULFOADIPATE s. m. SULFOADIPIQUE adj. SULFOAZOTÉ, ÉE adj. SULFOBASE s. f. SULFOBASIQUE adj. SULFOBENZAMATE s. m. SULFOBENZIDE s. f. SULFOBENZOATE s. m. SULFOCAMPHORATE s. m. SULFOCAMPHORIQUE adj. SULFOCARBÉTHÉRATE s. m. SULFOCARBÉTHÉRIQUE adj. SULFOCARBONATE s. m. SULFOCARBONIQUE adj. SULFOCHLORURE s. m. SULFOCINNAMATE s. m. SULFOCINNAMIQUE adj. SULFOCONJUGUÉ, ÉE adj. SULFOCYANACÉTIQUE adj. SULFOCYANATE s. m. SULFOCYANÉ, ÉE adj. SULFOCYANIQUE adj. SULFOCYANOGÈNE s. m. SULFOCYANURE s. m. SULFOGLYCÉRIQUE adj. SULFOHYDROXYLAMATE s. m. SULFOÏNDIGOTATE s. m. SULFOÏNDIGOTIQUE adj. SULFOÏODURE s. m. SULFOÏSONAPHTOÏQUE adj. SULFOLÉIQUE adj. SULFOLÉULE s. m. SULFOMARGARIQUE adj. SULFOMÉTHYLATE s. m. SULFOMÉTHYLIQUE adj. SULFONAPHTALATE s. m. SULFONAPHTALIQUE adj. SULFONÉ, ÉE adj. SULFOPLOMBIFÈRE adj. SULFOPODOCARPIQUE adj. SULFOPROPIONIQUE adj. SULFO-PSEUDO-URIQUE adj. SULFOPURPURIQUE adj. SULFOPYRUVIQUE adj. SULFORUFIQUE adj. SULFOSEL s. m. SULFOSINAPIQUE adj. SULFOSINAPISINE s. f. SULFOTELLURATE s. m. SULFOTELLUREUX, EUSE adj. SULFOTELLURIQUE adj. SULFOTELLURITE s. m. SULFOTHYMOLATE s. m. SULFOTHYMOLIQUE adj. SULFOVINATE s. m. SULFOVINIQUE adj. SULFOXANTHRAQUINONIQUE adj. SULFOXYAZOTINATE s. m. SULFOXYDE s. m. SULFURABILITÉ s. f. SULFURABLE adj. SULFURAIRE s. f. SULFURATION s. f. SULFURE s. m. SULFURÉ, ÉE part. passé SULFURER v. a. ou tr. SULFUREUX, EUSE adj. SULFURIDE adj. SULFURIFÈRE adj. SULFURIPÈDE adj. SULFURIQUE adj. SULGAN s. m. SULGAS SULGHER-FANTASTICI-MARCHESINI (Fortunée) SULIA SULIAC (SAINT-) SULIKOW DE SOLKI (Jean-Démétrius) SULIN s. m. SULINA SULION s. m. SULIPA s. m. SULITRA s. m. SULKOWSKI (Alexandre-Joseph DE) SULKOWSKI (Joseph) SULKOWSKI (Antoine-Paul, prince) SULLA s. f. SULLIACUM SULLIAS (le) SULLIVAN SULLIVAN (Jean) SULLIVAN (James) SULLIVAN (William) SULLIVANTIE s. f. SULLY SULLY-SUR-LOIRE SULLY-LA-TOUR SULLY (Maurice, dit DE) SULLY (Odon DE) SULLY (Maximilien DE BÉTHUNE, duc DE) SULLY (Henri) SULMO SULMO SULMONA SULNIAC SULPICE-LES-CHAMPS (SAINT-) SULPICE-LES-FEUILLES (SAINT-) SULPICE-SUR-RILLE (SAINT-) SULPICE (saint) SULPICE-SÉVÈRE SULPICIA (famille) SULPICIA SULPICIA SULPICIEN, IENNE adj. SULPICIUS (C. Longus) SULPICIUS (Paeticus) SULPICIUS (Servius Rufus) SULPITIUS GALLUS SULPIZIO (Giovanni) SUL PONTICELLO SULTAN s. m. SULTAN-EUNI SULTAN-HISSAR SULTANABAD SULTANAT s. m. SULTANE s. f. SULTANI s. m. SULTANIE s. f. SULTANIÉH SULTANIÉH-HISSAR ou SULTANIÉH-KALESSI SULTANIN s. m. SULTER SULTHAN-ED-DAULAH (Abou-Schoudja) SULZ SULZBACH SULZBACH SULZE SULZER SULZER (Simon) SULZER (Jean-Georges) SULZER (Jean-Gaspard) SUMAC s. m. SUMAN s. m. SUMATRA SUMATRIEN, IENNE s. et adj. SUMBA SUMBAVA SUMBAVA-TIMOR (archipel de) SUMBUL s. m. SUMÈNE SUMIDORO SUMMANALIES s. f. pl. SUMMANUS SUMMARIPA (Georges DE SOMMARIVA, plus connu sous le nom latin de) SUMMATE s. m. SUMMATYE s. m. SUMMERVILLE SUMMONTE (Jean-Antoine) SUMMUM s. m. SUMMUM JUS, SUMMA INJURIA SUMNER (John Bird) SUMNER (Edwin-Vose) SUMNER (Charles) SUMPIT s. m. SUMROO ou SUMROU (la bégum) SUM-XU s. m. SUNAM SUNAMITE s. et adj. SU-NAN s. m. SUNBULITE s. m. SUNBURG SUND SUNDARU SUNDERLAND SUNDERLAND (Henri SPENCER, comte DE) SUNDERLAND (Robert SPENCER, comte DE) SUNDERLAND (Charles SPENCER, comte DE) SUNDEWIT SUNDSVALL SUNET s. m. SUNIADE adj. f. SUNIATOR ou SUNIATES SUNIPIE s. f. SUNIUM (cap) SUNNA s. f. SUNNA SUNNITE s. m. SUNO SUNT LACRYMAE RERUM, ET MENTEM MORTALIA TANGUNT SUN-TSEU SUNT VERBA ET VOCES PRAETEREAQUE NIHIL SUNYASEE s. m. SUOMI s. m. SUOVÉTAURILIES s. f. pl. SUP préfixe SUPÉ, ÉE part. passé SUPER préfixe SUPER v. a. ou tr. SUPÉRATION s. f. SUPERAXILLAIRE adj. SUPERBE adj. SUPERBE s. f. SUPERBEMENT adv. SUPERCARGUE s. m. SUPERCÉLESTE adj. SUPERCESSION s. f. SUPERCHERIE s. f. [[..]] SUPERNATURALISTE adj. SUPERNUTRITION s. f. SUPEROVARIÉ, ÉE adj. SUPEROXYDATION s. f. SUPERPOSÉ, ÉE part. passé SUPERPOSER v. a. ou tr. SUPERPOSITIF, IVE adj. SUPERPOSITION s. f. SUPERPURGATION s. f. SUPERSAC (Auguste) SUPERSAC (Léon) SUPERSATURÉ, ÉE part. passé SUPERSATURER v. a. ou tr. SUPERSAX (Georges AUF DER FLUHE, dit) SUPERSÉCRÉTION s. f. SUPERSÉDER v. n. ou intr. SUPERSENSIBLE adj. SUPERSTIMULATION s. f. SUPERSTITIEUSEMENT adv. SUPERSTITIEUX, EUSE adj. SUPERSTITION s. f. SUPERSTITIOSITÉ s. f. SUPERSTRUCTION s. f. SUPERSTRUCTURE s. f. SUPER-SUS s. m. SUPERVILLE (Daniel DE) SUPERVILLE (Daniel DE) SUPERVOLUTIF, IVE adj. SUPHIS s. m. SUPIER s. m. SUPIN s. m. SUPINAS (Angelus-Cato) SUPINATEUR adj. m. SUPINATION s. f. SUPPARUM s. m. SUPPÉDANÉ s. m. SUPPLANTATEUR, TRICE s. SUPPLANTATION s. f. SUPPLANTER v. a. ou tr. SUPPLANTEUR, EUSE s. SUPPLÉANCE s. f. SUPPLÉANT, ANTE adj. SUPPLÉER v. a. ou tr. SUPPLÉMENT s. m. SUPPLÉMENTAIRE adj. SUPPLÉMENTAIREMENT adv. SUPPLENBOURG SUPPLÉTIF, IVE adj. SUPPLÉTOIRE adj. SUPPLIANT, ANTE adj. SUPPLICATION s. f. SUPPLICATOIRE adj. SUPPLICE s. m. SUPPLICIÉ, ÉE part. passé SUPPLICIER v. a. ou tr. SUPPLIER v. a. ou tr. SUPPLIQUE s. f. SUPPORT s. m. SUPPORTABLE adj. SUPPORTABLEMENT adv. SUPPORTAGE s. m. SUPPORTANT, ANTE adj. SUPPORTÉ, ÉE part. passé SUPPORTER v. a. ou tr. SUPPORTEUR, EUSE s. SUPPOSABLE adj. SUPPOSÉ, ÉE part. passé SUPPOSER v. a. ou tr. SUPPOSEUR, EUSE s. SUPPOSITIF, IVE adj. SUPPOSITION s. f. SUPPOSITOIRE s. m. SUPPÔT s. m. SUPPRESSIF, IVE SUPPRESSION s. f. SUPPRIMABLE adj. SUPPRIMER v. a. ou tr. SUPPURANT, ANTE adj. SUPPURATIF, IVE adj. SUPPURATION s. f. SUPPURÉ, ÉE part. passé SUPPURER v. n. ou intr. SUPPUTANT, ANTE adj. SUPPUTATION s. f. SUPPUTER v. a. ou tr. SUPRA-AXILLAIRE adj. SUPRAGO s. m. SUPRAJUNCTAIRE s. m. SUPRAJURASSIQUE adj. SUPRALAPSAIRE s. m. SUPRAMONDAIN, AINE adj. SUPRANATURALISME s. m. SUPRANATURALISTE s. m. SUPRARATIONNEL, ELLE adj. SUPRASENSIBLE adj. SUPRATHORACIQUE adj. SUPRÉMATIE s. f. SUPRÊME adj. SUPRÊMEMENT adv. SUR préfixe SUR prép. SUR, SÛR, SÛRE adj. SURE adj. SUR SURA s. m. SURA SURABONDAMMENT adv. SURABONDANCE s. f. SURABONDANT, ANTE adj. SURABONDER v. n. ou intr. SURACCABLER v. n. ou intr. SURACHAT s. m. SURACHETER v. a. ou tr. SURACTIVITÉ s. f. SURADDITION s. f. SURAIGU, UË adj. SURAJOUTER v. a. ou tr. SURAL, ALE adj. SUR-ALLER v. n. ou intr. SURAND SUR-ANDOUILLER s. m. SURANNATION s. f. SURANNÉ, ÉE part. passé SURANNER v. n. ou intr. SURANTIMONIATE s. m. SURANTIMONITE s. m. SUR-ARBITRE s. m. SURARD adj. m. SURARSÉNIATE s. m. SURATE s. f. SURATE SURATTENDRE v. n. ou intr. SURATTRIBUT s. m. SURBAISSÉ, ÉE part. passé SURBAISSEMENT s. m. SURBAISSER v. a. ou tr. SURBANDE s. f. SURBASIQUE adj. SURBAU s. m. SURBECK (Eugène-Pierre DE) SURBO SURBOUCHAGE s. m. SURBOUCHE s. f. SURBOUCHER v. a. ou tr. SURBOUT s. m. SURBRISER v. a. ou tr. SURBRISURE s. f. SURCALCINER v. a. ou tr. SURCARBONATE s. m. SURCASE s. f. SURCENS s. m. SURCHAIR s. m. SURCHARGE s. f. SURCHARGÉ, ÉE part. passé SURCHARGER v. a. ou tr. SURCHAUFFAGE s. m. SURCHAUFFER v. a. ou tr. SURCHAUFFEUR s. m. SURCHAUFFURE s. f. SURCHOIX s. m. SURCHROMATE s. m. SURCILIER, ÈRE adj. SURCILIO-CONCHIEN, IENNE adj. SURCOMPENSÉ, ÉE adj. SURCOMPOSÉ, ÉE adj. SURCOMPOSITION s. f. SURCOSTAL, ALE adj. SURCOT s. m. SURCOUF (Robert) SURCOUPE s. f. SURCOUPER v. a. ou tr. SURCRÉNELÉ, ÉE adj. SURCROISSANCE s. f. SURCROÎT s. m. SURCROÎTRE v. n. ou intr. SURCUIRE v. a. ou tr. SURCUISSON s. f. SURCUIT, UITE part. passé SURCULATION s. f. SURCULE s. m. SURCULEUX, EUSE adj. SURCULIGÈRE adj. SURCULOTTE s. f. SURCYANATE s. m. SURDÂTRE adj. SURDÉCOMPOSÉ, ÉE adj. SURDEMANDE s. f. SUR-DEMI-ORBICULAIRE adj. SURDENT s. f. SURDI-MUTITÉ s. f. SURDISTENDRE v. a. ou tr. SURDISTENSION s. f. SURDITÉ s. f. SURDIVIN, INE adj. SURDO (Jean-Pierre) SURDON s. m. SURDORER v. a. ou tr. SURDORURE s. f. SURDOS s. m. SURE SUREAU s. m. SUREAU (Hugues) SUREAUTIER s. m. SURÉCOT s. m. SURÉDIFIER v. a. ou tr. SUREGADE s. m. SURÉGALISAGE s. m. SURÉGALISER v. a. ou tr. SURÉGALISOIR s. m. SURÉLÉVATION s. f. SURÉLEVER v. a. ou tr. SURELLE s. f. SUREMAIN DE MISSERY (Antoine) SURÉMARGINÉ, ÉE adj. SÛREMENT adv. SURÉMINENT, ENTE adj. SURÉMISSION s. f. SURÉMOUSSÉ, ÉE adj. SURÉNA s. m. SURÉNA SURENCHÈRE s. f. SURENCHÉRIR v. n. ou intr. SURENCHÉRISSEMENT s. m. SURENCHÉRISSEUR s. m. SURENHUSIUS (Guillaume) SURENVELOPPE s. f. SURÉPINEUX, EUSE adj. SURÉROGATION s. f. SURÉROGATOIRE adj. SURÉROGATOIREMENT adv. SURESNES s. m. SURESNES SURESNOIS, OISE s. et adj. SURESTARIE s. f. SURESTIMATION s. f. SURESTIMER v. a. ou tr. SURET, ÈTE adj. SURET (Antoine) SÛRETÉ s. f. SURETIÈRE s. f. SURETTE s. f. SURETTE s. f. SUREXCITABILITÉ s. f. SUREXCITABLE adj. SUREXCITANT, ANTE adj. SUREXCITATION s. f. SUREXCITER v. a. ou tr. SUREXHALATION s. f. SUREXTENSION s. f. SURFACE s. f. SURFAIRE v. a. ou tr. SURFAIX s. m. SURFEUILLE s. f. SURFILAGE s. m. SURFLEURIR v. n. ou intr. SURFONCIER, IÈRE adj. SURFONDU, UE adj. SURFORCE s. f. SURFRAPPE s. f. SURFRAPPER v. a. ou tr. SURFUSIBILITÉ s. f. SURFUSION s. f. SURGE s. f. SURGE ET AMBULA! SURGEON s. m. SURGEONNER v. n. ou intr. SURGÈRES SURGIR v. n. ou intr. SURGISSANT, ANTE adj. SURGISSEMENT s. m. SURGLACER v. a. ou tr. SURGY SURHAUSSEMENT s. m. SURHAUSSER v. a. ou tr. SURHUMAIN, AINE adj. SURIAN (Joseph-Donat) SURIAN (Jean-Baptiste) SURIANE s. f. SURIANÉ, ÉE adj. SURICALDAY (Gaétan) SURICATE ou SURIKATE s. m. SURIER s. m. SURIMPOSER v. a. ou tr. SURIMPOSITION s. f. SURIN s. m. SURIN (Jean-Joseph) SURINAM s. m. SURINAM SURINTENDANCE s. f. SURINTENDANT s. m. SURINTENDANTE s. f. SURIR v. n. ou intr. SURIRELLE s. f. SURIRREY DE SAINT-RÉMY (Pierre) SURIRRITATION s. f. SURIS s. m. SURIUS (Laurent) SURJACENT, ENTE adj. SURJALER v. a. ou tr. SURJET s. m. SURJETER v. a. ou tr. SURJOUX SURJURER v. a. ou tr. SURKERKAN s. m. SURLANGUE s. f. SUR-LARYNGIEN, IENNE adj. SURLEAU (Jean-Georges) SURLENDEMAIN s. m. SURLET DE CHOKIER SURLET DE CHOKIER (Erasme) SURLET DE CHOKIER (Jean) SURLET DE CHOKIER (Erasme-Louis, baron) SUR-LE-TOUT s. m. SUR-LE-TOUT-DU-TOUT s. m. SURLIER v. a. ou tr. SURLIURE s. f. SURLONGE s. f. SURLOUER v. a. ou tr. SURLUNAIRE adj. SURMARCHER v. n. ou intr. SURME s. m. SURMÉ ou SURMEH s. m. SURMÉLIAN (le Père Christophore) SURMELIN SURMENAGE s. m. SURMENER v. a. ou tr. SURME SURE s. f. SURMONTABLE adj. SURMONTÉ, ÉE part. passé SURMONTEMENT s. m. SURMONTER v. a. ou tr. SURMOULAGE s. m. SURMOULE s. m. SURMOULÉ, ÉE part. passé SURMOULER v. a. ou tr. SURMOUSSE s. m. SURMOÛT s. m. SURMULET s. m. SURMULOT s. m. SURMURINS s. m. pl. SURNAGEANT, ANTE adj. SURNAGER v. n. ou intr. SURNATURALISER v. a. ou tr. SURNATURALISME s. m. SURNATURALITÉ s. f. SURNATUREL, ELLE adj. SURNATURELLEMENT adv. SURNEIGÉE s. f. SURNICOU s. m. SURNICULE s. m. SURNIE s. f. SURNINÉ, ÉE adj. SURNOM s. m. SURNOMBRE s. m. SURNOMMER v. a. ou tr. SURNOURRI, IE adj. SURNUMÉRAIRE adj. SURNUMÉRARIAT s. m. SUROFFRE s. f. SUROFFRIR v. a. ou tr. SURON s. m. SUROS s. m. SUROWIECKI (Charles) SUROWIECKI (W.) SUROXYDATION s. f. SUROXYDE s. m. SUROXYDER v. a. ou tr. SUROXYGÉNATION s. f. SUROXYGÉNÉ, ÉE adj. SUROXYGÉNÈSE s. f. SURPASSABLE adj. SURPASSER v. a. ou tr. SURPAYE s. f. SURPAYER v. a. ou tr. SURPEAU s. f. SURPENTE s. f. SURPLIS s. m. SURPLOMB s. m. SURPLOMBÉ, ÉE part. passé SURPLOMBEMENT s. m. SURPLOMBER v. n. ou intr. SURPLUÉE s. f. SURPLUS s. m. SURPOIDS s. m. SURPOINT s. m. SURPOSÉ, ÉE adj. SURPOUSSE s. f. SURPRENABLE adj. SURPRENANT, ANTE adj. SURPRENDRE v. a. ou tr. SURPRIS, ISE part. passé SURPRISE s. f. SURPRODUCTION s. f. SURRE s. m. SURRÈDE s. m. SURRÉNAL, ALE adj. SURRENTUM SURREY (COMTÉ DE) SURREY (Henri HOWARD, comte DE) SURRIER s. m. SURSAS s. m. SURSATURATION s. f. SURSATURÉ, ÉE part. passé SURSATURER v. a. ou tr. SURSAUT s. m. SURSAUTER v. n. ou intr. SURSÉANCE s. f. SURSEE SURSEL s. m. SURSÉLÉNIATE s. m. SURSEMÉ, ÉE part. passé SURSEMER v. a. ou tr. SURSEOIR v. a. ou tr. SURSILICATE s. m. SURSIS, ISE part. passé SURSOLIDE adj. SURSOMME s. f. SURSTÉARATE s. m. SURSULFATE s. m. SURSUM CORDA SURTARE s. f. SURTARTRATE s. m. SURTAUX s. m. SURTAXE s. f. SURTAXER v. a. ou tr. SURTELLURATE s. m. SURTHORAX s. m. SURTIRÉ s. m. SURTITANATE s. m. SURTONDRE v. a. ou tr. SURTONTE s. f. SURTORS s. m. SURTOUT adv. SURTOUT s. m. SURTRONCATURE s. f. SURTUNGSTATE s. m. SURTUR SURTURBRAND s. m. SURUGUE (Louis) SURUGUE (Pierre) SURVALEUR s. f. SURVANADATE s. m. SURVEILLANCE s. f. SURVEILLANT, ANTE adj. SURVEILLE s. f. SURVEILLER v. a. ou tr. SURVENANCE s. f. SURVENANT, ANTE adj. SURVENDRE v. a. ou tr. SURVENIR v. n. ou intr. SURVENTE s. f. SURVENTE s. f. SURVENTER v. n. ou intr. SURVENUE s. f. SURVERSEMENT s. m. SURVÊTIR v. a. ou tr. SURVIDER v. a. ou tr. SURVIE s. f. SURVILLE (Clotilde DE) SURVILLE (Louis-Charles DE HAUTEFORT, marquis DE) SURVILLE (Jean-François-Marie DE) SURVILLE (Joseph-Etienne, marquis DE) SURVILLE (Laure DE BALZAC, dame) SURVILLE (Victor-Laurent ESLIARD, dit) SURVILLIERS SURVINER v. a. ou tr. SURVIVANCE s. f. SURVIVANCIER s. m. SURVIVANT, ANTE adj. SURVIVRE v. n. ou intr. SURY-LE-COMTAL SURZUR SUS préfixe SUS adv. SUS s. m. SUS ou RAZ-EL-OUADY SUS-ACROMIAL, ALE adj. SUSAIN s. m. SUSANE (Louis) SUSANNE ou SUZANNE SUSARION SUSBANDE s. f. SUSBEC s. m. SUSCARPIEN, IENNE adj. SUSCE s. m. SUSCEPTEUR s. m. SUSCEPTIBILITÉ s. f. SUSCEPTIBLE adj. SUSCEPTION s. f. SUSCITATEUR, TRICE s. SUSCITATION s. f. SUSCITEMENT s. m. SUSCITER v. a. ou tr. SUS-CLAVICULAIRE adj. SUS-COCCYGIEN, IENNE adj. SUSCRIPTION s. f. SUS-DÉNOMMÉ, ÉE adj. SUSDIT, ITE adj. SUS-DOMINANTE s. f. SUSE SUSE SUSE (pas de) SUSEAU s. m. SUSEGANA SUS-ÉPINEUX, EUSE adj. SUSERRE s. f. SUSETTE s. m. SUS-HÉPATIQUE adj. SUS-HYOÏDIEN, IENNE adj. SUSIANE SUSIEN, IENNE adj. SUSIN s. m. SUS-JACENT, ENTE adj. SUSLIK s. m. SUS-MAXILLAIRE adj. SUS-MAXILLO-LABIAL, ALE adj. SUS-MAXILLO-NASAL, ALE adj. SUS-MENTIONNÉ, ÉE adj. SUS-MÉTACARPO-LATÉRI-PHALANGIEN, IENNE adj. SUS-MÉTATARSIEN, IENNE adj. SUS-MÉTATARSO-LATÉRI-PHALANGIEN, IENNE adj. SUS-NASAL, ALE adj. SUS-NASEAU s. m. SUS-NASO-LABIAL, ALE adj. SUS-NOMMÉ, ÉE adj. SUSO ou SUSON (Henri DE BERG, dit Henri) SUS-ORBITAIRE adj. SUSPECT, ECTE adj. SUSPECTER v. a. ou tr. SUSPENDRE v. a. ou tr. SUSPENDU, UE part. passé SUSPENS adj. SUSPENSE s. f. SUSPENSEUR adj. m. SUSPENSIF, IVE adj. SUSPENSION s. f. SUSPENSOIR s. m. SUSPENTE s. f. SUSPICANTE s. f. SUSPICION s. f. SUSPIED s. m. SUSPIRIEUX, EUSE adj. SUS-PUBIEN, IENNE adj. SUS-PUBIO-FÉMORAL, ALE adj. SUSQUEHANNAH SUS-RELATÉ, ÉE adj. SUSRUTA SÜSS OPPENHEIMER SUSSANNEAU (Hubert) SUS-SCAPULAIRE adj. SUSSEX (COMTÉ DE) SUSSEX (ROYAUME DE) SUSSEX (Auguste-Frédéric, duc DE) SUSSEYEMENT s. m. SUSSEYER v. n. ou intr. SUSSMAYER (François) SUSSMILCH (Jean-Pierre) SUS-SPHÉNOÏDAL, ALE adj. SUS-TARSIEN, IENNE adj. SUSTENTATION s. f. SUSTENTER v. a. ou tr. SUSTERMANS (Juste) SUSTINE ET ABSTINE SUSTINENTE SUS-TONIQUE s. f. SUSU s. m. SUSUM s. m. SUSURRATEUR, TRICE adj. SUSURRATION s. f. SUSURREMENT s. m. SUSURRER v. n. ou intr. SUSURRUS s. m. SUTCLIF ou SUTLIF (Matthew) SUTERA SUTÈRE s. f. SUTÉRIE s. f. SUTHERLAND (COMTÉ DE) SUTHERLANDIE s. f. SUTHORE s. m. SUTILE adj. SUTLEDGE SUTRA s. m. SUTRI SUTTEE ou SUTTIE s. f. SUTTER (David) SUTTON (Thomas) SUTTON-GOLDFIELD SUTTONIE s. f. SUTTUNG SUTURAIRE adj. SUTURAL, ALE adj. SUTURE s. f. SUTURÉ, ÉE adj. SUTURER v. a. ou tr. SUTUREUX, EUSE adj. SUVE s. m. SUVÉE (Joseph-Benoît) SUVERETO SUWALKI SUYA s. m. SUYS (Tilman-François) SUZANNE SUZANNE (SAINTE-) SUZANNE (SAINTE-) SUZANNE (RIVIÈRE DE SAINTE-) SUZANNE SUZANNE (sainte) SUZANNET (Pierre-Jean-Baptiste-Constant, comte DE) SUZE (LA) SUZE SUZE-LA-ROUSSE SUZE (Henri DE) SUZE (Henriette DE COLIGNY, comtesse DE LA) SUZEAU s. m. SUZERAIN, AINE s. SUZERAINETÉ s. f. SUZZARA SVADILFAR SVANBERG (Jöas) SVANBERG (Lars-Frédéric) SVEABORG SVEDBERG (Jesper) SVEDENBORG (Emmanuel) SVELTE adj. SVELTESSE s. f. SVENDBORG SVENKSUND SVERRER SVETCHINE (Sophie SOYMONOFF, dame) SVIAGA SVIATOSLAF ou SWIENTOSLAS SVIATOSLAF SVIATOSLAF SVIATOSLAF (Nicolas) SVIATOSLAF SVIATOSLAF SVIATOSLAF (Gabriel) SVIR SVITRAMIE s. f. SWAFFAM SWAIN (Charles) SWAINSON (William) SWAINSONIE s. f. SWALE SWALVE (Bernard) SWAMMERDAM (Jean) SWAMMERDAMIE s. f. SWAN (James) SWANEBURG (Guillaume) SWANEVELD ou SWANEVELT (Herman VAN) SWAN-PAN s. m. SWAN-RIVER SWANSEA SWANTEVIL ou SOUANTOVITCH SWANWICH SWARGA SWART-ELF SWARTZ (Olaüs) SWARTZIE s. f. SWARTZIÉ, ÉE adj. SWEABORG SWEBACH DE FONTAINE (Jacques-François-Joseph) SWEDENBORG (Emmanuel SVEDBERG, anobli sous le nom de) SWEDENBORGIEN, IENNE adj. SWEDENBORGISME s. m. SWEDIAUR (François-Xavier) SWEEP-STAKE s. m. SWEERT ou SWEERTS (François) SWEERTS DE LANDAS (le baron Jacques-Thierry) SWEETIE s. f. SWEIGKER ou SCHWEIGKER (Salomon) SWELLENGREBEL (Jean-Gérard-Henri) SWERIGE SWERRE ou SVERRIR SWERTCHKOF (Nicolas) SWERTIE s. f. SWETCHINE (Anne-Sophie SOYMONOFF, dame) SWETTL SWEVEGHEM SWEVEZEELE SWEYNHEIM (Conrad) SWIENTOPELK ou SVATOPLUK SWIENTOPELK ou ZUENTIBOLD SWIENTOPELK ou SVIATOPOLK SWIENTOPELK ou SVIATOPLUK SWIENTOPELK SWIENTOPELK Ier SWIENTOPELK II SWIERCKOWSKI SWIETEN (Gérard, baron VAN) SWIÉTÉNIE s. f. SWIÉTÉNIÉ, ÉE adj. SWIFT (Jonathan) SWIFT (Deane) SWIFT (Théophile) SWINBURNE (Henry) SWINDEN (Jean-Henri) SWINDON SWINEMUNDE SWINTON (Jean) SWIPUL SWITHIN (saint) SWITZER (Etienne) SY SYACOU s. m. SYAGRE s. m. SYAGRIUS (Afranius) SYAGRIUS (Afranius) SYAGRIUS (saint) SYALITE s. f. SYAME s. m. SYBARIS SYBARITE adj. SYBARITIQUE adj. SYBARITIQUEMENT adv. SYBARITISME s. m. SYBEL (Henri DE) SYBISTROME s. m. SYCANE s. m. SYCÉPHALE s. m. SYCÉPHALIE s. f. SYCÉPHALIEN, IENNE adj. SYCÉPHALIQUE adj. SYCHAR s. m. SYCHINION s. m. SYCIOÏDE s. m. SYCIONIE s. f. SYCIOT s. m. SYCIOTE s. m. SYCOBIE s. m. SYCOCÉRYLIQUE adj. SYCOCRINE s. m. SYCOCRINITE s. m. SYCOCYSTITE s. m. SYCOMANCIE s. f. SYCOMANCIEN, IENNE s. SYCOMORE s. m. SYCONE s. m. SYCOPHAGE adj. SYCOPHANTE s. m. SYCOPHANTIN s. m. SYCOPHANTISME s. m. SYCORAX s. m. SYCORÉTINE s. f. SYCOSE s. m. SYCOSIS s. m. SYCOTIQUE adj. SYCOZOÉ s. m. SYDENHAM SYDENHAM (Thomas) SYDENHAM (Floyer) SYDENHAM (John) SYDNEY SYDNEY SYDNEY SYDOW (François-Guillaume) SYDOW (Théodore-Emile DE) SYÈNE SYÉNITE s. f. SYÉNITIQUE adj. SYEPOORITE s. f. SYKES (Arthur-Aghleg) SYKES (William-Henry) SYKHS SYL préfixe SYLBURG (Frédéric) SYLECTRE s. f. SYLEPTE s. f. SYLITRE s. f. SYLLA (Lucius Cornelius) SYLLA (Faustus Cornelius) SYLLA (Publius Cornelius) SYLLA (Cornelius Faustus) SYLLABAIRE s. m. SYLLABATION s. f. SYLLABE s. f. SYLLABER v. a. ou tr. SYLLABICO-IDÉOGRAPHIQUE adj. SYLLABIQUE adj. SYLLABIQUEMENT adv. SYLLABISATION s. f. SYLLABISER v. a. ou tr. SYLLABISME s. m. SYLLABUS s. m. SYLLECTE SYLLEPSE s. f. SYLLEPTIQUE adj. SYLLEXIE s. f. SYLLIEN, IENNE adj. SYLLIS s. f. SYLLISIE s. f. SYLLOCHISME s. m. SYLLOGE s. m. SYLLOGISER v. n. ou intr. SYLLOGISME s. m. SYLLOGISTIQUE adj. SYLLOGISTIQUER v. n. ou intr. SYLLYTHRIE s. f. SYLOCHÉLIDON s. m. SYLPHE s. m. SYLPHIDE s. f. SYLPHIRIE s. f. SYLT SYLVA (Béatrix DE) SYLVA (Eloi) SYLVAIN, AINE adj. SYLVAIN SYLVAINS SYLVAIN (Alexandre VAN DER BUSSCHE, dit LE) SYLVAIN SAINT-ÉTIENNE (Joseph) SYLVANE s. m. SYLVANGE s. f. SYLVANITE s. f. SYLVATICUS (Mathaeus) SYLVATIQUE adj. SYLVE s. f. SYLVÉOCYQUE s. m. SYLVESTRE adj. SYLVESTRE Ier (saint) SYLVESTRE II SYLVESTRE III SYLVESTRE GOZZOLINI (saint) SYLVESTRIN s. m. SYLVIA s. f. SYLVIA (Zanetta-Rose BENOZZI, connue au théâtre sous le nom de) SYLVIADÉ, ÉE adj. SYLVIAXIS s. m. SYLVICOLE adj. SYLVICOLINÉ, ÉE adj. SYLVICULTEUR s. m. SYLVICULTURE s. f. SYLVIDÉ, ÉE adj. SYLVIE s. f. SYLVIEN, IENNE adj. SYLVIETTE s. f. SYLVINÉ, ÉE adj. SYLVIPARE s. m. SYLVIQUE adj. SYLVIUS SYLVIUS (François) SYLVIUS PICCOLOMINI (AEneas) SYLVIUS SYLVIUS SYM préfixe SYMA s. m. SYMBAMASE s. m. SYMBATHOCRINITE s. m. SYMBIE s. m. SYMBLÉPHARIS s. m. SYMBLÉPHARON s. m. SYMBLOMÉRIE s. f. SYMBOLANTHE s. m. SYMBOLE s. m. SYMBOLIQUE adj. SYMBOLISATION s. f. SYMBOLISER v. a. ou tr. SYMBOLISME s. m. SYMBOLOLOGIE s. f. SYMBOLOLOGIQUE adj. SYMBRENTHIE s. f. SYME (Jacques) SYMÉ s. m. SYMÉ ou SYMIA SYMÈLE s. m. SYMÉLIE s. f. SYMÉLIEN, IENNE adj. SYMÉLIQUE adj. SYMES (Michel) SYMÈTHE s. m. SYMÈTHE SYMÉTRIE s. f. SYMÉTRIQUE adj. SYMÉTRIQUEMENT adv. SYMÉTRISER v. n. ou intr. SYMIRE s. f. SYMMACHIE s. f. SYMMAQUE (Caelius) SYMMAQUE SYMMAQUE (Quintus Aurelius SYMMACHUS, en français) SYMMAQUE (Quintus Aurelius Memmius SYMMACHUS) SYMMATHÈTE s. m. SYMMÈLE s. m. SYMMÉRISTE s. m. SYMMÉTRANTHE adj. SYMMÉTRIA s. m. SYMMÉTROCARPE adj. SYMMOQUE s. f. SYMMORIE s. f. SYMMORPHE s. m. SYMMORPHOCÈRE s. m. SYMONDS (sir William) SYMPATHIE s. f. SYMPATHIQUE adj. SYMPATHIQUEMENT adv. SYMPATHISANT, ANTE adj. SYMPATHISER v. n. ou intr. SYMPATHISTE s. m. SYMPÉRASME s. m. SYMPÉRIANTHÉ, ÉE adj. SYMPÉTALIQUE adj. SYMPEXION s. m. SYMPHACHNÉ s. m. SYMPHASE s. f. SYMPHÈDRE s. m. SYMPHÉMIE s. f. SYMPHIANDRE s. m. SYMPHISODON s. m. SYMPHONIA s. f. SYMPHONIASTE s. m. SYMPHONIE s. f. SYMPHONISTE s. m. SYMPHORÈME s. m. SYMPHORICARPE s. m. SYMPHORIE s. f. SYMPHORIEN (SAINT-) SYMPHORIEN (SAINT-) SYMPHORIEN-SUR-COISE (SAINT-) SYMPHORIEN-DE-LAY (SAINT-) SYMPHORIEN-D'OZON (SAINT-) SYMPHORIEN (saint) SYMPHORINE s. f. SYMPHOROSE (sainte) SYMPHYANDRE s. m. SYMPHYNOTE s. f. SYMPHYODON s. m. SYMPHYOGYNE s. f. SYMPHYOLOME s. m. SYMPHYOMÈRE s. m. SYMPHYOMYRTE s. m. SYMPHYONÈME s. m. SYMPHYOSIPHON s. m. SYMPHYOSTÉMONE adj. SYMPHYOTHRIX s. m. SYMPHYSANDRIE s. f. SYMPHYSANDRIQUE adj. SYMPHYSE s. f. SYMPHYSÉOTOMIE s. f. SYMPHYSÉOTOMIQUE adj. SYMPHYSIE s. f. SYMPHYSIEN, IENNE adj. SYMPHYSIOGYNE adj. SYMPHYSODACTYLE s. m. SYMPHYSODACTYLIE s. f. SYMPHYSODACTYLIEN, IENNE adj. SYMPHYSODACTYLIQUE adj. SYMPHYSODON s. m. SYMPHYSOPSIE s. f. SYMPHYSOPTIQUE adj. SYMPHYSURE s. m. SYMPHYTE s. m. SYMPHYTOCRINE s. m. SYMPHYTOGYNE adj. SYMPHYTUM s. m. SYMPIÈZE s. m. SYMPIÉZOMÈTRE s. m. SYMPIÉZOPE s. m. SYMPIÉZORHINE s. m. SYMPIÉZORHYNQUE s. m. SYMPISTE s. m. SYMPLECTE s. m. SYMPLECTIQUE adj. SYMPLECTOMÈRE adj. SYMPLÉGADES ou CYANÉES SYMPLOCA s. f. SYMPLOCARPE s. m. SYMPLOCÉ, ÉE adj. SYMPLOCINÉ, ÉE adj. SYMPLOCION s. m. SYMPLOQUE s. f. SYMPODE adj. SYMPODIQUE adj. SYMPODIUM s. m. SYMPOSIAQUES s. f. pl. SYMPOSIARQUE s. m. SYMPOSIASTE s. m. SYMPOSIUM s. m. SYMPOSIUS (Caelius Firmanus) SYMPOTIQUE s. f. SYMPTÉRYGIEN, IENNE adj. SYMPRYTANE s. m. SYMPTOMATIQUE adj. SYMPTOMATISME s. m. SYMPTOMATISTE s. m. SYMPTOMATOLOGIE s. f. SYMPTOMATOLOGIQUE adj. SYMPTOMATOLOGISTE s. m. SYMPTÔME s. m. SYMPTOSE s. f. SYN préfixe SYN ou SYNIA SYNADELPHE s. m. SYNADELPHIE s. f. SYNADELPHIEN, IENNE adj. SYNADELPHIQUE adj. SYNAEDRIS s. m. SYNAGÉLASTIQUE adj. SYNAGOGUE s. f. SYNAGRE s. m. SYNAGRITE adj. SYNALÈPHE s. f. SYNALISSE s. f. SYNALLAGMATIQUE adj. SYNALLAXE s. m. SYNANCÉE s. f. SYNANCHIE s. f. SYNANCHINÉ, ÉE adj. SYNANCIDIE s. m. SYNANCIE s. f. SYNANDRE s. m. SYNANTHÉ, ÉE adj. SYNANTHÉDON s. m. SYNANTHÉRÉ, ÉE adj. SYNANTHÉRIE s. f. SYNANTHÉRINE s. f. SYNANTHÉRIQUE adj. SYNANTHÉROGRAPHE s. m. SYNANTHÉROGRAPHIE s. f. SYNANTHÉROGRAPHIQUE adj. SYNANTHIE s. f. SYNANTHROSE s. f. SYNAPHE s. f. SYNAPHÉE s. m. SYNAPSION s. m. SYNAPTASE s. f. SYNAPTE s. m. SYNARCHIE s. f. SYNARCHIQUE adj. SYNARGIS s. m. SYNARMOSTE s. m. SYNARTHRE s. m. SYNARTHROÏDAL, ALE adj. SYNARTHRON s. m. SYNARTHROSE s. f. SYNASPISME s. m. SYNASSE s. f. SYNATHROÏSME s. m. SYNAULIE s. f. SYNAXAIRE s. m. SYNAXE s. f. SYNBATHOCRINE s. m. SYNBRANCHE s. m. SYNCALYPTE s. m. SYNCARPE s. m. SYNCARPÉ, ÉE adj. SYNCARPHE s. m. SYNCARPIE s. f. SYNCATÉGORÉMATIQUE adj. SYNCATÉGORÈME s. m. SYNCELLE s. m. SYNCELLE (Georges LE) SYNCÉPHALANTE s. m. SYNCÉPHALE s. m. SYNCHÈTE s. f. SYNCHISIS s. f. SYNCHITE s. f. SYNCHITIN, INE adj. SYNCHITINIEN, IENNE adj. SYNCHLOÉ s. m. SYNCHODENDRE s. m. SYNCHONDROSE s. f. SYNCHONDROTOMIE s. f. SYNCHONDROTOMIQUE adj. SYNCHRÈSE s. f. SYNCHRONE adj. SYNCHRONIE s. f. SYNCHRONIQUE adj. SYNCHRONISME s. m. SYNCHRONISTE adj. SYNCHRONISTIQUE adj. SYNCHRONOLOGIE s. f. SYNCHYSE s. f. SYNCHYSIS s. m. SYNCOLOSTÉMON s. m. SYNCOPAL, ALE adj. SYNCOPE s. f. SYNCOPÉ, ÉE part. passé SYNCOPER v. a. ou tr. SYNCORYNE s. f. SYNCOTYLÉDONÉ, ÉE adj. SYNCRANIEN, IENNE adj. SYNCRÉTER v. a. ou tr. SYNCRÉTIQUE adj. SYNCRÉTISME s. m. SYNCRÉTISTE adj. SYNCRISE s. f. SYNCRITIQUE adj. SYNCRYPTE s. m. SYNCYCLIE s. f. SYNDACTYLE adj. SYNDÉMIS s. m. SYNDÉRÈSE s. f. SYNDÈSE s. m. SYNDESMANTHE s. m. SYNDESMIS s. m. SYNDESMOGRAPHE s. m. SYNDESMOGRAPHIE s. f. SYNDESMOGRAPHIQUE adj. SYNDESMOLOGIE s. f. SYNDESMOLOGIQUE adj. SYNDESMOLOGISTE s. m. SYNDESMO-PHARYNGIEN, IENNE adj. SYNDESMOSE s. f. SYNDESMOTOMIE s. f. SYNDESMOTOMIQUE adj. SYNDIC s. m. SYNDICAL, ALE adj. SYNDICAT s. m. SYNDICATAIRE adj. SYNDIQUE s. m. SYNDIQUER v. a. ou tr. SYNDOPÉTALES s. m. pl. SYNDOSMYE s. f. SYNDROME s. m. SYNECDOCHE s. f. SYNECDOQUE s. f. SYNÉCHIE s. f. SYNECPHONÈSE s. f. SYNECTIQUE adj. SYNÈDRE s. m. SYNÉDRELLE s. f. SYNÉDRIN s. m. SYNÉGORE s. m. SYNELCOSCIADION s. m. SYNÈME s. m. SYNEMMÉNON adj. SYNÉRÈSE s. f. SYNERGIE s. f. SYNERGIQUE adj. SYNERGISME s. m. SYNERGISTE s. m. SYNERTIQUE s. m. SYNÈSE s. f. SYNÉSIUS SYNÈTE s. f. SYNÉTHÈRE s. m. SYNÉVROSE s. f. SYNGAME s. m. SYNGASTRE s. m. SYNGÉA s. f. SYNGÉNÈSE adj. SYNGÉNÉSIE s. f. SYNGÉNÉSIQUE adj. SYNGÉNÉSISTE s. m. SYNGNATHE s. m. SYNGONIE s. f. SYNGRAPHE s. m. SYNHYDRE s. f. SYNISTATE adj. SYNIZÈSE s. f. SYNNADA SYNNÈME s. m. SYNNERVEUX, EUSE adj. SYNNERVIÉ, ÉE adj. SYNNÉVROSE s. f. SYNOCHITE s. f. SYNODAL, ALE adj. SYNODALEMENT adv. SYNODATIQUE adj. SYNODE s. m. SYNODE s. m. SYNODIES s. f. pl. SYNODIQUE adj. SYNODIQUEMENT adv. SYNODITE s. m. SYNODONTE s. m. SYNOECIES s. f. pl. SYNOÏQUE s. m. SYNONYME adj. SYNONYMIE s. f. SYNONYMIQUE adj. SYNONYMIQUEMENT adv. SYNONYMISER v. a. ou tr. SYNONYMISTE s. m. SYNONYQUE s. m. SYNOON s. m. SYNOPSE s. f. SYNOPSIE s. f. SYNOPSIS s. f. SYNOPTÈRE adj. SYNOPTIQUE adj. SYNOPTOMATOLOGIE s. f. SYNOQUE adj. SYNORHIZE adj. SYNOSTÉOGRAPHIE s. f. SYNOSTÉOGRAPHIQUE adj. SYNOSTÉOLOGIE s. f. SYNOSTÉOLOGIQUE adj. SYNOSTÉOSTOMIE s. f. SYNOSTÉOTOMIQUE adj. SYNOSTOSE s. f. SYNOTE adj. SYNOTIE s. f. SYNOTIEN, IENNE adj. SYNOTIQUE adj. SYNOUM s. m. SYNOVIAL, ALE adj. SYNOVIE s. f. SYNOVINE s. f. SYNOVITE s. f. SYNPHYLLIE s. f. SYNSOMATIQUE adj. SYNSPORÉ, ÉE adj. SYNSTIGMATIQUE adj. SYNSTYLÉ, ÉE adj. SYNTACTIQUE adj. SYNTAGMA s. m. SYNTAGMATARQUE s. m. SYNTAGME s. m. SYNTAXE s. f. SYNTAXER v. a. ou tr. SYNTAXIQUE adj. SYNTÉCOPYRE s. f. SYNTÉNOSE s. f. SYNTEXIE s. f. SYNTHÈME s. m. SYNTHÉRISME s. m. SYNTHÈSE s. f. SYNTHÉTIQUE adj. SYNTHÉTIQUEMENT adv. SYNTHÉTISER v. a. ou tr. SYNTHÉTISME s. m. SYNTHLIBONOTE s. m. SYNTHLIBORHYNQUE s. m. SYNTHOQUE s. m. SYNTHRÔNE adj. SYNTHYMIE s. f. SYNTHYRIS s. m. SYNTOME s. m. SYNTOMIDE s. f. SYNTOMIE s. m. SYNTOMOPE s. m. SYNTONINE s. f. SYNTONIQUE adj. SYNTONO-LYDIEN adj. m. SYNTRICHIE s. f. SYNTROPHIQUE adj. SYNUQUE s. m. SYNURE s. m. SYNZYGANTHÈRE s. m. SYNZYGIE s. f. SYODON s. m. SYOUAH SYOUTH SYPHAX SYPHILICOME s. m. SYPHILIDE s. f. SYPHILIGRAPHE s. m. SYPHILIGRAPHIE s. f. SYPHILIGRAPHIQUE adj. SYPHILIMANE s. m. SYPHILIMANIE s. f. SYPHILIS s. f. SYPHILISATION s. f. SYPHILISER v. a. ou tr. SYPHILISME s. m. SYPHILITIQUE adj. SYPHON s. m. SYPHONAPTÈRE adj. SYPHONE s. f. SYPHONOSTOME adj. SYPHONOTÉTHYS s. m. SYPHOPATELLE s. f. SYPHORHYNIS s. m. SYPHORININ, INE adj. SYPHROTIDE s. f. SYRA SYRA ou HERMOPOLIS SYRACUSAIN, AINE s. et adj. SYRACUSE SYRÉNIE s. f. SYRÉNIEN, IENNE adj. SYRÉNOPSIS s. m. SYRIANUS SYRIAQUE adj. SYRICHTE s. m. SYRICORE s. m. SYRIE SYRIEN, IENNE s. et adj. SYRIGMON s. m. SYRINGA s. m. SYRINGE s. f. SYRINGÉNINE s. f. SYRINGINE s. f. SYRINGITE s. f. SYRINGODÉE s. f. SYRINGODENDRON s. m. SYRINGOGYRE s. m. SYRINGOÏDE adj. SYRINGO-PICRINE s. f. SYRINGOPORE s. m. SYRINGOTOME s. m. SYRINGOTOMIE s. f. SYRINGUE s. f. SYRINX s. f. SYRINX SYRIOT s. m. SYRITTE s. m. SYRIUM s. m. SYRMA s. m. SYRMAÏSME s. m. SYRMATIE s. f. SYRMATION s. m. SYRMATIQUE s. m. SYRMÉES s. f. pl. SYRMIE ou SZEREM SYRNIE s. f. SYRO-ARABE adj. SYRO-CHALDAÏQUE adj. SYRO-MACÉDONIEN, IENNE adj. SYROMASTE s. m. SYROMASTIDE adj. SYROP s. m. SYROPULUS (Silvestre) SYROS SYRPHE s. m. SYRPHIDE adj. SYRPHIES s. f. pl. SYRPHIQUE adj. SYRRHAPTE s. m. SYRRHAPTIDÉ, ÉE adj. SYRRHAPTINÉ, ÉE adj. SYRRHODIE s. f. SYRRHOPODON s. m. SYRRHOPODONTÉ, ÉE adj. SYRTALE s. m. SYRTE s. f. SYRTES SYRTICUS AGER SYRTIQUE adj. SYRTIS s. m. SYRUPEUX, EUSE adj. SYRUS (Publius) SYS préfixe SYSIRINCHIUM s. m. SYSOMATIQUE adj. SYSOME s. m. SYSOMIE s. f. SYSOMIEN, IENNE adj. SYSPONE s. m. SYSPORÉ, ÉE adj. SYSRAN SYSSARCOSE s. f. SYSSAURE s. m. SYSSIDÈRE s. m. SYSSITIE s. f. SYSSOMATIQUE, SYSSOME, SYSSOMIEN SYSSPHINX s. m. SYSTALLOCÈRE s. m. SYSTALTIQUE adj. SYSTARQUE s. m. SYSTASE s. f. SYSTELLOCÈRE s. m. SYSTELLOPHYTE s. m. SYSTÉMATIQUE adj. SYSTÉMATIQUEMENT adv. SYSTÉMATISATION s. f. SYSTÉMATISER v. a. ou tr. SYSTÉMATOLOGIE s. f. SYSTÉMATOLOGIQUE adj. SYSTÈME s. m. SYSTÈNE s. m. SYSTÉNODÈRE s. m. SYSTÉPHANIE s. f. SYSTOLAIRE adj. SYSTOLE s. f. SYSTOLIDE adj. SYSTOLIQUE adj. SYSTOME s. m. SYSTRÈPHE s. f. SYSTROPE s. m. SYSTROPHE s. f. SYSTYLE adj. SYSTYLIE s. f. SYSYGITE s. m. SYSYGITÉ, ÉE adj. SYZÉTÈSE s. f. SYZÉTÈTE s. m. SYZYGIE s. f. SYZYGION s. m. SYZYGOPS s. m. SZABOLCS ou SABOLTSCH (COMITAT DE) SZAJNOCHA (Charles) SZALAD (COMITAT DE) SZALA-EGER SZEG SZALAY (Ladislas DE) SZALKAI (Antoine DE) SZAMOS SZAMOS-UJVAR ou ARMENIENSTADT SZANIAWSKI (Joseph) SZANIAWSKI (François-Sévère) SZANTO SZAPSKA s. m. SZARWADY (Frédéric) SZARWADY (Wilhelmine KLAUS, dame) SZARWAS SZASKA (Nemeth) SZASZ-REGEN SZASZ-VAROS SZATHMAR (COMITAT DE) SZATHMAR-NEMETH SZATMARY (Joseph) SZCZATARA SZECHENYI (Etienne, comte DE) SZEGEDI (Jean-Baptiste) SZEGEDIN, SEGEDIN ou SEGED SZEJNAN s. m. SZEKLERS SZEK SZARD SZEMERE (Barthélemy) SZENT-MARTONIX (Ignace) SZEREM SZIGETH ou SIGETH SZIGETH (NAGY-) SZIGLIGETI (Joseph SZATHMARY, connu sous le nom de) SZISTOWA SZISZEK (ALT-) SZOBOLSLO SZOKARSKI (Victor-Félix) SZOLNOK SZOLNOK INTÉRIEUR SZOLNOK MOYEN SZOTAKS SZOVITZIE s. f. SZTARAY (Antoine, comte DE) SZUJSKI SZUJSKI (Joseph) SZUMRAK SZU-TCHOUAN ou SÉ-TCHOUAN ou SZ'-TSCHWAN SZYMANOWSKI (Joseph) SZYMANOWSKI (Martin) SZYMANOWSKI (Wojeiech) SZYMANOWSKI (Waclaw) SZYMONOWICZ (Simon) T s. m. TA s. m. TA adj. poss. TA, TA, TA loc. interj. TAAL TAAROA TAAS ou TAES TAASSINGE ou THORSENGE TAAUT TAB TABA TABAC s. m. TABACAL, ALE adj. TABACCHI (Laurent) TABACINE s. f. TABACIQUE adj. TABACOLOGIE s. f. TABACOMANE s. m. TABACOPHOBE s. m. TABACSIR s. m. TABACUM s. m. TABAGIE s. f. TABAGO ou TOBAGO TABAK-BOLGRAD TABALA s. m. TABAN TABANAN TABANIEN, IENNE adj. TABANIFORME adj. TABAQUEUR s. m. TABAR ou TABARD s. m. TABARAKA ou TABARCA TABARAUD (Matthieu-Mathurin) TABARD s. m. TABARET s. m. TABARI ou THABERI (Abou-Djafar-Mohammed-ben-Djoraïr) TABARIÉ (le vicomte) TABARIÈH TABARIÈH ou TABBARIAH TABARIN s. m. TABARIN TABARINAGE s. m. TABARINIQUE adj. TABARISTAN ou TABERISTAN TABARQUE TABARRANI (Pierre) TABAS ou TEBBES TABASCHIR ou TABASHIR s. m. TABASCO, ou VILLA-HERMOSA-DE-TABASCO ou VILLA-DE-SAN-JUAN-BA TABASCO (ETAT DE) TABASCO TABASHIR s. m. TABASSARAN TABASTRÉE s. f. TABATIER, IÈRE s. TABATIÈRE s. f. TABATINGA TABAXIR s. m. TABBAY TABÉBUIA s. m. TABEL s. m. TABELLAIRE adj. TABELLION s. f. TABELLIONAGE s. m. TABELLIONER v. a. ou tr. TABÊM s. m. TABERGITE s. f. TABERNA s. m. TABERNA TABERNACLE s. m. TABERNAEMONTANUS (Jacques-Théodore) TABERNAS-Y-TURRILLAS TABERNÉMONTANE s. m. TABES s. m. TABES TABET BEN CORRAH TABIANO TABIDE adj. TABIFIQUE adj. TABIHAT ou TEBOUK TABINET s. m. TABINSK TABIS s. m. TABISER v. a. ou tr. TABITHE ou DORCAS TABIXU TABLAS TABLAT ou SAINT-FIDEN TABLATURE s. f. TABLE s. f. TABLE (cap de la) TABLE TABLE (baie de la) TABLE (montagne de la) TABLEAU s. m. TABLEAUTIER s. m. TABLEAUTIN s. m. TABLÉE s. f. TABLER v. n. ou intr. TABLETIER, IÈRE s. TABLETTE s. f. TABLET TERIE s. f. TABLIER s. m. TABLINUM s. m. TABLOIN s. m. TABOADA (Antonin) TABOCA TABOGA ou TABAGO TABOR (mont) TABOR TABOR TABOR (CERCLE DE) TABOR (Jean-Othon) TABOR (Robert) TABORA ou TAVORA TABORA ou SOBERBIO TABORD s. m. TABORDA (Francisco-Alves DA SILVA) TABORITE s. m. TABOT s. m. TABOU s. m. TABOUBAT s. m. TABOUER v. a. ou tr. TABOUET (Julien) TABOUNE s. m. TABOUREAU (Louis-Philippe) TABOURET s. m. TABOURIER (Pierre-Nicolas) TABOURIN s. m. TABOUROT (Etienne) TABOUT s. m. TABRA TABREK TABROUBA s. m. TABS ou TEBBES TABULAIRE adj. TABULARIUM s. m. TABURIN s. m. TABURNUS TABURON s. m. TABURUHYNA TAC s. m. TACAMAHACA s. m. TACAMAQUE s. m. TACANAS TACANHUNAS, TOCAHUNOS ou TARACUNA TACAPE s. f. TACARIGUA TACATACA s. m. TACATO TACATU TACAUD s. m. TACAZZÉ ou ABARAH TACAZZÉE s. f. TACCA s. m. TACCA (Pierre) TACCACÉ, ÉE adj. TACCÉ, ÉE adj. TACCHINARDI (Nicolas) TACCO s. m. TACCOÏDE s. m. TACCOLI (Nicolas, comte) TACCORAVY TACENT s. m. TACET s. m. TACFARINAS TACHA TA-CHAN TACHAN-DAGH TACHANT, ANTE adj. TACHARD s. m. TACHARD (Martin) TACHARD (Gui) TACHAS s. m. TACHAU, TACHOW ou DREZEWNOW TACHE s. f. TÂCHE s. f. TACHÉ, ÉE part. passé TACHE-BALIK ou TACHE-BOURIK TACHÉE s. m. TACHE-KOUPRY TACHEM, IDIENNE ou RAO TACHENIUS (Othon) TACHEN-SEE TACHÉOGRAPHE s. m. TACHÉOGRAPHIE s. f. TACHÉOGRAPHIQUE adj. TACHÉOMÈTRE s. m. TACHÉOTYPE s. m. TACHER v. a. ou tr. TÂCHER v. n. ou intr. TÂCHERON s. m. TACHETÉ, ÉE part. passé TACHETER v. a. ou tr. TACHETURE s. f. TACHIADÈNE s. m. TÂCHIBLE adj. TACHIBOTE s. m. TACHIE s. m. TACHIGALIE s. f. TACHINAIRE adj. TACHINE s. m. TACHIPHONE s. m. TACHIRO s. m. TACHKEND ou TASCHKEND TACHLIDGÉ, PLEVLE ou TACHELIZZA TACHOMÈTRE s. m. TACHOS TACHURIS s. m. TACHY préfixe TACHYBATE s. m. TACHYBÈNE s. m. TACHYDROME adj. TACHYDROMIDE adj. TACHYDROMIE s. f. TACHYDROMIEN, IENNE adj. TACHYERGUE s. m. TACHYGLOSSE s. m. TACHYGONE s. m. TACHYGRAPHE s. m. TACHYGRAPHIE s. f. TACHYGRAPHIQUE adj. TACHYGRAPHIQUEMENT adv. TACHYMÉNIS s. m. TACHYMÈTRE s. m. TACHYNECTE s. m. TACHYOPE s. m. TACHYPE s. m. TACHYPÈTE s. m. TACHYPÈZE s. m. TACHYPHONE ou TACHIPHONE s. m. TACHYPLÉE s. m. TACHYPLOTÈRE adj. TACHYPORE s. m. TACHYPORINIEN, IENNE adj. TACHYPTÈNE s. m. TACHYPTÈRE s. m. TACHYS s. m. TACHYSCÉLIS s. m. TACHYSURE s. m. TACHYTE s. f. TACHYUSE s. f. TACITE adj. TACITE (Caïus Cornelius TACITUS) TACITE (Marcus Claudius TACITUS) TACITEMENT adv. TACITURNE adj. TACITURNEMENT adv. TACITURNITÉ s. f. TACK (Jean) TACK-KOUCH TACNA TACOARI ou TAGUARI TACON s. m. TACONÉ, ÉE adj. TACONIC ou TAGHKHANUC TACONNAGE s. m. TACONNER v. a. ou tr. TACONNET s. m. TACONNET (Toussaint-Gaspard) TACORA TACORONTE TACOT s. m. TACOUIN s. f. TACOUL s. m. TACOUTCHÉ-TESSÉ TACQUE s. f. TACQUET (André) TACSONIE s. f. TACT s. m. TAC-TAC s. m. TACTÉE adj. f. TACTICIEN s. m. TACTICOGRAPHE s. m. TACTICOGRAPHIE s. f. TACTICOGRAPHIQUE adj. TACTILE adj. TACTILEMENT adv. TACTILITÉ s. f. TACTION s. f. TACTIQUE s. f. TACTIQUE adj. TACTUEL, ELLE adj. TACUA s. f. TACUA TACUBA TACUBAYA TACUNGA (LA) TACURUCA TADDA (DEL) TADDHITA adj. TADE s. m. TADER s. m. TADIN s. m. TADINI (Alexandre) TADINO (Gabriel) TADJ-EDDYN (Ali-ben-Khaïr) TADJ-EDDYN-ILDOUZ ou ILDIZ TADJEPOUR ou TAUJEPOOR TADJIKS TADJROUNA TADLA TADMOR TADOLINI (Adam) TADOLINI (Jean) TADOLINI (Eugénie) TADONA s. m. TADORNE s. f. TADOUSSAC ou TADOUSAC TADRART TAE TAEDA s. m. TAËL s. m. TAELPE s. m. TAENARUS ou TAENARUM TAENIA s. m. TAENIOÏDE adj. TAEPING s. m. TAETWEIZ TAF s. m. TAF ou TAFF TAFA TAFALISGAR TAFALLA ou TABALIA TAFALLE s. m. TAFEL (Gottlieb) TAFEL (Emmanuel) TAFF TAFFER v. n. ou intr. TAFFETALINE s. f. TAFFETAS s. m. TAFFETATIER, IÈRE s. TAFFEUR, EUSE s. TAFFI (André) TAFIA s. m. TAFILET ou TAFILLET TAFNA ou SIGA TAFON s. m. TAFOUILLEUX s. m. TAFT TAFTAZANI (Saad-Eddyn Mas'oud AL) TAFURI (Matteo) TAFURI (Jean-Bernardin) TAGADEMPT TAGAÏ ou SOUVAROW TAGAL, ALE adj. TAGAL TAGAL ou DJEDE, GÈDE TAGALA TAGALAUNE ou TAGALOUM TAGALS ou TAGALES TAGANA TAGANROG ou TAGANROK TAGANROG (baie de) ou golfe du DON TAGANT TAGAPOLA TAGARA TAGAROT s. m. TAGASCH (Ala-Eddyn) TAGASTE TAGAUT (Jean) TAGBILARAN TAGE s. m. TAGE TAGÉNIE s. f. TAGÉNITE adj. TAGEREAU (Vincent) TAGÈS TAGESEN, TAUSAN ou TAUSSEN (Jean) TAGET s. m. TAGÈTE s. m. TAGGA TAGHRY-BERDY (Aboul-Mahacen, BEN) TAGIADE s. f. TAGIL TAGILSK TAGIOWRA TAGLIACARNE (Benedetto) TAGLIACOZZI (Gaspard) TAGLIACOZZO TAGLIAMENTO ou TAJAMENTO TAGLIATELLI s. m. pl. TAGLIATI s. m. pl. TAGLIAZUCCHI (Jérôme) TAGLIONI TAGLIONI (Philippe) TAGLIONI (Marie) TAGLIONI (Paul) TAGLO TAGLO TAGNON TAGOLANDA TAGOMAGO TAGONE s. m. TAGOS s. m. TAGUA s. m. TAGUAHY TAGUAN s. m. TAGUARAL-DO-NORTE TAGUIN TAGULO TAGUZGALPA TAHAMURATH TA-HANG-CHAN TAHANNÉH TA-HO-CHOUI TAHOUÉ TAHOURA TAHOURAOUA TAHUREAU (Jacques) TAÏAUT interj. TAÏBOA s. m. TAÏCOUN s. m. TAÏCOUNAL, ALE adj. TAÏCOUNAT s. m. TAIE s. f. TAIÉ ou THAI-LILLAH (Abou-Bekr-Abdel-Kerim) TAIEF TAIGNY (Emile) TAIGNY (Telma HERDLITZ, dame Emile) TAI-HOU TAIIBI s. m. TAÏ-KIA TAÏKO-SAMA TAILHAND (Adrien-Albert) TAILHIÉ (Jacques) TAILLABILITÉ s. f. TAILLABLE adj. TAILLABLIER s. m. TAILLADE s. f. TAILLADE TAILLADE (Paul-Félix-Joseph TAILLIADE, dit) TAILLADER v. a. ou tr. TAILLADIN s. m. TAILLAGE s. m. TAILLAIRE s. m. TAILLANDERIE s. f. TAILLANDIER s. m. TAILLANDIER (Charles-Louis) TAILLANDIER (A.-L.) TAILLANDIER (Alphonse-Honoré) TAILLANDIER (René-Gaspard-Ernest TAILLANDIER, dit SAINT-RENÉ TAILLANT s. m. TAILLASSON (Jean-Joseph) TAILLE s. f. TAILLE s. f. TAILLE (Jean et Jacques DE LA) TAILLÉ, ÉE part. passé TAILLEBOURG TAILLE-BUISSON s. m. TAILLE-CRAYON s. m. TAILLE-DOUCE s. f. TAILLEFER adj. TAILLEFER (le) TAILLEFER TAILLEFER (Antoine) TAILLEFER (Henri-François-Alphonse-Athanase, comte DE) TAILLEFER (Georges) TAILLEFER (Louis-Auguste-Horace-Sydney-Timoléon) TAILLEFER (Louis-Gabriel) TAILLE-LÉGUMES s. m. TAILLE-MÈCHES s. m. TAILLE-MER s. m. TAILLEMONT (Claude DE) TAILLE-ONGLES s. m. TAILLEPIED (Noël) TAILLE-PLUME s. m. TAILLER v. a. ou tr. TAILLER v. a. ou tr. TAILLE-RACINES s. m. TAILLERESSE s. f. TAILLERIE s. f. TAILLERIN s. m. TAILLEROLE ou TAILLEROLLE s. f. TAILLET s. m. TAILLÉ-TRANCHÉ, ÉE adj. TAILLETTE s. f. TAILLEUR s. m. TAILLEUSE s. f. TAILLEVACIER s. m. TAILLEVANT ou TAILLEVENT TAILLEVAS s. m. TAILLE-VENT s. m. TAILLIAR (Eugène-François-Joseph) TAILLIS adj. m. TAILLOIR s. m. TAILLON s. m. TAILLOT s. m. TAIMING-FOU TAÏMOUR TAÏMOUR TAIN s. m. TAIN TAIN TAINE (Hippolyte-Adolphe) TAINIA s. f. TAINTRUX TAION s. m. TAÏ-OUAN-FOU TAÏPING s. m. TAÏPOA s. m. TAÏRA s. m. TAIRE v. a. ou tr. TAÏRI s. m. TAISAND (Pierre) TAISIBLE adj. TAISNIER (Jean) TAISSON s. m. TAISSONNIÈRE s. f. TAISSY TAÏT s. m. TAI-TAI interj. TAITBOUT TAÏTI (archipel de) ou de la SOCIÉTÉ TAÏTI, TAHITI ou OTAHITI TAÏTIEN, IENNE s. et adj. TAÏTOKONNI TAÏ-TSONG TAIT-SOU s. m. TAÏ-TSOU TAÏ-TSOUNG TAIX (Guillaume DE) TAJACU s. m. TAJAHY ou TAJUKA TAJARA s. m. TAJASSOU s. m. TAJEMOUT TAJIBI s. m. TAJO ou TAYO TAJO TAJOUSSOU s. m. TAJOVA s. m. TAJUNA TAKAIE s. m. TAKASH ou TAGASCH (Ala-Eddyn) TAKDEMT TAKHTALOU TAKHT-ROUSTAN ou TAKHT-KHOSROU TAKIL-BOUROUN TAKIMA TAKINOS TAKROUR TAKROURIE TAKTAZANI TAKTIKOS s. m. TAKY-EDDYN-OMAR (Melik-el-Modhaffer) TALA s. f. TALAB s. m. TALABOR TALABOT (Paulin-François) TALACHON (Marie-Vincent) TALAIRE adj. TALAMASQUE s. f. TALANCHE s. f. TALANE s. m. TALANT TALANTA TALANTI (canal de) TALAPAN TALAPIOT s. m. TALAPOIN s. m. TALARD ou TALART s. m. TALARO s. m. TALARODICTYON s. m. TALARU (Jean DE) TALARU (marquis DE) TALASSIUS ou TALASIO TALAUME s. m. TALAVERA-LA-REAL TALAVERA-DE-LA-REINA TALAVERA-LA-VIEJA TALAVO TALBERT (François-Xavier) TALBOT s. m. TALBOT TALBOT TALBOT (Jean) TALBOT (John) TALBOT (Pierre) TALBOT (Richard) TALBOT (Charles) TALBOT (Charles) TALBOT (Catherine) TALBOT (William-Henri-Fox) TALBOT (Eugène) TALBOT (Denis-Stanislas MONTALAND, dit) TALBOT (Edouard) TALC s. m. TALCA ou SAINT-AUGUSTIN TALCAHUANO ou TALCAGUANO TALCAIRE adj. TALCHICUATLI s. m. TALCIQUE adj. TALCITE s. m. TALCITOÏDE adj. TALCO-MICACÉ, ÉE adj. TALCO-QUARTZEUX, EUSE adj. TALCOT ou MONTEVIDEO TALCSCHISTE s. m. TALCY TALEB s. m. TALED s. m. TALÉGALLE s. m. TALEMELIER s. m. TALEMELLIER s. m. TALENADING TALENCE TALENT s. m. TALENT s. m. TALENT TALÉPORE s. m. TALÉPORIE s. f. TALER s. m. TALER v. a. ou tr. TALEVAS s. m. TALÈVE s. m. TALFOURD (Thomas-Noon) TALGUÉNÉE s. f. TALHOUET (Auguste-Frédéric-Bon-Amour marquis DE) TALHOUET (Auguste-Elisabeth-Joseph-Bon-Amour, marquis DE) TALIATA ou TANATIS TALIBONG TALICHAH ou TALICHINSK TALICTRON s. m. TALIDJ TALIDJS TALIEN (Emile-Laurent) TALIÈRE s. m. TALI-FOU TALIGALÉE s. f. TALIGAN s. m. TALIIR-KARA s. m. TALIKA s. m. TALIN s. m. TALION s. m. TALIPOT s. m. TALISIE s. f. TALISMAN s. m. TALISMANIQUE adj. TALIS PATER, TALIS FILIUS TALITRE s. m. TALIXTACA TALLA TALLADÉGA TALLAGE s. m. TALLAHASSEE TALLAHATCHIE TALLANDIÉRA (Marie DUBREUIL, dite) TALLAPOOSA ou OAKFUSKI TALLAPOOSA (COMTÉ DE) TALLAR s. m. TALLARD TALLARET s. m. TALLART (Camille D'HOSTUN, duc DE) TALLE s. f. TALLEMANT (François) TALLEMANT (Paul) TALLEMANT DES REAUX (Gédéon) TALLEMENT s. m. TALLER v. n. ou intr. TALLEVANE s. f. TALLEYRAND TALLEYRAND-PÉRIGORD (Hélie DE) TALLEYRAND (Henri DE) TALLEYRAND (Gabriel-Marie DE) TALLEYRAND-PÉRIGORD (Alexandre-Angélique DE) TALLEYRAND (Elie-Charles DE) TALLEYRAND-PÉRIGORD (Charles-Maurice DE) TALLEYRAND (Auguste-Louis, comte DE) TALLEYRAND (Alexandre, baron DE) TALLEYRAND-PÉRIGORD (Alexandre-Edmond, duc DE DINO, puis duc TALLEYRAND-PÉRIGORD (Charles-Angélique, baron DE) TALLIEN (Jean-Lambert) TALLIEN (Thérésia CABARRUS, Mme) TALLIPOT s. m. TALLIS (Thomas) TALLO s. m. TALLOIRES TALLON (Eugène) TALLOU TALLYA TALLYRON s. m. TALMA s. m. TALMA (François-Joseph) TALMA (Cécile VANHOVE, dame) TALMAY TALMELIER s. m. TALMELLIER s. m. TALMONT TALMONT (princes DE) TALMONTIERS TALMOUSE s. f. TALMUDIQUE adj. TALMUDISTE s. m. TALNEIR TALOCHE s. f. TALOCHER v. a. ou tr. TALOCHON et non TALACHON (Marie-Vincent) TALON s. m. TALON (Omer) TALON (Omer) TALON (Denis) TALON (Jacques) TALON (Nicolas) TALON (Antoine-Omer) TALON (le vicomte Matthieu-Claire-Denis) TALONE s. f. TALONNEMENT s. m. TALONNER v. a. ou tr. TALONNETTE s. f. TALONNIER s. m. TALONNIÈRE s. f. TALOPIE s. f. TALOT (Michel-Louis) TALPA s. f. TALPA (EXEMPLUM, UT) Loc. lat. TALPACHE s. m. TALPASOREX s. m. TALPAT s. m. TALPIDÉ, ÉE adj. TALPIEN, IENNE adj. TALPIER s. m. TALPIFORME adj. TALPINETTE s. f. TALPOÏDE s. m. TALQUEUX, EUSE adj. TALTHYBIUS TALUER v. a. ou tr. TALUS s. m. TALUS TALUSER v. a. ou tr. TALUTAGE s. m. TALUTER v. a. ou tr. TALVI TAMACHEK s. m. TAMACOLIN s. m. TAMACUILLA-HUILLA s. f. TAMAGA ou TAMEGA TAMAN TAMANAQUE s. m. TAMANDARÉ TAMANDUA s. m. TAMANOIR s. m. TAMAR TAMAR TAMAR TAMAR-HENDI s. m. TAMARICIN s. m. TAMARIDA, TAMARA ou TAMERIN TAMARIE s. f. TAMARIN s. m. TAMARINIER s. m. TAMARIS s. m. TAMARIS (LES) TAMARISC s. m. TAMARISCINÉ, ÉE adj. TAMARISQUE s. m. TAMARIX s. m. TAMARU-GUACU s. m. TAMARY s. m. TAMASE ou TAMÈSE TAMATAM TAMATAVE TAMATIA s. m. TAMATIANÉ, ÉE adj. TAMATIE s. m. TAMAULIPAS ou TAMAULIPAN TAMAYO Y BAUS (Manuel) TAMBAC s. m. TAMBALTE s. f. TAMBERLICK (Henri) TAMBO TAMBOLINI (Raphaël) TAMBORO TAMBOUCO ou TABOUCO TAMBOUL s. m. TAMBOUR s. m. TAMBOURAH s. m. TAMBOURIN s. m. TAMBOURINAGE s. m. TAMBOURINER v. n. ou intr. TAMBOURINEUR s. m. TAMBOURISSE s. f. TAMBOUR-MAÎTRE s. m. TAMBOUR-MAJOR s. m. TAMBOV ou TAMBOF TAMBOV (GOUVERNEMENT DE) TAMBRE TAMBRONI (Clotilde) TAMBRONI (Joseph) TAMBURINI (Pierre) TAMBURINI (Antonio) TAME s. m. TAME, TEME ou TEAM TAME TAMEHAMEHA TAMERLAN s. m. TAMERLAN TAMERMA-KEDIMA TAMIA s. m. TAMIER s. m. TAMIJE adj. TAMILE adj. TAMIM ou TEMYN TAMINIER s. m. TAMIS s. m. TAMISAGE s. m. TAMISAILLE s. f. TAMISE s. f. TAMISE TAMISE TAMISER v. a. ou tr. TAMISERIE s. f. TAMISEUR s. m. TAMISIER s. m. TAMISIER (Pierre) TAMISIER (François-Laurent-Alphonse) TAMM (Franz-Werner) TAMMEAMA TAMMERFORS TAMNE s. m. TAMNÉ, ÉE adj. TAMNOLANIER s. m. TAMNOPHILE s. m. TAMOATA s. m. TAMONÉE s. f. TAMOUKOU s. m. TAMOUL, OULE adj. TAMOULISTE s. m. TAMOULS TAMOUN TAMPA TAMPAGE s. m. TAMPALIS ou TAMPA TAMPANE s. f. TAMPE s. f. TAMPER v. a. ou tr. TAMPICO s. m. TAMPICO ou SANTA-ANNA-DE-TAMPICO, ..., PUEBLO-NUEVO TAMPICO TAMPLON s. m. TAMPOA s. m. TAMPON s. m. TAMPONNEMENT s. m. TAMPONNER v. a. ou tr. TAMPUCCI (Hippolyte) TAM-TAM s. m. TAMUJA TAMWORTH TAMYRIS s. m. TAN s. m. TANA TANACÉTIQUE adj. TANACETUM s. m. TANAGA TANAGRA s. m. TANAGRE ou TANAGRA TANAGRELLE s. f. TANAGRIDÉ, ÉE adj. TANAGRINÉ, ÉE adj. TANAGROÏDE TANAÏS s. m. TANAÏS TANAISIE s. f. TANAKEKÉ TANANARIVE TANAOBÉ s. m. TANAOMBÉ s. m. TANAONIDE adj. TANAOS s. m. TANAQUIL CAÏA TANARA (Vincent) TANARO TANAS s. m. TANCARVILLE TANCARVILLE (Jean II, vicomte DE MELUN, comte DE) TANCARVILLE (Guillaume) TANCEMENT s. m. TANCER v. a. ou tr. TANCHE s. f. TANCHELIN ou TANQUELIN TANCHIS s. m. TANCHOU (Stanislas) TAN-CHOUI-TCHING TANCO (Vasco Diaz) TANCOÏDE adj. TANCOS TANCRÈDE TANCRÈDE TANCRÈDE TANDAH TANDAM s. m. TANDANE s. m. TANDEL (Charles-Antoine) TANDEL (Nicolas-Emile) TANDEL (Emile) TANDELIN s. m. TANDEM s. m. TANDIS adv. TANDON (Antoine) TANDON (Barthélemy) TANDON (André-Auguste) TANDOU-BATTOU TANDOUR s. m. TANÉCIE s. f. TANÉGA-SIMA ou TANAO-SIMA TANÉSIE s. f. TANETTE TANEVOT s. m. TANFANA ou TANFAN TANG s. m. TANGAGE s. m. TANGALOA TANGANYIKA TANGARA s. m. TANGAROU s. m. TANGAVIO s. m. TANGEDOR s. m. TANGENCE s. f. TANGENT, ENTE adj. TANGENTE s. f. TANGENTIEL, ELLE adj. TANGENTIELLEMENT adj. TANGER, et plus correctement TANGÉH TANGERMUNDE TANGHEN s. m. TANGHIN, TANGHUIN ou TANGHEN s. m. TANGHINE ou THANGUINE TANGHINIE ou TANGHUINIE s. f. TANGHUIN s. m. TANGHUINE s. f. TANGHUINIE s. f. TANGIBILITÉ s. f. TANGIBLE adj. TANGIER-ISLAND TANGIPAO TANGNOU TANGON s. m. TANGOUERRA TANGOUT ou TANGUTH TANGU s. m. TANGUE s. f. TANGUER v. n. ou intr. TANGUEUR, EUSE adj. TANGUEUX s. m. TANGUEY, TONGUEY ou TONGOY TANGUIER v. a. ou tr. TANGUIÈRE s. f. TANIBOUCA s. m. TANIE s. f. TANIÈRE s. f. TANIN s. m. TANIS TANITIQUE (branche) TANJE (Pierre) TANJORE, TANJAORE ou TANJAOUR TANJORE (DISTRICT DE) TANKARVILLIE s. f. TANKIL s. m. TANLAY TANMANAK s. m. TANMOUTH ou TAYMOUTH TANN TANN (Louis, baron VON DER) TANNA TANNA-BALLOU TANNA-MERA TANNAGE s. m. TANNAHILL (Robert) TANNANT, ANTE adj. TANNATE s. m. TANNAY TANNE s. f. TANNÉ, ÉE part. passé TANNÉE s. f. TANNEGUY DUCHÂTEL TANNENBERG TANNER v. a. ou tr. TANNER (Mathias) TANNER (Thomas) TANNER (Bernard) TANNERIE s. f. TANNERON TANNEUR s. m. TANNEVOT (Alexandre) TANNINGES ou TANINGES TANNIQUE adj. TANNOGÉLATINE s. f. TANNOMÉLANIQUE adj. TANOCLÈRE s. m. TANQUA TANQUE s. f. TANQUEREL DES PLANCHES TANQUEUR s. m. TANREC s. m. TANROUGE s. m. TANSEY TANSILLO (Louis) TANSKA (Clémentine) TANT adv. TANTAE MOLIS ERAT ROMANAM CONDERE GENTEM! TANTAE NE ANIMIS COELESTIBUS IRAE! TANTAH ou TENTAH TANTALAM ou TANTALEM TANTALATE s. m. TANTALE s. m. TANTALE TANTALE TANTALEUX, EUSE adj. TANTALICO préfixe TANTALIDE s. m. TANTALIDÉ, ÉE adj. TANTALINÉ, ÉE adj. TANTALIQUE adj. TANTALISER v. a. ou tr. TANTALITE s. f. TANTAMOU s. m. TANTAN s. m. TAN-TAO-TSI TANTARINI (Moineddin-Achmed) TANTE s. f. TANTET s. m. TANTIÈME adj. TANTINET s. m. TANTÔT adv. TANTOUILLÉ s. m. TANTOUR s. m. TANTSANHOOT-DINNEH TANUCCI (Bernard, marquis DE) TANY préfixe TANYCHILE s. m. TANYCHLAMYS s. m. TANYGLOSSE s. m. TANYGNATHE s. m. TANYMÈQUE s. m. TANYPE s. m. TANYPÈZE s. m. TANYPROCTE s. m. TANYPTÈRE s. m. TANYRHYNCHIDE adj. TANYRHYNQUE s. m. TANYSIPTÈRE s. m. TANYSPHYRE s. m. TANYSTOME adj. TANZIO (Enrico-Antonio DE) TAO s. m. TAO-FOO s. m. TAO-HOU s. m. TAO-KOUANG TAON s. m. TAONIEN, IENNE adj. TAONNÉ ou TONNÉ, ÉE adj. TAORMINA TAORO TAOS TAO-SSÉ s. m. TAOUCHAN-ADASSI TAOUIA s. m. TAOUI-TAOUI TAOUKA TAP s. m. TAPABOR s. m. TAPADE s. f. TAPAGE s. m. TAPAGER v. n. ou intr. TAPAGEUR, EUSE adj. TAPAJOZ ou TOPAYOS TAPAMANDI TAPANHOACANGA s. m. TAPANOULY TAPARARA s. m. TAPASSA s. m. TAPAYACHIN s. m. TAPAYASCIN s. m. TAPAYAXIN s. m. TAPAYE s. m. TAPDISMA s. m. TAPE s. f. TAPÉ, ÉE part. passé TAPE-BOIS s. m. TAPEBORD s. m. TAPEÇON s. m. TAPECU ou TAPECUL ou TAPE-CUL s. m. TAPÉE s. f. TAPEINANTHE s. m. TAPEINE s. m. TAPEINIE s. f. TAPÉINOSE s. f. TAPEINOTE s. f. TAPEMENT s. m. TAPÈNE s. f. TAPÉNIER s. m. TAPER v. a. ou tr. TAPÈRE s. f. TAPERELLE s. f. TAPÈS s. m. TAPÉTI s. m. TAPETTE s. f. TAPEUR, EUSE s. TAPHIEN s. m. TAPHIAE TAPHOZOÏEN, ÏENNE adj. TAPHRIE s. f. TAPHROCÈRE s. m. TAPHRODERE s. m. TAPHRORHYNQUE s. m. TAPHROS TAPHROS (détroit de) TAPHROSPERME s. m. TAPI, IE part. passé TAPIA s. m. TAPIA (DON Eugenio DE) TAPIACA s. m. TAPIAU TAPIE (Jacques DE LA) TAPIIAI s. m. TAPIN s. m. TAPINE s. f. TAPINOCÈRE s. m. TAPINOIS, OISE s. TAPINOSE s. f. TAPINOTE s. m. TAPIO TAPIOCA ou TAPIOKA s. m. TAPION s. m. TAPION-DE-PETIT-GOAVE TAPIR (SE) v. pr. TAPIR s. m. TAPIRÉ, ÉE adj. part. passé TAPIRER v. a. ou tr. TAPIRIER s. m. TAPIRIRA s. m. TAPIROÏDE adj. TAPIROPORC s. m. TAPIROTHÉRIUM s. m. TAPIRULE s. m. TAPIS s. m. TAPIS-FRANC s. m. TAPISI TAPISSER v. a. ou tr. TAPISSERIE s. f. TAPISSIER, IÈRE s. TAPITÈLE adj. TAPITI s. m. TAPLIN (Williams) TAPOGOMÉE s. f. TAPOLCSAN (NAGY-) TAPOLLAMA (serra) TAPON s. m. TAPONNAGE s. m. TAPONNER v. a. ou tr. TAPOTER v. a. ou tr. TAPOUL TAPPA TAPPAHANNOCK TAPPAL s. m. TAPPAN (Henry-P.) TAPPANOULI ou PONTCHANG-CATCHIL TAPPANOULI TAPPAN-SEA TAPPE (Auguste-Guillaume) TAPPER (Rueward) TAPSIE s. f. TAPSUS TAPSUS TAPTY ou GOARIS TAPURE s. m. TAPYRA-COYANANA s. m. TAQUARI TAQUASO TAQUE s. TAQUER v. a. ou tr. TAQUERET s. m. TAQUET s. m. TAQUETÉ s. m. TAQUILLE ou TACUNA TAQUIN, INE adj. TAQUINAGE s. m. TAQUINEMENT adv. TAQUINER v. a. ou tr. TAQUINERIE s. f. TAQUOIR s. m. TAQUON ou TACON s. m. TAQUONNER ou TACONNER v. a. ou tr. TAR s. m. TAR TARA s. m. TARA TARABA s. m. TARABÉ s. m. TARABISCOT s. m. TARABITE s. f. TARABOLOUS (Ali-Pacha, surnommé) TARABOTTI (Arcangela) TARABUSTER v. a. ou tr. TARACHÉ s. m. TARACHIE s. f. TARACTE s. m. TARAFAH (Amrou-ben-Alabad) TARAFRANCA s. f. TARAGATO-SIP s. m. TARAGE s. m. TARAGHAR TARAGON s. m. TARAGUIRA s. m. TARAISE (saint) TARAISON s. f. TARAKA TARAKAN s. m. TARAKANOFF (Anna-Petrowna, princesse DE) TARALÉE s. m. TARAMANDI TARANCHE s. f. TARANCON TARANDE s. m. TARANDUS s. m. TARANNE (Nicolas-Rodolphe) TARANSAY TARANTAISE TARANTE s. m. TARANTOLA s. f. TARAQUIRA s. m. TARARE interj. TARARE s. m. TARARE TARARER v. a. ou tr. TARASCON TARASCON TARASCONNAIS, AISE s. et adj. TARASIUS TARASP TARASPIC s. m. TARASQUE s. m. TARASQUE s. f. TARATANTARA s. m. TARATOUFLE s. m. TARAUD s. m. TARAUDAGE s. m. TARAUDER v. a. ou tr. TARAUDET TARAVAL (Hugues) TARAXACÉ, ÉE adj. TARAXACINE s. f. TARAXACUM s. m. TARAXIPPUS TARAXIS s. m. TARAYRE (Jean-Joseph) TARAZONA TARAZONA-DE-LA-MANCHA TARBAGATAÏ TARBAGATAÏ-OOLA TARBARCA TARBÉ (Pierre-Hardouin) TARBÉ (Louis-Hardouin) TARBÉ (Charles) TARBÉ DES SABLONS (Sébastien-André) TARBÉ DES SABLONS (Adolphe-Henri) TARBÉ DES SABLONS (Edmond-Joseph-Louis) TARBÉ (Prosper) TARBÉEN, ÉENNE s. et adj. TARBELL (John-Adams) TARBES TARBOLTON TARBOPHIS s. m. TARBOROUG ou TARBURG TARBOUCH ou TARBOUCHE s. m. TARC s. m. TARCAGNOTA (Jean) TARCAGNOTA (Michele Marullo) TARCHE s. f. TARCHI (Angelo) TARCHONANTHE s. m. TARCHONANTHÉ, ÉE adj. TARCZAL TARD adv. TARDAVEL s. m. TARDEBIGG TARDENOIS TARDER v. n. ou intr. TARDES TARDETZ TARDE VENIENTIBUS OSSA TARDIEU TARDIEU (Nicolas-Henri) TARDIEU (Jacques-Nicolas) TARDIEU (Charles-Jean) TARDIEU (Pierre-François) TARDIEU (Pierre-Alexandre) TARDIEU (Antoine-François) TARDIEU (Ambroise) TARDIEU (Auguste-Ambroise) TARDIEU (Eugène-Amédée) TARDIEU (Alexandre) TARDIEU (Jules-Romain) TARDIEU (Armand-Louis) TARDIF, IVE adj. TARDIF (Guillaume) TARDIF (Alexandre) TARDIFÈRE s. m. TARDIFLORE adj. TARDIGRADE adj. TARDILLON s. m. TARDINEAU s. m. TARDIVEMENT adv. TARDIVETÉ s. f. TARDIVOLE s. m. TARDOIRE (la) TARDON s. m. TARDONE s. f. TARD-VENUS s. m. TARDY (Jean) TARDY (Claude) TARE s. f. TARÉ s. m. TARÉ, ÉE part. passé TAREFRANCHE s. f. TAREGUA ou TARREGUA (Gabriel DE) TAREIRA s. m. TAREIVI TARELLO (Camille) TAREM, TAROUN ou TAROUM TARENA TARENT ou TARRANT TARENT TARENTE s. f. TARENTE (golfe de) TARENTE TARENTE (princes DE) TARENTE (duc DE) TARENTELLE s. f. TARENTIN, INE s. et adj. TARENTINARCHIE s. f. TARENTISME s. m. TARENTOLA s. f. TARENTULE s. f. TARENTULÉ, ÉE adj. TARENTULIDE adj. TARENTULISME s. m. TARER v. a. ou tr. TARERONDE s. f. TARET s. m. TARF (LOCH-) TARGA TARGA (Léonard) TARGE s. f. TARGE (Jean-Baptiste) TARGÉ, ÉE adj. TARGÉ (ALLAIN-) TARGER s. m. TARGET s. m. TARGET (Gui-Jean-Baptiste) TARGET (Paul-Louis) TARGET (Léon) TARGETTE s. f. TARGEUR s. m. TARGIE s. f. TARGIONI-TOZZET TI (Jean) TARGIONIE s. f. TARGON TARGOVICE ou TARGOWICA TARGRA s. m. TARGUER (SE) v. pr. TARGUET s. m. TARGUM s. m. TARGUMIQUE adj. TARGUMISTE s. m. TARHAH s. m. TARHANOF ou TARCHANOW TARI ou TARY s. m. TARI, IE part. passé TARIER s. m. TARIÈRE s. f. TARIF s. m. TARIFA TARIFER v. a. ou tr. TARIFICATION s. f. TARIJA TARIJA TARIK ou TARIF (Ben-Zeyad) TARIN s. m. TARIN (Jean) TARIN (Pierre) TARIR v. a. ou tr. TARIRI s. m. TARISE s. f. TARISSA TARISSABLE adj. TARISSANT, ANTE adj. TARISSEMENT s. m. TARJOK TARKA TARKHAN TARKI ou TARKOU TARLAC TARLATANE s. f. TARLATI (Guido) TARLATI (Pierre) TARLO (Jean) TARLTON (Richard) TARMA TARMA (DÉPARTEMENT DE) TARMAGO TARN TARN (DÉPARTEMENT DU) TARN-ET-GARONNE (DÉPARTEMENT DE) TARNA TARNAC TARNAGROD TARNIER (Etienne-Auguste) TARNIER (Stéphane) TARNON TARNOPOL TARNOPOL (CERCLE DE) TARNOW TARNOW (CERCLE DE) TARNOW (Fanny) TARNOWITZ TARNOWSKI (Jean-Amor) TARNOWSKI (Jean) TARO s. m. TARO TARODANT ou TARAUDANT TARON TAROQUE s. f. TAROT s. m. TAROT s. m. TAROTÉ, ÉE adj. TAROTIER s. m. TAROUGOAGI s. m. TAROUGOUA s. f. TAROUPE s. f. TARPAN s. m. TARPEIA TARPÉIEN, IENNE adj. TARPÉIENNE (roche) TARPHIE s. m. TARQUIMPOL TARQUIN s. m. TARQUIN l'Ancien (Lucius TARQUINIUS Priscus) TARQUIN le Superbe (Lucius TARQUINIUS Superbus) TARQUIN (Sextus) TARQUIN COLLATIN TARQUINIA MOLZA TARQUINIES TARQUINO (sierra de) TARRACONAISE TARRAGONE TARRAGONE (PROVINCE DE) TARRAKAI TARRAKANOF ou TAVAKANOFF (Anna PÉTROWNA, princesse DE) TARRANARKI TARRASA TARREGA TARREGA (François) TARREGUA (Gabriel DE) TARRIAU s. m. TARRIBLE (Jean-Dominique-Léonard) TARRIE s. m. TARRIÈRE s. f. TARRIÉTIE s. f. TARRO ou TARO s. m. TARROBAT s. m. TARRUNTIUS (Lucius) TARSAL, ALE adj. TARSE s. m. TARSE TARSÉ, ÉE adj. TARSIA (Galéas DE) TARSIA (Paul-Antoine DE) TARSIDÉ, ÉE adj. TARSIEN, IENNE adj. TARSIER s. m. TARSIPÈDE s. m. TARSIPÉDIDÉ, ÉE adj. TARSO s. m. TARSO-MÉTATARSIEN, IENNE adj. TARSO-PHALANGIEN, IENNE adj. TARSORRHAPHIE s. f. TARSOSTÈNE s. m. TARSOUS TARSUL TARTAGLIA (Ange-Labello) TARTAGLIA (Nicolas) TARTAGLIA (le bègue, le bredouilleur) TARTAGNI (Alexandre) TARTAN s. m. TARTANE s. f. TARTANELLE s. f. TARTARAS TARTARE s. et adj. TARTARE TARTARÉEN, ÉENNE adj. TARTARET TARTAREUX, EUSE adj. TARTARIE TARTARIE INDÉPENDANTE TARTARIEN s. m. TARTARIFORME adj. TARTARIMÉTRIE s. f. TARTARIN s. m. TARTARIQUE adj. TARTARISER v. a. ou tr. TARTARO s. m. TARTARO TARTAROTTI (Jérôme) TARTAROTTI (Jacques-Antoine) TARTARUGA s. f. TARTAS TARTAS (Louis-Emile) TARTE s. f. TARTELETTE s. f. TARTERON (Jacques) TARTESSE TARTEVELLE s. f. TARTIER (Adrien LE) TARTIFLE s. f. TARTIGNY TARTINE s. f. TARTINI (Giuseppe) TARTLAN, TARTLEN, TARTLAU TARTONAIRE s. m. TARTONRAIRE s. m. TARTOUILLADE s. f. TARTOUILLER v. a. ou tr. TARTOUILLEUR s. m. TARTRADIPIQUE adj. TARTRALATE s. m. TARTRALIQUE adj. TARTRAMATE s. m. TARTRAMÉTHANE s. f. TARTRAMIDE s. f. TARTRAMIQUE adj. TARTRAMYLATE s. m. TARTRAMYLIQUE adj. TARTRANILATE s. m. TARTRANILE s. m. TARTRANILIDE s. f. TARTRANILIQUE adj. TARTRATE s. m. TARTRE s. m. TARTRÉLATE s. m. TARTRÉLIQUE adj. TARTRÉTHYLATE s. m. TARTRÉTHYLIQUE adj. TARTREUX, EUSE adj. TARTRIER s. m. TARTRIFUGE s. m. TARTRIMÈTRE s. m. TARTRIMIDE s. f. TARTRIQUE adj. TARTRITE s. m. TARTROBORATE s. m. TARTROGLYCÉRIQUE adj. TARTROMÉTHYLIQUE adj. TARTRONATE s. m. TARTRONIQUE adj. TARTROPHTALIQUE adj. TARTROVINATE s. m. TARTROVINIQUE adj. TARTUFE s. m. TARTUFERIE s. f. TARTUFFITE s. f. TARUCA s. m. TARUFFI (Joseph-Antoine) TARUGA s. m. TARUS s. m. TARUTIUS ou TARRUNTIUS (Lucius) TARVER (Jean-Charles) TARVIS TARVOERNE TARY s. m. TAS s. m. TAS s. m. TASCHER (famille) TASCHER DE LA PAGERIE (Joseph-Gaspard) TASCHER DE LA PAGERIE (Robert-Marguerite) TASCHER DE LA PAGERIE (Louis-Robert-Pierre-Claude, comte) TASCHER DE LA PAGERIE (Robert-Charles-Emile, comte, puis duc DE) TASCHER (Pierre-Jean-Alexandre, comte) TASCHER (Ferdinand-Jean-Samuel, comte) TASCHEREAU (Jules-Antoine) TASCHEREAU DE FARGUES (Paul-Augustin-Jacques) TASCHFYN (Aboul' Moezz Abou-Omar) TASCHIFELLONE TASCHISURE s. m. TASCHKEND TASCO ou TLACHCO TASMAN TASMAN TASMAN (Abel-Janssen) TASMANIE TASMANNIE s. f. TASQUE s. f. TASQUE TASSA s. m. TASSADIE s. f. TASSAËRT (Nicolas-François-Octave) TASSAO s. m. TASSARANTE s. f. TASSARD ou TASSART s. m. TASSE s. f. TASSE (Omodée) TASSE (Bernardo TASSO ou) TASSE (Torquato TASSO, en français LE) TASSE (Faustin) TASSE (Hercule) TASSE (Augustin BONAMI, plus connu sous le surnom de) TASSE (le comte François-Marie) TASSÉ, ÉE part. passé TASSEAU s. m. TASSÉE s. f. TASSEL (Richard) TASSELIER s. m. TASSEMENT s. m. TASSER v. a. ou tr. TASSET s. m. TASSET (Joseph) TASSETTE s. f. TASSEUR s. m. TASSIE (Jacques) TASSIN (Léonard) TASSIN (René-Prosper) TASSIN (Pierre) TASSIOT s. m. TASSISUDON TASSOLE s. f. TASSONI (Alexandre) TASSONI (Alexandre-Marie) TASSOT s. m. TASTE (Louis-Bernard LA) TASTO SOLO loc. ad. TASTU (Joseph) TASTU (Sabine-Casimire-Amable VOÏART, dame) TASZYCKI TASZYCKI (Stanislas) TAT TATA s. m. TATA s. f. TATABULA s. m. TATAC s. m. TATA-GUIEMBY TATAJIBA s. m. TATAN s. f. TATANE-ARRIVOU ou TANANARIVE TATAR, ARE s. TATARÉ s. m. TATAUBA s. m. TATAYOUBA s. m. TATE (Nahum) TÂTÉ, ÉE part. passé TATE-AU-POT s. m. TÂTE-MINETTE s. m. TÂTE-POULE s. m. TÂTER v. a. ou tr. TATERLAS s. m. TÂTEUR, EUSE s. TÂTE-VIN s. m. TATHAM (William) TATHEVATSI (Grégoire) TATIANISTE s. m. TATICHTCHEF (Basile-Nikitich) TATIEN s. m. TATIEN TATIEN DE MÉSOPOTAMIE TATIGNON s. m. TATIGOIN interj. TATIGUÉ interj. TATIHOU TATILLON, ONNE s. TATILLONNAGE s. m. TATILLONNER v. n. ou intr. TATIUS (Titus) TATIUS (Achille) TATNAM TATONIR (Lucien) TÂTONNAGE s. m. TÂTONNÉ, ÉE part. passé TÂTONNEMENT s. m. TÂTONNER v. n. ou intr. TÂTONNEUR, EUSE adj. TÂTONS (À) loc. adv. TATOU s. m. TATOUAGE s. m. TATOUEMENT s. m. TATOUER v. a. ou tr. TATOUEUR s. m. TATOUVADY s. m. TATRA (monts) TATT s. m. TATTA ou TATTAH TATTA TATTA TATTERSALL s. m. TATTI (Jacques) TATTIA s. m. TATTRA ou TATRA TATTY s. m. TATU-APARA s. m. TATUETE s. m. TATUPEBA s. f. TATUSIE s. m. TATY s. m. TATZÉ s. m. TAU s. m. TAUBE (Frédéric-Guillaume DE) TAUBE (Daniel-Jean) TAUBEL ou TAUEBEL (Chrétien) TAUBER TAUBER (Joseph-Sami) TAUBERRE s. m. TAUBERT (Charles-Godefroy-Guillaume) TAUBMANN (Frédéric) TAUBOUR s. m. TAUCHIE s. f. TAUCHNITZ (Charles-Christophe) TAUD s. m. TAUDE s. f. TAUDER v. a. ou tr. TAUDION s. m. TAUDIS s. m. TAUENTZIEN-WIT TEMBERG (Frédéric-Boleslas-Cunnarinel, comte D TAUGI ou TAWGHI s. m. TAUGOUR s. m. TAUK s. m. TAULE s. f. TAULÉ TAULER ou TAULERE (Jean) TAULÈS (Jean DE) TAULIER s. m. TAULIER (Marc-Joseph-Frédéric) TAULIGNAN TAUMAGO TAUMALIN s. m. TAUNAY (Nicolas-Antoine) TAUNAY (Auguste) TAUNAY (Alfred D'ESCRAGNOLLE) TAUNTON TAUNTON TAUNTON TAUNTON (Henri LABOUCHÈRE, lord) TAUNUS (le) ou la HOMBURGER-HOEHE TAUPE s. f. TAUPE-GRILLON s. m. TAUPE-MARINE s. f. TAUPETTE s. f. TAUPIER s. m. TAUPIÈRE s. f. TAUPIN s. m. TAUPIN (le baron) TAUPINAMBOUR s. m. TAUPINÉE s. f. TAUPINIÈRE s. f. TAUPONT TAURE s. f. TAURÉADOR s. m. TAUREAU s. m. TAUREAU (mont du) TAUREL (Jacques) TAUREL (André-Benoît-Barreau) TAURÉLÉPHANT s. m. TAURELIÈRE s. f. TAURELL (Nicolas) TAURHINE s. m. TAURICHTHE s. m. TAURICIDER v. n. ou intr. TAURIDE TAURIEN, IENNE adj. TAURILLON s. m. TAURINE s. f. TAURINYA TAURION TAURIS TAURISANO TAUROBOLE s. m. TAUROBOLIQUE adj. TAUROCARBAMIQUE adj. TAUROCATHAPSIES s. f. pl. TAUROCÉPHALE s. m. TAUROCÉRAS s. m. TAUROCÈRE s. m. TAUROCHOLATE s. m. TAUROCHOLIQUE adj. TAUROCOLLE s. f. TAUROGGEN ou TAOUROGEN TAUROMACHIE s. f. TAUROMACHIQUE adj. TAUROME s. m. TAUROPHAGE adj. TAUROPOLE adj. TAUROPOLIES s. f. pl. TAURUS TAURYLATE s. m. TAURYLIQUE adj. TAUSAN (Jean) TAUSCHÉRIE s. f. TAUSCHIE s. f. TAUSIG (Aloïs) TAUSS TAUSSEN (Jean) TAUSSIN s. m. TAUSTE TAUSZ TAUTAVEL TAUTE s. f. TAUTE TAUTIN (Jean-Baptiste) TAUTIN (Lise-Victoire VESSIÈRE) TAUTOCHRONE adj. TAUTOCHRONISME s. m. TAUTOGRAMMATIQUE adj. TAUTOGRAMME s. m. TAUTOGUE s. m. TAUTOLOGIE s. f. TAUTOLOGIQUE adj. TAUTOPHONIE s. f. TAUVES TAUVRY (Daniel) TAUX s. m. TAUZE s. m. TAUZIN s. m. TAUZY s. m. TAVAI ou THAVAI TAVAI ou THAVAI TAVAÏ-POUNAMOU TAVAILLON s. m. TAVAÏOLLE s. f. TAVALY ou TAWALLY TAVANNES (Gaspard DE SAULX, seigneur DE) TAVANNES (Guillaume DE SAULX, seigneur DE) TAVANNES (Jean DE SAULX, vicomte DE) TAVANNES (Jacques DE SAULX, comte DE) TAVARIA TAVASTEHUS ou KRONEBORG TAVASTEHUS (GOUVERNEMENT DE) TAVAUX TAVDA TAVE TAVEAU (Philippe-Thomas) TAVEAU (Louis-Joseph) TAVEL s. m. TAVEL TAVELAGE s. m. TAVELÉ, ÉE part. passé TAVELER v. a. ou tr. TAVELLA (Charles-Antoine) TAVELLAGE s. m. TAVELLE s. f. TAVELLER v. a. ou tr. TAVELLI (Joseph) TAVELURE s. f. TAVERNA TAVERNA (Joseph) TAVERNAGE s. m. TAVERNAY TAVERNE s. f. TAVERNER v. n. ou intr. TAVERNES TAVERNIER, IÈRE adj. TAVERNIER (Melchior) TAVERNIER (Jean-Baptiste) TAVERNIER (Nicolas) TAVERNIER (François) TAVERNIER TAVERNIER (Jean-Baptiste-Paul-Auguste) TAVERNIÉRIE s. f. TAVERNON s. m. TAVERNY TAVERS TAVIEL (le baron) TAVIGNANO TAVILLON s. m. TAVIRA TAVISTOCK TAVIUM ou TAVIA TAVO TAVO TAVOLARA TAVON s. m. TAVORA (François, marquis DE) TAVOUA s. m. TAVOULOU s. m. TAVOY, TAVAY, DHÂVAY ou DAVAE TAVOY (PROVINCE DE) TAVOY TAVOY TAVROVSKAIA TAWI-TAWI ou TAOUI-TAOUI (îles) TAWY TAXANTHÈME s. m. TAXATEUR s. m. TAXATIF, IVE adj. TAXATION s. f. TAXE s. f. TAXÉ, ÉE part. passé TAXENNE TAXER v. a. ou tr. TAXÈS ou TOXÈS TAXIARCHIE s. f. TAXIARQUE s. m. TAXICÈRE s. m. TAXICOLE adj. TAXICORNE adj. TAXIDERMIE s. f. TAXIDERMIQUE adj. TAXIDERMISTE s. m. TAXIFORME adj. TAXILA TAXILE TAXILOGIE s. f. TAXILOGIQUE adj. TAXILOGUE s. m. TAXINOMIE s. f. TAXINOMIQUE adj. TAXIONOMIE s. f. TAXIONOMIQUE adj. TAXIS s. m. TAXITE s. m. TAXODIER s. m. TAXODITE s. m. TAXOLOGIE s. f. TAXOLOGIQUE adj. TAXOLOGUE s. m. TAXONOMIE s. f. TAXONOMIQUE adj. TAXONOMISTE s. m. TAXOTHÉRIUM s. m. TAXOZOAIRE adj. TAXUS s. m. TAY TAY (LOCH-) TAYA TAYABAS TAYABO TAYAC TAYAU! ou TAYAUT! interj. TAYE s. m. TAYEF ou TAAIF TAYGÈTE s. m. TAYGÈTE TAYLER (John-James) TAYLER (Frédéric) TAYLOR (Rowland) TAYLOR (John) TAYLOR (Jérémie) TAYLOR (Brook) TAYLOR (Jean) TAYLOR (le chevalier Jean) TAYLOR (sir Robert) TAYLOR (James) TAYLOR (Thomas) TAYLOR (Isaac) TAYLOR (Isaac) TAYLOR (Williams) TAYLOR (Richard) TAYLOR (Zacharie) TAYLOR (Isidore-Justin-Séverin, baron) TAYLOR (William-Cooke) TAYLOR (Henri) TAYLOR (Alfred-Swaine) TAYLOR (Tom) TAYLOR (Bayard) TAYLORIE s. f. TAYO s. m. TAYOBA s. m. TAYON s. m. TAYOTE s. m. TAYOVE s. m. TAYPU TAZANA TAZARD s. m. TAZE TAZI TAZIA s. f. TAZILLY TAZOVSKAÏA-GOUBA TAZZI-BIANCANI (Jacques) TCHA s. m. TCHABEKAN ou DJABKAN TCHABLER-SAGHI TCHA-CHERT s. m. TCHA-CHERT-BÉ s. m. TCHACRAVARTY s. m. TCHAD ou OUANGARA TCHADANY s. m. TCHADIR-DAGH TCHADOBETZ TCHAGAING TCHAGATÉEN s. m. TCHAGHOURI TCHAGRA s. m. TCHAGRA TCHAÏDAM TCHAÏKI s. m. TCHAKAKOTE TCHAKARAM s. m. TCHAKILY s. m. TCHAKON-TOUN TCHAKTARS ou TSAKHAR TCHALATDÉRÉ ou SALATDÉRÉ TCHALBAK TCHAMACHIR s. m. TCHAMOKMODI TCHAMOULARI TCHÂMOUNDÂ TCHAMOURDGIAN ou TCHAMOURJIOGHLOU (Jean) TCHAMTCHIAN (Michel) TCHANAK-KALESSI TCHÂNAKYA TCHANARGAR TCHANDALA s. m. TCHANDEIRI ou TCHANDARI TCHANDERKOUNAH TCHANDERLI ou SANDARLI TCHANDERNAGORE TCHANDRAGOUPTA TCHANG TCHANG-KIA-KEOU ou KALGAN TCHANG-KIA-OUAN TCHANG-KOUE-PIN TCHANG-PING-TCHEOU TCHANG-TCHA TCHANG-TCHÉOU s. m. TCHANG-TCHÉOUU-FOU TCHANG-TÉ TCHA-OUAH s. m. TCHAOUSCH ou TCHAVOUSCH-PACHA TCHAPÂTI s. m. TCHAPLACHE s. m. TCHA-POU TCHAPRAH ou TCHOPRAH TCHAPSKA s. m. TCHARCHENBEH TCHARNIKOW ou CZARNIKAU TCHARYCH TCHA-TAO TCHATOUR-ANGAM s. m. TCHAT TERPOUR TCHAT TOURAM s. m. TCHÉ s. m. TCHEBOKSARY TCHECHMÉH TCHEDOBA, TCHEDUBA ou MANAONG TCHÉ-FOU ou YEN-TAI TCHÉKI s. m. TCHE-KIANG TCHELBASIE TCHELEBI-EFFENDI (Rechid MUSTAPHA, plus connu sous le nom de TCHELEBI (Katib) TCHÉ-LI ou PÉ-TCHÉ-LI TCHEMBOUL TCHENAB TCHEOU-KONG TCHEPTZA TCHÈQUE s. TCHERBATOFF (le prince Michel) TCHERDYN TCHÉRÉMISSES TCHEREPANOF (Nicéphore) TCHÉRIKOV TCHERKASK (NOVOÏ-) ou NOUVEAU-TCHERKASK TCHERKASK (STAROI-) ou VIEUX-TCHERKASK TCHERKASSIE ou TCHERKASY TCHERKESSE s. TCHERKESSES TCHERNAÏA TCHERNICHEF ou TCHERNYCHEF TCHERNICHEF ou encore TCHERNYCHEF (Alexandre Ivanovitch, pri TCHERNIGOV ou CZERNIGOV TCHERNIGOV ou CZERNIGOV (GOUVERNEMENT DE) TCHERNOBOG TCHERNOBOH TCHERNOIARSK TCHEROUAHRAY TCHESKAÏA TCHESMÉ ou TCHECHEMÉH TCHETALI TCHÊTANYA TCHETCHENSES TCHETVERIK s. m. TCHETVERT s. m. TCHIBOUK s. m. TCHICAPOUR TCHICARRA ou TSCHICARRA s. m. TCHIHATCHEF (Pierre DE) TCHIKIRA TCHIKIRI ou DZINGHIRI TCHIKOIE TCHIKOTA, TCHIGODANE ou SPANGBERG TCHI-LI ou TCHÉ-LI TCHILKA TCHING s. m. TCHING-TCHÉOU TCHING-TCHING-KONG TCHING-TÉ ou JÉ-HO TCHING-TING TCHING-TOU-FOU TCHINGUIZ-KHAN TCHIN-HAÏ-HIEN TCHIN-KIANG-FOU TCHIN-NGAN TCHIN-SI ou BARKOUL TCHIN-YOUAN TCHI-PERDRIX s. m. TCHIPROVATZ TCHIR TCHIRINIKOUTANE ou TCHIRKOURKOUTANE TCHIRMEN TCHIRPOÏ TCHISTOPOL TCHITCHAGOFF (Paul-Vasiliévitch) TCHITCHATTIA s. m. TCHITRAGOUPTA TCHITREC s. m. TCHITTRA TCHOL TCHONSSOVAÏA TCHOOGING s. m. TCHOROK, TCHOROKHI, DJOVOKH TCHORY TCHOTCH TCHOUDE adj. TCHOUDES TCHOUDOMIL TCHOUDON TCHOUET s. m. TCHOUFOUT-KALÉ TCHOUG s. m. TCHOUGATCHE-KONEGA s. m. TCHOUGONIEV TCHOUÏ TCHOUKTCHI s. m. TCHOUKTCHIS TCHOULYM TCHOUMAR s. m. TCHOUMPANIR TCHOUNG-KING TCHOUNKODOUARA ou BATE TCHOUR s. m. TCHOURLOULI-ALI-PACHA TCHOUROU TCHOUROUM TCHOUROUM (LIVAH DE) TCHOU-SAN TCHOUSSOVAÏA TCHOU-TCHÉOU TCHOUVACHES TCHUNG s. m. TCHYAVANA TE pron. pers.TE s. m. TÉ, TÉE TÉ s. m. TEACH TÉALLIER TEANO TEATH ou TEITH TEA-TOTALISME s. m. TEA-TOTALISTE s. m. TEBA TEBALDEO (Antoine) TEBELEN ou TÉPELINI TÉBENNOPHORE s. m. TEBESSA ou THEBSA TÉBETH s. m. TEBOUL s. m. TEBRIZI (Abou-Zacaria-Yahia) TECH (LE) TECH TÉCHE TÈCHE ou TÈJE TECHENER (Jacques-Joseph) TÉCHICHI s. m. TECHNICITÉ s. f. TECHNICOGRAPHIE s. f. TECHNIE s. f. TECHNIQUE s. f. TECHNIQUEMENT adv. TECHNITE s. m. TECHNOGRAPHIE s. f. TECHNOGRAPHIQUE adj. TECHNOLITHE s. f. TECHNOLOGIE s. f. TECHNOLOGIQUE adj. TECHNOLOGUE s. m. TECHNOMORPHITE s. m. TÉCHOU-LOUMBOU ou ZIKATSÉ TECK s. m. TECKLENBOURG TÉCLÉE s. m. TECMARSIDE s. f. TECMESSE TÉCOLITHE s. f. TECOMACHALCO TÉCOMAIRE s. m. TÉCOME s. m. TÉCOPHILÉE s. f. TÉCOU s. m. TECT s. m. TECTAIRE s. m. TECTIBRANCHE adj. TECTIPENNE adj. TECTISCUTE s. m. TECTOCHRYSINE s. f. TECTRICE adj. TÉCUITLE s. m. TECULET TEDALDI-FORES (Charles) TEDDINGTON TÉDELÈS TEDENAT (Pierre) TEDESCHI (Nicolas) TEDESCHI (Antonio) TEDESCO (Ignace-Amédée) TE DEUM s. m. TEDJEND ou TEDZEN TEDLES TÉDORO s. m. TEEDIE s. f. TEEF s. m. TEELLINCK (Evald) TEELLINCK (Guillaume) TEES TEESDALIE s. f. TÉFÉ, TEFFÉ ou TGA TEFF s. m. TEFFLE s. m. TÉFOU s. m. TÉGÉE TEGEL TEGEL (Eric-Goeransson) TÉGÉNAIRE s. f. TEGERNSEE TEGET THOFF (Guillaume, baron DE) TÉGLATH-PHALASAR, TIGLAT-PILESER ou THEGLAT-PHALASSAR TEGMEN s. m. TEGMINÉ, ÉE adj. TEGMINIPENNE adj. TEGNER (Esaïas) TEGOBORSKI (Louis) TEGOULET TEGUISE TÉGUIXIN s. m. TÉGULAIRE adj. TÉGULCHITCH s. m. TÉGULE s. m. TÉGUMENT s. m. TÉGUMENTAIRE adj. TEHAMA TÉHÉRAN TEHUACAN TEHUANTEPEC (isthme de) TEHUANTEPEC TEIA TEICHMEYER (Hermann-Frédéric) TEICHMEYÈRE s. m. TEICHOMYZE s. f. TEIFASCHY (Aboul-Abbas-Ahmed AL) TEIGNANT, ANTE adj. TEIGNASSE s. f. TEIGNE s. f. TEIGNERIE s. f. TEIGNEUX, EUSE adj. TEIGNMOUTH TEIGNMOUTH (Jean SHORE, lord) TEIGULGHITCH s. m. TEIL s. m. TEIL (LE) TEIL (Bernard DU) TEIL (Jean-Pierre, baron DU) TEILLAGE s. m. TEILLE s. f. TEILLÉ TEILLÉ TEILLEAU s. m. TEILLER v. a. ou tr. TEILLET TEILLEUL (LE) TEILLEUR, EUSE s. TEILLEUX, EUSE adj. TEINACH ou DEINACH TEINDOUX s. m. TEINDRE v. a. ou tr. TEINITZ TEINOCÈRE s. m. TEINOCORYNE s. m. TEINODACTYLE s. m. TEINOPALPE s. m. TEINT, TEINTE part. passé TEINT s. m. TEINTE s. f. TEINTÉ, ÉE part. passé TEINTER v. a. ou tr. TEINTURE s. f. TEINTURERIE s. f. TEINTURIER, IÈRE s. TEINT-VIN s. m. TEIRA s. m. TEISSÈDRE-LANGE (Josué) TEISSERENC (Pierre-Edmond) TEISSHOLZ TEISSIER (Antoine) TEISSIER (Etienne) TEISSIER (Guillaume-Ferdinand) TEISSIER (Jean-Antoine) TEISSIÈRES-LES-BOULIES TEISSIÈRES-DE-CORNET TEISSON s. m. TEISSONNE TÉITÉ s. m. TEITEI s. m. TEIXEIRA (Joseph) TEIXEIRA (Pierre) TÉJUS s. m. TEK s. m. TÉKÉDEMPT ou TAGDEMPT TÉKÉ-DÉRÉ TÉKÉLI (Emeric) TEKKÉ s. f. TEKKE-ILI TEL, TELLE adj. TÉLACÉ, ÉE adj. TÉLAGON s. m. TÉLAMON s. m. TÉLAMON TÉLAMON TÉLANGIECTASIE s. f. TÉLAUGIS s. m. TÉLAVI TELAZIX TELCHINE s. m. TELCHINIE s. f. TÉLÉBOÏTE s. m. TÉLÉAS s. m. TÉLÉE s. f. TÉLÉGONE s. m. TÉLÉGONE ou TÉLÉDAMUS TÉLÉGOUL ou TÉLIGOUL TÉLÉGRAMME s. m. TÉLÉGRAPHE s. m. TÉLÉGRAPHIE s. f. TÉLÉGRAPHIER v. a. ou tr. TÉLÉGRAPHIER s. m. TÉLÉGRAPHIQUE adj. TÉLÉGRAPHIQUEMENT adv. TÉLÉGRAPHISTE s. m. TÉLÈGUE s. m. TÉLÉIANDRE s. m. TÉLÉIANTHE adj. TÉLÉIANTHÈRE s. f. TÉLÉICONOGRAPHE s. f. TÉLEIE s. f. TÉLÉKI (Ladislas comte) TÉLÉKIE s. f. TELEMANN (Georges-Philippe) TÉLÉMAQUE TÉLÉMÈTRE s. m. TÉLÉMÉTRIE s. f. TÉLÉMÉTRIQUE adj. TÉLÉNOME s. m. TÉLÉOBRANCHE adj. TÉLÉOLOGIE s. f. TÉLÉOLOGIQUE adj. TÉLÉOLOGUE s. m. TÉLÉONTES ou TÉLENGOUTES TÉLÉOPODE adj. TÉLÉOSAURE s. m. TÉLÉOSTÉEN, ÉENNE adj. TÉLÉOZOME s. m. TÉLÈPHE s. m. TÉLÈPHE TÉLÉPHIÉ, ÉE adj. TÉLÉPHIEN, IENNE adj. TÉLÉPHONE s. m. TÉLÉPHONIE s. f. TÉLÉPHONIQUE adj. TÉLÉPHORE s. m. TÉLÉPHOROÏDE s. m. TÉLERPÉTON s. m. TÉLÉRY THRINE s. f. TÉLESCOPE s. m. TÉLESCOPHTHALME adj. TÉLESCOPIFORME adj. TÉLESCOPIQUE adj. TÉLÉSIE s. f. TÉLÉSILLE TELESIO (Antoine) TELESIO (Bernardino) TELESIO (Tommaso) TÉLESPHORE TÉLESPHORE (saint) TÉLESPHORE (André-Ariston) TÉLESTO s. m. TÉLÈTE s. f. TÉLÉTHUSES s. f. pl. TÉLÉTIQUE adj. TELETZKOÏ ou ALTIN TELFAIRIE s. f. TELFAIRIÉ, ÉE adj. TELFORD (Thomas) TELGRUC TELGTE TÉLÏAMBE s. m. TÉLIFORME adj. TÉLIGNY (Charles DE) TÉLIGNY (Odet DE LA NOUE, seigneur DE) TELIGOUL TELINGA s. m. TELINGA ou TELINGANA TÉLIOSTACHYE s. f. TÉLIPOGON s. m. TELL TELL-EL-KADI TELL-HOUM TELL (Guillaume) TELLEMENT adv. TELLÈNE s. f. TELLER (Guillaume-Abraham) TELLES (Jose-Correa) TELLÈS D'ACOSTA (Dominique-Antoine) TELLETTE s. f. TELLEZ (Balthasar) TELLEZ (Eléonore) TELLEZ DE SYLVA (dom Manuel) TELLEZ (Frère Gabriel) TELLIER (le Père Michel LE) TELLIÈRE s. m. TELLIME s. f. TELLIMYE s. f. TELLINE s. f. TELLINE TELLINIDE adj. TELLINITE s. f. TELLIS s. m. TELLITCHÉRY TELLO TELLO TELLO-LANGOUÉ TELLO DE PORTUGAL (Jose ESPINOSA Y) TELLURATE s. m. TELLURE s. m. TELLURÉ, ÉE adj. TELLUREUX, EUSE adj. TELLURHYDRIQUE adj. TELLURIDE s. m. TELLURIEN, IENNE adj. TELLURIFÈRE adj. TELLURIQUE adj. TELLURISEL s. m. TELLURISME s. m. TELLURITE s. m. TELLURIURE s. m. TELLUROSEL s. m. TELLURURE s. m. TELMATIAS s. m. TELMATOBIE s. m. TELMATOPHACÉ s. m. TELMATOPHILE s. m. TELMENDFUST (RAS-EL-) TELMESSE TELMESSUS ou TELMISSUS TELMESSUS, TELMISSUS ou TELMESSE TELMIE s. f. TELMISSE s. f. TELMISSUS TELO MARTIUS ou TELONIS PORTUS TÉLODYNAMIQUE adj. TÉLOMÈTRE s. m. TÉLOMÉTRIE s. f. TÉLOMÉTRIQUE adj. TELON s. m. TÉLONE s. m. TÉLONISME s. m. TÉLOPÉE s. f. TÉLOPHORE s. m. TÉLOS s. m. TÉLOUARD s. m. TÉLOXIDE s. m. TELTSCH TELUCCINI (Mario) TELUM IMBELLE SINE ICTU TÉLURE s. m. TEMACIN TÉMAMAÇAME s. m. TEMANZA (Tommaso) TÉMAPARA s. m. TEMBLÈQUE TEMBOUL s. m. TEMEDR Ier (Démétrius) TEMEDR II TÉMÉNIS s. m. TÉMÉNOS s. m. TÉMÉRAIRE adj. TÉMÉRAIREMENT adv. TÉMÈRE s. f. TÉMÉRITÉ s. f. TÉMÈS ou TÉMESCH TÉMÈS ou TÉMESVAR (COMITAT DE) TÉMESVAR TÉMIE s. m. TEMISCAMING TEMME (Jodocus-Donat-Hubert) TEMMINCK s. m. TEMMINCK (C.-J.) TEMNASPIS s. m. TEMNISTIE s. f. TEMNOCÈRE s. m. TEMNOCHILE s. m. TEMNODON s. m. TEMNOLAIME s. m. TEMNOPIS s. m. TEMNOPLEURE s. m. TEMNOPTÈRE s. m. TEMNORHYNQUE s. m. TEMNOSCHEILE s. m. TEMNOSTOME s. m. TEMNURE s. m. TÉMOCHOLI s. m. TÉMOGNATHE s. m. TÉMOIGNAGE s. m. TÉMOIGNANT, ANTE adj. TÉMOIGNER v. a. ou tr. TÉMOIN s. m. TEMPE s. f. TEMPÉ s. f. TEMPÉ TEMPELBURG TEMPELHOFF (Georges-Frédéric DE) TEMPÉRAMENT s. m. TEMPÉRANCE s. f. TEMPÉRANT, ANTE adj. TEMPÉRATURE s. f. TEMPÉRÉ, ÉE part. passé TEMPÉRÉMENT adv. TEMPÉRER v. a. ou tr. TEMPESTA (Pierre MOLYN, dit) TEMPESTIF, IVE adj. TEMPÊTE s. f. TEMPÊTES (cap des) TEMPÊTEMENT s. m. TEMPÊTER v. n. ou intr. TEMPÊTEUR, EUSE TEMPÊTUEUX, EUSE adj. TEMPIA s. m. TEMPIO TEMPLE s. m. TEMPLE s. f. TEMPLE (LE) TEMPLE-SUR-LOT (LE) TEMPLE (sir William) TEMPLE (John) TEMPLE (sir William) TEMPLEMAN (Peter) TEMPLERI (Joseph DE) TEMPLET s. m. TEMPLETONIE s. f. TEMPLEUVE TEMPLEUVE TEMPLEVORE TEMPLIER s. m. TEMPLIN TEMPLOFF (Grégoire-Nicolaievitch) TEMPLOIR s. m. TEMPLU s. m. TEMPO s. m. TEMPO s. m. TEMPO (Antonio DA) TEMPORAIRE adj. TEMPORAIREMENT adv. TEMPORAL, ALE adj. TEMPORALITÉ s. f. TEMPOREL, ELLE adj. TEMPORELLEMENT adv. TEMPORISANT, ANTE adj. TEMPORISATEUR, TRICE s. TEMPORISATION s. f. TEMPORISEMENT s. m. TEMPORISER v. n. ou intr. TEMPORISEUR s. m. TEMPORO-AURICULAIRE adj. TEMPORO-CONCHINIEN, IENNE adj. TEMPORO-MAXILLAIRE adj. TEMPORO-SUPERFICIEL adj. m. TEMPORO-VERTÉBRAL adj. m. TEMPS s. m. TEMS (Jean-François-Hugues DU) TÉMULENCE s. f. TÉMUS s. m. TENA (Louis DE) TENABLE adj. TENACE adj. TENACEMENT adv. TÉNACITÉ s. f. TÉNACULUM s. m. TÉNAGODE s. m. TENAILLE s. f. ou TENAILLES s. f. pl. TENAILLÉ, ÉE part. passé TENAILLÉE s. f. TENAILLEMENT s. m. TENAILLER v. a. ou tr. TENAILLON s. m. TÉNALGIE s. f. TENANCE s. f. TENANCIER, IÈRE s. TENANT, ANTE adj. TENANT DE LATOUR (Jean-Baptiste et Antoine) TÉNARE TÉNARE TÉNARIDE s. f. TÉNARIS s. m. TENARRE TENASSERIM TENASSERIM TENASSERIM (PROVINCE DE) TENAY TENBY ou TENBIGH TENCA (Charles) TENCE TENCIN TENCIN (Pierre GUÉRIN DE) TENCIN (Claudine-Alexandrine GUÉRIN DE) TENCTÈRES TENDABLE adj. TENDAGE s. m. TENDANCE s. f. TENDANT, ANTE adj. TENDARIDÉE s. f. TENDE s. f. TENDE (col de) TENDE TENDE (René DE SAVOIE, comte DE) TENDE (Claude DE SAVOIE, comte DE) TENDE (Honorat DE SAVOIE, comte DE VILLARS et DE) TENDE (Honoré DE SAVOIE, comte DE) TENDE (Gaspard DE) TENDELET s. m. TENDELIN s. m. TENDER s. m. TENDERIE s. f. TENDEUR, EUSE s. m. TENDIDO s. m. TENDILLA TENDINEUX, EUSE adj. TENDOIR s. m. TENDON s. m. TENDON TENDRA s. m. TENDRAC s. m. TENDRE adj. TENDRE v. a. ou tr. TENDRE (mont) TENDRE-À-CAILLOU s. m. TENDRELET, ETTE adj. TENDREMENT adv. TENDRESSE s. f. TENDRET, ETTE adj. TENDRETÉ s. f. TENDRETTE s. f. TENDREUR s. f. TENDRON s. m. TENDU, UE part. passé TENDU TENDUE s. f. TÉNÈBRES s. f. pl. TÉNÉBREUSEMENT adv. TÉNÉBREUX, EUSE adj. TÉNÉBRICOLE adj. TÉNÉBRION s. m. TÉNÉBRIONITE adj. TÉNÉBROSITÉ s. f. TÉNÉDOS TENELLE s. f. TENELLIFLORE adj. TÉNEMENT s. m. TENERANI (Pietro) TÉNÈRE s. m. TENERE LUPUM AURIBUS TÉNÉRIFFE TENÈS TÉNÈS ou TENNÈS TÉNESME s. m. TENESSERIN ou TANAOSI TENET DE LAUBADÈRE (Germain-Félix) TENET DE LAUBADÈRE (Joseph-Marie) TENETTES s. f. pl. TENEUR s. f. TENEUR, EUSE s. TÉNEVIÈRE s. f. TE-NGAN TENG-KIRI TENG-TCHÉOU-FOU TENG-YOUÉ TENGYRE s. m. TÉNIA ou TAENIA s. m. TÉNIADÉ ou TAENIADÉ, ÉE adj. TÉNIAFUGE ou TAENIAFUGE adj. TÉNIANOTE ou TAENIANOTE s. m. TÉNIAPTÈRE ou TAENIAPTÈRE s. m. TÉNIE s. f. TENIERS s. m. TENIERS (David) dit le Vieux TENIERS (David) le Jeune TENIET-EL-HÂD TÉNIFUGE adj. TENILLE s. f. TÉNIOBRANCHE ou TAENIOBRANCHE adj. TÉNIOCAMPE ou TAENIOCAMPE s. m. TÉNIOCARPE ou TAENIOCARPE s. m. TÉNIOÏDE ou TAENIOÏDE adj. TÉNIOPHYLLE ou TAENIOPHYLLE s. m. TÉNIOPTÈRE ou TAENIOPTÈRE s. m. TÉNIOPTÉRINÉ ou TAENIOPTÉRINÉ adj. TÉNIOPTÉRIS ou TAENIOPTÉRIS s. m. TÉNIORHYNQUE ou TAENIORHYNQUE adj. TÉNIOSTÈME ou TAENIOSTÈME s. m. TÉNIOTE ou TAENIOTE s. m. TÉNIOTHRIPS ou TAENIOTHRIPS s. m. TENIR v. a. ou tr. TENISON (Thomas) TÉNITE s. f. TÉNIURE s. m. TENIVELLI (Charles) TEN-KATE (Lambert) TENNANT (Smithson) TENNANT (William) TENNANTITE s. f. TENNECKER (Christian-Ehrenfried-Seifert DE) TENNEMANN (Guillaume-Théophile) TENNENT (sir James EMERSON) TENNESSEE TENNESSEE (ETAT DE) TENNHART (Jean) TENNIE TENNIS s. m. TENNYSON D'EYNCOURT (Charles) TENNYSON (Alfred) TENOCHTITLAN TÉNODÈME s. m. TÉNOÏDE adj. TENON s. m. TENON (Jacques-René) TENONNER v. a. ou tr. TÉNOR s. m. TENORE (Michel) TÉNORÉE s. f. TÉNORIE s. f. TÉNORISANT, ANTE adj. TÉNORISÉ, ÉE adj. TÉNORRAPHIE s. f. TÉNOS ou TINOS TÉNOSOME s. m. TÉNOT (Pierre-Paul-Eugène) TÉNOTOME s. m. TÉNOTOMIE s. f. TENQUIN (GROS-) TENREC s. m. TEN RHYNE (Guillaume) TENSA s. f. TENSAS TENSEMENT s. m. TENSEUR adj. m. TEN-SIC-DAÏ-TSIN TENSIF, IVE adj. TENSION s. f. TENSON s. m. TENSYFT, TENSIF ou OUED-MARAKCH TENTACULAIRE adj. TENTACULE s. m. TENTACULÉ, ÉE adj. TENTACULIFÈRE adj. TENTACULIFORME adj. TENTANT, ANTE adj. TENTATEUR, TRICE adj. TENTATIF, IVE adj. TENTATION s. f. TENTATIVE s. f. TENTE s. f. TENTE s. f. TENTÉ, ÉE part. passé TENTE-ABRI s. f. TENTÈLE s. m. TENTEMENT s. m. TENTER v. a. ou tr. TENTER v. a. ou tr. TENTERDEN (Charles ABBOTT, lord) TENTHÈQUE s. m. TENTHRÈDE s. f. TENTHRÉDIDE adj. TENTHRÉDIN, INE adj. TENTHRÉDINIEN, IENNE adj. TENTHRÉDINIFÈRE adj. TENTHRÉDITE adj. TENTOI s. m. TENTOLI ou TONDOLY TENTORI (Christophe) TENTUGAL TENTURE s. f. TENTYRIE s. f. TENTYRITE adj. TENTZEL (Guillaume-Ernest) TENU, UE part. passé TENU TÉNU, UE adj. TENUE s. f. TÉPHRÉE s. f. TÉPHRINE s. f. TÉPHRITE s. f. TÉPHRITIDE adj. TÉPHROCLYSTIE s. f. TÉPHRODORNIS s. m. TÉPHROMANCIE s. f. TÉPHROMÈLE adj. TÉPHRONIE s. f. TÉPHROPHYLLE adj. TÉPHROSANTHE adj. TÉPHROSE adj. TÉPHROSIE s. f. TÉPHROTIQUE adj. TEPIC TÉPIDARIUM s. m. TÉPIDE adj. TÉPIDITÉ s. f. TEPIS s. m. TEPLITZ TEPLOFF (Grégoire) TEPTIARIS TER adv. TER TÉRA s. m. TÉRABDELLE s. f. TÉRACOLE s. m. TÉRAMBE TÉRAMNE s. m. TERAMO TERAMO (Jacques PALLADINO, dit DE) ou D'ANCARANO TERAPHIM s. m. TÉRAPON s. m. TÉRAPOPE s. m. TÉRAS s. m. TÉRASIE s. f. TÉRAT-BOULAN s. m. TÉRATHOPIE s. m. TÉRATICHTHYS s. m. TÉRATODE s. m. TÉRATOGÉNIE s. f. TÉRATOLOGIE s. f. TÉRATOLOGIQUE adj. TÉRATOLOGUE s. m. TÉRATOPTÉRIS s. m. TÉRATOSCOPIE s. f. TERBINE s. f. TERBIUM s. m. TERBURG (Gérard TER BORCH, TER BURG ou) TERCEAU s. m. TERCEIRA ou TERCERE TERCEIRA (Antonio-Jose DE SOUZA MANOEL E MENEZES DE NORONHA, TERCER ou TERSER v. a. ou tr. TERCÈRE TERCERE ou TERCEIRA TERCET s. m. TERCIADE adj. TERCIER (Jean-Pierre) TERCINE s. f. TERCIS TERCOL s. m. TERCOU s. m. TERCY (François) TERCY (Fanny MESSAGEOT, dame) TÉRÉBAMIDE s. f. TÉRÉBAMIQUE adj. TÉRÉBATE s. m. TÉRÉBELLAIRE s. f. TÉRÉBELLE s. f. TÉRÉBELLIDE s. m. TÉRÉBELLUM s. m. TÉRÉBÈNE s. m. TÉRÉBÉNIQUE adj. TÉRÉBENTHÈNE s. m. TÉRÉBENTHINE s. f. TÉRÉBENTHIQUE adj. TÉRÉBILÈNE s. m. TÉRÉBILIQUE ou TÉRÉBYLIQUE adj. TÉRÉBINTHACÉ, ÉE adj. TÉRÉBINTHE s. m. TÉRÉBINTHINÉ, ÉE adj. TÉRÉBINTHINIQUE adj. TÉRÉBIQUE adj. TÉRÉBRA s. f. TÉRÉBRAL, ALE adj. TÉRÉBRALIE s. f. TÉRÉBRANT, ANTE adj. TÉRÉBRATELLE s. f. TÉRÉBRATEUR, TRICE adj. TÉRÉBRATION s. f. TÉRÉBRATULE s. f. TÉRÉBRATULIDE adj. TÉRÉBRATULINE s. f. TÉRÉBRATULITE s. f. TÉRÉBRER v. a. ou tr. TÉRÉBYLIQUE adj. TEREC s. m. TÉRÉCAMPHÈNE s. m. TÉRÈDE s. m. TÉRÉDINE s. f. TÉRÉDON ou TERIDOTIS TÉRÉDOSOME s. m. TÉRÉDYLE adj. TÉRÉE TÉRÉGAM s. m. TÉREK TÉRÉKIE s. f. TÉRELLIE s. f. TÉRÉMYIE s. f. TÉRENCE (Publius TERENTIUS AFER) TÉRÉNIABIN s. m. TÉRÉNIE s. f. TERENTIA TERENTIANUS MAURUS TERENTILLUS ARSA TERENTIUS (Jean) TERENTIUS VARRO (M.) TERENTUM TÉREPHTALAMIDE s. f. TÉREPHTALATE s. m. TÉREPHTALIQUE adj. TÉREPHTALYL-NITRILE s. m. TÉRÉPYROLÈNE s. m. TERERY TÉRÈTE adj. TÉRÉTICAUDE adj. TÉRÉTICAULE adj. TÉRÉTICOLLE adj. TÉRÉTIFOLIÉ, ÉE adj. TÉRÉTIFORME adj. TÉRÉTIROSTRE adj. TÉRÉTRIE s. m. TÉRÉTULARIÉ, ÉE adj. TÉRÉTULE s. m. TERF TERFEX s. m. TERGAL, ALE adj. TERGÉMINÉ, ÉE adj. TERGILLE s. m. TERGIPE s. m. TERGIPÈDE s. m. TERGIVERSATEUR, TRICE s. TERGIVERSATION s. f. TERGIVERSER v. n. ou intr. TERGLOU (mont) TERGNIER TERGOES ou GOES TERGOVITZ TERGUM s. m. TERHOUNA TÉRIAS s. m. TERIM TÉRIN s. m. TERINAEUS SINUS TÉRITS ou TÉRIZ s. m. TERK s. m. TERKHAN-KHATOUN TERKHAN-KHATOUN TERLINCTHUN TERLIZZI TERLON (Hugues DE) TERMAGANT TERMATOSAURE s. m. TERME s. m. TERME TERME (Joannès-Marie) TERME (Frédéric) TERMER v. a. ou tr. TERMES TERMÈS s. m. TERMIEN, IENNE adj. TERMIN s. m. TERMINAIRE s. m. TERMINAISON s. f. TERMINAL, ALE adj. TERMINALIÉ, ÉE adj. TERMINALIER s. m. TERMINALIES s. f. pl. TERMINATEUR, TRICE adj. TERMINATIF, IVE adj. TERMINATIONNEL, ELLE adj. TERMINÉ, ÉE part. passé TERMINER v. a. ou tr. TERMINI TERMINIERS TERMINILLO TERMINIO (Marc-Antoine) TERMINIS (IN) TERMINISME s. m. TERMINISTE s. m. TERMINOLOGIE s. f. TERMINOS TERMINUS s. m. TERMITE s. m. TERMITIÈRE s. f. TERMITIN, INE adj. TERMOLAMA s. m. TERMOLI TERMONDE ou DENDERMONDE TERNAGE s. m. TERNAIRE adj. TERNAND TERNATE s. f. TERNATE TERNATÉE s. f. TERNAUX s. m. TERNAUX (Guillaume-Louis) TERNAUX (Louis-Mortimer) TERNAY TERNAY TERNAY (Charles-Gabriel d'ARSAC, marquis DE) TERNE adj. TERNE s. m. TERNÉ, ÉE adj. TERNES (LES) TERNEUSE TERNI, IE part. passé TERNI TERNIER s. m. TERNIFLORE adj. TERNIFOLIÉ, ÉE adj. TERNIN TERNIR v. a. ou tr. TERNISPINÉ, ÉE adj. TERNISSEMENT s. m. TERNISSURE s. f. TERNO-ANNULAIRE adj. TERNOISE TERNSTROEMIACÉ, ÉE adj. TERNSTROEMIE s. f. TERNSTROEMIÉ, ÉE adj. TERNUAY TERNUE s. f. TERNY-SORNY TÉROPIAMMON s. m. TÉROULLE s. f. TERPAGER (Pierre) TERPAN s. m. TERPANDRE TERPEN s. m. TERPENTILÈNE s. m. TERPILÈNE s. m. TERPINE s. f. TERPINOLE s. m. TERPNANTHE s. m. TERPODIUM s. m. TERPSICHORE s. f. TERPSICHORE TERPSINOÉ s. f. TERPSIPHONE s. m. TERQUEM (Olry) TERRA-BOMBA TERRACINA TERRACINE TERRADE s. f. TERRADE (Olivier DE LA TRAU, sieur DE LA) TERRA-DOS-COELHOS TERRAGE s. m. TERRAGNOL, OLE adj. TERRAILLE s. f. TERRAILLER v. a. ou tr. TERRAIN ou TERREIN s. m. TERRAL s. m. TERRAMARE s. f. TERRA-MERITA s. f. TERRAN, ANE adj. TERRANEH TERRANOVA ou CIVITA TERRANOVA TERRANOVA TERRAPÈNE s. f. TERRAPILATA TERRAQUÉ, ÉE adj. TERRAS s. m. TERRASSANT, ANTE adj. TERRASSE s. f. TERRASSE (LA) TERRASSE-DESBILLONS (François-Joseph) TERRASSÉ, ÉE part. passé TERRASSEMENT s. m. TERRASSER v. a. ou tr. TERRASSER v. a. ou tr. TERRASSEUX, EUSE adj. TERRASSIER s. m. TERRASSON s. m. TERRASSON TERRASSON (André) TERRASSON (Jean) TERRASSON (Gaspard) TERRASSON (Matthieu) TERRASSON (Antoine) TERRAT s. m. TERRAUBE TERRAY (l'abbé Joseph-Marie) TERRAZZO s. m. TERRE s. f. TERRE PROMISE TERRE TERRE DE BAS TERRE-DE-DÉSOLATION TERRE-FERME TERRE-DE-FEU ou ARCHIPEL DE MAGELLAN TERRE DE HAUT TERRE DE LA LUNE ou OUNYAMOUÉZI TERRE-NEUVE TERRE-NOIRE TERRE DE LA REINE TERRE SAINTE TERRÉ, ÉE part. passé TERREAU s. m. TERREAUDEMENT s. m. TERREAUDER v. a. ou tr. TERREAUTAGE s. m. TERREAUTER v. a. ou tr. TERREBASSE (Louis-Alfred JACQUIER DE) TERRECRÈPE s. f. TERRÉE s. f. TERREIN adj. TERREMENT s. m. TERRE-NEUVE s. m. TERRE-NEUVIEN s. m. TERRE-NEUVIER s. m. TERRÉNIDES s. f. pl. TERRE-NOIX s. m. TERRE-PLEIN s. m. TERRER v. a. ou tr. TERREROS Y PANDO (Etienne) TERRESTRE adj. TERRESTRÉITÉ s. f. TERRESTREMENT adv. TERRET s. m. TERRETTE s. f. TERREUR s. f. TERREUX, EUSE adj. TERREVERMEILLE (Jean DE) TERRIBILITÉ s. f. TERRIBLE adj. TERRIBLE (mont) ou mieux TERRI TERRIBLE TERRIBLEMENT adv. TERRICOLE adj. TERRIEN, IENNE adj. TERRIER adj. m. TERRIER s. m. TERRIER DE CLÉRON (Claude-Joseph) TERRIER DE MONCIEL (Antoine-Marie-René) TERRIÈRE s. f. TERRIFIER v. a. ou tr. TERRIFORE adj. TERRIN (Claude) TERRINE s. f. TERRINÉE s. f. TERRIPÈTE adj. TERRIR v. n. ou intr. TERRITÈLE adj. TERRITOIRE s. m. TERRITOIRE INDIEN ou OCCIDENTAL TERRITORIAL, ALE adj. TERRITORIALEMENT adj. TERRITORIALITÉ s. f. TERRIVOME adj. TERROIR s. m. TERRORIFIER v. a. ou tr. TERRORISER v. a. ou tr. TERRORISME s. m. TERRORISTE s. m. TERROU s. m. TERRURE s. f. TERRY (Edouard) TERSA s. m. TERSA TERSAN (Charles-Philippe CAMPION DE) TER-SCHELLING TERSER v. a. ou tr. TERSERUS (Jean) TERSET s. m. TERSINE s. f. TERSTEEGEN (Gérard) TERTIADE adj. TERTIAIRE adj. TERTIANAIRE adj. TERTIO adv. TERTIUS DE LANIS (Franciscus) TERTRE s. m. TERTRE (Jacques DU) TERTRÉA s. m. TERTULLIANISME s. m. TERTULLIANISTE s. m. TERTULLIEN (Quintus Septimus Florens) TERUCCI (Jean-Baptiste) TÉRUEL TÉRUEL (PROVINCE DE) TÉRUNCE s. m. TERVAGANT TERVUEREN TERWESTEN (Augustin) TERWESTEN (Elie) TERWESTEN (Matthieu) TERZA RIMA s. f. TERZE s. m. TERZETTO s. m. TERZI ou TERZO (Ottobone) TES adj. poss. TÉSAN s. m. TESAURO (Antoine) TESAURO (Emmanuel) TESAURO (Alexandre) TESAURO (Emmanuel) TESBIK s. m. TESCARET s. m. TESCATILPUTZA ou TLALOCH TESCHEN ou TIESSEN TESCHEN (CERCLE DE) TESCOU TÈSE s. f. TESEO-AMBROSIO TÉSIE s. f. TÉSIN (rivière, canton et bataille du) TESKALIBOCHTLI TESMAN (Jean) TESSANECK (Jean) TESSARIE s. f. TESSARODON s. m. TESSAROME s. m. TESSARTHRE s. m. TESSARTHRONIE s. f. TESSÉ-LA-MADELEINE TESSÉ (René DE FROULAI, comte DE) TESSELIÈRE s. f. TESSELLE s. f. TESSELLÉ, ÉE adj. TESSENDER-LOO TESSERAIRE s. m. TESSÉRATOME s. m. TESSÈRE s. f. TESSEREAU (Abraham) TESSEREAU (Auguste) TESSÉROCÈRE s. m. TESSIER (bain de) TESSIER (Alexandre-Henri) TESSIÉRIE s. f. TESSIN ou TÉSIN TESSIN (CANTON DU) TESSIN (Nicodème-Valentinson) dit l'Ancien TESSIN (Nicodème, comte) TESSIN (Charles-Gustave, comte DE) TESSINIE s. f. TESSON s. m. TESSON TESSULAIRE adj. TESSURE s. f. TESSY-SUR-VIRE TEST s. m. TEST s. m. TESTA s. m. TESTA (Pietro) TESTA (Antoine-Joseph) TESTA (Felice) TESTACÉ, ÉE adj. TESTACÉIFORME adj. TESTACELLE s. f. TESTACÉOGRAPHE s. m. TESTACÉOGRAPHIE adj. TESTACÉOGRAPHIQUE adj. TESTACÉOLOGIE s. f. TESTACÉOLOGIQUE adj. TESTACÉOLOGUE s. m. TESTACITE s. f. TESTADON s. m. |
Les sports de la neige/Texte entier | Anton Fendrich Les sports de la neige Traduction par René Auscher. Hachette & Cie, 1912 (p. couv.-135). bookLes sports de la neigeAnton FendrichRené AuscherHachette & Cie1912TFendrich - Les Sports de la neige, 1912.djvuFendrich - Les Sports de la neige, 1912.djvu/1couv.-135 LES SPORTS DE LA NEIGE FENDRICH LES SPORTS DE LA NEIGE adaptation française Par René Auscher LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie 79, Boulevard Saint-Germain, Paris LES SPORTS DE LA NEIGE LE LIVRE de M. Fendrich, « Der Skilaüfer » (Le Skieur), ne peut guère se comparer aux ouvrages aujourd’hui connus de Paulcke et de Hoek et Richardson. L’auteur, et c’est ce qui nous a séduit, s’est efforcé de présenter de façon agréable et accessible à tous le sport intéressant qu’est le ski. Sous une forme familière et pratique, il enseigne tout en amusant. Il nous a semblé qu’une adaptation de cet ouvrage plairait au public français à condition de le compléter sur certains points et de l’augmenter de divers chapitres concernant tant le ski lui-même, que les sports d’hiver en général. C’est ce travail que nous présentons aujourd’hui et nous espérons qu’il offrira quelque intérêt à tous ceux qui, de près ou de loin, se passionnent pour ces exercices. Nous sommes heureux de remercier ici tous ceux qui ont bien voulu nous aider dans nos recherches, nous éclairer de leurs conseils et qui nous ont si obligeamment communiqué de précieux documents. Nous citerons en particulier M. Léon Auscher, Président du Comité de Tourisme en montagne du Touring Club Français, M. le Docteur Meillon, de Cauterets, MM. Bachmann, de Travers, ainsi que M. de Conninck, qui nous a, avec tant de bonne grâce, fait les honneurs de son usine de skis à Maisons-Laffitte. TAILING. Les moyens de communication ont pris, surtout de nos jours, autant d’importance en hiver qu’en été. Les villages des montagnes ne ressemblent plus à ces marmottes dont la vie parait s’enfuir presque totalement pendant la saison froide et qui attendent le printemps pour manifester leur vitalité. Dans ceux qui sont les plus éloignés de tout centre, les habitants veulent rester constamment reliés au monde extérieur, et c’est pourquoi, dans les pays que la neige recouvre périodiquement d’une couche épaisse, l’homme doit recourir à des procédés spéciaux pour se déplacer : en effet, la force sustentatrice de la neige est faible et la résistance qu’elle offre varie essentiellement avec son état. Il ne faut pas oublier d’ailleurs, qu’en supposant aux pieds une surface de 6 décimètres carrés, l’unité de surface subit, pour un individu de poids moyen (70 kilogrammes par exemple), une pression de plus de 10 kilogrammes et qu’à moins d’avoir été gelée ou tassée, la neige ne le supportera pas. Par suite, il a dû venir de bonne heure à l’esprit de l’homme l’idée d’augmenter sa surface portante et c’est de là que sont nés les divers systèmes permettant les déplacements sur la neige. Nous les classerons d’après la nature du moteur employé : moteur humain, moteur pesanteur, moteur animal, moteur mécanique. Le ski. Avec ses propres forces l’homme utilise la raquette ou les skis. En ce qui concerne ces derniers, nous laisserons le soin de leur étude à la plume alerte de M. Fendrich, dont la science se tempère agréablement d’une spirituelle fantaisie. Nous dirons seulement que le ski est RAQUETTES (Cliché Gruyer.) un long patin de bois d’une surface d’environ 48 décimètres carrés et dont l’unité de surface supporte par conséquent, dans le cas envisagé plus haut, un peu moins de 2 kgs. Il permet donc de se déplacer très facilement sur de la neige même molle, et il est l’outil parfait, tant pour le sport que pour le tourisme et les besoins journaliers en pays de neige. La Raquette — La raquette a été connue en France — bien avant le ski ; on l’employait exclusivement, il y a une dizaine d’années, soit dans l’armée, soit dans les populations des Alpes. Une raquette se compose d’un cadre de bois de forme variable avec les régions, et supportant un réseau de cordes sur lequel le pied se pose et se fixe. Le poids du corps est alors réparti sur une surface assez grande mais discontinue. La neige peut arriver à le supporter après s’être quelque peu tassée. On enfonce donc, la marche s’effectue les jambes écartées et avec de si sérieux efforts que, dans une excursion en raquettes sur de la neige molle, l’homme de tête doit être relayé presque tous les cent mètres. De plus, on avance très lentement et, par un temps de bourrasque, il devient à peu près impossible de continuer sa route. RAQUETTES CANADIENNES. (Cliché Neurdein frères) La neige pénètre dans les yeux, on ne peut distinguer aucun point de repère au milieu des tourbillons blancs et même on devient incapable de se rendre compte, à la vue, du sens de la pente sur laquelle on se trouve. En ski, du moins, on possède toujours, en pareil cas, un guide précieux : la pesanteur, qui vous entraîne en une glissade légère, continue et sans aucun effort dans le sens de la pente. On voit déjà les avantages importants du ski sur la raquette : rapidité, économie des forces, sécurité plus grande. Il nous est arrivé un jour de rencontrer en montagne un chasseur alpin en raquettes qui remontait rejoindre son poste. Nous étions cinq skieurs le précédant. Bien que n’enfonçant nullement, nous faisions tous nos efforts pour tasser la neige et diminuer ainsi l’effort de notre compagnon de route. Ce fut inutile ; il enfonçait malgré tout jusqu’aux genoux et, pressés que nous étions, nous dûmes le dépasser au bout de peu de temps. L’équipement nécessaire pour la raquette est en somme le même que pour le ski ; cependant une seule canne suffit, à condition d’être assez résistante. Il ne faut pas conclure de tout ce qui précède que la raquette doive être absolument rejetée. Elle peut avoir encore son utilité, même concurremment avec le ski, dans certains passages difficiles ou l’encombrement des patins de bois devient un véritable danger. Nous verrons aussi, dans un autre chapitre, qu’au point de vue militaire leur emploi n’est pas non plus à dédaigner. Dans certaines régions, on a adopté la raquette canadienne, variante de la précédente. Elle en diffère en ce qu’elle est placée sur un ski très petit. Cette disposition a pour but de rendre possibles de petites glissades en terrain favorable. Ces raquettes ont été longtemps employées par l’armée allemande, mais les progrès du ski les ont fait presque totalement disparaître. Les sports de la neige qui utilisent l’action de la pesanteur comme force motrice se rangent, d’une façon générale, dans la catégorie du tobogganing. Les instruments sont la luge, le skelelon, le toboggan et le bobsleigh ou bob, pour ne citer que les plus en faveur. Le principe de ces sports est des plus simples et a été utilisé déjà dans l’antiquité. Les historiens romains racontent, en effet, comment les troupes en marche dans les Alpes dévalaient des pentes neigeuses avec une grande rapidité, en s’asseyant simplement sur leurs boucliers. Plus récemment, les voyageurs qui traversaient le mont Cenis ou le Saint-Gothard en hiver, descendaient en Italie en se laissant simplement glisser, assis sur une peau de bœuf ou sur un fagot de bois. Ce mode de locomotion s’appelait la ramasse, et dans ses Mémoires, le général de Marbot raconte que pendant la guerre d’Italie Masséna eut recours à ce stratagème pour déjouer les plans de l’ennemi. Il est, du reste, encore en usage dans l’armée suisse. Ces moyens rudimentaires ont été peu à peu perfectionnés. Ils ont été les points de départ d’un certain nombre d’appareils que nous allons étudier. Les plus connus sont la luge de Davos, qui date de 1883 environ, époque des premières courses régulières, et le skeleton, venu du Canada vers 1887. Quant au bobsleigh, il mérite une place à part. La luge. — La luge se compose essentiellement d’une plate-forme rectangulaire montée sur des patins ferrés et relevés à l’avant. Il existe deux espèces bien distinctes de luges : la luge de Davos, haute, légère, à patins larges, et par conséquent destinée à parcourir des pistes neigeuses ; la luge Hammer, basse, lourde, à laquelle on adapte des patins plats ou arrondis selon qu’on se trouve sur une piste neigeuse ou glacée. La luge de Davos. — La luge de Davos a, en principe, les dimensions suivantes : hauteur, 30 à 35 centimètres ; largeur 35 centimètres. Quant à la longueur, elle dépend du nombre de places dont on veut disposer et ne dépasse guère 1 mètre. Sa légèreté et la largeur de ses patins (3 à 4 centimètres) lui permettent de parcourir sans trop enfoncer les routes couvertes de neige. La conduite de cette luge n’est pas très difficile, mais elle exige un certain apprentissage. On peut observer trois méthodes différentes : 1o Le lugeur, placé à l’avant, pose l’un ou l’autre pied sur le sol, plus ou moins longtemps : il produit ainsi des virages plus ou moins brusques et plus ou moins longs dans la direction du pied qu’il fait agir. En les appuyant simultanément il possède un moyen de freiner et de s’arrêter au besoin. Cette méthode est la meilleure pour conduire une luge. Elle est la plus sûre et la plus précise pourvu que l’éducation du pilote soit bien faite et que l’équipe, s’il y en a une, suive toujours avec ensemble les mouvements de l’appareil et s’incline dans les virages pour les faciliter et éviter un dérapage. D’une façon générale et afin d’obtenir la plus grande vitesse possible, il est bon que les lugeurs se penchent fortement en arrière ; ils diminuent ainsi la résistance de l’air formant un frein d’une puissance qui ne peut être négligée. Il est bon, de plus, surtout si la piste est molle, que le poids de l’équipe soit porté le plus en arrière possible, ainsi que dans un canot, dont on cherche de la sorte à relever l’avant pour obtenir la plus grande vélocité. Le pilote peut arriver à une précision plus grande dans sa direction s’il garnit ses pieds de patins ou de forts crampons : mais de cette manière il risque davantage une foulure ou un accident. 2o Le pilote tient en mains deux cannes ferrées et les utilise comme il vient d’être dit pour les talons. S’il n’a qu’une canne, il la place, suivant les besoins, à droite ou à gauche. L’arrêt ne se fait cependant qu’avec l’aide des pieds. Ce procédé, moins puissant que le précèdent, est encore très bon et très recommandable, surtout sur une piste verglassée ou l’appareil obéit au plus petit effort. Mais si le lugeur est seul, il a peu de prise sur son appareil, puisque ses mains sont occupées et il s’y maintient difficilement quand la piste est cahoteuse. S’il conduit une équipe, il peut du moins se faire maintenir par celui qui le suit. 3o Enfin on utilise parfois des luges dites « perfectionnées ». Elles peuvent être munies, entre autres dispositifs, de petits freins latéraux mus à la main. Ces freins, très pratiques pour l’arrêt, ne permettent pas, étant donné le faible bras de levier avec lequel ils agissent, une conduite aussi précise qu’avec les méthodes précédentes. Nous ne parlerons pas ici de l’équipement nécessaire aux lugeurs, ni des soins à donner aux appareils. Ces questions se poseront un peu plus loin, au sujet du bobsleigh, ou elles sont de la plus grande importance. Le sport de la luge est des plus agréables et des plus hygiéniques ; il excite l’ardeur de ses adeptes qui sacrifient volontiers à une descente rapide et joyeuse les efforts nécessaires à une longue remontée. D’ailleurs l’appareil est léger, facile à traîner, derrière soi. LUGE DE DAVOS. — UN VIRAGE EN BOB. (Cliché Decaux.) Si on pratique ce sport avec quelques camarades et par un beau soleil ou même par un de ces lumineux clairs de lune que connaît la montagne en hiver, on ne regrette jamais, en se laissant glisser légèrement et sans peine, l’ascension un peu pénible parfois qui en fut la condition indispensable. Dans certains centres sportifs, particulièrement outillés, le funiculaire se charge de tout le travail pénible de cet exercice, mais un tel auxiliaire n’est guère à recommander, car, en toutes choses, l’effort est trop précieux pour être négligé aussi légèrement. N’ôtons pas aux roses leurs épines ! La luge n’est pas seulement un instrument de sport, elle peut aussi avoir une véritable utilité. Quand il s’agit de descendre une route couverte de neige, la luge est un moyen de locomotion pratique et rapide. Il est des plus employés dans les Alpes où les habitants, en particulier les écoliers, dévalent en quelques minutes des hauteurs vers le fond des vallées, puis reviennent, le soir venu, trainant leur léger véhicule, chargé ou non, avec une sage lenteur. L’administration des Postes et Télégraphes a même fourni, à titre d’essai, des luges à quelques facteurs qui, leur tournée faite à pied ou à ski, regagnent leur foyer par ce procédé plus commode. L’usage de la luge par les cantonniers devient aussi des plus fréquents et rend de précieux services. Nous citerons une application intéressante de la luge : la ville de Briançon est reliée aux forts qui l’entourent par un câble soutenant et tirant une benne chargée de transporter les approvisionnements. Le personnel de certains de ces forts, situés a plusieurs centaines de mètres au-dessus de la ville, met, avant de monter, ses luges dans les bennes et parcourt ainsi au retour, en quelques minutes, une différence de niveau qu’il avait mis près d’une heure a gravir. La luge Hammer. — La luge Hammer est, plus que la luge de Davos, LUGE HAMMER. un pur instrument de sport. Son poids et sa forme contribuent à lui donner une grande rapidité, et la position de son centre de gravité, placé fort bas, la rend très stable, même sur les mauvaises pistes. D’ailleurs, on facilite sa course, suivant l’état du terrain, en modifiant convenablement ses patins. On peut lui adapter, en effet, soit ceux des luges de Davos, plats et aptes à glisser sur la neige, soit des patins en forme de barres cylindriques qui augmentent considérablement sa vitesse sur les espaces glacés où le besoin d’une large surface de sustentation se fait moins sentir. Sa forme est celle indiquée sur le croquis ci-dessus. Il faut ajouter que l’arrière se termine en fortes pointes dont nous expliquerons plus loin l’utilité ; en outre, une barre transversale, placée à l’avant, donne au lugeur une forte prise. Celui-ci s’assied le plus en arrière possible, tenant la barre d’une main, l’extrémité du siège de l’autre. Il est ainsi plus maître de sa luge et jouit d’une plus grande stabilité. La direction s’obtient avec les pieds, comme pour la luge de Davos. Quant à l’arrêt et au freinage, rendus indispensables par suite de la vitesse, on peut les obtenir en soulevant, au moyen de la barre transversale, l’avant de la luge qui, ainsi, fait mordre plus profondément les pointes arrière. Pour obtenir un arrêt plus brusque encore, on peut, d’un vigoureux effort, soulever un côté de la luge et la placer en travers de la pente. L’arrêt est net, mais, si le mouvement n’est pas exécuté avec une très grande précision, la course se poursuit en biais sur la piste et l’on se précipite à toute vitesse contre l’obstacle que l’on voulait précisément éviter. Tandems. — Nous avons vu que la conduite d’une luge unique exigeait des contacts plus ou moins prolongés avec le sol. Il existe une façon de ne pas user de ce procédé qui a pour effet de réduire la vitesse des appareils : c’est de les coupler. 1o Des lugeurs s’assoient chacun sur une luge ; l’équipier avant saisit les jambes du deuxième, qui lui-même se maintient en arrière de son appareil a l’aide de ses mains, comme s’il était isolé. Dans ce cas, c’est le premier qui est chargé de la direction, mais ses mains sont toujours occupées et, sur une piste un peu cahoteuse, il est sage qu’il s’attache à son siège. Cette précaution peut être dangereuse aussi, surtout si les luges elles-mêmes sont attachées entre elles, comme il arrive parfois. Supposons qu’il faille virer à droite. Il faut faire naître un angle entre les axes des deux luges de sorte que celui de la deuxième passe à gauche de celui de la première. Il est très facile d’obtenir ce résultat. L’équipier avant tire à lui la jambe droite de son compagnon. Bien entendu, le mouvement inverse produira un virage à gauche. Le rôle de l’équipier arrière a son importance ; il doit éviter SCHÉMA D’UN VIRAGE EN TANDEM DE LUGES. les dérapages et les à-coups. Son rôle est le même, à peu de chose près, que dans le tandem perfectionné qu’est le bob, et nous le retrouverons à ce moment. Lorsque, sur une piste glacée, l’arrière sent sa luge déraper par trop, il en soulève la partie antérieure et se laisse entraîner sur l’extrémité postérieure des patins. Un peu de vitesse se perd ainsi, il est vrai, à cause du frottement, mais le dérapage eût été un inconvénient bien plus grand si la vitesse et la direction avaient été moins régulièrement assurées. 2o Dans la position dite en crapaud, les deux équipiers, au lieu d’être assis, sont couchés sur leur luge, et c’est à l’arrière, tenant les jambes ou la luge de l’avant, qu’est dévolue la direction. Les principes sont d’ailleurs identiques à ceux indiqués précédemment. Dans ce procédé, l’arrêt est peu commode, le danger par suite assez grand. Les deux équipiers peuvent cependant, si c’est nécessaire, soulever leur luge sur l’arrière des patins et freiner assez vigoureusement. Dans tous les cas, le démarrage est l’œuvre de l’équipier d’arrière, qui imprime l’élan et se place sur son appareil au moment propice. Le Tailing. — Le tailing est à la luge ce que le skijöring est au ski. Ce sport consiste à remplacer le moteur pesanteur par un moteur animé (cheval attelé ou non à un traîneau, par exemple), pour effectuer des trajets en plaine où la luge ne pourrait avancer d’elle-même. On peut ainsi entraîner un certain nombre de luges à une ou plusieurs places sans grand effort. La vitesse atteinte par ce moyen de locomotion n’est jamais très grande (une dizaine de kilomètres à l’heure) et, par suite, il n’y a jamais à prendre de positions pénibles ni à s’inquiéter de l’équilibre. C’est, en somme, une variante du traîneau. Cependant, lorsque plusieurs luges sont entraînées les unes derrière les autres, il peut se produire des à-coups surtout dans les virages et les descentes, sans nulle gravité d’ailleurs, et c’est un des côtés amusants de ce sport. SKELETON. Le skeleton. Le skeleton est une luge très basse et assez longue sur laquelle on se couche à plat ventre. Une barre transversale, placée à l’avant, permet de se maintenir solidement sur l’appareil et même d’agir sur lui. La vitesse obtenue peut devenir assez considérable, étant donné que, d’une part, le centre de gravité est très bas, et que, de l’autre, la résistance de l’air s’exerce sur une surface très réduite. On peut diriger un skeleton de deux façons bien distinctes et avec assez de facilité : mais l’arrêt n’est jamais aisé. 1o Le lugeur garnit la pointe de ses pieds de forts crampons ou de patins, et c’est en appuyant sur le sol l’un ou l’autre qu’il vire à droite ou à gauche. 