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Revue de Paris, année 22, tome 2, 1915.djvu/256 |
Tels sont les deux principaux traits de la philosophie française.
En se composant ensemble, ils donnent à cette philosophie sa physionomie propre. C’est une philosophie qui serre de près les contours de la réalité extérieure, telle que le physicien se la représente, et de très près aussi ceux de la réalité intérieure, telle qu’elle apparaît au psychologue. Par là même, elle répugne le plus souvent à prendre la forme d’un ''système''. Elle rejette aussi bien le dogmatisme à outrance que le criticisme radical ; sa méthode est aussi éloignée de celle d’un Hegel que de celle d’un Kant. Ce n’est pas à dire qu’elle ne soit pas capable d’édifier, quand il lui plaît, quelque grande construction. Mais les philosophes français semblent avoir eu généralement cette arrière-pensée que systématiser est facile, qu’il est trop aisé d’aller jusqu’au bout d’une idée, que la difficulté est plutôt d’arrêter la déduction où il faut, de l’infléchir comme il faut, grâce à l’approfondissement des sciences particulières et au contact sans cesse maintenu avec la réalité. Pascal a dit que l’ « esprit géométrique » ne suffisait pas : le philosophe doit y joindre l’ « esprit de finesse ». Et Descartes, ce grand métaphysicien, déclarait avoir consacré peu d’heures à la métaphysique, entendant par là, sans doute, que le travail de pure déduction ou de pure construction métaphysique s’effectue de lui-même, pour peu qu’on y ait l’esprit prédisposé. — Allèguera-t-on qu’en se faisant moins systématique la philosophie s’écarte de son but, et que son rôle est précisément d’unifier le réel ? — Mais la philosophie française n’a jamais renoncé à cette unification. Seulement, elle ne se fie pas au procédé qui consiste à prendre telle ou telle idée et à y faire entrer, de gré ou de force, la totalité des choses. À cette idée on pourra toujours en opposer une autre, avec laquelle on construira, selon la même méthode, un système différent ; les deux systèmes seront d’ailleurs également soutenables, également invérifiables ; de sorte que la philosophie deviendra un simple jeu, un tournoi entre dialecticiens. Remarquons qu’une idée est un élément de notre intelligence, et que notre intelligence elle-même est un élément de la réalité : comment donc une idée, qui n’est qu’une partie d’une partie, embrasserait-elle le Tout ? L’unification des choses ne pourra s’effectuer que par
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Etudes de métaphysique et de morale, 1916.djvu/171 | {{nr||'''V. DELBOS.''' — {{sm|MALEBRANCHE ET MAINE DE BIRAN.}}|159}}serve arbitrairement de patron, dans une action de notre moi qui en découvre le caractère authentique autant qu’original. Ainsi s’explique, mieux que par l’inintelligibilité de notre substance, la part d’obscurité que Malebranche rencontre en nous. Nous ne voyons que ténèbres dans nos sensations et nos passions : c’est que ce sont là des modifications de notre sensibilité que nous ne produisons pas ; au contraire, ce que nous produisons par notre effort volontaire nous est immédiatement clair et se rattache à notre moi par le rapport le plus défini et le plus certain<ref>''Notes sur Malebranche, Rev. de Mét. et de Mor.'', 1906, p. 462.</ref>. Si donc Malebranche n’eût pas à tort borné la portée de ce qu’il appelle la connaissance par sentiment intérieur, après l’avoir si heureusement distinguée de la connaissance par idées, il eût admis la causalité du sujet humain pour les mêmes raisons qui lui ont fait admettre la liberté.
{{astérisme}}
Le système de Malebranche n’eût pu naturellement admettre ce développement de certaines de ses vues sans se transformer entièrement. Il n’en contribue pas moins à poser, avec d’autres motifs d’inspiration et d’autres tendances que le système de Maine de Biran, le problème des rapports de la pensée rationnelle et de la conscience. Les deux systèmes peuvent là-dessus se spécifier l’un à l’égard de l’autre par la façon dont ils se comportent l’un et l’autre vis-à-vis du ''Cogito'' cartésien. Descartes faisait de l’attribution au sujet la condition la plus générale de toute connaissance, et ce n’était, pour ainsi dire, que postérieurement qu’il distinguait dans les idées celles qui ne sont que des modifications du sujet, que de simples états de conscience, et celles qui représentent des perfections ou des réalités hors du sujet, celles principalement qui se rapportent à d’immuables et éternelles natures. Or, dans sa légitime préoccupation d’expliquer avant tout la relation de notre esprit à la vérité, Malebranche a passé rapidement sur ce qu’on peut appeler le sens subjectif du ''Cogito'' ; ou plutôt il n’en a guère dévoilé le sens subjectif que pour l’entendre négativement et pour définir par opposition, dans toute sa rigueur et dans tout son sens, le problème de l’objectivité de la connaissance : peut-être, parmi les rationalistes modernes, est-il celui qui avant Kant a compris dans les
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Revue de Paris, année 22, tome 2, 1915.djvu/254 | {{nr|252|{{sm|LA REVUE DE PARIS}}|}}simples. Mais, à des degrés différents, tous les philosophes français ont eu ce don d’analyse. Le besoin de résoudre les idées et même les sentiments en éléments clairs et distincts, qui trouvent leurs moyens d’expression dans la langue commune, est caractéristique de la philosophie française depuis ses origines.
Si maintenant on passe de la forme au fond, voici ce qu’on remarquera d’abord.
La philosophie française a toujours été étroitement liée à la science positive. Ailleurs, en Allemagne par exemple, tel philosophe a pu être savant, tel savant a pu être philosophe ; mais la rencontre des deux aptitudes ou des deux habitudes a été un fait exceptionnel et, pour ainsi dire, accidentel. Si Leibniz fut à la fois un grand philosophe et un grand mathématicien, nous voyons que le principal développement de la philosophie allemande, celui qui remplit la première moitié du {{s|xix}}, s’est effectué en dehors de la science positive. Il est de l’essence de la philosophie française, au contraire, de s’appuyer sur la science. Chez Descartes, l’union est si intime entre la philosophie et les mathématiques qu’il est difficile de dire si sa géométrie lui fut suggérée par sa métaphysique ou si sa métaphysique est une extension de sa géométrie. Pascal fut un profond mathématicien, un physicien original, avant d’être un philosophe. La philosophie française du {{s|xviii}} se recruta principalement parmi les géomètres, les naturalistes et les médecins (d’Alembert, La Mettrie, Bonnet, Cabanis, etc.). Au {{s|xix}}, quelques-uns des plus grands penseurs français, Auguste Comte, Cournot, Renouvier, etc., vinrent à la philosophie à travers les mathématiques ; l’un d’eux, Henri Poincaré, fut un mathématicien de génie. Claude Bernard, qui nous a donné la philosophie de la méthode expérimentale, fut un des créateurs de la science physiologique. Ceux mêmes des philosophes français qui se sont voués pendant le dernier siècle à l’observation intérieure ont éprouvé le besoin de chercher en dehors d’eux, dans la physiologie, dans la pathologie mentale, etc., quelque chose qui les assurât qu’ils ne se livraient pas à un simple jeu d’idées, à une manipulation de concepts abstraits : la tendance est déjà visible chez le grand initiateur de la méthode d’introspection pro-
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La Saga de Gunnlaug Langue de Serpent, trad. Wagner, 1899.djvu/38 | l’auteur de la saga de Gunnlaug. C’est une erreur,
reposant sur une assertion injustifiable du manuscrit
de Stockholm qui ajoute au titre de la saga ces mots :
« ainsi que l’a racontée le prêtre Ari Thorgilsson le
Savant, qui a été le plus instruit parmi les Islandais
pour ce qui touche l’histoire de la colonisation primitive
du pays et les événements des temps passés. »
Cette indication erronée est due à un copiste d’une
époque postérieure. Il est à peu près certain qu’Ari
n’a jamais écrit aucune saga. Les tendances critiques
et toutes positives de son esprit d’historien s’y opposaient.
Du reste, il existe entre son ''Livre des Islandais''
et notre saga une différence fondamentale quant
au style. Là, il est bref, analytique, dépourvu d’ornements,
sobre dans les descriptions ; ici, c’est une prose
simple et coulante, mais non dépourvue de ces
embellissements que la rhétorique met entre les
mains de ses initiés. Ari, d’autre part, a vécu à une
époque antérieure à celle de la rédaction de la saga.
Il est mort en 1148, et celle-ci ne paraît pas remonter
au delà de la seconde moitié du XIII{{e}} siècle. Enfin,
certains indices autorisent à croire qu’elle a été com
posée dans le pays des « Myrar », aux environs de
Borg (cf. ch. IV) ; or, Ari vécut à Helgafell, à Haukadal
et finit probablement ses jours à Stad, dans la
presqu’île Snaefellsnes.
Quel que soit le nom de l’auteur, maint passage
trahit de façon évidente la main de l’écrivain pénétré
de la foi et imbu des idées chrétiennes. Nous
pouvons toucher du doigt les traces de l’inspiration
chrétienne et juger par là de la façon dont l’auteur
envisageait la question du christianisme et de ce qu’il
pensait des bienfaits de la religion nouvelle. En parlant
de la reconnaissance officielle de cette dernière
à l’Althing de l’an mille, il déclare que c’est l’événement
le plus mémorable qui se soit accompli en
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Dictionnaire érotique moderne/Index | Alfred Delvau Dictionnaire érotique moderne (1864) Imprimerie de la société des bibliophiles cosmopolites, 1874 Abandonner Abatteur de bois Abbaye de Clunis Abbaye de s’offre à tous Abbesse Abeilard Aboucher Abouler de la braise Abricot de la jardinière Abricot fendu Abuser d’une femme Académie d’amour Accident Accident féminin Acheter une conduite Accointances Accolade Accoler Accommoder une femme Accomplir son désir Accorder sa flûte Accorder ses faveurs Accouplement Accoupler Accroc au mariage Accroche-cœurs Accrocher Achever un homme Acte Actéoniser Acteur Action Action fréquente Action honteuse Administrer une douche Adroite en amour Affaire Affaire avec quoi l’homme pisse Affaire de cœur Affaires Affiler le bandage Affriander un homme Affront Agacer le sous-préfet Agent Agir Agnès Agréments naturels Aide-mari Aigrette conjugale Aiguille Aiguillon Aiguillonner Aimant Aimer Aimer ça Aimer la femme Aimer la marée Aimer le cotillon Aimer le goudron Aimer l’homme Aimeuse Air cochon Ajuster une femme Alciabidiser Aller à Cythère Aller à dame Aller à la visite Aller à Pinada Aller au beurre Aller au bonheur Aller au café Aller au gratin Aller au persil Aller au vice Aller chez le voisin Aller d’attaque Aller de son beurre Aller de son voyage Aller du cul Aller et retour Aller l’amble Aller se faire couper les cheveux Aller trop vite à l’offrande et faire choir le curé Allonger Allumelle Allumer Allumer la chandelle Allumer le flambeau d’amour Allumer un homme Allumette Amant Amant de cœur Amarris Amâtiner Ami Amitié Amour Amoureuse entreprise Amoureux des onze mille vierges Amoureux larcin Amoureux transi Amour physique Amour platonique Amour socratique Amuser un homme Amuser Amusette Anandryne Anchois Andouille Andouille des carmes Andrins Androgyne Anglais Anglais (Avoir ses) Anglais ont débarqué Angora Anneau d’Hans Carvel Anus Aphrodisiaques Apothicaire Apôtre de l’anus Appas Appétit Appliquer la peau d’un garçon Appliquer un homme sur l’estomac Apprivoiser une fille Après la panse, vient la danse Araignée Arbalète Ardillon Argument Aristoffe Arme de l’homme Arracher son copeau Arracher son pavé Arrangée Arranger une femme, ou un homme Arrière-boutique Arriver à ses fins Arroser Arroser le bouton Arthur Article Article (Être fort sur l’) Artillerie de Cupidon ou de Vénus Asperge Aspergès Assaillir une femme Asseoir sur le bouchon Asticot Astiquer Astiquer (S’) Astiquer la baguette Atelier Attraper quelque chose Aumôme amoureuse Autel Autel de plume Auvergnate Avaler la pilule Avaler le poisson sans sauce Avaler les enfants des autres Avances Avantages Avant-scène Avec Aventures Aventurière Avitaillé Avoir Avoir à sa bonne Avoir commerce Avoir la compagnie d’homme Avoir de l’agrément Avoir des bontés Avoir des sens Avoir du chien Avoir du mal Avoir encore Avoir eu quelque chose avec une femme Avoir la courte haleine Avoir la main occupée Avoir la queue verte Avoir la vache et le veau Avoir l’eau à la bouche Avoir les talons courts Avoir le ventre plein Avoir mal aux cuisses Avoir perdu sa fleur Avoir quelque chose avec une femme ou avec un homme Avoir quelqu’un Avoir rôti le balai Avoir sept pouces moins la tête Avoir son plaisir Avoir toujours l’anneau ou la bague au doigt Avoir un arlequin dans la soupente Avoir un bon doigté Avoir un cheveu Avoir une crâne giberne Avoir un fruit Avoir un polichinelle dans le tiroir Avoir vu le loup Aze (L’) te foute Babines Badigeonner une femme Badinage Bagasse Bagatelle Bague Baguette Bahut Bahuter la pine Baiser Baiser à blanc Baiser à la florentine Baiser à la papa Baiser à l’œil Baiser à vit sec Baiser en épicier Baiser en pigeon Baiser ou Foutre à couillons rabattus Baiser ou Foutre à la dragonne ou en maçon Baiser ou Foutre à la paresseuse Baiser ou Foutre en aisselle Baiser ou Foutre en cygne Baiser ou Foutre en levrette Baiser ou Foutre en téton Baiser sur le pouce Baiseur, baiseuse Baladeuse Balance de boucher Balancer le chinois Balancer sa largue Balancer une femme Balancer un homme Balançoires Balayer ses enfants Balcon Balles Ballon Balloches Ballottes Bander Bander (Faire) Bande-à-l’aise Bander comme un carme Bander de la gorge Bander son arc Bandocher Baquet Baratter Barbe de la femme Barbeau Barbillon Bardache Bas Bassin Bataille Bataille de jésuites, cinq contre un Bâter l’ane Bâti Bâton Bâton (Faire) Bâton à un bout Bâton de sucre de pomme Bâton pastoral Battre le beurre Battre sa flème Battre son quart Battre un ban au miché Baude Baudruche Baume de vie Bazar Beau corps Beauté vénale Beautés occidentales Beautés postérieures Bébé Bécot Bécotter Béguin Béliner Belle en cuisses Belle enfant Belle sous le linge Béluter Bénir des pieds Bénitier Béquille du père Barnaba Berlingot Besace Besogne Bestialité Bête Bête à deux dos Bêtises (Dire des) Bêtises (Faire des) Bibi Bibite Bichette Bichon Bidault Bidet Bien servir un homme Bigarreau rouge Bijou Bijou artificiel Biscotter une femme Bissac Bistoquer Bistoquette Blagues à tabac Blanchisseuse de tuyaux de pipe Blonde Blondin Blouse Bobosse Boc, Bocan, Boucan ou Bocard Boire au goulot Boire dans le même verre Boire seul Boire un coup Boîte Bondon Bonheur. Aller au bonheur Bonneau Bonne enfant Bonnes fortunes Bonnet ou bonnet à poil Bontés Bordel Bordel ambulant Bordelier Bossoirs Botte florentine Bouche d’en bas Bouche impure Bouchère en chambre Boucherie Boucher la serrure Boucher un trou, une brèche, une fente Bouchon Bouder Boudin Boudiner Boudoir Bougeoir Bougre Bougrerie Bougresse Bouillon chaud Bouillon pointu Boulettes Bourdon Bourriquer Boursavit Bourses Bousin, Bousingot Bout Boute-feu, Boute-joie Boutique Bouton Boutonnière Boxon Boxonner Boxonneur Boyau Braguette Braise, Braiser, Abouler de la braise Brandon Brandouiller Branler Branler (Se) Branler du cul Branleur Branlotte Branlotter le prépuce Braquemard Braquemarder Bras Brasier Brèche Bricoler une femme Brigadier de l’amour Brimballer Brimborions Broque Brûler Buisson Burette But d’amour Ça Cabinet Cadran Café des deux colonnes Case Calcul Calfeutrer une femme Callibistri Camelottes Campagnes Canal Canichon Cantharide Capote Caprice Carabine Carabiner une femme Caracoler Caramboler Carcan à crinoline Cardinales Caresser un homme Carillonner Carotte Carte Cartes transparentes Cas Cascadeuse Casquer Casse-noisette Casser le lit Casser un œuf Castrat Catau Catze Causer Causeuse Céder à un homme Ceci Centre Cérémonie Cerner les yeux Certain bobo Cervelas Cesser de l’être Chahuteuse Chair Chaleur Chalumeau Chambrer Chameau Champ Champ de bataille Champignon Chancre Chandelier Chandelle Chanter l’introït Chapeau Chapeau de goudron Chapelle Chapon Chaponner un homme Charades Charmes Charnière Chat Châtrer Chaud comme braise Chaud de la pince Chaude-lance Chaude-pisse Chaudron Chauffer une femme, Chauffeur Chausser une femme Chausson Chemin du paradis Cheminée Cheminer autrement que des pieds Chevalier de la rosette Chevaucher Chevaucher à l’antique Chevaucheur Cheville ouvrière Chibre Chien Chienner Chiffe Chiffre Chinois Chose Chouart Cierge Cigarette Clapier Clé Cliqueter une femme Clitoris Clitoriser Clou Cocarde Cochon Cochonne Cochonneries Cocodès Cocodète ou Dandye Cocotte Cocotier Cocotterie Cocu Cocuage Cocu en herbe Cœur Cognée Cogner une femme Coiffer un homme Coït Colle Coller Coller une douce Colombe de Vénus Colonne Combat amoureux Combler les vœux d’un homme Commencer un roman par la queue Commerce amoureux Communier sous les deux espèces Compagnon Complaisances pour un homme Compliment Con (Le) Con Con baveux Con bien boisé Conclusion Concon Concubine Concubiner Concupiscence Con faisandé Confesser Confitures Confrère de la lune Conflit Con glaireux Con gras Conifère Conin Coniste Conjonction Conjungo Connaissance Connaître les postures Connaître son affaire Connaître un vieux Connaître une femme Connasse Conneau Connichon Connil Conquêtes Conserver sa fleur Consommer le sacrifice Consommer son Kabyle Contenter un homme Conter à une femme Contre-temps Conversation criminelle Copuler Coquardeau Coquille Coquine Corbillon Corde sensible Cornard Cornes Cornichon Corridor d’amour Cotillon Coucher Coucher avec une femme Coucou Couenne Couilles Couillons Couler Coup Coup de canif dans le contrat Coup de croupe Coup de cul Coup du macaron Coup du matin Coup du milieu Couper la mèche Coup qui porte Courailler Coureur Coureuse Courir Courir la gueuse Courir le guilledou Courir une poste, des postes Course Courte Courtisane Courtiser une femme Cousin Cousine Cousine de vendange Couvent Couvreur, Couvrir une femme Cracher à la porte Cracher dans les broussailles Crampe d’amour Cramper Crampeuse Crapaudine Créature Creuset Crever l’œil Crevette Cristalline Croquer Croquer une femme Croupe Croupion Cueillir la fraise, la noisette, la fleur, un bouton de rose sur le nombril Cueillir une femme Cul Culbuter une femme Culeter Culiste Culot de fromage Culte de Sapho Cul terreux Cuvette Cyclope Cyclope Daim Dame aux camélias Dames Danse Dard Déballage Débander Débaucher une fille Décalotter Décharge Déconner Découcher Décrotter une femme Dédale Déduit Déflorer une fille Dégeler son membre Demi-castor Demi-vertu Demoiselle Demoiselle des Tuileries Demoiselle du Pont-Neuf Dénicheur de fauvettes Dépenser ses côtelettes Dépuceler une fille Dépuceleur de nourrices Dernière faveur Derrière Désarçonné Descendre Desgrieux Dessus du panier des amours Desserrer les genoux Deux adjoints Deux bibelots Deux oreilles Deux sœurs Deux trous Devant Dévirginer Devoir Diligence Dispensaire Divertir Docteur Doigt Doigt de cour Dondon Don d’amour Donner dans l’œil à un homme ou à une femme Donner du bon temps Donner du contentement aux hommes Donner du mal Donner du mal (Se) Donner du plaisir Donner la sauce Donner l’assaut Donner l’aubaine Donner le picotin Donner le plaisir à une femme Donner sa rose Donner un branle Donner Donner un coup de cul Donzelle Dos vert Douce affaire Dresser Drôlesse Dulcinée Duo sans musique Eau-de-vie Eau des carmes Ébats Ébaudir Écoutille Écraser des tomates Écuelle Écume du plaisir Effets de cul Effets de pantalon Effeuiller Effeuiller la couronne virginale Éjaculer Élixir... de long’vit Elle est couverte d’ardoise Émanciper Embrocher une femme Émile Emmancher Empêcher Empoigner par le manche Emprunter un pain sur la fournée En avoir dans le ventre Enchanteresse Enconner Encorner Enculé Enculer Enculer une femme Enculeur En découdre avec une femme Endosseur Enfiler une femme Enfonceur de portes ouvertes Enfourner Engaîner Engin Engrosser Entendre le jeu, Entendre cela En tenir Entier Entonnoir Entredeux Entrée des artistes Entrée en danse, en joute, en lice, en jouissance Entrefesson Entrefrétiller Entremetteur Entremetteuse Entreprise Entrer jusqu’aux gardes Entreteneur Entretenir une femme Entrouducuter En venir aux mains Envoyer son enfant à la blanchisseuse Éplucher des lentilles Éponge Éponge (Mettre une) Époques Époux, Épouse Épuiser ses munitions Épuiser un homme Érection Escrime Espèce Essayer un lit Essayer une femme Essuyer les spermes Estomac Étalon Éteignoir Étendard d’amour Étendre sur le dos Être (Y) Être allumé Être à poil Être avec une femme Être bien aimable Être bien emmanché Être bien né Être de la haute Être de la manchette Être de la nature des poireaux, la tête blanche et la queue verte Être échaudé Être en état, Être ferme Être en queue Être enrhumé de la queue Être en rut Être heureux Être inscrite Être le plus heureux des hommes Être neuf Être ou n’être pas en train de faire quelque chose Étrenne Étrenner Être prêt Être vainqueur Étui Eunuque Excès Exercer une fille Exercice Exhiber ses pièces Expédier Façon à une femme Façonner une femme Faire Faire ça Faire compter les solives à une femme Faire chou blanc Faire dégraisser Faire de l’œil Faire descendre le Polonais Faire des manières, des simagrées Faire durer le plaisir Faire en levrette Faire la carpe Faire l’amour Faire la retape Faire la vie Faire le boulevard Faire le chapeau du commissaire Faire le cas Faire le con cocu Faire le dessus Faire l’homme Faire le métier Faire le serrurier Faire le saut Faire le trottoir Faire l’œil de carpe Faire mettre Faire minon-minette Faire mouiller la fesse Faire pan pan Faire plaisir Faire postillon Faire prier Faire ramasser Faire relâche Faire remplir Faire river son clou Faire sa merde Faire sa poire Faire sa Sophie Faire sa toilette Faire sauter le bouchon Faire ses petites affaires Faire soixante-neuf Faire son devoir Faire son étroite Faire son Joseph Faire son Palais-Royal Faire tête-bêche Faire tout Faire trève du cul Faire une cavalcade Faire une conquête Faire une fausse couche Faire une femme Faire une fin Faire une grosse dépense Faire une pince au bonnet de grenadier Faire un homme Faire venir l’eau à la bouche Faire venir le foutre à la bouche Faire vit qui dure Faire voir la feuille à l’envers Faire voir la lune Faire zague zague Faire zizi-panpan Fait Faraud Farceuse Farcy Farfadet Farfouiller une femme Faux pas Faveurs d’une femme Favori Féminiser Femme chaste Femme chaude Femme étroite Femme facile Femme froide Femme galante Femme honnête Femme inconséquente Femme laborieuse Femme large Femme lascive Femme légère comme chausson Femme lubrique Femmelette Femme sage Fendasse Fente Ferme de rognons Fesses Fessier Festoyer Fête Fêter la Saint-Priape Fétu Feu au cul Feu de paille Fiasco Fignard Figue Fille Fille à parties Fille d’amour Fille de joie Fille de marbre, fille de plâtre Fille publique Fille soumise Flageolet Fleur Fleur d’oranger Fleurettes Fleur du mal Fleurons de Vénus Fleurs blanches Folichon, Folichonne, Folichonneuse, Folichonnette, Folichonner, Folichonnades, Folichonneries Fondement Fontaine Forcer la barricade Forcer une femme Forêt humide Fornicateur Fouailler une femme Fouailleur Fouetter un homme Fouler Four Fourbir une femme Fourgonner une femme Fournir sa carrière Fourrager Fourrer Fouterie Fouterie de pauvre Fouteur Fouteuse Foutimasser Foutoir Foutre Foutre à couillons rabattus Foutre à la paresseuse Foutre comme un âne débâté Foutre en aisselle Foutre en artilleur Foutre en con Foutre en cuisses Foutre en cul Foutre en espalier Foutre en levrette Foutre en main Foutre en tétons Foutre par l’oreille Foutue Fraise Fressure Fricarelle Fringuer, Fringasser une femme Fromage Frotter le lard Fureur d’amour Fureur utérine Fuseau Gabahoter Galant Galanterie Galipoter le fondement Gamahuché Gamahucher le canal Gamahucher une femme Gamin Gandin Gants Ganymède Garce Garde nationale Gars à poil Gaupe Gazon de la femme Gendarme Géniteur Génitoires Gentille Gentille au dodo Giberne Gibier d’amour Gibier de bordel Gibier de Saint-Lazare Gigolette Gigolo Gigots sans manche Gigotter Gimblette Giton Glaire Gland Globes Gober le merlan Gober un homme Godemichet Godiche Godiller Godiller Gogotte Gonfler (Faire) son andouille Gonzesse Gorge Gothon Gouapeuse Gouffre secret Gougnotte Gouine Goujon Goupillon Gourdes Gourgandine Gourgandiner Gourmande Goûter les plaisirs, les ébats, les joies Goût particulier Goût pour quelqu’un Goûts contre nature Goûts lubriques Goutte Goutte militaire Graisser le vagin Graisser sa punaise Grandes lèvres Grande confrérie Grand jeu Grange Gratte-cul Gratter dans la main Gratter son devant Gravelures Gravonner Greffer un tendron Greluchon Greluchonner Grigou Grimper Grivois Gros lot Gros numéro Grue Guenilles Guenippe Guenon Guenuche Gueuse Guigner les vits Guignes Guigui Guiguitte Habitavit Harponner une femme Haute-Bicherie Hercule Hérisson Heure du berger Hiatus Hirondelle Histoire Homme à femmes Homme ardent, femme ardente Homme à ressorts Horreurs (Chanter des) Horreurs (Dire des) Houris Huile Huître Humide radical Idées Ignominie Il est midi Impuissance Impuissant Impure Indécences Infante Instruite Instrument Interroger le pantalon d’un homme Jacqueline Jacques Jambe Jambons Jardin Jean, Jeannot, Janin Jean Chouart Jeanneton Jeter le mouchoir Jeu Jeu renouvelé des Grecs Jeux innocents Jouer au trou-madame Jouer aux quilles Jouer des mains Jouer des reins Jouer du croupion, ou du cul Jouer du mirliton Jouer du napoléon Jouer du serre-croupière Joueuse de flûte Jouir Jouissance Jouisseuse Joujou Joyau Jus de couillon Laboureur Lâcher Laisser aller son chat au fromage Laisser faire Lance Langues Langue exercée Lanla landerirette Lanterne Larcins Lard Largue Lasciveté Latrine Lavabo Laver Lavette Le Leche-cul Lesbienne Lever le croupion ou le cul Lever à jeûn Lever le siège Lever une femme Lever un homme Libertin Libertinage Libertine Limace Limer Liqueur Liqueur séminale Livrer Livres libres, obscènes, orduriers, malsains Long comme un jour sans pine Long nez, longue pine Lorette Loup Loupeuse Louve Lubricité Lucrèce Lupanar Luxure Mac Maca Machin Macrotin Madame Madame Manicon Magasin de blanc Main experte Main légère Maison à gros numéros Maison à parties ou de passe Maison de tolérance Maître-autel Maîtresse Maladie Mâle Mamelles Manche Manchon de la femme Manger l’anguille sans la sauce Mangeur de blanc Manger de la chair crue Manger le fruit d’une femme Manier Manière Manœuvrer du cul Manquer à ses devoirs Manquer de respect à une femme Manquer de voix Manuéliser Maquereau Maquerelle Maquignon Maquillage Marchandise Marcheuse Margot, margoton Mariage Mari malheureux Marlou Marmite Marmotte Marque de la vaisselle Marrons Masturbation Masturber Matou Mauvais lieu Meilleure chose du monde Membre Menesse Menin Mensonge cotonneux Mentule Mère abbesse Mère d’actrice Messaline Messire Luc Métier Mettre Mettre au fait Mettre dans les fesses Mettre en œuvre Mettre en appétit Mettre le foutre à la bouche de quelqu’un Mettre sous le linge Mettre sur le dos Mettre une femme à mal Mettre une femme dans la circulation Mettre un homme en état Miché Miché de carton Miché sérieux Mignon Mignonne Mijaurée Milieu Milord Minette Minon-minette Minotauriser un homme Mirliton Miroir à putains Miroir aux alouettes Moineau Moineau de Lesbie Moitié Moniche Monsieur Mont de Vénus Monté Monter Monter la tête à un homme Monter le bourrichon Monter le coup Monter le coup aux hommes Monter une femme Montrer son degré de longitude Montrer sa boutique Morceau Morceau d’un homme Morpion Morsures Mort-dans-le-dos Morue Mots inconnus Motte Moucher Moucher la chandelle Mou de veau Moudre Mouiller Mouiller ses draps Mouiller une femme Moule à merde Moulin à merde Mourir Munitions d’amour Musardine Mystères Nanan Nature de la femme Nature de l’homme Navette N’avoir ni cul ni tétons Né coiffé Nénets N’être pas de marbre Nerf Nez Noc Noce Noceuse Nœud Noir Noms d’oiseaux Non-conformiste Nouer l’aiguillette Novateurs des plaisirs Novice Numérotée Nymphe Nymphes Obélisque Objet Obscène Obstacle Obtenir tout d’une femme Œillade américaine Œuvre Onanisme Oraison jaculatoire Ordinaire bourgeois Ordinaires Ordures Ôter le petit chapeau Ourcine Ourser Ourson Outil Ouverture divine Ouvrage Ouvrier de nature Ouvrir ses draps Ovale Paillard Paillarde Paillarder Paillardise Paillasse Paillasson Paillassonner Pain quotidien Pâmer Papillon de l’amour Paquet Paradis de Mahomet Paralysie de la queue Parler Parler gras Partie Pascal Passade Passe Passer d’hommes Passer la nuit Passer par les mains d’un homme ou d’une femme Passer sa fantaisie Patiner Patte d’araignée Patte de chat Pauvreté d’un homme Pays-bas Payse Pécher Pécheresse Peloter les couilles d’un homme Pénil Pénillière Perdre son innocence Perroquet Persiller Petit cadeau Petit centre Petit chien, grosse queue Petit con, grand verre Petite dame Petite flûte Petite maison Petite oie Petit frère Petit jeune homme Petit lapin Petit pied, petit con Petit trou Petit vase Petit voltigeur Petits cons Petits vits Picotin d’avoine Pièce du milieu Pied de con Pied de vit Pieu Pigeon Pincer le cul Pine Pique Pirouette sur le nombril Pisser des os Pisser droit Pisse-froid Pisseuse Pistolet Plaisir Planter des cornes Planter un homme Pleurer Pleurer ses péchés Plomb Plomber Plumer des pigeons Poignard Poil blond ou noir Point Poison Poisson Poitrine Poivrer un homme Polichinelle Polir le chinois Polisson, polissonne Politesse Polluer le dard Pommes Pomper le dard Pomper le gland Pomper le nœud Pont-neuf Pont du coil Port de Cythère Port d’arme Porter à droite Porter à gauche Porter une botte à une femme Porté sur la minette Poser Posséder une femme Poste Postère Postillon Postures Pot-au-feu Pot de chambre ou pot de nuit Poulain Poupée Pousse-mou Pousser Pousser l’aventure à bout Pousser le cul pour avoir la pointe Pousser sa pointe Précepteur d’amour Précurseur Prédestiné Préliminaires de l’amour Préludes Prémices Prendre des précautions Prendre du fruit Prendre le cul d’une femme Prendre le déduit Prendre ses ébats Prendre son plaisir Prendre un homme au saute-dessus Prêtresse de Lesbos Prêtresse de Vénus Preuve d’amour Priape Prière Promiscuité Protecteur Prouesse Proverbes érotiques Provoquer les passants Prunes de Monsieur Prussien Puceau Pucelage Pucelage (Avoir son) Pucelle Pucelle de Belleville Punaise Putain Putassier Putiner Putiphariser Quelque chose de chaud Quelque chose de court Quenouille Quéquette Queue Queues Quille Raccrocher Rage du cul Ragoût Raidir Raie du cul Raille Ramoner une femme Rater une femme Rateur Ravigoter un homme Recevoir l’assaut Réclamer ses gants Recommencer Récurer Redingote anglaise Réduit Refaire de sorgue Règles Relique Remuer du cul Renauder Rendre Rendre un homme heureux Rengaîner son compliment, Rentrer bredouille Répandre sa semence Repasser une femme Rester court Retapeuse Retirée du service Retirer Rétrécir Retrousser Ribaud, ribaude Rose Rosée céleste, divine Rosette Rossignol Roublard Rouchie Roupettes Rouscailler Roustons Ruban Rudiment de Cythère Ruffian Rusée au jeu Rut Sac Sacrifice Saletés Salières Salope Sangler une femme Satisfaire son goût Satisfaire une femme Satisfaire un homme Satyriasis Sauce d’amour Saucisse Sauvage Savante en amour Savoir des poses Savonner une femme Secouer la cartouche, le chinois, la houlette Secouer une femme Semence Sens dessus dessous Sentimentage Sentir Sérail Seringue Seringuer Serrer Serrure Service Servir de sa main Serviteur Sirène Sirop de navet Socratiser Sodomie, 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La Psychologie de la race allemande/3 | Edgar Bérillon La Psychologie de la race allemande A. Maloine et Fils, Éditeurs, 1917 (p. 49-63). ◄ L’objectivité physiologique de la race allemande Conclusions ► L’objectivité psychologique de la race allemande bookLa Psychologie de la race allemandeEdgar BérillonA. Maloine et Fils, Éditeurs1917ParisVL’objectivité psychologique de la race allemandeBérillon - La psychologie de la race allemande, 1917.djvuBérillon - La psychologie de la race allemande, 1917.djvu/149-63 Depuis le commencement de la guerre, les actes de cruauté, de débauche ignominieuse, de dégradation, auxquels se livrent les Allemands, ne cessent d’être pour un grand nombre de nos compatriotes l’objet d’un profond étonnement. Ils n’arrivent pas à comprendre comment des êtres, qui se prétendent civilisés, peuvent se comporter, avec tant de facilité, comme s’ils étaient encore des barbares. En effet, la mentalité allemande, pour tous ceux qui n’avaient pas pris la peine de l’étudier avec quelque attention, et qui se fiaient simplement aux apparences, demeure complètement incompréhensible. Un certain nombre de médecins de Paris n’ont pas oublié avec quelle précision je leur avais indiqué, avant la guerre, dans une de nos réunions confraternelles, le débordement d’instincts féroces et dépravés dont l’agression des Allemands nous donnerait le spectacle. Ils se souviennent également des protestations véhémentes que quelques-uns d’entre eux élevèrent contre mes renseignements. Ils n’admettaient pas qu’on pût soupçonner la grande Allemagne d’être jamais coupable du massacre d’enfants, de femmes, de civils sans défense, de la destruction systématique des monuments, d’incendies volontaires, de pillages individuels de la part des supérieurs, d’attentats à la pudeur des femmes, de déportations, de toutes les violations du droit des gens, sans parler des actes aussi inexplicables que peuvent l’être les orgies innommables et la scatomanie des officiers de tout grade. C’est qu’ils cédaient au défaut trop commun de prononcer des jugements sans les appuyer sur les éléments d’une documentation positive. Leurs illusions tenaient également à ce que, dans l’étude de questions qui relèvent uniquement de la psychologie objective, ils ne savaient pas se dégager de l’influence léthifère d’une éducation sentimentale. Depuis lors, s’inclinant devant l’évidence des faits, ils ont spontanément reconnu la justesse de mes prévisions. Le pédantisme. — À toutes les époques, comme l’a dit Montaigne, les pédants ont été l’objet du mépris des galants hommes. Personnellement, je n’ai jamais entendu un Allemand faire une communication dans un congrès international sans me remémorer le vers fameux de Du Bellay : Mais je hay par sur tout un savoir pédanfesque, et cette impression était certainement partagée par la grande majorité des auditeurs étrangers. Le pédantisme, c’est-à-dire l’affectation, l’étalage d’un savoir de compilation, l’expression des faits les plus simples avec une emphase dont la solennité n’exclut pas l’obscurité, ne sévit nulle part, avec autant d’intensité, que dans les universités allemandes. Mais ce serait une erreur de croire que le pédantisme est un état d’esprit particulier aux professeurs et aux hommes de science allemands. Le pédantisme, en Allemagne, n’est pas un fait accidentel, il n’est pas le signe d’une déformation professionnelle. C’est un caractère de race. Il s’étend à toute la nation, s’exerce dans tous les domaines, et on le retrouve à tous les degrés de l’échelle sociale. La suffisance des Allemands n’est pas une chose nouvelle, elle a toujours existé chez eux. C’est encore plus dans leur pédantisme que dans leur brutalité que se trouve la cause de l’irréductible antipathie des populations qu’ils ont annexées. L’énormité du pédantisme germanique a été soulignée par la verve des humoristes. À ce point de vue, le type du professeur Knatsché, tel qu’il nous a été présenté par Hansi, restera le symbole du degré auquel peuvent arriver l’infatuation et la solennité prétentieuse du professeur allemand. Mais c’est aux psychologues qu’il appartient, par une analyse approfondie, de déterminer les causes sur lesquelles repose l’expression d’une morgue et d’un orgueil de race dont on ne retrouve la manifestation chez aucun peuple de la terre. De mes observations sur ce sujet, il m’apparaît que le pédantisme allemand tire sa source des éléments suivants : 1° Le servilisme inné de la race qui la porte à la conservation d’une hiérarchie dans laquelle chacun, après s’être courbé, humilié devant un despotisme brutalement exercé, exige à son tour le témoignage de la bassesse et de l’asservissement de l’inférieur. 2° L’orgueil de race systématiquement entretenu et exploité. — Dès son enfance se révèle dans l’esprit de l’Allemand l’orgueil de race, dont l’école aura pour but de réaliser le complet épanouissement. Le maître d’école et le professeur trouvent dans leurs élèves un terrain admirablement disposé au développement de l’orgueil national. Il leur est facile d’amplifier dans les cerveaux l’admiration pour tous les produits intellectuels ou matériels allemands. Les penseurs, les poètes, les artistes et surtout les guerriers sont exaltés. La femme allemande, le joyau des femmes de ce monde, est célébrée dans sa beauté et sa vertu. La pureté et la vigueur de la race sont glorifiées. Le peuple allemand étant élu de Dieu, ses expansions et ses conquêtes, sa domination sur le monde sont escomptées. Malheur à ceux dont la témérité s’efforcerait de mettre obstacle à la diffusion d’un tel genre de conquête et de civilisation. Quand il s’agit de la puissance et de la gloire de l’Allemagne, on ne saurait se montrer trop difficile sur le choix des moyens. La duplicité, le mensonge, l’espionnage, l’intimidation et aussi le mépris souverain de l’adversaire, dont dérive le pédantisme, ne sauraient donc être répudiés quand il s’agit de l’ascension à des cimes aussi élevées. 3° L’absence complète de l’esprit de finesse. — L’Allemand, incapable de créer et d’inventer, limite son initiative à copier. Il plagie, il perfectionne, et enfin il utilise et exploite à son profit. Grand compilateur quand son esprit rencontre dans un autre pays, une idée nouvelle, il est partagé entre la tendance à la mépriser et le désir de se l’approprier. Long à comprendre, il tourne autour, la dérobe par morceaux, à chacun desquels il attache des jugements particuliers. Enfin il se l’approprie et la modifie d’une façon conforme à ses besoins et à son instinct ; mais il ne la présente qu’après l’avoir tellement démarquée et surchargée d’ornements et de déguisements, qu’il est difficile d’en retrouver l’origine. Alors son orgueil s’exalte, il se considère comme un créateur et il s’empresse de retourner à l’étranger, exportée comme une invention, l’idée dont il n’est que le plagiaire. 4° La cécité du ridicule. — L’Allemand, à quelque catégorie sociale qu’il appartienne, n’a pas la notion du ridicule. Qu’il s’agisse d’un hobereau, d’un officier, d’un fonctionnaire, d’un professeur, d’un bourgeois, vous serez toujours frappé à un moment donné d’une opposition entre la vulgarité d’une physionomie et la solennité d’une attitude ; du contraste entre la lourdeur de la démarche et le déclanchement automatique d’un geste. Les transformations soudaines de rythme dont les clowns de cirques tirent leurs effets habituels d’hilarité se trouvent involontairement réalisées par les Allemands dans tous les instants de la vie. Je pourrais par de nombreux exemples illustrer ma démonstration. Je me bornerai à un seul. Dans un congrès international qui se tenait en Suisse, le secrétaire général, s’exprimant en français, parlait de la façon la plus courtoise, son affabilité se montrait dépourvue de toute solennité et de toute prétention. Tout à coup, il redresse brusquement la tête, bombe son torse, et de sa gorge sortent des sons rauques, empreints d’une énergie sauvage. Il parle avec une force croissante, comme s’il était en proie à la plus violente excitation. Je demande à mon voisin l’explication de celle soudaine fureur, il me répond : « Ce n’est rien, il répète simplement en allemand ce qu’il vous disait tout à l’heure en français. » Pendant toute la durée du congrès, le zélé secrétaire général, s’exprimant alternativement dans la langue française, puis dans la langue allemande, nous a donné involontairement le spectacle d’un contraste saisissant entre le naturel et le grotesque. C’est que l’impression du grotesque résulte de la combinaison de ce qui est exagéré, forcé, déformé et prétentieux. Cette réalisation du grotesque, qui prête inévitablement à rire pour tous ceux qui ne sont pas de race germanique, se retrouve dans toutes les occasions où se réalise automatiquement la raideur obséquieuse de l’Allemand. Tel est un officier en présence d’un supérieur, un assistant devant un professeur, un professeur devant un hobereau de rang princier. Sans parler de toutes ces salutations automatiques, ces verbeugung multipliés, dans lesquels la partie supérieure du tronc s’infléchit à angle droit sur la partie inférieure. 5° La colère. — La colère allemande, le furor teutonicus, n’est qu’une des expressions les plus habituelles du pédantisme humilié. On l’a vu dans les élucubrations de tous ces prétendus savants dont la notoriété était surtout faite de notre snobisme. Le psychologue Wundt, dans les travaux duquel, on chercherait en vain la moindre idée originale ou personnelle, n’a-t-il pas, dès la déclaration de guerre, démontré la faiblesse de son pouvoir de contrôle lorsqu’il a écrit : La guerre juste et sainte, c’est celle que l’Allemagne fait à ses ennemis. La guerre de nos ennemis, c’est l’attaque infâme de brigands, dont les moyens sont l’assassinat, la piraterie et la flibusterie, non pas la lutte ouverte, honorable avec les armes. Qui donc, après cette citation, pourra encore considérer Wundt comme un psychologue et voir en lui autre chose qu’un irascible pédant. Il ne m’est arrivé qu’une seule fois de rencontrer un Allemand qui se rendait compte de ce qu’il y a de ridicule dans les exhibitions de costumes du kaiser, dans les gestes automatiques des officiers, dans la raideur des fonctionnaires, dans les duels symboliques des étudiants et dans le pédantisme irréductible de toute la race germanique. Comme je lui en exprimais mon étonnement, il me répondit : « C’est que je ne suis pas Allemand de race, je ne le suis que de nationalité. Je suis né à Prague, mon père et ma mère sont Tchèques. » Or, on sait que les Tchèques ont la réputation d’avoir accaparé tout l’esprit de l’Europe centrale. Le rituélisme de l’ivrognerie. — L’année dernière, dans son éloquente conférence sur la Psycho-pathologie criminelle des Austro-Allemands, mon ami M. le Professeur Capitan a exposé les causes de la mégalomanie sanguinaire des Allemands. La rattachant à l’intoxication par un alcoolisme généralisé à toutes les classes de la société, il en a analysé l’action spéciale sur un terrain prédisposé et en a fait ressortir le caractère particulier de violence et de grossièreté. Il est arrivé enfin à la conclusion que les crimes des Allemands ne sont que les réactions antisociales d’une mentalité pathologique. En réalité, en ce qui concerne l’alcoolisme et les violences qui l’accompagnent, les Allemands d’aujourd’hui ne sont pas sensiblement différents de ce qu’ont été les Allemands de tous les temps. Les traditions qui les portent à se réunir pour se livrer à d’interminables beuveries ne sont que des survivances de la mythologie germanique. La conception de la conduite de la vie est exactement la même chez eux qu’au temps des Germains de Tacite. Elle se résume en ces mots : carnage, pillage, goinfrerie, ivresse. Tacite nous a renseignés sur les habitudes d’ivrognerie des Germains : Boire des journées et des nuits entières, écrit-il, n’est une honte pour personne. Leur boisson est une liqueur d’orge ou de froment à laquelle la fermentation donne les effets du vin. L’histoire des anciens dieux allemands n’est qu’une série interminable de carnages, de trahisons, de soûleries et de gloutonneries. Le plus ancien des personnages historiques cités dans les Eddas et Sagas est Ermenrich, roi des Ostrogoths, qui vivait au ive siècle. Au cours de ses accès d’ivresse, il fait déchirer sa fiancée, Swanilda, par les dents de chevaux sauvages ; il écrase sous des pierres les frères de la victime et extermine un grand nombre de ceux qui l’approchent. Ses fureurs alcooliques lui ont valu une gloire impérissable dans l’admiration de toute la race gothe. Les épopées germaniques ne relatent que des récits de sang, de pillage, d’orgies où la violence sans frein s’associe à une cupidité insatiable. Un poème dramatique, « Le Festin d’Agyr », nous fait assister à la vie familière des dieux. C’est Agyr qui leur prépare l’hydromel dont ils usent à l’excès, et l’ivresse, après de longues disputes et d’interminables propos d’ivrognes, les amène à rouler sous la table. Les scènes bachiques continueront à se dérouler pendant tout le moyen âge. La légende de Gambrinus, inventeur de la bière, sera l’inspiratrice des artistes et tous déifieront l’ivresse de la bière. Qui ne sait ferme et sec lamper à tous moments Jamais ne passera pour un bon Allemand, lit-on sur une vignette de Josse Aminann, datée de 1588. Le 19 mai 1539, Luther, dans un sermon véhément, s’élève contre l’habitude brutale, de l’ivresse digne de pourceaux, à laquelle s’adonnent les Allemands, se rendant la fable de toutes les nations. Mais les détails les plus circonstanciés sur le rituel de l’ivrognerie nous sont fournis par le maréchal de Grammont. Dans un souper, chez l’électeur de Bavière, en 1646 : On y but tant de santés que tous les convives et le maître des cérémonies restèrent sous la table ivres-morts. C’est la mode et la galanterie d’Allemagne qu’il faut prendre en bonne part quand on est avec des Allemands et qu’on a à traiter avec eux. Dans un autre festin, en 1658, chez le comte Egon de Furstemberg, où se trouvèrent les électeurs de Mayence et de Cologne, on but bien deux ou trois mille santés ; puis, la table fut étayée, tous les électeurs dansèrent dessus ; tous les convives s’enivrèrent. Le maréchal de Grammont nous dit que : Rien ne se rapatrie bien et solidement avec les Allemands que dans la chaleur du vin où ils appellent les convives, qui boivent le mieux et le plus longtemps, leurs chers frères. L’électeur de Mayence, Jean de Schœnborn : Ne buvait jamais que trois doigts de vin dans son verre, et buvait régulièrement à la santé de tout ce qui était à fable, puis passait aux étrangers, qui allaient bien encore à une quarantaine d’augmentations ; de sorte que, par une supputation assez juste, il se trouvait qu’en ne buvant que trois doigts de vin à la fois, il ne sortait jamais de table qu’il n’en eût six pintes dans le corps ; le tout sans se décomposer jamais, ni sortir de son sang-froid, ni des règles de la modestie affectée à son caractère d’évêque. Fig. 16. — Le ritualisme de l’ivrognerie allemande : Président d’une corporation d’étudiants. La margrave de Baireuth, nouvellement mariée, fait, en 1732, son entrée dans sa résidence. L’impression que lui laissa le repas de noces mérite d’être rapportée : Je me trouvai, dit-elle, en compagnie de trente-quatre ivrognes, ivres à ne pouvoir parler. Fatiguée à l’excès et rassasiée de leur voir rendre les boyaux, je me levai enfin et me retirai, fort peu édifiée de ce premier début. Les mémoires du comte de Poellnitz, lorsqu’il relate les orgies bachiques des cours d’Heidelberg et de Fulda, sont remplis de détails si répugnants qu’ils provoquent la nausée et soulèvent le cœur. Dans toutes les universités, les étudiants ont des Kneipen (réunions quotidiennes) et des Commers (réunions hebdomadaires), où ils ne font que calquer leur conduite sur celles de ces illustres ivrognes. En Allemagne, l’ivresse, comme toutes les autres manifestations de la vie sociale, est organisée et réglementée. Elle s’impose l’obligation de gestes et de paroles conventionnels. En un mot, elle est rituélique. Le rite naît du besoin de reproduire le même acte avec le même cérémonial, dans les mêmes circonstances. Il est en quelque sorte la consécration traditionnelle d’une habitude sociale. À ce sujet, il semblerait que tous les Allemands, dans leurs actes les plus élémentaires, s’inspirent de la parole mise par Renan dans la bouche d’un des personnages du Prêtre de Némi : L’ordre du monde dépend de l’ordre des rites qu’on observe. Fig. 17. — Défilé des corporations d’étudiants allemands. Les lois régissant les corporations d’étudiants, qu’il s’agisse des Verein ou des Burschenschaften, sont extrêmement sévères. Certains exigent la chasteté et l’indifférence totale à l’égard du sexe féminin ; d’autres interdisent les jeux de hasard, mais aucun ne prohibe les beuveries. L’incorporation s’effectue avec des rites consacrés et revêt une allure de solennité quelque peu pédantesque. Le candidat qui doit être de race allemande, s’engage par serment à se vouer au culte et à la grandeur de la patrie. Après il reçoit le baptême de la bière. Les nouveaux admis, les Fuchse (les renards), doivent aux anciens, les Burschen, les marques de la plus servile obéissance. Dans les réunions, à la Gulle, dont la signification exacte est flaque d’eau fangeuse, ils sont tenus de boire de la bière aillant qu’il plaira au præses de leur en faire avaler. À la Gulle, chaque corporation a sa table. Aucune relation n’existe entre elles, malgré leur voisinage. Mais quand chacun a avalé une quinzaine de litres de bière, un besoin d’effusion les porte à oublier la couleur de leurs casquettes. Le rituel de la beuverie comporte des formules dont nul ne peut se départir. Si l’on pose la question : Comment trouvez-vous la Gulle ? La réponse réglementaire doit être : Gœttlich ! (divine !). Sans cela on est exclu ou mis en accusation. Un buveur ne porte jamais une chope à la bouche sans s’adresser à quelqu’un et, en levant le verre, prononcer le mot : Prosit ! L’interpellé doit répondre : Ich komme nach (je suis) et boire également. Si l’on vous dit : Prosit einen Halben in dem Bauch ! (grand bien vous fasse, un demi-litre dans la panse !), dans le délai de trois minutes l’invité doit avoir avalé sa chope. Cent autres formules analogues constituent le rituel de la bière, rédigé sur le modèle de celui de Leipzig et qui sert à l’initiation de tous les Fuchse (renards). À côté du rituel, chaque buveur a devant lui le Commersbuch, le recueil de psaumes. Sur l’ordre du président les gosiers altérés passent tour à tour de l’hymne patriotique ou religieux à la chanson bachique, intercalant à chaque pause le refrain perpétuel : « La bière coule sans fin. » (fig. 16.) Les chants ne sont interrompus que par des récits où le Witz allemand se donne libre cours. Le Witz est une fantaisie qui a la prétention d’être satirique et ironique. Le Commersbuch en contient une douzaine où l’allure prétentieuse le dispute à la longueur, la lourdeur et la platitude. Aucun de nos étudiants n’en pourrait entendre le débit sans être pris de sommeil. Il s’agit donc d’une soûlerie systématique et violente, contenue par une forte discipline. La description de certains intermèdes devient à peine possible. À la Gulle est annexé le Speibecken qui est l’accessoire obligé de l’orgie : le vomitorium. « Toute l’Allemagne, les républiques de la Hanse, les grands-duchés et les royaumes dissidents de l’empire, écrit Jules Huret, se rencontrent devant la cuvette (Speibecken) ». Quelle solidarité dans l’amour de la bière et de la patrie allemandes ! L’ivrognerie rituélique des Allemands ne trouve pas seulement son application journalière dans les Kneipe d’étudiants, mais les repas de corps des officiers, les banquets de corporations, dans les festins funéraires et toutes les réunions empreintes de quelque solennité : médicales, scientifiques ou autres. Les congrès médicaux internationaux, siégeant en Allemagne, avaient été pour un grand nombre d’entre nous l’occasion d’une impression des plus pénibles. Ce n’est pas sans un sentiment profond de dégoût que nous avions vu des professeurs, déjà âgés, se soumettre avec docilité à toutes les prescriptions de ces rites barbares. Ces hommes, d’allure respectable, n’hésitaient pas à associer leur voix à l’exécution des chants les plus méprisables, avant de succomber à l’ivresse si lourde qui les empêche de retrouver seuls le chemin de leurs domiciles respectifs. La permanence des rites de l’ivresse et des traditions bachiques a été assurée, en Allemagne par la superstition, la routine, l’absence d’esprit d’improvisation, le servilisme, l’orgueil de caste et l’hypocrisie. L’acte de trinquer, de l’allemand « trinken », boire, qui signifie boire à la santé en choquant les verres, est un geste qui vient directement d’Allemagne. Une superstition des barbares germains leur faisait croire qu’un souhait de santé n’avait de valeur qu’autant que la coupe serait vidée d’un trait jusqu’à la dernière goutte. C’est ce que les étudiants allemands ont continué à appliquer dans leur Prosit rest qui signifie : « À votre santé, jusqu’au fond du verre. » Ce qui oblige le partenaire à vider d’un seul trait son verre, quelle qu’en soif la dimension. Le rituel bachique des étudiants allemands consacre la continuation de cette superstition. La routine et le défaut d’imagination s’accommodent volontiers de phrases toutes faites. Le servilisme et l’orgueil trouvent à la fois leur satisfaction dans la subordination volontaire et dans l’autoritarisme prétentieux des autres. Enfin le fait de se plonger dans l’ivresse la plus répugnante, sous le prétexte de favoriser la santé d’autrui, n’est-il pas l’excuse la plus singulière que l’hypocrisie ait mise au service de l’intempérance ? En perpétuant d’une façon rigoureuse les traditions dérivées de l’époque où la Germanie était plongée dans les ténèbres de la barbarie, le rituélisme des étudiants allemands consacre les paroles récemment prononcées par l’historien Lampretcht : Nous sommes des barbares et nous voulons le rester. Le mimétisme allemand. — Le mimétisme est la tendance que présentent certains êtres vivants à adopter la couleur et l’apparence des objets qui les entourent. Tandis que ce déguisement, d’ordinaire, a pour but de leur éviter de servir de pâture à des animaux qui leur sont hostiles, chez les Allemands il est mis au service d’intentions absolument contraires. Le mimétisme de l’Allemand consiste à revêtir l’allure de la bienveillance et de la bonhomie. Il profite alors de la confiance qui lui est accordée pour espionner, se renseigner, afin de mieux arriver à s’approprier le bien d’autrui. Ainsi compris, il réalise le mode d’exploitation qui constitue le mimétisme parasitaire. La mentalité de l’Allemand est tellement adaptée à cette manière d’être, que les industriels enrichis se font un titre de gloire des pires indélicatesses professionnelles. L’un d’eux se vantait devant moi, en Allemagne, comme d’un acte tout à fait naturel, d’avoir fait pénétrer cinq espions de sa famille dans une fabrique anglaise. En occupant les situations les plus infimes, dans les divers ateliers, ils étaient parvenus à dérober tous les secrets de fabrication. Dans le domaine médical et scientifique, des procédés analogues sont couramment mis en œuvre. Afin de se mieux documenter sur les détails de ma technique personnelle en ce qui concerne l’hypnotisme et la psychothérapie, un médecin allemand avait eu l’idée de se présenter à ma consultation et de simuler une affection nerveuse. Il me fut très agréable, après avoir dépisté ses intentions de plagiat, de le soumettre à quelques expériences de vivisection psychologique, qui n’avaient rien de commun avec ce qu’il désirait apprendre. L’imitation générale du milieu où séjourne l’animal a été décrite sous le nom d’homochromie. Le choix de la couleur des uniformes de l’armée allemande, le gris terreux (feldgrau), par ce qu’elle se confond avec celle du sol, n’est qu’une des multiples applications du mimétisme allemand. L’apparition de la neige a été l’occasion d’un nouveau déguisement. C’est recouverts d’un suaire blanc et le visage barbouillé de farine que les soldats allemands ont été amenés sur la ligne de combat. Guillaume ii donne le premier l’exemple de ces adaptations de costume au milieu. À cet effet, sa garde-robe ne comprend pas moins de six cents uniformes des armées de l’Allemagne et des autres pays de l’Europe. Si dans le commerce, la science et l’industrie, le mimétisme consiste dans la pénétration d’émissaires chargés du plagiat des méthodes, de la copie des modèles, du démarquage des brevets d’invention ; dans le domaine militaire il nous est connu sous la forme d’un espionnage savamment organisé. Au point de vue diplomatique, l’introduction, par le mariage, dans toutes les dynasties de l’Europe, de princesses allemandes, constitue également un des modes les plus efficaces de la pénétration germanique. C’est ainsi que les parasites, en déposant leurs larves dans des organismes étrangers, assurent à la fois la continuité de leur existence, et celle de leur malfaisance. Il est vrai qu’à ce point de vue les effets habituels de l’infection parasitaire n’ont pas tardé à se manifester. La pénétration du parasitisme allemand dans les dynasties de l’Europe en a promptement amené la décomposition et la déchéance. Mais c’est dans le domaine de l’exploitation commerciale que se révèlent au plus haut degré la souplesse et la diversité de formes que sait revêtir le mimétisme allemand. Par la falsification, la contrefaçon, ils étendent les déguisements par lesquels on surprend la bonne foi, à tous les objets de leur fabrication. Ils adoptent le nom, la forme, l’apparence, en dénaturant la constitution intime du produit. Que de fausses marques de champagne, de conserves alimentaires, de camemberts, de médicaments, ont été introduites frauduleusement sur les marchés. Une fabrique de liqueurs française possède dans son musée plus de cent variétés de contrefaçons allemandes. À toutes les formes décrites par les zoologistes, il convient donc d’en ajouter une nouvelle spéciale aux Allemands, sous le nom de mimétisme commercial. Dans une étude parue en 1878, de Lacretelle a magistralement exposé la duplicité de sentiments qui, dans toute l’Allemagne, caractérise les intellectuels : Chacun sait, disait-il, qu’un savant allemand habite deux demeures : l’une où il admet toutes les vérités, tous les progrès, toutes les innovations, où il discute, dissèque, juge, accueille, rejette avec passion les principes, les systèmes, les religions, les méthodes, les théories quelconques — c’est sa demeure intellectuelle ; l’autre, où il s’applique à ne jamais pratiquer les maximes qu’il reconnaît comme vraies, où il supporte patiemment les caprices des grands, des ministres, où il s’incline devant chaque corps constitué, où il professe le culte de la force, où enfin il est toujours prêt à servir des maîtres dont il a établi dans ses livres les ridicules et injustes prétentions. C’est sa demeure sociale et terrestre. Le manifeste des quatre-vingt-treize professeurs allemands est venu corroborer l’appréciation si justifiée dont les savants allemands avaient été l’objet de la part de notre compatriote. Seuls les habitants des pays envahis ont pu se rendre compte de l’étendue du pouvoir de dissimulation des individus de race allemande. Aujourd’hui, comme en 1870, après s’être livrés aux attentats les plus abjects, le soldat allemand sait modifier son attitude et se couvrir le visage d’un masque de bonhomie, quand il y trouve son intérêt. Dans l’espoir d’en tirer le plus léger supplément de nourriture, il fait le bon apôtre et s’efforce d’attendrir ses propres victimes. Le mimétisme allemand est un caractère de race, particulier aux individus de race germanique ; on ne l’observe pas chez les sujets annexés. La cupidité est son mobile, le servilisme instinctif, l’obséquiosité et la duplicité constituent ses moyens habituels d’exécution. Par la constance et la fréquence de son objectivité il peut être considéré comme un des caractères les plus spécifiques de la race allemande. Le fétichisme de la race allemande. — Le casque à pointe est le continuateur direct des casques ornés de cornes et de pointes dont les Huns, les Cimbres, les Teutons, les Vandales et les autres barbares de race germanique faisaient leur coiffure habituelle ; à lui seul, ce couvre-chef, surmonté d’un fer de lance, constitue le caractère le plus expressif de la mentalité allemande. Symbole fétichiste de la brutalité guerrière organisée, il signifie, pour celui qui le porte, l’intention d’être considéré comme un animal de combat et de proie. Ce n’est pas par l’effet du hasard que les rois de Prusse ont adopté cette coiffure de guerre. Désireux de donner à leurs soldats l’aspect le plus capable d’inculquer la notion de la supériorité militaire et d’inspirer la crainte, ils ont repris le casque de cuir dont, selon Tacite, les Hariens, les Sarmates et les peuples de la Germanie ornaient leurs têtes dans le but d’effrayer l’ennemi. Le casque à pointe actuel est presque exactement calqué sur celui que portaient les Daces. (Fig. 18, 19 et 20, d’après le Larousse illustré.) Fig. 18 et 19. — Casque Duce et casque allemand. Parlant des Hariens qui habitaient sur la rive gauche de la Vistule et qui sont les ancêtres directs des Prussiens actuels, Tacite s’exprime ainsi : Ces hommes farouches, pour ajouter à la férocité naturelle de leur visage, sollicitent le concours de l’art et des circonstances. Ils peignent en noir leurs boucliers, se teignent le corps, choisissent les nuits les plus sombres pour combattre, et rien que par l’horreur qu’inspire cette armée lugubre et par l’ombre qui l’enveloppe, répandent l’épouvante ; il n’est pas d’ennemi capable de soutenir cet aspect étrange et en quelque sorte infernal, car, dans tout combat, les yeux sont les premiers vaincus. Lorsque les Cinabres et les Teutons fondirent sur la Gaule et l’Italie, il se dégageait de leur aspect une telle impression de barbarie et de férocité, que les soldats romains en étaient impressionnés à tel point, que le général Marius crut nécessaire de prendre des mesures pour remédier à cet état d’esprit. Loin de se hâter de livrer la bataille comme le désiraient les Romains, il se retrancha dans un camp extrêmement fortifié et se cantonna, dans la méthode sage et prudente de la temporisation. Il plaçait ses soldats les uns après les autres, sur les remparts du camp, nous dit Plutarque, d’où ils pouvaient voir les ennemis, afin de les accoutumer à leur figure, au ton rude et sauvage de leur voix, à leur armure et à leurs mouvements extraordinaires. Il leur rendit ainsi familier, par l’habitude, ce qui d’abord leur avait paru si effrayant, car il savait que la nouveauté fait souvent illusion et exagère les choses que l’on craint, au lieu que l’habitude ôte même à celles qui sont redoutables une grande partie de l’effroi qu’elles inspirent. Celle vue continuelle des ennemis diminua peu à peu l’étonnement dont les Romains avaient été d’abord frappés, et bientôt leur colère, ranimée par les menaces et les bravades insupportables de ces barbares, échauffa leur courage. Car les Teutons, non contents de piller et de ravager tous les environs, venaient les insulter, jusque dans leur camp, avec l’insolence la plus révoltante. Ces extraits démontrent suffisamment que, par leur fétichisme et leur croyance aux manœuvres d’intimidation, les Teutons d’aujourd’hui sont bien les descendants directs de ceux qui furent dispersés par l’armée de Marius. Fig. 20. — Le casque de Bismarck. À notre époque, si le fétichisme du casque à pointe s’est encore accentué chez les Allemands, c’est que la victoire avait, jusqu’à ce jour, couronné ce casque sur tous les champs de bataille où il avait été conduit par la dynastie actuelle des Hohenzollern. Le fétichisme du casque est poussé à un tel degré dans les familles régnantes d’Allemagne, que les jeunes princes en sont souvent affublés à partir de l’âge de quatre ans. Des princesses le portent avec fierté les jours de revue, lorsqu’elles galopent à la tête des régiments de cavalerie dont elles sont les colonelles. Des hauteurs princières, le culte de ce fétiche s’est répandu dans toutes les classes de la société. Aussi, en Allemagne, tout ce qui représente une parcelle quelconque de la force publique a été pourvu du casque à paratonnerre. Les têtes des douaniers, des gendarmes, des policiers, des surveillants, des inspecteurs et contrôleurs en sont pourvus. Il n’est pas jusqu’aux médecins et aux pharmaciens militaires qui n’éprouvent un sentiment d’orgueil à s’en décorer le chef. C’est que la présence, sur une tête de ce fétiche en cuir bouilli est le signe de la discipline sur laquelle est basée la toute-puissance de l’Allemagne, et qu’elle confère le droit au respect. Fig. 21. — Le kalpach des hussards de la mort. Le fétichisme du casque à pointe a son équivalent dans le kalpach des hussards de la mort (fig. 21). Cette coiffure, sur le devant de laquelle un crâne et deux tibias en croix rappellent l’étiquette par laquelle nos pharmaciens signalent la toxicité de leurs produits, est l’objet, en Prusse, d’une admiration sans réserve. Le général Mackensen s’en est fait l’apologiste dans un livre où il a retracé l’historique des hussards de Dantzig. Le kalpach des hussards de la mort est la coiffure de prédilection du Kronprinz ; il en a été le colonel. Il a partagé cette satisfaction avec la princesse Victoria-Louise, qui ne se fait pas faute d’arborer ces insignes mortuaires dans toutes les occasions solennelles. Le fétichisme des Allemands, qui se manifeste dans tant de multiples circonstances, a trouvé une nouvelle application dans l’inauguration d’une colossale statue en bois du maréchal von Hindenburg. Érigée à côté de la colonne de la Victoire, à Berlin, elle a été inaugurée solennellement par le chancelier de l’empire. La sœur du Kaiser fut la première à planter sur le fétiche un clou orné de la couronne impériale. Depuis, deux millions de clous ont été plantés. Cette superstition se rattache à d’antiques traditions. Il était d’usage chez les Germains d’enfoncer des clous et des épines dans certains arbres pour se guérir des fièvres. Ces traditions ont pénétré dans quelques localités françaises, en particulier à Braine l’Allend, qui, comme son nom l’exprime, se rattache à une institution germanique. Elles ont depuis longtemps cessé d’être pratiquées. En dehors de l’Allemagne, on ne les rencontre plus que chez des peuplades à demi sauvages de l’Afrique centrale et du Congo. Pour être complet, au rituélisme de l’ivrognerie il m’aurait fallu ajouter les diverses pratiques rituéliques de la scatomanie, du stupre, de la dévastation systématique, de l’exécration, si fréquemment accomplis par les officiers allemands de race germanique et qui dérivent également d’anciennes coutumes des tribus germaniques. Le développement nécessité par leur exposé ne me permet pas de les comprendre dans cette conférence. |
Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/Article I. — Âge. | Honoré Aubanel, Ange-Marie Thore Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre 1841 (p. 28-44). bookRecherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de BicêtreHonoré Aubanel, Ange-Marie Thore1841VAubanel - Thore - Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre.djvuAubanel - Thore - Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre.djvu/128-44 Art. Ier. — Âge. Pour apprécier convenablement l’influence de l’âge sur la production de la folie, on ne doit pas seulement, comme l’ont fait jusqu’à présent tous les auteurs, prendre les aliénés en masse et rechercher le rapport des nombres que fournit chaque époque de la vie ; il faut, de plus, distinguer entre elles les diverses espèces d’aliénation qu’il est impossible de confondre dans une même étude. C’est probablement pour ne pas avoir fait ces distinctions que quelques médecins sont arrivés à des résultats différents. Nous tâcherons d’éviter ce reproche ; et dans le tableau qui va suivre, pour 1839, nous avons déterminé l’âge des individus relativement à chaque variété de délire. Un total, placé dans la dernière colonne, comprend tous les individus du même âge, sans distinction des divers genres d’affection. Avant de nous arrêter sur chaque variété, examinons d’abord les résultats de la dernière colonne, afin de pouvoir les comparer tout de suite à ceux des autres statistiques. Sur la totalité des aliénés de notre année, le plus grand nombre est compris dans la période de 35 à 40 ans, puis vient celle de 30 à 35 ; dans les années placées en dessous de 30 ans, ce chiffre décroît dans une proportion moindre qu’au delà de 50. Nous n’avons pas obtenu absolument le même résultat sur le relevé que nous avons fait des admissions de 1831 à 1839. Relevé de 1831 à 1839. Le maximum, dans ce second relevé, est le même que pour les aliénés de notre année ; il se trouve dans les périodes de 35 à 40 et de 30 à 35. Mais celle de 25 à 30, qui occupe un rang inférieur en 1839, vient en troisième ligne ; ensuite celle de 41 à 45 ; et immédiatement après arrive la période avant 20 ans, qui, dans le premier tableau, se trouve infiniment plus bas. Les aliénés qui dépassent 50 ans sont les moins nombreux. Les différences qui distinguent ces deux tableaux ne sont point fondamentales ; elles sont plutôt apparentes que réelles, et nous semblent dépendre uniquement de ce que la proportion des divers genres de folie n’a pas été la même en 1839 que dans les années qui ont précédé. Celle des idiots, par exemple, a été cette année comparativement plus faible (voir le tableau) ; et on conçoit alors pourquoi la période avant 20 ans, qui est l’âge de l’idiotie, renferme moins d’individus dans le premier tableau que dans le second, où le chiffre des idiots est beaucoup plus élevé. Les autres différences sont peu importantes, et tiennent probablement à ce que les deux termes de comparaison ne sont pas égaux, l’un ne comprenant que 549 malades, l’autre 3,931 ; ce dernier chiffre étant plus élevé, doit mériter à ce titre plus de confiance. Nous avons réuni par périodes décennales tous les âges indiqués dans les statistiques que nous avons sous les yeux, et nous en avons formé un tableau synoptique où l’on pourra juger comparativement les résultats auxquels les divers auteurs sont arrivés. Un premier coup d’œil jeté sur la dernière colonne de ce tableau nous fait voir, sur un total de 7,295, que la période de 31 à 40 ans est la plus favorable au développement de la folie ; ensuite vient celle de 21 à 30 ans, puis celle de 41 à 50 ans, ce qui est tout à fait en harmonie avec le tableau de 1831 à 1838. Il nous est donc permis sur ces deux résultats d’établir par période décennale l’ordre de fréquence qui suit, relativement à l’influence que l’âge peut exercer sur les dérangements de l’esprit. Il n’y a de différence dans ces trois colonnes que pour la période de 21 à 30 ans, qui, en seconde ligne dans les deux premiers, ne se trouve qu’en troisième pour l’année 1839. Voyons maintenant le rapport qui existe entre les diverses statistiques que nous avons rassemblées. La période qui précède 20 ans est en troisième ligne pour la Norwège, tandis que dans les autres pays elle n’occupe que le cinquième ou sixième rang ; le nombre des aliénés qui sont compris forme le sixième de celui des fous qui existent dans le royaume, proportion énorme, comparativement à Paris où les aliénés qui ont moins de 20 ans ne constituent que le quatorzième de la population de cette classe de malades. Cette différence, comme le dit M. Esquirol, est due à la quantité prodigieuse d’idiots qu’indique le relevé de Norwège. Les trois périodes qui offrent le plus de malades sont pour toutes les statistiques, cette dernière exceptée, celles qui se trouvent entre 20 et 50 ans ; c’est au reste le résultat que Haslam et Rush ont annoncé depuis longtemps ; mais l’âge qui excède tous les autres est celui de 31 à 40 ans, dans les relevés de MM. Desportes, de Boutteville, Bouchet, Vastel, Bonacossa, Greco, Holst, et dans le travail sur l’établissement de Dundée ; c’est celui de 20 à 30 pour MM. Esquirol, Bertolini et Beck. En définitive, d’après le résultat que nous ont donné nos tableaux et les travaux des auteurs que nous venons de citer, il nous semble permis d’établir que l’aliénation mentale, rare dans la première enfance, devient très commune après 20 ans, est plus fréquente entre 30 et 40 ans, époque où elle a son maximum, commence à diminuer après cet âge, et s’éteint graduellement à mesure que l’on arrive vers la vieillesse. Dans la Norwège, la diminution est rapide à cette époque de la vie. Ainsi, on a calculé qu’il n’y avait plus qu’un huitième d’aliénés au delà de 60 ans, tandis qu’à Paris un sixième à peu près dépasse cet âge. Nous avons pris dans toutes les statistiques précédentes le chiffre des aliénés qui ont plus de 60 ans, et nous l’avons comparé à la totalité des malades qui se trouvent au-dessous de cet âge. Nous avons trouvé pour tous ces travaux réunis qu’un dixième dépassait 60 ans ; c’est moins qu’à Paris, comme on voit, et moins qu’en Norwège. Nous avons vu que la folie avait son maximum de fréquence entre 30 et 40 ans ; mais de ce qu’il y a à cet âge un grand nombre d’aliénés, en conclurons-nous qu’il constitue une prédisposition à l’aliénation mentale ? C’est une question qui mérite de nous arrêter, et sur laquelle on est loin d’être parfaitement d’accord. MM. Esquirol et Leuret, qui ont comparé l’âge de 12,869 aliénés à l’âge de dix millions d’individus pris dans l’Annuaire du bureau des Longitudes, ont avancé, contrairement aux autres, que c’était la vieillesse qui donnait proportionnellement le plus grand nombre de fous. Nous allons laisser parler M. Esquirol. « Pour déduire des conséquences rigoureuses du nombre absolu des aliénés relativement aux âges, il ne suffit pas de constater qu’il existe numériquement plus de fous âgés de 30 à 40 ans ; il importe de rechercher et de connaître le nombre des fous comparé à celui de la population de chaque âge. « Pour cela, nous avons constaté l’âge de 12,869 aliénés, observés à Bicêtre, à la Salpêtrière et à Charenton. Nous avons classé ces 12,869 individus d’après leur âge, et nous les avons rapportés à une échelle d’où il est résulté des quantités géométriques qui permettent de saisir d’un coup d’œil le nombre et la différence des aliénés dans chaque âge, de comparer ce nombre et ces différences, et de les soumettre même à des proportions mathématiques. Cette même opération a été faite sur 10,000,000 individus classés d’après leur âge, afin de constater la proportion propre à chaque âge de la vie. L’Annuaire du bureau des Longitudes a servi de base à ce travail, qui a été fait par M. le docteur Leuret. « La population absolue diminue d’âge en âge ; cette diminution est graduelle et s’opère dans des proportions à peu près égales de 20 à 25 ans ; elle est plus forte de 35 à 45 ; elle est plus tranchée de 45 à 60 ; très rapide depuis 60, et surtout depuis 65. À cette dernière époque jusqu’à la décrépitude, cette diminution s’opère régulièrement et dans une progression presque géométrique. La fréquence de la folie comparée aux âges ne suit pas la même loi que la population générale ; elle offre des anomalies bien singulières, quoiqu’elle aille toujours en augmentant. Ainsi, plus l’homme avance dans la vie, plus il est exposé à la perte de la raison, mais avec des chances différentes relativement aux âges. Il y a moins de fous de 20 à 30 ans comparativement à la population de cette époque de la vie : il y en a plus de 30 à 40, quoique la population ait déjà diminué ; et néanmoins le nombre des fous est moins élevé comparativement à la population dans les âges suivants : de 40 à 45 ans, la population est diminuée, et le nombre relatif des fous augmente à raison de cette même diminution : il en est de même de 40 à 50 ans. L’augmentation relative du nombre des fous est plus marquée encore de 50 à 55 ans, de 70 à 75 ; et de 75 à 80, le nombre des aliénés relatif à la population est énorme ; c’est l’âge de la démence sénile. « Ainsi, quoique numériquement et d’une manière absolue, il soit vrai de dire qu’il y a plus d’aliénés de l’âge de 30 à 40 ans qu’avant et après cette époque de la vie, on se tromperait si l’on en tirait la conclusion qu’à cet âge l’homme est plus exposé à perdre la raison, puisque relativement à la population générale il y a mois de fous de 30 à 40 ans que dans les âges suivants. » Un auteur qui est venu après, M. de Boutteville, reprenant le même calcul, mais par une opération sans doute différente, est arrivé à conclure que l’âge de 30 à 40 ans était le plus favorable à la production de la folie, et qu’il pouvait être regardé réellement comme une prédisposition. Voici un tableau qui expose le calcul auquel il s’est livré. M. de Boutteville déduit de son travail que le nombre relatif des aliénés ne croît pas avec l’âge jusqu’à la fin de l’existence, et que la folie est moins fréquente dans la partie de la population âgée de 50 à 60 ans que dans celle qui n’a atteint que 40 à 50 ans. La proportion des aliénés, dit-il, ayant 60 ans est très forte, il est vrai, et cependant elle est au-dessous de celle que l’on observe entre 30 et 50 ans. Nous avons tâché à notre tour de résoudre cette question ; et, ayant pris la population d’habitants qui a servi de base à ces calculs, nous lui avons comparé le chiffre des admissions depuis 1831 jusqu’à 1839. Ce chiffre est de 3,869. Voici les rapports que nous avons trouvés : Nous avons réduit nos chiffres comme l’a fait M. de Boutteville. Voici, mis en regard, note calcul et celui de cet auteur. Nos résultats, comme on le voit dans ce tableau, diffèrent de ceux de M. Leuret, puisque notre maximum correspond à l’âge de 30 à 40 ans. Ils diffèrent aussi de ceux de M. de Boutteville, puisque pour lui c’est la période de 40 à 50 qui présente le plus d’aliénés. Celle de 20 à 30 est aussi, à l’inverse de son calcul, supérieure à celle de 50 à 60 ans ; mais dans les deux échelles de proportion, c’est la période avant 20 ans qui a le moins d’aliénés ; c’est du reste le résultat auquel M. Leuret était déjà arrivé. Le nombre d’aliénés sur lequel nous avons opéré n’est pas assez élevé pour infirmer d’une manière rigoureuse ce que MM. Esquirol et Leuret ont avancé sur ce point, cette question ne nous paraît donc pas définitivement résolue ; il y a peut-être dans ces calculs des causes d’erreur que nous ne connaissons pas, et nous laissons à d’autres le soin d’éclairer plus complètement ce sujet. Mais de quelque côté qu’existe la vérité, nous ne dirons pas à priori, comme le fait M. Parchappe, que l’âge viril doit être celui qui prédispose le plus à l’aliénation mentale, parce que c’est l’âge des passions et des excès, celui où les causes de la folie ont une plus grande énergie. Il est vrai qu’elles sont plus actives et plus fréquentes à cette époque de la vie ; mais l’âge avancé n’est point à l’abri de certains excès sensuels : le vieillard résiste moins, et la cause la plus légère peut amener chez lui un trouble cérébral. Ceci établi, qu’il y a un plus grand nombre d’aliénés à l’âge viril, nous nous sommes demandé s’il n’en serait pas de même pour les maladies autres que l’aliénation mentale. On conçoit toute l’importance de cette question, car si nous venions à prouver que c’est à cet âge qu’on observe le plus grand nombre de malades, il s’ensuivrait qu’il prédispose à l’aliénation mentale comme à la plupart des autres affections dont l’homme peut être atteint. Nous avons à cet effet consulté les registres d’admissions de l’Hôtel-Dieu, et voici le résultat auquel nous sommes arrivé. Sur 3,247 individus du sexe, masculin Il suit de là que l’âge où s’observent le plus grand nombre d’affections autres que l’aliénation mentale est celui de 21 à 25. Il n’en est point ainsi pour la folie, et on serait porté à admettre que l’âge de 35 à 40 exerce une influence toute spéciale sur sa production. Nous allons maintenant jeter un dernier coup d’œil sur le tableau placé au commencement de ce chapitre, et examiner l’influence de l’âge sur les diverses formes de la folie. Ici, les termes de comparaison nous manquent complétement. Réduit à nos propres chiffres, qui ne sont pas très élevés, nous n’oserons dans la plupart des cas donner nos conclusions comme certaines, mais, satisfait d’avoir posé ce premier jalon, nous laisserons à d’autres le soin d’arriver à des résultats plus positifs. Pour la manie, qui occupe le chiffre le plus élevé, l’âge de 35 à 40 ans prédomine ; ensuite celui de 31 à 35. Il y a une proportion assez forte de maniaques entre 21 et 25. Le nombre diminue au-dessous de cet âge, de même qu’il s’éteint graduellement au-dessus de 50 ans. Nous en avons trouvé qui ont moins de 20 ans ; ce chiffre assez considérable nous fait voir que la manie n’est pas aussi rare dans la première jeunesse qu’on le croit généralement : le plus jeune de nos malades n’avait que 11 ans. M. Ferrus en a vu d’un âge moins avancé ; M. Esquirol en cite un de 8 ans ; mais personne, que nous sachions, n’en a trouvé à l’âge de 2 ans, comme Joseph Franck paraît l’avoir rencontré. Pour la monomanie, le maximum occupe une période un peu plus avancée que celle de la manie, c’est-à-dire l’âge de 41 à 45 ans. Les autres malades sont répartis plus ou moins inégalement. On en trouve 16 au-dessus de l’âge qui donne le maximum, et 21 au-dessous. Nous ferons remarquer qu’il n’y en a point au-dessous de 20 ans ; ce qui est tout à fait en rapport avec ce que nous avons dit dans une autre partie de ce mémoire. La lypémanie, sur un total de 18, nous donne 16 malades pour l’espace compris entre 21 et 55 ans ; un seul a dépassé cet âge, et le plus jeune n’a pas moins de 20 ans. Le chiffre des stupides est fort peu élevé. Aucun n’a dépassé 45 ans, trois ont de 31 à 35 ans, le plus jeune n’a que 20 ans. Dans la démence simple, les périodes qui occupent le premier rang sont celles de 65 à 70 ans, et de 74 à 75 ans. On voit 6 aliénés qui ont dépassé 80 ans : tous les âges en offrent quelques cas ; mais on n’en trouve point au-dessous de 31 ans. Ces résultats ne sont pas les mêmes dans la démence paralytique : ici nous voyons 33 malades sur 113 qui ont de 35 à 40 ans, c’est-à-dire un peu moins d’un tiers ; les périodes placées immédiatement au-dessus et au-dessous de cet âge en ont aussi beaucoup ; toutes les trois réunies renferment plus de la moitié du chiffre total. Le plus jeune a 18 ans, le plus âgé ne va pas au delà de 75 ans. On voit de quelle importance il est de séparer ces deux variétés d’une même maladie ; et à mesure que nous avancerons, nous aurons plusieurs fois l’occasion de faire remarquer ce qui distingue et caractérise leur individualité. Sur le petit nombre d’idiots qui ont été admis cette année, nous en voyons près de la moitié qui ont moins de 20 ans. Ceci est en harmonie avec la statistique de Norwège, et avec ce que nous dirons sur ce sujet dans le recensement de la division. Tous ceux qui avaient dépassé l’âge de 20 ans étaient simplement imbéciles. Nous n’avons presque pas à nous arrêter sur les épileptiques : un huitième à peu près avait moins de 20 ans ; la plupart étaient jeunes ; deux seulement avaient plus de 50 ans, et l’épilepsie existait depuis plusieurs années. Cela nous prouve que la première enfance et la jeunesse sont les plus propres au développement de cette maladie, et que l’on a d’autant moins de chances d’en être atteint qu’on est arrivé à un âge plus avancé. |
Dictionnaire touareg – français/Ḳ | Charles de Foucauld Dictionnaire touareg – français Texte établi par André Basset, Imprimerie nationale de France (p. 945-947). ◄ K ⴾ K̤ ⵆ ► Ḳ ⵈ dictionaryDictionnaire touareg – françaisCharles de FoucauldImprimerie nationale de FranceParisCḲ ⵈFoucauld, Dictionnaire touareg.djvuFoucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1945-947 ⵈ ouḳḳou ⵈⵓ va. prim. ; conj. 15 « ouḍou » ; ω (iouḳḳă, iouḳḳâ, éd
iouḳḳou, our iouḳḳé) ‖ vomir ‖ peut avoir pour suj. des p. ou des an. A pour
rég. dir. les matières vomies ‖ v. ⵏⴹⵓ enḍou. — souḳḳou ⵙⵈⵓ va. f. 1 ; conj. 168 « sougdou » ; ω (iessoŭḳḳa, iessoûḳḳa,
éd isouḳḳou, our iessouḳḳa) ‖ faire vomir ‖ se c. av. 2 acc. — toûḳḳou ⵜⵈⵓ va. f. 17 ; conj. 259 « toûḍou » ; (itoûḳḳou, our itouḳḳou) ‖
vomir hab. — soûḳḳou ⵙⵈⵓ va. f. 1.17 ; conj. 259 « toûḍou » ; (isoûḳḳou, our isouḳḳou) ‖
faire hab. vomir ‖ se c. av. 2 acc. ‖ ăsafâr oua isoûḳḳoun « médicament qui
faisant hab. vomir » signifie « vomitif (subs.) ». — toûḳḳout ⵜⵈⵜ sf. nv. prim. ; (pl. toûḳḳoûtîn ⵜⵈⵜⵏ) ‖ fait de vomir ;
vomissement ‖ p. ext. « vomissement (matières vomies) ». — ăsoûḳḳou ⵙⵈⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isoûḳḳoûten ⵙⵈⵜⵏ), daṛ soûḳḳoûten
‖ fait de faire vomir. — êḳ ⵈ pi. interj. ‖ fi ! (interj. exprimant le dégoût, la répugnance, ou
le mépris) ‖ syn. de terd et plus us. que lui ‖ exprime un dégoût moins
grand qu’effô « pouah ! » ⵈ eḳḳ ‖ v. ⵗ eḳḳ. ⵈⴱⵍ teḳḳebilt ⵜⵈⴱⵍ⵿ⵜ ✳ sf. (pl. teḳḳebâl ⵜⵈⴱⵍ) ‖ tribu ; peuple ; race ‖
syn. d’ăṛref ‖ syn. de tăousit empl. d. ce s. ‖ peu us. ⵈⴱⵔ ăḳḳebour ⵈⴱⵔ ✳ sm. (pl. ăḳḳeboûren ⵈⴱⵔⵏ ; fs. tăḳḳebourt ⵜⵈⴱⵔ⵿ⵜ ;
fp. tăḳḳeboûrîn ⵜⵈⴱⵔⵏ) ‖ chose qui a plus d’un an de date (en parlant
d’une denrée alimentaire capable de se conserver, com. les céréales, les dattes,
le fromage, le beurre fondu, etc.) ‖ ăḳḳebour s’accorde en genre et en
nombre avec le mot qu’il sert à qualifier. (Ex. té̆iné tâ-reṛ
tăḳḳebourt ⁒ ces dattes-ci [sont] une ch. qui a plus d’un an de date
(ces dattes ont plus d’un an de date)). ⵈⴷ eḳḳed ‖ v. ⵗⴷ eḳḳed. ⵈⴷⵔ ḳedder ⵈⴷⵔ ✳ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (iḳḳĕdder, ieḳḳîdder,
éd ieḳḳedder, our iḳḳedder) ‖ prédestiner (le suj. étant Dieu) ‖ a aussi le
s. pas. « être prédestiné (par Dieu) » ‖ a d ieḳḳedder « ce que dans il sera
prédestiné » signifie p. ext. « jusqu’à ce qu’il soit prédestiné [que nous nous
revoyons s. e.] (jusqu’au revoir ; au revoir) » : formule d’adieu. — ăḳedder ⵈⴷⵔ sm. nv. prim. ; φ (pl. iḳeddîren ⵈⴷⵔⵏ), daṛ ḳeddîren ‖ fait
de prédestiner ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être prédestiné ». — elḳodret ⵍⵈⴷⵔⵜ sf. (pl. elḳodretîn ⵍⵈⴷⵔⵜⵏ) ‖ pouvoir de prédestiner ‖ p. ext.
« chose prédestinée (par Dieu) ». ⵈⴷⵔ ieḳḳoŭdder ‖ v. ⵗⴷⵔ ṛoudder. ⵈⴹ ḳiṭ ⵈⵟ sm. (s. s. pl.) ‖ bruit produit par un vent sortant du fondement ‖ v.
ⵔⴹ ereḍ. ⵈⴼ teḳḳef ‖ v. ⵗⴼ éṛef. ⵈⵉ seḳḳiiet (Ta. 2) ‖ v. ⵗⵉ seḳḳiiet (Ta. 2). ⵈⵍ eḳḳel ‖ v. ⵗⵍ eḳḳel. ⵈⵍⴱ tăḳellabt ⵜⵈⵍⴱ⵿ⵜ (dial. Berb. Touat) sf. φ (pl. tiḳellâbîn ⵜⵈⵍⴱⵏ), daṛ
tḳellâbîn ‖ verrou de bois (s’ouvrant et se fermant de l’intérieur seulement)
‖ v. ⴼⴾⵔ éfeker ‖ peu us. ⵈⵍⵍ teḳḳelilt ⵜⵈⵍⵍ⵿ⵜ ✳ sf. (pl. teḳḳelilîn ⵜⵈⵍⵍⵏ) ‖ cruche en terre (de dimension qlconque) ‖ le mot teḳḳelilt sert à désigner l’émeké « grande
cruche en terre » et la témekét « petite cruche en terre » ; émeké et témekét
sont us. dans l’Ăir, l’Ăj., chez les Berb. séd. Ṛ. et Ġ. et chez les Ioul., mais non
dans l’Ăh. ; teḳḳelilt n’est empl. que dans l’Ăh. et y est très peu us. ⵈⵏ eḳḳen ‖ v. ⵗⵏ eḳḳen. ⵈⵏⴼⴷ eḳḳenăfoud ‖ v. ⵗⵏ eḳḳen. ⵈⵐⵂⵔⵈ ăḳḳouñhareḳ ‖ v. ⵗⵐⵂⵔⵈ ăḳḳouñhareḳ. ⵈⵓⵈⵓ iseḳḳeouḳaouen ‖ v. ⴾⵓⴾⵓ keoukeou. ⵈⵔ ieḳḳôr ‖ v. ⵗⵔ iṛar. — ăḳḳer ‖ v. ⵗⵔ iṛar. — é̆ḳḳâr ‖ v. ⵗⵔ iṛar. — ouḳḳir ‖ v. ⵗⵔ iṛar. ⵈⵔ seḳḳeret (Ta. 1) ‖ v. ⵗⵔ eṛer. — seḳḳeret (Ta. 1) ‖ v. ⵗⵔ eṛer. ⵈⵔⴱⵂ ăkerbouh ⴾⵔⴱⵂ ✳ sm. φ (pl. ikerbouhen ⴾⵔⴱⵂⵏ), daṛ kerbouhen ‖ école (ou on apprend à lire et à écrire aux enfants) ‖ ne se dit que des
écoles primaires ; ne se dit pas des écoles secondaires ou supérieures. ⵈⵔⵛⵜ ḳerchat ⵈⵔⵛⵜ (turc) sm. (col. s. n. d’u. et sans pl.) ‖ allumettes ‖ on exprime
hab. « allumettes » par le mot témsé « feu ». « Une allumette » se dit
éseṛir en tĕmsé « un bois de feu », téżé̆out en tĕmsé « une petite tige
de feu », éseṛir en ḳerchat « un bois d’allumettes », ou téżé̆out en
ḳerchat « une petite tige d’allumettes » ‖ peu us. ⵈⵔⵙ seḳḳeres ‖ v. ⵗⵔ iṛar. ⵈⵙ eḳḳes ‖ v. ⵗⵙ eḳḳes. ⵈⵙⵔ seḳḳesser ‖ v. ⵗⵙⵔ ṛousser. ⵈⵜⵙ iḳḳĕtes ‖ v. ⵗⵜⵙ eṛtes. ⵈⵟ ḳeṭ ⵈⵟ ✳ pi. adv. ‖ absolument ; complètement ; vraiment ‖ syn. de
fô ‖ peu us. ⵈⵟ ḳiṭ ‖ v. ⵈⴹ ḳiṭ. |
Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/Pièce IV | Joseph Guyot Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan Aubry, 1869 (p. 408-409). ◄ Pièce III Pièce V ► Cession des droits de Jean Bourguignel sur Dourdan aux dames de Longchamp bookChronique d’une ancienne ville royale DourdanJoseph GuyotAubry1869ParisVCession des droits de Jean Bourguignel sur Dourdan aux dames de LongchampChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvuChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvu/10408-409 « A touz ceus qui ces lettres verront Estienne Boiliaue garde de la prevoste de Paris, salut. Nous faisons assavoir que pardevant nous vindrent Jehan Bourgueignel chambellenc le Roy de France et Marguerite sa fâme et recongnurent en droit que il avoient vendu et quitte a touzjourz et perpetuelment à l’abbeesse et au couvent de l’umilite nostre Dame des Sereurs meneurs encloses jouste Saint Cloust ; cest assavoir tout quantque li Roys de France avoit donne au devant dit Jehan si comme il disoient, aus granches le Roy de les Dourdan si comme il disoient : cest assavoir le champart et le champartage de la ville dessus dite et ventes et reventes et les bonnages et les corvees qui appartiennent à celui champart. Et les cens des terres qui ont este ascensees qui doivent champart si comme il disoient et toutes autres choses queles que elles soient qui sont appartenanz au don que li Roys donna au devant dit Jehan en la ville dessus dite si comme il disoient qu’il ont eues et receues et dont il se tîndrent a poiez devant nous. Et preindrent pardevant nous et par leur loiaus creanz chascun pour le tout li devant diz Jehan et Marguerite sa fâme que eus encontre ceste vente et ceste quitance dessus dite en la manière qui est devisee par desus garantîront délivreront et deffendront a ladite abbeesse et au couvent dessus nomme et a leur suscesseurs en jugement et hors jugement toutes les foiz que mestier leur sera a leurs propres couz aus us et au coustumes de France contre touz si comme il disoient et quant a ce tenir et fermement a emplir les devant diz Jehan et Marguerite sa fâme ont obligie et souz mis chascun pour le tout eus et touz leurs biens meubles et non meubles présenz et a venir ou qu’il soient a joustîciers a nous et a nos suscesseurs. En tesmoignage de ce nous avons mis le scel de la prevoste de Paris ez ces lettres l’an de l’Incarnacion Nostre Seingneur mil CC soissante et sis au mois d’ottovre. » Vidimée au mois de février suivant par S. Louis et le mardi après la mi-août 1299 par Guillaume Thibout, garde de la prévôté de Paris. Cet acte signé : J. de Nanterre, sur parchemin, sans queue ni sceau, est aux Archives départementales du Loiret. Comté de Dourdan. — Invent, de Vassal. A, 1384. P. 26. |
Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/280 | rang assez élevé dans la magistrature ; il était subdélégué de sa province. Nicolas, l’aîné de cinq enfants,
fut naturellement destiné à embrasser la profession
paternelle ; envoyé très-jeune au collège de Toulouse,
ses progrès y furent si rapides, qu’il n’avait guère plus
de treize ans lorsqu’il termina ses études. Il y avait
obtenu les plus brillants succès et c’est chargé de prix
et de couronnes que le jeune Dalayrac fit son entrée
triomphale dans la maison de son père. On voulut
qu’il fit succéder immédiatement l’étude des lois et du
Digeste à celle du grec et du latin. Le jeune collégien
était habitué à obéir, et il ne fit aucune difficulté de
céder au désir qu’on lui manifestait. Il imposa cependant une condition comme récompense, non de sa soumission qui n’était qu’un devoir, mais de ses travaux
passés et des succès qui en avaient été la conséquence.
Toulouse est une des villes où l’on est le mieux organisé pour la musique. Les voix y sont généralement
belles, et, de temps immémorial, le peuple a l’habitude d’y chanter en chœur. Le jeune Dalayrac avait
eu occasion, pendant son séjour au collège, d’entendre
quelques-unes de ces exécutions chorales dont on
n’avait aucune idée à Muret. Le principal du collège
était amateur de musique ; on en faisait quelquefois
chez lui ; le jeune Nicolas, comme un des élèves les plus
distingués, avait été souvent convié à ces petites réunions ; puis, aux grandes fêtes, les élèves du collège
allaient entendre l’office à la cathédrale, et les messes
en musique qu’on y chantait avaient ravi, transporté
le jeune écolier. Il avait senti s’éveiller en lui un goût
<references/> |
Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/282 | charmer l’oreille. Puis, indépendamment de la partie
mécanique, si essentielle à l’exécutant, travail qui
exige tant de temps, de patience, et qui parle si peu à
l’esprit, il y a la partie théorique, non moins sèche et
non moins fastidieuse : c’est une accumulation de petites combinaisons arithmétiques, très-faciles à comprendre, mais très-difficiles à appliquer, par leurs
subdivisions et la rapidité de leurs successions.
Ces réflexions, comme on le pense bien, ne vinrent
pas un seul instant à l’esprit du jeune Dalayrac ; il ne
pouvait s’imaginer qu’une chose aussi agréable que la
musique fût beaucoup plus difficile à apprendre
qu’une langue morte, et que l’étude du solfège fût
plus ardue et plus ingrate que celle du rudiment. Une
fois qu’il posséda à peu près les premiers éléments,
qui n’exigent qu’un peu de calcul et de réflexion, il
crut pouvoir marcher en avant. Grâce à ses dispositions naturelles, il parvint en fort peu de temps à
jouer très-mal du violon ; mais cette médiocrité d’exécution lui paraissait encore une chose admirable, quand
il la comparait au néant musical dans lequel il avait
été plongé si longtemps.
Il existait à Muret, comme dans presque toutes les
villes de province, une réunion d’amateurs, composant une espèce d’orchestre pour exécuter la seule musique instrumentale que l’on connût alors, c’est-à-dire
quelques ouvertures et quelques airs ''à jouer et à danser'' des opéras de Lully et de Rameau. Jaloux de faire
briller son talent nouvellement acquis, Nicolas demanda à faire partie de cette société, et il fut admis {{tiret|sur-le|-champ}}
<references/> |
Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/291 | il était si heureux. C’est le cœur gonflé de joie qu’il
regagna sa chambrette. Il serra précieusement son
violon après l’avoir bien soigneusement essuyé pour le
préserver des atteintes de la rosée et de l’humidité de
la nuit. Il prévoyait que ses concerts nocturnes allaient
souvent se renouveler, et il tenait à conserver intact
l’instrument d’où dépendait toute sa félicité. Il s’endormit du sommeil le plus calme et le plus doux.
Malgré la moitié de la nuit passée sur les toits, il s’éveilla plus allègre et plus dispos, et c’est le sourire
sur les lèvres et la figure illuminée par un rayon de
bonheur, qu’il se présenta au déjeuner de famille.
Le père Dalayrac avait sa physionomie grave et sévère, que semblait encore assombrir un air plus soucieux qu’à l’ordinaire. « Françoise, dit-il à la domestique qui les servait, que s’est-il donc passé cette
nuit ? Le chien a furieusement aboyé, et à deux reprises. »
Nicolas sentit la rougeur lui monter au front, et
baissa le nez vers son assiette.
— N’avez-vous donc rien entendu ? continua le
père, en interrogeant toute la famille du regard.
— Si fait, lui fut-il répondu, mais voilà tout.
— Dans un quartier si retiré, reprit la servante, il ne
faut pas grand’chose pour faire aboyer le chien. Nous
avons d’un côté le couvent, et de l’autre, une rue où
il ne vient presque jamais personne le soir : il aura
suffi d’un passant attardé pour provoquer tout ce tapage.
— C’est juste, dit le père, il n’y a là rien d’extraordinaire.
<references/> |
Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/281 | irrésistible pour un art dont il ne soupçonnait pas les
premiers éléments, mais dont les résultats exaltaient
au plus haut degré son cœur et son imagination. Malheureusement les arts d’agrément n’entraient pas dans
le programme des études du collège, et le père Dalayrac
avait été inflexible lorsque son fils l’avait supplié de
lui permettre de joindre l’étude de la musique à ses
autres travaux.
Cette fois, il se montra moins rigoureux : son fils
avait quatorze ans, sa raison commençait à se former :
ses succès de collège étaient la garantie de l’application
qu’il allait apporter à des travaux non moins sérieux.
Le père ne vit donc nul inconvénient à satisfaire à un
désir qu’il ne regardait que comme une fantaisie, mais
une fantaisie innocente et dont l’exercice ne pouvait
faire négliger ce qu’il regardait comme la seule chose
utile et digne d’un travail réel.
Si la musique est presque toujours considérée
comme un art essentiellement futile, on lui rendra du
moins la justice de reconnaître que ses éléments et son
étude sont extrêmement arides et ingrats. Les commencements de la peinture, de la sculpture, et de tous
les autres arts en général, offrent déjà un attrait à celui qui veut les cultiver ; en musique, au contraire,
rien de moins conforme, en apparence, que le but et
les moyens. Pour arriver à ce résultat de procurer aux
autres une sensation agréable par le son de la voix ou
d’un instrument quelconque, il faut d’abord se condamner soi-même à subir les exercices les plus rebutants, les plus désagréables et les moins faits pour
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La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans/La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans/Section4 | Nicolas Edme Restif de La Bretonne La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans Henri d’Alméras, 1909. Je fis mille compliments à Sara, en vantant son esprit et ses talents ; tout le monde vint la féliciter sur sa jolie bagatelle, mais elle ne parut sensible qu’à mon approbation. Nous revînmes, et favorisé par l’obscurité, je la tins dans mes bras pendant la route. « Je suis aimé d’une femme d’esprit, jeune, belle, pensais-je, et je l’adore ; quelle félicité m’attendait au soir de ma vie ! » Le reste de la soirée, je fus dans l’ivresse ; et comme au commencement d’une passion tout semble la favoriser, la mère de Sara et Valfleuri, qui vivait avec elle, se retirèrent de bonne heure, en nous disant que nous pouvions causer le reste de la soirée si cela nous amusait. Nous ne demandions pas mieux. « Charmante fille, dis-je à Sara, votre mérite m’enchante ! Qui vous eût soupçonnée, à votre âge, d’avoir tant de capacité ! — Je vous ai déjà dit que j’ai vu un certain monde ; nous avons demeuré quelque temps, ma mère, ma sœur qui est morte, et moi chez un homme fort riche, qui protégeait mon père, j’ai reçu là une certaine éducation. Mais ma sœur me surpassait, elle vous aurait enchanté. — Non. pas autant que vous, chère Sara, est-il vrai que vous consentez à être mon amie, ma consolation ? — Oui, oui, oui, vous serez aussi mon ami et ma consolation ; je veux que l’intimité règne entre nous. — Elle fera mon bonheur ; donnez-m’en quelque signe, ma Sara ? — Quel signe ? — Tutoyez-moi ? — Ah, mon père ! — Une fille bien tendre tutoie quelquefois... — Si je le savais... — Rien n’est plus certain... — Allons, dis-moi : papa, je t’aime de tout mon cœur. — Papa, je vous, je v... Ce tu ne veut pas venir sur mes lèvres. — Je vais les en punir... Voyons à présent ?... — Papa, je v... je t..., papa, vous aime, et je t’aimerai toujours. — Je t’adorerai jusqu’à mon dernier soupir, ma jolie Sara. — Aimable papa, mon dernier soupir sera pour toi. — Le voilà, ce mot charmant, tu l’as dit ! — Tu l’as entendu !... s’il te fait plaisir, tu l’entendras... tous les jours... — Ah ! plût à Dieu !... — que je te verrai. Le mardi, vers les dix heures, la jolie Sara s’en retourna chez sa maîtresse. Après son départ, la mère monta chez moi. « J’ai à vous parler, me dit-elle, au sujet de ma fille. Vous voyez combien elle a de mérite ! Je ne veux pas la donner à ce morveux de du Châtaigner !... Vous a-t-elle confié ses sentiments au sujet de M. du Châtaigner ? — Elle n’y pense plus, répondis-je, et vous pouvez disposer d’elle, je vous en assure. — En êtes-vous bien certain ? — Je crois l’être, madame. — Eh bien, j’en doute encore. Mais supposons-le ! Il faut que je vous dise ma position actuelle. D’abord, je vous annonce, moi, que je n’ai pas de préjugés... Voici donc ce que je voulais dire. Un M. Legrainier, qui me connaît depuis quinze ans, offre de donner à ma fille vingt mille francs une fois payés, non pour qu’elle soit sa maîtresse, ses vues sont honnêtes, il lui servira de père, si elle ne veut que cela de lui ; peut-être, si elle consentait, serait-il son amant... mais il ne l’exige pas. Ma fille refuse absolument d’accepter : si vous pouviez l’y déterminer ?... Je suis d’une santé chancelante, quoique j’aie l’air de me bien porter ; si elle venait à me perdre subitement, que deviendrait-elle ?... Au moyen de la somme que veut lui donner cet honnête homme, ancien protecteur de son père, elle pourrait se faire une rente sur sa tête, car jamais elle ne veut songer au mariage. (Il faut observer que je n’étais pas mariable, moi, confident de la dame.) Et avec ce que je lui laisserai, elle aurait assez pour subsister honnêtement. Le temps s’écoule, la beauté passe, déterminez-la, je vous en prie ? — Je n’ose vous promettre, répondis-je, étonné de la commission qu’elle me donnait, de la déterminer dans une chose aussi scabreuse, et où les apparences sont contre les bonnes mœurs. Cependant, la confiance que j’ai en vous me fait croire que le fonds est pur. — Vous ne pouvez en douter ; d’ailleurs, si vous le voulez, vous dînerez avec M. Legrainier, que j’inviterai l’un de ces jours ; nous parlerons librement devant vous, après que je l’aurai assuré de notre intimité ; vous l’interrogerez et vous jugerez par vous-même. » J’acceptai la proposition et nous changeâmes d’entretien. Mais, dans un moment où il était question de moi, elle me dit : « Vous, par exemple, c’est dommage ! vous êtes dans la maison, cela ne paraîtrait pas ! » Je fus plus que surpris de ce langage singulier, ma fortune étant très bornée. Je ne parus pas goûter son projet, qu’elle me faisait entrevoir assez clairement, et j’eus dans l’idée que l’Honnête homme aux vingt mille francs était une sorte d’émule supposé, qu’on me présentait pour me faire parler ; mais il était réel, il n’y avait que les vingt mille livres et l’honnêteté des vues qui fussent chimériques. D’après, cet entretien, je me tins ou je crus me tenir sur mes gardes au sujet de Sara. Cependant j’attendis le dimanche avec impatience, surtout les derniers jours. Ceci aurait dû m’inspirer de la méfiance sur mes sentiments déjà trop tendres. Mais ce qui me rassurait, c’est que je n’étais pas fâché de voir partir Sara, lorsqu’elle s’en retournait chez sa maîtresse ; je croyais bonnement que je m’ennuyais de sa vue : c’était bien une autre cause qui agissait sur moi. Les sensations qu’elle me causait étaient si délicieuses et si vives, qu’elles fatiguaient mes organes ; c’était le besoin de repos, et non l’ennui, qui me faisait désirer quelquefois le départ de Sara !... Cette erreur funeste établit ma sécurité, car je devais plus que jamais redouter l’amour... Sara revint chez sa mère dès le samedi soir. Un instant après son arrivée elle monta me rendre visite. Je la reçus en amant plutôt qu’en père, mais je ne le sentais pas... O si Mens non lœva fuisset !... « Je ne puis rester avec toi qu’un instant, papa ; mon empressement à venir te voir a paru surprendre ; je ferai ma visite courte, afin que l’on croie qu’elle n’est que de politesse. — Charmante enfant ! tu as autant d’esprit et de délicatesse que de beauté ! Je t’adore... je te chéris, dis-je aussitôt en me reprenant, je t’aime en tendre père... Va, ma fille, retourne auprès de ta mère et de Valfleuri ; que ta réputation, même à leurs yeux, se conserve aussi pure que tes charmes sont touchants !... » Après l’avoir tendrement embrassée, suivant la nouvelle manière qu’elle m’avait permise à sa dernière visite, je la renvoyai avec un nouveau présent en livres. « Voilà une excellente excuse, lui dis-je, tu répondras, ma chère fille, que tu n’avais plus rien à lire et que tu t’es hâtée de me venir demander ces livres. » J’allai passer la soirée avec elle. Le lendemain, dimanche 13 janvier, Sara vint me voir sur les onze heures. Emporté par ma passion, je pris avec elle une liberté décisive. Elle rougit, mais à peine fit-elle de la résistance. Cette dernière circonstance me frappa et m’enhardit. Cependant je me contentai de lui faire des caresses. Elle me tint les discours les plus sensés, les plus affectueux. Je lui parlai des vingt mille francs et je lui demandai si elle croyait pouvoir les accepter sans se faire tort ? (Je disais cela bonnement à une fille qui venait de souffrir une liberté décisive : mais j’ai toujours été bonace.) Sara baissa la vue, rougit, s’assit, et je vis des larmes dans ses yeux. Je la pressai de me répondre, « Ah ! si j’osais parler ! » Je redoublai mes instances. Elles furent inutiles. Je lui fis les plus tendres caresses et elle y répondit ; ensuite, elle prit un air riant. « Je vous dirai que ma mère et moi nous avons eu ce matin une dispute à votre sujet. — Ah ! ma charmante amie ! comment cela ? — Ma mère me disait : « Sais-tu bien, ma fille, que M. d’Aigremont a été bel homme et qu’il l’est encore ? Si j’avais une inclination à faire, je le préférerais par goût. — Je ne veux pas, maman. — Pourquoi ? — C’est que je le prends pour moi. — Nous verrons qui l’emportera ; je l’aime beaucoup. je suis plus belle femme que toi, tu ne me vaudras jamais. — Je sais ce que vous êtes et ce que je suis, c’est pourquoi je ne veux pas que vous lui fassiez des avances. — Nous verrons, nous verrons. — C’est tout vu, je veux m’en faire aimer. — Et quel moyen prendras-tu ? — Mais le bon moyen. — Tu l’aimeras ? — Oh ! je ne l’aimerai pas. — Tu l’aimes ? — Si ça était ? — Dame, en ce cas, écoute donc, je pourrais bien échouer. — Oh ! bien oui, mais je vous crains toujours. — Je t’assure, Sara, que je l’aimerai. — Je vous assure, maman, que moi aussi. — Je ne sais si je dois céder, car enfin tu n’es qu’une morveuse, et tu ne sauras pas conserver un cœur comme celui-là ? — Eh bien, essayez-en ? — Ah oui ! j’irai exposer un ami, mon plus ancien locataire, l’homme que j’estime le plus, aux chagrins que pourrait lui causer une jeune tête de dix-huit ans. — J’en ai dix-neuf, je voudrais en avoir vingt-cinq. — Va, va, tu n’es pas trop jeune pour plaire, ce n’est que pour être constante. — Je le serai. — Si j’en étais sûre... — Soyez-le, maman, j’ai trouvé l’homme qu’il me fallait... » Sara fut interrompue en cet endroit par sa mère qui vint encore nous trouver, pour me prier de faire une nouvelle lettre, plus sèche que la première, au père du jeune du Châtaigner. Je pris la plume et la mère et la fille me quittèrent pour me laisser écrire. Je dînai avec elles et Valfleuri ; nous passâmes ensemble une partie de l’après-diner. Sara chanta en s’accompagnant de la guitare ; elle déclama un rôle de Zaïre qu’elle apprenait et le rendit avec beaucoup de sensibilité. Elle me proposa ensuite de la diriger quelque jour dans la composition d’un ouvrage. Ce J’eus, pendant cet agréable repas, le joli pied de Sara sur le mien. (p.135) que je promis. Je me retirai à cinq heures, suivant mon usage, pour aller travailler. À sept, Sara se fit entendre à ma porte. Je la revoyais toujours avec un nouveau plaisir. Je la portai jusque sur sa chaise, je lui pris mille baisers et je la remerciai de sa visite. Elle paraissait ravie de la tendresse que je lui montrais, elle me dit les choses les plus agréables et reprit la conversation du matin en me tutoyant. « J’ai répondu à ma mère, comme je te le disais, que tu étais l’homme qu’il me fallait. Et c’est l’exacte vérité. Quel bonheur, pour une personne de mon âge et dans ma position, de trouver dans notre maison même un homme d’esprit, de bonnes mœurs, de bon conseil, qui veut bien me tenir lieu du père qui m’a abandonnée ! » (Un baiser voluptueux qu’elle me donna fut l’assaisonnement de ce ravissant discours ; que je fus ému ! ô Dieu ! de quelles délices l’existence de l’homme peut être abreuvée !...) « Que ton caractère me charme, ajouta-t-elle ; c’est une douce mélancolie, qui n’a rien de triste, même quand tu l’es, papa, tu ne parais qu’intéressant. — Ce compliment me flatte d’autant plus, fille charmante, que je le crois vrai ; lorsque je suis douloureusement affecté, au lieu d’être concentré comme les autres hommes, j’aime à chanter des airs touchants, ils adoucissent et les larmes qu’ils font couler et ma douleur avec elles. — Quoi ! l’ami papa, tu chantes dans la tristesse ! — Je chante et je pleure. Il y a longtemps que je ne chante plus que dans la douleur ; c’est depuis l’âge de seize ans où j’ai commencé d’être malheureux ; auparavant, je chantais de joie comme tout le monde. Aussi, ma fille, ajoutai-je en riant, j’ai plus de plaisir qu’un autre à l’Opéra ; j’y retrouve la nature que nos graves auteurs disent en être absolument bannie. — J’aime à vous entendre, continuez, me dit Sara. — Tu ne veux donc plus que je te dise toi ? — Si, si, cher ami papa, continue. — Ainsi, ma Sara, si jamais j’avais des chagrins violents que je ne voudrais pas te confier, de peur que tu n’y fusses trop sensible, tu m’entendrais chanter. Si... mais non, jamais... — Quoi ? quoi ? Je veux le savoir... — Eh bien, si j’en avais qui me vinssent de toi, mes accents seraient déchirants. — Ce serait une erreur de ta part et, si jamais je les entendais, je viendrais, je te détromperais et je te forcerais à chanter de plaisir, comme avant que tu eusses seize ans. » Deux ou trois baisers scellèrent sa promesse. J’étais ivre de bonheur... O Sara ! Sara ! tu faisais un dieu d’un malheureux et faible mortel !... Ce fut ce jour-là que je m’abandonnai sans réserve aux sentiments qu’elle m’inspirait. Notre conversation devint ensuite plus vagabonde. Nous parlâmes de M. du Châtaigner. Sara me dit qu’elle le détestait, qu’elle ne voulait plus le voir. Elle ajouta que son plan était de ne se point marier, que cependant, si elle songeait un jour au mariage, jamais elle n’aurait de goût pour les jeunes gens, qu’elle préférerait un homme d’un certain âge. « Du vôtre, par exemple : mais s’il fallait choisir absolument entre un jeune homme et un tout à fait vieillard, c’est le vieillard que je préférerais ; je veux un guide, un protecteur, un père, et non un jeune fou qui me causerait mille peines, avec mon caractère porté à la tranquillité. Voilà bien mes dispositions et jamais je n’en changerai. » J’étais charmé ! Je m’applaudissais, moi, quarantecinquenaire, et je me disais tout bas : « Qui l’aurait pensé que le bonheur m’attendit à mon âge !... Cette fille que je vois depuis cinq ans, depuis son enfance (elle n’avait que quatorze ans quand je louai chez sa mère), que j’ai vu croître, embellir, que j’ai si souvent désirée, mais sans oser espérer, elle est à moi ! elle se donne ! Elle semble, par ses dispositions, être faite pour moi !... » « Qu’avez-vous ? qu’as-tu ? me dit Sara qui était en ce moment sur mes genoux, le bras passé autour de mon cou. — Je pense à toi, charmante enfant !... Il faut te l’avouer, je t’aime depuis longtemps, mais je te fuyais, effrayé de ta jeunesse et de ta beauté. — Tu me fuyais, cruel !... moi qui n’aspirais qu’au plaisir de te connaître ! — Que voulais-tu que je t’offrisse, ma Sara ? Un cœur flétri par la douleur ! — L’est-il en ce moment ? — Non, le bonheur l’a dilaté. Tiens, mets-y ta chère main. — Oui, il bat !... Touche le mien. — Il me parait ému ! — Ah ! c’est qu’il a... — Qu’a-t-il, ma divine Sara ? — De l’amour. » Quel mot ! lorsqu’une fille de dix-neuf ans l’adresse à un homme de quarante-cinq ! « Ma chère Sara, lui répondis-je, ce n’est pas de l’amour que je te demande, mais une sincère et constante amitié. — Et si j’ai de l’amour ? — Il cesserait trop tôt ! Donne-moi ton amitié, ta confiance... » Mes actions démentaient mes paroles, car c’était en amant que j’agissais ! Le cœur humain est inconcevable !... « Ma chère Sara, continuai-je, veux-tu connaître quels étaient mes sentiments pour toi, il y a un an, deux ans ? — Oui. j’en serai ravie. — Eh bien, tu vas voir, dans cette historiette, que j’ai envoyée à l’auteur des Contemporaines, comme je te considérais. En voyant chez vous du Châtaignier, je me figurais que j’étais à sa place, que c’était moi qui t’aimais ; j’exprimai les sentiments que tu m’avais inspirés, sous le nom de Chevilly ; je te nommai Adeline. Ces tendres sentiments que je prête à l’amant, je les avais ; cette adoration qu’il marque, je désirais de te la marquer ; ces dates de l’Île Saint-Louis, je les fais à présent ; on y voit partout Ad. ad. (Adeline adorée.) Lisons ensemble cette histoire, mon adorable Sara ; sois mon Adeline ; tu me rends, dès cet instant, aussi heureux que le fut de Chevilly. Nous lûmes l’historiette qui l’attendrit aux larmes. La voyant si sensible et voulant lui montrer comme je savais aimer, je lui fis l’histoire de mon attachement pour Zéphire, cette fille généreuse que j’avais si tendrement aimée. Je vis couler des yeux de Sara les plus belles larmes que j’eusse vues de ma vie. Je pleurai avec elle... « Quoi ! c’est ainsi que vous pensiez pour moi, avant que de me parler ? — Oui, ma chère Sara. — Et vous ne me disiez rien quand vous me voyiez ? — Bien des raisons m’en empêchaient : mon âge, le vôtre, mes chagrins, votre mère... — Tes chagrins ! Ah ! je les aurais adoucis ! — Adoucis-les à présent, mon adorable fille ! Tu les connaîtras. — Tous ? — Oui, tous. — Bon ! tu sauras aussi les miens. — Quelle heureuse intimité tu me fais espérer ! — Reprends où tu en étais, cher papa. — J’avais encore une autre raison qui me faisait vous fuir : je vous croyais du dédain pour moi. — Ah Dieu ! Et comment cela ? — Un jour que j’étais descendu pour du lait, j’aperçus dans la salle basse votre mère ; j’y entrai pour la saluer. Vous y étiez avec cette jeune voisine que j’avais il y a six mois. — Mlle Charmantier ? — J’ignore son nom. Votre maman la pria de m’éviter la peine de sortir et lui donna mon pot. Elle le prit avec dédain, je m’en aperçus et j’en fus peiné. À son retour, je lui fis mes excuses ; elle vous regarda en souriant ; vous lui répondîtes par un pareil sourire qui me parut aussi de dédain. Je m’en retournai confus, très fâché de m’être montré. — Ah ! cher papa ! que tu lisais mal dans mon cœur ! Moi, qui ne soupirais alors qu’après ta connaissance et Charmantier la désirait tout comme moi ; tu t’es trompé sur nos sentiments. — Je m’en félicite, ma fille-. — Une âme aussi sensible que la tienne, papa, dut cruellement souffrir ! — Oui. je l’avoue. — Je veux te dédommager. » Elle me fit des caresses enfantines que je lui rendis avec attendrissement. Nous parlâmes ensuite de la solidité avec laquelle nous aimions nos amis. Je lui vantai ma manière d’aimer, elle me peignit la sienne. « J’ai à présent une amie, ajouta Sara, que j’aime tendrement, c’est ma maîtresse ; la longue maladie d’une mère qu’elle vient de perdre, des dettes, des chagrins... que je ressens aussi vivement qu’elle-même, la mettent dans le plus cruel embarras... Que je voudrais être riche, pour la pouvoir obliger !... Ma mère leur a prêté, mais si durement, à un si fort intérêt... — Comment ? à intérêt ! — Je ne l’avouerais pas à un autre qu’à mon papa... Si vous connaissiez ma mère !... Je suis bien malheureuse ! » Que je fus touché de ce langage que les larmes accompagnèrent. « Si vous saviez comme elle est dure ! Comme elle m’a traitée !... Mais je me tais. — Chère, chère enfant ! m’écriai-je, oui, je te jure d’être ton père ! Je t’en servirai, ma Sara ; je te dédommagerai des duretés de ta mère par mon tendre attachement... Je sais qu’elle t’a été dure. Combien de fois ne l’ai-je pas entendue d’ici se livrer à des emportements contre toi !... Ma chère fille ! c’est notre bon destin à tous les deux qui nous a rapprochés... J’ai des enfants ingrats, tu as une mère dure... Unissons nos intérêts, soyons tout l’un pour l’autre et tenons-nous lieu de la nature entière ! — Je ne vous dis pas tout, reprit Sara la larme à l’œil. — Eh ! pourquoi ne pas me le dire, chère fille ! je ne veux le savoir que pour remédier, si je puis... — Cela ne se peut pas encore... Si... mais je crains d’être indiscrète... vous pouviez obliger mon amie... Un louis, qu’on vous rendra dans deux mois, suffirait pour demain, quand je m’en retournerai. » J’en glissai deux dans sa main que je baisai. Nous descendîmes ensuite pour souper ensemble chez sa mère ; j’y faisais apporter de chez le traiteur, lorsque je m’invitais moi-même, quelque gros oiseau qui servît ensuite à plusieurs repas de cette femme intéressée. Le lendemain matin, croyant Sara partie, je chantais dans l’escalier. Elle était dans une pièce d’entrée. Elle tressaillit sur sa chaise, à ce que je sus ensuite. « Qu’avez-vous, lui dit la mère ? — M. D’Aigremont chante ! — Eh bien, c’est qu’il est content ! — Oh ! non, il m’a dit un jour, qu’il ne chantait jamais, que lorsqu’il avait quelque peine ; et il en a sûrement ! — Allez le voir. » Sara monta chez moi. « Qu’avez-vous ? me dit-elle avec intérêt. — Ah ! ma chère Sara, je vous croyais partie !... J’ai donc le bonheur de te revoir encore ! — Était-ce le sujet de votre peine ? — Je n’en ai plus d’autres... depuis hier. » Et je lui pris un baiser, qu’elle me rendit. « Je m’en vais partir, reprit-elle ; mais si j’apprends que vous ayiez chanté... — Non, je ne chanterai plus. — Je veux dire, de chagrin. — Tu les préviens tous, chère fille. — Voilà comme je vous aime ; mais adieu... » J’ajoutai aux deux louis qu’elle m’avait demandés la veille, un troisième caché dans un petit étui d’almanach, et elle s’en alla très contente. Une nouvelle semaine s’écoula. Elle revint le samedi suivant, et je ne la vis qu’en sortant, pour aller à mes affaires, avant souper. « J’allais monter chez vous, mon papa, me dit-elle. — Venez, j’y retourne. » Nous y allâmes ensemble. J’étais réellement épris. Je louai sa figure ce soir-là ; je lui jurai qu’elle était la seule femme qui eût quelque pouvoir sur mes sens. Je sortis ensuite, et je lui promis de venir souper avec elle. J’apportai pour la première fois ma crème de riz, que nous avons mangée ensemble près d’un an, à quelques jours près. Cette sorte de souper, particulier avec Sara, cimenta notre liaison ; nous étions comme le mari et la femme, ou le père et la fille ; nous avions le même potage, auquel personne ne touchait que nous, quoique nous fussions tous quatre, Sara, sa mère, de Valfleuri et moi, à la même table. Ces soupers, furent les plus doux moments de ma vie, et le plaisir dont la privation m’a, dans la suite, coûté davantage... Le lendemain, Sara vint sur les onze heures. Nous eûmes un tendre entretien. Je m’émancipai beaucoup trop, je fus prêt à triompher... Un discours qu’on m’avait répété dans la semaine, au sujet du jeune du Châtaignier, me donnait de la hardisse, et me faisait penser : « Si elle a déjà cédé, pourquoi ne serais-je pas heureux ?... » Sara me résista, mais de la manière la plus obligeante ; je ne l’en aimai que davantage. Après un nouveau présent en livres, elle me laissa jusqu’au diner, qu’elle vint me chercher, pour se mettre à table. J’eus pendant tout cet agréable repas, le joli pied de Sara sur le mien. Je me retirai comme les autres jours, et Sara ne manqua pas de venir me voir à sept heures et demie. Cette soirée fut celle des confidences. Sara était entrée fort gaie. Je la reçus comme une divinité. Elle était pour moi celle du bonheur. Tout à coup, et sans que nous eussions encore rien dit qui la pût affliger, un nuage de tristesse se répandit sur son aimable physionomie ; ses yeux devinrent humides, et les larmes coulèrent. Je fus surpris, effrayé. « Qu’a donc ma chère fille ? lui dis-je vivement, qu’a-t-elle ?... Confie tes peines à ton père, ma charmante amie ! — Ah ! s’il savait combien je suis malheureuse ? — Malheureuse ! comment, par qui, depuis quand, ma chère enfant ? — Je l’ai toujours été ! — Toujours été ?... — Ah ! puissé-je diminuer ce cruel malheur ? — Oui, vous le pouvez, croyez-moi ! car vous l’avez déjà diminué : votre connaissance est le plus grand bonheur qui me pût arriver. Vous serez mon soutien, mon appui... J’ai une mère... (des larmes.) Elle me tourmente... pour accepter un homme que je déteste... qu’il garde ses vingt mille francs. — S’il a des vues malhonnêtes, je vous approuve, ma fille... Ma chère Sara (Elle mit son visage dans mon sein.) — Ah ! si je vous disais tout ! — Eh bien, dis-le-moi, ma chère fille ; dis-moi tout ? — Je n’ose. — Et pourquoi n’oses-tu te confier à ton père ? Je le suis par mon choix ; c’est la meilleure manière, et tu es plus ma fille que si le hasard et la nature t’avaient donnée à l’homme qui te presse dans ses bras... Parle, ma fille ? — J’ai toujours été malheureuse... Dès l’enfance... ma mère... a fait mourir ma sœur de chagrin... Moi, plus insensible alors, j’étais étourdie, folle, riant toujours... J’ai bien changé depuis quelques années et je suis devenue sérieuse, comme vous me voyez... Combien j’ai souffert !... Aujourd’hui même, je ne saurais la voir, toute ma mère qu’elle est, sans trembler... Elle me fait horreur ! sa marche, quand elle arrive où je suis, glace encore mon sang, et me cause une révolution ; vous avez dû vous en apercevoir deux fois. (En effet, elle avait frissonné aux deux fois que la mère était entrée chez moi.) Dans mon enfance, j’ai souvent manqué de me tuer, par la crainte que j’avais d’elle... Un jour, quand nous demeurions dans une petite rue du Marais, chez un menuisier, elle m’avait Sophie Arnould (musée Carnavalet) défendu de sortir de la chambre. J’aimais tant à courir, que je ne pus me contenir. Je vins sur l’avance de la boutique, où je grimpai, ayant l’œil attentif, si elle ne revenait pas. Je crus l’apercevoir de loin, et mon empressement fut si grand, que ne songeant pas que j’étais montée assez haut, je me jetai par terre, et tombai sur quelque chose d’aigu, qui me fit ici (montrant l’endroit) une blessure dangereuse, dont je n’osai parler... Nous étions alors bien dans la misère. Elle ne savait que faire, et je crois qu’elle... (se cachant les yeux) ; car je lui voyais tous les jours amener quelqu’un de nouveau chez nous. On me faisait cacher dans un petit cabinet. Mais ce qui ne me laisse presque pas lieu de douter, c’est qu’un soir elle me prit par la main, en me disant : « — Allons Sara, viens voir si nous ne pourrons pas faire un homme ! » Ce fut le visage caché dans mon sein que Sara prononça ces paroles. Dans un premier mouvement, je la repoussai ; je me levai, transporté de fureur ; puis me calmant aussitôt, pour passer avec rapidité à un sentiment contraire, je la pris dans mes bras, et je lui dis, en laissant ruisseler mes larmes sur elle : « Tu n’as plus de mère, ma Sara ; non, cette odieuse femme n’est plus ta mère. Mais je te le jure par Dieu même, tu as un tendre père en moi. » Sara me remercia par un baiser, tel qu’une fille honnête le donne à un tendre père. « Ce n’est pas tout, mon cher papa. Si vous saviez quels traitements elle m’a fait essuyer ! J’étais durant l’été, par une chaleur extrême, renfermée dans le petit grenier avec du pain et de l’eau, sans pouvoir sortir ni parler à personne ; elle me regardait comme une bête destinée à son avantage particulier, et dont elle prétendait se servir, lorsqu’elle le jugerait à propos. — Ou plutôt, ma chère fille, interrompis-je, elle ne vous traitait si mal, que pour vous rendre plus résignée à ses volontés. Elle pensait que la moindre bonté qu’elle vous marquerait ensuite, aurait à vos yeux le charme de la nouveauté ; que cela vous disposerait à faire tout ce qui lui plairait. — Je vois que vous la devinez, reprit-elle ; ce que j’ai à vous conter confirme parfaitement votre conjecture. « Je sais que, dans les commencements que vous avez demeuré dans la maison, elle vous a raconté le trait de cette femme qui occupe votre demeure, et qui, disait-elle, me prostituait à un avocat. La vérité est que cet avocat venait à la maison pour moi, du consentement de ma mère, qui m’avait recommandé de ne pas faire la difficile. Mais cet homme m’ayant prise en affection, il me conseilla de rester honnête, en m’attachant à lui seul. Ma mère l’écoutait. Elle entra dans un moment où il m’embrassait, environ un demi-quart d’heure après ce qu’il m’avait dit ; elle se jeta sur lui comme une furieuse, en criant qu’il voulait séduire sa fille, et elle le mit à la porte en le tirant par le collet. Depuis ce temps-là, je ne pouvais plus le voir. Mais il obtint de la voisine dont vous occupez l’appartement, qu’elle me recevrait chez elle, lorsque maman serait absente. Une des clés de cette voisine ouvrait ma petite chambre du grenier ; de sorte qu’un jour, que j’y étais renfermée, suivant l’usage, avec du pain et de l’eau, l’avocat vint, la voisine m’ouvrit ; le monsieur offrit de payer une collation ; mais il ne voulait pas l’aller chercher, de peur d’être aperçu dans le voisinage. La voisine, de son côté, ne voulait pas me laisser seule avec lui ; de sorte qu’il fut dit que j’irais chercher la collation. Mais, par malheur, comme j’étais au milieu de la rue, Valfleuri, l’espion, l’amant, l’esclave, la dupe, le vil complaisant de ma mère, Valfleuri revenait chercher quelque chose que sa dame avait oubliée ; il me vit avec surprise et me gronda. Je ne savais que répondre. Je fus renfermée par lui et je n’osai plus sortir. Au bout d’une heure, ma mère arriva furieuse ; elle se jeta sur moi sans m’interroger, me pinça les bras en me tordant les chairs et me relevant le visage à coups de poing. On mit un cadenas à ma porte outre la serrure, et il n’y eut plus moyen de me faire sortir. J’étais désespérée. Je montai plusieurs fois sur la fenêtre, dans le dessein de me précipiter dans la cour. Vous vous rappelez qu’un soir elle vous priait de fermer la porte de la grille sans bruit ; elle regarda Valfleuri et lui dit devant vous : « L’avocat la fermait sans qu’on l’entendit. » Elle donnait à entendre par là qu’il venait auprès de moi la nuit. Mais il n’en est rien, je vous assure. « Quand je fus presque tout à fait grande, elle me mit deux ou trois mois au couvent. Mais elle avait ses vues, c’était pour tirer meilleur parti d’une fille qui sortirait du couvent. Aussi, mon cher papa, voici ce qui arriva lorsque j’en fus sortie. « Un dimanche, elle m’habilla superbement et me mena au Palais-Royal. Nous nous assîmes dans la grande allée. Nous y étions depuis un quart d’heure environ, lorsqu’un homme d’un certain âge, mis en robin, nous aborda d’un air aisé. Il salua ma mère et se mit à causer avec elle. J’avais l’air de fort mauvaise humeur, craignant que ce ne fût une rencontre. Aussi, lorsqu’il m’adressa la parole, je ne lui répondis que par monosyllabes. Malgré ce mauvais accueil de ma part, il continua et proposa un diner à ma mère. Je remerciai pour elle en disant que nous avions dîné. Mais elle n’en accepta pas moins. Elle se leva, et moi, peu accoutumée à lui résister, je fus obligée de la suivre. Nous descendîmes à une belle maison, et nous trouvâmes le couvert mis dans un salon superbe. Mais comme je témoignai que je n’avais pas appétit, ayant mangé avant de sortir de chez nous, on me fit passer dans une espèce de cabinet, où ma mère me laissa seule avec le monsieur... Je me dispenserai de vous dire le reste. Je m’évanouis... On fut obligé d’appeler ma mère à mon secours... « On dîna enfin, et au milieu du repas, le souvenir de ce qui s’était passé me fit encore trouver mal. On me délaça et on me mit au grand air sur un balcon qui donnait sur le jardin. L’homme me témoigna le plus vif intérêt... « En revenant, ma mère me parla des grandes espérances qu’elle concevait. Mais je lui déclarai que je ne voulais pas être entretenue, et que je préférais de travailler. Elle me répondit froidement que j’en étais la maîtresse. « pour me calmer et de peur que je ne me plaignisse dans le voisinage, dès la même semaine, elle me mit en apprentissage pour les dentelles, chez une dame Haï, dont la maison est fort honnête, et où j’ai toujours resté depuis. Mais elle me conduisait tous les dimanches et fêtes chez le monsieur du Palais-Royal, et lorsqu’il venait dans la semaine, elle m’envoyait chercher par Valfleuri. « Ce fut chez cet homme que je vis le monde. Il y avait toujours grande compagnie à sa table ; c’étaient des gens de condition, à la vérité libertins, car ils n’avaient avec eux que des actrices ; mais la conversation n’en était que plus brillante. J’y ai vu Mlle A***. Comme j’étais modeste et timide, cette demoiselle, qui ne pouvait croire que je fusse malgré moi dans ma triste situation, me regardait comme une fiche mouche ; elle me disait souvent à M. De *** (celui qui paraissait m’avoir) : « Elle est plus rusée que nous toutes, votre jolie Flamande. » > Je rougis, et elle me lança quelques épigrammes auxquelles je ne répondis pas. Ce qui m’humiliait beaucoup, c’était le rôle que faisait ma mère. Grossière, relativement aux gens avec lesquels elle se trouvait, n’ayant pas reçu l’éducation française, elle en était souverainement méprisée. Elle le sentait (car elle ne manque pas d’esprit, mais je le sentais davantage encore, ce mépris qui retombait sur moi) et, pour s’en venger, elle lâchait des réponses mortifiantes, sans égard pour la condition. Ces réponses grossières n’étaient point bêtes, au contraire, et c’est ce qui les rendait plus piquantes. Elles l’étaient au point qu’un jour un duc se leva de table, appela M. De***, et lui dit qu’il ne viendrait chez lui quand cette femme y serait (parlant de ma mère). M. De *** la prit en haine, et lui fit essuyer toutes sortes de mortifications, quelle souffrait par intérêt. En effèt, elle me vendait à beaux deniers comptants. J’étais parée, et elle empochait les louis. On la vit alors passer de l’étroit nécessaire, que Valfleuri lui avait procuré, à la plus grande aisance. Elle prit sa maison à bail et aurait pu, dit-on, l’acheter. « Cependant M. De *** m’était fort attaché, quoiqu’il n’eut pas lieu d’être content de moi, car je le maintenais dans les bornes... Il me disait quelquefois : « Est-il possible qu’il faille passer par cette femme pour aller à vous ! Je vous adorerais, vous seriez tout pour moi, et mon héritière un jour, sans cette créature ; mais l’idée qu’elle profite seule de mes présents et de mon amitié pour vous en tarit la source ; je me fais un scrupule de solder le vice, la bassesse... Tâchez de venir me voir seule, vous serez plus en sûreté avec moi seul qu’elle vous accompagnant ; je sais ce qu’elle m’a dit, ce qu’elle m’a offert. Je pleurais à ces discours. « Dès que j’étais de retour chez ma mère, je me hâtais de demander à retourner chez mes maîtresses, car la mère étant morte, je continuai de rester avec ses deux filles. Je les aimais tendrement à cause de leur honnêteté ; j’en étais tendrement aimée à cause de mon attachement pour elles. C’est de cet asile, où je n’avais que de bons exemples, où je vivais avec des filles de bonne maison, bien élevées, qui ne respiraient que l’honneur et la vertu, c’est de cet asile dont Valfleuri venait m’arracher au milieu de la semaine pour aller écouter, soit M. De ***, soit M. Legrainier que je haïssais encore davantage, mais que ma mère ménageait le plus, par des raisons particulières. Il la servait de son crédit quand elle en avait besoin, sans trop s’embarrasser de la délicatesse ; voilà pourquoi il lui est précieux. J’ai cessé de voir M. De ***, il y a environ huit mois. Ma mère a voulu le faire remplacer entièrement par M. Legrainier, qui offre encore aujourd’hui les vingt mille francs ; mais je lui ai déclaré que je ne voulais plus d’autre homme qu’un mari. « Le hasard ayant alors fait trouver à ma mère un pensionnaire dans M. du Châtaignier, je crus que c’était là le mari qui m’était destiné. Mais je vois qu’il n’en est rien, et que c’était à l’amitié d’un homme du plus rare mérite que le sort me réservait. Voilà, cher papa, ce que je puis vous raconter de mon histoire. Car je ne dis pas tout !... — Eh pourquoi, chère fille !... — Ah ! Que tu me deviens intéressante !... Mais dis-moi tout, je t’en conjure ? — Non. cela ne se peut pas ! — Je ne vous le demande plus, Sara. — Mon bon ami, dit-elle alors, on nous attendrait pour souper, descendons. » C’était le 21 janvier que Sara me fit cette confidence. Le lendemain lundi, ne voyant pas Sara que j’avais attendue pour recevoir son adieu ordinaire, je descendis. Mais quelle fut ma surprise d’entendre une querelle, des pleurs, des cris. « La mère. Vous êtes une p... — La fille sanglotant. Si je ne le suis pas, ce n’est pas votre faute ; vous y avez fait tout ce que vous avez pu. — La mère. Ah ! insolente ! Attends ! Attends !... » Des pleurs, des cris de la part de la fille. J’entrai, craignant que ma chère Sara ne fût maltraitée. « La mère. Une fille, monsieur, qui me répond des impertinences ! — Moi. Ma chère Sara ! calmez-vous ! » La mère étant passée dans l’autre chambre, je pris la main de ma jeune amie, qui me reçut assez mal. Cependant elle se calma et se disposa aussitôt à retourner chez ses maîtresses. Je la laissai s’habiller, et j’attendis qu’elle vint me voir. Mais on ne lui permit pas de monter apparemment, ou elle ne l’osa pas. J’étais à la fenêtre ; je la vis sortir et elle passa du côté de la rue d’où je pouvais la voir plus longtemps. Je descendis un instant après. J’entendis soupirer la mère. J’entrai auprès d’elle pour la consoler. Alors cette abominable femme prenant un ton hypocrite, me dit en pleurant, en poussant des cris étouffes : « N’est-il pas bien malheureux de n’avoir qu’une enfant et de la voir aller chez les autres, de ne pouvoir la garder chez soi ! — Eh ! qui vous en empêche, madame ! — Ah, monsieur ! tout ce qui reluit n’est pas or, et je ne veux pas être à charge à mes amis ! — Ce que je pourrai, madame, est à votre service. Prenez mademoiselle votre fille chez vous, je me ferai un plaisir et un devoir d’être votre société. — Eh bien, monsieur, oui, prenons-la, nous lui donnerons mon second qui va être libre, nous le meublerons à nous deux ; je suis sa mère ; vous lui servirez de père... » Je consentis, j’applaudis à cette idée, sans concevoir de soupçons... Insensé qui ne voyais pas la finesse de cette femme ! Qui ne concevais pas que j’étais le sujet de la querelle entre la fille et la mère ! Que celle-ci, toujours impatiente, voulait que celle-là précipitât l’instant de la récolte, tandis que Sara qui avait pris avec moi un rôle honnête, et qui sans doute y prenait du plaisir, voyait que la précipitation était impossible ? Remonté chez moi, je fis cependant quelques réflexions. Je trouvai extraordinaire qu’une femme impérieuse, que rien n’avait pu dompter que l’intérêt, pleurât, criât de la séparation volontaire et momentanée d’avec une fille qui n’allait qu’à deux ou trois cents pas et que, par conséquent elle était libre de voir tous les jours, à toutes les heures ; que d’ailleurs, elle pouvait reprendre chez elle, puisque le temps d’apprentissage était achevé depuis longtemps, et que sa fille savait l’état qu’elle lui avait donné. Mais ces réflexions glissèrent légèrement, Le jour suivant, en allant saluer cette mère affligée, que je trouvai fort contente, elle me remit une lettre que sa fille lui avait laissée pour moi la veille. Comme elle ne savait pas déchiffrer le français, je crus devoir, par politesse, la décacheter sur-le-champ et la lire tout haut. Voici ce qu’elle contenait : Première Lettre de Sara a M. d’Aigremont Monsieur et cher papa : Ta fille sait de toi-même que tu as toujours été malheureux. Quoi ! serait-il possible que le Dieu de la nature eût oublié mon père ! Non, non, c’est parce que tu ne m’as pas fait l’aveu de tes peines que tu as été malheureux. Parle actuellement à ta fille, et crois qu’elle se sacrifierait entièrement pour toi. Oui, elle donnerait la moitié de sa vie pour te rendre heureux Je te prie de croire que ce sont là les véritables sentiments d’amitié, de tendresse, d’attachement qu’a ta fille, et qu’elle dit avoir, puisque c’est elle-même qui a fait le choix de son papa. Ma plume est trop faible et trop peu exercée pour te dire tout ce que je pense. Au bonheur de te voir, mon papa, je finis en te souhaitant le bonheur que tu mérites, et une vie qui ne finisse qu’avec la mienne. Ta fille jusqu’au tombeau. Mlle Allard (musée Carnavalet) (Ah ! Qu’on me donne une âme sensible qui ait aimé, pour connaître, pour sentir l’excès de mon bonheur à cette lecture ! ...) Il y avait sur l’adresse qui était la mienne, maman le sait, mais je ne m’en aperçus pas, et j’observai en lisant de changer le tutoiement en vous. Je l’avouerai, cette lettre si tendre, qui portait si bien l’empreinte de la véracité, fit nager mon cœur dans une joie délicieuse ! Je me crus sincèrement aimé ; je n’eus pas le moindre doute. Aimable Sara, pensais-je, mon bon génie t’a destinée à me donner tous les plaisirs !... La semaine qui s’écoula m’ennuya infiniment. Je désirais Sara avec une inconcevable ardeur. On s’en aperçut apparemment. Sara revint au milieu de la semaine ; mais elle ne resta qu’une demi-journée. Elle monta me voir en m’annonçant qu’elle allait repartir. Ma joie et ma douleur parurent presque simultanément. Sara me consolait par ses tendres caresses. « Cesse, lui dis-je, chère amie, ou tu ne feras qu’augmenter mes regrets. » Elle partit et, à l’instant où je rentrai, je trouvai sous ma porte le billet suivant ; Deuxième Lettre Mon cher bon ami : Tu m’as l’air inquiet, rêveur, chagrin ? Dis-moi un peu ce que tu as ? Est-ce parce que je m’en vais ? Non, sans doute, tu aurais grand tort ! Ce n’est que mon corps qui va disparaître. Pour mon cœur, je le garde pour maman et pour toi ; oui, pour toi, mon papa, pour toi seul. Adieu, mon retour au plus tôt possible. Tâche un peu de t’égayer, sans quoi je te bouderai à mon retour à la maison. Ce fut à l’occasion de ces deux lettres ravissantes pour un amant (et un amant de mon âge), quoiqu’elles ne soient pas des chefs-d’œuvre, que j’offris à Sara de lier une correspondance qui la formerait au style épistolaire. C’était le jeudi qu’était venue Sara ; je n’eus que deux jours à l’attendre. À son arrivée, le samedi soir, nous lui annonçâmes qu’elle ne retournerait plus chez sa maîtresse. Elle en parut dans le ravissement, elle qui ne pouvait auparavant rester deux jours de suite chez sa mère. Lorsqu’elle monta chez moi, elle me fit ses tendres remerciements. « Je te verrai donc tous les jours, ma chère fille, lui dis-je en la pressant dans mes bras ! Ah ! je serai heureux puisque mon bonheur est l’effet de ta seule présence ! Ma Sara ! Fille aimable ! Fille adorée de ton tendre père ! Qui pourrait croire que pendant cinq ans j’étais auprès d’un trésor semblable à toi, sans songer à m’en saisir !... Je cherchais le bonheur et il était à ma porte !... Mais je le tiens et il ne m’échappera plus ! » Nous descendîmes ensemble. Après le souper, la mère nous laissa quelques instants seuls. « A demain, papa, me dit ma jeune amie, nous causerons beaucoup plus amplement. » Le dimanche était le 29 janvier... Puis-je dire que ce fut un jour heureux !... Sara vint me voir à midi. Je l’attendais avec impatience et deux fois dans la matinée j’étais entré chez elle, en disant que j’avais des livres à lui donner mais que je ne voulais pas les lui descendre. J’étais alors à peu près instruit des assauts que cette jeune personne avait essuyés ; je ne doutais pas qu’il n’y eût longtemps qu’elle avait perdu cette fleur précieuse, qui ne renaît jamais. Ma délicatesse en souffrait, mais les désirs y gagnèrent une inconcevable vivacité. Je résolus de fonder sa vertu présente, bien déterminé ou à m’arrêter, si elle était réelle, ou à l’attacher à moi par le plaisir, si elle en avait le goût. Car j’étais décidé à lui abandonner mon cœur, quelle qu’elle eût été. C’était un parti pris. Ne vous irritez pas contre moi, honnête et prudent lecteur, je l’ai payé assez cher pour ne devoir intéresser que votre pitié ! Sara se fit enfin entendre à ma porte par une petite toux. Comme tout intéresse dans l’objet qui nous a charmés ! Je tressaille encore lorsque je crois en entendre une semblable ! Je courus ouvrir. Qu’elle était belle ! que d’attraits ! que de fraîcheur ! quel goût dans sa parure négligée ! Les Grâces avaient arrangé ses beaux cheveux ; la volupté, son fichu, son corset, ses jupes, sa chaussure ; elle excitait jusqu’à l’aimable sourire qui se traça sur son joli visage. « Me voici ; papa !... Le pauvre petit papa ! je l’ai fait bien attendre, mais ce n’est pas la faute de sa fille. Elle a une mère et cette mère est bien capricieuse ! Il faut bien prendre garde de ne pas la blesser, de ne pas la faire se cabrer. Si un Je ne veux pas que vous montiez là-haut, était une fois sorti de sa bouche, il n’y aurait plus de remède et sa fille en serait au désespoir. Quand on risque tout, il n’est pas permis de hasarder. — Je te vois, charmante, raisonnable fille, et je suis trop heureux ! Dès le premier instant de ta venue, toutes les peines de l’absence sont suspendues jusqu’à celui de ton départ... Viens ici, ma belle Sara, viens sur mes genoux ! » Elle y vint avec cet aimable abandon, faible langage ! que tu ne le rendras jamais. Après les premières caresses de l’amitié, qui me furent rendues, je devins entreprenant, mais j’observai avec une attention scrupuleuse la conduite de Sara. Elle résista et, fidèle à mes principes, je m’arrêtai ; ne pouvant être heureux, je fus tendre, et jamais je ne lui avais si vivement exprimé les sentiments qu’elle m’inspirait. Sara était dans mes bras et sur mes genoux, un de ses bras passé autour sur mon cou m’étreignait doucement, son sein vivement agité pressait mon cœur, les yeux fixés sur les miens paraissaient exprimer la plus vive tendresse. Je sentis au fond de mon âme la conviction d’être aimé ; elle se dilatait, je m’agrandissais, je n’étais plus un mortel, j’étais un dieu ; je sentais une existence délicieuse, noble (le bonheur élève l’âme !), le reste du genre humain ne m’inspirait plus que le tendre intérêt de la bienveillance. Quelle situation ! et que faut-il autrement pour être un dieu !... Après une silencieuse jouissance de Sara et de moi-même, ma langue se délia pour se prêter à la plénitude de mon cœur. « Ma fille, dis-je d’une voix syncopée, ma déesse, mon ange, divine source de ma félicité ! quel charme tu répands sur ton ami, ton tendre ami !... Ah ! ma Sara, la plus chère moitié de moi-même ; je ne respire plus que pour toi, je t’abandonne mon existence, elle ne peut qu’être heureuse par toi !... Que de ce moment tout nous soit commun, peines, fortune, plaisirs, tout, ma Sara. Tu es ici chez ton père. Dispose en maîtresse, en fille bien-aimée... C’en est fait, je suis à toi. — Je suis à toi, répéta-t-elle avec un baiser. — Tu es à moi ! — J’y suis, j’y suis, j’y suis ; je veux y être toujours. — Tu embelliras le soir de ma vie. — Il n’est pas si tard ! — Non, tu me rajeunis ; il me semble que je suis à ton âge. — Puissé-je prendre de tes années, aimable papa !... Donne-m’en, donnem’en ! ... Laisse-moi croire que je t’en ai pris !... Oui, ze t’en ai pris, z’ai trente ans ; dis-moi que je parais trente ans, ze le veux... — Reste jeune, mon adorable amie ; la jeunesse te va si bien ! Elle est si raisonnable en toi !... » En ce moment, une voix nous appela. C’était celle de Valfleuri. « C’est le jaloux ! me dit Sara ; il ne prétend rien à moi, et il l’est de tout ce qui m’approche. Je ne te quitte pas, nous dinons ensemble, mais je descends. » La mère, Valfleuri et Sara devaient tous trois sortir pour affaires dans l’après-diner. Ce fut ce qu’on nous dit à table. Un tendre regard exprima la douleur que ma jeune amie en ressentait ; son pied mignon pressa le mien. Tout est organe du sentiment quand on aime, et celui-là n’est pas le moins expressif. Je me mis au travail dès que Sara fut partie, afin d’avoir plus de temps à lui donner, lorsqu’elle reviendrait. À huit heures elle se fit entendre. Avec quel plaisir je la reçus !... Elle entra chez moi un papier à la main, « Nous avons été voir un des compatriotes de M. du Châtaigner, me dit-elle, pour l’engager à écrire à son ami qu’il fasse payer maman. Dans un instant où il a pu me parler sans être vu, il m’a remis une lettre que je viens lire ici. Je compte vous la laisser pour la renvoyer avec la réponse que je vais y faire. En même temps, elle me donna la lettre... « Lisez-la d’abord, ma chère fille, lui dis-je, après cela vous verrez si je dois la lire aussi. » Elle lut, ensuite elle me la présenta ouverte. Cette lettre était singulière, et j’avouerai que le style m’en surprit ! Lettre de M. du Chataigner a Sara 5 janvier 1781. Ton petit mari devine l’épreuve à laquelle tu veux le soumettre. Va, il aimerait toujours sa femme quand elle deviendrait muette. Amuse-toi, badine ce petit mari ; il s’en venge soir et matin sur ta bonbonnière, il la caresse, il l’interroge. Elle lui dit que tu aimes comme une folle le petit mari qui t’adore. Excuse-le s’il n’est pas parti dès l’instant où tu l’as invité à voler dans tes bras. Tu sais qu’il ne s’est séparé de toi que pour aller vaincre tous les obstacles qui s’opposent à son bonheur. Il te reverra pour ne plus te quitter. Gronde notre maman, qui ne nous tient pas sa promesse de venir en Dauphiné, si elle était invitée par mes parents. La réponse qu’elle a faite les a tous alarmés, et j’ai été soupçonné d’avoir fait seul les avances. Aide-moi à la décider ; si elle se détermine à venir, je lui reponds d’un bon accueil Viens, viens, ma Sara ! Je me souviens du temps où j’avais le plaisir de te tenir penchée de si bonne grâce dans mes bras, où tu faisais des prodiges, tes jolis doigts s’occupaient à faire un chef-d’œuvre ; tes yeux lançaient le bonheur, ton petit pied faisait lui-même un rôle... Ah ! Sara ! ces heureux moments sont-ils passés pour toujours !... Je n’ai pas encore demandé à mon père son fonds. J’ai voulu lui prouver auparavant que j’étais en état de le faire valoir. Il paraît content de mon travail ; je vais au premier jour le presser de me donner un état, et lui représenter que je suis en âge de travailler pour mon compte, je suis désespéré comme toi (point du tout ! ) du moindre retard. (Consolons-nous, ma bonne amie, écrivons-nous souvent.) Donne à Boyer le moyen de te faire parvenir mes lettres. Bonjour (je m’empresse de me parer des qualités dont tu as bien voulu me garantir la sincérité. Raton s’en souviendra toute sa vie). Je t’embrasse un million de fois, et je suis de tout cœur, chère petite femme. Ton mari, Du Châtaignier. P.-S. — De quelque manière que tournent nos affaires, je pars, le plaisir de te voir vaut mieux pour moi que la possession d’un trésor, juge si je suivrai les avis que ta maman donne à mon père de me rendre raisonnable comme toi... Ah ! quel mot ! RÉPONSE J’ai reçu votre lettre, monsieur, le 39 janvier, par laquelle j’apprends que vous vous promettez d’êTre bientôt de retour à Paris. J’espère très fort que ce n’est pas pour moi, ou du moins je vous y engage, car vous ne pouvez pas ignorer que lorsqu’on a manqué à une personne de mon sexe, on ne doit plus se présenter devant elle, surtout quand elle a fait un choix ! P.-S. — Je prie M. Boyer de faire tenir ces deux mots à l’auteur de la lettre ci-incluse. Je fis beaucoup de réflexions sur la lettre de du Chàtaigner ! Je savais que Sara l’avait aimé ; cet écrit achevait de m’en convaincre, et j’avoue que je fus surpris de la dureté de la réponse. Cependant, et je l’avoue avec confusion, j’en fus flatté ; je crus, oui, j’eus la folie de croire qu’à l’âge de quarante-cinq ans, la tendresse que j’inspirais avait fait oublier un jeune homme de vingt-cinq... C’était le comble du délire ; mais voilà comme nous sommes tous prévenus en notre faveur, c’est au malheur à nous détromper, en nous remettant à notre place... Cependant je tremblai pour moi, lorsque je fus prié par Sara d’envoyer le paquet qui devait renfermer ces deux lettres à l’ami du pauvre du Châtaigner. Je le promis, mais avec l’intention de les garder, ne croyant pas qu’il fût à propos de remettre de pareilles armes entre les mains d’un jeune homme avec qui l’on rompait. En montrant cette lettre il aurait fait à Sara un tort irréparable. Mais ces libertés que je voyais qu’avait prises du Châtaigner, ces jolis doigts qui s’occupaient à faire un chef-d’œuvre, ce que Sara m’avait confié, certain rapport de deux petites commissionnaires qui venaient pour moi dans la maison, tout cela me donna l’espérance d’obtenir des faveurs sans avoir à me reprocher la corruption de l’innocence. Il semble, d’un côté, qu’une fille lorsqu’une fois elle a succombé aux attaques des hommes, est moins à ménager ; tandis que de l’autre elle excite davantage une coupable volupté. Ce fut ce que j’éprouvai très vivement et, quoique la raison combattit en moi ces mouvements désordonnés, la raison ne fut pas la plus forte, mes caresses devinrent plus libres ; Sara, plus habituée à moi se défendit moins. Peut-être sentit-elle obscurément le désavantage que lui donnait la lettre qu’elle venait de me faire lire... Peu à peu je me plongeai dans l’égarement d’une passion, toujours extrême, dès qu’on a commencé de s’y livrer... Enflammé par ce que j’osais, par ce qu’on me permettait, par ce qu’on me donnait, je parvins bientôt à ce point fatal où l’on ne saurait plus commander à ses désirs parce qu’on les a trop excités pour que la raison puisse en rester maîtresse... Dans cette situation, un contretemps heureux m’eût sauvé !... Il n’arriva pas... J’osai exprimer ce que je brûlais d’obtenir... Le silence me parut un aveu. Voilà donc ce protecteur, ce guide, ce défenseur, cet homme qui devait diriger sa jeune amie ! Il veut, il arrache lui-même ce qui lui a fait horreur ! Le voilà complice de la plus méprisable des mères... (Hélas ! Il en est puni, mais qui punira cette infâme corruptrice ! ... Qui la punira ! Le mépris, la haine de sa propre fille ; l’horreur, l’effroi qu’elle lui inspire et qu’elle a fait passer dans mon cœur, dans le cœur de tous ceux à qui cette fille a marqué de la confiance ; dans celui de tout le voisinage qui connaît sa conduite ! Un mépris universel, ô Dieu ! Comment cette malheureuse peut-elle le supporter !) Devenu heureux et coupable, mais sans perdre la qualité d’honnête homme, je jurai de nouveau à Sara, d’après les sentiments de mon cœur, un éternel attachement. Oui, je sentis pour cette fille une tendresse inexprimable, je sentis qu’elle était ma femme, selon les lois de la nature ; après sa complaisance et mon bonheur, je me regardai comme ne faisant plus qu’un avec elle. « C’est à présent que tout nous est commun, lui dis-je, ma chère Sara, les sentiments et les biens. Sois ma compagne chérie, conserve-moi à jamais la confiance dont tu m’as honoré. Ce que tu viens de m’accorder est un lien indissoluble pour moi, qu’il le soit aussi pour toi, ma charmante fille ! — Il le sera, mon bon ami, et tu verras combien mes sentiments sont Nos bouches disaient, exprimaient et prouvaient les sentiments qui nous animaient. (p.154) solides ! Je ne changerai jamais, tu seras mon ami, mon mari, mon père ; je serai ton amie, ta femme, ta fille à jamais, car je veux réunir tous ces titres à ton égard. Je n’ai jamais connu personne qui te valût ; tu es mon choix à moi seule, et jamais je n’en ferai d’autre. » À quoi servirait-il de rapporter ici nos tendres caresses, les baisers pris et rendus ? Nos bouches, ces organes de la tendresse et de la volupté, disaient, exprimaient et prouvaient ensuite par de charmantes unions, les sentiments qui nous animaient. Ce fut après ces moments heureux et dans l’ivresse qu’ils nous inspiraient que nous descendîmes pour souper. Quel agréable repas ! Sara la tendre et sensible Sara mangeait seule avec moi ; elle posa sur le mien son pied délicat, devenu à son tour l’organe d’un sentiment plus contraint ; il exprimait tout ce qu’elle voulait me faire entendre, et ses beaux yeux le confirmaient. Sara est très jolie, voici un trait que j’ai oublié de dire. À chaque fois qu’elle venait chez moi, je la reconduisais et la voyais descendre un étage ; lorsqu’elle était au tournant, elle s’arrêtait pour me regarder et m’envoyer le baiser napolitain. Dans ce moment où elle sortait de mes bras, où son teint, naturellement brillant, était encore plus animé, elle avait un éclat éblouissant, elle n’avait pas l’air d’une simple mortelle, c’était une déesse. Jamais l’imagination même ne peut créer le charme qu’avait en cet instant la réalité ; c’était la plus belle rose ! Avec cela un air si tendre, si passionné !... Ah Dieu ! comment, comment ! avec l’âme ardente que la nature m’a donnée, aurais-je pu résister !... Sara devait rester absolument à la maison à dater de ce jourlà ; ainsi le lendemain elle n’alla chez ses maitresses que pour leur dire adieu. Sa mère désirait depuis longtemps de la revoir chez elle, mais Sara qui avait pris de l’amitié pour ses maîtresses, plaidait chaque semaine pour y retourner. Mlle Lee m’eut obligation de la facilité avec laquelle sa fille consentit enfin à se fixer avec elle. De mon côté, j’en fus transporté de joie et j’envisageai pour l’avenir tous mes jours comme heureux. Les commencements du séjour de Sara me confirmèrent dans cette idée. Elle venait me voir deux fois par jour ; nous avions des entretiens charmants. Le 2 février, qui se trouvait dans cette première semaine, fut un des plus beaux jours de ma vie, mais le 4 le surpassa. Ces deux jours-là, Sara parut à mon égard, la plus tendre des filles et la plus complaisante des maîtresses ; sa confiance fut sans bornes, elle ne réserva rien, elle m’ouvrit entièrement son cœur et me donna toute sa personne ; elle s’étendit sur la haine qu’elle avait pour sa mère, et cette haine allait jusqu’à l’horreur ; mais elle la motiva d’une manière qui faisait honneur à sa vertu. « Puisqu’il faut que je sois une malheureuse, me disait-elle, je veux choisir comme je dois tomber, que ce soit au moins dans les bras d’un homme estimable et sûr qui ne m’abandonne jamais, qui me serve de père et avec qui ma faiblesse soit un lien de plus qui l’attache à moi. » Je n’aurais pas cru cette fille capable d’un pareil raisonnement ; il m’enchanta, tout vicieux qu’il fut, parce que je m’en trouvais l’objet. « Dans ma triste position, livrée par une mère barbare, je n’ai pas été aussi malheureuse que naturellement j’aurais dû l’être ; M. de *** (l’homme du Palais-Royal) m’a traitée plutôt en fille protégée qu’en maitresse. Une fois qu’il eût connu la différence de mes sentiments d’avec ceux de ma mère, il en usa de la manière la plus honnête et la plus généreuse. — Je croirais commettre un sacrilège, me disait-il, de vous traiter comme une autre fille ; soit par principes acquis, soit par caractère, vous êtes la vertu même. Restez vertueuse, ma chère Betty (il m’appelait de la sorte en anglisant un de mes noms) ; quoique je vous trouve charmante, je ne prétends pas y nuire. Dans le monde, je passe pour un homme sans mœurs ; j’espère vous prouver que cette réputation n’est pas méritée. Cependant, il faut que je vous entretienne, à cause de votre mère, qui chercherait à vous donner à d’autres. Mais vous ne devez pas vous effrayer de nos conventions, de mon langage et de ma conduite en sa présence. Je vous avouerai que, pour la contenir et lui imposer, je la traiterai devant un certain monde et quand nous ne serons que nous trois, avec tout le mépris qu’elle mérite. On retient ainsi les femmes de son espèce mais, à votre égard, soyez persuadée que je retiens toute l’estime dont vous êtes digne. Je me trouve le plus heureux des hommes d’avoir prêté l’oreille à ses propositions, autant par rapport à vous, que par rapport à moi-même. Pour vous, je serai un défenseur, et quant à moi, j’aurai trouvé pour partager mes plaisir, un objet qui ne m’avilira pas, un objet estimable que je pourrai chérir, honorer, qui m’inspirera plus de tendresse que de désirs et dont je pourrai dire du bien à mes connaissances, ce qui est infiniment rare dans les filles de la classe où votre mère vous a fait descendre... « Je vous avouerai que ces sentiments, sans me donner d’amour, firent disparaître ma répugnance. Je crois même que j’eusse enfin aimé M. de ***, s’il avait été mon choix, comme vous l’êtes. Je m’attachais à lui quand il partit pour un voyage. Ma mère, qui se lassait de son joug, profita de son absence pour l’indisposer contre moi. Il tomba malade ; il m’écrivit qu’un mot de ma part contribuerait à lui rendre la santé. Ma mère se fit lire la lettre par son Valfleuri et ne m’en parla pas. Une seconde eut le même sort. M. de D*** ne récrivit plus. À son retour, il vint voir ma mère et lui témoigna son indignation, contre ce qu’il nommait la dureté de mon procédé. « La voilà ! répondit ma mère, elle ne s’attache à personne ; c’est une âme de boue, sans naturel, sans reconnaissance ! » Ce fut ainsi que se fit la rupture. « C’est qu’elle voulait me donner à M. Legrainier, qui lui promettait vingt mille francs pour moi, mais qui devaient être remis entre ses mains. Je ne goûtai pas cet échange, auquel je me refusai absolument. Je déclarai que si je n’avais pas de bien, je voulais me servir de mon état et travailler. On me répondit que j’en étais la maîtresse. On m’ôta mes robes, on me laissa sans mantelet ; on me disait qu’il fallait que je me misse en petite ouvrière. On m’interdit la maison. Tout cela me récompensait au lieu de me punir ; j’étais tranquille et contente. Je crois qu’on s’en aperçut quoique je dissimulasse, ou l’intérêt mit du changement dans les idées, à moins que ce n’ait été un effet de l’inconstance naturelle, on reprit l’ancienne manière. Je revins le dimanche à la maison, j’y vis M. du Châtaigner ; il m’aima. On feignit de prêter l’oreille aux propositions d’un mariage dont on était bien éloigné d’avoir le dessein, et on me berça de cet espoir, bien sûr de trouver des causes de rupture, tant qu’on voudrait. C’est ce qui na pas manqué. » Sara glissait légèrement sur l’article de du Châtaigner, je le vis bien. Elle l’avait réellement aimé, mais elle n’en convint pas alors. Cependant elle était persuadée que sa mère n’avait jamais eu l’intention de la marier. « Elle voulait seulement, me dit-elle, en faire courir le bruit dans le quartier, pour relever un peu sa réputation car elle est connue. Tout le monde la montre au doigt et, quand je sors avec elle, j’entends souvent derrière ou à côté de moi : « Pauvre petite ». D’autres fois, on dit assez haut : « Voilà une fille qui ne peut avoir une plus mauvaise compagnie que celle de sa mère ! » Aussi, je voudrais ne jamais sortir, tant je suis honteuse de paraître avec elle. « Je sais que j’en suis détestée ; elle me regarde comme faisant partie de son avoir, je suis pour elle un être dont elle entend tirer parti, sans égard à ce qui peut en résulter pour moi : honneur, réputation, état futur, santé, tout cela l’inquiète peu. Elle a sacrifié inhumainement ma sœur qui est morte sa victime. Si j’ai tenu à ce que j’ai eu à souffrir, c’est que j’étais, dans ma jeunesse, d’un caractère gai, folâtre, sans souci, sans réflexion. Ma sœur aînée au contraire, était posée, réfléchie ; c’était une personne faite à l’âge de treize ans. Elle prit le chagrin à cœur et elle en est morte !... Que je l’ai regrettée ! C’était ma compagne, mon amie, ma consolation !... Je n’oublierai jamais ses dernières paroles : « Ma chère Sara, tu pleures sur moi ! Ah ! je pleure sur toi avec plus de raison ! Que deviendras-tu entre les mains de notre cruelle marâtre !... Mais je prierai Dieu pour toi : j’’espère d’être sauvée, car je meurs martyre. » Et elle mourut une heure après. pendant une querelle que lui faisait ma mère... O monsieur d’Aigremont ! je me jette entre vos bras ! soyez tout, tout pour moi et, pour m’être davantage, soyez... père... amant... mari !... » Dieu tout puissant, tu ne m’as pas fait une âme pour résister à cela ! Elle agit ce jour-là en conséquence de la prière qu’elle venait de me faire... et mes serments d’un attachement éternel redoublèrent. (J’atteste le ciel combien ils étaient sincères !) « Être aimé de toi, ma belle Sara, lui disais-je, c’est être un dieu ! le bonheur est dans tes bras ; laisse-moi goûter le bonheur, que je fixe au moins quelques instants cet éclair, qui ne jette souvent un éclat de lumière sur les faibles mortels, que pour les plonger ensuite dans une obscurité plus profonde !... Je suis heureux et je te le dois ! à toi, à toi, ma Sara, celle de toutes les créatures, à qui j’aime mieux le devoir !... Qui peut oublier de pareils instants ! Comment deux cœurs qui se sont confondus, pourront-ils exister autrement que l’un pour l’autre... Non, non, je n’ai désiré le bonheur suprême que pour t’aimer davantage, que pour être plus à toi, pour qu’il n’y ait plus au monde de femme qui doive m’être aussi chère... Voilà ma divinité, car elle me rend heureux ; voilà Sara ! ce mot renferme tous les éloges : il exprime tout ce qu’il y a de plus parfait dans la nature, ce que j’aime le mieux et ce qui est plus digne de l’être ! — Tu sais bien aimer ! jamais je n’ai trouvé de cœur comme le tien, me répondit-elle, aussi jamais tendresse ni confiance n’égaleront ma confiance et ma tendresse !... si tu es heureux, je partage ton bonheur. — Tu le causes, ma Sara, il est ton ouvrage ! — Il me sera plus doux d’en jouir avec toi et par toi... — Tu m’aimes ! — Je t’adore. — Toi, Sara ! — Oui, c’est de l’amour que j’éprouve ; je le sens, je te le jure. — Peut-être, hélas ! vaudrait-il mieux... — Comment ! toi, si délicat, tu te contenterais d’un autre sentiment ! Ah mon ami ! tu te trompes ! tu es aveugle sur le vœu de ton cœur ! C’est de l’amour que le tien exige, et j’ai le bonheur de pouvoir t’en offrir ! — Est-ce un songe, grand Dieu ! — C’est la réalité se jetant dans mes bras et ta jeune amie n’est pas une ombre. Que ce baiser... te le prouve. — Ah ! que tes preuves sont charmantes, ma Sara ! donne-les moi sans cesse !... » Voilà le plus heureux temps de ma vie ; oui, de toute ma vie ! Si ce jour fut heureux tous les autres lui ressemblaient. J’étais l’oracle de Sara, elle me confiait ses moindres pensées ; mon goût pour elle se fortifiait chaque jour. Je regardai le sien comme solide ; je vis en elle une fille chérie, qui me fermerait les yeux, à qui je laisserais un jour tout ce que mes malheurs ne m’avaient pas ôté. Je n’étais auparavant environné que d’ennemis et d’ingrats ; je trouvais dans une jolie fille de dix-neuf ans, une aimable et tendre amie, ma plus proche parente, puisqu’elle faisait mon bonheur ; une épouse puisqu’elle se donnait elle-même ; je m’y livrai tout entier. Comme je voulais véritablement lui servir de père, que je lui trouvais de l’esprit, d’après nos entretiens, encore plus que d’après sa petite pièce, je la crus capable d’écrire, je l’engageai à s’exercer et je trouvai qu’elle y réussit assez bien. Mais elle se lassait facilement, comme il arrive toujours, lorsqu’on fait un chose à laquelle on n’est pas habitué. On verra bientôt un échantillon de son talent ; c’est sa propre histoire depuis son enfance, qu’elle eut sans doute achevée, sans la connaissance que sa détestable mère la força de faire et pour laquelle la faible Sara qui, en dépit de ses résolutions, se laissait toujours conduire par cette femme, prit un goût qui m’a mis au désespoir en détruisant toutes mes espérances et renversant tous mes projets... Mais le récit des peines ne viendra que trop tôt, il ne faut pas l’anticiper. Il me reste encore tant de délices à décrire ; le souvenir, tout déchirant qu’il est en ce moment, en sera peut-être un jour si doux, qu’il faut les retracer avec complaisance... Sara, en me donnant sa confiance, son cœur et sa personne, ne m’avait pas encore montré toutes les délices qu’elle savait procurer. Les plus doux moments de ma vie ne furent peut-être pas chez moi dans ses bras, c’est au spectacle qu’elle me les donna. Le dimanche qui suivit son séjour à la maison, notre intimité était à son comble ; nous vivions presque absolument ensemble ; nous nous tutoyions ; nous n’avions rien de réservé l’un pour l’autre ; et ce qui redoublait en moi le sentiment de mon bonheur, c’était de me dire : Quelle félicité m’attendait à quarante-cinq ans !... En causant avec Sara, je lui témoignai combien j’aurais de plaisir à la mener au spectacle ! Nous primes, de concert avec sa mère, le mardi suivant. Mais le lendemain, ayant trouvé Sara joliment coiffée en chapeau à l’anglaise qui lui allait à ravir, je lui dis tout bas : quel dommage qu’une si jolie toilette soit perdue ! Allons à la Foire ? — Maman n’est pas habillée. — Je vais lui demander de nous permettre d’y aller ensemble ? » Quoiqu’une pareille demande fût contre les principes de la mère, j’étais encore si bien dans son esprit que j’osai la faire et qu’elle me fut accordée. Nous partîmes seuls. Sara et moi et nous rentrâmes chez Nicolet, dont elle désira de voir le spectacle. J’avais été autrefois aux Italiens, avec une certaine Virginie, et ç’avait été un supplice. « Voyons, pensai-je, comma va se comporter ma jeune amie dans cette occasion ? si elle sera coquette, étourdie comme Virginie ? » Nous nous plaçâmes au parquet. Des jeunes gens nous environnaient. Tous admirèrent Sara, qui en effet était ravissante. Je l’observais. Elle ne jeta pas un coup d’œil sur eux, elle ne s’occupa que de moi. Je lui tenais la main, et comme elle avait une grande pelisse, elle me fit passer un bras Être aimé de toi, ma belle Sara, c’est être un dieu ! le bonheur est dans tes bras... (p.158) autour de sa taille, elle prit ma main dans la sienne et la pressait toutes les fois que le jeu lui faisait quelque plaisir. Je l’avouerai, mon cœur nageait dans la joie. Je me voyais aimé, chéri ; l’amour et l’amour-propre étaient également satisfaits et me causaient une égale ivresse. Glorieux d’être avec la plus jolie personne de la chambrée, j’avais encore la délicieuse idée que j’en étais préféré !... Oui, ce fut-là le plus grand, le plus complet des plaisirs que m’ait donnés Sara... Nous retournâmes le lendemain au même spectacle avec sa mère, et je fus presque aussi heureux. La vue seule de cette femme, que Sara me faisait détester, troubla un peu mes plaisirs. Mais j’en fus bien dédommagé au retour !... Nous arrivâmes à la porte de la grille, sans lumière. Valfleuri, à qui la mère avait prescrit de nous attendre, ne se présenta pas tout d’un coup, de sorte que nous montâmes dans l’obscurité. Sara voulut que je passasse devant et elle prit ma main. Au milieu de l’escalier, je sentis sur cette heureuse main, la bouche de rose de ma fille, de mon amante !... Non, il n’est pas de termes pour exprimer ce que j’éprouvai ! Ah ! comme dans ce moment je l’adorai !... Mon cœur s’élançait hors de moi-même pour aller à elle, ou plutôt j’aurais voulu qu’il s’ouvrit pour l’y recevoir !... « Fille adorée, lui dis-je tous bas, chaque jour tu augmentes mon bonheur et tu me découvres en toi des perfections nouvelles pour le rendre durable ! — Puissé-je, mon papa, être ce que tu dis ! » Elle ne me fit que cette courte réponse, parce que la lumière vint. Nous soupâmes ensemble tête-à-tête, Sara et moi ; sa mère n’ayant pas d’appétit et se trouvant fatiguée, elle se retira dans sa chambre à coucher et se mit au lit. Quel souper délicieux ! avec un objet charmant, adoré, dont on se croit chéri à quarante-cinq ans !... Que ne puis-je retracer tous ces détails enchanteurs ! ... Mais ils embraseraient l’imagination de mes jeunes lecteurs, que je ne veux qu’instruire... Tout ce qu’une fille tendre peut dire à l’amant qu’elle estime et qu’elle aime, Sara me le disait. Nous venions du spectacle, j’étais encore dans l’ivresse de l’admiration qu’avait excitée Sara, de son attention à moi seul, des caresses contraintes, mais charmantes qu’elle m’avait prodiguées. Elle m’avait fait oublier mon âge, elle m’avait reporté aux années heureuses de ma jeunesse ; elle me les rendait présentes, et l’illusion était si forte, que j’avais, en ce moment, cette gaité, cette fleur d’espérance qu’il est si délicieux de sentir, quand un long avenir s’offre en perspective ! J’étais jeune enfin, et ce mot exprime mieux que toute autre peinture à quel point j’étais heureux. Nouveau Titon, je me voyais dans les bras de l’Aurore ; Sara en avait les charmes. C’est avec ces dispositions que je me trouvai seul avec Sara. Nous soupions tête-à-tête, elle me servait, je la servais ; nous nous disputions le plaisir de nous faire manger, tous les sens jouissaient à la fois, la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, le goût, le goût même qui semble si peu fait pour l’amour !... Ces moments et ceux qui les suivirent furent trop heureux ; les dieux, dont la félicité était moins pure, en furent jaloux... Pendant le carnaval, nous allâmes plusieurs fois au spectacle ensemble avec sa mère et Valfleuri ; mais une seule fois nous y retournâmes seuls, et j’y fus aussi heureux que la première. J’obtins Sara très adroitement. J’avais promis à la mère des graines et des oignons de fleurs ; je devais les aller chercher au jardin d’un ami ; j’y avais mis pour condition que j’irais avec Sara. Le temps se trouva beau, la mère était heureusement occupée. Je demandai Sara que l’envie d’avoir des fleurs me fit accorder. Valfleuri nous accompagnait. En chemin je dis tout bas à Sara : « On lui donnera les graines et tout le reste, comme à moi-même ; je me suis précautionné, voilà une lettre toute prête. Allons au spectacle. » Elle y consentit ; on sent quelle devait aimer ce genre d’amusement. J’en parlai à Valfleuri qui hésita. Enfln, il se rendit, à condition qu’il irait demander la permission à la mère. Il nous apporta cette heureuse licence, et nous partîmes seuls, car Valfleuri alla chercher les graines. Seul avec Sara j’étais plus heureux qu’un souverain adoré sur son trône. Oh ! quel plaisir d’être seul avec ce qu’on aime !... Le cocher qui nous conduisait, comme s’il eut deviné ma pensée, prit un chemin très long ; de la Vieille place aux Veaux il passa par les ponts Marie et des Tournelles, la place Maubert, la rue Galande, celles Saint-Séverin, de la Boucherie, Saint-André, de la Comédie, des Quatre-Vents. « Nous serons plus longtemps en tête-à-tête, me disait Sara. — N’y serons-nous pas au spectacle, ma fille ? Je n’y verrai que toi. — Et moi donc, papa, mes yeux n’en chercheront pas d’autres que les tiens !... À propos, il faut que tu aies bien la confiance de Mylady Terreur, pour qu’elle me laisse aller avec toi ! Tu es le premier ! Par quel heureux accord nos sentiments, toujours si différents, se rencontrent-ils lorsqu’il s’agit de toi ! Elle t’estime autant que je t’aime, elle te confierait... tout... puisqu’elle te confie ses espérances... — Son trésor. — Oui, son trésor... Je l’ai été du moins, ou si tu veux, j’en ai été l’occasion... Elle dit qu’elle a été belle femme, mais ses yeux de mégère ont toujours mis en fuite les ris, les grâces, les amours et les amants. — Les tiens sont si doux ! — Elle a eu tout mieux que moi, hors les yeux. — Hors les yeux ! Mais c’est tout, que les yeux, ma fille ! Ce sont les vitres de l’âme, on ne peut la voir parfaitement que par eux. Ah ! que les tiens indiquent une âme honnête, sensible ! — Mais je suis sensible à l’excès, mon bon ami. Ne mets jamais à l’épreuve cette sensibilité qui n’a fait encore que mon supplice ! Je serais plus affectée de ce qui viendrait de ta part que de tout ce qui m’est arrivé. — Si, je veux la mettre à l’épreuve, mais c’est en redoublant de tendresse, pour l’exciter davantage. — Comment veux-tu donc que je t’aime ? — Comme à présent, mais toujours ; tu m’as accoutumé au bonheur, je n’en pourrais souffrir la diminution. Je me charge du tien. » Nous arrivâmes à cet instant. Il vint à côté de nous une très jolie femme avec son mari ou son amant. Elle avait les plus beaux cheveux cendrés, un sourcil noir, un bel œil, l’air distingué. Sara l’admirait et me la fit remarquer. « Elle est bien, lui répondis-je, très bien, mais vous l’emportez. » Cette femme s’aperçut de l’attention que lui donnait Sara ; elle en parut flattée, et l’occasion s’étant présentée de lui dire quelque chose, elle le fit d’un ton si obligeant, qu’il n’était pas possible de s y refuser. Cependant Sara y répondit avec la plus grande froideur. J’en fus surpris, et dans l’entr’acte, je le témoignai. « Je ne veux m’occuper ici que de toi ; d’ailleurs, cette femme est charmante, et je suis naturellement jalouse. Si j’avais lié conversation, elle t’aurait parlé ; tu as trop de mérite pour ne pas la frapper, et si elle allait prendre les sentiments que j’ai pour toi !... » Je souris, en lui répondant : « C’est l’impossible ; mais les prit-elle, je n’adorerai jamais que Sara. » Elle s’empara de ma main à ce mot ; elle la pressa tendrement et ne la quitta plus. Elle contraignit jusqu’à ses regards, elle ne vit que moi. Cette conduite à l’égard d’un quarante-cinquenaire était aussi flatteuse qu’adroite ; elle augmentait le charme et resserrait les liens qui m’attachaient à ma jeune amie. À son retour, Sara fut grondée par sa mère. Je compris qu’il ne serait plus possible de sortir seul avec elle ; j’éprouvai un sentiment de tristesse, le premier que ma passion m’eût encore occasionné. Au premier beau temps que la saison nous donna, nous fîmes, quoique avec la mère, des promenades charmantes. Sara me donnait le bras, et je ne sais où elle prenait toutes les choses agréables qu’elle me disait. Quelquefois on sortait avant moi, pour ne pas donner à parler dans le voisinage, et j’allais rejoindre. Un jeudi, on alla aux grands boulevards. J’avais affaire jusqu’à sept heures, et on me dit que j’étais le maître de ne venir qu’à ce moment-là. Je me hâtai, et j’arrivai à six. La joie, en m’apercevant, brilla dans les yeux de Sara. « Que je me suis ennuyée en t’attendant, me dit-elle ; tout me déplaisait, et tout me paraît charmant à présent que mes yeux, avant de le voir, se sont reposés sur toi ! » En effet, je l’avais vue triste avant qu’elle pût me découvrir, et elle devenait de la plus aimable gaité depuis mon arrivée. À notre retour j’éprouvai encore la sensation délicieuse de me sentir baiser la main dans l’escalier. Ce fut à cette époque, c’est-à-dire dans le temps où Sara m’était le plus chère, qu’il se présenta pour elle, par mon moyen, une occasion très avantageuse. Un de mes amis, garçon, jouissant d’une fortune considérable, un jour que j’avais dîné chez lui, me confia l’état de son âme, et me montra qu’il était malheureux. Je fus également touché de sa peine et du désir de donner un ami vertueux à Sara que j’en croyais la plus digne qui fût au monde. Je parlai d’elle avec enthousiasme et, dans l’excès de mon amour pour elle, je résolus de me sacrifier. Je croyais le pouvoir. Mon ami demandait une amie, une fille, une héritière ; ce fut son expression ; en un mot, une personne qui fit éprouver à son cœur flétri les douceurs d’un tendre attachement. La plus grande partie de sa fortune devait marquer sa reconnaissance. Je pensais que je ne pouvais pas, sans un coupable égoïsme, priver Sara d’un si grand avantage ; nous primes jour, mon ami et moi, pour la lui montrer ; et je courus en le quittant, annoncer, transporté de joie, cette heureuse nouvelle à Sara. Elle refusa, mais faiblement. Je combattis ses scrupules et elle se rendit, en me remerciant. Ce moment parut pour moi celui où j’étais le mieux dans son cœur. Cette affaire ne réussit pas, mais j’en ai fait une histoire particulière, à laquelle j’ai seulement ajouté le dénouement d’une autre aventure réelle, pour l’envoyer à l’auteur qui nous rend le service de publier les aventures intéressantes, connues sous le nom de Contemporaines. Hélas ! quand je la lui destinais, je croyais Sara telle que je l’y ai dépeinte !... Voici le véritable dénoument de la petite Nouvelle : Il (M. de Blémont) sourit en voyant entrer Élise et Parlis ; soit pénétration naturelle ou connaissance acquise du cœur humain, par l’usage du monde, il se défiait d’une jeune fille, qu’il trouvait intéressée. Parlis voyait Élise avec d autres yeux. On saura par la suite lequel des deux s’est trompé. M. de Blémont sortit, non pas absolument décidé à ne plus voir Elise, mais très déterminé à ne pas s’exposer au regret d’avoir dépensé pour une ingrate. Ce n’est pas qu’il la soupçonnât d’aimer Parlis, une pareille idée lui semblait absurde ; il n’en aurait pas cru l’assurance formelle, qu’Élise et Parlis réunis lui en eussent donnée. Cependant il ne revint plus depuis, mais il en fut tenté plus d’une fois, quoique, après la rupture entière, il ait marqué pour cette jeune personne le plus grand dédain, et pour sa mère le plus profond mépris. Parlis demeura donc à son Élise ; il en fut comblé. Il avait senti, au milieu des accès de sa générosité, qu’il ne lui était plus aussi facile de la céder qu’il l’avait cru. Pour Élise elle parut si piquée contre M. de Blémont, que Parlis fut plus d’une fois tenté de croire qu’elle regrettait les avantages que son ami lui aurait faits, tout en détestant sa personne. Mais il s’arrêta d’autant moins à cette idée, que les discours d’Élise étaient opposés à ce que son air et sa conduite semblaient annoncer. Pour la mère, elle était furieuse ; elle regardait Parlis comme l’unique auteur de la retraite de M. de Blémont, et elle dit plus d’une fois à sa fille : « Cet homme vous fera manquer mieux que lui cent fois ; quittez-le. » Sara s’y refusa. Tel est le vrai dénoument des Deux Cinquantenaires. Sara ne m’en parut pas moins attachée (cependant elle l’était moins) ; au lieu que sa mère montra dès lors le dessein de rompre. De mon côté, j’étais charmé de me voir moins recherché par une femme telle que sa fille me l’avait dépeinte ; je la négligeai à mon tour. Dans ce même temps, je recommandai à Sara une coiffeuse en place de son coiffeur, dont sa mère était mécontente. Cette fille, qui avait été cuisinière de J.-J.-R., m’intéressait à ce titre seul ; mais c’était un mauvais sujet. Elle fit des rapports qui mirent la mère de Sara en fureur contre la personne qui me l’avait fait connaître, Mlle Lee alla quereller cette dame chez elle, et peu s’en fallut qu’elle ne la battît. Elle alla plus loin, elle parla contre moi, d’après ma conduite récente relativement à mon ami ; et, par un seul mot, elle la présenta sous le jour le plus odieux. Ce fut encore sa fille qui m’apprit tout ce qui s’était passé à cette occasion. J’entrai en fureur à mon tour, et je voulais... Sara me retint avec peine. Enfin, rentrant en moi-même, je la pris dans mes bras. « Vois ton pouvoir sur moi, chère amie, lui dis-je, nulle autre que toi ne l’aurait eu ! » Mon bonheur était presque détruit, puisque j’avais contre moi la mère de Sara ; mais ma jeune amie me paraissait également attachée. Sa mère lui disait quelquefois : « Je me brouille avec M. d’Aigremont, mais cela ne vous regarde pas, qu’il demeure votre ami, votre père, j’y consens, je surmonterai par amitié pour vous, la répugnance que j’ai à le voir. » Elle ne s’en tenait pas là ; comme elle avait formé un plan digne de l’atrocité de son caractère, elle jetait adroitement sur moi un ridicule souvent répété. Ce n’est pas qu’elle n’eût un pouvoir absolu sur sa fille ; elle n’avait qu’à dire un mot, et Sara n’aurait pas osé, ou n’aurait plus voulu me voir ; mais comme c’était elle qui l’avait obligée de me rechercher, elle ne voulait pas se contredire trop visiblement. Sara était une grande fille avec laquelle il fallait plus de ménagement qu’avec une enfant. Au reste, tout ceci n’est que des conjectures. Le judicieux lecteur verra par la suite ce qu’il doit penser des motifs de la mère et du caractère de la fille. Une autre raison de l’espèce de ménagement que la première avait pour moi, c’est que depuis quelque temps, je m’étais chargé de l’entretien de Sara. Je croyais les moyens de la mère bornés ; d’après ce qu’elle m’avait dit. Le jour de ses cris, sur la privation forcée de sa fille, j’avais offert, par amitié pour une jeune personne que je regardais comme la mienne, de payer sa pension ; la mère avait accepté cet arrangement que j’avais présenté avec toute l’honnêteté possible, pour ménager la pudeur de ma jeune amie ; l’étage au-dessous de moi était le plus agréable de la La Halle aux veaux en 1784 maison, je le demandai pour Sara qui s’y établit à Pâques. Elle fut ainsi logée non chez sa mère, mais chez son papa d’amitié ; car je m’étais chargé du loyer avec plaisir ; il n’y avait rien là qui répugnât à ma délicatesse, tout ce que je faisais, c’était pour ma fille. Ce fut ici le temps de notre plus grande intimité. Mon attachement se fortifiait journellement par mille petites jouissances, que je n’avais pas encore goûtées. J’étais comme si j’eusse demeuré avec Sara, n’ayant qu’une douzaine de marches à descendre. Il semblait que je l’eusse toujours devant les yeux. Nous avions une conversation muette en frappant au plancher ; c’était le moyen qu’elle employait pour m’avertir, quand elle rentrait, ou quand elle sortait pour aller chez sa mère, ou lorsqu’elle souhaitait que je descendisse pour causer ; je lui répondais, et nous convînmes peu à peu des différentes manières de frapper pour nous entendre, nous dire bonjour, bonsoir, nous envoyer un baiser. Dans les intervalles de ses occupations, elle prenait sa harpe ou sa guitare, et j’avais le plaisir de l’entendre chanter des couplets analogues à nos sentiments. Cependant ce n’étaient point ceux qui me plaisaient davantage ; j’avais un goût singulier pour la romance O ma tendre Musette, sans que je pusse m’en donner de raison, si ce n’est que Sara la chantait à ravir. Mais il y en avait d’autres qu’elle chantait également bien. Aussi, dès que je descendais pendant que Sara était à sa harpe, elle la quittait pour la guitare et me chantait ma favorite en s’accompagnant. Je l’écoutais avec transport et je ne pouvais retenir mes larmes. Voici les paroles de cette romance que je conserve, écrite de sa main : Air : Défiez-vous sans cesse. O ma tendre musette, Musette, mes amours ! Toi, qui chantais Lisette, Lisette et mes beaux jours ! D’une vaine espérance, Je m’étais trop flatté ; Chante son inconstance Et ma fidélité ! C’est l’amour, c’est sa flamme Qui brille dans ses yeux ; Je croyais que son âme Sentait les mêmes feux ; Lisette à son aurore Inspirait le plaisir : Hélas ! si jeune encore Sait-on déjà trahir ? Sa voix, pour me séduire, Avait plus de douceur ; Jusques à son sourire, Tout en elle est trompeur ; Tout en elle intéresse, Et je voudrais, hélas ! Qu’elle eût plus de tendresse, Ou qu’elle eût moins d’appas. O ma tendre musette, Console ma douleur ; Parle-moi de Lisette, Ce nom fit mon bonheur : Je la revois plus belle, Plus belle chaque jour ; Je me plains toujours d’elle, Et je l’aime toujours. Combien de fois depuis, n’ai-je pas répété en pleurant ces tendres reproches ! Le jour de Pâques, j’étais triste sans en savoir la raison. J’aimais Sara, je m’en croyais chéri, du moins en père. Je l’entendis à sa harpe : je frappai de la manière qui exprimait un bravo. Elle y répondit par celle qui me priait de descendre. J’accourus. « Tu m’as parlé d’un O Filii, que je voudrais entendre, tâche de m’obtenir seule. — De tout mon cœur. — En récompense, écoute O ma tendre Musette, je me sens en goût. » Elle prit sa guitare et préluda. Non, jamais accents ne furent si touchants ! « Ah Sara, m écriai-je, tu me ravis ! » Et je fondais en larmes. Sara, en finissant, vint se jeter dans mes bras. « Qu’a mon cher papa, s’écria-t-elle ; que sa fille chérie connaisse toutes ses peines pour les changer en plaisirs ? — Je ne suis qu’attendri, lui répondis-je, et toutes les fois que tu me chantes cette romance, j’éprouve avec autant de vivacité un attendrissement inexprimable... Que ma situation présente est heureuse ! mais hélas, faibles mortels, notre bonheur le plus doux est mêlé de la crainte de le perdre. — Tu le perdras, s’il dépend de moi, quand je perdrai la vie. Ne suis-je pas ta fille, ton amie, ta maîtresse, ta consolation ? — Et le charme de ma vie, ma Sara. Depuis que je te connais, ma santé affaiblie par les chagrins s’est refortifiée ; le bonheur rend la santé, tu me le prouves, fille adorée !... Ah, que je te dois !... Mais d’où vient que cette romance me cause-t-elle un attendrissement si vif ? — C’est que tu serais au désespoir si je cessais de t’aimer ; mais ne crains rien ! les motifs de mon attachement pour toi sont immortels, ils ne peuvent jamais cesser. Ah ! que ne suis-je ton épouse, la moitié réelle de toi-même ? — Tu m’enchantes, tu me ravis par cette idée ! » Elle me donna un baiser, en me recommandant notre O Filii. Le soir, je l’obtins de sa mère, et Valfleuri nous accompagna. L’attente l’ennuya, il alla boire. Sara ne le vit pas plutôt sorti, qu’elle me prit la main pour sortir aussi. « Allons chez Mlles Haï (ses anciennes maitresses). » Je l’y menai avec le plus grand plaisir. J’estimais ces demoiselles, sans les connaître, parce qu’elles me paraissaient avoir donné à Sara une partie des sentiments que j’admirais tous les jours, ou du moins avoir contribué à leur développement. Nous trouvâmes les deux sœurs qui reçurent leur ancienne élève avec transport. L’estime qu’elles lui témoignèrent fortifia la mienne. Je pensai que je n’étais pas le seul qui avait une haute opinion de ma Sara, de ma fille, de mon épouse. Les trois amies causèrent, après que Sara eut fait mon éloge par un mot qui prouva qu’elle l’avait déjà fait en particulier. Je fus regardé comme un dieu par ces jeunes personnes. Mon amie et ses maitresses se faisaient mille caresses, mais d’un air si vrai, si touchant, que j’en étais ému. Sara, par son aisance, avait cependant la supériorité, quoique les demoiselles Haï fussent de condition, ce qui me prouva qu’elle ne tenait pas d’elles tout ce qu’elle avait d’aimable. On parla de M’lle Lee ; les demoiselles firent un soupir. L’œil de Sara devint humide, puis me tendant la main et venant presque dans mes bras : « Voilà un véritable ami, dit-elle... comme vous êtes de vraies amies... Si vous saviez tout ce que je lui dois !... On le craint à présent plus qu’on ne l’aime ; on craint son honneur, ses connaissances... Je lui dois le plaisir de vous embrasser aujourd’hui ; mais il faut le rendre court... Adieu, chères amies, adieu, adieu. » Elle les quitta aussitôt avec mille marques d’affection, qui lui furent rendues. Mon bonheur était véritablement diminué, mais je le sentais encore plus vivement que jamais. Je soupais tous les soirs seul à seule avec Sara ; nos entretiens n’étaient plus gênés, et sa mère répétait sans cesse que pourvu que je sois l’ami de sa fille, peu lui importait que je fusse le sien. Mais il s’en fallait bien qu’elle pensât ce qu’elle disait ! Elle commença par forcer Sara de s’habiller pour sortir, afin de faire une connaissance. Elle la menait tantôt au Luxembourg, tantôt aux Tuileries, plus souvent au Palais-Royal, ou aux boulevards du Temple. À la vérité, les premières fois, j’étais invité à les y aller joindre, à l’heure où mes affaires me le permettaient. J’y allai d’abord, ensuite, m’apercevant du but de la mère, je crus devoir m’en dispenser. Sara, la première fois que je manquai de les aller joindre au Luxembourg, monta chez moi avec précipitation, en rentrant, et paraissait fort inquiète. Je la rassurai par ma tendresse et par les marques de mon attachement. Je manquai une seconde et une troisième fois ; elle m’en fit des reproches et je conviens qu’ils étaient fondés, mais ce furent là mes seuls torts. Je fus touché de ce qu’elle me dit. « Vous m’abandonnez à des vues que vous n’ignorez pas !... Ah, mon père !... » Un autre jour qu’on la persécutait pour sortir, Sara, qui craignait que je ne voulusse pas l’accompagner, passa un billet sous ma porte : Troisième Lettre L’on veut absolument que ta femme sorte, cher bon ami ! je te laisse à penser comme elle va s’amuser ! Va, je voudrais bien qu’on vînt me délivrer de mon esclavage !... Mais il faut souffrir ce qu’on ne saurait empêcher... Tâche de guérir ton rhume et de te bien porter ; voilà tout ce que je désire. Cependant, si tu peux me trouver une place auprès d’une dame comme celle dont tu m’as parlé, ou seulement de l’ouvrage, je trouverai de la fermeté pour résister, et je vivrai satisfaite, comme on peut l’être dans ma position. Aime toujours, Ton amie pour la vie. Sara Lee. Je tâchai de servir Mlle Lee à son goût, de trois manières ; je lui procurai des dentelles ; je fis son éloge à une dame de condition qui m’avait demandé une demoiselle de compagnie, et je l’engageai à se délasser les yeux et la main, en s’occupant de littérature. Elle y paraissait très portée. Mais j’étais un peu surpris qu’après un essai aussi heureux de sa part que la petite pièce qu’elle avait composée, elle ne fût pas plus empressée de faire usage de ses talents. Je pensai que le goût du travail à l’aiguille l’emportait, dans l’esprit d’une fille, qui me paraissait la plus raisonnable de toutes celles que j’avais connues. Elle remettait de jour en jour. Enfin, en ayant été deux fois sans la voir, un soir, après notre souper, et un de ces entretiens délicieux que je ne me rappelle qu’en soupirant, elle me montra sa petite bibliothèque, composée en grande partie des livres que je lui avais donnés. « Il y a quelque chose qui m’occupe, et que je vous montrerai quelque jour ; en attendant que vous le voyiez, je veux vous donner une nouvelle preuve de la force de mes sentiments pour vous ; l’absence les fortifie, et demain vous trouverez une lettre qui les exprime parfaitement. — Elle sera un trésor pour moi, ma fille, mais donne-la moi ce soir. — Non, je veux y ajouter quelque chose... Mon papa, mon aimable ami, rendons-nous confidences pour confidences. Je t’écrirai toutes les miennes, fais-moi les tiennes, ne me cache rien. — Je te le promets, ma Sara ; j’avais déjà commencé à écrire mes aventures, pour ma satisfaction, je les finirai pour toi. » Le lendemain, je trouvai sous ma porte la lettre suivante : Quatrième Lettre Serait-il possible qu’ayant été malheureuse toute ma vie, je sois destinée encore à des peines plus cruelles que toutes les autres ! Non, je ne saurais imaginer que nous devions nous séparer, mon papa ! Il vaudrait mieux que nous périssions... Mais qu’osé-je dire, grand Dieu !... C’en est fait, je ne veux plus vivre sans toi !... J’ai cru que mes malheurs étaient finis lorsque je t’ai connu ; mais je m’aperçois qu’ils n’en sont que plus cruels !... Je répandais dans ton sein toutes mes inquiétudes, et tu me rassurais ; je te confiais mes plus grandes peines, en te faisant connaître que mes plus cruels ennemis étaient auprès de moi, et que mes plus doux moments étaient ceux passés à côté de mon père, et je vois qu’on veut me priver de cette consolation !... Eh ! à qui conterai je mes peines quand tu seras éloigné de moi ?... Mais de quoi m’inquiété-je ? Je n’aurai besoin de personne, tout sera fini, je ne veux plus vivre sans toi. Hélas ! je commençais à aimer la vie. Infortunée, pourquoi l’aimais-je cette vie qui m’était à charge auparavant. Y avait-il longtemps que je l’aimais ? Réponds-moi, mon papa. Tu es encore, j’aime à me le persuader, malgré mon absence depuis deux jours ; mais celle qui t’écrit, peut-être quand tu liras ces quelques lignes, n’y sera-t-elle plus... Mais non, elle veut vivre puisqu’il faut qu’elle souffre, elle végétera du moins et jusqu’au dernier moment tu resteras dans son souvenir comme le plus chéri des hommes, tu vivras dans son cœur... Je suis forcée de quitter la plume, les forces me manquent. Ta fille et ton amie. Je l’avouerai, quoique je visse bien que la mère de Sara avait des vues sur sa fille, je ne fus pas aussi effrayé de cette lettre que je l’aurais du. Je comptais sur le cœur de Sara, sur la solidité de ses sentiments. Je m’informai des causes de son absence. Elle me dit que sa mère avait eu envie de la marier à un marchand de la rue Saint-Antoine, et que peut-être ce mariage se ferait. J’en fus satisfait intérieurement ; cet établissement honnête ôtait Sara du pouvoir de sa mère, et je me proposai de souffrir patiemment des peines inévitables, comme celles que j’avais déjà éprouvées lors de mon dévouement en faveur de M. de Blémont. Cette affaire manqua, parce qu’en effet la mère de Sara n’avait jamais songé à marier sa fille. Elle se faisait pauvre auprès dès hommes à marier ou à aimer, elle avait ses raisons. Cependant cette femme ne perdait pas de vue sa vengeance, qui consistait à m’ôter sa fille, en la donnant au premier venu qui lui ferait des propositions supportables dans ses idées. Mais Sara éloignait par son air honnête, et quelquefois maussade, tous ceux qui osaient la fixer, lorsque sa marâtre la mettait à une sorte d’encan dans les promenades publiques. Il est certain que jusqu’à l’instant où Sara elle-même trouva enfin l’homme qu’elle m’a préféré, elle m’était solidement attachée ; ce qui le prouve, c’est que le 6 mai (elle fut infidèle dès le 12, et consomma sa trahison le 31), elle m’écrivit encore, ne m’ayant pas trouvé pour me dire adieu avant de partir pour aller à la revue du roi. Cinquième Lettre Ta femme va bien s’ennuyer, car elle est forcée de sortir. Nous sommes à la revue du roi. Tâche de t’amuser plus que ta fille, car elle Sara vient de chanter en s’accompagnant : O ma tendre Musette... (Dessin de Binet.) s’ennuie mortellement quand elle n’est pas auprès de toi. Tu es si tendre pour elle. Mille millions de baisers. Adieu, car je ne sais ce que j’écris, et il faut partir. Ne m’oublie pas une minute, tu ferais injure ; je penserai toujours à toi. Cette lettre, ces précieuses assurances m’endormaient. Depuis que je ne voyais presque plus la mère, c’était à Sara que je remettais l’argent de sa pension. Je ne sais à quelle occasion, elle me proposa un jour de reprendre cet argent et de lui en faire le billet. « Tu l’emploieras à l’avancement de tes affaires et tu le feras valoir pour moi, me dit-elle. » J’y consentis par ce motif, car mes affaires devaient intéresser Sara comme moi-même. Cependant je crois qu’elle fut fâchée d’avoir été prise au mot. Il faut si peu de chose pour blesser une femme !... Le rapide récit des événements m’a fait oublier une partie que j’avais faite avec Sara au carnaval. Je donnai un dîner à différents artistes. J’en mis Sara, sa mère et Valfleuri. Nous étions alors dans notre plus grande intimité, Mlle Lee et moi. Sara et sa mère vinrent élégamment parées ; outre les hommes, il y avait ; deux jeunes personnes très jolies, dont une surtout avait ces grâces qui l’emportent sur la beauté. Elle me frappa. C’était une brune vive, enjouée. Un sentiment singulier s’éleva dans mon cœur, en causant avec elle. « Qu’elle est aimable ! et pourquoi n’ai-je pas connu cette aimable fille, lorsque j’étais isolé ?... » Cette réflexion me fit rougir de mon injustice et, jetant un coup d’œil sur Sara dont je rencontrais toujours les yeux, animés de l’expression la plus flatteuse, je me dis : « Ah ! félicitons-nous plutôt de ce que cette jolie brune que je sens bien que j’aurais aimée, ne m’a pas privé du bonheur de me lier avec ma jeune amie !... » Quelques mois après, dans le temps où ma rupture avec la mère de Sara me faisait craindre d’être séparé de sa fille, il me vint en idée de me ménager un asile contre le désespoir, en cultivant la connaissance de l’aimable brune. Je tâchai de me trouver avec elle chez une connaissance qui nous était commune. J’y réussis ; mais comme si tout eut dû tourner contre moi, elle ne me parut plus aimable ; ses discours, ses manières, sa mise, tout me déplut ; je sentis qu’elle ne pourrait me consoler et je m’abandonnais plus que jamais à Sara. Rien au monde n’est aimable comme ma fille, pensai-je... Mon attachement s’accrut par le moyen de guérison que j’avais envisagé en cas d’oubli ou de changement de sa part. Ce qui prouve bien que c’était une fatalité, c’est que depuis, j’ai rencontré vingt fois l’aimable brune, que je l’ai trouvée charmante, adorable ; mais ma conduite, le jour où elle me déplut, l’avait tout à fait indisposée, cette ressource m’a manqué au besoin. J’approche de l’époque fatale. Nous en sommes au 12 mai. Sara, fausse à mon égard pour la première fois, me parla de mon rival, comme d’un comte italien, qui la remarquait au boulevard. Mais c’était en l’air qu’elle tenait ses propos et, j’ai su depuis, que mon rival étant fort brun, elle l’avait cru Italien à la simple vue. Quinze jours s’écoulèrent. À cette époque, Sara, auparavant tendre, presque respectueuse à mon égard, changea tout à coup de caractère ; elle devint folâtre, enjouée (elle m’avait prévenu depuis longtemps que c’était son caractère dans sa jeunesse) ; mais ce qui me surprit, c’est que son badinage allait jusqu’à l’indécence, Elle agissait quelquefois avec moi comme une fille, elle si modeste jusqu’alors ! même en cédant ! D’autres fois, elle avait le sans-gêne des vieux mariés, qui se savent par cœur et ne rougissent plus de rien. Je ne sus à quoi attribuer ce changement ; je crus qu’elle reprenait son ancienne gaité et que mon attachement la lui avait rendue. On se flatte toujours. Enfin le 29 mai arriva. J’étais sorti toute la matinée. En revenant, et assez près de la maison, je rencontrai la mère et la fille en voiture. Je ne les voyais pas ; la mère m’appela. Il y avait plus de quinze jours que je ne lui avais parlé. Elle me dit qu’elles allaient au Palais-Royal. La fille était très parée et ravissante ; elle parut me voir avec humeur. J’étais bien loin d’avoir cette idée ! Je la croyais forcée de sortir et je comptais sur une lettre ; mais on allait trouver le nouvel amant, à qui on avait donné ce rendez-vous et Sara tremblait que je ne proposasse d’aller les joindre le soir ! Je répondis poliment à Mlle Lee et je fus charmé de ce qu’elle revenait la première. Elles rentrèrent le soir à neuf heures et nous soupâmes à l’ordinaire tête-à-tête. Sara et moi, sans qu’elle me dit un mot de ce qui se passait, ni du voyage projeté pour le lendemain. Jalousie ! tourment affreux ! Monstre vomi par l’enfer ! Qui t’a formé ! Quel est ton but, ton utilité, ton usage ! O ! le plus dangereux des poisons ! Quelles affreuses convulsions tu causes à l’âme... Heureux, heureux ! qui ne t’a jamais éprouvé ! Le lendemain, je vis Sara ; je déjeunai avec elle. J’allai ensuite à mes affaires et je rentrai tard ; il était plus d’une heure. Je m’aperçus qu’on était sorti. Valfleuri étant depuis quelques semaines dans sa patrie, et les deux femmes ne laissant personne chez elles, je ne fus pas surpris de voir le cadenas mis à la porte de l’appartement au premier. Je passai tranquillement la soirée jusqu’à neuf heures, celle où je soupai ordinairement avec Sara. L’inquiétude me prit à la demie ; à dix heures je ne pouvais tenir en place. Cependant je ne soupçonnais rien encore. À onze, le cœur serré, tourmenté par une crainte vague, j’étais en colère contre Sara ; je me promettais de la gronder, Je sortis pour aller faire le tour de l’Île Saint-Louis. J’écrivis sur la pierre mes tourments. Je revins ; le cœur me battait d’espérance. Sont-elles arrivées ?... J’avance : point de lumière !... Je rentre. Le cadenas n’est point ôté !... Je voulus souper. Impossible !... Je m’agite, je me tourmente, je me promène à grands pas... Enfin, à minuit, mes yeux fondent en larmes... Je me rappelle ce que m’a dit Sara, lorsque sa mère l’avait autrefois conduite au Palis-Royal et qu’elle y fut abordée par un homme de distinction. Je la crois livrée, livrée malgré elle... Je m’écrie douloureusement : « Ô mon amie ! mon aimable, mon innocente amie ! une barbare t’a trompée sans doute ! elle t’a livrée ! Elle t’enlève à ton père, à ton ami, à l’homme qui t’aimait plus que lui-même !... » Et je pleurais en sanglotant, je marchais, je courais... Je retournai à une heure autour de l’Île Saint-Louis ; fis retentir de mes cris ses rives tranquilles. « O ! mon amie ! ma chère, ma tendre amie ! ô ma Sara ! ma bien-aimée ! l’objet d’une éternelle tendresse ! on t’enlève à celui qui t’adore !... Où es-tu ! que fais-tu ! ou plutôt que te fait-on en ce moment, victime infortunée !... » C’est ainsi que je m’écriais. Si j’avais su où la trouver, j’y aurais volé, mais où courir ? On ne m’avait pas dit un mot qui pût m’éclairer... Je revins chez moi, je me jetai sur mon lit, non pour dormir, mais pour donner un libre cours à mes sanglots... Vers les cinq heures, je m’assoupis... Plût au ciel que je n’eusse pas eu ce fatal sommeil... Je crus voir Sara, ses belles tresses blondes éparses sur son sein, les yeux en larmes, me tendant les bras et me disant : « Mon ami ! mon papa ! sauve, sauve-moi ! » Je m’éveille ; le son de sa voix frappait encore mon oreille ; je saute du lit, je cours, je m’écrie : « Sara, ma chère Sara ! Je viens de t’entendre ! Où es-tu, âme de mon âme ! Où es-tu, ma chère fille !... » Je descends l’escalier, je me précipite ; ma tête était troublée, je croyais avoir entendu Sara... Hélas, je ne trouvai rien !... Je remontai ; je me sentis défaillir ; je me rejetai sur mon lit et je tombai en faiblesse. Il est impossible d’exprimer ce que je souffris ! ... Et je n’étais pas encore jaloux !... La journée qui suivit cette horrible nuit fut encore plus douloureuse ; mon cœur se serrait et ne donnait plus d’essor à mon sang pour le faire circuler ; deux ou trois fois je fus obligé de me secouer, de sauter, pour communiquer à la machine un mouvement extérieur, puisque le mouvement interne ne suffisait plus... Et je n’étais pas encore jaloux ! Et je me croyais encore aimé !... Le jeudi, la nuit cruelle qui le séparait du vendredi, ce jour-là jusqu’au soir, l’attente, la douleur, la crainte, la fureur, la pitié, l’amour, la jalousie me mirent à deux doigts du tombeau... Enfin, à onze heures, j’entendis une voiture s’arrêter à la porte. (Cruelles voitures ! chacune d’elles, les deux soirées précédentes m’ébranlait jusqu’au fond de l’âme. Oh ! quel supplice, quand on attend, que d’entendre ces perpétuelles voitures ! Elles donnent au premier bruit un rayon d’espoir ; il croit, il fait palpiter... elles passent, et l’âme élevée par elles retombe froissée dans l’abime du désespoir, pour être encore soulevée de même l’instant d’après...) À onze heures, j’entendis une voiture s’arrêter à la porte. J’étais en robe de chambre étendu sur mon lit, soupirant, sanglotant. Je saute à terre, j’ouvre, je descends et j’aperçois la mère de Sara avec un homme que je n’avais jamais vu. Mme Debee fut surprise de me voir. Elle n’avait pas de lumière : je lui en donnai. Je cherchai des yeux ma jeune amie et je ne la vis pas !... On me dit quelle était restée. À ce mot, je remontai précipitamment, sentant bien que j’allais éclater et qu’il ne le fallait pas devant un inconnu. Il partit un instant après et je redescendis. C’est ici une scène... comment la nommerai-je ? Mon cœur n’était plus oppressé, mon sang circulait avec autant de vivacité qu’il avait été gêné les jours précédents. L’œil égaré : « Où est votre fille ? — Elle est restée chez M. Noiraud de Lamontette, qui m’a ramenée à Paris. Il fallait que je vinsse coucher ici, à cause de mes affaires. — Quoi ! vous livrez votre fille à un inconnu ! » Cette femme, cette furie, dont vingt scènes bruyantes m’avaient donné la plus terrible idée, depuis que je demeurais chez elle, ne parut point offensée de mon ton, de mon air ; la vérité, la terrible vérité l’effrayait ; elle trembla, et me répondit avec douceur : « Mais je ne la livre pas ! c’est un honnête homme, celui que vous venez de voir ; il a une petite maison de campagne, où il nous a invitées à passer quelques jours ; nous y avons été sans conséquence. Ma fille vous en a prévenu ? — Moi, madame ! je n’en savais pas un mot. — Ha, la gueuse ! (ce fut sa modeste expression), je lui avais dit de vous en avertir ! Quoi ! elle n’a pas mis un mot sous votre porte ? — Elle savait où vous la meniez ? — Mon Dieu, oui ! nous avons vu trois fois ce monsieur qui m’a ramenée, soit au Boulevard, soit au Palais-Royal, et nous avons accepté son invitation parce que c’est un honnête homme. Ma fille n’est pas revenue avec moi parce qu’elle s’est trouvée mal. — Trouvée mal ! (Ce mot me rappela une autre histoire et troubla ma tranquillité renaissante.) « Elle s’est trouvée mal ! » répétai-je. « Oui. après diner. — O ma chère amie ! — Vous la croyez perdue ! — Oui, oui, madame ! Je la crois vendue à cet homme, et vendue malgré elle... Mon amie avait pour moi de la confiance et de l’estime ; je n’ai rien fait pour perdre l’une et l’autre, et elle ne m’a rien dit !... » La mère de Sara, au lieu de s’emporter, sourit avec une sorte de finesse : « Vous vous trompez ! elle savait tout, et mon étonnement est extrême qu’elle ne vous en ait rien dit ! » Je ne sus que répliquer à cette réponse. Je me calmai ; car je commençais d’entrevoir que mon sort dépendait absolument de cette femme, qui, si elle parlait vrai en ce moment, faisait de sa fille tout ce qu’elle jugeait à propos. Je la quittai pour aller me mettre au lit ; il était une heure du matin. Quelle nuit, bon Dieu !... À mon lever nous eûmes une autre conversation, où elle se montra également douce. Elle repartit sur les dix heures en me disant que, quoiqu’elle eût affaire, elle voulait prévenir le retour de M. de Lamontette, qui ne devait être à sa maison de campagne qu’à deux heures. Je l’avoue, si cette femme se fut emportée, j’étais perdu, car je l’aurais étouffée, et les lois ne se fussent pas embarrassées de mes motifs. Je lui ai l’obligation de m’avoir fait éviter l’échafaud... Arrivée auprès de sa fille, elle y trouva de Lamontette, qui y avait passé la nuit ; la mère et la fille, à ce que je n’ai su que longtemps après, ayant décidé entre elles que, pour captiver cet homme, elles s’y prendraient d’une manière absolument différente de celle employée avec M. Dumont, l’ami auquel j’avais pensé à céder Sara par générosité. En conséquence, elles avaient commencé par les faveurs. Elles n’avaient pas eu besoin d’un grand effort pour cela ! Il ne leur avait fallu que se rappeler leur ancien métier. Lecteur ! n’êtes-vous pas surpris de m’entendre tenir cet horrible langage ?... Oui, car mes cheveux se hérissent en le tenant. J’écris ceci le 9 octobre, à onze heures du soir. Retenez cette date ! nous n’en sommes qu’au 1er juin de cette même année. Il est temps enfin de démasquer cette perfide Sara, cette fille dangereuse et fausse que vous avez crue tendre ! O lecteur ! j’étais le troisième quarante-cinquenaire avec lequel elle tenait la conduite que vous avez lue ! C’était de concert avec sa mère, qu’elle en agissait comme elle avait fait, qu’elle parlait mal d’elle pour captiver mieux un presque vieillard imbécile ! J’étais le troisième (sans compter l’avocat, l’homme du Palais-Royal, M. Legrainier, Delarbre, le fils du marchand Saint-Antoine et cent autres de passage, pendant la première jeunesse) ; j’étais le troisième, à qui cette perfide Sirène avait persuadé qu’elle n’aimait les hommes que dans l’âge mûr, à qui elle s’était fait adopter pour fille, à qui elle avait assuré qu’elle avait de l’amour, à qui elle avait juré un attachement éternel ; c’était vingt mille francs qu’elle voulait de ma part, comme des autres... Mais pourquoi change-t-elle, auparavant de les avoir vus comptés ? Pourquoi n’a-t-elle pas captivé le riche Dumont ?... Ha ! le voici ; M. Dumont lui parut trop rusé ; elle eut assez d’esprit pour voir qu’il était hors de ses atteintes, et elle s’en servit comme d’un moyen pour me captiver davantage. Quant à moi, il y eut ici de l’imprévu de la part de la mère, qui ne s’imaginait pas que sa fille allait devenir folle de Noiraud de Lamontette ; la fille elle-même se trouva prise par son goût, le premier qu’elle eut eu peut-être ; cet homme adroit s’empara d’elle, et il lui fut impossible de bien suivre son plan avec moi... Le voile est déchiré pour vous, lecteur, beaucoup plus tôt qu’il ne le fut pour moi ; suivez de pénibles aveux qui pourront peut-être quelque jour vous être utiles... Après le départ de la mère, je m’aperçus qu’elle m’avait laissé la clef de l’appartement que je louais pour Sara ; cette femme rusée, qui connaissait bien la marche des passions, l’avait oubliée exprès. Je cherchai à charmer ma douleur, en voyant, en touchant ce qui appartenait à ma jeune amie. Je cherchai dans sa bibliothèque et j’y trouvai son Histoire, qu’elle avait commencé d’écrire à ma sollicitation. C’était de ce papier qu’elle avait voulu parler un soir, en me disant qu’il y avait là quelque chose qu’elle me montrerait, mais sans doute je ne l’aurais jamais eu d’elle... Ce fut avec avidité que je m’en emparai pour la lire. Portrait de Legros, de l’Opéra (Musée Carnavalet.) Mais je ne tardai pas à m’apercevoir qu’elle y avait tu, adouci ou déguisé la vérité. Cependant, telle qu’était cette histoire, je résolus de la copier ; je croyais me distraire par là ! Je me trompais ; Je ne fis qu’aigrir ma douleur, en m’occupant de l’objet qui la causait. Voici comment Sara y racontait la manière dont sa mère avait quitté son pays, ses courses, ses aventures, et son son arrivée à Paris : HISTOIRE DE SARA ENFANT ÉCRITE PAR ELLE-MEME « Ma mère est d’Anvers. Elle a été mariée deux fois, sans être veuve, et toutes les deux d’une manière également malheureuse. Elle avait une sœur aînée, des cadettes, et plusieurs frères. L’aînée encore plus capricieuse que la cadette, avait un amant qui la recherchait en mariage ; elle l’accueillait, le rebutait, suivant son caprice, et le tenait dans une incertitude continuelle. Enfin, le jour du mariage, elle se fâcha. Lambertina, la cadette, qui était aussi jolie que son aînée, et d’une gaîté folle, proposa d’aller à l’église au lieu de sa sœur. Le père, Jacobus Debée, qui descendait de ce fameux De Bie, qui, dit-on, a inventé les fausses médailles de Charlemagne, qu’il composa pour rendre plus célèbres les actions de ce héros, Jacobus Debée consentit à la proposition de sa seconde fille ; le marié fut du même avis, quoique Lambertina, n’eût que douze ans, et l’on alla épouser. Le prêtre ne sut rien de la substitution, parce que les deux sœurs portaient chacune deux noms, dont l’un était semblable. Le mariage fait, on allait commencer à se divertir, lorsque Lambertina-Sara, l’aînée, sut que Lambertina-Elisabetha, sa cadette, venait d’épouser son prétendu. Elle en fut au désespoir et fit demander un entretien au jeune homme. Il vint la trouver : elle ferma la porte sur eux, lui témoigna son repentir de tous ses caprices, et le toucha par ses larmes ; l’amour reprit ses droits sur l’amant, qui consomma le mariage avec sa première maîtresse. Il ouvrit aussitôt la porte à ceux qui frappaient, et il déclara ce qu’il venait de faire. Mon grand-père et ma grand’mère accoururent, et furent très surpris ! mais leur gendre offrant de reconnaître pour sa femme celle qu’il venait de traiter comme telle, et n’ayant pas touché à l’autre, on alla devant le grand-vicaire, qui donna permission de recélébrer le mariage avec l’aînée. Ma mère fut très fâchée de ce contretemps, l’amant de sa sœur lui ayant toujours plu ; mais elle n’attendit pas trop longtemps son tour : elle fut mariée, un an après, avec mon père, Antonius Leeman, parent du célèbre général américain Lee, à ce qu’il dit. Ainsi, je sortirais de deux familles également honorables. « À l’âge de quatorze ans, ma mère eut un fils, qui est mort. À quinze ans, elle eut ma sœur. Elle n’en avait pas dix-sept, et elle était fille de boutique enlumineuse chez un marchand d’images de la rue Saint-Jacques, quand elle me mit au monde. Je suis sa dernière. « Mon père ne s’était pas accommodé longtemps du caractère de ma mère. Il l’avait quittée peu de temps après la naissance de ma sœur ; et comme il avait un talent distingué pour le dessin, tant pour les étoffes et les toiles, que pour les porcelaines, il aurait trouvé partout une subsistance honnête, sans son irrésistible penchant à l’ivrognerie. « Je suis née à Paris, le 20 novembre 1762. Ma sœur était plutôt belle que jolie : c’était une blonde intéressante, ayant les plus beaux yeux, une petite bouche, une taille parfaite ; en un mot, annonçant, pour l’âge où elle n’est pas arrivée, une fille accomplie. Ma mère n’avait pas dix-huit ans lorsqu’elle se trouva comme veuve ; nous avions un père sans en avoir. Depuis qu’il avait quitté sa famille, ma mère, qui l’avait suivi à Paris, et qui ne savait pas qu’il fût dessinateur aux Gobelins, ne pouvait parvenir à le rejoindre, parce qu’il la fuyait, et parce qu’il ne restait qu’un ou deux mois dans chaque ville. Je pense que c’est d’avoir été quittée de son mari si jeune, qui a perdu ma mère. Restée dans le pays, maîtresse de ses actions, elle se divertissait : et comme elle était jolie, il ne lui en coûtait rien. Elle se livrait tellement à son plaisir, que mon pauvre petit frère périt de l’abandon où elle le laissa. Pour ma sœur et moi, comme nous étions plus jeunes, nos cris faisaient venir des voisins à notre secours. Mon grand-père et ma grand’mère furent enfin instruits de la conduite de leur fille Leeman ; ils l’obligèrent à faire cesser le scandale qu’elle donnait dans la ville, et à suivre son mari, dont ils se procurèrent des nouvelles. Ils mirent ma mère, ma sœur et moi dans la voiture publique, payèrent les frais du voyage jusqu’à Nantes, où était mon père, et recommandèrent de ne remettre le reste de l’argent à ma mère, qu’en présence de son mari. J’ignore comme tout cela fut exécuté, j’étais trop jeune. Mais j’ai ouï dire par ma mère elle-même qu’elle avait été bien courtisée dans la voiture ! Elle ne savait pas le français. Un des voyageurs, qui savait le flamand, lui servait d’interprète ; mais elle préférait un joli homme, dont elle ne pouvait se faire entendre. Elle demandait à son interprète, devant tout le monde, certains mots français, comme : Je vous aime bien ; Je voudrais bien vous baiser, etc. Il les lui disait, et elle les répétait, en jetant un coup d’œil sur le joli homme. Un soir, à l’instant où on allait se mettre au lit, elle le joignit seul, et lui dit un mot, qu’elle s’était fait répéter avec affectation dans la journée. Ce mot était si clair, qu’il la mena dans sa chambre, où ils se mirent au lit. Elle en sortit avant l’heure du lever. Mais le joli homme ne lui garda pas le secret ; ce qui la fit mal regarder. En arrivant dans une grande ville, dont je ne sais plus le nom (peut-être était-ce Paris), le matin, à l’heure du départ, ma mère ne fut pas éveillée : on la laissa. Il était grand jour dans la chambre, quand on ouvrit les rideaux. C’était un homme qu’elle avait vu dans le carrosse. Il lui dit, ou plutôt il lui fit signe de se lever. Elle n’entendait pas ce qu’il lui disait ; mais elle comprit ses signes. Elle s’habilla fort étonnée, prononçant quelques mots qu’elle savait : « La carosse ! la carosse ! ma mari ! ma mari ! » L’homme lui faisait signe de se calmer. Dès qu’elle fut habillée, ainsi que nous, il lui présenta la main, et nous sortîmes de l’auberge. Le monsieur nous mena dans une assez belle maison à porte cochère, et très isolée, où il nous laissa, en donnant ordre à deux femmes et à deux hommes, sans compter le portier, de nous servir, mais de ne pas nous laisser passer la porte. Elle demandait à s’en aller, et elle disait sans cesse : « La carrosse ! la carrosse ! ma mari ! ma mari ! » « Ce monsieur nous garda trois mois, à ce que nous a dit ma mère depuis. Elle fut inexorable à toutes ses propositions ; ne demandant que son mari, à mesure qu’elle apprenait un peu de français, répétant : « Moi. je veux ma mari ! » Le monsieur (dit-elle) s’ennuya d’avoir une femme toujours furieuse, qui ne voulait rien entendre, et qui cherchait à se sauver. Je ne garantis pas la vérité de tous ces faits, dont je fus témoin trop jeune, pour m’en ressouvenir : tout ce que j’ai remarqué, c’est que quand ma mère racontait ce trait devant ma sœur Maria-Elisabetha, celle-ci souriait légèrement à la dérobée. D’ailleurs, d’autres fois, ma mère se coupait : et je me rappelle que m’ayant fait, avec une de ses robes, plus de huit ans après, un joli déshabillé d’une serge superbe, elle me dit ; « Cette robe que je défais, me vient d’un monsieur qui me prit chez lui, à ma première sortie d’Anvers. Il était bien généreux ! J’en tirai tout ce que je voulus ; et sans un malheur, jamais il ne m’aurait abandonnée. » Ma sœur lui dit qu’elle se le rappelait. « Je t’assure, mon enfant, interrompit ma mère, que mon ignorance de la langue en fut la seule cause. J’ignorais ce que son ami me demandait, et je répondais toujours oui ; je fus bien attrapée de le voir agir ! Malheureusement M. de Valbrun entra dans ce moment ; il se jeta sur la première chose qui lui tomba sous la main, et le voulait assommer. Mais son ami qui était jeune et fort, sut éviter le coup et se détendre. Dès le même instant, le premier nous mit hors de sa maison ; son ami nous accompagna, et comme il ne pouvait nous recevoir chez lui, n’étant pas son maître, il nous conseilla de partir. Je savais où était mon mari ; j’allai le rejoindre, avec de l’argent et de belles nippes. En arrivant, je payai toutes ses dettes, et nous devînmes amis pour quelque temps. Mais c’était pour me rendre plus sensible le coup le plus cruel. » « Je vais à présent parler de ce que j’ai vu. « Le plus loin dont je me souvienne, c’est qu’étant à Angers, ma mère nous mena ma sœur et moi, à la promenade. Nous commencions à nous y amuser, quand elle dit à ma sœur, beaucoup plus aimée que moi : « Ton père ne m’écrit pas où il est ; je ne sais pourquoi je suis triste ; il doit sans doute m’arriver quelque malheur ! » Elle continua cependant sa promenade, mais avec une inquiétude marquée. Nous avancions, sans nous en apercevoir, et nous nous trouvâmes dans la campagne, où nous rencontrâmes une compagnie de notre connaissance. En nous abordant, on dit à ma mère : « Comment ! vous êtes ici, madame ! — Oui, je cherche à me dissiper. — Mais, reprit-on, il « y a du monde chez vous ! Votre mari avec d’autres gens. » Ma mère, effrayée d’une nouvelle qui ne lui laissait aucun bon pressentiment, puisqu’elle avait fermé les portes, sans répondre nous prit toutes deux par la main, ma sœur et moi, et nous faisant courir autant que le pouvaient nos petites jambes, elle regagna notre logis, où elle ne trouva plus que les quatre murs : tout venait d’être enlevé. Voilà quelle fut la première catastrophe dont je me souvienne : ma sœur avait neuf ans, et J’en avais cinq environ ; elle nous réduisit à manquer de tout, car l’argent avait été enlevé ; et de très à notre aise que nous étions, nous nous trouvâmes réduites, non pas à mendier, mais à recourir au peu d’amis que nous avions, et dont le nombre diminua chaque jour. « Pour n’incommoder personne, ma mère se mit en chambre garnie. Mais ses moyens ne lui permettaient pas d’y rester longtemps, et n’ayant pas de nouvelles de son mari, obligée de vendre ses hardes pour subsister, il n’y avait de ressource pour elle qu’à fuir. Triste sort, pour une grande femme, jeune, jolie, mais étrangère, et sachant à peine la langue ! ... Elle apprit alors que son mari était à Rouen ; un ami lui fit présent d’une somme assez modique, quoiqu’il lui eût offert auparavant sa fortune, et elle courut le rejoindre avec nous ; ses paquets étaient légers, et ne devaient pas donner beaucoup d’embarras. À notre arrivée, nous trouvâmes mon père accablé de dettes, logé dans son domicile le plus fixe ; il y était depuis six jours. « Ne pouvant plus avoir de crédit, il nous laissa, ma mère et moi, et partit avec sa fille aînée. Combien la pauvre enfant n’a t-elle pas eu à souffrir abandonnée la plupart du temps, et manquant du nécessaire !... Mais un sort plus terrible attendait cette infortunée ! Après le départ de mon père, maman fut assaillie par les créanciers. On me demandera comment elle put faire ? Avec sa figure et sa jeunesse, elle trouvait toujours des ressources aux dépens de sa réputation : elle avait fait un ami à Rouen, qui, touché de son triste sort, l’obligeait le plus généreusement du monde... « Cependant elle était si attachée à son mari qu’elle le suivait partout. Elle courut le rejoindre à Beauvais, où elle connut M. Legros, de l’Opéra, qui était musicien à la cathédrale. Ce grand acteur avait dès lors l’âme la plus généreuse et la plus sensible ; il était éperdument amoureux d’une jeune fille charmante, mais pauvre ; il était lui-même sans fortune. Lorsqu’il partit pour Paris, il lui jura de ne chercher à faire son chemin que pour l’épouser et lui faire partager son sort. Il a tenu parole ; il l’a épousée, l’a tendrement aimée, et l’a pleurée amèrement, lorsqu’il l’a perdue par la mort. Mais je reviens à ma mère « Les dettes de mon père l’accablèrent à Beauvais comme à Rouen : les gens de cette dernière ville sont bons, mais après qu’ils ont pris longtemps patience, ils la perdent. On nous tourmenta ; mon père rentra un soir tout essouflé, en disant : « Ma foi, on n’y saurait tenir. Fais comme tu pourras ; pour moi, je décampe, avant qu’on ne m’en empêche. » « Dès la même nuit, il partit, suivant son usage quand il avait des dettes, et courut se cacher à Amiens. Ma mère ne pouvait le suivre aussi vite, parce qu’il ne disait jamais le terme de son voyage, et qu’il fallait attendre que lui-même ou le hasard en instruisît. On nous menaça vivement, lorsqu’on le sut parti ! Mais, nous voyant des meubles, on nous donna quinze jours pour payer. Ces meubles, source de notre crédit, ne nous appartenaient pas : on nous les avait prétés !... Ma mère ayant, quelques jours après, découvert le séjour de son mari, elle résolut de partir secrètement avec moi seule, laissant ma sœur, à cause de la délicatesse de sa santé, chez les personnes qui nous avaient prêté nos meubles. De tout ce que ma mère put amasser, elle ne fit que douze livres ; elle en laissa six à ma sœur, et garda le reste pour payer nos deux places dans la voiture publique. Nous sortîmes de chez nous à trois heures du matin, quoiqu’il gelât à pierre fendre, et nous suivîmes les remparts, afin de n’être pas vues de nos créanciers en allant prendre la voiture publique hors de la ville. Nous fîmes à peu près un quart de lieue en attendant la diligence ; et, lorsqu’elle nous eût attrapées, nous demandâmes humblement à nous mettre dans le panier. Ce que le cocher nous accorda. Mais au bout d’une heure environ, cet homme voyant une grande femme bien faite et bien mise, avec une enfant, il vint dire à ma mère : « J’ai peu de monde dans le carrosse ; vous y serez mieux, « madame. » Elle accepta sans hésiter. « Nous y trouvâmes, entre autres, un homme de bonne mine, qui nous proposa de manger avec lui. Ma mère ne crut pas devoir refuser ; elle sentait qu’elle ne pouvait trop ménager sa bourse. Quant à moi, aussi vive et enjouée pour lors que je suis aujourd’hui sérieuse et mélancolique, je m’amusais à jouer avec les enfants des auberges, et je mangeais mes morceaux en courant. Le voyage fut heureux, et les six francs, seul argent que possédât ma mère, se trouvèrent épargnés. Ce fut là un petit commencement de bonheur, dans les idées que j’avais alors ; et ma mère espéra que ce ne serait pas le dernier. « Son espoir ne fut pas tout à fait trompé. En arrivant à Amiens, nous trouvâmes, dans la maison où demeurait mon père, des personnes très aimables, fort riches et, par conséquent, ayant de la société. Ma mère fit venir ma sœur, et dès que nous fûmes un peu connues, on l’invita souvent à manger avec ses enfants. Elle acceptait presque tous les jours différentes parties sur l’eau, qui nous amusaient beaucoup, ma sœur et moi. Quoique fort jeune encore, je fis une remarque à toutes nos sorties : la maison où nous demeurions donnait sur le marché ; il ne fallait que traverser la grand’rue pour aller chez les personnes qui nous invitaient, et nous ne faisions pas une fois ce court trajet, que je n’aperçusse un monsieur, qui faisait grande attention à nous. Enfin, il nous aborda. Sa première question fut, si ma mère comptait faire sa résidence à Amiens ? Sur la réponse à l’affirmative, il demanda la permission de lui faire une visite, en qualité de voisin. Ma mère fut très embarrassée, d’après sa position et celle de son mari : elle ne pouvait recevoir personne, sans s’afficher. Elle répondit qu’elle était rarement chez elle ; que d’ailleurs, ne sachant qu’imparfaitement le français, on s’ennuierait beaucoup avec elle et deux enfants, qui la tenaient presque toujours occupée. Cette réponse parut décourager l’inconnu, qui, voyant qu’il n’y avait rien à gagner, se retira très mécontent. « Cependant il paraît qu’il ne désespéra pas de trouver une occasion plus favorable ; et il l’épia si attentivement, qu’il réussit. Un jour, il se trouva sur la même promenade avec nous. Il fit en sorte de lier conversation avec ma mère, et il employa les plus grandes instances pour l’engager à accepter une partie sur l’eau, où elle s’amuserait beaucoup, ainsi que ses enfants. Il alla plus loin : « Vous êtes étrangère, madame. » lui dit-il ; « on peut, loin de sa patrie, comme vous l’êtes de la vôtre, se trouver dans certains embarras : ma bourse est à votre service. » Ma mère le remercia comme elle put. Mais le don suivit l’offre, et la bourse fut glissée dans la poche de ma mère. Je fus la seule qui m’en aperçus ; mais je gardai le silence, par un petit raisonnement d’enfant (j’avais alors huit ans ; ma sœur en avait onze) : « Ma mère a souvent des peines, faute d’argent ; en voilà qu’elle a refusé : il ne faut rien dire ; elle la trouvera quand le monsieur n’y sera plus ; elle ne sera plus chagrine, ni nous non plus... » Le reste de la journée se passa fort agréablement. Le soir, le monsieur nous ramena ; mais comme il se faisait tard, il ne monta pas, sans doute de peur qu’on ne s’aperçut de la bourse. « Le lendemain, il vint sur les dix heures, savoir comment on avait passé la nuit. Ma mère n’avait pas encore visité ses poches ; elle le reçut avec une politesse aisée, au lieu d’avoir l’embarras de la reconnaissance, ou celui du refus. Il se comporta très honnêtement ; ses manières étaient obligeantes et timides, et sa visite fut assez courte. Il fut huit jours entiers sans revenir. « Cependant, vers le midi, ma mère ayant fouillé dans ses poches, pour donner de l’argent à ma sœur, à qui elle faisait faire une petite commission, elle trouva la bourse, où il y avait, à ce que je compris alors, vingt-cinq louis. Son étonnement me fit bien rire ! J’allais peut-être enfin lui dire ce que je savais, lorsqu’ayant entendu qu’elle parlait de la rendre, j’en fus si effrayée que je modérai mon envie de parler. Ma mère attendit plusieurs jours avant de toucher à cet argent ; mais enfin, nous étant trouvées dans un grand besoin, à cause des dettes que faisait mon père, elle y prit un louis. Quelques jours après, un second lui fut nécessaire ; de sorte que, lorsque le monsieur reparut le dimanche, avec son ton de politesse ordinaire, elle lui demanda bien si c’était lui qui avait glissé une bourse dans sa poche, mais elle céda aux instances de la garder ; parce qu’elle n’était plus complète, et qu’elle aurait été honteuse de montrer qu’elle y avait touché. Cette liaison se fortifia peu à peu ; et je puis dire qu’il n’y avait rien qui pût nous donner mauvais exemple. M. de Florimond, d’une bonne famille de ce pays-là, mais n’ayant reçu qu’une éducation fort négligée, devint notre société ordinaire ; il nous faisait faire tous les jours de fête des parties de campagne... Six mois s’écoulèrent de la sorte. « Ce fut à cette époque, qu’étant à nous divertir, il s’aperçut que ma mère était rêveuse. Il voulut en savoir le sujet, disant que s’il fallait qu’elle partît, il aimait mieux en être prévenu que d’être surpris. Ma mère ne voulut pas lui confier ce secret. Il s’en informa aux connaissances de mon père. Il sut que ses dettes le forçaient à fuir encore. « M. de Florimond, après ces lumières continua de venir. Mon père partit incognito, et nous laissa ; nous n’eûmes plus d’autre appui que le généreux ami de ma mère. « Le lendemain, M. de Florimond, ayant appris que mon père avait disparu, n’osa se présenter, de peur de faire parler. Ma mère, ne le voyant pas, s’en crut abandonnée ; elle fit quelque argent comme elle put, et alla retenir nos places au carrosse. Le lendemain, M. de Florimond parut dans l’apres-dînée, mais fort triste : il avait appris notre Ma mère embrassa la vie d’une femme du monde. (p.195) (Dessin de Binet.) prochain départ. « Vous quittez cette ville, et vos amis ? » dit-il à ma mère. « Il le faut, monsieur. Je vais rejoindre mon mari à Paris ; nos places sont retenues pour mardi prochain. — Je suis mortifié que votre départ soit aussi prompt ! J’ai affaire où vous allez ; je vous aurais accompagnée. » Il fit ensuite beaucoup de demandes, relatives à nos affaires, pour amener l’offre la plus obligeante et la mieux tournée. Il pria ma mère de vouloir bien se charger de recevoir pour lui, à Paris, un billet de quinze cents livres, dont l’échéance était à la quinzaine. Il ajouta qu’il la priait instamment, en cas de gêne, de se servir de cet argent. Il se retira presque aussitôt, en lui demandant la permission de continuer ses visites jusqu’au départ. Il revint effectivement tous les jours ; il passa la veille avec nous, jusqu’à dix heures du soir, qu’il s’en alla, au lieu de rester pour nous conduire au carrosse. Nous y allâmes seules dans la nuit, fort tristement, et nous partîmes. « Arrivées à Paris, ma mère prit une chambre garnie, où nous demeurâmes trois mois, sans pouvoir retrouver mon père ; les premières semaines furent cruelles ! Mais au bout d’un mois environ, nous eûmes la visite d’un homme, qui dit à ma mère qu’il avait ordre de lui compter la somme de quinze cents livres, pour retirer un billet qu’elle avait entre les mains. Il demanda bien des excuses d’avoir fait attendre. C’était la faute de ma mère, si elle n’avait pas reçu à l’échéance ; M. de Florimond avait sans doute écrit pour qu’on la payât ; mais elle ne s’était pas présentée, faute de savoir les usages, et il avait fallu s’adresser à la police pour savoir dans quelle chambre garnie elle était logée. On paya en répétant les excuses, et l’homme s’en alla avec le billet. « Cette somme commençait à nous être indispensablement nécessaire, et elle était donnée si noblement, qu’il y avait un double plaisir à s’en servir. Ma mère qui vit bien que c’était un présent de son ami d’Amiens, pensa que le seul parti à suivre était d’en faire le meilleur usage possible. Elle sortit pour louer un logement, et le meubler ; elle acheta le plus étroit nécessaire (car elle a toujours été ménagère), et nous nous trouvâmes enfin chez nous, grâces à M de Florimond. « Cependant quinze cents livres ne sauraient durer éternellement, lorsqu’une femme, qui se met à la mode, est obligée de prendre là-dessus son entretien, et celui de deux enfants. Pour hâter la fin de sa bourse, il lui arriva la catastrophe la plus douloureuse : nous tombâmes malades, ma sœur et moi. Je parus d’abord la plus mal : c’était une fièvre maligne, la pourpre, la petite vérole et une fluxion de poitrine. Ma sœur n’était qu’accablée ; mais elle était moins forte. Nos fonds s’éclipsèrent avec rapidité ; la misère et le chagrin allaient nous assaillir, quand notre ami d’Amiens, qui sans doute veillait sur nous, arriva pour nous secourir. Il s’informa sur-le-champ de la situation de nos affaires, et quoiqu’il fût fort jeune, et borné dans ses moyens, il paya tout d’un air qui marquait la plus grande affection pour ma sœur et pour moi. Sans lui, nous étions perdues toutes trois. Il ne s’en tint pas à ces dépenses ; fort souvent, il mettait de l’argent dans le tiroir d’une commode, ou ailleurs, suivant qu’on se trouvait placées ; car il ne voulait pas être vu. Si c’était un présent en effets, jamais il ne les donnait ; il se contentait de les placer dans un endroit où on ne pût manquer de les apercevoir, quand il serait sorti. Le jour où j’étais le plus mal, il vint le matin ; on croyait que je ne passerais pas la journée. Ma mère nous gardait elle-même ; il y avait alors vingt nuits qu’elle ne s’était déshabillée ; il la pria d’aller se reposer, offrant de la remplacer auprès de ses deux malades ; mais elle refusa. Il resta donc avec elle, tâchant de lui éviter les moindres peines. Il alla chercher le chirurgien, et le pressa de nous donner quelque chose. Comme j’étais désespérée, on proposa de me saigner, mais d’une manière indifférente. Notre ami saisit cette idée et força, pour ainsi dire, le chirurgien à le faire. Ce fut ce qui me sauva ; je le fus six fois, ayant été soulagée dès la première, et à la sixième, je me portais bien, à la faiblesse près. « Il n’en était pas de même de ma sœur : elle ne pouvait ou ne voulait rien prendre, étant très délicate, depuis qu’elle avait tant souffert avec mon père. Cependant elle se rétablit un peu ; mais pour essuyer un sort qui fait frémir ! Ce malheur n’arriva qu’après le retour de l’ami de ma mère à Amiens. « Qui n’aurait pas regardé ma maman comme une bonne mère d’après sa conduite à notre égard ? Mais, hélas ! on ne vit jamais d’aussi grandes disparates !... Ce n’est qu’une femme, qui est abandonnée de son mari, et qui, ayant de la figure, est recherchée par les hommes, qui la corrompent et lui ôtent les bonnes mœurs ! « J’ai dit que M. de Florimond était jeune et peu fortuné : son retour dans sa patrie laissa ma mère à elle-même ; elle savait sur quoi elle pouvait compter de sa part, et n’y vit pas une ressource suffisante. Ainsi, ne sachant rien faire, n’ayant aucun soutien de mon père, elle embrassa la vie d’une femme du monde. Dès que M. de Florimond fut parti, et même avant, elle reçut des hommes. Elle a toujours eu le goût des connaissances imprévues et subites ; elle en faisait journellement de pareilles, et elle nous les donnait pour anciennes, surtout à ma sœur. Notre maison fut très fréquentée ! Fort souvent on venait pour badiner avec nous. Ma sœur s’ennuyait ; pour moi, je riais ; je faisais la folle, à moins que le badinage ne me déplût ; alors, j’égratignais, je mordais ; au point qu’un jour un monsieur me donna un coup de pied qui me renversa. Mais on en voulait surtout à Maria-Elisabetha : elle était d’une figure qui fit son malheur, en l’exposant à être désirée des vieux libertins. Voici à peu près ce que je me rappelle : car on se cachait de moi. Maria-Elisabetha était naturellement sérieuse, ce qui lui donnait un air raisonnable. Ma mère, qui prévoyait la fin de son argent, et qui n’avait pas donné de ses nouvelles à son ami d’Amiens, tenait une conduite que je veux croire forcée par la nécessité. Parmi les hommes qui vinrent chez elle, il y en eut un qui remarqua ma sœur. « Quel âge a cette belle enfant ? elle paraît vingt ans, à son air raisonnable ? — Elle n’en a que quinze », répondit ma mère en riant. Ma sœur n’en avait pas encore douze. L’homme, comptant sur l’âge au moins que ma mère lui disait, fit ses propositions, qui furent si avantageuses, aux yeux d’une femme sans ressources, qu’elles furent acceptées... je tire le voile sur des horreurs, dont mes oreilles seules furent à demi témoins... Mon infortunée sœur fut livrée malgré elle à un vieux libertin, et voici ce que j’entendis, un soir, à plus de onze heures, qu’on me croyait endormie. « Le monsieur avait soupé chez nous. Ma sœur, au lieu de manger, n’avait fait que sangloter ; les larmes lui roulaient dans les yeux. Ma mère la caressait beaucoup ; elle la tenait presque dans ses bras, et la baisait à tout moment. Ma sœur lui rendait ses caresses : mais elle n’en mangeait pas davantage. À dix heures, on m’envoya coucher. Je m’endormais ordinairement aussitôt que j’avais la tête sur l’oreiller : mais ce soir-là, je me doutai de quelque chose, je me tins éveillée ; je descendis de mon lit, et je prêtai l’oreille à la porte, dès que j’entendis ma sœur pleurer. Ma mère la flattait d’abord ; ensuite elle la gronda ; enfin, elle voulut sortir et la laisser. Je compris que ma sœur se jetait à elle, qu’elle l’embrassait, et qu’elle ne voulait pas la quitter. Alors ma mère employa la force pour s’en débarrasser. « Ma chère mère ! lui criait ma sœur, ne m’abandonnez pas ! » Ma mère la menaça. « Hé bien, ôtez-moi la vie, que je tiens de vous ; j’aime mieux mourir avec mon innocence. » Ici, ma mère se mit en fureur et se débarrassa. J’entendis ma sœur, qui se tenait étendue, le visage contre terre, et qui criait suffoquée : « Ma chère maman ! ma chère maman ! voulez-vous ma mort et ma damnation ? Ha ! maman ! donnez-moi la mort, et pas la damnation ! ... Si cela est, j’en mourrai de chagrin et votre pauvre âme répondra de la pauvre mienne ! Maman ! au nom de Dieu !... » Ici elle fit un cri perçant. Ensuite, j’entendis beaucoup de mouvement dans la chambre, et ma pauvre sœur qui poussait des cris étouffés, comme si on lui eût mis quelque chose sur la bouche. Mais ses sanglots étaient si profonds, qu’ils m’arrachaient l’âme : si j’avais été assez forte, j’enfonçais la porte, et je me précipitais dans la chambre, pour la secourir, eût-on dû me tuer. Après cela, je n’entendis plus ma sœur, mais un certain bruit, qui me fait horreur à présent. Enfin, après un temps assez considérable, j’ouïs ma mère qui pleurait... « Monsieur, elle est morte disait-elle en étouffant sa voix. — Non, non, » répondait l’homme, « vous en réponds. Faites-lui respirer des sels... La voilà qu’elle revient. Quand elle aura repris connaissance, niez tout, et faites-lui croire qu’elle a été dans le délire : vous la persuaderez. Adieu. » À ce mot, je remontai vite dans mon lit, et je feignis de dormir. Le monsieur sorti, ma mère vint m’éveiller, et me dit que ma sœur s’était trouvée mal, qu’elle avait le transport. Je ne sus plus que penser ; ce n’est que depuis, que j’ai entrevu la vérité. Ma sœur resta malade. Le froid (car j’avais écouté nue plus de deux heures), le froid m’avait saisie. J’eus la fièvre le lendemain assez fort pour ne pouvoir aller voir ma sœur, qui était au lit dans la chambre de ma mère. Je fus si dangereusement malade de cette rechute, que pour le coup, on ne compta plus sur moi ; et comme ma sœur ne sortait pas de son accablement, j’entendis plusieurs fois ma mère dire aux personnes qui venaient la voir : « Je vais perdre mes deux enfants ! » Enfin, après avoir été fort bas, je revins un peu ; et une fois que la nature eut repris le dessus, je me fortifiai plus vite qu’on ne l’espérait. Un jour (que je n’oublierai jamais), je crus que ma mère était sortie, contre son ordinaire depuis que nous étions malades (elle craignait que Maria ne parlât à quelqu’un) ; je me trouvai assez forte pour quitter mon lit, dans le dessein de parler à ma sœur. J’allai pour la voir. Mais, hélas ! quel spectacle ! Je la trouvai sur la paille, et ma mère à côté d’elle, sans connaissance. Saisie de douleur et d’effroi, je tombai sur le corps de ma sœur et j’y demeurai évanouie, je ne sais combien de temps. Mais qu’on se représente de quelle horreur ma mère fut frappée, lorsque, revenue à elle-même et cherchant des yeux la fille qu’elle venait de perdre, au lieu d’une, elle les vit toutes deux couvertes du voile de la mort !... Elle poussa un cri perçant, qui attira chez elle une pauvre femme de son voisinage, laquelle, trouvant ma sœur froide, l’ensevelit, et la fit disparaître de devant les yeux de ma mère. « Cependant je restais sans secours : on m’en donna enfin ; et mes larmes ayant trouvé un passage, je pleurai ma sœur et mon unique compagne, avec tant de violence, que j’épuisai l’humeur qui m’étouffait et me serrait le cœur. Ma mère était si affectée, qu’on fut obligé de hâter l’enterrement. Quant à moi, je retombai dans une maladie qui dura six mois, pendant laquelle j’étais sujette à des frayeurs mortelles ; appelant ma sœur à mon secours, au milieu de la nuit, et ne me rappelant ensuite qu’elle était morte, que pour la pleurer avec une amertume qui me déchirait le cœur. « Il y avait alors deux ans que nous n’avions reçu de nouvelles de mon père ; il nous abandonnait à la misère, ou à pis encore... Ce n’est à moi à juger sa conduite ; mais... est-il possible qu’on épouse une femme, et qu’on donne le jour à des enfants pour les laisser en proie aux horreurs que j’ai vues nous menacer et à celles que nous avons essuyées !... Il écrivit alors, non pour nous envoyer des secours, mais pour en demander à sa femme. On lui marqua notre situation et la mort de sa fille aînée. Il répondit tranquillement à ma mère au bout d’un mois, qu’il aurait préféré que ce fut la cadette, qu’il la priait de lui envoyer ce qu’elle pourrait, puisqu’elle avait moins de charge que par le passé. Cette réponse la révolta ; elle lui fit écrire qu’elle ne lui demanderait jamais rien ; qu’il songeât à lui-même, puisqu’il n’était né que pour lui et qu’elle allait tâcher de donner, par l’amitié, un autre père à sa fille ; qu’il n’avait plus aucuns droits sur sa femme ni sur son enfant : « Vous leur avez rendu la vie odieuse, et votre fille, malgré sa jeunesse, commence à sentir {elle me le disait un de ces jours) que la vie est à charge, quand on la passe dans l’abandon ou qu’on n’a des parents que pour faire rougir ; un père qui, loin de nous préserver des malheurs qui assiègent l’existence d’une épouse et d’une fille, parait au contraire trouver un plaisir barbare à les y plonger, et chercher en quelque sorte à jouir de leur déshonneur. Vous avez donné à votre fille de l’horreur pour les hommes ; quand elle en voit, elle s’enfuit, ou si on la force à rester, elle ne les regarde qu’avec effroi. Voilà l’effet de votre conduite. D’après cela, je crois que le mieux est que vous restiez où vous êtes ; car je doute, vu la sensibilité de ma fille, que je pusse l’élever, si vous étiez ici, et si je savais la perdre et n’avoir plus de consolation, je préférerais de mourir la première. Cependant, quel malheur pour une fille, et à quoi ne serait-elle pas exposée de votre part ! Dans quel dénuement vous la plongeriez ! » Ma mère finissait par lui donner son adresse, à un nouveau logement qu’elle prenait, et où nous allâmes demeurer. Je me rétablis un peu ; je grandissais. On me mit aux Miramionnes, et l’ami de ma mère étant revenu durant cet intervalle, il lui proposa d’occuper un appartement dans la même maison. Vous le connaissez ; il y est encore. « Vous serez sans doute étonné de la conduite de cet homme, qui, étant jeune, s’attachait, sans aucune vue que celle d’obliger, à une femme mariée et malheureuse qui ne pouvait que lui être à charge. Il est vrai qu’il l’aimait ; sans cela, quels motifs aurait eus ce qu’il faisait pour nous ?... Je m’arrête là-dessus, pour revenir à ce qui me regarde personnellement. « A treize ans, on me mit au couvent ; j’en sortis à quinze. On commença pour lors à me faire entendre que je n’avais pas de bien à espérer (je le savais déjà) ; qu’on avait eu beaucoup de peine à me donner une certaine éducation par son économie ; qu’on n’était plus en état de rien faire, et qu’il fallait songer à moi sérieusement. Ceci n’était pas absolument clair ; on y ajouta quelque chose qui le fut un peu davantage : « Vous êtes délicate ; le travail ne vous avancera pas beaucoup. Cependant il faut savoir faire les ouvrages de femmes, et je vous mettrai en apprentissage, tant pour les modes que pour la dentelle, mais seulement pour que vous sachiez faire ce qui vous regardera personnellement. » Ce langage me parut singulier dans la bouche de ma mère : je le lui témoignai « Ma fille, me dit-elle, je me suis mise au-dessus de certains préjugés ; la misère forme l’esprit, elle endurcit le cœur, en même temps qu’elle épouvante pour l’avenir. Un homme peut vous faire un sort sans vous déshonorer ; que serais-je devenue si un peu de jeunesse et de figure ne m’avait pas procuré des amis, qui m’ont soutenue et qui m’ont donné les moyens de vous élever ? Celui qui est ici est votre véritable père, puisque vous lui devez la conservation de vos jours et l’éducation. Il faut faire un ami pareil, qui vous soutienne personnellement, et vous préserve des malheurs auxquels j’ai été exposée par le mariage... » Je refusai net de me prêter à cet arrangement. On ne m’en parla plus, et je fus mise en apprentissage pour la dentelle chez Mme Amey. Je pris du goût au travail, et je restai tranquille environ six mois. Ce fut à ce terme que les propositions recommencèrent ; on m’assurait qu’il y avait une personne qui désirait ardemment de me connaître et de se lier avec moi. Je refusai de la voir. On me traita mal, on me défendit de venir à la maison, et je restai deux mois entiers sans sortir de la chambre de ma maîtresse. Je ne souffris pas beaucoup de cette retraite forcée, que mes dispositions naturelles pour la tranquillité rendirent d’autant plus volontaire, que je me plaisais dans cette maison ; d’ailleurs mon caractère était si opposé à celui de ma mère, que je me voyais privée assez indifféremment de sa société depuis que je savais ses vues. Le sort de ma sœur m’épouvantait. Au bout de deux mois elle se réconcilia, et me permit de revenir à la maison. Nous allâmes au Palais-Roval, et nous nous assîmes dans la grande allée, pour voir le monde, j’étais bien mise et ma mère encore mieux. Un homme, qui paraissait de quelque distinction, vint se mettre à côté de nous il adressa d’abord la parole à ma mère pour des choses indifférentes ; elle lui repondit poliment. Encouragé par là, il me fit quelques compliments, un entre autres qui me parut un peu fort : « L’homme qui aura le bonheur d’être aimé de vous, jouira d’un sort digne d’envie ! Pour moi, je me contenterais qu’une aussi jolie personne voulût bien me souffrir auprès d’elle ; je ferais son sort et je la mettrais dans le cas de n’avoir jamais besoin d’une autre personne. » Ce langage me parut concerté avec ma mère, et je commençai d’entrer en défiance que j’avais été amenée exprès à la promenade pour cette entrevue. Je ne me trompais pas. Nous fûmes engagées à diner. Ma mère accepta. Je refusai net. Mais on me fit tant la guerre, que ma timidité naturelle, mon inexpérience, ma jeunesse, me firent consentir à suivre ma mère ; ou plutôt, on m’entraîna. Nous trouvâmes une belle maison, des valets, un dîner magnifique. On se mit à table ; mais je ne pouvais manger ; j’avais dans la poitrine un serrement qui me suffoquait. J’ai presque toujours éprouvé la même chose, toutes les fois que quelque malheur me menaçait ; c’était le plus grand de tous qui m’attendait en cette occasion. Qu’on me dispense de détailler davantage ... « Le saisissement et la douleur m’occasionnèrent une maladie qui a duré deux ans, et dont M. Nicolas m’a vue convalescente ; il était loin sans doute d’en soupçonner la cause !... « Nous retournâmes cependant chez l’homme du Palais-Royal, qui, persuadé que mon honnêteté n’était pas une grimace, se comporta de manière à réparer ses premiers torts ; mais je n’ai jamais voulu rien recevoir de lui. « Un autre homme, ancien ami de ma mère, se présenta ensuite avec des propositions brillantes. On a pensé que M. Nicolas me déterminerait à les accepter, et c’est la cause de notre liaison ; mais il a fait tout le contraire. Cet honnête homme a pris pour moi les sentiments d’un véritable père, et j’en conserverai une éternelle reconnaissance. Puisse-t-il, de son côté, me conserver ces précieux sentiments ! Si ceux de la plus tendre des filles peuvent contribuer à adoucir son sort, à égayer cette tristesse habituelle où je le vois plongé, il peut être sûr qu’il a trouvé une amie qui ne changera jamais. » Avant d’exprimer l’effet que cette lecture fit sur moi, il faut observer, aujourd’hui que je suis moins rapidement entraîné, que le récit de Sara est fort abrégé, et qu’il n’est point d’accord en tout avec les discours de sa mère, qui racontait autrement la suite de ses voyages à la poursuite de son mari ; mais avec des circonstances si romanesques, que je suis tenté de croire que, à quelques adoucissements près, la vérité est du côté du récit de Sara. La mère dit avoir été à Constantinople ; ce qui n’est pas vraisemblable. Elle raconte ensuite des particularités de son séjour à Dijon, où elle était fêtée (dit-elle) chez l’Intendante. Elle assure qu’elle a vu, dans cette ville, à ses genoux, un homme de marque, et qui occupe aujourd’hui un poste très élevé. Elle vint ensuite à Clamecy, petite ville du Nivernais, où un marquis soupira pour ses charmes. Il l’adorait, et la première fois qu’il entra chez elle, ce fut par la fenêtre ; il manqua de se tuer : sans doute, la compatissante Leeman fut attendrie par le danger qu’il avait couru. Elle ajoute que, lorsqu’elle partit, il avait résolu de se laisser mourir. Mais on m’a donné une version toute différente. On assure qu’elle fut détestée dans cette petite ville du Nivernais, parce que, étant jolie et coquette, elle troublait tous les ménages, en tournant la tête aux maris provinciaux, dans un pays où le sexe est en général assez laid. Quant au marquis, on me l’a nommé : loin d’avoir voulu se tuer au départ de cette femme, il ne parle d’elle que comme d’une misérable. De Clamecy, Mme Leeman vint à Auxerre, où elle se fit également détester, par toutes les mêmes causes inclusivement. Le mari de la dame chez qui elle séjourna la rencontra depuis à Paris, et il assura l’avoir vue raccrocher avec sa fille (Sara). Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que cette dernière qui, dans ces récits, ne ménageait pas sa mère, l’ait fait, à certains égards, dans son écrit, et que, surtout, elle n’ait rien dit de ce séjour en Bourgogne ! Le récit est même circonstancié de manière à l’exclure absolument. Cependant ce séjour est certain : Sara ne l’a donc pas omis sans cause. Il faut encore observer que, lorsqu’elle commença d’écrire, elle ne connaissait pas encore mon rival ; mais que la plus grande partie fut écrite après le 12 mai, époque de la première entrevue. Il suit de là que Sara commençait à prévoir qu’elle ne devait pas tout me confier... si, pourtant, elle en a eu jamais le dessein : car sa conduite avec moi, même aujourd’hui, est un dédale inexplicable. Mais ce qui doit surprendre davantage, c’est l’omission absolue du séjour chez un homme comme il faut ! Ce séjour ma été raconté par la mère ; il est annoncé par la fille dans ses conversations avec moi ; et cependant on n’en voit aucune trace ! Voici comme la mère m’a fait ce récit, — il dément entièrement toute autre manière de voyager : « Mon mari, qui avait des talents supérieurs pour le dessin des tapisseries, fut invité à venir à Paris, avec les offres les plus séduisantes. Il y succomba, et partit. À son arrivée, il parla de moi à son protecteur, qui désira beaucoup de me voir. Il m’écrivit de venir. Je partis avec mes deux enfants. » (Ici elle place un roman de son arrivée à Paris, conduite par un homme qu’elle ne connaissait pas, qui la retint trois mois dans un magnifique appartement ; comme elle ne savait pas la langue, elle demandait seulement son mari. À la fin, elle s’échappa, et le découvrit. Ce trait a été rapporté tout différemment par Sara.) « Après avoir rejoint mon mari, je fis la conquête de son protecteur ; mais je fus sévère à son égard. Comme c’est en conséquence de ses offres que j’ai quitté ma patrie, et que mon mari s’est dérangé à Paris, ce monsieur s’est toujours cru depuis obligé de me protéger. Je lui ai dit plusieurs fois qu’il avait fait mon malheur. Et c’est aussi le motif de son offre de vingt mille francs pour ma fille, qu’il regarde comme la sienne, puisqu’elle a passé chez lui une partie de son enfance. » (Ce serait alors Legrainier.) Voilà ce que j’ai recueilli de ditférents entretiens décousus. Cependant Sara, dans les commencements de notre connaissance, me témoignait la plus grande répugnance pour voir cet homme, qui lui avait servi de père, chez qui elle avait été élevée, à qui elle devait son éducation !... Mais abandonnons ce chaos de contradictions et de mensonges, pour nous en tenir à l’Histoire écrite par Sara : pourvu que cette Histoire nous donne une idée vraie de la mère et de la fille, le reste importe peu. Je n’aurais pas même fait cette longue remarque, si je ne voulais donner, par ces Variantes, une idée de la manière dont toutes les aventurières font leur histoire. Ce que je n’ai jamais conçu, ce que je ne conçois pas encore, c’est pourquoi Sara décriait sa mère de concert avec sa mère ! C’est un raffinement unique ; une ruse inconcevable dans ses motifs, et que ses effets ne justifient pas ! Car elles y ont perdu toutes deux. Au reste, on retire un avantage de cette Histoire, c’est qu’elle présente un tableau vrai, souvent répété, de la conduite des intrigantes obscures, et qui, par là, n’en sont que plus dangereuses ; elles ont le champ plus libre pour tromper. En achevant de lire l’Histoire de Sara, mon cœur était attendri : « Chère amie ! » pensai-je, « tu m’as promis d’être constante, de ne jamais changer ! J’y Compte, et je veux t’adorer jusqu’au tombeau... » Elle était déjà changée !... mais je l’ignorais. Revenons à la mère de Sara, que j’avais presque forcée de retourner auprès de sa fille. Je lui avais découvert les vues honnêtes autant qu’avantageuses que j’avais pour cette dernière ; par là, j’avais excité son attention. Elle me répéta plusieurs fois : « Que ne m’avez-vous dit cela ! Je n’aurais cherché personne ! » Peut-être disait-elle la vérité, du moins pour jusqu’au temps où j’aurais eu rempli ses vues : mais, lorsque j’avais expliqué à sa fille, comment je devais agir pour elle en père, elle m’avait toujours fort recommandé de ne pas dire un mot de ma bonne volonté à sa mère. Quel était son but ? Avait-elle dès lors... Mais pourquoi conjecturer ? La mère et la fille étaient d’accord pour me tromper. C’étaient deux aventurières adroites et gauches tout à la fois, qui savaient parfaitement ourdir une trame, mais qui n’avaient pas assez de constance pour la suivre jusqu’au bout... Que n’ai-je connu plus tôt cette fatale vérité ! Quoi ! l’innocence, la candeur peintes sur le front de la fille ; son air décent, honnête... (mais elle l’avait démenti, cet air honnête et décent) tout cela n’était que grimace et tromperie ? Environ dans le temps de la première rencontre avec de Lamontette, elle devint folle, impudente ; son badinage était celui d’une fille. J’en étais surpris, mais j’en riais, ne croyant pas qu’il fût possible, à moins que ce ne fût un badinage, qu’une jeune personne, auparavant si modeste, devint absolument impudente. Non, je ne fus pas trompé... Je disais que Mme Debée-Leeman était partie vers les onze heures, pour prévenir (disait-elle) le retour de Lamontette, et que ce n’était qu’un voile qu’elle jetait sur sa turpitude. À son retour auprès de sa fille, la mère de Sara lui fit part de mes alarmes (à ce qu’elle dit ; car j’ignore en quels termes elle s’exprima) : « Hé bien ! » répondit ma tendre fille, « je vais lui écrire. » La mère m’assura, quand je la revis, qu’elle la gronda. « Comment, mademoiselle ! cet homme se meurt, et vous « vous contenterez de lui écrire ! Non, non, il faut s’en retourner ! — Vous avez promis de rester jusqu’à dimanche ? », objecta la fille. « On m’excusera. » Malgré ma constante amie, il fallut revenir le soir même. C’était le vendredi. Il était neuf heures : je ne les attendais pas encore ; sans quoi, à chaque carrosse, j’aurais volé à la fenêtre. J’étais assis auprès de la table, occupé à lire, à copier, en le trempant de mes larmes, le cahier où Sara avait écrit l’histoire de sa jeunesse. On frappe à ma porte. Je reconnais la manière de Sara : je tressaille, je me lève, je cours, je renverse tout ce qui s’oppose à mon passage. J’ouvre... Sara, cette fille que j’avais crue si tendre, si sensible, qui m’avait juré mille fois de me regarder à jamais comme son père et son ami, Sara me dit d’un air glacé, maussade, dur : « Hé bien ! qu’est-ce donc ? Me voilà ! — Qu’est-ce », répondis-je, après l’avoir néanmoins tendrement pressée contre le cœur qu’elle déchirait ; « Hé quoi ! ma fille ! vous partez a mon insu ! Vous ne revenez pas le soir ! Je n’ai pas de vos nouvelles ! Je sais ce que vous m’avez dit tant de fois ! Et vous paraissez surprise de mon inquiétude ? Me croyez-vous donc insensible ? Ha ! Sara ! vous ne connaissez pas encore le véritable attachement ! Chère Sara, trop jeune sans doute pour sentir comme moi, ton cœur ne s’est pas encore attendri à l’école de l’adversité ! » Ces mots parurent la toucher ; elle fit quelques efforts pour me paraître telle qu’avant son fatal voyage. Toi, qui m’as rendu malheureux (s’il est vrai que j’aie été aimé !), peut-être un jour verras-tu cette histoire : je n’y ai dit que l’exacte vérité ; apprécie, d’après ce que tu as déjà lu, et ce que tu vas lire, celle que tu m’as ôtée ! Le voile est tombé pour moi ; je te l’arrache, si tu me lis : vois, vois, quelle était cette Sara, que nous avons aimée ! pour laquelle je t’ai abhorré, pour laquelle tu m’as haï ! La soif de ton sang a été dans mon cœur (Hélas ! quels remords n’aurais-je pas aujourd’hui, mon crime fût-il demeuré enseveli dans l’ombre éternelle !) À quoi t’aurais-je immolé ? À qui m’aurais-tu sacrifié, si ton adresse eut triomphé de la mienne ? O de Lamontette ! Je rougis de mon amour et de mes fureurs ! Rougis à ton tour de tes complaisances et des tourments cruels que tu m’as causés... Hélas ! à l’instant où tu liras cette histoire, le voile sera tombé, sans mon secours : Sara n’aima jamais ; la nouveauté, le changement lui donnent seuls l’apparence du sentiment qu’elle ne connaît pas !... C’est ici où vont commencer les fureurs de la jalousie. Mon rival vint le lendemain au soir ; la mère m’en avait prévenu, en m’invitant à le voir, pour en dire mon sentiment. Mais, ce soir-là, je le vis trop peu. Sara se comporta bien ; elle ne marqua pas une aveugle préférence, et je me couchai tranquille... tranquille !... pour passer au lendemain, le jour le plus cruel de ma vie. Je fus invité à dîner. La mère de Sara le donnait à son nouvel ami, chez qui elle avait passé trois jours. J’hésitai si je m’y trouverais : la jalousie m’en éloignait, et ce fut elle qui me fit accepter. Sara elle-même eut l’air de m’inviter ; elle me dit le matin : « Vous dinerez avec nous ? » Je crus au moins que c’était une invitation ; mais j’ai, depuis, eu lieu de croire que c’était une simple question, et qu’elle aurait désiré que je ne me trouvasse pas en présence de son nouveau choix. Je m’y trouvai cependant : j’étais poussé malgré moi. Ainsi, je vis de Lamontette auprès d’elle. J’en frémis. Je saluai d’un air troublé... Je me remis enfin, en jouant un domino. Nous dinâmes ; tout se passa décemment de la part de Sara ; mais la mère, en finissant le diner, se trahit ; « Qui dirait », s’écria-t-elle, « que nous ne connaissions pas monsieur il y a quinze jours ! « Nous allâmes après dîner au Jardin des Plantes. Ce fut là que la passionnée Sara (qui peut-être n’était qu’intéressée) montra les sentiments les plus affectés pour de Lamontette. Elle s’appuyait languissamment sur son bras : elle ne laissait tomber sur moi que le regard le plus froid et le plus dédaigneux. L’affreuse jalousie jeta dans mon sein tous ses serpents irrités ; j’en sentais les morsures brûlantes ! Tantôt mes larmes voulaient couler ; tantôt je m’excitais à cesser d’aimer une ingrate, et tantôt la fureur m’inspirait de noirs projets !... Que je fus malheureux !... Mais ce n’était rien encore !... Nous revînmes... C’était moi qui marchais avec la mère, cette femme abhorrée, pour qui j’avais le mépris mérité que sa fille m’avait si bien motivé !... mais sans lui donner le bras : j’eusse ressemblé à Florimond, conducteur ordinaire. Mon rival, content, enchanté, venait à pas lents derrière nous avec Sara, qui lui souriait d’un air d’intelligence. Malgré moi, mes regards reprochaient au ciel l’excès de mon tourment. La mère s’en aperçut, et cette femme, la dureté même, comme toutes ses pareilles, fit quitter à sa fille le bras de mon rival, en lui disant : « Une jeune personne n’a pas plus besoin que moi de s’appuyer sur un bras, et je m’en passe bien. » Le soir, Sara osa me dire que sa mère avait trouvé que j’étais de mauvaise humeur à la promenade ! Nous étions tous trois invités à dîner pour le lendemain par de Lamontette, à cette maison de campagne où les deux femmes avaient passé trois jours. Je la croyais à une distance assez considérable de Paris pour qu’il ne fût pas naturel de revenir le même jour. Ainsi, la curiosité, ma jalousie qui me forçaient à suivre Sara, tout me déterminait à l’y accompagner. D’ailleurs, la mère, en partant vers les onze heures, m’avait promis d’en revenir le soir, et j’espérai que ma présence l’engagerait à tenir sa parole. Le chemin ne fut pas d’une demi-heure ! J’en fus surpris ! ... À notre arrivée, mon rival était absent. Je tâchai d’être gai. C’était un garçon, un homme à marier ; il y avait des espérances, non pour le mariage, auquel il avait déclaré qu’il ne pensait pas, mais à une liaison telle que la mère la désirait. Il avait offert (disait-on) de faire bourse commune. On entendait par là qu’on puiserait quand on voudrait dans la sienne : pour lui, c’était autre chose qu’il entendait ; voyant des femmes bien mises, il les crut riches à proportion ; il se proposait de faire avec elles dépense commune, chacun fournissant de son côté, et les deux dépenses réunies devenant moindres que séparées. C’était un homme d’esprit : cependant, quelle sottise ! Elle égalait au moins la mienne ! Quoi ! il s’imaginait que si on avait eu l’aisance qu’annonçait la mise, si on avait été honnête, comme on voulait le faire paraître, on lui aurait jeté à la tête une fille charmante ! On l’aurait presque raccroché au boulevard ! Pauvres insensés que nous sommes, nous perdons la tête quand une femme nous plait, et il n’est pas de chimère que notre imagination ne réalise !... Ainsi, on ne s’entendait pas, et ce fut mon malheur (dans les idées que j’ai conservées depuis un si long temps) ! La mère et la fille espéraient une bourse ouverte, et comptaient même encore sur moi (quoiqu’elles fissent tout ce qu’il fallait faire pour m’aliéner). De Lamontette s’imaginait faire une connaissance bourgeoise ordinaire. Il voyait qu’il avait plu à la fille, et il espérait tirer parti de cette inclination... Je ne te laisserai pas ton erreur, trop heureux rival ! Je vais faire luire à tes yeux l’incommode et fâcheuse vérité ; non telle qu’elle est (je ne la connais pas encore), mais telle que je la sais !... De Lamontette avait été au-devant de nous ; et, après une attente qui parut longue à Sara, nous le vimes arriver par le jardin. Le cœur de cette fille palpita de plaisir. Il entra. Elle vola au-devant de lui. Nous nous promenâmes : elle ne le quitta pas. Quelle odieuse effronterie, après ses promesses, sa conduite envers moi ! Comme cette conduite démentie sentait la courtisane ! la fille perdue !... Nous nous mîmes à table ; je dois le dire, la perfide osa poser encore son pied sur le mien, quoiqu’elle répondit aux afféteries indécentes et ridicules de mon rival. Cet égoïste, qui s’aperçut qu’il la captivait, s’efforça de l’engager à s’afficher devant un de ses amis, un Sirjean, huissier, invité pour être témoin de son triomphe, quoique à son arrivée on eut feint de ne pas l’attendre : ils s’étaient quittés en chemin, et l’un était venu par le devant de la maison, l’autre par le jardin. Les convives étaient dépeints avant qu’on les vit, et nous fûmes tous trois, pour cet étranger à notre égard, des objets de curiosité. Sara ne sentait rien de tout cela ; elle faisait la fille devant Lamontette, devant l’étranger, devant moi. Au milieu du diner, je n’y pus tenir, et j’allai me mettre à une croisée dans le corridor, où mes larmes coulèrent, en voyant les gens qui allaient se divertir, chacun avec leur amie : « Infortuné ! moi seul, qui ai tout fait pour la mienne, j’en suis abandonné ! L’ingrate m’oublie, elle change après tous ses serments !... » Un instant après, je me disais à moi-même : « Il te sied bien d’aimer à ton âge ! Hé ! rougis de tes larmes, de ton attachement ! Que regrettes-tu ? Les sentiments qu’elle avait pour toi ? Ha ! si elle les avait eus, elle les aurait encore ! Tu n’avais rien ; tu n’as rien perdu, qu’une illusion trompeuse !... Hélas ! cette illusion était tout mon bien, et je ne l’ai plus ! Elle pouvait toujours durer, et la voilà détruite ! Sans ce malheureux homme, qui est venu me l’enlever, je l’aurais encore ! » Puis, par retour sur moi-même, me rappelant ce canton où je faisais mes parties avec Zéphire et mes amis, je fondis en larmes, en étouffant ce cri : « Ho ! ho ! infortuné ! quelle métamorphose tu as éprouvée ! Celle de Circé n’était pas plus humiliante, plus dégradante ! » Et je me désolais !... Je rentrai au bout d’un temps fort long, et ce fut pour être témoin de nouveau des préférences de Sara Estampe satirique du XVIIIe siècle. envers le Noiraud, portées jusqu’à l’impudence. Et cependant elles ne détruisirent pas mon amour !... Mais il fallait que ma douleur s’exhalât ; sans le vouloir, sans y penser, amené par les circonstances, je vais porter le coup mortel à la passion de mon rival, à son bonheur ; je vais renverser les desseins de ma cruelle ennemie, la mère de Sara ; je vais ôter à celle-ci un espoir dont elle commençait à se flatter. Nous sortîmes. La mère que je détestais, s’empara de moi, pour que sa fille eût l’inconnu. Nous allâmes nous promener dans un jardin : là, mon rival laissa courir Sara, qui voulait cueillir des fleurs avec les jardinières, filles de l’hôte, et il m’accosta. Il me trouvait concentré ; la jalousie qu’il excitait rebondissait contre son cœur : il chercha donc à me pénétrer, tandis que son ami entretenait la mère, et que Sara aidait aux jeunes jardinières à cueillir des roses. Quoique je le haïsse, on connait les amants : ils aiment tant à s’occuper de leur objet, qu’ils préfèrent d’en parler à leur rival (dussent-ils par là se nuire à eux-mêmes), à garder un prudent silence !... J’avais dans le cœur trois ou quatre passions ; l’amour, la haine, la jalousie, la vengeance ; c’étaient ces quatre mouvements combinés qui commandèrent à ma langue. Je commençai par écouter l’amour, et il me fit dire tout le bien que je pensais encore de Sara. Mes larmes coulèrent. « Vous l’aimez ! » me dit-il. « Je l’adore ! » m’écriai-je. Imprudent ! qui me nuisais ainsi à moi-même et qui donnais un nouveau prix à Sara, par la violence de ma passion !... Je la peignis, cette fille que j’aurais dû connaître, comme je la voyais, et je la voyais encore en amant ; je la représentai comme une fille aimable, intéressante, pleine de candeur, vertueuse par principes, autant que par caractère ; mais souverainement malheureuse par là même. Alors la haine s’emparant de mon cœur, en songeant à la mère, je peignis celle-ci comme je la voyais aussi : qu’était-ce, en effet, qu’une appareilleuse infâme, qui vendait sa fille ? Je dis tout ce que je savais de l’homme du Palais-Royal ; de l’homme aux vingt mille francs ; je dis ce qu’elle m’avait proposé à moi-même en m’offrant sa fille ; je parlai de M. Dumont ; je fis entendre à mon rival ce qu’on attendait de lui. « Cette fille aimable et douce, » lui dis-je en suffoquant de douleur, « elle est à vendre ! — Elle est à vendre ! » s’écria-t-il. « Oui, à vendre ! La voulez-vous acheter ? — Non, non ! elle m’intéresse infiniment ; mais je n’achète pas ; je rougirais de solder l’objet de mon attachement. — Il faut donc y renoncer, » lui dis-je. « Non, elle m’intéresse trop, d’après ce que vous venez de m’en dire. — Ha Dieu ! » pensai-je, « devais-je donc la louer avec tant d’enthousiasme ! » En ce moment Sara, un tablier de jardinière devant elle, un petit panier à la main, s’approcha de nous, cueillant des roses. La voilà ! dis-je à Lamontette. « Oui, feignons de parler d’autre chose. » En même temps, il me répondit comme si nous eussions agité quelque question de physique. Lorsque Sara fut auprès de nous, nous nous empressâmes tous deux à la louer, à lui dire des choses agréables. Les sourires ne furent que pour mon rival, quoique mes expressions fussent beaucoup plus flatteuses que les siennes. Elle s’éloigna. Cependant, comme Lamontette me montrait de l’amitié, surtout les sentiments les plus honnêtes, il m’inspirait une certaine confiance : je lui dis que je me félicitais que ma jeune amie fût tombée en d’aussi bonnes mains. De son côté, il protesta qu’il n’avait pas d’amour ; qu’il n’entrait rien de relatif à cette passion, dans la liaison qu’il se proposait de former ; en un mot, il me parla comme un homme d’esprit, qui est sûr d’être aimé, parle à un homme faible, qui voit qu’il ne l’est plus et qui en est au désespoir. Il faut ici rendre justice à mon rival : sa conduite fut généreuse à mon égard, au moins par les apparences ; et, dans le commerce de la vie, on doit beaucoup à ceux qui veulent bien les observer ! Mon entretien avec Lamontette dura plus de trois heures : je ne pouvais me lasser de parler de Sara, que je voyais bien qui m’échappait ; en parler me semblait en jouir encore, et mon rival, de son côté, croyait ne pouvoir être trop instruit sur le compte de deux femmes avec lesquelles il avait commencé de se lier. Pendant ce long entretien, Mme Debée-Leeman était sur les épines ; sa conscience lui faisait deviner la matière de notre conversation, mais ce qui me surprit, c’est que Sara n’en était pas moins inquiète. Enfin nous nous rapprochâmes de la mère. L’entretien avec mon rival m’avait donné quelque consolation ; sans réfléchir s’il m’avait dit vrai, je compris qu’il était impossible qu’il formât avec Sara une liaison durable ; je connaissais trop bien les vues de la mère, quoique je ne susse pas encore que celles de la fille étaient les mêmes. Ce fut d’après cette idée, que je regardai comme certaine, que je voulus éviter à ma naïve amie le désagrément d’avoir eu inutilement un homme de plus. Je lui fis entendre en deux mots le résultat de mon entretien avec Lamontette. Cependant, lorsqu’il s’agit de s’en retourner, comme on me l’avait promis, et que Lamontette proposa de coucher à sa petite maison, Sara, déjà instruite par moi, opina secrètement pour rester ; je la voyais tirer sa mère par la robe, afin qu’elle ne fit pas attention aux raisons que j’alléguais. En effet, quelle indécence que deux femmes qui n’étaient qu’à demi-lieue de chez elles, restassent dans un vide-bouteille de garçon, où il n’y avait qu’une chambre à coucher ! Certainement la mère de Sara ne l’eût pas fait pour elle-même ; et si, au lieu d’avertir la fille, j’eusse dit à la mère qu’elle n’avait rien à prétendre, je l’aurais vue la plus empressée à s’en retourner ; mais je ne le fis pas ; je n’étais plus à moi, le cœur égarait la tête. Ainsi, à mon grand étonnement, la mère et la fille restèrent à coucher, n’ayant pour trois qu’un petit lit dont on se partageait les matelas. Mais il fallait que Sara, devenue folle de Lamontette, mortifiât de toutes manières l’homme qu’elle avait séduit par un faux attachement, une fausse candeur. Ce qu’il y eut de plus douloureux et de plus humiliant pour moi, c’est que mon rival s’aperçut combien je souffrais, et qu’il m’offrit sa pitié. D’un air de propriétaire, lorsqu’il vint avec les deux femmes me reconduire jusqu’aux Boulevards, il me présenta la main de Sara : « Allons, puisque vous vous quittez, vous devez avoir quelque chose à vous dire, allez ensemble. » Et il nous accoupla. Sara, froide comme une fille qui est avec un homme, tandis qu’elle en aime un autre, garda la morgue la plus insultante. Je tâchai de lui parler bonnement, rien ne l’intéressa. Je parlai de son amant et, ce fut alors, qu’avec la tournure la moins désobligeante, je lui répétai ce que je lui avais déjà fait entendre : « Votre mère n’a pas trouvé ce qu’elle cherchait, ma fille. — Comment cela. monsieur ? — C’est que M. de Lamontette vous respecte trop, d’après ce qu’il a vu de vous et ce que je lui ait dit, pour vous rabaisser au rang de fille entretenue. — Et que lui avez-vous dit ? — Mais je lui ai fait connaître votre mère d’après ce que vous m’avez confié... — Vous avez très mal fait ! — Pourquoi ? vous ne cherchez qu’un protecteur, plus puissant que moi, sans doute ; je vous ai épargné un rôle, toujours désagréable, en lui apprenant ce que vous n’auriez pu lui dire qu’avec désavantage. — Je vois que vous avez fait des imprudences ! En vérité, monsieur, je suis très fâchée que vous vous soyez mêlé de ce qui me regarde et, surtout de ce que vous avez dit tantôt devant moi, dans le jardin ! — J’ai cru le devoir pour vous prouver mon amitié. — Ce n’en est pas là une preuve... N’avez-vous dit que cela ? Il faut que je le sache. — J’ai parlé de l’aventure de M. Dumont. — Ha ciel !... hé ! l’avez-vous nommé ? — Non. J’ai parlé de M. de Vesgou (l’homme du Palais-Royal). — Voilà qui est bien, monsieur ! On peut dire qu’il est bien malheureux que vous soyez venu ici ! — De M. Legrainier et des vingt mille francs ! — À merveille !... Est-il possible ! — J’ai narré crûment les vues de votre mère à l’égard de cet homme, et ce qu’elle m’a dit à moi-même. — Ainsi voilà ma mère déshonorée dans son esprit ! — C’est votre avantage ! — Allez, monsieur, vous êtes... En vérité... Je suis bien malheureuse ! — Est-ce de m’avoir connu ? — Certainement... vous me faites un grand tort ! — Je ne vois pas cela ! — C’est que vos lumières ne sont pas fort étendues... Au reste je ne sais pas pourquoi nous allons ainsi ensemble ; c’est apparemment pour faire croire qu’il y a quelque chose entre vous et moi ! » En achevant ces mots, elle me quitta le bras, et alla entre sa mère et Lamontette. La surprise me ferma la bouche ; je dis aussitôt adieu. Lamontette pria Sara de m’embrasser ; la mère dit : « Pourquoi donc ? » et je revins seul. J’étais amant, j’étais jaloux, et je laissais la fille que j’aimais avec mon rival, un rival préféré, qui avait pour lui le lieu, ses manières, une inclination naissante ! Ceux qui ont aimé avec violence, ceux qui ont été jaloux avec fureur, se formeront une idée de mon supplice !... Arrivé chez moi, je sentis ce que la jalousie et l’amour outragé peuvent faire éprouver de plus violent. Je ne dormis pas, des songes effrayants troublaient quelques secondes de sommeil, et rouvraient avec effort mes paupières à peine appesanties. Le matin mon oppression fut si forte, que je crus en mourir ; je m’y résolus. Mes larmes coulèrent comme deux fontaines ; tout à mes yeux prit une teinte de douleur ; tout gémissait dans la nature, et se mettait à l’unisson de mon cœur. À tout moment, je descendais à la chambre de Sara ; je regardais, je touchais ses habits, je feuilletais ses chansons ; un mot pensé par elle que j’y trouvais, me paraissait un trésor... Cette cruelle journée s’écoula. Le lendemain, je ne pus résister à l’envie d’aller voir Sara chez mon rival. Je la trouvai plus froide pour moi, plus indifférente que jamais ; elle l’était jusqu’à l’impolitesse. J’en fus pénétré ! Déjà souffrant et malade, je ne pus retentir mes plaintes, je montrai toute douleur à mon rival et, me découvrant moi-même à la haine qu’il devait avoir pour moi, je lui donnai occasion d’un triomphe complet. Je sentis que je le rendais trop heureux en me plaignant comme je le faisais. Je lui montrai une des lettres de Sara. Lamontette fut surpris de la trouver si tendre, si décisive en ma faveur, et je jouis un instant du tourment qu’il me faisait souffrir ; il l’éprouva lui-même. Faible soulagement ! Lamontette sentit bientôt qu’il était ce que j’avais été, qu’il possédait le cœur dont la perte me mettait au désespoir !... Je le vis, et mes regrets s’en accrurent. Le papier que je venais de montrer donna la plus vive inquiétude à l’ingrate ; elle se douta que c’était une de ses lettres ; je le vis aux regards qu’elle lançait sur moi. Je n’ai de ma vie éprouvé un trouble aussi cruel ! j’étais en proie à la jalousie, à la fureur, à l’indignation. Toutes ces passions s’entrechoquaient dans mon cœur déchiré, mais Sara m’était encore trop chère, pour que ma haine refluât sur elle ! c’était sa mère que j’abhorrais. Dans un moment où je parlais d’elle à mon rival, je m’enflammai par les plaintes que j’en faisais et, dans la violence de mes mouvements, j’agitais ma canne, (j’ai su depuis, que Lamontette, qui voulait me détruire dans l’esprit de Sara et, auquel j’en donnais tous les moyens, dit à la fille d’abord, ensuite à la mère que je les avais menacées de coups de canne. Je ne le crois pas, quoique je fusse dans le délire.) Ce rapport que leur fit Lamontette était aussi imprudent que mes confidences, eu égard à ce qu’étaient ces deux femmes. Au lieu de les déchaîner contre moi, elles agirent comme leurs pareilles, elles me craignirent et Sara comprit du moins qu’il fallait changer avec plus d’adresse. Prêt à quitter Sara (que mon rival eut la bonté d’engager à me reconduire seule) et, me voyant observé, je la priai de m’accorder douze pas au dehors, pour lui dire un mot que personne ne put entendre, et elle eut la dureté de me refuser. J’avais tout prêt un effet de douze cents livres pour les douze pas qu’elle eut fait sans doute si elle avait su ma pensée. Je m’éloignai de l’ingrate, la mort dans le cœur. J’allai diner en ville, chez mon ami Guillebert, que je consultai sur ma situation, j’étouffais. Il me donna ses conseils. Le soir, je trouvai la mère de Sara, mais seule. Elle avait de l’inquiétude à mon sujet ; et sans doute elle était venue de concert avec sa fille, ou d’elle-même. Sa vue me blessa. Je lui parlai cependant avec modération. Elle me parut fort mécontente de Lamontette qu’elle me peignit comme un homme dangereux, j’ai su depuis qu’elle voulait m’épouvanter, et que ses discours étaient concertés avec mon rival et sa fille, la tendre Sara se faisait un jeu des frayeurs et de l’épouvante qu’elle croyait me donner ! Au lieu de paraître effrayé, je m’emportai avec fureur contre mon rival. Ainsi le moyen échoua, et je ne donnai pas à Sara, à l’indigne Sara le plaisir qu’elle attendait. Une chose inconcevable, c’est que je quittai la mère assez bien. Elle me pria de la venir voir le jeudi soir, sous prétexte de lui apporter une lettre pressée. Je donnai dans le piège, ne me doutant pas que mon rival fut du secret... En y allant, j’eus le spectacle terrible de l’incendie de Opéra, qui m’éclairait suffisamment, au milieu de la campagne et dans des chemins de traverse, pour me faire éviter des mares d’eau, car il avait plu ; j’en étais à une lieue et demie. Arrivé, je refusai le souper de mon rival... Comme il devait rire de me voir accourir crotté, mouillé, en sueur, pour apporter une fausse lettre, et voir un instant et, comme par grâce, une fille qui se moquait de moi !... J’avais été bien reçu des deux femmes ; Sara surtout, qui était charmée de ce que je ne restais pas, feignit d’en être fâchée ; elle me dit un adieu obligeant par la fenêtre. Pour mon rival, il ne pouvait me quitter ; je le faisais jouir d’un triomphe trop doux, pour qu’il ne cherchât pas à le prolonger. Mais une de ses demandes me blessa au vif : « Hé bien, comment va le cœur ? — Comme il le doit, lorsqu’il s’est attaché à une fille dure. — Dure ! — Dure pour moi ; sa conduite à mon égard ne convient pas. » (Je suis admirable ici ! je me plains à mon rival, de ce qu’on l’aime et qu’on ne m’aime plus ! il faut avouer que les passions extrêmes sont capables seules de pareilles disparates !) Aussi Lamontette s’emporta-t-il, feignit-il d’être en colère et compatissant tour a tour. Dans une autre position que la mienne, cela m’aurait amusé. Je partis enfin, au bout d’une heure de redites. Et Lamontette, en rentrant auprès des deux femmes fit le matamore : il dit de grands mots sur de très petites choses, fit des amphigouris sans fin sur ce que nous avions dit ; se déclara le champion, le Don Quichotte de Sara : « Si quelqu’un ose mal parler de ma fille » (c’était la fille à tout le monde ! un peu plus moi pourtant qu’aux autres, comme on le verra, puisque sa mère était la Lambertine de la dame Chéreau...) « après m’en avoir dit du bien, il aura affaire à moi !... Des gens... des hommes... des philosophes... Qui le croirait !... Mais si jamais... Nous nous verrons... Ho ! je le verrai... Y allât-il de ma vie !... » On me répéta ces propos le lendemain ; on eut soin d’y ajouter (et Sara me le confirma dans la suite) que Lamontette était la plus forte lame de la France ; elle croyait m’épouvanter... Comme si la fureur jalouse, quand elle a décidé de se battre, regardait à l’habileté ! Toutes les fois que j’ai réfléchi depuis à cette conduite de Sara, elle m’a indigné. Non, au prix de mon sang, de ma vie, je ne voudrais pas déshonorer l’autel où j’ai sacrifié : mais quel ménagement doit-on à la plus vile des créatures, à la plus infâme, à la plus basse ; qui s’est elle-même avilie ; qui, non contente de sa turpitude, y a joint l’hypocrisie des vertus ! Je m’en revins fort mécontent de moi-même, après cette conversation. Le lendemain, je fus très agité. Le soir, la mère de Sara eut affaire à la maison ; elle laissa sa fille seule avec Lamontette, avec un homme qu’elle ne connaissait que depuis quinze jours, et dont elle m’avait dit tant de mal ! J’ignorais son retour. Le samedi matin, encore ému de ce qui s’était passé l’avant-veille, j’allai voir Sara. Je la trouvai seule assise auprès de la fenêtre. (Lamontette a dit depuis qu’ils étaient épuisés de jouissances.) Elle me salua de cet air froid, auquel je commençais à m’accoutumer. « Ma mère est à Paris, me dit-elle. — À Paris ! Je l’ignorais ! » Je vis dans ses yeux qu’elle ne me croyait pas. Je l’assurai que je n’avais pas vu sa mère. Nous causâmes ; elle me fit quelques reproches sur ma conduite de l’avant-veille ; elle me parla des lettres que j’avais montrées, et nous convînmes que je dirais qu’elle les avait écrites pour se former le style. Elle frappa plusieurs fois à une cloison, pour avertir mon rival. Il vint comme un homme qui s’éveille ; et moi, j’eus la faiblesse de donner pour une vérité le mensonge conseillé par Sara. Ce n’est pas que je n’eusse suggéré moi-même ce motif autrefois ; mais c’était après la seconde lettre, et je ne crois pas que jamais il l’ait déterminée à m’écrire. Mon intention était cependant de faire servir les lettres qu’elle m’écrivait, à lui donner un style naturel. Souvent les règles y étaient blessées (sans doute parce qu’elle était étrangère), quoique le mérite du fonds s’y trouvât, et je corrigeais ces fautes, en lui relisant ses propres lettres. Sara douce alors, m’écoutait avec complaisance, et elle refaisait elle-même ses lettres, pour les rendre telles que je les ai rapportées. Durant cet entretien, il y eut une disparate singulière dans la conduite de Sara envers moi ! Sur la fin de notre conversation, et dans un instant où mon rival était occupé en bas, elle me dit ces propres mots : « Mon bon ami, j’ai joué ; je n’ai pas le sou. » Ce langage inattendu me pénétra de joie, et j’y satisfis comme je le pus. Enfin je la quittai. Sara était seule à l’instant où je partis, et ce fut elle qui eut la dureté de m’y faire songer ! En arrivant, je trouvai la mère, avec laquelle je m’entretins une partie de la journée : j’étais bien aise de lui parler, pour voir si elle me dirait encore qu’elle avait laissé sa fille seule ; mais elle m’avoua que mon rival était avec elle. Je l’avais vu (non sans le plus grand étonnement !), cependant cet aveu ne m’en surprit pas moins, surtout lorsqu’il fut accompagné d’un autre : qu’à la première fois qu’elle s’était absentée, il était retourné coucher à sa maison de campagne. Ce fut alors que si j’avais été moins sensible, moins aveugle, moins subjugué par l’esprit et par le cœur, j’aurais dû mépriser et fuir une... Mais je m’en gardai bien ! je savais qu’il y allait de ma vie, et si je rompais alors avec elle. Je me contentai de chercher à détruire mon rival, et d’employer contre lui les mêmes moyens qu’il mettait en usage, contre moi. J’en étais instruit par la mère de Sara ; cette femme, par une finesse de son état, sentit qu’il fallait qu’elle nous brouillât assez, de Lamontette et moi, pour nous empêcher de nous revoir. Dans cette vue, elle me le peignit sous les plus noires couleurs ; elle m’assura qu’elle le détestait : qu’elle ne comprenait rien à son existence ; que sûrement il avait une manière d’être qui annonçait un homme dangereux. Elle me rapportait tous les discours qu’il tenait ; elle y ajoutait ; elle les brodait. J’ai même tout lieu de croire que ma tendre fille, mon rival, et la mère s’entendaient, et que leur but était de m’inspirer une crainte conforme à leurs vues. Quoi qu’il en soit, voici ce que me répéta Mme Debée-Leeman : « Monsieur Nicolas a été bien malheureux ! mais en ce moment ! Ah ! Il l’est plus que jamais... Plus que jamais ! » répétait-il en regardant Sara, et en souriant d’un air de compassion à mon égard. Quelques instants après, il disait : « J’aime bien la bonne amie de M. Nicolas ! Ha ! qu’il est agréable d’avoir la bonne amie de M. Nicolas ! » Ces propos m’étaient revenus dans l’esprit le soir de notre altercation. Je lui avais dit, que j’avais fait une épreuve par ma conduite avec Sara, dont elle ne s’était pas tirée à son honneur : qu’elle avait l’âme dure, et que j’étais revenu de mes sentiments pour elle. Mon homme avait pris feu à ce discours : il s’était écrié que j’allais la haïr (comme s’il avait dû en être bien fâché) ! J’avais entrepris de m’expliquer : mais il n’avait pas voulu m’entendre, il avait parlé en même temps que moi, et c’avait été l’offénsé qui avait querellé l’offenseur. La mère, après m’avoir rapporté ces propos, ajouta qu’il avait été furieux pendant le souper. Que signifiait cette comédie ? et en quoi la dureté dont je m’étais plaint, de la part de Sara, intéressait-elle l’homme qu’elle me préférait ? Pourquoi en paraissait-il furieux ? Hélas ! il croyait en imposer par là plus aisément à une jeune imprudente, qui se livrait sans connaitre !... La révoltante image qui s’offre à ma pensée, ne ferait qu’augmenter mon indignation... Mais Lamontette était lui-même joué par ces deux femmes, qu’il croyait subjuguées... Tout était concerté entre la mère et la fille. Avec Lamontette, on convenait de m’effrayer par son crédit, par l’idée qu’on prétendait me faire prendre de certaines commissions secrètes, dont on le supposait chargé par le Gouvernement : avec moi, la mère exprimait les craintes qu’elle avait de lui, afin de m’en inspirer. La fille jouait un autre rôle : quand je l’interrogeais, elle ne me parlait qu’en bien de mon rival ; elle me disait confidemment, qu’il n’était rien de ce que sa mère m’avait dit : que c’était elle seule qu’on voulait effrayer. Elle ajoutait ensuite (et voici la finesse de cette fille naïve), qu’à la vérité M. de Lamontette avait un crédit très grand, mais qu’il était trop honnête pour s’en servir contre moi. « Nous agissons de concert pour effrayer ma mère, ajoutait-elle ; nous convenons en son absence de ce que nous dirons devant elle : ce sont des choses vraies, si vous voulez, mais qu’on pourrait se dispenser de dire : d’ailleurs, pour l’intriguer davantage, il lâche des mots sans suite ; il affecte d’avoir des dépêches secrètes très pressées. Quand son ami (le même qui avait diné avec nous) vient le voir, ils parlent ensemble à demi bas, et par leurs expressions, ils lui causent des frayeurs qui m’amusent. » Tel était le langage de la délicate Sara ; l’imprudente osait tenir ces propos à l’homme qu’elle trompait !... Son assurance, dans ces occasions, commença de me prouver combien elle devait être exercée dans l’art des courtisanes, et je m’en voulus moins de m’être laissé tromper... Ho ! si du moins je l’avais entièrement connue alors ! La mère ne s’amusait pas moins à mes dépens que la fille. Après m’avoir rapporté tout ce qu’elle croyait avoir entendu, ou tout ce qui se disait dans leur tripot, elle jouissait de mon indignation, de mes fureurs, de mon emportement. À son retour auprès de Lamontette et de sa digne fille, elle ne manquait pas de rapporter tout ce qu’elle m’avait ouï ou fait dire de mon rival ; elle m’attribuait en outre ce qui était sorti de sa propre bouche ; elle irritait de Lamontette ; elle l’obligeait à se répandre en menaces, qui m’étaient exactement rendues, auxquelles je répondais, et dont elle était la colporteuse plus que fidèle. La mère et la fille égayaient ensuite leur méchanceté de tout ce trigaudage ; c’était le seul plaisir de leur goût, et ce temps fut sans doute le plus heureux de leur vie. Et j’avais cru Sara un ange !... Après toutes ces découvertes, que pense-t-on que je fis ? Je sentis qu’il m’était impossible de vivre sans une illusion, dont Sara resterait la maitresse. Au lieu de concevoir pour elle l’indifférence qu’elle méritait de ma part, je passai la journée où elle devait revenir de chez mon rival, à former des projets, pour me mettre à sa discrétion. Plus de cette fermeté mâle qui fait l’homme : elle m’avait abandonné... J’attendis son arrivée avec impatience : ce ne fut qu’à neuf heures et demie... Pourquoi cette faiblesse ? On le présume par un mot que j’ai dit. Tous les glaçons du Nord parurent sur le visage de l’ingrate, et je lui fis l’honneur de croire qu’elle me haïssait. Encore animé contre de Lamontette, je ne le ménageai pas devant la mère ; je croyais le connaître, d’après ce que cette femme m’en avait dit : je le peignis sous des couleurs capables d’effrayer des femmes, que l’obliquité de leurs vues n’eût pas rassurées, si je n’avais tenu d’elles tout ce que je savais. (Comme elles durent en rire !) Cependant Sara paraissait furieuse. Elle ne me parla qu’en me lançant de ses yeux la foudre et les éclairs. Mais j’étais trop ému pour y faire une attention suivie ; j’en sentis seulement son injustice davantage : car je m’enflammai peu à peu, indigné de voir celle qui m’avait promis son attachement et sa confiance, se rire de mes peines, les braver, les irriter, en prenant ouvertement le parti de mon rival. Je sortis des bornes : Sara, qui m’avait toujours vu tendre, qui ne savait pas sans doute combien l’indignation jette loin d’elle-même une âme honnête et franche, Sara ne s’attendait pas à ces terribles reproches !... Elle était assise vers la croisée, à côté d’une table à thé ; sa mère était de l’autre ; j’étais debout devant elles. Je gardai un moment le silence ; mon âme se concentrait, pour s’échapper avec plus de furie : « Voilà donc, m’écriai-je d’une voix altérée, cette fille qui devait m’être attachée jusqu’au tombeau ! dont j’étais le conseil, le guide, le père, l’appui ! la voilà ! trois jours l’ont changée ! En trois jours un inconnu lui a tourné la tête ! Elle en est folle ; elle l’adore, et elle ne croit lui bien montrer sa ridicule passion, qu’en marquant à son ancien ami la plus noire ingratitude !... La voilà, cette fille dont la physionomie annonçait la candeur... Fille fausse qui n’a jamais dit un mot de vérité, je te connais enfin, mais pour te vouer le plus parfait mépris !... » Elle voulut parler. Je m’élançai vers elle ; je levai la main... Les filles de l’ordre de Sara ne connaissent pas la dignité de leur sexe ; cette physionomie naturellement si noble, devint basse ; Sara fit un geste de frayeur, et poussa un petit cri : « Ne me frappez pas !... » Sa mère gardait le silence ; mais elle s’élança pour se mettre entre sa fille et moi. Je m’arrêtai, et jetant sur cette Sara, naguère adorée, le regard de l’indignation : « Je m’abaisserais, repris-je, à te traiter comme tu le mérites. Reste dans le mépris auquel je t’ai vouée ! » Sara était immobile et pâle : point de ces élans de l’innocence, qui repousse l’outrage ; elle demeura muette. Je sentis alors à quel point elle était vile : j’en fus pénétré ; mes larmes coulèrent. « Vous ai-je été chercher ? dis-je avec plus de douceur. Hélas ! j’étais tranquille, dans un état de mort, il est vrai, depuis mes derniers malheurs ; mais j’étais tranquille. Vous venez me trouver ; vous m’offrez une amie charmante, et surtout sensible ! Je vous crois ; mon âme avide d’aimer se livre à vous avec confiance ; elle s’attache ; elle est heureuse... oui, vous m’avez rendu le plus heureux des hommes !... mais était-ce donc par raffinement de cruauté ?... Ho ! je le crois, puisque vous déchirez avec violence les liens qui attachaient mon âme à la vôtre !... Il faut donc cesser... de vous... voir ; de vous... aimer... J’en mourrai sans doute !... Malheureux que je suis ! tout se tourne contre moi, jusqu’aux douceurs les plus efficaces de la vie ! L’amour, l’amitié, la nature ont empoisonné la mienne ! Être infortuné, jeté dans le monde pour aimer, j’ai toujours mis mon bonheur à l’être, et je n’ai trouvé que des ingrats !... Vous avez raison. Sara ; oui, mademoiselle, vous avez raison. Vous auriez été une exception pour moi ; je ne la mérite pas ; je dois être malheureux, et vous devez y contribuer... Adieu ! » Je me retirai. La mère me retint, et faisant le bon soldat, elle donna tort à sa fille. Mon cœur était si faible pour cette dernière, que je sentis que je l’adorais, en éprouvant le plus profond mépris. Je m’émerveillai de ce sentiment inexprimable ; s’il est possible de sentir de la surprise dans le désespoir ! Mme Debée-Leeman parla mal de mon rival dit que j’étais préférable, traita d’indécente la conduite de sa fille avec lui en ma présence : enfin cette femme si emportée, qui faisait trembler tout le monde, douce avec moi, ne cherchait qu’à me calmer. Elle n’y réussit pas ; j’étais blessé au cœur. J’avais compté sur le retour de Sara pour adoucir ma douleur ; mais j’eus une plus mauvaise nuit que si elle n’était pas revenue. Sur le matin, à l’heure où j’étais sûr que Sara serait chez elle, je désirai d’avoir un entretien. Je frappai légèrement sur le plancher, sans espérance qu’elle daignât me répondre. Ce fut avec une surprise mêlée de quelque joie, que j’entendis les neufs coups vivement frappés, qui étaient pour me parler : je descendis. « Un moment d’entretien, lui dis-je, mademoiselle, le permettez-vous ? » Elle me fit signe d’entrer. Nous nous assîmes. Fût-ce des reproches que je lui fis ? non, je lui exposai mes vues à son égard : elles étaient fondées sur l’attachement le plus sincère, et sur le désir le plus ardent de lui être utile. Elle en fut frappée : même en se rendant aux raisons que je lui exposais, son âme restait froide, quoique son esprit parût convaincu. Nous demeurâmes d’accord sur la conduite à tenir ensemble, sans qu’elle eût changé une seule de ses dispositions à l’égard de mon rival : je le vis ; non, je ne fus pas aveugle au point de ne pas le voir, et j’eus la faiblesse de ne pouvoir prendre assez de ressentiment pour me dégager ; je vis Sara s’avilir jusqu’à souffrir les sentiments d’un homme qu’elle n’aimait plus ; à les souffrir, tandis qu’elle en aimait un autre, et je n’eus pas le courage, je n’eus pas la délicatesse de briser ma chaîne ! Je m’amusai, en véritable enfant, à lutter contre mon rival par les petits moyens. Insensé ! Ton plus grand ennemi, c’était Sara ! C’était elle qu’il fallait arracher de ton cœur pusillanime !... Je réalisai, dès le même jour, mes arrangements avec cette dangereuse créature. Je dînai ensuite avec elle et sa mère ; je m’attendris à table, en me rappelant quelques-uns de mes anciens malheurs, que les nouveaux me rendaient mille fois plus sensibles, et je vis des larmes couler des yeux de celle qui causait ma peine la plus cruelle !... J’essayai de profiter de son attendrissement pour voir s’il était possible de regagner son cœur ! Mais je découvris dans son air ce froid de l’indifférence, qui annonce que le cœur ne sent plus rien. Un sentiment nouveau m’affecta en ce moment : « Elle est indifférente, pensais-je ; mais quand elle était si vivement empressée, quand le ravissement était peint dans ses regards, elle m’aimait donc !... J’ai été aimé, je l’ai été à quarante-cinq ans !... Hé ! que ne dois-je pas à celle qui m’a tiré du nombre des morts, où j’étais, pour me rappeler à la vie, à la jeunesse, à l’amour, à la jouissance !... » Cette réflexion remplit mon cœur d’une tendresse inexprimable pour Sara ; j’y sentis un élan de générosité ; je fus prêt à lui dire : « Hé bien ! s’il le faut pour ton bonheur, aime Lamontette, sois-en aimée ; mais conserve-moi ton amitié... » Oui, je fus prêt à tenir ce langage. Mais je me rappelai en ce moment combien j’étais peu capable de souffrir le partage du cœur de Sara. Cependant, lorsque je la quittai, je me trouvai plus tranquille que je ne l’eusse été depuis ce que j’appelais mon malheur ; je me sentis la tête plus libre, et je fus capable de travailler. À l’heure du souper, elle me frappa comme dans mes heureux jours. J’accourus avec un sentiment de joie que je ne connaissais plus depuis son infidélité. « Chère amie, lui dis-je en entrant, quelle vertu ont donc cette baguette et ce bruit que je viens d’entendre ? Ce n’était qu’un son ; mais je voyais ta belle main qui faisait agir la baguette ; ce son, insignifiant par lui-même, était l’expression de ta volonté. Ha ! Sara, vous êtes pour moi l’âme et le charme de la nature ! » Elle sourit, d’une manière charmante ; mais un soupir suivit ce sourire. Je me jetai sur sa main. « Tu es avec ton père, ton ami. — Malgré ce que vous m’avez dit !... Non, non, je suis fausse. — J’ai trop d’intérêt à te croire vraie, pour m’y refuser ! Ma chère Sara ! dis-moi, non que tu m’aimes... (ici deux larmes s’échappèrent de mes yeux, et Sara pleura), mais que tu m’as aimé ! Je borne là toutes mes prétentions aujourd’hui. — Je l’ai cru, me répondit-elle. » Nous nous mîmes à table ; mon pied chercha, comme autrefois, à se poser sous le sien ; elle s’y prêta... Que je l’aimais en ce moment !... Je voyais l’instant où elle allait me rendre son cœur : « Peut-être, pensai-je, est-elle mécontente de mon rival ! Peut-être s’est-il montré sous un jour qui lui déplait ! Quel bonheur, si elle me rendait sa confiance !... » Je me mis à ses genoux après souper (triste rôle pour un père ! ridicule pour un homme de mon âge) ! Ce fut alors qu’elle m’avoua qu’elle avait été furieuse contre moi la nuit précédente. « Je ne saurais exprimer quelle a été mon agitation, ajouta-t-elle ; un père, un ami, m’avoir traitée de la sorte ! Quand j’aurais tort, n’ai-je donc aucun droit à l’indulgence ? » Elle pleura. Je tâchai de la calmer, en démentant toutes les vérités que je lui avais dites. (Hélas ! ma bouche ne pouvait plus être d’accord avec mon cœur, depuis que je n’estimais plus, quoique j’aimasse encore !) Je ne sais comment cela se fit ; mais il me vint alors une idée, d’obtenir de Sara la plus grande faveur, celle à laquelle je n’étais pas encore parvenu. Je voyais qu’elle m’échappait ; je voulus la retenir par une sorte de considération extérieure ; peut-être voulais-je voir si elle ferait une infidélité de cette espèce à mon rival. Elle refusa, mais faiblement. Je la pressai, je la tourmentai, j’employai toutes les instances, tous les moyens... Enfin, je n’espérais plus, lorsque je m’avisai de lui dire que si elle m’accordait cette faveur, ce serait une assurance de notre union future. Elle parut hésiter, et soit un reste d’attachement, ou de honte de me refuser, ou bien un effet de sa facilité naturelle, j’eus la surprise de la voir consentir, après son changement, à ce qu’elle n’avait pas fait dans le temps de notre plus grande intimité. Elle monta chez moi... J’aimais encore, sage lecteur ; j’étais dans l’égarement, dans la jalousie, dans la douleur de l’infidélité, de l’abandon ; pardonnez-moi une coupable conduite, que je n’expose à vos yeux que pour m’en humilier et vous être utile !... Le crime porte sa peine avec lui ; cette faveur, si ardemment désirée, tourna contre moi... Que je me trouvai d’abord heureux ! J’oubliai toutes mes peines... Sara était dans mes bras... Au milieu de la nuit, dans un instant de sommeil interrompu, je lui pressai la main. Elle s’éveille à demi ; sa bouche de rose presse la mienne... Transporté d’amour, à cette faveur inattendue, je m’écrie : Mon adorable Sara ! ma fille ! mon amie ! » Le son de ma voix me fit reconnaître. Elle soupira ; elle me repoussa... Dieu ! quel horrible sentiment j’éprouvai, à cette pensée désespérante : « Elle m’a pris pour mon rival ! » je me levai ; je m’habillai ; mon cœur déchiré poussait au dehors des sanglots et des larmes. Sara n’en fut point émue. Je vis, avec un sentiment d’étonnement et d’horreur, quelle s’était méprisablement donnée ; ce qui m’avait paru la plus grande faveur, devint à mes yeux, en ce moment, le type de sa honte... Je la laissai s’habiller. Ensuite, venant auprès d’elle, je lui dis avec une sorte de fermeté : « Je vous aime encore ; mais je vous jure qu’à dater de cet instant, jamais je ne vous demanderai de faveurs : je croirais vous trop avilir, en vous obligeant à vous partager. Vous êtes à Lamontette, je le vois : vous m’en avez donné une preuve irrécusable ; je ne veux rien avoir de commun avec lui... Ha ! Sara !... — Je ne sais ce que vous voulez dire... Au reste, vous ferez bien de ne plus me tourmenter ; je m’y refuserais... Je suis charmée que vous m’aidiez à être vertueuse... » J’étais outré, mais plus contre moi que contre Sara. Je l’aimais encore, je l’adorais sans l’estimer !... Je n’ai pas violé ma résolution ; mais la vue de Sara était encore le plus grand de mes plaisirs ; j’en jouis avec une sorte d’avidité les trois jours suivants, surtout le dernier, qu’elle fut charmante. L’espérance d’être bientôt avec mon rival était la cause de sa gaité ; je le vis, j’eus la certitude que je devais jusqu’à ses caresses, à son inconstance. Elle reprit, non son ancienne confiance, mais son ancienne familiarité ; mon faible cœur, averti par ma raison, était quelquefois tenté de la repousser ; il n’en eut pas le courage... Ce fut l’un de ces trois jours que je lui parlai de son Histoire, que j’avais trouvée dans sa bibliothèque. Au premier mot que j’en dis, je m’aperçus d’un certain trouble de mécontentement que je fis disparaître en louant quelques détails, particulièrement le récit du malheur de sa sœur aînée, et la peinture touchante des regrets qu’elle eut en voyant son cadavre. « Ces deux endroits, lui dis-je, sont pleins de force et d’énergie ; ils annoncent du talent. » Je parvins ainsi à dissiper son mécontentement. Mais je compris qu’il ne fallait pas lui avouer que j’avais copié cette histoire, toute déguisée qu’elle m’avait paru. Elle m’annonça son voyage du lendemain chez mon rival, en me priant de ne point m’en affecter. Elle me jura qu’elle l’estimait, qu’il n’avait pas d’amour pour elle, qu’elle n’en avait point pour lui, et que leur liaison était une connaissance ordinaire. Je ne la crus pas ; le baiser de la nuit lui revenait à tout moment, je le trouvais une preuve complète, et il l’était. Je commençai, dans ce temps-là même, à éprouver des sentiments contradictoires ; je ne pouvais vivre sans voir Sara, que la raison me disait de quitter ; je sentais qu’il le fallait. En sortant d’avec elle, j’en formais la résolution, mais semblable à ceux qui promettent de pratiquer la sobriété en quittant une bonne table, et qui violent leur propos dès que l’appétit est revenu, je ne pouvais passer une demi-journée sans désirer de voir l’enchanteresse. Mes conversations avec Sara que je n’estimais plus, avaient perdu leur charme ; avide du plaisir ravissant qu’elle m’avait autrefois procuré, je croyais encore la retrouver quand je venais auprès d’elle ; mais, trompé dans mon attente, à peine la voyais-je que j’étais rassasié, ennuyé de son entretien et, dans ces moments, ma raison fortifiée se faisait entendre par-dessus l’amour. « Je ne la verrai plus... pensais-je, il le faut, je le ferai. » Une demi-journée s’était à peine écoulée, que le besoin du sentiment délicieux dont j’avais pris l’habitude se faisait sentir encore. Je regardai autour de moi ; si j’avais trouvé une jeune personne aimable, aussi jolie que Sara, plus honnête, je me jetais dans ses bras, mais tout me manquait, jusqu’à cette Manon de chez mon graveur dont j’ai dit un mot : elle me reçut mal ; jusqu’aux maîtresses de Sara dont je vais parler dans un instant. Après que ma pensée s’était promenée sur mes connaissances, que j’avais inutilement cherché, elle se repliait ; Sara s’offrait à mon imagination, charmante, naïve, je la désirais avec transport. « Rien ne l’égale !... » m’écriais-je... Je la revoyais et ne la trouvais plus !... J’étais au désespoir. Voilà comme mon cœur était agité, dans un temps où j’avais la plus violente passion pour une fille qui en aimait un autre !... Un jeune homme a mille moyens de consolation ; je n’en avais aucun ; le jeune homme peut changer, il peut trouver une femme qui l’aime et le dédommage : un quarante-cinquenaire ne trouve que des mépris... C’est pour vous seuls que j’écris, ô mes pareils en âge et en passions vives ! C’est brûlé du désir de vous être utile par ma fatale expérience que je vous fais ces récits, que je vous dévoile ma faiblesse, ma honte, ma turpitude, due j’en meure de confusion, mais que je vous aie instruits !... Sara, tout occupée de Lamontette, ne s’embarrassait guère de mes peines, qu’elle voyait et qui ne lui donnaient que du dégoût. Elle partit le matin du mercredi pour aller chez mon rival et revenir le lendemain soir. Je fus assez tranquille le premier jour ; le second, je m’efforçai de l’être : « Hé quoi ! me disai-je, n’est-ce pas un avantage que son absence ? Sa présence n’est-elle pas un esclavage ? Quel supplice pour un homme de quarante-cinq ans que le rôle du complaisant d’une volage ! Il est clair que, dans le fond de son cœur, elle croit encore me faire trop de grâce que de souffrir mes soins, mon dévouement. Ne faut-il pas être feu, à mon âge, avec ma barbe déjà grise, pour aimer une enfant et faire dépendre mon repos, ma félicité d’une tête qui ne sait pas encore réfléchir, qui n’a d’autre règle que son caprice ? Insensé ! Vois donc ta folie ! Désire que Sara te laisse encore tranquille demain, après-demain, toute ta vie !... » Beaux raisonnements qui ne produisaient rien ! À neuf heures et demie, le bruit de tous les carrosses me remuait les entrailles ; je volais à la croisée et je m’en revenais triste, lorsque la voiture passée, m’avait ôté l’espoir que c’était celle qui ramenait Sara. Enfin elle arriva, et, plus tendre, plus faible que jamais, mon cœur vola au-devant de celle qui me donnait la mort ! Je tremblai au-dedans de moi-même, car je prévoyais que Sara allait être sérieuse et triste, comme lorsqu’on a quitté ce qu’on aime. « Quel rôle je vais faire auprès d’elle ! Celui d’un barbon dédaigné qu’une jeune fille enchaine et tourmente ! Ha ! je n’ai pas trouvé ce que je désirais ! une amie tendre, sensible autant qu’honnête, qui aurait fait la douceur du reste de mes jours ! C’était ce que Sara m’avait offert ; elle m’avait montré l’âme sensible, exempte de coquetterie qu’il fallait à mon âge ; j’ai entrevu le séjour du bonheur, mais je n’y suis pas entré !... Infortuné ! le sort me précipite comme un autre Œdipe, dans les malheurs que voit ma raison et qu’elle ne saurait lui faitre éviter !... » Je faisais ces réflexions en attendant que mon rival s’en retournât : elles étaient si fortes, que je m’oubliai quelque temps après son départ sans pouvoir descendre. Enfin j’allai saluer Sara et sa mère. Je trouvai la fille telle que je m’y étais attendu ; pour la mère, elle paraissait me voir avec plaisir. Dans un entretien particulier que nous eûmes ensemble elle affecta de me parler avec franchise ; je dis qu’elle affecta ; c’est que Sara m’a depuis assuré que sa prétendue franchise n’avait d’autre but que de me pénétrer et de voir jusqu’où ses intérêts demandaient qu’elle me favorisât. Mais je reviens à ce qu’elle me dit. Elle me répéta tous les discours de mon rival, elle me parla ensuite de sa fille, mais je ne sais quel était son but, puisque ce qu’elle m’en apprit ne pouvait que m’en détacher. Elle m’assura qu’elle lui avait dit, à l’occasion du nom de Fifille, que lui donnait mon rival, qu’il ne fallait avoir qu’un père, et qu’elle n’avait qu’à voir lequel elle préférait. « Je les garderai tous deux, avait répondu la peu délicate Sara. — Cela est impossible. — En ce cas, je quitterai l’autre, moi... » Ce mot me fut bien sensible ! « Quoi ! » répondis-je, « elle me sacrifie à une connaissance de quinze jours ? — Vous le voyez ! Et je vous gage que si je lui présente demain une connaissance nouvelle, vous la verrez quitter aussi facilement celui qu’elle vous préfère aujourd’hui. (Cela est arrivé.) Quel caractère ! » pensai-je... Je me défiai de la mère ; je me crus bien fin de voir qu’elle ne parlait de la sorte que pour me montrer qu’on ne pouvait être l’ami de sa fille que sous sa protection. Une foule d’idées se présentèrent alors : « Qu’a donc prétendu Sara, en me la faisant détester ? Quelle trame ourdissait-elle ? Parlait-elle d’après son cœur ?... » Ce mystère se dévoilera quelque jour... Mais j’étais près alors d’avoir des preuves de la vérité de tout ce que Mme Debée-Leeman venait de me dire. La froideur de Sara continua jusqu’au lendemain soir, qu’elle reprit son ancien ton avec moi. Nous étions amis le samedi, nous le fûmes le dimanche et le lundi, à quelques petites inégalités près. Le soir, mon rival vint rendre sa visite et savoir quel jour on irait à la campagne. La mère s’en défendit ; Sara qui le désirait ardemment, s’efforçait de la faire changer de résolution ; mais la mère, qui voyait le but de l’homme qu’elle n’avait recherché que par intérêt, qui pénétrait au fond de son âme par ses moindres discours, et qui sentait qu’il n’était, d’aucune manière, ce qu’il fallait à elle et à sa fille, tint ferme dans son refus, au moins pour ce jour-là. Le mardi, Sara fut gaie jusqu’au soir, que la demande de son amant fut encore refusée. Elle ne put y tenir ; l’humeur la plus marquée s’empara d’elle ; furieuse ou pleurante ou d’une aigreur insupportable, elle fit tout ce qu’il fallait pour me guérir. Quelle triste comparaison avec ce qu’elle me disait six semaines auparavant lorsqu’elle sortait pour la promenade et que j’allais la joindre ! « Venez ! Sauvez-moi quelques instants d’ennuis ! » Et lorsque j’arrivais auprès d’elle : « Que je suis charmée de vous voir ! Tout mon chagrin se dissipe, à votre arrivée je n’en ai plus ; mon papa, mon soutien, mon guide, mon appui le chasse et l’empêche d’oser se montrer !... Que j’ai de plaisir auprès de vous ! » ajoutait-elle quelquefois ! « Quel bonheur m’a procuré notre liaison !... » Ha ! quelle âme engourdie et féroce n’aurait pas été touchée de ces sentiments honnêtes et délicats ? Et comment, un cœur aussi sensible que le mien ne se fût-il pas livré tout entier ? « Le bonheur m’attendait sur mon retour, me disais-je souvent, et c’est par l’amour, dont je n’avais plus rien à espérer, c’est l’amour dont j’ai tant eu à me plaindre, qui va me le procurer enfin ! C’est que jamais je n’ai connu de femme qui valût ma charmante amie. » Hélas ! je suis bien détrompé !... Le mercredi matin, Sara se montra plus chagrine que jamais ; son âme était navrée de douleur, son cœur gonflé d’indignation contre sa mère et contre moi. Elle aurait voulu que j’aidasse moi-même à déterminer Mme Debée à se rendre chez mon rival, à l’accueillir (ou plutôt c’était ce qu’elles voulaient toutes deux pour me conserver). À quel rôle indigne les femmes veulent nous réduire, lorsqu’une fois nous leur avons laissé voir l’empire qu’elles ont sur nous ! Dans l’après-dinée, Sara me pressa d’employer mon crédit et mes amis, pour lui faire avoir de l’ouvrage. « Je veux travailler, me disait-elle, je vivrai contente au sein de la médiocrité, de la misère même ; cherchez-moi de l’ouvrage. » Ces sentiments étaient nobles, je ne pouvais que les encourager ; aussi ne différai-je pas d’un instant ; je sortis, je m’empressai, je vantai les talents de Sara, je m’honorai d’avoir cette commission de sa part. On accueillit ma demande ; toutes les femmes à qui je m’adressai s’intéressèrent pour ma pupille (c’est ainsi que je la nommais). Je revins annoncer ces nouvelles à Sara ; elle en parut comblée ; mais le soir même, j’appris que le lendemain elle devait aller chez mon rival. Je conçus que lui seul était la cause de son ennui, de ses résolutions généreuses, de la joie qu’elle avait montrée à mon retour. (Je vois clairement aujourd’hui, en imprimant, que tout était feint, tout était joué !) Sara, ou du moins sa mère, était riche ; elle jouait également la pauvreté, le goût du travail, la vertu, pour exciter ma générosité. Dans cette journée, il m’était venu par la poste une lettre de Delarbre, de ce jeune homme, amant de Sara, à qui j’avais écrit le congé. Il faut détailler ce trait de mon histoire. Durant le second voyage de Sara chez mon rival, indigné contre elle, souffrant le plus affreux des tourments, celui de la jalousie et de l’indignation, cherchant à me dégager, j’allai voir les demoiselles Amey, les anciennes maîtresses de Sara, dont l’aînée m’avait écrit ce billet, quelques jours auparavant : « Monsieur, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien, si cela ne vous dérange pas trop, prendre la peine de passer chez moi ; j’ai quelque chose à vous communiquer. J’espère que vous voudrez bien me faire ce plaisir, ainsi que de me croire, avec toute la considération possible, monsieur, « Votre très humble servante, « Amey. » J’avoue que mon motif, en me rendant enfin à cette invitation, était de me plaindre de Sara, mais avec prudence, de voir ce qu’on répondrait, et de saisir avidement tout ce qui pourrait contribuer à ma guérison. Je fus bien reçu. Je me plaignais en général du peu de fond à faire sur l’attachement des amis et des amies. Je nommai ensuite Sara, mais en commençant un autre discours. Les deux filles se regardèrent... elles ne dirent que du bien de leur ancienne élève. Pour la mère elles ne la ménagèrent pas. J’écoutai ceci d’un air d’indifférence ; j’en savais assez au sujet de Mme Debée-Leeman ; c’était de la fille que je voulais entendre des choses qui achevassent, ou plutôt qui commençassent de me guérir... Infortuné, qui ne savais pas encore à mon âge, que la guérison par le mépris, quand on a véritablement aimé, est la plus cruelle de toutes !... On ne me dit rien ; peut-être plus éclairées que je ne le pensais alors, ces filles redoutaient-elles ma pusillanime tendresse ! Elles ne me dirent rien !... Désolé de l’inutilité de ma démarche, je me rappelai Delarbre ; je résolus de lui écrire, pour tirer adroitement de lui s’il avait eu quelque sujet de mécontentement... Qu’on ait toujours en vue que je ne voulais que me guérir !... Ma lettre fut efficace ; il me lit une réponse que je reçus le 20 juin, ou plutôt ce fut Sara. Elle reconnut l’écriture et se proposa de ne pas me rendre la lettre qu’elle apporta cependant elle-même chez moi. Sa mère la suivait sans doute par curiosité, la crainte l’obligea de me dire, en l’entendant monter : « J’ai une lettre pour vous, parlez-en, je vous instruirai après. » La mère de Sara ne m’en ayant rien dit, je gardai le silence, et dès qu’elle fut partie, on me montra la lettre, en me disant qu’on voulait la lire avant moi. Je m’y opposai, malgré ma faiblesse ; cependant, je convins que si c’était de mon rival ou d’une autre personne que je nommai, je consentirais, après la signature vue, que Sara la lut avant moi. Je vis la signature ; c’était celle de Delarbre. Malgré les instances de Sara, malgré ses efforts, je m’en emparai ; elle tenait la moitié de la lettre, je tenais l’autre ; il était trop important pour moi quelle ne vit pas que j’avais écrit, pour la lui laisser lire ; un effort adroit m’en mit en possession. Sara se retira sur-le-champ furieuse. M’apercevant, au souligné, que la réponse n’était qu’un commentaire gauche de ma lettre et, que ce jeune homme était encore amoureux, je pris un parti ; ce fut de courir après Sara, de lui lire les quatre dernières lignes qui lui étaient avantageuses et de déchirer la lettre en mille morceaux pour la tranquilliser. Je fis tout cela si adroitement, que je sauvai trois lettres incluses que le jeune homme m’envoyait, et qui n’étaient pas moins tendres que celles que Sara m’avait adressées, dans le temps de mon intimité. Les voici : Premier Billet de Sara à Delarbre (au crayon.) « Si le nom de Debée t’est si cher, je veux le donner mille fois pour celui de Delarbre ; mais unissons Delarbre et Debée pour toute la vie. Non, mon cher Delarbre, je ne violerai jamais le serment que je te fais en ce moment, d’attendre le dernier soupir en t’aimant : je te suis attachée ; rien ne pourra me séparer de toi. Notre sort est à jamais uni ; à jamais le même ; il ne fera qu’un de nous deux. J’en répète le serment ; je suis à Delarbre pour toute ma vie. & Sara Debée. » Second Billet de la même au même « Ha ! qu’un cœur est à plaindre, lorsqu’il aime sincèrement et qu’il est éloigné de l’objet de sa tendresse ! Que je te plains, Delarbre, si tu as souffert la centième partie de ce que j’éprouve, depuis ton absence ! Mais, hélas ! ce ne sont encore là que des roses ! Tu partiras un jour ; je serai des semaines, des mois, sans te voir : que deviendrai-je, puisqu’un jour, un seul jour fait couler mes larmes ? Mais souviens-toi, Delarbre, une fois pour toutes, que s’il faut nous séparer, le cœur de ta Debée, de ta femme, partira avec toi... Ha ! je maudis l’amour mille fois par jour ! Pourquoi faut-il que j’aie aimé, pour être séparée si promptement et pour si longtemps, du seul homme qui ait encore touché mon cœur ! Oui, je répéterai sans cesse ce mot, que tu as tant chanté sur ta guitare : Qu’on est heureux Quand on est deux ! » Troisème Billet de la même au même « J’ai appris hier, mon bon ami, une fort mauvaise nouvelle ! On m’a parlé d’un nouveau parti. Mais tu peux être persuadé, que quand ce serait un Mylord, je te préférerais toujours. Ainsi compte sur l’amitié que j’ai pour toi. J’oublie tous mes malheurs, dès que je songe et que je parviens à me persuader que nos deux cœurs sont faits l’un pour l’autre. « Au bonheur de te voir. » « P.—S. J’ai passé tout le reste de ma journée à gémir, et à soupirer d’être éloignée de toi ! Je ne sais absolument comment je pourrais faire, s’il fallait que nous fussions séparés pour toujours, puisqu’il est vrai qu’une heure sans te voir me paraît être deux siècles et demi. Ha ! que je sens bien actuellement ce que tu me disais, il y a quelques semaines, qu’un jour passé loin de ce qu’on aime est une éternité !... Je crois qu’il en est de même de toi, mon bon ami ; oui, s’il était possible d’ouvrir mon cœur, on y respirerait la joie que j’éprouve, d’avoir trouvé un amant digne de l’amour que j’ai pour lui. Mais en même temps, hélas ! on y verrait le chagrin et le désespoir, que je ne suis pas maîtresse de réprimer, quand il est éloigné de moi. La seule chose, mon bon ami, que j’aie à désirer, c’est que ton amour dure aussi longtemps que le mien est grand, constant, fidèle : mon bonheur serait parfait. « Ta bonne amie, « S. Debée. » Combien donc dura-t-il, cet amour, si constant, si fidèle ?... Quinze jours au plus, après le départ de cet amant chéri. Il fut quinze jours, sans qu’on reçut de ses lettres, de plus de cent lieues : et avant le quinzième, on était piqué ; il était haï. Il ne pouvait le croire : car, après plusieurs lettres à la mère de Sara, il se fit appuyer par son père ; il écrivit lui-même à sa constante et fidèle amante la lettre que j’ai rapportée, et qui fut si mal reçue... Quelle était la raison de la conduite de Mme Debée ? (car pour celle de sa fille, elle n’était occasionnée que par son inconstance naturelle). Les motifs de la mère étaient qu’elle ne voulait pas marier sa fille, dont un mari serait le maitre, qu’elle n’en eût tiré le profit des soins et des dépenses qu’elle avait faites pour elle depuis son enfance. Ces trois lettres si naturelles, où l’on voit tant de vérité, me prouvèrent que Sara ne tenait guère aux engagements les plus forts, et cette réflexion me confirma dans la dangereuse erreur que j’avais été aimé. Avec quelle rapidité elle oublia ce pauvre Delarbre ! Comme l’oubli fut entier, absolu ! Quelle indifférence ! Mille fois je m’en suis fait donner des preuves, qui furent toujours complètes ; mais je n’avais pas encore lu les trois tendres billets : j’aurais été indigné. On se rappelle que, dans les commencements de notre connaissance, j’avais été chargé par sa mère de remercier Delarbre, et que j’avais eu la délicatesse de ne rien écrire, que je n’eusse consulté la jeune personne, croyant, d’après les discours de la mère, que Sara était encore attachée : « Ha ! vous pouvez écrire, m’avait-elle répondu ; je ne l’ai jamais aimé. Moi, aimer un jeune homme ! » (En effet, cela aurait été contre nature.) « Je n’aime que des hommes mûris par l’âge, devenus sûrs par l’expérience... » Et je le crus, pauvre insensé ! je le crus ! À quoi nous servent donc l’âge et la raison ! Enfin je le vois aujourd’hui, mais trop tard, Sara, était la finesse même, plus fine que sa mère, qui l’est beaucoup ! Lorsque je la croyais naïve, sincère, elle n’était que rusée. Toutes deux voyant un homme isolé, elles jetèrent un dévolu sur sa dépouille ; la fille ne fut pas farouche ; elle employa les agaceries les plus efficaces ; elle abusa de la modestie que le ciel a mise sur son visage : plus dangereuse mille fois que sa mère, elle cachait le vice sous la physionomie noble et imposante de la vertu... Tremble, ingrate ! je puis te perdre d’un mot ! Tremble que je ne tire le voile, et que je ne montre aux yeux de mon rival la hideuse, l’horrible vérité !... Tu as menti l’amour, je m’en doutais : depuis que tu le préfères, tu... lui as été infidèle !... O perfide ! et je ne te hais pas encore !... Mais je ne t’estime plus ; mon amour n’a plus de base ; il va s’anéantir... (Et j’étais encore ici un insensé ! Je devais aimer Sara !...) Je reviens à Delarbre. L’impression qu’il avait faite sur la perfide était profonde ; on l’a vu par ses lettres. Mais, outre qu’elle lui avait tout accordé, je trouvai des preuves de sa passion au bas de quelques chansons, où l’infidèle, encore sensible pour ce jeune homme, exprimait ses regrets : « Séparation cruelle, le... Juin 1779. » Ailleurs : « Il n’est plus ici, ce cher amant ! » Mille fois je l’avais entendue chanter, attendrie, sur sa guitare, la romance : O ma tendre Musette ! qu’elle tenait de cet amant qu’elle n’avait jamais aimé !... Tourmenté par la douleur qu’elle me causait ; j’ai cherché à me guérir, à m’éclairer : j’ai eu des lumières... cruelles ! Quelle jeunesse ! L’inconséquence, l’étourderie, la corruption... Dieu tout-puissant ! mon amie, ma tendre et vertueuse amie d’il y a un mois, serait-elle un monstre ? Non, je ne veux pas achever de m’éclairer... Mère barbare, ne me décrie plus ta fille ! Monstres qui m’environnez, ne me montrez plus la fatale et triste lumière qui jaillit de l’infernale envie de mal faire qui vous possède ! Monstres, ne m’éclairez pas ! Laissez-moi ! Que j’ignore les horreurs que vous voulez me faire entrevoir !... Ah ! Sara ! O ma fille ! Pourquoi m’as-tu forcé de chercher à me guérir ! Où en suis-je ? À la lettre, je crois. J’étais descendu porter chez Sara les morceaux de la lettre déchirée ; je lui répétai les dernières lignes que j’avais lues : le peu de temps que j’avais mis à la suivre, lui prouva que je n’en avais pas vu davantage. Je lui fis aussi reconnaitre les morceaux : ce qui la tranquillisa. Mais j’observai deux choses : son extrême frayeur que je ne lusse cette lettre, qui ne m’eût rien appris que je ne susse, et le mystère réel, non feint, qu’elle en faisait à sa mère. Quant à sa crainte que je ne gardasse la lettre, j’ai pensé, depuis, qu’elle présumait que je l’aurais montrée à mon rival, et que, s’il n’y avait eu que moi, elle aurait peu redouté les aveux du bon Delarbre ! À l’égard du mystère fait à sa mère, il parait que cette dernière ignorait les faveurs accordées par sa fille à un jeune homme : cela ne rentre pas dans le plan de ces sortes de femmes. Le lendemain jeudi, on partit dans la matinée, pour aller chez Lamontette. Il n’en était pas prévenu ; loin de là, comme on va le voir. La mère de Sara lui avait fait écrire par sa fille une lettre fort sèche : celle-ci, bien sûre que sa mère ne savait pas lire, aurait pu tourner la lettre à sa guise ; mais elle eut ses raisons, apparemment, pour l’écrire, telle qu’on la lui dictait. (Que de ressorts les intrigantes savent faire jouer ! ô femmes ! Vous êtes nos maîtresses en fourberie ! Qui peut lutter contre vous ?) Sara voulait sans doute exciter, plus adroitement qu’avec moi, la haine de Lamontette contre sa mère, ou elle voulait s’en faire désirer davantage ; ou elle cherchait à faire la fille innocente et timide, contrainte ; ou enfin rien de tout cela : elle voulait peut-être le punir de quelque manque de considération : car j’ai su depuis qu’il s’en permettait quelquefois. Il dut être fort surpris de les voir ! Il assure aujourd’hui qu’il n’a jamais aimé Sara ; cependant il reçut les deux femmes avec transport... Pauvres finauds, que les hommes ! quand on les a quittés, ils disent qu’ils n’aimaient pas : mais leurs fureurs, leur haine, leur jalousie, prouvent, en dépit d’eux, combien ils étaient attachés ! En arrivant, Sara lui dit : « C’est à monsieur Nicolas que je dois le bonheur de vous voir : il a engagé ma mère à partir. — Il est vrai, appuya celle-ci. — Bon, bon, Fifille ! Ha ! C’est un bon enfant, que ce pauvre monsieur Nicolas ! » Sara ne mentait point ici ; j’avais paru charmé du voyage ; j’avais même rassuré sur le temps incertain. La mère, enchantée de ma résignation apparente, m’avait dit, tandis que sa fille s’habillait : « Je viens de faire la leçon à Mademoiselle. Point de particulier ; je l’ai défendu : on ne sortira qu’avec moi ; on sera toujours sous mes yeux ; si je reste, on restera ; ou je parlerai comme il convient. Je ne veux plus de ce que j’ai vu durant mes autres voyages ; des manières niaises : des Pépé, des Fifille. Que signifie tout cela ? La dernière fois, on faisait le chocolat en haut, à côté de Monsieur : j’ai tout fait descendre dans la pièce où j’étais, et je l’ai fait faire devant moi. Je ne couche pas. Je reviens ce soir ; attendez-nous. — Sûr, madame ? — Très sûr ; je la ramène ce soir. — C’est mon avis au moins. » Ces dispositions de la rusée matoise avaient adouci ma douleur, et je l’avais pressée moi-même de profiter d’un instant de beau temps. Après le départ de la mère et de la fille, je me mis à écrire la suite de ce récit, que j’ai fidèlement tracé jour par jour ; ce que j’y ai depuis ajouté se réduit aux causes des événements, alors ignorées pour la plupart. Cette occupation dangereuse, il faut en avertir, puisqu’elle tenait mon esprit toujours occupé du même objet, paraissait m’amuser et me distraire ; mais je le répète, elle est dangereuse. J’avais encore une autre manie : je me sentais depuis quelques années un goût décidé pour me promener sur l’Île Saint-Louis ; avant même de connaître Sara, j’y gravais sur la pierre les dates des principaux événements de ma vie. L’année suivante, au même jour, je les revoyais ; alors, transporté d’une sorte d’ivresse d’exister encore, je les baisais, et je les retraçais de nouveau, ajoutant bis ou ter. Quand je connus Sara, mes dates devinrent journalières ; j’allais soupirer sur mon île chérie, j’y écrivais chaque événement en abrégé, la situation gaie ou douloureuse de mon âme lorsque je fus malheureux. C’est ainsi que, sans le savoir, je prolongeais mon attachement pour Sara, en entretenant ma sensibilité. Que tout cela serve aux autres ; car pour moi, je ne me nourris plus que de douleur !... Tandis que j’écrivais ce récit, l’on me remit une lettre à l’adresse de Madame Debée-Leeman, rue de Bièvre, où nous demeurions tous ensemble. Je la reçus, bien tenté de rendre à la mère de Sara ce qu’elle m’avait fait tant de fois, à l’aide de son Florimond ; elle lui faisait décacheter toutes les lettres pour moi, et il les lui lisait, avant que de me les remettre. C’était de Sara que j’avais appris ce trait. Ce n’était alors qu’une indomptable curiosité ; car nous n’étions pas encore liés. (On voit que Sara n’avait pas ménagé sa mère !) Je résistai ; mais je vis cette lettre comme je vais dire. Mon infidèle et Mme Debée revinrent le soir, suivant la promesse de la dernière. Sara parut de l’humeur la plus aigre, sans doute parce qu’elle avait été forcée de revenir le jour même. Je ne la saluai qu’en passant, de cet air affligé, presque niais, qui éloigne encore davantage de l’amant qu’on a quitté : la comparaison qui se fait naturellement alors de sa triste timidité, de son air larmoyant, à la gaîté, à l’enjouement, aux vives saillies d’un rival heureux, le fait paraitre aussi ridicule que haïssable. Je descendis vers la mère avec empressement : on s’attache où l’on peut, quand on se noie... et je lui remis la lettre. Elle me pria de la lire : je le désirais ; elle était, en effet, de mon rival, et pour Sara : 21 juin 1791. « Si Pépé avait attendu d’autres personnes à la campagne que Fifille et madame sa mère, il n’aurait pas pu se persuader que le billet qu’il vient de recevoir fût de ces dames. Après avoir flatté un galant homme de lui faire l’honneur de venir chez lui, lui écrire de cette manière, ha ! Fifille, cela n’est pas bien ! Sûrement, madame votre mère vous gronderait d’avoir écrit si lestement. Mais Pépé est plus fâché ne pas voir ces dames, qu’il n’est offensé du style, auquel cependant il n’est point accoutumé dans la société. Il n’en est pas moins le partisan de ces dames, et ses sentiments sont si honnêtes et si purs, qu’ils n’offenseront jamais personne. Fifille est, et sera toujours chère à son papa, à moins qu’elle ne devienne différente de ce qu’elle est, c’est-à-dire l’ennemie de son papa qui la chérit et la respecte autant qu’elle mérite de l’être. Il se flatte que ces dames le dédommageront de la privation qu’elles lui font éprouver demain. Cette espérance seule peut le consoler de l’indifférence du billet qu’il reçoit. « Il assure ces dames de son respect et de son dévouement. » (Sans signature.) La mère de Sara parut blessée de l’anonyme de cette lettre. Elle s’emporta contre de Lamontette, qu’elle traita d’incivil ; et le lendemain, en présence de sa fille, elle alla plus loin encore : mais j’ai lieu de croire que cette colère était feinte. Je me donnai alors un tort impardonnable ; je m’emportai une seconde fois contre Sara, devant sa mère, et je lui reprochai durement tout ce qu’elle avait fait pour m’attacher. Elle garda le silence ; elle n’avait pas encore l’effronterie des filles de sa sorte, et mon cœur fut touché de sa patience, toute forcée qu’elle était. Mon emportement avait été fort loin ! Je remontai, résolu de ne la plus voir. À midi, je trouvai cette lettre : « Monsieur, si, comme vous l’avez dit, vous êtes à même de me déshonorer, je vous le permets. Cependant, je ne sais à quoi cela nous conduirait l’un et l’autre : à vous décrier vous-même ; et moi, à croire que réellement vous me voulez du mal. Votre conduite, en ce cas, me surprendrait autant que les discours que vous avez tenus ce matin. Vous avez dit que j’étais fausse, que je n’avais que de fausses vertus ; que j’avais menti à votre égard l’estime et l’attachement, pour vous tromper ensuite de la manière la plus cruelle, en m’attachant au bout de trois jours à un nouveau venu. Vous m’avez fait ces reproches avec l’emportement de la fureur. Ha ! cela m’a surprise, et devait bien me surprendre, de la part d’un homme qui m’a tant de fois juré de m’aimer pour moi-même : « Je voudrais connaître, m’avez-vous dit cent fois, un homme qui vous rendît plus heureuse que moi ; j’irais vous le chercher ! » Voilà votre langage ; aujourd’hui, c’est la jalousie et l’emportement. Allez, monsieur, malgré que vous ayez dit que je suis fausse, je ne l’ai L’île Saint-Louis sous le règne de Louis XVI, d’après une aquarelle anglaise. (Musée Carnavalet.) pas encore été au point de dire du mal de vous ; je n’ai dit que du bien, et ne parlerai jamais autrement. Si le mépris s’empare de votre cœur (comme vous l’avez dit), et y tient la place de l’estime que vous m’avez tant de fois jurée, ce n’est pas que je sois changée, c’est que j’ai ouvert les yeux sur un autre mérite, et que j’ai rendu justice à un autre, comme je vous l’avais rendue. Je pense du bien de vous, et j’en dirai toujours, j’ai l’honneur d’être, « Monsieur, « Sara Debée. » Cette lettre fut cause que j’allai chez l’infidèle, qui croyait sans doute s’être justifiée. Nous eûmes une explication violente, qui ne fit que me confirmer dans la certitude qu’il n’y avait plus rien pour moi dans son cœur. Mais telle fut ma faiblesse, que j’offris une sorte de réconciliation, qui fut acceptée comme par grâce. Sara prit sur elle de me tromper encore. Florimond était absent : quelques jours avant la connaissance de mon rival, il avait eu affaire dans sa patrie, et il y terminait ses affaires. Ainsi les deux femmes avaient toujours été seules chez Lamontette. Florimond, cet ancien ami de la mère, qu’elle avait ruiné, qu’elle avait ensuite, comme une autre Circé, avili, dégradé à la condition de domestique, Florimond revint enfin. Je le revis avec plaisir, quoique Sara, qui lui rend justice dans son Histoire, m’en eût toujours parlé mal de bouche. Je le sondai. Il ne me parut point disposé en faveur de Lamontette (bientôt il sera la cause d’une réconciliation). Il blâma sans ménagement la conduite de Mme Debée, qui avait elle-même mené sa fille chez un garçon, qui l’y avait laissée seule, etc. ; il lui fit envisager les conséquences que pouvait avoir cette conduite. Il effraya cette femme ; pour la fille, elle était ineffrayable. Le lendemain de son arrivée, nous allâmes tous quatre à Saint-Denis, où Florimond avait laissé ses malles. Je fis volontiers cette partie pour être en voiture à côté de Sara, qui prenait toujours le devant. Elle fut très enjouée avant le départ, et je fus si content d’elle, que je lui fis présent d’un bijou en brillants, qui augmenta sa gaîté. Nous étions près de partir quand il passa devant nous la jolie personne qui fait un si beau rôle dans la Philosophie des Maris (Mlle Victoire Londeau) ; elle fut la Muse qui inspira l’auteur. Je soupirai, en pensant : « Fille aussi belle que Sara, mais plus honnête ! Ha ! Si je vous avais connue au lieu d’elle !... » Cette idée répandit un nuage sur ma physionomie. Sara s’en aperçut, et me dit bonnement : « Qu’as-tu, l’ami ? » Ce mot, le son d’une voix agréable et chérie me rendit à la Sirène. Nous partîmes. En route, je tenais la main de Sara. Elle me l’abandonnait... elle me l’abandonnait, mais elle ne me la donnait pas... Cependant je me faisais illusion : je riais avec elle, je causais ; je faisais des remarques sur les villages répandus dans la plaine, à qui je donnais le nom des principales villes de nos provinces. Sara paraissait contente. À notre arrivée, je la vis empressée à faire charger les malles. Bon, sans défiance, je n’y entendais pas finesse ; mais il était de l’intérêt de Mme Debée d’empoisonner tous mes plaisirs. Je fis servir un rafraîchissement ; Sara prit un air couvert. Cela me surprit ! elle aime la pâtisserie. Rien n’était bon ; elle rebutait tout ; elle demandait à... partir. « Vous ne voyez pas », me dit tout bas la mère, qu’elle attend de Lamontette ce soir ? Mais il ne tiendra qu’à vous qu’elle ne le voie pas : amusons-nous ; nous allons voir le trésor et les environs de Saint-Denis. — Non, madame, répondis-je, mon âme est trop généreuse pour jouir de sa peine. Partons, allons-nous-en, et qu’elle le voie. » Mme Debée me regarda d’un air de persiflage et de compassion : « Pauvre homme ! vous conduiriez une jeune fille, vous, ha ! Elles vous mèneront par le bec, et se moqueront de vous. Combien de Lamontette ne s’est-il pas amusé sur votre compte, lorsqu’en arrivant chez lui, nous lui disions que vous nous aviez pressées de partir ! Il en faisait des gorges chaudes !... Vous ne connaissez pas notre sexe ! (Elle avait raison, lecteur, cette femme méprisable ; ce n’est point une bête, elle a de l’esprit, et elle m’a souvent étonné !) Il faut le mener, quand on ne veut pas qu’il mène. Je vous parle vrai ; vous m’intéressez : au fond je vois que vous êtes un excellent cœur, je vous adorerais, moi, à la place de ma fille ; mais ça n’a pas encore le caractère formé. Le présent d’aujourd’hui, si mal reconnu, m’indigne contre elle, et me fait vous plaindre ; vous méritiez mieux que ma fille. — Elle n’en a que la moitié, madame ; j’ai juré de ne donner l’autre, qui est la plus précieuse, qu’à la femme dont je serai sûr. — Pauvre homme ! ce ne sera pas une jeune fille. Une femme de mon âge, encore belle, sensée, raisonnable, voilà ce qu’il vous faudrait. — J’adore Sara... malgré moi : elle m’a offert un bonheur auquel je ne pensais plus ; elle me l’a fait goûter... — Ho ! Elle est incapable de se contraindre ! Si elle vous a dit qu’elle vous aimait, elle vous aimait. » Cet entretien se tenait à la vue de Sara, qui ne pouvait nous entendre ; il parut l’inquiéter. Je ramenai, sa mère du coté des voitures. « Partons, » lui dis-je. — Oui, partons ; mais c’est une générosité perdue... Monsieur Nicolas ! que n’avez-vous affaire à moi ! Je vous répondrais de votre bonheur. — J’adore Sara. — Soyez donc malheureux ; une jeune fille ne sut jamais apprécier un cœur tel que le vôtre. » Au retour, je tâchai de paraître gai. Mon rival vint effectivement ; il n’eut pas même le désagrément d’attendre, tant j’avais raccourci la promenade. La mère, surtout Sara, l’accueillirent... Le surlendemain, Sara me dit qu’elle irait avec sa mère et Florimond déjeuner aux Tuileries, et de là au Temple, pour affaire ; elle me quitta le matin du départ avec un air d’amitié, en me disant qu’elle serait de retour de bonne heure. Je fus tranquille. On ne rentra qu’à minuit. Je me doutai d’un mensonge, d’accord avec la mère, car, le matin, j’avais vu prendre la route de la maison de campagne de mon rival : mais j’en eus la certitude le soir, par l’heure à laquelle on arriva. « Que les gens riches sont heureux ! » me dit l’infidèle ; « ils restent à la campagne tant qu’ils veulent, au lieu que les autres sont obliges de la quitter à l’instant où ils commencent à s’y amuser ! » Je devinai, par ce discours, tout ce que la maladroite voulait me cacher. Aussi me comporterai-je en conséquence le lendemain dimanche. On sait que Sara était dans l’usage de me frapper, pour me dire bonjour ou bonsoir, ou pour m’avertir, lorsqu’elle avait quelque chose à me communiquer. Il m’était quelquefois arrivé de ne pas lui répondre, par des raisons bonnes sans doute, qui m’avaient porté à chercher à rompre ; et je me rappelle qu’un soir, avant la connaissance de Lamontette, un propos trop libre de la part de Sara m’ayant révolté, j’avais résolu faiblement de me retirer : le lendemain matin, je ne répondis pas à son bonnjour. Elle m’aimait alors ; elle feignit de s’occuper sur l’escalier, jusqu’à ce que je parusse ; et alors, de l’air le plus tendre et le plus enchanteur, elle me fit moins de reproches qu’elle ne me témoigna son inquiétude pour ma santé. Je ne pus tenir à cette marque de tendresse ; je me rengageai plus fortement que jamais. Le dimanche matin où j’en suis, Sara frappa. Je ne répondis pas d’abord ; elle ne se rebuta pas. Je sentis qu’il ne fallait pas avoir l’air de bouder en enfant ; je frappai à mon tour, faiblement, à chaque fois que Sara m’honora de son attention, mais sans jamais descendre. Je ne la vis qu’à l’instant du diner. Je la saluai en riant, et je passai sans m’arrêter. Le soir, nous soupâmes ensemble, suivant notre usage, même dans nos plus grands refroidissements, et elle me reprocha ma conduite avec un ton d’aigreur, auquel je ne répondis que par des douceurs et des excuses. Mais l’orage se formait insensiblement. Plus Sara me marquait de froideur, plus je devenais jaloux et furieux contre mon rival. Cependant le lendemain lundi, nous nous parlâmes avec amitié. J’avais déjà observé que toutes les fois que Sara devait voir de Lamontette, elle était plus enjouée avec moi. Le soir, arriva cet homme que je haïssais avec tant de violence... hélas ! Pourquoi ? Parce qu’il était aimé de mon infidèle, et qu’il en profitait !... N’aurais-je pas dû plutôt le plaindre ? Un jour viendra où, s’il n’est pas plus sage que moi, il gémira sûrement à son tour d’une infidélité qui, peut-être, le mettra au désespoir... Je devins furieux, en l’entendant entrer ; le son de sa voix me fit faire un bond, et la rage de la jalousie s’empara de mon âme. Je montais ; je descendais ; je fermais les portes avec fracas ; je jurais ; je menaçais ; j’étais hors de moi enfin. Florimond se rencontra devant moi. Jusqu’à ce moment, j’avais été discret avec lui : je ne pus me contenir davantage ; je lui parlai ; je me plaignis ; je m’emportai contre mon rival ; contre la mère de Sara, contre Sara surtout ! je les traitai toutes les deux sans ménagements, et dans ma rage, j’allai jusqu’à menacer mon rival. Florimond m’écouta paisiblement. Un instant après, je le suppliai de me faire une quittance pour deux termes de mon logement, un qui finissait, l’autre qui n’était pas commencé : il les fit, sans savoir mon intention. Lorsque je les eus, je montai chez la mère de Sara ; j’y trouvai mon rival auprès de notre commune maitresse ; je le saluai fièrement ; je payai ; je me promenai derrière tout le monde dans l’appartement, observant la perfide Sara, troublée, silencieuse ; et je ne sortis que lorsque je sentis que la patience allait m’échapper. Je redescendis auprès du bon Florimond avec qui je parlai jusqu’au départ de mon rival. Je sortis ensuite moi-même, j’allai prendre une résolution. Elle fut de paraître tranquille. Je revins avec le plan formé d’annoncer, en riant, que je quittais la maison. Malheureusement, quand j’entrai, Florimond racontait tout ce que je venais de lui dire. Mme Debée prit un air fâché ; elle me reprocha durement ma conduite. Je voulus me justifier ; on me répondit. L’indignation s’empara de moi ; j’éclatai contre Sara par les reproches les plus vifs, l’emportement le plus furieux ; il fut porté au point qu’elle se retira toute tremblante ; la perfide, accablée par le poids de la vérité, ne put soutenir ma présence. Mon emportement continua, lorsqu’elle se fut retirée : je découvris à sa mère tout ce qui s’était passé entre nous, à l’exception d’un seul point, qu’aucun honnête homme ne déclare jamais, quoique nos petits-maitres commencent par là. On descendit dans la salle à manger. J’y suivis la mère de la perfide avec promesse de ne plus m’emporter. Je le promettais avec le dessein de le tenir ; mais je n’en fus pas le maître, en y retrouvant Sara, et je m’abandonnai aux plus grands excès d’emportement dans cette reprise : « Odieuse et perfide créature, qui me préfères Othello ! tu mériterais... » Et je levai la main... On dirait que les femmes comme Mme Debée aiment les scènes de cette espèce. En me voyant furieux contre sa fille, en entendant mes reproches, mes menaces, elle en paraissait glorieuse ! « Voyez comme la beauté de ma fille égare un sage !... » On lisait cela dans son air et dans ses yeux. Au plus fort de ma fureur, un mot m’arrêta, et me fit changer de langage. Ce fut la mère qui le prononça : « Il l’a demandée en mariage. » À ce mot sacré, plus puissant sur mon cœur honnête que les invocations magiques de Médée, je demeurai muet d’abord ; une foule de pensées s’offrit à mon esprit. J’adorais encore Sara : l’idée d’un avantage pour elle l’emporta sur ma passion. « Que ne me disait-on cela ! m’écriai-je ; ceci change tout ! — C’est la vérité, dit Sara, il m’a offert le mariage. — J’ai pensé, mademoiselle (je lui avais auparavant donné les noms les plus odieux), que cet homme voulait non seulement vous tromper, mais vous avilir : sa proposition de mariage, fût-elle une finesse, donne au moins une excuse à vos imprudences. Si pourtant elle était vraie, j’en serais charmé : un pareil établissement serait honorable pour vous. Mais il ne faut pas que cela languisse ! Qu’il vienne ; je n’ai plus le droit de m’y opposer. J’aurais été votre père : un mari est plus que tout cela. Je ne saurais être le vôtre ; mon rival est libre ; il doit être préféré ; c’est moi-même qui me prononce mon arrêt. » Après une scène aussi violente, on croit que Sara était furieuse contre moi ? Elle avait eu peine à me pardonner la première, qui avait été modérée, en comparaison ; elle oublia celle-ci presque sur-le-champ. Je la remis chez elle ; je lui souhaitai le bonsoir, et elle répondit à mon salut d’une manière obligeante. C’est qu’il est des femmes sans mœurs auxquelles cette conduite convient. Deux querelles encore de la même force, peut-être parvenais-je à m’en faire adorer !... Mais d’après la proposition de mariage, il était nécessaire que je suivisse un autre plan. Ce fut à une séparation absolue que je pensai. Or ma passion n’était pas mûre encore, et sans doute j’eusse agi comme du temps de Butel-Dumont. Cependant je faisais déménager sous différents prétextes ; je profitai de deux visites qu’on rendit à mon rival, pour ôter les gros meubles. J’aspirais à m’éloigner de Sara, comme au bonheur suprême : je la souhaitais chez Lamontette, et moi dans la nouvelle demeure d’Agnès Lebègue. J’agissais comme si j’eusse ignoré que le chagrin nous suit, et qu’on ne le laisse pas dans un logement quitté. Le samedi 14 juillet, on sortit encore ; et je le désirais comme un enfant. Je me hâtai d’achever de tout enlever... Je revins souper le soir avec Sara. Je lui parlai de mes sentiments en homme désintéressé ; je l’assurai que je conserverais à jamais pour elle l’intérêt, l’attachement (je n’osai dire l’estime) que je lui avais voués. En véritable enfant, je feignis de remonter chez moi ; et je sortis, pour aller coucher à mon nouveau logement. Mais cela m’amusait, et m’empêchait de sentir la douleur de l’opération que je faisais sur moi-même. Le lendemain, je vins voir Sara (que de faiblesses, bon Dieu) ; je lui tins les plus tendres discours : « Ma chère Sara ! lui dis-je, vous connaîtrez un jour ce que je valais. Ma conduite envers vous, ma fille, absent ou présent, sera celle d’un véritable ami. Je vous forcerai à m’aimer, par les procédés que je veux avoir à votre égard ; je ferai en sorte qu’ils vous étonneront, et vous ramèneront enfin à moi. » Et je pensais ce que je disais : Sara n’en croyait rien. Moi, qui parlais vrai, je mentais ; et Sara, qui, à tort, ne me croyait pas, avait pourtant raison... La vérité de l’ivresse est presque toujours mensonge. En cessant de parler, « Je m’élançai vers elle, je levai la main » (p.222) (Dessin de Binet.) je lui laissai mon présent ordinaire pour sa pension, et à côté de sa guitare, sans qu’elle s’en aperçut, les clefs de mon appartement. Ce fut ainsi que je la quittai. J’allai aussitôt me promener sur l’Île Saint-Louis, comme pour y respirer la liberté : j’en éprouvai le sentiment, et j’écrivis sur la pierre, Ia libertatis 15 Jul. Mais c’était trop tôt chanter victoire ! Que de faiblesses encore ! Je restai deux jours sans passer devant sa porte. Le troisième, je la vis à la fenêtre ; elle me sourit. Je la saluai. Le même jour, elle partit pour aller avec sa mère à la maison de campagne de mon rival. Je l’ignorai jusqu’au dimanche ; mais j’en avais des doutes, ne voyant plus Sara, quoique je passasse dix fois le jour dans sa rue ; j’ai d’ailleurs un tact particulier pour deviner les vérités désagréables. Mais j’avais renoncé à Sara ; je lui avais moi-même conseillé un séjour à la campagne, conseil le plus agréable que je pusse lui donner sans doute. Cependant le dimanche matin, je voulus m’assurer de la vérité de mes soupçons. J’allai voir la mère. La fourbe m’assura que sa fille était malade de surprise et de chagrin de mon départ ; qu’elle-même et Florimond avaient été deux jours sans pouvoir manger. Je m’excusai sur l’embarras mutuel de nos adieux. J’ajoutai que je profitais de l’absence de Mademoiselle, pour rendre cette visite. Ce mot resta sans réponse, on voulait me cacher le séjour. On me parla de la maladie, comme si Sara eût été à la maison. Enfin, je dis nettement que je la croyais chez mon rival... Silence ; mais on ne put tergiverser longtemps, et l’aveu le plus complet suivit. On m’assura qu’elle était sur le point de rompre lorsque je m’étais éloigné ; que bientôt Sara serait lasse de son malotru, etc. (c’est le mot de la mère). Elle me cita ensuite différents traits d’ingratitude de sa fille. J’en savais autant qu’elle là-dessus. Elle la traita de monstre cinq ou six fois. Elle m’assura qu’elle avait tous les papiers nécessaires pour la faire renfermer, quand elle voudrait, pour des choses infâmes dites contre elle ; que son mari lui en avait donné plein pouvoir, d’après les calomnies de cette fille dénaturée, et sa conduite avec l’avocat Blondel. (Sara qui m’en avait parlé, n’en dit rien dans son écrit : la mère aurait-elle raison ?) En sortant, je conseillai à Mme Debée de hâter la crise, en laissant sa fille chez mon rival : l’assurant que je reviendrais à elle, quand ils seraient absolument indifférents l’un à l’autre... Et la brute crut que ce langage de la rage était celui de la sincérité. Après l’avoir quittée, je cherchai de la dissipation ; je repris mon ancien usage, d’aller voir les belles, et je ne me trouvai pas insensible à ce genre de plaisir. Mais dans l’après-dînée, mon pauvre cœur tomba dans un plus grand affaissement que jamais. Je remarquai, mais trop tard, qu’il y a cette différence entre un jeune homme et un presque cinquantenaire, que la dissipation distrait le premier, et que souvent elle ne fait qu’aggraver les peines du second. Je pleurai, malgré moi, en me promenant, en voyant des amants unis, qui se tenaient sous le bras, qui se souriaient ! ... Il me vint en ce moment une belle réflexion ! Ce n’était plus Sara que j’aimais ce jour-là ; je la voyais avec mille défauts ; c’était le bonheur dont elle m’avait fait jouir ; sa personne, j’ose le dire, m’était indifférente : l’ancienne Sara m’était chère encore ; la nouvelle ne m’était plus rien. Le lendemain, en sortant de chez moi, je pris par la rue de cette Sara. « Je m’en repentirai ! » me dis-je en moi-même. À peine y eus-je fait quelques pas, que j’aperçus la mère à la fenêtre, et dans le même instant, Sara elle-même qui sortait avec Florimond. Je les saluai : Sara me le rendit froidement. La mère m’appela, lorsque je passai. Je montai auprès d’elle. « Savez-vous que ma fille est très malade ? — Elle m’a paru triste. — Ho ! ils sont brouillés ou prêts à l’être. C’est elle qui a demandé à revenir ! — Cela me surprend ! elle devait se plaire chez son pépé. — Il y a quelque chose là-dessous que je ne conçois pas ; M. Florimond est sorti avec elle, exprès pour la questionner : je saurai ce qu’elle lui aura dit. » Je ne crus pas un mot de ce que cette femme m’apprenait. Le soir, en repassant, la fille et la mère étaient à la fenêtre ; et je montai chez elles. À mon approche, j’entendis la mère qui disait à sa fille : « Hé bien, mademoiselle, allez donc au-devant du monde qui vient pour vous ! » Sara me reçut assez bien, d’après cette injonction. Nous causâmes : je parlai de mes sentiments pour elle ; j’en peignis la sincérité ; l’honnêteté, la confiance ; je regrettai la démarche qui m’éloignait d’elle. À tout cela, Sara parut froide. J’ai su depuis ce qu’il y avait de vrai dans la brouille de Sara et de Lamontette : le sujet en est ineffable, ou plutôt inracontable, tant il est... Je tâcherai d’en dire un mot, quand j’en serai au temps où j’en fus certain. Le lendemain, je vins souper avec elle ; avantage dont je jouis encore six mois. Le troisième soir, nous causâmes sérieusement ; je la priai une seconde fois de me dire avec sincérité si elle m’avait aimé ? « Je l’ai cru, me répondit-elle en riant. — Et quand avez-vous cessé ? — Ne vous en doutez-vous pas ? — Non, pas absolument ; mais vous pouvez me le dire. — Non ; dites-moi ce que vous pensez. — Je crois que cette époque a précédé d’environ quinze jours votre connaissance avec mon rival. — Je croyais que vous devineriez plus juste. — Quoi ! c’est donc lui seul qui m’a enlevé votre cœur ? — Que voulez-vous ? — Hé ! comment, comment, avec une figure comme la sienne, un mérite aussi mince, a-t-il pu ?... — On n’est pas maître de ses sentiments. — Ha ! Sara ! vous faites votre malheur et le mien ! car cet homme n’est pas ce que vous voulez ; il mettra au désespoir votre véritable ami ; il le tuera ou le forcera d’éteindre ses sentiments pour vous. Nous eussions été si heureux, sans lui ! Vous m’aimiez ? je vous adorais... Il n’est plus temps ! Mais du moins aurez-vous en lui un soutien, un appui solide ? — Je le crois. — En étes-vous sûre ? — Je ne le suis de rien. — Pas même de mes sentiments ? — Que voulez-vous que je dise ? — Allez, allez, Sara ; vous ne doutez pas de mes sentiments ; mais ils vous pèsent. » Nous parlâmes ensuite sur un ton moins sérieux, et Sara elle-même, en me reconduisant, me dit : « Si M. Lamontette savait que nous causons ainsi amicalement, que nous soupons ensemble tête-à-tête, ho ! que nous dirait-il ? — Il ne serait pas content, et sûrement il vous en donnerait des marques ! sans avoir les mêmes droits que moi, il ne serait pas aussi indulgent ! — Il me disait un jour : « Hé bien, Fifille ? et M. Nicolas, l’avez-vous toujours ? — Sans doute, lui dis-je en riant. — C’est votre ancienne inclination, reprit-il, il faut la conserver soigneusement ! » « S’il osait me tenir ce langage indécent, je ne le souffrirais pas, mademoiselle. — Bon ! il ne craint personne aux armes ; il est un des forts du royaume. » (O fille, fille ! ta détestable adresse ne m’épouvanta pas !) Nous en restâmes là. Le vendredi matin, je revis Sara, et je la saluai du nom de mon rival, cherchant à m’égayer ainsi moi-même. Elle dit que ce badinage n’était pas de son goût. Je changeai de conversation, et Mademoiselle s’humanisa un peu. Le samedi, je vis Sara deux fois, et la seconde détruisit l’impression favorable de la veille. Elle me conta que sa mère avait absolument congédié Lamontette ; elle en versa des larmes, et les sanglots l’étouffaient. Mais ayant entendu revenir sa mère, elle prit sur-le-champ un air serein. Je fus très peiné de la découverte que son affliction me faisait faire de son ingratitude. L’impression en dura tout le dimanche. Je la vis cependant, parce qu’elle se tint à la croisée, prête à partir ; mais je ne lui parlai pas en particulier. Le lendemain lundi, je l’aperçus devant moi, comme je passais par sa rue. Elle me vit aussi, et doubla le pas ; mais je ne jugeai pas à propos de la joindre, et, à mon retour, j’eus la force de ne pas entrer chez elle. Cependant le soir, nous soupâmes encore ensemble, et je lui marquai beaucoup de froideur... Le mardi, je fus assez tranquille. Le soir, je ne pus souper avec elle, et je n’en fus pas fâché... Le mercredi je ne la vis pas ; je sus, le soir, qu’elle avait eu de l’inquiétude : elle demanda de mes nouvelles. Elle voulut en venir chercher elle-même : elle y vint, et je la trouvai dans l’escalier. Je fus charmé de cette attention, plus flatteuse encore que je ne le croyais dans le moment, puisque je pensais que sa mère l’avait envoyée. Mais un cruel revers m’attendait quelques jours après ! Mon rival, qui n’avait pas voulu faire bourse commune, apparemment, était éconduit par la mère de Sara de la manière la plus complète. La jeune personne en était dépitée ! et sa mère l’ayant assurée qu’elle ne verrait plus mon rival, Sara lui répondit qu’elle y consentait, pourvu qu’on me priât de rester chez moi, attendu qu’elle préférait la solitude à la compagnie. « Vous le direz donc vous-même, reprit la mère, piquée du ton de sa fille. — Je le dirai. » Vers les deux heures, je parus, suivant mon usage, depuis la sortie de la maison. Je trouvai les deux femmes ensemble. On me parla comme à l’ordinaire, et je sortis sans qu’on m’eût fait le compliment prémédité. Mais le soir, étant revenu pour diner avec Sara, sa mère, que je trouvai seule, me dit : « Comment ! vous voici ! On ne vous a donc rien dit, tantôt ? — Non, madame. — Hé bien, apprenez que Mademoiselle doit vous prier de rester chez vous. » Elle me fit ensuite le récit de l’altercation qu’elle avait eue le matin avec sa fille. Je la priai de l’appeler, pour entendre de sa bouche les raisons de son procédé ; quels étaient mes torts, si j’en avais ; en un mot, ses motifs ?... Sara répondit à peine, et je soupçonnai la mère de vouloir m’éconduire, ou me tirer quelque chose. Je sortis ; flottant dans l’incertitude. Je ne cessai pas de voir Sara, avec laquelle je soupais, mais d’être familier avec elle. Un soir, que je passais par la rue de Bièvre (j’avais été demeurer dans celle des Bernardins qui en est proche), de loin j’aperçus à la fenêtre une femme (j’ignorais si c’était la mère ou la fille), qui gesticulait en parlant à un grand clerc de procureur. Je la fixai, en avançant toujours. Je crus voir la mère, qui faisait des signes très intelligibles au jeune clerc ; celui-ci lui répondait sur le même ton. Je passai sans regarder la femme en face. « J’y suis enfin, pensai-je, elle a d’autres vues pour sa fille ! M’y voilà ! » Je me hâtai de faire la chose pour laquelle j’étais sorti, et je revins sur-le-champ. La dame était encore à la fenêtre vis-à-vis le jeune homme. Je passai. Mais une réflexion me fit entrer dans la maison. Je courus au fond de la cour, croyant y trouver Sara. Je voulais lui apprendre que sa mère faisait une nouvelle conquête pour elle. Mais quelle fut ma surprise de trouver la mère !... Je lui demandai la permission, que j’obtins, de parler à sa fille. Je vis alors clairement que c’était Sara, qui venait de faire au clerc de procureur les signes d’intelligence qui m’avaient révolté, même de la part de sa mère ! Je ne pouvais revenir de mon étonnement : « Ce rival si chéri, voilà déjà qu’on lui donne un successeur ! » Je ne sais ce que j’éprouvai ; mais le mouvement que je ressentis ressemblait à de la joie. Je me crus guéri par l’indignation. Point du tout ! l’inconcevable sentiment de l’amour se fortifia par l’idée que mon rival était abandonné. Insensé ! qui ne voyais pas, en ce moment, qu’un amant jeune, aimable, était bien autrement dangereux ! Que fis-je cependant ? je renouai ! et je tâchai de gagner par des bienfaits cette âme vénale !... À la vérité, je sentais ma folie : j’hésitais à donner ; mais à l’instant du don, j’y trouvais un plaisir si vif et si pur, que j’en étais payé par le don même, quoique fait à une ingrate. Un jour, que j’avais financé. Mme Debée me raconta, triomphante, comment, en allant aux Tuileries, elle avait donne le congé absolu à mon rival. Elle passait avec sa fille et Florimond par la rue des Noyers. Lamontette les avait rencontrées tout à l’entrée et sapprochant de cet air ouvert qui lui est naturel : « Mesdames, leur avait-il dit, j’allais à la procession du 15 Auguste ; mais si vous le permettez, je préférerais de vous accompagner, soit aux Tuileries, soit au Palais-Royal, où vous allez. — Il ne faut pas vous déranger, monsieur : un homme comme vous a des affaires importantes. — Ce dérangement sera un plaisir pour moi, madame. — Et moi, monsieur, vous me dérangeriez. — Madame a donc des affaires de conséquence aux Tuileries ? — De conséquence, ou de non conséquence ; je ne veux pas être accompagnée. — Apparemment la compagnie d’un honnête homme vous gênerait ? — Qu’appelez-vous, monsieur ? Vous êtes un... — Calmez-vous, madame ! mon intention n’est pas de vous piquer ! mais seulement de vous faire une observation toute simple, toute naturelle. — Je n’ai pas besoin d’observations de ce gendre. — Je vous la fais sans dessein ; cela m’est venu naturellement... Adieu, madame... mademoiselle, de tout mon cœur... Vous ne partagez pas la mauvaise humeur de votre maman, n’est-ce pas ? » Je ne sais quelle fut la réponse de Sara ; personne ne me l’a rendue, ni sa mère, ni elle-même, lorsqu’elle m’en parla. D’après cette rupture, je fus tranquille. Mais on me trompait, au point que je fis pitié à Florimond, cet homme si digne de pitié lui-même. Il plaida pour moi et il fit décider que, lorsqu’on irait chez Lamontette, on ne coucherait pas. On y alla effectivement et l’on revint le soir. Je disais que la persuasion que mon rival était abandonné, avait rétabli mon inclination pour Sara. J’eus alors une satisfaction que je regardai comme bien douce, et qui, au fond, n’était qu’une nouvelle duperie. J’avais renoué tout à propos, pour procurer à Sara une chose qu’elle désirait avec une ardeur infinie. Une femme, locataire de sa mère, était en couches : Sara, depuis la connaissance de Lamontette, s’était proposé de tenir l’enfant de cette femme. Certes, dans les premiers temps, cela n’aurait pas manqué, mais la fable de la rupture dérangea tout. Mon rival, très cancre, observa que c’était une dépense dont il fallait me charger, et qui me comblerait ! On se Vue de la porte Saint-Bernard, prise de la Halle aux vins. (Musée Carnavalet.) fit un jeu ce que je croyais une marque d’amitié. Le jour de l’accouchement, Sara m’attendit avec impatience une partie de la journée. Je passai enfin sous ses fenêtres. Elle m’appela et me fit la proposition. J’hésitai d’abord, par répugnance pour la cérémonie baptismale, mais au bout d’une minute, je fus ravi que Sara me fournit elle-même une occasion de cimenter notre liaison. Je songeai qu’elle allait être ma commère, et ce titre flatta si fort mon pauvre cœur, que je sentis mieux que jamais que Sara y régnait encore. « Puis-je vous refuser ? » lui dis-je, en lui présentant la main. Elle reçut mon consentement avec une joie d’autant plus vive que le refus de mon rival, malgré leur convention, n’avait pas laissé de la mortifier. Elle courut annoncer à l’accouchée qu’elle avait pour compère son pis-aller... Le soir, avant, durant, et après la cérémonie, elle fut charmante ! elle l’aurait été pour un indifférent. Mon cœur s’épanouissait ; j’eus la faiblesse de croire que le titre que nous acquérions l’un envers l’autre, serait capable de lui donner pour moi quelque attachement. Cette erreur ne dura que la journée ; dès le lendemain, Sara reprit sa manière accoutumée depuis son indifférence, et cette manière n’était rien moins que flatteuse, pour un homme qui avait été chéri ; celle qu’elle aurait eue pour un indifférent aurait été mille fois préférable. Chaque jour m’a confirmé cette insensibilité cruelle qui m’occupe et me désespère ; chaque jour je m’apercevais confusément que j’étais trahi, trompé ; que j’avais perdu non seulement l’amour, mais l’amitié, la confiance. J’en acquis bientôt la certitude. Un jour, elle sortait avec sa mère ; on me cachait le but de cette sortie. Le hasard, en les quittant un instant avant le départ, me fit prendre une route qu’elles devaient suivre ; elles m’aperçurent devant elles et elles retournèrent sur leurs pas. Je fus cruellement blessé de cette conduite ! Mais pourquoi l’être ? Depuis longtemps, Sara ne voyait plus en moi qu’un ennemi ; l’intérêt seul l’engageait encore à me souffrir auprès d’elle ; l’amitié, la confiance n’existaient plus. Le soir, je m’en plaignis à ma perfide Sara : « J’ai aimé, lui dis-je, une fille dont j’ai perdu le cœur ; elle réunissait toutes les perfections, la jeunesse, la beauté, la vertu, l’amitié, la tendresse, l’amour, la générosité ; c’était le chef-d’œuvre de la nature. Ha ! Que je l’aimais ! Hélas ! Je l’ai perdue pour jamais ! — C’est un être imaginaire que cette fille ? dit Sara. — Sara, ma chère Sara, elle avait votre taille, vos yeux, la couleur de vos cheveux, votre bouche, votre teint, votre sourire, votre son de voix, la tournure de votre esprit ; elle vous ressemblait parfaitement. — Vous me persuaderiez que c’était une autre moi-même ! — Non, car c’était vous, mais ce n’est plus vous ; je cherche ma Sara, dans Sara inconstante, et je ne la retrouve plus !... Ha ! Rends-moi la Sara d’il y a six mois ! Tu le peux ; elle est en ton pouvoir et je me trouverai le plus heureux des hommes ! » L’insensible Sara ne répondit à ce langage si tendre que par le geste de l’indifférence et de l’ennui. Je passe une foule de détails. Mon rival était reçu nuitamment par Sara chez l’accouchée ; la mère eut peur que je m’en aperçusse, et elle s’avisa un jour de la menacer devant moi, si elle la trouvait encore chez l’accouchée, lorsque le cocher son mari viendrait la voir. Je ne fus pas jaloux du cocher, quoique j’ignorasse le fond de la conduite de Sara. Aussi le mois de septembre fut-il assez tranquille, jusqu’au 28, qu’en me promenant sur l’Île Saint-Louis, il me prit des doutes violents au sujet de Lamontette. Je ne crois pas aux pressentiments et, cependant, c’en était un ; j’ai su depuis que ce même jour, on avait envoyé chez lui Florimond qui voulait obtenir un emploi. Le dimanche 30, on le vit aux Tuileries. On lui parla de l’emploi de Florimond, et il proposa de venir dîner chez lui le mardi suivant. Le soir, j’attendais Sara pour souper, elle ne vint qu’à dix heures. J’eus des soupçons sur une entrevue au Boulevard, ou à la petite maison de Lamontette : le lundi et le mardi, l’air enjoué de Sara les confirma. Le second de ces deux jours, qui était le 2 octobre, je sortis vers les quatre à cinq heures, et j’allai au Boulevard. Je ne vis pas Mme et Mlle Debée au café où elles avaient coutume de s’étaler. Il me prit envie de rôder autour de la petite maison. Je n’y eus pas été un quart d’heure, que j’entendis descendre des femmes. Je m’éloignai aussitôt, et je vis sortir Sara, Florimond, Mme Debée et Lamontette ! La partie carrée s’arrangea dès qu’on fut descendu ; Florimond marchait devant ou derrière la Circé qui l’avait avili, car elle en faisait pis que son valet ; Sara suivait, mollement appuyée sur le bras de Lamontette. Je pouvais à peine en croire mes yeux, malgré les pressentiments que j’avais eus !... Je me détournai dans un potager fort bas, et je les laissai passer. Je marchai sur leurs pas, non sans éprouver les mouvements rapides du mépris, de l’indignation et de la plus violente fureur. Dix fois je fus sur le point d’aller séparer Sara de Lamontette, en disant à ce dernier : « C’est à moi que ce bras appartient, puisque je paie. » Je me contins heureusement ! Je vis Sara le soir, mais je dissimulai ; mais j’avais un air concentré qui l’alarma. Cependant elle ne m’en dit rien. J’ai fait depuis une remarque ; Sara était insolente avec moi, dès qu’elle avait quelqu’un pour me remplacer. Ce soir-là, elle ne le fut pas ; mon rival ne s’était donc pas montré fort empressé ?... Mais je ne fis point alors cette réflexion. Le lendemain, je me trouvai presque calme, tant la vue de l’enchanteresse avait de pouvoir sur moi ! Cependant j’allai voir sa mère et je lui parlai de mon rival. Elle m’assura qu’on ne le voyait plus. « Femme fausse, pensai-je, tu ignores que je sais ta démarche d’hier ; reste dans le doute. » Je lui dis que je l’espérais, et j’ajoutai qu’il n’y avait pas de milieu ou lui, ou moi, que si on le voyait une seule fois (c’est-à-dire Sara), je me retirais sur-le-champ. On ne me répondit rien. Mais le soir, j’avouai à Sara que je l’avais vue. Sa surprise eut l’air de la confusion. J’ajoutai que j’avais déclaré à sa mère, que je me retirerais absolument si on revoyait Lamontette. Sara garda le silence. Mais elle fut profondément affectée de cette opposition de ma part, qui ne pouvait cadrer avec ses vues, de mener deux intrigues à la fois et de tirer également parti de l’une et de l’autre. Cependant, le dimanche d’ensuite, on n’en vit pas moins mon rival. Je guettais l’instant du départ ; je devançai les friponnes et j’allai me placer à la jonction des deux chemins qui conduisent au vide-bouteille de Lamontette. Là, je m’assis et je les attendis constamment, croyant qu’elles ne manqueraient pas de venir. Mais Sara m’avait aperçu de loin allant devant elles, et ce fut la raison pour laquelle on ne vint pas à la maison de campagne d’étiquette de M. Noiraud de Lamontette. Je m’étais proposé, en les voyant, de me lever, d’aller au-devant d’elles et de leur dire que j’avais deux pistolets, et que si elles entraient chez mon rival, j’allais le forcer à se battre avec moi en leur présence. Qu’on s’imagine la scène qui se préparait ! car je m’étais armé ; je n’avais pas fait de ces folies dans ma jeunesse, et je m’en avise à quarante-cinq ans ! Car je ne citerai pas mon combat avec Tourangeot, ni même un autre, rue Honoré, vis-à-vis l’Oratoire, en plein jour ; arrêté sur une porte, je regardai avec trop d’admiration une jolie femme qui passait, donnant le bras à son mari. Mais ce ne fut pas lui qui le trouva mauvais ; ce fut le frère de la dame, qui la suivait ; il me donna un coup sur le bras. Aussitôt mon épée brille en l’air : « Défends-toi ou je te perce ! — Mon frère ! vous avez tort ! dit la jeune dame. — Oui, très tort ! ajouta le mari. — Monsieur ! reprit la jeune dame en me regardant. — Je vous obéis, m’écriai-je. » Et je rengainai... Je reviens. Heureusement les deux femmes m’épargnèrent le désagrément que mon imprudence allait me causer. Au bout de plus d’une heure, je me lassai de rester là en sentinelle ; je gagnai le café Caussin, et, sans me montrer, je vis les dames. Elles étaient seules. Mais à cinq heures, Lamontette, qui les avaient attendues en vain, arriva, et courut à elles. Il y eut sans doute une explication, où je ne fus pas ménagé. Il fit l’agréable et n’excita que ma pitié ! (La veille ou le lendemain il m’aurait fait envie !) Je revins chez moi dans une résolution singulière ; ce fut d’attendre jusqu’au lendemain 9 octobre et d’aller les joindre, lorsque mon rival serait avec elles, soit chez lui, soit au café. Je n’étais pas trop arrêté sur la conduite que je tiendrais ; mais j’espérais qu’il arriverait quelque chose, ou qui me guérirait de ma folle passion, ou qui éloignerait Lamontette, si on me donnait sur lui une préférence que je n’espérais plus. En conséquence, le soir, je n’allai pas souper avec Sara ; je me sentais trop ému, et je craignais de ne pouvoir me contraindre. Mais le lendemain, je fus plus fort et je pus dissimuler. Le mardi, on partit pour le Boulevard. Je suivis de vue les deux femmes dangereuses, dont l’une excitait dans mon cœur encore quelque intérêt parce que je ne la croyais pas une misérable consommée comme sa mère ; je lui supposais de l’inconsidération, de la mollesse, mais non une finesse qui ne cadrait pas avec la naïveté que je lui croyais naturelle. Lamontette les avait précédées, il les reçut. Lorsqu’elles furent arrangées, j’entrai d’un air ouvert, riant même ; je les saluai, et je m’assis à côté de la fille. Lamontette me regarda noir, se leva, fit aux dames une demi-inclination et se retira. Je restai ferme et jurant entre mes dents contre Sara, qui paraissait dans une situation infiniment pénible. Mon rival fut plus de deux heures absent, allant de côté et d’autre, saluant ses connaissances, et il finit par s’asseoir à une autre table. Je fus très surpris de sa conduite ! J’entrevis la noirceur de la mère, peut-être de Sara elle-mêmes qui était encore plus intéressée à ce que Lamontette et moi ne nous parlassions jamais. J’étais venu au Boulevard non seulement pour le motif que j’ai dit, mais encore pour un autre. Sara, dans la semaine précédente, m’avait avoué que sa mère avait parlé contre Lamontette, et qu’elle m’avait mis sur le compte les propos qu’elle-même avait tenus. Je sais que les ennemis ne sont bons à rien. En conséquence, outre mille autres choses que j’avais à dire, je désirais une explication avec Lamontette, sans lui avouer par qui j’étais instruit, mais tous mes projets furent renversés par la conduite qu’il tenait à mon égard. Il revint enfin auprès de Sara, à laquelle, durant son absence, j’avais adressé environ quatre fois la parole, et qui ne m’avait répondu que par monosyllabes ; elle lui sourit, lui parla en riant. J’étais furieux : Vous parlez donc enfin, et vous souriez ! lui dis-je à demi bas, au lieu de mourir de honte. » En parlant ainsi, je brisais ce que je tenais entre mes doigts. Sara ne répondit rien, mais sa mère s’aperçut de ma fureur, elle en fut émue et elle parla plusieurs fois à l’oreille de son Florimond. Quelqu’un en voiture qui passait en ce moment sur le Boulevard, ayant demandé Lamontette, il y courut. La mère profita de cet intervalle pour se lever et sortir. Sans doute elle craignait, entre Lamontette et moi, une scène qui n’aurait pas manqué de la compromettre, avec la réputation qu’elle a ! Je les ramenai. Sara prit le devant, et fit mettre Florimond à côté d’elle. J’affectai de parler gaiement à la mère et à notre retour, je soupai avec la fille sans lui dire un seul mot de mes motifs, non par prudence, mais par faiblesse. Une autre scène m’attendait le lendemain. Mais avant de la rapporter, il faut rendre compte d’une visite que je fis à Lamontette, pour lui demander les motifs de sa conduite à mon égard la veille. On sait que j’étais instruit par la fille des discours de sa mère à mon rival. Ainsi mon début avec lui fut une dénégation de certains propos injurieux qu’on avait mis dans ma bouche à son égard. En effet, ce n’avait jamais été que d’après les discours de la mère, sur le pouvoir secret de mon rival, sur ces connaissances prétendues en gens plus que dangereux, que j’avais répondu à cette femme : « Mais, madame, si c’est un homme comme vous le dites, d’où vient que vous lui avez mené, laissé votre fille ? D’où vient que vous l’y conduisez encore ? » Elle me répondait, en jouant l’effroi : « Ha ! monsieur ! je serais une femme perdue. — Comment perdue ! — Oui ! vous lui avez fait de moi un si beau portrait ! Ha ! Monsieur Nicolas ! Je ne vous le pardonnerai jamais !... à moins que vous ne disiez tout le contraire. » Je l’avais refusé nettement, sans qu’elle eût osé s’en fâcher. On voit que, d’après cela, je jouais auprès de Lamontette le rôle d’un homme qui se justifie, mais de la manière la plus avantageuse. Je voulais d’abord ne pas inculper la mère de Sara. Mais insensiblement, je me trouvai engagé à le faire, tant par inclination à la démasquer, que par l’adresse de Lamontette, et pour le persuader absolument. Notre conversation dura trois heures et je croyais n’y en avoir donné qu’une, tant il est vrai que les amants ne s’ennuient jamais à parler de l’objet du cœur ; ce qui est encore vrai, longtemps après qu’ils ne s’aiment plus... Je revins, non pas réconcilié, mais dissimulé avec mon rival ; des rivaux peuvent à peine se pardonner, après leur passion cessée ; ils ne s’aiment jamais. Je ne vis Sara qu’à une heure après midi. Je la trouvai fondant en larmes, sanglotant, soupirant. Je ne savais que penser, lorsqu’elle éclata par des reproches : « Voilà ce que c’est d’être à la solde d’un homme ! On n’est plus libre ! je ne saurais voir un honnête homme. — Quand on est à la solde d’un homme, on n’est pas la maîtresse visiblement éprise d’un mulâtre, répondis-je, ou l’on doit renvoyer celui qui solde. — Aussi vous renvoyé-je, monsieur ; j’ai remis à ma mère vos présents, et elle doit les porter au Mont-de-Piété, pour se payer des loyers du logement que nous avons occupé ensemble. — Quoi ! me croyez-vous assez peu délicat pour ne pas lui payer vos loyers ? Reprenez vos bijoux, mademoiselle, je vais acquitter le passé, et, s’il le faut, le futur. Nous nous quitterons après, si vous le voulez. Vous savez que je ne paye vos loyers et votre pension à votre mère, qu’à votre sollicitation, pour vous empêcher d’être entretenue et l’engager à vous laisser tranquille. Ainsi je pense qu’il est de votre intérêt que je continue. » À ces mots, Sara s’adoucit. Elle consentit à reprendre ses bijoux, que j’allai redemander à sa mère. Mais Sara, qui avait eu le matin une querelle violente, parce qu’elle ne voulait pas renoncer à Lamontette, n’osa pas m’accompagner, quoique je l’en pressasse. La mère feignit la plus grande surprise du consentement de sa fille !... Je fus obligé de l’envoyer chercher par Florimond, pour Le Mont de Piété (Musée Carnavalet.) convaincre Mme Debée. Sara vint, ou plutôt Florimond nous l’apporta. Elle demeura muette... « Qui ne dit mot consent, » murmura la mère. Aussi Sara reprit-elle avec joie ses bijoux, et s’en retourna dans notre logement. Voilà comme se termina la scène du 9 octobre. Ce jour a depuis été célèbre dans mes dates par ses anniversaires, surtout en 1784, qu’il fut abreuvé d’amertume et de douleur, par les inquiétudes que me causait la Paysanne pervertie... Le reste du mois s’écoula, sans que nous eussions d’altercation marquée. Cependant Sara changeait à vue d’œil, et il est à présumer que la fureur concentrée que je lui avais causée le 9 octobre lui avait tourné le sang ; une jaunisse complète et dangereuse se manifesta le 20. On eut recours aux remèdes ordinaires, qui furent sans effet. La Toussaint arriva. Quatre jours auparavant, un soir, pendant notre souper, Sara me demanda la permission d’aller passer ses fêtes à la petite maison de Noiraud, à cause de sa santé : ajoutant que si cela me faisait la moindre peine, elle n’irait pas. Je lui répondis avec une indignation concentrée, que j’y consentais, et que j’aimais mieux, tout considéré, la savoir infidèle que malade. Je résolus à l’instant de ne plus la voir. Mais je dissimulai. Elle partit la veille avec sa mère et Florimond. Elles restèrent cinq jours, et revinrent le dimanche, un jour plus tôt que Sara ne me l’avait annoncé, en me demandant la permission. Je m’aperçus de son arrivée le même soir ; mais je n’allai pas souper avec elle. Le lendemain matin, je n’y allai pas non plus. Enfin, à deux heures, je vis Sara entrer chez moi, dans ma nouvelle demeure de la rue des Bernardins. Jamais surprise n’égala celle qu’elle me causa. Je ne savais comment l’accueillir, lorsque, jetant les yeux sur elle, son air malade me fit pitié. Je la reçus avec attendrissement. Le prétexte de sa visite (car il en fallait un à son cœur coupable), ce fut la perte de la jeannette que je lui avais donnée, et de ses poires en or, mon premier présent, qui lui était le plus cher, me dit-elle : « Me les auriez-vous reprises, la veille de mon départ, pour rire et me mettre en peine ? » Je ne vis pas tout d’un coup la finesse, et je répondis bonnement que je ne riais pas ainsi. J’allai chez elle, après son départ, et nous cherchâmes : elle trouva sa perte prétendue, à l’endroit le plus visible, sous le pli de sa table à damier. Je fus alors au fait de sa ruse : mais j’en étais flatté. « On m’a demandé permission pour aller, » pensais-je ; on se hâte de venir se montrer, après le retour ; on est apparemment détachée de mon rival. Allons, c’est une marque de changement avantageux... D’ailleurs, elle est malade, il serait cruel, inhumain de l’abandonner étant malade ! » J’ai le malheur d’avoir le cœur, l’âme sensible, et souvent ma bonté, ma compatissance, m’ont rendu la dupe la plus bête, la plus ridicule. Mais je ne rougis pas de ce défaut, j’en tire plutôt vanité. Heureux celui qui n’est dupe que de son cœur ! J’envie autant son sort, que je plains celui de l’infortunée, qui fait des dupes avec sa fourbe et sa duplicité ! ... Je m’attachai donc Sara d’autant plus qu’elle me paraissait avoir plus besoin de moi. Je lui parlai de voir mon médecin, le meilleur des hommes. Elle accepta ; mais elle différait de jour en jour d’y aller avec moi. Cependant la maladie augmentait à vue d’œil. Un samedi soir, vers les cinq heures, que je venais pour la voir dans notre chambre, elle ne s’y trouva pas. J’entrai chez sa mère, ou je la vis plus mal que jamais. Je témoignai les plus vives inquiétudes. En me reconduisant, la mère parut alarmée : « Voilà, me dit-elle, comme je perds tous mes enfants ! Elle n’en reviendra pas ! » Ces mots, douloureusement prononcés, firent sur moi une impression prodigieuse !... Ho ! Comme j’aimais encore !... Je fus ému, troublé, je fondis en larmes, en quittant la mère, et je courus chez mon ami le docteur. Arrivé chez Guillebert, je lui exposai la maladie de Sara. « Ce n’est rien, me dit-il, que cette maladie, à vingt ans. » Il me rassura par d’excellentes raisons, et me pénétra de la joie la plus vive, la plus pure que j’aie jamais sentie... Je revins encore plus vite que je n’étais allé. À mon retour, je trouvai Sara dans notre chambre. « Chère amie ! lui dis-je, rassure-toi comme je le suis : ta maladie ne sera rien. » Mes gestes animés, mon action ; ses mains tendrement pressées dans les miennes, l’effroi que sa mère lui avait causé et que je détruisais, l’amour de la vie, enfin, l’émurent au point qu’elle reprit d’elle-même avec moi le ton d’il y avait onze mois ; elle me tutoya, ce qu’elle ne faisait plus depuis sa parfaite liaison avec Lamontette ; elle me dit les choses les plus flatteuses ; elle me donna ces noms de tendresse, si doux à entendre, quand ils sortent de la bouche que l’on aime. Je me trouvais heureux, d’autant plus heureux, que depuis sa maladie, elle m’était plus chère que jamais. Le lendemain, nous allâmes ensemble chez le docteur. Le même soir, Sara ne me tutoya plus. À peine rassurée sur sa vie, elle ne me témoigna plus que sa froideur ordinaire. J’en fus frappé ; j’en fus blessé, et j’en revins à ma résolution, déjà prise, de la quitter, dès qu’elle serait complètement rétablie... Je continuai mes soins. Dans ce même temps, lecteur, elle me faisait la trahison la plus horrible. Sa mère avait renoué avec Lamontette, dans l’espérance que, par son crédit, elle aurait une place pour Florimond, qui lui était à charge depuis qu’il n’avait plus rien. Lamontette avait trop de bon sens pour placer un ivrogne abruti, incapable. Il promit, mais il ne réalisa pas, et sut éluder les demandes. Ce fut alors que la mère de Sara lui fit sérieusement entendre qu’il ne fallait pas qu’il revint. Elle l’assura qu’il était la cause de la maladie de sa fille, et qu’il la ferait périr. Il fut convenu entre eux qu’il viendrait une fois en huit jours d’abord ; ensuite une fois en quinze ; et qu’enfin il cesserait absolument. « J’ai envie de la marier, ajouta-t-elle, et vous y seriez un obstacle. » Lamontette promit tout ce qu’on voulut, et la mère compta sur sa parole. J’y aurais compte de même. Cependant cet homme grave, un peu fier même, ne put résister à l’appât des rendez-vous secrets. Je soupais en particulier avec Sara dans notre chambre. Je croyais que mon rival ignorait qu’elle eut ce petit logement ; mais si tout cela n’était pas de concert avec sa mère. Sara le lui avait appris, en lui écrivant par le moyen de la mère de notre filleul, et par son coiffeur, espèce de gens qui gagnent autant à courtoyer l’amour qu’à coiffer les belles. Il fut convenu que Lamontette ne paraîtrait plus chez la mère, que très rarement ; mais qu’entre neuf et dix heures du soir, il viendrait s’en dédommager. Sara, sous prétexte de sa maladie, me pressait de souper de bonne heure. Je m’y prétais ; et dès que j’étais sorti, mon rival entrait. Enfin un dimanche, un peu retardé par une affaire, je crus voir entrer mon rival dans la maison de Mme Debée... Le lendemain lundi, un concours singulier de circonstances me fit venir tard. Je causais, en soupant, et je me croyais si bien dans le cœur de Sara, que je lui vantais la pureté de mon attachement, depuis le temps où il aurait fallu la partager. Sara m’écoutait avec complaisance (et j’en fus surpris) ! Au milieu de notre souper, on frappa doucement à la porte. Elle me dit : « C’est quelqu’un qui se trompe ! Si c’est maman, elle redoublera : si c’est Florimond, qu’il s’en retourne ! » Nous achevâmes de souper, et l’on ne frappa plus. À la fin, prêt à m’en aller, je dis à Sara mille choses tendres, et je la tutoyais assez haut, en lui demandant : « Es-tu persuadée de la sincérité de mon affection ? Dis, ma Sara, l’es-tu ? » Elle me répondait : « Oui » à demi-voix, lorsque j’ouvris la porte. Je fus extrêmement surpris d’y voir un homme ! « Qui est-ce ? Qui êtes-vous ? » Au lieu de me répondre, Lamontette, que je reconnus pour lors, s’inclina et tourna le dos. Revenu auprès de Sara, je lui racontai que je venais de voir Lamontette : elle me répondit que sûrement je me trompais ; que peut-être était-ce Delarbre, qui serait de retour à Paris ; et j’allais me retirer, quand on frappa de nouveau. Sara se jeta devant moi pour m’empêcher d’aller ouvrir. Elle me pria si instamment de rester que je ne pus refuser, quoique souvent je lui témoignasse mon impatience. Elle éteignit les lumières, mit de la cendre sur notre feu, s’approcha nu-pieds de la croisée et tâcha de voir qui frappait. Mais, dans la vérité, c’était pour faire signe à Lamontette de se retirer et qu’elle n’était pas libre. Je ne sais si elle réussit ; car on frappa trois quarts d’heure, à différentes reprises... Je m’impatientais horriblement !... Enfin Sara me permit de sortir, quand elle sut que sa mère était couchée. C’était une défense de la mère qui m’avait fait garder, écouter avec complaisance ; Mme Debée avait alors le projet de chasser Lamontette par un faux mariage avec un locataire veuf nommé Las ; de se moquer ensuite de cet homme, de me reprendre, pour la pension et les loyers, tandis que sa fille aurait une intrigue secrète, déjà mitonnée, etc. Aussi Sara, en me revoyant, m’avait-elle demandé le secret de sa mère. Je passe tout ce qui a rapport au mariage simulé, mais que peut-être Sara croyait réel. Un soir, Florimond, ivre, s’était enfermé chez Mme Debée, qui ne put rentrer. Elle frappa chez sa fille qui, couchée avec Lamontette, n’eut garde de s’éveiller ! Las, non encore au lit, hébergea son hôtesse. Telle fut l’origine d’une nouvelle intimité. Or Mme Debée avait (et devait avoir) beaucoup de goût pour les nouvelles connaissances. On jasa une partie de la nuit. « Vous êtes veuf, monsieur ? — Hélas ! oui, madame. — Vous regrettez votre femme ? — C’était une compagne chérie. — Il faut en prendre une autre. — Où la trouver, madame, avec trois enfants, et une orpheline, dont je prends soin ! — Je vous la trouverai. — Ho ! si c’était vous, madame ! — Moi ! dit la dame, en faisant la petite bouche, je ne suis pas veuve. Mais je pourrais avoir quelqu’une à vous donner. — De votre main, madame... — Tenez, c’est la ma fille (elle affectait souvent de parler mal). — Un si grand bonheur, madame, etc. » Tout fut arrangé, dès cette première nuit. Sara, aussi friande de nouveautés que sa mère, accepta la proposition de mariage, et se comporta en conséquence à mon égard. J’en suis à notre dernier souper tête-à-tête. Sara me sonda pour me faire prêter cent louis. Je refusai. Elle me traita lestement et, le soir, étant venu souper tard, elle marqua beaucoup d’humeur ; elle montra la plus odieuse insolence... Sur ce que je m’excusais disant que j’avais eu affaire ; que j’étais fâché de l’avoir fait attendre : qu’il ne fallait pas me gronder, elle répondit : « Vous gronder ! Ha ! Cela serait trop tendre pour l’homme dont tu reçois les bienfaits ! Ho ! Que veux-tu que je pense de toi ?... » Ce fut la fin de notre intimité. Car le lendemain soir, étant revenu. Florimond m’ouvrit. Je lui demandai Sara. « Mademoiselle ? elle n’y est pas... Elle n’y sera plus. — Comment plus ?... (m’avançant du côté de la mère :) Madame veut-elle m’expliquer ceci ? — J’ai remis ma fille chez une ouvrière en dentelles. » Je l’approuvai fort d’avoir pris ce parti honnête, Sara étant guérie. J’attendis ensuite qu’elle me dit où elle l’avait mise. Mais elle garda le silence. Je me retirai furieux de l’impolitesse de Sara qui, vivant avec moi, s’en allait sans m’avertir, sans me dire adieu ! C’était le 13 au soir qu’on me cachait Sara, et le 18 décembre, Florimond, qui m’aperçut courut après moi, pour me demander d’où venait qu’on ne me voyait plus ? « La mère ne me dit pas où est sa fille ; celle-ci ne m’a point prévenu : je les laisse, puisqu’elles m’ont laissé. — Mais Mademoiselle espérait que vous viendriez souper les dimanches et fêtes ? — Non ; il faut rompre : ce trait d’impolitesse est le dernier que je veuille endurer. » Je le quittai sur-le-champ, fermement résolu à ne plus revoir Sara. (Lecteur, ne vous y trompez pas ! j’aimais encore avec passion !... Ha ! Que c’est une cure longue et difficile, que celle de l’amour, lorsque l’impression a été profonde !) Je ne pus m’empêcher d’entrer chez Sara dans la semaine du jour de l’an, ne comptant pas la trouver. Elle y était. On me dit qu’elle avait été malade... Voici une turpitude. Mme Debée, qui ne voulait pas marier sa fille, malgré tous ses semblants, voulut en rassasier Las, avant de rompre. Elle la donna pour une nuit à son futur ; sans doute pour calmer les regrets de cet homme, lors de la prochaine rupture... Le nouveau tenant était un petit Parisien, sur la tête duquel je pouvais poser le coude, sans me hausser... Je ne pouvais imaginer que nous fussions sacrifiés, Lamontette et moi, à un petit brinborion en parenthèse, d’une démarche assez risible pour être plaisante. C’était la vérité néanmoins ; et le peu rusé Florimond, que quelques verres de vin, avalés en cachette, rendaient parlant, lâcha deux ou trois mots, qui me découvrirent le mariage... Le mardi, je vis Sara parée. Je pensai que le mariage allait se faire... Je montai faire mon compliment. Mme Debée nia. Moi, je félicitai la future, et je l’embrassai... Je fus très impoliment traité. On craignait l’arrivée du prétendu. Peu s’en fallut qu’on ne me dit de me retirer. On ne me le dit pas cependant... Je sortis. Mais au lieu de m’éloigner, je montai à l’étage d’au-dessus. ... Je croyais qu’on allait fiancer. On fut chez le lieutenant-civil... Je passe tous les détails, qu’on va comprendre. Nous en sommes à une époque terrible, qui va faire connaître à Sara sous quel point de vue elle était regardée par ses amants. Par une suite de ma faiblesse, je la voulus voir, pour savoir le jour de son mariage. Le hasard amena, par cette visite non préméditée, une catastrophe à laquelle je ne pensais guère ! Je trouvai Sara qui s’habillait. On me dit qu’on allait sortir, sans me dire où l’on devait aller. Je résolus de le savoir, en me tenant aux environs de la maison. J’attendis peu ; je vis les deux femmes aller à pied, avec un homme qui m’avait l’air d’un perruquier. Cela me parut singulier ! Le prétendu ne les accompagnait pas ; ce qui me surprit davantage encore ! Elles prirent par le quai Saint-Bernard et elles entrèrent chez leur conducteur, qui donnait une sorte de bal. Je ne concevais rien à cette partie, faite sans le prétendu ! Il me vint dans l’esprit de rendre une visite à ce dernier. Je trouvai un homme au lit, pâle, défait, dans une agitation qui ressemblait à la fièvre la plus violente. Je m’informai de la cause de sa maladie. Silence : mais un soupir. Je me retirai furieux de l’impolitesse. (p.271) (Dessin de Binet.) Je lui demandai laquelle des deux, de Sara ou de sa mère, le mettait dans la situation où je le voyais ? Il ne me répondit pas. « Je ne puis vous parler, lui dis-je, si vous ne vous ouvrez sur ce point. — Je n’ai à me plaindre ni de l’une ni de l’autre. — Et moi, je n’ai rien à vous dire. » Il fut donc obligé de s’ouvrir un peu, et d’avouer que sa maladie était de la douleur, du chagrin, de l’amour, du désespoir. Ce fut alors que je le consolai. « Vous m’ouvrez les yeux, s’écria-t-il, sur mille choses, que je ne faisais qu’entrevoir !... Elles sont au bal !... Moi, malade, Sara va se divertir ! elle, à demi mon épouse !... Quelle insensibilité, quelle fausseté plutôt !... Il y a vingt-quatre heures que je n’ai mangé : je vais souper... Ha ! Monsieur ! c’est la seconde fois que je suis au désespoir !... Cette épée brisée, l’a été sur moi-même, de ma propre main ! » Je fus touché de sa douleur : moi-même, j’en avais éprouvé une aussi violente, mais sans porter sur mon corps une main suicide... Je le laissai tranquille, à ce qu’il me dit. En effet, il l’était. Ha ! Toute violente qu’il croyait sa passion, il n’aimait donc pas comme moi, s’il fut si tôt calmé ! des semaines, des mois, des années, suffisent à peine pour cicatriser ma blessure !... Je le revis le lendemain : il était dans une colère tranquille, occupé seulement de la pensée de retirer les gages qu’il avait donnés. Je lui conseillai de voir notre rival Lamontette ; non que je prévisse ce qui devait arriver : j’en étais bien loin ! je le croyais encore ami de Sara ; mais afin de savoir jusqu’à quel point il pouvait tenir à cette fille. Le refusé y alla le dimanche matin : il se nomma ; son nom était connu (Las) ; il commença par sonder Lamontette. Le troisième se tint d’abord sur la réserve. Mais le quatrième trouva un moyen pour le faire expliquer : « On vous a écrit, aux environs du 1er décembre, une lettre de congé, par laquelle on vous priait de vous tenir chez vous ? (Silence ; grand étonnement !) C’est moi qui l’ai libellée ; je l’ai dit ensuite à Sara ; elle m’en a remercié de bouche, et... par écrit. Voilà son billet. » Le troisième lut : « J’ai un conseil à vous demander pour une mère. Je ne veux pas marier ma fille ; mais je voudrais bien garder les bijoux et les présents... » Tout en lisant, le troisième sourit, mais de rage sans doute. Nous avons tous notre amour-propre, et de Lamontette un peu plus que les autres hommes. Il devint furieux ; et cet avocat, que je croyais encore pénétré d’estime pour Sara ; lui, qui paraissait l’adorer au Boulevard ; qui venait en suppliant la voir chez sa mère ; qui s’abaissait à lui rendre des visites nocturnes dans la chambre qui nous était particulière à elle et à moi, de Lamontette ne put tenir contre une marque de mépris, ou d’indifférence ! Furieux, il s’irrite, il s’enflamme ; il dévoile sa conduite avec Sara... Insensé ! qui ne voyait pas que la dénigrer, c’était se noircir lui-même ! Il traita Sara, de la dernière des créatures ; il se vanta de ses faveurs... Puis, tombant sur la mère, il lui donna le plus odieux des noms ! « Elle m’a raccroché au boulevard ; elle m’a offert, amené, laissé, livré sa fille ! Elle l’a mise à prix, et je n’ai pas tenu l’enchère. C’est elle qui me l’a amenée ; la fille est encore plus gueuse que la mère : le premier jour où je les menai chez moi du boulevard en voiture, la fille sautait de joie, comme si elle eût fait une bonne chasse ; cela fut porté si loin, que sa mère fut obligée de lui dire : Finirez-vous, mam’selle ? que veulent dire ces façons-là ? » Et ce misérable qu’elles ont avec elles, ce Florimond, que la mère traite comme Circé traitait les hommes qu’elle avait changés en cochons, à quel point il se dégrade ! Il est venu me voir un de ces jours, ivre à demi : il en était plus supportable ; ces ivrognes d’habitude ont alors l’esprit du vin, au lieu que, dans les autres temps, ils sont tristement stupides... « Quoi ! lui ai-je dit, un homme de famille honnête, se crapuler ainsi, avec de pareilles femmes !... Vous vous enivrez ; cela est vil, bas ; c’est néanmoins le seul titre que vous ayez à mon indulgence : je vous crois encore assez d’âme, pour chercher à vous étourdir sur votre déplorable situation ! ... Mais on dit que vous vous vautrez dans la fange ; que vous revenez à demi-nu ; que rentré, vous couvrez d’injures celle qui est l’auteur de votre désastre ? Quoi ! Vous ne savez l’apprécier que lorsque vous êtes ivre ! Prenez une généreuse résolution ! quittez ces femmes ; retournez au sein de votre famille, tâchez de vous concilier les bonnes grâces des honnêtes gens à qui vous appartenez, et vous verrez qu’un changement réel vous remettra dans l’état doù vous êtes déchu !... » Lamontette, après s’être expliqué sur Sara, sur Mme Debée, sur Florimond, s’occupa de moi : il me fit l’honneur de me traiter à peu près comme ce dernier : « M. Nicolas s’entendait avec eux sans doute : c’est le seul motif raisonnable que je puisse prêter aux éloges outrés qu’il m’a faits de cette fille ; ses jalousies, ses ridicules désespoirs, tout cela était joué. Cependant je crois qu’il l’aimait... Au reste, s’il a été dupe, c’est une dupe bien bête !... » Las prit mon parti, et, d’après le séjour qu’il avait fait à la maison de mon temps, il se rendit garant pour moi. Il peignit ensuite l’adresse de Mme Debée, pour tâcher de gagner les présents de noce, sans donner la fille... Cette visite se termina, de la part de Lamontette, par témoigner le désir de me voir. Le refusé vint me raconter tout ce que le congédié avait dit... Il ajouta qu’il allait retirer ses gages. Je promis de me trouver chez Mme Debée au moment où il y viendrait. Ce fut le dimanche soir que parut Las, et il s’expliqua modérément. On lui rendit. Je ne ferai plus que parcourir les derniers faits. J’allai voir Lamontette. Il couvrit Sara de fange, au point que j’eus pitié de cette jeune infortunée. De ce moment, je n’ouvris plus la bouche que pour la plaindre : c’était sa mère, et les circonstances cruelles où elle s’était trouvée, qui l’avaient rendue fausse, fourbe, facile... Sa mère fit un voyage à Anvers, et on me le cacha. Je fis avec Sara une promenade sur l’Île Saint-Louis : elle ne me fut agréable que par des ressouvenirs... J’attendais avec impatience l’anniversaire du 31 mai. Le 27 portait sur l’Ile : « Biduum ante infortunium. » Le 29, « Vigilia. » Le 30, « Pal.-Régal. » « Et je l’ignorais ! m’écriai-je. Je pleurais avec une sorte de volupté. O Sara ! Tu me préparais la mort ! Toi. Adeline adorée ! Que t’avais-je fait, Sara ? » Mais il semblait que j’eusse réservé toute ma sensibilité pour le 31. La date portait : « 31 mai, 11 heur. du soir. Sara non revenue ! Ma Sara perdue ! Et moi, au désespoir ! ... » Je me recueillis d’abord quelques instants : un nuage de douleur et de larmes se formait... Mon cœur était serré, ma poitrine haletante... Mes yeux s’obscurcissent... mes larmes coulent, et je m’écrie : « Depuis un an, mon malheur est complet ! Mon cœur, mon pauvre cœur avait cru trouver un asile ! Il s’y était jeté, pour ne le quitter jamais ! Il aimait, il adorait un objet... Ha ! Qu’il la trouvait aimable, cette fille qui l’a trompé ! C’est aujourd’hui l’anniversaire de l’anéantissement de mon cœur ! Aujourd’hui, aujourd’hui, malheureux ! tu ne le sentis plus que pour souffrir ! Et je pleurais, je fondais en larmes, le visage voilé d’une main, traçant quelquefois de l’autre sur la pierre l’excès de mes douleurs. Avec quelle vivacité cet anniversaire me retraçait la trahison de Sara ! Je la sentais peut-être plus cruellement que je ne l’avais alors senti ; je ne pouvais que sangloter... C’est en ce moment cruel que j’aperçus devant moi, sur le pont Marie, Sara, sa mère et Florimond. Un élan de tendresse involontaire, désavoué par ma raison, me porta vers l’ingrate. J’abordai la mère. J’en fus accueilli. Je ne lui parlai que de Sara ; je dis ce que je pensais ; je l’aimais, en cet instant (ceux qui connaissent le cœur humain n’en seront point étonnés, après ce que je venais d’éprouver). Cette femme parut charmée de ce que je lui disais ; encouragé par là, je sentis de la joie, de l’amour, de la tendresse... Mme Debée, adoucie par les dispositions que je montrais pour sa fille, me parlait avec affection. Nous arrivâmes ainsi au Boulevard ; j’y reparus avec ces deux femmes, que j’avais été y voir si souvent à la dérobée, soit avec mon ancien rival, soit avec leur nouvelle connaissance ; j’y jouis des doux regards, du gracieux sourire, des paroles obligeantes de Sara, au même endroit, où, le 9 octobre précédent, j’avais brûlé de jalousie, où j’avais vu mon rival préféré... L’ivresse revint. Obligé de les quitter, je m’en revins heureux... Heureux !... Oui, j’avais le bonheur d’un misérable, qui s’est enivré... Je revins le soir sur ma chère île : tout m’y parut changé en beau ; j’y versai des larmes de joie ; j’y écrivis sur la pierre : « Avec Sara au boulevard du Temple, l’anniv. du douloureux 31 mai ! » J’allai ensuite jusqu’à la pointe occidentale. Là, mon cœur exalté s’affaissa ; un mot, un cruel mot ! ou plutôt un favorable trait de lumière me frappa : je me rappelai qu’une femme m’avait averti que Sara, que sa mère devait m’amadouer, pour obtenir de moi l’effet de mes anciennes promesses... Adieu tout mon bonheur ! Mais je ne me trouvai plus la sensation regrettante, désespérante, que j’éprouvais auparavant. En ce moment, à onze heures, je me retrouvai vis-à-vis l’inscription de l’année précédente ; je la lus à la lueur du réverbère. Tout se retraça... Ce moment fut cruel ! « Tranquille séjour ! m’écriai-je, où je viens, chaque jour, savourer mes plaisirs et mes peines, tu n’entendras plus que des soupirs ! J’ai perdu, une fois encore, la Sara que j’aimais ; car ce n’est plus elle que je viens de revoir ! » Et je m’assis pleurant. Je restais là. J’entendis marcher doucement. « Mettons-nous là dans l’ombre, dit-on fort bas. Je verrai si tu l’es à quatorze ans. — Ho, certainement ! On a voulu ; mais jamais... — Qui a voulu ? — M. Voisin, un ami de mon père. — Que t’a-t-il fait ? — Mais ce que vous faites à présent... — Et ceci ? — Non, non : il craignait de me faire un enfant. » La petite cria. Je me levai pour lors bruyamment, et j’allai écrire sur le mur cette scène. La petite dit à l’homme : « C’est le Griffon de l’île qui écrit sur les murs ! Sauvons-nous ! — Non ! Non ! Je veux t’achever. — Voici le guet ! m’écriai-je. » Aussitôt l’homme (que je reconnus) et la petite fille s’enfuirent à toutes jambes. Mais je les vis rentrer... ils avaient profané ma douleur ; je m’en retournai l’âme desséchée... Vous avez suivi, ô mon lecteur ! dans ce long récit, la marche la plus forte des passions. Vous avez vu comme elle naît, comme elle croit, comme elle se rengrège, même après les torts, l’indignité connue de l’objet aimé. Vous avez vu ses accès, ses redoublements, ses crises ! Je suis un livre vivant, ô mon lecteur ! Lisez-moi ! Souffrez mes longueurs, mes calmes, mes tempêtes et mes inégalités ! Songez, pour vous y encourager, que vous voyez la nature, la vérité, destituées de tous les ornements romanesques du mensonge. Le lendemain, j’allai voir Sara. Je proposai pour le soir une promenade aux Nouveaux Boulevards, loin de ces Boulevards corrupteurs, encan du vice ; les nouveaux ont encore le rustique de la nature, et l’honnête femme peut y aller seule... On accepta de la manière la plus enjouée. Les dames me précédèrent. Le lieu pour les rejoindre était désigné... En allant seul, une foule d’idées m’occupèrent : « Il y a un an, que le matin de ce même jour, mon sang ne circulait plus ! J’avais le cœur serré de douleur ! Mon rival... triomphant... avait Sara ! Il la voyait tendre... Que j’ai souffert, durant cette année qui se résolve aujourd’hui !... Tout est passé ! Moi seul je reste... Lamontette n’est plus !... L’épouseur n’est plus... Le clerc n’est plus... Le cocher n’est plus... Je reste seul ; je suis accueilli, fêté ; je vais goûter avec Sara... Ce soir, son bras s’appuiera sur le mien, ses soupirs n’iront plus chercher mon rival !... » J’allais allegro, en faisant ces réflexions. De loin, j’aperçus Florimond qui me guettait. Sara se leva pour me découvrir de plus loin ; je la vis sourire. Sa jolie figure était épanouie ; elle me prit le bras... L’ivresse commença de ce moment et j’allai avoir un beau jour !... Arrivés dans l’endroit du rafraîchissement, la gaité. Nous avions tous peu dîné ; l’appétit rendit ce petit repas délicieux ! On rit, on se dit des douceurs, on y mit le ton de la vérité. Cependant le soleil précipitait sa course, et la plus belle soirée succédait au plus beau jour. On se lève : « Voilà, dit Sara, le véritable instant de la promenade. » En même temps, ses beaux yeux se tournèrent vers un coteau couvert de verdure, de blés, de seigles et de fleurettes. Elle en prit le chemin, appuyée sur mon bras. Sa mère et Florimond nous suivaient à quelque distance. Le sentier était étroit, un peu tortueux ; les seigles étaient à notre hauteur, l’air parfumé par les émanations des fleurettes, les mêlait à celles de la verdure et de la floraison des seigles, un zéphir caressait les tresses de Sara et la dédommageait de son éventail, qu’elle avait laissé dans l’endroit où nous avions goûté... Jamais elle n’avait été si belle ; c’était une nymphe au milieu des champs fleuris... « Je t’ai rêvé cette nuit, me dit-elle, il m’a semblé que nous allions être mariés. J’en étais ravie ! » Sa main blanche pressa la mienne, sa bouche de rose me donna un baiser. J’étais sous le charme ; douze mois venaient de s’effacer... J’exprimai les plus tendres sentiments... Parvenus au haut de la colline, nous respirâmes l’air le plus pur. Sara se mit à courir, je la suivis. Une alouette se leva sous nos pieds. Je trouvai son nid ; il y avait des petits ; Sara fut dans une sorte de transport en les voyant. Elle me donna deux baisers. « Je n’ai jamais eu de bonheur qu’avec toi ! » Ce furent ses expressions que son air rendit encore plus flatteuses. La mère de Sara fut elle-même ravie ! tant il faut peu de chose pour se concilier les femmes ! tant il faut peu de chose pour se les aliéner ! Un an auparavant, qu’avais-je fait ? Trop de bien. Le reste de la promenade. Sara fut folle de joie. Vers le lieu du Boulevard du Jardin-Royal, nous entendîmes des femmes chanter Raimonde, toute nouvelle alors ; nous l’écoutâmes. Sara me tira dans un seigle voisin, où nous nous cachâmes et là, elle répondit à la chanson des inconnues par celle-ci : Air d’Épicure. Rien n’égale dans la Nature L’amant dont mon cœur est charmé ; Pour la volupté la plus pure Les Dieux tout exprès l’ont formé : On le prendrait pour l’Amour même, Quand ses yeux sur moi sont fixés ; Il me dit sans cesse qu’il m’aime, Et ne le dit jamais assez. Le boulevard des Italiens (Musée Carnavalet.) « Ha ! Sara ! m’écriai-je, de quel amant parlez-vous ? — Cette chanson vous déplaît ? On nous écoute ; profitons du silence qu’on nous accorde. » Vous êtes irrité ? En vérité, Ce courroux me fait rire ! Mais de quoi vous plaignez-vous ? Quoi ! seriez-vous jaloux ? Que voulez-vous dire ? Empêcher l’hommage Qu’on rend au bel âge, Dépend-il de nous ? Puis-je refuser Un baiser, Quand on me tourmente ? Je souris aux talents Des galants, Sans en être amante : Tircis, je veux bien Qu’un tendre lien Ne fasse de nous qu’une âme : Mais si votre flamme Pour si peu me blâme, N’espérez plus rien... — Pouvez-vous, volage, Vous servir de ce langage ! Dit Tircis en la fixant ; Ingrate, mon cœur sent Que le vôtre l’outrage : Ha ! Quand on s’engage, Qu’est-ce donc qu’un badinage ? L’amour sans partage Fut toujours le gage D’un cœur bien épris ! Mais le vôtre, Iris, Ignore ce charmant usage ! Qui vous rend hommage. Obtient l’avantage De plaire à vos yeux ! Un cœur amoureux Ne peut être heureux, Si plus d’un objet lui fait sentir des feux La délicatesse Doit de la tendresse Former les doux nœuds. Je vous aime, Mon ardeur extrême Forme l’unique bonheur De mon sensible cœur ! Je vous aime, Mon ardeur extrême Pour vous durera toujours, Et de mes jours Finira le cours. À ce discours, Iris En vain retient ses larmes ; Bientôt Tircis Les voit couler ; pour lui que de charmes ! Sans rien dire, La belle soupire : Mais regardant son amant D’un air charmant, Chanta tendrement : — Je vous aime, etc. Cette dernière chanson, fut très applaudie par les inconnues ; Sara l’avait chantée avec un goût exquis, sans doute, parce qu’elle était animée, et qu’elle lui fournissait l’occasion de me dire son sentiment sur ma jalousie, en même temps qu’elle voulait me confirmer ses tendresses. Nous nous aperçûmes, en ce moment, qu’on venait à nous. Sara se mit à fuir entre deux sillons ; lorsque nous fûmes seuls et un peu loin, elle me fit asseoir dans le seigle le plus touffu... J’oubliais la nature auprès d’elle, je m’oubliais moi-même et mes serments passés et mes rivaux, et ses perfidies, et ses duretés ; je ne voyais plus que Sara, non la tendre Sara des premiers temps* mais une fille vive, enjouée, folâtre... Nous rejoignîmes enfin sa mère et Florimond ; mais avant de les aborder, nous remplîmes nos mains de fleurettes blanches, d’une odeur très suave, qu’on appelle en quelques provinces des claquets, et ce fut le prétexte du long temps que nous étions restés éloignés. Nous rentrâmes à la ville à une heure du matin fatigués, mais divertis, pleins de gaité, en nous promettant de faire souvent de ces parties, si favorables à la santé. Rentré chez moi, je me dis : « Comme les années se ressemblent peu ! Il y a un an que Sara revint de chez mon rival, et que je vis que j’avais perdu son cœur... » Le lendemain, je me trouvai plus ami de Sara que jamais. Nous dînâmes ensemble les deux jours suivants, mais le soir du second, elle parut me voir avec peine. Elle attendait quelqu’un sans doute... Nous traînâmes ainsi, faisant quelques parties, comme celle que j’ai décrite, jusqu’au 19 juillet, qui vit la dernière. Le 20, Sara et sa mère étant absentes, j’allai le soir au Boulevard de corruption, pour me dissiper... Quelle fut ma surprise d’y voir Sara, entre un jeune abbé coquet et une dame âgée, la mère, qui lui souffrait !... Tandis que cette vision m’occupait et que je me tenais à l’écart, on me frappa sur l’épaule. Je me retourne vivement. C’était Lamontette ; « Hé bien ! Aimez-vous encore ? — Vous êtes sans intérêt à le savoir. — Ha ! J’en réponds ! Sara est la plus méprisable, la plus méprisée... Mais la voilà ! Elle a un abbé depuis environ deux mois ; je la vois sans cesse avec lui, ou avec une dame qui l’accompagne aujourd’hui. On dit que c’est la mère de l’abbé qui lui donne elle-même une maîtresse, par commisération... Dites, aimez-vous encore ? — Non. » Je parlais vrai en répondant ce non ; il ne fut ni douloureux, ni même pénible. Cependant je crois que j’aurais continué à revoir Sara. Mais cette journée était celle des découvertes. J’eus à peine quitté Lamontette, que j’aperçus Manon, cette jolie brune dont il est dit un mot à l’occasion du dîner des artistes. « Hé bien, me dit-elle, vous avez été de la noce ? — Non ! de qui ? — De votre demoiselle. Cette dame que vous voyez a un fils abbé... que voilà, qui ne peut se passer de femme ; sa mère lui en donne. Mais, comme elle est dévote, pour ôter le péché, elle les a mariés devant Dieu, pour jusqu’à ce que son fils soit prêtre. Alors le mariage sera rompu. » Ceci se rapportait avec deux mots de Lamontette. Je fus anéanti ! non de surprise ; je connaissais la mère d’un bénédictin qui avait fait la même chose pour son fils ; mais d’étonnement de la ruse de Sara !... Je me retirai, sans répondre. Je n’allai plus chez Sara qu’une fois, le 23 juillet, encore ne lui parlai-je pas ; il y avait des étrangers. C’est de ce jour que date le Sara laissée de l’Ile Saint-Louis. On a vu que j’ai adoré Sara, que je l’ai haïe, détestée, méprisée. À présent, je n’éprouve que le sentiment de la tendresse et de la douleur... Où trouvera-t-on le cœur humain aussi bien, aussi véritablement peint que dans cette histoire ! Ha ! L’abbé Delille avait raison ! C’est un chef-d’œuvre ! Mais c’est la nature, et non l’auteur qui la fait. FIN C’est la cinquantième Nouvelle des Contemporaines. (R.) Voyez dans le Paysan perverti, t. III, pp. 77 et suiv. (R.) Restif avait épousé le 22 avril 1760 Agnès Lebesgue. « Après vingt-cinq ans d’une union mal assortie, il se sépara en 1794 de sa femme et eut le tort inexcusable de mettre le public dans la confidence des torts qu’il croyait avoir à lui reprocher, ainsi qu’à sa fille sa fille aînée, Agnès et à son gendre Auge, coupable des plus grands désordres. « Je me sacrifie, moi et ma famille, à l’instruction de mes concitoyens, disait-il à ceux qui lui reprochaient de dévoiler toutes ces turpitudes. » Biographie universelle et portative des Contemporains, Paris, 1834, t. III, p. 1087. Sophie Arnould ou peut-être Mlle Allard, danseuse de la Comédie-Française, et une des grandes impures du temps. Ce qui est d’un autre caractère, ou entre deux parenthèses, était écrit, ou rayé de la main de Sara. (R.) Il ne faut pas oublier, qu’en écrivant ceci, M. d’Aigremont se croyait aimé de Sara : il faut savoir aussi qu’elle le trompait. (R.) Même après être détrompé, à tout moment d’Aigremont parle, comme s’il croyait encore que Sara eût été vraiment tendre pour lui. (R.) Voyez cette aventure en forme de journal, dans la deuxième partie de la Malédiction paternelle. (R.) La Malédiction paternelle : Lettres sincères, véritables de N... (Nicolas Restif) à ses parents, ses amis, ses maîtresses ; avec les réponses : Recueillies et publiées par Timothée Joly, son exécuteur testamentaire. Imprimé à Leipsick, par Bûschel, marchand-libraire : et se trouve à Paris, chez la dame Ve Duchesne, en la rue Saint-Jacques, au Temple du Goût, 1780. Cet ouvrage, qui forme trois parties en trois volumes in-12, fut composé en 1778. Les grands boulevards ou boulevards du Nord avaient été tracés en 1536 et en 1668 on commença à les planter d’arbres. « Les contre-allées, écrivait en 1783 un Almanach du voyageur a Paris, en sont sablées, et garnies de bancs de pierre de distance en distance. L’allée du milieu, pavée depuis peu, offre l’avantage de s’y promener en équipage. Son étendue de deux mille quatre cent toises fournit une superbe promenade, ouverte a tout le monde, et très fréquentée. MM. les Prévôts des Marchands et Echevins, à qui l’on est redevable des embellissements de cette promenade, ont soin de faire arroser cette allée du milieu pendant l’été. Le jeudi est le jour où le beau monde s’y rend de préférence. Ce boulevard est éclairé pendant la nuit par des réverbères. On y trouve toutes sortes de jeux et de spectacles qui contribuent à rendre cette promenade agréable et variée. On peut s’y procurer tous les rafraîchissements possibles, au moyen de la multitude des cafés qui s’y sont rassemblés, où l’on entend parfois d’assez bonne musique. » Thiery. Almanach du voyageur à Paris, Paris, 1786, p. 34. C’est la petite Nouvelle, intitulée Les Deux Cinquantenaires. (R.) C’était une des promenades les plus fréquentées de Paris. Voici ce qu’en dit un contemporain : « Le site est agréable, le coup d’œil champêtre, l’air pur ; les allées y sont plus longues, plus larges, plus majestueuses, et les arbres mieux venus qu’aux anciens boulevards (ceux du nord). On y voit des champs cultivés, on y voit croître la récolte. Il s’y trouve cependant, du côté de la ville, quelques jolies maisons ; on y a même bâti des salles de spectacles... On n’y rencontre presque jamais de voitures, point d’élégants personnages ; mais de bons bourgois, avec leur famille entière, des amants et des maîtresses, dont les mœurs ont l’air aussi simple que leurs habits. » Dulaure. Nouvelle description des curiosités de Paris. Paris, 1786, t. I, p. 72. La revue de la maison du roi, qui attirait tout Paris à Marly ou au Champ de Mars. « A la fin du règne de Louis XV, on abusa des parades ; on excéda le soldat pour qu’il y figurât avec honneur ; on tirait vanité des revues, qu’on faisait passer aux princes, qu’on donnait en spectacle aux dames pour les distraire ; sur le Champ de Mars de Paris, des soldats, cheveux poudrés, le roi de carreau pommadé formant une boucle de face, manœuvraient pour elles. » Albert Babeau, La Vie militaire sous l’ancien régime, t. I, p. 149, Paris, 1890. C’était une Anversaise (sic) qui avait été entretenue par le ministre Amelot, lorsqu’il était à Dijon. Monsieur Nicolas, t. III, p. 200. Charles Lee, né dans le pays de Galles et qui, venu en Amérique, en 1756, devint major général dans l’armée des Etats-Unis. Il a laissé des Mémoires, publiés en 1792. Legros était en 1775 haute-contre à l’Opéra, avec Muguet, Tirot, Cavallier et Lainez. Les filles de Sainte-Geneviève, appelées plus communément les Miramionnes parce que Mme de Miramion, veuve d’un conseiller au Parlement, avait achetée pour elles, en 1670, une maison sur le quai de la Tournelle, près de l’hôtel de Nesmond. « Les filles de Sainte-Geneviève ne font point de vœux ; elles se consacrent à l’instruction des jeunes filles et au soulagement des pauvres blessés ; elles font les saignées, préparent les onguents et les médicaments dont ils ont besoin et mettent un nouveau prix à ces secours gratuits, par le zèle et la charité avec lesquels elles se les procurent. On fait aussi dans cette communauté des retraites pour toutes sortes de personnes du sexe. Il y a cinquante chambres ou cellules. » Dictionnaire historique de la ville de Paris, par Hurtaut et Magny, Paris, 1779, t. III, p. 120. « Une vieille femme noble, ruinée qui, ainsi que ses deux filles, raccommodait les dentelles. » Monsieur Nicolas, t. III, p. 203. On sait que Sara m’avait fait ce récit de sa bouche, avec des circonstances un peu plus détaillées. (R.) Amelot, ministre de la maison du roi, et qui était, lorsque Mme Debée-Leeman le connut, intendant à Dijon. La quatrième, rapportée plus haut : Serait-il possible qu’ayant été malheureuse, » etc. (R.) Ce médecin Guillebert de Préval, dont Restif parle souvent dans ses œuvres. Le 6 avril 1763, entre onze heures et midi, le feu prit à la salle de l’Opéra, qui se trouvait alors au Palais-Royal. L’incendie dura près de trois jours. V. la Vie de Monsieur Nicolas, t. III, pp. 39 a 51. Il est ici question de M. Legrainier, qu’on voulait substituer au monsieur du Palais-Royal. (R.) La Philosophie des Maris, conte intercalé dans le Nouvel Abeilard ou Lettre de Deux Amants qui ne se sont jamais vus, 1778 Sur Victoire Londeau, fille d’une charcutière, et que Restif trouve incomparable comme la plupart des femmes qu’il a aimées, Voir Monsieur Nicolas, t. III, p. 206. Butel-Dumont, trésorier de France et censeur royal. Il en est souvent question dans les œuvres de Restif. Voir Monsieur Nicolas, t. III, pp. 204 à 206 et 252. « Restif avait le tic de la noctambulance, comme l’ont eu de nos jours Gérard de Nerval et Privât d’Anglemont. Il était ce que le peuple, dans son pittoresque langage, appelle un baruleur. Les Parisiens de l’île Saint-Louis et de la Cité connaissaient presque tous de visu l’auteur des Contemporaines. On l’apercevait d’habitude, de minuit à cinq heures du matin, bizarrement accoutré, un chapeau à larges bords devant les yeux, se promenant une lanterne à la main et poussant des cris, des soupirs, des exclamations, ou se livrant à des gestes désordonnés. Ceux qui ne l’avaient jamais vu le prenaient pour un chiffonnier... ! Il avait pareillement la manie de graver sur les parapets des ponts, avec la pointe d’un couteau, les dates mémorables de son existence. » Restif de la Bretonne, par Firmin Boissin, Paris, 1875, p. 29. Dans le quartier de la place Maubert. Elle aboutissait d’un côté à la rue Saint-Victor, et de l’autre au quai de la Tournelle. Dans le quartier Saint-Benoit, de la rue Saint-Jacques à la place Maubert. Elle tirait son nom des noyers qui étaient plantés dans le clos Bruneau. Restif parle longuement dans Monsieur Nicolas, de ce Tourangeot, ancien domestique, et plus tard ouvrier typographe à Auxerre, où il le connut. Le Mont-de-Piété à Paris avait commencé à fonctionner le 1er janvier 1778. Il était situé rue des Blancs-Manteaux et près du couvent de ce nom. On y prêtait le tiers de la valeur des objets mis en gage. La Paysane (sic) pervertie ou les Dangers de la ville ou Histoire d’Ursule R..., sœur d’Edmond, le Paysan, mise au jour d’après les véritables lettres des personnages, par l’auteur du Paysan perverti... Imprimé à la Haye. Et se trouve à Paris chez la dame veuve Duchesne, libraire, en la rue Saint-Jaques, au Temple du Goût, 1784. Palatium Regale (Palais-Royal). Ou boulevard du Sud. J’ai vu Sara pour la dernière fois le samedi 13 auguste de cette année 1785. Je l’ai encore vue le 3 septembre suivant... » Monsieur Nicolas, t. XVI de l’éd. orig. 1794-97. |
Correspondance de Gustave Flaubert/Index/D | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1933 (Volume 9, p. 135-156). ◄ C E ► bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1933ParisCVolume 9Flaubert Édition Conard Correspondance 9.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 9.djvu/1135-156 D., initiale désignant, sans doute, des personnages différents : — a une étrange infirmité, I, 422. — ne pourrait se résigner à faire a Feydeau le moindre compliment sur son livre, IV, 368. — n’a pas agacé F., VI, 36. Le père — s’est réfugié en Belgique, VI, 149. M. et Mme — sont philippistes, I, 111. Dahomey : La nouvelle Athènes descend au-dessous du —, VI, 213, 215, 226, 237. Dainez, ancien proviseur du collège de Rouen, professeur de mathématiques à l'école municipale : — va tenir une pension, I, 188. — parle de F. en chemin de fer, IV, 101. La trogne de — manque à la distribution des prix, IV, 218. Dakno, chien de F. : F. dînait avec —, IV, 68. — reste toute la journée au coin du feu, IV, 100. Dalloz, directeur du Moniteur : Sainte-Beuve est indigné contre —, VI, 7. — publiera une biographie de Bouilhet, VI, 57, 70, — a appelé Saint-Victor au Moniteur, VI, 259. — opprime T. Gautier, VI, 440, 448. — n’a jamais manqué les occasions d’être désagréable à F., VII, 1. — publie les Trois Contes, VIII, 24, 31. F. envoie — se faire f...... par d’autres, VIII, 160. — ne veut pas du Château des Cœurs, VIII, 161, 162, 163. F. écrira à — tout ce que voudra Labarre, VIII, 166. — ne répond pas aux lettres, VIII, 167, 179. — est un vilain coco, VIII, 311. Damas : F. veut aller à —, II, 158. F., à Médinet-el-Fayoum, loge chez un chrétien de —, II, 171. L’odeur du santal rappelle à F. les bazars de —, II, 357. F. connaît les juifs de IV, 155. F. a observé à — des cas de peste, V, 58. Damas-Hinard : F. lit la traduction de Don Quichotte par —, II, 50. Dame aux camélias (la) : Avec —, Dumas va se concilier toute la lorétanerie, II, 417. On compare Madame Bovary à —, IV, 190. Dans la préface de —, Dumas vante les bienfaits de la censure, VI, 457. Dames de la Désillusion : Ordre religieux imaginaire dont le P. Cruchard est le supérieur, VII, 14. Dames heureuses (les) : titre donné à un livre par Feydeau dans le Mari de la danseuse, V, 101 Damiette : F. renonce à faire a cheval le voyage de — et ira par Mansourah, II, 109, 110. Damis : Surnom de Maupassant, VII, 364. Damnation de Faust, de Berlioz : La — a du succès après la mort de son auteur, VI, 337. Damos, habitant de Luchon : Que fait — ? VI, 405. Daniel, roman de Feydeau : F. dévorera — des deux oreilles, IV, 279. F. lira — tout d’une haleine, IV, 282. Que Feydeau pioche —, IV, 283. Compliments de F. pour la manière dont Feydeau a rendu —, IV, 286. F. emploiera toute sa critique à examiner —, IV, 287. F. a lu la première partie de —, IV, 288. — critiqué par F., IV, 289, 290, 291, 292, 293, 294, 295, 296, 297,298, 307, 308, 309, 310, 311. — a une grande supériorité sur Fanny, IV, 293. — va paraître dans la Revue Contemporaine et est dédié à F., IV, 299, 307. Depuis vingt heures, F. est sur —, IV, 300, et a quitté pour — un clair de lune Carthage, IV, 301. F. attend avec impatience le premier numéro de —, IV, 305. Que dit-on de — ? IV 310. On lira —, IV, 309, 318. Le conseil de rédaction de la Revue Contemporaine se retire, parce que — est dédié à F., IV, 317. F. a deux voisines qui ont relu deux fois —, IV, 319. Que pense Mlle Chantepie de — ? IV, 321. Comment va — ? IV, 336. Daniel, héros du roman de Feydeau : Le dialogue de — avec Louise est magnifique, IV, 290, 291. La description de la demeure de — est superbe, IV, 291. Qu’a de bon la tartine de — apropos des pêcheuses ? IV, 293. — doit-il contredire le docteur ? IV, 296. Le discours de — sur la pauvreté doit être supprimé, IV, 297. Tout ce qui n'est pas utile à l’exposition des théories de — doit être escamoté, IV, 308. Daniel Darc, pseudonyme de Mme Régnier, V, 293, note. F. recommande à Mme Adam la Princesse Méduse de ——, VIII, 328. Dante : Le « Jugement dernier » de Michel-Ange est du Gœthe, du — et du Shakespeare fondus dans un art unique, II, 305. — jugé par F., II, 408. La Fontaine vivra tout autant que —, III, 150. — cité par F., III, 290. Une calotte de velours vert fait ressembler F. à —, VII, 5. Danton : Quoique — en ait dit, on emporte la patrie à la semelle de ses talons, II, 441. — attaqué par Castille, III, 192. Castille reproche à Thiers de préférer — à Robespierre, III, 259. F. lit un fragment de Michelet sur —, III, 337. — a acheté Brunswick, VI, 263. Danton, sculpteur : Se présente pour le monument au père de F., I, 358. Dantzig [orthographié : Dantzick] : Caroline ira-t-elle à — ? VI, 445. Darc (Daniel). Voir Daniel Darc. Darcel (A.) : — est influent au Journal de Rouen, IX, 3. Darcel (Charles) : — est un charmant garçon, IV, 421. — donne à F. des nouvelles de Mlle Bosquet, V, 96. F. se connaît en théâtre autant que —, V, 191. — connaît beaucoup de journalistes, V, 259. F. est presque content de l’article de — sur Mlle Bosquet, V, 339. Que Caroline envoie sa carte à —, VIII, 276. Darcet, frère de Mme Pradier : Est à Constantinople, I, 117. — prépare le concours du bureau central, I, 133. F. va voir Mme et Mlle Darcet, I, 161. — meurt au Brésil, II, 10. F. voit le nom de — gravé sur une ruine, à Ombos, II, 187. Daremgerg : F, lit l’Histoire de la médecine de — et prend des notes, VII, 39, 41, 42. Darfour : F. rencontre des esclaves qui viennent du —, II, 182. Darimont, député : F. dîne avec —, V, 119. Darius : F. admire le passage de Quinte-Curce où — fait le dénombrement de ses troupes, I, 189. Darlington (Richard), drame de Dumas père : Claveau a fait le compte rendu de —, dans la Revue Contemporaine, IV, 311. DarnÉtal, faubourg de Rouen : M. L... est conseiller municipal de —, IV, 83. Darse (rue de la), à Rouen : F. a habité —, I, 116. Darwin : Le darwinisme est plus clairement exposé dans la Création naturelle de Haeckel que dans les livres de —, VII, 163. Daubichon : Que Chevalier se rappelle —, I, 98. Daudet (Alphonse) : — était désespéré de voir jouer le Sexe faible à Cluny, VII, 220. — est un des fidèles des dimanches de F. à Paris, VII, 279. F. n’a aucune, nouvelle de —, VIII, 83. est-il aux Petites-Dalles ? VIII, 129. F. a reçu pour le jour de l’an une lettre exquise et parée de, — VIII, 178. Il faut que — vienne à la première de Maupassant, VIII, 200. F. ignorait un paragraphe de —, VIII, 249. E. de Goncourt est invité à Croisset avant ou après le convoi Zola-Charpentier-Daudet, VIII, 263. F. a trouvé — bien éreinté, VIII, 279. F. connaît l’article de Poupard-Davyl contre —, VIII, 311. F. est content que — ait plu à Mme Tennant, VIII, 347. — est invité par F., VIII, 358 ; IX, 8, 13. F. conseille à G. Sand de lire Fromont jeune et Risler aîné, VII, 224. F. dira à — d’envoyer Jack à G. Sand, VII, 291. Pièces de — : Fromont jeune et Risler aîné, VII, 314, 342, 343, 344, 345, 346, 348 ; Jack, VIII, 84, 192 ; Le Nabab, VIII, 359, 360 ; Le Temps ne donne pas le roman de —, VIII, 348. Daudet (Mme Alphonse) : F. remercie — de son article sur Trois Contes, VIII, 48, 247. F. envoie ses respects à —, VIII, 96, 180, 317. Daudet (Léon) : F. embrasse — (le môme), VIII, 180, 317. Daudet (Ernest) : F. remercie —, VI, 355. — avait proposé de placer avantageusement le Château des Cœurs, VIII, 161. Dalloz a refusé un manuscrit proposé par —, VIII, 167. Le manuscrit du Château des Cœurs est chez —, VIII, 208, 211, 244. Daumas : F. lit un livre de — sur les chevaux du Sahara, II, 334. Dauphiné : F. rencontre à Béni-Souëf un M. Robert du —, II, 165. Dans Jacques de G. Sand, une femme regarde une vue du —, VI, 300. Les reliques de saint Antoine reposent en —, VII, 90. Dauseh : Cérémonie arabe vue par F., II, 159. David : Langlois était un élève de —, V, 341. David : Les trois X au bout de son nom, dans une lettre de L. Colet, donnent à penser à F., III, 11. Daviron, employé de Commanville : Le frère de — apporte une lettre à F., VI, 139. F. admire le paraphe de —, VI, 304, — donne à F. l’adresse des Commanville pendant leur voyage, VII, 88, 94. — est chargé par F. de payer Guilbert, statuaire, qui a fait le buste de Mme Flaubert, VII, 92. — annonce à F. le retour des Commanville, VII, 164. — ne répond pas à une dépêche de F., VII, 167. — a fait parvenir de l’argent à F., VII, 209. Davoust (Fanny), née Egberg : Vient de se marier, VII, 315. — va faire partie de « la Haute », VII, 318. — est restée la même, VII, 363. Comment est l’époux de —, VII, 366. F. va tâcher de découvrir —, VIII, 79. F. est reçu par —, VIII, 81. Davy (Maison) : Fournit une chienne pour le chien de F., VII, 188. De... (les) : Ne sont plus de ce monde, VII, 160. De Alcoolismo chronico : Ouvrage de Magnus Hus, VIII, 72. Deauville, où Mme Flaubert a une ferme : F. vient de —, III, 289. La ferme de — échoit à F., VI, 428. Un propriétaire de — réclame à F. de fixer un bornage, VII, 150. Que faut-il que F. écrive au fermier de — ? VII, 212. Si F. se faisait avec — 10000 livres de rentes, il ne se plaindrait plus de la vie, VII, 242. F. a vendu avantageusement sa ferme de —, VII, 256. Les deux jours passés par F. à — ont été durs, VII, 258. Déborah, personnage des Deux Chemins de René de Maricourt : Jugé par F., V, 277. Déborah (Mlle), actrice de l’Odéon : A écrit à F., VII, 86. Début à l’opéra (Un), de Feydeau : Jugé par F., V, 98-105. Decamps : N’a pas fait un Orient imaginaire, V, 380. Decaux (la mère) : Citée par F., Il, 143. Dechambre : F. conseille à G. Toudouze de consulter le Dictionnaire de médecine de —, VIII, 72. Decius : Mme R. des Genettes a comparé F. à —, VII, 47. Décollation de saint Jean-Baptiste. Voir Hérodias. Decorde, avocat, rapporteur au Conseil municipal de Rouen du projet de monument à Bouilhet : F. demande le rapport de —, VI, 331, 332, 333. F. a besoin des poésies de —, VI, 333. — est connu, VI, 339. Les procédés de F. pour — sont de bonne guerre, VI, 347. F. a découvert un vol littéraire de —, VII, 181. F. engage Caroline à chercher dans les journaux de Rouen les discours en vers de — à l’Académie, VII, 185. F. cite deux vers de —, VIII, 135. Découverte de la vaccine : F. et Bouilhet avaient commencé une tragédie sur la —, II, 256, 409. Il faudra reprendre Agénor, personnage de la —, II, 256. Il faudrait redemander le manuscrit de la —, IV, 91. Défense nationale : La — avait aplati F., VI, 289. Deffand (Mme du) : — déchirait Voltaire par derrière, V, 366. Défilé de la Hache : F. voudrait être sorti du —, V, 4. Defodon, élève de Bouilhet : — aura-t-il le prix de discours français ? II, 203. Un — est voisin de F. à Croisset, IV, 236. Degasc, ancien pair de France : — voulait faire entrer F. dans la diplomatie, II, 110. Dégénérescences de l’espèce humaine : ouvrage du docteur Morel, VIII, 72. Degouay : Vasse et F. mangeaient les fromages de Neufchâtel du père —, II, 200. Decouves-Denuncques, rédacteur au Journal de Rouen : Y fait insérer Commis de F., I, 24. F. demande des nouvelles de —, I, 50. Déjazet : — à soixante et onze ans, donne rendez-vous à Koning, VII, 48. Delaborde-Duthil, important personnage, compromis avec une gaillarde de la plus vile espèce, III, 250. Delaforge (Anatole), sous-préfet de Saint-Quentin : Rapporte à F. l’opinion de Bonnat sur Caroline, VI, 338. Delagrange, ancien polytechnicien : Va faire dans l’Inde un voyage de quatre ans, II, 105. Delahante, acquéreur de la ferme de Deauville : pourrait peut-être faire acheter la scierie de Commanville par une compagnie de chemins de fer, VII, 259. Delamarre : F. cherche un article de — sur Announah, IV, 175. Delamarre : Pourrait peut-être être utile à Bouilhet, IV, 85. Delamarre (Ernest), frère de Jules : Quel grand homme, I, 109. — à donné à F. une petite statue dorée, III, 368. Delamarre (Jules), frère d’Ernest. Officier de santé, qui, dit-on, est le modèle de Ch. Bovary : F. rencontre —, I, 32. Delamier, auteur ou acteur : Cité par F., I, 11. Delannoy, acteur qui jouait dans Candidat : F. accuse Carvalho d’avoir corrompu —, VII, 113. — a la rage des changements, VII, 114. joue comme un ange, VII, 118. La grippe de — retarde Candidat, VI, 120, 121. — est navré de la chute de Candidat, VII, 126. — est rentré dans la coulisse les yeux humides, VII, 127. — attendrit F., VI, 128. Delaporte (Mlle), actrice du Gymnase : Est avec Dumas aux environs de Dieppe, V, 402. — a mis Pinard à la porte, VIII, 255. Delattre : Un personnage du roman de — devrait le mettre au nombre des bons auteurs à emporter à ses jeunes cousines, IV, 273. — fera une conférence sur Bouilhet, VI, 62, 70. F. ne sait où est —, VI, 76. — a tort de conseiller la publication avant Aïssé des poésies anti-catholiques de Bouilhet, VI, 85. Delavigne (Casimir) : F. a acheté les Enfants d’Édouard de —, I, 20. — était un médiocre monsieur, mais un Normand rusé, II, 423. Il y a dans Pradier, de L. Colet, une tournure un peu —, II, 435. Dans l’Acropole, un vers semble être de —, III, 122. Un jeune Anglais que connaît L. Colet fait des vers dans le genre de ceux de —, III, 186. Bonenfant lisait du — à Caroline IV, 422. —, cité par F., V, 231. F. a insulté personnellement —, VIII, 375. Delessert (Édouard) : F. rencontré — à (Constantinople, II, 265. T. Gautier fait des réclames pour —, III, 103. Du Camp est de la force de —, III, 366. — doit connaître Provost, IV, 85. L’impératrice avait chargé — de dire à sa mère que l’affaire Bovary était terminée, IV, 149. La Revue de Paris donnait — comme exemple à F. pour lui faire faire des changements à Madame Bovary, V, 155. Du Camp est enchanté d’être reçu chez Mme —, II, 427. La « mère » — ne doit pas être mêlée au concours de l’Académie, III, 125. Delestre, dentiste à Paris : VI, 268, 270, 272. Delhomme, camarade de collège de F. : À l’œil droit poché, I, 17, 18. Delille : — parodié par F. I, 219. F. a une poétique, comme —, I, 235. Un vers de L. Colet semble être un vers de — III, 120, 426. En tombant dans le brimborion, on reviendrait à la Cafetière de —, IV, 212. Salammbô sent tour à tour le Pétrus Borel et le Jacques —, IV, 239. Le tableau de l’homme des champs, dans Daniel, est du —, IV, 296. L’absence d’images chez les poètes comme Sully Prudhomme fait retourner à —, VIII, 156. Delisle. Voir Leconte de Lisle. Delizy : F. va chez — de la part de L. Colet, II, 317, 319. Delord (Taxile) : F. ne désire pas arriver à la position de —, II, 442. Delphes : Avoir choisi — pour y mettre la Pythie est un coup de génie, II, 296. — décrit par Michelet, V, 161. Delporte (Mme) : F. a été faire une visite à —, veuve d’un préfet de Rouen, IV, 428. Delta du Nil : F. ne connaît pas bien le —, II, 198. Delvincourt, juriste : Les œuvres de — sont ennuyeuses, I, 129. Delzers, juriste : Chevalier ne verra plus —, I, 155. Delzeuse : Préault et Dumesnil dînent chez —, IV, 108. Dementhe (Jules), pseudonyme de Rohant : F. recommande — à Ch. Edmond, VI, 351. De Militia romana : Cet ouvrage de Juste-Lipse est-il à la bibliothèque de Rouen ? IV, 250. Démocrite : L. Colet devrait lire le chapitre de Montaigne sur —, III, 184. Démosthène : F. apprend par cœur —, I, 69. F. conseille à sa nièce la lecture de —, VI, 407. Démosthène, œuvre de Pradier : Où en est — ? I, 330. Dendérah : F. fait à — une promenade sous les doums, II, 177. Dennecourt, dit « le Sylvain » : Fait des travaux gigantesques dans la forêt de Fontainebleau, VII, 17. Dennery. Voir Ennery (d’). Denouette : S’est marié, I, 183. Dentu : Craint de publier un livre de Cladel, VIII, 38. Denys l’Ancien : A vendu le Zaïmph, V, 81. De Officiis : F. lit le —, VIII, 363, 365. Derceto : Un des noms d’Astarté, V, 81. Dernier amour, roman de G. Sand, dédié à F. : vaut des plaisanteries à F., V, 226, 228. — contient des parties très remarquables, V, 232. Dernières chansons, de L. Bouilhet : L’ouvrage est resté inédit, VI, 43. Les pièces anti-catholiques de — sont les plus remarquables, VI, 85, Quelques-unes des pièces qui se trouvent dans — reportent F. aux soirées de la Muse, VI, 328. F. va publier —, VI, 44, 132. Publication de —, VI, 303, 306, 308, 310, 313, 317, 327, 330, 331, 349. La publication de — est l’occasion de la brouille de F. avec Lévy, 363. — ont failli faire avoir un procès à F., VI, 364. Claye demande à être débarrassé des derniers exemplaires de —, VI, 374. F. a des ennuis à cause de —, VI, 391. Il reste à F. 800 exemplaires de —, VI, 455. — coûtent à F. 2.000 francs, VI, 460. F. a payé à Lévy 3.000 francs pour —, VII, 70. On s’étonne de ne pas avoir —, VI, 340. F. envoie — à Guérard, VI, 342 ; à G. Sand, VI, 343, 346 ; à Leplé, VI, 362. F. lit à Tourgueneff la moitié de —, VI, 347. F. fait faire des articles sur —, VI, 341. G. Sand et T. Gautier devraient faire des articles sur —, VI, 350, 351. F. a été trois fois aux Débats et a écrit six lettres sans obtenir un article sur —, VII, 2, Charpentier veut acheter —, VI, 416. F. cherche à faire acheter — pour pouvoir faire une édition complète de Bouilhet, VII, 6. Charpentier fait une seconde édition de —, VII, 152, 183, 199. La préface de — donnera à Le Plé tous les renseignements nécessaires sur Bouilhet, VIII, 23. Il faut envoyer à Lemerre, pour son édition des poésies complètes de Bouilhet, un exemplaire de —, VIII, 285. Dernier jour d’un condamné : On ne trouve pas dans — une réflexion sur la peine de mort, II, 61. Déroulède : Dans la Nouvelle Revue, — est assimilé à Leconte de Lisle, VIII, 330. Derval, personnage d’un livre de Paul Alexis : — est très nature, VIII, 367. Desalleurs : F. défie — de donner une idée de la vue qu’on découvre des Pyramides, II, 135. Désaugiers : Cité par Sainte-Beuve dans sa critique de Salammbô, V, 68. Des Barreaux : F. renvoie à —, III, 391. Desbois : F. montre à — le plan du monument à Bouilhet, VI, 284, 285. F. reçoit la visite de —, VI, 302. — doit hâter la protestation contre le conseil municipal, VI, 332. — est invité par F., VI 379. — a-t-il trouvé un terrain ? VI, 397, 459. — doit se concerter avec d’autres pour réunir la commission du monument de Bouilhet, VII, 3. La commission doit se réunir chez —, VII, 6. Descambeaux : Surnom que se donne F., I, 82. Descartes : Est lu par Darcet, I, 133. Allusion de F. à ce que dit — de Campanella, I, 283. Que F. ne vivait-il avec la société de — ? III, 18. Deschamps, habitant de Croisset : — lit un dialogue en vers à l’Académie de Rouen, IV, 67. La maîtresse de — mène une conduite scandaleuse, IV, 87. Chez — on joue des comédies, IV, 121. — organise chez lui une grande représentation dramatique, IV, 402. Leparfait a un livre pour —, VI, 344. — s’occupe du monument de Bouilhet, VI, 361. F. tient à ce que — soit présent à la commission du monument de Bouilhet, VII, 6. F. demande à — de le conseiller, VII, 221. Deschamps : Auteur d’un éreintement de Madame Bovary dans la Revue des Deux Mondes, IV, 179. — relève de prétendues fautes de français commises par F., IV, 187. Deschamps (Antony) : Quels vers que ceux de —, Il, 366. L. Colet doit consulter — à propos de la Servante, IV, 6. Desgenetais : Profession de foi de —, VII 85. Le renfoncement de — est agréable à F., VII, 87. Deshayes : La pension — est enfoncée par la pension Guernet, IV, 67. Désirs, pièce de Maupassant : Critiquée par F., VIII, 404, 405. Deslandes : F. attend le retour de — pour faire jouer la Féerie de Bouilhet, VI, 51, 56. F. consulte — pour Aïssé, VI, 80. Raoul Duval fera sans doute nommer — directeur du Vaudeville, VI, 268. — donne un renseignement à F., VI, 291. — se charge de Cœur à droite pour Cluny, VI, 345. — est candidat à la direction de l’Odéon, VI, 387. Que Caroline envoie chez — un commissionnaire, VIII, 360. Desmarquais : Dumas a hérité du docteur —, VIII, 27. Desprès : Mme Flaubert demande de l’argent à —, VI, 257. Desprez, habitant d’Honfleur : Vient chez F., VI, 133. Desvilles (Mme) : Vient à Croisset et tient compagnie à Mme Flaubert, V, 133, 136, 139. F. n’imitera pas le mutisme de —, IX, 31. Deuil, pièce de L. Colet : Trouvée trop intime par Lemer, III, 49. Deux chemins, par R. de Maricourt : Cité par F., V, 181. — jugé par F., V, 276, 277, 278, 279. Deux Copistes (les). F. désigne ainsi Bouvard et Pécuchet : F. va se mettre à écrire —, VII, 137. Deux femmes célèbres, par L. Colet : F. s’indigne du titre, III, 175. Deux frères (les), de G. Sand : F. a avalé —, VII, 284. Deux mois d’émotion, par L. Colet : F. s’indigne du titre, III, 175. Deux orphelines (les) : G. Sand a été voir —, VII, 161. Mme Hamet a joué dans —, VII, 201. Deux pigeons (les) : La fable — a toujours ému F. plus que tout Lamartine, IV, 62. Deux sœurs : F. est content d’avoir lu —, V, 182. Déville, près Rouen, où M. Flaubert avait une propriété : F. et Chevalier causaient à —, I, 64. F, regrette de ne pas être à —, I, 123. F. rêve très souvent de —, II, 285. Un cousin de F. va à —, III, 65. F. se rend à pied à —, IX, 23. Devillèle : F. cite une façon de parler de M. —, VIII, 142. Dévouée (la), par Hennique : Il y a du talent dans —, VIII, 155. Dherban, personnage de Jacqueline Verdon, par A. Bosquet : Il fallait peindre l’émotion de —, V, 322. On donne presque raison à — fils, V, 323. Dherbin [ou d’Herbin], personnage d’une comédie de L. Colet : L. Colet doit atténuer sa ressemblance avec V. Cousin, II, 404. Le mariage de L. Colet avec — (= V. Cousin) a été annoncé dans le Nouvelliste, II, 406. Diable (le) : — a le dessus en ce monde, VIII, 199. Diaboliques (les) : Que G. Sand lise —, VII, 224. Diafoirus : Molière souffrait des — qui lui entraient par les yeux dans la cervelle, III, 358. F., comme Thomas —, se raidit contre les difficultés d’une action, VII, 224. Dialogue avec Delacroix (le), par G. Sand : Est instructif, VII, 21. Dialogues philosophiques, de Renan : Mme R. des Genettes a-t-elle lu les — ? VII, 308. Diane, chienne de Mme Commanville : Comment va-t-elle ? V, 166. — a été savonnée, V, 178. Diane de Poitiers : VIII, 146. Dick d’Arrah (don) : F. trouve — fort beau, II, 200. — cité par F., III, 246. — est un peu filou, V, 419. Dickens : Les romans de — sont pleins du talent le plus vrai et le plus fort, IV, 321. Quand on est contemporain de —, il n’est pas permis de peindre faussement la société, comme Hugo dans les Misérables, V, 36. F. lit Pickwick, VI, 394, 395. Dictionnaire de l’Académie : Surcharge le tapis vert de F., V, 46. F. renvoie Frœhner au —, V, 85. Dictionnaire des idées reçues : Le projet du — est apprécié par F., II, 237, 238. F. pense au —, II, 256. Comment F. conçoit le —, III, 66, 67. La préface du — tourmente F., III, 105. Dans la préface du —, F. dégoisera ce qu’il a sur la conscience d’idées critiques, III, 139. Il y a des jours où la main démange F. d’écrire la préface du —, III, 175. F. placera ses haines dans la préface du —, III, 295. F., dans le —, se vengera moralement, III, 337. F. fera à Paris le —, IV, 82. Dictionnaire des sciences médicales : F. renvoie Sainte-Beuve au —, V, 58. Diderot : F. a lu la moitié d’un volume de —, II, 317. Les lettres de — sont supérieures à celles de Balzac, VIII, 58. Yves Guyot trouve que Sarcey ressemble à —, VIII, 238. Didier : — n’a dit de mal de personne, V, 382. Dumas a hérité de —, VIII, 27. Didier (Mme). Avait un salon littéraire : — trouve que F. a l’air distingué, II, 374. Lambert pourrait en dire de belles à — sur le compte de Du Camp, II, 405. La lettre de — amuse F., III, 10. — paraît à F. une femme médiocre et d’un esprit borné, III, 36, 37, 151, 231, 268. Les billets de — n’ont rien de bien curieux, III, 167. L. Colet, chez —, a défendu la bonne cause, III, 200. F. brûle des lettres de — à L. Colet, III, 412. Didon : Une Salammbô figure dans —, pièce de Belot et Journault, V, 210. Didon (Père) : Le — est un admirateur de F., VII, 136. Le — a raison de dire que pour guérir l’âme il faut mettre le corps en bon état, VII, 366. Le — a donné à F. des nouvelles de Mme des Genettes, VIII, 19, 111. Le — a demandé à F. des nouvelles de Mme des Genettes, VIII, 107. Portrait du — par Caroline, VIII, 168, 234, 239, 242. Le — a envoyé à F. son livre : la Science sans Dieu, VIII, 173. Le — veut suivre les conseils de F., VIII, 178. F. n’est pas surpris que les conférences du — sur le divorce soient interdites, VIII, 335. Le — débagoule sur le mariage et le divorce, VIII, 343. Que le — expédie à F. ce qu’il a sur l’éducation, VII, 361. Le — obligera F. en pensant à lui, VIII, 376. F. ignore le Divorce du —, VIII, 383. F. s’étonne que la princesse Mathilde n’ait pas traité le — de voleur, IX, 16. Didot : F. achète chez — le Dictionnaire de l’Académie, VIII, 148. Dieppe : E. Commanville a une scierie à —, V, 138 ; VI, 16. Mme Commanville passe l’été à —, 140, 147. Commanville va à —, V, 426. Mme Commanville a une délicieuse villa à —, VI, 19. Commanville veut être consul de Prusse à —, VI, 16, 26. Commanville est nommé consul de Turquie à —, VI, 26. Mme Commanville s’est-elle amusée aux courses de —, VI, 73. Mme Commanville doit aller à —, VI, 261 ; elle y habite, VI, 277. Mme Commanville était moins morose à — qu’à Paris, VI, 302. Commanville est retenu à —, VI, 427. Mme Commanville compte être bientôt revenue à —, VII, 160. Les Commanville peuvent rester à —, VII, 174, F. suppose que Commanville est à —, VIII, 62. La scierie de Commanville à — s’est très mal vendue, VIII, 232. Dieppe pendant la guerre de 1870 : Il est peu probable que les Prussiens aillent à —, VI, 153, 164. — reçoit des mobiles, VI, 160. La poste d’Angleterre ira par —, VI 167. Caroline est mieux à Londres qu’à —, VI, 177. On ne peut aller de — à Rouen, VI, 188. Les Prussiens sont allés à —, VI, 189. Le service entre — et Rouen est mal fait, VI, 190. On va en diligence de Saint-Valery à —, VI, 191. Caroline pourrait envoyer ses lettres par —, VI, 193. Mme F. ne doit pas aller à —, VI, 195. On ne peut communiquer entre Rouen et —, VI, 199. F. a amené sa mère à —, VI, 199. 239. — a été pillé, VI, 199, Les Prussiens quittent —, VI, 206. — est plus tranquille que Rouen, VI, 209. Les Prussiens sont-ils encore à — ? VI, 210. Mme Flaubert à Dieppe : V, 145, 177, 221, 334, 376, 399 ; VI, 60, 211, 212, 213, 218, 220, 221, 262. Flaubert à Dieppe : I, 42, 341, 349, 352 ; V, 172, 227, 237, 238, 243, 381, 396 ; VI, 51, 52, 56, 57, 64, 67, 122, 128, 223, 274, 278, 408, 423, 424 ; VII, 43, 47, 53, 57, 64, 177, 193, 198 ; VIII, 42. Personnages allant à Dieppe : Bouilhet : III, 302. Charpentier : Que C. ne s’endorme pas dans les délices de —, VIII, 285 ; C. fait le gandin sur la plage de —, VIII, 287 ; C. doit prolonger son séjour à Dieppe, VIII, 293. Cloquet : VII, 193. Alexandre Dumas fils est au Puy, près de —, V, 402 ; F. est allé voir D. à —, VI, 278. Princesse Mathilde : V, 222, 224, 307, 319. Prince Napoléon : F. n’a pu voir le prince N. à —, VII, 186 ; F. pense voir le prince N. à —, VIII, 62. Mme Ratazzi : F. n’a vu Mme R. qu’une fois à —, VII, 254. Tourgueneff : F. mènera T. à —, VI, 53 ; T. doit arriver à —, VII, 56. Divers : Un cousin de F. est receveur de contributions à —, II, 413. Dans Cécile (par Mlle Leroyer de Chantepie), un coucher de soleil à — a ravi F., IV, 185. Le temps ne pouvait être pire à — qu’à Croisset, V, 414. De —, F. a envoyé des lettres à G. Sand, VI, 223. F. reçoit de l’argent de —, VI, 304. On trouve à — beaucoup de livres, VI, 410. F. écrira le jour de sa visite à —, VII, 177. Si F. va à —, il ne fera plus rien, VII, 198. À — on interdit une conférence sur Rabelais, VIII, 76. Dieppedalle : Dainez habite à —, IV, 101. Les Prussiens resteront à — ; VI, 194. On a retiré de l’eau à — un homme à demi noyé ; M. H. l’a fait pendre par les pieds, VII, 320. La fête à — fait que beaucoup de monde a passé sous les fenêtres de F., VIII, 121. Dieppois (les) : — tiennent à distance Mme ***, VI, 413. — ne pourront plus accuser les Commanville d’être fiers, VII, 194. Dies iræ, de Leconte de Lisle : Le — est magnifique, III, 158. La pièce de Leconte de Lisle à Me C. est la redite du —, III, 230. Verdun, dans son article, n’a pas soufflé mot du —, III, 335. Dieu. (En raison de l’extrême difficulté d’un classement méthodique, nous avons préféré suivre pour cette rubrique l’ordre chronologique qui peut, en outre, lui donner plus d’intérêt.) Chevalier croit à une force créatrice : —, fatalité..., I, 35. Dans Smarh, — est l’objet de la malédiction générale, I, 44. F. n’a aucun sujet de maudire —, I, 46. F. contemple la grandeur de — dans ses œuvres, I, 85. — s’en est allé, I, 86. — veut qu’on travaille, I, 170. Si — existe, il n’est pas toujours dans des accès de bonhomie, I, 208. Les artistes d’autrefois étaient les organes de —, par lesquels il se prouvait à lui-même, I, 232. F. est le frère en — de tout ce qui vit, I, 271. Que l’algue demeure où — veut qu’elle soit, I, 275. — n’a pas jugé l’âme de sa créature assez vaste pour contenir la somme de chaque jour accumulée par-dessus celle des jours précédents, I, 288. S’il y a un —, il est dans la conscience de F., I, 308. Que — fasse comme il voudra, I, 335. Les trois plus belles choses que — ait faites, c’est la mer, l’Hamlet et le Don Juan de Mozart, I, 352, Responsabilité de —, I, 430. fait tout pour le mieux harmonique et tout pour le pire relatif, II, 69. F., en Égypte, est plus près de — que de l’humanité, II, 119. La malédiction de — semble planer sur Jérusalem, II, 225. Anubis serait l’histoire de la femme qui veut se faire aimer par le —, II, 253. Les femmes sont la plus charmante création de —, II, 257. Quand on veut se mêler des œuvres du bon —, il faut commencer par se mettre dans une position à n’en être pas la dupe, II, 268. Si F. ne s’est pas noyé, c’est que — ne l’a pas voulu, II, 277. Si F. ne s’est pas tué devant le Sphinx, c’est que son cheval ou — ne l’ont pas positivement voulu, II, 309. — voit le commencement et la fin, l’homme, le milieu, II, 379. Voltaire et Chateaubriand ont gâté les facultés que le bon — leur avait données, II, 409. Le plus petit caillou arrête la pensée, tout comme l’idée de —, II, 410. On ne s’inquiète pas de prier le bon —, II, 416. Glorifier le médiocre, c’est insulter l’aristocratie du bon —, II, 426. Il n’y a pas de poésie dans les tartines sur —, l’âme, etc., II, 439. — a pitié des simples, III, 16. Quand écrira-t-on les faits au point de vue d’une « blague supérieure », comme le bon — les voit d’en-haut ? III, 37. Les Juifs sont maudits pour avoir voulu tuer —, III, 59. L’artiste, dans son œuvre, doit être comme — dans l’univers, présent partout, visible nulle part ; faire et se taire, III, 61 ; IV, 164 ; V, 228 ; VII, 280. C’est — qui donne le génie, III, 99. Nous ne savons quelque chose que parce que — souffle sur nous, III, 103. — a créé la femelle et l’homme a fait la femme, III, 138. L’amour de l’humanité est quelque chose d’aussi piètre que l’amour de — III, 211. On est créé par — pour juger la vie, III, 203. — est romantique, III, 239. Il faut, de temps à autre, replacer — sur son piédestal, III, 276. Il faut s’aimer en l’art comme les mystiques s’aiment en — III, 294, L’art, comme le — des Juifs, se repaît d’holocaustes, III, 306. L’amour, ce qui ne se donne pas, le secret du bon —, l’âme sans quoi rien ne se comprend, III, 337. Le repos est attitude de —, III, 340. — est grand, III, 363. Quand l’âme humaine aura été traitée avec impartialité, l’humanité sera comme —, elle se jugera d’en-haut, III, 368. L. Colet pond les beaux vers, comme une poule les œufs : c’est le bon — qui l’a faite comme cela, III, 400. Que — soit béni de n’avoir pas fait naître F. marchand de cochons, vaudevilliste, homme d’esprit..., III, 405. — avait destiné L. Colet à égaler ce qu’il y a de plus fort, IV, 58. Pouchet prouve l’existence de — par le tableau varié de la création, IV, 67. Que — soit remercié d’avoir conservé Napoléon III pour la France, IV, 90. Il faut remercier — quand arrive une grande idée, IV, 168. Mlle L. de Chantepie est-elle — ? IV, 181. Pour avoir contemplé —, Moïse avait des rayons autour de la face, IV, 182. Quel — a fait de la société le maître de F. ? IV, 185. Le — de Mlle L. de Chantepie est bon, IV, 194. Nous serions — si nous connaissions la cause, IV, 196. F. conseille à Mlle de Chantepie de humer l’air du bon —, IV, 222. De quelle façon Béranger parle de —, IV, 235. F. compare un chien à —, IV, 295. F. adresse des prières au — inconnu dont parle saint Paul, IV, 298. Le moyen âge a passé son temps à rechercher ce qu’était —, IV, 357. L’idée que le catholicisme a faite de — est celle d’un monarque oriental, IV, 358. La manière dont toutes les religions parlent de — révolte F., IV, 361. Le catholicisme a gâté Mme R. des Genettes que — avait faite meilleure, IV, 362. Qui s’efforce sans attendre de profit, se rapproche de — IV, 363. Peut-on bénir — ? IV, 393. N’empiétons pas sur —, IV, 398. F. déclare à la face de — et des hommes que Sœur Philomène est un excellent livre, IV, 450. Les Orientaux se font appeler fils de —, V, 66. — seul est possesseur de la conclusion, V, 111. Nous nous figurons mal —, V, 148. — n’a jamais dit son opinion, V, 253. Nous faisons — à notre image, V, 271. Dorine n’a plus d’hommes, elle prend le bon —, V, 407. Les catholiques en péril se recommandent à —, VI, 228. Que — nous préserve d’assister à la dégradation des nôtres, VI, 238, 245. Une société a besoin d’un bon —, VI, 282. L’histoire de Germiny fait que F. croit à —, VIII, 2. Le — inconnu est une ânerie de saint Paul, VIII, 7. — voulait apparemment que F. bût des coupes d’amertume, VIII, 170. C’est une grâce donnée par — à Voltaire que ses ennemis soient toujours ridicules, VIII, 117. Ce qui indigne F., ce sont ceux qui ont le bon — dans leur poche et qui vous expliquent l’incompréhensible par l’absurde, VII, 231, 327. — n’a pas voulu que F. ait le sourire de Mme R. des Genettes, VIII, 271. C’est quand on veut prouver — que la bétise commence, VIII, 272. Avoir du succès, c’est le secret du bon —, VIII, 299. Renan n’a pas le bon — dans sa poche, VIII, 343. — des Juifs, tu l’emportes, VII, 70. Dimitri (le), quartier de Constantinople où F. se perd, II, 276. Diodore : F. lit divers passages de —, IV, 275. F. consulte —, V, 66. F. cite —, V, 80, 82, 83. En citant —, F. ne s’est pas trompé, V, 88. Diomède : Que Maupassant lise le — de Gustave Claudin, VIII, 136. Disciple (Mon) : Titre que — donne F. à G. de Maupassant. Discours de Villemain : La postérité le lira-t-elle ? III, l86. Discours sur la montagne : F. lit le —, II, 230. Diva (la) : Bouilhet a dû recevoir une lettre de —, III, 97. Dives : Les Charpentier reviennent de —, VII, 198. Divine (la) [Voir Ozenne (Mme)] : F. a vu, à l’enterrement de Mme Coppée, Barbey d’Aurevilly, l’ancienne passion de —, VII, 193. Divorce (le) : F. ignore — de Dumas et — du P. Didon, VIII, 383. Dix-neuvième Siècle (le), journal : — a annoncé que le Sexe faible était reçu à Cluny, VII, 164. — a publié un article élogieux sur Trois Contes, VIII, 50. — annonce que le Salon n’ouvrira pas avant le 15 mai 1879, VIII, 242. Djebel-el-Téir : F. a vu à — un spectacle assez bon, II, 172. Djeddah [écrit : Gedda] : — est à trois jours de la Mecque, II, 208. Le cawas du consul de — accompagne F., II, 209. F. est bien impressionné par le massacre de —, IV, 277. Doche (Mme Eugénie) : F. trouve — à sa porte, VII, 44. — est venue demander un rôle a F., VII, 48. — a été acceptée par Carvalho, VII, 49. — a de nouveau écrit à F., VII, 86. Dodore, personnage de Francia : Admiré par F., VI, 453. Dolly, fille de Mme Tennant : — a besoin de venir a Paris pour ses études scientifiques, VII, 352. F. envoie ses amitiés à la ménagerie de —, VII, 379. F. remercie — d’une lettre, VIII, 18. — aurait tort de faire des reproches à F., VIII, 336. — a joint à une lettre de sa mère un billet pour F., VIII, 362. Dolorès, pièce de Bouilhet, appelée aussi l’Honneur d’une femme : B. en finit le premier acte, IV, 400. Le commencement de — était bougrement bon, IV, 403. F. termine —, IV, 428. — est reçue aux Français, IV, 430. Les Français ne savent quelles corrections demander pour —, IV, 43l. Les répétitions de — vont commencer, V, 3l. — va être jouée, V, 46, 47. — fera du bruit, V, 48. F. enverra — à sa mère et à sa nièce, V, 28. vient de paraître, V, 5l. F. a oublié la fin primitive de —, VI, 386. Dome (rue du) : Adresse d’un professeur de philosophie à Strasbourg, VIII, 36. Domfront : Nommé, VII, 154. — a rappelé Constantine à F., VII, 155. À la gare de —, on crie le Mot d’ordre (journal), VII, 77. F. a revu avec ravissement — et ses environs, VIII, 81. Domodossola : F. visite à — un couvent de capucins, I, 178. Dona Sol : F. n’a pas de —, VII, 110. Donatien, personnage de Veuve : Jugé par F., V, 175, 180, 181. Don Juan de village (le) : La première — de a été une défaite, VII, 128. Dorine : Ceux qui voilent le sein de — veulent cocufier Orgon, III, 192. — n’a plus d’hommes, elle prend le bon Dieu, V, 407. Dorothée : Titre d’un roman que veut écrire F., I, 2. Dossier des pèlerinages (le) : Livre de piété indiqué par F., VII, 57. Douai : Bardoux avait invité le recteur de l’Académie de — et l’a oublié, VIII, 151. Douarnenez : Le fond de la rade de — est une des plus belles choses de la Bretagne, VIII, 139. Doucet (Camille) : — le prix de l’Académie pour la meilleure comédie, IV, 410. s’occupe de Faustine, V, 115. est furieux à cause de Faustine, V, 127. — cité par F., V, 316, 376, 413, 414 ; VII, 320. L’affliction de — touche au sublime, V, 317. F. connaît —, V, 387. F. parlera à — du théâtre d’Angers, V, 396. — a été très gentil, VI, 57. — est enthousiasmé d’Aïssé, VI, 60. — est attaqué par Latour-Saint-Ybars, VI, 80. Paul Féval aspire à la gloire de siéger à l’Institut, à côté de —, VIII, 93, 94. F. ne veut pas être de l’Académie pour partager le même honneur que —, VIII, 127. Dozenval : Parlons un peu de — V, 346. Dreyfous : F. lit un manuscrit de —, VII, 194. Drontheim : Au Nord, les Commanville ne dépasseront pas —, VI, 28, 29. Caroline a, de —, envoyé une dépêche à F., VI, 35. Drouet (Juliette) : La longue tendresse de V. Hugo pour Mme — attendrit F., III, 202. Mme Biard contait à L. Colet les baisements de pieds de — III, 203. — s’est informée de Mme Commanville, VIII, 119. Drouineau (Gustave) : F. annonce puis dément la mort de — I, 16, 19. Droz (Gustave) : Que Zola se « foute » du ruban de —, VIII, 189. Drumont : — a mis F. au-dessus de Gœthe, VII, 136. Sans —, F. n’aurait pas eu un article élogieux pour Saint Antoine, VII, 159. — a loué Trois Contes, VIII, 44. Druses (les) : La question des — et des Maronites est une des plus belles blagues du monde, II, 245. Dubarle : préside le tribunal dans l’affaire Bovary. Rouland pourrait lui dire un mot pour F., IV, 151. Dubarry (Mme) : — a fait construire le château de Lassay, III, 291. Comme les Goncourt aiment —, IV, 377. Dubartas : F. en arrivera à ressembler à —, IV, 402. Duboc, loueur de voitures à Rouen : — aurait voituré Braquehais de Rouen à Yvetot, I, 82. Dubois (Cardinal) : F. est — (c’est-à-dire, très élégant), II, 142. F. n’avait pas compris la physionomie du —, VI, 108. Dubois (hôpital) : Le domestique de F. est à la maison —, V, 109. Dubois, du Mont-de-Piété : A fait une visite à F., VI, 223. Dubois de l’Estang : — annonce à F. qu’on peut écrire directement à la princesse Mathilde en Belgique, VI, 171. Mme — a eu des lettres interceptées, VI, 233. Mme — passera par Rouen en revenant de Bruxelles, VI, 255. Dubourg (Comtesse) : La — a été tuée par son mari, VI, 370. Dubreuil, conservateur du musée zoologique de Rouen : Le château de Robert-le-Diable est digne des méditations de —, I, 12. Les Achille F. sont chez —, VI 429. Dubuget, coiffeur à Rouen : F. a vu —, III, 408. — porte des cols rabattus comme un barde de salon, III, 410, 411. Ducange : Il n’y a pas d’abbé savant comme —, V, 100. Ducauroy, juriste : Les œuvres de — sont ennuyeuses, I, 129. Chevalier en a fini avec —, I, 155 Ducessois, imprimeur de l’Artiste : F. vient d’envoyer à — les épreuves de Saint Antoine, IV, 138. Duchatel, ministre de l’Intérieur en 1846 : C’est de — que dépend la nomination d’Orlowski à l’Opéra, I, 330. Ducis : Chamas fait des tragédies dans le goût de —, II, 211. Duclos : — a assisté à la noyade du forgeron de Bapaume, VIII, 204. Ducoudray, professeur à la Faculté de droit de Paris : Quel style que celui de —, I, 109. Ducoudray, étudiant en médecine ; pion : — raconte une histoire à F., I, 24 Ducrot (Général) : Les zouaves du — ont eu une panique, VI, 157. Duel de salon, par Mme Régnier : F. lit et juge —, V, 293, 294, 295, 296, 297. Dufai, poète et publiciste : — attaque Émaux et Camées, III, 168. — fait des épîtres en l’honneur de Jasmin et des satires contre Hugo, III, 226. Duguéret, actrice de l’Odéon : — veut jouer Nathalie dans Mont-Revêche, V, 248. — jugée par F., V, 249. Duguernay : — a été vu par F., I, 34. — a été engueulé par Chevalier, I, 66, 246. Que Chevalier se rappelle — I, 98, Rouen est la patrie de —, I, 146. {{AN|Duguet : Cité par F., VIII, 197. Dulac, étudiant que connaît un peu F., I, 407. Dumaine, un des directeurs de la Gaîté : — manque de parole à F., V, 235, 236. — a peur de la littérature de F., V, 236. — jouera-t-il dans Aïssé ? VI, 309, 317. Dumas (Alexandre), père : — fait un drame intitulé Don juan, I, 19. F. lit la Catherine Howard de —, I, 20. —, auteur d’Angèle, jugé par F., I, 312. Les impressions de voyage de F. sont moins blagueuses que celles de —, II, 311. D`où vient le prodigienx succès des romans de —, III, 243. —, en parlant de Waterloo, eût été sublime en comparaison de Lamartine, III, 333. — a fait un article favorable sur Madame Bovary, IV, 190. — se fait applaudir à la place de son fils, V, 289. — est tombé en enfance, VI, 176. Lévy admire peu —, VI, 455. Il y aurait un parallèle à faire entre l’œuvre de G. Sand et l’œuvre de —, VII, 355. Le livre de L. Hennique ressemble aux premiers drames de —, VIII, 369. Dumas (Alexandre), fils : —, avec la Dame aux Camélias, va se concilier toute la lorétanerie, II, 417. Bonilhet refuse de fréquenter —, IV, 93. Peu importe à F. qu’on le confonde avec —, IV, 187. On affecte de confondre F. avec —, IV, 190. Feydeau a-t-il converti au culte de l’art pur ? IV, 217. F. rugit en lisant le Roman d’une femme de —, V, 182. F. juge l’Affaire Clemenceau, V, 227, 228. G. Sand va voir — à Saint-Valery, V, 230, 232. — recommande Duguéret à G. Sand, V, 249. F. souhaite à — tout le succès possible, V, 266. F. ira à la première des Idées de Madame Aubray, V, 281, 284. Le père de — se fait applaudir à sa place, V, 289. F. parle de G. Sand avec —, V, 396. F. a vu — au Puy, V, 402. — a de la peine à écrire une lettre, VI, 192. — donne à F. des nouvelles de la princesse Mathilde, VI, 200. — est chez F., VI, 205. — donne à F. des nouvelles de la guerre, VI, 206, 207. F. est allé à Bruxelles avec —, VI, 215. — vise à la députation, VI, 252. — émaille les journaux de ses réflexions philosophiques, VI, 259. F. est allé voir — à Dieppe, VI, 278. — rêve la gloire de Ravignan, VI, 296. — secoue Chilly a propos de la reprise de Ruy Blas, VI, 324. — souscrit au monument de Bouilhet, VI, 333. — assiste à la première du Roi Carotte, VI, 343. F. trouve inutile la rage moralisatrice de —, VI, 393. Pourquoi écrit-il de pareilles banalités ? VI, 396. — fait l’oraison funèbre de T. Gautier, VI, 435. — vante les bienfaits de la censure, VI, 457. — déclare qne, Gœthe n’est pas ungrand homme, VII, 69. On s’attend à un très grand succès pour Monsieur Alphonse, VII, 92. — est de l’Académie, VII, 118. — ne traite pas les critiques comme le fait F., VII, 129. La photographie, grandeur nature, de — se voit dans le vestibule de Nadar, VII, 203, 208. — est entré dans l’église à l’enterrement de G. Sand, VII, 308. —, après l’enterrement de Mme André, a reconduit F. jusqu’à sa porte, VIII, 26. — a hérité de Didier, de Mme Villot, du docteur Desmarquais, VIII 27. Les recommandations au public, dans une préface, puent le —, VII, 68, 70. F. ignore la Question du Divorce de —, VIII, 383. Dumesnil : F. est disposé à voir — pour G. de Maupassant, VII, 97. — est nommé commandeur de la Légion d’honneur, VIII, 133. Dumesnil, curieux symboliste : Préault et — vont à Rouen, IV, 108. Dumet (île) : L’— est en face de Piriac et de Guérande, VII, 326. Dumollet : Bon voyage, monsieur — ...., I, 93 ; II, 10. Dumont (Docteur), ami de F. : F. envoie ses compliments au — I, 148, 149, 158. F. refuse une invitation du —, V, 127. Dupanloup (Mgr) : F. lit les ouvrages de —, VII, 58, 62, 66, 67. D’après A. Dumas, — aimait F., VIII, 156. — est mort, VIII, 156. Dupaty, prédécesseur de Musset à l’Académie : Musset nous apprend que — était honnête homme, II, 421. Musset respectant —, II, 422. Dupaty, juge dans l’affaire Bovary : Roulaud pourrait dire un mot à — en faveur de F., IV, 151. Duphot (rue), à Paris : D’Osmoy habite —, V, 128. Duplan (Ernest), notaire de F. : F. remercie — d’une consultation, V, 4. F. consulte — pour ses rapports avec Lévy, V, 20, 21, 23, 24 ; VII, 4. Que — garde le manuscrit de Salammbô, V, 28. — s’occupe de chercher un éditeur pour F., V, 33. F. demande à — des nouvelles de Jules Duplan, V, 287. F. communique à — deux documents lubriques, V, 288, F. a vu —, V, 361. — renseigne F. sur les testaments, pour Bouvard et Pécuchet. Duplan (Jules), frère du notaire de F. : — donne à F. un rendez-vous pour la Revue des Deux Mondes, II, 332. — va voir F., III, 5. F. fait grand cas du goût de —, IV, 131. — donne à F. des nouvelles de Crépet, IV, 210. F. aime —, IV, 220. F. attend —, IV, 343. — aime beaucoup Bouilhet, IV, 403. — est dans tout le feu du jour de l’an, V, 7. F. a dîné avec —, V, 18. — paraît bien ferme, V, 34, — se retirera du commerce sans un sou, V, 50. Bouilhet dîne avec —, V, 53. F. lira Château des Cœurs à —, V, 121. — travaille pour F., V, 127. — est chez Du Camp, V, 143. — va partir pour l’Égypte, V, 237, 243. F. attend —, V, 293. F. annonce à — la mort de Bouilhet, VI, 42. F. consulte — pour Aïssé, VI, 80. — est mort, VI, 120, 132.F. regrette —, VI, 270, 388 ; VII, 49. La fille de — est morte, VI, 371. Laporte était ami de —, VI, 375. Laporte, en souvenir de —, envoie à F. deux monstres chinois, VII, 19. F. rappelle la mort de —. VII, 304. — envoyait à F. toutes les feuilles où se trouvait son nom, VIII, 338. Duplan, marchand d’étoffes : F. lui fait envoyer de l’argent, VI, 137. Duponchel : Nommé directeur de l’Opéra, I, 19. Dupont (Achille), grand-oncle de Mme Commanville : — vient voir Mme F., V, 410, 411. — va admirer l’hôtel de Commanville, à Paris, VI, 19. F. cite une des banalités de —, VI, 25. — raconte des histoires à F., VI, 27. — souscrit pour le monument de Bouilhet, VI, 51. Dupont, fermier des parents de F. : — accompagnera jusqu’à Paris Leclerc pour qu’il voie Du Camp, II, 93. Dupont, de Tours : — se livre à des pénitences, VIII, 372. Duprat (Benjamin), libraire du Cloître Saint-Benoît, auquel F. demande un livre, VI, 251, 254. DuprÉ, pharmacien, ami de Bouilhet : Le pharmacien chez qui loge F. à Trouville est élève de —, III, 316. — consulté par Bouilhet, VI, 41. — fait partie de la commission pour le monument de Bouilhet, VII, 3. Duprez : — peut avoir le rapport Decorde, VI 332. — a-til trouvé un terrain ? VI, 397, 398, 399. Duquesnel, co-directeur de l’Odéon : — veut qu’Aïssé passe avant l’Autre, VI, 58. — s’imaginait que Bouilhet avait corrigé Aïssé, VI, 69. — s’apprête à faire répéter Aïssé, VI, 75. F. discute avec — pour Aïssé, VI, 75, 86, 87, 290, 291, 297. F. évite —, VI, 84. — donne un renseignement à Ramelli, VI, 292. F. n’a pas de réponse de —, VI, 298, 299, 302, 304. — appelle F., VI, 305. — n’a jamais entendu parler de M. d’Holbach, VI, 308. — fixe la distribution d’Aïssé, VI, 311. — est plein de feu, VI, 311. F. attend son appel, VI, 312. — croit de plus en plus à Aïssé, VI, 327. — devrait reprendre des pièces de Bouilhet, VI, 362. G. Sand appuiera-t-elle — ? VI, 387. — s’occupe de Mlle de la Quintinie, VI, 456. F. porte le Sexe faible à —, VII, 140. —, en quinze jours, n’a parcouru que le premier acte du Sexe faible, VII, 151. — est la dernière planche de salut de F., VII, 152. F. plaint G. Sand d’avoir affaire à —, VII, 162. — n’a pas répondu à F. pour le Sexe faible, VII, 157. — a refusé le Sexe faible, VII, 171. Ch. Edmond déchire —, VIII, 42. F. plaint Maupassant s’il a affaire à —, VIII, 43. Durandeau, auteur du Petit Léon : F. lira à — le Château des Cœurs, V, 120. Duranton, professeur à la Faculté de droit de Paris : — a une tête d’artiste, I, 109. — pèse-t-il sur la poitrine de Chevalier quand il a des cauchemars ? I, 151. Chevalier en a fini avec —, I, 155. Duranty, critique littéraire : — attaque l’Éducation sentimentale, VI, 95. F. a gardé l’article de — sur Madame Bovary, IX, 28. Durasko : L. Colet déteste —, I, 365. Dureau : — a vu Chevalier, I, 30. Dureau de la Malle, auteur de travaux sur l’Afrique du Nord : F. a consulté — en écrivant Salammbô, V, 76, 77, 81. Durey, actrice : — a-t-elle recommandé Bouilhet à Judith ? IV, 84. — devrait entrer à l’Odéon pour jouer dans Madame de Montarcy, IV, 105. F. aurait désiré quelques détails sur la rupture de Bouilhet et de —, IV, 112. Duruy : — décore F., V, 223, 224. F. pourra parler de G. de Maupassant à —, VII, 354. Dussardier, personnage de l’Éducation sentimentale : Frédéric Moreau est obligé de faire un long détour pour arriver à la maison de —, V, 410. Duval-Amaury : F. veut s’adresser à — pour le portrait de Caroline, V, 283. Duval (Raoul), conseiller municipal de Rouen : — s’est pris de passion pour F., V, 411. — se bat en duel, VI, 124. F. reçoit la visite de Mme —, VI, 31. — est revenu facilement de Londres, VI, 191. — a eu comme un accès de folie furieuse en apprenant la capitulation de Paris, VI, 197. — était calme et raisonnable, VI, 252. — a fait pour sa candidature à la députation une profession de foi peu noble, VI, 261. — est chargé de ramener à F. ses deux députés, VI, 261, 262. — fait nommer Deslandes directeur du Vaudeville, VI, 269. P. Leparfait a-t-il vu — ? VI, 321, F. dîne avec —, VI, 406. Caroline séduit les R. —, VI, 408, 409. Baudry cherche à vendre ses collections à —, VI, 411. — ne se trompait pas en pensant que Bardoux avait des sentiments, VII, 43. — se déclare contre la monarchie, VII, 74. — a reconquis sa popularité, VII, 92. F. désire diner avec lui chez la baronne Lepic, VII, 116 — vient d’acheter le domaine du Vaudreuil, VII, 150. — a invité F. à dîner, VII, 213. L’échec de — a contrarié F., VIII, 87. F. doit déjeuner chez —, VIII, 104. Comment faire à l’égard de — (affaires Commanville), VIII, 229. F. a lu le manuscrit d’un protégé de —, VIII, 296. Un protégé de — est venu voir F., VIII, 297. — remettra son manuscrit à E. Gachot, VIII, 299. F. a été au Vaudreuil, chez —, VIII, 303, 304. — est le meilleur bougre de la terre, VIII, 394. — fête la Saint-Polycarpe, IX, 30. Visites de — à F., VI, 36, 133, 153, 222, 371. — et le monument de Bouilhet, VI, 322 ; VII, 5, 6. — et le Sexe faible, VII, 219, 221. — et G. de Maupassant, VII, 345, 346, 354 ; VIII 395, 396, 5. Duval, pharmacien : Bouilhet loge chez —, V, 115. Duval, pêcheur, locataire de F. : — donne congé de sa maison, VI, 220. Duval, jardinier de F. : F. est content de —. VI, 236. Duveyrier, ami de C. Sand : F. apprend la mort de —, V, 247. Dux, de L. Cladel : Jugement de F. sur —, VIII, 51, 52. |
Jean Britsch - Rapport sur le coût de l'occupation allemande dans le domaine aéronautique, 1946.djvu/5 |
{{t2|— {{Souligner|{{uc|les dommages causés à l’état}}}} —|— {{Souligner|1{{ère}} PARTIE}} —}}
{{t3|{{uc|les prélèvements}}|{{Souligner|CHAPITRE {{Nombre en romain|I}}}}}}
{{1o}}/— {{Souligner|Le Butin de Guerre}} —
En vertu des articles 4 et 5 de la Convention d’armistice,
l’Armée Française devait remettre aux armées allemandes le matériel
d’armement des troupes stationnées en zone Nord. C’est seulement ce
matériel qui aurait dû être appréhendé comme butin de guerre.
{{Souligner|L’Allemagne n’en a pas moins considéré comme tel tous les matériels
appartenant à l’État saisis avant ou après l’armistice du 20 juin 1940}}.
Ne sont admises dans le présent rapport, au titre de Butin
de guerre, que les prises effectuées, avant ou au moment de
l’Armistice, sur le matériel de l’Armée de l’Air — Les autres
enlèvements ont été classés dans les spoliations.
Il faut d’ailleurs noter qu’une partie du matériel considérée
ainsi comme butin de guerre a pu être détruite pendant les
combats ou perdus purement et simplement au cours de l’invasion — Les
chiffres donnés correspondent donc en fait aux pertes de guerre.
Aucune pièce justificative ne peut être produite, en dehors
des bons de perte faisant état de la différence entre les existants
au {{1er}} septembre 1939 augmentés des fabrications jusqu’en juin 1940
et les « restants » au {{1er}} juillet de la même année.
1{{o}}/— pour le matériel d’Intendance on a admis forfaitairement
une richesse de {{Unité|10000|fr.}} par homme : pour un effectif de {{Unité|197000|hommes}}
en mai 1940, l’avoir dans la métropole étant donc de {{Unité|1970|millions}}
<ref>{{corr|vois|voir}} dossier n° 1</ref>.
En juillet 1940 il restait {{Unité|70|millions}} en zone sud.
<references/> |
La Grande flibuste (Aimard)/XXII | Gustave Aimard La Grande flibuste Amyot, 1862 (p. 348-363). ◄ XXI. XXIII. ► XXII. bookLa Grande flibusteGustave AimardAmyot1862ParisVXXII.Aimard - La Grande flibuste, 1862.djvuAimard - La Grande flibuste, 1862.djvu/10348-363 Le lendemain, au point du jour, la petite troupe quitta la Casa-Grande de Moctecuzoma ; deux heures plus tard, elle entrait dans le del Norte. À la vue du désert, un effroyable serrement de cœur s’empara de la jeune fille : un pressentiment secret sembla l’avertir qu’il lui serait fatal. Elle se retourna, jeta un regard triste sur les sombres forêts qui, derrière elle, verdissaient à l’horizon, et ne put réprimer un soupir. La température était tiède, le ciel bleu, pas un souffle de vent ne courait dans l’air ; on apercevait encore sur le sable les traces profondes des chevaux de la compagnie franche du comte de Lhorailles. — Nous sommes sur la bonne voie, observa l’haciendero, leur piste est visible. — Oui, murmura le Tigrero, et elle le restera jusqu’à ce que le temporal se déchaîne. — Alors, reprit doña Anita, que Dieu nous vienne en aide ! — Amen ! s’écrièrent en se signant tous les voyageurs, répondant instinctivement à cette voix secrète que chacun a au fond du cœur et qui leur prédisait un malheur. Quelques heures s’écoulèrent. Le temps restait beau : parfois, à une grande hauteur au-dessus de leur tête, les voyageurs voyaient passer des volées innombrables d’oiseaux qui se dirigeaient vers les régions chaudes ou las tierras calientes, ainsi que l’on dit dans le pays, et se hâtaient de traverser le désert. Mais, partout et toujours, on ne voyait qu’un sable gris et terne ou de sombres rochers bizarrement entassés les uns au-dessus des autres, comme ces ruines sans nom d’un monde inconnu et antédiluvien que parfois on rencontre dans les hautes solitudes. La caravane, lorsque venait le soir, campait à l’abri d’un bloc de granit, allumant un maigre feu, suffisant à peine pour se garantir du froid glacial qui, dans ces régions, pèse la nuit sur la nature. Don Martial voltigeait sans cesse sur les flancs de la petite troupe, tantôt à droite, tantôt à gauche, en avant, en arrière, veillant sur sa sûreté avec une sollicitude filiale ; ne demeurant jamais un instant en repos, malgré les instances de don Sylva et les prières de la jeune fille. — Non ! répondait-il toujours ; de ma vigilance dépend votre sécurité. Laissez-moi agir à ma guise ; je ne me pardonnerais pas de vous avoir laissé surprendre. Cependant peu à peu les traces laissées derrière elle par la compagnie franche étaient devenues moins visibles et avaient fini par disparaître tout à fait. Un soir, au moment où les voyageurs établissaient leur camp sous un immense bloc de rocher qui formait une espèce d’auvent au-dessus de leur tête, l’haciendero montra à don Martial une légère vapeur blanchâtre qui se détachait vigoureusement sur le bleu du ciel. — L’éther perd son azur, dit-il, nous allons probablement avoir bientôt un changement de temps. Dieu veuille que ce ne soit pas un ouragan qui nous menace ! Le Tigrero secoua la tête. — Non, dit-il, vous vous trompez ; vos yeux ne sont pas, ainsi que les miens, accoutumés à interroger le ciel ; ceci n’est pas un nuage. — Qu’est-ce donc, alors ? — La fumée d’un feu de fiente de bison allumé par des voyageurs ; nous avons des voisins. — Oh ! fit l’haciendero, serions-nous sur la piste de nos amis que, depuis si longtemps, nous avons perdus ? Don Martial garda le silence ; il examinait minutieusement cette fumée, vapeur presqu’imperceptible qui se confondrait bientôt avec l’azur du ciel. Enfin il répondit : — Cette fumée ne me présage rien de bon. Nos amis, ainsi que vous les nommez, sont Français, c’est-à-dire profondément ignorants de la vie du désert ; s’ils étaient près de nous, il nous serait aussi facile de les voir que d’apercevoir ce rocher qui est là bas ; ils auraient allumé non pas un feu, mais dix, mais vingt brasiers, dont les flammes, et surtout la fumée épaisse nous auraient immédiatement révélé leur présence ; ils ne choisissent pas leur bois, eux ; sec ou mouillé, peu leur importe ; ils ignorent l’importance qu’il y a, dans le désert, à découvrir son ennemi sans laisser soupçonner sa présence. — Vous concluez de cela ? — Je conclus que le feu que vous avez découvert a été allumé par des sauvages ou au moins par des coureurs des bois aguerris aux choses de la vie indienne. Tout le fait supposer ; voyez vous-même, qui, sans en avoir une grande expérience, connaissez cependant un peu l’existence du désert, vous l’avez pris pour un nuage ; tout observateur superficiel aurait commis la même erreur que vous, tant la gerbe est fine, déliée, onduleuse et tant sa couleur se marie bien avec toutes ces vapeurs que le soleil pompe incessamment et qui s’élèvent de terre. Les hommes, quels qu’ils soient, qui ont allumé ce feu, n’ont rien laissé au hasard ; ils ont tout calculé, tout prévu ; ou je me trompe fort, ou ce sont des ennemis. — À quelle distance les supposez-vous de nous ? — À quatre lieues, au plus ; qu’est-ce que quatre lieues dans le désert, lorsqu’il est si facile de les parcourir en ligne droite ? — Ainsi, votre avis serait ?... fit l’haciendero. — Pesez bien mes paroles, don Sylva ; surtout, je vous en prie, ne leur donnez pas une interprétation autre que celle que je prétends leur donner. Par un prodige dont il existe peu d’exemples dans les fastes du del Norte, voici près de trois semaines que nous le parcourons dans tous les sens sans que rien, jusqu’à présent, soit venu nous troubler ; voilà huit jours déjà que nous errons à l’aventure à la recherche d’une piste qu’il nous est impossible de retrouver. — C’est vrai. — J’ai fait alors ce raisonnement que je crois juste, et que vous approuverez, j’en suis convaincu. Les Français n’ont qu’accidentellement pris la résolution d’entrer dans le désert ; ils ne l’ont fait que pour se mettre à la poursuite des Apaches. N’est-ce pas votre avis ? — Oui. — Fort bien. En conséquence, ils ont dû le traverser en ligne directe. Le temps qui nous a favorisés les a favorisés de même ; leur intérêt, le but qu’ils voulaient atteindre, tout enfin exigeait qu’ils déployassent la plus grande célérité dans leur marche. Une poursuite, vous le savez comme moi, est une course, un assaut de vitesse, où chacun cherche à arriver le premier. — Ainsi vous supposez,... interrompit don Sylva. — Je ne suppose pas, je suis convaincu que, depuis longtemps déjà, les Français ne sont plus dans le désert et qu’ils courent maintenant dans les plaines de l’Apacheria ; ce feu que nous avons aperçu en est, pour moi, une preuve convaincante. — Comment cela ? — Vous allez me comprendre : les Apaches ont tout intérêt à éloigner les Français de leurs territoires de chasse ; désespérés de les voir hors du désert, il est probable qu’ils ont allumé ce feu afin de les tromper et de les obliger à y rentrer. L’haciendero demeura rêveur. Les raisons que lui donnaient don Martial lui semblaient justes ; il ne savait à quoi se déterminer. — Enfin, dit-il au bout d’un instant, que concluez-vous de tout cela ? — Que nous aurions tort, répondit résolument don Martial, de perdre davantage notre temps ici à chercher des gens qui n’y sont plus et à courir le risque d’être enveloppés dans une tempête que chaque heure qui s’écoule rend plus imminente dans une contrée comme celle-ci, continuellement bouleversée par des ouragans terribles. — Ainsi, vous retourneriez sur vos pas ? — Loin de là ; je pousserais en avant, au contraire, j’entrerais le plus tôt possible dans l’Apacheria, car je suis convaincu que je serais bientôt sur la trace de nos amis. — Oui, ceci me semble assez juste ; seulement nous sommes loin encore des prairies. — Pas autant que vous le supposez ; mais quant à présent, restons-en là de notre conversation ; je veux aller à la découverte, ce feu m’intrigue plus que je ne saurais dire, je vais l’examiner de près. — Soyez prudent. — Ne s’agit-il pas de votre salut ? répondît le Tigrero en jetant un doux et triste regard à doña Anita. Il se leva, sella son cheval en un tour de main, et après s’être orienté, il partit au galop. — Brave cœur ! murmura doña Anita en le voyant disparaître dans le brouillard. L’haciendero soupira sans répondre et laissa tomber sa tête pensive sur sa poitrine. Don Martial s’éloignait rapidement à la lueur tremblante de la lune qui répandait sur le paysage désolé du désert ses rayons blafards et fantastiques. Parfois il rencontrait de lourds rochers posés en équilibre, muettes et sinistres sentinelles dont l’ombre gigantesque tigrait au loin le sable grisâtre ; ou bien c’étaient de gigantesques ahuehuelts dont les branches décharnées étaient chargées de cette mousse épaisse nommée barbe d’Espagnol, qui tombait en longs festons et semblait s’agiter au souffle léger de la brise. Après une heure et demie de marche à peu près, le Tigrero arrêta sa monture, mit pied à terre et regarda attentivement autour de lui. Bientôt il eut trouvé ce qu’il cherchait : à peu de distance de lui, le vent et la pluie avaient creusé un ravin assez profond ; il y fit descendre son cheval, l’attacha solidement à une énorme pierre, lui serra les naseaux afin de l’empêcher de hennir, et jetant son rifle sur son épaule, il s’éloigna. De l’endroit où il se trouvait en ce moment le feu était visible, le sillon rouge qu’il traçait dans l’air se détachait vigoureusement dans l’obscurité. Autour du feu se tenaient immobiles et recueillies plusieurs ombres que du premier coup d’œil le Tigrero reconnut pour des Indiens. Le Mexicain ne s’était pas trompé, son expérience ne lui avait pas fait défaut ; c’étaient bien des Peaux-Rougés qui campaient là, dans lé désert, à peu de distance de sa troupe. Mais quels étaient ces Indiens ? étaient-ils amis ou ennemis ? Voilà ce qu’il fallait absolument savoir. Ce n’était pas chose facile sur ce terrain plat et entièrement dénudé, où il était presque impossible de s’avancer sans être aperçu, car les Indiens sont comme des bêtes fauves, ils ont le privilège de voir la nuit ; dans les ténèbres, leurs prunelles métalliques se dilatent comme celles des tigres, et ils distinguent aussi facilement leurs ennemis au milieu des plus épaisses ténèbres que par le plus éblouissant soleil. Cependant don Martial ne se rebuta pas. Non loin de la halte des Peaux-Rouges se trouvait un bloc énorme de granit, au pied duquel trois ou quatre ahuehuelts avaient poussé, et avaient fini, avec le temps, par si bien enchevêtrer leurs rameaux les uns dans les autres, qu’ils formaient, à une certaine hauteur, sur les flancs du roc, un inextricable fourré. Le Mexicain s étendit sur le sol, et doucement, pouce à pouce, ligne par ligne, en s’aidant des genoux et des coudes, il se glissa du côté du rocher, en profitant habilement de l’ombre nettement dessinée sur le sol par le roc lui-même et les arbres qui poussaient auprès. Il fallut au Tigrero près d’une demi-heure pour parcourir les quarante mètres à peu prés qui le séparaient du rocher. Il l’atteignit enfin ; alors il s’arrêta afin de reprendre haleine et poussa un soupir de satisfaction. Le reste n’était plus rien : il ne craignait plus maintenant d’être vu, grâce au rideau de branches qui le dérobait aux regards des Indiens, mais seulement d’être entendu. Après s’être reposé quelques secondes, il recommença à ramper, s’élevant peu à peu sur le flanc abrupte du rocher ; enfin il se trouva au niveau du fourré de branches, au milieu duquel il se glissa et où il disparut sans qu’il fût possible de deviner sa présence en ce lieu. De la cachette qu’il avait si heureusement atteinte, non-seulement il planait sur le camp indien, mais encore il entendait parfaitement les Peaux-Rouges causer entre eux. Il est inutile de faire remarquer que don Martial comprenait et parlait parfaitement tous les idiomes des Peaux-Rouges, dont les nombreuses tribus parcourent les vastes solitudes du Mexique. Ces Indiens, le Tigrero les reconnut immédiatement, étaient des Apaches. Ainsi toutes ses prévisions s’étaient réalisées. Autour d’un feu de fiente de bison, qui produisait une grande flamme tout en ne laissant échapper qu’un léger filet d’une fumée presque imperceptible, plusieurs chefs étaient gravement accroupis sur leurs talons et fumaient leurs calumets, tout en se chauffant, car le froid était vif. Don Martial distingua au milieu d’eux l’Ours-Noir. Le visage du sachem était sombre : il semblait en proie à une sourde colère ; souvent il relevait la tête avec inquiétude, et fixant son regard perçant sur l’espace, il interrogeait les ténèbres. Un bruit de pas se fit entendre, et un Indien entra à cheval dans la partie éclairée du camp. Après avoir mis pied à terre, cet Indien s’approcha du feu, s’accroupit auprès de ses compagnons, alluma son calumet, et se mit à fumer, le visage impassible, bien qu’à la poussière qui le couvrait et au mouvement précipité de sa poitrine, il fût facile de reconnaître qu’il venait de faire une route longue et surtout pénible. À son arrivée, l’Ours-Noir lui avait jeté un long regard, puis il s’était remis à fumer sans lui adresser la parole, l’étiquette indienne exigeant que le sachem n’interroge pas un autre chef avant que celui-ci ait secoué dans le foyer les cendres de son calumet. L’impatience de l’Ours-Noir était évidemment partagée par les autres Indiens. Cependant tous restaient graves et silencieux ; enfin le nouveau-venu aspira une dernière bouffée de fumée qu’il rendit par la bouche et les narines, puis il repassa son calumet à sa ceinture. L’Ours-Noir se tourna vers lui. — La Petite-Panthère a bien tardé, dit-il. Ceci n’était pas une interrogation ; l’Indien se borna à s’incliner sans répondre. — Les vautours planent en grandes troupes au-dessus des déserts, reprit le chef au bout d’un instant, les coyotes aiguisent leurs crocs aigus, les Apaches sentent une odeur de sang qui fait bondir de joie leurs cœurs dans leurs poitrines ; mon fils n’a-t-il rien vu ? — La Petite-Panthère est un guerrier renommé dans sa tribu ; aux premières feuilles ce sera un chef ; il a rempli la mission que lui avait confiée son père. — Ooch ! que font les Longs-Couteaux ? — Les Longs-Couteaux sont des chiens qui hurlent sans savoir mordre ; un guerrier apache leur fait peur. Les chefs sourirent avec orgueil à cette fanfaronnade, qu’ils prirent naïvement au sérieux. — La Petite-Panthère a vu leur camp, reprit l’Indien, il les a comptés ; ils pleurent comme des femmes et se lamentent comme des enfants sans force et sans courage ; deux d’entre eux ne prendront pas cette nuit leur place accoutumée au feu du conseil de leurs frères. Et d’un geste empreint d’une certaine noblesse, l’Indien releva l’espèce de blouse de calicot qui de son cou descendait à la moitié de ses cuisses, et montra deux chevelures sanglantes pendues à sa ceinture. — Ooah ! firent les chefs avec joie, la Petite-Panthère a bravement combattu ! L’Ours-Noir fit signe au guerrier de lui donner les chevelures. Celui-ci les détacha et les lui remit. Le sachem les examina avec soin. Les Apaches fixaient attentivement leurs regards sur lui. — Asch’eth ! fit-il au bout d’un instant ; mon fils a tué un Long-Couteau et un Yori. Et il rendit les deux chevelures au guerrier, qui les replaça à sa ceinture. — Les faces pâles ont-ils découvert la trace des Apaches ? — Les faces pâles sont des taupes ; ils ne sont bons que dans leurs grands villages de pierre. — Qu’a fait mon fils ? — La Panthère a exécuté de point en point les ordres du sachem ; lorsque le guerrier a reconnu que les faces pâles ne le voulaient pas voir, il s’est élancé au-devant d’eux en les narguant, et il les a entraînés pendant trois heures à sa suite dans l’intérieur du désert. — Bon ! mon fils a bien agi. Qu’a-t-il fait ensuite ? — Quand les Longs-Couteaux ont été assez loin, la Panthère les a abandonnés, après en avoir tué deux pour laisser un souvenir de son passage, puis il s’est dirigé vers le camp des guerriers de sa nation. — Mon fils est fatigué, l’heure du repos est venue pour lui. — Pas encore, répondit sérieusement l’Indien. — Ooah ! que mon fils s’explique. À cette parole, sans savoir pour quelle raison, le Tigrero, qui écoutait attentivement ce qui se disait, sentit son cœur se serrer. L’Indien continua : — Il n’y a pas que les Longs-Couteaux dans le désert : la Petite-Panthère a découvert une autre piste. — Une autre piste ? — Oui. Cette piste est peu visible ; il y a sept chevaux et trois mules en tout. J’ai reconnu le pas d’un de ces chevaux. — Ooeh ! j’attends ce que mon fils va m’apprendre. — Six guerriers yoris ayant une femme avec eux sont entrés dans le désert. L’œil du chef lança un éclair. — Une femme pâle ? demanda-t-il. L’Indien baissa affirmativement la tête. Le sachem réfléchit un instant, puis son visage reprit le masque d’impassibilité qui lui était habituel. — L’Ours-Noir ne s’était pas trompé, dit-il, il sentait l’odeur du sang ; ses fils apaches auront une belle chasse. Demain à l’endit-ah, les guerriers monteront à cheval. La hutte du sachem est vide ; abandonnons maintenant les Grands-Couteaux à leur sort, ajouta-t-il en levant les yeux vers le ciel : Nyang, le génie du mal, se chargera bientôt de les engloutir dans les sables ; le maître de la vie appelle la tempête, notre tâche est remplie, suivons la piste des Yoris et regagnons à toute bride nos territoires de chasse ; l’ouragan hurlera bientôt dans le désert qu’il bouleversera. Mes fils peuvent se livrer au sommeil, un chef veillera sur eux. J’ai dit. Les guerriers s’inclinèrent silencieusement, se levèrent les uns après les autres et allèrent s’étendre à peu de distance sur le sable. Au bout de cinq minutes, ils dormaient profondément ; seul l’Ours-Noir veillait. La tête dans la paume des mains, les coudes sur les genoux, il regardait fixement le ciel ; parfois son visage perdait son expression sévère, et un sourire fugitif se dessinait sur ses lèvres. Quelles pensées absorbaient ainsi le sachem ? que méditait-il ? Don Martial l’avait deviné ; aussi se sentait-il frissonner de terreur. Il demeura encore près d’une demi-heure immobile dans sa cachette, afin de ne pas courir le risque d’être découvert ; puis il redescendit comme il était venu, usant encore de précautions plus grandes ; car à ce moment, où un silence de plomb planait sur la nature, le bruit le plus léger aurait révélé sa présence à l’oreille subtile du chef indien. Plus que jamais, après les révélations qu’il était parvenu à surprendre, il redoutait d’être découvert. Enfin il parvint à regagner sain et sauf l’endroit où il avait laissé son cheval. Pendant quelque temps le Tigrero, abandonnant la bride sur le cou du noble animal, marcha au petit pas, repassant dans son esprit tout ce qu’il avait entendu, et cherchant quel moyen il pourrait employer pour écarter de la tête de ses compagnons le danger affreux qui les menaçait. Sa perplexité était extrême, il ne savait à quoi se résoudre ; il connaissait trop bien don Sylva de Torrès pour supposer qu’un intérêt personnel, si puissant qu’il fût, parviendrait à lui faire abandonner ses amis dans le péril où ils se trouvaient. Mais fallait-il sacrifier doña Anita à cette délicatesse, à ce point d’honneur mal entendu, pour un homme indigne sous tous les rapports de l’intérêt que lui portait l’haciendero ? On pouvait, à force d’adresse et de courage, éviter les Apaches et leur échapper, mais comment échapper à la tempête qui, dans quelques heures peut-être, allait fondre sur le désert, bouleverser la topographie du sol, faire disparaître toutes les traces et rendre la fuite impossible. Il fallait sauver la jeune fille à tout prix ! Cette pensée revenait incessamment à l’esprit bourrelé du Tigrero, et lui mordait le cœur comme un fer rouge ; il se sentait pris de rage froide en considérant l’impossibilité matérielle qui se plaçait implacable devant lui. Comment sauver la jeune fille ? Constamment il s’adressait cette question, à laquelle il ne trouvait pas de réponse. Pendant assez longtemps il chemina ainsi la tête basse, se creusant vainement l’esprit pour trouver un moyen terme qui lui permit d’agir à sa guise et de sortir de la position critique dans laquelle il se trouvait. Enfin, le jour se fit dans sa pensée ; il releva fièrement la tête en envoyant un regard de défi du côté des ennemis, qui déjà paraissaient certains de s’emparer de ses compagnons, et, enfonçant les éperons dans le ventre de son cheval, il partit à fond de train. Lorsqu’il arriva à l’endroit où la caravane était campée, à part un peon qui faisait sentinelle, tout le monde dormait. La nuit était déjà assez avancée, il était à peu près une heure du matin : la lune répandait une clarté éblouissante qui permettait de voir presque comme en plein jour. Les Apaches ne se mettraient pas en marche avant le lever du soleil : c’était à peu près quatre heures qu’il avait devant lui pour agir. Il résolut d’en profiter. Quatre heures bien employées sont énormes dans une fuite. Le Tigrero commença par bouchonner son cheval avec soin, afin de lut rendre l’élasticité de ses membres, car il allait avoir besoin de toute sa légèreté ; puis, aidé par les peones, il chargea les mules et sella les chevaux. Ce dernier soin pris, il réfléchit un instant et s’occupa à envelopper les pieds des chevaux de petits morceaux de peau de mouton remplis de sables. Ce stratagème devait, dans son idée, dérouter les Indiens, qui, ne reconnaissant pas les traces sur lesquelles ils comptaient, croiraient à une fausse piste. — Pour plus de sûreté, il ordonna d’abandonner deux ou trois outres de mezcal sous le rocher ; il connaissait le penchant des Apaches pour les liqueurs fortes et comptait sur leur ivrognerie. Cela fait, il réveilla don Sylva et sa fille. — À cheval ! dit-il d’un ton qui n’admettait pas de réplique. — Qu’y a-t-il ? demanda l’haciendero encore à demi endormi ! — Il y a que si nous ne partons pas à l’instant, nous sommes perdus. — Comment ? que voulez-vous dire ? — À cheval ! à cheval ! chaque minute que nous passons ici nous approche de la mort ! Plus tard, je vous expliquerai tout. — Mais, au nom du ciel, que se passe-t-il donc ? — Vous le saurez ; venez, venez ! Sans rien écouter, moitié de gré, moitié de force, il obligea l’haciendero à se mettre in selle ; doña Anita y était déjà ; le Tigrero jeta un dernier regard autour de lui, et donna le signal du départ. La petite caravane s’élança en avant de toute la vitesse des cbevaux. C’est bien. Lever du soleil. |
Les Oiseaux bleus/La Belle au cœur de neige | Catulle Mendès Les Oiseaux bleus Victor-Havard, 1888 (p. 245-256). ◄ Les Trois Semeurs Les Deux Marguerites ► La Belle au cœur de neige bookLes Oiseaux bleusCatulle MendèsVictor-Havard1888ParisVLa Belle au cœur de neigeMendès - Les Oiseaux bleus, 1888.djvuMendès - Les Oiseaux bleus, 1888.djvu/12245-256 Il y avait, dans un royaume, une princesse si belle que, de l’avis de tout le monde, on n’avait jamais rien vu d’aussi parfait sur la terre. C’était bien inutile qu’elle fût jolie, puisqu’elle ne voulait aimer personne. Malgré les prières de ses parents, elle refusait avec mépris tous les partis qu’on lui proposait ; lorsque des neveux ou des fils d’empereurs venaient à la cour pour demander sa main, elle ne daignait même pas les regarder, si jeunes et si beaux qu’ils fussent ; elle détournait la tête avec un air de mépris : « Vraiment, ce n’était pas la peine de me déranger pour si peu de chose ! » Enfin, à cause de la froideur qu’elle montrait en toute occasion, cette princesse avait été surnommée « la Belle au cœur de neige ». Vainement sa nourrice, une vieille bonne femme, qui avait beaucoup d’expérience, lui disait, les larmes aux yeux : « Prends garde à ce que tu fais, ma fille ! Ce n’est pas une chose honnête que de répondre par de mauvaises paroles aux gens qui nous aiment de tout leur cœur. Quoi ! parmi tant de beaux jeunes hommes, si bien parés, qui brûlent de t’obtenir en mariage, il n’en est pas un seul pour lequel tu éprouves quelque tendre sentiment ? Prends garde, te dis-je ; les bonnes fées, par qui te fût accordée une beauté incomparable, s’irriteront, un jour ou l’autre, si tu continues à te montrer avare de leur présent ; ce qu’elles t’ont donné, elles veulent que tu le donnes ; plus tu vaux, plus tu dois ; il faut mesurer l’aumône à la richesse. Que deviendrais-tu, mon enfant, si tes protectrices, courroucées par ton indifférence, t’abandonnaient à la méchanceté de certaines fées qui se réjouissent du mal, et rôdent toujours, dans de mauvaises intentions, autour des jeunes princesses ? » La Belle au cœur de neige ne tenait aucun compte de ces bons conseils ; elle haussait l’épaule, se regardait dans un miroir ; et cela lui suffisait. Quant au roi et à la reine, ils se montraient désolés plus que l’on ne saurait dire, de l’indifférence où s’obstinait leur fille ; ils en vinrent à penser qu’un mauvais génie l’avait maléficiée ; ils firent proclamer par des hérauts, dans tous les pays du monde, qu’ils donneraient la princesse elle-même à celui qui la délivrerait du Sort dont elle était victime. Or, vers le même temps, dans une grande forêt, il y avait un bûcheron, très hideux de sa personne, contrefait, et boiteux à cause du poids de sa bosse, qui était la terreur de tout le pays ; car, le plus souvent, il ne se bornait pas à bûcheronner les arbres ; embusqué dans quelque ravine, il attendait, la hache levée, le voyageur sans défiance, et lui tranchait le cou, aussi habilement que l’aurait pu faire le bourreau le plus expérimenté. Cela fait, il fouillait le cadavre, et, avec l’argent qu’il trouvait dans les poches, il achetait des vivres et du vin, dont il se gorgeait dans sa hutte en poussant de grands cris de joie. De sorte que ce méchant homme fut plus heureux que beaucoup d’honnêtes gens, tant qu’il passa des voyageurs dans sa forêt. Mais elle eut bientôt si mauvaise renommée que des gens même très hardis faisaient de longs détours plutôt que de la traverser ; le bûcheron chôma. Durant quelques jours, il vécut tant bien que mal du reste de ses anciennes ripailles, rongeant les os, égouttant dans sa tasse le fond des bouteilles mal vidées. C’était un maigre régal pour un affamé et pour un ivrogne tel que lui. La rigueur de l’hiver mit le comble à son infortune. Dans son repaire, où soufflait le vent, où neigeaient les flocons, il mourait de froid, en même temps que de faim ; quant à demander secours aux habitants du proche village, il n’y pouvait pas songer, à cause de la haine qu’il s’était attirée. Vous pensez : « Pourquoi ne faisait-il point de feu avec des fagots et des broussailles sèches ? » Eh ! parce que le bois, comme les feuilles, était si pénétré de gel, qu’il n’y avait pas moyen de l’allumer. On peut supposer aussi qu’afin de punir ce vilain homme, une volonté inconnue empêchait le feu de prendre. Quoi qu’il en soit, le bûcheron passait de fort tristes journées et de plus tristes nuits, près de sa huche vide, devant son foyer noir ; le voyant grelottant et maigre, vous n’auriez pas manqué de le plaindre, si vous aviez ignoré combien il avait mérité sa misère par ses crimes. Cependant quelqu’un eut pitié de lui. Ce fut une méchante fée, appelée Mélandrine. Comme elle se plaisait à voir le mal, il était naturel qu’elle aimât ceux qui le faisaient. Une nuit donc, qu’il se désolait de plus belle, claquant des dents, l’onglée aux doigts, et qu’il eût vendu son âme, — qui, à vrai dire, ne valait pas grand-chose ; — pour une flambée de sarment, Mélandrine se fit voir à lui, sortant de dessous terre ; elle n’était point belle et blonde avec des guirlandes de fleurs dans les cheveux, elle ne portait pas une robe de brocart, resplendissante de pierreries ; mais laide, chauve, bossue aussi, haillonneuse comme une pauvresse, vous l’auriez prise pour une vieille mendiante des chemins ; car étant méchante, on ne peut pas paraître jolie, même quand on est fée. — Ne te désespère pas, pauvre homme, dit-elle ; je veux te venir en aide. Suis-moi. Un peu étonné de cette apparition, il marcha derrière Mélandrine jusqu’à une clairière où l’on voyait des amas de neige. — Maintenant, allume du feu, reprit-elle. — Eh ! madame, la neige ne brûle pas ! — C’est en quoi tu te trompes. Tiens, prends cette baguette en bois de cornouiller, que j’apportai pour toi ; il te suffira d’en toucher l’un de ces grands tas blancs, pour avoir le plus beau feu que l’on vît jamais. Il fit comme elle avait dit. Jugez de son étonnement ! À peine la branche s’en était-elle approchée, que la neige se mit à flamber, comme si elle eût été, non de la neige, mais de l’ouate ; toute la clairière fut illuminée de flammes. À partir de ce moment, le bûcheron, tout en continuant d’avoir faim, ne connut plus du moins la souffrance d’avoir froid ; dès qu’il avait un petit frisson, il faisait un tas de neige dans sa hutte ou sur le chemin, puis il le touchait de la baguette que lui avait laissée Mélandrine, et se chauffait devant un bon feu. Quelques jours après cette aventure, il y avait une grande agitation dans la capitale du royaume voisin ; la cour du palais était pleine de pertuisaniers qui faisaient sonner leurs hallebardes sur les dalles. Mais c’était surtout dans la salle du trône que l’émotion était grande : les plus puissants princes de la terre, avec beaucoup d’autres jeunes hommes, s’y étaient donné rendez-vous pour tenter, dans une lutte courtoise, d’émouvoir enfin la Belle au cœur de neige. Le neveu de l’empereur de Trébizonde courba le genou. — Je commande à plus d’hommes armés qu’il n’y a de feuilles dans toutes les forêts, et j’ai, dans mes coffres, plus de perles qu’il n’y a d’étoiles au ciel. Voulez-vous, ô princesse, régner sur mes peuples et vous parer de mes perles ? — Qu’a-t-il dit ? demanda la princesse. À son tour le fils du roi de Mataquin s’agenouilla. — Quoique jeune encore, j’ai vaincu dans les tournois les plus illustres preux, et, d’un seul coup d’épée, j’ai tranché les cent têtes d’une tarasque qui dévorait tous les nouveau-nés et toutes les vierges de mon royaume. Ô princesse, voulez-vous partager ma gloire qui grandira encore ? — Il a parlé si bas, dit la princesse, que je ne l’ai pas entendu. Et d’autres princes, après l’héritier de Trébizonde et l’héritier de Mataquin, vantèrent leur puissance, leur richesse, leur gloire ; il vint ensuite, s’inclinant avec de tendres paroles, des poètes qui jouaient de la guitare comme un séraphin de la harpe, des chevaliers qui avaient défendu l’honneur des dames dans les plus périlleux combats, de jeunes pages aussi, tremblants, roses de pudeur, dont la lèvre frémissait dans l’espérance d’un baiser. Mais la Belle au cœur de neige : — Que veulent tous ces gens-là ? Qu’on les prie de sortir ; je ne saurais endurer plus longtemps leur bavardage, et j’ai hâte d’être seule pour me regarder dans mon miroir. — Ah ! ma fille, ma fille, dit la nourrice, crains d’irriter les bonnes fées ! Alors s’avança un rustaud, très hideux de sa personne, contrefait, boiteux à cause du poids de sa bosse. Les courtisans, qui étaient au pied du trône, voulurent l’écarter, se moquant de ce paysan qui se mêlait de prétendre à la main d’une royale personne. Lui, cependant, continua d’approcher, et, d’une baguette qu’il avait dans la main, toucha le corsage de l’indifférente enfant. « Ah ! que je l’aime ! » s’écria-t-elle, sentant tout son être s’allumer et fondre en tendresse. Vous pensez l’émoi qui s’ensuivit ! Mais un roi n’a que sa parole ; le père de la princesse dut la laisser aller avec le méchant bûcheron vers la forêt mal famée ; elle y vécut fort malheureuse, car son amour ne l’aveuglait pas au point de lui cacher combien en était indigne celui qui l’avait inspiré ; et ce fut le châtiment de la Belle au cœur de neige. |
Le Robinson suisse/XXIV | Johann David Wyss Le Robinson suisse (1812) Traduction par Anatole Bordot. Morizot, 1861 (p. 226-231). ◄ Chap. XXIII Chap. XXV ► Chap. XXIV bookLe Robinson suisse (1812)Johann David WyssAnatole BordotMorizot1861VChap. XXIVJohann David Wyss - Le Robinson suisse (1861).djvuJohann David Wyss - Le Robinson suisse (1861).djvu/13226-231 Nous entrons dans le corps de la baleine pour prendre les boyaux. — Divers usages auxquels on emploie ces boyaux. — Ce que nous en faisons. — Un mot sur les ballons ou aérostats. — Fabrication de l’huile. — Les écrevisses. Nous dinâmes à la hâte et debout ; ensuite je fis charger la chaloupe de haches, de couteaux et de crampons en fer dont je prévoyais l’utilité. Une chose m’embarrassait, c’était de savoir dans quoi nous pourrions garder l’huile que nous donnerait la baleine. Nous en avions un besoin trop grand pour ne pas chercher à en conserver une bonne provision, il y avait bien les tonneaux de Falkenhorst ; mais il eût fallu se résoudre à ne plus s’en servir par la suite : l’huile, en s’imprégnant dans le bois, aurait laissé une odeur fétide qui eût corrompu toute autre liqueur. Ma femme me fit alors songer aux quatre cuves de notre bateau, et je la remerciai de cette bonne idée. Dès que nous fûmes arrivés à l’îlot, je fis mettre notre pirogue et nos cuves à l’abri, puis nous nous occupâmes, sans délai, de notre travail. Un instant d’examen suffit pour me convaincre que nous avions devant nous une baleine franche du Groënland. Je comptai soixante à soixante-dix pieds de longueur sur une largeur de trente à quarante ; ce n’était du reste que là taille ordinaire à laquelle parviennent ces cétacés. Mon petit François était étonné de la grosseur prodigieuse de la tête, qui formait près d’un tiers du volume total, et de la petitesse du gosier, qui n’aurait guère permis l’introduction d’un corps plus gros que mon bras. Cela paraissait, en effet, d’autant plus singulier que la bouche était immense. Ernest me demanda comment un animal dont le gosier était si peu large avait, suivant la Bible, avalé le prophète Jonas. Je lui répondis que l’Écriture sainte ne dit point positivement que Jonas fut avalé par une baleine, et que parmi les cétacés il y en a dont l’organisation intérieure est fort différente de celle de la baleine, tels que le requin, etc. Les mâchoires étaient garnies, de chaque côté, de ces nombreux fanons servant de dents et qui sont d’un usage si fréquent chez les Européens. Je me promis bien de ne pas négliger cette source importante de richesses, et je confiai à Fritz et à Jack le soin de les dépouiller. Les deux enfants montèrent donc sur le dos de la baleine, et, armés d’une hache et d’une scie, ils se mirent à abattre les fanons, que François et sa mère déposaient ensuite dans la pirogue. Nous en recueillîmes ainsi près de deux cents. Ernest et moi, pendant ce temps-là, enlevions de larges bandes de graisse sur le côté, et certes ce travail était fatigant, car nous n’avions rien moins que des masses de trois à quatre pieds d’épaisseur à découper. Un grand nombre d’oiseaux vinrent nous déranger avec une audace incroyable ; après avoir plané quelques minutes au-dessus de nos têtes, ils se jetaient sur la baleine et arrachaient des morceaux de lard jusqu’entre nos mains. Par le conseil de ma femme, qui pensa que leurs plumes pouvaient nous être très-utiles, nous en abattîmes un certain nombre à coups de hache, et ils furent jetés au fond de notre bateau. J’essayai ensuite de détacher sur le dos même de la baleine une large bande de peau que je comptais préparer pour en faire des harnais destinés à l’âne et aux buffles. Cela me donna plus de mal que je ne l’avais cru, mais je réussis malgré l’épaisseur et la dureté du cuir. Si la journée n’eût pas été aussi avancée, j’aurais volontiers tenté de m’emparer aussi des tendons de la queue et d’une partie des intestins, mais cette besogne nous eût menés trop loin. Avant de donner le signal du départ je coupai un large morceau de langue, pour juger par nous-mêmes si Ernest ne se trompait pas en affirmant que ses lectures lui avaient appris que cette partie de l’animal était fort bonne à manger. Nous reprîmes le chemin de Felsheim avec un butin plus utile que brillant. Notre huile exhalait, en effet, une odeur peu agréable. Aussi nous fîmes force de rames, et, dès notre arrivée, nous transportâmes, avec l’aide de l’âne et des buffles, notre chargement dans l’intérieur de l’habitation. Le lendemain matin, au lever du soleil, nous nous mîmes de nouveau en mer ; mais je laissai ma femme et François dans la grotte, ne voulant pas les faire participer au dégoûtant travail que je comptais entreprendre : j’avais l’intention d’entrer dans le ventre même de la baleine pour couper les longs et forts boyaux dont nous pourrions tirer beaucoup d’avantages. Une brise légère nous porta rapidement à l’îlot ; la place était déjà occupée par une nuée d’oiseaux voraces qui, malgré la toile dont nous avions recouvert les parties entamées du cadavre, enlevaient d’énormes morceaux de chair. La hache ne suffisant pas pour les effrayer, nous tirâmes quelques coups de fusil qui nous débarrassèrent de ces compagnons incommodes. Avant de commencer, nous eûmes soin de quitter nos vestes et nos chemises ; puis nous pénétrâmes hardiment dans le ventre de l’animal ; je fis un choix parmi les boyaux les plus forts, les faisant couper par morceaux de six à dix pieds de long. Jack trouvait que nous en aurions pu faire de gigantesques saucissons. « J’aime mieux, répondis-je, en faire des outres pour notre huile ; chacun de ces boyaux contiendra au moins la provision d’un mois. « Oh ! quelle excellente idée ! s’écria Fritz. Qui vous l’a donc inspirée, mon père ? — La nécessité, mes enfants, mère de l’industrie. Je crois d’ailleurs que ce procédé est en usage parmi les Esquimaux et les Groënlandais. » Avant de nous embarquer, nous prîmes un excellent bain dans le canal qui séparait l’îlot de la grande île, et, purifiés par cette ablution d’eau fraîche, nous revînmes à Felsheim. La conversation roula pendant le trajet sur l’utilité que l’on pouvait tirer des boyaux ; je rappelai à mes enfants que c’est avec ceux du mouton que l’on fabrique les cordes à violon, qu’avec la peau même qui tapisse intérieurement les intestins du bœuf on fait la baudruche qui sert à la confection des ballons. Ernest, dont les connaissances en physique étaient assez étendues, expliqua fort bien à ses frères comment, en gonflant un ballon d’un gaz plus léger que l’air, on devait obtenir naturellement un corps auquel les lois mêmes de la pesanteur donnaient une direction ascensionnelle. « C’est, ajouta-t-il, un phénomène analogue à celui de nos vessies gonflées d’air, qui surnagent sur la mer. Pour les ballons ou aérostats, le gaz qu’on emploie est quelquefois l’air atmosphérique, mais dilaté par la chaleur, et qui devient alors d’un tiers plus léger ; on préfère cependant l’hydrogène, dont la densité est environ quatorze fois moindre que celle de l’air ordinaire. Jack aurait voulu que je lui fisse un petit ballon d’un pied, et il se promettait alors, disait-il, de tenter quelque voyage aérien. Je dus lui dire qu’un ballon de cette dimension, pesant peut-être deux onces, pourrait tout au plus enlever un poids de quatre ou cinq onces, mais non pas de soixante ou soixante-dix livres qu’il pesait, malgré la légèreté de sa cervelle. « Du reste, ajoutai-je en terminant, les aérostats nous sont encore d’un bien petit secours, et il en sera de même tant que l’homme n’aura pas découvert le secret de les diriger. » Ma femme nous attendait sur le rivage ; mais, à la vue de nos costumes délabrés et de la vilaine cargaison que nous lui amenions, elle se mit presque en colère. « Il fallait, disait-elle, jeter à la mer tout cet amas de chair pourrie qui empestait l’île. » Je lui rappelai les grands avantages que nous tirerions de l’huile, et, pour achever de la calmer, je lui promis de lui fournir bientôt quelques pains de bon savon qui lui faciliteraient ses travaux de blanchissage. Ces réflexions l’apaisèrent peu à peu, et elle nous laissa décharger le bateau. Avant de nous livrer au repos, j’attachai solidement les boyaux de la baleine aux deux extrémités, et je les fis sécher près de la cheminée, afin que le lendemain matin nous eussions nos outres toutes prêtes. Dès que le jour parut, chacun sauta à bas du lit, et nous commençâmes immédiatement la fabrication de l’huile. Les quatre cuves pleines de graisse fixées solidement sur le sol, nous en pressâmes le contenu avec de fortes poutres et des pierres, et nous obtînmes bientôt un ruisseau d’huile que Jack et Ernest recevaient dans les outres. Quand ces outres furent pleines, nous plaçâmes le reste de la graisse dans une de ces grandes chaudières que nous avions sauvées du naufrage, et au moyen d’une large cuiller nous continuâmes à emplir les tonnes. Pour être plus certain de la pureté de nos produits, je faisais tamiser à travers une toile serrée tout le liquide qui découlait des cuves ou que nous retirions avec la cuiller. Nos vases étaient remplis, et notre provision semblait suffisante pour plus d’une année : aussi je fis jeter dans la rivière les morceaux de lard qui restaient, et ils devinrent bientôt la proie des oies et des canards. Pendant ce temps, ma femme avait préparé les mouettes que nous avions abattues à coups de hache lors de la dissection de la baleine. Elle tenait surtout à en conserver le duvet, et, comme la chair de ces oiseaux est peu agréable au goût, nous jetâmes aussi leurs cadavres à la rivière. Bientôt ils furent recouverts d’une grande quantité d’écrevisses. La voracité les retenait tellement acharnées sur leur proie, que nous pûmes nous en emparer facilement, ce qui renouvela notre provision épuisée depuis quelque temps déjà, et le soir même nous nous régalâmes d’un buisson magnifique de ces crustacés, ce qui nous rappela notre chère cuisine européenne. |
Bassompierre - Journal de ma vie, 4.djvu/142 | {{tiret2|preju|dicier}} a quelqu'un. Puis je manday a {{Mr}} le comte de
Gramont que je m’en allois trouver le roy a Senlis, et
que, s’il y vouloit venir, je l'y menerois, ce qu’il fit
volontiers, et l’estant venu prendre a son logis, il
monta en mon carrosse, et nous allames jusques a
Louvre<ref>Plusieurs éditions précédentes, mais non les premières, portaient{{lié}}: ''jusqu’au Louvre''.</ref> ou nous trouvasmes {{Mr}} le Comte, {{Mr}} le cardinal de la Vallette, et {{Mr}} de Boullon<ref>Frédéric-Maurice de la Tour, duc de Bouillon, alors prince de Sedan, et depuis, par échange avec le roi, duc d’Albret et de Château-Thierry, fils aîné d'Henri de la Tour, vicomte de Turenne et duc de Bouillon, et d’Élisabeth de Nassau, sa seconde femme, né le 22 octobre 1605, mort le 9 août 1652.</ref> quy montoint en carrosse, apres s’estre chauffés, pour passer
a Senlis. Il voulut<ref>''Il'', le comte de Soissons.</ref> que {{Mr}} de Gramont et moy
nous missions en son carrosse pour y aller de compagnie, et me dit que je me vinsse chauffer{{lié}}: puis en
montant quand et moy dans la chambre, il me dit{{lié}}:
«{{lié}}Je sçay asseurement que l’on vous veut arrester{{lié}};
sy vous m’en croyés vous vous retirerés, et sy vous
voulés voylà deux coureurs quy vous meneront bravement a dix lieues d’icy.{{lié}}» Je le remerciay tres humblement et luy dis que n’ayant rien sur ma conscience
de sinistre, je ne craignois rien aussy, et que j’aurois
l'honneur de l’accompagner a Senlis, ou nous arrivasmes peu après et trouvasmes le roy avec la reine sa
femme dans sa chambre et mesdames la Princesse et
de Guymené<ref>Il y avait aux précédentes éditions{{lié}}: ''et madame la princesse de Guymené''.{{lié}}— Voir t.{{lié}}II, p.{{lié}}147, note 1.</ref>. Il vint a nous et nous dit{{lié}}: «{{lié}}Voylà la bonne compagnie{{lié}}»{{lié}}; puis ayant un peu parlé a {{Mr}} le
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Lénine | ◄ Auteurs O Fac-similés Biographie Citations Médias Données structurées révolutionnaire et homme d'État russe puis soviétique (1870 – 1924) Pseudonyme : Ленин, Ильин, Н. Ленин, Старик, К. Тулин, Lenin Matérialisme et empiriocriticisme ; L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. 1894 Ce que sont les « amis du peuple » et comment ils luttent contre les social-démocrates 1895 Friedrich Engels À quoi pensent nos ministres ? Explication de la loi sur les amendes infligées aux ouvriers de fabrique et d’usines 1896 Au gouvernement tsariste Exposé et commentaire du projet de programme du P.O.S.D.R. 1899 À propos des grèves 1900 La guerre de Chine 1901 Par où commencer ? Anarchisme et Socialisme 1902 Que faire ? 1904 Un pas en avant, deux pas en arrière Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique 1905 Socialisme et religion L’attitude de la social-démocratie à l’égard du mouvement paysan Conclusion de l'article "La commune de Paris et les tâches de la dictature démocratique" 1906 Boycottage Les enseignements de l’insurrection de Moscou 1907 En douze ans Le Développement du capitalisme en Russie : processus de formation du marché intérieur pour la grande industrie, 1907 IA 1908 Notes politiques Marxisme et révisionnisme Matérialisme et empiriocriticisme 1909 De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion L’attitude des classes et des partis à l’égard de la religion et de l’Église 1910 Notes d'un publiciste Les enseignements de la Révolution Les divergences dans le mouvement ouvrier européen De certaines particularités du développement historique du marxisme 1911 Stolypine et la Révolution A propos des mots d'ordre et de la conception du travail social-démocrate à la Douma et en dehors 1912 Le courant de liquidation et le groupe des liquidateurs 1913 Les trois sources et les trois parties constitutives du marxisme Les destinées historiques de la doctrine de Karl Marx L’Europe arriérée et l’Asie avancée Notes critiques sur la question nationale 1914 Biographie de Karl Marx Rapport à C. Huysmans La guerre et la social-démocratie russe La situation et les tâches de l’Internationale Socialiste De la fierté nationale des Grands-Russes 1915 La faillite de la IIe Internationale Le socialisme et la guerre Projet de résolution de la gauche de Zimmerwald Du mot d’ordre des États-Unis d’Europe Un premier pas Les marxistes révolutionnaires à la conférence socialiste internationale 1916 L’impérialisme, stade suprême du capitalisme La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes À propos de la brochure de Junius À propos du mot d'ordre de désarmement L’Impérialisme et la scission du socialisme Lettre ouverte à Boris Souvarine Le Programme militaire de la révolution prolétarienne Pacifisme bourgeois et pacifisme socialiste Un tournant dans la politique mondiale 1917 Thèses d’Avril Lettre d'adieu aux ouvriers suisses L’État et la révolution Les tâches du prolétariat dans notre révolution Ier congrès des soviets de Russie La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer Les bolchéviks doivent prendre en mains le pouvoir Les champions de la fraude et les erreurs des bolchéviks Notes d’un publiciste Le marxisme et l’insurrection Thèses sur l’Assemblée constituante 1918 Sur l’infantilisme « de gauche » et les idées petites-bourgeoises Lettre aux ouvriers américains Discours prononcé pour l'inauguration du monument à Marx et Engels Un nouveau livre de Vandervelde sur l’État 1919 De l’État Discours d'ouverture au Ier congrès de l’Internationale Communiste Thèses sur la démocratie bourgeoisie et la dictature prolétarienne (Ier congrès de l'I. C.) Discours de clôture du Ier congrès de l’Internationale Communiste Les tâches de la IIIe Internationale Les objectifs généraux du mouvement féminin Salut aux communistes italiens, français et allemands 1920 La maladie infantile du communisme (le « gauchisme ») Le communisme Interventions au IIe congrès de l'I.C. Contribution à l’histoire de la dictature 1921 La révolution prolétarienne et le rénégat Kautsky Interventions au IIIe congrès de l'I.C. La Journée internationale des ouvrières 1923 Mieux vaut moins mais mieux Testament politique Œuvres posthumes Contre le courant / N. Lénine, G. Zinoviev ; traduit par V. Serge et Parijanine Gallica La Révolution bolcheviste, trad. de Sergueï Oldenburg, 1931 Cahiers philosophiques Gallica, 1973 L’État et la Révolution : la doctrine marxiste de l'état et les tâches du prolétariat dans la révolution Gallica, 1978 Lénine, par Léon Trotsky (1925) Lénine marxiste de Nikolaï Boukharine Chez Lénine et Trotski, 1922 |
Brossard - Correcteur typographe, 1934.djvu/668 | limiter aux ouvrages mathématiques (pour éviter la confusion des supérieures avec les exposants) ou bien à ceux dont les renvois sont peu nombreux : si l’on est en effet obligé de placer plusieurs astérisques de front, la nécessité de les
compter entraîne parfois à des erreurs, et la disposition typographique qu’ils présentent n’est pas heureuse.
''e'') Par une lettre capitale ou bas de casse, romain ou italique, entre parenthèses :
Cuvier s’exprime ainsi (a) : « Dans les expériences... »
{{T|(a) Cuvier, ''Leçons d’Anatomie comparée''.|90}}
{{p fin}}
{{p fin}}
''f'') Par une lettre supérieure italique (appelée alors lettrine) ou romaine, entre parenthèses :
Cuvier s’exprime ainsi ({{e|''a''}}) : « Dans les expériences... »
{{T|({{e|''a''}}) Cuvier, ''Leçons d’Anatomie comparée''.|90}}
{{p fin}}
Lorsque les renvois de notes sont des lettres, ces lettres doivent être italiques dans un texte romain, et romaines dans un texte italique.
10. Les ''sous-notes'' et, les ''notes de sous-notes'' utilisent des renvois de genres différents de ceux des notes : par exemple, on emploie, pour les sous-notes, une lettre italique supérieure, et pour les notes de sous-notes un astérisque entre parenthèses, — ou réciproquement.
11. De manière générale, les imprimeries semblent avoir le choix du genre de l’appel de note ; peu d’auteurs imposent une règle pour cet objet, un peu secondaire.<br />{{cach|xxxx }}Il est bon de rappeler que, dans les ouvrages de mathématiques comportant par leur nature un grand nombre de chiffres, l’appel de note en chiffres de la casse avec parenthèses pourrait être confondu avec les numérations d’équations ou de formules ; l’appel de note en chiffres supérieurs sans parenthèses, avec un exposant ; il est nécessaire d’éviter l’emploi de ces appels : les chiffres supérieurs entre parenthèses, les lettres italique bas de casse ou supérieures, et l’astérisque, avec ou sans parenthèses, donneront satisfaction.
12. Les numéros d’ordre des notes, au bas des pages, sont figurés de la même manière que l’appel dans le texte, comme on l’a vu dans les exemples donnés ici.
13. Toutefois, le chiffre supérieur sans parenthèses utilisé dans le
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Bassompierre - Journal de ma vie, 4.djvu/143 | Comte et a M. le cardinal de la Vallette, il m’entretint
assés longtemps, me disant qu’il avoit fait ce qu’il
avoit peu pour porter la reine sa mere a se raccommoder avec monsieur le cardinal, mais qu’il n’y avoit
sceu rien gaigner, ne me dit jammais rien de madame
la princesse de Conty{{lié}}: puis je luy dis que l’on m’avoit
donné avis qu’il me vouloit faire arrester et que
j'estois venu le trouver affin que l’on n’eut point de
peine a me chercher, et que, sy je sçavois ou c’est, je
m'y en irois moy mesme sans que l’on m’y menat. Il
me dit là dessus ces mesmes mots{{lié}}: «{{lié}}Comment,
Betstein, aurois tu la pensée que je le voulusse faire{{lié}}?
Tu sçais bien que je t’ayme{{lié}}»{{lié}}; et je crois certes qu'a cette heure là il le disoit comme il le pensoit. Sur cela
on luy vint dire que monsieur le cardinal estoit en sa
chambre, et lors il prit congé de la compagnie, et me
dit que je fisse avancer le lendemain matin de bonne
heure la compagnie quy estoit en garde affin qu’elle
la peut faire a Paris, puis me donna le mot.
Nous demeurames quelque temps cheux la reine, et
puis nous vinmes tous soupper cheux {{Mr}} de Longueville, et de là nous retournames cheux la reine ou
estoit venu le roy apres soupper. Je vis bien qu’il y
avoit quelque chose contre moy{{lié}}; car le roy baissoit
toujours la teste, jouant de la guittare sans me regarder et en toute la soirée ne me dit jammais un mot. Je
le dis a {{Mr}} de Gramont, nous allant coucher ensemble en un logis que l’on nous avoit appresté.
Le lendemain mardy 25<sup>me</sup> jour de fevrier, je me
levay a six heures du matin, et comme j’estois devant
le feu avec ma robbe, le sieur de Launay lieutenant
des gardes du corps entra en ma chambre et me dit{{lié}}:
<references/> |
Bassompierre - Journal de ma vie, 4.djvu/141 | icy{{lié}}; Dieu vous la conserve, et bien que j’apprehende la resolution que vous avés prise, je l'approuve neammoins et vous conseille de la suyvre, ayant ouy et pesé vos raisons.{{lié}}»
Il me pria en suitte de n’esventer point cette nouvelle quy bien tost seroit publique, et me pria qu’au
sortir de la comedie il me donnat a soupper cheux
madame de Choisy ou il l’avoit fait apprester, et sur
cela nous allames a la feste cheux {{Mr}} de Saint-Geran
ou je trouvay {{Mr}} le mareschal de Crequy a quy
{{Mr}} d’Espernon le dit devant moy et ce que je voulois
faire, quy l’approuva, et dit que pour luy, il feroit ce
qu’il pourroit pour destourner l'orage, mais qu’il
l'attendroit.
Peu apres madame la Comtesse divulgua l’arrest de
la reine mere, et nous ouismes la comedie, vismes le
bal, et a minuit vinmes souper cheux madame de
Choisy ou {{Mr}} de Chevreuse vint, quy ne fut gueres
touché de l’eslongnement de sa bonne sœur de la court,
et fut aussy gay que de coustume. Comme nous nous
retirions, {{Mr}} du Plessis Pralain arriva, quy dit a {{Mr}} de
Chevreuse de la part du roy que non par haine qu'il
portat a sa maison, mais que pour le bien de son service il avoit eslongné madame sa sœur d’aupres de la reine sa mere.
Le lendemain lundy 24<sup>me</sup> jour de fevrier je me
levay devant le jour et bruslay plus de six mille lettres
d’amour que j'avois autrefois receues de diverses
femmes, apprehendant que, sy l’on me prenoit prisonnier, on ne vint chercher dans ma maison, et que
l’on n’y trouvât quelque chose quy peut nuire, estans
les seuls papiers que j'avois, quy eussent peu {{tiret|preju|dicier}}
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Nox (Beltjens)/0 | Charles Beltjens Nox Paul Dupont, 1881 (p. 5-6). Le poète ► Présentation bookNoxCharles BeltjensPaul Dupont1881ParisTPrésentationBeltjens - Nox, 1881.djvuBeltjens - Nox, 1881.djvu/35-6 Si nous osons livrer à la publicité ce poème présenté en 1879 au concours des Jeux Floraux de Toulouse, nos amis seront indulgents ; c’est un essai et comme la préface d’un livre qui paraîtra bientôt, dont ils connaissent déjà les pages les plus importantes et qui nous ont valu leurs précieux encouragements. L’épreuve à laquelle l’auteur soumet cet opuscule leur dira s’ils ont eu raison de l’applaudir. En tout cas, pour justifier sa tentative, il peut s’autoriser de l’extrait suivant tiré du rapport de M. F. de Rességuier, secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse, sur le concours poétique de 1881, inséré dans le Recueil de cette année. ERRATUM. Une erreur, qu’un oubli seul nous a empêché de rectifier, s’est glissée dans notre Rapport sur le concours de 1870. Le poème intitulé : Nox, y fut attribué à un écrivain qui n’en est pas l’auteur. — Cet ouvrage, remarquable à tous égards, est de M. Charles Beltjens, de Sittard (Pays-Bas). Nous tenons d’autant plus à faire cette rectification que cet ouvrage était du petit nombre de ceux qui nous indemnisèrent cette année-là du mécompte que nous avions rencontré sur le terrain de l’Ode. Nous remarquions les vues élevées, le caractère ferme et le mouvement poétique général de cette vaste composition, qui ne fui éloignée du concours qu’à raison de son étendue, les programmes de notre Académie limitant à deux cent cinquante vers le cadre des ouvrages qu’elle doit accueillir. Nous espérons que cette rectification tardive nous justifiera aux yeux du poète distingué, auquel nous avons fait un tort immérité et très involontaire F. de R. Nos remerciements sincères à M. F. de Rességuier. Puissent le public et surtout nos amis être de l’avis de M. le secrétaire perpétuel de l’Académie de Toulouse ; nous ne pouvions pas souhaiter pour notre œuvre une meilleure présentation. Ch. B |
Une famille pendant la guerre/Texte entier | Lucie Boissonnas Une famille pendant la guerre J. Hetzel, 1873 (p. i-321). bookUne famille pendant la guerreLucie BoissonnasJ. Hetzel1873ParisVBoissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvuBoissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/7i-321 Il faut que le souvenir de nos désastres soit durable ; il est des douleurs qu’on ne saurait sans crime oublier ; et c’est surtout chez les générations qui s’élèvent et à qui appartiendra particulièrement la tâche de la réparation qu’il est bon, qu’il est nécessaire de perpétuer la mémoire des terribles épreuves infligées à notre pays. Nous avons pensé que le livre que nous leur offrons ici pourrait contribuer à maintenir parmi elles ce douloureux mais instructif souvenir. Il est en France nombre de provinces, nombre de familles qui, tout en prenant part sans doute à nos misères, n’en ont souffert cependant que de loin et n’en ont eu que le contre-coup. Ce livre leur dira ce qu’ont enduré les maisons, les familles, les pays sur lesquels ont pesé directement la guerre, l’invasion et toutes les calamités qui en découlent. La réunion des lettres qui composent ce volume nous a paru former une part de l’histoire vraie des malheurs de la France, racontés par les divers membres d’une famille pour laquelle — et il y en a eu beaucoup dans le même cas — les douleurs patriotiques étaient encore aggravées par les angoisses de la séparation. L’auteur de ce livre n’a pas voulu le faire autre que les circonstances ne l’avaient fait. C’eût été aller contre le but qu’il se proposait que d’en modifier le caractère. Son œuvre a été de réunir, de condenser, de coordonner les lettres qui s’y trouvent recueillies et qui, écrites pour la plupart sous le coup même des événements, les retracent avec fidélité. Ici la parole devait être surtout aux faits ; les réflexions en naîtront assez d’elles-mêmes. j. hetzel. Mon cher André, Hier, vers quatre heures, une pluie d’orage nous avait fait rentrer. Nous étions tous réunis dans la bibliothèque ; Robert et Marguerite, en l’honneur de leur congé du dimanche, coloriaient des images, maman écrivait à ma tante de Thieulin, mon père, l’air très-soucieux, étudiait une carte de l’état-major. On entendit le certain grincement que tu reproches à la porte d’entrée. « Ce doit être François, dit mon père en relevant la tête, nous allons avoir des nouvelles. » Il alla se placer contre la fenêtre et attendit. Je vis combien sa figure était inquiète et lui offris d’aller demander si c’était bien François. Mon père fit un geste négatif sans rien dire et attendit encore. Quelques minutes passèrent ; enfin, n’y tenant plus, il ouvrit la porte pour s’informer lui-même. Nous aperçûmes derrière cette porte une figure si bouleversée, si navrée, si confuse, dirai-je, que j’en poussai un cri : « François ! qu’y a-t-il donc ?... » Brave François ! papa l’avait envoyé à S. pour voir si quelque dépêche n’avait pas été affichée à la mairie, et il ne pouvait se résoudre à entrer et à dire ce qu’il savait. Le vieux soldat se révoltait en lui, comme le jeune soldat, mon pauvre frère, a dû se révolter en toi quand tu as appris ce qui s’appellera maintenant et pour toujours Sedan ! c’est-à-dire le plus grand désastre de notre histoire, la ruine soudaine, incompréhensible ; quelque chose d’effrayant au fond duquel on redoute de trouver la honte ! Quatre-vingt mille hommes, l’empereur, l’armée, tout ce qui pouvait se rendre s’est donc rendu ! François semblait abruti, nos questions lui ont arraché la vérité lambeau par lambeau. Il apportait un journal et une dépêche qu’il avait copiée à la mairie. Mon père a voulu la lire lui-même tout haut ; dès la seconde phrase, l’émotion de sa voix nous a gagnés ; maman essayait vainement de comprimer ses sanglots ; François pleurait sans y penser ; mon cher père lui-même, si calme, toujours si ferme, il a faibli aussi, les larmes l’ont gagné, il a jeté l’affreux papier loin de lui, et, se laissant tomber sur un siége, il est resté dans une stupeur qui m’effrayait. On devinait qu’un monde de pensées s’agitaient dans son cerveau, il ne pouvait parler. L’effroi de Marguerite, dont les huit ans ne comprenaient rien à cette scène, rappela mon père à lui-même ; il l’attira sur ses genoux. « C’est qu’il nous arrive un grand malheur, Marguerite : les Prussiens ont pris toute notre armée ; il n’y aura plus maintenant assez de soldats pour nous défendre ! — Est-ce qu’ils ont tué Maurice et André, les Prussiens ? fit Marguerite. — Non, mon trésor. Grâce à Dieu, tes frères sont encore en sûreté ; mais ils ne le seront plus bien longtemps, vois-tu ; tout le monde va se battre. Ce n’est plus la guerre pour faire le mal maintenant, c’est la guerre pour empêcher le mal, c’est la guerre pour nous défendre... » On vint dire que la vieille Mme de *** était là et demandait les nouvelles. Papa et maman nous embrassèrent, on essuya ses yeux avant de descendre, et chacun se dit que les temps devenaient graves et qu’il fallait prendre sur soi. Depuis lors, hier et aujourd’hui, nous avons à peine revu mon père et maman ; cependant nous aurions eu grand besoin que l’un ou l’autre nous donnât une espérance. Où était-elle, ta gaieté fameuse, frère André ? Elle seule et nulle autre aurait été capable de nous ranimer ! Sans toi, je n’ai su que traîner les deux petits par la main ; ils ne voulaient pas me quitter et nous errions ainsi dans le jardin, interrompus seulement par le jardinier ou par les bonnes femmes du village qui venaient demander à madame si c’était vrai tout ce qu’on disait. Faute de madame, on se contentait de Mlle Berthe, qui répétait ce qu’elle avait appris. Marguerite ajoutait : « Et ça a fait pleurer papa. » Et Robert grondait Marguerite de dévoiler ainsi la faiblesse de papa : « C’est que maman et Berthe pleuraient, disait-il, alors ça l’a gagné ! » Toujours errant, nous avons gravi la butte d’où l’on domine la grande route. De même que les jours derniers, on y apercevait les tristes caravanes des fuyards de l’Est cheminant péniblement avec leurs enfants et leur bétail. Voilà près d’une semaine que les premiers ont passé ainsi, et l’émigration semble loin de se ralentir ; jamais nous n’en avions tant compté. Ce spectacle n’était point fait pour égayer les enfants, diras-tu. En effet ; pourtant ils ont eu quelque plaisir à remarquer qu’une charrette quittait la grande route et venait de notre côté, et il a fallu descendre et faire ouvrir la petite porte pour mieux voir ceux qui approchaient. C’était navrant ! Une femme était dans la charrette avec trois petits enfants dont l’un avait à peine deux mois. Quelques matelas, des paquets de linge, des marmites et une cage d’osier où les poules caquetaient plaintivement ; tout cela était encore mouillé de la dernière averse, et l’ensemble avait un air transi qui faisait peine. Le père et ses deux fils marchaient à la tête du cheval, une vache était attachée derrière la voiture, et un chien pareil à Fox fermait la marche. Le petit cortège s’arrêta près de notre groupe, et l’homme demanda poliment où l’on pourrait trouver une goutte de lait pour le tout petit enfant. J’envoyai Robert en demander à Nanette, et, fortifiée par la présence du jardinier qui venait d’apparaître, j’osai questionner ces pauvres gens. Ils venaient de Lorraine. Leur ferme était située tout près de Gravelotte. À l’approche de l’ennemi, ils s’étaient sauvés, emportant ce qu’ils pouvaient, abandonnant le reste avec un secret espoir de le retrouver plus tard. Mais deux jours après la bataille ils avaient été rejoints par un de leurs voisins et avaient appris que tout était perdu. Quelques soldats français s’étaient réfugiés dans la maison pour y prendre leur repas, un détachement prussien les avait cernés, nos lignards avaient tiré par les fenêtres. Enfin les Prussiens avaient pénétré dans la maison, ils avaient massacré nos soldats, puis tout avait été brûlé : maison, grange, étable. La pauvre famille ruinée avait continué depuis lors à marcher sans savoir où. Elle n’a plus qu’une crainte, celle d’être rattrapée par l’ennemi, et père, mère et enfants répètent à tous ceux qu’ils rencontrent : « C’est inutile de vous défendre, personne ne peut résister aux Prussiens, ils fusillent tous ceux qu’ils peuvent prendre et brûlent les maisons. Sauvez-vous ! sauvez-vous ! » Voilà pourtant de quelle façon la panique se répand et s’augmente. On ne raisonne plus, on ne songe qu’à sa propre vie, on ne pense plus au pays, et ceux qui ont entendu cet affreux sauvez-vous ! le répètent à leur tour à d’autres. Robert était revenu avec le lait pour le baby, et Nanette avait elle-même apporté un gros pain et du vin. Nous avons eu un vrai bonheur à voir ces malheureux se ranimer et jouir un instant. Le petit cœur de Marguerite s’est ému pour les poulets, elle leur a émietté du pain et leur a cherché de l’eau, puis l’on s’est dit adieu. Et comme la charrette tournait notre mur, nous avons tous crié ensemble ; « Bon courage ! » Et nous sommes rentrés. « Berthe, m’a dit Robert qui devint tout à coup très-rouge, je pense que tu n’as pas bien fait de ne rien dire à ces gens sur leur devoir, ils se sauvent et ils font sauver les autres ; c’est très-lâche, tout ça. Moi je ne voudrais jamais faire croire aux Prussiens que j’ai peur d’eux. — Mon garçon, si tu avais femme et enfants, tu te sauverais peut-être aussi pour les sauver. — Non, certes, je me mettrais derrière un fossé sur le chemin des Prussiens avec plusieurs fusils chargés, je les attendrais et je les tuerais à mesure qu’ils passeraient. » Une grosse pluie est survenue et nous a fait rentrer, non sans donner une pensée à cette petite charrette, seul abri maintenant d’une famille naguère heureuse. Et se dire que tant d’autres dans la situation de celle-là défilent presque toute la journée ! J’ai songé au reproche de Robert. L’ai-je mérité ? Comme c’est difficile, le devoir ! Je ne crois pourtant pas que j’aurais dû faire de la morale à cet homme qui a trois fois mon âge ; mais il y a de bonnes choses que j’aurais pu dire, seulement ces grandes détresses-là causent une sorte de terreur ; on n’avait rien imaginé de semblable auparavant ; on les contemple et on reste muet. Qu’il plaise à Dieu de me rendre bonne à quelque chose ! Je t’écrivais hier et déjà je reviens à toi, cher frère ; chaque jour amène du nouveau, et un nouveau si triste ! Papa m’a appelée tout à l’heure, dès que les petits ont été couchés. « Ma grande fille, a-t-il dit, nous réclamons aujourd’hui tes dix-sept ans au conseil de famille, c’est le moment ou jamais de vieillir vite. Nous avons, ta mère et moi, de grands partis à prendre. Tu sais que comme commandant de la garde nationale j’avais rassemblé quelques éléments de défense à S. Je croyais possible, sinon d’arrêter, du moins d’embarrasser les troupes ennemies qui passeraient par nos routes. Eh bien, ce désastre de Sedan a bouleversé toutes les têtes. À quatre heures j’ai reçu de la mairie ordre de licencier la garde nationale ; on prétend qu’il n’y a rien à faire contre les troupes qui sont maintenant libres de marcher sur nous. On va donc ouvrir ses portes ! ou plutôt se sauver en les laissant ouvertes ! Enfin c’est une panique !... Mon enfant, je ne saurais voir tranquillement ces choses-là s’accomplir. D’ailleurs, je puis encore être bon à quelque chose, il y a certains services que je puis rendre. Avec l’approbation de ta mère, qui fait peut-être à ton frère Maurice plus encore qu’à la patrie le sacrifice de ma personne (pauvre papa ! il essayait en vain d’égayer maman), avec l’approbation de ta mère, je viens d’envoyer un télégramme au général Ch.-L... pour me mettre à sa disposition. Je pense qu’on m’emploiera aux fortifications ; cela me rapprochera aussi de Maurice, que sa qualité de polytechnicien désigne à un service du même genre. Le père et le fils aîné seront donc à Paris et assiégés !!! Le second fils, maître André, est à cette heure au Mans occupé à faire l’exercice ; il continuera son apprentissage militaire. Il reste vous, mère, enfants, et c’est vous qu’il s’agit de mettre en sûreté. Je souhaiterais que ta mère m’ôtât tout souci sur votre sort en fuyant, — le mot est laid, mais le fait est justifiable lorsqu’il s’agit de femmes et d’enfants, — d’abord si vous voulez à Brou, chez votre tante de Thieulin ; puis, si l’ennemi avançait, à Tours, en Bretagne, si loin qu’il faudrait pour l’éviter. Ta mère, au lieu de cela, veut... — Je ne veux rien, a interrompu maman, mais il nous faut réfléchir et chercher le mieux sans nous trop laisser entraîner par nos propres désirs. Nous pouvons fuir, il est vrai, et quelques autres habitants du pays feront de même ; mais combien vont rester ! Ceux-là trouveront bien amère la pauvreté qui les livre à un danger que nous sommes si empressés d’éviter. La panique, dont nous voyons déjà de si tristes effets, va augmenter ; on m’a dit que beaucoup de pauvres gens s’installaient dans les bois ; on ne sait jusqu’où cette terreur peut les mener. Les vingt ou vingt-cinq familles du village resteront si nous restons ; nous sommes seuls à savoir l’allemand et nous pourrons servir d’interprètes. Je crois que notre place est ici. Mais nous te parlons de ceci, mon enfant, parce que si tu éprouvais une trop grande crainte de rester, cela trancherait la question. Nous partirions pour le Perche, pour la Bretagne, nous irions aussi loin que le souhaite la prudence de ton père. — Pourquoi n’irions-nous pas dans Paris avec papa et Maurice ? ai-je demandé. — Parce que Paris sera probablement assiégé, a dit mon père. On ne choisit pas une ville assiégée pour y enfermer des femmes et des enfants. Tu sais ce que je me suis donné de peine pour empêcher les paysans d’envoyer leurs familles à Paris ; ces bouches inutiles embarrasseront la défense et peuvent l’abréger. Malgré la consolation qu’il y aurait à être ensemble, je ne crois ni juste ni bien de vous y faire entrer. Cela serait un plus mauvais exemple que la fuite dont la pensée scandalise ta mère. Ce sont des soldats qu’il faut à Paris et des vivres ! — Eh bien, père, je n’ai pas peur du tout de rester ici, et je pense comme maman que nous serons à notre place. Le vieux Hallier, Mme Reboul, puis Augustine, sont venus demander aujourd’hui ce que nous ferions avant de prendre eux-mêmes un parti ; je vois qu’on a très peur. — Oui, a dit papa, on se souvient des Cosaques en 1815, et l’on s’attend à revoir des sauvages semblables. Grâce à Dieu, les temps ont marché et la guerre ne se fait plus comme jadis. En 1815, la barbarie avait d’ailleurs un prétexte ; c’était des représailles de nos invasions à nous. Cette vieille querelle-là est vidée, il n’y a plus de haine entre les peuples. Si ta mère persiste à rester, ce n’est pas l’occupation allemande que je redouterai le plus dans un canton qui ne se défend pas ; c’est l’isolement, la privation de nouvelles, ce sont les inquiétudes qui en seront la suite. Au reste, nous reparlerons de cela demain ; mais puisque tu écris à André, dis-lui toujours où nous en sommes et que mon départ à moi est décidé. » Voilà qui est fait, je t’ai tout dit, cher frère ; j’ai mis les mots de chacun pour m’empêcher d’employer ceux qui rendraient ma pensée vraie, celle que j’ai dans le cœur : André, qu’allons-nous faire sans papa, sans toi et sans Maurice ? Nous vous imaginerons tués à chaque bataille dont on parlera ! Il faut que mon père juge le danger de la patrie bien sérieux pour demander du service à cinquante ans passés et quand ce service doit l’obliger à quitter maman. Je t’assure qu’ils font pitié à voir tous deux ; on n’ose plus penser à son propre chagrin. Et toi qui prétendais qu’une guerre en Europe ne pouvait être qu’une plaisanterie. Qu’en dis-tu, maintenant ? Cette plaisanterie-là nous coûte déjà bien des larmes. T’imagines-tu papa et Maurice aux remparts, toi en expédition n’importe où, maman sans nouvelles au milieu des Prussiens, et tout cela compliqué d’inquiétudes sur les anciens camarades de papa, peut-être sur mon oncle et ma tante de Thieulin et tant d’autres parents et amis ? Oh ! si l’on pouvait avoir une bonne paix ! Écris-nous bientôt. Je ne tarderai pas à te donner des nouvelles, car c’est à moi qu’a été solennellement confié le soin de te tenir au courant. C’est fini ! et du moins nous n’avons plus à nous débattre contre l’incertitude. Papa a reçu ce matin sa nomination à l’un des bureaux du génie, puis il est décidé que nous restons aux Platanes. Mon père a cédé à toutes les bonnes raisons que maman a su trouver, et depuis ce matin la nouvelle est répandue dans le village. Si nous avions besoin d’encouragements, nous en trouverions dans la joie générale. Les plus pauvres sont les plus heureux, car ils savent maintenant qu’ils ne mourront pas de faim. La vieille Manon l’a dit naïvement : « Surtout, mamselle, faites beaucoup de provisions, car nous autres n’en ferons guère. » Trois familles qui commençaient leurs préparatifs les suspendent ; pour d’autres, l’exemple de maman arrive trop tard. Mardi sont partis les enfants et les petits-enfants de la mère Leblanc. Comme on n’accepte plus de bagages au chemin de fer à cause de l’encombrement, ils n’ont emporté que ce qu’ils pouvaient mettre sur eux. Les enfants avaient trois robes l’une par-dessus l’autre, cela les rendait aussi larges que hautes. Les de R*** sont partis aussi hier, ne laissant derrière eux que les domestiques. Toutes les maisons bourgeoises sont maintenant fermées ; tu ne saurais croire combien le pays est devenu triste depuis ces départs. Heureusement que nous avons beaucoup à faire ; on va envoyer à Paris deux des vaches et une charrette pleine de vivres, puis il nous faut travailler aux cachettes. Nous mettons dans des caisses la plus grande partie du linge, les vêtements d’hommes, presque toute l’argenterie ; François descend les caisses dans la cave qui est sous le bûcher. Les tableaux y sont aussi et, en général, les objets auxquels mon père et maman tiennent le plus. J’y ai mis le beau nécessaire que Maurice et toi m’avez donné à mon dernier jour de naissance. Le maçon va murer l’entrée de la cave, on arrangera devant les bancs et les chaises de jardin, et il faudra être bien habile pour deviner ce qu’il y a là-dessous. Dans chaque maison on en fait autant avec plus ou moins de mystère. Hier, à nuit noire, François a rencontré au carrefour du Poteau-Neuf une bande de nos voisins, ils revenaient de la forêt où ils avaient enfoui leurs trésors. Le garde est venu demander à papa s’il devait autoriser certains habitants de Thiers à construire dans les bois des abris pour leurs bestiaux. Chacun nous conseille de faire quelques dépôts de vivres dans des endroits sûrs. « On ne sait pas ce qui peut arriver, » nous répète-t-on, et ce doute n’est pas le beau côté de notre affaire. Avec tout cela, le temps marche, et bientôt il faudra voir partir mon père ! Il espérait rester jusqu’au 15, mais les nouvelles de la marche de l’ennemi sont menaçantes, nulle part on ne peut même essayer de l’arrêter et nous pouvons l’avoir ici dans quatre ou cinq jours. Puis on réclame mon père à Paris. Déjà il travaille toute la journée à l’aide de documents et de plans que le général Ch.-L... lui a envoyés par une estafette. Maman s’enferme avec lui, et, quelque effort qu’elle fasse, elle parait chaque jour plus triste. On n’a un bon moment que le soir. Papa prend alors Marguerite sur ses genoux et il explique, en s’adressant à Robert qui le dévore des yeux, mille choses sur la vie des soldats et l’organisation des armées qu’il me semble apprendre aussi. Mon père a une manière d’enseigner qui n’est pas celle de tout le monde ; l’élément moral tient plus de place dans ses préoccupations que tous les éléments matériels réunis, et l’on voit que sa grande inquiétude pour notre pauvre pays n’est pas qu’il manque de canons ou d’argent, mais qu’il manque d’hommes qui sachent faire leur devoir avec conscience. Je crois que papa est la seule personne à qui je puisse entendre parler des défauts des Français. Il y a des gens qui semblent prendre plaisir à énumérer les faiblesses et les fautes du temps présent, et qui se réfugient dans le dégoût pour se dispenser de l’action ; il y en a d’autres qui récapitulent les folies et les malheurs passés et en prédisent de plus terribles encore avec un air si découragé qu’on finit par les excuser, eux aussi, de ne rien faire. Mon père, lui, n’a ni ironie ni désespoir. Il voit mieux que personne nos plaies, mais comme l’on verrait celles d’un être aimé, adoré. Le respect pour la France ne le quitte pas plus que l’amour ; il regrette, il blâme, il aime, il espère, il va combattre ! et nous qui l’écoutons, nous nous sentons toujours mieux unis à cette douce patrie si mal servie, si mal aimée. Je te quitte pour les leçons de Robert. Le pauvre garçon n’est guère en veine de travail. À chaque coup de sonnette, il court à la fenêtre pour apercevoir l’arrivant et juger à sa mine s’il apporte des nouvelles. Nous vivons dans une fièvre que tu peux concevoir. Qu’est-il échappé de nos troupes ? Aura-t-on de quoi tenir la campagne sous Paris ? Voilà, selon papa, la grande question du moment, et l’on espère toujours quelque dépêche qui nous apprenne sur quoi l’on peut compter. Le seul point lumineux de notre horizon, c’est Maurice. Il gagne à la résolution de papa ce que nous y perdons, aussi écrit-il des lettres si joyeuses et si triomphantes que maman retrouve un sourire en les lisant. 9 septembre. Grand émoi hier, comme je finissais ma lettre. Une quarantaine de cavaliers français défilaient sur la grande route. François rayonnait : — « Monsieur, disait-il, c’est bien sûr des éclaireurs, on envoie des troupes, on va essayer de tenir ! Je le disais bien que ça ne pouvait pas se passer comme ça ! » Enquête faite, ces hommes font partie d’une brigade de cavalerie envoyée pour couper les routes, faire sauter les ponts, enfin préparer à la marche de l’ennemi toutes les difficultés possibles. C’est le général de C... qui la commande. Dès que mon père a vu son nom, il lui a envoyé François avec une lettre le priant d’établir son quartier général aux Platanes. Mais M. de C... n’a pas osé s’éloigner de la ville où les dépêches de la division, qui se succèdent rapidement, le viennent chercher ; les ordres sont, à chaque instant, suivis de contre-ordres, et le plus léger retard pourrait avoir de graves conséquences. Cependant il a trouvé moyen de venir passer une demi-heure avec nous. Qu’il est changé ! Il paraît brisé par la douleur et ne parle qu’avec effort de ce qu’il a vu et de ce qu’il sait. Son fils unique doit être auprès du maréchal Bazaine, sous Metz ; il y a un mois qu’il n’en a eu de nouvelles. Les terribles batailles de Gravelotte et de Mars-la-Tour ont eu lieu depuis et le pauvre père est convaincu que son fils est tué. Il ne parle de lui qu’au passé. « Il était lieutenant au 4e chasseurs, » nous disait-il. Puis on a passé la revue des amis communs engagés en ce moment. Le colonel A... a été tué à Forbach, et son beau-frère blessé à Reichshoffen. On manque complètement de nouvelles du capitaine Herbauld qui faisait partie du corps du général Frossard. Quant au général de C..., il était à Sedan, et il doit son salut à ce qu’envoyé le matin du 1er septembre, avec sa brigade pour garder la route de Mézières, il a pu encore se retirer à marches forcées sur Paris. Ses ordres l’obligent à faire couper les routes derrière lui. Tous les beaux arbres de la route de Creil ont été abattus, ils se croisent sur la chaussée et rendent le passage impossible. Mon père a reconduit le général jusque-là, il dit que cette désolation organisée fait mal à voir. Le matin, à cinq heures, la brigade a quitté S..., et un peu plus tard, un bruit épouvantable a fait trembler la maison. — C’était le grand pont du chemin de fer qui sautait. Nous venons de traverser notre grande douleur — la plus redoutée : — mon père est parti. Tu n’aimes pas l’élégie, frère André, sois tranquille, je te l’épargnerai. D’ailleurs, je ne prétends pas t’apprendre de quelle tendresse on aime un père comme le nôtre et ce que c’est que cette première heure qui commence une séparation grosse de dangers et dont on ne prévoit pas la durée. Sans les petits, je ne sais comment maman aurait supporté le dernier moment, le dernier baiser dans la cour ; mais Marguerite et Robert semblaient plus étonnés de voir que papa ne prenait pas le chemin de fer et allait à cheval à Paris que de toute autre chose. Leur surprise et leurs exclamations ont fait une diversion salutaire. François accompagne papa jusqu’à Survilliers et reviendra nous donner des nouvelles de cette partie du voyage qui est la plus dangereuse — car, il faut te le dire, et c’est cela qui a décidé mon père à se hâter, les Prussiens sont à Mortefontaine ! Oui, mon pauvre André, ils y sont ! cela nous les promet ici pour demain ou après-demain. Leurs uhlans peuvent avoir atteint déjà la route de Paris, notre crainte est que mon père ait trop attendu et qu’il les rencontre ! Il se fie à son brave Stanley. — François n’est pas si bien monté, mais il est tout résigné à se laisser prendre. On lui a loué un cheval pour cette expédition, car notre cavalerie est maintenant réduite au vieux poney et à l’objet que tu appelles impertinemment — la rosse du jardin. Le départ de mon père avait mis le village en émoi, on l’attendait sur la place pour le voir passer. Leblanc, qui, courant à travers bois, avait apporté la nouvelle de l’entrée des Prussiens à Mortefontaine, pérorait au milieu d’un groupe avec l’air important d’un homme dont les moindres paroles font partir pour Paris des colonels du génie. On a interrompu les discours quand mon père a paru, pâle et les larmes aux yeux, mais ferme sur son grand cheval. Il a dit quelques mots pour recommander la prudence à chacun, et comme il savait que quelques trop bonnes âmes se proposaient de traiter de leur mieux les Prussiens pour n’en avoir rien à craindre, il a rappelé que si l’homme prussien blessé ou malade était seulement un homme à secourir, le soldat prussien, dans ses fonctions de soldat, était un ennemi ; et que tout secours à lui donné directement ou indirectement serait un secours donné à l’ennemi contre le pays. Puis papa s’est retourné vers nous, son regard nous a bénis encore une fois ; nous savons qu’il pensait à toi comme à nous. Le reverrons-nous jamais, André ? Est-ce un pressentiment que ce serrement de cœur qui ne me quitte pas ? Il me semble que tout s’effondre, que tout le monde va mourir et que les premiers partis seront les privilégiés. Maman me gronderait de t’écrire cela. Elle nous disait hier soir, au milieu de son chagrin : « La parole nous a été donnée pour nous encourager et non pour nous décourager, » et elle met son principe en pratique. Après cet affreux adieu à mon père, elle nous a emmenés dans sa chambre, et a pris la Bible. Elle nous a lu le psaume 121 : « J’élèverai mes yeux vers les montagnes d’où me vient le secours, mon secours vient de l’Éternel !... » Et puis elle a prié pour mon père, pour toi, pour Maurice, pour que la France se défende bien. Les petits ont alors commencé à pleurer et maintenant ils nous assurent qu’ils vont être si sages, si sages ! afin que maman n’ait pas un chagrin de plus. Soir. François est de retour, aucun Allemand sur la route, mais une énorme quantité de fuyards se hâtant vers Paris. Il a recueilli en chemin quelques nouvelles. Les Prussiens ont fait, à Mortefontaine, une véritable razzia de bestiaux et de grains. Ils sont allés droit au château, mais ne l’ont pas pillé quoiqu’il soit inhabité ; ils se sont contentés de prendre les chevaux et les vaches et sont repartis en disant qu’ils reviendraient bientôt. Te figures-tu les ennemis se promenant à l’aise dans le beau parc que nous aimions tant, où nous avons fait de si joyeuses parties ? Cela semble un affreux rêve. Les deux journées qui ont suivi le départ de mon père ont été tristes et mornes comme des journées sans espérance. À deux ou trois reprises, de vagues rumeurs : Les Prussiens sont à Montlévêque ! les Prussiens seront ici ce soir ! — ont traversé le village, mais leur peu de fondement n’a pas tardé à être reconnu. Maman ne s’en est point émue, et notre ordre habituel de leçons et de promenades n’a été troublé que par nos essais pour perfectionner nos cachettes ou mettre en ordre nos approvisionnements. Le 15, vers cinq heures de l’après-midi, par un temps qui ressemblait au beau temps, je gardais les enfants tout au bout des prairies, à cette place que nous aimons, d’où l’on aperçoit les clochers de S... à droite, et devant soi, la chaussée du Chemin-aux-Bœufs qui coupe en deux la plaine avant de s’enfoncer dans les bois. Nous allions rentrer, et je donnais un dernier coup d’œil au soleil couchant qui illuminait glorieusement ce paysage si simple et si calme, je lui en voulais d’être beau comme autrefois quand nous étions devenus si tristes. « Tiens, dit Robert, voilà des hommes à cheval qui vont sans doute à Thiers par la forêt. » Trois silhouettes de cavaliers apparaissaient en effet entre nous et le soleil, ils suivaient au petit pas le Chemin-aux-Bœufs. L’un d’eux tourna son cheval du côté de S... et l’arrêta un instant, il me parut se dresser sur ses étriers et inspecter l’horizon. Puis il reprit sa marche suivi des autres ; nous les vîmes cheminer longtemps, enfin ils disparurent dans l’ombre du bois. « Tu ne sais pas qui ce peut être, Berthe ? — Non, dis-je avec effort, car Robert m’éveillait à la réalité. — Non, je ne sais pas... mais il nous faut rentrer vite... Maman sera très-inquiète. — Inquiète ? pourquoi ? nous ne sommes pas sortis du parc. — Rentrons vite... Robert, je t’en prie, ne me demande rien ! » Nous avons couru la moitié du chemin, j’entendais les battements de mon cœur, mes jambes étaient singulièrement faibles, j’avais peur, et pourtant je ne savais encore rien, je n’osais approfondir mes pensées. Près de la maison, deux grands corps vêtus de rouge s’étalaient sur le gazon. « Berthe ! » me dirent à la fois les deux enfants en s’arrêtant, blêmes de terreur. Je les avais saisis chacun par un bras : « Courage ! dis-je à voix basse, allons trouver maman, ce sont les Prussiens ! » Nous passâmes rapidement devant ces gens, qui ne bougèrent pas. « Où est maman ? demandai-je à la cuisine. — Madame est dans la cour, ah ! mamselle Berthe ! » Je ne voulais que maman, tenant toujours mes deux petits, sages et silencieux, je courus, je m’aperçus à peine que la cour était pleine de chevaux et d’hommes en uniformes rouges, je ne vis bien que maman, et François derrière elle. Elle parlait avec calme, mais d’un ton froid et presque hautain que je ne lui connaissais pas. J’allais me jeter à son cou, son regard m’arrêta et je passai seulement mon bras sous le sien. Un fourrier lui expliquait qu’elle allait avoir à loger dix-huit hommes et quinze chevaux pendant vingt-quatre heures, un autre écrivait quelque chose à la craie sur la porte extérieure, le gros de la troupe attendait qu’on eut fini chez nous pour pousser plus loin. Quelques hommes ouvraient les portes et regardaient curieusement partout. Le bruit d’un galop effaré a dominé celui des voix, c’étaient le poney et le cheval de jardin qu’on chassait de l’écurie ; les chevaux prussiens prenaient leur place. François n’a pu retenir une exclamation que je n’ai pas à qualifier et il a conduit nos pauvres bêtes dans la petite grange ; ce que c’est que d’être des chevaux de vaincus ! Il a été convenu que les Prussiens occuperaient les chambres au-dessus de l’écurie et que les domestiques nous rejoindraient dans la grande maison, puis tout le monde s’est ébranlé pour préparer le repas prescrit par l’officier. Va, c’est bien dur de se trouver ainsi servir l’ennemi ! et comment faire autrement ? « Il faut reconnaître qu’ils ont été polis et arrangeants, dit maman une fois rentrée, cela ne s’est pas passé trop mal. — Pourquoi ne leur as-tu pas parlé allemand ? Ils avaient tant de peine à te comprendre ! » Croirais-tu que c’est maman, maman si prévenante pour tous et si douce, qui m’a répondu : « Ma tâche n’est pas de simplifier la leur. Souvenez-vous que, sans nécessité, vous ne devez pas leur faire l’honneur de leur parler allemand. » Pauvre maman ! son air royal l’avait bien abandonnée quand, vers minuit, entendant les Prussiens chanter à tue-tête, je me suis relevée pour voir si elle dormait. Tes lettres et celles de Maurice étaient sur ses genoux et elle pleurait en les relisant. Ce matin, nos occupants sont partis sans désordre et sans exigences déraisonnables. François, malgré lui, a été forcé d’écouter quelques-uns de leurs récits. Ils venaient de Sedan et racontaient surtout les exploits des turcos, — des bêtes féroces, disaient-ils. Des troupes nouvelles n’ont cessé de passer pendant l’après-midi, nous n’avons pas eu à nous en plaindre, mais en ville on est fort effrayé. Ils ont chassé le chef de gare de son logis et l’ont complètement pillé. Ce qu’ils n’ont pu emporter, ils l’ont brisé. Ils ont cassé les marbres des commodes, les glaces, les serrures. Quelques maisons dont les habitants sont partis ont été traitées de même. Tu te rappelles ces grands arbres qui bordaient la route de Creil ? Je t’ai raconté qu’ils avaient été abattus et laissés en travers sur la chaussée. L’officier arrivé le premier hier en a été furieux et a signifié au maire que si la route n’était pas déblayée avant le soir, il brûlerait la ville. On ne pouvait douter qu’il n’exécutât sa menace, et force a été d’envoyer des ouvriers pour mettre sur le bord de la route nos pauvres beaux arbres ; ils vont maintenant servir à chauffer les Prussiens. Chère femme, chers enfants, À vous mon premier moment de liberté. Six heures pour ce voyage que nous faisons si facilement d’ordinaire en deux heures, une visite au général, un coup d’œil à mon bureau : voilà l’emploi de mon temps depuis que je vous ai quittés. Vous rendre l’aspect de la campagne en avançant vers Paris, est impossible. La panique de nos côtés n’est rien en comparaison de ce que j’ai vu. Cette vieille route de Flandre, si large, ressemblait depuis Louvres à ce que seraient les boulevards si tous les Parisiens se donnaient le mot pour déménager le même jour. L’effet est d’autant plus étrange que tout le monde marche dans le même sens. C’est la fuite d’un peuple entier, un torrent que rien ne semble pouvoir arrêter ni tarir. Il était plus de deux heures quand j’ai atteint Paris. Décidément les chemins de fer nous gâtent, nous en avions assez, mon cheval et moi de ces onze lieues sans débrider. La ville est calme. Je suis allé immédiatement et tout ruisselant me présenter au général. Il a su me persuader que mon arrivée lui faisait plaisir. « Je craignais que votre femme ne vous retînt, m’a-t-il dit ; — désirez-vous votre fils comme secrétaire ? » La tentation était forte, mais je me suis souvenu de nos résolutions et j’ai répondu simplement que Maurice me saurait mauvais gré de l’enlever à sa batterie. Au reste, on a peu de temps en ce moment pour causer. À cinq heures, je ferai avec le général la tournée des remparts, j’espère y rencontrer notre cher garçon, puis je prendrai possession de mon bureau ; si je peux, j’ajouterai un mot avant le courrier. Même jour, neuf heures. Je rentre, j’ai vu Maurice, tout va bien. Il travaille aux casemates du fort de la Double-Couronne, à Saint-Denis. J’avoue que je l’ai trouvé décidément beau garçon. Ses vingt ans parés d’un commandement, son entrain ordinaire tempéré par un sérieux nouveau chez lui, surtout ses élans de cœur, sa ferveur pour le devoir, tout ce qui nous le rend cher, m’a paru resplendir d’un éclat particulier, là, dans cette boue, avant ce danger qu’on sent venir. Nous ne nous sommes pas dit de longues paroles : « Embrassez-les pour moi ! » m’a-t-il crié. Vous dirai-je que ce message simple a failli décider deux larmes à tomber ? Je ne m’étais jamais senti si loin de vous qu’en le recevant. Je n’ai pu lui répondre qu’un : « Dieu te garde ! » — Il m’a envoyé un bon regard, et j’ai rejoint l’état-major. Un mot maintenant de la situation. Il semble que tout soit encore à faire comme armement, et pourtant on a beaucoup fait. La tâche est immense. La pluie de ces derniers jours nous est venue en aide en retardant l’artillerie de l’ennemi, aussi personne ne s’en est plaint, on aurait voulu un déluge, et c’est avec une sorte d’amertume qu’on a vu le soleil reparaître aujourd’hui plus brillant que jamais. Paris prend l’aspect d’un camp. Les mobiles font l’exercice sur tous les trottoirs, les soldats traînent partout, on voit peu d’officiers. La population est calme. Il n’y a, hélas ! pas le moindre enthousiasme, plutôt une nuance de stupeur. Y aura-t-il siège ? C’est là la question. Vous savez de quelle ardeur je désire la résistance, elle seule peut relever notre honneur, mais qui saurait prévoir ce qu’une population si considérable nous laissera faire ? À mon avis, tout dépend du premier moment ; si nous tenons quinze jours, nous tiendrons trois mois, car l’esprit public se ranimera, il s’exaltera par sa résistance même. Il faut donc armer, armer jour et nuit et se roidir sous le premier choc. Ma femme chérie, mes enfants, vous le voyez, je désire un long siége, et pourtant il me séparera de vous... de vous sans lesquels je n’ai jamais su vivre... et il faudra vous sentir entourés par l’ennemi, en proie à l’inquiétude, peut-être même au danger. Je n’oublie pas André, il est seul. Que Dieu le suive et nous le ramène ! L’heure est solennelle. Dites-vous bien tous et dites à André que votre père a été infiniment heureux par vous, qu’il vous bénit... que chacun fasse son devoir où il est — et adieu ! Mes chers tout petits, Robert et Marguerite, papa n’oublie pas votre cantique : L’ange de l’Éternel se campe avec puissance Autour de ses enfants ; Il les garde et soutient, il est leur délivrance En leurs dangers pressants. Toutes les lignes ferrées sont coupées, sauf celle de l’Ouest ; le flot qui a déjà passé sur vous bat nos murs de trois côtés ; bientôt Paris ne sera plus qu’une île de l’océan Prussien. Soyez prudents les uns et les autres, les récits des réfugiés de l’Est font frémir ; ils parlent d’actes de sauvagerie tels qu’on les croyait impossibles de nos jours. T’aurais-je laissée aux Platanes si de semblables craintes m’avaient abordé auparavant ? Je ne le crois pas. Je me souvenais de la guerre telle que nous l’avons faite en Crimée et en Italie ; je ne prévoyais pas que la haine des Prussiens les ramènerait aux mœurs d’un autre âge. Dis à François, aux domestiques et en général aux gens du village, combien serait coupable une seule imprudence qui pourrait compromettre le sort de tous. Ce que le patriotisme vous commande à vous, femmes, enfants et vieillards, c’est de ne prêter aucun secours à l’ennemi, jamais de renseignements, point d’autres vivres que ceux exigés par la force ou consentis par la commune. Et maintenant, adieu encore, ma femme chérie, et vous, Berthe, Robert, Marguerite... Je vous remets entre les mains de Celui qui vous aime mieux encore que je ne sais le faire... Répète encore à François combien je compte sur son expérience de vieux soldat. — Mais, adieu, adieu... Voici une lettre d’André qui m’arrive, elle a bien réellement passé à la dernière minute. Que faudrait-il donc pour mûrir ce garçon ? Mon cher père, Cette brave petite Berthe, par une lettre du 8, m’apprend vos grandes résolutions sur un ton tellement lamentable, que votre fils, tout indigne qu’il est, s’en est ému et que, sans les exigences du service (phrase consacrée), je vous aurais demandé aussitôt sa lettre reçue, si vous croyez vous-même à l’espèce de cauchemar auquel elle veut m’associer. Ou nous sommes ici bien ignorants de ce qui se passe, ou j’ai l’entendement furieusement obtus, mais je ne puis croire au siége de Paris, et, grâce à l’absence de cette croyance fondamentale du système de Berthe, je ne puis m’attendrir encore sur la douleur (qui serait si grande, je le sais) d’une longue séparation de maman d’avec vous. Pourtant, cher père, quand je vous ai vu reprenant le harnais guerrier, tant par fidélité à votre vieil ami le devoir que par amour pour votre fils le polytechnicien, mon incrédulité a reçu un sérieux ébranlement qui m’a conduit à faire l’emplette du Parfait Troupier, augmenté de la Théorie du maniement du chassepot, de la nouvelle école de peloton, etc., etc. Qu’on dise après cela que je ne fais pas consciencieusement les choses ! En ce moment, nous sommes cent quarante sur l’effectif de la compagnie qui n’avons jamais été plus loin que l’École du soldat. Cependant nous sommes beaucoup plus avancés que les mobiles, dont aucun n’a encore de fusil, et nous croyons de bonne foi faire l’admiration de la population du Mans quand l’exercice nous appelle sur la verte promenade qui orne cette pacifique cité. Non, mon cher père, permettez-moi de vous le dire, vous n’aurez pas plus de quinze jours de siége. Messieurs de fours verront, même sans leurs lunettes, qu’il n’y a plus en France un soldat digne de ce nom, que Paris, une fois bloqué, ce n’est ni eux ni nous qui le débloquerons, et comme, après tout, cet état des choses n’est pas leur faute, ils vont dire à Guillaume : — Entendez la raison, Sire... et à la France : — Nous n’avons rien, ni hommes, ni matériel, soumettons-nous et pensons à mieux faire une autre fois. Mais, cher père, j’entre dans vos domaines en abordant la politique et mieux vaut vous conter ce que nous faisons ici. Que je vous remercie d’avoir fait de moi un simple lignard ! Rien n’est plus drôle que cette vie-là au sortir des bancs de l’École de droit. En ce moment, la chasse à l’espion est à l’ordre du jour, et chaque ambitieux des galons de caporal veut avoir pincé le sien. Cela amène les scènes les plus comiques. Une autre curiosité est la crédulité de nos pauvres compatriotes. Pourvu qu’une idée soit étrange et impossible, sa fortune est faite ; elle devient un bruit et toute une population passe à la suite de ces bruits divers, aussi peu fondés les uns que les autres, du plus profond découragement à des accès de fol enthousiasme. Hier, Strasbourg était pris ; aujourd’hui, cette prise n’aurait été qu’une feinte. Les héroïques Strasbourgeoises auraient laissé entrer les Allemands dans la ville, puis chacune aurait tué son homme. De cette façon, et toutes les villes se proposant d’imiter Strasbourg, ces pauvres Allemands sont perdus. Au reste, c’est une justice à nous rendre, à nous autres Français, nous sommes de bonnes pâtes. Plaindre ces pauvres Allemands nous occupe un peu plus que les combattre. À chaque instant, nous nous attendrissons sur leur sort, et je ne crois pas, vraiment, que deux bourgeois manceaux, ou deux lignards, ou deux bonnes d’enfants, puissent entamer le sujet guerre, sans conclure ainsi ou à peu près : — Attendez seulement qu’ils aient un petit échec sous Paris et puis vous verrez comme les paysans les arrangeront ! De Paris à la frontière, c’est long. Les pauvres gens ! il n’en restera pas un ! — Et là-dessus, on s’en va à son logis, très-préoccupé de ce qui ne vous concerne pas et fort peu de ce qu’on pourrait faire. Je tourne au volume, mon cher père, et pourtant je vous sais bien occupé. Embrassez le lieutenant Maurice pour moi et aimez toujours ce fils écervelé dont le cœur est cependant si entièrement et si respectueusement à vous. André. Il se peut que le léger parfum qui s’exhale de cette feuille vous apprenne que le tabac me compte au nombre de ses adeptes, — de ses dupes, devrais-je dire, — car, rassurez-vous, c’est de l’état militaire ce que je quitterai le plus volontiers. Le combat d’avant-hier, à Châtillon, nous a trop bien montré que la lutte en dehors de la ligne des forts est impossible. Les zouaves (un nouveau régiment ) ont lâché pied, la mobile s’est bien battue, mais il n’en reste pas moins prouvé qu’il faut nous aguerrir à l’abri de nos murs avant de mesurer nos jeunes troupes à ces soldats victorieux. L’ennemi a occupé Sèvres et Saint-Cloud. — Il n’y a rien eu du côté de Maurice. — Toutes les troupes sont retirées sous le canon des forts ou dans Paris. C’était déjà triste, mais voici plus triste encore : la demande d’armistice a échoué, — La Prusse veut l’Alsace et la Lorraine par droit de conquête ! Demain matin cela sera su dans la ville. On craint des manifestations en faveur de la paix. J’ai meilleur espoir, je crois que l’esprit public, qui eût pu hésiter devant des conditions généreuses, va frémir et se redresser devant la lâcheté qu’on lui propose. Il y a là un affront qui nous unira dans une même indignation, et j’espère que Paris tiendra assez longtemps pour permettre aux armées de secours de se lever. Vous figurez-vous, enfants, André délivrant Maurice et papa ? et la famille se retrouvant entière dans la patrie affranchie ? Ce serait beau, n’est-ce pas ? Que n’a-t-on le loisir d’oublier la réalité dans la vision d’une telle joie ! La réalité est sévère. Déjà la vie est difficile, parce qu’il n’y a plus de travail, que tout est cher et que les secours ne peuvent pas s’organiser aussi rapidement qu’il le faudrait. Les réfugiés des environs de Paris sont les plus à plaindre. La plupart d’entre eux ont le cœur partagé — comme moi, — puis la vie matérielle est plus difficile pour eux que pour d’autres. On les case dans les maisons en construction ou les appartements vides. Les meubles les plus indispensables leur manquent, on dirait d’immenses campements de Bohémiens. Cela ait grand’pitié, puis c’est vers l’hiver que nous marchons... Mais quelque chose qui fait du bien au cœur, c’est le mouvement de charité qui semble commencer. Ou je me trompe fort, ou nous verrons de belles choses, et qui sait si l’épreuve dans laquelle nous entrons n’aura pas pour fruit digne de sa grandeur l’initiation de notre peuple au dévouement et au sacrifice ? Dès à présent les efforts sont sérieux et l’on dirait que l’argent prend enfin sa vraie place : de maître, il devient serviteur. Qu’il s’agisse de défense nationale on de charité publique, dès qu’on l’appelle il arrive ; il ne compte plus que comme moyen et il roule à flots. Presque tous nos amis se sont réunis pour fonder et défrayer une grande ambulance au nouveau collége Chaptal ; c’est là que j’irai souvent dès que mon travail m’absorbera moins complètement. Ces quelques jours ont été bien employés aux remparts, et cependant on aurait pu faire encore mieux. Je désirais qu’on demandât à la population des terrassiers gratuits. Je crois qu’il y aurait eu de l’élan et il faut peu d’études pour mener une brouette, mais on a craint de laisser savoir tout ce qui manquait à la défense, et, faute de bras, plusieurs travaux utiles resteront à l’état de projets. Il en résulte que l’activité de ceux des Parisiens qui n’ont de service ni dans la garde nationale, ni aux ambulances, se dépense à la recherche des suspects de loin genre. On est suspect pour un accent moins pur, suspect pour une bougie allumée plus haut que le troisième étage, suspect pour ne pas croire à la culpabilité de tous les pauvres gens qualifiés espions sur les plus légers indices. À part cette petite faiblesse, qui tient à un premier moment de trouble trop justifiable après de tels désastres, l’attitude de la population est excellente. Oui, chère femme, et j’aime à te le redire, tes chers Parisiens sont de braves gens, ils savent souffrir gaiement, et ils en souffrent moins, puis ils sont pleins de confiance et trouvent leurs privations peu de chose en comparaison de la gloire du succès qu’ils rêvent. Et vous, mes exilés, mes isolés, mes chers affligés, quand serai-je assez heureux pour recevoir un mot de vous ? Pas une ligne ne m’est arrivée depuis mon départ des Platanes. On calculait que l’ennemi pouvait atteindre S... le 15. — Aucun renseignement sur sa marche de ce côté n’est parvenu à l’état-major. J’ai fait questionner ceux des réfugiés des cantons environnant S... que j’ai pu découvrir, aucun n’a été plus heureux que moi. Ce grand et soudain silence a quelque chose d’effrayant. Hier j’étais à Saint-Denis, au bastion de Maurice, et nous regardions sans nous lasser ce nord-est dont la brume nous voilait nos bien-aimés. La plaine était absolument solitaire : pas un cri, pas un coup de fusil, les sentinelles ennemies se tenaient si bien cachées qu’on les oubliait, vous seuls remplissiez notre pensée, et un désir poignant de vous revoir s’était emparé de nous. Il nous semblait — nous nous le sommes dit après — que c’était trop douloureux de vivre ainsi ; dix lieues d’un pays connu à traverser, à peine trois heures au trot d’un bon cheval, et nous mettrions fin en nous revoyant tous à cette horrible angoisse. — Mais voici une petite fumée blanche qui s’élève bien loin, de l’autre côté du talus du chemin de fer ; c’est la première batterie prussienne qui se démasque... Maurice a entendu mon profond soupir : « Père, père, je ne me consolerai pas de votre chagrin, car c’est pour moi que vous avez quitté..., » et notre lieutenant de vingt ans s’est pris à sangloter. Je t’assure qu’il était bien facile de voir qu’il pleurait de sa propre douleur, le pauvre garçon, plus que de la mienne. Chère maman, Vous me pardonnerez de ne rien dire de moi aujourd’hui ; j’ai une nouvelle devant laquelle disparaît tout l’intérêt de mes affaires personnelles : figurez-vous que ce pauvre capitaine Herbauld est retrouvé ! C’est hier, sur la place de la Gare qu’il m’a sauté au cou. Il était en blouse sale, sans moustaches, et si changé, si maigre, que je ne l’aurais jamais reconnu de moi-même. C’est toute une histoire, et il me faut ma feuille entière pour vous la dire. Vous savez que personne n’avait eu de nouvelles du capitaine depuis la bataille de Beaumont et que sa malheureuse femme le croyait tué ce jour-là (30 août). Le corps du général Frossard, surpris au moment de manger la soupe, avait été coupé en deux ; une moitié s’était retirée sur Mouzon, l’autre sur Raucourt. On savait que le 68e avait campé à Beaumont même le 30, et une lettre de Durand, notre camarade, qui se trouvait très-près de là avec l’ambulance 11 bis qu’il accompagne comme aide-chirurgien, avait encore contribué à ôter tout espoir. Le 4 septembre, cinq jours après la bataille, l’ambulance 11 bis avait été acheminée de Raucourt sur Beaumont. Un peu avant Beaumont la route traverse un petit bois ; là, à genoux dans le fossé ou massés quelques pas en arrière, Durand avait trouvé les cadavres de près de six cents hommes dans la position même où la mort les avait frappés. Ils s’étaient dévoués pour le salut de tous, pas un ne s’était écarté pour fuir. Durand vit avec un sentiment que vous pouvez comprendre que la moitié au moins des cadavres portaient l’uniforme et le numéro du 68e, il chercha parmi eux notre vieil ami. Il aperçut un capitaine qui, la tête traversée d’une balle, étendait encore le bras avec un geste de commandement. Dix-sept hommes avaient obéi à son appel et étaient tombés en cercle autour de lui. C’était un capitaine du 27e de ligne et Durand respira, mais il était fort à craindre que M. Herbauld n’eût trouvé la mort plus loin, et, en l’absence de toute lettre de lui, de tout renseignement du ministère, la malheureuse famille a conclu avec Durand que le capitaine avait été tué. Or voici sa véridique odyssée. Le capitaine Herbauld était en effet à Beaumont le 30 août ; il y était si bien qu’un éclat du premier obus qui, en tombant au milieu du campement, annonça l’ennemi, l’atteignit et lui coupa deux doigts. Cette blessure lui a sans doute sauvé la vie. Une forte hémorragie l’obligea à se faire panser immédiatement, de sorte que le chirurgien qui le tenait au moment où la retraite commença le lit mettre de force à cheval et filer sur Raucourt avec le gros du régiment. Le même jour, ils purent atteindre Raucourt ; le lendemain, ils campèrent entre cette petite ville et Sedan. Aucune distribution de vivres ni de munitions ne fut faite. Le 1er septembre, on leur fit prendre la route de Sedan, et bientôt ils se trouvèrent enveloppés dans cet effroyable tourbillon d’hommes et de chevaux, dont aucun récit, me dit le capitaine, ne peut représenter l’horreur. La retraite sur Mézières, d’abord ordonnée, venait d’être contremandée, les troupes d’avant-garde se rabattaient sur Sedan, tandis que la moitié de l’armée, ignorant le changement des dispositions, continuait à vouloir s’en éloigner, et sur cette masse confuse à laquelle la défense était impossible, les obus prussiens tombaient à courts intervalles, laissant chaque fois un trou sanglant. Tard dans la soirée, on se résigna à camper sur place, et le premier bruit d’une capitulation courut dans les rangs. Malgré tout, et quoique la rage de ne pas rendre coup pour coup les poussât au désespoir, ce fut l’indignation seule qui s’éleva de ce troupeau de braves ainsi livrés. L’ordre de cesser le feu, ordre dérisoire puisqu’ils ne pouvaient tirer, leur arriva ; — c’était trop vrai... Chère maman, je vous répète cela bien mal, mais si vous pouviez entendre et voir ce pauvre capitaine Herbauld, vous comprendriez bien autrement à quel point ce devait être affreux. Leur colonel rassembla, pour leur lire l’ordre, ceux des officiers qui restaient debout. Autour d’eux les soldats brisaient leurs fusils ou se couchaient par terre. Le canon avait cessé pour la première fois depuis trois jours, mais les imprécations et les gémissements formaient une clameur assourdissante. Quelques-uns criaient : « Il faut faire une trouée !... » Le colonel montra de son épée la mêlée confuse des nôtres, et plus loin, sur les collines, les feux prussiens qui s’allumaient de tous côtés : « Comment ? » — demanda-t-il. — Cela rendit chacun muet, et pendant deux heures le capitaine fut, me disait-il, incapable de penser, il se sentait comme écrasé, il se répétait : — Ce n’est pas vrai ! la capitulation n’est pas vraie ! ce n’est pas possible !... mais il avait perdu conscience de la réalité de ce qui l’entourait. Il faisait nuit noire quand le colonel rappela les officiers auprès de lui. Une estafette venait de lui apporter deux lignes de la part de X..., un de ses amis de l’état-major général : — « Tout est perdu, on pressent les plus dures conditions. Gagnez le large si vous le pouvez encore. » On questionna le messager, que la poudre et le péril avaient surexcité ; il conta la déroute morale de tous, l’empereur sans conseil faisant hisser comme pavillon un des draps de lit de son hôtel, et à cette vue la stupeur des uns, la rage des autres, rage impuissante, hélas ! Pendant que cet homme parlait, la conviction du désastre pénétrait peu à peu dans les esprits. Le colonel songea alors au drapeau. Lentement, contre le tranchant de la hache d’un sapeur, la hampe fut sciée en plusieurs tronçons assez courts, puis on déchira l’étoffe comme on put, en bandes ou en carrés ; la frange d’or fut arrachée et coupée de même. « Le colonel remit à chacun sa part, acheva M. Herbauld, voici la mienne... » Et figurez-vous, chère maman, le capitaine qui ôte de son cou une grosse cravate en coton à carreaux, il l’ouvre sur mon lit, un long bout de frange y était roulé. Puis il enlève ses souliers, et dans chacun, entre les deux semelles, il y avait un fragment du drapeau, l’un blanc avec un petit lambeau de rouge, l’autre tout bleu. Ah ! maman, quand j’ai vu notre vieil ami lisser de sa grosse main noire, afin d’en ôter les plis, ces deux chiffons pour le salut desquels il avait risqué sa vie, tout le bonheur de ses enfants et de sa femme ; quand je l’ai vu pleurer et sangloter devant ces trois débris et qu’il m’a dit sa joie de les avoir du moins sauvés, j’ai pleuré avec lui, chère maman, et je pleure encore en vous le répétant ! Quand chaque officier eut pris et caché sur soi un morceau de la hampe ou de l’étoffe, il restait encore l’aigle. Cette aigle avait eu le matin une aile brisée par un obus ; mais telle qu’elle était, un homme ne la pouvait porter aisément. On l’enterra au milieu du cercle des officiers, puis au-dessus de cette tombe, le colonel leur serra la main à tous et leur dit : « Partez, messieurs, vous sauverez ainsi l’honneur du régiment et vous rendrez au pays des officiers dont il aura besoin. Pour moi, je reste avec mes hommes ; il ne faut pas qu’ils pensent que leur vieux colonel les a abandonnés. » Silencieusement, un à un, ils partirent, ils se glissèrent le long des haies, puis sous les bois. M. Herbauld n’a rien su d’aucun d’eux. Pour lui, il était au jour sur les bords de la Meuse et près de gagner Flize, quand un parti allemand se montra, venant à lui. Il se jeta dans un fossé plein d’eau et s’y tint étendu jusqu’à ce que les cavaliers eussent passé sans le voir. Il n’osa plus traverser de terrains découverts avant que la nuit se fût faite de nouveau. Il était transi et souffrait de la faim. Une femme vint à passer vers cinq heures du soir près des fagots sous lesquels il s’était enfoui ; il l’appela doucement et se confia à elle. Cette femme n’hésita pas. Sans oser s’arrêter de peur d’attirer l’attention, elle lui promit son secours et revint à la nuit. Elle le guida alors chez elle et lui donna nourriture et vêtements, les mêmes vêtements que le capitaine porte encore ; puis il partit, décidé à marcher de nuit et à dormir le jour. Mais il vit qu’il se trompait souvent de direction, et, après trois nuits de marche, il se hasarda, se croyant moins menacé, à continuer sa route au jour. Une fois, une bande de uhlans déboucha soudainement d’un taillis derrière lui. Il était dans un champ, on y avait arraché des pommes de terre, et les outils y étaient restés avec des sacs à moitié pleins ; en entendant le pas des chevaux, il se courba là où il était et parut continuer l’ouvrage commencé. Les uhlans semblaient vouloir s’établir, ils descendirent de cheval, allumèrent du feu et vinrent prendre des pommes de terre de l’un des sacs. Il y avait près d’une heure que cela durait quand les ouvriers, hommes et femmes, revinrent à leur ouvrage. Ils passèrent auprès du capitaine, et, avec une présence d’esprit bien rare, aucun ne parut le remarquer ; il continua à travailler sans entendre une question. Seulement, quand l’heure du repas fut venue, l’un des ouvriers lui jeta une hotte et lui fit signe de les suivre. Ils traversèrent le champ de pommes de terre pour entrer dans une pièce moissonnée sur la lisière de laquelle étaient des meules de blé. Ils passèrent de manière à ce que les meules fussent entre eux et les uhlans, et là, en un moment, sans presque s’arrêter, une femme ôtant de gros ciseaux de sa ceinture les lui tendit en lui disant de se couper bien vite les moustaches, et « aussi près que possible, » ajouta-t-elle. Il obéit en toute hâte, il n’avait pas encore pensé à ce signe accusateur de sa profession. Après avoir quitté ces braves gens, et le soir du même jour, il entra plein de confiance en son déguisement dans une auberge écartée, près du village de Signy. Il y était à peine que la salle fut envahie par des coureurs allemands. Le bandage de sa main blessée leur donna des soupçons. Un officier l’interrogea, M. Herbauld vit l’impossibilité de nier sa qualité. On le mit dans une espèce d’écurie avec un planton à sa porte. Vers dix heures du soir, il essaya de déplacer des bottes de foin qui fermaient un côté de sa prison. Il parvint à se faire un trou suffisant pour toucher le toit ; il ôta une tuile, puis deux, puis trois, réussit à s’élever au travers de l’ouverture, puis à glisser sans accident jusqu’à terre. Mais là, un bruit de verre cassé sous son poids le trahit ; il devina que l’éveil était donné et prit sa course à travers champs. Quelques coups de fusil lui furent tirés dans l’obscurité, et il fut ou se crut poursuivi sérieusement ; ce ne fut qu’à l’abri des clôtures d’un parc qu’il osa s’arrêter et qu’il reconnut qu’une balle lui avait effleuré le bras. Heureusement que là encore il trouva des gens courageux et dévoués. La fièvre l’avait pris et il resta dix jours chez des cultivateurs, trop malade pour quitter son lit. Ensuite ses hôtes le firent guider hors des lignes de l’ennemi et le fournirent d’argent pour qu’il pût prendre le chemin de fer. Il arrivait hier au Mans, harassé, vieilli, perdu dans son propre pays, ne sachant où était sa famille, pleurant son régiment prisonnier. Je l’ai amené chez moi. Il cherche à qui s’adresser pour rentrer de suite en activité ; dès qu’il aura reçu sa nomination, il ira embrasser les siens, puis partira. Je lui ai donné des nouvelles de vous tous. En apprenant que mon père, avec sa mauvaise santé, avait repris du service, que vous, chère maman, aviez refusé de quitter votre poste, il m’a dit que vous étiez bien toujours les mêmes et que nous ne vaudrions jamais autant que vous. Pauvre capitaine ! il a le cœur navré et ne cesse de raconter ce qu’il a vu de terrible. L’épouvante me prend à votre sujet quand il me dit comment on a traité les villages aux environs de Sedan ! Si Paris résiste, à quels excès le désappointement ne peut-il pas pousser ces vainqueurs impitoyables ! Et pourtant, il faut que Paris résiste pour consoler des douleurs de Sedan ; il faut tout, plutôt que des hontes pareilles. Ah ! mère chérie, qui nous disiez, quand nous étions tout petits, que la patrie s’aimait comme s’aime la famille, soyez tranquille, même votre André l’a compris et senti, et c’est pour ne l’oublier jamais. Non, je ne veux pas me consoler de notre honneur flétri, et ce sont bien mes frères, ces braves gens qu’on veut nous ravir et qui ne nous veulent pas quitter. S’il plaît à Dieu, et si l’on nous donne des fusils, ils sauront du moins, nos pauvres Lorrains et Alsaciens, qu’on s’est battu pour l’amour d’eux. Que ma lettre est longue, chère maman ! et encore il y manque tant de choses ! Quand aurai-je une nouvelle occasion ? Que je voudrais vous annoncer encore la résurrection d’un ami ! Savez-vous que la présente missive, remise par ma tante de Thieulin à un honnête éleveur de N..., fort soupçonné d’acheter les bœufs du Perche pour les revendre aux Prussiens, vous arrivera cousue dans l’intérieur du collier d’un de ses chevaux de trait ? Se croirait-on dans la vie réelle et en plein xixe siècle ? Si ce moyen réussit, nous recommencerons. J’embrasse Berthe, qui va me croire converti par elle à l’élégie, et aussi Marguerite et Robert. Souvenirs à François. À vous, chère mère, la plus tendre affection de votre André. Chère sœur, Nous avons voulu voir nous-mêmes André avant son départ probable pour la future armée qui doit opérer sur la Loire. Je l’ai trouvé tout ému de l’arrivée et des récits de ce pauvre capitaine Herbauld, et pendant une heure j’ai cru voir et entendre, non plus mon boute-en-train d’André, mais bien le grave Maurice. Heureusement (voilà un adverbe qui te scandalise, mais il est écrit) il a suffi de quelques taquineries pour me rendre mon neveu d’autrefois qui, à son tour, m’a fait retrouver quelques-uns de ces vieux bons rires, oubliés depuis ces deux affreux mois. Sur un point, cependant, André m’a déroutée. J’avais mon petit plan à moi, en allant au Mans, et ton fils en était l’objet. Je vois tous les jeunes gens de bonne famille devenir le plus aisément du monde officiers dans la mobile ou ailleurs, et j’avais compté employer la bonne amitié du général de K... à faire le bonheur de mon neveu et filleul et à commencer sa fortune militaire. Je trouve le général aussi aimable que jamais, et ne demandant qu’à voir le sujet recommandé pour le combler de faveurs. Je vais à la caserne — quelle caserne ! une écurie où je ne mettrais pas mes chevaux — pour y prendre ton fils. Mais voilà que Monsieur refuse. Monsieur dit que son père désapprouve que les grades se donnent ainsi, Monsieur prétend que sa mère a une répugnance marquée pour les protecteurs et les protections, enfin Monsieur affirme que la position sociale de caporal comble déjà tous ses vœux, et que ses fonctions (il faisait balayer par ses subordonnés une cour qui en avait, certes, besoin) sont entièrement selon ses goûts. Ce qui me vexe, chère sœur, c’est que tu trouves cela beau, j’en suis sûre, tandis que moi, je trouve cela absurde. Je l’ai dit tout aussi crûment à ton fils, qui n’a fait qu’en rire. J’ai voulu, pour sa peine, qu’il eût lui-même l’ennui de refuser le général ; il m’a accompagnée de bonne grâce et s’est tiré d’affaire avec une aisance et une convenance parfaites : un vrai gentleman en pantalon garance. Malgré tout, tu vois que je ne pourrai jamais en vouloir à ce garçon-là. Du reste, il se porte à merveille et est le favori de chacun au régiment comme ailleurs. Sa famille et toi surtout, héroïne incorrigible, êtes ses seuls soucis. Nous serons bien heureux si mon messager réussit à rapporter de vos nouvelles. La voie était si encombrée hier, au retour de notre expédition, que nous ne sommes arrivés à Condé qu’à dix heures du soir, et à Thieulin qu’après minuit. De la grille, nous voyons les fenêtres éclairées, des ombres qui passent et repassent ; sur le perron, Cadet le garde, d’un air fort ému, nous annonce que des espions sont cachés dans le parc. Tu vois d’ici ma frayeur. Ton beau-frère se fâche pour redonner du ton au moral de son personnel, soutient que les Prussiens qui arrivent à peine devant Paris ne songent guère au Perche, et demande ce qu’on fera de plus s’ils parviennent une fois jusqu’à nos cantons. On lui raconte les faits. Deux hommes avaient demandé la route de Châteaudun, puis s’étaient dits fatigués et, en se reposant, avaient fait mille questions sur les environs, l’état des routes, les gardes nationales, etc. Ensuite, au lieu de prendre la route de Châteaudun, ces gens avaient suivi le chemin creux qui longe le parc à droite, il n’en avait pas fallu davantage : les têtes s’étaient montées, on s’était persuadé avoir remarqué un certain accent, et nos gens en étaient arrivés à se croire immédiatement menacés. Trouvant leur chef naturel dans Adolphe, voilà tout ce monde qui veut battre le parc, et chacun qui s’arme de n’importe quoi. Thomas, Marie, la fille de basse-cour, Cadet et son maître en tête, les voilà à une heure du matin, se préparant à explorer les bâtiments d’abord, et les massifs ensuite. J’ai eu si peur de rester seule que je les ai suivis. C’était bien la mouche du coche, n’est-ce pas ? Que veux-tu ! J’ai du moins la franchise de ma poltronnerie. À trois heures du matin, nous nous sommes couchés sans avoir trouvé personne. J’ai ferraillé toute la nuit en rêve contre les Prussiens. Du reste, je ne fais plus que cela. Quelle vie ! et penser qu’on n’a pas l’air de songer à faire la paix ! Je t’assure que quand je ris, c’est pour ne pas pleurer. Et pourtant, combien ma part dans l’épreuve est faible en comparaison de la tienne, ma pauvre sœur ! Je pense à toi, à ton petit troupeau, à tes chers assiégés ; je frémis de te sentir en des jours si troublés tant de points vulnérables, et, certes, je ne regrette plus cette stérilité, épreuve de ma jeunesse, ni le lumbago chronique de mon seigneur et maître, ni son demi-siècle accompli qui va bien avec mes quarante-deux ans. Mais si réduite que deviendrait la surface de nos intérêts intimes si nous pouvions jamais les séparer des tiens, il y aurait encore place pour des coups sensibles. Cela me fait faire de grandes réflexions quelquefois ; je me demande si nous n’avons pas tourné un peu trop à l’isolement à deux, et si notre qualité de vieux ménage sans enfants est une suffisante excuse pour notre attachement à tant de choses, qui ne sont que des choses, et pour lesquelles nous sommes arrivés à trembler tout de bon. L’ombre d’un espion te met en cet état ! me disait Adolphe cette nuit, quand je lui serrais le bras à chaque détour d’allée, et comment fait donc ta sœur qui, en ce moment, a l’ennemi tout autour d’elle et peut-être chez elle ? Que veux-tu qu’on te fasse ? — On peut piller le château, on peut brûler... Hélas ! voilà le grand mot — j’ai peur pour le château. Nous avons restauré et complété Thieulin ; tu sais comme nous l’avons meublé ; nous en avons fait notre paradis ; nous y avons rêvé notre vieillesse et nous avons peur pour tout cela. Cette peur, c’est triste à dire, mais je suis en veine de sincérité, est la cause première de l’achat d’un immense drapeau à croix rouge, et des airs d’ambulance que nous nous donnons. J’aurais seulement voulu le drapeau encore plus grand. Cette peur m’ôte aussi beaucoup de zèle pour la défense locale. Je frémis quand j’entends parler des avantages stratégiques du Perche, de ses haies, de ses cours d’eau et de ses chemins creux. Je me sens pour mon parc un patriotisme tout particulier qui fait un peu tort à celui que je devrais avoir pour la grande patrie. Je te dis tout cela, chère sœur, comme dans ce beau jadis, quand moi, l’aînée, je te versais si volontiers mes folles confessions pour recevoir de toi, la cadette, de bonnes morales, bien fermes et bien douces. Je prête souvent l’oreille, comme pour entendre ta voix, et quelquefois je crois que c’est d’elle que me viennent certaines pensées que je voudrais conserver pour m’en fortifier. Comme tu le dis, c’est l’heure d’être attentifs, et devant cette menace immense qui s’apprête à nous envelopper, quand tout ce qu’on croyait fort a croulé, on se prend à désirer sentir quelque chose de solide à quoi s’appuyer, quelque chose qui ne s’effondre pas comme tout le reste. Voici qu’il faut te dire adieu. Compte sur nous pour André, et dis-nous bien vite comment vous a laissés le premier flot prussien. Hier, il y a eu combat entre Villejuif et Chevilly ; ni succès, ni défaite ; du moins, progrès réel dans la tenue et l’aplomb de nos troupes. Mais c’est ma fermeté à moi qui se trouve en décadence, chère femme. Ce bout de champ de bataille, bien peu de chose pourtant auprès de nos boucheries de la Crimée, m’a profondément remué. Je ne sais pas le nombre des morts, mais certainement il ne pouvait pas être très-considérable ; eh bien, j’ai été, je suis encore navré. La guerre est une chose atroce. Nous plaignons nos campagnes ravagées, nos ponts qui sautent de toutes parts, mais ce n’est rien, rien, auprès de la vue de ces pauvres corps mutilés. Ah ! je le sens bien, se savoir deux fils au feu ou près d’y être, ouvre cruellement les yeux et aide à apprécier ces détails horribles que la fumée de la gloire cache aux officiers de vingt ans. Être père, savoir ce qui se dépense de dévouement, d’orgueil et d’amour auprès de ces jeunes vies, puis voir les enfants des autres et les siens après, alignés comme autant de cibles à bonne portée d’une batterie perfectionnée, entendre du bruit pendant une heure, repasser et trouver la moitié des hommes à terre, sans même qu’aucun ait eu l’âpre joie de la lutte ; se dire que cela n’a servi à rien, que chacun n’en reste pas moins dans ses lignes et qu’il faudra recommencer demain... tout cela est trop affreux et donne une grande lassitude de la vie de ce monde. On retourne alors vers le passé pour en regretter même les tristesses. Que nous savions peu ce que nous faisions quand nous nous plaignions sous Sébastopol d’être si loin de la terre française ! Qui nous eût dit que c’était là le beau temps, qu’un jour viendrait où l’on voudrait vainement éloigner de soi une autre guerre, que Paris, plein de femmes et d’enfants, deviendrait un nouveau Sébastopol, que notre sol serait le sol souillé, ravagé ! La leçon est bien dure, puissions-nous la comprendre, et apprendre en souffrant à ne plus faire souffrir ! En arrivant sur le terrain, j’ai vu relever un jeune homme grand comme Maurice et blond comme lui ; je savais mon fils à Saint-Denis, à sa batterie, et pourtant j’ai eu ce qu’on appelle vulgairement un coup. Que Dieu nous épargne ! Il sort pourtant quelque bien de tout ce mal ; jamais, sans contredit, le dévouement personnel ne s’est montré plus grand. Cette Société internationale de secours fait merveille. Tous les blessés d’hier ont été ramassés par ses diverses escouades. J’ai rencontré entre autres celle des Suisses de Paris ; ce sont des banquiers, des commerçants, des professeurs, des pasteurs qui sont les brancardiers. Je rentrais à Paris à neuf heures le soir, quand j’ai dépassé B... et G... que tu connais bien. Ils rapportaient à eux deux, pour finir leur journée, et cela depuis le champ de bataille, un pauvre être en piteux état. Il n’y avait pas eu de place pour lui dans aucune voiture, et je pense que ses porteurs auront conservé une courbature d’autant plus complète que leurs habitudes de vie ne les ont pas préparés à des travaux de ce genre. Strasbourg est pris ! Encore une douleur ! Que je plains Uhrich et ses troupes impuissants à sauver ceux qui s’attendaient à eux ! Livrer une telle population et après tant de souffrances, c’est trop dur. C’est peut-être une illusion impardonnable chez un homme qui a déjà autant vécu ; mais je ne puis pas croire que, quelle que soit l’issue de cette guerre, la Prusse ose, à la face de l’Europe du xixe siècle, s’approprier jamais ceux dont la protestation sanglante prouve au monde entier combien ils sont Français. Ces choses-là ne sont plus de nos jours. Au siècle dernier déjà on abolissait la traite des noirs, tout à l’heure l’Amérique affranchissait ses esclaves, est-ce le moment d’établir la traite des blancs ? car ce serait la traite des blancs. Sans même se donner l’air de consulter les populations, bien plus, malgré leur énergique résistance, méprisant leur patriotisme, bravant leur haine, se les adjuger comme l’on fait d’un troupeau sans pensée et sans âme, cela mérite un pareil nom. Je ne puis croire qu’on en vienne là. Il y aura un retour vers la civilisation et la justice. Ce serait si beau et si bien fait pour désarmer les rancunes, que le roi Guillaume sût reconnaître le respect dû à Strasbourg et lui fît une sorte d’indépendance pour prix de ses sacrifices ! Hélas ! j’oubliais comment il a respecté le pauvre petit Danemark ; pouvons-nous espérer mieux pour nous ? Enfin, voici un paquet de lettres et de journaux ! Nous avons de toi le long récit de la fuite du capitaine Herbauld, de mon père et de Maurice des lettres presque quotidiennes sur ce papier mince qui s’appellera dorénavant papier-ballon, puis quelques autres lettres de parents et d’amis, et des journaux anglais et belges. C’est à peine si nous avons terminé l’inventaire de nos richesses. Il était bien temps de revoir vos écritures, chers absents que vous êtes ! Le découragement nous prenait, et, pour ma part, j’en étais arrivée à croire que la vigilance de nos ennemis ne nous laisserait jamais rien parvenir. Grâce à Dieu, nous voici rassurés. Non-seulement on va bien dans Paris et au Mans, mais puisque des lettres ont pu passer une fois, elles passeront une seconde et une troisième. Nous tâcherons de ne plus désespérer. Que je te le dise au plus vite, tout va bien ici. Voici plusieurs jours que nous n’avons eu de Prussiens à loger ; quelquefois une compagnie ou un escadron en promenade réclame un repas, on le sert tel qu’on le peut fournir, et les convives se retirent sans désordre. Dans la ville où l’occupation prussienne est constante, on en souffre davantage. Chaque fois qu’un nouveau régiment arrive à S..., la circulation est interdite jusqu’à ce que tous les soldats qui le composent aient été casés. Chacun des habitants doit se tenir dans sa propre maison sans en bouger, et même les femmes ne peuvent aller et venir, à moins de posséder un sauf-conduit. Ces vexations sont peu de chose, en somme, auprès des maux réels de l’invasion ; les réquisitions journalières en vivres et en argent menacent de ruiner le pays, et cependant certaines gens ressentent l’arrogance de nos vainqueurs plus encore que des exigences auxquelles la nécessité pourrait servir d’excuse. Maman a reçu il y a peu de jours ordre de fournir une charrette et un cheval pour un convoi destiné aux troupes sous Paris. C’est toujours un nouveau combat qui se livre en elle lorsqu’elle se trouve ainsi forcée de prêter secours à l’ennemi, ainsi qu’elle s’en accuse avec douleur. Il fallait obéir, cette fois comme les autres, mais personne de la maison ne se souciait d’escorter le vieux cheval et la charrette. Maman a pensé à proposer cette mission, qu’elle comptait bien payer, à Dubreuil, l’ex-garde moulin, qui depuis l’arrivée des Allemands s’est fait leur compagnon, au grand dommage de sa réputation. Il se pose volontiers en homme sans préjugés, en citoyen du monde affranchi de toutes les faiblesses patriotiques, de sorte qu’il aurait eu mauvaise grâce à refuser le service demandé. Dubreuil est donc parti, il est même revenu quarante-huit heures après. Son air sombre au retour a frappé maman, « Vous n’avez pas eu d’ennuis, Dubreuil ? Le cheval a bien marché ? — Madame, je ne ferai plus ces commissions-là. — Que vous est-il donc arrivé ? — Six coups de canne, si Madame tient à le savoir, dont un m’a démoli l’épaule ; en plus j’ai été visé avec leurs pistolets, tout cela pour avoir objecté contre un trop fort chargement de votre cheval, aussi je n’en veux plus. » Le prussianisme de Dubreuil se trouvant radicalement guéri, il a ajouté des choses que j’ai peine à croire sur la manière dont sont traités les charretiers qu’emploie l’ennemi. La plupart d’entre eux sont des Lorrains enlevés de force à leurs villages et qui depuis trois semaines sont contraints de marcher d’étape en étape. Ceux-là restent en dehors des bienfaits de cette admirable organisation qui assure chaque jour, à chaque soldat prussien, des vivres abondants. Pour eux ou leurs chevaux, jamais de distributions. Ils doivent, à leurs frais, se procurer le nécessaire ; malheur à eux s’ils se laissent affaiblir par le manque de nourriture ! À coups de bâton ou de crosse de pistolet, l’escorte s’assure que l’homme et le cheval sont réellement incapables d’avancer ; c’est seulement alors que la charge de la voiture est répartie sur d’autres, à moins qu’une nouvelle victime ne se trouve à portée et continue la route. Ce matin, notre mélancolique petite existence d’envahis a été animée par une vive émotion. Les enfants jouaient à quelques pas du salon, quand tout à coup ils se mettent à crier : « Un ballon ! un ballon ! maman, Berthe, venez vite ! » En effet, un grand ballon venait de se montrer au-dessus des bois ; il monta assez rapidement, se dirigeant droit vers le nord, il passa en biais au-dessus du parc. Nous nous sommes tous mis à courir dans le même sens que lui, agitant nos mouchoirs, criant : « Français ! Français ! » comme si les personnes qui étaient dans le ballon pouvaient nous entendre. Oh ! comme nous espérions qu’elles laisseraient tomber un journal, un papier quelconque pour nous dire ce qui se passait dans notre cher Paris qu’elles venaient de quitter ! mais le ballon allait bien plus vite que nous, il ne laissa rien tomber et disparut derrière la maison rouge. À peine l’avions-nous perdu de vue qu’un second ballon sortit à son tour de derrière les mêmes bois, presque au même endroit que le premier. Nous nous mîmes encore à courir, mais sans plus de succès. Que n’aurions-nous pas donné pour le plus petit morceau de papier tombé de l’un de ces ballons ! Des cavaliers prussiens qui passaient sur la route ont tiré dessus. Que Dieu protège nos compatriotes et permette qu’ils ne tombent pas aux mains de l’ennemi ! Voici vingt-quatre jours sans nouvelles d’aucun de vous. C’est long, c’est triste, cela se comprend à peine. Si près, et pourtant si loin ! Si unis, et pourtant si séparés !... Et voilà qu’il semble que les Prussiens ont renoncé à toute attaque de vive force. Ils s’établissent dans leurs positions, nous nous fortifions dans les nôtres, et comme, à l’heure qu’il est, Paris est déjà bien près d’être imprenable, il n’y a plus guère que deux éventualités à considérer : ou la délivrance par Bazaine ou toute autre armée de province, ou la chute par la famine... Nous discutons beaucoup entre officiers sur ce que seront les armées de province et sur leur armement. Je suis de ceux qui attachent moins d’importance à la valeur du matériel qu’à celle de l’homme qui remploiera. Je me demande avec angoisse si les canons ne se fondront pas plus rapidement que les hommes ne se formeront. La volonté de se battre ferait vite de tout homme un soldat ; mais nos paysans auront-ils cette volonté bien arrêtée ? Il leur faudrait du temps pour comprendre ce que le désastre national exige d’eux, et c’est justement le temps qui manque. Pourtant on trouve ici un peu plus de vivres qu’on n’osait y compter, et comme l’on se dit qu’une seule semaine de gagnée ce pourrait être à un moment donné tout gagné, l’on s’en réjouit bonnement et d’autant plus volontiers que les sujets de joie sont rares. Un bon signe, c’est la manière dont les privations (car elles ont déjà commencé, sachez-le bien) sont supportées. On ne peut plus avoir de viande qu’en faisant queue dès quatre heures du matin à la porte des bouchers, et encore n’obtient-on ainsi que des rations insuffisantes. Eh bien, on n’entend aucun murmure, au contraire. Il semblerait que la nouveauté de la situation mette cette foule en gaieté. On est venu tout à l’heure dire à maman qu’une nombreuse troupe de pauvres gens avec des charrettes et un immense troupeau de vaches avaient envahi la place et semblaient vouloir y camper. Maman m’emmena avec elle, et nous trouvâmes huit charrettes pleines de femmes et d’enfants dominant un océan de quadrupèdes cornus, maigres, sales et beuglant d’une façon lamentable. Quelques hommes essayaient d’improviser un foyer en plein air ; bien vite, maman envoya des ordres à la cuisine, et s’avançant vers les voyageurs avec cette expression d’accueil joyeux que les Prussiens seuls n’auront pas vu sur son visage, elle invita tous ceux qui auraient faim à entrer chez elle, où ils trouveraient de la soupe chaude. En effet, en allongeant d’un seau d’eau le bouillon à nous destiné, en y ajoutant du beurre, du sel, beaucoup de pain, des rouelles de saucisson, un reste de purée de pommes de terre, etc., nous nous sommes trouvés pouvoir donner une tasse pleine de quelque chose de très-bon à chacun des trente ou trente-cinq individus dont se composait la troupe. Peu à peu, nous avons su leur histoire. La panique qui a suivi les batailles de Reichshoffen et de Forbach les avait chassés de leur village, situé aux environs de Bar-le-Duc. Leur maire s’est sauvé le premier, ils l’ont imité, et depuis le 8 août jusqu’à maintenant, ils errent presqu’à l’aventure, poussant leurs vaches devant eux. Ils n’ont jamais couché deux nuits de suite dans le même endroit. Leur intention avait été de gagner la Normandie, où ils pensaient trouver des pâturages. Ils atteignirent les bords de l’Eure ; les Prussiens y étaient établis avant eux et leur refusèrent le passage. Ils leur ont prescrit de retourner chez eux avec leur troupeau. Les malheureux veulent bien obéir, mais cette route du retour leur paraît longue, affreuse, car ils savent que leur cher village n’existe plus, il a été dévasté, puis brûlé ; ils ne trouveront que des ruines. Derrière eux, sur les chemins, ils laissent trois cercueils d’enfants, les pauvres petits n’ont pu supporter les fatigues et les privations de la fuite, plusieurs vaches sont mortes aussi, celles qui restent font pitié. J’ai causé quelques instants avec une jeune femme qui tenait un tout petit enfant dans ses bras. Elle m’a raconté que son enfant était né il y a six semaines, dans une de ces charrettes ; elle ne sait pas ce que son mari est devenu. Il n’a pu se décider à quitter leur petite maison, mais il a insisté pour qu’elle partît avec les voisins. Depuis lors, elle n’a eu aucune nouvelle de lui, et comme il n’était pas d’un caractère à se laisser prendre son bien sans le défendre, elle s’imagine qu’il a dû être fusillé. Elle est dans une affreuse angoisse, et depuis que je l’ai vue, je ne peux plus penser qu’à elle. Ces pauvres gens ont vu les mêmes ballons qui ont passé ici et ont ramassé des feuilles que les personnes qui montaient le second leur ont jetées. « Mais c’était en allemand, et nous n’y avons rien compris,» disaient-ils. Nous avons demandé tout de suite à voir ces feuilles, nous espérions apprendre quelque nouvelle importante. — Aussi avons-nous été bien désappointés en ne trouvant qu’une traduction en allemand de la proclamation de Victor Hugo que tu dois connaître par les journaux. Nos pèlerins viennent de repartir, que Dieu les aide ! nous penserons souvent à eux. Aurais-tu imaginé qu’on put être si malheureux ? Je ne comprends plus rien à la vie de ce monde, c’est trop affreux. T’ai-je dit que nous entendons distinctement le canon de Paris ? On reconnaît très-bien l’attaque ou la défense, le canon prussien et le canon français, la demande et la réponse, comme on dit. Ce son lugubre nous fait bien mal. Quelquefois il nous semble qu’il appelle au secours, d’autres fois il gémit comme une plainte. J’ai surpris hier Marguerite demandant à maman si cela n’allait pas tuer papa et Maurice, tout ce canon ? J’ai grondé Marguerite, mais sa question me reste toujours présente et me serre le cœur. Frère André, frère André ! sois prudent, soigne-toi bien ! nous sommes bien malheureux ici, vois-tu ? et il nous faut de bonnes nouvelles de toi. Encore un courrier, et rien de toi ! rien même de ma tante de Thieulin ! Il semble que notre vie se rétrécisse et se restreigne chaque jour davantage. Les lettres de Paris, par ballon, sont les seules qui nous arrivent, souvent décachetées, hélas ! Du reste de l’univers nous ne savons que ce que nous apprennent quelques journaux que nos amis réfugiés en Angleterre sont assez bons pour nous envoyer. Quand l’un de ces précieux paquets est annoncé, quelle émotion ! Maman et moi le dévorons d’abord, sautant de l’Armée de la Loire aux Nouvelles du siège, puis un mot d’ordre court dans le village : « Mademoiselle lira les journaux ce soir, » — et dès que la nuit est arrivée, les voisins entrent un à un dans la cuisine où sont déjà réunis les domestiques. Je commence à traduire, et tu ne peux t’imaginer à quel point mes auditeurs sont attentifs. Les commentaires, les demandes d’explications s’entrecroisent, et si je n’ai pas eu soin de passer les phrases qui témoignent trop d’amitié pour les Prussiens, c’est une explosion d’indignation que j’ai bien de la peine à calmer. Il faut avouer que les journaux étrangers dépassent en général la mesure de malveillance qu’on leur pourrait permettre. À les entendre, tandis que les soldats de Guillaume sont tous des anges, sans exception, et se conduisent avec une générosité et une délicatesse sans exemple, nous, Français, sommes aussi coupables qu’insensés de prétendre nous défendre au lieu d’accepter la loi du vainqueur. Ce qui devrait honorer notre désastre, ces essais, encore trop peu marqués, de résistance locale, nous sont reprochés comme autant de crimes. C’est à ne plus savoir où l’on en est ; ce qui est bien ou ce qui est mal se confond et s’embrouille suivant l’esprit de parti. J’avais cru qu’au moins l’on nous plaindrait de notre malheur, mais non, pas même cela ! Aussi, je passe à mes auditeurs ce qui n’est que politique, et je les nourris plutôt des récits sur les ambulances. Les traits de blessés français et allemands se portant secours les uns aux autres, ces apaisements des haines, quand la lutte est finie, sont ce qui touche le plus. — « C’est vrai tout de même qu’on ne s’en veut pas, » — est une phrase que j’entends souvent. — « Ça n’empêche pas, proteste quelqu’un, ils ne devraient pas être si durs que cela au pauvre monde.» — Ils veut dire : les Prussiens, et l’allusion indique que l’orateur est de ceux qui croient aux brutalités qu’on attribue aux occupants. Les Prussiens que nous avons à demeure, depuis huit jours, ne peuvent être accusés de dureté. Ils appartiennent à la landwehr, et font plutôt l’effet de gens ennuyés que de gens acharnés. Ils causeraient volontiers avec nous, et il devient quelquefois difficile de garder ses distances. L’un d’entre eux, menuisier des environs de Nuremberg, a laissé trois enfants chez lui. Marguerite ressemble, dit-il, à l’un d’eux, et il la poursuit de toutes sortes d’attentions aimables ; quand maman rappelle la fillette qui s’égare de son côté, le pauvre homme prend un air triste qui fait peine. Hier, nous avons trouvé sur le seuil du salon une petite charrette travaillée d’une manière charmante, avec une pelle et un râteau également bien réussis. Marguerite est devenue rouge de plaisir en s’en emparant ; il faut te dire que nous n’avons plus acheté le moindre jouet depuis la guerre, de sorte que les enfants sont réduits à des débris. Mais Robert a arraché la charrette des mains de sa sœur et l’a jetée bien loin. — « Comment peux-tu être assez lâche ! criait-il, un cadeau de Prussien ! un cadeau des gens qui veulent tuer papa et tout le monde ! » Marguerite n’avait pas vu si loin, et, soit repentir de son crime ou regret du joujou, elle s’est mise à pleurer de toutes ses forces. J’ai grondé Robert et l’ai forcé à ramasser la charrette pour la rendre à l’affligée, puis nous avons été consulter la justice de maman. J’ai vu que maman était aussi perplexe que moi. Blesser le sentiment affectueux de ce Nurembergeois en lui rendant ses dons était le décourager d’être bon et le disposer à la dureté, c’était aussi enseigner la rancune à Marguerite..., et cependant maman a toujours en mémoire la règle posée par mon père : « L’ennemi n’est pas un hôte, il est l’ennemi, » et elle répète souvent combien il serait fâcheux pour l’honneur de la France qu’on parût indifférent à la lutte des armées en semblant accepter la présence des Prussiens. Enfin elle a rendu la charrette à Marguerite et est allée trouver le pauvre soldat qui guettait, à demi caché par un sapin, l’effet de ses politesses. « Vous avez voulu causer un plaisir à ma petite fille, lui a-t-elle dit, merci, mais je vous prie de ne plus rien faire pour elle et même de vous en occuper le moins possible. Ma petite fille est Française, elle doit subir, dans la mesure qui appartient à son âge, l’épreuve qui nous frappe tous. Elle peut se passer de jouets, quand tant d’autres privations pèsent sur d’autres enfants ; — elle ne doit pas avoir d’amis parmi ceux qui se trouvent... nos ennemis. » L’homme a paru comprendre, et il a balbutié quelque chose à quoi maman a répondu : « Dieu veuille nous rendre ce temps-là ! » — et elle est revenue plus triste que je ne l’avais encore vue. « Que c’est affreux la guerre ! répétait-elle ; travailler à s’empêcher d’aimer ! » Il est remarquable de voir combien ces troupes allemandes, fussent-elles de la landwehr, sont exercées et tenues en haleine. Malgré la distance qui nous sépare de la ville, il faut que chaque jour chaque homme se trouve à tous les exercices, promenades et inspections. Trois fois par semaine il y a des exercices de tir, et ils doivent tirer chacun je ne sais quel nombre de coups, mais c’est deux fois autant que nos soldats. Leurs officiers sont pour la plupart arrogants et exigeants, ils tiennent à montrer qu’ils méprisent les Français et ne perdent guère d’occasion de faire sentir qu’ils sont les maîtres. L’autre jour, ils avaient un repas de corps dans un hôtel, ils envoyèrent au maire un bon de réquisition pour cinquante bouteilles de champagne. — Réponse du maire qu’il est impossible de les fournir, les Prussiens ayant déjà bu tout ce que possédaient les marchands. — Second message des officiers annonçant que, si dans une heure les cinquante bouteilles n’étaient pas apportées, le feu serait mis aux quatre coins de la ville. Le maire s’adresse alors aux quelques habitants aisés qui n’ont pas pris la fuite, et supplie qu’on livre ce que l’on peut. Mais personne n’a maintenant de cave bien montée, les exigences des occupants y ont mis bon ordre. Il fallut beaucoup de peine et beaucoup de temps pour rassembler trente-six bouteilles ; ce fut un autre travail d’obtenir des officiers qu’ils s’en contentassent. Enfin l’affaire s’arrangea. Une remarque faite par presque toutes les personnes qui ont à loger des Prussiens est que leur sobriété est en raison inverse de leur grade. On rencontre rarement un simple soldat ivre, tandis que les trois quarts des officiers se grisent habituellement. Nous n’avons chez nous qu’un sergent, mais il tranche du grand personnage, et tous les soirs, sans exception, il faut que ses hommes, qui ne boivent jamais, le portent sur son lit. Je t’envoyais par les derniers ballons mes gémissements de ce qu’il y avait si peu de nouveau. Hélas ! il est venu, ce nouveau ! et avec lui des inquiétudes nouvelles. Orléans est occupé, dit-on, occupé et non pris, mais on va certainement essayer de le reprendre et André sera probablement de ceux qui marcheront. Voilà donc où nous en sommes ! Conjectures et conjectures toujours ! Pas un mot d’aucun de vous ne m’est parvenu ; trente-six jours déjà d’un silence absolu, c’est un réel supplice et sur lequel je ne comptais pas. Je ne parviens pas encore à comprendre qu’il n’existe aucun point sur lequel un piéton puisse traverser les lignes de l’ennemi. Il y aura fort à apprendre au point de vue du métier dans cette guerre-ci. En attendant, les ambulances se remplissent. Les engagements de Châtillon, de Bagneux, de la Malmaison, ce dernier surtout, ont peuplé le Palais de l’industrie, Chaptal, etc... Naturellement il y a eu de l’inexpérience dans plusieurs installations, mais le dévouement ne manque nulle part, et puis c’est tout plaisir de soigner nos soldats. Leur faculté d’endurer est quelque chose d’admirable. Avec cela, ils savent apprécier tout ce qui se fait pour eux et ont un talent naïf pour témoigner leur reconnaissance qui touche et qui navre en même temps leurs gardes-malades. On dirait, à voir leur surprise des soins qui les entourent, qu’ils n’avaient jamais espéré autant du cœur humain. Ton amie, madame H*** qui s’occupe activement de Chaptal, me disait : « Je rentre en moi-même en entendant nos hommes. Nous n’avions pas su leur donner bonne opinion de nous. Eux versent leur sang simplement, comme habitués au sacrifice, et ils s’émerveillent de notre pitié comme si elle était chose extraordinaire, » Je cause souvent aussi avec les blessés ou les malades, et comme les pensées reviennent toujours vers l’issue possible de la guerre actuelle, j’essaye de prévoir quelle elle sera, par la nature des sentiments qui dominent parmi eux. Je trouve une résignation admirable quant à eux-mêmes, — l’absence de toute rancune et de toute colère quant à l’ennemi. Je parlais hier avec indignation de l’emploi fait par les Prussiens des paysans de Garches comme terrassiers aux ouvrages qu’ils élèvent contre nous auprès de Saint-Cloud ; on avait raconté, peut-être avec exagération, que plusieurs pauvres diables avaient été fusillés pour avoir refusé leurs bras : « Faut pas tant vous emporter, croyez-moi, mon colonel, m’a dit un mobile blessé ; les pauvres ! ils font ce qu’on leur commande, la faute de tout ça, c’est à leurs ordres, faut qu’ils obéissent, qu’ils soient consentants ou non. » Et presque tous nos soldats raisonnent de même. Certes, je ne voudrais pas verser une seule goutte de fiel dans ces cœurs, car la haine n’est jamais salutaire, mais on se demande où nous conduira, au point de vue de la défense nationale, une telle mansuétude. Il ne me semble pas qu’on sente dans les âmes le bouillonnement puissant qui jetait jadis son cri dans la Marseillaise et balayait l’ennemi par delà la frontière. Je ne le regretterais pas si je trouvais à sa place un ferme sentiment du devoir et cette vraie passion de la patrie, assez forte par elle-même pour lever tout un peuple et l’employer à sa défense sans qu’il ne se mêle à son grand amour aucune haine d’homme à homme, mais je ne vois rien de cela. On s’est nourri de la viande creuse du cosmopolitisme, le mot patrie semble une abstraction, et les Français, qui ne savent pas vivre sans la France, ne sauront pas comprendre peut-être qu’ils lui doivent de la défendre ! C’est un cauchemar qu’une telle pensée et il faut la chasser bien vite en te parlant de Maurice. Ce sera court, car ce mauvais papier pelure supporte mal le croisement des lignes ; d’ailleurs il t’écrit lui-même par chaque ballon. Dis-toi bien qu’il ne s’est jamais mieux porté et que la ration militaire étant de 300 grammes de viande par jour au lieu de 60 alloués aux simples habitants, son célèbre appétit auquel, j’en suis sûr, tu penses bien souvent avec inquiétude, est à peu près satisfait. Il ne peut pas quitter facilement son bastion et m’a écrit hier pour que je l’autorise à entrer dans ce qu’il appelle le service actif. Il a ouï dire que les généraux, prévoyant des sorties, désirent avoir quelques officiers d’ordonnance spéciaux pour l’artillerie ou le génie, et il demande à se mettre sur les rangs. Te dirai-je que je suis resté longtemps, plume en main, cherchant une bonne raison pour lui refuser la permission demandée ? Quand je croyais l’avoir trouvée, voilà que toute ma jeunesse se plaçait entre moi et le non que je voulais écrire et semblait me dire : Tu n’as pas le droit... Il faut avouer que ce service de bastion est fort ingrat. Piétiner perpétuellement cette boue des remparts, surveiller toujours et attendre un ennemi qui ne vient pas, ne rien savoir de la ville que l’on garde et se dire que le siége pourra se passer tout entier de la même façon, cela est une épreuve pour la patience d’un garçon de vingt ans. J’ai donc fini, mais non sans un petit sermon sur le mérite des dévouements obscurs, par l’autoriser à se faire inscrire. En somme, ce nombre de jeunes officiers devra être peu considérable et il est fort probable que Maurice ne parviendra pas à en faire partie, ainsi ne t’inquiète pas avant le temps. Pauvre femme ! je te plains de toute mon âme, car je sais ce que cet aîné est pour toi. Il semble que tout ceci fasse trop d’angoisses à la fois : rien de vous, rien d’André, peut-être Maurice au feu, et, dominant toutes nos douleurs, la grande douleur de la patrie... Chère maman, Il faut que je me hâte de vous écrire pendant que je le puis, car nous allons marcher ! je l’espère du moins, et j’imagine qu’une fois en campagne la correspondance avec les pays envahis nous sera interdite ; il serait trop commode à nos malins ennemis de puiser tout simplement leurs renseignements dans nos lettres. Dès à présent, je ne vous parlerai pas de ce que nous supposons des plans adoptés (si nous avions supposé juste !). Mais à défaut de l’avenir, le passé m’appartient, nous allons retourner six jours en arrière. Ça a été une bonne journée, chère maman, que celle de notre départ du Mans. Non que la ville nous déplût, au contraire, mais quand on se trouve soldat, on est un peu pressé de savoir comment on se tirera de la vraie guerre et sans être le moins du monde féroce, on souhaite la bataille uniquement pour satisfaire l’intense curiosité que l’on éprouve de connaître son résultat. Nous sommes donc partis gaiement. Une bonne visite de l’oncle Adolphe m’avait ravitaillé. Pour lui faire plaisir il aurait fallu prendre assez de vêtements pour charger un fourgon et de l’or plein les poches. Heureusement que l’ordonnance ne permet que deux chemises ; je les ai toutes neuves, en laine, et aussi de bons souliers ; mes vieilleries n’en feront pas moins la campagne au service d’un pauvre camarade moins bien monté que moi — en oncle. Nous sommes allés par chemin de fer du Mans à Tours, où nous avons logé chez l’habitant. J’avais pour hôte un épicier des faubourgs qui, après m’avoir gardé assez longtemps dans sa boutique sans rien faire de ma personne, se décida à me montrer au rez-de-chaussée une jolie petite chambre, presque remplie par un énorme lit. Il y avait de drôles de fleurs artificielles sur la cheminée, et j’aurais trouvé cela charmant, n’eût été un pénétrant parfum de chandelle dont on ne pouvait se défendre, puisque toute la provision était suspendue au plafond dans un ordre admirable qui eût fait honneur à notre régiment. Je me console vite en songeant au bon lit que je vais avoir quand arrive la maîtresse du logis avec sa servante, et voilà qu’en moins de rien ce fameux lit se trouve déménagé : un bel édredon en calicot rouge, des couvertures, je ne sais combien de matelas, tout cela est parti à mon nez et à ma barbe, — mais non pas les chandelles. Quand il n’est plus resté que le bois de lit, la servante a reparu seule avec une vieille paillasse qu’elle a jetée à terre, — c’était assez bon pour un soldat, — et voilà ce qui s’appelle des gens soigneux ! Le lendemain nous avons repris un train pour Amboise, d’où la route jusqu’ici s’est faite par étapes. C’est un beau pays que notre pays, et je ne l’ai jamais senti plus vivement qu’à Amboise en quittant les wagons. Si loin que la vue pouvait s’étendre, les plus riches campagnes du monde ; tout près de nous, la Loire roulant ses eaux à travers des châteaux et des souvenirs magnifiques comme elle-même. Vous souvenez-vous que mon père nous avait promis que nous ferions le voyage de la Loire quand Maurice sortirait de l’École ? Hélas, pauvre Maurice ! et pauvre moi, qui traverse cela tout seul ! C’est un sentiment poignant que celui qui vous ramène de cette splendeur des choses à la pensée de la menace qui se trouve là-bas, vers Orléans, Le soleil a été superbe pendant nos deux jours de marche et le temps si clair ne nous laissait rien perdre du paysage, mais quoi ! on pensait : « Pourvu que nous suffisions à défendre tout cela ! » Et le sol même où nous marquions nos pas semblait compter sur nous et nous dire : « Vous ne les laisserez pas passer ? » C’est au sortir d’Amboise, pendant une halte, que la nouvelle de la prise de Châteaudun nous est parvenue. D’abord, cela nous a fait peu de chose, on en a déjà tant perdu, de villes ! c’est devenu une triste habitude. Mais quand peu à peu nous avons su les détails, comment cette fois la population avait résisté, comment sans espoir de succès et seulement pour le devoir, deux mille braves gens, bourgeois pour la plupart, avaient tenu tête dix heures à cinq mille ennemis, nous avons eu une grande émotion toute mêlée de joie, de pitié, d’espoir de vengeance. Ce que deux mille avaient fait, nous l’aurions tous fait dans ce momant-là. Je ne sais pas si nous retrouverons jamais un si complet accord de nos pensées, mais je crois que si les Prussiens se permettaient encore deux ou trois exécutions comme celle de Châteaudun, ils feraient pourtant lever contre eux un flot d’indignation avec lequel il leur faudrait compter. Le 20, nous sommes entrés à Blois. Mon bataillon campe le long de la Loire, sur la rive gauche. Nous commençons l’exercice à feu, et franchement ce n’est pas trop tôt. Les chassepots arrivent peu à peu, mais les mobiles ne manœuvrent encore qu’avec les vieux fusils d’autrefois, ce qui les vexe prodigieusement. En revanche ces mobiles, il faut bien l’avouer, sont plus beaux hommes que nous. Dans nos compagnies de ligne il n’y a que de très-jeunes gens, et cela se reconnaît trop vite à leur air gauche et à leur menton aussi peu velu que le mien ; au lieu que les mobiles ont vingt-quatre ou vingt-cinq ans, ils sont à leur taille, en pleine force, et auraient bien vite l’aspect militaire si l’on venait à bout de les équiper d’une manière uniforme. La résistance de Paris fait du bien au moral de chacun ; on n’osait y compter, et voilà que cela donne du temps pour s’armer et s’aguerrir. On en revient à dire que tout espoir n’est pas perdu... Si seulement la France veut se lever, l’Est se révolter et Paris sortir... Seulement !... Il y a décidément une armée dans cette Sologne et elle n’a pas autant de fiévreux qu’on le pourrait croire d’après la réputation du pays. On parle d’un chiffre respectable de troupes derrière le Beuvron, et nous aimons à penser que ces soldats-là valent mieux que nous, car il paraît qu’ils campent depuis le commencement du mois et qu’ils sont fréquemment exercés. Mon père, dont j’ai, par ballon, une lettre du 15, me dit que les progrès des mobiles et de la garde nationale sont merveilleux. Il nous souhaite de faire aussi bien. Pauvre père ! il essaye de me rassurer sur ses privations, mais en disant : « La suspension de la vie de famille est la seule souffrance de ce siége, » il laisse voir combien est vive pour lui cette souffrance-là. Il se désespère de n’avoir aucune nouvelle d’aucun de nous. La veille, il avait passé sa soirée rue de Londres, chez les A.-A. et y avait vu le colonel Lindsay donner à M. H.-M. des nouvelles de sa femme réfugiée en Angleterre. Mon pauvre père en avait senti plus vivement l’angoisse de ne rien savoir, aussi me recommande-t-il de profiter de toutes les occasions présumées bonnes de faire entrer à Paris ne fût-ce qu’un mot. Je n’y manque pas, ni vous non plus, chère maman. Peut-être devriez-vous essayer par la Suisse. Le conseil fédéral doit communiquer quelque peu avec son ambassadeur. Un seul mot que cet excellent M. Kern transmettrait à mon père vaudrait mieux, même pour son reconfort physique, que trois jambons au garde-manger. Chère maman, Enfin nous marchons ! Ne vous inquiétez pas, je me porte mieux qu’au logis et serai la prudence même. Tous les jours où ce ne sera pas absolument impossible je vous écrirai un mot pas plus long que celui-ci qui vous dira seulement que votre fils vous aime de tout son cœur et que ses membres sont au complet. Le mouvement en avant paraît général. On sent que nous entrons réellement dans la période active. Rien ne saurait vous donner une idée de l’encombrement des villages que nous traversons. Deux flots s’y rencontrent, — les fuyards avec leurs terreurs et heureusement aussi leurs troupeaux, — et l’armée qui arrive en sens contraire bousculant les fuyards et profitant (grâce à son argent) de leurs provisions. On dit qu’une brigade de cavalerie a dû apercevoir l’ennemi aujourd’hui même ; nous avons entendu le canon cet après-midi, ce qui confirmerait le renseignement. Nous marchons toujours, mais lentement. On parle de coups de fusil ici et là, rien encore pour nous, chère maman. Peut-être vais-je avoir le temps de vous dire un plaisir qui m’est survenu et que vous partagerez. Nous allions traverser hier Plessis-l’Échelle quand on nous fit faire halte pour laisser passer les mobiles de Loir-et-Cher qui s’en allaient, disait-on, prendre position à Saint-Laurent-des-Bois, sur la lisière opposée de la forêt. Derrière eux, avec les cantiniers et même plus loin encore, je remarquai quelques carrioles légères qui suivaient ; il y avait aussi deux breaks fort bien attelés. Dans ces voitures étaient des pères, des frères inquiets, voulant être au plus près des nouvelles ; j’ai même vu trois ou quatre femmes, évidemment des mères, et les uns et les autres étaient tout entourés de gros paquets, vivres condensés, couvertures, cigares et sans doute aussi — bandages. Il paraît qu’on avait toléré cette queue jusque-là, mais à Plessis-l’Échelle, ordre fut donné de laisser libre la route pour l’armée, et tout ce pauvre monde en peine dut se jeter dans les traverses. Je songeais à vous, chère maman, qui auriez été parmi ces femmes, je le sais bien, si mes sœurs et Robert n’avaient eu encore bien plus besoin de vous qu’un grand garçon comme moi, et je soupirais. J’étais triste et, autant vaut vous le dire, je pensais aux bandes, à la charpie que vous auriez eues, à vos mains si adroites, à l’infinie douceur que devaient éprouver ceux des mobiles de Loir-et-Cher qui avaient leurs mères là. Pendant ce temps, les voitures avaient obéi à l’ordre donné et pris la traverse ; la dernière carriole seule restait encore, son conducteur causait avec B..., mon lieutenant, à vingt pas du faisceau de chassepots que je gardais. Ce conducteur était un homme âgé, en blouse, figure ouverte, menton rasé. Il fouetta enfin son cheval harassé et passant près de moi, il l’arrêta de nouveau et me cria : « C’est donc vous qu’êtes M. André ? — Je suis un André, répliquai-je, reste à savoir si je suis celui qu’il vous faut. — L’homme descendit. « Je m’appelle Joseph Barbier ; vous devez connaître cela. J’ai été vingt ans cocher chez votre grand-père à cette fin que c’est même moi qui ai conduit la voiture à l’église le jour que votre maman s’est mariée. Depuis ce temps-là, je suis fermier de votre tante de Thieulin et c’est elle qui m’envoie après vous. » Il me remit alors ce billet que je vous copie, pour que nous soyons reconnaissants ensemble : « J’apprends que Joseph Barbier, un vieux serviteur de la famille, veut suivre, autant que faire se pourra, son fils unique, mobile dans un des bataillons du Loir-et-Cher. Je lui donne ton adresse, use de lui, compte sur lui. Il a mille petites choses qui pourraient servir en cas d’accident ; surtout il a son brave cœur qui te sera dévoué, cher enfant, pour l’amour de ta mère. Elle et nous tous serons un peu soulagés de notre inquiétude à ton sujet en sachant que quelqu’un d’ami est près de toi, sait ce qui t’arrive, peut te secourir ou nous appeler au secours. Laisse-toi faire, je t’en prie... » Je me suis si bien laissé faire, chère maman, que me revoilà avec des chaussettes neuves aux pieds, un mouchoir propre en poche, de délicieux gants tricotés, et même avec un supplément de fonds, délicate attention de l’oncle Adolphe. Me voilà surtout avec un ami, car ce brave homme, dont vous parliez souvent du reste, vous aime de tout son cœur, et prend très au sérieux la tâche qu’on lui a donnée, de veiller sur moi. Il est reparti pour suivre son fils, mais il s’inquiétera de moi toutes les fois que mon régiment aura été engagé. Vous voyez comme j’avais tort de soupirer, chère maman, et que cet unique accès de mélancolie était encore de trop. Maintenant que je sais ce vieux Joseph n’importe où, mais se souciant de moi, tout sentiment d’isolement a disparu et puis je suis heureux de ce que vous allez être plus tranquille sur mon compte. Voici un officier qui arrive avec les nouvelles de la reconnaissance du général Abdelal. Il paraîtrait que l’ennemi est en forces entre nous et Orléans ; on l’a tâté à trois places, dit l’ordonnance, et partout ça a sonné plein... Chère maman, Je me suis battu, nous les avons battus et je vais à merveille. Je finissais à peine hier l’histoire de ma rencontre, qu’il a fallu prendre son fusil et partir. Nous avons couché près de Saint-Laurent-des-Bois, et y sommes entrés le matin à temps pour y faire notre partie dans le concert : si je n’étais absolument fourbu, je vous en dirais plus long. Il paraît que c’est un réel succès, qu’une compagnie bavaroise est prisonnière, que nous nous sommes bien conduits, mais non encore si bien qu’un certain 3me bataillon de chasseurs. Les mobiles du Loir-et-Cher ont donné, j’espère que le fils Barbier n’a rien. Les gueux (je parle des Allemands et encore vous demande pardon du mot) ont brûlé en se retirant tout un village qu’on appelle Chantôme. Impossible de vous écrire hier, mais vous ne perdez rien à avoir attendu. Figurez-vous, chère maman, une vraie bataille et une vraie victoire ! On dit même que l’ennemi sera forcé de lâcher Orléans. Quelle joie ce serait ! Quelle joie si c’était le commencement de la revanche ! Il me semble que je vois déjà Paris s’ouvrir et papa vous embrassant ! Les rapports vous diront l’ensemble de la journée ; nous ne savons encore que peu de chose nous-mêmes. Évidemment c’est la droite et le centre qui ont fait la meilleure partie de la besogne. Notre gauche a été un peu faible sans qu’il y eût de la faute de votre fils, croyez-le, mais parce que les munitions ont manqué à l’artillerie. Notre brigade formait la réserve de l’aile gauche, nous n’avons donné que vers trois heures. De ce moment, cela a été chaud et nous avons perdu assez de monde. Je n’ai pas eu une égratignure, ainsi, chère maman, réjouissez-vous sans arrière-pensée. Savez-vous qu’une partie des mobiles n’avaient pas même de baïonnettes ? Ils ne s’en sont pas moins bien battus. En somme, nos généraux sont contents de nous et nous le sommes d’eux. Espérons que cela va marcher rondement maintenant. Mais qu’on est donc las et qu’on a faim ! Avec cela, le temps est affreux. — Le père Barbier s’est faufilé jusqu’à moi tout à l’heure. Son fils n’a rien, mais son sergent a été tué raide à côté de lui. Impossible de vous dire d’où je vous écris, chère maman, je n’en sais rien. Nous campons sous nos petites tentes en plein champ, en pleine boue. Il pleut, il pleut, décidément il pleut trop. Mais que cela réchauffe et restaure d’être enfin victorieux ! car c’est de plus en plus une victoire. L’ennemi se retire sur tous les points, et autant il se retire, autant nous avançons. Le 15me corps a dû réoccuper Orléans. J’aurais voulu être des troupes qui y sont entrées. Cela doit être si bon de délivrer ! J’aurais pensé tout le temps à Paris. Que Dieu veuille donc une fois nous y mener ! On dit que messieurs les ennemis commencent à réfléchir, et qu’ils y croient enfin à cette armée de la Loire, qu’ils niaient il y a quinze jours. Pourvu que Paris sorte, et que l’Est se soulève ! C’est le moment ou jamais. Notre victoire s’appellera Coulmiers. Toujours sans nouvelles, et cependant quelques privilégiés en reçoivent. Quand je pense quelles peuvent être les causes de ce silence, une telle angoisse me saisit, que je ferme les yeux comme au bord d’un gouffre. J’ai peine à continuera écrire aussi régulièrement. Ces feuilles qui partent chaque jour sans qu’aucune m’ait pu ramener une seule ligne de toi, ces questions qui traversent les airs et auxquelles rien ne répond, cela devient sinistre. Essaye, je t’en prie, de toutes les voies que tu pourras imaginer. On parle de francs-tireurs qui tenteront de traverser les lignes ; peut-être les sorties qu’on promet leur permettront-elles d’entrer. Si ce n’était cette absence de nouvelles, nous supporterions fort bien le siége, ton fils et moi. Nous nous ressentons peu, grâce à nos rations militaires, du manque de vivres dont la population souffre très-réellement maintenant. La classe riche se restreint et s’étonne d’avoir à tant dépenser d’industrie pour conquérir un dîner, composé d’une soupe passable et d’une seule tranche d’une viande quelconque, avec des haricots ou du riz en salade. Mais enfin elle a le nécessaire. La classe pauvre ne l’a plus et pourtant on fait des sacrifices énormes pour elle. La préoccupation de ces privations croissantes pèse plus qu’on ne pense sur l’esprit de nos gouvernants. Le siècle des hommes de fer est passé, en France du moins, et ce n’est pas moi qui ferai reproche à nos chefs du sérieux avec lequel ils apprécient leur responsabilité. En attendant, l’activité ne diminue pas aux remparts ; on se prépare à y recevoir les très-beaux canons à longue portée que l’industrie privée achève en ce moment, et qui sont pour la plupart le produit des dons patriotiques. On en promet 350. Ils compléteront magnifiquement la parure guerrière de la grande ville. La transformation en véritables corps militaires des masses armées, dont nous ne savions d’abord que faire, est plus étonnante encore pour un vétéran que celle de toutes les usines civiles de Paris en fonderies de canons. Certes, je ne songe pas à comparer la moyenne des troupes actuelles à mes vieux vrais soldats de Crimée, rapides, endurcis, intelligents, achevés enfin ; mais si l’on songe à la difficulté qu’il y avait à donner quelque consistance à une foule bigarrée et troublée, composée de soldats battus et démoralisés, de mobiles qui ne se prenaient pas au sérieux, de gardes nationaux qui donnaient dans l’excès contraire, et de quelques marins qui seuls se trouvaient en bonnes conditions de corps et d’esprit ; si l’on se souvient que les officiers, même mauvais, manquaient, on est forcé d’admirer le résultat, tout imparfait qu’il soit encore. Quoi qu’il arrive, ce sera la gloire de Trochu de n’avoir pas désespéré d’amalgamer tout cela et d’avoir réussi, du moins, à en faire des bataillons capables de manœuvrer. En ce moment-ci, le plaisir nouveau des Parisiens est de prendre le chemin de fer de ceinture et d’aller... si loin qu’il veut bien ou peut bien les mener. Hier, ayant par hasard deux heures de loisir, j’ai suivi le courant et me suis fait conduire au Point-du-Jour, d’où les nôtres lançaient quelques obus sur les batteries prussiennes de Meudon. Je suis revenu par les bateaux-omnibus. Les berges de la Seine sont envahies par des pelotons de tambours et de trompettes s’exerçant à qui mieux mieux. C’est un charivari infernal. Je ne savais pas à quoi je m’exposais en prenant ce chemin. Et pourtant, c’est encore une des formes du zèle de la défense ! C’est aujourd’hui, mes chers petits, que papa a eu cinquante ans. Son grand fils y avait pensé et c’est à nous deux que nous avons rappelé quel beau jour vous saviez lui faire tous les ans, de ce jour-là. Ah ! que cela manque douloureusement, les baisers d’une femme aimée et de chers enfants ! Que ne donnerais-je pas pour entendre Berthe jouer le morceau de circonstance, et assister à ce défilé de poésies qui remplissait toujours notre heureuse soirée ! Si Dieu nous prête vie, si nous nous retrouvons au complet, oh ! que nous sachions jouir de tous nos bonheurs ! Le Bourget, pris par les nôtres il y a trois jours, a été repris. Les Prussiens l’ont cerné ; ça été l’affaire d’un coup de filet. Nous y avons perdu un certain nombre de mobiles de la Seine, et l’effet moral de ces deuils va se faire sentir rapidement. Mais, ma pauvre chère femme, qu’est-ce que cela ? qu’est-ce que cette tristesse, réelle pourtant, auprès du coup de massue qui brise notre seule chance de salut ! À l’heure où je l’apprenais, tu la savais déjà, cette reddition de Metz, et il n’est pas probable que les vainqueurs t’aient caché leur joie. C’est qu’ils peuvent bien être fiers. Acquérir d’un coup plus de cent cinquante mille prisonniers, quatre maréchaux de France, Metz la jamais prise, et aussi cette certitude que nous sommes à leur merci !... Car pour moi, c’est la fin, c’est la perte de toute espérance. Quelque chose nous restait quand nous pouvions, de derrière nos murailles, compter sur l’armée de Bazaine. On ne comprenait pas trop qu’elle fît si peu de bruit, mais enfin elle vivait, on pouvait supposer que le maréchal méditait quelque grand coup. Telle qu’elle était, dans son inaction même, elle retenait et paralysait une formidable armée. Et voilà que tout s’écroule !... Jamais un désastre pareil n’a submergé un pays ; nous n’avons pas même une consolation d’orgueil, pas même l’honneur de la résistance... On doit vous donner quelque explication de ce qui s’est passé à Metz ; ici, aucune ne nous est parvenue, de sorte que le mystère ajoute à l’horreur du fait. Naturellement on parle de trahison, et je m’indigne contre ceux qui emploient un tel mot. D’abord, le maréchal Bazaine doit être assez malheureux sans qu’on lui inflige, avant de rien entendre, le pire des outrages. Puis, un mot tel que celui-là est dans une ville assiégée comme une bombe dans une poudrière. Il ne manque pas d’ignorants et de brouillons pour ne pas mieux comprendre à cette heure les précautions de Trochu, mieux que nous ne comprenons tous l’inaction de Bazaine, et de là à menacer Paris d’une fin pareille à celle de Metz, il n’y a pas loin. Au reste, il faut bien l’avouer, on ne sait plus où se prendre pour espérer. Qu’il était bon de se dire, même à nos premiers revers, qu’il n’était pas possible que le succès ne nous revînt pas ! Qu’il était doux, et fatal aussi, de vivre de sa gloire passée et d’y puiser la foi ! Maintenant tout est à bas. Wœrth a commencé un éblouissement affreux que Metz achève. Pourquoi pas nous aussi après eux tous ? Voilà une armée libre, ou de renforcer celle qui nous étreint, ou de courir la province pour y disperser nos recrues. Qu’elle fasse l’un ou l’autre, comment sortirons-nous, puisque déjà maintenant nous ne le pouvons pas ? En attendant, on mange, et sans manger assez pour chacun, on mange trop pour la prolongation de la défense. Il faudra donc... Tout le sang que l’on ferait verser ne nous sauverait pas ; — à quoi bon alors ? Je ne vaux pas mieux que les autres, ma chère femme, et quoique je me doute bien que c’est là une vérité connue de toi, j’en consigne l’aveu, c’est toujours un signe d’humilité. Ce repentir me prend au souvenir de quelque chose que j’ai du t’écrire le 31 en apprenant cette capitulation de Metz. Je crois que je n’ai pas su dominer mes impressions et que tu m’auras vu très-malheureux. Malheureux, je l’étais et je le resterai, car ces douleurs-là ne s’effacent pas ; mais je ne devais être ni amer ni découragé. Nous avons remarqué bien des fois ensemble que, quand une grande épreuve frappe une famille, quand on perd un enfant, par exemple, il y a du désespoir dans la première douleur. Il semble aux parents que toute leur joie est partie avec cet enfant-là, et qu’il ne leur reste plus rien. Très-souvent alors, Dieu qui les trouve ingrats les menace de nouveau, un autre enfant tombe malade, et ils s’aperçoivent à l’intensité de leur angoisse de ce que valent encore les trésors laissés. Ainsi de nous en ce moment, ainsi de moi. Je trouvais tout perdu, même l’honneur, et voilà que les troubles de la rue sont venus, l’émeute a eu Paris dans sa main, on a pu croire un instant que la plus folle des populaces nous ravirait jusqu’au douloureux privilége de tomber en soldats devant d’autres soldats. Maintenant que l’ordre est rétabli, que Bismarck n’aura pas la joie de prendre Paris par la guerre civile, on se dit que tout n’est pas perdu, qu’une portion d’honneur reste à sauver, et que nous la sauverons. Mais comment flétrir assez les chefs de tels mouvements ! Si jamais trahison fut odieuse, c’est la leur. Devant l’ennemi, dans une ville assiégée, détourner de la défense les bras et les cœurs ! On mesure devant de telles aberrations ce que l’esprit humain peut contenir de folie. Grâce à Dieu, la population a eu le sentiment juste du devoir, et ce sentiment l’a sauvée ; — mais nous avons vu de près l’abîme. Ah ! frère André ! par où commencer ?... Comment te dire !... On avait reçu hier d’un fermier de Rully la provision d’orge des volailles, et maman avait décidé que dès ce matin François irait payer. Elle sait combien les gens les plus à l’aise d’ordinaire peuvent se trouver gênés, maintenant que toutes les communications sont interrompues. François est donc parti pour Rully ce matin, et Robert et moi avec lui. C’était la première fois que nous sortions de nos murailles depuis l’invasion ; Robert mourait d’envie de faire une course, et quant à moi, maman a jugé bon pour ma mine de prendre le grand air. Nous voilà donc tous trois dans le petit panier traîné par Poney, heureux malgré tout, il faut l’avouer, du mouvement, du vent frais qui nous fouettait le visage, heureux de nous retrouver, comme si la guerre eût été un rêve, en liberté, en plein champ, sans Prussiens à l’horizon. Et pourtant le canon de Paris s’entendait très-bien. Les dernières feuilles mortes qui achevaient de tomber semblaient frémir au bout des branches dénudées quand le retentissement sourd d’une décharge arrivait jusqu’à elles. Comment avons-nous pu être heureux ? Cela n’était pas tout à fait bien. Nous laissâmes à droite, sur sa colline, la tour ruinée de Montépilloy, à gauche la haute cheminée de Barberie, et au bout d’une heure le petit trot raisonnable de Poney nous amenait au pavé de Rully. Le village avait un air calme, presque triste ; sur les portes se lisaient les inscriptions allemandes à la craie ; on ne voyait point de soldats, point d’habitants non plus, ou bien peu. Un seul groupe nous salua sur la place de l’église, c’était cinq ou six personnes qui se tenaient à la porte de cette épicerie-cabaret devant laquelle les routes se croisent. Notre fermier fut trouvé et payé, mais c’est bien l’homme le plus hospitalier et le plus tenace que je connaisse ; il voulait nous faire reposer et réchauffer, et malgré mes instances nous n’étions pas encore repartis une heure après notre arrivée. La conversation, qui roulait sur les Prussiens, l’amena à nous apprendre qu’on avait annoncé pour ce jour même un passage de troupes venant de Crépy. François se joignit alors à moi pour presser le départ, assurant que madame pourrait être inquiète si nous tardions davantage ; il attela lestement et nous prîmes congé. Tu connais ce chemin rapide qui contourne l’église ? Nous le descendions an petit pas, par égard pour les vieilles jambes de Poney : « Ils y sont déjà !... s’écria François en arrêtant court. Les gueux ! voyez-les !... » En effet, cent cinquante à deux cents cavaliers étaient arrêtés sur la place, devant l’épicerie. Leurs grands manteaux leur donnaient un air imposant, peu de bruit du reste parmi eux. Le cabaretier, sa femme qui avait un poupon sur le bras gauche, et une vieille voisine, allaient de l’un à l’autre, versant du vin ou de l’eau-de-vie, je ne sais lequel. « Comment passerons-nous ? » dis-je tout bas à François. À ce même moment, voici ce que je vis : La femme du cabaretier levait son broc d’étain pour verser dans le verre d’un soldat qui nous tournait le dos. Ce soldat saisit le broc et fit le geste de boire à même. La femme résista un instant, elle ne voulait pas lâcher l’anse qu’elle tenait, — quelque chose remua sous le manteau du cavalier, sa main droite s’étendit, — il y eut une détonation, et nous vîmes la malheureuse tomber comme une masse sur le sol sans lâcher son enfant. Robert poussa un cri qui nous rappela à nous-mêmes ; le pauvre petit s’était levé, tout pâle de frayeur ; François le contint d’un geste énergique ; frémissant lui-même, il obligea le Poney à retourner et lui fit gravir au grand trot la pente que nous venions de descendre. Nous prêtions l’oreille à ce qui se passait derrière nous, il semblait que ce meurtre allait en amener d’autres ; une angoisse mêlée de pitié, d’indignation et de terreur nous étouffait. Nous n’entendîmes rien. Au bout de la ruelle que nous suivions, nous trouvâmes les champs. François se mit à courir à côté de la voiture pour ménager le cheval dont il voulait forcer la vitesse une fois dans le chemin. Je n’ai jamais passé de moments plus affreux que ceux-là. La figure presque gracieuse de cette femme au moment où elle avait levé le broc et sa chute en arrière quand la balle l’avait atteinte étaient les seuls souvenirs qui restassent clairs dans ma pensée. J’essayais machinalement de calmer Robert qui sanglotait : « Les méchants, les méchants !... » répétait-il. François ne songeait qu’à nous remettre à maman. Notre petite voiture dansait, ballottée d’une pierre dans un trou ou d’un fossé à un talus, le poney n’y comprenait rien. Enfin François essoufflé murmura : « Voici le chemin. » Nous nous trouvâmes sur notre bienheureuse route et François put remonter. Dans ce court moment d’arrêt, je vis un nuage plus sombre encore passer sur son visage ; il me poussa le bras en me faisant signe de regarder en arrière : c’était l’escadron prussien qui sortait de Rully ; il nous suivait, il prenait la même route que nous ! La vraie peur me vint alors. C’était effrayant de voir marcher ces hommes en colonne serrée sur nous, contre nous, après ce que nous savions. «Sauvons-nous, François, fouettez ! vite, vite !... — Nous les ferions courir après nous, fit-il ; faut avoir l’air tranquille. » Et il ne mit le cheval qu’à son petit trot. Oh ! que ce fut long ! Robert avait vu les Prussiens, et son exaltation me faisait peur. Heureusement qu’ils allaient seulement au pas ; nous gagnions sur eux, et peu à peu nous avons augmenté notre vitesse. Maman ne savait rien, et nous avons manqué lui faire bien mal en la surprenant par nos sanglots et nos récits incohérents. Elle ne comprenait pas plus que nous un meurtre semblable dans de telles circonstances et a assuré que l’assassin ne pouvait être qu’un fou. Ce matin elle est allée voir le cabaretier de Rully, elle rentre à l’instant. Le médecin était près de la malheureuse femme qui achevait d’expirer. Son mari veut partir et se faire franc-tireur. Il paraît qu’après ce fatal coup de pistolet, au moment même où nous prenions la fuite, le commandant prussien a placé le soldat coupable sous la garde de deux de ses camarades et a fait annoncer qu’il serait puni. Les habitants de Rully, terrifiés, ont laissé la colonne ennemie se reformer tranquillement et sortir du village. On dit que quelques jeunes gens qui restaient encore sont maintenant décidés à rejoindre les mobiles de l’Oise ou bien l’armée du Nord. Voici maintenant cinq jours qu’on discute les conditions de l’armistice. De notre part, il est très-désiré et très-désirable, et quand je pense que son premier résultat sera sans doute de rétablir les communications, que je reverrai ton écriture après ces quarante-six longs jours, l’émotion de l’attente me fait presque oublier le reste. Vous, ma chère colonie des Platanes, André, Herbauld et tous nos amis, qu’a-t-il pu vous arriver parmi tant de dangers ? Combien de supplices différents dans ces craintes qui hantent l’esprit des pauvres assiégés ! Je ne sais comment l’histoire jugera cette mise au secret d’une population de deux millions d’âmes ; elle devra en admirer l’exécution et pourra l’appeler une habileté, mais certes, c’est une cruauté aussi, et qui aura moins servi nos ennemis qu’ils ne l’espéraient, elle a mêlé une nuance de révolte à la résistance. Les forts ne tonnent plus. Aux avant-postes, chacun se départit peu à peu de sa réserve de belligérant, oh attend l’annonce de l’armistice. En somme, l’énergie est maintenant à bout. La chute de Metz pèse sur nous. Son malheur joint au silence de la province a tué ici l’esprit guerrier. On se sent condamné, on se dit qu’il est inutile et par conséquent criminel de prolonger la lutte, puisque les armées de province ne sont pas en état d’y prendre part. On prête ce mot au général Trochu : La défense de Paris ne peut être qu’une héroïque folie. — Je ne sais jusqu’à quel point il est authentique, mais il n’en est pas moins vrai que cette déclaration, médiocrement heureuse de la part du commandant en chef de cette même défense, a pris maintenant toutes les proportions d’une prophétie. En attendant, le froid augmente et le combustible est hors de prix, les souffrances de la population en sont fortement aggravées. Il faudra penser à ces pauvres ménages, à ces femmes héroïques, à cette moisson d’enfants qu’il s’agit d’arrêter, pour se consoler de prononcer, en signant la paix, l’acceptation de la défaite. Si découragée que fût la lutte, le dernier mot n’était pas dit tant qu’elle durait ; c’est pourquoi le cœur se serre, et entre deux douleurs ne sait laquelle préférer. Ce matin, l’Officiel annonce la rupture des négociations. La cause principale est le refus de la Prusse d’accorder aucun ravitaillement ; on aurait pu passer sur les autres conditions, mais il n’y avait pas moyen de se livrer soi-même ainsi, pieds et poings liés, c’était rendre Paris à discrétion. Cela est si clair (heureusement !) que tout le monde le sent et que chacun essaye de refaire bravement volte-face vers la défense à outrance, le jeûne, le froid et les gardes aux remparts. Avec le rejet de l’armistice, l’Officiel contient un décret de formation de trois nouvelles armées tirées des défenseurs de Paris. C’est une bonne chose que d’essayer d’occuper en ce moment les pensées de chacun pour les détourner, même violemment, du regret inavoué du beau rêve évoqué par le mot d’armistice, mais ce sera difficile. On y a trop compté. Que de familles chez lesquelles, pendant ces cinq derniers jours, on a doublé sans arriver pour cela encore à l’excès la portion de nourriture de chacun ! On croyait en avoir fini avec ces longues privations, et voilà qu’il faut les reprendre plus sévères que jamais, et jusqu’à quand ? On se perd en conjectures sur la cause de l’obstination de la Prusse à maintenir une clause aussi évidemment inacceptable. Les uns disent que la capitulation de l’armée de Bazaine, en rendant impossible la délivrance par le dehors a augmenté du même coup les prétentions de Bismarck et qu’il a introduit cette clause pour rompre les négociations sans endosser l’odieux d’un refus tout net de traiter ; d’autres jurent que c’est l’émeute du 31 octobre qui a donné au chancelier prussien l’espérance de voir Paris s’ouvrir de lui-même avant peu et se livrer à lui par crainte du désordre. Quoiqu’il en soit, rien ne pouvait être plus habile au point de vue prussien, et plus fatal pour nous que cette espérance donnée et reprise. Si les premières ouvertures ont été faites par déférence pour les scrupules de l’Europe, sa tiède amitié n’aura servi qu’à préparer un piège où nous pouvons périr. L’esprit guerrier aura peine à se ranimer ; on s’est amolli, je ne le sais que trop par moi-même, dans la vision délicieuse du retour des siens, on a caressé des images trop chères, on a trop bien cru être au bout de l’effort, on a regardé derrière soi pour admirer sa résistance : près de cinquante jours de siége, qui l’eût attendu de Paris ? Chacun a compté qu’il avait fait tout ce que la patrie réclamait de lui et a cru le moment venu de jouir en paix de son héroïsme. Mais non. Voilà qu’au contraire c’est l’heure du dévouement vrai et du réel sacrifice, l’heure de lutter pour l’honneur et non plus pour le succès, l’heure de souffrir pour le seul devoir. Ô mon pays ! je ne veux pas douter de toi ! c’est un grand naufrage que le nôtre et nul ne sait quelles épaves chacun pourra recueillir quand le calme se sera fait. Nul ne sait ce qui restera de Paris ou de la France le jour où, le dernier morceau de pain mangé, on subira l’ennemi. Mais si le succès ne dépend d’aucun homme, il est une portion de l’honneur du pays à la garde de chacun : que chacun lui soit fidèle ! Nulle puissance humaine ne peut nous ôter la douceur d’avoir mieux aimé souffrir que faiblir, mourir et même laisser mourir que nous soumettre. Je sais que tu dis avec moi : Jusqu’au bout, jusqu’au bout du devoir. Tu as une grande part dans mon entière résignation parce que je sens que tu l’approuves, comme le peuple de femmes qui ne laisse pas, même à cette heure, échapper un murmure, aura une grande part dans le respect que le monde devra, j’espère, à la défense de Paris. J’ai assisté hier au départ d’une troupe d’Anglais, d’Américains et de Suisses. La difficulté d’obtenir pour eux un laisser-passer a causé assez d’allées et de venues pour que des bruits fâcheux de reprise des négociations aient recommencé à courir. J’ai été content de voir que les partants seraient peu nombreux. On ne peut pas trouver mauvais que des étrangers venus à Paris pour leurs affaires ou leurs plaisirs cèdent à la tentation de le quitter quand affaires et plaisirs y sont devenus impossibles, et pourtant il y a dans ces départs une apparence d’abandon qu’il doit être pénible de prendre. Puis le peuple ne manque pas de se dire : — « C’est qu’on va bombarder, ceux-là le savent et s’en vont, » et sa prison actuelle lui semble plus dure à supporter. C’est un acte généreux et bon que le refus des ministres étrangers de quitter Paris. Qui sait quelle protection pourra être pour nous, dans la suite des temps, la présence de ces témoins impartiaux ? La Prusse vit sur la bonne réputation de l’Allemagne, elle oppose souvent son affirmation encore respectée à telle ou telle affirmation française, et le monde se hâte de croire le plus fort. Il est bon que d’autres témoignages puissent se joindre au nôtre et que la Prusse sente que les yeux de l’Europe surveillent sa haine jalouse. Aussi le brave M. Kern et ceux qui l’imitent auront-ils bien mérité de l’humanité. Leur exemple console en ce temps de défaillances. Le pauvre Paris ne se rattache plus que par eux seuls au monde extérieur dont l’écho lui parvient à peine. — Il leur devra d’avoir moins senti son isolement. Paris est dans la joie, ma chère et pauvre femme, il en a le droit, même le devoir. On a appris un succès près d’Orléans, et mieux qu’un succès, l’existence de l’armée de la Loire sur laquelle on n’osait compter. Il y a donc une armée en province ! peut-être y en a-t-il plus d’une ! et il est redevenu possible de faire reculer, du moins pour un instant, cet épouvantable flot de l’invasion. Qui voudrait marchander leur joie aux assiégés ? ou leur reprocher l’explosion soudaine d’une espérance qui ne s’élève si haut que pour avoir été depuis longtemps trop à bas ? Ce n’est pas moi. Qu’ils jouissent, qu’ils espèrent, qu’ils reprennent courage pour les mauvais jours à venir auxquels ils ne pensent plus ! Ils ont bien mérité cet écho de victoire, et je n’attends qu’un mot, un mot qui me dise où est André, pour être le plus joyeux des joyeux Parisiens. Mais ne pas savoir si mon bon et loyal garçon n’est pas l’un de ces deux mille tués ou blessés dont parle la dépêche, est une angoisse qui, je l’espère, t’aura été épargnée. Ta sœur ou André lui-même doivent avoir trouvé quelque moyen de correspondre avec toi, et sans doute qu’à ce moment tu sais si notre couronne d’enfants est encore entière... Il y a une expression très-vulgaire qui peindrait à merveille le changement que la dépêche de Gambetta a produit dans l’esprit de la population : retourné comme un gant, — il est absolument et complètement retourné. Peut-être la faute en est-elle à mon inquiétude personnelle qui me rend l’esprit chagrin, mais j’aimais mieux le côté grave montré naguère par l’esprit parisien, que l’espèce d’envers qu’il étale aujourd’hui. La jactance reparaît, on décide trop vite que toute la France est debout et que le général d’Aurelle va percer jusqu’à Paris ; il se trouve des gens pour marquer ses étapes et fixer le jour de son arrivée sous Versailles. Les réactions de ces grands enthousiasmes sont quelquefois fatales. Dis aux enfants qu’on vend, pour les manger, les éléphants du Jardin d’acclimatation. Cela les touchera plus que bien d’autres pertes. Une victoire ! une victoire ! une vraie ! et tu y étais mon cher, bien cher André ! notre joie est mêlée de tant de crainte qu’elle n’est presque plus une joie. Les journaux anglais viennent d’arriver, ils portent en énormes caractères pour la première fois : « Great French Victory ! Orléans occupied by the French troops ». L’émotion nous a suffoqués, nous n’osions lire plus loin, il nous semblait que la ligne suivante allait démentir celle-là ou bien nous apprendre quelque chose d’affreux sur notre soldat. Nous ne vivrons plus jusqu’à ce qu’un mot de toi nous rassure, mais le jour où viendra ce mot... quelle joie ! tout ce qui est triste et amer sera oublié. Il y a un instant, j’ai aperçu François se dirigeant contre ses habitudes vers ce que nous appelons le quartier prussien. J’ai compris que ce parfum de victoire, apporté par le journal, lui rendait un peu d’aplomb et qu’il n’était pas fâché de voir quelle figure faisaient nos occupants. J’ai guetté son retour, mais je l’ai trouvé désappointé. Les Prussiens n’ont montré ni surprise ni inquiétude, ils prétendent que l’évacuation d’Orléans est une ruse de guerre de von der Thann ; que, s’il a quitté la ville, c’est qu’il l’a bien voulu, et qu’évidemment il ne tardera pas à y rentrer. D’ailleurs, Frédéric-Charles arrive avec les troupes qui assiégeaient Metz ; si von der Thann a besoin de secours, il en aura tant et plus. Tout cela se dit sans passion, sans animation, la pipe entre les dents. François était vexé que la victoire où était M. André n’eût pas produit plus d’effet. Il ne rattrape sa confiance qu’en supposant que les Prussiens ont ordre de cacher leurs appréhensions. Pour moi, je ne sais que penser, ou plutôt, je ne pense pas, j’attends, j’attends un mot de toi, je prie, et je suis reconnaissante de ce que Dieu veut bien accorder du moins un encouragement à nos armes. Dans notre vie si calme, si monotone, si réduite, où chaque lendemain, durant des semaines, peut ressembler à la veille, il y a cependant quelquefois des émotions violentes. C’était un soir, vers quatre heures, maman revenait avec nous d’une promenade rapide dans le parc. Les enfants auraient voulu aller en bateau, mais nos Prussiens, comme on finit par les appeler, quoique les deux termes hurlent de se trouver ensemble, nos Prussiens s’en étaient emparés, et force avait été de changer les plans des petits que le seul espoir de trouver des hérissons dans le saut de loup avait pu consoler. Robert commençait à descendre dans le fossé, tandis que Marguerite et moi fouillions, à la recherche des hérissons, un énorme tas de feuilles mortes retirées des allées : « Il n’y en a pas, » disait Marguerite découragée. Au même instant, le sommet du tas de feuilles parut chanceler : un bras, des jambes apparurent. Marguerite se jeta en criant contre maman ; à dire vrai, j’avais très-peur. Il ne s’agissait pourtant que d’un pauvre être nullement menaçant, maigre, vêtu de haillons et bleu à force d’être pâle, comme nous nous en aperçûmes quand le visage appartenant aux membres se fut débarrassé des feuilles. « Ayez pitié de moi, je me sauve, je meurs de faim, » nous dit ce malheureux, et il ajouta : « Y a-t-il des Prussiens par ici ? « Il y en a, répondit maman, est-ce eux que vous craignez ? « J’étais leur charretier, ils m’ont pris avec mes deux chevaux en passant dans mon pays. Il y a dix-sept jours que je roule avec eux ; je ne peux pas dire la misère que j’ai endurée ; maintenant je me sauve, mais je n’ai rien mangé qu’un morceau de biscuit, hier. Voulez-vous me donner du pain ? j’ai des papiers de chez moi. » Je n’avais jamais vu anxiété pareille se peindre sur une figure. Le pauvre homme regardait maman presque avec défiance, il paraissait prêt à reprendre sa course, à tenter un dernier effort s’il était repoussé, et pourtant ses yeux semblaient demander la vie en demandant ce morceau de pain. « Nous ferons ce que nous pourrons pour vous sauver, dit maman, que Dieu nous aide ! Comme ma maison est pleine de Prussiens, il faut une grande prudence. « Remettez-vous sous vos feuilles jusqu’à ce que l’une de nous, ou peut-être un homme âgé qui porte une casquette cirée, vous vienne chercher. Vous ferez ce qu’on vous dira. Vous, enfants, pensez bien ceci : ne dites pas un mot à personne, ne parlez même pas entre vous de ce que vous venez de voir. Si les Prussiens soupçonnaient que nous cachons un fugitif, celui-ci serait, et nous en même temps, dans le plus grand danger. » Maman pensait à tout et n’avait pas l’air troublé ; moi, j’avais la réaction de mon saisissement, et je pouvais à peine marcher. Les enfants se conduisirent très-bien, ils demandèrent seulement tout bas pourquoi maman n’avait pas fait conter à l’homme toute son histoire. On leur dit que le plus pressé était de le sauver ; un Allemand aurait pu survenir et l’apercevoir. J’appelai François et un long conseil fut tenu. Cacher le fugitif dans la maison ou dans une grange n’était pas possible, les Prussiens entrant partout ; c’est à peine si nos chambres et le salon sont à l’abri de leur intrusion. François proposa de lui faire passer la nuit dans l’une des huttes de charbonnier de la forêt, mais on n’en pouvait trouver à portée que du côté de Mortefontaine, c’est-à-dire en se rapprochant de Paris, tandis que maman aurait voulu le mettre sur la route du nord, où la libre terre française peut être plus tôt rencontrée. En attendant la décision, je remplissais le carnier de mon père avec de la viande froide, du pain, du vin ; il y a bien tenu la nourriture de trois jours. Un peu avant six heures, maman a mis son châle pour conduire François jusqu’au tas de feuilles où devait être notre homme ; justement on est venu l’avertir que le sergent prussien demandait à la voir ; or il faut à ce sergent une heure pour expliquer le moindre détail. Maman m’a passé son châle. « Veux-tu conduire François ? m’a-t-elle dit, tu sais qu’il faudra revenir seule ? » J’ai pris son châle avec un vague sentiment que je mourrais de peur, mais qu’il fallait aller. Nous nous sommes glissés par les allées les plus sombres. Heureusement que la pluie était venue, une pluie froide et serrée qui ôtait aux prudents landwehr toute envie de fumer dehors. Nous avons atteint le saut de loup, dont les murs blancs renvoyaient une espèce de lueur ; rien ne bougeait sous le tas de feuilles, on n’entendait que la pluie, même le canon de Paris ne vibrait plus dans cet air humide. Je me décidai à appeler tout bas, notre homme sortit des feuilles, on devinait sa silhouette noire plus qu’on ne la voyait ; de visage, il n’en était plus question. Je lui mis d’abord dans la main un flacon de bouillon chaud, le premier merci ne vint qu’après qu’il l’eut vidé ; mais ce merci avait un tel accent, il venait de si loin que quelque chose s’émut en moi et que des larmes que je ne comprenais pas bien me vinrent aux yeux. François lui dit de se hâter, car lui-même ne devait pas rentrer trop tard de peur d’éveiller les soupçons ; il lui donna un morceau de pain à manger tout en marchant, se chargea de la carnassière et entraîna le malheureux qui semblait quitter à regret l’abri et le repos de ses feuilles. Certainement il voulait me dire quelque chose pour remercier maman, mais l’émotion, la hâte de François, ne lui ont permis qu’un murmure que j’ai compris. La pluie ne cessait pas, on se sentait transi, il me fallait rentrer seule et n’être pas vue. Je te passe cette retraite, qui n’est pas la partie la plus glorieuse de l’histoire. En retrouvant maman et le feu, j’ai fait mine de m’évanouir, et ai donné à notre pauvre mère un souci dont elle n’avait pas besoin. Elle commençait à se reprocher de m’avoir trop demandé quand l’indignation de la voir s’accuser m’a fait revivre. Maman a attendu François pour le faire entrer par le salon. Il est revenu changé en fleuve, mais enchanté du Lorrain ; car notre fugitif est un Lorrain d’un village près de Frouard. C’est à Nanteuil seulement que ce Wakel a pu échapper à l’escorte du convoi prussien. Sans argent depuis longtemps, il ne se procurait qu’avec beaucoup de peine une nourriture insuffisante, il avait été plusieurs fois battu cruellement. Le dernier de ses chevaux mourut avant d’arriver à Nanteuil, il s’adressa une fois de plus à l’officier commandant pour être autorisé à rentrer chez lui, faisant valoir qu’il ne pourrait rendre de services sans ses chevaux. On lui répondit qu’on lui en trouverait d’autres, qu’il ne s’occupât que de marcher. Le désespoir le décida à tenter de s’échapper, il était arrivé chez nous depuis plusieurs heures. Que Dieu l’accompagne et le garde jusqu’au bout ! François a pris très-bonne opinion du pauvre garçon. Comme il ne peut retourner chez lui, il va s’engager dans le premier corps français qu’il rencontrera. François l’a laissé dans cette vieille cabane de gazon, à demi cachée par les genets, qui existe près du poteau d’Anleu ; il voulait essayer le lendemain de le rejoindre pour le conduire un peu plus loin... Mais ma lettre dépasse toutes les proportions permises. Adieu, mon cher, mon brave André ! Des nouvelles, des nouvelles ! Nous t’en supplions ! Enfin des nouvelles ! Juge de ma joie ! et pourtant il ne s’agit que de quatre mots, tout juste, et qui peuvent avoir quinze jours de date ! Tels qu’ils sont, mes quatre mots, ils me rendent si heureux que j’en suis à me reprocher de pouvoir jouir autant quand les angoisses ou les détresses qui m’entourent sont toujours au même point. H... est entré chez moi ce matin, une lettre ouverte à la main. Elle était de sa femme, de Genève, et avait passé par la valise du ministre d’Amérique. Elle contenait pour moi ceci : Bonnes nouvelles des Platanes et donnait avec la même brièveté des nouvelles d’un grand nombre de familles. Écris de suite à Mme H..., dis-lui la joie qu’a causée son message, supplie-la de le renouveler, tiens-la au courant de ce qui vous arrive, parle-lui d’André... Était-il compris dans la désignation Platanes, mon brave garçon, lui qui les a quittés depuis si longtemps ? Et s’il allait bien d’ailleurs quand la lettre a été écrite, l’affaire de Coulmiers n’avait pas encore eu lieu, et pour lui, mon inquiétude reste entière... Tu vois comme le bonheur rend exigeant, c’est bien mal. Je ne devrais être que reconnaissant. Une étoile isolée qui brille au ciel n’empêche pas la nuit d’être noire ; un mot isolé après lequel le silence reprend n’empêche pas ce silence d’être oppressif. Pour moins l’entendre, pour essayer d’oublier que tous nos interlocuteurs habituels sont devenus muets, nous allons parler entre nous. D’ailleurs l’homme ne vit pas de pain seulement, il vit aussi de pensée et de foi. De généreux esprits entreprennent d’en nourrir les Parisiens. À ceux qui souffrent, ils essayent de montrer ce qu’il y a de grand et ce qu’il peut y avoir de salutaire dans leur souffrance. Quelques-uns promettent le triomphe, heureux sont-ils s’ils y croient ! J’aimerais mieux qu’on se bornât à glorifier l’effort qui sauve l’honneur et qu’on en profitât pour enseigner à notre génération ce qu’est l’honneur et quelle est sa beauté. Le nom en semble si vieilli à notre langage moderne qu’on en pourrait inférer, ainsi que de bien d’autres signes, que la chose elle-même n’est guère mieux connue. Ce serait le cas, quand on n’a plus que cela à sauver, de repopulariser parmi nous cette grande idée de l’honneur français et de lui faire tenir la place accaparée naguère par les mots de triomphe et de prospérité. Quoi qu’il en soit, et malgré la difficulté réelle de soutenir l’intérêt des foules avec un nombre de sujets très-restreint, les conférences populaires réussissent. Quelques-uns de nos pasteurs ont été des premiers sur la brèche avec M. Legouvé, l’abbé Duquesnay et bien d’autres ; à leur aide est arrivé M. Vitet avec un admirable article qu’il faudrait répandre à profusion. La Revue des Deux Mondes est un cadre trop étroit pour cette grave et ferme parole dont toutes les couches de la population parisienne ont un besoin égal. Voilà qui est bienfaisant, mais non pas les lectures publiques des Châtiments qui se font au Théâtre-Français. On comprend que la tentation ait été forte pour le poëte, mais son œuvre perd sa dignité à s’étaler en ce moment : « La haine d’un grand peuple est une haine grande Qui veut que le pardon au sépulcre descende, Et n’a pour ennemis que ceux qui sont debout... » avait dit Victor Hugo lui-même, il semble l’oublier maintenant. Même assiégés, les papas n’oublient pas les jours de naissance de leurs enfants, mon cher garçon, et je pense bien à toi. Ce sera une date dans ta vie, date assombrie et douloureuse, que celle de cette arrivée de tes dix ans, à l’heure où l’ennemi vainqueur couvre la moitié peut-être de ton pays, où ton père est assiégé, tes frères sous les armes, et où ta mère, malgré son grand courage, ne peut vous cacher ce qu’elle souffre. Eh bien, il faut t’en souvenir toujours, de cette date et de ce qui la rend si triste. Il faut t’en souvenir non pas pour haïr les Prussiens, ce qui ne serait pas bien, ne servirait à rien, et d’ailleurs serait trop facile, mais il faut t’en souvenir pour aimer ton pauvre pays affligé et prendre devant Dieu la ferme résolution d’être l’un de ceux qui le consoleront et le relèveront ; car il y aura place pour toi à ce grand travail, et il te faut dès à présent vivre sur cette pensée : que Robert de Vineuil doit se rendre digne de travailler un jour pour son pays. Tu apprenais l’histoire de France quand je t’ai quitté, et tu trouvais du Guesclin et Dunois heureux d’avoir fait de si grandes choses. Savaient-ils le jour de leurs dix ans ce qu’il en adviendrait d’eux-mêmes ? À côté de ceux-là qui n’étaient que des chevaliers, tu as vu un grand nombre d’hommes qui parce qu’ils étaient des savants, des navigateurs, des écrivains, ont fait la patrie plus prospère ou plus grande, ou bien ont instruit ou charmé leur génération qui est devenue meilleure et plus heureuse. Eh bien, il faut que tu sois, dans un genre ou dans l’autre, un serviteur de ton peuple et de ta patrie. Si l’un de tes frères était tué dans cette horrible guerre, ne te sentirais-tu pas un immense désir de nous consoler ta mère et moi, et de nous remplacer en quelque façon ce fils perdu ? Songe, mon cher petit, que la France est une pauvre mère bien triste à l’heure qu’il est. Beaucoup de ses fils sont morts, encore plus prisonniers ; l’héritage des autres est aux mains de l’ennemi ; privée de ceux qui la pouvaient défendre, il lui faut subir tous les outrages... Pense à elle, aime-la dès à présent, travaille pour elle, prépare-lui un fils qui la console. Ne va pas t’imaginer que ton papa cherche à te donner de l’orgueil en te montrant un si grand avenir. Oh ! mais non ! Ton papa, qui ne croit pas que les hommes sachent faire le vrai bien sans l’aide de Dieu, ne croit pas davantage que les petits garçons soient capables de bonnes et grandes choses à eux tout seuls ; mais il recommande son cher troisième garçon à Celui de qui viennent les bonnes pensées, la force, la persévérance, et ce garçon ne sait-il pas lui-même de qui demander l’aide et le secours ? Je ne voudrais pourtant pas te faire une lettre trop grave, mon cher bonhomme ; voici une petite histoire que tu raconteras à ton tour à Marguerite et à Berthe. J’étais ce matin à l’ambulance. Nous avons cloué contre un mur pour distraire ceux des convalescents qui commencent à se lever, une énorme carte de France et, à côté, un plan de Paris avec sa ceinture de forts. Cela intéresse beaucoup les soldats qui lisent ou qui entendent lire le peu de nouvelles qui parviennent de la France. Quant à Paris, il est très-facile de savoir ce qui se fait chaque jour, et on place des épingles à têtes de couleur là où se trouvent les différents corps de troupes. Les malades regardent nos épingles, mais ils aiment bien plus encore retrouver avec mille peines, et souvent l’aide de l’un de nous, leur village ou leur ville sur la grande carte de France. C’est le premier exploit de tout convalescent. « Je suis de là », dit-il, et son doigt tout maigre et tout tremblant indique tant bien que mal le point qui est sa petite patrie dans la grande. Si c’est vers l’est que s’achemine ce doigt, la figure du pauvre garçon est sombre et presque colère. « ils y sont, les Prussiens y sont, les Prussiens sont chez nous ! » Et l’on voit qu’il pense très-tristement à tout ce qui a pu arriver aux vieux parents quand le fils n’était plus là pour les défendre. Ce matin, deux lignards, l’un Comtois, l’autre de je ne sais plus quel département du Centre, s’appuyaient l’un sur l’autre en regardant la grande carte. À trois pas derrière eux, on lisait à haute voix le journal qui expliquait combien la reprise d’Orléans par nos troupes devait bien faire augurer de la résistance, il n’y avait pas à hésiter : il fallait, disait l’écrivain, pousser la guerre à outrance. C’était très-bien, mais que faisaient mes lignards ? Où c’est ça, Outrance ? avait dit l’un, et ils s’étaient mis à la recherche de ce pays à eux inconnu, de cet Outrance où cela serait si habile de porter la guerre. Tu juges qu’ils auraient cherché longtemps si je ne fusse venu à leur secours, et tu vois, mon cher bonhomme, que même à être professeur de langue française ou de géographie on aurait de belles occasions de se rendre utile. Chère sœur, Où allons-nous ? Qu’allons-nous devenir ? Qui sait si cette lettre te parviendra jamais ? Et pourtant j’ai besoin de t’écrire. Il me faut te raconter mes douloureuses impressions ; pour moi-même, il me faut réagir contre cet affreux sentiment d’isolement, d’éloignement, d’abandon dont je me sens oppressée depuis que l’ennemi est là ; car le fléau prussien nous atteint aussi, ma pauvre sœur, et même il semble vouloir frapper plus fort sur nous qu’il ne l’a fait dans vos cantons. Je veux écrire tout ce qui nous arrive. Tu sais, du reste, que je n’ai point l’âme si bien trempée que toi, mais peu m’importe ce qu’on pensera de mes faiblesses ! Je voudrais bien vous y voir, critiques, mes amis ! Que nous sortions seulement tous vivants de là, et je me résigne de grand cœur à ce que mes terreurs remettent en gaieté la famille des Platanes. Nous savions que le 20, au soir, l’ennemi était entré à la Loupe. Mercredi, Adolphe, qui avait plusieurs affaires à régler, s’en alla à Brou, et, plutôt que de le voir s’y aventurer seul, je fis contre fortune bon cœur et l’y accompagnai. La première personne de connaissance que nous rencontrâmes fut le notaire, il nous apprit que l’on s’était battu l’avant-veille à Condé, que Nogent même était occupé par l’ennemi et que les avant-gardes prussiennes pouvaient paraître d’un instant à l’autre. Je supplie Adolphe de faire retourner la voiture ; avant que le cocher en ait eu le temps, une compagnie de nos mobiles arrive en pleine déroute, mais avec armes, bagages, charrettes, etc... Force nous fut de rester où nous étions et d’assister à ce triste défilé. Les visages des mobiles n’exprimaient guère que la fatigue et la préoccupation de marcher vite ; ceux des gens de la ville, un ébahissement colossal. Au milieu de la foule nous apercevons M. B... Il fend la presse et nous rejoint : « Les Prussiens seront ici dans une heure, nous dit-il, voulez-vous m’emmener ? Donnez-moi seulement une minute pour prendre chez moi un peu d’argent. » Nous suivons la queue des mobiles jusqu’à sa porte, il jette pêle-mêle quelques effets dans mon manteau sans prendre le temps d’en faire un paquet, et nous parlons au galop. Nous n’arrêtons qu’au pont de l’Ozanne, afin de donner des nouvelles au poste qui le gardait. C’étaient des mobilisés. Le capitaine, un ancien zouave, ne voulait pas croire que les troupes eussent ordre de se retirer ; il jura qu’il ne reculerait pas. Le lendemain matin, il était seul à son poste. Nous arrivâmes ici sans encombre, et le soir les domestiques apprirent par des fuyards de Brou que les Prussiens n’y étaient pas encore entrés à huit heures. On jetait à l’eau les munitions qu’on n’avait pu enlever faute de moyens de transport. Le lendemain, notre route était couverte de mobiles fuyant du côté de Bonneval, exténués de fatigue et de faim. Nous avons commencé par porter jusqu’à la grille du parc un seau de cidre et un panier à deux anses rempli de morceaux de pain ; cela a été bien vite enlevé ; nous avons renouvelé le cidre, mais non le pain de peur d’en manquer nous-mêmes ; de sorte que, n’y pouvant plus rien, nous sommes tristement rentrés chez nous. Il était quatre heures ; j’étais près de la fenêtre, tandis qu’Adolphe allait et venait dehors malgré le temps affreux, quand je vis arriver deux éclaireurs prussiens, habit bleu clair, pistolet au poing, regardant de tous côtés. M. B... voulut bien descendre avec moi ; nous trouvons devant nous, en arrivant sur le perron, un officier et vingt à vingt-quatre hommes. Il fallait faire bonne contenance. L’officier salua et nous demanda le nom du château, le nom du propriétaire et son titre ; tout cela par écrit. Je le lui griffonnai bien vite sur le premier morceau de papier venu. Pendant ce temps, il demandait s’il y avait des mobiles dans le château ou dans les bois. Adolphe, qui revenait du parc, fut alors accosté par lui et dut répondre à la même question sur les mobiles, appuyée de : « Donnez renseignements vrais ». Après nous avoir salués, l’officier se dirigea vers la basse-cour, mit pied à terre, visita les écuries et l’étable, et demanda du pain chez Pierre. Pierre ouvrit sa huche, et les soldats prirent les trois pains qu’elle contenait. Le pauvre homme réclama, disant que ses six enfants n’en auraient pas. L’officier lança un juron et en fit rendre deux ; mais dès qu’il eut les talons tournés, les hommes les reprirent ; puis tout le peloton s’en fut ; nous le vîmes longtemps de la fenêtre. C’étaient nos vainqueurs ! Une heure après, un officier et un autre peloton se présentèrent à la basse-cour, mais sans venir jusqu’ici. L’officier fit à Pierre les mêmes questions qu’avait faites le premier. Nous avons passé une triste soirée. À l’horizon nous apercevions des feux sur plusieurs points et nous croyions voir autant d’incendies ; nous avons su depuis que, Dieu merci, ce n’étaient que des feux de bivouac. Ce matin, dès sept heures, nous voyons déboucher du bois seize Prussiens avec un officier ; ils étaient venus à travers champs et étaient couverts de boue, grâce à la pluie torrentielle que nous avons depuis deux jours. L’officier a demandé à déjeuner dans la salle à manger, ses hommes en bas. On leur a fait rôtir des canards ; l’un d’eux en a pris un et l’a fourré tout entier dans sa poche ; puis ils ont demandé du vin, une bouteille par homme. Marie avait maladroitement laissé la porte de ma réserve ouverte ; ils ont pris toutes les bouteilles de sirop qui s’y trouvaient. Pendant ce temps, je causais avec l’officier : « Triste, triste guerre, disait-il ; je suis de Cassel ; j’ai une femme et quatre enfants. » Un de ses soldats, qui parlait très-bien français, disait à Adolphe : « Nous serons bientôt à Paris et tout cela sera fini. » Vous n’y êtes pas encore. « Bien près, nous y serons à Noël. » Peu après, on a averti l’officier que ses hommes étaient partis, emportant une nouvelle provision de bouteilles. Il a couru pour les rejoindre. Cependant huit nouveaux cavaliers arrivaient. Il leur a fallu du pain, du sirop et du vin, une bouteille par homme. Je leur ai offert du cidre : « Non, non, ont-ils dit, médecin défend. Mauvais pour l’estomac. » Un jeune soldat tout seul a paru ensuite. Il est entré, a fureté partout et s’est contenté de sirop. Tout le pain de la maison avait été enlevé. Thomas, que j’avais envoyé en chercher à Frizay, n’en avait pas trouvé ; on en demanda à nos fermiers ; ils avaient été traités comme nous-mêmes. Personne n’en avait. Enfin la fille de basse-cour a découvert un reste du pain bis que l’on fait pour les poulets : nous avons pu déjeuner passablement. À midi, deux volontaires sont arrivés ; nous leur avons fait apporter au perron du lard et du vin, et nous essayerons, s’il nous en revient, de maintenir cette habitude. Ceux-là partis, deux hussards de Bismarck apparaissent. Ils ne parlaient pas du tout français, et Adolphe, comprenant qu’ils demandaient l’hôtel de ville, s’agitait fort de ne pouvoir les satisfaire : enfin nous avons découvert que c’était leur manière de dire : bouteille de vin. Ils sont partis dans la direction du vieux pont et ont demandé du pain à la fille de basse-cour. Heureusement que le nombre des Allemands diminue sur la route. Cadet, le garde, dont tu sais que la maison domine la plaine, nous dit que ce sont surtout des voitures chargées de réquisitions qui défilent maintenant. Sacs de farine, d’avoine, de blé, menu bétail, couvertures pillées à Nogent et à Brou, voilà ce qui remplit les grands chariots que les Prussiens emmènent du côté de Montharville. À quatre heures et demie pourtant, cinq soldats nous arrivent réclamant un capitaine que nous n’avons point vu. Ils sont furieux. Nous apprenons que c’était le corps du prince Frédéric-Charles qui passait hier ici de une heure à cinq heures. On évalue à 20,000 hommes la colonne qui a suivi notre route, infanterie, cavalerie, artillerie. On dit qu’un même nombre d’hommes a passé par la route de Nogent au Mans. Ils avaient ordre de faire diligence. Le duc de Mecklembourg est aujourd’hui à Nogent. Voilà les conséquences de la reddition de Metz : une armée nouvelle se joint aux Bavarois pour accabler les nôtres. Je crois que je pense à André autant que toi-même peux le faire, ma pauvre sœur. En attendant l’avenir, le présent est triste. Les réquisitions vont grand train. Presque toutes les maisons qui peuvent être vues de la route-sont pillées. Nos pauvres Cadet, effrayés de passer la nuit dans leur petite maison, près de la grille, avaient demandé à coucher au château ; ce matin, ils ont trouvé tout nettoyé chez eux, suivant leur expression ; couvertures, provisions, vaisselle, meubles, tout était parti. Au moment où la femme Cadet me racontait cela en pleurant, le fermier du Gros-Chêne arrivait demander conseil sur ce qu’il pourrait faire : son troupeau de moutons, deux vaches, une voiture d’avoine, une autre de paille avaient été enlevés. À qui réclamer ? disait le pauvre homme. En passant devant la ferme du Ravin, il avait aperçu les uhlans dépeçant trois vaches dans la cour. Voilà où nous en sommes, nous attendant à pis, hélas ! 24. — Toute la nuit, l’artillerie a roulé sur la route de Montharville ; ce matin, le défilé des voitures de réquisition recommence. L’eau-de-vie ou la farine s’échappe des tonneaux ou des sacs, et marque son passage sur la route ; les chevaux requis s’abattent, à bout de forces ; on les dételle et on les laisse mourir au bord du fossé. Des hussards de Bismarck nous arrivent après trois pelotons de uhlans, qui n’ont pas paru contents de nos vivres. Nous essayons de satisfaire ceux-ci en leur donnant du vin cacheté, outre le pain et le lard. Ils repartent, mais aussitôt Louis accourt de l’écurie nous dire qu’ils emmènent les deux chevaux de voiture. Adolphe et M. B... se précipitent vers la basse-cour et voient, en effet, partir nos deux belles bêtes, plus un jeune et fort cheval du fermier. Pendant que ces messieurs étaient à la basse-cour, je descendais au perron, recevoir trois officiers qui arrivaient au galop. Mais ils se sont contentés de bien examiner le château et sont repartis après avoir salué. Ce n’est pas vivre, je t’assure, et mon pauvre Adolphe est encore plus abattu que moi. C’est la ruine, et la ruine complète. Les fermiers ne se relèveront jamais de là ; encore Dieu sait si nous aurons la vie sauve ! La présence de M. B... est un soulagement ; on travaille à se donner du courage les uns pour les autres. Cette lettre, à laquelle je viens ajouter un mot de temps en temps, me fait aussi quelque bien. Pauvre lettre ! elle me semble le dernier lien avec la famille et le monde tels qu’ils étaient avant cet horrible cauchemar, tels qu’ils sont encore peut-être au delà de la muraille de fer qui nous enveloppe. Même jour, soir. — Le malheureux Cadet était rentré chez lui aujourd’hui pour remettre un peu d’ordre dans les débris de son ménage. Il était là depuis un instant, quand cinq hussards sont entrés, ont fermé la porte qui peut être vue de la route, se sont jetés sur lui, l’ont étendu par terre, et trois d’entre eux le tenant couché sur le dos, les autres lui ont ôté les bottes qu’il avait aux pieds. Ils lui ont pris aussi sa veste et sont partis. Cadet était encore là tout consterné de son aventure, quand un officier entre et lui ordonne de tirer de l’eau pour son cheval. Or on avait volé ses seaux et jeté sa corde au fond du puits. Il voulut s’expliquer, l’officier répétait : « Ah ! vous nous refusez de l’eau ! » et levait son sabre. Je crois que l’émotion a été forte pour le pauvre homme, il se déclare malade. À T..., on avait dévalisé l’institutrice ; mais le curé qui avait logé des officiers supérieurs a réclamé près d’eux, et on a rendu ce qui a pu se retrouver. Dans les autres maisons du village on a emporté jusqu’aux bouteilles vides ; mais le maire s’est très-bien montré et a évité de plus grands malheurs. 