2o Une deuxième façon de diriger un skeleton, sans toucher le sol, est d’y joindre à l’avant une deuxième luge reliée à la première et qu’on dirige avec les mains par un volant. Cette combinaison permet des vitesses plus fortes. TOBOGGANISTES ET SKIEURS CANADIENS. (Cliché Neurdein frères.) Il faudrait tout un chapitre pour citer les différentes variétés de luges qu’on trouve dans les régions montagneuses et chez les fabricants. Nous citerons cependant un type intéressant qu’on voit souvent dans la région de Chamonix : la girouette. C’est une luge à un seul patin médian, sur laquelle les montagnards descendent les pentes avec une grande habileté. Le toboggan. — Ce mot, d’origine canadienne (tobaakun) désigne un assemblage de planches relevées à l’une de leurs extrémités. L’instrument habituel est long d’environ 2 mètres, large de 10 centimètres, et des barres longitudinales ou transversales permettent de s’y maintenir avec solidité. On s’y couche à plat ventre et on se laisse dévaler du haut d’une pente neigeuse. La large surface d’appui qu’il offre permet de se lancer partout ; cependant, comme les moindres, ressauts du terrain lui font faire un bond, on a tracé, dans les régions où l’on pratique ce sport, des pistes moyennement tourmentées, où la direction ainsi que les virages sont largement facilités. Le toboggan subit en effet difficilement une action de celui qui le monte et est par suite à peine un sport. On obtient cependant une modification sensible dans la direction en appuyant convenablement l’un ou l’autre pied sur le sol, ou bien encore en soulevant l’appareil en partie à l’aide des barres transversales qu’il comporte. Sur un toboggan peuvent prendre place plusieurs équipiers. Dans ce cas les premiers seuls sont assis, le dernier est couché et maintient la direction. Il peut aussi diriger l’appareil en maniant une canne ainsi qu’on fait d’une godille dans un canot, mais cette méthode est peu employée. Le bobsleigh. — En 1887, aux courses de Davos, on introduisit l’usage de deux luges couplées reliées par un volant et permettant la direction de l’appareil sans contact avec le sol, par suite sans réduction de vitesse. Ce système rudimentaire fut perfectionné en 1903 par un ingénieur français de Leysin, M. Roessinger, qui est le véritable créateur du bobsleigh que nous connaissons et avec lequel il gagna toutes les courses de luges à cette époque. Un « bob » se compose, en principe, des deux luges sur lesquelles est montée une plate-forme. La luge d’avant est complètement mobile autour d’un axe muni d’un volant qui permet sa parfaite direction. Celle d’arrière n’est mobile autour d’un axe vertical que dans de certaines limites, par suite des glissières qui la relient à la plate-forme. Nous compléterons cette description sommaire en indiquant les portants, destinés à soutenir les pieds des équipiers qui ne doivent jamais toucher le sol, et les barres d’appui latérales, qui leur permettent de se maintenir solidement sur l’appareil dans toutes les positions exigées par la course. L’appareil possède deux freins, variables suivant les modèles et l’état de la piste. Enfin les bobs soignés comportent un pare-neige en toile, tendu sous l’appareil, qui évite aux équipiers les éclats de glace ou de neige violemment projetés de tous côtés, surtout au moment du freinage ; des coussins sont fixés sur la plate-forme, dont les ressauts sont amortis d’ailleurs au moyen des ressorts que rendent indispensables les à-coups formidables d’un appareil lancé à une vitesse de 90 kilomètres à l’heure sur une piste insuffisamment polie. LES TROIS PARTIES D’UN BOB : DEUX LUGES ET UNE PLATE-FORME. (Cliché Bachmann frères, à Travers.) L’équipement nécessaire pour ce sport ne diffère guère de celui des autres sports d’hiver en général. Il faut des vêtements chauds. Il est bon de garnir de cuir le pantalon à l’emplacement des genoux, ainsi que la partie intérieure des gants. Il est prudent aussi d’emporter sur le bob une veste qu’on peut mettre sur soi à l’arrivée, de porter des lunettes de mica, moins dangereuses que celles de verre en cas de chute, et de garnir sa tête d’un casque de cuir bouilli en prévision de la même éventualité. Enfin, si l’on craint les crampes, on peut faire une ligature, à l’aide d’un mouchoir, aux cuisses et aux poignets. Le bob permet de très grandes vitesses. Aussi est-il construit avec une très grande précision et ses pièces, calibrées au dixième de millimètre, peuvent elles être facilement interchangées en cas de besoin. En particulier, les patins doivent être rigoureusement parallèles, sous peine de voir les facultés de l’appareil notablement réduites. Les pistes de bob, car il y a des pistes spéciales soigneusement construites, peuvent être couvertes de neige molle ou de verglas. Dans chacun de ces cas, ainsi que nous l’avons vu à propos de la luge Hammer, le ferrage devra être approprié et on devra adapter à l’appareil soit des patins plats, soit des tringles rondes. Toutes les parties du bob exigent un entretien minutieux. UN BOBSLEIGH ÉQUIPÉ. (Cliché Bachmann frères, à Travers.) Les parties en bois sont graissées à l’huile de lin ou avec la graisse dont on se sert pour les skis ; les parties métalliques sont enduites de pétrole et les patins méticuleusement polis, la moindre piqûre modifiant leur faculté de glissement. D’ailleurs, une équipe soigneuse a toujours sous la main un outillage léger et commode en cas d’urgence. Il ne faut pas oublier que pour qu’un bob, de même qu’une luge ou des skis, rende de bons services au moment voulu, il faut qu’il soit surveillé et entretenu, non seulement pendant la saison d’hiver, mais encore pendant le reste de l’année. Nous avons dit que le bob était un instrument de vitesse. Il doit cette qualité à sa construction d’abord, et aussi au poids dont on le charge, c’est-à-dire aux équipiers. Ceux-ci sont au nombre de quatre en général, et le bob pèse alors environ 400 kilogrammes. Ils peuvent aussi être parfois au nombre de six, ou même de trois quand la neige est molle. L’équipier avant est chargé de la direction de la luge avant sur laquelle il agit soit au moyen d’un volant, soit au moyen de deux poignées qu’il tient dans chaque main. L’arrière dirige la luge arrière, qu’on n’a pu rendre absolument solidaire de la première à cause des efforts considérables qu’elle aurait eu à supporter dans ce cas. Si le rôle de l’avant est des plus importants, s’il lui faut de l’audace, de la décision, du coup d’œil et de la vigueur, l’arrière doit suivre les mouvements du bob et les faciliter en rétablissant l’équilibre de la luge arrière, qui parfois fait des bonds de 20 à 30 centimètres ou se dresse sur un seul de ses patins, ou dérape exagérément. Pendant la course, en effet, le bob bondit, saute et il est impossible d’imprimer une direction rigoureuse à une telle masse MODÈLES DE FREINS POUR BOB. (Cliché Hachmann frères, à Travers.) animée d’une telle vitesse. Le rôle des pilotes avant et arrière est donc de faciliter les mouvements désordonnés de ce véritable bolide et de les diriger. On comprend ainsi la fréquence et même le danger des chutes, surtout au cours des virages brusques que présentent les grandes pistes. Les deux équipiers dont nous venons de parler sont aussi chargés de manier les freins. Les freins actuels des bobs sont assez puissants pour donner toute sécurité. Celui que l’équipier arrière manie au moyen d’un levier est composé d’une pièce métallique dans laquelle sont encastrées des dents métalliques, elles aussi, et en forme de dents de scie ou de dents de herse. L’avant a à sa disposition un frein analogue mû au pied. L’un et l’autre doivent être peu utilisés. En effet, les freins réduisent la vitesse, si importante en bob, et détériorent la piste ; ils ne doivent servir que lorsque des virages brusques et peu relevés exigent une grande prudence de la part du capitaine. Ce dernier, d’ailleurs, n’agit sur le sien que lorsque celui de l’arrière est insuffisant. En général, l’équipe doit faciliter la vitesse en offrant le moins de surface possible à la résistance de l’air. C’est pourquoi l’avant se penche en avant, les autres en arrière. LA MONTÉE D’UNE ÉQUIPE DE « BOBSLEIGH ». (Cliché Tairraz.) La répartition sur le bob doit être faite convenablement par rapport au poids des équipiers. Autant que possible le poids de ceux-ci doit augmenter de l’avant à l’arrière, cependant il peut être bon que l’équipier arrière soit un peu plus léger que celui qui le précède immédiatement. Dans les virages, les équipiers se penchent plus ou moins fortement vers le centre de la courbe, un bras étendu, pour déplacer autant que possible leur centre de gravité, l’autre bras saisissant fortement la barre latérale dont nous avons parlé. Ce mouvement se fait généralement en éventail, c’est-à-dire successivement par chaque équipier, l’arrière restant juge de sa position pour régulariser le mouvement. Il peut arriver que le terrain devienne presque horizontal ou moins glissant et que le bob ralentisse considérablement son allure. Dans ce cas, ou bien l’équipier arrière court derrière lui en le poussant, ou bien l’équipe « bobbe ». Cet exercice consiste à porter lentement le corps très en arrière puis à le ramener d’un coup sec en avant. Il est fait un fréquent usage de ce mouvement d’ensemble. Les pistes actuelles de bob sont particulièrement soignées, étant données les vitesses qu’on atteint normalement dans les courses. Elles s’étendent sur des longueurs pouvant varier entre 1 200 mètres et 4 kilomètres et présentent de nombreux virages très convenablement relevés. Une équipe doit, pour effectuer un parcours rapide et sûr, étudier à pied la piste avant de la parcourir en bob et reconnaître les points dangereux. La descente terminée, le bob est trop lourd pour pouvoir être traîné par l’équipe. Aussi des chevaux, des mulets, des funiculaires, le hissent-ils en haut de la piste qu’il s’agit de parcourir, et souvent de véritables trains de bob sont remontés ensemble, laissant simplement aux « bobistes » le soin de regagner à pied leur point de départ. Le traîneau — Dans les régions montagneuses, comme les Vosges et les Alpes, on utilise depuis très longtemps et encore aujourd’hui le « schlitten ». C’est une sorte de luge aux larges patins de bois, munie à l’avant de brancards recourbés qui rendent plus facile soit sa traction, soit son freinage. On l’utilise en hiver, et même pendant la belle saison, pour descendre du haut des montagnes, soit les récoltes, soit des matériaux divers. Le traîneau a été, au début, une simple modification du schlitten : on a remplacé les brancards recourbés par des brancards ordinaires, on y a attelé un renne, un cheval, un âne, un mulet. Telles furent les origines du traîneau actuel. Cette invention, des plus précieuses pour les populations que la neige bloque dans leurs villages pendant de longs mois, semble des plus simples et des plus naturelles. On croirait qu’elle s’est faite à peu près simultanément dans toutes les régions régulièrement « enneigées », ou que, tout au moins, partout où il y a la neige, le traîneau existe, et depuis de longues années. Il n’en est rien, et, à part quelques régions privilégiées des Alpes et des Vosges, on ignorait en France, tout récemment encore, son usage. TRAÎNEAU ALPIN TRAÎNANT DES SKIEURS. (Cliché Tairraz.) Depuis deux ou trois ans, cependant, il se créé sous l’influence de puissantes organisations un mouvement très important de tourisme d’hiver, et de grandes caravanes parcourent maintenant des régions autrefois désertes. Des traîneaux étaient indispensables aux organisateurs de ces Semaines d’Hiver, mais il était impossible d’en trouver dans certaines régions. Nous citerons un fait tout récent et des plus significatifs. Lorsque le T. C. F. organisa sa Semaine d’Hiver dans les Pyrénées, il n’existait pas de traîneaux dans le Sud-Ouest de la France, si surprenant que ce fait puisse paraître. Il dut en faire fabriquer et résolut de profiter de cette occasion pour implanter ce moyen de transport dans cette région. Il fallut montrer d’abord aux montagnards « qu’un cheval pouvait traîner sur la neige ou sur la glace un véhicule sans roues », et cela sans la moindre difficulté. L’expérience se fit au grand étonnement des populations et les loueurs de voitures acceptèrent le paiement, sous forme de traîneaux, de la location de leurs chevaux et de leur personnel pendant la durée de l’excursion. D’ailleurs les différentes étapes se firent ainsi beaucoup plus vite qu’on n’a coutume de les faire, même durant la belle saison, et des chemins inabordables aux voitures furent facilement parcourus par les traîneaux de la caravane. Il est permis d’espérer que désormais le traîneau acquerra bien vite son droit de cité dans les régions encore nombreuses qui ignorent ce moyen pratique de transport en hiver, et qu’il régnera partout où il y a de la neige, de même qu’il règne depuis de longues années déjà dans de nombreuses parties de la France et de l’Étranger. Les traîneaux ne peuvent, étant donné leur poids, se déplacer sur de la neige épaisse et molle ; on ne peut les utiliser que sur les routes où a passé le chasse-neige des Ponts et Chaussées chargé de faire la piste sur les voies de grande communication. Ils se composent essentiellement d’une caisse montée sur patins et dans laquelle se placent les voyageurs ou les marchandises à transporter. On y adapte des brancards auxquels s’attellent les animaux de trait. Le freinage se fait soit au moyen d’une chaîne qu’on enroule autour des patins, soit par une pointe métallique commandée par un levier et qui peut s’enfoncer plus ou moins profondément dans le sol. Ce traîneau schématique est susceptible de nombreuses variantes, depuis le traîneau luxueux, à la carrosserie soignée, qui repose sur de fins et élégants patins en fer forgé, jusqu’à l’humble caisse posée sur de larges patins de bois dans laquelle les paysans des Alpes placent ou du matériel, ou des bancs, selon qu’ils le destinent au transport des marchandises ou au transport des voyageurs. Entre parenthèses, lorsqu’on utilise ces traîneaux ou des traîneaux découverts quelconques, il est bon, étant donné la température extérieure, de se munir de couvertures très chaudes et de se protéger le corps et les jambes. En somme, le traîneau est une voiture dans laquelle les roues ont été remplacées par des patins ; aussi a-t-on cherché à rendre cette transformation commode. Il est facile de construire, pour chaque modèle de voiture, un système de patins qu’on peut en quelques minutes substituer aux roues lorsque la saison et le temps l’exigent, et il est sage de prévoir dans ce cas, pour les brancards, une fixation à ces patins, car à leur emplacement habituel ils fatigueraient trop les ressorts. Nous terminerons cette brève étude du traîneau ordinaire en indiquant un procédé assez pratique qui permet de parcourir sans difficulté les routes tantôt « enneigées, » tantôt boueuses, qu’on trouve au printemps. Le véhicule est muni de patins et d’une paire de roues qui peuvent, grâce à un simple levier, être mises en contact avec le sol, ou être relevées quand on arrive sur une étendue neigeuse. MOTEUR MÉCANIQUE Le traîneau automobile — L’idée d’utiliser les moteurs légers de l’automobile ordinaire à la traction des traîneaux n’est pas nouvelle. Mais la pratique a montré toutes les difficultés de cette application, et les résultats obtenus aujourd’hui sont encore médiocres. Dans le cours des dernières années plusieurs concours de traîneaux automobiles ont eu lieu. S’ils ont amorcé la voie dans laquelle doivent se diriger les inventeurs, ils n’ont cependant rien produit qui puisse être couramment appliqué et le docteur Charcot, en particulier, qui, dans son expédition du Pourquoi pas ? avait emporté un modèle spécialement étudié, n’a pu l’utiliser. Toutefois, pendant l’hiver 1910-1911, un traîneau automobile a pu fournir quelques parcours intéressants dans les Vosges, et il est fort probable que, d’ici peu d’années, ce véhicule connaîtra, dans la limite de son domaine, le développement rapide qu’ont connu la voiture et le canot automobiles. Nous nous bornerons ici à exposer sommairement, et à titre documentaire surtout, les résultats obtenus. Tandis que, dans un traineau ordinaire, le moteur et le tracteur sont confondus, dans le traineau automobile, au contraire, ces deux éléments sont nettement séparés. Le moteur employé doit être un moteur léger, en général un moteur d’automobile à explosion. Il faut cependant modifier légèrement les dispositifs ordinaires de refroidissement ; AUTOMOBILE TRANSFORMÉE EN TRAÎNEAU. (Cliché Weick.) en effet, aux époques où peut fonctionner ce véhicule, l’air est assez froid pour pouvoir l’assurer à lui seul. D’ailleurs, l’eau, qu’on emploie ordinairement dans ce but, pourrait, en se congelant, détériorer l’appareil, et, si on veut employer un refroidisseur liquide, il faudra que celui-ci ne se congèle qu’à une température suffisamment basse. De ce que nous venons de dire il résulte aussi que l’ensemble du moteur, et en particulier le carburateur, doit être convenablement garanti contre le refroidissement extérieur, nuisible à son bon fonctionnement. En ce qui concerne le tracteur, il peut prendre son appui soit dans l’air, soit sur le sol. Dans le premier cas, on a utilisé l’hélice ou la turbine à air. Il existe différents modèles de ces systèmes. L’hélice employée doit être non pas tractrice, mais propulsive, à cause du courant d’air glacé qu’elle projetterait sur les voyageurs ; TRAÎNEAU AUTOMOBILE À HÉLICE. (Cliché Weick.) son diamètre doit être assez petit, d’abord pour que son encombrement soit faible et que, lors d’un croisement avec d’autres véhicules ou des passants, elle ne constitue pas un danger, ensuite afin que la distance qui sépare le centre de gravité de l’appareil et le centre de traction ne soit pas trop grande et ne rende pas trop instable son équilibre. Une turbine ne présente pas à priori ces inconvénients et paraît devoir donner de bons résultats. Il est impossible d’ailleurs de dire quelque chose de précis à ce sujet, les essais dont elle a été l’objet ayant été plutôt théoriques que pratiques. Dans la deuxième catégorie, ce sont des roues à palettes, de nature variable, qui produisent la traction. On a cherché, dans cet ordre d’idées, à construire des traîneaux qui puissent facilement se transformer en voiture et réciproquement. La solution la plus simple de ce problème est la suivante : On garnit les roues arrière — les roues motrices — de chaînes gourmettes dont l’action sur le sol produit un effort assez considérable et on fait reposer la voiture elle-même sur deux paires de patins fixées respectivement sous les roues avant et le long des roues arrière. TRAÎNEAU AUTOMOBILE À TURBINE (EN COURS DE CONSTRUCTION). (Cliché Rol.) Un dispositif spécial permet, pour cette dernière, de modifier son niveau par rapport à celui des roues motrices suivant l’état de la neige. Ce système a donné d’assez bons résultats. Il en a été essayé un autre qui offre les caractéristiques suivantes : les roues sont remplacées par des patins et la traction s’effectue au moyen d’une roue à palette que le moteur actionne quand les roues sont inutilisées. Mais on a pu constater que ce dernier procédé a pour effet de dégrader les pistes beaucoup plus que les autres. Quel que soit le traîneau employé, il peut être nécessaire de freiner. Dans ce but on emploie, afin d’augmenter la stabilité, surtout dans les virages, deux pointes métalliques placées de part et d’autre de l’appareil et en arrière ; elles sont commandées par des leviers. Ainsi que nous l’avons dit au début de ce chapitre, les résultats obtenus par les traîneaux automobiles sont encore médiocres, et en particulier le démarrage et les montées, même modérées, offrent des résistances qu’ils sont encore à l’heure actuelle à peu près incapables de vaincre. Nous sommes persuadés, malgré tout, que la traction automobile ou hiver est loin d’avoir dit son dernier mot. EN FRANCE Les régions de la France où se pratique le tourisme d’hiver sont les Vosges, le Jura, les Alpes, les Pyrénées et le Massif Central. Dans ces diverses contrées, on peut, bien entendu, s’installer n’importe où et y excursionner dans des conditions matérielles parfois favorables, parfois rudimentaires. Il faudrait, si l’on voulait indiquer toutes les stations de villégiatures hivernales, une géographie complète. Aussi nous bornerons-nous à des considérations générales, en nous réservant le soin de donner des indications sur les centres les plus fréquentés, ceux qui sont spécialement aménagés, tant au point de vue des hôtels que des pistes, ceux enfin où l’initiative locale a fait le plus d’efforts. Les Vosges. — Les Vosges offrent en hiver de merveilleux champs de sports. Elles comprennent une région montagneuse couverte de bois de sapins aussi beaux en hiver qu’en été. De nombreuses habitations, qui peuvent à l’occasion offrir un abri précieux, y sont parsemées. Enfin des pistes soigneusement jalonnées permettent en toute saison de les parcourir sans difficulté. Les buts d’excursions les plus connus, la Schlucht, le Donon, le Ballon d’Alsace, sont des plus fréquentés et peuvent être atteints avec facilité des divers centres : de Saint-Dié, de Remiremont, stations que la seconde Semaine d’Hiver du T. C. F. révéla pour ainsi dire aux touristes, de Belfort et de Giromagny ou, comme dans les villes précédentes, existent des Ski-Clubs fort actifs. Mais le centre véritablement organisé au point de vue du tourisme est Gérardmer où, grâce à son lac, se pratiquent en hiver tous les sports de la neige et de la glace. Gérardmer est situé à 700 mètres environ d’altitude et sa période d’enneigement est de trois à quatre mois. Le Jura. — L initiative locale a certainement fait des efforts en ce qui concerne l’aménagement du Jura, au point de vue du tourisme. Mais cette région, resserrée entre les Vosges et les Alpes, plus connues et plus fréquentées, trop proche de la Suisse, dont la renommée est si solidement établie, ne possède pas encore de centre bien organisé. On fait des sports d’hiver à Pontarlier, à Morez, à Saint-Claude, à Nantua, à Gex, à Champagnole, chef-lieu de canton qui pourrait devenir un centre des plus agréables. Le grand mouvement de visiteurs ne s’est toutefois pas encore manifesté et reste limité aux sportsmen des environs ; mais on peut espérer que sous peu le Jura, grâce à l’intérêt qu’il offre, acquerra lui aussi, avec tous les avantages et les agréments des sports de la neige, la richesse que crée pour un pays le mouvement de tourisme. Les lacs, nombreux dans la région, permettent d’ailleurs aux amateurs les sports de la glace les plus variés. Les Alpes. — Par rapport à leur grande étendue, les Alpes possèdent peu de centres de villégiatures d’hiver. Ceux qui existent sont, il est vrai, très fréquentés, soit par les étrangers, soit par les habitants des régions voisines. En Savoie, Chamonix et Aix, avec le Revard, sont des plus connus et leurs hôtels sont très visités depuis quelques années, aussi bien en hiver qu’en été. Chamonix, à 1000 mètres d’altitude, reçoit la neige pendant quatre mois ou quatre mois et demi. Des trains spéciaux mettent en hiver cette station en communication directe et rapide avec Paris et facilitent le parcours du trajet. Son organisation, au point de vue des hôtels et des moyens de locomotion, est des plus complétes ; ses ressources en excursions variées, soit a ski, soit en traîneau, justifient sa réputation et sa vogue. Depuis quelques années, Aix-les-Bains lui fait une concurrence des plus vives. LE DÉPART DU CONCOURS INTERNATIONAL DU MONT GENÈVRE (1907) (Cliché Rol.) La ville d’Aix, dont l’organisation au point de vue du tourisme est connue, est surplombée par le superbe plateau du Revard, situé à 1500 mètres d’altitude, auquel elle est reliée par Un funiculaire fonctionnant d’une façon permanente. Un hôtel est ouvert toute l’année depuis quelque temps dans cette dernière station. La durée d’enneigement est d’environ quatre mois, pendant lesquels on peut parcourir en tous sens soit le plateau du Revard lui-même, soit le merveilleux massif des Bauges situé à proximité. Le Revard est fréquenté non seulement par les étrangers mais aussi par les amateurs de la région de Lyon et d’une grande partie de la vallée du Rhône inférieur ; il acquiert chaque année plus d’importance. D’ailleurs, indépendamment de ces centres parfaitement outillés, d’autres villes offrent des ressources des plus appréciables. Ce sont Thonon et Evian, au bord du lac de Genève, puis Annecy, d’où l’on peut gagner les charmants villages de Thones et Faverges, puis encore Albertville avec Allondaz, ces dernières villes aux confins des Bauges. Plus au sud, les environs de Grenoble abondent en petites stations parmi lesquelles Saint-Pierre-de-Chartreuse, le Sappey, Monestier-de-Clermont où ont lieu régulièrement des concours de ski, de bob et de luge, Villars-de-Lans, Saint-Martin-d’Uriage, Vizille. Gap, Embrun et Briançon, dans les Hautes-Alpes, sont des centres des plus intéressants au pied des hauts sommets de la chaine. Briançon surtout est une station d’avenir par ses communications avec l’Italie par le col du mont Genevre, lieu du premier Concours International de ski en France, avec le Dauphiné par le col du Lautaret, avec la Maurienne par celui du Galibier. Cette ville est à proximité aussi des vallées si remarquables du Queyras et de Vallelouise, au pied du mont Pelvoux. Enfin tout près de la Côte d’Azur, ou l’on va en plein hiver chercher le soleil et les fleurs, les stations de Peira-Cava et de Thorenc, respectivement à quelques heures de Nice et de Cannes, offrent, dans un merveilleux décor, les sports d’hiver les plus variés. Les Pyrénées. La partie médiane des Pyrénées surtout offre aux Touristes des centres d’hiver importants et bien établis. Toutefois les portions orientales et occidentales de cette chaine, récemment conquises au mouvement touristique, offrent elles aussi un intérêt des plus sérieux, et le projet d’une route des Pyrénées ne peut être que favorable à leur développement. Le plateau de Capsir, les cols de la Casteillou, de Peyresourde et d’Aspin, la région d’Ossau sont très accessibles, soit de Mont-Louis d’une part, soit de Pau et de Saint-Jean-Pied-de-Port de l’autre, en comprenant les villégiatures intermédiaires de Luchon, Luz, Barèges, Bagnères-de-Bigorre, Eaux-Bonnes, Gavarnie, et enfin Cauterets. principaux centres de sports d’hiver. Cauterets (900 mètres d’altitude) est parfaitement organisé au point de vue des excursions et du séjour en hiver. On y accède commodément par des trains directs et nombreux qui fonctionnent d’une façon régulière. En traineaux et en skis des promenades nombreuses sont possibles, et, jointes aux exercices de bobs, elles font de ce séjour une des villégiatures hivernales les plus appréciées. Quant à Gavarnie (1250 mètres d’altitude), il est regrettable que les moyens de transport, trop rudimentaires en été comme en hiver, rendent le voyage assez pénible et le séjour dans cette station peu confortable. Pourtant ses champs d’exercices, où l’on trouve toutes les pentes désirables, boisées ou non, ses excursions variées dans un décor d’une majesté suprême, sont d’un attrait puissant et lui promettent, bien que peu fréquentée encore, un brillant avenir. Le Massif Central. — Quelque bizarre que cette opinion ait pu paraître il y a quelques années, et bien qu’encore aujourd’hui elle soit peut-être contraire aux idées généralement admises, il n’en est pas moins vrai que le Massif Central, avec les Cévennes, offre au ski un champ très important. À l’exception du Mont-Dore et du Lioran, les villégiatures hivernales proprement dites n’existent pas encore ; cependant les sports d’hiver se développent de jour en jour dans cette vaste région. Des Ski-Clubs existent et montrent leur énergique vitalité dans le Velay, au Puy, au pied du Mont Pilat et à Yssingeaux ; dans le Cantal, à Aurillac, à Murat près du Lioran ; dans les Monts de l’Aygoual, du Vivarais, à Saint-Agrève, enfin à Clermont-Ferrand, non loin du Puy-de-Dôme, et jusqu’à Saint-Étienne dans les Cévennes. Il est permis d’espérer que leurs efforts, joints a ceux des grandes organisations de tourisme, contribueront au développement sportif et économique d’une des régions les plus intéressantes de la France. Algérie. Nous terminons cette rapide étude en mentionnant, comme centre de sports d’hiver, la région de l’Atlas algérien ou les chutes de neige, parfois très abondantes, ont montré par expérience les services pratiques que peuvent y rendre les skieurs. À L’ÉTRANGER À l’étranger, les sports d’hiver sont pratiqués presque partout avec autant de ferveur qu’en France. Nous nous bornerons à esquisser ici l’étude de quelques régions de l’Europe intéressantes pour les touristes. Suisse. — La Suisse, patrie de l’industrie hôtelière, est une des premières à avoir mis à la mode les sports d’hiver et, actuellement, nombreuses sont les stations ou les étrangers se pressent pour pratiquer les exercices auxquels se prêtent la neige et la glace. Deux régions se spécialisent nettement par le nombre et le confort des installations hivernales. La première, autour de l’extrémité orientale du lac Léman, comprend : Leysin, Villars, les Avants, Caux, Château d’Œx, Mont-Pélerin, Champéry. La seconde dans les Grisons et la Haute-Engadine a pour centres Davos, Saint-Moritz, Pontresina. Elles sont reliées par l’Oberland bernois avec Adelboden, Grindelwald, Engelberg. Enfin les pentes suisses du Jura offrent quelques stations assez fréquentées. Autriche-Hongrie et Allemagne. — Les Alpes suisses, devenues si sportives en hiver, ne se limitent pas géographiquement à l’Engadine ; elles se prolongent jusqu’à Vienne et portent sur toute leur chaîne des stations bien organisées et des plus intéressantes. Ce sont : Bregenz, Egg, Saint-Valentin, Innsbruck, Kufstein, dans le Tyrol ; Zell am See. Kitzbübel, Salzbourg, Aussee, Murau, dans les Alpes Styriennes ; Toblach, Velden, Klagenfurth, Graz, dans les Alpes Carniques ; enfin Mürzzuschlag, Semmenng et surtout Lilienfeld, autour de Vienne. Nous tenons à citer aussi, surtout au point de vue historique, Laibach, dans la Carniole, limite de la neige dans l’Autriche méridionale. L’angle nord-ouest de l’Empire est limité par les Monts de Bohême, les Monts Métalliques et les Monts des Géants. Sur le versant autrichien de chacune de ces chaînes, et jusqu’à Prague, on trouve plusieurs stations hivernales, parmi lesquelles, nous nous bornerons à citer Linz, Kuschwarda, Manenbad et Carlsbad, Gablonz, Heidelberg. Terminons en disant que les Carpathes hongroises sont fréquentées par des amateurs de la région ou des environs, mais elles sont encore rarement parcourues par les touristes de l’Europe occidentale et nous ne nous y arrêterons pas. Le centre principal des sports d’hivers allemands est le Feldberg, dans la Forêt Noire. On les pratique aussi un peu dans le Taurus et sur les versants opposés à l’Autriche des Monts de Bohême, des Monts Métalliques et des Monts des Géants dont nous venons de parler, mais les étrangers préfèrent à ces contrées le Tyrol, la Suisse ou la Norvège, et elles offrent en définitive peu d’intérêt au tourisme d’hiver international. Suède et Norvège. — De nos jours, la rapidité et le confort des modes de locomotion sont tels qu’un voyage en Suède ou en Norvège n’est plus à redouter ; il est, au contraire, tout indiqué à ceux qui désirent se rendre compte par eux-mêmes des véritables ressources du ski, du patin, du traîneau. En Norvège, la région la mieux aménagée et qui, grâce à sa latitude, offre des terrains d’exercices permanents, été comme hiver, est celle qui s’étend entre Christiania et Bergen, et tout particulièrement le pays de Télémark. Plusieurs stations sont spécialement goûtées des touristes, et leurs hôtels, confortables et bien garantis du froid, y permettent Un séjour prolongé. Nous citerons Drammen, Finse (1200 mètres d’altitude) sur la ligne de Christiania à Bergen dont les points terminus offrent d’ailleurs des ressources inépuisables pour le tourisme d’hiver. C’est près de la grande ville de Christiania, en effet, que se trouvent le Holmenkollen, célèbre par ses concours de saut, le Voksenkollen, le Frognersæteren, le Solbergbakken. Enfin, vers le Nord, jusqu’en Laponie, s’espacent des stations dont les plus connues sont Gjovik, au bord du lac du même nom, Lillehammer, que ses concours de luge et de ski ont rendu célèbre, Trontheim et Tromsö. La Suède est moins accidentée que la Norvège, et par suite, nous intéresse moins : les sports d’hiver y sont pourtant pratiqués en particulier à Falun et à Rättvik que fréquentent les habitants de Stockholm et des grandes villes suédoises. départ d’une troupe de skieurs militaires (Cliché Rol.) Le premier ski date des temps préhistoriques ; il a dû, tout d’abord sous forme de branche grossièrement fixée aux pieds, soutenir le chasseur poursuivant dans le neige le gibier qui fuyait avec effort. Nous avons, sur les skis rudimentaires employés dans l’antiquité, témoignage de l’historien grec Xénophon qui, dans sa Retraite célèbre, en Asie Mineure, environ quatre cents ans avant Jésus-Christ, vit les peuplades de l’Arménie montagneuse attacher des sacs sous les pieds de leurs chevaux, lorsque ces derniers enfonçaient dans la neige jusqu’au ventre. Strabon raconte aussi que, vingt ans avant Jésus-Christ, les Arméniens employaient des disques contre l’enlisement dans la neige. Des instruments analogues sont encore partout employés dans les pays montagneux. L’inventeur du ski fut l’homme qui, sur de la neige gelée et le long d’une pente, commença à glisser malgré lui, et à qui, à la suite de cet événement, vint la pensée de faciliter la glissade en allongeant sa chaussure, en la garnissant par-dessous avec de la peau ou du bois et en l’incurvant à l’avant : il a transformé la marche en une glissade continue. En plaine, il avance par la poussée qu’imprime chaque jambe tour à tour, et il dévale des pentes avec aisance et légèreté. Ce que nous considérons aujourd’hui comme une transition très naturelle de la raquette au ski fut, dans l’histoire des peuples du Nord, une découverte des plus importantes, dont chacun des perfectionnements remonte bien avant dans le passé. Un des chapitres les plus intéressants de l’histoire du ski est celui qui étudie comment, étant donnée la forme primitive que nous ne connaissons pas exactement, l’esprit humain a créé, conformément aux climats, aux aptitudes du corps et à la matière première, l’étonnante variété de formes de skis connus, depuis les anciens patins norvégiens jusqu’aux skis de plaine suédois atteignant trois mètres de longueur, depuis les lourds patins de bois des Giljaques jusqu’à l’élégant ski de Telemark. Bien que la Scandinavie ne soit pas le pays d’origine du ski — on peut en toute certitude l’affirmer — c’est là pourtant qu’il prit son plus grand développement. Etant donné que dans la région des monts Altaï et autour du lac Baïkal, en Sibérie, il y a tous les ans, pendant de longs hivers, les champs de neige les plus profonds et les plus étendus du globe, on lui a attribué chacune de ces parties de la Sibérie comme son véritable pays d’origine. Cette théorie est séduisante : c’est seulement là où la lutte pour la vie presse le plus durement l’individu que doivent nécessairement se créer les inventions qui lui facilitent ses moyens d’existence. C’est ainsi que les habitants des espaces neigeux sibériens devaient arriver à la création et à l’usage du ski. De l’Asie septentrionale deux voies d’expansion pouvaient s’offrir. La première conduisait, par le détroit de Behring, aux Esquimaux de l’Amérique du Nord ; l’autre, par l’intermédiaire des Finlandais et des Lapons, vers la Suède et la Norvège actuelles. Pour les Lapons de la Norvège montagneuse, le ski est le vaisseau qui les conduit, aussi bien quand il s’agit de garder leurs troupeaux que quand il faut chasser les ours et les loups qui menacent leurs rennes. On ne peut pas plus se les représenter sans leurs skis que les Esquimaux du Groenland sans leur cajak, il n’est donc pas étonnant que dans les chansons de geste, les récits, la mythologie et les proverbes de ces pays, ils jouent un rôle important. Combien répandu a dû être le ski, pour que dans un ancien texte de loi norvégien, parvenu jusqu’en Islande, il soit dit que le proscrit doit être chassé aussi loin « que le Lapon s’éloigne sur ses skis » ! Dans les vieilles chansons héroïques du Xe siècle, on trouve souvent la jolie comparaison du glissement du bateau sur la mer avec la descente légère du ski. L’un des anciens Skaldes, Guthorn Sindre, appelle, avec une poétique audace, le vaisseau : « svanevangens ski » (le ski de la mer). Le ski était cher aux Norvégiens et les chansons populaires du XVIe siècle permettent de s’en rendre compte. Mais là où le ski n’était pas précisément une nécessité de l’existence, on constate des fluctuations dans son histoire car le fait qu’une invention est utile ne suffit pas pour y attacher l’homme d’une façon durable. On peut aussi appliquer au ski le vieux mot de Ben Akbas « que tout a déjà existé », et il est peu probable qu’au XXIe siècle le ski se pratique encore exactement comme aujourd’hui. Que les incrédules écoutent l’histoire des skieurs de la Carniole, dans la deuxième moitié du VIIe siècle. Ils avaient fait une « invention remarquable », ainsi que le rapporte l’historien Valvassor qui écrivit, à Laibach en 789, sur son pays, un in-folio en parchemin. Il s’agit des skis que les paysans des montagnes neigeuses de l’Autriche employaient sans doute de façon très habile. Bien qu’ils descendissent simplement les pentes avec un fort « bâton sous l’épaule » sur « deux petites planchettes épaisses d’un quart de pouce, large d’un demi-pied et longues d’environ cinq pieds, ils connaissaient cependant déjà très bien l’art des virages et ce qu’on appelle en norvégien « slalom ». En effet, « il n’y avait pour eux aucune montagne trop raide ou trop plantée de gros arbres qu’ils ne pussent traverser par ces moyens ; ils tournaient et ils viraient comme des serpents quand quelque obstacle les gênait dans leur trajet. La route était-elle libre, ils descendaient tout droit devant eux... » C’est ainsi que s’exprime Richard Valvassor dans son ouvrage sur La gloire du grand duché de Carniole. Telle est la première trace du ski dans l’Europe centrale. Elle fut complètement effacée dans le duché lui-même jusqu’à ce que le professeur Frischauf eût remis au jour l’ancien texte. Les écrivains de l’Europe méridionale n’ignoraient nullement, dans les premiers siècles de notre ère, que les Scandinaves allaient à ski. Le Grec Procope et le Goth Jordan savaient déjà que les Normands donnaient à leurs voisins les Finlandais et les Lapons le surnom de « Skridfinnen » (Skrida veut dire glisser). Déjà au XVIe siècle le ski était utilisé comme sport et non seulement comme moyen de transport. Olaus Magnus le prouve, en 1555, dans son ouvrage sur les peuples du Nord. Il y signale, en effet, dans un latin très confus, que des concours de skis furent organisés et que « des femmes aussi agiles que les hommes allèrent à la chasse par ce moyen ». Le sport norvégien du ski des temps modernes ne date cependant que d’environ quarante ans. Les citadins, en particulier ceux de la grande ville de Christiania, furent d’abord conquis au ski sportif lorsque les affaires, les exigences de la civilisation leur firent sentir la nécessité des exercices corporels. Les débuts furent là-bas, en 1870, à peu près aussi singuliers que dans la Forêt-Noire, dans le Mont des Géants ou dans le Harz. Ce fut seulement en 1879, lorsqu’un fils des paysans de Telemark, un jeune cordonnier, passa d’un saut vigoureux et élégant le tremplin du Iver Slökken, près de Christiania, que commença l’ère nationale du ski norvégien. « Ainsi qu’un météore, il tomba au milieu de la foule ébahie qui se tenait la comme ensorcelée... » « Les habitants de Telemark furent invités et vinrent aux courses de Christiania, les hourras montèrent aux cieux, l’air en trembla et les vieux arbres qui entourent le Husby Hugel en tressaillirent. » Ainsi écrit Huitfeld, qui était au nombre des spectateurs. Les chemins de fer et la poste n’apportèrent pas seulement la nouvelle du nouveau sport dans les montagnes de l’Allemagne du Nord. Des skieurs norvégiens y firent bientôt leur apparition. Mais les quelques individus de la Forêt-Noire, des Monts des Géants et de la Suisse, qui, tout d’abord, s’étaient attaché aux pieds les longues planches venues de Norvège, firent de bien piètres débuts. Vers 1890, on commença seulement à progresser lentement, très lentement. C’est alors que parvint aussi la nouvelle de l’expédition de Nansen à travers le Groenland avec des skis et, bientôt après, parut son ouvrage accompagné d’une histoire et d une technique du ski. UN TRAÎNEAU ATTELÉ EN TANDEM. (Cliché Tairraz.) L’influence des travaux accomplis par Nansen et de son ouvrage eut raison des hésitations qui subsistaient au sujet du sport nouveau. Un élan inouï se manifesta, qui parvint à son apogée lorsque des étudiants norvégiens, à Darmstadt, montrèrent dans la Forêt-Noire comment on peut utilement se servir des skis. Pendant longtemps, les skieurs de cette région furent à la tête du mouvement. Une école autonome, avec une technique particulière, indépendante des exemples norvégiens, se développa en Autriche, surtout dans les environs de Vienne. De nombreux groupements de skieurs ont formé des associations nationales et ils comptent actuellement près de 10.000 membres. Au mois de janvier et de février, presque toutes les semaines, il y a, sur les pentes couvertes de neige, des concours, des fêtes et des courses. Le ski est à la mode ; puisse-t-il devenir encore quelque chose de plus ! LE SKI EN FRANCE Le ski, introduit en Suisse et en Allemagne vers 1890, y atteignait vite un grand développement, en particulier dans la Forêt-Noire, non loin de la frontière française. En France, au contraire, son développement, comme celui des sports en général, fut tardif et lent. En 1878, pourtant, un Dauphinois, M. Duhamel, avait importé, pour la première fois, des skis en France et avait tenté, par son exemple, de développer dans les Alpes ce nouveau sport. Ses patientes démarches n’aboutirent, qu’en 1896, à la fondation du premier Club de Ski français, le « Ski-Club des Alpes ». Mais c’est à l’armée, en somme, que les populations des montagnes sont redevables de la vulgarisation de ce merveilleux instrument et de son succès. En 1901, en effet, un officier du 159e régiment d’infanterie, le lieutenant Clerc, en garnison à Briançon, créa la première École Régimentaire de ski. Ses efforts, joints à ceux d’officiers norvégiens envoyés en mission, portèrent leurs fruits. Il fallut, surtout dans les débuts, démontrer que l’on pouvait, sans équipement trop spécial, effectuer des randonnées partout et par tous les temps. De nombreuses marches faites durant cette période, avec des moyens rudimentaires et surtout une technique des plus sommaires, eurent pourtant pour effet de montrer aux troupes et aux alpinistes le parti qu’ils pouvaient tirer de ces appareils. Quant à la population montagnarde, elle regarda d’abord avec étonnement et méfiance ce nouveau mode de locomotion, si différent des raquettes habituelles. Mais les progrès devaient s’accentuer davantage, et cela grâce, en grande partie, au Club Alpin Français et surtout au Touring Club de France, à leur esprit d’intiative et à l’influence dont ils jouissent auprès des pouvoirs publics. CHASSEUR ALPIN APPRÉCIANT LA LONGUEUR D’UNE PAIRE DE SKIS PAR RAPPORT À SA TAILLE. (Cliché Branger.) Tout d’abord, on envoya à l’École Normale de Briançon, destinée uniquement à former des officiers skieurs, des représentants de l’armée des Alpes, puis des Pyrénées et des Vosges. Ce stage était des plus précieux pour eux. Ils devenaient capables de former des instructeurs qui, rentrés dans leurs foyers, répandraient parmi leurs compatriotes, avec le goût du ski, sa technique et ses procédés sommaires de fabrication. C’est, en effet, à l’atelier des Écoles de Briançon que furent faites les premières études permettant d’établir à prix réduit l’outil de précision qu’est le ski de Telemark et de contribuer, par cela même, à son expansion dans les régions les moins fortunées. À cette époque, les skis provenaient presque exclusivement de Norvège et étaient très coûteux. Le Touring Club de France subventionna l’École de Briançon et, par ses soins, un certain nombre de paires sortant de ses ateliers furent distribuées aux soldats libérés. Ces encouragements ne furent pas inutiles. Il se constitua des Clubs de ski dans les Alpes d’abord, puis dans les Pyrénées, puis en Auvergne, dans les Vosges et même, plus tard, en Algérie. Grâce a l’exemple donné par leurs membres, à une propagande intense faite sous le patronage du Club Alpin Français, ces clubs développèrent ce sport parmi les populations de leurs régions respectives. Dans les Alpes, en particulier, les enfants, eux-mêmes séduits, abandonnèrent leurs patins, leurs « carrosses » (sorte de luge très basse), utilisèrent des douves de tonneaux munies d’un simple étrier et s’exercèrent dans les champs couverts de neige à glisser et même à sauter. Ils ont formé une forte pépinière de jeunes gens souples et hardis qui arriveront sans doute sous peu à opposer aux champions norvégiens, jusqu’alors invincibles, de rudes adversaires. D’ailleurs en 1909, un jeune Français, Couttet, originaire de Chamonix, fut envoyé par les soins du Touring Club de France au Concours de Holmenkollen, en Norvège. Il est le premier Français qui ait pris part à cette redoutable épreuve où il fut très honorablement classé à l’épreuve de saut. Un premier Concours International eut lieu en mars 1907 au Mont Genèvre, dans le Briançonnais, avec la collaboration des troupes alpines de France et d’Italie. On y vit aussi quelques professionnels norvégiens. Ils furent étonnés des résultats obtenus par les troupes françaises, composées de jeunes gens ne connaissant le ski que depuis deux hivers au plus. Leurs belles performances, dues à l’énergie, la hardiesse et l’habileté légendaires du soldat français, émerveillèrent le célèbre champion norvégien Durban Hansen lui-même, qui vit l’École Régimentaire en tenue de campagne, sac au dos, avec une technique à peine supérieure à celle du début, accomplir des prouesses remarquables, dans un terrain particulièrement accidenté et rempli d’embûches. En somme, on peut dire que ce Concours fut un fait capital au point de vue du ski. Les Norvégiens y avaient enseigné, à des élèves attentifs et préparés à les comprendre, les vrais principes de la descente, la beauté du saut, l’emploi de deux cannes et l’usage et la pratique des Telemark et Christiania. Ce fut le point de départ d’une ère nouvelle en France, au point de vue de la doctrine. En 1908, le Touring Club de France créa des bourses de voyage pour les officiers des Alpes, des Pyrénées et des Vosges. Ceux-ci étudièrent en Norvège la technique et la fabrication du ski, et furent les véritables instructeurs en France. Depuis lors des Concours Internationaux sont régulièrement suivis chaque année ; d’autres, régionaux, comprenant des prix pour la fabrication des skis, sont de plus en plus nombreux et fréquentés ; des Semaines d’Hiver, organisées par le Club Alpin français et le Touring Club de France, entraînent nombre de citadins que les exigences de la vie actuelle retiennent trop souvent dans les villes pendant l’hiver. Indépendamment de toutes ces manifestations, des Clubs nombreux excursionnent régulièrement pendant la froide saison. Ils utilisent et créent des hôtels et refuges, et apportent ainsi une vie nouvelle aux régions autrefois abandonnées pendant de longs mois. En somme, on peut dire qu’actuellement partout où il y a de la neige, même à Saint-Cloud !... on fait du ski, et que les sports d’hiver, en général, sont cultivés. Il existe des villégiatures d’hiver en France, comme en Suisse ou dans le Tyrol. UN PEU DE CHRONOLOGIE 770 après Jésus-Christ. — Paulus Diaconus désigne les Finlandais, à cause de leur habileté à ski, sous le nom de « Skridfinnen » (Finnois glisseurs). 1199. — L’historien danois Saxo raconte comment les habitants de Finnmark font la guerre à ski. 1200. — Combat de Oslo, dans lequel le roi Sverre envoie à ski des troupes en reconnaissance. 1555. — Olaus Magnus, évêque suédois, écrit, pendant son exil, un ouvrage relatif à ses voyages en Norvège. Le ski y est dépeint en détail en ce qui concerne les parcours habituels, la chasse, les courses. 1644. — Deuxième édition du livre de Saxo. On y trouve le premier dessin d’un ski. 1718. — Dans la guerre entre la Suède et la Norvège marchent pour la première fois des bataillons complets de skieurs. 1774. — Apparition du premier règlement relatif à l’exercice des troupes en hiver, à l’usage de l’armée suédoise. 1831. — Le général Bierch essaie de remettre en honneur, en Norvège, le sport du ski qui avait été totalement oublié depuis plusieurs dizaines d’années. 2 avril 1843. — Première annonce dans les journaux du concours de ski en Norvège à Tromso. 15 mai 1861. — Fondation de l’Association générale pour le développement du sport à Christiania. (On y consacra de nouveau un peu d’attention au ski.) 1863. — Première exposition de types de skis à Trontheim (au total 48 paires). 1865. — Le général Wergeland fait paraître son ouvrage sur le ski, ouvrage très important au point de vue de la technique et de l’emploi à la guerre. 1879. — Les habitants de Telemark montrent à Christiania comment on saute. 1883. — Fondation de l’important Club de ski de Christiana : Foreiningen til skii draettens fremme. 1883. — Le Dr Herwig, à Davos, fait ses premiers essais avec des skis norvégiens. 1889. — Traversée du Groenland à ski par Nansen. 1889. — Première ascension du Feldberg dans la Forêt-Noire par le secrétaire du consulat français de Mannheim. 1889. — L’audacieux sportsman Kleinoschegg fait l’apprentissage pour la première fois de ses skis à Gratz. 1890. — Le capitaine Vorwerg entreprend dans les Monts des Géants les premières excursions à ski. 1890. — Apparition du livre de Nansen sur son voyage au Groenland. 1891. — Fondation du premier Club de skis à Todtnau dans la Forêt-Noire. 1892. — Fondation d’une société de ski autrichienne à Vienne. 1893. — Première utilisation des skis pour un voyage dans les Alpes (Traversée du Gothard Grimsel et Furka par des membres du Ski-Club de Todtnau). 1895. — Fondation du Ski Club de la Forêt-Noire. 1896. — Fondation de la première société de ski dans les Monts des Géants (première section du Cercle des Skieurs autrichiens) et en France du Ski Club Dauphinois. 1897. — Publication de la Technique du ski, de Zdarsky. 1899. — Publication de Le Ski, de Paulcke. 1900. — Fondation du premier Club de ski de l’Amérique du Nord à Ispehing (Michigan). 1903. — Fondation de l’Union des Skieurs Suisses. 1904. — Publication de Ski running, de Richardson. 1904. — Fondation du Ski Club des Vosges. 1905. — Fondation de l’Union des Skieurs de l’Europe centrale. 1906. — Publication de Le Ski, de Hoek-Richardson. 1908. — Fondation de l’Union des Skieurs Norvégiens (Norges skiverbund Kristiania). TABLEAU DES MEILLEURES PERFORMANCES EN SKI OBTENUES DANS LES TRENTE DERNIÈRES ANNÉES. 1879. — Le fils d’un cordonnier de Telemark, Torjas Hemmesvedt fait un saut de 23 mètres sur la colline de Fluseby, près de Christiania. 1884. — Le Lapon Lars Tuorda parcourt, près de Jokkmok, dans le nord de la Suède, 220 kilomètres, en 21 heures, 22 minutes. 1889. — Hemmesvedt, de Telemark, parcourt 50 kilomètres, en pays mamelonné et boisé, en 4 heures, 26 minutes, 30 secondes. 1896. — Le Dr Paulke escalade avec quelques amis et pour la première fois un sommet des Alpes (Oberalpstock). 1900. — Bjarne Nillsen montre, au Feldberg, le premier saut norvégien (23 mètres). 1901. — Le Finlandais Antio parcourt en terrain absolument plat 30 kilomètres en 1 heure 46 minutes 15 secondes. 1902. — Nils Giestrang fait, sur la colline de Modum, le plus grand saut connu (41 mètres). 1904. — Premier saut allemand de 19 mètres fait dans de bonnes conditions au Feldberg, dans la Forêt-Noire. 1904. — Mylius escalade le Mont Blanc en ski. 1904. — H. Stang (enfant de douze ans) saute en Norvège 14 mètres 5. 1905. — Leif Berg parcourt la distance Titlisgipfel-Trubsee, avec 1.489 mètres de différence de niveau, en 29 minutes. 1906. — Harald Smith fait au Feldberg, dans la Forêt-Noire, le plus long saut effectué en Allemagne (36 mètres). 1907. — H. Baader (un enfant de quatorze ans) saute 19 mètres au concours international de saut, au Feldberg. 1908. — Capiti-St. Moritz saute 31 mètres aux courses de ski suisses dans l’Engelberg. Des deux tableaux ci-dessus, on doit conclure que, sous l’influence du voyage de Nansen au Groenland, on fit des essais du ski dans toutes les régions montagneuses de l’Allemagne centrale. Ces essais furent à la fois simultanés et indépendants, et c’est dans la Forêt-Noire que le ski prit son plus rapide et son plus grand développement. La Forêt-Noire devint la terre d’élection du sport du ski en Allemagne et toujours fut reconnue comme telle. En 1904 encore, le sportsman anglais Richardson, dans son livre « Ski running », écrivait : « Le Feldberg fut renommé à cause de ses skieurs et de ses courses de ski ; sa renommée ne fut dépassée, dans ces dernières années, que par celle des concours de Holmenkollen, connus dans le monde entier. » CE DONT ON A BESOIN EN SKI Il faut avant tout un cœur sain et de bons poumons, puis il importe d’attacher toute son attention aux skis. Homme et skis doivent se convenir l’un à l’autre, ainsi qu’un cavalier et son cheval. Une canne est indispensable, mais deux cannes rendent souvent de meilleurs services. On s’apercevra avec le temps qu’un vêtement spécial n est pas absolument nécessaire. Le sac de montagne n’est pas non plus indispensable pour faire du ski, mais celui qui n’en a jamais besoin se classe, par cela même, dans la catégorie des skieurs d’hôtel, qui se croient perdus lorsqu’ils se trouvent à plus de trois ou quatre kilomètres de leurs quartiers d’hiver. Pour les vrais amateurs, le sac est quelque chose de très important, et la composition de son contenu une question digne du soin le plus avisé. Le ski — Je voudrais dissuader tout à fait le lecteur d’en faire lui-même. On en achète tout de même d’autres par la suite, à moins d’être l’un de ceux qui s’attachent surtout à ce qu’ils ont eux-mêmes fabriqué. Bien qu’il paraisse très simple, le ski demande de grands soins pour sa confection ; malheureusement beaucoup de fabricants ne sont plus très consciencieux, tant en ce qui concerne la matière première que l’exécution. À la suite de grosses commandes et « parce que cela se vend tout de même » plusieurs d’entre eux travaillent du bois trop vert. Un bon ski est fait de souches abattues en hiver et bien séchées dans des formes taillées à cet effet. Pour acheter une paire de skis, on doit, autant que possible, être accompagné d’un homme compétent. Si on n’en connaît pas, il suffit de regarder la forme du ski de Telemark pour se faire une idée d’un ski bien taillé et bien courbé. Avant tout, la spatule ne doit pas se redresser brusquement comme une corne ; dans ce cas, elle cause des chutes, même à des skieurs exercés, si la neige est profonde, et souvent un ski se casse parce que la pointe s’est heurtée brusquement et maladroitement contre de petites ondulations de neige au lieu de passer sur elles avec la légèreté et l’élégance qui conviennent. On ne peut obtenir ce résultat qu’avec le ski dont la courbure commence loin mais qui n’atteint sa plus grande hauteur à la pointe que progressivement. Une courbure de 13 à 14 centimètres est la meilleure. Cette forme ne produit pas facilement de heurts et ne se courbe pas non plus dans la neige. Il arrive parfois qu’un ski aussi parfaitement courbé se casse pourtant. La seule pensée qu’on puisse avoir en pareil cas, c’est qu’il est impossible d’obtenir quelque chose d’absolument impeccable. PLAN, PROFIL ET COUPE D’UN SKI DE TÉLÉMARK. Il est évident que des skis très lourds et forts, dont la courbure est épaisse et aussi rigide que l’arrière, ont peu de chances de casser. C’est à cet avantage que l’on peut songer lorsqu’on trouve à la montée que leur poids est peut-être exagéré. Si l’on en prend une paire de minces et légers dont la spatule vibre nerveusement quand, pour l’éprouver, on la fléchit et on la lâche, on peut être certain de ressentir une grande satisfaction pendant la course, surtout une fois qu’on sait courir, mais ils ont des chances de durer moins longtemps. La courbure du ski en son milieu doit diminuer graduellement aussi, c’est-à-dire du pied du skieur jusqu’au commencement de la courbure de la spatule. Son but n’est pas de donner au ski comme un ressort, ainsi qu’on le croit souvent, mais elle doit empêcher que la lame, dont la charge porte au milieu, ne se courbe par dessous. Cette flèche doit être assez forte pour que la surface inférieure des skis, depuis l’arrière jusqu’à l’origine de la spatule, devienne, sous le poids du corps, absolument plane. Pour obtenir ce résultat elle doit atteindre de 2 à 3 centimètres. En ce qui concerne le bois, il ne faut pas être difficile, bien qu’une certaine prudence soit de mise vis-à-vis des marchands. Des skis dont les fibres sont toutes droites et parallèles à l’axe et qui n’ont aucun défaut d’esthétique sont très rares et très chers. Le bois de frêne est le seul qui convienne, toutefois il est bon dans certains cas d’avoir des skis en bois d’hickory ou en bois d’hickory doublé de pin, mais ceci n’entre en considération que pour les fins connaisseurs. Quelques fibres transversales, quand elles ne se trouvent pas juste à la courbure avant ne sont pas nuisibles, de petits nœuds ne présentent pas non plus d’inconvénient sérieux ; souvent on rencontre du bois qui a poussé lentement et qui est un peu serré, sa madrure ne paraît pas précisément belle, pourtant il est dur comme du fer. Ce sont les grosses branches qu’il faut évidemment utiliser. Elles ont moins de chances de rupture, et elles sont aussi entourées d’une épaisseur moindre de ce bois tendre qui résiste peu aux chocs et qui peut interrompre prématurément le voyage. Il est inutile de s’inquiéter longtemps au sujet de la couleur. La teinte naturelle du bois est la plus belle quand les skis sont en magasin. La structure des fibres que le vernis fait ressortir davantage est par elle-même un bel ornement. Les deux fines lignes parallèles tracées le long des bords avec le rabot à gorges rehaussent l’élégance de la forme. Un petit losange rouge à l’extrémité, là où les lignes d’ornement se croisent, ajoute un peu de couleur et de gaîté. Mais des skis peints en noir, avec des lignes ornementales blanches qui leur donnent au premier abord un aspect plus sombre et plus lugubre, sont beaucoup plus pratiques sur la neige et on finit même par les trouver jolis. Le but de la couleur noire est de donner, pendant le saut, la possibilité d’orienter un peu la position des skis, qui se détachent fortement sur le sol. De toute façon, l’œil a, avec les skis sombres, une impression plus nette, tandis que les contours des skis clairs se confondent avec la couleur de la neige. Des skis peints en rouge ou en bleu, ainsi qu’on en voit parfois dans les magasins, ne sont pas à recommander ; celui qui veut se distinguer de la grande masse des skieurs et être remarqué au milieu d’eux peut l’être beaucoup plus justement par son énergie et son adresse. La longueur des skis dépendra du poids qu’ils ont à supporter. Les personnes de proportions et de poids normaux doivent pouvoir atteindre avec l’extrémité de leurs doigts la pointe de leur ski dressé. Celles qui sont plus lourdes qu’elles ne devraient l’être normalement en raison de leur taille ajouteront de 10 à 20 centimètres. La difficulté de direction, plus grande avec de longs skis, est, dans ce cas, compensée par le fait que le ski n’enfonce pas autant. Si la neige est superficiellement gelée, les skis trop courts ne portent pas sur une surface suffisante et peuvent, surtout avec la partie arrière ou l’arête, briser la croûte superficielle et causer des embarras. En résumé, il est préférable d’avoir des skis trop longs que trop courts, si l’on dépasse le poids moyen. L’équilibrage du ski est une chose très importante. L’attache doit être fixée de telle sorte que, quand on le soulève par la courroie du bout du pied, la pointe s’incline d’environ 45° vers l’avant. Maintenant que vous avez fait, à l’aide des conseils de cette étude, l’acquisition d’un paire de skis, considérez-vous sérieusement comme un débutant et, durant tout un hiver, n’attribuez jamais les chutes au ski mais bien à vous-même et à votre manque d’expérience. Le ski de Telemark est un de ces merveilleux instruments qui, bien que d’aspect simple et primitif, ont été cependant crées d’après les données les plus précises des mathématiques et de la physique. En les examinant, on ne sait pas si on doit s’étonner davantage de leur simplicité que de leurs qualités. Aux pieds des profanes les skis sont embarrassants et grotesques, mais, pour les initiés, ils deviennent en quelque sorte des chaussures ailées. L’esprit humain n’a créé que deux instruments avec les seules conceptions des hommes primitifs et sans utiliser la technique moderne : c’est le boomerang, la fronde en bois des nègres de l’Australie, avec laquelle ils atteignent le gibier sauvage en plein vol et qui retourne au chasseur après avoir décrit un cercle ; puis cajak des Esquimaux, petit canot à siège, recouvert de peau, qu’un rat ferait chavirer sur l’eau la plus calme et que l’Esquimau fait danser sur les flots de la mer en furie ainsi que danse une boule de verre sur un jet d’eau. Le ski de Telemark est aussi une planche magique si elle est maniée avec art. Il le savait déjà, il y a bientôt 700 ans, l’auteur du Koenigspiegel norvégien ! Dans sa langue charmante, naïve et pleine d’expressions pittoresques, il parle de ces hommes « que de minces planches entraînent du haut en bas des montagnes avec une très grande rapidité, grâce à leur art et à leur adresse. Rien de ce qui se meut sur la terre ne peut être comparé, quant à la vitesse, à l’homme qui possède de telles planches à ses pieds. Dans d’autres contrées où les gens n’ont pas acquis une pareille habileté, on pourrait à grand’peine trouver un homme assez souple adroit pour ne pas perdre tous ses moyens dès qu’on lui a mis ces morceaux de bois sous les pieds. » Qu’il ne se décourage donc pas celui qui, pour la première fois, part sur les étendues neigeuses, avec des skis neufs, si, au début, ainsi que le dit le Koenigspiegel, « il perd tous ses moyens ». L’attache. — Il n’est possible de bien diriger des skis que lorsqu’une bonne attache les relie parfaitement aux pieds. On est, sur le continent, tellement d’accord sur la meilleure forme de ski, que tous les skieurs ont adopté celui de Telemark, mais en ce qui concerne l’attache, les avis sont encore très partagés. Les différentes manières d’attacher un ski ont parfois amené de véritables conflits d’opinion dans le monde des skieurs. Il en est d’ailleurs de même en Norvège, où le ton des polémiques des journaux spéciaux ne laisse non plus rien à désirer et où la critique des attaches du ski alpin (alpenski), par exemple, se résume en ces deux mots : « C’est insensé » ! Ces discussions se sont calmées depuis, il est vrai, et l’on est arrive à ce résultat de considérer cette question d’attache comme une chose ressortissant à l’expérience personnelle. Mais l’auteur se sentirait pourtant responsable de toutes les foulures et arrachements qui pourraient survenir du fait d’une attache défectueuse s’il n avait suffisamment éclairé ses lecteurs à ce sujet et s’il ne les avait suffisamment mis en garde contre celles qui peuvent être vraiment dangereuses. En somme, on peut dire : Plus le pied est lié au ski, plus la direction est facile, mais aussi plus il est difficile de se tirer indemne d’une chute. Dans ce cas, la probabilité est aussi plus grande, surtout pour les débutants, d’avoir un tendon arraché ou un os cassé. Avec l’ancienne attache de roseau, qui fut la plus employée pendant les 90 années que dura la période des combats et des luttes pour le ski, les choses les plus étonnantes furent faites en descentes et en sauts. La hardiesse était alors de beaucoup supérieure à l’habileté, mais il y eut rarement d’accidents, on se relevait toujours comme on tombait, souvent même avant d’étre tombé ! Aujourd’hui on apprend presque trop tard la façon de tomber correctement. C’est cependant très important, surtout de nos jours où les vieilles attaches lâches ne sont plus employées. Habituellement c’est plutôt quand c’est devenu moins utile qu’on apprend à se pelotonner pendant la chute sans contraction nerveuse, ainsi qu’un hérisson, et à présenter le plus petit volume possible : à se laisser enfin tranquillement tomber, quand on doit tomber. Mais la plupart du temps, les débutants tombent au cours d’une descente trop rapide, lourdement, sans souplesse, les skis croisés, et de tout leur long en avant, parce qu’ils n’ont pas préféré se laisser choir en arriére, en temps voulu. Alors leurs pieds sont si fortement comprimés par l’attache qu’ils ne peuvent pas prendre leur position normale et qu’ils sont maintenus avec force dans la direction des skis. Il en résulte nécessairement une foulure ou une fracture. Mais que les profanes se rassurent ; de tels accidents ne sont pas aussi fréquents qu’ils pourraient le croire. Les os et les nerfs sont des matériaux d’excellente qualité qui possèdent une grande force de résistance, surtout quand ils sont jeunes. Il est vrai aussi que ce n’est pas du tout une consolation de songer qu’un accident vous est survenu par hasard. Les exceptions doivent, elles aussi, être réduites au minimum. Attache à semelle et à talon. — Comme l’intention de cet opuscule n’est nullement de conseiller aux skieurs de nouveaux accessoires, mais plutôt de présenter aux connaisseurs de vieilles choses sous une forme plus nouvelle, il considérera surtout la question « attache » au point de vue du moindre danger pour le pied. attache à semelle et à talonOn fera alors l’étonnante constatation que les commençants préfèrent précisément utiliser l’attache qui est la moins indiquée pour eux, celle à semelle et à talon. Elle est la plus « aisée », ce qui devrait vouloir dire « l’attache pour les gens qui aiment leurs aises ». Elle trompe très facilement ceux qui n’y connaissent rien, parce qu’ils peuvent rapidement se rendre compte de son mécanisme. Sur le ski est vissée une espèce de sandale avec une épaisse semelle de balataet un haut talon. On n’a qu’à entrer le pied, passer une courroie sur le cou-de-pied et tout est dit. On a ainsi trois paires de chaussures : le soulier de cuir proprement dit, au-dessous le soulier de balata, et par-dessous encore le ski. L’étroite intimité que le pied doit avoir avec le ski, s’il veut pouvoir le diriger, dépend à peu près uniquement de l’attache. Ce précepte ne doit pas être oublié du débutant qui fait mettre de sa propre autorité une telle attache par un marchand généralement peu expérimenté dans l’art du ski et qui vend de préférence des attaches à talon parce qu’elles sont toujours toutes prêtes et qu’elles ne lui donnent aucun ennui pour l’ajustage. Ensuite, cette attache, la plus rigide de toutes, tient fortement le pied, le comprime au talon entre l’enveloppe et la courroie du cou-de-pied et ne se relâche jamais quelle que soit la façon dont on tombe. Son seul avantage, qui est la bonne direction, n’est d’ailleurs acquis qu’aux dépens des orteils. Car on n’obtient le but cherché qu’en serrant la courroie d’avant si fort que lesdits orteils sont brutalement comprimés contre la semelle de balata ; autrement la pointe du pied remue entre les deux mâchoires qui maintiennent la courroie. La caractéristique de ce système est en somme la suivante : il est bon pour tout pied et ne convient parfaitement à aucun ; l’attache tient fortement là où elle devrait être lâche et ne tient pas là où elle devrait serrer. C’est une attache « omnibus » et qui ne trouve place que sur les skis de location parce qu’on peut facilement l’adopter à n’importe quel pied. Mais son avantage fait son inconvénient, et, aux pieds d’un skieur expérimenté, on n’en trouvera jamais. Les amis de notre sport à qui elles ont suffi jusqu’à présent devraient se souvenir que s’ils s’en sont tirés les jambes saines et sauves, ce n’est pas la faute de leur attache. Des compétences reconnues ont déjà souvent déclaré, mais plus timidement, ce que je viens de dire ici nettement et sans ambages : cette attache, malgré les critiques justifiées qui se sont élevées contre elle, est malheureusement toujours préférée par la grande masse des skieurs. Attache du ski alpin (Alpenski). Elle est plus connue sous le nom d’attache de Lilienfeld, qu’elle doit à une petite ville de Steiermark, en Autriche. Les pentes raides des montagnes de ce pays furent pour l’inventeur de cette attache, le peintre Zdarsky, les premiers champs d’expérience. Elle doit être considérée, ainsi que l’indique aussi son nouveau nom, comme l’attache convenant aux pays accidentés. C’est une invention judicieuse mais compliquée, qui a été le nœud des discussions qui ont divisé les habitants de Lilienfeld et ceux de la Forêt-Noire. Il y a peu d’années, il existait un trop grand parti pris contre elle pour qu’on se servit de skis alpins dans cette région ; l’influence norvégienne y faisait considérer un disciple de Lilienfeld exactement comme les paysans de la Forêt-Noire regardèrent en somme le premier skieur, c’est-à-dire comme quelqu’un d’extravagant. Maintenant on se considère des deux camps avec plus de compréhension et par conséquent plus de courtoise indulgence. L’attache alpine exige une technique particulière de marche, la technique de Lilienfeld, au sujet de laquelle son inventeur a écrit un ouvrage plein de verve et de clarté. Une semelle élastique d’acier, mobile autour d’un axe horizontal, réglable d’après la longueur et la largeur du pied, lie fortement ce dernier au ski et empêche tout déplacement latéral de sa part : c’est pourquoi les chutes peuvent facilement devenir dangereuses. Les habitants de Lilienfeld savent bien pourquoi ils ne sautent pas ! ATTACHE ALPENSKI. En pays accidenté, et c’est le cas dans cette région, on évite les chutes en faisant un détour. Au lieu de laisser les skis descendre la montagne à toute allure, on parcourt les pentes en faisant des lacets. Ce genre de marche est facilité par la maîtrise complète du ski, maîtrise qui est rendue plus commode par une forte attache rigide. Une longueur de ski moindre que la normale facilite aussi la marche en lacets. Enfin les skis tout à fait plats et ne comportant pas la cannelure médiane des Norvégiens offrent un avantage réel sur les skis avec cannelure. Le ski alpin possède donc ces caractéristiques : il est plus court que le ski de Telemark et n’a pas de cannelure. Son attache répond comme lui à un besoin particulier. Mais celui qui veut pouvoir, s’il en a envie, laisser filer ses skis en pleine course — et à qui ne viendrait pas une fois cette folle envie ! — ou qui désire posséder l’art complet du ski et la souplesse dans la marche, ne doit pas se servir d’attache alpine. Elle est toutefois à conseiller aux personnes d’un certain âge à qui de la prudence s’impose. La marche en plaine ou en montagne ; quand on peut facilement pousser son ski, a, en soi, quelque chose d’extrêmement agréable, et peut-être plus encore avec l’attache de Bilgeri, une nouvelle imitation perfectionnée de l’attache du ski alpin. Il faut encore noter dans ces attaches le bruit du mécanisme métallique, qui souvent se fait entendre et est un supplice intolérable qui nuit beaucoup à l’esthétique de ce sport. L’attache du ski alpin est donc une invention à laquelle on ne peut pas refuser de l’ingéniosité, mais qui a pourtant quelque chose de don-quichottesque. Comme ses défauts sont aplanis en partie par une certaine technique de marche, elle ne peut pas être classée, malgré tout, parmi les plus mauvaises. Attache de Huitfeld. — Cette attache est la meilleure parce qu’elle est la moins dangereuse et permet cependant de faire du chemin. Elle est simple sans être lourde et inajustable comme l’attache à semelle ; elle n’acquiert pas, d’autre part, sa facilité d’ajustage par des vis et des ressorts métalliques comme l’attache du ski alpin. Quand c’est nécessaire, après une forte chute par exemple, elle cède sagement. Elle est plus légère que les deux autres attaches et maintient suffisamment le pied. Avant tout, elle permet au skieur un contact plus intime avec le ski, car la semelle par laquelle le pied lui transmet sa volonté est la semelle même du soulier. Il y a, il est vrai, un léger inconvénient à cette attache : les deux bandes métalliques assez fortes, entre lesquelles est placée la semelle, laissent sur celle-ci leur empreinte et en fatiguent un peu les bords. Mais si le skieur ne fait pas avec ses chaussures autre chose que du ski, ou s’il les emploie tout au plus à faire des excursions en montagne, ce défaut d’élégance, qui du reste ne nuit pas à la semelle elle-même, est en somme négligeable. La marque la plus caractéristique de l’attache de Huitfeld est le logement de la courroie. C’est une mortaise qui traverse le ski en son milieu, latéralement, et dont dépend l’organisation de toute l’attache. C’est à travers cette ouverture que l’on passe la légère bande d’acier Bessemer revêtue à l’intérieur de cuir, et qui, relevée des deux côtés, est appliquée exactement contre la semelle du soulier. Les extrémités sont reliées par-dessus le soulier au moyen de la courroie du bout du pied. Elles forment mâchoire et maintiennent le pied à la naissance des orteils. C’est aussi à travers cette cavité que passe la courroie qui entoure le talon et serre le pied contre la mâchoire, elle marque en somme le centre de gravité autour duquel tourne tout le ski et, bien que l’effort de direction agisse avec d’autant plus d’intensité qu’il est appliqué plus intimement à lui, le résultat est bon cependant dans ce cas, malgré l’absence ATTACHE DE HUITFELD B.d’une semelle qui ne peut jamais être fixée que sur la face supérieure du ski et par suite au-dessus de son centre de gravité. Enfin, cette mortaise permet, dans le cas d’une cassure de l’attache et le plus rapidement possible, l’emploi d’une excellente attache de fortune si l’on a sur soi une longue lanière quelconque. Il y a deux espèces d’attaches de Huitfeld (A et B). Elles ATTACHE ELLEFSEN. (Cliché P. Gruyer.) diffèrent par les courroies. Dans les plus récentes attaches, on fait une concession à la commodité et à la rapidité, partout réclamées aujourd’hui, et on obtient un très grand avantage sur les anciennes. Une courroie mobile en cuir, constituée par deux pièces à double face, sort de la cavité médiane et fait le tour du talon ; on a avant tout supprimé la courroie dangereuse qui serrait le cou-de-pied. Par contre, une seconde, passant derrière celle des orteils, facilite la tension de la courroie du talon. La tension de cette dernière se produit au moyen d’une boucle brevetée d’Ellefsen à l’aide de laquelle on la raccourcit d’un ou deux centimètres. Elle peut, quand la boucle est ouverte, être facilement placée sur le talon et se trouve, après la fermeture de celle-ci, fortement fixée au pied. Son glissement sera empêché de la façon la meilleure au moyen d’une échancrure concave du talon, échancrure que l’on trouve généralement à toute bonne chaussure de ski. Après une chute, ou en cas de danger, ou près du sautoir, lorsque, après le saut, on veut remonter le chemin d’accès du tremplin sans ski, on sort immédiatement des attaches par un ATTACHE DE HUITFELD A 1re PHASE. simple rabattement de la boucle. Elle peut même se rabattre d’elle-même à l’occasion, ce qui naturellement est souvent très utile. Il est encore plus commode de fixer le pied dans les mâchoires avec l’attache ancienne A de Huitfeld, qu’avec celle dont on vient de parler. Elle consiste en une courroie de cuir gras, longue d’environ deux mètres, étroite, a l’extrémité de laquelle on a cousu une boucle. On la double en la passant au travers de la mortaise médiane, de sorte que la boucle cousue sorte du côté extérieur, par exemple du côte gauche du ski de gauche, tandis que vers l’intérieur la courroie qui a été doublée forme une boucle naturelle. Au moyen de ces deux boucles comme points d’arrêt, on passe la courroie deux fois ATTACHE DE HUITFELD A 2e PHASE. autour du talon, puis on la tend autour du cou-de-pied et on la lie enfin avec un simple nœud. Cette attache peut s’adapter aux plus faibles changements et différences de tension. La courroie, étroite mais très forte, a l’agréable propriété de se plier sans gêner et de tenir fortement sans serrer. Il est facile d’apprendre a la mettre, mais c’est un peu plus long que pour les autres. Ce qu’il y a de plus désagréable, c’est de l’ôter. L’opération est longue, surtout quand l’attache serre juste. Dans les cas urgents, le seul remède est le couteau ; mais, comme de telles circonstances sont rares, elle sera l’attache préférée des skieurs qui veulent dépendre le moins possible d’accessoires mécaniques, et pour qui c’est un plaisir d’user de leur adresse et d’atteindre leur but par des moyens rudimentaires. Elle est d’ailleurs encore la plus répandue en Norvège et s’il existe des skieurs possédant l’une ou l’autre des attaches Huitfeld et qui ne soient pas très adroits, on peut cependant affirmer qu’on trouve rarement un bon skieur, les disciples de l’École de Lilienfeld exceptés, qui en possède une autre. FERMETURE KOSKI. J’ai décrit, parmi le grand nombre des attaches existantes, les trois qui sont les plus connues et les plus employées en France, en Allemagne et en Autriche, celles qui sont en somme les formes types de toutes les autres. Il existe pour chacune d’elles un grand nombre de variétés. On a fait aussi une combinaison des divers systèmes. Parmi les plus heureuses, on peut donner celle de Ellefsen qui est une combinaison de l’attache à mâchoires et de l’attache à semelle et qui est employée par de très bons skieurs. En résumé, il ressort de ce qui précédé que l’attache que l’auteur préfère est celle de Huitfeld ; elle ne fait pas du premier venu un bon skieur, elle ne garantit pas absolument contre les accidents, mais, jusqu’à ce qu’on ait trouvé quelque chose de meilleur, elle peut être considérée comme la préférable. La canne — Deux cannes sont en montagne d’un excellent secours et sont également très utiles en plaine ; elles aident a augmenter l’allure. Plus que toute autre chose, en ce qui concerne le ski, la solution de la question de la canne est liée à l’âge du skieur. Les jeunes gens doivent de préférence marcher sans aide à la montée et à la descente. C’est ainsi qu’ils acquièrent, dans leurs muscles vivants, la résistance des corps inertes que sont les cannes. Ils obtiennent cette mobilité et cette souplesse dans les reins que ne peut atteindre celui qui est habitué à deux bâtons auxquels il est comme englué. L’indépendance vis-à-vis d’eux est une preuve sûre de l’habileté, et « l’embâtonnement » le plus grand péché possible contre l’esprit du ski. Mais celui qui n’a pas pour but de cultiver spécialement la beauté et l’élégance trouvera toujours en sa canne un bon ami. Elle ne doit pas être un pieu comme les cannes de frêne de hauteur d’homme employées autrefois. Ce qu’il y a de mieux, c’est qu’elle arrive a l’épaule, et soit faite de bambou pas trop faible ou de bon noisetier soigneusement choisi. Avec un tel instrument, il est possible parfois de freiner quand les skis ne suffisent pas. Quand on peut l’employer alternativement à droite et à gauche, on reste son maître et on n’en dépend pas. Les personnes d’un certain âge doivent aussi apprendre comment on peut faire reposer le poids du corps sur les hanches tout en se servant d’une seule canne. On possède cette technique quand on a l’habitude d’en utiliser deux et sans elle la marche du skieur devient une simple glissade. Le bâton ne doit pas être tenu obliquement devant le corps avec les deux mains, mais toujours avec une seule et de préférence verticalement. Si on préfère deux bâtons, et c’est d’ailleurs le privilège de skieurs habiles, on les laisse traîner derrière soi attachés aux poignets par la courroie, ou bien on les porte en mains jusqu’à ce que leur emploi soit devenu nécessaire. Une paire de cannes doit être de MODÈLES DE CANNES (FERRURES, BOIS ET RAQUETTES VARIÉES). préférence plus courte qu’une canne unique, et elles ne doivent arriver dans ce cas que jusqu’à la poitrine. Quand on gravit une montagne, on facilite sa marche en appuyant dans la neige avec celle qui se trouve du côté du pied inférieur, ainsi qu’avec une canne de promenade. C’est une façon très agréable de procéder, surtout lorsque le bâton est à sa partie supérieure bien arrondi et bien poli. D’ailleurs, avec le temps, le skieur apprendra de lui-même bien d’autres petits détails avantageux ; il en ressentira ainsi plus de satisfaction. Un ouvrage sur le ski doit stimuler seulement et donner une règle de conduite ; il doit laisser au lecteur et au skieur le soin de régler le reste. En particulier, les petits disques des cannes offrent de bonnes occasions d’exercer la réflexion de chacun et doivent empêcher celles-ci d’enfoncer dans la neige. Comme elles sortent de la fabrique, elles ne sont pas, en effet, toutes sans défauts. Une occupation utile et amusante, durant une ennuyeuse soirée d’hiver, consiste à consolider, avec des courroies graissées ou un fil de fer galvanisé, ces disques de roseau, de gutta-percha ou d’aluminium. Ils doivent être fixés solidement au bâton mais sans raideur, de façon que, même quand le bâton est incliné, comme par exemple, lorsqu’on se pousse en plaine dans une course rapide, ils restent toujours appliqués horizontalement sur la neige. L’équipement — Quand on fait du ski depuis un certain temps, on sent la nécessité d’avoir un vêtement approprié à la neige, mais cette transformation doit se faire peu à peu et résulter d’un besoin réel. Celui qui, avant même de faire son apprentissage, court chez son tailleur, ne deviendra vraisemblablement jamais un grand disciple de notre sport. On doit d’abord se contenter de ce qu’on a. Celui qui, dans le courant de l’année, arrive petit à petit et par suite de l’expérience acquise à une organisation confortable, sera plus heureux que s’il achetait en une fois tous les accessoires jusque dans leurs plus petits détails, d’après un catalogue ou un livre, comme on le fait souvent. L’équipement le meilleur est sans doute le vêtement appelé norvégien. Il est élégant et avant tout très masculin. On ne peut accorder ces qualités au jersey blanc orné d’un monogramme de couleur que d’aucuns semblent préférer. Les jerseys ont d’ailleurs, comme tous les vêtements tricotés en laine, la désagréable propriété d’absorber et de retenir beaucoup de neige dans les chutes. Même dans le cas où les contacts avec celle-ci ne seraient pas trop fréquents, et ils ne sont pas le monopole des débutants, le jersey absorbe par un grand froid, au moyen des fibres de sa laine, les particules humides exhalées par le corps sous forme de givre. Pendant les froids modérés il est trop chaud ; il doit donc rester dans le sac et on ne doit l’en sortir et le mettre sous sa veste que comme préventif contre un refroidissement au repos, pendant les repas ou dans des cas analogues. La plus grande faute commise par la plupart des gens est de s’habiller trop chaudement ; les mères, en particulier, trop soucieuses, surchargent inutilement leurs enfants. Le sport du ski active à un tel point la circulation que, à part un gilet un peu plus épais, on peut se contenter d’étoffes à peine plus chaudes que celles qu’on emploie en été pour les excursions en montagne. Beaucoup de parents seront stupéfaits d’entendre dire que leurs enfants doivent faire leurs courses de ski en pantalon et en bras de chemise, même sans casquette et que, si, après l’arrivée au but, ils se couvrent bien, cela ne leur fera pas de mal. Ce qu’il y a de plus important dans un vêtement de ski, c’est l’étoffe. Elle doit être à mailles très serrées, ni trop légère ni trop lourde, et avant tout lisse, de façon que la neige s’en détache facilement. Une bonne étoffe sombre, à trame en biais et suffisamment souple, est très recommandable. Le vêtement doit ressembler comme coupe à une vareuse. Il ne faut pas de poches extérieures et, s’il y en a, il faut qu’elles soient bien fermées. Les pantalons ne doivent pas être trop étroits. Une étroite bande molletière souvent bigarrée et qui apporte un peu de couleur au reste de la tenue, généralement sombre, rend hermétique l’intervalle qui le sépare de la chaussure. Comme coiffure, la meilleure est la casquette norvégienne, qui peut être rabattue sur les oreilles. Par des temps très froids, il est bon d’employer le passe-montagne, sorte de bonnet en jersey recouvrant toute la tête et ne laissant d’ouverture que pour les yeux et le nez. Pour les mains, il faut de longs gants épais à revers ; la laine convient bien mais elle est lourde quand elle est humide. De la toile à voile ou du cuir fourré tiennent plus chaud et sont plus imperméables. Les gants les meilleurs sont ceux de laine tricotée et assez légers. Lorsqu’il fait chaud, ils sont peut-être un peu trop perméables, mais, s’il fait froid, la neige qui les imprègne forme une sorte de carapace impénétrable et de beaucoup supérieure aux gants de laine épais, toujours humides. Les vestons de cuir sont très bons pour garantir du vent et du froid, mais ceux qui transpirent facilement ne les porteront pas longtemps. Il est plutôt recommandé d’emporter suffisamment de linge et d’en changer souvent. On peut faire à sa guise son choix parmi toutes ces indications et les différences de qualité des effets n’ont pas grande importance. Mais pour les pieds, surtout pour la chaussure, il y a une chose qu’on doit recommander tout spécialement : choisir toujours la première qualité, aussi bien en ce qui concerne le cuir que la forme. Sans une bottine vraiment bonne, faite spécialement pour cet usage, le skieur n’éprouve que la sensation d’un bain de pieds froid et prolongé ; avec une chaussure mal conditionnée, on peut avoir les pieds gelés, alors que d’autres ne ressentent que du plaisir et de la gaité. De toutes façons, il est préférable d’avoir des souliers faits par un spécialiste ; les marchandises confectionnées sont inférieures comme qualité et coûtent presque aussi cher. D’ailleurs, les souliers cousus à la machine ne sont pas aussi imperméables que les autres parce que la machine, en réunissant l’empeigne à la semelle, ne peut faire une piqûre aussi petite que le pourra le cordonnier avec son alêne et son ligneul. Le soulier doit avoir une semelle forte et débordante, allant de la pointe au talon, pour avoir plus d’action sur les skis. Un renforcement de la pointe, au moyen d’une coiffe qui garantit les orteils contre une compression trop grande, ne peut être assez recommandé. C’est l’avantage de ce qu’on appelle le soulier Laupar, dans lequel l’élévation de la partie antérieure avait à l’origine pour but de ne pas laisser s’échapper le ski qui n’était assujetti que par la courroie de l’étrier. On peut aussi renforcer les souliers de forme ordinaire de façon que cette courroie ne blesse pas. La bottine doit être assez large pour mettre deux paires de chaussettes de laine. Les pieds trop comprimés et dans lesquels le sang ne circule pas bien peuvent très facilement geler. Une paire de chaussettes de laine ou de soie, avec des bas de poil de chèvre par-dessus, remplissent extrêmement bien leur office et laissent le pied à sec. Elles absorbent l’humidité qui peut, avec les meilleurs souliers, provenir soit de l’intérieur, soit de l’extérieur. Le cuir le plus convenable pour souliers à neige est le veau provenant d’animaux ayant plus de six semaines, sinon leur peau est trop mince ; celui des jeunes taureaux n’est pas non plus à recommander. Le cuir gras n’est autre chose que du veau dont on a obturé les pores au moyen de graisse liquide, il devient alors imperméable et souple, tandis que la peau de veau ou de mouton généralement tannée avec de l’alun est par conséquent hygrométrique. On doit fortement conseiller les bottines doublées de fourrure, pourvu que l’on use de peau de chien tannée d’un côté et à poil court. Elles sont très chaudes, mais il faut en avoir au moins deux paires, car la garniture de fourrure de l’intérieur demande, quand elle est devenue humide, au moins un jour pour bien sécher. Les gens qui transpirent beaucoup feront mieux de les éviter. Les talons doivent être assez échancrés pour que la courroie puisse tenir sans autres artifices, tels que les vis ou les boucles cousues. De légers clous sont nécessaires sous la semelle ; car, si on arrive sur la glace, il faut enlever les skis, et les semelles unies sont très dangereuses. En tout cas, il ne faut reculer, dans le choix des bottines et des bas, ni devant le temps, ni devant la dépense pour obtenir la meilleure qualité. Le soulier est encore plus important que le ski. Dans le vêtement féminin, on s’achemine de plus en plus vers une tenue aussi simple que possible. Ceci est dû aussi à une influence norvégienne, quoiqu’il soit impossible là-bas qu’une femme fasse du ski en pantalons à cause du qu’en-dira-t-on. Et cependant un vêtement complètement dépourvu de tout luxe, avec une jaquette simple sous laquelle se porte une blouse et un pantalon tout aussi simple, ni large ni bouffant, qui va jusqu’au-dessus des genoux et se continue par une bande molletière, a très bon aspect. Ce dernier équipement est très seyant pour les jeunes femmes et l’œil est déjà presque habitué à les voir porter des pantalons bouffants recouverts d’une jupe courte descendant jusqu’au genou ; somme toute, il est préférable d’avoir un vêtement dégageant bien les jambes. Cette tenue est aussi indiquée pour les femmes dont les lignes sont plutôt à dissimuler qu’à accentuer, mais il faut remarquer qu’à partir d’un certain âge, le port du pantalon ne rajeunit jamais ; tout cela est affaire de goût personnel. Qui veut avoir avant tout quelque chose de pratique — et le pantalon est ce qu’il y a de plus pratique pour faire du ski — peut songer que, si l’esthétique n’y trouve peut-être pas son compte, ce sport s’en trouve pourtant facilité. Pour les jeunes femmes, il convient toujours de dissimuler dans le vêtement la ligne des hanches : avec une ceinture de cuir fortement serrée, une jaquette et un pantalon bouffant elles ont l’air extraordinairement négligé. Au reste, à ski aussi, du moins tant qu’on n’en a pas aux pieds, l’habit fait le moine ! Le sac. — Que de malédictions n’a-t-il pas endurées déjà ce sac qu’on doit porter partout et toujours ! Mais qu’une halte soit faite, si on en retire des choses agréables, on lui pardonne bien vivement son poids encombrant. Rien n’est aussi ennuyeux, lorsqu’on ouvre un sac pesant, que de n’y point trouver l’objet a priori insignifiant dont a justement besoin : une courroie pour réparer une attache, ou du « fart » si la neige colle et que l’on soit sur le point de descendre, ou encore des allumettes si on a l’intention de prendre une tasse de café. Le sac doit donc contenir tout ce dont on a besoin pendant une excursion, même ce dont on pourrait se passer peut-être, mais qui est susceptible de devenir indispensable. D’autre part, on ne doit pas évidemment y mettre ce qui le surchargerait inutilement. Les objets utiles à emporter dépendent beaucoup de nos besoins, de la durée de l’excursion, du degré de notre endurcissement au vent et au froid et de la capacité de résistance à la faim et à la soif. Mais il y a cependant des choses absolument indispensables, ce sont : deux longues courroies de cuir graissé et un outil de réparation, puis quelques bandes et un peu d’ouate comme objets de pansement, des épingles de sûreté, un gros foulard, un jersey, un peu de ficelle, des lacets de souliers en cuir, une paire de gants de réserve, deux paires de chaussettes, une lanterne, des bougies et des allumettes (de préférence des tisons), de quoi soigner des écorchures, des provisions, des lunettes à neige, une boussole et une carte. Un sac fatigue moins s’il a de larges courroies que s’il en a d’étroites ; il est plus facile d’y faire des recherches s’il se compose d’une seule poche, enfin il doit être fait, autant que possible, d’étoffe imperméable ; les objets y restent plus secs et même, dans ce cas, ils ne sont pas tout à fait à l’abri d’un brouillard épais ou d’une tempête de neige. La neige. — La neige est, pour la plupart des skieurs, une chose si naturelle qu’on n’en parle pas en général, tout au plus quand elle est absente ou quand elle « colle ». Dans le premier cas, les baromètres sont tapotés en pure perte d’ailleurs, dans le deuxième on sort de la cire, de la paraffine et d’autres moyens de graissage analogues, extraits de boites ou de tubes et on en frotte les malheureux skis qui n’en peuvent mais. Nos yeux sont trop grossiers pour voir tout d’abord ce qu’il y a de merveilleux dans la neige. Il y a déjà cent ans, Scoresby, l’explorateur de la zone arctique, a découvert et représenté cent formes différentes de cristaux de neige. Dans l’arrangement cellulaire des organismes inférieurs se trouve une collection d’échantillons impossibles à créer, contenant les plus précieux modèles de dentelles, et à côté desquels les plus fines de celles de Flandre ne sont qu’un mauvais et grossier ouvrage. On découvre également, dans les innombrables formes cristallines des flocons de neige, une foule de secrets d’architecture gracieuse et délicate. Une seule loi fondamentale les régit toutes. C’est le nombre six : les petites étoiles, les colonnes, les pyramides, les petites feuilles, les lances, les prismes sont tous hexagonaux. Certains d’entre eux ont des noyaux sphériques garnis de piquants qui les font ressembler à de petits hérissons blancs. D’autres ont, sur un disque hexagonal. Un bouquet d’innombrables fils et pointes, de telle sorte qu’on croit avoir devant soi une corbeille de fleurs célestes. D’autres encore ressemblent presque à une décoration en miniature, de celles que beaucoup de gens souhaitent en plus gros à leur boutonnière au lieu d’un ornement blanc et fondant sur une manche sombre. Mais elles ne sont pas seulement belles, les fleurs vaporeuses de l’atmosphère d’hiver, elles parlent aussi leur langage propre. Elles révèlent au chercheur presque aussi complètement qu’un ballon enregistreur, les régions chaudes et froides qu’elles ont traversées, et, à leur forme, on peut lire leurs petites aventures, on peut savoir combien de fois, en route, elles ont été fondues, puis, de nouveau, cristallisées. Quand ces délicates fleurs de glace tombent sur la terre par trillions de myriades, elles constituent d’abord le mince et blanc tapis qui s’étend doucement sur les collines et leurs pentes ; neige-t-il davantage, il se forme sur les montagnes les légers coussins de duvet composés aux trois quarts d’air et d’un quart seulement de fines plumes de glace, et s’il neige plus encore, tout l’air s’échappe lentement de cette sorte de coussin par suite de la pression qui augmente peu à peu. Il en résulte un matelas compact et épais qui pèse quinze quintaux au mètre cube. Enfin, si le soleil ne s’est pas caché avec le début de l’hiver, se forme la glace dure et bleuâtre des glaciers. Tous ces états sont connus, et avec de nombreuses variantes, de ceux que guident non seulement leurs jambes mais aussi leurs yeux. Par exemple, la neige pulvérulente, qui pendant la nuit remet tout à neuf ; la neige collante, qui n’est ni assez sèche ni assez humide et qui est l’ennemie de tous les commençants ; la neige granuleuse, qui pendant la journée adhère aussi fortement aux skis que la précédente ; la neige en couches, dure comme la pierre, mais encore plane et qui peut porter le skieur, ou celle qui lui ressemble, la neige recouverte d’une simple croûte. Cette dernière, il est vrai, porte aussi, mais d’ordinaire casse juste quand on veut faire un de ces Christiania qui réussissent si bien sur la neige dure. On voit encore les croupes neigeuses travaillées par la tempête, qui se présentent en belles lignes incurvées et superposées les unes aux autres, comme des coquilles calcaires ; la neige dont la surface présente des écailles rondes comme de l’argent ou de l’or véritables, les vallonnements hérissés de monticules gelés sur lesquels les skis craquent, et cette neige que l’on trouve sur les sommets battus par la tempête, et qui est la moins propice aux chutes, parce qu’on s’écorche les mains à travers les gants à leur dentelure et à leurs couteaux de glace tranchants et verticaux ; la neige lourde et farineuse, dans laquelle ce n’est qu’un si médiocre agrément de « faire la trace » qu’on préfère toujours céder le pas à ses compagnons ; la neige légère et ténue qu’on trouve parfois au printemps et dans laquelle on enfonce jusqu’au genou, sans que la marche soit réellement gênée, ou enfin, lorsque le soleil du printemps luit très chaud sur de la vieille neige profonde et tassée, cette masse humide sur laquelle les skis courent comme affolés et sur laquelle il est inutile de tomber deux fois parce qu’à la première, déjà, le bain a été complet. Mais il faut souhaiter à celui qui veut connaître les joyeuses émotions sportives, un mince et léger tapis de neige nouvelle, pulvérulente, recouvrant une vieille neige mouillée ; ces deux couches doivent avoir bien gelé ensemble, et comme nec plus ultra il doit y avoir par-dessus un soupçon de neige fraîche. Celui qui ne se déclare pas pleinement satisfait dans ce cas est sans espoir perdu pour le ski. Elle colle ! — Les visages tristes et lamentables des gens, surtout des débutants, qui, dès le matin sur leurs skis, sont devant leur hôtel et se disent les uns aux autres, avec une visible mauvaise humeur, « Elle colle ! » rappellent l’exclamation dépitée de l’enfant : « Plume pourquoi n’écris-tu pas bien ? » Tous sont convaincus que la neige est seule coupable et ils considèrent comme une ironie vivante le skieur exercé qui, malgré la neige collante, file joyeusement devant eux. « Que font donc ces gens-là ? » dit une dame qui commence à douter d’elle-même et, moitié indignée, moitié nerveuse, suit du regard celui qui va gaiement là-bas. Ce n’est pas difficile d’apprendre ce que font ces gens-là, seulement il faut s’en donner la peine. Celui qui préfère, par exemple, chaque fois qu’il aura à boucler ses skis, faire chercher un garçon d’hôtel, se plaindra souvent de la neige collante. La première chose à faire est de graisser les skis ; un ski colle si l'humidité qui se forme au-dessous de lui gèle rapidement et la neige adhère à cette mince couche de glace. Naturellement ce fait se produit plus facilement encore lorsque l’humidité peut pénétrer dans le bois et congèle sa partie inférieure. La meilleure façon d’empêcher ce résultat est d’imprégner le plus intimement possible le bois d’huile de lin mélangée de pétrole dans les proportions de 2 à 1. Le bois absorbe davantage à chaud qu’à froid. Cette opération doit être effectuée d’abord au début de l’hiver, puis plusieurs fois dans la saison. On place l’huile sur le ski, maintenu horizontalement sur deux chaises. Après plusieurs heures, et avant de passer la couche suivante, on ôte doucement, avec un morceau de verre ou une lame d’acier, ce qui n’a pas pénétré dans les pores du bois et qui s’est desséché en forme de petites bulles. Des skis préparés de cette façon collent rarement si on observe encore ce qui suit : Lorsqu’ils sont plus chauds que la neige, cette dernière fond au contact du bois, il en résulte une couche de glace et le collage commence. Donc, celui qui met ses skis immédiatement au sortir de chez lui peut être sûr que « ça ne glissera pas ». Aussi faut-il avant tout qu’ils soient suffisamment refroidis. Mais très souvent, la neige colle aussi parce que certains skieurs ne laissent pas leurs skis sur elle et les soulèvent à chaque pas comme une raquette : on doit glisser mais non marcher. La différence de température entre la neige et l’air s’élève souvent, surtout dans les environs du zéro, à 1 degré ou 1 degré 1/2. Elle peut suffire pour faire naître sur la surface glissante, et sous l’action persistante de l’humidité, une couche de glace. En outre, le glissement empêche le « collage » de la neige, parce qu’il arrache facilement du bois graissé une couche de glace même assez forte. Un mélange intime et en parties égales de goudron végétal et de suif, fondu à plusieurs reprises sur les skis, avec une lampe à souder, produit un effet analogue mais plus énergique que celui de l’huile de lin. C’est là le meilleur des moyens employés par les Norvégiens contre cet inconvénient. Il a l’avantage de tenir presque tout l’hiver et aussi de ne pas rendre la montée plus pénible. Si le fart a rendu les skis trop glissants et si l’on recule trop facilement, il vaut mieux durant un certain temps gravir la pente au moyen de pas en escalier que de saisir de suite son couteau pour gratter la cire. La neige se charge de vous débarrasser de l’excédent avec beaucoup plus de mesure. Tous les graissages préparés ont un inconvénient, que ce soit le fart ou une graisse liquide que l’on place légèrement sur le ski, puis que l’on étend et que l’on polit avec un chiffon : ils ne tiennent pas longtemps, ni les uns ni les autres. En particulier la cire liquide n’existe souvent déjà plus au bout d’une demi-heure. De temps en temps il faut avoir recours à ce moyen, mais seulement quand il est impossible de faire autrement. Il y a, d’ailleurs, de la neige avec laquelle tous les moyens sont à peu près inutiles. Par un grand froid aussi, les skis peuvent coller : ce n’est pas précisément que de minute en minute ils deviennent plus lourds de quelques livres de neige, mais ils ne glissent plus bien. Cependant, dans ce cas, il faut se consoler avec Sverdrup qui dans son « Neuland » affirme qu’il connaît des centaines de sortes de neige, mais qu’il ne peut pas encore dire a priori avec certitude quand la neige colle et quand elle ne colle pas, ni comment on doit agir dans les cas ou elle colle de façon particulièrement pénible. Il peut aussi arriver qu’à une descente, malgré le maniement le plus consciencieux de nos skis, un ami passe devant nous sans embarras, et nous distance de plus en plus sans que nous puissions arriver à nous expliquer de quoi peuvent bien dépendre d’une part cette aisance complète et d’autre part ces nombreuses difficultés. Nous désirons indiquer sommairement ici la technique adoptée actuellement pour la fabrication des skis. Le ski est un instrument de précision et il exige, pour être établi selon les règles de l’art, des matériaux assez coûteux et une fabrication des plus minutieuses. Pendant longtemps, ceux qui se trouvaient en France furent d’importation norvégienne ou suisse et leur prix (30 francs environ) était assez élevé pour empêcher leur diffusion parmi la masse des populations rurales, en général pauvres, où il peut être utilisé. Lorsque, vers 1900, ils furent introduits dans l’armée française, on se préoccupa d’en fabriquer d’à peu près équivalents et à moins de frais. Plus tard enfin, dans un but de vulgarisation plus étendue, on rechercha le moyen de faire plus économiquement encore le ski dans chaque famille. Nous exposerons d’abord les méthodes employées dans les usines spécialement outillées. Les essences qui conviennent le mieux sont le frêne et l’hickory. On peut utiliser aussi, suivant les régions, et pour les skis de qualité secondaire, le sapin, l’acacia ou le bouleau. Mais, quel que soit le bois employé, il faut avant tout que les souches choisies soient belles et bien sèches. Cette dernière condition est essentielle, car le bois trop vert, qu’on doit laisser sécher très longtemps, travaille ou se détériore facilement et laisse de nombreux déchets. Il est donc préférable d’abattre les arbres en hiver, au moment où la sève est moins abondante. Ces souches sont débitées, autant que possible, en plateaux parallèles. Les pièces que l’on prendra de préférence seront sans défauts, sans nœuds et, comme elles doivent être aussi dures que possible tout en étant d’un grain régulier, on ne prendra ni le cœur ni les bords, le côté écorce étant utilisé pour la face glissante, et la partie la moins veineuse pour la spatule à cause de sa souplesse. Enfin c’est au même plateau qu’on prendra les skis d’une même paire, afin que leur faculté de glissement soit égale. Les plateaux, déjà bien secs, sont débités en planchettes ayant pour longueur celle des skis que l’on veut obtenir et dont la largeur et l’épaisseur sont peu supérieures aux plus grandes dimensions correspondantes de ces skis, soit environ 12 et 3 centimètres. Ces planchettes sèchent pendant longtemps encore à l’air libre, puis on découpe celles qui ne sont ni gauchies ni piquées — ce qui arrive fréquemment pour l’hickory — suivant le gabarit du ski développé. On réduit en même temps l’épaisseur de façon convenable. C’est alors qu’il faut donner aux planchettes les courbures correspondant au cintre et à la spatule, mais ce résultat serait impossible à obtenir si les bois restaient secs et cassants comme ils le sont au point de fabrication où nous sommes parvenus. Il faut donc les ramollir et on obtient ce résultat en les plaçant pendant quelques heures dans une étuve où on fait arriver de la vapeur d’eau surchauffée. Au bout de ce laps de temps, ils sont devenus suffisamment malléables et on les assujettit sur une forme reproduisant les courbures du ski, puis on les sèche à l’air chaud. Les courbures doivent d’ailleurs être un peu plus accentuées que celles du gabarit, afin que, par la suite, ils puissent supporter sans inconvénient un léger adoucissement de ces courbures. Les paires qui ont supporté toutes les épreuves et tous les efforts peuvent maintenant être achevées. On met, bien entendu, de côté celles dont le bois s’est gauchi, fendu ou piqué, et qui donneraient, à l’usage, des résultats défectueux. Les skis sont polis et vernis après qu’on leur a donné leur cannelure médiane, leurs lignes ornementales, leur mortaise pour le logement de l’étrier. Tous ces travaux sont faits mécaniquement avec une grande précision. Enfin, on fixe les accessoires, étriers, courroies, semelles, et ils sont prêts à être livrés. Les usines produisent aussi des cannes, mais cette fabrication n’offre aucune difficulté. On opère un peu différemment dans les ateliers régimentaires ou scolaires et chez les fabricants des campagnes désireux de produire des skis à meilleur marché que dans les usines. Le principe de la fabrication est, en somme, le même, mais les précautions à prendre sont moins rigoureusement observées. Tout d’abord, les bois choisis sont de qualité secondaire, plus lourds, portant des nœuds. Ils sont séchés moins longtemps et plus artificiellement, ce qui est nuisible à leur résistance. En vue de la courbure, l’étuve à vapeur surchauffée est remplacée par une simple cuve remplie d’eau chaude et le ski qui en sort est placé sur une forme plus rudimentaire et séché trop vite dans un four trop chaud et trop sec, au lieu d’être lentement desséché à l’air légèrement chauffé. Enfin le finissage est évidemment moins soigné. Cependant, malgré toutes ces imperfections, les skis construits par cette méthode sont encore suffisants, ils ont rendu et rendront encore de grands services. Dans les familles trop pauvres pour acheter les skis des ateliers secondaires, on peut employer, pour obtenir des skis rudimentaires, différentes méthodes. Les résultats obtenus sont d’ailleurs médiocres, en particulier les surfaces de glissement sont généralement gauchies et par conséquent très défectueuses. Mais ils peuvent encore rendre de signalés services aux familles modestes et isolées, et c’est pourquoi nous les indiquons ici. Ces méthodes sont dues à Paulcke et voici quel en est le principe : Les skis, plus ou moins grossièrement taillés, sont courbés peu à peu, soit au feu de charbon de bois, tout en étant humectés à l’aide d’un linge mouillé, soit à la vapeur d’eau, puis maintenus ainsi, jusqu’à ce que la courbure soit définitive, par des tendeurs rudimentaires. On conçoit aisément que même de légères erreurs de l’opérateur puissent produire des défectuosités définitives et notables et que de tels procédés soient, malgré leur avantage économique, peu recommandables. Le ski n’est pas un art aussi privé de principes qu’on pourrait le croire. Les gens qui ne débutent dans ce sport qu’à un âge déjà avancé et arrivent directement de leur « home » ne doivent pas s’étonner si au début ils ne procèdent qu’avec beaucoup de difficultés et de chutes, car il faut d’abord qu’ils apprennent par expérience ce qu’ils devraient déjà connaître : l’équilibre. « Le ski est un art d’équilibre » (Huitfeld). De même que le violoniste doit avoir l’articulation de la main bien libre, le skieur doit être très souple des hanches. C’est par elles qu’on déplace le poids du corps à droite ou à gauche, en avant ou en arrière, qu’on rétablit ainsi l’équilibre perdu. La plupart des gens se soucient si peu d’eux-mêmes qu’ils ignorent absolument les lois de la locomotion de leur propre corps et même la position de leur centre de gravité. On ne peut pas leur demander alors, qu’après avoir abandonné et négligé de soigner leurs hanches et leur musculature abdominale pendant des années et même des dizaines d’années, ces organes fonctionnent bien tout d’un coup quand ils se trouvent sur skis. Donc, chez vous, dans votre chambre, surtout après votre lever, faites fléchir et LA MARCHE EN PLAINE. pivoter un peu les hanches et le tronc. Après l’équilibre, c’est le ressort du corps qui est le plus important. Il réside dans les genoux encore plus que dans la plante des pieds. Il n’y a pas, dans tout l’art du ski, une seule position où ceux-ci soient tout à fait raidis, sauf au saut, pendant le temps qu’on est dans l’air. En dehors de ce cas, ils sont toujours légèrement fléchis. Tout cela n’a évidemment aucune importance pour les enfants et les tout jeunes gens. Ils n’ont besoin ni de théorie, ni d’exercice préparatoire : ils voient simplement les autres marcher et font comme eux. Leur corps est encore assez souple et flexible. Ils arrivent à faire un Telemark sans se rendre compte clairement de la façon dont ils le font. Mais les personnes âgées, avec leurs muscles devenus plus raides, ont besoin de s’assimiler d’abord la théorie s’ils ne veulent pas s’attirer de fâcheux mécomptes. Depuis longtemps déjà ils savent très bien beaucoup de choses « en théorie », mais, sur le terrain, l’appareil, qui s’est rouillé, n’obéit plus bien et un bain de neige plus ou moins prolongé leur fait comprendre la distance qui sépare la théorie de la pratique. D’autre part, il faut dire qu’avec une certaine endurance et une certaine sagesse, des gens qui ont dépassé depuis longtemps la plénitude de leurs forces peuvent apprendre le ski, et suffisamment pour en éprouver encore de la joie. Cette sagesse doit s’appliquer surtout au choix approprié des pentes d’exercices suivant le degré des connaissances et aussi à éviter les exercices trop difficiles. Je connais un homme assez âgé, ayant largement dépassé la cinquantaine, qui laisse rarement passer un dimanche, en hiver, sans faire avec prudence, quelque part dans la montagne, une petite excursion « pour goûter de nouveau le plaisir de vivre » et je connais un septuagénaire qui a commencé le ski à soixante ans et qui, maintenant encore, court souvent dans la montagne « parce qu’ainsi on arrive à rajeunir un peu ». C’est à cause de la descente surtout que le ski a passé du but utilitaire au sport, c’est-à-dire à un des exercices du corps les plus agréables. Que ne fait-on pas pour jouir d’une belle descente ! On monte péniblement, on travaille et on peine, on patauge dans la neige... on transpire, on sent pleinement à la montée tout le poids des 5 kilos de bois que l’on traîne aux pieds, mais à la descente, on devient un tout autre homme. C’en est fini de la pauvre marche au pas, qui ne vous fait avancer à chaque foulée que de 50 centimètres. Debout, reposant plutôt sur le bout des pieds que sur les talons, les genoux légèrement ployés, le rein creusé, la tête haute, on se dresse, les mains derrière le dos. Alors on part de soi-même ; on ne court pas, on se laisse courir pour ainsi dire. « Il se tient bien », disent les Norvégiens, d’un skieur qui fait une belle descente. Aucun muscle n’est tendu ni raidi ; au contraire tous jouent avec souplesse. La vitesse augmente, l’air commence à siffler aux oreilles et les plis du cache-nez flottent au vent. Un bien-être infini s’empare de vous. Est-ce parce qu’on éprouve comme un délice de glisser ainsi doucement sur la neige, ou bien parce qu’on est fier de conserver souriant son sang-froid, en avançant avec de plus en plus de rapidité ? Mais notre intention n’était pas de dire ce qui se passe quand on sait, mais d’indiquer ce qu’on doit faire quand on ne sait pas. Partout où l’on fait du ski, il y a des terrains d’exercice. La une descente, départ. neige y est en grande partie tassée et piétinée, l’apprentissage est plus difficile quand la neige est molle et profonde. Vous voilà au sommet de la pente. Avez-vous des cannes ? Mettez-les de côté. Avez-vous peur ? N’ayez pas peur ! Placez un pied d’une demi-longueur devant l’autre et maintenez les skis serrés l’un contre l’autre afin d’avoir un équilibre plus stable. Avancez encore un peu plus le ski antérieur pour traverser de petits vallonnements. Ah ! cela va déjà tout seul. Surtout soyez sans crainte. Si les skis veulent se séparer il ne faut pas le permettre : réagissez en appuyant les genoux l’un contre l’autre. Ils obéissent maintenant. Vous trouvez que la vitesse devient trop grande ! C’est seulement la crainte de tomber qui vous donne ces idées. Ne vous penchez pas en arrière comme devant un malheur imminent ; mais ne penchez pas non plus seulement le haut du corps en avant. Posez-vous, léger et droit, sur les pointes des pieds, suivant la pente ! Les skis ne doivent pas aller plus vite que vous. Penchez-vous en avant, de manière à être perpendiculaire à leur direction : alors leurs mauvais tours disparaîtront, vous pourrez les suivre dans tous les cas, quelque vitesse qu’ils veuillent atteindre. Craignez-vous enfin de tomber sur le côté ? Rétablissez l’équilibre avec les bras ; c’est leur rôle, mais ne les tendez pas désespérément vers le ciel ! Ils sont inutiles dans ce cas. Enfin cela marche de nouveau... Pouf ! vous voilà par terre. Pourquoi êtes-vous tombé ? Vous voudriez le savoir ? Vous n’êtes pas tombé du tout. Vous vous êtes simplement assis volontairement par terre. Je pensais que vous vouliez vous reposer un instant en route. Non, ce n’était pas votre intention ? Alors il ne reste plus qu’une seule supposition : la peur. Le manque de neige, les défectuosités de l’attache, rien n’entraîne aussi souvent les chutes que la peur, et ce qu’il y a de singulier, c’est qu’on a peur de ce qui est précisément le plus beau dans le ski, l’allure rapide. Elle vous a fait perdre votre calme empire sur vous-même ; vous avez fait accroire à votre imagination que vous alliez tomber et la chute en est résultée. Scientifiquement, cela s’appelle de l’auto-suggestion. Jeune homme, si vous voyez quelque part, sur une pente, une jeune fille étendue sur la neige, fuyez. Mais si vous voyez que réellement elle n’arrive pas à se relever toute seule, allez vers elle et arrêtez-vous par un beau Christiania ! Si vous n’en êtes pas capable, tâchez au moins de ne pas tomber à ses côtés, vous ne pourriez lui être d’aucun secours. Voici le discours que vous lui tiendrez : Elle. — Ah ! voulez-vous être assez aimable... Vous. — Je regrette infiniment, Mademoiselle ! mais dans les statuts du Ski Club auquel j’appartiens, le paragraphe premier dit : « Aucun membre n’a le droit de relever de la neige une dame qui est tombée. Par contre, c’est son devoir de lui apprendre comment on se relève sans aide étrangère. » Elle. — Mais comment puis-je faire ? je glisse toujours vers le bas quand j’essaie de me relever. Vous. — Pardon, Mademoiselle, couchez-vous tranquillement sur le côté dans la neige. Ensuite tournez-vous jusqu’à ce que votre corps soit placé dans la direction de la pente, les skis vers le bas, horizontaux et transversalement à cette pente. Ensuite, attirez, en pliant vos genoux, les skis aussi haut que possible vers votre corps. Bien. Et ensuite levez-vous. Cela va tout seul. Bravo ! Elle. — C’est étonnamment simple, une fois qu’on le sait. Vous. — Comme tout dans le ski. Il ne doit pas y avoir d’autres préliminaires à une suite éventuelle de la conversation commencée. Mais si la dame tombe encore une fois en votre présence, sur le plateau, non sur la pente, il est alors utile de lui faire savoir que, dans ce cas, la meilleure manière consiste à placer d’abord sur les skis la partie inférieure du tronc parce que, sans cette précaution, les skis repartent d’eux-mêmes. Celui qui veut se lever autrement que par cette méthode se met dans une grande agitation, se laisse entraîner à toutes sortes d’imprécations imméritées contre les skis et en définitive n’arrive pas à se relever. Mais si on tombe par hasard de telle sorte que les pointes des skis soient écartées et dirigées en l’air dans des directions opposées et qu’on soit couché sur les extrémités enterrées sous la neige, il faut, avant tout, chercher à sortir d’une attache. C’est le sauvetage le plus rapide de cette situation embarrassée. Si on ne peut pas atteindre l’attache avec une main, ou bien — si on est assez prudent pour porter des attaches de Huitfeld avec boucles brevetées — si on ne peut abattre la boucle avec une canne, il est inutile de dépenser ses forces sans résultat, il vaut mieux appeler quelqu’un à son secours. Ce n’est pas une honte, et c’est bien plus sage que de se faire très mal par orgueil. Enfin, lorsqu’on est de nouveau sur ses skis, il est bon de bien épousseter chaque fois ses vêtements avec un gant. Cette petite peine est récompensée, une fois rentré chez soi, parce que les vêtements sèchent plus vite. En outre, c’est une pause agréable, une autre manière de se remuer sans tomber dans l’agitation et l’excès de fatigue. Lorsqu’on est épuisé, tout est inutile, les chutes se succèdent à brefs intervalles. Ce qu’il y a de mieux à faire, dans ce cas, mais ce que presque personne ne fait, c’est de se reposer durant un bon quart d’heure. Si cela ne suffit pas, on rentre chez soi. Mais nous n’en sommes pas encore là. Nous voudrions bien aussi remonter la pente au plus tôt. C’est au demi-tour que la longueur de nos skis nous gêne le plus. Il nous faudra tourner cinq ou six fois pour pivoter de DEMI-TOUR. 1er MOUVEMENT. 180 degrés lentement et raide comme une statue de bois. Tout à coup, nous voyons un jeune skieur faire également devant nous demi-tour. Il lève bien haut l’un de ses skis et se trouve, en un instant, et après un mouvement qui nous reste mystérieux, avec ses skis complètement retournés ; et il file en souriant dans la direction d’où il était venu. Nous sommes stupéfaits. Sapristi ! qu’a-t-il donc fait ? La chose était toute simple et nous pouvons à l’instant l’imiter : 1o Placer un ski debout sur son extrémité arrière, la jambe étant horizontale. 2o Porter vers l’arrière la pointe de ce ski, qui était d’abord DEMI-TOUR. 2e MOUVEMENT.vers l’avant. 3o Le poser, retourné, à côté de celui qui n’a pas bougé, de sorte que les pointes se trouvent dans des directions opposées. 