25. — M. B... vient de recevoir des nouvelles de sa maison. On lui a pris deux chevaux, trois voitures, toute sa cave et les objets qui, à l’intérieur de l’habitation, ont convenu aux vainqueurs. Pendant que les soldats forçaient les caves et les armoires, les officiers jouaient du piano dans le salon. Au point de vue de sa maison, il est fâcheux qu’il n’y soit pas resté. Un officier qu’il nous a fallu faire déjeuner ce matin nous disait : « Beau château, très-beau, bien eu raison d’y rester ; pillons tout là où les maîtres ne sont pas. » On prétend qu’une colonne prussienne a été attaquée au nord de Nogent par des francs-tireurs appuyés par des marins ; on lui a fait beaucoup de mal. Quatre chariots couverts ont été ramenés très-lentement à Nogent ; c’étaient des blessés. Nous avons envoyé Louis aux nouvelles jusqu’à Brou ; il y a ses enfants, ce qui lui fournira un prétexte s’il est arrêté... Louis revient. Le fait est vrai, les Prussiens ont beaucoup souffert ; il y avait à Belesme, où a eu lieu l’engagement, un bataillon de mobiles avec les marins. En ce moment, les Prussiens sont huit ou dix mille à Belesme ; c’est trop pour nos pauvres troupes. Rien du côté d’Orléans. Je n’aurais jamais cru qu’on put tant souffrir sans avoir perdu son mari. Cher André, tes lettres du 10 et du 12 sont arrivées ce matin. C’est bien la victoire pour nous, la vraie et complète victoire, que de te savoir sain et sauf, et dans la pleine joie de ce premier succès de tes premières armes. Si tu savais ce que le bonheur a fait de nous ! Maman pleure en souriant ; les petits chantent, d’un air tant soit peu provoquant, la Marseillaise aux Prussiens ; François, après avoir entendu deux fois lire tes lettres, n’est pas encore satisfait et revient toutes les dix minutes demander qu’on lui montre sur la carte où est Coulmiers ou bien Orléans, et quelle route madame pense qu’on va suivre jusqu’à Paris ; pour moi, je pleure avec maman, je chante avec les petits, je raisonne avec François, et mon bonheur serait complet s’il existait un moyen, un seul ! de faire savoir de tes nouvelles à mon père. Pauvre père ! quand je pense qu’il en est encore, ainsi que Maurice, à se demander si tu vis ! Quelle affreuse, horrible chose que la guerre, même avec la victoire ! Je n’ai pu encore te finir l’histoire de notre Lorrain échappé. Maman a décidé que le lendemain on irait à sa recherche pour lui compléter ses vivres et achever de lui donner des directions sur sa route. Elle a pensé qu’en faisant de cette course une promenade pour les enfants, nous dérouterions encore plus sûrement les soupçons qu’en envoyant François tout seul. Nous sommes donc partis à une heure, par un pâle rayon de soleil ; maman était avec nous, et François portait un panier intitulé goûter, mais qui contenait bien d’autres choses. Le sergent nous vit passer et salua. « Nous allons goûter dans la forêt ! » lui cria Robert, qui, l’instant d’après, devint tout rouge de l’intention qu’il sentait à sa phrase. François nous conduisit par la butte Blanche ; le canon de Paris s’entendait si distinctement du sommet que j’en eus le frisson. Les coups retentissaient, séparés les uns des autres, et on s’imaginait voir tomber les hommes. La butte dépassée, nous trouvâmes quelques-uns des grands trous que les gens du pays avaient creusés pour y enfouir les vivres : ils étaient vides. Les Prussiens les ont-ils devinés, ou bien les pauvres gens eux-mêmes sont-ils venus, pressés par la faim, chercher ces dernières ressources ? Nous n’en savons rien. Il y a longtemps que tous les bestiaux cachés dans les bois ont été découverts et enlevés ; nous avons trouvé les toits de genet dressés pour eux, abattus par terre. On voit çà et là les traces des feux des campements des réfugiés ; mais eux-mêmes, las de leur vie misérable, sont retournés peu à peu dans leurs maisons ; ils n’avaient plus de raison pour prolonger cet exil qui n’a pas même sauvé leurs troupeaux. C’est triste de trouver ainsi, à chaque pas, ces débris qui parlent de misères et d’angoisses. Nos chers bois, avec leurs vallons tapissés de muguet au printemps, leurs collines couvertes de bruyères lilas en automne ; nos chers bois, si pleins de nos plus gais souvenirs d’enfants, les voilà souillés, profanés, condamnés à nous rappeler toujours maintenant des douleurs et des ruines ! Et ce n’est pas tout, il a fallu y subir encore la présence de l’ennemi. Comme nous nous rapprochions du poteau d’Anleu, nous avons aperçu une ligne de soldats à casquettes plates battant le bois du Biat, pour la plus grande satisfaction d’une dizaine d’officiers qui attendaient le gibier au passage. Cela nous a inquiétés pour notre pauvre Lorrain. Nous n’étions plus bien loin de sa retraite, François s’est glissé sous bois de ce côté-là, tandis que nous nous asseyions pour goûter. Un quart d’heure après, François revenait, notre protégé avait disparu ; sans doute l’invasion des chasseurs lui avait fait prendre la fuite. François espère qu’il n’a pas été découvert, car les buissons qui entouraient sa cachette n’avaient pas été froissés. Seraient-ils vraiment tous passés ? Aurions-nous vu la fin de ces longues files de voitures chargées de nos biens à tous ? Je n’ose l’espérer ; mais enfin nous respirons un moment, tandis que tes maux, ma pauvre sœur, ne te laissent pas de relâche. Ce supplice, qui a cessé pour nous, de compter du regard tous ces hommes en se disant avec désespoir qu’ils sont trop nombreux, que résister n’est plus possible, il dure et durera encore longtemps pour toi. Au moins as-tu de bonnes nouvelles de tes guerriers. Barbier m’écrit, dans son langage impossible, que M. André est quasiment un héros, — héros soit, du moins reste-t-il le plus gai des héros. Si l’invasion t’a laissé un de tes beaux canards, jadis honneur de ta rivière, contemple-le par une de ces larges pluies dont le ciel devrait nous faire grâce au moment où trois cent mille Européens d’un siècle de perfectionnement couchent à la belle étoile, par suite de l’imperfectionnement de deux royales cervelles, contemple, dis-je, ton canard par la pluie, et tu auras une image affaiblie de l’épanouissement que nous ne savons comment témoigner. Ne plus voir de Prussiens nous cause une telle joie, qu’on battrait volontiers des ailes si on en avait ; la respiration est devenue libre, on ose sortir de chez soi, même on se découvre une lueur d’espérance au fond du cœur. Car on peut bien avouer que cette marche en avant des Prussiens à l’entrée de l’hiver est une imprudence. Le premier Napoléon se croyait bien sur aussi du succès en marchant vers Moscou, et pourtant... Nous ne sommes pas seuls à nous réjouir, chacun de nos voisins en est au même point, et en ce moment n’a rien de plus pressé que de communiquer aux autres de quelle manière il s’est tiré d’affaire. C’est quelquefois lamentable, quelquefois très-drôle. Veux-tu l’histoire du général L... ? Elle pourra te fournir une bonne idée pour un cas semblable au sien. Tu sais que le vieux général habite *** ; il eut à loger, du 22 au 25, quatre officiers, leurs ordonnances et leurs chevaux. Les choses, d’abord, ne se passèrent pas trop mal. Le vétéran évitait ses hôtes imposés, mais les faisait servir convenablement. Au moment de partir, le 25, les officiers prussiens firent enlever de toutes les chambres de la maison les couvertures qui purent s’y trouver, ainsi que quelques menus objets à leur convenance ; mais la chambre du général fut respectée. Ils avaient disparu, et le général, sur sa porte, s’essayait à dompter sa mauvaise humeur, quand un parti d’une vingtaine de chevaux environ paraît sur la route, les officiers descendent à dix pas de lui. Le général prévoit le sort qui attend sa maison ; aussi vite que le permettent ses vieilles jambes, il monte à sa chambre, arrache ses tiroirs de commode, les jette sens dessus dessous, il saisit de vieux journaux, les froisse et en jonche le plancher, il défait son lit, casse une bouteille vide et s’assoit tranquillement dans l’ombre de son alcôve. Une halte dans la salle à manger, devenue salle à boire, avait retenu quelque peu ces messieurs ; mais les grosses bottes ne tardent guère à se faire entendre dans l’escalier. On entre à droite, on entre à gauche, on choisit, on laisse, on emporte ; personne ne pénètre dans sa seule chambre. Chacun avait bien poussé la porte, mais voyant ce beau désordre : « Il n’y a plus rien à faire, les camarades ont passé par là, » avaient-ils dit tout haut, et ils s’étaient hâtés de chercher une meilleure place à fouiller. Les de M... sont encore plus malheureux. Leurs quatre chevaux sont enlevés, ainsi que leurs voitures et toutes leurs provisions de bouche. Le mobilier est sali, brisé ; on a cassé les glaces à coups de crosse et les marbres des cheminées à l’aide des chenets, et l’occupation n’a duré que quarante-huit heures. Pour comble d’insolence, les misérables ont disposé en cercle les fauteuils de ce beau salon tendu de cretonne à fond chamois dont tu peux te souvenir, et les ont laissés ainsi après les avoir tous souillés de leurs infâmes ordures. Il est bien entendu que les caves sont vides partout ; mais cela, en somme, n’est qu’un détail, et il faut pourtant leur rendre la justice de dire qu’ils ont, de nos côtés, épargné les personnes. Certains cantons ont été moins favorisés. Tu sais qu’un ami d’Adolphe, M. Barral, habite près de M..., il est commandant de la garde nationale. À M..., comme ailleurs, on remit les fusils à la mairie à l’approche des Prussiens, mais, par malheur, ceux-ci trouvèrent avec les fusils le registre d’inscription des gardes nationaux et imaginèrent de les rechercher pour les envoyer dans l’Est comme prisonniers de guerre. M. Barral fut des premiers arrêtés, il parle allemand, et essaya de réclamer contre une telle violation du droit des gens. Aucun fait ne pouvait classer un seul de ces prudents gardes nationaux parmi les belligérants. On lui répondit en l’avertissant qu’on ne s’inquiéterait pas du droit des gens, qu’ainsi il dût être prêt à partir avec les autres le lendemain matin pour la frontière. Tu peux imaginer la terreur de Mme Barral et la désolation qui régnait dans tout le village. Enfin le commandant prussien parut s’attendrir, et prévint Mme Barral qu’il laisserait son mari libre moyennant 25,000 francs espèces. M. Barral consulté répond qu’il ne les a pas, mais qu’il pourrait peut-être réunir 20,000 francs si on laissait libres avec lui dix-neuf de ses gardes nationaux qu’il comptait choisir parmi les soutiens de famille. Le commandant finit par accepter les 20,000 francs, mais pour M. Barral seul, disant que les autres, sans exception, seraient envoyés en Allemagne. Malgré les supplications de sa femme qui est héroïque tout juste à ma façon, M. Barral a tenu bon et est parti avec tous ses hommes, ne voulant pas, puisqu’il n’en pouvait sauver aucun, séparer son sort du leur. On ne sait pas encore où ils sont. Ils marchaient d’étape en étape avec une escorte, et la pauvre Mme Barral est restée à moitié folle, car elle craint quelque coup de pistolet qui fasse en route payer son mari sa résistance. Imaginait-on perversité pareille ? Ce qui me vexe, c’est d’avoir été jadis, au nombre de ceux qui, de confiance et bêtement (il faut bien dire le mot), admiraient les Allemands et leur prêtaient toutes les vertus parce qu’ils savaient lire. Lire est beau, et lire nous a manqué, mais lire n’est pas tout. Puis haïr est laid, le fiel de la haine prussienne a suffi pour faire tourner en barbarie une civilisation dont l’envie avait surexcité les progrès. Ce que nous apportent comme une nouveauté les Prussiens du xixe siècle, c’est le rétablissement de l’usage de la mise à rançon. Les brigands de Marathon n’ont pas fait mieux, et l’Europe entière qui s’est émue l’an dernier de leur crime et a manqué supprimer la Grèce pour n’avoir pas su l’empêcher, l’Europe se tait maintenant parce que le brigandage se fait cette fois sur une échelle qui lui impose. Que c’est triste et misérable ! Et les Prussiens font, de la terreur qu’ils inspirent, une spéculation. Voilà le pauvre petit village de *** qui vient de leur donner 1,000 francs pour se racheter du pillage. On se croirait revenu aux guerres du moyen âge. Ne t’étonne pas, ma chère sœur, si tu restes quelques jours sans recevoir de nos nouvelles. Adolphe était instamment appelé à Chevilly déjà la semaine dernière par son neveu Roland. Le pauvre garçon, après avoir mis en sûreté en Bretagne mère, femme et enfants, est resté depuis un mois tout seul dans son grand vieux château. Avant Coulmiers, Chevilly s’est trouvé le centre des opérations des Prussiens, et Roland a passé par tant d’émotions qu’il en est tombé malade. Cela nous inquiète, et son oncle veut profiter de ce moment de calme relatif pour répondre à son appel. Je veux y aller aussi ; car mon idée fixe est de ne pas quitter Adolphe. Je suis vraiment passée à l’état de chien caniche et je le suis comme son ombre. Tant pis si je suis ridicule. Il me semble que je puis être pour lui un préservatif. Si nous partons, ce sera dès demain matin. Penses-tu qu’il a fallu se précautionner d’un laisser-passer du commandant de Brou ? N’est-ce pas affreux ? Leur demander quelque chose et leur dire merci ! Heureusement qu’à Chevilly nous retrouverons la terre française. J’espère parvenir à voir André et tu peux compter aussitôt sur une lettre qui ne parlera que de lui. Ah ! chère maman, qu’il est donc temps qu’on nous fasse remuer ! Voici maintenant vingt jours écoulés depuis notre affaire de Coulmiers, et vingt jours auxquels le charme a manqué, croyez-moi. Nous n’avons fait que recevoir la pluie, jeûner et user nos semelles (ce qui est plus sérieux que vous ne pensez) à faire quelques corvées ici et là. On tombe malade en masse, et ce n’est point étonnant. Cela fait trop d’eau sur les épaules et point assez de vivres dans l’estomac pour des soldats si nouveaux. Dites à Robert que nous menaçons de faire comme ses armées de sucre qui fondaient à la pluie. C’est affreusement triste de voir tout ce pauvre monde toussant, fiévreux, agonisant faute des choses les plus simples. Les morts du champ de bataille m’ont, fait moitié moins de peine. La raison de ce long arrêt était la nécessité d’attendre des renforts, puis l’artillerie qui se complétait. On dit tout cela en bonne voie et je pense que d’ici à peu l’on va nous remettre en branle. On prétend qu’il y aura un signal de Paris et que l’armée du Nord, attaquant de son côté, fera aussi sa partie dans le concert général. Victoire encore, chère maman ; je suis bien heureux ! Nous nous sommes battus presque toute la journée et je suis si fatigué que je puis à peine tenir ce mauvais crayon. Je veux vous dire seulement aujourd’hui où s’est trouvé mon bataillon, afin qu’à l’aide des rapports que vous trouverez dans les journaux anglais ou ailleurs, vous puissiez à peu près me suivre. Ce matin, par un beau temps de gelée, nous quittons Lignerolles ; rien jusqu’à Patay, mais à peine hors de Patay, sur la route de Guillonville, tapage infernal sur toute la ligne, et l’on s’aperçoit que nous recevons en plein les obus des batteries allemandes de Gommiers. À droite, les batteries de Terminiers faisaient le même dégât parmi notre cavalerie qu’on dirigeait sur Muzelles. L’amiral ne perd pas de temps et nous lance, nous d’abord, sur une certaine ferme dont je ne sais pas le nom, d’où partait un feu assourdissant. Elle a été ce qui s’appelle enlevée. Je vous raconterai une fois cela, chère maman, s’il plaît à Dieu. Peut-être parce que j’avais eu une émotion désagréable en recevant l’ordre de marcher contre ces murs crénelés derrière lesquels on ne savait pas trop ce qui se trouverait, j’ai eu un meilleur moment une fois que l’affaire a été faite, que la ferme a été à nous, et que je me suis trouvé gardant des prisonniers. Tout de suite après nous avons marché sur Gommiers, d’où l’ennemi retirait en hâte ses batteries ; mais la plus dure besogne de la journée a été l’attaque du parc de Villepion, d’où je vous écris. L’amiral s’est mis en personne à notre tête, et c’est en courant que nous avons abordé le mur par-dessus lequel messieurs les ennemis nous visaient tout à l’aise. Je ne sais plus comment nous nous sommes trouvés de l’autre côté. D’abord nous n’étions que quatre, et trop entourés d’Allemands pour pouvoir tirer ; nous avons crossé, littéralement. Les camarades sont arrivés juste à temps, les Bavarois revenaient sur nous. L’amiral m’a parlé et veut que je sois médaillé ou lieutenant. Je sais que vous en serez contente, chère maman, je voudrais tant que mon père le sût aussi ! Les mobiles de Loir-et-Cher ont dû avoir comme nous du tirage, ils ont pris Faverolles à la baïonnette. Il me tarde de savoir le fils Barbier intact aussi bien que moi. Heureusement pour nos blessés que le château de Villepion avait été installé en ambulance par l’ennemi, rien n’y manque. Nos pertes ne sont pas très-considérables, dit-on, mais les blessures par éclats d’obus sont affreuses. Adieu, ma bien chère maman, je dors tout en vous écrivant. Je pense à notre tranquille maison, à ces prés verts, à ces grands peupliers que jamais canon n’a émus ; les petits sont couchés à cette heure, vous êtes près du feu, Berthe vous lit tout haut et vous lui dites qu’elle bredouille... Ah ! chère maman, quel bonheur que vous ne sachiez pas que nous allons recommencer demain ! Madame. J’ai l’honneur de prévenir madame que M. André est ici dans ma carriole avec autant de paille que j’en ai pu trouver et deux couvertures tout laine, moyennant quoi il est en aussi bon état que ça se peut avec l’accident qu’il a attrapé. Faut pas que madame s’imagine que c’est grave, ni qu’il sera boiteux. Pas le moins du monde, c’est deux chirurgiens qui ont promis la même chose. C’est seulement parce qu’une balle a tapé dans le genou qu’il est tombé, mais elle a glissé de haut en bas et on a pu voir en la sortant que ce qui marche dans le genou n’avait rien. Faut pas tout de même qu’il attrape la fièvre, et c’est à quoi nous tâchons de notre mieux et aussi à nous sortir de la bagarre où nous sommes présentement, avec toute l’armée. Le premier jour on a eu le dessus, le second ce n’était plus ça et on s’en va maintenant s’abriter à Orléans. C’est pourquoi M. André est dans ma carriole pendant que la jument mange son picotin, je n’ai pas osé le décharger crainte de retard, mais je commence à informer madame, comme j’en ai reçu l’ordre, de ce qui se passe, et tout de suite nous reprendrons la file pour nous retirer dans un pays plus pacifique. Faut que madame sache que M. André est un brin trop bouillant ; c’est un défaut de jeunesse qu’y a pas trop à reprocher, mais pas vrai, il n’aurait pas eu ce qu’il a si seulement il s’était tenu plus tranquille. Déjà avant-hier, il avait joué un jeu à se faire casser les os, m’a-t-on dit, toujours de l’avant comme si c’était sa besogne de faire marcher les autres, tant il y a que l’amiral, qui est un officier qui n’est pas pour le moment dans les vaisseaux, mais qui est comme général ici, lui a fait des compliments et l’a nommé lieutenant. Faut croire que ça l’aura animé davantage, car ses camarades m’ont dit qu’il était hier matin encore pis que la veille. Malgré les fusils des Bavarois, qui tiraient tous à la fois, il est entré le premier dans le jardin où je l’ai trouvé. Madame saura aussi qu’hier soir, à la nuit noire, ayant vu rentrer mon gars bien moulu mais point touché, et apprenant qu’il se fallait retirer de Loigny où ces gueux d’Allemands avaient mis le feu, je me suis faufilé où on croyait que devait être le 39e de M. André. Je trouve sa compagnie à Faverolles, un peu partout, mais lui, point. On me dit que l’on s’était vu battu déjà depuis deux heures de l’aprèsmidi, qu’il y a des masses de tués et que bien sûr il en est. J’en trouve des autres qui l’ont encore vu à midi dans le parc de Goury et ne m’en peuvent rien dire depuis. Mais madame m’excusera de tourner court ici, vu que ma jument a fini son picotin et qu’il me faut en profiter pour éloigner M. André pendant que je le puis. Je reprends ce soir de Coinces. Nous avons marché quatre heures pour six kilomètres, tant il y a de presse sur la route. M. André ne se trouve pas plus mal ; cette fois il est déchargé, un major l’a pansé, il a un matelas pour lui tout seul dans la salle où j’écris et me charge de dire ses amitiés. Même il a eu du bouillon chaud et va tâcher de dormir pour ne plus penser qu’on est battu. J’ai laissé l’histoire que je fais à madame à ce que les camarades de M. André ne l’avaient pas vu depuis cette affaire du château de Goury. Faut essayer quelque chose que je me dis, et je m’en retourne atteler ma jument afin d’être en position dans le cas où je trouverais son corps de le rapporter à madame. Je prends ma lanterne pas allumée et tout ce qu’il fallait. Par bonheur que la gelée permettait d’aller à travers champs ; sans cela, il n’y aurait jamais eu moyen d’arriver. Je coupe au droit sur Goury faisant crochet là seulement où on ne pouvait passer, et bien me tombait d’avoir été tout jeune berger à Lumeau et de savoir le pays par cœur. Si noir qu’il faisait, c’était déjà pas beau de faire rouler une carriole hier, dans cette contrée-là. On rencontrait des gens par terre et des chevaux morts plus souvent qu’on ne voulait ; il y avait des fusils, des roues et des obus, surtout des morts, restés entre Loigny qui achevait de brûler et Goury où j’allais. C’est en approchant de là que j’ai eu le plus d’ennui à cause des Allemands. J’avais été hélé en plein champ par une de leurs patrouilles, mais il n’y avait pas moyen que je comprisse leur maudit jargon, et ils m’avaient laissé aller après avoir fouillé la carriole et rien trouvé à leur goût, vu que j’avais caché les couvertures sous l’équipage et mis mon bidon entre ma blouse et mon tricot. En abordant le bois du château, voilà bien une autre affaire ! il y avait une sentinelle qui me couche avec son fusil. Je laisse ma bête en plan et je vas à l’Allemand. Je lui explique (faut que madame m’excuse, mais on se tire de là comme on peut et je n’avais aucune volonté de manquer de respect à la famille de madame), je lui explique que je cherche mon garçon qu’est peut-être bien tué, que je voudrais r’avoir son corps qui doit être en dedans du parc, et que je lui donnerai un napoléon d’or s’il me laisse passer. Madame sait sans doute que M. de Thieulin m’avait donné une forte somme pour les cas où son neveu serait à court d’espèces, c’est comme ça que je me suis trouvé en position de tenter cet Allemand qui était dans le fond, à ce que je crois, un brave homme. Il m’a laissé passer, et ma voiture, au petit bonheur. Ainsi j’ai atteint le mur de clôture où le carnage était quelque chose d’horrible. On glissait dans le sang que c’était une pitié. Je livre ma bête à sa sagesse, vu qu’il n’y avait pas moyen de la mener plus loin, et j’escalade. Madame me croira si elle veut, mais j’ai passé deux heures et le quart à chercher M. André sous les massifs, partout. Par bonheur encore qu’ils étaient las, les Allemands du château, et qu’ils s’en fiaient à leurs patrouilles et à leurs lignes de sentinelles pour les garder, car il me fallait bien avoir un peu de lumière et ma lanterne qui marchait à droite et à gauche aurait bien pu les intriguer. Ce qui a sauvé M. André d’être gelé est justement ce qui m’a fait tant peiner à le trouver : il était sous deux autres, à une place où il y avait sept corps en tout. Je crois que les batteries avaient porté là ; ça avait pourtant dû être un beau rond sablé avec des bancs à l’entour pour prendre le frais dans l’été. Quand j’ai trouvé M. André, il remuait bien tout seul, et travaillait à se dégager. Je pense qu’il avait été longtemps évanoui à cause qu’il avait eu, avant l’affaire de son genou, une forte entaille de baïonnette (toujours parce qu’il y allait de trop près, à mon avis), qui l’avait fait beaucoup saigner. Cela aussi va bien, et faut pas que madame s’inquiète ; d’ailleurs je n’ai plus aucun autre mal à annoncer à madame. Madame pensera que M. André a été content de me voir, seulement il était très contrarié était battu, et puis apprenant que j’avais la carriole, il voulait que je prenne aussi son officier qui était là près, pas tout à fait mort. Je voulais bien obliger M. André en tout ce qui était possible, mais cette chose-là ne se pouvait pas. Je m’inquiétais déjà de charger M. André sur mon dos et de passer le mur, et c’est le plus que j’ai pu faire comme la suite l’a prouvé. Je n’aurais jamais pu enlever cet officier qu’était un homme très-corpulent, un père de famille disait M. André. Enfin nous avons gagné la carriole et j’avais une fière peur de ne plus retrouver ma jument, puis M. André souffrait beaucoup porté comme cela, et je sentais en lui tâtant le pantalon, qu’il recommençait à saigner. Faut tout de même que je dise à madame que là et après il a eu un fameux courage, car madame peut croire que par les chemins qu’il m’a fallu suivre pour échapper il y avait des cahots à tout briser, Il pouvait se faire quatre heures du matin et nous devions nous trouver tout près de la route de Chartres quand j’ai pris confiance vu que nous étions un peu dehors des Allemands. Je tape à une métairie pour avoir de la paille à mettre sous M. André. Je tape et je parlemente longtemps, enfin un grand flandrin jette du grenier dans sa cour deux bottes de mauvaise paille, mais il ne me les veut passer que si je lui donne quarante sous. Je lui crie que c’est pour un blessé et qu’il est un juif fini, il ne veut pas entendre raison. Madame sent bien qu’on ne peut pas, quand on connaît le prix des choses, se laisser faire la loi comme ça. Voyant qu’il n’en voulait pas démordre, et le temps me pressant, j’ai passé par-dessus sa porte avec les pistolets tournants de M. André et je lui ai commandé d’abouler sa paille ou qu’il allait voir... À ce coup-ci il a marché, madame peut croire, et j’ai eu bien de la bonté de lui donner vingt sous. Des gens comme ça, c’est honteux. Madame trouvera avec la mienne une lettre que M. André lui a écrite le premier jour de la bataille et qu’il avait gardée sur lui. Il donnera lui-même bientôt des nouvelles à madame, car quand il aura du repos, j’ai bon espoir qu’il va vite se reprendre et c’est pour moi une besogne bien dure, par le manque d’habitude, que de me faire l’honneur d’écrire à madame. Pour l’instant, le plus pressé est de nous sortir de la bagarre, car on n’aura rien de bon à manger, ni de lit un peu propre, avant d’être en arrière de l’armée. Madame peut croire que je continuerai à faire de mon mieux pour M. André vu mon devoir pour sa famille et mon attachement pour lui. Mon gars ne me soucie pas trop pour l’instant parce que sa compagnie est des plus avant dans la retraite. Je prie madame de m’excuser et de me croire son serviteur pour la servir. Joseph Barbier. Madame, Nous voilà encore échappés, et comme qui dirait en paradis. M. André ne va pas plus mal, malgré les grandes fatigues et le froid, et quand j’aurai expliqué à madame le bonheur qui nous arrive, elle verra qu’elle peut maintenant être tranquille sur son compte. Mais il me paraît légitime, ayant du temps, de reprendre de plus haut. D’abord notre nuit n’a pas bien fini, à Coinces, où j’avais pu faire coucher M. André. Sur les cinq heures du matin, voilà une panique partout parce qu’on crie : L’ennemi ! l’ennemi ! Vivement j’attelle, je charge, et me voilà roulant à travers champs, car la route était si encombrée qu’on n’avançait autant dire pas. M. André souffrait plus que la veille, disait-il, et cela me faisait grand’pitié de cahoter tant que cela ce pauvre jeune monsieur ; souventes fois, je lui ai proposé de rester où nous étions, n’importe ce qui arriverait, lui assurant que pour moi, cela m’était parfaitement indifférent de me trouver prisonnier. Mais M. André avait grand courage, il me disait : « Roulez, Barbier, roulez, nous arriverons une fois, et je ne penserai plus au mal, au lieu que si vous me laissez prendre, ils m’emmèneront en Allemagne, et il n’y aura plus moyen de servir. » Madame comprend que je n’avais guère la tête à revoir M. André soldat, mais comme c’était son idée et que cela seul le maintenait, j’avançais tant vite que possible. Il faut dire à madame que j’étais au courant qu’une ambulance était établie à Ouzouer-le-Marché et que j’avais hâte que les pansements fussent refaits. Mais la question était qui y arriverait le plus tôt, de nous ou des autres, car le canon ne cessait pas une minute et personne ne résistait pour l’instant. Tout le monde se poussait sur la route et roulait comme un fleuve d’eau, une vraie débâcle, quoi ! Bien peu ont pu faire comme nous dans une pareille journée et attraper Ouzouer avant le soir, mais quand nous l’avons atteint j’aurais voulu le canon pour ne pas entendre comme M. André plaignait. C’était pourtant là que la chance allait nous revenir. J’arrête où je vois un grand drapeau qui n’est pas tricolore, madame doit savoir, et j’explique mon cas à un jeune homme qui se trouvait là. « De Vineuil ! qu’il me dit, lequel donc ? » et le voilà qui s’en vient regarder mon pauvre jeune maître qui faisait peine. M. André le reconnaît, il paraît que c’était un camarade, mais je ne peux pas écrire le nom à madame faute de savoir comment. Toujours est-il qu’il appelle du monde, qu’on me descend M. André avec bien de la douceur, qu’on le couche, le change et le restaure que c’était un plaisir et qu’il me semblait déjà le voir se reprendre un peu. Mais tout de suite, il nous est survenu de l’embrouille, parce que les jeunes messieurs voulaient garder M. André, et que lui se fâchait et criait : « Je veux m’en aller, je recommencerai d’ici huit jours, ainsi c’est pas le cas de me faire prendre. Vous voyez bien que l’ennemi sera ici dès demain, je ne veux pas qu’il m’y trouve. S’il le fallait, je repartirais bien maintenant. » Enfin M. André a fini de dire ses raisons, et les autres ont consenti. Le même soir, par la forte nuit, nous avons repris notre collier de misères, ce n’est que juste de le dire, et avec bien du regret de ma part, nous avons souhaité le bonsoir à ces braves messieurs. M. André n’osait plus se plaindre de la route, puisqu’il l’avait voulu faire. Tout de même, nous avons arrêté au bout d’une heure et demie à une ferme nommée l’Épronnière, où je n’ai pu avoir qu’une laide paillasse avec grand’peine et beaucoup d’argent. Au grand matin, nous sommes repartis, et il s’est trouvé que M. André avait pourtant eu raison, car les Allemands entraient à Ouzouer-le-Marché juste quand nous atteignions, avec deux lieues seulement d’avance sur eux, la forêt de Marchenoir. Je dirai à madame que nous avions une bonne petite espérance par devers nous. Les braves messieurs de l’ambulance étaient, nous avaient-ils dit, détachés du gros de leur troupe que nous devions rencontrer à Oucques, bien installés dans de belles salles et soignant le monde. Oucques est bien 10 kilomètres en arrière de la forêt de Marchenoir qu’on allait défendre, et si malheur arrivait encore là, il y avait toujours Vendôme plus loin derrière. À Oucques, M. André disait qu’il allait voir son grand ami M. Durand et bien d’autres. Ainsi s’est fait que cette route-là ne nous a pas tant coûté, et que, dès midi, nous étions rendus, ma jument avait son picotin, et M. André était dans le plus propre lit qu’il ait vu depuis Blois, me disait-il. Ce serait impossible d’imaginer un plus gentil monde que celui de cette ambulance-là. M. André aurait été leur proche parent que ça n’aurait pas été mieux et les autres malades disent que c’est tout pareil pour eux. Aussi je préviens madame, d’accord avec M. André, que je vas le laisser-là quelques jours pour m’en aller voir ce qui arrive à mon garçon, après quoi je m’en reviendrai. Je donne la journée à ma bête, qu’est quasi fourbue, et je m’en repartirai demain. On dit qu’on se bat tous les jours, et encore à plus d’une place chaque jour pour retarder l’ennemi. Cela m’a l’air que nous sommes bien malades, mais M. André n’est pas soumis à cette idée-là. Le chirurgien va bientôt lui permettre d’écrire de sa main à madame, et quand même, il y a ici assez de monde lettré pour dire à madame les nouvelles. Je demeure donc son très-dévoué serviteur, Joseph Barbier. Chère maman, Ce devrait être une complète joie de me retrouver ainsi, grand garçon et capable de vous écrire, mais j’ai beau m’en vouloir d’être si ingrat, je ne puis être joyeux. Ma guérison n’est plus qu’une affaire de temps (vous savez que je vous dis exactement la vérité), mais je ne puis prendre mon parti de notre désastre, non, je ne puis pas m’en consoler ! Vous dire les détresses d’une telle guerre ne se peut pas plus que les oublier. On est partagé entre la douleur et la rage. Chaque jour l’armée se bat, hier toute notre ligne a été attaquée à la fois, et notre centre a failli être percé à Villorceau. Sur tous les points nous avons tenu, et il paraît qu’on s’est admirablement conduit. Cela est une consolation, mais qu’il est dur, en un tel péril, de n’être bon à rien ! C’est un affreux loisir que celui que vous fait une blessure en de telles circonstances. Sous les armes, en marche, devant l’ennemi, l’action tue la pensée, on ne prévoit pas, on agit de son mieux, et voilà ! Penser et ne rien faire est odieux quand tout est si noir. Chère maman, pardonnez-moi, je devrais songer seulement que votre fils ressuscite et vous en complimenter ; d’ailleurs j’ai tant à vous dire de tous ces dévouements qui m’entourent ! Barbier qui m’a dix fois en six jours sauvé la vie, le personnel de l’ambulance, Mlle M..., sœur S..., Durand qui me comblent à qui mieux mieux, et enfin cette bonté de Dieu qui fait trouver tous ces secours sur ma route, voilà de quoi je devrais vous parler ! Durand arrive et me gronde de tant écrire, et je ne vous ai presque rien dit ! Adieu, puisqu’il le faut, chère maman, sœurs et frère, au revoir ! Les nôtres se sont bien battus, comme je vous le disais, à Cravant et à Villorceau, et pourtant notre ligne a reculé. Le prince Charles nous accable à force de troupes fraîches ; combien de jours encore les munitions et les hommes suffiront-ils ? On se le demande avec une anxiété poignante. Voici Beaugency occupé par les Allemands. Je ne le savais pas en vous écrivant avant-hier. Il y a eu confusion dans les ordres donnés, l’officier porteur des instructions du quartier général a été enlevé avant d’arriver au général Camô, qui, malade lui-même, très-découragé et se croyant aventuré dans Beaugency, a laissé ses jeunes troupes se débander. Cela est grave et triste. S’il nous fallait perdre ce sentiment que du moins nous faisons tout ce qui peut se demander à des hommes, c’est alors que nous serions bien bas, et que nous manquerait la seule consolation à nos désastres qui puisse être efficace. Quelques fuyards de Beaugency ont passé ici. On comprend en les entendant l’empoisonnement moral que de pareils misérables peuvent communiquer à un pays. Pour s’excuser de fuir, ils se croient obligés de représenter les maux plus grands encore qu’ils ne sont, et ainsi la terreur s’établit et gagne de proche en proche. Mieux vaudrait vous parler de ma jambe, chère maman ; c’est du moins quelque chose qui va bien. Je n’ai plus de fièvre et je suis maintenant à quatre quarts, ce qui signifie en langue vulgaire que j’ai permission de manger une portion entière. Le coup de baïonnette ne sera bientôt plus qu’un souvenir, et la plaie du genou, qui s’était mal trouvée du froid, reprend bonne façon depuis qu’on la panse au jus de citron. C’est, à ce qui paraît, le traitement qui réussit le mieux quand on craint la pourriture d’hôpital ; vous voyez que je me hâte de vous faire profiter de mes expériences. Qui sait, pauvre maman, si vous n’avez pas aussi vos blessés à l’heure qu’il est, et si l’avis de votre fils indigne ne vous sera pas bon à quelque chose ? Ce que j’apprends à connaître encore ici est le singulier attrait que peuvent exercer les malades. Cela m’explique des vocations que je n’avais jamais comprises. Quelle patience chez ces hommes ! qu’il est aisé de leur faire plaisir ! Si je n’étais soldat, je voudrais être infirmier. Nous avons ici beaucoup de fièvres typhoïdes, je sais l’histoire de l’une d’entre elles, je vais vous la dire, quoiqu’elle soit triste. Dès son établissement à Oucques, à la fin d’octobre, l’ambulance avait été envahie par des fiévreux. Le 7 novembre, un dragon nommé Pierredon y entra, et peu après un autre soldat du même régiment et presque du même pays. Pierredon avait une fièvre typhoïde bien caractérisée ; son camarade en fut quitte pour la peur, et aussitôt mieux, fut employé comme infirmier. Pendant ce temps-là, Pierredon allait de mal en pis, la poitrine se prenait, il demanda qu’on écrivît à ses parents, petits fermiers dans ce charmant pays de Villedieu dont vous vous souvenez sans doute, chère maman, nous l’avons traversé en allant à Saint-Lô et au mont Saint-Michel. D’après la lettre, ses parents devaient partir immédiatement pour le revoir. Le pauvre garçon avait mis tout son cœur à ce revoir. Son frère cadet avait été tué à Gravelotte ; s’il lui fallait mourir aussi, il ne resterait plus qu’un fils tout enfant à la maison. Comme aîné, il avait eu part à la direction de la ferme, et il s’en inquiétait beaucoup. Outre le désir de voir père ou mère, il avait la préoccupation constante des mille choses qu’il voulait dire et conseiller. On avait écrit le 30 novembre, et deux jours après le camarade infirmier fut renvoyé au pays, je ne sais plus pour quelle cause. En traversant Villedieu pour se rendre à son village, il entra chez les parents de Pierredon. Il trouva tout en l’air, la mère allait partir on se hâtait, et avec quelle douleur, vous le pouvez comprendre. L’ex-infirmier fut ému de la vue de ce chagrin ; et par bon cœur, et par bêtise aussi, il imagina de les consoler en leur disant que leur fils allait beaucoup mieux quand il l’avait quitté, que rien ne pressait de l’aller voir, et que mieux vaudrait attendre quelques jours pour partir ; qui sait ? on pourrait peut-être le ramener. Le mari crut cela et contraignit sa femme à rester. Le 8 décembre, le jeune Pierredon mourut. Pauvre garçon ! Vous vous rappelez que j’étais arrivé le 6 avec Barbier, on m’avait mis dans la même salle, et toute la journée du 7 je remarquais ce pauvre être qui n’avait plus que le souffle et qui tenait obstinément ses yeux fixés sur la porte. Chaque fois qu’elle s’ouvrait, l’intensité de son attente ramenait un peu de vie dans ses yeux, chaque fois que l’indifférent était entré, la lueur s’éteignait, et l’on voyait que la mort avait fait encore un pas. Je ne connaissais alors rien de son histoire, mais je devinais son angoisse, et j’avais fini comme lui et pour lui, par attendre quelqu’un par cette porte. Il est donc mort il y a trois jours, le 8. Ce matin, j’entends plus de bruit qu’à l’ordinaire dans la pièce à côté, ce nom de Pierredon plusieurs fois répété, la porte finit par s’ouvrir, et Mlle M... entre, soutenant sous le bras une grosse paysanne enveloppée dans sa grande mante noire et pleurant, pleurant à flots. « C’est là qu’il était, » lui dit doucement Mlle M... en lui montrant le lit. Elle la fit asseoir auprès, sur une chaise, et la quitta, car trois voitures chargées de blessés du combat nocturne d’Origny arrivaient, et il fallait caser tout ce monde. La pauvre femme s’affaissa sur sa chaise et, cachant son visage, pleura et gémit longtemps tout haut. Peu à peu elle nous dit ce que je viens de vous abréger, et qu’enfin elle avait tant supplié le père qu’il l’avait laissée partir — trop tard — le 7 seulement. Avec la désorganisation actuelle de tous les moyens de transports, il lui avait fallu quatre jours pour arriver. Elle nous conta le premier deuil du fils tué à Gravelotte, et comment le père et elle étaient convenus de ne pas se plaindre du bon Dieu tant qu’il leur laisserait cet aîné. Pour cet aîné, trois mois avant la guerre, ils avaient loué une nouvelle ferme ; au moment où il allait se marier et s’y établir, il avait été rappelé comme ancien soldat. Elle nous dit le chagrin qu’il s’en était fait, toutes les misères qu’il avait endurées sans seulement voir l’ennemi, et comment c’était bien sûr l’usement, disait-elle, du souci et des privations qui avait miné son garçon, un si fort ouvrier pourtant ! Et les sanglots de recommencer. Nous avons essayé de consoler la pauvre femme, et quand on a apporté sur le lit de son fils un malheureux petit mobile bon à amputer, elle est partie pour recommencer son voyage solitaire et dire elle-même à l’arrivée, au vieux père, qu’il est mort aussi son aîné ! Allons, chère maman, si ma lettre n’est pas gaie, du moins verrez-vous à sa longueur que les quatre quarts me réussissent et que mes lignes ne sont plus rationnées. Il y a trop longtemps que je n’ai eu de vos nouvelles ; je ne sais rien non plus de Maurice ; il a du se trouver de cette sortie sur Champigny. Chère maman, Un mot pour que vous ne me cherchiez plus ici ; l’ordre arrive d’évacuer immédiatement l’ambulance, l’armée se retire sur Vendôme. Des cacolets et des charrettes sont envoyés pour nous transporter, ceci me fait espérer qu’il ne s’agit pas d’une vraie déroute. On s’est battu tous les jours, rien d’étonnant qu’on soit à bout. Chaque lieue de terrain cédé reste couverte de morts ; être vaincu malgré cela, c’est bien dur. Nous partons dans une heure, peut-être plus tôt, car la fusillade éclate à l’instant derrière la maison de l’école, et cela va activer l’empaquetage des malades. Il fait un froid aigre et noir que l’on redoute pour plusieurs d’entre eux ; mais je ne suis pas de ceux-là et je ne risque rien dans mes couvertures. Chère mère, adieu... Sachez que je vous aime de toute mon âme. Souhaitez-moi de guérir à temps pour recommencer... Barbier n’a pas reparu. Un mobile de Loir-et-Cher arrivé hier soir croit son fils prisonnier. Adieu, adieu à tous !... Nous arrivons seulement, ma chère sœur. Quelle entreprise qu’un voyage en temps de guerre et par ce froid ! Je me reconnais de moins en moins. On nous avait conseillé, à Bonneval, de ne nous aventurer que le plus tard possible dans la zone laissée libre entre les deux armées. Dans l’impossibilité de savoir exactement sur quel point, avant celui de Chevilly dont nous avions des nouvelles directes, nous trouverions les cantonnements français, mieux valait se tenir en dedans des lignes allemandes. Nous n’avons donc pris le plus long, un chemin qui remonte de Bonneval à Neuvy-en-Dumois, puis à Allaines, où l’on rejoint la grande route de Chartres à Orléans. Le départ s’est bien effectué, quoiqu’au moment de quitter Thieulin l’attendrissement des domestiques qui s’effrayaient d’être ainsi laissés seuls m’ait gagné plus que je ne l’aurais voulu. Qui sait, lorsqu’on se quitte en une année pareille, si l’on se reverra ? et comment ? Enfin j’ai laissé les clefs aux caves et recommandé de ne point irriter les occupants s’il en survenait. Mieux vaut la cave vide que notre vieux Thieulin brûlé. De Bonneval à Neuvy, la route nous a semblé déserte ; on aurait dit que personne n’était pressé de se montrer, et l’unique bruit de nos seules roues sur le macadam gelé avait fini par me paraître lamentable. J’ai presque regretté mon grand courage en voyant comme il avait peu d’imitateurs. Les rosses louées à grand’peine à Bonneval ne remplaçaient pas nos deux belles bêtes emmenées l’autre semaine ; tout ce qu’elles ont pu faire le 29 a été d’atteindre à la nuit un tout petit village qui n’est même pas sur la route Viabon, où nous avons couché. Heureusement que les postes prussiens semblaient s’inquiéter fort peu de nous ; on n’a demandé nos papiers qu’une fois dans toute la journée, en entrant à Neuvy. Je crois que nous sommes jugés à première vue et bien vite qualifiés : gens inoffensifs. Ce matin, dès sept heures, il a fallu quitter notre gîte ; à peine voyait-on pour se conduire, tant le brouillard était épais. Et nos pauvres soldats qui couchent par des temps pareils sur la terre nue ! Nos ennemis ne semblent pas en souffrir, et leur air bien portant et reposé me donne sur les nerfs. Comment fait-on ? ou comment font-ils ? Est-ce la gloire des chefs ou celle des soldats ? Question qu’il faudrait étudier et résoudre pour notre propre enseignement. Je ne puis pas me reprocher d’avoir souhaité la réalité d’un rhumatisme ou d’une bronchite à aucun des soldats que j’ai aperçus aujourd’hui ; mais leur bon état en général irrite, et en général aussi on souhaite une diffusion de grippes et une pluie d’entorses sur cette armée. C’est méchant, mais patriotique ; ce serait pour la nôtre une chance de salut. On ne rencontre point de villages jusqu’à la grande route, de sorte que nous n’avons pu avoir d’aucun Français l’explication des mouvements de troupes que nous remarquions. Personne n’a semblé se soucier de nous jusqu’à Allaines, où il a fallu subir un interrogatoire en règle de la part d’un sous-officier. Là nous nous sommes aperçus qu’on approchait des lignes d’avant-postes. Si le laisser-passer n’avait été parfaitement explicite, on nous retenait même à l’auberge, car notre demande d’aller de l’avant contrariait évidemment ces grossiers personnages. On nous a gardés deux heures en suspens. Ne pouvant résister au tabac allemand, j’avais gagné une borne de la rue et m’y étais assise un instant. Le cocher est parvenu à me rejoindre et m’a chuchoté qu’un combat avait eu lieu l’avant-veille près de Beaune-la-Rolande et un autre hier près de Châteaudun ; dans une maison voisine se trouvaient même des blessés ramenés de la première affaire. Quoique ce pauvre Châteaudun ne fût pas dans notre direction, ce renseignement m’a effrayée beaucoup ; j’ai eu une soudaine vision de fusils français à droite, de fusils prussiens à gauche et de nous mêmes au beau milieu, qui m’a rendu les jambes un peu tremblantes. Je suis rentrée au poste pour supplier Adolphe de retourner, mais notre affaire venait justement de s’arranger. Pour concilier la prudence, disaient-ils, avec le respect dû à notre laisser-passer, les officiers décidaient que deux Prussiens monteraient sur le siège et nous conduiraient hors de la ligne des avant-postes. Notre cocher se mit dans l’intérieur avec nous, et il fallut promettre de laisser les volets de bois du coupé hermétiquement fermés dès que l’ordre nous en serait donné. Ainsi fut fait. Deux grands gaillards blonds, et souriants de leur mission, ont escaladé le siége, et nous sommes partis. La pensée qu’on allait peut-être bientôt nous condamner aux ténèbres nous excitait à regarder de tous côtés avec un intérêt d’autant plus grand. Jamais je n’ai vu tant d’hommes blonds de ma vie. Nos conducteurs refusèrent de nous dire à quel corps ils appartenaient, mais j’avais lu, à Allaines, un ordre en allemand affiché dans la salle d’auberge, et nous savions qu’ils étaient Hessois du 22e corps, général von Wittich. Nous n’avions certainement pas fait deux kilomètres sur la route d’Orléans que la voiture s’arrêta. Nos volets furent levés, les trèfles à jour même bouchés avec quelques chiffons sales, et l’obscurité parut complète. Nos Hessois avaient cependant eu soin, pour prévenir l’asphyxie, de baisser à demi la glace de devant du coupé. Le siège, et leurs personnes dessus, devaient empêcher que nous pussions rien apercevoir par là, mais ils n’avaient pas encore tout calculé ; car avec un mince filet d’air frais nous arrivaient aussi les sons extérieurs, et il nous fut bientôt aisé de deviner que nous traversions une foule rassemblée. Les pas réguliers, les chocs d’armes, un murmure sourd, nous le disaient. Au bout d’un quart d’heure, nous sentîmes que la voiture quittait la route ; j’eus un redoublement de frayeur, mais Adolphe me fit remarquer que, quoique dans les champs, nous suivions probablement encore la même direction, car nos roues faisant moins de bruit, nous entendions distinctement une quantité de chevaux au pas régulier. Ce devait être un défilé de cavalerie dont notre voiture eût troublé l’ordre. « Nous arriverons peut-être pour une bataille, » m’a dit Adolphe avec son air calme. Depuis cette malheureuse parole, je n’ai pu penser à autre chose. Enfin, après une heure et demie de ténèbres, quand nous avions déjà regagné la chaussée depuis quelque temps, nos Allemands ouvrirent la portière, rendirent le fouet au cocher, et, après avoir reçu leur pourboire, nous laissèrent libres. Dès le second tour de roue, nos deux têtes se penchaient au dehors, espérant percer le mystère, mais les coquins avaient eu soin de nous arrêter après un pli de terrain : impossible de rien découvrir, si ce n’est eux-mêmes se hâtant de rejoindre leurs camarades. La première borne kilométrique que nous rencontrâmes portait le chiffre 23 ; nous étions à près de six lieues d’Orléans, trois lieues de Chevilly. Nous oubliâmes bientôt nos Hessois à la vue des cadavres de chevaux et des débris de toutes sortes qui jonchaient cette partie de la route. Je ne connais rien de lamentable comme un cheval mort ; ce cou roidi, étendu par terre et qui semble démesurément allongé ; ces gros yeux vitreux, et je ne sais quoi de résigné, de réellement victime dans toute l’attitude, me cause une pitié toute particulière. Plus loin, ces cadavres de chevaux s’apercevaient jusqu’au milieu des champs, à droite et à gauche ; il devait y avoir eu là quelque engagement. Des blessures toutes fraîches visibles sur l’un d’eux tombé sur la route même, me firent penser que l’engagement avait été récent. Il n’était plus temps de reculer : le danger, si danger il y avait pour nous, était plus grand en arrière qu’en avant ; Adolphe ordonna de fouetter nos pauvres bêtes fatiguées, mais nous restâmes longtemps silencieux. Ce fut près d’Artenay que les premières grand’gardes françaises vinrent nous reconnaître. Je regrette de n’avoir pas demandé son nom à l’officier qui nous questionna. Il me semble que j’aurais toute ma vie du plaisir à le retrouver et à lui rendre service en souvenir de la joie que son pur accent gascon m’a causée. Il rit beaucoup de la malice allemande qui nous avait condamnés aux ténèbres et ne parut pas fort ému de nos assertions qu’une très-nombreuse troupe était en marche derrière nous. « Je sais, je sais, » dit-il ; mais évidemment il ne savait pas, car il me nomma comme devant se trouver entre Chartres et Orléans un corps de Bavarois quelconque, tandis que nous lui répétâmes à qui mieux mieux que les troupes que nous avions dépassées étaient hessoises et sous les ordres du général von Wittich. D’Artenay à Chevilly, passage triomphal. Français à droite, Français à gauche, canons français, chevaux français, drapeaux français, et, il faut bien le dire, débraillé français, mais qu’importe ? et d’ailleurs je crois que la mauvaise tenue de nos mobiles n’est pas sans excuse. C’est le 15e corps, général Martin des Pallières, qui occupe Chevilly ; on le dit homme de valeur ; espérons qu’il saura se bien garder. Le jour tombait quand nous avons traversé le village ; l’aspect en était assez triste ; les haillons des soldats se voyaient à la lueur des feux ; on abattait des vaches en pleine rue ; je me demande si ce sont ces vaches-là qui auront fait le souper de ce soir. Le Bocage est à un kilomètre du village ; on traverse des bois pour l’atteindre. Nous vîmes un grand nombre de jeunes arbres sciés à ras du sol ; des débris de bestiaux, du foin, mille vilaines choses jonchaient la route. Impossible de t’exprimer le sinistre de ce grand château dans sa solitude absolue. Pas une lumière ne brillait aux fenêtres ; la grille était ouverte ; le bruit de nos roues n’amena personne, pas même un chien. Adolphe frappa à la porte du vestibule, puis à celle de la cuisine qui fut ouverte par Roland lui-même. La foudre serait tombée à ses pieds, en notre lieu et place, que le pauvre garçon n’eût pas paru plus surpris ni plus atterré. « Tu ne nous attendais donc pas ? lui a dit Adolphe, ne m’as-tu pas demandé il y a quinze jours ? — Dans ce temps-là, je ne vous faisais courir aucun danger ! — En vois-tu maintenant ? » — Vous ne savez donc pas que les ordres de marche sont donnés ? il y aura bataille dès demain, et le quartier général est à Chevilly même ! C’est affreux ! Et ma tante avec vous !... Quand j’ai eu la faiblesse de vous parler de ma détresse morale et matérielle, je n’avais jamais pensé que ma tante voulût... osât... C’est affreux !... » Le pauvre garçon me parut si malheureux qu’un grand courage (celui du désespoir peut-être) me vint au cœur : « S’il y a bataille, Roland, eh bien, nous serons ensemble. Laissez-nous entrer et ne vous faites pas trop de chagrin. » C’était héroïque, n’est-ce pas ? Cela a remonté un peu mes deux pauvres hommes ; mais pour moi, je ne suis pas, au fond, remontée du tout. Qu’allions-nous faire dans cette galère ! Je me sens trop effrayée pour dormir et je vais t’écrire encore, en l’abrégeant beaucoup, le récit que Roland nous a fait au dîner. Sa situation, à l’isolement près, avait été passable jusqu’au 9 novembre, jour de la bataille de Coulmiers. Il avait logé des soldats disciplinés, des officiers instruits ; on avait, il est vrai, bu son vin, pris son foin, porté ses habits, mais tout cela s’était fait avec ordre et même avec certains égards. Si pillé qu’il fut, Roland trouvait moyen d’être content et d’excuser l’armée prussienne. Cela changea avec la fortune, dès le soir même de Coulmiers. Cinq mille Bavarois, en se retirant, lui arrivèrent à la fois ; ils se logèrent au château, dans les fermes et les étables. Ne trouvant plus de bois à brûler, ils arrachèrent les volets, scièrent les arbres du parc et brisèrent les chaises pour avoir de quoi faire flamber ce bois vert. Il fallut trois cents moutons pour un seul repas, et tout ce troupeau fui égorgé et dépouillé devant le château, sur la neige, qui resta rouge pendant bien des jours. Le lendemain, les Allemands partirent, mais avec tous les chevaux, toutes les vaches, toute la volaille, toute la farine des deux fermes ; cela était-il un des droits de la guerre ? je ne le sais. Ce qui ne l’était certainement pas, c’était l’enlèvement, de meubles et d’objets qui ne pouvaient leur servir en campagne. La rafle la plus complète avait été faite en un tour de main. Quand, à dix heures du matin, le dernier Allemand eut disparu du côté du village, Roland et ses deux fermiers se regardèrent consternés ; puis, sans mot dire, chacun s’en alla faire la visite de son logis espérant au fond du cœur que ceci ou cela aurait échappé ; mais non, il n’y avait plus rien chez aucun d’eux. Pas une pièce de linge, pas un couvert, même de fer battu, pas un morceau de pain, pas une bouteille de vin, pas un vêtement de rechange. Les meubles avaient été enlevés ; les portes et les armoires étaient en pièces ou brûlées ; même des matelas avaient alimenté le feu. La femme d’un des fermiers proposa d’attraper pour s’en nourrir une poule qui, picorant aux champs avec quelques autres, avait échappé ; personne n’eut le courage de dire oui. Seulement, le soir, ils s’assirent ensemble, pauvres épaves du désastre, pour manger des haricots sans sel avec du pain apporté du village. Les jours suivants, chacun travailla à se reconstituer un petit intérieur. Je puis juger de celui de Roland et je n’ai pas de peine à comprendre qu’il soit tombé malade de dénûment et de chagrin. Quoique trois semaines se soient écoulées depuis la soirée de Coulmiers et qu’Orléans lui ait été ouvert, il ne possède que deux couverts de Ruolz et mange à la cuisine pour n’allumer qu’un feu. La crainte de voir reparaître l’ennemi et d’être pillé de nouveau a ôté à chacun l’envie de regarnir son logis, même des choses généralement appelées indispensables. On se contente de vivre, et l’on attend. La farine est cachée par petites quantités en plusieurs endroits différents ainsi que quelques morceaux de lard, et, ce qui peint pourtant l’homme civilisé, Roland a mis dans la cachette supposée la meilleure, une bouteille d’encre. Il est vêtu d’un grand caban qui lui donne l’air d’un chartreux, et a vieilli de dix ans. C’est pour se libérer plus tôt envers les marchands d’argent auxquels force avait été de s’adresser pour acquitter les contributions de guerre du village, qu’il avait appelé son oncle à son aide. Il avait répondu pour les uns et pour les autres ; dans l’impossibilité de dégager sa signature aussitôt qu’il l’avait espéré, sa tête excitée par tant d’émotions s’était montée, et il avait demandé à Adolphe des conseils et des fonds pour arranger ses affaires. Chère sœur, j’écris, j’écris toujours pour ne pas penser à ce qui nous attend peut-être demain, car l’illusion n’est plus permise ; si les nôtres cèdent, nous serons des premiers à recevoir le flot de l’ennemi encore combattant ! Ce château se prête merveilleusement à la défense... Chère sœur, te reverrons-nous jamais ?... du moins que tu revoies ton fils !... Mon Dieu, prends-nous en pitié, protége-nous, aide-nous ! Quoi qu’il arrive, mets nos cœurs à la hauteur de l’épreuve ! Roland disait vrai ! réelle bataille ou combat, le canon s’est fait entendre dès dix heures de malin sur notre gauche, — là où doit se trouver ton fils, pauvre femme ! — et il n’a pas encore cessé. Des combles, on aperçoit, toujours à gauche, des lueurs rouges et de la fumée ; on pense que ce sont des fermes qui brûlent. Eh bien, je n’ai plus peur, seulement une grande angoisse, comme une étreinte qui me tient le dos et la gorge. Ce canon, qui semble parfois se rapprocher tout à coup, ne cessera-t-il pas ? Nous détachons les rideaux de coutil du rez-de- chaussée pour faire des bandes, ces messieurs montent eux-mêmes de l’eau au grenier pour remplir tout ce qu’on possède de tonneaux afin d’être prêts en cas d’incendie. Je supplie les fermières de pétrir toutes deux, m’engageant à payer la cuite en cas de prise. Il faudra bien avoir du pain si l’on amène des blessés. Adolphe me trouve très-brave et m’embrasse en passant. Il me demandait pardon tout à l’heure de m’avoir laissée venir, mais je l’ai vite fait taire. Je ne me sens pas assez ferme pour que la pensée de ce cher Thieulin, où nous pourrions être à cette heure si tranquilles, ne soit pas un danger pour moi : nous nous attendrirons plus tard. Heureusement que j’ai fort à faire, puis ce pauvre Roland semble si soulagé de nous avoir ! Quatre heures du soir. Nous ne pouvions plus supporter notre ignorance du sort du combat. À gauche la canonnade s’était éloignée, ce qui semblait bon signe, mais on entendait quelques coups dans la direction de Chartres. Nous sommes allés tous trois aux nouvelles jusqu’au village. D’ailleurs il fallait absolument nous approvisionner si cela était encore possible, et nous mettre en mesure d’être bons à quelque chose. Avant de partir, nous avons jonché les chambres de matelas, et étendu en guise de draps absents les rideaux d’été dont, par bonheur, la provision est restée intacte ; mais nous n’avions pas de couvertures, pas de linges à pansement, aucun cordial, pas de viande, à peine du bois, et le froid est intense. Nous nous serions reproché ce dénûment si des blessés nous étaient arrivés. Nous avons trouvé Chevilly encombré, beaucoup de voitures, encore plus de soldats semblant flâner. On disait que nous avions l’avantage, mais je soupçonne fort les donneurs de nouvelles de n’en pas savoir grand’chose. Quoi qu’il en soit, cela modifie toutes les idées qu’on s’était fait de la guerre, de voir comment elle se pratique. On compte, dit-on, balayer demain la route de Chartres ; n’y a-t-il rien à faire pour cela dès aujourd’hui ? Et puis ce canon qui tonne encore par moments, n’est-ce pas le cas d’y courir ? Point du tout. Ce monde militaire a l’air de vivre de ses rentes. On fume, on se chauffe, on boit. Adolphe assure que cela ne peut se passer autrement, que chacun attend son tour. Je le veux bien, mais au moins chacun devrait-il avoir un peu plus l’air de songer à ce qui se passe. Enfin avec mille peines et beaucoup d’argent nous avons collectionné à peu près le nécessaire. Je dis collectionné, car il nous a fallu aller de maison en maison découvrir ce qui nous pouvait servir, puis décider les propriétaires à s’en séparer. Au fond la confiance en la victoire de nos troupes n’est pas complète, certaines gens préfèrent se sentir quelque argent en poche, à garder du linge ou des vivres faciles à piller par les Allemands ; mais on n’est pas Beauceron pour rien, et quand on fait le commerce c’est toujours du commerce. Enfin nous avons glané de quoi charger une charrette, et les grandes pièces vides du Bocage n’ont plus autant l’air désolé. Même jour, dix heures du soir. Voici le petit docteur à qui j’avais demandé de venir inspecter nos arrangements, qui arrive rayonnant. « Notre gauche a complètement enfoncé l’ennemi. Et il y a mieux encore : grande victoire sous Paris, le général Ducrot a percé les lignes ennemies, il marche vers l’armée de la Loire ! La nouvelle arrive à l’instant, de Tours, au général même, elle est positive. » Que Dieu soit mille fois béni ! Que ce serait beau, la France sauvée et nous aussi ! 2 décembre. Le canon tonne, tonne sans relâche. Ce ne sont plus des coups isolés comme hier, c’est le roulement continu et immense d’un tonnerre tout proche de nous. Il le faut sans doute, puisque Ducrot, puis Paris nous attendent... Pourquoi ce canon de la délivrance ne sait-il pas prendre un son moins lugubre ? On a beau faire ; malgré l’espérance, son grondement est sinistre. Il est midi. Combien de coups ont déjà porté ? Français ou Allemands, combien fauchés par les boulets ou déchirés par les obus ? On tire à gauche et aussi au nord, c’est sans doute l’attaque sur la route de Chartres. Vit-il encore l’officier gascon qui riait avant-hier des malices allemandes ? Pauvre femme à qui j’écris, je veillerai du moins à ce que ma lettre ne te porte pas l’angoisse du sort de ton fils avant que je n’en aie reçu de nouvelles. On me dit que nos préparatifs ne serviront de rien ; tant mieux. Et pourtant j’y travaille toujours, il me semble découvrir à chaque instant un petit progrès possible, quelque arrangement meilleur. Et puis, comment tenir en place ? Même jour, six heures du soir. Oh ! ce canon, cet affreux canon ne cessera-t-il donc jamais ? Tout à l’heure un bruit nouveau, strident, rauque, nous arrivait du nord. On croit que c’était le son des mitrailleuses. Du même côté, nous apercevons depuis les combles deux incendies peu considérables. Plus à gauche et plus loin, un feu immense rougit le ciel. On ne peut savoir quel village brûle, mais ce doit être un village entier. Il faudrait ne plus penser à cela, franchir ces horreurs, pour atteindre à la joie de la victoire. La sortie de Ducrot est confirmée. Quel élan cela ne va-t-il pas donner à tous ! Sedan et Metz seront oubliés, l’Est se retrouvera le pays guerrier des anciens jours et se chargera de troubler quelque peu le retour de messieurs les Allemands. En attendant, la canonnade a cessé ; on croyait distinguer tout à l’heure un bruit de fusillade, mais cela doit être une erreur. Nuit du 2 au 3 décembre. Impossible de dormir, je reviens à ma lettre, qui prend les proportions d’un journal. J’ai su que le général en chef, qui est à Chevilly depuis ce matin, est très-content. Seulement il ne communique aucune nouvelle. Il en faudrait bien, pourtant, pour contrebalancer l’effet des méchants bruits que l’on fait courir (probablement l’ennemi lui-même) pour amener une panique. Le piéton de la poste a passé ce soir ; il affirme qu’il n’a pu entrer à Artenay, que les Prussiens entouraient le village, les nôtres tenaient bon, retranchés dans les maisons. « Faites attention à vos paroles, lui ai-je dit, vous pourriez faire croire que nous sommes battus, et personne n’a vu un fuyard. — Excusez, madame, m’a-t-il répondu, il y en a tout plein déjà à Chevilly. » Et comme je répétais : « Ce n’est pas possible, » l’homme est parti grommelant et disant : — Vous le croirez peut-être quand vous y serez. » J’ai recommandé à Roland de se souvenir plus tard du rôle joué par cet homme. Et pourtant, s’il a dit vrai ? Il est affreux de passer encore une nuit dans une pareille incertitude. 3 décembre, Il ne faisait pas encore jour ce matin, quand un coup de pistolet a retenti sous ma fenêtre. Je me suis hâtée, mais quand j’entrai dans la cuisine, Adolphe et Roland y étaient déjà, guidant vers la chambre la plus proche deux hommes à grosses bottes qui en portaient un troisième. J’ai lu sur les visages ce que tu sais déjà, ma pauvre chère sœur, la défaite, la déroute, le dernier coup enfin ! Le blessé était un officier ; ses deux hommes avaient eu mille peines à le maintenir sur son cheval, passant dans leur fuite devant une grande maison, ils s’étaient servis de leurs pistolets pour appeler, leur officier n’en reviendrait pas ; maintenant qu’il était soigné, ils pouvaient prendre le large. « Son nom ? » a dit Adolphe, et il l’a écrit. Je n’aurais pas songé à cela. Je lavais avec de l’eau tiède la pauvre figure mourante de notre hôte, qui ne parlait pas, ne gémissait même pas, et tandis que ma main allait de la cuvette au visage blême, un mot, tout seul, tintait constamment à mes oreilles, et tout ce que j’avais de pensée était tendu à l’écouter : Vaincus ! vaincus ! vaincus encore ! Je crois qu’Adolphe disait qu’une balle à la tête avait amené un épanchement dans le cerveau et que l’officier ne devait déjà plus souffrir, quand la pièce s’est trouvée soudainement remplie de lignards et de mobiles, en même temps qu’une vive fusillade éclatait dans le lointain, probablement sur la gauche d’Artenay. Inspection faite des nouveaux venus, il s’en est trouvé peu de blessés, trois seulement, les autres n’avaient d’autre mal que l’épuisement du jeûne et l’excès de la fatigue. J’ai eu un moment de bonheur en coupant à ceux-là mes pains, en leur versant le café préparé pour nous. « Vous aurez même de la viande tout à l’heure, » ai-je dit avec un peu de fierté : « on va vous l’apprêter. » « Merci beaucoup, madame, a dit en excellent français un tout jeune petit soldat, nous n’avons pas le loisir d’attendre, je pense que l’ennemi sera ici avant peu. Allons, camarades ! encore un effort ! « Oui-dà ! j’en ai assez, moi, des efforts ! répondit l’un, l’auberge est bonne, j’y reste. » « Je n’ai pas d’opposition à ce que tu t’en ailles, hé ! le petit ! » dit un autre. « T’a pas eu les pieds gelés, toi ! » Mais trois des affamés se levèrent, et quoique lorgnant mes grosses miches, s’allèrent placer près du petit mobile. « Où allez-vous ? » dis-je. « À Orléans, madame. Nous retrouverons sans doute des camarades ; on va au moins défendre la ville. » « Vous êtes engagé volontaire ? demandai-je. Il rougit jusqu’aux tempes, peut-être de ce que je le jugeais trop jeune pour avoir été appelé au service. « Oui, madame, répondit-il doucement, et naturellement je veux me battre. » Il reprit son fusil, un vieil instrument aussi lourd que lui, et comprenant mon regard de surprise : « La moitié seulement de ma compagnie avait des chassepots, » ajouta-t-il. J’ai donné à chacun des partants un morceau de pain et très-peu de saucisson, car il faut être économe. Les deux hommes qui voulaient rester se sont enfin décidés à les suivre. « Vous voyez ce que fait l’exemple, » ai-je dit tout bas à mon petit engagé ; il a encore rougi et s’est esquivé. Que Dieu le garde ! Même jour, après midi. Tout notre monde a eu sa pitance, on peut donc respirer. Nous comptons vingt-huit hommes au lit en ce moment et une dizaine qui peuvent aller et venir. Je ne sais combien d’autres ont passé s’échappant ; ils ont eu du vin et un peu de pain. L’officier est mort, mort aussi un mobile qui avait une artère coupée, l’hémorrhagie n’a pu être arrêtée à temps. Quels vides se feront encore avant la nuit ? Tu le sais, ô Dieu ! et tu sais aussi de quel cœur je te bénis pour nous avoir amenés ici. Moi qui murmurais, moi qui craignais, quand le vieux ménage allait justement trouver sa tâche et la seule consolation à son deuil ! La fusillade ne cesse pas, elle nous entoure, mais nous n’avons plus de pensées pour elle, le canon a recommencé, et près que deux carreaux viennent de voler en éclats. Je ne sais comment nous ferons, si tous y passent, pour empêcher nos pauvres gens de geler. Les volets ont été brûlés et les rideaux servent de draps ou de couvertures. J’ai été interrompue par un pauvre garçon qui délirait. Il se croyait chez lui et balbutiait mille tendresses aux siens. Il dit qu’il est si bien, si heureux, si bien couché. Au reste, c’est l’extase de chacun que ce seul matelas que nous lui accordons. L’opération de la mise au lit amène chez tous, pour un instant plus ou moins long, la même béatitude d’expression. Il y a un moment fugitif de ravissement que la souffrance chasse trop tôt, mais qu’il est infiniment doux de saisir sur ces visages. Il nous faudrait un médecin, un chirurgien, quelqu’un enfin qui osât. Nous ne pouvons qu’adoucir les maux. J’ai voulu faire chercher le petit docteur, mais la traversée d’ici à Chevilly n’est plus possible ; on tire tout autour de nous, et des balles perdues ont déjà frappé des ardoises du toit. D’ailleurs il doit être encore plus nécessaire au village. Même jour, dix heures du soir. J’étais à la cuisine contemplant le fourneau en pleine activité et toute fière d’avoir de quoi faire souper mon nombre de blessés, porté à trente-trois par un nouvel arrivage, je me demandais seulement comment nous ferions pour demain, quand un petit cri d’effroi d’une de mes aides me fit retourner brusquement. C’étaient les Prussiens, ou plutôt les Hessois, l’ennemi enfin. Eh bien, cela ne m’a fait aucune émotion, explique cela comme tu pourras. Je pense que j’étais trop absorbée par la question de l’approvisionnement. Un grand officier roux, descendu de cheval, demandait : « Le maître du château ? nous voulons manger vite. » Il appela ses hommes qui remplissaient la cour, cinq ou six entrèrent. « Nehmet ! » prenez ! dit-il sans plus de façon en montrant la marmite. Mais j’étais là. J’ai protégé ma marmite d’un geste énergique de ma cuillère à pot et prenant, moi aussi, sans plus de façons que lui-même n’en faisait, la manche de l’officier, je l’ai mené bon gré mal gré dans mes chambres du rez-de-chaussée : « Autant encore en haut, lui ai-je dit avec un signe, ils sont tous blessés, je n’ai pas autre chose pour eux que ce repas, je ne peux pas le laisser prendre. » Adolphe m’avait rejoint, il a offert un baril de vin. L’officier hésitait, et ses gaillards n’avaient pas perdu de vue ma marmite. J’ai eu une inspiration, j’ai coupé un très-joli morceau de pain et l’ai offert à l’officier sur une assiette : il avait certainement faim, car il n’a pas fait l’ombre d’une cérémonie et mordant dans ce pain : Donnez votre vin, a-t-il dit, schnell, schnell. Le chef ayant mangé, plus ne fut question de l’appétit des subordonnés, et je dois avouer qu’ils se soumirent admirablement. Par exemple, la pièce de vin y passa presque entière. Le commandant appela un officier plus jeune qui parlait couramment le français pour nous demander où se pourraient trouver des vivres ? — Nous n’en savons rien. — Des blessés allemands seraient-ils en sûreté chez vous jusqu’à ce qu’Orléans soit pris ? — Oui, certes ! — Et c’était de bon cœur, mais que cette assurance de victoire faisait mal ! « Seulement, il nous faudrait un chirurgien, ajouta Adolphe, depuis ce matin nous avons fait nous-mêmes tous les pansements. » L’officier est remonté à cheval et a salué, — très-peu ; — peut-être pensait-il à ma marmite ; la troupe est partie du côté du nord, probablement vers ses vivres. La grande question, une fois notre souper sauvé, était de se garantir du vent froid qui entrait par les fenêtres qui avaient presque toutes des vitres cassées. Les idées ne manquaient pas, mais pour tous les systèmes de fermeture, il aurait fallu quelque chose qui nous faisait défaut. Point de planches, point de toiles, point d’autres couvertures que celles des lits. Nous essayâmes des châssis à melons qui, chose singulière, et probablement parce qu’ils étaient empilés les uns sur les autres dans une cave, n’étaient point brisés. Les premiers que l’on dressa aux fenêtres volèrent en éclats au bout d’un quart d’heure. Les canons prussiens avaient été avancés pour battre Chevilly même et leurs obus passaient sur nous ; tu juges de la commotion. En allant remettre en place les châssis sans carreaux, Roland vit les stores de bois verts de la serre. Ce fut une inspiration. En les maintenant en haut et en bas de la fenêtre, cela garantissait au moins du vent. Nous prîmes aussi le tapis de l’escalier, auquel personne n’avait jusque-là songé, il fournit à lui seul la fermeture de quatre fenêtres. Avec tout cela, et des feux énormes partout, nous n’arrivons pas encore à tiédir l’air. Nos arrangements viennent de finir, ma chère sœur ; si nous pouvons dormir, nous dormirons près du fourneau de la cuisine. Le canon tonne toujours, les obus sifflent par-dessus nos têtes et éclatent plus loin, les coups de fusils sont devenus rares. Il paraît que l’horizon du côté de l’attaque étincelle de feux de bivouacs, que des fermes brûlent... Je n’y vais pas voir, j’ai assez, j’ai trop d’horreurs pour un jour. Adolphe soutient près de moi un pauvre mourant qui souffre cruellement ; je veux te dire bonsoir, puis le remplacer. Ma sœur ! pauvre mère ! trois jours de bataille et ne rien savoir d’André ! Quelquefois une pensée surgit en moi : je rêve qu’il est peut-être tout près, dans ces ténèbres, perclus de froid et appelant au secours... Oh ! que Dieu ait pitié de toi, de lui, de nous ! 4 décembre. De ce matin, nous commençons à comprendre ce qui a pu se passer. Nos blessés ont repris un peu de voix pour dire ce qu’ils ont vu ; les vainqueurs viennent au-devant d’une curiosité que nous essayons de leur cacher, car apprendre notre désastre de leur bouche c’est en souffrir deux fois. La grande canonnade d’avant-hier, 2, était une vraie bataille qui a été presque une victoire. Jusqu’au soir nous avons eu l’avantage, acheté par de grandes pertes. Le général de Sonnis est tué. Nos soldats ont été admirables presque partout, au dire même des Allemands. Cela est une consolation, la seule. On croit que le 15me corps (notre centre) n’ayant pu avancer du même pas que le 16me et le 17me (notre gauche) qui sont tous deux sous les ordres d’un jeune général qu’on appelle Chanzy, ce dernier s’est trouvé seul en avant et exposé à être coupé de sa ligne de retraite. Il s’est replié. Son mouvement de recul a permis aux troupes allemandes, qu’il avait contenues et même repoussées, de venir renforcer celles qui attaquaient le 15me corps. On dit qu’il y a en ce moment cent mille Allemands entre Artenay et Chevilly, j’ai peine à le croire, mais enfin une irrésistible masse a pesé sur ce seul point de Chevilly qui barre le passage sur Orléans et forme en même temps le centre de notre armée. On s’est encore bien battu hier, au moulin d’Anvillers, tout près de la grande route ; trois de nos blessés y étaient ; cela a été un effort aussi vain que les autres. Chevilly était pris déjà hier au soir sans que nous le sussions, maintenant la marée prussienne nous a dépassés, l’effroyable canonnade menace Orléans, qui malgré la panique conserve au moins 45,000 habitants ! Les officiers allemands osent dire que le bombardement de cette ville sera l’une des justes vengeances de cette guerre, elle doit être punie pour avoir, après leur départ, fêté l’entrée des Français ! Quand donc les hommes vaudront-ils mieux que les loups ? Hélas ! pauvre XIXe siècle ! il peut bien pleurer sa chimère perdue, l’humanité ne s’est pas perfectionnée comme le reste de son œuvre. Pauvre XIXe siècle ! ses lumières n’auront éclairé que les choses ! Il fallait sur les cœurs une lueur de l’Évangile d’amour. Là où elle manque, que tout est noir ! Cependant tout n’est pas dit encore. Le général Martin des Pallières, qui commande Orléans tandis que le général d’Aurelles rallie son armée derrière la ville, veut utiliser, dit-on, les retranchements de terre armés récemment de quelques canons. Les gens du métier croient distinguer, même d’ici, à travers le vacarme de l’artillerie ennemie, le son de nos grosses pièces de marine, en position sur les hauteurs. Tant qu’on les entendra, cela voudra dire que nous tenons. Aussi l’un des nôtres a-t-il toujours l’oreille au guet pour saluer cette voix lointaine, qui, seule contre tant d’autres, parle encore d’espérance ; pour moi, je n’y sais rien reconnaître et je m’emploie à autre chose. La besogne ne manque pas. Au petit jour, ce matin, quatre voitures allemandes d’ambulances nous amenaient dix-huit blessés et un chirurgien, sans doute sur l’avis du commandant d’hier au soir. En outre, on nous a laissé un sous-officier et quelques soldats qui m’ont bien l’air d’être une garde placée en défiance de nous. J’ai vu que le chirurgien surveillait jusqu’à ma limonade quand elle devait être bue par ses hommes. Je ne lui en veux pas, à lui, si telle est sa consigne, mais quelle misérable moralité faut-il avoir pour supposer possibles des crimes tels que ceux-là ! De pareilles choses ne peuvent être imaginées que par des gens capables de les accomplir. Grâces en soient rendues au ciel ! nous ne savons pas haïr comme eux. Je n’impute point à notre chirurgien le soupçon qu’il laisse voir, il a une trop bonne figure pour cela ; aussi j’ai agi avec lui à la française et j’ai été lui demander s’il voudrait bien porter secours à l’un de nos hommes. Il s’agissait d’une balle, qui, ayant frappé la boite osseuse du crâne, sans doute après avoir perdu de sa force première, n’avait pas pénétré très-loin, mais avait contourné la tête et s’était arrêtée près de l’oreille ou elle causait au patient des douleurs insupportables. Je la sentais depuis hier sous le doigt, mais aucun de nous n’osait se risquer à en tenter l’extraction. Le chirurgien, que je regardais bien en face en lui parlant, n’a pu cacher un peu de surprise, mais il m’a suivie et a fait très-bien, et avec douceur, son opération. Avant de la commencer : « Rassurez ce soldat, m’a-t-il dit en allemand, c’est amicalement que je ferai cela. — Vous voyez qu’il n’est pas inquiet, lui ai-je dit, et j’en ai profité pour ajouter : « Il y a des choses qu’on ne suppose même point chez nous. » Il n’a rien répondu, mais nous a traités avec plus de confiance de ce moment, et nous venons à l’instant de lui remettre encore deux opérations à faire. Malheureusement le froid aggrave la situation de nos blessés ; nous en avons perdu trois cette nuit. On plaint à peine ceux qui meurent, tant on se sent soi-même lassé de la vie. Tout à l’heure j’essayais de calmer l’agitation nerveuse d’un grand dragon tout jeune qui souffrait affreusement, et je lui chantais à demi-voix ce cantique que j’ai appris de tes enfants : Mon cœur te réclame Pays du repos... et c’était si bien tout mon être qui aspirait à ce repos de la meilleure terre « où la justice habite, » que mes lèvres n’auraient pu prononcer d’autres paroles que celles-là. Le chirurgien est venu me dire avec des phrases de respect trop allemandes que, si je voulais bien, si je daignais, etc... venir chanter la même chose à l’un de ses grièvement blessés qui se mourait, ce serait une grande consolation, car cet air était l’un de ceux qu’il avait appris à l’école en Bavière. Et après avoir assoupi mon dragon, j’ai répété longtemps mon cantique à son pauvre ennemi. La question des subsistances est toujours grosse de difficultés. L’argent est une belle chose, je n’en dirai plus de mal, car notre réputation de payer cher s’étant faite, le peu de vivres que contenaient les cachettes du pays nous arrivent. C’est le salut de notre ambulance improvisée, qui compte en ce moment près de quatre-vingts bouches à nourrir. On se consolera facilement des économies qu’il faudra faire pour réparer cette brèche-là avec les autres. Toujours point de nouvelles de notre cher soldat ni de Barbier, toujours la canonnade dont la violence semble s’accroître. Hélas ! on ne me dit plus qu’on entend encore nos pièces de marine et je n’ose questionner. Nous saurons assez tôt si tout est fini. 5 décembre. La cité de Jeanne d’Arc est tombée. Encore une ville prise, encore un désastre, encore un échelon plus bas vers le fond de l’abîme ! L’armée n’a pas été cernée, mais elle est coupée en deux tronçons l’un a passé ou passe la Loire dans la direction de Jargeau, l’autre se retire par la rive droite ; on ne sait rien de plus, sinon des pertes énormes en prisonniers et en matériel, peu de dégât du reste, assure-t-on, dans la ville même. Le malheur des uns cause quelquefois la joie des autres. Voilà ce pauvre Roland transfiguré par de bonnes nouvelles. Il vient de voir entrer l’abbé M..., précepteur de ses fils ; tout va bien pour sa famille. Sa femme était tellement inquiète de ne rien recevoir de lui qu’elle a fini par laisser partir son abbé, qui est homme de tête et de cœur, et offrait de lui rapporter des nouvelles de Roland ou de rester avec lui. Retenu à Orléans par le bombardement, l’occupation de la ville l’a délivré et il a franchi sans trop de peine, grâce à sa soutane et aussi à sa connaissance du pays, les trois lieues qui nous séparent d’Orléans. Roland est ravi d’entendre parler des siens, l’abbé est tout heureux de pouvoir dire à Marthe que nous sommes là, aussi repartira-t-il dès demain ; mais je supplie Roland de lui permettre de revenir si une nouvelle traversée des lignes lui est possible. Il nous remplacera lorsqu’il nous faudra regagner Thieulin. Pauvre Thieulin ! je l’ai presque oublié ces jours-ci. Ce grand drapeau à croix rouge que j’avais acheté sans me soucier assez de blessés ou d’ambulances, mais seulement pour l’amour de notre logis, ce drapeau est maintenant comme un remords pour moi. C’était, dans ce temps-là, une petite hypocrisie que nous commettions ; tu peux m’en croire, ma chère et toujours sage sœur, je ne le ferai plus ! Je suis convertie aux ambulances, même sans drapeau. Je charge l’abbé M... de découvrir André ou Barbier. Ils écrivent probablement à Thieulin, et j’aime à penser que, n’étant pas vagabonde comme moi, tu auras pu recevoir les lettres de ton fils. — L’abbé nous dit que les Orléanais sont dans la terreur ; plusieurs maisons ont été déjà pillées ; l’évêque plaide sans succès la cause de son troupeau. Nous sommes vaincus, n’est-ce pas ? C’est convenu, nous l’admettons, nous en souffrons, mais nous ne voulons point haïr, nous voulons nous résigner et pour cela nous demandons à Dieu son secours. Eh bien ! il arrive tout-à-coup des choses qui ont le don fatal de mettre à néant nos meilleurs désirs ! Ce n’est peut-être qu’une goutte d’eau, pas plus amère que les flots dont nous avons déjà été abreuvés, mais elle est la dernière goutte et elle ait déborder l’indignation ! J’avais quitté hier, un instant, mes blessés. Le chirurgien demandait des œufs pour un malade ; j’allai avec Roland jusqu’à la ferme, dans le vain espoir qu’une poule phénomène se serait trompée de saison. La chance eut été d’autant plus merveilleuse que, depuis Coulmiers, la basse-cour était réduite à trois volatiles. Je ne fus donc pas surprise du sourire de la fermière, il me suffisait d’avoir fait preuve de bonne volonté ; je quittais sa cuisine quand une scène, trop semblable à toutes celles des jours passés, me cloua pourtant sur le seuil. Un parti allemand qui venait de Saint-Lyé avait jugé bon, passant auprès de la ferme, de s’y restaurer. Les hommes descendaient de leurs chevaux, les débridaient, et ouvrant les étables comme chez eux, faisaient entrer leurs bêtes en les tirant par la crinière. L’officier commandant cherchait où pouvaient se trouver l’avoine, le lard et le vin cacheté. C’était l’invasion, le droit du vainqueur, rien de plus qu’à l’ordinaire. « Louis, dit la fermière à l’un de ses gens, allez donc vite détacher le poulain et l’amenez ici. Faudrait pas qu’ils s’en trouvent gênés. » Louis partit en courant. Il avait été le charretier quand la ferme avait possédé chevaux et charrettes, ce poulain était son élève, le seul quadrupède que l’invasion eût laissé, simplement parce qu’il était trop jeune pour faire aucun service. Parmi les Prussiens entrés dans l’écurie, il y en avait un, peut-être déjà ivre. Voyant la pauvre petite bête, au lieu de la détacher il tira son sabre et se mit à frapper à tours de bras au milieu de la corde lâche qui la retenait à la mangeoire. Le pauvre poulain affolé, crispait ses longues jambes menues et raidissait sa tête ; il n’en était pas moins, quand le lourd sabre retombait, entraîné par la force du coup et s’en allait frapper chaque fois ses naseaux contre le bois de la mangeoire. Louis arrivait. Poussé par cette pitié des animaux, si touchante chez certains hommes des champs, il passa entre le petit cheval et le Prussien et, repoussant celui-ci de l’épaule, essaya de détacher le licou. Le Prussien se mit alors à frapper sur l’homme, et nous vîmes le malheureux charretier s’échapper avec de grands cris et tout sanglant, de l’écurie, où personne ne lui avait porté secours. Le Prussien le suivait, sabre haut, écumant de rage. Roland et le fermier s’élancèrent au devant du furieux ; ils l’arrêtèrent, non sans risques, et sa victime put arriver en trébuchant jusqu’à nous. Une demi-heure après, un sous-officier et trois soldats armés entraient demander que le coupable leur fût livré. J’eus beaucoup de peine à leur faire comprendre que Dieu lui-même se chargeait de sauver l’infortuné de leurs mains. Il se mourait ; probablement d’un coup sur la nuque qui avait dû léser l’épine dorsale. Le sous-officier, qui n’avait pas d’ordres pour ce cas imprévu, se retira, mais pour revenir au bout d’un instant. Les officiers attendaient ; il fallait absolument que l’homme français qui avait poussé avec violence un soldat allemand comparût devant eux. Le sous-officier semblait résolu à forcer la porte ; j’eus la tentation folle de résister, de me faire tuer là, moi aussi, pour que quelque chose au moins leur fît honte ; il eût été doux de défendre les derniers instants du malheureux que j’entendais râler — je ne l’ai pas fait. J’ai précédé les soldats. Mais la mort avait été plus fidèle que moi et plus puissante aussi ; elle était là et accomplissait son œuvre de délivrance. Les Prussiens ont pourtant su partir, et je suis restée avec la femme de Louis, maintenant sa veuve, qu’on avait été chercher. L’ai-je pu consoler, la malheureuse, quand il me semblait à moi-même que le fardeau était plus lourd qu’on ne le pouvait porter ! Ai-je pu apaiser sa haine quand mon propre cœur haïssait et maudissait ? Je me souviens de lui avoir parlé du monde meilleur où le Seigneur essuiera toute larme de nos yeux ; mais en attendant, j’ai pleuré plus que parlé, et peut-être que mieux valait. Et ce n’était pas fini. Pendant que j’étais près de la pauvre femme, ces messieurs recevaient un ordre de payer vingt mille francs d’amende, pour coups donnés par un français à un soldat allemand sous les armes. Les officiers parlaient français ; Adolphe et Roland leur expliquèrent les faits et comment c’était leur soldat qui avait assassiné un Français sans défense. Les camarades du Prussien, interrogés, donnèrent leur témoignage selon la vérité : tout fut inutile. Les officiers furent polis, mais dirent que la sûreté de leur armée ne pouvait être obtenue que si chacun était intéressé à la maintenir ; qu’il fallait un peu de terreur, et que si le charretier eût survécu, force aurait été de le faire fusiller. Adolphe en a appelé au général commandant le corps d’armée et est parti sous escorte pour Orléans. Il est rentré le soir fort tard ; l’aide de camp de service avait promis que l’affaire serait examinée. Tout à l’heure une note en allemand vient de nous apprendre la conclusion de cet examen : Son Excellence maintient l’amende de 20,000 fr. ; toutefois, eu égard à la pénurie d’argent mentionnée par M. le comte de Thieulin, quittance du tout sera donnée contre le paiement immédiat d’une somme de 16,000 fr. (dont moitié au moins en espèces), que le porteur du présent ordre a charge de recevoir. Et voilà ce qui décourage de s’exercer au pardon ! On a voulu penser beaucoup à ses propres fautes et ne voir qu’un châtiment juste dans l’épreuve de la nation ; on a essayé d’appeler chaque insolence, chaque douleur nouvelles : les maux inévitables de la guerre ! Même on a supposé que nos Français vainqueurs n’auraient souvent pas mieux agi que les Allemands ; eh bien ! cela est un blasphème, et j’en demande pardon à mon pays ! Oui, nous sommes un pauvre peuple amolli et démoralisé ; oui, il y a des égoïstes parmi nous et j’en ai été ; des écervelés et même des violents ; il y a tout cela et encore tout ce qu’on voudra, mais il n’y a pas en France une telle perversion de la conscience, un tel cynisme dans le mal, qu’il soit légalement et administrativement possible de prendre occasion du meurtre qu’on a commis soi-même, pour extorquer dans une légalité injuste les dernières ressources des survivants ! Et remarque que ce n’est pas un vulgaire escroc qui imagine cela, ce n’est pas le crime d’un homme seul, c’est le crime d’une nation. Ce sont ses chefs les plus élevés qui, avec liberté et réflexion, l’ordonnent, ce sont ses lois qui le permettent... Que maudites soient ses apparences menteuses d’ordre et de civilisation ! Elles parviendraient à dégoûter l’humanité des choses les plus saintes. — L’ordre, c’est le bien ; le mal n’est pas l’ordre. L’ordre dans la cruauté, dans le vol, l’ordre dans la haine, sont les plus effroyables désordres qu’œil humain ait jamais contemplés ! En attendant, Adolphe a payé. Bien lui prend d’être venu ici fourni d’argent pour les affaires de Roland. « Vous savez que c’est une infamie ? » a-t-il dit à l’officier qui préparait sa quittance ; celui-ci a eu un demi-sourire sous sa moustache en répondant : « Je connais votre proverbe français : Marchand qui perd ne peut rire. » Adieu, chère sœur, j’ai le cœur navré, presque révolté, et c’est mal. Avons-nous vraiment mérité tant d’outrages et de désastres ! Qu’elle est dure notre peine ! Qu’il est noir notre avenir ! Et pourtant : « l’Éternel règne ! » Il règne ! — Comme aux jours de brouillard épais, on sait que le soleil n’en brille pas moins plus haut, dans sa gloire entière et dans son entière beauté, de même nous savons que par-delà ce sang, ces deuils et ces angoisses, l’infinie bonté de Dieu est demeurée la même. Là où nos actions de grâce l’allaient jadis trouver, elle plane, sereine et toute-puissante ; elle attend son heure, l’heure où de nouveau nos louanges l’iront encore chercher. Non, je ne veux pas désespérer, — mais cependant, que c’est long ! et que c’est dur ! Nous venons de passer par des journées et des nuits de travail incessant. Le moment du grand effort, si désiré surtout par ceux qui n’y connaissent rien, approchait, et il fallait le préparer. Cette nuit, sera imprimée une proclamation de Trochu à la population, et une autre du général Ducrot aux soldats, annonçant que l’heure est venue de briser le cercle foudroyant qui nous étreint, ou de périr. Je crois que les deux proclamations sont bonnes. Elles sortent de cœurs honnêtes, et l’appel au secours de Dieu, par lequel l’une et l’autre se terminent, m’a plu. Il faut plus de courage que jamais pour se réclamer de Dieu depuis que Guillaume a si misérablement profané ce nom ; et pourtant, pas plus là qu’ailleurs, l’abus ne devrait faire condamner l’usage. Puisque cette lettre ne partira pas avant que je ne sache l’action terminée et Maurice rentré sain et sauf, je puis t’avouer que Ducrot l’a choisi et qu’il est parmi les officiers commandés pour la sortie. Que veux-tu ? Cela devait arriver une fois ou l’autre, et si tu avais pu voir la physionomie joyeuse avec laquelle il a pris congé de moi déjà hier, tu aurais jugé, pauvre femme, que le retenir n’était pas possible. D’ailleurs, c’est son devoir, et nous ne voulons pas, n’est-ce pas ? lui en barrer le chemin, Dès que j’ai pu prévoir que l’ère des sorties allait s’ouvrir, j’ai tenu à lui faire emmener chez lui et monter habituellement mon brave Stanley. Tu te souviens comme j’ai pris soin d’accoutumer mes chevaux à tous les bruits et à toutes les surprises ? Que de coups de fusil n’avons-nous pas tirés dans l’écurie même ! Cette éducation-là sera inappréciable en campagne, et peu m’importe pour mes quelques chevauchées d’inspection d’user de telle ou telle monture. voici déjà trois jours que Maurice campe au bord de la Marne, sous Nogent. Le temps est froid, mais beau. On ne dormira guère cette nuit. Ordre est donné de montrer à l’ennemi que nous ne craignons pas de manquer de munitions ; le nombre des coups par pièce sera plus que doublé. Mardi, 29 novembre. Ce matin, l’apparition des voitures à croix rouge dans les rues qui conduisent au Champ de Mars à excité dans le public une grande émotion. Paris partage maintenant notre secret et il éprouve à son tour la solennelle attente d’un inconnu qui pourrait être la délivrance, qui sera peut-être l’accablement. La plan est ceci : Trois attaques simultanées ; Une sur Saint-Denis ; Une sur l’Hay ; Une troisième, et la seule sérieuse, exige le passage de la Marne. Par malheur, le premier pont jeté ce matin s’est trouvé trop court. Cela fait remettre à demain l’opération principale et nous renvoyons les ambulanciers chez eux. On prétendait à Saint-Denis entendre le canon vers Pontoise, et l’espoir du secours s’est fait jour pour un instant. Dans l’ignorance complète des mouvements de la province, on tend l’oreille à tous les points de l’horizon. En ce moment, notre canonnade est telle qu’aucun autre bruit ne serait perceptible, mais si nous n’entendons pas, disent les optimistes, peut-être une armée de secours entend-elle l’appel de notre artillerie. Ce serait trop beau. Vinoy a déjà engagé ses troupes sur l’Hay. Succès dit-on. À demain le passage de la Marne et Maurice au feu. Que tu es heureuse malgré tout, pauvre femme, de ne pas le savoirI 3 décembre, soir. J’ai vu Maurice ; rien, pas une égratignure, j’oserai donc donner ma lettre au premier ballon. Dieu est bon pour nous, chère femme, chers enfants, mais il a refusé le succès à notre effort. Voici ce qui s’est passé. Le 30, Ducrot traversa la Marne sur plusieurs ponts de bateaux jetés proches les uns des autres au pied de la redoute de Gravelle. Un corps fut lancé sur Bonneuil, le reste des troupes sur Bry, Nogent, enfin Champigny et Villiers. À onze heures, les villages étaient emportés et les nôtres gravissaient plus loin les hauteurs boisées qui ferment l’horizon. Il y avait depuis les précédentes affaires grand progrès dans la tenue des troupes. Le vieux B. qui, avec son culte de la manœuvre correcte, était parmi les plus enclins à dénigrer nos armées nouvelles, n’en revient pas. Je l’ai vu le soir même, on l’a ramené blessé, mais non dangereusement, à l’ambulance du Grand-Hôtel. Par malheur, à droite, à Montmesly, Susbielle avait été délogé par des forces supérieures, et le 42e et les mobiles vendéens ramenés avec de grandes pertes jusqu’à Créteil. Là on s’est rallié, et la nuit s’est passée aussi paisiblement que le permettait une canonnade incessante. Comme à gauche, Champigny et Bry nous étaient restés, l’on s’attendait sur ces points, à continuer jeudi 1er, une vigoureuse offensive. Au lieu de cela, la journée s’est écoulée dans une espèce de calme qui est déjà reproché au général en chef. Le 2, les Prussiens avaient eu le temps de concentrer des renforts, et, attaquant vivement le plateau qui s’étend de Bry à Champigny, ils nous ont contraints à nous replier. J’étais alors sur une terrasse de Nogent ou l’on plaçait deux pièces en batterie, et je suivais, une lunette à la main, les ondulations de la ligne de fumée blanche qui indiquait les positions de l’ennemi. Elle fléchissait quelquefois, mais pour avancer bientôt d’autant plus vite vers nous. Je cherchais, avec une angoisse que tu peux comprendre, à reconnaître le poil sombre de Stanley, mais c’était en vain. Vers dix heures, j’ai assisté ainsi à l’une de ces belles choses du métier de la guerre auxquelles le plus pacifique des hommes, s’il a été une fois soldat, ne peut rester insensible : nos troupes pliaient, la garde nationale, tenue jusqu’alors en réserve, s’attendait à marcher, quand les nouvelles pièces qu’on avait montées récemment aux embrasures des forts commençèrent à tirer. De mon poste, je voyais les vides se faire dans les files ennemies, leur marche se ralentit ; pendant ce temps nos troupes remettaient en position l’artillerie de campagne et reprenaient l’offensive. Avec un élan, d’autant plus beau qu’il succédait à un mouvement de recul, nos régiments, mobiles et lignards, ont ramené à leur tour les Allemands, non seulement tant que le feu des forts les a soutenus, mais jusqu’aux villages précédemment abandonnés. Ils ne leur ont pas laissé le temps de s’établir dans les maisons et bientôt j’ai pu voir, au-delà, nos lignes se reformer au pied des collines, puis les gravir au pas de course. Le feu plongeant des Prussiens ne réussit pas à les arrêter et, à quatre heures, nos positions de la veille étaient bien et duement reconquises, reconquises de cette vraie bonne manière que l’on croyait perdue chez nous. Il y a eu un moment ou j’en ai presque oublié Maurice ! Tu ne l’aurais pas fait, toi, mais la joie de retrouver notre ancien entrain guerrier m’avait rendu ce bon orgueil patriotique qu’il est si doux d’éprouver, et que nous avons trop désappris. Ce matin nos positions n’avaient pas été attaquées ; mais les conserver sans pouvoir avancer ne nous menait à rien. Le général en chef les a fait évacuer et a replacé les troupes derrière la Marne. J’en reviens maintenant à Maurice. Et d’abord, figure-toi un garçon consterné de n’avoir pris, en trois jours de combat, ni drapeau, ni canon, ni redoute, ni même officier-général ! Il paraît que ton fils avait cru jusqu’à présent qu’il suffisait de vouloir, pour faire ce qu’on appelle un coup d’éclat. Se sentant toute la bonne volonté nécessaire, il n’avait pas douté que l’occasion ne se présentât d’elle-même : « Mais, père, que voulez-vous ? le 30, le général m’envoie au général Susbielle, j’arrive justement quand il se repliait de Montmesly sur Créteil, c’était dur de commencer par se sauver. Hier, il semblait qu’on était tout près les uns des autres et que les occasions ne manqueraient pas ; voilà que le général m’expédie le matin à Avron commander le feu et quand je reviens je trouve tout enfoncé. » À travers les gémissements de ton fils auxquels tu peux mettre le ton, j’ai fini par savoir son histoire et j’ai pu, en toute conscience, le consoler et lui dire qu’il avait fait utilement son devoir. Le 30, après avoir remis sa dépêche au général Susbielle, il s’était trouvé libre de ses mouvements et s’attardant, toujours en quête de son coup d’éclat, il fut rejoint par une batterie montée qu’on ramenait à travers champs avec un peu de hâte, pour la mettre en position plus près de Créteil et protéger ainsi la retraite. Comme elle passait, un obus tomba entre le dernier canon et son caisson, et éclata. Maurice était si près qu’il fut couvert de terre et que Stanley, malgré sa bonne éducation, se déroba tout effaré. Maurice ramena facilement son cheval et vit que les deux chevaux de volée du caisson et un des artilleurs étaient tués ou grièvement blessés. Il saute à terre et relève l’homme, qui respirait encore, mais sa surprise est grande de voir que les artilleurs détellent les chevaux restés intacts et se préparent à abandonner le caisson. Il cherche des yeux l’officier, mais celui-ci a continué avec les pièces de sa batterie, il ne reste que deux servants, un artilleur à cheval et le blessé. « Vous n’allez pas laisser votre caisson ? — Faut bien, disent les servants, nous ne voulons pas nous faire prendre avec, et quant à le tirer de là, c’est pas possible avec deux seules bêtes éreintées comme cela, et une côte à grimper ! Si encore on se trouvait sur une route ! Mais ces sillons-là valent des fossés. — Ne dételez pas, dit Maurice avec son air des grands jours, il faut emmener votre caisson. Débarrassez-nous de ces chevaux morts, prenez seulement leurs traits et leurs bricoles ; j’attellerais plutôt mon cheval ! » Et il fait signe au cavalier de mettre pied à terre pour aider. Celui-ci obéit, mais les servants ne bougent qu’à peine, répondant que l’officier veut rire et que quand même il attellerait son cheval on sait bien qu’il ne voudrait pas tirer, ainsi que ça en ferait un de plus à prendre pour les Prussiens, sans compter qu’on a besoin de cheval à manger dans Paris, etc... Mais Maurice tient bon, et les hommes finissent par obéir. Le cavalier charge le blessé sur sa monture et passe devant. Maurice, comptant sur la docilité de son brave Stanley, le garnit lui-même après avoir installé tant bien que mal un seul palonnier au bout du timon, les artilleurs se mettent aux roues, et Maurice à pied, bride en main à la tête de Stanley, enlève son cheval qui se dresse... et du premier bond brise les traits ! Les servants maugréèrent alors et lâchèrent tout. Le temps pressait. Maurice attelait une seconde fois avec les harnais du second cheval tué ; un des servants se repentit et revint ; Maurice le chargea de mener les deux chevaux du train et enlevés de nouveau bien ensemble, les trois chevaux firent démarrer le caisson. Maurice n’a d’admiration que pour les coups de jarret de Stanley et pour sa sagesse ; je pense que tu en auras davantage pour la résolution et le sang-froid de ton fils, et que tu reconnaîtras aussi que ton mari avait raison quand il voulait que ses enfants ne connussent pas seulement le plaisir que peuvent donner les chevaux, mais encore les soins qu’il faut prendre pour en tirer parti. Ma journée d’hier a été pénible à passer. Les commentaires qui s’entre-croisent sur la retraite de nos troupes, ce blâme jeté sans pitié ni raison sur les chefs par des gens qui s’imaginent qu’on perce une ligne d’investissement comme on ouvrirait sa porte, irritent d’autant plus à entendre qu’il n’est pas possible de répondre par la vérité sans décourager complétement la défense. Puis j’avais appris le matin une mort qui m’a navré. Un jeune homme plein d’avenir, un camarade de Maurice, E. de B..., grièvement blessé le 30, avait succombé dans la nuit. Il avait trouvé l’occasion du coup d’éclat que souhaitait Maurice, et il a payé sa jeune gloire de sa vie. Que Dieu aide ses pauvres parents ! C’était hier dimanche, et je me suis acheminé plus que triste, presque accablé, vers l’église. M. Dhombres prêchait. Il avait pris pour texte l’histoire de cette femme qui répandit sur les pieds de Jésus un vase de parfum, ou plutôt dans cette histoire il avait choisi le mot qui résume le reproche d’un apôtre : « À quoi bon cette perte ? » Il avait traversé mon cœur plus d’une fois depuis le matin, ce regret amer. À quoi bon ce sang répandu, ces larmes versées ? À quoi bon des efforts condamnés d’avance ? Aussi j’ai pris ce sermon comme adressé à moi seul. Je me suis laissé tancer, puis ranimer par cette parole enthousiaste et sereine, j’ai eu honte de moi, j’ai rappelé nos résolutions, chère femme, nos pures ambitions ; j’ai revu la beauté du sacrifice, même du sacrifice cru inutile, et j’espère ne plus défaillir. On voudrait que ce qui vous a fait du bien pût franchir les murailles et s’en aller consoler les blessés de la semaine ; on voudrait redire aux familles en deuil qu’il n’est pas mort en vain, ce fils ou ce frère, et que le relèvement moral de la patrie aura peut-être commencé par son dévouement. M. Dhombres a servi son pays hier. Cela fait du bien de suivre l’élan d’une âme quand il vous entraîne en haut. Et l’on aime à sentir combien ce qui est beau et bon le devient davantage en compagnie d’une foi vivante. Coup de tonnerre. M. de Moltke a annoncé la défaite de l’armée de la Loire et offert de laisser passer un officier français qui la constate. On dit la population parfaitement calme et ne témoignant nul abattement de cette nouvelle. Pour moi, je n’ai pas eu le courage de sortir depuis que je l’ai reçue. Maurice a pu venir me trouver, si ému, le pauvre enfant, que j’ai dû faire effort et lui cacher l’étendue de mes craintes. Mes dernières nouvelles d’André sont du 16 septembre, du Mans ; une dépêche par pigeon, de Tours, nommait son régiment parmi ceux qui se trouvaient à Coulmiers. C’est tout ce que j’ai su. L’espoir m’a soutenu alors, j’ai compté qu’il vivait, maintenant je ne sais quoi m’empêche d’espérer. Selon toutes probabilités, il était de cette dernière affaire ; je me figure trop bien ce qu’elle a pu être ; je devine comment André aura usé de lui-même ; d’ailleurs il se trouvait un vieux soldat par comparaison, et il devait payer de sa personne. C’est une agonie que les pensées qui surgissent. Il faut espérer que toi, du moins, tu sais tout ce que j’ignore. Maurice me montre toujours mieux quel tendre et fidèle cœur il a. Nous étions trop heureux par nos enfants ! Rien de nouveau, sinon qu’il neige depuis deux jours. C’est grand’pitié de voir par ce temps les longues files de femmes qui attendent dès quatre heures du matin aux boucheries ou bien aux cantines. Elles s’abritent de leur mieux sous de vieux parapluies ou des lambeaux d’étoffes, et malgré cela le froid fait claquer leurs dents. Qu’ils sont décolorés, les visages qu’on aperçoit sous leurs capuchons ! Et tous les jours elles reprennent cette longue attente si mal récompensée par une portion qui n’est souvent, à vrai dire, qu’une illusion de nourriture. Cela est affreux à voir et touchant aussi, car de ces foules misérables il ne s’est pas encore échappé un murmure. Au contraire, — moi qui ne reprends pas courage, il me faut te l’avouer, ma pauvre amie, — j’ai recueilli tout à l’heure de l’une de ces femmes un mot que je me répéterai souvent, car il vaut un exemple. Je passais rue Tronchet, auprès de la boucherie Duval. La queue des ménagères s’étendait plus loin que le no 29, le jour paraissait à peine, la neige fondait en tombant, aucun bruit de voiture ne se mêlait au son lointain du canon ; j’entendis qu’on parlait dans cette foule (depuis combien de temps était-elle là ? je n’ose y penser) de la perte d’Orléans et de la défaite de l’armée, mais c’était avec un grand calme qui me surprit. « Ça ne nous avance pas, tout de même, pour la délivrance, disait une voix. Qu’est-ce qui nous reste à c’t’heure ? Le compte en sera vite fait. — Il nous reste la patience, » répondit une voisine. Je ne pus m’empêcher de m’arrêter un instant pour savoir qui avait dit cela. C’était une femme que j’avais frôlée en passant, petite, voûtée avant l’âge et qui tenait serré contre elle un enfant encore vigoureux qu’elle tâchait de garantir de la neige que le vent chassait sur lui. Elle était violette de froid, et son jupon flasque semblait mouillé jusqu’à hauteur des genoux. « Il nous reste la patience ! » Que Dieu la bénisse pour avoir dit cela ! Elle m’a fait du bien. Sa voix était si nette et si calme, que je voudrais l’entendre encore. Chère maman, J’ai peur que vous ne soyez inquiète de moi. Il n’y a pourtant pas eu de ma faute si vous êtes restée sans nouvelles. Avez-vous reçu mon petit mot daté d’Oucques, 13 décembre ? Je l’écrivais au moment même où le combat s’engageait autour de nous et nous obligeait à nous hâter. Ce départ-là peut s’appeler le triomphe de Mlle M..., la directrice de l’ambulance. En deux heures, évacuer cent soixante-douze malades ou blessés sans confusion, sans que rien d’essentiel ait manqué à aucun d’eux ! Je vous raconterai cela une fois ; il y a eu de drôles de scènes. Mais ce qui n’était pas drôle du tout était de se séparer des infirmiers, des médecins, des directeurs, de tous ceux que ce pauvre Barbier appelait si bien un gentil monde. Nous les rechercherons, n’est-ce pas, chère maman, pour leur dire encore merci ? Et puis, les plus malades, les blessés récents ont dû souffrir horriblement, souffrir et périr. C’était un froid noir, âpre, avec du vent ; je grelotte encore en y songeant. Couché dans la paille, au fond d’une charrette, je n’ai pas bien vu ce que chacun devenait ; on dit qu’une escouade de blessés a remonté sur Fréteval, la nôtre a suivi la route de Vendôme. Dans les villages, on sortait au-devant de nous, effaré ; nos conducteurs donnaient les mauvaises nouvelles, on s’écriait : « Ça serait-il possible qu’ils viennent jusqu’ici ! » Nous laissions la stupeur derrière nous, et nous passions plus loin. Je crois que nous sommes arrivés à Vendôme vers midi ou une heure ; nous avons pu voir que la population était bonne : on nous a fait tous ranger sur une grande place, les habitants sont venus, et chacun d’eux a choisi ceux des malades qu’il voulait ou pouvait prendre à loger. L’un demandait cinq hommes, un autre dix hommes, quelques-uns vingt-cinq. Notre convoi était le second et n’a pas suffi à occuper toutes les places préparées, mais assez d’autres pauvres diables ont passé depuis, et rien n’aura été perdu. Je me suis évanoui bêtement avant de m’être vu casé, si bien que je n’ai aucun souvenir entre celui de ces offres de soupe, de lits, de feu, et le moment où je me suis trouvé sur un lit inconnu, dans une petite salle à manger sombre, où pourtant quelque chose de blanc brillait en face de moi dans une espèce de cadre accroché au mur. Le travail d’esprit auquel je me suis livré pour deviner ce que ce pouvait être a manqué me faire évanouir une seconde fois ; aussi pour vous épargner pareil sort, chère maman, je vous apprendrai tout de suite que j’étais chez un dentiste, et que c’étaient les produits de son art, cinq râteliers ou parties de râteliers, qui me regardaient fixement du milieu de leur velours fané. Heureusement qu’aucun d’eux ne faisait semblant de mâcher, je crois que j’en serais devenu fou. Mon hôte est venu à moi, un brave petit homme tout rond, il était autrefois médecin ; mais, trouvant déplorable l’habitude des clients de payer le plus tard et même le plus rarement possible, il s’est fait dentiste pour toucher son argent de suite et sans difficultés. Il a huit enfants qu’il a fait partir avec sa femme pour la Bretagne : il est resté seulement pour être utile et n’a eu de cesse que quand ses lits ont été occupés. Ses études premières lui servent, et son talent n’est pas à dédaigner, surtout en un moment où les chirurgiens sont si rares. Ne soyez donc pas en peine de moi, chère maman, ma bonne chance continue. Sans le chagrin de rester là sans rien faire, je serais trop bien. J’ai commencé par donner beaucoup de peine à mon brave M. Richard. Ce trajet d’Oucques jusqu’ici m’avait ramené la fièvre, et ma cervelle a battu la campagne pendant les deux premiers jours. C’est pourquoi il m’a gardé avec deux autres, tandis que la plupart des camarades étaient acheminés, après quelques heures de repos seulement, sur Épuisay, Saint-Calais, puis le Mans. Je me suis retrouvé moi-même le 15, à temps pour entendre commencer une canonnade digne d’un jour de bataille. Suivant mon hôte, le général Chanzy voulait garder aussi longtemps que possible la ligne du hoir ; les troupes étaient fermes, quoique abîmées de fatigue ; les choses se passaient avec ordre. Mon cher régiment, où était-il ? que faisait-il ? Cela était terrible à penser. Toute cette journée du 15, j’entendis, avec le canon, le bruit des charrois de notre armée qui traversaient la ville et faisaient trembler notre petite maison. À chaque nouveau fourgon qui passait, une de ces affreuses mâchoires, trop facile à la détente, s’entr’ouvrait avec un petit bruit. Il me fallait fermer les yeux pour ne plus la voir. À la nuit, on sut que la ville serait abandonnée et nous avec elle. Mon pauvre dentiste m’a consolé de son mieux ; il m’a parlé raison de votre part, et m’a dit que je serais encore longtemps un embarras pour l’armée. Cela est peut-être vrai ; mais quelle triste nuit ! Je n’étais pas résigné au fond, et je le tourmentais pour avoir, de quart d’heure en quart d’heure, des nouvelles. Et chaque nouvelle était un chagrin de plus. On jetait dans la rivière un canon trop lourd pour être emmené ; ou bien quelques attardés, qui avaient bu, allaient rester comme prisonniers aux mains de l’ennemi qui s’en glorifierait ; ou bien encore on venait d’apprendre que les Prussiens étaient déjà depuis la veille sur la rive droite du Loir, qu’ils l’avaient traversé à Fréteval après un combat meurtrier pour les nôtres. Les voitures roulaient toujours, les bataillons passaient aussi de temps à autre ; mais on n’entendait ni chant ni cri. Le moment vint où les pas ne marquèrent plus aucune mesure, c’était bien des pas de débandés. Sur tout cela, il neigeait, à ce que disait M. Richard. Enfin le jour a paru, un demi-silence s’est fait dans le quartier ; mon camarade de chambre, un moblot qui semble avoir la petite vérole, délirait ; il croyait battre le blé dans sa grange. C’est alors qu’une détonation très-rapprochée, puis une autre, ont fait vibrer les carreaux, un vase de la cheminée est tombé ; il me sembla entendre un sifflement d’obus. M. Richard rentra en hâte et me fit comprendre ce qui se passait. Vendôme est bâti sur le Loir, entre deux collines ; l’ennemi occupait les crêtes de la rive gauche et tirait par-dessus la ville contre la colline de droite que gravissait encore notre arrière-garde. Les canons prussiens étaient si proches de la maison que nous sentions l’ébranlement de chaque décharge. Bientôt nos canons répondirent depuis ces hauteurs de droite, mais la retraite n’en continuait pas moins, et il fallait s’attendre à recevoir l’ennemi. On se souvenait à Vendôme du sort de Châteaudun, l’appréhension y était grande. Pour moi, chère maman, vous le comprenez bien, une fois les Prussiens là, j’étais un prisonnier... Cela était dur, et j’ai envié, bien envié le varioleux que rien ne pouvait tirer de son assoupissement. À midi, j’ai deviné, à l’agitation contenue de mon bon et cher médecin, ce qui devait se passer dans la rue. Avec un grand effort, je suis sorti de mon lit et me suis collé aux vitres pour un instant. Une vingtaine de cavaliers, pistolet au poing, l’air sur d’eux-mêmes, arrogants et calmes, arrivaient le long du jardin du lycée. L’officier en tête prononça un commandement, le son des trompettes éclata, aigu, triomphant, odieux !... Je me rejetai dans mon lit en sanglotant ; mais c’était trop aussi, et même mon père, j’en suis sur, n’aurait pu s’empêcher de pleurer. Le soir, on sut que le dernier train français, emmenant un solde d’approvisionnement et je ne sais plus quels personnages de la ville, avait pu s’échapper. L’ennemi avait tiré dessus sans parvenir à l’arrêter. Faute de mieux, nous nous en fîmes une petite consolation. Voilà quatre jours d’écoulés depuis cet affreux 16, j’ai été inscrit comme prisonnier, mais la figure du camarade à petite vérole n’engage pas ces messieurs à nous faire garder à vue. M. Richard nous soigne admirablement, ma chère, chère maman, et je ne serais pas plus sage, croyez-le bien, si vous étiez là. Si vous avez reçu mes lettres du 20 et du 30, vous avez dû voir, chère maman, que l’état de prisonnier n’ouvre pas l’esprit aux idées roses. Je m’indigne contre moi-même de guérir si facilement au son des commandements allemands, des jurons allemands et des clairons allemands, car tout cela s’entend trop bien de la bicoque que nous occupons. Sans mon dentiste, je ne sais pas ce que j’aurais fait, mais il n’y a pas moyen de lui refuser le plaisir de ressusciter par ses soins, et il a si bien le don de me parler de vous au bon moment qu’il me fait faire tout ce qu’il veut. Mes deux camarades vont bien aussi ; le varioleux, après avoir été en grand danger, mange comme quatre, et nous le supplions maintenant de rester aussi varioleux que possible, en apparence du moins, pour tenir à distance nos gardiens. Car voilà maintenant le danger qui nous menace. Nous guérissons trop vite, et il est fort à craindre que si, par malheur, notre bon état était constaté, nous fussions de suite envoyés en Allemagne. À six lieues d’ici, une brave dame avait rempli sa maison des blessés du pont de Saint-Hilaire, elle les soignait comme ses enfants. Les Prussiens lui avaient même laissé quelques-uns des leurs, elle les traitait comme les Français. Avant-hier, elle reçoit la visite d’un inspecteur. On lui trie ses hommes, on lui laisse bien ceux qui ne guériront pas, mais les blessés légèrement, ceux qui peuvent se tenir debout, sont mis à part, puis envoyés sous escorte à Orléans. On ne leur a pas caché qu’ils allaient faire connaissance avec la Deutschland. La pauvre dame a prié, supplié, invoqué les soins donnés par elle aux Allemands ; elle a juré de représenter ses chers convalescents à première réquisition si seulement on voulait leur accorder une semaine encore pour achever de guérir ; rien n’a fait. Depuis que cette histoire-là est connue, il y a un nuage de plus sur le front du bon M. Richard. Et comme s’il voulait voiler son nuage par d’autres nuages, sa pipe ne s’éteint plus ; il fume du matin au soir d’un air rêveur ; par moments les bouffées se précipitent : nous comprenons que c’est un accès de rage qui passe. Hier, journée d’espérance. On se battait à Azay (8 kilomètres d’ici à peu près). D’abord nous avons cru à une simple escarmouche de francs-tireurs, mais quand les heures se sont écoulées sans que l’action parût s’éloigner de nous, quand la garnison s’est rassemblée sous nos yeux, quand nous avons pu voir les figures soucieuses de quelques officiers, la pensée de la délivrance a surgi. Ah ! quelle joie ! De fait, cela pouvait bien être un retour offensif de Chanzy. Mais quoi ! c’est toujours la même chose, il y a trop d’Allemands ! il y en a trop partout ! On n’osait questionner, de peur d’attirer l’attention sur soi, de sorte que nous ne savions pas lequel de nos corps était en ligne ; mais cela faisait bouillir de sentir les nôtres si près et de ne rien pouvoir pour les aider. À cinq heures du soir, la canonnade a cessé, et avec elle notre espérance. Les blessés allemands sont arrivés en grand nombre, le télégramme envoyé à Guillaume porte : « Pertes sérieuses. » Nous avons su ce matin que Frédéric-Charles avait commandé en personne. Oui, chère maman, l’affaire est faite. Il n’est plus question d’aller baraquer en Allemagne, mais bien d’une bonne revanche : nous nous sommes échappés tous trois avec notre brave dentiste et par son secours. Vous voulez l’histoire, vous l’aurez. Décidément ses graves méditations avaient notre sort pour but, et le 7 au soir leur résultat nous fut communiqué soudainement. M. Richard fumait, il nous regarda l’un après l autre avec un demi-sourire, puis, entre deux bouffées : « Mes enfants, cela vous plaît-il que nous partions demain pour Tours ? » Vous voyez d’ici notre stupéfaction : « Comment ? Est-ce possible ? Ne vous moquez pas de nous ! » M. Richard posa sa pipe pour la première fois, je crois, depuis que l’enlèvement des malades de Mlle de *** lui avait été conté : « Cela ne peut plus durer comme cela, nous dit-il. Je crois à chaque minute qu’un de ces dénaturés-là va vous venir querir chez moi. Cela me paraîtrait comme si je vous livrais moi-même. En ce moment-ci, il est à croire que nos troupes ne sont pas loin ; hier on se battait à deux lieues. Il y a une chance à courir. Qui ne risque rien n’a rien. « Je crois que j’ai le moyen de vous sortir de Vendôme. Une fois dans la campagne, je connais tous les buissons, de nuit comme de jour il m’est facile de vous piloter. Quand même il nous faudrait un peu pâtir avant de nous retrouver à l’abri, eh bien, ne croyez-vous pas que le jeu en vaille la chandelle ? » C’est comme cela qu’il parle, notre dentiste, chère maman ; mais voyez comme il agit ! car, vous le pensez bien, il risquait sa vie pour nous. Surpris nous faisant évader, il était fusillé aussi rapidement que nous-mêmes. Cette nuit-là, il nous fit sortir un à un de chez lui et nous conduisit à cinquante pas seulement, dans une petite cour, au bord du Loir, juste au pied du vieux château. Le varioleux avait une couverture par-dessus la tête, chacun de nous des cordiaux dans ses poches. Là, sous un hangar, nous attendîmes le jour, tandis que M. Richard rentrait à son logis et s’y montrait à tous, achetant un gros pain pour ses malades, disait-il, faisant grand feu et le disposant de façon à ce que la fumée se fît voir longtemps. À neuf heures, il quitta sa maison, mit la clef dans sa poche et s’en vint tout doucement nous rejoindre. Il y avait près de nous, sous le hangar, une de ces longues voitures qui servent de boutique aux marchands ambulants. Celle-là contenait des tricots de laine de toutes sortes ; elle avait la prétention d’offrir au public deux étalages, c’est-à-dire que des planches formaient dos d’âne au milieu ; on rangeait les bas et les camisoles sur chacune des pentes, en dessous un double fond permettait de placer les paquets de réserve, au bord du toit pendaient de grosses pelotes de laine reliées ensemble par d’élégants festons formés de cache-nez. Un cheval tirait le tout, un gros bonhomme menait d’ordinaire le cheval et faisait l’article. Tels étaient les éléments de notre salut. M. Richard, qui connaissait le marchand ambulant pour lui avoir enlevé ou posé des dents, je ne sais lequel, avait obtenu de lui qu’il lui vendît tout son attirail (j’ai remboursé la moitié et compléterai plus tard la somme), puis qu’il prît comme pour lui-même un permis de circulation de l’autorité militaire prussienne. À cela s’était bornée la bonne volonté du bonnetier. Il ne voulait pas nous accompagner, nous trouvant une société par trop compromettante. M. Richard devait jouer le rôle du marchand ; pour nous, nous allions remplacer les provisions de lainages dans le double fond de la voiture, sous l’étalage. Le varioleux fut enfourné d’abord, et la tête la première, sous cette voûte sombre ; je passai ensuite et me fis aussi mince que possible ; cependant, quand le troisième voulut se glisser entre nous deux, la consternation nous saisit : il n’y avait pas de place ! Nous eûmes une demi-heure d’angoisses ; enfin, à force de combiner, de pousser, de tasser, et en admettant que l’un de nous porterait sur les deux autres, il fut convenu, que cela allait à merveille. M. Richard ne croyait nécessaire de nous cacher aussi complètement que sur les grandes routes ; au premier chemin de traverse, l’un des trois marcherait et donnerait ainsi de l’air aux camarades. Tu ris, peut-être, mon petit Robert ? Eh bien, si l’un de nous avait ri ou remué quand nous traversions le faubourg plein de Prussiens, cela leur aurait donné quatre hommes à fusiller. M. Richard m’a dit que, malgré le froid, la sueur lui coulait du visage tandis qu’il passait, la main à la tête de sa bête, entre ces groupes d’hommes fourbissant leurs armes ou pansant leurs chevaux. Il se sentait pâle et hagard, et n’osait se retourner pour voir si tout allait bien dans sa longue voiture. Par moments, il lui prenait comme une tentation de s’évanouir ; et alors, qu’arriverait-il ? Il fut un peu soulagé quand son laisser-passer eut été demandé, examiné, puis rendu. Il avait donc l’air d’un vrai marchand ! D’ailleurs, on quittait les dernières maisons ; nous ne devions plus nous attendre à rencontrer que des patrouilles. Tout alla bien une heure durant ; mais la frayeur de M. Richard subsistait toujours et il ne nous permit pas de sortir de notre terrier. Nous suffoquions pourtant, et le voisinage d’un varioleux, si convalescent qu’il fût, me faisait bénir votre prévoyance, chère maman, de m’avoir fait revacciner au Mans. Je voulus une fois me révolter et sortir de là, mais des fers de chevaux résonnaient sur la terre durcie ; c’était un peloton de uhlans qui passait. Je ne comprends pas que l’on ne se soit pas douté de quelque chose, à la peine que devait avoir le pauvre petit cheval. Trois gaillards de ma taille sont autrement lourds que des tricots ; les ressorts, peu habitués à un pareil poids, touchaient au moindre caillou. À la hauteur d’un village qu’il a nommé Villérable, M. Richard nous prévint à demi-voix que nous allions quitter la grande route et que notre objectif apparent serait Lavardin. Continuer sur la route de Cours nous exposait à des rencontres et à des soupçons, puisque les troupes françaises devaient être quelque part sur le chemin entre Tours et nous. Encore une demi-heure de patience, et il permit à l’un de ses captifs de marcher à sa suite, comme un apprenti négociant le pourrait faire. Je n’oublierai jamais les délices de cette première bouffée d’air pur, d’air libre, en pleine campagne ; ni ces premiers pas sous le ciel de Dieu, dans mon pays. Je n’avais pas marché au grand air depuis l’attaque du parc de Goury, à la bataille de Loigny, le 2 décembre. Aussi j’ai rendu grâces de tout mon cœur et de toutes mes forces. Seulement, c’était si nouveau pour mes jambes qu’elles n’étaient qu’à moitié solides. Nous avons alterné avec l’un des camarades, le varioleux n’a pas eu la permission de se montrer. Les tricots sont très-recherchés, sans doute à cause de ce froid. Les paysans nous voyaient passer et venaient à nous ; nous ne pouvions nous débarrasser des chalands. Moins nous avions envie de vendre, plus ils montraient de désir de nous acheter. M. Richard se tirait très-bien d’affaire. À Sasnières, on répondit à ses questions que Lavardin était occupé par les Prussiens, aussi Saint-Amand, mais que la route de Montoire à Château-Renault devait en être débarrassée. Cela nous convenait ; nous prîmes à travers la forêt qui s’étend de Sasnières à Saint-Martin-des-Bois, expliquant au public que nous voulions préserver nos tricots de servir à l’envahisseur, et gagner aussi sûrement que possible la France française. Il se trouva que mon tour de marcher revint quand nous suivions une large avenue bien droite et taillée des deux côtés, comme nos belles allées de Chantilly. Qu’il faisait bon vivre, malgré le froid et le souci ! Qu’elle semblait loin, la guerre ! Où étaient-ils, ses désastres ? Le vent soufflait dans les branches sans feuilles avec des bruits de marée lointaine ; tout nous transportait du monde de misères que nous venions de quitter, vers le monde tel qu’il devrait être, tel qu’il était fait... Pour mieux penser, je marchais, aidé d’un bâton, en tête de la caravane ; j’aperçus bientôt un grand poteau, peint en blanc, mais dont les planchettes indicatrices avaient disparu ; cela nous annonçait un carrefour. En effet, six ou huit allées se croisaient là ; de grands hêtres devaient, en été, y former une magnifique salle de verdure ; leurs branches nues se touchaient presque au-dessus du poteau, — mais je devinai cela plus que je ne le vis, — je n’avais d’yeux que pour une forme noire couchée sur la lisière du bois. Cette forme, je savais trop bien ce qu’elle signifiait : c’était un cheval mort... — tué, devrais-je dire — et tués aussi deux uhlans étendus près de lui, dans les broussailles, et la face vers le ciel. Leurs visages calmes me firent une pitié profonde. C’étaient pourtant des ennemis, et j’en avais vu naguère des centaines sans horreur. Je pense que ceux-là je les avais combattus, je les avais sentis des ennemis, au lieu que ceux-ci n’étaient pour moi que des hommes. « Ils seront tombés dans une embuscade, dit M. Richard ; il y a probablement des francs-tireurs par ici. Voyez ce sang tout frais, — c’est de la besogne d’aujourd’hui même. — Au moins, enterrons-les ! demandai-je. — Oui-da ! pour nous mettre en retard ! Il va neiger, et nous n’irons pas vite si nous allons du tout. D’ailleurs, ils ont assez de camarades pour y veiller et même pour les venger. » Je m’étais approché des uhlans, et je vis que les broussailles étaient froissées encore au delà. J’avançai et trouvai une autre victime de cette lutte obscure : un Français, en blouse galonnée et képi, tombé en avant, lui, et les bras étendus. Sans doute, ses camarades l’avaient tiré à l’écart pour qu’il fût moins tôt dépouillé. Un lourd sabre allemand lui avait ouvert le crâne ; son fusil Remington gisait, brisé, prés de lui. Quant aux uhlans, ils avaient été tués proprement, par des coups de feu, et ne montraient d’horrible que leur pâleur. « Je vous en prie, monsieur Richard, enterrons-les ! — La terre est gelée à deux pieds de profondeur. — Essayons. — Vous n’avez pas de raison ; il fera nuit dans une heure. » Pendant que nous discutions plus haut que nous n’aurions dû, un homme, un vivant du moins, avait surgi du taillis voisin. Blouse, képi, sac au côté et fusil sur le dos, ce ne pouvait être qu’un Français, sans doute un franc-tireur. « Vous en avez un rude toupet de passer par ici, dit-il presque gaiement en approchant. Bien vous prend d’avoir un air tout rond et point d’accent deutsch ! — C’était votre compagnon ? lui dis-je. — Oui. Même c’est moi qui lui ai mis en tête de partir... Pauvre garçon ! je lui redois quelque chose pour le coup qui l’a mis à bas ! Si dur qu’on soit, un camarade perdu, c’est du vrai chagrin. — Enterrons-le. — Pas moyen ; la neige va s’en charger. Ce matin, les uhlans étaient trop, j’ai dû m’esquiver ; maintenant ils sont rentrés chez eux, et je revenais le voir une fois. Et puis, je veux avoir les peaux de mouton des autres. C’est bon cela pour coucher dessus, on n’est pas mouillé. » Et il fit deux pas vers les cadavres des uhlans. « Oh ! laissez-les ! nous vous donnerons des tricots — les voilà tués, maintenant, laissez-les ! » Il nous lança un singulier regard : « Cela vous fait pitié à vous, hein ? Eh bien, pas à moi. Je déteste les Allemands. — Ceux-là sont morts, laissez-les ; vous en tuerez d’autres. Dites-nous le chemin pour rejoindre au plus vite un corps français. » Il se décida à nous guider, peut-être par un vague besoin de s’épancher ; et, comme les flocons de neige commençaient à tomber, notre petite colonne s’ébranla, laissant les trois pauvres morts au silence et à la nuit qui envahissait rapidement ces grands bois. « Savez-vous pourquoi je les déteste, les Allemands ? commença notre guide. C’est pas pour la guerre, on avait tort des deux côtés ; c’est pas pour leur victoire, fallait bien que quelqu’un gagnât ; mais j’en ai connu, un Allemand, et après ce que j’ai vu de lui, je suis dans mon droit en disant : C’est de la canaille. De mon état, je suis souffleur pour la verrerie. J’ai travaillé dix ans à la verrerie de Rougemont, — on la voit du chemin de fer, c’est à droite, sur la hauteur, en sortant de Cloyes pour venir à Vendôme. En 68, il se trouva un ouvrier nouveau, un Allemand, habile assez à l’ouvrage, mais surtout dessinant, mais là, comme un faiseur d’images. Il a été malade, et le maître et tout le monde l’a soigné plus que personne autre ne l’aurait été, parce qu’il était étranger ; pourtant le maître pensait bien ne pas le garder longtemps, vu qu’il pouvait faire mieux. Il dessinait tout et se faisait expliquer chaque pays de l’environ, soi-disant pour s’instruire. Quand il est quitté, au dernier printemps, il a fait faire une caisse plate pour emporter tous ses plans et qu’ils ne soient pas froissés. À dire vrai, nous avons ri de cela. — Eh bien ? — Eh bien, il y a cinq semaines, au premier passage, c’est lui qui menait les Prussiens. « Il m’a reconnu et m’a voulu donner la main, le gueux ! ‹ Eh, Mathieu, qu’il m’a dit, c’était pas tant du papier perdu, que mes dessins. Tu vois à quoi ça sert. Nous y sommes les maîtres chez vous autres, pas vrai ? › « Et il montrait aux officiers comme ils pouvaient arranger leur monde ; où se trouvait le bois, où la poterie, qui est l’endroit où l’on garde les moules, ce qui est le plus précieux d’une verrerie ; enfin, il faisait tout comme chez lui. « Alors je me suis dit : Ça ne peut pas rester comme cela. Il n’y a plus de travail ici puisqu’il n’y a plus de bois, le patron est parti rapport à sa dame, je suis veuf, voilà ma fille quasiment élevée, j’ai servi dans le temps ; en avant pour la guerre ! S’il y a une justice, c’est pas possible que des effrontés traîtres comme ceux-là aient toujours la chance pour eux. J’ai mis la même chose dans la tête de Goubaut, mon servant, et le voila tué de ce matin, pauvre garçon ! C’est assez de chagrin pour moi tout de même, allez ! » Encore cent pas, et notre éclaireur de la Sarthe, car telle était sa qualité, nous montra une route à gauche. « Avec cette neige, dit-il, vaudrait mieux vous arrêter jusqu’à demain, malgré les autres risques. Vous pouvez entrer dans la première ferme que vous trouverez sur votre droite. Ils nous ont fusillé là un camarade la semaine dernière, car c’est ça leurs habitudes avec nous ; faites-vous dire l’histoire si vous voulez quelque chose de gentil de leur part. Adieu et bonne chance ! — Où allez-vous ! — Rejoindre les camarades ici près. — Vous oubliez les tricots, dit M. Richard, voilà notre reste. — Merci bien. Auriez-vous pas du pain ? fit-il en hésitant. — Oui, mais bien peu et bien sec. — Ça ne l’ait rien, si seulement ça ne vous prive pas. » Je lui donnai le pain, puis une poignée de main ; et sa silhouette noire se perdit bientôt pour nous derrière la pluie de neige. Quelle que fût notre excitation morale, nous nous sentions harassés. Il nous tardait de rencontrer la ferme promise ; heureusement que nous ne la manquâmes pas malgré l’obscurité croissante. On nous y reçut comme un mal inévitable, mais nous ne demandions que de la paille et le droit de nous étendre. M. Richard eut seul l’énergie de s’informer « si l’ennemi était encore dans les environs ? — Sans doute, on l’avait vu la veille. — Savait-on où il était allé ? — Non, mais la route par Monthodon devait être libre jusqu’à Saint-Laurent, c’est par là que nous devrions aller, quitte à rabattre sur Château-Renault si nous apprenions à Saint-Laurent que cette partie du pays fut débarrassée. » J’avoue que j’entendis cela comme dans un songe, je me liais à notre brave dentiste, et dormais aux trois quarts. Ce matin au petit jour, nous étions sur pied. Se trouver tout habillé en s’éveillant a encore pour moi, malgré l’habitude que j’en ai prise, un certain charme qui vous prouve quel paresseux votre fils est resté. Nous n’avions pas de temps à perdre ; cependant les murs écroulés, les carreaux brisés, les traces de balles aux murs, me rappelèrent l’histoire du franc-tireur fusillé, et je la demandai à une femme triste et languissante qui nous avait reçus. Hélas ! les choses s’étaient passées là comme ailleurs. Un très-jeune homme, fils d’un notaire de la contrée, engagé dans les éclaireurs de la Sarthe, avait, un soir, cédé à la fatigue et s’était obstiné à passer la nuit dans cette ferme tandis que ses compagnons se retiraient plus loin. Dans la soirée, des coureurs allemands avaient paru, en hâte on avait réveillé le Français pour le cacher dans un grenier. Par malheur son sac avait été oublié, il fut aperçu ; les Allemands cherchèrent si bien qu’ils découvrirent le malheureux. Ils en voulurent faire un exemple, un exemple après tant d’autres ! Le pauvre garçon s’indigna d’abord, il allégua sa qualité de belligérant ; ses papiers étaient en règle, il les produisit ; il parla de rançon, pria, supplia, le tout en vain. Au matin, quand il se vit emmené dans la cour, il comprit que son heure était venue ; et en un moment il sut prendre son parti et faire honorer son dernier soupir. « Vous me regarderez jusqu’au bout, demanda-t-il au fermier et sa femme, d’abord pour mon père, et puis pour que les camarades aussi sachent que je ne leur ai pas fait honte. » « Pauvre enfant ! disait la fermière, il était tout pâle, mais on voyait son envie de bien faire ! Il s’appuya au mur, regarda fixement les soldats allemands au visage, et fit un grand signe de croix — comme cela — puis il lança son képi en l’air en criant : Vive la République !... Mais les coups étaient déjà partis, il tomba, la face à terre. Voyez, monsieur, c’est là qu’ils l’avaient placé. » Et elle me montrait une encoignure de muraille. — Je vis que le crépi avait sauté en plusieurs endroits ; à la hauteur même de mes yeux, une balle restait enfoncée dans le mur, elle avait gardé avec elle quelques cheveux bruns que le vent du matin faisait frissonner. Dans notre trajet de cette ferme à Monthodon, nous entendîmes des coups de canon sur la gauche. Un passant nous apprit qu’on tiraillait sur la route de Vendôme, mais que nous pourrions probablement entrer à Château-Renault par le côté ouest, car le général Curten tenait toujours. Nous hâtâmes la marche de notre petit cheval qui maintenant, du reste, ne traînait plus que le seul varioleux, car nous voulions nous habituer à la fatigue, et nous atteignîmes la ville dans un moment de calme. Il était dix heures. En traversant le pont de la Brenne, nous serrions les mains du brave homme à qui nous devions notre délivrance. Il fallait le quitter, et cela était triste, mais nous redevenions soldats. Sur la place, nous trouvâmes une agglomération de débandés qui me rappela les passages de fuyards à Oucques. J’allai au quartier du général Curten et fus assez heureux pour être reconnu par *** qui m’a présenté. Je rentre avec mon grade de lieutenant. *** m’a mis au courant de la situation. On compte évacuer la ville demain, car l’ennemi tend à couper la division Curten du reste du corps Jauréguiberry, qui occupe Château-du-Loir. Les Prussiens ont déjà poussé une avant-garde aux Ermites, tout près de ce Monthodon par lequel nous avons eu le bonheur de passer à temps. Il faut se hâter et tout mettre en ordre pour se replier en premier sur Beaumont-la-Ronde. Les plus grandes difficultés viennent des approvisionnements ; ce temps affreux, neige fondue et vent, complique singulièrement les choses. Je suis revenu trouver M. Richard et lui ai conté ce qui était nécessaire pour le décider à pousser plus avant sa retraite dès aujourd’hui. Il est convenu qu’il évitera la direction de l’Ouest, où les embarras de notre marche le rejoindraient, et qu’il descendra plutôt vers Tours avec son varioleux. C’est alors que je lui dis, non sans une émotion profonde, mon grand adieu. Le camarade reste avec moi, c’est donc déjà deux combattants que le dévouement de ce brave homme amène en ligne à l’heure du besoin. Si nous faisons quelque chose de bon, l’un ou l’autre, à lui en sera l’honneur. Il est six heures du soir ; je suis à l’hôtel de ville depuis midi attendant toujours qu’on m’assigne ma tâche. Je ne quitterai pas avant d’en avoir une. En attendant, je vous ai écrit un volume presque sans m’interrompre ; qui sait quand je retrouverai du loisir, une table, une chaise et un si délicieux poêle pour me chauffer le dos ! Dépêche de l’amiral : « L’ennemi est à Saint-Calais depuis hier matin et pousse vers le Mans, Hâter la retraite. » Je vous embrasse, chère maman, et vous tous, frères, sœurs ; priez Dieu pour que l’honneur, du moins, soit sauvé ! Je me porte aussi bien que jamais. Je voudrais m’en empêcher, mais je sens que je vais t’écrire une lettre lamentable, mon pauvre André. Il n’est pas bien étonnant que je sois au bout de mon petit courage, mais je crois que maman elle-même arrive au bout du sien, et c’est si triste de la voir, elle, notre force, abattue, prête à succomber sous un trop lourd fardeau d’anxiétés et de chagrins ! Il faut que tu le saches, même si cela doit te faire de la peine, maman est très-inquiète de toi. Depuis tes blessures à Loigny, maman n’est plus la même. Et nous avons si rarement de tes nouvelles ! tes lettres n’arrivent plus ; ma tante de Thieulin, la plus fidèle et la plus ingénieuse des correspondantes, parvient seule à nous dire ce que tu deviens, et c’est ainsi que je puis t’adresser cette lettre à Vendôme. Dans Paris, depuis l’échec de la sortie sur Champigny, tout est noir et menaçant. Mon père assure que lui et Maurice vont bien, mais il nous cache certainement ses privations, et ce qu’il avoue de son chagrin de ne pas recevoir de nouvelles, torture maman. C’est devenu une fièvre que son besoin d’écrire à mon père ; sans relâche, elle cherche des moyens de communiquer avec lui. Le Times, les ambassadeurs étrangers, les francs-tireurs, l’Angleterre, la Suisse, l’Amérique, même l’Allemagne dans la personne de notre vieille bonne hanovrienne, sont mis à contribution. Et vous, père et frères, causes de toutes ces angoisses, vous êtes encore les seuls par qui elle puisse être heureuse ! « Quel bonheur que mes frères soient braves ! lui disait hier Robert, n’en êtes-vous pas contente, maman ? » Notre mère a eu un mouvement qui ressemblait à de la joie, son front s’est éclairé, et embrassant Robert : « Tu as raison, a-t-elle dit, et ta maman a tort d’oublier ce bonheur, mais je voudrais tant que ton père sût comme André se conduit bien ! » Où elle est toujours la même, notre pauvre mère, c’est auprès des malades. Deux des soldats prussiens ont été pris assez subitement de la petite vérole pour que leur major, homme très-dur au fond, et qui ne permet jamais que les Allemands soient soignés ailleurs qu’à leur ambulance, ait consenti, d’après les vives instances de maman, à les laisser chez nous. Les pauvres gens désiraient nous rester ; je n’ai pu les voir, mais leurs camarades m’ont dit plus d’une fois quelle joie ils avaient eue qu’on ne les emmenât pas. Ces camarades sont tout surpris du dévouement de maman, qui passe des demi-journées entières entre ces deux lits empestés et a, pour ces pauvres gens, les attentions et les prévenances qu’on n’a jamais, disent-ils, que pour ses propres enfants. Je crois d’ailleurs que la société de ses malades est la meilleure consolation de maman. Une des grandes souffrances de cet hiver a été pour elle de vivre, sinon en hostilité, du moins en froid, avec ceux qui l’entouraient ; elle a combattu constamment contre sa nature bienveillante, qui lui fait d’ordinaire une tâche personnelle du bonheur et du bien-être de chacun. Maintenant elle répare cet arriéré, elle se retrouve elle-même, elle comble ses malades prussiens. Mon père ne l’a-t-il pas dit ? « L’homme prussien malade ou blessé est seulement un homme à secourir. » Aussi ceux-là sont-ils secourus et plus que secourus, ils sont aimés. Maman feuilletait tout à l’heure ses albums de portraits, puis fouillait ses tiroirs sans paraître trouver ce qu’elle cherchait. « N’as-tu pas le portrait de Maurice en uniforme ? me demanda-t-elle. Je l’avais et allai le lui chercher Elle le plaça à son rang d’âge parmi une dizaine de vos portraits à tous deux qu’elle enveloppait de papier. — C’est pour montrer à mes malades, fit-elle par manière d’explication, ils ont tant envie de voir mes fils ! À force d’en entendre parler, ils se sont attachés à eux. — Vous leur parlez de Maurice et d’André, maman ! — Sans doute, c’est ce qui les intéresse le plus. Franz a une mère qu’il aime tendrement et qui ne peut se résigner à le voir soldat. J’ai lu de ses lettres qui sont déchirantes. Le chagrin de sa mère l’a préparé à me comprendre ; il me dit qu’il se croit en famille quand il écoute mes peines et mes craintes. L’autre malade, Bürkel, n’a plus de mère, mais une grand’mère, trois petites sœurs, une fiancée. Il est d’un caractère mou, et depuis qu’il est malade il se laisse aller au découragement. Pour lui aussi, il est bon de penser à d’autres épreuves qu’aux siennes. — Il me semble que je ne pourrais pas causer de mes frères avec leurs ennemis ! lui ai-je dit assez sottement. » Maman m’a répondu d’un air tout à fait fâché : « Un malade n’est plus un ennemi. Vraiment, Berthe, je ne te reconnais pas. » La semonce était dure ! mais je l’aime tant, ma pauvre maman, je la plains tant, que je l’ai embrassée sans répliquer. L’état du pays est toujours le même dans la ville ; bruyants soupers d’officiers et vexations de tous genres ; dans la campagne, soumission nécessaire peut-être, mais soumission triste à voir. Personnellement, nous n’avons pas trop à nous plaindre. Si les ordres d’en haut sont impitoyables, la manière de les exécuter en adoucit souvent la rigueur. C’est toi, André, c’est mon père, c’est Maurice qu’il nous faudrait, ce sont des nouvelles, des nouvelles ! et notre pauvre maman se ranimerait et revivrait. Un mot seulement, un mot triste, mais non désespéré. Le moral des troupes est mauvais. Il y a de la lassitude déjà. Cela inquiète quand on songe à ce qui reste à faire... Il est vrai que nous leur demandons beaucoup. Le temps a été affreux toute la journée et il a fallu, sans prendre le loisir de manger, soutenir par la pluie et à travers les amas de neige des derniers jours, une marche forcée de douze heures. Envoyée en avant-garde, ma compagnie a eu la chance de trouver en gare, à Château-du-Loir, un dernier train qui emmenait quelques traînards de l’amiral. C’est à cela que nous devons d’avoir pu passer. L’ennemi attaquait Écommoy ; il doit en être maître maintenant, et la ligne est naturellement coupée. Je ne pense pas que le général Curten puisse rejoindre, et c’est dommage. Ses hommes n’auront rien trouvé pour se refaire, à Château-du-Loir. Les troupes de débandés qui traversent la ville depuis deux jours ont gaspillé les approvisionnements. L’ordre de porter avec soi quatre jours de vivres est inexécutable en l’absence de ces vivres. Ici même, à la porte du Mans, nous n’avons rien ; les heureux se sont couchés avec un verre de vin pour tout souper. Il faut espérer que l’intendance fera mieux demain, et je tâche de remonter le moral de mes hommes. On dit que l’armée allemande attaque partout à la fois, mais nous avons des positions magnifiques. Adieu, chère maman, cela me fait de la peine de n’en pas dire plus long ; quand pourrai-je vous écrire de nouveau ? Ce n’est pas tous les jours fête, ni halte à Château-Renault. Ah ! chère maman, que je voudrais éviter de vous écrire ce que j’ai vu, ce que je vois ! C’est déjà trop d’avoir à supporter le moment présent ; revoir le passé, vous en affliger, c’est comme fouiller une plaie saignante ! Et vous allez pourtant rendre grâce à Dieu que je sois en vie ! J’en devrais faire autant, mais, pardonnez-le-moi, même pour l’amour de vous, mère chérie, je ne le puis pas. Vous vous souvenez qu’après une marche forcée, de Château-Renault à Château-du-Loir, sous une pluie battante et dans des chemins encombrés de vieille neige qui fondait, ma compagnie avait pu encore le 10, et seule de la division Curten, gagner les avant-postes du Mans par la voie ferrée, que les coureurs ennemis avaient déjà plusieurs fois traversée. L’action s’engagea le matin du 11 sur la ligne de l’Huisne, elle s’étendait, dit-on, sur un front de six lieues : de Grand-Lucé au sud, à Montfort et Lombron vers le nord-est. À gauche, nous étions déjà tournés par l’ennemi entre Écommoy et Arnage, où le général Barry avait grand’peine à remettre de l’ordre parmi ses troupes exaspérées de se battre depuis si longtemps sans nourriture et sans repos. Ma compagnie suivit une partie de la division Deplanque, du 16e corps, sur les hauteurs de Bel-Essort qu’on lui avait assignées comme position. À droite et en face de nous, le fracas de l’artillerie annonçait une grosse affaire et une appréhension vague serrait la gorge, car on ne se sentait pas en train. Pour gagner notre poste de Bel-Essort, nous avions dû traverser un ramassis de misérables qui faisaient peine à voir. Les uns, épuisés de faim, ayant perdu leur compagnie, se couchaient dans la neige, les autres semblaient n’attendre l’ennemi que pour se livrer. On se demandait quels effectifs les régiments ainsi abandonnés pourraient mettre en ligne. Dans l’après-midi, nous quittâmes la crête sur laquelle notre artillerie était postée, pour tirailler au bas du coteau, dans un excellent terrain tout coupé de bouquets d’arbres, de talus et de haies. Là nous échangeâmes nos coups de fusil un peu au hasard, mais notre capitaine fut tué par un éclat d’obus. Je n’avais pas eu le temps de le connaître ; depuis ce moment je commande la compagnie. L’ennemi s’étant replié, je ramenai mes hommes à nos batteries, qui tiraient toujours avec un succès visible. On disait l’amiral content, et je me mis à prêcher l’espérance à mes pauvres affamés transis. On en avait besoin, d’espérance ! Le soir était venu. Pour des hommes épuisés par cinq semaines de misère incessante, commencer encore une longue nuit de veille dans ces conditions de jeûne et de froidure, c’était vraiment redoutable. Le petit nombre des précautions possibles furent prises, on coupa les arbres pour faire des feux qui ne voulaient pas brûler. Il nous semblait que, pour exciter notre envie, les bivouacs prussiens au loin dans la vallée brillaient joyeusement, et notre imagination supposait auprès de chaque feu quelque bonne soupe bien chaude. Je me souviens, cependant, d’avoir encore fait rire mes camarades, vers huit heures du soir, avec je ne sais plus quelle plaisanterie ; ce dernier rire seul m’a frappé par son contraste avec ce qui l’a suivi. « Nous sommes trahis ! Les Prussiens sont au Mans ! Les Bretons ont livré la route ! » Voilà ce qu’on entendit à droite, à gauche, en un instant. Les officiers essayèrent d’imposer silence. On envoya chercher des informations, des ordres, quelque chose qui démentît la clameur générale. Entre nous, nous nous rappelions pourtant les uns aux autres, mais tout bas, bien des murmures étouffés et quelques propos d’une lâcheté cynique saisis au vol les jours précédents ; nous sentions que tout était devenu possible, et l’horreur nous faisait frissonner. Ô ma chère maman ! vous le savez ce qui était vrai ! et vous savez aussi ce qui s’en est suivi ! Vos occupants ne vous auront rien laissé ignorer. — Les ordres vinrent, il s’agissait de reprendre la Tuilerie abandonnée sans combat par les mobilisés bretons ; on poussait en avant les troupes qui garnissaient Pontlieue, tout ce qui n’était pas indispensable à la garde de nos positions devait se joindre à cet effort. J’y courus. Ma compagnie ne comptait pas trente hommes quand je me mis sous le commandement d’un brave, le général le Bouëdec, qui essayait de tout son cœur de former des colonnes d’attaque. En sa présence, les rangs se dessinaient, les têtes baissées se relevaient, les premiers pas se faisaient, mais la fatigue, le découragement, une vague terreur de ces ténèbres glacées et de ce qu’elles pouvaient cacher paralysaient l’élan ; au bout de cinquante pas le voisin de gauche avait disparu, puis c’était celui de droite... Ce fut une nuit terrible. Peu de compagnies parvinrent à portée de fusil des Prussiens, cependant ces pauvres efforts les maintenaient quelque peu. Comme je revenais chercher des cartouches, vers cinq heures du matin, je rencontrai des fuyards du régiment que j’avais laissé sur les hauteurs de Bel-Essort. On était attaqué la aussi et l’on pliait. Je sus qu’à Pontlieue on envoyait les parcs et les fourgons de l’autre côté de la Sarthe. De ce moment j’eus la mort dans l’âme, et, rassemblant quelques désespérés, je retournai au feu. — Le jour parut. Par une pitié du ciel, les Allemands ne savaient pas combien il restait peu de troupes devant eux en état de leur tenir tête, de sorte qu’ils ne se hâtaient pas, et notre artillerie et son matériel avaient le temps de traverser le pont de l’Huisne. On m’a dit que le désordre dans les rues du Mans fut effroyable, je n’en ai rien vu. À Pontlieue même cela ne se passait pas trop mal. Le 12, vers onze heures, nous étions décidément ramenés en arrière, mais notre tâche était achevée, car l’armée avait passé, et le pont sautait au nez des Allemands. Il sautait trop tôt pour moi et une vingtaine de camarades, qui avions résolu de tenir tant que faire se pourrait et qui restions abandonnés sur la rive gauche. On trouve à cet endroit, le long de la route, une usine dont j’ignore la destination ; j’ordonnai à ma petite troupe de se réfugier entre les divers bâtiments qu’entoure un jardin, c’était du temps de gagné et quelques coups de fusil de plus à tirer. Nous traversions à toutes jambes le parterre quand un jeune homme se jeta au-devant de nous et, nous appelant, nous conjura de le suivre ; il pouvait peut-être nous sauver, disait-il. C’était le fils du manufacturier. Il nous guida, toujours en courant, au bord de la rivière ; il y avait fort heureusement, cachée par les buissons de la rive, une longue planche étroite qui servait aux ouvriers de l’usine ; nous ne pûmes y passer que deux par deux de peur de la briser, et j’avoue que cela nous semblait bien long. Rien ne trouble un parti pris de se faire tuer comme une chance de salut qui intervient tout à coup ; on se retrouve souhaiter la vie, ou du moins on fait, pour profiter de l’occasion, comme si on la souhaitait. Mon inquiétude, c’est que le brave garçon qui nous a sauvés aura pu le payer cher. Je lui disais de venir avec nous, mais il devait garder l’usine de son père. Encore un à remercier, chère maman, dans des temps plus heureux. Je savais que le corps de l’amiral se retirait par la route de Laval. Je voulus éviter de traverser la ville encombrée et fis suivre à mes hommes la route qui passe devant la gare. Je m’aperçus là que tout le matériel n’avait pu partir, mais les boulets pleuvaient déjà sur la gare, et quelques-uns même, sifflant par-dessus nos têtes, atteignaient la ville ; il n’était plus temps de rien essayer pour ces locomotives abandonnées, et je ne pensai plus qu’à stimuler la marche de mes compagnons fourbus. Nous suivions péniblement les berges de cette Sarthe que j’avais vues naguère si paisibles, et nous allions atteindre le premier pont après l’usine à gaz... (ouvrez vos grands yeux, chère maman, et dites si, malgré tout, je ne suis pas né coiffé !...) quand je fus frappé de l’aspect d’un homme qui, appuyé sur le parapet, nous regardait venir. Il me semblait avoir vu quelque part ce chapeau, ce menton rasé et cette blouse bleue sous laquelle j’imaginais instinctivement les pans d’une redingote. C’était, avec un parapluie de cotonnade, un ensemble confortable et net que mon cerveau fatigué se rappelait vaguement. Encore quelques pas... « Barbier ! m’écriai-je tout à coup. — M. André ! ce peut-il bien être vous ? — Mais, Barbier, votre fils ? — Prisonnier, M. André ! Prisonnier et bien portant, une fière chance, allez ! Aussi je suis revenu voir après vous depuis déjà quinze jours, et c’est ça qui me fait guigner tout ce qui passe. — Mon cher Barbier !... ne vous inquiétez plus de moi ; voyez, je n’ai pas une blessure et il me faut vous quitter en hâte. — Ça ne fait rien, on vous reverra. Où allez-vous ? — Route de Laval, c’est tout ce que je sais. » Ce revoir a été un éclair de joie, mais que vous dire, ma pauvre chère maman, de ce qui a suivi ! Ce n’est pas seulement contre l’ennemi qu’il faut se battre, c’est contre la maladie, la faim, le gel des membres, le découragement qui pousse au suicide. — Hier, un lieutenant s’est tué devant moi. — La lassitude est telle, qu’on se couche dans les fossés et qu’on y reste. La faim décide des centaines d’hommes à se perdre dans le brouillard pour chercher l’ennemi et se faire prendre et nourrir. Les chefs ne sont plus rien, on n’écoute que sa souffrance. Et pourtant il y a des âmes qui résistent à cette épouvantable débâcle morale. Si je vous revois, que de choses à vous conter I J’ai dit : si je vous revois, chère maman, et je ne sais pourquoi ce mot-là s’est trouvé sous ma plume. Surtout, ne le prenez pas au tragique ; je vais très-bien, et les chances de rencontrer l’ennemi diminuent. Quand je vous reverrai, vous saurez me rendre soumis et enlever l’amertume à ma douleur de vaincu. Madame, Celle-ci est pour avoir l’honneur de dire à madame que M. André est retrouvé. Ce n’est pas sans peine, et pourtant il a encore fallu que le ciel s’en soit mêlé. C’est le 12, comme la grande déroute était dans son plein, qu’il a passé devant moi, un des tout derniers, couvert de boue, noir de poudre, enragé de s’en aller ; en cet équipage, et maigre comme il est devenu, s’il ne m’avait pas reconnu, jamais je n’aurais su mettre son nom sur sa figure. Il allait prendre la route de Laval. En deux temps, je m’en suis allé querir ma jument qu’était pas loin, à l’auberge, et me voilà à la poursuite de M. André. Mais j’ai commencé dès lors à voir les inconvénients de ma démarche. Je n’étais pas à trois cents pas que deux traînards s’étaient relevés du fossé en entendant mes roues, et, sans me demander du tout ce que j’en pensais, ils avaient grimpé dans ma carriole. Pas loin après ce fut un autre qu’il fallut prendre ; après encore, nous tombons dans une bande et ceux-là veulent faire déguerpir les trois que j’avais pour se mettre en place, tout comme si j’étais venu là pour leur convenance. C’est comme cela qu’ils m’ont fait passer la journée, naturellement sans rattraper M. André et à la grande misère de ma jument pour qui la route, tout enneigée et pleine de monde, n’était point commode. Aussi madame comprendra que je leur aie joué un tour de ma façon. À un village, ils descendent chercher de quoi boire et manger ; je leur laisse ma carriole pour leur donner confiance et m’en vas à la piste d’une traverse passable. Je reviens, ils étaient bien occupés à conter leurs affaires ; je détache ma bête et me sauve. Ils courent après leur équipage, mais je savais par où aller et eux n’en avaient pas idée, tant il y a que je leur ai échappé. Quoique ce soit grand’pitié de se méfier du monde de son pays, j’ai résolu après cela de me tenir autant que ça se pourrait dans les solitudes et d’attendre que les chefs aient remis leurs gens à l’obéissance avant de rentrer dans le courant. Madame peut croire que j’ai eu une fière misère à endurer et ma bête aussi, car le froid est dans des numéros qu’on n’a jamais vus, avec un pied et demi de neige. On prétend que, dans les temps éloignés, on avait coutume d’arrêter les guerres tant que l’hiver durait ; ça me semblerait mieux entendu et on devrait revenir à ça, car c’est seulement un métier à geler les gens tout vifs qu’on pratique pour l’instant. C’est ce qui me ramène à mon objet, qui est de prévenir madame que ce n’est plus une guerre à laisser faire à un jeune homme de bonne famille, comme est M. André. Il arrive juste ici où je l’attendais depuis ce matin, ayant pu prendre de l’avance sur l’armée, et j’affirme à madame que si madame sa mère ou madame elle-même voyait où en est réduit un jeune monsieur si robuste et on peut bien dire si avenant, elles ne le laisseraient pas un jour de plus à un métier que je n’ai trouvé beau jamais, mais qui est maintenant tout-à-fait gâté. Faudrait que ces dames se pussent imaginer ce que c’est qu’une marche du matin au soir, et tous les jours, dans un pied de neige, fondue ou pas fondue, souliers percés, jambes mouillées, dos mouillé, et rien dans le ventre. Pas trois hommes vont à leur rang, on se bouscule, on se presse ; on s’arrête en tête, la queue pousse et crie ; un malheureux tombe, tant pis pour lui, on passe dessus. Voilà un fourgon avec la roue cassée, vite au pillage ! il faut manger du moins un morceau avant de crever ! — Boum, boum,... c’est le canon derrière, le canon de l’ennemi. Par ici une batterie, par là une autre... et voilà les officiers qui, pour couvrir la route et laisser écouler cette foule, se démènent, retrouvent des artilleurs, ordonnent des épaulements, ramassent vingt cavaliers et les lancent à la découverte. Et puis ils appellent à eux ce qui reste encore de braves gens : Venez vous faire tuer, allons ! un peu de bonne volonté ! — Pour un demi-cent qui vient, il y en a un cent qui jette les fusils, de peur d’être obligé de rester pour s’en servir. Et comme cela, c’est toujours les mêmes qui se battent, et il n’y a plus de tués que les braves gens. Or, j’en préviens madame pour ma conscience, M. André n’est point fait pour être laissé dans ces situations-là. Faut croire que c’est plus fort que lui, il s’arrange pour être toujours où on se fusille. Madame a su comme c’était dans la Beauce ; maintenant que le voilà capitaine, ça a encore empiré. D’abord il n’a plus un moment pour souffler, il parle à ses hommes et les décide quasiment à faire comme lui, il est toujours en souci pour que chacun ait ses cartouches ou son eau-de-vie quand il y en a, ou son pain ; ça lui a ôté les petits moments de relâche qu’il aurait pu avoir ; et c’est tous les jours qu’il fait ce chien de métier et toutes les nuits, depuis le 9 du courant. Croit-on que c’est une vie à le remettre de la forte maladie qu’il a eue à Vendôme ? Et le pire, c’est encore le chagrin qu’il se fait de ce qui se passe et sa rage ; c’est pas possible que sa nourriture lui profite. Aussi je me vois forcé de répéter à madame que sa famille le devrait faire revenir ; plus tard, il ne serait peut-être plus bien temps. Il est maigre, il tousse, il boite que c’est une pitié. Les majors le renverraient si on leur demandait leur avis ; il n’y aurait qu’à leur faire signer une feuille d’entrée à l’hôpital, et puis on le retirerait. En attendant ce qu’en pensera madame, je ferai de mon mieux comme à l’ordinaire pour prendre soin de M. André ; il serait vexé de ce que j’écris, mais je suis le serviteur de madame et je me souviens de ses ordres. Bien le bonjour chez nous si madame a cette bonté. Faut-il que mon gars ait eu de la chance d’être attrapé avant tout ça ! Serait-il pris à cette heure, faudrait qu’il pâtisse aussi, car l’ennemi n’est pas nourri bien plus richement que nous, et guère de bonne humeur si ce qu’on dit est vrai. Cela va moins mal, ma chère maman. Il y a deux jours, nous avons eu à Saint-Jean-sur-Erve un combat honorable. L’artillerie y a joué le principal rôle ; heureux sommes-nous de l’avoir sauvée ! elle nous l’a bien rendu. Notre 16me corps me semble avoir eu l’honneur des principales attentions de messieurs les Allemands, il a fallu se battre tous les jours jusqu’à hier. À peine pouvait-on leur opposer un rideau de troupes tenant ensemble pour masquer l’effroyable mêlée qui ondulait en arrière, et pourtant nous n’avons perdu un ni canon ni un caisson ; je ne parle pas des hommes ; certains bataillons sont comme fondus, qu’en retrouvera-t-on ? Personne ne le sait. La cavalerie allemande a dû ramasser des milliers de pauvres misérables aussi écloppés au moral qu’au physique, la majeure partie du reste forme la masse confuse que par politesse on appelle encore l’armée. Il y a peu de tués, davantage de blessés et de malades qui vont très-probablement mourir, parce qu’il n’y a plus rien d’organisé pour eux. Je suis toujours et complètement intact, chère maman ; vous savez que je vous dis la vérité vraie. Un des progrès accomplis, c’est qu’on nous donne à manger. Il était temps. La souffrance de la faim, depuis le Mans, a été horrible et a fait quelquefois oublier les autres. Vous savez qu’une de mes petites prétentions était de supporter le jeûne à l’aide d’une forte préoccupation. Certes, les fortes préoccupations ne me manquaient pas ; eh bien, il est venu un jour où je n’avais plus que celle-ci : manger et trouver à manger pour mes hommes. L’état de quelques-uns est affreux, il semble que la vie se soit retirée d’eux trop loin pour revenir ; même depuis qu’ils mangent on ne les voit pas se ranimer. J’ai eu tout à l’heure une petite querelle avec Barbier, et autant vaut vous la conter, car il me menace de vous écrire exprès. Grâce à sa qualité de civil, il a pu entrer ce matin dans Laval dont l’accès est interdit aux militaires. Il voulait nous procurer quelques vivres de supplément, et, avec beaucoup de peine, il est parvenu à acheter diverses excellentes choses, mais en très-petite quantité. Un pot de Liebig, échappé par miracle à la chasse que toutes les ambulances ont faite à ses pareils, était la perle de la collection, et parce que son contenu a passé d’un coup, à faire une soupe exquise à ma compagnie, mon Barbier est complètement en colère. Il n’a pas voulu en goûter et me poursuit des admonestations les plus dures et des prédictions les plus sinistres. Ce n’est pas vous qui me gronderiez si fort, ma chère maman, d’autant plus que je suis encore privilégié malgré tout : il m’a rapporté des chaussures taillées sur un modèle gigantesque, mais qui ne m’en permettent pas moins d’avoir quelquefois les pieds secs. Pauvre brave Barbier ! jamais je n’oublierai ce qu’il endure en ce moment pour moi. J’espère qu’il sent, que, malgré mes résistances, ce n’est pas de la souffrance perdue que la sienne. Hier, comme j’entrais à Soulgé-le-Bruant, à jeun depuis la veille, transi de froid, réellement épuisé, je le trouvai tout à coup sur mon chemin. Je ne savais plus trop où j’en étais et je n’aurais pu lui rien demander ; il vit d’un coup d’œil ce qu’il me fallait et me mit sa gourde aux lèvres. Je bus quelque chose de délicieux qui me donnait, en passant par le gosier, cette sensation du chaud que j’avais presque oubliée. Puis il me coucha sur la paille dans la halle qu’on nous avait assignée, il me couvrit de son propre manteau et se tint longtemps près de moi pour qu’on ne me réveillât pas. Aussi ce matin j’étais ressuscité. J’ai voulu revenir à sa gourde ; cette délicieuse boisson ne m’a plus paru que ce quelle était réellement, une affreuse eau-de-vie bonne à faire des frictions. J’espère que nous resterons ici. Le pays me semble bien disposé pour la défense telle que nous la pouvons pratiquer. On dit la ligne de la Mayenne très-forte, il est vrai que l’on pensait de même des positions du Mans ! Mais c’est si douloureux de rencontrer quelque part, dans une école ou une gare, une carte de France ! Cette longue fuite vers l’Ouest, ces départements abandonnés peu à peu, ces villes laissées l’une après l’autre aux outrages des victorieux, cela vous saisit le cœur tout à nouveau et il prend un ardent désir qu’une bonne fois on se décide à vaincre sur place ou à se faire tuer sans aller plus loin. En attendant, nous nous retrouvons quelque peu les uns les autres. Mon vieux 39me de marche, mon premier régiment, est ici, mais il a beaucoup souffert. La division Curten est arrivée hier ; elle a pu se dérober depuis Château-du-Loir et n’a qu’à peine combattu, aussi est-elle déjà mise en avant-garde. On a de bonnes nouvelles de Bourbaki dans l’Est, et Paris, ce pauvre cher Paris auquel on n’ose presque plus penser depuis qu’on en est si loin, tient admirablement. Nous mettons tout ensemble pour nous en refaire une espérance. Écrivez-moi, chère maman, j’ai tant besoin que vous me consoliez ! Trois mois de siége ! Eût-on jamais pensé que le peuple parisien supporterait pareille épreuve ! Trois mois de monologue pour lui qui aime tant à recevoir ou à donner la réplique, dont la vie morale s’alimente d’ordinaire des nouvelles vraies ou fausses du monde entier, voilà trois mois qu’il est forcé de vivre sur son propre fonds, et il ne semble pas s’en trouver plus mal ! Le besoin du rire, ce trait du caractère français, est resté le même dans nos traverses et je voudrais avoir enregistré quelques-unes des plaisanteries plus ou moins fines, mais toujours bienvenues, dont les expédients culinaires ont le privilége de faire les frais. En résumé, personne ne se plaint, sauf les maris et les pères privés de nouvelles et qui ne peuvent s’habituer à ce silence presque complet. Les étrangers, restés à Paris pour leurs affaires, partagent nos privations et n’ont pas le sentiment patriotique pour les soutenir, aussi ne cachent-ils plus leur désir de voir le siége se terminer d’une façon ou de l’autre. « Si Paris ne veut pas capituler, disait hier soir ***, qu’on nous laisse nous rendre individuellement ! » et malgré, la forme plaisante, on sentait la lassitude dans l’accent. L’ensemble de la population, et surtout de la population féminine, reste admirable. Il y a des illusions, parfois un peu de jactance, mais le sentiment qui domine est celui de la grandeur de la cause auprès de laquelle tous les sacrifices sont minimes. Et cependant la mortalité augmente de semaine en semaine, les enfants surtout sont frappés ; tu serais navrée de la vue des chétifs petits visages qu’on rencontre. Hier, j’en étais impressionné plus que de coutume encore, en traversant Paris pour aller inspecter le fort de ***, et, je ne sais comment, je me suis cru transporté à vingt ans en arrière, dans ce wagon qui nous ramenait toi et moi de Marseille, avec Maurice tout petit. T’en souviens-tu ? nous n’avions pu trouver de lait pour lui au buffet d’Avignon et tu m’assurais, de la meilleure foi du monde, que jamais l’enfant ne supporterait d’attendre sans ce lait jusqu’à l’arrivée à Lyon. J’avais fini par m’inquiéter aussi. Nos pauvres petits Parisiens ! depuis combien de temps ne leur manque-t-il pas ce lait que leurs mères aussi leur savent nécessaire ! J’étais donc hier au fort de ***, et là, du moins, ma visite a été un vrai plaisir. Les forts, depuis le siége, sont livrés à la marine. Ainsi qu’un vaisseau, le fort est isolé du reste du monde, et les marins s’y sont installés de manière à rendre leur prison fixe aussi confortable qu’ils sauraient rendre leur prison flottante. Dans tous les détails on sent le goût et l’habitude de l’arrangement. Maintenus occupés, les marins ne connaissent pas l’ennui, et sont préservés des mille tentations auxquelles céderaient des hommes oisifs. Ils ne s’absentent pas, ne s’enivrent pas, et non-seulement sont soumis à leurs chefs, mais encore savent mettre de l’entrain dans leur obéissance. Maigre leur supériorité reconnue sur tous les autres corps employés à la défense de Paris, ils sont généralement aimés, et je crains seulement qu’ils ne finissent par être gâtés par l’opinion, en même temps que trop employés par les chefs. C’est une tentation très-naturelle que celle de les réclamer un peu partout ; avec eux on n’a à craindre ni défaillances ni maladresses, on sait que le possible sera fait. En somme, l’exemple des marins est excellent. Quand il s’agira de la réforme de l’armée, je voudrais qu’on étudiât la manière dont s’est établi l’ascendant des officiers de marine sur les matelots. Je crois que le respect pour les connaissances de l’officier y est pour beaucoup. L’officier de marine sait incontestablement des choses qu’ignore le matelot et dont celui-ci comprend l’importance ; dans l’armée de terre, nos jeunes lieutenants, pour ne pas parler des grades supérieurs, sont trop vite percés à jour par leurs subordonnés intelligents. L’autorité est factice, elle tient à l’épaulette et non a la valeur vraie de l’officier. L’armée de terre ne se sauvera et ne sauvera le pays qu’en élevant son niveau moral et intellectuel. Le travail, le travail et l’amour du pays, tout est là. L’ennemi bombarde depuis ce matin le plateau d’Avron et les forts de l’Est. C’est du nouveau, un nouveau prévu, mais redoutable. Avec les obus tombe la neige. Brillante et paisible, elle semble une messagère venue d’en haut, pour couvrir d’un même linceul les amis et les ennemis. Nos troupes souffrent cruellement dans la tranchée ; ce froid est plus difficilement supporté par des hommes que les privations ont affaiblis. On brûle toutes les clôtures, on coupe les arbres des promenades : la pitié pour les souffrants est trop grande pour que personne regrette ce qu’on leur sacrifie. Tout à l’heure, sur le boulevard Pigalle, je remarquais des femmes dépeçant à coups de ciseaux les souches des arbres qu’on avait sciés il y a quelques jours. Elles étaient blanches de neige et ne pensaient pas à s’interrompre ; ces chétifs éclats de bois vert et humide étaient une espérance de vie pour leurs enfants. Je reviens, ma chère femme, d’une expédition qui eût été selon tes goûts. Quelques-uns de nos amis, préoccupés comme nous tous des souffrances de nos soldats, avaient imaginé qu’il serait possible de leur distribuer dans la tranchée même quelque boisson chaude qui les aiderait à réagir contre le froid excessif. Ils avaient pensé qu’une locomobile permettrait de chauffer rapidement une grande quantité de liquide à la fois, et nous sommes partis ce matin avec notre instrument que traînait un cheval, avec un panier de bouteilles d’eau de vie et même du sucre. Il y avait sept degrés de froid, un fort vent du nord, peu de neige. Nous nous dirigeons vers Drancy, où l’on construit à l’abri des murs écroulés du château de M. de Ladoucette, une puissante batterie destinée à battre le Bourget. Nous nous établissons aussi parmi ces ruines, et bientôt notre eau bout. Le colonel donne ordre que chaque compagnie vienne à tour de rôle à la distribution. L’eau chaude passe dans un seau où l’on a mis le sucre, on remue avec une pelle de bois, une pelle de baby, puis on ajoute une bouteille de cognac. En une heure et demie, nous avons pu distribuer un tiers de litre par homme à 1,200 hommes. Par malheur, chacun de nous a une tâche spéciale et cela empêchera de renouveler souvent notre expédition, mais nous nous sommes convaincus que des distributions semblables seraient faciles à établir par l’intendance. Au retour, triste nouvelle : notre artillerie a évacué le plateau d’Avron, rendu intenable par le bombardement. L’autre jour on apprenait par l’état-major prussien que l’armée du Nord avait été défaite le 24 et le 25... Quelle triste fin d’année ! Nous avions un heureux moment ce matin en versant les grogs à nos pauvres soldats, et voilà que nous retrouvons plus sombre encore le sombre avenir que nous avions tâché d’oublier ! Maurice ne peut admettre la pensée de la défaite finale. D’après lui, le secours viendra, il ne sait trop d’où, mais il viendra. C’est un brave et digne garçon sans égoïsme et passionné pour le devoir. Que Dieu l’entende ! Le bombardement n’a pas cessé, mais il n’a aucun effet sur les forts. Quel soulagement de la voir s’achever cette triste année 1870 ! il me semble impossible que celle qui commence demain ne vaille pas mieux. Il y a pourtant un degré d’infortune au-dessous duquel on ne peut pas descendre ; n’y sommes-nous pas déjà ? Je quitte ce cher et malheureux ***. Il vient d’apprendre la mort de sa femme, enlevée soudainement il y a deux mois. Tu l’auras su sans doute alors par des amis communs, mais lui avait continué pendant ces deux mois à la croire vivante, telle qu’il l’avait laissée, au milieu de leurs cinq enfants, nourrissant le dernier... Il lui écrivait chaque jour. Un petit carré de papier de cinq centimètres lui a appris son deuil et brisé sa vie. Il comprend à peine, se demande ce qu’on aura fait de ses enfants, et la plus affreuse des douleurs s’aggrave pour lui de toutes sortes d’amertumes inconnues. J’ai trouvé près de lui quelques intimes. Chacun fait un triste retour sur soi-même devant une telle épreuve ; bien peu d’entre nous ont su quelque chose des leurs depuis trois mois et demi, et la pensée que ce silence peut cacher un deuil semblable est devenue un atroce cauchemar. Ma femme bien-aimée, André, Berthe, Marguerite, Robert, me serez-vous tous rendus ? et quand ? Hier, la journée des assiégés avait bien commencé, malgré dix degrés de froid. Quelques numéros du Moniteur prussien, journal officiel de Seine-et-Oise, avaient pénétré jusqu’à nous et nous leur avions dû un aperçu de l’état des choses hors de notre prison qui nous avait fait quelque bien. Ce n’est pas que ces journaux renfermassent de bonnes nouvelles, mais ils n’en donnaient point de mauvaises, et c’était beaucoup. Il semble ne s’être rien passé d’important sur la Loire, pas de nouvelles de ce redoutable Frédéric-Charles ; mais des témoignages que la résistance de la province s’est accentuée, voilà qui avait suffi à nous donner une lueur d’espérance. Tu vois que nous ne sommes pas gâtés ! Il faut peu de chose pour réjouir des assiégés qui s’imaginent parfois qu’au delà de l’enceinte de leur prison, tout s’est écroulé. Le soir, les rapports constataient un redoublement d’activité du feu de l’ennemi ; le même vacarme continue toute la nuit ; le matin nous apprenons que des obus sont tombés dans le quartier Saint-Jacques, rue Gay-Lussac et boulevard Saint-Michel. La population n’en paraît point émue, quoique quelques habitants des quartiers atteints quittent leur domicile. On est résolu à voir en beau, et l’avis général est que les Prussiens ne se seraient pas décidés au bombardement de la ville même, ce qui sans avertissement préalable est monstrueux comme fait de guerre, s’ils n’étaient pas eux-mêmes menacés. On les juge pressés d’en finir par crainte de la province, et l’attente d’une délivrance prochaine fait saluer presque gaiement les formidables détonations des grosses pièces de siége. Est-il besoin de te dire que je ne partage pas la commune espérance ? Ce peuple est bien toujours le même, prompt à l’illusion, volontiers séduit par l’absurde, mais si admirablement généreux qu’il cherche des excuses à ses pires ennemis, et cela sous leurs bombes mêmes. Le bombardement continue avec la même violence contre les forts et les quartiers du sud, les obus pleuvent maintenant jusqu’à la rue de Madame. Le Panthéon, l’École des Mines, le Luxembourg sont atteints ; les habitants s’établissent dans leurs caves ou se réfugient de ce côté-ci de la Seine. J’ai invité les ***, dont la maison avait reçu deux bombes et qui avaient passé la nuit dernière dans leur cave, à venir prendre notre appartement, ils s’installent en ce moment. Comme les Prussiens pointaient hier de préférence sur l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, Trochu leur a fait dire qu’il allait y concentrer les blessés allemands ; les obus ont immédiatement pris une autre direction. Malheureusement il y avait déjà des infirmières et des malades d’atteints. En somme, les accidents ont été peu graves relativement au nombre des obus tombés dans la ville, mais le fait que les victimes sont des femmes, des enfants, des passants ou des dormants, les rend odieux. Il était devenu pour ainsi dire classique qu’une ville investie ne pouvait être bombardée avant que la libre sortie n’eût été offerte aux femmes, aux vieillards et aux enfants. Malgré sa surprise, la population reste très-ferme : ni effroi, ni stupeur, ni colère, ni agitation d’aucune espèce. Si l’on analysait le sentiment général, il s’en dégagerait peut-être une certaine satisfaction de voir que l’ennemi juge nécessaire de déployer tous ses moyens pour nous réduire. Les haineux, ou du moins ceux qui s’efforcent de l’être, se déclarent enchantés que la Prusse endosse une infamie de plus. — Hélas ! cela peut bien consoler sur la rive droite, où les bombes n’arrivent pas, mais cela ne console pas sur la rive gauche, là où un pauvre petit, dans sa chambre, vient d’être affreusement mutilé par le même projectile qui tuait à côté de lui son père et sa mère. Cela ne console pas ceux qui aiment l’âme humaine pour elle-même et quel que soit l’uniforme dont on habille son enveloppe. Infamies prussiennes ! dit-on, mais qui en souffre, sinon l’humanité tout entière ? Elle croyait au progrès, à la civilisation, à la lumière, et elle ne sait plus où elle en est. Qui en souffre ? sinon l’idée chrétienne. L’idée chrétienne doit changer la face du monde, et elle la changera ! ma foi reste entière ; mais malheur à ceux qui arrêtent son œuvre, foulent aux pieds ses conquêtes et retournent de gaieté de cœur à la barbarie ! Je ne serais pas surpris que l’impatience gagnât la population. On finira pas forcer la main au général et par obtenir des sorties. Des pigeons sont arrivés. Il y a de bonnes nouvelles de Faidherbe, qui a battu les Prussiens à Bapaume ; on attend de grands succès dans l’Est, enfin Chanzy manœuvre sur la Loire et reçoit des renforts. Quand aurai-je une dépêche pour moi et saurai-je si mon cher, cher lignard a résisté à tant d’épreuves ? Une bombe par minute cette nuit dans le quartier Saint-Sulpice, préférence marquée des obus pour les établissements hospitaliers, entre autres la Pitié. Vent du nord qui a ramené un froid de plus en plus difficile à supporter, puisque le chauffage fait complètement défaut. Diminution nouvelle de la ration de cheval (80 grammes pour trois jours). Enfin, vagues rumeurs de trahison, trop pardonnables dans une population éprouvée jusqu’à l’extrême limite de ses forces, mais néanmoins rumeurs insensées et dangereuses : voilà le bulletin du jour ; il est triste. On sent la souffrance autour de soi si grande, qu’elle oppresse ; on n’ose plus, comme jadis, regarder dans la rue les passants au visage ; on craint trop de rencontrer l’œil enfoncé et le teint blême de malheureux pour lesquels on ne peut rien. Oh ! l’empereur d’Allemagne ! de quel fardeau il charge sa vieillesse ! Chaque jour il profane les paroles du Saint Livre en les associant à ses ordres ou à ses triomphes sanguinaires, et il n’a pas su trouver dans ce même Livre une seule leçon de miséricorde ou de simple justice ! Il mêle ce qu’il y a de plus odieux à ce qu’il y a de plus sacré, et l’on dirait qu’il veut faire reculer le xixe siècle jusqu’au pire moyen âge dont il semble échappé ! Et cependant, il y a des gens heureux dans la ville désolée ! J’entrais ce matin à l’ambulance Chaptal, le jour commençait à peine ; je croisai sous le porche Mme *** qui sortait. « Je croyais que vous ne deviez plus passer de nuits ? lui dis-je. — Je ne le fais pas habituellement, répondit-elle, mais mon 219 allait mourir ; vous savez que nous nous aimions beaucoup ; il m’a priée de rester jusqu’à la fin. Il a peu souffert au dernier moment, le pauvre garçon ! — Peut-être, mais vous ! pour vos forces, il faudrait que le siége se terminât. — Oh ! ne dites pas cela ; c’est si bon de se sentir utile, de consoler ! Vous savez, ajouta-t-elle, que je n’ai pas à me plaindre de mon lot en ce monde ; eh bien, c’est ici que j’ai connu les meilleures joies. » Et deux grosses larmes ont coulé sur ce visage si jeune encore et d’ordinaire si gai, qu’on n’aurait jamais songé à l’associer au ministère lugubre qu’elle venait de remplir. D’autres femmes de tes amies me le disaient aussi : « Avec toutes ses douleurs, c’est cependant un hiver qui sera béni pour nous. Les souffrances sont horribles à voir et il nous semble que nous n’oublierons jamais certains spectacles, mais du moins on combat contre le mal et la souffrance, et l’on sent qu’on les diminue en une certaine mesure. Et puis nous vivons pour la première fois comme Dieu veut que l’on vive, il n’y a pas de partage difficile à faire entre le monde et notre œuvre, tout est à elle. Et combien de gens nous aimons maintenant que nous n’aurions jamais connus ! Nous n’aurions jamais cru qu’il y eût tant de bon dans notre peuple. Nous avons beaucoup appris. » Bienheureux dégel aujourd’hui. Quoiqu’on ait brûlé toutes les barrières, les arbres des promenades, les bancs, les charpentes, jusqu’à l’asphalte des trottoirs réduit en briquettes, la souffrance du froid dépassait toutes les autres. La mortalité a augmenté dans une proportion considérable. La vie est usée à ce point, dans la population, en général, que toute force physique de résistance est éteinte, le moindre accident amène la mort. Le bombardement réclame aussi sa part dans le total de chaque jour. À entendre l’effroyable tapage de l’artillerie, les profanes imaginent que tout doit être détruit, maisons et habitants, et sont soulagés en apprenant par le journal que le nombre des victimes est de trente ou quarante seulement. Seulement ! mais ces chiffres reviennent tous les jours, et l’impression dans le quartier même est bien différente. Ces victimes, c’est le voisin, la blanchisseuse, une cuisinière, l’enfant du portier que chacun connaît ; l’un jouait dans la rue, l’autre dormait dans son lit, et voilà ! Toutes les influences convergent en ce moment pour obtenir une nouvelle sortie. Il y a dans la population une certaine impatience nerveuse qui finira par réagir sur la direction des opérations militaires. On est bien malheureux, à des heures pareilles, de posséder l’autorité qui a pu, une fois, sembler désirable. Parce qu’on n’ose pas dire que la sortie sera inutile, on est sans force pour la refuser, et pourtant la commander est assumer sur soi une lourde responsabilité. Une dépêche du préfet de Lille confirme la victoire de Faidherbe à Bapaume. On a aussi quelques gazettes allemandes dont le ton marque une certaine considération pour la résistance de la France. Je voudrais voir ces gazetiers allemands, les rédacteurs du Times, et même les prétendus Français qui nomment leur pays un pays pourri pour se dispenser de le défendre, je voudrais les voir tous en ce moment assister au défilé des bombardés de la rive gauche qui viennent chercher asile jusqu’ici. Chacun porte ou traîne avec soi un bagage bien réduit ; les femmes, déjà chargées, mènent les enfants par la main ; tout cela est calme, simple, point aigri. Quand la Seine a été traversée, on se retourne sur le quai de la rive droite pour dire adieu au chez-soi qu’on ne reverra probablement plus que dévasté, et parmi tous ces gens sans pain, sans toit, peut-être sans espérance, vous n’entendrez pas une voix qui demande que l’épreuve s’abrége. Non ! Chacun sait qu’un jour de souffrance de plus, c’est aussi un jour de plus acquis à l’honneur du pays. Cela pourtant est beau et prouve que tout n’est pas perdu pour l’avenir. Enfin une lettre de toi ! une vraie ! et vous êtes tous vivants ! Elle m’arrive à l’heure même ! Je savais bien hier en t’écrivant que c’était le jour de la réception de la valise de M. Washburne, mais je n’osais plus te parler de mon espérance si souvent déçue. Par quels cruels moments vous avez passé les uns et les autres ! Ta lettre du 15 décembre m’a fait partager ton inquiétude pour notre cher, brave André. Heureusement qu’un petit carré de papier, du 21, mis sous l’enveloppe adressée par Mme *** à son mari, est parvenu aussi et me dit la bonne fortune de ce mortel toujours privilégié qui, après avoir usé du précieux dévouement de Barbier, tombe justement sur l’une des ambulances de la Société internationale. Que se sera-t-il passé depuis ? Je pense avec anxiété à la retraite de l’armée de la Loire ; mais André, se trouvant dans une ambulance, devait être couvert par la convention de Genève. Grâce à Dieu, je vois que l’invasion a été clémente aux environs de S... et que vous avez été assez épargnés. Mais que de détails on voudrait encore ! seulement un mot sur ces quatre dernières semaines, un mot sur André. Je suis ingrat, chère femme, et c’est mal. Après quatre-vingt-dix jours, revoir ton écriture, te savoir toujours calme et forte, nos enfants préservés, et demander davantage ! je ne mérite pas mon bonheur. Mes bienheureuses feuilles sont parties immédiatement pour le quartier de Maurice. Le bombardement continue. Vingt et une victimes. Les compagnies de marche de la garde nationale prendront part à la prochaine sortie ; elles le réclament. Il est à craindre que ce ne soit une dure expérience, mais elle convaincra la population des difficultés dont elle ne se doute pas. Nous sommes accablés de besogne. Les privations vont s’accroître. Le pain, déjà si mauvais, sera incessamment rationné. Dis-toi bien, au moins, que ni ton fils ni moi n’avons encore réellement souffert. Maintenant que nous voilà en possession de nouvelles de nos absents, nous vaudrons tous deux encore dix fois mieux qu’auparavant. Voici, en bien comptant, dix jours que je suis de retour dans mon cher chez-moi, et je n’ai su encore que penser à notre ambulance du Bocage ! J’y pense pour la regretter. J’avais découvert enfin ma vocation (un peu tard, se dit Mlle Berthe en riant). — Ma chère nièce, mieux vaut tard que jamais... Grâce à la mère que vous avez, vous trouverez sans doute le bon chemin plus tôt que votre vieille tante, et mieux vaudra ; mais si elle l’a trouvé tard, du moins ne veut-elle plus le quitter. Ma vocation, c’est l’infirmerie. On avait eu beau me gâter mon ambulance en dispersant mes pauvres blessés avant qu’ils fussent en état de marcher, jamais je n’aurais pu me décider à la quitter si mes habitudes premières d’obéissance conjugale ne m’avaient ramenée ici dès qu’Adolphe a jugé le moment venu d’y rentrer. Nous avons laissé Roland en possession de l’abbé M*** comme secours et société ; les blessés allemands avaient été évacués sur Orléans ainsi que les Français estimés rétablis, il ne lui restait qu’un petit nombre de malades, il pouvait en effet se passer de nous. Nous avons trouvé Thieulin occupé par un corps de francs-tireurs qui y vivaient fort à l’aise et n’avaient nul désir de voir revenir les vrais propriétaires. Deux lettres de Vendôme, d’André, nous attendaient. On sent combien la captivité pèse au pauvre garçon, et cela renouvelle mes regrets de n’avoir pu le rejoindre ; mais tu dois être, malgré tout, trop heureuse de le savoir à l’abri des balles et bien soigné par son honnête homme de dentiste. Je te félicite du repos forcé auquel il se trouve condamné. Pendant qu’il expie sa gloire à Vendôme, Barbier le cherche à Tours ou ailleurs, et je ne sais comment lui faire parvenir un avis. Le service de la poste est complètement suspendu par ici, les routes sont peu sûres. Nous sommes entre les Français au nord et ses Prussiens au sud, et justement dans la zone consacrée aux escarmouches. On nous prend, on nous perd, on nous reprend pour nous reperdre à chaque instant, tout cela sans considérable effusion de sang, grâce au ciel, mais à la grande souffrance de nos pauvres nerfs. Le canon se fait entendre depuis hier, au nord ; le voilà maintenant à l’est, et aussi au sud. Les francs-tireurs qui occupent le parc et le château sont fort émus et ne savent guère le cacher ; je ne serais pas étonnée de les voir détaler subitement. Mes vœux les accompagneront, mais non pas mes regrets. Nous avons suffisamment joui de la société de ces messieurs, et il me semble que c’est au tour de quelque autre à les posséder. Non qu’ils soient méchants, loin de là, mais ce sont des gens émus, et par cela même émouvants, buveurs, gâcheurs, braillards, en tout ennemis jurés du calme dont nous avions tant besoin et que nous espérions retrouver en retrouvant notre chez-nous. 6 janvier. Je l’avais bien prévu : nos francs-tireurs s’en sont allés ce matin par une porte comme les Prussiens arrivaient par l’autre ; — ces derniers demandaient depuis combien de temps les francs-tireurs étaient partis. Je crois vraiment qu’ils ont une peur effroyable les uns des autres. Quelle tristesse de se retrouver entourés de tous ces uniformes ennemis ! Il est trop certain que nous venons d’essuyer encore une défaite. Le général Rousseau a subi deux attaques à la Fourche, près de Nogent ; il a perdu des canons, on ne sait encore combien, et il se concentre maintenant à Margon. Des hussards allemands disent avoir perdu beaucoup de monde à la Fourche et aussi à la Gaudaine, mais je me méfie quelque peu de leurs propos. Ils sont assez malins pour avoir remarqué qu’annoncer de grandes pertes est un moyen sûr d’ouvrir le cœur et les réserves des pauvres Français ; une intention de flatterie leur fait souvent exagérer le nombre de leurs blessés, flatterie étrange et sinistre comme le temps qui l’a vu inventer. De grandes pertes pour eux, c’est la résistance pour nous ; notre résistance, c’est l’espoir ou tout au moins l’honneur. Adieu, chère sœur. De quoi demain sera-t-il fait ? dit le poëte ; moi je prédis qu’il sera fait de choses tristes, et qu’il en sera de même de bien des lendemains de ce demain. Je n’ai point l’âme jalouse, mais je remarque que, d’après tes lettres, tu es exceptionnellement bien partagée en Prussiens. Veux-tu savoir comment cela se passe par ici depuis qu’ils y sont de nouveau les maîtres non contestés, car nos pauvres petites troupes ont fui maintenant bien loin vers Connerré ou au delà ? Tu auras une seule journée, celle du 9, par exemple. Dix-huit hussards polonais qui ont couché dans les communs, ainsi que leurs chevaux, prennent congé à neuf heures du matin, non sans avoir bien déjeuné. Leur lieutenant, dans les plus aimables intentions, je n’en doute pas, salue et crie : « Au reffoir ! » Un silence éloquent lui répond. Deux heures après, un escadron entier complètement ivre. Les hommes se font ouvrir le château, entrent dans toutes les chambres, touchent à tout, se jettent sur les lits, étendent leurs bottes grasses sur les canapés ; je t’épargne les faits les plus graves. L’un se met au piano, un autre monte la pendule du grand salon, enfin ces honnêtes gens tuent le temps de leur mieux jusqu’à ce que leur repas soit prêt. De ce repas je ne dirai rien, car je m’abstiens d’y assister. Pendant qu’ils s’y consacrent, je fais le tour de mes chambres pour voir si aucun n’est resté endormi, et j’en trouve deux qu’il me faut secouer et qui jurent tant qu’ils peuvent. Mais j’aime mieux leurs jurons que le risque d’en garder un seul. Chez le docteur A***, notre voisin, pour un uhlan ivre laissé ainsi une nuit par mégarde, ses camarades ont trouvé moyen d’extorquer une amende. Enfin, voilà mes gens à cheval, fort vacillants ; ils partent. Trois fourchettes ont disparu, tous les morceaux de savon, des serviettes et une dizaine de petits objets. Par contre, il est resté dans le vestibule un sac à bandoulière où je trouve, entre autres choses, six camisoles de femme, brodées, garnies et attachées deux par deux avec des rubans roses, plusieurs paires de gants de femme neufs, des mouchoirs neufs garnis, un lot de bagues (huit ou dix) attachées ensemble par une ficelle, des photographies de la ville de Chartres, etc., etc. Il est quatre heures, on sonne. C’est un grand gaillard blond, toujours des blonds ! (il faut absolument que tes fils brunissent). « Madame, le colonel, quatre officiers et le secrétaire du colonel vont arriver ; ils mettent leurs chevaux à l’écurie, ils disent : Préparez les chambres. » Nous voilà sens dessus dessous, organisant, arrangeant, nettoyant. On sonne de nouveau, nous descendons, Adolphe et moi ; c’est un officier : « Je veux que toutes portes restent ouvertes, je veux une chambre. » Adolphe le conduit dans la grande chambre du bout. « Pas cela, je veux deux lits. — Il n’y en a pas. — Montrez tout. » Il parcourt, choisit ma chambre d’été, où rien n’avait été préparé. « Ici, vite, deux lits. » On se hâte, mais celui-là n’était qu’un chirurgien. Arrive le colonel, moins brutal, son secrétaire et trois officiers. Les officiers daignent monter et accepter les chambres prêtes, mais le colonel exige des lits au rez-de-chaussée, il faut en passer par là. Après cela, le dîner. On demande du champagne, et l’on se plaint de n’avoir pas eu de gibier, puis toute la nuit un va-et-vient incessant. Le lendemain ces messieurs ont déjeuné chacun dans son lit, puis sont partis, lis n’ont rien volé eux-mêmes, mais leurs ordonnances ont forcé les armoires de la sellerie et celles des chambres des garçons de ferme, et ont emporté ce qui leur a plu. Je ne parle pas des ordures laissées partout. Comprends-tu la lassitude de corps, d’esprit et de patience qui suit de telles journées ? Nous voudrions recevoir et soigner ici une douzaine de blessés, ce serait peut-être une sauvegarde, à coup sûr une consolation, mais on ne peut en ce moment nous donner aucun de ceux qui sont à Brou parce qu’ils ont encore besoin des soins journaliers d’un chirurgien, ce qu’ils ne trouveraient pas ici. Hier matin, un domestique arriva de la ville avec nos lettres, que les L... se chargent de recevoir à la poste. Il apportait aussi cette fatale nouvelle de la prise du Mans. « Jusques à quand ? jusques à quand ? Seigneur, » disait David, Existerait-il pour nous seuls un malheur sans fond ni terme ? Les détails sont si affreux que je ne veux ni les croire ni les répéter. J’aime mieux penser aux consolations qui nous restent. André n’était pas au Mans, et Paris tient toujours ! Il y avait dans notre courrier une lettre du fils Barbier pour ses parents ; tu sais qu’il a été fait prisonnier à Josnes ; sa lettre était timbrée de Barmen en Prusse ; nous avons décidé de la porter nous-mêmes, et bien vite, à sa pauvre mère. Nous avions besoin de voir un peu de joie pour supporter la pensée de cet abandon du Mans. Il y a six kilomètres de Thieulin à la ferme. Que fait-on quand on n’a plus ni chevaux ni voitures ? On prend un âne. — J’ai donc pris l’âne de Pierre et même sa petite charrette, afin de rapporter quelque victuaille si la basse-cour de la mère Barbier se trouvait moins dépeuplée que les nôtres, car de ce côté-ci on n’a plus rien, mais rien. Rouler en charrette à âne quand on a de bonnes fourrures, que le soleil brille sur trois pouces de neige, qu’on a son mari avec soi et qu’on va porter des nouvelles à une pauvre mère inquiète, ne manque pas d’un certain charme. Mais savoir que Chanzy est en déroute et penser que cette neige si belle sert là-bas vers l’Ouest de lit funèbre à tant de braves gens, qu’elle retarde nos canons, gèle les pauvres pieds de nos soldats lassés, qu’elle est enfin, elle aussi ! notre ennemie, cela est affreux. On ne veut plus la voir, et comme elle est partout en bas, on regarde en haut... Ciel du Dieu clément, ciel d’où viennent les pardons, quand donc auras-tu pitié ?... Cela a été pourtant un bon moment que cette joie de la mère Barbier. Son fils va bien, quoique ayant peine à supporter le dur régime des prisonniers ; on voit que, malgré son apathie native, il sent les outrages qui ne leur sont pas épargnés. Combien d’autres, comme lui, auront appris trop tard ce que coûte cette insouciance de chacun dont se compose l’insouciance du pays ! L’après-midi s’est passée à causer doucement pendant que Cadet, qui nous avait escortés, parcourait le village pour découvrir des vivres. Toute cette partie du pays a été traitée aussi durement que nos environs. Les deux fermes les plus proches de celle de Barbier ont été brûlées entièrement sous prétexte que des francs-tireurs y avaient logé. Nous sommes revenus avec quelque peu de farine, des pois secs, du petit salé, un dindon et un tonnelet de cidre. Dire que cela constitue une fortune au temps actuel dans ce pays du Perche, si riche d’ordinaire ! La nuit tombait comme nous entrions dans le parc ; j’étais morfondue malgré mes fourrures : « Tu te réchaufferas vite, me dit Adolphe, vois là-bas comme ta chambre est éclairée, quel feu les domestiques t’ont fait ! — Mais je crois qu’on en a fait partout, répondis-je. Qu’est-ce qu’il leur a pris ? toute la façade est illuminée. » J’étais enraidie de ma longue course et je descendais péniblement de mon équipage quand Thomas et Marie accoururent à la fois : « Madame, c’est le prince de *** qui est arrivé il y a deux heures avec beaucoup de monde, il est dans la chambre de madame. — Le prince de *** ! dans ma chambre ! et pourquoi ?... — Il a voulu absolument celle-là et pas d’autre. J’ai enlevé ce que j’ai pu des affaires de madame et je les ai mises en attendant dans la mienne. — Vous avez dit au prince que c’était la chambre de madame ? demanda encore Adolphe. — Certainement monsieur, et même que jamais aucun officier n’avait songé... » Nous étions entrés dans le vestibule : les candélabres des grands jours étaient allumés, il y avait une sentinelle au pied de l’escalier, des officiers descendaient, causant très-haut, comme chez eux ; on ne se fait pas à ces vues-là. Je devinai que la colère gagnait Adolphe. « Sauvons-nous ! » murmurai-je, et je l’entraînai dans le petit salon, pendant que la pauvre Marie continuait ses récits. À l’en croire, le château devait contenir une trentaine d’officiers et les communs regorgeaient de chevaux et de cavaliers. — « Cela se complique, dis-je en essayant de rire, voyez si vous pouvez rentrer dans ma chambre et enlever les portraits qui sont à la cheminée ; laissez les grands s’il le faut, sauvez les miniatures. « Je crois qu’il nous faudra camper ici, ajoutai-je à Adolphe, où irions-nous ? Je ne me soucie pas de rencontrer ces messieurs. — Non certes ! » Je crois qu’il commençait un tout petit juron, mon pauvre mari, tant il était hors des gonds, quand on frappa à la porte, et un officier d’une quarantaine d’années, à l’air doux et comme il faut, s’introduisit lui-même : — « Monsieur le comte et madame la comtesse, je suis le major..., secrétaire des commandements de Son Altesse le prince de ***. « Son Altesse m’a fait l’honneur de me charger d’inviter madame la comtesse et monsieur le comte à dîner avec elle. Cela serait très-agréable au prince de connaître des personnes aussi haut placées dans la société française et de penser que madame la comtesse ne change pas ses habitudes pour lui. » C’était très-poli, n’est-ce pas ? et admirablement prononcé, Adolphe répondit : — « Le prince de *** sait-il qu’il a choisi la propre chambre de madame ?... Au reste, la question de ses intentions ou de ses procédés n’a rien à voir dans notre résolution : nous ne dînerons pas avec les officiers du roi Guillaume tant que la Prusse sera en guerre avec la France. » Et il salua de cet air qui veut dire : Maintenant, allez-vous-en ! Notre major semblait, malgré tout, si poli et si brave homme, que j’essayai d’adoucir les angles. — « Il ne peut rien y avoir de blessant pour les individus dans la décision que monsieur vous communique, dis-je. Dans d’autres lieux, nous avons partagé les repas de médecins allemands qui soignaient avec nous les mêmes blessés ; mais ici, nous asseoir à votre table serait vous recevoir à la nôtre. Nous n’avons point souhaité la guerre, mais puisqu’elle vous fait nos ennemis, nous ne pouvons pas vous traiter comme des hôtes. — Madame la comtesse, répliqua le major avec une figure assez embarrassée, je comprends, je comprends très-bien ; mais... permettez-moi de dire... le prince de *** est très-jeune, tout à fait charmant, mais très-jeune, et alors il est... volontaire... Il a envie d’avoir des seigneurs français pour causer en français ; il va être contrarié. Je lui donnerai bien tous les bons conseils, mais il sera contrarié, et peut-être il ne sera pas... aimable après qu’il aura été contrarié. — J’espère mieux de lui, dit Adolphe souriant, quoiqu’il en eût, de l’air contrit de l’ambassadeur, l’honneur du prince de *** le guidera, comme le nôtre nous dirige. » Le major disparut. Nous convînmes qu’il avait l’air fort brave homme, mais que la situation n’était pas gaie. Évidemment, le prince de *** devait être tout autre chose que commode. « Bast ! dit Adolphe, il ne brûlera toujours pas le château, il ne saurait où se mettre et le froid pique. » Sur cette réflexion consolante, nous avisâmes à dîner sans, nous montrer. Il y a derrière le petit salon une espèce de vestibule d’où un escalier descend au sous-sol ; par là nous nous fîmes monter une pauvre petite lampe d’office, la seule qui restât, puis du bois pour la cheminée ; enfin, quand la grande table eut été servie, nous eûmes un dîner d’envahis, triste dîner, mangé tristement. En même temps que la soupe, paraissait de nouveau le major : — « Je ne voudrais pas être importun, mais, en vérité, si madame la comtesse voulait bien seulement servir le café du prince au salon ? Il va avoir fini... cela arrangera encore les choses. Le prince de *** est un peu... très... mécontent. Croyez, monsieur le comte et madame, que j’ai dit tout ce qui m’a été possible... Je suis désolé quand le prince fait des choses pas bien... Quand le prince a pris la chambre de madame la comtesse, c’est qu’il avait froid et il y avait beaucoup de feu dans cette chambre-là... — Je ne pense plus à ma chambre, monsieur, répondis-je ; les procédés du prince de *** le regardent, c’est à nous à avoir soin des nôtres. Advienne que pourra ! je ne puis pas aller lui servir le café, mais je vous suis très-reconnaissante de vos bonnes intentions. » Il parut un peu soulagé. « Ah ! madame ! c’est que tout ce qui se passe me fait beaucoup de peine. Je voudrais, et d’autres aussi, voir moins de haine dans la guerre. Mon nom est français, madame, mes aïeux ont habité Rouen, puis votre roi Louis XIV les a chassés à cause de leur religion et cela nous a faits Allemands ; mais je ne veux pas de mal au pays d’où vient ma famille et je sais bien que cette guerre-ci est très-durement faite. » Le pauvre homme se hâta de retourner à son prince et à ses compagnons. Nous ne tardâmes pas à nous apercevoir qu’il avait peu d’influence sur eux. Un bruit effroyable nous avertit que les convives quittaient la salle à manger, le grand salon fut brusquement ouvert, la lumière pénétra jusqu’à nous à travers le store baissé, qui cachait de notre côté la glace sans tain ; les voix, les rires, les mouvements de meubles remplirent l’air en un instant — « Ils veulent peut-être nous vexer, me dit Adolphe à voix basse. » Le piano fit entendre une valse entraînante ; un cliquetis de tasses l’interrompit, c’était le café. Nous nous étions assis dans l’ombre, l’un près de l’autre et nous tenant la main. Comme nous nous plaignions mutuellement ! Comme je pensais que je devais aimer mon pauvre mari pour ce qu’il supportait ! Ma main tressaillit dans celle d’Adolphe. « Qu’est-ce ? » demanda-t-il. — Une tasse par terre, dis-je. Cela ne fait rien, mais ils vont peut-être s’amuser à cela. » En effet, une autre se brisa, puis une autre encore. Je crus distinguer le son de la voix du major plaidant doucement. — Un patatras éclatant lui répondit, ce devait être tout le plateau qui tombait. — Adolphe me serra la main à me faire mal, puis il poussa doucement les verrous des portes de communication. Le fait est qu’au train dont allaient ces messieurs, ils pouvaient s’aviser de nous venir insulter nous-mêmes. Bientôt des voix, sinon belles, du moins exercées, se firent entendre ; je ne pouvais distinguer les paroles qu’elles chantaient, c’était sans doute des hymnes guerriers. Puis un demi-silence, et quelqu’un attaqua l’air de la Marseillaise. Je me croyais vieille, ma chère sœur, je me croyais calme, je me croyais positive, j’avais ri souvent des exaltations patriotiques, la Marseillaise avinée des rues m’avait semblé ignoble ; mais quel élan m’a portée vers toi, mon noble, et pauvre, et beau pays, pendant que ces hommes outrageaient lâchement ton cri de guerre ! — Quand ils avaient réussi à flétrir un vers de leur accent niais, les éclats de rires dérisoires s’élevaient et saluaient ironiquement les grandes menaces que la fortune avait trahies. — « Ah ! oui ! semblaient-ils dire, le jour de gloire ! Ah ! vraiment ! ils sont bons avec leur : Tremblez, tyrans !... » Combien dura cette angoisse, je ne le sais, mes larmes coulaient à travers mes doigts qui voulaient les retenir, j’avais oublié où j’étais, je priais que la haine n’entrât pas dans mon cœur. Cette haine cherchée par eux, appelée, raillée d’avance, elle m’aurait rendue semblable à eux. Hélas ! assez d’autres les haïront !... la haine ne m’est pas venue, mais bien le mépris. Les airs de danse ont succédé. Les grosses bottes ont frappé en mesure le parquet. C’était une soirée longue à passer pour nous. J’ai proposé à Adolphe une partie de dominos, cela nous aurait donné l’ombre d’une occupation. Pendant que je prenais le jeu, Adolphe voulut fermer les persiennes, pour échapper au regard d’une sentinelle qui passait et repassait lentement sur la terrasse. Le soldat arrêta le volet de la pointe de son sabre : « Sie dürfen nicht zumachen. » (Vous ne devez pas fermer.) Cela était peu de chose auprès du reste. Je renversai doucement les dominos, et tandis que les danses continuaient, que le casque pointu passait et repassait devant la fenêtre, que notre petite lampe fumait, que notre poitrine serrée se gonflait de nouveaux sanglots, nous essayâmes de jouer, mais ce fut un triste essai. Au bout d’un instant, nous regagnâmes notre coin où, du moins, la sentinelle ne nous voyait plus, et, la main dans la main, nous attendîmes. Les pires choses prennent fin comme les meilleures. Quand une sorte de silence se fut fait, la pauvre Marie introduisit des couvertures et des matelas réellement soustraits à l’ennemi. — Nous n’avions pas toujours été si bien couchés chez Roland au moment de la grande presse des blessés ; mais ce dénûment dans sa propre maison avait quelque chose de particulièrement pénible. Ce matin, en m’éveillant, par terre sur mon matelas (pardon de cette vue d’intérieur), je m’aperçus qu’Adolphe avait déjà quitté le sien. Il était tout habillé et regardait d’un air mélancolique à travers les carreaux marbrés de givre. — « Espérons qu’il s s’en iront aujourd’hui, » lui dis-je. — « Peut-être ; — mais que font-ils ou ne font-ils pas en attendant ? Sais-tu que nous sommes gardés ? Marie n’a pas pu venir jusqu’ici. Il y a une sentinelle derrière cette porte. » Elle fut encore longue à passer, cette matinée-là. Les sentinelles qu’on relevait ne savaient pas le français et feignaient de ne pas comprendre notre allemand. À dix heures, deux tasses de café nous arrivèrent par les mains d’un soldat. Sur le plateau était une carte de visite du major de *** portant ces mots au crayon : « Avec ses respectueuses civilités et humbles excuses. Partira à midi. » Vers midi en effet, nos arrêts étaient levés, les domestiques nous rejoignaient, empressés de commencer leurs récits, avant même que les officiers allemands, réunis dans la cour, fussent tous à cheval. Je crus que nos gens exagéraient, mais notre pèlerinage à travers les chambres nous révéla ce que pouvait faire, quand il était contrarié, ce prince « tout à fait charmant ». La dévastation est ingénieuse, il a fallu penser pour si bien détruire en si peu de temps. Trois pièces n’ont aucunement souffert, comme si leurs occupants s’étaient refusés à obéir au mot d’ordre. Je n’ai pas encore eu le temps de m’assurer si nous avons été volés, je ne le crois pas, et d’ailleurs, nos cachettes gardent encore la meilleure partie de nos objets précieux. Mais dans les chambres condamnées on a fait ce qu’on a pu ; et pour te donner un détail, là où il y avait des tentures d’étoffe, elles ont été déchirées à hauteur d’homme, les draps de lit coupés en petits morceaux, la vaisselle broyée plutôt que cassée. Le cabinet de travail d’Adolphe paraissait en ordre au premier coup d’œil, voici ce que le second nous a révélé : Tu te souviens de ce tableau peint par Van Loo qui nous vient de mon beau-père ? il représente un déjeuner de chasse de Louis XIV. Seul il n’avait pas été caché, parce qu’il est encadré dans la boiserie même, au-dessus de la glace qui surmonte la cheminée ; nous comptions que la difficulté qu’on aurait à l’ôter de là le sauverait. En effet il y est encore ; mais chaque personnage, courtisan, grande dame, laquais, et même Sa Majesté, a été muni d’une petite touffe de crin à la place où une queue pouvait s’imaginer. Le cuir fendu du fauteuil d’Adolphe montre où l’on a trouvé la matière, un poinçon qui est encore là a été sans doute l’instrument. Souffrir est un art qui s’acquiert comme tout autre, cette dernière vexation a manqué son but. Chevilly nous a appris ce qu’est la vraie douleur, et une douleur vraie préserve des fausses. Une même pensée nous est jaillie du cœur en même temps : combien il vaut mieux endurer de telles choses qu’être capable de les imaginer ! Si l’on était méchant, il y aurait même un amer plaisir à voir ses ennemis tomber si bas ! D’aujourd’hui, j’adopte pour tâche de répéter à tes fils d’abord, puis à tous les jeunes gens, à tous les enfants : Gardez-vous de la haine, la haine rend bête, et puis vous ressembleriez aux Prussiens. Ce qui achèverait la victoire de l’Allemagne sur nous, serait qu’elle nous donnât ses mœurs. Quand la fortune vous reviendra, vous lui montrerez comment on en doit user au xixe siècle. Votre exemple ne l’élèvera pas peut-être, mais du moins le sien ne vous aura pas abaissés. Chère femme, L’attaque des positions ennemies est pour demain. Maurice sortira avec Ducrot, cette lettre ne quittera mon bureau qu’après son retour. Tu nous pardonneras de ne pas t’avoir prévenue, mieux vaut tout apprendre d’un coup, le péril et la délivrance du péril, s’il plaît à Dieu que cette fois encore il y ait pour nous délivrance ! Notre grand garçon me quitte à l’instant, il m’avait rapporté ta lettre et m’en a laissé une pour toi, que voici. Comme la mienne, elle ne sera terminée qu’après tout danger passé. Il a entendu de nouveau mon petit sermon contre la recherche des coups d’éclat. Ces lettres du 18 ne furent jamais envoyées, et il nous faut raconter nous-même brièvement, simplement, les derniers jours de janvier. Dans la nuit du 18 au 19, les troupes, mêlées de garde nationale mobilisée, furent concentrées avec quelque peine hors de nos lignes, en face des positions désignées à leur attaque. Avant le jour, elles ouvrirent le feu au milieu d’un brouillard intense qui augmentait les difficultés de leurs mouvements. Néanmoins, les hauteurs de Montretout furent occupées dans la matinée par le général Vinoy. Le général Ducrot lutta de Garches à Buzenval pendant plusieurs heures et se maintint à force de sacrifices. Maurice de Vineuil, qui l’accompagnait, ne se ménageait pas. Il avait mis pied à terre, et trois fois on le vit se mêler aux gardes nationaux et aborder avec eux le redoutable mur du parc de Buzenval. À quatre heures du soir, un immense effort de l’ennemi nous rejetait définitivement en arrière. Des batteries d’artillerie appelées en hâte pour couvrir la retraite n’arrivaient pas : les roues s’enfonçaient jusqu’au moyeu dans les terres détrempées. On entendit le général demander à haute voix dans la brume qui se faisait de nouveau : « Où est donc Vineuil ? Il faut leur envoyer Vineuil ! Il les fera marcher ! » Mais Maurice de Vineuil ne se trouva pas. Quand, les uns après les autres, les bataillons décimés rentrèrent vaincus dans la pauvre grande ville en deuil, M. de Vineuil était sur leur passage, épiant les visages connus, attendant ou son fils, ou bien un message dont Maurice eût pu charger un ami, si son service le retenait encore hors des remparts. Mais la nuit devînt complète avant que M. de Vineuil eût rien appris. Ce fut seulement des officiers de l’état-major du général Ducrot, quand il parvint à les joindre, que le pauvre père obtint une indication vague : Maurice était encore à trois heures devant le parc de Buzenval, il s’était admirablement battu, personne ne l’avait vu tomber, il pouvait être prisonnier. Alors commencèrent des recherches d’une autre nature et qui devaient durer deux longues journées. L’ennemi refusait même aux ambulanciers de pénétrer dans ses lignes. M. de Vineuil explorait vainement tous les replis du terrain que nous avions conservé, il apprenait des deuils ou des menaces de deuils qui retentissaient dans son cœur comme autant de prophéties sinistres. C’était le peintre Regnault tué ; c’était un ami, le colonel de Monbrison, blessé mortellement, — et il ne pouvait obtenir de franchir cette ligne de sentinelles qui le séparait du parc devant lequel son fils avait dû tomber. Plusieurs fois, pendant ces deux jours, il quitta le champ de bataille pour parcourir les ambulances de Paris, mais son attente fut toujours déçue. Dans l’après-midi du 21, à la faveur d’un armistice tacite, l’ennemi nous rendit enfin nos blessés et M. de Vineuil pénétra dans le parc de Buzenval. Ses recherches restèrent vaines. Bien des fois, sa lettre commencée avec tant de confiance le 18 lui revint en mémoire, ainsi que ce visage si doux et si ferme, resplendissant de jeunesse et de foi qui s’était penché vers lui pour l’embrasser, tandis qu’une autre lettre, qui ne serait non plus peut-être jamais terminée, se posait sur la sienne. Le 22, le pauvre père errait encore d’ambulance en ambulance, il avait même fini par entrer à l’amphithéâtre de l’hôpital Beaujon, où l’on centralisait les cadavres. C’était un spectacle horrible, et il en sortait chancelant de l’émotion de l’attente, osant à peine se réjouir de ne pas avoir du moins rencontré là son fils, quand un crieur de journaux vint à passer. « La liste des blessés aux ambulances de la Presse ! » criait-il. M. de Vineuil acheta le Gaulois et lut : « de Vineuil, ambulance de la Presse, Passy. » Il y eut là quelques heures bien douces au sortir de telles angoisses, car la blessure de Maurice, une balle à l’avant-bras gauche, n’était pas jugée très-grave. M. de Vineuil éprouvait la détente forcée de si longues émotions, il sanglotait sur ce fils retrouvé et les actions de grâces brûlaient ses lèvres. Puis le calme lui revint, il s’aperçut de l’extrême faiblesse de Maurice. Maurice, relevé d’abord sans connaissance, avait aussitôt que possible écrit quelques mots ; la lettre avait dû être égarée dans le trouble général, et lui-même s’inquiétait de ne pas voir arriver son père. La sympathie de ses collègues laissa à M. de Vineuil les loisirs que Maurice et lui-même réclamaient. Dès cette première journée, en étudiant l’état de son fils, il s’inquiéta de sa grande faiblesse et fit demander les docteurs ... et ... L’encombrement des blessés était si considérable que ce dernier seul put venir. Il jugea la blessure beaucoup plus grave que les premiers chirurgiens ne l’avaient fait ; l’artère avait dû être coupée, en ce cas l’amputation serait nécessaire. M. de Vineuil comprit que le vieux chirurgien n’était que trop sûr de ses pronostics. Il décida avec lui de transporter Maurice le lendemain à l’ambulance Chaptal, dont tout le personnel médical et hospitalier lui était connu. Ce transport, à l’heure matinale où chaque boulangerie avait sa queue navrante à voir, restera dans les souvenirs de M. de Vineuil. Hors de la voiture, les signes les plus évidents de l’épuisement général frappaient ses yeux ; au dedans, ce long corps affaissé, qu’il soutenait, semblait épuisé aussi. Il faudrait donc capituler ! et ce bras, qu’il faudrait tout à l’heure demander à Maurice, ce bras, — peut-être cette vie — auraient été sacrifiés en vain ! C’était dans la salle dite salle Suisse qu’on attendait Maurice, il devait y trouver les soins maternels des dames infirmières, amies de Mme de Vineuil. Malgré sa faiblesse, il sut montrer sa joie de se trouver ainsi entouré, et voulant remercier chacun : « Mon père le dira à maman, » fit-il. — M. de Vineuil allait reprendre : « Tu le diras toi-même ; » mais quelque chose lui serra la gorge et l’en empêcha. M. R..., le jeune et habile chirurgien de la salle Suisse, jugea, comme le vieux praticien, que l’amputation ne pouvait être évitée ; il fut décidé qu’elle aurait lieu le lendemain 24. Quand parurent les premières lueurs du matin, le pauvre père, qui avait passé la nuit au chevet de son fils, vit que ses yeux étaient ouverts et fixés sur les vitres blanchissantes. C’était le moment de le préparer à ce qui allait suivre. Il semblait à M. de Vineuil qu’il ne trouverait jamais les mots nécessaires, mais sa prière muette fut exaucée et il put parler avec calme. Le regard de Maurice, ranimé par une ardente attention, ne quitta pas le sien jusqu’au moment où deux larmes vinrent le troubler. « Ne vous faites pas trop de chagrin, dit-il, pour moi ce n’est pas grand’chose... il y a seulement maman !... » et les paupières se fermèrent pour arrêter les larmes qui voulaient tomber. Il était redevenu tranquille et souriant quand le chirurgien parut avec ses aides. — « Quel bonheur qu’on puisse me chloroformer ! dit-il. Je me souviens que, pendant une rougeole, maman nous lisait Mes prisons de Silvio Pellico ; il y a un affreux récit de l’amputation de Maroncelli, après lequel elle nous disait : « Tâchez de ne jamais vous faire couper de jambe, vous voyez ce que c’est ! » — Elle sera bien heureuse que je n’aie pas à souffrir. Vous le lui direz, père. » M. de Vineuil fit un grand effort : « Tu le lui diras toi-même. » « Alors, reprit Maurice, avec un sourire de soumission, nous le lui dirons ensemble. » Avant de s’abandonner au chloroforme, il eut encore une pensée pour un anneau de peu de valeur qu’il portait à la main gauche. « Je suis si douillet qu’il vaudra peut-être mieux l’ôter après, » fit-il. Et il ajouta en regardant son père : « Toujours pour maman... Elle aura tant besoin d’être consolée de n’avoir pas été avec vous ! » L’opération réussit ; le calme et la résignation du patient étaient d’heureux augure. La nuit fut bonne, et les jours qui suivirent affermirent l’espoir. Son père, qui ne le quittait pas, arrêtait au passage toutes les nouvelles, qui se succédaient alors plus tristes les unes que les autres. C’était la déroute de Saint-Quentin, la déroute du Mans, les premières négociations pour l’armistice qu’il s’agissait de cacher. Mais le malheur du pays se respirait dans l’air, il était sur les visages, il se sentait partout, même quand il ne s’avouait pas ; et Maurice disait : « Donnez-moi donc une bonne nouvelle et je guérirai tout de suite ! » Il parlait souvent de son frère André. Plus sérieux que lui par caractère, Maurice avait eu moins d’intimité avec ce frère qu’avec ses parents ; mais maintenant, il semblait qu’un instinct secret le poussât à ramener comme une consolation le nom d’André, les espérances que donnait André, l’aimable caractère d’André, dans toutes les conversations avec son père. « Vous verrez quel homme ce sera, » répétait-il sans cesse. Et le malheureux M. de Vineuil ne conservait, à cette même heure, aucune espérance sur André ! Il pensait que trop de désastres avaient atteint l’armée de la Loire pour qu’il y eût survécu. Le 28 janvier, les négociations pour l’armistice étaient publiques. M. de Vineuil annonça aux Platanes la blessure de Maurice, et conseilla à sa femme de tout disposer pour venir le rejoindre à Paris, dès qu’une des portes serait ouverte. François devait l’escorter et les enfants être confiés à une excellente voisine, Mme de ... Le 29, le texte de la convention entre le gouvernement de la Défense nationale et la Prusse était dans les journaux. En dépit des précautions prises, Maurice saisit au vol des mots qui le frappèrent, — ravitaillement, remise des forts ; — il voulut comprendre, s’agita, et il fallut tout lui dire. En vain lui parla-t-on de l’honneur sauvé, en vain fit-on intervenir l’espoir d’un relèvement, la confiance en la bonté de Dieu ; il semblait que sa foi, d’ordinaire si ferme, cette foi qui l’avait fortifié dans son épreuve personnelle, ne pût soutenir l’épreuve de la patrie. Deux heures après, il était atteint du frisson fatal, et l’apparition de ce symptôme trop connu enlevait immédiatement tout espoir. La nuit se passa en rêveries à haute voix, il reconnaissait toujours son père, mais ne pouvait, même pour lui plaire, dominer son agitation. Le 30 au matin, l’accablement était effrayant. Il ouvrit seulement les yeux, comme M. ***, le pasteur de la famille, achevait auprès de son lit une prière à haute voix. Maurice lui sourit et répétant ses derniers mots : « Là où il n’y aura plus ni deuil, ni tristesse, ni défaite, là où le Sauveur essuiera toute larme de nos yeux !... Dites donc à mon père que c’est bien... » Et il retomba dans son accablement. Dans la soirée les divagations revinrent. Le regret de son bras coupé se faisait jour, puis il parlait d’André avec agitation. À d’autres moments, c’était sa foi d’enfant qu’il exprimait, et son père recueillait précieusement chaque parole d’espoir en Celui dont le disciple a écrit : « Il a mis sa vie pour nous, nous devons donc aussi mettre notre vie pour nos frères. » Au matin du mardi 31 janvier, tout était fini pour ce monde ; l’ambulance tout entière s’associait à un tel deuil et même les hommes de service, eux qui avaient tant vu mourir, faisaient silence en passant devant cette dépouille glorieusement mutilée. Ce jour-là était celui de la réception de la valise de M. Washburne. Voici la lettre qui fut remise à M. de Vineuil : Cher père, et toi mon cher Maurice, Cette petite feuille aura-t-elle le bonheur, en franchissant les lignes prussiennes, de vous porter ce que ses sœurs n’ont pu faire, les chaudes accolades du capitaine de Vineuil ? J’ai reçu hier une lettre de maman, et je profite immédiatement de la recette qu’elle me donne pour vous atteindre. Tout allait très-bien aux Platanes ; elle me dit que vous êtes inquiets de moi et que je dois vous rassurer. Rien n’est plus facile ; je me repose et je vais très-bien, au chagrin près, et encore mon chagrin diminue à mesure qu’une lueur d’espoir me revient. Car ici nous avons de l’espoir, sachez-le, et dites-le autour de vous, mon cher père. Certes nous avons été battus, et plus battus, hélas ! que vous ne pouvez le croire. Je n’entreprendrai pas un récit trop lamentable pour être livré en pâture à de pauvres assiégés ; vous avez assez de vos tristesses, et mieux vaut vous répéter le mot Espérance. Nous avons un bon général, ferme, actif, et point disposé à voir les choses plus noires qu’elles ne sont. Nous nous reformons rapidement, nous avons une belle artillerie, et la rage pousse même à ceux qui ne l’avaient pas encore connue. Tenez ferme à Paris. Je sais, mon bien cher père, que ce sera toujours votre avis ; et il faut que je vous dise, puisque j’y suis, ce que cent fois j’ai dit à Dieu avec une reconnaissance immense, que les meilleures forces, celles qu’on apprécie dans les moments graves, où l’on n’a pas le temps de se faire à soi-même de longs discours, c’est l’exemple d’un père tel que vous, c’est le souvenir de maman me disant : « Ne pense plus à nous, c’est maintenant au pays qu’il faut penser. » Je l’entendais même au plus fort du vacarme de l’artillerie. Et quand, dans nos revers, le découragement me voulait mordre le cœur, ou bien quand je me sentais m’endurcir comme tant d’autres se sont endurcis, à force de voir souffrir et de souffrir eux-mêmes, c’était vous que j’appelais à mon secours et je ne voulais pas faire autrement que vous n’auriez fait. Aussi il me semble que je saurai maintenant vous aimer cent fois mieux qu’autrefois. Que ce sera bon de se revoir ! Père, mère, Maurice, Berthe et les petits, je vous le répète encore : Espérance ! et j’unis dans un même embrassement mes chers assiégés à mes chers envahis. Ici pourrait s’arrêter notre tâche, car aucun autre fragment de lettre ne nous a été communiqué. Cependant nous croyons devoir à ceux dont l’intérêt nous a suivis jusqu’ici de compléter par un mot le récit qui se dégage des lettres précédentes. On voulut attendre, pour rapporter dans le caveau de famille les restes de Maurice, que son père et son frère pussent être libérés de leurs devoirs militaires. Les préliminaires de la paix furent signés le 3 mars, et les odieuses conditions qu’on subissait frappèrent comme d’un second deuil la famille dont les débris allaient se réunir aux Platanes. Le 10 avril fut choisi pour l’inhumation. C’était un de ces jours splendides qui, succédant aux exceptionnelles rigueurs du dernier hiver, alors que toute lutte avait cessé, ajoutaient pour les vaincus un regret à tant d’autres, et faisaient remarquer à quelques-uns que Dieu semblait n’avoir voulu atténuer en aucune façon les souffrances auxquelles les peuples s’étaient condamnés par la guerre. Le convoi quitta les Platanes vers midi. Tous les proches parents étaient présents, mais plusieurs intimes amis des de Vineuil avaient été retenus bien loin, soit par la difficulté des voyages en ce temps-là, soit par des deuils semblables au leur. La population des environs les remplaçait. Personne ne restait dans aucune des maisons du petit village quand le cortège en sortit ; et de Montlévêque, de Montépilloy, de Thiers et même de Barberie, les fermiers et les paysans avaient laissé pour un jour leurs habitudes d’indifférence et suivaient à pied avec les voisins les plus proches. C’est que beaucoup d’entre eux l’avaient vu tout enfant, ce vaillant jeune homme. On se souvenait de l’avoir rencontré par les traverses dès ses dix ans, tout fier de cheminer seul, en plein champ, sur le vieux poney noir ; plus d’un laboureur avait encore devant les yeux son visage souriant et son salut cordial. Les longues marches aimées du père et des deux fils les avaient conduits souvent loin de leur vallée, on les connaissait partout pour des chercheurs de pierres antiques, des explorateurs de camps romains, et quand ils passaient tous trois, les vieux paysans, toujours pratiques même dans leur goût du beau, se disaient de l’un à l’autre : « Quels fameux travailleurs feraient bien ces beaux garçons ! » Maintenant on allait conduire enterre l’un d’eux, et cela peinait les plus durs. D’ailleurs, quoique le pays eût fortement souffert, cependant l’absence de résistance avait ménagé les vies et l’on n’était point blasé comme ailleurs, hélas ! sur ces deuils sanglants. Le long convoi se déroula sur la route bordée d’ormes noueux, et bientôt les habitants de la ville, venus au-devant par petits groupes, l’allongèrent encore. On se montrait avec respect la pauvre mère, qui, sous son voile, suivait à pied, au bras de son mari. Elle était plus forte que les premiers jours, et à M. de Vineuil lui-même, qui la détournait de son dessein, elle avait répondu : « Puisque tu y vas, j’irai. Nous avons trop souffert séparés, du moins ne souffrons plus qu’ensemble. » Et elle était venue. On comptait les consolations qui lui étaient laissées. André, pâle et désolé, tenant son petit frère par la main, les deux sœurs s’appuyant l’une sur l’autre ; on suivait sur la noble figure de M. de Vineuil la lutte de sa douleur contre sa résignation de chrétien, et ceux mêmes que la seule curiosité de voir un enterrement protestant, chose si rare en ces contrées, avait fait sortir de chez eux, ne pensaient plus qu’à ces cœurs brisés, qu’à cette belle espérance moissonnée. Ainsi on atteignit les boulevards qui, en été, ceignent la ville de verdure et par lesquels il faut passer pour gagner le cimetière. Le cortège couvrait la chaussée dans presque toute sa largeur, quand survint un incident qu’on aurait pu prévoir et peut-être même empêcher. Les chevaux d’un escadron prussien sortaient de la caserne pour aller à l’abreuvoir. Un officier était en tête, chaque soldat à cheval menait un autre cheval par la bride, et ces hommes, épanouis dans le triomphe qui leur valait une paix lucrative, jouissant du beau temps, de la quasi-liberté de la petite tenue, laissaient bondir leurs chevaux, et causaient et riaient en descendant le Cours à la rencontre de la foule affligée qui montait. Le corps avait été placé sur le break de famille qui avait servi à tant de joyeuses promenades ; ce break avait été tendu de noir, et c’était le pauvre brave François qui avait appelé à lui tout son courage pour monter sur le siège où il avait enseigné à son jeune maître à conduire. Jusque-là il avait fait bonne contenance, mais quand il vit venir à lui ce flot d’hommes, si cruels sans le savoir dans leur joie victorieuse, il perdit tout autre sentiment que celui de sa souffrance de cœur et, détournant brusquement ses chevaux à gauche, de manière à ne plus voir l’escadron prussien, il les arrêta sur le bord de la chaussée. L’officier passa, superbe, le poing sur la hanche, son grand sabre battant les lianes de son cheval ; ses hommes causaient et riaient toujours ; pourtant eux regardèrent et sentirent la tristesse de cette foule. Peut-être comprirent-ils quel était son deuil en apercevant l’épée et les épaulettes posées sur le drap noir, et le mouvement d’André qui s’était jeté devant sa mère et la faisait détourner pour lui épargner leur vue. Quoi qu’il en soit, le sourire s’effaça de leurs lèvres, le silence se lit et les derniers rangs même saluèrent gravement. Ce fut alors que des larmes amères inondèrent en dépit de tous ses efforts le visage d’André. M. de Vineuil, lui, n’avait ni baissé ni détourné les yeux ; le vieux soldat n’avait point de malédictions même pour les vainqueurs ; il subissait leur présence comme il subissait son épreuve, et ne laissait voir sur son visage qu’une douleur sans colère. Lentement et plus tristement encore, on reprit la marche interrompue ; le cimetière s’ouvrit, la tombe était là, béante ; et à mesure que descendait le cercueil, à mesure aussi, semblait-il, les glorieuses promesses de l’Évangile, proclamées à voix haute, élevaient vers les espérances de la résurrection les âmes abattues. La dernière prière se termina par une bénédiction et la foule s’écoula peu à peu. La famille resta bientôt presque seule, chacun avait compris que l’effort de la pauvre mère dépassait les limites des forces humaines et qu’il fallait lui éviter même l’ébranlement des sympathies. Il n’y avait plus dans le cimetière que le pasteur, les de Thieulin, Barbier et quelques vieux serviteurs quand M. de Vineuil emmena sa femme, toujours à son bras. Au moment de passer la porte du cimetière, ils virent que deux hommes s’étaient comme cachés dans l’ombre. Leur veste bleue, la casquette plate qu’ils tournaient dans leurs doigts, faisaient reconnaître l’uniforme ennemi, mais leurs figures étaient émues et leurs yeux mouillés. Mme de Vineuil retint un instant son mari, et tendit à l’un, puis à l’autre, sa main restée libre : « C’est Franz et Bürkel, nos malades de cet hiver, » dit-elle, en réponse à son regard interrogatif ; et la voiture s’étant avancée, la famille de Vineuil y monta. « Père, dit Robert après un long silence, je voudrais être soldat. — Pour nous venger, Robert ? — Je crois que oui, père, mais encore plus pour l’Alsace... — Mes enfants, dit M. de Vineuil en couvrant d’un même regard ses deux fils, ne haïssez que le mal ! haïssez-le toujours ! haïssez-le partout !... Pour nos provinces enlevées, comptez sur Dieu, il ne laissera pas sans châtiment une iniquité telle que celle qui vient de se commettre. Comment châtiera-t-il ? comment réparera-t-il ? Je n’en sais rien, je sais seulement qu’il est le Dieu juste. Peut-être, pour instruments de sa justice, demandera-t-il des hommes : si vous vous êtes gardés de la haine, vous serez dignes d’en être. Vous marcherez pour la délivrance, — non pour la vengeance, — vous marcherez tous deux... Votre père mettra ses dernières forces à vous suivre, et votre mère — la mère de Maurice — ne retiendra aucun de nous ! » Fin. Voyez : Rapport de l’ambulance 11 bis. Combat de Vallières. Grande victoire des Français ! Orléans occupé par les troupes françaises. Cette lettre parvint à Mme de Vineuil enfermée dans la suivante. L’amiral Jauréguiberry. La ferme de Guillard. Les réquisitions avaient cependant été lourdes. Chevilly, village de 1,200 habitants, a fourni 600,000 francs en argent ou en denrées. C’était Loigny même Le général de Sonnis a survécu à l’amputation de la cuisse. On ignorait encore à Paris qu’un frère aîné du lieutenant E. de B..., capitaine de la garde mobile avait été tué le 24 au combat de Ladon. Vendôme est tout à fait au pied de la colline de gauche. C’était une seule demi-brigade commandée par le colonel Thiéry. En effet, lorsque la 2e division du 16e corps atteignit Château-du-Loir, la voie était déjà coupée et le passage impossible. Après avoir, dans la journée du 11, tenté une attaque sur Écommoy, le général Curten put retirer heureusement ses troupes et son matériel sur la Flèche, où il arriva le 13, puis sur Laval, qu’il atteignit le 16. La position destinée au général Curten était celle de la Tuilerie. Le lecteur sait au contraire qu’André avait rejoint l’armée avant la bataille du Mans. Cette salle était ainsi appelée parce que tout son personnel appartenait à la colonie suisse de Paris, qui subvenait par souscriptions aux dépenses nécessaires. |
L’Hermaphrodite (Le Nismois)/Texte entier | J. Le Nismois (alias Alphonse Momas) L’Hermaphrodite [s.n.], 1902 (Tome 2, p. 1-163). bookL’HermaphroditeJ. Le Nismois (alias Alphonse Momas)[s.n.]1902Paris-BruxellesVTome 2Le Nismois - L’Hermaphrodite, tome 2, 1902.djvuLe Nismois - L’Hermaphrodite, tome 2, 1902.djvu/71-163 Deuxième Partie La porte de la loge de l’Ermite refermée sur elle, Josépha demeura quelques instants dans un grand effarement. Elle avait tenu tête à l’homme qui violait la loi des Bleuets, cette loi dans laquelle, elle et ses devancières crurent sincèrement à l’harmonie des sexes, à la vie exempte d’appréhensions et de terreurs. Sur sa tête, l’orage s’abattait d’une façon inattendue, et tel le cyclone ravageant subitement une contrée prospère, tel l’acte d’Antioche bouleversait son esprit, éparpillant ses idées et ses rêves. Le dépucelage de Marthe disparaissait devant la violence commise sur sa personne ; elle considérait la Communauté des Bleuets en péril par cette atteinte à sa suprématie. Longtemps prostrée, elle ne se ressaisit que lorsqu’Antioche reparut, lui apportant des aliments ; elle lui témoigna le froid dédain dans lequel elle le tenait. De nouveau seule, dînant, car femme d’action et de tempérament, elle ne boudait pas à table, elle envisagea avec plus de justesse sa position. Elle était prisonnière d’un de ses subordonnés, avec la complicité de tout ce qui aurait intérêt à sa claustration, et même à sa suppression. Elle examina cette éventualité. Elle ne pouvait être supprimée. Le cas était prévu dans la discipline du Couvent. Les absences non justifiées entraînaient la déchéance de l’abbesse. Cette déchéance provoquait l’interdit sur la Communauté, avec rappel de l’abbesse précédente. La suppression de l’abbesse se révélant dans le manque de nouvelles, dans le défaut de sa signature au bas des actes administratifs et sociaux chez Me Dollempt, dans le sceau du Couvent non remis à une mandataire, la déchéance ne se prononçait pas. Or, si on lui avait pris l’anneau et le collier, on avait oublié ce sceau qu’elle gardait sur elle, et qu’elle cacha pour qu’on ne le lui enlevât pas dans la nuit. Elle rejeta donc tout d’abord l’idée de sa suppression, mais dans les heures qui suivirent son repas, et dès qu’elle se fut couchée, elle aperçut la clause d’absence d’un mois de l’abbesse, sur laquelle, avec une complice intelligente, Antioche s’appuierait pour essayer d’obtenir sa déchéance, et en conçut de l’inquiétude. Elle se rasséréna ; là encore, une rebellion aussi bien organisée qu’elle fût, se heurtait à des clauses secrètes du manuel régissant les hauts pouvoirs de la Communauté et ses rapports avec les laïcs. Le sommeil la fuyait, la solitude lui pesa ; elle eut une crise d’abattement après la visite nocturne d’Antioche. Elle envisagea avec tristesse le revers immérité qu’elle subissait après six ans d’une autorité, exercée avec plus de douceur et de mansuétude que de sévérité et d’autocratie. Six ans déjà qu’elle était abbesse, six ans que sa beauté triomphante et universellement acclamée, lui fit réunir les suffrages pour succéder à une abbesse de cinquante-et-un ans, ne partageant déjà plus depuis près de quatre ans la vie de ses nonnes et de ses moines, restreignant de mois en mois les fêtes générales, sans oser proscrire ouvertement la liberté individuelle des plaisirs, ne pratiquant plus que ses débauches avec les galvaudeux qu’on lui ramassait ! Six ans, qu’en posant sur son front la couronne de sainte Sorignitte, fondatrice de l’Ordre des Bleuets, l’aumônier s’agenouillant ensuite pour lui baiser le genou et la cuisse nus, lui dit : — Des cuisses de la femme sort la perpétuation de l’humanité, dans les cuisses de la femme règnent le bonheur et la volupté. Abbesse des Bleuets, je baise ton genou, je baise ta cuisse, et les proclame sources de félicité et de plaisir pour la Communauté. Alors, tandis qu’il la montrait troussée, les jupes ramassées sur le côté où il s’était placé, deux par deux, les prêtres et les moines de la Communauté défilèrent, saluant son ventre et ses poils par une courte génuflexion, leur permettant de la contempler dans ses charmes ; puis les sœurs de toutes catégories, les nobles et belles dames de retraite, les servantes laïques, et enfin les représentants laïcs de l’Ordre au dehors. Tout ce monde ensuite rangé en cercle, on la fit monter sur une estrade élevée au milieu du salon de cérémonie, et d’où elle-même elle put se trousser et se montrer nue, de la ceinture aux pieds, à tous les regards avides, acclamant chaque partie de son corps. Sur l’estrade, on installa un trône, et par groupes on vint lui présenter ses hommages, lui prêter serment de fidélité et d’obéissance. Rayonnante de grâce et d’émotion, elle en descendit pour se mêler à tous, permettre toutes les licences et tous les plaisirs, et se retira enfin avec son amant, l’abbé Hermal. Toute sa vie d’abbesse se retraçait à sa mémoire, et elle n’y relevait aucun excès de pouvoir, autorisant des inimitiés. L’abbé Hermal ne resta certes pas longtemps son amant, et comme ses devancières, elle se porta surtout sur le saphisme. N’était-ce pas fatal avec toutes ces jeunes, belles et ardentes nonnaines, qui se surpassaient pour attirer son attention ! Déjà lancée dans le mouvement par les trois ans de claustration qui précédèrent son élévation à l’abbétiat, elle ne s’y précipita qu’avec plus de furie, lorsque ses caprices devinrent comme une faveur pour celles qu’elle choisissait. Elle eut du moins à cœur de ne pas priver les moines des délices de ses amours, et parut de temps en temps à leurs fêtes particulières, y prenant un amant de passage. Elle honora ainsi Victor-Étienne. Victor-Étienne ! Elle le revit à son arrivée au Couvent, il y avait à peu près trois ans, beau et robuste jeune homme de vingt-cinq ans, de peau blanche et fine, s’éprenant de suite d’elle, à leur première entrevue, lui faisant une cour très assidue, et si heureux lorsqu’elle l’accueillit, qu’il faillit jurer de ne plus jamais approcher d’autre femme. Approcher d’autre femme ! La loi des Bleuets ne l’ordonnait-elle pas pour dissiper les réticences et les jalousies ! Elle le passa à ses amies, à Espérandie entre autres, qui voulut le lui enlever d’une façon définitive, et qu’elle dut punir, malgré l’affection qui les liait, pour sa prétention à la dépasser dans son cœur. Victor-Étienne fut un excellent conseiller, qui lui fit décréter de très bonnes mesures : la scène du paradis, dans le jardin des Délices, pour les novices ; les accouplements de sœurs cloîtrées avec des moines ; la tolérance des visites féminines chez les frères, choses qui n’existaient pas avant elle, et qu’elle dut cependant interdire quelques semaines auparavant, à cause de certaines sœurs qui y séjournaient un peu trop longuement. Antonine effaça peu à peu le charme qui la liait à Victor-Étienne, et elle fit avec celle-ci autant de folies dehors que dans les murs du Couvent. Son rôle d’abbesse l’enchaînait à deux fins : celle de la direction des sœurs et des moines, et celle de la représentation de l’Ordre et de ses mœurs, devant le monde religieux et devant le monde politique. Avec le premier, elle traitait par les prêtres, les évêques, les légats, et obtenait ses franches coudées. Avec le second, elle luttait par ses complaisances, celles de ses femmes, celles des belles et grandes dames du monde, se rattachant à la Communauté par l’asile de retraite qu’elle leur offrait, par ses alliances avec les femmes de tous les mondes dont elle pouvait disposer. Car elle commandait réellement à tout un petit peuple. Cette autorité dont elle était investie, on ne la lui ravirait pas. On pouvait la paralyser à l’intérieur du Couvent pour un temps déterminé, on ne pouvait rien contre elle au dehors. Il ne se passait pas de mois où elle ne fût appelée à causer avec quelque grand personnage de l’État, avec de puissantes notabilités étrangères, et son influence hors du Couvent s’affirmait encore plus considérable que son autorité sur le personnel des Bleuets. La Communauté des Bleuets rendait toutes sortes de services qu’ignorait le vulgaire, que ne soupçonnait même pas la majeure partie de ses membres. Il fallait bien payer la tolérance dont elle jouissait auprès des pouvoirs publics, la protection occulte qui assurait le silence autour de la puissance qu’elle représentait ! Quelques jours auparavant, dans le cabinet d’un des grands directeurs de l’Administration, où elle avait été mandée pour recevoir un don princier d’un étranger, le directeur la plaisantant sur cette merveilleuse compréhension de l’amour et de ses plaisirs, lui dit : — Pour nous, ma sœur (il m’est impossible de vous appeler ma mère), vous êtes une ressource sans pareille et qui nous aideriez à vaincre bien des difficultés, si la routine et la sottise qui règnent dans les esprits de nos gouvernants, ne les empêchaient de renoncer aux préjugés et aux idioties voulus par l’esprit clérical. Votre maison est le bordel par excellence pour les souverains et leurs représentants, et vos sœurs nous ont valu plus d’un triomphe secret, mais important. — Le mot sonne mal, Excellence, nous pratiquons la religion et la charité d’amour. Vous nous méconnaissez en nous classant dans le monde qui se vend. — Vous ne vous vendez pas, certes non, et ce n’est pas ma faute si notre langue manque d’un mot propre pour désigner votre Communauté. — Communauté religieuse. — Oui, oui, mais sachant faire ses affaires. — Et celles du pays. — Je n’en disconviens pas. Le prince de X... qui vous envoie ces cinq cent mille francs, est parti charmé, enthousiasmé de vous, tout reconnaissant pour nous, enchanté du pays, attestant que nulle autre part pareille institution existe. Vous l’avez empaumé. — Le mérite n’est pas grand, et mes sœurs n’ont pour ainsi dire pas donné. Installé dans notre annexe, dit le Déversoir, il a fêté la duchesse de V..., la femme d’un sénateur, et votre servante. Sa satisfaction témoigne de nos bontés, non de notre vénalité. Le Couvent seul profitera de cette bonne aubaine. — Et nous, ma sœur, pour le traité signé. De ce directeur, lui remettant une aussi forte somme, elle obtint autorisation de passage sous une des rues latérales d’un des établissements des Bleuets, pour se relier à une immense maison particulière, achetée depuis peu. Elle luttait au dehors, au dedans, dans l’intérêt du Couvent, et la sotte rebellion d’un moine, marchant sur ses brisées, risquait de compromettre la bonne renommée de l’organisation des Bleuets. Elle en revenait à ses noires idées. Marthe apparaissait à son tour, dans son souvenir, et elle regrettait de ne pas l’avoir menée avec elle dans son entrevue avec l’aumônier. Dépucelée, perdait-elle de son charme ? Elle réfléchissait et ne savait que répondre. Le fruit n’avait plus la même saveur ; elle voyait en Marthe un petit homme, ayant beaucoup de la femme, et à ce titre, pouvant mieux lui convenir pour une union presque maritale. L’abbesse mariée à une hermaphrodite, voilà ce à quoi elle tendait, au milieu d’un cérémonial imaginé par un des esprits inventifs de l’Ordre, cérémonial dont la légende demeurerait éternelle. Pour épouser dans l’Ordre, malgré sa toute-puissance d’abbesse, malgré la latitude laissée par la tolérance religieuse à tout ce qui se rapportait aux choses de l’amour, derrière les murs des Bleuets, il fallait au moins le pucelage féminin du mari. Elle le comprenait et se rendait compte que l’aumônier, déjà rétif à une consécration laïque dans les salons d’un pacte d’union avec l’hermaphrodite, regimberait fortement du moment où elle émettrait la prétention d’aller devant l’autel demander la sanctification de cette union. Elle l’avait rêvé ce mariage avec l’hermaphrodite, mariage qui scellerait sa renommée d’abbesse d’un fait mémorable. Elle s’endormit sur le matin d’un lourd sommeil, que ne troubla pas la nouvelle visite d’Antioche apportant son déjeuner. Le moine se retira sans bruit, et ce fut le tapage d’une porte de fer, refermée plus loin, qui la secoua. Elle consulta sa montre dont on ne l’avait pas privée, et vit qu’il était onze heures du matin. Elle sauta à bas du lit et resta un instant toute pâle, interdite, regardant partout autour d’elle avec effarement, cherchant... une issue quelconque, révélant un ajout indispensable à la pièce. Cette loge de l’Ermite, si elle la connaissait de nom, elle ne la connaissait pas de fait, ne s’étant jamais aventurée dans la partie des souterrains dépendant des bâtiments des moines. Une crispation la saisit, elle tourna par la pièce et eut un éclair de joie. Un loquet se montrait sur un mur, elle le souleva, et par une porte qui s’ouvrit, aperçut un petit escalier ; elle le monta et arriva à un local, d’où on distinguait la clarté du jour. Elle ne pouvait en croire ses yeux. Une fenêtre existait à sa disposition ; elle étudia autour d’elle : elle se trouvait dans un long cabinet, assez étroit, mais offrant d’un côté un cabinet de toilette muni des ustensiles et de l’eau indispensables, de l’autre un water-closet assez confortable. Une croisée en demi-lune, barrelée de fer, donnait le jour, et elle se rappela alors que le grand mur des moines s’étendait sur une ruelle isolée, et était construit sur une sensible élévation par rapport aux établissements des sœurs. Regarder dans la ruelle, elle ne s’en priva pas ; la solitude la plus complète y régnait ; elle s’en convainquit en ouvrant la vitre, située comme un hublot de cave à hauteur de la chaussée. Elle n’apercevrait les passants que par les jambes. Cette croisée, si infime qu’elle fût, la remit entièrement d’aplomb, elle avait la délivrance à sa portée, peut-être pas pour une évasion, mais certainement pour une communication avec le monde extérieur par l’obligeance de quelque promeneur qu’elle interpellerait. Tout à fait à l’aise, tout désordre réparé, elle réintégra la loge de l’Ermite, toujours éclairée par des lampes, pour y réfléchir sur les événements et sur la manière dont elle invoquerait l’aide du dehors. À trois heures, Antioche entra, accompagné d’une sœur, vêtue de noir, le visage masqué par la cagoule. Elle tressaillit à cette vue et s’écria : — La rebellion se propagerait-elle, qu’une sœur se prête à ton abomination ! — Il n’y a de rebellion que par ton entêtement a oublier ton rôle de mère et à ne pas vouloir pardonner. — Depuis quand, aux Bleuets, pardonne-t-on sans que le châtiment ait suivi son cours ? — Le châtiment est sur ta tête, orgueilleuse abbesse, non sur la nôtre ! J’ai mené une de nos sœurs pour te démontrer le chemin fait dans une nuit. La lutte s’ouvre inexorable entre toi et moi. Tu n’as pas voulu pardonner, ton absence est justifiée, je suis le maître du Couvent. — Cette fille, traîtresse à son abbesse et à l’Ordre qui autorise notre Communauté, est si peu sûre de ta maîtrise, qu’elle cache son visage ! — D’un geste rapide, Espérandie lança sa cagoule à terre et se découvrit. — Toi ! s’écria l’abbesse. — Elle est ici, reprit Antioche, pour te dicter et te faire écrire la formule d’investiture du pouvoir, que tu lui confères par l’entremise de Marthe. — Vraiment ! — Nous te marquons ainsi notre désir de traiter plus tard et en paix, quand tu seras revenue à la saine notion de ta faiblesse actuelle. — Lis la lettre. L’abbesse, assise sur un fauteuil, les jambes allongées, écouta en silence cette lecture : « Obligée de m’absenter, sans avoir fait reconnaître Marthe comme une moitié de ma personnalité, je ne veux pas qu’il soit sursis à cette reconnaissance, et je délègue notre sœur Espérandie pour me représenter auprès d’elle et auprès des sœurs dans toutes les circonstances qui se produiront dans la manifestation de l’Abbétiat. Salut et amour à nos sœurs et à nos frères. » Au grand étonnement d’Antioche et d’Espérandie, l’abbesse ne se récria pas et dit : — La lettre est bien telle que je l’eusse écrite ; elle est dans nos traditions. — Rentrons-y, dit Antioche ému, oublions tout de part et d’autre. — Non, répliqua l’abbesse, mais je ne refuse pas, pour la hauteur de la tâche qui m’incombe, d’écrire et de signer cette lettre. Je demande seulement jusqu’à cette nuit. — Je la veux tout de suite, dit Espérandie. — Tu parles trop vite, ma fille, pour une femme qui se pâmait à l’abandon de mes charmes ! C’est moi qui ordonne et non toi. — Il me faut cette lettre pour ce soir. — Tu ne l’auras pas. — Antioche, je te l’ai répété, nous n’obtiendrons rien, agis. — Ce n’est pas mon avis, Espérandie ; notre mère demande jusqu’à cette nuit, je lui accorde le délai, et je pense que nous trouverons la lettre prête et signée. Nous reviendrons à minuit, accompagnés, et nous emploierons les grands moyens si elle n’a pas cédé. — Les grands moyens ! dit avec dédain l’abbesse. — Voici du papier, de l’encre, tout ce qu’il faut, au revoir, Josépha. L’abbesse se leva, vint à Espérandie, sur l’épaule de qui elle posa la main et dit : — Tu es plus fautive que lui, ma fille, tu es criminelle ; Josépha ici n’est rien, mais tu atteins en la personne de l’abbesse, la Communauté et toutes tes sœurs. — Avec ou sans ta lettre, Josépha je représente l’autorité, les principes qui nous régissent ne sont pas violés. — Folle, folle, folle, dit l’abbesse lui frappant le front de l’index. — Elle me frappe, Antioche ! s’écria Espérandie. Antioche saisit le bras de l’abbesse ; elle le fixa dans les yeux et dit : — C’est moi qui t’ai élevé, serpent, bas la main. — Frappe-la donc, commanda Espérandie, elle ne cédera jamais, donne-lui un acompte de ses futures joies. D’un mouvement brutal, Antioche jeta Josépha contre le lit, et avant qu’elle ne fût revenue de sa stupeur, il la saisissait à bras-le-corps, la troussait, et criait à Espérandie : — Tu as le martinet, tape toi-même. De dessous sa robe, elle sortit en effet l’instrument répressif, et Antioche maintenant l’abbesse qui, du reste, opposait l’impassibilité la plus méprisante à cette nouvelle violence, Espérandie cingla son cul de plusieurs coups, le zébrant et disant : — Voilà pour t’assouplir, le titre d’abbesse n’implique pas le droit de méchanceté : tu fus méchante, Josépha. — Je ne te fis jamais que du bien, Espérandie. — Scrute ta conscience. Les coups pleuvaient, tapant le gras des cuisses, et Josépha, malgré sa fermeté, faiblissait sur les jambes. Antioche, qui la sentit trembler, intervint : — Assez, Espérandie, elle réfléchira, et elle comprendra qu’il vaut mieux céder que de nous pousser à employer les pires moyens. Les coups s’arrêtèrent, Antioche lâcha l’abbesse qui se laissa aller sur un fauteuil, les dents serrées, toute pâle, mais indomptable. Enlaçant Espérandie, Antioche la baisa sur la bouche et dit : — Merci de ton appui, Espérandie, retournons près de Marthe. Ils ne virent pas couler une larme sur les joues de l’abbesse, ils l’enfermèrent et elle les entendit s’éloigner. Elle souffrait terriblement aux fesses ; elle se tenait sur un côté pour éviter la cuisson que provoquait le frottement contre le siège. En appelant à toute son énergie, elle grimpa au cabinet, se mit de la poudre adoucissante sur les chairs, et déchira une chemise pour s’en faire un bandage. Elle se porta alors à la fenêtre, guettant avec patience le passage du premier inconnu. Plus d’une heure, elle demeura ainsi ; un pas enfin la fit tressauter. On venait de son côté ; elle distingua un pantalon, puis la silhouette d’un homme, et retint un cri de joie ; elle appela doucement : — Maillouchet. Le jeune homme était devant la croisée, il ne crut pas tout d’abord que le cri sortit de là, il regarda devant et derrière lui. — Maillouchet, répéta-t-elle. Il se pencha, eut un grand étonnement en la reconnaissant. — Notre mère ! dit-il. — Chut, ne perdons pas de temps, tu m’es dévoué ? — Jusqu’à la mort. — Tiens, ce mot chez M. Dollemphe, sans retard, tu m’apporteras la réponse ici. — Je suis envoyé pour chercher une voiture, que dois-je faire ? — M’obéir à moi. — Vous obéir, oh, je le veux de tout mon cœur ; mais n’est-ce pas vous exposer à un danger que je pressens, en révélant que vous m’avez parlé et en m’empêchant d’accomplir mon ordre. Ne vaut-il pas mieux que je l’exécute et que je cherche une occasion de sortir. Vous savez que je puis le demander. — Tu as raison, mais passe ici cette nuit vers dix heures, il faut que nous causions. — Je vous jure d’y être, ma chère maîtresse, et votre commission sera faite d’ici là. Maillouchet s’éloigna rapidement, tout en inspectant si personne ne l’avait vu, et en se promettant d’éclaircir cette mystérieuse affaire qui rendait l’abbesse prisonnière, justifiant ainsi les craintes de Suzanne et d’Eulalie. Dans le Couvent, cet après-midi, la paix la plus profonde ne fut troublée par rien de discordant, et permit aux sœurs et aux moines de se reposer des fatigues de la nuit. Marthe dormit comme une bienheureuse jusqu’à onze heures du matin, rêvant qu’elle commandait à un peuple d’esclaves, et que les hommes comme les femmes lui couraient après. Au mouvement qu’elle fit en se soulevant sur un coude, Espérandie, qui causait à voix basse sur le seuil de la chambre, accourut toute nue, sauta sur le lit, la prit dans ses bras, et la bouche sur la sienne, murmura : — Place vite ton petit machin sur mon petit bouton pour nous porter bonheur pendant cette journée. Pelotant les seins de la sœur, qui en était assez bien munie, Marthe s’empressa de se caser sur le ventre satiné qu’on lui présentait, et de chatouiller délicatement le clitoris avec son hermaphrodisme. Espérandie se tortilla, simula la grande extase, s’exclamant : — Ah, ah, ah, oui, toujours, oh, ma chérie, oh, mon adorée, tu es mon amant, tu me fais jouir, oui, oui, pelote-moi bien, ah, que c’est bon ! le sens-tu ? ah oui, tu brûles aussi, nous jouissons toutes les deux. Espérandie prenait possession de la fillette par cette habile luxure du réveil, et, l’entraînant ensuite au cabinet de toilette, elles se vêtirent, riant comme des enfants, à des bêtises, à d’inoffensives farces. Le personnel, attaché à la personne de l’abbesse, avait repris ses services, et, avec le jour, les soupçons de la sœur Eulalie, très satisfaite de sa nuit avec Suzanne et l’abbé Hermal, s’étaient dissipés. Elle fit bon visage, comme de coutume, à Marthe, qui déjeuna avec les sœurs, occupées dans les appartements de Josépha. Antioche ne survint que vers les une heure et demie, amenant cinq moines qui s’installèrent dans les bureaux de l’Économat, sous le prétexte de travaux laissés par l’abbesse. Il ne fêta pas Marthe qui en parut surprise, et s’enferma avec Espérandie pour conférer sur les événements. À deux heures et demie, une cérémonie religieuse réunissait les deux sexes dans la chapelle ; Espérandie et Antioche en profitèrent pour se rendre à la loge de l’Ermite. Sortis de la loge, marchant dans une demi-obscurité, Espérandie lui dit : — L’ai-je secoué son cul, hein ? — Elle en tremblait sous mon bras. — Moi, la jouissance m’en venait aux plis qui couraient sur la peau, touche. — Si je touche, on s’arrête. — C’est ce que je veux, Antioche. Il envoya la main sous sa jupe, saisit la motte, caressa le bouton et dit : — Tu n’as pas mouillé ! — Tu vas me le faire. — On ne sera pas à l’aise par ici. — Que si, tiens, contre ce tonneau. Elle s’appuya à une barrique, offrit la croupe toute troussée, magnifique paire de fesses, aux chairs blanches et rebondies, ressortant attirantes dans ce faux-jour et cette solitude des caves ; le moine bandant ferme, en approcha la queue dont il les flagella d’une douzaine de gros coups retentissants, qui les firent se tortiller voluptueusement, et l’enfila en levrette, la patouillant avec passion. — Ce que c’est tout de même meilleur que la biquette de Marthe ! dit-elle. Quel drôle de goût Josépha peut-elle trouver à cette bécassine ? — Et toi, tu es bien le meilleur morceau du couvent ! C’est gringalet, cette fillette, il n’y a pas de l’étoffe comme à ton cul et à tes nénés. Sa queue était sortie du con et furetait le cul dans la fente. — Tu n’es pas adroit, Antioche, dit tout à coup Espérandie, tu cherches trop au-dessus. Là, il est là, le trou, petit cochon, pousse, encule-moi, les coups de martinet dont j’ai régalé le cul de l’abbesse, l’ont mis en chaleur ! Tu vas trop vite, c’est étroit, tu sais, eh là, là, pousse doucement, ça mord, tu entres, mon chéri, tu prends le cul de la jolie sœur Espérandie, n’est-ce pas que je suis jolie, dis-le tout de suite ou je chie ta queue. — T’es jolie, t’es jolie comme un cœur, comme un cul, Espérandie, là, là, ne me décavale pas, je te tiens bien maintenant, ton trou a tout avalé et voudrait me manger les couilles. — Parle plus, pousse, pousse, manœuvre, mon enculeur ! Toute enculée et toute enfiévrée, elle l’arrêta encore un instant, et en riant lui dit : — Hein, si on entrait comme ça cette nuit chez l’abbesse, elle en ferait une tête ! Une idée, pour qu’elle cède et pardonne, pour qu’elle se soumette, il y aurait un truc. — Cochonne, tu dis de ne pas parler, et tu bavardes, nom d’un chien, ton cul me pompe, me pompe, et ça va venir. — Oui, va, va, ah, ah, chatouille-moi en même temps, ah ! Les soupirs se succédaient, les jambes trépignaient, il la fit presque danser sous ses coups de queue, lui chatouillant le bouton, lui cherchant les seins sous le corsage, il éjacula une fois de plus. — Si ça continue, dit-il, j’userai toute ma marchandise. — Ferme ton magasin et écoute-moi. Dans ce que tu portes à manger à l’abbesse, mets des choses, tu sais, des cantharides par exemple, des choses qui excitent ; elle aura envie, et quand on a envie, on tuerait ses père et mère. — Quelles garces, les femmes ! Tout de même c’est bien trouvé, on verra demain, si elle n’a pas marché. — Pourquoi attendre demain ? On sortait de prière et on regagnait les cellules, quand ils apparurent dans les appartements de l’abbesse. La sœur Félicia, venue pour donner sa leçon à Marthe, avait été renvoyée, et celle-ci, sachant que Raymonde se trouvait chez Izaline, se disposait à s’y rendre. Espérandie la calma et lui dit : — Pourquoi aller chez notre sœur novice, donne l’ordre qu’on t’amène Raymonde. — Envoie-les chercher toutes les deux, je veux leur parler seule. — Tu veux, Marthe ! — Oui, je veux. Josépha m’a dit que j’étais gentille, lorsque je disais : je veux. — Dans ce cas, je m’incline, et moi aussi je te trouve gentille ! Il y avait une nuance d’ironie dans la réplique qui n’échappa pas à Marthe, pas du tout naïve, et depuis longtemps femme pour l’art de la parole. Elle ne laissa cependant rien voir de sa perspicacité, et attendit l’arrivée d’Izaline et de Raymonde. Cette dernière se présenta seule, et les deux enfants se jetèrent au cou l’une, de l’autre. — Et la sœur Izaline ? interrogea Marthe. — L’abbé Hermal l’emmène dehors pour une affaire particulière, à ce qu’il paraît. — Elle t’abandonnait ? — On allait me conduire chez l’aumônier jusqu’au retour de l’abbesse. — Tu resteras avec moi. Les deux fillettes se tenaient par la main, se regardaient, se souriaient ; Raymonde dit : — Ah, Marthe, qui aurait pensé à ce qui nous arrive, quand nous étions en classe ! — Pas moi, pour sûr ! Tu sais que je suis la bonne amie de l’abbesse qui veut se marier avec moi, comme si j’étais un petit homme, à cause de ma petite machine. — Tu l’as toujours, ce machin ? — Vois, et ça éprouve beaucoup de plaisir en s’amusant avec. — C’est drôle, ce n’est pas une chose d’homme et on dirait presque que c’en est une. — Tu sais donc ce que c’est qu’un homme ? Raymonde devint toute rouge, se pencha sur les cuisses de son amie, lui baisa l’hermaphrodisme et murmura : — Oui, et toi ? — Moi aussi ! Ah, ma petite Raymonde, que c’est gentil de me caresser comme tu caressais la sœur Izaline en étant sa mignotte ! — Je l’ai revue, la sœur Izaline, et je l’aime toujours ; il me semble que sous ses jupes, je ressens un bonheur sans fin ! Tu as vu un homme, quand ? — Hier, on m’a dépucelée. — Tiens, comme moi. — Tu n’es plus pucelle ? — Non. — Montre ton petit trou, pour voir si tu as été bien percée ! — Le trou est couvert, ma chérie. — Montre vite, Raymonde. — Tiens, le voila. — Que c’est bizarre, d’avoir été dépucelées toutes les deux le même jour ! Dis, veux-tu être ma petite bonne amie ? — Et l’abbesse ? — Elle est absente ; puis, ç’a n’empêcherait pas, pas plus que toi pour Izaline ! Toutes les sœurs s’en fourrent entre elles, et cette nuit j’ai couché avec l’une d’elles et celui qui m’a dépucelée ; il nous a quittées très tard. — Qui t’a dépucelée ? — Un moine. Et toi ? — Un jeune homme. — Un jeune homme dans le couvent ! — Que ta machine est jolie, Marthe ! — Approche-la de ton petit trou, il te le fera jouir. Raymonde écarta les cuisses, se poussa sur l’arrière du divan, et Marthe l’attaqua, comme l’eût fait un cavalier. — Ça n’entrera pas, murmura Raymonde. — Un tout petit peu, si ; mais ne languis pas, laisse-moi te chatouiller le bouton avec, tu commenceras à jouir et ça ira tout seul. — Marthe, ma petite Marthe ! Leur douce intimité fut troublée par l’entrée subite d’Antioche, qui s’écria en les voyant s’essayer au plaisir. — Eh bien, eh bien, déjà en train, mes poulettes ! Elles vont bien les jeunesses de notre temps. — Comme les sœurs des Bleuets, répondit Marthe sèchement, ennuyée d’être dérangée. Avec Josépha, il est défendu de pénétrer ici, dans ma pièce, sans que j’appelle ou sans frapper. — Je croyais, ma petite chérie, dit Antioche avec une voix plus caressante, que j’étais pour ton cœur un peu plus que tout le monde. — Hier, possible ! Aujourd’hui, je n’en sais rien. Prêt à s’irriter de la boutade, Antioche considéra avec plus d’attention la fillette, et fronça les sourcils devant l’air décidé qu’accusait son visage. Patelin, redoutant que l’auxiliaire dont il avait le plus besoin pour le moment, ne lui manquât, il se glissa près des deux fillettes enlacées et les jambes à demi-collées, les pelota en disant : — Pourquoi me rudoyer, ma petite adorée, parce que je t’ai aimée et que je ne te l’ai pas prouvé aujourd’hui ? Ne fallait-il pas que je m’occupe de te préparer de belles distractions pour la soirée ! — De belles distractions ! — Sans doute ! Puis, on n’est pas égoïste aux Bleuets, le plaisir de l’un augmente le plaisir de l’autre, et tu es un morceau si rare, que te garder pour soi seul serait commettre un crime aussi bien à ton égard qu’envers nos frères et nos sœurs, désireux de te fêter. — Tu penses très juste, Antioche, dit Marthe quittant sa position au-dessous de Raymonde pour s’asseoir à son côté et faire face au moine. Antioche, agenouillé devant les fillettes, les pelotait, Raymonde se laissant entraîner par l’exemple de son amie et ne protestant pas davantage ; il se releva et reprit : — Je pensais bien que j’aurais ton approbation, et en attendant les fêtes de la soirée qui, j’en suis certain, te charmeront, si tu consentais à venir te montrer à quelques-uns de nos moines, réunis ici tout près pour veiller sur ta sécurité et t’éviter des ennuis, tu jugerais encore mieux qu’Antioche, malgré l’amour qu’il t’a voué, ne demande qu’à passer au second plan pour te favoriser dans tes joies. — Me montrer à des moines, Antioche, es-tu fou ! — Ignores-tu que presque toutes les fêtes des Bleuets se célèbrent dans l’état de nudité pour les deux sexes, et que pour s’y accoutumer, les sœurs novices recherchent les moindres occasions de marcher devant les moines, sans aucun voile sur le corps ! Ne mérites-tu pas l’admiration des hommes ? — Si tous me touchent, ils me brutaliseront. — Je serais là pour arrêter ceux qui dépasseraient les bornes ; d’ailleurs, ton amie Raymonde peut t’accompagner, et certainement des sœurs se joindront à nous pour attirer les plus entreprenants. — Je ne voudrais pas non plus qu’ils n’osassent rien. — Allons, venez, on s’amusera. Raymonde affichait moins de résolution que Marthe, elle ne recula néanmoins pas, et on se rendit à l’Économat où s’étaient enfermés les cinq moines menés par Antioche, des hommes carrés des épaules, aux visages gais et émerillonnés par la bonne vie, ayant devant eux, sur une table, des carafes d’un vin doré qu’ils consommaient avec forces délectations. À l’apparition des fillettes, ils se dressèrent tous les cinq d’un même mouvement, croisèrent les bras sur leur poitrine, s’inclinèrent et dirent : — Gloria Domine, les chérubins nous visitent ! — Et viennent trinquer à votre concupiscence, fratres mei, répondit Antioche. — Ostende culum tuum, dit le plus près à Marthe, et Dominus erit in nobis. — Dans son patois de latin, le frère Lupinius te demande de lui montrer ton cul, pour que le Seigneur soit parmi nous. Marthe pouffa de rire et cria : — Si je ne le montre pas, il n’y sera donc pas ? — N’est-il pas en toi pour te former une digne et belle fille ! Et toi, n’es-tu pas ici pour la joie de nos yeux, de nos mains, de nos pines ! — Il faut le montrer, Antioche ? — Puisqu’il te le demande. Marthe se troussa sans plus d’embarras, et présenta la vue de son cul aux cinq moines qui, toujours mûs de la même impulsion, tombèrent à genoux, levèrent les mains en l’air et dirent : — Benedie nos, Domine. Une main agrippa les mollets de la fillette, l’attira contre un visage, et un gros baiser se plaqua sur ses fesses. Elle vit une queue devant elle, qui, sortie de dessous la robe d’un moine, paraissait la magnétiser ; elle aperçut Raymonde assise sur les genoux d’un moine. Une main lui tendit un verre de vin, elle but et murmura d’une voix émue : — Ouf, il commence à faire chaud par ici ! La langue de Lupinius lui farfouillait à grandes léchées tout le cul, la secouant de ses chatouilles ; elle porta la main sur la queue qu’on lui approchait, elle ne refusa pas de sucer Antioche, assis sur le dossier d’une chaise, pour avoir les cuisses à portée de son visage. Raymonde, sur les genoux d’un moine réjoui, le frère Constantin, se voyait avec un peu d’effroi trousser par devant, et sentait un audacieux index lui grattouiller le bouton. Elle gigottait, essayait de se défendre du moine en forçant des bras sur sa poitrine ; Constantin riait, accentuait son pelotage, s’emparait des mains de la fillette, lui baisait tous les doigts et disait : — Tourterelle, ne fais pas la cruelle ; tu es dépucelée, donc tu es mûre. Les mains jointes sur l’estomac, un autre moine regardait, le rire épanoui sur des lèvres lippues, suivait avec attention cette scène et criait : — Sois sage, ma belle, ou on fessera ton petit cul. — Tu entends, dit Constantin, on me conseille de te fesser. Marthe, se détachant du trio auquel elle tenait tête, intervint avec ces mots : — Si on la touche, si on la frappe, je m’en vais et je l’emmène. Antioche lui appliqua le bout de la queue sur les lèvres, lui colla la tête sur ses cuisses en disant : — Tais-toi et laisse faire. Tout en grattant le clitoris de Raymonde, Constantin la maintenait troussée ; un autre moine, le dernier, ayant posé son verre, parce qu’il continuait à boire durant ces préliminaires de plaisir, s’abattit entre les cuisses de la fillette et se lança dans les minettes. La scène s’amplifiait : trois moines par fille s’accordaient à merveille pour se faciliter dans leurs ivresses sensuelles. Lupinius ne léchait plus le cul de Marthe, mais lui faisait minettes, ayant passé par devant entre ses jambes. Le moine qui montrait la queue, était venu derrière elle et remplaçait les feuilles de roses par de légers coups de queue, flagellant doucement le cul, avec promenades de plus en plus longues dans la raie, le gland se hasardant à coqueter avec l’anus qui ne le repoussait pas. Marthe s’échauffait et ne s’effrayait pas ; elle se troussait elle-même pour mieux s’offrir à Lupinius dans ses minettes ; elle arrondissait le cul pour répondre à la fantaisie de celui qui s’apprêtait à l’enculer. Raymonde tressaillait sous les larges sucées du frère Ovide, et apprenait l’art de la masturbation par celui qui menaça de la fesser, le frère Nestorien. Marthe poussa un cri et échappa par une violente secousse à son trio de moines ; le frère Babylas ayant appuyé son gland sur le trou du cul, essayant de le franchir, et cette pression n’avait pas été heureuse. Le cul, un peu resserré de la fillette, pas assez préparé pour l’acte sodomite, se refusait à sa tentative. Le cri de Marthe arracha Raymonde à l’engourdissement voluptueux qui la gagnait, elle se précipita vers son amie, et toutes les deux, face aux moines dont les yeux s’allumaient de lueurs luxurieuses, résolues à se disputer, les menacèrent du poing, criant : — Non, non, plus rien, vous êtes trop nombreux. — Les sales garces, dit Babylas, il faut qu’elles y passent toutes les deux ; on risque gros jeu pour l’hermaphrodite, il faut qu’elle soit raisonnable, n’est-ce pas, Antioche ? — Bah, les frères, c’est trop jeunet pour de vaillantes pines comme les vôtres ! Ne les tourmentez pas et buvons ensemble, on fera la paix et on recommencera la manœuvre, quand on sera mieux disposé. — Il y en a assez comme ça, dit Marthe, je retourne dans mon salon, avec Raymonde. — Ton salon ! cria Constantin. Elle est à se tordre, cette poule, on va t’y mener à ton salon ! Antioche se plaça devant lui comme il se dirigeait sur Marthe, et voulant l’arrêter, lui dit : — Ne fais donc pas l’animal, Constantin, on prépare les petits oiseaux avant de les croquer. — Il ne nous croquera pas, et toi, tu ne me croqueras plus, répliqua Marthe. C’est une indignité de nous avoir conduites ici, Raymonde et moi ! Tu n’es pas amoureux de moi comme tu le prétendais ! Constantin avait repoussé Antioche qui, du reste, ne s’opposa plus à sa marche en avant. Marthe entraînant Raymonde, elles se réfugièrent derrière une table. Ce fut un gros accès d’hilarité chez tous les moines, qui, se tapant sur les genoux et le ventre, crièrent : — Ah, bonus Deus, qu’on va rire ! Les tourterelles qui se défendent ! Santa Maria, videte. Antioche, se tenant à l’écart, les cinq moines entourèrent la table, Ovide parlementa : — Cochonnettes de mon cœur, pas de sotte bégueulerie, on ne vous veut pas de mal, on ne vous veut que du bien ! De la complaisance comme tantôt, mes poulettes, tout se passera en douceur, ou sinon, foi de ma pine, de cette jolie pine que vous voyez, nous vous enculons toutes les deux et passons tous dans votre cul. — Essaye, sale bête, répliqua Marthe saisissant un couteau qui se trouvait sur la table. Qu’allait-il arriver ? Une lutte où les deux enfants eussent fini par succomber. Une porte s’ouvrit et Suzanne apparut. Stupéfaite, elle dit : — Que signifie ce désordre ? Il y eut du désarroi chez les moines ; ils reprirent instantanément une attitude convenable, et Antioche répondit : — Rien, on plaisantait avec Marthe et son amie. — En se menaçant ! Explique-moi. pourquoi nos frères sont ici, sans que j’en ai été informée. — Espérandie les a requis pour un travail urgent. — Ce n’est pas dans les usages du Couvent. — J’en avais été moi-même avisé par notre mère avant son départ, et mon titre joint à l’autorité de la sœur couvrant Marthe, suffit pour justifier cette exception aux règlements. Le cas n’est pas unique. — Je veux bien l’admettre, mais la complaisance, que nous témoignons en toute occasion à nos frères, méritait la courtoisie de ne pas oublier les égards qui sont dus à la fonction que j’occupe. — Je t’en aurais prévenue dès ce matin, Suzanne, si la fête de cette nuit ne nous eut pas éparpillés un peu partout. — Le travail urgent, Antioche, n’est pas dans la violence qu’on s’apprêtait à commettre sur ces enfants. — On riait et on plaisantait, il n’y aurait pas eu de mal. — Est-ce bien vrai, Marthe, et consens-tu à rester avec nos frères ? — C’est vrai, ma sœur, mais je tiens à me retirer. Suzanne jeta un regard ironique sur les moines et dit : — Travaillez, mes frères, je ramène les deux fillettes. Ils n’osèrent pas s’opposer à leur départ, et le calme, un calme apparent, succéda au commencement d’orage qui avait grondé dans cette partie du Couvent. Suzanne avait été mandée par Espérandie ; il était indispensable qu’elle sanctionnât les mesures que celle-ci décidait. L’entrevue des deux sœurs, cependant jusqu’alors très amies, se revêtit d’une froideur instinctive, difficile à définir. Accourue à l’appel de celle qui se proposait de culbuter son abbesse, Suzanne tressaillit en constatant le changement qui s’opérait dans la personne et dans le visage d’Espérandie. Les yeux si doux se coloraient d’un air de résolution inaccoutumée ; la physionomie marquait l’empreinte de pensées réagissant sur les nerfs et les muscles, le corps affichait une attitude saccadée et hautaine. Saisie de cette transformation, Suzanne ne put s’empêcher de dire : — J’ai été heureuse du choix de Marthe te désignant pour la couvrir ; je désirerais cependant avoir communication de la lettre de notre mère, relative à son départ. — Notre mère a ordonné que cette lettre restât secrète deux à trois jours ; je ne la montrerai donc que demain soir ou après-demain dans la journée. — Le secret recommandé ne s’étend pas jusqu’à ma personne. — Je pense différemment, et nous ne discuterons pas à ce sujet. Des événements se préparent qui étonneront notre maison, aie donc la patience d’attendre, et témoigne-moi la confiance que je te témoignerais si les rôles étaient renversés. Suzanne ne jugea pas à propos d’insister davantage et accepta le programme pour la soirée que lui communiquait Espérandie. C’est en sortant de cette entrevue, qu’elle délivra des entreprises des moines, Marthe et Raymonde. Les deux fillettes, revenues dans le boudoir de Marthe, celle-ci appela Bottelionne et lui exprima quelques craintes sur ce qui s’ensuivrait de l’attentat commis envers l’abbesse. — Nous avons été des folles, répondit Bottelionne, le mal est irréparable, Marthe, tirons-en le meilleur parti possible, et demeure l’amie d’Espérandie, crois-moi. Demeurer l’amie d’Espérandie, elle ne lui conseillait là rien que de très agréable. Cependant, Marthe remarqua ce soir même, dans le dîner qu’elle prit en tête-à-tête avec la sœur et Raymonde, le même changement observé par Suzanne. Espérandie ne soumettait pas ses idées à l’approbation de l’hermaphrodite, elle les indiquait et les imposait. Étrange fête que celle qu’elle lui servit ! Sur les dix heures du soir, dans une galerie aux longues draperies de velours rouge, Marthe vint occuper un petit trône, ayant à sa droite Espérandie et à sa gauche Raymonde, sur sa volonté, toutes les deux installées sur des fauteuils. Derrière elles, et en demi-cercle, prirent place une quinzaine de sœurs et autant de moines. Au son de clochetons jouant une fantaisie musicale, elle vit entrer la sœur Félicia dans sa toilette de Requéreuse, la robe noire, le grand manteau, le béret, la canne à la main dont elle frappait le sol. Derrière Félicia, marchaient six femmes, les épaules et les seins nus, un bonnet phrygien sur la tête, avec une blouse de velours noir, serrée à la taille par une ceinture à trois rangs d’or, les jambes nues, les pieds dans des babouches ; elles tenaient à la main un long jonc. À leur suite s’avançaient dix autres femmes en toilette de ville, toilette sévère et montante de soie noire ; puis, six femmes nues, avec un chapeau cornette sur la tête, les cheveux détachés flottant par devant sur chaque épaule, un martinet à la main. Après les femmes, venaient douze moines dans leur robe religieuse, nouée à la ceinture par une grosse corde, et ensuite, pour terminer cette procession, des sœurs cloîtrées, novices, professeurs, des abbés, des moines, des dames et des messieurs. Tout ce monde s’installa sur des fauteuils contre les tentures murales des galeries, tout en laissant un espace libre devant le trône où siégeait Marthe. Des servantes laïques apportèrent six prie-Dieu, et devant ces meubles, six des dames habillées de soie noire se placèrent comme pour prier, tournant le dos à Marthe. Soudain elles se troussèrent et exhibèrent leur cul, cul blanc et rondelet, bijou de chairs jeunes et fraîches, ressortant sous le cadre de la jupe et de riches jupons, par les bas grimpant jusqu’au gras des cuisses, cul qui se tortilla en mille grimaces lascives, et les six femmes nues s’approchant, en choisirent chacune un sur lequel elles passèrent d’abord délicatement le manche de leur martinet. Les culs parurent accepter la proposition de flagellation qu’on leur soumettait ainsi, les raies dans un frissonnement semblèrent même vouloir s’emparer de l’instrument de supplice ; les femmes nues levèrent en l’air le martinet et brusquement en frappèrent les fesses rebondies qui les narguaient. Celles-ci ne s’en troublèrent pas. Les atours féminins remontèrent plus haut dans le dos, les rotondités se développèrent plus largement, une nouvelle cinglée de coups répétés les secoua. Puis les flagellantes prirent sous un bras la taille des flagellées, les éloignèrent des prie-Dieu, les martinets se levèrent et s’abaissèrent, frappant sans interruption, provoquant des tourbillonnements chez les flagellées, qui murmurèrent des mots entrecoupés : — Encore, encore, plus fort, oh, que c’est bon ! Frappe, frappe, chérie, je te chatouillerai le bouton, je te mangerai ta motte, je boirai ton pissat, frappe, frappe ! Les martinets tapaient et tapaient ; les flagellantes s’animaient, leur teint se colorait ; elles tremblotaient sur les jambes, contorsionnaient leur cul, jetaient des regards d’invite sur l’assistance. Elles soupirèrent, se balancèrent sur les hanches, et leur corps accusa des défaillances ; elles tombèrent sur les genoux, et ne frappant plus, se mirent à lécher les culs flagellés, tandis qu’avec rage, elles se grattaient le bouton. Survinrent les six premières apparues avec le jonc. Elles touchèrent à l’épaule les flagellantes qui se redressèrent, leur firent vis-à-vis, passèrent la main sur leurs poils, leur clitoris, les invitant à les honorer. Loin d’y consentir, celles-ci les repoussèrent contre les flagellées, ventre contre leurs fesses, et à leur tour les frappèrent à coups de jonc. Sous les tressauts provoqués par les coups, elles frottèrent leur ventre contre le cul de celles qu’elles avaient flagellées, s’essayant à grimper par-dessus les croupes, et les douze culs s’agitant de plus en plus frénétiquement, on ne distingua plus que chairs blanches et dodues se tordant dans la raie du derrière avec des allures furibondes d’érotique jouissance. Les clochetons reprirent un air musical, flagellantes et flagellées crièrent : — Vive le cul ! Les contorsions de ces femmes excitaient une attraction magnétique sur toute l’assistance, il courut des frissons à travers les rangées des fauteuils, des jupes se soulevèrent, des mains s’égarèrent vers les cuisses, les femmes se chatouillaient elles-mêmes, les hommes massés derrière elles n’intervenaient pas encore. Cependant les douze moines qui étaient entrés à la suite des femmes nues, s’approchèrent du groupe des flagellantes, détachèrent la corde leur servant de ceinture, corde munie de trois nœuds serrés à l’extrémité, et en distribuèrent de violents coups indistinctement aux flagellantes et aux flagellées. Il y eut un sauve qui-peut général parmi ces femmes, les coups atteignant plus durement les fesses, et elles se précipitèrent vers le milieu de la galerie, défense leur étant faite de franchir les rangs de curieux et de curieuses, assemblés tout autour. Tournant et retournant, s’élançant à droite, s’élançant à gauche, allant et venant du haut au bas de la galerie, poursuivies par les moines, elles se saisissaient entre elles, et de la main se fouettaient impitoyablement, ne se séparant que sous les coups de corde des moines, coups bruyants sous lesquels rebondissaient les chairs. Les moines, en pleine érection, se débarrassèrent de leur robe et, nus dessous, continuèrent encore quelques instants la flagellation terrible dont ils pourchassaient le cul des femmes ; puis, peu à peu, ils les attirèrent sur le sol où le fornicage s’accomplit avec une sauvage frénésie. Bien des culs empourprés par les coups reçus, éraflés même par les exploits de la corde, furent enculés, sans que nulle protestation de la part de leur sémillante possesseuse ne s’élevât contre la fantaisie du rut masculin. Les grandes draperies tentures qui pendaient sur les murs, s’ouvrirent de distance en distance, démasquant des salons brillamment éclairés ; on abandonna les sièges, on s’éparpilla par ces luxueuses pièces, Marthe et Raymonde suivirent Espérandie qui les mena par les groupes et les couples, afin qu’elles s’inspirassent de l’ardeur générale et se mêlassent à l’orgie qui commençait à se dérouler. Étourdies de ce qu’elles avaient vu, enveloppées par la luxure qui s’étalait de toutes parts, entraînées par le pressentiment des débauches raffinées, elles regardaient tout avec de grands yeux effarés, qui provoquaient les apostrophes licencieuses des hommes comme des femmes. Elles étaient maintenant seules, noyées dans un flux et reflux d’êtres des deux sexes, vêtus, demi-vêtus ou nus, et elles ne savaient que voir, écouter, observer et rire. De gros moines paillards avaient déjà porté la main sur les fesses et les cuisses de l’une et de l’autre, elles avaient esquivé une attaque plus directe, en se jetant sur des hommes plus calmes ou sur des femmes plus curieuses de l’hermaphrodisme de Marthe que de lascivités excessives, et elles ne se décidaient à rien qui pût les séparer. Se tenant par le bras, elles marchaient droit devant elles, s’arrêtaient pour examiner, ou étaient arrêtées par une audace passagère s’exerçant sur leur personne, Espérandie, Antioche, Bottelionne, n’étaient plus près d’elles, on les abandonnait à leur inspiration. Une femme nue, superbe incarnation de la beauté, une main sur la hanche, l’œil libertin, la lèvre dédaigneuse, heurta Marthe et lui dit : — Hé donc, petite qui nous commande aujourd’hui, es-tu fille, es-tu femme, es-tu homme, qu’es-tu ? Moi, on le voit, on le sait. Baisée par devant, baisée par derrière, je donne tout de ma personne pour faire jouir un sexe fort, un sexe faible, la bouche pour sucer, la main pour masturber, les yeux pour exciter, la langue pour engluer, tout, tout, et toi, mets-tu ou te met-on ? Sur ces mots, un doigt sur son clitoris, elle parut attendre que la fillette lui manifestât une intention de minettes ou de chatouillage ; comme elle ne répondait pas, elle la prit par les épaules, pencha la tête vers la sienne, et les yeux dans les yeux lui cria : — Elle te mange donc tout, l’abbesse, que ton œil ne sait pas me voir, que tes sens ne s’émeuvent pas par instinct de la cochonne que je suis, et que tu ne me montres pas ta quiquine ! Un abbé saisit par la taille la magnifique créature, l’attira à quelques pas de Marthe en disant : — Sœur Geneviève, le diable n’est pas de ce côté. — Crois-tu, mon petit prêtre ? Je pensais, moi, que cette nouveauté en avait un au cul ! Le flot de luxure montait et montait. À leurs pieds, Marthe et Raymonde contemplèrent, le cœur ému, une des dames en toilette de ville, roulée comme un saucisson par deux hommes nus, agenouillés chacun d’un côté, se l’envoyant et se la renvoyant, pour se faire happer d’un coup de langue adroitement lancé vers leur queue, tandis que d’une main crispée ils lui attrapaient la jupe ou le corsage, les fripant, les déchirant, sans encore parvenir à la mettre en lambeaux. Soulevée sur les coudes, la jeune femme aspirait avec délices une queue ; l’autre cavalier, à quatre pattes, la saisissait, l’attirait vers lui, en la roulant, et essayait de la dévoiler dans ses parties sexuelles ; elle se retrouvait la tête sous ses cuisses, près de sa queue, elle se relevait sur le coude pour la prendre des lèvres, et le même jeu recommençait avec le premier. La robe craquait, les jupons s’enroulaient, les mains masculines touchaient les chairs, les queues bandaient de plus en plus, les yeux de la suceuse s’égaraient sous le charme de l’extase sensuelle, Marthe et Raymonde pouvaient-elles se fixer au spectacle d’un seul épisode ? À trois pas plus loin, une femme nue, penchée en avant, les bras croisés sur la poitrine, tendait les fesses en relief à un laïc d’une quarantaine d’années, vêtu d’une sévère redingote, une bonne tête de bourgeois aisé, qui lui appliquait une magistrale fessée sur son invitation réitérée. — Fouette, fouette, Beaurain, marche, mon cher, tes claques me plaisent, puis ça te fout en train et tu baises en enragé. Soudain, deux jolis pieds féminins saisirent Marthe à la taille, par derrière, l’entraînèrent sur le sol, où elle tomba sur les cuisses largement ouvertes de la sœur Georgette qui, la main sur son clitoris et ses poils, lui dit : — Je t’enlève au passage, ma belle poulette, fais-moi minettes. Elle retira la main pour présenter son con si laborieusement travaillé la nuit précédente par Ribourdin et Hilaire ; la Georgette était enragée, et une telle effervescence se dégageait de toute sa personne, que Marthe, le visage collé sur l’entre-cuisses, se hâta d’accorder les minettes sollicitées, pelotant les fesses, les chairs de cette nouvelle conquête. Raymonde, indécise, suivait le jeu de son amie ; Beaurain l’aperçut, vint à elle, la saisit par un bras, puis l’attira derrière la femme qu’il fouettait et lui dit : — Lèche-lui le cul, cela me le préparera pour l’enculage. Raymonde agenouillée ne pouvait refuser ; d’ailleurs, la jeune femme qui s’était retournée pour l’examiner, le lui plaquait en plein visage, riant et disant : — Il paraît que tu as du talent pour la chose, ma jolie morveuse, lèche bien mon cul, le cul de la princesse de Hautesikolle, Adélaïde pour ses amis. Que leur était-il possible de distinguer encore à ces deux fillettes, emportées par la luxure qui s’épanouissait de tous côtés ! Agissant et affolées, elles ne voyaient plus que dans un brouillard les attouchements qui se multipliaient entre les sexes pour raviver les désirs, redonner des forces aux faiblissants. Il semblait que dans ces salons et ces galeries, une population sans cesse renouvelée de bacchantes et de faunes, apportât une fièvre voluptueuse inassouvissable et invincible, et les corps dépouillés de tout vêtement ne cachaient plus leurs attraits et leur attirance séductrice. Les femmes jeunes formaient la grande majorité des représentantes du sexe féminin : une quinzaine tout au plus accusaient la quarantaine, un peu franchie pour quelques-unes, aucune ne perdait de son charme voluptueux. Les visages, illuminés par la passion, éclairaient d’une beauté plus parfaite les corps aux proportions plus amples, et par cela même aux chairs plus appétissantes, plus absorbantes. Rien de disgracieux ne choquait dans des hanches plus accentuées, dans des gorges plus fournies. La gentille allure féline de la femme leur donnait au contraire une saveur de plus. Tombée entre les jambes de Georgette, Marthe y laissa toute raison et se trouva, sans s’en rendre compte, dans la chambre de la sœur, en face de son lit, sur lequel dormaient les deux pupilles Ribourdin et Hilaire. Georgette grimpa sur le lit, lui ouvrit les bras, et d’un tour de main, jeta à terre les deux garçons, avachis de l’excès dans lequel elle les entraîna. — Ils n’ont pas cessé de gigoter sur moi depuis hier, dit-elle en riant, il ne sortait plus rien de leur gourde d’amour, ils se remplaçaient pour essayer de jouir et de me faire jouir, et ce qu’ils m’ont énervée ces gosses ! Tu m’as remis du baume dans le sang avec tes minettes, tu es bien gentille de m’avoir suivie à travers les salons et de n’avoir pas voulu me quitter ! Marthe, est-ce bien vrai que tu pourrais me baiser avec ta machine, montre vite, tire-moi, l’idée m’en chavire l’âme. Déjà l’hermaphrodite était sur elle, déjà elle lui dardait au conin l’appendice dont la nature la gratifia, déjà elles se suçaient les lèvres, la main de Ribourdin, debout dans la ruelle, se posa sur le cul de Marthe, et d’une voix éraillée le pupille cria : — Ah, ben non, on ne me lâche pas comme ça, qu’est-ce que cette olive, une fille et un garçon en même temps ? Veine des veines, j’en mangerai un morceau. Hilaire, allongé en travers sous le lit, geignait : — Il parle de manger, ce bougre merde, je ne veux que du sommeil, moi, ou je crache tout ce que j’ai dans le ventre. — Soulard, lui dit Ribourdin, dors et ne chouine pas ; dirait-on pas qu’on l’a avalé ! Eh, la sœur, je bandouille, je te donnerai mieux que la seringue de cette garcette ! Je préfère ton con à son cul. Marthe, que gênait son intervention, se tourna brusquement vers la ruelle où il restait debout, lui envoya un coup de pied en pleine poitrine et dit : — Sale pourceau, roule à terre, mon cul n’est pas pour ton nez, et son con est pour me faire jouir ! — Attends que je t’apprenne à vivre, moucheronne, répliqua Ribourdin, furieux du coup de pied. Il saisit la jambe de Marthe, l’attira et la fouetta vigoureusement, sans qu’elle pût se défendre. Georgette, amusée, n’intervint pas. Était-elle fixée sur le peu de possession dont elle jouirait avec Marthe ? Pensait-elle à une nouvelle escapade dans les salons ? Les bras sous la tête elle murmura : — Que vous êtes bêtes, les petits, vous allez vous battre, ne vaudrait-il pas mieux que vous vous accordiez ! Ne fais pas le dégoûté, Ribourdin, tu as presque une pucelle sous la main, je suis sûre que cette pucelle ne se plaindrait pas si tu lui agrandissais le trou avec ta queue. De fouetter la fillette et de lutter avec elle, le garçon se retrouvait en bonne disposition, il envoya la main au conin et cria : — Vrai de vrai, si elle le veut, je lui bouchonne son ouverture. Il lui branla avec douceur l’hermaphrodisme, Marthe se tortilla, replaça la tête dans les cuisses de Georgette pour lui faire minettes, et sur un signe de celle-ci, Ribourdin, montant sur sa croupe, l’attaqua en levrette. Bientôt les efforts du jeune garçon aboutirent ; Marthe enfilée se trémoussa, négligea ses minettes à Georgette, aplatit le cul contre le ventre de Ribourdin pour qu’il enfonçât davantage la queue dans son conin. Georgette se souleva pour assister aux péripéties de la fête, et constata que Ribourdin avait un restant de virilité. Elle éprouva un regret de ne pas se l’être réservé, mais il était trop tard. Les soubresauts s’accentuaient, Marthe répondait aux secousses un peu courtes et sèches de son amant, elle ne jouit pas, elle prit néanmoins un vif plaisir à la chose. Des sonnettes retentirent, Georgette sauta à bas du lit, arracha Marthe, toute surprise, à l’étreinte de Ribourdin et dit : — Vite, vite, lave-toi et suis-moi ; c’est le banquet qu’on annonce, le banquet qui termine la veillée de cette nuit, le banquet où l’on s’amusera encore davantage, viens, viens, le plaisir est maintenant à table, allons vite en profiter. Comme une somnambule, Marthe répara le désordre de sa toilette, quitta la chambre avec Georgette qui y laissa les deux pupilles. Les sonnettes s’agitaient toujours, et partout, des couples, même des groupes, regagnaient les salons et les galeries qui avaient été abandonnés un instant pour les joies discrètes de l’alcôve, joies recherchées par les dilettanti de la volupté et aussi par les amateurs de l’amour intime. La table du festin apparut immense à la jeune Marthe, dans une salle où des glaces interposées la développaient à l’infini, avec un luxe inouï de fleurs et de lumières. Avant de s’asseoir, chaque convive revêtait une fine tunique de soie et se ceignait le front d’une couronne, à l’instar des vieux Romains. — Marthe, Marthe, cria une voix, celle de Suzanne. — Me voici, répondit la fillette. — Viens donc, c’est en ton honneur, tu dois présider. Suzanne la fit installer au milieu de la table et prit place à son côté, tandis que Félicia occupait l’autre. Marthe remarqua que les sexes se trouvaient séparés, les femmes encadrant les hommes assis à la suite les uns des autres. Étonnée des deux voisines qu’on lui donnait, elle s’informa d’Espérandie, et Suzanne la lui montra à l’extrémité de la ligne féminine, ayant à sa gauche Antioche avec lequel elle causait à voix basse, sans plus se soucier d’elle que si elle n’eût jamais existé ; à l’autre extrémité des deux sexes, Eulalie voisinait avec Victor-Étienne. Une soixantaine de femmes et une quarantaine d’hommes étaient réunis à cette table que servaient les servantes laïques, très court vêtues. Malgré les orgies charnelles commises aux heures précédentes, malgré l’animation de certaines femmes, parmi lesquelles Georgette, toujours dans les infatigables, il régnait une espèce de contrainte qui pesait sur chacun des convives et arrêtait les élans qui, d’habitude, faisaient de cette partie du programme, le digne couronnement de la fête. Des mets succulents et des vins généreux alternaient, on ne s’apostrophait pas d’un sexe à l’autre, et les colloques particuliers semblaient l’emporter. Suzanne et Félicia, de chaque côté de Marthe, affectaient de la gravité et répondaient brièvement aux questions que leur adressait l’hermaphrodite. Celle-ci interrogea pour savoir ce qu’était devenue Raymonde ; on lui apprit qu’elle avait dû se retirer dans la chambre d’Izaline. Que se passait-il donc pour étouffer cette joie si naturelle qu’on goûte à une table bien servie, surtout avec la conscience de pouvoir, après comme avant le repas, se livrer à toutes les jouissances de la chair ! Avaient-ils trop forniqué, ces hommes et ces femmes, qu’ils ne se défiaient plus aux doux combats de Cupidon, et que parfois des regards furtifs s’échangeaient où se lisait toute autre préoccupation que celle de la volupté ! Espérandie et Antioche, seuls dans cette assemblée, affichaient une attitude de triomphe et d’entente parfaite ; ils ne cessaient de babiller et de rire, se disaient quelques mots à vois basse qui les amusaient sans doute beaucoup, car leurs yeux s’irradiaient d’une expression d’orgueilleuse satisfaction. Certes le silence ne régnait pas absolu ; des éclats de voix retentissaient, tantôt sur un point, tantôt sur un autre ; mais ces éclats de voix ne trahissaient que des faits isolés et perdus dans l’ensemble du festin. Marthe éprouvait-elle de la fatigue ? Elle se laissait aller à la quiète félicité de gourmandise et ne songeait plus à la lancinante ivresse de la luxure. Elle mangeait, buvait, ne manifestait d’étonnement que parce qu’elle constatait une affluence de gens bien moins grande que dans les salons. La centaine de personnes festoyant ne représentaient pas les trois à quatre cents qu’elle avait croisées en quittant la salle de flagellation. Continuait-on l’amour dans les salons ? S’était-on enfui dans les chambres ? Elle le demandait à Suzanne ainsi qu’à Félicia qui répondaient invariablement : — Cela se peut. Le dessert circulait, dessert copieux et savamment combiné ; des vides se produisirent à table, des hommes, des femmes sortirent. Il en résulta de la détente et un éveil charnel chez les restants. On abandonna sa place pour s’accoupler entre amoureux et amoureuses ; les baisers recommencèrent, et voilà que tout à coup on entendit un chant d’église, un De Profundis, entonné au loin, et qui, par ses sons allant crescendo, annonçait l’approche d’un cortège. Les portes étaient grandes ouvertes ; la stupeur remplaça les caresses qu’on s’apprêtait à se faire ; à toutes les portes, au nombre de six, apparurent des pénitents noirs, les yeux luisants derrière la cagoule, et ces pénitents clamaient le De Profundis. — Lugubre plaisanterie, cria Antioche lâchant Espérandie qu’il avait enlacée, et sur les lèvres de qui il croquignollait une praline. Les pénitents pénétrèrent dans la salle et entourèrent les convives ; sur le seuil des portes, d’autres hommes, vêtus de velours rouge, le masque sur le visage, se montrèrent ; leur costume se composait d’un haut-de-chausse, d’un veston, de longues bottes, d’un grand chapeau ; ils avaient un bâton à la main surmonté d’un globe traversé par une flèche. Des femmes masquées survinrent derrière, et les festoyeurs se trouvèrent noyés dans cette invasion de gens continuant à chanter à tue-tête le De Profundis. À la porte principale, un vide s’opéra, on s’écartait, et le même cri sortit des lèvres d’Antioche et de celles d’Espérandie, en apercevant l’abbesse Josépha dans sa toilette rouge, froide et impassible qui, levant la main vers le ciel, suspendit instantanément le chant funèbre. Elle s’avança lentement, et déjà deux hommes vigoureux avaient saisi Antioche et le garrottaient, tandis qu’on agissait de même avec Espérandie. Parvenue près de ces deux coupables, l’abbesse dit : — Sœurs et frères, la trahison est entrée dans notre maison par ces renégats ; il sera statué à leur égard, ils ne sont pas les seuls. Elle se tourna vers la place où, muette et tremblante, se tenait encore Marthe, la désigna et reprit : — Celle-ci fut la cause du trouble, jetez-la sur cette table, Félicia, et qu’on la fouette pour débuter. Avant qu’elle n’eût proféré une parole, Marthe, brutalement saisie par Félicia et par Suzanne, était couchée sur la table où elle se garait tant bien que mal des verres et des bouteilles renversés, se voyait retrousser la légère tunique qui la recouvrait, et plus de vingt mains se précipitaient pour la frapper, au milieu des hurlements d’épouvante qu’elle poussait. — Frappez, ordonna l’abbesse, et vous, chantez le De Profundis, que ses beuglements ne s’entendent pas ! Les moines amis d’Antioche qui l’entouraient, opérèrent prestement volte-face, puis s’agenouillèrent pour que l’abbesse les bénit, ainsi qu’elle allait le faire à tous ceux qui lui étaient restés fidèles. Scène comique et grandiose en même temps ; dans cette foule d’éléments religieux et laïques, dans cet assemblage d’êtres d’allure sévère et d’allure libertine, dans ce cadre riche et somptueux, avec les services de table éparpillés, l’abbesse apparaissait grandie, se détachant en relief, dominant tout son monde, et bien telle qu’il la fallait pour commander, s’imposer. De nouveau elle leva la main, l’étendit par-dessus les têtes, et dit dans un arrêt du De Profundis. — Les responsabilités seront limitées : la tête qui conçut le viol de mon autorité, le bras qui commit l’attentat, seront seuls punis ! Que tout rentre dans l’ordre, emmenez cette chiffe de fille dans la Salle de punition des enfants, elle n’est pas encore d’âge à mériter notre colère. Deux hommes au costume de velours rouge s’emparèrent de Marthe et l’emportèrent ; l’abbesse vint alors près d’Antioche et d’Espérandie, garrottés et étendus sur le sol. Elle les contempla quelques secondes, hocha la tête et murmura : — La pitié serait de la faiblesse et la faiblesse tuerait l’Ordre des Bleuets. Me Dollemphe, retournez sur le ventre cette femme. Vous, Messieurs les Lunaires, mettez cet homme sur les genoux, et maintenez-le, afin qu’il assiste à la première punition de sa complice. Espérandie, couchée sur le ventre, les fesses nues, exposées aux regards de tous, entendit l’abbesse ordonner : — La pelote. Prise d’un tremblement nerveux, la révoltée supplia : — Non, non, pas ça, grâce ! Dollemphe, un des pénitents noirs qui avait retiré la cagoule, sortit d’une poche une petite et étrange boule, dont il dévissa une moitié ; ces deux parties de la boule présentèrent deux pelotes d’où s’élançaient des pointes d’épingles. Il jeta un regard sur ceux qui l’entouraient, fit un signe, et deux des hommes costumés de rouge s’approchèrent : l’un se pencha pour maintenir l’immobilité du haut du corps d’Espérandie, l’autre s’agenouilla sur les jambes de la jeune femme pour les lui contenir. — Pas de grâce, dit l’abbesse, toi qui fus de mes amies, n’as-tu pas agi en implacable ennemie ? Dollemphe s’accroupit près du cul d’Espérandie, appliqua la première moitié de la pelote sur une de ses fesses, les pointes d’épingles piquant la chair, et d’une brusque pression de main enfonça, déchirant les blanches chairs. Un hurlement de douleur s’échappa des lèvres de la patiente, hurlement qui fut couvert par toute l’assistance entonnant un chant religieux. Impassible aux gouttelettes de sang qui perlaient, coulaient sur la fesse meurtrie, Dollemphe planta de même la seconde moitié sur l’autre fesse. Les deux hommes rouges cessèrent de retenir Espérandie, Dollemphe se releva, sur le parquet on vit la sœur se replier sur elle-même, se convulsionner, s’agiter quelques secondes, puis ne plus bouger, elle avait perdu connaissance. Tout pâle, Antioche cria : — La force appartient toujours aux bourreaux. — Serpent, répondit l’abbesse, ne l’as-tu pas prouvé le premier ! Ta femelle ne hurle plus, elle n’étale plus son insolente fierté, ton tour viendra. Elle se tourna, et d’un simple geste, ordonna qu’on emportât les deux corps hors de la salle. — Frères et sœurs de ce Couvent et d’au-delà de ces murs, dit-elle alors, allons prier pour ces deux grands coupables et implorer Dieu pour qu’il nous inspire dans la tâche qui nous reste à remplir. Elle marchait pour prendre la tête du cortège, elle aperçut Maillouchet, timidement debout à l’encoignure d’une porte et observant ce qui se passait. Elle se dirigea vers lui, lui tendit la main et dit : — Maillouchet, si dans un passé lointain, tu eus des torts, et si tu ne vins pas au monde dans les hautes sphères de la société, tu as effacé ces torts et tu as agi en cœur loyal et chevaleresque, te rendant digne de frayer avec ceux qui semblent tes supérieurs. Accompagne-moi à la chapelle, nous causerons ensuite. Maillouchet passait par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ; toutes ses timidités renaissaient devant cette femme en qui il personnifiait la puissance et la divinité, il balbutia : — Vous accompagner, notre mère, marcher près de vous, je n’ose pas. — Tu osais davantage tout à l’heure, dit-elle en souriant, et tu as couru du danger, viens, viens. Elle lui prit la main et l’entraîna. À la chapelle, l’aumônier Hermal et des abbés, en grands costumes sacerdotaux, attendaient l’arrivée de l’abbesse. À son entrée, un Hosannah fut entonné. Contraste extraordinaire avec le précédent aspect du Couvent ; à la débauche la plus outrée succédait la dévotion la plus caractérisée, de telle manière qu’il eût été impossible d’admettre la pensée qu’on se trouvait en présence des mêmes personnages. Les costumes légers, comme par un coup de baguette de fée, s’étaient transformés en costumes religieux, chacun et chacune ayant facilement sous la main ce qu’il fallait pour cette métamorphose : les pénitents noirs, les hommes rouges, se complétaient de pénitents blancs et gris, de moines et d’abbés, la plupart nus un quart d’heure auparavant ; les sœurs des Bleuets, revêtues d’une robe uniforme bleue jetée sur leur nudité, et les femmes du monde assistant à la fête sensuelle arrangées de même ; aussi dans la chapelle rien ne trahissait l’orgie qui emportait tout le personnel du couvent et ses invités, il y avait à peine quelques minutes, ni le scandale qui la termina. Les chants religieux retentirent, le jour bleuissait les vitraux de l’église. À son banc abbétial, Josépha agenouillée, priait, la tête dans les mains. Elle priait et se remémorait l’affreuse journée qu’elle venait de vivre. Prévoyaient-ils que leur triomphe serait de courte durée, Antioche et Espérandie, s’excitant mutuellement à leur félonie, ne laissèrent passer un instant sans la torturer. Elle se croyait tranquille jusqu’à la nuit ; ce fut pour son repas que cela commença. Antioche le lui servit plus tôt, et goguenard, lui dit : — Mange et dors, ma chère mère, le couvent est en fête pour cette nuit, fête d’amour et de volupté, il te serait pénible d’en entendre les échos, dors et repose-toi. Elle ne répondit pas ; elle avait hâte qu’il fut parti pour rêver à l’espoir de sa prochaine délivrance. Écoutant le conseil donné parle moine, elle mangea pour tuer le temps. Oh, ce repas ! Certes les mets étaient soignés et délicats, mais quel feu la dévora de suite dans les veines ! Elle se sentit devenir la proie des plus violents désirs, elle ne put résister à la folie de déchirer ses vêtements, de se rouler sur le tapis, de s’emparer de toutes sortes d’objets pour satisfaire les idées lubriques qui voltigeaient par son cerveau, qui lui détraquaient les nerfs. Elle monta au cabinet de toilette, s’inonda d’eau de la tête aux pieds, éprouva un calme momentané, redescendit au bruit de sa porte qu’on ouvrait, faillit mourir de honte et de douleur, à la vue d’Espérandie et d’Antioche, déboutées robes relevées et se pelotant. Leurs paroles vibraient à ses oreilles. — Ton sang, Josépha, murmura Espérandie, est donc changé en lait que le spectacle de nos caresses de la main et de la bouche te laissent insensible et froide ! — Tu t’es foutue dans l’eau, notre mère, ajouta Antioche, ça ne suffira pas, Nous ne sommes pas méchants ; elle te permet de sucer ma queue pour apaiser ta soif. Dans tes yeux luisent les instincts les plus cochons. Elle ferma les yeux, s’adossa tremblante à son lit ; Espérandie masturba avec forces grimaces de chatte en chaleur Antioche et susurra : — Elle préférerait peut-être me faire minettes ou feuilles de roses ! Tiens, Josépha, regarde mon petit con, regarde mon joli cul, tu les connais déjà, c’est vrai, mais c’était plutôt moi qui t’encensais ! Je suis certaine qu’aujourd’hui ta langue se délecterait à me farfouiller, et avec un plaisir d’autant plus vif, qu’Antioche m’a baisée deux fois, que tu sentirais aussi sur mon con les lèvres de ta petite Marthe. Ne ferme donc pas les yeux. La main d’Antioche la toucha en cet instant ; elle fit l’effet d’une pile électrique lui redonnant des forces, elle appliqua une paire de gifles à l’homme, sauta au cou de la femme, manqua de l’étrangler. Antioche la lui arracha avec beaucoup de peiné ; ils se précipitèrent tous les deux sur elle et la battirent avec une rage folle. Elle ne se défendit pas, elle crut à la mort. Ils la quittèrent enfin. Une vigueur surhumaine était née en elle ! Ses désirs excités embellissaient sa captivité ; elle entr’apercevait dans un rêve des légions d’amants et d’amantes qui chantaient sa gloire, qui l’honoraient dans ses charmes, et l’ivresse sensuelle, loin de l’énerver, la magnifiait, la rendait infatigable. Il n’était pas encore dix heures, elle grimpa au cabinet pour y attendre Maillouchet et elle l’entendit : — Maillouchet, murmura-t-elle dans l’obscurité, est-ce toi ? — C’est moi, notre mère ; je suis étendu contre la fenêtre, approchez que nous parlions bas. À travers les barreaux, elle reconnut le jeune homme couché sur le sol, et son visage près du sien, il lui raconta le résultat de ses courses. Il avait remis son billet à monsieur Dollemphe qui, dans une colère épouvantable, s’était mis en campagne pour convoquer au couvent vers les minuit tous les éléments étrangers, affiliés à l’Ordre. Il l’avait accompagné et il agissait dans ce moment même, participant à la fête, triant les bons d’avec les mauvais, étudiant le moyen de la délivrer sans secousse, d’étouffer autant que possible cette sotte histoire, pour qu’il n’en subsistât pas des germes de discorde. À mesure qu’elle écoutait ce jeune garçon, son âme s’était dilatée ! Elle se revoyait maîtresse et souveraine, elle savourait les avant-goûts de la vengeance, et, son souffle se mélangeant à celui de Maillouchet, sa chaleur commençait à la pénétrer, avec d’autant plus de force qu’elle distinguait ses yeux extasiés fixés sur les siens. Sa fièvre se réveillant, elle sentait l’homme jeune et ardent à sa portée ; et, malgré les barreaux de fer qui les séparaient, elle approcha la bouche, l’approcha tant et si bien qu’à travers leur entrecroisement, ses lèvres se rencontrèrent avec la bouche du jeune homme. Il poussa un cri plaintif et murmura : — Oh, notre mère, si vous me touchez ainsi, je ne pourrai plus rien vous apprendre ! — Tu m’as appris tout ce qu’il importait, mon ami ! Je te devais un baiser en remerciement, je l’ai fait avec plaisir. Elle comprenait le sentiment délicat qui s’imposait à Maillouchet, elle cherchait à lui inspirer de la confiance. Un court silence régna entre eux, puis elle reprit : — Maillouchet, tu assisteras à ma délivrance et ce que tu me demanderas, je te l’accorderai. — Ce que je vous demanderais ! Que puis-je vous demander, sinon de me garder toujours sous votre autorité. — Je t’y garderai, et tu vivras plus près de ma personne ! As-tu donc peur que tu te recules ! — Peur de vous, jamais ! Peur de moi, oui. — Pourquoi peur de toi ? — Votre baiser m’attire, et je ne voudrais pas risquer de perdre votre amitié. — Je t’ai donné le baiser, Maillouchet, et tu ne me l’as pas rendu. — Quoi, vous y consentiriez ! — Je te le commande. — Au milieu de la prière qu’elle adressait au ciel pour sa délivrance, dans les chants qui unissaient à cette heure matinale tout le personnel de son couvent, le cœur de Josépha battait de doux émoi à cette scène du baiser rendu. Le visage collé contre les barres de fer, ils approchèrent l’un et l’autre la bouche, leurs lèvres se rejoignirent, et comme à cette réunion Maillouchet se disposait à se reculer, elle murmura : — Laisse-les. Ce fut une lutte de délices où la bouche, se déplaçant par instant, à cause de la difficulté de la pose, ils cherchaient vite à se reprendre, et où saisissant les battements de plus en plus violents du cœur du jeune homme, elle lui dit : — Es-tu bienheureux, Maillouchet ? — Heureux à perdre le souffle. — Conserve-le pour me défendre contre mes ennemis, et je te le jure, ce soir comptera dans notre existence à tous deux. La patricienne qui vivait sous la peau de l’abbesse des Bleuets descendait vers le plébéien, elle savait qu’elle pourrait l’élever jusqu’à elle, jusqu’à son monde. — Il comptera éternellement dans mon souvenir, répondit Maillouchet. — Pour l’éternité, enfant, il faut qu’on aime vraiment. M’aimerais-tu... d’amour ? — Pardon, pardon, si je vous l’ai laissé supposer, je suis fou, je le sens, mais depuis que je vis dans votre couvent, depuis que je vous vois, je ne pense, je ne rêve que par vous. — Malgré la volupté où tu m’as vue sacrifier ! Malgré la volupté que j’ai voulu qu’on te donnât, à toi et aux autres pupilles ! — Je ne suis qu’un humble ver de terre, notre mère, et le ver de terre sait distinguer l’éclat particulier des étoiles, malgré l’entrecroisement de leurs rayons. Un bruit de pas les rejeta loin l’un de l’autre ; elle demeura anxieuse contre la croisée. Maillouchet s’était pelotonné comme s’il dormait. Deux individus se penchèrent sur lui, le secouèrent, dirent : — Qu’est cet os ! — Un macchabée. — Un soulaud. — Les poches sonnent. — Ramasse. — Si y rechigne, ce fragot ? — Troue-le. — Merde ! On a les clochantes. — Combien ? — Dans les vingt-deux, chic ! — Des verres pour l’aspiratoire, frérot. — Filons. — Si on lui fourrait du rêve. — Lâchons le récif. On avait fouillé le jeune garçon, simulant l’endormi, on l’avait dévalisé, on le laissait. Les pas s’éloignèrent, il se retourna de son côté ; elle avait suivi la scène avec une vive émotion ; elle avait cru son jeune amoureux perdu, assassiné, il murmura : — Notre mère, nous voici seuls. — Rentre au couvent, ne cours plus de danger. — Je me serais défendu. — Je ne veux pas qu’on te tue. Tu m’as dit que tu m’aimais. Je mettrai à à l’épreuve ton amour. — Vous me permettez donc de vous aimer ? — Ne t’ai-je pas donné le baiser de gage ! — Un baiser de remerciement, notre mère, un baiser de pitié. — Eh bien, je vais te donner un autre baiser qui, celui-là, sera un baiser de gage, et qui t’enhardira, mon jeune chevalier, approche ton ventre. — Oh, que me voulez-vous ? — Donne à ma bouche le bout de ce qui est dans ta culotte, j’y ferai le baiser et ce sera le baiser de gage. — Vous me feriez ce baiser ? — Obéis et sauve-toi ensuite. Avec beaucoup d’adresse, entre les barreaux, Maillouchet glissa sa queue, et sur le bout, elle déposa un rapide baiser. Puis, elle recula et dit : — Va-t-en, et à bientôt. Telle était la vision que Maillouchet avait voulu oublier en se tenant discrètement sur le seuil de la porte, d’où elle l’appela, appréciant cette délicate réserve qui le portait à ne pas s’imposer. La cérémonie religieuse se termina. Un abbé monta en chaire pour, en quelques mots, recommander le calme, le silence, le repos, pendant la journée qui commençait, le recueillement pour la semaine, la reprise de l’harmonie monastique. Peu à peu on évacua la chapelle pour regagner les cellules, les chambres, les appartements, le justicier Dollemphe se chargea des deux coupables. Lentement, l’abbesse, après s’être inclinée devant le maître-autel, sortit à son tour, suivie de Suzanne, Félicia, de plusieurs autres sœurs, et s’arrêta sur le seuil pour chercher Maillouchet. Elle l’aperçut, pâle et tremblant, à l’entrée de la galerie qu’elle devait prendre pour revenir dans ses appartements, et lui fit signe d’approcher. — Mes sœurs, dit-elle aux femmes qui l’entouraient, repos toute la journée ! Vous veillerez néanmoins sur votre mère, selon votre habitude, mais après avoir pris jusqu’à cet après-midi le sommeil dont vous avez besoin. J’ai à causer avec mon jeune sauveur. Dans sa toilette rouge, seule en face du jeune homme vêtu de sa blouse, elle apparaissait la déesse, heureuse de faire le bonheur d’un pauvre mortel. La fiction pouvait être dans la réalité ; toute femme n’est-elle point déesse quand elle le veut ! Souriant à Maillouchet, elle lui dit : — Agenouille-toi devant la femme, mon doux amoureux, et révèle-lui tout ce qui est le fond de ton cœur, de ton âme. Il tomba sur les deux genoux, enveloppé déjà de ce fluide subtil et extasiant qu’est le sourire de la femme aimée, prête à vous aimer ; vivant quelques secondes la profonde émotion qui le dominait, il ne sut que la regarder et non parler. Elle plana sur cette adoration silencieuse, le laissant savourer le bonheur qu’il éprouvait, maîtresse-femme dans l’art des nuances délicates de la sentimentalité et de la volupté ; elle approcha les deux mains de ses lèvres, il les saisit dans les siennes pour les maintenir contre sa bouche, et enfin il balbutia : — Est-il possible que parfois le ciel descende sur terre, est-il possible qu’on conserve le souffle lorsque tout vous pousse à mourir aux pieds de la femme trop bonne, trop belle, trop divine, pour qu’on ose espérer l’effleurer d’une caresse, et votre voix, ma mère, me commande le courage et l’audace ? Oui, je vous aime, je vous aime depuis longtemps, depuis toujours et pour toujours. Agenouillé devant votre surhumaine beauté, je doute d’atteindre une plus exquise ivresse. Votre personne, votre supériorité, me tiennent subjugué, anéanti, vous pouvez seule discerner ce qui est dans mon âme, dans mon cœur. Il parlait et il couvrait de petits baisers les mains qu’elle ne retirait pas de ses lèvres ; elle savourait elle-même cette effervescence d’amour qui, malgré son expérience de femme aimée et capricieuse, la pénétrait d’un charme qu’elle ne connut jamais encore, elle se pencha pour parler à son oreille et murmura : — Enfant, puisque tu aimes d’un amour surpassant la volupté celle qui est ta souveraine, ta mère, derrière les murs de ce Couvent, celle qui reconnaît te devoir les joies de la sensualité, pour te récompenser de la transformation que tu sus accomplir dans ton être, pour te remercier de ton dévouement, de ton sentiment d’exaltation, puisque tu aimes celle qui aspire à cette heure à vibrer de la même ardeur que la tienne et que tu ne peux définir, apprends d’elle le catéchisme d’amour des temps de demain, et jure d’être croyant, de le respecter. Dans la solitude du vaste vestibule qui précédait la chapelle et d’où partaient des galeries desservant les divers bâtiments, avec le jour matinal croissant lentement, la vue de cette femme très belle, encore pâle des émotions ressenties durant sa claustration, somptueusement habillée dans sa toilette rouge, coupée de la croix d’or, de cette femme que l’amour idéal caressait de ses ailes, contenant les désirs charnels surexcités par les ingrédients mélangés à ses aliments, de cette femme debout devant ce jeune adolescent extasié de sa beauté et de sa grâce, le tableau revêtait une grandeur inconnue où se révélait tout un nouveau monde d’impressions et de sensations. À sa douce voix, Maillouchet cessa de baiser les mains qu’il garda néanmoins dans les siennes et répondit : — Parle, apprends-moi, fais de moi l’homme qu’il te faut pour demain, pour toujours. — La femme, tu aimeras et serviras : tu la voudras toujours belle et amoureuse pour toi et pour tes frères, me comprends-tu ? — Je te comprends. Je t’aimerai et te servirai toujours. — La femme, ce n’est pas seulement l’abbesse Josépha ; c’est la femme en général, sans quoi, demain tu trahiras pour la violenter et l’empêcher de remplir sa mission d’éducatrice de civilisations. Tu aimeras la femme dans Josépha, mais tu l’aimeras aussi dans les sœurs de Josépha, et tu sauras respecter le bonheur de tes frères, si la femme, si Josépha, ne veut pas qu’ils souffrent du désir qu’elle leur inspirerait. Tu comprends ? — Je sais ce qui est dans ce Couvent, et faible vermisseau, je n’en changerai point les lois. — Ici et ailleurs, si je t’emmène au loin, m’entends-tu ? — Ta volonté est et restera ma loi. — Aimant et servant la femme, tu croiras en un Dieu d’amour et de paix, voulant les femmes belles et les hommes sains. — Je croirai tout ce que tu m’ordonneras de croire. Elle sourit et reprit : — Moi aujourd’hui, hier Izaline, demain une autre. — Toi, toujours toi, derrière les autres femmes. — Tu nuances, mon amoureux, soit, j’accepte ta nuance. Croyant en un Dieu d’amour et de paix, tu suivras les prescriptions des initiés du temple, et tu subordonneras ta volonté à celle des supérieurs féminins et masculins qu’on te fera connaître. — Je vivrai dans ce couvent sous ta loi, sous celle des sœurs et des frères, je pratiquerai la religion que vous m’enseignerez, j’obéirai aux ordres de mes chefs. Elle était de plus en plus penchée sur lui ; il s’était à demi redressé sur les genoux, un de ses bras avait glissé sous sa taille, la chair reconquérait ses droits, les paroles sortaient plus brèves, elle sentit son souffle à sa ceinture, une chaleur voluptueuse l’envahit, elle murmura : — Plus tard, plus tard, nous continuerons, viens, mon doux amoureux, viens, que tes désirs nous unissent, viens tâcher d’être et de demeurer l’élu, viens, je te prends pour demain, pour toujours. Elle se laissa aller dans ses bras, ils se trouvèrent agenouillés l’un contre l’autre, elle lui tendit les lèvres, il y posa les siennes. Le baiser qu’ils échangèrent parut ne devoir jamais se terminer ; l’abbesse disparaissait derrière la femme ; elle sentit autour de sa taille ses mains qui tremblaient, la pressant avec plus de passion ; elle dégrafa la grande croix d’or qui fermait le corsage et le haut de la jupe, elle lui guida la main vers les seins ronds et fermes, elle lui dit : — Je vis ton amour, tes désirs, mon amant, mon sauveur, nous sommes des insensés de nous attarder ici ; que ma chair t’inspire la patience nécessaire, tu es fort, tu es puissant, emporte-moi, ne restons pas davantage dans ce vestibule, je te le commande, tu as assez touché. D’un bond, il fut debout, la prit dans ses bras comme si elle eût été une petite enfant, et courut à travers une longue galerie, atteignit rapidement avec son cher fardeau l’appartement abbétial. Elle appuyait la tête sur son épaule, et à son tour lui couvrait le cou de petits baisers. Ils arrivèrent ainsi dans sa chambre, où, dès qu’il l’eut posée à terre, elle s’élança vers un meuble-secrétaire où se trouvait un agenda ouvert, lut le nom du saint du jour et dit : — C’est aujourd’hui la saint Hugues, je te nomme Hugues au lieu de Maillouchet, et je te ferai comte de Maillouchet d’ici cinq ans, je te le promets. — Permets-moi de t’aimer, ô ma mère, de te le dire, de te le prouver. — Je te le permets. Bientôt elle fut toute nue devant ses yeux ravis, non qu’il ne l’eût déjà vue ainsi, mais parce que cette fois elle l’était pour lui tout seul ; et nue, encore plus magnifiquement belle que dans sa toilette d’abbesse, elle le contempla se roulant à ses pieds, la mangeant de caresses depuis le bout de ses ongles roses à la divine entrée du paradis terrestre que les femmes ont entre les cuisses, à ce conin, fruit exquis et dont on rêve, même quand on en médit. Elle avait soif de la possession après ces secousses ; elle l’arracha à ses caresses pour l’entraîner sur le lit où, le serrant dans ses bras, elle se livra avec une fougue qu’elle n’eut jamais. Il palpitait d’allégresse et de volupté, elle le favorisait dans ses élans, et les éternels cris des amants, s’échappant de leurs lèvres, unirent cette femme de trente ans à ce garçon de dix-huit ans, cette femme de haute aristocratie à ce garçon de naissance douteuse, tiré des bas-fonds de la société. L’équilibre s’établissait ; l’intelligence masculine percevait l’affinement féminin ; à quelque chose malheur est bon, l’acte d’Antioche et de Marthe remettait dans leurs aspirations naturelles les sens de l’abbesse Josépha. Adorée par Maillouchet, Josépha, dans cette poussée d’amour délicat, où elle s’abandonnait avec toute l’ardeur de sa féminité, n’en étudiait pas moins les fines attaches du corps de son amant, trahissant un sang dévoyé plutôt qu’un sang perdu. Elle écoutait avec émotion les exclamations délirantes que lui provoquait son bonheur ; elle reconnaissait avec joie la réalité et la profondeur du culte qu’elle inspirait, et elle s’amollissait, s’amollissait, à mesure que le contact de plus en plus intime, non repu d’une station à Vénus, se renouvelait presque sans désemparer pour fondre les corps en un seul, reculant la séparation, obligeant les moindres mollécules charnelles à se coller dans une ivresse infinie. Il restait entre ses cuisses, la queue dans son con, l’érection se prolongeait au-delà de la sensation, il ne cherchait pas à se retirer, elle n’avait nul besoin de le retenir en elle, leurs lèvres se poursuivaient de caresses, leurs mains ne se lassaient pas de pelotages. S’il glissait, c’était pour poser la bouche sur un de ses seins, où il suçait une nouvelle force qui les rejetait dans les spasmes. Elle l’attirait, l’attirait, et il se pâmait à noyer ses yeux sous le flux de ses regards au voluptueux velouté ; il implorait alors le dard de sa petite langue, se plaquant à ses lèvres pour pénétrer dans sa bouche, en ressortir, tandis qu’elle disait : — Hugues, mon Hugues, tu seras ma création, Je ferai de toi un homme puissant, un grand seigneur. — Ton amant, ton esclave. — Mon amant, mon bien ! Quelle folie me poussa à penser à cette gamine de Marthe. — Tu lui pardonneras. — Le veux-tu ? — Si tu m’autorises à vouloir. — Je te l’autorise, mon petit amant. — Oui, je voudrais que tu pardonnasses ! C’est une enfant. Je l’étais quand on m’amena dans ce couvent. Le ciel s’y est dessiné à mes yeux. — Elle sera pardonnée, grâce à toi. Demande-moi ce qui te plaira, je te l’accorderai. T’ennuies-tu dans notre maison ? Désires-tu mener la vie d’un jeune homme riche dehors, jeter l’argent par les fenêtres, tu le peux. J’ordonnerai qu’on te loue un appartement, tu auras autant d’argent qu’il t’en faudra. — Non, non ! Vivre pour toi, près de toi ! Travailler pour mériter mon bonheur, te sentir toujours disposée à m’aimer, le rêve devient la réalité. — Tu ne parles pas là en enfant, mon chéri, tu parles en homme et tu me rends fière de ton amour. Tu m’aimeras donc toujours ? — Toujours ! N’est-ce point dans le catéchisme d’amour ? — La femme en général, pas Josépha. — La femme est dans celle qui, par ses regards, nous apporte la joie de vivre, l’espérance du bonheur. — Je suis vieille par rapport à toi. Il eut un sursaut d’indignation, s’agenouilla sur le lit entre ses cuisses, et murmura : — Vieille, avec tant de merveilles ! — Vite, vite, veux-tu reprendre ta place, petit fuyard. La vue, la seule vue de tant de beautés, après déjà deux joutes consécutives, n’en finissant plus, le fit rebander, et il réenfila le conin de sa queue, entrant toute droite, pour la fêter de ses plus tendres tressaillements. Leurs lèvres se ressaisirent. Ivresse des ivresses, ils parlèrent la bouche sur la bouche, leur salive se mélangeant, il dit : — Ce n’est pas moi qui te prends, Josépha, c’est toi, toi qui m’attires tout en toi. — Tu m’as appelée Josépha, jamais cela ne retentit aussi doucement à mon oreille. Répète, répète mon nom. — Josépha, l’ange du Seigneur ! Josépha, l’idole du temple d’amour ! Josépha, ma Josépha, en cette céleste minute ! — Ta Josépha ! Josépha à toi, à toi, délice des délices ! Elle jouissait et elle se tordait dans des convulsions de volupté qui auréolaient son visage d’une joliesse inoubliable, qui donnait à ses chairs un satiné encore plus attrayant ; ils parurent bien mourir dans une succession de baisages ininterrompus ; une cloche sonna qui les arrêta au milieu d’une pamoison plus vigoureuse, sans que cependant leurs bras se détachassent, leur bouche se séparât. Elle murmura : — Cette cloche m’annonce une visite importante. C’est extraordinaire. Il est vrai qu’au dehors on ignore ce qui s’est passé dans ce couvent, sauf Dollemphe et les renforts qu’il a menés. Passe dans la ruelle et attendons. On frappa à la porte de la chambre, l’abbesse cria d’entrer, sachant que c’était la sœur Eulalie, seule autorisée à la prévenir de ce qui survenait. Eulalie apparut en effet, s’approcha du lit, n’éprouva aucun étonnement en apercevant Maillouchet dans la ruelle et dit : — Je te demande pardon, ma mère, de te déranger en aussi agréable moment ; mais on vient du ministère. Il y a urgence à ce que tu prennes connaissance d’un pli qui doit t’être remis en mains propres. — As-tu dit que je dormais, que j’étais indisposée ? — Les ordres sont précis. Je l’ai dit. — Bon, passe-moi ma robe de retraite. Je recevrai ici, ce ne sera pas long. Elle se tourna vers Maillouchet, le baisa sur le front en disant : — Ne remue pas trop, je serai vite de nouveau à ton côté. Sautant à bas du lit, elle laissa retomber les tentures qui le dérobaient, chaussa des mules et endossa rapidement sur une chemise une longue robe noire qu’elle noua à la ceinture d’une cordelette en or. Eulalie introduisit un monsieur très bien mis et très distingué, d’une quarantaine d’années, qui salua et dit : — Je vous présente mes hommages, ma mère, mais ma venue vous révèle déjà l’importance de ma visite. — Vous, comte ! Elle fit signe à Eulalie de sortir, et seule en apparence en présence de l’importun qui la troublait dans ses amours, elle lui tendit néanmoins la main et demanda : — Qu’y a-t-il, parlez ? — Voici une lettre du ministre, je dois transmettre votre réponse. — C’est si pressé ? — Très, très. Elle décacheta le pli, le lut avec un froncement du front et murmura : — Cela se présente mal à propos, mon cher comte. — Pourquoi cela ? — Êtes-vous au courant de ce qu’on me demande ? — Oui, un voyage à Berne pour vous y rencontrer avec le grand duc. — Je suis dans de tristes dispositions pour une telle conquête. — Vous retrouverez votre liberté d’esprit en route ; d’autant plus que vous nous devez bien cette corvée. On a signalé un mouvement inaccoutumé dans votre couvent et ses dépendances ; on soupçonne qu’un événement important s’y est accompli ; on ferme les yeux, vous pouvez seule assurer le succès de nos démarches. — Je partirai. — J’en étais assuré. Avez-vous besoin d’un coup de main de l’Administration pour quelque difficulté... de discipline ? — Nullement. On s’est réuni plus qu’à l’habitude. Le calme règne dans le couvent. On ne me fixe pas de jour pour mon départ ? — On le laisse à votre convenance. — D’ici trois à quatre jours, cela suffira-t-il ? — Tout à fait. Le ministre vous attendra la veille du jour que vous aurez choisi pour ce voyage. — Je me rendrai à son cabinet. Qu’il m’envoie la lettre d’audience nécessaire. Le comte s’inclina, et Josépha ayant sonné, Eulalie se présenta pour le prendre et le reconduire. L’abbesse demeura pensive et rêveuse, debout au milieu de la chambre, relisant la lettre suivante : « Ma mère, nous négocions avec la Finlande un traité commercial très important. Ce traité dépend beaucoup de la bonne volonté du grand duc de Vlosbourg, qui se montre rétif à nos ouvertures. Il est enragé coureur de femmes, de femmes... dans votre genre. Il réside à Berne pour quelques jours. Cette conquête s’offre à vos hauts talents de femme et de diplomate. Nous vous serions très reconnaissants de votre aide, et j’y compte personnellement. Bien à vous. » « Le comte de Pontoillet vous remettra cette lettre et rapportera votre réponse. » — Encore, encore l’engrenage ! murmura-t-elle. Cela m’eût amusée il y a huit jours, cela me pèse aujourd’hui, pourquoi ? Elle poussa un soupir, se tourna du côté du lit, aperçut la tête de Maillouchet qui apparaissait entre les plis du milieu, lui sourit, et d’un signe de tête l’appela. Il se précipita à ses genoux. — Mon chéri, déshabille-moi vite et reporte-moi sur le lit. Je vois que tu n’as pas fini tes dévotions amoureuses, il faut les hâter et puis dormir. Il fait grand jour. Je te nomme mon secrétaire et tu m’accompagneras en voyage. La robe et la chemise gisaient sur le sol, elle riait comme une enfant aux baisers qui lui couraient sur le corps, elle murmura : — Petit cochon, ce que nous devons sentir l’amour ! Mais bast, c’est odeur sainte quand on aime, et je crois que je t’aimerai comme tu m’aimes ! Les amants, vraiment amants, ne font pas les dégoûtés ; ils s’adorent dans les mille inconvénients de l’amour glouton et vorace, ne permettant pas le plus léger répit aux actes de la chair ; Josépha et Maillouchet se retrouvèrent sur le lit, tête bêche, avant de repartir pour un nouvel assaut. L’abbesse dormit jusque vers les trois heures de l’après-midi, sans que nul ne la dérangeât. Se réveillant, ses regards tombèrent sur son jeune amant, plongé dans le sommeil, sommeil bien gagné après les exploits amoureux accomplis. Se soulevant avec précaution sur un coude, pour ne pas le troubler dans son repos, elle le contempla dans sa nudité et dans son calme, l’admira, s’étonnant de ne pas l’avoir remarqué plus tôt. L’avoir remarqué plus tôt ! Pensait-elle aux hommes quelques jours auparavant ! Elle revécut la folie qui l’entraînait vers l’hermaphrodite, et avant cette folie, les toquades qu’elle eût pour les femmes de son couvent, les rares sacrifices qu’elle fit à l’amour naturel, à l’amour du mâle, depuis sa rupture avec Victor-Étienne. Il était vraiment beau, ce jeune Maillouchet, Hugues, comme elle l’avait appelé ! Beau, avec une peau blanche et fine, avec son visage aux traits réguliers, que soulignait une légère moustache naissante, avec son corps aux formes sveltes et masculines, sans rien de grossier. Ses yeux examinèrent sa queue au repos, d’une bonne moyenne, très prometteuse par son bout pointu, et elle sentit son cœur s’émouvoir d’une flamme toute nouvelle, d’une joie comme jamais elle n’en ressentit. Il dormait encore, ce chérubin, ce cher amour, qu’elle ignorait et qu’elle eût dédaigné la semaine précédente ! Il l’aimait depuis longtemps, et elle ne s’en doutait pas ! Maintenant bien des faits lui revenaient en mémoire ! Elle l’apercevait toujours à sa suite, l’escortant d’une façon plus ou moins discrète, suivant les circonstances, tenant les yeux baissés lorsqu’elle le regardait, se lançant à des hardiesses sur les sœurs si son regard pesait trop lourdement, comme s’il eût voulu échapper à l’attraction exercée. Soupçonnait-elle cette attraction ? Non. Elle s’intéressait cependant à ses histoires voluptueuses, plus qu’à celles des autres, par la crainte de le voir perdre le fil des études entreprises, dans l’appréhension de ne pas le voir atteindre le progrès moral et physique dont elle le reconnaissait capable, avec l’effroi d’une chûte possible qui le rejetterait au niveau des autres pupilles. C’est qu’il travaillait avec ardeur, ce jeune garçon qui faillit devenir un bandit, qui le fût même puisqu’il viola et assomma une fille ! Il travaillait et se formait, révélant une nature d’essence supérieure et délicate ! Il travaillait, se formait, poussé par l’amour, par le culte qu’il lui vouait, et, il était enfin son amant ! Son amant ! Elle, Josépha de Frochement, elle, l’abbesse souveraine des Bleuets, elle, la grande, noble, belle et puissante dame, qui traitait d’amour avec les plus hautes personnalités du monde ; elle, la voluptueuse sirène qui se délectait aux ivresses de la chair avec ses femmes et ses moines, elle, dont on vantait l’irrésistible charme au dehors, elle, elle avait pour amant Maillouchet. Les lèvres du jeune homme s’entr’ouvrirent dans un sourire, comme s’il eût pressenti l’étude que sa maîtresse faisait de son individualité, et ce sourire pénétra le cœur de la jeune femme. Elle se pencha pour le cueillir sur sa bouche, elle s’arrêta, se recula, murmura : — Ne l’éveillons pas. Debout au pied du lit, elle lui envoya un baiser où toute son âme vola, puis se réfugia dans son cabinet de toilette, où Bottelionne s’occupait de préparer tout ce qui lui était nécessaire. En la voyant apparaître, la complice de Marthe se laissa aller sur les genoux et balbutia : — Il n’y a pas de ma faute dans ce qui s’est passé, notre mère, je le jure ! Josépha plongea les yeux dans les siens, garda un moment le silence, puis dit : — Je suis en veine de clémence ! Je te pardonne, tu es trop bête pour être dangereuse. À ta prochaine défaillance, tu ne sortiras pas vivante de ce couvent. Mon bain est-il prêt ? — L’eau coulait comme vous sautiez du lit. — Bien, accompagne-moi, Quand elle fut dans l’eau, elle ordonna à Bottelionne d’aller lui chercher Eulalie et celle-ci, accourue, s’écria : — Que je suis heureuse de te revoir ! — À quoi sert d’être entourée d’amies dévouées, pour qu’un attentat aussi stupide puisse se commettre sur ma personne ! — N’avais-tu pas donné la consigne de respecter tes solitudes avec Marthe ? — Respecter cette consigne ne vous interdisait pas de vous inquiéter de ma disparition ! — Suzanne et moi, nous nous en sommes inquiétées sur le champ et en avons causé avec Maillouchet, pensant que l’état de son esprit le porterait à s’alarmer plus que nous. Il a discuté notre inquiétude. — Vous saviez donc ce qui était dans son cœur. — Il eût fallu être aveugle pour l’ignorer. — Je l’ignorais, moi ! Il n’a donc pas cru, lui, à un danger ! Son état d’esprit, comme tu dis, ne s’est pas inquiété ! — Malgré ton mouchoir déchiqueté que je lui avais montré. — Le cœur subit donc d’étranges aveuglements ! Je pardonne à tout le monde, autour de moi, à cause de lui, de Hugues, tu entends : Maillouchet s’appelle Hugues, à partir de ce jour. — Tu pardonnes à Antioche, à Espérandie ? — Non, pas à ceux-là ! Je prononcerai cette nuit à leur sujet. Communique-moi ton rapport quotidien. Y a-t-il des demandes d’entretien ? — L’aumônier désire te parler avant de retourner en ville. — Il est là ? — Oui. — Amène-le moi. Je ne veux pas le retarder. Nous reprendrons ensuite notre conversation. Ses nerfs se détendaient dans l’eau ; elle reçut l’aumônier Hermal, qui lui embrassa la main, lui fit compliment sur sa beauté, toujours aussi absolue et lui communiqua ses actes, depuis sa disparition jusqu’à la réunion de Raymonde et d’Izaline. — Ah, dit-elle, tu as rendu cette petite à sa grande-amie ! — N’ayant pas tes instructions nouvelles, je me suis déchargé de ma mission sur notre sœur novice. — Izaline ! N’est-elle pas sortie hier ! — Oui, pour aller chez les Lunaires, avec qui elle est revenue, lorsqu’ils ont été appelés pour concourir à ta délivrance. — Ma délivrance, murmura-t-elle, il en était temps ! Si je n’avais pas eu le bonheur d’apercevoir Hugues ; qui sait, l’abbesse Josépha n’existait plus. — Hugues ! — C’est le nouveau nom de Maillouchet. Leurs regards s’entrecroisèrent, Hermal reprit : — Tu l’as élevé jusqu’à toi ! — Il est mon amant. — Bien jeune pour le rôle, Josépha ! — Préfères-tu que je conserves Marthe. — Non, non pas ! Il te fait revenir aux hommes, on lui devra toujours cela. — Parle-moi de sa visite à Dollemphe et ce qu’il en résulta. — Ton avis à Dollemphe le jeta dans la colère que tu conçois. Il accourut chez moi et nous y décidâmes le plan de campagne qui a si bien réussi. Nous convoquâmes les Lunaires, les membres étrangers au couvent, afin qu’ils assistassent la fête que nous savions avoir lieu le soir ; nous visitâmes dans le couvent les sœurs et les frères que nous jugions les plus fidèles et les plus disciplinés, adressâmes de violentes observations à Victor-Étienne pour avoir cédé à Antioche. Il montra un tel chagrin de cette rebellion inattendue qu’il demanda à se placer à la tête du mouvement destiné à te rendre la liberté et à t’assurer de la personne des félons. Il t’a rejointe de bonne heure ? — À minuit et demie. J’étais couchée, m’attendant à une nouvelle brutalité d’Antioche et d’Espérandie pour mon refus de lettre expliquant mon absence. — Ils t’ont frappée ! — Hélas. — Ils avaient donc perdu l’esprit ! Comme conséquence du concours des Lunaires, qui ont renoncé à leur réunion d’hier soir, il leur a été promis que l’hémicycle du couvent leur serait ouvert aujourd’hui à dix heures, et qu’avec une vingtaine de femmes, tu figurerais dans tous les exercices qui enivrent leurs sens. — Moi ! — Toi, et c’est bien juste. Deux de leurs délégués attendent du reste que tu veuilles bien les recevoir pour emporter ton consentement à notre promesse. Tu ne peux refuser ; ils te désirent à l’autel et ils ont été les plus forts soutiens de ta cause. Je ne dois pas te le dissimuler, il y avait déjà beaucoup de désordre dans la maison. — Cette méchante affaire ne laissera-t-elle pas de traces ? — Nous y travaillerons par les pratiques religieuses pendant plusieurs jours, par une sévérité momentanée. Tout rentrera dans l’harmonie avec le châtiment des coupables. — Après la réunion des Lunaires, le Conseil de l’Ordre tiendra séance pour prononcer à leur sujet. Tu t’y trouveras, tu te reposeras ensuite. — Tu agrées donc notre promesse ? — Ne le faut-il pas ? Envoie-moi les deux délégués, je la confirmerai avant de sortir du bain. L’abbé Hermal se retira, et Eulalie introduisit deux des hommes habillés de rouge. Ils s’inclinèrent devant la jeune femme, elle leur sourit et dit : — Grand merci à vous, mes frères, d’avoir mis votre force et votre intelligence au service de mon autorité. Je vous suis profondément reconnaissante du sacrifice de vos plaisirs d’hier à ma cause, et ce soir, je monterai à votre autel pour y favoriser vos jeux. Allez et voyez. Elle se dressa debout dans sa baignoire, leur tourna le dos, et l’un après l’autre, ils promenèrent l’annulaire dans la fente de son cul ; puis elle se rassit et ils sortirent. Bottelionne prévenue par Eulalie, survint, la sécha, la poudra, la parfuma, et quand elle fut habillée, elle se rendit à son cabinet de travail. Un volumineux courrier était entassé sur une merveille de table-bureau : elle s’installa pour en prendre connaissance et dit à Eulalie qui l’avait suivie : — Hugues est mon secrétaire ; dès qu’il sera éveillé et costumé, tu me l’amèneras. — Il est éveillé, tu le verras dans quelques minutes. Restée seule, elle s’accouda sur sa table et rêva, les yeux perdus dans le vague. Elle ne pensait plus à son courrier. Le bruit de la porte qui s’ouvrait la secoua, et elle accueillit avec un sourire Hugues, fort bien habillé de noir, qui la rejoignait. — Mon cher secrétaire, dit-elle, voici un monceau de lettres qu’il faut m’aider à parcourir. Vous entrez et fonction. Il y a là une petite table, installez-vous et travaillons. Toi, Eulalie, transmets à nos sœurs l’ordre de retraite et de méditation. Tu assisteras Messieurs des Lunaires pour la convocation des femmes qu’ils désirent : elles dîneront avec moi à six heures, va. Les deux amants se retrouvèrent en présence, Hugues assis à la table désignée par l’abbesse, attendant qu’elle lui fixât sa besogne. Elle prit un paquet de lettre, vint occuper un fauteuil près de sa chaise et lui dit : — Allons, décacheté, et résume-moi le contenu de ces missives. Des demandes de secours, des demandes d’audience, demandes d’admission au couvent, formaient la plus grande partie de cette correspondance. Hugues parcourait les lignes, en signalait l’objet à l’abbesse qui indiquait une annotation, et les classait ensuite dans un dossier. Plus d’une heure ils travaillèrent ainsi, goûtant du plaisir à cette occupation, et le courrier fut dépouillé sans qu’on y relevât rien de trop particulier. Debout, elle posa les mains sur ses épaules, se pencha, l’embrassa en disant : — Es-tu content de ton sort, mon chéri ? Il se remit à ses genoux ; dans le même regard extatique que la veille, il balbutia : — Vrai, vrai, tu me gardes près de toi ; vrai, tu m’aimerais ? — Je t’aime, je le crois, j’en suis sûre ! Aime bien de toutes tes forces et tâche de cultiver cet amour que tu me fais entrevoir ! N’oublie pas que je suis l’abbesse des Bleuets et que je me dois à ma haute situation dans la volupté et aussi dans l’orgie. — La femme, tu aimeras et serviras ; la femme, j’aimerai et servirai en toi. — Dans mes sœurs, si je sacrifie ailleurs que dans tes bras. — Je penserai à ton charme. — L’ivresse des sens, Hugues, cache parfois l’amour de sentiment. Il ne s’éteint pas ce pur amour, si l’amant vit comme la maîtresse, en communion de volupté avec le monde qui entoure. Ce soir, je présiderai les plaisirs des Lunaires, et j’aurai ensuite à déterminer la punition des traîtres ; nous ne nous verrons pas avant demain. Tu dormiras dans la cellule qu’on va te donner, et tu apprêteras tes forces. Sous sa longue robe rouge, il avait passé la tête, et ses lèvres, en baisers frénétiques, en suçons ardents, couraient dans les cuisses et sur les fesses. Elle tremblait sur ses jambes, le feu des désirs la ressaisissait, elle eut l’énergie de s’arracher à la folie sensuelle qui l’entraînait, elle le repoussa avec douceur, et d’une voix mi-empreinte de sévérité, lui dit : — Je ne t’ai pas autorisé à ces caresses, et si dans le travail tu t’oublies si vite, comment pourrai-je te conserver au poste que je te confie. — Pardon, pardon. Elle lui tapota les joues et répondit : — Oui, je te pardonne, mais je tiens à ce que nous n’abusions pas de si doux bonheurs ! Il faut que tu complètes ton instruction, il faut que tu répondes à ces lettres, il faut que j’entre en communication avec ceux et celles qui m’attendent dans mon salon d’audience. À demain, mon amour, Eulalie te guidera dans ce qui te reste à faire. Maillouchet, devenu Hugues, succédait à l’hermaphrodite Marthe, qui avait si mal récompensé l’abbesse de l’empire qu’elle lui accordait. Il travailla avec ardeur à la tâche fixée, puis descendit vers ses anciens compagnons, pour se rendre compte s’ils avaient tous réintégré leur local, et dans quel état ils se trouvaient. Tous, attablés et à demi-saouls, buvaient encore, se racontant des histoires plus que graveleuses. Ribourdin, les traits décomposés par les excès, piaillait : — J’ai foutu plus de vingt fois dans le con et le cul de la sœur Georgette ; elle ne voulait plus d’un autre homme. J’ai baisé la petite Marthe, la bonne amie de l’abbesse, et je baiserai l’abbesse quand ça me plaira. — Toi, s’écria Maillouchet, tu baiseras le cul de cette bouteille et tu ne baiseras plus autre chose. Il levait la bouteille pour la lui aplatir sur la tête. Aldour se cramponna à son bras, empêcha le coup et cria : — Mouche, touche pas le camaro, ou on te fait ton affaire. — Mouche, tu m’appelles mouche, toi, sale avorton. Tu somellailles toujours dans les appartements de l’abbesse, pour narrer ce qu’on mijote par ici ! Ton abbesse, elle bousigue sa poire et elle embête tout le couvent. On s’amusait pendant qu’elle s’astiquait le cul avec les pines du dehors. — Ne dis pas d’imbécillités, intervint un long maigre de dix-sept ans, Cocarrac Justin, et ne vous engueulez pas entre copains : Maillouchet n’est pas une vache ; il cherche à le foutre à l’abbesse, bravo s’il la tire ou l’encule. Moi, ce matin, j’ai enculé la sœur Eulalie et elle m’a promis qu’on s’amuserait encore bougrement si on était bien avec Maillouchet. Je suis ton ami, moi, pas vrai ! — C’est bon, c’est bon, je suis l’ami de tous, mais pas de boucan ou on ne rigolera plus. — Est-ce toi qui m’empêchera de baiser Georgette, cria encore Ribourdin ? — Je n’empêcherai rien du tout, mais tu me ficheras la paix. Il les laissa continuer de boire, et revint auprès de la sœur Eulalie. Le salon, appelé salon de l’hémicycle, était, ainsi que l’indiquait son nom, un salon en demi-cercle ; dans ce demi-cercle, s’étageaient jusqu’au plafond des divans capitonnés, à des hauteurs les uns des autres d’un demi-mètre. Sur le milieu de ces divans, une large niche présentait une couche matelassée, couverte de velours noir aux franges d’or, une glace très épaisse en garnissait le fond. La première ligne des divans était coupée de distance en distance par des trous dans lesquels, en se plaçant debout, on arrivait à hauteur de la deuxième ligne, non coupée celle-là, mais ayant en face de ces trous et au-dessus, des rebords descendant en pente, la reliant en plan incliné à la troisième ligne. Au plafond, un lustre voilé sous des verres de couleur, lançait un jour tamisé. Vers les neuf heures, dans ce salon, s’assemblèrent autour de l’abbesse une vingtaine de femmes et une douzaine d’hommes, les femmes, en longues robes sans tailles, tombant sur le corps en plis amples, à partir des seins qu’elles laissaient découverts. L’abbesse et les hommes étaient nus. Sur la deuxième rangée des divans, les femmes s’étendirent sur le ventre au-dessus des trous, et l’abbesse Josépha prit place sur la couche de velours noir. Un homme s’approcha de cette couche, située à mi-hauteur entre la première et la deuxième rangée de divans, s’agenouilla, frappa du front le sol recouvert d’un épais tapis, se redressa, appuya le visage sur le ventre de Josépha et dit : — Amen, que la lune se lève et que ses fidèles serviteurs la voient et l’adorent. L’abbesse instantanément se tourna sur le ventre, présenta le cul à son cavalier, dont le visage ne quitta pas son corps, durant son évolution. En même temps, toutes les femmes se troussèrent pour exhiber le leur, et dans les trous des divans se placèrent les hommes, le visage à hauteur de leurs fesses, entre leurs jambes pendant de chaque côté des rebords rembourrés. Il y avait plus de femmes que d’hommes, mais une certaine partie d’entre elles étaient grimpées sur la troisième rangée des divans, mettant leur croupe au-dessus de la tête de leurs compagnes. Le servant de l’abbesse, tout le monde se trouvant en place, se prosterna de nouveau, se redressa, de ses deux mains entr’ouvrit la raie du cul, en parcourut toute la longueur avec un pouce en disant : — Voie secrète, voie sainte, voie mystérieuse, voie de l’infini, tu cèles et révèles la beauté, tu es la félicité, tu es la joie du regard, l’ivresse des sens ; en vain la nature cherche à t’outrager, tu restes la pureté ; tu as la ligne qui perce les immensités, tu possèdes le cercle et la courbe qui ne finit pas. L’abbesse se recroquevilla sur les jambes et les bras, bombant le cul ; l’homme y appliqua un long, long baiser. Dans les trous des divans, les hommes pelotaient le cul des femmes placées devant eux, en approchaient le visage, les embrassaient, se reculaient ensuite pour admirer les fesses étalées au-dessus des têtes féminines ; ces fesses se balançaient de droite et de gauche, accusaient la lascivité par la main de leurs possesseuses s’y égarant de façon plus que polissonne. Deux femmes, qui étaient demeurées debout au milieu de la salle, vinrent près de l’abbesse, et l’une d’elles s’agenouillant derrière le servant, le fouetta de trois claques en disant : — Comte Armstang, les astres sont levés, unis l’acte à la parole et à la pensée. Armstang posa une main sur le cul de l’abbesse, se tourna vers les deux femmes et répondit : — Que vos divinités brillent devant nos yeux, et cette lune sacrée sur laquelle s’appuie ma main vous conviera aux caresses sans fin, où tout s’oublie. Les deux femmes, debout, soulevèrent leurs légers voiles jusqu’à la ceinture, se cambrèrent sur les reins, jetèrent le ventre pour développer les fesses qu’elles tortillèrent, invitant du regard le comte aies peloter ; celui-ci plaça le corps de l’abbesse en travers du lit, sur lequel elle resta à quatre pattes ; il écarta ses jambes, s’assit sur le rebord du lit entre elles, de manière à appuyer l’épine dorsale contre le cul de Josépha, il prit dans la main sa queue en érection, et les deux femmes, le ventre en avant, continuant à tortiller le cul, il leur fit signe d’approcher leurs fesses de ses genoux. Elles s’empressèrent d’obéir, glissèrent à cheval sur ses cuisses, et se balançant, s’appliquèrent à donner chacune à leur tour un coup de cul à sa queue, qu’elles finirent par agripper de leurs doigts, lui leur pelotant les fesses. L’abbesse se levant droite sur le lit, appuya le cul contre sa tête, ce qui le fit s’écrier : — La lune monte, gloire aux femmes ! Toujours dans les trous des divans, les hommes avaient glissé la tête sous les jupes des femmes et leur faisaient feuilles de roses. Les tressauts qui agitaient ces jupes, témoignaient de l’activité des caresses. Les femmes qui étaient à la troisième rangée, descendirent près de leurs compagnes, se mirent à cheval par-dessus leur cou, et, comme elles n’étaient guère éloignées les unes des autres, se troussant, elles se pelotèrent réciproquement. À l’apparition du cul de l’abbesse au-dessus de la tête d’Armstang, elles se prosternèrent par-dessus leurs compagnes, les fesses en l’air ; celles-ci se troussèrent de nouveau, les cavaliers reculèrent et saluèrent les deux lignes de culs qu’on leur présentait, en portant la main à leur queue et en frappant ensuite d’une claque chacune des deux femmes qui leur échéait. Ils grimpèrent à leur tour sur cette deuxième rangée de divans, séparèrent les femmes et revinrent avec elles au milieu de la salle. Lentement, l’abbesse, debout sur le lit, contourna la tête du comte, de telle façon que son cul passa sur les cheveux, sur le visage, et retourna ensuite se placer face à la salle. Les deux femmes montèrent sur le lit à ses côtés, on se groupa dans le milieu de l’hémicycle, l’homme multiplia ses caresses, ses attouchements, imité par chaque cavalier avec son couple féminin. Une agitation indescriptible s’ensuivit où les culs dominèrent, et où il sembla qu’ils remplissaient la salle. L’abbesse sauta à bas du lit, après toute une longue série de feuilles de roses reçues et échangées, leva les bras en l’air, toutes les femmes l’entourèrent, échappant aux hommes, toutes s’élancèrent par les gradins des divans. Les hommes coururent après elles, une bousculade se produisit, les queues étaient en érection, un enculage monstre commença où les femmes se disputaient à qui serait la première saisie. L’abbesse s’esquiva par une porte située au haut de la dernière rangée. Elle se trouva dans un couloir étroit, faiblement éclairé, mais sur lequel ouvraient des logettes, nids d’amour ou de repos, et aperçut Eulalie l’attendant sur le seuil de l’une d’elles. Prestement restaurée par sa femme de confiance, revêtant la toilette abbétiale aux dessous luxueux, elle dit : — Mène-moi où est Marthe, je lui dois sa grâce demandée par Hugues ; il faut qu’elle conserve l’impression de la faute commise, elle assistera au jugement de ses complices. — Le spectacle ne sera-t-il pas trop fort pour une enfant de cet âge ? — Elle n’est plus une enfant, ayant livré son pucelage. Marthe avait été enfermée dans une pièce mi-obscure, très bien meublée ; on lui laissa la liberté de ses mouvements pour s’y diriger à sa fantaisie, se coucher sur les divans, les fauteuils... ou les tapis, le lit faisant, défaut. Très prostrée et très effrayée sur le premier moment, la fatigue ne tarda pas à l’emporter et elle s’endormit d’un lourd sommeil. Elle fut réveillée par la sœur qui lui apportait à manger, un repas plus que frugal. On ne lui refusa pas de la conduire à une salle voisine pour les divers soins de son corps, et on la renferma ensuite. Elle passa cette journée dans des alternatives de peur et d’effroi, n’ayant de rapports qu’avec la sœur désignée à lui servir sa nourriture, laquelle observa un mutisme absolu pour toutes ses questions. Les heures s’écoulèrent, la nuit survint, l’obscurité l’environna, elle ressentit une inquiétude sourde, se crut définitivement condamnée à la solitude éternelle, pleura, s’effara du silence, n’osa plus remuer ayant entendu de violents coups frappés non loin, elle trembla de tous ses membres, en voyant apparaître Josépha, accompagnée de Suzanne, Félicia et Eulalie. Leurs visages marquaient une telle sévérité, que toute saisie, elle tomba sur les deux genoux et implora : — Ne me faites pas du mal, renvoyez-moi chez mes parents, chassez-moi, ce n’est pas ma faute si on s’est servi de moi ! L’abbesse vint jusqu’à elle et lui dit : — Petit ver de terre, quelqu’un que j’aime a demandé ta grâce. Je l’ai accordée. Te renvoyer, te chasser, est chose impossible avec ce que tu sais. Tu nous prouveras par ta conduite future ton repentir, et plus tard, quand tu seras vraiment femme, on décidera de ton sort. Jusque-là, tu nous appartiens. Elle voulut baiser les genoux de l’abbesse, celle-ci se recula et reprit : — Lève-toi et suis-nous auprès de tes complices. — Mes complices ! Ce sont eux qui se sont joués de ma crédulité ! — Ne les renie pas après avoir usé de leurs plaisirs. Un cortège composé de prêtres, de moines et de sœurs, accompagna l’abbesse dans les sous-sols. On pénétra dans une vaste crypte, fermée par de solides portes en fer et qu’éclairaient faiblement deux lampes placées à chaque extrémité. Un des moines alluma un lustre, et un jet de lumière permit de distinguer tous les objets. La crypte était parquetée de dalles en pierre et soutenue par des colonnes cintrées ; contre les murs se trouvaient des sièges à hauts dossiers et divers instruments ; dans le milieu, entre deux colonnes, se dressait une cage en fer. Dans cette cage, on avait enfermé Antioche, avec tout juste une chaise pour s’asseoir et le sol pour s’étendre et se reposer ; près de cette cage, sur un lit pliant, était couchée Espérandie, pâle, décomposée, désespérée. À la vue du cortège qui entrait, une folle terreur s’empara de son esprit, elle se cacha sous ses draps. Antioche se leva debout et attendit. En face de la cage et du lit, on arrangea les sièges à hauts dossiers où s’installèrent l’abbesse avec les principaux de sa suite. Quatre robustes moines se tinrent près du lit d’Espérandie. L’abbesse dit : — Que la sœur Requéreuse parle. Félicia, très émue, quitta le siège où elle s’était assise, vint à son tour près d’Espérandie, leva la main et dit : — Je jure de parler sans parti pris et sans esprit de rancune, je le jure avec d’autant plus de sincérité que mon âme désolée doit s’élever contre des êtres chers à mon cœur. Le crime de forfaiture et de rebellion a été commis dans cette enceinte où la femme est maîtresse pour inspirer l’amour, la concorde et la joie. Il s’est trouvé un coupable, un homme, un élu, pour abuser d’une enfant et d’une de nos sœurs, et les pousser ensuite dans la funeste voie de la révolte. Notre mère a été outragée, séquestrée et frappée. À ces mots, un cri d’indignation s’éleva dans toute l’assistance, et une clameur retentit : — La mort. — Nous n’avons pas droit de vie et de mort, mes frères, mes sœurs, reprit Félicia, mais nous avons des équivalents. Cependant si, indignée et irritée, je note ce droit d’à côté, je n’en ferai pas moins appel à votre esprit de générosité, pour ne pas punir par l’irréparable ce qui peut s’expier. La cruauté n’est excusable que vis à vis des ennemis féroces et décidés, coûte que coûte à votre ruine ; elle est inutile vis à vis des membres de notre communauté, dont l’âme, aujourd’hui édifiée sur leur mauvaise action, est certainement repentante. — Je proteste contre toute indulgence, dit un moine. — Et moi, je demande l’indulgence la plus large, dit l’abbesse, mais en usant d’un châtiment indispensable comme exemple pour l’avenir. Un prêtre prit Marthe par la main (Marthe encore terrifiée et ne sachant si elle pouvait compter sur une véritable clémence), et vint la faire asseoir sur un escabeau au pied du lit d’Espérandie. — Le crime est d’autant plus grand, dit-il, qu’on s’est appuyé sur l’affection vouée par l’abbesse à cette enfant, pour le concevoir et en commencer l’exécution. — Il n’y a qu’un seul coupable, cria Antioche, moi, et je revendique la responsabilité des événements. — Tu n’as pas encore la parole, Judas, dit l’abbesse debout. Cette fille, pourrie de vanité, que j’adulais, a répondu à tes propositions, et unis tous les deux, vous avez entraîné cette malheureuse créature. Toi et Espérandie, vous avez alors marché la main dans la main, et vous devez vous souvenir quel est celui des deux qui commanda les violences contre ma personne. — Moi, répondit Espérandie dans un gémissement. L’expiation corporelle que tu m’as fait infliger et qui, depuis le retrait des pelotes d’épingles, malgré les onguents, jette le feu dans mes chairs et mon sang, la torture et la souffrance dans mes esprits, ne te suffit-elle donc pas ? — Qui a eu l’idée de m’enflammer le corps pour m’inspirer la folie de luxure, grâce à laquelle vous espériez briser l’abbesse ? Crime sur crime vous avez commis, je ne veux pas votre mort, je veux votre repentir éprouvé. — Je requiers, dit Félicia se dressant, que monsieur l’aumônier interroge. L’abbé Hermal apostropha Antioche en ces termes : — Antioche, tu fus dans les élus parmi nos frères, et tu obtins droit de séjour illimité chez nos sœurs. L’abbesse te voyait avec bonté, les cellules s’ouvraient à tes moindres désirs, pas une femme n’était rebelle aux sollicitations de ta chair, quelle fut ton idée dans cette odieuse affaire ? — Je voulais Marthe, je cherchais à l’avoir, je l’eus ; notre mère nous surprit, se montra impitoyable, je perdis l’esprit, je me jetai sur elle, je l’emportai, la descendis dans les caveaux. Le mal était commis. La folie me tua toute raison. — Est-ce bien le désir du corps de Marthe, la cause initiale de tes fautes ? — Qu’on le lui demande. — Tu as entendu. Marthe, dit-il la vérité, t’a-t-il courtisée, l’as-tu écouté, encouragé, l’as-tu reçu en secret, lui as-tu livré ta virginité ? Elle ne sut que répondre en pleurant : — Il m’a entraînée. — Tu n’es plus pucelle ? — Vous ne l’ignorez pas. — Laissez cette enfant, ordonna l’abbesse, elle n’est que comparse. — Antioche, reprit l’aumônier, tu as commis l’acte de soustraire à ta supérieure une enfant qui lui appartenait, tu as suborné une fille vierge et inconsciente de ses actions, tu as violenté ta supérieure, tu l’as séquestrée. Pourquoi as-tu persisté dans ta folie ? — Qui n’a pas péché peut seul me condamner. — Nous dénies-tu le droit de te juger ? — Vous devenez des bourreaux du moment où vous frappez sur des êtres impuissants en refusant de lire dans leur âme. Vous avez martyrisé Espérandie, vous m’avez enfermé comme une bête fauve, à quoi bon ce simulacre de justice ? Vous ne questionnez que pour allonger le supplice de ces deux êtres faibles, si vous ne voulez pas me reconnaître seul responsable de ce qui s’est accompli. Les délits sont palpables, prononcez le jugement et ne perdons pas davantage notre temps. — Je requiers, cria de nouveau Félicia : voici la sentence que je crois la plus équitable. Elle fit circuler un papier sur lequel elle avait libellé quelques lignes, en commençant par l’abbesse et en finissant par l’aumônier. Chacun apposa au-dessous une marque, soit d’approbation, soit de refus, un oui ou un non. La majorité fut pour l’approbation, et Félicia, venant se placer entre la cage en fer et le lit d’Espérandie, prononça : — Par notre très aimée mère, belle et gentille dame, Josépha de Frochemont, avec avis de la majorité du Conseil, déclarons coupables de forfaiture et de trahison, le frère Antioche, la sœur Espérandie ; rejetons hors-procès l’inclassée Marthe, laquelle n’ayant pas juré ses vœux est de plein droit impoursuivible ; condamnons le frère Antioche à un emprisonnement de six mois avec privation de toute société, après quoi il sera expulsé hors de la communauté, sur son engagement signé d’oublier les jours qu’il vécut au milieu de nous ; condamnons la sœur Espérandie à un emprisonnement de trois mois, avec service pénitentiaire de travail, à un an de service parmi les sœurs converses, et ensuite à son transfert à notre maison de Lyon ; ces diverses pénalités ne commenceront qu’après un séjour d’accouplement des deux coupables dans cette crypte, séjour de quinze jours, et où ils seront soumis à une très sobre nourriture. Ils épuiseront ainsi, s’ils en ont encore la force, l’ardeur perverse qui les associa dans la volupté, contre notre très aimée mère Le Conseil a jugé. L’abbé Hermal se leva et dit : — Frère Antioche, jures-tu soumission à cet arrêt, contre lequel du reste, toute rebellion ne servirait qu’à aggraver ton cas ? — Je jure soumission et sollicite l’indulgence pour qu’on me garde aux Bleuets après mes six mois de prison. — La peine est prononcée sans appel. Sur ta soumission, tu sortiras de cette cage et jouiras d’un lit près de celui d’Espérandie. — Pauvre femme, qui ne peut se remuer sans souffrance ! — Avec tes soins, dans trois jours il n’y paraîtra plus. Sœur Espérandie, jures-tu soumission à cet arrêt ? — Je le jure et me repens. — Que Dieu vous garde, dit l’abbesse se levant et donnant le signal du départ, tout en faisant signe à Félicia d’emmener Marthe. Les quatre moines qui s’étaient placés autour du lit d’Espérandie et qui étaient restés les derniers, ouvrirent la cage d’Antioche, et lui dirent qu’ils allaient lui apporter le lit promis. Le mal soulevé par la faute de Marthe était arrêté. Le jugement prononcé, l’abbesse se retira dans sa chambre, se coucha, pour goûter le repos auquel elle avait tant de droits et se préparer aux diverses charges de sa haute position. Sa pensée, sur la limite du sommeil, s’égara vers ce jeune amant dont elle se privait, mais qu’elle savait retrouver au matin dans son cabinet de travail. Elle dormit bien cette nuit. Rayonnante de jeunesse et de beauté, sur les dix heures, elle apparut aux yeux de son secrétaire, déjà attelé à la besogne. Elle lui tendit la main et lui dit : — Eh bien, Hugues, t’es-tu reposé ? — Je n’ai fait qu’un somme et tout le temps je t’ai rêvée. — Après le travail, nous tâcherons d’effacer le rêve : la réalité est préférable, ne le crois-tu pas ? — La réalité consacrant le rêve rend la vie trop belle ! — Ne t’en effraye pas, mon mignon. — Après le déjeuner, lui prenant le bras, elle le conduisit aux fameux jardin des Délices, ce jardin où fauta Izaline et, s’installant sur le banc, près du tabernacle, lui murmura : — Ici, l’amour seul est le maître : parle-moi du tien et aime-moi ; mon cœur et mes sens ne demandent que ton bonheur. Il l’enlaça, approcha la bouche de la sienne, leurs lèvres s’unirent dans une chaude caresse. Minute exquise où l’âme semble prête à quitter le corps, pour aller dans l’infini s’unir à celle de l’aimée ; sensation inoubliable qui rachète tous les tourments de cette terre, mais qui laisse ensuite, hélas trop souvent, le désespoir dans le cœur, le doute dans l’esprit, le chagrin dans l’existence, par les soufflets méchants et pervers qui souvent s’abattent sur les amants. Il n’en était rien dans ce lieu enchanteur, où une femme adorable sous tous les rapports, pénétrée de l’amour de cet enfant, cherchait, par l’ardeur de ses caresses, à s’assurer l’homme qui se dessinait dans cet enfant, de la vérité, de la tendresse amoureuse. Et, pourquoi cette vérité se discute-t-elle ? Parce que chacun voit dans l’amour le sacrifice de l’autre et que nul n’y découvre le pacte des individualités s’unissant pour poursuivre le sentiment et la poésie au-delà de l’invisible. Les lèvres de Josépha et de Maillouchet ne pouvaient plus se quitter ; leurs yeux à demi-clos s’énamouraient ; leur haleine se confondait ; les frissons de la volupté les secouaient ; elle s’abandonna à ses mains, la dépouillant hâtivement de son peu de voiles, et de nouveau nue devant ses regards extasiés, elle le laissa, prostré à ses pieds, se repaître des fougueuses aspirations dont il honorait ses charmes. Sur le gazon, elle tomba dans ses bras, ils se pressèrent l’un contre l’autre dans l’étreinte de la possession, ils ne se lassaient pas de goûter à la divine ambroisie qu’est la liqueur d’amour. Les deux corps entrelacés, reposant sur l’herbe, les baisers reprirent de plus belle ; du tabernacle s’éleva un chœur d’amour, un hosannah à la volupté, qui les berça mollement et ensuite les arracha à leur vertige. Nus, la main dans la main, ils ouvrirent la porte du tabernacle, non plus interdit, et descendirent les marches. Dans la vaste salle, ornée d’un seul tapis, salle cette fois brillamment éclairée, Maillouchet aperçut debout, sans vêtements, Marthe et Raymonde, entourées par Izaline, Laurette, Eliane, Félicia, Isabelle. À l’approche de l’abbesse, les deux fillettes se précipitèrent à ses genoux, et les lui baisant, attendirent qu’elles les fit se relever en disant ! — Hugues, pour toi j’ai pardonné à cette petite ingrate ; mais elle doit rester dans le couvent et j’ai décidé qu’elle vivrait, unie à Raymonde, dans ce jardin, pour y apprendre à se développer en grâces et en charmes, en séductions et en savoir, sous la direction de ces jolies déesses. Tu seras le dieu de ce jardin pendant l’absence que je suis obligée de faire, et je veux que mes sœurs et ces enfants y demeurent pour t’aider à supporter le vide momentané que je te causerai. C’est donc avec elles que nous allons vivre ces quelques heures. L’amour d’Hugues était si profond qu’il murmura : — Je connais Izaline et aussi Laurette, Felicia et Raymonde, je te remercie, ma noble maîtresse de ce choix paradisiaque. Je te demande de me garder ces quelques heures tout à notre amour, et puis de me permettre de rêver à toi jusqu’à ton retour. — Comme il te plaira, mignon. Sœur Izaline, tes épreuves sont terminées : tu as été la plus heurtée de nos novices ; tu prononceras tes vœux dans deux mois et tu remplaceras la sœur Espérandie. — Sœur cloîtrée, s’écria Izaline, se jetant sur la main de l’abbesse pour la baiser. Celle-ci la reçut dans ses bras et répondit : — Sœur cloîtrée, et de mes amies ! Je sais que tu ne t’insurgeras jamais contre mes décisions et que tu fus des plus fidèles dans les heures de tristesse dont nous sortons ! Superbement campée sur ses hanches dodues et appétissantes, Laurette enlaçant Eliane, lui dit : — Adam et le serpent feront la paix en elle. — Et nous fêterons cette joie, dirent Félicia et Isabelle. Josépha, poussant une porte, entraîna Maillouchet dans un couloir sombre, et au bout de ce couloir, par un judas, lui montra la crypte où étaient enfermés Espérandie et Antioche. Le moine, agenouillé devant le lit de la jeune femme, la tête sur les draps, paraissait prier : Espérandie, les reins soutenus par un oreiller, le contemplait de ilence. Elle murmura : — Antioche, puisque tu quittes le couvent, ta peine est expirée, je solliciterai de le quitter aussi et nous nous marierons dans le monde. — Cela ne peut-être, ma colombe, je suis de petite bourgeoisie et tu es de haute famille. — Hors de ces murs, la sœur Espérandie qui aime le frère Antioche et qui souffrit avec lui, restera la sœur Espérandie pour être l’épouse du frère Antioche. Il lui baisa les mains et elle poussa une légère plainte, Antioche ayant appuyé involontairement sur le bandage appliqué à ses chairs pour les guérir des plaies formées par les épingles. — Douleur des douleurs, gémit le moine, ma tendresse te coûte un supplice. — Oh non, mon aimé ! Souffrir par qui on vit, par qui on croit à l’amour, à la volupté, est encore un délice. Je n’ai pas été maîtresse de mes lèvres, elles t’implorent une caresse. L’abbesse referma le judas, elle mit le bras autour du cou de Maillouchet et lui dit : — Là aussi, on aime, on s’aime. Aimer, s’aimer, c’est tout le bonheur possible en ce bas monde, enfant. Aime-moi, aime la femme, et sois heureux. Oui, aimer, s’aimer, vivre dans la volupté, accordée par la femme prêtresse du temple, rien ne saurait égaler les joies de cœur et d’esprit, que provoquent les sens dans l’entente des sexes. Il n’y a plus d’âge pour les amants dignes de ce titre, l’amour établit les compensations, les voluptés accroissent les forces. Les femmes deviennent impeccablement belles, dès qu’elles sont accueillantes, les hommes conservent leur sève dès qu’ils consentent à s’incliner devant la beauté et la gentillesse des femmes. Les lèvres de Maillouchet ressaisissaient les lèvres de Josépha, L’abbesse semblait planer de plus en plus dans un ciel radieux : elle illuminait son amant des rayons lumineux qui auréolaient son visage et son corps ; le jeune homme se sentait enchaîné aux attraits de cette déesse qui, pour la première fois peut-être, vibrait devant un véritable amour mâle. Elle dit dans un soupir qui réunit leur souffle : — Ah, mon amour, je suis ton aînée, mais si le rôle te revenait et que tu le fûsses de beaucoup, je t’aimerais encore et croirais que le ciel veut nos tendresses et nos félicités. FIN |
Le Baron de Saint-Castin, chef abénaquis/02 | Pierre Daviault Le Baron de Saint-Castin, chef abénaquis Éditions de l'Action canadienne-française, 1939 (p. 26-46). ◄ Chapitre I. — DÉBUT DE L’AVENTURE Chapitre III. — LA GUERRE DU ROI PHILIPPE ► Chapitre II. — SAINT-CASTIN CHEZ LES SAUVAGES bookLe Baron de Saint-Castin, chef abénaquisPierre DaviaultÉditions de l'Action canadienne-française1939MontréalTChapitre II. — SAINT-CASTIN CHEZ LES SAUVAGESDaviault - Le Baron de Saint-Castin, chef abénaquis, 1939.djvuDaviault - Le Baron de Saint-Castin, chef abénaquis, 1939.djvu/126-46 CHAPITRE II SAINT-CASTIN CHEZ LES SAUVAGES — I — L’Acadie abandonnée. — Saint-Castin rentrant en Acadie s’enfonçait, pour de nombreuses années, dans une nuit où l’histoire n’a projeté jusqu’ici que de faibles lueurs. L’Acadie était retombée dans l’abandon. Après un faible effort, dont l’événement avait démontré l’inanité, la France officielle s’en désintéressait encore une fois. Le 22 avril 1675, le roi écrivait simplement à Frontenac : « Je me remets à tout ce que vous estimerez de plus à propos pour le bien de mon service sur tout ce qui est arrivé en l’Acadie : je ne doute pas que vous fassiés tout ce qui sera possible pour rétablir le fort et l’habitation qui y étoient. Il est important de maintenir mes sujets en possession de ce pais là qui servira utilement et avantageusement un jour pour établir une plus facile communication avec le Canada ». Le 15 avril 1676, le bon roi donnait encore à Frontenac de l’eau bénite de cour : « Je donneray les ordres nécessaires pour fortifier l’Acadie ». Ce roi guerrier ne demandait qu’un accommodement et ses représentants avaient pour consigne : surtout pas d’histoires : « J’approuve fort que vous ayez donné les ordres au sieur de liaison, commandant à l’Acadie, de se mesnager avec les Anglois en sorte qu’il n’y arrive point de rupture ». Frontenac voyait mieux les réalités d’ordre pratique. Le 2 novembre 1681, il réclamait encore une mesure essentielle : « Le compte des affaires de l’Acadie que je rends à Sa Majesté lui fera peut-être juger de la nécessité qu’il y a aussi d’y mettre un gouverneur avec des appointements qui lui donnent moyen de subsister et d’empêcher que la colonie, qui y reste, ne se détruise tout à fait... Je vous aurai. Monseigneur, une très grande obligation de vouloir représenter et appuyer ces raisons auprès de Sa Majesté quand vous jugerez à propos de lui parler de l’état de cette province sur laquelle je suis obligé de vous avertir que les Anglais entreprennent beaucoup, venant pêcher et traiter le long de ces côtes » 1. Le ton découragé de ces phrases indique que le gouverneur ne conservait pas beaucoup d’espoir. Chambly, prisonnier à Boston en 1674, revint pour un court séjour, deux ans après, juste le temps de recevoir la concession de Jemseck, bien qu’il fût confirmé dans son commandement. Encore y a-t-il lieu de penser qu’il ne sortit pas alors de Québec. Nommé gouverneur de la Martinique en 1677, il remit l’administration entre les mains de Joibert de Marson, qui n’eut pas le titre de gouverneur et qui d’ailleurs mourut l’année suivante. Versailles ne nommait pas de successeur à Chambly, la colonie restait sans tête dirigeante. Constatant cette carence, Frontenac, de sa propre autorité, chargea Le Neuf de La Vallière d’assurer l’intérim. La commission remise à La Vallière précisait : « Elle n’est point enregistrée et ne donne point pouvoir de permettre la traicte ny la pesche aux Anglais », comme si le pauvre homme, sans troupe, pouvait imposer sa volonté aux gens qui venaient de vaincre totalement l’Acadie. Sous les gouverneurs précédents, les Anglais ne pêchaient ni ne négociaient sans permission « et sans être convenus de ce que chaque bastiment paveroit ». La Vallière recevait instructions de ne pas le permettre « jusques à ce que Sa Majesté ait fait sçavoir ses intentions ny qu’ils prennent aucun charbon de terre sans prendre les droits accoustumés ». Ses appointements étaient de 1 800 livres. La Vallière était un Canadien, né aux Trois-Rivières Ayant épousé la fille de l’Acadien Nicholas Denys, il avait fondé l’établissement de Beaubassin sur la langue de terre qui unit les actuelles provinces du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. Le nouveau gouverneur intérimaire avait à cœur de réussir dans sa mission. Mais les Acadiens, méfiants à juste titre, le reçurent assez mal. « M. de La Vallière, écrivait Frontenac, m’a fait savoir qu’il avait été à Port-Royal, où les habitants avaient témoigné quelque peine de recevoir ses ordres, soit par l’accoutumance où ils étaient d’avoir été quelques années sans commandant, soit par les divisions qu’il y avait entre eux, soit enfin par quelque inclination anglaise et parlementaire, que leur inspirent la fréquentation et le commerce qu’ils ont avec ceux de Boston ». Cette influence des Anglais sur les Acadiens s’exerçait au point, si l’on en croit Williamson (II, p. 23), que leur parler était à moitié anglais. La Vallière garda son exploitation à Beaubassin tout en exerçant une vague surveillance sur l’ensemble de la colonie. En 1681, Frontenac en était encore à le recommander à la cour 2 qui ne confirma son titre de gouverneur qu’en 1683. Versailles lui suscitait toutes sortes d’ennuis, appuyant, contre le gouverneur, une compagnie mercantile. Indice, à coup sûr, du sans-gêne avec lequel était traitée la colonie du golfe Saint-Laurent. On le vit mieux, en 1684, quand la France choisit, pour remplacer l’honnête La Vallière, le vaurien François Perrot, chassé du gouvernement de Montréal à cause de ses malversations. L’absence de commandement n’empêchait pas le progrès de la colonie. Les habitants y étant habitués s’en accommodaient. S’ils voyaient avec méfiance l’arrivée d’un nouveau gouverneur, c’est qu’elle ne pouvait leur attirer que des ennuis de la part des Anglais et qu’ils avaient parfaitement appris à s’en passer. Sans soutien contre un voisin fort et entreprenant (mais d’une médiocre valeur guerrière, est-il juste d’ajouter), l’Acadie était à la merci de tous les coups de main, et nous avons vu qu’ils ne manquaient pas. Versailles s’en souciait assez peu, comptant sur sa diplomatie pour regagner le terrain perdu, et ne se préoccupant pas le moins du monde des souffrances que les invasions infligeaient à la population. Le bon peuple se tirait d’affaire, mais il savait prendre ses précautions. La crainte était son état d’âme habituel 3. À cet égard, rien n’est révélateur comme le récit que fit le subrécargue Diéreville de son arrivée en rade de Port-Royal, au mois de septembre 1699, à bord de la frégate dite la Royale-Paix. Pendant que le capitaine parlementait avec un navire du roi, les habitants couraient porter « à leurs cachettes, dans les bois, leurs meilleurs effets. Quand nous fûmes descendus à terre, et qu’ils surent que nous étions leurs amis, nous vîmes les charrettes revenir toutes chargées » 4. Chaque fois que paraissait une voile suspecte, les Acadiens s’enfuyaient de la sorte. L’Anglais, si Anglais il y avait, détruisait leurs maisons construites sommairement, puis se retirait. Sortis immédiatement de leurs cachettes, les habitants se remettaient à l’œuvre. C’est ainsi qu’ils firent l’Acadie, en dépit des gouvernants, de sorte qu’on a pu dire : « Seul le peuple fut grand » 5. — II — La vie à la sauvage. — Au retour de Saint-Castin en Acadie, tout renaissait. Militaire, qu’aurait-il fait parmi les cultivateurs ? Ils voyaient les soldats avec non moins de défiance que les gouvernants. Ces soldats, comme les gouverneurs, leur attiraient les attaques des Anglais qu’ils étaient impuissants à repousser. Qu’il le voulût ou non, seule la vie d’aventures dans les bois s’offrait à lui. Choisit-il cette existence par goût ? On n’en sait rien. À coup sûr, il n’avait pas le choix. Chez les sauvages, un unique mode de vie s’imposait. Allaient-ils changer de mœurs, à cause d’un hôte accepté à titre bénévole ? L’étranger devait forcément s’y adapter. Bon gré mal gré, Saint-Castin s’adapta. C’est ce qu’exprimait l’abbé Louis Petit, curé de Port-Royal, dans une lettre à Mgr de Saint-Vallier : « Il passa en ce pais à l’âge de quinze ans, en qualité d’enseigne de Mr de Chambly ; et ayant été obligé à la prise de Pentagoët de se sauver dans les bois avec les sauvages, il se vit comme forcé de s’accommoder à leur manière de vie » 6. Retenons de ce document que les circonstances eurent une influence décisive sur la destinée de Saint-Castin. Il n’y eut aucune préméditation de sa part. Que l’attrait de la vie primitive y ait contribué, n’en doutons pas. Un homme de sa trempe n’aurait pas accepté une existence déplaisante. Mettons qu’obéissant d’abord à une consigne, il finit par s’attacher à ce nouveau milieu. Il y avait aussi le désir de faire fortune. Tant d’hommes, avant lui, avaient amassé de vastes richesses, par l’exploitation des pêcheries ou de la traite, en ce pays d’immenses possibilités. Jean-Vincent ne devait pas y manquer. Mais là n’avait pas été le motif déterminant de son départ pour le pays des Abénaquis, à la fin de 1674. À cette époque, un événement s’était produit qui aurait dû le rappeler dans le Béarn. Son frère aîné venait de mourir, sans enfant. Jean-Vincent héritait du titre et de biens considérables. Il n’était plus le cadet besogneux, forcé de se faire une situation. Son intérêt lui commandait d’aller recueillir une précieuse succession. La suite de son histoire montrera qu’en négligeant cette précaution, il s’attirait les plus graves ennuis. Il ne l’ignorait pas, soyons-en sûrs. Il savait aussi que, pour fonder une exploitation florissante en Acadie, les ressources mises à sa disposition en France lui auraient été d’un grand secours 7. S’il partit tout de suite pour Pentagoët, après son entrevue avec Frontenac, c’était pour remplir une mission urgente. Cette figure de soldat esclave de la consigne n’est peut-être pas aussi romantique que celle du civilisé attiré invinciblement par la vie primitive, c’est-à-dire du disciple de Jean-Jacques avant la lettre. N’est-elle pas plus noble ? Saint-Castin avait pour fonction de garder les sauvages dans l’amitié de la France. De toute évidence, il n’y pouvait réussir qu’en liant son sort à celui de ces gens. — III — Commerçant. — Saint-Castin tira parti des circonstances. Ce que fut son existence chez les sauvages, son compatriote du Béarn, La Hontan, égaré aussi dans les forêts américaines, le résume en gros dans ses Nouveaux Voyages (vol. III, p. 29-30) : « Le Baron de Saint-Casteins Gentilhomme d’Oleron en Bearn s’est rendu si recommandable parmi les Abenaquis depuis vingt & tant d’années, vivant à la Sauvage, qu’ils le regardent aujourd’hui comme leur Dieu tutélaire. Il étoit autrefois Officier de Carignan en Canada, mais dès que ce Régiment fut cassé, il se jetta chez ces sauvages dont il avoit appris la langue. Il se maria à leur maniere, préférant les Forêts de l’Acadie aux Monts Pirénées dont son pays est environné. Il vécut les premières années avec eux d’une manière à s’en faire estimer au-delà de tout ce qu’on peut dire. Ils le firent grand chef, qui est comme le Souverain de la Nation & peu à peu il a travaillé à se faire une fortune dont tout autre que lui sçauroit profiter en retirant de ce Pays-là plus de deux ou trois cens mille écus qu’il a dans ses coffres en belle monnoye d’or. Cependant il ne s’en sert qu’à acheter des marchandises pour faire des presens à ses confrères les Sauvages, qui lui donnent ensuite, au retour de leurs chasses, des présens de castors d’une triple valeur. Les gouverneurs généraux du Canada le ménagent, & ceux de la Nouvelle-Angleterre le craignent. Il a plusieurs filles & toutes mariées très avantageusement avec des François, ayant donné une riche dot à chacune. Il n’a jamais changé de femme, pour apprendre aux Sauvages que Dieu n’aime point les hommes inconstants ». Récit assez fantaisiste dans le détail. La Hontan était un fameux hâbleur ! Mais, comme il lui arrive souvent, il a donné une impression d’ensemble conforme à la réalité des faits, si l’on oublie les coffres d’or et les deux ou trois cents mille écus. On n’aurait pu trouver une telle masse d’or dans toute l’Amérique septentrionale française. Frontenac et Champigny n’écrivaient-ils pas, le 5 novembre 1684 : « Il ne vient point d’argent de France à moins que le Roy n’en envoye, le peu de commerce que l’on fait en ce pays seroit entièrement ruiné s’il n’y restoit aucune monnoye » 8. Tibierge notait avec plus de justesse, en 1695. que Saint-Castin passait pour posséder 10 000 livres et qu’il enfouissait son trésor dans la forêt 9. Il est évident que sa richesse véritable était bien plus considérable et qu’il avait richement doté ses filles, puisqu’elles épousèrent les gentilshommes les plus riches de la petite colonie. Le chiffre d’affaires de Saint-Castin, pour employer une expression brutale, atteignait plusieurs milliers de livres par an. Le profit, très important, lui servait à accumuler des marchandises, et, nous le verrons, à armer sa tribu. S’il ne lui restait pas un nombre imposant d’écus sonnants et trébuchants, il effectuait un grand mouvement de fonds. Saint-Castin n’était pas le seul blanc dans les tribus. Dès les débuts de la colonisation en Acadie, plusieurs Français avaient cherché refuge chez les sauvages, notamment en 1607 quand Poutrincourt abandonnait son établissement de Port-Royal, après trois ans d’efforts fructueux, car, inaugurant sa politique d’incohérence qui devait mener ses colonies à la ruine, la cour avait enlevé au fondateur un essentiel monopole. Poutrincourt laissait derrière lui des colons qui se joignirent aux indigènes. Même chose en 1613, à la suite des dévastations d’Argall. Les mariages de Français avec des sauvagesses ont été fréquents de 1607 à 1675, à cause de la rareté des femmes blanches en Acadie ; on citait, entre autres, ceux de Saint-Castin, d’Enaud, seigneur de Nipisiguy et du trop fameux Latour. Les Métis parurent de bonne heure en Acadie 10. Même après 1700, des Français s’en allèrent dans les tribus. Chaque victoire des Anglais était suivie d’un nouvel exode. C’est parce qu’ils trouvaient des moyens de subsistance auprès des naturels qu’il y a toujours eu des gens de race française en Acadie depuis ce temps. Cependant, on exagère sans doute quand on dit qu’il est peu de familles acadiennes qui n’aient une goutte de sang métis. Certains de ces Français devenaient de terribles aventuriers, ne gardant de la civilisation que ses vices et n’empruntant aux sauvages que leurs défauts. Les plus débrouillards se mettaient à la tête de ces « mauvais garçons » (on disait alors libertins). — IV — Les Abénaquis. — Comme il se tenait à l’écart des colons, le baron de Saint-Castin évitait aussi la compagnie des aventuriers. Cantonné dans sa tribu, il habitait un pays-frontière, une marche, en dehors des territoires exploités ou parcourus par les blancs. Quels étaient au juste les sauvages de cet endroit ? Les chroniqueurs du temps les appelaient indifféremment Abénaquis ou Canibas. Il y a lieu de préciser. Les Abénaquis formaient une nation composée de nombreuses tribus, dont Sylvester, s’appuyant sur plusieurs autorités, donne cette liste : 1. les Penobscots (ou Terratines), sur la rivière Pentagoët (Penobscot en anglais ) ; 2. les Passamaquoddys, sur la rivière Schoodak ; 3. les Wawenocks, à Pemquid ; 4. les Norridgewocks ou Canibas, sur la Kennébec ; 5. les Sokoris ou Pequakets, sur la rivière Saco ; 6. les Androscoggins, sur la rivière du même nom ; 7. les Pennacooks, sur la Merrimack ; 8. les Malécites, à la rivière Saint-Jean. Sylvester y ajoute les Micmacs de l’Acadie 11. L’abbé Maurault situe les Canibas dans le sud-ouest du Maine et le New-Hampshire. À Kennébec, il place les Nurhantsuaks. Il dresse une liste de sept tribus abénaquises : 1. les Kanibesinnoaks ou Canibas ; 2. les Parsuikets, sur la Merrimack ; 3. les Sokakiaks, ou Sokokis, dans le voisinage des Canibas ; 4. les Nurhântsuaks, sur la Kennébec ; 5. les Pentagoëts ; 6. les Etemankiaks ou Etchemins, sur la rivière Saint-Jean ; 7. les 8arastegs. Parmi ces contradictions, un fait certain ressort : la tribu où vivait Saint-Castin portait le nom de la rivière où elle était établie, soit Penobscot pour les Anglais ou Pentagoët pour les Français. Les Anglais appelaient souvent ces indigènes Terratines, du nom que leur avaient donné les Pilgrim Fathers. Vivant sous des wigwams de branchages, les Abénaquis avaient sensiblement les mœurs communes aux Indiens de l’Est américain. Pour la ténacité à la guerre, ils ressemblaient aux Iroquois. Même les chroniqueurs anglais si acharnés contre eux leur reconnaissaient une moralité remarquable. Ils étaient renommés pour leur écriture graphique. Les découvreurs racontent que les tribus abénaquises étaient soumises à un seigneur souverain, le Bashaba, dont l’influence se prolongeait jusqu’à la baie de Massachusetts. Il semble que Madokawando ait exercé ces fonctions. Dans chaque tribu se trouvaient un chef suprême ou sagamo, et des chefs subalternes ou de clans, membres du conseil. Le sagamo était élu pour la vie et son élection, suivie de fêtes qui duraient trois semaines. L’hérédité constituait un titre à l’éligibilité. La tribu des Pentagoëts, la plus nombreuse et la plus redoutée des Anglais, exerçait une sorte de suprématie, vu que le Bashaba sortait de ses rangs. C’est à Pentagoët en tout cas qu’Ingram fut reçu, au 16e siècle, par ce mirifique seigneur dont les Sokokis relevaient directement. L’été, les Pentagoëts descendaient au bord de la mer, en vue de la pêche. L’hiver, ils se tenaient en haut de la rivière où se trouvent encore les restes de leur tribu 12. Saint-Castin se fit chez eux une situation, parce que, sans prendre les vices des indigènes et sans abdiquer sa dignité de blanc, il s’assimila leurs qualités. On a maints témoignages de la rectitude de sa vie, témoignages qui détruisent l’effet de calomnies intéressées. Sa qualité de Français lui attirait la sympathie des naturels. Cruellement traqués par les Anglais, ils appréciaient d’autant plus les sentiments humains des autres blancs. Au surplus, ce gentilhomme, officier de carrière, possédait des ressources précieuses aux yeux de cette peuplade guerrière. Ils firent de lui l’un de leurs chefs, titre auquel il acquit des droits quand il épousa la fille du grand sachem. — V — Le mariage de Saint-Castin. — On n’est pas fixé sur le nom de cette femme. Le contrat de mariage de Bernard-Anselme de Saint-Castin, fils de Jean-Vincent, passé le 31 octobre 1707, le donne comme « fils de dame Mathilde ». Celui de sa sœur Anastasie, signé le 7 décembre 1707, attribue à la mère le même nom. Mais dans le contrat de Thérèse de Saint-Castin, sœur des deux premiers, on lit : « fille de Marie-Pidianske » 13. De là à conclure qu’il se maria deux fois, il n’y a qu’un pas. La preuve est faible. Pour tout concilier, mettons que Mme de Saint-Castin, outre son nom abénaquis Pidianske, avait reçu au baptême ceux de Marie-Mathilde. On pouvait se servir de l’un ou l’autre, ou même les mêler. C’est l’hypothèse la plus plausible. Pidianske ou Mathilde, était la fille du sagamo, ou peut-être bashaba, Madokawando. Tous les chroniqueurs de la Nouvelle-Angleterre s’accordent sur ce point, et ils étaient payés pour connaître ce Madokawando, grand ennemi de leur pays 14. Les chroniqueurs français le mentionnent parfois, sous des orthographes fantaisistes : Mataonando, Mataconanda, Mataouando. Madokawando, suprême seigneur des Pentagoëts, était le fils adoptif du chef Assiminasqua, renommé pour son éloquence. C’était, ce Madokawando, un sauvage assez remarquable. Grave et sérieux dans ses discours comme dans sa démarche, sa piété de chrétien touchait au mysticisme. Il prétendait avoir des visions et recevoir des directives de l’autre monde, ce qui lui conférait un prestige extraordinaire. Son autorité restait d’autant plus grande qu’il ne la risquait pas dans l’exécution des besognes de routine. Se confinant dans son rôle de « roi », il avait des agents d’exécution ; Mugg, son « premier ministre », puis Edgeremet (ou Moxous), et les sachems inférieurs. Il prenait le commandement des troupes pour les expéditions particulièrement importantes. Rien ne se faisait sans son assentiment, et aucun traité ne se signait qu’en son nom. Cette façon d’agir, exceptionnelle chez les sauvages, était aussi celle de son allié, le chef Squando, de Casco. Saint-Castin non plus ne se compromit jamais inutilement. Peut-être avait-il appris aux autres chefs cette prudente façon d’agir. On suppose qu’il avait connu Madokawando dès son arrivée en Acadie et qu’il l’avait amené avec lui à Québec, pour annoncer la défaite de Chambly. C’est d’autant plus probable que Madokawando ne laissait passer aucune occasion de rapprochement avec les gouverneurs français. Avait-il inspiré à Frontenac l’idée de renvoyer le baron à Pentagoët 15 ? Ce n’est pas impossible. La légende veut que la baronne de Saint-Castin ait été très belle 16. Croyons-le. Saint-Castin aurait-il épousé une squaw repoussante, lui qui pouvait prétendre à une alliance brillante ? L’amour seul l’avait sans doute décidé au sacrifice des avantages matériels du mariage, et cet amour, dans les circonstances, devait naître de la beauté. Quant à la validité de son mariage, si elle ne fait pas de doute pour qui examine les documents de près, elle a été si souvent niée qu’il s’est créé une légende infamante dont le poids pèse encore sur la mémoire de Jean-Vincent. Il menait, a-t-on raconté, une vie de débauche au milieu de nombreuses femmes et concubines ; en somme, on le représente comme un sultan vautré dans les troubles délices de la volupté, sans prendre garde que le lieu, les circonstances et le temps ne se prêtaient guère à tant de mollesse. Ces bruits venaient des doutes élevés sur la légitimité de son fils aîné par son beau-frère, le juge Labaig, qui ne voulait pas rendre compte des affaires de la succession. Ainsi, tout s’éclaire. Mais examinons un peu la question, non dénuée d’importance. Les Français et, avec eux, les missionnaires rentrant en Acadie et retrouvant Saint-Castin en 1684 voulurent régulariser la situation d’un homme digne de respect et si utile. Par un certificat en date du 30 septembre 1684, l’évêque de Québec ordonnait au père Jacques Bigot, missionnaire chez les Abénaquis, de marier le baron de Saint-Castin. D’autres témoignages nous apprennent que la cérémonie eut lieu. Dans sa lettre du 22 octobre 1685 à Mgr de Saint-Vallier, l’abbé Petit, curé de Port-Royal, écrivait : « C’est un fort beau naturel, il mérite d’être aidé ; nous luy avons de grandes obligations ici ; comme il est généreux, et qu’il est fort à son aise, il nous fait souvent des aumônes considérables pour notre église, qui sans son secours et sans un legs d’un autre particulier, seroit beaucoup plus pauvre qu’elle n’est ; je n’y entre jamais que je ne me souvienne de luy ; et quand il vient ici me voir, ce qui luy arrive ordinairement deux fois par an, il est ravi d’assister au service que nous y faisons les dimanches avec toute la décence qui nous est possible » 17. Le bon curé ajoutait que Saint-Castin demandait un missionnaire pour Pentagoët, « où il fait sa demeure ordinaire avec des sauvages, qui désirent de se faire instruire. Ce gentilhomme a besoin luy-même de ce secours pour se soutenir dans le bien ». Cela n’est pas d’un homme à la situation irrégulière. Pour répondre au juge Labaig, M. de Pontchartrain, en 1709, se disait convaincu, à la lecture des documents, de la légitimité du mariage et Mgr de Saint-Vallier certifiait que Bernard-Anselme de Saint-Castin était issu du mariage de son père. Plus tard, en 1715, Pontchartrain écrivait, au sujet des allégués du juge Labaig : « C’est une calomnie qui mériteroit punition, bien que le contraire eût été bien prouvé et bien reconnu ». Subercase avait écrit de Port-Royal, le 20 décembre 1708 : « J’ai retenu Saint-Castin qui vouloit passer en France à cause d’une chicane avec des parents voulant absolument qu’il soit bâtard malgré tous les certificats des missionnaires, des peuples, des témoins et de l’évêque même. » Subercase joignait à sa lettre des certificats signés de missionnaires et de tous les anciens du pays, puis il ajoutait : « Ce pauvre garçon a à faire au premier chicanier de l’Europe, et lieutenant général de la ville d’Oléron en Béarn, qui depuis de longues années jouit de ce bien-là, et cette pauvre famille est dans la dernière misère, et qui n’auroit pas de pain sy d’honnestes gens ne se mellaient de leurs affaires » 18. Selon Labaig, Saint-Castin avait eu « un commerce public avec une sauvagesse » et il en avait eu deux filles, puis il avait épousé la sœur de sa concubine dont il eut dix enfants. On accusait toujours de débauche les Français égarés parmi les sauvages. M. de Menneval écrivait, en 1688 : « J’ai porté le sieur de St-Castin à une vie plus réglée. Il a quitté sa vie de débauche avec les sauvages ». Il faut s’entendre sur le sens de débauche : on l’appliquait à toute vie irrégulière dans les bois, réfractaire à la discipline tatillonne décrétée par les débiles gouverneurs de Port-Royal. Évidemment, de ce point de vue, Saint-Castin était un débauché ; il ne l’était pas au sens ordinaire du terme. En somme, on ne relevait contre Saint-Castin que son commerce avec les Anglais et nous verrons ce qu’il faut en penser. Il est remarquable qu’on l’a toujours ménagé, dans une colonie où les haines étaient vives et où la correspondance échangée avec la cour était faite dans une grande mesure d’accusations mutuelles. À vrai dire, on n’a jamais su le fin fond de l’histoire ; on n’a jamais su non plus combien d’enfants eut Saint-Castin. Il ne s’expliquait pas, il vivait à l’écart des Français trop intrigants, trop dangereux, toujours disposés, malgré la réputation de galanterie de leur nation, à traîner dans la boue l’honneur des femmes. Saint-Castin avait pour l’édifier l’aventure de Mme de Preneuse et de M. de Bonaventure. D’une amitié, peut-être innocente entre ces deux personnes distinguées, on fit un commerce honteux : on n’hésita même pas à imaginer une scène odieuse 19. Mme de Freneuse qui aimait un peu trop le plaisir devint, par les racontars de ces gens, la gourgandine la plus fieffée, si bien qu’elle dut fuir Port-Royal. Saint-Castin se méfiait avec raison. Craignait-il les critiques trop acerbes de ses pairs à l’égard de sa mésalliance ? Il préférait laisser sa vie privée dans l’ombre. Rien, dans la vie de Saint-Castin, n’autorise à croire à sa débauche. D’un autre côté, les mœurs des sauvages ne se prêtaient guère aux désordres imaginés par les ennemis de Jean-Vincent. Le mariage était inviolable, tant qu’il durait, aux yeux des indigènes, même si les jeunes gens jouissaient d’une liberté assez grande, encore qu’il ne faille pas croire les horreurs inventées par le hâbleur La Hontan sur le compte des filles indigènes. Les Pentagoëts, en particulier, étaient renommés pour la sévérité de leur conduite. Même les historiens qui leur gardent une rancune héréditaire en conviennent. Sylvester, par exemple, écrit (vol. II. p. 16) : « They were a notably moral people ». Le juge Labaig tenait ses renseignements d’Acadie. Tout s’explique. Le gouverneur Perrot, dont nous reparlerons, détestait Saint-Castin et le poursuivait d’une rancune tenace, née d’une jalousie de commerçant. Saint-Castin a souffert surtout des calomnies accréditées par les chroniqueurs puritains. Voyant en lui leur bête noire, la cause de tous leurs maux, ils se répandaient en imprécations contre lui. Ils l’accusaient de cruauté, reproche plutôt risible de la part de gens dont la férocité s’exerçait même sur les leurs et qui n’hésitaient pas, à la fin du 17e siècle encore, à brûler des femmes soupçonnées de sorcellerie. L’accusation de débauche était plus grave. Holmes écrit (vol. I, p. 401) : « Saint-Castin... a plusieurs femmes, en plus de la fille de Madokawando ». Hutchinson : « Il avait épousé plusieurs Abénaquises, en plus de la fille de Madokawando ». Adams, s’inspirant des Randolph Papers : « Saint-Castin, traitant français accapareur, menait une vie à demi-sauvage avec tout un choix de femmes indiennes, plus remarquables par leur nombre que par leur vertu ». Et James Sullivan 20 : « Pour mousser ses intérêts et satisfaire sa convoitise, il épousa six femmes indigènes à la fois ». Or, la polygamie ne se concevait pas chez les Abénaquis. Sullivan n’y va pas avec le manche de la cuiller. N’ajoute-t-il pas : « Saint-Castin avait à sa suite de nombreux prêtres, dont les rites et les cérémonies inintelligibles avaient pour objet de tromper un peuple barbare ». Mrs Williams fait bon marché de ces racontars : « Les Anglais, écrit-elle (p. 101, note), dont l’intérêt était alors de représenter le baron comme une sorte d’épouvantail, lui attribuaient quatre ou cinq femmes à la fois ». Sylvester affirme aussi qu’il ne faut pas croire les annalistes anglais, « vilipendant à plaisir la réputation de Saint-Castin, laquelle pouvait se comparer favorablement à celle de certains de ses détracteurs puritains. Saint-Castin était le Français le plus exécré par les Anglais de l’époque... The best hated Frenchman of his time » (vol. Il, p. 387). On lit de même dans la Massachusetts Historical Collection (vol. 9, p. 219) : « Saint-Castin était considéré, avec raison, comme l’ennemi le plus dangereux de la Nouvelle-Angleterre ». Enfin, Godfrey (p. 75) exprime cet avis : « Il n’existe aucune preuve qu’il eut plusieurs femmes ». Saint-Castin, devenu veuf, se serait-il remarié, ainsi que le pense M. Leblant ? C’est fort douteux. Tout fait repousser l’hypothèse du mariage avec la sœur d’une concubine : l’évêque n’aurait pu autoriser une telle union. En réalité, Saint-Castin, d’abord marié selon la coutume abénaquise, avait par la suite fait bénir son union par l’Église. Elle n’en était pas moins légitime. Chez les Abénaquis, le fiancé s’assurait des sentiments de sa future par l’offre de bracelets, d’une ceinture et d’un collier de coquillages. Si elle acceptait ces présents, les jeunes gens étaient fiancés. Après un temps d’épreuve, le mariage se célébrait en présence des chefs et des parents. C’était plus qu’il n’en fallait pour valider l’union aux yeux de l’Église, le prêtre n’étant, selon de nombreux théologiens, qu’un témoin chargé de constater les empêchements, le cas échéant, et le consentement mutuel des époux. Le Concile de Trente avait consacré le rôle du prêtre à cause des abus qui pouvaient résulter de son absence. Mais les règles de ce concile n’étaient pas appliquées en France et les mariages clandestins y étaient fréquents à la fin du XVIIe siècle. Il existait même à Paris une paroisse, Saint-Pierre-aux-Bœufs, où les jeunes gens se mariaient sans le consentement de leurs parents. C’est là que le comte de Frontenac, gouverneur de la Nouvelle-France, avait épousé l’éblouissante Anne de la Grange-Trianon après l’avoir proprement enlevée. Jean-Vincent d’Abbadie avait observé la coutume abénaquise. Pouvait-il agir autrement, quand il n’y avait pas de prêtre dans la région ? L’évêque avait simplement régularisé la situation. Mais le juge Labaig invoqua la procédure comme d’abus, arguant que l’Église avait consacré une bigamie. C’était chicane mesquine de la part d’un administrateur malhonnête, peu désireux de rendre compte de sa gestion 21 — VI — L’Abénaquis Saint-Castin. — Saint-Castin, pour tous les actes de sa vie extérieure, était devenu abénaquis. Il fut un Abénaquis loyal et fidèle. Entendons qu’il prit à cœur les intérêts de ses nouveaux compatriotes. D’autant que ces intérêts se confondaient avec les siens. Le baron béarnais restait un civilisé. Il avait des besoins ignorés de ses hôtes primitifs bien qu’ils eussent eux-mêmes goûté à certains fruits de la civilisation. En relations avec les blancs depuis des générations (ils recevaient des pêcheurs même avant les voyages de Jacques Cartier), ils avaient oublié le pur état de nature où avaient vécu leurs lointains ancêtres. Chez eux se manifestaient des appétits que les productions spontanées de la forêt et de la mer ne pouvaient entièrement satisfaire. Le commerce, sous la forme de la traite, suppléait à l’apport naturel, aussi bien pour le baron que pour les indigènes. Jean-Vincent se fit commerçant : le commerce dans les colonies n’était pas une déchéance pour un gentilhomme. Nous avons vu, par la citation de La Hontan et d’autres témoignages, qu’il fut un remarquable traitant. Les bénéfices de ses échanges ne se réalisaient pas tous en or et le trésor de Saint-Castin n’avait pas la forme que lui prête l’auteur du Nouveau voyage. En tout cas, Saint-Castin disposait de ressources imposantes. Comment, perdu dans son désert, échangeait-il ses pelleteries ? Là encore, les renseignements sont maigres. On sait qu’il possédait des embarcations, suffisantes au moins pour le voyage de Boston. En vue du commerce d’outre-mer, il utilisait les nombreux bateaux de pêche venus dans ces parages, ou bien des irréguliers, flibustiers ou corsaires. Si le baron n’eut pas de navires en propre (ce qu’il faudrait démontrer), il ne manquait pas de moyens de transport. Quand ils lui faisaient défaut du côté de la France, il en trouvait en Nouvelle-Angleterre. C’est là un aspect délicat de son histoire, car on lui a reproché ses contacts avec les Anglais. Qu’il nous suffise de marquer ici que Saint-Castin bornait ces relations strictement au commerce et que sa fidélité à la France, sur les points essentiels, ne fléchit jamais. La cour de Versailles, pour des raisons mercantiles, n’établissait aucune distinction entre les faits de guerre et les faits de commerce, mais la nécessité de vivre autorisait notre baron à faire fi de cette doctrine par trop sévère. En outre, il avait perdu son titre d’officier français en devenant chef abénaquis. Cette dernière qualité l’obligeait à pourvoir à la subsistance de sa tribu par les moyens disponibles. Et puis la France était mal venue de formuler des exigences, elle qui laissait les siens crever de faim en Acadie. Saint-Castin avait vu dès le début que compter sur la France, c’était courir à de cruels déboires. Non seulement il n’avait rien à attendre du gouvernement, il avait tout à craindre de ses vagues représentants, non moins que des autres Français de la colonie. Chacun cherchait uniquement son intérêt personnel et, pour l’atteindre, était prêt à tout. La sombre histoire des Latour et celle des Le Borgne, — tissues de trahisons, de vols et de meurtres, — suffisaient à renseigner Saint-Castin. Il se tenait loin de tout cela, faisant sa vie dans le secret parmi les Abénaquis. Plus tard, il ne se refusera pas à prêter l’aide qu’on lui demandera. Cela fait, il rentrera dans sa retraite. — VII — Pentagoët. — Où vivait-il ? Saint-Castin suivait les sauvages dans leurs pérégrinations, à la recherche des fourrures. Il avait un pied-à-terre à Pentagoët, poste abandonné par les boucaniers hollandais, immédiatement après l’attaque de 1674. Revenus au printemps de 1676, ils en étaient tout de suite chassés par les gens de la Nouvelle-Angleterre, qui n’y restèrent pas davantage 22, appelés ailleurs par la guerre du roi Philippe. C’est alors, apparemment, que Saint-Castin s’en empara. Il demeurait dans le Vieux-Logis et les bâtisses du fort lui servaient d’entrepôts. Il ne jouissait pas d’une possession indiscutée. Les Anglais lui prirent ce poste à diverses reprises, ou du moins le saccagèrent. Pentagoët s’élevait au fond de la baie du même nom, à l’embouchure de la rivière également nommée ainsi par les Français. Rappelons que, pour les Anglais, Pentagoët, c’est Ponobscot. Cette région se trouve aujourd’hui dans le Maine, et Pentagoët porte le nom de notre héros, transformé en Castine. À l’époque de notre histoire, le village se trouvait à quelques milles de la frontière entre l’Acadie et la Nouvelle-Angleterre, frontière que les Français rejetaient au-delà de la Kennébec, et que les Anglais fixaient à la rivière Sainte-Croix (quand ils se sentaient forcément généreux) mais plus souvent à la rive gauche de la Pentagoët. La région formait une marche sans cesse disputée par les armes et par la diplomatie. Depuis 1654, une commission siégeait à Londres et à Paris (quand le cœur lui en disait) en vue de départager les deux puissances. Elle siégea si longtemps que son rapport parut un siècle plus tard, alors que les armes avaient depuis longtemps réglé la question. Incapables de défendre Pentagoët quand ils l’avaient pris, les Anglais établirent, à proximité de la Kennébec, le fort de Pemquid qui, à son tour, fut l’objet de luttes furieuses. Le lieu ne manquait pas d’agrément. Dans l’embouchure en delta de la Pentagoët, des navires de 300 tonneaux pénétraient aisément. Puis, s’étalait la vaste baie aux îles nombreuses, dont la plus considérable était celle des Monts-Déserts qu’on laissait à droite en entrant. Des terres fertiles entouraient le poste et, dans la forêt, s’apercevaient des pins de soixante pieds dont tous les navigateurs auraient voulu faire des mâts. Le gibier y foisonnait. Ours, orignaux, castors, entre autres animaux, fournissaient abondamment les indigènes de pelleteries et de viande 23. À cause de l’état de guerre perpétuel, la colonisation ne s’y implantait pas. Les sauvages y régnèrent sans entraves jusqu’à une époque avancée. Pentagoët, c’était l’ancienne Norembègue. « La Norambègue estoit une province de la Nouvelle-France où se sont faites les premières habitations des François et où nos autheurs marquent une ville imaginaire du mesme nom sur le fleuve Pentagouët appelé Penolescot par les Anglois. La description de la Norembègue se trouve presque jusques à nos temps dans touttes les cartes mais encore plus dans les anciennes » 24. Norembègue, Norumbega ! Ce fut, à l’origine, l’un de ces vocables dont s’enchanta l’imagination des mariniers du Moyen-Âge et qui attirèrent Christophe Colomb dans nos parages. Antilia (nos modernes Antilles), où se dirigea le Génois ; les Îles Fortunées de Saint-Brandan, l’Île des Sept-Cités, Ophir, Bimini, Cibola, Cathay, hantaient les rêves des navigateurs, héritiers de vieilles traditions cosmographiques et cartographiques remontant peut-être jusqu’à Strabon, évoquant en tout cas le souvenir des vikings de l’an mille. Parmi ces endroits fabuleux, Norembègue, avec Antilia, attirait le plus les navigateurs. Le Breton Nicholas Don, en 1506, fut le premier à en donner la description. Il y trouva, à l’en croire, des gens de bonnes manières, portant « cols et autres ornements en or ». La croyance se répandit en l’existence d’une ville merveilleuse dans les déserts du Nouveau-Monde. Verazzano inscrivit son nom sur les cartes. Certains historiens pensent qu’il y perdit la vie, bien qu’on situe d’ordinaire la tragique aventure de sa mort sur le Rio de la Plata. La carte française dite du Dauphin, tracée en 1542, renferme, à l’endroit de Pentagoët, deux tours pour indiquer l’emplacement d’Aurobagra (corruption de Norumbega). Estevan Gomez débarquait dans cette région enchantée deux ans après Verazzano, soit en 1525. Cabeca de Vaca y venait en 1528. Il y fut six ans prisonnier des Indiens, puis, s’échappant, il erra pendant vingt mois dans ce pays hostile. Ce qui lui permit de découvrir un extraordinaire réseau de routes rayonnant dans toutes les directions. Ingram suivit plus tard ces routes, qui servirent à toutes les incursions des Français ou de leurs alliés indiens contre la Nouvelle-Angleterre. Vaca trouva le capitaine français Champagne, à la rivière Saint-Jean, qui le ramena en Europe à bord de sa Gargarine. L’un de ses compagnons, Job Hortop, ne revoyait l’Angleterre que vingt ans après, pour raconter des histoires extravagantes. Jean Fonteneau, dit Alphonse ou Jean-Alfonse de Saintonge, pilote de Roberval en 1542, décrivit aussi Norembègue dans sa Cosmographie. Il imagina la ville de Cibola, aux toits d’or. Sa description atteignait les limites du dévergondage. Vint David Ingram, un des cent hommes abandonnés au golfe du Mexique par le pirate John Hawkins en 1568 et qui, suivant les sentiers des indigènes le long de la côte, était parvenu jusqu’à Norembègue. Rentré en Angleterre, avide de popularité et doué d’un talent de conteur évidemment supérieur à celui de ses devanciers, il renchérit sur leurs exagérations : la ville de Bega, comme la Cibola de Jean-Alfonse, était construite de piliers de cristal et d’argent ; les toits des maisons y formaient un éblouissement continu de métaux précieux, sur un mille de longueur ; l’or, les joyaux et les pelleteries y foisonnaient. Afin de mettre la note finale à ce faste oriental, le brave menteur se gardait bien d’oublier les éléphants. Ces récits fantaisistes, de règle chez les navigateurs du temps, n’étaient qu’à demi mensongers. Ne s’inspiraient-ils pas des fables racontées par des Indiens, reliquats, peut-être, de lointaines réminiscences des pays d’où étaient partis les ancêtres des Peaux-Rouges ? Ainsi en était-il du fabuleux royaume du « Saguenay » décrit par Jacques Cartier. En France, après de longues heures dans la compagnie de ce dernier et de Jean-Alfonse, Rabelais guérit ses compatriotes de cette manie en composant l’extravagant voyage de Gargantua au pays des paroles gelées. Ingram connut la célébrité dans toutes les alehouses de Londres où il promenait ses contes. Il devint un personnage d’importance quand le considérable Hakluyt les publia dans ses ouvrages. Les voyages se multiplièrent. En 1579, Simon Fernando arrivait à Norembègue avec des marins anglais et, l’année suivante, John Walker s’y rendait sous les auspices de sir Humphrev Gilbert : il y trouvait des pelleteries et, prétendait-il, une mine d’argent. En 1585, Lane, à son tour, découvrit une ville aux maisons couvertes de métal. (On devenait plus modeste !) En 1593, Richard Strang y voyait des gens qu’il jugeait chrétiens. Champlain, à son tour, s’en allait à la recherche de Norembègue en 1605. Ce fut pour éprouver une cruelle déception, que ce réaliste ne chercha pas à cacher. La ville aux piliers de cristal tombait aux proportions beaucoup plus humbles d’un amas de wigwams parmi les grands fûts des arbres. À cause de sa déconvenue, sans doute, il peignit les Indiens de l’endroit sous des couleurs très sombres. Cependant, il y découvrit une vieille croix de bois 25. D’où venait ce symbole chrétien ? Peut-être marquait-il la sépulture d’un pêcheur. Depuis des siècles, les marins bretons et basques connaissaient cette terre, que les Basques nommaient Baccalaos, nom qui englobait la Terre-Neuve actuelle. Il est même possible que Gosnold y ait vu, en 1602, des indigènes vêtus à l’européenne ainsi qu’il le raconta. Avec Champlain, la région sortait de la fable pour entrer dans l’histoire. L’année où il la reconnaissait, Weymouth, cherchant le passage vers l’Ouest pour le compte de Charles 1er, y touchait aussi. Et puis, Hudson, en 1609. Le premier établissement y était fondé en 1613. Les colonisateurs de Port-Royal, MM. de Monts et de Poutrincourt, éprouvaient des difficultés financières. Le premier vendit ses droits à la belle Antoinette de Pons, marquise de Guercheville, qui proposa un traité d’association à Poutrincourt, mais en exigeant une si forte part du gâteau que l’autre dût repousser l’offre. Elle tint bon et envoya des Jésuites à Port-Royal. Dès l’abord, la discorde régna. Épousant la rancœur de leur protectrice, les missionnaires traitaient de haut Biencourt, le fils de Poutrincourt, commandant à Port-Royal. Forts des écus de la dame, ils méprisaient la pauvreté de leurs rivaux. « C’est une grande folie à de petits compagnons, écrit le père Biard, que d’imaginer des baronnies et de grands fiefs, et tenements en ces terres, pour trois ou quatre mille écus qu’ils y auroient foncés ; folle vanité à des gens qui fuient la ruine de leurs maisons en France ». Si le jeune Biencourt était animé des meilleures intentions, bien que les Jésuites se fussent imposés à lui, ainsi qu’en témoigne le père Biard dans une lettre du 13 mars 1612, il ne pouvait tout de même tolérer les prétentions de ses hôtes, « qui alloient jusqu’à vouloir fonder une colonie », sur un territoire appartenant à Poutrincourt. Un récollet, le père Le Tac, blâme du reste le tour d’escamotage de Mme de Guercheville et de ses protégés, « qui fit tant de bruits, de plaintes et de crieries ». Reconnaissant enfin ses torts, la belle marquise décida de fonder un autre établissement, dont elle confia la direction au capitaine marchand Le Coq, sieur du Saussay. En mars 1613, Le Coq appareillait de Honfleur sur la Fleur-de-May, 100 tonneaux, avec 30 personnes à bord, dont le frère du Thet et le père Quentin. En passant à Port-Royal, il s’empara de toutes les réserves et provisions, laissant les premiers colons à leur malheureux sort. On s’en allait aux Monts-Déserts de Pentagoët, fonder un poste sous le nom de Saint-Sauveur. Les Jésuites comptaient y créer un autre Paraguay. Mais, comme ceux de Port-Royal dont ils se moquaient, ils ne possédaient pas les moyens d’asseoir solidement leur création. Le 15 juillet, le forban Argall détruisait tout, à Saint-Sauveur comme à Port-Royal. Des Français se répandirent parmi les sauvages. Charles de Biencourt resta, établissant des postes de traite centralisés à Port-Royal, troquant les pelleteries contre les marchandises apportées par les bateaux de pêche : il en venait de France près de 2 000 chaque année. Les Malouins de Dupont-Gravé lui faisaient la concurrence dans un fortin, à 6 lieues en amont de la rivière Saint-Jean. Une société bordelaise éleva aussi des entrepôts. Ainsi l’Acadie renaissait-elle de ses cendres. Biencourt mort. Latour, ancien valet de Poutrincourt, paraît et réclame l’héritage. Le garçon sait y faire. Il embrouille si bien les cartes, il se livre à tant de micmacs avec lord Stirling et ses « baronnets de la Nouvelle-Écosse » qu’il émerge bientôt de l’aventure baptisé lord Saint-Stephen et propriétaire d’une bonne partie de l’Acadie. Une nouvelle incursion des Anglais, sous les frères anglo-normands Kirke, n’a servi qu’à l’enrichir. Le traité de Saint-Germain-en-Laye rend l’Acadie à la France. Razilly s’en vient pour accomplir son admirable œuvre de colonisation : avec son lieutenant et successeur, Aulnay, il implantera 300 familles de colons, noyau de la race acadienne. En secret, Latour s’entend avec les Anglais, puis fait le bon apôtre auprès de Razilly, qui, ne se doutant de rien, le charge de reprendre Pentagoët avec Aulnay. Latour, loin de se rallier à son compagnon, prévient les Anglais et s’égare dans les bois. Aulnay mène, seul, l’entreprise à bien, à la suite de quoi Razilly établit fermement la frontière à la Kennébec. L’année suivante, soit en 1633, Thomas Willet attaque Pentagoët à la tête de 200 hommes montés sur 2 navires. La garnison, composée de 22 hommes, repousse l’attaque. En 1636, la France accorde le Vieux-Logis de Pentagoët à Latour, avec une concession de dix lieues carrées. Deux ans se passent encore. Razilly meurt. Aulnay lui succède régulièrement. Mais Latour, invoquant ses prétendus droits, obtient de partager l’Acadie avec lui. Pentagoët reste à M. d’Aulnay. Les indigènes de ces parages prennent fait et cause pour lui, tandis que Latour s’attire la sympathie des Etchemins. S’ensuivent des combats à l’intérieur de la colonie, en face d’un ennemi toujours aux aguets. En 1639, Latour pousse la trahison jusqu’à s’emparer d’une pinasse de secours expédiée à Pentagoët menacé par l’Anglais. Aulnay sauve sa place. 1640. Arrivée des capucins à Pentagoët. Ils y resteront une dizaine d’années et y élèveront un petit hospice. 1654. Attaque victorieuse des Anglais. Pentagoët se rend sans résistance, probablement parce que Latour s’y trouve, Aulnay défendant Port-Royal. La France officielle disparaît de l’Acadie jusqu’en 1670, mais Latour obtient un privilège de Cromwell et il vend ses droits sur Pentagoët à Temple et à Crowne. C’est pour faire valoir ces prétendus droits que Temple, avec la connivence de boucaniers, en 1674, avait attaqué Chambly. |
La Grande aventure de Le Moyne d'Iberville/03 | Pierre Daviault La Grande aventure de Le Moyne d'Iberville Texte établi par Albert Lévesque, Éditions Albert Lévesque, 1934 (p. 31-47). ◄ Départ pour l’aventure « Un garçon qui sait ce qu’il fait » ► « Militaire comme son épée » bookLa Grande aventure de Le Moyne d'IbervillePierre DaviaultÉditions Albert Lévesque1934MontréalT« Militaire comme son épée »Daviault - La Grande aventure de Le Moyne d'Iberville, 1934.djvuDaviault - La Grande aventure de Le Moyne d'Iberville, 1934.djvu/22231-47 I LE 30 mars, la troupe se met en route, par la rivière des Prairies. Tout de suite, les difficultés commencent. « Deux bœufs qui traînaient le bagage du sieur de Saint-Germain enfoncèrent dans la glace, d’où l’on les retira avec bien de la peine et ne fîmes que deux lieues dans cette journée ». Le lendemain, abandon des bœufs. « Nos gens estant fort empeschez à se secourir les uns les autres », ne font qu’une lieue. Ils rencontrent M. de La Forest, en route par les Illinois avec trois canots. Compagnon de La Salle jusqu’à l’année précédente, l’enragé coureur de bois s’en est séparé juste avant le voyage où vient de se lancer le découvreur avec la flotte de M. de Beaujeu, pour chercher en vain, pendant deux ans, les bouches du Mississipi. Les voyages en mer, ce n’est pas l’affaire de La Forest. Mais il croit au succès de son ancien commandant. Il évoque, en son rude langage, les prestigieuses randonnées des explorateurs, car d’Iberville ne se lasse pas de l’interroger pendant les quelques jours où les deux groupes cheminent de concert. Pour l’heure, les voyageurs sont loin des bayous de la Louisiane ! Ils s’enfoncent dans ces bois sans fin qui feront dire à quelqu’un : « Le Canada est toute une forêt ». Cette forêt inextricable, ils l’abordent à la saison la moins favorable de l’année, au dégel, venu plus tôt que ne le prévoyait le commandant. Impossible d’utiliser les traîneaux ou la raquette. Reste le canot. Mais les rivières sont à tout moment coupées de « rapides effroïables ». Il faut porter à dos canots et approvisionnements, « marchand dans la neige fondue jusques aux jambes ». Les portages ont parfois deux mille pas de longueur. « Dans l’isle de Carillon, un gros arbre pourry tomba sur un de leurs canots et l’écrasa dans sa chutte ». Ils suivent les chemins tracés par les sauvages et encore utilisés de nos jours, mais souvent impraticables à cette saison. Au Long-Sault, « il faut monter le rapide comme en plain esté, c’est-à-dire dans l’eau jusqu’à ceinture ». Jolie perspective ! D’Iberville se révèle. La forêt canadienne, ça le connait. « Le Neufviesme avril, messieurs de Ste. Hélène et d’Hyberville, accompagnez d’habiles canotteurs, commencèrent à monter le Long-Sault. Ils portèrent leurs bagages au-dessus du premier rapide... et redescendirent pour aider aux autres canots ». Par un froid excessif, le 15 avril, ils se jetèrent « dans l’eau jusques à la ceinture, et quelquefois jusques au col, pour trainer les canots, estant absolument impossible de percher dans les chuttes d’eau épouvantables. Il n’y eut que les deux lieutenants et les deux majors (les trois Le Moyne et La Noue) qui osèrent l’entreprendre ». Iberville et Sainte-Hélène, « quoi qu’ils soient en réputation d’estre les meilleurs canotteurs du pays », rompirent leur canot sur une roche et se jetèrent à l’eau jusqu’aux aisselles (M. de Troyes écrit : « aux échelles »), traînant leur canot plein d’eau et gagnèrent le portage, dans un « rapide » très dur. « J’y estois arrivé, écrit M. de Troyes, avec bien de la difficulté, au travers de bois affreux par leur solitude et incommodes, à cause d’une quantité prodigieuse de roches renversées ou pour mieux dire éboulées, et de bois abattu, le tout entremeslé d’épaisses fredoches, qui rendent la route extrêmement laborieuse. Il n’y eut que très peu de gens qui me joignirent, à cause du grand nombre de canots qui furent crever. Car outre qu’il fallut les raccommoder, il est constant qu’il estoit impossible de résister davantage à une si longue fatigue. Il est aisé d’en juger par le temps qu’ils mirent à faire environ une lieue et demie de chemin, qui fut depuis six heures du matin jusques à six heures du soir. Ils estoient mouillez ; et plus souvent dans l’eau qu’en canot ». Ils passent à la Chaudière ; au Portage des Chats, où les roches « égratignent, par manière de parler, les canots des voïageurs » ; à l’île des Calumets, près de laquelle se trouve « une pierre bleue propre à en faire » ; aux Allumettes, où un jésuite oublia autrefois une boîte d’allumettes ; à la colline de l’Oiseau, près du rapide des Joachims, où l’on baptise ceux qui n’y sont pas encore venus. Avec bien de la peine, ils atteignent « Mataouan », d’où ils se dirigent vers le nord. M. de Troyes rencontre Juchereau allant de Missilimakinac à Québec, puis des sauvages de plus en plus nombreux : il sort de la solitude absolue. En trois jours, il arrive au poste de la compagnie du Nord. Dans une île du lac « Themiskamingue », à l’embouchure de la rivière « Metabec Chouan », quatorze Français font la traite. M. de Troyes reconnaît la mine du Témiscamingue. Le voyage reprend ensuite, toujours pénible. Mais le plus grand danger attend les voyageurs. Des canotteurs allument un feu qui se communique à la forêt. Le vent aidant, la petite armée voit son chemin coupé. « Nostre malheur parut inévitable lorsque le vent aïant changé poussa effroyablement ces tourbillons de flammes dans la longueur de nostre chemin de manière qu’il est aussi difficile d’écrire la peine que l’on eut de s’en garantir que de pouvoir bien exprimer la grandeur et la promptitude d’un si grand feu qui obligea ceux qui estoient à l’entrée du portage de se jetter dans leurs canots avec les poudres, et tout ce qui pouvoit craindre les approches du feu, qui s’estant mis plus au large à cause du peu de largeur du lac en cet endroit, se couvrirent eux et leurs canots de couvertes mouillées pour mieux résister aux flames qui passoient le plus souvent sur eux... Je me trouvé aux trois quarts du portage avec le P. Silvie, lorsque nous nous vîmes contraints à courir de toutes nos forces au travers le bois tout embrazé, dont le feu nous serra de si près qu’une manche de ma chemise fut brûlée ». Ils montent dans deux canots. « Le feu devint si furieux que les flames passoient comme un torrent par dessus nos testes, et allumèrent le bois de l’autre bord. C’estoit une chose bien triste de nous voir exposez entre deux si impitoïables élémens ». Ils échappent en revenant en face de l’endroit déjà brûlé. Coïncidences curieuses. Le portage où éclata l’incendie s’appelait Saint-Laurent ; et, quand, de retour à Québec, mettant au net son journal de voyage, M. de Troyes en arrivait à ce passage, le tocsin l’interrompit : le couvent des Ursulines brûlait. « Ce qui me donne lieu, ajoute-t-il, d’advertir le lecteur de prendre garde au feu en lisant ce passage, s’il en fait la lecture à la chandelle ». La fin du voyage approche. À la hauteur des terres, le commandant construit le fort de l’Abitibi, près d’un endroit illustré par une légende, ou peut-être un fait historique. Les gens des Cinq-Cantons avaient massacré tous les sauvages du pays, ne gardant qu’une femme pour leur servir de guide. Elle les conduisit vers le haut d’une chute aux abords masqués. Faisant approcher le canot de tête où elle était, elle saisit des branches pendantes pour s’élancer sur la rive, tout en repoussant du pied l’embarcation qui s’enfonça dans le gouffre. Les autres suivirent aveuglément. Souriante, vengée, la sauvagesse les regardait disparaître. Après un dernier rapide, où Noël Leblanc se noya et d’Iberville pensa avoir le même sort, les voyageurs aperçoivent, le 19 juin, d’une hauteur, la baie James. La marche est finie. On va se battre. D’Iberville va donner sa mesure. Mais il a déjà montré ce dont il est capable. Avec ses frères et La Noue, il a sauvé la troupe de bien mauvais pas et il a appris à discipliner ses gens, à se servir de ces bons guerriers. Les Canadiens sont de bien difficiles gaillards. Dès le début du voyage, une querelle s’éleva entre les occupants d’un canot « qui aiant beu vouloient se tuer ». Le commandant envoya « de la Noue avec cinq hommes qui mirent le hola et ostèrent le fusil du plus mutin, qui en couchoit un autre en joue ». Le 3 mai, le nommé Lamiot désertait avec trois hommes, emportant les vivres, armes et munitions de leur canot. M. de Troyes, pour les assouplir, dès le 14 avril, leur fait monter la garde, les divisant en pelotons, avec sergents, caporaux, anspessades. « Et ainsi je les assujettis peu à peu à la discipline que demande la régularité du service et qui seule manque à la valeur naturelle des canadiens ». Un autre jour, il en a fait attacher un à un arbre pour le punir. Quelques mutins voulurent exciter une sédition. « Mais je les ramené en peu à leur devoir... et je connus dans cette occasion le caractère des canadiens dont le naturel ne s’accorde guère avec la subordination ». C’est avec ces mauvaises têtes que d’Iberville accomplira tous ses exploits et qu’il se fera fort de chasser les Anglais de l’Amérique. II Iberville et Saint-Germain vont reconnaître le fort de Monsipi. De hautes palissades forment quatre courtines flanquées de bastions bien armés de canon. Deux grandes portes aux ferrures imposantes s’ouvrent au milieu des courtines. À l’intérieur de la place, une redoute de trente pieds de hauteur, surmontée d’une terrasse garnie de son parapet, dont les embrasures laissent apercevoir quatre pièces de canon. M. de Troyes prépare l’assaut avec grand soin. Iberville et Sainte-Hélène attaqueront la courtine qui fait face au bois. Le sergent de Catalogne Laliberté lancera une fausse attaque à la courtine de droite, ses hommes tirant dans les embrasures pour incommoder les canonniers. Quant au chevalier, il se réserve les autres soldats. Il en forme trois petits détachements dont deux doivent mettre les canons hors d’usage et le troisième, enfoncer la porte avec le bélier préparé quelques jours plus tôt. Le plan se résume à faire un feu d’enfer par toutes les ouvertures visibles, tandis que les Le Moyne abattront la palissade. Les Anglais ne se doutent de rien. Ni gardes, ni sentinelles. La veille de l’attaque, MM. de Sainte-Hélène et d’Iberville s’étaient assurés avec la baguette de leur fusil, que les canons n’étaient pas chargés. Ils avaient attaché deux « volées » de canons de sorte que l’ennemi, s’il les tire, arrachera la palissade. Mais il s’en gardera bien. Alors Sainte-Hélène d’aller aux ordres. — Dois-je sauter par-dessus la palissade ? — Quand on donne des ordres pour attaquer et prendre une place, il n’importe pas de quelle manière on y entre, pourvu que l’on s’en rende maître. À la bonne heure ! Ce M. de Troyes parle d’or : il ne s’embarrasse pas de scrupules stratégiques comme trop de petits pédants de Versailles. M. de Sainte-Hélène interprète si bien cette parole « qu’il frenchit en un moment après la palissade, l’espée à la main, suivi des srs d’Yberville, Maricourt, La Noue et L’Allemand et de cinq ou six autres qui seuls en purent faire autant de leur détachement. Ils entrèrent ainsi bravement dans le fort, s’emparèrent du canon et ouvrirent la fausse porte qui n’estoit pas fermée à la clef ». On apporte le bélier pour attaquer la porte de la façade. Pendant ce temps, feu nourri partout. Les assaillants y vont de si bon cœur qu’ils tirent par mégarde sur le détachement des Le Moyne, déjà dans la place : un homme est blessé. La porte cède. L’interprète annonce que les Anglais veulent se rendre. M. de Troyes a beaucoup de mal à arrêter la fougue des Canadiens qui, jetant le cri de guerre des sauvages, Sassa Kouès ! Sassa Kouès ! « ne demandoient qu’à jouer du couteau ». Le commandant en vient à bout. Mais un Anglais s’avise d’envoyer promener l’interprète qui annonçait bon quartier et de pointer un canon. « Il reçut un coup de fusil dans la teste qui le renversa mort sur la place. Il y en a qui attribuent ce coup à Mr de Ste-Hélène qui est en réputation d’estre un bon tireur ». Feu de plus belle. Le bélier enfonce la porte de la redoute. D’Iberville s’y jette incontinent, « l’espée en une main et le fusil de l’autre ». Mais les assiégés réussissent à repousser la porte. Voilà notre homme acculé au mur. Mais on ne l’a pas si facilement. « Chamaillant hardiment de son espée sur tout ce qui se présentoit », il blesse les ennemis les plus rapprochés. D’autres descendent en chemise de l’escalier : il lâche son coup de fusil dans l’ombre. Panique. La porte se rouvre, les assaillants entrent. La bataille est finie. Elle a duré une demi-heure. Les officiers font grâce aux quinze survivants, malgré les Canadiens qui aimeraient bien à les taquiner encore un peu, et les emprisonnent dans un vieux bateau de Radisson, la Sainte-Anne, échoué tout près de là. Le gouverneur de la baie d’Hudson, John Bridgar, est arrivé d’Angleterre, avec un navire, à 40 lieues de là, c’est-à-dire au fort Rupert. On va l’attaquer. Cette fois, les assaillants ne sont que soixante, commandés par MM. de Troyes, de Sainte-Hélène et d’Iberville. Sainte-Hélène va à la découverte : le fort est pareil au premier et le vaisseau de Bridgar, mouillé à une lieue au large. Pierre Le Moyne voit une occasion merveilleuse d’entrer véritablement en scène. Avec deux canots montés de sept hommes chacun, il se fait fort d’enlever le bateau. Troyes y consent, commençant à connaître son homme. Il lui permet même de choisir son monde et lui assure qu’un détachement sera sur la rive, prêt à le soutenir. Le commandant décide aussi que Sainte-Hélène attaquera le fort : il sait maintenant ces Le Moyne capables de tout. Lui-même appuiera de ses deux canons et pénétrera dans le fort. Au milieu de la nuit, d’Iberville et son frère de Maricourt s’approchent du navire. Sur le pont, un seul homme de garde, d’ailleurs endormi. « Le reste des gens de ce vaisseau en faisoient autant dans le lit, ne s’attendant nullement à ce réveil matin ». Il était d’usage de frapper du pied sur le pont pour prévenir d’un incident quelconque. Monté doucement, d’Iberville donne ce signal. L’homme de garde se réveille : il l’abat d’un coup de fusil. Au bruit, l’un des autres veut monter sur le pont : d’Iberville lui assène un coup de sabre sur la tête. Ce qui ne l’empêche pas de crier pour donner l’éveil ; Pierre Le Moyne se voit forcé de lui passer l’épée au travers du corps. Les assaillants démolissent le mur de la chambre à coups de hache et y font pleuvoir une grêle de balles. Bridgar et le capitaine Outlaw, commandant d’un navire naufragé l’automne précédent, se précipitent au dehors. Outlaw « saisit M. d’Iberville au collet ; mais comme M. d’Iberville était fort et vigilant, lui fendit la tête d’un coup de sabre ». Les autres demandent quartier, les Français les enferment à fond de cale. Le navire est pris, il n’y a fallu que quelques minutes. Ce fut rapide, foudroyant, mené de main de maître. M. d’Iberville vient de donner un échantillon de sa manière. Mais il ne veut rien perdre de l’aventure. Laissant un poste de garde sur le navire, il se hâte vers la terre. M. de Troyes fait transporter des madriers, un bélier, le canon. Le bélier ne tarde pas à enfoncer la porte, cependant que les hommes tirent par toutes les ouvertures. Un grenadier grimpe à une échelle laissée à l’extérieur par les Anglais négligents. Il lance ses grenades dans une cheminée. « Durant cette exécution mes gens tiraient continuellement et pour rendre la musique meilleure, je voulus y mesler mes deux canons qui, faisant la basse, percèrent à jour la porte de la redoute... Le mineur, d’un autre costé, estoit prest de nous donner un plat de son métier, lorsque les Anglois crièrent carrier ». D’Iberville, suivi de Catalogne (3), se précipite dans le fort, pendant que M. de Troyes parlemente avec le commandant anglais. Une voix plaintive l’attire vers un cabinet dont il ouvre la porte. Il y trouve une Anglaise en chemise, blessée d’un éclat de grenade. La présence des assaillants, « si l’on en juge par son cri piteux, lui fit autant impression que le bruit de la grenade, puisque nous ressemblions à des bandits ». Elle ne cesse de crier « Doctor ! Doctor ! » Galants, émus par le costume de la belle, d’Iberville et son compagnon appellent aussi « M. Docte », qui arrive tout tremblant, demandant grâce. Les jeunes gens, en veine de courtoisie, portent la femme sur un lit, mettent un fauteuil derrière la porte et montent la garde pour empêcher les autres d’entrer. Mon Dieu ! On n’a pas vu de femme depuis si longtemps... La troupe passe quatre jours au fort Rupert, y prenant tout ce qui peut se charger sur le navire de Bridgar. Après quoi, deux charpentiers reçoivent l’ordre de réparer un yak sur lequel les prisonniers repasseront en Angleterre avec les provisions que M. de Troyes leur laisse. Ce dernier démolit le fort, ne gardant que la cuisine et la boutique. M. de Troyes part en canot, avec Bridgar et un petit détachement. Voyage affreux. « Je pâtis tout ce qui se peut ». Sans boussole dans un pays inconnu, le groupe erre longtemps. Manquant de vivres, il en est réduit à se nourrir de persil de Macédoine et de quelques bécasses. La faim rapproche les ennemis : la dernière journée de marche, le commandant français partage avec Bridgar et son valet une poignée de pois et un quartier de bécasse. Enfin, ils arrivent au fort Monsipi, où d’Iberville a amené sa prise, avec Sainte-Hélène et les prisonniers du fort Rupert, peu désireux de passer en Angleterre sur un yak. M. de Troyes en est embarrassé. Il les met dans une île, en face du fort, avec vivres et fusils, et défense de traverser, sauf à deux, en cas de besoin. III Restait un fort anglais, Quichichouan, à l’autre bout de la baie, soit à une trentaine de lieues vers l’ouest. Troyes résolut d’utiliser le bâtiment de Bridgar, l’armant des canons pris aux deux premiers forts et de boulets coulés dans un moule de bois avec du plomb et du mâchefer. Iberville commandait le vaisseau, où prirent place aussi Bridgar, Outlaw et la femme blessée. Il ne voulait pas se priver de cette galante compagnie ! Les autres, en canot, arrivèrent bien avant. Encore une fois, Sainte-Hélène alla en reconnaisance et vit un fort semblable aux premiers, mais mieux défendu. Ses gens étant affaiblis par le manque de nourriture, M. de Troyes voulut parlementer, mais n’obtint aucune satisfaction. Il exigea la libération de Jean Péré. Les Anglais lui répondirent qu’il était passé en Angleterre. Les soldats en étaient encore réduits à manger du persil de Macédoine : ils firent vœu de verser 40 sols chacun pour réparer l’église de Sainte-Anne à Beaupré. D’Iberville arrive avec son bateau. Et nos gens de dresser les canons en batterie. Dès le soir, ils tirent deux coups sur l’appartement où le gouverneur soupe avec sa femme et le pasteur. Émeute et panique dans le fort. Mais les Français n’en savent rien. Le lendemain, jour de la Sainte-Anne, ils envoient 140 volées de canon. Les boulets manquent, ils crient « Vive le Roy » et se disposent à en fabriquer. Les Anglais crient aussi « Vive le roi ». Mais « il nous parut au ton cassé qu’ils estoient cachez dans une cave, ce qu’ils nous ont avoué depuis, et que le cri de Vive le Roy, dont ils nous avoient répondu, estoit pour nous faire connoistre qu’ils se vouloient rendre, n’estant assez hardys pour paroistre et aller oter le pavillon qui paroissoit sur un de leurs bastions ». Surmontant leurs craintes, les assiégés s’emparent du tablier d’une servante dont ils font un drapeau blanc avec lequel ils s’avancent pour parlementer. Troyes demande au gouverneur de venir en personne. Le chevalier est à bout de vivres, ses hommes crèvent encore de faim. Afin de cacher cette pénurie, il fait en sorte que le gouverneur Sargeant n’approche pas trop de son camp. Les deux commandants se rencontrent dans une île. Cérémonieusement, ils boivent à la santé de leurs souverains, grâce au vin de l’Anglais. M. de Troyes a l’effronterie de lui assurer que « s’il vouloit venir au camp, je lui ferois boire de meilleur vin que le sien, quoique je n’eusse sérieusement qu’une chopine d’eau de vie ». Ils convinrent des articles d’une capitulation honorable. Iberville et Sainte-Hélène occupèrent le fort. Le premier y prit les approvisionnements, puis mena les prisonniers à l’île de Charleston où ils attendirent des navires d’Angleterre. Saint-Germain rasa les fortifications de la place, qu’on appela Sainte-Anne et M. de Troyes partit pour Montréal où l’attendait la gloire. Mais il faillit mourir de faim en route. D’Iberville gardait le commandement de la baie, avec Sainte-Hélène et Maricourt comme lieutenants. Son rêve commençait à se réaliser. Il avait connu l’aventure et s’était montré à la hauteur des tâches qui s’offraient. Il avait révélé ses qualités de chef : initiative, promptitude du coup d’œil, énergie dans l’exécution. Avec ses frères, il avait permis d’exécuter une entreprise d’une témérité folle, du reste admirablement dirigée par cet excellent homme de guerre, le chevalier de Troyes. Gaultier de Comporté allait dire de M. d’Iberville qu’il était « militaire comme son épée ». La baie d’Hudson devenait son affaire. Pendant onze ans, il allait lutter pour en assurer la possession à la France. Il y passa cet hiver-là. Dans la nuit presque continuelle de la dure saison, quand revenait à l’esprit de Pierre Le Moyne la pensée de La Salle, il ne l’enviait plus. Il avait aussi son domaine : tandis que l’autre établirait la France au sud, lui la consoliderait au nord. Les deux hommes qui partageaient le grand secret, travaillant ainsi aux deux extrémités du continent, réussiraient à fonder leur empire. Et Pierre pensait à la petite Geneviève qu’il reverrait bientôt, avec l’enfant, né maintenant... |
La Sélection naturelle/02 | Alfred Russel Wallace La Sélection naturelle Traduction par Lucien de Candolle. C. Reinwald & Cie, libraires-éditeurs, 1872 (p. v-xiii). ◄ Avant-propos du traducteur Préface de la deuxième édition ► Préface de la première édition bookLa Sélection naturelleAlfred Russel WallaceLucien de CandolleC. Reinwald & Cie, libraires-éditeurs1872ParisVPréface de la première éditionWallace - La sélection naturelle, essais, 1872.djvuWallace - La sélection naturelle, essais, 1872.djvu/3v-xiii Ce volume se compose de différents travaux qui ont paru dans des journaux périodiques, qui ont été communiqués à des sociétés scientifiques dans les quinze dernières années, joints à quelques autres qui sont publiés ici pour la première fois. Je réimprime les deux premiers sans altération, parce qu’ils me semblent avoir une valeur historique, puisque je leur dois d’être considéré comme un promoteur indépendant de la théorie de la sélection naturelle. J’ai seulement ajouté quelques très-courtes notes explicatives, et donné des titres aux paragraphes, pour les mettre en harmonie avec le reste du volume. Les autres Essais ont été soigneusement corrigés, souvent considérablement augmentés, et dans quelques cas écrits de nouveau presque en entier, de manière à exprimer plus clairement et plus fidèlement mes opinions actuelles ; et comme la plupart d’entre eux ont paru dans des publications dont la circulation est très-limitée, je crois que la plus grande partie de ce volume sera nouvelle pour beaucoup de mes amis et pour la majorité de mes lecteurs. Je désire exposer en quelques mots les raisons qui m’ont décidé à publier cet ouvrage. Le second Essai, surtout quand on le rattache au premier, contient une esquisse rapide de la théorie de l’origine des espèces (par le moyen de ce que M. Darwin a depuis lors appelé la sélection naturelle), telle que je l’ai conçue, avant d’avoir la moindre notion du but et de la nature des travaux de M. Darwin. Le mode de leur publication n’était pas de nature à attirer l’attention, si ce n’est celle des naturalistes sérieux, et je suis convaincu que bien des gens qui en ont entendu parler, n’ont jamais eu l’occasion de constater leur valeur réelle. Il arrive en conséquence, que, tandis que quelques écrivains m’attribuent plus de mérite que je n’en ai, d’autres peuvent très-naturellement me classer avec le Dr Wells et M. Patrick Matthew, qui, comme M. Darwin l’a montré dans l’esquisse historique ajoutée à la quatrième et à la cinquième édition de l’Origine des espèces, ont certainement posé avant lui le principe fondamental de la sélection naturelle, mais n’en ont fait aucun usage subséquent, et n’en ont pas vu les vastes et importantes applications. J’ose espérer que le présent ouvrage prouvera que j’ai compris dès l’origine la valeur et la portée de la loi que j’avais découverte, et que j’ai pu, depuis, l’appliquer avec fruit à quelques recherches originales. Mais ici s’arrêtent mes droits. J’ai ressenti toute ma vie, et je ressens encore la plus vive satisfaction, de ce que M. Darwin a été à l’œuvre longtemps avant moi, et de ce que la tâche difficile d’écrire l’Origine des espèces ne m’a pas été laissée. J’ai depuis longtemps fait l’épreuve de mes forces, et je sais qu’elles n’y auraient pas suffi. Je sens bien que, comme beaucoup d’hommes dont je reconnais la supériorité, je n’ai pas cette patience infatigable pour accumuler d’immenses quantités des faits les plus divers, cet admirable talent pour en tirer parti, ces connaissances physiologiques exactes et étendues, cette finesse pour inventer les expériences et l’adresse pour les mener à bien, et ce style admirable, à la fois clair, persuasif et précis, qui font de M. Darwin l’homme de notre époque qui est peut-être le plus propre à la grande œuvre qu’il a entreprise et accomplie. Mes forces m’ont, il est vrai, permis de m’emparer çà et là de quelque groupe important de faits encore inexpliqués, et de chercher, par un raisonnement général, à les rattacher à quelque loi connue, mais je ne me sens pas propre au travail plus laborieux et plus scientifique d’inductions détaillées, qui a, entre les mains de M. Darwin, produit de si brillants résultats. Un autre motif m’a engagé à ne pas retarder cette publication : il est quelques points importants sur lesquels mes opinions diffèrent de celles de M. Darwin, et je désire les enregistrer sous une forme accessible au public, avant l’apparition du nouvel ouvrage qu’il a annoncé, et dans lequel il discute je crois, en détail, la plupart des questions en litige. Je donne ci-dessous la date et le mode de publication de chacun des Essais contenus dans ce volume, en indiquant le degré de correction qu’ils ont subi. 1er Essai. — De la loi qui a régi l’introduction de nouvelles espèces. Publié d’abord dans les « Annals and magazine of natural History, » Septembre 1855. Réimprimé sans altération du texte. II. — De la tendance des variétés à s’écarter indéfiniment du type primitif. Publié d’abord dans le « Journal of the Proceedings of the Linnean Society, » août 1858. Réimprimé sans altération du texte, sauf une ou deux corrections grammaticales. III. — La mimique et les autres ressemblances protectrices des animaux. Publié d’abord dans le « Westminster Review, » juillet 1867. Réimprimé avec quelques corrections et des additions importantes, entre autres les observations et les expériences de M. Jenner Weir sur les couleurs des chenilles mangées ou rejetées par les oiseaux. IV. — Les Papillonides des îles malaises, preuves qu’ils apportent à la théorie de la sélection naturelle. Publié d’abord dans les « Transactions of the Linnean Society, » volume xxv (lu en mars 1861), « sous ce titre : Des phénomènes de la variation et de la distribution géographique, étudiés chez les Papillonides de la région malaise. » On a omis, dans la réimpression de l’introduction de l’Essai des tables, des renvois à des planches, etc. Il y a été fait plusieurs additions et corrections. Dans l’intervalle entre la lecture de mon travail et sa publication le docteur Felder ayant fait paraître son « Voyage de la Novara » (Lépidoptères), j’ai dû changer les noms que j’avais donnés à plusieurs de mes espèces nouvelles, et cela expliquera la différence entre quelques-uns des noms employés dans ce volume et ceux de l’essai original. V. — De l’instinct chez l’homme et chez les animaux. Encore inédit. VI. — Philosophie des nids d’oiseaux. Publié d’abord dans le journal « Intellectual Observer » juillet 1867. Réimprimé avec des additions et des corrections considérables. VII. — Théorie des nids d’oiseaux montrant la relation de certaines différences de couleur chez les femelles avec le mode de nidification. Publié d’abord dans le Journal of Travel and natural History (no 2), 1868. Réimprimé avec des corrections et des additions considérables, dans lesquelles j’ai cherché à expliquer ma pensée et à rendre plus claires les parties que mes critiques n’avaient pas bien comprises. VIII. — Création par loi. « Publié d’abord dans le « Quarterly journal of science », octobre 1867. Réimprimé avec quelques changements et additions. IX. — Le développement des races humaines d’après la loi de la sélection naturelle. Publié d’abord dans l’« Anthropological Review, » mai 1864. Réimprimé avec quelques additions et modifications importantes. J’avais eu l’intention d’augmenter considérablement cet Essai ; mais, en me mettant à l’œuvre, je me suis aperçu que je risquais d’affaiblir l’effet de mes arguments sans ajouter à leur force. J’ai donc préféré le laisser tel quel, sauf quelques passages, écrits trop à la hâte, et qui ne rendaient pas tout à fait ma pensée. Je crois que, sous sa forme actuelle, ce travail contient l’énoncé d’une vérité importante. X — Des limites de la sélection naturelle appliquée à l’homme. Cet Essai est le développement de quelques lignes qui terminaient un article sur les « temps géologiques et l’origine des espèces », publié dans le « Quarterly Review », en avril 1869. Je me suis hasardé à toucher à une catégorie de problèmes, qu’on regarde en général comme dépassant les limites du domaine de la science, mais qui y rentreront, je crois, un jour. J’ajoute, pour la commodité des personnes qui connaissent la forme originale de ces Essais, quelques indications des changements et des principales additions qui y ont été faites. Le premier et le second n’ont pas subi de changements : des notes seulement ont été ajoutées aux pages. IIIe Essai. Londres, mars 1870 |
Déclaration universelle des Droits de l’Homme | DP-ONU Déclaration universelle des Droits de l’Homme Adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948 Sommaire: Préambule | Article premier | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 | 22 | 23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 A DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L’HOMME Préambule Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde, Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme, Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression, Considérant qu’il est essentiel d’encourager le développement de relations amicales entre nations, Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, et qu’ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande, Considérant que les États Membres se sont engagés à assurer, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies, le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Considérant qu’une conception commune de ces droits et libertés est de la plus haute importance pour remplir pleinement cet engagement, L’Assemblée Générale Proclame la présente Déclaration Universelle des Droits de l’Homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les populations des États Membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction. Article premier Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Article 2 Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté. Article 3 Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. Article 4 Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. Article 5 Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Article 6 Chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Article 7 Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination. Article 8 Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi. Article 9 Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ni exilé. Article 10 Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Article 11 1. Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. 2. Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’acte délictueux a été commis. Article 12 Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. Article 13 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Article 14 1. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. 2. Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Article 15 1. Tout individu a droit à une nationalité. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité. Article 16 1. À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. 2. Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux. 3. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État. Article 17 1. Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété. Article 18 Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. Article 19 Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. Article 20 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques. 2. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association. Article 21 1. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis. 2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. 3. La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote. Article 22 Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays. Article 23 1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. 2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal. 3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale. 4. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. Article 24 Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques. Article 25 1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. 2. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales. Tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale. Article 26 1. Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. 2. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. 3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. Article 27 1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. 2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. Article 28 Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet. Article 29 1. L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seule le libre et plein développement de sa personnalité est possible. 2. Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique. 3. Ces droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercer contrairement aux buts et aux principes des Nations Unies. Article 30 Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés. Cent-quatre-vingt-troisième séance pléniere. le 10 décembre 1948. |
La France socialiste/XI | Gabriel Terrail La France socialiste F. Fetscherin et Chuit, 1886 (p. 108-121). ◄ Le Programme du parti ouvrier — Intervention de Karl Marx dans le mouvement socialiste français Déchirement du parti ouvrier ► MM. Paul Brousse et Jules Guesde bookLa France socialisteGabriel TerrailF. Fetscherin et Chuit1886ParisCMM. Paul Brousse et Jules GuesdeTerrail - La France socialiste.djvuTerrail - La France socialiste.djvu/9108-121 Nous avons vu M. Jules Guesde prendre, en quatre années, une place prépondérante dans le parti ouvrier français. En 1876 et 1877, il vient enseigner le socialisme aux ouvriers et aux jeunes bourgeois révolutionnaires du quartier Latin. En 1878, il trouve des ouvriers pour faire une brutale proposition collectiviste au Congrès coopératiste et conservateur de Lyon. Dans la même année il prononce, devant la dixième chambre, le manifeste du parti ouvrier. En 1879, les idées qu’il propageait depuis deux ans et demi sont adoptées officiellement au Congrès de Marseille par les délégués de la classe ouvrière. En 1880, c’est un programme rédigé par lui, présenté par lui, qui est adopté comme programme officiel. En 1880, le parti ouvrier, c’était M. Jules Guesde. Il l’eût mené où il aurait voulu. Il en était le théoricien, l’orateur, le polémiste, le fondateur. L’année suivante il s’y trouva en minorité. Comme Karl Marx s’était heurté à Bakounine dans l’Internationale, M. Jules Guesde se heurta, dans le parti ouvrier, à M, Pau. Brousse. M. Paul Brousse et M. Jules Guesde se connaissaient depuis longtemps. M. Brousse, né à Montpellier, l’avait fréquenté dans les bureaux des Droits de l’Homme, en 1870 et 1871, pendant que M. Guesde en était le rédacteur en chef. Il avait même contribué aux frais de ce journal. En ce temps, c’était un étudiant frondeur, républicain radical, ami du peuple, ambitieux comme on l’est à cet âge : Il faisait des conférences dans les faubourgs ; Enfin il se remuait. En 1871 ou 1872, M. Brousse fut condamné, pour un petit délit de presse, à trois mois de prison. Avant qu’on l’incarcérât, il s’enfuit en Espagne. Là il tomba dans les sections anarchistes de l’Internationale alliées à Bakounine. Il prit, dans ce milieu, son premier bain révolutionnaire complet. D’Espagne il vint en Suisse, où il rencontra Bakounine. L’ambitieux ennemi de Karl Marx enrôla sous sa bannière le jeune étudiant de Montpellier. À partir de ce moment, MM. Brousse et Guesde cessèrent de se voir et même de correspondre, chacun tirant de son côté : M. Brousse s’enfonçant de plus en plus dans l’anarchisme, rédigeant des brochures et des journaux anarchistes, créant des sections anarchistes en Italie ; M. Guesde, au contraire, restant fidèle à ses idées et à son tempérament autoritaire. Quand l’Égalité parut à Paris et commença sa campagne collectiviste, M. Brousse en attaqua vivement les fondateurs dans une petite feuille révolutionnaire suisse : l’Avant-Garde. Il les accusa d’ambition personnelle, et leur reprocha d’être seulement des chercheurs de candidature. Quelques mois plus tôt, au Congrès international de Gand, M. Paul Brousse s’était prononcé contre le collectivisme avec violence. En 1879, il fut condamné, en Suisse, à quelques mois de prison pour excitation au régicide. Au sujet de cette condamnation, M. Jules Guesde publia dans le Citoyen, où il écrivait alors, une note élogieuse pour son ancien ami. Une réconciliation s’ensuivit. Elle fut d’autant plus facile que M. Brousse avait renoncé à ses idées anarchistes. Après sa condamnation il s’était rendu à Londres, où il avait été accueilli par Karl Marx. Il avait pris part aux entretiens, par correspondance, où fut préparé, au commencement de 1880, le programme officiel du parti ouvrier. Quand M. Guesde vint conférer avec Marx pour terminer ce programme, M. Brousse fut écarté de leurs conférences. Il dut en être gravement offensé. Cependant les relations continuèrent à être excellentes entre les deux anciens amis. M. Brousse, en juillet 1880, entra à l’Égalité en même temps qu’au Prolétaire. Il engagea un peu d’argent dans l’entreprise de ce dernier journal. Sa position fortunée dans un parti où il n’y a guère que des pauvres, sa longue proscription volontaire, sa liaison avec tous les chefs révolutionnaires étrangers qu’il avait connus et dont il parlait avec un ton d’égalité, donnèrent à M. Paul Brousse une certaine importance dans les groupes ouvriers. Il reconnut bien vite que M. Guesde, justement à cause de la domination qu’il exerçait sur le parti, y avait excité contre lui des jalousies et des défiances. M. Brousse attisa adroitement ce feu. Il irrita les jeunes bourgeois ralliés à la révolution contre l’homme qui se croyait leur chef, qui prétendait penser pour eux et seulement les faire agir, qui les réduisait au rôle de lieutenants sous ses ordres. L’ancien bakouninien reparaissait en M. Brousse, qui soutenait que chacun devait être libre de se mouvoir dans la révolution et qu’une forte direction y était inutile. Toute cette propagande antiguesdiste se faisait en silence, avec une très grande habileté. M. Brousse minait son adversaire et ne l’attaquait pas. Il rendait hommage à son talent, mais « parmi ceux qu’il voulait tenir sous lui, il y avait d’autres hommes qui, peut-être, le valaient bien », etc... Les guesdistes ne connurent pas, jusqu’à la fin de 1880, la campagne menée contre leur chef par M. Brousse ni les germes de division semés dans le parti par l’ancien anarchiste. C’est au commencement de 1881 qu’ils découvrirent le danger. Déjà il était grand, d’autant plus grand que M. Jules Guesde, par son intransigeance, avait froissé d’anciens amis à lui et préparé à M. Brousse des alliés. Au mois d’octobre 1880, parut, à Lyon, un journal quotidien, l’Émancipation sociale, organe du parti ouvrier. Il vécut à peine deux mois. M. Guesde s’y trouva le collaborateur de M. Benoît Malon, qu’il avait connu en Suisse et qui avait été son collaborateur à l’Égalité. M. Benoît Malon est un homme fort instruit, sincère en ses opinions, ami de la liberté, tolérant, conciliant même. Personne n’est moins intransigeant que lui. À l’Émancipation, il aurait fait une campagne collectiviste, mais il eût aussi gardé certains ménagements, sinon pour les ennemis déclarés, au moins pour les « douteux », pour ceux dont on pouvait espérer la conversion. M. Guesde se fit dans les bureaux du journal le chien de garde de la pure doctrine absolue. Sous son influence, contre l’humeur de M. Benoît Malon, l’Émancipation fut un journal violent, agressif, intransigeant. M. Benoît Malon se trouva offensé de s’être laissé dominer par un homme plus jeune que lui. Quand il revint à Paris, il était mal disposé contre M. Guesde. II arriva au milieu de l’intrigue de M. Brousse et, involontairement peut-être, il s’y mêla, reprochant à M. J. Guesde son « autoritarisme » Le bruit que M. Guesde aspirait à la dictature commença à courir dans les groupes et dans les cercles d’études sociales. On prit de la défiance contre l’accusé. Les anciens meneurs coopératistes, qui s’étaient à contre-cœur ralliés au collectivisme, mais qui tenaient rancune à M. Jules Guesde de leur avoir pris leur troupe et qui étaient heureux d’avoir leur revanche, se joignirent à ses adversaires. Bientôt tout le terrain fut miné sous ses pieds. Il ne garda que quelques amis, ceux de la première heure, que l’intrigue des autres ne put pas lui enlever. Les rédacteurs de l’Émancipation de Lyon, en publiant leur journal, avaient pris l’engagement collectif de n’être pas candidats aux prochaines élections. Fondée en octobre, l’Émancipation tomba en décembre 1880. Or, au mois d’août 1881, M. Jules Guesde accepta d’être candidat à Roubaix. Ce fut le signal de la guerre. Les envies, les rancunes firent explosion. Le Prolétaire dénonça M. Guesde comme infidèle à sa parole d’honneur. Celui-ci répondit qu’il avait été délié de l’engagement le jour où l’Émancipation avait cessé de paraître ; que, d’ailleurs, « il appartenait au parti » et qu’il n’avait pas pu « se refuser » aux révolutionnaires de Roubaix. De part et d’autre la bonne foi ou la mauvaise foi était égale. M. Guesde demeura candidat et ne fut pas élu. L’hostilité du Prolétaire ne lui retira pas sans doute une seule voix. Ce qui est important dans cette escarmouche, c’est qu’elle marque le commencement des hostilités directes entre M. Brousse et M. Guesde dans le parti ouvrier. Jusqu’à la fin de l’année 1881, les deux partis s’observèrent. Ils eurent un engagement sérieux au Congrès de Reims. Mais la paix apparente survécut encore à ce Congrès. Au Congrès national de Reims (octobre-novembre 1881), quarante-quatre délégués représentaient environ cent cinquante Chambres syndicales. MM. Malon et Brousse proposèrent l’institution d’un comité national siégeant à Paris. La manœuvre était habile. À l’autorité morale de M. Guesde, à laquelle le parti avait été soumis depuis sa fondation, elle substituait une autorité régulière, constituée, où tous les ambitieux pourraient avoir leur part. Par trente-six voix contre cinq, deux abstentions et un bulletin nul, le Comité national fut institué. Ce vote mettait fin à la suprématie de M. Jules Guesde. D’un dictateur moral qu’il avait été jusqu’alors, elle en taisait un simple membre du Comité dont les propositions devraient être soumises à une majorité composée de ses ennemis. Il aurait été sage de se borner à ligotter ainsi M. Guesde, à arracher le parti à son arbitraire puisqu’on avait peur de lui. Maïs M. Brousse, qui n’avait pas été admis à discuter le programme avec Karl Marx et M. Guesde, à Londres, en mai 1880, avait une répugnance personnelle pour ce programme. Il voulait y toucher, y introduire des changements pour qu’il ne fût pas l’œuvre de son adversaire seul. Depuis qu’il avait entrepris de précipiter M. Guesde de la première place, M. Brousse n’avait pas manqué de se faire contre lui une arme de l’absolutisme du programme du Havre. Il avait, flattant les goûts d’indépendance de chacun, soutenu qu’il serait plus rationnel de laisser les groupes d’une même localité s’entendre entre eux pour présenter les idées du programme sous la forme la plus propre a rallier au parti les indécis. Les élections de 1881 fournirent au Congrès de Reims un argument à M. Brousse, Au 21 août, le programme du parti n’avait pas rallié dans toute la France 60.000 voix. Les adversaires de M. Guesde pouvaient dire à bon droit : « Le programme est mauvais puisque, au lieu de nous donner des électeurs, il nous en fait perdre. » C’est ce qu’ils dirent quand ils proposèrent « l’élargissement du programme ». M Guesde se démena en vain pour défendre son œuvre et celle de Marx. Il y avait contre lui dans le Congrès d’invincibles préventions. Ou le vit bien quand il demanda au moins que le programme du Havre fût maintenu jusqu’au prochain Congrès national et, qu’en attendant, les Fédérations régionales fussent consultées sur les changements à y introduire. Cette proposition fut repoussée à l’unanimité moins quatre voix. Mais MM. Brousse, Malon, Joffrin, etc. l’ayant représentée, elle fut votée à l’unanimité. Il semble donc qu’il y ait eu au Congres de Reims un mot d’ordre de ne rien accepter qui émanât de l’initiative de M. Guesde. C’était la revanche des asservis contre celui qui les avait menés ; M. Guesde, marxiste, tombant dans le parti ouvrier sous l’effort sourd et continu de M. Brousse, bakouninien, c’est le recommencement de l’histoire de l’Internationale. Mêmes accusations de dictature d’une part ; de l’autre, même ambition dissimulée sous des prétextes libéraux, mêmes doctrines en présence. Autres hommes seulement et rôles renversés : le marxiste Guesde ardent comme était Bakounine ; le bakouninien Brousse politique, calculateur, comme avait été Karl Marx. 1877-1878. Août 1877. L’Égalité disparut pour se fondre dans le nouveau journal Au nombre de ces amis fidèles à M. Guesde, il faut compter tout d’abord M. Gabriel Deville. M. Deville est, dans le socialisme français, une intéressante figure. C’est un tout jeune homme, dont la famille est riche, dont l’éducation a été excellente, et qui, non par entraînement sentimental, mais par réflexion, est devenu révolutionnaire. M. Deville possède mieux que personne la doctrine des maîtres socialistes. Il est en France, avec M. Guesde, M. Lafargue, M. Malon, un des meilleurs vulgarisateurs de cette doctrine. Voici le texte de la résolution d’où sortit le Comité national : « Art. 1er. — Pour servir de lien entre les régions fédérales ouvrières, dont l’ensemble forme le parti ouvrier ou des travailleurs, un Comité national sera formé par les intéressés. « Son siège provisoire sera à Paris et pourra toujours être changé par les adhérents. « Art. 2. — Le mandat de ce Comité est fixé comme suit : « a. Exécution des décisions prises par les Congrès nationaux ; « b. Communications de tous genres ; correspondance, dans le parti, avec les Fédérations régionales ouvrières ; hors du parti, avec tous les groupes socialistes, nationaux ou étrangers, constitués en vue de l’abolition du salariat ; « c. Statistique générale du parti. « Art. 3. — Le Comité rendra compte de son mandat à la tenue de chaque Congrès national. « Art. 4. — Le Comité est formé à raison de cinq délégués choisis et toujours révocables, par chaque région fédérale ouvrière. « Un délégué ne pourra représenter qu’une seule Fédération. « La durée du mandat de chaque délégué est fixée a un an. « En cas de contestation sur un mandat par une Fédération, les Fédérations seront consultées et décideront. « Art. 5. — Chaque Fédération régionale ouvrière reste toujours autonome pour ses affaires privées et les moyens d’action locaux. « Les décisions d’intérêt général sont soumises à chaque Fédération ouvrière. « Art. 6. — Le Comité ne pourra entraver sous aucune forme les rapports des Fédérations et des groupes entre eux. » |
Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/639 |
{{c|{{espacé|0.2em|{{t|'''EN DANEMARK'''|110}}}}}}
{{c|{{sc|par ''M. CHARLES BERCHON''}}}}
|section = I.
|titre = Copenhague. — La ville. — Physionomie de la rue. — Magasins. — Vieux quartiers. — Existence dans un intérieur. — Le port. — Cérémonies religieuses. — Marchés. — Monuments. — Promenades. — Faubourgs. — Industries.
|section = II.
|titre = Copenhague. — La vie. — Théâtres. — Auteurs et Artistes. — La vie mondaine. — Tivoli. — Attractions diverses. — Sports. — Le Home Danois. — Proverbes et superstitions. — Réception de l’étranger. — Le féminisme. — Un institut modèle. — Fêtes de journalistes. — Fête nationale. — Une princesse populaire.
|page = {{pli|158|5}}}}
|titre = La guerre de 1864. — Les Duchés. — L’énergie des Danois à se défendre ; leur solidarité. — L’instruction ; les Musées. — Les châteaux royaux. — La nécropole. — Le Sund et sa rive.
|section = IV.
|titre = — Encore les environs de Copenhague : le Dyrehave, lacs de Fur et de Farum, Elseneur, l’île de Seeland, îles de Moën, Falster, Laaland et Bornholm.
|section = V.
|titre = Départ de Copenhague. — Les ferry-boats. — Le Grand-Belt. — Île de Fionie. — Le Petit-Belt.
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|titre = Le Jutland.
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{{c|{{sc|par ''M. le Docteur A. VIGERIE''}}}}
|section = I.
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|section = IV.
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|section = V.
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{{c|{{sc|par [[Auteur:Gustave Geffroy|''M. GUSTAVE GEFFROY'']]}}}}
|section = I.
|titre = [[Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/01|'''Le pays de Rennes'''.]] — Vitré. — Le château. — Le fouillis du musée. — Le faubourg du Rachapt. — Les tricoteuses. — Les vieilles maisons. — Notre-Dame. — Une femme de Barbe-Bleue. — Le château des Rochers. — {{Mme}} de Sévigné est toujours là. — La chambre de la marquise. — Le jardin de la marquise. — Soucis d’argent. — Économie et faste. — La société des Rochers. — Le Bien-Bon. — {{Mme}} de Kerlouche. — Les lectures. — Fougères. — Les remparts et les vieilles maisons. — Les ruelles. — Le rôti du dimanche. — Saint-Sulpice. — Le château. — Le verger dans la ruine. — La vue sur la forêt. — La forêt de Fougères.
|section = I.
|titre = [[Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/02|'''Le pays de Rennes''' (''suite'').]] — Antrain. — La route de Combourg. — Combourg. — Les « sensures ». — Le château de Combourg. — L’enfance de Chateaubriand. — Sa chambre. — Le marché aux cochons. — L’étang. — L’hôtesse-cuisinière et l’hôtelier-ébéniste. — Rennes. — Impression de Versailles. — Le grand incendie de 1720. — La ville reconstruite. — Les monuments et les maisons historiques. — Les églises. — La vie ouvrière d’autrefois. — La forêt.
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|section = II.
|titre = [[Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/03|'''Le pays de Dol et de Saint-Malo'''.]] — Le Marais. — Le Mont-Dol. — La Grand’rue de Dol. — La Cathédrale.
|page = {{pli|238|5}}}}
|section = <includeonly>II.</includeonly>{{caché|II.}}
|titre = <includeonly>[[Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/04|'''Le pays de Dol et de Saint-Malo''' (''suite'').]] — </includeonly>La Grand’Rue de Dol. — Cancale. — Les vraies Cancalaises. — La vie de l’huître. — Paramé. — Saint-Malo. — La grande marée. — Vaisseau de granit monté par des corsaires. — Le tombeau de Chateaubriand. — Le génie de l’écrivain. — Saint-Servan. — Dinard. — Saint-Énogat. — Saint-Lunaire. — Saint-Briac. — La Rance. — Dinan. — La rue du Jerzual. — Le cœur de Du Guesclin. — La mariée de Saint-Léhon. — Plancoët. — Lamennais à la Chênaie.
|titre = [[Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/05|'''Le pays de Saint-Brieuc'''.]] — Le cap Fréhel. — Le fort de la Latte. — Broons. — Les premières batailles de Du Guesclin. — Lamballe. — Notre-Dame. — Saint-Martin. — L’électricité chez les Ursulines. — Le haras. — Le tisserand. — Une barrique d’eau-de-vie par semaine. — Yffiniac. — Bons gâteaux et mauvais chevaux. — Saint-Brieuc. — Histoires d’autrefois. — La Cathédrale. — Les grenouilles. — La tour de Cesson. — Binic. — Portrieux. — La pêche aux îles. — Saint-Quay. — La Ville Mario. — Décor de villégiature. — Le Pays de la Belle au Bois dormant.
|page = {{pli|253|5}}}}
|titre = [[Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/06|'''Le pays de Saint-Brieuc''' (''suite'').]] — Le temple de Lanleff. — Le bal des centenaires. — Plouha. — On commence à parler breton. — Bréhec. — La chapelle de Kermaria. — La Danse des morts. — Pontrieux. — Paimpol. — Pêcheurs d’Islande. — La morue et la baleine. — L’île Bréhat.
|section = IV.
|titre = [[Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/07|'''Le pays de Tréguier'''.]] — Guingamp. — Vieilles coutumes. — L’église et la fontaine. — Le château de Carnabat. — Châtelaudren. — L’inondation de 1773. — Tréguier. — Le cloître et la cathédrale. — La maison de Renan. — Le génie et le rôle de Renan. — Lannion. — Perros-Guirec. — Rosmapamon. — La Clarté.
|page = {{pli|270|5}}}}
|section = IV.
|titre = [[Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/08|'''Le pays de Tréguier''' (''suite'').]] — Ploumanach. — La féerie de la pierre. — Les Sept Îles. — Trégastel. — Saint-Michel. — La lieue de grève. — La ville d’Is. — La chapelle de Saint-Efflam. — Le Trou du serpent. — Plestin. — Bon ménage de deux saints. — Locquirec. — Lanmeur. — La vie silencieuse d’aujourd’hui.
— Tueries d’autrefois. — Promesse d’inondation. — Saint-Jean-du-Doigt. — L’église, son trésor et sa fontaine. — Les feux de la Saint-Jean. — Le pardon. — La cour des miracles. — La danse de Salomé. — Plougasnou. — L’oratoire. — École et bibliothèque de bourg. — La messe de minuit.
|section = V.
|titre = [[Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/09|'''Le pays de Léon'''.]] — Le château du Taureau. — La Chalotais, les derniers Montagnards, Blanqui. — Morlaix. — Le viaduc. — L’histoire. — La maison de la duchesse Anne.
|page = {{pli|286|5}}}}
|section = V.
|titre = [[Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/10|'''Le pays de Léon''' (''suite'').]] — Les cigarières de Morlaix. — Foires et marchés. — Ce qui reste des Lances. — La Grand’ Rue et les marchands de drap. — Saint-Melaine, Saint-Mathieu et Saint-Martin. — Le Musée. — Théâtre breton. — Soirées de Morlaix. — Les environs. — Saint-Pol-de-Léon vu de la Mer. — La « Ville Sainte ». — Les clochers. — La vie en dedans. — Les batailles en 875 à 1793. — Les fêtes. — La cathédrale. — Le jaillissement du Creisker. — Le « chef » de M. Untel.
— Roscoff. — Le gulf-stream, peut-être. — Asperges, choux-fleurs, artichauts, oignons, ails, échalotes, pommes de terre, figuiers. — Le port. — Marie Stuart. — L’église. — Le laboratoire de zoologie. — L’île de Batz. — La bouse combustible. — L’étole de saint Pol. — Saint-Thégonnec, l’arc de triomphe et l’ossuaire. — Guimiliau, l’église et le calvaire. — Les costumes du Léon. — Lampaul.
|section = V.
|titre = [[Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/11|'''Le pays de Léon''' (''suite'').]] — Landivisiau. — Les tanneries. — Landerneau. — La lune de Landerneau. — Il y aura du bruit dans Landerneau. — Le pont et ses maisons. — Le carême à Landerneau. — Saint-Houardon et Saint-Thomas. — Le porc, le renard et les poules. — Lesneven. — Le Flô et Sarcey. — Le Folgoët. — Salaün, le fou du bois. — L’église, le jubé, la Vierge de la fontaine. — Les roches de Brignogan. — De Brignogan à l’Abervrac’h en bateau. — Le pays des naufrageurs. — Les ramasseurs de goëmon. — Ploudalmezeau. — Porsal. — La dune et la plage. — Kersaint. — La pointe de Landunvez.{{corr|| —}} Les moutons de Panurge. — Jonction de la Manche et de l’Océan. — Porspoder dans le goëmon. — Lanrivoaré. — Le vieux cimetière chrétien. — Saint-Renan. — Saint religieux et saint laïque. — Brest. — La promenade du dimanche. — Le port marchand. — Le port militaire. — Histoire. — L’ancien bagne. {{corr||— }}Le château. — La légende d’Azénor. — La rade. — Les bateaux-écoles. — Une église et quatre statue. — Le jardin des plantes. — L’activité locale. — Le Conquet. — La pointe Saint-Mathieu. — ''Le Vengeur''. — La traversée d’Ouessant. — Ouessant.
|page = {{pli|301|5}}}}
<references/> |
Mercure de France - 1816 - Tome 68.djvu/117 | elle une extrême agitation. Franck tâche de paraître gai,
et ne l’est véritablement point. On se résout cependant
à faire le lendemain une visite au paysage de Box-Hill.
Tout se réunissait pour rendre cette partie très-agréable...
En arrivant on s’extasia sur la beauté du lieu, mais la
journée ne tint point ce qu’elle avait annoncée ; on remarquait
''une langueur, un défaut d’union qu’il fut impossible de vaincre''. Franck, d’abord taciturne et maussade, se fit ensuite une étude d’amuser Emma exclusivement ; elle s’y prêtait, et tout le monde l’accusa
d’être coquette. Knightley marque son mécontentement ;
une espèce de discussion et de mésintelligence paraît s’élever
entre Fairfax et Franck ; Emma devient satirique ;
l’humeur gagne, chacun remonte dans sa voiture,
mécontent, ennuyé, ce qui arrive assez souvent dans
ces parties préméditées, dont on a dit, plusieurs jours
d’avance : ''Comme nous nous y amuserons bien''. En
effet la gaîté fuit tout empire, et craint les apprêts. Le
retour fut triste pour Emma, car au moment où elle
remontait dans sa voiture, le véridique Knightley lui
retraça fortement tous les torts qu’elle avait eus pendant
la journée.
C’est sur-tout contre la bonne {{Mlle|Bates}} qu’elle avait
montré son esprit mordant ; elle se résout donc à réparer
sa faute dès le lendemain, en lui faisant une visite. Les
travers d’Emma n’attaquent pas son cœur ; mais dans
le cours ordinaire de la société, il est plus souvent nécessaire
d’avoir un bon esprit qu’un bon cœur. Elle effectue
son projet ; Emma trouve Fairfax malade et {{Mlle|Bates}}
triste, car sa nièce cédant tout à coup aux importunités
de la protection de {{Mme|Elton}}, s’est résolue à accepter
une place d’institutrice qu’elle lui avait procurée, et doit
partir sans délai.
{{Mlle|Woodhouse}}, en rentrant à Hartfield, voit {{M.|Knigthley}}, dont elle reçoit un accueil très-affectueux, car il sent qu’elle a profité de ses avis, et que sa visite à {{Mme|Bates}} est une espèce d’excuse de la conduite de la
veille ; il lui apprend qu’il part à l’instant pour Londres,
et prenant Emma par la main, il se sépare d’elle avec
une rapidité plus grande que celle qu’il met ordinaire-
<references/> |
Mercure de France - 1816 - Tome 68.djvu/120 | ''vent habités ensemble''. {{M.|Weston}}, en quittant Emma,
lui avait recommandé le secret ; il n’use pas pour lui-même
de cette précaution si souvent employée, et presque
toujours inutile. Aussi bientôt Highbury en sait
autant qu’Emma elle-même ; celle-ci voit paraître Henriette
qui accourt pour lui apprendre l’étrange nouvelle
qu’il a lui-même contée à cette jeune personne, et toujours
sous le secret. Quel est l’étonnement d’Emma en
n’apercevant aucun trouble, pas la moindre apparence
de chagrin dans son amie ? ''Auriez-vous jamais imaginé'',
lui dit celle-ci, ''qu’il pût être amoureux de Fairfax, c’est cependant possible, car vous lisez dans le cœur de tout le monde''. Ce compliment ne paraît pas très-bien placé dans le moment, car Emma se disait
qu’elle ne conçoit rien à tout ce qu’elle entend. Il en résulte
une très-longue explication à laquelle je renvoie,
et d’où il résulte que Knightley, et non pas Franck, est
le héros d’Henriette, que le grand service rendu par le
premier, et qu’elle trouve bien supérieur à celui d’avoir
été protégée contre les Bohémiens par Franck, c’est
qu’on l’eut fait danser ; ce trait est caractéristique. Nos
Françaises n’en doivent pas murmurer ; la scène est en
Angleterre.
Nous ne suivrons pas Emma dans ses longues et douloureuses
réflexions. Le mariage d’Henriette avec Knightley
{{Corr|enlévera|enlèvera}} Donwell à Henri, son neveu. Il est bien
naturel qu’elle lui porte un vif intérêt. ''Oh ! si elle n’eut jamais entrepris de former Henriette... N’avait-elle pas fait l’énorme folie de s’opposer à son mariage avec Martin''... et si la vanité avait remplacé l’humilité, c’était à elle seule qu’elle en était redevable. Ses réflexions
deviennent d’autant plus amères, que par cet événement
Emma connaît enfin la véritable situation de son cœur ;
elle croyait n’avoir que de l’estime, une très-grande
estime pour Knightley, hélas ! elle l’aime, ''lui seul avait pris soin de lui former le cœur et l’esprit.''
Nous ne voulons point ôter aux lecteurs la peine
d’aller chercher, dans l’ouvrage même, plusieurs situations
attachantes, et qui sont amenées naturellement par
la position d’Emma, de Fairfax, et même de Franck ;
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Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/282 | {{nr|276|{{sc|revue philosophique}}|}}ce n’est pas seulement aux phénomènes moraux proprement dits qu’on peut faire appel ici, mais encore à l’observation psychologique dans ce qu’elle a de plus élémentaire et de plus certain. Un mouvement réflexe se distingue très-clairement d’un mouvement volontaire. Si je veux approcher ma main d’un corps brûlant, je distinguerai, sans l’ombre de difficulté, le mouvement réflexe ou instinctif qui tendra à éloigner ma main, et le mouvement volontaire qui pourra s’opposer au mouvement instinctif. La transition qui s’opère, par le moyen de l’habitude, des mouvements volontaires à des mouvements qui deviennent instinctifs, est une des observations les plus importantes de la psychologie. Mais comment pourrait-on parler de la transition d’un état de mouvement à un autre s’il ne s’agissait pas de deux états distincts ? Dira-t-on que nous n’avons jamais conscience que de mouvements réflexes auxquels nous attribuons, ''dans certains cas'', un caractère volontaire, par l’illusion de la liberté ? Pourquoi l’illusion s’appliquerait-elle dans certains cas et non pas dans d’autres ? Quelles sont l’origine et la nature de ces certains cas ? Admettons qu’on puisse arriver sous ce rapport à une détermination physiologique, ce qui est accorder beaucoup ; reste une autre question. D’où procède dans notre entendement l’idée de la liberté qu’il faut posséder pour pouvoir l’attribuer d’une manière illusoire à certains mouvements ? Si l’idée de la liberté ne procède pas de l’observation de la conscience, d’où vient-elle ? Ce n’est pas une idée complexe dont on puisse trouver l’origine dans des éléments réunis à tort. Admettrait-on que c’est une idée sans cause ? Mais s’il peut exister des idées sans cause, pourquoi n’existerait-il pas aussi des mouvements sans cause ? Voilà la base de toute science renversée. De quel droit nier, en partant d’une hypothèse physique, des faits d’observation qui, pour sortir du domaine de l’expérience sensible, n’en sont pas moins certains et faciles à constater ? En accordant que le principe de la constance de la force s’applique sans exception ni réserve au monde purement matériel, de quel droit l’étendre aux cas où la matière se trouve en rapport avec l’esprit ? Parce que le déterminisme absolu règne dans l’objet des études de l’astronome, du physicien et du chimiste, on n’a pas le droit d’en conclure qu’il exclut les faits dont s’occupe la psychologie. Un tel raisonnement se fonde sur un ''a priori'' manifeste ; c’est le fait d’une science qui chevauche hors de son domaine.
On voit que la thèse de M. Renouvier peut être défendue par une argumentation au moins spécieuse ; mais je poursuis un autre but. Je veux chercher à établir qu’en admettant le principe de la constance de la force, et en l’étendant au corps humain, à toutes les con-
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Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 02/CORRECTIONS ET ADDITIONS | Annales de mathématiques pures et appliquées Texte établi par Joseph Diez Gergonne, 1813 (3, p. Corr. & Add.). bookAnnales de mathématiques pures et appliquées1813NîmesV3Annales de mathématiques pures et appliquées, 1812-1813, Tome 3.djvuAnnales de mathématiques pures et appliquées, 1812-1813, Tome 3.djvu/3Corr. & Add. CORRECTIONS ET ADDITIONS. Pour le tome troisième des Annales. ≈≈≈≈≈≈≈≈≈ Page 5, ligne dernière — (*) ; lisez : (**). Page 20, ligne 3 — exposant ; lisez : posant. Page 24, en titre — FORMULES ; lisez : FORMULES TRIGONOMÉTRIQUES. Page 41 — Consulter, sur le mémoire de M. de Maizières, la lettre de M. Serres, page 291. Page 44, ligne 17 — réelles ; lisez réelle additive. Ligne 20 — satiferaient ; lisez : satisferaient. Ligne 26 — P i x − m i {\displaystyle P_{i}x^{-mi}} ; lisez : P i x m − i {\displaystyle P_{i}x^{m-i}} . Page 95, équations (b) — les α {\displaystyle \alpha } de la seconde ligne doivent porter un accent, et ceux de la troisième doivent en porter deux. À la seconde ligne des équations du bas de la même page, la lettre α {\displaystyle \alpha } doit porter deux accens. Page 97, ligne 2 — n’est pas établi ; lisez : n’a pas établi. Page 104, problème, 2.e ligne — courbures ; lisez courbure. Page 107, ligne 19 — la dernière des deux conditions se réduit simplement à D > o , {\displaystyle D>o,} parce que la première rend nécessairement A + B − 2 C Cos . γ > 0 {\displaystyle A+B-2C\operatorname {Cos} .\gamma >0} . En particulier, si D = 0 , {\displaystyle D=0,} la courbe se réduit à un point. Ligne 23 — pour les mêmes raisons, la seconde condition se réduit simplement à D < 0. {\displaystyle D<0.} Si, en particulier, on a D = 0 , {\displaystyle D=0,} la courbe se réduit au système de deux droites. Ligne 28 — ces deux conditions reviennent à C = A Cos . γ = B Cos . γ . {\displaystyle C=A\operatorname {Cos} .\gamma =B\operatorname {Cos} .\gamma .} Ligne 29 — ajoutez : les valeurs de r {\displaystyle r} seront égales et de signes contraires, si l’on a A + B = 2 C Cos . γ {\displaystyle A+B=2C\operatorname {Cos} .\gamma } , et alors l’hyperbole sera équilatérale. N. B. Toutes ces fautes du mémoire de M. Bérard, qui est privé de la vue, ne sont pas du fait de l’auteur. Page 140 — L’auteur dont il est question dans la 1.re note est Brunacci ; son ouvrage a pour titre : Calcolo integrale delle equazioni lineari (Firenza, 1798, in-4o). Page 169, première ligne du mémoire — Transporter la virgule après le mot polyèdres. Page 169, à la note — Placer une virgule après le mot Besançon. Page 287, ligne 10 — nouvelle nouvelle ; lisez : nouvelle. Supplément à l’Errata du II.e Volume. Page 4, équation (4) — β {\displaystyle \beta } ; lisez : Sin . β . {\displaystyle \operatorname {Sin} .\beta .} Page 33, première équation — A ′′ Z 2 {\displaystyle \mathrm {A''Z} ^{2}} ; lisez : A ′′ z 2 . {\displaystyle \mathrm {A''} z^{2}.} |
Le Massacre des Amazones/Les Cantinières/Paul Érasme | Han Ryner Le Massacre des Amazones Chamuel, éditeur, s.d. (1890?) (p. 104-105). bookLe Massacre des AmazonesHan RynerChamuel, éditeurs.d. (1890?)ParisCRyner - Le Massacre des amazones, Chamuel.djvuRyner - Le Massacre des amazones, Chamuel.djvu/5104-105 Paul Érasme fait toutes sortes de métiers qu’elle affirme littéraires. Elle a publié quarante volumes et elle s’imagine que là-dedans il y a des romans, des drames, des vers et de la critique. Trop riche, elle renie à moitié des Nouvelles drôlatiques « qu’on s’acharne à me jeter à la tête et qui ne sont qu’un incident dans ma vie, — question de métier et de pain quotidien ». Elle me recommande particulièrement deux de ses livres : Nos Sous-officiers et un volume de critique. Mais la même lettre parle de ses « débuts dans la littérature dramatique qui n’a commencé qu’avec Nos Sous-officiers, en 1890 » ; et j’ai eu peur de la hardiesse de ses opinions littéraires. J’ai peut-être eu tort. En lisant le roman d’où est tirée la pièce avec laquelle « la littérature dramatique... a commencé », je me suis aperçu que quarante volumes d’exercices furent impuissants à apprendre à Érasme les premiers éléments de la langue française. Je n’insiste pas : Mme de Montifaud m’accuserait de m’attarder à « une question oisive ». Je signale seulement ce beau livre où sont traités avec un mépris légitime « des cadets, profitant de ce qu’ils ont un frère sous les drapeaux, ou qu’ils sont fils unique de veuve, pour se dérober au service militaire. » Je cite encore quelques lignes qui me semblent expliquer suffisamment nos désastres de 1870. Tout au moins, elles consoleront les vrais patriotes. Elles stigmatisent, en effet, « ces gueux sinistres, dont le nom national de Prussiens caractérisera toujours les parties basses de notre individu, puisque jusqu’alors ils ne nous en avaient montré que cet endroit de leur personne sur nos champs de bataille ». |
Féval - Les Tribunaux Secrets - 1880, volumes 1 et 2.djvu/596 |
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<small>Suite de l’inquisition. — La danseuse juive. — La juiverie de Sarragosse. — Ramiro Sanchez et la belle Agar. — Le sang de l’enfant. — Les Sbires. — Le chrétien-juif-maure Pierre Arbuès, premier inquisiteur de Sarragosse. — La ''chambre des tourments''. — La question. — La ''Garduna''. — Statuts de l’''honorable confrérie''. — Carillo le postulant. — Sanchez et Pierre Arbuès. — Entrevue de Ramiro Sanchez et d’Agar.</small>
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Le {{1er}} août de l’année 1484, vers six heures du soir, il y avait foule sur la place de Sarragosse.
Malgré la sévérité des édits publiés par l’ordre de l’inquisiteur, Pierre Arbuès, ou maître Epila, comme on l’appelait, la curiosité avait été plus forte que la crainte, et les Espagnols, rassemblés en cercle, regardaient et applaudissaient.