4o Sur le pied ainsi retourné, prendre d’abord un solide appui et 5o tourner le deuxième ski doucement par derrière le premier, la pointe légèrement surélevée, et le placer à côté de lui. Le premier des mouvements, schématiquement indiqués, n’est DEMI-TOUR. 3e MOUVEMENT. possible que sur de la neige fortement durcie. Sur la neige molle, profonde ou seulement faiblement tassée, l’extrémité arrière du ski s’enfonce tellement, qu’on reste accroché et qu’on tombe infailliblement. Dans ce cas, le seul moyen consiste à jeter résolument en l’air le ski comme si on voulait le lancer loin de soi avec le soulier et le retourner de suite après. Mais, pendant ce mouvement, la main qui se trouve du côté de la jambe qui tourne doit être collée fortement au corps, sans quoi on se fait un bleu avec le ski qu’on lance en arrière. Ainsi les trois premiers mouvements décrits schématiquement se réunissent en un seul, bref et précipité. Si on arrive à jeter le ski assez vigoureusement pour que la pointe vienne en haut vers nous, et l’extrémité en bas et en dehors, le demi-tour se fait tout seul. DEMI-TOUR. 5e MOUVEMENT. Il faut employer cette façon de procéder, surtout sur les pentes raides, sans cela on glisse, soit en avant, soit en arrière. Mais avant d’effectuer ce mouvement, il faut avoir pris des deux pieds une bonne assiette. On cherche, en piétinant la neige et par de petits sauts, à se faire une petite plate-forme ou on se sente solide. Sur une pente on doit toujours tourner d’abord le ski inférieur. C’est bien plus facile au début. Si, plus tard, on peut commencer à tourner le ski supérieur, cela vaut encore mieux, on gagne chaque fois 50 centimètres, mais ce n’est pas chose facile. Un bâton est très commode et presque indispensable sur une pente raide. Il faut toujours le tenir du côté où la jambe ne tourne pas et, sauf exception, avec les deux mains. Pour faire un demi-tour plus vite encore et d’un seul mouvement — mais ce n’est possible qu’en plaine — on peut sauter assez haut et faire tourner, d’un simple mouvement du corps, les skis de 180 degrés, pendant qu’ils sont en l’air. C’est un tour de force rude et violent, et le skieur qui tient au calme et à la facilité des mouvements choisira de préférence la première méthode, qui paraît toujours aussi élégante que déconcertante. Le débutant est-il enfin de nouveau prêt à recommencer, il attaque la pente pour essayer une descente plus longue. En général, il tient plus à la rapidité qu’à la correction de la course. Cela se comprend, mais c’est une faute. On est vite récompensé de l’effort personnel que l’on fait au début pour marcher correctement, soit en plaine, soit en montagne, au lieu de s’efforcer d’avancer coûte que coûte, les skis croisés à l’avant ou à l’arrière. On apprend toujours trop tard la marche en plaine. Elle doit être une glissade énergique, les genoux ployés, et non une marche indolente, les jambes raides. À chaque pas on se laisse tomber profondément sur les genoux et on pousse le ski en avant. Pendant que le poids du tronc penché en avant repose presque en entier sur le ski avant, le ski arrière n’est presque pas chargé car le pied n’y pose que par sa pointe, le talon relevé — On peut alors facilement l’entrainer, puis le pousser énergiquement devant l’autre. Les bras doivent suffire pour conserver l’équilibre. Ce mouvement est puissamment aidé d’ailleurs par la position du tronc dont le poids repose, comme nous l’avons dit, sur le ski qui se trouve en avant. Le balancement de la partie supérieure du corps donne au mouvement quelque chose de la démarche des montagnards avec leur pas lent, tranquille et long. Plus tard, deux cannes pourront être utilisées, non pas pour garder l’équilibre, mais pour augmenter la vitesse. La tendance des commençants à marcher les pointes des pieds et par suite celles des skis écartées se perd vite, étant données les expériences désagréables que l’on fait de cette manière. Tenir les skis parallèles et rapprochés l’un de l’autre, la pointe du pied droit devant soi, les genoux bien fléchis, telles sont les principales règles à observer pour la marche en plaine. Le skieur qui, à cette occasion, peut déployer de véritables connaissances techniques dépassera toujours ceux qui se sont entraînés à la légère à cet exercice. Une ascension exige autre chose que l’art du ski. Un rapide coup d’œil sur le terrain est nécessaire, si l’on veut gravir de grandes hauteurs sans gaspillage de forces. L’énergie est certes ASCENSION. PAS EN ARÊTE DE POISSON un facteur indispensable, mais, comparée à une sage économie des forces, elle est peu de chose. On s’épuise vite à gravir une longue pente en procédant en arête de poisson, c’est-à-dire en écartant fortement les jambes et en frappant les skis sur la neige. Pour des pentes courtes et raides, ou dans des chemins creux où l’on ne peut faire différemment, ce procédé est bon. Pour effectuer des montées plus longues, on peut employer le pas en ciseaux, mais il faut conseiller plutôt, dans ce cas, une montée un peu plus diplomatique, ces « astucieux détours » dont Olaus Magnus parle déjà avec éloges en l’an 1553. La montée est, sans autre règle, facile à apprendre, par les indications que la pente elle-même nous donne. Si on glisse en arrière, c’est qu’on a trop fortement placé les skis suivant l’inclinaison de la pente. Dans ce cas, il est inutile d’essayer de s’arrêter, soit au moyen des ASCENSION, PAS EN CISEAUX. arêtes des skis, en croisant les jambes l’une devant l’autre, soit, ce qui est parfois recommandable, en plaçant les skis fortement de travers. Il faut cependant toujours se mettre un peu sur l’arête pour les montées, surtout avec le pied placé du côté de la pente et il est bon de changer souvent de direction à cause de la fatigue exagérée qui serait imposée à ce pied. De là proviennent les trajets en lacets que l’on fait constamment. La montée dépend encore plus du tempérament du skieur que de la technique, mais c’est plus encore à cet exercice que partout ailleurs que se trouve bien ASCENSION NORMALE D’UNE PENTE MOYENNE. appliqué ce proverbe : Chi va piano va sano ! Une ascension lente a aussi pour effet de mettre les skis au point en ce qui concerne leur graissage. Celui qui les soigne de telle sorte qu’il puisse descendre rapidement avec eux et monter aussi facilement a atteint le but. Le principal artifice dans la montée, artifice qui ne s’apprend que peu à peu, consiste à poser les skis en avant et en même temps les soulever de côté sans les porter trop au-dessus de la neige. Quand le pied gauche se trouve du côté de la pente, le mouvement doit se faire à peu près de la façon suivante. Avancer le pied gauche d’environ un cinquième de la longueur du ski et ensuite le porter, en effleurant la surface de la neige, vers le haut et à gauche de 20 à 40 centimètres, prendre un solide appui et placer ensuite le ski de droite parallèlement et contre lui. ASCENSION D’UNE PENTE TRÈS RAIDE. Une seule chose est importante : monter toujours, autant que possible, le corps bien droit. Lorsqu’on l’incline trop en avant ou en arrière, les skis sont surchargés d’un côté et glissent facilement dans cette direction : la marche droite donne la stabilité. Les pentes étroites et très raides ne peuvent être gravies que par la marche en escalier. On ne parvient à se débarrasser d’une telle pente qu’à l’aide d’une canne tenue de la façon indiquée ci-contre : le skieur prend d’abord un solide point d’appui sur le ski inférieur, puis porte rapidement dans la direction de la marche le ski supérieur. Celui qui a suivi toutes les indications données jusqu’ici ne doit pas avoir trouvé de difficultés bien grandes. Presque tout le monde peut atteindre ce degré dans l’art du ski. Mais, pour aller plus loin, on doit se familiariser avec celui des exercices de ce sport qui est le plus nécessaire aux débutants, et bien plus important pour eux que de pouvoir, dés le premier hiver, effectuer un petit saut devant leurs amis et connaissances. DEMI-CHASSE-NEIGE Zola décrit dans l’un de ses romans une locomotive lancée à toute vapeur sans mécanicien. À toutes les stations de la ligne de chemin de fer, on se précipite et on sonne aux signaux avec une agitation fébrile, les voies sont rendues libres et le noir monstre passe comme le vent. On peut rapprocher ce tableau, bien qu’il ne s’agisse pas de la force destructive d’un élément, d’un fait qui se produit assez souvent en ski. Gaiement les skieurs glissent sur les flancs d’une pente rapide. Subitement s’élève un cri impérieux : Attention ! On voit, sur des skis emballés, un malheureux se précipiter du haut de la montagne juste dans le groupe le plus dense. Tout le monde se sauve, mais les skis livrés à eux-mêmes s’en donnent à cœur joie. En un clin d’œil, ils sont là, volant, emportant au milieu du groupe l’homme désespéré et cramponné à son bâton. L’instant d’après, deux corps roulent dans la neige soulevée en tourbillons. descente en chasse-neige. Dans cette circonstance, le freinage du ski a fait défaut, c’est-à-dire la connaissance de la marche en charrue ou en chasse-neige, comme l’appellent les Norvégiens, ou de la marche freinée, comme l’a baptisée plus clairement Zdarsky. Cette marche est le régulateur de vitesse des skis, leur seul frein naturel, au moyen duquel on obtient leur complète maîtrise. Celui qui descend en vitesse du haut d’une montagne, sans la connaître, doit subordonner sa volonté aux caprices de ses skis et à ceux de la loi de l’inertie, et on sait que, le plus souvent, la conclusion n’a rien d’inerte ! Si la marche en chasse-neige est déjà recommandable sur une pente libre où on a des coudées franches d’une centaine de mètres à droite et à gauche, elle devient absolument indispensable dans les bois ou dans les terrains plantés de palissades, si l’on veut éviter les accidents. Elle ne rend, il est vrai, pas possible un arrêt, brusque devant un danger subit, mais permet un léger et lent détour des obstacles ainsi que l’observation rapide du terrain. Sur des pentes raides et découvertes, en particulier sur celles durcies et couvertes de neige hétérogène, elle permet une réduction convenable de la vitesse. Aussi est-elle pour le ski ce qu’est le balancier pour l’horloge et le frein pour un attelage. La position désagréable, et même un peu douloureuse d’abord, qu’il est nécessaire d’observer dans la marche en chasse-neige rebute facilement les commençants et ils ne sont pas les seuls ! Il faut ne pas se laisser décourager dans les débuts et se convaincre de l’importance de cet exercice. On doit tenir les jambes suffisamment écartées et ne pas poser les pieds inclinés naturellement sur le sol mais les maintenir perpendiculaires l’un à l’autre les pointes tournées vers l’intérieur. Toutes ces conditions paraissent très pénibles à nombre de débutants. C’est alors qu’on peut lire sur les visages inquiets la craintive question qui s’exprime souvent de la façon suivante : « Est-ce qu’ainsi rien ne pourra m’arriver ? » Mais, d’ordinaire, il ne se passe rien du tout. Il ne peut survenir qu’une chose : généralement, lorsqu’on veut apprendre la marche freinée, les jambes ne sont pas assez écartées, ou les pointes pas réunies. Il en résulte que les skieurs partent en vitesse. L’angle qu’ils font avec leurs skis n’est pas assez ouvert pour agir comme un chasse-neige, c’est-à-dire pour ralentir fortement la course. La seconde faute principale est de se mettre trop sur l’arête sans nécessité, ce qui se paye fréquemment par une chute. Ce résultat est la conséquence de la première faute. Au lieu d’écarter l’arrière des skis avec suffisamment d’énergie, on cherche par erreur à produire l’action de frein en déversant les skis, au lieu de pratiquer un simple élargissement de la trace. Nous allons, si vous le voulez bien, expliquer, éclaircir une bonne fois ce qu’on entend par « élargir la trace ». Moins la surface de neige que les skis effleurent est grande, et plus la course est rapide. Lorsque le ski est placé suivant la ligne de plus grande pente du terrain, la largeur de la trace est, théoriquement, et abstraction faite de l’action de la courbure, celle du ski lui-même. Si on laisse l’un des skis dans la direction de la pente descendante et si l’autre est amené dans la position appelée position en chasse-neige, la surface de contact de ce dernier, maintenu à plat, est beaucoup plus large et la descente devient, par suite, plus lente. Au lieu de glisser sur la neige, le ski, maintenu à plat et présenté en largeur, brosse en quelque sorte la neige. On avance en employant la marche à large trace. Habituellement, on entend cependant par « marche à large trace » la course les jambes écartées, les skis parallèles formant deux traces étroites mais assez éloignées, au lieu d’être collées l’une à l’autre. Nous n’avons pas l’intention de modifier une expression qui, dans le langage habituel des skieurs, a acquis une signification déterminée, mais simplement d’expliquer ce dont il s’agit ici. La trace devient encore plus large quand on élargit la surface de contact du second ski, maintenu toujours à plat. Le skieur forme ainsi les côtés d’un angle dont la bissectrice indique exactement la ligne de plus grande pente de la descente. La marche devient encore plus lente. Le freinage sera renforcé et la descente encore ralentie par la marche sur l’arête, d’abord de l’un des skis, tandis que l’autre est toujours placé en largeur mais maintenu à plat. C’est là que commence la véritable marche en chasse-neige, c’est-à-dire l’appui contre la neige pendant la course. Le ski déversé « brosse » ainsi, non seulement en laissant derrière lui sur la neige une trace large et superficielle, mais en arrachant un grand et profond sillon et en formant, avec son extrémité arrière, un petit remblai. On obtient le freinage le plus énergique en plaçant les deux skis à la fois dans cette position. Deux petits remblais bordent alors à droite et à gauche la trace. On obtient là l’effet exact du chasse-neige, d’où l’origine de l’expression aujourd’hui consacrée. L’expression de marche freinée, due à Zdarsky s’applique plus exactement au demi-chasse-neige, c’est-à-dire à la descente dans laquelle un ski glisse et l’autre appuie ; elle est très caractéristique. Les quatre méthodes de marche en chasse-neige, ou freinée, ne peuvent être aussi exactement et aussi simplement distinguées l’une de l’autre en réalité que sur le papier, car elles se subdivisent en une quantité de variations et modifications. L’état de la neige et la déclivité de la pente rendent nécessaire un nombre incalculable de combinaisons qui, avec le temps se font d’instinct, en même temps que la répartition du poids sur l’un ou l’autre des skis. un large virage. Des indications trop précises pour chacune d’elles ne pourraient faire naître dans l’esprit que la confusion. Les courbes freinées sont des combinaisons de chasse-neige et de demi-chasse-neige pendant l’allure lente qui précède l’arrêt. La direction de la courbe est toujours, dans ce cas, déterminée par le report en avant du ski inférieur déversé. Mais il faut que ce mouvement soit fait très rapidement, surtout sur une pente raide, si on ne veut pas être entraîné par ses skis dans une course rapide. Les courbes en zigzag proviennent de ce que, en modifiant la position du corps, le ski déversé devient le ski glissant, et inversement. — Elles changent de caractère lorsqu’on les prolonge, surtout dans la traversée d’une pente où, au lieu d’un demi-tour, on les emploie pour changer la direction de la marche au virage. La trace est alors comme polie. L’emploi d’une canne est très pratique pour décrire ces portions d’arc de cercle. VIRAGE COURT EFFECTUÉ AVEC L’AIDE D’UNE CANNE. La marche dans ce cas est si peu élégante et tellement dépourvue d’utilité que même les adversaires les plus farouches de la canne ne peuvent opposer à son emploi ni de raisons esthétiques, ni de raisons techniques. Si les courses de ski n’avaient aucune autre valeur que celle d’y apprendre à virer, on devrait, pour ce motif, y participer partout où il y en a. Peu de gens ont l’énergie, dans le temps très court dont ils peuvent disposer chaque fois qu’ils vont en montagne, de s’efforcer d’eux-mêmes à faire des virages. Mais pourtant leur technique est la base du ski. Celui qui ne la possède pas ne saura jamais, dans toutes les situations, prendre sans hésiter la décision convenable. C’est pourquoi il faut apprendre à virer sur des pentes raides, et n’avoir pas peur ! Ce sont là les noms de deux grands exercices au moyen desquels on peut interrompre brusquement une descente rapide. Ils étonnent les profanes autant qu’ils ravissent les skieurs expérimentés. Je vis, il y a quelques années, la première application pratique de ces exercices pendant une excursion. Un skieur descendait une pente raide juste devant moi, et se dirigeait droit sur une ferme dont le jardin était entouré d’une haie. Derrière elle, un paysan jetait, à la pelle, la neige à l’extérieur. Tout à coup, il vit l’homme qui accourait sur lui. De peur il leva les bras au ciel, comme pour détourner le malheur de lui-même, de la haie du jardin et peut-être aussi du skieur. Au même instant il se passa quelque chose d’inattendu. Celui-ci fit un petit mouvement brusque étonnant, puis se trouva aussitôt comme cloué au sol devant le paysan auquel il demanda poliment son chemin. De ma vie je n’oublierai le sourire aimable du skieur et la mine impayable du paysan. Les deux désignations « Telemark » et « Christiania » paraissent indiquer que le premier mode d’arrêt provient des paysans du pays norvégien appelé Telemark, l’autre des skieurs de la capitale norvégienne Christiania. Mais il n’en est pas ainsi. Lorsque les fils des paysans de Telemark stupéfièrent pour la première fois les dilettanti du ski de la ville, par leur adresse, ces arrêts instantanés furent en général appelés, à Christiania surtout, « Telemarking ». Mais un seul d’entre eux justifie ce nom. On passe avec lui d’une descente rapide et en ligne droite à une position très caractéristique sur le côté et tout à fait différente de l’arrêt classique du ski d’autrefois. On achève une descente par un Telemark tout comme on termine sa signature avec un parafe élégant mais un peu pompeux. C’est pourquoi tout débutant est fier de pouvoir, enfin, esquisser le Telemark. Le Christiania, par contre, n’est pas, à proprement parler, un virage mais bien plutôt un arrêt brusque. Bien qu’il ne soit pas aussi élégant que le virage de Telemark, il est, par contre, beaucoup plus utile. Si l’on veut reprendre la comparaison avec un parafe, on peut dire qu’il ressemble au trait en forme de coin par lequel des natures pratiques et énergiques terminent souvent leur signature. Les deux façons de virer peuvent être exécutées à droite ou à gauche. Comme la plupart des gens sont droitiers, ils pratiquent au début le Telemark à gauche et le Christiania à droite, parce que c’est dans ces deux positions que la jambe droite a le plus grand effort à fournir. Pour devenir un skieur habile et lorsqu’on veut pouvoir ARRÊT DE TELEMARK (À DROITE). POSITION DE TOMBÉE. exécuter ces exercices en temps opportun, il faut apprendre, dès le début, le Christiania et le Telemark à droite comme à gauche. Ne vous laissez pas décourager par la fatigue qui résultera inévitablement de vos essais répétés, et surtout ne vous réjouissez pas outre mesure si vous réussissez le « Telemark » et le « Christiania ». Ils ont, en effet, la fâcheuse propriété de sortir des jambes pendant le sommeil, et souvent on est surpris au matin de constater que l’on ne fait plus du tout correctement ces exercices qui, la veille, nous avaient paru familiers. Des années sont nécessaires pour acquérir la maîtrise complète de ces virages, quels que soient la neige ou le terrain. Le « Telemark ». — Le meilleur emplacement pour s’exercer est une pente pas trop raide qui se termine presque horizontalement, et la meilleure neige est la neige pulvérulente de 20 à 30 centimètres d’épaisseur. Le « Telemark », contrairement au « Christiania », peut être appris méthodiquement, en observant certaines règles de conduite et de tenue. En effet, il n’y a qu’un seul « Telemark » tandis qu’il existe de nombreuses ARRÊT DE TELEMARK. DÉBUT DU VIRAGE. variétés de « Christiania ». Une méthode absolue et sûre pour le Telemark à gauche est la suivante : On s’exerce d’abord à la descente, dans la position appelée position de tombée, sans essayer le vrai virage. Le poids du corps porte presque en entier sur le ski de droite, lancé fortement en avant. Le ski de gauche est entraîné légèrement en arrière par la pointe du pied gauche, le talon relevé, mais exactement parallèle au ski droit et collé contre lui. La pointe du ski gauche se trouve a hauteur de l’attache du droit. Quand on est sûr de sa position de tombée en marche, on commence à l’appliquer au virage. Dans ce but, on tourne un peu vers l’intérieur, avec la pointe du pied, le ski de droite qui se trouve en avant — et, pour commencer, encore à plat. Ensuite — et on doit exécuter ce mouvement immédiatement après — on appuie l’arête intérieure du ski droit d’abord légèrement et ensuite plus fortement dans la neige. Les pointes des skis ne sont alors pas réunies ; au contraire, celle du ski arrière se trouve au niveau de l’attache du ski avant. Au moment où l’on se porte sur l’arête, il faut en même temps que le haut du corps soit rejeté du côté de la pente. Ce mouvement compense l’action du dévers brusque du ski sur l’arête et de son freinage et il empêche d’être lancé vers l’extérieur du virage, par-dessus le ski avant. La position à prendre sera donc la suivante : 1o Porter le ski de droite fortement en avant sur l’arête, le talon poussé vers l’extérieur ; 2o Traîner légèrement le ski de gauche à la suite du ski de droite la pointe à la hauteur de l’attache de ce dernier ; 3o Tenir le haut du corps vers l’intérieur et en arrière, le maintenir énergiquement et sans mollesse. De la sorte, le Telemark se fait, dans tous les cas, pour ainsi dire de lui-même. On ne doit pas essayer de forcer un Telemark. Si le besoin d’un effort se fait sentir, c’est que la position de départ n’est pas correcte et le Telemark ne réussira pas malgré tout, car il exige une position impeccable et est la conséquence d’une descente rapide et d’un virage brusque du ski inférieur déversé. C’est là d’ailleurs que réside l’élégance naturelle de tout Telemark. Dans une course très rapide, il faut particulièrement prendre garde que l’amorce du virage se fasse avec prudence et lentement, sans quoi on est sûr d’être rejeté vers l’extérieur. Plus rapide est la course, plus le poids du haut du corps doit être porté vers l’intérieur. Les bras étendus sont très utiles pour conserver l’équilibre. La faute la plus grande est de ramener trop tôt en avant le pied gauche laissé en arrière, et la raison en est la crainte que l’on a de tomber vers l’intérieur ; elle n’est pas fondée. Du reste, ce n’est nullement une faute au début que de tomber vers l’intérieur en faisant un Telemark. C’en est, au contraire, une très grosse que de choir à l’extérieur. De tout ce qui précède, il ressort que le Telemark est un beau virage qui réussit particulièrement bien dans la neige pulvérulente, profonde : ou le ski, porté en avant, enfonce facilement. Mais il est clair aussi que le report en avant d’un des skis, contrairement à la position habituelle de la descente dans une course rapide, et enfin la grande extension du virage ne paraissent pas convenir a un arrêt brusque sur place. ARRÊT DE TELEMARK. FIN DU MOUVEMENT.Il faut aussi se relever après avoir exécuté le Telemark de la position spéciale qu’il exige et c’est une complication sauf pour les virages qui n’offrent pas de difficulté, et en terrain complètement dégagé ; mais, dans un bois ou devant une difficulté qui surgit brusquement, il est insuffisant ; le Christiania seul convient. Le « Christiana ». — Le champ d’exercice le plus favorable est une pente raide et couverte de neige bien tassée. Le Christiania est tout simplement un virage et il s’exécute aisément là où le Telemark offrirait de grandes difficultés, et où une couche de neige durcie opposerait une faible prise aux skis. Il arrive fréquemment que des commençants font, sur une piste glissante, un Christiania correct sans le vouloir. La vitesse étant trop grande, ils se penchent instinctivement un peu en arrière, en tournant le corps et en mettant un peu les skis sur l’arête. Tout à coup ceux-ci pivotent de 90 degrés et leurs propriétaires se trouvent, à l’étonnement des spectateurs et même au leur, presque immobiles dans une posture normale après s’être peu auparavant attendus à une fin de course moins glorieuse. Un résultat aussi favorable ne s’obtiendra jamais involontairement avec le Telemark où l’effort réfléchi est indispensable. Pour le Christiania, la méthode et le système ne sont rien, le tact et l’instinct sont tout. Les innombrables variétés d’état de la neige exigent les plus délicates et les plus diverses adaptations de la position du corps et de celle des skis. DÉMONSTRATION DU CHRISTIANIA (À DROITE). DÉVERSEMENT DES SKIS. En les déversant trop ou trop peu ou en déplaçant à faux le centre de gravité du corps, on est à terre. Les chances de chutes avec le Telemark et le Christiania sont, chez le débutant, à peu près les mêmes. Presque chacun a sa manière particulière de faire des Christiania. Les uns tournent les pieds à la même hauteur sans avancer de ski, en fléchissant fortement les genoux et en serrant les skis l’un contre l’autre, de sorte qu’ils pivotent presque sur place autour de l’attache comme centre. Les autres portent un pied franchement en avant et déversent faiblement mais avec rigidité le ski avant jusqu’à ce qu’il soit arrivé en travers de la pente après avoir décrit une courbe de grand rayon. Le ski inférieur a alors sa pointe légèrement séparée de celle du ski supérieur et les talons se croisent facilement, ce qui rend le Christiania plus difficile et occasionne les chutes. D’autres déversent seulement le ski inférieur et virent au moyen d’un arc court, serré, presque semblable à un Telemark, pendant que le ski supérieur remue à peine la neige et se retrouve placé parallèlement à l’autre, après l’arrêt obtenu par une sorte de chasse-neige. D’autres encore déversent les deux skis, les inclinent en ployant seulement les genoux légèrement, tournent tout le corps un peu en arrière et vers l’intérieur et arrivent à virer sans aucun effort visible. C’est la seule méthode avec laquelle le Christiania paraisse presque élégant. ARRÊT DE CHRISTIANIA À DROITE. La neige tassée est la préférable. Si c’est à elle qu’on a affaire, les principales règles à observer dans tous les cas sont à peu près les suivantes : 1o Observer une certaine rapidité dans la course. 2o Mettre le pied droit un peu plus en avant que dans la position habituelle. 3o Ployer légèrement les genoux en les accolant fortement. 4o Maintenir tout le corps un peu en arrière, le tronc reposant sur les hanches cambrées et penché vers l’intérieur, déverser en même temps les deux skis, à peu près comme si on voulait regarder quelqu’un près de qui on vient de passer. ARRÊT DE CHRISTIANIA À GAUCHE. En résumé, il faut alléger les pointes et charger les talons et les côtés intérieurs. Pour ce début utiliser les bras pour maintenir l’équilibre et les tenir le moins élevés possible. 5o L’essentiel est que, arrivés à ce point du virage, les pieds et les skis obéissent au mouvement imprimé par les jambes. Pour obtenir ce résultat il faut observer résolument la légère position de dévers et laisser les pieds comme soudés ensemble, avec les talons posant fortement sur les skis, jusqu’à ce qu’on soit parvenu en travers de la pente. Le Christiania est donc une conversion de 90° qui commence par le haut du corps et qui est transmise de celui-ci aux jambes et aux skis. Au début les jambes ne résistent généralement pas quand la force de rotation arrive à être appliquée aux skis. Alors le rejet du corps en arrière peut être utile, car il produit un mouvement compensateur, pendant lequel le genou gauche sera plus fléchi que le droit. Les talons des skis sont, par suite, poussés avec force dans la direction tranversale. Le virage se fait alors plus facilement mais ne gagne pas en élégance. Une chose parait certaine, c’est qu’il faut être d’une grande taille pour effectuer le Christiania uniquement par un léger devers du ski et par un simple déplacement du centre de gravité, de telle sorte que cet exercice paraisse n’exiger aucun effort pénible. Les skieurs de moyenne et de petite taille, n’y arrivent qu’avec peine, et exceptionnellement. Ils doivent attendre de leurs muscles ce que les autres produisent par un simple déplacement du poids du corps. ARRÊT DE CHRISTIANIA. FIN DU MOUVEMENT. Quand la neige est profonde, et surtout après une course rapide, les jambes les plus vigoureuses s’écartent facilement l’une de l’autre ; dans de pareils cas, et dans les excursions, l’emploi d’une canne pour le Christiania est très recommandable. L’agréable sensation que fait éprouver une descente rapide croit encore quand on arrive sur un terrain coupé de faibles ondulations. Le léger mouvement de montée et de descente pendant la marche fait naître dans notre poitrine un rare mélange de plaisir et d’appréhension. Cette dernière provient de ce que, lors d’un passage pardessus une crête, on perd quelquefois, et pendant un instant, contact avec la neige. Le corps a plus d’élan qu’il n’en serait nécessaire pour passer par-dessus le vallonnement et le surplus se transforme en vol. Il peut arriver aussi qu’un changement de la pente soit si notable, que le contact du ski avec la neige subisse une interruption et qu’on ne puisse continuer sa course qu’après un court trajet dans l’air, jusqu’à un point inférieur. Les premières fois la respiration en est coupée, nous tombons généralement, nous n’avons pas été préparés à une pareille modification de notre course et nous faisons alors un beau trou dans la neige. Nous estimons tout de même, par la suite, que tout cela, en réalité, a été agréable : on a sauté ou plutôt on s’est laissé sauter. Mais la volonté élève en toute chose les impressions, dans le saut en ski en particulier, et on est arrivé à faire un plaisir de la nécessité en installant sur des pentes naturelles des tremplins artificiels, de petits, de grands, ascendants ou descendants. De l’agréable petit incident est résulté un des actes les plus énergiques que puisse accomplir le sportsman et, si on admet que le ski est peut-être le sport qui exige le plus de sang-froid et d’énergie, cela provient surtout des sauts puissants par lesquels d’habiles et courageux skieurs coupent une descente rapide. Le saut en ski est un saut en profondeur et en longueur. Les distances atteintes par ce saut dépendent d’abord de la vitesse du skieur, puis de la hauteur du tremplin et enfin de la pente du terrain. Un objet inanimé, un traîneau par exemple, qu’on laisserait sur une piste filer par-dessus un tremplin, ferait de même un saut, conformément aux lois de la physique. Mais, tandis que l’objet inanimé subit simplement ces lois, le sauteur sur ski les utilise et les domine. Pour arriver à ce but, certaines qualités physiques et morales sont nécessaires : avant tout, le courage et le sentiment de l’équilibre, la force musculaire et la souplesse. C’est de l’appréhension qu’il est le plus difficile de triompher dans le saut. Sur les grandes pentes qui lui sont destinées, on ne voit généralement pas, du tremplin, la partie la plus raide de la piste qui se trouve au delà, et l’imagination nous fait entrevoir un gouffre sans fond vers lequel on se précipite. influence du tremplin sur la forme de la trajectoire. De plus on a en tête l’idée, assez fondée d’ailleurs, que, dans une chute à une certaine hauteur, on peut se briser facilement le cou et les jambes. En réalité, les accidents sont très peu fréquents. Si l’on considère que d’abord le saut se fait, non pas sur de la terre dure, mais sur de la neige qui, quoique fortement piétinée, est tout de même élastique, ensuite que ce n’est pas le corps qui a à résister à tout le poids de la chute, mais plutôt les longs skis sur lesquels le poids de celui-ci est largement réparti, et enfin qu’il ne s’agit pas du tout d’un saut sur un terrain horizontal, mais bien d’une arrivée permettant de continuer à glisser plus loin sur un versant raide dont la ligne de pente coupe la trajectoire du sauteur sous un angle très faible, on comprend pourquoi les accidents sont si rares. Au début le skieur est encore sous l’impression de ces idées de crainte qui proviennent de notre manière d’apprécier le saut ordinaire, et seule une expérience de longues années peut l’en guérir. Sauf de très rares skieurs de tout premier ordre — et même, pour ceux-là, on ne peut pas savoir ce qui se passe en eux — tous les sauteurs, surtout sur des tremplins nouveaux, ou au premier saut, après une période assez longue de repos, éprouvent le sentiment du danger ou encore la crainte de réussir plus ou moins bien. L’assurance convenable revient généralement quand on s’est entraîné de nouveau une ou deux fois. Le public non skieur, qui n’assiste que comme spectateur aux grandes épreuves, surmonte assez vite la crainte qui s’empare de presque tous ceux qui voient pour la première fois un saut considérable sur skis. L’étonnement et l’enthousiasme sont les sentiments qui s’imposent les premiers, mais bientôt le spectateur s’habitue aux prouesses les plus importantes. Moins les sauteurs tombent à l’arrivée, plus il éprouve le besoin de sensations plus vives. Ce qui a plongé, il y a un ou deux ans, les curieux des grands concours de ski dans une émotion étonnée, leur paraît maintenant tout naturel et ils deviennent presque hostiles si on ne saute que 20 à 25 mètres. Celui qui par orgueil et pour rechercher des applaudissements rend encore plus difficile, sans aucune nécessité, les concours de sauts par des tours de force et des difficultés, comme celle de sauter sur un seul ski, ou de terminer par un saut en travers, ne doit pas se figurer qu’il pourra longtemps satisfaire ainsi le public. Toujours on exigera du nouveau et, d’autre part, un tel sauteur n’agit pas bien vis-à-vis de ses camarades. Les courses publiques doivent stimuler et encourager le sport du ski, elles doivent exciter les maîtres à continuer à travailler avec persévérance, mais elles ne doivent pas être une représentation devant la foule d’une tribune qui souvent n’est que curieuse ou bien encore est déjà blasée. Malheureusement il arrive trop souvent que les sauteurs font parade de leur talent devant le public. Le saut en ski est quelque chose de si magnifique et de si grandiose par lui-même que la satisfaction personnelle d’un saut bien exécuté doit être placée au-dessus de tout. Si le suffrage des assistants vient s’y ajouter, au moment précis et à sa vraie place — et il n’en est pas toujours ainsi — cela ne nuit certainement pas. Mais la fierté sportive et le jugement personnel doivent être préférés à l’opinion de la foule : avec leur appui on peut se passer d’être un acrobate du ski. Construction du tremplin. — Il y a de bons et de mauvais tremplins. La plupart de ceux qui sont construits par des commençants peuvent se ranger dans cette dernière catégorie. La longueur de la plate-forme est le plus souvent trop courte et la pente d’accès pas assez raide. Aussi sur les terrains d’exercice il faut veiller, avant tout, à obtenir la proportion exacte qui doit exister entre la pente qui précède et celle qui suit le tremplin. Cette question, bien qu’essentielle, est pourtant souvent négligée pour des détails sans importance. Ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de s’en aller armé d’une pelle et d’un râteau et de se construire un tremplin sur une pente choisie la veille, sans se laisser influencer par des gens qui se prétendent plus compétents. Les considérations suivantes seront à observer : la piste de départ ne doit pas être trop raide mais avoir cependant une inclinaison suffisamment accentuée pour qu’on puisse obtenir la vitesse convenable. En outre, elle doit être assez longue pour que, après l’apprentissage des premiers sauts, on puisse augmenter à volonté la longueur de l’élan. Si elle est déjà limitée à 20 mètres du tremplin par un bois touffu ou un terrain horizontal, elle ne vaut pas grand’chose. Pour le début il ne faut pas que la hauteur du tremplin soit de plus de 40 centimètres, mais il doit être assez large pour qu’on puisse varier la piste. Le départ sur une trace souvent utilisée est toujours peu sûr, et on n’améliore pas un tremplin étroit en le ratissant souvent. Un tremplin d’exercice doit toujours être un peu incliné vers le bas, ce qui facilite le saut. Il est bon aussi qu’il soit relié par une pente progressive à la piste d’élan, sinon les skis porteraient à faux. Avant l’arête du tremplin, il doit y avoir une surface presque horizontale d’environ deux longueurs de ski. On pourra indiquer cette plate-forme au sauteur, au moyen de deux poteaux par exemple, afin qu’il puisse se préparer à temps. En creusant la neige en de certains endroits et en remblayant d’autres, toute pente passable peut être rapidement et bien corrigée. Un peu de sens technique et d’habileté sont plus utiles que de longues instructions. La partie horizontale du tremplin qui précède l’arête ne doit pas être trop longue, car dans ce cas on perd facilement de la vitesse ; mais si, par contre, elle est trop courte, un départ correct devient impossible. La piste d’arrivée doit avoir une pente d’au moins 20°. La déclivité d’une pente est très difficile à mesurer à l’œil au début ; avec trois cannes on peut cependant s’en faire une idée quand il s’agit de petites étendues. On place l’une d’elles dans la direction de la pente. Au milieu on plante la seconde de manière à former un angle droit. La troisième est enfoncée par sa partie supérieure horizontalement dans la neige à l’intersection des deux premières, de sorte que la moitié apparaisse encore. L’angle aigu compris entre la partie saillante de la troisième canne et la première placée dans la direction de la pente donne à peu près l’inclinaison de celle-ci. La pente du croquis ci-contre a une inclinaison d’environ 30° ; sur le papier elle ne parait pas forte, mais elle semble beaucoup plus accentuée sur le terrain. Ce n’est que par suite d’une grande expérience qu’on peut arriver à estimer une pente à l’œil. Il faut adapter les conditions de chute à la pente et le point d’arrivée du saut doit être fortement tassé par les skis. La neige très profonde et molle est plus dangereuse que celle qui est tout à fait durcie, et, si son épaisseur n’est pas d’au moins 30 centimètres, il vaut mieux abandonner le saut. Il y a de grands avantages à ce que l’extrémité de la piste, c’est-à-dire l’endroit où l’on s’arrête habituellement après le saut, soit horizontale ; mais rarement on trouve toutes ces conditions réunies sur un terrain d’exercice. Autant il est agréable d’être seul pour construire le tremplin, autant il est peu désirable de l’être pendant le saut lui-même. On n’est pas en bonnes dispositions, l’émulation manque. Dans un livre technique on peut à la rigueur apprendre à manier correctement ses skis, mais pour le saut, rien ne remplace les leçons que donnent à l’observateur attentif les bons et même les mauvais exemples. Il faut aussi un peu de courage pour effectuer le saut, et surtout pour reconnaître en silence la faute commise quand on tombe. Encore une recommandation : ne pas vouloir aller trop vite. évaluation d’une pente à l’aide de trois cannes. Si on est resté debout quatre fois sur cinq sauts, avec un tremplin de 40 centimètres de hauteur, on peut l’élever peu à peu et prendre un élan plus grand. Sauter correctement et loin est presque un art. Il ne deviendra cependant jamais un bon sauteur celui qui place un cordon étalonné le long de la piste afin de pouvoir lire de suite à quelle distance il est parvenu : au début, ce résultat n’a aucune importance. Celui qui, tout d’abord, n’apporte pas tous ses soins à faire de petits sauts dans une attitude correcte et élégante, n’obtiendra jamais de résultats satisfaisants. Quand on entend un commençant parler du saut de 10 mètres qu’il a fait, on a souvent sur la langue la réflexion suivante : « Surtout ne me demandez pas de quelle façon ! » Il y a dans le saut une très grande quantité de règles qui ne peuvent être observées qu’avec la plus grande difficulté et que les événements imprévus modifient. En passant brusquement d’un tremplin de 40 centimètres à un autre de 1 mètre on le comprendra à merveille. La construction de grandes pistes de saut est presque devenue une science. Les profils de deux pistes connues, celle de Livbaken, près de Hönefes, en Norvège, et celle du Feldberg, dans la Forêt-Noire, caractérisent deux types bien différents. À celle de Livbaken la pente de départ n’a que 59 mètres ; au Feldberg, 100 mètres. Ce que la première a en moins comme longueur de pente de départ, elle doit le racheter par son inclinaison, afin que le sauteur, à l’arrivée sur le tremplin, ait acquis la vitesse nécessaire. Dans les cas envisagés, la pente moyenne, à Livbaken, est de 18 1/2 p. 100 ; au Feldberg, seulement de 16. Cette correction du manque de longueur de la pente de départ par une inclinaison plus forte serait seule insuffisante pour obtenir d’aussi beaux sauts que sur la piste modèle du Feldberg, par exemple, si la pente inférieure n’était, elle aussi, construite en conséquence. À Livbaken, la moyenne de la pente inférieure est presque aussi forte que la pente maxima de la partie supérieure, c’est-à-dire 35°,5. En d’autres termes, cela signifie que la pente inférieure commence directement sa plus grande inclinaison sous le tremplin et se continue ainsi jusqu’à la fin de la course. Au Feldberg, la pente maxima n’est que de 33 et la pente moyenne de 23 seulement. Mais il est aisé de se rendre compte, par le croquis ci-dessous, comment une inclinaison plus forte de la piste inférieure influe sur la longueur du saut. Il n’est pas extraordinaire que le plus long de tous les sauts (41 mètres) ait été fait sur la piste la plus raide, si ce n’est la plus difficile, celle de Gustadbaken, près de Modum, tandis que le plus long saut fait à Holmenkollen n’ait été que de 29 m, 50. Cette piste si renommée, est en effet très défectueuse à cause de sa déclivité insuffisante. influence de la pente sur la longueur du saut. La grande différence qui existe entre la pente moyenne et la pente maxima de la piste inférieure au Feldberg est compréhensible si on se rend compte que là, comme au Solbergbaken, près de Christiania, un espace d’environ 15 mètres, presque plat, et qui se continue par une descente très raide, se trouve en avant du tremplin. Cette partie intermédiaire offre l’avantage que pour une même longueur la hauteur d’un saut est plus faible et le choc à l’arrivée, par suite, moins sensible qu’avec une pente uniformément raide. Avec un saut de 30 mètres, au Livbaken, la chute est d’environ 18 mètres ; au Feldberg, de 13 seulement. Il est évident toutefois qu’un saut élevé, immédiatement après avoir quitté le sol, parait beaucoup plus imposant. On peut affirmer que, pour produire une impression favorable, un saut, sur un terrain dont une petite portion est horizontale a l’origine, devrait avoir un tremplin deux ou trois fois plus haut que s’il est effectué sur une pente débutant par une forte inclinaison. De tout ce qui précède, il ressort que de bonnes pentes peuvent avoir des différences quant à leur longueur et leur déclivité, mais il faut qu’elles restent dans des limites déterminées. Ces limites sont celles où la force humaine est encore suffisante pour achever le saut en assez bonne position, pour pouvoir atterrir sûrement et continuer sa route. Des sauts corrects de beaucoup plus de 40 mètres dépassent notre pouvoir. Un sauteur audacieux peut certainement sauter à une distance de 50 et 60 mètres, et même davantage, pourvu que la piste de départ soit assez longue et celle d’arrivée assez raide. Mais dans quel état arrive-t-il au but ? La maîtrise des obstacles naturels est facilitée par trois facteurs. D’abord par une méticuleuse et soigneuse préparation de la piste de départ, surtout dans sa dernière partie : un départ nerveux et inquiet est souvent motivé par le manque de cette condition. La même observation est à faire au sujet de la piste inférieure qu’on ne pourra jamais assez piétiner et ratisser. Ensuite, un saut est d’autant plus facile que le tremplin est mieux disposé. S’il est tout à fait horizontal, il contribue à donner aux skis une position défectueuse et à augmenter les difficultés. Une inclinaison de 5 à 10 vers le bas parait être la meilleure. Enfin le sauteur arrive au but d’autant plus sûrement que la pente, à l’endroit où il tombe, est plus raide et que la trajectoire décrite coupe la ligne de plus grande pente de la piste sous un angle plus faible. Les premiers skieurs qui avant 1880, en Norvège, et avant 1900, dans la Forêt-Noire, tentèrent de sauter et qui, de tremplins élevés, tombèrent sur un terrain horizontal, durent se blesser grièvement. Comment doit-on sauter ? — Il règne à ce sujet, parmi les meilleurs sauteurs, des opinions diverses. Le poids du corps, la longueur des jambes, la force des jarrets et d’autres différences de stature ou de tempérament ont pour conséquence de nombreuses variétés dans l’art du saut ; les classer serait impossible, mais il y a des principes et des règles qui toujours doivent être observés. D’abord, maintenir les skis en bon état. Celui qui, par une bonne neige, descend la pente de départ en soulevant des tourbillons, doit avant tout apprendre à farter. Ensuite, ne sauter que quand on est absolument calme et qu’on est maître de ses cinq sens en se souvenant qu’on est calme quand on a confiance. Enfin, ne jamais faire consécutivement plus de cinq sauts à de petits tremplins, ou de trois à de grands. Le saut épuise rapidement les forces musculaires et nerveuses. Si on est surmené, il est peu prudent de continuer, on ne peut plus réussir. Le départ. — Le trajet de départ doit être parcouru dans une position naturelle, les skis réunis l’un à l’autre et décrivant une piste bien droite ; il faut ployer les genoux 10 ou 20 mètres avant le tremplin et amener les pointes des skis rigoureusement sur la même ligne. La marche dans cette position est peut-être moins sûre, mais elle rend possible un départ plus net et plus énergique. Il faut laisser tomber les bras simplement et ne pas arrêter la respiration, mais aspirer plutôt. Il est inutile de tendre trop tôt tous les muscles et les nerfs au maximum et de garder cette tension inutilement. En particulier, la course les genoux ployés dès le début fatigue trop les muscles dont dépendra l’effort. Ce qu’on gagne en vitesse par cette position, étant donnée la moindre résistance de l’air, est perdu en énergie. De plus, cela nuit au tableau d’ensemble, quand on ne voit pas l’impressionnante préparation du saut et la flexion préparatoire. Le saut. — En approchant du tremplin, on s’assurera encore une fois que les pieds sont fortement accolés. Un saut, les pieds écartés, peut avoir des conséquences fatales ; on ploiera les genoux encore plus qu’au départ et on portera le haut du corps très en avant. Peu avant l’arête, d’un effort subit et énergique on redressera tout le corps, sans attirer les genoux à soi une fois en l’air, comme dans le saut ordinaire. Le moment exact de ce mouvement ne peut être indiqué, il faut qu’il soit instinctif et sûr et résultant de l’observation la plus attentive. Si on saute au moment voulu, le corps est droit comme un I, à l’instant où il vole par-dessus le tremplin. Ce qu’il y a de plus difficile à vaincre, c’est le besoin instinctif de se pencher en arrière en sautant. Si on cède à cette tentation subite, tout se passe comme dans un départ rapide sur une pente raide : les skis filent trop vite, on tombe sur le dos. Il n’y a qu’un seul remède : se placer, au premier essai, énergiquement sur les orteils et se lancer de la sorte en avant. Il faut tenir la tête haute et porter les épaules en arrière. Les commençants, et souvent aussi des gens expérimentés, ont une tendance à enfoncer la tête entre les épaules, c’est un dernier reste de crainte. Si, au moment du saut, on redresse le cou et si on lève la tête afin de bien voir l’abîme, tout le reste résulte presque involontairement de cette position. Les bras, pendant le saut, peuvent être placés de très différentes façons : les uns les jettent en l’air pour arriver aussi haut que possible ; ce mouvement n’est d’ailleurs pas toujours très beau. D’autres les écartent horizontalement comme des ailes, d’autres encore les tiennent raides au départ, les poings fermés en arrière et se donnent avec eux, au moment du saut, une courte et brusque secousse en avant. D’autres enfin les portent au départ en avant et, la poitrine bombée, les lancent avec raideur en arrière et un peu à l’extérieur, pour rétablir par derrière l’équilibre du corps fortement penché en avant. Beaucoup de sauteurs aussi laissent les bras pendre mollement et les lancent en l’air seulement en arrivant au sol. En résumé, toutes les manières de sauter sont bonnes si le saut lui-même est accompli sans peur et avec calme, les skis bien collés l’un à l’autre et le corps bien droit. Un bon départ doit être un bond vigoureux ; la longueur du saut est augmentée ainsi de plusieurs mètres. L’opinion qu’on peut, par le saut, s’élever de beaucoup au-dessus du tremplin, est erronée. Ce dernier fournit l’élan qui permet au corps de se maintenir le plus longtemps possible à la même hauteur. Avec des tremplins inclinés, le sauteur commence déjà à descendre un mètre après l’arête. Tout le reste n’est qu’illusion d’optique. Le maintien dans l’air. — Le maintien dans l’air est d’autant plus beau qu’il est plus tranquille. Le corps doit être perpendiculaire à la pente. On évitera le plus possible les mouvements de bras désordonnés. Si on ne peut se dispenser d’en faire, faut-il au moins qu’ils soient symétriques. Après qu’on a quitté le tremplin, on peut faire mouvoir deux ou trois fois les bras en cercle comme une hélice Ce mouvement ressemble au battement d’ailes d’un gros oiseau et aide à parcourir un trajet un peu plus long. La position qui produit l’effet le plus imposant est celle où les bras sont légèrement ployés en avant et où les mains, ou au plus les avant-bras, sont employés en quelque sorte à ramer. Si le sauteur maintient en même temps, dans cette position, ses skis serrés l’un contre l’autre, bien parallèles entre eux et à la pente, il semble planer comme en un vol majestueux. un sauteur norvégien (position très correcte). (Cliché Tairraz.) Le maintien convenable de la position des skis est la partie la plus difficile de la tenue dans l’air. Une position absolument correcte, les pointes dirigées vers le bas, est exceptionnellement rare. Si, peu après avoir quitté le tremplin, on jette de côté et en arrière les bras qui étaient en avant au début, et si de nouveau on redresse puissamment le corps, il en résulte naturellement, par le fait que les orteils sont tendus vers le bas, que les pointes des skis s’abaissent. La recette est bonne, mais l’exécution assez difficile, sans cela on ne verrait pas en l’air tant de skis mal placés. La chute. — Peu avant l’arrivée sur le sol, un des skis, généralement le droit, est amené un peu en avant, puis le choc est reçu par les genoux moyennement fléchis et formant ressort. Quand le plus grand choc est surmonté, l’un des skis est rapidement avancé encore un peu afin d’assurer l’équilibre. Quant à l’équilibre latéral, il est facilité par les bras. La chute doit être exempte de toute crainte et être souple ; elle dépend beaucoup du maintien des skis en l’air. Cependant, il est très rare de voir la surface de ceux-ci toucher en entier la neige en même temps, bien que ce soit là pourtant la seule position correcte. En général, la partie arrière décrit déjà une trace d’un à deux mètres dans la neige avant que le profond sillon de la partie médiane du ski indique exactement l’emplacement du point de chute. L’arrêt. — Pour s’arrêter, on doit se tenir droit autant que possible, et terminer la course par un virage. Mais il faut pour cela disposer de l’espace nécessaire, et ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Bons exercices pour le saut. — On peut sauter sans tremplin pendant une descente, ce qui est d’ailleurs un exercice très amusant. En plaine, si on saute haut et si on se laisse tomber, les genoux ployés, un ski porté en avant, on a une idée de la position correcte à la chute. Le saut doit-il être long ou élégant ? — À cette question, il est facile de répondre, à condition de lui donner sa vraie portée. Vigueur ou grâce ? Personne n’hésitera à dire : les deux. En effet, on doit posséder l’une et l’autre de ces qualités. Si le sauteur prend un élan énergique sur le tremplin et s’il vole loin dans l’air, un « Ah ! » d’admiration s’élève aussitôt. Mais s’il a dépassé ses forces, s’il gesticule pendant ce parcours et s’il arrive mal ou pas du tout au but le sentiment primitif d’admiration est suivi, chez les spectateurs compétents, de cette mauvaise humeur que l’on a toujours quand une personne ne tient pas ce qu’elle a promis. Un saut téméraire est une lettre de change qu’il faut dégager par une position correcte et une chute sûre ; sans cela on dépasse son crédit sportif. Celui qui fait des sauts courts, mais tranquilles et corrects, est bien plus apprécié que s’il effectuait un saut de 30 mètres avec une mauvaise tenue. un sauteur. L’arrivée sur le sol. (Cliché Rol.) La meilleure méthode à observer, quand on veut faire un saut de 10 mètres dans une tenue tout à fait impeccable, est de chercher d’abord à augmenter la longueur et, ce résultat obtenu, de toujours s’efforcer de corriger le style. Au reste l’art du saut ne se laisse pas forcer. Il ne faut pas seulement du courage et de l’activité mais aussi des dispositions naturelles. Maint bon skieur s’épuise et se met en nage pour n’arriver qu’à rafraîchir, à chaque essai, son front en sueur dans la neige profonde, d’autres volent après peu de temps, tout à l’aise, et sans tomber. Mais si tout bon skieur n’est pas un bon sauteur, tout bon sauteur est en revanche un fin skieur et s’il joint à ces qualités l’endurance, c’est encore mieux. Il est indiscutable en tous cas que le saut élève et raffermit considérablement l’assurance intérieure et extérieure du skieur. C’est le plus beau spectacle de l’art du ski. Voir un jeune homme voler tranquille et fier comme un aigle, c’est un coup d’œil qui fait à chaque fois palpiter à nouveau. Je comprends la jeune fille enthousiaste qui, lorsqu’elle vit pour la première fois un long saut à ski, tapa du pied sur le sol et s’écria : « Rien que pour cela j’aurais bien voulu être homme ! » Une descente en terrain difficile à travers des bois touffus, parsemés de gros blocs de rochers offre au skieur habile l’occasion de déployer ses connaissances techniques. Quand on ne peut plus choisir le temps et le lieu où un Christiania, un chasse-neige, un saut de côté ou un saut en profondeur conviennent, mais qu’un arbre, un rocher, un ressaut à pic se trouvent subitement devant vous, la plupart du temps, l’art acquis sur le terrain d’exercice s’écroule comme un château de cartes, et une chute s’ensuit. C’est alors qu’on s’aperçoit que tous les beaux virages de Telemark et de Christiania ne sont que des fantaisies parfois difficiles à appliquer en pratique. Une descente accidentée dans un terrain difficile est désignée par les Norvégiens par un seul mot tiré du dialecte de Telemark : slalom. Le slalom n’est pas un spectacle aussi captivant que le saut, mais il est, pour le skieur, beaucoup plus agréable. C’est déjà émotionnant de traverser des bois, pas trop touffus, en faisant des chasse-neige ; et de terminer, en s’arrêtant en bas juste devant un arbre, avec un Christiania. Nous ne pouvons pas, en réalité, nous représenter le slalom exactement, mais dans un article très instructif sur le ski en Norvège, le professeur Lefmann cite un épisode que nous allons reproduire. « Déjà avant la fin de la course du saut au Hegghulsbaken, un certain nombre de membres du comité directeur se mirent à jalonner un kilométre environ de descente dans la forêt. C’était la partie la plus difficile de la piste qui s’étendait sur une lieue environ ; elle fut, avant le commencement de la course, le théâtre des exercices de skis les plus intéressants que j’aie jamais vus et que, jusqu’à présent, on n’a pu voir qu’en Norvège. En tous sens, une centaine de skieurs et de skieuses tournaient et se croisaient sur ce terrain, se précipitaient ici au bas d’un thalweg, utilisaient là une saillie comme tremplin de saut naturel, remontaient ensuite sur une éminence, en passant exactement entre deux arbres choisis, descendaient de nouveau au bas d’une pente. Ils surent, dans tout ce va-et-vient, éviter avec une sûreté étonnante une collision entre eux et les spectateurs et tout heurt contre les arbres. Un grand nombre de skieuses descendirent, la canne libre dans la main droite, et l’une immédiatement derrière l’autre, la partie de la piste encombrée de skieurs, de spectateurs et de troncs d’arbres. Cette façon de pratiquer le ski exige peut-être à un plus haut degré que le saut, qui reste toujours un exercice spécial, une possession complète de cet art, mais elle demande surtout une plus grande présence d’esprit et une décision plus rapide. » Cette conclusion est indiscutable, mais comme les choses les plus difficiles ne sont pas toujours les plus belles, la palme restera cependant au saut. Une chose importante en terrain difficile est de savoir aller lentement. Aussi, dans la Forêt-Noire, dans les Monts des Géants et surtout dans les Vosges, il y a des terrains alpestres où on doit cesser les exercices nécessitant une grande souplesse, surtout si on a un sac lourd sur le dos. Il ne faut compter, dans ce cas, que sur un bon bâton et sur la marche freinée, et cesser de se laisser aller ; la sécurité doit l’emporter sur l’élégance ! Dans de tels terrains, qu’on rencontre dans les contreforts des Alpes et dans les montagnes de l’Allemagne centrale, le danger des avalanches n’est pas tout à fait à négliger. Il ne s’agit que de quelques rares endroits, il est vrai, mais ils ne sont habituellement pas connus des skieurs. Il vaut mieux faire l’emplette d’un guide spécial pour les montagnes en question : il en existe déjà de fort bons. Au reste, pour ne pas donner d’inquiétudes inutiles, nous ajouterons que dans la Forêt-Noire, par exemple, où il y quatre couloirs d’avalanches, il n’est arrivé, depuis 10 ans, qu’une seule catastrophe. Il en est de même pour les autres montagnes du centre de l’Allemagne. Les contreforts des Alpes sont déjà plus dangereux : là le skieur doit être doublé d’un alpiniste. Nous terminerons en disant quelques mots de ce sport qui se rattache intimement au ski. SKIJÖRING Le skijöring est très répandu en Norvège. Il consiste, pour un skieur, à se faire traîner par un cheval. Ce dernier porte un léger harnais fixé à la ceinture de l’homme, qui tient en mains les rênes. D’ailleurs le mode de fixation est combiné de telle sorte qu’en cas de chute, le skieur puisse facilement se séparer de l’animal. Ce mode d’utilisation du ski permet d’effectuer rapidement de longs trajets en plaine ; mais il est assez pénible, car il exige que le skieur se tienne constamment dans la position dite en chasse-neige. On peut remplacer sur les routes le cheval par un traineau hippo ou automobile. Celui qui avant de commencer à faire du ski consulte son médecin est pour le moins un hypocondriaque. Mais les personnes faibles ou maladives, ou celles qui désirent s’entrainer pour des courses doivent se faire examiner le cœur et les nerfs par un médecin pratiquant lui-même le sport du ski. Il n’y a pas d’hygiène spéciale ; un peu d’empire sur soi-même et un solide bon sens sont les choses essentielles. À table, il ne faut pas céder aux exigences d’un trop bon appétit, car un « plenus venter » ne travaille pas volontiers et surtout ne trouve pas grand charme aux exercices du corps. L’alcool et l’alimentation trop carnée ont une action identique. Les farineux, les fruits sucrés, les légumes et les graisses réparent bien plus rapidement les forces du corps, après un effort considérable, que la viande. Si l’on se sent épuisé, un verre d’eau fortement sucrée fait souvent merveille. En excursions, le chocolat, les oranges, les gâteaux légers sont ce qu’il y a de meilleur. S’il fait très froid, ne pas oublier le beurre. En effet, il y a des situations où on le mange à pleines mains pour se réchauffer rapidement. Si on est forcé pendant une course, soit comme spectateur, soit comme participant, de rester longtemps inactif, exposé au froid, il est précieux de pouvoir, de temps en temps, déposer son sac et prendre dans une bouteille thermique une gorgée de cacao chaud. Avec ce réconfortant, on reste dispos et une douce chaleur se répand dans les membres. Contre le refroidissement, de bons vêtements secs et le mouvement sont seuls à recommander. Quant au nez et aux joues, qu’on ne peut pas couvrir, il faut, par les grands froids, les enduire de vaseline et se rendre compte souvent par le toucher de leur sensibilité. Le manque de sensibilité est le premier symptôme qui avertit qu’un membre ou une partie du corps risque d’être gelé, et ce début augmente avec une rapidité extraordinaire : une ou deux minutes sont parfois suffisantes. Un membre gelé au premier degré, c’est-à-dire blanc, exsangue et insensible, doit être massé avec de la neige jusqu’à ce que la circulation soit rétablie, ce qui normalement s’accompagne de douleurs. Il faut prendre bien garde de soigner par la chaleur, ce qui aurait de dangereuses conséquences. Le membre gelé au second degré se reconnaît à une couleur rouge bleu, au troisième à une couleur bleu noir et à une sensation de brûlure de la peau. Dans les deux derniers cas, le seul remède consiste à poser un pansement gras et à courir sans délai chercher le médecin. Il est bon d’éviter l’alcool qui prédispose à un tel accident. Les chaussures étroites sont aussi très nuisibles aux orteils. Une paire de gants et une paire de chaussettes, en réserve dans le sac, peuvent éviter bien des ennuis. Par une très basse température le refroidissement n’est pas à craindre si l’on transpire, à condition de rester toujours en mouvement, mais aussitôt qu’on se repose ou qu’on rentre chez soi, il faut se protéger en mettant une veste de cuir, un jersey ou quelque chose d’analogue et, bien entendu, en changeant de linge. Certes, le sac de montagne s’alourdit par suite de la réserve de linge qu’il contient, mais la prudence nous conseille de ne pas négliger cette précaution. Quant aux accidents, qui consistent généralement en foulures, entorses et fractures, on peut affirmer hardiment qu’ils sont causés plus souvent par la faute du skieur que par celle des skis. S’il tente un exercice au-dessus de ses forces, quoi d’étonnant qu’un accident en résulte ? Dans une telle éventualité il faut, avant tout, rester calme : il y a des choses pires que de se fouler un pied ou de se casser une jambe, et si on ne sait ce qu’il y a à faire, on appelle le plus vivement possible les secours compétents. Contre les douleurs, on peut, tout d’abord, faire des compresses de neige. Si on est forcé de rester seul avec le blessé, le plus urgent est d’immobiliser le membre foulé ou brisé, car chaque mouvement augmente la souffrance. Pour atteindre ce but, on se servira de bâtons de skis, de branches d’arbres comme attelles, ou de ce qu’on trouvera sous la main, après avoir pour ainsi dire matelassé le membre avec des gants, du linge de réserve ou quelque chose d’analogue. Avec deux paires de skis, ou même avec une seule si c’est nécessaire, des courroies ou des choses analogues, on peut improviser un traîneau de circonstance. UN TRAÎNEAU DE SKIS D’APRÈS PAULKE. La valeur du ski comme remède contre la nervosité moderne ne tient pas seulement à ce que, grâce à un exercice dans un air pur et frais et à la lumière du soleil, les particules du sang qui fixent l’oxygène et qui vivifient les globules rouges augmentent considérablement, mais surtout et avant tout, à ce que la sensation de bonheur qu’éprouve celui qui pratique ce sport est causée par un mélange de distraction et d’effort physique. Le système nerveux se fortifie de la sorte, se reconstitue presque, et on goûte plus pleinement la joie de la vie. Ajoutons encore que, si la soif de renommée et la poursuite des records amènent des ennuis, la faute n’en est pas aux skis mais aux skieurs. Les skis ne sont pas précisément ce qu’on appelle les planches, mais on joue passablement la comédie sur eux. “ Who can, does ; who cannot, teaches ”, dit le spirituel Bernard Shaw, ce qui peut se traduire dans le langage du ski : Un bon skieur se tait et va de l’avant, un mauvais skieur donne constamment des conseils aux autres. Tu souris quand tu vois quelqu’un dans la neige. Combien y a-t-il de temps que tu conduis tes skis à ta guise ? Si quelqu’un te questionne pour savoir à quelle distance tu sautes, réfléchis bien avant de répondre et demande-toi si seulement tu sais sauter. Tu es un débutant ? C’est une honte que d’en être honteux. Si tu veux apprendre quelque chose, tais-toi et regarde. Celui qui en est à sa première campagne de ski, et qui se reproche sur le terrain d’exercice de ne pouvoir exécuter correctement un saut déterminé, fait preuve de présomption. « À vrai dire, on devrait d’abord apprendre le Telemark et le Christiania, afin de pouvoir s’arrêter à volonté », disait quelqu’un qui attachait des skis pour la première fois. Certes oui, mais il serait vraiment beaucoup plus utile encore que les enfants naissent en connaissant parfaitement la gymnastique. Ne demande pas le tremplin de ton voisin, mais, en tous cas, comporte-toi avec ceux d’autrui comme avec leur logement : laisse-les au moins dans le même état que tu les as trouvés. Quelqu’un se présente à vous sur la neige et mentionne tous ses titres. Évitez-le ! Un autre vous dit simplement son nom, mais enchevêtre en même temps l’arrière de ses skis. Méfiez-vous ! Il y a quelqu’un que vous rencontrez souvent et dont vous ne connaissez au bout de quelques jours ni le nom ni la qualité. Peut-être vous trouvez-vous alors en présence d’un personnage tout à fait remarquable. Mon fils, méfie-toi de ceux qui « aiment tant faire des excursions » et qui désireraient « t’accompagner » si tu « voulais être assez aimable pour y consentir », ils ne te seraient « jamais nulle part à charge ». Ne sois pas trop aimable avec eux, car ils te deviendraient insupportables. Si, en excursion, vous remarquez que votre compagnon est plus faible que vous, ne lui laissez pas apercevoir votre supériorité, mais ne lui laissez pas non plus remarquer votre délicatesse. Quel temps fera-t-il demain ? Ne répondez jamais à une pareille question, vous pourriez par hasard avoir raison et vous figurer que vous le saviez. Les gens personnels et les égoïstes sont, en excursion, difficiles à supporter, mais on peut aussi, par une amabilité et une serviabilité exagérées, énerver ses compagnons. Si vous avez fait une excursion en un temps véritablement très court et dans des conditions défavorables de neige, ne le dites pas. Vous ne pourriez en vouloir à personne de ne pas vous croire, et on a déjà trop inventé sur ce chapitre. Si vous priez quelqu’un de vous renseigner sur le temps nécessaire pour aller à la gare la plus voisine, partez en avance de la moitié du temps indiqué ; vous aurez encore des chances de manquer le train. Vous croyez n’être pas vaniteux ? Regardez donc si, quand vous faites vos arrêts, il n’y a pas justement une foule de gens dans le voisinage. On peut marcher sur une trace très étroite et cependant tenir beaucoup de place. À table, on a le droit de s’entretenir d’autre chose que du ski. Le plus souvent, on fait tout beaucoup mieux sur une autre neige. Il n’est pas impossible d’être un très bon skieur et d’être quand même un gentleman. On peut même être un gentleman sans rien entendre au ski. Brisures des skis — Si un ski casse, il faut d’abord examiner la situation par rapport à l’heure de la journée, l’état de la neige et la distance de l’habitation la plus proche. Par un grand froid et une neige épaisse, il est difficile en effet de percer des trous et de manier le marteau. C’est pourquoi une spatule métallique de rechange, qu’on peut avoir dans tous les magasins de sports, est, malgré ses défauts, le plus rapide et le meilleur remède. On peut, quand il ne s’agit que de la cassure de la pointe, arriver ainsi jusqu’à l’habitation la plus proche, où alors il est possible de procéder plus facilement à une réparation plus convenable. Il ne faut pas évidemment avoir laissé la spatule cassée dans la neige, et avec deux bandes de métal de la largeur de la main, provenant d’une vieille boite de conserve, et des pointes fortes et courtes, on peut assez rapidement réparer de façon durable des cassures de spatules de skis. L’« outil universel », qui se trouve également dans tous les magasins de sports, est indispensable. Le marteau doit être de grandeur moyenne. S’il s’agit d’une cassure où les fragments ne se raccordent pas, on cloue simplement la pointe cassée en avant et sous le ski. Pour cette opération, il est nécessaire d’avoir des clous plus longs. Les têtes doivent être enfoncées du côté de la surface glissante et les pointes, rabattues. Les fabricants réparent aussi maintenant les skis cassés, d’une façon parfaite et durable. S’il s’agit d’une cassure très rare du ski, celle qui se produit par son milieu, on renoncera à une réparation compliquée, en plein air, avec des bandages ou quelque chose d’analogue ; on fixera la partie antérieure au-dessous du pied avec une ligature de fortune, constituée par des courroies grasses et quelques clous. On arrivera ainsi à avancer lentement, certes, mais sûrement. Un sac à réparations doit donc contenir un « outil universel », deux courroies graissées en cuir, de grands et de petits clous et deux larges bandes de fer-blanc, provenant de boites de conserves, par exemple. Manière de ménager L’attache. — Les courroies en cuir, de chaque côté de leur logement, fatiguent beaucoup par suite du frottement de la neige. On les protège assez bien en enroulant, sur une longueur de 10 centimètres environ à partir de la sortie du logement, un fil de fer galvanisé. RÉPARATION D’UNE RUPTURE DE COURROIE. Courroies déchirées. — Quand elles sont humides, les courroies ne peuvent pas se rattacher au moyen des nœuds habituels. Une méthode très recommandée est indiquée par le croquis ci-contre. Amas de neige sous les souliers. — Les mottes de neige qui s’attachent au talon ou sous les semelles peuvent entraîner bien des ennuis. Sous les semelles, on enlève la neige avec le long coutelas qu’on doit porter dans une poche placée derrière le pantalon. D’ailleurs, ce couteau est utile en excursion dans toutes sortes de cas. La formation d’amas de neige aux talons devient impossible si on cloue sur le ski, au-dessous du talon, un morceau de fer-blanc mince, et sous le talon lui-même une légère feuille de caoutchouc. Gauchissement des skis. — Ce fait peut se produire soit par suite de la mauvaise qualité du bois, soit parce que les skis ont été séchés avec trop peu de soin. Il n’y a qu’un remède à ce gros inconvénient, c’est de les envoyer à l’usine qui les façonnera à nouveau. Freins. — Lorsque, pour une longue descente, il peut être commode d’avoir un frein à demeure, le système le plus pratique consiste à enrouler une cordelette autour des skis. Cannes en bambou. — Ces cannes ne sont pas « indestructibles », ainsi qu’on l’a dit dans un ancien ouvrage sur le ski, mais au contraire elles se brisent facilement si l’on s’en sert pour faire tomber la neige des skis, à l’aide de coups répétés. Il suffit de heurter les pointes des skis l’une contre l’autre pour obtenir ce résultat, et l’on épargne les cannes. Skis mal laqués. — Ils peuvent être rafraîchis avec un laquage à l’alcool. Graisse de souliers. — La meilleure est la graisse de corne, qu’on peut avoir à bon marché chez un équarrisseur. Elle entre dans toutes les préparations qui conservent le cuir et ne le rongent pas. Peaux. — Les peaux placées sous les skis pour faciliter les montées ne sont à recommander qu’aux personnes d’un certain âge et aux dames. Dans ce cas, on les fixera une fois pour toutes. Conservation, et tendage des skis en été. — Souvent on néglige de prendre des précautions convenables en été et des greniers chauds ne conviennent pas aux bois. Les skis doivent, une ou deux fois, être sortis de l’abri frais et sombre où ils sont placés durant cette saison et, pendant quelques heures, être exposés au soleil et couverts d’huile de lin. De plus, leur forme doit être maintenue au moyen de deux morceaux de bois et deux cordelettes. Conduites chaudes et radiateurs. — Les conduites chaudes dans les wagons de chemin de fer ou les radiateurs dans les hôtels sont les plus grands ennemis des souliers. La graisse devient trop chaude à leur contact, le cuir ramollit et le lendemain, ou plus tard, on découvre dans le cuir un trou dont généralement on ignore la cause. Lunettes à neige. — La lumière diffuse qui règne lorsque le soleil se trouve au-dessus d’un nuage, est très dangereuse et rend le port de lunettes indispensable, on pourrait être facilement aveuglé. Les lunettes de neige doivent être suffisamment grandes, pas trop foncées et munies d’un dispositif empêchant la lumière d’éblouir de côté. Boussole et carte. — Une étude minutieuse de la carte est la condition préalable de l’emploi de la boussole dans le brouillard ou l’obscurité. Mais la connaissance exacte du pays est nécessaire aussi. Plus d’un exemple prouve que, même dans les montagnes moyennes, il peut devenir dangereux d’entreprendre une course en skis seul et sans connaissance des signes de la carte. Cours de ski. — On ne commence à connaître le sport du ski que quand on croit qu’on le possède totalement. Bien des gens ont la conviction qu’ils savent faire du ski, mais un cours est, à cet égard, très révélateur ! Quand on apprend par soi-même, on gaspille beaucoup de forces. Aussi faut-il conseiller de suivre un cours de ski à ceux qui veulent se déshabituer des fautes qu’ils commettent depuis plusieurs années ou à ceux qui dès le début tiennent à marcher correctement. Il est évident qu’une direction habile, mais sévère, presque militaire du cours est indispensable, sinon la leçon dégénère en simple distraction de quelques jours ; celui qui, le matin, s’exerce consciencieusement et l’après-midi fait de petites sorties, durant lesquelles il s’efforce de mettre en valeur ce qu’il a appris, acquiert en peu de temps plus de connaissances techniques que n’en aurait amassé en deux années un débutant livré à lui-même. Un cours de ski ne doit pas durer plus de quatre jours si, par suite de la fatigue inévitable, on veut éviter l’indifférence des élèves. Le ski n’est pas uniquement, comme on pourrait le croire, un incomparable instrument de sport : c’est lui qui a apporté aux populations rurales l’hygiène et la santé ; qui a assuré pendant l’hiver le fonctionnement régulier de tous les organismes de la vie sociale ; qui, enfin, a donné à l’armée, durant cette saison, presque une arme spéciale, souple, rapide, pouvant rendre à peu près les mêmes services à cette époque que l’infanterie cycliste en temps habituel. Nous nous proposons de montrer comment le ski a rendu service à l’individu d’abord, à la nation ensuite, soit en temps de paix, soit en temps de guerre. Le ski et l’individu. — Les habitants aisés des villes savent à peine dans quelles conditions lamentables vivent les miséreux qui, pressés par le besoin, logent dans des taudis où ils s’entassent dans la malpropreté, l’ombre et l’humidité. Ils ignorent à plus forte raison comment se logent de nombreux paysans — en particulier des régions montagneuses — par qui l’hygiène et le bien-être sont plus profondément ignorés encore. Dans les Alpes, par exemple, pendant l’été, les habitants vivent au grand air, pur et fortifiant des montagnes ; ils logent, ou plutôt ils campent dans des chalets légèrement bâtis et ouverts à tous les vents. Cette période leur donne une provision de santé, les protège des dangers causés par leur malpropreté, leur hygiène déplorable, et écarte d’eux la tuberculose. Mais, en hiver, il faut se chauffer et aussi économiquement que possible. C’est pourquoi on se calfeutre dans des étables voûtées dont la température est assez égale ; on mange, on couche, on vit en un mot au milieu des bétes, dans une demi-obscurité ; on respire une atmosphère humide et malsaine. On s’étonnera moins, d’après ce tableau, du nombre d’idiots, de crétins, d’êtres rabougris que l’on rencontrait, il y a peu d’années encore, dans ces régions, et qui deviennent heureusement de plus en plus rares. Il est pénible, en effet, de songer quelle peut être l’existence dans ces conditions, lorsque la litière des bestiaux, qui n’est renouvelée qu’au printemps, forme un tapis épais et nauséabond. L’oisiveté règne dans une pénombre continuelle, une oisiveté nuisible au physique comme au moral. La seule occupation est en général le tissage, à l’aide d’instruments encore rudimentaires, en particulier à la veillée, pendant laquelle plusieurs familles se réunissent. Le ski a transformé ces mœurs. En permettant de circuler sur la neige, quelle que soit son épaisseur, il a fait connaître le plaisir de vivre, en toute saison, à la lumière, au grand soleil, qui fait briller la neige éclatante sous un ciel bleu, de marcher, même par les temps les plus mauvais, et de vaquer à des occupations utiles et saines. Il a rendu ces populations moins frileuses, et maintenant l’hiver contribue, comme l’été, à fortifier l’individu et la race. Ceux qui vivaient dans l’isolement et la claustration la plus complète abandonnent peu a peu les écuries et vivent plus normalement parce qu’ils peuvent enfin se mouvoir sur la neige avec rapidité et légèreté, vaquer à leurs affaires au milieu de l’air pur et vivifiant. Nous avons vu de quelle utilité était le ski pour les habitants des campagnes. Il en est de même pour les citadins qui n’hésitent plus maintenant à profiter des jours de liberté pour faire en toute saison du sport sain et agréable et améliorer ainsi notablement leur santé et les conditions hygiéniques de leur existence. Le ski et la société. — Les premiers adeptes du ski dans les campagnes et les meilleurs éducateurs furent, avec les soldats libérés, les divers fonctionnaires qui, grâce à ce mode de locomotion, purent faire leur service l’hiver comme l’été, peut-être plus facilement encore. Nous citerons les gardes forestiers, qui furent les premiers à accomplir de cette façon leurs tournées quotidiennes, et les facteurs des postes, qui, grâce au ski et à la luge, purent porter régulièrement aux isolés des nouvelles du reste du monde. Les contrebandiers et les malfaiteurs, eux aussi, à ski ou en raquettes, trouvèrent devant eux d’agiles skieurs portant la tenue des douaniers et des gendarmes. Enfin les médecins eurent la possibilité, par tous les temps, d’apporter leurs soins à leurs malades. Il n’est pas jusqu’aux ministres de la religion qui, comme en Norvège, viennent en ski, eux aussi, donner leurs dernières consolations aux mourants. Quand le ski était encore inconnu, les enfants qui se dirigeaient tous les matins vers l’école accomplissaient leur trajet avec de grosses difficultés lorsque la neige était tombée dans la nuit et leur admirable ténacité se trouvait souvent mise en échec par les éléments. Il n’en est plus ainsi. Ils glissent chaque jour de toutes les directions rapidement vers l’école, pour leur plus grand bien et celui de la nation. Enfin, une richesse nouvelle est née. Naguère encore le tourisme n’existait pas en hiver : alors qu’en été se créaient de toutes parts des stations, des hôtels, sources de prospérité locale, l’hiver voyait arriver, pour les hôteliers et les industries qu’ils font vivre, en particulier pour les entreprises de transport, une morte-saison absolue. Aujourd’hui, bien au contraire, les villégiatures hivernales remplacent, dès octobre, les villégiatures estivales et apportent à ces contrées un élément nouveau d’activité et de richesse. La montagne n’est plus l’organisme à sang froid qui passait quelques mois de l’année dans la claustration et l’oisiveté ; elle vit maintenant et d’une vie également active dans toutes les saisons. Le ski dans l’armée. — En ce qui concerne les applications du ski dans l’armée, on peut affirmer que le fantassin à ski peut évoluer assez facilement, même avec le chargement de campagne et qu’il peut manier son arme aussi aisément qu’à pied. Quant à l’utilisation tactique des troupes de skieurs, les avis sont partagés. Tandis que les Suédois et les Norvégiens, qui ont introduit depuis des siècles le ski dans leurs armées, adoptent la formation de corps de skieurs assez importants et manœuvrant en masses, les nations plus récemment converties à ce mode de locomotion, préconisent seulement l’emploi de petites fractions destinées à effectuer des reconnaissances, des flanc-gardes, ou à tenir un point d’appui. La raison de cette divergence de doctrines réside peut-être dans la différence de configuration du terrain entre les pays septentrionaux, renfermant de grandes étendues plates et neigeuses, et les pays très montagneux de l’Europe centrale. On conçoit que, dans les premiers, de grandes masses de skieurs puissent conserver en manœuvrant la cohésion nécessaire, évoluer rapidement, et, lorsque l’épaisseur de la neige permet encore aux chevaux de se déplacer à grande allure, de se faire traîner par des cavaliers pour qui ils deviennent des soutiens remarquablement mobiles. Dans ce cas, on peut dire que les corps des skieurs peuvent, suivant les circonstances, jouer le rôle, sinon de cavalerie d’exploration, du moins de cavalerie de première ligne ou bien encore d’infanterie cycliste. En montagne, au contraire, ou les grandes masses manœuvrent plus difficilement, et où il est impossible de maintenir suffisamment de cohésion dans un groupe important de skieurs, les troupes combattant en hiver seraient convoyées par des mulets portant munitions et mitrailleuses. Elles utiliseraient la raquette, qui aurait l’avantage de créer pour les bétes de somme des pistes suffisamment tassées, mais les services de sûreté et de reconnaissances seraient beaucoup plus rapidement effectués par des skieurs pouvant au besoin tenter un coup de main. Quelles que puissent être ou devenir les opinions des hommes compétents au sujet de l’utilisation du ski en temps de guerre, il est indiscutable, en tout cas, qu’il est des plus utiles dans l’armée en temps de paix. Il a permis aux différents postes d’hiver, trop longtemps isolés jusqu’alors, d’être reliés entre eux ; il a facilité le trajet des courriers et même les ravitaillements, car il est possible, quoi qu’il paraisse, de porter à ski des fardeaux, de chercher du bois dans les forêts et de se livrer à nombre d’occupations analogues. Enfin le côté sportif du ski a été très utile aux petites unités des postes, auxquelles il a apporté une distraction saine et dont il a pu parfois relever le moral. Nous n’insisterons pas, l’ayant déjà fait ailleurs, sur la propagande, par l’exemple, des soldats en activité de service ou libérés, auprès des populations rurales ; ce n’est pas là le moindre des bienfaits du ski militaire. Combien de fois avons-nous entendu des vieillards, hommes ou femmes, qui par curiosité se font conduire en traîneau sur les hauteurs hivernales, s’écrier : « Ah ! si le ski avait été connu de notre temps ! » Qui sait si réellement ils en auraient fait ? Mais vous qui assistez au développement de ce sport, ne vous contentez pas de virages et de sauts ! Ayez des ambitions plus hautes ! Apprenez à voyager sur vos skis ! Les ressources d’énergie de l’homme se montrent à cette occasion et des capacités insoupçonnées se révèlent. Le sport du ski peut être aussi une école de la vie. Mais il faut commencer loyalement et franchement, non comme un jeu ou parce que c’est la mode, mais avec un ardent désir de vaincre les difficultés qui s’opposent à vos efforts. On se rend compte alors que le ski est vraiment une école de courage et de décision qui rend l’homme souple et résistant. S’il exige parfois des sacrifices, il est aussi une source pure de joies saines et le bonheur d’une course folle sur la neige molle et veloutée est une compensation bien suffisante pour la dure fatigue éprouvée. Un vieux tronc d’arbre barre-t-il le chemin ? Une conversion rapide et le danger est évité. Un ressaut raide se trouve-t-il sur la piste, impossible à fuir ? La peur monte peut-être à la gorge...... mais non, on se baisse, un saut, l’obstacle est franchi, et l’on poursuit allègrement son chemin. La vie n’est-elle pas ainsi, la vraie vie ? Luttes audacieuses, malheurs inattendus, puis, de nouveau, bonheur et paix. Et quand on rentrera d’une excursion dans la montagne enneigée, personne ne répétera avec le roi Salomon : « Si c’était délicieux, ce fut aussi dur et pénible », mais plutôt : « Bien que ce fut dur et pénible, c’était pourtant délicieux ! » TABLE DES MATIÈRES Préface VII COMMENT SE DÉPLACER SUR LA NEIGE ? Moteur humain 2 Le ski. — La raquette. Moteur pesanteur 4 La luge. — Le skeleton. — Le toboggan. — Le bobsleigh. Moteur animal 18 Le traîneau. Moteur mécanique 21 Le traîneau automobile. Centres de tourisme d’hiver 25 EN FRANCE : Les Vosges. — Le Jura. — Les Alpes. — Les Pyrénées. — Le Massif Central. — Algérie. À L’ÉTRANGER : Suisse. — Autriche-Hongrie et Allemagne. — Suède et Norvège. LE SKI Histoire du ski 35 Le ski en France 40 Un peu de chronologie 43 Tableau des meilleures performances en ski obtenues dans les trente dernières années 45 Ce dont on a besoin en ski 47 Le ski. — L’attache. — La canne. — L’équipement. — Le sac. — La neige. — Elle colle ! Fabrication des skis 71 Comment on apprend le ski 74 La descente 76 Comment on se relève 78 Demi-tour 80 Marche en plaine 83 Ascensions 84 Marche en chasse-neige 87 Le « Telemark » et le « Christiania » 92 Le saut 102 Construction du tremplin. — Comment doit-on sauter ? — Le départ. — Le saut. — Le maintien dans l’air. — Arrivée du saut. — L’arrêt. — Bons exercices pour le saut. — Le saut doit-il être long ou élégant ? Marche en terrain difficile 116 Skijöring 118 Hygiène et accidents 119 Réflexions d’un skieur psychologue 121 Conseils techniques 124 Brisure des skis. — Manière de ménager l’attache. — Amas de neige sous les souliers. — Gauchissement des skis. — Freins. — Cannes en bambou. — Skis mal laqués. — Graisse de souliers. — Peaux. — Conservation et tendage des skis en été. — Conduites chaudes et radiateurs. — Lunettes de neige. — Boussole et carte. — Cours de ski. Applications du ski 127 Le ski et l’individu. — Le ski et la collectivité. — Le ski dans l’armée. Conclusion 132 14671-11. — Corbeil. Imprimerie Crété. Balata : bande épaisse en poil de chameau. Une modification très ingénieuse de la boucle d’Ellefsen est celle imaginée par de Conninck (Koski). Sa supériorité sur les autres attaches réside en ce que la courroie du talon peut être ou n’être pas une courroie sans fin. Par suite il sera plus facile de s’en débarrasser en cas de chute afin de quitter son ski. Le levier peut s’ouvrir de lui-même parfois, mais dans ce cas l’anneau est retenu par la griffe (a) qui l’empêche de se détacher fortuitement. La meilleure manière de se chausser consiste à mettre sur des chaussures solides et lacées de simples chaussons de drap. Ceux-ci s’imprègnent de neige, gèlent un peu à la surface et deviennent tout à fait imperméables. Ils ont d’ailleurs fait leurs preuves dans les écoles régimentaires où, depuis qu’ils sont employés, on n’a plus eu à déplorer un seul pied gelé. Le « fart », d’importation norvégienne, est un mélange de paraffine et de substance colorée, généralement verte. Ce mélange solide est facile à emporter et produit un excellent effet. Il est bon aussi, lorsqu’on passe de la neige durcie à la neige molle, ce qui arrive souvent, d’avancer un peu le pied afin d’augmenter la stabilité pendant la période de transition. Un procédé très ingénieux a été imaginé par un médecin militaire, M. le Dr Morisson. Il fait reposer sur deux skis le brancard réglementaire par l’intermédiaire de quatre cubes de bois fixés à chaque extrémité des skis et portant des logements pour les pieds du brancard. |
Le véritable Saint Genest/Acte V | Jean de Rotrou Le véritable Saint Genest Œuvres de Jean de Rotrou, Th. Desoer, 1820, Tome V (p. 71-84). ◄ Acte IV collectionLe véritable Saint GenestJean de RotrouTh. Desoer1820ParisCTome VJean de Rotrou-Oeuvres Vol.5-1820.djvuJean de Rotrou-Oeuvres Vol.5-1820.djvu/1171-84 (Une prison.) GENEST seul et enchaîné. Par quelle divine aventure, Sensible et sainte volupté, Essai de la gloire future, Incroyable félicité ; Par quelles bontés souveraines, Pour confirmer nos saints propos, Et nous conserver le repos, Sous le lourd fardeau de nos chaînes, Descends-tu des célestes plaines, Dedans l’horreur de nos cachots ? Ô fausse volupté du monde, Vaine promesse d’un trompeur ! Ta bonace la plus profonde, N’est jamais sans quelque vapeur ; Et mon Dieu, dans la peine même Qu’il veut que l’on souffre pour lui, Quand il daigne être notre appui, Et qu’il reconnoît que l’on l’aime, Influe une douceur extrême Sans mélange d’aucun ennui. Pour lui la mort est salutaire, Et par cet acte de valeur On fait un bonheur volontaire D’un inévitable malheur. Nos jours n’ont pas une heure sûre ; Chaque instant use leur flambeau ; Chaque pas nous mène au tombeau ; Et l’art, imitant la nature, Bâtit d’une même figure Notre bière et notre berceau. Mourrons donc, la cause y convie : Il doit être doux de mourir Quand se dépouiller de la vie, Est travailler pour l’acquérir. Puisque la célèbre lumière Ne se trouve qu’en la quittant, Et qu’on ne vainc qu’en combattant, D’une vigueur mâle et guerrière Courons au bout de la carrière Où la couronne nous attend. Le même ; MARCELLE, LE GEÔLIER. LE GEÔLIER, à Marcelle. Entrez. (Le geôlier sort.) MARCELLE. Entrez.Et bien, Genest, cette ardeur insensée Te dure-t-elle encore, ou t’est-elle passée ? Si tu ne fais pour toi, si le jour ne t’est cher, Si ton propre intérêt ne te sauroit toucher, Nous osons espérer que le nôtre possible En cette extrémité te sera plus sensible, Que t’étant si cruel tu nous seras plus doux, Et qu’obstiné pour toi tu fléchiras pour nous : Si tu nous dois chérir, c’est en cette occurrence ; Car, séparés de toi, quelle est notre espérance ? Par quel sort pouvons-nous survivre ton trépas ? Et que peut plus un corps dont le chef est à bas ? Ce n’est que de tes jours que dépend notre vie ; Nous mourrons tous du coup qui te l’aura ravie ; Tu seras seul coupable, et nous tous en effet, Serons punis d’un mal que nous n’aurons point fait. GENEST. Si d’un heureux avis vos esprits sont capables, Partagez ce forfait, rendez-vous en coupables, Et vous reconnoîtrez s’il est un heur plus doux, Que la mort qu’en effet je vous souhaite à tous. Vous mourriez pour un dieu dont la bonté suprême, Vous faisant en mourant détruire la mort même, Feroit l’éternité le prix de ce moment, Que j’appelle une grâce et vous un châtiment. MARCELLE. Ô ridicule erreur de vanter la puissance D’un Dieu qui donne aux siens la mort pour récompense ! D’un imposteur, d’un fourbe et d’un crucifié ! Qui l’a mis dans le ciel ? qui l’a déifié ? Un nombre d’ignorans et de gens inutiles ? De malheureux, la lie et l’opprobre des villes ; De femmes et d’enfans dont la crédulité, S’est forgée à plaisir une divinité ; De gens qui, dépourvus des biens de le fortune, Trouve dans leur malheur la lumière importune, Sous le nom des chrétiens font gloire du trépas, Et du mépris des biens qu’ils ne possèdent pas, Perdent l’ambition en perdant l’espérance, Et souffrent tous du sort, avec indifférence ! De là naît le désordre épars en tant de lieux ; De là naît le mépris et des rois et des dieux, Que César irrité réprime avec justice Et qu’il ne peut punir d’un trop rude supplice. Si je t’ose parler d’un esprit ingénu, Et si le tien, Genest, ne m’est point inconnu ; D’un abus si grossier tes sens sont incapables, Tu te ris du vulgaire et lui laisses ses fables, Et pour quelque sujet, mais qui nous est caché, À ce culte nouveau tu te feins attaché. Peut-être que tu plains ta jeunesse passée, Par une ingrate cour si mal récompensée : Si César, en effet, étoit plus généreux, Tu l’as assez suivi pour être plus heureux ; Mais dans toutes les cours cette plainte est commune, Le mérite bien tard y trouve la fortune ; Les rois ont ce penser inique et rigoureux, Que sans nous rien devoir nous devons tout pour eux, Et que nos vœux, nos soins, nos loisirs, nos personnes, Sont de légers tributs qui suivent leurs couronnes. Notre métier surtout, quoique tant admiré, Est l’art où le mérite est moins considéré. Mais peut-on qu’en souffrant vaincre un mal sans remède ? Qui se sait modérer, s’il veut tout lui succède. Pour obtenir nos fins n’aspirons point si haut ; À qui le désir manque aucun bien ne défaut. Si de quelque besoin ta vie est traversée, Ne nous épargne point, ouvre-nous ta pensée ; Parle, demande, ordonne, et tous nos biens sont tiens. Mais quel secours, hélas ! attends-tu des chrétiens ? Le rigoureux trépas dont César te menace, Et notre inévitable et commune disgrâce. GENEST. Marcelle, avec regret j’espère vainement De répandre le jour sur votre aveuglement, Puisque vous me croyez l’âme assez ravalée, Dans les biens infinis dont le ciel l’a comblée, Pour tendre à d’autres biens, et pour s’embarrasser, D’un si peu raisonnable et si lâche penser. Non, Marcelle, notre art n’est pas d’une importance À m’en être promis beaucoup de récompense ; La faveur d’avoir eu des Césars pour témoins, M’a trop acquis de gloire et trop payé mes soins. Nos vœux, nos passions, nos veilles et nos peines, Et tout le sang enfin qui coule dans nos veines, Sont pour eux des tributs de devoir et d’amour, Où le ciel nous oblige en nous donnant le jour ; Comme aussi j’ai toujours, depuis que je respire, Fait des vœux pour leur gloire et pour l’heur de l’Empire : Mais où je vois s’agir de l’intérêt d’un Dieu Bien plus grand dans le ciel qu’ils ne sont en ce lieu ; De tous les empereurs l’empereur et le maître, Qui seul me peut sauver comme il m’a donné l’être, Je soumets justement leur trône à ses autels, Et contre son honneur ne dois rien aux mortels. Si mépriser leurs dieux est leur être rebelle, Croyez avec raison je leur suis infidèle, Et que loin d’excuser cette infidélité, C’est un crime innocent dont je fais vanité. Vous verrez si ces dieux de métal et de pierre Seront puissans au ciel comme on les croit en terre ; Et s’ils vous sauveront de la juste fureur D’un Dieu dont la créance y passe pour erreur : Et lors ces malheureux, ces opprobres des villes, Ces femmes, ces enfans et ces gens inutiles, Les sectateurs enfin de ce crucifié, Vous diront si sans cause ils l’ont déifié. Ta grâce peut, Seigneur, détourner ce présage. Mais hélas ! tous l’ayant, tous n’en ont pas l’usage ; De tant de conviés bien peu suivent tes pas, Et pour être appelés, tous ne répondent pas. MARCELLE. Cruel, puisqu’à ce point cette erreur te possède, Que ton aveuglement est un mal sans remède, Trompant au moins César, apaise son courroux, Et si ce n’est pour toi, conserve-toi pour nous. Sur la foi de ton Dieu fondant ton espérance, À celle de nos dieux donne au moins l’apparence ; Et, sinon sous un cœur, sous un front plus soumis, Obtiens pour nous ta grâce, et vis pour tes amis. GENEST. Notre foi n’admet point cet acte de foiblesse ; Je la dois publier, puisque je la professe. Puis-je désavouer le maître que je sui ? Aussi bien que nos cœurs nos bouches sont à lui. Les plus cruels tourments n’ont point de violence Qui puisse m’obliger à ce honteux silence. Pourrois-je encor, hélas ! après la liberté Dont cette ingrate voix l’a tant persécuté, Et dont j’ai fait un Dieu le jouet d’un théâtre, Aux oreilles d’un prince et d’un peuple idolâtre, D’un silence coupable, aussi-bien que la voix, Devant ses ennemis méconnoître ses lois ! MARCELLE. César n’obtenant rien, ta mort sera cruelle. GENEST. Mes tourmens seront courts, et ma gloire éternelle. MARCELLE. Quand la flamme et le fer paroîtront à tes yeux... GENEST. M’ouvrant la sépulture, ils m’ouvriront les cieux. MARCELLE. Ô dur courage d’homme ! GENEST. Ô dur courage d’homme !Ô foible cœur de femme ! MARCELLE. Cruel, sauve tes jours ! GENEST. Cruel, sauve tes jours ! Lâche ! sauve ton âme ! MARCELLE. Une erreur, un caprice, une légèreté, Au plus beau de tes ans te coûter la clarté ! GENEST. J’aurai bien peu vécu si l’âge se mesure, Au seul nombre des ans prescrit par la nature ; Mais l’âme qu’au martyre un tyran nous ravit, Au séjour de la gloire à jamais se survit. Se plaindre de mourir c’est se plaindre d’être homme ; Chaque jour le détruit, chaque instant le consomme ; Au moment qu’il arrive il part pour le retour, Et commence de perdre en recevant le jour. MARCELLE. Ainsi rien ne te touche, et tu nous abandonnes ? GENEST. Ainsi je quitterois un trône et des couronnes : Toute perte est légère à qui s’acquiert un Dieu. LE GEÔLIER, MARCELLE, GENEST. LE GEÔLIER. Le préfet vous demande. MARCELLE. Le préfet vous demande.Adieu, cruel. GENEST. Le préfet vous demande.Adieu, cruel.Adieu. Le préfet vous demande.Adieu, cruel.(Marcelle sort.) LE GEÔLIER. Si bientôt à nos dieux vous ne rendez hommage, Vous vous acquittez mal de votre personnage, Et je crains en cet acte un tragique succès. GENEST. Un favorable juge assiste à mon procès ; Sur ses soins éternels mon esprit se repose, Je m’assure sur lui du succès de ma cause, De mes chaînes par lui je serai déchargé, Et par lui-même un jour César sera jugé. (Ils sortent.) DIOCLÉTIEN, MAXIMIN, Gardes. DIOCLÉTIEN. Puisse par cet hymen votre couche féconde, Jusques aux derniers temps donner des rois au monde, Et par leurs actions ces surgeons glorieux Mériter comme vous un rang entre les dieux ! En ce commun bonheur l’allégresse commune, Marque votre vertu plus que votre fortune, Et fait voir qu’en l’honneur que je vous ai rendu, Je vous ai moins payé qu’il ne vous étoit dû. Les dieux, premiers auteurs des fortunes des hommes, Qui dedans nos états nous font ce que nous sommes, Et dont le plus grand roi n’est qu’un simple sujet, Y doivent être aussi notre premier objet ; Et sachant qu’en effet ils nous ont mis sur terre Pour conserver leurs droits, pour régir leurs tonnerres, Et pour laisser enfin leur vengeance en nos mains, Nous devons sous leurs lois contenir les humains, Et notre autorité, qu’ils veulent qu’on révère, À maintenir la leur n’est jamais trop sévère ; J’espérois cet effet, et que tant de trépas Du reste des chrétiens redresseroient les pas : Mais j’ai beau leur offrir de sanglantes hosties, Et laver leurs autels du sang de ces impies ; En vain j’en ai voulu purger ces régions, J’en vois du sang d’un seul naître des légions. Mon soin nuit plus aux dieux qu’il ne leur est utile ; Un ennemi défait leur en reproduit mille ; Et le caprice est tel de ces extravagans, Que la mort les anime et les rend arrogans. Genest, dont cette secte aussi folle que vaine, A si long-temps été la risée et la haine, Embrasse enfin leur loi contre celle des dieux, Et l’ose insolemment professer à nos yeux ; Outre l’impiété, ce mépris manifeste, Mêle notre intérêt à l’intérêt céleste : En ce double attentat, que sa mort doit purger, Nous avons et les dieux et nous-même à venger. MAXIMIN. Je crois que le préfet, commis à cet office, S’attend aussi d’en faire un public sacrifice, D’exécuter votre ordre, et de cet insolent Donner ce soir au peuple un spectacle sanglant, Si déjà sur le bois d’un théâtre funeste, Il n’a représenté l’action qui lui reste. Les mêmes, VALÉRIE, CAMILLE, MARCELLE, OCTAVE, SERGESTE, LENTULE, ALBIN, DIOCLÉTIEN, MAXIMIN, Gardes. (Tous les Comédiens se mettent à genoux.) VALÉRIE, à Dioclétien. Si, quand pour moi le ciel épuise ses bienfaits, Quand son œil provident rit à tous nos souhaits, J’ose encor espérer que dans cette allégresse Vous souffriez à mon sexe un acte de foiblesse, Permettez-moi, seigneur, de rendre à vos genoux Ces gens qu’en Genest seul vous sacrifiez tous : Tous ont aversion pour la loi qu’il embrasse, Tous savent que son crime est indigne de grâce ; Mais il est à leur vie un si puissant secours, Qu’ils la perdront du coup qui tranchera ses jours. M’exauçant, de leur chef vous détournez vos armes ; Je n’ai pu dénier cet office à leurs larmes, Où je n’ose insister si ma témérité, Demande une injustice à votre majesté. DIOCLÉTIEN. Je sais que la pitié plutôt que l’injustice, Vous a fait embrasser ce pitoyable office, Et dans tout cœur bien né tiens la compassion Pour les ennemis même une juste action ; Mais où l’irrévérence et l’orgueil manifeste Joint l’intérêt d’état, à l’intérêt céleste, Le plaindre est, au mépris de notre autorité, Exercer la pitié contre la piété ; C’est d’un bras qui l’irrite arrêter la tempête Que son propre dessein attire sur sa tête, Et d’un soin importun arracher de sa main Le couteau dont lui-même il se perce le sein. MARCELLE. Ah ! seigneur, il est vrai ; mais de cette tempête Le coup frappe sur nous s’il tombe sur sa tête, Et le couteau fatal que l’on laisse en sa main, Nous assassine tous en lui perçant le sein. OCTAVE. Si la grâce, Seigneur, n’est due à son offense, Quelque compassion l’est à notre innocence. DIOCLÉTIEN. Le fer qui de ses ans doit terminer le cours Retranche vos plaisirs en retranchant ses jours : Je connois son mérite et plains votre infortune ; Mais outre que l’injure avec les dieux commune, Intéresse l’état à punir son erreur ; J’ai pour toute sa secte une si forte horreur, Que je tiens tous les maux qu’ont soufferts ses complices, Ou qu’ils doivent souffrir pour de trop doux supplices. En faveur toutefois de l’hymen fortuné Par qui tant de bonheur à Rome est destiné ; Si par son repentir, favorable à soi-même, De sa voix sacrilège il purge le blasphème, Et reconnoît les dieux auteurs de l’univers, Les bras de ma pitié vous sont encor ouverts. Mais voici le préfet : je crains que son supplice N’ait prévenu l’effet de votre bon office. Les mêmes ; PLANCIEN. PLANCIEN. Par votre ordre, seigneur, ce glorieux acteur, Des plus fameux héros fameux imitateur, Du théâtre romain la splendeur et la gloire, Mais si mauvais acteur dedans sa propre histoire, Plus entier que jamais en son impiété, Et par tous mes efforts en vain sollicité, A du courroux des dieux contre sa perfidie, Par un acte sanglant fermé la tragédie... MARCELLE pleurant. Que nous achèverons par la fin de nos jours. OCTAVE. Ô fatale nouvelle ! SERGESTE. Ô fatale nouvelle !Ô funeste discours ! PLANCIEN. J’ai joint à la douceur, aux offres, aux prières, À si peu que les dieux m’ont donné de lumières, (Voyant que je tentois d’inutiles efforts) Tout l’art dont la rigueur peut tourmenter les corps ; Mais ni les chevalets, ni les lames flambantes, Ni les ongles de fer, ni les torches ardentes, N’ont contre ce rocher été qu’un doux zéphyr Et n’ont pu de son sein arracher un soupir. Sa force en ce tourment a paru plus qu’humaine ; Nous souffrions plus que lui, par l’horreur de sa peine ; Et nos cœurs détestant ses sentiments chrétiens, Nos yeux ont malgré nous fait l’office des siens : Voyant la force enfin comme l’adresse vaine, J’ai mis la tragédie à sa dernière scène ; Et fait, avec sa tête ensemble séparer, Le cher nom de son Dieu qu’il vouloit proférer. DIOCLÉTIEN s’en allant. Ainsi reçoive un prompt et sévère supplice, Quiconque ose des dieux irriter la justice. (Il sort.) VALÉRIE, à Marcelle. Vous voyez de quel soin je vous prêtois les mains ; Mais sa grâce n’est plus au pouvoir des humains. MAXIMIN, à Valérie. Ne plaignez point, madame, un malheur volontaire, Puisqu’il l’a pu franchir et s’être salutaire ; Et qu’il a bien voulu, par son impiété, D’une feinte en mourant faire une vérité. FIN DE SAINT GENEST. |
Gide - La Porte étroite, 1909.djvu/217 | ''{{tiret2|dé|couverte}}'' <i>dans le parc. Beaucoup de plantes et
d’arbres inconnus dont pourtant j’aurais voulu
savoir le nom. De chacun d’eux je cueille une ramille
pour me les faire nommer, au déjeuner. Je
reconnais en ceux-ci les chênes-verts qu’admirait
Jérôme à la villa Borghèse ou Doria-Pamphili...
si lointains parents de nos arbres du Nord —
d’expression si différente ; ils abritent, presque à
l’extrémité du parc, une clairière étroite, mystérieuse,
et se penchent au-dessus d’un gazon doux
aux pieds, invitant le chœur des nymphes. Je
m’étonne, m’effarouche presque de ce qu’ici mon
sentiment de la nature, si profondément chrétien
à Fongueusemare, malgré moi devienne un peu
mythologique. Pourtant elle était encore religieuse
la sorte de crainte qui de plus en plus m’oppressait.
Je murmurais ces mots : ''{{lang|la|hic nemus}}''. L’air
était cristallin ; il faisait un silence étrange. Je
songeais à Orphée, à Armide, lorsque tout à coup
un chant d’oiseau, unique, s’est élevé, si près de
moi, si pathétique, si pur qu’il me sembla soudain
que toute la nature l’attendait. Mon cœur
battait très fort ; je suis restée un instant appuyée</i>
<references/> |
L’Universalité et le roman | Léon Daudet L’Universalité et le roman L’Universalité et le roman, 1922 (p. 2-8). journalL’Universalité et le romanL’Universalité et le romanLéon DaudetL’Action française1922ParisTDaudet - L'Universalité et le roman, paru dans L'Action française, 23-11-1922.djvuDaudet - L'Universalité et le roman, paru dans L'Action française, 23-11-1922.djvu/12-8 L’Universalité et le Roman Une cinquantaine d’amis et d’hommes de lettres ont suivi avant-hier, de l’église Saint-Pierre de Chaillot au Père-Lachaise, sous un brumeux ciel baudelairien, la dépouille mortelle du grand écrivain, du romancier de génie que fut notre cher Marcel Proust. Cette admiration commune réunissait des personnalité d’âges divers, où dominait la génération qui nous suit, celle de trente à quarante, déjà si riche et si variée. Il y avait là l’espérance intellectuelle de notre pays. Tous pleuraient, sincèrement, l’être admirable et bon qui venait de s’en aller sous les ombres, avec son habituelle sérénité. C’est encore dans notre métier qu’il y a le moins d’envie et le plus de justice, au moins avant l’âge congelant et recroquevillant des honneurs et des gros grains. La presse parisienne n’a pas salué ce douloureux départ comme il eût convenu. Elle est mal et tardivement informée, en littérature comme en politique, et c’est un dommage. J’ai noté cependant un magnifique et juste article de M. de Pierrefeu dans les Débats. M. de Pierrefeu est un de nos très rares contemporains qui possèdent, avec le sens critique, la culture générale permettant de l’étayer. Il a bien vu l’importance exceptionnelle de l’œuvre de Proust, qui l’apparente à celle de Balzac, mais sous un plan différent et nouveau. Comme l’œuvre de Balzac, celle de Proust possède l’universalité. Je veux dire qu’elle a des fenêtres sur tous les compartiments de la connaissance, en même temps que sur toutes les circonstances de la vie. La comédie humaine de Proust, cette étonnante Recherche du Temps perdu, dont six volumes sont encore à paraître, traite, elle aussi, de l’art militaire, de l’agriculture, de la philosophie, de la politique, de la géologie, des états des corps en mouvement, de la physiologie, de la sociologie, etc... et même des microbes et des psychopathies. Mais, alors que, chez Balzac, ces digressions, splendides et profondes, sont incluses massivement dans la pâte romanesque — tels les bijoux des matrones dans les arcs de triomphe romains – chez Proust, les mêmes digressions sont refondues et moralisées. Il est vrai que, par ailleurs, la trame romanesque proprement dite, ou, si vous préférez, dramatique, est d’un grain moins serré que chez Balzac, par la constante présence et l’intervention de la personnalité de l’auteur. Mais, ceci dit, chez l’un comme chez l’autre la richesse est infinie et l’avidité mentale sans limites. On voit par eux l’immensité du champ romanesque, offrant autant de perspectives au génie créateur que la voie lactée, par un beau soir. La série de Proust, comme celle de Balzac, est une vie à côté de la vie, une vie en plus de la vie, agencée autrement, aussi complexe, amère, ironique, soudaine et rusée que l’existence de chacun de nous. C’est pourquoi je considère le roman comme l’expression la plus complète de l’art, comme une transposition de l’homme tout entier, plus exactement comme la possibilité de cette transposition intégrale, divin compris. Il a paru, depuis vingt ans, un grand nombre de traités de psychologie, reposant presque tous sur cette idée fausse et primaire que la psychologie est un chapitre de la clinique ou de la physiologie. C’est par là qu’on en est arrivé aux aberrations falotes de la psychologie dite « expérimentale », du calcul appliqué aux sensations, etc... Qui ne donnerait, s’il réfléchit un peu, tout ce fatras, pour les pages, étrangement lumineuses, où Proust descend dans la conscience de son prochain et en extrait des alliages inconnus, que chacun cependant reconnaît comme siens et intimes. « Plus profondément que n’est jamais descendu le plomb de la sonde », disait Quincey... Cela, chez Proust, sans aucune préciosité, ni affectation, comme par le seul effort d’une syntaxe puissante, où ruissellent, sous le pressoir de l’intelligence, les grappes des mots intenses et des termes exacts. On m’a raconté que, quelques heures avant sa mort, Marcel Proust, qui ne cessait de s’étudier, avait demandé, à la personne qui le veillait, de lui remettre une feuille de manuscrit, où était peinte l’agonie d’un de ses personnages : « J’ai quelques retouches à y faire, maintenant que me voici presque au même point. » Car il était d’un scrupule extraordinaire en fait d’observation, et ce puissant imaginatif ne cessait de contrôler son imagination par le réel. On lui doit, entre autres, cette remarque, subtile et vraie, que de menues circonstances déterminent souvent des actions importantes, par leur maturation dans le voisinage de la volonté. Alors que des conjonctures graves, et même tragiques, peuvent nous laisser inertes et défibrés. Aucun philosophe, à ma connaissance, parmi les contemporains, n’a mieux décrit ces confins de la raison – ou de la déraison – et du vouloir, baptisés génériquement « images motrices ». En outre, Proust ne se contente pas de décrire. Il lui plait encore de juger, et sa position de moraliste, toujours originale, est aussi parfaitement saine. De cette universalité et de cette tendance analytique en profondeur, est sortie une œuvre sans équivalent, de dimensions surprenantes, et dont les conquêtes sont rapides. Il s’agit maintenant de lui faire sa place. On m’apprend que la Nouvelle Revue française – où écrivait régulièrement Marcel Proust – a la bonne idée de consacrer à notre ami son numéro entier de janvier prochain. C’est un projet noble et utile. Le grand romancier est, pour sa patrie, une richesse, un pôle d’attraction incomparables. Encore faut-il qu’elle le mette en valeur. C’est à cela que devrait servir la critique. Mais la critique, chez nous, semble exténuée, académique et craintive en diable, ou barrée de parti pris ridicules, ou perdue de passions politiques, ou désireuse de faire sa cour à quelques crétins et pontifes « arrivés »... je veux dire arrivés au néant. C’est ce qui fait que j’applaudis à la multiplication des prix littéraires, qui compensent un peu, quant à ce genre si important de roman, la critique, inexistante ou abrutie. Si le prix Goncourt n’avait pas, en 1919, mis en vedette, brutalement, le nom de Marcel Proust, nous en serions encore, quant à cet étourdissant romancier, au silence, ou aux niaiseries qui accueillirent par exemple l’infortuné Arthur Rimbaud ; et ce serait honteux ! M. Zaharoff a eu la bonne et généreuse pensée de fonder un prix Balzac. Il rendrait aujourd’hui un grand service aux lettres, celui qui fonderait un prix Sainte-Beuve, un prix de la critique, restituant ainsi la vedette à cette pièce essentielle de l’architecture littéraire. LÉON DAUDET. Député de Paris. |
Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/528 | le monde et à tout moment, mais elle se rattrape à l’improviste, et le charme qui soudain se dégage d’elle, charme d’esprit et de passion, a le piquant d’une surprise.
— Que dites-vous de ces opinions révolutionnaires, mesdemoiselles ? s’écrie Claire en se voilant la face de ses deux mains. Elle ne veut plus du mariage ! Vous l’avez entendue... Ce ne sera pas trop de nous toutes réunies pour lui répondre, car nous avons affaire à forte partie. Allons, aux voix ! Dites : le mariage dont certaines jeunes personnes très avancées font fi, comment chacune de vous le comprend-elle ?
— C’est bien simple, dit Berthe Reboulet. Habiter Paris avec un train de maison confortable, ma loge à l’Opéra, les eaux ou la mer en été. Je me passerais de la campagne proprement dite. Vous voyez que c’est déjà une sérieuse économie.
— Et le mari ?
— Oh ! je ne tiendrais pas à un Adonis, les bellâtres sont ridicules, ni surtout à un de vos hommes de génie, des originaux insupportables dans la vie de tous les jours. Non, un homme occupé, d’un bon caractère, qui gagne de l’argent, — c’est le lot de ces messieurs, — et qui me laisse libre de le dépenser, un homme comme papa. Il ne me déplairait pas de lui être supérieure, ajoute Berthe avec une franchise qui égaye ses compagnes.
— Très bien. Kate nous a déjà confié ses aspirations : lingerie de soie et comtesse, dit {{Mlle|des}} Garays. Et vous, Claire ?
— Moi, j’attache, je l’avoue, une certaine importance au physique. Je ne haïrais pas un beau garçon... tenez, dans le genre de votre cousin le soldat, qu’on rencontrait souvent chez vous autrefois. Dans l’armée, on garde en général des sentimens religieux... je tiens à cela et aussi aux bons principes en politique... À propos, qu’est-il devenu votre cousin ? Il y a au Louvre un dragon de Géricault qui lui ressemble. Quelle taille athlétique, quelles moustaches ! Un héros évidemment. Le regard un peu dur, mais je hais les poules mouillées. Je ne sais quoi de martial, d’élégant et de robuste. Si j’avais un cousin de cette tournure-là, je m’arrangerais pour en faire un mari.
Tout en parlant, elle tient, braqués sur la cousine, des yeux dont la candeur masque un peu de malice.
Les lèvres de Marcelle ont un léger frémissement ; c’est ainsi que l’émotion se trahit chez elle, sa bouche est une sensitive qui, sans parler, ne sait pas garder de secrets.
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Verne - Nord contre sud, Hetzel, 1887.djvu/67 | {{nr||{{sc|la crique noire.}}|61}}
{{Séparateur|l}}suivi d’incendie, c’est le crime qui doit être le plus redouté de ces colons, répartis sur une vaste étendue de territoire. James Burbank n’hésita donc point à porter une accusation formelle. Devant son affirmation, les autorités résolurent d’informer contre Texar.
L’Espagnol fut amené à Saint-Augustine devant le recorder, afin d’être confronté avec les témoins. James Burbank, Walter Stannard, Edward Carrol, Zermah, furent unanimes à déclarer qu’ils avaient reconnu Texar dans l’individu qui fuyait de la ferme incendiée. Pour eux, il n’y avait pas d’erreur possible. Texar était l’un des auteurs du crime.
De son côté, l’Espagnol avait fait venir un certain nombre de témoins à Saint-Augustine. Or, ces témoins déclarèrent formellement que, ce soir-là, ils se trouvaient avec Texar, à Jacksonville, dans la « tienda » de Torillo, auberge assez mal famée mais fort connue. Texar ne les avait pas quittés de toute la soirée. Détail plus affirmatif encore, à l’heure où se commettait le crime, l’Espagnol avait eu précisément une dispute avec un des buveurs installés dans le cabaret de Torillo, — dispute qui avait été suivie de coups et menaces, pour lesquels il serait sans doute déposé une plainte contre lui.
Devant cette affirmation qu’on ne pouvait suspecter — affirmation qui fut d’ailleurs reproduite par des personnes absolument étrangères à Texar, — le magistrat de Saint-Augustine ne put que clore l’enquête commencée et renvoyer le prévenu des fins de la plainte.
L’alibi avait donc été pleinement établi, cette fois encore, au profit de cet étrange personnage.
C’est après cette affaire et en compagnie de ses témoins que Texar était revenu de Saint-Augustine, le soir du 7 février. On a vu quelle avait été son attitude à bord du ''Shannon'', pendant que le {{lang|en|texte=steam-boat}} descendait le fleuve. Puis, sur le squif venu au-devant de lui, conduit par l’Indien Squambô, il avait regagné le fortin abandonné, où il eût été malaisé de le suivre. Quant à ce Squambô, Séminole intelligent, rusé, devenu le confident de Texar, celui-ci l’avait pris à son service, précisément après cette dernière expédition des Indiens à laquelle son nom fut mêlé — très justement.
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Verne - Nord contre sud, Hetzel, 1887.djvu/66 | {{nr|60|{{sc|nord contre sud.}}|}}
{{Séparateur|l}}Mais Texar invoqua un alibi — système de défense qui, plus tard, devait lui réussir encore — et il fut prouvé qu’il n’avait pu prendre part à l’attaque d’une ferme, située dans le comté de Duval, puisque, à ce moment, il se trouvait à Savannah, État de Géorgie, à quelque quarante milles vers le nord, en dehors de la Floride.
Pendant les années suivantes, plusieurs vols importants furent commis, soit dans les plantations, soit au préjudice de voyageurs, attaqués sur les routes floridiennes. Texar était-il auteur ou complice de ces crimes ? Cette fois encore, on le soupçonna ; mais, faute de preuve, on ne put le mettre en jugement.
Enfin, une occasion se présenta où l’on crut avoir pris sur le fait le malfaiteur jusqu’alors insaisissable. C’était précisément l’affaire pour laquelle il avait été mandé la veille devant le juge de Saint-Augustine.
Huit jours auparavant, James Burbank, Edward Carrol et Walter Stannard revenaient de visiter une plantation voisine de Camdless-Bay, quand, vers sept heures du soir, à la tombée de la nuit, des cris de détresse arrivèrent jusqu’à eux. Ils se hâtèrent de courir vers l’endroit d’où venaient ces cris, et ils se trouvèrent devant les bâtiments d’une ferme isolée.
Ces bâtiments étaient en feu. La ferme avait été préalablement pillée par une demi-douzaine d’hommes, qui venaient de se disperser. Les auteurs du crime ne devaient pas être loin : on pouvait encore apercevoir deux de ces coquins qui s’enfuyaient à travers la forêt.
James Burbank et ses amis se jetèrent courageusement à leur poursuite, et précisément dans la direction de Camdless-Bay. Ce fut en vain. Les deux incendiaires parvinrent à s’échapper à travers le bois. Toutefois {{MM.|Burbank, Carrol et Stannard}} avaient très certainement reconnu l’un d’eux : c’était l’Espagnol.
En outre — circonstance plus probante encore — au moment où cet individu disparaissait au tournant d’une des lisières de Camdless-Bay, Zermah, qui passait, avait failli être heurtée par lui. Pour elle aussi, c’était bien Texar qui fuyait à toutes jambes.
Il est facile de l’imaginer, cette affaire fit grand bruit dans le comté. Un vol,
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Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/68 | qu’il n’y a plus rien à lui demander. Tout changera au {{s|iv|e}}, au temps de Démosthène, d’Eschine, de Lycurgue. L’influence d’Isocrate, maître du discours écrit, précurseur de l’hellénisme cosmopolite et livresque, aura passé par là.
Si l’idéal de Thucydide avait été de publier autant que possible les discours dans leur texte exact, rien ne lui était plus facile. Il nous dit qu’il s’est mis au travail dès le début de la guerre, comptant bien qu’il abordait un sujet qui surpasserait en intérêt celui d’Hérodote. S’il avait tenu à posséder les discours réels il les aurait fait noter par un assistant qu’il eût payé : c’eût été le moindre des frais que dût lui coûter son histoire, et peut-être après tout avait-il en effet quelques documents de ce genre, analogues à ceux sur lesquels Xénophon écrivit les ''Mémorables'', qui ne sont sûrement pas imaginés par lui. Mais cette besogne de critique et de grammairien est étrangère à l’Athènes de cette époque. Voici, je crois, quel est l’ordre d’idées où se meut naturellement Thucydide. Le grand inconvénient de l’écriture c’est, comme le dit Platon, qu’elle est irrévocable, qu’elle n’admet plus les modifications, l’assouplissement, la végétation de la vie, qu’elle arrête la pensée comme la mort en un visage définitif. Elle comporte donc un germe de fausseté, puisqu’elle immobilise le vivant et que la vie c’est la mobilité. Un discours sténographié, c’est-à-dire dépouillé de son action, de son magnétisme, de l’auditoire qui l’inspire et qu’il inspire, de son mouvement, n’est pas plus reproduit au vrai qu’un homme ou un cheval qui courent ne sont reproduits au vrai par une photographie instantanée : ceux-ci ne sont reproduits au vrai que par un artifice propre à une certaine technique de l’expression, sculpture ou peinture, et il existe, pour
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Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/65 | l’idée du scribe. Les « yeux » et les « oreilles » de Darius, les archivistes d’Alexandrie, les ''{{lang|la|scrinia}}'' d’Auguste et de Tibère, les mektoubdjï turcs descendent également de ce scribe accroupi, admirable vivant qui, placé aujourd’hui au milieu d’une salle du Louvre, s’établit idéalement, comme son noyau ou son armature, au centre de l’État ancien ou moderne. En même temps que le pouvoir temporel, le pouvoir spirituel vit dans cette catégorie de l’écrit, du ''mektoub''. Chez l’Égyptien, le Juif, le Perse, le Musulman, la vie religieuse supérieure consiste à apprendre par cœur de l’écriture. La division mahométane des religions en religion du vrai livre, qu’il faut adopter, religions à livre, juive et chrétienne, qu’il faut tolérer, religions sans livres qu’il faut exterminer, répond bien à la pensée profonde de l’Orient.
Or la Grèce est par excellence la civilisation sans livres. Elle n’aboutit jamais à l’écrit que contrainte et forcée, et avec une mauvaise conscience. L’exemple de son livre fondamental, les poèmes homériques, est caractéristique. On ne croit plus guère aujourd’hui qu’Homère ait ignoré l’écriture, et l’on sourit un peu de cet argument qui paraissait naguère décisif, que ni ''l’Iliade'' ni ''l’Odyssée'' n’en font mention. C’est que l’écriture paraissait à un État, à un public et à un poète d’alors, chose négligeable et sans éclat. Autant il était beau de montrer un aède comme Démodocus dans la splendeur de sa fonction, débitant devant les princes en s’accompagnant sur la lyre des poèmes magnifiques, autant il eût semblé ridicule de le mettre au jour avec le souffleur docile qu’eût été un rouleau de papyrus. Aujourd’hui encore le poète « chante », il n’écrit pas. L’écriture pour elle-même est toujours restée indifférente aux Grecs, ils n’y ont vu qu’un signe. Rien de
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Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/66 | pareil chez eux à cette science de l’écriture qui fait le fond de la civilisation des Chinois et qui est au principe de leur peinture. Jamais ils n’ont été tentés par la beauté lapidaire, spacieuse et durable des hiéroglyphes égyptiens, n’ont essayé d’en faire passer quelque chose dans leurs inscriptions, gribouillis qu’écrasent de si haut les belles inscriptions romaines. Ils ont emprunté leur écriture aux marchands phéniciens, quelque chose de simplifié, de rapide, de commercial, employé à la notation du moment. L’art du beau livre, la calligraphie, n’apparaissent en Orient et en Occident qu’avec le livre sacré. Évangile ou Coran. L’art des Arabes consistera surtout en cela, les Grecs ont mis de l’art dans tout, excepté dans cela.
Il y a un texte célèbre du ''Phèdre'' sur lequel on voit pivoter tout cet ordre d’idées. La répugnance du Grec pour une civilisation du livre s’y exprime en plein.
Platon y reproche à l’écriture exactement ce que {{M.|Bergson}} reproche au langage, dont les Idées sont une hypostase. Et le langage visuel, {{corr|ligotté|ligoté}} par l’écriture, auquel notre pensée du platonisme est aujourd’hui incorporée, ne ressemble pas à ce langage fluide, auditif, qu’il déposa à regret sur la cire de ses tablettes, et qui sentait la pensée comme le miel de ruche sent les fleurs. Platon, dont le sens est ici d’une merveilleuse finesse, flaire l’ennemi dans la direction d’où en effet il viendra. Le platonisme tel que nous le comprenons aujourd’hui, tel que l’exorcise {{M.|Bergson}} lorsqu’il déclare que nous naissons tous platoniciens, c’est-à-dire philosophes d’une philosophie marquée par le péché originel de la spatialité, c’est bien ce platonisme immobilisé, momifié, lié par les bandelettes de Thot : quel autre nom donner à celui de Zeller ou à l’extraordinaire
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La Joie de vivre/11 | Émile Zola La Joie de vivre G. Charpentier, 1884 (p. 415-447). ◄ Chapitre X Chapitre XI bookLa Joie de vivreÉmile ZolaG. Charpentier1884ParisTChapitre XIEmile Zola - La Joie de vivre.djvuEmile Zola - La Joie de vivre.djvu/1415-447 Après un mois de mai abominable, les premiers jours de juin furent très chauds. Le vent d’ouest soufflait depuis trois semaines, des tempêtes avaient ravagé les côtes, éventré des falaises, englouti des barques, tué du monde ; et ce grand ciel bleu, cette mer de satin, ces journées tièdes et claires qui luisaient maintenant, prenaient une douceur infinie. Par cette après-midi superbe, Pauline s’était décidée à rouler sur la terrasse le fauteuil de Chanteau, et à coucher près de lui, au milieu d’une couverture de laine rouge, le petit Paul, âgé déjà de dix-huit mois. Elle était sa marraine, elle gâtait l’enfant autant que le vieillard. — Le soleil ne va pas te gêner, mon oncle ? — Non, par exemple ! Il y a si longtemps que je ne l’ai vu !... Et Paul, tu le laisses s’endormir là ? — Oui, oui, l’air lui fera du bien. Elle s’était agenouillée sur un coin de la couverture, elle le regardait, vêtu d’une robe blanche, avec ses jambes et ses bras nus qui passaient. Les yeux fermés, il tournait vers le ciel sa petite face rose et immobile. — C’est vrai, qu’il s’est endormi tout de suite, murmura-t-elle. Il était las de se rouler... Veille à ce que les bêtes ne le tourmentent pas. Et elle menaça du doigt la Minouche, assise sur la fenêtre de la salle à manger, où elle faisait une grande toilette. Dans le sable, à l’écart, Loulou, étendu tout de son long, ouvrait de temps à autre un œil méfiant, sans cesse prêt à grogner et à mordre. Comme Pauline se relevait, Chanteau poussa une plainte sourde. — Ça te reprend ? — Oh ! ça me reprend ! c’est-à-dire que ça ne me quitte plus... Je me suis plaint, n’est-ce pas ? Est-ce drôle. J’en arrive à ne pas même m’en apercevoir ! Il était devenu un objet d’effroyable pitié. Peu à peu, la goutte chronique avait accumulé la craie à toutes ses jointures, des tophus énormes s’étaient formés, perçant la peau de végétations blanchâtres. Les pieds, qu’on ne voyait pas, enfouis dans des chaussons, se rétractaient sur eux-mêmes, pareils à des pattes d’oiseau infirme. Mais les mains étalaient l’horreur de leur difformité, gonflées à chaque phalange de nœuds rouges et luisants, les doigts déjetés par les grosseurs qui les écartaient, toutes les deux comme retournées de bas en haut, la gauche surtout qu’une concrétion de la force d’un petit œuf rendait hideuse. Au coude, du même côté, un dépôt plus volumineux avait déterminé un ulcère. Et c’était à présent l’ankylose complète, ni les pieds ni les mains ne pouvaient servir, les quelques jointures qui jouaient encore à demi, craquaient comme si on avait secoué un sac de billes. À la longue, son corps lui-même semblait s’être pétrifié dans la position qu’il avait adoptée pour mieux endurer le mal, penché en avant, avec une forte déviation à droite ; si bien qu’il avait pris la forme du fauteuil, et qu’il restait ainsi plié et tordu, lorsqu’on le couchait. La douleur ne le quittait plus, l’inflammation reparaissait à la moindre variation du temps, pour un doigt de vin ou pour une bouchée de viande, pris en dehors de son régime sévère. — Si tu voulais une tasse de lait, lui demanda Pauline, cela te rafraîchirait peut-être ? — Ah ! oui, du lait ! répondit-il entre deux gémissements. Encore une jolie invention que leur cure de lait ! Je crois qu’ils m’ont achevé avec ça... Non, non, rien, c’est ce qui me réussit le mieux. Il lui demanda pourtant de changer sa jambe gauche de place, car il ne pouvait la remuer à lui seul. — La gredine brûle aujourd’hui. Mets-la plus loin, pousse-la donc ! Bien, merci... Quelle belle journée ! ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! Les yeux sur le vaste horizon, il continua de gémir sans en avoir conscience. Son cri de misère était à présent comme son haleine même. Vêtu d’un gros molleton bleu, dont l’ampleur noyait ses membres pareils à des racines, il abandonnait sur ses genoux ses mains contrefaites, lamentables au grand soleil. Et la mer l’intéressait, cet infini bleu où passaient des voiles blanches, cette route sans borne, ouverte devant lui qui n’était plus capable de mettre un pied devant l’autre. Pauline, que les jambes nues du petit Paul inquiétaient, s’était agenouillée de nouveau, pour rabattre un coin de la couverture. Pendant trois mois, elle avait dû, chaque semaine, partir le lundi suivant. Mais les mains faibles de l’enfant la retenaient avec une puissance invincible. Le premier mois, on avait redouté tous les matins de ne pas le voir vivre jusqu’au soir. Elle seule recommençait le miracle de le sauver à chaque seconde, car la mère était encore au lit, et la nourrice qu’il avait fallu prendre, donnait son lait simplement, avec la stupidité docile d’une génisse. C’étaient des soins continus, la température surveillée sans cesse, l’existence ménagée heure par heure, une véritable obstination de poule couveuse, pour remplacer le mois de gestation qui lui manquait. Après ce premier mois, il avait heureusement pris la force d’un enfant né à terme, et il s’était peu à peu développé. Mais il restait toujours bien chétif, elle ne le quittait pas une minute, depuis son sevrage surtout, dont il avait souffert. — Comme ça, dit-elle, il n’aura pas froid... Vois donc, mon oncle, est-il joli, dans ce rouge ! Ça le rend tout rose. Chanteau, péniblement, tourna la tête, la seule partie de son corps qu’il pût remuer. Il murmurait : — Si tu l’embrasses, tu vas le réveiller. Laisse-le donc, ce chérubin... As-tu vu ce vapeur, là-bas ? ça vient du Havre. Hein ? file-t-il ! Pauline dut regarder le vapeur, pour lui faire plaisir. C’était un point noir sur l’immensité des eaux. Un mince trait de fumée tachait l’horizon. Elle demeura un moment immobile, en face de cette mer si calme, sous le grand ciel si limpide, heureuse de ce beau jour. — Avec tout ça, mon ragoût brûle, dit-elle en se dirigeant vers la cuisine. Mais, comme elle allait rentrer dans la maison, une voix cria, du premier étage : — Pauline ! C’était Louise qui s’accoudait à la fenêtre de l’ancienne chambre de madame Chanteau, occupée maintenant par le ménage. À moitié peignée, vêtue d’une camisole, elle continua d’une voix aigre : — Si c’est Lazare qui est là, dis-lui de monter. — Non, il n’est pas de retour. Alors, elle s’emporta tout à fait. — Je savais bien qu’on le verrait seulement ce soir, encore s’il daigne revenir ! Il a déjà découché cette nuit, malgré sa promesse formelle... Ah ! il est gentil ! Lorsqu’il va à Caen, on ne peut plus l’en arracher. — Il a si peu de distractions ! répondit doucement Pauline. Et puis, cette affaire des engrais lui aura pris du temps... Sans doute, il profitera du cabriolet du docteur pour rentrer. Depuis qu’ils habitaient Bonneville, Lazare et Louise vivaient dans de continuelles tracasseries. Ce n’étaient point des querelles franches, mais des mauvaises humeurs sans cesse renaissantes, la vie misérablement gâtée de deux êtres qui ne s’entendaient pas. Elle, après des suites de couches longues et pénibles, traînait une existence vide, ayant l’horreur des soins du ménage, tuant les jours à lire, à faire durer sa toilette jusqu’au dîner. Lui, repris d’un ennui immense, n’ouvrait même pas un livre, passait les heures hébété en face de la mer, ne tentait que de loin en loin une fuite à Caen, d’où il revenait plus las encore. Et Pauline, qui avait dû garder la conduite de la maison, leur était devenue indispensable, car elle les réconciliait trois fois par jour. — Tu devrais finir de t’habiller, reprit-elle. Le curé ne tardera pas sans doute, tu resterais avec lui et mon oncle. Moi, je suis si occupée ! Mais Louise ne lâchait point sa rancune. — S’il est possible ! s’absenter si longtemps ! Mon père me l’écrivait hier, le reste de notre argent y passera. En effet, Lazare s’était déjà laissé voler dans deux affaires malheureuses, au point que Pauline, inquiète pour l’enfant, lui avait, comme marraine, fait le cadeau des deux tiers de ce qu’elle possédait encore, en prenant sur sa tête une assurance qui devait lui donner cent mille francs, le jour de sa majorité. Elle n’avait plus que cinq cents francs de rente, son seul chagrin était de restreindre ses aumônes accoutumées. — Une jolie spéculation que ces engrais ! poursuivait Louise. Mon père l’en aura dissuadé, et s’il ne rentre pas, c’est qu’il s’amuse... Oh ! ça, je m’en moque, il peut bien courir ! — Alors, pourquoi te fâches-tu ? répliqua Pauline. Va, le pauvre garçon ne songe guère au mal... Descends, n’est-ce pas ? A-t-on idée de cette Véronique qui disparaît un samedi et qui me laisse toute sa cuisine sur les bras ! C’était une aventure inexplicable, qui occupait la maison depuis deux heures. La bonne avait épluché ses légumes pour le ragoût, plumé et troussé un canard, préparé jusqu’à sa viande dans une assiette ; puis, brusquement, elle était comme rentrée sous terre, on ne l’avait plus revue. Pauline s’était enfin décidée à mettre elle-même le ragoût au feu, stupéfiée de cette disparition. — Elle n’a donc pas reparu ? demanda Louise, distraite de sa colère. — Mais non ! répondit la jeune fille. Tu ne sais pas ce que je suppose, maintenant ? Elle a payé son canard quarante sous à une femme qui passait, et je me souviens de lui avoir dit que j’en avais vu de plus beaux pour trente sous, à Verchemont. Tout de suite sa figure s’est retournée, elle m’a jeté un de ses mauvais regards... Eh bien ! je parie qu’elle est allée à Verchemont voir si je n’avais pas menti. Elle riait, et il y avait de la tristesse dans son rire, car elle souffrait des violences dont Véronique était reprise contre elle, sans cause raisonnable. Le travail en retour qui se faisait chez cette fille depuis la mort de madame Chanteau, l’avait peu à peu ramenée à sa haine d’autrefois. — Voilà plus d’une semaine qu’on ne peut en tirer un mot, dit Louise. Toutes les bêtises sont possibles, avec un pareil caractère. Pauline eut un geste de tolérance. — Bah ! laissons-la satisfaire ses lubies. Elle reviendra toujours, et nous ne mourrons pas encore de faim cette fois. Mais l’enfant, sur la couverture, remuait. Elle courut se pencher. — Quoi donc ? mon chéri. La mère, toujours à la fenêtre, regarda un instant, puis disparut dans la chambre. Chanteau, absorbé, tourna seulement la tête, lorsque Loulou se mit à grogner ; et ce fut lui qui prévint sa nièce. — Pauline, voici ton monde. Deux galopins déguenillés arrivaient, les premiers de la bande dont elle recevait la visite chaque samedi. Comme le petit Paul s’était rendormi aussitôt, elle se releva en disant : — Ah ! ils tombent bien ! Je n’ai pas une minute... Restez tout de même, asseyez-vous sur le banc. Et toi, mon oncle, s’il en arrive d’autres, tu les feras asseoir à côté de ceux-ci... Il faut absolument que je donne un coup d’œil à mon ragoût. Lorsqu’elle revint, au bout d’un quart d’heure, il y avait déjà sur le banc deux garçons et deux filles, ses anciens petits pauvres, mais grandis, gardant leurs habitudes de mendicité. D’ailleurs, jamais tant de misère ne s’était abattu sur Bonneville. Pendant les tempêtes de mai, les trois dernières maisons venaient d’être écrasées contre la falaise. C’était fini, les grandes marées avaient achevé de balayer le village, après des siècles d’assaut, dans l’envahissement continu de la mer, qui chaque année mangeait un coin du pays. Il n’y avait plus, sur les galets, que les vagues conquérantes, effaçant jusqu’aux traces des décombres. Les pêcheurs, chassés du trou où des générations s’étaient obstinées sous l’éternelle menace, avaient bien été forcés de monter plus haut, dans le ravin, et ils campaient en tas, les plus riches bâtissaient, les autres s’abritaient sous des roches, tous fondaient un autre Bonneville, en attendant que le flot les délogeât encore, après de nouveaux siècles de bataille. Pour achever son œuvre de destruction, la mer avait dû emporter d’abord les épis et les palissades. Ce jour-là, le vent soufflait du nord, des paquets d’eau monstrueux s’écroulaient avec un tel fracas, que les secousses remuaient l’église. Lazare, averti, n’avait pas voulu descendre. Il était resté sur la terrasse, regardant arriver le flux ; tandis que les pêcheurs couraient voir, excités par cette furieuse attaque. Un orgueil terrifié débordait en eux : hurlait-elle assez fort, allait-elle lui nettoyer ça, la gueuse ! En moins de vingt minutes, en effet, tout avait disparu, les palissades éventrées, les épis brisés, réduits en miettes. Et ils hurlaient avec elle, ils gesticulaient et dansaient comme des sauvages, soulevés par l’ivresse du vent et de l’eau, cédant à l’horreur de ce massacre. Puis, pendant que Lazare leur montrait le poing, ils s’étaient sauvés, ayant à leurs talons le galop enragé des vagues, que rien n’arrêtait plus. Maintenant, ils crevaient la faim, ils geignaient dans le nouveau Bonneville, en accusant la gueuse de leur ruine et en se recommandant à la charité de la bonne demoiselle. — Que fais-tu là ? cria Pauline, lorsqu’elle aperçut le fils Houtelard. Je t’avais défendu de rentrer ici. C’était à cette heure un grand gaillard, qui approchait de ses vingt ans. Son allure triste et peureuse d’enfant battu avait tourné à de la sournoiserie. Il répondit en baissant les yeux : — Faut avoir pitié de nous, mademoiselle. Nous sommes si malheureux, depuis que le père est mort ! Houtelard, parti en mer un soir de gros temps, n’était jamais revenu ; on n’avait même rien retrouvé, ni son corps, ni celui de son matelot, ni une planche de la barque. Mais Pauline, forcée de surveiller ses aumônes, avait juré de ne rien donner au fils ni à la veuve, tant qu’ils vivraient ouvertement en ménage. Dès la mort du père, la belle-mère, cette ancienne bonne qui rouait le petit de coups, par avarice et méchanceté, s’en était fait un mari, à présent qu’il n’avait plus l’âge d’être battu. Tout Bonneville riait du nouvel arrangement. — Tu sais pourquoi je ne veux pas que tu remettes les pieds chez moi, reprit Pauline. Quand tu auras changé de conduite, nous verrons. Alors, d’une voix traînante, il plaida sa cause. — C’est elle qui a voulu. Elle m’aurait battu encore. Et puis, ce n’est pas ma mère, ça ne fait rien que ce soit avec moi ou avec un autre... Donnez-moi quelque chose, mademoiselle. Nous avons tout perdu. Moi, je m’en sortirais ; mais c’est pour elle qui est malade, oh ! bien vrai, je le jure ! La jeune fille, apitoyée, finit par le renvoyer avec un pain et un pot-au-feu. Elle promit même d’aller voir la malade et de lui porter des remèdes. — Ah ! oui, des remèdes ! murmura Chanteau. Tâche de lui en faire avaler un ! Ça ne veut que de la viande. Déjà Pauline s’occupait de la petite Prouane, qui avait toute une joue emportée. — Comment as-tu pu te faire ça ? — Je suis tombée contre un arbre, mademoiselle. — Contre un arbre ?... On dirait plutôt un coup sur l’angle d’un meuble. Grande fille à présent, les pommettes saillantes, ayant toujours les gros yeux hagards d’une hallucinée, elle faisait de vains efforts pour se tenir poliment debout. Ses jambes s’affaissaient, sa langue épaisse n’arrivait pas à articuler les mots. — Mais tu as bu, malheureuse ! s’écria Pauline, qui la regardait fixement. — Oh ! mademoiselle, si l’on peut dire ! — Tu es ivre et tu es tombée chez toi, n’est-ce pas ? Je ne sais ce que vous avez tous dans le corps... Assieds-toi, je vais chercher de l’arnica et du linge. Elle la pansa, tout en cherchant à lui faire honte. C’était beau, pour une fille de son âge, de se griser ainsi avec son père et sa mère, des ivrognes qu’on trouverait morts un matin, assommés par le calvados ! La petite l’écoutait, semblait s’endormir, les yeux troubles. Quand elle fut pansée, elle bégaya : — Papa se plaint de douleurs, je le frotterais, si vous me donniez un peu d’eau-de-vie camphrée. Pauline et Chanteau ne purent s’empêcher de rire. — Non, je sais où elle passerait, mon eau-de-vie ! Je veux bien te donner un pain, et encore je suis sûre que vous allez le vendre pour en boire l’argent... Reste assise. Cuche te reconduira. À son tour, le fils Cuche s’était levé. Il avait les pieds nus, il portait pour tout vêtement une vieille culotte et un morceau de chemise déloqueté, qui laissaient voir sa peau, noire de hâle, labourée par les ronces. Maintenant que les hommes ne voulaient plus de sa mère, tombée à une décrépitude affreuse, lui-même battait le pays pour lui amener encore du monde. On le rencontrait courant les routes, sautant les haies avec une agilité de loup, vivant en bête que la faim jette sur toutes les proies. C’était le dernier degré de la misère et de l’abjection, une telle déchéance humaine, que Pauline le regardait avec remords, comme si elle se fût sentie coupable de laisser une créature dans un pareil cloaque. Mais, à chacune de ses tentatives pour l’en tirer, il était toujours prêt à fuir, par haine du travail et de la servitude. — Puisque te voilà revenu, dit-elle avec douceur, c’est que tu as réfléchi sur mes paroles de samedi dernier. Je veux voir un reste de bons sentiments, dans les visites que tu me rends encore... Tu ne peux mener davantage une si vilaine existence, et moi je ne suis plus assez riche, il m’est impossible de te nourrir à ne rien faire... Es-tu décidé à accepter ce que je t’ai proposé ? Depuis sa ruine, elle tâchait de suppléer à son manque d’argent, en intéressant à ses pauvres d’autres personnes charitables. Le docteur Cazenove avait enfin obtenu l’entrée de la mère de Cuche aux Incurables de Bayeux, et elle-même tenait cent francs en réserve pour habiller le fils, auquel elle avait trouvé une place d’homme d’équipe, sur la ligne de Cherbourg. Pendant qu’elle parlait, il baissait la tête, il l’écoutait d’un air défiant. — C’est entendu, n’est-ce pas ? continua-t-elle. Tu accompagneras ta mère, puis tu te rendras à ton poste. Mais, comme elle s’avançait vers lui, il fit un bond en arrière. Ses yeux baissés ne la quittaient point, il avait cru qu’elle cherchait à le saisir aux poignets. — Quoi donc ? demanda-t-elle, surprise. Alors, il murmura, de son air inquiet d’animal farouche : — Vous allez me prendre pour m’enfermer. Je ne veux pas. Et, dès lors, tout fut inutile. Il la laissait parler, semblait convaincu par ses bonnes raisons ; seulement, dès qu’elle bougeait, il se jetait vers la porte ; et, d’un branle obstiné de la tête, il refusait pour sa mère, il refusait pour lui, il préférait ne pas manger et vivre libre. — Hors d’ici, fainéant ! finit par crier Chanteau indigné. Tu es bien bonne de t’occuper d’un pareil vaurien ! Les mains de Pauline tremblaient de sa charité inutile, de son amour des autres qui se brisait contre cette misère volontaire. Elle eut un geste de tolérance désespérée. — Va, mon oncle, ils souffrent, il faut qu’ils mangent tout de même. Et elle rappela Cuche pour lui donner, comme les autres samedis, un pain et quarante sous. Mais il recula encore, il dit enfin : — Mettez ça par terre et allez-vous-en... Je le ramasserai. Elle dut lui obéir. Il s’avança avec précaution, en la surveillant toujours du regard. Puis, quand il eut ramassé les quarante sous et le pain, il se sauva, au galop de ses pieds nus. — Sauvage ! cria Chanteau. Il viendra, une de ces nuits, nous étrangler tous... C’est comme cette fille de galérien qui est là, je mettrais ma main au feu que c’est elle qui m’a volé mon foulard, l’autre jour. Il parlait de la petite Tourmal, dont le grand-père était allé rejoindre le père en prison. Elle seule restait sur le banc, avec la petite Prouane, hébétée d’ivresse. Elle s’était levée, sans paraître entendre cette accusation de vol, et elle avait commencé à geindre. — Ayez pitié, ma bonne demoiselle... Il n’y a plus que maman et moi à la maison, les gendarmes entrent tous les soirs pour nous battre, mon corps est une plaie, maman est en train de mourir... Oh ! ma bonne demoiselle, faudrait de l’argent, et du bouillon gras, et du bon vin... Chanteau, exaspéré par ces mensonges, se remuait dans son fauteuil. Mais Pauline aurait donné sa chemise. — Tais-toi, murmura-t-elle. Tu obtiendrais davantage, si tu parlais moins... Reste là, je vais te faire un panier. Comme elle revenait avec une vieille bourriche à poisson, où elle avait mis un pain, deux litres de vin, de la viande, elle trouva sur la terrasse une autre de ses clientes, la petite Gonin, qui amenait sa fille, une gamine de vingt mois déjà. La mère, âgée de seize ans, était si frêle, si peu formée, qu’elle semblait une sœur aînée promenant sa sœur cadette. Elle avait peine à la porter, mais elle la traînait ainsi, sachant que mademoiselle adorait les enfants et qu’elle ne leur refusait rien. — Mon Dieu ! qu’elle est grosse ! s’écria Pauline en prenant la fillette dans ses bras. Et dire qu’elle n’a pas six mois de plus que notre Paul ! Malgré elle, son regard se reportait avec tristesse sur le petit, qui dormait toujours, au milieu de la couverture. Cette fille-mère, accouchée si jeune, était bien heureuse d’avoir une enfant de cette grosseur. Pourtant, elle se plaignait. — Si vous saviez ce qu’elle mange, mademoiselle ! Et je n’ai pas de linge, je ne sais comment l’habiller... Avec ça, depuis que papa est mort, maman et son homme tombent sur moi. Ils me traitent comme la dernière des dernières, ils me disent que, quand on fait la vie, ça doit rapporter au lieu de coûter. On avait, en effet, trouvé un matin le vieil infirme mort dans son coffre à charbon ; et il était si noir de coups, qu’un instant la police avait failli s’en mêler. Maintenant, la femme et son amant parlaient d’étrangler cette morveuse inutile, qui prenait sa part de la soupe. — Pauvre mignonne ! murmura Pauline. J’ai mis des affaires de côté, et je suis en train de lui tricoter des bas... Tu devrais me l’amener plus souvent, il y a toujours du lait ici, elle mangerait des petites soupes de gruau... Je passerai voir ta mère, je lui ferai peur, puisqu’elle te menace encore. La petite Gonin avait repris sa fille, tandis que mademoiselle préparait aussi pour elle un paquet. Elle s’était assise, elle la tenait sur les genoux, avec une maladresse de gamine jouant à la poupée. Ses yeux clairs gardaient une continuelle surprise de l’avoir faite, et bien qu’elle l’eût nourrie, elle manquait souvent de la laisser tomber, quand elle la berçait sur sa poitrine plate. Mademoiselle l’avait sévèrement grondée, un jour que, pour se battre à coups de pierres avec la petite Prouane, elle venait de poser son enfant au bord de la route, dans un tas de cailloux. Mais l’abbé Horteur parut sur la terrasse. — Voilà monsieur Lazare et le docteur, annonça-t-il. On entendit au même instant le bruit du cabriolet ; et, pendant que Martin, l’ancien matelot à la jambe de bois, mettait le cheval à l’écurie, Cazenove descendit de la cour, en criant : — Je vous ramène un gaillard qui a découché, paraît-il. Vous n’allez pas lui couper la tête ? Lazare arrivait à son tour, avec un pâle sourire. Il vieillissait vite, les épaules courbées, le visage terreux, comme dévoré par l’angoisse intérieure qui le détruisait. Sans doute il allait dire la cause de son retard, lorsque la fenêtre du premier étage, restée entrouverte, fut refermée rageusement. — Louise n’est pas prête, expliqua Pauline. Elle descendra dans une minute. Tous se regardèrent, il y eut une gêne, ce bruit irrité annonçait une querelle. Après avoir fait un pas vers l’escalier, Lazare préféra attendre. Il embrassa son père et le petit Paul ; puis, pour dissimuler son inquiétude, il s’en prit à sa cousine, il murmura d’une voix maussade : — Débarrasse-nous vite de cette vermine. Tu sais que je n’aime pas la rencontrer sous mes pieds. Il parlait des trois filles restées sur le banc. Pauline se hâta de nouer le paquet de la petite Gonin. — Partez maintenant, dit-elle. Vous deux, vous allez reconduire votre camarade, pour qu’elle ne tombe pas encore... Et sois bien sage, toi, avec ton bébé. Tâche de ne pas l’oublier en route. Comme elles partaient enfin, Lazare voulut visiter le panier de la petite Tourmal. Elle y avait déjà caché une vieille cafetière, jetée dans un coin et volée par elle. On les poussa toutes trois dehors, celle qui était soûle culbutait entre les deux autres. — Quel peuple ! s’écria le curé, en s’asseyant à côté de Chanteau. Dieu les abandonne, décidément. Dès leur première communion, ces coquines-là font des enfants, boivent et volent comme père et mère... Ah ! je leur ai bien prédit les malheurs qui les accablent. — Dites donc, mon cher, demanda ironiquement le médecin à Lazare, est-ce que vous allez reconstruire les fameux épis ? Mais celui-ci eut un geste violent, les allusions à sa bataille perdue contre la mer l’exaspéraient. Il cria : — Moi !... Je laisserais la marée entrer chez nous, sans mettre seulement un balai en travers du chemin, pour l’arrêter... Ah ! non, par exemple ! j’ai été trop bête, on ne recommence pas ces bêtises-là deux fois ! Quand on pense que j’ai vu ces misérables danser, le jour du désastre !... Et savez-vous ce que je soupçonne ? c’est qu’ils ont dû scier mes poutres, la veille des grandes eaux, car il est impossible qu’elles aient craqué toutes seules. Il sauvait ainsi son amour-propre de constructeur. Puis, le bras tendu vers Bonneville, il ajouta : — Qu’ils crèvent ! je danserai à mon tour ! — Ne te fais donc pas si mauvais, dit Pauline de son air tranquille. Il n’y a que les pauvres qui aient le droit d’être méchants... Tu les reconstruirais tout de même, ces épis. Déjà il s’était calmé, comme épuisé par ce dernier éclat de passion. — Oh ! non, murmura-t-il, ça m’ennuierait trop... Mais tu as raison, rien ne vaut la peine de se mettre en colère. Qu’ils soient noyés, qu’ils ne le soient pas, est-ce que ça me regarde ? Un silence régna de nouveau. Chanteau était retombé dans son immobilité douloureuse, après avoir levé la tête pour recevoir le baiser de son fils. Le curé tournait ses pouces, le docteur marchait, les mains derrière le dos. Tous, à présent, regardaient le petit Paul endormi, que Pauline défendait même contre les caresses de son père, ne voulant pas qu’on le réveillât. Depuis leur arrivée, elle les priait de baisser la voix, de ne pas piétiner si fort autour de la couverture ; et elle finissait par menacer de la cravache Loulou, qui grognait encore d’avoir entendu mener le cheval à l’écurie. — Si tu crois qu’il se taira ! reprit Lazare. Il en a pour une heure à nous casser les oreilles... Jamais je n’ai vu un chien si désagréable. On le dérange dès qu’on bouge, on ne sait pas même si l’on a une bête à soi, tant il vit pour lui. Ce sale personnage n’est bon qu’à nous faire regretter notre pauvre Mathieu. — Quel âge a donc la Minouche ? demanda Cazenove. Je l’ai toujours vue ici. — Mais elle a seize ans passés, répondit Pauline, et elle ne s’en porte pas plus mal. La Minouche, qui continuait sa toilette sur la fenêtre de la salle à manger, venait de lever la tête, lorsque le docteur avait prononcé son nom. Elle resta un instant une patte en l’air, le ventre comme déboutonné au soleil ; puis, elle se remit à se lécher le poil avec délicatesse. — Oh ! elle n’est pas sourde ! reprit la jeune fille. Je crois qu’elle perd un peu la vue, ce qui ne l’empêche pas de se conduire comme une coquine... Imaginez-vous qu’on lui a jeté sept petits, il y a une semaine à peine. Elle en fait, elle en fait tellement, qu’on en reste consterné. Si, depuis seize ans, on les avait tous laissés vivre, ils auraient mangé le pays... Eh bien ! elle a encore disparu mardi, et vous la voyez qui se nettoie, elle n’est rentrée que ce matin, après trois nuits et trois jours d’abominations. Gaiement, sans embarras ni rougeur, elle parlait des amours de la chatte. Une bête si propre, délicate au point de ne pas sortir par un temps humide, et qui se vautrait quatre fois l’an dans la boue de tous les ruisseaux ! La veille, elle l’avait aperçue sur un mur avec un grand matou, balayant tous deux l’air de leurs queues hérissées ; et, après un échange de gifles, ils étaient tombés au milieu d’une flaque, en poussant des miaulements atroces. Aussi la chatte, cette fois, était-elle rentrée de sa bordée avec une oreille fendue et le poil du dos noir de fange. Du reste, il n’y avait toujours pas de plus mauvaise mère. À chaque portée qu’on lui jetait, elle se léchait comme dans sa jeunesse, sans paraître se douter de sa fécondité inépuisable, et retournait aussitôt en prendre une ventrée nouvelle. — Au moins, elle a pour elle la propreté, conclut l’abbé Horteur, qui regardait la Minouche s’user la langue à se nettoyer. Tant de coquines ne se débarbouillent même pas ! Chanteau, les yeux tournés également vers la chatte, soupirait plus haut, dans cette plainte continue et involontaire, dont lui-même perdait conscience. — Vous souffrez davantage ? lui demanda le docteur. — Hein ? pourquoi ? dit-il en s’éveillant comme en sursaut. Ah ! c’est parce que je respire fort... Oui, je souffre beaucoup, ce soir. Je croyais que le soleil me ferait du bien, mais j’étouffe quand même, je n’ai pas une jointure qui ne brûle. Cazenove lui examina les mains. Tous, au spectacle de ces pauvres moignons déformés, avaient un frémissement. Le prêtre lâcha encore une réflexion sensée. — Des doigts pareils, ce n’est pas commode pour jouer aux dames... Voilà une distraction qui vous manque, maintenant. — Soyez sage sur la nourriture, recommanda le médecin. Le coude est bien enflammé, l’ulcération gagne de plus en plus. — Que faut-il donc faire pour être sage ? gémit désespérément Chanteau. On mesure mon vin, on pèse ma viande, dois-je cesser toute nourriture ? En vérité, c’est ne plus vivre... Si je mangeais seul ! mais comment voulez-vous, avec des machines pareilles au bout des bras ? Pauline, qui me fait manger, est bien sûre pourtant que je ne prends rien de trop. La jeune fille eut un sourire. — Si, si, tu as trop mangé hier... C’est ma faute, je ne sais pas refuser, quand je vois ta gourmandise te rendre si malheureux. Alors, tous affectèrent de s’égayer, de le taquiner sur les noces qu’il faisait encore. Mais leurs voix tremblaient de pitié, devant ce reste d’homme, cette masse inerte, qui vivait seulement assez pour souffrir. Il était retombé dans sa position, le corps déjeté à droite, les mains sur les genoux. — Par exemple, ce soir, continua Pauline, nous avons un canard à la broche... Mais elle s’interrompit, elle demanda : — À propos, est-ce que vous n’auriez pas rencontré Véronique, en traversant Verchemont ? Et elle conta la disparition de la bonne. Ni Lazare ni le médecin ne l’avaient aperçue. On s’étonna des lubies de cette fille, on finit par en plaisanter : le drôle, lorsqu’elle rentrerait, serait d’être déjà à table, pour voir sa figure. — Je vous quitte, car je suis de cuisine, reprit Pauline gaiement. Si je laissais brûler le ragoût, ou si je servais le canard pas assez cuit, c’est mon oncle qui me donnerait mes huit jours ! L’abbé Horteur eut un large rire, et le docteur Cazenove lui-même s’amusait de la réflexion, lorsque la fenêtre du premier étage se rouvrit brusquement, avec un bruit furieux de l’espagnolette. Louise ne parut pas, elle se contenta de crier d’une voix sèche, dans l’entrebâillement des vitres : — Monte, Lazare ! Celui-ci eut un mouvement de révolte, refusant de se rendre à un appel jeté d’un pareil ton. Mais Pauline lui adressa une muette prière, désireuse d’éviter la scène devant le monde ; et il monta, tandis qu’elle restait un instant encore sur la terrasse, pour combattre l’impression mauvaise. Un silence s’était fait, on regardait la mer avec embarras. Le soleil oblique l’éclairait maintenant d’une nappe d’or, qui allumait les petits flots bleus de courtes flammes. Au loin, l’horizon tournait au lilas tendre. Ce beau jour finissait dans une paix souveraine, déroulant l’infini du ciel et de l’eau, sans un nuage ni une voile. — Dame ! se risqua à dire Pauline souriante, puisqu’il a découché, il faut bien qu’on le gronde un peu. Le docteur la regardait, et il eut à son tour un sourire, où elle retrouva sa clairvoyance d’autrefois, quand il lui avait prédit qu’elle ne leur faisait pas un beau cadeau, en les donnant l’un à l’autre. Aussi se dirigea-t-elle vers la cuisine. — Eh bien ! je vous laisse, tâchez de vous occuper... Et toi, mon oncle, appelle-moi, si Paul se réveillait. Dans la cuisine, lorsqu’elle eut tourné le ragoût et préparé la broche, elle bouscula les casseroles d’impatience. Les voix de Louise et de Lazare lui arrivaient à travers le plafond, de plus en plus hautes, et elle se désespérait, en pensant qu’on devait les entendre de la terrasse. Vraiment, ils étaient peu raisonnables de crier comme des sourds, de faire à tout le monde la confidence de leur désunion. Pourtant, elle ne voulait pas monter ; d’abord, elle avait le dîner à faire ; ensuite, elle éprouvait un malaise, à l’idée d’aller se mettre ainsi entre eux, jusque dans leur chambre. D’habitude, elle les réconciliait en bas, aux heures de vie commune. Un instant, elle passa dans la salle à manger, où elle s’occupa du couvert avec bruit. Mais les voix continuaient, elle ne put supporter davantage la pensée qu’ils se rendaient malheureux ; et elle monta, poussée par cette charité active qui faisait du bonheur des autres son existence à elle. — Mes chers enfants, dit-elle en pénétrant brusquement dans la chambre, vous allez dire que ça ne me regarde pas, seulement vous criez trop fort... Il n’y a pas de bon sens à vous révolutionner de la sorte et à consterner la maison. Elle avait traversé la pièce, elle se hâtait avant tout de fermer la fenêtre, laissée entrouverte par Louise. Heureusement, ni le docteur ni le curé n’étaient restés sur la terrasse. Dans un coup d’œil vivement jeté, elle venait de n’y retrouver que Chanteau songeur, à côté du petit Paul endormi. — On vous entendait d’en bas, comme si vous aviez été dans la salle, reprit-elle. Voyons, qu’y a-t-il encore ? Mais ils étaient lancés, ils continuèrent la querelle, sans paraître même s’être aperçus de son entrée. Elle, maintenant, se tenait immobile, reprise de son malaise, dans cette chambre où les époux couchaient. La cretonne jaune ramagée de vert, la carpette rouge, les vieux meubles d’acajou avaient fait place à des tentures de laine épaisse et à un ameublement de femme délicate ; plus rien ne restait de la mère morte, un parfum d’héliotrope s’exhalait de la toilette, sur laquelle traînaient des serviettes mouillées ; et cette odeur l’étouffait un peu, elle faisait d’un regard involontaire le tour de la pièce, dont chaque objet disait les abandons du ménage. Si elle avait enfin accepté de vivre près d’eux, dans l’usure quotidienne de ses révoltes, si désormais elle pouvait dormir la nuit, tout en les sachant là, peut-être aux bras l’un de l’autre, elle n’était pas encore entrée chez eux, au milieu de leur intimité conjugale, dans ce désordre des vêtements jetés partout et du lit déjà prêt pour le soir. Un frisson remontait en elle, le frisson de sa jalousie d’autrefois. — Est-il possible de vous déchirer ainsi ! murmura-t-elle, après un silence. Vous ne voulez donc pas être raisonnables ? — Eh ! non, cria Louise, c’est que j’en ai assez, à la fin ! Penses-tu qu’il va reconnaître ses torts ? Ah ! oui ! Je me suis contentée de lui dire combien il nous a inquiétés, en ne rentrant pas hier, et le voilà qui tombe sur moi comme un sauvage, qui m’accuse d’avoir gâté sa vie, au point qu’il menace de s’exiler en Amérique ! Lazare l’interrompit d’une voix terrible. — Tu mens !... Si tu m’avais reproché mon retard avec cette douceur, je t’aurais embrassée, et tout serait déjà fini. Mais c’est toi qui m’as accusé de te faire une existence de larmes. Oui, tu m’as menacé d’aller te noyer dans la mer, si je continuais à te rendre l’existence impossible. Et ils repartirent tous les deux, ils soulagèrent sans ménagement leur rancune, amassée pendant les heurts continuels de leurs caractères. C’était, sur les moindres faits, une taquinerie première qui, peu à peu, les jetait à un état aigu d’antipathie, dont la journée restait ensuite désolée. Elle, avec son visage doux, finissait par devenir méchante, depuis qu’il touchait à ses plaisirs, d’une méchanceté de chatte câline, se caressant aux autres et allongeant les griffes. Lui, malgré son indifférence, trouvait dans les querelles une secousse à l’engourdissement de son ennui, s’y entêtait souvent par cette distraction de se donner la fièvre. Pauline, cependant, les écoutait. Elle souffrait plus qu’eux, cette façon de s’aimer ne pouvait lui entrer dans l’entendement. Pourquoi donc n’avoir pas la pitié mutuelle de s’épargner ? pourquoi ne pas s’accommoder l’un de l’autre, lorsqu’on doit vivre ensemble ? Il lui semblait si facile de mettre le bonheur dans l’habitude et dans la compassion. Et elle était navrée, elle regardait toujours leur mariage comme son œuvre, une œuvre qu’elle aurait voulue bonne, solide, la récompensant au moins de son sacrifice par la certitude d’avoir agi avec sagesse. — Je ne te reproche pas le gaspillage de ma fortune, poursuivait Louise. — Il ne manquerait plus que ça ! criait Lazare. Ce n’est pas ma faute, si l’on m’a volé. — Oh ! l’on vole seulement les maladroits qui se laissent vider les poches... Nous n’en sommes pas moins réduits à quatre ou cinq pauvres mille francs de rente, de quoi vivre bien juste dans ce trou. Sans Pauline, notre enfant irait tout nu un jour, car je m’attends bien à ce que tu manges le reste, avec tes idées extraordinaires, tes entreprises qui avortent les unes après les autres. — Va, continue, ton père m’a déjà fait ces jolis compliments, hier. J’ai deviné que tu lui avais écrit. Aussi ai-je lâché cette affaire des engrais, une opération certaine où il y avait cent pour cent à gagner. Mais je suis comme toi, j’en ai assez, du diable si je me remue davantage !... Nous vivrons ici. — Une belle existence, n’est-ce pas ? pour une femme de mon âge. Une vraie prison ; pas une occasion seulement de sortir et de voir du monde ; toujours cette mer bête, là, devant vous, qui semble encore élargir votre ennui... Ah ! si j’avais su, si j’avais su ! — Et moi, crois-tu donc que je m’amuse ?.... Je ne serais pas marié, que je pourrais filer ailleurs, très loin, tenter les aventures. Vingt fois, j’en ai eu l’envie. Mais c’est fini maintenant, me voilà cloué dans ce trou perdu, où je n’ai plus qu’à dormir... Tu m’as achevé, je le sens bien. — Je t’ai achevé, moi !... Est-ce que je t’ai forcé à m’épouser ? est-ce que tu n’aurais pas dû voir que nous n’étions pas nés l’un pour l’autre ?... C’est ta faute, si notre vie est manquée. — Oh ! oui, notre vie est manquée, et tu fais tout pour la rendre plus insupportable chaque jour. À ce moment, bien qu’elle se fût promis de se tenir à l’écart, Pauline, frémissante, les interrompit. — Taisez-vous, malheureux !... C’est vrai que vous la gâchez à plaisir, cette vie qui pourrait être si bonne. Pourquoi vous exciter ainsi à dire des choses irréparables, dont vous souffrirez ensuite ?... Non, non, taisez-vous, je ne veux pas que ça continue ! Louise était tombée en larmes sur une chaise, pendant que Lazare, violemment secoué, marchait à grands pas. — Les pleurs ne servent à rien, ma chère, reprit la jeune fille. Tu n’es guère tolérante vraiment, tu as beaucoup de torts... Et toi, mon pauvre ami, est-il possible que tu la bouscules de la sorte ? C’est odieux, je te croyais bon cœur, au moins... Oui, vous êtes tous les deux de grands enfants, également coupables, et qui ne savez quoi faire pour vous torturer. Mais je ne veux pas, entendez-vous ! je ne veux pas des gens tristes autour de moi... Vous allez vous embrasser tout de suite. Elle tâchait de rire, elle n’avait plus ce commencement de frisson qui l’inquiétait. Il lui restait un seul et ardent désir de charité, celui de les mettre devant elle aux bras l’un de l’autre, pour être sûre que la querelle était finie. — Que je l’embrasse, ah ! non, par exemple ! dit Louise. Il m’a dit trop de sottises. — Jamais ! cria Lazare. Alors, elle éclata franchement de rire. — Allons, ne boudez pas. Vous savez que je suis une grosse entêtée... Mon dîner brûle, notre monde nous attend... Je vais te pousser, Lazare, si tu refuses d’obéir. Mets-toi à genoux devant elle, prends-la gentiment sur ton cœur... Allons, allons, mieux que ça ! Et elle les jeta dans une étreinte d’amoureux, elle les regarda se baiser au visage, d’un air de joyeux triomphe, sans qu’un trouble passât au fond de ses yeux clairs. C’était, en elle, une chaleur de joie, comme une flamme subtile, qui la soulevait au-dessus d’eux. Cependant, son cousin serrait sa femme avec un remords éperdu ; pendant que celle-ci, encore en camisole, les bras et le cou nus, lui rendait ses caresses en pleurant plus fort. — Vous voyez bien, ça vaut mieux que de se battre, dit Pauline. Je me sauve, vous n’avez plus besoin de moi pour faire la paix. Déjà, elle était à la porte, et elle la referma vivement sur cette chambre d’amour, au lit ouvert, aux vêtements épars, dont l’odeur d’héliotrope à cette heure l’attendrissait, comme une odeur complice qui allait achever sa tâche de réconciliation. En bas, dans la cuisine, Pauline se mit à chanter, en tournant encore une fois son ragoût. Elle alluma un fagot, monta le tournebroche pour le canard, surveilla le rôti d’un œil expérimenté. Cette besogne de servante l’amusait, elle avait passé un grand tablier blanc, elle était enchantée de les servir tous, de descendre ainsi aux soins les plus humbles, pour se dire qu’ils lui devraient, ce jour-là, leur gaieté et leur santé. Maintenant qu’ils riaient grâce à elle, son rêve était de leur servir un repas de fête, des choses très bonnes, dont ils mangeraient beaucoup, en s’épanouissant autour de la table. L’idée de son oncle et du petit lui revint, elle se hâta de courir sur la terrasse, et elle fut très étonnée de voir son cousin assis près de l’enfant. — Comment ! cria-t-elle, tu es déjà descendu ? Il répondit d’un simple signe de tête, repris par son indifférence lasse, les épaules courbées, les mains oisives. Aussi demanda-t-elle, inquiète : — J’espère que vous n’avez pas recommencé derrière moi ? — Non, non, se décida-t-il enfin à dire. Elle va descendre, quand elle aura mis sa robe... Nous nous sommes pardonnés. Mais pour ce que ça durera ! demain, ce sera une autre histoire, et tous les jours, et toutes les heures ! Est-ce qu’on change, est-ce qu’on peut empêcher quelque chose ! Pauline était devenue grave, ses yeux attristés se baissèrent. Il avait raison, elle voyait nettement se dérouler des jours semblables, sans cesse la même querelle entre eux, qu’elle devrait calmer. Et elle-même n’était plus certaine d’être guérie, de ne pas céder encore à des violences jalouses. Ah ! quel éternel recommencement, dans ces misères quotidiennes ! Mais ses yeux se relevaient déjà : elle s’était vaincue si souvent ! et puis, on verrait bien s’ils ne se lasseraient pas plus tôt de se disputer, qu’elle de les réconcilier. Cette idée l’égaya, elle la dit en riant à Lazare. Que lui resterait-il donc à faire, si la maison était trop heureuse ? elle s’ennuierait, il fallait lui laisser quelques bobos à guérir. — Où sont passés l’abbé et le docteur ? demanda-t-elle, surprise de ne plus les voir. — Ils doivent être dans le potager, répondit Chanteau. L’abbé a voulu montrer nos poires au docteur. Pauline allait jeter un regard, du coin de la terrasse, lorsqu’elle s’arrêta net devant le petit Paul. — Eh ! le voilà réveillé ! cria-t-elle. Vois-tu comme ça court déjà la pretentaine ! Au milieu de la couverture rouge, Paul en effet venait de se dresser sur ses petits genoux ; et il s’était traîné, il se sauvait à quatre pattes, furtivement. Mais, avant d’arriver au sable, il dut buter contre un pli de la couverture, car il chancela et s’étala sur le dos, la robe retroussée, les bras et les jambes en l’air. Il gigotait, il remuait sa nudité rose, dans ce rouge de pivoine épanouie. — Bon ! il nous montre tout ce qu’il possède, reprit-elle joyeusement. Attendez, vous allez voir comme il marche depuis hier. Elle s’était agenouillée près de lui, elle tâchait de le mettre debout. Il avait poussé si à regret, qu’il était très en retard pour son âge ; même, un instant, on avait craint qu’il ne restât faible des jambes. Aussi était-ce un ravissement pour la famille, de lui voir faire ses premiers pas, les mains tâtonnantes dans le vide, retombant sur son derrière, au moindre gravier rencontré. — Veux-tu bien ne pas jouer ! répétait Pauline. Non, c’est sérieux, montre que tu es un homme... Là, tiens-toi ferme, va embrasser papa, puis tu iras embrasser grand-père. Chanteau, le visage tiré par des élancements douloureux, tournait la tête, pour regarder la scène. Malgré son accablement, Lazare voulut bien se prêter au jeu. — Viens, dit-il à l’enfant. — Oh ! il faut que tu lui tendes les bras, expliqua la jeune fille. Il ne se hasarde pas comme ça, il veut savoir où tomber... Allons, mon trésor, un peu de courage. Il y avait trois pas à faire. Ce furent des exclamations attendries, un enthousiasme débordant, lorsque Paul se décida à franchir le court espace, avec des balancements d’équilibriste incertain de ses pieds. Il était venu choir entre les mains de son père, qui le baisa sur les cheveux, rares encore ; et il riait de ce rire vague et ravi des tout petits enfants, en ouvrant très grande une bouche humide et claire comme une rose. Sa marraine voulut même alors le faire parler ; mais sa langue était plus en retard que ses jambes, il poussait des cris gutturaux, où les parents seuls retrouvaient les mots de papa et de maman. — Ce n’est pas tout, dit Pauline, il a promis d’aller embrasser grand-père... Hein ? cette fois, en voilà un voyage ! Huit pas au moins séparaient la chaise de Lazare du fauteuil de Chanteau. Jamais Paul ne s’était risqué si loin dans le monde. Aussi fut-ce une affaire considérable. Pauline s’était mise sur la route pour veiller aux catastrophes, et il fallut deux grandes minutes pour exciter l’enfant. Enfin, il partit, éperdu, les membres battant l’air. Elle crut bien, un moment, qu’elle le recevrait dans les bras. Mais il s’élança en homme de courage, ce fut sur les genoux de Chanteau qu’il vint tomber. Des bravos éclatèrent. — Avez-vous vu comme il s’est jeté ?... Ah ! il n’a pas froid aux yeux, ce sera pour sûr un gaillard. Et, dès lors, on lui fit recommencer dix fois le trajet. Il n’avait plus peur, il partait au premier appel, allait de son grand-père à son père, et revenait à son grand-père, riant fort, très amusé du jeu, toujours sur le point de culbuter, comme si la terre avait tremblé sous lui. — Encore une fois à papa ! criait Pauline. Lazare commençait à se fatiguer. Les enfants, même le sien, l’ennuyaient vite. En le regardant, si gai, sauvé à cette heure, l’idée que ce petit être le continuerait, lui fermerait les yeux sans doute, venait de le traverser de ce frisson qui l’étranglait d’angoisse. Depuis qu’il avait résolu de végéter à Bonneville, une seule préoccupation lui restait, celle qu’il mourrait dans la chambre où sa mère était morte ; et il ne montait pas une fois l’escalier, sans se dire qu’un jour, fatalement, son cercueil passerait là. L’entrée du couloir s’étranglait, il y avait un tournant difficile dont il s’inquiétait continuellement, tourmenté de savoir de quelle façon les hommes s’y prendraient pour le sortir, sans le bousculer. À mesurer que l’âge emportait chaque jour un peu de sa vie, cette pensée de la mort hâtait la décomposition de son être, le détruisait au point d’anéantir ses virilités dernières. Il était fini, ainsi qu’il le disait lui-même, désormais inutile, se demandant à quoi bon bouger, se vidant de plus en plus dans la bêtise de son ennui. — Encore une fois à grand-père ! criait Pauline. Chanteau ne pouvait même tendre les mains, pour recevoir et retenir le petit Paul. Il avait beau écarter les genoux, ces doigts si frêles, qui se cramponnaient à son pantalon, lui arrachaient des soupirs prolongés. L’enfant était accoutumé déjà au gémissement sans fin du vieillard, vivant près de lui, s’imaginant sans doute, dans son intelligence à peine éveillée, que tous les grands-pères souffraient ainsi. Pourtant, ce jour-là, au grand soleil, quand il venait tomber contre lui, il levait sa petite face, s’arrêtait de rire, le regardait de ses yeux vacillants. Les deux mains difformes semblaient des blocs monstrueux de chair et de craie ; le visage, creusé de pris rouges, massacré de souffrance, était comme retourné violemment sur l’épaule droite ; tandis que le corps entier avait les bosses et les cassures d’un débris de vieux saint de pierre mal recollé. Et Paul paraissait surpris de le voir au soleil, si malade et si ancien. — Encore une fois ! encore une fois ! criait Pauline. Elle, vibrante de gaieté et de santé, le lançait toujours de l’un à l’autre, du grand-père obstiné dans la douleur, au père déjà mangé par l’épouvante du lendemain. — Celui-là sera peut-être d’une génération moins bête, dit-elle tout à coup. Il n’accusera pas la chimie de lui gâter la vie, et il croira qu’on peut vivre, même avec la certitude de mourir un jour. Lazare se mit à rire, embarrassé. — Bah ! murmura-t-il, il aura la goutte comme papa et ses nerfs seront plus détraqués que les miens... Regarde donc comme il est faible ! C’est la loi des dégénérescences. — Veux-tu te taire ! s’écria Pauline. Je l’élèverai, et tu verras si j’en fais un homme ! Il y eut un silence, pendant qu’elle reprenait le petit dans une étreinte maternelle. — Pourquoi ne te maries-tu pas, si tu aimes tant les enfants ? demanda Lazare. Elle demeura stupéfaite. — Mais j’ai un enfant ! est-ce que tu ne me l’as pas donné ?... Me marier ! jamais de la vie, par exemple ! Elle berçait le petit Paul, elle riait plus haut, en racontant plaisamment que son cousin l’avait convertie au grand saint Schopenhauer, qu’elle voulait rester fille afin de travailler à la délivrance universelle ; et c’était elle, en effet, le renoncement, l’amour des autres, la bonté épandue sur l’humanité mauvaise. Le soleil se couchait dans la mer immense, du ciel pâli descendait une sérénité, l’infini de l’eau et l’infini de l’air prenaient cette douceur attendrie d’un beau jour à son déclin. Seule, une petite voile blanche, très loin, mettait encore une étincelle, qui s’éteignit, lorsque l’astre fut descendu sous la grande ligne droite et simple de l’horizon. Alors, il n’y eut plus que la tombée lente du crépuscule sur les flots immobiles. Et elle berçait toujours l’enfant, avec son rire de vaillance, debout au milieu de la terrasse bleuie par l’ombre, entre son cousin accablé et son oncle qui geignait. Elle s’était dépouillée de tout, son rire éclatant sonnait le bonheur. — On ne dîne donc pas, ce soir ? demanda Louise, qui parut dans une coquette robe de soie grise. — Moi, je suis prête, répondit Pauline. Je ne sais ce qu’ils peuvent faire au jardin. À ce moment, l’abbé Horteur revint, l’air bouleversé. Comme on l’interrogeait avec inquiétude, il finit par dire brutalement, après avoir cherché une phrase pour amortir le coup : — Cette pauvre Véronique, nous venons de la trouver pendue à un de vos poiriers. Tous eurent un cri de surprise et d’horreur, le visage pâle sous le petit vent de mort qui passait. — Mais pourquoi ? s’écria Pauline. Elle n’avait aucun motif, son dîner était même commencé... Mon Dieu ! ce n’est pas au moins parce que je lui ai dit qu’on lui avait fait payer son canard dix sous trop cher ! Le docteur Cazenove arrivait à son tour. Depuis un quart d’heure, il essayait inutilement de la rappeler à la vie, dans la remise, où Martin les avait aidés à la porter. Est-ce qu’on pouvait savoir, avec ces têtes de vieilles bonnes maniaques ! Jamais elle ne s’était consolée de la mort de sa maîtresse. — Ça n’a pas dû traîner, dit-il. Elle s’est accrochée simplement avec le cordon d’un de ses tabliers de cuisine. Lazare et Louise, glacés de peur, se taisaient. Alors, Chanteau, après avoir écouté en silence, se révolta tout d’un coup, à la pensée du dîner compromis. Et ce misérable sans pieds ni mains, qu’il fallait coucher et faire manger comme un enfant, ce lamentable reste d’homme dont le peu de vie n’était plus qu’un hurlement de douleur, cria dans une indignation furieuse : — Faut-il être bête pour se tuer ! FIN. |
La Cigale et la Fourmi (Hippolyte Raynal)/4 | Hippolyte Raynal La Fontaine travesti, apologues dramatiques. 1re série. Fable 1re. La Cigale et la Fourmi Imprimerie de Mme veuve Crugy, 1853 (p. 4--). ◄ Scène III Scène IV bookLa Fontaine travesti, apologues dramatiques. 1re série. Fable 1re. La Cigale et la FourmiHippolyte RaynalImprimerie de Mme veuve Crugy1853BordeauxVScène IVRaynal - La Cigale et la Fourmi, 1853.djvuRaynal - La Cigale et la Fourmi, 1853.djvu/14-- Les précédents, ZINGARINE. ZINGARINE.. (Sa tête est enveloppée d’une résille nacarat pailletée, qui laisse apercevoir une magnifique chevelure, noir de jais. Sous les plis de sajmanle, recouvrant un corsage faufilé de clinquant azur et or, elle tient une mandoline. Hésitant sur l’entrée de la porte, elle cherche à familiariser sa vue avec l’intérieur du logis ; puis, dès qu’elle en distingue la configuration et les personnages, elle tire sa mandoline et chante en s’accompagnant.) Fille et sœur de bohémiens, Dieu m’a faite bohémienne. Les plus grands trésors sont miens, Car toute espérance est mienne. Noble et puissant damoiseau Souvent me guette au passage ; Mais, pour me conserver sage, J’ai la peur du filet et l’aile de l’oiseau. REBECCA, regardant à la dérobée son neveu, qui écoute, la bouche pleine et béante. (À demi-voix.) Cet exemple à quelqu’un profitera, j’espère ; Autrement, un beau jour, les deux feront la paire. ZINGARINE. Ai-je parfois de l’argent ? De mes doigts il coule et tombe : Le Crésus et l’indigent N’emportent rien dans la tombe. Bannissons l’humanité Du triste monde où nous sommes. Que restera-t-il aux hommes ? Le sage vous l’a dit : Vanité ! vanité ! (Elle termine sa chanson par un éclat de rire.) REBECCA, d’un accent plein d’amertume. À votre place, moi, je serais fort chagrine. ZINGARINE, avec hésitation. Et pourquoi, s’il vous plaît, le serait Zingarine ? (Presque douloureusement :) Savez-vous où le sort a placé mon berceau ? Sous un palmier perdu qui vivait d’un ruisseau : De mon destin futur mystérieux emblème. Ne pouvant, comme moi, subsister par lui-même, Nous sommes tous les deux destinés à périr Le jour où l’eau du ciel pour nous doit se tarir ! De cinq frères à moi promenant la séquelle, Ma mère et son époux, tout aussi pauvre qu’elle, Des confins de l’Égypte au Caire étant venus, Devaient chercher la vie à six enfants tout nus. Les premiers souvenirs que je me remémore Sont les joyeux refrains d’une ballade more Que mes frères et moi débitions au hasard À des Turcs accroupis sur le sol d’un bazar. Ma grâce, m’a-t-on dit, ayant fait leur conquête, La valeur d’un sequin fut le fruit de ma quête. Hélas ! ce grand début par malheur me perdit ; On voulut m’acheter... mon père me vendit. Un voyageur chrétien, par charité peut-être, Donna quelque peu d’or pour devenir mon maître ; Il prit soin de mes jours, m’instruisit, m’éleva, Puis revint en Europe..., et la mort m’en priva ! (Elle sanglote.) FLAGEOLIN, hors de lui. Voulez-vous tout mon pain ? Pauvre fille ! elle pleure ! REBECCA, sévèrement. Taisez-vous, ignorant ! Vous verrez tout à l’heure Qu’à ces contes en l’air il ajoutera foi. ZINGARINE, avec une dignité modeste. Rien n’est commun, madame, entre la ruse et moi. J’espérais de mes maux vous faire ici l’histoire ; Mais vous m’en dispensez en refusant d’y croire. FLAGEOLIN. Non, non, dites toujours. REBECCA, outrée, à son neveu. Seule j’ordonne ici ! Nous n’avons pas besoin d’un semblable récit. (À Zangarine :) Votre mère a bien fait ; et je l’estime heureuse D’avoir pu s’affranchir d’une fille coureuse. ZINGARINE, froidement. Tout en m’interrompant quand je vous déplaisais, Vous croyiez donc, madame, à ce que je disais ? REBECCA, avec vivacité. Si vous désirez tant qu’enfin je me prononce, On doute des vertus que la misère annonce. FLAGEOLIN, consterné. Ah ! ma tante... ZINGARINE. Ô mon Dieu ! REBECCA. Silence, encore un coup ! Tous deux décidément vous m’ennuyez beaucoup. ZINGARINE, avec résignation. Madame, par pitié, reprenez votre ouvrage ! Forte dans le malheur, je suis faible à l’outrage. Sans doute j’ai des torts dont le ciel me punit : Je ne me plaindrai pas ; que son nom soit béni ! Pardonnez à l’excès d’une humeur familière. Je rêvais d’un abri la couche hospitalière : Sous une gaîté feinte, à vous m’offrant d’abord, De votre seuil à peine ai-je franchi le bord Que je sentis monter, en mes vives alarmes, À mon front la rougeur et dans mes yeux des larmes. Je reprends de mes pas le cours aventureux. (Tendrement à Flageolin :) Vous dont le cœur est bon, enfant, soyez heureux ! FLAGEOLIN, dans le plus grand trouble. J’ai dix sous : les voilà ! ZINGARINE. Non ; la faim m’est égale. Je retourne au soleil imiter la Cigale. FLAGEOLIN, s’efforçant de rire. Au moins partageons-les... ZINGARINE. Non, mon aimable ami : La Cigale, en pleurant, prîra pour la Fourmi ! Hippolyte RAYNAL. Bordeaux. — Impr.de Mme veuve Crugy. L’épithète de bohémienne signifie point ici natif de la Bohème ; l’usage l’admet depuis longtemps comme synonyme d’aventurier, de nomade, etc., etc. |
Verne - Nord contre sud, Hetzel, 1887.djvu/68 | {{nr|62|{{sc|nord contre sud.}}|}}
Dans les dispositions d’esprit où il se trouvait vis-à-vis de James Burbank, l’Espagnol ne devait songer qu’à tirer vengeance par tous les moyens possibles. Or, au milieu des conjectures que pouvait faire naître quotidiennement la guerre, si Texar parvenait à renverser les autorités de Jacksonville, il deviendrait redoutable pour Camdless-Bay. Que le caractère énergique et résolu de James Burbank ne lui permît pas de trembler devant un tel homme, soit ! Mais {{Mme|Burbank}} n’avait que trop de raisons de craindre pour son mari et pour tous les siens.
Bien plus, cette honnête famille aurait certainement vécu dans des transes incessantes, si elle avait pu se douter de ceci : c’est que Texar soupçonnait Gilbert Burbank d’avoir été rejoindre l’armée du Nord. Comment l’avait-il appris, puisque ce départ s’était accompli secrètement ? Par l’espionnage, sans doute, et, plus d’une fois, on verra que des espions s’empressaient à le servir.
En effet, puisque Texar avait lieu de croire que le fils de James Burbank servait dans les rangs des fédéraux, sous les ordres du commodore Dupont, n’aurait-on pas pu craindre qu’il cherchât à tendre quelque piège au jeune lieutenant ? Oui ! Et s’il fût parvenu à l’attirer sur le territoire floridien, à s’emparer de sa personne, à le dénoncer, on devine quel eût été le sort de Gilbert entre les mains de ces sudistes, exaspérés par les progrès de l’armée du Nord.
Tel était l’état des choses au moment où commence cette histoire. Telles étaient la situation des fédéraux, arrivés presque aux frontières maritimes de la Floride, la position de la famille Burbank au milieu du comté de Duval, celle de Texar, non seulement à Jacksonville, mais dans toute l’étendue des territoires à esclaves. Si l’Espagnol parvenait à ses fins, si les autorités étaient renversées par ses partisans, il ne lui serait que trop facile de lancer sur Camdless-Bay une populace fanatisée contre les anti-esclavagistes.
Environ une heure après avoir quitté Texar, Squambô était de retour à l’îlot central. Il tira son squif sur la berge, franchit l’enceinte, monta l’escalier du blockhaus.
« C’est fait ? lui demanda Texar.
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Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/80 | {{tiret2|Athé|niens}} exactement comme les Corinthiens et les partisans de la guerre parlent aux Lacédémoniens. « Notre affaire à nous, c’est de prendre les devants, nous en offrant et vous en acceptant de nous allier, et de prévenir l’attaque de nos ennemis, plutôt que d’avoir à le repousser » ({{corr|1-33|{{rom-maj|I}}, 33}}). Il y a donc un état de guerre générale virtuelle, où la Grèce vit depuis cinquante ans, état créé par l’extension continuelle de la thalassocratie athénienne et par la formation d’une ligue rivale entre les cités de terre et de mer qui redoutent cette extension ; cette guerre en puissance passe à l’acte offensif du fait de la ligue défensive.
Dans la conception d’Hérodote la cause des grandes guerres était l’{{lang|grc|ὕβρις}} humaine. Il transportait dans l’histoire l’idée tragique. Crésus, Cambyse, Xerxès, Pausanias sont conçus par lui comme Œdipe roi par Sophocle : ce sont des puissants ivres de leur bonheur, confiants dans leur chance et qui s’écroulent sous les coups de la destinée. Ainsi, disait Héraclite, le soleil ne transgressera pas ses limites, sinon l’Érynnis l’y ramènerait. L’histoire ourdie par les dieux comme une trame de théâtre met en scène de façon dramatique la suite de ces grands exemples ; la légende suit l’histoire comme une histoire de l’histoire, comme une sœur cadette intelligente et artiste, et l’historien pour entrer dans le cœur de son récit doit se faire une âme imprégnée de sagesse et porteuse du laurier d’Apollon. Le délégué d’Hérodote, le chef de ce chœur des sages qui assistent, pour la contempler, la raconter et la juger, à cette tragédie, c’est Solon d’Athènes à la cour de Crésus. Thucydide continue Hérodote exactement comme l’''Essai sur les Mœurs'' continue le ''Discours sur l’Histoire universelle''. Cette {{lang|grc|ὕβρις}} qu’Hérodote élève sur une scène
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Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/73 | {{tiret2|person|nage}}, de le faire vivre dans les limites de la vraisemblance constitue un frein rigide et utile, assure un moyen terme entre ces deux nécessités contradictoires : ne prendre comme motif déterminant la conduite d’un personnage que ce qui était connu effectivement par lui, incorporer aux motifs de sa décision ce que nous savons de l’issue de l’événement. Nous savons que Bismarck a voulu après Sadowa ménager l’Autriche et dans toute sa carrière garder l’entente avec la Russie. Un Thucydide moderne, en se tenant le plus près possible des paroles authentiques, composerait aujourd’hui deux discours pour appuyer et expliquer ces deux lignes de conduite, s’attacherait à n’y garder que l’essentiel des raisons qui ont pu conduire Bismarck, et son but serait triple : donner par ces paroles mêmes une idée vivante et réelle de Bismarck, ne rien lui prêter qu’il n’ait pensé ou pu évidemment penser, imprimer à cet ensemble de raisons un mouvement qui le fasse descendre vers l’avenir que Bismarck ne connaissait pas et qui est pour nous du passé. Aucun autre procédé ne permettrait aussi économiquement et aussi puissamment que le discours la concentration, l’équilibre et l’harmonie de ces trois éléments.
Les discours marquent chez Thucydide les causes vivantes des événements historiques, les causes éprouvées par une sensibilité, animées par une passion, incorporées à la parole et à l’action d’un homme qui modèle une foule résistante ou docile. Mais au-dessus de ces discours prononcés par les personnages de l’histoire il y a un discours général dans lequel ils sont pris,
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Constitution d’Athènes (Aristote, trad. Haussoullier et Mathieu) | Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir Constitution d’Athènes. Pour les autres traductions de ce texte, voir Constitution d’Athènes (Aristote). Aristote Constitution d’Athènes Traduction par Bernard Haussoullier et Georges Mathieu. Texte établi par Bernard Haussoullier et Georges Mathieu, Les Belles-Lettres, 1922. COLLECTION DES UNIVERSITÉS DE FRANCE publiée sous le patronage de l’ASSOCIATION GUILLAUME BUDÉ ARISTOTE CONSTITUTION D’ATHÈNES TEXTE ÉTABLI ET TRADUIT PAR Georges MATHIEU Chargé de conférences à la Faculté des Lettres de l’Université de Nancy ET Bernard HAUSSOULLIER Directeur d’études à l’École des Hautes Études Membre de l’Institut PARIS SOCIÉTÉ D’ÉDITION « LES BELLES LETTRES » 157, BOULEVARD SAINT-GERMAIN 1922 Tous droits réservés. Pages Introduction. i CONSTITUTION D’ATHÈNES. 1 Première partie (chap. I-XLI). 2 Seconde partie (chap. XLII-LXIX). 44 FRAGMENTS DE LA PREMIÈRE PARTIE. 74 EXTRAITS D’HÉRACLIDE. 77 Index. 81 bookConstitution d’AthènesAristoteBernard Haussoullier et Georges MathieuLes Belles-Lettres1922ParisVAristote - Constitution d’Athènes, trad. Haussoullier et Mathieu, 1922.djvuAristote - Constitution d’Athènes, trad. Haussoullier et Mathieu, 1922.djvu/1 |
Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/535 |
Cette réserve, scrupuleusement observée pendant toute son existence conjugale et qu’elle continuait à pratiquer avec son fils, est de toutes les règles de conduite celle qui assure à une femme de tête la domination la plus complète. Elle la formulait ainsi en elle-même : N’avoir sur quoi que ce soit d’autre façon de penser que celle des hommes de la famille, pour pouvoir les mener ainsi à la baguette. — Feu le baron Hédouin s’était toujours cru, avec quelque remords, un vrai tyran et Robert, qu’avait possédé tout jeune ce besoin de protection envers les faibles, propre aux âmes virilement trempées, jouissait de sentir sa mère s’appuyer sur lui en toute circonstance, sans se douter que ce fût un moyen de le conduire plus sûrement.
L’épithète de supérieure, en parlant de Marcelle, n’avait donc pas le sens d’un éloge dans la bouche de son cousin. L’idéal, pour lui, c’était la femme deux fois femme par l’abandon et par la douceur, peut-être aussi celle qui eût été suffisamment aveugle pour s’exagérer son mérite et ne pas le traiter de haut, — ce que faisait volontiers Marcelle, malgré les années qu’elle avait de moins que lui.
— Eh ! mon Dieu, sur certains points, je crois bien qu’elle est supérieure en efi’et, répliquait {{Mme}} des Garays. Toujours première au cours en histoire et en style. Et elle adore la poésie, elle n’a que trop d’imagination. Mais il y a des lacunes !
Pour combler à son gré les prétendues lacunes et rétablir un juste équilibre, elle se montrait maladroitement vigilante, forçant sa fille à se livrer aux études qui lui plaisaient le moins, les arts d’agrément, par exemple, que cette seule qualification d’agrément rendait antipathiques à Marcelle, ambitieuse d’aller toujours au plus profond. Elle la contrariait dans une passion excessive pour la lecture, lui faisant prendre sa tapisserie au moment où l’absorbait le plus une belle page ; elle la morigénait à tout propos, s’efforçant de rompre ce qu’elle appelait cette « volonté de fer, » ce qui était, en réalité, suite dans les idées, résolution tenace, persévérance inlassable, autant de qualités précieuses qui demandent à être dirigées, mais non pas contrariées : — Qualités d’homme, défauts de femme, déclarait {{Mme}} Hédouin.
Il résulta de ce régime que l’enfant, la jeune fille, obéissante à la surface, perdit insensiblement toute confiance en ces deux guides tyranniques, sa mère et sa tante, par qui elle se sentait méconnue. Les heures les plus agréables pour elle étaient celles
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Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/532 |
— Enfin ! Je te cherche partout. Si je n’avais pas rencontré la duchesse, je ne sais comment j’aurais passé le temps.
— Me voici, maman, pardon ! Et, se tournant vers ses amies, très vite, à demi-voix :
— Vous vouliez savoir ce que je pense, ce que je souhaite ? Eh bien ! voilà : Je souhaiterais n’avoir plus à dépendre pour mes moindres actes d’une excellente maman qui se fatigue à me suivre pas à pas et règle ma journée heure par heure. J’ai vingt-quatre ans sonnés et je suis en tutelle autant qu’à quatorze. Oh ! pouvoir sortir seule à ma guise !
— Vous voyez bien qu’il faut se marier. Sortir seule auparavant, ma chère, ce serait se proclamer vieille fille.
— Qu’importe ? être libre seulement, libre !
— Eh ! que feriez-vous de votre liberté ? demande Kate en ouvrant très grands ses yeux bleus. Un garçon, à la bonne heure ! Il peut se permettre les quatre cents coups !
De sa voix tranquillement autoritaire, {{Mme}} des Garays répète :
— Allons, Marcelle, allons !...
— Elle est originale, disent en chœur ces demoiselles, quand la mère et la fille ont disparu.
Et ce mot d’originale est prononcé avec la vague méfiance qu’on a partout pour ce qu’on ne comprend pas. Marcelle des Garays a toujours été, en effet, différente des autres. Déjà, elle éprouve qu’être exceptionnelle, si peu que ce soit, implique une condamnation à l’isolement. Marcelle n’a ni pareille ni confidente parmi les jeunes filles de son monde, point d’amitié, sauf une prédilection qui ne peut porter ce nom, vu l’inégalité d’âge et d’intelligence, une prédilection protectrice, presque maternelle, pour Nicole. En revanche, on la sait très liée avec une donneuse de leçons, comme disent dédaigneusement ces demoiselles, qui a le tort plus grave d’étudier la médecine. Une future doctoresse, quelle horreur ! Sans doute, le colonel des Garays et le père de Lise Gérard ont été compagnons d’armes, mais cela ne suffit pas à expliquer de pareilles préférences. Bizarrerie toute pure, désir peut-être de se singulariser, de jouer aux grands sentimens. Elle est un peu socialiste, cette Marcelle, avec ses engouemens pour les gens qui travaillent, son tranquille dédain pour les autres, ses théories subversives sur le rang et la richesse !
Dans les salons, cependant, la foule commence à s’éclaircir au
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Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/242 | quelques-uns ont même dit que la plupart des obus étaient chargés à blanc. « Au dire des gardes nationaux présents à l’affaire, a écrit un historien assez exact, {{M.|Fiaux}}, il est certain que le Mont-Valérien ménagea les troupes parisiennes, auxquelles il pouvait, en redoublant ses feux, infliger un véritable désastre » Rien ne justifie cette assertion, qui a été souvent reproduite. Pourquoi le commandant du fort aurait-il ménagé les fédérés ? S’il eût été décidé à demeurer neutre ou à attendre des ordres de Versailles, il n’eût pas tiré un seul obus. Lisbonne, dans son récit, constate que, tard dans la journée, à 4 heures et demie, le fort tirait encore sur les débris des bataillons, qui, suivant la Seine, regagnaient Asnières, sans leur faire beaucoup de mal. L’explication qui semble la plus exacte est que le commandant ne disposait que de pièces insuffisantes, peut-être n’avait-il pas les gargousses nécessaires. La grosse artillerie ne tira point, et les projectiles, lancés principalement de la redoute du Moulin des Gibets par des mitrailleuses, furent sans grand effet.
{{g|'''PANIQUE À RUEIL ET À VERSAILLES'''}}
{{interligne}}
Une partie de la colonne de Bergeret avait résisté à la déroute, s’était défilée à l’abri des maisons et des replis de terrain protégeant la route de Nanterre à Rueil, et avait continué sa marche en avant. Flourens, à qui Bergeret avait expédié un ordre pressant de le secourir, arrivait d’Asnières avec ses troupes, peu nombreuses, trois ou quatre mille hommes environ, et les deux corps faisaient leur jonction à Rueil. La marche sur Versailles par la route de Saint-Germain fut poursuivie. Des chasseurs de Galliffet, attendant au parc de la Malmaison, furent débusqués, et les fédérés s’avancèrent jusqu’à la Jonchère, quelques-uns
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Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/81 | royale pour la faire foudroyer par les dieux, le réalisme et le sang-froid de Thucydide la voient incorporée à l’ordinaire de l’homme et aux nécessités politiques des États. Elle est donnée comme leur puissance de guerre à te thalassocratie athénienne et à la ligue péloponésienne. Elle porte un nom précis : c’est la nature propre de l’homme, l’{{lang|grc|ἀνθρώπειον}}. La nature humaine, avec la majoration qu’elle reçoit de la vie politique, voilà la cause suprême derrière laquelle il n’y a plus rien à chercher, pas plus que derrière les atomes de Démocrite.
Cette nature, le Voltaire de l’''Essai'' la mettra en scène pour la railler, pour tirer en elle des fils de {{corr|marionettes|marionnettes}}, découpant d’ailleurs ses marionnettes avec un sens étonnamment limpide du schématisme historique. Thucydide regarde les passions, l’aveuglement, le fanatisme, comme il a regardé la peste, en homme qui en fut atteint lui-même et qui l’a observée pour qu’on la connût mieux, ou comme une suite inévitable de la qualité d’homme et de la le politique, et qu’il est plus sain de comprendre lucidement que de juger précipitamment. La seule marque que l’on a maîtrisé les passions, c’est parler d’elles sans passion.
L’histoire d’Hérodote repose sur ce principe que la vertu est, pour les États comme pour les individus, une force et une sauvegarde. Pour les États comme pour les individus il importe de se concilier la faveur des dieux. Les prêtres de Delphes, patrons de l’historien et administrateurs de cette faveur divine, fournissent à Hérodote les exemples et les anecdotes à l’appui. Crésus a comblé de présents l’oracle d’Apollon. Quand il perd son royaume et sa liberté, il se plaint vivement de l’ingratitude du dieu. Mais l’oracle lui explique que la
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Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/314 | rue de Vaugirard, qui, une fois par semaine,
nous menait à Issy. Je parlais extrêmement
peu. Ces messieurs, pendant tout ce temps,
furent pour moi d’une bonté extrême. Mon
caractère doux et mes habitudes studieuses,
mon silence, ma modestie leur plurent, et je
crois que plusieurs d’entre eux firent tout bas
la réflexion que me communiqua {{M.|Carbon}} :
« Voilà pour nous un futur bon confrère. »
Le 29 mars 1844, j’écrivais à un de mes amis
de Bretagne, alors au séminaire de Saint-Brieuc :
{{p début|90|m=2em}}
Je me trouve fort bien ici. Le ton de la maison est
excellent, également éloigné de la rusticité, d’un
égoïsme grossier et de l’afféterie. On se connaît
peu, et le cœur est un peu à froid ; mais les
conversations sont dignes et élevées ; il s’y
mêle peu de banalités et de commérages. On
chercherait en vain entre les directeurs et
les élèves la cordialité ; c’est là une plante qui
ne croît guère qu’en Bretagne ; mais les
directeurs ont un certain esprit large et bon,
qui plaît et convient parfaitement à l’état
moral des jeunes gens tels qu’ils leur arrivent.
Leur gouvernement est à peine sensible : c’est la
maison qui marche, ce ne sont pas eux qui la
conduisent. Le règlement, les usages et l’esprit
de la maison font tout ; les hommes sont passifs,
ils sont là seulement pour conserver. C’est une machine bien
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Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/328 | l’esprit critique. Je regrettais par moments
de n’être pas protestant, afin de pouvoir être
philosophe sans cesser d’être chrétien. Puis
je reconnaissais qu’il n’y a que les catholiques
qui soient conséquents. Une seule erreur
prouve qu’une Église n’est pas infaillible ; une
seule partie faible prouve qu’un livre n’est
pas révélé. En dehors de la rigoureuse orthodoxie,
je ne voyais que la libre pensée à
la façon de l’école française du {{s|XVIII}}.
Mon initiation aux études allemandes me
mettait ainsi dans la situation la plus fausse ;
car, d’une part, elle me montrait l’impossibilité
d’une exégèse sans concessions ; de
l’autre, je voyais parfaitement que ces messieurs
de Saint-Sulpice avaient raison de ne
pas faire de concessions, puisqu’un seul aveu
d’erreur ruine l’édifice de la vérité absolue et
la ravale au rang des autorités humaines,
où chacun fait son choix, selon son goût
personnel.
Dans un livre divin, en effet, tout est vrai,
et, deux contradictoires ne pouvant être vraies
à la fois, il ne doit s’y trouver aucune contra-
<references/> |
Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/325 | m’annonça en souriant cette bonne nouvelle,
et m’apprit que la compagnie me donnait pour
honoraires une somme de trois cents francs.
Cela me parut colossal ; je dis à {{M.|Carbon}}
que je n’avais pas besoin d’une somme aussi
énorme ; je le remerciai. {{M.|Carbon}} m’imposa
d’accepter cent cinquante francs pour acheter
des livres.
Une bien autre faveur fut de me permettre
d’aller suivre, au collège de France, deux fois
par semaine, le cours de {{M.|Étienne}} Quatremère.
{{M.|Quatremère}} préparait peu son
cours ; pour l’exégèse biblique, il était resté
volontairement en dehors du mouvement
scientifique. Il ressemblait bien plus à
{{M.|Garnier}} qu’à {{M.|Le}} Hir. Janséniste à la
façon de Silvestre De Sacy, il partageait le
demi-rationalisme de Hug, de Jahn, ― réduisant
autant que possible la part du surnaturel,
en particulier dans les cas de ce qu’il
appelait « les miracles d’une exécution difficile »,
comme le miracle de Josué, ―
retenant cependant le principe, au moins pour
les miracles du Nouveau Testament. Cet
<references/> |
Armand Silvestre | ◄ Auteurs S Fac-similés Biographie Citations Médias Données structurées écrivain, poète et librettiste français (1837 – 1901) Contes grassouillets , (1883) avec 3 gravures de Kauffmann Histoires belles et honnestes (1883) Curiosité provinciale Figure de rhétorique Le Centenaire de Diafoirus Chronique d’antan Astronomie populaire Histoire de fleurs Ce farceur de Pamphile Le Souffle des révolutions Bonne Action châtiée Le Madgyar et le tailleur Le Vote de M. Van den Truff Chroniques du temps passé (1883) Le Conte de l’Archer Contes pantagruéliques et galants (1884) Les mêmes contes sont publiés dans "Histoires Gaies" Écho du bonheur (L’) Fait-divers arabe Pleine lune La Plante enchantée (1896) Rimes neuves et vieilles (1866) Les Renaissances (1870) La Gloire du souvenir (1872) La Chanson des heures (1878) Les Ailes d’or (1880) Le Pèlerinage Le Pays des roses (1882) Le Chemin des étoiles (1885) Roses d’octobre (1889) L’Or des couchants (1892) Les Aurores lointaines (1895) Quelques poèmes dans Le Parnasse contemporain, II (1869-1871) Nouveaux sonnets païens Souvenir des Girondins Quelques poèmes dans Le Parnasse contemporain, III (1876) Au Couchant Le Vœu Lever d’étoiles La Danse La Voie lactée Le Réveil Quelques poèmes dans Anthologie des poètes français du XIXème siècle, II (1887), Alphonse Lemerre Quelques poèmes dans Anthologie des poètes français contemporains, I (1906), par G. Walch Guide bibliographique de la littérature française de 1800 à 1906 (1907), par Hugo P. Thieme |
Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/329 | diction. Or l’étude attentive que je faisais
de la Bible, en me révélant des trésors historiques
et esthétiques, me prouvait aussi que ce
livre n’était pas plus exempt qu’aucun autre
livre antique de contradictions, d’inadvertances,
d’erreurs. Il s’y trouve des fables, des
légendes, des traces de composition tout
humaine. Il n’est plus possible de soutenir
que la seconde partie d’Isaïe soit d’Isaïe. Le
livre de Daniel, que toute l’orthodoxie rapporte
au temps de la captivité, est un apocryphe
composé en 169 ou 170 avant Jésus-Christ.
Le livre de Judith est une impossibilité
historique. L’attribution du Pentateuque à
Moïse est insoutenable, et nier que plusieurs
parties de la Genèse aient le caractère mythique,
c’est s’obliger à expliquer comme réels
des récits tels que celui du paradis terrestre,
du fruit défendu, de l’arche de Noé. Or on
n’est pas catholique si l’on s’écarte sur un seul
de ces points de la thèse traditionnelle. Que
devient ce miracle, si fort admiré de Bossuet :
« Cyrus nommé deux cents ans avant sa naissance ? »
Que deviennent les soixante-dix
<references/> |
Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/252 | {{tiret2|scientifi|que}} et même du public profane. Il publia successivement une brochure politique et un roman philosophique, ''Ottifriea'', où il exposait ses idées sociales. Le jour même de sa mort, on mettait en vente son livre sur le siège, ''Paris livré'', éloquent réquisitoire contre les incapables de la Défense nationale. Quand son père, qui avait été chargé de mission, revint en France, le ministre de l’instruction publique d’alors, Victor Duruy, que les théories déterministes du jeune professeur inquiétaient, invita l’académicien à reprendre sa chaire. Gustave Flourens éprouva une certaine irritation en se voyant privé, par esprit de réaction, de ce cours qui l’intéressait, où il savait enseigner de hardies mais intéressantes doctrines scientifiques exposées dans un esprit philosophique nouveau.
Plus d’un homme d’action, destiné aux actes audacieux, eut sa destinée, paraissant d’abord devoir être paisible, ainsi changée par un accident hasardeux. La carrière scientifique et la vie d’homme d’études du futur chef d’insurgés semblaient toutes tracées. Si Flourens eut poursuivi ses travaux ct gardé sa place dans l’enseignement, un fauteuil était pour lui marqué à l’Institut : la France eût ainsi compté un savant officiel de plus, un académicien laborieux, soumis à l’ordre établi, et poursuivant, dans le calme du laboratoire, une carrière vraisemblablement longue et honorée. La mesure administrative injuste changea sa vie. Privé de son cours, et épris de l’indépendance pour lui, pour les autres animé d’idées émancipatrices que stimulait un sentiment d’altruisme international, poussé de plus par le goût instinctif des aventures, qui, longtemps contenu et comme sommeillant, s’éveillait en lui, et ne devait plus de quitter, il ferma résolument ses livres, quitta son cabinet de travail, ouvrit la fenêtre, aspira l’air extérieur, et, l’âme dilatée, regarda du côté de l’Orient. Des
<references/> |
Bulletins d’arboriculture, de floriculture et de culture potagère/Pêche Mme Narcisse Gaujard | N. Gaujard Pêche Mme Narcisse Gaujard Bulletins d’arboriculture, de floriculture et de culture potagère, 1872 (p. 17). journalBulletins d’arboriculture, de floriculture et de culture potagèrePêche Mme Narcisse GaujardN. GaujardPierre de Pannemaeker1872GandCPêche Mme Narcisse GaujardBulletins d'arboriculture de floriculture et de culture potagère, 1872.djvuBulletins d'arboriculture de floriculture et de culture potagère, 1872.djvu/617 La Pêche Madame Gaujard. (Gaujard) En 1858, j’avais semé une certaine quantité de noyaux de pêchers des variétés Pourprée hâtive, Grosse Mignonne, Galande, Nivette, etc. Les plants ont bien levé et il y en avait une soixantaine de bien venus, lorsque la forte gelée de 1860-61 les détruisit presque complétement. Un d’eux cependant n’a aucunement souffert et a continué à se développer. Deux ans après, il commençait à fleurir et en 1864 il produisait déjà de trés beaux fruits. Je n’y fis d’abord aucune attention ou du moins je n’y attachai aucune importance, car je savais qu’en semant des noyaux de bonnes pêches, neuf fois sur dix on obtient de bonnes variétés. Mais ce jeune semis prenant de plus en plus du développement, devint un grand arbre et finit par me donner deux à trois cents pêches chaque année. Les fruits étaient si beaux, l’arbre si fertile en plein vent ici, à Gand, où nous avons tant de peine à obtenir des pêches même en espalier, que je me décidai à le multiplier. Les fleurs sont petites ; elles apparaissent assez tard, ce qui préserve cette variété des gelées tardives. Les fruits sont gros, souvent renflés d’un côté et sont fortement attachés à la branche. La chair est fine, très fondante et parfumée, couleur blanc carné flagellé de carmin autour du noyau, auquel elle n’est pas adhérente. La peau est mince, couverte de duvet, fortement colorée de pourpre du côté du soleil et jaune clair pointillé à l’ombre. L’arbre est vigoureux et forme déjà de beaux sujets de plein vent à l’âge de trois à quatre ans. Quoique cette variété puisse être considérée comme précieuse pour le plein vent, il est à supposer qu’elle sera également très bonne pour l’espalier. N. Gaujard. |
Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/244 | résistance. Mis en déroute, aux premières décharges d’une artillerie pourtant insuffisante, très probablement dérisoire, faute de munitions et de pointeurs, cet échec initial leur fit admettre l’impossibilité de continuer la marche sur Versailles.
L’élan fut coupé net. Les braves continuèrent à aller de l’avant, en désordre toujours. Le gros de la cohue lâcha pied, reflua vers le pont de Neuilly et Paris.
Ce ne fut que vers dix heures que les renforts versaillais arrivèrent sur le lieu de faction, et encore le principal de l’effectif dont Vinoy disposait, fut-il envoyé vers le sud, à Meudon, à Clamart, à Issy, où la résistance s’annonçait beaucoup plus ferme, où la bataille s’engageait plus sérieuse, plus inquiétante.
{{g|'''RENFORTS AUX VERSAILLAIS'''}}
{{interligne}}
Vers Bougival et Rueil, Vinoy envoya la brigade Paturel, comprenant le 46{{e}} de marche, puis la brigade Grenier, composée du 90{{e}} et du 91{{e}} de ligne, avec la division de cavalerie de Preuil, formée par le 3{{e}} cuirassiers, le 4{{e}} dragons et une partie du {{Ier}} et du 2{{e}} régiment de gendarmerie. En tout une dizaine de mille hommes. Les fédérés disloqués, dont une partie avait regagné Paris, de quinze mille combattants réunis le matin sous le commandement de Bergeret, ne comptaient plus guère que cinq à six milliers d’hommes, la plupart démoralisés. Gustave Flourens, dont les troupes ayant évité la panique de la matinée paraissaient plus résolues, ne pouvait renforcer que de trois mille combattants environ l’effectif effondré de Bergeret. Aussi, quand les généraux Paturel et Grenier débouchèrent des hauteurs de Vaucresson, de la Celle-Saint-Cloud et de Bougival, facilement repoussèrent-ils les fédérés qui s’étaient avancés jusqu’au delà de la Jonchère.
<references/> |
Bassompierre - Journal de ma vie, 4.djvu/133 | de monsieur le cardinal sy je voulois venir disner avec
luy. Mais comme j'en avois desja refusé {{Mr}} le Comte
devant lequel il me parloit, je luy fis la mesme excuse
que j'avois faitte auparavant, dont monsieur le cardinal
s’offensa, et le dit au roy.
Le lundy 18<sup>me</sup> le roy arriva a Saint Germain, ou je
me trouvay aussy, et il m'y fit le plus mauvais visage du monde.
J'y revins le mercredy 20<sup>me</sup> ou il ne me fit pas meilleur accueil.
Les reines y vindrent, ausquelles il fit beaucoup d’honneur, peu de privauté.
Je me resolus en fin de demeurer a Saint Germain,
et y fus trois semaines durant sans que jammais le roy
mie dit un mot, que celuy du guet.
{{Mr}} d’Espernon y vint le dimanche 24<sup>me</sup><ref>Il y a au manuscrit{{lié}}: ''23{{e}}''{{lié}}; et plus haut{{lié}}: ''le mercredy 19{{e}}''{{lié}}; erreurs corrigées dans toutes les éditions.</ref>, quy fut fort bien receu tant du roy que de monsieur le cardinal,
mais moy toujours en un mesme estat{{lié}}: monsieur le
cardinal me pria de donner a disner a {{Mr}} d’Espernon
parce qu’il estoit au lit, a quoy je m'estois desja preparé, et il me l’avoit envoyé dire.
Sur ces entrefaites Puilorens et Le Coygneux s’accorderent avec monsieur le cardinal quy leur fit donner par le roy a chascun cent mille escus, au moins a ce dernier<ref>Il y avait aux précédentes éditions{{lié}}: ''cent mille écus au moins, et à ce dernier''.</ref> la charge de president de la court<ref>De président au mortier en la cour de parlement.</ref> quy vaut bien cela pour le moins. Cet accord se fit par
<references/> |
Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/544 |
— Ah ! pas de commentaires, je t’en prie. Il me semble que j’ai le couteau sur la gorge. Achève-moi vite !
« Le petit roman que vous nous avez fait parvenir doit commencer à paraître dans un très prochain numéro de la ''Revue''. Nous n’aurons à vous demander que quelques coupures. Vous plairait-il de venir en causer avec nous ? Agréez... etc. »
— Reçu ! ''Brusque Réveil'' serait reçu !
Elle bondit comme un enfant, s’élança éperdue au cou de Lise et fondit en larmes.
— Après une si longue attente ! Quand je désespérais...
— Allons, calme-toi ! disait {{Mlle}} Gérard, le chapeau de travers et presque étranglée par son étreinte. Je ne suis pas du tout étonnée pour ma part. J’avais confiance dans ton ''Réveil'', je le trouvais très bien. Bon ! voilà que tu ris, maintenant, comme tu pleurais tout à l’heure. Une attaque de nerfs au grand complet... ; Dieu merci, je suis le médecin.
— Méchante ! tu vois bien que c’est la joie ! Jamais je n’ai été si heureuse.
— Jamais ? répéta Lise sur le ton de la surprise.
Marcelle réfléchit une seconde, puis d’une voix redevenue très ferme :
— Non, jamais, déclara-t-elle, et il me semble, vois-tu, que tous mes chagrins sont presque effacés.
— Ah ! je le savais bien, que le succès, et, avant tout, l’effort t’ouvriraient une vie nouvelle, qu’ils te procureraient cette sensation de dédoublement qui permet de se regarder souffrir comme s’il s’agissait d’un autre. Le plus difficile est fait ; tu as transformé ta peine en œuvre d’art.
— Ma bonne Lise, si dévouée, si clairvoyante, je te dois cela. Tu m’as encouragée, tu m’as appris le grand secret, qui est de sortir de soi. Que serais-je devenue sans ton secours ?
— Tu ne me dois rien du tout, répliqua Lise on riant. Je n’ai joué que le rôle modeste de commissionnaire. Cela m’amusait plutôt, au commencement, d’aller, entre deux leçons, à la poste restante demander avec mystère : — Il n’y a rien pour Tchelovek ? — Grâce à toi, j’aurai fait, une fois dans ma vie, une démarche romanesque. Dans le bureau, quelqu’un se retournait toujours d’un air curieux et le préposé baissait la voix pour répondre après examen : « Non, madame, » comme s’il m’eût à contre-cœur refusé une aumône. Au bout de deux mois, il avait fini par secouer
<references/> |
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/427 | {{nr||SÉRIES DE M. BOHLIN.|413|}}aux <math>w_2,</math> <math>w_3,</math> <math>\ldots,\,w_n.</math> Soit donc
{{c|<math> y_k = w_k + \eta_k(w_2, w_3, \ldots, w_n) .</math>|m=1em}}
Si dans la première équation{{lié}}(2{{lié}}''bis'') nous faisons <math>y_1=0,</math> elle
se réduit à
{{c|<math> x_i = 0 .</math>|m=1em}}
Nous trouvons donc une solution particulière des équations{{lié}}(2{{lié}}''bis'')
en faisant
{{MathForm1|(14){{Ancre|Eq.215-14}}|<math>\begin{aligned}
x_1 &= x_i = y_1 = 0, &
y_k &= w_k + \eta_k .
La signification de ces équations{{lié}}(14) est évidente.
Au {{lia|Chap.19|par209|{{n°|{{t|209|112}}}}|389}}, nous avons trouvé une généralisation des solutions
périodiques. Nous avons, en effet, formé les relations invariantes
x_1&=\eta, & y_1&=\zeta, & x_i &= \xi_i .
Grâce à l’hypothèse que nous avons faite au début du présent
numéro, ces relations invariantes se réduisent ici à
{{c|<math> x_1 = y_1 = x_i = 0 .</math>|m=1em}}
Nous reconnaissons là les trois premières équations{{lié}}(14).
Ces quatre équations{{lié}}(14) nous fournissent donc, sous une forme
nouvelle, la généralisation des solutions périodiques. On voit que
les <math>x_i,</math> <math>y_1</math> et les <math>y_k-w_k</math> sont exprimés en fonctions périodiques
de <math>n-1</math> arguments de la forme
{{c|<math> w_k = n_k t + \varpi_k .</math>|m=1em}}
Dans le cas particulier où il n’y a que deux degrés de liberté,
il ne reste plus qu’un seul argument <math>w_2.</math>
Alors <math>x_1,</math> <math>x_2,</math> <math>y_1</math> et <math>y_2-w_2</math> sont exprimés en fonctions périodiques
de <math>w_2,</math> et, par conséquent, du temps. Nous retrouverons
alors simplement les solutions périodiques telles qu’elles ont été
définies au {{lia|Chap.03|ch-03|Chapitre{{lié}}III|91|Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 1, 1892.djvu}}.
Une conséquence remarquable, c’est que, s’il n’y a que deux
degrés de liberté, les développements{{lié}}(14) sont ''convergents'',
tandis qu’ils n’ont de valeur qu’au point de vue du calcul formel
si le nombre des degrés de liberté est supérieur {{nobr|à 2.}}
<references/> |
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/428 |
{{Interligne}}
'''{{Ancre+|par216|216.}}'''{{iv|0.25em}}Examinons, en particulier, ce qui se passe quand <math>w_1</math> est,
par exemple, négatif et très grand ; les valeurs correspondantes
de <math>y_1</math> seront très petites, le second membre de{{lié}}(11) sera donc développable
suivant les puissances croissantes de <math>y_1.</math>
Quant à l’équation (13), nous la transformerons comme il suit
{{MathForm1|(13 ''bis''){{Ancre|Eq.216-13bis}}|<math>
e^{\frac{w_1}{\alpha}} = \mathrm{tang} \frac{y_1}{2} e^{\frac{\gamma y_1}{\alpha}} e^{\frac{\Theta}{\alpha}} .
Si <math>\alpha</math> est positif, ainsi que je le suppose pour fixer les idées et
si <math>w_1</math> est négatif et très grand, l’exponentielle
{{c|<math> e^{\frac{w_1}{\alpha}} </math>|m=1em}}
{{SA|sera très petite. Quant au second membre de{{lié}}(13{{lié}}''bis'') il est développable
suivant les puissances de <math>y_1.</math>}}
Écrivons donc nos équations sous la forme
{{MathForm1|(11 ''bis''){{Ancre|Eq.216-11bis}}|<math> w_k = y_k + \psi_k ,</math>|m=1em}}
<!-- Pour éviter la collision, 'bis' est remplacé par 'biz' dans la numérotation -->
{{MathForm1|(13 ''bis''){{Ancre|Eq.216-13biz}}|<math> e^{\frac{w_1}{\alpha}} = \psi_1 .</math>|m=1em}}
Les <math>\psi</math> seront développables suivant les puissances de <math>y_1</math> et de <math>\sqrt{\mu},</math>
et chacun des termes du développement sera périodique par rapport à
{{c|<math> y_2,\quad y_3,\quad \ldots,\quad y_n .</math>|m=1em}}
Les deux membres des équations (11{{lié}}''bis'') et{{lié}}(13{{lié}}''bis'') peuvent
donc être regardés comme développés suivant les puissances de <math>y_1,</math>
de <math>\sqrt{\mu}</math> et de <math>e^{\frac{w_1}{\alpha}}.</math>
Observons que <math>\alpha</math> est développable suivant les puissances de <math>\sqrt{\mu},</math>
et soit
{{c|<math> \alpha_1\,\sqrt{\mu} </math>|m=1em}}
{{SA|le premier terme du développement.}}
D’autre part, le premier terme du développement de <math>\gamma</math> et de <math>\Theta</math>
sera en <math>\sqrt{\mu}\,;</math> de sorte que le développement de <math>\frac{\gamma}{\alpha}</math> et de <math>\frac{\Theta}{\alpha}</math>
commencera par un terme indépendant de <math>\sqrt{\mu}.</math>
Si dans les équations (11{{lié}}''bis'') et{{lié}}(13{{lié}}''bis''), nous faisons <math>\mu=0,</math>
<references/> |
Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 3 (éd. Robin).djvu/390 |
{{T2|TABLE DES MATIÈRES|fs=150%|sp=0.1em|mt=4em}}
{{—|4|m=1em}}
{{d|Pages |fs=80%}}
{{Table |largeurp=72 |espace=0.5em
|titre=''[[Phèdre (trad. Robin)/Notice|Notice]]''
|page={{rom|i}}-{{rom|clxxxv}}
}}
{{Alinéa|[[Phèdre (trad. Robin)/Notice#I|''Le Phèdre'']], {{rom|i}} — [[Phèdre (trad. Robin)/Notice#II|Questions d’histoire]], {{rom|ix}} — [[Phèdre (trad. Robin)/Notice#III|La Structure du dialogue et son unité]], {{rom|xxvi}} — [[Phèdre (trad. Robin)/Notice#IV|Le discours de Lysias et le premier discours de Socrate]], {{rom|lx}} — [[Phèdre (trad. Robin)/Notice#V|Le second discours de Socrate]], {{rom|lxxiv}} — [[Phèdre (trad. Robin)/Notice#VI|Rhétorique et dialectique]], {{rom|cxlii}}, [[Phèdre (trad. Robin)/Notice#VII|Établissement du texte et apparat critique]], {{rom|clxxv}}.|2|-1|m=1em}}
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}}
{{Table |largeurp=72 |espace=1.5em
|titre=[[Phèdre (trad. Robin)|PHÈDRE]]
|page=1-96
}}
{{—|6|m=4em}}
<references/> |
Musiciens Anglais Contemporains/Ethel Smyth | Richard Alexander Streatfeild Musiciens anglais contemporains Traduction par Louis Pennequin. Le Temps Présent, 1913 (p. 27-48). ◄ Edward Elgar Ethel Smyth bookMusiciens anglais contemporainsRichard Alexander StreatfeildLouis PennequinLe Temps Présent1913ParisCEthel SmythMusiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdfMusiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/127-48 L’histoire de la fin du dix-neuvième siècle présente peu d’événements plus remarquable que le développement du mouvement féministe. Dans les arts et les sciences, comme dans la lutte sociale ou politique, la revendication de la femme s’est fait sentir avec une force aussi intense que celle plus ancienne de l’homme et nulle part avec une plus grande éloquence que dans l’art de la musique. Si des compositeurs femmes ont existé dès l’origine de la musique moderne, il est certain qu’un nombre restreint du sexe a tenté sérieusement jusqu’à ce jour de rivaliser avec nos musiciens mâles pour cultiver les formes les plus sublimes et les plus exigeantes de l’art musical. Au dix-septième siècle Francesca Caccini, fille de Giulio Caccini, célèbre chanteur et compositeur des Nuove Musiche, avait écrit des opéras dans le style de son père et, depuis ce temps, l’histoire de la musique a pu enregistrer la production de nombreux opéras, oratorios, cantates, symphonies et ouvertures de compositeurs femmes. Mais au dix-huitième et même à la fin du dernier siècle, un opéra ou une symphonie étaient réputés chose moins ardue qu’à notre époque, de sorte que le voile de l’oubli qui entoure si complètement les femmes compositeurs de l’art des premiers temps nous permet de conclure sans témérité que leurs œuvres étaient d’une valeur légère et sans vitalité. De nos jours, nos « compositrices » se sont vouées à leur art d’une manière sérieuse et plus savante et parmi elles beaucoup ont acquis une réputation qui semble devoir survivre à leur temps. En France, Augusta Holmès, en Allemagne, Ingeborg von Bronsart et plusieurs autres, en Amérique, Amy Beach ont mérité les éloges des critiques même le moins disposés à admettre la femme au partage du privilège exercé par l’homme dans l’art musical. En Angleterre, Ethel Smyth est le chef incontesté des compositeurs femmes et j’espère ne pas être taxé de partialité en réclamant pour elle le fleuron de premier compositeur femme du monde entier. Ethel Mary Smyth est née à Londres le 23 avril 1858. Son père était le général J.-H. Smyth, du corps de l’artillerie royale, et sa mère, de qui elle hérita sa vocation naturelle musicale, avait nom Struth. Dès ses premières années, Ethel Smyth montra une aversion marquée pour la vie pleine de douce monotonie de la jeune fille anglaise. Sa nature l’élevait bien au-dessus de la devise classique de la vraie ménagère. « Domum tenuit, lanam fecit, elle gardait la maison et filait de la laine. » Dès son enfance, elle pratique avec ardeur les jeux et les sports virils. De nos jours, le jeu de cricket, de hockey et même le jeu de foot ball font partie de l’éducation officielle d’une jeune anglaise et servent à donner satisfaction à un besoin d’activité musculaire. Mais, il y a quarante ans, il était rare que les jeunes ladies se livrent à un exercice plus animé qu’une calme partie de jeu de croquet. Ethel Smyth possédait peu d’inclination pour se plier aux règles qui régissent son sexe : elle ne se plaisait qu’aux jeux de force et d’adresse. On rapporte aussi qu’elle avait coutume d’accompagner son père à travers la campagne, le fusil sur l’épaule, causant un grand carnage des faisans et des perdrix qui peuplaient les bois et les champs paternels. Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/44 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/45 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/46 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/47 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/48 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/49 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/50 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/51 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/52 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/53 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/54 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/55 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/56 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/57 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/58 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/59 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/60 Page:Musiciens Anglais Contemporains, Streatfield-Pennequin.pdf/61 de haute valeur à ses confrères musiciens français. Je suis convaincu que les compatriotes de madame Augusta Holmès porteront un sympathique intérêt à la carrière de cette autre femme compositeur à qui son talent et sa force de volonté ont permis de franchir avec éclat la limite réservée à son sexe. [ornement à insérer] Caccini (Francesca). Chanteuse italienne, compositeur et poète. Née à Florence en 1581. Auteur de La Liberazione di Ruggiero (1625) et de Rinaldo Innamorato, opéras ; de chants à une ou plusieurs voix (1618) ; de poèmes en langue latine et toscane. La date de sa mort est inconnue. Caccini (Giulio) (1546-1615). Auteur de recueil de canzoni, de madrigaux à voix seule et de monodies ou chants à l’unisson appelé Nuove Musiche. Il se faisait nommer Giulio Romano et on le considère comme un des plus anciens promoteurs des principes dramatiques de Richard Wagner. Holmès (Augusta). Née à Versailles, en 1850, de parents irlandais ; morte à Paris, en 1903. Élève de Saint-Saëns et de César Franck. Auteur de Héro et Léandre, Astarté, Lancelot du Lac, La Montagne Noire, opéras ; les Argonautes, Andante pastoral, suite d’orchestres ; Andromède, poème symphonique ; la Vision de la Reine, cantate, etc. Bronsart (Ingeborg von) née Stark. Née à Saint-Pétersbourg, 24 août 1840, de parents suédois. Élève de Martinoff, Decker, Henselt et Liszt. Auteur de Jery und Bately, Koenig Hierne, opéras ; Concerto pour piano avec orchestre ; Série de chants, etc. Beach (Amy Marcy) née Cheney. Née à Henniker (New Hampshire), le 5 septembre 1867. Messe en mi bémol (1892), Rose of Avontown et Minstrel and the King, cantates ; Sonate pour violon (op. 34), etc. Voir Dictionnaire biographique des Femmes Compositeurs de musique, Women Composers, par Otto Ebel. Chandler, éditeur. Brooklyn (N. Y.). Traduit en français par Louis Pennequin. Paul Rosier, éditeur à Paris. 1 vol. in-16. Citation d’une épitaphe latine. |
Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 3 (éd. Robin).djvu/17 | {{nr||NOTICE|{{rom|vii}}}}du ''Phédon'', du ''Banquet'' et de la ''République'', et qu’en même temps il présage et définit l’avenir. L’erreur de Schleiermacher a été de s’imaginer une telle anticipation figeant, pour cinquante ans au moins, la pensée de Platon dans un moule préfiguré. Or les développements méthodologiques ou doctrinaux que le ''Phèdre'' anticipe sont au contraire tout proches, et le programme ou le plan qu’il en trace est pour être réalisé dans la dizaine d’années qui suit. En plaçant ainsi le ''Phèdre'' après le ''Banquet'' et la ''République'', je suis amené à le rapprocher du ''Théétète'' : ce sont des dialogues du même type et qui semblent devoir se situer à peu près de même, tant par rapport aux dialogues de la maturité qu’à ceux de la vieillesse.
Le ''Théétète'' est d’un charme exquis dans le mouvement du dialogue et dans la façon dont il s’engage ; s’il est, comme on le pense assez généralement, un peu postérieur à 369, il atteste chez un homme qui ainsi toucherait à la vieillesse une merveilleuse intensité de vie, un irrésistible entrain de la pensée ; à côté d’une polémique serrée, pressante non sans causticité, on y trouve une méditation, vibrante d’enthousiasme, sur ce modèle divin qu’il faut s’efforcer d’imiter, une imprécation vengeresse contre le modèle humain loin duquel on doit s’écarter. Du ''Phèdre'' ou du ''Théétète'', lequel placera-t-on le premier ? En faveur de l’une ou l’autre solution on ne présumerait rien que de fragile. Ce qui importe surtout d’ailleurs, c’est de souligner la signification du rapprochement conjecturé. Dans le ''Théétète'', Platon suppose la rencontre de Socrate jeune avec le vieux Parménide et avec Zénon ([[Théétète (trad. Diès)#CUF183e|{{lié|183 e}}]]) : fiction sur laquelle est construit le ''Parménide''. Que celui-ci soit ou non antérieur au ''Théétète'', à tout le moins y a-t-il dans ce dernier ([[Théétète (trad. Diès)#CUF180d|{{lié|180 d}}-{{lié|181 b}}]], [[Théétète (trad. Diès)#CUF184a|{{lié|184 a}}]]) une intention déclarée de disjoindre l’Éléatisme de toutes les autres doctrines philosophiques pour en faire l’objet d’un examen spécial ; il y a même l’annonce d’un essai de synthèse, qui se fera autant aux dépens de l’Éléatisme que de ce qui s’y oppose. Or c’est ce qui sera réalisé par le ''Sophiste'' et, pour autant qu’il définit les rapports de l’Un et du Multiple, par le ''Philèbe''. De plus, en distinguant comme il le fait sensation et science, le ''Théétète'' détermine, au moins négativement, à quelles conditions il peut exister un vrai savoir concernant les phénomènes de la nature, objets de la sensation ; ainsi il serait comme une préface épistémologique au ''Timée''. Enfin, si les difficultés du problème
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Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/117 | {{nr||VICO ET SON ÉPOQUE.|113}}{{tiret2|ré|gularité}} scientifique de son histoire de l’autorité, il rejetait parmi les mythes l’existence de Romulus, et commençait cette critique qui finit par trouver une légende populaire dans l’histoire des rois de Rome.
Ici se termine le long travail du ''Droit universel''. De tant de faits rapportés à l’histoire de Rome résultait l’uniformité de toutes les histoires. Vico saisit ce principe dans la ''Science nouvelle'', dès-lors une grande révolution est accomplie pour lui, et il laisse tomber un regard de compassion superbe sur la foule des philosophes et des érudits. Qu’ont fait Grotius, Platon, tous les philologues ? L’un n’a été qu’un véritable démolisseur du droit des gens ; il a critiqué la jurisprudence romaine, parce qu’il ne l’a pas comprise ; les philosophes ont voulu régénérer les hommes, comme si leur mission d’un jour pouvait troubler le cours de l’autorité ; quant aux philologues, ils ont recueilli des dates, les traditions, les faux bruits de l’antiquité, comme si c’était de l’histoire. Posez au milieu de cela le type de l’histoire idéale, il va devenir le ''criterium'' de toutes les vérités, de toutes les traditions ; il fera justice des prétentions de la philosophie et des rêves de la philologie.
Il est inutile de dire que l’histoire idéale n’est qu’une pâle image de l’histoire romaine : elle parle la langue des {{rom|XII}} tables et celle de Tacite ; seulement elle a oublié quelques noms propres et quelques localités. Nous nous bornerons donc à la voir aux prises avec les derniers problèmes qui se présentèrent à Vico.
{{rom-maj|i}}. Il y a des traditions qui rattachent à un peuple, aux Grecs, aux Égyptiens, la civilisation des autres nations ; ce sont des démentis à l’histoire idéale qui doit se réaliser tout entière dans chaque nation. Comment conserver l’intégrité du type éternel si la religion de Jupiter a été transmise par les Égyptiens aux Grecs et aux Italiens ? tous ces Hercule, répond Vico, ces Mercure, ces Jupiter qu’on trouve chez les peuples d’Occident, et qui semblent dériver d’une même origine, ne sont que des symboles originels, ils se ressemblent parce que toutes les histoires et toutes les langues se ressemblent, mais ils n’ont passé d’un peuple à l’autre qu’à l’époque où le commerce a montré aux nations les mystérieuses analogies de leurs traditions populaires. Il y a eu alors des historiens, des poètes qui ont voulu s’expliquer ces analogies, et l’on a imaginé les voyages d’Énée, d’Hermès, de Bacchus, etc., qui ont rattaché à l’Égypte, à la Grèce et à d’autres nations l’origine de la civilisation.
{{rom-maj|ii}}. On attribue d’ordinaire l’origine des lois et des arts à des philosophes et à des législateurs : en effet, dans l’antiquité on voit {{tiret|Pytha|gore,}}
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Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/549 |
{{il}}
— Et vraiment on ne sait qui en est l’auteur ? On ne le sait pas même à la ''Revue ?''
Cette question est posée au conférencier en vogue, La Baudraye, par deux ou trois dames à la fois.
C’est un jeudi, le jeudi de {{Mme}} de Vende, et La Baudraye en fait les délices, appuyé au marbre de la cheminée, dans une attitude élégante qui appartient à lui seul, son chapeau et ses gants d’une main, gesticulant de l’autre avec discrétion.
— Mesdames, si le secret est connu, il est bien gardé, mais je crois sincèrement qu’on l’ignore. Tout ce que j’ai pu apprendre, c’est que le roman est d’une dame, d’une jeune fille qui ne s’est pas montrée, qui n’a pas livré son nom.
— D’une jeune fille ! s’écrie la galerie incrédule.
— Vous ne voulez pas ? Eh bien ! mesdames, je serais sans trop de peine de votre avis, ce ne peut être là, comme on cherche à nous le faire accroire, une œuvre de début. J’y trouve, au contraire, les marques de l’expérience qui se déguise. Cette ingénuité quasi anonyme pourrait bien sortir de quelque plume fort exercée qui veut se renouveler sur le tard, changer de genre, prouver sa virtuosité. Figurez-vous ''l’Abbé Constantin'' sans signature...
— Mais, monsieur La Baudraye, c’est tout le contraire, interrompit {{Mme}} de Vende. ''L’Abbé Constantin'' veut être un livre vertueux et ''Brusque Réveil'' n’y a aucune prétention... Il est plein d’audaces incroyables, quoique la jeunesse et l’innocence percent malgré tout.
— L’ingénuité peut être affectée comme autre chose, déclara {{Mme}} des Garays. Je suis de ceux qui voient dans ''Brusque Réveil'' beaucoup de savoir-faire et un peu de perversité. Qu’est-ce que ces demoiselles ont à rire ? reprit-elle en interpellant sa fille et Claire de Vende qui, d’abord assises à l’écart, s’étaient rapprochées peu à peu.
— Nous causions entre nous, maman.
— Au fait, pourquoi donc avez-vous ri ? Est-ce que vous l’avez lu, ce ''Réveil'' ? demanda tout bas Claire. On ne me permet pas la ''Revue'' à moi. Je la connais pourtant, parce que les conversations du jeudi roulent toujours sur tel ou tel article du dernier nu-
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Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/260 | cents mètres en aval du pont de pierre, sans être effondré complètement, était coupé, démoli, obstrué, impraticable. Flourens n’aurait pu s’y engager, pas plus du reste que ne songèrent à l’utiliser, pour se sauver dans la direction de Bezons et Colombes, pour regagner Paris coupant la presqu’île de Gennevilliers par le pont d’Asnières, les bataillons de Bergeret et de Flourens, dispersés sous les obus du Mont-Valérien, pourchassés par les cavaliers de Gralliffet et de Preuil. L’un des historiens de la Commune, généralement fort exact, {{M.|Fiaux}}, raconte que « Flourens est rejeté avec une partie des siens dans Chatou, où, ne pouvant rallier ses soldats, il est obligé de chercher un refuge dans une auberge ». Comment {{M.|Fiaux}} a-t-il pu s’expliquer la traversée de la Seine accomplie par Flourens et Cipriani, lorsqu’il constate, quelques lignes plus haut, dans son récit que « le matin, vers huit beures, après avoir occupé la gare de Rueil, {{formatnum:1.500}} gardes nationaux environ s’étaient dirigés sur Chatou. ''Le pont ayant été coupé'', le mouvement en avant s’était interrompu et quelques gardes seulement avaient passé la Seine ''en bateau'' ». Ce bateau resta pour le retour amarré sur l’autre rive, mais les malheureux gardes nationaux isolés furent fusillés sur place par Galliffet. Aucun batelier ne fut signalé comme ayant passé Flourens. Celui-ci n’a pu traverser la rivière en barque : il est resté sur la rive gauche, où il a été surpris et tué. C’est sur le quai de halage, entre les deux ponts de Chatou (pont de pierre et pont du chemin de fer), mais sur le territoire de Rueil, à l’endroit où est établi aujourd’hui le dépôt de charbons de la maison Domage-Louesse, qu’il a cherché asile.
Là se trouvait une petite guinguette avec tonnelle et cour étroite ou jardinet sur le devant, fréquentée par les pêcheurs et les gens de la marine. Elle n’était pas installée au bord
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Annales de mathématiques pures et appliquées, 1824-1825, Tome 15.djvu/103 |
{{SDT}}
{{t3|''Démonstration du dernier des théorèmes énoncés<br /> à la page''{{lié}}392 ''du XIV.{{e}}{{lié}}volume des'' Annales '';''}}
{{c|{{M.|{{sc|Stein}}}}, professeur de mathématiques au gymnase<br />de Trèves, ancien élève de l’école polytechnique,|fs=110%|m=1em}}
{{c|Et {{M.|{{sc|Querret}}}}, ancien chef d’institution.|fs=110%|m=1em}}
{{SA|''{{Initiale|T}}HÉORÈME. Soit un polygone plan quelconque, dont les sommets consécutifs soient <math>\mathrm{A,B,C,\ldots L,M,N}\,;</math> et soient respectivement <math>\mathrm{A',B',C'},\ldots</math><math> \mathrm{L',M',N'}</math> les milieux des côtés consécutifs <math>\mathrm{AB,BC,CD,\ldots LM,MN,NA.}</math> Soient en outre <math>d,e,f,\ldots</math><math>l,m,n</math> les milieux respectifs des diagonales <math>\mathrm{BD,BE,BF,\ldots BL,BM,BN.}</math>''}}
''Par les points <math>d,e,f,\ldots l,m,n</math> soient menées des parallèles à une droite fixe, de direction arbitraire. Soient me+ nées ensuite <math>\mathrm{B'C',}</math> coupant la première de ces parallèles en <math>d',</math> puis <math>\mathrm{D}'d',</math> coupant la seconde en <math>e',</math> ensuite <math>\mathrm{E}'e',</math> coupant la troisième en <math>f',</math> et ainsi du reste, jusqu’à ce qu’on soit parvenu à mener <math>\mathrm{N}'n',</math> coupant en <math>a'</math> la parallèle conduite par <math>\mathrm{A'.}</math> Si alors, entre les parallèles à la droite fixe, conduites par <math>\mathrm{A}</math> et <math>\mathrm{B},</math> prises pour directions de côtés opposés, on construit un parallélogramme, dont les deux autres côtés opposés, de direction d’ailleurs arbi-''
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Annales de mathématiques pures et appliquées, 1824-1825, Tome 15.djvu/264 | au moins du ''m''.{{e|me}}{{lié}}ordre ; donc toutes les fois que le lieu cherché sera d’un ordre inférieur au ''m''.{{e|me}}, il devra nécessairement se confondre avec la circonférence <math>\mathrm{(C)}.</math>
Mais, d’un autre côté, il est connu que la longueur de la perpendiculaire abaissée d’un point sur une droite est une fonction linéaire des coordonnées de ce point ; d’où il résulte que le lieu des points, du plan d’un polygone régulier desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions des côtés de ce polygone, la somme des ''n''.{{e|mes}}{{lié}}puissances des longueurs de ces perpendiculaires est une quantité donnée, ne saurait être qu’une ligne du 2.{{e|me}}{{lié}}ordre au plus ; donc, toutes les fois qu’on aura <math>n<m,</math> ce lieu devra se confondre avec la circonférence <math>\mathrm{(C)}.</math> On a donc ce théorème assez remarquable :
''THÉORÈME. Le lieu géométrique des points du plan d’un polygone régulier, desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions de ses côtés, la somme des puissances semblables d’un degré donné quelconque des longueurs de ces perpendiculaires est une grandeur constante donnée, est nécessairement une circonférence concentrique au polygone dont il s’agit ; toutes les fois du moins que l’exposant de la puissance est inférieur au nombre des côtés de ce polygone.''
Or, il est connu que toute fonction symétrique entière et rationnelle de plusieurs quantités est exprimable en sommes de puissances semblables de ces mêmes quantités, dont le degré n’excède jamais le nombre des dimensions de la fonction dont il s’agit ; on peut donc à ce théorème substituer le suivant, beaucoup plus général.