L’objet de cette attention si vive était une jeune fille, juive de naissance, qui se livrait, avec une grâce toute charmante, aux évolutions
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Madame Kaekebroeck à Paris/Texte entier | Léopold Courouble Madame Kaekebroeck à Paris Paul Lacomblez, éditeur, 1910 (6, p. 7-219). bookMadame Kaekebroeck à ParisLéopold CouroublePaul Lacomblez, éditeur1910BruxellesT6Courouble - Madame Kaekebroeck à Paris (La famille Kaekebroeck), 1910.djvuCourouble - Madame Kaekebroeck à Paris (La famille Kaekebroeck), 1910.djvu/17-219 Jamais il n’avait plu comme pendant cet abominable hiver. Cela durait depuis cinq mois sans trêve ni miséricorde ; l’influenza, les doubles pneumonies sévissaient tuant beaucoup de monde, mais on mourait peut-être davantage de la privation de soleil. Ah ! les beaux clairs jours de gel, le sol de stuc qui fait vibrer, retentir les roues, comme on y aspirait ! Mais non, il pleuvait, il pleuvait encore, il pleuvait toujours. La neige refusait de semer ses purs flocons sur l’infâme bourbier de la terre. Il y eut des orages en février, des averses furieuses qui faisaient cloche sur les flaques. La ville était pleine d’une rumeur de cataracte ; les ruisseaux torrentiels se ruaient à grand bruit dans les égouts ; les citernes débordaient ; les gouttières, trop étroites, s’épanchaient avec fracas sur les trottoirs. Et la Senne roulait tumultueusement une purée ocreuse, menaçait de sauter par dessus les ponts. La Ville Basse commençait à s’alarmer ; l’eau sourdait déjà dans les caves. Et l’anxiété augmentait au récit des anciens contant l’inondation de 1851, quand les rues avaient été changées en canaux où l’on manœuvrait des barques à la godille. Ces tableaux lacustres épouvantaient les bonnes femmes dont l’imagination débridée se représentait au vif les noyades bibliques du Déluge. Aussi, les ménagères prudentes vérifiaient-elles avec soin leurs seringues à asperger les façades, comptant les faire servir de pompes d’épuisement à l’occasion. Mais le ciel, pitoyable, démentit ces som-bres pronostics et la capitale, tout au moins, échappa aux cataclysmes. La pluie, fatiguée, diminua de violence, réintégra sagement les rigoles et les gouttières. Parfois, elle tombait si fine qu’on eût dit de l’eau vaporisée. Elle devint intermittente. Et voilà qu’un matin d’avril, ce fut une pluie de lumière que le soleil vainqueur répandit sur la ville. ⁂ Enfin ! Soupir de délivrance, cri de résurrection qui jaillit en même temps de toutes les poitrines. Nul peut-être ne le poussa avec autant d’allégresse que Joseph Kaekebroeck. Bien réveillé, ragaillardi par le tub, il avait ouvert une fenêtre de la chambre à coucher et contemplait son petit jardin inondé de soleil ; tout y reprenait vie et gaîté, une bonne odeur montait de la terre. Les grotesques statuettes de plâtre, dont les pluies avaient écaillé l’épiderme et délavé le brutal coloriage, s’harmoniaient à la teinte rousse des massifs de seringa, au feuillage lustré des houx et des aucubas. Au milieu de la pelouse, ravagée et pourrie par les averses, la boule de verre étamé avait subitement retrouvé son éclat ; de nouveau, elle brillait sur sa crinoline de fer, reflétant en miniature, avec les déformations de son miroir convexe, la blanche maison, les chemins rectilignes, les rocailles, les « postures » et la soudaine floraison, l’explosion rose de tout un rang de pêchers palissés contre la muraille. Dans le ciel d’un azur laiteux, les compagnies de pigeons avaient repris leur volée ; à droite, par dessus les toits moirés de lumière, la girouette de la Maison de l’Armateur faisait étinceler son vaisseau d’or, immobile à présent et comme en panne dans l’espace. Des fumées s’élevaient molles et gracieuses, lentes à se disperser dans l’atmosphère où la brise passait comme une douce caresse. Soudain Joseph s’exclama : — Des hirondelles ! Des hirondelles ! Viens vite voir, Adolphine... Elle accourut du cabinet de toilette, presque nue, une épaulière de sa chemise glissée sur le bras, ses beaux cheveux fauves ruisselant sur le dos, telle Geneviève de Brabant. — Où ça donc ? Il les montra qui tournoyaient d’un vol preste, tantôt planant, tantôt brisé, au-dessus du vieux beffroi de Ste-Catherine. — Je les vois, je les vois ! Ce furent des exclamations de plaisir et d’attendrissement. Elle avait passé le bras autour du cou de son mari et s’extasiait au spectacle de ce ciel lumineux et magnificent. Tout de suite, elle pensa à Albert et à Hélène : — Comme je suis contente de ce soleil ! Les pauvres petits vont enfin pouvoir sortir... Hein, cet après-midi, ils iront au Botanique avec Léiontine ? Mais sa joie se doublait de celle de Joseph. Car il avait été fort maussade et difficile à vivre, cet excellent Kaekebroeck, durant ce mortel hiver. Jamais les rigueurs de l’affreuse saison ne l’avaient aigri et tourmenté de la sorte. D’abord c’était une bronchite, compliquée d’un lombago, qui l’avait retenu à la maison ; puis, à la suite d’un heurt contre un meuble, le rhumatisme s’était jeté sur son genou gauche, le condamnant à des semaines de chaise-longue, un vrai supplice pour sa nature remuante. Dans cet état égrotant qui l’enrageait comme un défi à sa belle santé, les turbulences d’Alberke et d’Hélène, emprisonnés par le mauvais temps, avaient encore exaspéré son humeur. — Pour l’amour de Dieu, est-ce que ces damnés moutards ont bientôt fini ! Phrase excédée qu’il répétait cent fois par jour sous la galopade effrénée des enfants qui jouaient au premier étage. Et il pestait contre les poëles qui ne chauffaient pas, contre les fenêtres et les portes qui jointaient mal, contre toute cette vieille maison dont les accommodations surannées n’étaient plus à la hauteur du confort moderne. Même les attentions d’Adolphine, sa mine désolée et compatissante, ses tendres soins n’étaient plus qu’importunités qui le jetaient dans un énervement furieux. La jeune femme avait tout supporté avec cette admirable patience des cœurs aimants qui savent comprendre et excuser la rudesse des malades. Elle y avait d’autant plus de mérite qu’elle ne s’était jamais sentie aussi bien portante, aussi avide de tendresse et d’amour. ⁂ Adolphine venait d’avoir vingt-huit ans. Aux approches de la maturité, sa beauté restait svelte, d’un style élégant et fier. Elle avait la fraîcheur, le velouté, toute la grâce de la jeunesse. Néanmoins, la claustration où l’avait condamnée cet interminable hiver lui avait donné un brin d’embonpoint qui, sans l’épaissir le moins du monde, augmentait la blancheur et la finesse de sa peau. Elle avait de royales épaules. Jamais non plus ses yeux n’avaient été si brillants, sa bouche plus vivace dans le sourire mouillé de ses admirables dents. Aussi, comme elle avait souffert d’être délaissée quand elle était dans tout le plein de sa force et de sa verdeur de femme ! Mais aujourd’hui, l’épreuve était terminée ; Joseph venait de recouvrer la santé et du même coup sa belle humeur. Elle le devinait aux baisers brûlants qu’il mettait sur sa chair épanouie, aux regards hardis qu’il coulait dans le creux de sa gorge marmoréenne d’un galbe suave, légèrement allongé comme chez ces Génoises qui posèrent les figures de l’Aurore et de la Nuit pour les tombeaux des Médicis. Il l’avait enlacée à son tour, frissonnant au contact de ce corps souple et voluptueux qui, à bout d’abstinence, s’offrait à ses lèvres et ne demandait qu’à se pâmer sous son désir. La douce influence de ce matin odorant les enivrait tous deux. — Prends garde, dit-il tout à coup en fermant la fenêtre, j’ai peur que tu ne gagnes froid sous ce costume plutôt léger... Elle sourit dans sa langueur et, resserrant son étreinte, elle l’attira tendrement dans la tiède intimité de leur chambre. ⁂ Il était plus tard que de coutume quand ils s’attablèrent pour le premier déjeuner. Les enfants, qui jouaient au jardin, prirent à peine le temps de venir les embrasser et retournèrent gambader dans le soleil. — J’ai une faim ! s’écriait Adolphine. Elle était charmante dans sa toilette matinale avec un air alangui, les yeux avivés d’une ombre de bistre. Elle se multipliait en prévenances, tandis que Joseph, plus calme, souriait à ces effusions de gratitude. — Ce n’est pas tout, dit-il malicieusement. Devine un peu ce que nous allons faire aujourd’hui... Il y avait donc un complément à ses bienfaits ? Elle le regardait toute amusée, sa tartine contre la bouche : — Mais je ne sais pas... Allons dis-le seulement... — Eh bien, nous partons... nous partons ce soir pour Paris ! Elle poussa un cri et fut sur ses genoux. Ah la jolie surprise ! C’était le voyage depuis longtemps rêvé, un projet bien près souvent de s’accomplir, mais que les circonstances les avaient toujours contraints d’ajourner. Au lendemain de leur mariage, ils avaient visité les bords du Rhin et parcouru la Suisse ; comme ils n’étaient pas revenus par la France, Adolphine ne connaissait encore Paris qu’à travers les récits de ses parents et les descriptions de Joseph. Paris, c’était pour elle la Ville Promise ! Cependant Joseph succombait sous ses embrassades : — Sacrebleu, dit-il dans une accalmie, c’est que nous n’avons pas de temps à perdre ! Il faut encore prévenir les parents, s’entendre avec eux pour la garde des petits, faire notre valise, etc... Continue tes bêtises et nous manquons le train ! Cet argument parut enfin émouvoir la jeune femme. Elle plaqua sur les joues de Joseph deux gros baisers définitifs et fut debout : — Eh bien, je bois seulement mon cafais et je monte vite en haut m’habiller ! De fait, un quart d’heure après, elle apparaissait dans son trotteur de marché, courait au jardin donner de rapides instructions à la bonne : — Pas les laisser trop se salir, savez-vous Léiontine... Il faut les habiller pour quand je reviens. Mettez seulement à Alberke son bon costume et à la petite son « marin »... Car vous allez au Botanique cet après-midi. Les moutards faisaient des pâtés de Saint-Antoine avec la terre humide et noire qu’ils tassaient dans des seaux. À ce jeu, ils avaient déjà fortement compromis la blancheur de leurs mains et de leur tablier. Elle les embrassa sans précaution pour sa robe, leur recommanda d’être bien sages. Puis, apercevant Joseph en train de se raser dans sa chambre devant un petit miroir suspendu à l’espagnolette de la fenêtre : — Je vais vite jusque chez Maman, cria-t-elle ; sois tranquille, je serai de retour pour onze heures. Elle lui envoya un dernier baiser de la main et toute affairée, elle partit pour la rue des Chartreux afin d’annoncer la grande nouvelle. ⁂ Le déjeuner de midi ne traîna pas. Dès qu’elle eut expédié les enfants au Jardin Botanique, Adolphine s’élança dans sa chambre pour faire la valise, opération difficile dont elle s’acquitta avec cette méthode, ce génie de l’emballage que les bonnes ménagères manifestent dès le premier âge. Joseph avait d’abord déclaré qu’il ne fallait pas s’encombrer de bagages : — Un peu de linge, une cravate, une paire de souliers de rechange, c’est plus que suffisant. Oui, mais voilà qu’il montait à toute minute pour recommander qu’elle n’oubliât pas ceci ni cela, si bien qu’à l’écouter, ils eussent emporté tout à l’heure des colis à défoncer l’impériale d’un omnibus d’hôtel. La jeune femme, sans cesse obligée de bouleverser ses rangements, se désolait : — Voyons, Cher, mais ça ne sait plus dedans ! N’importe, ils étaient prêts à cinq heures. La voiture fut ponctuelle et les transporta d’abord chez les Platbrood où les enfants logeraient pendant leur absence. Ils embrassèrent Alberke et Hélène, non sans une petite émotion qu’ils essayaient de se cacher mutuellement ; puis, ayant pris congé de M. et Mme Platbrood et du jeune Hippolyte, ils repartirent cette fois pour la gare où ils eurent la surprise de trouver les Cappellemans, les Mosselman et les Dujardin qui les attendaient sur le quai pour leur souhaiter un bon voyage. Adolphine en fut attendrie jusqu’aux larmes : — Och, comme ça est gentil ! Mais voyons, il fallait pas faire ça... On ne part qu’à même que pour cinque jours... Ce qui ne l’empêcha pas au moment des adieux, de déployer une telle véhémence dans ses embrassades qu’on eût dit qu’elle partait pour quelque contrée inconnue des géographes, aussi lointaine que la lune ! Il y avait beaucoup de monde dans les voitures, ce qui s’expliquait par l’approche des fêtes de Pâques. Fort heureusement, malgré l’affluence, nos deux voyageurs avaient conquis un coin dans le fond du compartiment. Ils purent ainsi, au sortir de la banlieue, admirer tout à l’aise le soleil qui se couchait majestueusement derrière les rideaux d’arbres des prairies de Forest ; celles-ci, encore inondées par place, reflétaient les frêles pinceaux des peupliers et l’hémorragie du ciel. La nuit venait rapidement et fit bientôt s’épanouir les calices électriques ajustés aux parois du wagon. Confortablement enfoncé dans son fauteuil, coiffé d’une casquette de globe-trotter, Joseph avait déplié un journal tandis qu’Adolphine, le front contre la glace, regardait fuir et s’endeuiller le paysage sans prêter la moindre attention à ses compagnons de route. Outre nos deux Bruxellois, le compartiment contenait un couple, au moins sexagénaire, qui sommeillait sans vergogne à l’autre bout du compartiment, ainsi que deux messieurs, gentlemen d’un certain âge, élégants soignés, et que la pureté de leur accent révélait Parisiens. Légèrement inclinés l’un vers l’autre, les bras sur les accoudoirs, ils parlaient affaires d’une voix discrète, se communiquaient parfois des papiers et des lettres qu’ils commentaient avec animation. Toutefois, l’intérêt de l’entretien n’était pas si vif chez le voisin de Joseph qu’il l’empêchât de jeter de temps à autre un regard bienveillant sur Adolphine dont la toque de loutre, crânement posée sur l’oreille, faisait encore valoir le beau profil et l’opulente chevelure dorée. La jolie dame lui plaisait évidemment à contempler. Comme le train ralentissait, Joseph sortit de son journal et se penchant vers sa femme : — Nous allons passer sous le tunnel de Braine-le-Comte... Contre son habitude, elle ne poussa pas un cri et fît seulement un petit signe de tête comme pour dire : — Oui, Cher, je sais... Puis elle regarda de nouveau le jeu des fils télégraphiques qui s’abaissaient et se relevaient tour à tour et les étoiles qui pointaient dans le ciel. Très surpris d’une telle attitude chez cette créature exubérante pour qui tout devenait un sujet d’exclamation, il crut d’abord qu’elle éprouvait un peu de fatigue ou quelque malaise. Au fait, depuis Bruxelles, elle n’avait pas desserré les lèvres et se tenait coite dans son coin, sans lui adresser la moindre question ni l’interrompre dans sa lecture. Rien de plus anormal. Il allait l’interroger, quand il se ravisa, préférant l’observer derrière son journal. Elle regardait toujours avec la même constance immobile les sombres paysages qui défilaient devant elle, mais elle ne voyait rien. Le train traversa le tunnel et plus tard la gare de Mons sans qu’elle y prît garde, sans qu’elle s’en doutât peut-être. Et Joseph devina enfin ce qu’elle regardait si fixement dans cette nocturne campagne, en voyant tout à coup s’humecter ses yeux et rouler deux grosses larmes le long de ses joues. Dans l’ivresse continue de cette radieuse journée, c’était la détente, un moment de soudaine mélancolie. La femme venait de le céder à la mère et celle-ci se couvrait de blâme. Elle se reprochait d’avoir un peu oublié ses enfants ; un flot de tristesse gonflait son cœur à la pensée qu’elle les avait quittés si facilement, qu’elle s’en éloignait toujours davantage, qu’elle allait vivre loin d’eux pendant toute une semaine. Que faisaient-ils à présent, les chers petits ? C’était l’heure de dîner : elle les évoquait roses, turbulents et rieurs autour de la table. Comme elle eût voulu les tenir sur ses genoux, les caresser comme hier soir, comme tous les jours ! Elle pleurait silencieusement. Le chagrin de la séparation rompait tout à coup la gaîté de leur fuite d’amoureux. Elle avait pris son mouchoir et se tamponnait les lèvres pour donner le change, affectant de s’absorber plus profondément encore dans le spectacle de la route. Alors Joseph s’empara doucement de sa main qu’il pressa avec tendresse. Lui aussi, il était ému, quoique d’une émotion plus modérée. Mais pour faire diversion : — Chère, dit-il à voix basse, nous approchons de la douane... ⁂ L’idée que des mains brutales, sûrement malpropres, allaient ouvrir sa valise, mettre sens dessus-dessous tous les objets qu’elle y avait rangés avec tant de soin, lui donna comme une secousse et la sortit de sa rêverie : — Mon Dieu, ça je n’aime pas qu’on trifouille dans mes affaires ! Sa figure exprimait tant de naïve appréhension et de dégoût que le monsieur d’un certain âge, assis à côté de Joseph, ne put réprimer un sourire. En même temps, il se crut le devoir d’intervenir pour rassurer la jeune femme. Il le fit avec cette aisance courtoise, cette grâce de la parole et du geste, attribut du peuple français : — Oh, n’ayez crainte, Madame ! Nous sommes devenus beaucoup moins méchants : la visite des petits bagages se fait maintenant dans les voitures comme à la frontière belge. Il suffira que vous ouvriez votre valise. Fiez-vous à nous : je garantis que l’on ne touchera à aucun de vos objets... Et se tournant vers Joseph : — Je suppose évidemment, Monsieur, que vous n’avez rien à déclarer... — Pour ça non, savez-vous ! répondit impétueusement Adolphine. Il n’y a là dedans qu’un tout petit peu d’effets, car on va seulement à Paris pour quelques jours, vous comprenez... Elle n’était gênée devant personne et nivelait tous les rangs au sien propre. Mais Joseph se hâta de l’arrêter sur cette pente d’expansion bavarde en remerciant l’obligeant voyageur avec une facilité de parole et une syntaxe des dimanches qui étonnèrent ce dernier autant que l’avait amusé le dialecte bizarre de la jolie Bruxelloise. D’ailleurs le train stoppait. On était à Feignies. Un douanier entra dans la voiture et porta respectueusement la main au képi à la vue des deux Parisiens dont la rosette de la Légion d’honneur allumait la boutonnière. Ceux-ci prirent aussitôt les devants : — Rien à déclarer, Brigadier. Et désignant Joseph et Adolphine : — Monsieur et Madame voyagent avec nous... — Suffit, Messieurs ! Et sans plus, il mit à la craie un signe cabalistique sur les valises. Néanmoins c’était un homme de conscience, car, avant de se retirer, il fit subir à la mallette du couple sexagénaire une visite minutieuse, à croire qu’il brassait de la pâte dans un pétrin. Les pauvres vieux, encore plongés dans un demi assoupissement, assistaient à ce saccage, terrifiés et muets. Mi apitoyée, mi amusée, Adolphine prenait ses compagnons à témoins : — Mais voyez un peu, si ça est permis !... Et dans sa gratitude pour les Parisiens qui l’avaient sauvée d’une telle mésaventure : — Hein, c’est de la chance qu’on était avec vous ! Ils s’inclinèrent en souriant : — Oh, trop heureux, Madame, d’avoir pu vous rendre ce léger service... Et ils se levèrent tous deux pour aller fumer une cigarette dans le couloir. ⁂ Sur ces entrefaites, le train était reparti. Adolphine, un moment distraite par ces menus événements, s’était renfoncée dans son fauteuil. Doucement bercée par le roulement, elle retournait à ses pensers maternels. Soudain, un petit homme parut à la portière, frisé et coquet, vêtu d’un frac vert à larges boutons de métal nickelé. — Ces Dames et Messieurs du second service... C’était le maître d’hôtel du wagon-restaurant. Joseph se leva : — Allons, viens dîner, dit-il à sa femme, j’ai retenu une table. Elle crut d’abord qu’il plaisantait : — Mais on a des pistolets au jambon ! Il sourit : — Si tu crois que je vais me contenter de ça, surtout aujourd’hui ! Et comme elle hésitait : — Voyons dépêche-toi, ou l’on chipe nos places ! Alors, elle le suivit le long des couloirs, non sans s’exclamer à la traversée des soufflets où le tapage du roulement et des buttoirs l’épouvantait un peu. Ils prodiguaient des « pardon » aux fumeurs ventripotents qui encombraient l’étroit passage, enjambaient des tas de valises, des colis de toute sorte. Elle perdait assez souvent l’équilibre qu’elle retrouvait cependant avec de vigoureux « ouye, ouye ». Enfin, ils entrèrent dans l’éblouissante lumière du dining-car déjà rempli de monde. On leur désigna une petite table de deux places où ils s’installèrent. Le tiède relent de victuaille riche à quoi s’alliait le parfum des fleurs et l’arôme de la boiserie polie, les allées et venues des serveurs, le fracas de la vaisselle, le débouchage précipité des bouteilles, tout cela troublait légèrement Adolphine, sans compter que la trépidation et le roulis du wagon lui semblait ici beaucoup plus sensibles. Très amusé de ses maladresses, de ses gestes de fillette tenant son verre à deux mains, Joseph l’encourageait en riant : — Bravo ! Tu t’y feras... Figure-toi que tu es sur la malle d’Ostende ! — Oeie non, merci ! Le consommé servi dans des jattes l’avait beaucoup intriguée. Peu à peu elle s’habitua ; le vin blanc la mit tout à fait d’aplomb. Pourtant, de la tristesse restait au fond de ses yeux et de sa pensée. Elle avait recouvré la parole, mais c’était pour s’attendrir sur ses petits. L’éloignement augmentait leur gentillesse. C’est que Alberke aurait bientôt six ans et demi ; ça devenait un grand garçon ; il était si malin, si en avance pour son âge ; il savait déjà toutes ses lettres. Et puis, il disait des choses « qu’on ne savait positivement pas où est-ce qu’il allait les chercher ». Joseph souriait à cet éloge excessif : — Oui, oui, concédait-il, ce frise-poulet est un rude phénomène ! Dommage seulement qu’il parle comme un petit cochon... Elle s’étonnait sincèrement. Est-ce que vraiment il parlait si mal ? Mais les petits Posenaer, la petite Jeanne Van Poppel, tous les enfants qu’ils connaissaient ne parlaient pas autrement. Quant à Hélène, ça il ne pouvait pas dire, jamais une enfant n’avait parlé d’aussi bonne heure. — Oui, un autre phénomène, en un peu plus petit... Elle faisait une moue fâchée : — Och, tu ne veux jamais reconnaître qu’ils sont tout de même si gentils ! Il la regardait, amusé de son infatuation maternelle et l’encourageait à surenchérir par ses taquineries, tandis qu’un sourire énigmatique glissait parfois sur sa physionomie à la pensée de tout ce qu’elle apprendrait à Paris et qui ébranlerait peut-être sa belle confiance dans la supériorité de ses moutards. Le petit vin blanc qu’elle buvait sans se faire prier emportait sa mélancolie ; son visage s’empourprait des plus belles couleurs. Elle entrait dans un état de félicité expansive, s’extasiant sur la dextérité des serveurs, vantant la succulence des plats. Toutefois, elle reconnut qu’il n’y avait pas assez de sel dans la barbue : — Et pourtant, disait-elle, tu sais si je suis une fade !... Parfois, entre deux bouchées, elle appuyait son front contre la glace et jetait un regard émerveillé sur la campagne embrunie dont les glèbes nouvellement retournées, humides et grasses luisaient doucement au dos de la plaine. La lune montait à travers la fine dentelle des bouleaux. Parfois, un canal étalait son eau argentée sous le ciel rempli de pâles étoiles. — Quel beau temps ! s’exclamait-elle. Et sautant à une autre idée : — Hein, ça est gentil d’Hermance d’être venue... Car elle est déjà en position bien de quatre mois, sais-tu... Les cahots du train qui marchait à pleine vitesse ne l’incommodaient plus. Son appétit rivalisait avec celui de son mari, qui avait du reste bon besoin de se refaire après cette journée héroïque. Au dessert, elle s’attendrit de nouveau, cette fois sur sa maison. Elle expliqua les grands nettoyages qu’elle comptait entreprendre dès son retour. À cette nouvelle, Joseph fronça comiquement les sourcils ; devant ses yeux exorbités se dressait instantanément l’affreux spectacle de sa maison envahie par la horde jacassante et sauvage des « femmes à journée », les unes juchées sur des échelles doubles sous prétexte de dépendre les rideaux et les stores, les autres armées de seringues, de peaux, de têtes de loup ou de torchons, frottant, écurant, « reloquetant » à grands bras ; d’autres encore déclouant et bâtonnant les tapis. Au milieu de cette bataille, il voyait Adolphine en jaquette du matin, les cheveux en désordre, noire de poussière, belle comme une zingara, donnant ses instructions, volant partout, stimulant les traînardes, aidant au nettoyage, poussant sa loque de poche dans les coins les plus secrets, prise comme d’une fureur sacrée ; bref, un tumulte à casser les oreilles, un ruissellement de cataracte, une vision d’horreur domestique qui navrait son courage et l’obligeait à fuir honteusement à travers une odieuse déroute de meubles, de balais et de seaux. Mais elle ne se laissait pas trop émouvoir par sa mine sévère : — Tu es bon, toi ! Il faut bien tout de même que ça se fasse une fois par an... — C’est convenu, mais tu y mets une frénésie ! Tu travailles comme un cheval ; je ne veux plus que tu te fatigues. Elle protesta de ses bonnes résolutions. Cette fois, elle regarderait seulement travailler, et ça ne durerait pas plus de trois jours, un pour le rez-de-chaussée, un pour le premier étage, un pour le second et les mansardes. Elle ne le persuadait pas : — Trois jours, ceux de Colomb ! Une bonne semaine, oui ! Mais non, puisqu’elle se tuait à lui répéter que Pauline lui avait donné l’adresse de « si bonnes femmes à journée ». Avec celles-là, on pouvait être tranquille, ça ne traînerait pas. Elle partait dans des explications quand le train subit de brusques secousses d’aiguillage et entra soudain dans une gare qu’il traversa avec un fracas de tonnerre. Adolphine s’effara au tapage et fut éblouie par l’éclat des lampes à arc : — Mon Dieu ! qu’est-ce que ça est pour une station ? — Compiègne, le Laeken de Napoléon III. Nous n’en avons plus que pour une heure... Le train accélérait sa vitesse, ayant à rattraper quinze minutes de retard. Parfois, la jeune femme sursautait au cri des locomotives qui croisaient le rapide. — Entends-tu, disait Joseph, comme elles sifflent autrement que les nôtres ? C’est un caractère de locomotive tout différent. Elles sont ici plus vives, plus gaies... Leur voix est jeune, claire... On dirait un cri de gamine en récréation ou de Parisienne qui se pâme... Comme on servait le café, le petit maître d’hôtel frisé et coquet s’approcha de leur table et faisant une gracieuse courbette : — Ces Messieurs demandent si Madame les autorise à fumer ? Elle le considéra un instant avec surprise, puis brusquement : — Mais on doit pas se gêner pour moi, savez-vous ! En même temps, elle se retournait sans façon pour voir quels étaient les gentlemen assez délicats pour implorer d’elle une si menue faveur. Elle reconnut les deux Parisiens. Aussitôt, bonne fille, elle leur adressa de grands coups de tête comme pour dire : — Mais fumez seulement ! Est-ce que c’est la peine de faire des manières avec moi... D’ailleurs, Joseph venait lui-même de retirer un blond havane de son étui à cigares, ce qui mit les fumeurs à l’aise. — Hein, dit-elle, comme ça est aimable de ces Messieurs... Et d’un ton pénétré : — Je trouve qu’ils causent tout de même si bien ! Cette réflexion ne laissa pas de le surprendre : — Comment tu trouves ça, toi ! Pas possible... Avec sa brusquerie caressante, elle s’empara à deux mains de la main de son mari : — Mais oui, dit-elle, je trouve qu’ils parlent presque aussi bien que toi ! Et elle s’efforçait de l’attirer à elle pour l’embrasser. Lui, résistait, faisait semblant de se fâcher : — Grosse bête va... Voyons, lâche-moi, on nous remarque... Voilà qui ne l’inquiétait guère. Elle continuait à lui faire de grands yeux terribles, dilatait ses narines, serrait les dents comme si elle maîtrisait une rage folle de le mordre. Elle était tout effusion. Les mots tendres et gais lui sortaient du cœur. — Och, suppliait-elle en avançant la main, laisse-moi tirer une fois à ton cigare... — Allons, reste un peu tranquille... Cette fois elle menaçait. — Si tu ne veux pas, eh bien je viens sur tes genoux ! Il ne savait que trop bien qu’il ne devait pas l’en défier. Aussi, pour détourner momentanément cette frénésie de caresses qui la reprenait et faisait briller ses yeux comme ce matin, il s’empressa de parler de Paris et de ses innombrables merveilles. Elle l’écoutait avec ravissement, battait des mains, heureuse comme une petite fille. Et lui aussi sentait monter à son cerveau de grosses bouffées de joie. Ce petit voyage avait une allure d’escapade qui les grisait tous deux. Soudain, elle eut un cri d’inquiétude : — Mon Dieu, et notre valise qui est dans le wagon ! On serait propre si on la volait maintenant ! Il la rassura. Les Parisiens venaient de quitter le dining-car pour rentrer dans leur compartiment : — Sois tranquille, ils veilleront sur notre bagage. Il ne restait plus que deux ou trois dîneurs qui s’attardaient comme eux dans la dégustation de leur chartreuse, tandis que le petit maître d’hôtel faisait là-bas ses comptes sur un coin de la table. Adolphine l’admirait : — Comment est-ce qu’il sait écrire celui-là, quand ça ballotte si fort ! Maintenant le train accélérait encore sa course et filait avec fracas dans l’étroit couloir des carrières de Creil. Alors, profitant du tapage, elle se pencha pour une confidence : — Je voudrais bien aller à la cour... D’abord, il resta tout interloqué, puis, retrouvant la voix : — Qu’est-ce que tu dis ? Un peu décontenancée, elle répéta avec une légère impatience : — Montre-moi seulement où est la cour... Il éclata de rire : — La cour ! Elle voulait aller à la cour ! La cour de ce train qui filait en ce moment à plus de 120 kilomètres à l’heure ! L’acception imprévue de ce mot le remplissait d’une folle joie : — Ah ! sacrée Bruxelloise, va ! La cour ? Tiens, sors par là, je crois bien que la cour est à droite ! ⁂ Quand elle rentra, il était grand temps de regagner leur voiture et de s’apprêter pour le débarquement. Le train venait de dépasser Saint-Denis et filait à présent dans une large tranchée remplie d’une multitude de voies dont les rubans d’acier miroitaient sous les feux des signaux multicolores. À gauche et à droite, des trains roulaient dans la même direction que le rapide, comme s’ils engageaient un match de vitesse avec lui. D’autres trains croisaient dans le sifflement strident de leurs locomotives et l’éclat de leurs lumières. On passait sous d’immenses ponts obliques. C’était la banlieue avec ses hautes maisons, dont la lune éclairait vaguement les pans de murailles historiées de réclames gigantesques. Ils retournèrent à leur wagon, non sans peine, car des aiguillages répétés, particulièrement durs, les projetaient à tout moment contre les parois des couloirs. Les voyageurs étaient déjà levés, poignant dans les filets, ramassant le petit bagage, s’habillant, se rajustant avant de débarquer. Le vieux couple, harnaché depuis une heure, se tenait raide à sa place, le parapluie entre les jambes. Le plus galant des Parisiens adressa un gracieux sourire à Adolphine : — Nous voici arrivés, Madame ; j’espère que ce petit voyage ne vous aura pas trop fatiguée... Joseph tint à remercier une fois de plus ses aimables compagnons de route, tandis qu’Adolphine surenchérissait de sa forte voix de contralto : — Oui, oui, ça est bien, bien gentil, ce que vous avez fait... Merci beaucoup, savez-vous. Soudain, elle ahurit son admirateur par cette phrase ingénue : — Oh ! Monsieur, je vous demande pardon, mais vous êtes sur moi... Il ne comprit pas tout de suite qu’il posait le pied sur sa robe, et la considéra un moment avec une surprise véhémente et charmée. Puis, il eut un éclair : — Oh ! mille pardons ! Il se confondit en excuses, et prenant enfin congé, il disparut avec son ami, non sans avoir adressé à la jeune femme un dernier regard tout chargé de mélancolie. Quelques instants après, le train sautait sur les plaques tournantes et entrait doucement sous le hall immense de la gare. Alors, profitant de ce qu’ils étaient seuls dans le compartiment, Adolphine se jeta au cou de Joseph : — Je dois t’embrasser, s’écriait-elle, je dois t’embrasser, ça est plus fort que moi ! Il se défendait mollement, très attendri au fond de cet élan d’amour qui l’impressionnait comme un bon présage au seuil de la Babylone moderne. — Hé, fit-il en riant, ça commence bien... Mais le train avait stoppé, et dans le brouhaha des quais, le roulement des wagonnets à bagages, le halètement des formidables locomotives, retentissait à présent ce cri sonore et magique : — PARIS ! Ils se réveillèrent au son d’une alerte fanfare qui les surprit comme une aubade de noces. Elle sauta du lit et courut à la fenêtre : — Des soldats ! C’était un régiment de ligne qui débouchait de la rue de la Paix et défilait sur le boulevard d’une guêtre preste ; les uniformes et les armes mêlaient dans le soleil leurs gaies couleurs et leurs éclairs. Mais elle n’eut pas la patience d’admirer ; trop de choses surgissaient à la fois, s’accumulaient, s’entassaient devant ses yeux. — Oh ! les arbres ! Viens une fois voir les arbres ! Ils ont déjà tous des feuilles, ici ! Et qu’est-ce que c’est ça, à gauche ? Un théiâtre... Ils étaient installés au Grand Hôtel, dans une chambre du troisième étage, donnant sur la place de l’Opéra. La masse du monument, son ornementation, ses marbres, ses rehauts d’or, impressionnaient vivement la jeune femme : — Comme ça est beau ! Comme ça est riche ! Les innombrables véhicules, les passants qui affluaient de tous côtés et sourdaient même du sol par la bouche du Métropolitain, toute cette circulation déjà intense malgré l’heure matinale, la remplissait d’une stupéfaction émerveillée où il y avait un brin de vague angoisse. Jamais elle ne se fût imaginé une ville à ce point peuplée et turbulente. Quelle prodigieuse fourmilière ! N’était-ce pas de la fantasmagorie ? Elle serait demeurée là, pendant des heures, sans parvenir à rassasier ses yeux voraces, si Joseph, déjà à moitié habillé, n’eût usé d’un stratagème pour la tirer de son extase. — Voyons, Chère, dépêche-toi ! Il y a peut-être une lettre de Bonne-Maman en-bas... — Oeie oui ! Et laissant retomber le rideau, elle bondit au lavabo. Il ne lui fallut guère plus de cinq minutes pour rattraper Joseph qui se battait avec son nœud de cravate. — Laisse, dit-elle, attendrie par ses efforts, moi je vais seulement le faire... Elle anéantit ce nœud en moulin à vent qu’elle eut bientôt refait dans toutes les règles de la fashion. Puis, après un petit tapotage, offrant sa joue : — Na, et maintenant tu me donnes une grosse baise ! ⁂ Mme Platbrood leur avait adressé une simple carte, mais pleine jusqu’aux bords et surécrite. Elle contait les jeux des enfants avec Hippolyte, leur grand coucher, leurs mots. Ils avaient été si sages ! Ils dormaient à présent comme de petits anges. Le cœur d’Adolphine fondait à ces confidences de la Bonne-Maman. Ah les chers petits ! Comme elle eût donné gros pour les avoir là près d’elle et couvrir de baisers leurs têtes chéries ! Mais l’animation qui régnait dans le hall du Grand Hôtel, le va-et-vient de tout ce monde exotique, la nonchalance des belles étrangères paresseusement allongées dans les chaises à bascule de la terrasse et dont le face-à-main l’inspectait de haut en bas avec une insouciante hardiesse, contenait son émotion en excitant sa curiosité. — Te voilà tranquille, j’espère, brusqua Joseph. Et maintenant si nous allions déjeuner ? Une fois rassasiés de croissants et de brioches, ils s’élancèrent sur le boulevard. Quel enchantement ! Un ciel de soie bleue, un air de velours. Et cette odorante verdure des arbres ! Dans la claire et souriante matinée, ils allaient légers, rajeunis, humant des effluves d’amour. Une ivresse les soulevait tous deux : ils se sentaient de l’espoir dans l’âme comme au lendemain de leurs noces. Elle serrait son bras, se pressait contre lui, la tête inclinée sur son épaule, sans nul souci des passants qui souriaient à la vue de cette tendresse si librement avouée. Chaque jour ajoutait ainsi à son bonheur et à son amour. — Prends donc garde, disait Joseph, on se fiche de nous ! Mais elle bravait le ridicule : — Och, qu’est-ce que ça fait qu’on nous remarque, puisqu’on nous connaît tout de même pas ! Le flot de voitures était déjà si épais qu’ils durent stopper assez longuement sur le trottoir du café de la Paix. Elle s’impatientait, voulait profiter d’une éclaircie et traverser en courant. — Doucement, doucement, disait-il, il faut aller au pas ; donne-moi la main... Elle n’était pas rassurée : — Surtout ne me lâche pas, tu sais ! Ils se décidèrent, entrèrent dans le fleuve de fiacres et d’omnibus qui roulaient devant eux. Elle poussa bien quelques cris réflexes, mais, dominée par le sang froid de Joseph, elle réagit contre sa peur, se laissa conduire à travers les rapides véhicules qui, dirigés par d’adroits auriges, obliquaient tantôt à droite, tantôt à gauche, ralentissaient subitement l’allure de leur course selon les voltes et virevoltes des hardis piétons. Un instant après, ils atteignaient sains et saufs au terre-plein du Métro. — Tu vois, ce n’est pas plus malin que ça... Encore qu’elle n’eût pas couru, elle demeurait un peu essoufflée et comprimait de la main les battements de son ferme corsage. Cependant, Joseph donnait un petit cours de circulation : ne jamais commettre la faute de courir en traversant une artère mouvementée ; il fallait avancer tout à l’aise ; en cas de danger, mieux valait s’arrêter court au milieu du torrent : — Tu comprends, disait-il, le piéton qui s’arrête, devient comme une borne : on l’évite. Mais déjà elle n’écoutait plus, impressionnée par la masse de l’Opéra dont la somptueuse façade étalait devant eux la richesse de ses matériaux polychromes et son peuple de statues. Elle convint que « c’était autre chose que la Monnaie ». — Oui, dit-il, notre Opéra n’est qu’une guérite à côté de cela... Mais ce jugement sévère affligeait son cœur de Bruxellois : — Et pourtant, la Monnaie est un très beau théâtre... L’assaut des voyageurs que dégorgeait le Métropolitain, interrompit brusquement leur contemplation. Un moment, Adolphine fut tentée de descendre dans ce gouffre mystérieux. — Non, non, fit Joseph, pas aujourd’hui... Et il l’entraîna de l’autre côté de la place, sur le boulevard des Capucines. C’était le chemin des merveilles. Elle fut éblouie. Coûte que coûte, il fallut bien, cette fois, que son amour le cédât à sa curiosité sous la fascination de toutes ces vitrines où s’étalait le triomphant article de Paris. De l’Opéra au Faubourg Poissonnière, il y avait de quoi regarder. Elle voulut tout voir. Parfois, entre deux magasins, une échoppe de fleuriste leur envoyait des bouffées superfines qui se mêlaient à l’âcre odeur des journaux frais. Une bouquetière déjà sur le retour, mais dont le visage ridé et tanné par le plein air pétillait de gentille malice, les accosta soudain avec une touffe de roses et de muguets : — Deux sous de printemps ! Deux sous d’amour ! Allons, fleurissez-vous, les jolis mariés... Adolphine la regardait, intimidée sous la gracieuse apostrophe, étonnée de ces façons familières, charmée aussi par cette voix musicale. Elle ouvrait de si grands yeux, qu’un gavroche qui passait, s’écria : — Hé, dis donc, en a-t-elle une jolie paire de quinquets, la p’tite mère ! Joseph sourit, lança un gros sou au gamin qui souleva sa casquette et s’enfuit en faisant la gambade : — Merci, mon Prince ! Cependant, la marchande piquait un frais bouquet de pâles roses dans le corsage d’Adolphine : — Ben sûr, ma belle, qu’elles se faneront pas à c’te place ! Et elle envoya un clin d’œil gaillard à Joseph qui lui tendit une pièce de vingt sous pour son discret compliment. — Hein, dit-il, quand ils furent un peu plus loin, crois-tu que ça nous change de nos infâmes bouquetiers de la place de la Bourse ! J’ai toujours trouvé qu’il y avait du souteneur dans leur affaire... Ce sont nos Apaches à nous... — Oeie oui, dit-elle avec conviction, ça sont tout de même des crapuleux ! ⁂ En face de Brébant, le bâton subitement dressé des gardiens de la paix arrêta la circulation torrentielle du boulevard, ouvrant un chemin à la foule amassée aux portes du Faubourg Poissonnière. Ils suivirent la file au milieu des hennissement des chevaux, du cliquetis des gourmettes et des mors. Adolphine admirait l’attitude impassible des agents de police qui, d’un geste, commandaient à ces flots humains. — Nous sommes les Hébreux, disait Joseph ; nous traversons la Mer Rouge à pied sec. Alors ils remontèrent le boulevard sur l’autre rive. Les affiches qui tapissaient les colonnes Morris impressionnaient vivement Adolphine, ces affiches pimpantes, souriantes, effrontées qui animent la rue et font de l’œil aux passants. Elle les trouvait « décolletées ». De fait, leur nu était loin d’être chaste. — Non, mais regarde une fois ! Ça est tout de même fort ! Elle était stupéfaite, un peu choquée de ce dévergondage en plein vent. Mais lui, indulgent, rempli d’une aimable tolérance, il admirait ces œuvres de Chéret, de Willette ou de Guillaume. Il en expliquait la spirituelle fantaisie, la grâce, les subtiles couleurs, tout cela mis au service du commerce. Il finissait par la persuader si bien, qu’elle lui décochait un malicieux clin d’œil qui signifiait : — Bah, je ne suis pas si prude que ça et tu sais mieux que personne jusqu’où va mon culte pour la pudeur... Mais la foire aux merveilles recommençait au Boulevard Montmartre, et de nouveau elle s’exclamait, éblouie. Joseph s’amusait de ses admirations de petite fille fixant sur les choses ses beaux yeux étonnés ; elle ne s’était pas figuré une ville aussi énorme, un tel étalage de richesses, une foule si animée, si dégourdie, si rayonnante. Surtout le timbre des voix la charmait comme une musique délicieuse. Parfois, elle surprenait des conversations et demeurait rêveuse, l’oreille chatouillée par cette langue alerte, colorée, cette langue sans obstacle, si facile à tout dire. Du coup, les plus laids visages et les plus vieux en étaient embellis, régénérés. — Hein ça, comme on cause bien ici ! — Hé, disait-il avec un enjouement malicieux, ce n’est pas tout à fait la langue des Posenaer et des Rampelbergh, mais c’est aussi bien... ⁂ Elle commençait à se faire lourde à son bras. Il comprit. Alors, il la poussa dans un « taxi » qui stationnait en face de la Madeleine. Ils suivirent d’abord la rue Royale, traversèrent la place de la Concorde entre les eaux jaillissantes et l’Obélisque, pour s’engager ensuite dans les Champs Élysées où le hâtif printemps accrochait déjà de blanches girandoles au feuillage des marroniers. Adolphine, bouche bée, regardait la tour Eiffel qui s’élançait à sa gauche, et là-bas, dressant sa masse dorée au sommet de la voie triomphale, l’Arc de l’Étoile ! Pourtant son extase n’était pas si complète qu’elle ne jetât par moment un regard anxieux sur la glace du taximètre fixé devant elle. Ce compteur impitoyable alarmait son âme de bourgeoise économe. Elle n’avait pas confiance dans la mécanique invisible de cet appareil qui lui semblait accélérer étrangement le prix de la course. Elle s’exclamait : — Regarde une fois, on en a déjà pour un franc septante ! Mais Joseph se moquait gaîment. Il risqua un facile calembour : — Tiens, change de place avec moi... Comme ça, tu ne verras plus ce... verre rongeur ! Ils gagnèrent les quais par l’avenue Montaigne et franchirent le fleuve. La Seine émerveilla la jeune femme par sa largeur, ses ponts magnifiques, son courant lumineux. — Si tu es bien sage, dit-il en riant, nous irons une fois en bateau-mouche... Tout en roulant, il lui montrait les Invalides, la Chambre, la gare d’Orléans, l’Institut, le Palais de justice. Il expliquait : — Nous sommes ici sur la rive gauche, le côté de l’aristocratie et de l’étude. Voilà le quartier latin, Cluny, la Sorbonne, le Panthéon, le Luxembourg... Nous ferons demain un petit tour par là... Elle s’étonnait de sa mémoire, l’enveloppait dans son beau regard d’admiration : — Comment est-ce que tu sais retenir tout ça ? Ils remontèrent le fleuve jusqu’au Pont-au-Change et se firent déposer au Châtelet. Ils en avaient pour deux francs cinquante. Adolphine, conciliante, trouva que c’était « raisonnable » bien qu’elle fît ses réserves en son par-dedans. Puis, ils s’en furent déjeuner dans un bouillon du Boulevard. L’endroit enchanta Mme Kaekebroeck ; l’uniforme à la fois coquet et sévère des serveuses, leur bonnet de neige aux brides voltigeantes, la jetaient dans le ravissement : — Hein, comme elles sont propres avec ça ! Il n’y avait pas jusqu’à l’exiguïté des portions qu’on leur apportait qui ne la mît en belle humeur : — On dirait qu’on joue dînette... L’après-midi, il l’obligea à escalader l’impériale de « Madeleine-Bastille » sous prétexte de l’habituer à tous les moyens de locomotion. Elle hésitait : — Oui mais non, sais-tu, on va voir mes jambes ! — As-tu fini tes manières ! Ce haut perchoir lui parut d’abord plutôt inconfortable et d’un roulis non exempt de danger. Elle poussa quelques cris qui réjouirent fort ses compagnons de voyage. Puis, elle s’accommoda, prétendit que « là au dessus » on était bien mieux, pour voir, qu’en taximètre. — Et puis, insinua Joseph pour la taquiner, ici, ça ne coûte que trois sous... — Oeie non, dit-elle un peu vexée, ça n’est pas pour ça que je le dis, mais ça est bien plus gai ! Place de la République, ils stoppèrent pour reprendre cette fois un turbulent autobus qui les mena sans encombre au Musée du Louvre. Adolphine s’intéressait médiocrement aux arts ; mais Joseph sut l’émoustiller si bien par son boniment de cicerone qu’elle supporta sans trop de fatigue la longue errance à travers les galeries de peinture et de sculpture. Pour la récompenser de sa vaillance, il l’emmena à Saint-Cloud, par l’Hirondelle. Ce fut une promenade délicieuse dans la vapeur ensoleillée et la douce fraîcheur des eaux. Quand ils rentrèrent, c’était l’entre-chien-et-loup, l’heure intense, nulle part féerique et prestigieuse comme à Paris au déclin d’une belle journée de printemps. Les réverbères, les horloges s’allumaient, les magasins flamboyaient, projetant sur l’asphalte et les passants des lueurs multicolores ; et là-haut, comme des lucioles gigantesques, les réclames électriques étincelaient et s’éteignaient tour à tour, rayant la profondeur des boulevards d’éclairs cabalistiques. La foule, épaissie, prenait maintenant une allure de flâne, tandis que le torrent de fiacres se faisait plus impétueux. La vie nocturne, la vie de luxe et de plaisir commençait. Au milieu du grondement de cette fourmilière enfiévrée, Adolphine se blottissait contre son mari. Elle était saisie d’une vague angoisse ; elle pensait à ses enfants, à sa calme maison de la rue du Boulet ; elle avait peur de disparaître dans les remous de cette marée humaine, d’être emportée très loin, vers des gouffres, comme un fétu de paille. Et Joseph, lui aussi, songeait : quelle dose de talent, de savoir-faire et de chance pour conquérir un nom, pour n’être pas le premier venu, la monade imperceptible dans cette multitude ! Et cependant, des hommes surgissent sans cesse, d’une complexion assez puissante pour défier la Ville Monstre et l’étreindre avec l’audace de Rastignac... ⁂ Après une longue journée d’exploration, ils se sentaient une faim que les petites portions des Duval et des Bouland n’eussent jamais pu rassasier. Ils dînèrent donc copieusement dans une taverne à la mode ; après quoi, dédaignant le théâtre, ils allèrent se délasser à la terrasse du café de la Paix. La foule coulait devant eux, nombreuse, merveilleusement bigarrée : couples bourgeois descendus un moment pour humer le parfum du renouveau ; passants rapides rentrant chez eux, lestés de paquets ; trottins, affranchis du carton, trottant le nez à l’évent, tout fiers d’être regardés et de se croire déjà quelque chose ; demoiselles de petite vertu, armées de leur robe voyante, marchant à petits pas sur les échasses de leurs fines bottines ; tout le Paris du soir qui chemine, court au repos, au plaisir ou au travail. Des camelots s’insinuaient entre les chaises, offrant leur pacotille, plans de Paris, cartes illustrées, liste des jeunes filles à marier... Quelques-uns, à la langue bien pendue, faisaient la parade, présentant les hommes du jour sous la forme d’un joujou symbolique, une baudruche le plus souvent qu’ils gonflaient à leur bouche et déposaient sur une planchette où elle rendait l’âme en poussant un cri de Guignol. D’autres, aux allures louches, prudentes, l’air gouape, s’approchaient des consommateurs pour montrer sous leur veston des objets clandestins. Et sans cesse se relayaient les marchands de journaux criant les éditions du soir, tandis que derrière la foule montait le grondement des voitures et s’égosillaient les cochers se prenant de gueule. Une petite vieille survint, hâve, décharnée, vêtue d’une mince défroque et qui glapissait : — La Prêeesse, demandez la Prêeesse ! Elle était si menue, si frêle... Sa vue serrait le cœur ; on la sentait vieillie par la misère encore plus que par les années. Joseph acheta un journal et glissa une pièce blanche dans la main de cette créature douloureuse. — Oh ! merci, mon bon Monsieur... Et elle s’en alla lentement, bousculée par les passants, moquée des gavroches qui imitaient son cri de fausset, ce cri déchirant, pathétique, où il y avait une si affreuse misère et qui laissait comme un sillage de tristesse derrière lui. — La Prêeesse, demandez la Prêeesse ! Adolphine était violemment émue : — Mon Dieu, comment est-ce que ses enfants savent encore la laisser courir, celle-là ! Cette épave humaine lui révélait en ce moment toute l’horreur des infirmités et des souffrances des pauvres. Son cœur en restait transi de pitié, une pitié qu’elle avait l’immense chagrin de sentir vaine et stérile... Mais la température fraîchissait. Ils se levèrent pour une dernière promenade sur l’asphalte, moins encombrée à cette heure et plus sombre. Près de la rue Drouot, un théâtre cinématographique les tenta. Ils entrèrent. Sur l’écran se déroulaient toutes les scènes de la réception d’un souverain en visite officielle à Paris. Rien de plus émouvant que ces brillantes cavalcades, cette foule enthousiaste, ces drapeaux et ces feuillages remués par le vent. — De l’histoire, de l’actualité, de la vie en conserve, disait Joseph. Ils virent encore une manœuvre de cuirassés dans la rade de Toulon, le retour des courses aux Champs-Élysées, un beau dimanche au Jardin d’acclimatation. Adolphine était émerveillée. Elle s’attendrit surtout au passage du gros éléphant qui s’avançait lourd, tranquille, balançant sur son dos toute une troupe de garçonnets et de fillettes aux visages épanouis de joie. Si Alberke et Hélène avaient vu ça ! Comme ils se seraient trémoussés de plaisir, les chers petits cœurs ! Joseph, également ravi, se récriait sur l’heureux choix des sujets : — À la bonne heure ! Voilà qui ne ressemble guère à nos déplorables cinémas de Bruxelles, infâmes boîtes qui ne représentent pour la plupart que des faits divers laborieusement arrangés, des pantomimes stupides, ou d’ineptes farces. Au lieu d’instruire la foule par des spectacles vrais, des vues de grandes capitales, des voyages à travers le monde ! Quoi de plus palpitant que de franchir en une seconde des milliers de lieues, de se trouver tout à coup transporté dans la grande rue de Yokohama par exemple, sur les quais de Saïgon, dans les forêts de l’Inde, sur l’Acropole, devant les Pyramides, ou dans les pampas de l’Arkansas au milieu des troupeaux de buffles et de chevaux sauvages ! Voilà qui nous apprendrait au moins quelque chose. Alors les théâtres cinématographiques ne désempliraient jamais de globe-trotters pour ce « Tour du Monde en une heure » qui ne coûterait que quelques sous... Il allait, il allait. La sortie du Vaudeville arrêta subitement son éloquence. Ils stoppèrent un instant pour regarder en badauds les belles mondaines coiffées en cheveux, vêtues de riches manteaux, étincelantes de pierreries et qui traversaient le trottoir, alertes, dégingandées, pour s’installer dans de somptueuses et miroitantes Panhard. — Le grand chic ! La Haute ! Elle écarquillait les yeux, stupéfaite de tant de luxe avec pourtant la confuse perception de ce qu’il y avait de barbare dans cette exagération de crêpés, d’aigrettes, de plumes et de fanfreluches. Que peut-il bien rester de la vraie femme sous ces parures plus extravagantes que ces pagnes et ces verroteries de traite dont s’affublent les sauvagesses ! Mais la foule s’était peu à peu dissipée. Ils s’en retournèrent lentement. Adolphine, un peu lasse, se faisait moins questionneuse : — Je ferme les yeux, tu sais ! disait-elle en manière d’enfantillage. Conduis-moi... Alors, lui, pour la réveiller, s’exclamait d’admiration au passage des belles petites qui les clignaient tous deux avec effronterie. Aussitôt elle rouvrait les yeux : — Mais ça... Comme elles sont tout de même franches ! Il expliquait : — Ce sont des dames dont la vertu n’est qu’un nom parce qu’elle ne dépend que d’un... oui ! — Qu’est-ce que tu dis ? — Je dis qu’elles sont bien plus gentilles qu’à Bruxelles... Tu ne trouves pas ? Elle le pinçait, jalouse : — Je n’aime pas que tu les regardes... Elle convenait pourtant qu’elles étaient jolies, bien habillées surtout et se ravalait injustement devant elles, ignorant que sa beauté simple et radieuse ne devait redouter aucune comparaison. Puis soudain, dans un bond de tendresse et de gaie confiance : — Oh, mais je suis sûre que tu aimes mieux moi ! Oh oui, qu’il l’aimait mieux que toutes les autres ! Elle resplendissait au milieu des parisiennes pâles, chlorotiques sous le fard, de tout l’éclat vermeil de sa chair flamande. Et puis il n’y avait pas chez elle le moindre grain d’affectation. En tout temps, elle était elle-même, dissimulant sous la brusquerie de ses gestes et de ses paroles une âme avenante et douce. Et c’est par là qu’elle lui plaisait bien plus encore que par sa réelle beauté. Alors, pour lui prouver combien elle avait raison, il l’entraîna vivement vers l’hôtel. Car l’air amoureux de Paris opérait déjà et Joseph se sentait devenir le vrai coq gaulois... ⁂ Elle s’assortit bien vite à cette vie tumultueuse et se promena dans Paris comme chez elle. Du reste, il n’est point de milieu où un Bruxellois, à plus forte raison une Bruxelloise, puisse rester longtemps étranger. Partout, il se ressaisit promptement, recouvre son aplomb, ses libres allures, quand même il tomberait chez les Papous ou les Chérokees, peuplades plutôt ahurissantes. Dès le lendemain, Adolphine assurait « qu’elle n’aurait pas été gênée de se débrouiller toute seule » dans cette grande ville. Elle fanfaronnait, grisée par ce mouvement, cette foule, cette fête splendide de couleur et de vie. Au surplus, rien ne divertissait Joseph comme ces infiltrations parisiennes qui se manifestaient déjà dans le langage de sa femme. Elle s’était d’abord moquée de ces « dis donc », de ces « voyons voir », de tous ces « â » pesamment chapeautés d’accent circonflexe. Et voilà que peu à peu, sans savoir, elle reprenait ces expressions, imitait cette prononciation pour son propre compte. Ses phrases bigarrées ressemblaient à la cape de Scapin. Elle fransquillonnait comme Thérèse Mosselman. — Bravo, s’écriait Joseph, voilà que tu parles à présent comme une Parisienne... Elle rougissait : — Oui, moque-toi seulement... — Non, non, encore quelques jours et je défie qu’on te prenne pour une Bruxelloise ! — Och, tais-toi, je t’en prie, disait-elle en pinçant son français. Je n’aime pas que tu dis ça... Ils visitèrent Notre-Dame, les Invalides, Cluny, le Panthéon, les Halles, tout ce que l’on peut voir en une semaine à Paris, dans la banlieue et les alentours. Ils poussèrent jusqu’à Versailles. Bien entendu, ils consacrèrent tout un après-midi aux grands magasins dont ils sortirent chargés d’emplettes pour leurs parents, amis et connaissances. Ils furent à l’Opéra, au Français, aux Folies-Bergères. Jamais, Adolphine ne fut à court d’exclamations. Sa belle voix de contralto vibrait sur le boulevard, sonnait dans les restaurants, les salles de musée et de spectacle. Partout, elle contait ses impressions, s’épanchait librement, tout haut. Et quand Joseph, un peu confus sous le regard de toutes ces têtes qui se retournaient sur eux, souriantes, la suppliait de mettre une sourdine à sa voix, elle s’écriait encore plus fort, défiant la curiosité du public : — Och, qu’est-ce que ça fait puisqu’on nous connaît tout de même pas ! C’était son argument ordinaire, péremptoire. Bientôt du reste, elle ne s’étonna plus de rien. Pourtant, une chose continuait de la captiver par-dessus tout et c’était la grâce des bébés et des enfants parisiens. Leurs vives façons, leur langage, si imprévu pour elle, la plongeaient dans une sorte d’extase. Ses regards restaient amoureusement attachés sur ces bambins charmants et ne s’en détournaient plus. C’est dans les jardins publics, sous les quinconces des Tuileries et du Luxembourg, qu’elle put surtout les observer tout à l’aise dans l’insouciance et le naïf abandon de leurs jeux. Petits garçons, petites filles, elle ne savait qui l’emportait en gentillesse. Elle se sentait intimidée devant eux, inférieure, indigne presque, incapable tout au moins de leur parler. Elle les contemplait avec la fervente adoration d’une Sainte Catherine en face de l’enfant Jésus... Joseph jouissait de son émotion : — Comprends-tu maintenant la différence ? Elle demeurait songeuse sans oser faire la comparaison. Mais son esprit, fécondé, commençait à entrevoir des choses nouvelles. Une autre enfance lui était tout à coup révélée, une enfance plus gracieuse et plus fine, une enfance quasi surnaturelle, comblée de tous les dons des marraines fées. Elle fût restée des heures devant ces petits, à regarder leurs jolis gestes, à écouter leur délicieux ramage, la mélodie de cette langue si pure d’accent, si claire, si nette, si « propre » qu’ils parlaient si coulemment avec des inflexions ravissantes, en virtuoses de la parole. C’était le frais babil des sources, le chant des fauvettes, le son des flûtes angéliques. Ici, l’enfance dégageait une séduction irrésistible ; elle avait des ailes ; elle avait mille charmes de plus, la douceur, l’assurance, l’instantanéité, l’abondance de la parole. Parler, chez nous, c’est une opération difficile, une extirpation de mots qui ne s’exécute pas sans efforts violents ni grimaces. Nos enfants ne sont que de petits barbares éructant des sons durs et grossiers, des croassements de corbeaux qui déforment leurs bouches et leurs figures, retardent peut-être l’expression de leur pensée, le développement de leur intelligence. Nos enfants paraissent déjà vieux... Le charme des gosses ! Ce fut la plus belle, la plus forte impression qu’elle emporta de Paris. — Ah, s’écriait-elle le dernier jour, comme je voudrais qu’Alberke et Hélène causent aussi comme ça ! Joseph souriait : — Eh bien, Chère, tu leur apprendras... Il était deux heures quand Mmes Kaekebroeck et Mosselman entrèrent dans le Jardin Botanique avec leurs enfants. Les grands arbres étalaient leur manteau de septembre sous un ciel lumineux et doux. Déjà, les chemins du parc anglais, ainsi que la vaste pelouse qui s’évase autour de l’étang, se jonchaient de feuilles d’or que de sages jardiniers, ennemis de la couleur, s’occupaient à rassembler en tas, d’un balai nonchalant. Là-haut, le soleil s’épandait librement sur l’esplanade, caressant le dôme des grandes serres, miroitant dans les cloisons vitrées sans blesser le regard. Une vapeur blonde flottait sur le jardin français, ambrait le cristal du bassin et les perles de son jet d’eau. C’était le suave après-midi d’automne avec de molles bouffées de parfum. Adolphine et Thérèse s’assirent non loin de la Gardeuse d’oies, tandis que les enfants poursuivaient vers les « montagnes », sous la garde de Léontine et de Maria. Les jeunes femmes étaient coquettement habillées ; Thérèse portait une robe de drap vert sombre, qui moulait à ravir ses formes mignonnes et faisait valoir son teint de rose ; un petit chapeau pers, agrafé d’une fleur de chardon en argent, lui donnait un je ne sais quoi de déluré que tempérait cependant la candeur de son regard. Adolphine, grande et plus charnue, avait endossé un long carrick, dont les plis ne dissimulaient à personne un état intéressant de près de cinq mois : car elle portait son « petit Parisien », comme on disait dans la famille. Les deux amies avaient « tiré leur ouvrage » et parlaient enfants, ménage, en marquant de fines lingeries destinées au bébé d’Hermance, dont les couches étaient attendues pour la fin novembre. Non loin d’elles, sous le marronnier rouge, l’Aesculus rubicunda, des fillettes dansaient une ronde. Elles se tenaient par la main et tournaient autour de l’arbre en chantant ; leurs voix étaient fausses, leur accent détestable, leurs gestes sans grâce. On percevait en même temps les cris grossiers d’une bande de gamins qui jouaient sur un palier plus élevé. Adolphine remarquait à présent ces tares de l’enfance. Elle en était affectée, tout en excusant ces petits de ne pas savoir mieux. Et pour la centième fois, elle redisait à Thérèse, avec force anecdotes à l’appui, le charme des enfants de Paris, leurs jolis jeux dans les jardins des Tuileries et du Luxembourg. Aussi, dès son retour, s’était-elle promis de surveiller attentivement Alberke et Hélène, de leur apprendre les belles manières et « tout ça ». Malheureusement, elle ne pouvait pas toujours être « derrière » et les bonnes défaisaient à chaque instant son bon ouvrage. Thérèse s’étonnait d’un tel souci et ne trouvait d’ailleurs rien à reprendre au parler non plus qu’aux façons de Léion, de Georgke et de Cécile. — Pourvu que ces chers bijoux se portent bien, avouait-elle, c’est le principal. Mais Adolphine, hantée par ses jolis souvenirs, tenait à ses idées de réforme : — Hélène, ça va encore, disait-elle, mais Alberke est difficile à tenir. Il n’est pas méchant, sais-tu, même qu’il a très bon cœur. Mais on doit faire attention avec lui. Il sait se mettre en colère qu’il en gagnerait quelque chose ! Et puis, il imite les mauvais gamins et répète des vilains mots. Son père est si fâché pour ça ! Thérèse vantait au contraire la douceur de ses garçons quoique, en secret, elle les eût préférés plus dégourdis : — C’est drôle, ça n’est pas le caractère de Ferdinand ni le mien... Il n’y a que Cécile... Ça c’est Mlle Coquinette, un vrai garçon manqué ! Si Adolphine déplorait la turbulence d’Alberke, au fond elle admirait ce polisson, contait ses bleus, ses bosses, son enfance baignée d’arnica et d’alcool camphré. Il en faisait de toutes les couleurs : — Franc comme lui, ça je n’ai jamais vu ! Toujours à grimper sur les arbres, à jeter des pierres au-dessus du mur... Dans la rue, il fait des lignes sur les façades ; il court après les charrettes de brasseurs, bon pour attraper un coup de clache !... Et tous les jours c’est quelque chose d’autre. Tiens, avant hier encore, il a été tirer par sa queue un gros chien qui s’est fâché comme de juste et lui a presque enlevé un morceau de son derrière ! Un touche-à-tout comme lui, non, ça est incroyable ! Il n’a peur de rien. Ah, on voit bien que c’est un garçon ! Et elle soupirait en souriant. ⁂ Un public nombreux, composé surtout de bonnes et d’enfants, défilait devant les amies. De vieux messieurs s’avançaient avec précaution en s’aidant de leur canne pour gravir l’allée légèrement montueuse. Des fillettes du peuple poussaient devant elles une marmaille à la chevelure hirsute et suspecte. Adolphine s’apitoya sur une gamine portant dans ses bras « le petit dernier » qu’elle allaitait avec un biberon malpropre. — Mais, regarde une fois, Thérèse ! Si ça n’est pas une misère ! Et dire que ça pousse tout de même ! Émues de pitié, elles appelèrent la petite nourrice pour lui offrir une grosse « couque » avec un peu de menue monnaie. C’était l’heure de pleine flânerie. Toutes les chaises, tous les bancs étaient occupés. Autour de la serre tropicale, devisaient grand’mères et mamans, tandis que les bébés pomponnés se poursuivaient entre les parterres concentriques ou s’écrasaient le nez contre les vitres trempées de sueur, pour voir les grandes formes à tarte de la Victoria Regia. Quelques gouvernantes, absorbées dans un livre, tournaient la corde à leurs petites maîtresses de leur main libre et machinale. Dans les enclos contigus, des étudiants, recalés sans doute en juillet, se promenaient le cahier à la main, interrogeant les plantes médicinales. Un peu à l’écart du bruyant quinconce, dans un chemin discret qui avoisine les maisons de la rue Saint-Lazare, des couples amoureux trouvaient une sorte de retraite sous les bosquets de lilas ou les branches retombantes des magnolias. C’est la place habituelle des idylles, principalement des liaisons nées sur le tard de la jeunesse ; amants d’un certain âge, contrariés par la famille, la dèche, le mariage, on ne sait. Ils causent à voix basse, mettant à profit ces minutes rares. D’ordinaire, c’est l’aimée qui parle, intarissable. Lui, courbé sur sa chaise, écoute avec une résignation stoïque, pourtant intéressée ; il joue avec le petit sac de la belle, à moins qu’il ne trace sur le sol avec sa canne des figures géométriques, comme un Archimède qui s’ignore. Et il pense qu’il voudrait bien être autre part avec elle, quelque part où elle ne parlerait plus autant et même plus du tout, parce qu’ils seraient seuls... Au milieu de tout ce public disséminé sous l’ombrage éclairci, l’uniforme d’un gardien apparaissait de temps à autre avec l’à-propos de Croquemitaine venant renforcer l’autorité des bonnes et réduire au silence les mioches trop braillards. C’était un tableau animé, joyeux, chatoyant, tout parfumé de l’odeur tiède, mélancolique qui émanait du gazon et des feuilles touchées par les brouillards de la nuit. Tout autour, la ville encadrait de sa puissante et harmonieuse rumeur cette oasis élyséenne. ⁂ Adolphine déposa sa broderie sur ses genoux : — C’est tout de même drôle qu’ils ne reviennent pas ! — Ils s’amusent sur la « montagne », dit Thérèse ; avec Léiontine et Maria, on peut être tranquille. — C’est vrai, se rassura Mme Kaekebroeck. Et tout de suite elle vanta les mérites de sa bonne : Léiontine soignait si bien les petits ; elle les aimait tant ; avec cela brave, honnête, toujours prête à faire plaisir ; et propre qu’elle était sur elle ! Puis, dans la crainte que cet éloge n’agaçât un peu son amie : — Toi aussi, dit-elle à Thérèse, tu es bien tombée avec Maria... — Je tape vite sur du bois ! s’exclama finement Mme Mosselman. — Oui, repartit Adolphine, on a de la chance, nous deux. Quand je pense que Pauline ne sait pas en avoir une de convenable... Tu sais, sa fameuse Adèle, eh bien elle plantait tout là pour courir avec un grenadier ! Ça, c’était une « galliarde » ! Et commune, et répondeuse ! Pauline en avait réellement peur... Thérèse reconnut à son tour qu’elle ne pouvait pas se plaindre. Maria était une bonne fille, très dévouée, mais qui avait cependant ses lubies, ses heures de relâchement. Certains jours « on ne savait positivement pas ce qu’elle avait dans sa tête ». Enfin tout le monde avait ses défauts. Adolphine qui voulait aussi que Léontine ne fût pas parfaite, dit alors en confidence qu’une chose l’inquiétait un peu depuis quelque temps et c’était ce rayonnement que dégageait la belle santé de sa bonne. De fait, celle-ci commençait à exercer une véritable séduction sur les garçons du quartier. — Oui, oui, je vois bien qu’ils la regardent comme une bête curieuse... Léontine était entrée à son service à la naissance d’Alberke ; ce n’était alors qu’une gringalette de treize ans, chétive, aux cheveux couleur de chanvre. Aujourd’hui la petite paysanne était devenue une forte fille à l’épaisse toison blonde et dont le visage, avec ses joues rebondies, sa large bouche aux belles dents, respirait un air de joyeuse bonté. Était-elle consciente de cette heureuse métamorphose ? Certes Léontine était sérieuse, on ne pouvait pas dire le contraire ; elle possédait de bons principes. N’empêche que depuis quelque temps, le petit Moens, le fils du boulanger du Rempart des Moines, tournait autour d’elle plus que de raison. Et il n’était pas le seul. Léontine pouvait se laisser prendre à ses façons. Il était si joli, si coquet dans son costume de pilou vert et ses guêtres jaunes ! Il poussait si gaillardement sa charrette, il était si bon pour son chien ; il savait si bien rossignoler avec son sifflet pour annoncer sa présence aux clients ! Ah c’était un gentil ventje. Toutes les bonnes et les cuisinières du Papenvest en raffolaient, lui faisaient des avances. Mais c’était tout de même à Léontine qu’il apportait son meilleur pain, ses plus croustillants pistolets et ses plus beaux cramiques. Oui, ce petit Moens était inquiétant. Il fallait prendre garde et veiller discrètement sur la vertu de Léontine. Quant à Thérèse, cette question d’amoureux ne la préoccupait guère : — Avec la mienne, il n’y a pas de danger, assurait-elle. Maria a un bon ami dans son village. C’est le fils du sacristain. Il vient la voir tous les mois avec son père et ils se promènent à trois... C’est plus convenable. Mais il était quatre heures. Les bandes d’enfants interrompaient leurs rondes, devenaient moins bruyantes ; c’était l’accalmie du goûter. Mme Kaekebroeck s’impatientait : — Mais où est-ce qu’ils restent, pour l’amour du Ciel ! Ça n’est vraiment pas permis ! Thérèse se leva : — Allons, moi, je vais une fois aller voir... Adolphine s’excusa de ne pas y aller à sa place : — J’irais bien, Chère, mais Hippolyte doit venir et j’ai peur qu’il ne me trouve pas. — Hippolyte doit venir ! s’écria Thérèse. Tu ne m’avais pas dit... — Och, s’apitoya Adolphine, il est si triste qu’il doit partir en pension lundi en huit... — Il va en pension ! Mais ça je ne savais pas ! Et dans l’étonnement que cette nouvelle causait à la jeune femme il y avait comme un brin de contrariété. — Oui, expliqua Adolphine, il va dans un collège de Paris pour apprendre à bien causer le français. C’est Joseph qui l’a conseillé à papa. — Mais il parle très bien ! s’écria Thérèse avec conviction. Et c’est un si bon sujet à « l’Athnée ». Non, ça tu sais je ne comprends pas ! Elle ne voyait pas l’utilité de cet exil, elle en restait surprise, un peu chagrine même, car elle aimait ce gentil adolescent dont les attentions et la discrète tendresse lui étaient plus sensibles qu’elle n’osait se l’avouer : — Pauvre petit ! fit-elle en se parlant à elle-même. Elle sembla rêver pendant quelques secondes, puis déposant son ouvrage : — Reste seulement, je reviens de suite... ⁂ Alberke ne démentait pas le portrait tracé par sa mère. C’était un solide gamin, haut en couleur, turbulent, indiscipliné, le bonnet toujours de travers, ruban sur le nez, sans égard pour ses « bons paletots » et qui donnait souvent à Léontine bien de la tablature. — Ça c’est un diable ! disait-elle avec une pointe d’orgueil, car elle l’aimait de tout son cœur. Il avait tout de suite escaladé la rampe de terre battue qui mène au premier palier de l’esplanade et, prenant à témoin sa sœur Hélène et les trois petits Mosselman assemblés : — « Regard » une fois, je vais courir en bas... Avant que sa bonne eût pu le retenir, il s’était élancé sur la pente au bas de laquelle un faux pas l’avait étendu à plat ventre au milieu du chemin. Déjà la robuste Léontine l’avait remis sur ses pieds. Et Alberke restait là immobile, bras écartés, tellement suffoqué qu’il ne pouvait pleurer. — Voilà ce que c’est, méchant, méchant garçon ! Elle le fit pirouetter, brossa d’une rude main son paletot à boutons d’or et finit par lui appliquer au bas du dos une tape où il y avait peut-être un peu plus de « clique » que de frottage. Ce choc rendit la voix au marmouset qui éclata en pleurs. La petite Hélène vint gentiment le consoler, essayant de lui ôter les mains de la figure, se haussant sur les pointes pour l’embrasser. Cécile Mosselman, qui trouvait sans doute dans sa petite cervelle de trois ans que c’était beaucoup de bruit pour rien, se promenait gravement à quelques pas de là, les mains derrière le dos, attendant qu’on en eût fini. Mais ses frères, Léon et Georges, très impressionnés, se blottissaient contre leur bonne : — Vous voyez n’est-ce pas ? disait Maria. Et dans l’ellipse de sa phrase, il y avait tout un enseignement, bien superflu du reste pour ces deux empotés. Cependant la petite Hélène avait attendri Léontine. Brusquement la bonne souleva la fillette dans ses bras et la baisa sur ses joues d’api : — Och erme, dit-elle, ça est tout de même un si bon petit cœur ! Alberke ne pleurait plus. Quand on lui eut frotté le nez avec un peu de salive, il reprit toute son insouciance : — On va jouer train ! dit-il. Aussitôt, il bouscula Cécile, Georgke et Léion Mosselman sous prétexte de les mettre en rang : — Moi, je suis locomotive. Il assigna à sa sœur la place de queue : elle ferait le fourgon des bagages, ce à quoi Hélène consentit sans répliquer, car elle faisait tout ce qu’il voulait. Alberke siffla : — Hou, houuuuuu ! — Oui, mais pas aller trop loin, savez-vous ! s’écria Léontine en barrant la voie. Et montrant du doigt la fontaine de Rude : — Jusqu’à là seulement et puis revenir... Mais Alberke s’impatientait : la chaudière bouillait : — Tchii, tchii ! faisait-il avec sa bouche allongée en groin. Allo, Léiontine, va-t-en, je dis ! Et il essayait de la repousser avec ses poings qu’il manœuvrait en pistons. Mais Léontine n’avait pas fini : — Faites seulement bien attention de ne pas courir tout près de ces sales gamins là-bas... En effet, au bout de l’allée, jouait une bande de polissons dont les manières débraillées et les cris sauvages ne présageaient rien de bon. Alberke siffla, lâcha la vapeur : — Hou, houuuuuu ! Tchi, tchiii ! Le train s’ébranla et partit à une allure raisonnable. Il revint sans encombre à son point de départ, stoppa un moment et repartit de nouveau, mais allégé cette fois de la petite Cécile dont les trois ans demandaient à souffler. Quant à Léon et Georges Mosselman, ils s’animaient vraiment et se dégourdissaient au contact d’Alberke qui était leur professeur d’énergie. — Ça n’est pas malheureux, disait Maria. On jurerait que ça est des filles ! Elle avouait que leur mollesse lui donnait parfois de violentes envies de les secouer ; la petite Cécile à la bonne heure, rien de plus vif qu’elle, c’était un garçon manqué, comme disait Madame. En effet, à peine reposée, la petite fille était partie en courant pour rejoindre le train. Or, depuis quelques minutes, celui-ci ne manœuvrait plus avec autant de liberté : la voie commençait à s’encombrer ; les « sales gamins » justement redoutés de Léontine, y faisaient des incursions de Peaux-Rouges. Dans leur poursuite, ils passaient à travers la rame de wagons dont ils s’emparaient au besoin pour les opposer comme des boucliers aux coups de leurs copains. Ce manège commençait à déplaire fortement à Alberke froissé dans son amour-propre de locomotive. Soudain, l’un d’eux renversa la petite Hélène. À cette vue, Alberke devint pâle de colère. Il poussa un cri et se rua sur l’agresseur qu’il bourra de toutes ses forces dans un accès de frénésie furieuse. Puis, avant que l’autre, surpris de cette attaque imprévue eût songer à se défendre, il se replia face à l’ennemi sur sa petite troupe, résolu à la protéger jusqu’à la mort. Léion et Georgke Mosselman, effarés, tremblaient de tous leurs membres. Mais la petite Cécile, que l’inconscience du danger et une ardeur naturelle rendaient belliqueuse, vola à côté du héros en même temps qu’Hélène se précipitait devant son frère frémissant et muet. Cependant les « sales gamins », un moment ahuris, se concertaient. Ils étaient six ou sept, âgés de dix à douze ans, apprentis en vagabondage, la mine effrontée, la bouche ordurière ; ils allaient se venger de l’offense de ce morveux d’Alberke. Mais les beaux habits du petit garçon et les jolies robes des fillettes leur imposaient. Au surplus, ils tenaient d’abord à s’assurer de pouvoir faire le coup impunément et jetaient aux alentours des regards investigateurs. Enfin, le plus grand, s’avança dans le chemin et interpella Alberke : — Viens une fois, si tu oses... Sans répondre à cette provocation, Alberke étendit les bras devant sa sœur et ses amis comme sur une couvée. C’était lui qui les avait entraînés dans cette aventure : à lui de les protéger contre les loups dévorants. Une petite transe pâlissait ses joues, mais il ne bronchait pas. Et voilà le vrai courage : avoir peur et ne pas reculer. Le sale gamin répéta : — Viens une fois, espèce de Ketje... Alberke restait coi, prêt à foncer. Mais la petite Cécile ne put se retenir de crier de sa voix grêle et comique : — Venez une fois, chales gamins ! C’en était trop. Cette fois, le jeune bougre se porta résolument en avant. Déjà son bras levé retombait sur Alberke quand une main nerveuse s’abattit sur son cou et le retourna comme un pion. — Grand lâche va ! Touche seulement à ces petits et tu sauras pourquoi ! Mais, le sauveur providentiel ayant relâché son étreinte, le chenapan et ses compagnons détalèrent comme des lapins. Déjà les enfants sautaient autour du jeune homme, s’accrochaient à ses habits : — Oncle Hippolyte, Oncle Hippolyte ! Ils parlaient tous à la fois, voulaient expliquer la bataille. Maria et Léontine, accourues sur ces entrefaites, s’excusaient de s’être attardées. De loin, elles croyaient que les petits étaient en train de jouer. Hippolyte les rassura : — Il n’y a pas de mal, dit-il, j’étais derrière cette statue, je veillais... Il embrassa les enfants : — Allons, vous êtes tout de même de braves petits ! Mais vous l’avez échappé belle ! Il cajola Cécile plus longuement que les autres : — Mazette, Mademoiselle, vous êtes une gaillarde, vous ! La fillette faisait une figure terrible, répétant de son gentil fausset : — Oh, j’allais leur donner un bon coup, chais-tu ! — Tu me fais peur ! Il la regardait avec ravissement, ému d’une tendresse particulière pour cette gamine si vivante, si bravette. Il la voyait d’ailleurs à travers un sentiment qui n’avait fait que croître depuis le fameux soir des fiançailles de sa sœur Hermance. Et il baisait les boucles blondes de la fillette en fermant les yeux comme pour se donner l’illusion de baiser encore certains bandeaux sombres dont l’odeur subtile grisait son souvenir. Tout à coup on entendit une voix joyeuse : — Eh bien, les vilains enfants, et votre « petit quatre heures ! » Qu’est-ce que vous restez faire donc ? On vous attend savez-vous ! C’était Thérèse. Il pensa défaillir et dut s’appuyer au socle d’une statue de bronze. — Tiens, Hippolyte ! s’écria gaîment la jeune femme tout en rajustant la cravate de ses garçons ; Adolphine demandait justement après toi... Il avait ôté son chapeau boule. Il s’inclina et dit d’une voix qu’assourdissait l’émotion : — Bonjour, Madame Thérèse. Elle se mit à rire : — Oh que c’est drôle ! Tu fais comme un monsieur ! Aussitôt, elle commanda aux bonnes de rejoindre Adolphine : — Allez seulement en avant. Moi, j’arrive avec Hippolyte. Tout de suite, Alberke avait reformé son train. Il siffla et le convoi partit devant Léontine et Maria qui allongeaient le pas en criant : — Doucement, doucement ! Tout à l’heure vous allez encore une fois tribouler par terre ! ⁂ — Eh bien, s’exclama Thérèse, qu’est-ce que j’apprends ? Tu vas en pension ! Et pourquoi ça ? Il était si troublé d’être seul avec elle qu’il répondit à voix basse : — Je ne sais pas... — Comment tu ne sais pas ! Est-ce que tu n’as plus eu de bonnes places à « l’Athnée » ? Il se redressa et avec une modeste fierté : — Oh si, j’ai été dans les trois premiers dans toutes les compositions... Et, baissant les yeux, il ajouta : — Puisque je vous l’avais promis... Elle demeura un moment interdite. Oui, elle se souvenait de ce soir des fiançailles où, placée à table près de lui, elle s’était avisée de l’interroger sur ses études. Dans son gai caprice, elle l’avait embrassé, parce qu’il avait été premier « en calcul ». Plus tard, animé d’une gentille ivresse, l’écolier s’était enhardi à plonger les yeux dans son corsage et soudain il l’avait baisée derrière l’oreille en murmurant : — Je vous jure maintenant d’être aussi premier en géographie ! Oui, elle se rappelait, et voilà que la constance, l’énergique volonté de ce bel adolescent, acharné à conquérir les premières places rien que pour mériter un regard de sa dame, la remplissait d’une émotion délicieuse qui avait presque le charme de l’amour. Elle le regardait, s’étonnant de le trouver tout-à-coup si grandi, si élégant. C’est qu’il avait seize ans aujourd’hui ; un soupçon de moustache ombrait sa lèvre. Sa figure distinguée, d’un ovale un peu long, au teint de chaud hâle, avait une expression à la fois énergique et rêveuse qui captivait dès l’abord. Il était souple, gracieux, réservé dans ses attitudes et ses gestes ; il avait vraiment bonne façon dans son complet de cheviott grise. C’était le garçon soigneux, de mœurs douces, élevé par ses trois grandes sœurs. Mais le silence devenait gênant ; Thérèse eût bien voulu détourner la conversation. En fin de compte, elle ne trouva que cette phrase qui ne détournait rien : — Eh bien, est-ce que tu as réussi en géographie ? Il répondit triomphant : — J’ai obtenu le premier prix ! Et j’ai eu aussi un prix de calcul et de latin ! Cette fois, elle n’osa plus le regarder et dit simplement : — Et qu’est-ce que ton père t’a donné pour ça ? Alors, avec un accent de profonde tristesse : — Il me fait partir pour le lycée à Paris ! Soudain, des larmes sautèrent à ses yeux. L’explosion de ce chagrin bouleversa la jeune femme : — Voyons, Cher, s’écria-t-elle d’un ton de reproche, un grand garçon comme toi qui pleure maintenant ! Elle lui prit résolument le bras : — Viens par ici, nous ferons un petit tour avant de rejoindre Adolphine. Il ne faut pas qu’on voie que tu as pleuré... Et lentement ils contournèrent les haies qui enclosent les petits parcs d’arbustes du jardin français. Le soleil baissait, mêlant un peu de rose à son or, mirant sa calme splendeur dans les vitres des grandes serres. L’air était doux, embaumé. Les bandes de moineaux rassemblés dans le feuillage, tapageaient une dernière fois avant de s’endormir. Mamans et bonnes pliaient bagages et remontaient le grand perron avec les bébés ; les promeneurs se faisaient plus rares. — Voyons, fils, dit-elle finalement, tu n’es pas raisonnable. Pourquoi es-tu si triste ? Parce que tu vas quitter ta maman ? La sensation de son bras passé sous le sien lui enlevait déjà une partie de sa peine. Mais il ne tenait pas à être consolé si vite de peur qu’elle ne le plaignît plus autant, qu’elle se pressât moins fort contre lui. Elle était si jolie, si mignonne dans son boléro écossais, avec son beau col blanc rabattu qui tranchait sur la chaude coloration de son teint ! Et puis, elle sentait si bon ! Comment rester triste quand elle lui témoignait tant de gentille amitié ! Il sentait son cœur se gonfler d’une tendresse éperdue et c’était une minute adorable. Il avait essuyé ses larmes. Il répondit enfin à sa question : — Oui, beaucoup pour ça, mais pas rien que pour ça... — Et pourquoi donc encore ? Comme elle le regardait, surprise de ses paroles réticentes ou feignant de l’être, une vive rougeur colora les joues du garçon. Il hésita un instant, puis très bas : — Non, fit-il, je ne peux pas le dire... Elle éclata d’un rire perlé : — C’est un secret ! Oh, rassure-toi, je ne veux pas le savoir... Cette fois, il répondit avec plus d’assurance : — Non, je ne peux pas le dire... surtout à vous. — Surtout à moi ! Il répéta, buté : — Oui, surtout à vous. — Ma foi, tu sais, je ne comprends pas ! Et pourtant un émoi singulier s’emparait de son cœur. Quant à lui, son âme, trop neuve encore, ne pouvait démêler les vrais sentiments d’une femme. Il fut navré du ton enjoué de ses paroles : elle était indifférente puisqu’elle ne devinait pas. Toute son amertume lui revint. Il dit : — Oh, je sais, vous ne pouvez pas comprendre... Elle retira son bras sous prétexte de consulter sa montre agrafée comme une médaille sur sa poitrine. — Oh, oh, dit-elle en jouant la surprise, mais il est presque cinq heures ! Dépêchons-nous, Adolphine doit se demander où nous restons ! Elle le devança de quelques pas. Alors, il comprit que, s’il ne parlait pas aujourd’hui, jamais il ne retrouverait une pareille occasion de lui avouer son amour et qu’il s’en voudrait toute sa vie d’une pareille maladresse. Il cessa d’hésiter, se sentit une invincible résolution de tout affronter. Il la rattrapa près d’un oranger en caisse : — Madame Thérèse, s’écria-t-il, je vais vous dire... Si j’ai tant de chagrin de partir, c’est parce que... parce que je ne vous verrai plus ! Il cacha sa figure dans ses mains tandis qu’elle s’arrêtait émue, bien plus qu’elle ne s’y attendait. — Mais, mon pauvre Hippolyte, moi aussi je serai bien triste de ne plus te voir... Il pleurait : — Oh, vous, ce n’est pas la même chose ! — Mais si, je t’assure... — Non, non, vous dites ça ! Mais c’est impossible, je sais bien que je ne compte pas pour vous... Elle voulut protester, mais il ne la laissait plus parler. Ce fut une déclaration ingénue, fiévreuse où il dévoila toutes les joies, toutes les précoces souffrances de son cœur passionné. Il l’aimait depuis l’âge de cinq ans. Est-ce qu’elle se rappelait comme il accourait pour se jeter dans ses bras ? Quand il était assis sur ses genoux, personne ne pouvait approcher ; il devenait plus hargneux qu’un roquet. Comme il aimait ses caresses et ses baisers ! Il gardait mille petits objets qui lui avaient appartenu, qu’elle avait portés ou simplement touchés, des fleurs séchées, des boutons, des rubans... L’affreux jour que celui où il avait appris qu’elle allait se marier avec Ferdinand ! Cette nouvelle lui avait causé un chagrin insupportable. La jalousie s’était allumée dans son cœur avec une violence sans pareille. Il ne l’aimait plus et il l’aimait encore... Dieu qu’il avait été malheureux ! Et puis, peu à peu la raison lui était revenue ; il avait distrait sa douleur par les livres : il avait étudié avec le désir de briller dans les concours et d’être distingué par elle... Oh, il comprenait bien aujourd’hui qu’il l’aimait mieux et tout autrement que fait un petit garçon. C’est elle qui, la première, lui avait révélé la femme dans la vie. Elle était le rêve de son cœur ! Il parlait avec volubilité, comme par crainte de ne pas oser tout dire et que sa timidité, reprenant le dessus, n’embarrassât ses aveux. Vainement Thérèse avait tenté de l’interrompre ; puis, elle s’était laissée aller au charme de cette confession en même temps qu’elle ressentait une petite angoisse en écoutant ce langage passionné. L’offre de ce pur, de ce premier amour, la remuait profondément : une sorte de griserie lui montait au cerveau. Mais ce ne fut qu’un instant : toute l’honnêteté de sa nature protesta contre cette douce langueur qui l’envahissait, contre cette complaisance à savourer le délire d’un enfant. Elle s’empara de ses mains et laissant toute coquetterie : — Mais, mon pauvre Hippolyte, tu es fou ! Je suis une vieille maman, moi ! Je t’aime beaucoup, mais je t’aime comme un grand fils ! — Je ne veux pas ! Je ne veux pas ! s’écria-t-il avec emportement, j’aime mieux alors que vous me détestiez ! Elle essaya d’être grave : — Voyons, sois gentil, calme-toi. Tu me fais beaucoup de peine, tu sais ! Retournons auprès d’Adolphine... Il se taisait, courbé sous son désespoir. Elle l’entraîna : — Je le vois bien maintenant... Il est bon que tu partes. Le collège changera tes idées. Si, si ! Et quand tu reviendras à la Noël, tu seras comme un petit français. Tu te moqueras de toi et de moi ! Il eut un geste de protestation ; mais elle n’y prit pas garde, continua de le sermonner doucement. Ses paroles tendres et raisonnables étaient comme une pluie fine qui tombait sur les braises de son amour. Ils étaient arrivés dans un petit chemin désert qui dévale entre une haie et un versant planté d’ifs et de buis. L’odeur funèbre de ces arbustes impressionna le jeune homme : — Je mourrai là-bas, dit-il sombrement. — Veux-tu bien te taire, méchant garçon ! D’abord si tu meurs, je ne t’aime plus ! Cette menace ironique parut l’émouvoir : — Si encore, dit-il, vous me permettiez de vous écrire quand je serai trop triste... — Eh bien c’est ça, il faut m’écrire... Et d’un petit doigt malicieux : — Mais tu sais, prends garde, Ferdinand lit toutes mes lettres... — Ne vous moquez pas, supplia-t-il. En même temps, il lui saisit les mains car les minutes étaient rapides et leur tête-à-tête allait brusquement cesser : — Est-ce que je ne puis pas vous embrasser avant de partir ? — Mais oui, j’espère bien que tu viendras nous dire au revoir... — Oui, mais non, je veux tout de suite ! Oh j’aimerais tant tout de suite ! Et avant qu’elle eût pris le temps de parlementer, il l’avait saisie dans ses bras et la baisait passionnément dans le cou sous l’oreille gauche. — Tu es un méchant garçon ! Allons finis... Qu’est-ce que les gens vont bien penser ! Elle était toute rouge et confuse, mais quand même attendrie par tant de fougue juvénile. Elle s’aperçut tout à coup qu’il lui avait dérobé le petit mouchoir passé dans son corsage : — Oui, mais ça pas, tu sais ! Rends-le moi... Mais il se reculait en pressant sur ses lèvres le morceau de batiste parfumé. — Voyons, finis, rend-le moi ! Il souriait, disait non. — Eh bien, je suis très fâchée maintenant ! Mais comme elle s’élançait vers lui, une bande d’enfants se jeta dans ses jupes en poussant des cris sauvages. C’était Alberke et son train. Et voilà qu’Adolphine surgit derrière eux : — Ah ça, où donc est-ce que vous restez vous autres ! On devrait déjà être parti depuis une bonne demi heure... En effet, le soir allait venir. Une brume rose enveloppait le jardin d’où montait à présent la forte odeur d’automne. Ils s’en retournèrent. La ville, toute fourmillante, s’illuminait sous le ciel mauve de l’entre-chien-et-loup. Les bonnes allaient devant, chargées de filets, traînant les moutards fatigués. Et Adolphine, exubérante à son ordinaire, bavardait sans rien soupçonner du souci de Thérèse ni de l’émoi d’Hippolyte. Parfois, elle s’interrompait pour gourmander Alberke : — Mais fais donc attention ousque tu marches, vilain garçon ! Elle se plaignait à Thérèse : — Quand il y a une saleté quelque part, ça est sûr que c’est pour ses pieds ! On se sépara rue de Flandre devant la corderie. Hippolyte était resté un peu en arrière : — Est-ce que je puis le garder, dit-il d’un ton suppliant, je vous le rendrai à la Noël... Elle ne voulait plus insister : — Fais comme tu veux, répondit-elle d’un ton qu’elle s’efforçait de rendre sévère. Mais c’est fini, tu sais, je ne t’aime plus. Elle disparut dans la maison, tandis qu’il s’en allait rêveusement, à la fois inquiet et heureux de cette querelle, oppressé par le doute et l’espoir, sans savoir au juste s’il l’avait offensée ou troublée, mais sûr qu’il était un homme à présent par la hardiesse de ses aveux. Son âme, subitement élargie, avait l’intuition précoce des sentiments d’un âge supérieur ; elle allait se repaître avec ivresse des souffrances de l’amour. Adolphine, qui l’attendait au coin du Rempart des Moines, se chargea de le replonger dans la rude réalité : — Mais qu’est-ce que vous avez donc tous aujourd’hui à traîner comme ça ? Joseph va encore une fois réclamer. Le gigot sera sûr trop cuit ! Alors, le pauvre Hippolyte la suivit docilement, essayant de prolonger en lui-même cette heure délicieusement romanesque... Alberke grandissait ; il devenait temps qu’il apprît quelque chose. Pensez qu’à son âge sa petite cousine Jeanne Van Poppel savait lire, écrire et compter ! Donc, depuis le premier octobre, Alberke allait à l’école moyenne de la rue du Rouleau. C’était bien un peu « mélangé », comme disait Adolphine, mais, que voulez-vous, il n’y avait pas mieux, du moins dans les environs du Papenvest. Après huit jours d’une résistance exaspérée dont les manifestations attroupaient les passants dans la rue et leur faisaient traiter cette pauvre Léontine de fille sans cœur, le petit garçon s’était résigné. Séduit peu à peu par le régime amusant de l’école, par la bonté du professeur et surtout par les récréations, il s’en allait à présent docile et sautillant, son cartable sous le bras. Comme il était intelligent, il apprit tout de suite à cracher sur son ardoise et à l’essuyer avec son coude beaucoup mieux qu’avec la petite éponge pendue à la ficelle ; bientôt il sut y dessiner l’alphabet d’une « touche » un peu lente sans doute et fortement écrasée, mais dont les caractères massifs n’en étaient que plus lisibles. Le soir, après le dîner, ventre aplati sur la table de la salle à manger, Alberke donnait des séances d’écriture pour sa sœur Hélène qui, également allongée sur la toile cirée de précaution, le regardait avec une curiosité admirative à travers le ruissellement de ses boucles blondes retombées sur son front. Enchantée de ses progrès, Adolphine lui avait promis un beau calepin pour sa Saint-Nicolas. Mais Joseph n’était peut-être pas aussi satisfait. Certes, il ne pouvait assez se féliciter d’être débarrassé chaque jour, pendant au moins six pleines heures, d’un garçon particulièrement tapageur ; mais il observait avec regret d’autre part que le langage et les façons de son fils, loin de s’améliorer, se gâtaient davantage au contact de ses petits condisciples, enfants de boutiquiers pour la grande majorité et dont l’affreux patois flamand était la langue familière. Aussi ne ménageait-il pas les réprimandes et s’enrageait-il, parfois même jusqu’à la violence, à vouloir réformer les expressions, l’accent et les allures du jeune écolier. Cette langue fruste, impulsive, qui lui semblait une originalité, presqu’un charme de plus chez sa femme, lui était pénible dans la bouche de son fils. Certains jours, il se montrait impitoyable et ne laissait passer rien. Les scènes éclataient, à table d’ordinaire, au grand chagrin d’Adolphine qui en perdait l’appétit et souvent la patience : — Tiens, disait-elle avec humeur, si tu continues comme ça, le pauvre enfant n’osera plus seulement ouvrir la bouche... — Tant mieux, s’écriait Joseph, je ne demande que ça, car pour parler comme il fait, je préfère encore entendre grogner les petits cochons. Ceux-là ont au moins leur groin pour excuse ! Et il attrapait les maîtres dont les oreilles n’étaient pas offensées par des sons aussi grossiers. Pourtant, il eut été si simple de corriger tout de suite cette élocution grasseyante et traînarde, cette prononciation « papeuse », cette langue diffuse, malpropre qui sortait de la bouche comme un vomissement ! Mais non, ils laissaient dire, n’étant pas choqués pour si peu. Au fait, est-ce qu’ils parlaient beaucoup mieux que leurs élèves ? Quoi d’étonnant alors que les générations se succédassent marquées de cette tare ignominieuse ? Ah, l’inventeur d’un sérum contre cette petite vérole de la langue ! D’autres fois, moins nerveux, il ne daignait pas même se fâcher et se contentait d’un haussement d’épaules. Mais cette improbation muette n’en était que plus grave aux yeux d’Adolphine, car elle témoignait d’une lassitude, d’une sorte de découragement devant l’impossible. Rien ne l’attristait davantage : alors, prise à son tour d’une sourde impatience, elle rudoyait l’enfant : — Voyons, méchant garçon, est-ce qu’on dit ça ! Et jouant la stupéfaction pour complaire à son mari : — Mais où donc est-ce qu’il va le chercher, ça je me le demande ! — Il ne le cherche nulle part, répondait froidement Joseph. Il trouve ça tout seul... Il est inventeur dans l’art de mal dire... C’est un don ! Mais elle sentait l’exagération, l’injustice d’une telle sévérité. Au fond, est-ce que c’était sa faute à ce petit ? On ne lui apprenait pas mieux en classe. Alors, soudainement attendrie devant l’enfant interloqué, elle radoucissait sa voix, tâchait de lui expliquer : — Voyons, Fiske, on ne dit pas : « Nous autres, on a jouéie à radéie coupéie... » On dit... — Avec élégance ! observait Joseph. — Och, tais-toi, toi ! On dit... — Oui, c’est ça, comment dit-on ? faisait-il taquin, fort curieux du reste de voir comment elle allait se tirer d’affaire. Mais elle, sans se laisser intimider et forte de ses balades parisiennes, pinçait les lèvres et d’un petit ton de flûte : — On dit : « Nous avons joué, mes petits camarades et moi, à radé coupé... » Allons, Fiske, répète une fois... Mais Alberke, mal à l’aise sous le regard quasi électrique de son père, bégayait et bredouillait : — On a... Nous avons joué à radéie... — Radé ! s’emportait Joseph. Radé, on te dit ! Pas radéie ! — ...à radé coupéie... — Coupéie maintenant ! Coupé, coupé entends-tu ? Il est sourd, ma parole ! L’enfant palissait, perdait la voix. — Eh bien, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? Ne te presse pas, tu sais ! Cette fois, une sorte de hoquet secouait le petit Marollien. Ses lèvres frémissaient. Tout de même, bandant son courage, il se risquait dans un suprême effort : — On... On a joué radéie... Et tout à coup, il fondait en larmes dans sa serviette. Perchée sur sa haute chaise, la petite Hélène, dont le cœur était très sensible, ne manquait pas de l’imiter par tendresse, et voilà qu’Adolphine elle-même, ne pouvant maîtriser son émotion, larmoyait à son tour : — Voilà ! Tu es bien avancé maintenant ? Je crois bien, quand tu te fâches comme ça, le petit ne sait plus quoi dire ! ⁂ Joseph s’emportait sans doute avec trop de vivacité et manquait de patience. Il en convenait après coup avec lui-même, regrettait ses durs sarcasmes en se promettant toujours d’user la prochaine fois de plus d’indulgence. Mais c’était plus fort que lui : l’horrible jargon que son fils rapportait de l’école, ce jargon aggravé de quel croassement ! faisait monter à son cerveau des bouffées de colère qui le sortaient de sa peau. Oui, il était révolté d’entendre parler de cette manière ; il en souffrait physiquement. Il avait cru longtemps que cette langue et cet accent, c’était une maladie de la bouche dont on mourait. Certes, il comprenait que ces écoliers, hésitant entre les patois français et flamand, ne prissent pas encore la peine de se décider pour l’un ou l’autre et qu’ils les mélangeassent tous deux dans un dialecte de Yahou, horrible à dégoûter les singes. Mais comment admettre que les professeurs fussent indifférents à cette façon de dire et de prononcer ? Était-ce découragement de leur part, certitude de la stérilité de leurs efforts ? Pourquoi, surtout dès l’enfance, ne pas essayer de clarifier les sons de ces fraîches petites bouches ? En ce qui concerne l’accent, passe encore à la rigueur ; les maîtres pouvaient manquer de modèles de comparaison, bien qu’il fût assez difficile d’admettre qu’ils n’eussent jamais entendu des comédiens français. Et puis Joseph reconnaissait tout le premier que la prononciation dite française avait, elle aussi, ses défauts, ses fautes, ses affectations agaçantes qu’il ne convenait nullement de prendre pour exemple et d’imiter. Mais, sans contredit, les maîtres lui semblaient inexcusables, quand ils ne redressaient pas tout de suite des phrases torses, difformes, pleines d’obscurité et de contre-sens, construites en dépit de toute espèce de logique. Ici, le devoir s’imposait d’être prompt et impitoyable ; avec un inlassable courage, coûte que coûte, il fallait nettoyer ce jargon d’Augias, chauler, phéniquer ces paroles en putréfaction, ces paroles fécales ! Une telle langue ne contenait plus une seule goutte de bon sang français : elle n’avait que du pus. Quoi de plus simple pourtant que d’appliquer le remède dès l’école, alors que la mémoire de l’enfant reçoit des empreintes que l’on peut faire profondes, ineffaçables ! Au demeurant, à constater la difficulté, la torture presque, avec laquelle s’expriment les écoliers, ne leur eût-il pas coûté bien moins de peine de parler avec correction ? Ce n’était pas que Joseph fût si infatué de beau langage, si puriste que cela ; non, non ! Mais puisqu’on avait la prétention d’enseigner le français et de s’exprimer en français, il voulait qu’on parlât français que diable ! et non une horrible contrefaçon de français, un français de traite à peine bon pour les nègres. À ce compte là ne valait-il pas mieux parler flamand ? Mais quels instituteurs comprenaient cela ? Combien ils étaient rares ! Et Joseph, découragé, finissait par se demander si notre langue et notre accent n’étaient pas des tares organiques qu’il fallait combattre par quelque pilule d’empirique, voire même par une intervention chirurgicale dont il s’abstenait d’ailleurs prudemment d’indiquer la place. Ses bordées déclamatoires, ne laissaient pas cependant que d’émouvoir Adolphine : elle se rappelait du reste le gazouillis charmant des petits parisiens et convenait — mais sans une entière bonne foi — que son Alberke avait fort à faire pour leur ressembler. Aussi s’efforçait-elle de son mieux à améliorer le langage de son fils et à l’initier aux suavités de la langue française. Rien n’était peut-être plus comique, ni plus attendrissant à la fois. Elle, que l’atticisme n’avait jamais préoccupée outre mesure ni même le moins du monde, surveillait à présent ses paroles ; elle modérait l’élan de sa bouche, adoucissait sa voix légèrement aboyeuse et son rude accent. Elle tâchait à bien dire et s’exerçait à « fransquillonner ». La petite Hélène l’imita tout de suite à la perfection ; et bientôt, il n’y eut pas jusqu’à Léontine qui, prise d’une émulation sacrée et quoique ignorante comme une carpe, ne se mêlât à son tour de soustraire Alberke à la contamination verbale de l’école. Ainsi enseigné, l’oreille tiraillée en tous sens, le petit garçon ne savait à qui entendre et parlait un baragouin imprévu, même pour lui. À diverses reprises, Adolphine, de son propre mouvement, s’était rendue rue du Rouleau à la sortie de la classe, sous prétexte d’interroger le professeur sur la conduite de son fils, mais en réalité pour lui faire part des appréhensions de son mari au sujet de la manière dont on apprenait à parler aux enfants. Elle avait trouvé un gros homme, bonasse, paterne et qui ne trouvait rien à reprocher à ses petits élèves. Un jour pourtant, elle osa insinuer que leur façon de s’exprimer devait mettre souvent sa patience à de rudes épreuves, mais il parut assez étonné d’une telle remarque : — Vraiment, dit-il, trouvez-vous qu’ils parlent si mal ? Mais tous les enfants parlent de la même façon... Bah ! ils ont du temps devant eux. On ne doit pas s’inquiéter de si peu de chose. Ça ne tire pas à conséquence. Elle ne sut pas insister, d’autant plus que, charmé par la tournure de cette jolie maman, le brave homme s’était complu à faire l’éloge d’Alberke, vantant son intelligence, la franchise de son caractère, sa belle santé aussi et la force de ses jeunes muscles : — Hé, hé ! c’est un solide gaillard ! Aussi bien, il était sincère. Alberke parlait mal, mais il compensait ce défaut par des qualités peu communes d’ordinaire chez les enfants de son âge. C’est ainsi qu’il était déluré, hardi, exempt de sournoiserie, prêt sans doute à toute sorte de niches, aussi prompt par contre à s’en avouer l’auteur si l’on punissait un innocent. Il parlait charabia mais il le parlait avec sonorité, en face, tête bien redressée et les yeux dans les yeux de son interlocuteur. Il avait le regard clair, direct. Généreux, il soufflait les camarades en détresse. Bien fourni de « couques », il les partageait avec libéralité. Dans les petites batailles où il y avait parfois moins de jeu que de traîtrise, il volait toujours à la rescousse du plus faible et il n’avait pas peur de se mesurer avec plus haut que sa taille. Déjà germait en lui un je ne sais quoi de chevaleresque comme il y avait chez son père. Ses cheveux, d’un blond hardi, c’est-à-dire tirant un peu sur le roux, étaient drus, hérissés, ce qui ajoutait à l’expression décidée de sa physionomie. Il avait tout de suite conquis de l’ascendant sur ses condisciples qu’il réjouissait par ses grimaces de paillasse, par sa faconde et le toupet du diable qu’il déployait dans les interrogatoires. Il subissait d’ailleurs les mauvais points et les retenues avec la fermeté parfaite du gosse spartiate. Aussi, après deux mois d’école, était-il « populaire » ; on le sentait brave, résolu. Il ne craignait personne hormis son père ; encore était-ce seulement son amour-propre qui souffrait devant lui ; s’il pleurait sous ses réprimandes, c’était plutôt de dépit et de honte de ne pas savoir mieux comprendre ce qu’on attendait de lui. Au fond, Joseph s’étonnait avec joie de toutes les qualités qui se révélaient soudainement chez Alberke ; mais on eût dit qu’un brouillard compact les lui masquait aussitôt qu’il l’écoutait parler son affreux langage. « Ce n’est pas parce que c’est le mien », répétait volontiers Adolphine quand elle vantait son fils, phrase réflexe commune à toutes les mères et qu’on leur passe en souriant. Tout au rebours, Joseph prononçait avec sévérité : — Ce n’est pas parce que c’est le mien, mais je doute qu’il y ait d’ici à bien loin un gaillard qui parle aussi mal... Car il affectait de juger ses enfants plus durement que ceux de n’importe qui et de ne pas donner dans ce travers des parents qui exaltent leurs fongibles rejetons au dessus de tous les autres marmots grouillant sur le Globe, et qui se contemplent et s’admirent en eux... ⁂ Si Alberke se plaisait maintenant à l’école au point de cacher ses maux de gorge et ses bobos de crainte qu’on ne le retînt à la maison, il n’éprouvait pas moins de satisfaction à revoir Léontine qui venait ponctuellement le chercher à midi et à quatre heures. Il préférait cependant le retour du soir. À midi, en effet, il ne s’agissait pas de traîner : il fallait rentrer vite pour déjeuner. Mais à quatre heures, c’était tout différent ; on avait du temps devant soi, on pouvait flâner. Alberke en profitait pour aller dire bonjour à marraine Pauline, à bonne-maman Platbrood, à moins qu’il ne fût invité à des parties de « cachette » chez les petits Mosselman ou les petits Posenaer. Mais le meilleur plaisir encore, c’était, lorsqu’il faisait doux, de muser par les rues à l’heure charmante où s’allument les devantures et les réverbères. On s’arrêtait d’abord devant la gentille boutique du boisselier. Elle évoquait le moyen-âge avec son pêle-mêle d’arcs et d’arbalètes, de flèches et de carquois, de cibles, de robinets et de bondes étalés sous une penderie de cages et de tamis à l’étamine bigarrée comme un jupon écossais. Et dans le coin de la vitrine, à droite, quoi de plus intéressant à contempler que cette collection de toupies, doppen à « clache » et à ficelle, les unes petites et frustes, à peine dégrossies, les autres en forme de poires, bien lisses, coloriées en rouge ou en jaune, d’autres encore tournées en ballon, adornées de multiples colliers de rainures, armées d’une « pinne » formidable d’acier luisant, toupies énormes, faites celles-là pour la patte géante d’un « voetcapoen ». Alberke pointait sur la vitrine un index volontaire : — Celle-là, je veux, moi ! Et c’était naturellement la plus grosse. Léontine haussait les épaules, se moquait de lui : — Tenez, tenez ! Mais elle est presque si grosse que ta tête ! Tu ne saurais pas seulement la faire aller... — Je veux celle-là ! Entre seulement une fois dans le magasin. — Je n’ai pas d’argent... Et puis, merci bien pour avoir des ruses de Maman, n’est-ce pas ? — Alors celle-là, tiens... faisait-il en rabaissant ses prétentions. — Non, non, Monsieur, rien du tout. Et comme il s’obstinait : — Si tu continues, je le dis à Saint-Nicolas, sais-tu, quand il vient dans six jours... Tu as bien compris ?... Cette fois, il se tenait coi mais pour un instant car, la boutique de papeterie se trouvant à deux pas, il lui poussait instantanément la grosse envie d’une image. Le plus souvent, Léontine consentait à satisfaire ce caprice modeste qui devenait aussi le sien, et l’on entrait chez les demoiselles Janssens dans l’aboiement enragé de cette hargneuse petite sonnette que déclanchait la porte. Prudence et Félicie Janssens n’avaient point changé, ni au moral ni au physique, et ne changeraient jamais. La cire de leur visage n’accusait aucune ride nouvelle ; elles portaient toujours leurs bandeaux poussiéreux, d’un gris verdâtre ; et les petits enfants, les pauvres aussi bien que les riches, ne cessaient pas d’être égaux devant leur impassible bonté. Quant au magasin, malgré le proche voisinage de l’usine électrique, il restait aussi ténébreux que devant et continuait de sentir le crayon Faber, le fricot et le matou. C’était un antre de sorcières et c’était le paradis des enfants. Non loin de la demeure des vieilles filles, il y avait encore la boutique de Sturbelle, le confiseur, devant laquelle Alberke aimait à s’accouder. Défense absolue d’acheter des « boules » ; oui, il savait et n’insistait pas. Mais l’haleine qu’exhalait le soupirail, cette haleine épaisse et chaude, chargée de miel et d’anis, lui semblait le plus suave parfum du monde. Il la humait avec délices en léchant des yeux toutes ces friandises poisseuses et multiples, versées comme d’une corne d’abondance dans les bacs de zinc du comptoir. Par exemple, les échoppes de gargotiers le dégoûtaient absolument. Et pourtant, un attrait singulier le retenait en face de ces vitres embuées de vapeur grasse, derrière lesquelles s’alignaient des platées hétéroclites, savourets innommables, toute une nourriture ancienne, faisandée, suspecte. C’était des morceaux de raie enlisés dans la daube d’énormes saladiers sales, des plies frites de huit jours étalées sur des gazettes crasseuses, des tronçons d’anguilles nageant dans un jus vert, putride ; des poires cuites dressant leurs queues mélancoliques hors d’une ignoble lavasse, sirop ou purin, on ne savait trop lequel. Et sur tout cela, tombant en guirlandes, des rubans de glu, noirs de cadavres de mouches. Et cela était rudement beau de saleté et d’horreur. Dire que des affamés dévoraient ça gloutonnement... Bah, on ne mange pas l’odeur, comme disent les sauvages. — Quand tu n’es pas sage, faisait Léontine en riant, je viens en acheter une pour ton déjeuner... Et elle lui montrait, suspendues à une ficelle, de vieilles « scholls » gondolées, violâtres, tavelées de noires pustules et dont il semblait qu’on subodorât l’infect relent au travers de la vitrine. — Bek, grimaçait le petit garçon avec un haut-le-cœur. Et vite, il l’entraînait vers des boutiques plus riantes, par exemple devant la boulangerie Moens établie juste en face du Marché-aux-Porcs. — Oeie, moi j’ai si faim, Léiontine ! Si les « boules » étaient sévèrement défendues, un triangle de tarte au riz, un cornet à la crème, voire même une gozette aux pommes pouvaient impunément être concédées à la gourmandise d’Alberke. Ici, Léontine avait carte blanche. D’ailleurs, elle entrait d’autant plus volontiers dans la boutique qu’un tendre sentiment l’entraînait vers le fils Moens, le gentil panetier dont les timides œillades avaient fini par gagner son cœur. Ainsi se réalisaient les pressentiments d’Adolphine. Mais nos jeunes gens n’en étaient encore qu’aux baisers furtifs derrière les portes ou dans les vestibules ou bien sous le vaste et concave couvercle de la charrette à pains, par exemple quand ils se penchaient ensemble au dessus de la caisse sous couleur de choisir les meilleurs pistolets. Même qu’un matin, ce couvercle leur étant retombé sur la nuque, ils avaient failli en perdre la tête. L’excellente et volumineuse Mme Moens, assise derrière le comptoir, ne se doutait de rien, tout occupée du petit garçon dont la voracité l’amusait et qu’elle ne manquait jamais d’interroger sur son âge, sa petite sœur, ses parents, ses grands-parents et arrière-grands-parents. Quand il avait englouti la bonne tarte, c’est elle qui lui essuyait les doigts avec son tablier et lui donnait à boire : — Hein, ça a bien goûté, mon anchke ? Puis devinant son secret désir : — Et maintenant, tu peux une fois aller dire bonjour à Tom dans sa niche... Tom et Alberke se connaissaient avantageusement ; c’étaient des amis de longue date. N’importe, le gros chien à l’attache pouvait dans un moment de surprise se précipiter sur l’enfant. Il était donc prudent que Léontine accompagnât ce dernier et il ne l’était pas moins que le petit Moens s’élançât en avant à travers l’étroit couloir qui menait à la cour afin d’annoncer à son chien des visiteurs sympathiques. Alors, tandis que Tom et Alberke se congratulaient et causaient de leurs affaires, le jeune homme attirait doucement la jolie bonne sous une espèce d’appentis qui servait à remiser des formes et là, dans l’obscurité propice, prenant la tête blonde de Léontine dans ses mains, il l’amenait contre ses lèvres auxquelles la belle fille, défaillante, laissait tout de suite se souder les siennes. Et les amants, enlacés, bouches fondues l’une dans l’autre, goûtaient un instant céleste. Elle se dégageait la première, soit par force d’âme, soit par honte de sa langueur : — Mon Dieu, si on le saurait ! Il se moquait bien de cela : — Encore une baise, une seule, la dernière... — Non, non, vous verrez qu’on se fera une fois attraper... Mais il insistait si tendrement qu’elle lui cédait de tout son cœur. Et cette dernière « baise » durait délicieusement, devenait la pénultième, et même l’antépénultième. ⁂ Les jours de bise ou de pluie, c’était moins gai ; on rentrait tout droit. S’il arrivait qu’Alberke fût maussade et se laissât traîner, Léontine l’aiguillonnait de ces paroles magiques : — Vite seulement, il y a une bonne casserole à lécher ! Et sitôt, il pressait le pas, redevenait vif et joyeux. D’ailleurs la maison ne lui était pas un séjour pénible, loin de là. Vieille, spacieuse, elle offrait mille distractions, des paliers vastes à permettre tous les jeux, des coins, des kotjes de mystère, sans compter un énorme grenier encombré d’une infinité de « bidons » à travers quoi il allait à la découverte avec sa docile petite sœur Hélène. Mais c’était peut-être la cuisine qui lui semblait l’endroit le plus agréable de la maison, lieu de délices, paradis souterrain où il passait à gourmandiser des heures chaudes et rapides, gâté du reste par cette bougon de Victorine qui le laissait toucher à tout, enseignait sa jeunesse à tourner dans les sauces, lui tenant la main sur la cuiller à pot à la manière d’un professeur de calligraphie recouvrant la menotte de l’écolier qui façonne ses premiers bâtons, lui abandonnant même jusqu’au rouleau à pâte lorsque, se haussant à la confection de quelque solide tarte bourgeoise, elle brassait rudement la farine et les œufs dans le pétrin. Oui, cette bonne Victorine lui enseignait beaucoup de choses, mais pas le français certainement. Elle le perfectionnait au contraire dans le charabia ; car, native de Landeghem, cette vierge de trente-cinq ans s’exprimait dans un idiome ingénu, celui d’une négresse du Gabon dont elle avait d’ailleurs la face mafflue, le nez épaté et les lèvres pneumatiques. Elle était au surplus verbeuse de toute la difficulté qu’elle éprouvait à se faire comprendre. Aussi les séjours prolongés dans la cuisine étaient-ils sévèrement interdits à Alberke ; à peine était-il autorisé à y rester l’espace d’une lappée de casserole, les jours de compote ou de riz au lait. Mais sa curiosité et sa gourmandise y trouvaient trop d’attraits pour qu’il n’enfreignît pas la défense. D’ailleurs, habile à dépister sa mère, et preste comme un singe, il savait disparaître, s’évaporer à propos quand Adolphine faisait ses tournées d’inspection et encore qu’elle parût souvent à l’improviste. — Pas vous gêner, savez-vous Victorine, répétait Mme Kaekebroeck ; il faut seulement le chasser avec une bonne clique sur son pétard quand il court dans vos jambes... — Och, moi pas ça faire, Madame ! Et la bonne fille protestait si fort de la gentillesse du garnement, sa figure triviale se rehaussait en y pensant d’un si doux sourire, qu’Adolphine, attendrie, n’osait insister, se reprochant presque sa petite hypocrisie. Il fallait bien reconnaître que tout s’opposait, la famille et la maison non moins que l’école, à ce que le jeune Alberke fît de grands progrès dans l’art de bien dire et de bien prononcer. Aussi Joseph songeait-il sérieusement à le déraciner un jour ou l’autre et à l’envoyer dans quelque collège du Nord de la France, voire même à Paris maintenant que le voyage entre les deux capitales s’accomplissait en quelques heures. Ce projet, qui s’affermissait dans son esprit, ne laissait pas que d’alarmer Adolphine ; elle trouvait que l’on avait bien le temps d’y penser et renonçait volontiers à désirer qu’Alberke s’exprimât comme un petit Français si l’on ne devait obtenir cet avantage qu’au prix d’une séparation cruelle. Mais Joseph tenait à son idée et s’entêtait d’autant plus que son jeune beau-frère Hippolyte, dont il avait conseillé l’exil à M. Platbrood, n’avait point l’air de considérer le lycée comme un sombre bagne. De fait, le jeune homme écrivait à sa famille des lettres nullement éplorées ; même elles étaient vives, gaies, souvent facétieuses, ce qui ne manquait pas d’étonner chez ce garçon plutôt ténébreux et sentimental. L’atmosphère française agissait déjà sur lui, dégageait son cerveau des brumes spleenétiques pour le remplir d’insouciance et de bonne humeur. La plus surprise, était peut-être la petite Madame Mosselman ; elle n’avait pas cru si bien prédire en annonçant à son jeune ami que la pension lui referait un cœur tout neuf et qu’il se moquerait de ses tendres chimères. C’était devenir raisonnable beaucoup trop vite au gré de son âme coquette. Ferdinand, très amusé, plaisantait : — Tu sais, ce n’est pas pour te faire de la peine, mais je crois que Chérubin se refroidit... Elle ne pouvait s’empêcher de rougir un peu : — Oh je suis bien contente qu’il ne s’ennuie pas là-bas... — Oui, oui, il te lâche, continuait l’impitoyable railleur. À Noël, dit-il et répète-t-il avec outrecuidance. Il se moque à présent, comme s’il était sûr de l’invulnérabilité de son cœur. À ta place, j’aurais bientôt fait de lui décocher quelques flèches nouvelles, bien barbelées. À Noël ! Attends un peu, mon petit Werther ! Elle souriait, quoique un peu contrainte, car elle n’aimait pas ce genre de moquerie qui déflorait le tendre myosotis poussé dans le jardin secret de son âme. Donc Hippolyte supportait sans se plaindre le régime de la pension. Toutefois, Joseph ne s’en félicitait pas trop haut, de peur de contrister sa femme en lui laissant entendre que cette heureuse expérience décidait du sort du pauvre Alberke. L’état d’Adolphine commandait du reste quelques ménagements : il fallait prendre garde que « le petit Parisien », qui dormait en elle, ne s’éveillât plus tôt qu’il n’était besoin. Au surplus, on attendait les couches d’Hermance pour la première semaine de décembre et Mme Kaekebroeck en était agitée comme s’il se fût agi de sa propre fille, car elle avait toujours été bien plus qu’une sœur pour sa cadette, étant donnée la grande différence d’âge qui existait entre elles. Toutefois l’événement n’avait rien qui dût inquiéter personne, puisque la jeune Mme Dujardin était en parfaite santé et portait crânement son premier fardeau maternel. N’importe, Adolphine ne tenait plus en place. Elle ne parlait que d’Hermance, voulait que tout le monde s’extasiât sur sa bonne mine. Elle s’exclamait : — Hein, comme elle est forte, n’est-ce pas ! Mais un souci lui venait : — Pourvu qu’il n’y en a pas deux... — Trois peut-être, faisait alors M. Rampelbergh qui mettait toujours les choses au mieux dans le pire. Elle se récriait. Mais il disait que ça ne serait pas si « drolle », citait des faits, notamment le cas tout récent d’une fille de Boom qui en avait eu quatre d’un seul coup et après quoi fit la gambade, ne s’en trouvant point mal... — Och taisez-vous ! — Oui, oui, ça est comme je vous dis... Et il ajoutait avec une grosse finesse : — Hé, ça est tout juste la Saint-Nicolas !... Ce soir-là, Joseph déjà emballé dans sa houppelande, chapeau sur la tête, attendait dans le vestibule en faisant rebondir sa canne sur les dalles noires et blanches. Il s’impatienta : — Sacrebleu, mais qu’est-ce que tu chipotes là-haut ! Voilà une heure que ça dure... C’est assommant à la fin ! Furieux de ne pas recevoir de réponse, il se décida et d’une voix de stentor : — Tant pis, tu sais, je file en avant ! Mais comme il ouvrait la porte vitrée, Adolphine apparut sur le palier : — J’arrive, j’arrive ! Et elle descendit la dernière volée de l’escalier avec autant de hâte que le permettait l’embonpoint de sa ceinture. Elle était un peu surexcitée, nerveuse à son tour : — Mon Dieu, qu’est qu’il y a ? Est-ce qu’on ne dirait pas qu’on doit prendre le train... Ici, c’est toujours la même chose, il faut tout faire à la fois, coucher les enfants, se frotter, s’habiller et tout vite, vite ! Et toi, tu bois seulement ton café et tu fumes ton cigare... Ça est très facile ! Elle s’ajusta vivement devant la glace du porte-manteau sans cesser de maugréer : — Pourquoi est-ce qu’on doit tant se dépêcher, je me le demande... Il n’est pas huit heures. On arrivera encore en avance chez Thérèse... Elle avait pardieu raison et Joseph, déjà tout attendri de l’avoir brusquée, le reconnut tacitement en lui plaquant un baiser sur l’oreille : — Och, dit-elle, feignant de se détourner mais subitement défâchée et ravie, tu es tout de même un embêtant, tu sais, quand tu commences... En même temps, elle ouvrit la porte de la cuisine : — Victorine, nous partons savez-vous. Vous éteignez bien tout avant de monter n’est-ce pas ? ⁂ Au dehors, un brouillard pesait sur la ville, si épais qu’il étouffait le bruit des voitures et la flamme des réverbères. Dépourvue de magasins, l’étroite rue du Boulet restait plongée dans une obscurité silencieuse et profonde qui ne laissait pas que d’impressionner Adolphine. Elle s’accrochait à Joseph, et tous deux marchaient avec prudence, rasant les maisons. Mais, rue Rempart des Moines, cela alla mieux : le pétrole des boutiques, venant au secours du gaz, dispensait une vague clarté à un mètre du sol. Soudain, ils débouchèrent rue de Flandre et se reconnurent ; ici les lampes à arc du tramway et les becs Auer des magasins luttaient presque victorieusement contre le brassin céleste, refoulant les lourdes vapeurs qui tournoyaient en s’étirant autour des globes lumineux et montaient péniblement vers le ciel noir. Les volets s’étaient déjà abaissés sur les grandes vitrines esthétiques de la corderie Verhoegen dont la caravelle dorée dégageait une douce lueur au milieu de la brume mouvante. Pourtant, un peu de lumière filtrait à travers les fentes du rideau de bois. Ils frappèrent sur la porte en familiers de la maison et le vieux commis, qui travaillait encore dans ses livres, leur ouvrit aussitôt. — Bonsoir Jérôme ! Toujours à la besogne ? — Bé, que voulez-vous, Monsieur Joseph, on est en plein dans l’inventaire... Il ficha son porteplume sur son oreille droite et avança des chaises : — Mettez vous un instant... Ils vont descendre de suite... Puis, s’étant informé de la petite famille : — Et vous savez sortir par ce vilain temps, Madame Adolphine ? Si ça est permis !... Il la regardait d’un air d’affectueux reproche avec l’inquiétude que cette humide froidure ne lui fît quelque mal dans l’état intéressant où elle se trouvait : — Oh, répondit-elle, je suis une dure, moi, vous savez ; n’importe quel temps, ça m’est égal. Et comme ça on n’attrape jamais des rhumes... — Vous avez de la chance, dit-il ; moi, avec ce sale brouillard, ça est sûr que je vais encore une fois être pincé... En effet, il avait l’haleine courte ; en respirant, sa gorge obstruée faisait entendre comme des soupirs de soufflets d’orgue. C’était le début d’un accès d’asthme qui le reprenait chaque année aux approches de l’hiver. Il y était résigné d’avance. Cette fois pourtant, il semblait plus accablé que d’habitude. Il toussotait sèchement avec des « hem, hem » qui faisaient saillir sa pomme d’Adam et ne le débarrassaient point. La couperose de son gros nez et de ses joues n’avait pas son vernis ordinaire : le regard était moins vif et tous ses traits accusaient de la fatigue. — Vous vous surmenez, mon ami, sermonna Joseph. Voyons, qu’est ce que vous fabriquez encore à cette heure-ci, et ça la veille de la Saint-Nicolas ? À ces mots, la figure de Jérôme reprit sa vivacité et s’éclaira d’un large sourire : — Hé, dit-il avec attendrissement, c’est les petits qui m’ont mis en retard. Ils ne voulaient pas se coucher tant que j’aie fourré des carottes dans la cheminée pour l’âne de Saint-Nicolas. C’était une affaire ! Ses yeux s’embuaient d’émotion, car il avait dans le cœur une vraie tendresse de bon-papa pour les chers petits de sa Thérèse. — Eh bien, déclara Adolphine, ce soir on va leur acheter de beaux jouets au Grand Bazar ! Cependant Joseph commençait à manifester une légère impatience : — Est-ce qu’ils savent au moins que nous sommes ici ? Jérôme n’eut pas le temps de répondre, car justement M. et Mme Mosselman faisaient leur entrée par la porte de l’arrière-magasin. — Mille pardons, sais-tu, s’écria gaiement Thérèse en embrassant son amie, mais ces maudits enfants ne voulaient pas s’endormir. Ils sont tellement en train, vois-tu, avec la Saint-Nicolas... — Oh ç’a été la même chose chez nous, tu comprends bien, déclara Adolphine. Figure-toi qu’Alberke... — Oui, mais filons pour l’amour du ciel, brusqua Ferdinand, sinon avec ces histoires nous sommes encore ici dans une heure ! Et il poussa ses amis vers la porte. On souhaita le bonsoir à Jérôme, mais Thérèse s’attarda encore un moment à des recommandations : — Tu sais, dit-elle en montrant le doigt au bonhomme, tu sais ce que tu m’as promis... Il faut bien te soigner et te coucher de bonne heure. Surtout défense absolue d’aller retrouver Papa et Verbeeck au Château d’Or. Avec ce brouillard, ça ne vaut rien du tout pour toi... Et gentiment, elle lui tendit son front par-dessus le comptoir. — Oui, oui, Chère, dit-il en la baisant avec tendresse, c’est promis. Quand j’ai fini cette page, je ferme le livre et je cours vite dans mon portefeuille ! ⁂ Malgré l’heure, la rue demeurait ce soir animée et joyeuse ; ses boutiques attroupaient les passants devant leurs vitrines flamboyantes où s’étalait sur un cartel le nom magique de Saint-Nicolas. Les commères en cheveux gras, givrés de bruine, sortaient à flot des venelles et des impasses circonvoisines pour se précipiter dans les boulangeries à la conquête du speculoos ; et d’autres femmes s’en revenaient déjà du centre de la ville, chargées de paquets multiformes, hâtivement entourés de papier gris à travers quoi s’échappaient des baguettes de tambour, des poignées de sabre, des crosses de fusil, des bouches de canon ou de mortier, tout un appareil de guerre que ces bonnes femmes portaient sans fatigue d’un cœur léger et content. Et Joseph jetait sur elles un regard philosophique : — Bella matribus detestata ! songeait-il. Peut-être faudrait-il brûler tous ces jouets de bataille, en interdire pour toujours la fabrication afin que, dès l’enfance, l’âme des petits garçons n’en fût pas occupée — ni déviée à cause d’eux — et que, tout de suite, ils eussent foi dans la fraternité des hommes ! Mais il n’approfondissait pas cette pensée ; le tapage, du reste, s’opposait aux méditations. La rue retentissait du cri enroué des colporteuses accroupies devant leurs paniers au bord du trottoir ; quelques-unes poussaient un ventre énorme et mûr entre les brancards de leur charrette chargée des premières oranges à l’écorce mince et lisse, d’un jaune serin, terriblement acides à l’œil comme aux dents. Nos amis se hâtaient, quand une odeur tiède et forte écarquilla leurs narines : c’était, sur une charrette à bras arrêtée devant le trou noir de l’impasse du Polonais, une grande marmite de fer blanc où mijotaient des escargots de mer. Chauffée par un fourneau de braises aux folles étincelles, l’eau fumait sous l’œil d’une grosse maritorne qui y jetait des poignées de vagues épices, remuait les coquillages au moyen d’une écumoire qu’elle relevait parfois majestueusement comme un sceptre sur son corsage débraillé et croulant, à moins qu’elle n’en donnât vivement sur les pattes des ketjes, car elle avait fort à faire contre cette engeance toujours affûtée et chipeuse. Les chalands n’étaient pas rares : un amas de coquilles vides, balayées au fond de la voiture, affirmaient d’ailleurs la succulence du mollusque. Tout autour, l’air s’empuantissait comme d’une effluence de marée. — Bruxelles Port de Mer ! s’écriait Ferdinand. Ils stoppèrent un moment, très intéressés. — Eh bien merci, faisait Thérèse avec de petites grimaces dégoûtées, on me donnerait tout l’or du monde... Et toi, Adolphine ? Mais Adolphine ne répondit pas. Elle était fascinée par cette marmite, et son nez frémissant semblait aspirer avec délices l’arôme du brouet marin. Une force l’attirait, impérieuse, vers ce mets populaire préparé par des mains sales. Soudain, n’y tenant plus, elle dit sourdement : — Je veux en manger... — Allons bon ! s’écria Joseph. Il voulut protester : — Voyons, je t’en prie, pas de farces... Et il la saisit par le bras pour l’entraîner. Mais, elle résistait : — Non, non, fit-elle, farouche, en se dégageant avec impatience, il faut que j’en mange. C’est plus fort que moi. Je veux !... Puis, subitement radoucie, avec une supplication rieuse et câline : — Dis, je peux en avoir pour ma Saint-Nicolas ? Alors, Joseph comprit qu’il fallait la satisfaire de peur que « le petit Parisien » n’éprouvât quelque contrariété, et brusquement il jeta une pièce de monnaie sur la charrette. Déjà la marchande avait mouillé ses gros doigts pour détacher un morceau de gazette d’une liasse qui se balançait à l’un des brancards. Et tandis qu’elle tournait la feuille de papier en forme de cornet autour de son bras : — Ça est pour emporter, n’est-ce pas ? dit-elle d’une voix éraillée. — Ah sacrebleu non ! Tenez, c’est Madame qui veut à toute force en goûter quelques-unes... Et dans l’accent de Joseph, se peignait toute l’horreur que lui inspirait une telle gourmandise. Mais Adolphine s’avança bravement, tandis que Thérèse pouffait de rire, bien qu’un peu scandalisée tout de même : — Mais ça Adolphine ! Si quelqu’un de connaissance passait maintenant ! — Ça m’est bien égal ! Cependant la maritorne, plongeant son écumoire au fond de la marmite, ramenait à la surface mousseuse du noir bouillon quelques monstrueuses « caricoles » qu’elle versa sur une planchette. Elle les prenait une à une, les décortiquait au moyen d’une aiguille à tricoter au bout de laquelle elle présentait le mollusque à Adolphine avec un « si vous plaie » chantant et traînard. — Eh bien, ça goûte ? dit Joseph. Elle assura que ce n’était pas mauvais du tout quoique un peu épicé. Mais après le troisième coquillage, elle en avait sa suffisance. — Non, laissez seulement, dit-elle à la marchande qui replongeait l’écumoire dans la marmite. Alors Ferdinand, en manière de farce, voulut effrayer sa femme : — Tiens si j’essayais un petit peu... Thérèse poussa de grands cris : — Non, ça pas, tu sais ! Pour que tu sois encore une fois malade comme l’autre fois ! Et c’est moi qui aurai tous les embarras... Non, merci bien ! ⁂ Rue Sainte-Catherine, ils entrèrent un instant chez Pauline pour l’inviter à les accompagner au bazar. Mais Cappellemans rentrait justement de province, très fatigué, et pour rien au monde sa chère femme n’eût voulu lui fausser compagnie, ne fût-ce qu’une heure, surtout après une longue journée de séparation. Du reste, elle avait déjà fait ses emplettes de Saint-Nicolas au cours de l’après-midi ; et c’était un cheval à bascule pour le petit Prosper et un blanc mouton tout frisé pour la fillette qui faisait ses premiers pas. — Est-ce que je veux une fois vous les montrer ? dit-elle dans sa bonne simplicité maternelle. Mais on n’avait guère le temps de s’attarder. — Non, non, laisse seulement, Chère, on verra ça demain à son aise... Et ils prirent congé. Cinq minutes après, ils franchissaient le seuil du Grand Bazar. Il y avait foule et l’on circulait avec peine entre les innombrables rayons. Vendeurs et vendeuses se multipliaient, crayonnant d’une écriture fébrile leurs carnets à souche, distribuant des feuillets, criant le prix des achats : — Caisse soixante ! Caisse vingt-cinq ! Caisse un franc dix ! Et sans relâche, des dames trônant dans de petites loges vitrées répondaient par un coup de timbre, faisaient sonner l’argent sur les trébuchets de marbre. L’atmosphère était lourde. À cette odeur fade, spéciale aux bazars, composée des émanations de la maroquinerie et du savon à bon marché, se mêlait le relent de la populace peu débarbouillée en hiver et dont les vêtements confits de crasse, les cheveux poisseux et humides dégageaient une sorte de bouquet phosphorique, violent aux narines comme l’effluve d’un flacon de sels. Dans cette foule brutale, nos amis furent séparés à diverses reprises. Ils se retrouvèrent tous les quatre devant le comptoir de la parfumerie. — Les jouets sont au premier étage, dit Joseph, montons vite... Comme ils pénétraient dans le hall, ils s’arrêtèrent un moment, émus dans leurs fibres de bons parents. Là-haut, devant l’horloge, un gigantesque Saint-Nicolas vêtu de la dalmatique, mitré et crossé d’or, se dressait sur un socle de nuages dominant la vaste salle éblouissante de lumière. La tête légèrement inclinée, la main droite levée, le patriarche épanchait sa bénédiction paternelle sur la fourmilière humaine. Et son sourire ineffable semblait promettre le paradis à tous ceux qui célébraient sa fête en donnant la joie aux petits enfants. Mais il fallait atteindre le grand escalier, entreprise difficultueuse car, bien que le grand hall n’offrît aucun étalage de joujoux, il n’en était pas moins encombré d’une grosse foule plus calme que l’autre il est vrai, plus choisie, composée en majeure partie de bourgeois de tous âges et de petits jeunes gens à la recherche d’un cadeau utile, d’un bijou clinquant pour la bonne épouse ou l’exigeante maîtresse. Les amis avançaient avec lenteur quand Ferdinand avisa M. Rampelbergh arrêté devant une vitrine. Que faisait là ce vieux paillard ? Il lutinait la jeune vendeuse de propos salés, tout en marchandant une broche ronde imitation d’argent, qu’il tournait et retournait entre ses longs doigts secs pour l’élever parfois au niveau de ses yeux de myope, à deux mains, comme une hostie. Très intrigués, les amis s’étaient approchés du bonhomme sans qu’il se doutât de leur présence. Brusquement Joseph lui poussa dans le cou : — Eh bien, Rampelbergh, on a donc l’envie de gâter cette chère Malvina ! Le droguiste se retourna vivement et parut contrarié. Mais il se remit aussitôt : — Bé oui, dit-il de son fausset goguenard, je cherche quelque chose... Mais on ne sait qu’à même plus quoi lui donner... Et présentant la broche aux deux jeunes femmes : — Hein, qu’est-ce que vous pensez de celle-là ? Est-ce que ça est convenable ? Moi, vous savez, je ne m’y connais pas là-dedans... Elles s’extasièrent. Oui, c’était très joli et ça ferait très bien sur le nouveau corsage de Malvina. — Alors je l’achète, fit-il décidé. Pour deux francs nonante-cinq, je ne sais qu’à même pas être volé ! Tout de suite, il proposa de sortir et d’aller prendre un verre, car cette cohue l’avait prodigieusement altéré. Mais on déclina l’invitation ; on n’avait pas le temps. — Allons, se résigna-t-il, ce sera pour une autre fois... Il serra la main à tout le monde ; mais comme Joseph venait le dernier, il le prit à part pour lui couler dans l’oreille : — Ça est pour une crotje que j’ai levée sur le moulin fermé du boulevard Jamar ! — Hé, dit Joseph, le petit Pan n’est pas mort ! Le droguiste fit un clin d’œil entendu, comme s’il comprenait, et disparut dans la foule, tel un vieux faune qui s’enfonce dans l’épaisse futaie mythologique au pourchas de la mimallone. ⁂ Là-haut, dans les galeries du pourtour, la foule se faisait plus dense encore et la circulation plus embarrassée. Le flot ne disposait d’ailleurs que d’un lit étroit, coulant avec lenteur et cherchant son courant à travers les bancs de badauds massés devant les comptoirs où manœuvraient les jouets mécaniques. Ici régnait le vacarme, un tintamarre assourdissant où il y avait du tambour, de la trompette, des grincements de wagonnets et de crécelle que venaient renforcer par intermittence la plainte lamentable des accordéons, la virtuosité insolente des boîtes à musique, le tout dominé par le nasillement métallique et barbare, les cris suraigus ou les vociférations sauvages de ces infernales machines hurlantes, les gramophones ! Et la température montait, chargée de relents de toute sorte. Soudain, Adolphine cessa de parler. Joseph qui l’observait à la dérobée, remarqua que sa figure s’empourprait et pâlissait tour à tour ; au bout de la galerie, il n’hésita plus et prenant sa femme par le bras, il l’entraîna hors de la presse dans une tranquille oasis de charrettes anglaises et de voitures d’enfant. — Eh bien, interrogea-t-il en l’installant contre une colonne, ça ne va pas ? — Non, non, Cher, ça n’est rien, fit-elle en dégrafant son manteau, c’est la chaleur, vois-tu... Mais ses traits contractés démentaient ses paroles. Tout à coup, elle posa la main sur la poitrine et murmura : — C’est là... On dirait comme ça que j’ai quelque chose qui ne passe pas... Et souriant avec effort par-dessus son malaise, elle hasarda d’un ton piteux : — Je crois que c’est les caricoles... — Sacrebleu ! Joseph ne pensait puis à celles-là. Il frémit et sa figure se couvrit d’ombre. Car il savait par expérience combien la « caricole » est entêtée à caricoler sur l’estomac pendant de longues heures, et l’indifférence absolue qu’elle oppose parfois aux spécifiques les plus résolus. Que faire ? Il ne savait pas. Son trouble était d’autant plus extrême qu’il essayait de le cacher sous un masque de sang-froid. Mais Thérèse accourait avec son flacon de sels et sa bonbonnière remplie de pastilles de menthe. Adolphine se sentit tout de suite soulagée. Quelques instants après, les caricoles, stupéfaites, lâchaient la place, entraînées sur la pente de leur obscur destin par une force occulte et péristaltique. ⁂ N’importe, après cette alerte, il parut prudent de ne pas s’attarder davantage et de gagner au plus vite le compartiment des jouets. La foule commençait d’ailleurs à s’éclaircir et l’on circulait à présent avec moins de peine. Dix heures avaient sonné, mais le bazar ne fermait qu’à minuit. C’était une rude journée ; les vendeuses surtout semblaient harassées : leurs figures hâves prenaient des tons de cire au-dessus de la blouse noire d’uniforme. Pourtant, elles crânaient, toujours debout, résolues d’aller bravement jusqu’à la dernière minute de l’heure. Rien n’arrêtait leur boniment ; fiévreuses, les yeux plus brillants d’être enfoncés dans un cercle de bistre, elles travaillaient pour la joie des gosses. Et cette pensée les soutenait, ranimait à chaque instant leur courage, donnait à l’enrouement de leur voix quelque chose de joyeux : — Caisse un franc vingt-cinq ! Caisse cinquante ! Et les timbres résonnaient sans fin ni cesse dans les cabines de verre où trônaient des dames grasses enveloppées dans des châles de laine. Joseph allait silencieux ; une petite émotion le serrait à la gorge qu’il s’efforçait en vain de maîtriser. Tout ce qu’il voyait lui devenait un motif d’attendrissement ; les employés dont il admirait la vaillance, les femmes, les mamans du peuple chargées de jouets, et les jouets eux-mêmes par le fruste de leur forme, leur pauvre matière, leur bariolage féroce. Il se revoyait tout petit, et se rappelait ses Saint-Nicolas d’enfant riche mais toujours seul, sans jeunesse, sérieux, grave au milieu de ses trains de chemins de fer, de ses boîtes de soldats, de camps et de forteresses, de son écurie de chevaux à bascule et mécaniques, coursiers emportés à l’épaisse crinière, aux brides de cuir jaune, à la selle de velours pourpre et d’or ! Il n’avait été ni heureux ni malheureux, tel un enfant des limbes. Et songeant à Alberke, à Hélène et à ce petit Parisien qui allait tantôt venir, il se réjouissait dans son cœur : ils connaîtraient, eux, les joies, les rires, les brèves querelles, les petites rages et les grandes tendresses des frères et sœurs et leur âme resterait longtemps claire, confiante, ouverte à deux battants sur la vie. À cette pensée, son cœur heureux se gonflait de gratitude envers sa chère femme et ses yeux devenaient troubles. — Eh bien, Joseph, qu’est-ce que tu as, s’inquiéta tout à coup Adolphine. Il s’empara de son bras qu’il pressa tendrement contre lui, et d’abord il ne dit rien de peur que la voix ne lui défaillît dans la gorge. Il sourit, aventura quelques monosyllabes pour gagner du temps, puis détournant la conversation : — Regarde, dit-il, cette pauvre fille encore fillette presque... Comme elle est pâle ! Sans doute c’est une mère toute neuve, une mère qui ne vient que d’être faite... Et ce jeune rustre pommadé qui l’accompagne, c’est son ventje pour sûr... Ils sont descendus de quelque rue Haute... Comprends-tu comme ils sont fiers ? Ils posent au jeune ménage, ma parole... Ils ont fait un petit pour lequel ils peuvent acheter, eux aussi, un jouet ! Ah, la délicieuse, la bonne vanité ! Elle le regarda, émue d’un doux souvenir : — Il ne faut pas tant te moquer, dit-elle tout bas. Quand Alberke n’avait pas encore trois semaines, tu as voulu courir chez Erremus pour lui acheter un petit mouton, même que je l’ai encore dans mon armoire à glace... Mais des psitt impatients les tirèrent de leur doux tête-à-tête : c’étaient les Mosselman qui les hélaient de la galerie opposée par dessus le gouffre de la deuxième salle. Ils les rejoignirent : — Eh bien, où est-ce que vous restez, vous deux ? s’écria Thérèse, il est temps qu’on se décide... Elle s’agitait, consultait Adolphine sur le choix des jouets : — On ne sait vraiment plus quoi leur donner. Pour Cécile, ça va encore. Avec une poupée, une fille est toujours contente. Mais c’est pour Léion et Georgke que je suis embarrassée... En vain la vendeuse, une grande brune, française aux yeux remuants, essayait-elle de l’inspirer par des mots ailés. — Non, répondait Thérèse en fransquillonnant, ça ne les amuserait pas... Ils sont encore trop petits... Mais Ferdinand que la grâce de cette belle fille impressionnait agréablement et qui tenait absolument à ce qu’elle s’en aperçût : — Voyons, Chère, il faut te décider : Mademoiselle perd son temps avec des clientes comme toi... Aussitôt, la vendeuse avec une familiarité hardie : — Non, non, je vous en prie, n’écoutez pas, Madame ! Choisissez à votre aise. Et puis, les hommes n’ont pas notre patience... Ses yeux malicieux souriaient à Mosselman comme s’ils ne le trouvaient pas du tout vilain garçon. Et tout émoustillé déjà, Ferdinand s’étudiait à lancer quelque riposte galante et montmartroise quand Adolphine s’interposa, offusquant ce flirt de sa grande personne : — Allez, Thérèse, fit-elle avec résolution, prends seulement la forteresse et la ménagerie pour les garçons... Avec ça, ils ne s’amuseront plus comme des filles. Joseph approuva, c’était très bien. Oui, mais que choisir pour ce galopin d’Alberke qui, lui, n’était que trop remuant et batailleur ? Il avait bien songé à un « théiàtre », mais il craignait d’en être le continuel impresario. Est-ce qu’un bon jeu de patience plutôt... — Nous en avons tout un assortiment, interrompit la demoiselle, les uns en cubes, d’autres en bois découpé... Tenez, voici une boîte contenant toutes les nations de l’Europe. Voyez voir... C’est gentil et très instructif... ⁂ Onze heures ; la foule décroissait bien que les comptoirs restassent achalandés ; c’était le dernier coup de feu. Dans les salles du rez-de-chaussée, ils s’attardèrent encore un moment pour acheter deux grandes poupées aux paupières mobiles, l’une pour Hélène, et l’autre pour Cécile. Puis, ils se dirigèrent vers la sortie, car ils avaient hâte d’échapper à cette atmosphère poudroyante et viciée. Enfin, ils débouchèrent sur le boulevard. À leur grande surprise, le brouillard s’était complètement dissipé et la lune brillait dans un ciel pur et glacial. Au ras du trottoir, une demi-douzaine d’autos appartenant à la messagerie du Bazar attendaient, les phares allumés, l’impériale surmontée d’une montagne de jouets entremêlés, embrouillés les uns dans les autres, cargaison de joujoux destinés à la Province. Le chargement était terminé : les chauffeurs venaient de tourner la manivelle et les voitures trépidaient, impatientes. Soudain, au signal du subrécargue, elles démarrèrent et dans un nuage d’âcre fumée s’envolèrent vers les gares. Et nos amis, silencieux, le cœur gonflé d’une émotion qu’ils ne savaient définir, regardaient ces chars féériques, plus riches que les carrosses des Contes, qui s’en allaient en mugissant semer la joie parmi les petits enfants aux quatre coins du bon pays. Mais sous la lune rayonnante, la température était sibérienne. Ferdinand proposa d’aller prendre un grog dans un café voisin. Comme ils délibéraient, un homme surgit devant eux : — Enfin, je vous trouve, s’écria-t-il, voilà un gros quart d’heure que je cours après vous dans le Bazar ! C’était François Cappellemans. Le brave garçon paraissait très agité. — Eh bien, interrogea Joseph, d’où viens-tu ? Qu’est-ce qu’il y a ? — Bé, répondit le plombier, on a téléphoné à la maison de la rue de Laeken, même que j’allais me coucher. Enfin, c’est une chance que je suis tombé sur vous dans tout ce monde... Il semblait embarrassé, mal à l’aise. Il bégayait, hésitait à fournir plus d’explications. Et ses yeux, brillants comme ceux des bons grands chiens, restaient fixés sur sa belle-sœur. — Mais quoi donc ? s’impatienta tout le monde. Brusquement, Adolphine se serra contre son mari et, d’un accent angoissé : — Hermance... mon Dieu, c’est à cause d’Hermance ! Alors, d’un geste plein d’affection, Cappellemans lui prit les mains : — Eh bien oui, dit-il en souriant, mais rassure-toi, tout va bien ! Et de sa voix claire et joyeuse comme le son de ses enclumes, il s’écria en faisant de grands bras enthousiastes : — Un garçon ! Hermance a un gros garçon ! M. Platbrood n’était plus le glorieux major de son portrait-album ; sa taille s’était épaissie, sa démarche alourdie. Vieillissant, guetté par les premiers rhumatismes, il commençait à sentir la vanité du panache, devenait plus uni et plus simple, mieux affectionné à ses devoirs de famille. Il eût peut-être volontiers résigné ses fonctions si l’excellente Mme Platbrood ne s’y fût opposée de toutes ses forces dans la crainte que, désœuvré, il ne prît en dégoût leur maison, cette grande maison si vivante jadis, si joyeuse par les chants, les rires, le froufrou de trois belles filles, si mélancolique à présent qu’elles l’avaient quittée, et dont le départ d’Hippolyte pour le lycée aggravait encore la solitude. Trois mois déjà qu’il s’en était allé, le cher Benjamin. Comme cette séparation leur était cruelle ! Ils ne s’y habituaient pas. Que ce Noël, qui devait le ramener un instant auprès d’eux, tardait donc à venir ! Les jours traînaient, s’allongeaient de toute leur impatience de le revoir et de le presser dans leurs bras. Pourtant, Noël s’avoisinait ; déjà la neige était là, plus précoce et abondante que les autres hivers. Chaque matin la ville se réveillait vêtue d’hermine ; elle demeurait un moment ensevelie et quiète sous sa blanche fourrure. Les voitures roulaient bas, dénoncées seulement par les clarines de l’attelage ; on n’apprenait l’existence des passants que par leur tousserie ou le son étouffé de leur voix. Et puis soudain, le silence rompait : des pelles raclaient les trottoirs, on semait le sel à brassées et dans la rue bruyante, subitement recouverte de bourbe et de fange, les lourds tombereaux défilaient remplis de neige sale. Alberke, au comble de la joie, glissait ses premières rizebountjes dans la rue Rempart-des-Moines tandis que, toute pensive, Léontine croyait reconnaître dans la neige les pas du petit Moens, et ceux de son chien, entre les sillons parallèles marqués par les roues des charrettes à pain. C’était donc un véritable hiver, un hiver comme ceux dont se souviennent les vieilles gens. Après tant d’hivers seulement pluvieux et pleins de boue, il était le bienvenu et l’on se réjouissait de revoir enfin Noël sous la neige, dans son décor de légende et tel que l’ont si bien représenté les vieux maîtres dans leurs Judées flamandes. En attendant, M. et Mme Platbrood faisaient leurs invitations pour la grande fête qui devait célébrer le retour d’Hippolyte en même temps que l’heureuse naissance du nouveau rejeton, le petit Jean Dujardin. Car Hermance, après des couches plus facile qu’on ne l’eût attendu de sa grande jeunesse, venait de se relever sans pâleur ni faiblesse, comme ragaillardie et encore embellie par l’épreuve de la maternité. Son fils était, comme on pense, le plus bel amour de la terre : il ne pesait pas moins de neuf livres et détenait le record du poids des nouveaux-nés dans la famille. Mais ni Adolphine, ni Pauline, ni Emma ne songeaient à s’en montrer jalouses, non plus qu’Hermance n’en tirait la moindre vanité ; et tout le monde, grands-parents, oncles et tantes, s’extasiait, poussant des cris d’admiration et de joie au-dessus du berceau où dormait, superbement écarlate et bouffi, ce solide gaillard dont il semblait qu’une vache du Veurne Ambacht eût à peine suffi à contenter le robuste appétit. Joseph assurait qu’il lui faudrait au moins deux nourrices afin qu’à tour de rôle elles pussent chômer un jour sur deux et se ravitailler. C’était l’enfance de Gargantua. ⁂ Or, le matin du 24 décembre, M. et Mme Platbrood recevaient une dépêche qu’ils ouvrirent en tremblant. C’était Hippolyte qui leur annonçait son retour pour le lendemain à midi. La pauvre Mme Platbrood en fut toute bouleversée, car on lui avait laissé espérer que son fils arriverait à Bruxelles le jour même par le train de 5 heures. Par bonheur, elle n’avait guère le temps de se lamenter : de multiples devoirs l’appelaient à l’office et à la cuisine pour les préparatifs du banquet. D’ailleurs, Émile Platbrood, arrivé la veille d’Anvers avec Emma et le moutard, lui persuada tout de suite que cela valait mieux « parce qu’on irait tous ensemble le chercher à la gare ». Et, heureux lui aussi du retour de son cadet, tout animé d’un entrain joyeux, il commença avec sa femme à dresser dans le salon le grand arbre de Noël. Emma avait beaucoup engraissé : comme elle était plutôt courtaude, ses formes rebondies manquaient de galbe. Toutefois, en dépit de sa corpulence, elle était extrêmement remuante et vive. Son teint rayonnait et son rire blanc provoquait une gaîté communicative, irrésistible. Après trois ans de mariage, elle adorait son Mile encore plus qu’au premier jour, et lui l’appelait « sa grosse » avec une tendresse toujours meilleure. Car c’était un garçon tout bon et tout simple, qui ne sentait pas beaucoup l’élégance féminine et plaçait le plus grand charme de la femme dans sa belle humeur et sa bonté. En tournant autour de l’arbre, force leur était de se rencontrer souvent. Ils se querellaient « pour la frime », plaisantaient, se chatouillaient, s’envoyaient des claques, résonnantes surtout dans le dos d’Emma qui bientôt, n’en pouvant plus, se laissait tomber dans un proche fauteuil toute secouée d’un rire convulsif. Au milieu de ces jeux, qu’ils savaient rendre moins innocents après avoir fermé les portes, les branches de sapin ne s’ornaient de fil de givre et de jouets qu’avec une extrême lenteur. Aussi la besogne eût-elle traîné bien du temps encore si, après le déjeuner, Adolphine et Thérèse, bravant les rafales de neige qui soufflaient depuis le matin, n’étaient venues jeter un coup d’œil sur les apprêts de la fête et offrir leur assistance aux deux décorateurs fainéants. Sous la direction de Mme Kaekebroeck, le travail s’organisa avec méthode et se poursuivit avec tant de zèle que l’arbre se trouva complètement paré vers quatre heures. Il n’y avait plus qu’à allumer les chandelles. Alors, les dames se sauvèrent sous prétexte de toilette tandis qu’Émile Platbrood, qui avait près de trois heures devant lui pour passer son frac, s’en allait jouer une partie rue Sainte-Catherine avec ses anciennes connaissances du Château d’Or. ⁂ La haute et vaste salle à manger des Platbrood se prêtait à merveille aux réceptions d’apparat ; elle avait déjà vu des banquets de toute sorte : première communion, fiançailles, mariage, relevailles, noces d’argent, nomination dans la garde civique, tous ces grands événements de famille y avaient été célébrés avec un faste cossu, dans la joie grasse et bruyante de la bonne santé et de la gourmandise. Le gala d’aujourd’hui, qui fêtait les relevailles d’Hermance en même temps que le retour d’Hippolyte, assemblait les convives traditionnels et ceux d’une nouvelle génération de parents et d’amis. Il faut s’abstenir d’en faire le dénombrement : cela prendrait d’interminables pages comme dans l’Iliade. Le repas aux succulences graduées eut l’entrain des plus beaux soirs de ripaille. Le vin généreux ressuscitait la jeunesse au cœur des vieilles gens, nivelait tous les âges et tous les caractères à la belle humeur de la bienveillance et de la cordialité. Autour de la table prestement servie par une demi-douzaine de belles filles aux joues rebondies, aux avant-bras massifs et duvetés, point de gastrite ni de dyspepsie, encore moins de neurasthénie. Le « bas de la ville » restait indemne de ces maladies pharamineuses et modernes, peut-être à cause de sa bière, comme l’assurait M. Rampelbergh. La gaîté prenait ici des attitudes diverses. Élégante et fine chez Hermance, souriante chez Pauline et Mme Van Poppel, verbeuse chez Thérèse, bruyante, gesticulante et pouffante chez Adolphine et Emma, elle frisait le débraillé chez Malvina qui poussait des cris d’otarie et dont la figure enfarinée de vieille gourgandine suait à grosses gouttes sous le feu d’une perruque rousse monumentale. Quant aux hommes, ils hésitaient encore entre la pointe et le plumet, attendant le vin mousseux pour prendre un parti. Vers neuf heures, il y eut un remue-ménage joyeux du côté de l’office et soudain une dizaine d’enfants se précipitèrent dans la salle aux trousses des servantes qui s’avançaient avec les œufs à la neige et les catherines glacées. C’étaient les petits Kaekebroeck, les petits Mosselman et jusqu’à ce moutard de Platbrood, le fils d’Émile, qui se mêlait déjà de faire comme les autres, bien qu’il eût à peine deux ans et demi. Il est vrai que toute cette gosserie était conduite et surveillée par cette petite maman de Jeanne Van Poppel, l’aînée de tous, car elle allait avoir tantôt dix ans. Après avoir dormi par ordre pendant tout l’après-midi, ils venaient de dîner tous ensemble à la cuisine et ç’avait été une rude affaire pour Colette et ses aides de les contenir jusqu’à cette heure, tant ils étaient impatients de monter dans la salle du banquet, moins attirés toutefois par la gourmandise que par la curiosité du spectacle merveilleux promis à leur sagesse exemplaire. On leur fit grande fête et ils se repurent de friandises de toute sorte. Puis, sur un signe de Joseph, grand ordonnateur, Adolphine et Thérèse s’éclipsèrent. Quelques instant après, trois coups retentissaient comme au théâtre et tout le monde se tut tandis que les enfants, vaguement effrayés, se réfugiaient dans le giron maternel. Soudain, dans le silence impressionnant, les portes du salon s’ouvrirent, lentes, mystérieuses, et ce fut un éblouissement. L’arbre flamboyait de lumières multicolores, de paillettes, et ses branches ployaient chargées de jouets innombrables. Devant lui, Hermance se tenait penchée comme une Sainte Vierge au-dessus d’une crèche grossière où reposait un petit Jésus vivant, mais un petit Jésus si gros qu’on n’en avait peut-être jamais vu de pareil nulle part. Et c’était le petit Jean, oui, le petit Jean Dujardin qui dormait bouffi et tout cramoisi, les deux poings au-dessus de son maillot. Des exclamations retentirent et tout le monde entoura le nourrisson de quinze jours. Les femmes, imitant les fées, le comblèrent de dons précieux. Elles faisaient un tel ramage que le petit se réveilla et se mit à crier. Mais il n’y avait point de mal puisque c’était précisément l’heure de son goûter. Sans perdre de temps en risettes, Hermance l’enleva prestement de son berceau dérisoire et disparut avec le phénomène, suivie de près par son mari. ⁂ Sur ces entrefaites, les servantes avaient débarrassé la table et ôté les « rallonges » pour la ramener à ses dimensions naturelles. On servit le café. La température montait. Depuis longtemps Mme Platbrood étouffait et ne tenait plus en place. Profitant de l’animation générale, elle quitta la salle à manger pour se réfugier dans l’office. Là, elle se mit à frotter un carreau de vitre avec son mouchoir pour voir le temps qu’il faisait. La neige avait cessé de floconner ; dans le petit jardin, son épais manteau se dorait des lueurs que projetait l’illumination de la cuisine et des salles du rez-de-chaussée. Tout était blanc comme dans un conte de Noël, les vieux poiriers, les pelouses, les massifs de houx et de rhododendrons. Le ciel semblait moins bas et s’éclairait vaguement de lune. Le sol scintillait : le temps se mettait à la gelée. Au milieu de ses préoccupations, la bonne ménagère restait présente : « il ne fallait pas oublier de dire à Colette de couvrir la pompe avec de la paille pour la nuit, sinon ça allait encore une fois crever comme l’hiver dernier. » En ce moment une exclamation partit : — Eh bien, Maman, où est-ce que tu restes... On te cherche partout ! C’était Adolphine animée, rayonnante. Mme Platbrood, sans prendre garde à l’agitation de sa fille, lui montra le jardin tout blanc : — Pourvu qu’Hippolyte arrive seulement demain, dit-elle en poussant un gros soupir ; avec cette neige c’est si risquant de voyager en chemin de fer... Mais Adolphine se mit à rire : — Allons, Maman, sois tranquille. Il arrivera je dis, et peut-être plus tôt qu’on ne pense... En même temps, elle passait son bras autour de la taille de la chère femme. Puis, assurée de la bien soutenir : — Voyons, Maman, combien est-ce que tu paries avec moi ? Cette fois Mme Platbrood regarda sa fille et tout à coup elle lut la bonne nouvelle dans la joie de ses yeux. Mais elle n’eut pas le temps de rien dire ni de se trouver mal : des cris d’allégresse montaient de la cuisine et soudain un jeune homme surgit de l’escalier de service : — Maman, petite Maman, c’est moi ! Et le Benjamin se rua dans les bras de la bonne femme suffoquée. ⁂ Elle avait pris ses mains et, le tenant un peu écarté, elle le regardait de haut en bas et de bas en haut, émerveillée de sa taille et de sa belle mine. — Mais qu’est-ce que tu as fait maintenant pour devenir si grand ? Et lui la regardait en souriant, tout attendri de la retrouver si épaisse dans sa robe de soie noire, parée de ses bijoux de fête, la poitrine surchargée de jaserons aux larges maillons d’or. Elle semblait descendue d’une toile de Corneille Devos. — Comme te voilà belle ! C’est que tu n’as pas changé du tout, toi ! Oh ma chère Maman ! Et de nouveau, il se jetait dans ses bras, l’accablait de fougueux baisers. — Et Papa, dit-il tout-à-coup dans une accalmie de caresses, sait-il au moins que je suis là ? Mais justement, Adolphine ramenait son père avec elle. Le major essaya bien d’abord de se composer une attitude de tendresse digne et mesurée. Mais son masque lui tomba brusquement sur le cou et il pleura en serrant le cher enfant contre son cœur. Alors les questions se mirent à pleuvoir. Il répondait avec une facilité d’élocution, un joli accent clair qui laissait les bons parents tout ébahis d’admiration. Ils l’eussent écouté pendant des heures si Adolphine n’avait brusqué l’entretien : — Allons, dit-elle, va seulement vite un peu te frotter dans ta chambre, car les autres ne doivent pas savoir ce qu’on reste faire... — Et puis, fit le major très impressionné par les expressions choisies de son fils, Hippolyte aimerait peut-être à prendre une collation... — Mais c’est vrai, dit Mme Platbrood, le pauvre petit doit être mort de faim. Colette, Colette ! — Oh rassurez-vous, dit le jeune homme en se redressant avec une fatuité joyeuse, j’ai dîné dans le wagon-restaurant ! Tant d’aplomb les confondait de surprise. — Allons, insista Adolphine, est-ce que tu vas te dépêcher à la fin ! Ta valise est depuis longtemps dans ta chambre... — On y va, on y va, grande Sœur ! Et il s’élança dans l’escalier en criant : — Je vous rejoins dans le salon, le temps de me débarbouiller ! ⁂ Son entrée fut charmante et provoqua la plus grande surprise. Les enfants surtout lui firent un accueil enthousiaste, car ils l’aimaient pour sa bonté, son génie à les amuser, pour tous les jolis jeux qu’il leur avait appris : — Oncle Hippolyte, Oncle Hippolyte ! Ils en oubliaient l’arbre de Noël et sautaient autour de lui en poussant des cris de joie. Il dut les soulever tous l’un après l’autre et ils s’accrochaient à son cou avec une furie de tendresse qui lui mouillait les yeux. Comme tout le monde l’interrogeait à la fois, il conta son histoire et il le fit avec tant d’aisance et de gentillesse qu’il ravit jusqu’à M. Rampelbergh qui avait pourtant la haine sacrée du fransquillon. — Eh bien, fils, s’écria le droguiste tout à fait emballé, moi je viens une fois te voir à Paris avec Malvina. On ira au théiâtre ensemble et on s’amusera ! Hippolyte riait, à l’idée d’une promenade avec cet homme et cette femme sur le boulevard des Italiens. Mais Hermance lui apportait son fils, qu’il n’avait pas encore vu. Il s’extasia, prit le formidable bébé dans ses bras, le baisa, le berça en lui prodiguant tous les petits noms des plus tendres nounous. Mme Timmermans, les mains sur ses joues, ne pouvait cacher son attendrissement : — Mais ça, disait-elle à Mme Platbrood, comme il est changé à son avantage et comme il cause bien le bon français ! Est-ce qu’on dirait ça, en trois mois ! De fait, le timbre de sa voix, ses paroles vives et limpides chantaient délicieusement aux oreilles comme l’eau des sources. Et c’était chez toutes ces dames une effusion d’éloges qui chatouillaient délicieusement la fierté maternelle de la bonne majoresse. Mais la plus surprise de toutes, c’était encore la petite Mme Mosselman. Elle n’en croyait pas ses yeux : comment, ce grand garçon-là, ce jeune homme vif, dégagé, souriant, c’était son pâle petit Werther d’il y a trois mois ! Il avait acquis une sorte de grâce cavalière et railleuse, tout en gardant beaucoup de caresse dans les yeux. En entrant dans le salon, il avait salué Thérèse avec une familiarité correcte, mais sans chercher à l’embrasser comme il en avait le droit pourtant. Et cette réserve, inattendue chez ce garçon tendre et passionné, jetait à présent la jeune femme dans une sorte de trouble et d’embarras qu’elle ne pouvait s’expliquer. Bien qu’elle s’efforçât de refouler des sentiments confus, il n’en était pas moins vrai que son cœur battait plus vite. Cependant Hippolyte ne la regardait pas et personne n’eût pu démêler si son indifférence était affectée ou véritable. Elle craignit tout-à-coup d’en éprouver quelque dépit et son émoi en fut augmenté. Soudain, un autre souci l’occupa : était-elle moins jolie qu’il y a trois mois ? Elle se croyait pourtant à son avantage « en décolleté » et coiffée à la vierge. Par hasard, aurait-elle semblé vraiment trop petite à ce garçon dont la taille venait tout-à-coup de dépasser la sienne d’une demi-tête au moins ? Se serait-elle épaissie sans qu’elle s’en doutât ! Grossir, c’était son cauchemar, sa peur secrète qui la maintenait étroitement lacée dans son corset, qui la faisait trotter, se remuer tout le jour et jusqu’à jeûner souvent malgré ses fringales. Mais non, c’était impossible ; elle savait bien qu’elle gardait intact son gentil corps de mousmé. N’importe, elle se sentait si agacée qu’elle n’y put tenir davantage et se sauva dans le salon où les enfants cramignonnaient en chantant sous la direction des jeunes ménages. Mais comme elle entrait dans la ronde, minuit sonna à la grosse pendule de la salle à manger. Subitement, les jeux cessèrent et les conversations. C’était l’heure solennelle. Déjà Ferdinand avait bondi au piano et entonnait le Minuit, Chrétiens qui fut repris en chœur par tous les convives. Et les vitres tremblaient... ⁂ À cause de la neige, on avait décidé que les enfants logeraient rue des Chartreux, dans une grande chambre du deuxième étage transformée en dortoir. La perspective d’une sauterie, là-haut, en pans volants, leur était une joie nouvelle. Aussi quand l’arbre fut éteint, les mamans n’eurent point de peine à les emmener. Mme Platbrood craignait que son Benjamin ne fût très fatigué par le voyage : — Tu sais, fils, il ne faut pas te gêner pour nous autres. Monte seulement si tu en as envie. Je suis sûre que tu n’en peux plus... Mais il se récria avec gaîté : jamais il ne s’était senti plus éveillé et dispos. Il éprouvait d’ailleurs un étonnement très vif à se retrouver au milieu de ces amis dont la langue et les manières lui apparaissaient tout à coup si différentes de celles de France. Maintenant que la surprise de son retour était calmée et que l’on consentait à lui accorder quelque répit, il observait les gens avec des yeux écarquillés, voraces. Leur côté comique, leur grotesque, lui était pour ainsi dire révélé pour la première fois. Mais il ne songeait pas à en rire, étant trop jeune encore pour se moquer des ridicules : ceux-ci lui causaient plutôt une sensation pénible et il s’efforçait de les noyer dans la bonhomie, l’indulgence foncière qui était la grande qualité de son cœur et de sa race. Comme il les voyait un peu délaissées par les fumeurs, il s’imposa le courage d’aller faire sa cour aux vieilles dames. Il lui tardait au surplus de mettre son amabilité française à l’épreuve. Elle ne le trahit pas et c’est avec un empressement presque sincère qu’il aborda Mmes Rampelbergh, De Myttenaere et Timmermans pour les complimenter sur leur excellente santé. Il causa et permit de la meilleure grâce du monde qu’on l’interrogeât. Il les attendrit beaucoup par le récit de ses premières sensations d’exil : — Ce qui me sembla le plus dur au début, ce fut le réveil au clairon et au tambour... Oh cette diane ! Vous comprenez, moi qui attendais toujours le baiser de maman pour sauter à bas de mon lit... Oh, c’était un rude changement. Je ne pouvais pas m’habituer. Ce que l’on se moquait de moi ! On m’appelait poule mouillée... Dieu, que j’ai souffert ! Mme Timmermans, que sa gorge plate et son corps dépourvu de vénusté prédisposaient à plus de sentimentalité qu’aucune autre, ruisselait de tout son cœur sous les bandeaux poussiéreux de sa perruque mordorée : — Ah, mon pauvre Hippolyte, gémissait-elle, comment est-ce qu’on a su vous faire partir si loin ! Non, ça je ne comprends tout de même pas... Malvina et Mme De Myttenaere ne comprenaient pas non plus : il y avait tant de bons pensionnats à Bruxelles... Mais Hippolyte comprenait très bien, surtout ce soir, et loin d’en vouloir encore à Joseph d’avoir mis tant d’insistance à l’expatrier, il était pénétré de gratitude à son égard. — Oh, dit-il, je ne me plains plus à présent. Et avec un sourire : — Il me semble que j’étais une petite fille il y a trois mois. Maintenant, je suis un vrai garçon, une gigue comme ils disent là-bas. Non, non, je ne suis plus une poule mouillée. Je fais des armes, je joue au foot-ball... Il fallait en effet se rendre à l’évidence : il n’avait plus rien de la mièvrerie de l’éphèbe élevé par des femmes. Trois mois d’une existence rude, virile, l’avaient étrangement développé. Ce n’était plus un dameret, il gagnait des muscles sans perdre de sa sveltesse ; une moustache naissante ombrait sa lèvre et quelques poils follets lui frisottaient au menton. C’était un vrai jeune homme. — Oh, soyez tranquilles, je fumerai bientôt ! Mais, si décidé qu’il fût à être aimable, il convenait à part lui que cette conversation avec trois dames bonnes à jouer les Parques, s’allongeait outre mesure et il déplorait que personne ne songeât à le relayer. Aussi, quel soulagement pour lui quand les jeunes mamans rentrèrent dans le salon ! Pauline, qui était la bonté même, vit tout de suite sa détresse et le délivra. D’ailleurs Frans accourait déjà auprès de sa femme et s’installait à la place d’Hippolyte. Sur ces entrefaites, Adolphine s’indigna : — Comment ? on reste sans rien ici ? Ah ça, qu’est-ce qu’elles font donc à la cuisine ! Elle se proposait d’aller voir ; mais plus prompts que l’éclair, Émile et Emma, qui mouraient d’envie de s’étreindre une bonne fois dans la solitude d’un couloir ou d’un escalier, l’avaient devancée afin, disaient-ils, de relancer Colette. Quant aux Dujardin, ils se tenaient enfoncés dans une embrasure sous prétexte de contempler la neige : en réalité ils se concertaient pour quitter la salle à manger et gagner leur chambre, car, eux aussi, logeaient ce soir dans la vaste maison. C’était la fête des relevailles. Ils se tenaient enlacés et une fièvre amoureuse enflammait leur sang. — Te souviens-tu, disait Pierre, c’est ici, là tiens, que je t’ai embrassée pour la première fois, le soir du grand incendie... — Oh, fit-elle avec une feinte pudeur, j’étais en chemise de nuit... Mais tout de suite elle pencha la tête sur l’épaule de son mari et murmura dans son cou ces mots ardents : — Oh viens, mon Pierrot, viens, il y a tant de nuits que tu n’as plus dormi sur mon cœur... ⁂ On apporta du thé et de la bière tandis que Mme Kaekebroeck, posant un cramique contre sa poitrine, coupait des tartines que Thérèse beurrait, empilait et promenait sur un plateau. Mais elle semblait préoccupée, la petite Mme Mosselman. Jalouse, très excitée par l’exemple de ses amies, elle eût bien voulu, elle aussi, accaparer son Ferdinand dans une encoignure ou derrière quelque paravent tutélaire. Ce n’est pas qu’elle manquât de lui adresser force petits signes d’amour par dessus son cabaret. Mais l’ingrat, rivé à la table de whist, poursuivait le cours de ses grandes et petites misères et, Don Juan absorbé, ne daignait rien voir. Elle en éprouvait un dépit qui allait jusqu’à l’angoisse et son cœur aimant se gonflait d’amertume. Soudain, comme elle déposait son plateau sur la table du salon, elle vit Hippolyte qui fixait sur elle ses grands yeux mélancoliques ; mais le jeune homme sourit dès qu’il se sentit regardé, et s’avançant vers elle avec franchise : — Madame Thérèse, dit-il simplement, puis-je vous demander une tasse de thé... Elle resta d’abord tout interdite de l’inflexion tendre de sa voix ainsi que de la pureté, de la grâce de son accent. Il prononçait « tasse » comme s’il y avait un gros circonflexe sur l’A... Elle en était vraiment intimidée. Soudain, avec sa vivacité d’obligeance : — Comment, on vous a oublié, mon pauvre garçon ! À ces mots, un étonnement très vif se peignit sur la figure du jeune homme. — Oh, dit-il avec reproche, vous me dites « vous » maintenant... En effet, c’était la première fois qu’elle lui parlait ainsi. Elle ne savait comment ce « vous » lui était venu aux lèvres. Sans doute un secret instinct l’avertissait de se défendre contre elle-même, car l’élégance du jeune lycéen et ses tendres yeux l’impressionnaient plus qu’elle n’osait se l’avouer. Elle balbutia quelques paroles mal arrangées : — Mais, mais... Enfin, mon cher Hippolyte, je pense que c’est plus convenable à présent... Il eut un petit rire crispé : — Et pourquoi donc ? insista-t-il d’un ton qui s’efforçait d’être gai. Mais elle esquiva la réponse : — Attendez seulement, dit-elle, je vais vite chercher ce qu’il vous faut. Elle courut au buffet de la salle à manger et rapporta une tasse toute préparée : — Voilà, dit-elle avec sa jolie moue, j’ai mis dedans deux gros morceaux de sucre... Est-ce que c’est bien comme ça ? Cette fois, il la regarda d’un air presque dur et répondit en butor : — Cela m’est égal... Comme elle le considérait avec une surprise demi peinée, demi railleuse : — Oui, fit-il sombrement, tout m’est égal si vous me dites « vous » ! Elle ne pouvait démêler s’il était sincère ou s’il se moquait. Mais au fond de son cœur, elle préférait qu’il eût conservé toute la fraîche émotion de son sentiment pour elle, et il lui était désagréable de penser que sa passionnette avait tiédi au point qu’il y pouvait mêler un brin d’ironie malicieuse. Il tournait une cuiller mélancolique dans sa tasse : — Oh, dit-il avec tristesse, vous ne vous souvenez de rien... En même temps ses joues s’empourprèrent, car il se rappelait sa brûlante déclaration au Jardin Botanique et il en restait un peu confus, gêné, à présent que l’absence avait changé, refroidi l’atmosphère de son intimité avec elle. Il but une gorgée par contenance. Mais elle ne le regardait pas. Elle n’osait plus le regarder. — Je ne vous comprends pas, dit-elle en saisissant vivement son éventail qui pendait le long de sa jupe et en l’agitant d’un geste fébrile contre son visage. Maintenant, elle regrettait peut-être ce « vous » qui donnait à l’entretien une certaine gravité ; il était malencontreux. Après l’avoir peiné un instant, ce petit mot n’allait-il pas enhardir le jeune homme en lui donnant conscience de sa bonne mine, en lui apprenant surtout qu’il n’était plus l’enfant d’autrefois et que ses aveux pouvaient être compromettants pour une femme ? Ils demeuraient seuls près du grand arbre de Noël dont les branches touffues, entortillées de rubans et de fils bariolés, les dissimulaient aux regards. D’ailleurs, personne ne songeait à eux ; les joueurs étaient bien trop absorbés dans leurs cartes et, pour les dames, Malvina les tenait sous le charme en contant les derniers gestes de sa « fille de quartier ». Il eût sans doute été facile à Thérèse de rompre le tête-à-tête par une de ces petites phrases exclamatives dont les femmes ont l’à-propos. Mais un trouble inconnu — celui des cavatines d’opéra — la retenait auprès du jeune homme et la rendait absolument incapable de rien imaginer pour sortir du salon. Soudain, son attention fut attirée par le coin de linge qui pointait hors de la pochette d’Hippolyte. N’était-ce pas le petit mouchoir qu’il avait arraché de son corsage au Jardin Botanique ? Mais oui, elle en reconnaissait la bordure mauve, le point clair et l’initiale fleurie brodée sur la batiste... Et un attendrissement lui venait, si étrange, si doux que, se sentant défaillir, elle se laissa mollement aller dans un fauteuil. À cette vue, Hippolyte déposa vivement sa tasse sur un guéridon et se jetant aux genoux de la jeune femme : — Oh, Madame Thérèse, s’écria-t-il dans le désordre de ses mèches éplorées, si vous saviez comme j’ai été malheureux pendant ces trois mois ! Je ne pensais qu’à vous... Vous m’aviez dit : « à Noël » et j’attendais Noël de tout mon cœur ! Et voilà que ce soir c’est Noël ! Et tantôt, vous ne m’avez seulement pas embrassé en me revoyant et vous me dites « vous » ! C’est affreux, vous savez ! Alors, vous ne m’aimez plus ? Oh moi, je n’ai pas changé. Moi, je vous aime toujours comme lorsque j’étais petit et que vous me preniez sur vos genoux... C’était la palpitation de l’amour. Sa passion, longtemps contenue, débordait en paroles ardentes et naïves. Il dit comment son cœur se morfondait en soupirs. Il dévida son chagrin, raconta ses trois mois d’exil en détail ; les moindres incidents de sa vie de lycéen le ramenaient à son amour. Ses beaux yeux avaient le feu sombre de la passion profonde. Sa voix bien timbrée vibrait d’émotion et les mots coulaient de ses lèvres comme une belle eau pure. Muette, immobile comme une statue, Thérèse ne résistait plus au charme de ce langage qui l’émouvait par sa sonorité neuve, son tour vif, imprévu, et l’enveloppait des effluves vertigineux de la tendresse passionnée Elle avait laissé tomber son éventail et fixait sur le jeune homme des yeux sérieux et rêvants ; il lui inspirait décidément un délicieux intérêt de cœur. Mais le passé lui faisait mirage ; elle s’imaginait qu’Hippolyte était redevenu l’enfant de jadis qui jouait à ses pieds, au bord de sa robe de jeune fille... Elle lui abandonnait ses mains qu’il pressait pourtant avec une force virile et mordait presque d’une adoration sensuelle, gloutonne. Et quand il se redressa tout à coup et qu’elle le vit abaisser son visage vers le sien, elle ne fit aucun geste pour échapper à son étreinte et soupira seulement ces mots de langueur : — Voyons, mon petit Hippolyte, je t’en prie, laisse-moi... Mais déjà il l’avait enlacée et la baisait longuement dans le cou tandis qu’elle-même, fermant les yeux et croyant sans doute n’être que maternelle, posait tendrement sa bouche sur la joue de l’adolescent en murmurant à demi pâmée : — Oh, méchant garçon... Cher méchant garçon !... Cependant M. et Mme Kaekebroeck manœuvraient avec prudence pour se retirer dans leurs appartements sans éveiller l’attention de personne. Déjà, ils s’avançaient doucement dans le salon quand la vue de Thérèse et d’Hippolyte les confondit de surprise et les arrêta sur place. — Eh bien, chuchota Adolphine, ils ne se gênent pas ceux-là... Ça est tout de même un peu fort maintenant ! Mais Joseph souriait avec indulgence et, concluant comme un livre : — C’est ainsi, dit-il, que le jeune Hippolyte avait pris les manières de France qui plaisent à toutes les nations, ou plutôt à toutes les femmes ! |
Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1198 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1930 (Volume 6, p. 268-269). ◄ À sa nièce Caroline À sa nièce Caroline ► À sa nièce Caroline bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1930ParisVVolume 6À sa nièce CarolineFlaubert Édition Conard Correspondance 6.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 6.djvu/1268-269 1198. À SA NIÈCE CAROLINE. Paris, mercredi soir [août 1871]. Chère Caro, J’ai encore fait aujourd’hui une longue station chez Delestre, qui m’a brûlé et mastiqué deux dents ; mais je crois que ce n’est pas fini, car, en ce moment même, je souffre comme un diable. Je me suis occupé des affaires de Deslandes, et Raoul-Duval, grâce à moi, va contribuer probablement à le faire nommer directeur du Vaudeville, ce qui pourra servir aux amis. Je ne t’ai pas dit que la commission pour le monument de Bouilhet avait adopté mon idée de fontaine. M. Nétien l’adopte, et il est probable qu’on choisira la place qui se trouve au bas de la rue Verte, en face le pharmacien. Le Figaro m’a fait une belle peur en annonçant que la mère Sand était très malade. Il n’en est rien. Elle n’a pas du tout été malade : c’est encore une gentillesse des journaux. Je vais enfin voir ce soir l’illustre d’Osmoy, ce soir ou demain ; en tout cas, je verrai Bardoux, qui m’a donné rendez-vous à 9 heures et demie, en face Tortoni. Il paraît qu’on ne découvre rien de grave contre Janvier, et il est probable qu’on ne le mettra pas en jugement. J’en suis content pour sa pauvre mère. Voilà toutes les nouvelles, mon pauvre bibi. Il pleut à torrents ! Et il fait froid. Amitiés à Ernest. Et à toi, pauvre loulou. |
Le Conte du tonneau/Tome 2/01 | Jonathan Swift Le Conte du tonneau, (1704) Henri Scheurleer, 1732 (Tome second, p. 1-50). ◄ Préface La Bataille des Livres ► Dissertation en forme de Lettre bookLe Conte du tonneau, (1704)Jonathan SwiftHenri Scheurleer1732La HayeCTome secondDissertation en forme de LettreSwift - Le Conte du tonneau - tome 2 - Scheurleer 1732.djvuSwift - Le Conte du tonneau - tome 2 - Scheurleer 1732.djvu/91-50 Monsieur, L y a déja long-tems que j’ai la tête chargée d’une Nouveauté fort importante pour le Public, & de laquelle il faut que je me délivre au plus vite, si je veux avoir soin de ma santé. Il ne s’agit plus que de savoir dans quelle forme elle paroitra le plus à fon avantage. Pour prendre un parti là-dessus, j’ai employé trois jours entiers à parcourir la Sale de Westmunster, le Cimetiere de St. Paul, Fleet-street, & tous les autres Endroits qui fourmillent de Boutiques de Libraires, pour voir quels Titres sont le plus à la Mode ; & je n’en ai point trouvé qui eut une aussi grande vogue, que Lettre à un Ami. Rien n’est plus commun à présent que de voir de longues Epitres adressées à certaines Personnes, & destinées pour certains Endroits, sans qu’on puisse s’imaginer la moindre raison qui ait porté leurs Auteurs à les écrire. Telles sont une Lettre à mon plus proche Voisin. Epitre à un Etranger, que je ne connois ni d’Eve ni d’Adam. Lettre à un Homme de Qualité résident dans les Nuées. Ces Piéces, d’ailleurs, roulent la plupart sur des Sujets, qui naturellement n’ont rien à démêler avec la Poste. Ce sont de longs Systémes de Philosophie ; d’obscurs & merveilleux Traitez de Politique ; des Dissertations laborieuses sur la Critique & sur les Antiquitez ; des Avis donnez au Parlement ; & d’autres Ouvrages de cette nature. Je n’ai pas hésité un moment à imiter de si excellens Modeles ; &, puisque je suis persuadé que vous publierez cette Lettre, dès que vous l’aurez reçûë, quelque chose que je puisse dire pour vous en détourner, j’ai une grace à vous demander, sans laquelle il ne me sera pas possible de figurer, comme il faut, avec mes Collegues les Auteurs Epistolaires de nos jours. C’est, Monsieur, de vouloir bien témoigner en ma faveur, devant le Tribunal du Public, que cette Lettre a été griffonnée à la hâte, que je n’ai commencé à songer cette matiere que hier, lorsqu’en discourant ensemble de choses & d’autres nous tombâmes par hazard sur ce Sujet ; que je ne me portois pas trop bien, quand nous nous separâmes ; & que, pour ne pas manquer la poste, je n’ai pas eu le loisir de bien arranger mes Matériaux, & de corriger mon Stile. Enfin, Monsieur, je vous conjure de ne pas négliger la moindre de ces sortes d’Excuses modernes, qui puisse être de quelque usage, pour pallier la Négligence d’un Auteur. Je vous prie, Monsieur, que, lorsque vous écrirez aux Virtuosi Iroquois, vous les asseuriez de mes Respects, & de la promtitude avec laquelle je leur enverrai l’Explication des Phenomenes que vous savez, dès qu’elle aura été réglée dans notre Collége de Gresham. Je n’ai pas reçû, les trois derniers ordinaires, un seul mot de Lettre des Savans de Topinambou. En voilà bien assez Monsieur pour ce qui regarde les Affaires, & les Formalitez requises. Vous ne trouverez pas mauvais, j’espere, que j’en vienne au Sujet, en laissant-là le Stile Epistolaire, jusqu’à la Conclusion de ma Lettre. L’Histoire de Mahomet nous raporte, qu’aïant un jour une Visite à rendre dans le Ciel, il rejeta toutes les Voitures qu’on lui offroit, comme Chariots enflammez, Chevaux ailez, &c ; & qu’il aima mieux y être porté par son Ane. Ce Choix de Mahomet, quelque singulier qu’il paroisse, a été imité par un grand nombre de Chrétiens dévots, avec beaucoup de raison, à mon avis ; car, comme cet Arabe a emprunté des Chrétiens une grande moitié de son Systême de Religion, il est juste qu’on use de Réprésailles sur lui en tems & lieux. Notre bon Peuple Anglois sur-tout, n’y a pas manqué ; &, quoiqu’il n’y ait point de Nation dans le Monde si bien fournie de toutes sortes de Voitures pour ce Voïage, aussi süres que commodes, il y a pourtant beaucoup de Gens parmi nous, qui préférent celle de Mahomet à toutes les autres. Pour moi, je dois avouer que j’ai une vénération toute particuliere pour l’animal en question, qui, à mon avis, represente parfaitement bien la Nature humaine dans toutes ses qualitez, aussi bien que dans toutes ses opérations. Je ne manque jamais de placer dans mon Recueil de Lieux Communs tout ce que je trouve dans ma Lecture sur son Chapitre ; & quand j’ai occasion de m’étendre sur la Raison humaine, la Politique, l’Eloquence, & l’Erudition, j’en trouve l’Aplication la plus aisée, & la plus exacte du monde. Cependant, je ne me souviens pas d’avoir jamais vu dans les Anciens, ni dans les Modernes, parmi les qualitez qui composent le Caractere de l’Ane, aucune mention faite du talent de porter Son Cavalier au Ciel, si l’on en excepte les deux exemples que je viens de raporter. Par consequent, c’est ici une Matiere, qui peut passer pour toute neuve, & je ne doute pas que le public ne souhaite avec ardeur d’être éclairci sur tout ce qui regarde ce merveilleux talent, & sur la maniere dont il doit être mis en œuvre. C’est-là ce que j’ai entrepris de faire dans le Discours suivant. Le sujet est vaste & demande de profondes Recherches ; puisque, pour réussir dans le voïage dont il s’agit ici, il faut un grand nombre de proprietez très-particulieres, tant dans l’Ane, que dans le Cavalier. Je ferai tous mes efforts, pour en donner le détail, avec toute la clarté qu’il me sera posible. La crainte d’offenser qui que ce soit n’oblige à ne pas continuer la Tractation de cette Matiere aussi littéralement, que je l’ai commencée, & à l’enveloper plutôt dans une Allegorie. Je m’y prendrai pourtant d’une telle maniere que le Lecteur judicieux sera toujours en état de passer du sens figuré au sens propre & naturel, sans être obligé de donner long-tems la torture à son esprit. A la place du terme d’Ane, j’emploïerai desormais celui de Docteur illuminé, & je troquerai celui de Cavalier contre celui d’Auditoire fanatique, ou contre quelqu’autre Denomination de la même force. Après avoir aplani ainsi toutes les difficultez preliminaires, le grand point qui reste à éclaircir est la Methode, par laquelle le Docteur parvient à ses Dons spirituels, ou à son Illumination, quelle route il les communique à son Auditoire. Mon grand But a été dans tous mes Ouvrages, non de les approprier à quelques circonstances particulieres de tems, de lieux, ou de personnes ; mais de les destiner à l’utilité de tous les siécles, & de tous les hommes en général. Pour être persuadé que la Dissertation présente sera du même genre, on n’a qu’à réflechir sur la nature du sujet. Il est certain, qu’il n’y a point de disposition du corps, ou de qualité de l’esprit qui aient été si fort le centre de toutes les inclinations humaines, qu’une pointe de Fanatisme, & une teinture d’Enthousiasme. Ce Penchant universel, animé & cultivé par de certaines societez d’hommes, a été capable de produire dans l’Univers les Révolutions les plus étonnantes, comme il est connu par tous ceux qui ont une legere idée de ce qui s’est jamais passé de plus remarquable, dans l’Arabie, dans la Perse, dans les Indes, dans la Chine, dans le Maroc, & dans le Perou. Cette noble Inclination a eu sur-tout de grandes influences sur l’empire du Savoir, où il est difficile d’indiquer une seule Science particuliere, qui ne soit pas relevée par quelque Broderie de Fanatisme. Du nombre de ces Ornemens sont la Pierre Philosophale, le grand Elixir, les Mondes Planetaires, la Quadrature du Cercle, le Souverain Bien, les Republiques Utopiennes, & quelques autres, qui n’ont d’autres usages dans le Monde, que d’entretenir, & d’amuser ce Penchant vers le Fanatisme, dont chaque individu humain est si heureusement animé. Mais si cette plante a trouvé un terroir convenable dans les Campagnes de la Politique & des Sciences, elle a sur-tout jetté de profondes racines en Terre Sainte, où elle a été connuë sous le nom general d’Enthousiasme quoi qu’elle y ait poussé plusieurs branches d’une nature fort differente, qu’on a pourtant plusieurs fois confondues. Le terme, dans sa signification la plus generale, peut étre défini, par une Elevation de l’Ame, ou de ses Facultez, au dessus de la matiere. Si l’on veut l’apliquer particulierement à la Religion, on verra, que par trois differens moïens l’ame prend l’essor, & se transporte au-dessus de la Sphere des choses materielles. Le premier se fait par un Acte immediat de la Divinité ; & elle est apellée Inspiration, ou Esprit Prophétique. Le second provient d’un Acte immédiat du Diable ; & on le nomme Possesion. Le troisiéme à sa source dans certaines causes naturelles, comme force d’imagination, ratte, colere, fraïeur, douleur violente, &c. Ces trois sortes d’Enthousiasme, traitées à fond par d’autres Auteurs, n’occuperont point ici mes recherches ; mais, il y a une quatriéme methode de donner à l’ame un essor religieux, par une operation artificielle, fondée sur les simples regles du Mechanisme. Ce sujet a été négligé, ou du moins traité fort maigrement jusqu’ici, quoi que ce soit un Art d’une très-grande Antiquité, mais borné pendant long-tems dans un petit nombre de personnes. Il n’a acquis que depuis peu ces rafinemens, & cette vogue, qui le rendent à present si respectable, & si digne de notre curiosité. C’est cette Operation Mechanique de l’Esprit, telle qu’elle est pratiquée dans nos jours par nos Ouvriers Britanniques, qui sera le sujet de la presente Dissertation. Je communiquerai à mes Lecteurs plusieurs Remarques judicieuses, que j’ai faites sur cette matiere ; je déveloperai avec toute l’exactitude, qui me sera possible, tous les secrets de ce métier ; j’en éclaircirai toutes les particularitez par des exemples paralleles ; & je gratifierai le public de plusieurs belles découvertes, sur ce sujet, qu’un heureux hazard m’a fait rencontrer. J’ai dit qu’il y a une certaine branche d’Enthousiasme Religieux, qui est un simple effet de la Nature ; au lieu que celle dont je vais parler provient uniquement de l’Art, qui ne laisse pas de travailler avec plus de succès sur certains temperamens, que sur d’autres. Il est vrai qu’il y a plusieurs operations, qui, purement artificielles dans leur origine, deviennent naturelles par une longue habitude. Hypocrate raporte, par exemple, que, parmi nos Ancêtres les Scythes, il y avoit un Peuple apellé Têtes-longues. Il commença à mériter cette dénomination, par la coutume, qu’avoient les sages-femmes & les nourrices, de changer la forme naturelle des têtes des Enfans nouveau-nez, en les pressant par certains bandages, par lequels les esprits-animaux, détournez de leur Cours ordinaire, étoient forcez à se pousser en haut, où ils ne trouvoient aucune resistance, & de donner à ces tètes la figure d’un pain de sucre. La Nature aïant été obligée par force de prendre cette route pendant quelques generations, la fût trouver enfin d’elle-mème, sans avoir besoin du secours de l’Art. Voilà l’origine des ' Scythes à Tête-longue ; & c’est ainsi qu’une coutume peut, d’une seconde nature, devenir la nature même. Il est arrivé quelque chose de fort semblable parmi les Anglois modernes, veritable posterité de cette nation renommée & polie, dont je viens de parler. Du tems de nos Peres, une espece d’hommes se fit distinguer dans cette Ile sous le nom de Têtes-rondes, dont à présent la race est répanduë dans tous les trois Roïaumes. Elle fut produite au commencement par une pure opération de l’Art : une certaine maniere de leur presser le visage, un coup de ciseau dans les cheveux, & un bonnet noir, en faisoient l’affaire. Ces têtes spheriques s’attiroient dans toutes les Assemblées une attention particuliere de la part du beau-Sexe, & il en reçut de si fortes impressions dans le cerveau, qu’elles influèrent sur toute la posterité, & que la Nature entrant dans cette idée de l’Art, apprit à la suivre d’elle-mème. Depuis ce temps-là, une tête ronde a été aussi familiaire à nôtre vuë, qu’une tête longue l’étoit autrefois parmi les Scythes. Conformement à ces exemples, & à d’autres, qu’il me seroit aisé de produire, je prie le Lecteur curieux de distinguer d’abord entre un effet simplement naturel, & un effet, qui, artificiel dans son origine, est devenu naturel par l’habitude. En fecond lieu, entre un effet absolument produit par la nature, & un effet, qui a une baze naturelle, sur laquelle l’art a trouvé à propos de bâtir. Ce sont les dernieres branches de ces deux divisions, qui doivent être le sujet de mes recherches ; c’est-là l’état de la question, que j’ai cru devoir poser, avec toute l’exactitude imaginable, pour éviter toutes les objections, qu’on pourroit faire contre ce que j’avancerai dans la suite. Ceux, qui mettent en pratique cet art admirable, se fondent d’ordinaire sur ce Principe general ; la corruption des Sens est la génération de l’Esprit. La preuve qu’ils en donnent, c’est que les sens sont autant d’avenues, qui mènent à la raison humaine, laquelle doit être emprisonnée de necessité, pendant toute l’operation, si l’ont veut s’en promettre un heureux succès. Par consequent, il s’agit ici de faire tous ses efforts, pour lier, garotter, détourner, stupéfier, emousser les sens, ou pour les mettre aux mains les uns avec les autres ; c’est précisement dans le tems qu’on les a envoïez promener, ou qu’ils font ensemble le coup de poing, que l’esprit entre, & qu’il jouë son rôle. Pour ce qui regarde la methode, dont on se sert, pour mettre les sens dans la situation dont j’ai parlé, je serai fort exact à la décrire, autant qu’il m’est permis. J’ai eu autrefois l’honneur d’être initié dans ces mysteres, & par consequent, je dois être excusable, si je n’en raporte pas certaines particularitez, qui doivent rester cachées aux Profanes. Mais, avant que d’aller plus loin, il est bon, que je réponde à une objection, qui merite bien qu’on s’y arrete. Certains Critiques soutiennent à cors & à cris, que l’esprit ne sauroit être introduit dans une Assemblée de Béats modernes ; puisque, dans plusieurs circonstances essentielles, ils sont si éloignez de la situation, dans laquelle se trouvoient les Saints honorez de l’Inspiration primitive. Nous sommes informez, que ces derniers étoient tous d’accord dans un même lieu : ce qui signifie qu’il régnoit parmi eux une parfaite harmonie, tant par raport aux opinions, qu’à l’égard du culte & du cérémonial ; au lieu que, parmi les Illuminez modernes, à peine y a-t-il deux têtes remplies des mêmes idées. En second lieu, les Saints de la primitive Eglise reçurent le don des langues, que les modernes n’entendent pas seulement la proprieté des mots dans leur langue maternelle. Enfin, les derniers semblent faire tous leurs efforts pour défendre l’entrée à l’Esprit, en se couvrant la tête avec tout le soin possible : & ceux, qui font cette objection, prétendent que les langues fenduës ne s’arrêterent jamais sur des têtes enfoncées dans des chapeaux. Je réponds, que toute la force de l’objection ne consiste, que dans les differens sens, qu’on peut donner au terme Esprit. Si l’on designe par-là un secours surnaturel, qui vient de dehors, l’objection est fondée : mais, elle tombe d’elle-même, quand on entend par-là une Inspiration, qui vient de dedans ; & c’est-là le cas dont il s’agit ici. C’est justement pour cette raison, que nos Ouvriers trouvent absolument nécessaire de ne rien négliger, pour se bien couvrir la tête, afin d’empêcher par-là la transpiration, qui est capable de faire emporter toute la force de l’illumination méchanique, comme je le ferai voir dans son lieu. Pour pénétrer plus avant dans la nature de ce Méchanisme spirituel, il faut remarquer que dans cette operation l’Assemblée jouë un rôle considerable, aussi bien que le Docteur. Tout le secret par raport aux Auditeurs consiste en ceci. Ils tournent de toute leur force leur prunelle en dedans, & ferment à moitié leurs paupieres. Ensuite, ils se dandinent perpetuellement sur leurs chaises, faisant en même tems un long bourdonnement toujours entretenu à peu près à la même hauteur ; ils le finissent, & recommencent, à certaines periodes, à mesure que la marée de l’Esprit est haute, ou basse, dans le cerveau du Docteur. Cette pratique n’est pas si singuliere & si destituée de sens commun, qu’on n’en puisse trouver des exemples chez d’autres Nations. Les Yanguis, ou Saints illuminez des Indes, se mettent en état d’avoir des visions, en tournant & en comprimant leurs yeux de la même maniere. D’ailleurs, l’art de se procurer des extases artificielles, en se dandinant sur une poutre suspendue, ou fur une corde, est encor fort en vogue parmi les Femmes Scythes : & il est très — possible que les secousses methodiques, que nos Saints se donnent dans la même intention, soient dérivées de cette Nation jusqu’à Nous leur Posterité. Les Irlandois naturels ont encor rafiné là-dessus ; aussi est-ce un fait constant, que cet illustre Peuple a moins dégénéré que tout les autres de la Pureté des anciens Tartares. On y voit souvent une troupe d’Hommes & de Femmes arracher leur ame de la matiere, étourdir tous leurs sens, devenir visionaires, & Spirituels, par l’influence d’une pipe de Tabac, qui fait le tour de la Compagnie. Chacun garde la fumée dans la bouche, jusqu’à ce que son tour revienne, & qu’il en puisse prendre de fraiche. En même tems, on entend un concert de bourdonnement interrompu & renouvellé de tems en tems, par un pur instinct, & l’on voit continuellement leur corps, tantôt se baisser, & tantôt se lever assez haut, pour que la tête & les pieds soient paralleles à l’Horison. Vous voïez leurs paupieres tournées en haut, avec la même contrainte qu’on remarque aux yeux d’un homme, qui fait tous ses efforts pour ne pas succomber au sommeil. Par tous ces Symtomes, il paroit évidemment, que la Faculté de raisonner est alors entierement suspenduë dans leurs ames, & que l’Imagination s’étant rendu Maltresse du cerveau y répand par-tout une foule de chiméres. Je laisse-là cette Digression, pour décrire les degrès, par lesquels l’Esprit approche, peu à peu, vers la region superieure des cerveaux assemblez dans un même lieu. Dès que vos yeux sont dans la disposition requise, vous ne voïez rien d’abord ; mais, après un court intervalle, une petite lumiere tremblante commence à paroitre, & semble dancer dans l’air devant vous. Ensuite, à force de hausser & de baisser votre corps, les vapeurs commencent à monter vers le cerveau avec rapidité, à un tel point que vous vous sentez appesanti, & étourdi, comme un homme qui a trop bu à jeun. Le Docteur commence son operation en même tems, & il débute par un bourdonnement d’un beau-creux, qui vous perce l’ame de part en part. L’Auditoire le lui rend aussi-tôt, poussé à l’imiter par un motif dont il n’est pas le Maitre, & qui le force à agir, sans savoir ce qu’il fait. Les intervalles de ce bourdonnement reciproque sont remplis par le Docteur, afin que par une trop longue pause l’Esprit ne vienne pas à languir, & à se dissiper. Voilà tout ce qui m’est permis de découvrir du progrès de l’esprit, autant que ce mystere est relatif à l’operation de l’auditoire ; mais, je serai plus étendu, & j’entrerai dans un plus grand détail, à l’égard du rôle que jouë le Docteur dans cette affaire. S I vous voulez lire avec attention les Livres de ces hommes véritablement éloquens appellez Voyageurs modernes, vous y verrez cette Observation remarquable, que la difference essentielle de notre Religion, & de celle des Indiens, consiste en ce que nous adorons Dieu, & qu’ils adorent le Diable. Il y a pourtant certains Critiques, qui ne veulent en aucune maniere admettre cette distinction, soutenant que toutes les Nations, quelles qu’elles puissent être, adorent la véritable Divinité, parce qu’elles adressent toutes leur culte à quelque puissance invisible, qui a toute la bonté, & tout le pouvoir nécessaire, pour subvenir à leurs besoins ; Notion, qui renferme en effet les plus glorieux attributs de l’Etre suprême. Il y a d’autres Auteurs, qui nous enseignent, que ces Idolatres adorent deux Principes, l’un comme source de tout bien, l’autre comme origine de tout mal. Et, certainement, voilà ce qui me paroit l’idée la plus naturelle, que les hommes puissent concevoir des choses invisibles, par les simples lumieres de la nature. La maniere dont les Indiens & les Habitans de l’Europe ont manié cette idée, & les differentes consequences qu’ils en ont voulu tirer les uns & les autres à leur avantage, c’est à mon avis un point, qui mérite un examen très-serieux. La principale distinction, qu’il y a à faire là-dessus, selon mon petit jugement, consiste en ce que les prémiers sont plus souvent portez à la devotion par leurs craintes, que les autres, par leurs désirs ; & que le mauvais Principe arache des Prieres aux Idolatres, & à nous des Imprécations. Mais, ce que j’aprouve extrémement dans les Indiens, c’est leur exactitude à renfermer chacune de leurs Divinitez dans les bornes de leurs differentes jurisdictions ; à ne jamais confondre l’amour, qu’ils doivent à l’une, avec les fraïeurs, que l’autre leur inspire ; & à ne jamais mêler la Liturgie, qui concerne leur Dieu blanc, avec celle, qui regarde leur Dieu noir. Nous sommes bien éloignez d’une conduite si prudente, nous, qui, graces à nos lumieres acquises, étendant les domaines d’une de ces puissances invisibles, & resserrant celles de l’autre, avons, par une ignorance impardonnable, confondu grossierement les frontiéres du bien & du mal. Nous avons élevé le Trône de notre Dieu, jusqu’au Ciel Empyrée : nous avons orné cet Etre de tous les attributs, & de toutes les perfections, que nous considerons comme les plus estimables. En même tems, nous avons rabaissé le Principe du mal jusqu’au centre de l’univers : nous l’avons accablé de chaines, chargé de maledictions ; &, après l’avoir fourni de toutes les abominables qualitez d’un Scelerat de distinction, nous lui avons donné une queuë, des cornes, des griffes, & des yeux horribles. Cependant, ce qu’il y a de risible au suprême degré, nous disputons fort sérieusement tous les jours, pour savoir si certains chemins, & certaines routes, sont du Territoire de Dieu, ou du Diable ; si telles ou telles influences viennent dans notre ame d’en haut, ou d’en bas ; si certaines passions, & certaines dispositions du cœur, sont guidées par le bon Principe, ou par le mauvais ? Dum fas atque nefas exiguo fine libidinum Discernunt avidi. C’est ainsi que ces beaux raisonneurs confondent Christ avec Belial, & broüillent ensemble les pieds fendus & les langues fenduës. Du nombre de ces points disputez est le sujet que j’ai à-présent entre les mains : depuis plus de cent ans on s’est batu à forces égales sur les gestes emportez, & sur le jargon, de nos Orateurs Enthousiastes, sans qu’il soit decidé jusqu’ici si c’est possession, ou inspiration ; & les armées de Syllogismes, qu’on a mises en Campagne, pour vuider cette querelle, fe font en vain disputé la victoire. On veut absolument, que ce soit l’un ou l’autre, quoique dans la Vie humaine, tout comme dans une Tragedie, ce soit un grand défaut de justesse d’esprit, & d’imagination d’emploier le secours de quelque être surnaturel, sans une necessité absolue. Notre vanité mène pourtant-là tout droit. Il n’y a point d’individu humain si vil & si meprisable, qui ne s’imagine que tout l’univers s’interesse dans le moindre accident, qui lui arrive. S’il a le bonheur de sauter un ruisseau, sans se crotter les bas, il ne faut pas douter, qu’un Ange ne soit descendu du Ciel exprès, pour avoir soin de la propreté de ses habits. S’il se coigne la tête contre un poteau, il est certain que l’Enfer a laché quelque petit Diable polisson, pour lui faire piece. En verité, il ne se peut rien de plus sot, qu’une pareille imagination. Comment peut-on se mettre dans l’esprit avec un seul grain de bon sens, que quand un chetif Mortel se démène crie, réve, au milieu d’une multitude, le Ciel, ou l’Enfer, doivent se donner la peine de se mêler de ses extravagances ? Pour moi, je ne donnerai jamais dans une absurdité si risible ; & je ne negligerai rien, pour déraciner cette impertinence de l’esprit des hommes, en faisant voir clairement, que tout le Mistere de communiquer à un Auditoire les Dons spirituels n’est rien qu’un Métier, qu’on apprend, & qu’on exerce, comme tous les autres. On n’en doutera pas un moment, quand j’aurai arrangé par ordre toute la suite de cette Operation, selon les Methodes differentes qu’on y employe. Ici étoit exposé tout le Plan du Mechanisme spirituel, avec toute la parade nécef- faire d’une grande lecture & d’une force superieure de raisonnement ; mais, des rai- fons très-fortes l’ont em- pêché de voir le jour. Je ne ferai pas mal, je crois, de dire ici quelque chose de la louable Coutume de nos Saints du prémier ordre, de porter des Calottes matelassées. Ce n’est pas-là uniquement une mode, comme des gens superficiels pourroient le penser : c’est une invention d’une grande utilité ; & celui qui en est l’Auteur merite de grands éloges, par sa fagacité & par son industrie. Ces Calottes, duement humectées par la Sueur, empêchent la transpiration, en fermant tout passage par en haut à la chaleur de l’esprit ; &, par là, elles le forçent à ne s’évaporer que par la bouche : tout de même qu’on couvre le dessus d’un fourneau d’un torchon mouillé, pour faire sortir toute la chaleur par en bas. On verra encore plus évidemment les grands usages, qu’on tire de ces sortes de Couvre-chefs, si l’on veut bien examiner avec attention certain Systême formé par quelques virtuosi du premier calibre. Ils croïent, que le cerveau n’est autre chose, qu’une grande quantité de petits animaux, armez de dents & de griffes extrémement aigues, lesquels par ce moïen s’atachent les uns aux autres, comme s’ils ne faisoient tous ensemble qu’un seul & même corps ; semblables, à un essai d’abeilles qu’on découvre sur un arbre, ou bien, à une charogne changée en vermine, qui ne laisse pas de conserver fa figure primitive. Toute invention, selon l’opinion de ces illustres, procede de la morfure de quelques-uns de ces Animalcules sur certains nerfs capillaires, qui répandent deux de leurs petites branches dans la langue, & un troisiéme dans la main droite. Ces animaux sont d’une Constitution extrémement froide : Leur nourriture est l’air, que nous respirons. Les flegmes sont leur excrement ; & ce que nous apellons d’ordinaire Rhûme n’est autre chose, qu’un cours de ventre épidemique, auquel ce petit Peuple est extrémement sujet, à cause du Climat, sous lequel il habite. Il n’y a qu’un degré de chaleur extraordinaire, qui puisse décramponer ces petites bestioles, & leur donner la vigueur nécessaire pour imprimer dans lefdits nerfs capillaires les marques de leurs petites dents pointues. Selon ces mêmes Naturalistes, si la morsure est hexagonale, elle produit la Poesie : est-elle circulaire, elle cause l’Eloquence ; &, quand sa figure est conique, elle excite la personne, qui en sent les impressions, à se perdre en profondes Spéculations sur les Affaires d’Etat. Il est tems à présent de décrire en peu de mots l’artifice, par lequel la voix doit être gouvernée, pour la communication & l’augmentation de cet espéce d'esprit, qui est le sujet de tout ce grave discours. La chose est de la derniere importance : car, sans l’art de donner le ton, & la cadance nécessaire, à chaque Mot, à chaque Syllabe, à chaque Lettre, toute l’Operation est incomplette ; elle manque les organes de l’Auditeur, & elle force l’artisan lui-même à mille contorsions inefficaces, pour y suppléer. Il faut savoir, que, dans le langage spirituel, un certain chant, & un certain bourdonnement, tiennent la place qu’occupent, dans le langage humain, le bon-sens, & la raison ; & que, dans les harangues sanctifiantes, la disposition des termes conforme aux regles de la grammaire n’est d’aucune utilité. Toute la Rhetorique y consiste dans le choix & dans l’harmonie des syllabes ; & l’Orateur s’y doit prendre de la même maniere, qu’un profond Musicien, qui, pour faire un air sur des paroles, en change tellement l’ordre, qu’il en fait du Galimatias, avant que d’en faire une chanson. Aussi y a-t-il d’habiles gens, qui soutiennent, que l’art de produire ce chant spirituel n’est jamais dans toute sa perfection, que quand il est conduit & dirigé par l’ignorance. Ils pretendent même, que Plutarque s’est expliqué là-dessus d’une maniere enigmatique, en disant, que les meilleurs instrumens de Musique se font d’os d’Ane. Le mot dont il se sert désigne, selon sa signification propre & naturelle, une Machoire, quoique d’autres avancent, que dans ce passage il s’agit de l’os pubis. Je ne suis pas assez temeraire, pour décider d’un point de Critique si délicat, & si épineux ; & je laisse au Lecteur pénétrant à suivre l’opinion, qu’il trouvera la plus probable. Le prémier ingredient, qui doit entrer dans la composition de ce chant devot, est une grande doze de lumiere interieure. C’est-à-dire, en stile ordinaire, une vaste Memoire, richement assortie de Phrases Theologiques, & des Textes les plus mysterieux de l’Ecriture Sainte, appliquez, & digerez, par les Opérations Mechaniques, dont j’ai déja fait mention. Les Porteurs de cette lumiere doivent ressembler parfaitement à ces lanternes faites de feuilles de vieilles Bibles de Geneve, & si fort recommandées par le Chevalier Humphry Edwin de Sainte memoire, qui, pendant qu’il étoit Lord Maire, ne négligea rien, pour en introduire l’usage, sous prétexte d’accomplir par-la à la Lettre le Texte que voici : Ta Parole est une lanterne à mes pieds & une lumiere à mes sentiers. Quand on est bien & duement fourni de cette provision, il ne s’agit plus, comme je l’ai déja insinué, que d’ajuster le ton de la voix à chaque parole que l'esprit dicte, afin qu’elle frape les oreilles de l’Auditoire, par la cadence la plus significative. La force & l’énergie de cette forte d’Eloquence ne consiste pas, comme dans les Harangues des anciens Orateurs, dans le tour concis & laconnique d’une sentence, ni dans le nombre harmonieux qu’on ménage à des periodes entieres ; mais, se conformant aux roulemens rafinez, & savans, de la Musique moderne, elle s’atache à repandre du pathetique sur des Lettres, & sur des Syllabes. Vous voïez souvent une seule voyelle aracher de profonds soupirs des entrailles de tous les Auditeurs : souvent la musique touchante d’une seule liquide fait sanglotter tout un Peuple ; & même on observe, que des sons inarticulez ne produisent pas des effets d’une moindre force. Quelquefois, un Maître Artisan se mouche le nez avec ses doits, d’une maniere si efficace, OOPS ! qu’il perce l’ame de tous ses Auditeurs portez à recevoir, avec un respect également religieux, les excremens miam miam & les productions de son cerveau : éternuer, cracher, rotter, défauts si marquez de l’Eloquence humaine, sont les ornemens, les figures, & les fleurs de cette Rhetorique spirituelle. C’est toùjours le même esprit, qui se communique par-là, à la multitude ; & il n’importe, par quel vehicule il y passe. on imagine fort bien... Ce seroit une affaire d’une difficulté qui aprocheroit de l’impossible, que d’entreprendre de renfermer les princpes de cet Art fameux, OOPS ! dans les bornes de quelques regles convenables. Cependant, je pourrois bien un jour favoriser le Public de mon Essay sur le jargon devot consideré Physiquement Philosophiquement, & Musicalement tout un programme « sons et lumières »... . Parmi tous les secours, que l’Esprit tire de la voix, il n’y en a point, qui puisse être comparé à l’Art de faire passer les sons par le nez ; Art merveilleux, qui a eu une reception si favorable dans le monde, sous la dénomination de Nasillonnement. L’origine de cette pieuse institution est fort ténébreuse ; mais, comme j’ai été initié dans ce Mystere, & qu’on m’a donné permission d’en instruire le public, je vais en donner la Relation la plus exacte, qu’il me sera possible. Cet Art, comme plusieurs autres inventions celebres, doit sa naissance, ou du moins sa perfection, au hasard ; mais, il ne laisse pas d’étre fondé sur des raisons très-solides, qui l’ont fait fleurir dans toute notre Ile, depuis qu’il a été connu, jusques à présent. Tout le monde convient, que l’Epoque de sa naissance est la décadence des Musettes, qui, après avoir soufert long-tems sous la persecution des Freres Spirituels, chancelérent à la fin, & tombérent entiérement avec la Monarchie. Avant que le Saint Nasillonnement fùt encore en réputation, il arriva un jour, qu’un Béat de la premiere Classe, s’étant engagé fort avant, parmi les Tabernacles des Méchans sentit son Homme exterieur ému par des agitations violentes & fortement excité méme par l’Homme interieur : Symtome assez ordinaire aux Inspirez modernes ; car, on prétend que l’Esprit est capable de se jetter sur la Chair, comme des guepes affamées sur la viande crue. D’autres s’imaginent que l’Esprit, & la Chair jouent ensemble, sans discontinuer, à porter l’Ane ; & qu’ils font tour à tour tantôt le Cheval, & tantôt le Cavalier. Ils y ajoutent, que quand la Chair monte l’Esprit, elle est armée d’énormes éperons ; & que, lorsque c’est son tour de porter, elle a la bouche prodigieusement dure. Quoi qu’il en soit, il arriva, que, par un effet naturel d’une forte Inspiration, le Béat sentit son Vaisseau s’étendre terriblement de tous còtez ; & le tems & le lieu se trouvant également peu convenables, pour évaporer l’Esprit superflu, par en haut, moïennant la lecture, la priere, & la repetition, il fut forcé de lui ouvrir un passage d’un autre côté. En un mot, il lutta si long-tems contre sa chair rebelle, qu’il la domta à la fin, & qu’il sortit victorieux du combat avec des blessures glorieuses. Le Chirurgien vint bientôt à bout de guerir les parties affectées : mais, le mal, chassé de son poste, monta dans la tête ; &, semblable à un habile Général, qui, battu en raze Campagne, se retire avec rapidité vers la Ville capitale, pour y faire tête à l’ennemi, il se fortifia tout auprès du cerveau. Voïant qu’on faisoit des préparatifs pour l’attaquer par le nez, il abatit le pont, boucha le passage, & se retira dans les conduits les plus reculez du cerveau même. Or, les Naturalistes observent, qu’il y a dans les nez humains une espece d'Idiosyncrasie, par la vertu de laquelle, plus ils font bouchez, & plus la voix se delecte à y chercher un passage ; tout de même que la musique ne passe par une flute, que lorsque plusieurs trous en sont exactement fermez. C’est par-là que ce bourdonnement de nez ressemble parfaitement à celui d’une musette, & qu’il flatte aussi agréablement les oreilles Britanniques, que faisoit jadis le son de cet instrument disgracié. Le Béat en question en fut bientôt convaincu par sa propre experience ; &, dans l’Òperation Mechanique de l’Esprit, il emploia avec tout le succès imaginable l’heureuse faculté qu’il venoit d’aquerir. En peu de tems aucune Doctrine ne merita les Epithetes de saine, & d’orthodoxe à moins de passer par le nez ; bientôt chaque Artisan se mit à copier ce bienheureux original : & ceux, qui ne pouvoient pas atteindre à ce haut degré de Nasillonnement par l’Art seul, poussez par un noble zèle, eurent recours à la Nature, & imitérent exactement la Sainte Lute du premier Inventeur. C’est ainsi, qu’on peut soutenir à la Lettre, que les Spiritualisez ont acquis l’Empire de la Sainteté, par le Nasillonnement d’un animal, comme Darius acquit celui de Perse, par le Hannissement d’un autre. La comparaison est d’autant plus juste, que la Bête Persienne avoit couvert une Cavalle le jour avant l’élection, & que par-là il avoit atrapé la Faculté de hannir à propos......... Je mettrois ici des bornes à cette Dissertation aussi curieuse qu’importante, si je n’étois pas convaincu que tout ce que j’ai avancé sur ce sujet doit être de necessité defendu, contre une Objection des plus fortes. En suposant vrai tout ce que j’ai dit, on peut soutenir que l’Enthousiasme artificiel ne sauroit réüslır, sans quelques Dispositions naturelles dans la Constitution de certains individus, qui ne se trouvent pas dans le temperamment de certains autres. Cette Objection ne paroit pas entierement destituée de solidité. Observez le geste, l’action, le mouvement, & la contenance, de quelques Artizans du premier ordre, même dans les circonstances ordinaires de la vie, vous les prendrez pour une race differente du reste des créatures humaines. Je dis plus : jettez les yeux sur les prétendans les plus communs de la Lumiere interieure ; voïez comme ils sont sombres, ténébreux, & sales en dehors. Ils sont comme ces Lanternes, qui, plus elles sont illuminées en dedans, plus elles répandent de la fumée, & plus le dehors en est couvert de suie, & d’autres matieres fuligineuses. Pretez l’oreille à leurs discours les plus ordinaires, & examinez la maniere, dont ils les prononcent, vous croirez entendre un ancien Oracle, & vous en deviendrez tout aussi savant. Par ces raisons, & par d’autres semblables, on prétend prouver d’une maniere invincible, qu’une source naturelle de l’Esprit doit précéder l’Art, & occuper déja la tête des Saints, avant qu’ils commencent l’opération. Il y en même qui soutiennent, que ce fond naturel n’est autre chose, que la chaleur du zèle, qui fait sortir l’Esprit de la lie de l’ignorance, comme de certaines lies on fait tirer d’autres Esprits, par la chaleur du feu. Pour placer ce sujet dans son veritable jour, je deduirai ici d’une maniere concise toute l’Histoire du Fanatisme des tems les plus anciens, jusques à l’âge présent. Si nous y trouvons quelque point fondamental, sur lequel tous les Professeurs de cet Art merveilleux s’acordent unanimement, je pense que nous pouvons nous en saisir sans scrupule, & le prendre hardiment, pour la semence, ou pour le principe, de l’Esprit. C’est parmi les Egyptiens, que les Histoires anciennes nous decouvrent les prémieres traces du Fanatisme. Ils ont institué ces fetes connues dans la Grece sous les noms d'Orgyes, Panegyres, & Dionyses. Si elles ont été introduites par Orphée, ou par Melampus, c’est ce que nous n’examinerons pas pour le présent, & que probablement nous n’examinerons pas non plus dans la suite. Elles étoient celebrées à l’honneur d’Osiris, que les Grecs appelloient Dionysius, & qui est le même que Bacchus, ce fameux Conquerant des Indes. De-là quelques Lecteurs superficiels ont conclu mal-à-propos, qu’il ne s’agissoit dans ces ceremonies, que des extravagances d’une troupe de bruïants yvrognes. Mais, c’est-là une erreur grossiere jettée à la tête des hommes, par quelques Auteurs modernes, qui, croïant que l’Antiquité doit être saisie par la queuë, lisent à la maniere des Juifs, en commençant par la fin. Ces gens, d’un entendement trop litteral, prétendent conquerir tout un Livre, en battant l’estrade dans l’Index ; tout comme si un Voyageur vouloit nous donner la description d’un Palais dont il n’auroit vu que les privez. Qu’ils sachent, ces ignorans-là, que lors de l’institution de ces Mysteres, l’usage qu’on pouvoit tirer du fruit de la vigne n’étoit pas encore connu dans l’Egypte, & que les gens du Pais ne buvoient que de la grosse bierre, qui a servi de boisson aux hommes long-tems avant le vin. Cette liqueur, non seulement doit son origine aux Egyptiens, mais à Osyris ou Bacchus lui-même, qui, dans sa sameuse expédition, en avoit la recepte dans sa poche, & la communiquoit genereusement aux Nations, à mesure qu’il les soumettoit à son pouvoir. D’ailleurs, Bacchus ne doit pas avoir été fort souvent yvre, parce qu’il étoit l’inventeur de la Mitre, qu’il portoit toûjours aussi bien que tous ses compagnons, pour prévenir par-là les vapeurs, & les maux de tête, qui suivent d’ordinaire l’usage excesif des liqueurs fortes. C’est pour cette raison, selon quelques Auteurs, que la grande Paillarde, quand elle enyvre les Rois de la Terre de la Coupe d’Abomination, ne se soule pas elle-même, quoiqu’elle ne refuse jamais de vuider le verre à son tour. Elle se soutient, & elle demeure ferme sur ses pieds, par la vertu de son triple Diademe. Quoiqu’il en soit, ces fêtes appellées Bacchanales ont été instituées en memoire de cette fameuse expedition de Bacchus, & toutes les Ceremonies de ces fetes en étoient autant de Symboles, & d’Images. Il est clair par consequent, que les Rites fanatiques de ces Bacchanales, au lieu d’être mis sur le compte de la vigne, doivent être attribuez à une source plus profonde, & plus difficile à déterrer. Pour y réussir, il est bon de prendre garde à quelques circonstances de ces fameux Mysteres, il faut remarquer d’abord, que, dans ces Processions cérémonielles, il y avoit un mélange confus des deux Sexes, qui affectoient de courir ensemble par les montagnes, & par les deferts. Ils étoient couronnez de Guirlandes faites de Lierre & de Pampre, emblèmes de l’union & de l’atachement, & quelquefois aussi de branches de sapin, proche parent du Therebinthe si reconnu par sa chaleur. Ils imitoient les Satyres, ils avoient des Boucs à leur suite, & ils montoient des Anes, qui sont tous des drôles renommez pour leurs talens en matiere de galanterie. Au lieu de drapeaux, ils portoient certaines machines très-curieuses, dressées au haut de quelques perches, & très- semblables aux Armes du Dieu des Jardins, avec leurs dépendances. C’étoient autant d’ombres, ou de figures, de tout le Mystere amoureux, ou bien autant de trophées érigés par le beau Sexe en memoire de ses triomphes. Une autre circonstance plus remarquable encore, c’est que dans une certaine Ville de l’Attique, toute la Ceremonie se dépouilloit de tout ce qu’elle avoit d’emblematique, & de figuré. On les celebroit in puris naturalibus ; & les Pelerins ne s’arrangeoient pas en differentes bandes, mais en differens couples. On peut tirer la même conclusion de la Mort d’Orphée, un des Fondateurs de ces Rites, qui fut dechiré par les Femmes, parce qu’il refusoit de leur communiquer ses Orgyes, oui, comme difent les autres, parce qu’il s’étoit privé des témoins des plaisirs qu’il avoit goutez avec sa Femme, poussé à cette inhumanité par la douleur de l’avoir perdue. Sans m’arrêter plus long-tems aux Fanatiques du Paganisme, je remarque rai, que les premiers Euthousiastes de distinction, qu’on a trouvez parmi les Chrétiens, ont été ces Sectes nombreuses d’Hérétiques, qui ont paru dans les cinq premiers siécles, depuis Simon le Magicien, jusqu’à Eutichès. J’ai rassemblé leurs Systêmes differens par le travail d’une lecture infinie ; &, en les comparant avec ceux qui ont suivi leurs traces dans les tems plus modernes, je trouve que les irregularitez & les extravagances même de l’Esprit humain ont leurs bornes, & que s’éloignant les uns des autres dans la plûpart de leurs reveries, ils ne laissent pas de se rencontrer dans un point capital, savoir la Communauté des Femmes. Plusieurs de leurs idées se sont toûjours abouties-la ; & il y a dans tous leurs Systêmes quelques articles, qui tendent à établir cette agréable confusion. Les derniers Fanatiques de marque furent ceux, qui se leverent en Allemagne comme des Champignons, peu de tems après la Réformation de Luther. Tels furent Jean de Leyden, David George, Adam Neuser, & plusieurs autres dont les Visions & les Revelations se terminoient toutes à la liberté de mener chacun avec soi une demi-douzaine de Femmes-Sœurs, & à faire de cette pratique une partie essentielle de leur Systéme. La vie humaine est une navigation perpetuelle : &, si nous voulons que nos Vaisseaux passent en sureté, au travers des vagues & des tempêtes de ce monde orageux, orageux, il faut de necessité faire une bonne provision de ce qu’on appelle, en langage devot, la Chair ; comme les Mariniers, qui ont à faire un Voyage de long cours, se fournissent d’une ample quantité de Bæuf salé. Je laisse-là les Mahometans, & d’autres, qui pourroient donner une nouvelle force à mon Argument, & je passe encore sous silence plusieurs subidivisions de Sectes parmi nous, comme la Famille de l’Amour, les doux Chantres d’Ifrael, & d’autres. Il me suffit du court Examen que je viens de faire des principales Sectes de Fanatiques anciennes, & modernes, pour conclure, du point de doctrine fondamental, dans lequel ils se sont tous acordez unanimement, que le principe ou la semence des visions, touchant les matieres invisibles, a toujours été d’une nature corporelle : aussi les plus profonds Chymistes nous asseurent, que les Esprits les plus forts peuvent être tirez de la chair humaine. D’ailleurs, la moelle spinale n’étant autre chose que la continuation du cerveau, doit de necessité faire une communication fort libre entre les facultez superieures & inferieures de l’homme ; & par-là l’éguillon dans la Chair peut devenir un éperon pour animer l’Esprit. Ajoûtons à toutes ces veritez incontestables, que tous les Medecins conviennent, que rien n’affecte d’avantage le cerveau, que les Esprits amoureux détournez de leur Cours ordinaire, & renvoïez vers la tête ; & qu’ils y causent souvent la Frénésie, & la Fureur. Un illustre Membre de la Faculté m’asseura un jour, que, quand les Quakres commencérent à paroitre dans notre Ile, il lui vint des Patiens Feminins en foule, toutes très-propres à ocuper les petites Maisons de Cythere. Il n’y a rien-là d’étonnant : en general, il n’y a point de personnes d’une complexion plus amoureuse, que les Dévots visionnaires de l’un & de l’autre Sexe. Le Zéle emprunte sa chaleur bien souvent de la même cause, que l’Amour ; &, de la Tendresse fraternelle, à la Galanterie il n’y a que la main. Il est certain même, que rien ne ressemble mieux à la conduite des Spiritualisés, que le procedé des Amans. Le commencement de la Galanterie confiste d’ordinaire dans une maniere devote de tourner les yeux ; le ton des amants est un espece de chant plantif entrecoupé, par intervalles bien compassez, de soupirs & de gemissemens. Leur Stile est un Galimatias éloquent, un tas de paroles confuses, & très-sujettes à la repetition. Ce sont-là certainement les manieres les plus propres à gagner les cœurs des Femmes ; & tout le monde conviendra je croi, que les Béats les savent emploïer avec plus de dexterité, que les Galans les plus stilez à conter fleurettes au beau Sexe. Si, après tant de demonstrations d’une force invincible, quelqu’un est encore assez stupide, pour douter de ma These, je lui dirai, que je suis informé moi-même par quelques Freres Sanguins de la premiere Sainteté, qu’il leur est arrivé frequemment, dans le plus haut degré de leur orgasme spirituel, de...... & de sentir aussi-tôt que l’esprit s’affoiblissoit avec les nerfs ; ce qui les forçoit à se hâter de conclure leurs discours. Cette experience est encore confirmée par le penchant merveilleux, & surprenant, que tout le beau Sexe en général a pour les Prédicateurs fanatiques, quelque desagréables qu’ils puissent être dans leur figure, & dans leurs airs. On suppose d’ordinaire, que cette espece de tendresse n’est fondée, que sur des vues purement spirituelles, sans aucun mélange de la Chair : mais, mille petits accidens sont capables de prouver le contraire ; & je suis persuadé quant à moi, que les Femmes jugent des talens des Hommes par certaines marques caracteristiques dont nous n’avons pas la moindre idée nous mêmes, nous autres mâles. Sans aller à la recherche des causes de cette habileté dans le beau Sexe, je conclurai de toutes mes preuves précedentes, que les Intrigues spirituelles finissent généralement comme toutes les autres ; & que la Tendresse devote, quoi qu’elle pousse quelque branches vers le Ciel, ne laisse pas d’avoir sa racine dans la terre. Une contemplation trop forte n’est pas l’affaire de la chair & du sang : elle a beau s’atacher à l’esprit ; en peu de tems, elle est obligée de lâcher prise, & de tomber dans la matiere. Ceux qui s’aiment, sous prétexte d’un Commerce spirituel qui n’a que le Ciel en vuë, ne sont qu’une Secte de Platoniques, qui croient voir le Firmament & les Etoiles dans les yeux des Belles, sans songer seulement à des Vuës plus basses. Mais, le même puits s’ouvre sous la sublimité d’Esprit des uns & des autres : ils representent parfaitement bien ce Philosophe, qui, pendant que ses yeux & son esprit étoient fixez sur des Constellations, fut entrainé dans une sosse par la pesanteur de ce qu’il avoit de materiel. Je m’étendrois d’avantage sur cette partie de mon Sujet ; mais, la Poste va partir, & je suis contraint de mettre des bornes à ma Lettre. Je suis, &c. Je vous prie de brûler cette Lette dès que vous l’aurez lue. la Musique est la chose du monde, qui choque le plus les Oreilles devotes des Enthousiastes. L’Auteur dit ici, que les Musettes tomberent en Angleterre arec la Monarchie. Il veut parler du Regne du Fanatisme, qui fut presque despotique, dans la Grande-Bretagne, sous Olivier Cromwel, apres la mort de Charles Premier, qui entraina avec elle celle de l’Eglise Anglicane. Il est aparent que l’Auteur recommande ici la Méthode d’aller au Ciel, établie par l’Eglise Anglicane. Ceux, qui ont lu avec quelque attention l’Histoire Angloise, ou du moins l’Ouvrage de M. Rapin sur les Whigs & les Torys, entendront facilement ce Passage. Pour les autres, je leur dirai en peu de mots, que, pendant les Troubles, qui arriverent en Angleterre, sous le regne du malheureux Charles I., ceux qui suivoient le Parti du Roi furent appellez Cavaliers, au lieu que les partisans du prétendu Parlement furent appellez Têtes rondes. Ce nom leur vint sans doute de ce qu’étant Presbyteriens pour la plûpart, & ennemis du luxe, ils se coeffoient fort uniment, & se faisoient couper les cheveux près de l’oreille ; ce qui fait paroitre une tête dans toute sa rondeur. Les Torys d’à-présent sont venus des Cavaliers, comme les Whigs, des Têtes rondes. L’Auteur badine ici sur la coûtume des Presbyteriens & d’autres Nonconformistes, qui sont toûjours à l’Eglise le chapeau sur la tête ; ce qui ne paroit pas fort respectueux aux Anglicans, & à d’autres honnêtes gens. Bernier, Memoires du Mogol. Gaguini Hist : Sarin. Tartares & Scythes, c’est la même Nation. Les Presbyteriens, & d’autres Sectes encore plus bigottes, ont en horreur tout ce qui sert d’ornement au corps, Et de péché mortel traitent chaque perruque. Cependant, pour défendre une tête chenue contre les injures de l’air, il faut quelque Couvre-chef ; & ils en trouvent un fort bon & fort devot dans une Calotte double. Une des grandes parties de la Rhétorique devote, c’eft le simple mouvement de la langue, & de la main droite, dirigées l’un & l’autre uniquement par le hazard. J’avoue, que je n’entends rien dans le sentiment de ces Naturalistes ; & je ne vois dans ces morsures hexagonales, circulaires, & coniques, aucun raport naturel avec la Poesie, l’Eloquence, & les Spéculations politiques. Il est fort naturel de croire qu’effectivement ce Lord Maire poussoit l’Extravagance devote, jusqu’à fanctifier les lanternes, & qu’il alleguoit le paffage cité ici, pour y fonder fa bisarrerie. Voyez, devant la I. Partie, le Catalogue des livres, que l’Auteur promet au Public. On a déja vu dans le Conte du Tonneau, que C’est un Jeu fort usité parmi les jeunes Garçons, qui fautent les uns sur les autres, & qui de cette maniere font tour à tour les chevaux, & les Cavaliers. Herodote & d’autres Historiens nous apprenent, qu’après la mort des Mages, qui par fourberie avoient placé un d’entreux sur le Trone de Cyrus, sous le nom de Smerdis, Frere de Cambyse, Darius, Fils d’Hyftaspe, & six autres Seigneurs, qui avoient délivré leur Patrie de cette Tyrannie infame, resolurent de donner la Royauté à celui des sept, dont le Cheval auroit hanni le premier. Pour abandonner de cette maniere ce choix important au sort, ils devoient s’assembler tous hors de la Ville au lever du Soleil. L’Ecuier de Darius, instruit de cette convention, y mena, le soir avant l’election, le Cheval de son Maitre, & le fit aprocher d’une Cavalle ; ce qui porta la Bête à faire de grands Hannissemens, des que le lendemain il fut arrivé dans le meme endroit. Ce sont de petites Sectes subdivisées de Fanatiques dans la Grande-Bretagne. |
Olympie (conférence de Coubertin) | Pierre de Coubertin Olympie Imprimerie Burgi, 1929 (p. 1-12). bookOlympiePierre de CoubertinImprimerie Burgi1929GenèveCCoubertin Olympie 1929.djvuCoubertin Olympie 1929.djvu/51-12 OLYMPIE Conférence donnée à Paris, dans la Salle des Fêtes de la Mairie du XVIe arrondissement En acceptant — bien imprudemment, je le crains — de traiter un sujet que résume un nom de trois syllabes et de sept pauvres lettres, je me suis donné une tâche difficile, car ce nom est un des plus vastes de l’histoire. Beaucoup parmi vous, peut-être ne s’en rendent pas compte. Sans doute attendent-ils de moi un aperçu de la technique sportive antique, une énumération rapide des trésors artistiques exhumés par l’effort méritoire de l’école allemande d’archéologie, voire le rappel des coups de pioche rudimentaires donnés, il y a cent ans, par la mission française qui accompagnait l’expédition de Morée et à laquelle on dut la découverte d’Olympie, car, pendant des siècles, la trace en avait été perdue : le limon déposé par l’Alphée et le Cladeos dont la jonction s’opère au pied des ruines, avait achevé l’œuvre des convulsions de la nature et de la barbarie des hommes. Rien n’indiquait plus l’emplacement de tant de gloire, de tant de passion, de tant d’énergie dépensées. Tout cela — et d’autres sujets connexes — voudraient une série de leçons : et, qui sait ! peut-être quelque Sorbonne de l’avenir insèrera t-elle dans son programme un cours d’olympisme. Car il existe un Olympisme, donc une doctrine. J’en suis fâché pour ceux — nombreux — qui m’ont honni lorsque j’ai ajouté ce néologisme au langage usuel, mais il le fallait bien. Toute doctrine philo-sophico-religieuse comme l’est celle-là, veut un nom qui l’évoque et la désigne. Ainsi, voilà mon auditoire fixé sur mes projets et probablement un peu déçu : il espérait des récits de fêtes, des anecdotes, une promenade d’aviateur au-dessus de ce passé deux fois et demi millénaire ; et c’est à une âpre étude de philosophie que je le convie. Laissant à d’autres le soin de détailler le splendeur sculpturale et architecturale dont se paraient les monuments et les sites d’Olympie, vous renvoyant pour le détail des concours aux multiples notices qui ont été publiées et dont aucune sans doute n’est complètement exacte, ni complètement erronée, je veux m’efforcer de vous faire entendre pourquoi et comment le lieu au nom mémorable dont j’ai à vous parler fut le berceau d’une conception de la vie proprement hellénique en sa formule et qui donne à l’histoire de l’Hellénisme la part fondamentale de son relief. Un tel exposé ne s’enferme pas volontiers dans les murs d’une enceinte comme celle-ci, si que soit elle. Aussi, je vous convie à vous en extérioriser avec moi et à venir vous asseoir sur les pentes boisées du Mont Kronion à l’heure où de l’autre côté de l’Alphée, le soleil levant commence d’ourler d’or les collines ondulantes et d’irradier à leurs pieds les prés verdoyants. Ce spectacle, je l’ai goûté deux fois à trente-trois années d’intervalle. Un matin de novembre 1894, j’ai pris conscience en ce lieu sacré de l’énormité du labeur que je m’étais assigné en faisant proclamer cinq mois plus tôt le rétablissement des Jeux Olympiques interrompus depuis quinze cents ans ; et j’ai entrevu tous les aléas qui me guetteraient sur la route. Un matin d’avril 1927, j’ai attendu là, dans une sorte de pieux recueillement l’heure où allaient tomber sous la main du ministre de l’instruction publique les drapeaux grecs et français recouvrant le marbre étincelant érigé pour attester le succès. Et lorsqu’au cours de la cérémonie, il m’a fallu répondre à l’hommage du représentant du gouvernement hellénique, ma première pensée a été pour saluer ceux qui, dans la vie, n’ont pas réussi malgré leurs efforts parce que le destin a dressé contre eux ses embûches ; l’évocation de leur troublant cortège enseigne la modestie intérieure et le néant de ce que nous appelons le mérite... De cette jolie forêt de pins qui escalade le Mont Kronion (réduction gracieuse et comme miniaturée du prestigieux Pentélique), on peut restituer les longues avenues de platanes par où venaient jadis les athlètes et les pèlerins, les ambassades et les marchandises, tout le trafic et toute l’ambition, tous les appétits et toutes les glorioles d’une civilisation à la fois complexe et définie, plus qu’aucune autre ne l’a été depuis. On peut restituer aussi les approches du temple, son perron et ses colonnades, et la multitude des édifices qui l’entouraient : ex-votos, oratoires, lieux d’offrande et de sacrifices... Tout de suite, l’Altis — l’enceinte sacrée — s’affirme comme un foyer religieux, un centre cultuel. Chez ce peuple, en ce temps surtout, on imagine mal une religion ne reposant pas sur une conception philosophique positive. Cherchons donc la base de celle-ci. Et s’il y a eu vraiment une religion de l’athlétisme dont les autels se sont par la suite, et à plusieurs reprises, relevés plus ou moins gauchement, plus ou moins durablement, sachons pourquoi c’est en Grèce qu’elle s’est définie, et si l’idéal grec à cet égard convient encore au reste de l’humanité. Selon la réponse que nous donnerons à cette question, ou bien Olympie n’est qu’un splendide accident de l’histoire, ou bien elle représente une des assises puissantes du progrès humain. L’alternative, vous le voyez, est digne d’être examinée. Qu’était-ce donc qu’un athlète antique comparé à celui que nous appelons aujourd’hui d’un nom joli, souple, élégant, mais infiniment moins profond : un sportif. La même définition de leur idéal ne peut-elle servir ?... Voici celle que donnait en 1913, lors du premier Congrès de psychologie sportive qui s’y tenait, le professeur Millioud, de l’Université de Lausanne : « Le sport est une forme d’activité musculaire allant du jeu à l’héroïsme et susceptible de remplir tous les degrés intermédiaires ». C’est là, si j’ose ainsi dire, une définition philosophique. En voici une moins éloquente, plus technique. C’est celle qui figure en tête de mon petit manuel de Pédagogie sportive : « le sport est le culte volontaire et habituel de l’exercice musculaire intensif appuyé sur le désir du progrès et pouvant aller jusqu’au risque ». Donc cinq notions : initiative, persévérance, intensité, recherche du perfectionnement, mépris du danger éventuel. Ces cinq notions sont essentielles et fondamentales. Je ne pense pas que nos grands ancêtres, s’ils se trouvaient ce soir parmi nous, trouveraient à redire à ces définitions. Ils ne modifieraient point dans le fonds, tout en leur donnant sans doute une forme plus hellénique, les phrases que je viens de lire. Mais ils s’étonneraient de n’y pas trouver exprimée ou suggérée l’idée religieuse de purification et de sanctification. Cette idée, chez eux, s’étendait très loin. Au XIe siècle siècle après J. C., on voyait encore à Olympie, gravé sur un disque, le texte de la convention passée entre Lycurgue et Iphitos, roi d’Élis, pour établir la « trêve sacrée » durant les Jeux. Alors, entre Hellènes, toute querelle armée, tout combat devaient cesser. Le territoire d’Olympie déclaré neutre était inviolable. Le concurrent aux Jeux devait être de race pure, n’avoir commis ni crime, ni impiété, ni sacrilège. Une fois « accepté » comme candidat, il lui fallait après un entraînement fixé à dix mois faire un stage de trente jours au gymnase d’Élis avant d’être transféré au gymnase d’Olympie ; et toutes ces garanties à la fois ethniques, morales, sociales, techniques, s’entouraient d’un appareil religieux nettement caractérisé. « Les dieux sont amis des Jeux » a dit Pindare employant ce terme dans son sens le plus athlétique. Tout cela du reste datait de loin car la société décrite dans l’Iliade apparaît déjà fortement sportive et religieusement sportive. Ainsi c’est pour faire honneur aux dieux de leurs corps entraînés et équilibrés que les jeunes Hellènes furent incités des siècles durant à ciseler ces corps par l’exercice musculaire intensif. Ici, nous touchons au roc profond sur lequel reposait d’aplomb la société hellénique. Permettez-moi de m’en expliquer par cet extrait du Tome ii de mon Histoire Universelle : « L’hellénisme est avant tout, le culte de l’humanité dans sa vie présente et son état d’équilibre. Et qu’on ne s’y trompe point, voilà une grande nouveauté dans la mentalité de tous les peuples et de tous les temps. Partout ailleurs les cultes sont basés sur l’aspiration à une vie meilleure, sur l’idée de la récompense et du bonheur outre-tombe et la crainte de la punition, pour qui a offensé les dieux. Mais ici, c’est l’existence présente qui est le bonheur. Outre-tombe, il n’y a que le regret d’en être privé ; c’est une survivance diminuée. Aussi faut-il une « consolatrice des morts » à ces prisonniers de l’au–delà, à ces « fils de la terre et du ciel étoilé » en exil, loin des fleurs et de la belle lumière. Bien connu est ce vers de Lamartine : « L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux » et Nietzsche, de son côté, parle de « la nature gémissant sur son morcellement en individus ». Voilà deux paroles fort opposées de style et de pensée mais en lesquelles se reflètent les fondements de la plupart des religions individualistes ou panthéistes. Or, elles sont anti-grecques au plus haut degré. Voyez les dieux grecs : des hommes magnifiques, mais des hommes — donc imparfaits ; pour la plupart, des sages ; des gens de raison, d’activité aussi. Ils s’assemblent, ils sont sociables, sportifs, très individuels, peu contemplatifs, encore moins livresques. « Chez l’Égyptien, le Juif, le Perse, le Musulman, écrit Alb. Thibaudet, la vie religieuse consiste à apprendre par cœur de l’écriture, mais la religion grecque est une religion sans livres ». — Et voilà le paganisme avec sa compagne désirée et fuyante, l’eurythmie. Notre habitude simpliste de cataloguer les choses nous conduit à appeler paganisme l’adoration des idoles ; comme si toute religion, même la plus matérielle, ne comptait pas des spiritualistes — comme si toute religion, même la plus mystique, ne comptait pas des adorateurs d’idoles, ne fut-ce que de l’éternel veau d’or aujourd’hui plus puissant et plus encensé que jamais. Mais il existe un paganisme le vrai — dont l’humanité ne se débarrassera jamais et dont — j’oserai ce blasphème apparent — il ne serait pas bon qu’elle pût se libérer complètement : celui-là c’est le culte de l’être humain, du corps humain, esprit et chair, sensibilité et volonté, instinct et conscience. Tantôt l’emportent la chair, la sensibilité et l’instinct, tantôt l’esprit, la volonté et la conscience car ce sont là les deux despotes qui se disputent en nous la primauté et dont le conflit souvent nous déchire cruellement. Il faut arriver à l’équilibre. On y parvient mais on ne s’y tient pas. Le pendule ne passe par le juste milieu qu’à mi-chemin des deux points extrêmes entre lesquels il oscille. De même, l’humanité individu ou société — ne parvient pas à se tenir longtemps à mi-route dans sa course d’un excès à l’autre. Et quand on tend à restaurer l’équilibre soit individuel, soit collectif, bien souvent il n’y a pas d’autre façon d’y procéder que de viser à l’excès contraire. Combien ont pratiqué inconsciemment cette recette pour s’améliorer ou pour simplement se transformer ! Ce fut la gloire immortelle de l’Hellénisme de concevoir la codification de la poursuite de l’équilibre et d’en faire une recette de grandeur sociale. Nous sommes ici — à Olympie — sur les ruines de la première capitale du royaume d’eurythmie, car l’eurythmie, ne relève pas seulement du domaine de l’art ; il y a aussi une eurythmie de la vie. Donc nous sommes à méditer parmi les ruines d’Olympie, ruines toujours vivantes comme le suggère la cérémonie que je rappelais tout à l’heure. Et de là, nous percevons ces alternances païennes et ascétiques qui constituent une sorte de trame de l’histoire, trame négligée des historiens parce que pour l’apercevoir, il faut la chercher sous les événements qui la recouvrent et se montrer en l’espèce plus archéologue qu’historien. Continuons, si vous le voulez bien, notre méditation tandis que la gloire du jour remplace les caresses de l’aube sur le paysage dont j’ai tenté d’évoquer avec de faibles mots, le charme infini. Des troupeaux à clochettes, des bergers d’Arcadie circulent sur les chemins ; ils n’ont rien de florianesque mais sont très antiques ; et là bas une petite fumée qui monte fait songer aux actions de grâces d’un vainqueur récent ou à l’imploration d’un éphèbe anxieux d’une victoire future. Olympie vécut officiellement onze cent soixante huit ans puisque la première olympiade enregistrée date de l’an 776 avant J.C. et que les Jeux furent supprimés par un édit de l’empereur Théose en 392 (devant un auditoire comme celui-ci, je n’aurais pas besoin de rappeler qu’une olympiade est un intervalle du calendrier, intervalle de quatre années dont on célèbre l’ouverture par des jeux. Ce principe a été restauré intégralement. Le monument inauguré en 1927 à Olympie indique que la première Olympiade de l’ère moderne a été célébrée en 1896 à Athènes. Les Jeux d’Amsterdam en 1928 furent ceux de la IXe siècle Olympiade, comme en 1932, ceux de Los Angeles seront les Jeux de la Xe siècle Olympiade, puisque fidèle aux indications de mon temps, j’ai voulu, en restaurant l’institution dans son esprit antique, lui donner la forme mondiale qui répond aux aspirations et aux besoins du présent. Il est donc incorrect historiquement et grammaticalement de faire du mot olympiade l’équivalent de Jeux olympiques et quand on dit, comme certains le font vulgairement « les Olympiades d’Amsterdam », on profère un double barbarisme qui écorche les oreilles : cette observation déjà formulée est destinée à passer au dessus de vous pour atteindre les irréfléchis et les gens pressés qui ne se donnent pas le temps de réfléchir. Donc Olympie vécut près de douze siècles mais d’une vie qui ne fut pas, bien entendu, sans inégalités ni agitations. Il faut admirer la continuité magnifique de la célébration des Jeux. Les plus graves événements n’arrivaient pas à l’interrompre. Même aux temps de la menace perse, les Hellènes s’assemblèrent aux bords de l’Alphée pour les festivités quadriennales. Mais des incidents graves ne furent pas sans surgir. La 8e Olympiade fut troublée par des contestations entre organisateurs. La 104e Olympiade, trois siècles plus tard, vit même porter atteinte à la trêve sacrée. L’éclat des Jeux dépendit, comme bien on pense, de l’habileté des dirigeants, des sommes dépensées et aussi de la qualité des athlètes, de leur nombre, de leur enthousiasme et de leur préparation. Il y eut des fêtes splendides, des succès éclatants, des spectacles inoubliables et, d’autres fois, des vulgarités, des désarrois, des cérémonies mal réglées, des cortèges désunis. Il faut bien reconnaître que nous sommes volontiers simplistes aussi dans notre façon d’imaginer l’antiquité. Telles ruines sublimes nous décevraient si nous les pouvions contempler dans leur jeunesse intégrale et par contre, combien de monuments contemporains dont les couronnements et l’ornementation nous offusquent à juste titre et qui suggestionneront nos descendants venant à en exhumer les assises ou les débris. Sans vouloir obscurcir nos belles visions antiques, il est permis de penser que la poussière, le bruit discordant, des harmonies mal ajustées, l’usure des étoffes, le mauvais goût de certains assemblages tout cela ne date point d’aujourd’hui. Et d’y songer nous arme d’une certaine capacité d’indulgence à l’égard des artistes modernes, gens parfois assez injustement traités par la critique seconde après avoir été souvent exaltés par la critique première (qui n’est pas nécessairement désintéressée) au-delà des bornes du sens commun. Jusqu’au bout, Olympie garda son caractère de lieu sacré, de centre religieux païen. Ce fut le christianisme qui, finalement, éteignit la flamme de ses autels. La suppression est à distinguer nettement de la destruction et l’édit sacrilège de Théodose ii n’a point de rapport avec, celui de Théodose ier, trente ans avant. Dans l’intervalle, les hordes d’Alaric avaient passé. Tous les trésors avaient été pillés, les richesses dispersées mais les édifices subsistaient et, qui sait, peut être plus beaux qu’ils n’avaient jamais été, ainsi patinés par le temps, dans un demi-abandon, solitaires et silencieux. Théodose ii ordonna de les détruire. Cela ne se fit que partiellement et sans doute avec mauvais vouloir, mais l’abandon s’accentua. Les digues préservatrices cessèrent d’être entretenues. Les crues soudaines du Cladéos firent leur œuvre. Puis au vie siècle, à deux reprises, de terribles tremblements de terre survinrent. Les portiques et les colonnades s’abattirent. Le suaire de l’oubli recouvrit les ruines. — Et l’incompréhension régna. Le mot que je viens de prononcer demanderait tout un commentaire, une conférence à lui seul. Olympie ne disparut pas seulement de la surface de la terre : elle disparut du sein des intelligences. L’ascétisme dominait. Par là je n’entends nullement que l’Europe se trouva soudain peuplée d’ascètes ; ce n’est pas ainsi qu’il le faut entendre. Mais une croyance s’infiltra, consciente ou non, précise ou non, reconnue en tous cas et respectée de ceux-là même qui n’y conformaient pas leur conduite ; c’est que le corps est ennemi de l’esprit, que la lutte entre eux est un régime fatal et normal, que nulle entente ne doit être recherchée leur permettant de s’associer pour gouverner l’individu. Ce retour ascétique (le mot est mauvais, j’en conviens mais il est encore le moins mauvais de ceux qui s’offrent) ce retour ascétique était il désirable pour le bien général ? Je n’hésite pas à répondre : oui... Je me souviens d’avoir contristé naguère un auditoire sportif en disant que si la métempsychose existe et que, par elle, je me trouve ramené dans cent ans à l’existence, on me verrait peut-être employer mon effort à détruire ce que dans mon existence actuelle, j’avais travaillé à édifier. Paradoxe, mais paradoxe sincère. C’est que l’Olympisme, doctrine de fraternité du corps et de l’esprit et l’ascétisme, doctrine d’inimitié entre eux ne sont jamais arrivées à se comprendre, donc à se respecter — et que renfermant l’un et l’autre des germes d’abus susceptibles de dégénérer en maux véritables, ils sont destinés à se heurter, à se succéder au pouvoir comme de simples partis politiques, absolus et violents. Seulement ici, il s’agit d’évolutions et d’alternances séculaires. Cette succession est utile faute de mieux. La modération, le juste milieu sont des utopies en toutes choses. La loi du pendule s’applique à tout. Le monde antique était beaucoup trop imbibé d’olympisme pour pouvoir fournir de nouvelles moissons, de même que celui d’hier était bien trop pénétré de l’idée ascétique pour être susceptible de fécondité sans s’être d’abord libéré de ce joug. Le Moyen-âge fut, au regard de beaucoup, une période à tendances ascétiques prédominantes. Cela est plus vrai de la période pré-féodale que de l’époque féodale elle-même. En tous cas, c’est du sein de la société féodale que nous voyons surgir une restauration olympique nettement caractérisée : la chevalerie. J’ai hésité longtemps à proclamer cette parenté. Certes, elle n’apparaît pas au premier coup d’œil. Encore moins fut-elle sensible aux chevaliers eux-mêmes : ils ne s’en doutaient guère. Olympie n’existait pas pour eux. Pourtant, dès qu’on étudie leurs allures, qu’on cherche à scruter leurs mobiles, la passion sportive se révèle en eux ; bientôt on la voit couler à pleins bords. Alors l’Église apparaît et, par un étrange retour, elle contribue à rétablir ce qu’elle avait abattu. Dans un autre esprit, direz-vous. Sans doute, mais en bénissant les armes du chevalier, en donnant à son intronisation un pieux préambule, en colorant ses exploits d’une destination généreuse (car elle l’arme pour la justice et le droit et lui confie « la protection du faible, la défense de la veuve et de l’orphelin » ), elle sanctifie, comme jadis la religion païenne, son entraînement et ses violences musculaires et les lui présente comme agréables à Dieu. L’athlétisme christianisé ne se tint pas dans les limites que lui voulait assigner l’Église. La passion sportive s’empara de la jeunesse, la souleva, se répandit sur toute l’Europe occidentale, d’Allemagne en Espagne, d’Italie en Angleterre, la France servant de carrefour central au mouvement. Et assez vite il dégénéra. Vous plaît-il de continuer avec moi la fiction de notre campement au lieu où nous étions venus nous installer pour contempler le panorama des âges disparus ? Imaginons que nous avons pique-niqué sur l’emplacement de l’exèdre d’Hérode Atticus et que la fumée de nos cigarettes est montée tout à l’heure en spirales comme pour aller rejoindre ces nuages qui, là haut, courent, détachant sur l’azur leurs fantasma go ries transparentes. La journée s’avance, l’atmosphère s’alanguit un peu ; on pressent, bien qu’encore éloignée, la fatigue de la nature aux approches du soir. Un moment, celui d’entre nous qui somnolait, cédant à la douce incitation de la terre et du ciel, a cru entendre les cris de joie des éphèbes dans le gymnase et apercevoir un desservant qui montait les degrés du sanctuaire principal pour alimenter d’encens le trépied posé aux pieds de l’image de Jupiter, œuvre de l’immortel Phidias. Ce voyageur là-bas qui prend des notes, serait-ce Pausanias, rédacteur bénévole d’un guide Joanne qui permettra plus tard — bien plus tard — d’identifier et de retrouver l’H ormes de Praxitèle à la place même où sa présence s’y trouvait mentionnée ?... Laissons ces illusions se dissiper doucement comme les rêves au réveil et rentrons dans la réalité pour regarder naître la troisième Olympie. C’est loin, bien loin de là. Mais combien étrange. Voilà encore la religion qui intervient : une Eglise — l’Eglise anglicane cette fois — préside à cette renaissance. Les deux clergymen qui sont en cause, Kings-Jey et Thomas Arnold, sont des lettrés. Us n’ignorent rien du passé classique. Pourtant, s’ils le mentionnent, c’est en passant et sans se réclamer de ses expériences. Mais, en quelque façon, ils le dépassent, Arnold fait des muscles les serviteurs plus instruits, plus minutieux, plus constants de la formation du caractère. Il établit — très vite — car sa carrière est brève : quatorze années seulement pour transformer le collège de Rugby qu’il dirige — les règles fondamentales de la pédagogie sportive. De Rugby, par la contagion de l’exemple, il modifie sans paroles retentissantes, ni ingérences indiscrètes, les autres collèges ; et bientôt, la pierre angulaire de l’empire britannique est posée. Ce point de vue, je le sais, n’est pas encore celui des historiens ni des Anglais eux-mêmes, mais je me contente de l′avoir fait approuver par l’un des plus grands parmi les survivants de la période arnoldienne, Gladstone. Lorsque je lui posai la question, inquiet de m’être trompé, il me demanda le temps de la réflexion, et ayant réfléchi, il me dit : c’est exact, les choses se sont ainsi passées. Quand il s’agit de l’Angleterre aussi, nous raisonnons en simplistes. Cédant à la tendance humaine à toujours considérer comme permanent le spectacle qui nous entoure, qu’il s’agisse du paysage ou des hommes, nous identifions l’Anglais avec le type pondéré, équilibré que nous avons eu sous les yeux depuis le dernier tiers du siècle dernier jusqu’à la guerre. Mais cet équilibre, parfois d’ailleurs plus apparent que réel, a été voulu et appris et c’est la discipline des muscles, phénomène relativement récent, qui l’a engendré. Il n’y a pas de lien apparent entre l’initiative pédagogique arnoldienne et le rétablissement des Jeux Olympiques ; et puisque ces derniers temps, on a publié les récits les plus fantaisistes concernant les origines de la renaissance sportive en général et du renouveau olympique en particulier, vous trouverez certainement excusable que je saisisse l’occasion de m’en expliquer nettement. Il est exact qu’un temps, j’ai entrevu de rendre la vie à l’olympisme dans une Olympie restaurée. C’était une impossibilité à tous égards. Et quand, le 16 juin 1894, s’est ouvert, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, le Congrès international universitaire et sportif convoqué pour adhérer au projet, ce projet avait déjà, jusque dans ses moindres détails l’aspect que présente aujourd’hui la chose réalisée. Dès l’année précédente du reste, j’en avais saisi à New-York les amis transatlantiques susceptibles de m’aider dans ma tâche. Quatorze nationalités se trouvèrent représentées lorsqu’à Paris on passa au vote sur le principe de projet : vote sans grande conviction de la part de beaucoup, car les difficultés paraissaient insurmontables. À la fin du XIXe siècle, siècle profondément évolutionniste mais rempli de réalisations illusoires, l’Europe continentale et surtout la France avaient un pressant besoin d’un rebronzage pédagogique. La jeunesse masculine ne manquait ni de santé, ni de courage, mais d’allant et de passion. Chez nous, elle vivait dans la grisaille — passez-moi l’expression. — Ce qui lui faisait défaut, c’était ce jardin pour la culture de la volonté que constitue le sport organisé. Elle ne le possédait ni au collège, ni au sortir du collège. Je sens bien qu’ici encore je touche à un sujet qui voudrait aussi une conférence à part et que, faute de pouvoir la faire, je laisse dans une sorte d’imprécision une quantité de sujets connexes au mien. N’êtes-vous pas en droit de m’en vouloir de toucher à tant de choses qu’à peine puis-je indiquer au passage comme si je présidais une tournée Cook ? Du moins, je m’applique à ne pas vous laisser perdre le fil de ma pensée centrale, heureux si vous voulez bien recueillir la donnée essentielle, à savoir qu’Olympie a représenté quelque chose qui lui a survécu, qui revit et revivra encore à travers l’histoire, tour à tour exalté et repoussé par notre nature qu’attire l’équilibre mais un équilibre que nous sommes capables de réaliser, incapables de maintenir. Cette incapacité était plus forte aux temps contemporains qu’elle ne l’avait jamais été. Le cosmopolitisme montait de tous côtés ; la griserie de la vitesse commençait d’opérer et les gens déjà se répétaient ce « time is money », formule géniale et stupide qui nous écrase maintenant. Vous savez comment je m’y suis pris pour faire pénétrer le sport dans le lycée français : en défonçant la porte ou, mieux, en la faisant défoncer de l’intérieur par les potaches. Mon fidèle copain Frantz-Reichel, qui était l’un d’eux, l’a conté maintes fois. « Avec quel enthousiasme, a-t-il écrit, votre appel fut-il entendu par ceux que tant de liens imposés par un système périmé exaspéraient. Comment pourrais-je exprimer la surprise et la joie folle que causa à toute la jeunesse des lycées de Paris cet appel, tant et si bien que nous pûmes, les uns encouragés, les autres tolérés, réaliser ce que vous souhaitiez : la création libre de ces associations sportives scolaires pour la fondation, la direction, l’administration, l’activité desquelles allaient s’exercer avec passion nos qualités d’initiative, libérées et éveillées par vous ». Cela se passait voici quarante ans. L’année précédente, l’Académie de Médecine, étudiant la question du surmenage qui commençait d’éveiller l’attention, avait indiqué comme remède l’extension du temps des récréations et du congé hebdomadaire. Elle parut surprise de notre protestation. « Jamais de la vie, disions-nous. Les récréations et les congés sont abominablement employés ; il n’y a pas un atonie de sport. Commençons par en organiser l’emploi ; après on pourra accroître leur durée ». Jules Simon s’était déclaré en faveur de notre thèse ; celle-ci l’emporta. Il y avait, direz-vous, les Sociétés de gymnastique. Certes, mais, bien inférieures en nombre et en compétence à ce qu’elles lurent depuis, elles n’atteignaient en ce temps qu’une proportion très réduite et très localisée des classes populaires. Les établissements d’éducation leur fermaient leurs portes. La solution, c’était bien sur le continent comme cela avait été en Angleterre, la créai ion de l’association sportive scolaire autonome et libre. Là était par excellence la cellule réformatrice. Après l’éloquence de Jules Simon et le dévouement des jeunes intéressés, la mode s’éprit de nous. Mais je n’ai jamais aimé cotte personne. Excessive et capricieuse, elle détruit elle-même ses lendemains. Que peut on édifier de durable en l’appuyant sur la mode î C’est pour arcbouter le frêle édifice que je venais d’élever que le rétablissement des Jeux Olympiques — cette fois complète ment internationalisés — m’apparut comme la seule solution opportune. À l’anglomanie d’un jour superposer l’immense prestige de l’antiquité, désarmer quelque peu, en ce luisant, l’opposition des disciples du classicisme, imposer à l’univers une formule dont la renommée a dépassé toutes les frontières ; ce cosmopolitisme grandissant et qui constituait un danger, en faire, au contraire, un rempart et une sauvegarde, c’était le seul moyen d’assurer une relative pérennité à la renaissance sportive encore à son aurore. Pour cela, en ce siècle laïcisé, une religion était à notre disposition ; le drapeau national, symbole du moderne patriotisme montant au mât de la victoire pour récompenser 1 athlète vainqueur, voilà ce qui continuerait le culte près du foyer rallumé. Nous sommes toujours au pied du Mont Kronion, mais la nuit va venir. Les teintes ardentes du cou-rhant s’atténuent. Dans l’azur assombri, les premières étoiles s’allument, en même temps que là-bas, sur la droite, les lumières de la petite bourgade groupée au revers de la colline où s’élève le musée. Franchissons le Cladeos et, pour rentrer, nous passerons devant le monument nouveau. Le pâle rayon de lune qui cl fleure le marbre frappe sur les dernières lignes de l’inscription en grec et en français que porte le monument... « En conséquence, dit cette inscription, après avoir mentionné le rétablissement des Jeux... en conséquence, la première Olympiade de l’ère moderne a été célébrée glorieusement dans le Stade restauré d’Athènes par tous les peuples de l’univers, l’an 1896 sous le règne de Georges 1er, roi des Hellènes. Le Stade restauré d’Athènes ! Combien j’aimerais vous faire voir en projection l’état dans lequel il était en novembre 1894 (je dois être un des rares à en posséder l’image car elle ne tentait guère les acheteurs ; les talus seuls subsistaient, arrondis par l’usure, les intempéries) et puis vous le montrer sous sa triomphante parure marmoréenne, rempli d’ouvriers occupés à parachever ses gradins, ainsi que jadis au temps de Péridès. Dix-huit mois avaient suffi à la transformation du paysage. Il s’est trouvé des gens pour la blâmer, cette résurrection et pour regretter les talus informes. Ce sont les mêmes qui invectivent à Rome le monument de Victor Emmanuel, traitant de barbares ceux qui ne pensent pas comme eux et persuadés qu’ils se donnent à eux-mêmes un brevet d’artiste irréductible en s’insurgeant dès qu’on remet debout seulement une colonne écroulée. Dans l’enceinte rétablie se sont déroulées les scènes historiques de 1896 que nul de ceux qui y ont assisté n’oubliera jamais et qui ont fait tressaillir la Grèce tout entière. C’est là que le roi Georges a prononcé le premier la parole sacramentelle : « Je proclame l’ouverture des Jeux de la 1ère Olympiade de l’ère moderne » comme d’autres souverains et chefs d’Etat l’ont fait depuis tous les quatre ans. C’est là que nous avons vu pénétrer pour la première fois le prestigieux cortège des athlètes groupés par nations et débouchant de cette même galerie sous l’arche de laquelle avait disparu jadis la silhouette du dernier concurrent chassé par la décadence et maudit par l’Eglise. C’est là surtout que s’est offert aux regards des soixante dix mille assistants qui l’attendaient, le spectacle de l’arrivée du premier coureur de Marathon, le berger Spiridion Louys qui, s’étant préparé par le jeûne et la prière devant les icônes, sema légèrement ses concurrents occidentaux et transatlantiques scientifiquement entraînés et parvint au terme de l’énorme épreuve sans fatigue anormale, conquérant la coupe offerte par un membre illustre de l’Institut de France, M. Michel Bréal. Car M. Michel Bréal, enthousiasmé par le rétablissement des Jeux, m’avait dit, le soir du vote : Je donne une coupe pour la course de Marathon. 42 kilomètres et plus ! j’avais été un peu hésitant à accepter pareille distance, mais l’histoire l’imposait et le destin légitima l’audace. Quand Louys parut à l’entrée du Stade, des tonnerres d’acclamations s’élevèrent, saluant à la fois le passé et le présent : et pour le soustraire aux épanchements d’une foule en délire, le Prince royal et son frère saisirent le berger dans leurs bras vigoureux et le portèrent jusqu’aux degrés de marbre où se tenait le roi... Peu à peu, les Jeux olympiques rénovés s’installèrent dans leur cadre moderne avec l’esprit antique qui devait les animer. J’ai pris bien garde de ne pas aller trop vite. Il a fallu d’abord établir le Comité International Olympique dans ses droits essentiels et les faire admettre par toutes les nations. Ce ne fut pas aisé puisque sa constitution était en flagrante opposition avec les idées du jour. Elle répudie en effet le principe de la délégation si cher à nos démocraties parlementaires et qui, après avoir rendu de grands services, semble perdre chaque jour de son efficacité. Les membres du C. I. O. ne sont à aucun degré des délégués au sein du Comité. Il leur est même interdit d’accepter de leurs concitoyens un mandat impératif quelconque, susceptible d’enchaîner leur liberté. Ils doivent se considérer comme des ambassadeurs de l’idée olympique dans leurs pays respectifs. Leur mandat est illimité. Certains sont là depuis vingt, vingt-cinq, trente ans même. N’étant subventionnés par personne, leur indépendance est absolue... Un haut personnage, naguère, regrettait à Genève que la Société des Nations n’ait pu recevoir une organisation analogue. Innombrables furent les problèmes d’ordre technique qu’il fallut résoudre par négociations, concessions réciproques et parfois législation imposée. La guerre ne détruisit rien. Le Comité interrompit ses séances annuelles et les reprit à la paix. La VIe Olympiade (1916) ne fut pas célébrée. La septième le fut à Anvers, en 1920, avec tout l’éclat désirable. En 1906, les Arts et les Lettres avaient été convoqués. Une conférence tenue dans le Foyer de la Comédie Française dont les doyens, Mme Bartet et M. Monnet-Sully encadraient M. Jules Claretie, approuva l’institution des cinq concours de Peinture, Sculpture, Architecture, Musique et Littérature auxquels les artistes et les écrivains, après les avoir quelque peu boudés, commencent à s’intéresser et qui sont accessibles à toute œuvre inédite directement inspirée par l’idée sportive. Dès leur première célébration, l’ouverture et la clôture des Jeux avaient revêtu l’aspect solennel désirable, mais le cérémonial ne fut au point que lorsque le serment des athlètes, avec sa formule brève et impressionnante, commença d’être prêté sur les drapeaux assemblés des nations, concurrentes. Je n’ai remis la direction effective de l’Olympisme rénové aux mains de mon successeur que lorsque j’ai ju gé l’œuvre de rénovai ion tout à fait nu point dans scs moindres détails, répondant aux nécessités actuelles et en accord pourtant avec les son veoirs et les enseignements du passé et que l’adhésion universelle en a garanti la pérennité. Des hostilités du début, rencontrées si nombreuses et souvent si violentes, plus rien ou presque ne subsiste. 1/Eglise catholique s’était d’abord montrée méfiante, sinon davantage. Un jour de 1905, je m’en fus au Vatican pour dissiper le malaise. On me disait que le pieux Pape Pie X, tout occupé du salut des âmes, ne m’entendrait pas. Mais l’ancien patriarche de Venise avait aimé et encouragé les prouesses de ses gondoliers et je ne doutais pas de sa bienveillance. Elle fut grande. Ayant béni le renouveau aux allures païennes, le Pape me dit que bientôt il me donnerait une preuve tangible de sa sympathie. Et l’année suivante, en effet, vit s’assembler an Vatican les gymnastes des Patronages catholiques de France, de Belgique, d’Italie et d’autres nations encore et, dans la cour de Saint Damase, sur l’estrade somptueuse érigée pour la circonstance, le souverain Pontife présider à leurs exercices. Malgré tout, une querelle se prolonge, que l’antique Olympie a parfaitement connue et qui se produira partout et toujours. C′est celle de l’éducation physique contre le sport. Il est séduisant de s’imaginer que les hommes auront la raison de se procurer les bienfaits de l’une sans le concours de l’autre. En fait, la loi fondamentale demeure : « Pour que cent se livrent à la culture physique, il faut que cinquante fassent du sport. Pour que cinquante fus sont du sport, il faut que vingt se spécialisent. Pour que vingt se spécialisent, il faut que cinq soient capables de prouesses étonnantes ». Impossible de sortir de là. Tout se tient et s’enchaîne. Contre cette règle qu’impose notre humaine nature, se sont élevés jadis comme aujourd’hui les médecins, au nom de l’hygiène, les chefs militaires, au nom de la formation enrégimentée, et aussi les techniciens qui partent du principe que la pondération est naturelle à l’homme. Il y a eu des abus déplorables et il y en a encore ?... Eh sans doute. Quoi d’étonnant. Nul ne le nie. Le tout est de savoir si ces abus, on peut les éviter ou non et si le bienfait que procure l’exercice physique sportivement pratiqué, c’est-à-dire avec tendance à l’excès, peut être atteint et conservé sans abus ? Cela revient à poser cette question : Une religion peut-elle vivre sans que, parmi ses adeptes, il y ait des excessifs et des passionnés pour entraîner par V exemple et dominer la foule 2 Poser la question, c’est y répondre. Nous voici donc ramenés à l’idée centrale que j’ai émise à plusieurs reprises et que je voudrais laisser en vos esprits comme conclusion de cette brève causerie. De même que l’athlétisme antique, l’athlétisme moderne est une religion, un culte, un essor passionnel susceptible d’aller du « jeu à l’héroïsme ». Envisagez ce principe essentiel et vous serez amenés à considérer les sportifs dont vous critiquez et censurez aujourd’hui les excès comme une élite d’entraîneurs d’énergie beaucoup plus idéalistes (et par là nécessaires au bien public) que ceux qui prétendent s’en remettre à la simple éducation physique pour assurer l’avenir : foi sans élan celle-ci — foi sans élan qui, laissée à elle-même, serait demain sans fidèles et après demain sans autels. Ainsi, Olympie vit toujours. Les sanctuaires hellènes sont tous éteints. On ne fera plus de cure à Epidaure, on ne se fera plus initier à Eleusis. Madame Sikelianos a rendu une vie artistique à Delphes, mais le Collège sacerdotal n’y dirigera plus la politique. La Pythie s’est tue comme l’oracle de Dodone... mais Olympie vit toujours car l’Olympisme est répandu par le monde. Nous pouvons voir là le symbole de la pérennité hellénique. Car votre pays, Monsieur le Ministre, a déplacé les lois de l’histoire puisqu’il a contredit ce que l’on tenait pour certain, à savoir que les nations vivaient fatalement une jeunesse, un âge mur et une vieillesse, comme les individus. C’est par la Grèce du siècle dernier que l’humanité a su qu’il n’en était rien, qu’un peuple pouvait demeurer trois siècles enfermé dans un sépulcre et en sortir non seulement vivant mais rajeuni, en sorte que cette vérité est maintenant la loi historique suprême : « On ne tue que les peuples qui veulent bien mourir ». Et la vue des destins humains s’en est trouvée changée. Sortie du tombeau, on a cru voir une Grèce nouvelle sectionnée d’avec celles qui l’avaient précédée. On ne voulait point apercevoir de lien entre l’antiquité, ce qu’on appelait la période byzantine et l’inattendu moderne qui se révélait. Mais aujourd’hui, les plus prévenus et les moins avertis commencent à comprendre la puissance de l’unité hellénique et comment la sève de l’hellénisme actuel est pareille à celle d’antan. Cette sève, l’Europe et le monde en ont besoin. Qu’elle monte, qu’elle féconde, qu’elle enivre ! Zito Ellas ! |
Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0847 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1929 (Volume 5, p. 213-214). ◄ À sa nièce Caroline À sa nièce Caroline ► À sa nièce Caroline bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1929ParisVVolume 5À sa nièce CarolineFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/1213-214 847. À SA NIÈCE CAROLINE. Paris, dimanche matin [13 mai 1866]. Je suis bien content de savoir qu’à mon retour je te trouverai à Croisset, ma chère Caro. Cela adoucira les commencements de ma solitude. Je n’ai pas grand’chose de bien intéressant à te narrer. Voilà à peu près un mois que je n’ai écrit une ligne, étant tout occupé par la lecture des journaux de l’année 1847. J’en ai avalé, avant-hier, pendant sept heures et demie ! Il n’y a pas de travail plus abrutissant et plus irritant que celui-là ! Je touche à la fin, dieu merci ! Je voulais aller entendre Don Juan au Lyrique, mais je n’en aurai pas le temps probablement, et je reviendrai sans avoir, de tout l’hiver, mis le pied dans une salle de spectacle. J’ai passé une heure à l’Exposition ; j’y retournerai avec Monseigneur, mardi, pour l’acquit de ma conscience, car il n’y a rien de bien remarquable. Ledit Monseigneur est maintenant couché dans mon lit et lit le Louis XV du père Michelet, que je t’apporterai. J’attends mes visiteurs du dimanche, et il est 9 heures du matin ! Depuis quelque temps, je me mets à la besogne dès cette heure-là ! Bref, je mène la « vie brûlante ». J’ai eu hier pour 19 fr. 50 de voitures. Nous avons hier dîné chez Charles-Edmond ; aujourd’hui nous dînons chez Mme Husson, et jeudi prochain chez le philosophe Baudry. Nous travaillerons toute la journée et toute la soirée de demain et mercredi. Voilà mon existence dans les plus grands détails, mon cher bibi. J’ai bien envie de faire la connaissance de M. Joujou. Embrasse-le pour moi ainsi que le reste de la famille, et garde les meilleurs bécots pour toi. Ton vieux bonhomme d’oncle. Un petit chien havanais. |
Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0930 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1929 (Volume 5, p. 320-324). ◄ À la princesse Mathilde À la princesse Mathilde ► À Mademoiselle Amélie Bosquet bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1929ParisVVolume 5À Mademoiselle Amélie BosquetFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/1320-324 930. À MADEMOISELLE AMÉLIE BOSQUET. Croisset, mardi soir [septembre 1867]. Ma chère Amie, Si je n’avais pas pour votre esprit beaucoup d’estime et pour votre personne beaucoup d’affection, je vous dirais tout simplement que Jacqueline de Vardon est un chef-d’œuvre, au lieu de vous envoyer l’abominable lettre que vous allez lire. Rassurez-vous cependant ; je pense de votre roman beaucoup de bien ; par places, il y a des choses excellentes, mais je blâme radicalement sa conduite, et je trouve que vous vous lâchez beaucoup sous le rapport de l’écriture. Vous étiez plus sévère autrefois, quand vous lisiez de meilleure littérature et que vous n’imprimiez pas. Il me semble que Paris vous perd. Je commence ! Et d’abord pourquoi la première description, celle des environs de Jumièges, description qui n’a aucune influence sur aucun des personnages du livre, et qui est mangée, d’ailleurs, par une autre qui vient immédiatement, celle de Rouen ? Celle-la est magistrale en soi, et excellente parce qu’elle est utile. On ne sait pas qui sont les deux femmes en scène, ni qui est ce M. Louis, ni qui est Mlle Vardon. Comment voulez-vous alors qu’on s’intéresse à elle ? Puis ça s’arrête brusquement et nous sommes transportés dans un autre pays, à Rouen. Quant au style, je trouve dans le premier paragraphe deux relatifs se régissant : « qui embrasse l’étendue du lit qu’elle occupait », et, chose plus fâcheuse, une métaphore rococotte « les limites de son empire ». L’empire d’un fleuve ? À bas l’Empire ! Je tire mon chapeau, comme je vous l’ai dit, à la description de Rouen et à l’enfance de Jacqueline. Mais là le dialogue direct n’était pas utile, puisque vous n’êtes pas encore dans votre action. Les paroles de la bonne, qui n’est pas un personnage du livre, devaient être racontées et non dites. Vous n’observez pas les plans. Voici quelques lignes de premier ordre : « L’orthodoxie n’est qu’une fiction, etc. », mais cela aurait dû faire la conclusion de toute la vie religieuse de Jacqueline, en être le jugement ; alors on les eût remarquées. On dirait que vous perdez à plaisir toute votre monnaie. Votre dialogue commence par le vrai mot de la situation : « Tu n’es pas heureuse de ton mariage », mais combien il ferait plus d’effet si c’était le premier dialogue du roman ! Les silhouettes de Clémence et de son mari sont agréables, on commence à s’y intéresser, et puis on ne les revoit plus, ou presque plus. (Et pourquoi ne les revoit-on plus ? Parce que l’auteur a voulu faire une héroïne noble. Mais les trois quarts des femmes à qui serait arrivée l’histoire de Jacqueline ne se seraient pas tuées ; Jacqueline ne s’étant pas tuée, M. de Blavy aurait pu reparaître, et qui sait le reste ?) J’admire profondément tout votre passage sur l’addition ; mais vous me permettrez de vous dire, que Mlle de Vardon a un singulier goût en fait de toilette. Elle porte une broche camée et un bracelet de cheveux, deux horreurs ! Mais en voici une autre, plus forte : « Achevait de donner à l’ensemble de la toilette de Mlle de Vardon UN CACHET puritain !!! » et ce n’est pas la seule fois que vous avez employé cette exécrable métaphore. Ma rage est indescriptible, J’ai besoin de souffler ! Votre jeune magistrat est très bien et très vrai, plus sympathique même que vous ne croyez. La lettre du père également est bonne. Mais je ne vois pas de différence de caractère entre Mme Lizel et Clémence. On arrive à la proposition d’aller au bal masqué ; très bien ; et le lecteur s’attend à y suivre les personnages. Pas du tout, on le mène à la campagne, et on le fait assister aux amours de deux personnages épisodiques ! Il y a là-dedans des détails gentils (bien que votre Frédéric parle tantôt comme un artiste : « Quelle charmante courbe d’épaule » et tantôt comme un notaire : « Scellons ce pacte »). Où diable avez-vous rencontré des gens qui disent : « Scellons ce pacte » ? Puis nous revenons au bal (juste au moment ou l’on s’intéresse à vos deux enfants) et ce bal ne tient pas plus de place que le passage précédent. Pourquoi n’avez-vous pas fait une description à fond de ce bal, puisqu’il a une importance décisive sur Jacqueline ? Ce qu’elle ressentait est très bien analysé, mais le tableau, où est-il ? Et Mme Lizel, est-ce que la foule ne doit pas aussi l’agiter ? Il y avait là deux émotions différentes à peindre, sans compter celle du père Dherban qui devait aussi éprouver quelque chose, nonobstant la présence de sa pupille. Puis voici une chose excellente : « Marianne, couchez-vous, etc. », c’est inattendu et cependant à sa place. La petite scène chez le restaurant, bonne. Le remords immédiat de Jacqueline est trop exclusivement chrétien pour une femme qui se suicidera. J’aurais voulu que l’auteur insistât plus sur l’idée de dégradation. C’est un doute que je vous soumets. Vous avez un très bon dialogue ensuite, entre elle et son amant ; il en est de même de vos analyses psychologiques, çà et là. Mais à quoi sert le retour de M. de Blavy et de Clémence, si ce n’est à amener un mot, un seul mot ? Seconde scène avec Edmond, très bonne ; mais voici Jacqueline qui fait exactement à Marie ce qu’elle a fait à Clémence. Le parallélisme, puisqu’il est voulu, devrait être plus marqué et vous deviez rappeler l’autre situation analogue, en mettant les pieds dans le plat franchement, et en insistant dessus. Je vous assure que Jacqueline n’est pas sympathique, parce qu’elle n’a pas été suffisamment amoureuse. On donne presque raison à Dherban fils, qui ne l’a jamais trompée, en définitive, et qui est l’homme de la nature. Elle lui en veut d’avoir éprouvé une surprise des sens, et il y a dans sa colère contre lui plus d’orgueil blessé que d’amour, chose très vraie et très commune. Mais l’auteur n’a pas l’air d’en avoir conscience et semble prendre le parti de son héroïne. Quant à la lettre finale, c’est un morceau achevé ; alors seulement on se rappelle le premier chapitre, qui est beaucoup trop loin derrière nous. Voilà ce que j’avais à vous dire de plus dur. Il y a aussi quantités d’expressions toutes faites, d’idiotismes usés. Vous ne me paraissez pas vous inquiéter, comme autrefois, du sacro-saint style. J’ai vidé le fond de mon sac, et je vous embrasse. Me pardonnez-vous ? |
Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0945 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1929 (Volume 5, p. 341-342). ◄ À Edmond et Jules de Goncourt À la princesse Mathilde ► À Ernest Feydeau bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1929ParisVVolume 5À Ernest FeydeauFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/1341-342 945. À ERNEST FEYDEAU. Croisset, mercredi soir [novembre-décembre 1867]. Mon cher Vieux, Je ne t’oublie pas du tout, quoi que tu en dises ! mais je n’ai rien ai te conter ! Mon silence n’a pas d’autre raison. Je me mets a ma table vers midi et demi ; à cinq heures je pique un chien qui dure quelque-fois jusqu’à sept, alors je dîne ; puis je me ref... à la pioche jusqu’à trois heures et demie ou quatre heures du matin, et je tâche de fermer l’œil après avoir lu un chapitre du sacro-saint, immense et extra-beau Rabelais. Voilà. J’espère avoir fini ma seconde partie à la fin de janvier, et tout le reste dans l’été de 1869, ce qui ne me promet point, jusque-là, poires molles. Tu serais bien aimable de m’envoyer une re-Comtesse de Châlis, pour la répandre. La mienne est déjà éreintée. Je te remercie des trois numéros du Figaro. Qu’est-ce que ça devient ? Rugis-tu contre M. Thiers ? Quel profond penseur, hein ! Peut-on voir un Prud’homme plus radical ? Est-on bête en France, n... de D... ! Là-dessus, je t’embrasse. Ton G. F. |
Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0871 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1929 (Volume 5, p. 242-243). ◄ À George Sand À George Sand ► À sa nièce Caroline bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1929ParisVVolume 5À sa nièce CarolineFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/1242-243 871. À SA NIÈCE CAROLINE. Croisset, samedi soir [6 octobre 1866]. Je trouve que ma belle nièce oublie un peu son Bourg-Achard et prétends par cette épître me rappeler à sa tendresse. Oui, mon pauvre loulou, je m’ennuie de toi. Je n’ai pas autre chose à te dire : il me tarde de revoir ta bonne mine. Ta compagnie me sera aussi agréable que celle de mon petit neveu et de ma petite nièce, lesquels ont fait, trois dîners consécutifs, tant de vacarme à table que le cœur m’en battait de malaise nerveux. Je deviens scheik, le bruit m’incommode. Sais-tu de qui j’ai reçu tantôt la visite ? De M. et Mme Cloquet. Ils revenaient du Tréport, et n’ont pas voulu, malgré mes instances, coucher à Croisset ni même y dîner. Nous aurons demain à dîner Fortin et son épouse avec Laporte, et peut-être Bataille, le conseiller d’État. Voilà toutes les nouvelles d’ici. La pièce de Monseigneur passera dans les derniers jours de novembre. Le petit Duplan a dû s’embarquer hier matin pour Alexandrie. Je continue à travailler comme un bœuf. J’ai recopié cette semaine tout ce que j’ai écrit depuis mon retour de Dieppe. Cela fait vingt-trois pages. Mon roman en est à la cent soixante-dixième ; il doit en avoir cinq cents ! Quelle perspective ! Aussi il y a des moments où je tombe sur les bottes ! Quand reviens-tu ? Est-ce mercredi ou jeudi ? Ta grand’mère se porte bien, mais elle devient bien sourde. Adieu, pauvre chérie. Amitiés à Ernest, je t’embrasse. |
Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0944 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1929 (Volume 5, p. 339-341). ◄ À Mademoiselle Amélie Bosquet À Ernest Feydeau ► À Edmond et Jules de Goncourt bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1929ParisVVolume 5À Edmond et Jules de GoncourtFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/1339-341 944. À EDMOND ET JULES DE GONCOURT. [Croisset] Nuit de mercredi, 2 h. [novembre 1867]. J’ai reçu les deux volumes ce matin à 11 heures et je viens de les finir. C’est vous dire, mes bons, que Manette Salomon m’a occupé toute la journée. J’en suis ahuri, ébloui, bourré. Les yeux me piquent. Donc, je vous expectore mon sentiment, sans la moindre préparation. Quant à du talent, ça en regorge. Quelle abondance, n... de D... ! Jamais de la vie vous n’avez été plus vous, ce qui est le principal. Voici, en fermant les paupières, ce que je revois : primo et avant tout le caractère de Garnotelle. Ce bonhomme-là est réussi d’un bout à l’autre et enfonce Pierre Grassou de cent coudées ; 2o toutes les poses de Manette. Vous avez là des pages à apprendre par cœur, des morceaux qui sont exquis, parfaits ; 3o un clair de lune finissant par « et la bêtise même des femmes rêvait » ; n’est-ce pas là la phrase ? Il n’y a pas une seule des tirades de Chassagnol qui ne me plaise ! Mais (il faut bien critiquer), je vous demande, en toute humilité, si elles ne sont pas toutes un peu pareilles comme valeur et comme tournure ? Je me suis moins amusé au commencement du second volume. Fontainebleau m’a semblé un peu long. Pourquoi ? Ah, s... n... de D... ! j’oubliais une chose superbe : la baignade d’Anatole, dans la Seine, la nuit. Il est excellent, le bohème, excellent d’un bout à l’autre. Id. des embêtements causés à Coriolis par la Juiverie. Il y a, vers la fin du second volume, une foule de choses exquises. L’enfoncement de l’artiste par la femme, les doutes qu’il a de lui-même, toute cette fin m’a navré. C’est neuf, vrai et fort. Je connaissais le Jardin des Plantes et le tableau du satyre-bourgeois. Mais j’ignorais celui de Trouville, qui le vaut. Comment avez-vous pu faire des descriptions d’Asie-Mineure si vraies, et dans la mesure exacte ? ce qui n’était pas facile. Deux chicanes idiotes : 1o Vous écrivez tatikos, il me semble. C’est tactikos ; 2o « aux miss », le pluriel de miss est misses. Le père Langibout m’a été au cœur, en souvenir de M. Langlois qui était, lui aussi, un élève de David. J’ai reconnu beaucoup de masques et retrouvé beaucoup de choses. L’enterrement du singe au clair de lune me reste dans la tête comme si je l’avais vu, ou plutôt éprouvé. Pauvre singe ! On l’aime ! P.-S. — Envoyez-moi un exemplaire sur papier ordinaire, car je ne veux pas prêter mon exemplaire, et comme il va rester sur ma table, les personnes de ma famille me le prendraient. Je n’y vois plus, excusez la bêtise de ma lettre. J’ai voulu seulement vous envoyer un bravo, mes chers bons. J’ai bien raison de vous aimer et je vous embrasse plus fort que jamais. À vous, ex imo. Au chapitre lxviii de Manette Salomon, on lit : « Sur sa tête elle avait le charmant tatikos de Smyrne, le tarbouch rouge aplati, tout couvert d’agréments et de broderies. » L’orthographe tatikos a été maintenue dans les éditions postérieures (1868, 1876 et édition de l’Académie Goncourt, s. d.). La coiffure décrite par les Goncourt est connue sous les noms de yéméni, tchatma, tchévré, koundak ou fakioli. Les Smyrniotes et les hellénistes que nous avons consultés ignorent également le tatikos et le taktikos. |
Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0939 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1929 (Volume 5, p. 332-333). ◄ À George Sand À sa nièce Caroline ► À la princesse Mathilde bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1929ParisVVolume 5À la princesse MathildeFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/1332-333 939. À LA PRINCESSE MATHILDE. [1867]. « Qu’est-ce qui peut penser à moi ? » m’écrivez-vous. Tous ceux qui vous connaissent, Princesse, et ils font plus que d’y penser. Les littérateurs, gens dont le métier est de voir et de sentir, ne peuvent pas être bêtes ! Aussi je crois que mes intimes, les de Goncourt, Théo, le père Beuve et moi ne sont pas les moins dévoués de votre entourage. À propos de Sainte-Beuve, comment va-t-il ? Je n’en ai aucune nouvelle. Ici également il fait un froid abominable, et on se chauffe comme en plein hiver. J’ai actuellement la compagnie de trois cousines et d’un cousin venus de Champagne ! Bonnes gens d’ailleurs. Dans quelques jours, peut-être, j’aurai celle de Mme Sand, qui vous fournit, Princesse, des plaisanteries si flatteuses pour un homme de mon âge. Je travaille avec assez d’entrain et je me promets comme une récompense, au bout de mon chapitre, d’aller vous voir. Il y aura peut-être d’ici-là de grands changements. Seront-ils bons ? Je le crois. Car la guerre est maintenant impossible, vu la saison. Les affaires d’Italie se décideront d’elles-mêmes et la confiance renaîtra. Quant à la peur que fait la Prusse aux bons Français, j’avoue n’y rien comprendre et en être, pour ma part, humilié. Si robuste que l’on soit, il y a des jours, n’est-ce pas, où l’on se sent comme broyé par la sottise universelle ? Mais il y en a d’autres où l’on reprend courage à la vie, ceux qui vous apportent quelque chose de bon, les matins où l’on reçoit une lettre de la Princesse. Il y en a de meilleurs encore ; c’est quand on peut lui baiser les mains et lui dire comme je fais : je suis, Madame, Tout à vous. G. Flaubert. |
Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0962 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1929 (Volume 5, p. 365-366). ◄ À Jules Duplan À sa nièce Caroline ► À la princesse Mathilde bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1929ParisVVolume 5À la princesse MathildeFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/1365-366 962. À LA PRINCESSE MATHILDE. Samedi soir [1868]. Comment ! « des excuses », Princesse ? Et de quoi donc ? « Si vous l’avez encore » (cette lettre). Je crois bien ! Et les autres aussi ! Rien de vous n’est à perdre. D’ailleurs, voici la phrase en question, que je m’étonne maintenant de n’avoir pas lue couramment : « Je suis sûre que la vue de ce ménage vous laissera la sécurité pour leur avenir ; mais ne sommes-nous pas curieux ? qu’en pensez-vous ? » Quant à l’incident nouveau, je trouve que ce bon Sainte-Beuve n’a pas été très philosophe. Il me semble qu’à sa place j’en aurais ri. Je me vante peut-être ; mais il y avait, je crois, mieux à faire qu’à se fâcher. Je voudrais vous retrouver dans la correspondance de Voltaire une lettre qu’il envoyait à Thiriot dans une circonstance analogue. M. du Deffant le déchirait, en arrière, tout en lui faisant des cajoleries. On l’avertit de la chose, et il répond là-dessus d’un ton supérieur, le ton d’un homme qui connaît les hommes et les femmes. L’aventure est entièrement comique, du reste, et m’a fait rire. Je vous remercie de me l’avoir communiquée. Elle rappelle un peu la scène des billets, dans le dernier acte du Misanthrope. Mais quelle étourderie ! C’est inexplicable ! Quant aux conseils pratiques que vous donnez, Princesse, je vous en suis très reconnaissant et j’en ferai mon profit. Nous en causerons. C’est une raison de plus pour désirer être auprès de vous. Je me mets à vos pieds et suis votre très affectionné et dévoué. G. Flaubert. M. et Mme Taine. |
Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1050 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1930 (Volume 6, p. 56-57). ◄ À Philippe Leparfait À George Sand ► À Philippe Leparfait bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1930ParisVVolume 6À Philippe LeparfaitFlaubert Édition Conard Correspondance 6.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 6.djvu/156-57 1050. À PHILIPPE LEPARFAIT. Jeudi 12 août. Mon cher Philippe, Je viens de voir moi-même, sur le registre de Me Porcher, que Bouilhet lui devait mille francs depuis le mois de février. Cette ligne était écrite par lui, avec sa signature. J’ai donné ton adresse à Me Porcher. Aïssé sera jouée sans le moindre changement. Ce matin, j’ai eu avec Chilly une longue conférence et j’attends, en ce moment, un copiste qui va copier chez moi tout le second acte. Je crois que l’Odéon va brûler la politesse à Mme Sand et donner Aïssé au commencement de novembre. Chilly m’a prié de ne pas le quitter d’une minute pendant la répétition. Je m’occupe aussi du Cœur à droite, qui peut être joué sur le théâtre de Cluny. Tu sais que la souscription est depuis hier annoncée dans plusieurs journaux. Elle va l’être dans le Moniteur, où j’ai trouvé beaucoup de complaisance. Ledit Moniteur m’a proposé d’imprimer tout Aïssé le lendemain de la première. L’idée est peut-être lucrative. Nous verrons cela. Dalloz me demande aussi une biographie. Ce n’est pas le moment, mais comme le Moniteur paye très bien et que cet argent doit te revenir, j’ai été doux. Je leur ai promis une pièce de vers inédite. Quand j’irai à Dieppe, au mois de septembre, tu viendras avec moi à Croisset, et nous verrons ce qui peut convenir. Est-ce fini avec les rosses de Cany ? et la procuration ? Fais-moi le plaisir d’écrire à d’Osmoy en ses différents domiciles, et mets sur les lettres « faire parvenir », qu’on sache où il est, nom de Dieu ! Quel intolérable coco ! J’aurais besoin de lui pour un tas de choses. Camille Doucet a été très gentil. Mardi ou mercredi prochain je me mets à corriger mes épreuves et j’ai, tous les jours, à aller dans mon nouveau domicile pour surveiller les ouvriers. Embrasse bien tendrement pour moi ta pauvre mère et qu’elle t’en fasse autant de ma part. Ton. Boulevard du Temple, 42. Les sœurs de Louis Bouilhet. |
Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1017 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1930 (Volume 6, p. 13-14). ◄ À George Sand À la Princesse Mathilde ► À la Princesse Mathilde bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1930ParisVVolume 6À la Princesse MathildeFlaubert Édition Conard Correspondance 6.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 6.djvu/113-14 1017. À LA PRINCESSE MATHILDE. Jeudi 3 heures [février 1869]. Oui, nos deux lettres se sont croisées, Princesse, ce qui prouve que nous pensions l’un à l’autre en même temps. Je prends cela pour un peu plus qu’une politesse du hasard. Mais si je vous écrivais toutes les fois que je songe à vous, je vous écrirais tous les jours et presque tout le long du jour ! Comment voulez-vous qu’il n’en soit pas ainsi !.. Le mercredi particulièrement me ramène le souvenir de la rue de Courcelles. Je ne me console de n’y plus être que par l’espoir d’y revenir. 1869 aura été une bonne année pour moi. J’ai fait un livre qui vous a plu et je passerai non loin de vous quatre mois de plus qu’à l’ordinaire. Car je compte bien rester à Paris du milieu d’août, ou commencement de septembre, au plus tard, jusqu’au mois de décembre. La tristesse que me cause toujours mon départ de là-bas se calme un peu, l’étourdissement du silence diminue. Je me suis remis à travailler, fade consolation, mais consolation. Je comprends ce qu’il vous en coûte de vous séparer de Mme de Fly. Je la regretterai, pour ma part, car je l’ai toujours trouvée charmante. Quelle bonne vieille aimable et « comme il faut » ! C’est le privilège des femmes de pouvoir plaire à tous les âges et de se faire aimer de toutes les façons. Nous ne sommes pas comme cela, nous autres ! Est-ce que vous êtes seule à Saint-Gratien ? Vous m’avez l’air d’être dans un moment de tristesse ? C’est la réaction des fatigues de l’hiver, le repos succédant au mouvement. Dans quelques jours cela se passera, et puis le soleil va enfin briller ! espérons-le. Il n’y a pas « de manque de dignité » à sentir ce que vous me dites par rapport à Sainte-Beuve ; cela prouve que vous avez le cœur bon, tout simplement. L’ingénuité du sentiment, est ce qui nous distingue des mannequins. Une bûche ne vibre pas comme une lyre. Parmi tous les dons dont la Providence vous a comblée, celui-là est un des plus rares. Vos amis en sont heureux. Soyez-en fière. Je vous baise les mains aussi longtemps que vous le permettrez, Princesse, et suis à vous. |
Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1043 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1930 (Volume 6, p. 51). ◄ À Ernest Feydeau À sa nièce Caroline ► À Philippe Leparfait bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1930ParisVVolume 6À Philippe LeparfaitFlaubert Édition Conard Correspondance 6.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 6.djvu/151 1043. À PHILIPPE LEPARFAIT. Lundi matin, 9 heures. Je te conseille, après t’être fait tirer les oreilles de montrer la lettre ci-incluse, ou plutôt de la lire jusqu’au bas du verso. Là, tu t’arrêteras et tu diras « ceci vous concerne et est trop désagréable pour vous, je ne veux pas vous le montrer ». Elles insisteront et tu exhiberas la troisième page. Par ce moyen-là, elles comprendront qu’il n’y a rien à attendre de moi. J’ai peut-être été trop modéré. Tu sais que j’ai, au contraire, très grand espoir. Je crois au succès de toutes les façons. Autre histoire : Lévy m’a fortement conseillé de faire jouer la Féerie, ce dont je m’occuperai vers le 8 ou 10 septembre, quand Deslandes sera revenu de Dieppe et que d’Osmoy en aura fini avec son conseil général. Je ne pourrai pas aller à Dieppe avant trois grandes semaines encore. Mon déménagement ne sera pas terminé avant ce temps-là. Fais inscrire M. Achille Dupont pour 20 francs. Envoie-moi la deuxième et la troisième liste et des pièces de vers détachées. À toi. Je suis impatient de savoir tout réglé du côté de Cany. |
Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/169 | {{nr||— 159 —|}}<poem>
Si je suis avec toi ; car d’un lieu de supplices
L’amour fait, tu le sais, le séjour des délices. »
Thadée avec effort s’arrache de ses bras.
« Es-tu folle ? » dit il ; « mais tu n’y penses pas !
Me suivre ! Ou ? Quoi ? Comment ! Moi, simple volontaire,
Te traîner avec moi... comme une vivandière !
— « Marions nous », reprit Télimène. — « Jamais ! »
Cria-t-il. « Je ne veux plus penser désormais
A tout cela. Laissons tous ces enfantillages !
De grâce, calme-toi ! Soyons tous deux plus sages !
Je ne suis pas ingrat ; mais puis-je en vérité
T’épouser ?... Aimons nous... chacun de son côté.
Je ne puis plus rester ; j’obéis à mon père.
Ma Télimène, adieu ! Je cours à la frontière. »
Il dit, et, renfonçant son chapeau, sans retard
Va partir ; mais alors, l’arrêtant d’un regard,
Télimène à ses yeux, semblable à la Gorgone,
Se dresse ; en la voyant d’épouvante il frissonne...
Elle est pâle : l’horreur semble glacer son sang.
Soudain, tendant la main, comme un fer menaçant
Qui va percer le cœur d’une atteinte mortelle :
« Ah ! langue de serpent, cœur de lézard », dit-elle,
« Nous y voilà... C’est peu d’avoir pour toi, trompeur,
Dédaigné le Régent<ref>''Rejent'', c’est le mot polonais qui veut dire notaire.</ref>, le Comte et l’Assesseur ;
C’est peu de me trahir après m’avoir séduite.
Je savais, connaissant votre engeance maudite,
Que tu pourrais un jour me tromper et partir ;
Mais j’ignorais qu’ainsi tu m’oserais mentir !
Je sais tout : j’écoutais à la porte... Perfide !
C’est Zosia qu’il te faut ! Comme un vautour avide
Tu guettes cette enfant ! Séducteur odieux,
C’est une autre victime à présent que tu veux !
Je saurai, si tu fuis, t’atteindre dans ta fuite,
Et sinon, révéler à tous ton inconduite.
C’est assez d’avoir fait mon tourment, imposteur !
Va-t-en, je te méprise ! homme lâche et menteur ! »
A cette insulte qui vient frapper son oreille
(Jamais un Soplitza n’en subit de pareille),
Aussi pâle qu’un mort, Thadée a tressailli ;
De ses lèvres qu’il mord ce cri « sotte » a {{corr|jaillli|jailli}}.
</poem>
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Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1149 | Gustave Flaubert Correspondance Louis Conard, 1930 (Volume 6, p. 198-200). ◄ À Edmond de Goncourt À Madame Régnier ► À la Princesse Mathilde bookCorrespondanceGustave FlaubertLouis Conard1930ParisVVolume 6À la Princesse MathildeFlaubert Édition Conard Correspondance 6.djvuFlaubert Édition Conard Correspondance 6.djvu/1198-200 1149. À LA PRINCESSE MATHILDE. Samedi soir [18 février 1871]. Je ne vous ai pas écrit parce que nous avons été du 5 décembre au 1er février complètement bloqués, comme dans une ville assiégée. Il était difficile de voyager dans un rayon de cinq lieues. On a été pendant un mois sans pouvoir correspondre de Rouen à Dieppe ! Vous dire ce que j’ai souffert est impossible ; tous les chagrins que j’ai eus dans ma vie, en les accumulant les uns sur les autres, n’égalent pas celui-là. Je passais mes nuits à râler dans mon lit comme un agonisant ; j’ai cru par moments mourir et je l’ai fortement souhaité, je vous le jure. Je ne sais pas comment je ne suis pas devenu fou ! Je n’en reviendrai pas ! à moins de perdre la mémoire de ces abominables jours. J’ai été chassé de Croisset par les Prussiens qui, pendant quarante-cinq jours, ont occupé tous les appartements. Ils étaient dix, dont trois officiers, sans compter six chevaux. À Rouen, où nous nous étions réfugiés ma mère et moi, nous en avons eu quatre. Le conseil municipal, dont mon frère fait partie, a délibéré sous les balles de l’aimable peuple. On a même cru, dans la ville, pendant une heure, que mon frère était tué. Ici à Dieppe (où j’ai amené ma mère depuis que sa petite fille est revenue d’Angleterre) nous avons été cette semaine menacés du pillage et ces messieurs ont saccagé les maisons de quatre conseillers municipaux. Il a fallu, de nouveau, enfermer dans la terre les objets précieux ! Pendant ce temps-là, nous étions menacés à Croisset d’un sort pareil. Mais tout ce qui se passe depuis l’armistice n’est rien. Le pire a été les premiers temps de l’occupation. Tout ce que vous avez lu n’en donne aucune idée. Je fais des efforts pour n’y plus penser ; cela m’est impossible. J’ai eu une lettre d’Edmond de Goncourt qui me donne des nouvelles de Théo (tous les deux vont bien). Dumas, que je vois souvent, m’a donné des vôtres, dès que je suis arrivé ici, c’est-à-dire il y a dix jours. Son conseil est bon : n’essayez pas de revenir à Paris maintenant, ce serait imprudent. Nous nous réjouissons tous les deux à l’idée d’aller bientôt vous faire une petite visite. Comme vous revoir me détendra le cœur ! J’imagine que la paix sera signée d’ici à cinq ou six jours ! Voilà Thiers président de la République, maintenant ! La gardera-t-il, ou la livrera-t-il aux Orléans ? Ah ! que mon époque m’ennuie ! Il me semble que cette guerre dure depuis cinquante ans, que toute ma vie jusqu’à elle n’a été qu’un songe, et qu’on aura toujours les Prussiens sur le dos. J’ai voulu me remettre au travail, mais j’ai encore la tête trop faible ; ma meilleure occupation, c’est de rêver au passé, où votre figure fait, pour moi, une grande lumière douce. Patience et courage ! Peut-être que dans quelques mois nous causerons de tout cela rue de Courcelles. À vous fortement et tendrement. |
Swift - Le Conte du tonneau - tome 2 - Scheurleer 1732.djvu/68 | {{nr|46|{{Espacé|6px;font-size:150%;font-family:serif|{{sc|Operation Mechanique}}}}|}}du point de doctrine fondamental, dans
lequel ils se sont tous acordez unanimement, que le principe ou la semence des visions, touchant les matieres invisibles, a toujours été d’une nature corporelle : aussi les plus profonds Chymistes nous asseurent, que
les ''Esprits'' les plus forts peuvent être
tirez de la chair humaine. D’ailleurs,
la moelle spinale n’étant autre chose
que la continuation du cerveau, doit
de necessité faire une communication
fort libre entre les facultez superieures & inferieures de l’homme ; & par-là l’éguillon ''dans la Chair'' peut devenir un ''éperon'' pour animer l’''Esprit''.
Ajoûtons à toutes ces veritez incontestables, que tous les Medecins conviennent, que rien n’affecte d’avantage le cerveau, que les Esprits amoureux
détournez de leur Cours ordinaire, &
renvoïez vers la tête ; & qu’ils y causent souvent la Frénésie, & la Fureur.