''THÉORÈME. Le lieu géométrique des points du plan d’un polygone régulier, desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions de ses côtés, une fonction symétrique rationnelle et entière de forme quelconque des longueurs de ces perpendiculaires est une quantité constante, est une circonférence concentrique au polygone dont il s’agit ; toutes les fois du moins que le nombre''
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Le Peuple du Pôle/Texte entier | Charles Derennes Le Peuple du Pôle Société du Mercure de France, 1907 (p. 7-230). bookLe Peuple du PôleCharles DerennesSociété du Mercure de France1907ParisCCharles Derennes Le peuple du pôle 1907.djvuCharles Derennes Le peuple du pôle 1907.djvu/17-230 Ceci n’est qu’une manière de préface et, dans les chapitres qui suivront, ce n’est pas moi qui raconterai l’histoire. Mais comme les révélations que contient ce livre vont à l’encontre d’un vieux préjugé de l’orgueil humain, il serait de ma part présomptueux de ne point craindre que le premier mouvement ne portât le public à ne voir dans le Peuple du Pôle qu’une imagination de poète ou un jeu de romancier. Je veux donc avant tout indiquer mes sources, exposer d’où vient le récit et de qui je le tiens. Au reste, je ne demande point qu’on l’accepte, de prime abord, les yeux fermés ; je me tiendrai pour satisfait si les lecteurs partagent les sentiments successifs que j’éprouvai moi-même et qui furent l’incrédulité, puis la stupéfaction, puis la persuasion que ce que je venais de lire était possible, puis la certitude qu’il n’existait pas de raison d’en douter. Il est un axiome qu’il faut énoncer avant d’aller plus loin puisqu’il marque dans mon esprit le point de départ de la dialectique à laquelle il conviendrait qu’on se conformât : c’est que nous prononçons avec quelque mépris les mots d’extraordinaire et d’inadmissible à propos de réalités que les progrès de l’intelligence et de ses moyens d’investigation nous permettront demain peut-être d’observer expérimentalement. Il est sûr qu’à chaque instant tous les savants et même tous les hommes frôlent dans l’ombre de leur fatale insuffisance une des innombrables vérités qui semblent chercher consciemment à les fuir ; pour se rendre maîtres de l’une d’elles, il leur eût suffi sans doute, bien souvent, d’un rien. L’humanité s’avance, mais s’avance au hasard, et les horizons les plus imprévus, brusquement, se dévoilent ; des hypothèses qu’on osait à peine échafauder dans le secret du rêve se transforment soudain en faits objectivement incontestables. Ce serait peut-être assez, par exemple, d’un infime accroissement de nos moyens d’observation télescopique ou microscopique pour que, du jour au lendemain, la science, les religions et la morale fussent bouleversées. Je me trouvais au mois de septembre de 1906 à Sainte-Margaret’s Bay, village du comté de Kent, situé sur la côte du Pas de Calais, à six milles de Douvres. J’y étais venu avec l’intention d’écrire, dans la paix d’un pays que ne profanent pas encore des hordes trop nombreuses de touristes, une étude sur L’automobile et l’âme moderne. Mon travail étant à peu près terminé, je n’attendais plus pour rentrer à Paris que l’arrivée de mon illustre ami, Louis Valenton, professeur au Collège de France, membre de l’Institut. Au retour d’une longue et pénible mission paléontologique dans l’Asie du Nord, il devait prendre quelques jours de repos à Sainte-Margaret’s Bay et il était entendu que, de là, nous regagnerions la France de compagnie. Le 20 au soir, je reçus un télégramme m’avertissant qu’il venait de débarquer à Liverpool. Le lendemain, je vis s’arrêter devant l’auberge où je logeais deux chariots chargés de malles, puis, quelques minutes après, Louis Valenton en personne descendit d’un antique cabriolet de louage. Louis Valenton n’est pas seulement un savant d’une compétence indiscutée, c’est aussi un homme de goût, un artiste sensible à la beauté des paysages et qui trouve pour les vanter et les décrire des mots que bien des poètes lui envieraient. Aussi, dès le lendemain de son arrivée, il ne se contenta pas de me montrer les échantillons paléontologiques qu’il avait découverts, il me raconta ses voyages à travers les forêts de pins de la Sibérie, il me dit les immenses plaines enfouies presque toute l’année sous un linceul de neige, les paysages de désolation où avaient peine à végéter de maigres mousses et où la voix éternelle du vent était la seule chose vivante, les ravines aux flancs desquelles de formidables éboulis de rocs bleuâtres semblaient suspendre sur ceux qui s’aventuraient en ces parages la menace continuelle de leurs chutes ; il me dit les avalanches soudaines dont les échos des vastes solitudes faisaient retentir le fracas à l’infini et les cavernes qui gardaient encloses dans leurs profondeurs des ténèbres vieilles de mille siècles et où, avant de déterrer les trésors scientifiques des vestiges fossiles, il avait été obligé, parfois, de soulever un amoncellement de carcasses rongées la veille par les ours ou les loups... L’expédition avait été féconde. En plus de squelettes bien conservés d’animaux disparus dont on n’avait jusque-là possédé que des débris insignifiants, il rapportait les os d’un être qu’on n’avait encore ni entrevu ni pressenti, et dont la découverte devait avoir d’inappréciables conséquences pour les historiens de l’évolution des espèces. Il ouvrit une caisse et en tira des os soigneusement empaquetés, numérotés et luisants sous la couche de blanc de baleine dont il les avait badigeonnés en les retirant du sol pour éviter leur pulvérisation rapide. Puis, accroupi sur le parquet, il reconstitua le squelette, rapidement, comme font les enfants avec les jeux de patience qui, à la longue, leur sont devenus familiers. Quand ce travail fut terminé, j’eus peine à retenir un cri de stupéfaction tant la bête avait une curieuse apparence humaine, et je m’écriai un peu étourdiment, rappelant mes souvenirs du collège et certains articles feuilletés dans les revues : — L’anthropopithèque ! Valenton sourit et secoua la tête négativement. — Non, dit-il, ce n’est pas là l’être théorique à l’aide duquel, faute de mieux, nos savants ont essayé de combler l’abîme qui reste toujours béant entre les singes anthropomorphes et la primitive humanité !... Sans doute les pattes postérieures et la colonne vertébrale sont disposées de telle manière qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute la possibilité d’une station verticale à peu près parfaite ; sans doute la boîte crânienne est beaucoup plus développée que chez les gorilles et même que chez certaines peuplades sauvages... Mais regardez d’un peu plus près ce squelette, considérez ce cou d’une longueur démesurée, ces dents coniques et aiguës, cette articulation de l’épaule qui ne permet pas au bras de se mouvoir autrement que dans le sens vertical, ces pattes antérieures qui se plient à l’inverse du bras humain, comme les pattes d’un chien qui nage, ces mains (j’emploie ce mot, faute de mieux) munies de six doigts peu préhensifs et probablement reliés entre eux par des membranes, cette queue énorme en forme de nageoire et, enfin, les os du bassin, si étroits, si peu humainement conformés, — et vous comprendrez qu’il ne s’agit plus du fameux ancêtre de l’homme, mais d’un reptile amphibie, hôte des marais ou des mers tertiaires et probablement ovipare... Valenton se dirigea vers la caisse et en retira des fragments de calcaire qu’il me tendit : — Tenez, ajouta-t-il, regardez les empreintes laissées sur les rochers où reposèrent les os de l’animal : il n’avait pas de poils et sa peau devait ressembler étrangement à celle des lézards, telle qu’elle nous apparaît sous le grossissement de la loupe. Il se tut un instant, puis reprit : — Au début j’ai commis moi-même une erreur analogue à la vôtre ; j’ai appelé cet animal pithécosaure... Vous savez que les mammifères sont, comme les oiseaux, les descendants des grands sauriens primitifs, des iguanodons, des mégalosaures, des plésiosaures ? Eh bien, après un examen sommaire il me semblait que le pithécosaure devait être au premier singe ce que le ptérodactyle est à l’archéoptéryx... À présent, j’ai donné à cette bête un autre nom... Je demandai, d’une voix émue, presque haletante sous l’effet de l’angoisse qui m’étreignait au pressentiment d’une révélation énorme : — Lequel ? — L’anthroposaure, répondit Valenton. Oui... Et vous comprenez ce que représente le mot anthropos dans ce nom composé ; il n’est pas là pour indiquer une similitude physique qui, comme je vous le faisais remarquer tout à l’heure, est toute superficielle ; il est là, faute de mieux, — l’intelligence et la raison étant sur la terre les attributs exclusifs de la race humaine, — pour indiquer que la bête était à quelque degré intelligente et raisonnable, indubitablement. Il appuya sur ce dernier mot, le répéta, prit entre ses mains le crâne qu’il considéra avec attention, puis : — Cuvier, dit-il, avait reconstitué dans leur ensemble certains animaux disparus, après l’examen d’un membre ou d’une mâchoire, et, par la suite, la découverte du squelette complet de ces animaux a démontré presque toujours l’exactitude de ces reconstitutions... Eh bien, je dis, moi, je dis qu’il suffit de regarder ce crâne, de mesurer cet angle facial pour déduire avec une quasi certitude qu’une certaine raison, une certaine intelligence, les premiers éléments d’une religion, d’une morale, d’une existence socialement organisée sont les conséquences de ce crâne-là ! — Alors, m’écriai-je, l’intelligence aurait précédé l’homme sur la terre ? — Non, répondit Valenton, cet animal est contemporain des premiers hommes, et l’intelligence humaine et l’intelligence... anthroposaurienne on dû, à une époque, exister concurremment. Tenez, il est une comparaison qui me semble rendre assez bien compte de la façon dont les espèces évoluent, se transforment et sortent les unes des autres : imaginez une famille possédant une maison dans un pays fertile. Les champs qu’elle possède la nourrissent, nourrissent les premiers enfants et encore peut-être les enfants de ces enfants ; mais la race se multiplie, le domaine ne lui suffit plus, et, bientôt, force est aux nouvelles générations d’aller chercher fortune ailleurs. Ces hommes deviennent alors ce que la nature de leur patrie d’adoption veut qu’ils soient ; si le pays est, par exemple, couvert de forêts difficiles à défricher et peuplées d’animaux, ils sont chasseurs et non plus agriculteurs comme leurs frères et cousins demeurés au berceau de la race... Ainsi, délaissant les marais primitifs où vivaient les monstrueux sauriens des vieux âges, certaines espèces ont peu à peu gagné la terre ferme, se sont couvertes de poils, et c’est d’elles que sont sorties les races des mammifères. Mais les espèces fraternelles qui étaient restées dans les marais n’en continuaient pas moins à se tranformer dans le sens du progrès, et, dès lors, qu’y a-t-il d’étonnant à ce que l’une d’elles ou plusieurs d’entre elles, soient parvenues, comme l’espèce humaine, jusqu’à la possession d’un cerveau doué de raison et d’intelligence, point culminant du progrès qu’il nous est permis de concevoir pour un être vivant ? Je me revois, quelques minutes plus tard, poursuivant cet entretien avec Valenton sous la petite tonnelle de l’auberge, devant le thé qui fumait dans de rustiques tasses de faïence blanche et bleue. Des vols de mouettes glissaient au ras de la mer que plissait à peine une insensible brise ; sur les falaises de craie laiteuse que couronnaient de vertes prairies, de gais cottages s’alignaient à gauche et à droite, le long de la côte, et tout là-bas un petit steamer, — point noir empanaché de fumée, — disparaissait dans la direction de la France. Ce soir-là était le plus paisible et le plus doux des soirs de la terre ; mais comme j’étais loin de toute cette familière réalité ! Mon esprit avait remonté le cours des âges ; j’imaginais, dans un décor de gigantesques fougères, au bord des marais où grouillait une vie tumultueuse, sous le vieux ciel terrestre tout imprégné encore d’humidité et de chaleur, les étranges créatures que la découverte de Valenton m’avait révélées ; et il me semblait voir les premiers hommes, velus, énormes, cruels, armés de pierres tranchantes, s’avancer sournoisement vers les anthroposaures avec le désir obscur d’anéantir cette race rivale. — Car, disais-je, nous ne pouvons plus admettre aujourd’hui que si l’homme est sur la terre le roi de la création, ce soit une royauté de droit divin ; cette royauté il l’a obtenue par droit de conquête... Des diverses espèces intelligentes ou portant en elles la possibilité de l’intelligence qui existèrent à un moment sur notre planète, il fallait que l’une triomphât, et ce fut la nôtre... Mon esprit s’ébrouait, galopait comme un poulain en liberté sur le champ prodigieusement nouveau qu’on avait soudain ouvert devant lui ; une foule d’idées et d’images apparaissaient pêle-mêle, dans leur richesse confuse, au hasard de cette course ; des mythes s’éclairaient, des êtres légendaires s’expliquaient ; je comprenais à présent ce qu’avaient été les ondins et les sirènes ; dans l’histoire d’Abel et de Caïn, je ne voyais plus que le symbole de la lutte à la suite de laquelle l’Homme-Caïn, avait immolé à son désir de domination absolue l’Anthroposaure-Abel... Et je parlais, et je parlais, et ma voix devenait d’instant en instant plus exaltée et fiévreuse... Alors, Valenton me mit en souriant la main sur l’épaule et m’avertit, d’un ton légèrement railleur, que j’allais tout de même un peu trop loin : — Mon cher ami, en ce moment vous vous égarez en pleine fantaisie... Il me semble pourtant que, de l’existence de l’anthroposaure, il est facile de tirer des conclusions qui sont, scientifiquement, plus intéressantes. On a le droit de dire, par exemple, qu’au lieu d’un roi de la création sur la terre, il aurait pu y en avoir deux ou plusieurs, si les espèces avaient vécu assez séparées l’une de l’autre pour ne point se porter ombrage ; ainsi Christophe Colomb, en découvrant l’Amérique, aurait pu y rencontrer, au lieu d’une nouvelle race humaine, des êtres entièrement différents de l’homme et pourtant raisonnables et intelligents comme lui, ayant comme lui leurs villes, leurs lois, croyant comme lui en Dieu ou, plus tôt que lui, décidés à n’y plus croire... — Oui, dis-je, mais, maintenant, il ne reste plus une parcelle de notre étroite Terre qui ne nous soit connue ; force nous est d’être assurés que la victoire de l’homme a été brutale, définitive, et que, s’il existe des êtres intelligents et pourtant d’une structure physique différente de la nôtre, il faut nous résigner à les imaginer dans un autre monde de l’espace... dans la planète Mars, par exemple... Et j’ajoutai en ricanant assez bêtement : — Ah ! Ah ! dans la planète Mars... Voilà une belle occasion de reparler de ces fameux Marsiens !... Valenton me regarda bien en face et me dit, très sérieusement : — Voyons, réfléchissez à ce que vous dites : êtes-vous bien sûr que toute la Terre nous soit connue ?... Et les abîmes de la mer ?... Et, — surtout, — les immenses pays qui s’étendent au delà des banquises polaires ?... D’autre part, vous êtes suffisamment familier avec les méthodes scientifiques pour savoir qu’il est encore plus vain, devant l’inconnu, de nier que d’affirmer, puisque, quand il s’agit de faits qui ne sont pas encore expérimentalement observables, nous pouvons arriver, sinon à des certitudes, au moins à des possibilités fondées sur des raisonnements inductifs... — Les anthroposaures, ou leurs descendants, m’écriai-je soudain, existent encore quelque part !... Comment arrivai-je à avoir cette pensée avant que Valenton m’eût rien laissé pressentir de la conclusion où allait aboutir sa petite semonce ? Est ce que je devinais cette conclusion au son à la fois sérieux et triomphant de sa voix ? Est-ce qu’après avoir vu le squelette de ce singulier monstre des vieux âges et avoir appris ce qu’il était, je me trouvais préparé à accepter et même à attendre d’autres révélations encore plus extraordinaires ou inattendues ?... Je ne sais... D’ailleurs, je me hâte de dire que mon interruption avait été assez étourdie et ma conjecture assez inexacte. — Quel enfant vous faites, décidément ! dit Valenton ; vous allez d’un excès à l’autre avec une déconcertante désinvolture !... Non, il n’existe probablement plus d’anthroposaures, ni dans les abîmes de la mer, ni au Pôle, ni ailleurs... Mais quelque part il y a quelque chose... Il sortit d’une de ses poches, — toujours gonflées de brochures, de livres et de papiers, — une liasse épaisse qu’il me tendit : — Vous lirez cela, ajouta-t-il. J’ai rapporté de mon voyage autre chose que des os datant de milliers et de milliers d’années. Ces papiers étaient enfermés dans un objet bien moderne, dans un de ces bidons d’essences comme nos automobilistes en achètent chaque jour à la porte des garages !... Je dois vous dire que si j’avais trouvé cet objet dans un fossé de la banlieue de Londres ou de Paris, mon âme de paléontologue n’aurait pas prêté grande attention à cette banale modernité ; mais, là-bas, dans les glaces boueuses du rivage de l’Ialmal, vers les bouches de l’Ob, la rencontre ne laissait pas d’être imprévue... Ayant constaté que le bidon n’était pas vide, je l’adjoignis à mon bagage après un instant d’hésitation. Je crois que j’ai lieu de m’en féliciter... Sur le bateau qui me ramenait, je l’éventrai et j’en tirai les papiers que voici ; ils y avaient été glissés un à un, assez soigneusement numérotés, par l’étroite ouverture : je les ai sommairement classés et lus à la hâte... Non ! ne me demandez rien ; vous lirez ça... Il sourit un instant de ma curiosité impatiente, puis : — Vous lirez ça, et vous le publierez. Vous comprenez que, cet hiver, j’aurai assez de travail avec le montage de mes ossements fossiles et la rédaction de mon rapport... Comme vous voyez, vous me rendrez service... Sitôt rentré en France, je me suis mis au travail. Les feuillets couverts d’une hâtive écriture au crayon étaient par endroits horriblement difficiles à déchiffrer. Je pense toutefois avoir accompli ma tâche avec toute l’attention et toute la conscience désirables et offrir à mes lecteurs une transcription aussi satisfaisante que possible. Pour le reste, j’avertis ceux qui, une fois ce livre fermé, resteraient incrédules, que je tiens chez moi à leur disposition le manuscrit original et le bidon d’essence, tels qu’ils furent rapportés de l’Ialmal par M. Louis Valenton, membre de l’Institut, professeur au Collège de France. J’espère pour eux que l’honorabilité de mon illustre ami et la haute situation qu’il occupe dans le monde scientifique leur interdira de persister un instant de plus dans l’idée qu’ils se trouvent en face d’une vulgaire mystification. CHAPITRE i deux hommes, deux chimères Je m’appelle Jean-Louis de Vénasque. J’appartiens à une ancienne famille navarraise dont l’ancêtre fut compagnon du roi Henri IV, combattit à ses côtés à Arques et à Ivry et obtint plus tard, en récompense de ses services, le comté de Vénasque et la seigneurie d’Orio. Notre nom revient souvent dans les chroniques et même dans l’histoire de la vieille France. Il y a tout lieu de craindre qu’il ne disparaisse, après moi, non seulement, hélas ! de l’histoire, mais même des registres de l’état civil... Depuis la Révolution, la dernière branche existante de notre race a vécu avec le regret des splendeurs et des gloires passées dans notre château héréditaire d’Orio. J’y suis né le 4 avril 1872. Mon père avait alors près de quarante ans. Je le revois au fin fond des souvenirs de ma toute première enfance vêtu, été comme hiver, d’un costume de velours nankin à grosses côtes, coiffé de larges feutres, guêtré de cuir fauve et portant perpétuellement, en dehors des heures de ses repas et de son sommeil, un fusil en bandouillère. Je ne pense pas qu’il ait jamais connu d’autre plaisir que celui de la chasse, et je ne me rappelle pas l’avoir entendu dire plus de dix mots à la file sur un sujet autre que celui de ses exploits cynégétiques... Tout le long de l’an il parcourait nos domaines et les solitudes sauvages de la montagne, tuant indifféremment les corbeaux et les perdreaux, les renards et les lièvres, les ours et les contrebandiers. Dans les derniers temps, il en tenait pour les contrebandiers plus que pour tout autre gibier et ce fut, à n’en point douter, ce qui causa sa perte : un soir il ne rentra pas au château et on le trouva quelques jours plus tard étendu au bord d’un torrent, le visage à demi dévoré par les corbeaux et la poitrine trouée de deux balles. La vengeance pour s’être fait attendre n’en était pas moins venue. Il faut se méfier du gibier humain. Ma mère, personne pieuse et timorée, était d’origine modeste et mon père l’avait, dans le temps, épousée par amour ; après ce tragique événement, l’idée lui étant sans doute venue que son mari était mort sans confession, elle n’eut plus d’autre but que de sauver cette âme par la prière et se confina dans une dévotion méticuleuse. Les hobereaux du voisinage et surtout leurs femmes cessèrent de venir nous visiter quand le comte d’Orio ne fut plus là pour sauvegarder la dignité de la maison, car ils avaient toujours, dans leur société, considéré ma mère comme une intruse. Elle n’y prit pas garde, absorbée par ses pieuses pratiques, indifférente à tout et à moi-même. Je ne la voyais qu’aux heures des repas, où elle m’adressait à peine la parole. Deux vieux domestiques s’occupaient de ma personne, et j’étais libre de chercher mon plaisir où je croyais le trouver, à la condition de ne pas sortir du parc ; toutes les portes en demeuraient fermées à clef. On craignait, — avec raison du reste, — que les contrebandiers de la montagne ne poursuivissent leur vengeance sur le fils de leur ancien bourreau. Il faut imaginer, pour bien comprendre ma destinée, l’enfant que je fus ; il faut me voir éternellement enclos dans la double prison du parc verrouillé et d’un horizon étroit de montagnes. Je ne pense pas que personne au monde ait connu mieux que moi la signification du mot ennui, et subi, aussi complètement que je l’ai fait, certaines conséquences de cet état d’âme, Condamné à voir éternellement les mêmes objets, j’inventais, au delà du mur inexorable des montagnes, des contrées et des créatures merveilleuses parmi lesquelles mon esprit voyageait. Et il n’y avait qu’une conclusion possible à tous ces rêves : « Quand je serai grand, je partirai, j’irai voir ce qu’il y a dans les pays qui sont derrière les montagnes. » Ainsi se développa peu à peu en moi le besoin insatiable de l’aventure, et, lorsque les conditions de ma vie s’étant modifiées, je quittai enfin ma prison, ce désir s’était définitivement implanté en moi ; l’habitude de mes projets de voyages survécut à la cause qui me l’avait fait prendre. Il y eut mieux : comme la prison n’existait plus, je m’ingéniais à la voir partout avec l’inconscient dessein d’entretenir ainsi dans toute son ardeur mon désir d’évasion. Cela me fut facile entre les quatre murs du lycée où mon tuteur m’envoya, ma mère morte ; aussi avant même d’entrer dans la vie, j’étais bien sûr que je me considérerais éternellement comme un prisonnier, — prisonnier des villes et des pays où m’attacheraient mes désirs et mes goûts, l’amitié ou l’amour. — D’ailleurs, ayant lu des livres et fait mes études, je n’avais même plus la consolation d’imaginer en de lointaines contrées des choses nouvelles ou extraordinaires. Les hommes avaient tout visité, tout connu, violé les solitudes et raconté leurs voyages. Et c’était la Terre entière, cette Terre loin de laquelle on ne pouvait s’échapper en aucune manière, qui m’apparaissait à présent et pour toujours comme une immense prison. À quoi bon partir, à quoi bon visiter les pays dont j’avais tant rêvé jadis, puisque j’étais condamné à y marcher éternellement sur la piste des autres ?... — J’étais arrivé trop tard sur notre planète, le mystère était banni de partout. En pensant au destin d’un Christophe Colomb ou d’un Vasco de Gama, j’éprouvais dans le secret de mon cœur le plus atroce et le plus désespérant des sentiments d’envie. Et cette étrange maladie mentale s’aggravait tous les jours. Mon rêve, que je croyais alors irréalisable, avait pris en mon esprit une forme précise et d’autant plus cruelle ; il s’était, pour ainsi dire, cristallisé en quelques mots que je me répétais constamment : « Voir ce que les yeux humains n’ont jamais vu ! » Cela devenait l’idée fixe et la torture de tous mes instants. Dans ma maison, dans les rues, dans la campagne, j’avais perpétuellement cette atroce illusion que les regards posés sur les objets par les générations des hommes y étaient demeurés attachés comme des souillures, des souillures que je devinais, que je voyais presque ; rien ne me semblait frais, neuf et digne d’être considéré sans une sorte de dégoût, pas même le cœur de la fleur épanouie à l’aube, pas même la pointe du bourgeon qui vient de crever l’écorce, pas même le sourire d’un enfant... Des jours passèrent. Je n’avais ni parents ni amis et je vivais replié sur moi-même face à face avec ma hantise. Craignant de passer pour fou en révélant à quelqu’un les causes de ma tristesse, je ne m’étais jamais laissé aller à une confidence et, pendant dix ans, je fus seul à supporter le poids de mes pensées. Enfin, un jour, dans le café où me conduisaient quotidiennement le désœuvrement et l’ennui, je rencontrai par hasard Jacques Ceintras. Il avait été mon camarade, presque mon ami au collège, mais nous nous étions depuis longtemps perdus de vue. Nous causâmes. Après avoir banalement évoqué pendant une heure des souvenirs communs, nous nous abandonnâmes à de plus amicales confidences touchant nos existences présentes. Ceintras me raconta sa vie. En sortant de l’École Centrale, il s’était vu obligé, faute de fortune personnelle, d’accepter une place d’ingénieur, dans une aciérie des Vosges ; sa situation était bonne, son avenir assuré ; pourtant, il n’était pas heureux, il avait de tout temps rêvé autre chose... Je le regardais et, pendant qu’il répétait mélancoliquement : « J’avais de tout temps rêvé autre chose... » je me sentais entraîné vers lui par une brusque sympathie : lui aussi était un rêveur qui poursuivait vainement la réalisation de son rêve ! — Oui, continuait-il, il est une question qui m’a toujours préoccupé : celle de la conquête de l’air... Dès le lycée, j’esquissais sur mes cahiers des plans d’aéroplanes et de ballons dirigeables. J’espérais alors ne vivre plus tard que pour mener mes recherches à bonne fin. Et, tu vois, j’ai accepté provisoirementune existence qui m’accapare, qui ne me laisse pas une minute de liberté, et les jours succèdent aux jours, rien de nouveau n’arrive et, déjà, plein d’angoisse, je sens venir l’heure de la résignation, du renoncement définitif à des projets trop nobles et trop beaux ! Il se recueillit un moment, puis, plus calme : — D’ailleurs je me plains peut-être à tort ; il y a pour les inventions qui marquent un nouveau triomphe des hommes sur les lois de la Nature et de leur propre nature, des époques pour ainsi dire prédestinées ; plusieurs inventeurs, sans se connaître, aux divers coins d’un pays ou du monde, travaillent au même moment, dans le même but, en silence, comme si un mystérieux mot d’ordre avait été donné ; et, sur le nombre des chercheurs, il en est toujours au moins un assez favorisé pour pouvoir atteindre le but que tous se proposent. Les résultats auxquels les Santos-Dumont et les Juchmès sont arrivés devraient suffire à me consoler de n’avoir pas étudié et résolu personnellement la question... Mais il est dit que l’on ne peut être jamais satisfait ! À présent qu’il existe des ballons dirigeables, que les hommes savent naviguer à leur gré dans les airs, accrochés à de frêles bulles de gaz, j’ai entrevu une application possible de cette découverte et, jusqu’à ce qu’un autre la pressente et la réalise à défaut de moi, ce sera un nouveau regret, un nouveau tourment dans ma vie... — De quoi s’agit-il ? demandai-je. — D’atteindre l’un des Pôles en ballon dirigeable, répondit-il. Oui, c’est une entreprise que l’on pouvait considérer justement comme téméraire et chimérique du temps d’Andrée, lorsque les nefs aériennes étaient les esclaves du vent ! mais je suis persuadé que dès à présent celui qui se mettrait en route avec un ballon dirigeable, soigneusement construit et de sérieuses connaissances scientifiques aurait toutes les chances de réussir... Je crois bon de faire remarquer que ma rencontre avec Ceintras eut lieu exactement en février 1905 et qu’il n’avait pas encore été question, à cette époque, de l’expédition Wellmann... Ce fut donc véritablement pour moi une révélation ; l’horizon d’une possibilité merveilleuse se découvrit brusquement devant ma destinée et l’espoir qui m’avait fui depuis tant d’années revint me sourire. — Mon ami, m’écriai-je en serrant chaleureusement la main de Ceintras, je suis riche... Si tu veux, j’avance les fonds nécessaires aux expériences, à la construction de l’appareil, et nous partons ensemble vers le Pôle ! Il dut évidemment, pendant une minute, croire qu’il rêvait ou que j’étais fou ou qu’il était fou... Mais déjà je lui racontais ma vie, je lui dévoilais le mal dont je souffrais, et, bientôt je sentis la confiance naître en son esprit et je vis ses yeux étinceler de joie. — À combien, demandai-je, penses-tu que doivent se monter les frais de cette expédition ? Il dit un chiffre énorme, plus de la moitié de ma fortune. Mais que m’importait ? Imaginez un malade qui se croit perdu et à qui un médecin vient offrir une chance de guérison... Emporté par l’exaltation qui suit les bonheurs inattendus, je ne crois pas avoir pensé un seul instant aux difficultés matérielles de l’entreprise ; j’étais aussi sûr du résultat que si le ballon avait été construit, prêt à partir... Et j’étais sûr aussi qu’après avoir satisfait mon orgueilleux désir, après avoir contemplé la dernière des contrées vierges de la Terre, je ne souhaiterais rien de plus, que je pourrais guérir, vivre sans me faire l’esclave d’un nouveau rêve insensé, vivre comme le commun des hommes, vivre, enfin !... Et bénissant le hasard qui avait sauvé deux hommes en les mettant en présence, nous nous embrassâmes soudain, Ceintras et moi, sans souci du lieu où nous nous trouvions, sans penser à ce que cela pouvait avoir de grotesque dans l’esprit des spectateurs à qui nos grands gestes et nos éclats de voix n’avaient pas échappé et qui, sans aucun doute, nous croyaient ivres. Ivres, nous l’étions en effet, de joie et d’espoir, et c’est en titubant un peu que nous sortîmes du café, au milieu des rires, en nous donnant le bras... De toute la nuit nous ne nous quittâmes pas : nous fîmes des kilomètres le long des rues endormies sans éprouver de fatigue, la bouche et le cœur pleins de projets : dès le lendemain, nous devions nous mettre au travail !... Et nous parlions, et nous poursuivions au hasard notre marche hallucinée. Aux premières lueurs de l’aube, nous nous trouvâmes au sommet de Montmartre ; nous sortîmes de la nuit comme du plus beau des songes, d’un songe dont la réalité allait être le prolongement... Accoudés à la balustrade, devant le Sacré-Cœur, nous regardions les clochers, les dômes et les toits surgir de l’ombre peu à peu ; les derniers becs de gaz s’éteignaient, mais déjà leurs vacillantes clartés étaient remplacées par les reflets éclatants que les rayons du soleil allumaient çà et là sur les vitres ; enfin, la ville apparut toute entière, tandis que les dernières ombres s’évanouissaient en vapeurs roses et dorées, elle apparut, merveilleusement belle, aussi nouvelle à mes yeux que si quelque magicien l’avait de fond en comble rebâtie dans la nuit... Et ainsi, pour la première fois depuis des ans et des ans, ce fut d’un cœur radieux que je vis se lever l’aurore. CHAPITRE ii les cavaliers... Durant quelques jours je considérai Ceintras comme mon sauveur et Ceintras me le rendit bien ; mais, hélas ! il faut avouer que cette lune de miel de l’enthousiasme et de la reconnaissance dura peu. Je n’ai ni le désir ni le loisir de faire ici le procès de mon infortuné collaborateur. Je ne puis cependant pas oublier tous les tiraillements, toutes les disputes dont il fut cause et qui troublèrent ma vie durant la période des essais. Les déceptions qu’il avait éprouvées depuis quelques années avaient aigri son caractère, exalté son orgueil qui prenait perpétuellement toutes les apparences de la susceptibilité la plus ridicule. Ma vertu dominante n’a jamais été la patience et, à l’heure actuelle, un de mes plus grands sujets d’étonnement est que je n’aie pas renoncé à tout, même à l’espoir de guérir, plutôt que de supporter comme je l’ai fait durant des jours et des jours la compagnie forcée d’un être aussi parfaitement haïssable. Mais lorsque le destin nous entraîne à notre perte, nous franchissons avec une facilité surprenante et presque sans nous en apercevoir les obstacles que notre nature paraît dresser entre nos desseins et leur réalisation. Dès le début de mes relations avec Ceintras, en lui remettant les fonds, j’avais exigé de lui la promesse d’une discrétion absolue. Je tenais à ce que tous les préparatifs fussent accomplis en silence. Cette résolution était la conséquence de mes raisonnements à la fois biscornus et méticuleusement stricts de maniaque ; il me semblait que si les autres hommes avaient vent de notre tentative, le désir leur viendrait aussitôt de nous devancer. Nombreux me paraissaient devoir être, de par le monde, ceux qui souffraient du même mal que moi, et comme le remède n’existait pas en quantité suffisante, les contrées polaires restant les seules inexplorées de la terre, j’entendais bien me le réserver à moi tout seul. Naturellement, au début, Ceintras accepta cette condition ; il eût aveuglément accepté toutes les conditions que la raison ou la fantaisie auraient pu me pousser à lui dicter ; la reconnaissance gonflait son cœur dans la même mesure que les billets de banque gonflaient ses poches. Mais il ne tarda pas à se repentir de sa promesse et à faire des pieds et des mains pour en être délié. Quoi qu’il en eût dit le jour de notre rencontre, sa passion pour les découvertes scientifiques n’était pas inspirée par le seul souci des intérêts de l’humanité ; le désir de la gloire s’y mêlait pour une bonne part. Ceintras rêvait de reporters assiégeant sa porte, de son nom s’étalant en grosses lettres à la première page des journaux, de sa photographie reproduite par tous les magazines. Il finit par m’avouer naïvement cette ambition, et lorsqu’il comprit que j’étais bien décidé à ne pas lui permettre de la satisfaire, son désir se transforma en une hantise probablement aussi douloureuse que la mienne l’avait été. Il ne dormait plus, ne mangeait plus ; il parut même pendant quelque temps se désintéresser de ses travaux. Parfois, quand j’entrais à l’improviste dans son cabinet, je le voyais dissimuler certains papiers à la hâte ; par la suite j’en retrouvai plusieurs dans la corbeille : le malheureux, ne pouvant voir des articles élogieux imprimés sur son compte, en rédigeait lui-même où il parlait en termes enthousiastes de M. Ceintras, le jeune et brillant ingénieur qui se disposait à partir à la conquête du Pôle... J’imagine qu’il les apprenait par cœur et se les récitait ensuite les yeux fermés pour essayer de se faire illusion !... J’étais, comme de juste, effrayé par le retard que ce découragement et ces puérilités apportaient à l’exécution de nos projets. Je disais parfois à Ceintras aussi doucement et amicalement que possible : — Plus tôt nous serons partis, plus tôt nous reviendrons et plus tôt tu possèderas cette gloire à laquelle tu tiens tant ! Je n’ai pas l’intention de t’obliger à garder le secret quand nous serons de retour ! En général, il me répondait hargneusement : — C’est cela ! Ne laisse passer aucune occasion de me rappeler que je suis à tes ordres et à ta solde !... Avoue donc que tu es pressé d’en finir et que tu trouves que je te coûte cher... Et puis, tu sais, mon vieux, je suis pour les explications nettes : si tu te repens de ta générosité, tu n’as qu’à le dire, j’aimerai mieux ça | Et il s’en allait, haussant les épaules et faisant claquer les portes. De mon côté, également obsédé par une idée fixe, j’exerçais perpétuellement sur ses allées et venues une minutieuse surveillance. Je craignais, si je le perdais de vue un seul instant, qu’il n’allât porter des notes aux journaux et remplir du bruit de nos exploits prochains toutes les trompettes de la renommée. J’habitais avec lui, je l’accompagnais en tout lieu, chez les fournisseurs, chez les constructeurs. Jamais amant jaloux ne resta plus obstinément dans le sillage de sa maîtresse ! Naturellement, cette suspicion dont il s’était vite rendu comple l’exaspérait, et il se vengeait comme il pouvait, par exemple en cherchant, pour me les envoyer en pleine figure, les mots les plus cruels et les plus insultants : — Tu as donc peur, me disait-il parfois, que je ne fasse danser l’anse du panier ? Mon pauvre ami, je plains tes cuisinières ! Pourtant le ballon fut terminé. Je revois Ceintras étalant des croquis devant mes yeux, couvrant le tableau noir de formules et de chiffres : « Ça doit marcher, » disait-il. À vrai dire, toute ma science se bornant aux souvenirs qui me restaient de mes années de lycée et aux menus profits que j’avais retirés, par la suite, de quelques conversations à bâtons rompus avec Ceintras, j’étais absolument incapable de faire subir par devers moi-même un examen critique sérieux aux données sur lesquelles il avait établi son appareil. Il fallait attendre les expériences ; je ne les attendais pas sans appréhension. Non que j’eusse jamais mis en doute la valeur de Ceintras, mais l’état de surexcitation et de dépit dans lequel il se trouvait depuis le début de l’entreprise ne lui avait évidemment pas permis d’exercer ses facultés de chercheur et d’ingénieur dans de très bonnes conditions. Mes inquiétudes se justifièrent. Nous avions établi notre aérodrome dans un petit village de la Beauce, à deux heures de Paris. Nous étions, dans l’esprit des paysans du lieu, gens grossiers, alourdis de bien-être, à la fois insolents et sournois, « les deux Parisiens toqués qui fabriquaient une machine volante ». Nous subissions de la part de ces brutes une hostilité railleuse et stupide que parvenait à peine à masquer dans leur attitude le respect qu’ils étaient bien obligés de témoigner tout de même à des gens « qui payaient bien ». Le 15 avril eut lieu la première ascension. Il fut aussitôt évident que, si notre appareil, comme ballon dirigeable, en valait bien d’autres, il nous était impossible de compter sur lui pour un voyage qui devait, au bas mot, durer huit jours. C’était surtout la question du lestage qui avait été insuffisamment étudiée. Nous nous étions délimité, à l’aide de trois clochers comme points de repaire, un circuit aérien de 50 kilomètres environ. Ce circuit fut parcouru dix-huit fois de suite à une moyenne de 30 kilomètres à l’heure ; après quoi, notre provision de lest étant épuisée, le ballon, d’ailleurs alourdi par l’humidité de la nuit prochaine, se rapprocha peu à peu de la terre ; nous parvînmes à nous maintenir quelque temps encore à une altitude suffisante en jetant plusieurs bidons d’essence et divers objets qui représentaient le poids des accessoires indispensables, — des appareils d’observation, des vêtements, des aliments, — mais cela n’était évidemment pas une solution satisfaisante et nous nous résignâmes à atterrir. Il m’était facile, après cet insuccès, de prendre ma revanche et de représenter triomphalement à Ceintras combien il eût été ennuyeux pour lui de mettre trop tôt le public au courant... Son attitude ne me le permit pas. Ce n’était pas, au fond, un mauvais diable. Il me demanda pardon, versa toutes les larmes de son corps et parla de mourir. Oui, il ne voulait pas survivre à son déshonneur, il n’avait pas été digne de ma confiance et, ce qui me restait de mieux à faire, c’était de m’adresser à un autre. Je le gourmandai vivement, lui rendis courage et, en somme, cet échec fut bon à quelque chose, puisque Ceintras renonça pour un temps à son arrogance, à son insolence, à sa vanité et se remit furieusement au travail. Je n’étais cependant pas au bout de mes peines. Nous avions décidé que les essais du second ballon auraient lieu dans un pays voisin des régions arctiques, afin que les conditions climatériques durant les expériences et durant le voyage fussent les mêmes à peu de choses près. Nous choisîmes Kabarova, village samoyède situé au sud du détroit de Yougor, aux portes de la mer de Kara : c’était dans ce village même que, douze ans plus tôt, Nansen, avant de s’enfoncer au cœur des solitudes polaires, avait pris une dernière fois contact avec l’humanité. Dès le début du mois de juillet, la mise au point du second ballon fut achevée. Toutes nos dispositions étaient prises, nos dix ouvriers et notre interprète attendaient nos ordres, les appareils à hydrogène, les obus de gaz comprimé et les caisses d’approvisionnements étaient amoncelées à la consigne de la gare du Nord, il ne nous restait plus qu’à démonter et à emballer le ballon, lorsque Ceintras, un beau matin, vint m’annoncer froidement qu’il aimait une jeune fille et que son intention bien arrêtée était de se marier sur le champ ! Je me rappelle avoir cherché un revolver dans ma poche avec l’idée de menacer Ceintras de lui brûler la cervelle s’il ne me donnait pas immédiatement sa parole d’honneur de remettre à son retour du Pôle l’exécution de ce projet insensé. Mais je n’avais pas de revolver... Ce furent, durant deux jours, des scènes terribles, puis Ceintras, m’ayant promis de partir une semaine après la noce, je compris que le plus court serait de céder et d’expédier l’affaire au plus tôt. Fort heureusement, les parents de la jeune fille et la jeune fille elle-même ne voulurent plus entendre parler de mariage lorsqu’ils surent que Ceintras entreprendrait huit jours plus tard une expédition polaire. Tout fut définitivement rompu lorsqu’il leur eut avoué, sous le sceau du secret, avec l’espoir de se poser en héros à leurs yeux, dans quelles conditions cette expédition serait accomplie. On peut penser que mon pauvre ami, vexé et navré comme il l’était, ne fut précisément pas un très agréable compagnon de voyage. Mais je n’y prenais guère garde ; je pensais être enfin au terme de mes peines, et avoir réduit à l’impuissance le mauvais vouloir ou plutôt le fâcheux caractère de Ceintras ; je me disais qu’une fois installé à Kabarova il devrait évidemment se contenter de préparer avec soin le succès de notre entreprise ; et en effet, il était assez difficile d’imaginer d’où pourrait venir dans les solitudes de la toundra le vent qui lui soufflerait une nouvelle lubie. Les premiers événements semblèrent justifier ces prévisions optimistes. Dès le lendemain de notre arrivée, nous commençâmes à dresser le hangar portatif où nous devions abriter notre aéronef, et à remonter celle-ci pièce par pièce, — tout cela malgré les fatigues d’un long voyage qu’il avait fallu, à la fin, accomplir à l’aide d’inénarrables véhicules, dont les meilleurs étaient réservés à nos matériaux et à nos appareils... — Nos ouvriers, que nous avions mis au courant de nos intentions, nous aidèrent avec un dévouement et un enthousiasme admirables : la lutte raisonnée de l’homme contre la Nature a pris aujourd’hui toutes les apparences d’une religion, et ce fut d’un cœur analogue à celui des vieux maçons constructeurs de cathédrales qu’ils s’employèrent à établir la machine qui devait dérober à la Terre un de ses derniers secrets. Quant à nos hôtes, c’étaient de braves gens, merveilleusement pieux, ivrognes et simples d’esprit. Durant les après-midi des dimanches que nous passâmes à Kabarova, nous les vîmes sous la direction de trois moines sordides qui desservaient dans ce pays sauvage le culte orthodoxe, exécuter d’interminables processions, durant lesquelles leurs gosiers bien humectés entonnaient d’ineffables cantiques d’action de grâce en l’honneur des icônes que des bras mal assurés véhiculaient sous des dais de peau de renne. Les autres jours, la population du village passait de longues heures à nous contempler ; assis par terre, hommes, femmes et enfants nous adressaient sans répit de bons sourires huilés par les tartines de graisse de phoque qu’ils engloutissaient sans discontinuer, d’un appétit tranquille et insatiable. L’interprète leur ayant annoncé que notre intention était de nous envoler dans les airs plus haut que les oiseaux, leur sympathie se transforma en une adoration respectueuse et craintive ; et ils commencèrent alors à murmurer autour de nous de monotones mélopées qu’ils accompagnaient en frappant des mains et que nous sûmes bientôt être des chants à la louange de nos mérites. Tout cela ne nous empêchait pas de les tenir à l’œil ou de monter la garde autour de nos bidons d’essence dont ils auraient bu, à l’occasion, faute de mieux, quittes à redoubler par la suite de dévotion à notre endroit. Le hangar établi, une semaine de travail modéré devait nous suffire pour remonter définitivement le ballon. Mais, tandis que mon enthousiasme croissait à mesure qu’avançaient les préparatifs, Ceintras, lui, se laissait aller de plus en plus à une mélancolie morne ; non qu’il ne fît tous ses efforts pour mener l’entreprise à bonne fin, mais il semblait bien plutôt accomplir avec conscience et résignation un devoir imposé qu’agir sous l’impulsion de la folie entreprenante et pleine d’ivresse d’un explorateur ou d’un inventeur qui se voit arrivé tout près du but. Il était loin, le Ceintras illuminé et fervent du soir de notre rencontre ! Des heures durant, il restait avec les ouvriers, donnant des ordres, examinant avec une minutie qui me rassurait, — car elle manifestait son évidente envie de réussir, — les moindres parties de l’appareil. Puis, aux moments de repos, il se disait rompu de fatigue et dormait aussitôt, ou feignait de dormir, évitant ainsi toute conversation avec moi. Parfois, pris d’une légère inquiétude devant son air dé couragé, je lui demandais en lui montrant le ballon : — Ça marchera ? Il répondait invariablement, d’une voix blanche et sans expression : — Ça doit marcher. Mais vers le cinquième jour, brusquement, il parut prendre à tâche de retarder le travail des ouvriers. Il augmentait les heures de repos, se disant à bout de forces ; puis, comme je le harcelais, le suppliant de reprendre son travail et lui rappelant que la saison s’avançait, il revenait au chantier, faisait démonter sous un prétexte futile, quelque pièce de l’appareil qu’il fallait ensuite remonter, si bien que notre ballon menaçait fort de ressembler à la toile de Pénélope. Le septième jour, comme je me demandais avec anxiété ce qui allait advenir, Ceintras, incapable de contenir plus longtemps la pensée qui le rongeait, leva la tête de ia tâche sur laquelle il était penché et me dit brusquement : — Si nous remettions l’expédition à l’an prochain ? Je le regardai avec stupeur, mais, à l’expression, craintive de sa physionomie, je compris aussitôt qu’il serait sans défense devant une volonté ferme, et, avec une voix dont le calme résolu me surprit moi-même : — C’est impossible, lui dis-je ; d’ailleurs, il est maintenant trop tard. Le navire qui doit venir nous chercher est en route. Le matin même, en effet, décidé à brusquer les événements, j’avais fait partir un de nos hommes pour la première station télégraphique, avec une dépêche destinée à avertir le capitaine du bâtiment qui, tout équipé, attendait nos ordres au fjord d’Hammerfest, en Norvège. — Tu as raison, dit-il, il vaut mieux en finir et, si c’est la mort qui nous attend là-bas, ne pas prolonger cette agonie atroce... Lamentable inconséquence des hommes ! Ceintras qui, avant de me rencontrer, avait tant de fois broyé du noir à la pensée qu’il ne réaliserait jamais son rêve d’expédition polaire, craignait la mort, à présent que le destin était sur le point d’exaucer son vœu ! Le soir venu, assis au seuil de notre maison de planches, il resta un grand moment le regard fixe et vague, comme hypnotisé par le monotone ondulement des solitudes qui, au devant de nous, s’étendaient grises, à l’infini... ÉEnervé par son immobilité, je me promenais de long en large, en sifflotant, avec un air moqueur qu’il n’eût pas en toute autre circonstance supporté aussi patiemment. Il semblait toujours ne pas remarquer ma présence. À la fin, exaspéré, je heurtai rudement sa botte avec mon pied, en lui criant dans l’oreille, de toutes mes forces : — Hé ! Ceintras ! Je me repentis aussitôt d’avoir agi si cavalièrement, car, avec le caractère irascible de Ceintras, il fallait s’attendre à tout. Mais il avait, pour l’instant, mieux à faire qu’à se formaliser de mon manque de courtoisie. Il me regarda comme s’il s’éveillait d’un pénible cauchemar et, d’une voix un peu incertaine, il me dit : — Alors, cette expédition polaire... on y va ? C’est décidé ?... Avec un haussement d’épaule je répondis simplement : — Parbleu ! Il garda un moment le silence, puis les poings crispés par une sorte de rage impuissante, il s’écria : — Mais pour quoi faire ! pour quoi faire, bon Dieu ! — Pour voir... — Voir quoi ? — Des choses que les autres hommes n’ont pas encore vues. Il eut un ricanement à la fois désolé et méchant et, en répétant les paroles que je venais de dire, il en exagéra ironiquement le ton inspiré. — Des choses... des choses que les autres hommes n’ont pas encore vues ! Mais que comptes-tu donc trouver là-bas ? Voyons, parle ! — Nous le saurons quand nous y serons. — Quand nous y serons !... Tiens, veux-tu connaître le fond de ma pensée ?... Tu n’es qu’un fou à qui l’orgueil a fait perdre la tête, un vaniteux qui se croit trop supérieur au reste des hommes pour se contenter de ce qui leur suffit... En vérité, oui, un fou et un vaniteux... — Un vaniteux ! oh ! il me semble que sur ce point, toi-même... — Et quand cela serait ? quand bien même, à la veille d’entreprendre une expédition aussi périlleuse, je tiendrais, du moins, à ne pas disparaître à jamais inconnu, au milieu des glaces de la banquise ?... Je savais qu’il n’y avait pas à discuter avec Ceintras, que toutes les raisons que je pourrais lui donner, si bonnes qu’elles fussent, ne serviraient qu’à l’irriter davantage. D’ailleurs je n’avais pas de raisons à lui donner : nous ne faisions qu’exécuter le contrat tacite passé entre nous dès le début, et ses récriminations arrivaient un peu tard pour que j’eusse à en tenir compte. Aussi, sans plus m’occuper de lui, je me mis à feuilleter les journaux qui nous arrivaient assez régulièrement, mais que nous ne lisions guère, absorbés chacun par une seule pensée... Soudain mon regard fut arrêté par ces lignes : « Nous apprenons que le directeur d’un journal américain, M. Wellmann, a fait le téméraire projet d’atteindre le Pôle Nord en dirigeable... » Suivaient les commentaires que tout le monde à cette époque a pu lire dans la presse... Alors, avec une voix qui fit tressaillir mon voisin, je lui criai, en lui tendant le journal et en soulignant le passage avec l’ongle : — Tiens, imbécile, lis ça... Mais lis donc... Il prit le journal avec indifférence, y jetta négligemment les yeux et son visage se transforma, s’anima à mesure qu’il lisait... Ah ! il aurait fallu voir mon Ceintras, avec l’inconstance d’humeur qui lui était propre, passer soudain du découragement le plus plat à la plus fiévreuse exaltation... — Ah ! non, s’exclama-t-il, après avoir hésité évidemment entre plusieurs façons de prendre la chose, elle est bonne, celle-là, elle est bien bonne ! Non, mais crois-tu que ce sera drôle et qu’il en fera une tête, ce Wellmann, lorsqu’au moment de partir, il apprendra que d’autres font précédé dans son dessein ? Car nous serons de retour bien avant son départ ! Et, s’il tient absolument à nous donner de l’inédit, il faudra qu’il aille au Pôle Sud... Ah ! ah ! au Pôle Sud... Mais l’idée, qui l’aura eue le premier ? C’est Ceintras, c’est Ceintras !... Et il finit par chantonner ces derniers mots en gambadant et en battant des mains, à la stupéfaction des ouvriers qui le soupçonnaient, sans doute, de s’être livré à des libations un peu trop copieuses. Puis, un peu calmé par ces démonstrations ridicules, il revint au désir qui l’avait tourmenté de tout temps, et me dit en affectant un ton détaché : — On pourrait, peut-être, envoyer un télégramme aux journaux, pour mentionner notre départ ?... Nous avons évidemment bien des chances de réussir, mais enfin, si nous ne revenions pas ?... — Si nous ne revenions pas, comme je te l’ai répété souvent sans que tu veuilles m’entendre, nos ouvriers communiqueraient, au bout de deux mois, le procès-verbal que nous dresserons avant de partir, et l’équipage du bâtiment qui nous conduira au lieu du départ serait là lui aussi pour attester la vérité. Il finit par se laisser convaincre qu’ainsi tout allait bien et courut au chantier, bouleversant les caisses, donnant des ordres, affolant les ouvriers, travaillant lui-même avec acharnement et fredonnant gaillardement le premier couplet de « Viens, Poupoule !... » Je fus obligé de l’entraîner de force pour lui faire prendre un peu de nourriture et à la dernière bouchée, bien que nos hommes tombassent littéralement de fatigue, il se remit à l’ouvrage. Deux jours plus tard le ballon était complètement remonté. Ceintras, déçu ou taciturne, était simplement ennuyeux ; devenu joyeux et expansif, il fut absolument insupportable. Il se précipitait vers moi avec effusion, me nommait son cher ami, m’accablait des manifestations d’une soudaine tendresse, et tout cela avait pour intermède son intolérable « Viens, Poupoule » dont il soulignait chaque mesure d’un claquement de doigts ou d’un pas de danse grotesque. — Oh ! cet odieux refrain dont l’obsession a survécu à tant d’aventures et qui bourdonne encore à mes oreilles à l’heure où j’écris ces lignes ! Nous allions, dès le lendemain, entrer dans la période des essais. En attendant, Ceintras prépara les documents destinés à illustrer sa gloire. Je dus le photographier dans la nacelle, au volant de direction, entouré de nos ouvriers, sur le seuil du hangar, dans toutes les poses, dans tous les costumes... Et, sur chaque châssis, il collait soigneusement des bouts de papier où étaient inscrites les explications qu’il espérait voir, plus tard, reproduites dans les magazines... — D’ailleurs, me disait-il avec un sérieux imperturbable, si par malheur nous restions quelque part, là-bas, — et sa main esquissait un geste du côté du Nord, — ces notes explicatives deviendraient absolument nécessaires. Vers la fin de la journée, n’entendant plus résonner dans les environs la chanson de mon camarade, je me disposais à partir à sa recherche quand je le vis apparaître, escorté des trois moines de Kabarova et d’une horde de Samoyèdes luisants et graisseux. En m’apercevant, Ceintras fit claquer ses doigts et, pour toute réponse aux questions que je lui posai, se contenta d’abord de chantonner son refrain familier. Puis, me désignant les trois moines obséquieux, souriants et totalement incapables de comprendre ses paroles, il s’écria sur un ton d’emphase comique : — Voilà ! ces respectables moines, avertis par l’interprète que notre départ était proche, lui ont assuré qu’ils consentiraient volontiers à bénir notre navire aérien moyennant une bouteille ou deux d’eau-de-vie. Leur bénédiction vaut bien cela ! Pour ce qui est de ces nobles populations, je pense qu’elles méritent également de prendre part à nos libéralités. On alla chercher deux litres de rhum pour les moines et un bidon d’alcool à brûler que les Samoyèdes commencèrent aussitôt à se passer de mains en mains et de bouche en bouche en poussant des grognements de satisfaction. — Vite, vite, prends un cliché ! me cria Ceintras, juché à l’avant de la poutre armée. Les moines s’étaient agenouillés à côté de lui ; la foule, après avoir entièrement vidé le bidon, entonna son cantique d’action de grâces... Quand tout fut terminé, Ceintras, qui entendait que la postérité prît au sérieux cette solennité burlesque, colla gravement cette note sur le châssis : « Les habitants de Kabarova acclament le hardi aéronaute Ceintras, tandis qu’il fait bénir, en grande cérémonie, son ballon dirigeable par le clergé du lieu. » CHAPITRE iii ... leur monture Je voudrais que mes connaissances mécaniques fussent plus étendues et précises afin de donner ici une description vraiment utile de notre ballon. Mon dernier souhait est que la folle entreprise dont nous fûmes victimes porte au moins des fruits pour d’autres que pour nous. À ne considérer que l’aspect général de l’appareil, il ne différait guère des quelques ballons dirigeables qui ont été construits durant ces dernières années, sinon par ses dimensions considérables : il avait soixante-quinze mètres de longueur et vingt mètres de largeur au maître-couple. La grande originalité consistait en une disposition qui nous permettait de nous dispenser absolument de lest et de prolonger malgré cela très longtemps, bien plus longtemps qu’aucun aéronaute ne l’avait fait avant nous, notre séjour dans l’atmosphère. Les gaz chauds à leur sortie du moteur étaient recueillis dans un tuyau qui se divisait peu après en deux branches : par l’une d’elles les gaz arrivaient à des serpentins qui circulaient autour de notre cabine et y faisaient fonction de calorifères ; au moyen de l’autre, — et c’est en cela que consistait l’innovation, — les gaz d’échappement, avant leur expulsion définitive à l’air libre, étaient détournés vers un second système de serpentins placé à l’intérieur même de l’enveloppe dans une sphère de cuivre ; le ballon se rapprochait-il de la terre, un robinet plus ou moins ouvert laissait s’échapper par cette voie une quantité de calorique suffisante pour porter le métal de la sphère à une température de 60° centigrades ; ainsi, à notre gré, nous dilations l’hydrogène et augmentions la force ascensionnelle sans aucun risque d’inflammation. De plus, dix obus d’hydrogène comprimé communiquant également par des tuyaux avec l’intérieur de l’enveloppe devaient nous éviter les ennuis de la déperdition progressive du gaz durant notre voyage : un tour de robinet sitôt que le besoin s’en faisait sentir, et une nouvelle provision d’hydrogène allait remplacer le gaz que les six épaisseurs de soie forte et de caoutchouc n’étaient pas parvenues à maintenir absolument prisonnier. Toutes les ramifications de cette tuyauterie compliquée étaient munies de clapets commandés par des manettes, et lorsque la température de notre cabine était assez élevée et que le ballon voguait à une hauteur suffisante nous laissions les gaz s’échapper à l’air libre avec un fracas étourdissant. N’ayant pas à nous encombrer du poids inutilisable du lest, nous avions pu rendre sans crainte notre vaisseau aérien excessivement solide et confortable ; après diverses hésitations. Ceintras s’était résolu à monter l’enveloppe sur une légère armature d’aluminium qui la maintenait évidemment plus rigide que n’eût pu le faire l’emploi des ballonnets compensateurs. Quant à la stabilité de l’aéronef elle était assurée comme à l’ordinaire par des plans horizontaux et verticaux. La cabine était une véritable petite maison divisée en deux parties ; à l’avant c’était ce que nous appelions assez prétentieusement la chambre de chauffe, où se tiendrait Ceintras, pilote et mécanicien. Il y avait là les ouvertures des réservoirs d’huile, d’essence, d’eau, les manettes, les boussoles et le volant de direction qui commandait un puissant gouvernail situé à l’arrière ; une porte s’ouvrait sur une galerie découverte par laquelle on pouvait parvenir jusqu’au moteur lui-même. Dans l’autre partie de la cabine se trouvaient les coffres à provisions, une étroite couchette et le petit fourneau électrique sur lequel je préparerais nos repas. Dans ces conditions le voyage lui-même ne paraissait pas devoir être autre chose qu’une agréable et un peu banale partie de plaisir ; à coup sûr nous n’endurerions aucune des souffrances auxquelles avaient dû se résigner à l’avance les autres explorateurs des pays polaires, la faim, le froid, et les anxiétés d’un long exil. Notre nouveau moteur d’une puissance effective de 100 chevaux, ne nous permettrait pas de couvrir une moyenne de beaucoup supérieure à celle de vingt-cinq kilomètres à l’heure, car le second ballon était autrement lourd et considérable que le premier ; pour accomplir ce raid de navigation aérienne, Ceintras avait préféré en fin de compte, — et non sans raison, — un engin de fond à un engin de vitesse, un cruiser à un racer ; mais, somme toute, en fondant nos prévisions sur la certitude d’un minimum de 20 kilomètres à l’heure, une semaine nous était largement suffi sante pour accomplir les 2000 kilomètres du trajet aller-retour. C’était à l’extrémité de la terre François-Joseph que le navire norvégien devait nous déposer et nous attendre. Le temps prévu pour l’arrivée de celui-ci à Kabarova nous laissait environ une quinzaine de jours devant nous. Ceintras trouva là le prétexte d’une dernière tergiversation ; elle eut lieu comme nous montions dans la nacelle du ballon pour effectuer les essais : — Et si nous avions fait venir le navire pour rien, me dit-il soudain... Si maintenant, pour une raison ou pour une autre, le ballon ne nous donnait pas une entière satisfaction ?... — Nous partirions quand même, répondis-je, c’est à toi de prendre toutes les précautions pour sauvegarder ta glorieuse existence ! Et puis, tu me l’as dit toi-même, ça doit marcher. Ce n’est pas le moment de devenir pessimiste. D’ailleurs, comme les événements allaient le prouver aussitôt, il n’avait aucun motif de le devenir. L’immense machine reposait sur le sol, amarrée par des câbles à des poteaux. Les amarres rompues, elle ne quitta pas de suite la terre, la force ascensionnelle au moment du départ ne devant pas dépasser le poids brut de l’appareil. Mais une fois le moteur mis en mouvement, l’air réchauffé dans la sphère de cuivre alla dilater l’hydrogène de l’enveloppe et le ballon commença à s’élever ; pour activer au besoin la rapidité de l’ascension il eût suffi d’injecter en outre dans l’enveloppe une certaine quantité de l’hydrogène comprimé tenu en réserve dans les obus. Comme on le voit ce dispositif ne nous permettait pas seulement de nous dispenser de lest, il nous donnait aussi la faculté précieuse d’atterrir où bon nous semblerait et de repartir ensuite à notre gré. Il y avait dans la lente ascension de la machine se délivrant pour la première fois des chaînes de la pesanteur tant de souple docilité jointe à tant de majestueuse puissance, que toutes sortes d’émotions puissantes, — orgueil, admiration, respect presque religieux de nous-même et de l’œuvre, — firent battre éperdument nos cœurs. En vérité ces triomphales minutes n’étaient pas payées trop cher par les inquiétudes, les ennuis et les mille difficultés exaspérantes au milieu desquelles je me débattais depuis de longs mois. Lorsque le moment décisif fut arrivé, que nous eûmes atteint l’altitude suffisante et que Ceintras, fermant pour un instant le tuyau par lequel l’air chaud arrivait dans l’enveloppe, eut embrayé l’hélice propulsive, toutes nos querelles, tous nos dissentiments furent oubliés, et nos mains s’étreignirent tandis que nous cherchions en vain des mots dignes d’exprimer notre bonheur et notre mutuelle reconnaissance. Tout cela était d’un heureux augure et il faut bien dire que rien ne le démentit. Je n’ai pas, du reste, le dessein de raconter nos expériences par le menu ; ce serait fastidieux et inutile. Durant les dix jours qui suivirent, le ballon accomplit plus de 3000 kilomètres et resta en état de marche sans qu’il eût été nécessaire de renouveler notre provision d’essence et d’hydrogène. Les menues mésaventures que nous eûmes à subir ne servirent en définitive qu’à affermir davantage encore notre confiance. C’est ainsi qu’une fois, à une centaine de kilomètres de Kabarova, notre moteur resta en panne par suite d’un excès d’huile et d’un encrassement des bougies ; le ballon atterrit doucement, nous procédâmes à un nettoyage rapide des cylindres, puis le moteur fut remis en marche, le ballon s’éleva de nouveau et nous rentrâmes au port d’attache avec un retard d’une demi-heure à peine sur l’horaire prévu. Une seule modification importante fut apporlée à la machine durant ces derniers jours : nous renforçâmes les amortisseurs destinés à éviter les heurts au moment des atterrissages et nous les disposâmes d’une façon nouvelle, qui devait nous permettre d’atterrir sans danger dans des espaces extrêmement restreints. Je crois également inutile de raconter notre voyage de Kabarova à la terre François-Joseph. La lente navigation dans les mers boréales, les brumes opaques qui semblent être là depuis des siècles et des siècles et ne s’entr’ouvrir qu’avec peine ou paresseusement pour laisser passer le vaisseau, l’inquiétude perpétuelle des glaces dans les étroits chenaux d’eau libre à mesure qu’on se rapproche de la banquise, les icebergs flottant au loin comme des brumes plus pâles dans la brume, tout cela est connu par les relations des explorateurs et n’a rien à faire dans mon histoire, surtout lorsque je pense que mes jours, sans doute, sont comptés. Le ballon, dont on n’avait pas eu besoin de démonter la partie mécanique, fut regonflé et prêt à partir cinq jours après notre débarquement. Il ne me reste qu’à reproduire ici le document écrit en double dont nous gardâmes un exemplaire et dont l’autre fut confié aux soins du capitaine la veille même de notre départ. « Le 18 août 1905, le Tjörn, bâtiment norvégien, capitaine Hammersen, a déposé à l’extrémité sud de la terre François-Joseph MM. Jacques Ceintras et Jean-Louis de Vénasque, sujets français, domiciliés l’un et l’autre à Paris, 145 bis, avenue de la Grande-Armée, lesquels sont partis de là le 26 août pour tenter d’atteindre le Pôle Nord en ballon dirigeable. Un autre document a été remis par eux à M. Henri Dupont, domicilié à Paris, 75 rue Cujas, chef de l’équipe d’ouvriers qui les assista durant la période des essais à Kaharova (Russie). En cas de réussite Hammersen, capitaine du Tjörn, H. Dupont et les autres hommes de l’équipe confirmeront l’exactitude des dits documents. En cas d’échec et de disparition définitive des deux explorateurs, ils sont priés de divulguer les faits dont ils ont été témoins. MM. Ceintras et de Vénasque tiennent à cette divulgation moins pour la satisfaction, d’ailleurs légitime, cl’être inscrits au nombre des victimes de la science que pour donner un exemple et un enseignement à ceux qui, ayant dès à présent conçu, par suite des progrès de la navigation aérienne, des desseins analogues, seraient tentés de les réaliser à leur tour. » CHAPITRE iv propos entre ciel et terre — Coupez les amarres ! Et, une à une, après le brusque bruit des coups de hache, les cordes tombèrent en claquant sur le sol sec... L’équipage tout entier nous avait accompagnés, les mains s’étaient tendus vers nous ; déjà nous étions dans la nacelle. Il y eut alors quelques minutes d’impressionnant silence. Les hommes s’étaient rangés autour de nous et ne bougeaient plus. Je les regardai. À n’en point douter, ces fils des Wikings, ces matelots hardis qui, bien avant Christophe Colomb avaient traversé l’Atlantique sur leur barques vermillonnées et découvert, sans le savoir, un monde, sentaient, en nous voyant partir, gronder au plus profond d’eux-mêmes leur héréditaire besoin d’aventures ; ce n’étaient pas seulement l’étonnement et l’admiration, mais une naïve envie, un obscur regret de n’être pas de la fête, qui faisait à cette minute étinceler d’un éclat passager leurs yeux pâles de riverains des mers du Nord. Un chien resté à bord du navire se mit soudain à hurler ; j’eus alors la sensation de l’irréparable ; je devais être très pâle, mais Ceintras l’était affreusement ; il chancela en s’avançant vers le moteur et je vis ses doigts trembler sous l’épaisseur des gants fourrés tandis qu’il agissait sur le levier de mise en marche. Alors, en cet instant suprême, s’imposa à mon souvenir l’image d’autres pays, pleins d’animation, de soleil, de vie... C’était cela que nous avions quitté, peut-être pour toujours ! J’eus durant quelques secondes la certitude horrible d’avoir jadis frôlé bien des fois le bonheur sans m’en douter, d’avoir désespéré trop tôt de ma guérison et d’avoir lâché la proie pour l’ombre... Mais le fracas du moteur déchirait le silence, nous perçûmes des frémissements dans les muscles de corde et de métal de l’immense bête impatiente de prendre son essor. Enfin elle s’éleva tout à coup, et si vite que Ceintras dut presque aussitôt modérer la dilatation de l’hydrogène. Alors, dominant le bruit du moteur, ce fut une acclamation formidable qui, nous rattrapant dans notre vol, monta jusqu’à nous de la terre ; devant cette tempête d’enthousiasme mes idées noires et mes pensées accablantes s’éparpillèrent, se dissipèrent comme des feuilles mortes auvent. Accoudé à la galerie, je saluai une dernière fois de la main ceux qui nous acclamaient. À ce moment toute la grandeur de l’œuvre que j’avais accomplie inconsciemment, en ne poursuivant pas autre chose que la satisfaction d’un égoïste désir, m’apparut, et ce fut une merveilleuse aubaine sur laquelle je n’avais pas compté. Comme aux premiers instants de nos essais, mon cœur battit éperdument, et cette fois, ce n’était plus seulement à l’espoir d’un rêve bientôt réalisé qu’il devait cette impulsion enivrante, mais à un sentiment supérieur et plus doux : dès à présent, quoi qu’il dût advenir par la suite, j’avais la certitude de n’avoir pas vécu une vie inutile et de pouvoir tout au moins fournir dans l’avenir au reste des hommes un exemple illustre d’initiative et de volontaire audace. Ceintras avait été lui aussi visiblement flatté et réconforté par l’acclamation. Mais son incorrigible vanité entraînait ses pensées dans un autre sens que les miennes : — Que sont ces ovations, s’écria-t-il soudain, à côté de celles qui nous attendent à notre relour ! Je ne pus m’empêcher de le considérer avec quelque pitié. Puis à la pitié succéda l’irritation. La phrase ridicule avait rompu le charme. Depuis plus d’un quart d’heure les hélices propulsives avaient été embrayées ; déjà le navire s’évanouissait derrière nous, et les hommes, dont les regards nous accompagnaient encore, n’étaient plus que des taches noires sur la neige. Aussi loin que ma vue pouvait s’étendre, je n’apercevais que la monotone blancheur des solitudes polaires. Le froid commençait à nous engourdir et nous entrâmes dans la « chambre de chauffe » dont la porte fut soigneusement fermée. Alors nous nous aperçûmes que nous n’avions plus rien à nous dire. Ceintras s’absorba en silence dans le réglage des manettes, et moi, après avoir vainement tenté de nouer quelque conversation je m’abandonnai au fil d’une vague rêverie. Bientôt, bercé par le bruit monotone du moteur et accablé par les fatigues des jours précédents, je me sentis peu à peu envahi par une profonde somnolence. Je crois que j’étais arrivé au bord même du sommeil lorsque Ceintras me tira soudain par la manche en s’écriant hargneusement : — J’ai faim ! Il marmotta ensuite quelques imprécations et je compris qu’il pestait contre le peu de soin avec lequel je m’acquittais de mon rôle. N’étais-je pas le cuisinier en chef de l’expédition ? Reconnaissant qu’en principe le reproche était mérité, ou trop ahuri encore pour avoir grande envie de récriminer, je me mis en devoir de donner satisfaction à mon compagnon. Je dois dire qu’il n’était pas besoin, pour préparer nos repas, d’avoir de grandes connaissances culinaires. Nos approvisionnements consistaient surtout en aliments d’épargne, — cacao, thé, café, tablettes de viande comprimées, — en biscuit, et en diverses conserves toutes prêtes qu’il suffisait de faire chauffer un instant au bain-marie, sur notre fourneau électrique. Ceintras qui entendait ne pas se priver même du superflu avait adjoint à tout cela des confitures, des gâteaux secs, des liqueurs, de vieux vins, du champagne ! Peu après, je disposai sur la couchette, qui était à deux fins et qui devait également nous servir de table, du biscuit, deux bouteilles de bordeaux, du jambon et un civet de lièvre dont le fumet chatouilla mes narines de la plus délicieuse manière. — Voilà, dis-je triomphalement, un repas que Nansen eût payé bien cher à certains moments de son voyage. Bien entendu Ceintras ne fut pas de mon avis : le civet n’était pas assez chaud, le bordeaux ne devait pas se boire si froid, le biscuit lui occasionnerait certainement une maladie d’estomac... Avec la meilleure volonté du monde je ne pouvais pas cependant aller lui chercher des petits pains ! Du reste, tout en grommelant, il fit disparaître une bonne moitié des mets ; je n’eus pas grand’peine à me charger du reste, et, ce repas pourtant copieux ne nous suffisant pas, nous y adjoignîmes des fruits en conserve et une bonne lampée de rhum. Il faut noter ici, — chose assez curieuse étant donné le peu de forces que nous dépensions, — que nous éprouvâmes durant tout le voyage un formidable appétit. Nous jouissions dans l’une et l’autre partie de la cabine d’une température très douce et, quand notre festin fut terminé, nous eûmes la sensation d’un absolu bien-être. De temps à autre nous essuyions du revers de nos manches la buée épaisse et les fleurs de glace qui s’amoncelaient sur les hublots, et, au dehors, c’était toujours le monotone paysage que les récits des explorateurs nous avaient rendu familier. Pourtant, sous l’influence d’une exaltation fiévreuse ou d’un étrange pressentiment, je ne renonçais pas à mon espoir de contempler avant peu des prodiges et, bien que prévoyant de la part de Ceintras des mots ironiques et des haussements d’épaules, je ne me lassais pas d’exprimer cet espoir à tout moment. — Ceintras, qui sait ce que nous allons trouver au terme de notre voyage ? — L’axe de la Terre, parbleu ! me répondit-il à la fin en ricanant. Je répétai sur un ton interrogatif et assez niais : — L’axe de la Terre ? — Eh ! oui, tu sais bien que c’est là-bas qu’il s’emmanche. C’est donc autour de lui que nous prendrons le virage... Par exemple, il faudra faire attention à la manœuvre et ne pas le disloquer en le heurtant ! Hein ? vois-tu d’ici le cataclysme ? Il ajouta, bien résolu à ne pas abandonner tout de suite une aussi bonne plaisanterie : — Dis donc, nous pourrons écrire nos noms sur lui, comme font les touristes dans les donjons des châteaux historiques... Et nous pourrons encore en emporter de petits morceaux pour les offrir à nos amis et connaissances... Cependant, l’énorme machine poursuivait sa route avec une si parfaite docilité que j’en éprouvais comme un obscur sentiment d’irritation ; en vérité, c’était trop facile, trop simple : il me semblait que quelques menus obstacles auraient contribué à donner plus de prix à notre victoire... Exactement trente-trois heures après notre départ, nous dépassâmes le point extrême atteint par Nansen, et nous entrâmes enfin dans le mystère des régions vierges. — Ceintras, m’écriai-je, Ceintras, cette fois, nous y sommes ! — Où donc sommes-nous, s’il te plaît ? — Mais en pleine aventure, dans l’inconnu... Rien, depuis d’immémoriales séries de siècles, n’avait dérangé le silence accumulé sur ces solitudes, et c’est la première fois que cette nature est troublée par le passage orgueilleux de l’homme... — Tu es tout à fait lyrique, interrompit Ceintras sans détourner la tête. Au fond, tu restes persuadé qu’il va t’être donné, dans quelques heures, de contempler des merveilles. Crois-moi, si tu ne veux pas éprouver une déception trop grande, n’espère pas trouver autre chose que ce que tu vois ici. Dans quelques heures, nos appareils indiqueront que nous avons atteint notre but, et puis... — Et puis, selon toi, ce sera tout, et il ne nous restera plus qu’à revenir ?... — Tu l’as dit. Cependant, en manière de divertissement, ou, si tu préfères, pour n’avoir pas fait en vain le voyage, nous pourrons atterrir un instant et planter le drapeau national au point même du Pôle. Le Pôle Nord colonie française ! Ah ! Ah ! voilà vraiment un joli cadeau à faire à sa patrie ! On pourra faire insérer des annonces : « Terres à distribuer... grandes facilités d’émigration... » Qu’est-ce que tu en penses ? Avec quelques protections, tu pourras peut-être te faire nommer gouverneur de la nouvelle colonie ! — Raille si cela t’amuse, mais nous avons encore le droit d’espérer que des choses imprévues nous attendent ; de ma part, c’est mieux qu’un pressentiment, c’est presque une conviction... — On ne demande pas mieux que de croire à la réalité de ce qu’on souhaite. — Qui sait ? un pays nouveau... une flore et une faune particulières, ajoutai-je sans prendre garde à l’interruption de Ceintras... — Il est impossible de concevoir la vie dans ces régions de froid cruel et sans espoir... Et je serais curieux de savoir sur quoi ta conviction se fonde ? — Sur bien des choses et, notamment, sur les légendes qui courent chez les peuples voisins du Pôle. Sais-tu que les Esquimaux du Groënland parlent volontiers de pays fabuleux, situés très loin, vers le Nord, au delà des glaces ? Il ne faut pas faire fi des légendes, qui ne sont pas des mensonges, mais des traductions de la vérité ; il est bien rare quelles ne correspondent pas à quelque chose, et celles que l’on répète sur le Pôle... — ... N’ont pas évidemment été racontées par quelqu’un qui est allé y voir. Du reste, si les événements semblent vraiment vouloir confirmer ces légendes, il ne me restera plus qu’à te présenter mes condoléances, car, évidemment, tu seras volé, tu ne seras pas le premier touriste qui aura visité le pays et l’on t’aura coupé l’herbe sous les pieds de la façon la plus vexante du monde... Il faudra donc te réjouir, en fin de compte, si, comme il y a tout lieu de le croire, les alentours immédiats du Pôle ne se distinguent en rien des pays au-dessus desquels nous naviguons. — Cependant, hasardai-je à bout d’arguments, la mer libre... — Ah baste ! la mer libre !... D’ailleurs la verrions-nous, on nous en a tellement rabattu les oreilles que ce ne serait plus rien de bien neuf... Il s’interrompit soudain et prêta l’oreille : les explosions du moteur étaient devenues irrégulières tout à coup. Il s’emmitoufla de fourrures et sortit sur la galerie ; la cause du mal fut vite découverte : un fil électrique s’étant affaissé contre un cylindre avait été endommagé par la chaleur. Pourmieux effectuer la réparation, Ceintras arrêta le moteur un instant. Alors nous cons tatâmes que, les hélices restant immobiles, le sol fuyait tout de même à une assez grande vitesse au-dessous de nous. — Bigre, s’écria Ceintras, les courants aériens sur lesquels j’avais compté deviennent de plus en plus forts ; nous allons avoir une rude avance sur notre horaire ! — Mais au retour ? demandais-je avec quelque inquiétude. — Eh bien, répondit tranquillement mon compagnon, si la lutte contre le vent est trop pénible, au lieu de rebrousser chemin nous irons tout droit devant nous. Il remit le moteur en marche, embraya les hélices et donna toute la vitesse. Ensuite il parla de déboucher du champagne. J’y consentis volontiers. Tout marchait à merveille et la manœuvre ne consistait plus guère qu’à maintenir le ballon dans la bonne direction. Quand nous eûmes chacun vidé notre bouteille, la conversation se continua très animée, encore que chacun de nous ne prit guère garde au sens des paroles de l’autre. Nous étions entraînés par nos idées fixes aussi irrésistiblement que l’était le ballon par sa force propre et celle du vent. — ... La gloire, disait Geintras, l’immortalité... Christophe Colomb en mieux... — ... Des choses, répliquais-je, que nul homme n’aurait été capable d’imaginer... — ... Réception enthousiaste, réputation universelle... — ... Des points de vue nouveaux, une révolution scientifique... Seulement mes rêves semblaient décidément plus utopiques que les siens, et je commençais à me rendre compte que je ne les exprimais si fort que pour m’halluciner et garder en eux, jusqu’au dernier moment, une confiance désespérée. Afin de nous débarrasser des bouteilles que nous venions de boire, je soulevai le couvercle d’une ouverture ménagée dans la partie inférieure de la cabine et je demeurai stupéfait : notre vitesse s’était accrue encore et le sol n’apparaissait plus, dans ce cadre étroit, que comme une surface grise et plane sur laquelle couraient de minces raies sombres. — Viens voir, dis-je, le vent a pris le mors aux dents. Qu’est-ce que cela signifie ? Ceintras, pour se rendre compte, avait interrompu l’hymne de louange en son honneur et s’était penché à son tour au-dessus de la baie. Il se releva stupéfait et même, à ce qu’il me parut immédiatement, désappointé. — Courons-nous quelque danger ? lui demandais-je. — Un danger ? non, mais en vérité... — Parle ! parle donc ! — Eh bien, voilà : il se peut... il se peut, en définitive, que ce soient tes prévisions qui se justifient, du moins en partie... Car ce vent violent et soudainement survenu ne peut avoir pour cause qu’une brusque différence de température entre les lieux où nous sommes... et ceux où nous allons. Mais, cette fois, je ne devais pas profiter longtemps de l’autorisation inopinée que me donnait Ceintras de poursuivre encore mes rêves. Mon compagnon qui m’avait quitté pour aller dans la chambre de chauffe reparut presque aussitôt et me dit, très pâle : — Regarde ! Je m’avançai et je regardai. Il avait ouvert les deux larges hublots de l’avant, une immense lumière violette venait d’apparaître à l’horizon et nous allions vers cette lumière. CHAPITRE v le jour violet La mort n’est que la plus inintelligible des énigmes et ce qui nous terrifie surtout en elle c’est l’inconnu. Il semble que la peur de mourir et l’horreur de ne pas savoir, de ne pas comprendre soient deux sentiments très voisins et que l’on ait eu raison de nommer l’angoisse qui nous étreint devant un fait inconnaissable « le frisson de la petite mort ». Je ne pense pas avoir jamais mieux éprouvé ce sentiment que dans les premières minutes qui suivirent l’apparition de la lueur. Ainsi, après avoir ardemment souhaité des prodiges, je tremblais à leur approche. Les mains crispées sur la balustrade de la galerie extérieure, je sentais la sueur perler à mes tempes, malgré l’affreux froid cinglant contre lequel dans mon émotion et ma hâte je m’étais peu soucié de me prémunir. Cependant, à mesure que nous avancions vers elle, la lueur envahissait de plus en plus l’horizon. Dès ce moment nous pouvions nous rendre compte de ce qu’il y avait en elle d’étrange et, pour mieux dire, de « jamais vu ». Aux yeux humains la flamme du soleil apparaît comme un calme et serein rayonnement de clarté uniforme ; au contraire, cette lumière-là n’était pas immobile ; on eût dit le reflet contre le ciel d’une immense torche invisible qui, par instants, eût vacillé ; d’autres fois de larges ondulations la parcouraient d’un bout à l’autre parallèlement au sol et elle ressemblait alors à un grand drapeau immatériel et étincelant dont le vent eût fait frémir l’étoffe. — Ou’est-ce donc ? murmurais-je enfin d’une voix à peine distincte. Mon compagnon me répondit par un geste tres vague, puis : — Peut-être une aurore boréale, dit-il, une prodigieuse aurore boréale... ou un autre phénomène météorologique que l’on n’avait pas eu l’occasion d’observer avant nous... Du reste, il ne paraissait pas trouver lui-même cette explication très satisfaisante ; sa physionomie exprimait à la fois l’inquiétude et l’irritation. Il ajouta, sans doute pour permettre à sa perspicacité de triompher au moins sur un point : — En tout cas mes prévisions en ce qui concerne une température plus clémente se réalisent. Regarde le thermomètre... Mais cela ne m’intéressait pas. Je me faisais l’effet d’être au bord d’un gouffre et de chanceler pris de vertige ; il aurait fallu pour m’empêcher de sombrer que Ceintras me fournît, — pareille à une branche où m’accrocher, — une explication rationnelle de l’étrange phénomène. Je l’interrompis et sur le ton suppliant d’un condamné à qui l’on a déjà refusé sa grâce et qui n’a plus qu’une ombre d’espoir : — Mais cette lumière, dis-je, cette lumière ?... — Attends un peu, me répondit-il avec quelque impatience ; nous arrivons, nous allons nous rendre compte... Nous avions gagné, sans nous en apercevoir, une altitude assez élevée, la tiédeur relative de l’atmosphère qui nous entourait ayant été cause d’une dilatation progressive de l’hydrogène. Et nous pouvions voir au-devant de nous la neige blanche et grise sur une distance d’environ cinq cents mètres se colorer ensuite d’un reflet violet ; la ligne de démarcation entre la clarté pâle du pôle où nous naviguions encore et la surprenante zone lumineuse semblait d’une netteté parfaite, comme celle qui, dans une rue, lorsque le soleil est oblique, sépare le côté que ses rayons atteignent directement de celui où tombe l’ombre des maisons. Une minute plus tard nous étions au seuil même du mystère. Comment rendre la première impression que je reçus de ce paysage ? Avez-vous quelquefois placé devant vos yeux un verre de couleur foncée ? Même lorsque le soleil luit de tout son éclat, on dirait que l’horizon se rétrécit, que le ciel s’alourdit ou se rapproche de la terre ; les parties claires prennent un aspect livide et le moindre coin d’ombre devient le repaire de la peur. Tout enfant, lorsque je jouais dans le vestibule du château, je m’amusais parfois à regarder le jardin par une porte où étaient enchâssées des vitres de colorations différentes et à m’imaginer que j’étais entré dans un autre monde, ou que le ciel avait pris cette teinte pour toujours ; quand j’arrivais à m’en persuader, c’était une sensation horrible d’accablement et de tristesse ; l’atmosphère me paraissait soudain irrespirable ; je n’osais pas bouger, car il me semblait que l’air en devenant moins clair était aussi devenu moins fluide et que le moindre mouvement serait pénible comme le transport d’un pesant fardeau. Ainsi, le plus longtemps et le mieux que je pouvais, je consolidais l’illusion pour accroître mon angoisse, jusqu’au moment où les nerfs tendus, la gorge serrée, prêt à fondre en larmes, j’ouvrais la porte tout à coup. Alors je remplissais éperdument mes yeux de l’azur limpide et familier, je courais, je respirais à pleins poumons, c’était la fin d’un cauchemar, une libération merveilleuse... À présent je me trouvais à peu près dans le même état d’esprit que lorsque j’avais, aux jours de mon enfance, longtemps regardé le parc à travers la vitre violette, mais cette fois il m’était impossible d’ouvrir la porte. Tant que nous eûmes encore la neige au-dessous de nous, son reflet clair atténua quelque peu sur nos visages et sur les objets environnants le caractère fantastique que leur donnait cette lumière à la fois éblouissante et sombre. Mais la température continuait à s’élever, et, çà et là, le sol se laissait entrevoir. Quelques minutes s’écoulèrent encore et, bientôt les derniers vestiges de neige s’évanouirent à nos yeux complètement. Le thermomètre marquait + 6° centigrades ; surpris par cette tiédeur brusque, nous ruisselions de sueur ; nous étions en outre accablés par la fatigue, l’émotion, et l’attente anxieuse de ce qui allait arriver. Bientôt apparurent vaguement des végétations. Autant que nous pûmes en juger tout d’abord, — car nos yeux avaient peine à faire leur besogne dans cette clarté à laquelle ils n’étaient pas accoutumés, — ces plantes devaient appartenir à différentes espèces de fougères et de cactus et ne pas s’élever à plus d’un mètre au-dessus du sol. Celui-ci s’était couvert d’un gazon court et dru, et à perte de vue s’étalait sans nul accident au devant de nous. Le paysage n’avait véritablement plus rien de terrestre. Ce fut bien pire lorsque, soudain, le manteau de brume qui couvrait l’horizon se déchira et que le soleil du Pôle apparut au bout de la plaine, immense et pareil à un bouclier de métal dépoli : le pouvoir du maître de la Terre semblait ici annihilé par celui de la singulière force lumineuse qui avait envahi le ciel ; nul rayon n’émanait de lui, et il était dans la clarté violette comme un ver luisant sous l’éclat d’une lampe à arc. Alors pour la première fois nous entendîmes auprès de nous le bruit de l’air fouetté par une aile invisible ; puis une petite ombre passa tout près de nous avec un cri strident et se heurta contre la toiture de la cabine ; nos regards essayèrent de la poursuivre, mais en une seconde la chose avait déjà disparu. — C’est affreux ! sanglota Ceintras. Il se tourna vers moi. De ses paupières gonflées, les larmes commençaient à rouler, avec des reflets bleus et jaunes, pareilles à des gouttes de pourriture. Sur son visage ravagé par la terreur, la lumière du Pôle brouillait les traits, exagérait les rides, tuméfiait les lèvres. Il donnait l’idée épouvantable d’un cadavre qui eût remué et parlé. Mais, aux larmes près, mon aspect ne devait guère différer du sien. — Mon Dieu, murmura le pauvre garçon en reculant jusqu’à la galerie, il me semble que nous sommes morts !... Notre hostilité prenait toutes les formes, des plus basses jusqu’aux plus nobles, depuis la haine furieuse qui crispe les poings et nous fait ressembler à des bêtes jusqu’à l’émulation qui nous pousse parfois à prendre des attitudes de héros. Voyant Ceintras si abattu et si misérable, je sentis mon courage renaître subitement. — En somme, lui dis-je, si tu étais en ce moment le maître de tes nerfs, tu te rendrais compte que rien ne nous menace. Il n’est que de nous avancer prudemment dans ce monde inconnu et, au besoin, un coup de gouvernail nous aura vite tirés d’affaire. — Certainement, certainement, balbutia-t-il... Et, des pieds à la tête, il fut secoué par un brusque frisson. De nouveau à nos oreilles venait de retentir un cri que d’autres suivirent aussitôt. Cette fois nous eûmes le temps de voir une de ces bêtes se profiler en noir sur le fond violet du ciel. Elle nous parut être une sorte de chauve-souris, volant verticalement et munie d’une sorte de bec très allongé et très épais. — Eh bien, Ceintras, mes pressentiments m’avaient-ils trompé ? Ne nous trouvons-nous pas en face d’une flore et d’une faune nouvelles ? Allons, ne prends pas cet air lamentable !... Il vaut mieux pour toi-même que les choses tournent ainsi : cela ne pourra que profiter à ta gloire ! Nos récits intéresseront bien plus le public que si nous n’avions rien trouvé d’inattendu au terme de notre voyage. Pense aux nuées de journalistes qui s’abattront sur ton logis à ton retour... Mais que cela ne t’empêche pas de surveiller tes manettes. Mes paroles le rassurèrent quelque peu. Il revint dans la chambre de chauffe et, comme nous nous étions rapprochés du sol, il manifesta l’intention d’ouvrir le robinet d’air chaud ; je l’arrêtai : — Il faut atterrir ici, lui dis-je. — Tu es fou, tu n’y penses pas !... s’écria-t-il en me regardant avec des yeux dilatés par l’effroi. — Il me paraît cependant indispensable, insistai-je, de recueillir quelques échantillons de minéraux, de plantes, et même, si c’est possible, d’animaux... Laisse-moi passer ; je vais préparer ma carabine. Mais il ne voulut rien entendre. Il parla de faire sauter le ballon plutôt que de se rendre à mon désir insensé ! Puis il se calma, me représenta que nous avions du temps devant nous, qu’il valait mieux remettre cette excursion à plus tard... Comme ceci était en somme assez juste, je cédai et nous poursuivîmes notre route à une altitude de quatre cents pieds environ. Le paysage n’avait pas changé, à cela près que les végétations paraissaient maintenant plus larges et plus hautes ; ce qui me frappait dans leur aspect, c’était qu’au contraire de la plupart des plantes terrestres elles croissaient plutôt en largeur qu’en hauteur ; on aurait dit qu’un invisible obstacle les empêchait de s’élever au-dessus d’une certaine limite ou que le sol au lieu du ciel attirait leurs branches. Un peu plus tard, à des amoncellements de vapeurs blanchâtres, nous reconnûmes la présence de l’eau ; puis, au-dessous de ces vapeurs, durant quelques minutes, un fleuve se laissa entrevoir, pareil à un glaive d’argent bruni qu’un géant eût oublié au milieu de la plaine. — Regarde, me dit soudain Ceintras, la température, en bas, doit s’être abaissée de nouveau, car j’aperçois çà et là, sur le sol, des lambeaux de neige... Je me penchai à la balustrade et tins mes yeux fixés dans la direction que m’indiquait Ceintras. — Ceintras ! — Quoi donc ? — Viens voir : on dirait que cette neige remue... Chaque monceau de blancheurs neigeuses semblait en elTet s’agiter et varier dans la forme de ses contours comme aurait pu le faire un trou peau de moutons qui, en paissant, se seraient tantôt rapprochés, tantôt éloignés les uns des autres. — C’est effrayant, murmura mon compagnon prêt à défaillir ! — Non, répondis-je, c’est tout au plus singulier. Nous nous trouvons apparemment en présence d’un phénomène d’optique dû à un milieu visuel nouveau pour nous... Ou bien nous sommes les jouets d’une hallucination... — Oui, oui, répéta-t-il machinalement, une hallucination... Et cependant... Il se frotta les yeux et se pencha désespérément vers le sol : — ... Une hallucination, ce n’est pas possible ! Cela bouge... Regarde, regarde !... Et nous ne sommes pas fous ! — Alors il nous faut descendre et nous rendre compte. Nous en étions à ce point où, quoi qu’il puisse advenir, on aime mieux tout risquer plutôt que de rester davantage dans les affres de l’indécision, et Ceintras, sans doute, se serait facilement cette fois rallié à mon désir. Mais, au même moment, l’intensité de la lumière violette diminua et ce fut bientôt une sorte de crépuscule sillonné de radiations et de fluorescences. Nous retombions peu à peu dans la pénombre où nous avions navigué depuis la Terre de François-Joseph. Alors je me rendis compte que la clarté sombre du Pôle nous était déjà devenue nécessaire et que, brusquement privés d’elle, nous allions perdre pour un bon moment l’usage de nos yeux. L’atmosphère crépitait autour de nous et par instants se pointillait d’étincelles électriques à peu près pareilles à celles que notre magnéto produisait dans les cylindres du moteur pour enflammer les gaz ; au delà, des étoiles apparurent immobiles et lointaines. La neige, au-dessous de nous, paraissait toujours s’agiter vaguement. Les cris des grandes chauves-souris ne résonnaient plus à nos oreilles et, cependant, l’air n’était pas absolument silencieux : avec un peu d’attention nous pouvions percevoir des susurrements et des sifflements très doux qui avaient l’air de nous arriver de la surface même du sol. — Ceci dépasse notre compréhension, dit Ceintras à qui l’excès d’épouvante donnait pour quelques minutes un semblant d’énergie. Il faut fuir, il faut nous tirer de là au plus vite ! Malgré mon désir d’être ou de paraître le plus fort des deux, je me sentis alors incapable de lui opposer la moindre résistance. Et, en vérité, l’indicible horreur du spectacle excusait cette pusillanimité. Tandis que je considérais le visage de mon compagnon et le reflet sombre du mien dans un hublot de la cabine, j’eus de nouveau l’idée que nous étions morts, qu’il ne restait de nous que deux cadavres poussés par une force irrésistible non pas vers le néant et le repos, mais vers un enfer peuplé de larves, de spectres, de choses sans nom que je croyais déjà sentir grouiller au-dessous de nous ; car, par moments, de lentes ondulations verdâtres parcouraient les derniers vestiges de la lumière violette et alors le sol et les vagues blancheurs qui s’y mouvaient prenaient sous ces colorations l’aspect d’un immense charnier sur lequel se fût épandu un douteux clair de lune. — Partons donc, m’écriai-je d’une voix mal assurée. Nous verrons plus tard ce que nous aurons de mieux à faire. — Oui ! oui ! partir... il faut partir, dit Ceintras haletant ! Tu le vois bien, c’est ici le pays de la folie et de la mort ! Bousculant tout ce qui se trouvait sur son passage, il se démenait fébrilement en face de moi, contre le ciel troué de pâles étoiles. — Partir... il faut partir, répétait-il... Et il donna toute la vitesse et, pour nous éloigner au plus tôt de la terre, il ouvrit en même temps un obus d’hydrogène et le robinet des gaz chauds... Alors ce fut une autre terrifiante énigme : le moteur ronfla éperdument, le petit manomètre qui mesurait la pression à l’intérieur de l’enveloppe indiqua que cette pression ne pouvait plus croître sans danger ; mais tout cela fut inutile ; nous n’avancions ni ne montions : on aurait dit que d’invisibles et impalpables chaînes entravaient notre marche et nous halaient peu à peu vers la terre. Comme pour mettre le comble à toutes ces émotions apparut la chose la plus prodigieuse que nous eussions pu concevoir en ces lieux. C’était, érigé sur un monticule et se dessinant contre le ciel une sorte de disque de métal grisâtre fixé au sommet d’une très haute tige et pareil, en beaucoup plus grand, à ceux qui marquent les points d’arrivée sur les hippodromes. Il n’y avait pas à en douter, cet appareil était l’œuvre d’une industrie intelligente et cette conclusion s’offrit immédiatement à mon esprit dans toute son implacable netteté... Mais le temps me manqua pour l’approfondir ; un inexplicable sommeil m’envahissait si subit, si violent, que je ne pus pas même tenter de recueillir mon énergie volontaire pour la lui opposer ; j’entendis, comme de très loin, Ceintras accablé également par ce sommeil me demander d’une voix faible : — Que faire ? Mais je n’eus pas la force de répondre. Et nos esprits sombrèrent dans une profonde nuit. CHAPITRE vi sur la pierre brune Ce fut seulement plus tard que je pus me rendre compte de la durée de cette léthargie. Quand je m’en éveillai pour la première fois, il me parut également possible qu’elle se fût poursuivie pendant des mois ou pendant une heure. Les événements qui l’avaient précédée étaient si vagues et si extraordinaires que je ne trouvai d’abord en eux nul point où rattacher mes sensations et mes pensées présentes. La seule impression précise que j’eus fut que ce sommeil aurait encore pu se prolonger longtemps, que c’était accidentellement et non par suite de ma satiété qu’il avait pris fin. Je pensai à de lointaines aubes de mon enfance où un domestique ayant besoin d’entrer dans ma chambre allait et venait un instant en atténuant soigneusement le bruit de ses pas ; quand le silence redevenait absolu, je m’apercevais soudain que mes yeux étaient ouverts... Il avait dû se passer quelque chose d’analogue. Je me rappelle m’être levé en sursaut, avoir regardé avec effarement tout autour de moi : Ceintras ronflait, calé dans un coin de la chambre de chauffe, le buste droit, les jambes étendues, les mains jointes, la bouche ouverte et le front creusé d’une ride : un sommeil pénible et qu’on devinait peuplé de cauchemars. Par les hublots entraient des flots de lumière violette : il faisait « jour ». Puis ce fut une terrible angoisse : où étions-nous ? Qu’était devenu le ballon livré à lui-même pendant le temps peut-être long qu’avait duré l’inconscience de ses pilotes ? J’ouvris la porte... Le ballon reposait sur le sol, sur ce sol du Pôle où, la veille, nous n’avions pas osé atterrir. Dominant mon appréhension je descendis, fis le tour de la machine et un examen sommaire m’assura que nul organe n’avait souffert ; le moteur s’était arrêté uniquement faute d’essence ; l’enveloppe semblait un peu flasque, mais cela n’était rien et, sitôt que le moteur serait remis en marche, il suffirait d’ouvrir le robinet d’air chaud pour reprendre notre vol. Je me disposais à aller réveiller Ceintras et à l’avertir lorsqu’un fait me frappa auquel je n’avais tout d’abord pas pris garde : le ballon reposait sur ses amortisseurs d’une manière aussi stable que s’il avait été attaché par de nombreuses et solides amarres ; je remarquai alors que nous avions atterri sur une longue pierre rectangulaire et brune et que les amortisseurs y adhéraient irrésistiblement ; on aurait dit qu’ils y étaient soudés ; pourtant, étant donnée la quantité d’hydrogène qui, visiblement, existait encore dans l’enveloppe, la force ascensionnelle ne pouvait être de beaucoup inférieure à la force d’inertie représentée par le poids brut de l’appareil ; par conséquent un très léger effort aurait dû suffire pour déplacer ou soulever le ballon ; mais ce fut en vain que je voulus le faire, de la main d’abord, puis en utilisant comme levier le canon de ma carabine que j’avais emportée par prudence. Au bout de quelques minutes, il me parut évident que cette adhérence du ballon à la pierre et l’obstacle mystérieux qui la veille avait entravé notre marche étaient en relation immédiate. Et j’eus dès lors le sentiment très net d’une intelligence cachée qui nous avait longuement épiés, pris au piège et qui dès cet instant nous dominait. Nous n’étions pas seuls. Preuve tangible, irréfutable, le haut disque de métal brillait d’un éclat terne à quelques mètres de moi. J’entendis soudain, dans les épais fourrés de cactus et de fougères, un bruit qui me fit monter le cœur à la gorge... J’épaulai mon arme et m’avançai en tremblant ; de nouveau les feuilles s’agitèrent à dix mètres environ sur ma gauche. Le coup partit presque malgré moi !... Plus rien... Puis je m’aperçus que ma peur avait créé des fantômes et que dans les brusques frémissements des fourrés le vent seul avait été pour quelque chose ; il venait de se lever et arrivait de la banquise en bouffées glaciales qui, dans la tiédeur du Pôle, me piquaient par instant au visage et aux mains comme l’eussent fait de menus et lancinants coups de couteaux. Ceintras, au bruit de la détonation, apparut sur la galerie. Je courus à lui et le mis au courant de tout ce que j’avais constaté depuis mon réveil. Il se contenta de hocher la tête et ne répondit pas il semblait parfaitement ahuri. Alors je lui demandai en affectant l’air le plus détaché et le plus tranquille du monde : — As-tu bien dormi ? Il me parut chercher péniblement des mots : — Mal, très mal... C’est une chose étrange... je me souviens d’avoir subi jadis une opération pour laquelle on fut obligé d’employer le chloroforme... — Eh bien ? — Eh bien, j’ai eu celle nuit l’impression d’un sommeil analogue à celui où l’on tombe sous l’influence du chloroforme, d’un sommeil qui accable odieusement et durant lequel, si profond soit-il, on garde toujours une lueur de conscience pour se rendre compte qu’on est un esclave... — On est comme entravé, ligotté par mille chaînes, on fait des efforts désespérés pour les rompre et l’on sait pourtant qu’il n’y a qu’à attendre le bon vouloir d’un maître... — C’est cela ; et puis, pour comble, des cauchemars affreux se sont abattus sur moi... — Quels cauchemars ? — Comment te dire ? il me semblait que je tombais lentement dans quelque abîme sous-marin, au milieu de pieuvres gigantesques, et je sentais par instant contre ma peau le frôlement de leurs tentacules... Il se recueillit une minute, puis : — J’ai peut-être tort, dit-il, de parler de cauchemar : cela ressemblait moins à une chose rêvée qu’à une sensation réelle perçue dans une demi-conscience. Je ne pus me garder d’un frisson ; les paroles de Ceintras avaient illuminé tout à coup en moi un souvenir obscur et, à présent, j’étais à peu près sûr de m’être débattu quelques instants auparavant dans un cauchemar qui ressemblait au sien... Seulement les pieuvres y avaient été remplacées par des chauves-souris ou des vampires. La coïncidence était tout au moins étrange et si de part et d’autre les rêves n’avaient reposé sur rien de réel, il fallait conclure à un cas de télépathie. Mais une conclusion plus logique et plus effrayante s’imposait, à savoir que des êtres vivants, hôtes de ces régions, des êtres d’une intelligence et d’une puissance qui dès cet instant m’apparaissaient prodigieuses, nous avaient attirés jusqu’à eux en utilisant par des procédés qui m’échappaient une énorme force magnétique ; puis, désireux de nous observer, ils s’étaient approchés de nous durant notre sommeil : un sommeil qu’ils avaient peut-être provoqué artificiellement. Allais-je faire part à Ceintras du point où venaient d’aboutir mes inductions ?... J’eus pitié de lui. Il s’était laissé tomber sur un rocher et ses yeux vacillants et vagues se fixaient, en deçà ou au delà des objets qu’ils regardaient ; son attitude trahissait un accablement infini ; j’avais l’impression très nette d’assister à une effrayante agonie morale, et je tentai de faire appel à son initiative dans l’espoir de le remonter, de le remettre en possession de lui-même : — Que comptes-tu faire ? lui demandais-je. — Je ne sais pas, je vais voir... Il fit quelques pas, s’avança vers le ballon et sauta sur la pierre brune où les amortisseurs adhéraient. Je le vis alors s’agiter, se balancer comme pour prendre son élan et retomber gauchement sur ses mains sans que ses pieds eussent bougé d’un centimètre. Je m’élançai à son secours. — N’approche pas, pour Dieu ! n’approche pas, s’écria-t-il en hurlant comme une bête prise au piège. Mais j’étais déjà sur la pierre où je continuais comme je l’avais fait auparavant à pouvoir aller et venir sans encombre. Ceintras, lui, était aussi incapable d’y faire un pas que si ses pieds y eussent été du premier coup inexorablement rivés. — Est-ce que tu souffres ? fis-je en essayant vainement de le dégager. — Non, évidemment non, mais ils vont venir, à présent, et s’emparer de moi... Sauve-toi, au plus vite ; seulement, de grâce, tue-moi avant de partir, ne me laisse pas tomber vivant entre leurs mains... un coup de carabine... là... entre les deux yeux... fais vite !... — Tu parles comme un fou, répondis-je en haussant les épaules. Et puis, tiens ! essaye de te déchausser, je crois que cela m’évitera de te donner la mort. Il obéit sans comprendre encore et son trouble seul l’empêcha de tirer facilement ses pieds hors de ses souliers délacés. — Emporte-moi, s’écria-t-il ensuite, ne me laisse pas toucher le sol puisque leur damné sortilège ne semble pas avoir prise sur toi... J’éclatai de rire : — Tu peux être tranquille : le sortilège n’avait prise que sur tes souliers, probablement parce que leurs semelles étaient ferrées... On connaît à présent suffisamment Ceintras pour ne pas trouver extraordinaire que l’heureuse issue de cette aventure l’ait fait passer d’un excès de découragement à une joie exagérée et en tous cas intempestive... Quant à sa confiance dans l’avenir, qu’il manifesta aussitôt à grand renfort de gestes et d’éclats de voix, elle eût réconforté le plus abattu des mortels, si ce mortel n’avait vécu depuis près d’un an dans l’intimité du pauvre diable... — Un aimant !... Ils voulaient nous attraper à l’aide d’un aimant ! Ils s’imaginaient que nous en ignorions les propriétés... Au fait, ils doivent être encore plus effrayés que nous : pourquoi se cacheraient-ils s’il en était autrement ? Est-ce que je me cache, moi ? Est-ce que je me cache ? Ah ! Ah ! Ah ! Qu’ils se montrent donc un peu ! Je les attends... Je me promets de leur faire passer pour longtemps l’envie de nous jouer de vilains tours... Je crus bon de réfréner légèrement cet enthousiasme : — Mais, dis donc, le ballon ?... comment comptes-tu le tirer de là ? Ceintras n’était pas embarrassé pour si peu. — Le ballon... Ah ! oui !... Eh bien, nous déboulonnerons les amortisseurs, et pffft !... Le ballon délesté fera un petit bond d’un millier de mètres dans l’atmosphère... Qu’ils viennent nous y chercher... Ils pourront garder les amortisseurs en souvenir de nous, ainsi que ma paire de souliers !... Nous en serons quittes pour ne plus atterrir jusqu’à notre retour ou pour n’atterrir qu’avec une extrême prudence... Tiens ! parlons d’autre chose : j’ai faim. Cuisinier, à tes fourneaux ! Le repas fut abondant, bien arrosé et fort gai. Lorsqu’une cause de tristesse ou de peur persiste un peu plus de vingt-quatre heures, il est inévitable qu’une détente se produise dans l’esprit de ceux qui subissent cette tristesse ou cette peur. Nous apportâmes à manger, à boire et à deviser un entrain qui n’avait rien de factice, qui n’était nullement dû au désir plus ou moins conscient de nous étourdir, mais qui venait du fond le plus sincère de nous-mêmes... Nous nous étions à moitié accoutumés à l’étrange paysage, nous ne pensions plus à nous inquiéter des mystères qui nous entouraient et, dans la clarté violette du Pôle, confortablement installés sur les fougères, auprès du fleuve couleur d’argent bruni, nous débouchions du champagne avec autant de plaisir que nous eussions pu le faire au bord de la Seine ou de l’Oise, sous un ciel limpide et léger d’Île-de-France. Réconfortés moralement et physiquement, nous résolûmes d’un commun accord d’aller à la découverte. CHAPITRE vii ceintras égare son ombre et sa raison Nous longeâmes le fleuve sur une distance d’un demi-mille environ. Le silence était si grand que le bruit de nos pas et le clapotement de l’eau semblaient suffire à remplir le ciel. Quel était ce fleuve ? d’où venait-il ? où allait-il ?... Autant de questions que nous nous posions vaguement et que nous étions, du reste, parfaitement incapables de résoudre. Quand nous regardions derrière nous, il paraissait, là-bas, très loin, après des lieues et des lieues de plaine, sortir de la brume et probablement de la banquise ; en face, à cent mètres en aval, il s’évanouissait derrière une arête de rochers bleuâtres, abrupts et déchiquetés, le seul accident qui rompît la monotonie de l’immensité plate... Comme si ces rochers avaient abrité les plantes de quelque chose qui, partout ailleurs, les eût empêchées de s’élever librement, les végétations, à leur base, devenaient peu à peu arborescentes. À notre approche, des oiselets, qui perchaient dans cette sorte de bocage, prirent leur vol avec des pépiements aigus dans la direction des rochers, puis firent un brusque détour et passèrent en tourbillon au-dessus de nos têtes. Ils avaient de longs becs, des ailes azurées et ne différaient guère de nos martins-pêcheurs. Nous atteignîmes le sommet de la colline par une rampe de rocs éboulés qui surplombaient les eaux mêmes du fleuve et, de là, nous pûmes contempler le panorama polaire. De circulaires murailles de brumes le limitaient sur tous les points et formaient les parois diaphanes d’un immense vase dans lequel la clarté violette eût bouillonné comme une liqueur. Elle se diluait au fluide atmosphérique dans des proportions qui devaient, pour d’obscures raisons, varier selon les lieux et les heures, car, lorsque le vent soufflait avec quelque violence, on voyait véritablement bouger l’air. La colline, abrupte du côté par lequel nous étions arrivés, rejoignait la plaine, devant nous en pente douce, et longtemps, le fleuve coulait entre de hautes falaises argileuses et bleues. À notre droite, dans une échancrure de la muraille brumeuse, l’œil terne du soleil avait l’air de s’ouvrir avec indifférence, sur ce pays qui n’était pas son domaine. Çà et là, jalonnant l’immensité de la plaine et du plateau, étaient dressés des disques pareils à celui que j’avais vu le soir même de notre arrivée au Pôle. Tournant le dos au fleuve, nous poursuivîmes notre excursion en restant à mi-pente de la colline. De bizarres fleurs aux calices charnus et contournés poussaient dans les anfractuosités du sol. Puis, sous l’auvent d’un éboulis branlant, nous découvrîmes une étroite caverne, ouverte comme une plaie dans la chair rocheuse du coteau ; de petits cris biefs et perçants s’en échappèrent à notre passage ; je m’arrêtai, indécis, interrogeant Ceintras du regard ; mais celui-ci, que son entrain et son énergie n’avaient pas abandonné encore, s’avança résolument et me dit : — Il faut entrer. Je le suivis, et je constatai avec stupéfaction que dans ce couloir aux parois tortueuses il faisait aussi clair qu’au dehors : la lumière violette, en s’y répandant, pénétrait dans les moindres recoins, chassant l’ombre de partout. Les cris, dans le fond, redoublèrent au bruit de nos pas ; puis ce furent d’éperdus battements d’ailes et des bêtes passèrent au-dessus de nos têtes en les frôlant ; je dis « des bêtes » parce que je fus, dans le premier moment, incapable de leur donner un nom plus précis. Brusquement, d’un coup de crosse, Ceintras en abattit une qui restait encore accrochée à la voûte de la caverne. Elle pouvait avoir vingt centimètres de longueur, sa tête ressemblait à celle d’un serpent, mais la gueule était plus épaisse et plus large ; les ailes étaient constituées par des membranes de couleur verdâtre, et me parurent, pour le reste, analogues à celles de nos chauves-souris. — C’est un cheiroptère d’espèce inconnue, m’écriai-je. — Non, répondit simplement Ceintras en palpant l’animal. — Pourtant, l’aspect général... et ces ailes... — Ces ailes ne sont nullement des ailes de chauves-souris. Regarde : elles ne sont pas soutenues par les quatre doigts, mais seulement par le doigt extérieur, qui est démesurément allongé ; les autres ne servent à la bête que pour se suspendre... Puis les membres antérieurs sont plus grands, la tête est plus développée, la mâchoire cornée et garnie d’une multitude de dents aiguës... et puis... et puis, ça n’a pas de poil... ni poils ni plumes... Alors... — Quoi ? Sans répondre il fouilla dans ses poches, y prit un couteau, ouvrit fébrilement le corps de l’animal, en sortit le cœur et le coupa. — C’est bien cela : deux oreillettes et un seul ventricule : un reptile ! — Un reptile qui vole ? — Certainement, fit-il un peu pâle... Il y en a déjà eu... — Quand cela ? — Il y a des milliers et des milliers d’années. Celui-ci appartient à une espèce qu’on croyait disparue, et, si mes souvenirs ne me trompent pas, c’est tout bonnement un ptérodactyle que j’ai entre les mains... Ce nom scientifique me rappela des souvenirs de collège ; je revis les animaux monstrueux des vieux âges dont les figures, sur les manuels de paléontologie, avaient frappé si fort mon imagination. Et je m’écriai : — C’est enthousiasmant, c’est magnifique ! Il faut en attraper de vivants et les emporter avec nous. Ceintras s’était assis sur une pierre. Tenant toujours la bestiole éventrée et sanglante à la main, il regardait droit devant lui, dans le vague. Le bruit de mes paroles le fit sursauter. — Les emporter... Où donc les emporter ? demanda-t-il. — Mais... dans le ballon. Qu’est-ce que cette idée a d’extraordinaire ? Il secoua la tête, fit un geste vague et, d’une voix étrange : — On ne peut pas empêcher ce qui a été d’être encore, murmura-t-il comme en s’adressant à lui-même... Ce qui a été se cache, mais existe encore quelque part... Et quelquefois on le rencontre, on le trouve... Mais alors c’est que soi-même on a été, et on ne peut plus revenir vers ce qui est ; car ce qui est ne communique pas avec ce qui a été... ou bien c’est si loin, si loin qu’il faudrait des siècles, des siècles, plus que des siècles pour en revenir... — Qu’est-ce que tu racontes ? interrompis-je avec anxiété. Il tressaillit ; puis ses yeux perdirent leur fixité nébuleuse ; il se redressa, se ressaisit et me dit en affectant de rire : — Ce que je racontais ? Des choses qui chantaient dans ma tête, des bêtises !... Mais ne nous éternisons pas là-dessous. Je pensai qu’il avait voulu se rendre intéressant, ou se moquer de moi, et je ne jugeai pas utile d’insister. Après avoir vainement cherché d’autres ptérodactyles, — ils n’avaient pas cru devoir rester dans la caverne à notre disposition, — nous regagnâmes la sortie. Soudain Ceintras, qui marchait un peu devant moi, s’arrêta, regarda de tous les côtés et s’écria dans un grand geste de folie et de désespoir : — Mon ombre ! Où est mon ombre ? La question me parut si saugrenue que je restai un instant ahuri et incapable de rien répondre. Puis, jetant les yeux sur le sol, je m’aperçus que ni l’ombre de Ceintras ni la mienne ne se projetaient nulle part ; les objets étaient aussi éclairés en haut qu’en bas, à droite qu’à gauche... Et, jusque-là, nous ne nous étions pas rendu compte que c’était cette absence absolue d’ombres qui, plus encore que la coloration de la lumière diffuse dans l’atmosphère, donnait au paysage son caractère de rêve, d’impossibilité, tout au moins d’étrangeté hallucinante. — Mon ombre ! Où est mon ombre ? hurlait toujours Ceintras en se tournant dans tous les sens. Je crus qu’il continuait à plaisanter et, pour mettre fin à cette comédie énervante : — En voilà assez ! lui dis-je. Une fois admis que cette lumière ne vient d’aucune source précise et qu’elle est une propriété de l’air en cet endroit de la terre, il est tout naturel qu elle soit partout, comme l’air, et qu’il n’y ait d’ombre nulle part. Il baissa la tête comme un enfant pris en faute et, après s’être recueilli un instant, répondit sur un ton d’humilité presque honteuse : — Ne fais pas attention... j’étais comme accablé, dans cette caverne ; j’ai mal à la tête, et c’est très pénible de penser... presque aussi pénible que de se mouvoir. — Le fait est, avouai-je, qu’il me semble avoir moi aussi des membres de plomb. Après que nous eûmes fait quelques pas, cette impression de lourdeur s’atténua un peu. Nous rejoignîmes le cours du fleuve et descendîmes sur la berge, au pied même de la colline. Alors Ceintras s’agenouilla, et penché sur l’eau comme un bête but à longues gorgées. — C’est tout de même de l’eau, dit-il en se relevant ; seulement il ne fait pas bon s’y mirer, nous avons d’effrayants visages. Et comme je m’informais de sa santé : — Ça va beaucoup mieux, répondit-il. Mais il y a loin d’ici au ballon, je suis un peu fatigué encore... Arrêtons-nous une minute, veux-tu ? Nous nous assîmes côte à côte, les pieds pendant au-dessus de l’eau. Et, durant quelque temps, chacun de nous s’absorba en lui-même. — Vois-tu, dis-je ensuite à Ceintras qui, le menton dans les mains, paraissait réfléchir, ce paysage me rappelle ceux que je dessinais, quand j’étais gamin, pour me distraire : dans mes peintures tout était plat et au même plan, parce que je ne savais pas les ombrer, — Oui, répondit-il, ce n’est que par l’ombre que nous pouvons percevoir le relief. Je me souviens à présent que, tout à l’heure, nous n’avons découvert la colline que quand nous nous sommes trouvés à sa base. Nous ne distinguons dans ce paysage que les différences de couleurs et cela nous trouble... et il nous est bien difficile de nous rendre compte... Aussi, a-t-on idée de ça ? une damnée lumière qui arrive de partout !... Encore quelques minutes de silence. Ceintras reprit : — Il y a une impression dont je ne puis me défendre : malgré moi, en considérant ce qui nous entoure, je pense à quelque chose d’artificiel, de truqué ; cette lumière me rappelle celle que les machinistes de nos théâtres font ruisseler à flots sur certains décors de féeries... Ici aussi il doit y avoir des machinistes, disposant d’énormes forces magnétiques ou électriques, maîtres d’un fluide qui peut rendre l’air lumineux et l’échauffer jusqu’à une température clémente... Voilà ! seulement ils manquent totalement de sens artistique... Eux non plus ne savent pas ombrer !... Et c’est désagréable, même fatigant, très fatigant... — Est-ce que tu souffres ? lui demandai-je, inquiet de son air de lassitude. — Non, fit-il ; seulement, je te l’ai déjà dit, cette lumière me gêne pour penser ; il me semble qu’elle pénètre en moi, qu’elle désagrège et éparpille toutes mes idées ; je suis obligé de faire effort pour les tenir réunies. Et pourtant je voudrais pouvoir penser, j’ai besoin de penser pour essayer de découvrir ce qu’ils sont. Il s’animait, et bientôt sa volubilité devint telle qu’il me fut impossible de placer un mot. — Oui, qu’est-ce qu’ils sont ? Où peuvent-ils bien se cacher ? Pas une maison, pas un édifice... Et pourtant ils existent indubitablement : ces disques de métal, l’entravement mystérieux de notre ballon... Dis donc, peut-être qu’ils sont invisibles ?... Je haussai les épaules. Il se leva, fit quelques pas le long du fleuve, et, soudain, poussa un cri : — Viens voir : une porte !... J’accourus. Ceintras me désigna du doigt une plaque de métal enchâssée dans un enfoncement de la falaise rocheuse. Stupéfait, je frappai machinalement trois coups contre la plaque ; l’écho du son sembla retentir à l’infini dans les profondeurs de la terre. — C’est creux, fis-je en baissant instinctivement la voix. — Une porte !... C’est une porte ! s’écria Ceintras, et c’est sous la terre qu’ils ont leur domicile. Voilà pourquoi nous ne les apercevions nulle part ! — Si on rentrait ? proposai-je. — Diable ! fit-il avec un léger mouvement de recul, cela me semble un peu téméraire. — Je n’en disconviens pas, répondis-je. Cependant, ces hommes du Pôle sont intelligents, civilisés... Il n’y a que des créatures raisonnables pour façonner les métaux, asservir les forces de la nature... Et des créatures raisonnables, comme ils sont et comme nous sommes, doivent toujours finir par s’entendre... — Mais... — Laisse-moi parler. Il n’y a pas d’hésitation possible. Notre ballon est cloué au sol par leur volonté. Il faudra tôt ou tard, — et le plus tôt sera le mieux — les aborder, même s’ils se dérobent... Lier commerce avec eux, parvenir à nous en faire comprendre, obtenir notre délivrance, c’est la meilleure ligne de conduite à suivre ; c’est même, si tu veux savoir toute ma pensée, là-dessus que je fonde mon unique espoir de sortir d’ici. — Soit, je te suivrai, dit Ceintras après quelques secondes de réflexion ; mais il faut d’abord ouvrir la porte. — Cela ne sera pas difficile : je ne vois ni loquet, ni serrure ; les voleurs ne doivent pas être à craindre, dans ce pays-ci ! Or, malgré tous nos efforts, la porte ne s’ouvrit pas. Elle adhérait irrésistiblement à son châssis métallique. Cette fois, instruits par de précédentes expériences, nous comprîmes vite ce qu’il en était : le peuple du Pôle usait de courants magnétiques en guise de serrures et de clefs ! — Qu’est-ce que tu veux, dit Ceintras qui avait essayé d’ouvrir la porte avec ardeur dès l’instant où il avait compris que c’était impossible, qu’est-ce que tu veux ! nous sommes bien forcés de remettre à plus tard l’exécution de tes projets... Il ne paraissait pas en être autrement affecté. Il s’assit, se remit debout, fit encore quelques pas en sifflotant, puis finalement s’étendit de tout son long, à plat ventre, devant la porte. Moi, cependant, assis à quelques pas de lui, j’échafaudais divers plans ingénieux, audacieux, mais un peu vagues : il fallait nous emparer d’un de ces hommes qui mettaient une insistance désagréable à nous avoir pour hôtes et le garder comme otage pour obliger les autres à se rendre à nos désirs. Comment parviendrions-nous à mettre la main sur lui, c’était une question que je jugeais superflu d’approfondir pour l’heure... Une nouvelle exclamation de Ceintras vint me tirer de ces rêveries : — Ces empreintes... regarde ces empreintes dans l’argile ! — Il y en a partout, dis-je en me baissant. Mais comment se fait-il que nous ne nous en soyons pas aperçus plus tôt ? — C’est sans doute à cause de cette lumière, de cette maudite lumière, grommela Ceintras. L’argile moite et souple avait nettement gardé la trace des pas d’un animal. Çà et là on voyait aussi des sillons comme en eussent pu laisser derrière elles des queues traînantes. Plus loin, dans une éclaboussure boueuse, s’était moulé partiellement le corps d’une de ces bêtes qui avait dû tomber là ou s’étendre de toute sa longueur. — Qu’est-ce que cela peut bien être ? demandais-je à Ceintras. — Un pas ici, un autre là, dit-il en observant attentivement le sol... cela m’a tout l’air d’une trace de bipède, ou plutôt d’un animal qui utilise uniquement pour marcher ses membres postérieurs et sa queue : quelque chose comme un kanguroo... Cependant cette empreinte en forme de feuilles de lierre... Je crois me rappeler... Attends... Mais oui ! C’est tout à fait semblable, en plus petite aux empreintes fossiles que nous possédons de l’iguanodon... — L’iguanodon ? — Oui, encore un monstre des vieux âges ! Nous avons fait, en venant ici, un saut formidable dans le passé... Des lambeaux de la période crétacée sont, en ce pays, restés vivants ; d’antiques espèces s’y sont perpétuées depuis des milliers de siècles ! — Mais, dis-je, puisque la vie paraît, en cette partie isolée de la terre, avoir suivi son cours d’une façon autre que partout ailleurs, l’homme lui-même ne se serait-il pas conformé à la loi générale ? Qui sait si nous ne sommes pas séparés de ces hommes du Pôle par un abîme infiniment profond ? — Oui, peut-être... peut-être qu’ils ont, en effet, évolué dans un autre sens et qu’il y a quelques différences entre eux et nous. Ils vivent sous la terre : ils doivent être petits, plus petits que toi et moi, et difformes et laids... Je les imagine assez bien sous les traits des gnomes des légendes, comme des nains industrieux et subtils qui forgeraient merveilleusement les métaux et construiraient des machines inouïes au fond de leurs souterrains. Qui peut prévoir les prodiges que le sol recèle au-dessous de nous ? — Mais alors, ces traces d’animaux devant une des portes de leur demeure ? — Un troupeau qui, le pâturage terminé, sera rentré dans les cavernes avec eux. — Un troupeau d’iguanodons, et d’iguanodons domestiques ? Voilà qui vaudrait le voyage... si nous étions bien sûrs de jamais revenir pour le raconter. Seulement, j’ai beau chercher, je ne vois nulle empreinte de pied humain parmi les autres... — Cette ouverture n’est sans doute que celle des bergeries et, comme ces animaux sont domestiques, ils doivent rentrer seuls au bercail, par accoutumance... — Ou sur un appel qu’on leur crie... — Il se peut. Mais, après tout, je n’en sais rien et, ces inductions, tu peux les faire aussi bien que moi-même. Quant aux habitants du Pôle, ce sont peut-être tout simplement des gens qui ne différent pas plus de nous qu’un Peau-Rouge ou un Esquimau. — Comment expliques-tu, alors, qu’ils ne se montrent pas ? S’ils préparaient contre nous, sous terre, quelque terrible machination ?... — C’est peu probable. Ils doivent plutôt être effrayés par ces visiteurs qui tombent du ciel. — Et le ciel est si peu clément au-dessus de leurs têtes qu’ils ne doivent pas en attendre grand’-chose de bon. Si l’homme a pris l’habitude d’y loger ses meilleurs espérances c’est que de là lui viennent la lumière, la chaleur... Mais ici !... — Certainement. Et nous sommes sans doute, comme je te l’ai déjà dit, beaucoup plus grands qu’eux... Qui sait ? Ils vont peut-être nous adorer comme des Dieux puissants et redoutables... Dans des phrases comme celle-ci, je retrouvai bien mon Ceintras... Mais, lorsque l’heure nous parut arrivée de regagner le ballon et que nous nous fûmes remis en marche, d’incompréhensibles bizarreries se glissèrent peu à peu dans ses moindres paroles, surtout aux moments où, après avoir parlé de nouveau « de saut formidable dans le passé, de milliers et de milliers de siècles », il recommençait à se lancer dans des théories nébuleuses et interminables sur le passé et sur le présent, sur ce qui avait été et ce qui était... À la fin, je ne comprenais véritablement plus rien à ses discours. Je mis cela sur le compte de ma fatigue. Nous atteignimes enfin le ballon. Une épouvantable surprise nous y attendait : les organes essentiels du moteur avaient été déboulonnés avec une dextérité merveilleuse et emportés... Ceintras me regarda, regarda la place vide, chancela et resta une minute sans parler ; puis, très calme, il s’écria en haussant les épaules : — Cela n’a aucune importance ! — Mais, malheureux, comment comptes-tu repartir, à présent ? — Nous reviendrons à pied. Ou bien, si tu as peur de te fatiguer en marchant, je fabriquerai un traîneau... et j’y attellerai des iguanodons... Hein ? Qu’est-ce que tu en penses ? Ce sera splendide, ce retour ! Il se dandinait, les mains dans les poches et regardait devant lui en souriant béatement. Je crus inutile de lui répondre : cette fois, j’avais compris... CHAPITRE viii la face auréolée d’étoiles Étendu sur la couchette, au fond de la cabine, Ceintras chantonna longtemps, sans prendre davantage garde à ma présence que si je n’avais pas existé ; puis des silences de plus en plus longs ponctuèrent sa monotone mélopée, sa voix devint plus faible et plus lente, ses paupières papillotèrent et, bientôt, à la régularité bruyante de sa respiration, je me rendis compte qu’il dormait. Alors l’horreur de ma situation m’apparut avec une impitoyable netteté. Séparé de la patrie humaine par d’infranchissables obstacles, exilé, à peu près sans espoir de retour, dans un pays de cauchemar, condamné à la perpétuelle inquiétude d’un peuple mystérieux, plein de ressources et probablement hostile, exposé à ses incompréhensibles embûches, j’étais en outre privé, à présent que mon compagnon venait de sombrer dans la démence, du seul être sur lequel j’aurais pu m’appuyer... Et la nuit polaire allait revenir ! Bientôt la clarté violette s’évanouirait, et ce serait la lutte inutile contre l’irrésistible sommeil. Étais-je destiné à m’en réveiller, cette fois ? S’il était vrai que les habitants du Pôle nous redoutaient, ne profiteraient-ils pas de notre impuissance pour nous immoler, ou, — hypothèse plus horrible encore, — pour nous enchaîner et nous transporter au fond de leurs demeures souterraines. Et quels supplices nous y attendraient ? Telles étaient à présent mes pensées. Je me laissai aller à un découragement morne et bientôt je sentis de grosses larmes ruisseler le long de mes joues. Mes nerfs, détraqués par tant d’émotions successives, étaient à bout de ressort. Je défaillais de fatigue, peut être aussi de faim, et je compris soudain que j’allais m’évanouir, Alors, utilisant tout ce qui me restait d’énergie, je me levai en chancelant et me versai un grand verre de cognac que je bus d’un trait. Immédiatement, mon sang courut avec plus de chaleur et de vivacité dans mes veines : « C’est le seul moyen de reprendre un peu de courage, pensai-je... » Et, coup sur coup, je bus deux autres lampées. Ensuite, il me parut que mon sort n’était pas si atroce que je me l’étais imaginé tout d’abord. Sous l’effet stimulant de l’alcool, de nouvelles pensées, plus optimistes, se firent jour dans la confusion de mon esprit, et la crise de désespoir que je venais de traverser ne me sembla plus que la conséquence d’un trouble cérébral ou d’une faiblesse physique... La disparition du moteur ? Mais, à moins que la cruauté des hommes ne fût proportionnelle à leur puissance, il était probable que le peuple du Pôle consentirait à nous le restituer tôt ou tard. Sans doute, étant données mes faibles connaissances mécaniques, il me serait difficile de remettre le ballon en état de marche et de le diriger convenablement ; mais la folie de Ceintras était-elle définitive ? Je me rappelai que de tout temps je l’avais jugé moi-même quelque peu déséquilibré, et, certes, dans les récents événements, il y avait bien de quoi désorienter et troubler momentanément l’esprit le plus sain... Enfin, à supposer qu’il me fût désormais impossible de quitter ce pays, — dussé-je même y trouver la mort avant l’heure, — valait-il la peine, après tout, de m’en attrister outre mesure ? Existait-il pour moi aucune raison sérieuse de tenir à retourner un jour dans ma patrie, à vivre de nouveau au milieu d’une civilisation familière ? Y avais-je jamais su trouver autre chose que de l’ennui, de l’écœurement et du dégoût ? Mieux valait, en somme, jouir sans arrière-pensée du plaisir de voir mon unique souhait exaucé, et affronter l’aventure en homme qui n’a rien à y perdre. Cependant, çà et là, des irisations vertes commençaient à ondoyer sur le manteau violet du jour polaire. Bientôt elles le sillonnèrent horizontalement, de plus en plus étendues, de plus en plus nombreuses, et ce crépuscule de proche en proche se transformait en nuit avec une incroyable rapidité. Déjà je sentais, comme la veille, une sorte de vertige s’emparer de moi, un voile couvrir mon esprit, mes paupières vaciller. « Non ! pas cela, pas cela ! » m’écriai-je comme si j’avais eu affaire à des ennemis conscients... Et, comprenant que j’allais encore devenir l’esclave de la peur, je me remis à boire, en attendant la nuit... Elle vint et, accroupi dans le coin le plus reculé de la cabine, il me parut qu’elle allait m’atteindre comme la massue d’un chasseur s’abat sur une bête traquée. Mes membres s’étaient alourdis, le moindre mouvement me semblait exiger un effort énorme d’énergie et de volonté ; mais à ma grande surprise mon cerveau restait lucide et, dès cet instant, j’eus le pressentiment que le sommeil magnétique ne s’emparerait pas complètement de moi. Avait-il moins de prise sur mes nerfs qui l’avaient déjà subi une fois ? Était-ce une heureuse conséquence de l’alcool absorbé ? Ces deux explications se présentèrent à mon esprit, mais, à ce moment, je jugeai superflu de donner la préférence à l’une d’elles. J’avais chaud et l’air s’était raréfié dans la cabine hermétiquement close. J’ouvris le hublot ; des bouffées de fraîcheur arrivèrent du dehors ; la petite sensation d’étouffement qui toute la journée m’avait étreint la gorge disparut bientôt ; mes poumons se dilatèrent plus librement et je respirai avec délice cet air qui, en perdant sa coloration, avait repris sa pureté légère et fluide. Le paysage du Pôle, pour la première fois, se montrait à moi éclairé seulement par un vague et lointain soleil. À cela près que mes yeux déroutés par ces brusques variations de clarté percevaient les étoiles durant le jour polaire, — au sens humain et habituel du mot, — je me retrouvai sur la Terre, j’étais chez moi. Au-dessous du hamac où je venais de m’étendre, Ceintras dormait, d’un sommeil paisible et profond... Un instant, je pus croire avoir rêvé tout ce qui était advenu depuis notre arrivée au Pôle. En face, le hublot encadrait un beau cercle de lapis pâle incrusté de points d’or. Mes yeux se tournèrent vers lui et restèrent fixés sur le tremblotement lumineux des étoiles ; je compris que le sommeil venait, mais, à présent, il ne m’effrayait plus : il était consenti et non subi. Mes pensées devinrent nébuleuses, je me demandai en quel endroit de l’espace, à quel moment du temps, je pouvais bien me trouver... Puis je ne pensai plus à rien. Soudain dans le cadre du hublot une blancheur apparut. Du fond de ma somnolence, je constatai que cela ressemblait à une face grossièrement sculptée dans de la neige et qu’elle se détachait nettement sur le bleu grisâtre du ciel, environnée d’une indécise auréole d’étoiles. Je dus rester ainsi quelques secondes, dans une demi-conscience, à regarder la chose vaguement, sans y attacher plus d’importance qu’à une de ces visions baroques qui précèdent souvent le sommeil. Puis dans un brusque éclair de raison, je sursautai et me dressai sur mon séant ; mais, alors, j’eus beau ouvrir mes yeux tout grands : le hublot n’encadrait plus que le ciel sans fond et les étoiles lointaines. Je me jetai à bas du hamac sans trop comprendre ce qui s’était passé ni savoir ce que j’allais faire. Mes regards errèrent sur Ceintras endormi, sur la bouteille de cognac à moitié vide et, peu à peu, je repris complètement le sentiment de la réalité : « Je me serai endormi, j’aurai rêvé, pensai-je... Cela doit être un rêve, cela ne peut être qu’un rêve... » Mais c’était en vain que je me répétais ces mots ; je ne parvenais pas à bien me convaincre. Je résolus de lutter énergiquement contre la fatigue afin de me rendre compte de ce qui se passerait. Je m’assurai que mon revolver était chargé, je le posai près de moi sur une planchette et j’allumai un cigare. Des minutes longues comme des siècles s’écoulèrent dans l’anxiété de l’attente. Je ne vis rien. Ensuite il me sembla entendre comme un frôlement au dehors ; je fis deux pas, m’arrêtai... Tout était déjà redevenu absolument silencieux. Alors, ayant reporté mes yeux sur le hublot, je vis la face qui m’épiait. Je la vis, ou plutôt je l’entrevis à peine, durant une demi-seconde ; mais ce temps m’avait suffi pour ressentir la plus intense impression d’horreur. Comment la rendre ici ? où trouver des mots pour me faire comprendre ? Imaginez l’effet que peut produire quelque chose d’impossible... et de quasi tangible en même temps. Car, cette fois, je n’avais pas rêvé, j’en étais sûr, j’avais vu, bien vu la face de cet être : un front proéminent, surmonté de peaux plissées, ridées, qui retombaient de chaque côté comme les boucles d’une chevelure neigeuse ; point de menton, une bouche de reptile, des narines rondes au bout d’une sorte de nez camard et, au-dessus de ce nez, des yeux, de grands yeux profonds qui donnaient à cette monstruosité une apparence odieusement humaine ! J’avais vu, mais je voulais voir mieux encore et cette fiévreuse curiosité fut plus forte que la terreur et le dégoût. De nouveau ce furent des bruissements confus et comme des chuchotements derrière la porte. Alors, sans réfléchir plus longtemps aux conséquences de mon acte, je la poussai violemment ; il y eut un choc, des cris étouffés, des bonds, une débandade éperdue... Je regardai : les fourrés de cactus et de fougères s’agitèrent au passage d’invisibles fuyards. Je me lançai à leur poursuite ; un instant j’aperçus, tout près du fleuve, dans un endroit découvert, deux ou trois formes blanches ; je précipitai ma course, mais quand j’arrivai à cette clairière, il n’y avait plus rien, — rien qu’une porte aménagée au flanc de la berge, et pareille à celle que Ceintras et moi avions découverte le jour précédent. Mais la porte, cette fois, était ouverte. M’agenouillant sur le sol, au seuil même de la galerie ténébreuse, j’essayai d’abord vainement d’y apercevoir quelque chose : il n’y avait devant moi que de l’ombre et du silence. Puis un faible bruit me parvint, analogue au tic-tac d’une pendule ; seulement je me rendis compte qu’il devait en réalité être très fort et venir de très loin. Un instant encore je prêtai l’oreille, mais soudain la porte se referma automatiquement avec un bruit sec que multiplièrent de lointains échos. Je consultai ma montre. Elle s’était arrêtée durant notre premier sommeil, mais je l’avais remontée depuis, afin qu’elle nous indiquât au moins la durée du temps, à défaut de l’heure des hommes. Je constatai alors que la lumière violette n’avait pas disparu depuis plus de trois heures ; sans nul doute, « la nuit » allait durer longtemps encore ; inquiet de ce qui pouvait se passer autour du ballon pendant mon absence, je revins lentement sur mes pas. Sous les plantes basses et touffues, dans tous les coins où s’amassait l’ombre, je devinais que des êtres m’épiaient. Plusieurs fois même, j’entendis, derrière moi des bruits de feuilles froissées ; mais j’eus beau me retourner brusquement, écarter les branches, fouiller les buissons des mains et des yeux, m’élancer en courant sur une piste imaginaire, il me fut impossible d’entrevoir de nouveau les formes blanches vaguement aperçues quelques minutes auparavant. Je ruisselais de sueur ; la rage et l’exaspération tendaient douloureusement mes nerfs. Je me dirigeai de nouveau vers le fleuve, afin de boire et de rafraîchir mon visage. Alors, pour la première fois, je me trouvai en face du plus prodigieux spectacle que jamais homme ait pu contempler. Sur le fond sablonneux de la rivière, au-dessous de la sombre transparence de l’eau, apparaissaient çà et là de phosphorescentes lueurs violettes qui, s’étendant peu à peu, recouvrirent aussi les bas-fonds de gravier et les petits rocs enguirlandés de plantes aquatiques. Bientôt le fleuve eut l’air de couler sur des améthystes illuminées contre lesquelles je voyais se découper en noir les silhouettes de grands poissons qui fuyaient... Lentement, la clarté violette s’élevait dans l’eau se mélangeait à elle et, quand elle en eut atteint le niveau, le fleuve, dans la pénombre du Pôle, ressembla à quelque Phlégéthon ou à quelque Cocyte qui aurait roulé du soufre enflammé. Mais après avoir envahi l’eau, la clarté monta dans l’air, s’épandit sur les rives, et ce fut comme si le fleuve avait débordé soudain ; instinctivement, je me reculai, je me plaçai sur un petit tertre ; la clarté atteignit mes pieds en moins de cinq minutes. La tranquille régularité de son ascension et de sa diffusion donnaient l’idée d’une force inévitable, fatale. Déjà, sur les points les plus bas de la plaine, la terre en était inondée ; cela montait du sol comme une végétation de lumière ; des faisceaux minces et palpitants surgissaient, se multipliaient, se rapprochaient les uns des autres et se confondaient enfin en une nappe immobile de clarté. Je me répétais : « C’est le jour, le jour polaire qui se lève... » Et cependant, j’étais étreint d’une angoisse contre laquelle ma raison ne pouvait rien ; j’avais l’illusion de me noyer, d’être submergé par une marée immense ; je demeurais immobile, crispant les poings, La clarté dépassa mes épaules, effleura mon menton ; alors, cela devint horrible, car il me semblait que, dans quelques secondes, j’allais suffoquer, m’étouffer, lorsque j’ouvrirais la bouche pour prendre haleine... Si puéril ou insensé que cela puisse paraître, je me baissai brusquement, à peu près pareil au baigneur qui se plonge dans l’eau d’un seul coup, afin de faire durer le moins possible une sensation désagréable de froid. Quand je me relevai, mes yeux étaient encore au-dessus de la nappe de clarté ; seuls jusqu’à l’horizon, les sommets du ballon à ma gauche et du coteau à ma droite restaient encore dans la pénombre, et, — chose que bien des hommes auront peine à concevoir, — tandis que l’azur du ciel devenait plus sombre, les étoiles pâlissaient ; elles s’éteignirent complètement derrière le rideau violet... Je levai les bras, et mes mains, en sortant de l’atmosphère lumineuse, me parurent être tout contre le ciel. Peu de temps après, je m’assis pour me reposer un peu avant de continuer ma route. Je me souviens d’avoir, un instant, tenté d’ordonner quelque peu les milliers d’images et d’idées confuses qui tourbillonnaient dans ma tête. J’y renonçai vite : j’étais à bout de force, accablé, brisé... Et soudain le monde, autour de moi, sembla véritablement s’écrouler dans les ténèbres ; il m’est impossible de dire si je venais de m’endormir ou de m’évanouir. CHAPITRE ix heures d’attente La période qui suivit fut pénible et trouble, Avant que rien de définitif se manifestât, neuf fois s’éteignit et reparut la lueur violette. Les sensations humaines s’émoussent si vite que, maintenant, dans l’anxiété des nuits, j’attendais véritablement le jour polaire avec impatience. Je devinais que les nuits étaient hantées de présences sournoises, mais je ne voyais pas très clair en moi-même et, aux heures où, recouvert de son manteau violet, le pays redevenait paisible et désert, il m’arrivait de me demander si les visions nocturnes étaient réelles ou si mon cerveau surexcité les enfantait. C’eût été pour moi un grand soulagement de faire part à Ceintras de mes impressions et de mes découvertes ; il retrouvait parfois sa raison et il me semblait que chaque jour apportait dans son état mental un mieux sensible ; mais je craignais justement de retarder ou de compromettre par ces révélations trop troublantes une guérison dont il ne fallait pas désespérer. Je vis venir sans trop d’appréhension la nuit qui suivit celle où je m’étais tenu éveillé. Comme j’avais pu échapper une fois au sommeil magnétique, je m’en croyais délivré pour toujours. Ce fut au milieu de cette belle confiance qu’il me saisit brutalement ; je n’eus même pas le temps de lutter et les songes terrifiants recommencèrent. À mon réveil, Ceintras était assis par terre devant la porte de la cabine et sanglotait, le front dans les mains. — Pourquoi pleures-tu ? lui demandai-je. Il ne parut pas m’entendre et ne cessa pas de gémir. Alors, écartant doucement ses doigts sur son visage, je renouvelai ma question avec plus de force : — Voyons, Ceintras, pourquoi pleures-tu ? Il fut secoué d’un brusque frisson, puis son regard égaré, après avoir erré çà et là, rencontra le mien. — Pourquoi je pleure ? pourquoi ?... Eh bien, je croyais que mes malheurs étaient finis, que je pourrais dormir tranquille : je m’étais si bien reposé, l’autre nuit !... Et voilà : à présent, ils reviennent... — Qui, « ils » ? questionnai-je en m’efforçant de dissimuler mon trouble. — Eux ! Je ne sais pas comment les nommer, tu comprends... Mais je les sentais bien, ils se penchaient sur moi, me palpaient, me retournaient, me flairaient, et j’étais comme une chose, une pauvre chose qui ne peut pas se défendre, ni crier... J’essayai de donner à ses idées un autre cours. Mais comme tout ce qu’il me disait concordait avec ce que j’avais éprouvé moi-même ! Pendant mon sommeil en effet, — je m’en rendais bien compte à présent, — j’avais dû subir avec la plus complète inertie le contact mou et froid de tentacules, de pattes, de mains... Et, d’autre part, puisque Ceintras avait dormi tranquillement la nuit où j’avais pu rester éveillé, que conclure de tout cela, sinon que les monstres entrevus, dont la crainte seule entravait l’inquiétante curiosité, avaient profité de notre sommeil et de notre impuissance pour venir nous observer méticuleusement. Mais que fallait-il penser de ces monstres ? Devais-je dès à présent me résigner à voir en eux l’intelligence du monde polaire, ou n’étaient-ils en définitive que des animaux merveilleusement domestiqués et dressés ? Cette dernière hypothèse me parut d’abord la plus logique, peut-être parce qu’elle me plaisait davantage. Pour mieux me la confirmer à moi-même, — car, bien entendu, je continuais à ne parler de rien à Ceintras, — je cherchais des preuves et je me disais : « Nulle part, ni aux environs des trappes, ni près du ballon, je n’ai relevé l’empreinte d’un pied humainement conformé. Ceintras avait raison : nous devons avoir affaire à des troupeaux qui viennent paître durant la nuit. » Pourtant c’était en vain que je tentais de chasser de mon esprit l’image de la face par deux fois aperçue dans le cadre du hublot ; implacable était l’obsession de son regard presque humain, de ce regard que quelque chose éclairait... Et, malgré tous mes efforts, j’en arrivais constamment à cette supposition, qui pour moi représentait le pire : « Si c’était là l’homme du Pôle ? » C’est qu’alors cela devenait horrible. Puisque la race polaire, retranchée du reste de la terre, n’avait pas évolué dans le même sens que les autres races humaines, il paraissait peu probable qu’aucun point de contact intellectuel et moral existât entre elle et nous. Si vraiment il en était ainsi, je ne pouvais plus garder l’espoir d’entrer jamais en relations avec mes hôtes. Du moment que ces êtres se tenaient cachés durant le jour, il me fallait veiller pour éclaircir le mystère ; mais je n’étais même pas le maître de mon sommeil ! Je cherchai désespérément les raisons qui avaient bien pu une fois me prémunir contre la torpeur irrésistible. Ce n’était pas, comme je me l’étais imaginé tout d’abord, l’accoutumance, puisque, encore la nuit précédente, force m’avait été de céder au sommeil. Soudain avec une brusque netteté je me revis dans la cabine, les paupières alourdies déjà, avalant du cognac pour me redonner du courage, et j’eus aussitôt l’intuition que l’alcool avait suffi à m’entretenir dans un état de relative lucidité. La provision d’alcool que nous possédions était par bonheur considérable ; même, au moment de notre départ, je l’avais trouvée exagérée ; mais Ceintras, uniquement sans doute dans le dessein de me contrarier, s’était refusé à me faire grâce d’une bouteille. Comme l’on pense, je ne mis pas mon compagnon au courant de ma découverte. Profitant d’un moment où il s’était éloigné, j’enlevai toutes les bouteilles que je pus trouver dans les coffres et les enterrai à l’arrière du ballon après avoir dissimulé dans ma poche une petite fiole destinée à prévenir les premières attaques du sommeil. Ce n’était pas, naturellement, l’égoïsme qui me poussait à agir de la sorte, mais la simple prudence ; il suffisait en effet qu’un seul de nous demeurât éveillé, et ce devait être, en toute logique, celui qui n’avait pas perdu la raison. Je dois dire aussi que Ceintras manifestait depuis quelque temps un penchant immodéré pour les liqueurs, et que, si je n’y avais pas mis le holà, notre précieuse provision eût été rapidement épuisée. Enfin je craignais qu’en restant lui aussi éveillé durant la nuit, il ne gênât, avec sa folie, les observations que je pourrais faire. Le jour même où les bouteilles furent mises en sûreté, Ceintras, après le repas, ne manqua pas de réclamer la ration que je lui autorisais d’habitude. J’avais préparé à l’avance une petite comédie destinée à lui donner le change ; de l’air le plus naturel du monde je me dirigeai vers le coffre ; l’ayant ouvert, je feignis une extrême stupéfaction et m’écriai : — Ah ! par exemple !... Toutes les liqueurs ont disparu... Il s’avança, regarda le coffre, puis tint ses yeux fixés sur moi... Il avait l’air de m’examiner avec méfiance. Alors, afin de dissiper ses soupçons, je fis semblant de réfléchir quelques minutes, puis, me frappant le front, je hasardai : — Ce sont les habitants du Pôle qui nous les ont volées ! Idée malencontreuse. Ces simples paroles suffirent à rendre furieux mon compagnon ; les poings crispés, le visage congestionné il se répandit contre les pillards en invectives effroyables. Durant près d’une demi-heure, sans qu’il me fût possible de le calmer ou de le retenir, il courut dans tous les sens, fouillant des pieds et des mains les buissons du voisinage. Enfin, épuisé, baigné de sueur, il se laissa tomber sur le sol et ne tarda pas à s’endormir. C’était, du reste, peu de temps avant le crépuscule, et je sentais déjà moi-même une lassitude infinie peser sur mon esprit et mon corps. J’essayai vainement de hisser Ceintras jusqu’à la cabine. Alors, utilisant ce qui me restait de force, j’allai chercher le petit matelas de la couchette et j’y installai le dormeur aussi bien que je le pus ; puis je ramassai par brassées des fougères sèches qui jonchaient le sol et j’allumai un grand feu destiné à effrayer les monstres ou à leur prouver que nous ne dormions pas. Il est probable que la tactique réussit. En tout cas, c’est à peine si je pus distinguer, tant elles se tinrent éloignées, les quelques formes blanchâtres qui, la nuit venue, apparurent un instant du côté du fleuve pour disparaître presque aussitôt. Ceintras, en s’éveillant un peu plus tard, ne fut pas médiocrement étonné de constater qu’il avait passé la nuit à la belle étoile, confortablement installé sur le matelas et enveloppé de couvertures. — Tu dormais si bien, lui expliquai-je, que je n’ai pas pu me décider à te déranger. Au reste, tu vois que cette nuit, bien que nous ne fussions pas à l’abri d’une porte, « ils » ont cru devoir nous laisser tranquilles. Il me manifesta une grande reconnaissance des soins que j’avais pris de sa personne. Même, se jetant dans mes bras, il me demanda pardon de l’ennui qu’avait dû me causer l’accès de fureur auquel il s’était laissé aller la veille. En somme, la succession rapide d’événements déconcertants avait seule déterminé la folie de l’infortuné garçon. Dans le calme relatif des jours qui suivirent, son trouble cérébral diminua peu à peu. Pour épargner nos provisions, toujours en vue d’un retour dont je n’avais pas le droit de désespérer encore, je m’étais mis à tuer avec ma carabine les oiseaux au plumage azuré que nous avions aperçus lors de notre première exploration. Je ne tardai pas à renoncer à cette chasse, car, véritablement, le gibier, maigre et de goût médiocre, ne valait pas la poudre. Ceintras avait été plus heureux. Il s’était fabriqué une ligne tant bien que mal ; avec des épingles et de la ficelle, et pêchait dans le fleuve. Encore que son engin fût très primitif, il attrapait des quantités de poissons excellents. — C’est merveilleux ! s’écriait-il triomphalement à chaque nouvelle prise. Je ne m’ennuie plus du tout ici : le pays est plein de ressources ! Cette distraction utile eut en outre l’avantage de contribuer pour beaucoup à le calmer et à le guérir. Moi, afin de ménager mes forces et de rester plus facilement éveillé durant les heures sombres, j’avais pris l’habitude de dormir pendant que Ceintras pêchait. — Quelle sacrée marmotte tu fais, me disait-il en riant. Vraiment, mon pauvre ami, tu n’es guère l’homme de la situation et, si je n’étais pas là pour te fournir ta nourriture, je me demande ce que tu deviendrais. Mais, à d’autres moments, je voyais se marquer sur sa physionomie les traces d’une angoisse et d’une inquiétude profondes. Par suite de cette acuité de sensation que possèdent certains malades, il s’avisait de mille petits faits qui m’échappaient, mais qui prenaient dans son esprit une énorme importance en s’y déformant ou en s’y exagérant. Il lui arrivait de me réveiller brusquement : — Tu n’as pas vu ? Tu n’as pas entendu ? criait-il. Qu’avait-il entendu ou vu ? J’aurais donné très cher pour le savoir ; seulement, dès que je le questionnais, il faisait un geste vague ou prononçait des paroles plus vagues encore : — Ce que j’ai vu ? Ah ! voilà !... C’est très difficile à expliquer... Au fait, suis-je bien sûr d’avoir vu quelque chose ? Non, non... certainement non : j’ai eu la berlue ! Dors tranquille, ne fais pas attention, excuse-moi... Et il recommençait à lancer tranquillement sa ligne dans le fleuve. D’autres fois il avait des intuitions, des pressentiments de la vérité qui me remplissaient d’une indéfinissable terreur. Il me dit un jour : — Tu les as vus, tu dois les avoir vus ? Comment sont-ils ? Effrayants, n’est-ce pas ? — Mais non, je ne les ai pas vus, je t’assure... — Si ! si ! tu les as vus... et il me semble les voir encore dans tes yeux quand je t’en parle... Oh ! ferme tes yeux, je t’en supplie !... D’autres fois encore, dans ses instants de lucidité parfaite, il revenait sur le même sujet, mais d’une manière plus rassurante. — Dis donc, il faudra bien, tout de même, prendre nos dispositions pour les rencontrer, ou pour aller, s’il n’y a pas moyen d’agir autrement, reconquérir le moteur de force. — Sans doute ! Mais comment pénétrer dans leurs souterrains ? — Nous avons des cartouches, de la poudre. Nous ferons sauter une de leurs trappes... Oui, c’est cela... Et le plus tôt possible. Cette incertitude est exaspérante... Dis, que penses-tu qu’ils soient, en fin de compte ? Sur ce point, même si j’avais cru devoir le mettre au courant de ce que je savais, je n’aurais pas pu encore être bien précis. À présent, durant les quelques heures où le soleil seul éclairait le Pôle, les êtres mystérieux ne se laissaient entrevoir que de très loin. Naturellement, j’étais partagé entre la curiosité et la crainte ; il m’arriva souvent de laisser le feu s’éteindre et de simuler le sommeil pour mieux observer les nocturnes visiteurs ; bientôt j’entendais les branches craquer sur leur passage, puis les bruits devenaient plus proches et je distinguais à quelques pas de moi des sortes de chuchotements ; alors la crainte devenait plus forte que la curiosité ; je me levais brusquement, j’enflammais une allumette... et je ne voyais rien que de confuses blancheurs s’évanouissant dans la pénombre. Cependant, j’avais la persuasion que, bon gré mal gré, je ne tarderais pas à m’instruire davantage sur leur compte. Évidemment ils s’enhardissaient peu à peu ; le feu ne tarda pas à ne plus les intimider outre mesure et ils apparurent alors à la limite même du cercle lumineux. À plusieurs reprises, réfléchissant que somme toute ils ne nous avaient jamais fait de mal alors même qu’ils eussent pu nous tuer sans aucun risque, je me levai et allai à leur rencontre. Mais le moindre de mes mouvements les mettait en fuite. Le soir du neuvième jour, énervé au delà de toute expression par mon ignorance anxieuse, j’étais résolu à tout pour les examiner de près et savoir, — savoir, enfin ! — Je m’arrêtai même au dessein d’en abattre un d’un coup de carabine, quelles que pussent être les conséquences de cette téméraire cruauté. Je me revois encore marchant à grands pas au bord du fleuve, le sang brûlé par la fièvre, et répétant à haute voix, comme un dément : — C’est dit ! Sitôt la nuit venue, j’en tuerai un ! Et je fis halte un instant devant une des portes de fer, gardiennes inexorables du mystère ; je cherchai du regard un arbuste ou un pli de terrain où je pourrais me mettre à l’affût... Soudain, j’entendis le grincement du métal le long des rainures, le bruit sec de la plaque à fond de course ; je me retournai : dans l’encadrement de la porte, cloué par l’étonnement ou la peur, livide au milieu de la clarté violette qui abondait sous la voûte du souterrain autant que sous celle du ciel, l’être, en face de moi, se tenait debout. CHAPITRE x l’être se montre Oh ! cette face horrible, effarante !... En vérité, à présent, j’attendais les yeux fixés sur elle qu’elle s’effaçât ou s’évanouît, comme les jours précédents ; mais elle demeurait là, et chaque minute semblait accroître son atrocité... Toutes mes pensées m’avaient abandonné ; il n’y avait plus place en moi que pour une stupéfaction douloureuse et morne, et cette impression s’y est si fortement gravée qu’elle persiste aujourd’hui encore, que je sois éveillé ou que je dorme, que cet être soit ou non devant mes yeux... Non, ce ne serait pas assez de la durée d’une vie humaine pour s’accoutumer à son odieuse étrangeté. Ah ! mon souhait a été exaucé autant qu’un souhait peut l’être ! J’ai voulu voir des prodiges, j’en ai vu, je n’en ai que trop vu... Maintenant j’emporte à jamais en moi l’image de cette face qui, même si je devais un jour revenir vivre parmi les hommes, hanterait mes nuits et mes jours comme le pire des cauchemars ou la plus affreuse folie. Dès que j’eus observé ce crâne extrêmement développé, hypertrophié par endroits et comme boursouflé d’un excès de cervelle, dès que, surtout, les grands yeux éclairés d’un reflet intérieur se furent posés sur les miens, je compris définitivement que cette créature était douée de raison. Je me rappelle avoir cherché sur elle avec une sorte d’acharnement quelque vestige d’humanité, afin de diminuer dans une certaine mesure le trouble que cette constatation apportait dans mes plus profondes habitudes intellectuelles. Mais l’aspect du monstre ne rappelait en rien celui de l’homme. Il se tenait accroupi sur ses membres postérieurs et devait marcher de même, en se servant comme appui de sa forte queue ; ses bras grotesques et courts, au lieu de tomber au repos, le long de ses flancs, semblaient véritablement sortir de sa poitrine ; point de mains véritables, mais, attachés directement aux poignets des doigts très déliés et très longs, plus longs, à ce qu’il me parut, que les bras eux-mêmes, et à peu près pareils à des tentacules. Sur la face, nulle trace de poils : une peau blême et terne qui me faisait penser à la couleur d’une tête de veau écorchée. Les yeux étaient ronds, légèrement bombés et encastrés sans paupières visibles dans des orbites proéminentes. À la place du nez, deux trous béants d’où sortait de la buée ; au-dessous, c’était la fente démesurée d’une bouche de reptile garnie d’une multitude de dents aiguës que ne parvenaient pas à recouvrir des lèvres minces et cornées. Aux deux coins de ces lèvres qui rejoignaient presque des oreilles mouvantes et minuscules, un peu de salive suintait. Le menton n’existait pas ou disparaissait sous de flasques replis de peau molle étagés sur le cou et la partie supérieure du tronc... Puis, par deux fois, les paupières battirent et voilèrent un instant les yeux, blanches, ténues, presque diaphanes comme celles des serpents ou des oiseaux. Il ne m’était pas possible de chercher plus longtemps à me faire illusion : cet animal et l’homme actuel ne descendaient pas du même ancêtre. Je crois que nous restâmes à peu près cinq minutes, — cinq éternelles minutes, — à nous regarder fixement. Ensuite je me souviens d’avoir vu, immobile et glacé par l’horreur, la gueule du monstre s’ouvrir avec un sifflement doux pendant qu’il faisait un pas vers moi ; et, je ne sais trop pourquoi, cette gueule me parut alors menaçante et prête à mordre... Mes yeux se fermèrent ; je ne fus même pas capable de reculer, et je sentis bientôt une haleine âcre et glacée sur mon visage. J’aurais vu la mort s’approcher à petits pas que je n’aurais pas été plus affolé... Quand je rouvris les yeux, la face était à quelques centimètres à peine de la mienne. Soudain une furieuse colère s’empara de moi, plus forte que le dégoût et que la peur. La taille du monstre était légèrement supérieure à la mienne et la peau flasque de son cou pendait à la hauteur de mes dents ; dans un inconcevable accès de rage contre lequel ma raison ne put rien, je me précipitai et je mordis, oui, je mordis comme font les bêtes au comble de l’effroi. Comment rendre la sensation sur mes lèvres et ma langue de cette chair pareille à un caoutchouc compact et difficilement pénétrable ?... Le monstre, épouvanté, poussa un cri qui résonna comme le grincement de deux plaques de cuivre brusquement frottées l’une contre l’autre, bondit agilement en arrière et disparut au tournant du souterrain. Lorsque le calme et l’ordre furent peu à peu revenus dans mon esprit, il ne me resta plus qu’à maudire l’imprudence de mon mouvement impulsif ; je comprenais bien qu’à cette heure décisive où se jouaient notre avenir et sans doute notre vie, le moindre de mes actes prenait une importance considérable, et que, dominant mes nerfs, je n’aurais dû agir qu’avec une extrême réflexion. Et voilà ! cet être qui s’était évidemment approché de moi sans dessein hostile, uniquement — après une longue hésitation, — pour m’examiner de près en plein jour et tenter peut-être d’entrer en relations avec moi, je l’avais, me jetant sur lui, mordu bestialement ! Ne courions-nous pas désormais le risque d’être considérés par le peuple du Pôle comme des animaux malfaisants et dangereux ? Je repris le chemin du ballon, fort irrité contre moi-même. Je trouvai Ceintras sur la berge, en train de ranger ses lignes et se préparant au départ. Toute la journée, il avait été aussi raisonnable que possible, il ne me semblait pas que rien de fâcheux eût altéré cet état mental durant mon absence et, avec une certaine amertume, je pensais qu’après l’acte que je venais de commettre je n’avais guère le droit de me considérer comme beaucoup plus sensé que lui. Aussi, Ceintras m’ayant demandé les raisons de mon air pensif, je lui répondis sans préambule : — Voilà : j’ai vu un des habitants du Pôle, je l’ai vu de tout près, comme je te vois en ce moment... — Ah ! et alors ? — Eh bien, ce n’était pas un homme, c’était... c’était... — Quoi donc ? — Je ne sais pas te dire... quelque chose de pareil à un grand lézard qui se serait tenu sur ses pattes de derrière... — C’est bien cela, murmura Ceintras après quelques instants de méditation. — Comment ? m’écriai-je, « c’est bien cela »... Tu en avais donc aperçu un déjà ? — Oui, répondit-il. Et si je ne t’ai pas mis au courant, c’est que je ne pensais pas que le moment fût venu d’agir... — Pourquoi ? — Pourquoi ? Parce que, — je m’en rendais bien compte, — j’ai été, ces jours-ci, malade, très malade... sans trop en avoir l’air. Et je me méfiais quelque peu des pensées qui pourraient me venir durant cette maladie. C’est fini, je vais bien, tout à fait bien... — Mon pauvre ami ! dis-je en lui prenant affectueusement les mains... Mais, à présent, que faire ? 