Un illustre Membre de la Faculté
m’asseura un jour, que, quand les ''Quakres'' commencérent à paroitre dans notre Ile, il lui vint des Patiens Feminins
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Dictionnaire touareg – français/S | Charles de Foucauld Dictionnaire touareg – français Texte établi par André Basset, Imprimerie nationale de France (p. 1794-1876). ◄ Ṛ ⵗ T ⵜ ► S ⵙ dictionaryDictionnaire touareg – françaisCharles de FoucauldImprimerie nationale de FranceParisCS ⵙFoucauld, Dictionnaire touareg.djvuFoucauld, Dictionnaire touareg.djvu/11794-1876 ⵙ as ⵙ vn. prim. ; conj. 17 « ar » ; ω (iousă, iousâ, éd ias, our iousé) ‖ arriver à ; arriver chez ‖ s’empl. souv. accompagné d’une des particules ed (d, id, hid) ou în (hîn), exprimant la 1ère l’idée de rapprochement, de venue, d’entrée, la 2de l’éloignement, l’extraction, la sortie ‖ peut avoir pour suj. et rég. dir. des p., des an., ou des ch. ‖ ex. ousĭṛ Fendou ⁒ je suis arrivé chez F. = imnâs ousĕn Tăouat ? – ousĕn tet ⁒ les chameaux sont-ils arrivés au Touat ? – ils sont arrivés à lui (ils y sont arrivés) = én nas oulli toufat ⁒ nous arriverons aux chèvres demain (nous arriverons auprès des chèvres demain) = têreout iet tous-ed enḍ ahel ⁒ une lettre est arrivée hier (une lettre est arrivée ici hier) = toufat é kai în-aseṛ ⁒ demain j’arriverai chez toi là-bas (j’irai chez toi demain) ‖ peut qlqf. se traduire par « venir à (ou chez) ; aller à (ou chez) » ‖ p. ext. « trouver ». D. ce s., ne s’emploie pas accompagné d’ed (d, id, hid) ou d’în (hîn). (Ex. tousĭd amis ennek ? – ousĭḳ ḳ ⁒ as-tu trouvé ton chameau ? – je l’ai trouvé = ousĭṛ elbarouḍ in oua ik̤rĕken ⁒ j’ai trouvé mon fusil qui ayant été perdu (j’ai trouvé mon fusil qui était perdu) = Dâssin, tousĭt tet daṛ ăhen nît ? – ousĭḳ ḳet ⁒ D., l’as-tu trouvée dans sa tente ? – je l’ai trouvée).—Employé d. le s. « trouver », as sert à rendre l’idée « 1er venu, 1ère venue, 1ers venues ». Dans ce cas, il est à l’indicatif passé et il suit immédiatement le subs. désignant ce qu’est le 1er venu. (Ex. âles tousĭd daṛ hanân é hâk iken ăoużlou nnek ⁒ l’h. [que] tu as trouvé (tu auras trouvé) dans les tentes t’arrangera ton affaire (le 1er h. venu dans le campement t’arrangera ton affaire) = tămeṭ ousĭṛ é hi teżmi aoua-h ⁒ la f. [que] j’ai trouvée (j’aurai trouvée) me coudra cela (la 1ère f. venue me coudra cela) = ermĕsen imnâs ousĕn ⁒ ils ont saisi les chameaux [qu’]ils ont trouvés (ils ont pris les premiers chameaux venus) = ermesmet kerâḍet oulli tousĕmet ⁒ saisissez les 3 chèvres [que] vous avez trouvées (vous aurez trouvées) (prenez les trois 1ères chèvres venues)). v. ⵍ ell ; ⵏⴾⵔ enker ‖ au moment du départ de guerriers pour une expédition, dans le temps qu’ils se mettent en selle, les femmes poussent des cris de joie et chantent les mots suivants : ăsa nasân, ousĕn-în ousân-d, qui semblent une corruption d’ăs nesen, ousĕn-în, ousĕn-d « leur arrivée, qu’ils arrivent là-bas, qu’ils arrivent ici ! (qu’en fait d’arrivée, ils arrivent vite là-bas [chez l’ennemi], et reviennent vite ici !) ». — sis ⵙⵙ va. f. 1 ; conj. 175 « sir » ; ω (iessoŭsa, iessoûsa, éd isis, our iessousa) ‖ faire arriver à ; faire arriver chez ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ peut qlqf. se traduire par « envoyer à ; envoyer chez ». Les 2 rég. dir. peuvent être des p., des an., ou des ch. D. ce s., s’empl. souv. avec un rég. dir. exprimé et un rég. dir. s. e. (Ex. envoie [un messager, une lettre, etc. s. e.] à Moûsa, pour qu’il vienne = envoie [un messager, une lettre, etc. s. e.] à tes chameaux, pour qu’ils aillent au Touat = envoie [un messager, une lettre, etc. s. e.] à ton blé qui est à Tit, pour qu’il vienne ici = sis Biska, é dd-ias ⁒ envoie à B., il arrivera ici (envoie [un messager, une lettre, etc. s. e.] à B., pour qu’il vienne)). D. ce s., sis est syn. de soukou ; v. ⴾ ekk, soukou ‖ diffère de sioui « faire apporter », qui s’empl. souv. avec un seul rég. dir. dans le s. « envoyer [qlq. ch.] (à une p. ou dans un lieu) » ; sioui « envoyer » ne peut avoir pour rég. dir. que des ch. ou des p. ou an. incapables de marcher que l’on porte. — nemisi ⵏⵎⵙⵉ va. f. 2bis ; conj. 54 « reġiġi » ; ω (inmasa, ienîmasa, éd inmoso, our inmasa) ‖ aller réc. l’un à l’autre (act.) ; aller réc. l’un à l’autre chez (act.) ; aller réc. l’un à l’autre (n.) ; aller réc. l’un chez l’autre (n.) ‖ syn. de nemekki. — touisi ⵜⵓⵙⵉ vn. f. 3 ; conj. 205 « touisi » ; (ittouasa, ietîouasa, éd iettouisi, our ittouasa) ‖ être l’objet d’une arrivée à soi ; être l’objet d’une arrivée chez soi ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ peut qlqf. se traduire par « être atteint ». — tâs ⵜⵙ va. f. 6 ; conj. 224 « târ » ; ω (itâs, our itis) ‖ arriver hab. à ; arriver hab. chez ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâsa ⵙⵙⴰ va. f. 1.10 ; conj. 239 « sâra » ; ω (isâsa, our isisi) ‖ faire hab. arriver à ; faire hab. arriver chez ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — sâs ⵙⵙ va. f. 1.6 ; conj. 224 « târ » ; ω (isâs, our isis) ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. — tînmîsi ⵜⵏⵎⵙⵉ va. f. 2bis.14bis ; conj. 250 « tîrġîġi » ; (itînmîsi, our itenmisi) ‖ aller hab. réc. l’un à l’autre (act.) ; aller hab. réc. l’un à l’autre chez (act.) ; aller hab. réc. l’un à l’autre (n.) ; aller hab. réc. l’un chez l’autre (n.). — tîtouîsi ⵜⵜⵓⵙⵉ vn. f. 3.14bis ; conj. 250 « tîrġîġi » ; (itîtouîsi, our itetouisi) ‖ être hab. l’objet d’une arrivée à soi ; être hab. l’objet d’une arrivée chez soi ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 3. — ăs ⵙ sm. nv. prim. ; (pl. ăsen ⵙⵏ) ‖ fait d’arriver à ; fait d’arriver chez ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ signifie aussi « arrivée ». — tîsit ⵜⵙⵜ sf. nv. prim. ; (pl. tîsîtîn ⵜⵙⵜⵏ) ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. — ăsîsi ⵙⵙⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isîsîten ⵙⵙⵜⵏ), daṛ sîsîten ‖ fait de faire arriver à ; fait de faire arriver chez ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ănmîsi ⵏⵎⵙⵉ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmîsîten ⵏⵎⵙⵜⵏ), daṛ ĕnmîsîten ‖ fait d’aller réc. l’un à l’autre à ; fait d’aller réc. l’un à l’autre chez ; fait d’aller réc. l’un à l’autre ; fait d’aller réc. l’un chez l’autre. — ătouîsi ⵜⵓⵙⵉ sm. nv. f. 3 ; φ (pl. itouîsîten ⵜⵓⵙⵜⵏ), daṛ ĕtouîsîten ‖ fait d’être l’objet d’une arrivée à soi ; fait d’être l’objet d’une arrivée chez soi ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 3. ⵙ ess ⵙ va. prim. ; conj. 11 « els » ; ω (issă, issâ, éd iess, our issé) ‖ bourrer (remplir autant que possible en bourrant [une p., un an., une ch.] ; faire entrer en bourrant [qlq. ch. dans une p., un an., une ch.]) ‖ a aussi le s. pas. « être bourré » ‖ peut avoir pour suj. et pour rég. dir. des p., des an., ou des ch. ‖ se dit, p. ex., d’un h. qui bourre une p., un an., son propre ventre d’un aliment, qui bourre un sac ou une caisse de blé, de dattes, de vêtements, qui bourre un aliment dans la bouche d’une p. ou d’un an., qui bourre du blé, des dattes, des vêtements dans un sac ou une caisse ; se dit d’un an. qui bourre un trou de grains, qui bourre des grains dans un trou ; se dit d’un aliment qui bourre le ventre d’une p. ou d’un an., de blé. de dattes, de vêtements, qui bourrent un sac ou une caisse, de paille, de laine, de coton qui bourrent un coussin ou un oreiller, de la colère, de la douleur, de l’amour qui bourrent (emplissent complètement) un cœur, etc. ‖ p. ext. « bourrer (enfoncer une bourre dans) [une arme à feu] » ‖ p. ext. « tisser serré (tisser en faisant un tissu serré) ». Se dit de tous les tissus, minces ou épais, qu’on tisse en en serrant les fils. — souessi ⵙⵓⵙⵉ va. f. 1 ; conj. 116 « soueṅṛi » ; ω (isouessa, iesîouessa, éd isouessi, our isouessa) ‖ faire bourrer ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — tâss ⵜⵙ va. f. 6 ; conj. 225 « tâġġ » ; ω (itâss, our itess) ‖ bourrer hab. ‖ a aussi le s. pas. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâouessa ⵙⵓⵙⴰ va. f. 1.10 ; conj. 238 « târeżża » ; ω (isâouessa, our iseouessi) ‖ faire hab. bourrer ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tîsaout ⵜⵙⵓⵜ sf. nv. prim. ; (pl. tîsaouîn ⵜⵙⵓⵏ) ‖ fait de bourrer ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être bourré » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsouessi ⵙⵓⵙⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isouessîten ⵙⵓⵙⵜⵏ), daṛ ĕsouessîten ‖ fait de faire bourrer ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. ⵙ ousou ⵙⵓ vn. prim. ; ‖ conj. 9 « ouhou » ; (iesoŭ, iesoû, éd iousou, our iesou) ‖ tousser ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un an. — toûsou ⵜⵙⵓ vn. f. 17 ; conj. 259 « toûḍou » ; (itoûsou, our itousou) ‖ tousser hab. — tesout ⵜⵙⵜ sf. nv. prim. ; (pl. tesoûtîn ⵜⵙⵜⵏ) ‖ fait de tousser ‖ p. ex. « toux ». ⵙ é̆ss ⵙ sm. (pl. é̆ssen ⵙⵏ) ‖ jarret (de p. ou d’an.) ‖ p. ext. « petite excroissance de chair qui se produit au coin interne de l’œil et recouvre plus ou moins le blanc de l’l’œil ». L’é̆ss est entre le coin entern de l’l’œil et l’iris dont il atteint qlqf. le bord ; il se produit chez les p. et les an. ⵙ êsou ⵙⵓ sm. φ (pl. êsouân ⵙⵓⵏ ; fs. têsout ⵜⵙⵜ ; fp. tisîta ⵜⵙⵜⴰ), daṛ tsîta ‖ masc. bœuf ; taureau.—fém. vache ‖ êsou se dit de tous les an. mâles de la race bovine arrivés à une belle croissance, qu’ils soient castrés ou non ‖ v. ⴱⵔⴾⵓ éberkaou. — tess ⵜⵙ (Ăd., Ăir, Ioul.) sf. (pl. chîtân ⵛⵜⵏ) ‖ vache ‖ non us. dans l’Ăh. ⵙ isân ⵙⵏ sm. φ (pl. s. s.), daṛ sân ‖ chair ; chairs ‖ se dit de toute chair de p. ou d’an. vivants ou morts ‖ p. ext. « viande » ‖ p. ext. « envers (face interne) [d’une peau] ». D. ce s., est opposé à tâsna « endroit (face externe) [d’une peau] » ‖ « donner sa chair [à qlq’un] » signifie au fig. « tendre le dos [à qlq’un] (se laisser maltraiter patiemment [par qlq’un], se laisser accabler de mauvais procédés patiemment [par qlq’un]) ». (Ex. iṛhĕd i ăouâl, ekfĭḳ ḳ isân ; iouĕt i, ekfĭḳ ḳ isân ; iouhĕṛ amis in, ekfĭḳ ḳ isân ⁒ il m’a abîmé les paroles, je lui ai donné [ma] chair ; il m’a frappé, je lui ai donné [ma] chair ; il a pris par violence mon chameau, je lui ai donné [ma] chair (il m’a dit de mauvaises paroles, je lui ai patiemment tendu le dos ; il m’a frappé, je lui ai patiemment tendu le dos ; il m’a pris par violence mon chameau, je lui ai patiemment tendu le dos)). — êsa ⵙⴰ (êsé ⵙⵉ) sm. (pl. êsâten ⵙⵜⵏ) ‖ objet servant à tapisser le sol pour déposer sur lui de la viande fraîche (p. ex. branchages, herbages, natte, etc.) ‖ quand on dépèce un an. de boucherie ou une pièce de gibier, pour que les morceaux de viande fraîche ne se souillent pas de terre, on étend sur le sol des branchages, des herbages, une natte, des peaux, des étoffes, ou autre chose ; ce tapis improvisé est un êsa ‖ la prononciation êsa est beauc. plus us. que la prononciation êsé. ⵙ té̆sa ⵜⵙⴰ sf. φ (pl. tisattîn ⵜⵙⵜⵏ), daṛ tsattîn ‖ ventre (de p. ou d’an.) ‖ p. ext. « côté maternel (côté duquel on descend par sa mère et ses aïeules maternelles de fem. en fem. ; côté duquel on descend en lignée maternelle de mère en fille) ». v. ⵔⵔ ăroûri ‖ ăher té̆sa : v. ⵂⵔ aher ‖ p. ext. « plaine légèrement concave ; terrain de forme concave ; cuvette (terrain concave) (de dimension qlconque) ; dépression (de terrain) ; bas-fond ; fond (de n’importe quel accident du sol, vallée, ravin, lit de vallée, etc.) ». (Ex. té̆sa n ăṛahar ⁒ le fond de la vallée (l’espace qui est entre les pieds des 2 flancs de la vallée) = té̆sa n tăṛezzit ⁒ le fond du lit [du cours d’eau] (le bas-fond qui forme le lit [du cours d’eau]) ‖ d. le s. « cuvette (terrain concave) (de dimension qlconque) », est syn. d’ăbatoul et d’aṛlal. v. ⴱⵜⵍ ăbatoul. ⵙ tîsît ⵜⵙⵜ sf. (pl. tîsâtîn ⵜⵙⵜⵏ) ‖ miroir ‖ se dit de tout miroir, qlq. soient sa forme, sa dimension et la matière dont il est fait ‖ les miroirs en usage dans l’Ăh. sont tous en verre et d’origine européenne ; presque tous sont ronds, de 0m,04c à 0m,06c de diamètre ‖ p. ext. « petit cirque dans les montagnes (à la naissance d’une vallée) » ‖ p. ext. « lunette (astronomique ; d’approche) ; paire des lunettes ; binocle ; monocle ; loupe » ‖ p. ext. « verre (de montre ; de boussole) ». ⵙ tâsa ⵜⵙⴰ sf. (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. tâsiouîn ⵜⵙⵓⵏ) ‖ nom d’un arbisseau persistant (« anabasis articulata Moq. » (B. T.)) (ar. « ậjrem ») ‖ syn. de bender. ⵙ tâsout ⵜⵙⵜ sf. (col. s. n. d’u.) (pl. de div. tâsoûtîn ⵜⵙⵜⵏ) ‖ débris de pelures de dattes ‖ quand on manie des dattes entières, fraîches ou sèches, des fragments de pelure se détachent pendant le maniement ; ces débris de pelure s’appellent tâsout. ⵙ essa ⵙⴰ nom de nombre card. ; ms. ; α μ (fs. essâhet ⵙⵂⵜ) ‖ sept ‖ voir l’emploi des noms de nombre card. à ⴾⵔⴹ keraḍ. ⵙ s ⵙ (es ⵙ, is ⵙ, ich ⵛ) pr. af. dép. des noms ; 3e p. s. (forme irrégulière) ‖ de lui ; d’elle ‖ v. ⵉ i (é). — sen ⵙⵏ (ssen ⵙⵏ, isen ⵙⵏ (hisen ⵂⵙⵏ), issen ⵙⵏ (hissen ⵂⵙⵏ)) pr. af. dép. des noms ; 3e p. mp. (forme irrégulière) ‖ d’eux ‖ v. ⵉ i (é). — snet ⵙⵏⵜ (isnet ⵙⵏⵜ) pr. af. dép. des noms ; 3e p. fp. (forme irrégulière) ‖ d’elles ‖ v. ⵉ i (é). — âs ⵙ (hâs ⵂⵙ) pr. af. rég. ind. des v. ; 3e p. s. ‖ à lui ; à elle ‖ v. ⵉ i (é). — âsen ⵙⵏ (hâsen ⵂⵙⵏ) pr. af. rég. ind. des v. ; 3e p. mp. ‖ à eux ‖ v. ⵉ i (é). — âsnet ⵙⵏⵜ (hâsnet ⵂⵙⵏⵜ) pr. af. rég. ind. des v. ; 3e p. fp. ‖ à elles ‖ v. ⵉ i (é). — s ⵙ (es ⵙ, âs ⵙ, is ⵙ) pr. af. rég. des particules ; 3e p. s. ‖ lui ; elle ‖ v. ⵉ i (é). — sen ⵙⵏ (esen ⵙⵏ, isen ⵙⵏ, issen ⵙⵏ) pr. af. rég. des particules ; 3e p. mp. ‖ eux ‖ v. ⵉ i (é). — snet ⵙⵏⵜ (esnet ⵙⵏⵜ, isnet ⵙⵏⵜ) pr. af. rég. des particules ; 3e p. fp. ‖ elles ‖ v. ⵉ i (é). ⵙ s (es ⵙ) pi. prép. μ ‖ à ; pour ; vers, dans, chez, auprès de, à (dans ; auprès de) ; de vers, de dans, de chez, d’auprès de, de (de dans ; d’auprès de) ; par, au moyen de, avec (au moyen de) ‖ i et s (es) « à ; pour » sont les 2 prépositions du datif. Quand le subs. ou le pron. au datif sont après la prép., celle-ci est touj. i ; quand ils sont avant la prép., celle-ci est touj. s. v. des ex. à ⵉ i « à ; pour » ‖ les prép. i et s du datif signifient « à » dans le sens de « pour », non dans le sens de « de ; de chez ; d’auprès de », sauf dans les cas dans lesquels le sens général indique avec évidence le contraire. v. des ex. à ⵉ i « à ; pour » ‖ dans les sens « vers, dans, chez, auprès de, à (dans, auprès de) », s accompagne souv. des subs. ou des pron. exprimant des p., des an., ou des lieux auxquels on va ; il peut souv. se traduire par « à (dans, auprès de) ». Dans ces mêmes sens, il accompagne souv. des mots signifiant des heures du jour ou de la nuit, p. ex. « lever du soleil », « matin », « milieu du jour », « après-midi », « coucher du soleil », « lever de la lune », etc. ; il se traduit hab. par « à (dans) ». Il accompagne souv. les mots « jour » et « nuit » ; il peut se traduire par « de [jour] (dans [le jour]) », « de [nuit] (dans [la nuit]) ». Il accompagne parfois des noms de lieux ou de temps, avec lesquels il peut se rendre par « en (dans) ». Qlqf. il peut se remplacer par berin « vers », daṛ « dans », ṛour « chez ; auprès de », mais non toujours ; il n’est pas syn. de ces mots ; ils s’emploient dans des cas où on n’emploie pas s, et réciproquement ; s, dans ces sens, signifie hab. « à (dans, auprès de) », c. à d. qu’il a un sens plus précis que « vers » et qu’« auprès de », et moins précis que « dans » et que « chez ». (Ex. aoui oûdi ouâ-reṛ es Fendou ⁒ apporte ce beurre vers F. (apporte ce beurre à F.) = eloui tiṛsé tâ-reṛ s oulli ⁒ conduis cette chèvre vers les chèvres (conduis cette chèvre au troupeau de chèvres) = ekteb têreout es Tămaṅṛaset ⁒ écris une lettre vers T. (écris une lettre à T.) = ious-ed es toufat ; iglă s tădeggat ⁒ il est arrivé dans le matin ; il est parti dans l’après-midi (il est arrivé le matin, il est parti l’après-midi) = Kenân ious-ed s ahel, Biska ious-ed s éhoḍ ⁒ K. est arrivé dans le jour, B. est arrivé dans la nuit (K. est arrivé de jour, B. est arrivé de nuit ; K. est arrivé le jour, B. la nuit) = ious-ed es tĕġrest, iglă s ăouîlen ⁒ il est arrivé dans l’hiver, il est parti dans l’été (il est arrivé en hiver, il est parti en été ; il est arrivé l’hiver, il est parti l’été) = inn ê s ăzzal ⁒ il le vainct dans la course (il le vainct à la course ; il est plus rapide à la course que lui)) ‖ d. les s. « de vers, de dans, de chez, d’auprès de, de (de dans, d’auprès de) », s peut avoir pour rég. une p., un an., ou une ch. ; il est très rarement employé dans ces sens, excepté quand il accompagne des rég. ind. du v. eġmi « chercher », du v. etter « demander [de Dieu] dans la prière », ou de qlq. autres v. analogues. (Ex. eġmi oûdi s Hekkou ⁒ cherche du beurre de chez H. (demande du beurre à H.) = eġmi amis es Biska, es têreout ⁒ cherche un chameau de chez B., par lettre (demande un chameau à B., par lettre) = eġmi ăk̤ s oulli ⁒ cherche du lait d’auprès des chèvres = eġmi té̆iné s Tăouat ⁒ cherche des dattes de dans le Touat (cherche des dattes au T.)) ‖ dans les sens « par, au moyen de, avec (au moyen de) », s peut avoir pour rég. une p., un an., ou une ch., qui sont la cause, l’instrument, le moyen, la matière, etc., d’un fait, d’un acte, d’une ch., etc. Dans les sens « au moyen de, avec (au moyen de) », s est qlqf. mais non touj. syn. de daṛ. (Ex. eġmi aouâ-reṛ ṛour Bêdé s Hekkou ⁒ cherche ceci de B. par H. (demande ceci à B. par le moyen de H. (par l’entremise de H.)) = ezzĭñheṛ êred s ĕmis ⁒ j’ai acheté du blé au moyen d’un chameau (au prix d’un chameau, en donnant en paiement un chameau) = ăkâl ichchâḍ es menna ⁒ le pays est laid par la sécheresse (le pays est laid par suite de la sécheresse) = iouĕt i s tăkoûba ⁒ il m’a frappé au moyen d’une épée (il m’a frappé avec une épée) = eżmi es stenfous ouâ-reṛ ⁒ couds au moyen de cette aiguille-ci (couds avec cette aiguille-ci) = ăkous oua-h iknâ s ăseṛir, oua-h iknâ s dâroṛ, oua-h iknâ s tălaḳ ⁒ ce vase à boire est fait avec du bois, celui-là est fiat avec du laiton, celui-là est fait avec de l’argile = ét teġroued témsé s bekkâḍen nek ⁒ tu trouveras le feu au moyen de tes péchés (tu recevras l’enfer com. prix de tes péchés)) ‖ mani s : v. ⵎ mi, mani ‖ a s « ce que dans (ce dans quoi) » signifie p. ext. « que ; lorsque ; dès que ». Quand a s signifie « que », il s’emploie com. innîn « que » dans son sens propre ; v. l’emploi d’a s « que » à ⵏⵏ innîn. Quand a s signifie « lorsque », il est syn. d’a d « ce que dans » et d’éoua d « le lieu que dans ; le moment que dans » employés d. le s. « lorsque ». (Ex. our essineṛ a s iglă ⁒ je n’ai pas su ce que dans il est parti (je n’ai pas su qu’il fût parti) = ab a s emoûsen haret ⁒ il n’y a plus de ce que dans ils sont chose (ils ne sont plus rien) = ab a s lân haret ⁒ il n’y a plus de ce que dans ils ont chose (ils n’ont plus rien) = a s iglă, iéouĕi tăkoûba hin ⁒ ce que dans il est parti, il a apporté mon épée (quand il est parti, il a emporté mon épée) = a s t nĕieṛ ekkĭḳ ḳ ⁒ ce que dans je l’ai vu je suis allé à lui (dès que je l’ai vu je suis allé à lui)) ‖ s « vers, dans, à (dans, auprès de) » s’emploie qlqf. en sous-entendant devant lui un verbe signifiant « jeter (faire aller ; forcer d’aller ; pousser ; pousser de force) », le rég. de s étant une p., un an., une ch., un acte. (Ex. laż irż âneṛ es tikra ⁒ la faim nous a cassés dans le vol (la faim nous a fait éprouver un grave dommage et nous a jetés dans le vol ; la faim nous a brisés et nous a jetés dans le vol) = menna terżă Biska daṛ Ăhaggar s Ăir ⁒ la sécheresse a cassé B. dans l’Ăh. a l’Ăir (la sécheresse a fait éprouver un grave dommage à B. dans l’Ăh. et l’a forcé d’aller dans l’Ăir ; la sécheresse a brisé B. dans l’Ăh. et l’a jeté dans l’Ăir)) ‖ s « vers, dans, à (dans, auprès de) » s’emploie qlqf. suivi de certaines particules com. dât, ḍeffer, eṅġoûm, kela d, etc. ; dans ces cas, il peut hab. se traduire par « en » ou « par ». Souvent, quand il est employé ainsi, on peut ad lib. le mettre ou ne pas le mettre ; quand il peut indifféremment se mettre ou non, sa présence constitue une longueur inutile et une inélégance, et il est préférable de ne pas le mettre. (Ex. es dât ⁒ par devant ; en avant ; par avant (avant cela, auparavant) = es ḍeffer ⁒ en arrière ; par derrière ; par après (après cela, ensuite) = es kela d ⁒ par antérieurement (auparavant) = s eṅġoûm ⁒ par auparavant (auparavant) = ekk oulli, eken taġella s dât ⁒ va aux chèvres, fais du pain par avant (auparavant) = our teḳḳimed es dât ; eḳḳel es ḍeffer ⁒ ne reste pas en avant, retourne en arrière = ekk Dâssin ; es ḍeffer tekked Koûka ⁒ va chez D. ; par après va chez K. (ensuite va chez K.) = s eṅġoûm lîṛ imnâs, dimardeṛ ab a s ten lîṛ ⁒ par auparavant j’ai des chameaux, maintenant il n’y a plus que dans je les ai (auparavant j’avais des chameaux, maintenant je n’en ai plus) = eṅġoûm lîṛ imnâs, dimardeṛ ou ten liṛ ⁒ auparavant j’ai des chameaux, maintenant je n’en ai pas (m. s. q. le pr. ; plus élégant que le précédent) = es kela d fîṛ tămeṭ toulâṛet ; dimardeṛ oul liṛ ar ti techchâḍet ⁒ par antérieurement j’ai une f. étant bonne ; maintenant je n’ai si ce n’est une qui étant mauvaise (auparavant j’avais une bonne f. ; maintenant je n’en ai qu’une mauvaise) = kela d lîṛ tămeṭ toulâṛet ; dimardeṛ oul liṛ ar techchâḍet ⁒ antérieurement j’ai une f. étant bonne ; maintenant je n’ai si ce n’est une qui étant mauvaise (m. s. q. le pr. ; plus élégant que le précédent)) ‖ v. ⵙⵔ ser. — s-ei-deṛ ⵙⵉⴷⵗ pi. adv. ‖ vers là ; de vers là ‖ exprime l’éloignement modéré dans l’espace ‖ est composé d’s « vers », ei syllabe sans signification entrant dans la composition de certains pronoms et de certaines particules sans rien ajouter à leur sens, deṛ syllabe sans signification précise exprimant la proximité ou l’éloignement modérés ‖ peut hab. se traduire par « là ; de là » ‖ ex. ṛaim s-ei-deṛ ⁒ reste vers là = ioi êt s-ei-deṛ ⁒ il l’a laissée vers là = eḳḳel s-ei-deṛ ⁒ retourne vers là = ikkă s-ei-deṛ ⁒ il est allé vers là = illâ s-ei-deṛ tekkîd ⁒ il est vers là [où] tu vas = Koûka teh Ăsekrem ; eġrĕoueṛ oûdi s-ei-deṛ ⁒ K. est dans Ă. ; j’ai trouvé du beurre vers là (ou : de vers là) (j’ai reçu du beurre là (en y allant) ; ou : j’ai reçu du beurre de là (qu’on m’a apporté de là)) = âles an s-ei-deṛ a ten innĕn ⁒ un h. de vers là ce qui les ayant dits (c’est un h. de là qui l’a dit). — s-în ⵙⵏ pi. adv. ‖ vers là ; vers là-bas ; de vers là ; de vers là-bas ‖ exprime l’éloignement absolu dans l’espace ‖ est composé d’s « vers », et în « là ; là-bas » ‖ peut hab. se traduire par « là ; là-bas ; de là ; de là-bas » ‖ ex. ṛaim s-în ⁒ reste vers là-bas = ioi êt s-în ⁒ il l’a laissée vers là-bas = eḳḳel s-în ⁒ retourne vers là-bas = ikkă s-în ⁒ il est allé vers là-bas = ousĕn-d midden ed-fĕlnîn Tit ; éouĕien i-d têreout s-în ⁒ sont arrivés ici des h. ayant quitté T., il m’ont apporté une lettre de vers là-bas (des h. venant de T. sont arrivés ici ; ils m’ont apporté une lettre de là-bas) = âles en s-în a ten innĕn ⁒ un h. de vers là-bas ce qui les ayant dits (c’est un h. de là-bas qui l’a dit). — s-în-deṛ ⵙⵏ⵿ⴷⵗ pi. adv. ‖ m. s. q. le pr. ‖ est composé d’s « vers », în « là ; là-bas », deṛ syllabe sans signification précise exprimant la proximité ou l’éloignement modérés. — s-î-reṛ ⵙⵔⵗ pi. adv. ‖ vers ici ; de vers ici ‖ exprime la proximité absolue dans l’espace ‖ est composé d’s « vers », î contraction d’ei syllabe sans signification entrant dans la composition de certains pronoms et de certains particules sans rien ajouter à leur sens, reṛ syllabe sans signification précise exprimant la proximité absolue ‖ peut souv. se traduire par « ici ; d’ici » ‖ ex. ṛaim s-î-reṛ ⁒ assieds-toi vers ici = eḳḳel s-î-reṛ ⁒ retourne vers ici (reviens ici) = éo s-î-reṛ ⁒ viens vers ici (viens ici) = Fendou ih Ăir ; hik é tt asin salân s-î-reṛ ⁒ F. est dans l’Ăir ; vite lui arriveront des nouvelles de vers ici (bientôt lui arriveront des nouvelles d’ici). — s-innîn ⵙⵏⵏ pi. conj. ‖ que ‖ p. ext. « parce que ; pour que » ‖ syn. d’innîn et d’ininnîn ‖ d. le s. « que », est syn. d’innîn, d’ininnîn et d’a s ‖ d. le s. « parce que », est syn. d’innîn, d’ininnîn, de d-innîn, de foull innîn, de foull âs, et de foull âs innîn ‖ d. le s. « pour que », est syn. d’innîn, d’ininnîn, de d-innîn, et de foull innîn ‖ v. ⵏⵏ innîn. — a s ‖ v. s (es). — a s innîn ‖ v. ⵏⵏ innîn. — sé̆ ⵙⵉ pi. adv. ‖ vers là ‖ exprime l’éloignement modéré dans l’espace ‖ peut souv. se trauire par « là » ‖ ex. ellân sé̆ ⁒ ils sont vers là = ekkĕn sé̆ ⁒ ils sont allés vers là = mani d insă ? – sé̆ ⁒ où s’est-il couché ? – vers là = ṛaim sé̆ ⁒ assieds toi vers-là. — sé̆-h ⵙⵂ pi. adv. ‖ m. s. q. le pr. ‖ sé̆-h ien : v. ⵉⵏ ien. — sé̆-n-d-în ⵙⵏ⵿ⴷⵏ pi. adv. ‖ vers ce lieu-là (d’autrefois) ‖ exprime l’éloignement modéré dans l’espace et l’éloignement absolu dans le temps réunis. — sé̆-n-d-în-deṛ ⵙⵏ⵿ⴷⵏ⵿ⴷⵗ pi. adv. ‖ m. s. q. le pr. — sé̆-hîn ⵙⵂⵏ (Ăd.) pi. adv. ‖ vers là ; vers là-bas ‖ non us. dans l’Ăh. — sé̆-hîn-deṛ ⵙⵂⵏ⵿ⴷⵗ (Ăd.) pi. adv. ‖ m. s. q. le pr. ‖ non us. dans l’Ăh. — sé̆-oua-h ⵙⵓⵂ pi. adv. ‖ syn. de sé̆-h ‖ expression incorrecte. — sé̆-ha ⵙⵂⴰ (sé̆-hah ⵙⵂⵂ) (Ăd.) pi. adv. ‖ m. s. q. le pr. ‖ non us. dans l’Ăh. — mani-sé̆ ‖ v. ⵎ mi. — mani-sé̆-h ‖ v. ⵎ mi. ⵙⴱ isîben ⵙⴱⵏ sm. φ (pl. s. s.), daṛ sîben ‖ grain produit par une espèce d’ălemmoż ‖ l’isîben est un grain très petit et aplati, plus petit que le sorgho à petits grains ; il est comestible et d’un goût agréable. Il existe dans l’Ăd. et l’Ăir, mais non dans l’Ăh. ⵙⴱ essâbo ⵙⴱⵓ ✳ sm. (pl. essâbôten ⵙⴱⵜⵏ) ‖ savon. ⵙⴱ essebbet ⵙⴱⵜ ✳ sf. (pl. essebbetîn ⵙⴱⵜⵏ) ‖ cause ; motif ‖ peu us. — essebab ⵙⴱⴱ sm. (pl. essebaben ⵙⴱⴱⵏ) ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. ⵙⴱⴱ essebab ‖ v. ⵙⴱ essebet. ⵙⴱⴾ sebekket (Ta. 1) ‖ v. ⴱⴾ beket (Ta. 1). ⵙⴱⵆⵏ sebk̤ân ⵙⴱⵆⵏ ✳ vn. prim. ; irr. XII ‖ être glorifié (le suj. étant Dieu) ‖ sebk̤ân n’a que 2 personnes, la 2e p. s. et la 3e p. ms. s. de l’indicatif présent positif. Ces 2 personnes sont sebk̤âned, sebk̤ân ‖ p. ext. « Dieu, il est glorifé ! » ; dans ce s., sebk̤ân est un subs. ms. v. ⵉⵍ Ialla. ⵙⴱⵍ tesoubla ⵜⵙⴱⵍⴰ sf. φ (pl. tisoûblaouîn ⵜⵙⴱⵍⵓⵏ), daṛ tsoûblaouîn ‖ grande aiguille de tapissier (ayant environ 0m,15c à 0m,20c de long). — tesougla ⵜⵙⴳⵍⴰ sf. φ (pl. tisoûglaouîn ⵜⵙⴳⵍⵓⵏ), daṛ tsoûglaouîn ‖ m. s. q. le pr. ‖ expression incorrecte. ⵙⴱⵍ essebîl ⵙⴱⵍ ✳ sm. (pl. essebîlen ⵙⴱⵍⵏ) ‖ chose consacrée à Dieu pour servir perpétuellement à un usage de bienfaisance ‖ tout ce qui est consacré à Dieu pour servir à perpétuité à un usage de bienfaisance, de qlq. nature et valeur que ce soit, est un essebîl. Un bien-fonds, un champ, un jardin, un troupeau, consacrés à Dieu pour que leur revenu soit perpétuellement employé en aumônes, sont des essebîl ; un puits, un chemin, une maison, une outre, une marmite, une meule à moudre le grain, consacrés à Dieu pour servir à perpétuité à l’usage du public, sont des essebîl ; un esclave consacré à Dieu et placé en un lieu où, sa vie durant, il servira les pauvres, les voyageurs, ou les marabouts, est un essebîl. ⵙⴱⵍ sebîli ⵙⴱⵍⵉ ✳ (Ăj.) sm. (pl. sebîlîten ⵙⴱⵍⵜⵏ) ‖ nom d’une monnaie d’argent frappée en Europe valant à peu près 0f,50c ‖ non us. dans l’Ăh. ⵙⴱⵔ é̆seber ⵙⴱⵔ sm. φ (pl. isebrân ⵙⴱⵔⵏ), daṛ sebrân ‖ natte d’afeżou (se plaçant verticalement et servant de paravent) ‖ les é̆seber ont d’1m à 1m,25c de haut ; leur longueur varie entre 5m et 10m. Les Kel-Ăh. font grand usage d’é̆seber ; ils en mettent en tout lieu qu’ils veulent abriter contre le vent ou la poussière ; toute tente est hab. entourée d’é̆seber. v. ⴷⵙ eddes, tasdest ‖ diffère de tăousit « natte d’afeżou (se plaçant horizontalement et servant de tapis pour s’asseoir ou se coucher) » et de té̆sebert « m. s. q. le pr. ». — té̆sebert ⵜⵙⴱⵔ⵿ⵜ sf. φ (pl. tisebrîn ⵜⵙⴱⵔⵏ), daṛ tsebrîn ‖ natte d’afeżou (se plaçant horizontalement et servant de tapis pour s’asseoir ou se coucher) ‖ syn. de tăousit empl. d. ce s. ‖ peu us. ⵙⴱⵔ sâbera ⵙⴱⵔⴰ (Soudan) sm. (pl. sâberâten ⵙⴱⵔⵜⵏ) ‖ grand coussin rectangulaire très orné, en peau, servant à être posé com. siège sur les montures des fem. ‖ le sâbera a 0m,60c à 0m,70c de large et 1m,50c de long ; il est orné de longues franges ; on met à son intérieur des herbes sèches tendres pour qu’il forme un siège comfortable ; on le place sur le dos des montures de femmes, surtout des bœufs et des ânes, en manière de siège. Le sâbera, très us. dans l’Ăir, ne l’est nullement dans l’Ăh. ‖ très peu us. ⵙⴱⵗ ăsebaṛi ⵙⴱⵗⵉ ✳ sm. φ (pl. isebouṛai ⵙⴱⵗⵉ ; fs. tăsebaṛit ⵜⵙⴱⵗⵜ ; fp. tisebouṛai ⵜⵙⴱⵗⵉ), daṛ sebouṛai, daṛ tsebouṛai ‖ jeune garçon sorti de la petite enfance et non parvenu à l’adolescence (jeune garçon de 12 à 14 ans) ‖ peu us. ⵙⴱⵜ Isebeten ⵙⴱⵜⵏ ⁂ sm. pl. φ (ms. Ésebet ⵙⴱⵜ ; fs. Tésebet ⵜⵙⴱⵜ ; fp. Tisebetîn ⵜⵙⴱⵜⵏ), daṛ Sebeten, daṛ Ăsebet (Ĕsebet), daṛ Tăsebet (Tĕsebet), daṛ Tsebetîn ‖ np. d’une peuple antique et disparu qui, dit-on, habita l’Ăh. avant l’établissement de l’islam dans le pays ‖ il ne reste de trace des Isebeten que dans un petit nombre de légendes qui en font mention com. de gens à esprit borné, parlant la langue touaregue dans un dialecte spécial et grossier. Les Isebeten, disent certains, sont les ancêtres des ămeṛid de l’Ăh., tandis que les nobles, venus d’une autre contrée à une époque postérieure, ont une origine différente ‖ Ésebet s’empl. qlqf. com. expr. de dérision, pour désigner qlq’un de court d’esprit, par allusion à l’intelligence bornée attribuée aux Isebeten ‖ v. ⵂⴳⵔ ăhaggar. ⵙⴱⵜ essebet ⵙⴱⵜ ✳ sf. (pl. essebetîn ⵙⴱⵜⵏ) ‖ samedi. ⵙⴷ essed ⵙⴷ va. prim. ; conj. 27 « eddel » ; (issĕd, issâd, éd issed, our issid) ‖ enfoncer (faire entrer ; faire pénétrer) (dans qlq. ch. d’étroit ou dans une masse solide, liquide, ou pâteuse) ‖ a aussi les s. pas. et pron. « être enfoncé » et « s’enfoncer » ‖ peut avoir pour suj. et pour rég. dir. des p., des an., ou des ch. ‖ se dit, p. ex. d’un h. qui enfonce une p. dans des couvertures ou dans de l’eau, qui enfonce sa main dans un sac, un trou, une fente, de l’eau, du beurre, de la farine, du blé, une pile d’étoffes, une poche ; qui enfonce son doigt dans sa bouche ou son oreille, qui enfonce un clou dans une planche, un piquet dans le sol ou dans un mur ; qui enfonce n’importe quoi dans un trou, une fente, un sac, une caîsse, une poche, une oreille, une narine, une rangée de livres, und pile d’étoffes, de la farine, du sable, du blé, de l’eau ; se dit d’une maladie qui enfonce les yeux de qlq’un dans ses orbites, d’une cause qlconque qui enfonce la tête de qlq’un entre ses épaules, de gens qui enfoncent leur campement uu leur village entre des montagnes, de Dieu qui enfonce un lieu entre des hauteurs, etc. — soused ⵙⵙⴷ va. f. 1 ; conj. 163 « soudel » ; ρ (iessoŭsed, iessoûsed, éd isoused, our iessoused) ‖ faire enfoncer ‖ se c. av. 2 acc. — tâssed ⵜⵙⴷ va. f. 6 ; conj. 226 « tâddel » ; (itâssed, our itessed) ‖ enfoncer hab. ‖ a aussi les s. pas. et pron. — soûsoûd ⵙⵙⴷ va. f. 1.18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (isoûsoûd, our isousoud) ‖ faire hab. enfoncer ‖ se c. av. 2 acc. — oûsoûd ⵙⴷ sm. nv. prim. ; (pl. oûsoûden ⵙⴷⵏ) ‖ fait d’enfoncer ‖ a aussi les s. pas. et pron. « fait d’être enfoncé » et « fait de s’enfoncer ». — ăsoûsed ⵙⵙⴷ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isoûsoûden ⵙⵙⴷⵏ), daṛ soûsoûden ‖ fait de faire enfoncer. ⵙⴷ seddou ⵙⴷⵓ ✳ va. f. 1 ; conj. 169 « semdou » ; ω (issĕdda, iessîdda, éd iseddou, our isedda) ‖ conduire jusqu’au terme (faire parvenir) ‖ peur avoir pour suj. et pour rég. dir. des p., des an., ou des ch. ‖ p. ext. « être capable de conduire jusqu’au terme (act.) ; suffire pour [une p., un an., une ch.] jusqu’au terme (act.) » ‖ p. ext. « être capable de (act.) ; suffire pour (act.) ; être capable (n.) ; suffire (n.) ». Se dit de p., d’an., de ch. qui sont capables de conduire une p., un an., une ch. au terme d’un voyage, d’un laps de temps, d’un travail, d’un ouvrage, etc., ou qui, d’une façon générale, sont suffisants pour tous les services qu’on leur demande d’habitude ‖ p. ext. « conduire à bonne fin (act.) ; mener à bonne fin (act.) ; mener à bien (act.) », le suj. étant une p., et le rég. dir. étant un travail, un ouvrage, une affaire, un acte. — sîddou ⵙⴷⵓ va. f. 1.12 ; conj. 244 « tîmendou » ; (isîddou, our iseddou) conduire hab. jusqu’au terme ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăseddou ⵙⴷⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseddoûten ⵙⴷⵜⵏ), daṛ seddoûten ‖ fait de conduire jusqu’au terme ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. ⵙⴷ ăseddi ‖ v. ⴷⴷ aded. ⵙⴷⴷ isdad ⵙⴷⴷ vn. prim. ; conj. 78 « isdad » ; (sedĭd, sedîd, éd isdad, our sedid) ‖ être mince ‖ peut avoir pour suj. une p., un an., ou une ch. ‖ en parlant des p. et des an., signifie « être mince » et non « être maigre ». — sesded ⵙⵙⴷⴷ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕsded, iessîsded, éd isesded, our issesded) ‖ rendre mince. — tîsdâd ⵜⵙⴷⴷ vn. f. 18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (itîsdâd, our itisdad) ‖ être hab. mince ‖ p. ext. « s’amincir (devenir plus mince) ». — sâsdâd ⵙⵙⴷⴷ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâsdâd, our isesdid) ‖ rendre hab. mince. — teseddé ⵜⵙⴷⵉ sf. nv. prim. ; (pl. teseddiouîn ⵜⵙⴷⵓⵏ) ‖ fait d’être mince. — ăsesded ⵙⵙⴷⴷ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesdîden ⵙⵙⴷⴷⵏ), daṛ sesdîden ‖ fait de rendre mince. ⵙⴷⴾⵏ ăseddekân ⵙⴷⴾⵏ sm. φ (pl. iseddekânen ⵙⴷⴾⵏⵏ), daṛ seddekânen ‖ couverture faite de morceaux d’étoffe de toute sorte superposés et cousus ensemble ‖ syn. de tăbardé et plus us. que lui. — tăseddekant ⵜⵙⴷⴾⵏ⵿ⵜ sf. φ (pl. tiseddekânîn ⵜⵙⴷⴾⵏⵏ), daṛ tseddekânîn ‖ dim. du pr. ⵙⴷⵔⵉ essedriet ⵙⴷⵔⵉⵜ ✳ sf. (pl. essedrietîn ⵙⴷⵔⵉⵜⵏ) ‖ gilet ‖ les gilets sont très rares dans l’Ăh. ‖ v. ⵂⵏ éhen, ăhenfous. ⵙⴹ taseṭṭa ⵜⵙⵟⴰ sf. φ (pl. tiseḍoua ⵜⵙⴹⵓⴰ), daṛ tĕseṭṭa (tăseṭṭa), daṛ tseḍoua ‖ branche coupée d’arbre épineux (branche coupée de n’importe quelle dimension d’arbre épineux qlconque) ‖ syn. de tareṭṭa empl. d. ce s. ⵙⴹⵙ seḍis ⵙⴹⵙ nom de nombre card. ; ms. ; α μ (fs. seḍîset ⵙⴹⵙⵜ) ‖ six ‖ voir l’emploi des noms de nombre card. à ⴾⵔⴹ keraḍ. — ămesseḍis ⵎⵙⴹⵙ sm. φ (pl. imesseḍâs ⵎⵙⴹⵙ ; fs. tămesseḍist ⵜⵎⵙⴹⵙ⵿ⵜ ; fp. timesseḍâs ⵜⵎⵙⴹⵙ), daṛ messeḍâs, daṛ tmesseḍâs ‖ an. de 6 dents de devant (an. qui a pris ses 5e et 6e dents incisives dans l’année (an. qui a pris ses 5e et 6e dents incisives depuis moins d’un an révolu)) ‖ s’empl. en parlant des chevaux, chameaux, bœufs, moutons, chèvres ‖ en parlant d’un chameau, signifie p. ext. « chameau dans sa 8e année (chameau de 7 ans) » ‖ le masc. ămesseḍis signifie aussi « corde à 6 brins (en matière qlconque) ». P. ext. « corde très forte (à brins en nombre qlconque, en n’importe quelle matière) » ‖ v. ⵓ ioui, ăou. ⵙⴼ ousaf ⵙⴼ vn. prim. ; conj. 85 « oufad » ; (iessoŭf, iessoûf, éd iousaf, our iessouf) ‖ être solitaire (être sans aucun être humain) (le suj. étant une p., un an., un lieu) ‖ p. ext. « s’ennuyer ». Se dit d’une p. qui s’ennuie soit seule, soit entourée de monde, pour n’importe quel cause. — toûsâf ⵜⵙⴼ vn. f. 18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (itoûsâf, our itousaf) ‖ être hab. solitaire ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsouf ⵙⴼ sm. nv. prim. ; φ (pl. isoûfen ⵙⴼⵏ), daṛ soûfen ‖ fait d’être solitaire ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ signifie aussi « solitude (fait d’être solitaire ; lieu solitaire) ; ennui (fait de s’ennuyer) » ‖ p. ext. « tristesse de la solitude [d’une p., d’un an., d’une ch.] (tristesse du fait d’être sans [une p., un an., une ch.] ; tristesse de la privation de la présence [d’une p., d’un an., d’une ch.]) ». D. ce s., ăsouf est suivi d’un mot au génitif exprimant ce dont l’absence attriste. Se dit, p. ex., de qlq’un qui souffre d’être privé de la présence de son ami, de ses troupeaux, de ses champs, de sa maison, de son pays, etc. (Ex. iṅṛ i ăsouf ennem ⁒ me tue la tristesse de la solitude de toi (la tristesse d’être sans toi me tue) = iġrĕou i ăsouf n eddoûnet in ⁒ m’a trouvé la tristesse de la solitude de mes gens (la tristesse d’être sans ma famille m’a atteint)) ‖ ekkes ăsouf : v. ⴾⵙ ekkes ‖ ăgg-ăsouf « fils de la solitude » (pl. kel-ăsouf ; fs. oult-ăsouf ; fp. chêt-ăsouf) signifie « mauvais esprit (génie (ar. « jenn ») qui nuit aux humains dans les ch. terrestres mais ne tente pas) ». v. ⵍⵂⵏ ălhin. — ésafé ⵙⴼⵉ sm. φ (pl. isafêten ⵙⴼⵜⵏ), daṛ ăsafé (ĕsafé), daṛ safêten ‖ ventouse ‖ on se sert com. ventouses, dans l’Ăh., de cornes de vaches dont la pointe est percée d’un trou ; on en aspire l’air avec la bouche par la pointe ‖ ekkes ésafé : v. ⴾⵙ ekkes. — ăsouf ⵙⴼ sm. ‖ vallée ‖ vieux mot tombé en désuétude, qui ne se trouve plus que dans des np. ‖ syn. d’éṛahar ‖ non us. dans l’Ăh. — ăsif ⵙⴼ (dial. Berb. séd. Ṛ. et Ġ.) sm. φ (pl. isaffen ⵙⴼⵏ), daṛ saffen ‖ vallée ‖ non us. dans l’Ăh. ⵙⴼ isoûf ‖ v. ⴾⴼ ekf. ⵙⴼⴹ esfeḍ ⵙⴼⴹ va. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (isfĕḍ, isfâḍ, éd isfeḍ, our isfiḍ) ‖ nettoyer [une p., un an., une ch.] (en brossant, époussetant, essuyant, enlevant par un procédé qlconque, à sec et sans secouer, la poussière, le sable, la terre, la matière en poudre qlconque qui sont sur eux) ; enlever [la poussière, le sable, la terre, une matière en poudre qlconque de sur une p., un an., une ch.] (en brassant, époussetant, essuyant, ou par un autre procédé, à sec et sans secouer) ‖ a aussi les s. pas. et pron. « être nettoyé ; être enlevé » et « se nettoyer ; s’enlever » ‖ se dit, p. ex., de qlq’un qui brosse ou époussette un h., un cheval, un vêtement, une étoffe, un mur ; qui essuie un meuble ou une ch. qlconque pour en enlever la poussière ; qui brosse une meule couverte de farine pour en enlever la farine ; qui enlève la poussière, la couche de cendre, de farine, etc. qui sont sur qlq. ch., en brossant, époussetant, essuyant, etc., à sec et sans secouer ‖ peut qlqf. se traduire par « brosser ; épousseter ; essuyer » ‖ ayant pour rég. dir. le sol, ou de la terre, du sable qui recouvrent le sol, esfeḍ signifie « nettoyer [le sol] (en enlevant toute la couche de terre meuble ou toute la couche de sable qui sont à sa surface) ; enlever [la terre, le sable, de sur le sol] (en enlevant toute la couche de terre meuble ou toute la couche de sable) » ‖ diffère d’efreḍ « balayer [le sol (en enlevant les ordures qui sont à sa surface avec un instrument qlconque ou avec la main) ; les ordures (en les enlevant de la surface du sol avec un instrument qlconque ou avec la main)] ». — sesfeḍ ⵙⵙⴼⴹ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕsfeḍ, iessîsfeḍ, éd isesfeḍ, our issesfeḍ) ‖ faire nettoyer ; faire enlever ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. aus s. act. — sâffeḍ ⵙⴼⴹ va. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (isâffeḍ, our iseffeḍ) ‖ nettoyer hab. ; enlever hab. ‖ a aussi les s. pas. et pron. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâsfâḍ ⵙⵙⴼⴹ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâsfâḍ, our isesfiḍ) ‖ faire hab. nettoyer ; faire hab. enlever ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăsafaḍ ⵙⴼⴹ sm. nv. prim. ; φ (pl. isefâḍen ⵙⴼⴹⵏ), daṛ sefâḍen ‖ fait de nettoyer ; fait d’enlever ‖ a aussi les s. pas. et pron. « fait d’être nettoyé ; fait d’être enlevé » et « fait de se nettoyer ; fait de s’enlever » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsesfeḍ ⵙⵙⴼⴹ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesfîḍen ⵙⵙⴼⴹⵏ), daṛ sesfîḍen ‖ fait de faire nettoyer ; fait de faire enlever ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăsesfeḍ ⵙⵙⴼⴹ sm. φ (pl. isesfâḍ ⵙⵙⴼⴹ), daṛ sesfâḍ ‖ instrument servant à enlever la poussière (ou les matières en poudre) (p. ex. brosse, plumeau, etc.). — tăsesfeṭ ⵜⵙⵙⴼⵟ sf. φ (pl. tisesfâḍ ⵜⵙⵙⴼⴹ), daṛ tsesfâḍ ‖ m. s. q. le pr. ⵙⴼⴹ soufeḍ ⵙⴼⴹ ✳ va. f. 1 ; conj. 163 « soudel » ; ρ (iessoŭfeḍ, iessoûfeḍ, éd isoufeḍ, our iessoufeḍ) ‖ accompagner qlq. temps avant de prendre congé d’elle [une p. qui part] (faire une conduite à [une p. qui part]) ‖ syn. de sessegli empl. d. ce s. — mesoufeḍ ⵎⵙⴼⴹ vn. f. 1.2 ; conj. 52 « keroukeḍ » ; ρ (imsafeḍ, iemîsafeḍ, éd imsoufeḍ, our imsafeḍ) ‖ s’accompagner qlq. temps antre soi avant de prendre congé l’un de l’autre (marcher ensemble qlq. temps, l’un qui reste accompagnant l’autre qui part, avant de prendre congé l’un de l’autre). — mesoufaḍ ⵎⵙⴼⴹ vn. f. 1.2 ; conj. 185 « nemiġar » ; (imsafaḍ, iemîsafaḍ, éd imsoufaḍ, our imsafaḍ) ‖ m. s. q. le pr. — nesoufeḍ ⵏⵙⴼⴹ vn. f. 1.4 ; conj. 52 « keroukeḍ » ; ρ (insafeḍ, ienîsafeḍ, éd insoufeḍ, our insafeḍ) ‖ m. s. q. le pr. — nesoufaḍ ⵏⵙⴼⴹ vn. f. 1.4 ; conj. 185 « nemiġar » ; (insafaḍ, ienîsafaḍ, éd insoufaḍ, our insafaḍ) ‖ m. s. q. le pr. — soûfoûḍ ⵙⴼⴹ va. f. 1.18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (isoûfoûḍ, our isoufouḍ) ‖ accompagner hab. qlq. temps avant de prendre congé d’elle [une p. qui part]. — tîmsoûfoûḍ ⵜⵎⵙⴼⴹ vn. f. 1.2.14 ; conj. 249 « tîkroûkoûḍ » ; (itîmsoûfoûḍ, our itemsoufouḍ) ‖ s’accompagner hab. qlq. temps entre soi avant de prendre congé l’un de l’autre. — tîmsoûfâḍ ⵜⵎⵙⴼⴹ vn. f. 1.2.14 ; conj. 249 « tîkroûkoûḍ » ; (itîmsoûfâḍ, our itemsoufaḍ) ‖ m. s. q. le pr. — tînsoûfoûḍ ⵜⵏⵙⴼⴹ vn. f. 1.4.14 ; conj. 249 « tîkroûkoûḍ » ; (itînsoûfoûḍ, our itensoufouḍ) ‖ m. s. q. le pr. — tînsoûfâḍ ⵜⵏⵙⴼⴹ vn. f. 1.4.14 ; conj. 249 « tîkroûkoûḍ » ; (itînsoûfâḍ, our itensoufaḍ) ‖ m. s. q. le pr. — ăsoûfeḍ ⵙⴼⴹ sm. nv. f. 1; φ (pl. isoûfoûḍen ⵙⴼⴹⵏ), daṛ soûfoûḍen ‖ fait d’accompagner qlq. temps avant de prendre congé d’elle [une p. qui part]. — ămsoûfeḍ ⵎⵙⴼⴹ sm. nv. f. 1.2 ; φ (pl. imsoûfoûḍen ⵎⵙⴼⴹⵏ), daṛ ĕmsoûfoûḍen ‖ fait de s’accompagner qlq. temps antre soi avant de prendre congé l’un de l’autre. — ămsoûfaḍ ⵎⵙⴼⴹ sm. nv. f. 1.2 ; φ (pl. imsoûfâḍen ⵎⵙⴼⴹⵏ), daṛ ĕmsoûfâḍen ‖ m. s. q. le pr. — ănsoûfeḍ ⵏⵙⴼⴹ sm. nv. f. 1.4 ; φ (pl. insoûfoûḍen ⵏⵙⴼⴹⵏ), daṛ ĕnsoûfoûḍen ‖ m. s. q. le pr. — ănsoûfaḍ ⵏⵙⴼⴹ sm. nv. f. 1.4 ; φ (pl. insoûfâḍen ⵏⵙⴼⴹⵏ), daṛ ĕnsoûfâḍen ‖ m. s. q. le pr. — ămessîfeḍ ⵎⵙⴼⴹ sm. n. d’é. f. 1 ; φ (pl. imessoûfâḍ ⵎⵙⴼⴹ ; fs. tămessîfeṭ ⵜⵎⵙⴼⵟ ; fp. timessoûfâḍ ⵜⵎⵙⴼⴹ), daṛ messoûfâḍ, daṛ tmessoûfâḍ ‖ hom. qui accompagne qlq. temps [qlq’un] avant de prendre congé de lui ‖ ce qu’accompagne un ămessîfeḍ se met au gén. — ănessîfeḍ ⵏⵙⴼⴹ sm. n. d’é. f. 1 ; φ (pl. inessoûfâḍ ⵏⵙⴼⴹ ; fs. tănessîfeṭ ⵜⵏⵙⴼⵟ ; fp. tinessoûfâḍ ⵜⵏⵙⴼⴹ), daṛ nessoûfâḍ, daṛ tnessoûfâḍ ‖ m. s. q. le pr. — tesoûfeṭ ⵜⵙⴼⵟ sf. φ (pl. tisoûfḍîn ⵜⵙⴼⴹⵏ), daṛ tsoûfḍîn ‖ troupe de pers. qui accompagnent qlq. temps qlq’un avant de prendre congé de lui ‖ ce qu’accompagne une tesoûfeṭ se met au gén. ‖ une tesoûfeṭ peut se composer d’une p. ou d’un nombre qlconque de p. ⵙⴼⵍⵜⵙ seffeltes ‖ v. ⴼⵍⵜⵗ felteṛ. ⵙⴼⵔ ăsafâr ⵙⴼⵔ sm. φ (pl. isefrân ⵙⴼⵔⵏ), daṛ sefrân ‖ médicament (remède) ‖ se dit de tous les remèdes internes et externes, en quoi qu’ils consistent : tous les médicaments solides, liquides et pâteux, les cautérisations, les saignées, les bains, etc. sont des ăsafâr ‖ les Kel-Ăhaggar donnent le nom d’ăsafâr à des ch. que nous ne regardons pas com. des remèdes, telles que le sucre, le thé, le café, l’oignon, l’ail, le poivre, la plupart des épices, etc. ; ils tiennent ces substances pour des médicaments propres à guérir de maladies ‖ ăsafâr s’empl. au fig. d. le s. de « remède [de l’amour, de la tristesse, de l’ennui, de la colère, etc.] ». — sessefer ⵙⵙⴼⵔ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isseffer, iesîseffer, éd isesseffer, our isseffer) ‖ médicamenter (soigner en administrant des médicaments) [une p. ou un an. malades, une maladie, une plaie, une blessure, etc.] ‖ s’emploie souv. accompagné du nom de la p. ou de l’an. médicamentés au datif, un rég. dir. signifiant la maladie, la plaie, etc. étant exprimé ou s. e. ‖ ex. sessefer Kenân ⁒ médicamente K. = sessefer tourna n Kenân ⁒ médicamente la maladie de K. = sesseffer i Biska ăbouis ennît ⁒ médicamente à B. sa blessure = sesseffer i Biska ⁒ médicamente à B. [sa maladie, sa plaie, sa blessure, etc.] (médicamente B.). — sâseffâr ⵙⵙⴼⵔ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâseffâr, our iseseffir) ‖ médicamenter hab. — ăsesseffer ⵙⵙⴼⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesseffîren ⵙⵙⴼⵔⵏ), daṛ sesseffîren ‖ fait de médicamenter. ⵙⴼⵔ tăsoufra ⵜⵙⴼⵔⴰ sf. φ (pl. tisoufraouîn ⵜⵙⴼⵔⵓⵏ), daṛ tsoufraouîn ‖ sac en peau à large ouverture d’une espèce particulière (servant à mettre toute espèce de ch., menus objets, solides, liquides) ‖ la tăsoufra est formée d’une seule peau de chèvre, de mouton, ou de gazelle, dépouillée de ses poils et tannée, dont le cou et les 2 jambes de devant sont fermés par des fortes ligatures, et dont l’arrière-train est fendu d’un jarret à l’autre. Une corde en peau tressée est fixée d’une part à l’extrémité du membre postérieur gauche ; elle sert à suspendre la tăsoufra. La bouche de la tăsoufra est la large ouverture qui se trouve entre les 2 membres postérieurs ‖ AA sont les membres antérieurs, PP sont les membres postérieurs, C est le cou, D est la corde servant à suspendre la tăsoufra ‖ la tăsoufra sert à mettre toute espèce de ch, grains, dattes, provisions de bouche, menus objets, liquides ; elle sert souv. à mettre les liquides, l’eau, le lait, etc., qu’elle tient très frais. ⵙⴼⵜ sîfât ‖ v. ⴼⵜ fat. ⵙⴳ ésêg ⵙⴳ (Ioul.) sm. ‖ bœuf ; taureau ‖ syn. d’êsou ‖ non us. dans l’Ăh. ⵙⴳ essag ⵙⴳ (Ăir) sm. ‖ percale blanche ‖ syn. de mak̤moûdi (Ăh.) ‖ non us. dans l’Ăh. ⵙⴶ tasaġa ⵜⵙⴶⴰ sf. φ (pl. tiseġouîn ⵜⵙⴶⵓⵏ), daṛ tĕsaġa (tăsaġa), daṛ tseġouîn ‖ flanc (partie du côté comprise entre l’aisselle et la hanche) (chez les p. et les an.) ‖ p. ext. « flanc (côté) [d’une ch.] » ‖ p. ext. « côté (partie droite ou gauche du corps, de la tête aux pieds) (d’une p. ou d’un an.) » ‖ p. ext. « moitié (de droite ou de gauche) [d’un an. coupé en 2 parties égales dans le sens de la longueur] » ‖ iṛerdechchân oui n tĕsaġa « côtes celles du flanc » est le nom d’un groupe particulier de 6 côtes ‖ p. ext. tăsaġa est employé com. syn. d’iṛerdechchân oui n tĕsaġa ‖ p. ext. tasaġa signifie « groupe de 6 côtes appelé iṛerdechchân oui n tĕsaġa accompagné des 7 autres côtes du même côté (ou d’une partie d’entr’elles) ». v. ⴷⵙ eddes, éṛerdis ‖ d. le s. « côté (d’une p. ou d’un an.) » et « moitié (de droite ou de gauche) », est syn. d’édis et d’élemdis. ⵙⴶ seġi ⵙⴶⵉ pi. exclam. ‖ ouste ! (va-t-en ! allez-vous-en !) (en parlant à un chien ou à des chiens) ‖ se dit à des chiens ou à des p. qu’on traite com. des chiens ‖ syn. de teġi ‖ a le même sens que le v. mouss ; en diffère un peu par son emploi ; est plus exclusivement réservé aux chiens que mouss ; ne se dit presque jamais à des p. ⵙⴳⴼ éseggefi ‖ v. ⴼⵉ effi. ⵙⴳⴼⵔ ăseggefer ‖ v. ⴼⵔ effer. ⵙⴶⵍ ăseġġil ⵙⴶⵍ sm. φ (pl. iseġġîlen ⵙⴶⵍⵏ ; fs. tăseġġilt ⵜⵙⴶⵍ⵿ⵜ ; fp. tiseġġîlîn ⵜⵙⴶⵍⵏ), daṛ seġġîlen, daṛ tseġġîlîn ‖ an. égaré (an. domestique qui est pour son propriétaire ou son gardien un an. égaré) ‖ se dit, p. ex., d’un chameau, d’un âne, d’un bœuf, d’un mouton, d’une chèvre, d’un chien, etc., qui, à la connaissance ou à l’insu de leur maître, sont égarés pour lui, se trouvant dans un lieu où il ignore qu’ils sont ‖ diffère d’ămezzârouġ « an. domestique qui vagabonde en liberté ». Un ămezzârouġ n’est pas un ăseġġil tant qu’il reste dans la région où son maître l’a mis et compte le retrouver ; il devient ăseġġil s’il la quitte et va dans une autre région que son maître ignore ‖ tout an. étranger qui se mêle à un troupeau est un ăseġġil. — sesseġġel ⵙⵙⴶⵍ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isseġġel, iesîseġġel, éd isesseġġel, our isseġġel) ‖ chercher [un an. égaré] (chercher [un ăseġġil]) ‖ s’empl. qlqf. sans rég. dir. exprimé, un rég. dir. signifiant un ou des ăseġġil étant s. e. (Ex. mani s tekkîd ? – esîseġġeleṛ ⁒ où vers vas-tu ? (où vas-tu ?). – je cherche [un ăseġġil (ou des ăseġġil)] (je cherche un an. égaré (ou des an. égarés))). — sâseġġâl ⵙⵙⴶⵍ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâseġġâl, our iseseġġil) ‖ chercher hab. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăsesseġġel ⵙⵙⴶⵍ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesseġġîlen ⵙⵙⴶⵍⵏ), daṛ sesseġġîlen ‖ fait de chercher ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăsesseġġal ⵙⵙⴶⵍ sm. n. d’é. f. 1 ; φ (pl. isesseġġâlen ⵙⵙⴶⵍⵏ ; fs. tăsesseġġalt ⵜⵙⵙⴶⵍ⵿ⵜ ; fp. tisesseġġâlîn ⵜⵙⵙⴶⵍⵏ), daṛ sesseġġâlen, daṛ tsesseġġâlîn ‖ hom. qui cherche un an. égaré (ou des an. égarés). ⵙⴳⵍ tesougla ‖ v. ⵙⴱⵍ tesoubla. ⵙⴳⵍⵎ ăseggelem ‖ v. ⵍⵎ ellem. ⵙⴶⵏ ăsâġen ⵙⴶⵏ sm. φ (pl. isâġniouen ⵙⴶⵏⵓⵏ), daṛ sâġniouen ‖ cou de chameau arrangé pour servir de récipient à beurre ‖ syn. d’ăṛañha empl. d. ce s. — tesâġné ⵜⵙⴶⵏⵉ sf. φ (pl. tisâġniouîn ⵜⵙⴶⵏⵓⵏ), daṛ tsâġniouîn ‖ récipient à beurre sphérique, en cuir, sans goulot ‖ la tesâġné est hab. en cuir de chameau ou de bœuf. Sa dimension est très variable : certaines tesâġné contiennent moins de 10 litres, certaines en contiennent plus de 30. L’orifice de la tesâġné est maintenu rigide par 4 petits bâtons appelés chacun têdré ‖ syn. d’ăṛebben empl. d. ce s. ‖ diffère d’ăṛrebben empl. d. le s. « petit récipient à beurre sphérique, en cuir, sans goulot (petite tesâġné) » ‖ diffère d’ăhattin « grande bouteille en cuir » et de tăhattint « bouteille en cuir petite ou moyenne », lesquels ont une autre forme que la tesâġné ; ils sont oblongs, avec goulot et boucher. ⵙⴶⵏ seġni ⵙⴶⵏⵉ (haoussa) sm. (pl. seġnîten ⵙⴶⵏⵜⵏ) ‖ indigo (couleur indigo). ⵙⴶⵏ souġnet (Ta. 2) ‖ v. ⴶⵏ souġnet (Ta. 2). ⵙⴳⵓⵔ tăseggeouert ‖ v. ⵓⵔ ăour. ⵙⴳⵗⵏ ăseggeṛen ‖ v. ⵗⵏ eḳḳen. ⵙⴳⵙ ăseggas ‖ v. ⵓⵙ aous. ⵙⵂ souhet (Ta. 2) ⵙⵂⵜ ✳ vn. prim. ; conj. 97 « doubet (Ta. 2) » ; (iessoŭhet, iessoûhet, éd issouhet, our iessouhet) ‖ 1. être fort (avoir de la force active) (le suj. étant Dieu, une p., un an., une ch. ayant une sorte de vie com. le vent, les eaux d’un torrent, etc.) ; 2. être fort (avoir de la force passive ; avoir de la solidité) ; 3. être en bonne santé ‖ p. ext. « être puissant (avoir de la force pour agir ; avoir de l’autorité) », le suj. étant Dieu, une p., un peuple ‖ fig. « être l’objet d’un fort attachement [de la part d’une p.] (le suj. étant une p., un an., une ch.) ». La p. de la part de laquelle le suj. est l’objet d’un fort attachement est à l’abl. et accompagnée de la prép. ṛour « chez » ‖ fig. « être ferme », le suj. étant le caractère, l’intelligence, le cœur, les paroles, la science, la vertu, une qualité morale qlconque. S’empl. pour exprimer qu’un caractère est fort et constant, qu’une intelligence est vigoureuse, qu’un cœur est fort et inébranlable, que des paroles sont vraies, invariables, sûres, etc. ‖ p. ext. « être dur (être ferme, consistant, difficile à entamer, coriace) », le suj. étant une ch. qlconque, p. ex. le sol, un terrain, une roche, du bois, de la viande, du pain, un coussin, etc. ‖ p. ext. « être difficile (être malaisé ; présenter de la difficulté) » ‖ d. les s. « être fort (avoir de la force active) » et « être puissant », est syn. de ṛoured ‖ d. les s. « être solide », « être l’objet d’un fort attachement », « être ferme », « être dur », « être difficile », est syn. d’entem ‖ d. les s. « être solide », « être l’objet d’un fort attachement », « être ferme », est syn. de seded ‖ d. le s. « être difficile », est syn. d’abṛet (Ta. 3) dont il a tous les s. ‖ d. le s. « être dur », est syn. d’iṛar. — sessouhet (Ta. 2) ⵙⵙⵂⵜ va. f. 1 ; conj. 148 « seddoubet (Ta. 2) » ; (issahet, iesîsahet, éd isessouhet, our issahet) ‖ 1. rendre fort ; 2. rendre fort ; 3. mettre en bonne santé ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — tîsoûhoût (Ta. 8) ⵜⵙⵂⵜ vn. f. 16bis ; conj. 257 « tîdoûboût (Ta. 8) » ; (itîsoûhoût, our itesouhout) ‖ 1. être hab. fort ; 2. être hab. fort ; 3. être hab. en bonne santé ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sîsoûhoût (Ta. 8) ⵙⵙⵂⵜ va. f. 1.16bis ; conj. 257 « tîdoûboût (Ta. 8) » ; (isîsoûhoût, our isesouhout) ‖ 1. rendre hab. fort ; 2. rendre hab. fort ; 3. rendre hab. en bonne santé ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăsâhou ⵙⵂⵓ sm. nv. prim. ; φ (pl. isoûhoûten ⵙⵂⵜⵏ), daṛ soûhoûten ‖ 1. fait d’être fort ; 2. fait d’être fort ; 3. fait d’être en bonne santé ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsessoûhou ⵙⵙⵂⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isoûhoûten ⵙⵂⵜⵏ), daṛ sessoûhoûten ‖ 1. fait de rendre fort ; 2. fait de rendre fort ; 3. fait de rendre en bonne santé ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — essahet ⵙⵂⵜ sf. (pl. essahetîn ⵙⵂⵜⵏ) ‖ 1. force (force active) ; 2. force (force passive ; solidité) ; 3. bonne santé ‖ p. ext. « puissance (force pour agir ; autorité) » ‖ p. ext. « santé (qlconque, bonne ou mauvaise) » ‖ v. ⵔⵏ ernou, terna. ⵙⵂ ăseho ‖ v. ⵓ ioui. ⵙⵂ sé̆-h ‖ v. ⵙ s (es, se). ⵙⵂ essâhet ‖ v. ⵙ essa. {rtl} ăsihei ‖ v. ⵂⵉ houiiet (Ta. 2). ⵙⵂⵗ ăsâhaṛ ‖ v. ⵂⵗ aheṛ. ⵙⵉ téseit ⵜⵙⵉⵜ sf. φ (pl. tiseiiîn ⵜⵙⵉⵜ), daṛ tăseit (tĕseit), daṛ tseiiîn ‖ van circulaire (en osier ou en jonc) ‖ p. ext. « pleine lune » ‖ d. le s. « van circulaire », est syn. d’éteouêl et d’étenber et plus us. qu’eux. ⵙⵉ tăsouiié ⵜⵙⵉ sf. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. tisouiia ⵜⵙⵉⴰ), daṛ tsouiia ‖ nom d’une plante non persistante ‖ syn. de ġeżżei-tăfouk ‖ v. ⴶⵥⵉ ġeżżei, ġeżżei-tăfouk. ⵙⵉⴷⵍⵈ seideleḳḳou ⵙⵉⴷⵍⵈⵓ sm. (col. s. n. d’u.) (pl. de div. seideleḳḳôuten ⵙⵉⴷⵍⵈⵜⵏ) ‖ grain produit par l’ăggasit ‖ le seideleḳḳou est comestible. ⵙⵉⴷⵗ s-ei-deṛ ‖ v. ⵙ s (es). ⵙⵉⴼ asiaf ‖ v. ⴼ af. ⵙⵉⵍⵍ isouilal ‖ v. ⵍⵍ ilal. ⵙⵉⵎ sessouiem ⵙⵙⵉⵎ va. f. 1 ; conj. 138 « sekkeroukeḍ » ; ρ (issaiem, iesîsaiem, éd isessouiem, our issaiem) ‖ l’emporter sur (avoir la supériorité sur) (par suite d’une bonne qualité qlconque) peut avoir pour suj. et pour rég. dir. des p., des an., ou des ch. ‖ ne se dit que de p., d’an., ou de ch. qui l’emportent sur d’autres par une bonne qualité qu’ils ont et que les autres n’ont pas ou ont à un degré moindre ‖ diffère d’ouf « être meilleur que » et d’echchem « valoir mieux (par une qualité qlconque) », bien que, dans certains cas, les 3 verbes puissent être mis l’un pour l’autre ‖ peu us. — sîsoûioûm ⵙⵙⵉⵎ va. f. 1.14 ; conj. 249 « tîkroûkoûḍ » ; (isîsoûioûm, our isesouioum) ‖ l’emporter hab. sur. — ăsessouiem ⵙⵙⵉⵎ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isessouioûmen ⵙⵙⵉⵎⵏ), daṛ sessouioûmen ‖ fait de l’emporter sur. — ăsaiam ⵙⵉⵎ sm. φ (pl. isouiam ⵙⵉⵎ), daṛ souiam ‖ précipice. ⵙⵉⵏⵏ sé̆ié̆nîn ⵙⵉⵏⵏ sm. (pl. sé̆ié̆nînen ⵙⵉⵏⵏⵏ) ‖ nom d’un rythme poétique ‖ p. ext. « vers du rythme sé̆ié̆nîn ». D. ce s. est un col. sans n. d’u. ‖ v. ⵂⵗ aheṛ, ăsâheṛ. ⵙⵉⵔ ăsé̆ar ⵙⵉⵔ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. isé̆âren ⵙⵉⵔⵏ), daṛ sé̆âren ‖ nom d’une plante non persistante ‖ p. ext. « grain produit par l’ăsé̆ar » ; d. ce s., le sing. ăsé̆ar est un col. s. n. d’u. ‖ la plante appelée ăsé̆ar atteint 0m,50c à 1 mètre de hauteur ; elle a un parfum agréable ; son grain, d’une odeur agréable, se mêle, en petite quantité, aux aliments pour les aromatiser. ⵙⵉⵙ ăsé̆as ‖ v. ⵓⵙ ăous. ⵙⴾ isek ⵙⴾ sm. (pl. iskaouen ⵙⴾⵓⵏ), daṛ iskaouen ‖ corne (d’an. qlconque) ‖ p. ext. « branche (d’une croix, de la croix d’un pommeau de selle de méhari, de la croix d’un pommeau de poignard, etc.) » ‖ isek entre dans beaucoup d’expressions figurées : on appelle souv. les armes d’un h. « ses cornes », les galants d’une f. « ses cornes », les h. de valeur ou les tribus qui sont la principale force d’un chef « ses cornes », etc. ‖ l’expr. teġġĕh âs iskaouen « elle lui est entrée dans les cornes », âs désignant une p., teġġĕh ayant pour suj. le mot tămettant « mort » s. e., s’empl. au fig. d. le s. de « l’heure de sa mot a sonné (l’heure prédestinée par Dieu pour sa mort est venue) ». (Ex. isalân em Kenân ? – teġġĕh âs iskaouen ⁒ nouvelles de K. ? (quelles sont les nouvelles de K. ?). – [la mort] lui est entrée dans les cornes (l’heure de sa mort a sonné : c. à d. il est mort ; ou : il est mourant) = iglă oul âman ; iṅṛ ê faḍ ; teġġĕh âs iskaouen ; enner ou hâs teġġih iskaouen ; iaoui âman ⁒ il est parti sans eau ; l’a tué la soif ; [la mort] lui est entré dans les cornes ; si elle ne lui est pas entrée dans les cornes, il emporterait de l’eau (il est parti sans eau ; la soif l’a tué ; l’heure de sa mort a sonné ; si l’heure de sa mort n’avait pas sonné, il aurait emporté de l’eau). — tiské ⵜⵙⴾⵉ sf. (pl. tiskaouîn ⵜⵙⴾⵓⵏ) ‖ jeune pousse de tahlé ayant moins d’un mètre de hauteur audessus du sol ‖ v. ⵂⵍ tahlé. — éfêsek ⴼⵙⴾ sm. φ (pl. ifêskiouen ⴼⵙⴾⵓⵏ), daṛ ăfêsek (ĕfêsek), daṛ fêskiouen ‖ dent (de fourche) ‖ se dit de dents de fourche de toute matière, qu’elles soient en bois ou en métal, en qlq. nombre qu’elles soient ‖ p. ext. « dent (de bois fourchu) ». Se dit de toute dent de bois fourchu, qu’elle appartienne à un bois fourchu coupé et servant à n’importe quel usage, ou à un bois fourchu encore sur l’arbre propre, une fois coupé, à faire une perche fourchue ou un bâton fourchu. — ăfâskar ⴼⵙⴾⵔ sm. φ (pl. ifâskâren ⴼⵙⴾⵔⵏ), daṛ fâskâren ‖ petite tige en forme d’olive allongée (destinée à être passée dans un œillet ou une boutonnière, pour la fermeture d’un objet) (en matière qlconque) ‖ les ăfâskar peuvent être de dimensions très diverses. ⵙⴾ ések ⵙⴾ sm. φ (pl. isakken ⵙⴾⵏ), daṛ ăsek (ĕsek), daṛ sakken ‖ contenu de la panse d’un ruminant. ⵙⴾ ăsâka ⵙⴾⴰ sm. φ (pl. isâkân ⵙⴾⵏ ; fs. tăsâkait ⵜⵙⴾⵉⵜ ; fp. tisâkain ⵜⵙⴾⵉⵏ), daṛ sâkân, daṛ tsâkaîn ‖ jeune chameau (entre 2 et 6 ans). ⵙⴾ oska ⵙⴾⴰ sm. (pl. oskâten ⵙⴾⵜⵏ ; fs. toskat ⵜⵙⴾⵜ ; fp. toskâtîn ⵜⵙⴾⵜⵏ) ‖ lévrier (chien de race pure, haut sur jambes, mince de corps, rapide à la course) ‖ les lévriers de l’Ăh. sont moins hauts, moins minces et moins rapides que ceux d’Algérie ; com. ceux-ci, ils ont le poil ras ‖ fig. s’emploie com. épithète de louange en parlant d’une p. ou d’un an. (Ex. âles ouâ-reṛ oska ⁒ cet h. [est] un lévrier = tămeṭṭ ennek toskat ⁒ ta femme [est] une levrette = lîṛ akli ien n oska ⁒ j’ai un esclave de lévrier (j’ai un esclave qui est un lévrier) = amis ouâ-reṛ oska ⁒ ce chameau [est] un lévrier = iġ âs téouété n oska ⁒ il lui a fait un coup de lévrier (il lui a donné un coup com. n’en donne qu’un lévrier) = tesâouit tâ-reṛ ti n oska ⁒ cette pièce de vers [est] une qui de lévrier (cette pièce de vers est une pièce com. n’en fait qu’un lévrier)) ‖ v. ⵉⴷ é̆idi. ⵙⴾ tăssak ⵜⵙⴾ sf. (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. tăssakîn ⵜⵙⴾⵏ) ‖ nom d’une plante persistante (« nucularia Perrini Batt. » (B. T.)) (ar. « askaf »). ⵙⴾ essoûk ⵙⴾ sm. (pl. essoûken ⵙⴾⵏ) ‖ nid d’oiseau. ⵙⴾ essoûk ⵙⴾ ✳ sm. (pl. essoûken ⵙⴾⵏ) ‖ marché (lieu public où l’on vend certaines marchandises) ‖ p. ext. « opération commerciale ; vente ; achat ; commerce ». ⵙⴾ ăsak ⵙⴾ (Ioul.) sm. φ (pl. isakken ⵙⴾⵏ), daṛ sakken ‖ chant (suite de sons modulés émis par la voix humaine) ‖ syn. d’ăsâhaṛ (Ăh.) ‖ non us. dans l’Ăh. ⵙⴾ eskou ‖ v. ⵥⴾ eskou. ⵙⴾⴹ essekeḍ ⵙⴾⴹ (Ăd.) sm. (pl. essekâḍ ⵙⴾⴹ) ‖ doigt (de la main) ‖ syn. d’aḍaḍ (Ăh.) ‖ non us. dans l’Ăh. ⵙⴾⴼ eskef ‖ v. ⵥⴾⴼ eskef. ⵙⴾⵉ tesâkait ‖ v. ⵙⴾ ăsâka. ⵙⴾⵍ ăsoûkâl ‖ v. ⴾⵍ ăsoûkal. ⵙⴾⵍ ăsekkil ‖ v. ⴾⵍ ăsekkil. ⵙⴾⵎ eskem ⵙⴾⵎ va. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (iskĕm, iskâm, éd iskem, our iskim) ‖ retenir [une petite quantité, sur une ch. qu’on donne] (pour soi-même ou pour un autre) ‖ ne peut avoir pour suj. qu’une p. Peut avoir pour rég. dir. des an. ou des ch. Celui pour qui le suj. retient le rég. dir. se met au datif. Ce sur quoi le suj. retient le rég. dir. est à l’abl. et accompagné de daṛ « de dans ». La p. au détriment de laquelle le suj. retient le rég. dir. est à l’abl. et accompagnée de daṛ « de dans » ‖ eskem signifie retenir une petite quantité d’une ch. qu’on donne en pardon, ou qu’on donne paiement, ou qu’on est chargé par un autre de donner, ouvertement ou à la dérobée, à la connaissance de celui à qui on donne ou à son insu, en étant dans son droit ou en commettant un vol. Se dit, p. ex., de qlq’un qui, voulant primitivement faire cadeau à une p. de 10 chèvres, de 10 litres de blé, de 10 litres de beurre, de 10 litres de lait, de 10 mètres d’étoffe, de 10 burnous, etc., ne lui en donne que 9, s’étant décidé, après réflexion, à retenir une unité pour un autre usage ; de qlq’un qui, chargé d’apporter à une p. 20 litres de blé, ne lui apporte que 19 et en vole un. Est employé aussi par qlq’un à qui on verse du lait dans un vase et qui, quand il n’en reste qu’une petite quantité dans le récipient duquel on verse, dit à celui qui verse « retiens ceci pour l’enfant qui est là et donne-le lui » ‖ peut qlqf. se rendre par l’expr. vulgaire « gratter (prendre [une petite ch. sur une ch. relativement considérable]) ». — seskem ⵙⵙⴾⵎ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕskem, iessîskem, éd iseskem, our isseskem) ‖ faire retenir ‖ se c. av. 2 acc. — sâkkem ⵙⴾⵎ va. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (isâskem, our isekkem) ‖ retenir hab. — sâskâm ⵙⵙⴾⵎ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâskâm, our iseskim) ‖ faire hab. retenir. — ăsakam ⵙⴾⵎ sm. nv. prim. ; φ (pl. isekâmen ⵙⴾⵎⵏ), daṛ sekâmen ‖ fait de retenir. — ăseskem ⵙⵙⴾⵎ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseskîmen ⵙⵙⴾⵎⵏ), daṛ seskîmen ‖ fait de faire retenir. — ăskoum ⵙⴾⵎ sm. (pl. ăskoûmen ⵙⴾⵎⵏ) ‖ bâton crochu (servant à attraper les branches des arbres pour les couper plus facilement, et qlqf. à attraper les chèvres et les moutons par le cou). — tăskoumt ⵜⵙⴾⵎ⵿ⵜ sf. (pl. tăskoûmîn ⵜⵙⴾⵎⵏ) ‖ petite tige en fer à bout crochu ‖ la tăskoûmt se fixe au bout d’un bâton et sert à attraper les fouette-queue (uromastix) dans les creux des rochers et les trous ‖ p. ext. s’empl. qlqf. com. syn. d’ăskoum ‖ d. le s. « petite tige en fer à bout crochu », est syn. de tăkôḍa. ⵙⴾⵏ esken ⵙⴾⵏ vn. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (iskĕn, iskân, éd isken, our iskin) ‖ se tenir debout sur les pieds de derrière (le suj. étant un quadrupède) ‖ se dit de tout quadrupède qui se tient debout sur les pieds de derrière pour n’importe quel motif, p. ex. de chiens ou des chevaux savants qui se tiennent ainsi, de chèvres qui se tiennent dans cette position pour brouter les feuilles d’arbre, d’an. qui se tiennent sur leurs pieds de derrière en se battant, etc. ‖ p. ext. « se cabrer », le suj. étant un cheval. — sesken ⵙⵙⴾⵏ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕsken, iessîsken, éd isesken, our issesken) ‖ faire se tenir debout sur les pieds de derrière ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâkken ⵙⴾⵏ vn. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (isâkken, our isekken) ‖ se tenir hab. debout sur les pieds de derrière ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâskân ⵙⵙⴾⵏ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâskân, our iseskin) ‖ faire hab. se tenir debout sur les pieds de derrière ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăsakan ⵙⴾⵏ sm. nv. prim. ; φ (pl. isekânen ⵙⴾⵏⵏ), daṛ sekânen ‖ fait de se tenir debout sur les pieds de derrière ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsesken ⵙⵙⴾⵏ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseskînen ⵙⵙⴾⵏⵏ), daṛ seskînen ‖ fait de faire se tenir debout sur les pieds de derrière ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ésaken ⵙⴾⵏ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. iseknân ⵙⴾⵏⵏ), daṛ ăsaken (ĕsaken), daṛ seknân ‖ jeune dattier (qui commence à donner des fruits, mais qui est encore assez peu élevé pour qu’on puisse en cueillir les fruits avec la main, sans grimper sur lui). — tésakent ⵜⵙⴾⵏ⵿ⵜ sf. φ (n. d’u. et col.) (pl. tiseknân ⵜⵙⴾⵏⵏ), daṛ tăsakent (tĕsakent), daṛ tseknân ‖ m. s. q. le pr. — tăsekkount ⵜⵙⴾⵏ⵿ⵜ sf. φ (pl. tisekkoûnîn ⵜⵙⴾⵏⵏ), daṛ tsekkoûnîn ‖ grappe (de raisins, de groseilles, de fruits analogues) ‖ ne se dit pas des régimes du dattier ni de ceux du palmier doûm. ⵙⴾⵏⵙⴾ sekemseket (Ta. 1) ‖ v. ⵜⴾⵏⵜⴾ tekenteket (Ta. 1). ⵙⴾⵓ eskou ⵙⴾⵓ va. prim. ; conj. 32 « eġmi » ; (iskĕou, iskâou, éd iskou, our iskéou) ‖ vider complétement (épuiser ; tarir) [un puits, un trou à eau, un mare, un réservoir d’eau, etc. (de son eau) ; l’eau (d’un puits, d’un trou à eau, d’une mare, d’un réservoir d’eau, etc.)] (en puisant l’eau avec un instrument qlconque, seau attaché à une corde ou vase tenu à la main, ou en la buvant) ‖ a aussi le s. pas. « être vidé complétement » ‖ ne peut avoir pour suj. que des p., des an., ou des instruments servant à puiser. Quand l’eau est rég. dir., le puits, trou à eau, etc. duquel le suj. la vide est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. daṛ « de dans ». — seskou ⵙⵙⴾⵓ va. f. 1 ; conj. 153 « seġmi » ; (issĕskeou, iessîskeou, éd iseskou, our iseskeou) ‖ faire vider complétement ‖ se c. av. 2 acc. — sâkkeou ⵙⴾⵓ va. f. 5 ; conj. 222 « ġâmmei » ; (isâkkeou, our isekkou) ‖ vider complétement hab. ‖ a aussi le s. pas. — sâskâou ⵙⵙⴾⵓ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâskâou, our iseskiou) ‖ faire hab. vider complétement ‖ se c. av. 2 acc. — ăsakaou ⵙⴾⵓ sm. nv. prim. ; φ (pl. isekaouen ⵙⴾⵓⵏ), daṛ sekaouen ‖ fait de vider complétement ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être complétement vidé ». — ăseskou ⵙⵙⴾⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseskiouen ⵙⵙⴾⵓⵏ), daṛ seskiouen ‖ fait de faire vider complètement. ⵙⴾ askiou ⵙⴾⵓ sm. φ (pl. iskiouen ⵙⴾⵓⵏ ; fs. taskiout ⵜⵙⴾⵓⵜ ; fs. tiskiouîn ⵜⵙⴾⵓⵏ), daṛ ĕskiou (ăskiou), daṛ ĕskiouen, daṛ tĕskiout (tăskiout), daṛ tĕskiouîn ‖ enfant esclave (de sa naissance à sa puberté) ‖ p. ext. « jeune esclave (pubère depuis peu de temps) ». ⵙⴾⵓ essek-âouet ‖ v. ⵙⴾⵙⴾ seksek. ⵙⴾⵔ esker ⵙⴾⵔ vn. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (iskĕr, iskâr, éd isker, our iskir) ‖ être déposé à plat sur sa base (le suj. étant un vase ou un récipient rigide, tels que marmite, cruche, verre, écuelle, plat, bouteille, van, panier, encrier, etc.) ‖ se dit d’un récipient rigide de n’importe quelle forme, à base plate ou arrondie, capable de se tenir droit, qui est déposé sur le sol ou sur n’importe quoi, pour un temps qlconque si long ou si court qu’il soit ‖ s’emploie p. ext. ayant pour suj., non pas un vase ou un récipient rigide, mais leur contenu ; celui-ci peut-être n’importe quoi, liquides, matières en poudre, fragments solides, lait, eau, beurre, farine, grains de blé, dattes, morceaux de viande, etc. ‖ p. ext. « être dans un récipient déposé à plat sur sa base (le suj. étant le contenu d’un vase ou d’un récipient rigide, qlq’il soit, liquide, pâteux, en poudre, composé de fragments solides) ; être mis dans un récipient déposé à plat sur sa base (d. le s. ci. d.) » ‖ p. ext. « être déposé à plat [sur le sol] (rester à plat, sans couler de côté ni d’autre [sur le sol, dans un creux de dalle, dans une place concave de pierre plate, dans un bassin ou un creux de terrain, etc.]) », le suj. étant de l’eau de pluie ou de l’eau qui se répand sur le sol pour une cause qlconque ‖ p. ext. « être absolument plat », le suj. étant le sol. Se dit d’une étendue de terrain quelconque, si petite ou si grande qu’elle soit. — sesker ⵙⵙⴾⵔ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕsker, iessîsker, éd isesker, our issesker) ‖ déposer à plat sur sa base ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ p. ext., ayant pour rég. dir. un bouclier, « tenir [le bouclier] en position de garde (tenir [le bouclier] immobile devant soi ou un peu audessus de soi en position telle qu’on puisse le porter facilement de côté et d’autre pour parer les coups d’épée) ». (Ex. sesker aṛer ennek ⁒ tiens ton bouclier en position de garde.). — mesesker ⵎⵙⵙⴾⵔ vn. f. 1.2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imsesker, iemîsesker, éd imsesker, our imsesker) ‖ être déposé à plat sur sa base l’un à côté de l’autre ‖ a t. les s. c. à c. du prim., excepté celui qui correspond à « être absolument plat ». — meseskar ⵎⵙⵙⴾⵔ vn. f. 1.2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imseskar, iemîseskar, éd imseskar, our imseskar) ‖ m. s. q. le pr. — semmesesker ⵙⵎⵙⵙⴾⵔ va. f. 1.2.1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (ismesesker, iesîmesesker, éd isemmesesker, our ismesesker) ‖ déposer à plat sur leurs bases l’un à côté de l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1.2. — sâkker ⵙⴾⵔ vn. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (isâkker, our isekker) ‖ être hab. déposé à plat sur sa base ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâskâr ⵙⵙⴾⵔ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâskâr, our iseskir) ‖ déposer hab. à plat sur sa base ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tîmseskîr ⵜⵎⵙⵙⴾⵔ vn. f. 1.2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmseskîr, our itemeskir) ‖ être hab. déposé à plat sur sa base l’un à côté de l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1.2. — tîmseskâr ⵜⵎⵙⵙⴾⵔ vn. f. 1.2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmseskâr, our itemseskar) ‖ m. s. q. le pr. — sîmseskîr ⵙⵎⵙⵙⴾⵔ va. f. 1.2.1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (isîmseskîr, our isemseskir) ‖ déposer hab. à plat sur leurs bases l’un à coté de l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1.2.1. — ăsakar ⵙⴾⵔ sm. nv. prim. ; φ (pl. isekâren ⵙⴾⵔⵏ), daṛ sekâren ‖ fait d’être déposé à plat sur sa base ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsesker ⵙⵙⴾⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseskîren ⵙⵙⴾⵔⵏ), daṛ seskîren ‖ fait de déposer à plat sur sa base ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ămsesker ⵎⵙⵙⴾⵔ sm. nv. f. 1.2 ; φ (pl. imseskîren ⵎⵙⵙⴾⵔⵏ), daṛ ĕmseskîren ‖ fait d’être déposé à plat sur sa base l’un à côté de l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1.2. — ăsemmesesker ⵙⵎⵙⵙⴾⵔ sm. nv. f. 1.2.1 ; φ (pl. isemmeseskîren ⵙⵎⵙⵙⴾⵔⵏ), daṛ semmeseskîren ‖ fait de déposer à plat sur leurs bases l’un à côté de l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1.2.1. — émesker ⵎⵙⴾⵔ sm. φ (pl. imeskâr ⵎⵙⴾⵔ), daṛ ămesker (ĕmesker), daṛ meskâr ‖ débris de vase de forme concave pouvant contenir un peu d’eau ou de nourriture et être déposé à portée de petits animaux ‖ se dit d’un débris de vase en bois, argile, métal, matière qlconque, pouvant contenir un peu de nourriture pour des pigeons, des poules, des chevreaux, ou d’autres petits an. ‖ p. ext. « place légèrement concave dans de la pierre plate, pouvant retenir un peu d’eau lorsqu’il pleut ». Se dit de places un peu concaves dans des roches plates et horizontales, pouvant contenir au moins un demi litre et au plus 50 litres d’eau de pluie ‖ p. ext. « désert plat et stérile sans eau ni pâturage (de dimension qlconque, en n’importe quelle situation) ». Peut avoir qlq. kil. ou plusieurs centaines de kil. de long. v. ⵏⵥⵔⴼ tăneżrouft. — ămeskour ⵎⵙⴾⵔ sm. φ (pl. imeskâr ⵎⵙⴾⵔ), daṛ meskâr ‖ m. s. q. le pr. — éséker ⵙⴾⵔ sm. φ (pl. isêkeren ⵙⴾⵔⵏ), daṛ ăsêker (ĕsêker), daṛ sêkeren ‖ breuvage gâté pour être resté trop longtemps dans un récipient déposé à plat sur sa base (breuvage versé de l’outre ou du sac en peau où on le conserve dans un vase à boire et resté dans ce vase, couvert ou non, pendant 2 ou 3 heures ou davantage) ‖ les Kel-Ăh. conservent tous les breuvages, eau, lait, ăṛehâra, etc., dans des outres ou des sacs en peau fermés ; ils ne versent le breuvage qu’au moment de le boire ; si un breuvage, versé dans un vase à boire, y reste pendant 2 ou 3 heures, on l’estime gâté, à cause de sa fraîcheur perdue, du changement de goût qui a pu s’y produire, et des impuretés qui ont pu y tomber. ⵙⴾⵔ êsker ⵙⴾⵔ sm. (pl. ăskâren ⵙⴾⵔⵏ) ‖ ongle (de p. ou d’an.) ; griffe (d’an.) ; corne (de pied d’an.) ; sabot (d’an.) ‖ poét. i n êsker « un du sabot » s’emploie d. le s. de « cheval » ‖ i n êsker « un de la corne ; un du sabot » s’emploie pour désigner un chameau, un bœuf, un mouton, un bouc, un cheval, un âne, qui ont la corne d’un pied, un sabot, difformes, trop longs, ou trop courts. — êsker ⵙⴾⵔ sm. (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. êskeren ⵙⴾⵔⵏ) ‖ nom d’une plante non persistante (« lotononis lotoidea Delile » (B. T.) ; « astragalus corrugatus var. tenuirugis Cosson » (B. T.)) ‖ ainsi nommé parce que son fruit a l’extrémité recourbée et dure com. une griffe ‖ syn. d’ămereżraż (Ăj.). — têskert ⵜⵙⴾⵔ⵿ⵜ sf. (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. têskerîn ⵜⵙⴾⵔⵏ) ‖ ail ‖ ainsi nommé à cause de la forme de la gousse d’ail. — têskert ⵜⵙⴾⵔ⵿ⵜ sf. (pl. têskerîn ⵜⵙⴾⵔⵏ) ‖ 1. pointe de lame formée par l’intersection d’un tranchant rectiligne et d’un dos recourbé ou inversement, ou par l’intersection d’un tranchant concave et d’un dos convexe ou inversement ; 2. dard (de scorpion ; de guêpe ; d’abeille) ‖ d. le s. 1., se dit de toutes les pointes de lame qui ont les formes A ou B, que les lames appartiennent à des couteaux, des sabres, des épées, des poignards, des faucilles, des faux, des ciseaux, des cisailles, des instruments qlconques. — tăskârîn ⵜⵙⴾⵔⵏ sf. (pl. s. s.) ‖ membrane qui se forme dans l’œil des an. et recouvre petit à petit toute la cornée ; maladie des yeux consistant en la formation de la membrane tăskârîn (chez les an.) ‖ la membrane tăskârîn est rougeâtre. La maladie tăskârîn atteint surtout les chameaux ; elle attaque qlqf. les chevaux et les ânes. — tesekra ⵜⵙⴾⵔⴰ sf. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. tisekraouîn ⵜⵙⴾⵔⵓⵏ), daṛ tsekraouîn ‖ nom d’une plante non persistante. ⵙⴾⵔ essouker ⵙⴾⵔ ✳ sm. (pl. essoukeren ⵙⴾⵔⵏ) ‖ sucre. ⵙⴾⵔ ăsakor ‖ v. ⴾⵓⵔ ekouĕr. ⵙⴾⵙ sekkesset (Ta. 1) ‖ v. ⴾⵙ sekkesset (Ta. 1). ⵙⴾⵙⴾ seksek ⵙⴾⵙⴾ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (issĕksek, iessîksek, éd iesseksek, our isseksek) ‖ cribler (nettoyer avec un crible) ‖ a aussi le s. pas. « être criblé ». — tâseksâk ⵜⵙⴾⵙⴾ va. f. 7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâseksâk, our iteseksik) ‖ cribler hab. ‖ a aussi le s. pas. — ăseksek ⵙⴾⵙⴾ sm. nv. prim. ; φ (pl. iseksîken ⵙⴾⵙⴾⵏ), daṛ seksîken ‖ fait de cribler ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être criblé ». — Ma-teseksek ⵎⵜⵙⴾⵙⴾ ⁂ sf. s. ‖ np. d’une des étoiles de la constellation des Pléiades. — Essek-âouet ⵙⴾⵓⵜ ⁂ sf. s. ‖ np. d’une des étoiles de la constellation des Pléiades. ⵙⴾⵜ ăsakat ⵙⴾⵜ sm. (s. s. pl.) ‖ coiffure de petite fille de 7 à 14 ans (manière de se tresser les cheveux à l’usage des petites filles de 7 à 14 ans) ‖ les petites filles portent les cheveux tressés de la manière appelée ăsakat de l’âge de 7 ou 8 ans à la puberté ; à la puberté, elles changent de manière de se coiffer, abandonnent l’ăsakat et se coiffent en faisant des émêsi ‖ p. ext. eġ ăsakat « faire l’ăsakat (porter l’ăsakat) » signifie « être entre 7 et 14 ans et n’être pas encore pubère (le suj. étant une fille) » ‖ ăsakat signifie p. ext. « petite fille non pubère entre 7 et 14 ans ». D. ce s., est syn. de tămessekat et plus us. que lui ‖ v. ⵎⵙ ames, émêsi. — tămessekat ⵜⵎⵙⴾⵜ sf. φ (pl. timessekâtîn ⵜⵎⵙⴾⵜⵏ), daṛ tmessekâtîn ‖ petite fille non pubère entre 7 et 14 ans ‖ peu us. ⵙⵆ esk̤ou ⵙⵆⵓ ✳ vn. prim. ; conj. 14 « emdou » ; (isk̤ă, isk̤â, éd isk̤ou, our isk̤é) ‖ être bon et solide (être vertueux et d’une vertu solide (le suj. étant une p.) ; être bon et résistant (le suj. étant un an.) ; être de bonne qualité et solide (le suj. étant une ch.)) ‖ p. ext. « être vertueux (le suj. étant une p.) ; être de bonne qualité (le suj. étant un an. ou une ch.) ». Se dit des p., des an. sauvages et domestiques, de ch. qlconques, p. ex. d’une arme, d’un vêtement, d’une écuelle, d’une peau, de blé, d’eau, de lait, etc. ‖ peu us. — soûk̤k̤ou ⵙⵆⵓ vn. f. 5 ; conj. 223 « moûddou » ; (isoûk̤k̤ou, our isouk̤k̤ou) ‖ être hab. bon et solide ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — tăsek̤k̤aout ⵜⵙⵆⵓⵜ sf. nv. prim. ; φ (pl. tisek̤k̤aouîn ⵜⵙⵆⵓⵏ), daṛ tsek̤k̤aouîn ‖ fait d’être bon et solide ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ⵙⵍ esel ⵙⵍ vn. prim. ; conj. 25 « egel » ; ρ (islă, islâ, éd isel, our islé) ‖ entendre ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un an. Ce que le suj. entend se met au datif ; cela peut être une p., un an., ou une ch. ‖ se dit d’une p. ou d’un an. qui entendent, dans une mesure qlconque, n’importe quel son fort ou faible ‖ p. ext. « entendre dire ; entendre parler de » ; d. ce s., peut qlqf. se traduire par « apprendre (par ouï-dire) ». (Ex. eslĭṛ i Kenân ious-ed ⁒ j’ai entendu K. il est arrivé (j’ai entendu dire que K. est arrivé) = eslĭṛ Kenân ious-ed ⁒ j’ai entendu [que] K. est arrivé (m. s. q. le pr.) = eslĭṛ i Dâssin terîn ⁒ j’ai entendu D. elle est malade (j’ai entendu dire que D. est malade) = eslĭṛ Dâssin terîn ⁒ j’ai entendu [que] D. est malade (m. s. q. le pr.) = eslĭṛ i Ăir iṅġĕi ⁒ j’ai entendu l’Ăir il a ruisselé (j’ai entendu dire que l’Ăir a ruisselé d’eau courante provenant de pluies récentes) = eslĭṛ Ăir iṅġĕi ⁒ j’ai entendu [que] l’Ăir a ruisselé (m. s. q. le pr.) = eslĭṛ i tămettant ennît ⁒ j’ai entendu sa mort (j’ai entendu dire qu’il est mort ; j’ai appris sa mort) = eslĭṛ i âles ouâ-reṛ ⁒ j’ai entendu cet h. (j’ai entendu parler de cet h.) = eslĭṛ i ăoużlou ouâ-reṛ ⁒ j’ai entendu cette affaire (j’ai entendu parler de cette affaire) = eslĭṛ i ăs ennît ⁒ j’ai entendu de son arrivée (j’ai appris son arrivée)) ‖ p. ext. « écouter attentivement [qlq’un ; des paroles] ; tenir compte des paroles de [qlq’un] ; obéir à ». v. ⴶⴷ seġed ‖ p. ext. « concevoir », le suj. étant une chamelle. v. ⵂⴶ eheġ. — sesel ⵙⵙⵍ va. f. 1 ; conj. 158 « segel » ; ω ρ (issĕsla, iessîsla, éd isesel, our issesla) ‖ faire entendre ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — nemesli ⵏⵎⵙⵍⵉ vn. f. 2bis ; conj. 49 « medeggou » ; (inmesla, iensîmesla, éd inmesli, our inmesla) ‖ s’entendre réc. l’un l’autre ‖ p. ext. « entendre réc. parler l’un de l’autre » ‖ p. ext. « s’écouter attentivement réc. l’un l’autre ; tenir réc. compte des paroles l’un de l’autre ; s’obéir réc. l’un à l’autre ». — touesli ⵜⵓⵙⵍⵉ vn. f. 3 ; conj. 193 « toueddi » ; (ittouesla, ietîouesla, éd iettouesli, our ittouesla) ‖ être entendu ‖ a t. les s. c. à c. du prim., excepté celui qui correspond à « concevoir ». — touesel ⵜⵓⵙⵍ vn. f. 3 ; conj. 196 « touesel » ; ρ (ittouesel, ietîouesel, éd iettouesel, our ittouesel) ‖ m. s. q. le pr. — tesel ⵜⵙⵍ vn. f. 3bis ; conj. 180 « meseou » ; (ittĕsla, iettîsla, éd iettesel, our ittesla) ‖ m. s. q. le pr. — sâll ⵙⵍ vn. f. 5 ; conj. 217 « lâss » ; (isâll, our isell) ‖ entendre hab. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâsla ⵙⵙⵍⴰ va. f. 1.10 ; conj. 238 « târeżża » ; ω (isâsla, our isesli) ‖ faire hab. entendre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tînmesli ⵜⵏⵎⵙⵍⵉ vn. f. 2bis.12 ; conj. 244 « tîmendou » ; (itînmesli, our itenmesli) ‖ s’entendre hab. réc. l’un l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2bis. — tîtouesli ⵜⵜⵓⵙⵍⵉ vn. f. 3.12 ; conj. 244 « tîmendou » ; (itîtouesli, our itetouesli) ‖ être hab. entendu ‖ a t. les c. à c. de la f. 3. — tâouesla ⵜⵓⵙⵍⴰ vn. f. 3.10 ; conj. 238 « târeżża » ; (itâouesla, our iteouesli) ‖ m. s. q. le pr. — tâtesla ⵜⵜⵙⵍⴰ vn. f. 3bis.10 ; conj. 238 « târeżża » ; (itâtesla, our itetesli) ‖ m. s. q. le pr. — têsla ⵜⵙⵍⴰ vn. f. 3bis.15 ; conj. 252 « têlsa » ; (itêsla, our itesli) ‖ m. s. q. le pr. — téselé ⵜⵙⵍⵉ sf. nv. prim. ; φ (pl. tiseliouîn ⵜⵙⵍⵓⵏ), daṛ tăselé (tĕselé), daṛ tseliouîn ‖ fait d’entendre ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ signifie aussi « audition (fait d’entendre) ; ouïe (sens de l’ouïe, faculté d’entendre) ». — ăsesli ⵙⵙⵍⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseslîten ⵙⵙⵍⵜⵏ), daṛ seslîten ‖ fait de faire entendre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ănmesli ⵏⵎⵙⵍⵉ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmeslîten ⵏⵎⵙⵍⵜⵏ), daṛ ĕnmeslîten ‖ fait de s’entendre réc. l’un l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2bis. — ătouesli ⵜⵓⵙⵍⵉ sm. nv. f. 3 ; φ (pl. itoueslîten ⵜⵓⵙⵍⵜⵏ), daṛ ĕtoueslîten ‖ fait d’être entendu ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 3. — ătesli ⵜⵙⵍⵉ sm. nv. f. 3bis ; φ (pl. iteslîten ⵜⵙⵍⵜⵏ), daṛ teslîten ‖ m. s. q. le pr. — tisellé̆t ⵜⵙⵍⵜ sf. (pl. tiselletîn ⵜⵙⵍⵜⵏ), daṛ tiselletîn ‖ renommée (réputation) (quelconque, bonne ou mauvaise) ‖ p. ext. « bonne renommée ». — isalân ⵙⵍⵏ sm. φ (pl. .s. s.), daṛ salân ‖ nouvelles (premiers avis de choses arrivées récemment ; renseignements sur l’état de p., d’an., de ch.) ‖ eġ isalân « faire des nouvelles » signifie « donner des nouvelles ». (Ex. eġ âs isalân en Kenân ⁒ fais-lui des nouvelles de K. (donne-lui des nouvelles de K.) = ġĭṛ i Dâssin isalân n Ăir, d eddoûnet ennît, d oulli nnît ⁒ j’ai fait (j’ai donné) à D. des nouvelles de l’Ăir, et de ses gens, et de ses chèvres) ‖ oul isalân : v. ⵓⵍ oula ‖ aheṛ isalân : v. ⵂⵗ aheṛ ‖ en s’abordant, les Kel-Ăh. débutent hab. par des formules de salutation ; puis l’un d’eux dit presque toujours isalân ? « nouvelles ? (y a-t-il des nouvelles ? quelles sont les nouvelles ?) ». Cette interrogation isalân a qlqf. un sens spécial ; quand un h. aborde une f. en lui disant, sans formule préalable et avant tout autre mot, isalân ?, cela signifie « y a-t-il des nouvelles d’asri ? (y a-t-il chez toi pour moi de l’asri ? veux-tu te livrer à l’asri « liberté de mœurs » et à ses actes avec moi ?) » ; si la f. consent, elle répond elouân « elles abondent (les nouvelles abondent) », ce qui signifie « les nouvelles d’asri abondent (il y a chez moi pour toi de l’asri en abondance ; je consens volontiers à me livrer à l’asri « liberté de mœurs » et à ses actes avec toi) ». — tesouslit ⵜⵙⵙⵍⵜ sf. φ (pl. tisouslîtîn ⵜⵙⵙⵍⵜⵏ), daṛ tsouslîtîn ‖ son d’avertissement (pour faire connaître qu’on est là ; pour donner un signal) (qlconque, fort ou faible, donné avec la bouche, la main, le pied, un instrument, etc.) ‖ se dit, p. ex., du son « hem » presqu’imperceptible fait pour avertir qlq’un qu’on est là, pour l’engager à se taire, à parler, à se lever, à faire un acte qlconque ; de claquements de mains faits pour appeler qlq’un qui est à qlq. distance ; de sons de corne de chasse, de tambour, de trompette, ou de coups de fusil ayant pour but de faire connaître le lieu où on est à des compagnons de voyage égarés, d’appeler au secours, d’annoncer au loin l’approche d’un danger, p. ex. d’un parti ennemi, d’une crue subite, etc. — émesli ⵎⵙⵍⵉ sm. φ (pl. imeslân ⵎⵙⵍⵏ), daṛ ămesli (ĕmesli), daṛ meslân ‖ son de la voix ; voix ‖ se dit proprement de la voix des p. et de celle de tous les an. ‖ se dit p. ext. du son de ce qui ressemble à la voix et a de l’harmonie com. l’echo, tous les instruments de musique, les cloches, les clochettes, ainsi que du son du tonnere et de celui des détonations d’armes à feu ‖ peut qlqf. se traduire par « son » ‖ v. ⵂⵜ ăhît. ⵙⵍ esel ⵙⵍ va. prim. ; conj. 30 « ebeḍ » ; ρ (isĕl, isâl, éd isel, our isil) ‖ être chaussée de ; se chausser de ‖ peut avoir pour rég. dir. une chaussure qlconque, sandale, botte, soulier, etc., ou bien un bas ou une chaussette ‖ p. ext. « être ferré de », le suj. étant un cheval, un âne, etc. ‖ p. ext. « être muni au pied (ou aux pieds) de [une (ou des) semelle de cuir] », le suj. étant un chameau, le rég. dir. étant une semelle de cuir cousue à la plante de son pied. — sesel ⵙⵙⵍ va. f. 1 ; conj. 113 « sebeḍ » ; ρ (issel, iesîsel, éd isesel, our issel) ‖ chausser de ; faire se chausser de ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — tesel ⵜⵙⵍ vn. f. 3bis ; conj. 99 « bereġ » ; (ittĕsel, iettîsel, éd iettesel, our ittesel) ‖ être porté (le suj. étant une chaussure, un bas, une chaussette) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — essâl ⵙⵍ va. f. 5 ; conj. 218 « ebbâḍ » ; (issâl, our issil) ‖ être hab. chaussé de ; se chausser hab. de ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâsâl ⵙⵙⵍ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâsŝal, our isesil) ‖ chausser hab. de ; faire se chausser de ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tâtesâl ⵜⵜⵙⵍ vn. f. 3bis.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâtesâl, our itetesil) ‖ être hab. porté ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 3bis. — tîsâl ⵜⵙⵍ vn. f. 3bis.13 ; conj. 247 « tîksân » ; (itîsâl, our itesil) ‖ m. s. q. le pr. — ésîl ⵙⵍ sm. nv. prim. ; φ (pl. isîlen ⵙⵍⵏ), daṛ ăsîl (ĕsîl), daṛ sîlen ‖ fait d’être chaussé de ; fait de se chausser de ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ p. ext. « paire de chaussures (paire de sandales, de bottes, de souliers de forme qlconque) ; ferrure (les 4 fers nécessaires pour ferrer un an.) ». — assel ⵙⵍ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. issîlen ⵙⵍⵏ), daṛ ĕssel (ăssel), daṛ ĕssîlen ‖ fait de chausser de ; fait de faire se chausser de ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — atsel ⵜⵙⵍ sm. nv. f. 3bis ; φ (pl. itsîlen ⵜⵙⵍⵏ), daṛ ĕtsel (ătsel), daṛ ĕtsîlen ‖ fait d’être porté ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 3bis. — assel ⵙⵍ sm. φ (pl. issâl ⵙⵍ), daṛ ĕssel (ăssel), daṛ ĕssâl ‖ moitié d’une bande de peau, large et souple, qui fait partie de la sandale nommée tenba et des sandales analogues aux tenba ‖ v. ⵐⵂⵔ té̆ñhert. — tasselt ⵜⵙⵍ⵿ⵜ sf. φ (pl. tissâl ⵜⵙⵍ), daṛ tĕsselt (tăsselt), daṛ tĕssâl ‖ semelle de cuir (ayant pour usage d’être cousue à la plante du pied d’un chameau) ; fer (de cheval) ‖ d. le s. « fer », est syn. de téṛatimt. — ăsesil ⵙⵙⵍ sm. φ (pl. isesîlen ⵙⵙⵍⵏ), daṛ sesîlen ‖ pièce de peau ou d’étoffe dont on recouvre une déchirure avant de recoudre les lèvres de la déchirure (et qu’on coud aux lèvres de la déchirure par les points même qui cousent ces lèvres l’une à l’autre) ‖ on met des ăsesil aux outres, aux sacs en peau, etc. qlqf. aux sacs en tissu dans lesquels se produisent des déchirures ‖ p. ext. « périnée ». v. ⵎⵥⵉ témeżeit, ămeżżoui. ⵙⵍ ésali ⵙⵍⵉ sm. φ (pl. isalân ⵙⵍⵏ), daṛ ăsali (ĕsali), daṛ salân ‖ roche lisse (de toute forme, de toute dimension, en n’importe quelle position) ‖ se dit de roches lisses détachées du sol, attachées au sol en n’importe quelle position, ou formant des montagnes entières composées d’un seul bloc de roche lisse ‖ v. ⴼⵍ téfilt. — tésalit ⵜⵙⵍⵜ sf. φ (pl. tisalâtîn ⵜⵙⵍⵜⵏ), daṛ tăsalit (tĕsalit), daṛ tsalâtîn ‖ colline isolée en roche lisse. — tasîlé ⵜⵙⵍⵉ sf. φ (pl. tisîliouîn ⵜⵙⵍⵓⵏ), daṛ tĕsîlé (tăsîlé), daṛ tsîliouîn ‖ vaste massif montagneux couronné de grands plateaux rocheux sans sommets dominant notablement ces plateaux ‖ les tasîlé sont des massifs montagneux d’un genre particulier, vastes, entièrement couronnés de plateaux rocheux plus ou moins accidentés, sans sommets dépassant de beaucoup le niveau de ces plateaux. Les plateaux supérieurs sont découpés par des vallées profondes, dont le nombre et l’escarpement font souvent des tasîlé des lieux d’accès très difficile ‖ les principales tasîlé connues des Kel-Ăh. sont : celle de l’Ăjjer, celle de l’Immîdir, celle qui est entre l’Ăh. et l’Ăir, celle qui est entre l’Ăhnet et l’Ădṛaṛ ; la plus considérable des 4 est celle de l’Ăj. ‖ diffère d’éteouêl « plateau supérieur [d’une montagne ; d’un massif montagneux de dimension qlconque] » ‖ diffère d’éseouel « terrain dur, plat et surélevé (lieu à sol dur, uni, sans végétation, plat ou en pente douce, un peu élevé audessus des lits voisins de vallées ou de ravines) » ‖ diffère d’adreġ « massif montagneux ayant à son sommet un plateau », qui signifie un massif beaucoup moins considérable qu’une tasîlé ; une tasîlé peut contenir un grand nombre d’adreġ ‖ diffère d’ékeref « grand plateau bas et à sol dur (plateau d’une étendue considérable (ayant au minimum qlq. kil. de long), d’une élévation médiocre audessus du sol qui est à ses pieds (25 à 200 mètres), à terrain plat, ondulé ou peu accidenté, et généralement dur) », qui signifie un mouvement de terrain beaucoup moins haut et moins accidenté que les tasîlé. — ăsâla ⵙⵍⴰ sm. φ (pl. isâlân ⵙⵍⵏ), daṛ sâlân ‖ natte en feuilles de palmier (pour se coucher ou s’asseoir, de forme et dimension qlconques) ‖ les ăsâla sont en feuilles de dattier ou en feuilles de palmier doûm. — tesâlat ⵜⵙⵍⵜ sf. φ (pl. tisâlâtîn ⵜⵙⵍⵜⵏ), daṛ tsâlâtîn ‖ dim. du pr. — tăselsela ⵜⵙⵍⵙⵍⴰ sf. φ (pl. tiselselaouîn ⵙⵍⵍⵓⵏ), daṛ tselselaouîn ‖ calvitie ‖ syn. d’étaṛei et moins us. que lui. — eslel ⵙⵍⵍ vn. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (islĕl, islâl, éd islel, our islil) ‖ être très lisse et très doux au toucher (être sans la moindre aspérité et très doux au toucher, com. une ch. lustrée, glacée) ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. ‖ se dit, p. ex., de la peau et des cheveux d’une p., du poil d’un an., d’un marbre, d’un métal, d’un ivoire, d’un bois parfaitement polis, de verre ou de porcelaine bien lisses, de peau ou de papier glacés ou satinés, de satin, etc. ‖ diffère d’islaf « être lisse (être sans aspérité) », qui exprime un degré de douceur au toucher moindre qu’eslel ‖ diffère de tenet (Ta. 1) « être poli (être rendu uni et luisant par frottement) », qui ne se dit que de ce qu’une p. a rendu uni et luisant par un travail de polissage. — seslel ⵙⵙⵍⵍ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕslel, iessîslel, éd iseslel, our isseslel) ‖ rendre très lisse et très doux au toucher. — sâllel ⵙⵍⵍ vn. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (isâllel, our isellel) ‖ être hab. très lisse et très douce au toucher. — sâslâl ⵙⵙⵍⵍ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâslâl, our iseslil) ‖ rendre hab. très lisse et très doux au toucher. — ăsalal ⵙⵍⵍ sm. nv. prim. ; φ (pl. iselâlen ⵙⵍⵍⵏ), daṛ selâlen ‖ fait d’être très lisse et très doux au toucher. — ăseslel ⵙⵙⵍⵍ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseslîlen ⵙⵙⵍⵍⵏ), daṛ seslîlen ‖ fait de rendre très lisse et très doux au toucher. — selelet (Ta. 1) ⵙⵍⵍⵜ vn. prim. ; conj. 46 « ferekket (Ta. 1) » ; (islelet, iesîlelet, éd islelet, our islelet) ‖ glisser (sur une surface glissante horizontale ou en pente) (le suj. étant une p., un an., une ch.) ‖ ce sur quoi glisse le suj. est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. daṛ « dans » ou foull « sur ». Ce peut être n’importe quelle surface glissante, roche lisse, argile humide, glace, etc. ‖ v. ⵂⵜⴱ hetebbet (Ta. 2). — sesselelet (Ta. 1) ⵙⵙⵍⵍⵜ va. f. 1 ; conj. 133 « sedderet (Ta. 1) » ; (isselelet, iesîselelet, éd isesselelet, our isselelet) ‖ faire glisser ‖ p. ext. « être glissant pour ». — tîslelît (Ta. 7) ⵜⵙⵍⵍⵜ vn. f. 16 ; conj. 254 « tîtreġġît (Ta. 7) » ; (itîslelît, our iteslelit) ‖ glisser hab. — sîslelît (Ta. 7) ⵙⵙⵍⵍⵜ va. f. 1.16 ; (isîslelît, our iseslelit) ‖ faire hab. glisser ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăsleli ⵙⵍⵍⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. islelîten ⵙⵍⵍⵜⵏ), daṛ ĕslelîten ‖ fait de glisser. — ăsesseleli ⵙⵙⵍⵍⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesselelîten ⵙⵙⵍⵍⵜⵏ), daṛ sesselelîten ‖ fait de faire glisser ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — teselelet ⵜⵙⵍⵍⵜ sf. φ (pl. tiseleletîn ⵜⵙⵍⵍⵜⵏ), daṛ tseleletîn ‖ surface glissante (de roche lisse, d’argile humide, de glace, de terre couverte de verglas, de qlq. ch. d’analogue) ‖ p. ext. « endroit glissant (endroit à surface glissante) ». — soulleṛet (Ta. 2) ⵔⵍⵗⵜ vn. prim. ; conj. 97 « doubet (Ta. 2) » ; (iessoŭlleṛet, iessoûlleṛet, éd issoulleṛet, our iessoulleṛet) ‖ être doux (matériellement ou moralement) (être doux (de caractère, de façons, de langage) (le suj. étant une p.) ; être doux au toucher (de peau, de cheveux) (le suj. étant une p.) ; être doux (de caractère) (le suj. étant un an.) ; être doux au toucher (de peau, de poil) (le suj. étant un an.) ; être doux au toucher (le suj. étant une ch.)) ‖ p. ext. « être régulier (être bien formé dans toutes ses parties) », le suj. étant une ch. Se dit, p. ex., d’une boite, d’une brique, d’une couture, d’une écriture, etc. — sesselleṛet (Ta. 2) ⵙⵙⵍⵗⵜ va. f. 1 ; conj. 134 « seġġereffet (Ta. 2) » ; (isselleṛet, iesîselleṛet, éd isesselleṛet, our isselleṛet) ‖ rendre doux ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — tîselleṛoût (Ta. 8) ⵜⵙⵍⵗⵜ vn. f. 16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (itîselleṛoût, our iteselleṛout) ‖ être hab. doux ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sîselleṛoût (Ta. 8) ⵙⵙⵍⵗⵜ va. f. 1.16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (isîselleṛoût, our iseselleṛout) ‖ rendre hab. doux ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăsoulleṛou ⵙⵍⵗⵓ sm. nv. prim. ; φ (pl. iselleṛoûten ⵙⵍⵗⵜⵏ), daṛ selleṛoûten ‖ fait d’être doux ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsesselleṛou ⵙⵙⵍⵗⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesselleṛoûten ⵙⵙⵍⵗⵜⵏ), daṛ sesselleṛoûten ‖ fait de rendre doux ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — selliṛet ⵙⵍⵗⵜ sf. (pl. selliṛetîn ⵙⵍⵗⵜⵏ) ‖ douceur (morale) (d’une p.). ⵙⵍ sessellet (Ta. 2) ⵙⵙⵍⵜ ✳ vn. f. 1 ; conj. 134 « seġġereffet (Ta. 2) » ; (issellet, iesîsellet, éd isessellet, our issellet) ‖ faire une prière en l’honneur de Mahomet (faire une invocation en l’honneur de Mahomet ; réciter une prière en l’honneur de Mahomet) ‖ se dit de qlq’un qui fait une invocation ou une prière qlconque, longue ou courte, en l’honneur de Mahomet ‖ peu us. — sîsellôut (Ta. 8) ⵙⵙⵍⵜ vn. f. 1.16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (isîselloût, our isesellout) ‖ faire hab. des prières en l’honneur de Mahomet. — ăsessellou ⵙⵙⵍⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesselloûten ⵙⵙⵍⵜⵏ), daṛ sesselloûten ‖ fait de faire une prière en l’honneur de Mahomet ‖ p. ext. « invocations en l’honneur de Mahomet ; prière en l’honneur de Mahomet ». Se dit de toute invocation ou prière, longue ou courte, en l’honneur de Mahomet. ⵙⵍ sel ⵙⵍ (ăsel ⵙⵍ, selid ⵙⵍⴷ, ăselid ⵙⵍⴷ) pi. prép. ‖ si ce n’est ; excepté ‖ peut avoir pour rég. un subs., un pron. personnel sujet (isolé), un pron. relatif, un pron. indéfini, un nom de nombre cardinal, certains particules ; peut accompagner un verbe. Ne peut pas avoir pour rég. un pron. personnel affixe ; quand il a pour rég. un pron. personnel « moi, toi, lui, etc. », celui-ci est exprimé par le pron. personnel sujet (isolé) nek, kai, kem, enta, etc., non par un pron. affixe rég. des particules ‖ p. ext. « sans ; sans que » ‖ d. le s. « si ce n’est ; excepté », est syn. d’ar et beauc. moins us. que lui. v. ⵔ ar ‖ d. le s. « sans ; sans que », est syn. d’oula et de min. Oula est beauc. plus us. que min et que sel. v. ⵓⵍ oula ; ⵎⵏ min ‖ a sel ien : v. ⵉⵏ ien. ⵙⵍⴱ tiselebbâtîn ⵜⵙⵍⴱⵜⵏ sf. φ (pl. s. s.), daṛ tselebbâtîn ‖ sandales de luxe (d’une espèce particulière) ‖ syn. de tenba et beauc. moins us. que lui ‖ v. ⵜⵏⴱ tenba. ⵙⵍⴷ selid (ăselid) ‖ v. ⵙⵍ sel. ⵙⵍⴹ esleḍ ⵙⵍⴹ va. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (islĕḍ, islâḍ, éd isleḍ, our isliḍ) ‖ démembrer (découper membre par membre en désarticulant soigneusement et en laissant à chaque membre toute la chair qui lui appartient) ‖ a aussi le s. pas. « être démembré » ‖ peut avoir pour rég. dir. n’importe quel an. — sesleḍ ⵙⵙⵍⴹ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕsleḍ, iessîsleḍ, éd isesleḍ, our issesleḍ) ‖ faire démembrer ‖ se c. av. 2 acc. — sâlleḍ ⵙⵍⴹ va. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (isâlleḍ, our iselleḍ) ‖ démembrer hab. ‖ a aussi le s. pas. — sâslâḍ ⵙⵙⵍⴹ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâslâḍ, our isesliḍ) ‖ faire hab. démembrer ‖ se c. av. 2 acc. — ăsalaḍ ⵙⵍⴹ sm. nv. prim. ; φ (pl. iselâḍen ⵙⵍⴹⵏ), daṛ selâḍen ‖ fait de démembrer ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être démembré ». — ăsesleḍ ⵙⵙⵍⴹ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseslîḍen ⵙⵙⵍⴹⵏ), daṛ seslîḍen ‖ fait de faire démembrer. — imâslâḍen ⵎⵙⵍⴹⵏ sm. φ (pl. s. s.), daṛ mâslâḍen ‖ nom d’une groupe de 4 côtes (dans certains an.) ‖ v. ⴷⵙ eddes, éṛerdis. — tasleṭ ⵜⵙⵍⵟ sf. φ (pl. tisellâḍ ⵜⵙⵍⴹ), daṛ tĕsleṭ (tăsleṭ), daṛ tsellâḍ ‖ tiers de membre (l’un des 3 os principaux d’un des 4 membres accompagné de la chair qui lui appartient) ‖ tout quadrupède a 12 tasleṭ, savoir : 2 tăġerġist, 2 aġhâl, 2 ămâsour, 2 tetôṛest, 2 tărma, 2 êleṛ. Chaque tasleṭ comprend un os entier, d’une articulation à l’autre, et toute la viande qui lui appartient. v. ⵍⵗ ăllaṛ, êleṛ. — ăsesleḍ ⵙⵙⵍⴹ sm. φ (pl. iseslâḍ ⵙⵙⵍⴹ), daṛ seslâḍ ‖ endroit formant séparation entre 2 tasleṭ (endroit entre 2 os ou entre des chairs qui forme limite entre 2 tasleṭ) ‖ chaque tasleṭ a, entre les chairs com. entre les os, des limites fixes ; ces limites, sur toute leur longueur, sont des ăsesleḍ, et chacun de leurs points est un ăsesleḍ. ⵙⵍⴼ islaf ⵙⵍⴼ vn. prim. ; conj. 79 « idras » ; (seloŭf, seloûf, éd islaf, our selouf) ‖ être lisse (être sans aspérité) ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. ‖ se dit, p. ex., de la peau et des cheveux d’une p., du poil d’un an., d’un mur crépi, d’une pierre lisse, d’une planche rabotée, de toile, de drap ras, de toute étoffe de soie, taffetas, velours, peluche, etc. ‖ v. ⵙⵍ ésali, eslel. — seslef ⵙⵙⵍⴼ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕslef, iessîslef, éd iseslef, our isseslef) ‖ rendre lisse. — tîslâf ⵜⵙⵍⴼ vn. f. 18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (itîslâf, our itislaf) ‖ être hab. lisse. — sâslâf ⵙⵙⵍⴼ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâslâf, our iseslif) ‖ rendre hab. lisse. — tesselouft ⵜⵙⵍⴼⵜ sf. nv. prim. ; (pl. tesseloûfîn ⵜⵙⵍⴼⵏ) ‖ fait d’être lisse. — ăseslef ⵙⵙⵍⴼ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseslîfen ⵙⵙⵍⴼⵏ), daṛ seslîfen ‖ fait de rendre lisse. ⵙⵍⴼ selef ‖ v. ⵍⴼ selef. ⵙⵍⴼ taslaft ⵜⵙⵍⴼⵜ sf. φ (pl. tislâfîn ⵜⵙⵍⴼⵏ), daṛ tĕslaft (tăslaft), daṛ tĕslâfîn ‖ corbeau (de sexe qlconque) ‖ p. ext. le pl. tislâfîn, us. dans le s. « 2 corbeaux », l’est très peu autrement ‖ pour un voyageur, voir au même instant 2 corbeaux est un bon présage, en voir un seul est un mauvais présage ‖ d. le s. « corbeau » est syn. d’ăṛaleġ. ⵙⵍⴼ tesellouft ⵜⵙⵍⴼⵜ sf. φ (n. d’u. et col.) (pl. tiselfîn ⵜⵙⵍⴼⵏ), daṛ tselfîn ‖ petit pou brun-rouge de chameau ‖ v. ⴼⴹⴹ ăfoûḍiḍ. ⵙⵍⴼⵔ ăselferi ⵙⵍⴼⵔⵉ (Ăir) pi. exclam. ‖ comme tu voudras ! comme vous voulez ! ‖ exclam. de mécontentement, colère, ou défi ‖ non us. dans l’Ăh. ⵙⵍⴶ esleġ ⵙⵍⴶ va. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (islĕġ, islâġ, éd isleġ, our isliġ) ‖ diviser en 2 parties égales (dans le sens de la longueur) ‖ a aussi le s. pas. « être divisé en 2 parties égales » ‖ peut avoir pour suj. une p., un instrument tranchant, le vent, etc. Peut avoir pour rég. dir. une p., un an., ou une ch. ‖ se dit, p. ex., de qlq’un qui coupe en 2 parties égales, dans le sens de la longueur, un h. qu’il fend de la tête au bras d’un coup de sabre, un mouton, une chèvre, un an. de boucherie qlconque abattus, une peau, une couverture, un morceau d’êtoffe, une poutre, une planche, etc. ‖ p. ext. « se séparer de (rompre avec ; ne plus s’occuper de ; laisser de côté (abandonner) ; laisser tranquille ; laisser la paix à) (act.) ». Le suj. peut être une p. ou un an. Le rég. dir. peut être une p., un an., ou une ch. Se dit, p. ex., d’un h. qui rompt avec une épouse ou un ami infidèles, avec un compagnon qui lui donne de mauvais conseils ; qui laisse de côté une monture parce qu’elle est mauvaise ou a un défaut grave, un travail ou une occupation parce qu’ils ne lui rapportent pas de profit, le fatiguent à l’excès, sont audessus de ses forces, etc. ; d’un h. qui laisse tranquilles une p. ou un an. qu’il tourmente, une f. qu’il cherche à obtenir pour épouse et qui ne veut pas de lui, un an. ou une ch. qu’il s’efforce d’acquérir, une p., un an., ou une ch. au sujet desquels il fait qlq. ch. de déplaisant pour qlq’un ou de mal en soi, un débiteur qu’il harcele de demandes de paiement, un h. avec lequel il se querelle ou a un procès ; etc. ‖ d. le s. « se séparer de » est syn. de sellem et plus us. que lui ‖ v. ⵎⵣⵉ mezzei. — sesleġ ⵙⵙⵍⴶ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕsleġ, iessîsleġ, éd isesleġ, our issesleġ) ‖ faire diviser en 2 parties égales ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — mesleġ ⵎⵙⵍⴶ vn. f. 2 ; conj. 99 « bereġ » ; (immĕsleġ, iemmîsleġ, éd iemmesleġ, our immesleġ) ‖ se séparer réc. l’un de l’autre (d. le s. ci. d.) ‖ syn. de nesellem empl. d. ce s. et plus us. que lui. — semmesleġ ⵙⵎⵙⵍⴶ va. f. 2.1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (ismesleġ, iesîmesleġ, éd isemmesleġ, our ismesleġ) ‖ faire se séparer réc. l’un de l’autre. — sâlleġ ⵙⵍⴶ va. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (isâlleġ, our iselleġ) ‖ diviser hab. en 2 parties égales ‖ a aussi le s. pas. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâslâġ ⵙⵙⵍⴶ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâslâġ, our isesliġ) ‖ faire hab. diviser en 2 parties égales ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tâmeslâġ ⵜⵎⵙⵍⴶ vn. f. 2.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâmeslâġ, our itemesliġ) ‖ se séparer hab. réc. l’un de l’autre. — sâmeslâġ ⵙⵎⵙⵍⴶ va. f. 1.2.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâmeslâġ, our isemesliġ) ‖ faire hab. se séparer réc. l’un de l’autre. — ăsalaġ ⵙⵍⴶsm. nv. prim. ; φ (pl. iselâġen ⵙⵍⴶⵏ), daṛ selâġen ‖ fait de diviser en 2 parties égales ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être divisé en 2 parties égales » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsesleġ ⵙⵙⵍⴶ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseslîġen ⵙⵙⵍⴶⵏ), daṛ seslîġen ‖ fait de faire diviser en 2 parties égales ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ămesleġ ⵎⵙⵍⴶ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imeslîġen ⵎⵙⵍⴶⵏ), daṛ meslîġen ‖ fait de se séparer réc. l’un de l’autre. — ămeslaġ ⵎⵙⵍⴶ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imeslâġen ⵎⵙⵍⴶⵏ), daṛ meslâġen ‖ m. s. q. le pr. — ăsemmesleġ ⵙⵎⵙⵍⴶ sm. nv. f. 2.1 ; φ (pl. isemmeslîġen ⵙⵎⵙⵍⴶⵏ), daṛ semmeslîġen ‖ fait de faire se séparer réc. l’un de l’autre. — asleġ ⵙⵍⴶ sm. φ (pl. islîġen ⵙⵍⴶⵏ), daṛ ĕsleġ (ăsleġ), daṛ ĕslîġen ‖ moitié (d’une p., d’un an., d’une ch., divisés en 2 parties égales dans le sens de la longueur). ⵙⵍⵉ esli ⵙⵍⵉ nv. prim. ; conj. 32 « eġmi » ; (islĕi, islâi, éd isli, our isléi) ‖ être caillé (être mêlé de caillots) (le suj. étant du lait) ; se cailler (d. le s. ci. d.) ‖ au sens propre, ne peut avoir pour suj. que du lait ‖ v. ⴾⴼ ekef, ikfai ; ⴾⵔ keret (Ta. 1) ‖ p. ext. « être épais (être consistant, être peu liquide) », le suj. étant du miel, de l’ăṛehâra, de l’ălakoh, du kachri, de l’éṛelé. — sesli ⵙⵙⵍⵉ va. f. 1 ; conj. 153 « seġmi » ; (issĕslei, iessîslei, éd isesli, our isseslei) ‖ cailler (act.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâllei ⵙⵍⵉ vn. f. 5 ; conj. 222 « ġâmmei » ; (isâllei, our iselli) ‖ être hab. caillé ; se cailler hab. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâslâi ⵙⵙⵍⵉ va. f. 1.7 ; conj. 231 « tâdenkâi » ; (isâslâi, our isesli) ‖ cailler hab. (act.) ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăsalai ⵙⵍⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. iselaien ⵙⵍⵉⵏ), daṛ selaien ‖ fait d’être caillé ; fait de se cailler ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsesli ⵙⵙⵍⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseslien ⵙⵙⵍⵉⵏ), daṛ seslien ‖ fait de cailler (act.) ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — émeseslei ⵎⵙⵙⵍⵉ sm. φ (pl. imesesleien ⵎⵙⵙⵍⵉⵏ), daṛ ămeseseslei (ĕmeseslei), daṛ mesesleien ‖ récipient pour faire cailler le lait (de forme et de matière qlconques) ‖ dans l’Ăh., on se sert presque touj. com. émeseslei d’un ăġioûr « vieille outre en peau mince et sans poil (vieille tanouart presqu’ usée) ». ⵙⵍⴾ selek ‖ v. ⵍⴾ elek. ⵙⵍⴾ sellek ⵙⵍⴾ ✳ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (issĕllek, iessîllek, éd iessellek, our issellek) ‖ prayer (act.) ; donner ce qui lui revient à (act.) ; faire passablement [qlq. ch.] (act.) ; être capable de faire passablement [qlq. ch.] (act.) ; être passable (n.) ‖ très peu us. ⵙⵍⵆ eslek̤ ⵙⵍⵆ ✳ vn. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (islĕk̤, islâk̤, éd islek̤, our islik̤) ‖ être vertueux (avoir de la vertu ; être conforme à la vertu) ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un acte ‖ p. ext. « être bon (en soi-même, par l’ensemble de ses qualités) », le suj. étant une p., un an., une ch. ‖ p. ext. « être bon (pour une affaire, un service, un travail, un usage) », le suj. étant une p., un an., une ch. ‖ p. ext. « mettre en paix [une p. avec une autre] (act.) ; mettre la paix [entre une p. et une autre] (n.) » ‖ très peu us. ⵙⵍⵍ eslel ‖ v. ⵙⵍ ésali. — selelet (Ta. 1) ‖ v. ⵙⵍ ésali. ⵙⵍⵎ eslem ⵙⵍⵎ ✳ vn. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (islĕm, islâm, éd islem, our islim) ‖ être sauvé (être sauf ; être sain et sauf) ‖ peut avoir pour suj. une p., un an., ou une ch. ‖ signifie être sain et sauf temporellement, non « être sauvé éternellement (être en possession du salut éternel) » ‖ signifie aussi « devenir musulman ». — seslem ⵙⵙⵍⵎ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕslem, iessîslem, éd iseslem, our isseslem) ‖ sauver ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ p. ext. « saluer [qlq’un] ». Se dit de qlq’un qui salue des p. présentes ou absentes, hom. ou fem., par n’importe quelles formules ou n’importe quels signes. Peu us. d. ce s. ‖ d. le s. « saluer », est syn. de sellem, avec cette différence qu’il est act. et que sellem est n. — meseslem ⵎⵙⵙⵍⵎ vn. f. 1.2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imseslem, iemîseslem, éd imseslem, our imseslem) ‖ se saluer réc. l’un l’autre. — meseslam ⵎⵙⵙⵍⵎ vn. f. 1.2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imseslam, iemîseslam, éd imseslam, our imseslam) ‖ m. s. q. le pr. — sâllem ⵙⵍⵎ vn. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (isâllem, our isellem) ‖ être hab. sauvé ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâslâm ⵙⵙⵍⵎ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâslâm, our iseslim) ‖ sauver hab. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tîmseslîm ⵜⵎⵙⵙⵍⵎ vn. f. 1.2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmseslîm, our itemseslim) ‖ se saluer hab. réc. l’un l’autre. — tîmseslâm ⵜⵎⵙⵙⵍⵎ vn. f. 1.2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmseslâm, our itemseslam) ‖ m. s. q. le pr. — ăsalam ⵙⵍⵎ sm. nv. prim. ; φ (pl. iselâmen ⵙⵍⵎⵏ), daṛ selâmen ‖ fait d’être sauvé ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăseslem ⵙⵙⵍⵎ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseslîmen ⵙⵙⵍⵎⵏ), daṛ seslîmen ‖ fait de sauver ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ămseslem ⵎⵙⵙⵍⵎ sm. nv. f. 1.2 ; φ (pl. imseslîmen ⵎⵙⵙⵍⵎⵏ), daṛ ĕmseslîmen ‖ fait de se saluer réc. l’un l’autre. — ămseslam ⵎⵙⵙⵍⵎ sm. nv. f. 1.2 ; φ (pl. imseslâmen ⵎⵙⵙⵍⵎⵏ), daṛ ĕmseslâmen ‖ m. s. q. le pr. — ăneslem ⵏⵙⵍⵎ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. ineslemen ⵏⵙⵍⵎⵏ ; fs. tăneslemt ⵜⵏⵙⵍⵎ⵿ⵜ ; fp. tineslemîn ⵜⵏⵙⵍⵎⵏ), daṛ neslemen, daṛ tneslemîn ‖ hom. musulman ‖ p. ext. « lettré musulman (h. qui sait le Koran par cœur) ; religieux musulman (marabout) ; h. appartenant à une tribu maraboutique musulmane » ‖ p. ext. « religieux (h. consacré au service de Dieu) (de n’importe quelle religion) » ‖ p. ext. « père ; aïeul » : expr. de déférence et de respect qu’on emploie en parlant d’un père ou d’un aïeul vivants ou morts ‖ tallit en tneslemîn « mois des religieuses » (ou ti n tneslemîn « un des religieuses » (ti « une qui » est pour tallit « mois »)) est le nom tăm. du mois lunaire musulman de « rejeb » appelé aussi « chạbân aoul ». Dans le dial. Berb. séd. Ṛ. et Ġ., le mois appelé ti n tneslemîn dans l’Ăh. est appelé ti n ăġġaġen « un des lettrés musulmans ». v. ⵍ tallit ‖ d. le s. « lettré musulman », est syn. d’elfaḳḳi, d’eṭṭâleb et d’ăġġaġ et plus us. qu’eux. — esselâmet ⵙⵍⵎⵜ sf. (pl. esselâmetîn ⵙⵍⵎⵜⵏ) ‖ salut (fait d’être sauf ; fait d’être sain et sauf) ‖ signifie salut temporel, non « salut éternel (possession de la félicité éternelle) ». — esselâm ⵙⵍⵎ sm. (pl. esselâmen ⵙⵍⵎⵏ) ‖ salut (marque de civilité consistant en une formule ou un signe) ‖ se dit de tout salut adressé à une p. présente ou absente, hom. ou fem., par n’importe quelle formule ou n’importe quel signe ‖ peu us. — é̆nnsilam ⵏⵙⵍⵎ sm. (s. s. pl.) ‖ islam (religion musulmane) ‖ p. ext. « hom. musulman ; fem. musulmane ; hom. musulmans ; fem. musulmanes ». — elislam ⵍⵙⵍⵎ sm. (s. s. pl.) ‖ m. s. q. le pr. — selâm-eṛleikoum ⵙⵍⵎⵗⵍⵉⴾⵎ (m. à m. « le salut sur vous ») sm. (s. s. pl.) ‖ formule de salutation arabe ‖ selâm-eṛleikoum ne se dit qu’en abordant qlq’un ; les h. seuls le disent, et ils ne le disent qu’aux h. Celui à qui on dit selâm-eṛleikoum répond eṛleikoum-esselâm (ou leikoum-esselâm) « sur vous le salut ». — sellem ⵙⵍⵎ vn. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (issĕllem, iessîllem, éd iessellem, our issellem) ‖ saluer [qlq’un] ‖ ce que le suj. salue est à l’abl. et accompagné de foull « sur » ‖ se dit de qlq’un qui salue des p. présentes ou absentes, hom. ou fem., par n’importe quelles formules ou n’importe quels signes ‖ p. ext. « dire les mots « essalâmou-ạlîkoum » par lesquels finit la prière canonique » ; p. ext. « finir la prière canonique ». v. ⴾⴱⵔ koubber, settekber ‖ p. ext. « céder (céder la victoire, en cessant de lutter) [à une p., un an., une ch. ayant une sorte de vie, au suj. d’une p., d’un an., d’une ch.] (le suj. étant une p., un an., une ch. ayant une sorte de vie) ». Ce à quoi le suj. cède se met au datif. Ce au sujet de quoi le suj. cède est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. daṛ « dans ». S’emploie en parlant de toute espèce de lutte, et qlq. soit la cause pour laquelle le suj. cède. Se dit, p. ex., d’un peuple qui cède à un autre parce qu’il est incapable de lui résister dans une guerre ; d’un h. qui cède à un rival parce qu’il est incapable de l’emporter sur lui ; d’un h. qui cède à une fem., à un enfant, à un vieillard, qu’ils aient tort ou raison, parce qu’il a pitié de leur faiblesse ou par politesse ; d’un chien qui poursuit un gibier et qui cède et cesse la poursuite par fatigue ou paresse ; d’une p. ou d’un an. qui marchent en plein midi et qui cèdent au soleil, s’arrêtent et se mettent à l’ombre ; d’une p. ou d’un an. qui marchent ou travaillent au dehors par le vent, la pluie, ou le froid, et qui leur cèdent en se mettant à l’abri ; d’une pluie qui cède au vent et cesse de tomber ; d’un vent qui cède à la pluie et cesse de souffler ; etc. ‖ p. ext. « le céder (être inférieur) [à une p., un an., une ch., dans une qualité] (être incapable de lutter [avec une p., un an., une ch., dans une qualité]) (le suj. étant une p., un an., une ch.) ». Ce à quoi le suj. le cède se met au datif. Ce en quoi le suj. le cède se met à l’abl. et est accompagné d’une prép. qui est hab. daṛ « dans ». Se dit, p. ex., d’un peuple qui le cède à un autre en puissance, d’un h. qui le cède à un autre en intelligence, d’un cheval qui le cède à un autre en vitesse, d’une étoffe qui le cède à une autre en solidité, etc. ‖ p. ext. « se reconnaître inférieur [à qlq’un] ; se soumettre [à qlq’un] (en se reconnaissant com. son inférieur et en lui prêtant obéissance) ; être soumis [à qlq’un] (en se reconnaissant com son inférieur et en lui obéissant) ». Celui à qui on se reconnaît inférieur, on se soumet, on est soumis, se met au dat. ‖ p. ext. « renoncer [au suj. d’un acte, d’une p., d’un an., d’une ch.] (en cessant de vouloir ce qu’on voulait ; en cessant de faire ce qu’on faisait ; en laissant de côté, en abandonnant sans plus s’occuper) ». Peut avoir pour suj. une p. ou un an. Ce au suj. de quoi le suj. renonce se met à l’abl. et est accompagné d’une prép. qui est hab. daṛ « dans » ‖ p. ext. « renoncer à la lutte (cesser de lutter (qu’on soit vainqueur, vaincu, ni vainqueur ni vaincu)) ». Peut avoir pour suj. une p. ou un an. S’emploie en parlant de n’importe quelle lutte ‖ p. ext. « se séparer de (rompre avec ; ne plus s’occuper de ; laisser de côté (abandonner) ; laisser tranquille ; laisser la paix à) (act.) ». Le suj. peut être une p. ou un an. Le rég. dir. peut être une p., un an., ou une ch. Se dit, p. ex., d’un h. qui rompt avec une épouse, un ami, un compagnon, pour n’importe quelle cause ; qui laisse de côté une monture, parce qu’elle est mauvaise ou a un défaut grave, un travail ou une occupation parce qu’ils ne lui rapportent pas de profit, le fatiguent à l’excès, sont audessus de ses forces, etc. ; d’un h. qui laisse tranquilles une p. ou un an. qu’il tourmente, une f. qu’il cherche à obtenir pour épouse et qui ne veut pas de lui, un an. ou une ch. qu’il s’efforce d’acquérir, une p., un an., ou une ch. au suj. desquels il fait qlq. ch. de déplaisant pour qlq’un ou de mal en soi, un débiteur qu’il harcèle de demander de paiement, un h. avec lequel il se querelle ou a un procès, etc. ‖ d. le s. « saluer », est syn. de seslem, avec cette différence qu’il est n. et que seslem est act. ‖ d. le s. « céder », « le céder », « se reconnaître inférieur ; se soumettre ; être soumis », « renoncer », « renoncer à la lutte », est syn. de selek et moins us. que lui. v. ⵍⴾ elek, selek ‖ d. le s. « se séparer de » est syn. d’esleġ et moins us. que lui. v. ⵎⵣⵉ mezzei. — sessellem ⵙⵙⵍⵎ vn. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (issellem, iesîsellem, éd isessellem, our issellem) ‖ dire les mots « essalâmou ạlîkoum » par lesquels finit la prère canonique ‖ p. ext. « finir la prière canonique » ‖ syn. du prim. sellem empl. d. ce s. — nesellem ⵏⵙⵍⵎ vn. f. 4 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (insellem, ienîsellem, éd insellem, our insellem) ‖ renoncer réc. à la lutte l’un et l’autre (cesser réc. l’un et l’autre de lutter (qu’il y ait un vainqueur, ou qu’il n’y ait ni vainqueur ni vaincu)) ‖ p. ext. « se séparer réc. l’un de l’autre (d. le s. du prim.) ». — nesellam ⵏⵙⵍⵎ vn. f. 4 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (insellam, ienîsellam, éd insellam, our insellam) ‖ m. s. q. le pr. — tâsellâm ⵜⵙⵍⵎ vn. f. 7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâsellam, our itesellim) ‖ saluer hab. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâsellâm ⵙⵙⵍⵎ vn. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâsellâm, our isesellim) ‖ dire hab. les mots « essalâmou ạlîkoum » par lesquels finit la prière canonique ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tînsellîm ⵜⵏⵙⵍⵎ vn. f. 4.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînsellîm, our itensellim) ‖ renoncer hab. réc. à la lutte l’un et l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 4. — tînsellâm ⵜⵏⵙⵍⵎ vn. f. 4.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînsellâm, our itensellam) ‖ m. s. q. le pr. — ăsellem ⵙⵍⵎ sm. nv. prim. ; φ (pl. isellîmen ⵙⵍⵎⵏ), daṛ sellîmen ‖ fait de saluer ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsessellem ⵙⵙⵍⵎ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isessellîmen ⵙⵙⵍⵎⵏ), daṛ sessellîmen ‖ fait de dire les mots « essalâmou ạlîkoum » par lesquels finit la prière canonique ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ănsellem ⵏⵙⵍⵎ sm. nv. f. 4 ; φ (pl. insellîmen ⵏⵙⵍⵎⵏ), daṛ ĕnsellîmen ‖ fait de renoncer réc. à la lutte l’un et l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 4. — ănsellam ⵏⵙⵍⵎ sm. nv. f. 4 ; φ (pl. insellâmen ⵏⵙⵍⵎⵏ), daṛ ĕnsellâmen ‖ m. s. q. le pr. ⵙⵍⵎ ăselim ⵙⵍⵎ sm. φ (pl. iselmân ⵙⵍⵎⵏ), daṛ selmân ‖ rive (d’un fleuve, d’un cours d’eau, d’un lit de cours d’eau, de la mer, d’un lac) ‖ v. ⴶⵏⵏ ăġenena. — tăselimt ⵜⵙⵍⵎ⵿ⵜ sf. φ (pl. tiselmâtîn ⵜⵙⵍⵎⵜⵏ), daṛ tselmâtîn ‖ m. s. q. le pr. ⵙⵍⵎ aslim ⵙⵍⵎ sm. φ (pl. islîmen ⵙⵍⵎⵏ), daṛ ĕslim (ăslim), daṛ ĕslîmen ‖ mal interne (qlconque) dans lequel on sent des élancements ‖ sert à désigner les névralgies aigues, les rhumatismes aigus, etc. ‖ syn. de tédeġé empl. d. ce s. ⵙⵍⵎ ăselloum ⵙⵍⵎ sm. φ (pl. iselloûmen ⵙⵍⵎⵏ), daṛ selloûmen ‖ planche ; planchette ‖ se dit des planches et planchettes de toute dimension. ⵙⵍⵎ tăsoûlmit ‖ v. ⵂⵍⵎⵉ helmei. ⵙⵍⵎⵉ ăsoûlmei ‖ v. ⵂⵍⵎⵉ helmei. ⵙⵍⵎⵙⵍⵎ ăselamselam ⵙⵍⵎⵙⵍⵎ sm. (pl. iselamselâmen ⵙⵍⵎⵙⵍⵎⵏ), daṛ selamselâmen ‖ lait suivant la production de l’édeṛes et précédant la production du lait ordinaire (lait un peu épais, ayant la consistance du lait aigri un peu épais, produit par la femelle qui a récemment mis bas, après qu’elle a produit l’édeṛes « lait des 24 heures qui suivent la mise bas » et avant qu’elle produise le lait ordinaire). ⵙⵍⵏ soullân ⵙⵏ pi. adv. ‖ doucement (d’une manière douce ; faiblement ; lentement). ⵙⵍⵓⵍⵓ tiseleouleouîn ‖ v. ⵓⵍ ăouâl. ⵙⵍⵗ esleṛ ⵙⵍⵗ vn. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (islĕṛ, islâṛ, éd isleṛ, our isliṛ) ‖ avaler de travers ‖ peut avoir pour suj. des p. ou des an. — sesleṛ ⵙⵙⵍⵗ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕsleṛ, iessîsleṛ, éd isesleṛ, our issesleṛ) ‖ faire avaler de travers. — sâlleṛ ⵙⵍⵗ vn. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (isâlleṛ, our iselleṛ) ‖ avaler hab de travers. — sâslâṛ ⵙⵙⵍⵗ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâslâṛ, our isesliṛ) ‖ faire hab. avaler de travers. — ăsalaṛ ⵙⵍⵗ sm. nv. prim. ; φ (pl. iselâṛen ⵙⵍⵗⵏ), daṛ selâṛen ‖ fait d’avaler de travers. — ăsesleṛ ⵙⵙⵍⵗ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseslîṛen ⵙⵙⵍⵗⵏ), daṛ seslîṛen ‖ fait de faire avaler de travers. — témesleḳ ⵜⵎⵙⵍⵈ sf. φ (pl. timesleṛîn ⵜⵎⵙⵍⵏ), daṛ tămesleḳ (tĕmesleḳ), daṛ tmeslaṛ ‖ m. s. q. le pr. ‖ expr. incorrecte. — meslaṛ ⵎⵙⵍⵗ sm. (pl. meslaṛen ⵎⵙⵍⵗⵏ) ‖ petit corps étranger (autre que du sable ou de la terre) entré dans l’œil. — aslaṛ ⵙⵍⵗ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. islaṛen ⵙⵍⵗⵏ), daṛ ĕslaṛ (ăslaṛ), daṛ ĕslaṛen ‖ nom d’une plante non persistante (« morettia canescens Boissier » (B. T.)). ⵙⵍⵗ soulleṛet (Ta. 2) ‖ v. ⵙⵍ ésali. ⵙⵍⵗ esselṛet ⵙⵍⵗⵜ ✳ sf. (pl. esselṛetîn ⵙⵍⵗⵜⵏ) ‖ marchandise ; marchandises ‖ le pl. esselṛetîn est syn. du sing. esselṛet ‖ se dit surtout des marchandises commerciales qui forment l’approvisionnement des trafiquants, telles que vêtements, étoffes, parfumes, épées, etc. ⵙⵍⵙⵍ tăselsa ‖ v. ⵙⵍ ésali. ⵙⵍⵟⵏ essoulṭân ⵙⵍⵟⵏ ✳ sm. (pl. essoulṭânen ⵙⵍⵟⵏⵏ) ‖ sultan ‖ oua n essoulṭân « celui du sultan » signifie qlqf. « celui du sultan (du Maroc) » et est le nom d’un fusil de guerre d’une certaine espèce, à tir rapide, à un coup, à cartouche métallique. On importa du Maroc dans l’Ăh. un certain nombre de ces fusils vers 1895 ; on renonça à eux, parce que, le coup tiré, la cartouche était presqu’impossible à extraire. Syn. de oua n ămenoûkal et moins us. que lui ‖ très peu us. ⵙⵎ asem ⵙⵎ vn. prim. ; conj. 66 « aġer » ; ρ (iousĕm, iousâm, éd iasem, our iousim) ‖ être lavé par frottement (le suj. étant un tissu ou une matière textile, telle que laine, coton, poil de chèvre, etc.) ‖ signifie être lavé avec frottement, com. il est fait quand on lave sans se contenter de rincer. v. ⵍⵍⵓ lellouet (Ta. 1) ‖ p. ext. « être jaloux (de jalousée amoureuse) [d’une p. d’un autre sexe qu’on aime ; d’une p. de même sexe que soi qui semble avoir du succès auprès d’une p. d’un autre sexe qu’on aime] ». Peut avoir pour suj. un hom. ou une fem. La p. dont le suj. est jaloux est à l’abl. et accompagnée d’une prép. qui est hab. foull « sur ». v. ⵎⵐⵂⵗ mouñheṛ. — sisem ⵙⵙⵎ va. f. 1 ; conj. 172 « siġer » ; ρ (iessoŭsem, iessoûsem, éd isisem, our iessousem) ‖ laver en frottant ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — niasam ⵏⵉⵙⵎ vn. f. 4 ; conj. 176 « miellel » ; (inĭasam, ienîasam, éd iniasam, our iniasam) ‖ être réc. jaloux l’un de l’autre (le suj. étant 2 p. de sexes différents qui s’aiment mutuellement, ou 2 p. de même sexe qui aiment une même p. d’un autre sexe). — niesem ⵏⵉⵙⵎ vn. f. 4 ; conj. 207 « nierem » ; ρ (inĭasem, ienîasem, éd iniesem, our iniasem) ‖ m. s. q. le pr. — tâsem ⵜⵙⵎ vn. f. 6 ; conj. 228 « tâġer » ; (itâsem, our itisem) ‖ être hab. lavé par frottement ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâsâm ⵙⵙⵎ va. f. 1.7 ; conj. 233 « sâġâr » ; (isâsâm, our isisim) ‖ laver hab. en frottant ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tîniesâm ⵜⵏⵉⵙⵎ vn. f. 4.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîniesîm, our iteniesim) ‖ m. s. q. le pr. — ăssam ⵙⵎ sm. nv. prim. ; (pl. ăssâmen ⵙⵎⵏ) ‖ fait d’être lavé par frottement. — tismitîn ⵜⵙⵎⵜⵏ sf. nv. prim. ; (pl. s. s.), daṛ tismitîn ‖ fait d’être jaloux (de jalousie amoureuse) ‖ signifie aussi « jalousie (amoureuse) ». — ăsîsem ⵙⵙⵎ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isîsîmen ⵙⵙⵎⵏ), daṛ sîsîmen ‖ fait de laver en frottant ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăniesam ⵏⵉⵙⵎ sm. nv. f. 4 ; φ (pl. iniesâmen ⵏⵉⵙⵏ), daṛ ĕniesâmen ‖ fait d’être réc. jaloux l’un de l’autre. — ăniesem ⵏⵉⵙⵎ sm. nv. f. 4 ; φ (pl. iniesâmen ⵏⵉⵙⵏ), daṛ ĕniesîmen ‖ m. s. q. le pr. — énîsem ⵏⵙⵎ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. inîsemen ⵏⵙⵎⵏ ; fs. ténisemt ⵜⵏⵙⵎ⵿ⵜ ; fp. tinîsemîn ⵜⵏⵙⵎⵏ), daṛ ănîsem (ĕnîsem), daṛ nîsemen, daṛ tănîsemt (tĕnîsemt), daṛ tnîsemîn ‖ hom. jaloux (de jalousie amoureuse). ⵙⵎ sousem ⵙⵙⵎ vn. f. 1 ; conj. 163 « soudel » ; ρ (iessoŭsem, iessoûsem, éd isousem, our iessousem) ‖ se taire ‖ peut avoir pour suj. une p., un an., une ch. qlconque faisant du bruit, un bruit qlconque. — sessousem ⵙⵙⵙⵎ va. f. 1.1 ; conj. 138 « sekkeroukeḍ » ; ρ (issasem, iesîsasem, éd isessousem, our issasem) ‖ faire se taire. — soûsoûm ⵙⵙⵎ vn. f. 1.18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (isoûsoûm, our isousoum) ‖ se taire hab. — sîsoûsoûm ⵙⵙⵙⵎ va. f. 1.1.4 ; conj. 249 « tîkroûkoûḍ » ; (isîsoûsoûm, our isesousoum) ‖ faire hab. se taire. — ăsoûsem ⵙⵙⵎ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isoûsoûmen ⵙⵙⵎⵏ), daṛ soûsoûmen ‖ fait de se taire ‖ signifie aussi « silence ». — ăsessoûsem ⵙⵙⵙⵎ sm. nv. f. 1.1 ; φ (pl. isessoûsoûmen ⵙⵙⵙⵎⵏ), daṛ sessoûsoûmen ‖ fait de faire se taire. — énessêsem ⵏⵙⵙⵎ sm. n. d’é. f. 1 ; φ (pl. inessoûsam ⵏⵙⵙⵎ ; fs. ténessêsemt ⵜⵏⵙⵙⵎ⵿ⵜ ; fp. tinessoûsam ⵜⵏⵙⵙⵎ), daṛ ănessêsem (ĕnessêsem), daṛ messoûsam, daṛ tănessêsemt (tĕnessêsemt), daṛ tnessoûsam ‖ hom. (ou an.) silencieux. ⵙⵎ essem ⵙⵎ vn. prim. ; conj. 27 « eddel » ; (issĕm, issâm, éd issem, our issim) ‖ faire des éclairs. — tâssem ⵜⵙⵎ vn. f. 6 ; conj. 226 « tâddel » ; (itâssem, our itessem) ‖ faire hab. des éclairs. — é̆ssam ⵙⵎ sm. (n. d’u. et col.) (pl. é̆ssâmen ⵙⵎⵏ) ‖ éclair. ⵙⵎ soumet (Ta. 2) ⵙⵎⵜ va. prim. ; conj. 97 « doubet (Ta. 2) » ; (iessoŭmet, iessoûmet, éd issoumet, our iessoumet) ‖ avoir pour oreiller ; prendre pour oreiller ‖ peut avoir pour rég. dir. tout ce qu’il est possible de prendre pour oreiller. — sessoumet (Ta. 2) ⵙⵙⵎⵜ va. f. 1 ; conj. 148 « seddoubet (Ta. 2) » ; (issamet, iesîsamet, éd isessoumet, our issamet) ‖ mettre à [qlq’un] pour oreiller ; faire prendre pour oreiller ‖ se c. av. 2 acc. — tîsoûmoût (Ta. 8) ⵜⵙⵎⵜ va. f. 16bis ; conj. 257 « tîdoûboût (Ta. 8) » ; (itîsoûmoût, our itesoumout) ‖ avoir hab. pour oreiller ; prendre hab. pour oreiller. — sîsoûmoût (Ta. 8) ⵙⵙⵎⵜ va. f. 1.16bis ; conj. 257 « tîdoûboût (Ta. 8) » ; (isîsoûmoût, our isesoumout) ‖ mettre hab. à [qlq’un] pour oreiller ; faire hab. prendre pour oreiller ‖ se c. av. 2 acc. — ăsâmou ⵙⵎⵓ sm. nv. prim. ; φ (pl. isoûmoûten ⵙⵎⵜⵏ), daṛ soûmoûten ‖ fait d’avoir pour oreiller ; fait de prendre pour oreiller ‖ p. ext. « oreiller (chose qlconque servant d’oreiller) ». Se dit de tout ce qu’on met sous sa tête sous celle de qlq’un en guise d’oreiller, coussin, vêtement roulé, pierre, sable, la main, le bras, etc. — ăsessoûmou ⵙⵙⵎⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isessoûmoûten ⵙⵙⵎⵜⵏ), daṛ sessoûmoûten ‖ fait de mettre à [qlq’un] pour oreiller ; fait de faire prendre pour oreiller. ⵙⵎ têsemt ⵜⵙⵎ⵿ⵜ sf. (pl. têsmîn ⵜⵙⵎⵏ) ‖ sel ‖ fig. « agrément (manière d’être qui plait ; ensemble qui plait ; façon d’être générale qui plait) ». Se dit de l’agrément qu’a une p. par son extérieur, ou par son esprit, ses paroles, son caractère, ou par ses qualités intérieures et extérieures réunies ; se dit aussi de l’agrément extérieur des an. et des ch. (Ex. Dâssin, touâr tet têsemt ⁒ D., est sur elle du sel (D. a de l’agrément) = Biska d Fendou lân têsemt ⁒ B. et F. ont du sel (B. et F. ont de l’agrément) = ihanân oui-h, touâr ten têsemt ⁒ ces tentes, est sur elles du sel (ces tentes ont de l’agrément ; ces tentes ont un extérieur agréable)). ⵙⵎ ésîm ⵙⵎ sm. φ (pl. isîmen ⵙⵎⵏ), daṛ ăsîm (ĕsîm), daṛ sîmen ‖ graisse fondue (graisse animale fondue) ; moëlle fondue ‖ v. ⴷⵏ eden, tâdent. ⵙⵎ isem ⵙⵎ ✳ sm. (pl. ismaouen ⵙⵎⵓⵏ), daṛ ismaouen ‖ nom (qlconque, propre ou commun) ‖ eġ isem « faire un nom » signifie souv. « donner un nom [à un enfant] ». Les Kel-Ăh. donnent aux enfants leur nom le 7e jour après leur naissance, conformément à la loi musulmane. ⵙⵎ essem ⵙⵎ ✳ sm. (pl. essemen ⵙⵎⵏ) ‖ poison ; venin ‖ d. le s. « venin », est syn. d’iherînen. ⵙⵎⴷ ăsâmed ‖ v. ⵎⴷ amed. ⵙⵎⴹ ismaḍ ⵙⵎⴹ vn. prim. ; conj. 90 « ilmaḍ » ; (semmĭḍ, semmîḍ, éd ismaḍ, our semmiḍ) ‖ être froid ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. ‖ se dit de tout ce qui est capable d’être froid, corps ou partie du corps d’une p. ou d’un an., peau, eau, terre, solide ou liquide qlconques, aliment, atmosphère, jour, nuit, saison, période de temps, vent, pluie, etc. ‖ signifie aussi « avoir froid (le suj. étant une p. ou un an.) » ‖ p. ext. « n’être pas chaud (être impropre à préserver du froid les p.) ». Peut avoir pour suj. des vêtements, des chaussures, des habitations, etc. ‖ p. ext. « être frais ; avoir frais ; être refroidi ; être rafraîchi », le suj. étant des p., des an., ou des ch. ‖ fig. « être froid (être peu ardent) (dans un travail ; dans le combat ; dans une occupation ; pour une p., un an., une ch., un exercice qlconque) ; être froid (montrer de la froideur ; montrer peu de goût ; montrer peu de bienveillance) (pour une p., un an., une ch., une affaire, une occupation, un exercice, etc.) ; être refroidi (être calmé) (après avoir été en colère ou irrité) ; être froid (être d’un caractère froid) (être d’un caractère lent à se mettre en colère, à s’emporter, à se passionner, à se jeter avec ardeur dans une affaire) ; être froid (être peu porté à l’œuvre de chair) ; être peu puissant (en ce qui concerne l’œuvre de chair) » ‖ fig. « être rafraîchi (être soulagé) (dans une souffrance, une maladie, une passion, un amour, une haine, une colère, un besoin, la faim, sa soif, la pauverté, le souci, l’inquiétude, la tristesse, etc.) » ‖ fig. « être faible », le suj. étant l’amour, la haine, la colère, une passion analogue ‖ fig. « être fait avec lenteur », le suj. étant une voyage, une marche, un travail, etc. — sesmeḍ ⵙⵙⵎⴹ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕsmeḍ, iessîsmeḍ, éd isesmeḍ, our issesmeḍ) ‖ rendre froid ‖ a t. les s. c. à c. du prim ‖ p. ext. « laisser se refroidir (laisser devenir froid) ; laisser se rafraîchir (laisser devenir frais) ». — tîsmâḍ ⵜⵙⵎⴹ vn. f. 18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (itîsmâḍ, our itismaḍ) ‖ être hab. froid ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâsmâḍ ⵙⵙⵎⴹ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâsmâḍ, our isesmiḍ) ‖ rendre hab. froid ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tesmeḍé ⵜⵙⵎⴹⵉ sf. nv. prim. ; (pl. tesmeḍiouîn ⵜⵙⵎⴹⵓⵏ) ‖ fait d’être froid ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ p. ext. « froid (absence de chaleur) » ‖ p. ext. « mal du froid (rhumatisme ; blennorragie) » ‖ tesmeḍé ta n ṛesân « mal du froid celui des os » signifie « rhumatisme » ; tesmeḍé ta n tălaouait « mal du froid celui de la blennorragie » signifie « blennorragie » ‖ d. le s. « froid », est syn. d’ésamiḍ ‖ d. le s. « blennorragie », est syn. de tălaouait. — tesemḍé ⵜⵙⵎⴹⵉ sf. nv. prim. ; (pl. tesemḍiouîn ⵜⵙⵎⴹⵓⵏ) ‖ m. s. q. le pr. — ăsesmeḍ ⵙⵙⵎⴹ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesmîḍen ⵙⵙⵎⴹⵏ), daṛ sesmîḍen ‖ fait de rendre froid ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ésamiḍ ⵙⵎⴹ sm. φ (pl. isemḍân ⵙⵎⴹⵏ), daṛ ăsamiḍ (ĕsamiḍ), daṛ semḍân ‖ froid (absence de chaleur). — tănesmot ⵜⵏⵙⵎⵟ sf. φ (pl. tinesmâḍ ⵜⵏⵙⵎⴹ), daṛ tnesmâḍ ‖ air froid (vent insensible, froid et désagréable) ; courant d’air froid (mouvement d’air faible, froid et désagréable dans une direction) ‖ se dit, en parlant de l’extérieur, d’un vent à peine perceptible accompagné d’un froid désagréable, en parlant de l’intérieur, du courant d’air froid qui s’établit dans un appartement quand on y ouvre des fenêtres qui se font face, sans qu’il y ait de vent au dehors, mais l’air extérieur étant d’un froid désagréable. La tănesmoṭ est touj. trop froide et désagréable ‖ v. ⴹⵔ tăḍarout. ⵙⵎⴹ ăsemmâḍ ⵙⵎⴹ sm. φ (pl. isemmâḍen ⵙⵎⴹⵏ), daṛ semmâḍen ‖ honneur (fait de faire ce qui est honorable et de ne pas faire ce qui ne l’est pas) ‖ syn. d’ezzebou et d’ăġemmir. Ăsemmâḍ et ăġemmir sont beauc. moins us. qu’ezzebou. ⵙⵎⵂⵉ tăsemhoit ‖ v. ⵂⵉ houiiet (Ta. 2). ⵙⵎⵍ ăsmil ⵙⵎⵍ sm. φ (pl. ismîlen ⵙⵎⵍⵏ), daṛ ĕsmîlen ‖ groupe d’an. destinés à boire ensemble (à un point d’eau où les an. ne peuvent boire que dans un bassin de petite dimension ou une auge, et où on divise les an. en plusieurs groupes que l’on fait boire successivement) ‖ les ăsmil sont ordinairement de 5 à 15 têtes ; ils peuvent être composés d’an. qlconques, chèvres, moutons, ânes, chameaux, bœufs, etc. — tăsmilt ⵜⵙⵎⵍ⵿ⵜ sf. φ (pl. tismîlîn ⵜⵙⵎⵍⵏ), daṛ tĕsmîlîn ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. ⵙⵎⵎ ismam ⵙⵎⵎ vn. prim. ; conj. 76 « ibhaou » ; (semĕm, éd ismam, our semem) ‖ être amer (avoir une saveur amère) ‖ ismam n’a pas d’ind. présent ni de participe présent ; son ind. passé et son participe passé ont les s. du passé et du présent ‖ se dit de tout ce qui a une saveur amère ‖ v. ⴾⵙⵎ kousem, kesemsem. — sesmem ⵙⵙⵎⵎ va. f.1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕsmem, iessîsmem, éd isesmem, our issesmem) ‖ rendre amer. — tîsmâm ⵜⵙⵎⵎ vn. f. 18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (itîsmâm, our itismam) ‖ être hab. amer. — sâsmâm ⵙⵙⵎⵎ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâsmâm, our isesmim) ‖ rendre hab. amer. — tesemmé ⵜⵙⵎⵉ sf. nv. prim. ; (pl. tesemmiouîn ⵜⵙⵎⵓⵏ) ‖ fait d’être amer ; amertume. — ăsesmem ⵙⵙⵎⵎ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesmîmen ⵙⵙⵎⵎⵏ), daṛ sesmîmen ‖ fait de rendre amer. ⵙⵎⵎ soumem ‖ v. ⵍⵎⵎ elmem. ⵙⵎⵏⵜ semento ⵙⵎⵏ⵿ⵜⵓ sm. (pl. sementôten ⵙⵎⵏ⵿ⵜⵜⵏ) ‖ peau mince teinte en vert ‖ la majeur partie du semento se prépare au Soudan ; sa nuance, toujours la même, est cendre verte ; sa coloration s’obtient au moyen d’une mixture dans laquelle entre du vert-de-gris. ⵙⵎⵔ esmer ⵙⵎⵔ ✳ va. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (ismĕr, ismâr, éd ismer, our ismir) ‖ clouer ‖ a aussi le s. pas. « être cloue » ‖ peu us. — sesmer ⵙⵙⵎⵔ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕsmer, iessîsmer, éd isesmer, our issesmer) ‖ faire clouer ‖ se c. av. 2 acc. — sâmmer ⵙⵎⵔ va. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (isâmmer, our isemmer) ‖ clouer hab. ‖ a aussi le s. pas. — sâsmâr ⵙⵙⵎⵔ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâsmâr, our isesmir) ‖ faire hab. clouer ‖ se c. av. 2 acc. — ăsamar ⵙⵎⵔ sm. nv. prim. ; φ (pl. isemâren ⵙⵎⵔⵏ), daṛ semâren ‖ fait de clouer ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être cloué ». — ăsesmer ⵙⵙⵎⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesmîren ⵙⵙⵎⵔⵏ), daṛ sesmîren ‖ fait de faire clouer. — ănesmir ⵏⵙⵎⵔ sm. φ (pl. inesmâr ⵏⵙⵎⵔ), daṛ nesmâr ‖ clou (de matière, forme et dimension qlconques) ‖ p. ext. « cheville (servant de clou) ». ⵙⵎⵔ isemmoura ‖ v. ⵔ er. ⵙⵎⵙ semmous ⵙⵎⵙ nom de nombre card. ; ms. ; α μ (fs. semmoûset ⵙⵎⵙⵜ) ‖ cinq ‖ voir l’emploi des noms de nombre card. à ⴾⵔⴹ keraḍ. ⵙⵎⵙⴾ semmesekki ‖ v. ⴾ ekk. ⵙⵏ essen ⵙⵏ va. prim. ; conj. 27 « eddel » ; (issĕn, issân, éd issen, our issin) ‖ savoir [une ch., un fait, un acte] ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un an. Peut avoir pour rég. dir. une ch., un fait, un acte, tout ce qu’il est possible de savoir ‖ p. ext. « avoir de l’expérience de ; connaître par expérience ; avoir l’habitude de », le rég. dir. étant une p., un an., une ch. ‖ p. ext. « voir (examiner ; se rendre compte de ce qu’il en est au sujet de ; s’informer de ; s’informer auprès de) », le rég. dir. étant une p., un an., une ch., un fait, un acte, etc. (Ex. essen koud hân âman ăbaioṛ ⁒ sache si est de l’eau dans l’outre (vois s’il y a de l’eau dans l’outre) = essen, oulli ousĕned-d, miṛ kala ⁒ sache, les chèvres sont arrivées, ou non (vois si les chèvres sont arrivées ou non) = essen, Kenân iglă ⁒ sache, K. est parti (vois si K. est parti) = essen, êred oua-reṛ ioulâṛ ⁒ sache, ce blé-ci est bon (vois si ce blé-ci est bon) = egel, essen oulli, teġed i isalân nesnet ⁒ pars, sache les chèvres, fais-moi de leurs nouvelles (pars, vois les chèvres, donne-moi de leurs nouvelles) = essen ăbernouk ien ioulâṛen daṛ ouî-reṛ ⁒ sache un burnous étant bon dans ceux-ci (vois un bon burnous dans ceux-ci ; vois si tu peux trouver un bon burnous dans ceux-ci) = essen oûdi daṛ hanân ⁒ sache du beurre dans les tentes (vois du beurre dans les tentes ; vois si tu peux trouver du beurre dans les tentes) = essen tourna hin. – tourna nnek tazzaḳ ; oul liṛ ăsafâr ennît ; essen ăḍebib ⁒ sache ma maladie (vois ma maladie ; vois quelle est ma maladie). – ta maladie [est] la fièvre ; je n’ai pas son médicament ; sache le médecin (vois le médecin ; vois si le médecin a son médicament) = ekf i-dd oûdi. – ou t liṛ ; essen Koûka ⁒ donne-moi du beurre. – je ne l’ai pas (je n’en ai pas) ; sache K. (vois K. ; vois si K. en a) = essen ăġeggi ien fesoûsen ; souĕr t amis oua-h ⁒ sache une charge étant légère ; mets-la sur ce chameau (vois une charge légère (vois si tu peux trouver une charge légère) ; mets-la sur ce chameau) = essen tiṛsé tâ-reṛ et ta-h ; tenned i ta toŭfet ⁒ vois celle chèvre-ci et celle-là ; dis-moi celle qui ayant été meilleur (vois cette chèvre-ci et celle-là ; dis-moi quelle est la meilleure) = essen oulli ; tessened eġrĕounet ămekchi, tessened érĕounet, tessened ik̤râk d esnet haret ⁒ sache les chèvres ; sache [si] elles ont trouvé de la nourriture, sache [si] elles ont mis bas, sache [si] est égaré de dans elles chose (vois les chèvres ; vois si elles ont trouvé du pâturage, vois si elles ont mis bas, vois si qlq. ch. d’entre’elles est égaré (vois s’il y en a d’entr’elles d’égarées))) ‖ essen âman « savoir l’eau (avoir l’expérience de l’eau) » signifie qlqf. p. ext. « savoir nager ». D. ce s., est syn. d’ezzi âman ‖ d. le s. « savoir », diffère d’ezzi « connaître (par l’expérience des sens) [une p., un an., une ch.] ; reconnaître [une p., un an., une ch.] (qu’on a connus précédemment par l’expérience des sens) » ‖ d. les s. « avoir l’expérience de ; connaître par expérience ; avoir l’habitude de », est syn. d’ezzi. — sousen ⵙⵙⵏ va. f. 1 ; conj. 163 « soudel » ; ρ (iessoŭsen, iessoûsen, éd isousen, our iessousen) ‖ faire savoir ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — nemessen ⵏⵎⵙⵏ va. f. 2bis ; conj. 42 « lekeslekes » ; (inmessen, ienîmessen, éd inmessen, our inmessen) ‖ 1. avoir l’un avec l’autre l’hab. de (act.) ; 2. avoir réc. l’expérience l’un de l’autre (n.) ; 3. se connaître réc. l’un l’autre par expérience (n.) ; 4. avoir réc. l’habitude l’un de l’autre (n.) ‖ peut avoir pour suj. des p. ou des an. Peut avoir pour rég. dir. (d. le s. 1.) et pour rég. ind. (dans les s. 2., 3., 4.) des p., des an., des ch., des occupations, des travaux ‖ empl. dans les s. 2., 3. et 4., le suj. étant un hom. et une fem., signifie souv. « avoir ensemble des relations sexuelles ». — nemessan ⵏⵎⵙⵏ va. f. 2bis ; conj. 42 « lekeslekes » ; (inmessan, ienîmessan, éd inmessan, our inmessan) ‖ m. s. q. le pr. — touessen ⵜⵓⵙⵏ vn. f. 3 ; conj. 190 « toueksen » ; (ittouessen, ietîouessen, éd iettouessen, our ittouessen) ‖ être su ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — touessan ⵜⵓⵙⵏ vn. f. 3 ; conj. 190 « toueksen » ; (ittouessan, ietîouessan, éd iettouessan, our ittouessan) ‖ m. s. q. le pr. — tâssen ⵜⵙⵏ va. f. 6 ; conj. 226 « tâddel » ; (itâssen, our itessen) ‖ savoir hab. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — soûsoûn ⵙⵙⵏ va. f. 1.18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (isoûsoûn, our isousoun) ‖ faire savoir ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tînmessîn ⵜⵏⵎⵙⵏ va. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmessîn, our itenmessin) ‖ 1. avoir hab. l’un avec l’autre l’hab. de (act.) ; 2. avoir hab. réc. l’expérience l’un de l’autre (n.) ; 3. se connaître hab. réc. l’un l’autre par expérience (n.) ; 4. avoir hab. réc. l’habitude l’un de l’autre (n.) ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2bis. — tînmessân ⵜⵏⵎⵙⵏ va. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmessân, our itenmessan) ‖ m. s. q. le pr. — tîtouessîn ⵜⵜⵓⵙⵏ vn. f. 3.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîtouessîn, our itetouessin) ‖ être hab. su ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 3. — tîtouessân ⵜⵜⵓⵙⵏ vn. f. 3.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîtouessân, our itetouessan) ‖ m. s. q. le pr. — tămessount ⵜⵎⵙⵏ⵿ⵜ sf. nv. prim. ; φ (pl. timessoûnîn ⵜⵎⵙⵏⵏ), daṛ tmessoûnîn ‖ fait de savoir ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ p. ext. « science ». — mousnet ⵎⵙⵏⵜ sf. nv. prim. ; (pl. mousnetîn ⵎⵙⵏⵜⵏ) ‖ m. s. q. le pr. — ăsoûsen ⵙⵙⵏ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isoûsoûnen ⵙⵙⵏⵏ), daṛ soûsoûnen ‖ fait de faire savoir ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ănmessen ⵏⵎⵙⵏ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmessînen ⵏⵎⵙⵏⵏ), daṛ ĕnmessînen ‖ 1. fait d’avoir l’un avec l’autre l’hab. de ; 2. fait d’avoir réc. l’expérience l’un de l’autre ; 3. fait de se connaître réc. l’un l’autre par expérience ; 4. fait d’avoir réc. l’hab. l’un de l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2bis. — ănmessan ⵏⵎⵙⵏ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmessânen ⵏⵎⵙⵏⵏ), daṛ ĕnmessânen ‖ m. s. q. le pr. — ămoûsen ⵎⵙⵏ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. imoûsenen ⵎⵙⵏⵏ ; fs. tămoûsent ⵜⵎⵙⵏ⵿ⵜ ; fp. timoûsenîn ⵜⵎⵙⵏⵏ), daṛ moûsenen, daṛ tmoûsenîn ‖ hom. (ou an.) qui sait ‖ ce que sait un ămoûsen se met au gén. ‖ p. ext. « h. (ou an.) qui a l’expérience de ; h. (ou an.) qui connaît par expérience ; h. (ou an.) qui a l’hab. de » ‖ d. le s. d’« h. (ou f.) qui connaît par expérience [une f. (ou un h.)] » signifie qlqf. « h. (ou f.) qui a des relations sexuelles avec [une f. (ou un h.)] » ‖ le ms. ămoûsen signifie aussi « celui qui sait tout (celui qui sait par excellence, l’omniscient) (Dieu) ». v. ⵉⵍ Ialla. — toussount ⵜⵙⵏ⵿ⵜ sf. (pl. toussoûnîn ⵜⵙⵏⵏ) ‖ science théologique (science de la doctrine religieuse) ‖ se dit hab. de la science théologique de la religion musulmane ; peut se dire de celle de n’importe quelle religion. ⵙⵏ ésîn ⵙⵏ ✳ sm. φ (pl. isînen ⵙⵏⵏ), daṛ ăsîn (ĕsîn), daṛ sînen ‖ dent incisive ‖ se dit des dents incisives des p. et des an. ‖ p. ext. le pl. isînen signifie qlqf. « dents (en général) » ‖ p. ext. « dent (de scie, de roue dentelée, etc.) » ‖ on emploie souv. com. exclam. de surprise, d’étonnement, d’admiration, d’émotion, ou com. cri de guerre, les mots isînen en « dents de » suivis d’un np. de fem., ou les mots isînen n imżad « dents du violon » qui signifient « dents de celle qui joue du violon ». Des gens grossiers emploient com. exclam. les mots isînen en suivis d’un nom commun qlconque souv. trivial ; on les entend dire « dents du pain ! dents de la viande ! dents de l’urine ! dents d’un excrément ! etc. ». (Ex. isînen en Dâssin ! ⁒ dents de D. ! = isînen en Koûka ! ⁒ dents de K. !). v. ⵎⵥⴷ imżad ‖ diffère de tamṛest « dent molaire (de p. ou d’an.) » ‖ diffère de tăhalat « dent canine (de p. ou d’an.) ». — ésîn-en-tăfouk ⵙⵏⵜⴼⴾ (m. à m. « dent du soleil ») sm. φ (pl. isînen-en-tăfouk ⵙⵏⵏⵏ⵿ⵜⴼⴾ), daṛ ăsîn-en-tăfouk (ĕsîn-en-tăfouk), daṛ sînen-en-tăfouk ‖ coquille (de mollusque terrestre) ‖ se dit de toutes les coquilles de mollusques de terre ferme ; ne se dit pas de celles des mollusques marins. — ăsennan ⵙⵏⵏ sm. φ (pl. isennânen ⵙⵏⵏⵏ), daṛ sennânen ‖ épine (d’un végétal) ; piquant (d’un végétal ou d’un an.) ‖ se dit de toutes les épines et de tous les piquants des végétaux, et des piquants de certains an. tels que le hérisson et le porc-épic ‖ ta n sennânen « celle des piquants » : surnom de la plante appelée tefêriast et du hérisson ‖ alkeḍ oua n sennânen : v. ⵍⴾⴹ alkeḍ. — tămsennant ⵜⵎⵙⵏⵏ⵿ⵜ sf. φ (pl. timsennânîn ⵜⵎⵙⵏⵏⵏ), daṛ tĕmsennânîn ‖ dent (d’un javelot barbelé ou d’une flèche barbelée). — isnan ⵙⵏⵏ (Ăd.) vn. prim. ; conj. 69 « ihal » ; (iesnĭn, iesnîn, éd isnan, our iesnin) ‖ être horripilé ‖ syn. de meżouret (Ta. 2) empl. d. ce s. ‖ non us. dans l’Ăh. ⵙⵏ tâsna ⵜⵙⵏⴰ sf. (pl. tâsniouîn ⵜⵙⵏⵓⵏ) ‖ surface ‖ se dit de la surface de la peau des p., de celle des an., et de celle de toute ch. matérielle ‖ p. ext. « endroit (face externe) [d’une peau] ». D. ce s., est opposé à isân « envers (face interne) [d’une peau] » ‖ v. ⵏⴶⴼ eṅġef, tăseṅġefa. — ăsân ⵙⵏ sm. (col. s. n. d’u.) (pl. de div. ăsânen ⵙⵏⵏ) ‖ bourre de palmier ‖ diffère d’éfeffeṛ « feuille de bourre de palmier ». — té̆sanit ⵜⵙⵏⵜ sf. φ (pl. tisanâtîn ⵜⵙⵏⵜⵏ), daṛ tsanâtîn ‖ panier (de forme, dimension, matière qlconques) ‖ dans l’Ăh. les paniers sont peu nombreux et tous en folioles de palmes. ⵙⵏ tasnit ⵜⵙⵏⵜ sf. φ (pl. tisniîn ⵜⵙⵏⵉⵏ), daṛ tĕsnit (tăsnit), daṛ tĕsniîn ‖ deuil (de 3 jours qu’on prend à la morte de toute p. proche par le sang ou l’amitié et autre que le mari) ‖ à la mort de qlq’un, ses proches et amis gardent le deuil pendant 3 jours ; si le mort est un h. marié, sa f. garde la retraite pendant 4 mois et 10 jours, retraite qui s’exprime non par tasnit mais par oûḍoûf ‖ diffère d’oûḍoûf « fait de tenir [la retraite de 3 mois (obligatoire pour une fem. après sa répudiation) s. e.] ; fait de tenir [la retraite de 4 mois et 10 jours (obligatoire pour une fem. après la mort de son mari) s. e.] » ‖ diffère d’ellouddet « période de retraite qui suit la répudiation (retraite de 3 mois obligatoire pour une fem. après la répudiation) » ‖ v. ⴹⴼ eṭṭef. ⵙⵏ issin ⵙⵏ sm. (n. d’u. et col.) (pl. de div ou p. n. issînen ⵙⵏⵏ), daṛ issînen ‖ nom d’une plante persistante (ar. « jel »). ⵙⵏ essounnet ⵙⵏⵜ ✳ sf. (pl. essounnetîn ⵙⵏⵜⵏ) ‖ tradition religieuse ‖ p. ext. « obligation imposée par la tradition religieuse » ‖ se dit hab. de la tradition religieuse musulmane ; peut se dire de celle de n’importe quelle religion. ⵙⵏ essin ⵙⵏ nom de nombre card. ; ms. ; α μ (fs. senât ⵙⵏⵜ, senâtet ⵙⵏⵜⵜ) ‖ deux ‖ voir l’emploi des noms de nombre card. à ⴾⵔⴹ keraḍ. — essenen ⵙⵏⵏ pron. indéfini ; mp. ; α (fp. essenetîn ⵙⵏⵜⵏ, tessenetîn ⵜⵙⵏⵜⵏ) ‖ tous 2 ‖ voir l’emploi d’essenen à ⴾⵔⴹ keraḍ, ekkerḍen. — senât-senât ⵙⵏⵜⵙⵏⵜ (m. à m. « deux-deux ») sf. (pl. s. s.) ‖ nom d’une allure (des chameaux) ‖ l’allure appelée senât-senât est un petit trot très ralenti ‖ v. ⵂⵍ ahel. ⵙⵏ sen (ssen, isen (hisen), issen (hissen)) ‖ v. ⵙ s (es, is, ich). — âsen (hâsen) ‖ v. ⵙ s (es, is, ich). — sen (esen, isen, issen) ‖ v. ⵙ s (es, is, ich). ⵙⵏ s-în ‖ v. ⵙ s (es). ⵙⵏⴱⴱ tăsenbâbout ‖ v. ⴱⴱ tăsenbâbout. ⵙⵏⴷⵈ essendoûḳ ⵙⵏ⵿ⴷⵈ ✳ sm. (pl. essendoûḳen ⵙⵏ⵿ⴷⵈⵏ) ‖ caisse ; boite de forme cubique ou rectangulaire ‖ se dit de caisses et de boites de toute matière et de toute dimension, avec ou sans couvercle ‖ syn. d’ettabouk empl. d. ce s. et plus us. que lui ‖ v. ⵂⵜⵎ ăhâtim, tăhattint. ⵙⵏⴷⵗ s-în-deṛ ‖ v. ⵙ s (es). ⵙⵏⴶⵍ téseṅġelt ‖ v. ⵏⴶⵍ iṅġal. ⵙⵏⵉⵙⵏⵉ seniseni ‖ v. ⵏⵉ eni. ⵙⵏⴾ esink ⵙⵏ⵿ⴾ sm. φ (pl. isinkaouen ⵙⵏ⵿ⴾⵓⵏ), daṛ sinkaouen ‖ bouillie épaisse (de farine, grains, légumes secs concassés, riz, vermicelle, couscoussou, etc.) (mets chaud consistant en une bouillie épaisse de farine, grains, légumes secs concassés, etc.) ‖ v. ⵍⵓ alou, ălioua. ⵙⵏⴾ sinko ⵙⵏ⵿ⴾⵓ (franç.) sm. (pl. sinkôten ⵙⵏ⵿ⴾⵜⵏ) ‖ pièce de 5 francs en argent. ⵙⵏⵏ ăsennan ‖ v. ⵙⵏ ésîn. ⵙⵏⵔ essenâri ⵙⵏⵔⵉ ✳ (Ăj.) sm. (pl. essenârîten ⵙⵏⵔⵜⵏ) ‖ carotte ‖ non us. dans l’Ăh. ⵙⵏⵔ ăsoûnâr ‖ v. ⴾⵏⵔ aknar. ⵙⵏⵜ santi ⵙⵏ⵿ⵜⵉ (franç.) sm. (pl. santîten ⵙⵏ⵿ⵜⵜⵏ) ‖ centime. ⵙⵏⵜ snet (isnet) ‖ v. ⵙ s (es, is, ich). — âsnet (hâsnet) ‖ v. ⵙ s (es, is, ich). — snet (esnet, isnet) ‖ v. ⵙ s (es, is, ich). ⵙⵏⵜ senât (senâtet) ‖ v. ⵙⵏ essin. ⵙⵏⵜⵙⵏⵜ senât-senât ‖ v. ⵙⵏ essin. ⵙⵓ esou ⵙⵓ va. prim. ; conj. 24 « esou » ; ω (issouă, isouâ, éd isou, our isoué) ‖ boire ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., et certaines ch. com. le sol, le sable, le soleil, le feu, la chaleur, le vent, etc. Peut avoir pour rég. dir. n’importe quel liquide ‖ p. ext. « boire à [un lieu, un ruisseau, un puits, un point d’eau quelconque] (act.) » ‖ p. ext. « être arrosé (n.) », le suj. étant un jardin, un champ, un terrain, un végétal ‖ p. ext. « être rempli (d’eau) (n.) », le suj. étant une outre, un récipient à eau ‖ p. ext. « s’évaporer (faire s’évaporer) (act.) », le suj. étant le soleil, le feu, la chaleur, le vent, etc. ‖ p. ext. « fumer [du tabac, une pipe, un cigare, etc.] » ‖ p. ext. « boire de ’eau colorée d’indigo (être teint d’eau colorée d’indigo) (n.) », le suj. étant des cheveux d’une fem. ‖ p. ext. « boire du « koḥel » (ou de l’indigo mis à sec) (être fardé de « koḥel » (ou d’indigo mis à sec)) (n.) », le suj. étant l’œil, la paupière, les sourcils, les lèvres, les narines d’une fem., ou une autre partie de son visage ‖ p. ext. « bien boire de la couleur indigo (avoir une forte couche de teinture indigo) (n.) », le suj. étant les yeux, les sourcils, les cheveux d’une p., ou une ch. qlconque) (n.) ; être d’un indigo très foncé (être d’une couleur indigo belle et très foncée) (le suj. étant une ch.) (n.) » ‖ p. ext. « être trempé (avoir la trempe ; recevoir la trempe) (n.) », le suj. étant une ch. qlconque en acier ‖ p. ext. « avoir passé qlq. instants dans le feu (pour perdre sa rigidité) (n.) ; passer qlq. instants dans le feu (pour perdre sa rigidité) (n.) », le suj. étant une aiguille. Qlqf. les Kel-Ăh. font passer aux aiguilles qlq. moments dans le feu, pour qu’elles perdent leur rigidité et se courbent plutôt que de se casser ‖ fig. « eclipser (attirer à soi seul tous les regards, toute l’admiration, toutes les louanges, en effaçant [tous les autres]) (act.) », le suj. et le rég. dir. étant des p., des an., ou des ch. Se dit, p. ex., d’un h. ou d’une f. qui, par des qualités qlconques, en eclipsent d’autres ; d’une qualité de qlq’un, bonté, intelligence, beauté, etc., qui eclipse la même qualité chez d’autres ; d’un an. qui éclipse d’autres ; d’un objet qui, par ses qualités, en eclipse d’autres ; des yeux, des dents, du teint d’une p. qui eclipsent le soleil et la lune ; etc. ‖ fig. « épuiser (boire les forces de) [une p., un an.] (act.) », le suj. étant une p., une maladie, un souci, une fatigue, un travail, la vieillesse, une cause qlconque. v. ⵍⴱⴾ elbek. — sesou ⵙⵙⵓ va. f. 1 ; conj. 157 « sels » ; ω (issĕsoua, iessîsoua, éd isesou, our issesoua) ‖ faire boire ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ p. ext. « abreuver (se c. av. 1 acc.) ; désaltérer (se c. av. 1 acc.) ». — sesoui ⵙⵙⵓⵉ va. f. 1 ; conj. 169 « semdou » ; ω (issĕsoua, iessîsoua, éd isesoui, our issesoua) ‖ m. s. q. le pr. ‖ très peu us. — meseou ⵎⵙⵓ vn. f. 2 ; conj. 180 « meseou » ; (immĕsoua, iemmîsoua, éd immeseou, our immesoua) ‖ être bu ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — mesoui ⵎⵙⵓⵉ vn. f. 2 ; conj. 108 « mendou » ; (immĕsoua, iemmîsoua, éd iemmesoui, our immesoua) ‖ m. s. q. le pr. ‖ très peu us. — sâss ⵙⵙ va. f. 5 (irr.) ; conj. 217 « lâss » ; ω (isâss, our isess) ‖ boire hab. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâsoua ⵙⵙⵓⴰ va. f. 1.10 ; conj. 238 « târeżża » ; ω (isâsoua, our isesoui) ‖ faire hab. boire ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tâmesoua ⵜⵎⵙⵓⴰ vn. f. 2.10 ; conj. 238 « târeżża » ; (itâmesoua, our itemesoui) ‖ être hab. bu ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2. — tésesé ⵜⵙⵙⵉ sf. nv. prim. ; (irr.) ; φ (pl. tisess ⵜⵙⵙ, tisesiouîn ⵜⵙⵙⵓⵏ), daṛ tăsesé (tĕsesé), daṛ tsess, daṛ tsesiouîn ‖ fait de boire ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ p. ext. « façon de boire (manière de boire) ». (Ex. Kenân, terk tăsesé a itâġġ ⁒ K., mauvaise façon de boire ce qu’il fait (K., c’est une manière de boire malpropre qu’il a ; K. boit malproprement) = Kenân, terk-ăsesé a itâġġ ⁒ m. s. q. le pr.) ‖ le pl. tisess signifie p. ext. « pluies » ‖ tallit ta n tăsesé « mois du fait de boire » (ou tăsesé « fait de boire ») est le nom tăm. du mois lunaire musulman de « feṭer ». v. ⵍ tallit ‖ ămoud en tăsesé « prière du fait de boire (fête du boire) » est le nom tăm. de la fête musulmane appelée en ar. « ạid elfeṭer ». v. ⵎⴷ ămoud ‖ terk-ăsesé : v. ⵔⴾ erkou, erk. — ăsesoui ⵙⵙⵓⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesouîten ⵙⵙⵓⵜⵏ), daṛ sesouîten ‖ fait de faire boire ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. ‖ p. ext. « eau colorée d’indigo (à l’aide d’une étoffe indigo qu’on y détrempe, servant à teindre les cheveux des femmes) ». D. ce s. ăsesoui est syn. d’ăsesoui n bâba. — ămesoui ⵎⵙⵓⵉ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imesouîten ⵎⵙⵓⵜⵏ), daṛ mesouîten ‖ fait d’être bu ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2. — émesoui ⵎⵙⵓⵉ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. imesouân ⵎⵙⵓⵏ ; fs. témesouit ⵜⵎⵙⵓⵜ ; fp. timesouâtîn ⵜⵎⵙⵓⵜⵏ), daṛ ămesoui (ĕmesoui), daṛ mesouân, daṛ tămesouit (tĕmesouit), daṛ tmesouâtîn ‖ buveur (h. (an., ch.) qui a l’hab. de boire [un liquide]) ‖ ce que boit un émesoui se met au gén. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. ‖ p. ext. « grand buveur (h. (ou an.) qui a l’hab. de boire beaucoup) ». — imesouân ⵎⵙⵓⵏ (m. à m. « buveurs ») sm. φ (pl. s. s.), daṛ mesouân ‖ moustaches (d’hom. ou d’an.) ‖ ne se dit pas du duvet qu’ont certaines femmes audessus de la lèvre supérieure ‖ d. le s. « moustaches (d’an.) », est syn. d’iżemżîmen ‖ v. ⵂⴼⵍ éhafîlen, téhafilt. — ămesoui ⵎⵙⵓⵉ sm. φ (pl. imesouân ⵎⵙⵓⵏ), daṛ mesouân ‖ breuvage (boisson, ch. propre à être bu). — amsou ⵎⵙⵓ sm. φ (pl. imsoûten ⵎⵙⵜⵏ), daṛ ĕmsou (ămsou), daṛ ĕmsoûten ‖ lieu d’abreuvoir (point d’eau suffisant pour abreuver les an. et faire provision d’eau) ‖ se dit de tout point où on peut abreuver les an. et faire provision d’eau, puits, source, mare, ruisseau, réservoir naturel, trou à eau, etc. ‖ peut souv. se traduire par « point d’eau ». — tămesouet ⵜⵎⵙⵓⵜ sf. (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. tămesouetîn ⵜⵎⵙⵓⵜⵏ) ‖ nom d’une plante non persistante. — témesesouit ⵜⵎⵙⵙⵓⵜ sf. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. timesesouîtîn ⵜⵎⵙⵙⵓⵜⵏ), daṛ tămesesouit (tĕmesesouit), daṛ tmesesouîtîn ‖ nom d’une plante non persistante. — meseou ⵎⵙⵓ vn. f. 2 ; conj. 99 « bereġ » ; (immĕseou, iemmîseou, éd iemmeseou, our immeseou) ‖ reboire (boire de nouveau ; boire encore une fois) (le suj. étant une p. ou un an.) ‖ se dit surtout des an. qui boivent en 2 ou plusieurs fois, c. à d. qui, après avoir bu une 1ère fois, boivent de nouveau 1 ou 2 heures après, et qlqf. reviennent une 3e et une 4e fois à l’eau achever de s’abreuver. — semmesou ⵙⵎⵙⵓ va. f. 2.1 ; conj. 124 « seġġeġġ » ; ω (ismesoua, iesîmesoua, éd isemmesou, our ismesoua) ‖ faire reboire. — semmesoui ⵙⵎⵙⵓⵉ va. f. 2.1 ; conj. 130 « semmendou » ; ω (ismesoua, iesîmesoua, éd isemmesoui, our ismesoua) ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. — tâmesâou ⵜⵎⵙⵓ vn. f. 2.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâmesâou, our itemesiou) ‖ reboire hab. — sâmesâou ⵙⵎⵙⵓ va. f. 2.1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâmesâou, our isemesiou) ‖ faire hab. reboire. — sâmesoua ⵙⵎⵙⵓⴰ va. f. 2.1.10 ; conj. 238 « târeżża » ; ω (isâmesoua, our isemesoui) ‖ m. s. q. le pr. — ămesoui ⵎⵙⵓⵉ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imesouîten ⵎⵙⵓⵜⵏ), daṛ mesouîten ‖ fait de reboire. — ăsemmesoui ⵙⵎⵙⵓⵉ sm. nv. f. 2.1 ; φ (pl. isemmesouîten ⵙⵎⵙⵓⵜⵏ), daṛ semmesouîten ‖ fait de faire reboire. ⵙⵓ sĕoua ⵙⵓⴰ ✳ va. prim. ; irr. XIII ‖ y avoir parité entre [une p., un an., une ch.] [et une p., un an., une ch.] ‖ sĕoua n’a que 2 personnes, la 3e p. ms. de l’ind. passé positif, qui est sĕoua, et la 3e p. ms. de l’ind. présent positif, qui est aussi sĕoua ‖ ce avec quoi le rég. dir. a une partie est à l’abl. et accompagne de d « avec ; et » ‖ ex. tămeṭ tâ-reṛ sĕoua tet d oûreṛ ⁒ cette f. il y a parité entre elle et de l’or (cette f. est pareille à de l’or) = âles oua-h d oua-h sĕoua ten ⁒ cet h. ci et celui-là il y a parité entr’eux (cet h. ci et celui-là sont pareils) = Biska d Fendou sĕoua ten daṛ tănaṭ ⁒ B. et F. il y a parité entr’eux dans la décision (B. et F. sont pareils com. manière de voir) = amis oua-h sĕoua t d oua-h ⁒ ce chameau-ci il y a parité entre lui et celui-là (ce chameau-ci est pareil à celui-là) ‖ très peu us. ⵙⵓ asaoua ⵙⵓⴰ sm. φ (pl. isaouâten ⵙⵓⵜⵏ), daṛ ĕsaoua (ăsaoua), daṛ saouâten ‖ manche d’erminette (bâton crochu servant de manche à une erminette) ‖ syn. d’ăṛersellef. ⵙⵓ téseout ⵜⵙⵓⵜ sf. φ (pl. tiseououîn ⵜⵙⵓⵏ), daṛ tăseout (tĕseout), daṛ tseououîn ‖ cimetière ‖ syn. de teseskout. ⵙⵓ ess-aoua ‖ v. ⴾ ekk. ⵙⵓⴹ esouĕḍ ⵙⵓⴹ vn. prim. ; conj. 29 « edouĕl » ; (isouĕḍ, isouâḍ, éd isouĕḍ, our isouiḍ) ‖ regarder ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un an. Ce que le suj. regarde se met à l’abl. et est accompagné de daṛ « dans » ; cela peut être une p., un an., ou une ch. ‖ p. ext. « faire attention à (être attentif à ; veiller sur) ». Ce à quoi le suj. fait attention est à l’abl. et accompagné de daṛ « dans » ; cela peut être une p., un an., une ch., un travail, etc. ‖ p. ext. « jeter les yeux sur (avoir des intentions sur) ». Ce sur quoi le suj. jette les yeux est à l’abl. et accompagné de daṛ « dans » ; cela peut être une p., un an., ou une ch. ‖ p. ext. « espérer en (mettre son espérance en) ». Ce en quoi le suj. espère est à l’abl. est accompagné de daṛ « dans » ; cela peut être Dieu, une p., un an., ou une ch. ‖ p. ext. « imiter [une p., un an.] (s’efforcer de faire ce que fait [une p., un an.]) ». Le suj. peut être une p. ou un an. Ce que le suj. imite est à l’abl. et accompagné de daṛ « dans » ‖ p. ext. « ressembler à (être pareil à ; être à peu près pareil à) [une p., un an., une ch.] ». Peut avoir pour suj. une p., un an., ou une ch. Ce à quoi le suj. ressemble est à l’abl. et accompagné de daṛ « dans ». (Ex. Dâssin tesouâḍ daṛ Koûka daṛ thoûsai, aked daṛ imżad, aked daṛ ak haret ⁒ D. ressemble à K. dans la beauté, et aussi dans le violon, et aussi dans toute ch. (D. ressemble à K. en beauté, en habileté à jouer du violon, et en tout) = amis oua-h isouâḍ daṛ oua-h ⁒ ce chameau-ci ressemble à celui-là (en n’importe quoi, en apparence extérieure, en bonté, en valeur vénale, etc.) = Biska isouâḍ daṛ ti s ⁒ B. ressemble à son père (en n’importe quoi, de visage, de tournure, de caractère, etc.) = êred in isouâḍ daṛ êred ennek ⁒ mon blé ressemble à ton blé (en n’importe quoi, en état, en quantité, en valeur vénale, etc.)) ‖ p. ext. « attendre ». Peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. Ce que le suj. attend se met au datif ; cela peut être des p., des an., ou des ch. ‖ d. le s. « attendre », est syn. d’eḳḳel et moins us. que lui. v. ⵗⵍ eḳḳel. — sesouĕḍ ⵙⵙⵓⴹ va. f. 1 ; conj. 152 « sedouĕl » ; (issĕsoueḍ, iessîsoueḍ, éd isesouĕḍ, our issesoueḍ) ‖ faire regarder ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — mesoueḍ ⵎⵙⵓⴹ vn. f. 2 ; conj. 99 « bereġ » ; (immĕsoueḍ, iemmîsoueḍ, éd iemmesoueḍ, our iemmesoueḍ) ‖ se regarder réc. l’un l’autre ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ p. ext. « avoir une entrevue ensemble (d’une longueur qlconque) », le suj. étant des p. Peut se dire de n’importe quelle entrevue, qu’elle dure qlq. instants ou plusieurs jours, qu’on y échange qlq. mots ou qu’on y ait de longs et fréquents entretiens ‖ d. le s. « avoir une entrevue ensemble », est syn. de menei. — nemesoueḍ ⵏⵎⵙⵓⴹ vn. f. 2bis ; conj. 42 « lekeslekes » ; (inmesoueḍ, ienîmesoueḍ, éd inmesoueḍ, our inmesoueḍ) ‖ m. s. q. le pr. — nemesouaḍ ⵏⵎⵙⵓⴹ vn. f. 2bis ; conj. 42 « lekeslekes » ; (inmesouaḍ, ienîmesouaḍ, éd inmesouaḍ, our inmesouaḍ) ‖ m. s. q. le pr. — semmesoueḍ ⵙⵎⵙⵓⴹ vn. f. 2.1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (ismesoueḍ, iesîmesoueḍ, éd isemmesoueḍ, our ismesoueḍ) ‖ regarder de tous côtés (regarder de côté et d’autre ; regarder en tous sens). — sâggeḍ ⵙⴳⴹ vn. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (isâggeḍ, our iseggeḍ) ‖ regarder hab. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâsouâḍ ⵙⵙⵓⴹ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâsouâḍ, our isesouiḍ) ‖ faire hab. regarder ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tâmesouâḍ ⵜⵎⵙⵓⴹ vn. f. 2.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâmesouâḍ, our itemesouiḍ) ‖ se regarder hab. réc. l’un l’autre ‖ a. t. les s. c. à c. de la f. 2. — tînmesouîḍ ⵜⵏⵎⵙⵓⴹ vn. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmesouîḍ, our itenmesouiḍ) ‖ m. s. q. le pr. — tînmesouâḍ ⵜⵏⵎⵙⵓⴹ vn. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmesouâḍ, our itenmesouaḍ) ‖ m. s. q. le pr. — sâmesouâḍ ⵙⵎⵙⵓⴹ vn. f. 2.1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâmesouâḍ, our isemesouiḍ) ‖ regarder hab. de tous côtés. — ăsaouaḍ ⵙⵓⴹ sm. nv. prim. ; φ (pl. iseouâḍen ⵙⵓⴹⵏ), daṛ seouâḍen ‖ fait de regarder ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ p. ext. « vue (fait de voir) ; vue (sens de la vue ; faculté de voir) ; vue (étendue de ce qu’on peut voir du lieu où on est) » ‖ p. ext. « regard ; regards ; manière de regarder » ‖ p. ext. « aspect ; bon aspect » ‖ ġir ăsaouaḍ d ăsessemeḳḳi : v. ⵎⵗ semeḳḳet (Ta. 1) ‖ eṭkâren essim fassen ăsaouaḍ « sont remplies les 2 mains de fait de regarder » : locution qui se dit à qlq’un qui demande un cadeau, une aumône, un salaire, pour lui signifier ironiquement qu’on ne lui donnera rien ‖ d. les s. « vue ; vue ; vue », « regard ; regards ; manière de regarder », « aspect ; bon aspect », est syn. d’ăhanai. — ăsesoueḍ ⵙⵙⵓⴹ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesouîḍen ⵙⵙⵓⴹⵏ), daṛ sesouîḍen ‖ fait de faire regarder ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ămesoueḍ ⵎⵙⵓⴹ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imesouîḍen ⵎⵙⵓⴹⵏ), daṛ mesouîḍen ‖ fait de se regarder réc. l’un l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2. ‖ p. ext. « entrevue ». D. ce s., est syn. d’amni. — ănmesoueḍ ⵏⵎⵙⵓⴹ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmesouîḍen ⵏⵎⵙⵓⴹⵏ), daṛ ĕnmesouîḍen ‖ m. s. q. le pr. — ănmesouaḍ ⵏⵎⵙⵓⴹ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmesouâḍen ⵏⵎⵙⵓⴹⵏ), daṛ ĕnmesouâḍen ‖ m. s. q. le pr. — ăsemmesoueḍ ⵙⵎⵙⵓⴹ sm. nv. f. 2.1 ; φ (pl. isemmesouîḍen ⵙⵎⵙⵓⴹⵏ), daṛ semmesouîḍen ‖ fait de regarder de tous côtés. — ămâsouaḍ ⵎⵙⵓⴹ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. imâsouâḍen ⵎⵙⵓⴹⵏ ; fs. tămâsouat ⵜⵎⵙⵓⵜ ; fp. timâsouâḍîn ⵜⵎⵙⵓⴹⵏ), daṛ mâsouâḍen, daṛ tmâsouâḍîn ‖ hom. qui regarde ‖ ce que regarde un ămâsouaḍ se met au gén. ‖ p. ext. « guetteur ; h. qui fait attention à ; h. qui s’occupe de ; h. qui observe ; h. qui veille sur ; h. qui jette les yeux sur (h. qui a des intentions sur) ; amateur ». — ăsemmesouaḍ ⵙⵎⵙⵓⴹ sm. n. d’é. f. 2.1 ; φ (pl. isemmesouâḍen ⵙⵎⵙⵓⴹⵏ ; fs. tăsemmesouaṭ ⵜⵙⵎⵙⵓⵟ ; fp. tisemmesouâḍîn ⵜⵙⵎⵙⵓⴹⵏ), daṛ semmesouâḍen, daṛ tsemmesouâḍîn ‖ hom. (ou an.) qui regarde de tous côtés. ⵙⵓⴹ tasouoṭ ‖ v. ⵓⴹ aouḍ. ⵙⵓⵉ ésaoui ‖ v. ⵓⵉ aoui. ⵙⵓⵉⵙⵓⵉ seouiseoui ⵙⵓⵙⵓⵉ vn. prim. ; conj. 45 « ġemiġemi » ; (isoueisouei, iesîoueisouei, éd isouiseoui, our isoueiseouei) ‖ marcher entravé (marcher les jambes entravés) (le suj. étant une p. ou un an.) ‖ p. ext. « marcher com. un h. entravé (marcher à pas tout à fait courts com. ceux d’un h. entravé) », le suj. étant une p. Se dit, p. ex., d’une p. qui, par infirmité, vieillesse, faiblesse, ou pour une autre cause, marche à pas tout à fait courts ‖ v. ⵂⵍ ahel « courir ». — sesseouiseoui ⵙⵙⵓⵙⵓⵉ va. f. 1 ; conj. 132 « seddeṛideṛi » ; (isseoueiseouei, iesîseoueiseouei, éd isesseouiseoui, our isseoueiseouei) ‖ faire marcher entravé ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — tîsouiseoui ⵜⵙⵓⵙⵓⵉ vn. f. 12 ; conj. 245 « tîheḍeḍi » ; (itîsouiseoui, our itesouiseoui) ‖ marcher hab. entravé ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăsouiseoui ⵙⵓⵙⵓⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. isouiseouien ⵙⵓⵙⵓⵉⵏ), daṛ ĕsouiseouien ‖ fait de marcher entravé ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsesseouiseoui ⵙⵙⵓⵙⵓⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isesseouiseouien ⵙⵙⵓⵙⵓⵉⵏ), daṛ sesseouiseouien ‖ fait de faire marcher entravé ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. ⵙⵓⵙⵓ éseouseou ⵙⵓⵙⵓ sm. φ (pl. iseouseouen ⵙⵓⵙⵓⵏ), daṛ ăseouseou (ĕseouseou), daṛ seouseouen ‖ é̆seber vieux et usé ; tăousit vieille et usée ; morceau vieux et usé d’é̆seber (ou de tăousit) ‖ p. ext. « petit morceau d’é̆seber (ou de tăousit) (en n’importe quel état, neuf ou vieux, usé ou non) ». ⵙⵓⵙⵗ seouseṛ ‖ v. ⵙⵗ esseṛ. ⵙⵔ aser ⵙⵔ va. prim. ; conj. 66 « aġer » ; ρ (iousĕr, iousâr, éd iaser, our iousir) ‖ manquer de ‖ peut avoir pour suj. et rég. dir. des p., des an., ou des ch. ‖ se dit de tout ce qui manque de n’importe quoi, moralement, physiquement, ou matériellement, p. ex. d’un h. qui manque de patience, d’un cheval qui manque de vitesse, d’une terre qui manque d’eau, d’un vêtement qui manque de poche ‖ p. ext. « manquer de [qlq. ch. s. e.] », un rég. dir. signifiant qlq. ch. étant s. e. — siser ⵙⵙⵔ va. f. 1 ; conj. 172 « siġer » ; ρ (iessoŭser, iessoûser, éd isiser, our iessouser) ‖ faire manquer de ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — tâser ⵜⵙⵔ va. f. 6 ; conj. 228 « tâġer » ; (itâser, our itiser) ‖ manquer hab. de ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâsâr ⵙⵙⵔ va. f. 1.7 ; conj. 233 « sâġâr » ; (isâsâr, our isiser) ‖ faire hab. manquer de ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăssar ⵙⵔ sm. nv. prim. ; (pl. ăssâren ⵙⵔⵏ) ‖ fait de manquer de ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsîser ⵙⵙⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isîsîren ⵙⵙⵔⵏ), daṛ sîsîren ‖ fait de faire manquer de ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. ⵙⵔ eser ⵙⵔ va. prim. ; conj. 30 « ebeḍ » ; ρ (isĕr, isâr, éd iser, our isir) ‖ défaire [une ch. qui a été faite] ‖ a aussi les s. pas. et pron. « être défait » et « se défaire » ‖ ne peut avoir pour suj. qu’une p. Peut avoir pour rég. dir. n’importe quelle ch. matérielle confectionnée de main d’h. et pouvant être défaite point par point ou pièce par pièce, p. ex. une coiffure, une tresse, un nœud, une couture, un mur, un travail de menuiserie, de broderie, de cordonnerie, de sellerie, de reliure, etc. ‖ p. ext. « annuler [une parole, une décision, une convention, une lettre, un écrit] ; abolir ; abroger ; renoncer à [un projet] ; effacer [qlq. ch. dans un écrit] ». — seser ⵙⵙⵔ va. f. 1 ; conj. 113 « sebeḍ » ; ρ (isser, iesîser, éd iseser, our isser) ‖ faire défaire ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — essâr ⵙⵔ va. f. 5 ; conj. 218 « ebbâḍ » ; (issâr, our issir) ‖ défaire hab. ‖ a aussi les s. pas. et pron. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâsâr ⵙⵙⵔ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâsâr, our isesir) ‖ faire hab. défaire ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ésîr ⵙⵔ sm. nv. prim. ; φ (pl. isîren ⵙⵔⵏ), daṛ ăsîr (ĕsîr), daṛ sîren ‖ fait de défaire ‖ a aussi les s. pas. et pron. « fait d’être défait » et « fait de se défaire » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — asser ⵙⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. issîren ⵙⵔⵏ), daṛ ĕsser (ăsser), daṛ ĕssîren ‖ fait de faire défaire ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — seser ⵙⵙⵔ vn. f. 1 ; conj. 113 « sebeḍ » ; ρ (isser, iesîser, éd iseser, our isser) ‖ prendre sa course (se mettre à marche rapidement) ‖ peut avoir pour suj. une p. à pied ou montée, un an. monté ou en liberté ‖ se dit d’une p. ou d’un an. qui se mettent à marcher rapidement, soit dès leur départ, soit après un certain temps de marche plus lente ‖ p. ext. « être en état de pouvoir prendre sa course (être en état de pouvoir marcher rapidement) ». Se dit d’une p. ou d’un an. qui sont dans un état de forces, d’entraînement, de santé, etc. tels qu’ils sont capables de fournir une course rapide ‖ v. ⵂⵍ ahel « courir ». — mesesser ⵎⵙⵙⵔ vn. f. 1.2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imsesser, iemîsesser, éd imsesser, our imsesser) ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. — sâsâr ⵙⵙⵔ vn. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâsâr, our isesir) ‖ prendre hab. sa course ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tîmsessîr ⵜⵎⵙⵙⵔ vn. f.1.2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmsessîr, our itemsessir) ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. — asser ⵙⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. issîren ⵙⵔⵏ), daṛ ĕsser (ăsser), daṛ ĕssîren ‖ fait de prendre sa course ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ămsesser ⵎⵙⵙⵔ sm. nv. f. 1.2 ; φ (pl. imsessîren ⵎⵙⵙⵔⵏ), daṛ ĕmsessîren ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. — ămsessar ⵎⵙⵙⵔ sm. nv. f. 1.2 ; φ (pl. imsessâren ⵎⵙⵙⵔⵏ), daṛ ĕmsessâren ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. — serser ⵙⵔⵔ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (issĕrser, iessîrser, éd iesserser, our isserser) ‖ disjoindre les fils de [une tissu, une corde, une ficelle, une pelote de fil, etc.] ; disjoindre les brins de [une corde, une ficelle, etc.] ‖ a aussi les s. pas. et pron. « avoir ses fils disjoints ; avoir ses brins disjoints » et « avoir ses fils qui se disjoignent ; avoir ses brins qui se disjoignent » ‖ peut avoir pour suj. une p. ou une cause qlconque. Peut avoir pour rég. dir. toute ch. composée de fils joints ensemble, p. ex. un tissu, une corde, une ficelle, une pelote de fil ou de ficelle, une tresse de cheveux, etc. — meserser ⵎⵙⵔⵙⵔ vn. f. 2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imserser, iemîserser, éd imserser, our imserser) ‖ syn. de serser employé aux s. pas. et pron. — mesersar ⵎⵙⵔⵙⵔ vn. f. 2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imsersar, iemîsersar, éd imsersar, our imsersar) ‖ m. s. q. le pr. — semmeserser ⵙⵎⵙⵔⵙⵔ va. f. 2.1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (ismeserser, iesîmeserser, éd isemmeserser, our ismeserser) ‖ syn. de serser employé au s. act. — tâsersâr ⵜⵙⵔⵙⵔ va. f. 7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâsersâr, our itesersir) ‖ disjoindre hab. les fils de ; disjoindre hab. les brins de ‖ a aussi les s. pas. et pron. — tîmsersîr ⵜⵎⵙⵔⵙⵔ vn. f. 2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmsersîr, our itemsersir) ‖ syn. de tâsersâr empl. aux s. pas. et pron. — tîmsersâr ⵜⵎⵙⵔⵙⵔ vn. f. 2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmsersâr, our Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1849 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1850 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1851 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1852 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1853 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1854 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1855 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1856 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1857 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1858 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1859 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1860 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1861 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1862 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1863 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1864 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1865 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1866 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1867 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1868 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1869 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1870 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1871 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1872 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1873 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1874 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1875 MediaWiki:Proofreadpage pagenum template#lst:Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1876 |
L’Instruction des marchands au Moyen Âge | Collectif Annales d’histoire économique et sociale 1 1929. journalAnnales d’histoire économique et socialeCollectifArmand Colin1929ParisC1L’Instruction des marchands au Moyen ÂgeAnnales d’histoire économique et sociale - Tome 1 - 1929.djvuAnnales d’histoire économique et sociale - Tome 1 - 1929.djvu/319-34 Tout commerce quelque peu développé suppose nécessairement, chez ceux qui s’y adonnent, un certain degré d’instruction : on ne le conçoit pas sans la pratique tout au moins de la correspondance et du calcul. Il arrive évidemment que la passion du gain servie par le génie des affaires suffise, grâce à la faveur des circonstances, à pousser çà et là un illettré à la fortune. Chacun en pourrait citer des exemples. Mais ces exemples ne prouveraient rien. Dans une époque de développement économique avancé, l’ignorance du parvenu n’est que très relative. Il supplée, par les collaborateurs qu’il emploie et qu’il dirige, aux connaissances qui lui font défaut. On peut affirmer que l’instruction des marchands à une époque donnée est déterminée par l’activité économique de cette époque. Elle en est même un indice certain. Il est facile de constater qu’elle évolue au gré du mouvement commercial. Si jamais elle n’a été aussi perfectionnée que de nos jours, c’est que, jamais non plus, le transit et le trafic n’ont atteint l’ampleur où ils sont arrivés aujourd’hui. Et ce qui est vrai de notre temps l’a toujours été. Nous savons que les négociants de l’Égypte et de la Babylonie furent des gens instruits, et que notre système d’écriture est une invention de ce peuple essentiellement commerçant que furent les Phéniciens. Jusqu’à la fin de l’antiquité, la vie économique du monde méditerranéen n’a guère entretenu moins de scribes et de commis que de matelots. C’est seulement lorsque le commerce tombe dans la décadence qui caractérise les premiers siècles du moyen âge, qu’il cesse de requérir l’adjuvant, jusqu’alors indispensable, de la plume. Les transactions misérables qui ont remplacé les grandes affaires de jadis se traitent, dans les petits marchés des bourgs du ixe et du xe siècle, de vive voix et au comptant. De même que le capital, l’instruction a disparu chez les commerçants. Elle s’est raréfiée plus encore que la circulation monétaire. On ne vend et on n’achète plus que pour des sommes infimes. Plus de crédit. On ne dresse plus de contrats. On ne correspond plus de ville à ville. Pour se rappeler les quelques deniers auxquels les dettes se restreignent, il n’est plus besoin de recourir à l’écriture. Il suffit de bâtons tracés à la craie sur une planche ou au stylet sur des tablettes de cire, à moins qu’on ne préfère « tailler » d’encoches une baguette de bois. Les hommes que les textes du temps appellent mercatores sont de simples paysans portant une fois par semaine au marché du bourg voisin quelques œufs, quelques légumes ou quelques volailles, ou bien de ces colporteurs ambulants, chargés d’une banne dont ils exposent en vente le pauvre contenu hétéroclite à la porte des églises, aux jours de pélerinages. Seuls un petit nombre de Juifs, venus d’Espagne pour la plupart, pratiquent sporadiquement l’importation d’épices ou d’étoffes précieuses d’origine orientale. Le faible volume de ces produits de luxe permet de les transporter facilement et leur rareté garantit d’importants bénéfices. Nul doute que les traditions et la culture commerciales ne se soient conservées chez ces Israélites en rapports constants avec leurs coreligionnaires des contrées islamiques ou byzantines. Mais trop peu nombreux, trop différents de la population, trop détestés d’ailleurs par suite de leur religion, ils n’ont exercé sur le commerce indigène aucune influence. En somme, depuis les débuts de l’époque carolingienne, ce qu’il subsiste de celui-ci n’est plus qu’aux mains d’illettrés. Il est intéressant de se demander pendant combien de temps cette situation s’est prolongée. Car s’il fallait admettre, comme on l’a prétendu, qu’elle a duré jusqu’à la fin du moyen âge, il en résulterait que, malgré les apparences, l’époque qui a vu se constituer les villes et se développer les premières industries de l’Europe, n’aurait point dépassé en somme, le stade d’une organisation commerciale tout à fait rudimentaire. Nous connaissons assez cette organisation pour pouvoir affirmer qu’elle a été beaucoup plus avancée que certaines théories ne veulent le reconnaître. Cependant on ne s’est guère occupé jusqu’ici de savoir dans quelle mesure les marchands qui l’ont créée étaient instruits, et quelle était la nature de l’instruction qu’ils avaient reçue. La question vaut qu’on s’en occupe. Il est trop évident qu’on peut en attendre une appréciation plus exacte des progrès et des modalités de la vie économique médiévale. En lui consacrant les quelques pages qui suivent, je n’ai prétendu, faut-il le dire ? qu’y apporter une modeste contribution. Pour la traiter comme elle le mérite, des recherches beaucoup plus étendues que celles que j’ai pu faire seraient indispensables. Aussi bien, mon but n’est-il que de signaler l’importance d’un sujet trop négligé. Tout coup de sonde dans un terrain vierge ne peut manquer de donner quelques prévisions sur ce que les investigations postérieures feront découvrir. Je dois ajouter que ce premier coup de sonde n’a guère porté que sur l’époque antérieure au milieu du xiiie siècle. À partir de cette date, les renseignements deviennent assez nombreux pour que l’on ne puisse plus mettre en doute l’instruction des marchands : il ne s’agit plus que d’en établir le degré. J’ai donc, de propos délibéré, borné ce petit travail à la période des origines. J’ai essayé de montrer quand les marchands ont éprouvé le besoin de savoir lire, écrire et calculer, et à quels moyens ils ont eu recours pour se procurer le bénéfice de ces connaissances. ⁂ Il importe tout d’abord de montrer comment et pourquoi a succédé, au marchand instruit de l’Empire romain, le marchand illettré du haut moyen âge. Ce serait, à mon sens, une erreur que de vouloir expliquer ce fait par les invasions germaniques du ve siècle et par la décadence générale qu’elles ont provoquée dans l’Europe Occidentale. Si profonde qu’on la suppose, cette décadence n’a pas sensiblement affecté la vie économique. Celle-ci, à vrai dire, penchait déjà vers le déclin depuis la fin du iiie siècle. À comparer le siècle des Antonins à celui de Dioclétien et de Constantin, on en relève des traces évidentes dans tous les domaines. La population diminue, l’industrie se ralentit, la circulation monétaire se resserre, les villes s’appauvrissent et l’agriculture elle-même voit diminuer son rendement. Le commerce cependant, et même le commerce au long cours, non seulement n’a pas disparu, mais demeure une condition indispensable de l’existence sociale. La navigation méditerranéenne continue à entretenir entre toutes les provinces de l’Empire un trafic qui les unit en une solidarité économique très puissante. Les échanges sont constants entre l’Orient et l’Occident. Le premier, beaucoup plus développé et plus actif que le second, le fournit d’objets fabriqués et d’épices qu’il tire de l’Asie ou qu’il produit sur son propre sol, et en retour desquels il exporte des céréales, des bois et des métaux. Dans tous les ports, dans toutes les villes d’Italie, de Gaule, d’Espagne et d’Afrique, des marchands, Syriens pour la plupart, ont des établissements en relations d’affaires avec les diverses régions des bords de la mer Égée, et l’on pourrait assez exactement comparer l’influence qu’ils y exercent à celle que devaient exercer, bien des siècles plus tard, les Génois et les Vénitiens dans la Méditerranée, ou les Hanséates dans la mer Baltique et dans la mer du Nord. Par eux, le commerce demeure un facteur essentiel de la vie économique de l’Empire. Il la pénètre si intimement qu’elle a résisté à la catastrophe des invasions. Si les Germains ont mis fin, en Occident, à la domination politique de l’Empire, ils n’ont pas pu et surtout ils n’ont pas voulu, on le sait aujourd’hui à suffisance, substituer à la civilisation romaine une prétendue civilisation germanique. De l’Empire, ils ont adopté aussitôt la religion et la langue et conservé, dans la mesure du possible, le droit et les institutions. Rien d’étonnant dès lors si l’organisation économique en vigueur dans les provinces où ils s’établirent n’a subi aucun changement appréciable du fait de leur conquête. L’unité méditerranéenne de l’économie antique subsiste après eux comme elle existait auparavant. La Gaule mérovingienne, pour ne parler que d’elle, ne présente à cet égard aucun contraste avec la Gaule romaine. Marseille demeure le grand port par où elle communique avec l’Orient ; des marchands syriens et des marchands juifs sont toujours installés dans ses villes, le papyrus d’Égypte et les épices pénètrent jusque dans l’extrême Nord de la monarchie franque, et le mouvement commercial dépend encore à ce point de celui de l’Empire, que les rois francs conservent le solidus d’or comme instrument d’échange et étalon des valeurs. L’activité des marchands orientaux suscite et entretient autour d’elle celle des marchands indigènes. Dans toutes les villes, ceux-ci sont encore nombreux et l’importance de leur négoce ressort de la richesse à laquelle nous voyons que plus d’un d’entre eux est parvenu. Dès lors, il est impossible de se représenter la classe marchande de l’époque mérovingienne comme composée d’illettrés. S’il en avait été ainsi, les rapports qu’elle entretenait avec l’Orient seraient inconcevables. Tous les renseignements que nous possédons sur les pratiques commerciales de l’époque attestent d’ailleurs qu’elles ne pouvaient se passer de l’écriture. Il suffit pour s’en convaincre, de relever dans les recueils de formules les nombreux contrats qui y sont insérés. Rien n’était plus facile au surplus que d’acquérir dans les écoles publiques qui étaient loin d’avoir disparu, la connaissance non seulement de la lecture et de l’écriture, mais même celle du calcul et des rudiments du droit. L’extrême abondance du papyrus employé en Gaule jusqu’au commencement du viiie siècle, atteste d’une manière frappante combien la pratique de l’écriture y était répandue, et ce serait faire preuve d’un parti pris vraiment excessif que de se refuser à croire que les marchands s’y soient initiés. Si l’indigence de nos sources ne nous permet pas d’apporter des preuves décisives, la vraisemblance doit suffire à notre édification. De l’identité du commerce mérovingien avec le commerce des temps antérieurs, on doit inférer l’identité de la culture des hommes qui se sont adonnés à celui-ci comme à celui-là. Mais il est évident que cette culture ne pouvait durer plus longtemps que les conjectures économiques dont elle était la conséquence nécessaire. Lorsque l’Islam, au commencement du viiie siècle, eut achevé de soumettre à sa domination les rives de la Méditerranée, de la Syrie à l’Espagne, la mer qui, depuis l’aurore de l’histoire, n’avait cessé d’entretenir le contact entre l’Occident et l’Orient de l’Europe, ne fut plus pour de longs siècles qu’un vaste fossé les séparant l’un de l’autre. Grâce à sa flotte, l’Empire byzantin parvint à conserver la maîtrise de la mer Égée et de l’Adriatique, mais sa navigation ne put plus rayonner jusqu’à la mer Tyrrhénienne. Celle-ci fut désormais un lac musulman, et elle le devint davantage à mesure que l’Islam s’empara de ses îles et édifia sur le côte d’Afrique et en Sicile de puissantes bases navales. Ce renversement complet des conditions qui avaient jusqu’alors déterminé l’évolution de la civilisation européenne eut pour résultat de substituer en Occident à l’économie antique, qui avait survécu à l’invasion des Germains, l’économie au milieu de laquelle s’ouvre la période que la tradition de l’école continue à désigner sous le nom de moyen âge. Cette économie n’est pas du tout, comme on le suppose parfois, une économie primitive, mais une économie de régression ou, si l’on veut, de décadence. Son caractère le plus frappant, la disparition générale de la circulation et, avec elle, l’extinction du commerce et de l’industrie — ne s’explique pas par une cause interne, mais par la catastrophe extérieure qui a fermé la mer. On peut prouver jusqu’à l’évidence que l’interruption de la navigation méditerranéenne par l’invasion islamique a provoqué par voie de conséquence l’extinction de la vie urbaine, la disparition de la classe marchande qui l’entretenait et enfin la substitution à l’économie d’échange, qui avait fonctionné jusqu’alors, d’une économie uniquement appliquée à la culture du sol et à la consommation sur place de ses produits. En même temps que le commerce, ce que l’on pourrait appeler la culture commerciale s’éteint au cours du viiie siècle. Ceux qui se mêlent encore de vendre et d’acheter ne constituent plus dès lors une classe spéciale requérant un minimum d’instruction. Aussi bien l’instruction a-t-elle disparu au sein de la société laïque. Elle ne se conserve plus que dans l’Église, instrument et bénéficiaire de ce renouveau des lettres que l’on désigne un peu abusivement, semble-t-il, sous le nom de renaissance carolingienne. Si remarquable qu’ait été cette renaissance, si supérieurs qu’apparaissent les clercs du ixe siècle comparés à ceux du viie ou du viiie, il faut bien reconnaître que les progrès de l’enseignement dans l’Église ont eu pour contrepartie la disparition définitive de cet enseignement laïque que la survivance des écoles romaines avait laissé subsister, vaille que vaille, aux temps mérovingiens. Sans doute, on écrit beaucoup mieux le latin après Charlemagne qu’avant lui, mais le nombre de ceux qui l’écrivent est devenu bien moindre, puisqu’on ne l’écrit plus que dans le clergé. La paléographie nous en fournit l’irrécusable démonstration. À la cursive romaine, dont l’usage se conserve jusqu’à la fin du viiie siècle dans tous les royaumes fondés sur le sol de l’Empire en Occident, se substitue la minuscule dès les débuts de l’époque carolingienne. Et cette substitution atteste d’une manière frappante combien l’art d’écrire s’est restreint. La cursive est, en effet, caractéristique des civilisations où l’écriture était indispensable à tous les actes de la vie sociale, la nécessité s’impose d’écrire vite parce que l’on écrit beaucoup. La minuscule, au contraire, tracée à main posée, répond à une société où l’art d’écrire est devenu le monopole d’une classe de lettrés. La première est faite pour l’administration et les affaires, la seconde pour l’étude. Dans la différence de leurs caractères s’exprime le contraste d’un temps où la pratique de l’écriture est encore largement répandue chez les laïques avec un temps ou elle s’est monopolisée aux mains des clercs. L’une s’approprie aussi bien aux nécessités du commerce que l’autre s’y adapte mal. De même d’ailleurs que la minuscule a remplacé la cursive au moment même où la décadence économique consécutive à la conquête musulmane faisait du marchand un illettré, on verra reparaître la cursive dans le courant du xiiie siècle, c’est-à-dire à l’époque où la renaissance du commerce rendra de nouveau l’écriture indispensable au marchand. Un minimum d’instruction dut s’imposer aux marchands de l’Europe Occidentale lorsque, après la longue stagnation du ixe et du xe siècle, le trafic commença de se ranimer et de susciter la formation des premières agglomérations urbaines. Alors, sous l’influence de la circulation renaissante, une classe de mercatores professionnels se reconstitue. L’échange et la circulation des marchandises deviennent ou plutôt redeviennent des moyens d’existence. Des hommes en nombre de plus en plus grand s’arrachent au travail de la terre pour s’adonner au nouveau genre de vie qui, des côtes de Flandre et des environs de Venise où la navigation l’a éveillé, pénètre peu à peu dans l’intérieur. Des villes se forment aux nœuds du transit, attirant de plus en plus vers elles les vagabonds et les aventuriers qui sont les ancêtres de la bourgeoisie et les rénovateurs, dans notre histoire, du capital mobilier. Dès le xie siècle, des fortunes considérables ont déjà été échafaudées par les plus intelligents d’entre eux. Car l’intelligence devient désormais un moyen de parvenir à la richesse. Les bénéfices du marchand seront d’autant plus fructueux qu’il combinera mieux ses achats, choisira plus habilement ses marchés, calculera plus exactement ses chances. Mais pour tout cela, un ensemble de connaissances est requis dont plusieurs sans doute s’acquièrent par la pratique et les voyages, mais que l’instruction complétera. Les affaires des marchands du xie et du xiie siècle sont évidemment trop étendues pour que l’on puisse les concevoir dirigées par de simples illettrés. La circulation des marchandises et la circulation de l’argent qu’elles supposent exigent, à n’en pas douter, la tenue d’une correspondance et celle d’une comptabilité sans lesquelles elles seraient impossibles. Comment pourrait-on admettre que, dès cette époque, les marchands de Flandre aient pu acheter et vendre en gros de la laine et des draps en Angleterre et prêter des sommes d’argent considérables à toutes sortes de nobles clients, s’ils avaient dû se contenter de se fier à leur mémoire pour connaître l’état de leurs dettes et de leurs créances ? Incontestablement, le besoin de tenir des comptes s’imposait à eux plus fortement encore qu’il ne s’imposait aux grands propriétaires fonciers, et l’on n’imagine point qu’ils aient pu se passer de correspondre avec l’extérieur. On ne se les représente pas privés de cet élargissement formidable que la lecture, l’écriture et le calcul apportent à l’activité individuelle. L’indigence de nos sources est trop grande pour nous permettre d’apercevoir clairement de quelle manière l’enseignement et le commerce se sont rejoints. Comme il n’y avait d’écoles que dans l’Église et pour l’Église, il est permis de supposer que, parmi les premiers marchands, ont figuré bon nombre de clercs qui, séduits par la vie commerciale, l’auront abordée avec les avantages d’une instruction acquise en vue d’une carrière bien différente. On sait d’ailleurs que les degrés inférieurs de la cléricature ne constituaient pas un empêchement dirimant aux professions laïques. Pourquoi les clercs du xie siècle se seraient-ils abstenus de tenter la chance des affaires dès les débuts de la renaissance commerciale, alors qu’on les voit si nombreux parmi les marchands dans les siècles postérieurs ? En tout cas, il est certain que de très bonne heure, s’ils n’ont pas pris part directement au commerce, ils y ont pris part indirectement. Grâce à leur connaissance du latin et de l’écriture, plusieurs d’entre eux ont indubitablement été employés à tenir les comptes, et à faire la correspondance des marchands. Ce n’est pas sans de profondes raisons historiques que, dans toutes les langues européennes, le mot « clerc » a fini par désigner un commis. Dès le milieu du xie siècle, les membres de la gilde marchande de Saint-Omer avaient à leur service un « notaire » que l’on peut considérer comme le plus ancien teneur de livres connu. Car il n’est pas téméraire de penser que ses fonctions ne se bornaient pas à l’inscription des « frères » sur le rôle de la société, mais qu’il accompagnait sans doute les membres de la gilde dans leurs expéditions commerciales, en qualité de comptable<refG. Espinas et H. Pirenne, Les coutumes de la gilde marchande de Saint-Omer (Le moyen âge, 2e série, t. V, 1901, p. 190 et suiv). Le texte de ces coutumes est antérieur à 1083. Le notaire y est mentionné au § 24 : « Si quis gildam emerit, juvenis vel senex, priusquam in cartula ponatur, 2 denarios notario, decanis vero duos denarios ». Le § 25 montre encore le notaire mangeant avec les doyens, aux frais de la gilde « in thalamo gildalle ». Il faut remarquer que le règlement de la gilde ou charité de Valenciennes au xiie siècle, parle d’un chancelier dont les attributions sont analogues à celles du notaire de Saint-Omer. Voy H. Caffiaux (Mém. de la Soc. des Antiquaires de France, 4e série, t. VIII, p. 25 et suiv). À Venise, où l’instruction était évidemment bien plus répandue parmi les marchands qu’elle ne l’était dans le Nord, on voit, au commencement du xiie siècle, chaque bateau avoir à bord un notarius. R. Heynen, Zur Entstehung des Kapitalismus in Venedig, Stuttgart, 1905, p. 82.</ref>. Ainsi donc, dès le début, les marchands ont eu recours à l’écriture d’hommes que l’Église avait instruits dans ses écoles. Mais ils devaient nécessairement chercher à acquérir pour eux-mêmes la connaissance d’un art si profitable. L’idée de s’asseoir sur les bancs des écoles où s’instruisait le clergé s’est présentée d’elle-même à leur esprit. Ici, il n’est plus besoin d’hypothèse. Un texte formel nous permet d’affirmer qu’il en fut bien ainsi. Les Gesta Sanctorum de l’abbaye de Villers-en-Brabant, parlant de l’enfance du moine Abundus, mort en 1228, nous apprennent que, fils d’un marchand de Huy, il avait été confié au couvent « afin de s’y rendre capable de tenir note des opérations commerciales et de dettes de son père ». Mais les intentions toutes pratiques de ce père ne s’étaient pas réalisées. Dans le milieu monastique l’enfant avait tellement pris goût à l’étude des lettres qu’il s’était entièrement consacré à elles, avait renoncé au négoce et s’était fait moine. L’anecdote est singulièrement instructive. Elle nous fournit un exemple de la manière, sans doute la plus ancienne, à laquelle les marchands recoururent pour se procurer la partie, pour eux la plus utile, des connaissances dont l’Église se réservait le monopole. Ce n’était pas seulement de savoir lire et écrire qu’il s’agissait. Il importait tout autant de s’initier à la pratique du latin, puisqu’aussi bien c’est exclusivement en latin que se dressaient les chartes, que se tenaient les comptes, que se rédigeaient les correspondances. Lire et écrire ne signifiait autre chose que lire et écrire le latin. Langue de l’Église, le latin dut être et fut en réalité la langue du commerce à ses débuts, puisque c’est l’Église qui dota tout d’abord les marchands de l’instruction qu’ils ne pouvaient acquérir que grâce à elle. Abundus étant mort en 1225, on peut fixer à plusieurs dizaines d’années auparavant son entrée au monastère. Son cas n’ayant certainement pas été isolé, nous pouvons donc affirmer que, dans le courant du xiie siècle, des abbayes et sans doute diverses écoles ecclésiastiques dispensèrent l’enseignement aux enfants de la classe marchande en les admettant à leurs leçons en qualité de ce que, faute de mieux, j’appellerai des auditeurs libres. Mais cet enseignement comportait toutes sortes d’inconvénients et de dangers. Il était à craindre, en effet, et l’anecdote de Villers nous le montre précisément, que la vie monastique n’attirât vers elle les enfants que leur famille destinait à la moins mystique des carrières. Cela était même d’autant plus à redouter que, aux yeux des moines, le commerce apparaissait comme une cause de perdition. Les plus fervents d’entre eux devaient considérer comme un devoir d’en détourner les jeunes garçons qui venaient leur demander les moyens de s’y préparer. Quelle étrange initiation ne recevaient-ils pas de maîtres imbus de l’idée que « le marchand ne peut pas, ou ne peut que bien difficilement sauver son âme » ! Sans doute, la mésaventure du père d’Abundus fut celle de bien d’autres. On risquait fort, en confiant son fils à un couvent, de ne pas l’en voir revenir. D’autre part, les écoles monastiques répondaient bien imparfaitement aux vues des commerçants qui y envoyaient leurs enfants. Le programme, demeuré fidèle aux prescriptions du trivium et du quadrivium, comportait quantité de branches dont ceux-ci n’avaient nul besoin. La grammaire, la rhétorique, la dialectique, le chant, etc. Que de temps gaspillé en pure perte au détriment des élèves qui ne demandaient rien d’autre que d’apprendre au plus vite à baragouiner un peu de latin et à tracer des lettres, tant bien que mal, au stylet sur des tablettes de cire ou à la plume sur le parchemin. Les plus riches parmi les marchands durent, de bonne heure, préférer à un genre d’enseignement, si périlleux et si défectueux à la fois, l’enseignement à domicile. Un texte d’Ypres parle des bourgeois qui font instruire leurs enfants, ou les personnes de leur famille habitant sous leur toit, par un clerc à leurs gages. Ce texte ne date, il est vrai, que de 1253. Mais il n’est pas croyable que les opulents négociants dont, dès le milieu du xiie siècle, les maisons fortifiées et surmontées de tours donnaient aux villes de Flandre leur aspect caractéristique, aient attendu très longtemps avant de s’aviser d’un moyen qui leur permettait de diriger et de contrôler l’instruction de leurs enfants. Rien n’était plus facile que de se procurer à prix d’argent les services d’un clerc et de le transformer en précepteur. L’éducation à domicile, mieux adaptée très certainement que ne l’était l’éducation monastique aux besoins et aux aspirations de la bourgeoisie marchande du xiie siècle, n’était accessible qu’à ce petit nombre de privilégiés de la fortune que les textes du temps appellent majores, divites, otiosi, homines hereditarii, et auxquels les historiens donnent assez inexactement le nom de patriciens. Mais il va de soi que plus croissait le nombre de ceux qui vivaient du commerce et de l’industrie, plus aussi se généralisait la nécessité de l’instruction. Les pouvoirs municipaux ne pouvaient se désintéresser d’une question aussi urgente. Et il est naturel qu’ils s’en soient occupés tout d’abord dans les régions qui se distinguent par la rapidité de leur développement économique. De même que la Flandre a pris l’avance à cet égard sur le reste de l’Europe au Nord des Alpes, de même c’est dans ses villes que l’on voit se poser pour la première fois, à ma connaissance, ce que l’on pourrait appeler la question des écoles. Le hasard nous a conservé par bonheur un nombre de documents assez nombreux pour nous permettre de voir comment elle y surgit et de quelle manière elle y fut résolue. Dès le xe siècle, les comtes de Flandre avaient fait élever en plusieurs points sur leur territoire, des enceintes fortifiées, burgi ou castra, destinées à servir de lieux de refuge, en cas de guerre, à la population des alentours et qui, en temps de paix, étaient les centres de l’administration judiciaire et économique de la « châtellenie » qui s’étendait autour de leurs murailles. Le comte, résidant périodiquement dans chacune d’elles, les avait aménagées en conséquence. Il y possédait non seulement un donjon affecté à sa demeure et des magasins de toute sorte où venaient s’entasser les produits des domaines qu’il possédait aux environs et qui, durant ses séjours, servaient à son entretien et à celui de sa cour, mais il y avait encore fondé et doté des chapitres de chanoines : Saint-Donatien au château de Bruges, Sainte-Pharaïlde à celui de Gand, Saint-Winnoc à celui de Bergues, Saint-Pierre à celui de Lille, Saint-Amé à celui de Douai, Saint-Omer à celui de la ville qui a conservé son nom. De chacun de ces chapitres dépendait une école qui ne dut servir, primitivement, qu’à la formation du clergé des paroisses de la châtellenie avoisinante et à celles des « notaires » que le comte employait à ses écritures. Mais quand, au cours du xie siècle, des agglomérations de marchands et d’artisans (portus) commencèrent à se grouper autour de ces forteresses, et que, du fait même de leur profession, les immigrants de plus en plus nombreux qui affluaient vers elles éprouvèrent le besoin d’un enseignement indispensable au genre de vie qu’ils menaient, la situation se compliqua. Faute de renseignements il est impossible de savoir ce qui se passa durant les premiers temps. Il paraît certain que les écoles capitulaires fournirent aux commerçants des bourgeoisies naissantes les premiers scribes qui furent employés à la tenue de leurs livres. Tout au moins, peut-on conjecturer avec grande vraisemblance que le notarius de la Gilde de Saint-Omer, au milieu du xie siècle, était un ancien élève du chapitre castral. Des enfants de bourgeois furent-ils admis dès l’origine de la formation des villes à suivre les leçons qui se faisaient dans l’école du castrum ? L’exemple d’Abundus, que nous avons cité plus haut, permettrait de le croire. En tout cas il est absolument certain que, dès le xiie siècle, la population urbaine s’efforce de se pourvoir d’écoles répondant à ses besoins et placées sous son contrôle. Son intervention dans le domaine de l’enseignement, qui depuis si longtemps appartenait au clergé, n’alla pas sans entraîner des froissements et des contestations inévitables. Si l’Église n’élevait aucune objection de principe contre l’existence d’une instruction destinée aux laïques, elle ne pouvait tolérer en revanche que cette instruction fût soustraite à son autorité. C’est en ce point qu’elle devait forcément se heurter à la bourgeoisie. Le conflit qu’elle eut à soutenir avec elle s’explique par l’incompatibilité des points de vue. L’Église, trop étrangère aux tendances toutes pratiques des marchands et des artisans, était évidemment incapable d’y adapter le programme des écoles. Ce qu’il fallait à ceux-ci, c’était non pas un enseignement littéraire et savant, mais un enseignement tourné tout entier vers les nécessités de la vie commerciale. La lecture, l’écriture, le calcul et les rudiments du latin, voilà ce qu’ils exigeaient de l’école. Tout le reste leur apparaissait un luxe inutile et une perte de temps. Ils ne demandaient qu’à apprendre l’indispensable et à l’apprendre vite. La culture classique dont l’Église conservait la tradition depuis l’époque carolingienne ne lui permettait pas, à leurs yeux, d’instruire leurs enfants comme ils le souhaitaient. Au fond, la question qui se posa dès lors au sein des premières agglomérations bourgeoises n’était qu’une forme brutale sans doute et rudimentaire, mais une forme tout de même de la question de l’enseignement moderne et professionnel. Ce que nos sources nous apprennent nous permettent d’en saisir, en Flandre, quelques péripéties assez curieuses. Vers le milieu du xiie siècle, un incendie avait détruit à Gand l’église, l’école et les archives du Chapitre de Sainte-Pharaïlde. De riches bourgeois s’étaient empressés de profiter de cette catastrophe pour ouvrir des écoles. De son côté, le monastère de Saint-Pierre, qui possédait le droit de patronage sur les paroisses de la ville, en avait ouvert d’autres et prétendait faire fermer celles des bourgeois. Ainsi, le Chapitre était attaqué de deux côtés. Pendant que les moines de Saint-Pierre s’adressaient au pape et l’exhortaient à faire cesser les leçons que « l’insolence des laïques s’était enhardie à organiser », les chanoines recouraient à l’aide du comte, le suppliant de confirmer le monopole d’enseignement qu’ils revendiquaient dans la ville comme ils le possédaient depuis toujours dans le castrum. L’enquête ordonnée par Alexandre III, entre 1166 et 1179, sur le bien-fondé de la plainte des moines tourna à leur désavantage, et fit apparaître que le droit d’enseignement appartenait au seul Chapitre. Le comte Philippe d’Alsace le lui ratifia, et obtint, en 1179, de l’archevêque Guillaume de Reims, une charte corroborant sa décision. Toutefois, on surprend dans celle-ci le désir évident du comte de satisfaire tout à la fois les prétentions du Chapitre et les désirs de la bourgeoisie. Elle ne se borne pas, en effet, à reconnaître à Sainte-Pharaïlde le droit de surveiller l’enseignement. Elle confère au chanoine Simon, qui remplissait les fonctions de notaire comtal, la direction des écoles urbaines et statue que, sans son assentiment, personne ne pourra désormais en ouvrir soit dans le château de Gand, soit dans la ville. Ainsi, en 1179, l’existence des écoles que les bourgeois avaient fondées est non seulement tolérée, mais garantie par le comte. Pour en établir une, il suffira d’en obtenir licence du notaire Simon, c’est-à-dire d’un homme qui, mêlé à l’administration comtale, est capable de comprendre le genre d’instruction que doivent dispenser des écoles destinées aux laïques. Si les bourgeois ne possèdent plus l’entière liberté scolaire dont ils s’étaient emparés, du moins la faculté d’entretenir un enseignement urbain ne leur est-elle pas contestée. Quelques années plus tard, ils arrivaient au but. En 1191, ils faisaient inscrire dans la charte extorquée par eux à la comtesse Mathilde, « que si quelqu’un de convenable et de capable veut ouvrir une école dans la ville de Gand, personne ne pourra l’en empêcher ». La même année, le comte Baudouin IX renouvelait cette assurance. Le régime qui dotait ainsi la bourgeoisie de la liberté scolaire la plus complète ne dura pourtant pas très longtemps. En 1235, une organisation assez différente lui était substituée par la comtesse Marguerite. Cette princesse déclare formellement que la maîtrise (magisterium) des écoles dépendant de Sainte-Pharaïlde lui appartient. En conséquence, le doyen et les chanoines lui présenteront chaque année, avant la fête de Pâques, une personne choisie par eux pour exercer la direction de ces écoles, qui sera tenue à perpétuité d’elle et de ses successeurs. La surintendance de l’enseignement urbain repassait ainsi au pouvoir du Chapitre. Il lui était impossible toutefois d’en disposer à son gré, puisque le comte se réservait d’approuver la nomination du magister scolarum, et que son intérêt le plus évident devait l’empêcher de ratifier un choix qui eût mécontenté la bourgeoisie. Ce qui se passe à Gand illustre d’un exemple particulièrement bien connu une situation qui, dans ses traits essentiels, se rencontre dans les autres villes de Flandre. À Ypres, le Chapitre de Saint-Martin obtenait de Célestin III, en 1195, la confirmation de son droit de consentement à l’ouverture de toute école dans la ville. On en doit conclure que ce droit avait donc été contesté. La décision du pape ne mit pas fin aux difficultés. Elles durèrent sans doute jusqu’au compromis conclu en 1253 entre le Chapitre et l’échevinage. Cet acte décide qu’il y aura désormais à Ypres trois grandes écoles (scolæ majores), dont le Chapitre nommera les maîtres (rectores). Ceux-ci ne pourront exiger des élèves une rétribution supérieure à 10 sous annuellement. Il leur est défendu de rien leur demander sous prétexte de saignée, d’achat de paille ou de joncs à étendre sur le plancher de la classe ou de fabrication d’encre. Ils s’abstiendront également de faire des collectes parmi eux et d’en recevoir du pain. En revanche, ces écoles n’auront pas à craindre la concurrence que leur faisait l’enseignement à domicile. À l’avenir, les bourgeois qui font élever leurs enfants par un clerc privé ne pourront admettre à ses leçons des enfants étrangers à leur famille. Quant aux petites écoles (parvæ scolæ), dont le programme ne va pas au delà de la lecture du Caton, pourra en ouvrir qui voudra, sans avoir à obtenir licence ni du Chapitre, ni des échevins. Au milieu du xiiie siècle, l’enseignement urbain est donc largement organisé dans les villes flamandes. Toutes, grandes et petites, possèdent désormais des écoles. L’instruction n’y est plus bornée aux connaissances primaires. Ce n’était certainement pas à Ypres seulement que l’on rencontrait des scolæ majores et des scolæ minores. Ces dernières suffisaient aux enfants des négociants et des artisans. Dans les autres se formaient sans doute les clercs qui, leurs études finies, s’installaient comme écrivains publics, comme scribes de l’échevinage, comme commis de commerce. L’abondance de ces derniers était très grande dès le xiiie siècle. Les marchands les plus riches et les industriels les plus considérables en occupaient à la tenue de leurs livres et de leur correspondance. On en trouvait à Douai chez Simon Malet, chez Johan Boinebroke et ce que nous savons à leur sujet nous devons l’appliquer à leurs pareils de Gand, de Bruges, d’Ypres, de Lille et d’Arras. Le commerce de l’argent et celui des marchandises ont dès lors acquis une ampleur qui requiert la collaboration continuelle de la plume. Il n’est pas d’homme d’affaires de quelque importance qui ne conserve soigneusement dans une « huge » ses livres de commerce, ses chirographes et ses lettres. Les foires de Champagne, qui, au xiiie siècle, sont, pour les marchands et les industriels de Flandre, tout à la fois un marché permanent et un « clearing house », donnent lieu à une correspondance perpétuelle. Durant leur tenue, les « clercs des foires » vont et viennent perpétuellement entre Troyes, Provins, Lagny, Bar-sur-Aube et les grandes villes du bassin de l’Escaut, la mallette gonflée de parchemins où s’inscrit le mouvement d’affaires le plus important qui soit au Nord des Alpes. On voudrait savoir comment l’enseignement se donnait dans les écoles où les marchands de Flandre ont acquis leur instruction. Il faut nous résigner à n’en connaître que bien peu de choses. Au début, certainement, l’enseignement ne se faisait qu’en latin. On a vu plus haut que le Caton, c’est-à-dire le manuel scolaire si répandu au moyen âge sous le nom de Distica Catonis, était en usage dans les petites écoles. Dans les grandes on devait s’appliquer particulièrement à la rédaction des lettres missives. Un curieux manuscrit de la Bibliothèque de l’Université de Gand, datant de la fin du xiiie siècle, comprend quantité de modèles épistolaires que les maîtres dictaient sans doute à leurs élèves. On y relève, à côté de lettres traitant d’affaires ecclésiastiques et civiles d’une extraordinaire variété, des exemples curieux de correspondance commerciale. Je citerai dans ce genre la demande, adressée par l’abbé de Saint-Pierre de Gand aux préposés aux tonlieux sur l’Escaut, de laisser passer librement deux bateaux chargés de cinquante-quatre fûts de vin, et la recommandation d’un bourgeois de Bruges à un correspondant anglais de n’envoyer aucune marchandise en Flandre avant d’avoir été informé par lui que la comtesse de Flandre et le duc de Brabant ont levé l’embargo qu’ils viennent de lancer sur tous les arrivages provenant d’Angleterre. L’écriture du manuscrit en question correspond au caractère de son contenu. C’est une petite cursive gothique que l’on peut considérer comme le type de l’écriture que l’on apprenait à tracer dans les écoles urbaines. À l’époque où nous reporte le manuscrit, c’est-à-dire la deuxième moitié du xiiie siècle, le latin n’était plus la seule langue qui servît à initier les enfants à la lecture et à l’écriture. On avait traduit à leur usage les distiques de Caton en langue vulgaire. Les écoles de la bourgeoisie devaient nécessairement mettre leurs élèves à même d’écrire le langage dont ils se serviraient dans la vie. Elles contribuèrent sans doute efficacement à en introduire l’emploi dans les actes de l’administration courante et des affaires. On peut supposer à bon droit que, si la plus ancienne charte en langue vulgaire que l’on possède (1204) provient de Douai, c’est parce que le puissant développement commercial du comté de Flandre y avait plus largement et plus hâtivement qu’ailleurs répandu l’enseignement laïque. Dans une autre ville flamande, à Ypres, les innombrables lettres de foire dressées au cours du xiiie siècle ont substitué le français au latin. En dépit de leur indigence, ces quelques notes suffisent à montrer que le commerce du moyen âge n’a pas été un commerce d’illettrés. L’instruction des marchands est au contraire un phénomène aussi ancien que le renouveau économique. Et c’est là un fait d’une très grande portée. Car il prouve jusqu’à l’évidence que les marchands médiévaux ne sont pas les continuateurs des mercatores du ixe et du xe siècle. S’ils n’avaient pratiqué, comme ceux-ci, que le petit commerce local, ils n’eussent pas plus éprouvé qu’eux le besoin de s’instruire. C’est l’étendue de leur trafic qui, leur imposant la nécessité de la lecture et de l’écriture, les a contraints à prendre des clercs à leur service, à fréquenter les écoles de l’Église et enfin à fonder dans les villes un enseignement laïque, qui est le premier que l’Europe ait connu depuis l’extinction, vers le viie siècle, de celui de l’antiquité. H. Pirenne. (Gand.) Voir dans Le curé de campagne, de Balzac, l’histoire des Sauviat. Dans des conditions très différentes, quantité d’illettrés se sont enrichis pendant la guerre. H. Pirenne, Les villes du moyen âge, Bruxelles, 1927, p. 27 et suiv. Rien ne serait plus instructif qu’une étude détaillée sur les soi-disant marchands de l’époque de stagnation économique du viiie au xie siècle. W. Sombart, Modernes Kapitalismus, t. I, 4e édition, p. 295. — On trouvera dans l’ouvrage récent de M. Fritz Rörig, Hansische Beiträge zur Deutschen Wirtschaftsgeschichte, Breslau, 1928, p. 191, 219, 234, d’excellentes remarques sur l’impossibilité d’admettre que le commerce des villes hanséatiques ait été pratiqué par des marchands illettrés. Davidsohn, Geschichte von Florenz, t. I, p. 807, considère que, dès le xie siècle, le commerce florentin est trop développé pour ne pas avoir exigé de ceux qui le pratiquaient un certain degré d’instruction. Cf. encore A. Luschin von Ebengreuth, Wiens Münzwesen, Handel und Verkehr im späteren Mittelalter, Vienne, 1902, p. 106, 107. Sur le peu que l’on sait de l’instruction des marchands avant le xiiie siècle, voirA. Schaube, Handelsgeschichte der Romanischen Völker des Mittelmeergebiets bis zum Ende der Kreuzzüge, p. 109. Il suffira de renvoyer pour ceci au beau livre deN. Rostovtzeff, The social and economic history of the Roman Empire. On trouvera la bibliographie relative à cette diaspora syrienne, rassemblée dans F. Cumont, Les religions orientales dans l’Empire romain, 3e édit., ch. V, notes 4 et suiv. Cf. A. Dopsch, Wirtschaftliche und soziale Grundlagen der Europäischen Kulturentwicklung, Vienne, 2 vol., 1918. Au fond, M. Dopsch en revient, encore que par un chemin différent, à la thèse de Fustel de Coulanges en ce qu’elle a d’essentiel. Pas plus que lui, il n’admet que l’invasion germanique ait radicalement changé l’ordre des choses existant à la fin de l’Empire romain. Je suis obligé de renvoyer provisoirement le lecteur aux quelques travaux où j’ai donné, en attendant une étude plus approfondie, les motifs qui me portent à considérer l’économie des royaumes de l’Europe Occidentale avant l’invasion musulmane, comme la continuation de l’économie de l’Empire romain. Voir là-dessus mes articles : Mahomet et Charlemagne (Revue belge de philologie et d’histoire, t. I) et Un contraste économique, Mérovingiens et Carolingiens (Ibid., t. II), ainsi que mon livre Les villes du moyen âge, p. 11 et suiv. H. Pirenne, Le commerce du papyrus dans la Gaule mérovingienne (Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions, 1928, p. 178 et suiv.). Cf. plus haut, p. 16, n. 3. Dans les langues slaves, c’est le mot « diacre » qui a subi l’évolution. Le vocable est autre, le phénomène est identique. Ex gestis Sanctorum Villariensium (Mön Germ. Hist. Script., t. XXV, p. 232) : « cum litterarum sudiis esset traditus, ea de causa ut patris debita sive commercia stylo disceret annotare, miro modo proficere suduit etc. » Le texte nous apprend qu’il appartint à l’Ordre de Cîteaux pendant vingt-six ans. Mais il ne nous dit pas quand il y fut reçu. Je vous traduis ainsi le fameux texte bien connu dans l’École : « Homo mercator vix aut numquam potest Deo placere. » « Quicunque burgensis liberos suos seu alios de familia sua manentes in domo propria per clericum suum in domo sua eudiri voluerit, hoc ei licebit, dummodo alios discipulos sub isto praetextu una cum preadictis ipsi clerico non liceat erudire. » Warnkoenig-Gheldolf, Histoire d’Ypres, Paris, Bruxelles, 1864, p. 370. On voit que le texte fait allusion à une pratique courante et sans doute déjà fort ancienne. Peut-être cette affirmation est-elle trop catégorique. Des recherches ultérieures lui apporteront, le cas échéant, les correctifs nécessaires. Le comté de Flandre figure en tout cas en bonne place, puisque dès le xiie siècle, toutes ses grandes villes sont pourvues d’écoles urbaines, alors que ce n’est guère qu’au xiiie qu’elles apparaissent dans le reste de l’Europe. Il faut naturellement excepter l’Italie. L’instruction des marchands au xiiie siècle y apparaît tellement développée et supérieure à ce qu’elle est dans les régions du Nord, qu’on est forcé d’admettre qu’elle s’y appuie sur un long passé (Cf. A. Sapori, I mutui dei mercanti fiorentini del trecento. Rivista del diritho commerciale, 1928, p. 223). Malheureusement on y aperçoit bien peu de choses des origines. Je signale à l’attention des érudits italiens la mention en 1256 à Saint-Trond de scriptores de marchands de Sienne. Voy. H. Pirenne, Le livre de l’abbé Guillaume de Ryckel, Bruxelles, 1896, p. 335. H. Pirenne, Les villes flamandes avant le xiie siècle (Annales de l’Est et du Nord, t. 1, 1905, p. 18). Il semble que le comte de Hainaut avait introduit une organisation analogue à Valenciennes où Baudouin IV (1120-1171) fonda une école dans le château. C. Duvivier, Actes et documents anciens intéressant la Belgique, t. II, p. 205. Sur les fonctions de ces notaires, voy. H. Pirenne, La chancellerie et les notaires des comtes de Flandre avant le xiiie siècle (Mélanges Julien Havet, p. 734 et suiv.). Charte de l’archevêque Guillaume de Reims de 1179 dans Miraeus, Opera diplomatica, t. II, p. 974. Bulle d’Alexandre III (1166-1179) dans Van Lokeren, Chartes et documents de l’abbaye de Saint-Pierre de Gand, t. 1, p. 153 (avec les dates 1159-1171). Les moines prétendaient que depuis toujours (quantum in memoria hominum est), personne ne pouvait ouvrir d’école à Gand sans leur consentement. Or la « laïca violentia » y avait introduit « quandam libertatem legendi ». Ces mots montrent clairement qu’il s’agit bien d’écoles ouvertes par les bourgeois et libres de tout contrôle ecclésiastique. Nous n’avons aucun renseignement écrit sur la conclusion de l’enquête ordonnée par le pape. Mais le fait que jamais depuis lors les moines de Saint-Pierre ne revendiquèrent plus la moindre intervention dans les écoles de la ville, prouve suffisamment qu’elle tourna contre eux. Il est indispensable de transcrire les passages les plus caractéristiques de la charte de l’archevêque Guillaume citée plus haut n. 1 « Karissimus in Christo filius noster Philippus Flandriæ et Viromandiæ comes... monstravit quod olim quasi a primo ecclesiæ S. Pharaïldis fundamento, quæ est in Gandensi oppido sita et specialis est capella Flandriæ comitis, scolæ prædicti oppidi assignatæ fuerunt uni canonicorum, ut nullus in eodem oppido sine illius assensu cui a comite scolæ assignatæ fuerunt scolas regere et gubernare praesumeret. Postmodum autem infortunio miserabili, præfato oppido penitus igne consumpto, etiam dicta ecclesia in pulverem et in cinerem redacta, cum privilegia ejusdem ecclesiæ tam de scolis praelibatis quam de eleemosynis sibi collatis fuissent in combustione et cibus ignis, multitudo civium propter arridentem sibi divitiarum abundantiam et arces domorum (cum) turribus aequipollere videbantur, ultimum modum superbiens, domino suo rebellis, contumax et insolens facta est, ut non solum in regimine scolarum transferendo verum etiam in aliis plerisque jurisdictionem sibi et dominium comitis usurparet. Cum autem ad tempora prænominati hujus excellentis comitis... ventum esset,... ecclesiam S. Pharaïldis scolis atque aliis possessionibus dotavit et ditavit. Nos vero, devotionem ipsius attendentes,... tibi dilecte fili Symon, scolas ab eodem comite collatas confirmamus, statuentes et sub incominatione anathematis inhibentes, ne quis sine assensu tuo et licentia, in toto Gandensi oppido vel oppidi suburbio scolas regere praesumat. » La charte est adressée « dilecto filio Simoni, Gandensi notario ». Je dois ajouter que M. O. Oppermann, Die älteren Urkunden der Klosters Blandinium und die Anfänge der Stadt Gent, Utrecht, 1928, p. 478 et suiv., a rejeté comme un faux fabriqué au xiiie siècle, la charte de l’archevêque. Mais sa démonstration ne tient pas. Faute d’avoir compris la bulle d’Alexandre III, laquelle se borne à ordonner une enquête sur les prétentions de S. Pierre relativement aux écoles de Gand, il y voit la preuve que ces écoles relevaient de S. Pierre et non de S. Pharaïlde. En réalité, la charte de 1179 est de tous points authentique, et son contenu est corroboré par tout ce que nous savons de l’histoire de Gand, dont M. Oppermann n’a qu’une connaissance très défectueuse. « Si quis in Gandavo scolas regere voluerit, sciverit et potuerit, licet ei, nec aliquis poterit contradicere ». Warnkœnig-Gheldof, Histoire de la Flandre et de ses institutions, t. III, p. 229. La charte est attribuée généralement à l’année 1192. Elle est en réalité d’août-octobre 1191. Ibid., p. 232. Warnkœnig, Flandrische Staats- und Rechtsgeschichte, t. II, Urkunden, 1, p. 41. Cette organisation en remplaça une autre un peu différente de la même année. Voy. Warnkœnig-Gheldof, loc. cit., p. 268. Celle-ci avait pour but d’établir la transition entre les droits acquis du directeur des écoles et le régime nouveau de l’annalité des fonctions qu’il avait reçues. Feys et Nelis, Cartulaire de la prévôté de Saint-Martin à Ypres, t. 1, p. 31. Warnkœnig-Gheldof, Histoire d’Ypres, p. 369. Le compromis est daté du 6 novembre. Il fut certainement provoqué par la bulle d’Innocent IV, du 9 février 1253 (Ibid., p. 367) ordonnant, sur la plainte des échevins d’Ypres, de faire une enquête touchant le droit que s’arrogeait le Chapitre de S. Martin, d’excommunier les échevins à l’occasion de leurs empiètements sur les prérogatives du Chapitre en matière d’enseignement. « Pro pactis autem rectores dictarum scolarum non poterunt exigere ab aliquo scolarium suorum ultra summam decem solidorum, qua summa erunt contenti, nec poterunt pro minutione, nec pro stramine, nec pro joncis, nec pro gallis, nec aliqua alia de causa ultra dictam summam aliquid exigere, nec de pane puerorum aliquid accipere nec tallias in dictis scolis facere. » Au xiiie siècle, il paraît probable que plusieurs de ceux-ci savaient lire et écrire. Une « tendeuse aux lices » à Douai, à la fin du xiiie siècle, s’en rapporte à ses « escrits » pour revendiquer une dette. G. Espinas et H. Pirenne, Recueil de documents relatifs à l’histoire de l’industrie drapière en Flandre, t. II, p. 190. Un pareur de draps, à la même date, réclamant son salaire pour la préparation de 400 brunes, dit que « tant en avoit-il inscrit ». Ibid., p. 201. H. R. Duthillœul, Douai et Lille au xiiie siècle, Douai, 1850, p. 26, 62. G. Espinas et H. Pirenne, Recueil de documents relatifs à l’histoire de l’industrie drapière en Flandre, t. II, p. 188. En 1301, Jacques Le Blont de Douai avait « une huge... où il avoit plusieurs chartres, pluseurs letres et pluseurs cirographes de detes con lui devoit en Brabant et ailleurs ». G. Espinas, La vie urbaine de Douai au moyen âge, t. IV, p. 6. Duthillœul, op. cit., p. 26, 55, 74, 76, 130. N. de Pauw, La vie intime en Flandre au moyen âge d’après des documents inédits (Bullet. de la Commission royale d’histoire, t. LXXXII, 1913, p. 1 et suiv). Je crois intéressant d’en donner le texte in extenso, comme spécimen de correspondance commerciale : « Viro provido et discreto tali, civi talis loci in Anglia, talis opidanus brugensis, salutem in Domino, et suis profectibus tam intenta sagacitate quam debita fidelitate per omnia sicut in propriis hanelare. Discretioni vestre significo quod universa bona, tam per aquam quam per terram, de universis Anglie partibus Frandrie adducta, tam a duce Brabantie quam comitissa Flandrie, pertinaciter arrestantur. Ideirco discretioni vestre significo sane consulando, deprecor et exoro, quatinus omnino nulla bona transmittere presumatis versus Flandriam vel Brabantiam, donec supra hiis vobis securitatis litteras transmisero speciales ». N. de Pauw, op. cit., p. 55. On en trouvera un fac-similé dans H. Pirenne, Album belge de diplomatique, planche XXXI. G. des Marez, La lettre de foire à Ypres au xiiie siècle, p. 8. |