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Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Zoroastre | ZOROASTRE, en latin Zoroastres, roi des Bactriens, fut vaincu par Ninus, et a passé pour l’inventeur de la magie (A). Eusèbe pose sous l’an 7 d’Abraham cette victoire de Ninus, et il y a bien des auteurs qui font Zoroastre beaucoup plus ancien. Quelques-uns aussi le font beaucoup plus moderne ; tout est plein de variations sur ce chapitre de l’histoire de ce fameux personnage (B), et l’on ne s’accorde guère mieux sur le reste. Ainsi mes lecteurs ne doivent s’attendre qu’à trouver ici un ramas d’incertitudes et de contes bigarrés. On rapporte que Zoroastre se mit à rire le même jour qu’il naquit, et qu’il est le seul de tous les hommes à qui cela soit arrivé, et que la palpitation de son cerveau était si forte, qu’elle repoussait la main que l’on mettait sur sa tête, ce qui fut un pronostic de sa science. On ajoute qu’il passa vingt ans dans les déserts, et qu’il n’y mangea que d’un fromage qui ne vieillissait jamais ; que l’amour de la sagesse et de la justice l’obligea à se retirer sur une montagne pour y vivre dans la solitude ; que lorsqu’il descendit de cette montagne il y tomba un feu céleste qui brûlait toujours ; que le roi de Perse s’en approcha accompagné des plus grands seigneurs de sa cour, afin de faire des prières à Dieu ; que Zoroastre sortit de ces flammes sans en être endommagé ; qu’il consola et encouragea les Perses, et qu’il offrit quelques sacrifices, comme si Dieu l’avait accompagné jusqu’à ce lieu-là, qu’ensuite il ne vécut point indifféremment avec toutes sortes d’hommes, mais seulement avec ceux qui étaient nés pour la vérité, et qui étaient capables de connaître Dieu, gens que les Perses nommaient mages ; qu’il souhaita d’être frappé de la foudre, et d’être consumé du feu du ciel, et qu’il ordonna aux Perses de recueillir ses os après qu’il aurait été brûlé de cette façon, et de les garder et vénérer comme un gage de la conservation de leur monarchie ; qu’ils eurent en effet pour ses reliques une grande vénération, mais qu’enfin étant tombés dans la négligence à cet égard-là, ils déchurent aussi de la royauté. La Chronique d’Alexandrie ajoute qu’après leur avoir tenu ce discours, il invoqua Orion, et fut consumé d’un feu céleste. Quelques-uns disent que Mesraïm, fils de Cham, fut instruit dans la magie par son père, et qu’il fut brûlé tout vif par le démon qu’il importunait trop souvent ; que les Perses l’adorèrent comme un ami de Dieu, et comme un saint à qui la foudre avait servi de véhicule pour monter au ciel, et comme un astre vivant, d’où vint aussi qu’il fut nommé Zoroastre après sa mort. Grégoire de Tours assure à peu près la même chose touchant Chus, fils de Cham (C). D’autres disent que Cham même est le Zoroastre des Orientaux, inventeur de la magie. M. Bochart réfute très-bien cette fausseté. Cédrénus observe que Zoroastre, qui devint un si fameux astronome parmi les Perses, était issu de Bélus. Cela signifie qu’il était issu de Nemrod. Quelques-uns l’ont pris pour Nemrod même ; quelques autres, ou pour Assur, ou pour Japhet. Les anciens Persans veulent tous que Zoroastre soit plus ancien que Moïse ; et il y a des mages qui prétendent même qu’il est le même qu’Abraham, et qui l’appellent souvent Ibrahim Zerdascht, comme qui dirait, Abraham, l’ami du feu. Les chrétiens orientaux disent que Zoroastre commença à paraître sous le règne de Cambyses ; qu’il était natif de la province de Médie ; mais d’autres le font Assyrien, et veulent qu’il ait été disciple du prophète Élie... Ben Schuhnah dit qu’il fut disciple d’Esdras, et que ce prophète lui donna sa malédiction, à cause qu’il soutenait des opinions fort opposées aux principes de la loi judaïque et qu’il devint lépreux pour punition de son impiété ; et qu’ayant été à ce sujet chassé de Jérusalem il se retira en Perse, où il se fit l’auteur d’une nouvelle religion. Quelques-uns l’ont pris pour le prophète Ézéchiel, et l’on ne peut disconvenir qu’ils ne se fondent sur quantité de conformités entre ce qui appartient à l’un et ce qui est raconté de l’autre. George Hormius s’est imaginé que Zoroastre est le faux prophète Balaam. M. Huet montre que c’est le Moïse des Juifs, et il rapporte une infinité de convenances entre ce que l’Écriture nous apprend de Moïse, et ce que les auteurs païens ont débité de Zoroastre. Il n’y a guère de gens qui ne croient qu’il y a plusieurs Zoroastres, tout comme plusieurs Jupiters et plusieurs Hercules. Voyez le Traité de Thomas Stanlei ; que M. Leclerc a mis en latin : vous y trouverez un Zoroastre chaldéen, un bactrien, un perse, un pamphylien, un proconnésien et un babylonien. On a tort de croire que Zoroastre ait enseigné la magie diabolique ; car sa magie n’était autre chose que l’étude de la nature divine et du culte religieux. Platon le déclare formellement (D). Mais si à cet égard-là il est facile de le disculper, il est malaisé de la faire sur le dogme des deux principes ; tant la présomption est grande qu’il a enseigné actuellement qu’il y avait deux causes coéternelles, l’une des bonnes choses, l’autre des méchantes (E). M. Hyde, dans son excellent Traité de la Religion des anciens Perses, cite des auteurs qui le disculpent sur ce point-là. Nous examinerons s’ils méritent d’être crus (F). On veut même qu’il n’ait pas été idolâtre, ni quant au culte du feu, ni quant à celui de Mithra (G). Ce qui parait de moins incertain, parmi tant de choses que l’on conte de cet homme, est qu’il a été l’introducteur d’une nouvelle religion dans la Perse, et qu’il a fait cela environ le régné de cas Darius, qui fut le successeur Cambyses. Il est encore dans une grande vénération parmi les Perses qui ne suivent pas la religion mahométane, mais l’ancienne religion du pays. Ils le nomment Zardhust, et plusieurs croient qu’il était venu de la Chine, et ils en content une infinité de choses miraculeuses. Vous en pourrez voir un échantillon dans la bibliothéque orientale de M. d’Herbelot, et dans l’Histoire de la Religion des Benjans, traduite de l’anglais de M. Lord, par M. Briot. Consultez aussi la Démonstration évangélique de M. Huet, et l’ouvrage de M. Hyde. Bien des gens croient que tous les ouvrages qui ont couru sous le nom de Zoroastre, et dont quelques-uns subsistent encore, sont supposés. M. Hyde n’est pas de ce sentiment (H). * Chaufepié, qui prétend que Bayle a bien qualifié son article par ces derniers mots, n’a pas manqué de vouloir en faire un sur le même personnage. Il avoue toutefois qu’il rapporte ce qu’on pense de plus vraisemblable sur le sujet de cet homme célèbre. * Joly s’étonne que Bayle n’ait pas, dans cet article, cité l’Apologie de Naudé pour les grands hommes accusés de Magie, chap. VIII, où l’auteur justifie Zoroastre : il dit qu’on peut consulter l’Incrédulité savante et la Crédulité ignorante, Lyon, 1671, in-4°., ouvrage du père Jacques d’Autun, capucin, qui est une réponse à l’Apologie. Joly termine son article par l’extrait d’un manuscrit de la Bibliothéque du roi, intitulé : Recueil quelques Astrologues et Hommes doctes, fait par Simon de Phares, dédié au roi Charles VIII. Risisse codem die, quo genitus esset, unum hominum accepimus Zoroastrem. Eidem cerebrum ita palpitâsse, ut impositam rapelleret manum, futuræ præsagio scientiæ. Plinius, lib. VII, cap. XVI. pag. 592. Idem, lib. XI, cap. XLII, pag 592. Dio. Chrysost., Orat. Borysthenicâ. Cédrenus et Suidas. Clemen, Recognitionum lib. IV, apud Bochart. Geogr. sacræ, lib. IV, cap. I, pag. m. 231. Idem, ibid., apud, Huetium, Demonstr. evang., propos. IV, cap. V, pag. m. 156. Idem, ibidem, apud eund, ibid., pag. 152. Voyez ci-dessus remarque (B) de l’article Cham, tom. V, pag. 54. Bochart. Geogr. sacræ, lib. IV, cap. I, pag. m. 231 et seq. Voyez M. Huet, Demonstr. evangel., propos. IV. cap. V, pag. 150. Herbelot, Biblioth. Orientale, p. 931. Le même, là même, ex Abulpharagio. Là même, pag. 932. Huetius, Demonstr. Evang., propos. IV, cap. V, pag. 151. Idem, ibid., pag. 458. Hornius, Histor. Philos., lib. II, cap. IV, pag. 79, 80. Huetius, Demonstr. Evang., propos. IV, cap. V, pag. 149 et seq. Intitulé Historia Philosophiæ orientalis. Au chapitre II du Ier livre. Voyez la rem. (B) vers la fin. Sous le mot Zerdascht. Cette traduction fut imprimée à Paris l’an 1666, in-12. Pag. 152 et seq., et pag. 458, 459. (A) Il fut vaincu par Ninus, et a passé pour l’inventeur de la magie. ] Justin va nous dire que ce fut la dernière des victoires de ce conquérant, et que Zoroastre philosopha avec beaucoup d’exactitude sur les principes de l’univers et sur les mouvemens des étoiles. Postremum illi (Nino) bellum cum Zoroastre rege Bactrianorum fuit, qui primus dicitur artes magicas invenisse, et mundi principia, siderumque motus diligentissimè spectâsse. Hoc occiso, et ipse decessit. Quelques-uns attribuent à Sémiramis la gloire d’avoir vaincu Zoroastre. Ils entendent sans doute quelque chose de plus fort que ce qu’on lit dans Diodore de Sicile, qu’ayant été trouver son mari au siége de Bactra, elle conseilla et fit une attaque qui fut suivie de la réduction de la ville. Ninus l’épousa depuis. Je crois qu’ils veulent dire, que l’une des guerres qu’elle termina glorieusement après la mort de ce grand monarque fut celle où Zoroastre perdit ses états. Un historien, cité par Syncellus, traite de la naissance de Sémiramis et de celle de ce magicien, après avoir raconté les actions de Ninus. Ce serait donc à Sémiramis plutôt qu’à Ninus qu’il aurait attribué la victoire dont nous parlons : et je ne sais si, pour confirmer la chose, on ne voudrait point se prévaloir de ces vers latins, Persarum statuis Babylona Semiramis urbem, ......................... ......................... Jussit et imperio surgere Bactra caput. M. Stanlei dit que Zoroastre, selon Eusèbe, a été contemporain de Sémiramis ; mais il est sûr qu’au rapport d’Eusèbe il fut vaincu par le roi Ninus. S’il était vrai, comme Arnobe le raconte, que de part et d’autre l’on se servit des secrets de la magie dans cette guerre des Assyriens et des Bactriens, il serait malaisé de croire que Zoroastre eût inventé cet art-là ; car il faudrait supposer que ses secrets passèrent bientôt en Chaldée, et qu’on les y perfectionna si promptement, que les magiciens de Ninus furent capables de disputer avec l’inventeur ; et de le vaincre. Je ne donne pas cela pour une impossibilité. Mais voici les paroles d’Arnobe : Ut inter Assyrios et Bactrianos Nino quondam Zoroastreque ductoribus non tantùm ferro dimicaretur et viribus, verùm etiam magicis et Chaldæorum ex reconditis disciplinis, invidia nostra hæc fuit. Ammien Marcellin veut que Zoroastre n’ait fait qu’augmenter les secrets magiques des Chaldéens. Quelques-uns disent qu’Azonace fut celui qui instruisit Zoroastre : ce serait donc Azonace qu’il faudrait considérer comme l’inventeur de la magie. Hermippus qui de totâ eâ arte diligentissimè scripsit, et vicies centum millia versuum à Zoroastre condita, indicibus quoque voluminum ejus positis explanavit, præceptorem, à quo institutum diceret, tradidit Azonacem, ipsum verò quinque millibus annorum ante Trojanum bellum fuisse. Saint Augustin et Orose ont suivi la tradition rapportée par Justin. La liste qu’Apulée donne des plus fameux magiciens de l’antiquité met Zoroastre au premier rang, au plus ancien poste. Si quamlibet modicum emolumentum probaveritis, ego ille sim Carinondas, vel Damigeron, vel Moses, vel Jannes, vel Apollonius, vel ipse Dardanus, vel quicumque alius POST Zoroastrem, et Hostanem inter magos celebratus est. Notez que Diodore de Sicile, qui raconte assez amplement la guerre de Ninus et des Bactriens, nomme le roi de ceux-ci, non pas Zoroastre, mais Oxyartes, et qu’il ne fait mention d’aucune magie. Cependant il narre ce qu’il avait lu dans Ctésias, qui était un historien assez enclin au débit de pareilles choses. Vossius et Henri Valois prétendent que Justin assure que Zoroastre se défendit contre Ninus, non-seulement par les armes, mais aussi par la magie. Il n’est pas vrai que Justin dise cela. Le même Vossius assure que ce narré de Justin a été tiré du premier livre de Ctésias, comme Arnobe l’a indiqué. C’est un nouveau mensonge. Les paroles d’Arnobe sont fort embrouillées, et l’on n’y saurait trouver ce fait-là. (B) Tout est plein de variations sur le temps de Zoroastre. ] Nous avons vu qu’on le fait contemporain du roi Ninus, qui mourut, selon Eusèbe, environ 825 ans avant la prise de Troie. Nous avons vu aussi que Zoroastre, selon l’opinion d’Hermippus, a précédé de cinq mille ans la guerre de Troie. Le platonicien Hermodore a suivi la même chronologie qu’Hermippus, et Plutarque l’a rapportée comme la plus commune ; mais, selon Suidas, il n’y a qu’un intervalle de 500 ans depuis Zoroastre jusques à la guerre de Troie. Il y a de grands auteurs qui ont dit que Zoroastre a vécu six mille ans avant la mort de Platon. Eudoxus, qui inter sapientiæ sectas clarissimam, utilissimamque eam ( magicam artem) intelligi voluit, Zoroastrem hunc sex millibus annorum ante Platonis mortem fuisse prodidit. Sie et Aristoteles. D’autres, comme Xanthus le Lydien, ne le font antérieur que de six cents ans à l’expédition de Xerxès. D’autres disent qu’il le faut confondre avec un Pamphylien qui se nommait Er, et qui était fils d’Arménius, et qui, étant ressuscité douze jours après sa mort, raconta les choses qu’il avait vues dans l’autre monde. Ses narrations semblent prouver qu’il avait lu l’Iliade. Elles sont pour le moins une preuve démonstrative qu’il a vécu après le siége de Troie. Vous les trouverez dans Platon, au Xe. livre de la République. C’est Clément d’Alexandrie qui suppose que cet homme-là ne diffère point de Zoroastre, ce qu’il prouve par la raison que celui-ci se déclare fils d’Arménius, et Pamphylien de naissance, et instruit divinement de plusieurs choses dans les enfers. Or, puisqu’Arnobe remarque que ce Pamphilien fils d’Arménius a été aimé de Cyrus, voilà une tradition selon laquelle Zoroastre a paru au monde beaucoup plus tard qu’on ne croit, Armenius Zostriani nepos, et familiaris Pamphilus Cyri. Ce sont les paroles d’Arnobe. M. de Valois observe qu’Armenius se prend là pour filius Armanii ; le mot Cyri lui est suspect ; il aimerait mieux lire Nini, parce, dit-il, qu’il s’agit là d’un Zorostrate dont le premier livre de Ctésias avait fait mention. Or Ctésias n’avait commencé à parler des rois de Perse qu’au VIIe. livre, et il avait employé les six livres précédens à raconter les actions des Assyriens et celles des Mèdes. Je réponds qu’il n’est nullement certain qu’Arnobe prétende que Ctésias ait parle de ce fils d’Arménius. Notez que plusieurs critiques veulent qu’au lieu de Zostriani, on mette Ostanis ou Hostanis : mais ils ne prennent pas garde qu’ils attribuent à Arnobe un anachronisme bien grossier ; car Ostanes ayant suivi Xerxès dans l’expédition de Grèce, il n’est pas possible qu’il soit l’aïeul d’un ami de Cyrus. Agathias, qui a vécu sous l’empire de Justinien, assure que, selon les Perses de ce temps-là, Zoroastre et Hystaspe avaient été contemporains. Mais ils ne disaient pas si cet Hystaspe était le père de Darius, ou quelque autre. M. Marsham décide tout net qu’il faut entendre le père de Darius ; et il se fonde sur ce que l’un des éloges qui furent gravés sur son tombeau fut d’avoir été l’instructeur des mages, et sur ce que le même historien qui assure qu’Hystaspe a excellé en magie, l’a qualifié père de Darius. Deindè (post Zoroastrem) Hystaspes rex prudentissimus Darii pater. Qui cùm superioris Indiæ secreta fidentiùs penetraret, ad nemorosam quamdam venerat solitudinem, cujus tranquillis silentiis præcelsa brachmanorum ingenia potiuntur : eorumque monitu rationes mundani motûs et siderum, purosque sacrorum ritus quantùm colligere potuit eruditus, ex his quæ didicit, aliqua sensibus magorum infudit : quæ illi cum disciplinis præsentiendi futura, per suam quisque progeniem, posteris ætatibus tradunt. Ex eo per sæcula multa ad præsens unâ eâdemque prosapiâ multitudo creata, deorum cultibus dedicatur. Ammien Marcellin n’a pas eu raison de dire que ce père de Darius était roi, et peut-être n’a-t-il commis cette faute que pour avoir lu, en général, qu’un roi Hystaspe avait été un grand magicien, et pour avoir cru qu’il n’y avait point d’autre Hystaspe que le père de Darius. Mais il est sûr que l’on a parlé d’un roi Hystaspe, grand prophète, et plus ancien que la fondation de Rome. Hydaspes quoque, qui fuit Medorum rex antiquissimus, a quo amnis quoque nomen accepit, qui nunc Hydaspes dicitur, admirabilis omnium, sub interpretatione vaticinantis pueri ad memoriam posteris tradidit sublatum iri ex orbe imperium, nomenque Romanum ; multò ante præfatus, quàm illa Trojana gens conderetur. Il faut lire Hystaspes et non pas Hydaspes dans ce passage de Lactance : c’est ainsi que les bons critiques ont corrigé les deux endroits où Justin Martyr a fait mention de ce prophète païen ; dans l’un, pour nous apprendre qu’il a prédit l’incendie de toutes les choses périssables ; dans l’autre, pour observer que la lecture de ses écrits était défendue à peine de la vie, parce qu’elle pouvait découvrir les vérités que les infidèles persécutaient, Κατ ̓ ἐνέργειαν δὲ τῶν φαύλων δαιμόνων, θάνατος ὡρίσθη κατὰ τῶν τὰς Ὑςάσπου ἢ Σιβύλλης, ἢ τῶν προφητῶν βίβλους ἀναγινωσκόντων, ὅπως διὰ τοῦ φόβου ἀποστρέψωσιν ἐντυγχάνοντας τοὺς ἀνθρώπους τῶν καλῶν γνῶσιν λαβεῖν, αὐτοῖς δὲ δουλεύοντας κατέχωσιν· ὅπερ εἰς τέλος οὐκ ἴσχυσαν πρᾶξαι. Operâ autem et instinctu malorum dæmonum mortis supplicium adversùs librorum Hydaspis aut Sibyllæ aut prophetarum lectores constitutum est : ut per timorem homines ab illis, quò minùs scripta ea legentes rerum bonarum notitiam percipiant, sed in servitute eorum retineantur, absterreantur. Pour le dire en passant, ces écrits-là, aussi-bien que ceux des sibylles, étaient de la forge pieuse de quelques chrétiens. Disons que M. Marsham pouvait se servir encore d’une autre preuve, et la bâtir de cette façon : Clément d’Alexandrie a prétendu que Zoroastre ne différait point du Pamphylien fils d’Arménius : or, selon Arnobe, ce Pamphylien a été ami de Cyrus, et nous lisons dans Hérodote un entretien de Cyrus et d’Hystaspe, père de Darius : il est donc vrai que Zoroastre et cet Hystaspe ont vécu en même temps. M. de Valois le jeune affirme que, selon le témoignage d’Agathias, quelques-uns disaient qu’Hystaspe, le docteur des mages, était beaucoup plus ancien que le père de Darius. Il est certain qu’Agathias ne dit point cela, et qu’au contraire il se plaint de ce que les Perses ne marquaient pas si leur Hystaspe était le père de Darius ou non. Je ne remarque ceci qu’afin qu’on voie que les citations des auteurs les plus judicieux nous trompent souvent, et qu’ainsi la prudence veut que l’on vérifie les passages, qui que ce soit qui les allègue. Je répète ici cette observation ; je me souviens bien de l’avoir faite en d’autres endroits. Je n’aurais jamais fait si je voulais relever toutes les inexactitudes de nos auteurs, et rapporter toutes les variétés qui concernent la chronologie de Zoroastre. Mais voici de quoi confirmer encore la pensée de M. Marsham. On a dit que Pythagoras fut disciple de Zoroastre, sous le règne de Cambyse, fils de Cyrus. J’ai cité ailleurs les paroles d’Apulée qui nous apprennent ce fait. Quelques-uns les entendent comme si Pythagoras, ayant été fait esclave en Égypte, avait été transporté en Perse. Quelques autres veulent qu’il ait été transporté en Babylone, et qu’il y ait été instruit par Zoroastre le Babylonien, qu’ils distinguent du Persan. Hisce (quinque Zoroastris) addi potest Sextus Zoroaster, sic enim ab Apuleio vocatur, qui Babylone vixit, quo tempore Pythagoras captivus à Cambyse eo deductus est. Idem scriptor cum vocat, omnis divini arcanum antistitem, eoque magistro præcipuè usum esse Pythagoram dicit. Videtur idem esse ac Zabratus, à quo Diogenes affirmat Pythagoram purgatum esse omnibus pristinæ vitæ sordibus, et edoctum quarum rerum probos expertes esse oporteret, uti et physicam. Idem quoque erit Nazaratas Assyrius, quem Alexander, in libro de Pythagoricis Symbolis, affirmat magistrum fuisse Pythagoræ. Hunc eundem Suidas vocat, Zarem, Cyrillus Zaranem, Plutarchus Zaratam. Ces paroles sont tirées d’un ouvrage de Thomas Stanlei ; je ne sais point ce qu’il veut dire lorsqu’il remarque qu’Apulée se sert de cette expression Sextus Zoroaster : je ne la trouve point du tout dans le livre que l’on a cité. Je ne sais point non plus sur quoi l’on se fonde en assurant que Pythagoras fut amené prisonnier à Babylone par le roi Cambyse. Les termes d’Apulée signifient, visiblement qu’il fut envoyé on Égypte avec les prisonniers de ce monarque. Pour bien entendre cela, il faut consulter Hérodote, qui raconte que Polycrate, tyran de Samos, voulant se défaire de quelques personnes qui lui étaient suspectes de brasser une rébellion, fit prier Cambyse de lui demander des troupes. Cambyse lui en ayant demandé, Polycrate lui envoya en Égypte quarante vaisseaux où il avait embarqué ces personnes-là, et le fit prier de ne pas permettre leur retour. Apulée a voulu dire, sans doute, qu’il y a des gens qui prétendent que Pythagoras fut un de ceux qui furent alors livrés à Cambyse par Polycrate. Il ne parle point du transport de Pythagoras, soit en Perse, soit à Babylone. (C) Grégoire de Tours assure à peu près la même chose touchant Chus, fils aîné de Cham. ] « Le fils aîné de Cham, dit-il, s’appela Chus. Celui-ci fut le premier inventeur de l’art magique, à la suggestion du diable, et le premier aussi qui donna commencement à l’idolâtrie. Il fut le premier qui, par une suggestion diabolique, fit une petite statue pour être adorée : il faisait accroire aux hommes qu’il avait la puissance d’attirer les étoiles et le feu du ciel. Il s’en alla parmi les Perses, qui l’appelèrent Zoroastre, c’est-à-dire, vivante étoile. Ayant aussi appris de lui la manière d’adorer le feu, ils le révérèrent lui-même comme Dieu, ayant été consumé divinement par le feu. » (D) Sa magie n’était autre chose que l’étude.... du culte religieux. Platon le déclare formellement. ] Il y a quatre personnes d’élite, dit-il, qui élèvent le fils aîné du roi des Perses. On choisit le plus sage, le plus juste, le plus tempérant et le plus brave qui se puissent trouver. Le plus sage lui enseigne la magie de Zoroastre, c’est-à-dire le culte des dieux : il lui enseigne aussi l’art de régner. Ωνο μὲν μαγείαν τε διδάσκει τὴν Ζωροάστρου τοῶ Ὡρομάζον (ἔςι δε τοῦτο θεῶν θεραπεία) διδάσκει δέ καὶ τὰ βασιλικά. Quorum primus magiam Zoroastri Oromasii filii docet, est autem illa deorum cultus : atque idem tradit instituta regia. Notez que Zoroastre est qualifié fils d’Oromase, et qu’Oromase est le nom que lui et ses sectateurs donnaient au bon Dieu : il semble donc que c’était la même chose de l’appeler fils d’Oromase que de l’appeler fils de Dieu. M. Stanlei conjecture, avec beaucoup de vraisemblance, qu’on lui donnait ce dernier titre. Hinc colligas verba Platonis esse intelligenda de mago Persâ, qui propter inusitatam eruditionem figuratè, aut fabulosè dicebatur filius Dei, aut alicujus boni genii, quo honore affecti sunt Pythagoras, Plato, aliique præstantissimi viri. Qui voudra voir une infinité de passages qui témoignent que la magie des Perses, instituée par Zoroastre, était l’étude de la religion et de la morale, n’aura qu’à lire Brissonius et Boulanger. Personne n’ignore que Gabriel Naudé justifie doctement et solidement notre Zoroastre de l’accusation de magie noire. Il indique bien des auteurs que l’on pourra consulter. (E) Qu’il y avait deux causes coéternelles, l’une des bonnes choses, l’autre des méchantes. ] Plutarque assure que c’est l’avis et l’opinion de la plupart et des plus sages des anciens. « Zoroastre le magicien, ajoute-t-il, qu’on dit avoir esté cinq cens ans devant le temps de la guerre de Troie..... appelloit le bon Dieu Oromazes, et l’autre Arimanius ..... et enseigna de sacrifier à l’un pour lui demander toutes choses bonnes, et l’en remercier ; et à l’autre, pour divertir et destourner les sinistres et mauvaises : car ils broyent ne sai quelle herbe, qu’ils appellent omomi, dedans un mortier, et reclament Pluton et les tenebres, et puis la meslant avec le sang d’un loup qu’ils ont immolé, ils la portent et la jettent en un lieu obscur où le soleil ne donne jamais : car ils estiment que des herbes et plantes les unes appartiennent au bon Dieu, et les autres au mauvais dæmon ; et semblablement des bestes, comme les chiens, les oiseaux et les hérissons terrestres soyent à Dieu ; et les aquatiques, au mauvais dæmon, à cette cause reputent bienheureux ceux qui en peuvent faire mourir plus grand nombre. Toutefois ces sages-là disent beaucoup de choses fabuleuses des dieux ; comme sont celles-ci : que Oromazes est né de la pure lumiere, et Arimanius des tenebres ; qu’ils se font la guerre l’un à l’autre, et que l’un a fait six dieux, le premier celui de Benevolence, le second de Verité, le troisieme de bonne Loi, le quatrieme de Sapience, le cinquieme de Richesse, le sixieme de Joye, pour les choses bonnes et bien faites : et l’autre en produit autant d’autres en nombre, tous adversaires et contraires à ceux-ci. Et puis Oromazes s’estant augmenté par trois fois, s’esloigna du soleil, autant comme il y a depuis le soleil iusques à la terre, et orna le ciel d’astres et d’estoiles, entre lesquelles il en establit une comme maîtresse et guide des autres, la caniculaire. Puis ayant fait autres vingt et quatre dieux, il les mit dedans un œuf, mais les autres, qui furent faits par Arimanius, en pareil nombre, graterent et ratisserent tant cest œuf, qu’ils le percerent, et depuis ce temps-là les maux ont esté pesle-mesle brouillez parmi les biens. Mais il viendra un temps fatal et predestiné, que cest Arimanius, ayant amené au monde la famine ensemble et la peste, sera destruit et de tout poinct exterminé par eux, et lors la terre sera toute plate, unie et égale, et n’y aura plus qu’une vie, et une sorte de gouvernement des hommes, qui n’auront plus qu’une langue entre eux, et vivront heureusement. Theopompus aussi escrit que selon les magiciens, l’un de ces dieux doit estre trois mille ans vainqueur, et trois autres mille ans veincu, et trois autres mille ans qu’ils doivent demeurer à guerroyer et à combattre l’un contre l’autre, et à destruire ce que l’autre aura fait, jusqu’à ce que finalement Pluton sera delaissé, et perira du tout, et lors les hommes seront bienheureux, qui n’auront plus besoin de nourriture, et ne feront plus d’ombre, et que le Dieu qui a ouvré, fait et procuré cela, chomme cependant et se repose un temps, non trop long pour un Dieu, mais comme mediocre à un homme qui dormiroit. Voilà ce que porte la fable controuvée par les mages. » Il n’a pas été inutile de rapporter tout ce passage, puisque l’on y voit quelques détails sur les opinions, et sur les préceptes de Zoroastre, et que nous pouvons connaître par-là que les sectateurs des deux principes s’embarrassaient dans plusieurs inconséquences absurdes, dès qu’ils descendaient à l’explication particulière de leur système. J’ai observé la même chose en parlant des manichéens. Or puisque, selon la tradition la plus commune, Zoroastre doit passer pour le fondateur des mages, et qu’on peut prouver par un grand nombre d’autorités qu’ils ont admis un bon dieu et un mauvais dieu, celui-là, nommé Oromase ou Orosmade, celui-ci nommé Arimanius, il y a beaucoup d’apparence qu’il a soutenu effectivement cette doctrine. Observons que Plutarque, ayant rapporté ce qu’on a vu ci-dessus, ajoute : Voilà ce que porte la fable controuvée par les mages. Si l’on inférait de là qu’il rejetait en général toute l’hypothèse des deux principes, l’un bon et l’autre mauvais, on ne saurait guère ses sentimens. Il pouvait bien condamner les explications particulières des sectateurs de Zoroastre ; mais sans doute il admettait tout le fondement de leur système, que le dieu qu’ils appelaient bon n’est la cause d’aucun mal. J’ai cité divers endroits de ses œuvres où il se déclare là-dessus sans équivoque, et cependant ils ne nous découvrent point tout le fond de sa doctrine. C’est pourquoi je mettrai ici quelques passages qui nous la feront mieux connaître. Je crois qu’elle était assez conforme au sentiment qu’il attribuait à Platon. Ce philosophe, dit-il, admet deux âmes du monde, l’une bienfaisante, l’autre malfaisante : « et laisse encore entre-deux une troisième cause, qui n’est point sans ame, ni sans raison, ni immobile de soi-mesme, comme aucuns estiment, ains adjacente et adherante à toutes ces deux autres, apettant toutefois tousjours la meilleure, la desirant et la pourchassant...... parce que la generation, composition et constitution de ce monde ici est meslée de puissances contraires, non pas toutefois égales, car la meilleure le gagne, et est plus forte, mais il est impossible que la mauvaise perisse du tout, tant elle est avant imprimée dedans le corps et dedans l’ame de l’univers, faisant tousjours la guerre à la meilleure. » Il expose plus amplement en un autre endroit cette doctrine de Platon, et nous fait entendre que l’origine du mal n’est point dans une matière insensible et inanimée, qui n’ait point d’action ni de qualités, et qui puisse recevoir toutes les formes imaginables, mais dans une matière qui se meut, et qui est unie à une âme dont les désordres ne peuvent être entièrement corrigés. Je dirai ci-dessous pourquoi je rapporte un si long morceau de son ouvrage. « Heraclitus dit qu’il n’y a eu ni dieu homme qui ait fait ce monde, comme craignant que si nous desavouyons Dieu pour créateur, il ne fust incontinent necessaire de confesser que l’homme en eust esté l’architecte et l’ouvrier : mais il vaut beaucoup mieux, suivant la sentence et avis de Platon, que nous avouyons, voire chantions, qu’il a esté fait et creé de Dieu, comme estant l’un le plus grand chef d’œuvre qui jamais ait esté fait, et l’autre le plus excellent ouvrier et la meilleure cause qui puisse estre : mais la substance et la matiere dont il a esté fait n’a pas esté creée, ains a de tout temps esté sujette à l’ouvrier, pour le disposer et ordonner, et le rendre, le plus qu’il seroit possible, semblable à soi, car generation ne se peut faire de ce qui n’est point, mais de ce qui n’est pas bien ou ainsi qu’il apartient... Or, avant la creation du monde, l’univers estoit un chaos, c’est à dire un desordre confus, lequel toutefois n’estoit pas sans corps, ni sans mouvement et sans ame, mais ce qu’il y avoit de corps estoit sans forme et sans consistance, et ce qu’il y avoit d’ame mouvante estoit temeraire, sans entendement ni raison, ce qui n’estoit autre chose qu’un desordre d’ame non regie par aucun jugement de raison. Car Dieu n’a point fait corps ce qui estoit incorporel, ni ame ce qui estoit inanimé ; comme le musicien ne fait pas la voix ni le baladin le mouvement, mais il rend bien la voix douce, accordante et harmonieuse, et le mouvement mesuré de bonne grace et bien compassé : aussi Dieu n’a pas fait la solidité palpable du corps, ni la puissance mouvante et imaginative de l’ame : mais ayant trouvé ces deux principes-là, l’un tenebreux et obscur, l’autre insensé et turbulent, tous deux imparfaits, desordonnez et indeterminez, il les a ordonnez et disposez tous deux, en sorte qu’il en a composé le plus beau et le plus parfait animal de tous. La substance du corps donc, qui est la nature qu’il appelle susceptible de toutes choses, le siege et la nourrice de tout ce qui est engendré, n’est autre chose que cela. Quant à la substance de l’ame, il l’appelle, au livre intitulé Philebus, infinité, qui est la privation de tout nombre, de toute mesure et de toute proportion, qui n’a en soi ne fin, ne terme, ne plus ne moins, ne peu ne trop, ne similitude ne dissimilitude. Et celle qu’il dit au Timæus estre meslée avec l’indivisible nature, et devenir divisible par les corps, il ne faut pas entendre que ce soit ni multitude en unité, ni longueur et largeur en poincts : car ce sont qualitez qui conviennent plutost au corps que non pas à l’ame, ains ce principe-là desordonné, indefini, se mouvant soi-mesme, et ayant vertu mouvante lequel il appelle en plusieurs lieux necessité, en ses livres des Loix il l’appelle tout ouvertement ame desordonnée, mauvaise et mal-faisante. C’est l’ame simplement dite à par soi, laquelle depuis a esté faite participante d’entendement, et de discours de raison, et de sage proportion, afin qu’elle devinst ame du monde. Et aussi ce principe-là materiel, qui reçoit tout, avoit bien magnitude, distance et place ; mais de beauté, de forme et figure proportionnée, et de mesure, il n’en avoit point ; mais il en eut quand il fust accoustré, afin qu’il devint corps de la terre, de la mer, des estoiles et du ciel, des plantes et des animaux de toutes sortes. Or ceux qui attribuent à la matiere ce qu’il appelle au Timæus, necessité, et au traité de Philebus, infinité et immensité de plus et de moins, de peu et de trop, d’excez et de defaut, et non pas à l’ame, ils ne pourront pas maintenir qu’elle soit cause du mal, d’autant qu’il suppose tousiours que cette matiere-là soit sans forme ne figure quelconque, destituée de toute qualité et faculté propre à elle, la comparant aux huiles qui n’ont odeur quelconque leur, dont les parfumiers se servent à faire leurs parfums : car il n’est pas possible que Platon suppose que ce qui est de soi oiseux, sans qualité active, ni mouvement ou inclination à chose aucune, soit la cause et le principe de mal, ne qu’il la nomme infinité mauvaise et mal-faisante, ni aussi la necessité qui en plusieurs choses repugne à Dieu, lui estant rebelle, et refusant de lui obéir : car celle necessité, qui a renverse le ciel, comme il dit en son Politique, et le retourne tout au contraire : la concupiscence qui est née avec nous, et la confusion de l’ancienne nature, où il n’y avoit ordre quelconque, avant qu’elle fust rengée en la belle disposition du monde qui est maintenant, d’où est-ce qu’elle est venue és choses, si le sujet qui est la matiere estoit sans qualité quelconque, exempte de toute efficace de cause ? Et l’ouvrier, estant de sa nature tout bon, desiroit, autant qu’il est possible, rendre toutes choses semblables à soi, car il n’y a point de tiers, outre ces deux principes-là : et si nous voulons introduire le mal en ce monde, sans cause precedente et sans principe qui l’ait engendré, nous tomberons és difficultez et perplexitez de stoïques : car des principes qui sont en estre, il n’est pas possible que celui qui est bon, ne celui qui est sans force ne qualité quelconque, ait donné estre ni generation à ce qui est mauvais. Et n’a point fait Platon comme ceux qui sont venus depuis lui, lesquels à faute d’avoir veu et entendu le troisieme principe et troisieme cause, qui est entre Dieu et la matiere, se sont laissez aller, et tomber en un propos le plus estrange, et le plus faux du monde, faisans je ne sai comment venir du dehors casuellement la nature du mal par accident, ou bien de lui-mesme, là où ils ne veulent pas conceder à Epicurus qu’un seul atome gauchisse ni destourne tant peu que ce soit, pource qu’ils disent qu’il introduit temerairement un mouvement, sans en supposer aucune cause precedente : et eux cependant disent que le vice, la meschanceté, et mille autres difformitez et imperfections des corps, aviennent par conséquence, sans qu’il y ait autre cause efficiente. Mais Platon ne dit pas cela, ains despouillant la matiere de toute qualité, et mettant bien au loin arriere de Dieu toute cause de mal, a ainsi escrit, touchant le monde, en ses Politiques : Le monde a eu, dit-il, toutes bonnes choses de son auteur qui l’a composé, mais de son habitude exterieure du paravant : tout ce qu’il y a de mauvais, de meschant et d’injuste au ciel, il le tient de là, et puis il l’imprime ça bas aux animaux. Et après, un petit plus avant : Par trait de temps, dit-il, oubliance prenant pied, et s’imprimant en lui la passion de son ancien desordre et confusion, y domine de plus en plus ; et y a danger que venant à se dissoudre, il ne s’en retourne derechef plonger en sa fondriere vaste et infinie de diversité... Platon appelle bien voirement la matiere mere et nourrice, mais aussi, dit-il, que la cause du mal est la puissance motive resseante en icelle, et qui par les corps est divisible, qui est un mouvement desraisonnable et desordonné, mais non pas toutefois sans ame, laquelle il appelle disertement et expressément és livres de ses Loix, ame contraire et repugnante à celle qui est cause de tout bien, parce que l’âme est bien la cause et le principe de mouvement, mais l’entendement est la cause et le principe de l’ordre et de l’harmonie du mouvement : car Dieu n’a point rendu la matiere oiseuse, mais il a empesché qu’elle ne fust plus agitée ni troublée d’une cause folle et temeraire, et n’a pas donne à la nature les principes de mutations et de passions, mais elle estant enveloppée de toutes sortes de passions et de mutations desordonnées il en a osté tout le desordre et tout l’erreur qui y estoit, se servant pour outils propres à ce faire des nombres, des mesures et des proportions. » Ce développement de la doctrine de Platon sur la création du monde, et sur l’origine du mal, est l’un des plus beaux endroits qui se trouvent dans Plutarque ; et quoique cette doctrine ne soit pas vraie, elle mérite pourtant d’être lue avec attention, et contient de belles idées et des conceptions sublimes, et d’une fécondité merveilleuse par rapport à ceux qui savent profiter des conséquences. C’est la raison qui m’a engagé à ne point tronquer cet endroit-là. Combien y a-t-il de gens qui le liront, qui ne prendraient pas la peine de recourir à Plutarque si je m’étais contenté de leur indiquer les pages, ou de la version d’Amyot, ou celles de l’original ? Une autre raison m’a empêché de me contenter de cela, c’est qu’on trouve dans ce passage de Plutarque certaines choses dont il faudra que je me serve ci-dessous. (F) M. Hyde...... cite des auteurs qui le disculpent........ Nous examinerons s’ils méritent d’être crus. ] Ceux qui ont lu le journal de M. Bernard n’ont pas besoin qu’on leur apprenne que l’Historia religionis veterum Persarum, publiée par M. Hyde, à Oxford l’an 1700, in-4°., est un des beaux ouvrages qui se pût faire sur un tel sujet. L’idée que cet habile journaliste en donne fait assez entendre que cette Histoire de la Religion des anciens Perses contient une érudition exquise, et des discussions profondes qui déterrent des raretés, et qui découvrent des pays que l’on ne connaissait guère. Venons au fait. M. Hyde assure que les anciens Perses n’ont reconnu qu’un seul principe incréé, c’était le principe du bien, Dieu, en un mot : quant au principe du mal, ils le regardaient comme une chose créée. L’un des noms qu’ils donnaient à Dieu était Hormizda, et pour ce qui est du mauvais principe ils le nommaient Ahariman. Voilà l’origine des deux mots grecs Όρομάσδης et Άρειμάνιος : l’un était le nom du bon principe, l’autre celui du mauvais principe, comme on l’a vu ci-dessus dans un passage de Plutarque. Les Perses ont prétendu qu’Abraham est le premier fondateur de leur religion. Zoroastre y fit ensuite quelques changemens ; mais on veut qu’il ne l’ait point altérée quant au dogme du seul principe incréé : toute son innovation à cet égard fut de donner au bon principe le nom de lumière, et au mauvais principe le nom de ténèbres. Voici un témoin : Zerdusht affirmavit lucem et tenebras esse....... duo principia sibi invicem contraria : et sic esse Yezdân et Ahreman, qui fuerunt..... initium eorum quæ inveniuntur in mundo : ex eorum mistione (seu combinatione) extitisse compositiones : et ex variis compositionibus productas fuisse formas. Et quòd Deus qui creavit lucem et tenebras, utriusque autor unicus sit, sine socio, sine pari aut simili ; nec ei reserenda sit..... existentia tenebrarum, sicut dicunt Zervanitæ : sed bonum et malum, integritas et corruptio, et Puritas ac sparcities exiverunt ex mistione (seu commissione) lucis et tenebrarum : et nisi hæc duo commista fuissent, non extitisset mundus. Et hæc duo contra se invicem insurgebant et de victoriâ contendebant, donec lux vinceret tenebras, et bonum malum. Tum posteà salvum evasit bonum ad mundum suum : et malum divertebat ad mundum suum : et sic fuit causa liberationis. Cùmque Deus excelsus hæc duo temperaverat et miscuerat pro arbitrio suo, eaque in compositione viderat, tum instituit lucem ut originale quiddam, et indixit existentiam ejus ut existera. Sed tenebræ secutæ sunt sicut umbra personam. Nam cùm videret eas quodammodo existere, sed non realiter existere, tum planè produxit lucem, et acquisitæ sunt tenebræ per consequentiam : nam ex necessitate extitit contrarium, quippe cujus existentia fuit necessaria, sc. ut contingens in creatione, non autem ex primâ intentione secundum exemplum quod adduximus de personâ et umbrâ. Ces paroles marquent clairement que dans l’hypothèse de Zoroastre les deux principes l’un du bien, et l’autre du mal, Oromaze, Arimanius, ou la lumière et les ténèbres, n’étaient à proprement parler, que causes secondes, et ne méritaient pas en rigueur le nom de principe. C’était l’ouvrage d’une autre cause, et la production de Dieu. Il y a bien des absurdités dans l’explication particulière de la doctrine de ce mage ; car il disait d’un côté que Dieu seul avait produit les ténèbres, et de l’autre que leur existance ne devait point être rapportée à Dieu. Il disait que Dieu mêla la lumière avec les ténèbres, à cause que sans ce mélange le monde n’aurait pu être produit ; que le bien et le mal, la pureté et l’impureté, sortirent de ce mélange ; qu’il y eut un grand combat entre la lumière et les ténèbres, jusqu’à ce que celles-ci furent vaincues ; qu’après leur défaite elles se retirèrent dans leur monde, et la lumière dans le sien ; que Dieu, ayant mêlé ensemble ces deux contraires, établit une lumière originale, et la fit exister : que les ténèbres résultèrent de cela comme l’ombre suit le corps ; car Dieu, voyant que les ténèbres existaient en quelque façon, mais non pas réellement, donna une pleine existence à la lumière, et ainsi les ténèbres existèrent par une suite inévitable, et non pas selon l’intention directe et primitive du Créateur. Nous ne saurions voir goutte dans ce chaos de pensées nous autres Occidentaux : il n’y a que des Levantins, accoutumés à un langage mystique et contradictoire, qui puissent souffrir sans dégoût et sans horreur un si énorme galimatias. Mais quoiqu’il en soit, me dira-t-on, voilà Zoroastre disculpé sur la principale accusation : il ne sera plus permis de prétendre qu’il a reconnu deux principes incréés, un Arimanius essentiellement méchant, qui existe par soi-même. C’est ce qui me reste à examiner. I. Je réponds en premier lieu qu’il est hors de doute que les auteurs grecs qui ont donné à Zoroastre l’opinion des deux principes ont prétendu lui attribuer un sentiment qui était contraire et à la théologie commune et au dogme des aristotéliciens et des stoïciens : ces deux sectes s’accordaient avec le peuple sur ce point-ci, que le même Dieu, qui verse les biens sur la terre y verse les maux ; que s’il punit d’un coté il récompense de l’autre, etc. Or si l’on a prétendu que Zoroastre et les mages étaient dans un sentiment opposé à celui-là, il faut qu’on ait cru qu’ils enseignaient que le principe qui distribue les biens est distingué personnellement du principe qui fait le contraire, et que ces deux principes sont indépendans l’un de l’autre, et aussi éternels l’un que l’autre. II. Cela se confirme par la raison qu’on ne recourait à cette hypothèse qu’afin d’éviter les embarras qui se rencontrent dans la supposition que le même être qui est la cause du bien soit aussi la cause du mal. Or on ne les eût pas évités, si l’on eût dit qu’Arimanius était une production du bon Dieu ; car la question serait revenue, comment Arimanius, principe du mal, avait pu être produit par une cause infiniment bonne. Chacun comprend que, soit que l’on dise que Dieu produit lui-même tous les maux particuliers, soit que l’on dise qu’il produit Arimanius, qui est ensuite l’auteur nécessaire de tous les maux particuliers, cela revient à la même chose, quod est causa causae est causa causati. Ainsi Zoroastre n’eût pu se sauver d’aucune objection, si sa doctrine eût été telle que Shahristâni la rapporte. Disons donc que les Grecs ne lui ont point imposé. III. Je n’ignore pas qu’on me peut dire qu’ils ont mal connu les opinions des philosophes qu’ils nommaient barbares. Ce qu’ils ont écrit de la nation judaïque et des antiquités d’Égypte n’a rien d’exact. Qu’on répète cela tant qu’on voudra, je répondrai que les écrivains arabes ne sont pas une meilleure caution, quand ils parlent d’un philosophe aussi éloigné de leur temps que l’a été celui-ci. IV. Je conjecture que ses sectateurs lui ont prêté charitablement, et pour leurs propres intérêts, la création du mauvais principe, et qu’ils en ont usé de la sorte depuis qu’ils ont été soumis à la dure domination des Mahométans, qui les abhorrent et qui les traitent d’idolâtres et d’adorateurs du feu. Ne voulant point s’exposer encore plus à leur haine et à leurs insultes, sous prétexte qu’ils reconnaîtraient une nature incréée et souverainement méchante, et indépendante de Dieu, ils ont trouvé à propos de donner une autre interprétation à cette partie de leur système ; car pour nier absolument qu’il ait admis deux principes, ils ne pourraient pas. On sait trop qu’il les admettait : « Le Tarikh Montekheb dit que Zoroastre, autour de la secte des megiousch ou mages, est aussi le premier qui a enseigné la doctrine des deux principes de toutes choses, et que le surnom de megiousch que l’on lui donne, est un nom corrompu par les Arabes, du mot persien méikhousch, qui signifie aigre-doux, à cause des deux principes bon et mauvais qu’il établissait. Voilà un auteur qui attribue à Zoroastre le premier établissement de ce dogme ; mais M. Hyde nous va donner un passage qui fait ce système beaucoup plus ancien, et qui semble même dire que Zoroastre le réforma : Quod Persarum gentem... ei est religio pervetusta : et in eâ docti vocantur Keiomarsii. Isti statuunt aliquem Deum æternum quæm vocant Yezdân, eo designantes τὸν Θεόν : et alium deum creatum ex tenebris, quem nominant Ahrenam, designantes diabolum. Magnifaciunt lucem, eò usque dum colant ignem : et cavent sibi à tenebris. Nec destiterunt sic facere , donec prodiit Zerdusht jactans prophetiam. Asserunt itaque Deum creatorem, quòd scil. creavit lucem et tenebras : eumque esse unicum, nec habere socium. Et quòd bonum et malum, et probitas et improbitas conquisita sunt ex mixtione lucis et tenebrarum : et quòd si hæc duo non fuissent mixta, non extitisset mundus : et, quòd hæc duo hoc modo mixta non desinent, donec bonum approprietur mundo suo, et malum mundo suo ; i. e. utrumque horum tandem concedet ad mundum sibi proprium, scil. in fine mundi..... Et hanc esse religionem magorum. V. Enfin, je dis que M. Hyde reconnaît qu’il y a encore des sectes qui, en admettant comme deux natures coéternelles, Dieu et le diable, sont conformes aux sectateurs de l’Oromaze, et de l’Arimanius de Zoroastre. Voici ses paroles : Dualistae diaboli coœternitatem asserunt. Sunt enim ex Indo-Persis et dualistis manichæis aliisque hæreticis (ut quidam sunt in omni religione), qui opinantur diabolum à seipso processisse, ut loquuntur, i. e. æternum fuisse, et malos angelos sibi creâsse : sed est hæretica opinio, eaque ignorantium quorundam hominum qui peculiariter vocantur... Thanavîa, i. e. Dualistæ seu... domini duorum, scil. assertores seu autores duorum principiorum ; qui (inquit Shahristâni), lucem et tenebras seu Deum et diabolum statuunt duo principia coæterna, in contrarium magorum qui lucem æternam et tenebras creatas ponunt. Isti tales fuerunt, qui Oromazen et Arimanium duos esse deos asserebant, ut Plut., lib. de Iside et Osir.. Il y a des choses bien particulières et bien extravagantes touchant ce système des mages zoroastriens, dans le livre d’un mahométan. Je vais citer ce qui concerne les dualistes qui tiennent encore la coéternité du diable, et qui demandent d’une manière très-importune d’où le mal a pu venir, si le mauvais principe n’est pas éternel. Addit Shahristâni, quòd magusæis peculiaris sit... dualitas, adeò ut statuant... ductores seu gubernatores duos æternos, qui dividuntur in bonum et malum, et probitatem ac improbitatem, emolumentum ac documentum. Horum unus nominatur lux et alter tenebræ, sc. Yezdan seu Deus, et Ahrenam seu diabolus. Eorumque religionem esse sec. hanc divisionem seu distinctionem : et quòd omnes magorum quæstiones vertantur super duobus cardinihus, quorum unus est explicatio causæ mistionis lucis et tenebrarum : et alter est explicatio liberationis lucis à tenebris. Et quidem, quod mistionem statuant... Initium seu statum à quo, et liberationem... Reditum seu statum ad quem. Citons encore ceci Supradictus Shahristani pergit narrare, quòd magi statuant... Principia duo, sicuti dixerat : sed quòd... Magi originales non existiment expedire ut ambo sint... coæterna ab initio ; sed quòd lux sit... æterna ab initio, et tenebræ... productæ. Et quòd tum differant de modo seu causâ productionis ejus ; cùm a luce producitur tantùm lux, quæ non producit ullum malum ; et quomodo ergò productum principium mali aut alius cujusvis rei, cùm nihil adjunctum (seu par fuerit) luci quoad primam ejus productionem et æternitatem. Quelques-uns de ces mages disent qu’Arimanius, ou le mauvais principe, fut créé par une mauvaise pensée qui s’éleva dans l’entendement divin. Cette pensée était, que sera-ce si je n’ai point de querelles ? que peut-on dire de plus abominable ? Serait-il plus blasphématoire de ne donner aucune origine à cet Arimanius que de lui donner celle-là ? Asserentes Yesdân fuisse...... sine initio æternum, et Ahreman fuisse... productum et creatum. Yezdân cogitasse secum, Nisi fuerint mihi controversiæ, quomodo erit ? Hancque cogitationem pravam naturæ lucis minuùs analogam, produxisse tenebras dictas Ahreman, qui naturâ dispositus ad malum et dissidium et improbitatem et noxam et omnia nocumenta : et prodiens contra lucem, eam opposuit tam naturâ (seu facto) quàm dicto. Ils ajoutent qu’il s’éleva une guerre entre l’armée de la lumière et l’armée des ténèbres, qui se termina enfin par un accommodement dont les anges furent médiateurs, et dont les conditions furent que le monde inférieur serait laissé pleinement à Arimanius pendant sept mille ans, après quoi il le restituerait à la lumière. Il avait exterminé avant la paix tous les habitans du monde. La lumière avait appelé les hommes à son secours pendant qu’ils n’étaient encore que des esprits : elle avait fait cela, ou afin de les retirer du pays d’Arimanius, ou afin de leur donner des corps qui combattissent contre cet adversaire. Ils acceptèrent les corps et le combat, à condition d’être assistés par la lumière et de vaincre enfin Arimanius. La résurrection viendra après qu’il aura vaincu. Voilà, concluent-ils, quelle fut la cause de la mixion, et quelle sera la cause de la délivrance. Les Grecs n’ont pas ignoré que Zoroastre enseignait la résurrection future. (G) On veut qu’il n’ait pas été idolâtre ni quant au culte du feu, ni quant à celui de Mithra.] M. Hyde assure que les sectateurs de l’ancienne religion des Perses nient qu’ils aient jamais rendu aux astres le culte divin. Ils soutiennent qu’ils n’adorent pas le soleil, et qu’ils se tournent seulement vers cet astre lorsqu’ils prient Dieu. Il a trouvé parmi les préceptes de Zoroastre qu’il faut saluer le soleil et lui donner des éloges, mais non pas qu’il faille le servir religieusement. Il prouve que leurs cérémonies peuvent justement passer pour des honneurs civils, et il fait là-dessus des observations tout-à-fait curieuses. Il applique au feu ce qu’il a dit du soleil ; les révérences et les prostrations des Perses devant le feu sacré n’étaient pas une adoration religieuse, mais seulement civile : Idem quoque dicendum est de eorum cultu ignis, quem (ut suprà tetigimus), imitando Judæos in Pyreis servârunt. Nam quamvis ei exibuerint reverentiam quandam, eamque per prostrationes, hœ tamen non fuerint adoratio divina, sed tantùm civilis, prout se habet mos Orientis erga quosvis magnates, et olim fuit erga angelos tanquam Dei legatos ejus personam repræsentantes ; cujus rei exempla affatim suppetunt non tantùm in Vet. Test, sed et in Novo, ubi fœminæ ad veram fidem conversæ (visis apud Christi sepulchrum angelis), adorârunt procidentes faciebus in terram : idque quamvis probè scirent non esse Deum, sed angelos, ut constat ex verbis earum profitentium se vidisse visionem angelorum. Il conclut que l’on a tort de les nommer idolâtres et adorateurs du feu, et il veut que Zoroastre ait été un instrument pour les faire persévérer dans la vraie foi. C’était un homme qui avait été nourri dans la connaissance du vrai Dieu, et qui l’adora particulièrement dans un antre naturel, où il mit divers symboles qui représentaient le monde. Mithra représentant le soleil y tenait la place du maître. Mais ce n’était point à Mithra, c’était au vrai Dieu qu’il rendait ses adorations : Is cum esset insignis philosophus, religione austerus, et totius matheseos peritissimus, hâc ratione Persas suî admiratione perculit, et suæ doctrinæ attentos reddidit. Præsertim coluit Deum in naturali quodam antro, quod ille Mithriacum effecit et mirificè ac mathematicè comparavit ; ubi scil. Mithra præsidens, hæc inferiora regio modo regens eaque imprœgnans sedebat : adeò ut omnes posteà non tantùm in summis montium jugis antiquissimo more Deum colebant, sed et subindè illius exemplo, sacra sua Mithriaca in tali antro præstare et peragere didicerunt. In eo erant Mithræ et hujus mundi symbolica philosophicè et mathematicè spectanda et contemplanda, non autem colenda ; quâ itaque in re falluntur autores : nam Persæ tunc talia simulachra non colebant. Consultez ce savant homme, au chapitre IV de son ouvrage, vous y trouverez, entre autres belles éruditions, ces paroles de Porphyre : Referente Eubulo, Zoroastres primus omnium in montibus Persidi vicinis antrum nativum, floridum, fontibusque irriguum in honorem. Creatoris, et omnium patris Mithræ, consecravit : ita ut antrum conditi à Mithrâ mundi figuram ei repræsentaret : ea verò quæ intra antrum, erant certis invicem intervallis disposita, ut elementorum climatumque mundanorum symbola seu figuras gererent. Vous remarquerez, s’il vous plaît, qu’il y a dans cet ouvrage de M. Hyde quelques observations qui peuvent être officieuses aux jésuites, dans le procès qu’on leur fait touchant les honneurs de Confucius, qu’ils soutiennent n’être que civils. Le père le Comte qu’on a tant blâmé pour avoir dit que la vraie religion, ou la connaissance du vrai Dieu, a subsisté dans la Chine pendant plusieurs siècles, trouvera un bon second dans ce docte professeur d’Oxford. (H) Bien des gens croient que tous les ouvrages qui ont couru sous le nom de Zoroastre... sont supposés. M. Hyde n’est pas de ce sentiment. ] Suidas assure que l’on avait quatre livres de Zoroastre περὶ φύσεως, de Naturâ ; un livre περὶ λίθων τιμίων, de Gemmis, et cinq livres d’astrologie judiciaire, Ἀςεροσκοπικά, ἀποτελέσματικὰ, Prædictiones ex inspectione stellarum. Il est fort apparent que ce que Pline rapporte sous la citation de Zoroastre avait été pris de ces livres-là. Eusèbe cite un passage qui contient une magnifique description de Dieu, et il le donne pour les propres termes de Zoroastre, ἐν τῇ ἱερᾷ συναγώγῃ τῶν Περσικῶν, in sacro Persicorum rituum Commentario. Je ne vois personne qui ne croie que Clëment d’Alexandrie a dit que les sectateurs de Prodicus se vantaient d’avoir les livres occultes de Zoroastre. Mais peut-être que ses paroles ont un autre sens, et signifient qu’ils se vantaient d’avoir les livres occultes de Pythagoras. On a imprimé en dernier lieu, avec les vers des sibylles, à Amsterdam, 1689, selon l’édition d’Opsopéus, Oracula magica Zoroastris, cum Scholiis Plethonis et Pselli. Ces prétendus oracles magiques ne contiennent pas deux pages. Voici le jugement de M. Huet sur tous les livres, en général, qui ont couru sous le nom de Zoroastre. Il les traite tous de supposés. Ex cujus (Zoroastris) famâ et existimatione provenit eorum fallacia, qui sub ejus nomine oracula quædam magica græcè scripta incautis obtruserunt. Edita illa sunt cum Pselli et Plethonis scholiis : sed si nares admoveris, fraus subolebit. Vetustiora quidem illa sunt, nihilo lumen γνησιῶτερα (sinceriora) oracula, quæ Cræsi temporibus extitisse narrat Nicolaüs Damascenus. Insinceros quoque eos dixerim libros, quos chaldaicè scriptos, et chaldaicis commentariis illustratos, et effata ac sententias complexos Johannem Picunt habuisse ferunt ; insincerum et librum Zind, mihi de nomine solum cognitum, quo ritus magicos, et ignis colendi disciplinam aiunt caontineri... Insinceros et quos Hermippus, Plinio teste, ducentis versuum millibus sub Zoroastris nomine conditos indicibus quoque positis ex planavit. Ex iisdem falsariorum incudibus profectus est suprà memoratus Persicarum legum codex Zundavastaw, quem vetustissimum tamen conjicio, et eumdem fortassè, qui ab Eusebio Collectio sacra Persicarum rerum appellatur. Indidem profectus et quam se in arsanis habere jactabant, qui Prodici Philosophi doctrinam sectabantur, ut est apud Clementem Alexandrinum ; indidem et quos commemorat Suidas ; et qui de magiâ, Zoroastris nomine, scripti circumferebantur, ut habet auctor recognitionum ; et quem tradit auctor astrologiæ cujusdam Persicœ, ebraicè redditæ, ab eo lucubratum, et regnum Dei fuisse inscriptum, et manibus Persarum assiduè gestari esse solitum . M. Huet ajoute que Porphyre a reproché aux chrétiens la supposition de beaucoup d’ouvrages, et qu’il se vante d’avoir prouvé que l’Apocalypse de Zoroastre était du nombre de ces livres-là. M. Hyde reconnaît que les anciens hérétiques ont allégué faussement, sous le nom de Zoroastre, quelques prophéties touchant Jésus-Christ ; mais il prétend qu’ils n’eurent cette hardiesse que parce qu’ils n’ignoraient pas qu’il y avait de légitimes écrits de Zoroastre qui contenaient de ces prophéties. Il croit que Dieu avait révélé à Zoroastre l’avénement du Messie, et que Zoroastre inséra dans ses ouvrages cette merveilleuse révélation. Il regarde comme un véritable écrit de cet homme le Zundavastaw, que M. Huet rejette : il en donne le vrai titre et l’analyse ; et il est persuadé que les compositions de cet auteur furent faites en ancien persan, et qu’elles se sont conservées jusqu’à ce temps-ci. * L’auteur des observations insérées dans la Bibl. franç., tome XXX, page 22, dit que les variations sur le siècle de Zoroastre se montent tout au plus à six, c’est-à-dire qu’on ne marque que six époques bien distinctes les unes des autres ; et il les explique par l’existence de plusieurs Zoroastres, dont on ne voulait faire qu’un seul personnage. Joly renvoie à Fabricius, qui a parlé amplement de Zoroastre dans la Bibl. Græca, livre I, chapitre 36. (*) In Floridis. (*) Porphyr. Vit. Pythagoræ. * Citation de Suidas. — In voce Ζωροάςρης. (*) NicoL Damasc., Hist., l. 7, in Exc. Const. Porphyr. (*) Eus., Præp. evangel., l. 1. (*) Clem. Alex. Strom. i. (*) Suidas in ζωροαςρης. (*) Auct. Recogn. l. 4, c. 27. Justin., lib. I, cap. I. Theo, in Progym. cap. IX, pag. m. 112. Diodor. Sicul., lib. II, cap. VI. Nommé Céphalion ; il vivait sous Hadrien. Voyez Marsham, ubi infrà. Syncellus, page 167, apud Marsham, Chron. Can., ad sæcul. IX, Pag. m. 144. Propert., eleg. X, lib. III. Thomas Stanleius, Hist. Philos, oriental., lib. I. cap. III, page 10, ex versione Jo. Clerici. Arnob., lib. I, pag. m. 5. Cujus (magiæ) scientiæ seculis priscis multa ex Chaldæorum arcanis Bactrianus addidit Zoroastres. Amm. Marcel., lib. XXIII, cap. VI, pag. m. 374. Plinius, lib. XXX, cap. I, pag. m. 725. Magicarum artium fuisse perhibetur inventor (Zoroastres) Augustin, de Civitat. Dei, lib. XXI, cap. XIV. Orosius, lib. I, cap. IV. Apuleius, Apolog. page m. 331. Diod. Sicul., lib. II, cap. IV et seq. Henr. Valen. Is Amm. Marcel, l. XXIII, pag. m. 374. Vossius, de Orig. Idolol., lib. I, cap. V, pag. m. 33. Arnob., lib. I, pag. m. 31. Dans la remarque précédente, citat. (10). Apud Diogen. Laertius, in Proœm. num. 2. Plut. de Iside, pag. 369. Plinius, lib. XXX, cap. I, pag. 725. Apud Diogen. Laërtium, in Proœm., n. 2. Plato, de Republ., lib. X, pag. 361. Pag. 361 et seq. Clem. Alexand. Strom., lib. V, pag. 599. Conférez ce qui a été dit de Pythagoras, tome XII, pag. 132, remarque (F) de son article. Arnob., lib. I, page 31. Henr. Valesius, in Ammian. Marcellin., lib. XXIII, pag. 374. Plinius, lib. XXX, cap. I, pag. 726. Marsham, Chron. Can., ad sæcul. IX, page m. 145. Porphyr., περὶ ἀποχῆς, lib. IV, num. 15, apud Marsham, ibid. M. de Valois, in Ammian. Marcellin., lib. XXIII, pag. 374, prétend que cet éloge fut gravé sur le tombeau de Darius, et non pas sur celui d’Hystaspe. Ammian. Marcellin., lib. XXIII, pag. m. 374. Lactant., lib. VII, cap. XV, pag. m. 492. Dans le chapitre XXVIII du même livre, il rapporte un passage de cet Hydaspe. Justinius, apolog. II, pag. 66. Idem, ibidem, page 82. Voyez de quelle manière Clément d’Alexandrie, Strom., lib. VI, pag. 636, D, en parle. Herod., lib. I, cap. CCIX. Hadrian. Valerius in Ammian. Marcellin., lib. XXII, page 374. Ci-dessus, citation (25) de l’article Pithagoras, tome XII, page 130. Thomas Stanleius, Hist. Philosophiæ orientalis, lib. I, cap. II, pag. 8 et 9. Inter captivos Cambysæ regis, Ægyptum cuùm adveheretur (Pythagoras). Apul. Flor., pag. m. 351. Herod., lib. III, cap. XLIV. Gregor. Turon., Hist. Francorum, lib. I, cap. V : je me sers de la version de M. l’abbé de Marolles. Plato, in Alcibiade I, pag. 441, C. Stanleius, Hist. Philosoph. orientalis, pag. 11. Brissonius, de Regno Persarum, lib. II, pag. 178 et seq., edit. Commel., 1595. Jul. Cæsar Bullengerus, Eclog. ad Arnobium, pag. 346 et seq. Naudé, Apologie des grands Hommes, p. 134 et suiv. Plut, de Iside et Osiride, pag. 369 ; je me sers de la version d’Amyot. Il fallait dire cinq mille, car le grec de Plutarque porte, ὃν πεντακισχιλίους ἔτεσι τών Τρωἲκῶν γεγονέναι πρεσβύτερον ἱστοροῦσι. Ce qui manque ici se voit ci-dessus, article Manichéens, tome X, page 192, remarque (C), au premier alinéa. C’est-à-dire les Perses. Ci-dessus, remarque (B) de l’article Manichéens, tom. X, pag. 189. Voyez Diogène Laërce, in Proœ mio, num. 8, et Agathias, Histor., lib. II. Ἡ μὲν οὖν μάγων μυθολογία τοιοῦτον ἔχει τρόπον. Hoc modo se habent magorum fabulæ. Plut, de laide, pag. 370. B. Voyez ci-dessus, article Manichéens, rem. (C), tom. X, pag. 191, etc ; Pauliciens, citat. (67) ; article Périclès, citat. (71). Plut., ibidem, pag. 370, F. Plut., de Creat. Animæ, pag. 1014, 1015, version d’Amyot. C’est-à-dire Platon. Voyez ci-dessus, remarque (T) de l’article Chrysippe, philosophe, tom. V, pag. 182 ; et remarque (L) de l’article Pauliciens, tom. XI, pag. 502. Dans la remarque suivante. Nouvelles de la République des Lettres, mois de février 1701, art. III ; et mois de mars 1701, art. I. Professeur aux langues orientales dans l’université d’Oxford. Thomas Hyde, Hist. Religionis veter. Persarum, cap. IX, pag. 161. Dans la rem. (E), citat. (50). Idem, ibid., cap. XXI, pag. 275. Idem, ibid., cap. XXII, pag. 290. Shahristâni, apud Hyde, ubi suprà, pag. 299. On n’imprime point les mot arabes qui sont dans ce passage de M. Hyde, aux endroits où il a mis deux ou trois points. Ceci sera pratiqué de même dans les passages de M. Hyde, cités ci-dessous. Conférez ce que dessus, article Chrysippe, philosophe, tom. V, pag. 181 rem. (T) ; et art. Pauliciens, rem. (I), tom. XI, pag. 499, au troisième alinéa. M. Hyde convient que ceux dont Plutarque parle enseignaient cela. Voyez ci-dessus citation (77). Voyez Plutarque, dans le passage qui a été cité dans l’article Manichéens, tome X, page 192, citation (28), et dans la remarque précédente de ce présent article. La lumière et les ténèbres sont des causes qui agissent nécessairement et sans nulle liberté. Ci-dessus, citation (68). Herbelot, Biblioth. orientale, page 931, col. 1. Ceci semble signifier que Zoroastre mit fin à ces choses. Ibn Shahna, in libro de Primis et Postremis, apud Hyde, Hist. Relig. vet. Persar., cap. IX, pag. 164. Idem, ibidem, pag. 164. Idem, ibid., cap. XXII, pag. 295, citant le livre de Shahristâni, de Religionibus Orientis. Ibn Shahua, in libro de Primis et Postremis, apud Hyde, Hist. Relig. vet Persar, cap. XXII, pag. 295, citant le livre de Shahristâni, de Religionibus Orientis. Ejusmodi fuisse causam mistionis hanc verò causam liberationis. Idem, ibid., pag. 206. Voyez ce que Diogène Laërce, in Proœmio. num. 8, rapports de la doctrine des mages. Hyde, Hist. Relig. vet. Persar. cap. I, pag. 5. Idem, ibidem, pag. 10. Idem, ibidem, pag. 24. Voyez aussi page 22. Idem, ibidem, pag. 16. Idem, ibidem. Porphyr., de Nympharum Antro, apud Hyde, ibidem, cap. IV, pag. 118. La Sorbonne condamna cette proposition le 18 d’octobre 1700. Plinius, lib. XVIII, cap. XXIV, pag. m. 502 ; et libro XXXVII, cap. X, pages 407, 410, 412. Euseb., Præparat. evangel., lib. I, sub fin., pag. 43. Clem. Alexandrin. Strom., lib. I, p. 304. Huet, Demonst. evangel., pag. 160. Idem, ibidem, pag. 160. Porphyr., in Vitâ Plotini. Hyde, Hist. Relig. Vet. Persar., in epist. dedicat. Voyez aussi chapitre XXVI, pages 340, 341. Idem, cap. XXXI, pag. 382 et seq. Voyez sa Préface. |
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En rentrant, il lui arriva de déplier, avant même de retirer ses gants et son chapeau, le journal déposé sur la table du salon. Elle montrait toujours cette hâte le jour où paraissait l’article de Jean Salvy. Cette année-là, pour une raison connue de lui seul, l’auteur des ''Hymnes aryennes'' et de ''Bahvani'' écrit assez régulièrement chaque semaine un article de critique ou de variété littéraires dans un grand journal quotidien. Les échos puérils de la vie parisienne lui inspiraient des pages ravissantes, qui, sans rien ajouter à une réputation dès longtemps acquise, ne le faisaient pas cependant déroger. Il transfigurait son sujet pour ainsi dire ; l’insignifiance ou la banalité s’effaçait sous les broderies, il enrichissait de variations imprévues le thème le plus vulgaire. Quelquefois ce n’était que de la poudre jetée aux yeux du lecteur, mais la poudre était de diamant, assez éblouissante pour cacher le vide du fond ; des mots, des mots, mais des mots trouvés et sertis par un merveilleux orfèvre en langue française.
Marcelle dévorait avidement ces morceaux savoureux, quel qu’en fût le prétexte. Elle les appréciait pour eux-mêmes et surtout pour ce qu’ils lui rappelaient d’heures enchantées qu’elle avait passées avec l’auteur en ses meilleurs momens, à lire et relire, par exemple, les chants grandioses où se reflète l’âge d’or védique, la civilisation pastorale de nos premiers ancêtres, ou ces sonnets d’allure impétueuse et hautaine qui semblent ne pouvoir s’adresser qu’à une patricienne de la Renaissance. Rien de ce qu’avait écrit Salvy ne lui était étranger, ni le roman bizarre de ''Bahvani'' où défilent avec leurs gestes hiératiques des figures très peu vivantes et pour cause, taillées apparemment dans le jade et le santal, ni le drame injouable de ''Julien l’Apostat'' qui met en relief avec une subtilité empruntée, on le croirait, au héros même du drame, la figure, à jamais énigmatique et par cela même si passionnément intéressante, de celui qui, le dernier, défendit contre le Christ la civilisation païenne et le génie de Rome antique.
Dans son empressement à la développer et son désir de la distraire, Lise Gérard avait peut-être apporté à son amie quelques livres de trop sous le grand manteau gris et il en était résulté chez Marcelle un enthousiasme excessif pour l’un des écrivains les plus sceptiques de ce temps-ci.
Qu’on juge de son émotion quand elle vit, en tête d’une colonne signée par lui : ''Confession de jeune fille'', et au-dessous, en
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Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/635 | de revenu provenant d’un dividende distribué par une société
anonyme imposée pour l’année où ce dividende aura été gagné.
L’impôt est de 30 pour 100 de l’augmentation. Un sixième de
l’impôt est versé à une caisse de secours destinée à venir en
aide aux communes qui auront particulièrement souffert de la guerre.
En Danemark, une loi du 10 mars 1916 a créé pour deux
années un impôt extraordinaire sur les personnes et les sociétés,
qui s’ajoute aux taxes sur le revenu et sur le capital créées par
la loi de 1912. Toute personne ou société résidant en Danemark
et imposée sur un revenu annuel d’au moins 8 000 couronnes,
(12 000 francs environ) doit acquitter, pour les deux exercices
compris entre le 1er décembre 1914 et le 1er décembre 1916, un
impôt extraordinaire sur les gains réalisés par elle au delà
de la moyenne de ses revenus des trois années antérieures.
Le taux de l’impôt est de 10 pour 100. On retranche de la
masse des bénéfices imposables une part d’autant plus faible
que la somme est plus forte. Pour les sociétés, l’impôt varie
de 10 à 20 pour 100 de l’excédent des bénéfices à partir d’un
revenu dépassant 8 pour 100 du capital-actions. Le maximum est
perçu à partir d’un revenu représentant 20 pour 100 du capital.
En Suède, une ordonnance du 11 juin 1915 a organisé un
impôt sur les bénéfices de guerre, frappant les assujettis à
l’impôt sur le revenu et sur le capital, dans les cas suivans :
lorsque le revenu annuel dépasse 10 000 couronnes, lorsque le
revenu de la société dépasse 5 pour 100 du capital ou le revenu
des années 1913 et 1914. Le taux varie de 12 à 18 pour 100.
La Norvège a établi un impôt analogue. D’après une communication faite en juillet 1916 par le ministre des Finances au
Parlement de Christiania, le produit de cet impôt pour
l’exercice 1915-1916 n’a même pas donné la moitié de la
somme attendue, 40 millions de couronnes au lieu de 90 millions prévus au budget.
Les Américains ont projeté d’imposer une taxe de 5 pour 100
aux fabricans d’explosifs sur leurs recettes ne dépassant pas
1 million de dollars et de 8 pour 100 sur ce qui dépasse cette
somme. Les fabricans de cartouches, obus, armes de guerre
paieraient également un impôt calculé sur leurs recettes brutes.
Le taux serait de 2 pour 100 jusqu’à 250 000 dollars et s’élèverait,
par échelons, à 5 pour 100 sur ce qui dépasse un million. Les
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Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Conte d’un Paysan qui avoit offensé son Seigneur | Jean de La Fontaine Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2 Contes, Texte établi par Ch. Marty-Laveaux, P. Jannet, 1857 (p. 41-44). collectionŒuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2Jean de La FontaineP. Jannet1857ParisVLa Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvuLa Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/341-44 XI. — CONTE D’UN PAYSAN QUI AVOIT OFFENSÉ SON SEIGNEUR . Un Païsan son Seigneur offensa : L’Histoire dit que c’estoit bagatelle ; Et toutesfois ce Seigneur le tança Fort rudement; ce n’est chose nouvelle. Coquin, dit-il, tu merites la hard : Fay ton calcul d’y venir tost ou tard ; C’est une fin à tes pareils commune. Mais je suis bon ; et de trois peines l’une Tu peux choisir : ou de manger trente aulx, J’entends sans boire, et sans prendre repos ; Ou de souffrir trente bons coups de gaules, Bien appliquez sur tes larges épaules ; Ou de payer sur le champ cent écus. Le Païsan consultant là-dessus : Trente aulx sans boire ! ah, dit-il en soy-même, Je n’appris onc à les manger ainsi. De recevoir les trente coups aussi, Je ne le puis sans un peril extrême. Les cent écus, c’est le pire de tous. Incertain donc il se mit à genoux, Et s’écria : Pour Dieu, miséricorde ! Son Seigneur dit : Qu’on apporte une corde ; Quoy ! le Galant m’ose répondre encor ? Le Païsan, de peur qu’on ne le pende, Fait choix de l’ail ; et le Seigneur commande Que l’on en cueüille, et surtout du plus fort. Un aprés un luy-mesme il fait le conte : Puis, quand il void que son calcul se monte A la trentaine, il les met dans un plat ; Et, cela fait, le malheureux pied-plat Prend le plus gros, en pitié le regarde, Mange, et rechigne ainsi que fait un chat Dont les morceaux sont frotez de moûtarde. Il n’oseroit de la langue y toucher. Son Seigneur rit, et surtout il prend garde Que le Galant n’avale sans mascher. Le premier passe ; aussi fait le deuxiéme ; Au tiers il dit : Que le diable y ait part ! Bref il en fut à grand’peine au douziéme, Que s’écriant : Haro ! la gorge m’ard ! Tost, tost, dit-il, que l’on m’apporte à boire ! Son Seigneur dit : Ah ! ah ! sire Gregoire ! Vous avez soif ! je vois qu’en vos repas Vous humectez volontiers le lampas. Or beuvez donc, et beuvez à vostre aise ; Bon prou vous fasse : hola, du vin, hola ! Mais mon amy, qu’il ne vous en déplaise, II vous fauldra choisir aprés cela, Des cent écus, ou de la bastonnade, Pour suppléer au défaut de l’aillade. Qu’il plaise donc, dit l’autre, à vos bontez Que les aulx soient sur les coups precontez : Car, pour l’argent, par trop grosse est la somme : Où la trouver, moy qui suis un pauvre homme ? Hé bien, souffrez les trente horions, Dit le Seigneur ; mais laissons les oignons. Pour prendre cœur, le Vassal en sa panse Loge un long trait, se munit le dedans ; Pus souffre un coup avec grande constance. Au deux, il dit : Donnez-moy patience, Mon doux Jesus, en tous ces accidens. Le tiers est rude, il en grince les dents, Se courbe tout, et saute de sa place. Au quart il fait une horrible grimace ; Au cinq un cri : mais il n’est pas au bout ; Et c’est grand cas s’il peut digerer tout. On ne vit onc si cruelle avanture. Deux forts paillards ont chacun un baston, Qu’ils font tomber par poids et par mesure, En observant la cadence et le ton. Le mal-heureux n’a rien qu’une chanson : Grace, dit-il. Mais las ! point de nouvelle ; Car le Seigneur fait frapper de plus belle, Juge des coups, et tient sa gravité, Disant toûjours qu’il a trop de bonté. Le pauvre diable enfin craint pour sa vie. Aprés vingt coups d’un ton piteux il crie : Pour Dieu cessez : helas ! je n’en puis plus. Son Seigneur dit : Payez donc cent écus, Net et contant : je sçais qu’à la desserre Vous estes dur ; j’en suis fasché pour vous. Si tout n’est prest, vostre compere Pierre Vous en peut bien assister, entre nous. Mais pour si peu vous ne vous feriez tondre. Le mal-heureux, n’osant presque répondre, Court au magot, et dit : c’est tout mon fait. On examine, on prend un trébuchet. L’eau cependant luy coule de la face : Il n’a point fait encor telle grimace. Mais que luy sert ? il convient tout payer. C’est grand’pitié quand on fasche son maitre ! Ce Païsan eut beau s’humilier ; Et pour un fait, assez leger peut-estre Il se sentit enflâmer le gosier, Vuider la bourse, émoucher les épaules, Sans qu’il luy fust dessus les cent écus, Ny pour les aulx, ny pour les coups de gaules, Fait seulement grace d’un carolus. Dans les manuscrits de Conrart cette pièce a pour titre : Conte d’un Gentilhomme espagnol et d’un Païsan son vassal. Molière s’est rappelé ce conte en écrivant le 1er intermède du Malade imaginaire. |
Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/127 | {{nr||LA CHUTE D’UN ANGE.|123}}{{tiret2|d’Ado|naï}} gagnerait beaucoup à être abrégé. Il y a plusieurs détails qui dépassent les limites de l’horreur poétique.
Le palais des titans réunit les défauts et les mérites des créations de Martin. Il y a dans la description de ce palais une incontestable grandeur, une richesse d’imagination que personne ne peut révoquer en doute. Mais, dans la description du poète comme dans les tableaux du peintre, la forme manque de précision. La perspective, à force de s’élargir et de s’éloigner, finit par devenir confuse et par ressembler aux rêves des mangeurs d’opium. J’ai entendu blâmer sévèrement les chapiteaux vivans dont {{M.|de}} Lamartine a décoré le palais des titans. À cet égard je ne saurais partager l’opinion générale. Ces chapiteaux vivans me semblent un caprice vraiment poétique, vraiment digne des titans. Puisque la figure humaine sculptée dans le marbre fait bon effet dans la décoration d’un édifice, je ne vois pas pourquoi de belles femmes et de beaux enfans, dressés au rôle de chapiteau, rôle difficile, je l’avoue, ne produiraient pas un effet également heureux. Mais {{M.|de}} Lamartine, résolu à exprimer l’égoïsme et la servitude sous toutes les formes, a singulièrement abusé de l’avilissement de la personne humaine. Je lui accorde les chapiteaux vivans ; je lui permets de composer, pour les galeries de son palais, des festons de belles femmes entrelacées. Mais ma générosité ne saurait aller plus loin. Je ne lui pardonne pas d’avoir façonné la personne humaine en tapis, en coussins, en canapés. Je ne comprends pas que Nemphed trouve grand plaisir à mettre ses pieds sur l’épaule d’une femme, son coude sur le col d’une autre. Les épaules et le cou d’une belle femme ont un grand mérite pour les yeux du sculpteur et du peintre, pour tout homme capable de sentir et de comprendre la beauté ; mais ni le cou, ni les épaules de la Vénus de Milo ne peuvent remplacer avec avantage, dans le rôle de coussin, le satin et le velours. Je pense donc que {{M.|de}} Lamartine, dans son désir de ravaler la personne humaine au rang de la chose, a franchi les limites marquées par le goût. Autant j’aime et j’admire ses chapiteaux vivans, autant j’ai de répugnance pour ses femmes façonnées en coussins et en canapés.
L’amour de Lakmi pour Cedar, la subite horreur qu’elle éprouve pour elle-même et pour sa précoce corruption, et le regret de sa virginité sacrifiée sans amour, dès qu’elle a conçu une passion vraie, sont bien conçus et bien racontés. Mais le tour de passepasse à l’aide duquel Lakmi surprend les caresses de Cedar est indigne de la poésie et ne saurait tromper un amant. Malgré la recommandation expresse
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Charles Derennes Le peuple du pôle 1907.djvu/142 | {{nr|138|{{sc|le peuple du pôle}}|}}
{{Séparateur|l}}{{tiret2|mé|diocre}}, ne valait pas la poudre. Ceintras avait été
plus heureux. Il s’était fabriqué une ligne tant
bien que mal ; avec des épingles et de la ficelle, et
pêchait dans le fleuve. Encore que son engin fût
très primitif, il attrapait des quantités de poissons
excellents.
— C’est merveilleux ! s’écriait-il triomphalement
à chaque nouvelle prise. Je ne m’ennuie
plus du tout ici : le pays est plein de ressources !
Cette distraction utile eut en outre l’avantage
de contribuer pour beaucoup à le calmer et à le
guérir. Moi, afin de ménager mes forces et de
rester plus facilement éveillé durant les heures
sombres, j’avais pris l’habitude de dormir pendant
que Ceintras pêchait.
— Quelle sacrée marmotte tu fais, me disait-il
en riant. Vraiment, mon pauvre ami, tu n’es guère
l’homme de la situation et, si je n’étais pas là pour
te fournir ta nourriture, je me demande ce que tu
deviendrais.
Mais, à d’autres moments, je voyais se marquer
sur sa physionomie les traces d’une angoisse et
d’une inquiétude profondes. Par suite de cette
acuité de sensation que possèdent certains malades,
il s’avisait de mille petits faits qui m’échappaient,
mais qui prenaient dans son esprit une
énorme importance en s’y déformant ou en s’y
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Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/90 | point, quoique cela s’offre à leurs yeux ; ils l’ont dans l’almanach. Les pêcheurs de l’île de Groix ont une science à eux de se diriger par des sondages, et ils y sont étonnants. Mais, pour le compas, ils n’ont que des procédés appris ; et par exemple, connaissant l’angle qu’il faut prendre pour aller à la Rochelle, ils n’ont point l’idée qu’un autre angle, voisin de celui-là les mènerait tout droit au banc de pêche où ils vont. Retenons que, pour se servir d’une carte, il faut faire un long détour d’idée en idée. À quoi ne suffit pas l’expérience d’un seul homme, ni même cet enseignement que l’on donne en montrant les choses et en parlant ; il y faut des écrits, et une langue faite exprès, qui est celle des géomètres.
L’expérience des artisans conduit plus près, semble-t-il, de la science véritable, surtout dans les cas où se rencontrent les deux circonstances favorables, à savoir l’objet façonné et l’outil. Car l’objet façonné, par exemple une table, est l’occasion d’une expérience continuée et naturellement bien conduite, par la forme même de l’objet et par l’usage qu’on en fait ; et cet objet est déjà une abstraction en quelque sorte. Mais l’outil, façonné aussi, est plus abstrait encore, et sa forme exprime déjà assez des relations géométriques et mécaniques. La roue, la poulie, la manivelle, comme le coin, la hache et le clou, offrent déjà le cercle, le plan, et le levier aux méditations de quelque Archimède préhistorique. Encore l’outil représente des circonstances invariables, ce qui soulage et guide déjà l’esprit dans la difficile recherche des causes. Ceux qui voudraient parcourir cet immense sujet devront bien considérer, par raisons mécaniques, la naissance et le perfectionnement de chaque outil, jusqu’à la courbe de la faulx, afin d’éclairer une histoire trop pauvre en documents.
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Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/89 |
{{t3
|2 = {{t|CHAPITRE PREMIER|125}}
|1 = L’EXPÉRIENCE ERRANTE
Il se trouve déjà une certaine méthode dans la simple perception, comme on l’a vu, mais implicite, par quoi chacun trouve à interpréter des signes annonciateurs, tels que le bruit d’un pas ou d’une serrure, ou la fumée, ou l’odeur, sans parler des profils et perspectives qui annoncent des choses et des distances. Ces connaissances s’acquièrent par une recherche véritable, qui consiste toujours à répéter les essais, en examinant l’accidentel, mais presque toujours sans volonté expresse et souvent même par une sorte d’empreinte plus marquée que laissent les liaisons constantes. Connaissance sans paroles qui s’acquiert presque toute avant la parole, et qui se perfectionne durant la vie.
Les occupations ordinaires y font beaucoup. Le marin reconnaît les vaisseaux de fort loin, et les courants et les bas fonds d’après la couleur de l’eau. Il voit venir le coup de vent par les rides ; et même, par le ciel et la saison, il arrive à prévoir la pluie et les orages ; le paysan aussi, d’après d’autres signes. Mais il s’y mêle de nos jours des connaissances apprises et une circulation d’idées que le marin et le paysan n’entendent point à proprement parler. Et ces secours étrangers ferment plutôt les chemins de la recherche. J’ai remarqué que les paysans ignorent maintenant tout à fait les planètes et les étoiles, et même ne les remarquent
<references/> |
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/433 | {{nr||SÉRIES DE M. BOHLIN.|419|}}nous pourrons développer suivant les puissances croissantes de <math>\mu,</math>
et nous obtiendrons les séries du {{n°|{{t|127|112}}}} ; si, au contraire, <math>\mathrm{C}</math> est
comparable à <math>\mu,</math> nous poserons <math>\mathrm{C}=\mathrm{C}_1\mu</math> et nous retomberons sur
les séries étudiées dans le présent Chapitre.
Voyons la chose d’un peu plus près. Les équations{{lié}}(1) prouvent
que <math>x,</math> <math>\cos{}y</math> et <math>\sin{}y</math> sont des fonctions doublement périodiques
de <math>\theta w,</math> ou ce qui revient au même de <math>w.</math> Soient <math>\omega_1</math> et <math>\omega_2</math> les deux
périodes (en considérant <math>\theta w</math> comme la variable indépendante).
Par exemple, <math>\omega_1</math> sera égale à l’intégrale du second membre prise
entre <math>0</math> et <math>2\pi\,;</math> et <math>\omega_2</math> sera égale à deux fois cette intégrale prise
entre <math>\pm{}\mathrm{arc}\;\mathrm{cos}\frac{\mathrm{C}}{\mu}\cdot</math> De plus, quand <math>\theta w</math> augmente de <math>\omega_2,</math> <math>y</math> ne change
pas et quand <math>\theta w</math> augmente de <math>\omega_1,</math> <math>y</math> augmente de <math>2\pi.</math>
Si <math>\mathrm{C}>|\mu|,</math> <math>\omega_1</math> est réel, et on doit prendre <math>\theta=\frac{\omega_1}{2\pi}\cdot</math> Alors <math>x</math> et
<math>y-w</math> sont des fonctions périodiques de <math>w</math> de période <math>2\pi.</math> Si <math>\mu</math>
est petit par rapport à <math>\mathrm{C},</math> on peut développer suivant les puissances
de <math>\mu</math> (ce qui conduit aux séries du {{n°|{{t|127|112}}}}) et chacun des
termes sera périodique de période <math>2\pi</math> par rapport à <math>w.</math>
Mais si <math>\mathrm{C}</math> est du même ordre de grandeur que <math>\mu,</math> et que l’on
pose <math>\mathrm{C}=\mathrm{C}_1\mu,</math> il arrive que, pour une même valeur de <math>\mathrm{C}_1,</math> la
période <math>\omega_1</math> et le coefficient <math>\theta</math> sont proportionnels à <math>\frac{1}{\sqrt{\mu}}\,;</math> si alors
nous posons
{{c|<math> \theta_0 = \frac{\theta}{\sqrt{\mu}} ,</math>|m=1em}}
{{SA|les équations{{lié}}(1) deviennent}}
{{MathForm1|(1 ''bis''){{Ancre|Eq.218-1bis}}|<math> \left\{\begin{align}
x &= \sqrt{\mu} \, \sqrt{ \mathrm{C}_1 - \mu \cos y} \,, \\
\theta_0 w &= \int \frac{dy}{\sqrt{ \mathrm{C}_1 - \mu \cos y }} \cdot
La seconde de ces équations ne dépend plus de <math>\mu.</math> Nous tirerons
de là <math>y-w</math> et <math>\frac{x}{\sqrt{\mu}},</math> en séries développées suivant les sinus et les
cosinus des multiples de <math>w,</math> dépendant de <math>\mathrm{C}_1,</math> mais indépendantes
de <math>\mu.</math> Ce sont les séries du présent Chapitre.
Les séries obtenues d’abord, développées suivant les puissances
<references/> |
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/368 | {{nr|354|CHAPITRE XIX.||}}égalons les valeurs moyennes des deux membres, il viendra
{{MathForm1|(15){{Ancre|Eq.205-15}}|<math>
\frac{d^2 \mathrm{F}_0}{dx_1^2} \frac{d[\mathrm{S}_2]}{dy_1} \frac{d\mathrm{S}_1}{dy_1} = \big[\Phi\big] .
Nous tirerons de là la valeur de <math>\big[\mathrm{S}_2\big].</math>
Connaissant <math>\mathrm{S}_2</math> et tenant compte de{{lié}}(15), nous pourrons écrire
la quatrième équation{{lié}}(3) sous la forme
{{c|<math> -{\textstyle\sum}\, n_i^0 \, \frac{d\mathrm{S}_3}{dy_i} = \Phi .</math>|m=1em}}
La valeur moyenne de <math>\Phi</math> étant nulle, cette équation, qui est de
même forme que{{lié}}(14), se traitera de la même manière et nous donnera
{{c|<math> \mathrm{S}_3 - \big[\mathrm{S}_3\big] </math>|mb=0em|mt=1em}}
On voit que les fonctions <math>\frac{d\mathrm{S}_p}{dy_i}</math> ainsi déterminées sont des fonctions
uniformes de <math>y_1</math> et de <math>\sqrt{\mathrm{C}_2-\big[\mathrm{F}_1\big]}.</math>
{{Interligne}}
'''{{Ancre+|par206|206.}}'''{{iv|0.25em}}Pour étudier plus complètement nos fonctions, il faut
faire un changement de variables. Pour cela introduisons une
fonction auxiliaire <math>\mathrm{T}</math> définie de la façon suivante ; nous aurons
{{c|<math> \mathrm{T} = \mathrm{T}_0 + \mathrm{T}_1 \sqrt{\mu} + \mathrm{T}_2\,\mu </math>|mb=0em|mt=1em}}
{{SA|et}}
{{c|<math> \mathrm{T}_0 = x_1^0 y_1 + x_2^0 y_2 + \ldots + x_n^0 y_n , </math>|mt=0em|mb=1em}}
{{SA|où les <math>x_i^0</math> seront des constantes qui satisferont aux conditions}}
{{c|<math> \mathrm{F}_0=\mathrm{C}_0, \qquad n_i^0 = 0 . </math>|m=1em}}
En d’autres termes, <math>\mathrm{T}_0</math> ne sera pas autre chose que ce que nous
avons appelé <math>\mathrm{S}_0.</math>
Pour définir <math>\mathrm{T}_1</math> nous partirons de la même équation qui a servi
à définir <math>\mathrm{S}_1,</math> c’est-à-dire de l’{{lia|Chap.19|Eq.204-7|équation{{lié}}(7) du {{n°|{{t|204|112}}}}|361}}, où nous remplacerons
<math>\mathrm{S}_1</math> par <math>\mathrm{T}_1</math> et <math>\mathrm{C}_2'</math> par <math>\mathrm{C}_2,</math> ce qui nous donne
{{MathForm1|(7 ''bis''){{Ancre|Eq.206-7bis}}|<math>
\tfrac12\sum \frac{d^2 \mathrm{F}_0}{dx_i^0\,dx_k^0} \,\frac{d\mathrm{T}_1}{dy_i}\,\frac{d\mathrm{T}_1}{dy_k}
= \mathrm{C}_2 - \big[\mathrm{F}_1\big] .
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Le Canard sauvage, Rosmersholm/Rosmersholm | Henrik Ibsen Rosmersholm Traduction par Maurice Prozor. Le Canard sauvage, Rosmersholm, 1893 (p. 189-326). ◄ Notice sur rosmersholm collectionRosmersholmHenrik IbsenMaurice Prozor1893ParisVRosmersholmIbsen - Le Canard sauvage, Rosmersholm, trad. Prozor, 1893.djvuIbsen - Le Canard sauvage, Rosmersholm, trad. Prozor, 1893.djvu/3189-326 ROSMERSHOLM DRAME EN QUATRE ACTES L’action se passe à Rosmersholm, vieux domaine situé près d’une petite ville au bord d’un fiord, dans l’ouest de la Norvège. Un salon spacieux, meublé à l’ancienne mode, mais élégant et confortable. Au premier plan à droite, un poêle en faïence orné de branches de bouleaux et de fleurs des champs. Plus loin, une porte. Dans le fond, une porte à deux battants donnant sur le vestibule. À gauche une fenêtre, devant laquelle est placée une jardinière remplie de fleurs et de plantes. Près du poêle, une table, un sofa et des fauteuils. Aux murs des portraits anciens et modernes, représentant des pasteurs, des officiers et des employés en uniforme. La fenêtre est ouverte, ainsi que la porte du vestibule et celle de la maison. On aperçoit une allée de vieux arbres qui conduit à la ferme. Soirée d’été. Le soleil vient de se coucher. Rébecca West, assise dans un fauteuil près de la fenêtre, tricote un châle blanc qui est presque terminé. Cachée derrière les fleurs, elle jette de temps en temps un coup d’œil inquiet au dehors. Au bout d’un instant, madame Helseth entre par la porte de droite. madame helseth. — Je viens demander à Mademoiselle, s’il n’est pas temps de mettre le couvert. Voici l’heure du souper. rébecca. — Vous ferez bien. Le pasteur ne tardera pas à rentrer. madame helseth. — Mademoiselle n’est-elle pas dans un fort courant d’air ? rébecca. — En effet. Si vous vouliez fermer. (Mme Helseth ferme la porte du vestibule et s’approche de la fenêtre.) madame helseth, regardant au dehors. — N’est-ce pas le pasteur qui vient par là ? rébecca, vivement. — Où cela ? (Se levant.) Oui, c’est lui. (Se cachant derrière le rideau.) Éloignez-vous. Il ne faut pas qu’il nous aperçoive. madame helseth, au milieu de la chambre. — Pensez donc, mademoiselle, il recommence à prendre le chemin du moulin. rébecca. — Il l’avait déjà pris avant-hier. (Écartant un peu le rideau.) Voyons, maintenant. madame helseth. — Traversera-t-il la passerelle ? rébecca. — C’est justement ce que je veux voir. (Après un instant.) Non ; voici qu’il rebrousse chemin comme l’autre jour et remonte le long du courant. (S’éloignant de la fenêtre.) Un long détour. madame helseth. — Mon Dieu, oui. Je comprends qu’il lui soit pénible de traverser cette passerelle où le malheur est arrivé... rébecca, repliant son ouvrage. — On ne se détache pas facilement des morts, à Rosmersholm. madame helseth. — Quant à ça, mademoiselle, je crois plutôt que ce sont les morts qui ne se détachent pas facilement de Rosmersholm. rébecca, la regardant. — Les morts ? madame helseth. — On dirait vraiment qu’ils ont du mal à se séparer entièrement de ceux qu’ils laissent après eux. rébecca. — Qu’est-ce qui vous fait croire cela ? madame helseth. — Je pense que, sans ça, on ne verrait pas apparaître ce cheval blanc. rébecca. — Voyons, madame Helseth, qu’est-ce donc que ce cheval blanc ? madame helseth. — Pourquoi en parler ? Vous ne croyez pas à ces choses-là, j’imagine. rébecca. — Et vous ? madame helseth, allant fermer la fenêtre. — Oh ! je ne veux pas que mademoiselle se moque de moi. (Elle regarde par la fenêtre.) Mais, n’est-ce pas le pasteur qui a repris le chemin du moulin ? rébecca. — Cet homme-là ? (Elle s’approche de la fenêtre.) — Je ne me trompe pas, c’est le recteur ! madame helseth. — C’est, ma foi, vrai, c’est le recteur ! rébecca. — Vous allez voir qu’il vient chez nous. Ah ! je suis bien contente. madame helseth. — Il ne se gêne pas, le recteur. Lui, le propre frère, traverse la passerelle sans hésiter... Enfin ; il faut aller mettre le couvert, n’est-ce pas, mademoiselle ? (Elle sort par la porte de droite.) (Rébecca reste un moment à la fenêtre ; on la voit sourire, saluer et faire des signes de tête.) (Le jour baisse.) rébecca, entr’ouvrant la porte de droite. — Dites donc, chère madame Helseth, vous ajouterez bien un petit extra pour le recteur, quelque plat favori dont vous vous souviendrez. madame helseth, dehors. — Bien, mademoiselle. On y pensera. rébecca, ouvrant la porte du vestibule. — Enfin ! Cher recteur, soyez le bienvenu. kroll, entrant après avoir déposé sa canne dans le vestibule. — Merci. Je ne vous dérange pas ? rébecca. — Vous ? Vous devriez avoir honte... kroll. — Toujours aimable. (Regardant autour de lui.) Rosmer est en haut ? rébecca. — Non, il fait sa promenade. D’habitude il rentre plus tôt. Il ne peut pas tarder ; en attendant, veuillez prendre place. (Elle lui indique le sofa.) kroll, déposant son chapeau. — Je vous remercie. (Il s’assied et promène un regard circulaire dans la pièce.) Comme le vieux salon est devenu élégant et joli... Des fleurs partout !... rébecca. — Rosmer adore les fleurs. Il en veut autour de lui. kroll. — Et vous aussi, je crois. rébecca. — Oui ; elles enivrent si délicieusement. Autrefois nous devions nous refuser ce plaisir. kroll, hochant tristement la tête. — La pauvre Félicie ne supportait pas le parfum des fleurs. rébecca. — Ni leur éclat. Elle en était toute troublée. kroll. — Je m’en souviens bien. (Changeant de ton.) Eh bien ! comment va-t-on ici ? rébecca. — Oh ! tout va son train calme et régulier. Les jours se suivent et se ressemblent. Et chez vous ? Votre femme ?... kroll. — Chère mademoiselle West, ne parlons pas de moi et des miens. Dans chaque famille il y a quelque chose qui cloche. Surtout à l’époque où nous vivons. rébecca, après un moment de silence, s’asseyant dans un fauteuil. — Pourquoi n’êtes-vous pas venu nous voir une seule fois pendant les vacances ? kroll. — Je n’aime pas à forcer les portes... rébecca. — Si vous saviez comme vous nous avez manqué... kroll. — Et puis, j’ai été en voyage... rébecca. — Oui, pendant deux semaines. Vous avez assisté à des réunions publiques, paraît-il ? kroll, faisant un signe d’assentiment. — Oui ; qu’en dites-vous ? Auriez-vous pensé qu’en vieillissant je tournerais à l’agitateur politique. Dites ? rébecca, souriant. — Mon cher recteur, vous avez toujours agité un peu. kroll. — Eh bien, oui ! pour mon plaisir. Mais à l’avenir ce sera sérieux, je vous le jure. Lisez-vous jamais les journaux radicaux ? rébecca. — Cher recteur, je ne puis nier que... kroll. — Ma chère mademoiselle, il ne faut pas vous en défendre. Pour vous, cela ne tire pas à conséquence. rébecca. — N’est-ce pas ? J’ai bien le droit de m’informer, de me tenir au courant... kroll. — Mon Dieu, après tout, je ne puis exiger d’une femme qu’elle prenne position dans la lutte des partis, je pourrais presque dire dans la guerre civile qui déchire cette contrée. Ainsi, vous avez vu comment ces messieurs du « peuple » se sont jetés à la curée ? Quelles infâmes grossièretés ils se sont permises envers moi ? rébecca. — Oui. Mais il me semble que vous vous êtes retourné avec beaucoup d’adresse. kroll. — C’est vrai, je me dois cette justice. Maintenant que j’ai senti l’odeur du sang, ils verront que je ne suis pas de ceux qui se laissent traquer... (S’interrompant.) Non, je vous en prie, ne parlons pas ce soir de ce triste sujet. rébecca. — C’est bien : nous n’en parlerons pas, cher recteur. kroll. — Racontez-moi plutôt comment vous vous trouvez à Rosmersholm depuis que vous y êtes seule ? depuis que la pauvre Félicie ?... rébecca. — Merci, je m’y trouve bien. Sans doute, elle a laissé un grand vide sous bien des rapports. Et des regrets aussi, certainement. Mais... kroll. — Avez-vous l’intention de rester ici ? Je veux dire définitivement ?... rébecca. — Mon cher recteur, je n’ai pas réfléchi à cela. Il me semble presque appartenir à Rosmersholm, tant je m’y suis habituée. kroll. — Je le crois sans peine. rébecca. — Et tant que M. Rosmer trouvera ma présence agréable ou utile, eh bien, oui, je suppose que je resterai ici. kroll, la regardant avec émotion. — Savez-vous bien qu’il y a de la grandeur dans la conduite d’une femme qui sacrifie ainsi toute sa jeunesse à faire le bonheur des autres. rébecca. — Mon Dieu ! quel autre intérêt l’existence peut-elle m’offrir ? kroll. — D’abord vous vous êtes dévouée à votre père adoptif qui était paralytique et dont l’humeur intraitable... rébecca. — Il ne faut pas vous représenter le docteur West si intraitable que cela tant que nous demeurions dans le Finmark. Ce sont ces terribles voyages sur mer qui l’ont brisé. Quand nous nous sommes établis ici, il y a eu, quelques années difficiles à passer. Enfin, il est arrivé au terme de ses souffrances... kroll. — Et les années qui ont suivi ? N’ont-elles pas été encore plus pénibles pour vous ? rébecca. — Oh ! comment pouvez-vous parler ainsi ? J’étais si tendrement attachée à Félicie ! Et elle, la pauvre malheureuse, sentait si vivement le besoin d’être entourée de soins et de ménagements ! kroll. — Que le ciel vous récompense pour le souvenir indulgent que vous lui avez gardé. rébecca, se rapprochant un peu. — À la manière franche et pleine de cœur dont vous me dites cela, cher recteur, j’ose croire qu’il n’y a pas en vous le moindre fond de malveillance à mon égard. kroll. — De malveillance ? Que voulez-vous dire ? rébecca. — Oh ! Qu’y aurait-il d’étonnant à ce que la vue d’une étrangère gouvernant à Rosmersholm vous fût pénible ? kroll. — Mais comment avez-vous pu ?... rébecca. — Ainsi vous n’avez pas cette impression. (Lui tendant lu main.) Merci, cher recteur, merci, merci. kroll. — Comment avez-vous pu concevoir une telle idée ? rébecca. — La rareté de vos visites commençait à me faire peur. kroll. — En vérité, mademoiselle West, vous vous êtes trompée du tout au tout. Du reste, il n’y a rien de nouveau dans cette situation. C’était déjà vous, vous seule, qui dirigiez la maison durant les tristes années qui ont précédé la mort de la pauvre Félicie. rébecca. — Ce n’était là qu’une sorte de régence exercée au nom de la maîtresse de la maison. kroll. — Quoi qu’il en soit, savez-vous, mademoiselle West, que, pour mon compte, je n’aurait rien à objecter si..., mais peut-être est-ce là un sujet auquel on ne doit pas toucher. rébecca. — Que voulez-vous dire ? kroll. — S’il pouvait se faire... que vous prissiez la place libre. rébecca. — J’ai la place que je désire avoir, monsieur le recteur. kroll. — S’il s’agit de travail, oui ; mais il s’agit... rébecca, l’interrompant, d’un ton sérieux. — Vous devriez avoir honte, recteur, de parler ainsi. kroll. — Assurément, l’expérience que notre bon Rosmer a faite du mariage doit lui suffire amplement. Et cependant... rébecca. — Savez-vous que vous me faites presque rire. kroll. — Cependant, permettez-moi de vous faire une question, mademoiselle West, si ce n’est pas trop indiscret. Quel âge avez-vous, au juste ? rébecca. — J’ai honte à l’avouer, recteur, j’ai vingt-neuf ans bien sonnés. Je suis dans ma trentième. kroll. — Bien. Et Rosmer, quel âge a-t-il ? Voyons. Il a cinq ans de moins que moi, donc, il a quarante-trois ans. Cela irait à merveille. rébecca, se levant. — Comme vous dites. À merveille. Vous prendrez bien le thé avec nous ? kroll. — Certainement. Je compte m’établir ici, ayant à m’entretenir avec notre ami commun. Et puis, mademoiselle West, pour que vos idées saugrenues ne vous reprennent plus, je viendrai souvent ici, comme autrefois. rébecca. — Oh oui ! N’est-ce pas ? (Lui serrant les mains.) Merci, vous êtes bien gentil tout de même. kroll, grommelant. — Vraiment ? C’est ce qu’on ne me dit pas à la maison. (Rosmer entre par la porte de droite.) rébecca. — M. Rosmer, vous voyez qui est là ? rosmer. — Madame Helseth me l’a déjà dit. (Le recteur Kroll s’est levé.) rosmer, d’une voix un peu contenue, lui serrant les mains. — Une fois de plus, sois le bienvenu dans cette maison, mon cher Kroll. (Lui posant les mains sur les épaules et le regardant dans les yeux.) Mon cher, mon vieil ami ! Je savais bien qu’un jour ou l’autre nous devions nous retrouver. kroll. — Quoi, mon bon ami ! toi aussi tu t’étais follement imaginé qu’il existait un obstacle entre nous ! rébecca, à Rosmer. — Pensez donc, ce n’était qu’une imagination ! Quel bonheur, n’est-ce pas ? rosmer. — Vraiment, Kroll ? Mais alors, pourquoi t’es-tu éloigné de nous ? kroll, d’une voix sérieuse et contenue. — Parce que je ne voulais pas être pour toi le souvenir vivant d’un temps malheureux, et de celle qui a trouvé sa fin dans le torrent du moulin. rosmer. — C’est là une noble pensée. Tu es toujours plein de délicatesse. Mais tu n’aurais pas eu besoin de te tenir à l’écart. Viens asseyons-nous sur le sofa. (Ils s’asseyent.) Non, je n’éprouve aucun tourment en pensant à Félicie. Nous parlons d’elle tous les jours. Il nous semble qu’elle n’a pas quitté cette maison. kroll. — Vraiment, il vous semble... rébecca, allumant la lampe. — Sans aucun doute. rosmer. — C’est bien naturel. Elle nous était si chère à tous les deux. Et Rébec..., mademoiselle West et moi, nous avons la conscience d’avoir fait tout ce qui était en notre pouvoir pour la pauvre malade. Nous n’avons rien à nous reprocher. Voilà pourquoi il me semble doux de penser maintenant à Félicie. kroll. — Braves cœurs que vous êtes ! Dorénavant je viendrai tous les jours chez vous. rébecca, s’asseyant dans un fauteuil. — Reste à voir si vous tiendrez parole. rosmer, avec un peu d’hésitation. — Mon cher Kroll ! Je donnerais tant pour que nos relations n’eussent jamais été interrompues. Depuis que nous nous connaissons, depuis l’époque où j’étais étudiant, tu as toujours été pour ainsi dire mon conseiller naturel. kroll. — C’est vrai. Et j’en suis bien fier. Y aurait-il quelque chose que ?... rosmer. — Il y a tant de choses dont je voudrais m’entretenir avec toi sans contrainte, à cœur ouvert. rébecca. — N’est-ce pas, monsieur Rosmer ? Il me semble que ce doit-être si bon de s’épancher entre vieux amis. kroll. — Eh bien, moi, de mon côté, j’ai encore plus de confidences à faire. Tu n’ignores pas que je suis devenu un homme politique ? rosmer. — Oui, je le sais. Explique-moi comment cela s’est fait ? kroll. — J’y ai été forcé, bon gré, mal gré. De nos jours il devient impossible de rester spectateur passif. Maintenant que, pour notre malheur, les radicaux sont arrivés au pouvoir, il est grand temps d’agir. Voilà pourquoi j’ai travaillé à unir plus étroitement notre petit cercle d’amis. Il est grand temps, en vérité. rébecca, avec un léger sourire. — N’est-ce pas même un peu tard ? kroll. — Evidemment il eût mieux valu s’y prendre plus tôt pour arrêter le torrent. Mais qui pouvait prévoir ce qui allait arriver ? Pas moi, dans tous les cas. (Se levant et arpentant la scène.) Oui, maintenant mes yeux sont ouverts. Car, à l’heure qu’il est, l’esprit de révolte a pénétré jusque dans l’école. rosmer. — Dans l’école ? Pas dans la tienne au moins ? kroll. — Si fait, dans ma propre école. Qu’en dis-tu ? J’ai découvert que, depuis plus de six mois, les garçons des classes supérieures, du moins une partie d’entre eux, ont formé une société secrète et qu’ils sont abonnés au journal de Mortensgaard ! rébecca. — Tiens ! Au Phare ? kroll. — Oui, que vous en semble ? C’est là, en vérité, une nourriture bien saine pour l’âme de futurs employés de l’État ! Mais ce qu’il y a de plus triste, c’est que les garçons les mieux doués de la classe sont tous membres de cette réunion. C’est d’eux que vient le complot. Seuls les ignorants et les fruits secs sont restés en dehors. rébecca. — Et vraiment cela vous fait tant de peine, recteur ? kroll. — Si cela me fait de la peine ! Me voir ainsi contrecarré dans une œuvre à laquelle j’ai voué mon existence ! (Plus bas.) Et pourtant j’en aurais peut-être pris mon parti. Mais il y a pire que cela. (Regardant autour de lui.) Personne n’écoute aux portes ? rébecca. — Soyez tranquille. kroll. — Eh bien ! Sachez que la discorde et la révolte ont pénétré dans ma propre maison, jusque sous mon paisible toit. C’en est fait du calme de mon foyer. rosmer. — Que dis-tu là ! Dans ta propre maison ? rébecca, allant vers le recteur. — Voyons, mon ami, qu’est-il arrivé ? kroll. — Figurez-vous que mes propres enfants... en un mot, c’est Laurent qui est à la tête du complot. Et Hilda a brodé un portefeuille dans lequel on cache « le Phare ». rosmer. — Voilà ce que je n’aurais jamais supposé. Chez toi, dans ta famille... kroll. — N’est-ce pas ? Qui l’eût cru ? Chez moi où l’obéissance et la discipline ont toujours régné, où tous, jusqu’à présent, n’avaient qu’un esprit et qu’une volonté... rébecca. — Et qu’en pense votre femme ? kroll. — Ah ! voilà ce qu’il y a de plus incroyable. Elle, qui tous les jours de sa vie, dans les grandes choses comme dans les petites, a partagé mes opinions, approuvé ma manière de voir, elle n’est pas bien loin de se ranger, sous plus d’un rapport, du côté des enfants. D’après elle, ce qui arrive, est de ma faute. J’exerce une action déprimante sur la jeunesse. Comme s’il n’était pas indispensable...... Enfin, voilà comment j’ai la discorde chez moi. Bien entendu, j’en parle le moins possible. Ces choses-là ne doivent pas transpirer. (Arpentant la scène.) Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! (Il se place devant la fenêtre, les mains derrière le dos, et regarde au dehors.) rébecca, qui s’est approchée de Rosmer, lui dit à demi-voix, sans être remarquée du recteur. — Parle ! rosmer, de même. — Pas ce soir. rébecca, à demi-voix. — Si, maintenant ! (Elle s’approche de la table et remonte la lampe.) kroll, descendant la scène. — Tu vois, mon cher Rosmer, comment l’esprit du temps est venu assombrir mon œuvre publique et ma vie de famille. Et je ne combattrais pas cet esprit de destruction, de ruine et de dissolution avec toutes les armes qui sont à ma portée !... Tu peux être sûr que je le ferai par la parole et par les écrits !... rosmer. — Et tu espères arriver ainsi à quelque chose ? kroll. — Dans tous les cas, je veux m’acquitter de mon service obligatoire de citoyen. Et j’estime qu’il est du devoir de tout bon patriote, et de tout homme qui tient à voir triompher la bonne cause, d’en faire autant. Et voilà, mon cher Rosmer, le premier motif de ma visite de ce soir. rosmer. — Mais, mon ami, que veux-tu dire ? Qu’attends-tu de moi ? kroll. — Il faut venir en aide à tes vieux amis, faire comme les autres, mettre la main à l’œuvre et nous seconder de toutes tes forces. rébecca. — Mais, recteur, vous connaissez M. Rosmer, et sa répugnance pour ces sortes de choses. kroll. — Il est grand temps de la vaincre, cette répugnance. Tu ne suis pas assez le mouvement, Rosmer. Tu t’enfermes ici, tu t’enterres dans tes collections historiques. Mon Dieu, j’accorde tout le respect qui leur est dû aux arbres généalogiques et à tout ce qui s’en suit. Mais le temps n’est pas, hélas ! à ce genre d’occupations. Tu ne te fais pas une idée de l’état des choses dans la contrée. Toutes les notions sont bouleversées, il faudra un véritable travail d’Hercule pour détruire toutes ces erreurs. rosmer. — Je le crois aussi. Mais ce genre de travail n’est pas fait pour moi. rébecca. — Et puis, je crois que monsieur Rosmer voit maintenant plus clair dans la vie. kroll. — Plus clair ? rébecca. — Oui, il l’envisage d’un œil plus libre, plus exempt de préjugés. kroll. — Qu’est-ce à dire, Rosmer ? J’espère que tu n’as pas été assez faible pour te laisser égarer par un fait aussi accidentel que le triomphe passager des meneurs populaires ? rosmer. — Mon cher ami, tu sais que je n’entends pas grand’chose à la politique. Mais il me semble que dans ces dernières années l’opinion individuelle a acquis, pour ainsi dire, plus d’indépendance. kroll. — À merveille ! Et tu n’hésites pas un instant à trouver cela bien ! Du reste, tu te trompes grandement, mon ami. Renseigne-toi sur les opinions qui ont cours parmi les radicaux, ici comme en ville. Il n’y a pas de différence entre elles et la sagesse prêchée dans « le Phare ». rébecca. — C’est vrai ; Mortensgaard exerce dans cette contrée une grande influence considérable. kroll. — Oui. C’est incompréhensible ! Avec un passé si fangeux... Un maître d’école destitué pour cause d’immoralité ! Un pareil être s’avise de faire le meneur ! Et cela réussit. Cela réussit à merveille. Il veut maintenant agrandir son journal, à ce que j’entends dire. Je sais de source certaine qu’il cherche un habile collaborateur. rébecca. — Il me paraît étonnant que vous et vos amis n’ayez encore rien organisé contre lui. kroll. — C’est bien ce que nous nous proposons de faire. Nous avons acheté aujourd’hui même « Le Journal du District ». Le côté pécuniaire n’a pas présenté de difficultés. Mais (se tournant vers Rosmer) me voici arrivé au fait, à la proposition que je viens te faire. Il s’agit de la direction ; c’est la direction du journal qui nous embarrasse. Dis-moi, Rosmer, ne te sentirais-tu pas appelé à la prendre en main, par amour pour la bonne cause ? rosmer, avec une sorte d’effroi. — Moi ? rébecca. — Comment pouvez-vous y songer ? kroll. — Que tu craignes les réunions populaires et que tu ne veuilles pas t’exposer aux douceurs que l’on y distribue, cela peut se comprendre. Mais le travail plus isolé d’un rédacteur, ou pour mieux dire... rosmer. — Non, non, mon ami, il ne faut pas me demander cela. kroll. — Je ne demanderais pas mieux, certes, que de me charger également de cette partie du travail, mais cela m’est absolument impossible. Ne suis-je pas déjà surchargé de besogne ? Toi, par contre, libre que tu es désormais de toute charge publique... Nous t’aiderions, bien entendu, dans la mesure de nos forces. rosmer. — Je ne le puis pas, Kroll. Je suis incompétent. kroll. — Incompétent ? Tu disais la même chose quand ton père t’a fait entrer dans le pastorat. rosmer. — J’avais raison. Aussi m’en suis-je démis. kroll. — Si tu te montres seulement aussi capable comme rédacteur que tu l’as été comme pasteur, nous serons satisfaits. rosmer. — Mon cher Kroll — je te le dis une fois pour toutes, — je n’accepte pas. kroll. — Mais alors, — tu nous prêteras du moins ton nom. rosmer. — Mon nom ? kroll. — Oui. Le nom seul de Jean Rosmer, sera déjà un avantage pour la feuille. Nous autres, on nous considère comme des hommes de parti bien prononcés. Quant à moi, en particulier, je suis regardé, me dit-on, comme un fanatique enragé. Voilà pourquoi nous n’espérons pas nous faire écouter par les foules égarées, si nous écrivons sous notre propre nom. Toi, par contre, — tu es toujours resté en dehors de la lutte. Ton esprit doux et juste, la distinction de tes pensées, la droiture inattaquable de ton caractère, sont connus et appréciés de tous. Ajoute à cela la considération et le respect que t’attire le sacerdoce que tu as exercé, enfin la respectabilité attachée au nom de ta famille. Pense donc ! rosmer. — Quant au nom de ma famille... kroll, montrant les portraits. — Les Rosmer de Rosmersholm — des prêtres et des soldats, de hauts dignitaires, des gens honnêtes et corrects, une famille qui pendant près de deux cents ans a été la première du district. (Lui posant les mains sur les épaules.) Rosmer, — tu te dois à toi-même et aux traditions de ta race de prendre part au combat et de défendre tout ce que le temps a sanctionné parmi nous. (Se retournant.) Qu’en dites vous, mademoiselle West ? rébecca, avec un petit rire tranquille. — Cher recteur, — je ne saurais vous dire combien tout cela me semble drôle à entendre. kroll. — Drôle ? Comment cela ? rébecca. — Oui ; c’est que je vais vous dire franchement... rosmer, vivement. — Non, non, — attendez ! Pas encore ! kroll, les regardant tour à tour. — Mais au nom du ciel, mes chers amis ? — (S’interrompant.) Ah !... (Mme Helseth entre par la porte de droite.) mme helseth. — Il y a un homme qui demande à voir monsieur le pasteur. rosmer, soulagé. — C’est bien. Priez-le d’entrer. mme helseth. — Au salon ? rosmer. — Mais oui. mme helseth. — C’est qu’il n’a pas une figure à ça ? rébecca. — Quelle figure a-t-il donc, madame Helseth ? mme helseth. — Celle d’un pas grand’chose, mademoiselle. rosmer. — N’a-t-il pas dit son nom ? mme helseth. — Oui, je crois qu’il m’a dit s’appeler Kekman, ou quelque chose d’approchant. rosmer. — Ce nom m’est inconnu. mme helseth. — Et puis il dit qu’il s’appelle Ulric, aussi. rosmer, tressaillant. — Ulric Hekman ! C’est bien cela ? mme helseth. — Oui, Hekman. kroll. — Je crois avoir entendu ce nom. rébecca. — N’était-ce pas ainsi que signait cet homme étrange ? rosmer, à Kroll. — C’est le pseudonyme d’Ulric Brendel. kroll. — Ulric Brendel, l’enfant perdu ? En effet... rébecca. — Tiens, il est encore en vie. rosmer. — Je croyais qu’il voyageait avec une troupe de comédiens. kroll. — La dernière chose que j’ai entendu dire sur son compte, c’est qu’il avait été interné dans une maison de correction. rosmer. — Priez-le d’entrer, madame Helseth. mme helseth. — Oui, monsieur. kroll. — Peux-tu vraiment supporter la présence de cet homme chez toi. rosmer. — Tu sais bien qu’il a été mon précepteur pendant quelque temps. kroll. — Oui, je sais qu’il te bourrait la tête d’idées de révolte et qu’alors ton père l’a chassé à coups de cravache. rosmer, avec un peu d’amertume. — Mon père est toujours resté colonel, jusque dans sa propre maison. kroll. — Tu devrais l’en remercier dans sa tombe, mon cher Rosmer. Voilà ! (Mme Helseth fait entrer Ulric Brendel par la porte de droite et la referme sur lui. C’est un homme d’une belle prestance, à la figure un peu minée, mais agile et dégagé dans les mouvements. Barbe et chevelure grises. Du reste, il est habillé comme un simple vagabond. Habit râpé, chaussures en mauvais état ; pas de linge visible, gants noirs usés, un chapeau mou et sale sous le bras, une baguette à la main.) ulric brendel, montre d’abord quelque hésitation, puis il s’avance vivement vers le recteur et lui tend la main. — Bonsoir, Jean ! kroll. — Monsieur... brendel. — T’attendais-tu à me revoir, dis ? Et cela dans l’enceinte de ces murs détestés ? kroll. — Monsieur (indiquant du doigt), voici... brendel, se retournant. — Ah oui ! C’est bien lui. Jean — mon enfant, — l’être que j’ai aimé le plus en ce monde ! rosmer, lui tendant la main. — Mon vieux maître !... brendel. — Malgré certains souvenirs — je n’ai pas voulu passer devant Rosmersholm, sans y faire une courte visite. rosmer. — Vous y êtes le bienvenu. Croyez-le bien. brendel. — Oh ! Et cette séduisante personne ? (s’inclinant) Naturellement madame la pastoresse. rosmer. — Mademoiselle West. brendel. — Probablement une proche parente. Et cet inconnu ? — Un collègue à ce que je vois. rosmer. — Le recteur Kroll. brendel. — Kroll ? Kroll ? Attendez un peu. Avez-vous étudié la philologie dans votre jeune âge ? kroll. — Oui, sans doute. brendel. — Mais, sapristi, en ce cas je t’ai connu ! kroll. — Monsieur... brendel. — N’étais-tu pas... kroll. — Monsieur... brendel. — Un de ces piliers de vertu qui m’ont expulsé de la conférence ? kroll. — C’est bien possible. Mais je décline toute intimité... brendel. — Allons, allons ! Comme il vous plaira, monsieur le docteur. Cela m’est bien égal. Ulric Brendel n’en restera pas moins l’homme qu’il est. rébecca. — Vous avez probablement l’intention de vous rendre en ville, monsieur Brendel ? brendel. — Madame la pastoresse a deviné juste. De temps en temps, je me vois forcé de lutter pour l’existence. Je le fais à contre-cœur, mais, — enfin — la force des choses... rosmer. — Mon cher monsieur Brendel, vous me permettrez bien de vous venir en aide, — d’une manière ou d’une autre. brendel. — Dieu, quelle proposition ! Voudrais-tu flétrir le lien qui nous unit ? Jamais, Jean, jamais ! rosmer. — Mais que comptez-vous faire en ville ? Il ne vous ne sera pas facile d’y trouver de l’occupation, croyez-moi. brendel. — Laisse cela, mon garçon. Le sort en est jeté. Tel que tu me vois, j’ai entrepris un grand voyage, plus grand que toutes mes excursions d’autrefois prises ensemble. (À Kroll.) Entre nous, oserais-je faire une question à monsieur le professeur ? — Y a-t-il un local de réunion à peu près décent et suffisamment vaste, dans votre honorable cité ? kroll. — La plus vaste salle est celle de l’association des ouvriers. brendel. — Monsieur le maître de conférences a-t-il quelque influence dans cette association, dont la haute utilité me semble évidente ? kroll. — Je n’ai rien à y voir. rébecca. — Il faudra vous adresser à Pierre Mortensgaard. brendel. — Pardon, madame, — quel est cet idiot ? rébecca. — Pourquoi voulez-vous que ce soit un idiot ? brendel. — Comme si le nom seul ne l’indiquait pas. Un plébéien ! kroll. — Voilà une réponse à laquelle je ne m’attendais pas. brendel. — Mais je saurai me vaincre. Il ne me reste que cela à faire. Quand on se trouve — comme moi — au croisement de deux routes. — C’est dit : Je me mets en rapport avec l’individu — j’entre en pourparlers directs. rosmer. — En êtes-vous sérieusement là ? brendel. — Mon cher garçon, ne sais-tu pas que, quel que soit le parti auquel s’arrête Ulric Brendel, c’est toujours sérieux ? — Oui, mon cher, je vais devenir un autre homme, sortir de la réserve discrète que je me suis imposée jusqu’à présent. rosmer. — Comment cela ? brendel. — Je veux prendre une part active à la vie, me mettre sur les rangs, me produire. Nous traversons un temps d’orage, une période équinoxiale. Je veux déposer mon denier sur l’autel de la délivrance. kroll. — Vous aussi. brendel, s’adressant à tous. — Quelqu’un ici aurait-il approfondi mes écrits ? kroll. — Non, je dois avouer que... rébecca. — J’en ai lu plusieurs. Mon père adoptif les possédait. brendel. — Belle châtelaine — en ce cas vous avez perdu votre temps. Tout cela c’est du radotage. rébecca. — Vraiment ? brendel. — Ce que vous avez lu, oui. Mes seules œuvres remarquables ne sont connues ni des hommes ni des femmes — elles ne le sont que de moi-même. rébecca. — Comment cela se fait-il ? brendel. — Parce qu’elles n’ont jamais été écrites. rosmer. — Mais, mon cher monsieur Brendel... brendel. — Tu sais, Jean, mon enfant, que je suis une espèce de sybarite, un délicat. J’ai toujours été ainsi. J’aime à jouir dans la solitude, car alors je jouis dix fois, vingt fois plus. Tu comprends... quand les rêves d’or venaient me visiter, quand je sentais naître en moi des pensées nouvelles et que des idées vertigineuses, d’une envolée superbe, m’emportaient au loin sur leurs ailes — je les transformais en vers, en visions, en images. Tout cela dans de vastes propositions, — tu comprends. rosmer. — Oui, oui. brendel. — Oh ! combien j’ai joui, savouré dans ma vie ! Les joies mystiques du développement intérieur — toujours dans de vastes proportions. — Les applaudissements, les actions de grâces, les louanges et les couronnes de laurier — j’ai tout recueilli avec des mains tremblantes de joie. Je me suis repu, dans mes solitaires visions, d’une allégresse — oh ! d’une allégresse vertigineuse ? kroll. — Hm. rosmer. — Mais vous n’avez jamais rien écrit de out cela ? brendel. — Pas un mot. Ce plat métier d’écrivain m’a toujours dégoûté. Et pourquoi aurais-je profané mon idéal, quand je pouvais en jouir dans toute sa pureté, pour moi tout seul ? Mais aujourd’hui, il doit être sacrifié. En vérité — je me sens comme une mère qui va remettre sa fille dans les bras d’un époux. Et pourtant, je me décide au sacrifice, je le fais sur l’autel de l’émancipation. Une suite de conférences bien faites — à travers tout le pays ! rébecca, avec vivacité. — C’est une noble idée, monsieur Brendel ! Vous donnez ce que vous avez le plus précieux. brendel. — Mon seul trésor. rébecca, jetant un regard significatif à Rosmer. — Tout le monde n’en fait pas autant. Tout le monde n’a pas ce courage. rosmer, répondant à son regard. — Qui sait ?... brendel. — La société s’agite : cela me retrempe le cœur, cela me fortifie la volonté, et là-dessus je me mets à l’œuvre. Encore une question. — (Au recteur.) Pouvez-vous me dire, monsieur le précepteur, — s’il y a dans la ville une société d’abstinence ? D’abstinence absolue ? Cela doit exister. kroll. — Oui, à votre service. J’en suis le directeur. brendel. — Je l’avais deviné à votre figure. Eh bien ! il n’est pas du tout impossible que je vienne chez vous, m’y faire inscrire pour une semaine. kroll. — Excusez-moi, nous n’acceptons pas de membre à la semaine. brendel. — À la bonne heure, monsieur le pédagogue. Ulric Brendel n’a pas coutume de forcer les portes de ces sortes d’institutions. (Se tournant vers Rosmer.) Mais, je ne veux pas prolonger mon séjour dans cette maison, si riche en souvenirs. Je dois me rendre en ville et m’y procurer un logement convenable. J’espère qu’on y trouve un hôtel à peu près décent. rébecca. — Ne boirez-vous pas quelque chose de chaud avant de partir ? brendel. — Quelle espèce de boisson, belle dame ? rébecca. — Une tasse de thé ou... brendel. — Merci, généreuse hôtesse : je n’aime pas à abuser de l’hospitalité privée. (Faisant un salut de la main.) Portez-vous bien, madame et messieurs ! (Il se dirige vers la porte.) Ah ! c’est vrai, Jean, pasteur Rosmer, voudrais-tu rendre un service à ton ancien maître, en souvenir de sa vieille amitié ? rosmer. — Oui, avec le plus grand plaisir. brendel. — Eh bien ! Prête-moi pour un jour ou deux — une chemise à manchettes, repassée. rosmer. — C’est là tout ? brendel. — Car, vois-tu, je voyage à pied, cette fois-ci. Ma malle me sera expédiée plus tard. rosmer. — Bien, bien. Mais n’y aurait-il pas encore quelque chose que je puisse faire pour vous ? brendel. — Sais-tu quoi ? Tu pourrais peut-être te passer d’une redingote d’été qui ne serait pas neuve. rosmer. — Mais oui, bien certainement. brendel. — Et pour le cas où il y aurait une paire de bottes assorties à la redingote... rosmer. — Il y aura moyen d’arranger cela. Aussitôt que nous connaîtrons votre adresse nous vous enverrons ces objets. brendel. — Jamais de la vie. Pas de dérangements à cause de moi ! J’emporterai ces bagatelles. rosmer. — C’est bien. En ce cas, voulez-vous monter avec moi ? rébecca. — Non, laissez-moi faire. Mme Helseth et moi, nous arrangerons cela. brendel. — Jamais je ne permettrai qu’une dame aussi distinguée !... rébecca. — Venez seulement, monsieur Brendel. (Elle sort par la porte de droite.) rosmer, le retenant. — Dites-moi, n’y a-t-il plus rien que je puisse faire pour vous ? brendel. — Je ne sais vraiment pas ce que cela pourrait être. Ah, oui, tonnerre de Dieu ! quand j’y pense ! Jean, tu n’aurais pas par hasard huit couronnes en poche ? rosmer. — Nous allons voir. (Ouvrant son porte-monnaie.) J’ai là deux billets de dix couronnes. brendel. — Bien, bien, c’est égal. Je puis les prendre. Je pourrai toujours les changer en ville. Merci, merci. Souviens-toi que ce sont des billets de dix que tu m’as donné. Bonsoir mon très cher garçon ! Bonsoir, très honoré monsieur ! (Il va vers la porte de droite, Rosmer l’accompagne, lui dit adieu et ferme la porte derrière lui.) kroll. — Bonté divine ! dire que c’est là cet Ulric Brendel à qui des gens ont trouvé l’étoffe d’un grand homme. rosmer, avec calme. — Dans tous les cas, il a eu le courage de vivre à sa guise. Il me semble que cela vaut bien quelque chose. kroll. — Que dis-tu là ? Une vie comme la sienne ! On croirait vraiment qu’il est homme à te bouleverser les idées encore une fois. rosmer. — Oh non, mon cher ! Maintenant, je suis sûr de moi, sous tous les rapports. kroll. — Dieu veuille que ce soit vrai, mon cher Rosmer. Tu es si accessible aux impressions du dehors !... rosmer. — Asseyons-nous. J’ai à te parler. kroll. — Je veux bien. (Ils prennent place sur le sofa.) rosmer, après un court silence. — Ne trouves-tu pas qu’il règne ici une atmosphère de paix et de bonheur ? kroll. — Certainement. Vous êtes bien ici, et vous avez la paix. Oui, tu as gagné un foyer, Rosmer, tandis que j’ai perdu le mien. rosmer. — Ne dis pas cela, mon ami. Où règne aujourd’hui la discorde, l’harmonie renaîtra sûrement. kroll. — Jamais, jamais. Le germe de discorde sera toujours là. Jamais je ne retrouverai le passé. rosmer. — Ecoute-moi bien, Kroll. Nous avons été unis pendant de longues, de très longues années. Peux-tu te figurer qu’une telle amitié en vienne à se briser ? kroll. — Rien au monde, que je sache, ne pourrait amener une rupture entre nous. D’où te vient cette idée ? rosmer. — C’est que tu attaches un si grand prix à l’accord des jugements et des opinions. kroll. — Eh bien, oui ; mais en ce qui nous concerne, nous sommes à peu près d’accord, sur tout, ou au moins sur les questions fondamentales. rosmer, doucement. — Non ; nous ne le sommes plus. kroll, faisant un brusque mouvement pour se lever. — Qu’est-ce à dire ? rosmer, le retenant. — Reste assis. Je t’en prie, Kroll. kroll. — Que veux-tu dire ? Je ne te comprends pas. Parle clairement. rosmer. — Il s’est fait un renouveau dans mon esprit. Un nouveau rayon de jeunesse m’a frappé. Et voilà comment j’en suis là... moi aussi. kroll. — Où cela, où en es-tu ? rosmer. — Au même point que tes enfants. kroll. — Toi ? toi ! Mais c’est impossible. Tu dis que... rosmer. — Je suis du même côté que Laurent et que Hilda. kroll, baissant la tête. — Renégat ! Jean Rosmer est un renégat ! rosmer. — Que de joie, que de bonheur j’aurais pu trouver dans ce reniement, comme tu l’appelles !... Au lieu de cela, j’en ai cruellement souffert, sachant quel amer chagrin cela te causerait. kroll. — Rosmer !... — Rosmer ! Je ne m’en remettrai jamais. (Le regardant douloureusement.) Te voilà donc aussi parmi ceux qui travaillent à l’œuvre de corruption et de ruine qui ronge notre malheureux pays. rosmer. — C’est à l’œuvre de son affranchissement que je veux prendre part. kroll. — Oui, je sais bien, c’est là ce que disent les corrupteurs et les égarés. Mais crois-tu vraiment qu’on puisse attendre un affranchissement quelconque de cet esprit qui empoisonne notre société ? rosmer. — Je ne suis pas entraîné par l’esprit du temps, ni par aucun de ceux qui combattent. Je veux faire un appel à tous, tâcher d’unir les hommes en aussi grand nombre et aussi étroitement que possible. Je veux vivre et employer toutes les forces de mon être à ce but unique : l’avènement, dans ce pays, de la vraie souveraineté populaire. kroll. — Ainsi tu trouves que nous n’en avons pas encore assez, de cette souveraineté ! Pour ma part, il me semble que tous, tant que nous sommes, nous allons bientôt nous trouver dans la boue, où la plèbe seule se complaisait jusqu’ici. rosmer. — Voilà pourquoi je veux un régime populaire qui réponde à sa vraie mission. kroll. — Quelle mission ? rosmer. — Celle d’ennoblir tous les hommes du pays. kroll. — Tous ! rosmer. — Du moins, un aussi grand nombre que possible. kroll. — Par quels moyens ? rosmer. — En affranchissant les esprits et en purifiant les volontés. kroll. — Tu es un rêveur, Rosmer. Tu veux les affranchir ? Tu veux les purifier ? rosmer. — Non, cher ami, je veux seulement les réveiller. C’est à eux d’agir ensuite. kroll. — Et tu les crois en état de le faire ? rosmer. — Oui. kroll. — Par leur propre force, n’est-ce pas ? rosmer. — Oui, par leur propre force. Il n’en existe pas d’autre. kroll, se levant. — Est-ce là le langage qui convient à un prêtre ? rosmer. — Je ne suis plus prêtre. kroll. — Oui, mais... la foi de ton enfance ? rosmer. — Je ne l’ai plus. kroll. — Tu ne l’as plus ! kroll, se levant. — Je l’ai abandonnée. J’ai dû l’abandonner, Kroll ! kroll, avec émotion, mais en se maîtrisant. — Ah ! ah ! — Oui, oui, oui. L’un ne va pas sans l’autre... c’est ça ! — C’est peut-être la cause qui t’a fait quitter le service de l’Église ? rosmer. — Oui. Quand ma conviction s’est faite, — quand j’ai acquis l’entière certitude, que ce n’était pas là une tentation passagère, mais quelque chose dont je ne pourrais, ni ne voudrais jamais me défaire — je suis parti. kroll. — Ainsi cet état de chose a subsisté longtemps, et nous, — tes amis, nous n’en avons rien su. Rosmer, Rosmer, — comment as-tu pu nous cacher la triste vérité ! rosmer. — La chose, me semblait-il, ne relevait que de moi-même. Et puis, j’ai voulu t’épargner, à toi et aux autres, un chagrin inutile. Je pensais pouvoir continuer à vivre ici, tranquille, content, heureux. Je voulais lire toutes ces œuvres qui m’étaient restées inconnues jusqu’alors et m’appliquer à leur étude, m’acclimater tout à fait dans le monde de la liberté et de la vérité qui venait de m’être révélé. kroll. — Renégat ! Chacune de tes paroles en témoigne. Mais alors pourquoi cet aveu de ta désertion ? Et pourquoi juste en ce moment ? rosmer. — C’est toi, Kroll, qui l’as voulu. kroll. — Moi ? rosmer. — Ce que j’ai appris de ta violence dans les réunions, — de tes discours dépourvus de charité, de tes sorties haineuses contre ceux qui ne sont pas de ton bord, du sarcasme que tu mêlais à tes censures. Ah, Kroll, te voir ainsi transformé ! C’est alors que le devoir m’est apparu, un devoir impérieux. Le combat qui se livre rend les hommes méchants. Les esprits ont besoin de paix, de joie, de réconciliation. Voilà pourquoi je me mets sur les rangs, me donnant ouvertement pour ce que je suis. Et puis, je veux essayer mes forces ! moi aussi. Ecoute-moi, Kroll : ne voudrais-tu pas — de ton côté — seconder ce mouvement ? kroll. — Jamais de ma vie je ne ferai de compromis avec ces forces de destruction qui minent la société. rosmer. — Eh bien ! S’il faut absolument combattre, ne nous servons du moins que d’armes courtoises. kroll. — Quiconque n’est pas avec moi dans les questions vitales, je ne le connais plus, et ne lui dois aucun ménagement. rosmer. — Dois-je prendre cela pour moi ? kroll. — C’est de toi, Rosmer, que vient la rupture. rosmer. — C’est donc une rupture ! kroll. — Si c’en est une ! Une rupture avec tous ceux qui te tenaient de près. Oui ! Et tu en supporteras les conséquences. (Rébecca West entre par la porte de droite, qu’elle laisse grande ouverte.) rébecca. — Enfin, le voilà en route pour le sacrifice. Maintenant nous pouvons nous mettre à table. Venez, recteur. kroll, saisissant son chapeau. — Bonsoir, mademoiselle West. Je n’ai plus rien à faire ici. rébecca, émue. — Que se passe-t-il ? (Fermant la porte et s’approchant.) Avez-vous parlé ? rosmer. — Il sait tout. kroll. — Nous ne te lâcherons pas, Rosmer. Nous te forcerons à revenir parmi nous. rosmer. — Je ne le ferai jamais. kroll. — Nous verrons bien. Tu n’es pas homme à supporter la solitude. rosmer. — Je ne resterai pas seul. Nous sommes deux ici là à la supporter. kroll. — Ah ! (Un soupçon le traverse.) C’est comme cela ? Oh, les paroles de Félicie ! rosmer. — De Félicie ? kroll, repoussant son idée. — Non, non, j’ai eu tort. Pardonne-moi. Adieu. rosmer. — Quoi ? Que veux-tu dire ? kroll. — Ne parlons pas de cela. Fi ! Pardonne-moi. Adieu. (Il se dirige vers le vestibule.) rosmer, raccompagnant. — Kroll ! Une faut pas que nous nous quittions ainsi. J’irai te voir demain. kroll, se retournant sur le seuil du vestibule. — Ta ne mettras plus les pieds dans ma maison ! (Il prend sa canne et sort.) (Rosmer reste un moment devant la porte ouverte, puis il la ferme et se dirige vers la table.) rosmer. — Ce n’est rien, Rébecca. Nous saurons tout supporter, à nous deux, en amis fidèles que nous sommes. rébecca. — À quoi pensait-il en disant « Fi ! ». Le sais-tu ? rosmer. — Ne t’inquiète pas de cela, chère amie. Il n’en croyait rien lui-même. Demain j’irai chez lui. Bonne nuit ! rébecca. — Tu te retires de si bonne heure, ce soir, après ce qui vient de se passer ? rosmer. — Ce soir comme d’habitude. Maintenant que tout est dit, j’éprouve un grand soulagement. Tu vois bien : je suis tout à fait calme. Sois-le également, chère Rébecca. Bonne nuit ! rébecca. — Bonne nuit, mon ami. Dors bien. (Rosmer sort par la porte du vestibule ; puis on l’entend monter l’escalier.) (Rébecca s’approche de la cheminée et tire un cordon de sonnette.) (Mme Helseth entre par la porte de droite.) rébecca. — Vous pouvez desservir, madame Helseth, le pasteur ne veut rien prendre et le recteur est parti. madame helseth. — Le recteur est parti ? Qu’est ce qui lui a pris ? rébecca, prenant son ouvrage. — Il prévoyait un violent orage. madame helseth. — C’est bien curieux. On n’aperçoit pas le moindre petit nuage ce soir. rébecca. — Pourvu qu’il ne rencontre pas le cheval blanc. Je crains que nous n’entendions bientôt parler de fantôme. madame helseth. — Doux Jésus ! ne parlez pas ainsi, mademoiselle ! rébecca. — Allons, allons. madame helseth, baissant la voix. — Mademoiselle croit-elle vraiment que quelqu’un va bientôt s’en aller d’ici ? rébecca. — Pas du tout. Mais il y a plusieurs espèces de chevaux blancs dans ce monde, madame Helseth. — Allons, — bonsoir. Je rentre chez moi. madame helseth. — Bonsoir, mademoiselle. (Rébecca son ouvrage à la main sort par la porto de droite.) madame helseth, éteint, la lampe, en secouant la tête et en murmurant. — Jésus. Jésus. Cette demoiselle West, comme elle parle quelquefois ! Le cabinet de travail de Jean Rosmer. À gauche une porte. Dans le fond, une porte dont la portière est soulevée et qui conduit à la chambre à coucher. À droite, devant une fenêtre, une table à écrire couverte de livres et de papiers. Des rayons de livres et des armoires sont disposés contre les murs. Ameublement simple. À gauche, sur le premier plan, un sofa et une table de forme ancienne. Jean Rosmer, en veston, est assis devant la table à écrire, sur une chaise à haut dossier. Il découpe et feuillette une revue. (On frappe à la porte de gauche.) rosmer, sans se retourner. — Entrez. (Rébecca West entre, en négligé de matin.) rébecca. — Bonjour. rosmer, tenant le livre ouvert. — Bonjour, chère amie. Désires-tu quelque chose ? rébecca. — Je voulais savoir seulement si tu as bien dormi ? rosmer. — Admirablement. Un sommeil sans rêves. — (Se retournant.) Et toi ? rébecca. — Très bien, merci. Vers le matin... rosmer. — Il y a longtemps que je ne me suis senti le cœur aussi léger. C’est si bon d’avoir tout dit. rébecca. — Tu n’aurais pas dû garder le silence si longtemps, Rosmer. rosmer. — Je ne comprends pas moi-même ma lâcheté. rébecca. — Mon Dieu ! Ce n’était pas précisément de la lâcheté. rosmer. — Si, si, je le sais. En m’interrogeant bien, je vois que la lâcheté y était pour quelque chose. rébecca. — Tu as été d’autant plus courageux de rompre en visière. (Elle s’assied sur une chaise près de la table à écrire.) Maintenant, je vais te raconter ce que j’ai fait — tu ne te fâcheras pas ? rosmer. — Me fâcher ? Comment peux-tu croire cela, chère amie ? rébecca. — J’ai peut-être trop pris sur moi : mais. rosmer. — Voyons, raconte. rébecca. — Hier soir, en prenant congé de cet Ulric Brendel, je lui ai donné deux ou trois lignes pour Mortensgaard. rosmer, avec quelque inquiétude. — Mais ma chère Rébecca... Voyons, que peux-tu lui avoir écrit ? rébecca. — Je lui ai dit qu’il te rendrait service en s’occupant de ce pauvre homme et en l’aidant de tout son pouvoir. rosmer. — Chère amie, c’est ce que tu n’aurais pas dû faire. Cela ne peut que nuire à Brendel, et Mortensgaard est un homme que je désire tenir à distance. Tu connais le démêlé que j’ai eu avec lui jadis. rébecca. — Ne crois-tu pas qu’aujourd’hui il te serait peut-être utile d’avoir de bonnes relations avec cet homme ? rosmer. — Avec Mortensgaard ? moi ? Pourquoi cela ? rébecca. — Parce que ta situation est ébranlée — depuis ta rupture avec tes anciens amis. rosmer, la regardant et secouant la tête. — As-tu vraiment pu supposer que Kroll ou un autre voudraient se venger — ? Qu’ils seraient capables : de ?... rébecca. — Dans le premier emportement, mon cher, personne ne sait ce qui peut arriver. À en juger par la manière dont le recteur a pris la chose... rosmer. — Tu devrais le connaître mieux que cela. Kroll est un parfait honnête homme. Cet après-midi j’irai en ville, lui parler. Je veux leur parlera tous. Tu verras comme ce sera facile. (Mme Helseth à la porte de gauche.) rébecca, se levant. — Qu’y a-t-il, madame Helseth ? madame helseth. — Le recteur Kroll est là dans le vestibule. rosmer, se levant avec vivacité. — Kroll ! rébecca. — Le recteur ! Tiens ! madame helseth. — Il fait demander s’il peut monter chez monsieur le pasteur. rosmer, s’adressant à Rébecca. — Tu vois bien ! Certes, il peut monter. (Il va jusqu’à la porte et appelle.) Monte donc, cher ami ! Sois mille fois le bienvenu ! (Rosmer tient la porte ouverte. — Mme Helseth sort. — Rébecca baisse la portière et se met à ranger dans la chambre.) (Kroll entre, le chapeau à la main.) rosmer, doucement, avec émotion. — Je savais bien que ce n’était pas la dernière fois... kroll. — Je vois aujourd’hui la question sous un tout autre jour. rosmer. — Oui, n’est-ce pas, Kroll ? J’en étais sûr. Maintenant que tu as refléchi... kroll. — Tu te trompes entièrement sur le sens de mes paroles. (Posant son chapeau sur la table près du canapé.) Il importe que je te parle seul à seul. rosmer. — Pourquoi Mlle West ne pourrait-elle pas ?... rébecca. — Non, non, monsieur Rosmer, je m’en vais. kroll, la considérant. — Et puis j’ai à faire mes excuses à mademoiselle d’être venu de si bonne heure, de la surprendre avant qu’elle ait eu le temps de... rébecca, tressaillant. — Comment cela ? Auriez-vous quelque objection à ce que je paraisse en négligé à la maison ? kroll. — Comment donc ! Je ne suis pas au courant des habitudes actuelles de Rosmersholm. rosmer. — Mais, Kroll, je ne te reconnais pas aujourd’hui ! rébecca. — J’ai l’honneur de vous saluer, monsieur le recteur. (Elle sort par la porte de gauche.) kroll. — Avec ta permission. (Il s’assied sur le sofa.) rosmer. — Oui, cher ami, asseyons-nous et parlons à cœur ouvert. (Il prend une chaise et s’assied vis-à-vis du recteur.) kroll. — Je n’ai pas fermé l’œil depuis hier. J’ai réfléchi toute la nuit. rosmer. — Et que dis-tu aujourd’hui ? kroll. — Ce sera long, Rosmer. Permets-moi de commencer par une sorte de préambule. Je puis te donner des nouvelles d’Ulric Brendel. rosmer. — Est-il venu chez toi ? kroll. — Non. Il s’est établi dans un ignoble bouge, bien entendu dans la plus ignoble compagnie. Il leur a offert à boire et a trinqué avec eux aussi longtemps qu’il lui est resté un sou dans la poche. Après quoi, il a injurié toute la bande en l’appelant vile populace et tas de gredins. Alors on l’a rossé et jeté au ruisseau. rosmer. — Je crains qu’il ne soit incorrigible. kroll. — Il avait aussi mis en gage la redingote. Mais quelqu’un la lui a dégagée. Devine qui. rosmer. — Toi, peut-être ? kroll. — Non. Ce noble M. Mortensgaard. rosmer. — Vraiment ? kroll. — Je me suis laissé dire que la première visite de M. Brendel a été pour « l’idiot » et pour le « plébéien ». rosmer. — Cela pouvait lui être utile. kroll. — Je crois bien. (Se penchant en avant sur la table pour se rapprocher de Rosmer.) Mais voici que nous touchons à un fait, dont je crois de mon devoir de t’avertir, en souvenir de notre vieille (se reprenant) de notre ancienne amitié. rosmer. — Qu’est-ce donc, cher ami ? kroll. — C’est qu’il se joue dans cette maison un jeu que tu ne soupçonnes pas. rosmer. — Comment peux-tu croire cela ! Est-ce à Rébec..., à Mlle West que tu fais allusion ? kroll. — Précisément. Cela ne m’étonne pas du tout de sa part. Depuis longtemps elle est habituée à tout diriger ici. Mais cependant... rosmer. — Mon cher Kroll, tu te trompes entièrement. Nous n’avons rien au monde de secret l’un pour l’autre. kroll. — T’a-t-elle avoué la correspondance qu’elle a engagée avec le rédacteur du « Phare » ? rosmer. — Oh ! tu penses à ces deux ou trois lignes qu’elle a données à Ulric Brendel. kroll. — Tu as donc appris cela ? Et tu approuvé qu’elle se mette en rapport avec cet auteur de chroniques scandaleuses, qui ne laisse pas passer une semaine sans me mettre sur la sellette au sujet de mon école et de mes fonctions publiques ? rosmer. — Cher ami, elle n’a certainement pas envisagé ce côté de la question. Du reste, elle a naturellement sa liberté d’agir, tout comme moi j’ai la mienne. kroll. — Vraiment ? Je suppose que cela s’accorde avec la nouvelle voie où tu t’es engagé. Car il est probable que Mlle West et toi, vous vous trouvez exactement au même point. rosmer. — Certainement. C’est la main dans la main que nous avons marché vers notre but commun. kroll, le considère, en hochant lentement la tête. — Aveugle, qui ne vois pas le piège ! rosmer. — Moi ? Pourquoi dis-tu cela ? kroll. — C’est que je n’ose pas, que je ne veux pas croire autre chose. Non, non, laisse-moi m’expliquer. Tu attaches du prix à mon amitié, et à mon estime aussi ? N’est-ce pas, Rosmer ? rosmer. — Je n’ai pas besoin de répondre à cette question. kroll. — C’est qu’il y a encore d’autres questions qui exigent des réponses, une franche explication de ta part. Consens-tu à ce que je te fasse subir une sorte d’interrogatoire ? rosmer. — D’interrogatoire ? kroll. — Oui ; que je touche à certains sujets dont le souvenir pourra t’être pénible ? Vois-tu, ton apostasie, ou ton affranchissement, comme tu dis, se rattache à tant de choses dont il est nécessaire que tu me rendes compte, dans ton propre intérêt. rosmer. — Fais toutes les questions qu’il te plaira, cher ami. Je n’ai rien à cacher. kroll. — Eh bien, dis-moi quelle a été, selon toi, la véritable raison qui a poussé Félicie au suicide ? rosmer. — Y a-t-il le moindre doute à ce sujet ? Ou plutôt, peut-on demander les raisons d’agir d’un pauvre être malade et irresponsable ? kroll. — Es-tu bien sûr de l’entière irresponsabilité de Félicie ? Dans tous les cas, les médecins ne se prononçaient pas avec cette certitude. rosmer. — Si les médecins avaient pu la voir dans l’état où je l’ai vue si souvent moi-même, et cela durant des journées et des nuits entières, ils n’auraient pas eu le moindre doute. kroll. — Je n’en avais pas non plus, à cette époque. rosmer. — Ah non, mon ami, le doute n’était malheureusement pas possible ! Je crois t’avoir parlé de cette passion sauvage, effrénée qu’elle me demandait de partager. Oh ! quelle épouvante elle m’inspirait ! Et puis ces reproches sans motifs qu’elle se faisait et qui l’ont torturée pendant ces dernières années. kroll. — Oui, quand elle a su qu’elle ne pourrait jamais être mère. rosmer. — Tu vois bien. Se livrer à un si violent désespoir, se tourmenter de la sorte pour un fait dont elle n’était nullement responsable ! Qui peut prétendre qu’elle eût tout son bon sens ? kroll. — Hm — Te souviens-tu si, à cette époque, tu avais chez toi des livres traitant du vrai sens du mariage d’après les idées avancées de notre temps ? rosmer. — Je me souviens que Mlle West m’avait prêté un ouvrage de ce genre. Elle a hérité, comme tu sais, de la bibliothèque du docteur. Mais, mon cher Kroll, tu ne peux pas nous supposer assez imprudents pour avoir initié la pauvre malade à de pareilles questions. Je puis affirmer solennellement que nous n’avons rien à nous reprocher. C’est son propre cerveau et ses nerfs ébranlés qui l’ont égarée. kroll. — Dans tous les cas, il y a une chose que je puis te raconter maintenant. C’est que la pauvre Félicie, tourmentée et exaltée au delà du possible, s’est suicidée pour te laisser vivre heureux, libre, à ta guise. rosmer, avec un brusque mouvement pour se lever. — Qu’entends-tu par là ? kroll. — Il faut m’écouter tranquillement, Rosmer. Je puis tout te dire, maintenant. Durant la dernière année de sa vie, elle est venue deux fois chez moi pour me confier son angoisse et son désespoir. rosmer. — À ce sujet ? kroll. — Non. La première fois, elle est venue me dire que tu étais sur le point de renier ta foi, d’abandonner la religion de tes pères. rosmer, vivement. — Ce que tu dis là est impossible, Kroll ! Tout à fait impossible. Tu te trompes certainement. kroll. — Pourquoi cela ? rosmer. — Parce que, du vivant de Félicie, je me débattais encore dans le doute et dans l’incertitude. Et ce combat, je l’ai livré seul dans le fond de ma conscience. Je crois que pas même Rébecca... kroll. — Rébecca ? rosmer. — Eh bien, oui, mademoiselle West. Je l’appelle Rébecca pour simplifier les choses. kroll. — Je l’avais remarqué. rosmer. — Voilà pourquoi il me semble tout à fait incompréhensible que Félicie ait eu cette idée. Et pourquoi ne m’en a-t-elle jamais parlé ? Et jamais elle ne l’a fait. Jamais un mot ! kroll. — L’infortunée ! — Elle m’a tant prié, tant supplié de t’en parler. rosmer. — Et pourquoi ne l’as tu pas fait ? kroll. — Je n’ai pas douté un instant qu’elle eût l’esprit troublé, cette fois-là. Une pareille accusation contre un homme comme toi ! Environ un mois plus tard, elle paraissait plus calme, mais, en parlant, elle me dit : « Préparez-vous à voir bientôt le cheval blanc à Rosmersholm. » rosmer. — Ah, oui, le cheval blanc, elle en parlait souvent. kroll. — Et comme je tâchai de l’arracher à de si tristes pensées, elle se contenta de répondre : « Je n’en ai plus pour longtemps, car maintenant il faut que Jean épouse Rébecca, sans retard. » rosmer, d’une voix étranglée. — Que dis-tu là ! Moi épouser !... kroll. — Ceci se passait un jeudi, dans l’après-midi. — Le samedi soir elle se jeta de la passerelle dans le torrent du moulin. rosmer. — Et dire que tu ne nous avais pas avertis !... kroll. — Tu sais toi-même qu’elle avait pris l’habitude de dire qu’elle n’en avait pas pour longtemps. rosmer. — Je sais bien. Et cependant, — tu aurais dû nous avertir ! kroll. — J’y ai pensé. Mais alors il n’était plus temps. rosmer. — Et plus tard donc, pourquoi n’as-tu pas... — ? Pourquoi m’avoir caché tout cela ? kroll. — À quoi bon te tourmenter et rouvrir la blessure ? — Je n’ai vu dans tous ces propos que des fantaisies déréglées. Je l’ai cru jusqu’à hier soir. rosmer. — Ainsi tu ne le crois plus ? kroll. — Félicie n’a-t-elle pas vu clair, en prétendant que tu étais sur le point de renier la foi de ton enfance ? rosmer, regardant fixement devant lui. — Oui, et je n’y comprends rien. C’est là une chose absolument inexplicable pour moi. kroll. — Inexplicable ou non, elle n’en est pas moins certaine. Et maintenant, Rosmer, je te demande ce qu’il y a de vrai dans son autre accusation, la dernière ? rosmer. — Son accusation, dis-tu ? Était-ce donc là une accusation ? kroll. — Tu n’as peut-être pas fait attention aux termes dont elle s’est servi. Elle m’a dit qu’elle voulait mourir. Pourquoi ? Voyons ! rosmer. — Pour que je puisse épouser Rébecca. kroll. — Ce n’est pas exactement ainsi qu’elle s’est exprimée. Elle a dit : « Je n’ai plus que peu de temps à vivre, car, maintenant, il faut que Jean épouse Rébecca sans retard. » rosmer, le fixe un moment, puis il se lève. — Maintenant je le comprends, Kroll. kroll. — Eh bien ? Qu’as-tu a répondre ? rosmer, avec calme, se dominant. — Répondre à ces choses sans nom ? La seule réponse à faire serait de te montrer la porte. kroll, se levant. — C’est bien. rosmer, Se plaçant devant lui. — Ecoute-moi. Il y a un an et plus, depuis la mort de Félicie, que Rébecca West et moi vivons seuls, à Rosmersholm. Depuis ce temps, et bien que tu connusses l’accusation de Félicie, je ne t’ai pas vu une seule fois scandalisé de nous voir vivre ensemble, Rébecca et moi. kroll. — Depuis hier soir, seulement, je sais que c’est un renégat et une femme émancipée, qui vivent ainsi en commun. rosmer. — Ah !! Tu ne crois donc pas que des renégats et des femmes émancipées puissent vivre en esprit de chasteté ? Tu ne crois pas qu’ils puissent être dominés par l’instinct de la moralité comme par une loi de la nature ? kroll. — Je ne fais pas grand cas d’une moralité qui n’a pas ses racines dans la foi de l’Eglise. rosmer. — Ce que tu dis là s’appliquerait, selon toi, à Rébecca et à moi ? À mes relations avec Rébecca ? kroll. — Je ne puis pas changer d’opinion par égard pour vous : je ne vois pas d’abîme infranchissable entre la libre pensée et... rosmer. — Et ? kroll. — Et l’amour libre, puisque tu veux que j’appelle les choses par leur nom. rosmer, lentement. — Et tu n’as pas honte de médire cela ! Toi, qui me connais depuis ma première jeunesse ! kroll. — Justement parce que je te connais, je sais avec quelle facilité tu subis l’influence de ton entourage. Et, quant à ta Rébecca. (Mouvement de Rosmer.) Bien, bien ! quant à cette demoiselle West, nous ne la connaissons guère, à vrai dire. En un mot, Rosmer, je ne t’abandonne pas. Et tu devrais tâcher de te sauver avant qu’il soit trop tard. rosmer. — Me sauver ? Comment cela ? (Mme Helseth entr’ouvre la porte de gauche.) rosmer. — Que voulez-vous ? madame helseth. — Je viens prier Mademoiselle de descendre. rosmer. — Mademoiselle n’est pas ici. madame helseth. — Vraiment ? (Jetant un regard autour d’elle.) C’est extraordinaire : (Elle sort.) rosmer. — Tu disais ? kroll. — Ecoute-moi. Ce qui s’est passé en cachette durant l’existence de Félicie — et ce qui se passe ici depuis, — je ne veux pas l’examiner de trop près. Tu étais extrêmement malheureux en ménage. Cela peut jusqu’à un certain point te servir d’excuse. rosmer. — Comme tu me connais peu au fond. kroll. — Ne m’interromps pas. Ce que je tiens à te dire, c’est que, si ta vie en commun avec Mlle West doit continuer, il est absolument indispensable que tu tiennes caché ton revirement — la triste désertion à laquelle elle t’a entraîné. (Mouvement de Rosmer.) Laisse-moi parler ! Laisse-moi parler ! Je dis que, puisque le malheur est arrivé, tu es libre d’avoir toutes les idées, toutes les convictions et toutes les croyances que bon te semble, sur n’importe quel sujet, — mais, au nom du ciel, garde-les pour toi. Aussi bien, c’est là une question tout à fait personnelle. Je ne vois pas la moindre nécessité de crier cela par dessus les toits. rosmer. — Ce qui pour moi est une nécessité, c’est de sortir d’une position fausse et louche. kroll. — Mais les traditions de ta famille t’imposent des devoirs, Rosmer. Souviens-toi ! — Rosmersholm a été de temps immémorial un centre d’ordre et de discipline — un foyer pour toutes les opinions adoptées, respectées par l’élite de la société. Toute la contrée porte l’empreinte de Rosmersholm. Cela provoquerait un désordre irrémédiable si l’on apprenait que tu as renié toi-même ce que je voudrais appeler l’idée de famille des Rosmer. rosmer. — Mon cher Kroll, je vois la chose autrement. Il me semble que j’ai le devoir absolu de répandre un peu de lumière et de joie dans une contrée que les Rosmer ont gardée pendant de longues années dans les ténèbres et l’oppression morale. kroll, le regardant sévèrement. — Ce serait une digne mission pour le dernier rejeton de la race ! Laisse donc cela ! Ce n’est pas un travail qui te convienne. Tu es créé pour mener la tranquille existence d’un penseur. rosmer. — C’est possible. Mais moi aussi, je veux enfin prendre part au combat de la vie. kroll. — Ce combat-là, — sais tu ce qu’il sera pour toi ? — Une lutte à mort contre tous tes amis. rosmer, tranquillement. — Ils ne sont pas tous aussi fanatiques que toi, je pense. kroll. — Tu es une âme naïve, Rosmer. Une âme sans expérience. Tu ne te doutes pas de la violence avec laquelle l’orage éclatera sur ta tête. (Mme Helseth entr’ouvre la porte de gauche.) mme helseth. — Mademoiselle fait demander... rosmer. — Qu’y a-t-il ? mme helseth. — Il y a quelqu’un en bas qui désire parler à monsieur le pasteur. rosmer. — C’est peut-être le même homme qui est venu hier soir ? mme helseth. — Non, c’est ce Mortensgaard. rosmer. — Mortensgaard ! kroll. — Ah, ah ! Nous en sommes-là ! Nous en sommes déjà là ! rosmer. — Que me veut-il ! Pourquoi ne l’avez-vous pas renvoyé ? mme helseth. — Mademoiselle a dit que je devais demander s’il pouvait monter. rosmer. — Dites-lui qu’il y a quelqu’un chez moi. kroll (à Mme Helseth). — Vous n’avez qu’à le laisser monter, madame Helseth. (Mme Helseth sort.) kroll, prenant son chapeau. — Je cède la place pour le moment. Mais le combat décisif n’est pas encore livré. rosmer. — Aussi vrai que j’existe, Kroll, — je n’ai rien de commun avec Mortensgaard. kroll. — Je ne te crois plus sur aucun point. Dorénavant je n’ai plus confiance en toi, sous aucun rapport. Maintenant, c’est une guerre au couteau. Nous allons bien voir, si nous ne réussirons pas à te mettre hors de combat. rosmer. — Oh, Kroll, — comme tu es tombé bas ! kroll. — Moi ? Et c’est un homme comme toi qui dit cela ? Souviens-toi de Félicie... rosmer. — Tu recommences ! kroll. — Non. C’est à ta conscience, si tu en as encore une, de sonder l’énigme qui se cache au fond du torrent. Pierre Morstensgaard entre à pas lents et discrets par la porte de gauche. C’est un petit homme chétif, à la chevelure et à la barbe roussâtres, clairsemées. kroll, avec un regard haineux. — Allons ! Voici le Phare — allumé à Rosmersholm. (Boutonnant sa redingote.) Je n’ai plus de doute sur la direction que je dois prendre. mortensgaard, doucement. — Le Phare sera toujours allumé quand il s’agira de montrer le chemin à monsieur le recteur. kroll. — Oui, il y a longtemps que vous montrez vos bonnes intentions à mon égard. N’y a-t-il pas un commandement qui défend de porter faux témoignage contre son prochain ? mortensgaard. — Monsieur le recteur n’a pas besoin de m’enseigner les commandements. kroll. — Pas même le sixième ? rosmer. — Kroll — ! mortensgaard. — Si c’était nécessaire, la tâche incomberait à monsieur le pasteur. kroll, avec une perfide ironie. — Le pasteur ? Sans aucun doute, le pasteur Rosmer est un homme compétent en cette matière. Bien du plaisir, messieurs. (Il sort et referme bruyamment la porte derrière lui.) rosmer, à part, le regard fixé sur la porte. — Allons, le sort en est jeté. (Se retournant.) Voulez-vous me dire, M. Mortensgaard, à quoi je dois votre visite ? mortensgaard. — À vrai dire, j’étais venu voir Mlle West. J’ai cru devoir la remercier pour la bonne lettre qu’elle m’a écrite hier. rosmer. — Je sais qu’elle vous a écrit. Lui avez-vous parlé ? mortensgaard. — Oui, un instant. (Avec un demi-sourire.) J’entends dire que les opinions ont changé sur quelques points à Rosmersholm. rosmer. — Mes opinions ont changé en bien des matières, je puis presque dire en tout. mortensgaard. — C’est ce que m’a dit cette dame. Aussi a-t-elle été d’avis que j’aille m’entretenir un instant avec vous à ce sujet. rosmer. — À quel sujet, monsieur Mortensgaard ? mortensgaard. — Me permettez-vous de publier dans le Phare que vos idées ont pris une nouvelle direction, et que vous vous associez à la cause du progrès et des idées libérales ? rosmer. — Je vous y autorise volontiers. Je vous prie même de faire cette révélation. mortensgaard. — Elle paraîtra demain. C’est une grande et importante nouvelle à répandre que le pasteur Rosmer, de Rosmersholm, croit devoir combattre pour la lumière sur ce point comme sur d’autres. rosmer. — Je ne vous comprends pas bien. mortensgaard. — Je veux dire que notre parti acquiert un fort appoint moral chaque fois que nous gagnons à notre cause un adhérent sérieux, animé d’un esprit vraiment chrétien. rosmer, avec quelque étormement. — Vous ne savez donc pas — ? Mlle West ne vous a pas tout dit ? mortensgaard. — Quoi, monsieur le pasteur ? Elle était probablement trop pressée. Elle m’a dit de monter et que j’entendrais le reste de votre bouche. rosmer. — Alors je vais vous l’apprendre moi-même : je me suis entièrement affranchi, libéré de tout lien. Je me trouve actuellement sans aucune attache avec l’Église et son enseignement. Désormais, ces choses là ne me regardent plus. mortensgaard, le regardant abasourdi. — Non — si la lune tombait du ciel je ne serais pas plus surpris ! Le pasteur en personne abjure — ! rosmer. — J’en suis arrivé au point où vous vous trouvez depuis longtemps. C’est ce que vous pouvez publier demain dans le Phare. mortensgaard. — Cela aussi ? Mon cher pasteur... Excusez-moi, mais voilà un côté de la question dont il vaut mieux ne pas parler. rosmer. — Ne pas en parler ? mortensgaard. — Pas tout de suite, du moins. rosmer. — Je ne comprends pas. mortensgaard. — Voyez-vous, monsieur le pasteur, vous n’êtes pas au courant de la situation comme moi. Mais, du moment où vous vous êtes associé à la cause libérale, et où vous voulez, comme disait tout à l’heure Mlle West, prendre part au mouvement, vous avez naturellement le désir d’être aussi utile que possible à ladite cause et audit mouvement. rosmer. — Je le désire de tout mon cœur. mortensgaard. — Bien ; alors je puis vous apprendre qu’à l’instant même où vous vous déclareriez ouvertement séparé de l’Église, vous vous lieriez les bras. rosmer. — Vous croyez cela ? mortensgaard. — Oui. Vous pouvez être sûr que dans cette contrée, il n’y aura plus grand’chose à faire pour vous. Et puis, nous avons bien assez de libres penseurs, monsieur le pasteur. J’allais dire, que nous en avons trop. Ce dont le parti a besoin, ce sont des éléments religieux — quelque chose qui impose le respect à tous. C’est ce qui nous manque terriblement. Voilà pourquoi je suis d’avis que nous ne soufflions pas un mot de cette question, qui ne regarde pas le public. C’est là mon opinion. rosmer. — Ah ! c’est ainsi ? — Si donc, je proclame hautement mon apostasie, vous ne vous risqueriez pas à entrer en relations avec moi ? mortensgaard. — Je n’oserais pas, monsieur le pasteur. Dans ces derniers temps je me suis fait une règle de ne jamais soutenir rien ni personne qui puisse nuire aux intérêts de l’Église. rosmer. — Êtes-vous donc rentré depuis peu dans le giron de l’Église ? mortensgaard. — Ceci est une autre affaire. rosmer. — Ah ! c’est ainsi ? Allons, je vous comprends. mortensgaard. — Monsieur le pasteur, il faut vous souvenir que moi, tout spécialement, je ne suis pas entièrement libre de mes actions. rosmer. — Qu’est-ce donc qui vous lie ? mortensgaard. — Ce qui me lie, c’est que je suis un homme flétri ! rosmer. — Ah oui !... mortensgaard. — Un homme flétri, monsieur le pasteur. Vous surtout ne devriez pas l’oublier, car c’est vous tout le premier qui m’avez imprimé la flétrissure. rosmer. — Si mon point de vue à cette époque avait été le même qu’aujourd’hui, j’aurais traité votre erreur avec plus de ménagements. mortensgaard. — Je le pense aussi. Mais il est trop tard maintenant. Vous m’avez flétri pour toujours, flétri pour la vie. Sans doute vous ne vous rendez pas compte de toute la portée de la chose. Mais avant peu, monsieur le pasteur, vous sentirez peut-être vous-même la cuisson du fer. rosmer. — Moi ? mortensgaard. — Mais oui. Car vous ne supposez pas que le recteur Kroll et sa coterie, pardonnent une faute comme la vôtre ? Et l’on dit que désormais le journal du district va mordre à belles dents. Il pourrait bien se faire que vous soyez flétri à votre tour. rosmer. — Je me sens invulnérable dans ma vie privée. Ma conduite n’offre aucune prise aux attaques. mortensgaard, souriant tranquillement. — C’est là un bien grand mot, monsieur le pasteur. rosmer. — C’est possible, mais j’ai le droit de prononcer ce mot, si grand qu’il soit. mortensgaard. — Même si vous scrutiez votre conduite aussi sérieusement que vous avez jadis scruté la mienne ? rosmer. — Vous dites cela d’un ton singulier. Qu’y a-t-il ? A quoi faites vous allusion ? Est-ce à quelque chose de spécial ? mortensgaard. — Oui, il y a une chose, une seule, mais il serait grave qu’elle tombât dans les mains d’adversaires malveillants. rosmer. — Auriez-vous l’obligeance de m’apprendre de quoi il s’agit ? mortensgaard. — Monsieur le pasteur ne pourrait-il pas le deviner lui-même ? rosmer. — Pas le moins du monde. Je ne devine pas. mortensgaard. — Allons il me faut desserrer les dents. Je possède une lettre fort extraordinaire, datée de Rosmersholm. rosmer. — Vous voulez parler de la lettre de Mlle West. Est-elle donc si extraordinaire ? mortensgaard. — Non, cette lettre-là ne l’est pas. Mais il m’est arrivé d’en recevoir une autre d’ici. rosmer. — De Mlle West également ? mortensgaard. — Non, monsieur le pasteur. rosmer. — Mais alors, de qui ? de qui ? mortensgaard. — De feu madame Rosmer. rosmer. — De ma femme ? vous avez reçu une lettre de ma femme ! mortensgaard. — Oui, j’en ai reçu une. rosmer. — Quand cela ? mortensgaard. — Dans les derniers temps de sa vie ; il y a un an et demi environ. C’est de cette lettre-là que je parle : elle est vraiment extraordinaire. rosmer. — Vous savez bien qu’à cette époque ma femme était atteinte de maladie mentale. mortensgaard. — Je sais que beaucoup de personnes le croyaient, mais sa lettre ne l’indique nullement, à mon avis. En disant que la lettre est extraordinaire, je l’entends autrement. rosmer. — Mais qu’a-t-elle bien pu trouver à vous écrire, ma pauvre femme ? mortensgaard. — J’ai la lettre chez moi. Elle commence à peu près ainsi : Elle vit, dit-elle, dans des transes continuelles, à cause de toutes les méchantes gens dont la contrée est pleine. Ces gens-là ne songeraient qu’à vous nuire et à vous faire tout le mal possible. rosmer. — À moi ? mortensgaard. — Oui, d’après elle. Mais voici maintenant ce qu’il y a de plus curieux. Dois-je continuer, monsieur le pasteur ? rosmer. — Naturellement ! Dites tout, sans réticences. mortensgaard. — Feu Mme Rosmer me supplie d’être généreux. Elle sait, dit-elle, que c’est à monsieur le pasteur que je dois d’avoir perdu ma place d’instituteur. Et elle m’adjure de ne pas me venger. rosmer. — Et comment, d’après elle, auriez-vous pu vous venger ? mortensgaard. — Il s’agit dans la lettre de bruits qui pourraient me parvenir et d’après lesquels il se passerait de vilaines choses à Rosmersholm. Je ne devrais pas y croire, ce ne pourraient être que les calomnies répandues à dessein par des gens cherchant à vous nuire. rosmer. — La lettre dit cela ! mortensgaard. — Monsieur le pasteur pourra s’en convaincre lui-même à l’occasion. rosmer. — Je n’y comprends rien ! Que pouvait-elle s’imaginer ? À quelles rumeurs faisait-elle allusion ? mortensgaard. — D’abord monsieur le pasteur aurait abandonné la foi de son enfance. Un fait que Mme Rosmer niait énergiquement — cette fois-là. Ensuite, — hm. rosmer. — Ensuite ? mortensgaard. — Ensuite elle dit, et ceci est passablement embrouillé, — qu’il n’existe pas, à son su, de relations criminelles à Rosmersholm et que jamais on ne lui a fait de tort. S’il circulait des bruits de ce genre, elle me supplie de ne pas en parler dans le Phare. rosmer. — Elle ne nomme personne ? mortensgaard. — Non. rosmer. — Qui vous a apporté cette lettre ? mortensgaard. — J’ai promis de ne pas le dire. Elle m’a été remise un soir, qu’il faisait déjà sombre. rosmer. — Si vous vous étiez renseigné tout de suite, vous auriez su que ma pauvre femme n’était pas entièrement responsable de ses actes. mortensgaard. — J’ai pris des renseignements, monsieur le pasteur. Mais il faut bien le dire : ce n’est pas exactement là l’impression que j’en ai gardée. rosmer. — Vraiment ? — Au fait, pourquoi me révélez-vous aujourd’hui l’existence de cette lettre insensée ? mortensgaard. — Pour vous conseiller d’être extrêmement prudent, monsieur le pasteur. rosmer. — Dans ma manière de vivre, voulez-vous dire ? mortensgaard. — Oui, il faut vous rappeler qu’à l’heure qu’il est vous n’êtes plus inattaquable. rosmer. — Ainsi, vous persistez à croire que j’ai un secret à dissimuler ? mortensgaard. — Je ne vois pas pourquoi un homme qui s’est affranchi de tout, s’abstiendrait de jouir pleinement de la vie. Soyez seulement prudent à partir d’aujourd’hui. Car, si l’on apprenait sur votre compte telle ou autre chose contraire aux préjugés, vous pouvez être sûr que la cause de la liberté en souffrirait. — Je vous salue, monsieur le pasteur. rosmer. — Bonjour. mortensgaard. — Je vais maintenant à l’imprimerie faire publier la grande nouvelle dans le Phare. rosmer. — Publiez tout. mortensgaard. — Je publierai tout ce que le bon public a besoin de savoir. (Il salue et sort. Pendant qu’il descend l’escalier, Rosmer reste près de l’entrée. On entend la porte de la maison se refermer.) rosmer, à demi-voix, appelant. — Rébecca ! Ré... — Hm. (Haut.) Madame Helseth, — Mlle West n’est elle pas en bas ? mme helseth, d’en bas. — Non, monsieur le paseur, elle n’est pas ici. (La portière du fond se soulève : on aperçoit Rébecca.) rébecca. — Rosmer ! rosmer, se retournant. — Comment, tu étais dans ma chambre à coucher ? Que faisais-tu donc là, chère amie ? rébecca, s’approchant de lui. — J’écoutais. rosmer. — Rébecca ! Comment as-tu pu faire cela ? rébecca. — Comme tu vois ; — c’était si méchant, ce qu’il a dit au sujet de mon négligé. rosmer. — Ainsi, tu étais déjà là quand Kroll ?... rébecca. — Oui. J’ai voulu voir le fond de sa pensée. rosmer. — Je t’aurais tout raconté. rébecca. — Non, tu ne m’aurais pas tout dit. Du moins, pas dans les mêmes termes. rosmer. — Tu as tout entendu ? rébecca. — La plus grande partie, je pense ; j’ai dû descendre un instant quand Mortensgaard est arrivé. rosmer. — Et puis tu es remontée ? rébecca. — Ne te fâche pas, cher ami. rosmer. — Fais en toute occasion ce que tu trouve juste et bon. Je veux que tu aies pleine liberté d’action. — Mais qu’en dis-tu, Rébecca ? Oh ! jamais je n’avais senti, comme en ce moment, combien tu m’es indispensable. rébecca. — Nous étions préparés tous les deux à ce qui devait arriver tôt ou tard. rosmer. — Non, non, — pas à cela. rébecca. — Pas à cela ? rosmer. — J’ai pu croire que, tôt ou tard, notre belle et pure amitié pourrait être méconnue, qu’on lui jetterait de la boue. Pas Kroll. De sa part je ne m’y serais jamais attendu. Mais les autres, ces esprits grossiers, ces gens aux regards ignobles. Oh ! tu sais, — j’avais une bonne raison pour jeter un voile jaloux sur notre alliance. C’était là un secret bien dangereux. rébecca. — Ah ! peu importe l’opinion des autres ! Nous sommes sûrs nous-mêmes de n’avoir rien à nous reprocher. rosmer. — Rien à me reprocher ? Moi ? — Oui, je l’ai cru, — jusqu’à ce jour. Mais à présent, Rébecca... rébecca. — Eh bien ? rosmer. — Comment m’expliquer la terrible accusation de Félicie ? rébecca, éclatant. — Ah ! ne parle pas de Félicie ! Ne pense plus à Félicie ! Tu avais si bien réussi à te séparer de cette morte. rosmer. — Depuis que j’ai appris cela, elle me paraît épouvantablement vivante. rébecca. — Non, non, je t’en prie, Rosmer ! Je t’en prie ! rosmer. — Oui, te dis-je. Il faut tacher d’éclaircir ce mystère. Comment en est-elle arrivée à cette fatale méprise ? rébecca. — Tu ne vas pas douter maintenant qu’elle ait été folle ou peu s’en fallait. rosmer. — C’est que, vois-tu — je n’en suis plus tout à fait sûr. Et puis — même si elle l’avait été... rébecca. — Si elle l’avait été ? Eh bien, quoi ? rosmer. — Je veux dire, — où devons-nous chercher la véritable cause, qui a transformé sa faiblesse d’esprit en folie ? rébecca. — Ah voyons ! À quoi bon te torturer l’esprit avec toutes ces pensées qui ne mènent à rien ? rosmer. — Je ne puis faire autrement, Rébecca. J’aurais beau le vouloir, je ne puis pas me débarrasser de ces doutes qui me rongent. rébecca. — Oh ! mais, cela peut devenir dangereux — de tourner toujours autour de ce point noir. rosmer, arpentant la scène, inquiet et songeur. — Je me serai trahi d’une manière ou d’une autre. Elle aura remarqué que depuis ton arrivée j’ai commencé à me sentir heureux. rébecca. — Mais, cher ami, même s’il en avait été ainsi. rosmer. — Vois-tu, — elle aura remarqué que nous lisions les mêmes livres, que nous aimions à rester ensemble et à nous entretenir de toutes ces idées nouvelles. Et pourtant je n’y comprends rien ! J’apportais tant de soin à la ménager. Quand je me reporte à cette époque, il me semble que je m’efforçais, comme s’il y allait de ma vie, de la tenir en dehors de tous nos intérêts. N’est-ce pas, Rébecca ? rébecca. — Oh, bien certainement. rosmer. — Et tu as agi de même. Et malgré cela ! — Oh ! c’est épouvantable d’y penser ! Elle vivait là, — elle — dans son amour maladif, se taisant toujours, — nous surveillant, — observant chaque chose et, — et se méprenant sur tout. rébecca, se tordant les main. — Oh ! je n’aurais ; jamais dû venir à Rosmersholm. rosmer. — Songe donc, combien elle a dû souffrir en silence ! que de vilaines choses son cerveau malade a dû combiner et forger sur notre compte. Ne t’a-t-elle jamais rien dit qui aurait pu te mettre sur la voie ? rébecca, avec trouble et effroi. — À moi ? Crois-tu que dans ce cas, je serais restée un jour de plus à Rosmersholm ? rosmer. — Non, non, cela s’entend. — Oh ! quel combat elle a dû livrer ! Et livrer seule, Rébecca, seule et désespérée ! Et ce triomphe à la fin, — poignant, accusateur — au fond du torrent ! (Il se laisse tomber sur la chaise devant la table à écrire, pose les coudes sur la table et se cache la figure dans les mains.) rébecca, venant doucement se placer derrière lui. — Ecoute-moi, Rosmer. S’il était en ton pouvoir de rappeler Félicie — auprès de toi — à Rosmersholm — voudrais-tu le faire ? rosmer. — Est-ce que je sais ? Je ne puis penser à rien, qu’à une seule chose, irréparable. rébecca. — Tu allais prendre part à la lutte, Rosmer. Tu avais déjà commencé. Tu avais conquis toute ta liberté. Tu te sentais si gai, si soulagé. rosmer. — Oui, tout cela est vrai. Et voilà que je suis écrasé par ce poids terrible. rébecca, s’appuyant au dossier de sa chaise. — Pense à ces moments délicieux, à nos douces causeries au crépuscule, dans le salon où nous allions tous les deux nous asseoir. Nous formions ensemble des projets d’existence nouvelle : tu voulais te jeter dans la vie active, dans la vie intense d’aujourd’hui — comme tu disais. Aller de foyer en foyer porter la parole de liberté, gagner les esprits et les volontés, donner la noblesse aux hommes, partout à la ronde, — élargissant ton cercle de plus en plus. La noblesse ! rosmer. — La noblesse et la joie. rébecca. — Oui, et la joie. rosmer. — Car c’est la joie qui ennoblit les esprits, Rébecca. rébecca. — Et la douleur aussi — ne crois-tu pas ? La grande douleur ? rosmer. — Oui, quand on peut la traverser, la surmonter, la vaincre. rébecca. — C’est là ce qu’il faut faire, Rosmer. rosmer, secouant tristement la tête. — Oh ! je n’en sortirai jamais, il me restera toujours un doute, une interrogation dans l’esprit. Jamais je ne connaîtrai plus ce sentiment qui donne à la vie un charme inexprimable. rébecca, plus bas, penchée sur le dossier. — Quel sentiment, Rosmer ? rosmer, levant la tête pour la regarder. — Le plus calme, le plus joyeux de tous : la pureté de conscience. rébecca, se reculant d’un pas. — Oui, la pureté de conscience. (Un court silence.) rosmer, regardant devant lui, le coude sur la table, la tête appuyée sur la main. — Et comme elle a su tout combiner ! Quelle suite dans ses idées ! Elle commence par éprouver un doute au sujet de ma foi religieuse. D’où lui est venu ce doute, en ce moment-là ? Mais enfin il lui est venu. Puis c’est devenu une certitude. Et puis... Ah ! il lui a été si facile après cela de croire tout possible. (Se redressant et se passant les mains dans les cheveux.) Ah ! Toutes ces cruelles visions, jamais je ne pourrai m’en défaire ! Je le sens si bien. Je le sais. À un moment donné, elles surgiront et me rappelleront la morte. rébecca. — Comme le cheval blanc de Rosmersholm. rosmer. — Oui, exactement. Dans les ténèbres, dans le silence. rébecca. — Et grâce à ce misérable cauchemar, tu voudrais renoncer à la vie active où tu commençais déjà à prendre pied. rosmer. — Tu as raison, c’est dur, Rébecca. Mais je n’ai pas de choix. Comment veux-tu que je sorte de là ! rébecca, derrière sa chaise. — En te créant de nouvelles relations. rosmer, tressaillant et levant la tête. — De nouvelles relations ! rébecca. — Oui, de nouvelles relations, avec le monde extérieur. Vivre, agir, travailler, et ne pas rester là à ruminer tes pensées et à te creuser l’esprit sur des énigmes insolubles. rosmer, se levant. — De nouvelles relations ? (Il traverse la scène jusqu’à la porte, s’y arrête un instant et revient à la même place.) Une question me vient à l’esprit. N’y as tu pas songé toi-même ? rébecca, respirant avec peine. — Dis-moi de quoi il s’agit. rosmer. — Quelle tournure, crois-tu que nos relations prendront à partir d’aujourd’hui ? rébecca. — Je pense que notre amitié saura résister à n’importe quelle épreuve. rosmer. — Oui, mais ce n’est pas exactement là ce que je voulais dire. Je parle de ce qui nous a rapprochés dès le commencement, de ce qui nous lie si fort l’un à l’autre, de notre croyance commune à la possibilité d’une chaste union entre homme et femme vivant ensemble. rébecca. — Oui, oui, eh bien ? rosmer. — C’est surtout à un genre de vie paisible et heureux que conviennent, n’est-ce pas, des relations de cette espèce, des rapports comme les nôtres ? rébecca. — Eh bien ? rosmer. — Or, ma vie sera désormais pleine de combats, d’inquiétudes et de fortes émotions. Car je veux vivre, Rébecca ! Je ne me laisserai pas terrasser par d’horribles suppositions. Je ne me laisserai pas imposer une ligne de conduite ni par les vivants, ni... par personne. rébecca. — Non, n’est-ce pas, Rosmer ? Sois en tout un homme libre ! rosmer. — Comprends-tu maintenant à quoi je pense ? Dis ? Ne vois-tu pas ce qu’il y a à faire pour me débarrasser de tous ces souvenirs qui me rongent, de tout mon triste passé ? rébecca. — Continue ! rosmer. — Je veux opposer au passé une réalité nouvelle et vivante. rébecca, comme saisie de vertige, cherche le dossier de la chaise pour s’y appuyer. — Vivante ? que veux-tu dire ? rosmer, se rapprochant d’elle. — Rébecca, si je te demandais : Veux-tu être ma seconde femme ? rébecca, reste un instant sans pouvoir parler, puis, avec une explosion de joie. — Ta femme ! À toi ! Moi ! rosmer. — C’est bien. Essayons de ce moyen. Ne faisons plus qu’un, toi et moi. Il ne faut plus de place vide après la morte rébecca. — Moi, à la place de Félicie ! rosmer. — Comme cela, elle disparaîtra pour toujours. Pour le temps et pour l’éternité. rébecca, d’une voix faible et craintive. — Le crois-tu, Rosmer ? rosmer. — Il faut que ce soit ! Il le faut ! Je ne puis pas, je ne veux pas traverser la vie avec un cadavre sur le dos. Je veux m’en débarrasser. Aide-moi, Rébecca. Et puis, étouffons tous les souvenirs dans la liberté, dans le plaisir, dans la passion. Tu seras pour moi la seule épouse que j’aie jamais eue. rébecca, avec fermeté. — Ne me reparle pas de cela. Jamais je ne serai ta femme. rosmer. — Que dis-tu là ? Jamais ! Oh ! ne pourrais-tu donc pas apprendre à m’aimer ? Est-ce qu’un ferment d’amour ne se cache pas déjà au fond de notre amitié ? rébecca, se bouchant les oreilles, comme épouvantée. — Ne parle pas ainsi, Rosmer ! Ne dis pas cela ! rosmer. — Oui, oui, il y a là une possibilité. Oh ! je vois que tu le sens comme moi. N’est-ce pas Rébecca ? rébecca, reprenant son calme et se dominant. — Ecoute-moi bien : je te dis que si tu persistes dans cette idée, je quitte Rosmersholm. rosmer. — Toi, partir ! Tu ne le pourrais pas ! C’est impossible. rébecca. — Il m’est encore plus impossible d’être ta femme. Jamais de la vie je ne le pourrai. rosmer, la regarde, frappé. — Tu dis « je ne le pourrai » et tu le dis d’une façon si étrange. Pourquoi ne le pourrais-tu pas ? rébecca, lui prenant les mains. — Cher ami, dans ton intérêt et dans le mien, ne me demande pas pourquoi. (Lâchant ses mains.) Assez, Rosmer. (Elle se dirige vers la porte de gauche.) rosmer. — À partir de ce moment, il n’y a plus pour moi qu’une seule question : Pourquoi ? rébecca, se retournant et regardant Rosmer. — En ce cas tout est fini. rosmer. — Entre toi et moi ? rébecca. — Oui. rosmer. — Jamais nous ne serons détachés l’un de l’autre. Jamais tu ne quitteras Rosmersholm. rébecca, la main sur le bouton de la porte. — Non ; c’est bien possible. Mais, si tu me questionnes encore, tout n’en sera pas moins fini. rosmer. — Fini ? Comment ? rébecca. — Oui, car en ce cas, je prendrai le même chemin que Félicie. rosmer. — Rébecca ! rébecca, près de la porte, avec un lent hochement de tête. — Tu le sais maintenant. (Elle sort.) rosmer, fixant d’un air égaré la porte qui s’est refermée. — Qu’est-ce que cela veut dire ? Même décor. La fenêtre et la porte du vestibule sont ouvertes. Au dehors, Le soleil du matin éclaire le paysage. Rébecca West, habillée comme dans le premier acte, est debout près de la fenêtre, occupée à soigner et à arroser les fleurs. Elle a jeté son ouvrage sur un fauteuil. Mme Helseth, un plumeau à la main, époussette les meubles. rébecca, après un moment de silence. — C’est singulier que le pasteur ne soit pas encore descendu. mme helseth. — Oh ! cela arrive souvent. Mais je pense qu’il ne peut plus tarder maintenant. rébecca. — L’avez-vous vu aujourd’hui ? mme helseth. — A peine. Quand je lui ai monté son café, il était en train de faire sa toilette dans la chambre à coucher. rébecca. — Je demande cela, parce qu’il n’allait pas très bien hier soir. mme helseth. — Je l’ai bien remarqué. Et puis, n’y aurait-il pas quelque brouille entre lui et son beau-frère ? rébecca. — À propos de quoi cette brouille ? Que croyez-vous ? mme helseth. — Que sais-je ? Peut-être ce Mortensgaard les aura-t-il montés l’un contre l’autre. rébecca. — C’est bien possible. Savez-vous quelque chose au sujet de ce Pierre Mortensgaard ? mme helseth. — Comment mademoiselle peut-elle le supposer ? Un homme comme lui ! rébecca. — Vous pensez à ce vilain journal qu’il rédige ? mme helseth. — Oh ! il y a encore autre chose. — Mademoiselle a bien entendu dire qu’il a eu un enfant avec une femme mariée abandonnée par son mari ? rébecca. — On me l’a dit. Mais cela a dû se passer longtemps avant mon arrivée. mme helseth. — Oh oui, il était tout jeune alors. Elle aurait dû être plus raisonnable que lui. Il voulait même l’épouser, mais cela n’a pas pu se faire et il a payé cher cette histoire. — Mais, depuis ce temps, Mortensgaard s’est relevé, ma foi, et maintenant il y a beaucoup de gens qui le recherchent. rébecca. — La plupart des petites gens s’adressent à lui de préférence, quand ils sont dans l’embarras. mme helseth. — Oh, il se pourrait qu’il y eût d’autres que les petites gens qui... rébecca, la regardant à la dérobée. — Vraiment. mme helseth, frottant et nettoyant énergiquement le sofa. — Il se pourrait bien, mademoiselle, que ce fût arrivé à des gens dont on n’aurait jamais pu le croire. rébecca, rangeant les pots de fleurs. — Cela ne peut être qu’une supposition, madame Helseth. Vous ne pouvez pas savoir cela au juste. mme helseth. — Vraiment, mademoiselle ? Eh bien, mademoiselle se trompe. Car, puisqu’il faut absolument tout dire, j’ai moi-même porté, dans le temps, une lettre à Mortensgaard. rébecca, se retournant. — Pas possible !... mme helseth. — Bien sûr que oui. Et cette lettre avait été écrite à Rosmersholm même. rébecca. — Vraiment, madame Helseth ? mme helseth. — Ma foi, oui. Et cela sur un beau papier fin, et cachetée d’un beau cachet rouge. rébecca. — Et on vous l’a confiée ? En ce cas, chère madame Helseth, il n’est pas bien difficile d’en deviner l’auteur. mme helseth. — Vraiment ? rébecca. — Naturellement ça a dû être quelque fantaisie de malade de cette pauvre Madame Rosmer. mme helseth. — C’est mademoiselle qui dit cela, pas moi. rébecca. — Mais que contenait-elle donc, cette lettre ? Ah ! c’est vrai, vous ne pouviez pas le savoir. mme helseth. — Hm, il se pourrait bien tout de même... rébecca. — Vous a-t-elle dit de quoi il s’agissait ? mme helseth. — Non, ce n’est pas tout à fait cela. Mais, quand ce Mortensgaard eût achevé de lire la lettre, il s’est mis à me questionner en long et en large, de sorte que j’ai fort bien compris de quoi il s’agissait. rébecca. — De quoi s’agissait-il donc ? Chère, bonne madame Helseth, racontez-moi cela, je vous en prie. mme helseth. — Non, mademoiselle. Pour rien au monde. rébecca. — Voyons, vous pouvez bien me confier cela. Nous sommes de si bonnes amies. mme helseth. — Que Dieu me garde de vous en parler, mademoiselle. Je ne puis dire qu’un mot : il s’agissait d’une vilaine chose qu’on avait fait accroire à la pauvre dame. rébecca. — Qui cela ? mme helseth. — De méchantes gens, mademoiselle, de méchantes gens. rébecca. — De méchantes... mme helseth. — Oui, je le répète, ce devait être de méchantes gens. rébecca. — Qui soupçonnez vous ? mme helseth. — Oh ! je sais bien à qui je pense. Mais que Dieu me garde d’en souffler mot. Il y a en ville certaine dame — hm ! rébecca. — Je vois à votre figure que vous pensez à madame Kroll. mme helseth. — Ah ! en voilà une, celle-là ! Avec moi, elle s’est toujours montrée d’une hauteur. — Et soyez sûre qu’elle ne vous porte pas dans son cœur. rébecca. — Croyez-vous que madame Rosmer eût toute sa raison quand elle a écrit cette lettre à Mortensgaard ? mme helseth. — C’est si curieux, la raison : on n’y comprend pas grand’chose, mademoiselle. Pour moi, je ne crois pas que madame eût jamais perdu tout son bon sens. rébecca. — Cependant, elle a été comme égarée en apprenant qu’elle n’aurait jamais d’enfants. C’est alors qu’a éclaté sa folie. mme helseth. — Oui, cela a beaucoup éprouvé la pauvre dame. rébecca, prenant son ouvrage et s’asseyant sur le fauteuil, près de la fenêtre. — Du reste — ne pensez-vous pas aussi, madame Helseth, qu’au fond c’est ce qui pouvait arriver de plus heureux à monsieur le pasteur ? mme helseth. — Que voulez-vous dire, mademoiselle ? rébecca. — Qu’il n’y eût pas d’enfants, n’est-ce pas ? mme helseth. — Dame, je ne sais trop, mademoiselle. rébecca. — Vous pouvez m’en croire. Le pasteur Rosmer n’est pas fait pour passer sa vie ici à écouter crier des enfants. mme helseth. — Les petits enfants ne crient pas à Rosmersholm, mademoiselle. rébecca, la regardant. — Ils ne crient pas ? mme helseth. — De mémoire d’homme, on n’a entendu les petits enfants crier à Rosmersholm. rébecca. — C’est bien extraordinaire. mme helseth. — N’est-ce pas, mademoiselle ? C’est de famille. Et puis il y a encore une chose. Plus tard, ils ne rient jamais. Ils ne rient jamais durant toute leur vie. rébecca. — Vraiment, ce serait bien singulier. mme helseth. — Mademoiselle a-t-elle une seule fois vu ou entendu rire monsieur le pasteur ? rébecca. — Non ; en y réfléchissant bien, je crois que vous avez raison. Mais il me semble que les gens, en général, ne rient pas beaucoup, dans cette contrée. mme helseth. — Non, bien sûr. Cela a commencé à Rosmersholm, à ce qu’on dit, et puis cela s’est répandu à la ronde ; on dirait une contagion. rébecca. — Vous êtes une femme de grand sens, madame Helseth. mme helseth. — Ah, il ne faut pas que mademoiselle se moque de moi — (Écoutant.) Chut, chut, voici le pasteur qui descend. Il n’aime pas à voir le balai ici. (Elle sort par la porte de droite.) (Jean Rosmer, son chapeau et sa canne à la main, entre par la porte du vestibule.) rosmer. — Bonjour, Rébecca. rébecca. — Bonjour, cher ami. (Un instant de silence. Elle tricote.) Tu vas sortir ? rosmer. — Oui. rébecca. — Le temps est très beau. rosmer. — Tu n’es pas montée chez moi ce matin ? rébecca. — Non. Pas aujourd’hui. rosmer. — Tu ne le feras plus à l’avenir ? rébecca. — Je ne sais pas encore. rosmer. — A-t-on apporté quelque chose pour moi ? rébecca. — Le Journal du district. rosmer. — Le Journal du district ? rébecca. — Il est là, sur la table. rosmer, déposant son chapeau et sa canne. — Y a-t-il quelque chose ? rébecca. — Oui. rosmer. — Et malgré cela tu me l’as pas envoyé. rébecca. — Il sera toujours temps de le lire. rosmer. — Voyons ! (Il prend le journal et lit debout près de la table.) Quoi ! « On ne prend jamais assez de précautions contre de pitoyables déserteurs. » (Il la regarde.) Ils m’appellent déserteur Rébecca. rébecca. — Il n’y a personne de nommé. rosmer. — Cela revient au même. — (Il continue à lire.) « traîtres, perfides envers la bonne cause, natures de Judas qui avouent impudemment leur apostasie aussitôt qu’ils croient le moment propice et profitable arrivé. » « Un attentat scandaleux contre la mémoire des ancêtres — « dans l’attente d’une récompense honnête de la part de ceux qui, pour le moment, détiennent le pouvoir. » (Replaçant le journal sur la table.) Et voilà ce qu’ils écrivent sur mon compte ! Des gens qui me connaissent de si près et depuis si longtemps. Tout en sachant qu’il n’y a pas un mot de vrai dans tout cela. — Cela ne les empêche pas de l’écrire. rébecca. — Ce n’est pas tout. rosmer, reprenant le journal. — « une excuse dans un jugement peu exercé ; une influence perverse, s’étendant peut-être jusqu’à un ordre de faits dont nous ne voulons pas encore faire l’objet d’une allusion ou d’une censure publique. » — (Il regarde Rébecca.) Qu’est-ce que cela veut dire ? rébecca. — Cela me concerne, comme tu vois. rosmer, déposant le journal. — Rébecca, c’est là le fait de malhonnêtes gens. rébecca. — Oui, je crois qu’ils rendraient des points à Mortensgaard. rosmer, arpentant la scène. — Il faudrait songer au salut public. Tout ce qu’il y a de bon au fond des hommes sera étouffé si on laisse subsister cet état de choses. Mais cela ne doit pas durer ! Oh ! quel bonheur ce serait, quel bonheur de pouvoir apporter un peu de lumière dans cet abîme de ténèbres et de méchanceté. rébecca, se levant. — Oui, n’est-ce pas, cher ami ? Tu as là un grand, un magnifique but d’existence ! rosmer. — Pense donc, Rébecca, si j’avais le pouvoir de leur faire avouer leurs torts, de réveiller la honte et le repentir dans leurs cœurs, de les amener à se rapprocher de leurs semblables avec confiance — avec amour. rébecca. — Si tu y emploies seulement toutes tes forces, tu verras que tu réussiras. rosmer. — Il me semble qu’on pourrait y arriver. Que la vie deviendrait belle alors ! Plus de combats haineux, rien que des luttes d’émulation, tous les regards fixés sur un même but, toutes les volontés, tous les esprits tendant sans cesse plus loin, toujours plus haut, chacun suivant le chemin qui convient à son individualité. Du bonheur pour tous, créé par tous. Il se trouve par hasard devant la fenêtre, regarde et, tressaillant, dit avec une sombre expression.) Oh ! — Ce n’est pas par moi... rébecca. — Ce n’est pas... Ce n’est pas par toi ? rosmer. — Ni pour moi non plus. rébecca. — Voyons, Rosmer, ne te laisse pas aller à ces doutes-là ! rosmer. — Le bonheur, chère Rébecca, c’est avant tout le sentiment doux, gai, confiant d’une conscience pure. rébecca, d’un air absorbé. — Oui, ce sentiment-là... rosmer. — Toi, tu ne peux guère en juger. Mais moi... rébecca. — Toi moins que personne ! rosmer, montrant la fenêtre du doigt. — Le torrent du moulin... rébecca. — Oh ! Rosmer ? (Mme Helseth se montre à la porte de droite.) madame helseth. — Mademoiselle ! rébecca. — Plus tard, plus tard. Pas maintenant madame helseth. — Un seul mot, mademoiselle. (Rébecca se dirige vers la porte. Mme Helseth lui communique quelque chose. Elles parlent un instant à voix basse. Mme Helseth fait un signe de tête et sort.) rosmer, inquiet. — Est-ce quelque chose qui me regarde ? rébecca. — Non, rien que des affaires de ménage. Tu devrais sortir maintenant, Rosmer, respirer l’air frais, faire une longue promenade. rosmer, prenant son chapeau. — Oui ; viens, nous irons ensemble. rébecca. — Non, mon ami, je ne puis t’accompagner maintenant. Va seul, mais promets-moi de secouer toutes ces tristes pensées. Promets-le-moi. rosmer. — Je n’y réussirai jamais. Je le crains bien. rébecca. — Dire que tu te tourmentes ainsi pour de vaines imaginations. rosmer. — Hélas ! ce ne sont pas de vaines imaginations, Rébecca. J’ai passé toute la nuit à retourner ces choses dans ma tête. Félicie a peut-être vu juste, quand même. rébecca. — En quoi ? rosmer. — Quand elle a cru que je t’aimais, Rébecca. rébecca. — Elle aurait vu juste ! rosmer, déposant son chapeau sur la table. — Une question me travaille sans cesse. N’avons-nous pas été dupes de nous-mêmes en appelant amitié le lien qui nous unit ? rébecca. — Tu crois peut-être qu’on aurait dû l’appeler... rosmer. — Amour. Oui, Rébecca, je le crois. Encore du vivant de Félicie, c’est vers toi qu’allaient toutes mes pensées. Je n’étais heureux qu’avec toi. Auprès de toi seule j’éprouvais ce bonheur sans désirs, fait de calme et de joie. Si nous réfléchissons bien, Rébecca, nos rapports ont commencé comme une douce et furtive amourette d’enfants, sans désirs et sans rêves. N’éprouvais-tu pas les mêmes sentiments ? Dis ? rébecca, tâchant de se maîtriser. — Oh, je ne saurais te répondre. rosmer. — Et c’est cette vie intime, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre, que nous avons prise pour de l’amitié. Non, vois-tu, dès les premiers jours peut-être, nos relations n’ont été autre chose qu’un mariage spirituel. Voilà pourquoi je suis coupable. Je n’en avais pas le droit à cause de Félicie. rébecca. — Tu n’avais pas le droit d’être heureux ? Le crois-tu, Rosmer ? rosmer. — Elle voyait nos relations au point de vue de son amour à elle, elle les jugeait d’après la nature de cet amour. Cela va de soi. Elle ne pouvait pas juger autrement. rébecca. — Mais comment peux-tu t’accuser toi même de la méprise de Félicie ? rosmer. — C’est par amour pour moi, un amour à sa manière, qu’elle s’est jetée dans le torrent. C’est un fait révélateur, Rébecca. Jamais je ne sortirai de là. rébecca. — Oh ! ne pense plus qu’au bel et noble but auquel tu as voué ton existence ! rosmer, secouant la tête. — Il est inaccessible, pour moi, vois-tu. Je n’y atteindrai jamais, après ce que je sais maintenant. rébecca. — Pourquoi n’y attendrais-tu pas ? rosmer. — Parce qu’il ne saurait y avoir de triomphe dans une œuvre qui a sa racine dans le crime. rébecca, avec éclat. — Ah ! voilà donc l’esprit de ta race, ses doutes, ses angoisses, ses scrupules ! On se raconte ici que les morts reviennent comme des chevaux blancs lancés à fond de train. C’est l’image de ce que je reconnais en toi. rosmer. — Que ce soit vrai ou non, je n’y puis rien, puisque je ne saurais m’y dérober. Crois-moi, Rébecca ; c’est comme je le dis : pour qu’une œuvre triomphe à jamais, il lui faut un champion joyeux et sans reproche. rébecca. — La joie, Rosmer, est-elle donc une condition de vie pour toi ? rosmer. — La joie ? Oui, Rébecca. rébecca. — Pour toi qui ne ris jamais ? rosmer. — Qu’importe ! Je t’assure que j’ai une grande disposition à être joyeux. rébecca. — Sors maintenant, cher ami. Va loin, très loin, entends-tu ? Tiens : voici ton chapeau et voici ta canne. rosmer, prend l’un et l’autre. — Merci. Et tu ne m’accompagnes pas ? rébecca. — Non, non, pas maintenant : cela m’est impossible. rosmer. — Allons ! tu n’en es pas moins toujours avec moi. (Il sort par la porte du vestibule, qui reste ouverte. Un instant après, Rébecca s’en approche et regarde. Puis elle se dirige vers la porte de droite qu’elle ouvre.) rébecca, à demi-voix. — Maintenant, madame Helseth, vous pouvez le faire entrer. (Elle traverse la scène et s’approche de la fenêtre.) (Un instant après, le recteur Kroll entre par la porte de droite. Il salue en silence d’un air compassé et ne dépose pas son chapeau.) kroll. — Il est sorti ? rébecca. — Oui. kroll. — A-t-il l’habitude de rester longtemps dehors ? rébecca. — Oh oui ! Mais aujourd’hui il est impossible de rien prévoir. Et si vous ne voulez pas le rencontrer... kroll. — Non, non. C’est à vous que je désire parler, seul à seule. rébecca. — En ce cas ne perdons pas de temps. Prenez place, monsieur le recteur. (Elle s’assied dans le fauteuil près de la fenêtre. Kroll prend place sur un siège, à côté d’elle.) kroll. — Mademoiselle West, vous ne sauriez vous faire une idée de la douleur profonde que me cause le changement survenu dans Jean Rosmer. rébecca. — Nous avions prévu que cela vous ferait cet effet au premier moment. kroll. — Au premier moment, dites-vous ? rébecca. — Rosmer avait l’espoir certain que, tôt ou tard, vous vous rangeriez de son côté. kroll. — Moi ! rébecca. — Vous et tous ses autres amis. kroll. — Vous voyez bien ! Telle est la faible de son jugement quand il s’agit des hommes et de la vie réelle. rébecca. — Du reste, il sent le besoin de s’affranchir en tout. kroll. — Voilà justement ce que je ne crois pas. rébecca. — Que croyez-vous donc ? kroll. — Je crois que c’est vous qui êtes au fond de tout cela. rébecca. — Cette idée vous vient de votre femme, recteur. kroll. — Peu importe de qui elle vient. Ce qui est certain, c’est qu’en songeant à toute votre conduite, depuis votre arrivée à Rosmersholm, et en coordonnant tous mes souvenirs, il me vient un soupçon, un fort, un très fort soupçon. rébecca, le regardant. — Je crois me rappeler qu’il y eut un temps, cher recteur, où vous aviez une immense confiance en moi, j’allais dire une confiance sans bornes. kroll, d’une voix contenue. — Qui ne réussiriez-vous pas à ensorceler, en vous y appliquant ? rébecca. — Je me serais appliquée à !... kroll. — Oui, vous l’avez fait. Je ne suis plus assez fou maintenant pour supposer qu’il y ait eu du sentiment dans votre jeu. Vous vouliez tout simplement vous faire accepter à Rosmersholm, vous enraciner ici. C’est à cela que je devais vous aider. Je le vois bien maintenant. rébecca. — Vous avez donc entièrement oublié que c’est aux prières et aux supplications de Félicie que j’ai cédé en venant demeurer ici. kroll. — Oui, elle aussi, vous l’aviez ensorcelée. Croyez-vous qu’on eût pu donner le nom d’amitié au sentiment qu’elle éprouvait pour vous ? C’est devenu une idolâtrie, un culte, comment dire, une folle adoration : c’est là le vrai mot. rébecca. — Souvenez-vous, je vous prie, de l’état d’esprit de votre sœur. Quant à moi, je ne pense pas qu’on puisse m’accuser d’exaltation. kroll. — Non, certes, on ne peut pas vous accuser d’exaltation. Et c’est cela qui vous rend si dangereuse pour les personnes sur lesquelles vous voulez établir votre empire. Il vous est facile d’agir avec délibération, de calculer juste, précisément parce que vous avez un cœur froid. rébecca. — Un cœur froid ? Vous en êtes sûr ? kroll. — J’en suis tout à fait sûr maintenant. Auriez-vous pu, sans cela, poursuivre votre but, d’année en année, avec cette impassible fermeté. Oui, oui, vous avez réussi. Lui, et tout ici est en votre pouvoir. Mais, pour y arriver, vous n’avez pas craint de le rendre malheureux. rébecca. — Ce n’est pas vrai, ce n’est pas moi, c’est vous-même qui le rendez malheureux. kroll. — Moi ! rébecca. — Oui ; en lui faisant croire qu’il est responsable de la terrible fin de Félicie. kroll. — Ah ! cela lui a donc fait une si violente impression ? rébecca. — Pouviez-vous en douter ? Une âme tendre comme la sienne... kroll. — Je pensais qu’un homme émancipé, comme on dit, savait se mettre au-dessus de tous les scrupules de ce genre. Mais voilà ! Oh oui ! au fond j’en étais convaincu. Le descendant des hommes qui nous regardent ici (il montre les portraits d’un geste) ne pourra jamais se défaire des sentiments qu’ils se sont légués de génération en génération. rébecca, d’un air pensif. — C’est bien vrai : Jean Rosmer tient à sa race par de fortes racines. kroll. — Oui ; et si vous aviez été bonne pour lui, vous en auriez tenu compte ; mais probablement vous ne pouvez pas vous arrêter à des considérations de ce genre. Votre point de départ est entièrement différent du sien. rébecca. — De quel point de départ parlez-vous ? kroll. — Je parle d’origines et d’extraction, mademoiselle West. rébecca. — Eh bien, oui. C’est vrai, je suis d’une très humble extraction. Cependant... kroll. — Ce n’est pas à la classe ou à la situation sociale que je fais allusion. Je pense aux origines morales. rébecca. — Quelles origines ? kroll. — À ce qui a présidé à votre naissance. rébecca. — Vous dites ? kroll. — Je n’en parle que parce que cela explique toute votre conduite. rébecca. — Je ne vous comprends pas. Je demande une explication claire et nette. Venez au fait. kroll. — Je croyais vraiment que vous étiez au fait. Il serait étrange, sans cela, que vous vous fussiez laissé adopter par le docteur West. rébecca, se levant. — Ah ! je comprends maintenant. kroll. — Que vous eussiez pris son nom. Voire mère s’appelait Gamvik. rébecca, traversant la scène — Gamvik était le nom de mon père, M. le recteur. kroll. — Les fonctions de votre mère devaient naturellement la mettre en rapports continuels avec le médecin du district. rébecca. — C’est vrai. kroll. — Aussitôt après la mort de votre mère, il vous accueille ; il vous traite durement, et malgré cela vous restez auprès de lui. Vous savez qu’il ne vous laissera pas un sou. Pour tout héritage, vous avez eu, je crois, une caisse remplie de livres. Et cependant vous restez chez lui, vous supportez tout et vous le soignez jusqu’à la fin. rébecca, près de la table, le regardant avec ironie. — Et si j’ai fait tout cela, c’est, signe d’après vous, qu’il y a quelque chose d’immoral et de criminel dans ma naissance ? kroll. — Tout ce que vous avez fait pour lui, je l’attribue à un instinct filial inconscient : j’estime, au surplus, que, pour expliquer toute votre conduite, il faut remonter jusqu’à votre origine. rébecca, brusquement. — Mais il n’y a pas un mot de vrai dans tout ce que vous avancez ! Et je puis le prouver : à l’époque de ma naissance, le docteur West n’était pas encore venu dans le Finmark. kroll. — Excusez-moi, Mademoiselle. Il s’y est établi un an auparavant. J’ai vérifié le fait. rébecca. — Vous vous trompez, vous dis-je ! Vous vous trompez ! kroll. — Avant-hier vous avez dit ici-même que vous aviez vingt-neuf ans. Que vous étiez dans votre trentième. rébecca. — Vraiment ? J’ai dit cela ? kroll. — Oui, vous l’avez dit. Et, partant de là... rébecca. — Halte ! Vous calculez pour rien. Je puis vous le dire tout de suite : j’ai un an de plus que ce que j’avoue. kroll, avec un sourire d’incrédulité. — Vraiment ?... Voilà du nouveau. Comment cela se fait-il ? rébecca. — Quand j’ai eu vingt-cinq ans, il m’a semblé, n’étant pas mariée, que je devenais trop vieille. Alors j’ai résolu de me rajeunir d’une année. kroll. — Vous ! Une femme émancipée, vous nourrissez des préjugés à l’égard de l’âge où l’on se marie ? rébecca. — Oui, c’était absurde, c’était ridicule. Mais on ne réussit jamais à s’émanciper entièrement. Nous sommes ainsi faites. kroll. — C’est bien possible. Mais le calcul pourrait bien se trouver juste tout de même : c’est que le docteur West a fait une courte visite dans ces parages, l’année qui a précédé sa nomination. rébecca, avec éclat. — Ce n’est pas vrai ! kroll. — Ce n’est pas vrai ? rébecca. — Non, car ma mère n’en a jamais parlé. kroll. — Vraiment ! rébecca. — Non, jamais ! et le docteur West non plus. Jamais un mot. kroll. — C’est peut-être qu’ils avaient tous deux une raison pour sauter par dessus une année : Exactement comme vous l’avez fait vous-même, mademoiselle West. Peut-être est-ce là un trait de famille. rébecca, marchant avec agitation et se tordant les mains. — C’est impossible. Vous voulez m’en imposer. Ce n’est pas vrai ! C’est faux ! Cela ne se peut pas ! Jamais, jamais ! kroll, se levant. — Voyons, ma chère amie, pourquoi le prendre ainsi, grand Dieu ! Vous m’effrayez, vraiment ! Que dois-je croire ? Que dois-je penser ? rébecca. — Rien. Vous n’avez rien à croire, rien à penser. kroll. — Expliquez-moi alors comment il se fait que vous preniez cette chose, cette possibilité tellement à cœur. rébecca, reprenant contenance. — C’est assez clair, me semble-t-il, monsieur le recteur. Je n’ai pourtant pas envie de passer ici pour une enfant illégitime. kroll. — Bien. J’accepte cette explication, jusqu’à nouvel ordre. Mais voilà donc encore un point sur lequel vous avez conservé certains préjugés. rébecca. — Il paraît que oui. kroll. — Eh bien ! il me semble qu’il en est de même de la plupart des idées qui constituent ce que vous appelez votre émancipation. Votre esprit s’est approprié tout un fond de pensées, de convictions nouvelles. Vous avez acquis quelque connaissance des travaux accomplis dans certains domaines, et qui paraissent renverser trl ou tel autre principe regardé jusqu’à présent, parmi nous, comme immuable et hors d’atteinte. Mais tout cela, mademoiselle West, est resté chez vous à l’état de notion. Ce n’est que du savoir. Cela ne vous a pas passé dans le sang. rébecca, pensive. — Peut-être avez-vous raison dans ce que vous dites. kroll. — Interrogez-vous seulement et vous verrez. Et, s’il en est ainsi de vous, il est facile de comprendre ce qui se passe dans l’âme de Jean Rosmer. C’est de la folie pure et simple. Pour lui, ce serait aller droit à l’abîme que de se donner ouvertement pour un renégat ! Le voyez-vous, avec son esprit timoré, repoussé, poursuivi par le milieu auquel il a appartenu jusqu’à ce jour ? Exposé à être attaqué sans pitié par ce qu’il y a de mieux dans la société ? Jamais de la vie il ne pourrait résister à cela. rébecca. — Il faudra bien qu’il y résiste ! Il est trop tard pour reculer. kroll. — Pas le moins du monde. On pourra faire le silence autour de ce qui est arrivé, ou du moins représenter tout cela comme un égarement fatal, mais passager. Cependant, il y a une règle de conduite qu’il sera en effet indispensable de suivre. rébecca. — Laquelle ? kroll. — Il faudra, mademoiselle West, que vous l’ameniez à légaliser cette situation. rébecca. — Sa situation à mon égard ? kroll. — Oui, il faut l’y amener. rébecca. — Ainsi donc, vous ne pouvez pas vous défaire de l’idée que nos relations aient besoin d’être légalisées, comme vous dites. kroll. — Je ne veux pas discuter cette question. Mais je crois avoir remarqué qu’il n’est jamais aussi facile de rompre avec les soi-disant préjugés que lorsque... hm. rébecca. — Lorsqu’il s’agit de relations entre homme et femme, voulez-vous dire ? kroll. — Oui, franchement, je le crois. rébecca, traversant la scène et allant regarder par la fenêtre. — J’allais presque dire : tant mieux si c’était le cas, monsieur le recteur. kroll. — Voilà de singulières paroles. Que voulez-vous dire ? rébecca. — Peu importe ! Ne parlons plus de tout cela. Ah, le voici. kroll. — Déjà ! En ce cas je m’en vais. rébecca, se tournant vers lui. — Non, restez. Vous allez entendre du nouveau. kroll. — Pas maintenant. Il me semble que je ne supporterais pas sa présence. rébecca. — Je vous en prie, restez. Ne partez pas ! Vous vous en repentiriez plus tard. C’est la dernière fois que je vous fais une prière. kroll, la regardant, étonné, et déposant son chapeau. — C’est bien, mademoiselle West. Je reste. (Un moment de silence. Jean Rosmer entre par la pointe du vestibule.) rosmer, aperçoit le recteur et s’arrête sur le seuil. — Comment ! Toi ici ! rébecca. — Il aurait préféré ne pas te rencontrer, Rosmer. kroll, répétant involontairement. — Te rencontrer. rébecca. — Oui, recteur. Rosmer et moi, nous nous tutoyons. C’est une suite naturelle des relations qui existent entre nous. kroll. — C’est donc cela que vous vouliez m’apprendre ? rébecca. — Cela, et autre chose encore. rosmer, se rapprochant. — Quelle est le motif de ta visite d’aujourd’hui ? kroll. — J’ai voulu essayer encore une fois de t’arrêter, de te reprendre. rosmer, montrant le journal. — Après ce qui est écrit-là ? kroll. — Ce n’est pas de moi. rosmer. — As-tu fait quelque démarche pour l’empêcher ? kroll. — C’eût été manquer à la cause que je sers. D’ailleurs cela ne dépendait pas de moi. rébecca, déchire le journal, en froisse les morceaux et les jette dans la cheminée. — Voilà. C’est loin des yeux : que ce soit aussi loin du cœur. Car il n’arrivera plus rien de pareil, Rosmer. kroll. — Puissiez-vous faire en sorte que ce soit vrai. rébecca. — Asseyons-nous, mes amis, tous les trois. Je vais tout vous dire. rosmer, lui obéissant involontairement. — Qu’as-tu, Rébecca ? D’où te vient ce calme effrayant ? Qu’y a-t-il ? rébecca. — C’est le calme de la résolution. {& asseyant.) Vous aussi, recteur, prenez place. (Kroll s’assied sur le sofa.) rosmer. — Le calme de la résolution ? Quelle résolution ? rébecca. — Mon cher ami, je vais te rendre ce dont tu as besoin pour vivre : la joie d’une conscience pure. rosmer. — Que veulent dire ces paroles ? rébecca. — Je te raconterai ce qui s’est passé. Cela suffira. rosmer. — Parle ! rébecca. — Quand je suis venue du Finmarck, avec le docteur West, j’ai eu comme la révélation d’un monde nouveau qui s’ouvrait tout grand devant moi. Le docteur m’avait enseigné un peu de tout. Ces notions éparses étaient alors tout ce que je connaissais de la vie, (se maîtrisant avec effort, d’une voix à peine intelligible.) Et alors... kroll. — Et alors ? rosmer. — Mais, Rébecca, tout cela m’est connu. rébecca, se maîtrisant. — Oui, oui, tu as bien raison : tu ne le sais que trop. kroll, la regardant fixement. — Il vaut mieux, peut-être que je m’en aille ? rébecca. — Non. Il faut que vous restiez, cher recteur. (S’adressant à Rosmer.) Voici de quoi il s’agit : je voulais vois-tu, être de la nouvelle époque qu’on voyait poindre, m’associer à toutes ces nouvelles idées. Le recteur Kroll m’a dit un jour qu’Ulric Brendel avait eu un grand empire sur toi. Il me sembla que cet empire pourrait maintenant me tomber en partage. rosmer. — En venant ici, tu avais donc un but caché ? rébecca. — Je voulais marcher avec toi vers la liberté. Avancer sans cesse, d’un pas toujours plus ferme. Mais un mur sinistre, infranchissable, s’élevait entre toi et la véritable indépendance. rosmer. — De quel mur parles-tu ? rébecca. — Je veux dire, Rosmer, que tu ne pouvais atteindre à la liberté qu’en pleine lumière, en plein soleil. Au lieu de cela, plongé dans les ténèbres d’une union comme la tienne, je te voyais dépérir et t’étioler. rosmer. — Jamais encore tu ne m’as parlé sur ce ton de ma vie conjugale. rébecca. — Non. Je ne l’aurais pas osé, de peur de t’effrayer. kroll, faisant un signe à Rosmer. — Tu entends ! rébecca, continuant. — Mais j’ai bien vu d’où pouvait venir le salut, le seul salut qu’il y eût pour toi. Et j’ai agi. rosmer. — Tu as agi, dis-tu ? Comment ? kroll. — Voudriez-vous faire entendre que ?... rébecca. — Oui, Rosmer. (Se levant), Reste assis, et vous aussi, recteur. Il faut que la lumière se fasse : ce n’est pas toi, Rosmer, — toi, tu es innocent, — c’est moi qui ai attiré, — qui ai été amenée à attirer Félicie dans le chemin où elle s’est perdue. rosmer, se levant d’un bond. — Rébecca ! kroll, se levant. — Le chemin où elle s’est perdue ? rébecca. — Le chemin qui l’a conduite au torrent. Maintenant vous savez tout, l’un et l’autre. rosmer, comme égaré. — Je ne comprends pas. — Que dit-elle là ? Je ne comprends pas un mot ! kroll. — Oh si ! Je commence à comprendre, moi ! rosmer. — Mais qu’as-tu donc fait ? Qu’as-tu pu lui dire ? Il n’y avait rien, absolument rien ! rébecca. — Elle a appris que tu cherchais à t’affranchir de tous les vieux préjugés. rosmer. — Mais je n’y songeais pas encore à cette époque. rébecca. — Je savais que tu y arriverais bientôt. kroll, faisant un signe à Rosmer. — Ah, ah ! rosmer. — Voyons, continue ! Je veux tout savoir, maintenant. rébecca. — Quelque temps après, — je l’ai suppliée de me laisser quitter Rosmersholm. rosmer. — Pourquoi voulais-tu partir — en ce temps-là ? rébecca. — Je ne voulais pas partir. Je tenais à rester où j’étais. Mais je lui ai dit que dans notre intérêt à tous, — il valait mieux que je m’en allasse à temps. Je lui ai laissé comprendre qu’un plus long séjour — pourrait, — pourrait amener des suites inévitables. rosmer. — Ainsi tu as dit cela, tu as fait cela ? rébecca. — Oui, Rosmer. rosmer. — C’est cela que tu appelais agir ? rébecca, d’une voix brisée. — Oui, c’est cela. rosmer, après un instant de silence. — Tu as tout confessé, Rébecca ? rébecca. — Oui. kroll. — Non. rébecca, le regardant avec effroi. — Que resterait-il encore ? kroll. — N’avez-vous pas fini par faire comprendre à Félicie qu’il était nécessaire, non pas désirable, — nécessaire et pour vous-même et pour Rosmer, que vous disparussiez — le plus tôt possible ? — Dites ! rébecca, bas, d’une voix à peine intelligible. — Peut-être ai-je pu dire quelque chose d’approchant. rosmer, se laissant tomber sur le fauteuil placé près de la fenêtre. — Et c’est à ce tissu de fraudes et de mensonges qu’elle, — la pauvre malade, a ajouté foi tout le temps ! Une foi pleine et entière, inébranlable ! (Regardant Rébecca.) Et jamais elle ne s’est adressée à moi. Jamais un mot ! Ah, Rébecca ! je le vois à ta figure, c’est toi qui l’en as détournée ! rébecca. — Elle s’était mise en tête que — femme stérile, elle n’avait pas le droit de rester ici. Et puis elle s’est imaginée que c’était un devoir à elle, un devoir envers toi de céder la place. rosmer. — Et toi, — tu n’as rien fait pour l’arracher à de telles idées ? rébecca. — Rien. kroll. — Vous l’y avez confirmée peut-être ? Répondez ! Vous l’avez fait ? rébecca. — C’est ainsi, je pense, qu’elle aura compris mon langage. rosmer. — Oui, oui. — En tout, elle se courbait sous ta volonté. Et elle a cédé la place. (Se levant d’un bond.) Ah comment as-tu pu poursuivre cet épouvantable jeu ! rébecca. — J’ai pensé, Rosmer, qu’il y avait ici deux vies mises en balance. Il fallait choisir. kroll, d’un ton dur et péremptoire. — Vous n’aviez pas le droit de faire ce choix ! rébecca, avec emportement. — Mais vous croyez donc que j’agissais avec une préméditation froide et raisonnée ! Ah ! je n’étais pas alors telle que vous me voyez en ce moment où je vous raconte tout. Et puis, n’y a-t-il donc pas dans tout être deux sortes de volontés ? Je voulais écarter Félicie, l’écarter d’une façon ou d’une autre. Et pourtant je ne pouvais croire que les choses en viendraient là. À chaque pas que je tentais, que je hasardais en avant, j’entendais comme une voix intérieure qui me criait : Tu n’iras pas plus loin ! Pas un pas de plus ! Et néanmoins je ne pouvais pas m’arrêter. Je devais continuer encore, quelques pas seulement. Rien qu’un pas, un seul. Et puis encore un et encore un. Et tout a été consommé ! C’est ainsi que ces choses-là se passent. (Un court silence.) rosmer, à Rébecca. — Et maintenant, après cet aveu, qu’adviendra-t-il de toi ? rébecca. — Peu importe, cela n’a pas grande importance. kroll. — Pas un mot qui trahisse du repentir. N’en éprouveriez-vous pas ? rébecca, froidement. — Excusez, monsieur le recteur, cela ne regarde personne, c’est une chose que je réglerai avec moi-même. kroll, à Rosmer. — Et c’est avec cette femme que tu habites sous le même toit, dans une étroite intimité. (Regardant les portraits.) Oh ! si les morts pouvaient voir ce qui se passe ici ! rosmer. — Rentres-tu en ville ? kroll, prenant son chapeau. — Je voudrais y être déjà. rosmer, prenant également son chapeau. — Eh bien ! je t’accompagne. kroll. — Vraiment ! Je savais bien que tu n’étais pas perdu pour nous. rosmer. — Viens, Kroll, viens ! (Ils sortent par la porte du vestibule sans regarder Rébecca. — Un instant après, Rébecca se dirige avec précaution vers la fenêtre et regarde, cachée derrière les fleurs.) rébecca, Se parlant à elle-même à voix basse. — Aujourd’hui encore il évite la passerelle. Jamais il ne traversera le torrent. Jamais. (S’éloignant de la fenêtre.) Allons, c’est bien ! (Elle sonne. — Peu après, Mme Helseth entre par la porte de droite.) mme helseth. — Que désire mademoiselle ? rébecca. — Mme Helseth, auriez vous la bonté de faire descendre ma malle du grenier. mme helseth. — Votre malle ? rébecca. — Oui, vous savez bien, la malle brune recouverte en loutre. mme helseth. — Bien sûr. Mais, Seigneur Jésus, que signifie cela ; mademoiselle veut-elle partir ? rébecca. — Oui — je veux partir, Mme Helseth. mme helseth. — Sur le champ ? rébecca. — Aussitôt que j’aurai fait ma malle. mme helseth. — Je n’ai jamais entendu rien de pareil ! Mais mademoiselle reviendra bientôt, pour sûr. rébecca. — Je ne reviendrai jamais. mme helseth. — Jamais ! Mais, au nom de Dieu, que fera-t-on à Rosmersholm quand Mlle West n’y sera plus ? Le pauvre pasteur commençait enfin a vivre heureux... rébecca. — Oui, mais voyez-vous, Mme Helseth, j’ai eu peur aujourd’hui. mme helseth. — Peur ! Seigneur Jésus ! et de quoi donc ? rébecca. — Il m’a semblé, que j’ai aperçu les chevaux blancs. mme helseth. — Les chevaux blancs ! En plein jour ? rébecca. — Oh, ils sont dehors nuit et jour, — les chevaux blancs de Rosmersholm (changeant de ton.) Voyons, Mme Helseth, nous parlions de la malle. mme helseth. — Ah, oui, la malle. (Elles sortent toutes deux par la porte de droite.) Même décor. Une heure avancée de la soirée. Sur la table, une lampe allumée et coiffée d’un abat-iour. Rébecca West, près de la table, est occupée à emballer plusieurs petites choses dans un sac de voyage. Son manteau, son chapeau et son châle blanc sont jetés sur le dossier du sofa. Mme Helseth entre par la porte de droite. mme helseth, d’une voix contenue, et avec des allures discrètes. — Voilà, mademoiselle. On a sorti tous les bagages. Ils sont dans le corridor de la cuisine. rébecca. — C’est bien. Le cocher est-il prévenu ? mme helseth. — Oui. Il fait demander à quelle heure mademoiselle désire la voiture ? rébecca. — Vers les onze heures. Le bateau part à minuit. mme helseth, avec quelque hésitation. — Et le pasteur ? S’il ne rentrait pas à temps ? rébecca. — Je partirai quand même. Si je ne le vois pas, vous pouvez lui dire que je lui écrirai. Il recevra une longue lettre. Dites-lui cela. mme helseth. — Ah oui ! c’est bien d’écrire — mais — ma pauvre demoiselle — il me semble que vous devriez essayer de lui parler encore un fois. rébecca. — Peut-être. Ou plutôt non. mme helseth. — Non ? — Dire que je devais assister à quelque chose de pareil ! Je n’aurais jamais cru cela. rébecca. — Qu’aviez vous donc pensé, Mme Helseth ? mme helseth. — J’avais pensé que le pasteur Rosmer était un homme plus comme il faut que cela. rébecca. — Plus comme il faut ? mme helseth. — Ma foi, oui. rébecca. — Voyons, chère Mme Helseth, que voulez-vous dire ? mme helseth. — Ce que je dis est bien vrai et bien juste, mademoiselle. Ce n’est pas ainsi qu’il aurait dû se retirer de tout cela, pour sûr. rébecca, la regardant. — Ecoutez, Mme Helseth, dites-moi bien franchement. — Pourquoi croyez-vous que je m’en vais ? mme helseth. — Mon Dieu, mademoiselle, je suppose que c’est nécessaire ! Ah oui, oui, oui ! Mais, en vérité, je ne trouve pas que ce soit bien de la part du pasteur. Mortensgaard avait une excuse, lui : le mari était vivant, de sorte qu’avec la meilleure volonté du monde, ils ne pouvaient pas se marier, eux, tandis que le pasteur — hm. rébecca, avec un peu d’hésitation. — Avez-vous vraiment pu supposer pareille chose de moi et du pasteur ? mme helseth. — Jamais de la vie. C’est-à-dire pas avant aujourd’hui. rébecca. — Ainsi aujourd’hui ?... mme helseth. — Enfin, après toutes les horreurs qui ont été écrites sur le compte du pasteur dans les journaux. rébecca. — Ah, ah ! mme helseth. — Oui ; car, d’après moi, lorsqu’un homme peut passer à la religion de Mortensgaard, on peut, ma foi, le croire capable de n’importe quoi. rébecca. — Mettons que vous ayez raison ; mais moi ? que dites-vous de moi ? mme helseth. — Mon Dieu, mademoiselle, contre vous il n’y a pas grand’chose à dire, à ce qu’il me semble. Ce n’est peut-être pas si facile à une femme seule de résister. On est femme, après tout, mademoiselle West. rébecca. — C’est bien vrai ce que vous dites-là, madame Helseth. On est femme. Qu’écoutez-vous donc ? mme helseth, à voix basse. — Jésus, mon Dieu, je crois vraiment que c’est lui. rébecca, tressaillant. — Allons ! le sort en est jeté ! (d’un ton résolu.) C’est bien. Advienne que pourra. (Jean Rosmer entre par la porte du vestibule.) rosmer, apercevant les préparatifs de voyage, s’adresse à Rébecca. — Que signifie cela ? rébecca. — Je pars. rosmer. — Tout de suite ? rébecca. — Oui. (à Mme Helseth). C’est dit : à onze heures. mme helseth. — Bien, mademoiselle. (Elle sort par la porte de droite.) rosmer, après un court silence. — Où vas-tu, Rébecca ? rébecca. — Vers le nord. rosmer. — Vers le nord ? Que vas tu faire là ? rébecca. — C’est de là que je viens. rosmer. — Mais tu n’as plus rien qui t’y appelle. rébecca. — Ici non plus, rien ne me retient. rosmer. — Que comptes-tu faire ? rébecca. — Je n’en sais rien. Tout ce que je désire, c’est que cela finisse. rosmer. — Que veux-tu dire ? rébecca. — Rosmersholm m’a brisée. rosmer, attentif. — Tu dis ? rébecca. — Brisée, dis-je. En venant ici, je me sentais tant de courage à l’âme et si ferme de volonté. Maintenant je suis courbée sous le joug d’une loi étrangère. À l’avenir, je crois que je n’oserai plus rien entreprendre. rosmer. — Pourquoi donc ? Quelle est cette loi dont tu parles ? rébecca. — Cher ami, ne nous occupons pas de cela en ce moment. Dis-moi ce qui s’est passé entre toi et le recteur. rosmer. — Nous avons fait la paix. rébecca. — Ah vraiment ? Voilà donc comment cela devait finir. rosmer. — Il avait rassemblé tous nos vieux amis chez lui. Ils m’ont clairement prouvé, que la mission d’ennoblir les esprits, ne me convient pas du tout. Du reste, la cause en elle-même est si désespérée, vois-tu ! Je ne m’en occuperai plus. rébecca. — Oui, oui, cela vaut peut-être mieux. rosmer. — Voilà comment tu parles maintenant ? C’est là ton opinion ? rébecca. — Oui, c’est mon opinion. J’y suis arrivée durant ces deux jours. rosmer. — Tu mens, Rébecca. rébecca. — Je mens ? rosmer. — Oui, tu mens. Tu n’as jamais eu foi en moi. Jamais, tu n’as cru que j’étais l’homme qu’il fallait pour faire triompher une telle cause. rébecca. — J’ai cru qu’à nous deux, nous y parviendrions. rosmer. — Ce n’est pas vrai. Tu as cru que toi-même, tu pourrais accomplir une grande œuvre. Que je pourrais te servir d’instrument, être utile à tes projets. C’est là, ce que tu as cru. rébecca. — Ecoute-moi, Rosmer. rosmer, se laissant tomber sur le sofa. — Laisse-moi donc ! Je vois tout, maintenant. J’ai été, entre tes mains, souple comme un gant. rébecca. — Ecoute-moi, Rosmer. Il faut que nous parlions de cela une dernière fois, (Elle s’assied sur un siège près du sofa.) J’avais l’intention de l’apprendre tout par écrit, une fois rentrée là-bas. Mais je préfère te le dire tout de suite. rosmer. — Tu as encore un aveu à faire ? rébecca. — Oui, et le plus grand. rosmer. — Que veux-tu dire ? rébecca. — Il s’agit d’une chose que tu n’as jamais soupçonnée et qui jette du jour et de l’ombre sur tout le reste. rosmer, secouant la tête. — Je ne comprends rien de tout cela. rébecca. — C’est bien vrai qu’un jour j’ai tendu mes filets pour me faire accepter à Rosmersholm. Je pensais y faire mon chemin, d’une façon ou d’une autre, tu comprends. rosmer. — Et tu as réussi, dans tout ce que tu as voulu. rébecca. — Je crois qu’à cette époque il n’y avait rien qui ne m’eût réussi. C’est qu’alors j’avais encore ma volonté, libre, fière et hardie. Pas d’égards qui m’arrêtassent, pas de situation qui me fît reculer ! Mais c’est alors que j’ai senti poindre ce qui a brisé ma volonté, ce qui m’a rendue si lâche pour toute ma vie. rosmer. — Qu’as-tu senti ? Parle de façon à ce que je puisse te comprendre. rébecca. — J’ai senti un désir, un élan sauvage invincible. Ah, Rosmer ! rosmer. — Un élan ? Rébecca ! vers... rébecca. — Vers toi. rosmer, faisant un mouvement pour se lever. — Que dis-tu ? rébecca, le retenant. — Reste là, mon ami. Je n’ai pas fini. rosmer. — Et tu dis, que tu m’as aimé... de cette façon. rébecca. — Je croyais alors que cela s’appelait aimer. Cela me semblait de l’amour, mais ce n’en était pas. Je le répète : c’était un désir sauvage, indomptable. rosmer, accablé. — Rébecca, est-ce toi, est-ce bien toi, que je vois assise à cette place et me faisant ce récit ? rébecca. — Oui. Qu’en dis-tu, Rosmer ? rosmer. — Et c’est pour cela, c’est sous l’empire de cette passion que tu as agi, comme tu dis ? rébecca. — Elle s’est abattue sur moi comme une tempête sur la mer, comme une de ces tourmentes d’hiver qui sévissent là haut, dans le nord. Elles passent, comprends-tu, et vous enlèvent, vous emportent avec elles. On n’y résiste pas. rosmer. — Cette tourmente a précipité Félicie dans le torrent du moulin. rébecca. — C’est que nous étions la comme deux naufragées luttant sur une même épave. rosmer. — Tu étais certes la plus forte à Rosmersholm. Plus forte que nous deux ensemble, Félicie et moi. rébecca. — Je te connais assez pour savoir que je n’aurais pu t’atteindre que libre de fait et d’esprit. rosmer. — Je ne te comprends pas, Rébecca. Tu es pour moi une énigme insoluble, toi et toute ta conduite. Me voici libre maintenant, libre de fait, et d’esprit. Tu as atteint le but que tu t’étais proposé dès le commencement. Et malgré cela !... rébecca. — Je n’ai jamais été aussi éloignée de mon but qu’en ce moment. rosmer. — Et malgré cela, dis-je, quand hier je t’ai suppliée d’être ma femme, tu as paru saisie d’effroi et t’es écriée que cela ne se pourrait jamais rébecca. — J’ai crié de désespoir, vois-tu. rosmer. — Pourquoi ? rébecca. — Parce que Rosmersholm m’a énervée. Il a mutilé ma forcé et ma volonté. Il m’a abîmée. Le temps est passé où j’aurais pu oser n’importe quoi. J’ai perdu la faculté d’agir, entends-tu, Rosmer. rosmer. — Et comment ?... Comment ?... rébecca. — En vivant avec toi. rosmer. — Explique-toi donc ! rébecca. — Oui, quand je me suis trouvée seule ici avec toi, et que tu as été rendu à toi-même... rosmer. — Eh bien ? rébecca. — Car tu n’étais pas entièrement toi aussi longtemps qu’à vécu Félicie. rosmer. — Hélas ! c’est bien vrai. rébecca. — Quand j’ai pu enfin vivre avec toi ici, dans le calme, dans la solitude, confidente absolue de toutes tes pensées, de toutes tes impressions, telles que tu les ressentais, délicates et fines, alors s’est accomplie la grande transformation. Cela s’est fait peu à peu, comprends-tu, presque imperceptiblement, et pourtant j’ai été abattue à la fin, atteinte jusqu’au fond de mon être. rosmer. — Oh ! Que me dis-tu là, Rébecca ! rébecca. — Alors tout le reste, le désir mauvais, l’ivresse des sens, tout cela s’en est allé si loin, si loin de moi. Toutes ces puissances soulevées sont retombées dans le néant et j’ai connu une paix profonde, silencieuse comme celle qui règne chez nous, au soleil de minuit, sur les rochers où l’oiseau de mer fait son nid. rosmer. — Explique-toi mieux encore. Dis-moi tout. rébecca. — Il n’y a plus grand’chose à dire. L’amour me fut révélé. Le grand’amour fait de sacrifice et de renoncement, celui qui se contente d’une existence comme celle que nous avons connue. rosmer. — Ah ! si j’avais pu avoir le moindre soupçon de tout cela ! rébecca. — Il vaut mieux que les choses se soient passées ainsi. Hier, quand tu m’as demandé d’être ta femme, j’ai été transportée de joie. rosmer. — N’est-ce pas, Rébecca ? c’est bien ce que j’ai cru. rébecca. — Un instant, oui. Pendant un instant, j’ai tout oublié. Déjà je sentais se ranimer ma fière volonté des anciens jours. Mais sa force est brisée : elle ne peut plus se soutenir longtemps. rosmer. — Comment t’expliques-tu cette transformation ? rébecca. — C’est l’esprit des Rosmer, le tien en tout cas, qui a été contagieux pour ma volonté. rosmer. — Contagieux ? rébecca. — Et qui l’a rendue malade. Elle a été pliée sous des lois qui lui étaient étrangères. Comprend-tu. La vie à tes côtés a ennobli mon être. rosmer. — Ah, si j’osais le croire ! rébecca. — Tu le peux sans crainte. L’esprit des Rosmer ennoblit — (secouant la tête) mais, mais... rosmer. — Mais ? Voyons ! rébecca. — Mais, vois-tu, il tue le bonheur. rosmer. — Tu crois cela, Rébecca ? rébecca. — Du moins en ce qui me concerne. rosmer. — En es-tu bien sûre ? Et si je te demandais encore une fois ? Si je te suppliais... rébecca. — Oh, mon ami, — ne m’en reparle plus ! C’est impossible ! C’est que... il faut que tu le sache, Rosmer, j’ai un passé derrière moi. rosmer. — Quelque chose de plus que ce que tu m’as appris ? rébecca. — Oui. Quelque chose de plus et quelque chose d’autre. rosmer, avec un faible sourire. — C’est singulier, Rébecca ! Figure-toi que j’en ai eu le sentiment par instants. rébecca. — Vraiment ! Et cependant cela n’a pas empêché ?... rosmer. — Je n’y ai jamais cru. Je n’ai fait, comprends-tu, que jouer avec cette idée. rébecca. — Si tu l’exiges, je suis prête à tout te dire sur-le-champ. rosmer, l’arrêtant du geste. — Non, non ! je ne veux rien savoir. Quoi qu’il y ait, je le voue à l’oubli. rébecca. — Pas moi. rosmer. — Rébecca, oh ! rébecca. — Oui, Rosmer, ce qu’il y a d’horrible, c’est que le bonheur est là, la vie m’offre toutes ses joies, et moi, telle que je suis maintenant, je me sens arrêtée par mon propre passé. rosmer. — Ton passé est mort, Rébecca. Il n’a plus de prise sur toi, aucun rapport avec ce que tu es devenue. rébecca. — Ah, mon ami, ce ne sont là que des mots. Et la pureté de conscience ? D’où me viendrait-elle ? rosmer, avec abattement. — Ah, oui, la pureté de conscience. rébecca. — La pureté de conscience, en effet. En elle est la joie et le bonheur. N’est-ce pas là l’enseignement dont tu voulais inspirer tous ces êtres nobles et joyeux qui allaient paraître ? rosmer. — Ah, ne me rappelle pas ces souvenirs ! Ce n’était là, vois-tu, qu’un rêve à demi ébauché, une inspiration mal venue, à laquelle je ne crois plus moi-même. Les hommes, Rébecca, ne se laissent pas ennoblir par une influence extérieure. rébecca, baissant la voix. — Pas même par celle d’un amour silencieux ? rosmer, pensif. — Oh oui, c’est là ce qu’il y aurait de plus grand, de plus beau dans l’existence. — S’il en était ainsi (Il s’agite inquiet.) Mais que puis-je faire pour éclaircir ce problème, et comment le résoudre ? rébecca. — Ne me crois-tu pas, Rosmer ? rosmer. — Ah, Rébecca, comment te croirais-je sans réserve ? Toi qui as pu vivre ici, en dissimulant tout un monde de mystères ? Et en voici encore de nouveaux. Si tu as quelque dessein caché, si tu désires obtenir quelque chose, dis-le moi franchement. Il n’y a rien que je ne ferais pour toi, si c’est en mon pouvoir. rébecca. — Ah, ce doute mortel ! — Rosmer ! Rosmer ! rosmer. — N’est-ce pas, Rébecca ? C’est affreux, mais je n’y puis rien. Ce doute, je ne m’en déferai jamais. Jamais je ne serai sûr que tu m’aimes d’un amour pur et sans réserve. rébecca. — N’y a-t-il donc aucune voix intérieure pour t’attester qu’une transformation s’est accomplie en moi, et que c’est toi, toi seul qui m’as transformée. rosmer. — Non, Rébecca, je ne crois plus à mon pouvoir de transformer les âmes. Je n’ai plus de foi en moi-même, sous aucun rapport. Je ne crois plus ni en toi, ni en moi. rébecca, le regardant d’un air sombre. — Comment feras-tu pour vivre en ce cas ? rosmer. — Je n’en sais rien moi-même. Je ne crois pas pouvoir vivre. D’ailleurs, je ne connais rien au monde qui vaille la peine de vivre. rébecca. — Ah, la vie ! Elle contient en elle le renouvellement. Tenons-nous y ferme, Rosmer. Elle nous échappera assez tôt. rosmer, se levant agité. — Alors rend-moi la foi en toi, Rébecca ! La foi en ton amour ? Je veux une preuve ! Une preuve ! rébecca. — Une preuve ! Comment te la donnerais-je ! rosmer. — Il me la faut ! (Il remonte la scène.) Je ne puis supporter cette situation, ce vide affreux, ce... ce... (On frappe fortement à la porte d’entrée.) rébecca, se levant effarée. — Ah, — tu entends ? La porte s’ouvre, Entre Ulric Bresdel. Il porte une chemise à manchettes, une redingote noire et des boites en bon état par dessus son pantalon. Le reste de son costume comme au premier acte. Il paraît troublé. rosmer. — Ah, c’est vous, M. Brendel. brendel. — Jean, mon enfant, je te salue. Adieu ! rosmer. — Où allez-vous si tard ? brendel. — Je descends la côte. rosmer. — Comment cela ? brendel. — Je rentre chez moi, mon précieux élève. J’ai la nostalgie du grand néant. rosmer. — Il vous est arrivé quelque chose. M. Brendel, dites-le moi. brendel. — Tiens ! tu as remarqué la transformation ? Cela ne m’étonne pas. La dernière fois que j’ai franchi ton seuil, je t’ai apparu comme un homme dans l’aisance, la main sur son gousset. rosmer. — Vraiment ! Je ne comprends pas bien. brendel. — Mais, tel que tu me vois cette nuit, je suis un roi dépossédé sur les ruines de son palais en cendres. rosmer. — Si je pouvais vous aider en quelque chose. brendel. — Tu as conservé ton cœur d’enfant, Jean. Pourrais-tu me faire une avance ? rosmer. — Certainement, avec le plus grand plaisir. brendel. — Disposerais-tu d’un idéal, ou de deux. rosmer. — Vous dites ? brendel. — Une paire d’idéaux usés. Tu ferais une bonne action. Je suis absolument à sec, mon cher enfant. La dèche la plus complète. rébecca. — Vous avez renoncé à faire votre conférence ? brendel. — Non, séduisante dame. Mais pensez-donc ! Au moment même où j’allais vider ma corne d’abondance, j’ai fait la pénible découverte qu’il n’y avait plus rien dedans. rébecca. — Eh bien, et tous vos ouvrages, ceux que vous n’avez pas écrits ? brendel. — Pendant vingt-cinq ans je suis resté là, comme un avare assis sur son coffre-fort. Et voilà qu’hier, en ouvrant le coffre-fort, pour en tirer le trésor, je m’aperçois qu’il est vide. Le temps a tout rongé, tout réduit en poussière. N,i, ni, c’est fini : plus rien de rien. rosmer. — En êtes-vous bien sûr, au moins. brendel. — Il n’y a pas à en douter, mon cher : le président m’en a convaincu ? rosmer. — Le président ? brendel. — Son Excellence, si tu aime mieux. Va pour Son Excellence. rosmer. — Voyons ! de qui parlez-vous ? brendel. — De Pierre Mortensgaard, cela s’entend. rosmer. — Quoi ! brendel, mystérieusement. — Chut, chut, chut ! Pierre Mortensgaard est le maître de l’avenir. Jamais plus grand que lui ne m’a admis en sa présence. Pierre Mortensgaard a en lui les attributs de la toute-puissance. Il peut tout ce qu’il veut. rosmer. — Ne croyez donc pas cela. brendel. — Si, mon enfant ! Et cela parce que Pierre Mortensgaard ne veut jamais plus qu’il ne peut. Pierre Mortensgaard est capable de vivre sans aucun idéal. Et c’est là, vois-tu, c’est là que gît tout le secret de la lutte et de la victoire. C’est ta le comble de la sagesse en ce monde. Dixi. rosmer, d’une voix étouffée. — Je comprends. — En effet, vous partez d’ici plus pauvre que vous n’étiez venu. brendel, All right ! — Prends donc modèle sur ton vieux maître. Efface tout ce qu’il s’est appliqué à graver en toi. Ne construis pas ta citadelle sur du sable mouvant. Et prends bien garde, mesure bien tes forces, avant de fonder quoi que ce soit sur l’être plein de grâces que je vois ici, adoucissant ton existence. rébecca. — Est-ce de moi que vous parlez ? brendel. — Oui, ma séduisante sirène. rébecca. — Pourquoi ne pourrait-on rien fonder sur moi ? brendel, faisant un pas vers elle. — Je me suis laissé dire que mon ancien élève avait une cause à faire triompher. rébecca. — Eh bien ? brendel. — Il est sûr de la victoire, mais, notez bien, à une condition expresse. rébecca. — Laquelle ? brendel, lui prenant doucement le poignet. — Que la femme qui l’aime aille gaîment à la cuisine et se coupe le petit doigt, ce petit doigt rose, tenez, là, à la seconde articulation. Item, que la dite femme aimante, toujours aussi joyeusement, se coupe l’oreille gauche, si admirablement moulée. {{di|(Il lâche la main de Rébecca et se tourne vers Rosmer.) Adieu, Jean le Victorieux. rosmer. — Vous partez ? Par cette nuit noire ? brendel. — La nuit noire, c’est encore là ce qu’il y a de mieux. Que la paix soit avec vous. (Il sort.) (Un instant de silence.) rébecca, respirant péniblement. — Ah qu’il fait lourd et étouffant ici ! (Elle s’approche de la fenêtre qu’elle ouvre.) rosmer, s’asseyant sur le fauteuil, au coin de la cheminée. — Je vois bien, Rébecca, qu’il n’y a en effet, qu’une chose à faire : il faut que tu partes. rébecca. — Oui, il n’y a pas de choix, que je sache. rosmer. — Jouissons au moins de nos derniers instants : viens t’asseoir près de moi. rébecca, allant se placer sur le sofa. — Qu’as-tu à me dire Rosmer ? rosmer. — D’abord, je tiens à te déclarer que tu dois être sans inquiétude pour ton avenir. rébecca, avec un sourire. — Hum. Mon avenir. rosmer. — J’ai songé à toutes les éventualités, et cela depuis longtemps. Quoi qu’il arrive, ton sort est assuré. rébecca. — Tu as pensé même à cela, mon ami ! rosmer. — Tu aurais pu le prévoir. rébecca. — Il s’est écoulé du temps depuis que j’ai eu de ces préoccupations. rosmer. — Oui, oui, tu pensais n’est-ce pas, que cela durerait toujours entre nous ?... rébecca. — Je le croyais. rosmer. — Moi aussi. Mais si je venais à disparaître... rébecca. — Oh, Rosmer, tu vivras plus longtemps que moi. rosmer. — J’ai, Dieu merci, le pouvoir de disposer de cette misérable existence. rébecca. — Que veux-tu dire ? Tu ne pense pas à... rosmer. — Cela t’étonnerait ? Après la piteuse, la lamentable défaite que j’ai subie ! Moi, qui voulais vivre pour le triomphe de ma cause ! Me voici en fuite, avant même que la lutte ait commencé. rébecca. — Reprends le combat, Rosmer ! Essaie et tu verras. — La victoire t’attend. Par toi des centaines, des milliers d’âmes seront ennoblies. Essaie te dis-je ! rosmer. — Allons donc, Rébecca ! Je ne crois plus moi-même à ma propre cause. rébecca. — Mais elle a fait ses preuves, cette cause ! Dans tous les cas, il est un être que tu as ennobli : c’est moi, et je le suis pour toujours. rosmer. — Oui, si seulement je pouvais te croire. rébecca, se tordant les mains. — Ah, Rosmer, n’y a-t-il donc rien, rien qui puisse te convaincre ? rosmer, tressaille comme saisi d’angoisse. — Ne touche pas à cette question ! N’y touche pas, Rébecca ! Pas un mot de plus, pas un mot ! rébecca. — Si, il faut que nous en parlions. Connaîtrais-tu un remède contre le doute ? Moi, je n’en connais pas un seul. rosmer. — C’est heureux pour toi, heureux pour nous deux. rébecca. — Non, non, non, voilà qui ne me suffit pas ! Si tu sais un moyen de me justifier à tes yeux, c’est mon droit d’en être informée et je le réclame. Nomme-le moi. rosmer. — Il semble entraîné, contre sa propre volonté, à dire ce qui suit. — Voyons, alors. Tu te dis pénétrée d’un grand amour ! tu prétends que j’ai ennobli ton être. Est-ce bien vrai ? As-tu bien fait tes comptes ? Veux-tu que nous les vérifions, dis ? rébecca. — Je suis prête, rosmer. — Quand le ferons-nous ? rébecca. — Quand tu voudras. Le plus tôt sera le mieux. rosmer. — C’est bien, Rébecca. Voyons alors si, par amour pour moi, tu serais prête, ce soir encore. (S’interrompant.) Ah non, non, non ! rébecca. — Si, Rosmer ! Si, si ! Dis, et tu verra ? bien. rosmer. — Aurais-tu le courage, voudrais-tu joyeusement, comme disait Ulric Brendel, par amour pour moi, cette nuit encore, joyeusement, entends-tu, prendre le chemin, qu’à pris Félicie ? rébecca, se levant lentement, d’une voix à peine intelligible. — Rosmer ?... rosmer. — Oui, Rébecca, c’est là la question qui se posera éternellement à moi, quand tu seras partie. Elle se présentera à toutes les heures du jour. Ah, je crois t’y voir : te voici sur la passerelle : là, bien au dessus du torrent. Tu te penches sur le parapet : un vertige te prend, tu fais un mouvement vers le gouffre. Non ! tu recules, tu n’oses pas ce qu’elle a osé. rébecca. — Et si j’avais ce courage, cette volonté joyeuse ? Qu’en dirais-tu ? rosmer. — Je devrais te croire, alors. Je devrais croire à ma cause, à mon pouvoir d’ennoblir l’âme humaine, et que l’âme humaine peut être ennoblie. rébecca, d’une voix contenue, prenant lentement son châle, qu’elle jette sur sa tête. — Ta foi te sera rendue. rosmer. — Tu as le courage et la volonté de faire cela, Rébecca ? rébecca. — Tu en jugeras demain ou plus tard, quand on m’aura repêchée. rosmer, se prenant le front. — Il y a là une séduisante horreur !... rébecca. — C’est que je ne voudrais pas rester là longtemps, plus longtemps qu’il ne le faut. Il faudra veiller à ce qu’on me retrouve. rosmer, bondissant. — Mais tout cela, c’est de la folie. Pars, ou reste ! Je te croirai sur parole, cette fois aussi. rébecca. — Des mots, Rosmer. Plus de faux-fuyants et de lâcheté, maintenant ! Comment me croirais-tu sur parole après ce qui s’est passé aujourd’hui ? rosmer. — Mais je ne veux pas assister à ta défaite, Rébecca ! rébecca. — Ce ne sera pas une défaite. rosmer. — Si, c’en sera une. Tu n’es pas faite pour prendre le chemin de Félicie. rébecca. — Tu crois ? rosmer. — Non, vraiment ! Tu n’es pas comme Félicie, toi. Tu n’es pas sous l’empire d’un égarement qui te fait voir la vie en faux. rébecca. — Non, mais je vois aujourd’hui la vie comme on la voit à Rosmersholm. Je suis coupable, il est juste que j’expie. rosmer, la regardant fixement. — Tu en es donc là ? rébecca. — Oui. rosmer, d’un ton résolu. — C’est bien. Mais moi, Rébecca, je vois la vie telle qu’elle doit apparaître à nos esprits affranchis. Nous ne ressortissons d’aucun tribunal. C’est donc à nous de juger nous-mêmes. rébecca, se méprenant sur le sens de ses paroles. — C’est juste. C’est juste. En m’en allant, je sauverai ce qu’il y a de mieux en toi. rosmer. — Oh ! Il ne reste plus en moi rien à sauver. rébecca. — Si, Rosmer. Seulement je ne pourrais être que le mauvais génie du navire où tu dois t’embarquer, suspendu à ses flancs et l’empêchant d’avancer. Il faut que je sois jetée à la mer. Vaut-il donc mieux que je traîne de par le monde une existence brisée, que je me morfonde et gémisse sur le bonheur échappé, sur cet enjeu que mon passé m’a fait perdre ? Il vaut mieux quitter la partie, Rosmer. rosmer. — Si tu t’en vas, je pars avec toi. rébecca, le regardant avec un imperceptible sourire et baissant la voix. — Oui, viens, Rosmer, et sois témoin. rosmer. — Je te suivrai, te dis-je. rébecca. — Jusqu’à la passerelle, oui, puisque tu n’oses jamais y mettre le pied. rosmer. — Tu as remarqué cela ? rébecca, d’une voix brisée. — Oui. Et c’est là ce qui a ôté tout espoir à mon amour. rosmer. — Rébecca, Voici que je pose ma main sur ta tête, (il fait le mouvement) et te prends pour femme légitime. rébecca, lui saisissant les mains et posant sa tête sur la poitrine de Rosmer. — Merci, Rosmer. (Se dégageant.) Et maintenant je m’en vais, joyeusement. rosmer. — L’époux et l’épouse ne doivent jamais se quitter. rébecca. — Jusqu’à la passerelle seulement, Rosmer. rosmer. — J’y monterai avec toi. Aussi loin que tu iras, je te suivrai. À présent, j’en ai le courage. rébecca. — Es-tu sûr, à n’en pas douter, que ce soit là le meilleur chemin que tu puisses prendre ? rosmer. — C’est le seul, j’en suis sûr. rébecca. — Et si tu te trompais ? Si ce n’était là qu’un mirage, quelque cheval blanc de Rosmersholm ? rosmer. — C’est possible. Nous ne pouvons nous y soustraire, nous, les gens d’ici. rébecca. — S’il en est ainsi, reste, Rosmer ! rosmer. — Le mari doit suivre sa femme, comme la femme doit suivre son mari. rébecca. — Ecoute, Rosmer : dis moi d’abord une chose : lequel de nous deux suit l’autre ? rosmer. — Nous chercherions en vain à nous en rendre compte. rébecca. — Et pourtant, je voudrais bien le savoir. rosmer. — Nous nous suivons l’un l’autre, Rébecca, l’un suit l’autre. rébecca. — C’est ce qui me semble aussi. rosmer. — Car à présent nous ne faisons qu’un. rébecca. — Oui. Nous ne faisons plus qu’un. Viens ! Nous marcherons joyeux. (Ils sortent en se tenant la main, traversent le vestibule, on les voit tourner à gauche. La porte d’entrée reste ouverte derrière eux.) (La scène demeure un instant vide. Madame Helseth entr’ouvre la porte de droite.) mme helseth. — Mademoiselle, la voiture est là. (Regardant autour d’elle.) Sortis. Sortis ensemble à cette heure ? Ah bien, on peut dire ! — Hm ! (Elle va regarder dans le vestibule et rentre.) Pas sur le banc. Oh, non. (Elle s’approche de la fenêtre et regarde.) Jésus ! — Cette chose blanche là-bas ! — Que Dieu me vienne en aide, les voilà tous deux sur la passerelle ! Ayez pitié des pauvres pécheurs ! Ils s’étreignent. (Elle pousse un grand cri.) Ah ? tombés tous les deux dans le torrent ! Au secours ! Au secours ! (Ses genoux tremblent, elle s’appuie en chancelant au dossier d’une chaise et peut à peine balbutier.) Non ! Il n’y a pas de secours possible Madame les a pris ! |
La Nouvelle Revue - 1899 - tome 117.djvu/449 | {{t2|LE ROMAN D’UN RALLIÉ<ref name=p452>Voir la ''Nouvelle Revue'' des 15 février, {{1er}} et 15 mars 1899.</ref>}}
{{brn|1}}
{{c|DEUXIÈME PARTIE}}{{brn|1}}
{{c|''(Suite.)''}}{{brn|2}}{{séparateur}}
{{brn|5}}
Elle prit le gouvernail d’une main ferme, se mit au courant de
la fortune de son fils et de la sienne et les administra comme un
intendant fidèle. La lecture occupa une part considérable de son
temps ; elle lut tout ce qui pouvait l’éclairer sur sa tâche d’éducatrice,
mais ses idées sur ce point se modifièrent peu parce qu’elle
avait un ''{{lang|la|credo}}'' trop détaillé dont les articles ne se discutaient point. Elle se créa aussi de nombreux devoirs de charité ; elle
visita les pauvres à cinq lieues à la ronde et étudia même un peu
de médecine pour leur donner des soins à l’occasion. Un jour par
semaine elle se tint à leur disposition et distribua chez elle des
secours, des conseils, des médicaments. C’était alors un défilé interminable de loqueteux, d’estropiés, de femmes portant des
enfants malades ; la procession contournait le beau château
entouré de parterres fleuris et passait devant le lion de granit armé
du glaive... c’était un spectacle étrange. Un jour un petit docteur
radical qui faisait plus de politique que de clientèle la dénonça
pour exercice illégal de la médecine. La marquise partit pour
Saint-Brieuc et le Préfet vit entrer dans son cabinet une dame
jeune et belle, vêtue de noir, qui avec une politesse exquise et glaciale
l’invita à venir se rendre compte par lui-même de la portée
qu’avait la dénonciation. Le fonctionnaire troublé n’accepta pas
mais s’empressa d’étouffer l’affaire. Autour de Kérarvro et jusque
dans les cantons voisins, madame de Crussène était sinon très
aimée, du moins admirée et respectée de tous.
Mais les paysans qui, devant elle, se sentaient intimidés, {{tiret|gar|daient}}
<references/> |
Ponson du Terrail - Le Bal des victimes.djvu/8 |
Voici venir l’heure de la réaction, la réaction du plaisir.
On est ruiné, mais on dansera.
On a détruit les hôtels, brûlé, saccagé les palais, mais
Ruggieri, le grand homme, a ouvert les jardins publics
de Tivoli.
{{corr|Voyez là|Voyez-la}} courir, cette foule encore en deuil, et dont la
lèvre railleuse a retrouvé son sourire ! Comme elle descend
la rue du Montblanc avec empressement, comme elle se
porte au Vauxhall, comme elle court à toutes jambes voir
la pièce nouvelle que le citoyen Sageret vient de monter à
Feydau.
Ici l’incroyable, avec son habit gorge de pigeon, aux
boutons larges comme une assiette, son gilet pailleté, sa
cravate qui monte jusqu’à la lèvre supérieure, et sa canne
tordue, et ses boucles d’oreilles, et ses deux chaînes de
montre qui pendent à deux larges rubans bleus ou
roses !
Là, les épaules nues, la taille serrée dans un fourreau
qui ne laisse rien à deviner, un flot de gaze sur la tête, en
guise de coiffure, la citoyenne qui n’est plus {{corr|où|ou}} n’a jamais
été grande dame, mais que la mode et sa beauté viennent
de proclamer reine !
Et le bourgeois qui respire et s’est débarrassé de son
dernier assignat !
Et l’ouvrier qui applaudit à l’abolition de la décade,
parce qu’il pourra fêter le lundi comme autrefois.
Et le gamin qui criait : « Bravo ! » à l’exécuteur des
hautes œuvres et qui maintenant trouve plus amusant de
faire la roue à la porte des jardins d’Idalie.
— Place ! voici Marion !
<references/> |
Chant de Cymodocée | Gabriel Monavon Chant de Cymodocée La Sylphide, revue littéraire, 1897 (p. 71-72). journalLa Sylphide, revue littéraireChant de CymodocéeGabriel Monavon1897VoironCChant de CymodocéeLa Sylphide, revue littéraire, 1897.djvuLa Sylphide, revue littéraire, 1897.djvu/171-72 Adaptation poétique d’un fragment de l’épopée des Martyrs Légers vaisseaux de l’Ausonie Glissez sur le cristal des mers ; Doux zéphyrs, vers la Messénie, Guidez ma voile dans les airs... Près d’un époux et près d’un père, Objets de vœux longtemps déçus, Ramenez la fille d’Homère Aux bords heureux du Pamisus !... Blancs oiseaux dont le cou flexible Se courbe en gracieux contours, Qui fendez d’une aile paisible L’azur rayonnant des beaux jours, Volez au sommet de l’Ithome Et dites à ses verts lauriers Qu’un Dieu me ramène de Rome Sous leurs dômes hospitaliers ! Quand retrouverai-je la couche Où se berçait mon pur sommeil Et ces gazons en fleurs que touche Du printemps le sceptre vermeil ! Lieux charmants que de son haleine Embellit l’aimable pudeur, Retraite adorée encor pleine De souvenirs de mon bonheur !... Telle qu’au sein de la prairie Bondit gaîment près des bergers La tendre génisse nourrie Aux sons des chalumeaux légers, Ainsi j’étais heureuse et fière ; Aujourd’hui parmi les regrets Je languis triste et prisonnière Sur le lit glacé de Cérès !... Mais, hélas ! d’où vient que ma lyre Rend de si douloureux accords ?... Je veux chanter... Ma voix soupire, Pareille à la flûte des morts... Pourtant une aube fortunée Doit se lever sur mon destin Et de la robe d’hyménée Les chastes plis couvrent mon sein... De la tendresse maternelle, Mon cœur sentira les élans ; Bientôt je verrai, sous mon aile, Mon fils former ses pas tremblants. Frêle oiseau ! Que jamais sa vie Ne connaisse l’exil cruel, Comme moi, colombe ravie Aux douceurs du nid paternel !... Que ne puis-je suivre les traces De mon père et de mon époux !... Ah ! si j’implorais à genoux Le chœur des Muses et des Grâces... Mais non, j’outragerais les droits D’un Dieu que je connais à peine : Adorons sa loi souveraine, Et reposons-nous sur la croix ! Gabriel Monavon. |
Revue de métaphysique et de morale, supplément 4, 1914.djvu/11 | {{nr||11|}}{{tiret2|cri|tique}} sur Jacopone de Todi, frère mineur
de saint François, auteur présumé du
''Stabat mater'' (1228-1306), suivie d’un
choix abondant et d’une traduction de
ses principaux poèmes. L’auteur s’est
défendu d’avoir voulu faire une édition
savante ainsi que d’avoir voulu apporter
des renseignements nouveaux sur la vie
du frère mineur ; il se contente de mettre
à notre disposition les plus caractéristiques
d’entre ses œuvres et de préciser
les renseignements que nous possédons
actuellement sur lui. Un bref récit de sa
jeunesse et de sa conversion nous introduit
à l’étude du prédicateur populaire
et de la langue dont il s’est servi. L’événement
capital qui marque la vie de
Jacopone est l’opposition très vive à
laquelle il se livra, avec les Joachimites
et les religieux de stricte observance,
contre le pape Boniface {{rom-maj|VII}}. Cette opposition
le conduisit en prison d’où il ne
sortit que cinq ans après, à la mort de
Boniface. Nous devons à cette opposition
un certain nombre de poèmes satiriques
fort intéressants ; mais les plus caractéristiques
de la mentalité de Jacopone sont
les poèmes mystiques qu’il nous a laissés
et qui font de lui un véritable jongleur,
un trouvère de Dieu : {{lang|it|''il giullare di Dio''}}.
La question de savoir s’il est l’auteur
véritable du ''Stabat mater'' est très controversée ;
l’époque, le caractère de Jacopone
et de son œuvre, rendent l’hypothèse
très plausible, d’autant plus que
des documents anciens le lui attribuent.
C’est donc là, sinon une certitude absolue,
du moins une haute probabilité. Toute
cette étude est conduite par l’historien
avec beaucoup d’aisance, de vivacité et
de précision. Nous ne dirons pas qu’elle
est conduite avec une parfaite objectivité :
l’opposition de Jacopone à Boniface {{rom-maj|VII}}
n’est évidemment pas très sympathique
{{corr|a|à}} celui qui nous la rapporte ; et le souci
de nous présenter un mystique parfaitement
orthodoxe induit le {{P.|Pacheu}} à des
gloses théologiques au moins inutiles.
C’est ainsi que, Jacopone ayant déclaré
que dans le recueillement mystique
l’intelligence, voyant à découvert l’immensité
de Dieu, fait coucher dehors la
foi et l’espérance : {{lang|it|''la fede e la speranza fa albergar di fuori''}},
l’historien commente
ainsi son texte : « On voit ce
qu’entend là Jacopone, on voit, on possède,
on n’a ''pour ainsi dire'' plus besoin
de recourir la foi et à l’espérance.
Plus exactement on pourrait dire : la
foi et l’espérance sont tellement vives,
tellement illuminées par les dons de
l’Esprit Saint, l’intelligence et la sapience,
qu’on n’en sent plus l’effort, et qu’elles
semblent en possession de leur objet ».
Voilà donc l’espérance et la foi sauvées,
et Jacopone avec elles. Mais le texte est
bien malade, car il ne souffle mot de
tout cela. Jacopone, en bon et simple
mystique, dit qu’il y a des cas où l’âme
fidèle possède si bien son objet qu’elle
n’a plus besoin de la foi ni de l’espérance.
Et tout le reste est théologie. Les poèmes
publiés et traduits sont bien choisis et
donnent un texte qui semble, dans l’état
actuel des choses, aussi satisfaisant que
possible. La traduction est généralement
exacte, mais elle affaiblit extrêmement le
texte en l’édulcorant et en prenant des
précautions dont le rude prédicateur
populaire ne s’embarrassait pas. D’une
façon générale il semble qu’on n’aurait
pu que gagner à suivre avec scrupule
les tournures de phrase et le mouvement
du texte italien.
'''Le Pessimisme de La Rochefoucauld''',
par {{sc|R. Grandsaignes d’Hauterive}}.
1 vol. in-12, de 222 p., Paris, A. Colin,
1914. — Excellent petit livre. {{M.|{{corr|Grandsaigne|Grandsaignes}}
d’Hauterive}}, après avoir brièvement
défini le pessimisme de La Rochefoucauld,
en cherche les origines, analyse
le caractère de l’auteur, raconte l’histoire
de ses déconvenues avant et pendant la
Fronde. Il est, au moment où commence
le gouvernement personnel de Louis {{rom-maj|XIV}},
un grand seigneur désabusé. Il vit dans
une société de gens pareillement désabusés,
las de la liberté, du désordre, de
l’intrigue. Le Jansénisme fait des prosélytes,
et a pour un de ses centres mondains
ce salon de {{Mme|de Sablé}}, où
La Rochefoucauld fréquente en intime et
où la rédaction de « Maximes » est le grand
plaisir ordinaire. Or le Jansénisme est
un pessimisme théologique ; et Jansénius,
Pascal s’exprimaient souvent presque
dans les mêmes termes que La Rochefoucauld,
lorsqu’ils décrivaient la nature
corrompue, et purement humaine, de
l’homme. Les « esprits forts » sont
de même à la mode : et on serait disposé,
après voir lu {{M.|d’Hauterive}}, à
considérer que La Rochefoucauld a été
le grand homme de ce groupe obscur, le
continuateur de Miton et de Méré. Enfin
les cartésiens expliquent les passions de
l’âme en physiologistes : et La Rochefoucauld
parle souvent leur langage. Que,
d’ailleurs, après la première édition des
''Maximes'', {{corr|La Rochefoucault|La Rochefoucauld}} en ait atténué
le pessimisme primitif sous l’influence
de {{Mme|de la Fayette}}, {{M.|d’Hauterive}}
se refuse à l’admettre. Des documents
précis nous prouvent que l’influence de
{{Mme|de la Fayette}} ne s’est pas exercée en
ce sens ; et les corrections de La {{tiret|Rochefou|cauld}}
<references/> |
Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/255 | lution dans l’art, L’Académie écoute son mémoire et
nomme, pour examiner son système, trois membres,
dont pas un n’est musicien : ce sont Mairan, Hellot et Fourchy.
Le jugement de l’Académie sur cette affaire rappelle
parfaitement ce fameux procès où Panurge rend une
sentence aussi incompréhensible que les deux plaidoiries
prononcées en faveur des deux plaignants auxquels
Rabelais a donné des noms qu’il m’est impossible de citer.
Cependant il ressort de l’opinion de l’Académie que
le système de Rousseau n’était qu’un perfectionnement
de la méthode du P. Souhayti. Ici, il y avait de
la part de Rousseau bonne foi complète, c’était une
rencontre, mais non un plagiat. L’utilité de l’innovation était
également contestée par l’Académie, mais sans
donner aucune raison de son improbation. Il manquait
un juge compétent : ce juge fut trouvé dès que
le système fut soumis à Rameau. Vous ne pouvez parler
qu’au raisonnement, dit-il à Jean-Jacques, avec
vos chiffres juxtaposés ; nous, avec nos notes superposées,
nous parlons à l’œil, qui devine, sans les lire,
tous les intervalles, et c’est ce qui est indispensable
dans la rapidité de l’exécution.
L’argument était sans réplique : il l’est encore au
bout d’un siècle, que des essais du même genre veulent
se renouveler. Les commençants auront l’air
d’aller fort vite avec cette méthode ; les premières lectures
qu’on leur fera faire se composant de combinaisons
fort simples, l’esprit suffira pour les résoudre. Il
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Le Zend-Avesta (trad. Darmesteter)/Volume I/CHAPITRE I/III. Affinité du zend et du sanscrit | Le Zend-Avesta Traduction par James Darmesteter. Texte établi par Musée Guimet, Ernest Leroux, 1892 (I. La Liturgie (Yasna et Vispéred) (Annales du Musée Guimet, tome 21), p. xix-xxiii). bookLe Zend-AvestaJames DarmesteterErnest Leroux1892ParisCI. La Liturgie (Yasna et Vispéred) (Annales du Musée Guimet, tome 21)Annales du Musée Guimet, tome 21.djvuAnnales du Musée Guimet, tome 21.djvu/13xix-xxiii mots sur dix sont du pur sanscrit et même que certaines de leurs inflexions sont formées par les lois du Vyácaran, comme par exemple yushmácam, génitif pluriel de yushmad. Néanmoins Anquetil, très certainement, et le compilateur persan, très probablement, n’avaient aucune connaissance du sanscrit et par suite ne peuvent avoir inventé une liste de mots sanscrits : c’est donc une liste authentique de mots zends qui ont été conservés dans les livres ou par tradition : il suit de là que la langue de Zoroastre est au moins un dialecte du sanscrit, aussi proche de lui à peu près que le pracrit ou d’autres idiomes populaires que nous savons avoir été parlés en Inde il y a deux mille ans. » Cette conclusion que le zend est un dialecte du sanscrit était erronée ; elle régna jusqu’à Burnouf : mais c’était un grand progrès d’avoir marqué la parenté des deux idiomes. En 1798 le Père Paulo de Saint-Barthélemy, carme déchaussé, syndic des missions asiatiques, développe la remarque de Jones dans une brochure sur l’antiquité et l’affinité du zend, du sanscrit et de l’allemand. Il établit cette affinité en dressant une liste parallèle de mots zends et de mots sanscrits, choisis parmi les termes les moins susceptibles d’être empruntés, ceux qui désignent les rapports de parenté, les membres du corps, les idées les plus générales. Une seconde liste, destinée à montrer par un point spécial l’affinité étroite des deux langues, comprenait dix-huit mots empruntés à la langue liturgique. L’idée était originale et hardie : l’exécution est moins heureuse : car sur les dix-huit rapprochements aucun ne se vérifie. Enfin il essaya d’expliquer par le zend les mots de vieux persan transmis par les anciens. De toutes ces comparaisons, il conclut que dans une antiquité très reculée le sanscrit était parlé en Perse et en Médie et que de là sortit la langue de Zoroastre. Il en conclut aussi que le Zend-Avesta est authentique : car si c’était une compilation récente, comme le veut Jones, comment se fait-il que les vieilles inscriptions des Perses, que les prières liturgiques des Parsis et leurs livres ne révèlent pas le sanscrit pur, pris des pays qu’habitent les Parsis, mais une langue mêlée, aussi différente des autres dialectes de l’Inde que peuvent l’être chez nous le français et l’italien. » Cela revenait à dire avec beaucoup de détours que le zend ne dérive pas du sanscrit, mais que le zend et le sanscrit dérivent tous deux d’une langue plus ancienne. C’est à dégager ces conclusions, entrevues par le Carmélite, que va marcher tout le progrès de la science. Les vingt-cinq premières années de ce siècle furent stériles. Grotefend ébauche le déchiffrement des inscriptions perses, mais sans que ni lui ni Anquetil songe à chercher dans le zend un instrument de recherche ou de confirmation. En 1808 John Leyden fait du zend un dialecte pracrit, parallèle au pâli, le pâli étant identique au magadhi des grammairiens et le zend à leur sauraseni. En 1819, Erskine fait du zend un dialecte sanscrit importé de l’Inde en Perse par le fondateur de Magisme, mais n’ayant jamais été parlé par les indigènes de Perse. Son grand argument est que le zend n’est pas cité dans le Farhangi Jehangiri parmi les sept langues anciennes de la Perse. Il est d’ailleurs obligé d’avouer que, quant au contenu, l’Avesta concorde étrangement avec les données des anciens et que son livre fondamental, le Vendidad, s’il est l’œuvre d’un faussaire, est l’œuvre d’un faussaire d’une habileté rare et qui ne s’oublie jamais. Autant valait, remarquait Sacy, n’y pas voir l’œuvre d’un faussaire. Le mémoire d’Erskine provoqua une réponse décisive d’Emmanuel Rask, un des initiateurs les plus originaux de la grammaire comparée et qui eut l’honneur d’être le précurseur de Burnouf dans la philologie zende, de Grimm dans la philologie germanique. Il avait en 1820 recommencé l’expédition d’Anquetil et avait recueilli une riche collection de manuscrits zends, les plus anciens qu’il pût trouver. Dans une lettre à Elphinstone, président de la Société littéraire de Bombay, il réfute avec un rare bon sens les objections théoriques d’Erskine ; il montre que le passage du Jehangiri se rapportait à des périodes bien postérieures à celles où se placent le zend et le pehlvi ; que le persan moderne ne doit pas dériver du zend, mais d’un dialecte très voisin ; qu’il est impossible d’admettre qu’une religion soit prêchée à un peuple dans une langue étrangère ; enfin, et c’est là le point capital, que le zend n’est pas un dérivé du sanscrit. Car le système des sons zends se place près du système persan, non du système sanscrit ; et quant aux formes grammaticales, si elles se rapprochent souvent du sanscrit, elles se rapprochent aussi souvent du grec ou du latin et parfois ont un caractère tout à fait spécial et indépendant qui en fait une langue à part. Il n’est pas une de ces observations qui n’ait été absolument confirmée par la science. Cependant en Allemagne Meiners n’avait pas fait d’élèves. La cause d’Anquetil était gagnée : les théologiens invoquaient sa traduction dans leurs polémiques, et Rhode retraçait d’après l’Avesta « la tradition sainte du peuple zend » Le livre de Pierre de Bohlen, en 1831, marque un pas en arrière. Pour Bohlen, comme pour Jones, Leyden, Erskine, le zend est un dérivé du sanscrit, au même titre que le pâli et le pracrit. Sa méthode et son erreur consistent à prendre les mots zends sous la forme souvent incorrecte qu’ils ont dans les lectures d’Anquetil et il n’a pas de peine à montrer alors que le mot zend est moins bien conservé que le sanscrit correspondant. D’autre part, il prend les noms propres sous leur forme parsie, au lieu de les prendre sous la forme zende originale, ce qui le conduit à des rapprochements ingénieusement ridicules. Ainsi Ahriman devient un sanscrit ariman qui signifierait « l’ennemi» : Bohlen aurait pu voir dans Anquetil même que Ahriman n’est que la forme moderne de Enghri meniosch ou mieux Añgrô Mainyush. L’Amshaspand de la Bonne Pensée, Vohu Manô, devenait, grâce à la forme moderne dérivée Bahman, un doublet de Krishna, étant le sanscrit bâhuman « le dieu aux longs bras ». Par des procédés analogues Vullers établissait l’identité de Gushtàsp, le protecteur de Zoroastre, avec l’Hystaspes, père de Darius, des historiens grecs, Gushtàsp transcrit en sanscrit, lui donnait Ghushtâçva « dont le cheval a été entendu », ce qui confirmait la légende de Darius obtenant le trône par le hennissement de son cheval. Vullers aurait pu se demander pourquoi cette épithète remontait au père de Darius au lieu de rester attachée au héros de l’aventure, il se serait épargné ces frais de sagacité s’il avait demandé au zend la forme originale du nom de Gushtàsp, qui est Vishtâspa. Enfin parut Burnouf. Depuis la publication du Zend-Avesta d’Anquetil jusqu’à celle du Commentaire sur le Yasna, c’est-à-dire au cours de plus de soixante-dix ans (1771-1833), on n’avait fait aucun progrès réel dans la connaissance des textes zends. La parenté du sanscrit et du zend est la seule idée nouvelle qui fût entrée dans la circulation : elle n’avait d’ailleurs amené aucun progrès pratique. La traduction d’Anquetil était toujours la seule autorité, et à mesure que s’évanouissaient les doutes sur l’authenticité de l’Avesta, l’œuvre du traducteur prenait un caractère d’infaillibilité. Anquetil avait appris le zend de la bouche des Parsis même : qui pouvait prétendre en Europe faire la leçon à ses maîtres ? Rask n’avait pas continué ses pénétrantes recherches et personne ne songeait à lire l’original à la lumière de la traduction. Vers 1825 Eugène Burnouf, plongé dans ses études pracriles, cherchait à délimiter le domaine des langues aryennes dans l’Inde. Il avait établi la limite qui, au midi de l’Inde, sépare les races de langue aryenne des races non aryanisées : il lui restait à présent à établir s’il y avait au nord-ouest une ligne de démarcation analogue ou si c’était en dehors de l’Inde qu’il fallait chercher les origines de la langue et de la civilisation indiennes. Il fut ainsi conduit à interroger les langues de la Perse et tout d’abord la plus ancienne de toutes, le zend. Mais quand il essaya de lire l’Avesta en Asiatick Researches, II, § 3. De antiquitate et affinitate linguae samscredanicae el germanicae, Rome, 1798. Asiatick Researches, X, 283. On the Sacred Books and Religion of the Parsis (dans les Transactions of the Literary Society of Bombay, 1819). Remarks on the Zend language and the Zend-Avesta (Transactions of the Bombay Branch of the Royal Asiatic Society, III, 524). – Ueber dans Alter und die Echtheit der Zend-Sprache und der Zend Avesta, tr. du danois par F. H. von der Hagen, Berlin, 1826. Erläuterungen zum Neuen Testament aus einer neueröffneten morgenländischen Quelle, Ἰδοὺ μάγα ἀπὸ ἀνατολῶν, Riga, 1775. Die heilige Sage und das gesammte Religionsystem der alten Bactrer, Meder und Perser, oder des Zend Volks, Francfort, 1820. Commentario de origine linguae zendicae e sanscrita repetendae (Koenigsberg, in-8o, 1831), analysé et réfuté par Burnouf, dans le Journal des savants, 1831, pp. 457 sq. Dans ses Fragmente über die Religion der Zoroaster, Bonn, 1831. |
Les régiments d'infanterie de Compiègne/54e RI – Dissolution | Lieutenant-colonel Weill et Lieutenant Delacourt Les régiments d'infanterie de Compiègne Amicale des anciens combattants des 54e R.I., 254e R.I., 13e Tal (Compiègne), 1930 (p. 165-170). ◄ JOURNAL DE GUERRE DU 13e RÉGIMENT TERRITORIAL D’INFANTERIE LE 54e DEPUIS LE TRAITÉ DE PAIX bookLes régiments d'infanterie de CompiègneLieutenant-colonel Weill et Lieutenant DelacourtAmicale des anciens combattants des 54e R.I., 254e R.I., 13e Tal (Compiègne)1930CompiègneVLE 54e DEPUIS LE TRAITÉ DE PAIXLes régiments d'infanterie de Compiègne.djvuLes régiments d'infanterie de Compiègne.djvu/7165-170 Immédiatement après la revue du 14 juillet 1919, le 54e se rend à Épernay ; il y séjourne peu de temps et revient enfin, au courant du mois d’août, dans sa garnison de Compiègne. Le Lieutenant-Colonel CODEVELLE, chef de bataillon au régiment en 1923, a bien voulu nous communiquer les souvenirs suivants concernant la dissolution du 54e. À la date du 10 janvier 1923 parut l’état des régiments dissous. Le 54e était maintenu et ainsi réparti : E.-M. et 2 bataillons à Compiègne ; 1 bataillon à Soissons. La Municipalité de Soissons, fortement soutenue par ses représentants au Parlement, s’émut de cette répartition, et d’actives démarches furent entreprises en vue du maintien du 67e. À Compiègne, on pressentit le danger qui menaçait le 54e et la presse locale jeta un cri d’alarme. En fin de compte Soissons eut gain de cause et le 22 janvier 1923 un état rectificatif maintenait l’existence du 67e ainsi réparti : État-Major et 2 bataillons à Soissons ; 1 bataillon à Compiègne. Le 54e devait disparaître à la date du 1er avril. À Compiègne l’émoi fut grand à la pensée que le 54e, qui tenait garnison dans la ville depuis 1871, bientôt n’existerait plus. Le Conseil municipal exprima les regrets de la population si attachée à son régiment, et le Maire proposa de faire les démarches nécessaires pour que les fanions des compagnies et des bataillons ainsi que les souvenirs du régiment fussent confiés à la garde de la Municipalité et exposés dans le Musée Vivenel. Dès le mois de février, commença la fusion du 54e et du 67e. À ce moment l’ordre de bataille du 54e était le suivant : État-Major. — Colonel Bremond, commandant le régiment ; Lieutenant-colonel Marminia; Major : Commandant Dumont ; Trésorier : Lieutenant Couventier ; Effectifs : Lieutenant Dubois ; Matériel : Capitaine Lalane ; Chefs de Bataillon adjoints : Commandant Sutterlin et Commandant Codevelle ; Capitaine-adjoint : Capitaine Georgin ; Matériel : Lieutenant Capon ; Armement : Lieutenant Rispal. Premier bataillon. — Commandant Decourbe. 1re Compagnie. — Capitaine Queyroi, Sous-lieutenant Tisserand. 2e Compagnie. — Lieutenant de France de Tersant. 3e Compagnie. — Capitaine de Branges, Lieutenant Berger. CM1. — Capitaine Meunier 2e Bataillon. — Commandant Richet. 5e Compagnie. — Capitaine Delavenne. 6e Compagnie. — Capitaine Chevrier. 7e Compagnie. — Capitaine Clerc. CM2. — Capitaine Balestier. 3e Bataillon. — Commandant Van den Vaero. 9e Compagnie. — Lieutenant Vasseur. 10e Compagnie. — Capitaine Bornel. 11e Compagnie. — Capitaine Le Couteulx. CM3. — Lieutenant Fagard, Lieutenant Theilland de Chandin. Le 9 mars 1923, la 3e division d’infanterie tout entière était envoyée dans la Ruhr pour les motifs que l’on connaît, ce qui devait encore compliquer la question de la dissolution du 54e, lequel existait toujours, ne devant disparaître que le 1er avril. Le même jour, en présence des anciens officiers du corps, le lieutenant-colonel Marminia présentait, dans la cour de la caserne Royallieu, le drapeau du 54e au régiment rassemblé. Cette cérémonie fut empreinte d’une tristesse profonde et vraie. Bien des larmes coulèrent. Nous passons la parole au Progrès de l’Oise du 13 mars 1923. LES ADIEUX AU DRAPEAU DU 54e « Une imposante et poignante cérémonie s’est déroulée le vendredi 9 mars 1923, à la caserne de Royallieu. Le colonel Marminia présenta une dernière fois son drapeau au 54e, réuni au complet sur le terre-plein des casernes. À 10 heures, le drapeau, porté par le lieutenant Fagard et escorté des fanions, arriva au milieu du carré formé par la troupe. Après la sonnerie Au Drapeau, le Colonel Marminia, d’une voix claire mais émue, prononça le vibrant et patriotique discours suivant : Officiers, sous-officiers, caporaux et soldats du 54e, J’ai l’honneur de vous présenter pour la dernière fois le drapeau de votre Régiment. Au moment où les écussons du 54e quittent votre collet, inclinez-vous pieusement devant lui. Il a conduit à l’honneur des générations de soldats. Je salue respectueusement les anciens du 54e qui sont à nos côtés. Par leur présence au milieu de nous, ils viennent attester de leur fidélité à notre drapeau et au bouton qu’ils ont porté, en même temps qu’ils nous apportent le plus fraternel témoignage de sympathie. À eux se sont joints les officiers des autres corps de la garnison : 15e régiment de Chasseurs et 2e bataillon d’Aérostiers, qui viennent vous prouver que la camaraderie militaire, toute de délicatesse, existe surtout aux heures graves que nous vivons en ce moment. Mes chers camarades, vous avez connu notre drapeau encore endeuillé des tristesses de 1870. Vous l’avez vu tout frémissant de prendre sa revanche. C’est à son ombre que vous avez instruit pour vaincre les soldats de 1914, les vainqueurs de la Marne. Soldats de la classe 21, vous pensiez terminer votre temps de service dans quelques jours, le Boche ne l’a pas voulu. Il suffit. Votre sacrifice est fait. Vous n’êtes pas de ceux qui se laissent intimider et vous avez dans les veines du sang de vainqueurs. Vous resterez jusqu’à l’arrivée des bleuets de 1923 à la garde du drapeau. Et vous, jeunes hommes de 1922, vous étiez fiers d’être les héritiers de ces poilus qui, au cours des quatre années de la grande guerre, ont écrit de leur sang sur notre drapeau les noms à jamais fameux de la Marne, des Éparges, de Verdun, de la Lys et de l’Escaut, qui ont supporté dans les tranchées d’héroïques souffrances, qui, dès la rupture de l’équilibre, à la suite du drapeau volant comme autrefois l’Aigle Impérial de clocher en clocher, ont défilé dans la Lorraine reconquise, vengeant ainsi nos morts de 1870. Vous espériez finir au 54e votre service militaire et voici que le même sacrifice est exigé de vous comme de vos, officiers et de vos sous-officiers. Du moins vous quittez votre Régiment en soldats : c’est dans une atmosphère de bataille que vous allez défiler devant votre drapeau pour la dernière fois. Fixez sur lui vos yeux et jurez-lui d’être dignes de vos aînés. Demain vous compterez au 67e ; ayez une belle tenue, une conduite exemplaire. Soyez toujours volontaires pour les missions difficiles. Que les étrangers puissent dire en vous voyant : Certainement celui-ci a dû appartenir au 54e. Quel fier Régiment ce devait être ! Et quand bientôt votre nouveau drapeau, qui fut longtemps le frère du vôtre à la 7e brigade, vous sera présenté, vous penserez quand même à l’autre. Vous lui avez juré fidélité, c’est pour la vie. Noble drapeau du 54e : ne garde pas rigueur à tes enfants s’ils te délaissent au moment de repartir pour l’action ! Sois certain que tous ceux ayant eu l’honneur de servir sous tes plis garderont fidèlement ton souvenir. Au nom des officiers, des sous-officiers, caporaux et soldats du 54e, drapeau des Royal-Roussillon et Royal-Catalan, d’Alkmaer, d’Austerlitz, de Friedland, de la Grande Kabylie, drapeau de la Marne, des Éparges, de Verdun, de la Lys et de l’Escaut : Adieu. Plus d’un spectateur, beaucoup d’officiers et de soldats avaient la paupière humide lorsque le colonel Marminia, le commandant Decourbe et l’adjudant Jalinot embrassèrent une dernière fois le glorieux emblème de notre beau régiment. Le commandant Leveau, des Aérostiers, avec tout son bataillon, beaucoup d’officiers du 15e Chasseurs, des anciens officiers du 54e, tels les commandants Keller, de Bernières et Legrand, étaient venus apporter à leurs camarades toute leur sympathie et leurs regrets. Nos petits troupiers sont rentrés dans leur cantonnement pour se préparer au départ. Samedi, à 15 heures, ils s’embarquaient pour la Ruhr. » Le 54e était envoyé à Dortmund sous le commandement du Colonel du 67e. Le 30 mars, l’écusson du 54e disparaissait du collet des uniformes et le Général Douchy commandant la 3e division d’infanterie adressait l’ordre du joursuivant de son Quartier général de Castrop. « Au moment où le 54e et le 72e Régiment d’infanterie sont dissous, le Général commandant la 3e division d’infanterie adresse à ces vieux et glorieux régiments son « au revoir » le plus ému. « Depuis le jour où il a eu l’honneur d’avoir le 54e et le 72e sous ses ordres, le Général n’a eu qu’à se louer de leur moral, de leur discipline et de leur confiance en leurs chefs. « Le 54e et le 72e nevont pas mourir ; leurs drapeaux resteront aux Invalides sur les lauriers de la vieille France et ceux de la Grande Guerre jusqu’au jour où un nouvel appel de la patrie en danger regrouperait autour d’eux les fils des vainqueurs d’Austerlitz, de Friedland, de la Marne et de Verdun, et ceux de Marengo, Wagram, Maurupt et Bouchavesnes. » Cependant les éléments restés à Compiègne se débattaient dans de nombreuses difficultés auxquelles s’ajoutait le sentiment pénible de voir s’effacer chaque jour quelque souvenir du 54e. C’est ainsi que l’ordre était donné de faire disparaître ce numéro partout où il pouvait encore subsister dans les bâtiments militaires, dans les papiers administratifs ou autres. Le drapeau lui-même qui était resté à la salle d’honneur de Royallieu partit pour Soissons. Les fanions des compagnies et des bataillons sont maintenant à l’Hôtel de Ville de Compiègne et bien des souvenirs (diplômes, photographies, gravures, etc.) ont été gardés à Royallieu par les soins d’officiers et de sous-officiers qui ne voulaient pas laisser périr la mémoire de leur régiment. Grâce à eux, le souvenir du 54e n’est pas mort et le commandement lui-même favorise désormais tout ce qui peut le conserver. Le 54e renaîtra-t-il un jour ? C’est le secret de l’avenir. Mais si comme le disait dans son ordre du jour le général Douchy, un nouvel appel de la patrie en danger se faisait entendre, l’âme du Régiment viendrait animer une formation nouvelle qui serait heureuse et fière de porter bien haut le drapeau du Royal-Roussillon, des guerres de la Révolution et de l’Empire, de la Grande Kabylie, de Saint-Privat, de Bitche et de la Grande Guerre. |
Revue de métaphysique et de morale, supplément 5, 1908.djvu/11 | {{nr||11|}}seulement regretter que certaines réponses
soient restées très vagues. Nous n’insisterons
pas sur le contenu de cet ouvrage,
parce que nous en avons déjà rendu
compte partiellement (''Revue de Métaphysique'',
janvier 1908, p. 22-23 du Supplément
et juillet 1908). Nous signalerons seulement
deux points : le génie mathématique
semble être précoce : sur 93 mathématiciens
avant répondu, 78 ont manifesté
leur goût pour cette science avant seize
ans, et 11 entre seize et dix-huit ans. Le
goût des mathématiques parait aussi être
héréditaire dans certains cas : mais ici,
les réponses nous paraissent demander à
être interprétées, et la conclusion est
assez douteuse. Nous regrettons seulement
qu’on n’ait pas utilisé davantage
les correspondances des mathématiciens
morts, où peut-être on aurait trouvé des
passages instructifs sur leur méthode
de travail : la lettre de {{M.|Loria}} répond
en partie à ce désir. De toute façon,
cette enquête a été une besogne sinon
très fructueuse en résultats, du moins
utile et utilisable pour tout psychologue.
'''Ein Beitrag zur Geschichte der neueren franzœsischen Philosophie. Die Lehre vom Zufall bei Emile Boutroux''',
par {{M.}} le {{Dr}} {{sc|Otto Boelitz}}. 1 vol. in-12
de 120 p. Quelle et Meyer, Leipzig, 1907.
— Dans cet opuscule, qui fait partie des
''Abhandlungen zur Philosophie und ihrer Geschichte''
éditées par le professeur
R. Falckenberg, d’Erlangen, l’auteur
résume la doctrine de {{M.|Boutroux}}, et en
particulier son concept de la contingence.
Le résumé est clair et consciencieux,
appuyé de citations nombreuses
bien choisies et classées avec discernement.
{{M.|Boelitz}} semble en général très
au courant de la philosophie française
moderne dont il apprécie fort équitablement
les efforts en faisant ressortir
qu’elle s’est appliquée à conserver le lien
le plus étroit avec la science, alors qu’en
Allemagne, au contraire, la philosophie,
dès après Kant, s’en détourne. — En
recherchant la filiation des idées, {{M.|Boelitz}}
mentionne l’influence de Kant, de Hume
et de Mill, mais constate que {{M.|Boutroux}}
diffère notablement du premier en
apposant à son criticisme rationaliste un
empirisme modéré par la critique, et que
les conceptions du philosophe français
vont bien au delà de celles de l’empirisme
anglais. — Parmi les devanciers
français, {{M.|Boelitz}} attribue peut-être une
influence trop grande à Auguste Comte :
en dépit de l’admiration de {{M.|Boutroux}}
pour Comte, il nous semble bien que les
analogies entre la classification positiviste
des sciences et la hiérarchie établie
par l’auteur du traité ''De la contingence des lois de la nature''
sont plus apparentes
que réelles et profondes. D’autre part,
{{M.|Boelitz}} fait trop peu de cas de l’influence
de Renouvier. — {{M.|Boelitz}} ne
formule, à l’égard de son auteur, qu’une
seule réserve, celle d’avoir trop souvent
conçu l’état actuel de la science comme
quelque chose de définitif. Par contre, il
admire les qualités d’exposition de
{{M.|Boutroux}}, son profond savoir scientifique,
la rigueur de sa critique. Il
estime que sa théorie de la liberté est
« moins artificielle et plus satisfaisante
que celle de Kant » et que « par sa doctrine
de la contingence, il a trouvé la seule
voie juste d’une paix durable entre la
foi et le savoir ». Signalons encore, dans
une note, des données biographiques et
bibliographiques brèves, mais suffisamment
complètes.
'''Essays philosophical and psychological, in honour of W. James''', by his
colleagues at Columbia University, 1 vol.
in-8 de 610 p. Longmans et Green, 1908. —
Composés en l’honneur de W. James, il
est naturel que ces essais soient pénétrés
de son influence et, dans l’ensemble,
fidèles à la doctrine. Ne pouvant les
passer un à un en revue, nous ne dirons
rien des mémoires psychologiques et
moraux, malgré l’intérêt de quelques-uns,
parce que les sujets en sont très
disparates. Il est remarquable, au contraire,
que tous, ou à peu près, les
mémoires de philosophie générale portent
sur le problème du ''réalisme'' et que leurs
auteurs s’accordent à se dire ''réalistes''
mais il apparait aussi, après les avoir
lus, qu’ils n’entendent pas tous la réalité
au même sens ; que rien n’est plus voisin
de ce qu’on appelle d’ordinaire idéalisme
et phénoménisme ; et que la pensée de
beaucoup d’entre eux reste bien décidément,
malgré le besoin qu’ils éprouvent
de reprendre sans cesse la question, hésitante
et équivoque n’en pourrait-on pas
dire autant, d’ailleurs, de cette de
W. James lui-même ? La plupart estiment
en somme que la connaissance n’a d’autre
fonction que de préparer et de guider
l’action ; ils croient devoir affirmer une
réalité objective dans la mesure même
où elle leur parait nécessaire à l’action,
et où par suite elle est affirmée par le
sens commun : le problème proprement
métaphysique ne les intéresse pas, c’est
ce que déclare assez nettement {{M.|Woodbridge}}
(''Perception and Epistemology'') :
« quels que soient les problèmes d’épistémologie,
mais de sciences naturelles et
de connaissance positive » (p. 166). Quant
<references/> |
Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/247 | l’œuvre de toute sa vie. La misère, le désespoir, et la
mort peut-être, furent le résultat de la confiance qu’il
avait placée dans son ingrat élève. Quant à celui-ci, il
ne fut guère bien récompensé de sa mauvaise action :
il était retourné au bercail de {{Mme|de Warens}} pour
mendier de nouveau sa protection ; mais {{Mme|de Warens}} était partie. Il retrouva heureusement une espèce
de musicien mauvais sujet, dont il s’était déjà
engoué avant son entrée à la maîtrise. Il alla se loger
avec lui ; mais le musicien avait autre chose à faire
que d’enseigner son art gratis à son commensal, et
Rousseau allait se promener en rêvassant dans la campagne,
pendant que l’autre vaquait à ses leçons.
Cette belle vie ne dura pas longtemps. En l’absence
de {{Mme|de Warens}}, Rousseau s’était {{corr|amourraché|amouraché}} de sa
femme de chambre, {{Mlle|Merceret}} : celle-ci lui propose
de l’accompagner à Fribourg, qu’habite son père et où
elle espère avoir des nouvelles de sa maîtresse. En
route, on fait des projets de mariage ; mais, à peine
arrivés au but, les futurs conjoints étaient dégoûtés
l’un de l’autre. La Merceret resta chez ses parents et
Rousseau partit, marchant devant lui, ne sachant où il irait.
Il arriva ainsi à Lausanne, ayant dépensé son dernier
kreutzer ; mais le courage et surtout l’impudence
ne lui manquèrent pas. Les souvenirs de son
ami Venture lui vinrent en aide. Ce Venture était un
musicien assez habile. N’ayant pas assez de tenue et
de conduite pour pouvoir se fixer en aucune ville, il
allait d’un lieu à l’autre, et ses talents le faisaient
<references/> |
Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/249 | échantillon de ses œuvres, il répondit qu’il allait s’occuper
de composer une symphonie. Il mit cette promesse
à exécution.
Pendant quinze jours, il sema des notes sur le papier,
puis, pour couronner ce chef-d’œuvre, il le compléta
par un air de menuet qui courait les rues et que
lui avait appris à noter Venture. Rousseau avoue lui-même
qu’il était si peu en état de lire la musique,
qu’il lui aurait été impossible de suivre l’exécution
d’une de ses parties, pour s’assurer si l’on jouait bien
ce qu’il avait écrit et composé lui-même : qu’on juge
de ce que devait être cette symphonie ! Le récit de
l’exécution en est trop divertissant pour que je ne laisse
pas Rousseau raconter lui-même :
« On s’assemble pour exécuter ma pièce ; j’explique
à chacun le genre du mouvement, le goût de l’exécution,
les renvois des parties : j’étais fort affairé. On
s’accorde pendant cinq ou six minutes, qui furent pour
moi cinq ou six siècles. Enfin, tout étant prêt, je
frappe, avec un beau rouleau de papier, sur mon pupitre
magistral, les deux ou trois coups du ''Prenez garde à vous !''
On fait silence ; je me mets gravement
à battre la mesure : on commence... Non, depuis
qu’il existe des opéras français, de la vie on n’ouït pareil
charivari : quoi qu’on eût dû penser de mon prétendu
talent , l’effet fut tout ce qu’on en semblait
attendre ; les musiciens étouffaient de rire ; les auditeurs
ouvraient de grands yeux et auraient bien voulu
fermer les oreilles, mais il n’y avait pas moyen. Mes
bourreaux de symphonistes, qui voulaient s’égayer,
<references/> |
Les Aventures d’un pionnier américain - Gabriel Conroy de M. Bret Harte | Th. Bentzon Les Aventures d’un pionnier américain - Gabriel Conroy de M. Bret Harte Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 17, 1876 (p. 150-179). journal3e périodeLes Aventures d’un pionnier américain - Gabriel Conroy de M. Bret HarteTh. Bentzon1876ParisCtome 17Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvuRevue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/9150-179 LES AVENTURES D’UN PIONNIER AMERICAIN Gabriel Conroy, par M. Bret Harte, 2 vol. ; New-York 1876. I. La neige partout, aussi loin que l’œil peut atteindre du haut de la plus haute cime blanchie ; elle remplit les ravins et les gorges, elle suspend son manteau, pareil à un suaire, aux murailles escarpées des cañons, elle cache la base des pins gigantesques, ensevelit complétement les arbustes, prête une bordure de porcelaine aux lacs glacés et se déroule en vagues immobiles, éblouissantes, jusqu’à l’extrême limite de l’horizon lointain. La neige couvrait toutes les sierras californiennes, le 15 mars 1848, et continuait de tomber impitoyablement. Il neigeait depuis dix jours, tantôt par rafales furieuses, tantôt avec une tenace et régulière lenteur, mais toujours silencieusement. La neige avait si bien pénétré, rempli, maîtrisé toute la nature, ses moelleux coussins étouffaient si complétement l’écho des bois et des rochers, que tous les sons paraissaient morts. La plus forte bourrasque n’éveillait pas une plainte dans la forêt rigide ; ni branche, ni buisson ne craquait en cédant au poids qui les faisait plier. Le silence était absolu dans l’immensité morne. Aucun signe de vie, aucun mouvement ne venait changer non plus les lignes fixes du paysage pétrifié : plus de jeux de lumière ou d’ombre, rien que les ténèbres croissantes de la tempête ou de la nuit. Jamais un oiseau n’effleurait de son aile la blanche étendue, jamais un fauve n’apparaissait sur la lisière des bois assombris, tous les animaux qui avaient pu habiter ces solitudes s’étaient depuis longtemps réfugiés dans les basses-terres. On eût en vain cherché leur trace, nulle empreinte de pas ne se laissait deviner sur le tapis sans cesse renouvelé dont se revêtait la terre, et pourtant au centre même de cette désolation, dans cette forteresse inaccessible créée par l’hiver, il y avait la marque d’un travail humain. Quelques arbres abattus à l’entrée du cañon servaient à indiquer un autre arbre portant l’effigie rudement ébauchée d’une main. Au-dessous de la main, un carré de toile, cloué à l’écorce, portait cette inscription : « La compagnie d’émigrans du capitaine Conroy est perdue dans la neige et campe ici. Plus de provisions. Ils meurent de faim ! Ont quitté Saint-Jo le 8 octobre 1847, — le Lac-Salé, 1er janvier 1848 ; — sont arrivés le 1er mars 1848. Ont dû abandonner leurs wagons le 20 février. Au secours ! » Suivaient les noms des émigrans bloqués par la neige, puis les noms de ceux qui étaient morts dans le voyage, puis revenait le cri déchirant : « Au secours ! » Le langage de la souffrance n’est jamais étudié, et je ne crois pas que la rhétorique eût pu rien ajouter à cet appel voilé d’une mince couche de neige, tandis que la main de bois, blanche et rigide, indiquait le cañon de son doigt, pareil au doigt même de la mort. Vers midi, la tempête parut s’assoupir, et presque imperceptiblement le ciel s’éclaira du côté de l’est, dessinant les lignes sévères de la chaîne lointaine et projetant une vague lueur sur le flanc de la montagne, le long duquel glissait urne forme noire. Cette forme avançait lentement, laborieusement, d’un pas incertain qui ne permettait pas de distinguer tout de suite si c’était celle d’un homme ou celle d’une bête, parfois à quatre pattes, parfois debout, puis elle trébuchait comme on trébuche dans l’ivresse, et toujours elle se dirigeait vers le cañon. Quand l’objet mouvant se rapprocha, vous eussiez vu que c’était un homme, un homme décharné, hagard, sous sa peau de buffle en lambeaux, mais enfin un jeune homme en dépit des sillons que la souffrance et l’anxiété avaient creusés sur son front et aux coins de sa bouche, en dépit de l’expression de misanthropie sauvage qui altérait et endurcissait son visage. Quand il atteignit l’entrée du cañon, il essuya la neige qui effaçait l’affiche, puis s’appuya quelques instans, épuisé, au tronc de l’arbre. Il y avait dans l’abandon de son attitude quelque chose qui, mieux encore que tout le reste, révélait sa prostration complète. Quand il se fut un peu reposé, il repartit avec une nouvelle énergie, glissant, tombant, s’arrêtant pour rattacher les souliers d’écorce qui souvent manquaient sous ses pieds. À un mille au-delà de l’arbre, le cañon se rétrécissait et tournait graduellement vers le sud, et sur ce point-là une fumée légère semblait s’élever de quelque crevasse. À mesure qu’il avançait, des empreintes de pas se montrèrent ; on avait évidemment déplacé la neige autour d’un monticule d’où sortait la fumée, il n’y avait point à en douter maintenant. Le jeune homme se coucha devant une ouverture pratiquée dans la neige et poussa un faible cri, auquel on répondit plus faiblement encore ; bientôt un visage apparut au-dessus de l’orifice, un visage affamé comme le sien, puis un autre et encore un autre, et jusqu’à huit personnes, hommes et femmes, qui l’entourèrent en se traînant dans la neige comme des animaux ignorans de toute décence et de toute honte. Ils étaient si misérables que l’on n’eût pu les regarder sans verser des larmes, et si grotesques dans cette misère brutale, idiote et ignoble, que tout en pleurant on eût été tenté de rire. D’origine, c’étaient des gens de campagne ; le respect de soi-même avait dépendu chez eux des circonstances plutôt que d’aucune force morale ou intellectuelle ; privés de ressources matérielles, ils étaient vite tombés au rang de la brute : tout ce qui les avait élevés naguère au-dessus de ce niveau s’était perdu dans la neige. Telle était leur dégradation que l’étranger qui les avait évoqués des entrailles de la terre paraissait, même sous ses haillons, être d’une race différente. Tous avaient l’esprit plus ou moins affaibli, mais parmi eux une femme semblait avoir complétement perdu le sens. Elle portait une couverture roulée de manière à représenter un petit enfant, — le sien était mort dans ses bras quelques jours auparavant, — et elle berçait ce simulacre avec une foi qui faisait mal ; ce qui faisait plus de mal encore, c’était la parfaite indifférence que lui témoignaient ses compagnons. Quand elle les pria de faire moins de bruit pour ne pas éveiller « baby, » ils continuèrent de parler en haussant les épaules. L’un d’eux, un homme à cheveux rouges qui mâchait un morceau de cuir, lui lança un coup d’œil menaçant, puis revint à son occupation. L’inconnu s’arrêta une seconde pour reprendre haleine ; il prononça ensuite un seul mot : — Rien ! — Rien ! — Ils répétèrent tous ce mot à la fois, avec des intonations différentes, celui-ci avec rage, celui-là avec accablement, cet autre d’un ton stupide. La mère expliqua en riant à son prétendu baby qu’on avait dit : — Rien ! — et le berça de plus belle. — Hier, poursuivit le nouveau venu, la neige a de nouveau bloqué la piste. Le fanal là-haut a brûlé jusqu’au bout. J’ai laissé une pancarte au lieu convenu... Recommencez, Dumphy, et je vous casse la tête ! — Ceci s’adressait à l’homme aux cheveux rouges, qui avait brutalement frappé la folle ; c’était sa femme, elle s’était traînée jusqu’à lui, il la battait par habitude. La pauvre créature ne fit aucune attention au coup ni à celui qui le lui donnait ; seulement elle dit au jeune homme d’un air confiant : — Ce sera pour demain alors ? — Oui, pour demain. — Et le visage du jeune homme s’attendrit en répondant à cette question, qu’elle lui faisait régulièrement depuis huit jours. Elle redescendit dans la caverne, emportant avec soin l’image de son baby mort. — Il me semble qu’Ashley ne fait pas grand’chose... Un bel éclaireur, ma foi ! dit une vieille femme à la voix masculine. Pourquoi ne se trouve-t-il personne pour prendre sa place ? Pourquoi lui confiez-vous votre vie et la vie de vos femmes ? Sa voix rauque ressemblait à un aboiement. Ashley lui tourna le dos avec hauteur, et, s’adressant au groupe, dit brièvement : — Nous n’avons qu’une chance, égale pour tous ; vous savez laquelle. Rester ici, c’est la mort ; en partant, nous ne pouvons rien risquer de pis. Et il remonta le cañon pour gagner un autre monticule qui s’élevait à quelque distance. Aussitôt qu’il eut disparu, des murmures éclatèrent dans le cercle. — Il est allé voir le docteur et la petite. Nous ne comptons pas pour lui. — Il y a deux hommes de trop parmi nous. — Oui, le docteur et Ashley. — Deux intrus ! — Il ne nous est rien arrivé de bon depuis que nous les avons ramassés. — Mais c’est le capitaine qui a invité le vieux docteur à Sweetwater, et Ashley a mis toutes ses provisions dans le lot commun, dit un certain Mac-Cormick, qui conservait encore un vague sentiment de justice, tout affamé qu’il fût. Le souvenir de l’excellente qualité des provisions de Philippe Ashley lui arracha un soupir. — Qu’importe ? cria la virago, Mme Brackett. Il est venu nous apporter la mauvaise veine. Est-ce que mon mari n’est pas mort, tandis que ce drôle, — un étranger, — vit encore ? — Si l’accent était masculin, la logique était féminine, et cette logique-là produit toujours son effet dans les grands désastres, elle répond en particulier à ce vide de l’esprit qui précède la mort par inanition. — Dieu le damne ! prononça le groupe en chœur. — Qu’en voulez-vous faire ? — Si j’étais un homme, je sais bien ce que je ferais. Un coup de couteau et puis... Le reste de la phrase fut chuchoté confidentiellement entre Mme Brackett et Dumphy, qui tous les deux se mirent ensuite à balancer leurs têtes d’un air d’intelligence secrète comme deux poussahs de la Chine. — Voyez comme il est fort ! et ce n’est pourtant pas un travail leur comme nous autres, dit Dumphy. Vous ne me ferez jamais accroire qu’il n’ait pas quelque chose à manger ! Rien ne saurait rendre l’emphase mise sur ce verbe : manger ; puis une horrible pause s’ensuivit. — Allons-voir ! — Oui, allons le tuer ! insinua la douce Mme Brackett. Ils se levèrent tous d’un commun élan qui ressemblait à de l’enthousiasme, mais, après avoir fait quelques pas, ils s’arrêtèrent. Honte ? scrupule ? crainte ? Ils n’en étaient plus là ! Néanmoins ils s’arrêtèrent tous, excepté Dumphy. — De quel rêve parliez-vous donc tout à l’heure ? demanda Mac-Cormick se laissant tomber par terre. — Du dîner de Saint-Jo, répondit le personnage à qui il s’adressait, un gastronome dont l’imagination inventive faisait à la fois les délices et le tourment de la société en ces jours de famine. Ils se pressèrent tous avidement autour de Mac-Cormick ; Dumphy lui-même revint sur ses pas. — Eh bien ! commença le gastronome, il y avait du beefsteak, vous savez, avec du jus, un beefsteak épais, saignant, assaisonné de pickles... — L’eau vint visiblement à la bouche de l’auditoire, et le gastronome, avec le génie d’un véritable narrateur, répéta sa dernière phrase. — Saignant, avec du jus et des pickles, et des pommes de terre bouillies. — Vous disiez frites auparavant, interrompit Mme Brackett, frites et ruisselantes de graisse. — Bouillies, elles font plus de profit, on peut manger la peau ; puis nous avions des saucisses et du café, et du flan... À ce mot, ils éclatèrent de rire, d’un rire qui n’avait rien de joyeux, mais qui trahissait l’attente, la convoitise. — Du flan... — Vous l’avez déjà dit, s’écria Mme Brackett en colère. Continuez. L’homme qui donnait ce festin de Barmécide vit le danger de sa position et chercha Dumphy des yeux ; mais Dumphy avait disparu. La hutte où Ashley était descende était comme celles des Groënlandais au-dessous de la surface de la neige. Elle ne communiquait avec le monde extérieur que par un étroit tunnel. On y manquait d’air et de lumière, mais du moins on y avait chaud, ce qui était l’essentiel. À la clarté du feu qui couvait dans une cheminée de bois, quatre figures apparurent : roulées dans la même couverture devant le feu une jeune fille et une enfant de trois ou quatre ans ; couchés plus près de la porte, à quelque distance l’un de l’autre, deux hommes. On aurait pu les croire morts, tant était complète leur immobilité. Peut-être quelque crainte de cette sorte frappa-t-elle l’esprit d’Ashley, car après une minute d’hésitation, il se glissa précipitamment aux côtés de la jeune fille et passa une de ses mains sur son visage. Ce contact, si léger qu’il fût, suffit à éveiller la dormeuse ; elle saisit la main qui l’effleurait, et avant même d’avoir ouvert les yeux, murmura : — Philippe ! — Tais-toi ! — Il retint sa main et la baisa en lui désignant les dormeurs. — Parlons bas. J’ai bien des choses à te dire. — Elle semblait satisfaite de le dévorer des yeux : — Tu es revenu, dit-elle avec un faible sourire qui signifiait à ne s’y pas tromper : peu m’importe le reste ! — Je rêvais de toi, Philippe ! — Chère Grace ! — Il lui baisa la main de nouveau. — Écoute, je reviens aussi malheureux que de coutume. Ma conviction maintenant est que nous nous sommes égarés vers le sud, bien loin de la route ordinairement suivie ; donc il faudrait soit un miracle, soit un nouveau désastre semblable au nôtre pour amener de ce côté un convoi. En attendant, nous sommes sans secours, dans des régions que les sauvages mêmes et les bêtes fauves ont abandonnées. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, et parmi nous il n’y a ni entente, ni discipline. Depuis que ton père est mort, nous n’avons point de chef, et le plus grand des périls qui nous menacent vient peut-être de nos compagnons. — Il la regardait fixement, mais elle ne comprit pas. — Grace, continua-t-il, quand les gens meurent de faim, ils deviennent capables de tout pour conserver, ne fut-ce que quelques jours, leur misérable vie. Tu as peut-être lu dans les livres... Bon Dieu ! qu’y a-t-il ? Si Grace n’avait pas lu dans les livres ce qu’il voulait dire, elle le lisait trop clairement sur un visage qui venait d’apparaître à la porte entr’ouverte pour se retirer aussitôt, un visage féroce, horriblement semblable à celui de quelque animal de proie, un visage qu’elle connaissait pourtant, celui de Dumphy ! — Je comprends ! dit-elle en laissant tomber sa tête sur l’épaule de Philippe. — Eh bien ! tandis que nous en avons encore la force, tentons un effort désespéré. Je te le demande une fois de plus : veux-tu partager mon sort ? J’ai soigneusement exploré le terrain, étudié la direction des montagnes. La fuite est possible. — Mais mon frère ? ma petite sœur ?... — L’enfant nous embarrasserait trop en admettant qu’elle résisrésistât à la fatigue ; ici ton frère la soignera ; Gabriel est fort, et l’espérance le soutient. Il nous faut partir seuls, et, penses-y, en nous sauvant, nous les délivrons ! Nous pourrons leur envoyer du secours. J’irais bien seul, mais je n’ai pas le courage de te laisser. — J’en mourrais ! dit-elle simplement. — Je le crois, répondit-il ; mais chut !... L’un des hommes étendus s’était retourné. Philippe fit semblant de remuer le feu, et la flamme qui jaillit des tisons éclaira la figure d’un vieillard dont les yeux étaient fixés sur le jeune couple avec une intensité fiévreuse. — Laissez le feu ! dit-il d’une voix émue où vibrait un léger accent étranger. Philippe se détourna : — Venez ici plutôt... vous avez enterré la caisse et les papiers ? — Oui, monsieur. — Comment avez-vous indiqué la place ? — Par un tas de pierres. — Et les notes en allemand, en français ? — Je les ai clouées partout, aux arbres,... où j’ai pu. — Bien. Avant de sortir de la hutte, Philippe tira de sa poitrine et remit au vieillard quelques feuilles flétries. — Tenez, dit-il, j’ai trouvé un échantillon de la plante que vous cherchiez, docteur. Le docteur se souleva sur son coude, tout haletant : — Et vous disiez que vous n’apportiez pas de nouvelles ? — Celle-ci est-elle donc si intéressante ? demanda Philippe, évidemment sceptique. — J’avais raison ! poursuivit le docteur avec véhémence, et Linnée, Eschenholz, Darwin, avaient tort ! C’est une découverte. Ce que vous appelez une fleur alpestre n’est rien de semblable ; elle représente une nouvelle espèce. — Voilà qui importe beaucoup en effet à qui meurt de faim ! fit observer Philippe avec amertume. — En outre, continua le docteur sans paraître s’apercevoir de cette interruption, nous avons là un renseignement. Cette fleur ne se développe pas dans la neige éternelle ; elle a germé d’abord sous le soleil ; si vous ne l’eussiez pas arrachée, on l’aurait vue renaître. Dans deux mois, l’herbe poussera certainement à la place où nous l’avons trouvée. Nous sommes au-dessous de la limite des neiges qui ne fondent pas. — Dans deux mois ! s’écria douloureusement le jeune homme, dans deux mois, nous serons loin d’ici ou morts ! — Probablement, dit froidement le vieillard ; mais si vous avez suivi mes ordres touchant les collections, celles-ci du moins finiront par être sauvées ! Ashley sortit de la hutte avec un geste impatient, et le docteur retomba épuisé sur le sol. Au bout d’une minute, il appela encore : — Grâce ! — Monsieur Devarges ? — Pourquoi donc a-t-il remué le feu ? .. Vous ne lui avez rien dit pourtant ? — Non, rien... Devarges regarda la jeune fille comme pour déchiffrer ses plus secrètes pensées ; puis, rassuré, il reprit : — Tirez-le du feu et laissez-le refroidir dans la neige. La jeune fille retira des cendres ce qui paraissait être une pierre de la grosseur d’un œuf de poule, et à l’aide de deux bâtons, réussit à la pousser, incandescente, dans un amas de neige voisin de la porte, puis elle revint près du vieillard, ; — Grâce, reprit ce dernier, vous allez partir... Ne dites pas non,... j’ai entendu. Peut-être avez-vous raison, mais que ce soit bien ou mal, vous le ferez, cela va sans dire. Que savez-vous pourtant de cet homme ? Grâce s’arma aussitôt de ce bouclier dont les femmes excellent à se servir dans les circonstances les plus critiques : — Ce que nous en savons tous, monsieur, c’est un ami dévoué, un homme intelligent et courageux, à qui nous devons beaucoup,... et si désintéressé, monsieur ! — Hum ! après ? .. Que savez-vous de son histoire ? — Il s’est enfui de la maison d’un beau-père qu’il haïssait, il est venu chercher la solitude dans l’ouest, parmi les Indiens, ou bien la fortune dans l’Orégon. C’est un cœur fier. Il est aussi différent de nous autres que vous l’êtes vous-même, monsieur... c’est un gentleman et très instruit. — Bah ! il ne sait pas reconnaître les pétales d’une fleur de ses étamines, marmotta Devarges. Quand vous vous serez laissé enlever par lui, vous épousera-t-il ? Une faible rougeur monta soudain à la joue émaciée de la pauvre fille, cependant elle eut vite recouvré sa présence d’esprit : — Oh ! monsieur, dit-elle avec douceur, pouvez-vous plaisanter dans un pareil moment, quand la vie de mon frère et de ma sœur, celle de ces pauvres femmes là-bas, la vôtre, monsieur, dépend de notre entreprise ! — Ma vie ? interrompit le vieillard impassible, il n’en est plus question. Avant que vous reveniez, si vous revenez, je serai au-delà de tout secours. Une douloureuse convulsion passa sur ses traits. Il ne se faisait plus entendre qu’avec effort. — Approchez... plus près,... dit-il enfin ; j’ai quelque chose à vous confier. Grâce hésita, saisie d’une inexplicable inquiétude, et regarda son frère endormi. — Il ne s’éveillera pas, dit Devarges, suivant la direction de ses yeux. Le narcotique que je lui ai donné continue son effet. Apportez-moi ce que vous avez retiré du feu. Grâce alla chercher la pierre devenue d’un gris-bleu. — Frottez-la sur la couverture. Elle obéit. Quelques instants après, la surface polie du caillou brillait d’un faible éclat blanchâtre. — On dirait de l’argent, murmura Grâce d’un air de doute. — C’est de l’argent, affirma Devarges. Grâce laissa tomber le caillou et fit un mouvement en arrière. — Prenez-le, dit le vieillard, il est à vous. Je l’ai trouvé, il y a un an, dans la montagne à l’ouest de cette chaîne-ci. C’est une fortune, Grâce, une fortune... Je puis vous dire où elle gît, je puis vous donner les titres nécessaires pour la posséder,... le droit de la découverte... Prenez... — Non, non, dit précipitamment la jeune fille. Gardez cet argent. Vous vivrez pour en jouir. — Quand bien même je vivrais, je ne saurais en jouir, ma fille. J’ai eu de l’argent dans ma vie, beaucoup d’argent, je n’en ai pas été plus heureux. Le moindre brin d’herbe est d’un tout autre prix à mes yeux, mais prenez-le ; dans le monde, c’est tout, c’est le rang, c’est la considération. Prenez-le, et vous pourrez être aussi fière, aussi indépendante qu’est indépendant et fier celui que vous aimez. Vous aurez un mérite de plus à ses yeux... ce sera le complément de votre beauté, le piédestal de vos vertus. Prenez-le, il est à vous. — Non, vous avez des parens, des amis ? .. insista la jeune fille, s’éloignant de la pierre avec une terreur superstitieuse. — Personne ne m’intéresse. Vous ne faites de tort à qui que ce soit... — Une pâleur grise s’était répandue sur ses traits, il ne respirait plus qu’avec effort. Grâce voulut appeler son frère, mais d’un geste Devarges la retint. Il se souleva sur son coude et lui remit une enveloppe cachetée. — C’est la carte, la description de la mine et des localités ; dites que vous acceptez... dites vite. Sa tête était retombée. Grâce se baissa pour la relever ; en même temps, une ombre passa devant la porte. En se redressant, elle aperçut... Dumphy ! Cette fois elle ne cria pas, elle se tourna vers Devarges avec résolution et dit : — J’accepte ! — Merci ! dit le vieillard. — Ses lèvres s’agitaient encore, mais sans rien articuler, un brouillard s’était répandu sur ses yeux. — Docteur ! murmura Grâce. Il ne répondit pas. Alors une terreur nouvelle s’empara de la nerveuse enfant. — Il se meurt, pensa-t-elle. — Se levant, elle secoua son frère et n’obtint de lui qu’un ronflement prolongé. — Philippe ! cria-t-elle, Philippe !... — Et, perdant la tète, elle s’élança dehors. Au moment même deux personnes sortaient de l’ombre projetée par la hutte de neige et se glissaient à l’intérieur : Mme Brackett et Dumphy se poussant, se frappant l’un l’autre dans l’anxiété où chacun d’eux semblait être d’arriver le premier. Ils se mirent à chercher partout, à fouiller en particulier les cendres chaudes. — Ils l’auront mangé ! .. Damnation ! grommela Mme Brackett. — Cela n’avait pas l’air de quelque chose de bon à manger, répondit Dumphy. — Pourtant vous les avez vus le retirer du feu. — Oui, et le frotter. — Imbécile ! ce devait être une pomme de terre. Dumphy resta bouche bée devant l’importance de cette découverte : — En le vieux a dit qu’il savait où il y en avait davantage. — Où donc ? — Je n’ai pas entendu, — Brute que vous êtes ! Il fallait lui sauter à la gorge et lui arracher son secret ! Vous n’avez pas l’énergie d’une puce ! Que j’attrape la petite ! vous verrez ! .. — Il remue ! dit Dumphy. Aussitôt les deux complices s’accroupirent de nouveau dans une posture d’hyènes. — Grâce ! balbutia le moribond en proie au suprême délire. Grâce ! La mégère se courba au-dessus de lui : — Je suis là ! — Qu’il n’oublie pas.., qu’il tienne sa promesse,... qu’il vous dise où il l’a enterré... — Oui, oui.. — A l’entrée du cañon... à cent pas du sapin,... creusez sous le tas de pierres.,. — Oui... — Là, les loups ne l’atteindront... Le feu de ses yeux s’éteignit comme celui d’une lampe qu’on souffle... Il était mort. Et au-dessus de lui l’homme et la femme échangeaient un atroce sourire, le premier sourire qui eût effleuré leurs lèvres depuis la famine. Le lendemain, la société était diminuée de cinq personnes : Philippe et Grace, Dumphy et Mme Brackett avaient disparu. Le docteur était mort. Un seul des émigrans sut que Philippe et Grace étaient partis ensemble. Gabriel Conroy, le frère de la fugitive, en s’éveillant avait trouvé un billet au crayon attaché à sa couverture : — « Que Dieu bénisse mon frère et ma sœur, qu’il les garde jusqu’à ce que Philippe et moi nous revenions avec du secours ! » Au billet étaient jointes quelques menues victuailles, évidemment économisées par Grace sur ses misérables rations. Gabriel se hâta de les porter au garde-manger commun. II. Nous avons pensé qu’aucune analyse ne saurait rendre l’émotion poignante qui se dégage de ce premier chapitre du nouveau roman de Bret Harte, Gabriel Conroy ; aussi l’avons-nous traduit presque en entier, espérant qu’on le trouverait digne du meilleur temps d’un écrivain dont le talent a rencontré hors de sa patrie des admirateurs nombreux. Malheureusement ce talent rare et vraiment original menace aujourd’hui de s’égarer dans des voies qui ne lui sont pas favorables ; déjà il a perdu l’une de ses qualités les plus frappantes : la brièveté. Il n’y a plus à faire l’éloge du style serré, nerveux, hardiment coloré qui distinguait naguère ces récits californiens, intitulés : Mliss, l’Idylle du Val-Rouge, Carrie, etc. Mérimée seul, jusqu’ici, avait poussé à un égal degré l’horreur de la déclamation et du remplissage. Si Bret Harte a changé de manière, s’il essaie désormais de faire long au lieu de frapper juste et fort, il faut s’en prendre au goût de ses compatriotes pour les romans périodiques. Nous avions prévu que cette plume, habituée à de rapides esquisses, ne saurait pas remplir pendant plusieurs mois d’un même sujet les colonnes du Scribner’s Magazine, qui annonçait Gabriel Conroy comme un événement littéraire. Ces craintes, partagées par tous les véritables amis du romancier californien, se sont en grande partie réalisées. Il est tombé dans l’ornière de la prolixité où se perdent la plupart de ses confrères d’Angleterre. Encore ceux-ci possèdent-ils en propre la science délicate des détails, voire des infiniment petits. Bret Harte, quand il entreprend de marcher sur leurs traces, ne nous offre pas ce dédommagement. Son principal mérite consiste dans une étonnante vigueur de conception, dans un mélange de rurudesse, d’ironie et de mâle sensibilité auquel rien ne saurait être comparé, enfin dans l’étrangeté saisissante de sujets évidemment vus et vécus ; il ne sait ni développer une thèse de morale, ni conduire un dialogue, ni peindre avec finesse les minuties de la vie mondaine. Dans les deux volumes de Gabriel Conroy, il s’est donc borné à multiplier les figures et les épisodes, à encombrer le cadre sous prétexte de le remplir. On ne fait pas un grand roman avec plusieurs nouvelles négligemment cousues l’une à l’autre, le fil insignifiant qui assemble ces feuilles volantes ne saurait suffire ; tout doit concourir à l’effet général et être marqué au coin de l’unité. Bret Harte n’y a pas songé cette fois ; pénétré de ses premiers et éclatans succès, il a cru pouvoir les renouveler en se pillant lui-même sans scrupule. La description du camp de neige rappelle dès le début les Expulsés du Poker-Fiat, et les réminiscences se succèdent ainsi presque sans trêve. Plusieurs de nos anciennes connaissances reviennent ouvertement, par un procédé renouvelé de Balzac ; d’autres se déguisent, mais il est facile de reconnaître leurs traits en dépit du fard qui les rajeunit ; tous ces personnages défilent dans un imbroglio souvent obscur et dont le dénoûment précipité après d’inexplicables lenteurs nous laisse inquiets, déconcertés, mécontens. Soyons justes néanmoins : si l’ensemble de Gabriel Conroy est diffus, tel ou tel épisode détaché du reste formerait encore çà et là un curieux tableau. Il y a, pour nous servir du langage minier, plus d’un filon d’or à extraire de la poche où ils se dérobent. Ce sont ces précieuses trouvailles, faites dans le cours d’une lecture trop longue et parfois fatigante, qu’il s’agit de débarrasser ici de leur alliage ; pour cela, nous relierons entre eux, au moyen d’une rapide analyse, quelques chapitres dont chacun serait digne de composer un récit complet. Le caractère même du héros de l’histoire est intéressant et sympathique. Depuis longtemps les lecteurs de Bret Harte se sont pris d’affection pour certain type de géant débonnaire, faible et borné d’esprit comme un enfant, le cœur toujours ouvert à la pitié, à la tendresse, bien que l’enveloppe de ce cœur presque féminin ou plutôt maternel fasse penser à Goliath. Tel est Gabriel Conroy ; tels sont dans de précédens récits le Partenaire de Tennessee, fidèle jusqu’au gibet à l’indigne associé qu’il s’est choisi, et Fagg, l’homme qui ne compte pas, l’amoureux désintéressé qui partage sa fortune avec un rival pour permettre à celui-ci d’épouser sa propre fiancée, et Dick Bullen, risquant sa vie dans les précipices pour rapporter un jouet à un enfant malade, le jour de la Saint-Nicolas, et bien d’autres braves garçons, les favoris de l’auteur évidemment, qui ne font le bien ni par devoir ni par calcul, mais par instinct irrésistible, sans avoir même pour ainsi dire la responsabilité de Leurs acte, d’héroïsme ou de vertu. Nous avons laissé Gabriel au milieu des horreurs du camp de la Famine. Sa sœur Grace vient de fuir avec un étranger ; pourtant aucune colère, aucune indignation ne se mêlent en apprenant son départ à l’unique et touchante inquiétude de cet honnête colosse ; — » Que va devenir la petite sœur Olympe ? Comment Olly se passera-t-elle de compagne, de gardienne ? — Une idée lumineuse traverse ce cerveau épais et lent qui ne pense guère d’habitude. — Olly, dit-il à l’enfant, aimerais-tu avoir une poupée ? Assentiment joyeux de la petite affamée, — Une jolie poupée et sa vraie maman qui joue avec elle comme avec un baby en chair et en os, et qui te permettrait de jouer aussi ? Eh bien ! frère Gabe ira la chercher ; seulement il faut que Grâce s’en aille pour un jour, sans quoi il n’y aurait pas de place ici pour la maman de la poupée. Olly cède, selon l’usage de son sexe, à l’attrait de la nouveauté, — Mais, dit-elle avec inquiétude, le baby a-t-il faim quelquefois ? — Jamais, ma mignonne. Voici Olly soulagée d’un grand poids ; elle reçoit avec allégresse Mme Dumphy munie de son enfant imaginaire : — Venez, a dit Gabriel à cette dernière, vous-vous tuez en soignant votre petit, et il maigrit à vue d’œil. Olly vous aidera à l’amuser... jusqu’à demain. Demain est l’extrême limite de l’avenir promis à Mme Dumphy, Gabriel le sent. La folle est donc installée à la place de la fugitive, Olly est heureuse, et les premières difficultés de l’absence de Grâce sont surmontées. Olly et Mme Dumphy se privent pour la poupée des dernières miettes de la provision, elles font bon ménage ensemble, le grand Gabe se prête à leurs illusions, et quand le baby, celui qui est au ciel, vient enfin chercher sa mère au coup de minuit, c’est encore Gabe qui assiste à la joie suprême de cette réunion pour l’éternité, c’est lui qui croise doucement les mains de la morte sur le petit mannequin qui l’a consolée. Mais avant la fin de la même nuit, il lui faut son tour : des crimes hideux se commettent dans le camp, des crimes semblables à ceux, dont les radeaux de naufragés ont été te. théâtre, et Gabe, qui par accident en a été témoin, saisit sa petite sœur et s’échappe avec elle dans les ténèbres. Pendant qu’il erre à l’aventure, Grâce et son amant se dirigent de leur mieux dans la vaste étendue de neige, celui-ci actif, résolu, intrépide, ne songeant qu’à réussir, celle-là partagée entre le souvenir poignant des souffrances qu’elle a laissées derrière elle ; le remords de ne les avoir pas jusqu’au bout allégées par sa présence et la crainte d’être pour celui qu’elle adore un obstacle, un souci. Parfois, tout en s’oubliant elle-même, la pauvre fille se heurte â cet égoïsme masculin qui éclate d’autant plus franchement dans ce que Darwin a nommé « le combat pour la vie, » combat désespéré quand l’adversaire est un hiver rigoureux des sierras. La fortune sert les amoureux et dirige heureusement leur marche ; mais au moment où une pluie de bon augure indique le réveil du printemps, Grâce se trouve sans force pour continuer sa marche, elle conjure Philippe de l’abandonner. Le voisinage inespéré d’une cabane de trappeur épargne au jeune homme l’angoisse d’une affreuse alternative. Il confie sa compagne à d’honnêtes gens en leur déclarant, pour éviter les suppositions malveillantes, qu’elle est Grâce Ashley, sa sœur. La pauvre fille a cru qu’il donnerait à leur intimité un autre titre ; il eût pu dire si facilement : sa femme ! Mais elle ne se plaint ni ne réclame ; elle reste passive et résignée dans le refuge qu’il lui a trouvé, un peu plus malheureuse seulement que par le passé, elle y reste des semaines entières et nul ne vient la réclamer. Un jour, au presidio de San-Ramon se présente une jeune femme en larmes ; c’est la délaissée qui vient implorer le secours du commandante don Juan de Salvatierra. Déjà, dans le récit intitulé l’Œil droit du commandant, Bret Harte avait peint « cet automne indolent du gouvernement espagnol, » qui allait disparaître devant le tourbillon fougueux de la conquête américaine, ces fils de vieux Castillans qui passaient mollement leurs jours à l’ombre des murs d’adobe du corps-de-garde où s’abritait leur sieste, en rêvant de la conversion des infidèles et de leur dague de Tolède, transformée désormais en instrument de cuisine pour tirer les tortillas du four. Tout ridicule qu’il puisse être avec son mouchoir de soie noué autour de sa tête grise et sa figure d’hidalgo momifié, don Juan est un gentilhomme ; l’accueil qu’il fait à la suppliante témoigne d’une courtoisie parfaite. Il écoute sa requête et lui donne, en les entourant de tous les ménagemens possibles, les tristes nouvelles qu’il a reçues au sujet du convoi d’émigrans dont elle faisait partie. Un rapport ainsi conçu est arrivé au presidio : « L’expédition envoyée au secours des émigrans en détresse de la Sierra-Nevada a trouvé dans le cañon, à l’est de la Canada del Diablo, les traces de la récente existence du convoi en question, en même temps que celle de leurs souffrances et de leur mort. Ci-joint la copie d’une note écrite que ton a découverte et qui donne les noms de ces malheureux. Cinq cadavres ont été tirés de la neige, mais deux, seulement reconnus, nos soldats se sont conduits avec la bravoure, le sang-froid et le dévoûment qui caractérisent le guerrier mexicain. On ne peut trop louer les efforts volontaires de don Arthur Poinsett, ancien lieutenant dans l’armée des États-Unis, qui, voyageant pour son propre compte, est venu cependant aider notre chef dans les efforts que lui prescrivait l’humanité. Les morts paraissaient avoir tous succombé à la faim, sauf un seul, une femme, qui fut évidemment victime d’un empoisonnement, Les corps dont on a pu constater l’identité sont ceux du docteur Devarges et de Grâce Conroy. » En entendant citer son nom parmi ceux des morts, en voyant qu’aucune mention n’est faite de Philippe, l’infortunée, à demi folle, tombe évanouie aux pieds du commandant. — J’aurai pitié de toi, pauvre enfant abandonnée, dit ce dernier ; qui a perdu une fille de son âge. — Et elle sera bientôt mère ! s’écrie la servante indienne qu’il a appelée pour la secourir. Le rapport, tout inintelligible qu’il paraisse, tant à Grâce qu’au lecteur, est plus facile à expliquer que beaucoup d’autres parties de ce roman quelque peu compliqué,. La troupe d’exploration a rencontré en route un voyageur exténué que le chirurgien du corps a interpellé aussitôt comme son vieil ami le lieutenant Poinsett, bien que nous ne le connaissions, quant à nous, que sous le faux nom de Philippe Ashley, et Poinsett ou Ashley n’a pas eu le courage d’avouer qu’il s’était associé à une bande suspecte de vagabonds grossiers, ivrognes, mendians, voleurs, qui ont laissé sur leur passage la plus mauvaise réputation et qui ont fini par s’entre-dévorer. Tout naturellement on a jugé que le corps défiguré de Mme Dumphy trouvé dans la hutte des Conroy était celui de la sœur de Gabe, et l’ex-lieutenant n’a rien démenti, par orgueil. Bret Harte n’en paraît ni scandalisé, ni même très surpris, car il ne prend pas la peine d’exposer en détail les impressions et la lutte intérieure de son héros. Quant à la personne empoisonnée, c’est, on le devine, Mme Brackett, qui a déterré les prétendues provisions du docteur Devarges, une boîte d’échantillons minéralogiques, zoologiques et autres. Les oiseaux empaillés ont fait l’office d’arsenic. Tout ce qui précède n’est qu’un prologue. A cinq ans de là, Bret Harte nous montre Gabriel et sa jeune sœur Olly installés à Une Horse-Gulch, un établissement minier qui promet, car il a déjà son hôtel et sa maison de tempérance, et son bureau de messagerie et ses salons ou cafés, plus deux carrés de constructions en bois qui donnent un grand air à la rue principale, et des groupes de cabanes sur le flanc des montagnes voisines. Jeune d’années, il est relativement riche toutefois de souvenirs et d’antiquités : la première tente qu’on y dressa subsiste encore, des trous laissés par les balles marquent toujours les volets du salon de la Cachucha, où eut lieu une bataille mémorable entre trois citoyens importans ; à cette poutre, on a pendu l’an dernier un notable de l’endroit, convaincu d’avoir volé des mules ; sous ce hangar, on s’est réuni pour choisir les délégués qui devaient à leur tour envoyer un représentant de la Californie dans les conseils de la nation. La cabane de Gabriel Conroy est une des plus rustiques de l’établissement ; c’est là qu’il est venu échouer après avoir fui le camp de la Famine, sa petite sœur sur ses épaules. Il a construit ce gîte ; il y rentre chaque soir, son rude travail terminé, pour entreprendre une besogne plus pénible encore, celle de raccommoder les jupes que la turbulente Olly déchire à toutes les ronces. C’est ainsi que nous avons vu autrefois toute la bande terrible du Camp Rugissant s’acquitter à l’envi de soins du même genre pour le plus grand bien de son enfant d’adoption, Tommy la Chance. « Tirant avec précaution et sans bruit la cheville de bois qui servait de verrou, Gabriel entra du pas muet auquel il s’était habitué. Il alluma une chandelle aux tisons expirans et regarda tout autour de lui. La cabane était séparée en deux compartimens à l’aide d’une toile tendue d’un mur à l’autre. Sur une table en bois de pin traînaient des vêtemens de petite fille : une robe en loques, un jupon de flanelle blanche rapiécée au moyen de l’étoffe rouge qui avait appartenu à une chemise d’homme, enfin des bas reprisés avec une telle exagération de relief qu’ils avaient perdu presque complètement leur forme et leur couleur primitive. Gabriel examina tous ces articles d’un air piteux, l’un après l’autre ; puis il ôta son habit et ses bottes, et s’étant mis à l’aise alla prendre sur un rayon certaine boîte dont il tira du fil et des aiguilles. — Est-ce toi, Gabe ? cria une voix d’enfant derrière l’écran de toile. — Oui. — J’étais fatiguée, Gabe, je me suis mise au lit. — Je le vois bien, dit sèchement Gabriel, en ramassant une aiguille qui était restée plantée dans le jupon après avoir essayé assez maladroitement de courir dans le voisinage d’un accroc. — Gabe,... ils sont si vieux ! — Si vieux ! répéta le frère d’un ton de reproche. Mais à quelques trous près ils sont aussi bons que jamais. Le jupon est même plus fort, dit Gabriel en soulevant cet objet et en regardant avec orgueil la mosaïque de pièces et de reprises, plus solide, Olly, que le premier jour. — Il y a cinq ans, Gabe. — Eh bien, après ? — Après ? j’ai grandi ! — Grandi ! vraiment ? Est-ce que je n’ai pas descendu les ourlets et ajouté trois doigts de ficelle à la ceinture ? Tu me ruineras en nippes. Olly partit d’un éclat de rire ; comme il s’était mis cependant à travailler sans répondre, on vit soudain surgir ide la toile une petite tête bouclée, puis une fillette de sept ou huit ans toute frêle, couverte de la plus sommaire des robes de nuit, vint se blottir dans le gilet du grand frère, — Veux-tu t’en aller ! dit Gabriel d’une voix sévère, tandis que son visage annonçait trop clairement qu’il était désarmé. Va-t-en, petite folle ! Qu’est-ce que cela te fait à toi que je me tue pour t’habiller de soie et de satin ? Tu iras, ma foi, tremper tout cela dans le premier fossé venu ! Tu n’entends rien à la toilette, Olly ; il n’y a pas huit jours que je t’ai refait tout cela pour ainsi dire à chaux et à ciment, et regarde ! — Il secoua la jupe avec indignation. Olly prit pour point d’appui de sa petite tête la poitrine herculéenne de Gabe et se mit à tourner autour de lui, comme si elle eût voulu pénétrer dans ses sentimens les plus intimes. — N’as-tu pas honte., vieux Gabe : n’as-tu pas honte ! Gabriel ne daigna point répondre, mais continua sa reprise dans un majestueux silence. — Qui as-tu été voir en ville ? demanda Olly sans se déconcerter. — Personne. — Tu mens ! J’ai senti les drogues et la farine de moutarde, dit Olly en secouant la tête, tu as encore été voir les nouveaux émigrans qui sont malades. — A propos ! tu me feras penser à leur porter demain des hardes, Olly. — Gabe ! sais-tu ce que Mme Markle dit de toi ? demanda la petite fille, se redressant soudain. — Non. — Elle dit que tu as bien plus besoin que tous ces gens-là qu’on s’occupe de toi, et que j’aurais besoin, moi aussi, d’être menée par une femme. (Mme Markle est une aubergiste, une veuve accorte que miss Olly s’est mise en tête de faire épouser à son grand frère). Gabriel interrompit sa reprise, laissa tomber le jupon, et, prenant la tête bouclée de sa sœur entre ses genoux, une main sous le menton, une autre sur ses cheveux, tourna vers le sien le visage de la petite espiègle. — Olly, dit-il gravement, quand je t’ai tirée de la neige, quand je t’ai portée sur mon dos jusqu’à la vallée, quand nous sommes restés là des semaines, nourris seulement de ma chasse et de ma pêche, je me figure que tu t’es trouvée tout aussi bien, je ne dirai pas mieux, que si tu avais eu un régiment de femmes après toi. Quand à la fin nous sommes venus dans ce camp et que j’ai bâti cette maison, je ne crois pas qu’aucune femme aurait pu mieux faire ? Si tu es d’un autre avis, j’ai tort, et Mme Markle a raison. Olly se sentait mal à l’aise ; tout à coup le rapide instinct de son sexe lui vint en aide, et elle reprit le rôle agressif. — C’est que, dit-elle, je crois que Mme Markle t’aime beaucoup, Gabe. Le géant rougit jusqu’au blanc des yeux. Il regarda la petite figure blottie entre ses jambes avec une sorte de terreur. Il y a des sujets dont les plus petites d’entre les femmes ont une divination qui fait trembler les plus sages d’entre nous. La traduction ne peut donner qu’une idée très imparfaite du charme bizarre et touchant de ces conversations entre le grand Gabe et sa sœur. Le dialecte des mines ajoute à l’originalité de la pensée un tour comique qui permet à l’humour de prendre librement ses ébats et d’entremêler le rire et les larmes, de telle sorte qu’ils sont souvent provoqués à la fois. Bret Harte écrit chaque mot comme le prononcent ses personnages, de sorte qu’on croit les entendre et que l’accent de toutes ces locutions empruntées pêle-mêle à l’espagnol, au français, à l’allemand, à la langue des mines, des tripots et des cabarets autant qu’à l’anglais populaire, nous sonne dans l’oreille. A son insu, la petite Olly emploie des propos de joueur, de trappeur et de chercheur d’or ; elle a vécu au milieu de ces gens-là, auprès de son frère, qui ne connaît pas de monde plus respectable, et vraiment elle est si gentille dans son naïf égoïsme et son innocence effrontée, qu’on craint plutôt qu’on ne désire le changement que pourrait produire en elle la direction féminine proposée par l’astucieuse Mme Markle. Olly a mille fois plus de prudence que son grand frère. Elle lui reproche, par exemple, de parler beaucoup trop de ses affaires et du passé à un prétendu émigrant mexicain qui paraît s’intéresser vivement à tous les moindres détails sur ce qu’on est convenu d’appeler le camp de la Famine. — Cela ne nous fait pas grand honneur d’avoir été de ce camp-là, vois-tu, lui dit-elle, les gens nous regardent parfois d’un air tout extraordinaire, et les enfans ne veulent pas jouer avec moi, parce qu’on dit que nous avons commis là-haut dans la neige des abominations ! — Et Olly a sur ces horreurs une opinion bien arrêtée : elle est persuadée que Philippe a mangé sa sœur Grâce ! — Gabe lui défend de penser à un temps qu’il ne peut lui-même se rappeler sans frémir, mais malheureusement il ne prêche pas d’exemple, et les questions insidieuses du Mexicain lui arrachent de fâcheuses confidences. Il montre à cet homme un daguerréotype de Grâce qu’il a toujours porté sur lui, il lui dit avec quel désespoir il a appris que le détachement de secours l’avait trouvée parmi les morts : — Elle avait dû revenir vers nous, vers Olly et vers moi, pauvre chérie, et nous n’étions plus là, hélas ! Non, elle n’est pas morte de faim ! Son cœur s’est brisé,.. son pauvre petit cœur s’est brisé ! — Puis, à travers ses larmes, le digne garçon raconte tous les efforts qu’il a faits pour obtenir des renseignemens plus complets sur sa Grâce bien-aimée : démarches, voyages, avertissemens dans les journaux à l’adresse de Philippe Ashley : il n’a obtenu aucune réponse. Ce n’est pas étonnant ; les cinq dernières années ont été marquées par des événemens de haute importance : les Américains se sont emparés des missions et des presidios. Le Mexicain sait à quoi s’en tenir ; il n’est autre que M. Ramirez, le secrétaire du commandante don Juan de Salvatierra. Jamais traître de mélodrame ne fut plus noir que ce Ramirez ; on s’étonne que Bret Harte, qui excelle à tracer en quelques traits imprévus des figures si fortes et si vivantes, se soit plu à tirer des vieux romans à sensation un type aussi rebattu. Ramirez était présent au premier entretien du vieux commandant et de Grâce Conroy ; il a profité de l’évanouissement de cette dernière pour lui voler un papier précieux, la concession de la mine d’argent du docteur Devarges, et le hasard lui a fourni une complice qui l’aide dans ses ténébreux desseins : la femme divorcée du docteur, à qui Dumphy, échappé du camp de la Famine, Dumphy, devenu l’un des gros banquiers et des capitalistes les plus considérés de San-Francisco, a vendu les secrets qu’il a trouvés sous le tas de pierres du cañon. Mme veuve Devarges est une dangereuse personne, une de ces femmes blondes, petites et délicates auxquelles Bret Harte attribue volontiers une puissance mystérieuse qui touche à la magie ; c’est la sœur jumelle de Mme Decker, l’héroïne d’un Épisode de la vie d’un joueur. Elle a dépassé la première jeunesse, elle n’a jamais été belle, la ruse niche au coin de sa lèvre mince, et une froide détermination dans son œil d’un gris sombre, mais un de ses sourires, un de ses regards peut conduire à la folie, au crime, l’homme le mieux armé contre son prestige. Elle a commencé par être la maîtresse du propre frère de son mari, qui du reste, elle nous le fait entendre, n’était pas sans reproches lui-même, puis elle a promis sa main à Ramirez pour s’assurer le concours de ce drôle ; c’est Ramirez qui lui a raconté l’histoire de Grâce, qu’elle croit être une créature de bas étage, sur les pas de laquelle un caprice inavouable entraînait le vieux docteur ; c’est Ramirez qui lui a proposé de prendre le nom et de revendiquer les droits de cette jeune fille. Elle attend le Mexicain à Marysville, tandis que, guidé par le plan du docteur, il va reconnaître le terrain de la concession sur lequel, par un hasard étrange, s’est s’établi Gabriel. Lorsque Ramirez revient lui rendre compte de tout ce qu’il a découvert et constaté : — Il faut aller tout de suite à San-Francisco avertir Dumphy et peut-être nous assurer le secours d’un homme de loi, dit la fine mouche ; partez sans retard ; tâchez de savoir ce qu’est devenue cette Grâce Conroy. Un mot encore. Le frère est-il marié ? .. Le Mexicain est joué par son associée, plus forte que lui ; tandis qu’il s’éloigne enivré d’amour et se croyant sûr d’elle, Mme Julie Devarges fait à la hâte quelques préparatifs et part de son côté dans la direction de One Horse-Gulch. Il s’en faut de peu qu’elle n’atteigne jamais cette localité prospère. Des pluies diluviennes ont grossi et fait déborder la rivière qui rompt son barrage et rend la gorge inabordable. La diligence de Wingdam est emportée par le torrent, et Mme Devarges périrait avec les autres voyageurs, si Gabriel ne se trouvait là, toujours prêt à protéger l’innocence, la faiblesse et le malheur ! Il plonge dans les eaux bouillonnantes, il arrache à un trépas certain le serpent qui va se glisser à son foyer, y apporter le trouble et la honte. Mme Devarges ne se doute guère que la mine, objet de sa convoitise, se trouve en ce moment bien près de passer entre les mains d’une autre. La veuve Markle, désespérant de se faire épouser de bon gré, a imaginé d’employer la force, d’attirer par mille artifices de coquetterie Gabriel dans sa maison, puis de le poursuivre pour rupture de promesse, l’un des crimes que la loi américaine punit le plus sévèrement. Dans sa simplicité, Gabe ne sait pas se défendre, il est tout près de se sentir coupable, le camp est contre lui, car dans les mines, où leur sexe est fort rare, les femmes ne manquent pas d’amis tout prêts à les défendre. D’autre part Gabe ne veut pas céder aux menaces d’un homme de loi et redoute de donner une marâtre à Olly. Mieux vaut encore mettre fin à la poursuite en accordant des dommages : tout ce qu’il possède. Il donnerait la maison et le reste, si la sagace Olly n’y mettait bon ordre : — Pauvre vieux Gabe ! dit-elle, que deviendrais-tu sans moi ? Je voudrais le savoir ! — Et elle court à l’insu de son frère trouver l’homme de loi, Maxwell, lui explique au moyen d’une pantomime expressive les artifices de Mme Markle, ses œillades et ses grimaces pour attirer sur elle les regards timides du bon Gabe, affirme que ce dernier n’eût jamais néanmoins mis le pied chez « la maudite sorcière, » si, elle, sa petite sœur, ne l’y eût poussé, enfin elle égayé si bien la justice par ses gestes et par son babil, qu’elle gagne une cause qui n’avait pas besoin d’être si bien défendue. Une femme, une étrangère, la même qu’a repêchée Gabriel, assiste à ce plaidoyer bouffon et s’y intéresse fort. Elle était venue déclarer à M. Maxwell ses droits sur le terrain usurpé par un imposteur et affirmer, avec preuves à l’appui, qu’elle était bien Grâce Conroy, sœur d’un Gabriel qui n’avait rien de commun avec le propriétaire actuel ; brusquement elle change de tactique et se donne des grands airs de générosité : — Cet imposteur après tout est l’homme qui l’a sauvée ; elle l’épargnera ; elle relire sa plainte. Bientôt après il se trouve que la reconnaissance s’est transformée chez elle en un sentiment plus vif, et Ramirez apprend à brûle-pourpoint par l’intermédiaire d’un autre coquin, le banquier Dumphy, que sa complice se nomme désormais, régulièrement et légalement Mme Conroy. Julie a glissé victorieuse, intacte et blanche comme l’hermine entre les doigts de ses complices ; elle est parvenue à s’assurer sur la mine des droits qui priment ceux de tous les concessionnaires, puisqu’elle la découvrira ou plutôt la fera découvrir par son mari, instrument passif et inconscient entre ses mains fluettes. Ce singulier roman se compose, comme nous l’avons déjà fait remarquer, de plusieurs actions qui se succèdent et qui sont pour ainsi dire servies par tranches, sans grand souci de l’unité du fond. Au moment où l’on s’intéresse le plus au ménage de Gabe, l’auteur nous transporte d’un coup de baguette dans un lieu fort agréable du reste et dont le calme forme avec le tumulte des camps californiens un contraste qui repose, au pueblo de Saint-Antoine, le dernier refuge des mœurs espagnoles en ces parages. Aucune diligence n’y conduit, ni hôtel, ni taverne aux alentours, mais de la part de l’habitant l’hospitalité la plus large. De longues constructions d’adobe à toitures rouges, se groupent au pied des tours blanches de la Mission qui émergent de la pâle verdure des oliviers ; au loin la mer, où les bateaux à vapeur n’apparaissent qu’à l’état d’ombres fantastiques ; depuis la perle du galion qui s’est brisé dans le sable en 1640, aucun vaisseau n’a, de mémoire d’homme, jeté l’ancre au-dessous de la Pointe des Pins et des murs blancs du presidio munis de leurs canons désormais inutiles. La plus riche propriétaire de celle vallée heureuse, véritable Arcadie californienne, enviée par tous les avides spéculateurs de San-Francisco, est la dame charitable et dévote du rancho de la Sainte-Trinité, doña Dolorès, une demi-religieuse, fille naturelle, dit-on, du gouverneur don Juan de Salvatierra. C’est chez elle que se rend un jeune homme que nous reconnaissons aussitôt pour l’infidèle Philippe Ashley, autrement dit Arthur Poinsett. Il vient, en qualité d’avocat, conseiller l’héritière dans un cas difficile. On a découvert tardivement l’existence d’une concession faite jadis au vieux Salvatierra, concession qui, comme le reste de ses biens, doit revenir à sa fille, mais un acte postérieur attribue, par une confusion qui n’est pas sans précédens, ce même point des sierras à un certain docteur Devarges. Il y a matière à procès. Poinsett est introduit auprès de sa cliente, une ravissante jeune femme, métisse évidemment, à en juger par son teint, mais dont les traits d’une délicatesse toute européenne et la voix harmonieuse, qui donne un charme particulier au dialecte castillan, pénètrent Arthur d’un trouble inexplicable. Nous préférons le dire tout de suite, bien que le lecteur de Gabriel Conroy ne fasse cette découverte que vers le milieu du second volume, — la jolie fille de couleur n’est autre que Grâce, qui, délivrée d’un enfant mort, est restée au presidio. Elle croit que son frère et sa sœur n’existent plus, elle se juge abandonnée par son amant, elle n’a désormais qu’un désir : cacher au monde entier son incurable douleur et jusqu’à la moindre trace de son passé. Don Juan Salvatierra sert ses projets en la reconnaissant pour sa propre fille, née d’une princesse indienne, qu’il a fait élever jusqu’à l’âge de quatorze ans dans une lointaine mission. Pour mieux soutenir cette fable, Grâce se laisse laver tous les jours avec le jus du yokoto, dont l’effet est de donner à la peau un ton de bronze. Cette situation est assez absurde, mais Bret Harte en a tiré bon parti. Poinsett s’attarde au rancho auprès de l’aimable métisse élégante et cultivée dans la personne de laquelle il n’a garde de reconnaître Grâce. Il se défendra de devenir amoureux : M. Poinsett est toujours maître de lui et suffisamment blasé ; les aventures galantes paraissent avoir été nombreuses dans sa vie. Il a compté autrefois parmi les adorateurs de celle qui est devenue Mme Conroy, et il cède sans scrupule, dans le moment même, aux coquetteries d’une veuve piquante, doña Maria Sepulvida ; mais dans l’atmosphère poétique et recueillie qui entoure la jeune recluse de la Sainte-Trinité, ce sceptique sent son cœur se dilater et déborder de sympathie. Une confiance irrésistible l’entraînant, il racontera l’histoire de ses premières amours à Dolorès. Il la verra touchée, prête à se trahir ; ce sentimental épisode, délicatement effleuré, a le cadre le plus gracieux, il se passe dans une de ces riantes maisons à vérandahs fleuries sous lesquelles se balance un hamac de Manille, tandis que la fumée des cigarettes se mêle aux parfums d’une végétation digne des tropiques. Des troupeaux sans nombre paissent l’immense étendue d’herbages, donnant à la campagne une apparence pastorale ; toutes les pompes catholiques et espagnoles resplendissent dans la vieille église où une vierge en mantille et en souliers de satin, portant un enfant Jésus sous les dentelles, reçoit l’hommage des fidèles. Un padre Felipe, confesseur de doña Dolorès, représente en ce lieu l’influence jésuitique qui doit s’éteindre avec la domination espagnole. C’est un bon prêtre, doux et insinuant, fort habile aussi ; son but principal ici-bas est d’arrondir les biens de l’église. Bret Harte a tracé cette figure avec une malicieuse bonhomie. Nous rencontrons encore au pueblo un M. Perkins, véritable caricature à cheveux teints, fardé comme un clown de cirque, qui se trouve être le frère du docteur Devarges, l’ancien amant de Mme Conroy. Tous ces gens-là changent de nom et même de visage avec une facilité qui nuit à la clarté du récit ; encore ne sommes-nous qu’au premier tome : dans le second, les événemens et les personnages se confondent et s’embrouillent de telle sorte qu’on a peine à les suivre. Nous nous trouvons transportés dans le beau monde de San-Francisco, un champ de découvertes et d’observations toutes nouvelles où il y a encore de belles récoltes à faire : un pique-nique donne une idée des mœurs de ces parvenus. Espérons que Bret Harte y reviendra, qu’il peindra un jour avec la verve satirique qui le distingue une société sans préjugés, qui en fait d’esprit, de principes, de mérite et d’élégance n’a que de l’argent ; mais, pour ne pas nous perdre avec l’auteur dans de trop longues digressions, retournons à Mme Julie Conroy, une des fleurs les plus rares de ce fumier doré. Le grand tort de Bret Harte est de chercher à la rendre intéressante. Si souvent il nous avait forcés de reconnaître et d’admirer les vertus qui dans certaines âmes résistent aux désordres d’une vie coupable, si souvent il nous avait amenés à nous attendrir sur la générosité de tel bandit, sur le dévoûment de telle pécheresse, qu’il a cru pouvoir réussir encore à faire excuser quelque chose de plus antipathique que tout le reste, la conduite d’une fourbe qui applique à l’intrigue, au mensonge incessant, les dons de son intelligence ; cette fois la gageure était téméraire : Miggles, Mme Tretherick, la fragile duchesse et bien d’autres héroïnes d’un passé plus que suspect, à qui notre attendrissement a donné absolution pleine et entière, se relevaient par ces actes de dévoûment sublime dont les âmes féminines les plus dégradées restent toujours capables, mais c’est la duplicité qui rend Julie haïssable : elle ne connaît point d’entraînemens, elle est froidement criminelle, et nous ne pouvons accepter sa rapide conversion. Sur quoi s’appuie cette conversion en effet ? Sur l’amour que le grand Gabe lui inspire. Elle l’a épousé par calcul, pour devenir propriétaire de la fameuse mine d’argent qu’elle vole à une autre, et tout à coup ce trésor n’a plus pour elle qu’une importance secondaire, elle veut l’amour de son mari, de ce lourdaud qui ne saura jamais ni parler ni se tenir convenablement, de cette « vieille mule abandonnée du bon Dieu, » comme le nomme Olly, de cet honnête imbécile qui aimera toujours plus qu’elle la petite sœur, son tyran, et même la sœur aînée absente, car les liens du sang sont les seuls qui aient prise sur son bon cœur rebelle à la passion. L’aventurière qui a été si éperdûment aimée, qui a fait tant de victimes et de dupes, est subjuguée par l’indifférence d’un homme inférieur sous le rapport de l’esprit à tous ceux qu’elle avait connus ; il échappe seul à son empire, et elle l’estime pour cela ; c’est le triomphe de la sincérité sur la ruse qui se sent tout à coup petite, indigne et comme anéantie devant cet excès de candeur. Est-ce bien vraisemblable ? Quoi qu’il en soit, Gabe, qui l’a épousée pour obéir à Olly, et parce que les femmes sont rares au One Horse-Gulch, et aussi parce qu’il a sauvé la vie à celle-là, circonstance qui lui donne un premier droit sur elle, Gabe, disons-nous, se met à creuser la terre pour satisfaire ce qu’il croit être le caprice de Julie. A l’endroit qu’elle lui a indiqué, il est persuadé qu’on ne peut trouver de l’or, et il n’en trouve pas en effet, mais bien une mine d’argent magnifique dont la découverte enrichit One Horse-Gulch. Des hôtels s’élèvent, des maisons se construisent, toute la localité est transformée par les soins du grand capitaliste Dumphy, de San-Francisco, qui a fondé une compagnie d’actionnaires et s’est assuré la part du lion, en profitant pour cela de la crainte qu’éprouve Mme Conroy qu’il ne livre ses secrets. Gabriel continue de diriger les travaux avec le titre de surintendant ; il habite désormais une maison opulente somptueusement meublée, Olly prend des leçons de toute sorte et joue du piano. Le brave géant n’en est pas plus heureux ; il regrette souvent la hutte bâtie de ses mains, sa solitude avec Olly, que chaque jour sépare de lui davantage. Gabe n’estime ses millions que parce qu’ils lui permettent de donner une belle éducation à sa petite sœur ; mais cette éducation tant enviée menace de les rendre étrangers l’un à l’autre. — Elle n’a plus besoin de mes conseils, se dit-il, mon opinion ne lui importe plus, et elle a raison, car je ne comprends rien à ce qu’elle fait. — Parfois il tremble qu’elle ne rougisse de ses manières et de sa tournure, et cette pensée lui est infiniment douloureuse. L’affection de sa femme ne le console pas, il y est peu sensible ; auprès d’elle il se sent toujours gêné ; elle est si élégante, si raffinée en tout, et puis, la veuve d’un savant, cela lui impose ! — Tu t’y prends mal avec Julie, dit Olly, toujours perspicace. — Il ne doute pas qu’elle ne dise vrai, mais ne saurait s’y prendre autrement. Dans cet isolement de cœur, Gabe vit plus que jamais avec le souvenir de Grâce, qu’il ne peut se résoudre à croire morte. Comment la retrouver ? Son argent n’aurait de valeur à ses yeux que s’il devait l’aider dans cette tâche, L’espoir secret de découvrir les traces de Grâce le décide à faire un tour dans les états de l’est, et Mme Conroy accepte avec joie de l’accompagner, comptant que cette excursion ne sera que le prélude d’un voyage plus long en Europe. Olly, qui est seule dans la confidence de son frère, entre en pension à Sacramento pour le temps de leur absence. Elle vient de partir, et le bon génie de la maison Conroy est parti avec elle, quand un coup de foudre réduit soudain à néant les savans calculs de sa belle-sœur : Perkins, le frère de feu le docteur Devarges, par qui elle s’est fait enlever jadis du toit conjugal, et Ramirez, le voleur de la concession transmise à Grâce Conroy, tombent ensemble dans l’Éden que s’est créé si laborieusement Julie. Ne croyez pas que leur double apparition la déconcerte outre mesure. Cette habile personne est toujours prête à tout ; elle entreprend d’utiliser la faiblesse de son premier amant, encore désespéré, encore jaloux, encore capable de se sacrifier pour elle ; il la protégera contre Ramirez, contre ses violences, oui, mais contre ses révélations c’est impossible. Le Mexicain emploie le meilleur mode de vengeance ; il raconte au mari tout ce qu’il sait. Et alors, Gabe agit comme il l’a toujours fait, simplement et en honnête homme. Sans bruit, sans reproches, il quitte la riche maison de sa femme, n’emportant que ses outils de mineur : — C’est tout ce que j’y ai apporté, dit-il, c’est tout ce qui est à moi. — Êtes-vous sûr de ne rien laisser derrière vous ? crie Julie du fond de sa honte et de son angoisse. — Non, madame, rien. Elle pourrait le retenir peut-être en lui disant qu’il laisse un enfant, l’enfant qu’elle sent remuer dans ses entrailles et sur qui elle avait compté pour attendrir, amener enfin à elle cette âme forte contre laquelle ont échoué tous ses pièges fascinateurs ; mais elle n’ose, elle a perdu à jamais son assurance, sa faconde endiablée, elle se tait, désirant la mort, et c’est à Ramirez qu’elle va demander cette délivrance. Il y a sous le Grand-Pin, lieu désert, favorable au crime, une scène dramatique entre les deux complices ; ceux qui ont lu la Rose de Tuolumne y trouveront des réminiscences, mais la fureur de cette femme démasquée, qui vocifère et qui menace pour obtenir l’aumône d’un coup de couteau, n’en est pas moins très émouvante : — Écoutez, vous avez atteint votre but, vous avez réussi, et au-delà ! L’homme que vous vouliez tourner contre moi m’a abandonnée pour ne jamais revenir... Il ne m’aimait pas !... Vous êtes satisfait... Vous avez eu votre tour,... mais j’aurai le mien, allez ! Pourquoi supposez-vous donc que je sois venue ce soir ? Je suis venue pour vous dire qu’outragée, délaissée comme je l’ai été par mon mari, je l’aime, je l’aime comme je n’ai aimé, comme je n’aimerai plus personne, comme je vous hais, maudit ! Je me traînerai à genoux sur ses traces partout où il ira. Voilà ce que je suis venue vous dire, et plus que cela ! Le secret que vous m’avez confié de l’existence de sa sœur, vrai ou faux, je le lui porterai... Je l’aiderai à retrouver Grâce... Je le forcerai ainsi à me pardonner, quand je devrais immoler à cette tâche le monde entier et ma propre vie. Entends-tu, chien ? Entends- tu, bâtard de demi-sang ? Grince des dents à ton aise, je te connais... Je t’ai connu dès le premier jour où j’ai fait de toi mon instrument, ma dupe... Ah ! tu tires ton couteau enfin ! Va donc ! Je n’ai pas peur, lâche, je ne crierai pas, je te le promets ; va donc ! Ce n’est pourtant pas le corps de Julie qu’on trouve au lever de l’aube sous le Grand-Pin, mais le cadavre sanglant de Ramirez. Qui donc est l’assassin ? Est-ce Mme Conroy ? est-ce Perkins ? est-ce le mari offensé ? Voilà le nœud du roman. Les soupçons se portent aussitôt sur Gabe, qu’on arrête au moment où il se rendait à Sacramento, auprès de sa sœur Olly. Le pauvre diable ne se défend pas. Croyant sa femme coupable, il juge que le devoir lui commande de la protéger jusqu’au bout ; bien mieux, il est résolu à sauvegarder non-seulement la vie, mais encore la réputation de la meurtrière. Pour cela, il met le coup de couteau sur le compte d’une querelle de jeu, il invente une fable plausible, lui, Gabe ! Il est vrai que c’est pour se perdre plus sûrement. Deux hommes refusent de le croire : le légiste Maxwell, devant qui Olly a plaidé autrefois d’une façon si comique le cas de breach of promise, et le beau Jack Hamlin, banquier des jeux, qui s’est pris de sympathie en passant pour la stature athlétique, les yeux de myosotis et l’enfantine physionomie de l’hercule du One Horse-Guich, Hamlin va chercher Olly à Sacramento afin que son frère, en prison, puisse l’embrasser, et ici se place un épisode charmant, bien qu’il soit un pur hors-d’œuvre, le voyage de l’innocente enfant et du joueur de profession, un dandy déclassé. Celui-ci n’a pas voulu dire à la fillette le danger que court son frère ; en la conduisant à fond de train sur la route de One Horse-Gulch, il lui parle au contraire de ce qui peut l’amuser, et comme Olly ne craint point les confidences amoureuses, il finit le plus naturellement du monde, et sans s’écarter de son rôle paternel, par lui raconter comme un conte bleu son adoration romanesque pour la belle recluse métisse du rancho de la Sainte-Trinité, qu’il a entendue jouer de l’orgue à l’église de la Mission. Il ne se doute guère qu’il enfonce l’aiguillon d’une inconsciente jalousie dans le cœur de la petite pensionnaire. Bret Harte excelle à tracer ce que les Anglais appellent drôlement un calf-love, cet amour précoce qui, comme une dent de lait, ne pousse pas de racines et tombe sans souffrances, mais qui a ses péripéties ni plus ni moins qu’une grande passion. Aucun romancier n’a mieux pénétré dans l’âme des enfans que ce peintre des mœurs les plus rudes qui soient au monde. Il se plaît dans les extrêmes, il aime à mettre en présence le vice et l’ingénuité, à montrer l’ascendant que celle-ci prend sur celui-là, et combien elle est la plus forte. Le sommeil de la petite tête blonde sur l’épaule du joueur qui change ses rênes de main pour pouvoir préserver des cahots cette forme mignonne abandonnée à ses soins, dans la solitude et les ténèbres, sa crainte de bouger, de respirer, son respect religieux pour ce fardeau dont le contact le ramène aux souvenirs d’un passé sans tache, le cantique en l’honneur de la Vierge, qu’il chantait jadis, qu’il a entendu depuis soupirer à doña Dolorès, et qui revient sur ses lèvres dans un accès d’ineffable attendrissement, tout cela est un poème. — Et Jack Hamlin ne s’en tiendra pas à être le chevalier d’Olly, il défendra tout à l’heure, au prix de sa propre vie, la vie de Gabe qui la veille était un inconnu pour lui. Le malheureux Gabe se trouve dans une situation critique. Dumphy a été averti de son arrestation, et sachant qu’il l’a reconnu pour un ancien compagnon de misère, redoute qu’il ne soit trop prodigue de détails devant le tribunal sur ce qui s’est passé au camp de la Famine. Le grand capitaliste a donc imaginé de soulever la foule à prix d’or contre le prévenu, et de lui appliquer, sans plus de retard, les rigueurs de la loi de Lynch. Une multitude armée fait le siège de la prison où, comme autrefois Samson, Gabriel se défend seul contre les Philistins, seul, car le shérif, une espèce de nain, ne peut guère lui prêter main-forte. En feignant de se mêler aux vigilans, l’intrépide Hamlin parvient cependant à rejoindre les deux assiégés, mais il arrive blessé, atteint par un de ces coups de revolver qui pleuvent, à proprement parler, dans les romans de Bret Harte. Son héroïque assistance risquerait d’être inutile si un tremblement de terre n’intervenait fort à propos pour changer l’issue de la lutte. Bret Harte ne craint jamais d’appeler les élémens au secours de ses héros favoris. Grâce à la confusion produite par le tremblement de terre, Gabe peut s’échapper emportant dans ses bras, comme un enfant, son ami grièvement blessé ; il ne dépendrait que de lui d’atteindre un asile sûr ; mais s’il a su résister à la violence, il est soumis devant la loi : de lui-même, il se remet entre les mains du shérif, qui le somme de le suivre ; sans faire de résistance, le géant se livre au nain qu’il aurait pu abattre d’une chiquenaude, et cette abdication de la force physique devant la force morale est le sujet d’une des scènes les plus belles et les plus frappantes que nous nous souvenions d’avoir jamais lues. Le jugement de Gabriel Gonroy tient beaucoup de place ; il est conduit avec un art infini. On croit assister à de vrais débats judiciaires ; nous avons les portraits détaillés des avocats, un plaidoyer burlesque de cet amusant colonel Starbottle, dont la poitrine bombée, le bégaiement d’ivrogne et les intarissables madrigaux à l’adresse du beau sexe reviennent dans presque tous les Récits californiens, nous entendons les dépositions pittoresques des témoins, chercheurs d’or de diverses nationalités, nous assistons aux faux-fuyans comiques d’un Chinois qui sait tout et qui ne veut rien dire. Par suite des changemens de noms, des substitutions de personnes, des papiers perdus, retrouvés, passés de main en main, l’affaire s’embrouille et menace de devenir inextricable. Les calomnies que Gabe entasse contre lui-même y aident beaucoup. Non-seulement il persiste à laisser croire qu’il est l’assassin de Ramirez, mais encore, sachant que sa femme est accusée d’avoir pris un instant le faux nom de Grâce Conroy, il n’hésite pas, pour la disculper de tout, à déclarer qu’il est lui-même un imposteur, que c’est lui qui a volé le nom de Conroy, qu’il se nomme en réalité Johnny Dumbledee. Il mérite que Grâce lui reproche d’être entré dans le complot qui tend à la déposséder de son nom et de sa fortune. Le dévoûment exagéré de Gabe est tout près de devenir criminel, et, pis que cela, ridicule ; on se perd dans cet écheveau emmêlé du procès, dont l’auteur du reste ne cesse jamais de tenir tous les fils avec une habileté qui fatigue et qui impatiente. C’est comme un tour d’adresse trop prolongé, une sorte de casse-tête chinois dont on désespère de rajuster jamais les pièces innombrables éparses et confondues. Grâce Conroy, qui est ressuscitée le jour même où disparaissait dans le tremblement de terre doña Dolorès Salvatierra, vient expliquer comment on a pris jadis pour son cadavre au camp de la Famine celui de Mme Dumphy, et Dumphy, le grand capitaliste san-franciscain qui, à la veille de se remarier brillamment, a tremblé de voir surgir le spectre de sa défunte épouse, constate avec allégresse l’identité de miss Conroy ; puis apparaît fort à propos Perkins, qui vient livrer au public le secret final, le secret si longtemps suspendu, le nom du véritable auteur de la mort du Mexicain, et vraiment c’est la montagne qui accouche d’une souris ! Le croirait-on ! au moment où Perkins s’efforçait de retenir le bras levé sur Mme Conroy, Ramirez entendant des pas et la voix d’un domestique chinois, s’est frappé lui-même en menaçant d’accuser Perkins d’avoir 178 REVUE DES DEUX MONDES. commis cet homicide, qui est un suicide ? Et Perkins a conduit Mme Conroy à Markleville, où elle se cache, — encore ! — sous un nom supposé ! — Pourquoi, demande le juge, n’est-elle pas venue déposer en faveur de son mari ? — C’est qu’elle est malade dangereusement : des émotions si cruelles ont provoqué la naissance prématurée d’un enfant. Gabe, que l’on vient d’acquitter n’en entend pas davantage ; il s’évanouit ! Grâce, cela va sans dire, épousera Poinsett, son séducteur, l’ex-Philippe Ashley, infidèle à la folâtre Mme Sepulvida, et Gabe remettra au jeune couple la concession de la mine d’argent accordée au docteur Devarges que Julie, sa femme, gardait, dit-il, en dépôt. Cette femme qui lui a donné un enfant, lui est désormais plus chère que Grâce elle-même, et si Olly continue d’être « sa petite-fille, » c’est qu’elle aime comme lui le baby et sa mère. Fort bien ! mais l’impression qui reste à la fin est décidément celle que miss Olly a maintes fois exprimée dans son langage énergique : le grand, le sublime Gabe n’est qu’une bête ! Ce qui sauve le dénoûment, c’est la belle scène de la mort de Jack Hamlin, qui vient mêler au concert bruyant et sans charme dont nous sommes étourdis une note profondément émue. Tout ce qui touche à ce sympathique vaurien est exquis, depuis son voyage nocturne avec Olly jusqu’au moment où il expire en confessant, pour adoucir les regrets de Pete, son fidèle domestique nègre, une foi religieuse qu’en réalité il ne possède pas : — Le pauvre vieux a été assez lx)n pour moi et je n’ai pas grand’chose à lui donner en échange ; lui refuser cela ne serait pas jouer franc jeu. La fin de cet irrégulier jeté hors de la société par sa profession condamnable, mais sur les fautes duquel un grand et spirituel amour a passé comme le charbon ardent qui purifie, nous arrache bon gré mal gré des larmes qui effacent à la dernière page les fautes de l’auteur. Il y en a une cependant que nous persisterons à relever, imbus que nous sommes des préjugés du vieux monde. La justice finale existe moins que jamais dans les romans de Bret Harte. Je sais bien qu’il a déjà pris la peine de nous répondre que les châtimens en usage dans la littérature européenne ne pouvaient exister pour ses héros, qui échappent aux lois et aux réformes sociales et auxquels une vie exceptionnelle assure d’exceptionnels privilèges ; il nous semble cependant que Dumphy, Julie et Poinsett ne sont pas de ces sauvages à qui la destinée défend d’aborder les sphères supérieures où fleurit la morale, ils savent parfaitement ce qu’ils font : toutefois, à la dernière page nous voyons celui-ci épouser triomphalement une héritière qui l’adore, sans que son égoïsme et son cruel orgueil aient été démasqués, sans avoir eu à implorer son pardon. Celui-là garde dans la mine d’argent la part qu’il a extorquée par d’abominables manœuvres, cette autre enfin reste la compagne chérie, honorée, d’un brave homme dont le bonheur futur paraît douteux, tout aveugle et tout stupide qu’il soit. Absoudre les coquins, passe encore ? mais leur sacrifier les honnêtes gens, c’est trop ! « Je peins ce que je vois, je ne tire pas de déductions, » dira Bret Harte. Ce droit de n’être qu’un miroir indifférent des faits nous paraît discutable, et les résultats en tout cas sont fâcheux au point de vue même de l’intérêt et de la vraisemblance. Dans la vie réelle, on porte toujours la peine des fautes qu’on a commises contre l’ordre établi ; que le châtiment nous vienne du dehors ou du dedans, des événemens ou de nous-mêmes, nous ne l’esquivons pas. Cette logique inflexible de la vie, il n’est pas permis de la bannir des livres ; c’est le devoir de l’écrivain de nous laisser au moins deviner sinon le désastre matériel, — celui-ci ne survient pas toujours, — du moins la souffrance morale qui suit tel oubli du devoir. Que Grâce, tout en aimant encore Poinsett, n’éprouve plus pour lui cette confiance sans laquelle il n’est point d’intimité parfaite, que le grand capitaliste soit flétri dans le procès comme il mérite de l’être, que l’aventurière rentre en suppliante, en repentie, au foyer conjugal, le livre n’aura rien perdu de son originalité, et la morale y gagnera. Jusqu’ici on avait pu laisser Bret Harte libre de raconter sans rien prouver ; ses esquisses n’étaient que le reflet rapide, hardi et vivement coloré d’un fait, d’un caractère, d’un paysage ; mais cette fois, à tort ou â raison, il aborde le roman. Il y a entre ses œuvres d’autrefois et celle qu’il publie aujourd’hui la même différence qui existe en peinture entre une étude d’après nature et un tableau proprement dit : il suffit pour la première d’être une copie fidèle et vivante de la nature ; le second a besoin du divin rayon de l’idéal. Que Bret Harte s’en tienne aux croquis, — il y est passé maître, — ou bien qu’il prenne la peine de composer et d’ennoblir ses tableaux. TH. BENTZON. L’adobe dans les constructions mexicaines est un composé de lattes et de terre. |
Extraits de la Lettre pastorale de Monseigneur L’Evesque de Bayeux Touchant les petites Ecoles. Avec la Méthode pour apprendre en peu de temps à Lire, Ecrire, faire le Catéchisme, & Chanter | Extrait donné par Ernest Veuclin, La tenue des petites écoles en 1690 dans le diocèse de Bayeux, Bernay, Impr. de E. Veuclin, 1890. François de Nesmond Extraits de la Lettre pastorale de Monseigneur L’Evesque de Bayeux Touchant les petites Ecoles. Avec la Méthode pour apprendre en peu de temps à Lire, Ecrire, faire le Catéchisme, & Chanter (1690 : cf. Lettre pastorale de Monseigneur l'Evesque de Bayeux. Touchant les petites Ecoles. Avec la Methode pour apprendre en peu de temps à Lire, Ecrire, faire le Catechisme, & Chanter) Impr. de E. Veuclin, 1890 (p. titre-Bibliographie_Veuclin). bookExtraits de la Lettre pastorale de Monseigneur L’Evesque de Bayeux Touchant les petites Ecoles. Avec la Méthode pour apprendre en peu de temps à Lire, Ecrire, faire le Catéchisme, & Chanter (1690 : cf. Lettre pastorale de Monseigneur l'Evesque de Bayeux. Touchant les petites Ecoles. Avec la Methode pour apprendre en peu de temps à Lire, Ecrire, faire le Catechisme, & Chanter)François de NesmondImpr. de E. Veuclin1890BernayCMgr François de Nesmond, Extraits de Lettre pastorale de Monseigneur L’Evesque de Bayeux Touchant les petites Ecoles... - 1690.pdfMgr François de Nesmond, Extraits de Lettre pastorale de Monseigneur L’Evesque de Bayeux Touchant les petites Ecoles... - 1690.pdf/1titre-Bibliographie_Veuclin V.-E VEUCLIN Correspondant du Comité des Société des Beaux-Arts, etc., lauréat de Sociétés savantes. LA TENUE DES PETITES ÉCOLES EN 1690 DANS LE DIOCÈSE DE BAYEUX BERNAY IMPRIMERIE E. VEUCLIN 1890 A Sa Grandeur Mgr Hugonin Son humble Fils en J.-C. offre bien respectueusement ce glorieux souvenir de l’Episcopat Bayeusain E. Veuclin. Bernay, 19 Mars 1890. == LA TENUE DES PETITES ECOLES EN 1690 == Extrait de la Lettre pastorale de Monseigneur L’Evesque de Bayeux Touchant les petites Ecoles. Avec la Méthode pour apprendre en peu de temps à Lire, Ecrire, faire le Catéchisme, & Chanter. – A Caen chez Marin Yon, ruë N.-Dame. M. DC. LXXXX. – 1690, In-16 de 30 pages en 3 parties. (Bibliothèque Nationale ; E. 4719). Manière de bien conduire une Ecole On a creu devoir marquer icy en faveur des Maîtres, la Méthode dont on se sert dans les Ecoles les mieux réglées, & l'ordre qu’on y doit garder. Méthode pour instruire en peu de temps les Enfans. Le Maître partagera son Ecole en quatre ou cinq bancs, selon la quantité &capacité de ses Ecoliers ; mettans au premier les plus capables, comme ceux qui apprennent à lire en françois & dans les Lettres, à Ecrire, & l’Arithmétique. Au second ceux qui lisent passablement dans leurs heures. Au troisieme ceux qui sçavent épeler et assembler les mots. Et au quatrième ceux qui apprennent à connoître leurs lettres et à assembler les syllabes ; donnant chaque banc un même livre, par exemple à ceux du premier rang, le Pédagogue chrétien ou s’ils sont pauvres, le Catéchisme du diocèse. Aux troisièmes, des Alphabets, dont une partie est divisée par syllabes, & l’autre ne l’est pas. Et pour les quatrièmes, on se servira du Petit Alphabet, qui est tout divisé par syllabes. On ne donne à chaque banc un même livre, qu’afin qu’ils aient une même leçon, & que quand on commence à lire, les autres lisent tout bas en même temps. Il faut pour ce sujet que les Maîtres les fassent tous tenir debout, devant lui, ou même sans sortir de leurs places, & que le plus capable du banc commence le premier & les autres ensuite comme il sera dit cy-après. Et d’autant que pour apprendre à lire, il faut connoître les lettres et ensuite les assembler, le Maître aura une grande Table ou Carte, sur laquelle seront écrites en gros caractères, premièrement les voïelles, a, e, i, o, u, & les lettres m, n, comme les plus usitées de l’Alphabet, & ensuite les consones écrites de même. Et en une autre Carte les syllabes, en leur montrant d’abord les plus aisées à assembler. Quand ils connoîtront leurs lettres, on leur donnera pour première leçon le Pater noster, faisant dire au premier P, au second a, au troisième t, au quatrième e, au cinquième r, et ainsi de suite chacun une lettre à autant qu’il y a d’Ecoliers dans le banc, sans les faire encore assembler, & puis recommencer par le mot qui suit. Cette manière leur apprendra à connoître parfaitement leurs lettres, parce qu’elles ne sont pas de suite comme dans leur Alphabet. Il faut ensuite que le premier dise P, a, Pa, le second t, e, r, ter, le troisième n, o, s, nos, le quatrième t, e, r, ter, &c, sans leur faire encore assembler le mot entier en disant Pater, & noster, mais seulement la syllabe que chacun aura prononcée, leur enseignant à bien séparer leurs syllabes, afin de pouvoir appeler correctement ; c’est pour ce sujet qu’on a distingué l’Alphabet par syllabes. Il faut aussi leur faut bien distinguer les mots les uns d’avec les autres, par exemple pour bien appeler Pater noster, il ne faut pas dire P, a, Pa, t, e, r, ter, Pater, n, o, s, nos, Pater nos, t, e, r, ter, Pater noster, mais il faut qu’après avoir dit P, a, Pa, t, e, r, Pater, on ne reprenne plus le mot de Pater ; mais que l’on passe au mot suivant n, o, s, nos, t, e, r, ter, noster, ainsi des autres, d’où vient que dans les Alphabets imprimés par syllabes, il se trouve une virgule après le mot Pater, qui montre que ce mot est achevé. Il fait ensuite faire appeler à un chacun les mots entiers, par exemple le premier disant P, a, Pa, t, e, r, Pater, & le second poursuivant n, o, s, nos, t, e, r, ter, noster &c, puis par syllabes sans appeler les lettres, le premier disant Pa, le second ter, le troisième nos, & le quatrième ter, tout de suite et promptement. Troisièmement par mots seulement, par exemple, le premier disant Pater, le second noster, le troisième qui, le quatrième es, le cinquième in, le sixième coelis, &c. Il faut laisser dire les Enfans en toutes ces manières & toutes ces suites, comme ils sont placés l’un après l’autre. Quand ils savent lire en ces manières, il les faut faire lire par médiation en fait des Pseaumes, & par phrases ou ponctuation en François ou autres discours suivis, par exemple en ce verser ici, Dominus regit me, et nihil mihi deerit, & le second continuant achève, in loco pascue ibi me collocavit. Enfin par versets, le premier disant seul un verset tout entier, & que le troisième continuera de la même manière. Et afin d’obliger ces Enfans, (qui doivent tous avoir la même leçon & le même livre) à lire tout bas ce qu’un de leurs compagnons lit tout haut, il est quelquefois à propos pour les surprendre, de faire continuer par ceux qui s’y attendent le moins & dont le tour n’est pas encore venu, afin de les rendre plus attentifs et appliqués, de crainte de se trouver surpris, leur faisant exactement observer les points, les virgules, les voïelles, les consones, & les médiations, si ce sont des Pseaumes, parce qu’en agissant de la sorte, on leur fait insensiblement contracter une bonne habitude pour bien réciter l’Office divin. On doit aussi prendre garde, lorsqu’ils disent mal un mot, de ne leur pas suggérer comme font plusieurs Maîtres & Maîtresses, mais il leur en faut faire appeler les lettres & les syllabes, afin que par ce moien ils l’apprennent par eux-mêmes. Le Maître pourra pourtant bien quelquefois lire devant ses Ecoliers trois ou quatre lignes de leur leçon pour leur enseigner à bien prononcer & accentuer les mots. On doit observer la même Méthode pour la lecture françoise sera possible, & sur tout bien maintenir l’attention, sans laquelle cette Méthode, d’ailleurs fort avantageuse & profitable, deviendroit non seulement inutile, mais fâcheuse et importune, pour ne pas dire insuportable. L’on commence par les plus avancez : parce qu’ils peuvent profiter aux autres, & s’occuper pendant le reste de l’Ecole, soit à écrire, soit à apprendre l’Arithméttique, &c. & on continuë en suite jusqu’aux plus petits, ausquels un Ecolier des plus capables aura fait tout bas quelques répétitions du Catéchisme, ou la manière de bien répondre la Messe, &c, pendant que les autres lisoient. Les Leçons doivent être courtes, c’est-à-dire environ de deux pages pour les plus avancez d’une même leçon, & d’une seule pour les plus foibles, & on doit avoir examiné les livres dont les Enfans se serviront, particulièrement les lettres à la main et les Registres, de peur qu’il ne s’en trouve qui contiennent quelque chose de mauvais. Les Leçons achevées, le Maître corrige les Exemples de ceux qui apprennent à écrire, les autres cependant étudians tout bas ou récitant même tout haut leur Catéchisme, le Maître n’y prêtant que demie attention, à cause de l’Ecolier qu’il aura préposé pour interroger et reprendre ses compagnons. Si le Maître ne se sent pas assez fort pour montrer lui-même à bien écrire, il se servira d’exemples imprimez, ou encore mieux de celles qui sont faites à la main, lesquelles il colera sur de petites cartes, pour les distribuer aux Ecoliers, les leur changeant chaque semaine, et pour faire ce changement avec ordre, il mettra à chaque exempte, en petit caractère, le nombre d’Ecoliers à qui il l’aura donné, pour ne leur pas donner trop souvent. Les Enfans un peu avancez pourront écrire aisément deux pages par jour, une le matin, & l’autre le soir, & pour les détourner du jeu excessif, on pourra les obliger de faire quelques coppies au logis, particulièrement l’Eté. Pour ceux qui ne font que commencer, ou qui sont encore peu avancez, il suffira pour eux de faire six lignes ou tout au plus la moitié de leur exemple le matin, & le reste l’aprês-dîner, étant plus avantageux aux Enfans d’en faire peu, & le bien faire, que d’en faire beaucoup et de ne faire rien qui vaille, comme il n’arrive que trop souvent. Il est bon de remarquer qu’il ne faut faut pas donner beaucoup de lettres à faire à ceux qui commencent à écrire, comme font la pluspart des Maîtres de la campagne, qui leur donnent dès le premier exemple toutes les lettres de l’Alphabet. Il suffira de leur donner au commencement, des o o & quelques i i, puis dans la suite des a a, ensuite des f f, & des m m, & des n n, qui sont les Lettres initiales, desquelles sont formées presque toutes les autres, par exemple, d’un o avec un i on en fait un a, l’o a du rapport avec le b, le c, le d, l’e. L’f est une Lettre initiale qui sert avec l’o, à faire le g, &c. L’m & l’n sont aussi initiales, & qui entrent dans la plupart des mots. Il faut commencer par les voielles des grandes et petites lettres ; ensuite les lettres m, & n, et faire toûjours dans le commencement les lettres assez grandes et grosses, parce qu’ils s’apprennent plus aisément et forment mieux la main, & qu’on diminue toûjours assez son écriture, quand dans la suite on écrit plus vite. Il y en a qui apprennent à écrire en peu de temps, se servant d’un morceau de corne bien déliée & qui soit bien dégraissée, laquelle ils appliquent sur leur exemple & écrivant dessus, forment aisément les lettres et les mots qu’ils voient au travers : après quoi ils n’ont qu’à effacer ce qu’ils ont ainsi écrit, pour en transcrire encore d’autres, & ainsi ce morceau de corne qui coûtera deux ou trois sols leur sert de papier, jusques à ce qu’ils sçachent bien écrire. Pour leur apprendre l’Orthographe, on aura soin de voir s’ils imitent fidèlement ce qu’ils coppient. On leur montrera ensuite comment se font les Majuscules, les Initiales & les Finales ; & où il s’en faut servir, comme aux noms propres, au commencement de chaque période et de chaque vers en Poésie : de même que les Accens Aigus & Graves et Circonflexes, que l’Accent Aigu se forme de la droite à la gauche ́, le grave de la gauche à la droite `, & le circonflexe des deux jointe ensemble ^, en leur montrant où il faut les appliquer : & si on les juge capables, on leur marquera ce que c’est qu’un Masculin, un Féminin, un Singulier, un Plurier, &c. On leur donnera quelques Leçons d’Arithmétique, en leur apprenant premièrement à connoître les chiffres de toutes les sortes, puis à bien les nombrer, & enfin les règles de l’Adition, Soustraction, Multiplication, & Division, autant qu’ils en seront capables. Si l’on veut leur apprendre le Jet, on leur fera prendre des ronds de Cartes avec lesquels ils commenceront à jetter de petites sommes sur la table, qu’en a dressée Monsieur Alexandre Jean, & qui se trouve communément chez les vendeurs d’Images. ORDRE DES ECOLES pour tous les jours. Premièrement, sur les sept heures ou environ (au moins en Eté) & sur les huit heures en Hyver, l’on ouvrira l’Ecole pour donner lieu aux Enfans de s’assembler ; & durant qu’ils s’assemblent un des plus sçavans apprend aux autres à prier Dieu, à répondre la Messe, &c. pour empêcher le bruit et le désordre. 2. A huit heures ou environ, selon la saison on conduira les Enfans à la Messe, où ils vont deux à deux avec grande modestie ; & afin qu’ils l’entendent avec plus de dévotion, le Maître se tient auprès d’eux pour les observer. 3. Etant rentrez à l’Ecole dans le même ordre, & chacun aiant pris sa place en silence, on dit debout la prière du déjeuner, pendant lequel un Ecolier des plus avancez fait une lecture publique, ou de la vie des Saints, ou de quelque autre sujet de piété, si le Maître ne les entretient peut-être lui-même de quelques bonnes choses, en leur donnant des avis touchant leurs défauts, ou leurs devoirs. C’est aussi une bonne coûtume ; que quelqu’un fasse pendant ce temps là la queste pour les pauvres Ecoliers, qui manqueroient souvent de pain faute de ce petit secours, sans parler neamoins à personne, mais seulement se promenant modestement avec son petit panier à la main, & prenant garde que les Enfans flateurs, pour gaigner les bonnes grâces du Maître ou les siennes, n’incommodent leur santé en donnant plus qu’ils ne peuvent. Et alors on doit avoir soin, que les petits pauvres, que leur paresse n’a pas rendus indignes de cette aumône, disent un Pater, & un Ave, pour ceux de leurs compagnons qui la leur ont faite si charitablement, 4. A neuf heures, après Grâces, & la prière de l’heure qui se dit aussi à dix & à onze, on fait lire, écrire, &c. 5. Un peu avant onze heures, les Leçons achevées, l’on fait un peu de Catéchisme en faveur des petits sur l’abrégé de la Foy. 6. A onze heures, après la Prière de l’heure & l’Angelus, on congédie les Enfans qui saluant premièrement le Crucifix, puis leur Maître, & s’en retournent deux par deux au logis, autant qu’il est possible. 7. A deux heures l’on rentrera à l’Ecole, on fait la Prière ordinaire, puis l’on commence, l’on continuë, & l’on finit les Leçons comme le matin, si ce n’est qu’avant de se retire, l’on fait quelque Leçon sur le Catéchisme du Diocèse en faveur des plus avancés. Toutes les semaines. Il y a un congé, sçavoir le mercredy après midy. Le Vendredy après midy ordinairement, on ne fait point lire du tout, mais l’on fait le Catéchisme durant tout le temps de l’Ecole, donnant un certain temps à chaque banc d’Enfans, & proportionnant les instructions à la capacité. Les Fêtes et Dimanches. Ils viennent à proportion comme les autres jours à l’Ecole, d’où on les conduira deux à deux devant le Clergé à la Procession de la Messe & à l’Eau bénite, s’il y en a : & durant le Prône de la Messe, on les ramène à l’Ecole, si elle est proche de l’Eglise, pour leur apprendre à bien servir la sainte Messe. L’après midy ils s’assemblent à l’Ecole où on les entretient en attendant les Vêpres, de quelque chose d’utile et agréable. Etant arrivez à l’Eglise deux à deux, ils se placent sur leurs bancs, & après Vêpres on les envoie chacun au Catéchisme, dont ils sont capables, si on en fait plusieurs, comme dans les Villes & grandes Paroisses. Tous les ans. On fait confesser les Ecoliers âgez de huit à neuf ans & au-dessus, quatre ou cinq fois par an ; & ceux qui n’ont pas encore atteint cet âge, deux ou trois fois, sçavoir à Pâques, à la Toussaint & à Noël, après les avoir instruits et disposez pour ces Confessions huit ou quinze jours auparavant. Il est à désirer que les Enfans se confessent à leur entrée à l’Ecole ; à moins que le Maître ne le juge autrement à raison du temps qu’ils se sont Confessez, & de celui où l’on Confessera les autres Ecoliers. AVIS Il est bon d’avertir le Maître d’Ecole de ne point recevoir d’enfans qu’ils ne soient présentés par leur Père, leur Mère ou leur Tuteur, ausquels il aura soin de demander, pour l’écrire sur son Registre, 1 L’âge de l’Enfant, pour n’en point recevoir au-dessous de six ou sept ans, à moins que leur raison ne suppléât à defaut de leur âge. 2 Son nom & celui de son Père avec sa vacation et sa demeure. 3 A quoy on destine l’Enfant, & quels sont ses meurs et inclinations. 4 S’il est infirme, ou si quelque incommodité, qui le puisse dispenser d’aller à l’Ecole aussi exactement que les autres. 5 S’il sçait lire ou écrire, s’il sçait des Prières, & les principaux Mystères de la Religion. 6 S’il est confirmé ou Tonsuré, s’il a communié, depuis quand, &c. s’il a été à d’autres Ecoles, & a pris congé de son Maître, pour ne point recevoir ceux qui seroient mal sortis d’avec eux. On lui donne aussi avis, que pour faire avancer ses Ecoliers dans la science et dans la piété, il doit former quelques petits Officiers, qui lui aident à bien conduire son Ecole. Les principaux sont, 1 Un Observateur qui a l’œil sur les autres Officiers, & qui aide à conduire avec modestie les Ecoliers à l’Eglise et dans le ruës, particulièrement aux Processions, &c. 2 Un Admoniteur, qui nomme tout haut, quand le Maître lui dira, ceux qui causent ou qui n’étudient pas, & qui l’avertira de leur immodestie. 3 Deux Recitateurs de Prières, qui aient de la voix, & qui sçachent celles qui se font à l’Ecole, pour les réciter en temps & lieu. 4 Trois ou quatre Répétiteurs des leçons, pour faire répéter à chacun sa leçon devant le commencement de l’Ecole. 5 Deux ou trois Catéchistes, pour apprendre aux moins avancez leurs Prières, & les Mystères de nôtre Religion. 6 Un Officier qui ait soin des livres, plumes, papiers & cornets, pour les distribuer en temps & lieu aux Ecoliers, & pour les resserrer ensuite, sans souffrir qu’ils les emportent chez eux sans permission du Maître. 7 Deux Visiteurs qui soient des plus fidels & des plus sages, pour aller de la part du Maître une fois le mois chez les Parens, avec lesquels il aura pris ses mesures en recevant leurs enfans, s’informant de la manière dont ils se conduisent chez eux, s’ils en sont contens, s’ils prient bien Dieu Soir & Matin, s’ils étudient, &c. 8 Trois ou quatre Chantres qui soient des plus avancez dans la lecture pour soulager le Maître, lorsqu’on fera chanter les enfans à l’Eglise. Où l’on ne pourra avoir tous ces petits Officiers, l’on choisira ceux qui seront les plus nécessaires. Méthode pour faire le Catéchisme. (Pages 80 à 90 du Mandement épiscopal). Méthode pour apprendre seurement et en bref le Plain-Chant. Une des choses que les Capitulaires de Charlemagne ordonnent d’apprendre aux Enfans dans les Ecoles Chrétiennes, c’est le Chant de l’Eglise, si capable d’inspirer et d’entretenir la piété dans le cœur des Fidèles. C’est pourquoi afin que les Maîtres eussent dans un même recueil tout ce qui leur est nécessaire pour l’instruction de leurs Ecoliers, on a creu devoir encore donner icy une petite Méthode touchant le Plain-Chant. On pense qu’elle sera reçeüë dans un Diocèse, où pour parler dans les termes de Saint Isidore, on n’a pas moins de honte de ne sçavoir pas lire : & que les Ecclésiastiques ne dédaignant pas une occupation que les Papes et les Roys n’ont pas estimée au-dessous d’eux, voudront bien s’en servir pour mettre les Enfans, qui ont la voix flexible, en état de leur aider à bien faire les Offices Divins. (Suivent les 7 Règles de Plain-Chant, avec notation. — Cette Méthode porte l’approbation de : Gilles Philippe, prêtre, maître de musique en la cathédrale de Bayeux ; François Toustain, prêtre et organiste en la dite cathédrale). ŒUVRES DE E. VEUCLIN : . . . . L’Ecole de la Maison de Charité de Meulan. . . . . Manuscrit inédit : Notes sur l’Instruction publique dans le Calvados. François de Nesmond, né à Paris en 1629 et mort à Bayeux en 1715. – Dans son Ordonnance publiée au synode de 1662, cet éminent prélat s'était occupé de la bonne tenue des petites Ecoles. En 1694, il posa la première pierre des bâtiments de l’Université de Caen. |
La Cité antique, 1864/Livre V/Chapitre III | Fustel de Coulanges La Cité antique Durand, 1864 (p. 512-522). ◄ Chap. II. Chap. III. bookLa Cité antiqueFustel de CoulangesDurand1864ParisVChap. III.Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvuFustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvu/11512-522 La victoire du christianisme marque la fin de la société antique. Ce n’est qu’avec la religion nouvelle que s’achève cette transformation sociale que nous avons vue commencer six ou sept siècles avant notre ère. Pour savoir combien le christianisme a changé les règles de la politique, il suffit de se rappeler que l’ancienne société avait été constituée par une vieille religion dont le principal dogme était que chaque dieu protégeait exclusivement une famille ou une cité, et n’existait que pour elle. C’était le temps des dieux domestiques et des divinités poliades. Cette religion avait enfanté le droit ; les relations entre les hommes, la propriété, l’héritage, la procédure, tout s’était trouvé réglé, non par les principes de l’équité naturelle, mais par les dogmes de cette religion et en vue des besoins de son culte. C’était elle aussi qui avait établi un gouvernement parmi les hommes : celui du père dans la famille, celui du roi ou du magistrat dans la cité. Tout était venu de la religion, c’est-à-dire de l’opinion que l’homme se faisait de la divinité. Religion, droit, gouvernement s’étaient confondus et n’avaient été qu’une même chose sous trois aspects divers. Nous avons cherché à mettre en lumière ce régime social des anciens, où la religion était maîtresse absolue dans la vie privée et dans la vie publique ; où l’État était une communauté religieuse, le roi un pontife, le magistrat un prêtre, la loi une formule sainte ; où le patriotisme était de la piété, l’exil une excommunication ; où la liberté individuelle était inconnue, où l’homme était asservi à l’État par son âme, par son corps, par ses biens ; où la haine était obligatoire contre l’étranger, où la notion du droit et du devoir, de la justice et de l’affection s’arrêtait aux limites de la cité ; où l’association humaine était nécessairement bornée dans une certaine circonférence autour d’un prytanée, et où l’on ne voyait pas la possibilité de fonder des sociétés plus grandes. Tels furent les traits caractéristiques de la société grecque et italienne pendant une période dont on peut évaluer l’étendue à quinze siècles. Mais peu à peu, nous l’avons vu, la société se modifia. Des changements s’accomplirent dans le gouvernement et dans le droit, en même temps que dans les croyances. Déjà dans les cinq siècles qui précèdent le christianisme, l’alliance n’était plus aussi intime entre la religion d’une part, le droit et la politique de l’autre. Les efforts des classes opprimées, le renversement de la caste sacerdotale, le travail des philosophes, le progrès de la pensée avaient ébranlé les vieux principes de l’association humaine. On avait fait d’incessants efforts pour s’affranchir de l’empire de cette religion, à laquelle l’homme ne pouvait plus croire ; le droit et la politique s’étaient peu à peu dégagés de ses liens. Mais cette espèce de divorce venait de l’effacement de l’ancienne religion ; si le droit et la politique commençaient à être quelque peu indépendants, c’est que les hommes cessaient d’avoir des croyances ; si la société n’était plus gouvernée par la religion, cela tenait uniquement à ce que la religion n’avait plus de force. Or il vint un jour où le sentiment religieux reprit vie et vigueur, et où, sous la forme chrétienne, la croyance ressaisit l’empire de l’âme. N’allait-on pas voir alors reparaître l’antique confusion du gouvernement et du sacerdoce, de la foi et de la loi ? Avec le christianisme, non-seulement le sentiment religieux fut ravivé, il prit encore une expression plus haute et moins matérielle. Tandis qu’autrefois on s’était fait des dieux de l’âme humaine ou des grandes forces physiques, on commença à concevoir Dieu comme véritablement étranger, par son essence, à la nature humaine d’une part, au monde de l’autre. Le Divin fut décidément placé en dehors de la nature visible et au-dessus d’elle. Tandis qu’autrefois chaque homme s’était fait son dieu, et qu’il y en avait eu autant que de familles et de cités, Dieu apparut alors comme un être unique, immense, universel, seul animant les mondes, et seul devant remplir le besoin d’adoration qui est en l’homme. Au lieu qu’autrefois la religion, chez les peuples de la Grèce et de l’Italie, n’était guère autre chose qu’un ensemble de pratiques, une série de rites que l’on répétait sans y voir aucun sens, une suite de formules que souvent on ne comprenait plus, parce que la langue en avait vieilli, une tradition qui se transmettait d’âge en âge et ne tenait son caractère sacré que de son antiquité, au lieu de cela, la religion fut un ensemble de dogmes et un grand objet proposé à la foi. Elle ne fut plus extérieure ; elle siégea surtout dans la pensée de l’homme. Elle ne fut plus matière ; elle devint esprit. Le christianisme changea la nature et la forme de l’adoration ; l’homme ne donna plus à Dieu l’aliment et le breuvage ; la prière ne fut plus une formule d’incantation ; elle fut un acte de foi et une humble demande. L’âme fut dans une autre relation avec la divinité : la crainte des dieux fut remplacée par l’amour de Dieu. Le christianisme apportait encore d’autres nouveautés. Il n’était la religion domestique d’aucune famille, la religion nationale d’aucune cité ni d’aucune race. Il n’appartenait ni à une caste ni à une corporation. Dès son début, il appelait à lui l’humanité entière. Jésus-Christ disait à ses disciples : Allez et instruisez tous les peuples. Ce principe était si extraordinaire et si inattendu que les premiers disciples eurent un moment d’hésitation ; on peut voir dans les Actes des apôtres que plusieurs se refusèrent d’abord à propager la nouvelle doctrine en dehors du peuple chez qui elle avait pris naissance. Ces disciples pensaient, comme les anciens Juifs, que le Dieu des Juifs ne voulait pas être adoré par des étrangers ; comme les Romains et les Grecs des temps anciens, ils croyaient que chaque race avait son dieu, que propager le nom et le culte de ce dieu c’était se dessaisir d’un bien propre et d’un protecteur spécial, et qu’une telle propagande était à la fois contraire au devoir et à l’intérêt. Mais Pierre répliqua à ces disciples : « Dieu ne fait pas de différence entre les gentils et nous. » Saint Paul se plut à répéter ce grand principe en toute occasion et sous toute espèce de forme : « Dieu, dit-il, ouvre aux gentils les portes de la foi... Dieu n’est-il Dieu que des Juifs ? non certes, il l’est aussi des gentils... Les gentils sont appelés au même héritage que les Juifs. » Il y avait en tout cela quelque chose de très-nouveau. Car partout, dans le premier âge de l’humanité, on avait conçu la divinité comme s’attachant spécialement à une race. Les Juifs avaient cru au Dieu des Juifs, les Athéniens à la Pallas Athénienne, les Romains au Jupiter Capitolin. Le droit de pratiquer un culte était un privilége. L’étranger était repoussé des temples ; le non Juif ne pouvait pas entrer dans le temple des Juifs ; le Lacédémonien n’avait pas le droit d’invoquer Pallas athénienne. Il est juste de dire que, dans les siècles qui précédèrent le christianisme, tout ce qui pensait s’insurgeait déjà contre ces règles étroites. Les Juifs commençaient à admettre l’étranger dans leur religion ; les Grecs et les Romains l’admettaient dans leurs cités. La philosophie avait enseigné maintes fois depuis Anaxagore que le Dieu de l’univers reçoit les hommages de toutes les nations ; mais la philosophie n’aboutissait pas à une foi bien vive. Il y avait, même en Grèce, une religion qui ne tenait presque aucun compte des distinctions de cités, celle d’Éleusis ; mais encore fallait-il obtenir d’y être initié. Il y avait aussi des cultes qui, depuis plusieurs siècles, se propageaient à travers les nations, comme celui de Sérapis et celui de Cybèle ; mais ces cultes ne s’emparaient pas de l’âme tout entière ; ils s’associaient et s’ajoutaient aux vieilles religions au lieu de les remplacer. Le christianisme pour la première fois en Occident, fit adorer à l’homme un Dieu unique, un Dieu universel, un Dieu qui était à tous, qui n’avait pas de peuple choisi, et qui ne distinguait ni les races, ni les familles, ni les États. Pour ce Dieu il n’y avait plus d’étrangers. L’étranger ne profanait plus le temple, ne souillait plus le sacrifice par sa seule présence. Le temple fut ouvert à quiconque crut en Dieu. Le sacerdoce cessa d’être héréditaire, parce que la religion n’était plus un patrimoine. Le culte ne fut plus tenu secret ; les rites, les prières, les dogmes ne furent plus cachés ; au contraire, il y eut désormais un enseignement religieux, qui ne se donna pas seulement, mais qui s’offrit, qui se porta au devant des plus éloignés, qui alla chercher les plus indifférents. Cela eut de grandes conséquences, tant pour les relations entre les peuples que pour le gouvernement des États. Entre les peuples, la haine ne fut plus obligatoire. S’il y eut encore des antipathies, parce que la nature humaine gardait ses faiblesses, du moins la religion ne faisait plus à l’homme un devoir de haïr l’étranger. Étranger et ennemi ne furent plus nécessairement synonymes. On cessa de croire que l’on eût, dans la guerre, un droit illimité contre l’ennemi ; on commença à penser qu’on avait même des devoirs de justice et de bienveillance à son égard. Les barrières entre les peuples et les races furent ainsi abaissées ; le devoir et l’affection ne cessèrent plus aux limites de la cité. Le pomœrium disparut ; « Jésus-Christ, dit l’apôtre, a rompu la muraille de séparation et d’inimitié. » « Il y a plusieurs membres, dit-il encore, mais tous ne font qu’un seul corps. Il n’y a ni gentil, ni Juif ; ni circoncis, ni incirconcis ; ni barbare, ni scythe. Tout le genre humain est ordonné dans l’unité. » En même temps le christianisme enseigna aux Grecs et aux Romains, ce que leurs traditions ne leur disaient pas, que tous les hommes descendaient d’un même père commun. Avec l’unité de Dieu, l’unité de la race humaine apparut aux esprits. Si les peuples ne pouvaient pas encore s’aimer, au moins sentaient-ils qu’ils ne devaient pas se haïr. Pour ce qui est du gouvernement de l’État, on peut dire que le christianisme l’a transformé dans son essence, précisément parce qu’il ne s’en est pas occupé. Dans les vieux âges, la religion et l’État ne faisaient qu’un ; chaque peuple adorait son dieu, et chaque dieu gouvernait son peuple ; le même code réglait les relations entre les hommes et les devoirs envers les dieux de la cité. La religion commandait alors à l’État, et lui désignait ses chefs par la voie du sort ou par celle des auspices ; l’État, à son tour, intervenait dans le domaine de la conscience et punissait toute infraction aux rites et au culte de la cité. Au lieu de cela, Jésus-Christ enseigne que son empire n’est pas de ce monde. Il sépare la religion du gouvernement. La religion, n’étant plus terrestre, ne se mêle plus que le moins qu’elle peut aux choses de la terre. Jésus-Christ ajoute : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » C’est la première fois que l’on distingue si nettement Dieu de l’État. Car César, à cette époque, c’est encore le grand pontife, le chef et le principal organe de la religion romaine ; il est le gardien et l’interprète des croyances ; il tient dans ses mains le culte et le dogme. Sa personne même est sacrée et divine ; car c’est précisément un des traits de la politique des empereurs, que, voulant reprendre les attributs de la royauté antique, ils n’ont eu garde d’oublier ce caractère divin que l’antiquité avait attaché aux rois-pontifes et aux prêtres-fondateurs. Mais voici que Jésus-Christ brise cette alliance que le paganisme et l’empire voulaient renouer ; il proclame que la religion n’est plus l’État, et qu’obéir à César n’est plus la même chose qu’obéir à Dieu. Le christianisme renverse les cultes locaux, éteint les prytanées, brise les divinités poliades. Il fait plus : il ne prend pas pour lui l’empire que ces cultes avaient exercé sur la société civile. Il professe qu’entre l’État et la religion il n’y a rien de commun ; il sépare ce que toute l’antiquité avait confondu. On peut d’ailleurs remarquer que pendant trois siècles, la religion nouvelle vécut tout à fait en dehors de l’action de l’État ; elle sut se passer de sa protection et lutter même contre lui. Ces trois siècles établirent un abîme entre le domaine du gouvernement et le domaine de la religion. Et comme le souvenir de cette glorieuse époque n’a pas pu s’effacer, il s’en est suivi que cette distinction est devenue une vérité vulgaire et incontestable, que rien n’a pu déraciner. Ce principe fut fécond en grands résultats. D’une part, la politique fut définitivement affranchie des règles strictes que l’ancienne religion lui avait tracées. On put gouverner les hommes, sans avoir à se plier à des usages sacrés, sans prendre avis des auspices ou des oracles, sans conformer tous les actes aux croyances et aux besoins du culte. La politique fut plus libre dans ses allures ; aucune autre autorité que celle de la loi morale ne la gêna plus. D’autre part, si l’État fut plus maître en certaines choses, son action fut aussi plus limitée. Toute une moitié de l’homme lui échappa. Le christianisme enseignait que l’homme n’appartenait plus à la société que par une partie de lui-même, qu’il était engagé à elle par son corps et par ses intérêts matériels, que, sujet d’un tyran, il devait se soumettre, que, citoyen d’une république, il devait donner sa vie pour elle, mais que, pour son âme, il était libre et n’était engagé qu’à Dieu. Le stoïcisme avait marqué déjà cette séparation ; il avait rendu l’homme à lui-même, et avait fondé la liberté intérieure. Mais de ce qui n’était que l’effort d’énergie d’une secte courageuse, le christianisme fit la règle universelle et inébranlable des générations suivantes ; de ce qui n’était que la consolation de quelques-uns, il fit le bien commun de l’humanité. Si maintenant on se rappelle ce qui a été dit plus haut sur l’absence de liberté chez les anciens, si l’on songe à quel point la cité, au nom de son caractère sacré et de la religion qui était inhérente à elle, exerçait un empire absolu, on verra que ce principe nouveau a été la source d’où a pu venir la liberté parmi les hommes. Une fois que l’âme s’est trouvée affranchie, le plus difficile était fait, et la liberté est devenue possible dans l’ordre social. Les sentiments et les mœurs se sont alors transformés aussi bien que la politique. L’idée qu’on se faisait des devoirs du citoyen s’est affaiblie. Le devoir par excellence n’a plus consisté à donner son temps, ses forces et sa vie à l’État. La politique et la guerre n’ont plus été le tout de l’homme ; toutes les vertus n’ont plus été comprises dans le patriotisme ; car l’âme n’avait plus de patrie. L’homme a senti qu’il avait d’autres obligations que celle de vivre et de mourir pour la cité. Le christianisme a distingué les vertus privées des vertus publiques. En abaissant celles-ci, il a relevé celles-là ; il a mis Dieu, la famille, la personne humaine au-dessus de la patrie, le prochain au-dessus du concitoyen. Le droit a aussi changé de nature. Chez toutes les nations anciennes, le droit avait été assujetti à la religion et avait reçu d’elle toutes ses règles. Chez les Perses et les Hindous, chez les Juifs, chez les Grecs, les Italiens, et les Gaulois, la loi avait été contenue dans les livres sacrés. Aussi chaque religion avait-elle fait le droit à son image. Le christianisme est la première religion qui n’ait pas prétendu que le droit dépendît d’elle. Il s’occupa des devoirs des hommes, non de leurs relations d’intérêts. On ne le vit régler ni le droit de propriété, ni l’ordre des successions, ni les obligations, ni la procédure. Il se plaça en dehors du droit, comme en dehors de toute chose purement terrestre. Le droit fut donc indépendant ; il put prendre ses règles dans la nature, dans la conscience humaine, dans la puissante idée du juste qui est en nous. Il put se développer en toute liberté, se réformer et s’améliorer sans nul obstacle, suivre les progrès de la morale, se plier aux intérêts et aux besoins sociaux de chaque génération. L’heureuse influence de l’idée nouvelle se reconnaît bien dans l’histoire du droit romain. Durant les quelques siècles qui précédèrent le triomphe du christianisme, le droit romain travaillait à se dégager de la religion et à se rapprocher de l’équité et de la nature ; mais il ne procédait que par des détours et par des subtilités, qui l’énervaient et affaiblissaient son autorité morale. L’œuvre de régénération du droit, annoncée par la philosophie stoïcienne, poursuivie par les nobles efforts des jurisconsultes romains, ébauchée par les artifices et les ruses du préteur, ne put réussir complétement qu’à la faveur de l’indépendance que la nouvelle religion laissait au droit. On put voir, à mesure que le christianisme conquérait la société, les codes romains admettre les règles nouvelles, non plus par des subterfuges, mais ouvertement et sans hésitation. Les pénates domestiques ayant été renversés et les foyers éteints, l’antique constitution de la famille disparut pour toujours, et avec elle les règles qui en avaient découlé. Le père perdit l’autorité absolue que son sacerdoce lui avait autrefois donnée, et ne conserva que celle que la nature même lui confère pour les besoins de l’enfant. La femme, que le vieux culte plaçait dans une position inférieure au mari, devint moralement son égale. Le droit de propriété fut transformé dans son essence ; les bornes sacrées des champs disparurent ; la propriété ne découla plus de la religion, mais du travail ; l’acquisition en fut rendue plus facile, et les formalités du vieux droit furent définitivement écartées. Ainsi par cela seul que la famille n’avait plus sa religion domestique, sa constitution et son droit furent transformés ; de même que, par cela seul que l’État n’avait plus sa religion officielle, les règles du gouvernement des hommes furent changées pour toujours. Notre étude doit s’arrêter à cette limite qui sépare la politique ancienne de la politique moderne. Nous avons fait l’histoire d’une croyance. Elle s’établit : la société humaine se constitue. Elle se modifie : la société traverse une série de révolutions. Elle disparaît : la société change de face. Telle a été la loi des temps antiques. |
Revue de Paris - 1835 - tome 23-24.djvu/555 | {{nr||{{sm|'''REVUE DE PARIS.'''}}|185}}de roman que {{M.|Henry Lytton Bulwer}} appelle « le personnage féminin
le plus délicat que jamais ait tracé la plume d’un romancier. »
L’Esmeralda ! dont les seuls charmes consistent à chanter et à danser
dans les rues, et qui... délicate créature qu’elle est !... étant enlevée
par un cavalier dans une rixe nocturne, lui jette les bras autour du
cou, jure qu’il est très beau, et à compter de ce moment montre la
délicate tendresse de son cœur en l’adorant avec opiniâtreté, sans
obtenir de lui d’autre retour ou d’autre encouragement qu’une insultante
caresse, une nuit qu’il est pris de vin. « Le délicat personnage
féminin ! » Mais ce sont là des choses sur lesquelles on ne peut réellement
pas s’appesantir. Je trouve cependant que c’est un devoir sacré,
toutes les fois qu’il est question des ouvrages de Victor Hugo, de protester
hautement contre leur ton et leur tendance, et que c’est aussi
un devoir de rectifier, autant que l’on peut, la fausse idée que l’on se
fait en Angleterre de la réputation dont cet auteur jouit en France.
Chaque fois qu’on parle de lui en Angleterre, on cite son succès
comme une preuve de la dépravation morale et intellectuelle où la
France est réduite. Et cela serait vrai si sa réputation était telle que
ses partisans le prétendent. Mais, en réalité, la manière dont il est jugé
par ses compatriotes est la plus grande preuve possible, que ni la force
des conceptions, ni la beauté du style, ni l’ardeur dans la peinture des
passions, ne peuvent suffire pour assurer aujourd’hui à un auteur une
grande réputation en France, quand avec cela il outrage les bons sentimens
et le bon goût. Si quelqu’un doutait de la justesse de cette
assertion, je ne pourrais que le renvoyer à la source d’où j’ai moi-même
tiré ces renseignemens, c’est-à-dire à la France elle-même.
Il y a cependant un fait dont on peut s’assurer sans traverser la mer ; le
voici : une revue française<ref>Voir la ''Revue de Paris'' du premier trimestre de 1834.</ref>, désirant publier un article sur le drame
moderne, n’a rien trouvé de mieux à faire que de traduire en entier
l’excellent article public sur ce sujet, il y a environ dix-huit mois,
dans notre ''{{lang|en|Quarterly Review}}'', en citant la source dans laquelle elle a puisé.
Si le nom et les ouvrages de Victor Hugo n’étaient connus que dans
son pays, il serait, je pense, bien temps que je vous délivrasse de lui ;
mais c’est un critique anglais qui a dit qu’il a soulevé le terrain sous les
pieds de Racine, et je vous demande encore quelques minutes de
patience, afin que je tâche de les placer tous deux sous vos yeux. Pour
<references/> |
Charles d Orléans - Poésies complètes, Flammarion, 1915.djvu/22 | faisait de la poésie, non de la chronique scandaleuse. Je
montrerai plus tard, du reste, que rien ne prouve
qu’il n’ait pas adressé ses vers à Isabelle, et c’est pure
fantaisie de supposer que son poème s’inspire de
Bonne d’Armagnac, morte deux ans avant le temps où
il envoie un messager à cette dame Beauté, le soi-disant
symbole de la demoiselle d’Armagnac.
Quoi qu’il en soit du rêve ou du cauchemar qu’a
pu être pour lui cette première année de ménage, il
en fut réveillé par un terrible coup. Le 23 novembre
1407, Louis d’Orléans était assassiné par les gens du
duc de Bourgogne, « la plus piteuse et douloureuse
aventure, dit Monstrelet, qui de longtemps fut arrivée
au chrétien royaume de France. »
La nouvelle de ce crime fut apportée à Château-Thierry
où il était avec sa femme et sa mère. Cette
mort lui donnait, au nom du testament fait par Louis
en 1403, le duché d’Orléans, les comtés de Valois, de
Blois, de Dunois et de Beaumont, la baronnie de
Coucy, la châtellenie de Chauny, Fallouel et Coudren,
le duché du Luxembourg, le comté d’Ast, tous
les droits qui pouvaient lui venir du chef de sa mère,
héritière des ducs de Milan, et un véritable trésor
d’objets mobiliers. Mais il lui imposait aussi une
situation que nous allons étudier.
{{brn|3}}
{{Centré|{{t|II.|150}}}}
{{brn|2}}
À la mort de son père, Charles, jusque-là comte
d’Angoulême, devint duc d’Orléans et l’un des quatre
chefs de la féodalité française. Je compte, en etfet,
avec lui, non-seulement le duc de Bourgogne et le duc
de Bretagne, mais aussi le roi d’Angleterre. Il faut bien
comprendre la situation de ce dernier pour expliquer
et excuser la conduite de Charles d’Orléans en mainte
circonstance. Le roi d’Angleterre était dans une position
analogue à celle du roi de Sicile, prince français,
seigneur de l’Anjou. Il était, non pas seulement un roi
étranger, mais un grand baron français par droit légitime
de mariage et d’héritage. À ne consulter que
les vieux usages féodaux, largement interprétés dans
ces temps de troubles, ses pairs pouvaient, sans {{tiret|for|faire}}
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Ode (Gilbert) | Nicolas Gilbert Ode (Gilbert) Œuvres complètes, Dalibon, 1823 (p. 134-135). collectionOde (Gilbert)Nicolas GilbertDalibon1823ParisCGilbert - Œuvres complètes, 1823.djvuGilbert - Œuvres complètes, 1823.djvu/9134-135 ODE IX, IMITÉE DE PLUSIEURS PSAUMES. J’ai révélé mon cœur au Dieu de l’innocence ; Il a vu mes pleurs pénitents ; Il guérit mes remords, il m’arme de constance : Les malheureux sont ses enfants. Mes ennemis, riant, ont dit dans leur colère : Qu’il meure, et sa gloire avec lui ! Mais à mon cœur calmé le Seigneur dit en père : Leur haine sera ton appui. À tes plus chers amis ils ont prêté leur rage : Tout trompe ta simplicité : Celui que tu nourris court vendre ton image, Noire de sa méchanceté. Mais Dieu t’entend gémir, Dieu vers qui te ramène Un vrai remords, né des douleurs ; Dieu qui pardonne enfin à la nature humaine D’être foible dans les malheurs. J’éveillerai pour toi la pitié, la justice De l’incorruptible avenir ; Eux-même épureront, par leur long artifice, Ton honneur qu’ils pensent ternir. Soyez béni, mon Dieu, vous qui daignez me rendre L’innocence et son noble orgueil ; Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre, Veillerez près de mon cercueil. Au banquet de la vie, infortuné convive, J’apparus un jour, et je meurs : Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j’arrive, Nul ne viendra verser des pleurs. Salut, champs que j’aimois, et vous, douce verdure, Et vous, riant exil des bois ! Ciel, pavillon de l’homme, admirable nature, Salut pour la dernière fois ! Ah ! puissent voir long-temps votre beauté sacrée Tant d’amis sourds à mes adieux ! Qu’ils meurent pleins de jours ! que leur mort soit pleurée ! Qu’un ami leur ferme les yeux ! Composée par l’auteur huit jours avant sa mort. Cette strophe est rapportée ainsi par Palissot : Adieu, champs fortunés, adieu, douce verdure, Adieu, riant exil des bois ! Ciel, pavillon de l’homme, admirable nature, Adieu pour la dernière fois ! |