Dictionnaire touareg – français/OU | Charles de Foucauld Dictionnaire touareg – français Texte établi par André Basset, Imprimerie nationale de France (p. 1440-1547). ◄ N ⵏ, Ñ ⵐ R ⵔ ► OU ⵓ dictionaryDictionnaire touareg – françaisCharles de FoucauldImprimerie nationale de FranceParisCOU ⵓFoucauld, Dictionnaire touareg.djvuFoucauld, Dictionnaire touareg.djvu/11440-1547 ⵓ ioui ⵓⵉ vn. prim. ; conj. 23 « ioui » ; (iouă, iouâ, éd ioui, our ioué) ‖ naître ‖ les expr. a ouĭṛ, a touĭd, a iouă, etc. « ce que je suis né ; ce que tu es né ; ce qu’il est né ; etc. » signifient « depuis que je suis né ; depuis que tu es né ; depuis qu’il est né ; etc. ». Lorsqu’elles accompagnent des phrases positives, leur sens est « depuis que je suis au monde (toujours, depuis que je suis au monde) ; depuis que tu es au monde (toujours, depuis que tu es au monde) ; etc. ». Lorsqu’elles accompagnent des phrases négatives, leur sens est « de ma vie (jamais de ma vie) ; de ta vie (jamais de ta vie) ; etc. ». (Ex. Kenân, a iouă itâker ⁒ K., depuis qu’il est au monde, vole (K., depuis qu’il est au monde, ne cesse de voler) = Dâssin, a touă tehôsei ⁒ D., depuis qu’elle est au monde, est belle (D., depuis qu’elle est au monde, a toujours été belle) = Biska, a iouă iḍḍân ⁒ B., depuis qu’il est au monde, paît (B., depuis qu’il est au monde, surveille les troupeaux au pâturage) = Mîmi d Helba, a ouĕnet ih înet ăġaḍ ⁒ M. et H., depuis qu’elles sont au monde est dans elles la dispute criarde (M. et H., depuis qu’elles sont au monde, font aux gens des disputes criardes) = a ouĭṛ, our néieṛ Dâha ⁒ de ma vie, je n’ai vu D. = tennĭd a touĭd our tennid bahou ; bahou, neṛ ouâ-reṛ ien ⁒ tu as dit [que] de ta vie tu n’as dit de mensonge ; une mensonge voici celui-ci un (tu dis que de ta vie tu n’as dit de mensonge ; en voici déjà un) = Biska our ioukir a iouă ⁒ B. n’a pas volé de sa vie (de sa vie, B. n’a volé) = a ouĕn, Iddĕr ed Bêdé our ekkin Tăouat ⁒ de leur vie, I. et B. ne sont allés au Touat). — tîoui ⵜⵓⵉ vn. f. 1.7 ; conj. 259 « toûḍou » ; (itîoui, our itioui) ‖ naître hab. — tîouit ⵜⵓⵜ sf. nv. prim. ; (pl. tîouîtîn ⵜⵓⵜⵏ) ‖ fait de naître ‖ signifie aussi « naissance ». — ăou ⵓ (ou ⵓ, ăg ⴳ) sm. μ (pl. ăit ⵉⵜ, dăg ⴷⴳ) ‖ fils de ‖ ăou a pour fém. oult (oulet) (pl. chêt) « fille de » ‖ le pl. dăg semble composé de la prép. d « avec » et d’ăg « fils de ». v. ⵉ é « eux qui ; celles qui » et son emploi avec d « avec » ‖ les mots ou, ăg, ăit, dăg, oult, chêt appartiennent tous à la classe des mots μ ‖ les sing. ăou, ou, ăg et les pl. ăit, dăg ne s’emploient pas indifférement. Le sing. ăou ne s’empl. que précédant le mot Âdem « Adam » ; il ne s’empl. dans aucun outre cas. Le sing. ou peut s’employer devant tous les np. de tribu, de nation, de lieu, commençant par une consonne ; il ne peut s’employer ni devant les np. de p., ni devant le mot elet « fille de ; filles de ». Le sing. ăg peut s’employer devant tous les np. d’h. ou de f., devant le mot elet « fille de ; filles de », devant les np. de tribu, de nation, de lieu, commençant par un son-voyelle, et devant un certain nombre de noms communs commençant par un son-voyelle. Le pl. ăit est le seul qu’on puisse employer devant les mots Âdem « Adam », ma « mère ; ma mère », maou « mères », elet ma « fille de la mère (ou : filles de la mère) ; fille de ma mère (ou : filles de ma mère) », elet maou « filles des mères » ; en outre, il entre, à l’exclusion du mot dăg, dans la formation de certains np. de tribu, en petit nombre ; il ne s’emploie dans aucun autre cas. Le pl. dăg peut s’employer devant tous les np. d’h. ou de f., celui d’Âdem « Adam » excepté ; il ne s’emploie devant aucun autre mot ‖ devant tous les sons-voyelles, ăg et dăg deviennent ăgg et dăgg ; devant toutes les consonnes, y compris les consonnes i et ou, ils gardent les formes ăg, dăg ‖ le ms. ăou Âdem (ăgg Âdem) « fils d’Adam » signifie « personnes (de sexe qlconque) (hommes ; femmes) ». Le sing. ăgg Âdem est peu us. Les expr. oult Âdem « fille d’Adam (femme) » et chêt Âdem « filles d’Adam (femme) » sont correctes mais ne sont pas us. Qlqf. on se sert du mot tăouâdemt (pl. tăitâdemîn) « personne de sexe fém. (femme) » ; il est peu us. et exprime la plupart du temps le dédain ‖ ou, devant un np. de tribu, de nation, de lieu, ou devant un nom commun autre qu’elet, signifie « homme de ». Devant un np. de tribu ou de nation, il a le s. « homme de (h. faisant partie de) [telle tribu ; telle nation] ». Devant un np. de lieu, il a le s. « homme de (h. originaire de ; h. habitant de) [tel lieu] ». Devant un nom commun, il signifie « homme de » avec le sens particulier convenant à chaque expression. (Ex. ou Dăg-Ṛâli ⁒ h. des Dăg-Ṛâli (h. de la tribu des D-Ṛ.) = ou Tăitoḳ ⁒ h. des T. (h. de la tribu des T.) = ou Ṛelaiddîn ⁒ h. des Ṛ. (h. de la tribu des Ṛ.) = ou Tăouat ⁒ h. du Touat (h. originaire du Touat ; ou h. habitant le T.) = ou Tit ⁒ h. de T. (h. originaire du village de T. ; ou : h. habitant le village de T.) = ou Fransa ⁒ h. de la France (Français) = ou Tăhat ⁒ h. de la T. (h. appartenant à la tribu des Kel-Tăhat ; ou : h. habitant le mont Tăhat) = ou tămaḍint ⁒ h. du fait de paître (h. qui paît les troupeaux ; pasteur) = ou tămâhaḳ ⁒ h. de la langue touaregue (h. dont la langue maternelle est la langue touaregue) = Iddĕr ou ferġân, ou tlemîn, ou tiṛsé ⁒ I. [est] homme de jardins, h. de chamelles, h. de chèvre (I. est propriétaire de jardins, de chamelles et de chèvres ; ou : I. a une grande expérience de la culture des jardins et de l’élevage des chamelles et des chèvres)) ‖ ăg et oult, devant un mp. de tribu, de nation, de lieu, ou devant un nom commun autre qu’elet, signifient « homme de », « femme de ». Ils ont des sens correspondants à ceux d’ou et s’emploient com. lui, avec cette seule différence qu’ou s’emploie devant les consonnes, ăg devant les sons-voyelles, et oult devant les consonnes et les sons-voyelles indistinctement. (Ex. ăgg Ăhaggar ⁒ h. de l’Ăh. (h. faisant partie du peuple des Kel-Ăh. ; ou : h. habitant l’Ăh.) = ăgg Ăhnet ⁒ h. de l’Ă. (h. faisant partie de la tribu des Kel-Ăhnet ; ou : h. habitant l’Ăhnet) = ăgg Âġouh-en-tĕhlé ⁒ h. des Â-en-t. (h. de la tribu des Â-en-t.) = ăgg Ăbalessa ⁒ h. d’Ă. (h. originaire du village d’Ă. ; ou : h. habitant le vilalge d’Ă.) = ăgg Ăsekrem ⁒ h. de l’Ă. (h. habitant le mont Ă.) = ăgg ăhâl ⁒ h. de réunion galante (h. qui a l’hab. d’aller aux réunions galantes) = ăgg elhennet ⁒ h. du ciel (h. très bon prédestiné au ciel) = oult Dăg-Ṛâli ⁒ f. des Dăg-Ṛâli (d. le s. ci. d.) = oult Tăitoḳ ⁒ f. des T. (d. le s. ci. d.) = oult Ṛelaiddîn ⁒ f. des Ṛ. (d. le s. ci. d.) = oult Tăouat ⁒ f. du T. (d. le s. ci. d.) = oult Tit ⁒ f. de T. (d. le s. ci. d.) = oult Fransa ⁒ f. de France (d. le s. ci. d.) = oult Tăhat ⁒ f. de la T. (d. le s. ci. d.) = oult tămaḍint ⁒ f. du fait de paître (d. le s. ci. d.) = oult tămâhaḳ ⁒ f. de langue touaregue (d. le s. ci. d.) = Koûka oult ferġân, oult tlemîn, oult tiṛsé ⁒ K. [est] femme de jardins, f. des chamelles, f. de chèvre (d. le s. ci. d.) = oult Ăhaggar ⁒ f. de l’Ăh. (d. le s. ci. d.) = oult Ăhnet ⁒ f. de l’Ă. (d. le s. ci. d.) = oult Âġouh-en-tĕhlé ⁒ f. des Â-en-t. (d. le s. ci. d.) = oult Ăbalessa ⁒ f. d’Ă. (d. le s. ci. d.) = oult Ăsekrem ⁒ f. de l’Ă. (d. le s. ci. d.) = oult ăhâl ⁒ f. de réunion galante (d. le s. ci. d. ; outre le sens correspondant à celui d’ăgg ăhâl, oult ăhâl peut en avoir un autre. v. ⵂⵍ ehel, ăhâl) = oult elhennet ⁒ f. du ciel (d. les. ci. d. ; outre le sens correspondant à celui d’ăgg elhennet, oult elhennet peut en avoir d’autres. v. ⵍⵂⵏ elhennet)) ‖ ăg, devant un np. d’h. ou de f. ou devant elet, signifie « fils de [l’h. ou la f. dont le nom suit] » ; oult, devant un np. d’h. ou de f. ou devant elet, signifie « fille de [l’h. ou la f. dont le nom suit] ». (Ex. Moûsa ăgg Ămâstan ⁒ M. fils d’Ă. = Biska ăgg Ăkenisi ⁒ B. fils d’Ékenisi = Oûksem ăg Chîkât ⁒ Oû. fils de Ch. = Dâssin oult Ihemma ⁒ D. fille d’I. = Koûka oult Dâssin ⁒ K. fille de D. = nĕieṛ ăg Fendou ⁒ j’ai vu le fils de F. = oult Chennou teglă ⁒ la fille de Ch. est partie = oult Ăbeggi tous-ed ⁒ la fille d’Ébeggi est arrivée ici). v. ci-dessous l’emploi d’ăg et d’oult devant elet ‖ ăit ma « fils de la mère ; fils de ma mère » signifie « frères (fils de même père et de même mère, ou fils de même père et non de même mère, ou fils de même mère et non de même père) ; mes frères (d. le s. ci. d.) » ‖ ăit maou « fils des mères » signifie « frères (fils de parents différents, n’ayant ni une même mère, ni un même père) » ‖ ăit elet ma « fils de la fille (ou : des filles) de la mère ; fils de la fille (ou : des filles) de ma mère » signifie « neveux fils de la sœur ; neveux fils des sœurs (filles de même père et de même mère, ou de même père et non de même mère, ou de même mère et non de même père) ; neveux fils de ma sœur ; neveux fils de mes sœurs (d. le s. ci. d.) » ‖ ăit elet maou « fils des filles des mères » signifie « neveux fils des sœurs (filles de parents différents, n’ayant une même mère, ni un même père) » ‖ dans les expressions ăit ma, ăit maou, ăit elet ma, ăit elet maou, ăit signifie « fils de (enfants masculins de) », et non pas « enfants de (enfants de sexe qlconque de ) » ‖ le mot chêt « filles de » s’emploie devant ma, maou, elet ma, elet maou, de la même manière qu’ăit ; chêt ma, chêt maou, chêt elet ma, chêt elet maou ont les sens correspondants à ceux d’ăit ma, ăit maou, ăit elet ma, ăit elet maou. Les 4 expressions ăit maou, ăit elet maou, chêt maou, chêt elet maou n’ont pas de sing. Les 4 expression ăit ma, ăit elet ma, chêt ma, chêt elet ma ont pour sing. ăña « frère ; mon frère », ăgg elet ma « fils de la fille de la mère (neveu fils de la sœur) ; fils de la fille de ma mère (neveu fils de ma sœur) », oulet ma « fille de la mère (sœur) ; fille de ma mère (ma sœur) », oult elet ma « fille de la fille de la mère (nièce fille de la sœur) ; fille de la fille de ma mère (nièce fille de ma sœur) ». — Les 12 expressions ăit ma, ăit maou, ăit elet ma, ăit elet maou, chêt ma, chêt maou, chêt elet ma, chêt elet maou, ăña, ăgg elet ma, oulet ma, oult elet ma appartiennent à la classe des subs. α, c. à d. qu’elles exigent après elles l’emploi de la forme irrégulière des pr. af. dép. des noms. Ces 12 expr. présentent, en autre, dans leur emploi avec les pr. af. dép. des noms, d’autres particularités ; v. ⵉ i (é). — Les expr. dans lesquelles entre le mot elet ne s’emploient que pour désigner les neveux et nièces des hommes ; les 6 expr. ăit elet ma, ăit elet maou, chêt elet ma, chêt elet maou, ăgg elet ma, oult elet ma ne peuvent donc être accompagnés de pr. af. dép. des noms féminins. v. ci-dessous ăña ; v. ⵎ ma « mère ; ma mère » ; v. ⵎⴷ meddân ‖ ăit entre dans la formation des np. de qlq. tribus, avec le s. de « fils de » ; dans ces np., l’emploi d’ăit est obligatoire, on ne peut le remplacer par dăg « fils de », ni par kel « gens de », ni par un autre mot. (Ex. Ăit-Loaien ⁒ (m. à m. « fils de Loaien ») subs. mp. np. d’une tribu de l’Ăh. (ms. ăgg-Ăit-Loaien ; fs. oult-Ăit-Loaien ; fp. chêt-Ăit-Loaien) = Ăit-Zennân ⁒ (m. à m. « fils de Zennân ») subs. mp. np. d’une tribu arabe du Tidikelt (ms. ăgg-Ăit-Zennân ; fs. oult-Ăit-Zennân ; fp. chêt-Ăit-Zennân) = Ăit-Ṛemer ⁒ (m. à m. « fils de Ṛemer ») subs. mp. np. d’une tribu arabe du Tidikelt (ms. ăgg-Ăit-Ṛemer ; fs. oult-Ăit-Ṛemer ; fp. chêt-Ăit-Ṛemer)) ‖ dăg, devant un np. d’h. ou de f., signifie « fils de (enfants masculins de) [l’h. ou la f. dont le nom suit] », et non pas « enfants de (enfants de sexe qlconque de) ». Chêt, devant un np. d’h. ou f., signifie « filles de [l’h. ou la f. dont le nom suit] ». (Ex. dăg Chîkât ousĕn-d ⁒ les fils de Ch. sont arrivés ici = nĕieṛ chêt Koûka ⁒ j’ai vu les filles de K. = ensĭṛ ṛour dăg Biska ⁒ j’ai passé la nuit chez les fils de B. = Chêt Mîmi eglĕnet ⁒ les filles de M. sont parties = ma hâk ennĕn dăgg Ăkenisi ? ⁒ que t’ont dit les fils d’Ĕkenisi ? = dăgg Ăbeggi oukĕren senâtet oulli ⁒ les fils d’Ébeggi ont volé 2 chèvres). — Sans quitter leur sens de « fils de » et de « filles de », dăg et chêt entrent dans la composition d’un certain nombre de np. de tribus, dăg servant à former le mp., chêt servant à former le fp., le np. qui les suit étant celui d’un ancêtre de la tribu. Dans ce cas le ms. du np. de la tribu se forme hab. au moyen d’ou (ăg) « fils de », le fs. au moyen d’oult « fille de », précédant le nom de l’ancêtre. (Ex. Dăg-Mertemeḳ ⁒ (m. à m. « fils de Mertemeḳ ») subs. mp. np. surnom d’une tribu de l’Ăh. (ms. ou-Mertemeḳ ; fs. oult-Mertemeḳ ; fp. chêt-Mertemeḳ) = Dăgg-Ălemtei ⁒ (m. à m. « fils d’Élemtei ») subs. mp. np. surnom d’une tribu de l’Ăj. (ms. ăgg-Ălemtei ; fs. oult-Ălemtei ; fp. chêt-Ălemtei)) ‖ dans les np. de tribus dont le mp. commence par ăit « fils de », les ms., fs., fp. se forment hab. en plaçant ăg, oult, chêt, signifiant « homme de », « femme de », « femmes de », devant ăit. Dans les np. de tribus dont le mp. commence par dăg « fils de », les ms., fs., fp. se forment hab. en remplaçant dăg par ou (ăg), oult, chêt, signifiant « fils de », « fille de », « filles de », et qlqf. en plaçant ou, oult, chêt, signifiant « homme de », « femme de », « femmes de » devant dăg. Dans les np. de tribus et dans les autres expressions dont le mp. commence par kel « gens de », les ms., fs., fp. se forment hab. en remplaçant kel par ou (ăg), oult, chêt, signifiant « homme de », « femme de », « femmes de » ‖ ăgg-ăsouf (mp. kel-ăsouf ; fs. oult-ăsouf ; fp. chêt-ăsouf) « fils de la solitude », ăgg-ămaḍâl (mp. kel-ămaḍâl ; fs. oult-ămaḍâl ; fp. chêt-ămaḍâl) « fils de la terre », ăgg-ăhoḍ (mp. kel-ăhoḍ ; fs. oult-ăhoḍ ; fp. chêt-ăhoḍ) « fils de la nuit », ou-tĕnéré (mp. kel-tĕnéré ; fs. oult-tĕnéré ; fp. chêt-tĕnéré) « fils du désert » sont 4 expr. syn. d’ălhin « mauvais esprit (génie (ar. « jenn ») qui nuit aux humains dans les ch. terrestres mais ne tente pas) ». v. ⵍⵂⵏ ălhin ‖ ăgg-ălhin. v. ⵍⵂⵏ ălhin ‖ ăgg-oulli. v. ⵎⵗⴷ meṛed, ămeṛid ‖ ăgg ĕṛrem. v. ⵗⵔ iṛar, eṛrem, aṛrem ‖ ăgg elhennet. v. ⵍⵂⵏ elhennet ‖ v. ⴾⵍ ăkâl, kel ‖ en parlant des chevaux, chameaux, bœufs, moutons, chèvres, les expr. ăgg essin (mp. dăgg essin ; fs. oult essin ; fp. chêt essin) et ăgg okkoż (mp. dăgg okkoż ; fs. oult okkoż ; fp. chêt okkoż) signifient « an. de 2 dents de devant (an. qui a pris ses 2 premières incisives et qui n’a pas encore pris les autres) » et « an. de 4 dents de devant (an. qui a pris ses 4 premières incisives et qui n’a pas encore pris les autres) ». En parlant des mêmes an., ămesseḍis (mp. imesseḍâs ; fs. tămesseḍist ; fp. timesseḍâs) signifie « an. de 6 dents de devant (an. qui a pris ses 5e et 6e dents incisives dans l’année (an. qui a pris ses 5e et 6e dents incisives depuis moins d’un an révolu)) ». En parlant des chevaux et des chameaux, tăhalat (pl. tihalâtîn) signifie « an. (de sexe qlconque) qui a pris ses crochets dans l’année (an. qui a pris ses crochets depuis moins d’un an révolu) ». P. ext., en parlant des chameaux, ăgg essin signifie « chameau dans sa 6e année (chameau de 5 ans) », ăgg okkoż « chameau dans sa 7e année (chameau de 6 ans) », ămesseḍis « chameau dans sa 8e année (chameau de 7 ans) », tăhalat « chameau (ou chamelle) dans sa 9e année (chameau (oh chamelle) de 8 ans) » ‖ ou et ăg « fils de » entrent dans la composition de qlq. np. d’h. Ainsi Ou-Sîdi « fils de Sîdi », Ăgg-É̆klân « hom. de la tribu des Iklân-en-tăousit », Ăg-Mâma « fils de Mâma » sont des np. d’h. Quand on désigne les fils d’h. dont le nom commence par ou ou ăg, en mentionnant après leur nom celui de leur père, le nom du fils est suivi d’ăg « fils de » qui précède les mots ou ou ăg par lesquels commence le nom du père ; (ex. Biska ăg Ou-Sîdi ⁒ B. fils d’Ou-Sîdi = Doûa ăgg Ăgg-É̆klân ⁒ D. fils d’Ăgg-É̆klân = Iddĕr ăgg Ăg-Mâma ⁒ I. fils d’Ăg-Mâma). — tăouâdemt ‖ v. ci-dessus ăou. Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1445 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1446 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1447 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1448 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1449 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1450 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1451 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1452 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1453 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1454 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1455 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1456 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1457 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1458 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1459 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1460 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1461 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1462 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1463 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1464 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1465 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1466 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1467 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1468 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1469 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1470 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1471 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1472 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1473 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1474 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1475 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1476 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1477 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1478 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1479 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1480 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1481 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1482 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1483 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1484 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1485 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1486 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1487 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1488 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1489 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1490 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1491 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1492 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1493 éd inmioual, our inmaoual) ‖ avoir réc. l’œil l’un sur l’autre. — nemiouel ⵏⵎⵓⵍ vn. f. 2bis ; conj. 50 « keniher » ; ρ (inmaouel, ienîmaouel, éd inmiouel, our inmaouel) ‖ m. s. q. le pr. — tâouel ⵜⵓⵍ va. f. 6 ; conj. 229 « tâouen » ; (itâouel, our itioul) ‖ avoir hab. l’œil sur ‖ a aussi le s. pas. — sâouâl ⵙⵓⵍ va. f. 1.7 ; conj. 233 « sâġâr » ; (isâouâl, our isiouil) ‖ faire hab. avoir l’œil sur ‖ se c. av. 2 acc. — tînmiouâl ⵜⵏⵎⵓⵍ vn. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmiouâl, our itenmioual) ‖ avoir hab. l’œil l’un sur l’autre. — tînmiouîl ⵜⵏⵎⵓⵍ vn. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmiouîl, our itenmiouil) ‖ m. s. q. le pr. ăggal ⴳⵍ sm. nv. prim. ; (pl. ăggâlen ⴳⵍⵏ) ‖ fait d’avoir l’œil sur ‖ a aussi le s. pas. « fait d’avoir qlq’un qui a l’œil sur soi ». — ăsioul ⵙⵓⵍ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isiouîlen ⵙⵓⵍⵏ), daṛ siouîlen ‖ fait de faire avoir l’œil sur. — ănmioual ⵏⵎⵓⵍ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmiouâlen ⵏⵎⵓⵍⵏ), daṛ ĕnmiouâlen ‖ fait d’avoir réc. l’œil l’un sur l’autre. — ănmiouel ⵏⵎⵓⵍ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmiouîlen ⵏⵎⵓⵍⵏ), daṛ ĕnmiouîlen ‖ m. s. q. le pr. — ămâoual ⵎⵓⵍ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. imâouâlen ⵎⵓⵍⵏ ; fs. tămâoualt ⵜⵎⵓⵍ⵿ⵜ ; fp. timâouâlîn ⵜⵎⵓⵍⵏ), daṛ mâouâlen, daṛ tmâouâlîn ‖ hom. qui veille sur ; hom. qui surveille ‖ ce sur quoi veille ou ce que surveille un ămâoual se met au gén. ‖ ex. ămâoual en barâḍen ⁒ hom. qui veille sur des enfants (h. qui surveille des enfants) = tămâoualt n oulli ⁒ f. qui veille sur des chèvres (gardienne de chèvres) = ămâoual n Ăhaggar, Moûsa ⁒ l’h. qui veille sur de l’Ăh., M. (l’h. qui veille sur l’Ăh., c’est M.) = ămâoual n ăfaraġ in, Biska ⁒ l’h. qui veille sur de mon jardin, B. (l’h. qui veille sur mon jardin, c’est B.). — tâouel-iṛeiden ⵜⵓⵍⵗⵉⴷⵏ (m. à m. « elle a hab. l’œil sur les chevreaux ») sf. (s. et pl.) ‖ nom d’un très petit oiseau, à dos gris cendre claire, à ventre jaune, à queue assez longue ‖ syn. de seknes-ineḍen (dial. Berb. séd. Ṛ. et Ġ.), qui n’est pas us. dans l’Ăh. ‖ v. ăṅgermei. ⵓⵍ oula ⵓⵍⴰ (ouela ⵓⵍⴰ, oul ⵓⵍ) ✳ pi. ‖ pas même ‖ suivi d’une consonne, ou du son-voyelle initiale d’un verbe, se prononce hab. oula, et peut se prononcer aussi ouela. Suivi du son-voyelle initial d’un substantif, d’un pronom, d’un adjectif, d’un nom de nombre cardinal, qui appartiennent à la même proposition que lui, il perd l’a final et devient oul ‖ ex. Biska ou hâs inné oula tăfirt ⁒ B. ne lui a dit pas même un mot = ennĭṛ âs : « aoui-ddăk̤ ». Innă : « our iżżiġ oula tâżek » ⁒ je lui ai dit : « apporte ici le lait ». Il a dit : « il n’est trait pas même fait d’être trait (il n’est pas même trait) » = taġella, ma ġă ? – our teżid oul éżîd ⁒ le pain, qu’a-t-il fait ? (comment va le pain ? où en est le pain ?). – il n’est moulu pas même fait d’être moulu (il n’est pas même moulu ; le grain dont il doit être fait n’est pas même moulu) = eġmĕieṛ ṛour es ălek in ; ou hi ikfé oula stenfous ⁒ j’ai cherché de chez lui mon salaire ; il ne m’a donné pas même une aiguille (je lui ai demandé mon salaire ; il ne m’a pas même donné une aiguille) ‖ oula « pas même » peut souvent, lorsqu’il est répété, se traduire par « ni ». (Ex. ekkĭṛ Kenân, ou hi ikfé oul anḍerren, oul âlloun, oula té̆iné, oul oûdi, oul ăk̤, oul isân, oula stenfous ⁒ je suis allé chez K., il ne m’a donné pas même un peu, pas même du grain, pas même des dattes, pas même du beurre, pas même du lait, pas même de la viande, pas même une aiguille (je suis allé chez K., il ne m’a rien donné du tout, pas même du grain, ni des dattes, ni du beurre, ni du lait, ni de la viande, ni une aiguille)) ‖ p. ext. « sans ; sans que ». (Ex. Kenân ious-ed oula tăkoûba, oul elbaroueḍ, oul ăllaṛ, oul iṛatîmen, oula kerteba, oul iseṅġâḍ ⁒ K. est arrivé ici sans épée, sans fusil, sans javelot, sans sandales, sans pantalon, sans voile de front et de bouche (K. est arrivé ici sans épée, ni fusil, ni javelot, ni sandales, ni pantalon, ni voile de front et de bouche) = Fendou iglă oul amis, oul ăbaioṛ, oul ezzad ⁒ F. est parti sans chameau, sans outre, sans provisions de route (F. est parti sans chameau, ni outre, ni provisions de route) = eklĭṛ oul ămekchi, ensĭṛ oul ămekchi ⁒ j’ai stationné pendant les heures du milieu du jour sans nourriture, j’ai passé la nuit sans nourriture (j’ai passé le milieu du jour sans nourriture, j’ai passé la nuit sans nourriture ; je n’ai rien eu à manger ni à midi, ni le soir) = Iddĕr ioiă tămeṭṭ ennît oul âlloum, oul ăk̤, oul iselsa ⁒ I. a laissé sa f. sans grain, sans lait, sans vêtements (I. a laissé sa f. sans grain, ni lait, ni vêtements) = Mîmi tekkĕs aṛil ennît ; âles ennît ieḳḳîm oula tămeṭ ⁒ M. a retiré son bras ; son mari reste sans fem. (M. a divorcé d’avec son mari de sa propre autorité et sans le consentement de celui-ci ; son mari reste sans f.) = oula bahou, oula tehanḍeżżit, oula mihi, ar tîdet, rîḳ ḳai âmmas n oul in ⁒ sans mensonge, sans plaisanterie, sans doute, si ce n’est la vérité (ce n’est que la vérité), je t’aime intérieur de mon cœur (je t’aime du fond du cœur)) ‖ p. ext. « ne ... pas ? (négation accompagnée d’une interrogation) ». (Ex. oula telĭd stenfous ? ⁒ n’as-tu pas eu une aiguille ? (n’as-tu pas une aiguille ?) = oula tehânneied ăou Âdem sé̆-h ? ⁒ ne vois-tu pas une p. vers là ? (ne vois-tu pas une p. de ce côté-là ?) = Dâssin oula kai tekf oûdi enḍ ahel ? ⁒ D. ne t’a-t-elle pas donné du beurre hier ? = oula tekchĭd té̆iné ṛour Mîmi ? ⁒ n’as-tu pas mangé de dattes chez M. ? = oula telĭd haret n ăk̤ ? ⁒ n’as-tu pas un peu de lait ?) ‖ p. ext. « il n’y a pas (non interrogatif) ; n’y a-t-il pas ? (interrogatif) ». Employé d. ce s. et suivi immédiatement d’a « ce que ; ce qui », peut souv. se traduire par « ne rient (non interrogatif) ; ne ... rien (non interrogatif) ; ne rien ? (interrogatif) ; ne ... rien ? (interrogatif) ». (Ex. oul isalân ? oul éré tenĕied ? oul ăou Âdem edd-iousĕn ? oul aġenna iouĕten sé̆-h miṛ sé̆-h ? – kala, kala ; oul isâlan fô ; oul éré nĕieṛ ; oul ăou Âdem edd-iousĕn ; oul aġenna iouĕten ⁒ n’y a-t-il pas de nouvelles ? n’y a-t-il pas celui que tu as vu ? (n’y a-t-il pas qlq’un que tu aies vu ? n’y a-t-il personne que tu aies vu ?) n’y a-t-il pas une p. étant arrivée ici ? (n’y a-t-il pas une personne qui soit arrivée ici ? n’y a-t-il personne qui soit arrivé ici ?) n’y a-t-il pas de la pluie ayant frappé vers là ? (n’y a-t-il pas de la pluie qui soit tombée en qlq. lieu ?) – non, non ; il n’y a pas de nouvelles du tout ; il n’y a pas celui que j’ai vu (il n’y a personne que j’aie vu) ; il n’y a pas une p. étant arrivée ici (il n’y a personne qui soit arrivé ici) ; il n’y a pas de pluie ayant frappé (il n’y a pas de pluie qui soit tombée) = oul isalân en Tăouat ? oul a iġĕn ? oul a iṛhĕdan ? oul éré emmăn ? oul éré erĭnen ? oul éré s temĭheṛ tela nnît ? oul éhen iġĕn ? oul aṅġi ? oul aġenna ? oul iheṅġa ? – elk̤îr ṛâs. Oul a iġĕn ; oul a iṛhĕden ; oul éré emmăn ; oul éré erĭnen ; oul éré s tenĭheṛ tela nnît ; oul éhen iġĕn ; oul aṅġi ; oul aġenna ; oul iheṅġa fô ⁒ n’y a-t-il pas de nouvelles du Touat ? n’y a-t-il pas ce qui s’étant fait ? (n’y a-t-il rien qui se soit fait ? n’est-il rien arrivé ?) n’y a-t-il pas ce qui ayant été abîmé ? (n’y a-t-il rien qui ait été abîmé ? n’est-il arrivé rien de malheureux ?) n’y a-t-il pas celui qui étant mort ? (n’y a-t-il pas qlq’un qui soit mort ? n’y a-t-il personne qui soit mort ?) n’y a-t-il pas celui qui ayant été malade ? (n’y a-t-il pas qlq’un qui ait été malade ? n’y a-t-il personne qui ait été malade ?) n’y a-t-il pas celui que à a été razzié son bétail ? (n’y a-t-il pas qlq’un à qui son bétail ait été razzié ? n’y a-t-il personne à qui son bétail ait été razzié ?) n’y a-t-il pas une tente ayant été faite ? (n’y a-t-il pas de mariage qui se soit fait ?) n’y a-t-il pas d’eau courante provenant de pluies récentes ? (n’y a-t-il pas eu d’eau courante provenant de pluies récentes ?) n’y a-t-il pas de pluie ? (n’y a-t-il pas eu de pluie ?) n’y a-t-il pas d’ennemis ? (n’y a-t-il pas eu d’attaque d’ennemis ?). – le bien seulement (cela va bien). Il n’y a pas ce qui s’étant fait (il n’est rien arrivé) ; il n’y a pas ce qui ayant été abîmé (il n’est rien arrivé de malheureux) ; il n’y a pas celui qui étant mort (il n’y a personne qui soit mort) ; il n’y a pas celui qui ayant été malade (il n’y a personne qui ait été malade) ; il n’y a pas celui que à a été razzié son bétail (il n’y a personne à qui son bétail ait été razzié) ; il n’y a pas de tente ayant été faite (il n’y a pas de mariage qui se soit fait) ; il n’y a pas [eu] d’eau courante provenant de pluies récentes ; il n’y a pas [eu] de pluie ; il n’y a pas [eu] d’ennemis du tout = Moûsa oul a innă fô ⁒ M. il n’y a pas ce qu’il a dit du tout (M. n’a rien dit du tout) = oul a hé neġ ⁒ il n’y a pas ce que nous ferons (nous ne ferons rien) = oul a hâk é nneṛ ; aket tămeṭṭ in oul a hâk é tenn ⁒ il n’y a pas ce que je te dirai ; et aussi ma f. il n’y a pas ce qu’elle te dire (je ne te dirai rien ; ma fem. non plus ne te dira rien) = ma foull toiĭd imeġâren oul ămekchi ? – oul a lĭṛ ⁒ pourquoi as-tu laissé les hôtes sans nourriture ? – il n’y a pas ce que j’ai eu (je n’avais rien) = nĕieṛ midden essin : ien, oul a ilă ; ien, oul a hâs aba ⁒ j’ai vu 2 h. : un, il n’y a pas ce qu’il a eu (l’un n’a rien) ; un, il n’y a pas ce que à lui il n’y a pas (l’autre, il n’y a rien qu’il n’ait) = oul a hâk innă Moûsa ? – oul a hi innă ⁒ n’y a-t-il pas ce que t’a dit M. ? (M. ne t’a-t-il rien dit ?). – il n’y a pas ce qu’il m’a dit (il ne m’a rien dit) = Dâssin, oul a kai tekfă ? – oul a hi tekfă ⁒ D., n’y a-t-il pas ce qu’elle t’a donné ? (D. ne t’a-t-elle rien donné ?). – il n’y a pas ce qu’elle m’a donné (elle ne m’a rien donné) = oul a s teslĭd ? – oul a s eslĭṛ ⁒ n’y a-t-il pas ce que à tu as entendu ? (n’as-tu rien entendu ?). – il n’y a pas ce que à j’ai entendu (je n’ai rien entendu) = oul a hâk iéouĕi Biska ? – oul a hi iéouĕi ⁒ n’y a-t-il pas ce que t’a apporté B. ? (B. ne t’a-t-il rien apporté ?). – il n’y a pas ce qu’il m’a apporté (il ne m’a rien apporté)) ‖ p. ext. « qu’ai-je à ... ? qu’as-tu à ... ? qu’a-t-il à ... ? etc. ». Empl. d. ce s., oula est qlqf. suivi d’a s « ce que dans » employé dans le sens de « que » ; dans ce cas, a s n’ajoute ni ne change rien au sens. Oula, empl. d. le s. de « qu’ai-je à ... ? etc. » et accompagnant le v. er « aimer ; vouloir », signifie souv. « qu’ai-je à aimer ... ? qu’ai-je à vouloir ... ? qu’ai-je à faire de ... ? ». (Ex. oula tesâggeded daṛ ĕdrar ou-în ? ⁒ qu’as-tu tu regardes dans cette montagne-là ? (qu’as-tu à regarder cette montagne-là ?) = oula telâḳḳesed ? hânneieḳ ḳai ⁒ qu’as-tu tu te caches ? (qu’as-tu à te cacher ?) je te vois = oula ġânnid bahou ? essâneṛ bahou a ġânnid ⁒ qu’as-tu à dire un mensonge ? (qu’as-tu à mentir ?) je sais [que] un mensonge ce que tu dis (je sais que c’est un mensonge que tu dis) = Kenân, oula isâgged daṛ ăbareḳḳa ? ⁒ K., qu’a-t-il il regarde dans le chemin ? (K., qu’a-t-il à regarder le chemin ?) = oula tenâḳḳem tibarâḍîn ? ⁒ qu’avez-vous vous tuez les petites filles ? (qu’avez vous à tourmenter les petites filles ?). Dans les 5 ex. précédents, on peut mettre oul a s au lieu d’oula, n’est jamais nécessaire, peut touj. se supprimer, et est touj. une longueur inutile et une inélégance. v. ⵏⵏ innîn. = eiioueneṛ ; oula rîṛ ămekchi ? oula rîṛ ăk̤ ? ⁒ je me suis rassasié ; qu’ai-je je veux de la nourriture ? qu’ai-je je veux du lait ? (je suis rassasié ; qu’ai-je à vouloir de la nourriture ? (qu’ai-je à faire de nourriture ?) qu’ai-je à vouloir du lait ? (qu’ai-je à faire de lait ?) = midden eṭṭâsen. – oula rân êḍes ? eiiouenen t ⁒ les h. dorment. – qu’ont-ils ils veulent le fait de dormir ? ils s’en sont rassasiés (qu’ont-ils à vouloir dormir ? (qu’ont-ils à faire de dormir ?) ils se sont rassasiés de dormir) = imżad, eṅġoûm rîḳ ḳ ; dimardeṛ, oula t rîṛ ? ouechchĕreṛ ⁒ le violon, auparavant je l’aime (je l’aimais) ; maintenant, qu’ai-je je l’aime ? (maintenant, qu’ai-je à l’aimer ? maintenant, qu’ai-je à en faire ?) j’ai été vieux (je suis vieux) = nemsaoual ; dimarder, ăouâl oula t nerâ ? ⁒ nous nous sommes parlés réc. l’un à l’autre ; maintenant, les paroles qu’avons-nous nous les voulons ? (maintenant, les paroles qu’avons-nous à les vouloir ? maintenant, les paroles qu’avons-nous à en faire ?) = eṅġoûm ġâddeleṛ ; dimarder ouechchĕreṛ ; oula rîṛ ăġeddil ? ⁒ auparavant je chasse (je chassais) ; maintenant j’ai été vieux (je suis vieux) ; qu’ai-je je veux la chasse ? (qu’ai-je à vouloir chasser ? qu’ai-je à faire de la chasse ?)) ‖ p. ext. « et non plus » ; d. ce s. il peut souv. se traduire par « ni ». (Ex. our ilé tăkoûba oul elbarouḍ ⁒ il n’a pas d’épée et non plus de fusil (il n’a pas d’épée ni de fusil) = our iġréou êred oula timżîn ⁒ il n’a pas trouvé de blé et non plus d’orge (il n’a pas trouvé de blé ni d’orge) = ou tt ill a ioûfen Dâssin daṛ té̆itté oula tihoûsai ⁒ ne l’est pas ce qui étant meilleur que D. dans l’intelligence et non plus [dans] la beauté (il n’y a rien de supérieur à D. en intelligence ni en beauté) = our nehil âles hound ouâ-reṛ, taitté, oula tîdet, oula toullouḳ ⁒ n’est pas facile [à trouver] un h. com. celui-ci, [com.] intelligence, et non plus [com.] vérité, et non plus [com.] bonté (un h. com. celui-ci n’est pas ch. facile à trouver, com. intelligence, ni com. véracité, ni com. bonté)) ‖ p. ext. « et aussi » ; d. ce s. il peut souv. se traduire par « et ». (Ex. Ăhaggar oul Ăjjer, ăouétai ouâ-reṛ, menna ⁒ l’Ăh. et aussi l’Ăj., cette année-ci, sécheresse (l’Ăh. et l’Ăj., cette année-ci, sont dans la sécheresse) = Dâssin oula Koûka essânnet imżad ⁒ D. et aussi K. savent le violon (D. et K. savent jouer du violon) = Fendou oula Biska eglĕn ⁒ F. et aussi B. sont partis (F. et B. sont partis) = eġrĕoueṛ êred oula timżîn ⁒ j’ai trouvé du blé et aussi de l’orge = tehoûled-în Koûka oula chêt ma s ⁒ tu salues K. et aussi ses sœurs (salue de ma part K. et ses sœurs)) ‖ p. ext. « et même ; même ; même seulement ; seulement ; ne serait-ce que ». (Ex. ekf i-d oula tănaḳḳast ⁒ donne-moi même un demi-litre (donne-moi ne serait-ce qu’un demi-litre) = ekf i-d oula stenfous ⁒ donne-moi même une aiguille (donne-moi ne serait-ce qu’une aiguille) = ekf i-dd isân. – kala. – ekf i-d oul éṛes ⁒ donne-moi de la viande. – non. – donne-moi même un os (donne-moi ne serait-ce qu’un os) = eḳḳel i Bêdé oul ahel ien ⁒ attends B. même un jour (attends B. ne serait-ce qu’un jour)) ‖ oul ar « il n’y a pas ci ce n’est » signifie p. ext. « ne faire que ; n’avoir à faire que ; n’avoir qu’à ; ne ... que ; seulement ». (Ex. oul ar sousen ⁒ tu n’as que tais-toi (tu n’as qu’à te taire) = oul ar egel ⁒ tu n’as que pars (tu n’as qu’à partir) = oul ar enn âs aoua terĭd ⁒ tu n’as que dis-lui ce que tu as voulu (tu n’as qu’à lui dire ce que tu veux) = midden rân é hâk ennin tăfirt. – oul ar sioulnît ⁒ les h. veulent ils te dirent un mot (les h. veulent te dire un mot). – ils n’ont que qu’ils parlent (ils n’ont qu’à parler) = Biska ir é dd-ias. – oul ar enn âs éo ⁒ B. veut il arrivera ici (B. veut venir ici). – tu n’as que dis lui « viens » (tu n’as qu’à lui dire de venir)) ‖ oul ien : v. ⵉⵏ ien ‖ a oul ien : v. ⵉⵏ ien ‖ oul anḍerren : v. ⵎⴹⵔⵉ meḍri ‖ a oul anḍerren : v. ⵎⴹⵔⵉ meḍri ‖ p. ext. « qu’est-ce ? (avec signification de reproche) ». S’emploie soit seul, soit répété. A le sens d’un reproche amical, non d’un reproche sévère. (Ex. oula, Dâssin, midden emdân touĕted âsen imżad, nek touġĕied ⁒ qu’est-ce, D., les h. ils sont complets tu leur as frappé le violon, moi tu as refusé (qu’est-ce, D., tous les h. tu leur as joué du violon, moi tu as refusé de m’en jouer) = enn âs i Koûka : oula, essé̆oueieṛ âm kerteba hin, touġĕied teżmĕiet t ⁒ dis-lui à K. : qu’est-ce, je t’ai fait apporter mon pantalon, tu as refusé tu l’as cousu (dis à K. : qu’est-ce, je t’ai envoyé mon pantalon, tu as refusé de le coudre) = oula, oula, Kenân, ma foull tennĭd bahou ? ⁒ qu’est-ce, qu’est-ce, K., pourquoi as-tu dit un mensonge ? = oula, oula, Hekkou, ennĭṛ âm éo hik, kem tezzăied ar dimardeṛ ⁒ qu’est-ce, qu’est-ce, H., je t’ai dit « viens vite », toi tu as tardé jusqu’à maintenant) ‖ d. le s. « sans ; sans que », est syn. de sel (ăsel, selid, ăselid) et de min et plus us. qu’eux. — oula-k̤aoula ⵓⵍⵆⵓⵍⴰ (m. à m. « ni mouvement ») ‖ commencement d’une formule arabe ‖ s’empl. com. exclam. ; peut se dire à n’importe quel propos, pour marquer l’étonnement, l’admiration, le mécontentement, etc., et sans aucun motif ‖ peu us. ⵓⵍ é̆oualla ⵓⵍⴰ pi. ‖ oui (particule affirmative opposée à « non ») ‖ ex. tenĕied Fendou ? – é̆oualla ⁒ as-tu vu F. ? – oui = Dâssin tous-ed ? – é̆oualla ⁒ D. est-elle arrivée ? – oui = tekfĭd tăkoûba nnek Biska ? – é̆oualla ⁒ as-tu donné ton épée à B. ? – oui. ⵓⵍ oult (oulet) ‖ v. ⵍ oult. ⵓⵍ Ouâlet ‖ v. ⵓⴷ Ouâdet. ⵓⵍⴱ ouelleb ‖ v. ⵍⵍⴱ elloûleb. ⵓⵍⴹ ăouliḍ ⵓⵍⴹ sm. φ (pl. ioulîḍen ⵓⵍⴹⵏ), daṛ ĕoulîḍen ‖ verge (membre viril) (d’h. ou d’an.) ‖ v. ⵂⴹ haḍen ; ⵔⴶⵍ esġel, âsġal ; ⵎⵍⵓⵗ émellaouṛ. ⵓⵍⴳⵏ oueligen ‖ v. ⵓⵍ ăoul. ⵓⵍⵉ ouelei ‖ v. ⵓⵍ ăoul. ⵓⵍⴾ seououelek ⵙⵓⵍⴾ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isouelek, iesîouelek, éd iseououelek, our isouelek) ‖ faire aller demi-marchant demi-courant [sa monture] (act.) ; aller demi-marchant demi-courant (le suj. étant une p. montée ou à pied, ou un an. monté ou en liberté) (n.) ‖ d. le 1er s., peut avoir pour rég. dir. n’importe quel an. servant de monture. D. le 2d s., peut avoir pour suj. une p. montée ou à pied ou n’importe quel an. ‖ signifie aussi « faire [une p.] faire aller demi-marchant demi-courant [sa monture] (se c. av. 2 acc.) ; faire aller demi-marchant demi-courant [une p. montée ou à pied, un an. monté ou en liberté] (se c. av. 1 acc.) » ‖ v. ⵂⵍ ahel « courir ». — sâouelâk ⵙⵓⵍⴾ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâouelâk, our iseouelik) ‖ faire hab. aller demi-marchant demi-courant (act.) ; aller hab. demi-marchant demi-courant (n.) ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăseououelek ⵙⵓⵍⴾ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseououelîken ⵙⵓⵍⴾⵏ), daṛ seououelîken ‖ fait de faire aller demi-marchant demi-courant ; fait d’aller demi-marchant demi-courant ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăseououelak ⵙⵓⵍⴾ sm. n. d’é. f. 1 ; φ (pl. iseououelâken ⵙⵓⵍⴾⵏ ; fs. tăseououelak ⵜⵙⵓⵍⴾ ; fp. tiseououelâkîn ⵜⵙⵓⴾⵏ), daṛ seououelâken, daṛ tseououelâkîn ‖ h. qui fait hab. aller se monture demi-marchant demi-courant ; h. (monté ou à pied, ou an.) qui va hab. demi-marchant demi-courant ‖ signifie aussi « h. qui fait hab. aller les p. (montées ou à pied, ou les an. montés ou en liberté) demi-marchant demi-courant » ‖ les p. ou les an. qu’un ăseououelak fait aller demi-marchant demi-courant se mettent au gén. — é̆ouelik ⵓⵍⴾ sm. φ (pl. iouelîken ⵓⵍⴾⵏ), daṛ ouelîken ‖ marche intermédiaire entre la marche et la course (manière de marcher consistant à aller demi-marchant demi-courant) ‖ p. ext. « temps de marche intermédiaire entre la marche et la course (temps plus ou moins long pendant lequel on va sans interruption demi-marchant demi-courant) ». — ouelekouelek ⵓⵍⴾⵓⵍⴾ va. prim. ; conj. 42 « lekeslekes » ; (ioulekouelek, ieouîlekouelek, éd ioulekouelek, our ioulekouelek) ‖ faire aller demi-marchant demi-courant [sa monture] (act.) ; aller demi-marchant demi-courant (le suj. étant une p. montée ou à pied, ou un an. monté ou en liberté) (n.) ‖ d. le 1er s., peut avoir pour rég. dir. n’importe quel an. servant de monture. D. le 2d s., peut avoir pour suj. une p. montée ou à pied ou n’importe quel an. ‖ syn. de seououelek empl. d. ce s. ‖ v. ⵂⵍ ahel « courir ». — seououelekouelek ⵙⵓⵍⴾⵓⵍⴾ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isouelekouelek, iesîouelekouelek, éd iseououelekouelek, our isouelekouelek) ‖ faire [une p.] faire aller demi-marchant demi-courant [sa monture] (se c. av. 2 acc.) ; faire aller demi-marchant demi-courant [une p. montée ou à pied, un an. monté ou en liberté] (se c. av. 1 acc.) ‖ syn. de seououelek empl. d. ce s. — tîouelekouelîk ⵜⵓⵍⴾⵓⵍⴾ va. f. 13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîoulekouelîk, our iteoulekouelik) ‖ faire hab. aller demi-marchant demi-courant (act.) ; aller hab. demi-marchant demi-courant (n.) — sîouelekouelîk ⵙⵓⵍⴾⵓⵍⴾ va. f. 1. 13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (isîoulekouelîk, our iseoulekouelik) ‖ faire hab. [une p.] faire aller demi-marchant demi-courant (se c. av. 2 acc.) ; faire hab. aller demi-marchant demi-courant (se c. av. 1 acc.) — ăoulekouelek ⵓⵍⴾⵓⵍⴾ sm. nv. prim. ; φ (pl. ioulekouelîken ⵓⵍⴾⵓⵍⴾⵏ), daṛ ĕoulekouelîken ‖ fait de faire aller demi-marchant demi-courant ; fait d’aller demi-marchant demi-courant. — ăseououelekouelek ⵙⵓⵍⴾⵓⵍⴾ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseououelekouelîken ⵙⵓⵍⴾⵓⵍⴾⵏ), daṛ seououelekouelîken ‖ fait de faire [une p.] faire aller demi-marchant demi-courant ; fait de faire aller demi-marchant demi-courant. — ăouelekouelak ⵓⵍⴾⵓⵍⴾ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. iouelekouelâken ⵓⵍⴾⵓⵍⴾⵏ ; fs. tăouelekouelak ⵜⵓⵍⴾⵓⵍⴾ ; fp. tiouelekouelâkîn ⵜⵓⵍⴾⵓⵍⴾⵏ), daṛ ouelekouelâken, daṛ touelekouelâkîn ‖ h. qui fait hab. aller sa monture demi-marchant demi-courant ; h. (monté ou à pied, ou an.) qui va hab. demi-marchant, demi-courant ‖ les an. qu’un ăouelekouelak fait aller demi-marchant, demi-courant se mettent au gén. — ăseououelekouelak ⵙⵓⵍⴾⵓⵍⴾ sm. n. d’é. f. 1 ; φ (pl. iseououelekouelâken ⵙⵓⵍⴾⵓⵍⴾⵏ ; fs. tăseououelekouelak ⵜⵙⵓⵍⴾⵓⵍⴾ ; fp. tiseououelekouelâkîn ⵜⵙⵓⵍⴾⵓⵍⴾⵏ), daṛ seououelekouelâken, daṛ tseououelekouelâkîn ‖ h. qui fait hab. aller les p. (montées ou à pied, ou les an. montés ou en liberté) demi-marchant demi-courant ‖ les p. ou les an. qu’un ăseououelekouelak fait aller semi-marchant semi-courant se mettent au gén. ⵓⵍ tăoulek ⵜⵓⵍⴾ sf. φ (pl. tioulkîn ⵜⵓⵍⴾⵏ), daṛ tĕoulkîn ‖ peau de chevreau (ou d’agneau, de faon de gazelle, de faon d’antilope, de faon de mouflon) ‖ toute peau de chevreau, d’agneau, de faon de gazelle, de faon d’antilope, de faon de mouflon, sur l’animal vivant, sur l’animal mort, provenant d’un an. fraîchement ou anciennement dépouillé, revêtue ou non de son poil, travaillée ou non, à l’état brut ou convertie en sac, sachet, petite outre, etc., est une tăoulek. — ăoulek ⵓⵍⴾ sm. φ (pl. ioulken ⵓⵍⴾⵏ), daṛ ĕoulken ‖ m. s. q. le pr. ‖ très peu us. ⵓⵍⴾⵓⵍⴾ ouelekouelek ‖ v. ⵓⵍⴾ seououelek. ⵓⵍⵆⵓⵍ oula-k̤aoula ‖ v. ⵓⵍ oula. ⵓⵍⵍ ouelelet (Ta. 1) ‖ v. ⵓⵍ ăoul. — tăoulelet ‖ v. ⵓⵍ ăoul. ⵓⵍⵍⴳ ouelelleg ‖ v. ⵓⵍ ăoul. ⵓⵍⵍⵗ ouelelleṛ ‖ v. ⵓⵍ ăoul. ⵓⵍⵎⴷ Ioullemmeden ⵓⵍⵎⴷⵏ ⁂ sm. pl. φ (ms. Ăoullemmed ⵓⵍⵎⴷ ; fs. Tăoullemmet ⵜⵓⵍⵎⵜ ; fp. Tioullemmedîn ⵜⵓⵍⵎⴷⵏ), daṛ Oullemmeden, daṛ Tăoullemmedîn ‖ np. d’une collection de tribus touaregues habitant dans le voisinage du Niger et entre le Niger et l’Ăir ‖ v. ⵂⵗ aheṛ, Ămâhaṛ. — tăoulemmet ⵜⵓⵍⵎⵜ sf. (s. s. pl.) ‖ dialecte des Ioullemmeden (dialecte de la langue touaregue parlé par les Ioullemmeden) ‖ v. ⵂⴳⵔ ăhaggar, tăhaggart. ⵓⵍⵏ éouîlen ⵓⵍⵏ sm. φ (pl. iouîlenen ⵓⵍⵏⵏ), daṛ ăouîlen (ĕouîlen), daṛ ouîlenen ‖ été (saison de l’été). ⵓⵍⵏⴾⵏ ouelenken ⵓⵍⵏ⵿ⴾⵏ vn. prim. ; conj. 42 « lekeslekes » ; (ioulenken, ieouîlenken, éd ioulenken, our ioulenken) ‖ pendre (n.) (être pendant, pendre librement) (le suj. étant une p., un an., ou une ch. fixés par leur partie supérieure et ayant leur partie inférieure libre et pendante) ‖ se dit, p. ex., d’un h. ou d’un singe suspendues par les mains à une branche et dont le corps pend, d’un objet suspendu à un clou par un lieu au bout duquel il pend librement, d’une ch. suspendue qui pend librement dans toute sa longueur n’étant retenue à sa partie supérieure que par un point et n’étant soutenue par rien, des cheveux d’une fem., nattés ou non, qui pendent librement dans toute leur longueur, etc. ‖ p. ext. « pendre trop bas (n.) ». (Ex. ăbaioṛ ieouîlenken ; eṭkel t ⁒ l’outre pend trop bas ; lève-la (relève-la)) ‖ fig. « être suspendu de toutes ses forces [à une p., un an., une ch. (pour les arrêter ou les tirer à soi)] (le suj. étant une p. ou un an.) ». Ce à quoi le suj. est suspendu de toutes ses forces est à l’abl. et accompagné de daṛ « dans ». Se dit, p. ex., d’une p. suspendue de toutes ses forces à la queue d’un chameau qui court, pour l’arrêter, d’un chien suspendu de toutes ses forces avec les dents aux chairs d’un mouflon qui court et cherche à s’échapper, d’une p. suspendue de toutes ses forces à la main ou au cou de qlq’un pour le retenir ou le tirer à soi, d’une p. suspendue de toutes ses forces à une corde fixée à qlq. ch. de lourd pour tirer le tout à soi, etc. ‖ fig. « être suspendu de toutes ses forces [à une p., un an., une ch.] (par le cœur, par l’amour) (le suj. étant une p. ou un an.) ». Ce à quoi le suj. est suspendu de toutes ses forces par l’amour est à l’abl. et accompagné de daṛ « dans ». Se dit, p. ex., d’une p. qui aime de toutes ses forces qlq’un, qui est très attachée à un an. ou à une ch., d’un chien qui est très attaché à son maître, d’un an. très attaché à un autre ‖ fig. « être suspendu de toutes ses forces [à Dieu, à une p.] (par l’espérance) ». Ce à quoi le suj. est suspendu de toutes ses forces par l’espérance est à l’abl. et accompagné de daṛ « dans ». Se dit de qlq’un qui met toute son espérance en Dieu ou en une p. ‖ ouelenken est syn. de keriri ‖ diffère d’ali « être suspendu à », qui se dit de tout ce qui est suspendu, que cela pende librement ou non, et ne peut pas se dire des ch. qui pendent sans être suspendues, com. les cheveux. — seououelenken ⵙⵓⵍⵏ⵿ⴾⵏ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isouelenken, iesîouelenken, éd iseououelenken, our isouelenken) ‖ faire pendre (se c. av. 1 acc.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ sign. aussi « faire [qlq’un] faire pendre (se c. av. 2 acc.) ». — tîoulenkîn ⵜⵓⵍⵏ⵿ⴾⵏ vn. f. 13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîoulenkîn, our iteoulenkin) ‖ pendre hab. (n.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sîoulenkîn ⵙⵓⵍⵏ⵿ⴾⵏ va. f. 1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (isîoulenkîn, our iseoulenkin) ‖ faire hab. pendre (se c. av. 1 acc.) ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăoulenken ⵓⵍⵏ⵿ⴾⵏ sm. nv. prim. ; φ (pl. ioulenkînen ⵓⵍⵏ⵿ⴾⵏⵏ), daṛ ĕoulenkînen ‖ fait de pendre (n.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăseououelenken ⵙⵓⵍⵏ⵿ⴾⵏ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseououelenkînen ⵙⵓⵍⵏ⵿ⴾⵏⵏ), daṛ seououelenkînen ‖ fait de faire pendre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. ⵓⵍⵏⵓⵍ oulenouilet (Ta. 1) ‖ v. ⵓⵍ ăoul. ⵓⵍⵓⵍ ouelioul ‖ v. ⵓⵍ ăoul. ⵓⵍⵓⵍ seououelouel ‖ v. ⵓⵍ ăouâl. ⵓⵍⵗ oueleḳḳet (Ta. 1) ‖ v. ⵍⵗ elleṛ. ⵓⵍⵙ ăoules ⵓⵍⵙ sm. φ (pl. ioulsân ⵓⵍⵙⵏ), daṛ oulsân ‖ fromage de lait caillé dont on a extrait le beurre (fromage fait avec du lait caillé dont on a extrait le beurre) ‖ diffère de tăkammart « fromage de lait frais (fromage fait avec du lait frais) » ‖ v. ⴾⵔ keret (Ta. 1). — ăoullous ⵓⵍⵙ sm. φ (pl. ioulsân ⵓⵍⵙⵏ), daṛ oulsân ‖ m. s. q. le pr. ‖ expr. incorrecte. ⵓⵏ aoun ⵓⵏ va. prim. ; conj. 63 « aoun » ; (iéouĕn, iéouân, éd iaoun, our iéouin) ‖ monter sur (se transporter, en montant, sur) (act.) ; monter (gravir) (act.) ; monter (aller en montant) (n.) ‖ d. le s. 1., peut avoir pour suj. une p., un an., ou une ch. ; ce sur quoi monte le suj. est rég. dir., cela peut être une p., un an., ou une ch. D. le s. 2., peut avoir pour suj. une p., un an., ou une ch. ; a pour rég. dir. un terrain en pente, un escalier, une échelle, ou une autre ch. capable d’être gravie. D. le s. 3., peut avoir pour suj. une p., un an., ou une ch. ; ce vers quoi, dans quoi, sur quoi, sous quoi, devant quoi, derrière quoi, etc., le suj. monte peut être une p., un an., ou une ch. exprimés ou non ; quand c’est exprimé, c’est à l’abl. et accompagné d’une prép. telle que « vers », « dans », « sur », « sous », « devant », « derrière », etc. ‖ d. le s. 1., se dit, p. ex., d’une p. ou d’un an. qui montent sur une p., un an., un mont, un dos de terrain, un rocher, un arbre, un toit de maison, un meuble, le dos d’une p. ou d’un an., une ch. élevée qlconque, d’élévation si grande ou si faible que ce soit ; se dit de l’eau d’une crue, d’une inondation, du sable poussé par le vent, d’une plante grimpante, qui montent sur n’importe quoi ; se dit de véhicules, de bagages, de ch. transportées par n’importe quel moyen, qui montent sur un lieu d’élévation qlconque. Signifie monter sur la partie supérieure du rég. dir., ou sur l’une de ses parties élevées, non sur une de ses parties basses ou moyennes. Quand le rég. dir. est un an., signifie touj. « se hisser sur », ne signifie jamais « employer com. monture ; se servir com. monture de » ‖ d. le s. 2., se dit, p. ex., d’une p. ou d’un an. qui gravissent un terrain en pente qlconque, douce ou raide, un escalier, une échelle, etc. ; se dit de véhicules, de ch. transportées par des p., des an., ou des véhicules, qui gravissent une pente ; etc. Signifie gravir le rég. dir. soit jusqu’à son sommet, soit partiellement dans une mesure qlconque ‖ d. le s. 3., se dit, p. ex., d’une p., d’un an., ou d’une ch. qui montent parce qu’ils sont dans un ballon qui s’élève, dans un ascenseur ou un panier qu’on tire d’en haut et qui s’élèvent, dans un véhicule qui gravit une pente, sur le dos d’une p. ou d’un an. qui gravissent une pente ; d’une p. ou d’un an. qui montent sur un mont, dans un arbre, dans une cheminée, dans un puits au fond duquels ils étaient, vers un lieu élevé ; d’une p., d’un an., ou d’une ch. qui montent parce qu’ils vont en s’élevant pour n’importe quelle cause, p. ex. parce qu’ils gravissent une pente ou un escalier ; de blé qui va en montant dans un sac, d’eau qui va en montant dans un puits, de lait qui va en montant dans un verre ; d’un terrain, d’un chemin, qui vont en montant ; d’un insecte qui monte sous les habits de qlq’un ; d’une p. qui monte derrière un h., un an., ou un véhicule, en gravissant derrière eux en terrain en pente. Signifie aller en montant dans une mesure qlconque. Quand ce sur quoi monte le suj. est un an., signifie touj. « se hisser [sur un an.] », ne signifie jamais « employer com. monture [un an.] ; se servir com. monture [d’un an.] » ‖ fig. « avoir de l’avancement (monter en dignité, en grade) (n.) » ‖ fig. « augmenter de prix (monter com. prix, monter com valeur vénale) (n.) » ‖ fig. « monter com. gain (parvenir com. gain, arriver com. gain, venir com. gain) (n.) ». Se dit d’une ch. qui, à la suite d’une vente avantageuse, d’une opération commerciale, industrielle, agricole, heureuse, vient com. gain à celui qui les a faites ; p. ex. d’un esclave qui reste com. gain net à un marchand d’esclaves après que celui-ci a soldé tous ses frais et vendu le reste de sa marchandise, d’une charge de blé qui reste com. gain net à un agriculteur après qu’il a soldé tous ses frais, de 25 francs qui restent com. gain net à qlq’un qui a acheté un chameau et l’a revendu avec bénéfice. Se dit aussi de l’accroissement de volume d’une substance qui, à la suite d’une opération, a augmenté de volume ; p. ex. d’un litre de farine qui vient com. gain à celui qui, ayant moulu 4 litres de blé, a obtenu 5 litres de farine ; d’un demi-litre de café qui vient com. gain à celui qui, ayant moulu un litre de café en grains, a obtenu un litre et demi de café en poudre. La p. à laquelle le suj. vient com. gain se met au datif. Ce d’où le suj. vient com. gain à qlq’un, vente, opération commerciale ou autre, substance susceptible d’augmenter de volume, etc., est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. daṛ « de dans ». (Ex. ma hâk iéouĕnen daṛ ăfaraġ ennek ? – iéouĕn i ăġeġġi ⁒ quoi à toi étant monté com. gain de dans ton jardin ? (que t’est-il venu com. gain de ton jardin ? qu’as-tu obtenu com. gain net de ton jardin ?). – Est montée com. gain à moi une charge (il m’est venu com. gain une charge de grains ; j’ai obtenu com. gain net une charge de grains) = Koûka tedd énélé, iéouĕn âs moûda ⁒ K. a pilé du sorgho à petits grains, est monté com. gain à elle un litre (il lui est venu com. gain un litre ; elle a obtenu un accroissement de volume d’un litre)) ‖ fig. « monter sur [une p., une collection de p. (en leur payant tribut)] (de manière à être, par le tribut qu’on leur paie, sous leur protection et monté sur elles com. sur une montagne formant citadelle) (act.) », le suj. étant une p., une tribu, un peuple, et le rég. dir. étant une p., une tribu, un peuple auxquels le suj. paie une redevance annuelle. Les lieux de refuge des Kel-Ăh., en cas d’invasion ennemie, sont certains massifs montagneux élevés, escarpés et inextricables ; on semble, dans cet emploi du v. aoun, leur comparer ceux auxquels on paie tribut. (Ex. éouĕneṛ Moûsa ⁒ je suis monté sur M. (en lui payant tribut) (c. à d. je paie une redevance annuelle à M.) = éouĕneṛ Kel-Ṛela ⁒ je suis monté sur les Kel-Ṛ. (en leur payant tribut) (c. à d. je paie une redevance annuelle aux Kel-Ṛ.) = néouen Fransa ⁒ nous sommes montés sur la France (en lui payant tribut) (c. à d. nous payons une redevance annuelle à la France)) ‖ p. ext. « monter sur (accomplir l’acte sexuel sur) [une femme ; une femelle d’an.] (act.) », le suj. étant un h. ou un an. mâle ‖ p. ext. « être glouton (manger beaucoup et avec avidité) (n.) », le suj. étant une p. ou un an. ‖ les mots aoun eres « monte, descends » s’emploient qlqf. com. un subs. ms. signifiant « nombreuses montées et descentes ». (Ex. ăbareḳḳa ouâ-reṛ, ih ê aoun eres ⁒ ce chemin-ci, est dans lui du monts, descends (ce chemin-ci a de nombreuses montées et descentes)) ‖ d. le s. « monter (gravir) [un terrain en pente] », est syn. de demer et de ġeżżei ‖ d. le s. « monter sur [un an.] » et « monter [sur un an.] », diffère d’aṛer « monter [un an.] (employer com. monture [un an.] ; se servir com. monture d’[un an.] ; être sur [un an. servant de monture]) » ‖ d. le s. « monter sur (se hisser sur) [un an. servant de monture] », est syn. d’aṛer et moins us. que lui ‖ d. le s. « monter sur [une femme] (le suj. étant un homme) », est syn. d’aṛer et moins us. que lui. — sioun ⵙⵓⵏ va. f. 1 ; conj. 155 « sioun » ; (iessé̆ouen, iessêouen, éd isioun, our iesséouen) ‖ faire monter sur (se c. av. 2 acc.) ; faire monter (se c. av. 2 acc.) ; faire monter (se c. av. 1 acc.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — touiouan ⵜⵓⵓⵏ vn. f. 3 ; conj. 203 « touiouan » ; (ittouaouan, ietîouaouan, éd iettouiouan, our ittouaouan) ‖ être monté (avoir une p. (un an., une ch.) qui monte sur soi) ; être monté (être gravi) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — touiouen ⵜⵓⵓⵏ vn. f. 3 ; conj. 197 « touekeniher » ; ρ (ittouaouen, ietîouaouen, éd iettouiouen, our ittouaouen) ‖ m. s. q. le pr. — tâouen ⵜⵓⵏ va. f. 6 ; conj. 229 « tâouen » ; (itâouen, our itioun) ‖ monter hab. sur (act.) ; monter hab. (act.) ; monter hab. (n.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâouân ⵙⵓⵏ va. f. 1.7 ; conj. 233 « sâġâr » ; (isâouân, our isiouin) ‖ faire hab. monter sur (se c. av. 2 acc.) ; faire hab. monter (se c. av. 2 acc.) ; faire hab. monter (se c. av. 1 acc.) ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tîtouiouân ⵜⵜⵓⵓⵏ vn. f. 3.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîtouiouân, our itetouiouan) ‖ être hab. monté ; être hab. monté ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 3. — tîtouiouîn ⵜⵜⵓⵓⵏ vn. f. 3.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîtouiouîn, our itetouiouin) ‖ m. s. q. le pr. — ăggan ⴳⵏ sm. nv. prim. ; (pl. ăggânen ⴳⵏⵏ) ‖ fait de monter sur ; fait de monter (act.) ; fait de monter (n.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ p. ext. « montée (de terrain) (lieu où le terrain va en montant, lieu où le terrain est en pente ascendante) » ‖ d. le s. « montée (de terrain) », est syn. de teseououaount, de tăsessaount et d’ăseṭkel. — ăsioun ⵙⵓⵏ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isiouînen ⵙⵓⵏⵏ), daṛ siouînen ‖ fait de faire monter sur ; fait de faire monter ; fait de faire monter ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ătouiouan ⵜⵓⵓⵏ sm. nv. f. 3 ; φ (pl. itouiouânen ⵜⵓⵓⵏⵏ), daṛ ĕtouiouânen ‖ fait d’être monté ; fait d’être monté ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 3. — ătouiouen ⵜⵓⵓⵏ sm. nv. f. 3 ; φ (pl. itouiouînen ⵜⵓⵓⵏⵏ), daṛ ĕtouiouînen ‖ m. s. q. le pr. — ămâouan ⵎⵓⵏ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. imâouânen ⵎⵓⵏⵏ ; fs. tămâouant ⵜⵎⵓⵏ⵿ⵜ ; fp. timâouânîn ⵜⵎⵓⵏⵏ), daṛ mâouânen, daṛ tmâouânîn ‖ hom. dont l’office est de monter [sur des arbres] ; an. grimpeur (an. qui grimpe aux arbres) ; h. qui paie tribut (d. le s. ci. d.) ; h. (ou an.) glouton ‖ les arbres auxquels c’est l’office d’un h. de monter, les arbres auxquels grimpe un an., la p. ou la collection de p. auxquels un h. paie tribut se mettent au gén. — teseououaount ⵜⵙⵓⵓⵏ⵿ⵜ sf. φ (pl. tiseououiouân ⵜⵙⵓⵓⵏ), daṛ tseououiouân ‖ monté (de terrain) (lieu où le terrain va en montant, lieu où le terrain est en pente ascendante) ‖ syn. d’ăggen, de tăsessaount et d’ăseṭkel empl. d. ce s. — tăsessaount ⵜⵙⵙⵓⵏ⵿ⵜ sf. φ (pl. tisessiouân ⵜⵙⵙⵓⵏ), daṛ tsessiouân ‖ m. s. q. le pr. — tăouna ⵜⵓⵏⴰ sf. (pl. tăouniouîn ⵜⵓⵏⵓⵏ) ‖ eau de lait entièrement coagulé et transformé en une masse de fromage pâteuse et informe (eau qu’on recueille en faisant écouler l’akrou) ‖ syn. d’âman n ĕkrou et d’imetrâs ‖ v. ⴾⵔ keret (Ta. 1) ; ⴾⴼ ekef, ikfai. Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1506 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1507 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1508 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1509 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1510 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1511 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1512 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1513 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1514 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1515 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1516 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1517 ouerouera ⁒ F. a de l’éclat extérieur (F. a de l’éclat physiquement) = ihanân oui-h, iouâr ten ouerouera, oui-h kala ⁒ ces tentes-ci, est sur elles de l’éclat extérieur, celles-là non (ce campement-ci est d’aspect agréable et brillant, celui-là non). — ouerouer ⵓⵔⵓⵔ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (iououĕrouer, ieououîrouer, éd ieououerouer, our iououerouer) ‖ répandre en saupoudrant [une matière en poudre] (sur qlq. ch.) ‖ a aussi le s. pas. « être répandu par saupoudrement » ‖ peut avoir pour suj. une p. ou une ch. Peut avoir pour rég. dir. n’importe quelle matière en poudre, terre, sable, cendre, farine, sel, sucre, médicament en poudre, etc. Ce sur quoi le suj. répand une matière en poudre est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. foull « sur » ‖ se dit, p. ex., d’une p. qui répand en saupoudrant un médicament en poudre sur une plaie, du vent qui répand en saupoudrant de la poussière sur une p., un an., ou une ch. ‖ ex. ouerouer têsemt foull sân ⁒ répands en saupoudrant du sel sur la chair (saupoudre la viande de sel) ‖ le s. d’ouerouer revient au même que celui d’enbes « saupoudrer [une p., un an., une ch.] (avec une matière en poudre lancée) », quand enbes a pour suj. une p. ou une ch., bien que les 2 v. se construisent différemment. Ouerouer n’a pas les autres sens d’enbes ‖ v. ⵏⴹⵓ enḍou. — seououerouer ⵙⵓⵔⵓⵔ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isouerouer, iesîouerouer, éd iseououerouer, our isouerouer) ‖ faire répandre en saupoudrant ‖ se c. av. 2 acc. — tâouerouâr ⵜⵓⵔⵓⵔ va. f. 7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâouerouâr, our iteouerouir) ‖ répandre hab. en saupoudrant ‖ a aussi le s. pas. — sâouerouâr ⵙⵓⵔⵓⵔ va. f. 1.7 ; conj. 230 ; (isâouerouâr, our iseouerouir) ‖ faire hab. répandre en saupoudrant ‖ se c. av. 2 acc. — ăouerouer ⵓⵔⵓⵔ sm. nv. prim. ; φ (pl. iouerouîren ⵓⵔⵓⵔⵏ), daṛ ouerouîren ‖ fait de répandre en saupoudrant ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être répandu par saupoudrement ». — ăseououerouer ⵙⵓⵔⵓⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iseououerouîren ⵙⵓⵔⵓⵔⵏ), daṛ seououerouîren ‖ fait de faire répandre en saupoudrant. — ehouĕr ⵂⵓⵔ va. prim. ; conj. 29 « edouĕl » ; (ihouĕr, ihouâr, éd ihouĕr, our ihouir) ‖ précéder ‖ peut avoir pour suj. et pour rég. dir. des p., des an., ou des ch. ‖ ex. ehouĕr Koûka s oulli, teżżeġed âs ăk̤ ⁒ précède K. aux chèvres, trais-lui du lait (devance K. auprès des chèvres, trais-lui du lait) = oulli hin ehouĕrnet ti nnem s ânou ⁒ mes chèvres ont précédé (devancé) les tiennes au puits = têreout ennek, tehouĕr tet têreout in es Tăouat ⁒ ta lettre, l’a précédé la mienne au Touat (ma lettre est arrivée avant la tienne au T.) = rîṛ éd ekkeṛ Tăouat ; ihouĕr erĭneṛ ; eḳḳĭmeṛ ⁒ je veux j’irai au Touat ; il a précédé [que] j’ai été malade ; je suis resté (je voulais aller au T. ; avant le moment de mon départ j’ai été malade ; je suis resté) = Fendou irâ éd iaoui Mîmi ; tehouĕr teddĭou ; ieḳḳĭm ⁒ F. veut il épousera M. ; elle a précédé elle s’est mariée ; il est resté (F. voulait épouser M. ; avant qu’il l’épouse, elle s’est mariée ; il est resté) = êred ieboûk éd ieñ ; tehouĕr t tĕhoualt, tekch ê ⁒ le blé a l’intention il sera mûr ; l’a précédé la sauterelle, elle l’a mangé (le blé était sur le point d’être mûr ; avant qu’il fût mûr les sauterelles sont venues et l’ont mangé) = fad ihouĕr êred, iṅṛ ê ⁒ la soif a précédé le blé, elle l’a tué (le manque d’eau est arrivé avant la maturité du blé et a fait mourir celui-ci) ‖ p. ext. « précéder dans l’existence (être plus âgé que) (act.) ». Peut avoir pour suj. et pour rég. dir. des p., des an., ou des ch. (Ex. ehouĕreṛ Mîmi ⁒ j’ai précédé dans l’existence M. (je suis plus âgé que M.) = ehouĕreḳ ḳem es ḳeraḍ outiân ⁒ je t’ai précédée dans l’existence de 3 ans (je suis plus âgé que toi de 3 ans) = amis oua-h ihouĕr oua-h s ăouétai ⁒ ce chameau-ci a précédé dans l’existence celui-là d’un an (ce chameau-ci est plus âgé que celui-là d’un an) = tăkoûba ta-h tehouĕr ta-h ⁒ cette épée-ci a précédé dans l’existence celle-là (cette épée-ci est plus vieille que celle-là)) ‖ p. ext. « être sur le point de (n.) ». Se dit d’une p., d’un an., ou d’une ch. qui sont sur le point de faire ou d’éprouver n’importe quoi. (Ex. eṭṭef ăbaraḍ ; ihouâr iouḍâ ⁒ tiens l’enfant ; il est sur le point il tombe (il est sur le point de tomber) = ouksaḍ ; ihouâr oulli eġġâhnet ăfaraġ ⁒ crains ; il est sur le point [que] les chèvres entrent dans le jardin (prends garde ; les chèvres sont sur le point d’entrer dans le jardin) = eġ éseṛir daṛ tĕmsé ; tehouâr temmoût ⁒ mets un morceau de bois dans le feu ; il est sur le point il meurt (il est sur le point de mourir) = ehouĕreṛ ekkiṛ Tăouat, erĭneṛ, eḳḳĭmeṛ ⁒ j’ai été sur le point je suis allé au Touat, j’ai été malade, je suis resté (j’ai été sur le point d’aller au T., j’ai été malade, je suis resté) = téouĕied Mîmi ? – ihouĕr éouĕieḳ ḳet ; ou tet éouéieṛ ⁒ as-tu épousé M. ? – il a été sur le point [que] je l’ai épousée ; je ne l’ai pas épousée (j’ai été sur le point de l’épouser ; je ne l’ai pas épousée) = ăbaioṛ ihouĕr iouḍă ; eṭṭĕfeḳ ḳ ⁒ l’outre a été sur le point elle est tombée ; je l’ai tenue (l’outre a été sur la point de tomber ; je l’ai retenue)) ‖ d. le s. « précéder », est syn. d’izar et moins us. que lui ‖ d. le s. « être sur le point de », est syn. d’oubak et moins us. que lui. — zehouĕr ⵣⵂⵓⵔ va. f. 1 ; conj. 152 « sedouĕl » ; (izzĕhouer, iezzîhouer, éd izehouĕr, our izzehouer) ‖ faire précéder ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — mehouer ⵎⵂⵓⵔ vn. f. 2 ; conj. 99 « bereġ » ; (immĕhouer, iemmîhouer, éd iemmehouer, our immehouer) ‖ se précéder l’un l’autre [vers un lieu] (être transporté ensemble [vers un lieu] (le suj. étant plusieurs ch., ou une ch. pouvant se transporter en plusieurs fois partie par partie) ; être transporté successivement [vers un lieu] (d. le s. ci. d.)) ‖ le lieu auquel le suj. est transporté est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. s « vers ». Le lieu d’où le suj. est transporté est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. daṛ « de dans » ‖ se dit, p. ex., de plusieurs épées, d’une tente et de son contenu, de blé en quantité qlconque. — tehouer ⵜⵂⵓⵔ vn. f. 3bis ; conj. 99 « bereġ » ; (ittĕhouer, iettîhouer, éd iettehouer, our ittehouer) ‖ être précédé. — zemmehouer ⵣⵎⵂⵓⵔ va. f. 2.1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (izmehouer, iezîmehouer, éd izemmehouer, our izmehouer) ‖ faire se précéder l’un l’autre (d. le s. de la f. 2.). — hâgger ⵂⴳⵔ va. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (ihâgger, our ihegger) ‖ précéder hab. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — zâhouâr ⵣⵂⵓⵔ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (izâhouâr, our izehouir) ‖ faire hab. précéder ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tâmehouâr ⵜⵎⵂⵓⵔ vn. f. 2.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâmehouâr, our itemehouir) ‖ se précéder hab. l’un l’autre. — têhouâr ⵜⵂⵓⵔ vn. f. 3bis.13 ; conj. 247 « tîksân » ; (itêhouâr, our itehouir) ‖ être hab. précédé. — zâmehouâr ⵣⵎⵂⵓⵔ va. f. 2.1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (izâmehouâr, our izemehouir) ‖ faire hab. se précéder l’un l’autre. — ăhaouar ⵂⵓⵔ sm. nv. prim. ; φ (pl. iheouâren ⵂⵓⵔⵏ), daṛ heouâren ‖ fait de précéder ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — tahaoura ⵜⵂⵓⵔⴰ sf. nv. prim. ; φ (pl. tiheouriouîn ⵜⵂⵓⵔⵏ), daṛ tĕhaoura (tăhaoura), daṛ theouriouîn ‖ m. s. q. le pr. — ăzehouer ⵣⵂⵓⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. izehouîren ⵣⵂⵓⵔⵏ), daṛ zehouîren ‖ fait de faire précéder ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ămehouer ⵎⵂⵓⵔ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imehouîren ⵎⵂⵓⵔⵏ), daṛ mehouîren ‖ fait de se précéder l’un l’autre. — ătehouer ⵜⵂⵓⵔ sm. nv. f. 3bis ; φ (pl. itehouîren ⵜⵂⵓⵔⵏ), daṛ tehouîren ‖ fait d’être précédé. — ăzemmehouer ⵣⵎⵂⵓⵔ sm. nv. f. 2.1 ; φ (pl. izemmehouîren ⵣⵎⵂⵓⵔⵏ), daṛ zemmehouîren ‖ fait de faire se précéder l’un l’autre. — ămâhouar ⵎⵂⵓⵔ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. imâhouâren ⵎⵂⵓⵔⵏ ; fs. tămâhouart ⵜⵎⵂⵓⵔ⵿ⵜ ; fp. timâhouarîn ⵜⵎⵂⵓⵔⵏ), daṛ mâhouâren, daṛ tmâhouârîn ‖ aîné (hom. (an., ch.) qui est plus âgé) [qu’une p. (un an., une ch.)] ‖ ce dont un ămâhouar est l’aîné se met au gén. ‖ ex. Moûsa ămâhouar en Dâssin ⁒ M. [est] l’ainé de D. (M. est plus âgé que D. ‖ diffère d’ămeḳḳar « frère aîné ». — imehouâr ⵎⵂⵓⵔ sm. φ (pl. s. s.), daṛ mehouâr ‖ gens des temps anciens ‖ v. ⵎⵉ imeiien. — mehehouer ⵎⵂⵂⵓⵔ va. f. 2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imhehouer, iemîhehouer, éd imhehouer, our imhehouer) ‖ chercher réc. à se précéder à (chez ; vers ; pour) (lutter de vitesse vers (ou pour) (lutter de vitesse pour aller à (ou chez) ; lutter de vitesse au suj. de)) ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. Peut avoir pour rég. dir. des p., des an., ou des actes ‖ se dit, p. ex., de p. ou d’an. en nombre qlconque qui cherchent, pour n’importe quel motif, à se précéder à un lieu, chez qlq’un, auprès d’un an. ou d’une ch. ; de 2 h. qui cherchent à se précéder auprès d’une fem., Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1521 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1522 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1523 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1524 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1525 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1526 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1527 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1528 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1529 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1530 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1531 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1532 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1533 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1534 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1535 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1536 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1537 m. s. q. le pr. ‖ aussi us. q. le pr. — atouet ⵜⵓⵜ sm. nv. f. 3bis ; φ (pl. itouîten ⵜⵓⵜⵏ), daṛ ĕtouet (ătouet), daṛ ĕtouîten ‖ fait d’être frappé ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 3bis. — ămseouet ⵎⵙⵓⵜ sm. nv. f. 1.2 ; φ (pl. imseouîten ⵎⵙⵓⵜⵏ), daṛ ĕmseouîten ‖ fait de se rejoindre réc. l’un l’autre en coupant à travers pays ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1.2. — ămseouat ⵎⵙⵓⵜ sm. nv. f. 1.2 ; φ (pl. imseouâten ⵎⵙⵓⵜⵏ), daṛ ĕmseouâten ‖ m. s. q. le pr. — ămâouat ⵎⵓⵜ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. imâouâten ⵎⵓⵜⵏ ; fs. tămâouat ⵜⵎⵓⵜ ; fp. timâouâtîn ⵜⵎⵓⵜⵏ), daṛ mâouâten, daṛ tmâouâtîn ‖ conducteur [de bétail] (en le poussant devant soi) ; joueur [d’un instrument de musique] ; voleur [de chameaux, de chevaux] ‖ ce que conduit, ce dont on joue, ce que vole un ămâouat se met au gén. — téouété ⵜⵓⵜⵉ sf. φ (pl. tiouit ⵜⵓⵜ), daṛ tăouété (tĕouété), daṛ touit ‖ coup ‖ se dit des coups de toute sorte, forts ou faibles, donnés avec la main, le pied, une partie du corps qlconque, un objet tenu à la main, arme, bâton, instrument, etc. Ce avec quoi un coup est donné se met au gén., ou est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. s « au moyen de ». — tăouté ⵜⵓⵜⵉ sf. φ (pl. tioutiouîn ⵜⵓⵜⵓⵏ), daṛ tĕoutiouîn ‖ bétail (qlconque) ‖ le pl. tioutiouîn signifie « des bétails (plusieurs collections de bétail) », c. à d. le bétail de 2 ou plusieurs propriétaires ou des bétails d’espèces différentes (p. ex. des chèvres et des chameaux) d’un même propriétaire. Tioutiouîn est moins employé que tăouté ; tioutiouîn peut touj. se remplacer par tăouté expression collective et générale ‖ tăouté ta meḳḳĕret « bétail qui ayant été grand (grand bétail) » signifie « gros bétail » ; tăouté ta anḍerret « bétail qui ayant été petit (petit bétail) » signifie « menu bétail » ‖ syn. de tela empl. d. ce s. et beaucoup moins us. que lui. — ămeouât ⵎⵓⵜ sm. φ (pl. imeouâten ⵎⵓⵜⵏ), daṛ meouâten ‖ vent qui suit une pluie et qui vient du même côté que la pluie ‖ se dit de tout vent fort ou faible qui suit une pluie et qui vient de la même direction que les nuages qui ont produit la pluie ‖ v. ⴹⵔ tăḍarout. — teouâtouat ⵜⵓⵜⵓⵜ sf. φ (pl. tiouâtouâtîn ⵜⵓⵜⵓⵜⵏ), daṛ touâtouâtîn ‖ éventail ‖ les Kel-Ăh. ne se servent pas d’éventails ‖ peu us. — tesaouat ⵜⵙⵓⵜ sf. φ (pl. tisaouâtîn ⵜⵙⵓⵜⵏ), daṛ tsaouâtîn ‖ monte [d’un chameau étalon qui n’a pas d’époque de rut et est toujours prêt à la monte] (acte sexuel [d’un chameau étalon qui n’a pas d’époque de rut et est disposé en tout temps à aller à la chamelle]) ‖ ne se dit que des chameaux ; ne se dit pas des chamelles ‖ ex. amis oua-reṛ issân tesaouat ⁒ ce chameau-ci sait la monte en tout temps et n’a pas d’époque de rut (ce chameau-ci n’a pas d’époque de rut et est capable de faire la monte en tout temps). ⵓⵜ ouet ⵓⵜ pr. pers. suj. (isolé) (forme irrégulière) ; 2e p. mp. ‖ vous ‖ v. ⵉ i (é). ⵓⵜⵉ ăouétai ⵓⵜⵉ sm. φ (pl. ioutiân ⵓⵜⵉⵏ), daṛ outiân ‖ an ; année ‖ ăouétai s’emploie qlqf. suivi de la prép. d (ed) « dans » en remplacement de la prép. daṛ « dans ». Sur cet emploi et les particularités qui l’accompagnent, voir ⴷ d (ed) ‖ bien que les Kel-Ăh. divisent l’année par mois lunaires correspondant à ceux de l’année musulmane, ils ne décomptent pas les années par années de mois lunaires ni d’après l’ère musulmane. Les dates du calendrier musulman leur sont inconnues. Le mot « année » signifie pour eux soit 12 mois compris entre un mois qlconque et le même mois revenant un an plus tard, soit une période approximative comprise entre le milieu d’un hiver et le milieu de l’hiver suivant. Ils décomptent les annés par périodes approximatives comprises entre le milieu d’un hiver et le milieu de l’hiver suivant ; ces annés, qui correspondent, dans leur ensemble, aux années solaires, sont distinguées les unes des autres non par une date mais par un surnom ; chacune de ces années solaires reçoit son nom d’après un des évènements qui l’ont marquée. Voir ci-dessus les noms des années de 1860 à 1906 ‖ v. à ⵍ tallit les noms des mois lunaires et des mois solaires ‖ ăouétai oua iglĕn « l’an qui étant parti », ăouétai oua ioukĕien « l’an qui étant passé », nai-aḍân « l’autre année (l’an passé) », sont syn. et signifient « l’an dernier (l’an passé) » ‖ ăouétai ouâ-reṛ « cette année-ci », têné tâ-reṛ « cette année-ci », têné ouâ-reṛ « cette année-ci », sont syn. et signifient « cette année-ci (dans laquelle nous sommes) » ‖ ăouétai oua dd-iglĕn « l’année qui étant partie pour venir ici », ăouétai oua dd-imâlen « l’année qui venant ici », ăżen « l’année prochaine », sont syn. et signifient « l’an prochain (l’année prochaine) » ‖ ăouétai oua ihrĕien « l’année qui étant venue après (l’année qui suivi ; l’année qui suit ; l’année qui suivra) [l’année mentionnée] » ; sans rég. dir., il est hab. syn. de ăżen et signifie « l’an prochain » ‖ ăouétai oua hé ilkemen « l’année qui devant suivre », suivi d’un régime, signifie « l’année qui suivra [l’année mentionnée] » ; sans régime, il est syn. d’ăżen et signifie « l’an prochain » ‖ ăouétai oua ilkĕmen « l’année qui ayant suivi » est presque touj. employé avec un complément ; il signifie hab. « l’année qui a suivi [l’année mentionnée] » ‖ ăouétai oua ilkĕmen signifie qlqf. « l’année qui a été la dernière (la dernière année) [dans une série d’années] » ; ăouétai oua hé ilkemen signifie qlqf. « l’année qui sera la dernière (la dernière année) [dans une série d’années] » ; ces expr. sont presque touj. accompagnées d’un complément ‖ v. le s. d’ioutiân oui eglĕnîn et d’ioutiân oui dd-eglĕnîn à ⴳⵍ egel, d’ioutiân oui oukĕinîn à ⴾⵉ aki, d’ioutiân oui d-mâlnîn à ⵎⵍ emel ‖ dans les cas où têné signifie « année », il est syn. d’ăouétai. v. ⵏⵉ nai-aḍân, têné ‖ les noms que les Kel-Ăh. ont donné aux années entre 1860 et 1906 sont les suivants. Certaines années portent 2 ou plusieurs noms. ⵓⵜⵓⵜ teouâtouat ‖ v. ⵓⵜ ăout. ⵓⵣⴶ ouezzaġ ⵓⵣⴶ sm. (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. ouezzâġen ⵓⵣⴶⵏ) ‖ nom d’une plante non persistante (« cenchrus echinatus L. » (Chudeau)) (ar. « kramkram ») ‖ p. ext. « grain produit par l’ouezzaġ ». Le grain produit par l’ouezzaġ est comestible ‖ l’ouezzaġ n’existe pas dans l’Ăh. ; il pousse à l’état sauvage en abondance dans l’Ăd. et l’Ăir. ⵓⵥⵍ oueżlet (Ta. 1) ⵓⵥⵍⵜ vn. prim. ; conj. 104 « deret (Ta. 1) » ; (iououĕżlet, ieououîżlet, éd ieououeżlet, our iououeżlet) ‖ être occupé (avoir de l’occupation ; avoir à faire ; être employé pour une affaire) ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. Ce à quoi le suj. est occupé est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. daṛ « dans » ‖ se dit d’une p., d’un an., ou d’une ch. qui sont employés pour n’importe quel travail ou n’importe quelle affaire. — żeoueżlet (Ta. 1) ⵥⵓⵥⵍⵜ va. f. 1 ; conj. 133 « sedderet (Ta. 1) » ; (iżoueżlet, ieżîoueżlet, éd iżeououeżlet, our iżoueżlet) ‖ occuper. — tâoueżlât (Ta. 5) ⵜⵓⵥⵍⵜ vn. f. 11 ; conj. 241 « tâderât (Ta. 5) » ; (itâoueżlât, our iteoueżlit) ‖ être hab. occupé. — żâoueżlât (Ta. 5) ⵥⵓⵥⵍⵜ va. f. 1.11 ; conj. 241 « tâderât (Ta. 5) » ; (iżâoueżlât, our iżeoueżlit) ‖ occuper hab. — ăoueżli ⵓⵥⵍⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. ioueżlîten ⵓⵥⵍⵜⵏ), daṛ oueżlîten ‖ fait d’être occupé. — ăżeououeżli ⵥⵓⵥⵍⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iżeououeżlîten ⵥⵓⵥⵍⵜⵏ), daṛ żeououeżlîten ‖ fait d’occuper. — ăoużlou ⵓⵥⵍⵓ sm. φ (pl. ioużlân ⵓⵥⵍⵏ), daṛ oużlân ‖ occupation (affaire) ‖ se dit de toute occupation, intellectuelle ou matérielle, importante ou non. ⵓⵣⵏ zeououezzen ⵣⵓⵣⵏ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (izouezzen, iezîouezzen, éd izeououezzen, our izouezzen) ‖ être étonné de ; s’étonner de ‖ ce dont on est étonné est rég. dir. ; cela peut être une p., und an., une ch., un acte, un évènement, etc., qui sont étonnants en n’importe quoi, en bien ou en mal ‖ syn. d’oukan, avec cette seule différence qu’il est actif tandis qu’oukan est neutre. Beaucoup moins us. qu’oukan. — zâouezzân ⵣⵓⵣⵏ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (izâouezzân, our izeouezzim) ‖ être hab. étonné de ; s’étonner hab. de. — ăzeououezzen ⵣⵓⵣⵏ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. izeououezzînen ⵣⵓⵣⵏⵏ), daṛ zeououezzînen ‖ fait d’être étonné de ; fait de s’étonner de. — ouezzan ⵓⵣⵏ sm. (pl. ouezzânen ⵓⵣⵏⵏ) ‖ étonnement (fait d’être étonné ; fait de s’étonner) ‖ p. ext. « chose étonnante ; chose extraordinaire ; merveille (en bien ou en mal) ; miracle ». Se dit des p., an., ch., actes, évènements, qui sont étonnants, extraordinaires, en n’importe quoi, en bien ou en mal ‖ i n ouezzan et i n ouezzânen sont syn. et signifient « un qui des ch. étonnantes (un qui est étonnant ; une ch. étonnante) » ; ti n ouezzan et ti n ouezzânen sont syn. et signifient « une qui des ch. étonnantes (une qui est étonnante ; une ch. étonnante) ». Ces 4 expressions sont syn. d’ouezzan employé d. les s. « chose étonnante ; chose extraordinaire ; merveille ; miracle » ; mais elles en diffèrent en ce qu’elles doivent s’accorder en genre et en nombre avec les subs. masc., les 2 dernières avec les subs. féminins ‖ syn. de tekount et beaucoup moins us. que lui ‖ d. les s. « ch. étonnante ; ch. extraordinaire ; merveille ; miracle », est syn. d’ăjâjib. v. ⵋⵋⴱ ăjâjib ‖ i n ouezzan, i n ouezzânen, ti n ouezzan, ti n ouezzânen sont syn. d’i n ăjâjib, i n joûjab, ti n ăjâjib, ti n joûjab. v. ⵋⵋⴱ ăjâjib ‖ v. ⴾⵙⴹ ouksaḍ, soukseḍ. ⵓⵥⵥ ouażiż ⵓⵥⵥ sm. (pl. ouażîżen ⵓⵥⵥⵏ) ‖ engourdissement par le froid (fait d’être engourdi par le froid ; fait de s’engourdir à cause du froid) ‖ ne se dit que des p., des an., et des membres des p. et des an. ‖ diffère d’ădâhou, qui se dit de tout engourdissement de p. ou d’an. qlq. soit sa cause, et s’emploie surtout pour exprimer les engourdissements de membre causés par une compression ou une fausse position. |
Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/Pièce XXII | Joseph Guyot Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan Aubry, 1869 (p. 434). ◄ Pièce XXI Pièce XXIII ► Instructions de S. A. R. la grande duchesse de Toscane pour les malades de l’Hôtel-Dieu de Dourdan bookChronique d’une ancienne ville royale DourdanJoseph GuyotAubry1869ParisVInstructions de S. A. R. la grande duchesse de Toscane pour les malades de l’Hôtel-Dieu de DourdanChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvuChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvu/10434 Son Altesse Royalle, madame la Grande Duchesse de Toscane, soite que tous les malades de la ville soyent receu à l’hostel Dieu, a raison de cinq solz par jours, les enfens y seront receu ayant atint l’aage de sept ans, et depuis cette aage jusques a dix, les sœurs en receuvront deux pour un, ledit hostel Dieu fournira aux malades de la charité de tous leurs besoins. Les seurs ne receuvront point de femme accouchée et les dames de la charité donneront aux seurs quatre sols par jours pour leur porter la portion en leurs maisons et la charité leur fournira de linge et autres besoins qu’elles pouront avoir. Les seurs ne receuvront point dans l’hostel Dieu de personne qui seroient malades des escrouelles, du mal caduc, et des personnes qui perdent l’esprit hidropiques, pulmoniques ; quand ces personnes seront malades, la charité leur donnera a leur besoin de la manière quelle fait aux accouchées. Le jour de l’entrée des malades a l’hostel Dieu et le jour de la sortie ne seront contez que pour un jour. (Archives de l’Hospice.) P. 257. |
Dictionnaire touareg – français/H | Charles de Foucauld Dictionnaire touareg – français Texte établi par André Basset, Imprimerie nationale de France (p. 495-682). ◄ G ⴳ, Ġ ⴶ I ⵉ ► H ⵂ dictionaryDictionnaire touareg – françaisCharles de FoucauldImprimerie nationale de FranceParisCH ⵂFoucauld, Dictionnaire touareg.djvuFoucauld, Dictionnaire touareg.djvu/1495-682 ⵂ eh ⵂ va. prim. ; conj. 12 « eġ » ; ω (ihă, ihâ, éd ieh, our ihé) ‖ être dans ‖ l’impératif d’eh est très peu us. : On emploie hab. à sa place l’impér. d’emel « être (dans un lieu) » ou d’un autre verbe analogue ‖ peut avoir pour suj. et rég. dir. des p., des an., ou des ch. ‖ eh, empl. dans son sens propre « être dans », est touj. immédiatement suivi de son rég. dir., à moins que celui-ci ne soit un pronom le précédant. Quand le suj. d’eh « être dans » le suit, et que son rég. dir. le suit aussi, celui-ci est touj. un pron. affixe représentant le subs. qui, d’après le sens de la phrase, devrait être régime direct et se rapportant avec lui en genre et en nombre ; ce subs. est placé après le suj., en apposition avec le pr. af. rég. dir. (Ex. our essineṛ édeg oua hĕn ⁒ je ne sais pas le lieu que ils ont été dans (je ne sais pas dans quel lieu ils ont été ; ou : je ne sais pas dans quel lieu ils sont) = midden hân édeg ou-în ⁒ les h. sont dans ce lieu là = hân tenet eddoûnet, tăṅṛârîn ? ⁒ sont dans elles des gens, les ravines ? (y a-t-il des gens dans les ravines ?) = ih ê Kenân, éhen ? – ih ê ⁒ est dans elle K., la tente ? (K. est-il dans la tente ?). – il est dans elle (il y Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/496 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/497 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/498 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/499 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/500 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/501 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/502 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/503 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/504 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/505 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/506 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/507 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/508 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/509 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/510 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/511 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/512 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/513 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/514 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/515 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/516 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/517 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/518 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/519 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/520 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/521 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/522 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/523 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/524 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/525 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/526 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/527 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/528 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/529 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/530 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/531 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/532 — ăzehheġîri ⵣⵂⴶⵔⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. izehheġîrîten ⵣⵂⴶⵔⵜⵏ), daṛ zehheġîrîten ‖ fait de faire se traîner sur le sol ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăheġâra ⵂⴶⵔⴰ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. iheġârâten ⵂⴶⵔⵜⵏ ; fs. tăheġârat ⵜⵂⴶⵔⵜ ; fp. tiheġârâtîn ⵜⵂⴶⵔⵜⵏ), daṛ heġarâten, daṛ theġârâtîn ‖ hom. (ou an.) lent à l’excès ‖ le fp. tiheġârâtîn sign. p. ext. « gros nuages noirs et près de terre échelonnés les uns derrière les autres ». Les tiheġârâtîn ne se voient dans l’Ăh. qu’en hiver et sont touj. froides. Syn. de tibii. v. ⴶⵏ aġenna. — ăhaġéré ⵂⴶⵔⵉ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. ihaġérîten ⵂⴶⵔⵜⵏ), daṛ haġérîten ‖ nom d’une plante non persistante (« stipa tortilis Desf. » (B. T.)). ⵂⴳⵔ ăhaggar ⵂⴳⵔ sm. φ (pl. ihaggâren ⵂⴳⵔⵏ ; fs. tăhaggart ⵜⵂⴳⵔ⵿ⵜ ; fp. tihaggârîn ⵜⵂⴳⵔⵏ), daṛ haggâren, daṛ thaggârîn ‖ touareg noble (d’une des tribus nobles de l’Ăhaggar, de l’Ajjer, ou des Tăitoḳ) ‖ ne signifie ni touareg noble d’une tribu noble touaregue qlconque, ni hom. noble de n’importe quels pays, race, religion ‖ diffère d’ămâjeṛ « touareg noble (d’une des tribus nobles de l’Ăir, des Ioullemmeden, ou des Kel-Geres) », qui sign. p. ext. « hom. noble (de naissance) (de n’importe quel pays, de n’importe quelle race, et de n’importe quelle religion) » ‖ les Touaregs semblent se diviser en 7 groupes principaux, Kel-Ăhaggar, Kel-Ajjer, Tăitoḳ, Kel-Ăir, Kel-Ădṛaṛ, Ioullemmeden, Kel-Geres ; les 3 premiers habitent la partie N. du Sahara et sont surtout en relations avec l’Algérie, les 4 autres habitent la partie S. du Sahara ou le Soudan et ont presque toutes leurs relations avec le Soudan. Chacun d’eux, à l’exception des Kel-Ădṛaṛ, est divisé en 3 castes, les nobles (ăhaggar chez les uns, ămâjeṛ chez les autres), les plébéiens vassaux (ămeṛid), les esclaves (akli). Chez les Kel-Ădṛaṛ, il y a 3 castes aussi ; mais la caste supérieure n’est pas appelée « noble » ; elle est formée d’une seule tribu, les Ifôṛas (ms. Ăfâṛis), composée d’éléments variés, chérifs, marabouts, arabes, etc., et regardée com. tribu maraboutique et non com. tribu noble ; les 2 castes inférieurs sont, com. dans les autres groupes, les plébéiens vassaux et les esclaves ‖ le mot ăhaggar est, dans ses lettres radicales, le même que le mot Houara ⵂⵓⵔ, car la lettre ⵓ redoublée devient la plupart du temps ⴳ redoublé, et ⵓ permute fréquemment avec ⴳ. D’autre part, le mot Oûraṛen, nom de la principale tribu noble des Kel-Ajjer, est, dans ses lettres radicales, le même que le mot Aouriṛa. On sait, par les écrivains arabes, qu’une tribu berbère de Houara et une tribu berbère d’Aouriṛa habitaient le Fezzan à une époque historique. Si l’on remarque que les mots Ilemtéen et Ilemtien sont, dans leurs lettres radicales, les mêmes que le mot Lemta, (Ilemtéen est le np. d’une petite tribu touaregue habitant l’Ajjer ; Ilemtien est le nom dont les populations berbères du Touat et du Tidikelt se servent de nos jours pour désigner, en langue berbère, tous ceux que les Arabes appellent « Touareg » et que les Kel-Ăhaggar appellent Imoûhaṛ) ; que les Kel-Ăhaggar appellent actuellement Tărġa la région appelée Fezzan par les Arabes, et que c’est certainement de ce nom Tărġa que vient le mot arabe « Touareg » (v. Benhazera ; six mois chez les Touareg du Ahaggar) ; que le nom de Tărġa et celui de Lemta figurent, l’un à côté de l’autre, dans le Sahara tripolitain, sur des cartes géographiques du 17e siècle (v. O. Dapper ; description de l’Afrique ; 1686) ; que le mot « touareg » a, pour les Arabes du Tidikelt 2 sens distincts, un sens restreint qui est exclusivement celui de « touareg noble », et un sens étendu qui est celui de « touareg (qlconque) » : on peut admettre que la tribu berbère des Houara, dont le nom s’est transformé en Ăhaggar, a émigré du Fezzan vers le massif montagneux qui a pris son nom, l’a conquis, a réduit à l’état de plébéiens vassaux (ămeṛid) les fractions berbères qui l’habitaient, que son nom y est devenu syn. de « noble » parce qu’elle était la tribu conquérante et souveraine, et qu’après s’être communiqué au massif montagneux central qui est comme la citadelle de la contrée et en est la seule partie touj. habitée, il s’est étendu à toute la région soumise à sa domination. (v. Victor Picquet ; les civilisations de l’Afrique du Nord) ‖ les Touaregs nobles Kel-Ăhaggar sont aujourd’hui au nombre de 60 ou 80 familles, les Touaregs nobles Tăitoḳ sont à peine 15 familles. Ils sont presque tous pauvres. Autrefois ils étaient beaucoup plus nombreux et riches. Les expéditions lointaines les ont décimés. Il y a 100 ou 150 ans, la condition des plébéiens vassaux était dure ; les nobles exigeaient d’eux de lourdes redevances, se faisaient héberger et entretenir par eux, se faisaient donner par eux de gré ou de force tout ce qui leur convenait ; à cette époque, les ămeṛid ne possédaient pas des chameaux, les nobles seuls en avaient, les ămeṛid ne possédaient que des chèvres, d’où leur est resté le nom de kel-oulli « gens de chèvres » sous lequel ils sont très souvent désignés. À mesure que les nobles ont diminué de nombre, par suite des expéditions et des guerres dont ils ont, pendant longtemps, fourni seuls ou presque seuls les contingents, les ămeṛid ont gagné en force et amélioré leur condition ; ils ont acquis des chameaux, cultivé le sol, et à peu près toute la richesse est passée en leurs mains ; aujourd’hui, comme nombre et comme fortune, ils sont toute la force du pays. L’occupation de l’Ăhaggar par la France a donné le coup de grâce à la puissance des nobles : elle a établi l’égalité ; elle a ôté aux nobles la suprématie sur les ămeṛid et leur a retiré le droit de rien exiger d’eux ; ils ne gardent que la noblesse de sang ; les ămeṛid restent plébéiens de sang mais ne sont plus vassaux ‖ sur l’origine des nobles et des plébéiens de l’Ăh., et sur les peuples qui ont habité l’Ăh. avant eux, il existe 2 faisceaux de traditions : le 1er, mêlé de fables et de légendes, est universellement connu et presqu’ universellement accrédité dans l’Ăh. ; le 2d, beaucoup plus simple, n’est connu et cru que d’un petit nombre d’hom. appartenant aux familles ămeṛid les plus distinguées. — Voici le 1er. À une époque relativement récente, 2 femmes musulmanes, appartenant aux Berâber marocains, arrivèrent, venant du Maroc, à la palmeraie de Sîlet (Ăhaggar). Ces 2 femmes étaient de conditions inégales ; l’une, noble, s’appelait Ti-n-hînân ; l’autre, plébéienne, vassale et servante de la 1ère, s’appelait Tăkăma (ou, selon d’autres, Temâlek). Avaient-elles d’autres femmes, des hommes, avec elles ? qui eurent-elles pour époux ? on l’ignore. On sait qu’elles trouvèrent le pays vide ou à peu près vide d’habitants et qu’elles s’y établirent tout à fait pacifiquement. Toutes les régions entourant l’Ătakôr, toutes les parties basses et cultivables étaient inhabitées ; seuls qlq. idolâtres nommés Isebeten, vivaient dans les monts Tăé̆ssa, les plus inaccessibles de l’Ătakôr. Le pays avait eu antérieurement une population nombreuse, attestée par les palmeraies de Sîlet et d’Ennedid, les figuiers de Tit, Terhenânet, etc., qui existaient à l’arrivée de Ti-n-hînân, par les anciens ouvrages de canalisation que les travaux modernes mettent à jour, par les épées gigantesques et les grands ossements humains qu’on trouve qlqf. en fouillant le sol, par les nombreux tombeaux préhistoriques, cercles de prière et autres monuments préhistoriques épars dans l’Ăh., par les puits des déserts qui entourent l’Ăh., puits creusés par des races antérieures aux Touaregs, à une époque inconnue d’eux, et dont les margelles, usées par les cordes et successivement exhaussées, prouvent la haute antiquité. Comment le pays était-il vide, après avoir été si habité ? La guerre avait probablement détruit ses habitants. Les « Ṣeḥḥaba » (« compagnons de Mahomet », nom sous lequel on désigne les 1ers conquérants arabes) avaient, croit-on vaguement, traversé l’Ăhaggar, et en le traversant ils l’avaient dévasté et avaient exterminé ses habitants presque jusqu’au dernier. Cette population détruite par les « Ṣeḥḥaba », qui avait précédé immédiatement les Touaregs actuels dans l’Ăhaggar, était le peuple idolâtre des Isebeten ; les Isebeten étaient courts d’esprit, ils parlaient la langue touaregue mais en un dialecte spécial et grossier ; un de leurs rois, Ăkkar, est enterré au pied du mont Ăsekrem, au cœur de l’Ătakôr, dans un tombeau monumental qu’on voit encore. À l’arrivée de Ti-n-hînân, les derniers restes des Isebeten vivaient dans les cavernes des monts Tăé̆ssa ; ils voyaient de loin la plaine blanche d’Ăġanar, la regardaient comme une divinité et la redoutaient. Certains Touaregs plébéiens de la tribu des Dăg-Ṛâli sont regardés comme ayant parmi leurs ascendants masculins des Isebeten. Ti-n-hînân s’établit à Ăbalessa ; elle eut une fille, Kella, de laquelle descendent tous les Kel-Ṛela. Tăkăma eut 2 filles ; de l’une descend la tribu noble de 2d ordre des Ihaḍânâren, de l’autre descendent les 2 tribus plébéiennes des Dăg-Ṛâli et des Ăit-Loaien. Ti-n-hînân donna les palmeraies de Sîlet et d’Ennedid aux 2 filles de Tăkăma, aux descendants desquelles elles appartiennent encore. Longtemps les Kel-Ṛela, les Dăg-Ṛâli et les Ăit-Loaien vécurent seuls dans l’Ăh., peu nombreux, sans chameaux, chassant le mouflon et faisant paître qlqes chèvres leur seule propriété ; ils ne sortaient pas de l’Ăh., ne voyageaient pas, ne connaissaient ni le Tidikelt, ni l’Ăir, ni l’Ăd. Peu à peu, leur nombre crût. Ils excitèrent l’envie des Kel-ăhen-mellen et des Téġehé-mellet qui habitaient le Tidikelt ; ceux-ci, com. les Tăitoḳ, les Oûraṛen et les Touareg de l’Ăjjer, ont une origine différente de celle des Kel-Ṛela et n’ont rien de commun avec Ti-n-hînân ni Tăkăma. Les Kel-ăhen-mellen et les Téġehé-mellet envahirent l’Ăh., se portèrent sur Ennedid où s’élevait alors un village, centre des Dăg-Ṛâli, prirent la village et le brûtèrent ; les Dăg-Ṛâli s’assemblèrent, surprirent leurs agresseurs à Tâhârt dans la vallée d’Oûtoûl, et les massacrèrent presque tous ; ils s’emparèrent de leurs chameaux, et c’est alors qu’ils commencèrent à posséder des chameaux. Les Kel-Ṛela, Dăg-Ṛâli et Ăit-Loaien, continuant à croître en nombre et en forces, commencèrent à sortir de leur pays. De gré ou de force, ils installèrent dans le SW. de l’Ăh. une tribu de l’Ăir, originaire d’Iṅġâl, les Âġouh-en-tĕhlé, à une époque récente. Il y a qlq. générations seulement, ils accueillirent les descendants d’une esclave des Imenân, qui s’alliant aux uns et aux autres et surtout aux Ahl-Ạzzi d’Insalah, formèrent la tribu des Iklân-en-tăousit. Enfin, à une époque très récente, ils contraignirent, par la force, la collection de dix tribus appelée Iseḳḳemâren à quitter le plateau de Tademait (entre Touat, Gourara et Tidikelt), qu’elle habitait, et à venir s’installer sur leur territoire pour les renforcer. Les Kel-Ăh. ne peuvent fixer aucune date pour ces évènements, mais ils s’accordent à dire que Ti-n-hînân et sa compagne étaient musulmans, marocaines, Berâber, et que leur établissement dans l’Ăh. a été pacifique et est récent. — Voici le 2d faisceau de traditions. Une femme, nommée Lemtoûna, est la mère commune de tous les Touaregs, de la tribu des Ilemtéen (tribu faible maintenant, nombreuse autrefois) et de certaines tribus berbères établies à Ghadamès (Tripolitaine) et dans son voisinage. Lemtoûna a eu une sœur, qui est la mère commune de la plupart des tribus berbères du Maroc et notamment du groupe de tribus marocaines appelé Berâber. Les Isebeten, peuple idolâtre de langue touaregue qui habitait l’Ăh. avant que l’islam s’y établit, sont les ancêtres des plus anciennes tribus plébéiennes (ămeṛid) de l’Ăh., tandis que les nobles sont venus d’une autre contrée à une époque postérieure et ont une origine différente. C’est par vive force, guerre et conquête que les nobles s’emparèrent de l’Ăh. ; ils vainquirent et réduisirent en une demi servitude qui s’adoucit avec le temps les Isebeten, qui formaient la population de l’Ăh. au moment où ils y entrèrent, et dont les descendants sont les plus anciennes tribus plébéiennes (ămeṛid) de l’Ăh., c. à d. les Dăg-Ṛâli et les Ăit-Loaien. Pour les Âġouh-en-tĕhlé, les Iklân-en-tăousit et les Iseḳḳemâren, le 2d faisceau de traditions s’accorde avec le 1er en ce qui touche leur origine, leur récent établissement dans l’Ăh., et les circonstances de leur établissement ‖ sur l’origine des Touaregs du Nord et du Sud-Est (Kel-Ăhaggar, Kel-Ăjjer, Tăitoḳ, Kel-Ăir), v. Lieutenant Gardel ; les Touareg-Ajjer ‖ les principales tribus de l’Ăhaggar sont : 1o tribus nobles : Kel-Ṛela, Inemba, Iboglân, Ikerremoien, Téġehé-mellet, Ikadeien, Ikenbîben ; 2o tribus plébéiennes (imṛad) : Dăg-Ṛâli, Ăit-Loaien, Âġouh-en-tĕhlé, Ṛelaiddîn, Ibettenâten, Ireġenâten, Iklân-en-tăousit, Ifereggânen, Ihṛaien ; 3o tribus plébéiennes (Iseḳḳemâren) : Kel-Tăżoûlet, Kel-Ămeġid, Kel-Tăfedest, Kel-Immîdir, Kel-Ouhet, Kel-Teroûrit, Kel-Iṅṛer, Iheiaouen-Hâda, Iselâmâten. — Les principales tribus du groupe des Tăitoḳ sont : 1o tribus nobles : Tăitoḳ, Iṛechchoûmen ; 2o tribus plébéiennes (imṛad) : Kel-Ăhnet, Téġehé-n-Ĕfis, Ioueroueren, Ikechchemâḍen ; 3o tribu plébéienne (Iseḳḳemâren) : Kel-I-n-toûnîn. — Les principales tribus de l’Ăj. sont : 1o tribus nobles : Oûraṛen, Imaṅṛasâten, Ihaḍânâren, Kel-Iżebân ; 2o tribu maraboutique : Ifôṛas ; 3o tribus plébéiennes (imṛad) : Imeḳḳérṛesen, Kel-Tôbren, Kel-Ăġerâġer, Kel-Ăherir, Ifîlalen, Ifereḳḳenen, Ioueroueren, Kel-Âras, Isesmeḍen, Ikerkoûmen, Iserekkîten, Ibetâmen, Ikîlżen ; 4o tribu ni noble ni plébéienne : Imeṭṭerîlâlen ‖ on a placé le mot ăhaggar aux lettres ⵂⴳⵔ et non aux lettres ⵂⵓⵔ, bien que le ⴳ redoublé soit certainement en remplacement d’un ⵓ redoublé, parce que, de nombreux mots contenant la lettre ⵂ sans qu’elle appartienne à leur racine, il reste incertain si la racine d’ăhaggar est ⵂⵓⵔ ou ⵓⵔ. — Ăhaggar ⵂⴳⵔ ⁂ sm. (s. s. pl.) ‖ massif montagneux central du pays des Kel-Ăhaggar (massif de forme ovale, dont l’altitude varie entre 2.000 et 3.000 mètres, et qui est compris entre 23° et 23°30′ lat. N. et 2°50′ et 3°40′ long. E.) ‖ syn. d’Ătakôr-n-Ăhaggar, de Tăkerkort-n-Ăhaggar, de Tehount-n-Ăhaggar, ainsi que d’Ătakôr, de Tăkerkort et de Tehount, abbréviations des 3 expressions précédentes, et d’Ăhaġ empl. d. ce s. ‖ Ăhaggar est le nom propre du massif montagneux central du pays des Kel-Ăhaggar et le terme le plus employé de beaucoup pour le désigner ; les 7 autres expressions n’en sont que des surnoms. — Ăhaggar ⵂⴳⵔ ⁂ sm. (s. s. pl.) ‖ pays tout entier des Kel-Ăhaggar (territoire soumis à la domination des Kel-Ăhaggar, compris entre le Tidikelt, l’Ăhnet, l’Ădṛaṛ, l’Ăir et l’Ăjjer) ‖ p. ext. Ăhaggar s’emploie qlqf. d. le s. de « les Kel-Ăhaggar ». On dit, p. ex., « l’Ăhaggar a fait ceci » dans le sens de « les Kel-Ăhaggar ont fait ceci ». — Kel-Ăhaggar ⴾⵍⵂⴳⵔ ⁂ sm. pl. (ms. ăgg-Ăhaggar ⴳⵂⴳⵔ ; fs. oult-Ăhaggar ⵓⵍ⵿ⵜⵂⴳⵔ ; fp. chêt-Ăhaggar ⵛⵜⵂⴳⵔ) ‖ gens de l’Ăhaggar (np. des Touaregs qui habitent le territoire de l’Ăhaggar, en un seul corps de nation, sous le commandement d’un chef unique appelé ămenoûkal) ‖ ce nom s’applique à tous les membres de la nation, à qlq. tribu qu’ils appartiennent, sans distinction de nobles ni de plébéiens ‖ v. ⵂⵗ aheṛ, Ămâhaṛ. — tăhaggart ⵜⵂⴳⵔ⵿ⵜ sf. (s. s. pl.) ‖ dialecte de l’Ăhaggar (dialecte tămâhaḳ parlé par les Kel-Ăhaggar, les Kel-Ăjjer et les Tăitoḳ) ‖ les Touaregs parlent tous la même langue appelée tămâhaḳ. Elle comprend 4 dialectes : la tăhaggart, parlée par les Kel-Ăhaggar, les Kel-Ăjjer et les Tăitoḳ ; la tăirt, parlée par les Kel-Ăir ; la tădṛaḳ (appelée dans l’Ădṛaṛ tădṛaḳ, et dans l’Ăh. taḍaḳ), parlée par les Kel-Ădṛaṛ ; la tăoullemmet, parlée par les Ioullemmeden, les Kel-Geres et les autres Touaregs du Soudan. — Ăhaggar-oua-heġrĭn ⵂⴳⵔⵓⵂⴶⵔⵏ ⁂ (m. à m. « Ăhaggar celui qui ayant été haut (haut-Ăhaggar) ») sm. (s. s. pl.) ‖ np. d’une des parties du massif montagneux central du pays des Kel-Ăhaggar. — Ăhaggar-oua-ġezzoŭlen ⵂⴳⵔⵓⴶⵣⵍⵏ ⁂ (m. à m. « Ăhaggar celui qui ayant été bas (bas-Ăhaggar) ») sm. (s. s. pl.) ‖ np. d’une des parties du massif montagneux central du pays des Kel-Ăhaggar. — Ihaggâren ⵂⴳⵔⵏ ⁂ (Ăir) sm. pl. φ (ms. Ăhaggar ⵂⴳⵔ ; fs. Tăhaggart ⵜⵂⴳⵔ⵿ⵜ ; fp. Tihaggârîn ⵜⵂⴳⵔⵏ), daṛ Haggâren, daṛ Thaggârîn ‖ surnom donné par les Kel-Ăir à un petit groupe de Kel-Ăṛefsa établi dans l’Ăir ‖ les Kel-Ăṛefsa sont une fraction des Âġouh-en-tĕhlé, tribu touaregue plébéienne (ămeṛid) de l’Ăh. ‖ le surnom Ihaggâren a le sens de « gens de l’Ăhaggar ». — Hoggar ⵂⴳⵔ ‖ corruption arabe du mot Ăhaggar. — hougger ⵂⴳⵔ vn. prim. ; conj. 95 « doukkel » ; (iehhoŭgger, iehhoûgger, éd iehhougger, our iehhougger) ‖ être touareg noble (d’une des tribus dont les membres s’appellent ăhaggar, c. à d. d’une des tribus nobles de l’Ăhaggar, de l’Ăjjer, ou des Tăitoḳ) ‖ diffère de moujer « être touareg noble (d’une des tribus dont les membres s’appellent ămâjer, c. à d. d’une des tribus nobles de l’Ăir, des Ioullemmeden, ou des Kel-Geres) », qui signifie p. ext. « être noble (de naissance) (à qlq. pays, race, religion qu’on appartienne) ». — ăhougger ⵂⴳⵔ sm. nv. prim. ; (s. s. pl.) ‖ fait d’être touareg noble (d. le s. ci. d.). — tăhouggera ⵜⵂⴳⵔⴰ sf. nv. prim. ; (s. s. pl.) ‖ m. s. q. le pr. ‖ p. ext. « noblesse touaregue (collection des Touaregs nobles qui s’appellent ăhaggar (d. le s. ci. d.)) ». (Ex. tăhouggera, neṛ ta-h ; tămeṛeda, neṛ ta-h ⁒ la noblesse touaregue, la voilà ; la plèbe vassale, la voilà (voilà les Touaregs nobles ; voilà les plébéiens vassaux)) ‖ peu us. d. le s. « fait d’être touareg noble ». Presque touj. employé d. le s. « noblesse touaregue ». — ăheggar (ăhiggar) ⵂⴳⵔ sm. φ (pl. iheggâren (ihiggâren) ⵂⴳⵔⵏ), daṛ heggâren (higgâren) ‖ datte (entière, non ouverte ni cassée) ‖ toute datte, fraîche ou sèche, qui n’est ni ouverte ni cassée, est un ăheggar ‖ diffère de té̆iné « dattes (qlconques, en qualité indéterminée, entières ou cassées, fraîches ou sèches) » ‖ diffère d’éferḍis « fragment de datte (fragment grand ou petit d’une datte fraîche ou sèche) ». ⵂⴳⵗ heggĕṛ ‖ v. ⵂⵓⵗ ihouaṛ. ⵂⵂ ihohân ⵂⵂⵏ sm. φ (pl. s. s.), daṛ hohân ‖ vapeur d’eau ‖ se dit de la vapeur d’eau qui s’exhale d’une eau chaude, d’une ch. humide et chaude, d’une p., d’un an., d’une surface humide qlconque ‖ diffère d’ettehouhou « vapeurs épaisses sortant du sol après une pluie et l’enveloppant d’une couche haute et dense » ‖ diffère de melamouk « vapeurs légères formant une nappe mince à la surface du sol après la pluie ». — ettehouhou ⵜⵂⵂⵓ sm. (pl. ettehouhoûten ⵜⵂⵂⵜⵏ) ‖ vapeurs épaisses sortant du sol après une pluie et l’enveloppant d’une couche haute et dense ‖ v. ci-dessus ihohân. ⵂⵂ tăhaha ⵜⵂⵂⴰ sf. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. tihahiouîn ⵜⵂⵂⵓⵏ), daṛ thahiouîn ‖ fruit sec de l’arbre appelé en tăm. abseṛ ‖ p. ext. 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Ne peut avoir pour rég. dir. que des p. ou des an. ‖ ex. ma kai ihlĕn ? – ihl i êḍes ⁒ quoi t’ayant attardé ? (qu’est-ce qui t’a attardé ?). – m’a attardé le sommeil (ce qui m’a attardé, c’est que j’ai dormi) = ihl i stenfous foull ăżamai, ik̤rĕk ⁒ m’a attardé [mon] aiguille pour la couture, elle s’est égarée = Moûsa ihlâ ṛour ĕmnâs, our essineṛ ma ikânn ⁒ M. s’attarde auprès des chameaux, je ne sais pas ce qu’il fait = imnâs ehlĕn, ma ġĕn ? ⁒ les chameaux se sont attardés, qu’ont-ils fait ? (les chameaux tardent, que font-ils ?) ‖ p. ext. « divertir (amuser) » (Ex. Moûsa ihl âneṛ s ăouâl ⁒ M. nous a attardés par [ses] paroles (ou : M. nous a divertis par ses paroles) = Dâssin, ehl âneṛ s imżad ⁒ D., divertis-nous par le violon (D., divertis-nous en jouant du violon) = Koûka tehl i s tmeḳḳâs ⁒ K. m’a attardé par des historiettes (ou : K. m’a diverti par des historiettes)) ‖ p. ext. « mettre en retard ». D. ce s., est syn. de żoużi ‖ lorsqu’on dit qu’un h. de mœurs libres a attardé ou diverti une f. de mœurs libres, ou réciproquement, sans indiquer la cause de l’attardement ou le genre du divertissement, cela sign. souv. qu’ils se sont attardés et divertis ensemble par l’ăhâl et l’asri ‖ diffère de ṛenouṛen « tarder un peu ; s’attarder un peu ; attendre un peu (n.) ». — nemehli ⵏⵎⵂⵍⵉ vn. f. 2bis ; conj. 49 « medeggou » ; (inmehla, ienîmehla, éd inmehli, our inmehla) ‖ s’attarder réc. l’un l’autre ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — hâll ⵂⵍ va. f. 5 ; conj. 217 « lâss » ; ω (ihâll, our ihell) ‖ attarder hab. ‖ a aussi les s. pas. et pron. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — tînmahli ⵜⵏⵎⵂⵍⵉ vn. f. 2bis.12 ; conj. 244 « tîmendou » ; (itînmehli, our itenmehli) ‖ s’attarder hab. réc. l’un l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2bis. — tăhellaout ⵜⵂⵍⵓⵜ sf. nv. prim. ; φ (pl. tihellaouîn ⵜⵂⵍⵓⵏ), daṛ thellaouîn ‖ fait d’attarder ; attardement ‖ a aussi les s. pas. et pron. « fait d’être attardé » et « fait de s’attarder » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ănmehli ⵏⵎⵂⵍⵉ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmehlîten ⵏⵎⵂⵍⵜⵏ), daṛ ĕnmehlîten ‖ fait de s’attarder réc. l’un l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2bis. — ăhâl ⵂⵍ sm. φ (pl. ihallen ⵂⵍⵏ), daṛ hallen ‖ réunion galante (réunion de jeunes hom. et de jeunes fem. assemblés pour se divertir entr’eux) ‖ en principe, les jeunes filles, les jeunes femmes et les hom. encore jeunes et non mariés ou dont les épouses sont éloignées prennent seuls part aux ăhâl ; qlqf. les jeunes époux y vont aussi, ensemble, plutôt en spectateurs qu’en acteurs ; les hom. âgés n’y vont jamais ; les fem. âgées y vont assez souvent, mais comme spectatrices ou com. présidentes. Les vrais acteurs de l’ăhâl sont les hom. et les fem. qui pratiquent l’asri « liberté de mœurs », c. à d. les fem. actuellement non mariées, ne vivant pas dans la pénitence (aucune ne vit dans la pénitence dans l’Ăh.), et en âge d’être courtisées, et les hom. non mariés, ne vivant pas dans la pénitence (aucun ne vit dans la pénitence dans l’Ăh.), ou mariés mais éloignés de leurs épouses, et en âge de courtiser. Quand il y a dans un campement qlq. jeunes fem. et jeunes hom. non mariés, ils se réunissent chaque soir à la tombée de la nuit, soit en plain air à qlq. pas du campement, soit sous la tente d’une fem. vivant seule, soit sous une tente spéciale que les parents font dresser exprès pour les ăhâl. À mesure qu’ils arrivent, les jeunes femmes et les jeunes hom. s’asseyent les uns contre les autres, se mêlant. On cause, on plaisante ; s’il y a une joueuse de violon, elle joue ho-hôo ; qlqf. les hom. récitent ou chantent des vers ; qlqf. on joue à des jeux d’esprit. C’est là une partie de l’ăhâl ; pour certains de ses acteurs, c’est la seule, et l’ăhâl se borne pour eux à ce divertissement décent ; pour d’autres, l’ăhâl est mêlé d’asri « liberté de mœurs » ; ils font, entre homme et femme, des attouchements très libres et se donnent des rendez-vous pour le reste de la nuit. L’ăhâl cesse à l’heure de l’ăżoûżeġ « heure de la traie du soir (heure de la nuit close (environ 2h1⁄2 ou 3 h. après le coucher du soleil)) » ; à cette heure, chacun retourne à sa tente pour le repas du soir, et l’ăhâl général est terminé. Rarement l’ăhâl général recommence après le repas du soir ; cela ne se fait que pour cause exceptionnelle, p. ex. pour faire honneur à des étrangers de passage ; même dans ce cas, l’ăhâl général n’est pas aussi nombreux qu’avant le repas du soir. L’ăhâl du soir est de règle partout où se trouvent qlq. jeunes fem. et jeunes hom. non mariés, il n’est pas le seul, on peut en outre se réunir de jour, à n’importe quelle heure, une ou plusieurs fois, pour des ăhâl qui sont semblables à ceux du soir ; mais les ăhâl de jour sont moins réguliers, moins fréquents, et ils réunissent moins de monde que ceux du soir, à cause des occupations de la journée. Lorsqu’un campement est nombreux, il s’y tient parfois plusieurs ăhâl en même temps. Quand des campements sont peu éloignés l’un de l’autre, les jeunes hom. d’un campement vont souvent à l’ăhâl de l’autre. Parfois de jeunes hom. font plus de 200 kilomètres pour passer qlq. jours en visiteurs dans un campement où il y a un ăhâl agréable. Les visites faites dans des campements étrangers, dans un but de galanterie, à une ou plusieurs fem. vivant dans l’asri « liberté de mœurs », s’appellent ărabouh ; l’hom. qui les fait est l’ăzerrebah des fem. qu’il visite ; la fem. qui les reçoit est la tăzerrebaht des hom. qui la visitent. On ne désigne jamais un ăhâl par le nom du chef du campement où il se tient, ni par aucun nom d’hom., mais par le nom d’une fem. ou d’un groupe de fem., p. ex. par le nom de la fem. dans la tente duquel il se tient, ou par celui de la fem. qui le préside hab., ou par celui d’une joueuse de violon qui y joue, ou par celui de la fem. dont l’agrément est le principal attrait de la réunion, ou par un pluriel comme « les filles d’un tel » ou « les femmes de telle tribu ». Les hom., surtout les étrangers, et surtout quand les ăhâl réunissent une nombreuse compagnie, n’y vont d’ordinaire qu’élégamment vêtus. Dans les ăhâl, les fem. et les hom. réunis élisent qlqf. une présidente ; qlqf. ils élisent une présidente et un président ; jamais ils n’élisent un président seul ; la plupart du temps ils n’élisent ni l’un ni l’autre ; la présidente s’appelle tamṛart n ăhâl, le président s’appelle aṛar n ăhâl ; leurs fonctions sont les mêmes et consistent à juger les différends qui s’élèvent par plaisanterie dans l’ăhâl et à y infliger par plaisanterie des pénitences ; ces fonctions durent ce que veulent ceux qui les on données, qlqf. une seule soirée, qlqf. plusieurs, qlqf. plus longtemps. On donne aussi parfois le nom de tamṛart n ăhâl à une fem., jeune ou vieille, dans la tente de laquelle on se rémit ordinairement pour l’ăhâl ‖ p. ext. « conversation galante (entre une fem. et 2 ou plusieurs hom., ou entre une fem. et un hom. en tête-à-tête) ». D. ce s., ăhâl peut signifier un simple entretien mêlé d’asri à un degré qlconque (l’asri comprend tous les actes de liberté de mœurs sans exception, depuis les moindres jusqu’aux plus graves) ; ăhâl « conversation galante » est donc un terme vague qui peut signifier des choses très diverses. (Ex. Biska iġâmmei ăhâl daṛ Koûka ⁒ B. cherche à obtenir conversation galante de dans K. (B. cherche à obtenir de K. conversation galante ; c. à d. B. cherche à obtenir de K. des conversations galantes que ne sont que des simples entretiens ; ou : B. cherche à obtenir de K. des conversations galantes mêlées d’asri dans une mesure limitée ; ou : B. cherche à obtenir de K. un asri illimité)) ‖ ăhâl « conversation galante » est empl. qlqf. com. syn. d’asri « liberté de mœurs », pour exprimer la même ch. qu’asri en termes plus discrets ‖ messa s n ăhâl « maîtresse d’elle de la conversation galante (fem. qui posède, a, pratique la conversation galante) », ta n ăhâl « celle de la conversation galante », oult ăhâl « fille de la conversation galante », ta tesrĕiet « celle qui ayant pratiqué la liberté de mœurs (celle qui pratique la liberté de mœurs) », tămesroit « fem. pratiquant la liberté de mœurs » sont 5 expr. syn. signifiant « fem. pratiquant la liberté de mœurs ». (Ex. ma temoûs messa s n ăhâl daṛ hanân ? – elouânet. Okkôżet : Koûka, Mîmi, Hekkou, Fekkou ⁒ qu’est la maîtresse d’elle de la conversation galante dans les tentes ? (quelle est la fem. pratiquant la liberté de mœurs dans ce campement ?) – elles sont en grande quantité. [Elles sont] quatre : K., M., H., F. (il y en a beaucoup. Elles sont quatre : K., M., H., F.)). Dans l’ex. précédent, on pourrait, sans rien changer au sens, remplacer messa s n ăhâl par ta n ăhâl, oult ăhâl, ta tesrĕiet, ou tămesroit ‖ les 4 expr. messa s n ăhâl, ta n ăhâl, oult ăhâl et tămesroit sont empl. qlqf. dans le s. « ma (ta, sa) fem. pratiquant la liberté de mœurs (la fem. avec laquelle je (tu, il) pratique hab. la liberté de mœurs) », le pronom possessif étant s. e. Par délicatesse, quand les Kel-Ăh. se servent d’un de ces 4 termes pour désigner la fem. chez laquelle ils vont hab. en conversation galante, ils n’y joignent jamais de pron. possessif. Le sens général indique si un pron. possessif est s. e. ou non. (Ex. mani s tekkîd ? – messa s n ăhâl a kkîṛ ⁒ vers où vas-tu ? (où vas-tu ?). – une fem. pratiquant la liberté de mœurs ce que je vais chez (c’est chez une fem. pratiquant la liberté de mœurs que je vais ; ou : c’est chez la fem. avec laquelle je pratique hab. la liberté de mœurs que je vais)). Dans l’ex. précédent, on pourrait, sans rien changer au sens, remplacer messa s n ăhâl par ta n ăhâl, oult ăhâl, ou tămesroit ‖ ăout ăhâl « frapper ăhâl » signifie « faire réunion galante (ou conversation galante) ; tenir réunion galante (ou conversation galante) ». Souĕt ăhâl « faire [à qlq’un] frapper ăhâl » signifie « faire [à qlq’un] faire réunion galante (ou conversation galante) ; faire [à qlq’un] tenir réunion galante (ou conversation galante) » ; d. ce s., souĕt se construit av. un seul acc., qui est ăhâl ; la p. à qui le suj. fait tenir réunion (ou conversation) galante, c. à d. la p. avec laquelle le suj. tient réunion (ou conversation) galante se met au datif. Ăout ăhâl et souĕt ăhâl ne sont pas syn., bien que, dans certains cas, on puisse se servir indistinctement de l’un ou de l’autre : ăout ăhâl ne s’emploie pas avec un rég. au datif ; souĕt ăhâl s’emploie accompagné d’un datif exprimant la p. à laquelle on fait faire ăhâl, c. à d. avec laquelle on fait ăhâl. (Ex. 1. ouĕteṛ ăhâl ṛour Dâssin ⁒ j’ai fait ăhâl chez D. (c. à d. j’ai pris part à une réunion galante chez D. (ce qui peut se faire assis loin de D., dans une réunion nombreuse, sans lui dire un mot, ni être aperçu d’elle) ; ou : je me suis livré à une conversation galante chez D. (assis près d’elle, sans autre fem., avec 2 ou 3 hom. ou en tête à tête) ; ou : je me suis livré à une conversation galante chez D. (dans sa tente, ou dans son campement, avec une autre fem. qu’elle)) = 2. esoueteṛ ăhâl ṛour Dâssin ⁒ j’ai fait faire ăhâl chez D. (cette phrase est syn. de la précédente ; elle en a tous les sens et n’en a aucun d’autre) = 3. esoueteṛ ăhâl i Dâssin ⁒ j’ai fait faire ăhâl à D. (c. à d. je me suis livré à une conversation galante avec D., soit devant témoin, soit en tête à tête, en un lieu et dans des circonstances qlconques). Les mots esoueteṛ ăhâl i « j’ai fait faire ăhâl à » peuvent être dits par un hom. ou par une fem. ; mais il y a une distinction à faire : un hom. ne peut dire qu’il a fait faire ăhâl qu’à une seule fem. ; une fem. peut dire qu’elle a fait faire ăhâl à un, 2 ou plusieurs hom. = 4. Koûka tennă : esoueteṛ ăhâl i Moûsa ⁒ K. a dit : j’ai fait faire ăhâl à M. (c. à d. je me suis livré à une conversation galante avec M., soit devant témoins, soit en tête à tête, en un lieu et dans des circonstances qlconques) = 5. ousĕn-d Moûsa d Kenân Koûka, tesouet âsen ăhâl ⁒ sont arrivés M. et K., elle leur a fait faire ăhâl (M. et K. sont arrivés chez K., elle s’est livrée avec eux à une conversation galante) = 6. ak ahel eggâteṛ ăhâl ṛour Dâssin ⁒ chaque jour je fais ăhâl chez D. (a t. les s. c. à c. de l’ex. 1.) = 7. ak ahel sâouâteṛ ăhâl ṛour Dâssin ⁒ chaque jour je fais faire ăhâl chez D. (cette phrase est syn. de la précédente ; elle en a tous les sens et n’en a aucun autre) = 8. ak ahel sâouâteṛ ăhâl i Dâssin ⁒ chaque jour je fais faire ăhâl à D. (a t. les s. c. à c. de l’ex. 3.)) ‖ ăout « être frapée », ayant pour suj. ăhâl, sign. « se faire ; se tenir ». (Ex. ăhâl iouĕt enḍ ahel ṛour Hekkou ⁒ une réunion galante s’est tenue hier chez H. = ăhâl iouât dimardeṛ dăou tăbarekkat ⁒ une réunion galante se tient maintenant sous le tamarix = ak ahel ăhâl iggât daṛ tăṛezzit ⁒ chaque jour une réunion galante se tient dans le lit [de la vallée]) ‖ ăhâl « conversation galante » est souv. employé com. rég. dir. d’eġmi « chercher à obtenir » ou d’eġrou « obtenir » ; le sens de la phrase est différent selon que le nom de la p. de laquelle on cherche à obtenir ou obtient ăhâl est touj. un hom. ; celle de laquelle le suj. cherche à obtenir ou obtient ăhâl est touj. une fem. (Ex. 9. eġmĕier ăhâl daṛ Dâssin ⁒ j’ai cherché à obtenir conversation galante de dans D. (j’ai cherché à obtenir conversation galante de D. personnellement, soit devant témoins, soit en tête à tête, en un lieu et dans des circonstances qlconques) = 10. eġmĕieṛ ăhâl ṛour Dâssin ⁒ j’ai cherché à obtenir conversation galante de chez D. (j’ai cherché à obtenir conversation galante de D. personnellement, soit devant témoins, soit en tête à tête, en un lieu et dans des circonstances qlconques (la phrase est syn. de la précédente)) ; ou : j’ai cherché à obtenir conversation galante chez D. (c. à d. dans la tente ou dans le campement de D., soit d’elle-même soit d’une autre fem.) = 11. eġrĕoueṛ ăhâl daṛ Dâssin ⁒ j’ai obtenu conversation galante de dans D. (d. le s. c. à c. de l’ex. 9.) = 12. eġrĕoueṛ ăhâl ṛour Dâssin ⁒ j’ai obtenu conversation galante de chez D. (d. le s. c. à c. de l’ex. 10.) ; ou : j’ai obtenu conversation galante chez D. (d. le s. c. à c. de l’ex. 10.)) ‖ la phrase ekkîṛ ăhâl en Koûka « je vais à l’ăhâl de K. » peut avoir 2 sens : « je vais à la conversation galante de K. (je vais tenir conversation galante avec K., soit devant témoins, soit en tête à tête, en un lieu ou dans des circonstances qlconques) », ou « je vais à la réunion galante de K. (je vais à la réunion galante qui se tient chez K., ou que préside K., ou dont K. est une des joueuses de violon, ou dont K. est le principal attrait) » ‖ amṛar n ăhâl sign. « président de réunion galante » ; tamṛart n ăhâl sign. « présidente de réunion galante » ou « fem. (d’âge qlconque) dans la tente de laquelle on se réunit ordinairement pour les réunions galantes » ‖ ăbaraḍ n ăhâl et tăbaraṭ n ăhâl sont des expr. de louange qui signifient « jeune hom. (ou jeune fem.) fait pour les réunions galantes (qui a sa place marquée dans les réunions galantes, qui brille dans les réunions galantes) » ; elles sont les équivalentes d’ăbaraḍ n imżad, tăbaraṭ n imżad, et d’ăbaraḍ en tbarâḍîn. v. ⴱⵔⴹ ăbaraḍ ; v. ⵎⵥⴷ imżad ‖ l’ăhâl accompagné d’asri, et l’asri avec tout ce qu’il comporte, bien qu’interdits par la religion musulmane, sont universellement admis et permis dans l’Ăh., dans leur plénitude, sans que nul ne s’élève contr’eux ; ils sont universellement pratiqués par les pers. des 2 sexes non mariées et en âge de courtiser ou d’être courtisé. L’ăhâl accompagné d’actes d’asri et les actes d’asri ne sont interdits qu’aux fem. actuellement mariées ; si celles-ci se livrent à ces actes c’est en cachette, et pour elles ils sont qualifiés de tikra « vol (c. à d. adultère) » ‖ qlqf., mais rarement, ăhâl sign. p. ext. « assemblée (d’hom. seuls ; de fem. seules ; de guerriers) ». Empl. ainsi, il désigne hab. des assemblées nombreuses ‖ v. ⵏⴱⵔ enber, senber. — imehlân ⵎⵂⵍⵏ sm. φ (pl. s. s.), daṛ mehlân ‖ amusements ‖ on donne le nom d’imehlân à tous les jeux des enfants et des grandes personnes, à tout ce qu’ils font pour se distraire et se divertir, jeu avec des poupées ou des jouets qlconques, gais entretiens, contes amusants, plaisanteries, jeu d’instruments de musique, récitation ou chant de vers, fantasias de cavaliers, jeu de balle, jeux de hasard ou de combinaisons, cajoleries faites pour amuser, réunions galantes, conversations galantes, plaisirs de l’amour, etc. — hellou ⵂⵍⵓ sm. (pl. helloûten ⵂⵍⵜⵏ) ‖ flânerie (fait de s’attarder à des riens) ‖ ex. Koûka, ih êt hellou ⁒ K., est dans elle la flânerie (K. est flâneuse). — hellouhellou ⵂⵍⵂⵍⵓ sm. (pl. hellouhelloûten ⵂⵍⵂⵍⵜⵏ) ‖ m. s. q. le pr. ‖ plus us. q. le pr. — mehelhel ⵎⵂⵍⵂⵍ vn. prim. ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imhelhel, iemîhelhel, éd imhelhel, our imhelhel) ‖ être attardé (par un travail astreignant ; par des p., des an., des ch., des accidents qui dérangent continuellement) ‖ d. le s. « être attardé (par un travail astreignant) » peut souv. se traduire par « être affairé ; être très occupé » ; se dit d’une p. qui est affairé par suite d’un travail ou d’une occupation qlconques très astreignants ‖ d. le s. « être attardé (par des p., des an., des ch., des accidents qui dérangent continuellement) », peut souv. se traduire « être dérangé continuellement » ; Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/565 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/566 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/567 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/568 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/569 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/570 Page:Foucauld, Dictionnaire touareg.djvu/571 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toute sorte dans des tăhaḳḳa situées dans les villages qui s’élèvent auprès des points de cultures ; avant l’occupation française, ils les conservaient dans des cachettes difficiles à découvrir appelées ăseggefer. — ăsâhaṛ ⵙⵂⵗ sm. φ (pl. isoûhaṛ ⵙⵂⵗ), daṛ soûhaṛ ‖ chant (suite de sons modulés émis par la voix humaine) ‖ ne se dit que du chant des pers. ; ne se dit pas du chant des oiseaux. Tout ce que chante une p., qlq. soient les paroles et l’air, est un ăsâhaṛ ‖ aoui ăsâhaṛ « apporter un chant » signifie « chanter un chant » ‖ les Kel-Ăh. ne chantent que des vers. Tous les vers peuvent se réciter ou se chanter ; on les récite plus souvent qu’on ne les chante. « Pièce de vers » se dit tesâouit. « Vers » se dit tăfirt (« mot »). « Composer une pièce de vers » et « réciter une pièce de vers » se disent l’un et l’autre aoui tesâouit (« apporter une pièce de vers ») ; aoui est le seul verbe employé pour exprimer les 2 idées de composer une pièce de vers et de réciter une pièce de vers (de n’importe quel auteur), le sens général fait comprendre celui des 2 sens dans lequel il est employé. « Rythme poétique » se dit ăné̆a. « Air de chant » se dit aussi ăné̆a, bien qu’il y ait plus d’airs de chant que de rythmes. « Air de violon » se dit ażel (« branche »). — Les fem. chantent rarement, et presque jamais devant les hom., si ce n’est dans les cérémonies des noces. Les hom. chantent beaucoup, soit dans les voyages, seuls ou en compagnie, soit dans les réunions galantes de jeunes hom. et de jeunes fem. appelées ăhâl. — On ne chante pas les vers sur un air qlconque : il y a plusieurs rythmes poétiques ; à chacun d’eux correspondent certains airs de chant ; on ne peut chanter les vers que sur les airs qui correspondent à leur rythme. Le nombre des airs de chant s’accroit sans cesse, toute personne pouvant en inventer de nouveaux. — Le même mot ăné̆a signifie « rythme poétique » et « air de chant » ; à chaque ăné̆a « rythme » correspondent plusieurs ăné̆a « air de chant ». À chaque ăné̆a « air de chant » correspond un ażel « air de violon », car on peut accompagner sur le violon tous les airs de chant. Outre ces airs de violon correspondant aux airs de chant, il y a d’autres ażel qui ne correspondent à aucun air de chant et qui ne se jouent que seuls, sans chant. — Les fem. seules jouent du violon. Elles sont loin de toutes en jouer ; il n’y en a pas une sur dix qui en joue. Les joueuses de violon sont proportionnellement plus nombreuses chez les nobles que chez les plébéiens. — Les rythmes poétiques, les airs de chant et les airs de violon sont les mêmes chez les Kel-Ăh., les Kel-Ăj. et les Tăitoḳ. Ceux qui sont en usage dans ces 3 groupes ne le sont pas chez les autres Touaregs, tels que les Kel-Ăd., Kel-Ăir, Ioullemmeden, etc., lesquels en ont de différents. Chez les Kel-Ăh., Kel-Ăj. et Tăitoḳ, les rythmes poétiques les plus connus sont : le sé̆ié̆nin, le heinena, l’il-âneṛ-Ialla (m. à m. « Dieu nous possède »), l’âliouen (m. à m. « les oliviers »), la târé, l’ăhellel (m. à m. « fait de chanter, en la répétant un grand nombre de fois, la phrase « allah allah allah – la ilah ill allah » ») qui est appelé aussi ăhellel-es-Mess-îneṛ (m. à m. « ăhellel pour Dieu »), l’ăzahalaġ ; les 3 premiers sont les plus modernes et les plus usités ; l’âliouen et la târé, très anciens, sont exclusivement réservés à des vers chantés par les fem. dans certaines cérémonies des noces ; l’ăhellel, employé autrefois pour les seules poésies pieuses, n’est plus usité ; l’ăzahalaġ, qui servait autrefois pour tous les sujets, est tombé en désuétude. Les principaux ăné̆a « air de chant » sur lesquels se chantent les vers du rythme sé̆ié̆nin sont : ăné̆a oua n K̤edouha « l’air de chant de K̤. (np. d’h.) », ăné̆a oua n Goûma « l’air de chant de G. (np. d’h.) », ăné̆a oua n Ăgg-Ămma « l’air de chant d’Ă. (np. d’h.) », ăné̆a oua n Kel-Ṛela « l’air de chant des Kel-Ṛ. (np. de tribu) », ăné̆a oua n Tăitoḳ « l’air de chant des T. (np. de tribu) », ăné̆a oua n Selâmâten « l’air de chant des Iselâmâten (np. de tribu) ». Les principaux airs sur lesquels se chantent les vers du rythme heinena sont : ăné̆a oua n Eṭṭahir « l’air de chant d’E. (np. d’h.) », ăné̆a oua n chêt-Ġânet « l’air de chant des femmes de Ġ. (np. de lieu) », ăné̆a oua n Tfîlalîn « l’air de chant des femmes des Ifîlalen (np. de tribu) », ăné̆a oua n Kel-Âras « l’air de chant des Kel-Â. (np. de tribu) », ăné̆a oua n Ouḳḳîren « l’air de chant des Ou. (np. de tribu) », ăné̆a oua iouneiiin « l’air de chant celui qui ayant été ayant été préoccupé (l’air de chant « le préoccupé ») ». Les principaux airs sur lesquels se chantent les vers du rythme il-âneṛ-Ialla sont : ăné̆a oua n Ăjjer « l’air de chant de l’Ăj. », ăné̆a oua n Ăhaggar « l’air de chant de l’Ăh. ». — Les principaux airs de violon ne correspondent à aucun air de chant sont : ażel oua n dât-ămoud « l’air de violon du dernier tiers de la nuit », ażel oua m medoûten « l’air de violon des terres imbibées d’eau » appelé aussi ażel oua n Becher d Ou-Bâlla « l’air de violon de B. et d’Ou. (noms pr. d’h.) », ażel oua n Thaḍânârîn « l’air de violon des femmes des Ihaḍânâren (np. de tribu) », ażel oua n K̤ĕlba « l’air de violon de K̤. (np. d’h.) », ażel oua n Sanbêr « l’air de violon de S. (np. d’h.) », ażel oua n Ăseġġereimal « l’air de violon d’Ă. (np. d’h.) », ażel oua n Elk̤oumelli « l’air de violon d’E. (np. de f.) », ażel oua n Ârab « l’air de violon de l’Arabe », ażel oua n ĕnhêl « l’air de violon de l’autruche », ażel oua n iisân « l’air de violon des chevaux », ażel oua n loûġân « l’air de violon de la fantasia à méhari », ażel oua n Ăsekâka « l’air de violon d’Ă. (np. de lieu) », ażel oua n Ăk̤erreouai « l’air de violon d’Ă. ». — Ămâhaṛ ⵎⵂⵗ ⁂ sm. φ (pl. Imoûhaṛ ⵎⵂⵗ ; fs. Tămâhaḳ ⵜⵎⵂⵈ ; fp. Timoûhaṛ ⵜⵎⵂⵗ), daṛ Moûhaṛ, daṛ Tmoûhaṛ ‖ Touareg (hom. de race touaregue ; an. (ou ch.) d’origine touaregue) ‖ Ămâhaṛ est le nom général dont les Kel-Ăh. se servent pour désigner les p. appartenant à la race que les Arabes appellent « touaregue » et les an. et ch. d’origine touaregue. Les Touaregs semblent former 7 groupes principaux, Kel-Ăhaggar, Kel-Ăjjer, Tăitoḳ, Kel-Ăir, Kel-Ădṛaṛ, Ioullemmeden, Kel-Geres. Les Kel-Ăh. ne désignent par le nom d’Ămâhaṛ que les Touaregs seuls ; ils ne donnent pas ce nom aux Berbères non Touaregs ; ils n’ont pas de mot signifiant « Berbère non Touareg (hom. de race berbère non Touareg) », ni de mot signifiant « Berbère (hom. de race berbère) » ; ils ne désignent les gens de race berbère qui ne sont pas Touaregs que par leur nom respectif de tribu ou de groupement ‖ v. ⵂⴳⵔ ăhaggar ‖ Ămâhaṛ se prononce Ămâcheṛ dans l’Ăd., et Ămâjeṛ dans l’Ăir et chez les Ioul. ; mais ămâcheṛ et ămâjeṛ ont, dans l’Ăd., l’Ăir et chez les Ioul., un sens différent de celui qu’a Ămâhaṛ dans l’Ăh. ; ils sont noms communs et non pas noms propres, et ils signifient « touareg noble (d’une des tribus nobles de l’Ăir, des Ioullemmeden, ou des Kel-Geres) » et p. ext. « hom. noble (de naissance) (de n’importe quel pays, de n’importe quelle race, et de n’importe quelle religion) ». v. ci-dessous ămâjeṛ et ămâcheṛ ‖ Ămâhaṛ se prononce Ămâjeṛ et Ămâziṛ dans le dialecte des Berbères sédentaires de Ṛât et de Ġânet ; Ămâjeṛ et Ămâziṛ sont syn. d’Ămâhaṛ ; v. ci-dessous tămâcheḳ. — tămâhaḳ ⵜⵎⵂⵈ (m. à m. « touaregue ») sf. (s. s. pl.) ‖ langue touaregue ‖ se prononce dans l’Ăd. tămâcheḳ ‖ v. ⵂⴳⵔ ăhaggar, tăhaggart. — ămâjeṛ ⵎⵋⵗ sm. φ (pl. imâjeṛen ⵎⵋⵗⵏ ; fs. tămâjeḳ ⵜⵎⵋⵈ ; fp. timâjeṛîn ⵜⵎⵋⵗⵏ), daṛ mâjeṛen, daṛ tmâjeṛîn ‖ touareg noble (d’une des tribus nobles de l’Ăir, des Ioullemmeden, ou des Kel-Geres) ‖ p. ext. « hom. noble (de naissance) (de n’importe quel pays, de n’importe quelle race et de n’importe quelle religion) ». D. ce s., est syn. d’ételli ‖ fig. « hom. (an., ch.) doué d’excellentes qualités ; hom. (an., ch.) de qualité supérieure ». Se dit de toute p., an., ou ch. qu’on veut louer, d’un noble, d’un plébéien, d’un esclave, d’un chameau, d’un chien, d’une selle, d’un vêtement, d’un couteau, d’un objet mobilier qlconque, d’un pâturage, d’un lieu, d’un pays, etc. D. ce s., est syn. d’étélli et d’elk̤ôr, moins us. que le 1er et plus us. que le 2d ‖ v. ⵂⴳⵔ ăhaggar ‖ ămâjeṛ a, dans l’Ăir et chez les Ioul., les mêmes sens que dans l’Ăh. v. ci-dessus Ămâhaṛ. — Ămâjeṛ ⵎⵋⵗ (dial. Berb. séd. Ṛ. et Ġ.) ⁂ sm. φ (pl. Imoûjaṛ ⵎⵋⵗ ; fs. Tămâjeḳ ⵜⵎⵋⵈ ; fp. Timoûjaṛ ⵜⵎⵋⵗ), daṛ Moûjaṛ, daṛ Tmoûjaṛ ‖ syn. d’Ămâhaṛ ‖ syn. d’Ămâziṛ (dial. Berb. séd. Ṛ. et Ġ.) et plus us. que lui ‖ non us. dans l’Ăh. — moujeṛ ⵎⵋⵗ vn. prim. ; conj. 39 « houreġ » ; ρ (iemoŭjeṛ, iemoûjeṛ, éd imoujeṛ, our iemoujeṛ) ‖ être touareg noble (d’une des tribus dont les membres s’appellent ămâjeṛ, c. à d. d’une des tribus nobles de l’Ăir, des Ioullemmeden, ou des Kel-Geres) ‖ p. ext. « être noble (de naissance) (à qlq. pays, race, religion qu’on appartienne) » ‖ p. ext. « être noble (d’âme, de caractère, de manières) ». Se dit de p. de n’importe quelle condition, de nobles, de plébéiens et d’esclaves ‖ d. le s. « être noble (de naissance) » et « être noble (d’âme, de caractère, de manières) », est syn. de loullet (Ta. 2) ‖ diffère de hougger « être touareg noble (d’une des tribus dont les membres s’appellent ăhaggar, c. à d. d’une des tribus nobles de l’Ăhaggar, de l’Ăjjer, ou des Tăitoḳ) ». — ămoujjeṛ ⵎⵋⵗ sm. nv. prim. ; (s. s. pl.) ‖ fait d’être touareg noble (d. le s. de moujeṛ) ‖ a t. les s. c. à c. de moujeṛ. — mouheṛ ⵎⵂⵗ vn. prim. ; conj. 39 « houreġ » ; (iemoŭheṛ, iemoûheṛ, éd imouheṛ, our imouheṛ) ‖ syn. de moujeṛ ‖ expression incorrecte. — ămâcheṛ ⵎⵛⵗ (Ăd.) sm. φ (pl. imoûchaṛ ⵎⵛⵗ ; fs. tămâcheḳ ⵜⵎⵛⵈ ; fp. timoûchaṛ ⵜⵎⵛⵗ), daṛ moûchaṛ, daṛ tmoûchaṛ ‖ syn. d’ămâjeṛ ‖ non us. dans l’Ăh. — tămâcheḳ ⵜⵎⵛⵈ (Ăd.) (m. à m. « touaregue noble ») sf. (s. s. pl.) ‖ langue touaregue ‖ syn. de tămâhaḳ ‖ non us. dans l’Ăh. ‖ dans l’Ăd., ou-tămâcheḳ (m. à m. « hom. de langue touaregue ») (pl. kel-tămâcheḳ ; fs. oult-tămâcheḳ ; fp. chêt-tămâcheḳ) signifie « Touareg (hom. de race touaregue) » et est syn. d’Ămâhaṛ empl. d. ce s. ; ou-tămâcheḳ ne signifie pas « an. (ou ch.) d’origine touaregue ». Non us. dans l’Ăh. — Imâziṛen ⵎⵣⵗⵏ ⁂ mp. φ (ms. Ămâziṛ ⵎⵣⵗ ; fs. Tămâziḳ ⵜⵎⵣⵈ ; fp. Timâziṛîn ⵜⵎⵣⵗⵏ), daṛ Mâziṛen, daṛ Tmâziṛîn ‖ np. d’une tribu berbère non touaregue habitant en Tripolitaine dans la région de Ghadamès. — Ămâziṛ ⵎⵣⵗ (dial. Berb. séd. Ṛ. et Ġ.) ⁂ sm. φ (pl. Imâziṛen ⵎⵣⵗⵏ ; fs. Tămâziḳ ⵜⵎⵣⵈ ; fp. Timâziṛîn ⵜⵎⵣⵗⵏ), daṛ Mâziṛen, daṛ Tmâziṛîn ‖ syn. d’Ămâhaṛ ‖ syn. d’Ămâjeṛ (dial. Berb. séd. Ṛ. et Ġ.) et moins us. que lui ‖ non us. dans l’Ăh. ⵂⵗ houḳḳet (Ta. 2) ⵂⵈⵜ va. prim. ; conj. 97 « doubet (Ta. 2) » ; (iehhoŭḳḳet, iehhoûḳḳet, éd ihhouḳḳet, our iehhouḳḳet) ‖ frapper de la pointe (avec un objet un peu pointu mais non piquant, p. ex. avec le bout du doigt ou d’un bâton) ‖ le rég. dir. ne peut être qu’une p. ou un an. ‖ se dit d’une p. ou d’un an. qu’on frappe avec le bout du doigt, d’un bâton, ou de qlq. ch. d’analogue, par jeu ou pour les stimuler ‖ syn. de douḳḳet (Ta. 2). — zehheḳḳet (Ta. 2) ⵣⵂⵈⵜ va. f. 1 ; conj. 134 « seġġereffet (Ta. 2) » ; (izheḳḳet, iezîheḳḳet, éd izehheḳḳet, our izheḳḳet) ‖ faire frapper de la pointe (d. le s. ci. d.) ‖ se c. av. 2 acc. — tîheḳḳoût (Ta. 8) ⵜⵂⵈⵜ va. f. 16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (itîheḳḳoût, our iteheḳḳout) ‖ frapper hab. de la pointe (d. le s. ci. d.). — zîheḳḳoût (Ta. 8) ⵣⵂⵈⵜ va. f. 1.16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (iîheḳḳoût, our izeheḳḳout) ‖ faire hab. frapper de la pointe (d. le s. ci. d.) ‖ se c. av. 2 acc. — ăhaḳḳou ⵂⵈⵓ sm. nv. prim. ; φ (pl. iheḳḳoûten ⵂⵈⵜⵏ), daṛ heḳḳoûten ‖ fait de frapper de la pointe (d. le s. ci. d.). — ăzehheḳḳou ⵣⵂⵈⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. izehheḳḳoûten ⵣⵂⵈⵜⵏ), daṛ zehheḳḳoûten ‖ fait de faire frapper de la pointe (d. le s. ci. d.). — tehouḳḳit ⵜⵂⵈⵜ sf. φ (pl. tihouḳḳa ⵜⵂⵈⴰ), daṛ thouḳḳa ‖ coup de pointe (donné avec un objet un peu pointu, mais non piquant, d. le s. ci. d.) ‖ p. ext. « index tendu [vers une p.] (pour lui donner un petit coup, ou pour la railler et l’exciter sans la toucher) » ‖ teh ê tehouḳḳit « est dans lui l’index tendu » sign. « il est très sensible aux coups d’index (il a des soubresauts nerveux dès qu’on le touche au flanc avec l’index tendu) », ou « il est très sensible aux index tendus vers lui (il se met en colère dès qu’on pointe vers lui l’index pour se moquer de lui et l’exciter) ». ⵂⵗ ahṛou ⵂⵗⵓ sm. φ (pl. ihṛoûten ⵂⵗⵜⵏ ; fs. tahṛout ⵜⵂⵗⵜ ; fp. tihṛoûtîn ⵜⵂⵗⵜⵏ), daṛ ĕhṛou (ăhṛou), daṛ ĕhṛoûten, daṛ tĕhṛout (tăhṛout), daṛ tĕhṛoûtîn ‖ veau d’un an (depuis le moment auquel il a un an révolu jusqu’à celui auquel il a 2 ans révolus) ‖ v. ⴱⵔⴾⵓ éberkaou. ⵂⵗ têhaḳ ⵜⵂⵈ sf. (n. d’u. et col.) (pl. té̆hṛîn ⵜⵂⵗⵏ) ‖ nom d’un arbre (« salvadora persica L. » Duv.) (ar. « irâk ») ‖ la têhaḳ produit un petit fruit comestible appelé ârġéh ou ăḳḳouñhareḳ. ⵂⵗⵉ tăhṛait ⵜⵂⵗⵉⵜ sf. φ (pl. tihṛaîn ⵜⵂⵗⵉⵏ), daṛ tĕhṛaîn ‖ bayonnette. ⵂⵗⵏ éheṛen ⵂⵗⵏ sm. φ (pl. iheṛnân ⵂⵗⵏⵏ), daṛ ăheṛen (ĕheṛen), daṛ heṛnân ‖ pilou (instrument pour piler dans un mortier) ‖ éheṛen en toufat « pilou du matin » signifie « 1ère ligne blanche qui apparait au ciel à la fin de la nuit (1ère lueur blanche qui apparait au ciel à la fin de la nuit, annonçant l’aurore) ». P. ext. éheṛen s’empl. qlqf. d. le s. d’éheṛen en toufat. Les pilons dont on se sert hab. dans l’Ăh. sont de gros bâtons cylindriques, dépouillés de leur écorce, ayant 0m,75c à 1m,50c de long et 0m,05c à 0m,07c de diamètre ; d’où le nom donné à la 1ère ligne blanche qui parait à l’horizon le matin. v. ⴷⵓ adou, tădeggat. ⵂⵗⵔ ăhṛer ‖ v. ⵗⵔ iṛar. ⵂⵗⵗ ahṛeṛ ⵂⵗⵗ vn. prim. ; conj. 65 « agdeh » ; (iouhṛĕṛ, iouhṛâṛ, éd iahṛeṛ, our iouhṛiṛ) ‖ être couché sur le dos ; se coucher sur le dos ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un an. ‖ est opposé à bounbi « être couché sur le côté ; se coucher sur le côté ». Diffère d’ens « être couché (dans une position qlconque) ; se coucher (d. le s. ci. d.) », le suj. étant une p., un an., ou une ch. — zihṛeṛ ⵣⵂⵗⵗ va. f. 1 ; conj. 171 « zihṛeṛ » ; (iezzoŭhṛeṛ, iezzoûhṛeṛ, éd izihṛeṛ, our iezzouhṛeṛ) ‖ coucher sur le dos ; faire se coucher sur le dos. — toûhṛâṛ ⵜⵂⵗⵗ vn. f. 18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (itoûhṛâṛ, our itouhṛaṛ) ‖ être hab. couché sur le dos ; se coucher hab. sur le dos. — zâhṛâṛ ⵣⵂⵗⵗ va. f. 1.7 ; conj. 233 « sâġâr » ; (izâhṛâṛ, our izihṛiṛ) ‖ coucher hab. sur le dos ; faire hab. se coucher sur le dos. — tăheṛeḳ ⵜⵂⵔⵈ sf. nv. prim. ; φ (pl. tiheṛeṛîn ⵜⵂⵗⵗⵏ), daṛ theṛeṛîn ‖ fait d’être couché sur le dos ; fait de se coucher sur le dos. — ăzihṛeṛ ⵣⵂⵗⵗ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. izihṛîṛen ⵣⵂⵗⵗⵏ), daṛ zihṛîṛen ‖ fait de coucher sur le dos ; fait de faire se coucher sur le dos. ⵂⵗⵗ ăheṛeṛa ⵂⵗⵗⴰ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. iheṛeṛâten ⵂⵗⵗⵜⵏ), daṛ heṛeṛâten ‖ nom d’une plante non persistante ‖ l’ăheṛeṛa est abondant dans l’Ăj., mais rare dans l’Ăh. C’est un bon pâturage pour le bétail. Qlqf. les p. le cueillent encore tendre, le font bouillir dans l’eau et le mangent. ⵂⵙ ahes ⵂⵙ sm. φ (pl. ihessen ⵂⵙⵏ), daṛ ĕhes (ăhes), daṛ hessen ‖ grand feu ‖ p. ext. « enfer », est syn. de témsé. ⵂⵙ ouhas ⵂⵙ sm. (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. ouhasen ⵂⵙⵏ) ‖ nom d’une plante non persistante (« echinopsilon muricatus Moq. » (B. T.)) (ar. « ṛebbîr ») ‖ syn. d’erż-tirikîn. — ouhast ⵂⵙ⵿ⵜ sm. (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. ouhasen ⵂⵙⵏ) ‖ m. s. q. le pr. ⵂⵙ hâs (âs) ‖ v. ⵙ s (es, is, ich). ⵂⵙⵉ housi ⵂⵙⵉ vn. prim. ; conj. 80 « housi » ; (ihŏsei, iehôsei, éd ihousi, our ihosei) ‖ être beau ; être joli ‖ se dit des p., des an. et des ch. — zehhousi ⵣⵂⵙⵉ va. f. 1 ; conj. 139 « sebberouri » ; (izhasei, iezîhasei, éd izehhousi, izhasei) ‖ rendre beau ; rendre joli. — tîhoûsoûi ⵜⵂⵙⵉ vn. f. 14 ; conj. 249 « tîkroûkoûḍ » ; (itîhoûsoûi, our itehousoui) ‖ être hab. beau ; être hab. joli ‖ p. ext. « embellir (n.) (devenir plus beau, augmenter en beauté) ». — zîhoûsoûi ⵣⵂⵙⵉ va. f. 1.14 ; conj. 249 « tîkroûkoûḍ » ; (izîhoûsoûi, our izehousoui) ‖ rendre hab. beau ; rendre hab. joli. — tihoûsai ⵜⵂⵙⵉ sf. nv. prim. ; φ (pl. s. s.), daṛ thoûsai ‖ fait d’être beau ; fait d’être joli ; beauté. — ăzehhoûsi ⵣⵂⵙⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. izehhoûsouien ⵣⵂⵙⵉⵏ), daṛ zehhoûsouien ‖ fait de rendre beau ; fait de rendre joli. ⵂⵙⵏ hâsen (âsen) ‖ v. ⵙ s (es, is, ich). — hâsnet (âsnet) ‖ v. ⵙ s (es, is, ich). ⵂⵙⵙ éheses ⵂⵙⵙ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. ihesesen ⵂⵙⵙⵏ), daṛ ăheses (ĕheses), daṛ hesesen ‖ nom d’une plante non persistante (ar. « entel », « ḥendegoug »). ⵂⵙⵜ ouhast ‖ v. ⵂⵙ ouhas. ⵂⵜ ăhît sm. φ (pl. ihatten ⵂⵜⵏ), daṛ hatten ‖ bruit (assemblage de sons confus) ‖ se dit de tout bruit confus, fort ou un peu fort, p. ex. du bruit du vent, d’un torrent, des flots de la mer, de la pluie, d’un feu qui ronfle, de pierres qui roulent, d’an. qui marchent ou courent avec bruit, etc. Ne se dit pas du son de la voix des p., ni de celui de la voix des an., ni de celui de l’echo, ni de celui des instruments de musique, ne de celui des cloches, de de celui des clochettes, sons qui s’expriment tous par émesli « son de la voix ; voix ». La bruit du tonnerre et celui des détonations d’armes à feu peuvent s’exprimer ad lib. par ăhît et par émesli ‖ il n’y a pas, en tăm., de mot signifiant « son (ce qui frappe l’ouïe) », servant à exprimer tout ce qui s’entend ; on emploie des mots différents selon les variétés de sons : ăhît sert à exprimer les bruits confus et sans harmonie ; émesli sert à exprimer le son de la voix des p. et des an. et les sons qui ressemblent à la voix et ont de l’harmonie, com. ceux de l’echo et des instruments de musique ; tăkat « bruit de voix confus ( de pers.) (excessif, en soi ou à cause des circonstances) » et p. ext. « bruit de voix confus (produit par plusieurs pers. qui causent ensemble d’une manière bruyante ou non) » sert à exprimer un bruit de voix de pers. excessif ou confus ; érîkas signifie « bruit de pas (fort ou faible, de p. ou d’an.) » ; éfîkas signifie « faible bruit de pas (de p. ou d’an.) » ; ăfrekrek et ăfrekferek sont syn. et signifient « petit bruit de craquement » ; ăġnoûnou « son égal et prolongé » sert à exprimer certains sons égaux et prolongés com celui de fils télégraphiques que fait vibrer le vent, celui d’un disque de métal qu’on frappe et qui produit de longues vibrations sonores, celui du tonnerre quand il produit des grondements sourds et prolongés et non des sons éclatants ; teheriiit « bruit sourd » sert à exprimer les bruits sourds de cause connue ou inconnue, com. celui d’un corps qui tombe lourdement dans l’eau, celui d’un éboulement lointain, celui d’un aérolithe qui tombe, celui d’un boulet de canon qui passe en sifflant ; éżînaġ signifie « bruit confus de voix (de pers. ou d’an.) ». ⵂⵜ éhati ⵂⵜⵉ sm. φ (pl. ihatân ⵂⵜⵏ ; fs. téhatit ⵜⵂⵜⵜ ; fp. tihatâtîn ⵜⵂⵜⵜⵏ), daṛ ăhati (ĕhati), daṛ hatân, daṛ tăhatit (tĕhatit), daṛ thatâtîn ‖ nègre (libre ou esclave) ne parlant ni le touareg ni l’arabe mais un des idiomes soudanais compris sous le nom de téhatit ‖ diffère d’étîfen, d’ăounnan, et d’ébeñher. — téhatit ⵜⵂⵜⵜ sf. φ (s. s. pl.), daṛ tăhatit (tĕhatit) ‖ nom d’un certain groupe d’idiomes soudanais (nom collectif sous lequel sont compris un certain nombre d’idiomes parlés par des peuples nègres du Soudan). — téhatit ⵜⵂⵜⵜ sf. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. tihetât ⵜⵂⵜⵜ), daṛ tăhatit (tĕhatit), daṛ thetât ‖ nom d’une plante persistante. ⵂⵜ tihattîn ‖ v. ⵂⵍ téhelé. ⵂⵜⴱ hetebbet (Ta. 2) ⵂⵜⴱⵜ vn. prim. ; conj. 47 « ġereffet (Ta. 2) » ; (ihtebbet, iehîtebbet, éd ihtebbet, our ihtebbet) ‖ descendre un peu en glissant (se déplacer un peu de haut en bas en glissant) ‖ peut avoir pour suj. une p., un an., ou une ch. Quand le suj. est une p. ou un an., signifie qu’une partie du corps de la p. ou de l’an. est descendue un peu en glissant ‖ ne s’emploie que pour exprimer de petits glissements de haut en bas, p. ex. celui de la tête appuyée sur un oreiller qui, pendant le sommeil, glisse au bas de l’oreiller, celui du pied d’une p. ou d’un an. qui glisse dans un petit creux ou d’une pierre peu élevée au bas de celle-ci, celui d’une poutre horizontale soutenant un toit qui, sans tomber, descend un peu et glisse de son logement dans un autre qu’elle se forme un peu plus bas, celui d’une paroi de caisse qui descend un peu, en glissant sur les clous qui la retiennent et en les courbant, sans cesser d’être tenue par eux, etc. ‖ ex. aḍer in ihtebbet daṛ ânou n ăkoûtei, deroṛ ouḍĭṛ ⁒ mon pied est descendu un peu en glissant dans un trou de souris, bientôt je suis tombé (mon pied s’est enfoncé en glissant dans un trou de souris, je suis presque tombé) ‖ diffère de selelet (Ta. 1) « glisser (sur une surface glissante horizontale ou en pente) (le suj. étant une p., un an., ou une ch.) » qui se dit des p., an., ou ch. qui glissent sur une longueur qlconque, petite ou grande, sur une surface glissante comme de la glace, de l’argile humide, une roche lisse, etc. — zehhetebbet (Ta. 2) ⵣⵂⵜⴱⵜ va. f. 1 ; conj. 134 « seġġereffet (Ta. 2) » ; (izhetebbet, iezîhetebbet, éd izehhetebbet, our izhetebbet) ‖ faire descendre un peu en glissant. — tîhtebboût (Ta. 8) ⵜⵂⵜⴱⵜ vn. f. 16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (itîhtebboût, our itehtebbout) ‖ descendre hab. un peu en glissant. — zîhtebboût (Ta. 8) ⵣⵂⵜⴱⵜ va. f. 1.16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (izîhtebboût, our izehtebbout) ‖ faire hab. descendre un peu en glissant. — ăhtebbou ⵂⵜⴱⵓ sm. nv. prim. ; φ (pl. ihtebboûten ⵂⵜⴱⵜⵏ), daṛ ĕhtebboûten ‖ fait de descendre un peu en glissant. — ăzehhetebbou ⵣⵂⵜⴱⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. izehhetebboûten ⵣⵂⵜⴱⵜⵏ), daṛ zehhetebboûten ‖ fait de faire descendre un peu en glissant. ⵂⵜⴶⵂⵜⴶ heteġheteġ ⵂⵜⴶⵂⵜⴶ vn. prim. ; conj. 42 « lekeslekes » ; (ihteġheteġ, iehîteġheteġ, éd ihteġheteġ, our ihteġheteġ) ‖ palpiter (avoir des mouvements violents et désordonnés) (le suj. étant le cœur) ‖ p. ext. « palpiter (avoir des mouvements (qlconques, normaux ou désordonnés)) (le suj. étant le cœur) ». S’empl. souv. dans ce s. pour exprimer qu’une p. ou un an. vivent ou ne vivent plus. P. ex., on dit en parlant d’un mourant « son cœur palpite encore » ou « son cœur ne palpite plus », pour exprimer qu’il vit encore ou qu’il est mort. — zehheteġheteġ ⵣⵂⵜⴶⵂⵜⴶ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (izheteġheteġ, iezîheteġheteġ, éd izehheteġheteġ, our izheteġheteġ) ‖ faire palpiter [le cœur] (faire [le cœur] avoir des mouvements violents et désordonnés). — tîhteġheteġ ⵜⵂⵜⴶⵂⵜⴶ vn. f. 13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîhteġhetîġ, our itehteġhetîġ ‖ palpiter hab. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — zîhteġhetîġ ⵣⵂⵜⴶⵂⵜⴶ va. f. 1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (izîhteġhetîġ, our izehteġhetiġ) ‖ faire hab. palpiter (d. le s. de la f. 1.). — ăhteġheteġ ⵂⵜⴶⵂⵜⴶ sm. nv. prim. ; φ (pl. ihteġhetîġen ⵂⵜⴶⵂⵜⴶⵏ), daṛ ĕhteġhetîġen ‖ fait de palpiter ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ ne signifie pas « une palpitation (un mouvement violent et désordonné) [du cœur] ». — ăzehheteġheteġ ⵣⵂⵜⴶⵂⵜⴶ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. izehheteġhetîġen ⵣⵂⵜⴶⵂⵜⴶⵏ), daṛ zehheteġhetîġen ‖ fait de faire palpiter (d. le s. de la f. 1.). ⵂⵜⵍ zehhetel ⵣⵂⵜⵍ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (izhetel, iezîhetel, éd izehhetel, our izhetel) ‖ appuyer [une p., une ch.] [à qlq. ch.] ‖ a aussi les s. pas. et pron. « être appuyé [à qlq. ch.] » et « s’appuyer [à qlq. ch.] » ‖ ce à quoi, contre quoi, sur quoi, le suj. appuie le rég. dir. se met à l’abl. et est accompagné de foull « sur ; contre » ou de s (es) « au moyen de » ‖ ex. ezheteleṛ ăllaṛ in foull tăzzait ⁒ j’ai appuyé mon javelot contre un dattier = ezhateleṛ éṛef in n ăfous in ⁒ j’ai appuyé ma tête au moyen de ma main (j’ai appuyé ma tête contre ma main) = ăllaṛ in izhetel. – ma s izhetel ? – izhetel es tăzzait ⁒ mon javelot a été appuyé (mon javelot est appuyé). – quoi au moyen de a-t-il été appuyé ? (contre quoi est-il appuyé ?). – il a été appuyé au moyen d’un dattier (il est appuyé contre un dattier) = zehhetel foull ĕblal ⁒ appuie-toi contre une pierre = Moûsa izhetel s ăllaṛ ⁒ M. s’est appuyé au moyen de son javelot (M. s’appuie sur son javelot) ‖ syn. de seddemer empl. d. les s. « appuyer ; être appuyé ; s’appuyer ». — zâhetâl ⵣⵂⵜⵍ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (izâhetâl, our izehetil) ‖ appuyer hab. ‖ a aussi les s. pas. et pron. — ăzehhetel ⵣⵂⵜⵍ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. izehhetîlen ⵣⵂⵜⵍⵏ), daṛ zehhetîlen ‖ fait d’appuyer ‖ a aussi les s. pas. et pron. « fait d’être appuyé » et « fait de s’appuyer ». — ăzehhetal ⵣⵂⵜⵍ sm. n. d’é. f. 1 ; φ (pl. izehhetâlen ⵣⵂⵜⵍⵏ ; fs. tăzehhetalt ⵜⵣⵂⵜⵍ⵿ⵜ ; fp. tizehhetâlîn ⵜⵣⵂⵜⵍⵏ), daṛ zehhetâlen, daṛ tzehhetâlîn ‖ hom. qui s’appuie sans cesse à qlq. ch. (h. trop paresseux pour se soutenir de lui-même et qui cherche touj. à s’appuyer contre qlq. ch.). ⵂⵜⵍ ăhîtal ‖ v. ⵂⵉⵜⵍ heitel. ⵂⵜⵎ ăhâtim ⵂⵜⵎ sm. φ (pl. ihoûtâm ⵂⵜⵎ), daṛ hoûtâm ‖ huile d’olive ‖ p. ext. « huile (qlconque) » ‖ sign. aussi « fruit de l’olivier sauvage appelé en tăm. âléo » ; d. ce s., le s. ăhâtim est n. d’u. et col., le pl. ihoûtâm est pl. de div. ou p. n. — ăhâtin ⵂⵜⵏ sm. φ (pl. ihoûtân ⵂⵜⵏ), daṛ hoûtân ‖ m. s. q. le pr. ‖ expression incorrecte. — tehâtimt ⵜⵂⵜⵎ⵿ⵜ sf. φ (pl. tihoûtâm ⵜⵂⵜⵎ), daṛ thoûtâm ‖ olivier (« olea europaea L. » (Duv.)) ‖ la tehâtimt, olivier cultivé et producteur d’olives et d’huile, n’existe pas dans l’Ăh. ; on y trouve, dans le massif montagneux central, à des altitudes variant entre 1.600 et 2.800 mètres, des oliviers sauvages appelés en tăm. âléo. — âtim ⵜⵎ sm. (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. âtîmen ⵜⵎⵏ) ‖ fruit de l’olivier sauvage appelé en tăm. âléo ‖ expression incorrecte. — ăhattin ⵂⵜⵏ sm. φ (pl. ihettân ⵂⵜⵏ), daṛ hettân ‖ grande bouteille en cuir (servant à mettre le beurre ; d’une contenance de 25 à 100 litres) ‖ l’ăhattin a une forme spéciale ; il est oblong, a un goulot et a un bouchon. — tăhattint ⵜⵂⵜⵏ⵿ⵜ sf. φ (pl. tihettân ⵜⵂⵜⵏ), daṛ thettân ‖ bouteille en cuir petite ou moyenne (servant à mettre le beurre ; d’une contenance inférieure à 25 litres) ‖ p. ext. « bouteille petite ou moyenne (en matière qlconque, destinée à n’importe quel usage) ; boite à couvercle petite ou moyenne (de matière et forme qlconques, destinée à n’importe quel usage) ». Toutes les bouteilles en substance dure qlconque, verre, métal, etc., depuis les plus petites (com. les flacons de parfum) jusqu’à celles d’environ 25 litres, sont des tăhattint. Toutes les boites à couvercle, en matière qlconque, cuir dur, métal, bois, carton, etc., de toute forme, cylindriques, coniques, sphériques, en forme d’œuf, cubiques, etc., depuis les plus petites (com. les tabatières et les boites de capsules) jusqu’à celles d’environ 25 litres, sont des tăhattint ‖ diffère d’essendoûḳ « caisse ; boite de forme cubique ou rectangulaire » et d’ettabouk empl. dans le même sens, qui se disent de caisses et de boites de toutes dimensions, avec ou sans couvercle ; les caisses et boites cubiques ou rectangulaires, avec ou sans couvercle ; les caisses et boites cubiques ou rectangulaires, avec couvercle, d’une contenance inférieure à 25 litres, peuvent être appelés ad lib. tăhattint, essendoûḳ, ou ettabouk ‖ diffère de tăkebat « très petite boite à couvercle (de matière et forme qlconques, destinée à n’importe quel usage) ». Toute tăkebat est une tăhattint, mais non inversement. ⵂⵜⵏ ăhattin ‖ v. ⵂⵜⵎ ăhâtim. ⵂⵜⵔ ăhoûter ⵂⵜⵔ sm. φ (pl. ihoûtâr ⵂⵜⵔ), daṛ hoûtâr ‖ crocodile ‖ syn. d’ăṛôchaf et d’ăġânba ‖ très peu us. ⵂⵜⵙ ahtes ⵂⵜⵙ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. ihetsân ⵂⵜⵙⵏ), daṛ ĕhtes (ăhtes), daṛ hetsân ‖ nom d’un arbre (« acacia albida Delile » (Duv.)). ⵂⵟ hiṭ ⵂⵟ pi. exclam. ‖ exclam. sans sens précis s’employant pour attirer l’attention, soit quand on voit qlq. ch. d’inattendu, soit quand on entend un vent qu’une p. laisse échapper du fondement ‖ peut souv. se traduire par « tiens ! » ‖ ne s’emploie pas en bonne compagnie. ⵂⵟⴼ tehaṭṭouft ‖ v. ⴹⴼ eṭṭef. ⵂⵥ aheż ⵂⵥ va. prim. ; conj. 66 « aġer » ; ρ (iouhĕż, iouhâż, éd iaheż, our iouhiż) ‖ être proche de (être près de) ; être rapproché de ; s’approcher de ; se rapprocher de ‖ peut avoir pour suj. et rég. dir. des p., des an. et des ch. ‖ exprime la proximité ou le rapprochement dans l’espace et dans le temps ‖ ex. aheż Moûsa ⁒ approche-toi de M. (ou : rapproche-toi de M.) = aheż, aheż ! ⁒ approche-toi, approche-toi ! = ihanân in ouhâżen ihanân em Moûsa ⁒ mes tentes sont proches des tentes de M. = ămoud en tăfâské iouhâż ⁒ la fête du sacrifice religieux de l’« ạid eḍḍaḥia » est proche = iouhâż éd ekkeṛ Tăouat ⁒ il est près j’irai au Touat (je partirai prochainement pour le T.) = ahż i-d ⁒ rapproche-toi de moi ‖ p. ext. « être proche de (par le sang) ». (Ex. Moûsa iouhâż Dâssin ; ti s em Moûsa ăña s em ma s en Dâssin ⁒ M. est proche [par le sang] de D. ; le père de lui de M. [est] frère d’elle de la mère d’elle de D. (le père de M. est frère de la mère de D.)). — żiheż ⵥⵂⵥ va. f. 1 ; conj. 172 « siġer » ; ρ (ieżżoŭheż, ieżżoûheż, éd iżiheż, our ieżżouheż) ‖ approcher de ; rapprocher de ; faire s’approcher de ; faire se rapprocher de ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — nemihaż ⵏⵎⵂⵥ vn. f. 2bis ; conj. 185 « nemiġar » ; (inmahaż, ienîmahaż, éd inmihaż, our inmahaż) ‖ être proche l’un de l’autre ; être rapproché l’un de l’autre ; s’approcher l’un de l’autre ; se rapprocher l’un de l’autre ‖ ce dont le suj. est proche ou se rapproche est à l’abl. et accompagné de d (ed) « avec », à moins que tout ce qui est proche l’un de l’autre ou se rapproche l’un de l’autre ne soit suj. ‖ p. ext. « s’approcher [d’une p., d’un an., d’une ch.] (n.) ; se rapprocher [d’une p., d’un an., d’une ch.] (n.) ». Ce dont le suj. s’approche ou se rapproche est à l’abl. et accompagné de d (ed) « avec ». D. ce s., est syn. d’aheż. — nemiheż ⵏⵎⵂⵥ vn. f. 2bis ; conj. 50 « keniher » ; ρ (inmaheż, ienîmaheż, éd inmiheż, our inmaheż) ‖ m. s. q. le pr. — żennemiheż ⵥⵏⵎⵂⵥ va. f. 2bis.1 ; conj. 136 « zekkeniher » ; ρ (iżnemaheż, iezînemaheż, éd iżennemiheż, our iżnemaheż) ‖ approcher l’un de l’autre ; rapprocher l’un de l’autre ; faire s’approcher l’un de l’autre ; faire se rapprocher l’un de l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2bis. — tâheż ⵜⵂⵥ va. f. 6 ; conj. 228 « tâġer » ; (itâheż, our itiheż) ‖ être hab. proche de ; être hab. rapproché de ; s’approcher hab. de ; se rapprocher hab. de ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — żâhâż ⵥⵂⵥ va. f. 1.7 ; conj. 233 « sâġâr » ; (iżâhâż, our iżihiż) ‖ approcher hab. de ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tînmihâż ⵜⵏⵎⵂⵥ vn. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmihâż, our itenmihaż) ‖ être hab. proche l’un de l’autre ; être hab. rapproché l’un de l’autre ; s’approcher hab. l’un de l’autre ; se rapprocher hab. l’un de l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2bis. — tînmihîż ⵜⵏⵎⵂⵥ vn. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmihîż, our itenmihiż) ‖ m. s. q. le pr. — żînmihîż ⵥⵏⵎⵂⵥ va. f. 2bis.1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (iżînmihîż, our
iżenmihiż) ‖ approcher hab. l’un de l’autre ; rapprocher hab. l’un de
l’autre ; faire hab. s’approcher l’un de l’autre ; faire hab. se rapprocher
l’un de l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2bis.1. — êheż ⵂⵥ sm. nv. prim. ; (s. s. pl.) ‖ fait d’être proche de ; fait d’être rapproché
de ; fait de s’approcher de ; fait de se rapprocher de ‖ sign. aussi « proximité »
‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăżîheż ⵥⵂⵥ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. iżîhîżen ⵥⵂⵥⵏ), daṛ żîhîżen ‖ fait
d’approcher de ; fait de rapprocher de ; fait de faire s’approcher de ; fait de
faire se rapprocher de ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ănmihaż ⵏⵎⵂⵥ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmihâżen ⵏⵎⵂⵥⵏ), daṛ ĕnmihâżen
‖ fait d’être proche l’un de l’autre ; fait d’être rapproché l’un de l’autre ; fait
de s’approcher l’un de l’autre ; fait de se rapprocher l’un de l’autre ‖ a t. les s.
c. à c. de la f. 2bis. — ănmiheż ⵏⵎⵂⵥ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmihîżen ⵏⵎⵂⵥⵏ), daṛ ĕnmihîżen
‖ m. s. q. le pr. — ăżennemiheż ⵥⵏⵎⵂⵥ sm. nv. f. 2bis.1 ; φ (pl. iżennemihîżen ⵥⵏⵎⵂⵥⵏ),
daṛ żennemihîżen ‖ fait d’approcher l’un de l’autre ; fait de rapprocher
l’un de l’autre ; fait de faire s’approcher l’un de l’autre ; fait de faire se
rapprocher l’un de l’autre ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2bis.1. ⵂⵣⵍ é̆hézzal ‖ v. ⵣⵍ ziizzel. |
Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/1 | Joseph Guyot Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan Aubry, 1869 (p. 1-12). ◄ Au lecteur Chapitre II ► Les Origines de Dourdan bookChronique d’une ancienne ville royale DourdanJoseph GuyotAubry1869ParisVLes Origines de DourdanChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvuChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvu/101-12 Parti de Paris pour aller à Tours, le voyageur qui suit la ligne du chemin de fer d’Orléans, après avoir côtoyé la Seine jusqu’à Athis, rencontre un modeste affluent. Quittant alors le grand fleuve, il s’engage sur la droite dans une vallée pleine de fraîcheur, où coule la rivière d’Orge, que bordent de charmants villages : Juvisy, Savigny-sur-Orge, Épinay-sur-Orge, Villiers-sur-Orge, Longpont, et au sommet du coteau qui domine Saint-Michel, la tour de Montlhéry commandant le passage. C’est là que, naguère encore, emporté sur la gauche par le chemin de fer, dans la direction d’Étampes et de la Beauce, le voyageur quittait à regret la vallée de l’Orge. Aujourd’hui, sans allonger sa route, il peut, grâce à l’embranchement de Brétigny et à la nouvelle ligne de Tours par Châteaudun et Vendôme, remonter jusqu’au bout le cours pittoresque de l’affluent de la Seine le plus voisin de Paris et jusqu’ici le moins connu. Arpajon, Breuillet, Saint-Chéron, que les artistes ont su depuis longtemps découvrir, sont les premières stations de cette ligne nouvelle. La quatrième est Dourdan, l’ancienne capitale du Hurepoix, où nous conduisons nos lecteurs. Situé à 51 kil. de Paris, à 37 kil. de Versailles, à 21 kil. 6 de Rambouillet, à 16 kil. 9 d’Étampes et à 44 kil. 3 de Chartres, Dourdan, ville de trois mille âmes, du département de Seine-et-Oise, de l’arrondissement de Rambouillet, chef-lieu de deux cantons qui portent son nom, s’élève à mi-côte sur le versant de la vallée exposé au midi, dominé par les grands clochers de son église et le donjon de son vieux château. Presque circulaire, contenue dans une enceinte de murailles fortifiées, prolongée seulement par quelques faubourgs, bordée plutôt que traversée dans sa partie inférieure par la rivière d’Orge, la ville est coupée dans le sens de sa longueur par deux voies principales, qui relient ses quatre portes et auxquelles toutes les autres rues viennent aboutir. L’église, le château, la place de la halle, occupent le centre. La rivière, qui prend sa source à deux lieues de là, au village de Bretencourt, forme en se divisant une sorte d’île au pied des murailles de Dourdan. A l’est et à l’ouest s’étendent des prairies qui étaient autrefois des étangs ; sur les pentes, jadis cultivées en vignes, les champs s’étagent et rejoignent la plaine. Au nord la forêt de Dourdan, au sud-ouest les bois de Louye couronnent de verdure la cime des coteaux et complètent un paysage dont la variété, l’harmonie et le calme intéressent l’œil en le reposant. Urapiorum felix regio, « l’heureux pays de Hurepoix, » disaient les anciens géographes en parlant de la province à laquelle ils donnaient Dourdan pour capitale ; et à leurs yeux cette contrée où s’entremêlaient bois, prairies, moissons, vignes et vergers, était un contraste, un dédommagement créés tout exprès par la nature à côté de la région moins favorisée du Gâtinais, Wastinium, pays des « Gastines » sablonneuses ou forestières. Aussi mal défini comme origine que comme étendue, le Hurepoix était ce pagus Huripensis, Heripensis, Mauripensis ou Morivensis, dans lequel venait se confondre le Châtrais ou Josas, et dont Dourdan, Chevreuse, Corbeil, la Ferté-Alais, Palaiseau étaient les villes principales, tandis que le Gâtinais revendiquait les duchés d’Étampes, de Nemours, le comté de Rochefort et quantité d’autres seigneuries. Géologiquement, Dourdan appartient encore à la Beauce ; il est situé sur un des anciens rivages de ce grand lac d’eau douce qui expirait tout près de là, dans les sables, au nord et au nord-est, et dont l’immense bassin se creusait au sud-ouest, rempli jusqu’au bord du sédiment calcaire témoin irrécusable de ses flots disparus. Aussi loin qu’on peut remonter dans l’histoire, on trouve tout ce vaste espace entre Paris et Orléans couvert de grandes et impénétrables forêts, dont celles de Saint-Germain, Rambouillet, Dourdan, Orléans, Fontainebleau, etc., ne sont que des lambeaux détachés. Au cœur de ces forêts, qui étaient elles-mêmes le cœur de la Gaule, les Carnutes apparaissent comme les antiques possesseurs du sol. Au temps de César, l’homme avait déjà morcelé par le défrichement et coupé par des voies cette vaste agglomération de bois. La portion qui s’étendait sur les confins de la Beauce et de l’Île-de-France s’appela forêt d’Yveline ou des Yvelines, nom dérivé, dit-on, de l’humidité de son sol, et devenu par sa transcription latine l’Aquilina ou l’Æqualina sylva des anciennes chartes. Le voisinage des eaux, le cours des rivières ont toujours attiré les hommes et fixé le choix de leur séjour. L’emplacement qu’occupe Dourdan dut tenter, à ce titre, les nomades et primitifs habitants de la forêt. L’Orge, se répandant au milieu du vallon élargi, y formait à la surface du sol, grâce à l’imperméabilité de couches argileuses, plusieurs grands étangs communiquant au terrain, dans cet endroit, une fertilité et une fraîcheur toutes particulières. La clairière s’agrandit, et les parties défrichées ou desséchées furent peu à peu acquises à la culture. Si l’on nous demande les pièces justificatives de cet âge préhistorique de Dourdan, nous dirons que nous n’en connaissons pas d’autres que la rencontre dans le sol de quelques instruments de pierre et silex taillés, dits haches celtiques. Plusieurs de ces instruments se trouvent dans la forêt, aux abords de Dourdan ; l’un d’eux, qui nous a été remis l’an dernier, a été découvert à la porte de la ville, enfoncé de plusieurs pieds dans le sol de la prairie, précisément à l’endroit du grand étang ou étang du Roi. La meilleure preuve de l’existence de Dourdan pendant cette antique période serait le nom même de Dourdan. Dans la première syllabe de ce nom, évidemment fort ancien, on a voulu retrouver la racine dour, dor, dur, dru, qui signifierait « eau, rivière », et s’observe dans tant de noms géographiques : Durocasses, Dordogne, Dordrecht, Durance, etc.. Si ce qu’on appelle l’âge de pierre a laissé à Dourdan quelques vestiges, l’âge de bronze, plus voisin ou au moins mieux connu de nous, n’y a pas fourni jusqu’à présent de spécimens caractéristiques comme armes ou ustensiles. Quelques monnaies gauloises ont été toutefois rencontrées dans le sol, et la présence d’habitants sur l’emplacement de Dourdan avant la période romaine paraît un fait incontestable. Si on a pu dire avec quelque vérité que sous tout vieux château se retrouve le sol d’une forteresse romaine, et sous toute forteresse romaine un oppidum gaulois, la situation de Dourdan sur un des points extrêmes de la Carnutie, sa position qui commande une vallée fertile, l’élévation naturelle sur laquelle a été bâti son château, suffiraient presque, à priori, pour permettre d’affirmer l’existence d’un établissement antérieur à la conquête. Quant à la période gallo-romaine, aucune incertitude n’est permise ; les témoins s’en retrouvent tous les jours et nous les indiquerons sommairement. Des fours à poteries romaines se sont rencontrés dans toutes les parties de la ville, et des monceaux de débris de vases auxquels se sont trouvées mêlées des monnaies romaines ont maintes fois révélé d’une manière évidente l’existence, sous les empereurs, non-seulement d’un centre de population, mais d’un centre de fabrication, pour laquelle d’ailleurs l’argile et le sable de la localité étaient spécialement propres. L’abondance même de ces débris à Dourdan, leur vulgarité, ont été une des raisons du peu d’importance qu’on y a de tout temps attaché sur les lieux, et il est bien regrettable que ces restes n’aient jamais été recueillis, comparés, étudiés. Plusieurs fours anciennement mis à découvert sur le versant de la côte de Liphart ont longtemps servi d’abri aux bergers. D’autres, à l’occasion de puits, de fondations, de caves, ont été constatés dans la rue Saint-Pierre, dans la rue de Chartres, dans la rue d’Étampes, sur la place du Marché, dans la rue des Belles-Femmes, etc., et ont disparu sous les constructions ou les pavages qui les recouvrent. L’année dernière, heureusement, un de ces fours a pu être observé dans le terrain du Parterre près de la rue Grousteau, lors des fouilles de la nouvelle gendarmerie. Ce four, avec son massif circulaire, son couloir latéral, n’a pas été détruit, et existe, recouvert seulement de terre et de sable, à l’angle de droite du bâtiment des écuries, dans la cour. Au milieu et aux abords de ce four se trouvait un amas de débris de poteries qui ont été conservés. Parmi ces débris, il se trouve plusieurs spécimens des belles poteries rouges brillantes dites samiennes, entre autres deux écuelles ou soucoupes profondes à mascarons représentant des têtes de lion, à fond rugueux et siliceux, destinées au broiement de quelque ingrédient culinaire ou pharmaceutique ; — des fragments portant des moulures ornées d’arabesques et une portion de médaillon à personnages ; — un éclat de poterie intérieurement rouge, et glacée par la cuisson d’une belle couleur ardoisée et métallique ; — une petite tête d’enfant en terre grise, fruste mais expressive, destinée à être appliquée comme mascaron, etc. A côté de ces restes de poteries élégantes existent un grand nombre de débris de poteries communes de toutes les formes, grises, noires, blanches, à tous les degrés de cuisson, pots renflés, cruches ou bouteilles à une ou deux anses, écuelles ou sébiles, goulots de toutes sortes, bords, fonds ou pieds d’espèces de marmites d’un grand diamètre, etc. ; mais nous avons vainement cherché quelques marques de potier, quelques vestiges de moule. Parmi ces fragments on a trouvé deux moyens bronzes romains, d’une très-belle conservation, l’un de Néron et Drusus, l’autre de Trajan, qui témoignent des premières années de notre ère. Les monnaies romaines sont d’ailleurs assez fréquentes dans le sol de la ville ; une sorte de cachette dans une maison de la rue Saint-Pierre a fourni jadis un grand nombre de pièces malheureusement dispersées. Parmi celles qu’on a recueillies, ou dont on se souvient, quelques-unes portaient l’effigie de César et d’Auguste, la plupart appartenaient aux Antonins, et les autres dataient de leurs successeurs ou du bas empire. Les tuiles à rebords ne sont pas rares non plus, principalement dans un chantier au nord-est de la ville. La présence des Romains à Dourdan n’a rien qui doive nous surprendre. Admirables stratégistes, ils ne manquaient jamais d’utiliser pour la défense du territoire qu’ils avaient conquis les points déjà fortifiés et reconnus les meilleurs par les indigènes eux-mêmes. Ils transformaient en station permanente et flanquaient en la rectifiant l’enceinte du poste primitif, et les habitations se multipliaient à l’entour. Une étude fort curieuse serait celle des substructions qui se sont quelquefois rencontrées dans la ville, principalement aux abords de la place et du château, et dont l’époque n’a jamais été constatée. Une autre étude non moins intéressante serait celle de l’emplacement d’anciennes villas ou stations romaines qui ont dû exister le long du cours de l’Orge, au-dessus et au-dessous de Dourdan. Sans redescendre jusqu’à Saint-Évroult, où les vestiges romains sont incontestables, il est certain que des fragments de mosaïque et des restes de constructions romaines ont été trouvés au-dessous de Dourdan, près de Roinville, derrière le moulin Poissard. Dans la vallée, à l’ouest de Dourdan, est le chantier de Châtillon autrefois le Castillon qui rappelle évidemment un castellum. Bien que nous ayons une grande répulsion pour les hypothèses, l’antique hostel des Meurs, aux portes mêmes de la ville, du côté de Potelet, ne recouvrait-il pas quelque maison des champs antérieure aux barbares ou au moyen âge ? Ne pourrait-on pas penser la même chose, en remontant l’Orge, d’un terrain au-dessus de Grillon, près de Ville-Lebrun, où des traces de fossés et canaux indiquaient l’enclos d’une habitation ? Un peu plus haut, à Sainte-Mesme des recherches offriraient un véritable intérêt, à en juger par ce que le hasard a fait découvrir. Avant d’arriver à Sainte-Mesme, à l’endroit où la route de Dourdan tourne à angle droit pour franchir, sur un pont, la rivière, arrêtons-nous à la pièce de terre qui fait suite à la route, dans la direction de Corpeaux, et d’un bout se trouve bordée par le chemin de fer, c’était l’emplacement d’une grande villa romaine. L’attention de Lescornay avait été éveillée, car il rapporte que « joignant le village de Saincte-Mesme (la prairie néantmoins entre-deux) se trouve un grand champ, dans lequel (si on fouille un pied et demy) on trouve un lict de chaux et ciment sur le terrain qui n’est que sable, et sur ce lict du carreau blanc entremeslé de noir large comme l’ongle, à la mosaïque, qui fait juger qu’en cet endroit estoit la salle de quelque somptueux palais et que quelque seigneur de grande qualité y demeuroit ; veu mesme qu’on y trouve tous les jours des pièces de marbre ouvré, et encore depuis peu une main fort bien taillée. » Au commencement de ce siècle, quand M. Lebrun, duc de Plaisance et propriétaire de Sainte-Mesme, fit tirer de ce champ des pierres pour l’établissement du chemin de Ville-Lebrun à Dourdan, d’autres mosaïques furent encore retrouvées, avec des marbres et pièces de monnaie d’Antonin, Marc-Aurèle, Constantin, etc.. A quelque distance, dans la commune de Ponthévrard, près la ferme des Châtelliers, au chantier des Castilles, — noms caractéristiques, — il existe du carrelage en mosaïque à fleur de terre, et le savant Duchâlais en a ramassé lui-même quelques cubes avec des fragments de poterie rouge et noire. Si nous nous arrêtons, à une petite lieue de Dourdan, aux ruines gallo-romaines de Sainte-Mesme, c’est que la tradition, et après elle de Lescornay, veulent trouver là le berceau de Dourdan, le point de départ de ses origines et de son nom. Nous entrons ici dans le domaine des légendes ; que ce soit avec la circonspection impartiale avec laquelle la science aborde ces témoins obscurs, naïvement invraisemblables, mais quelquefois plus confus qu’inexacts. « Anciennement, dit de Lescornay, un seigneur du pays qui estoit qualifié Rex Dordanus, homme payen, demeuroit au lieu dict Saincte-Mesme, demie lieuë au dessus de Dourdan, et avoit une fille nommée Mesme, laquelle fit profession du christianisme à son desceu : à cause de quoy (et pour n’estre descouverte) elle se retiroit ordinairement prez d’une fontaine où elle faisoit ses secrettes prières ; mais en fin ayant esté descouverte, et n’ayant peu estre divertie, il luy fit trancher la teste par la main propre de Mesmin son frère, lequel (adjouste le vulgaire), ayant recogneu sa faute, fut baptisé et se relégua quelque temps dans la forest prez d’une fontaine où il fit pénitence. » Une seule chose embarrasse de Lescornay « pour ce que ces termes sont équivoques signifiants roy Dourdain et roy de Dourdan, » il ne peut dire « s’il a fait bastir Dourdan et lui aye donné son nom, ou si Dourdan estant auparavant luy, il en aye porté le nom pour ce qu’il en estoit seigneur. » Là effectivement est la difficulté. Quant à la date, nulle donnée même approximative. Autre légende tirée de l’histoire de Saint-Rémy des Landes : Environ vers l’an 555 saint Arnoul, filleul et disciple de saint Rémy et mari de la pieuse Scariberge, nièce de Clovis, ayant quitté sa femme pour entrer dans les ordres, et ayant été un instant évêque de Tours, fut tué à Reims. Son corps fut transporté sur un chariot et accompagné par Scariberge, pour être enterré à Tours. Le cortége passant par un endroit dit Yveline, le comte Dordingus, grand seigneur dans la province, poussait alors vivement un cerf qui se retira sous le chariot comme dans un asile. Dordingus, instruit des mérites du saint, passe la nuit en prières, et veut accompagner le corps jusqu’à Tours. Mais on ne peut faire avancer le chariot miraculeusement arrêté, et le comte donne à Scariberge le lieu où il chassait pour y bâtir une église. Le village d’Yveline prit le nom de Saint-Arnoul et existe encore à deux lieues de Dourdan, et Scariberge fonda le monastère voisin de Saint-Rémy des Landes. « Il est aisé de juger, dit sans embarras le facile annaliste de ce monastère, le P. Jean-Marie Cernot, qui rapporte cette histoire d’après un ancien registre de l’abbaye dont les lettres sont gothiques, que le comte Dordingus estoit un grand seigneur de la contrée, et qu’il avoit pour titre de sa famille celuy de sa principale seigneurie, scavoir, de Dourdan, qui est un de nos anciens comtez de France et l’un des plus remarquables endroits voisins de la petite ville de Saint-Arnoul. Il y a aussi bien de l’apparence que Dordingus estendoit son domaine aux environs, et qu’il avoit droit de chasse dans la forêt où les merveilles que nous avons décrites sont arrivées. » Que conclure de tout cela ? L’identité des deux personnages est chose probable, et la double tradition n’aurait sans doute fait que consacrer le souvenir d’un ancien seigneur important de la contrée. Qu’il habite le palais gallo-romain de Sainte-Mesme, la chose est possible ; qu’il en soit le fondateur, rien ne le prouve. Qu’il soit païen, que plus tard il se convertisse et fonde une église, et que tout cele se passe au vie siècle, il n’y a rien là d’étonnant ; on sait qu’au vie et même au viie siècle le paganisme n’était pas encore totalement détruit dans les campagnes reculées et les vieilles forêts des Carnutes ; des documents incontestables en font foi. Qu’une portion de la forêtd’Yveline soit la propriété d’un seigneur de cette époque, l’histoire, fort obscure d’ailleurs à ce sujet, ne le contredit pas. La forêt d’Yveline, mentionnée par Grégoire de Tours, avait été d’abord donnée par Clovis à l’église de Reims ; elle rentra plus tard dans le domaine royal. Pépin s’en dessaisit de nouveau pour en faire donation à l’église de Saint-Denis (798) ; mais déjà des écarts de cette immense forêt avaient été aliénés par les rois ses prédécesseurs, en faveur de quelques-uns de leurs barons. Le roi, c’est-à-dire seigneur ou comte Dordanus ou Dordingus, serait donc un des compagnons des rois mérovingiens, un de ces Francs de la conquête entre lesquels le sol fut partagé, et qui s’établirent, sans y faire grand changement, dans les villas gallo-romaines. Il est certain qu’on doit voir dans le nom de Dordingus une forme germanique, qui se retrouve d’ailleurs dans les premières traductions latines du nom de Dourdan. Nous avons dressé à ce propos, avec beaucoup de soin, la liste des diverses formes du nom de Dourdan d’après les plus anciens textes, et nous la mettons ici sous les yeux du lecteur. « Apud villam Dordingam ou Dordengam, » an. 956 ; ex Chronico Senonensi Sanctæ Columbæ ; D. Bouquet, tom. IX, 41, A. « Apud Dordingham villam, » an. 956 ; Aimoini monachi de Gestis Francorum lib. V, cap. xliv ; apud Bouquet. « Apud Doringam, » an. 956 ; Pertz, Monumenta Germaniæ, XI, 403. « Apud Drodingam villam, » an. 956 ; ex Chronic. Hugonis Floriacensis ; apud Bouquet, VIII, 321. « Dordeneus villa, » an. 956 ; Chron. de l’abb. de Saint-Victor; id. IX, 44, D. « Locus quem dicunt Dordingum, » an. 986 ; Gerberti epistola XCIV ; citée dans D. Bouquet et dans Hadr. de Valois, article Dourdan. « Apud Dordensium, » an. 1120 charte de Louis le Gros citée par le P. Basile Fleureau, barnabite, dans ses « Antiquitez de la ville et duché d’Estampes, » 1683, in-4, p. 496 ; Aim., lib. V, c. 11. « Apud Dordingtum ; » charte de Louis le Gros tirée d’un cartulaire du prieuré de Longpont, indiquée par André du Chesne à J. de Lescornay, qui l’a citée dans ses « Mémoires de Dourdan, » 1624. « Apud Dordinchum, » circ. an. 1147 ; lib. II Chron. Mauriniacensis. D. Bouquet, XII, 71. « Dordanum, » an. 1210-1290 ; chartes latines manuscrites concernant le prieuré de Dourdan, aux archives d’Eure-et-Loir, fonds de Saint-Chéron ; charte de Philippe Auguste (1222), Bibl. imp., ms. fonds français, no 9852, 3 (Colbert), fol. 124, verso, etc., etc. « Dordannum, » an. 1284 ; D. Bouquet, XXII, 458, A. « Dordan » (Isabellam), an. 1174 : Isabelle de Dourdan ; cartulaires blancs et rouges de Josaphat, arch. d’Eure-et-Loir, et Gallia christiana, XII, 51, E. ; an. 1314, Jean de Saint-Victor ; ap. Bouquet, XXI, 658, J. « Dordam, » an. 1257 ; Bibl. imp., ms. 9653, 5, A. Les continuateurs de D. Bouquet ne savent pas si l’on doit lire « Dordam » ou « Dordain. » « Dourdan, » an. 1266 ; arch. du Loiret, comté de Dourdan, invent. de Vassal, A, 1384. – An. 1281, arch. d’Eure-et-Loir, fonds de Saint-Chéron, etc., etc. « Durdactum castrum, » an. 1314 ; Guil. de Nangis ; apud D. Bouquet XX, 609, D. « Dardunum, » idem, dans le ms. no 435. « Dordonum, » idem, dans les mss. no 999 et 4921, A. « Dordincum, » Martyr, univers. de Castellanus ; Acta sanct. « Durdinium, » Dictionnaire de Corneille. « Durdanum, » Baudrant. « Dourdenc » est encore une forme que nous nous rappelons avoir vue. Il est difficile de déguiser sous plus de formes diverses un nom qui reste au fond toujours le même. L’ignorance et parfois les essais de science des copistes, des tabellions ou des clercs, l’influence des différentes races qui ont passé sur le territoire, ont amené ce résultat. Pour en finir avec le seigneur Dordingus, a-t-il pris en le germanisant le nom primitif de Dourdan, la chose est probable, et ce nom primitif, ce nom vulgaire qui reparaît plus tard serait celui même de Dourdan ou Dordan, suivant la phrase de « l’autheur célèbre » que cite de Lescornay, « Orgia alluit Dordingam quam vulgò Dordanum incolæ vocant. » L’existence, à Dourdan même, d’une bourgade mérovingienne est un fait hors de doute. A supposer que la forteresse romaine ait été alors détruite ou remaniée, Dourdan, à cause de sa position de frontière, dans les divers partages entre les descendants de Clovis, dut être doté d’un de ces châteaux que les rois mérovingiens firent construire sur certains points menacés du territoire. La tradition, d’accord en cela avec les probabilités de l’histoire, fait en effet remonter à Gontran la fondation d’un château à Dourdan. Dourdan appartenait alors au pays d’Étampes, pagus Stampensis, dont la première mention se trouve, vers cette époque, dans Grégoire de Tours. Il en était une des frontières. Dépendant, comme le territoire d’Étampes et celui de Chartres, du royaume d’Austrasie, Dourdan fut compris dans la transaction de Childebert qui cédait tout ce pays à Gontran, roi de Bourgogne (587) ; il eut à subir les désastres et les ravages nés des sanglantes discordes de ces premiers et violents rivaux de la monarchie franque. On a voulu faire de Dourdan le théâtre d’un des chocs de Gontran et de Chilpéric, d’après le texte de Grégoire de Tours, qui indique comme lieu de l’action un pont sur l’Orge, Urbiensis pons Parisiacæ civitatis. Mais Dourdan n’appartenait pas à la civitas Parisiaca, au diocèse de Paris, comme on aurait dit plus tard, et, suivant H. de Valois, c’est à Savigny-sur-Orge qu’il convient de reporter la scène. Certains objets ont été aussi attribués à la période mérovingienne de Dourdan. En fidèle narrateur, nous devons le consigner ici. Dans un mémoire présenté, en 1851, à la Société archéologique de l’Orléanais, par le regrettable M. Duchâlais, si compétent en pareille matière, un triens mérovingien, ou tiers de sou d’or, qui venait alors d’être acquis par la Bibliothèque impériale, est décrit comme ayant dû être frappé à Dourdan. Ce triens, de 11 millimètres de diamètre, porte un buste très-primitif dont les contours sont formés par de petits globules. Autour se lit le mot dortenco. Au revers, une croix fichée sur un globe, aux branches de laquelle pendent l’alpha et l’oméga, est entourée de cette légende, qui serait le nom du monétaire : lelgvn. M. Duchâlais, tout en avouant qu’il existe en Bugei un village de Dortan, croit devoir attribuer ce triens à Dourdan, en considération de l’importance que devait avoir déjà cette bourgade, par des motifs déduits, d’après de Lescornay, des traditions que nous avons rapportées. Quand on a fouillé l’emplacement de l’ancien cimetière Saint-Pierre, où sont les arbres qui ombragent l’entrée du parterre, des cercueils fort anciens ont été trouvés. Ces cercueils, dont les uns étaient en pierre, les autres en plâtre, suivant l’usage adopté pendant une longue période, contenaient des ossements, entre autres ceux d’un homme ayant une épée à ses côtés, et ceux d’une femme enterrée avec son enfant. Ils ont été malheureusement dispersés avec ce qu’ils renfermaient, et finalement brisés après avoir servi quelque temps d’auges. Des antiquaires de Paris, alors informés, ont gardé un souvenir de cette découverte. Doit-on la rapporter à l’époque mérovingienne ? La supposition est fort plausible, mais elle aurait besoin d’être vérifiée. Nous ne rechercherons pas le sort présumable du territoire de Dourdan pendant la période carlovingienne, puisque l’histoire s’est obstinée à en taire le nom. Sans doute il vit passer, au commencement du xe siècle, le torrent des pillards du Nord, les Normands de Rollon, qui dévastèrent tout le pays d’Étampes, au dire des chroniqueurs. Le Chartrain était alors tour à tour possédé, disputé ou partagé par les fils des nouveaux conquérants et par la puissante maison de Robert le Fort, qui hésitait encore à prendre définitivement la couronne sur la tête des pâles successeurs de Charlemagne. Hugues le Grand, duc et plus que roi de France, paraît avoir cédé vers ce temps le titre et certaines terres de son comté de Chartres à son parent le Normand Thibault le Tricheur, mais en conservant le territoire qui s’approchait de Paris. Dourdan faisait partie du domaine que se réservait le puissant duc, et c’est associée au nom de Hugues le Grand que cette ville, dont nous avons pu depuis longtemps affirmer sans témérité et suivre presque sans peine la vie latente, prend sa place au grand jour de l’histoire, avec son nom et la double mention de villa et de castrum. Papirius Masson, Description de la France par les fleuves. — G. Morin, Hist. du Gâtinais et du Hurepoix. Guérard, Provinces et Pays de la France, Annuaire de la Soc. d’hist. de France, an. 1837. Ève ou ive, c’est-à-dire eau, à cause des sources nombreuses qu’on y rencontrait. Houzé, Signification des noms de lieux, etc. Le nom de forêt d’Yveline désigne plus particulièrement aujourd’hui la partie de forêt comprise entre Rambouillet et Sonchamp. D’autres sont en la possession de M. Aug. Moutié, président de la Soc. archéol. de Rambouillet. La commission de topographie des Gaules a signalé ces découvertes sur la belle carte qu’elle prépare. D’autre part, le célèbre érudit de Genève, M. Pictet, consulté par nous, veut bien nous envoyer la note suivante : « Comme nom de lieu, Dourdan n’est pas isolé : car on trouve un village Dourdain dans Ille-et-Vilaine, et un Dordagno en Espagne, entre la Coronne et Santiago ; mais rien de semblable en gaulois, ni chez les Celtes insulaires. Comme nom de rivière, par contre, nous avons le Dourdon, affluent du Tarn, et le Durdan (Seine-Inférieure), affluent à la Manche, et de plus un lac Dordon dans les Hautes-Pyrénées, et ces noms s’expliquent bien par l’irlandais dord, dordán, durdan, murmure, bourdonnement, du verbe dord, bourdonner ; en gallois durdd, bruit sourd, murmure, évidemment une onomatopée. Cela ne convient guère pour un nom de lieu, à moins qu’il ne se rattache à celui d’un cours d’eau. Se pourrait-il que l’Orge (Urbia, Hordea, Orgia), eût été appelée aussi Durdanus ou Durdana ? ou qu’elle ait brui notablement en passant à Dourdan ? » — Peut-être, en se déversant dans le grand étang. Une d’entre elles, monnaie de potin, ou cuivre jaune, fait partie de la collection de M. de Saulcy. Plusieurs de ces fragments, rapprochés et recollés, ont été montrés par nous aux savants antiquaires de la manufacture de Sèvres, MM. Riocreux et Millet, qui les ont examinés avec un grand intérêt. Ces débris, avec d’autres vases entiers, ou fragments d’ouvrages en terre offerts par plusieurs particuliers, vont former une modeste collection que l’administration intelligente s’occupe d’ouvrir à la mairie, en invitant la population à y déposer, comme don ou même comme prêt, tout ce qui peut rappeler l’histoire du passé de la ville. Au moment où nous mettons sous presse, des trouvailles intéressantes viennent d’être faites dans cette région, à l’occasion des fouilles opérées pour les constructions de M. Beaurienne et de M. Gingréau. L’emplacement d’un cimetière gallo-romain a pu être facilement constaté. Douze squelettes au moins, les pieds tournés vers l’orient, ont été trouvés à une faible profondeur. Quelques-uns avaient la tête placée entre deux grosses pierres. Des clous permettent de penser que plusieurs avaient été déposés dans des cercueils. Des débris de poterie étaient mêlés aux terres. Un caveau, à demi effondré, contenait les ossements d’un personnage dont la tombe avait été brisée. Un fragment de moulure ou corniche, des débris d’animaux, le crâne d’un bœuf, de magnifiques tuiles à rebords, une meule à bras, des tessons de poteries, un vase intact en terre rouge fine élégant de forme et décoré d’entailles, le fond d’un autre vase contenant un dépôt vitreux de plusieurs centimètres d’épaisseur, une sorte de chaton en verre, quelques petits bronzes du bas empire, sont les objets les plus intéressants que la fouille de ce caveau ait amenés au jour. Ils donnent la date du quatrième siècle environ de notre ère, et les terres profondément remaniées, les détritus, les pierres enfouies dans le sol attestent un long et ancien établissement. De Lescornay, p. 26. Un fragment de marbre transparent comme de l’albâtre et portant des cannelures et le bout d’une griffe d’animal finement sculptée, nous a été gracieusement offert par M. Dubois, agent voyer en chef du département de Seine-et-Oise, et fera partie du petit musée de la ville. Mém. de la Soc. arch. de l’Orléanais, tom. I, 1852, p. 198. Malgré l’offre de son père de la marier au fils du roi de Castille : Magnati Castiliæ regis filio. — (Acta sanctorum, de sancta Maxima, etc., 25 août.) — Serait-ce le seigneur des Châtelliers ? D’autres versions ajoutent qu’il devint ensuite éveque d’Orléans. — Les Bollandistes ne veulent pas reconnaître ce personnage et sont sévères pour les incertitudes et les confusions de cette légende. (V. Acta sanctorum ; Gallia christiana ; Martyrol. de Castell. ; Martyrol. de Paris, éd. de Noailles ; Brév. de Vers., etc.). Les fontaines de Sainte-Mesme et de Saint-Mesmin sont encore en vénération. L’église de Sainte-Mesme est l’objet d’un pèlerinage. (Voir à la fin du volume la Promenade dans le canton sud.) Vie de saint Arnoul et de sainte Scariberge, son épouse, etc., par le P. I. M. Paris, 1676, in-32. – Cf. D. Bouquet, in Greg. Turon., II, 387. Hist. eccles. Franc., lib. X. Doublet, Hist. abb. S. Dionysii, p. 699 ; Bouquet, V, 707. Malte-Brun, Hist. de Marcoussis. Paris, 1867, p. 3. Viollet-le-Duc, Dict. d’Architect., article Chateau. Hist. Francorum, IX, xx ; X. xix ; le pagus Stampensis ou Stampinus, franchissant l’Orge sous Dourdan à la Brière (Brocaria prope de fluviolo Urbia, chart. Clotild. Bréquigny, Dipl., p. 257), s’engage par la branche affluente qui passe au nord de Rochefort et de Saint-Arnoul, par Bullion (Bualone, Testam. Bertram. Episc. Cenoman.) et se perd dans la forêt Yveline, confinant au Gâtinais et au Chartrain et enveloppant dans son périmètre ce qui sera le doyenné de Rochefort. (Guérard, Polyptique ; Guérineau de Boisvillette, Mém. de la Soc. arch. d’Eure-et-Loir t. III, p. 78, etc.) Greg. Turon., lib. VI, cap. xix ; Hadr. Vales., Notitia Galliarum ; Alfr. Jacobs, Géographie de Grég. de Tours, p. 138. M. A. de Barthélémy, dans sa Notice sur les noms de lieux signalés sur les monnaies, se contente de citer l’opinion de M. Duchâlais, à propos du triens de Dourdan. Disons toutefois qu’un de ces cercueils en pierre, très-bien conservé, existe encore, rempli de terre et de fleurs, dans la cour de la maison de la rue Saint-Pierre que possède M. Isambert, et qu’habite M. Cosseron, tourneur. Quant aux cercueils de plâtre, nous en avons vainement cherché les traces. « Stampas equidem adiens Rollo totam terram adjacentem perdidit, quamplurimos captitavit. » (Guill. de Jumièges, liv. II.) |
Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/Pièce VII | Joseph Guyot Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan Aubry, 1869 (p. 411-412). ◄ Pièce VI Pièce VIII ► Sentence arbitrale attribuant lesdites dîmes aux moines de Saint-Chéron bookChronique d’une ancienne ville royale DourdanJoseph GuyotAubry1869ParisVSentence arbitrale attribuant lesdites dîmes aux moines de Saint-ChéronChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvuChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvu/10411-412 « E. archidiaconus et Magister Galterius Cornutus, canonicus Parisiensis omnibus... Notum facimus quod nos arbitri de consensu partium electi, sub pena centum librarum parisiensium super omnibus causis que vertebantur auctoritate apostolica inter... Abbatem et conventum Sancti Carauni Carnotensis, ex una parte, et magistrum et fratres de Loia Grandimontensis ordinis, ex altera, die ad hoc statuta, abbate Sancti Carauni presente, et conventu Sancti Carauni et fratribus de Loia per procuratores suos presentibus : adjudicavimus abbati et conventui Sancti Carauni Carnotensis dominium et possessionem totalis decime que fuit Roberti de Guillervilla, militis, tam bladi quam vini in parrochia de Dordano et de Granchiis, et etiam minutam decimam que fuit ejusdem R. militis ; et totalem minutam decimam vini que est de dimidio quarterio decime quod fuit quondam Andree Polin. Ita quod, infra quatuor annos, dicti abbas et canonici Sancti Carauni reddant dictis fratribus de Loia centum et sexaginta libras parisienses in quolibet quatuor annorum : scilicet, quadraginta libras donec centum sexaginta libre fuerint persolute ; et hoc pro pretio quod datum fuit pro eadem decima quando empta fuit ab eodem, R, milite. Adjudicavimus etiam quod totalis decima bladi que fuit Andree Polin, et fructus percepti tam de decima Andree Polin quam de decima Roberti de Guillervilla, penes dictos fratres libere permanebunt. De decimis novalium terrarum et vinearum quas propriis sumptibus et laboribus dicti fratres excolunt, pronunciavimus quod penes ipsos fratres, secundum quod in eorum continetur privilegio, quantum ad eosdem abbatem et canonicos, libere remanebunt. Præterea de dictis centum et sexaginta libris, secundum quod superius dictum est, persolvendis, dabunt abbas et canonici securitatem dictis fratribus, secundum quod nobis placuerit disponendum. De expensis ab utraque parte factis pro causis que inter ipsos vertebantur coram nobis, partes sese ad invicem absolverunt. Preterea interdicti vel excommunicationis sententias quascunque a suis judicibus relaxari et denuntiari penitus esse nullas. Dicti vero fratres de Loia parrochianos de Dordano et de Granchiis, et omnes alios contra quos dicti fratres habebant causam super decima vini Roberti de Guillervilla et Andree Polin coram nobis penitus quitaverunt, et quos citari occasione predicta fecerant in pace dimitterunt et illos quos excommunicari fecerant denuntiari fecerunt absolutos. Hec omnia suprascripta fuerunt adjudicata et pronunciata sicut superius est expressum et confirmata de consensu partium sub pena centum librarum parisiensium contenta in compromissione facta et sigillata sigillorum abbatis et conventus Sancti Carauni Carnotensis et C., prioris Grandimontensis. In cujus rei memoriam... etc. Actum anno Domini Millesimo Ducentesimo Nonodecimo, mense Februario, die Jovis proxima post octabas Purificationis beate Marie Virginis. » (Original en parchemin avec deux doubles attaches de sceaux. — Archives d’Eure-et-Loir, fonds de Saint-Chéron.) P. 41. |
Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/Pièce XXIII | Joseph Guyot Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan Aubry, 1869 (p. 435-436). ◄ Pièce XXII Pièce XXIV ► Hommage des habitants à la grande-duchesse bookChronique d’une ancienne ville royale DourdanJoseph GuyotAubry1869ParisVHommage des habitants à la grande-duchesseChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvuChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvu/10435-436 Aujourd’huy, dix-septième jour d’avril 1695 ; en l’auditoire royal de Dourdan, lieu ordinaire où se tiennent les assemblées de la dite ville, et où estoient lesdits habitants assemblés au son de la cloche, à la dilligence de Noël-Denis Lesourd, leur procureur-syndicq, est comparu M. André Le Camus, — substitut de M. le Procureur du Roi, de l’artillerie de France, résident au dit Dourdan, fondé de procuration de sœur Louise Texier, administratrice du temporel de l’Hostel-Dieu de Dourdan, — lequel a dit que depuis unze années qu’il a la direction de l’Hostel-Dieu, de la dite ville, sous la procuration de la dite Texier, il a receu de très-haute, très-puissante et très-illustre princesse Madame Margueritte-Louise d’Orléans, grande-duchesse de Toscane, plusieurs sommes de deniers qu’il a employez tant au restablissement et augmentation des bâtiments et réparations de la Chappelle du dit Hostel-Dieu, que pour la norriture, gouvernemens, pencemens et médicamens des pauvres du dit Hostel-Dieu, et pour norrir, gouverner et instruire, un nombre de petittes filles, orphelines de la dite ville, Son Altesse Royalle, madite Dame Grande-Duchesse, lui avait plusieurs fois dit, que touttes les sommes de deniers qu’elle a donnez et donne souventes fois, elle vouloit que le tout fust employé, tant pour les dits pauvres malades, que pour les dites petittes filles orphelines, et que sa volonté estoit que l’on passast un acte portant que le dit Hostel Dieu seroit obligé d’y en norrir, gouverner et instruire un nombre certain. La proposition ayant été mise en délibération, les dits habittants assemblez ont tous d’une voix dit et déclaré, que pour donner des marques de leur recognoissance à Son Altesse Royalle, Madame la Grande-Duchesse, de tant de bienfaits qu’ils ont receus de sa part en la personne des pauvres mallades et autres de la dite ville et de ceux qu’elle leur a procurez, et qu’ils espèrent qu’elle leur donnera et procurera par sa charité incomparable et sans exemple, ont consenty et accordé, consentent et accordent autant qu’ils le peuvent et sans néantmoins s’y obliger, que le dit Hostel-Dieu soit et demeure chargé de six petites filles de la dite ville, orphelines de père ou de mère, nées en loyal mariage, pour y être norries, entretenues, gouvernées et logées, tant saines que malades, et instruittes par une seur de la Charité, ou autre fille qui leur apprendront à faire des bas de soye ou la couture, lesquelles petites filles ne pourront être receues au dit Hostel-Dieu, qu’elles n’ayent attaint l’âge de cinq à six ans, et y demeureront jusqu’à ce qu’elles sachent gaigner leurs vies aux dits ouvrages, ou qu’elles soient en état et force d’aller servir. La gouvernante des dits enfants orphelines, sera tenue et obligée, outre les instructions ci-dessus, de les mener et conduire tous les jours à la chappelle du dit Hostel-Dieu, et là estant, leur faire garder le respect et modestie, les faire prier Dieu pour le Roi, notre Sire, pour Monseigneur le Duc D’Orléans, frère unicque de Sa Majesté, comte et seigneur de cette ville de Dourdan ; pour son Altesse Royale, Ma dite Dame Grande-Duchesse de Toscane, fondateurs et bienfaicteurs du dit Hostel-Dieu, à cette fin et intentions, chanteront les litanies de la Sainte-Vierge, aveq l’oraison : Et Exaudiat te Dominus in Die tribulationis, aveq l’oraison, l’antienne de la Sainte-Vierge, qui se chante selon les Tems que l’Eglise observe, aveq un De Profundis pour les pauvres trespassez, les quelles prières se feront depuis Pasques jusqu’à la Saint-Remy, à sept heures du soir, et depuis la Saint-Remy jusqu’à Pasques, à cinq heures du soir, sauf à advancer ou retarder les dites prières d’une demye heure, si le service pressant des mallades le requeroit. La dite prière sera annoncée par le son de la cloche de la dite chappelle ; pendant la dite prière, il y aura deux cierges allumez sur l’autel. Les dites orphelines seront receues au dit Hostel-Dieu, soubs le bon plaisir et au choix de Son Altesse Royalle Ma dite Dame Grande-Duchesse, ou par telle personne qu’il lui plaira nommer et commettre pour cet effet, et après seront choisies et nommez alternativement, savoir : la première fois, par M. Le Prieur de Saint-Germain la seconde, par M. le Curé de Saint-Pierre, la troisième, par M. le lieutenant-général, la quatrième, par M. le Procureur du Roi du Bailliage, la cinquième, par M. l’administrateur, et la sixième, par M. le procureur du Roi de la ville et communauté du dit Dourdan, sans que l’ordre ci-dessus puisse être changé que du consentement des dits sieurs cy-dessus nommés qui auront soin par leurs charitez, de prendre toujours les plus pauvres et destituez de parens ; ne seront receues au dit Hostel-Dieu, les petites filles qui se trouveront malades d’épilepsie, ou haut mal, les escrouellées, celles qui auront la tigne, ulcères et autres maux incurables ; et si par la suite des temps, les dites orphelines se trouvent attaintes des dites infirmités, soit qu’elles eussent été receues par surprise, ou que cela leur fust arrivé naturellement, l’on les fera séparer des autres. Déclarant les dits habitants assemblez, qu’ils voudraient avoir plus grandes occassions de tesmoigner à Son Altesse Royale, Ma dite Dame Grande-Duchesse, leurs recognoissances de ses bienfaicts. Fait et arresté en la dite assemblée, le dit jour, dix-septième avril 1695, d’une heure de relevée, en présence des dits habitants, savoir Claude Regnou, Claude Guerton, Claude Poussepin, Léonard Dossonville, Pierre Le Camus, Pierre Aury, Pierre Houssu, Pierre Dutocq, Anne Houssu, Anthoine Roussin, Claude Sédillon, Louis Guillemin ; tous marchands, demeurans en la dite ville de Dourdan ; devant nous, Anne Pelault, sieur de Cherelles, conseiller du Roi et son procureur en la ville et communauté du dit Dourdan, et ont tous les sus dits habitants signé. (Archives de l’Hospice.) P. 261. |
Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/Pièce I | Joseph Guyot Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan Aubry, 1869 (p. 407). ◄ Appendice III Pièce II ► Titre de donation de la paroisse St-Germain aux chanoines de St-Chéron bookChronique d’une ancienne ville royale DourdanJoseph GuyotAubry1869ParisVTitre de donation de la paroisse St-Germain aux chanoines de St-ChéronChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvuChronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvu/10407 « Ego Golenus dei gratia Carnotensis Episcopus Ecclesiam Sancti carauny officiosæ charitatis prerogatiua diligens ut postquam ex seculari in regularem domini papæ Eugenii assensu conuerteram cogitaui ut dei Seruis ibidem congregatis aliquod munificæ liberalitatis datum impartirer quod ope complere satagens donari eis Ecclesiam de Dordano cum capella de granchiis ita scilicet ut canonici regulares jugiter ibi deseruiant et parochialia integre obtineant saluo in omnibus ut decet tam Episcopi quam archidiaconi jure et ut hac nostra donatio nulla in posterum mutatione solueretur nostro tam sigillo roborauimus eorumque qui interfuerunt nomina subscripsimus ego Golenus Carnotensis Episcopus Droco Archidiaconus cujus coniuentia et assensu istud firmatum est Robertus Succentor Renerius archidiaconus Joannes Archidiaconus Guillelmus camerarius Milo præpositus Odo Presbiter Mile Presbiter Odo canonicus et diaconus. » Page 18. Circ. 1150. (Archives de l’Église.) Nous avons hésité à reproduire ici des pièces réellement intéressantes pour l’histoire de Dourdan, mais qui existent imprimées dans de Lescornay ou ailleurs. C’eût été surcharger ce volume. Beaucoup de pièces inédites auraient pu trouver leur place, mais les passages caractéristiques, les extraits considérables que nous avons fondus dans notre narration nous semblent rendre inutile une citation in extenso. Les pièces que nous offrons ici nous ont paru devoir être transcrites pour ne pas être exposées à retomber dans l’oubli d’où nous les avons tirées. |
Dictionnaire touareg – français/T | Charles de Foucauld Dictionnaire touareg – français Texte établi par André Basset, Imprimerie nationale de France (p. 1876-1922). ◄ S ⵙ Ṭ ⵟ ► T ⵜ dictionaryDictionnaire touareg – françaisCharles de FoucauldImprimerie nationale de FranceParisCT ⵜFoucauld, Dictionnaire touareg.djvuFoucauld, Dictionnaire touareg.djvu/11876-1922 ⵜ at ⵜ vn. prim. ; conj. 17 « ar » ; (ioută, ioutâ, éd iat, our iouté) ‖ être accru (être augmenté) ; s’accroître (s’augmenter) ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. ‖ se dit de tout ce qui est capable de s’accroître en quoi que ce soit, p. ex. en nombre, grandeur, dimensions, beauté, force, vertu, méchanceté, laideur, richesse, pauverté, intensité, prix, valeur, dignité, quantité, etc. ‖ se dit, p. ex., de p., d’an., de maisons, de tentes, de champs, de puits, de fusils, qui s’accroissent en nombre ; de p. qui s’accroissent en beauté, vertu, richesse ; d’an., de blé, de beurre, qui s’accroissent en prix, en quantité, en valeur ; de la beauté, de la bonté, de la dignité, de la richesse de qlq’un qui s’accroissent ; de la pluie, du vent, qui s’accroissent ; des eaux qui s’accroissent dans un cours d’eau, un puits, une outre, un vase ; du blé qui s’accroit dans un vase, dans un sac ; de la nourriture ou de la boisson qui s’accroissent dans un lieu, dans un récipient ; etc. — sit ⵙⵜ va. f. 1 ; conj. 175 « sir » ; ω (iessoŭta, iessoûta, éd isit, our iessouta) ‖ accroître. — tât ⵜⵜ vn. f. 6 ; conj. 224 « târ » ; (itât, our itit) ‖ être hab. accru ; s’accroître hab. — sât ⵙⵜ va. f. 1.6 ; conj. 224 « târ » ; ω (isât, our isit) ‖ accroître hab. — sâta ⵙⵜⴰ va. f. 1.10 ; conj. 239 « sâra » ; ω (isâta, our isiti) ‖ m. s. q. le pr. ‖ plus us q. le pr. — ăt ⵜ sm. nv. prim. ; (pl. ătten ⵜⵏ) ‖ fait d’être accru ; fait de s’accroître. — tîtit ⵜⵜⵜ sf. nv. prim. ; (pl. tîtîtîn ⵜⵜⵜⵏ) ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. — ăsîti ⵙⵜⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isîtîten ⵙⵜⵜⵏ), daṛ sîtîten ‖ fait d’accroître. — tăsîtit ⵜⵙⵜⵜ sf. φ (pl. tisîtîtîn ⵜⵙⵜⵜⵏ), daṛ tsîtîtîn ‖ supplément (ch. supplémentaire ; ch. qui accroît ce qu’on a déja) ‖ une tăsîtit peut se composer d’une ou de plusieurs p., an., ou ch. en nombre et de valeur qlconques ‖ se dit, p. ex., d’un renfort d’h. pour faire un travail ou une expédition guerrière, d’un renfort d’un an. de bât pour porter un bagage, du supplément d’une chèvre ou d’une poule pour préparer un repas à des hôtes, du supplément d’une corde prêtée ou donnée pour faire un travail, du secours d’un briquet ou d’un couteau prêtés pour faire un petit voyage ou un travail, etc. ‖ peut qlqf. se traduire par « renfort ; secours ». ⵜ ti ⵜⵉ sm. α (pl. tei ⵜⵉ) ‖ père ; mon père ‖ ti signifie « père ; mon père » ; tei signifie « pères » et ne signifie pas « mes pères » ‖ ti et tei appartiennent à la classe des subs. α, c. à d. qu’ils exigent après eux l’emploi de la forme irrégulière des pr. pers. affixes dép. des noms ; de plus, ces 2 mots présentent, dans leur emploi avec les pr. af. dép. des noms, d’autres particularités. v. ⵉ i (é) ‖ p. ext. « frère du père (frère de père et de mère du père, ou de père seulement, ou de mère seulement) ; beau-père (épouse de la mère, autre que le père, marié à la mère après le père) » ‖ ti s en ti « père de lui du père ; père de lui de mon père » signifie « grand’père paternel ; mon grand’père paternel » ‖ ti s em ma « père d’elle de la mère ; père d’elle de ma mère » signifie « grand’père maternel ; mon grand’père maternel » ‖ v. ⵎⵗⵔ imṛar, amṛar. ⵜ tîtat ⵜⵜⵜ (Ăir) sf. (pl. tîtâtîn ⵜⵜⵜⵏ) ‖ filet à larges mailles ‖ non us. dans l’Ăh. ⵜ ătou ⵜⵓ sm. (pl. ătoûten ⵜⵜⵏ) ‖ poudre (mélange très inflammable servant à lancer les projectiles) ‖ se dit de toutes les poudres à fusil, à canon, à mine, etc. ‖ on ne fabrique pas de poudre dans l’Ăh. ⵜ t ⵜ pr. af. rég. dir. des v. ; 3e p. ms. ‖ lui ‖ v. ⵉ i (é). — tet ⵜⵜ pr. af. rég. dir. des v. ; 3e p. fs. ‖ elle ‖ v. ⵉ i (é). — ten ⵜⵏ pr. af. rég. dir. des v. ; 3e p. mp. ‖ eux ‖ v. ⵉ i (é). — tenet ⵜⵏⵜ pr. af. rég. dir. des v. ; 3e p. fp. ‖ elles ‖ v. ⵉ i (é). — êt ⵜ pr. af. rég. dir. des v. ; 3e p. fs. (forme irrégulière) ‖ elle ‖ v. ⵉ i (é). ⵜ ta ‖ v. ⵓ oua. — tâ-reṛ ‖ v. ⵓ oua. — ta ‖ v. ⵓ oua. — ta-h ‖ v. ⵓ oua. — ta-i-deṛ ‖ v. ⵓ oua. — ta-dĭ ‖ v. ⵓ oua. — ta-dĭ-h ‖ v. ⵓ oua. — t-în ‖ v. ⵓ oua. — t-în-deṛ ‖ v. ⵓ oua. — ta-n-dĭ ‖ v. ⵓ oua. — ta-n-dĭ-h ‖ v. ⵓ oua. — ta-n-d-în ‖ v. ⵓ oua. — ta-n-d-în-deṛ ‖ v. ⵓ oua. — ti pr. indéfini ‖ v. ⵉ i pr. indéfini. ⵜⴱ teb ⵜⴱ sm. (s. et pl.) ‖ « teb » ; mot sans signification figurant le son d’une tape ‖ ex. ietĕk ĕblal, imă teb ⁒ est tombée verticalement la pierre, elle a dit « teb » (la pierre est tombée, elle a fait « teb ») ‖ syn. de deb ‖ v. ⵜⴾ tek. — toubbet (Ta. 2) ⵜⴱⵜ va. prim. ; conj. 97 « doubet (Ta. 2) » ; (iettoŭbbet, iettoûbbet, éd ittoubbet, our iettoubbet) ‖ taper avec la main ouverte ‖ a aussi le s. pas. « être tapé avec la main ouverte » ‖ peut avoir pour suj. une p. ou la main. Peut avoir pour rég. dir. une p., un an., ou une ch. ‖ se dit, p. ex., d’un h. qui tape avec la main ouverte sur sa cuisse, son genou, une partie qlconque de son corps, sur la cuisse, l’épaule, une partie qlconque du corps d’une p. ou d’un an., pour n’importe quel motif, si faiblement ou si fortement que ce soit ; d’un h. qui tape avec la main ouverte une ch. qlconque, livre, étoffe, vêtement, peau, etc. pour n’importe quel motif, p. ex. pour en faire sortir la poussière. N’a pas le sens « souffleter (donner un soufflet à) » ‖ fig. « saisir [une p. ou un an.] », le suj. étant une p. ou un an. D. ce s. est syn. d’ermes avec cette différence qu’ermes peut avoir pour suj. et rég. dir. des p., des an., ou des ch. Peu us. dans ce s. — settebbet (Ta. 2) ⵙⵜⴱⵜ va. f. 1 ; conj. 134 « seġġereffet (Ta. 2) » ; (istebbet, iesîtebbet, éd isettebbet, our istebbet) ‖ faire taper avec la main ouverte ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — tîtebboût (Ta. 8) ⵜⵜⴱⵜ va. f. 16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (itîtebboût, our itetebbout) ‖ taper hab. avec la main ouverte ‖ a aussi le s. pas. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sîtebboût (Ta. 8) ⵙⵜⴱⵜ va. f. 1.16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (isîtebboût, our isetebbout) ‖ faire hab. taper avec la main ouverte ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ătabbou ⵜⴱⵓ sm. nv. prim. ; φ (pl. itebboûten ⵜⴱⵜⵏ), daṛ tebboûten ‖ fait de taper avec la main ouverte ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être tapé avec la main ouverte » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsettebbou ⵙⵜⴱⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettebboûten ⵙⵜⴱⵜⵏ), daṛ setteboûten ‖ fait de faire taper avec la main ouverte ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tebteb ⵜⴱ⵿ⵜⴱ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (ittĕbteb, iettîbteb, éd iettebteb, our ittebteb) ‖ taper à plusieurs reprises ‖ a aussi le s. pas. « être tapé à plusieurs reprises » ‖ peut avoir pour suj. et rég. dir. des p., des an., ou des ch. ‖ signifie taper à plusieurs reprises n’importe comment, fortement ou faiblement, avec la main, le pied, la tête, un instrument, etc. ‖ se dit, p. ex., d’un h. qui tape à plusieurs reprises un clou avec un marteau, une porte avec la main (pour qu’on lui ouvre ou qu’on lui dise d’entrer), sa cuisse avec la main, la joue ou l’épaule de qlq’un (pour caresser), la tête ou le dos d’un an. (pour caresser), le sol avec son pied (de colère, ou pour un autre motif) ; d’un an. qui tape à plusieurs reprises le sol ou autre ch. du pied ou de la tête ; d’une branche ou d’un objet suspendu qui tapent à plusieurs reprises qlq. ch. (par suite du vent, ou pour une autre cause), d’un marteau qui frappe à plusieurs reprises un clou ; etc. ‖ peut qlqf. se traduire par « tapoter » ‖ diffère de tektek « frapper légèrement à plusieurs reprises [une ch.] (pour faire tomber une substance en poudre ou de la poussière attachées à ses parois) ». — settebteb ⵙⵜⴱ⵿ⵜⴱ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (istebteb, iesîtebteb, éd isettebteb, our istebteb) ‖ faire taper à plusieurs reprises ‖ se c. av. 2 acc. — tâtebtâb ⵜⵜⴱ⵿ⵜⴱ va. f. 7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâtebtâb, our itetebtib) ‖ taper hab. à plusieurs reprises ‖ a aussi le s. pas. — sâtebtâb ⵙⵜⴱ⵿ⵜⴱ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtebtâb, our isetebtib) ‖ faire hab. taper à plusieurs reprises ‖ se c. av. 2 acc. — ătebteb ⵜⴱ⵿ⵜⴱ sm. nv. prim. ; φ (pl. itebtîben ⵜⴱ⵿ⵜⴱⵏ), daṛ tebtîben ‖ fait de taper à plusieurs reprises ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être tapé à plusieurs reprises ». — ăsettebteb ⵙⵜⴱ⵿ⵜⴱ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettebtîben ⵙⵜⴱ⵿ⵜⴱⵏ), daṛ settebtîben ‖ fait de faire taper à plusieurs reprises. ⵜⴱ tebet (Ta. 1) ⵜⴱⵜ va. prim. ; conj. 104 « deret (Ta. 1) » ; (ittĕbet, iettîbet, éd iettebet, our ittebet) ‖ appliquer [un médicament en poudre] ‖ a aussi le s. pas. « être appliqué » ‖ ne peut avoir pour suj. qu’une p. Ne peut avoir pour rég. dir. qu’un médicament pour l’usage externe consistant en une matière en poudre. La p. ou l’an. auxquels le suj. applique le rég. dir. se mettent en datif. La partie du corps, la plaie, le mal auxquels le suj. applique le rég. dir. se mettent soit au datif, soit à l’abl. ; quand ils sont à l’abl., ils sont accompagnés d’une prép. qui est hab. foull « sur » ou daṛ « dans » ‖ se dit d’une p. qui applique n’importe quelle matière en poudre servant de médicament pour l’usage externe, telle qu’iodoforme, poudre de riz, tabac en poudre, verre pilé, sable, cendre, etc. sur une plaie ouverte, ou sur une peau malade mais sans plaie, à une p. ou à un an. — settebet (Ta. 1) ⵙⵜⴱⵜ va. f. 1 ; conj. 133 « sedderet (Ta. 1) » ; (istebet, iesîtebet, éd isettebet, our istebet) ‖ faire appliquer ‖ se c. av. 2 acc. — tâtebât (Ta. 5) ⵜⵜⴱⵜ va. f. 11 ; conj. 241 « tâderât (Ta. 5) » ; (itâtebât, our itetebit) ‖ appliquer hab. ‖ a aussi le s. pas. — sâtebât (Ta. 5) ⵙⵜⴱⵜ va. f. 1.11 ; conj. 241 « tâderât (Ta. 5) » ; (isâtebât, our isetebit) ‖ faire hab. appliquer ‖ se c. av. 2 acc. — atbi ⵜⴱⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. itbîten ⵜⴱⵜⵏ), daṛ ĕtbi (ătbi), daṛ ĕtbâten ‖ fait d’appliquer ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être appliqué ». — ăsettebi ⵙⵜⴱⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettebîten ⵙⵜⴱⵜⵏ), daṛ settebîten ‖ fait de faire appliquer. — ăsettebou ⵙⵜⴱⵓ sm. φ (pl. isetteba ⵙⵜⴱⴰ), daṛ setteba ‖ médicament en poudre (médicament en poudre pour l’usage externe consistant en une matière en poudre) ‖ se dit de toute matière en poudre servant de médicament pour l’usage externe, p. ex. d’iodoforme, de poudre de riz, de tabac en poudre, de verre pilé, de sable, de cendre, etc. ⵜⴱ ateb ⵜⴱ va. prim. ; conj. 66 « aġer » ; ρ (ioutĕb, ioutâb, éd iateb, our ioutib) ‖ ramener de côté [une ch.] (en la poussant ou en la tirant) ‖ a aussi le s. pas. « être ramené de côté » ‖ ne peut avoir pour suj. qu’une p. Ne peut avoir pour rég. dir. qu’une ch. pouvant être ramenée de côté en étant poussée ou tirée, avec la main ou un instrument, su la surface où elle repose sans quitter celle-ci ‖ se dit, p. ex., d’un peu de sable formant bosse à la surface du sol, qu’on ramène de côté en le poussant ou le tirant, avec la main ou un instrument, sans qu’il quitte le sol ; de grains, de dattes, de vêtements, de menus objets qlconques, éparpillés sur une natte, un tapis, un meuble, qu’on ramène de côté, en les poussant ou les tirant, vers un, 2, ou plusieurs points de la surface sur laquelle ils sont, sans qu’ils quittent cette surface ; de légumes qui entourent un morceau de viande sur un plat, qu’on ramène de côté en les poussant ou les tirant d’un ou de plusieurs côtés sans qu’ils quittent le plat ‖ p. ext. « relever entièrement [un vêtement ou une partie considérable d’un vêtement] (en en ramenant irrégulièrement une moitié sur l’autre ou une partie considérable sur le reste) ». Se dit, p. ex., d’une p. vêtue d’une tunique tombant jusqu’aux pieds qui la relève à hauteur du milieu du corps en en attachant le bas à sa ceinture ; d’une p. vêtue d’un burnous qui le relève en ramenant sur sa tête ou sur ses épaules le bord inférieur de derrière ; d’une p. vêtue d’un pantalon touareg, tombant jusqu’aux pieds et retenu à la taille par un lacet passant dans une coulisse, qui le relève en la tirant intérieurement sous la coulisse, de manière à en faire passer une partie audessus du lacet et à la rejeter en dehors, en un pli plus ou moins large retombant extérieurement audessus du lacet sur tout le pourtour de celui-ci ‖ d. le s. « relever entièrement [un vêtement ou une partie considérable d’un vêtement] », est syn. d’eksem. — siteb ⵙⵜⴱ va. f. 1 ; conj. 172 « siġer » ; ρ (iessoŭteb, iessoûteb, éd isiteb, our iessouteb) ‖ faire ramener de côté ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — tâteb ⵜⵜⴱ va. f. 6 ; conj. 228 « tâġer » ; (itâteb, our ititeb) ‖ ramener hab. de côté ‖ a aussi le s. pas. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâtâb ⵙⵜⴱ va. f. 1.7 ; conj. 233 « sâġâr » ; (isâtâb, our isitib) ‖ faire hab. ramener de côté ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăttab ⵜⴱ sm. nv. prim. ; (pl. ăttâben ⵜⴱⵏ) ‖ fait de ramener de côté ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être ramené de côté » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsîteb ⵙⵜⴱ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isîtîben ⵙⵜⴱⵏ), daṛ sîtîben ‖ fait de faire ramener de côté ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. ⵜⴱ outab ⵜⴱ ✳ va. prim. ; conj. 71 « ouksaḍ » ; (ietoŭb, ietoûb, éd ioutab, our ietoub) ‖ pratiquer la pénitence au sujet de [un péché] (avoir le regret d’[un péché] avec le ferme propos de ne plus le commettre) ‖ p. ext. « pratiquer la pénitence au sujet de [une ch. illicite (dont on ne s’est pas abstenu antérieurement)] (s’abstenir, en vue de Dieu, de [une ch. illicite (dont on ne s’est pas abstenu antérieurement)]) ; pratiquer la pénitence au sujet de [une ch. illicite (dont on s’est abstenu antérieurement)] (s’abstenir, en vue de Dieu, de [une ch. illicite (dont on s’est abstenu antérieurement)]) ; pratiquer la pénitence au sujet de [une ch. licite] (s’abstenir, en vue de Dieu, de [une ch. licite]) » ‖ p. ext. « vivre dans la pénitence (vivre dans l’abstention, en vue de Dieu, de tout péché et de toute ch. illicite ; vivre dans l’abstention, en vue de Dieu, de tout péché, de toute ch. illicite, et de certaines ch. licites) (n.) ». — souteb ⵙⵜⴱ va. f. 1 ; conj. 163 « soudel » ; ρ (iessoŭteb, iessoûteb, éd isouteb, our iessouteb) ‖ faire pratiquer la pénitence au suj. de ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — soutab ⵙⵜⴱ vn. f. 1 ; conj. 167 « soukan » ; (iessoŭteb, iessoûteb, éd isoutab, our iesouteb) ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. — toûtâb ⵜⵜⴱ va. f. 18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (itoûtâb, our itoutab) ‖ pratiquer hab. la pénitence au suj. de ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — soûtoûb ⵙⵜⴱ va. f. 1.18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (isoûtoûb, our isoutoub) ‖ faire hab. pratiquer la pénitence au suj. de ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — soûtâb ⵙⵜⴱ va. f. 1.18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (isoûtâb, our isoutab) ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. — tetoubt ⵜⵜⴱ⵿ⵜ sf. nv. prim. ; (pl. tetoûbin ⵜⵜⴱⵏ) ‖ fait de pratiquer la pénitence au suj. de ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ signifie aussi « pratiquer de la pénitence (d. tous les s. du prim.) ; pénitence (d. tous les s. du prim.) ; vie dans la pénitence (d. tous les s. du prim.) ». — ăsoûteb ⵙⵜⴱ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isoûtoûben ⵙⵜⴱⵏ), daṛ soûtoûben ‖ fait de faire pratiquer la pénitence au suj. de ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. ⵜⴱ tâba ⵜⴱⴰ (espagnol) sf. (pl. tâbiouin ⵜⴱⵓⵏ) ‖ tabac ‖ se dit de tout tabac, en feuilles, en poudre, à priser, à fumer, à chiquer, etc. ⵜⴱⴱ etbeb ⵜⴱⴱ vn. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (itbĕb, itbâb, éd itbeb, our itbib) ‖ se serrer dans ses vêtements (en ne leur laissant rien de flottant et en les retroussant plus ou moins) ; être serré dans ses vêtements (d. le s. ci. d.) ‖ se dit des h. et des f. qui, pour l’exécution d’un travail manuel, pour une course rapide, pour le combat, se ceignent sur leurs vêtements d’un ceinture simple ou d’une ceinture faisant non seulement le tour de leur taille mais passant aussi sur leurs épaules, en retroussant plus ou moins leurs vêtements et en ne leur laissant rien de flottant, de manière à être très libres de leurs mouvements. — setbeb ⵙⵜⴱⴱ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕtbeb, iessîtbeb, éd isetbeb, our issetbeb) ‖ faire se serrer dans ses vêtements. — tâbbeb ⵜⴱⴱ vn. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (itâbbeb, our itebbeb) ‖ se serrer hab. dans ses vêtements. — sâtbâb ⵙⵜⴱⴱ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtbâb, our isetbib) ‖ faire hab. se serrer dans ses vêtements ; être hab. serré dans ses vêtements. — ătabab ⵜⴱⴱ sm. nv. prim. ; φ (pl. itebâben ⵜⴱⴱⵏ), daṛ tebâben ‖ fait de se serrer dans ses vêtements ; fait d’être serré dans ses vêtements. — ăsetbeb ⵙⵜⴱⴱ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetbîben ⵙⵜⴱⴱⵏ), daṛ setbîben ‖ fait de faire se serrer dans ses vêtements. ⵜⴱⴾ ettabouk ⵜⴱⴾ (turc) sm. (pl. ettaboûken ⵜⴱⴾⵏ) ‖ caisse ; boite de forme cubique ou rectangulaire ‖ se dit de caisses de toute matière et de toute dimension, avec ou sans couvercle ‖ signifie aussi « petit sac plat, en peau, de forme particulière, se suspendant au côté, servant à mettre la poudre et les balles (ar. « zeṛbounia ») » ‖ d. le s. « caisse ; boite de forme rectangulaire », est syn. d’essendoûḳ et moins us. que lui ‖ d. le s. « petit sac plat », est syn. d’ezzeṛbounia et plus us. que lui. ⵜⴱⵔ tôber ⵜⴱⵔ (latin « october ») sm. (s. s. pl.) ‖ octobre (mois d’octobre du calendrier julien) ‖ p. ext. « époque de la moisson d’automne » ‖ v. ⵍ tallit. ⵜⴱⵗ tétebeḳ ⵜⵜⴱⵈ sf. φ (pl. titebeṛîn ⵜⵜⴱⵗⵏ), daṛ tătebeḳ (tĕtebeḳ), daṛ tĕtebeṛîm ‖ selle de méhari à pommeau en forme de croix ‖ syn. de tărik ‖ très peu us. ⵜⴱⵗ ettabeṛ ⵜⴱⵗ ✳ sm. (pl. ettabiṛen ⵜⴱⵗⵏ) ‖ sceau ; cachet ‖ signifie aussi « marque de fabrique ». ⵜⴱⵗ tătbeḳḳit ‖ v. ⴱⴾ beket (Ta. 3). ⵜⴱⵜ etbet ⵜⴱⵜ ✳ vn. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (itbĕt, itbât, éd itbet, our itbit) ‖ être certain ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. ‖ etbet présente cette particularité que, quand il n’est pas employé unipersonnellement, il ne peut pas se traduire mot à mot en français : etbĕteṛ, tetbĕted, etc., etbâteṛ, etc., éd etbeteṛ, etc. ne signifient pas « j’ai été certain, tu as été certain, etc., je suis certain, etc., je serai certain, etc. », mais « il y a eu certitude à mon sujet, il y a eu certitude à ton sujet, etc., il y a certitude à mon sujet, etc., il y aura certitude à mon sujet, etc. ». Quand etbet est unipersonnel, il se traduit m. à m. par « il est certain » ‖ ex. tetbâted foull ăsîkel ? – etbâteṛ innîn ekkîṛ Tăouat ⁒ y a-t-il certitude à ton sujet pour le voyage ? – il y a certitude à mon sujet que je vais au Touat (est-il certain que tu vas voyager ? – il est certain que je vais aller au T.) = aġenna itbât daṛ Ăhaggar ⁒ la pluie il y a certitude à son sujet dans l’Ăh. (il est certain qu’il a plu dans l’Ăh.) = ihanân en Bêdé etbâten daṛ Tămaṅṛaset ⁒ les tentes de B. il y a certitude à leur sujet dans T. (il est certain que les tentes de B. sont à T.) = itbât innîn éd ekkeṛ Tit ⁒ il est certain que j’irai à T. = itbât innîn Dâssin teglă ⁒ il est certain que D. est partie ‖ signifie aussi « être vérifié ; être confirmé ; être certifié ». D. le s. « être vérifié », se dit de tout ce qui est capable d’être vérifié par n’importe quel moyen, expérience, calcul, questions répétées, etc. ‖ syn. de leken et moins us. que lui. Leken a exactement les mêmes sens qu’etbet, s’emploie com. lui et présente les mêmes particularités que lui en ce qui concerne sa traduction en français ; leken est le mot d’origine touaregue, etbet le mot d’origine ar., qui expriment la même idée ‖ peu us. — setbet ⵙⵜⴱⵜ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕtbet, iessitbet, éd isetbet, our issetbet) ‖ rendre certain [qlq. ch.] (pour soi-même ou pour un autre) ‖ peut avoir pour suj. une p., un an., ou une ch. A pour rég. dir. la ch. que le suj. rend certaine. La p. pour laquelle le suj. rend une ch. certaine se met au dat. ‖ peut souv. se traduire par « acquérir la certitude de ; donner la certitude de » ‖ ex. tessĕtbeted ăsîkel ? – essĕtbeteṛ innîn éd ekkeṛ Tăouat ⁒ as-tu acquis la certitude du voyage ? – j’ai acquis la certitude que j’irai au Touat (as-tu la certitude que tu iras en voyage ?. – j’ai la certitude que j’irai au T.) = Kenân issĕtbet ihanân en Bêdé daṛ Tit ⁒ K. a acquis la certitude des tentes de B. dans T. (K. a acquis la certitude que les tentes de B. sont à T.) = Dâssin tessĕtbet i tĕmeṭṭ in aġenna daṛ Ăhaggar ⁒ D. a donné la certitude à ma f. de la pluie dans l’Ăh. (D. a donné à ma f. la certitude qu’il a plu dans l’Ăh.) = tăkat tâ-reṛ tessîtbet âk innîn Moûsa ious-ed ⁒ ce bruit de voix confus te donne la certitude que M. est arrivé ici ‖ signifie aussi « vérifier ; confirmer ; certifier ». — tâbbet ⵜⴱⵜ vn. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (itâbbet, our itebbet) ‖ être hab. certain ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâtbât ⵙⵜⴱⵜ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtbât, our isetbit) ‖ rendre hab. certain ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ătabat ⵜⴱⵜ sm. nv. prim. ; φ (pl. itebâten ⵜⴱⵜⵏ), daṛ tebâten ‖ fait d’être certain ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsetbet ⵙⵜⴱⵜ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetbîten ⵙⵜⴱⵜⵏ), daṛ setbîten ‖ fait de rendre certain ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. ⵜⴱⵜⴱ tebteb ‖ v. ⵜⴱ teb. ⵜⴷ é̆tad ‖ v. ⵓⴷ é̆ouad. ⵜⴹ outtaḍ ⵜⴹ vn. prim. ; conj. 71 « ouksaḍ » ; (iettoŭḍ, iettoûḍ, éd iouttaḍ, our iettouḍ) ‖ être assoupli par battage (le suj. étant un cuir ou une peau) ‖ p. ext. « être assoupli par battage et torsion ; être assoupli par torsion », le suj. étant un cuir ou une peau ‖ après avoir tanné les cuirs et les peaux, on les assouplit. On assouplit hab. les cuirs et les peaux épaisses par battage, qlqf. par battage accompagné de torsions, rarement par torsions seules ; ces opérations sont exprimées par outtaḍ ; on peut assouplir par ces moyens n’importe quelles peaux, épaisses ou minces, on ne s’en sert hab. que pour les peaux épaisses. On assouplit hab. les peaux minces en les frottant entre les mains, opération exprimée par foufferet (Ta. 2) ‖ fig. « avoir la peau assouplie [de coups] (être roué [de coups]) (le suj. étant une p.) » ‖ d. le s. « être assoupli par battage », diffère d’afel « être tanné (être préparé avec du tan) » ‖ d. le s. « avoir la peau assouplie [de coups] », est syn. d’afel. — soutteḍ ⵙⵜⴹ va. f. 1 ; conj. 162 « soukseḍ » ; (iessoŭteḍ, iessoûteḍ, éd isoutteḍ, our iessoutteḍ) ‖ assouplir par battage ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — toûttâḍ ⵜⵜⴹ vn. f. 18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (itoûttâḍ, our itouttaḍ) ‖ être hab. assoupli par battage ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — soûttoûḍ ⵙⵜⴹ va. f. 1.18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (isoûttoûḍ, our isouttouḍ) ‖ assouplir hab. par battage ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — touttaṭ ⵜⵜⵟ sf. nv. prim. ; (pl. touttâḍîn ⵜⵜⴹⵏ) ‖ fait d’être assoupli par battage ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsoutteḍ ⵙⵜⴹ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isouttoûḍen ⵙⵜⴹⵏ), daṛ souttoûḍen ‖ fait d’assouplir par battage ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. ⵜⴼ soutef ⵙⵜⴼ va. f. 1 ; conj. 163 « soudel » ; ρ (iessoŭtef, iessoûtef, éd isoutef, our iessoutef) ‖ cracher [n’importe quoi qui est dans la bouche, solide ou liquide] ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un an. Peut avoir pour rég. dir. tout ce qu’il est possible de cracher, un aliment, un morceau de viande ou de pain, un liquide, du lait, de l’eau, une ch. qlconque qui est dans la bouche, du tabac, de la salive, du sang, un crachat, etc. — soûtoûf ⵙⵜⴼ va. f. 1.18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (isoûtoûf, our isoutouf) ‖ cracher hab. — ăsoûtef ⵙⵜⴼ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isoûtoûfen ⵙⵜⴼⵏ), daṛ soûtoûfen ‖ fait de cracher. — tesoûtift ⵜⵙⵜⴼⵜ sf. φ (pl. tisoûtâf ⵜⵙⵜⴼ), daṛ tsoûtâf ‖ crachat. ⵜⴼⵍ ătafâla ‖ v. ⴼⵍ efel. ⵜⴼⵏ étîfen ⵜⴼⵏ sm. φ (pl. itîfnen ⵜⴼⵏⵏ ; fs. tétîfent ⵜⵜⴼⵏ⵿ⵜ ; fp. titîfnîn ⵜⵜⴼⵏⵏ), daṛ ătîfen (ĕtîfen), daṛ tîfnen, daṛ tătîfent (tĕtifent), daṛ tĕtîfnîn ‖ nègre (libre ou esclave) ne parlant ni le touareg ni l’arabe mais un des idiomes soudanais compris sous le nom de tétîfent ‖ diffère d’ăounnan et d’éhati. — tétîfent ⵜⵜⴼⵏ⵿ⵜ sf. φ (s. s. pl.), daṛ tătîfent (tĕtifent) ‖ nom d’un certain groupe d’idiomes soudanais (nom collectif sous lequel sont compris un certain nombre d’idiomes parlés par les peuples nègres du Soudan). ⵜⴼⵏ é̆tefen ⵜⴼⵏ sm. ‖ natte d’afeżou (se plaçant verticalement et servant de paravent) ‖ syn. d’é̆seber ‖ mot ancien qui n’est plus us. du tout. ⵜⴼⵔ atfer ⵜⴼⵔ sm. φ (pl. itefrân ⵜⴼⵔⵏ), daṛ ĕtfer (ătfer), daṛ tefrân ‖ partie antérieure du pied (doigts et reste du pied jusqu’à la cheville, celle-ci exclue) (chez les p.). ⵜⴼⵜⴼ teftef ⵜⴼⵜⴼ ✳ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (ittĕftef, iettîftef, éd ietteftef, our itteftef) ‖ casser menu (briser en petits morceaux) ‖ a aussi les s. pas. et pron. « être cassé menu » et « se casser menu » ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. Peut avoir pour rég. dir. tout ce qui peut se casser menu, p. ex. des herbages secs, des dattes sèches, du sel, des morceaux de bois, des mottes de terre, des objets en bois, porcelaine, verre, etc. ‖ fig. « mettre en pièces (rompre entièrement) [des p., des an., des ch.] ». Peut avoir pour rég. dir., p. ex., une p. ou un an. qu’une cause qlconque rompt entièrement com. santé. une p. que les pillages de l’ennemi, la sécheresse, des dépenses excessives, la maladie, une cause qlconque rompent entièrement com. fortune, des guerriers que l’ennemi met en pièces dans un combat, un troupeau que la sécheresse rompt entièrement, réduit presqu’à néant, un vase qu’on brise, etc. ‖ fig. « abîmer ; gâter ». Peut avoir pour rég. dir. la santé d’une p. ou d’un an., une ch. qlconque capable de se gâter ou de s’abîmer, p. ex. un vêtement, une outre, une peau, etc. ‖ v. ⴷⴳⴷⴳ degdeg ‖ très peu us. — setteftef ⵙⵜⴼⵜⴼ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isteftef, iesîteftef, éd isetteftef, our isteftef) ‖ faire casser menu ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — tâteftâf ⵜⵜⴼⵜⴼ va. f. 7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâteftâf, our iteteftif) ‖ casser hab. menu ‖ a aussi les s. pas. et pron. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâteftâf ⵙⵜⴼⵜⴼ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâteftâf, our iseteftif) ‖ faire hab. casser menu ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăteftef ⵜⴼⵜⴼ sm. nv. prim. ; φ (pl. iteftîfen ⵜⴼⵜⴼⵏ), daṛ teftîfen ‖ fait de casser menu ‖ a aussi les s. pas. et pron. « fait d’être cassé menu » et « fait de se casser menu » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsetteftef ⵙⵜⴼⵜⴼ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetteftîfen ⵙⵜⴼⵜⴼⵏ), daṛ setteftîfen ‖ fait de faire casser menu ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ⵜⴶ ătaġa ⵜⴶⴰ (Ăir, Ăd.) sm. φ (pl. itaġân ⵜⴶⵏ ; fs. tătaġat ⵜⵜⴶⵜ ; fp. titaġâtîn ⵜⵜⴶⵜⵏ), daṛ taġân, daṛ tĕtaġâtîn ‖ hom. libre appartenant à une classe particulière intermédiaire entre les ămeṛid et les esclaves ‖ les ătaġa passent pour descendre d’un croisement d’ămeṛid et d’esclaves. Il n’y en a pas dans l’Ăh. Il en existe dans l’Ăd. et l’Ăir ; leur condition y est misérable. ⵜⴶ teġi ⵜⴶⵉ pi. exclam. ‖ ouste ! (va-t-en ! allez-vous-en !) (en parlant à un chien ou à des chiens) ‖ se dit à des chiens ou à des p. qu’on traite com. des chiens ‖ syn. de seġi ‖ a le même sens que le v. mouss ; en diffère un peu par son emploi ; est plus exclusivement réservé aux chiens que mouss ; ne se dit presque jamais à des p. ⵜⴳ tăg ‖ v. ⵓ ioui. ⵜⴳⵎⵜⴳⵎ tegemtegem ⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎ vn. prim. ; conj. 42 « lekeslekes » ; (itgemtegem, ietîgemtegem, éd itgemtegem, our itgemtegem) ‖ aller à tout petits pas (de la démarche propre aux vieillards) ‖ se dit proprement de p. et surtout des vieillards ‖ se dit p. ext. des chameaux ‖ v. ⵂⵍ ahel « courir ». — settegemtegem ⵙⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (istegemtegem, iesîtegemtegem, éd isettegemtegem, our istegemtegem) ‖ faire aller à tout petits pas. — tîtgemtegîm ⵜⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎ vn. f. 13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîtgemtegîm, our itetgemtegim) ‖ aller hab. à tout petits pas. — sîtgemtegîm ⵙⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎ va. f. 1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (isîtgemtegîm, our isetgemtegim) ‖ faire hab. aller à tout petits pas. — ătgemtegem ⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎ sm. nv. prim. ; φ (pl. itgemtegîmen ⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎⵏ), daṛ é̆tgemtegîmen ‖ fait d’aller à tout petits pas. — ăsettegemtegem ⵙⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettegemtegîmen ⵙⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎⵏ), daṛ settegemtegîmen ‖ fait de faire aller à tout petits pas. — ătegemtegam ⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. itegemtegâmen ⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎⵏ ; fs. tătegemtegamt ⵜⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎ⵿ⵜ ; fp. titegemtegâmîn ⵜⵜⴳⵎ⵿ⵜⴳⵎⵏ), daṛ tegemtegâmen, daṛ tĕtegemtegâmîn ‖ hom. qui va à tout petits pas (de la démarche propre aux vieillards) ‖ p. ext. « an. qui va à tout petits pas ». Ne se dit que des chameaux. ⵜⴶⵏⵏ ti ġĕnîn ‖ v. ⴶ eġ. ⵜⵂⵂ ettehouhou ‖ v. ⵂⵂ ihohân. ⵜⵂⵍⵍ ettehlil ⵜⵂⵍⵍ ✳ sm. (pl. ettehlîlen ⵜⵂⵍⵍⵏ) ‖ petit livre servant de talisman. ⵜⵉ âtei ⵜⵉ ✳ sm. (s. s. pl.) ‖ thé. ⵜⵉⵜ ătieti ⵜⵉⵜⵉ sm. φ (pl. itietien ⵜⵉⵜⵉⵏ), daṛ ĕtietien ‖ petit oiseau de couleur café au lait claire (ressemblant à la tégeḍiṭ en sik, mais un peu plus grand qu’elle) ‖ v. ⵏⴳⵔⵎⵉ ăṅgermei. ⵜⵉⵜⵉ teitei ⵜⵉⵜⵉ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (ittĕitei, iettîitei, éd ietteitei, our itteitei) ‖ enfoncer à coups de marteau [un piquet, un clou] ‖ a aussi le s. pas. « être enfoncé à coups de marteau » ‖ peut avoir pour rég. dir. tout piquet qu’on enfonce à coups de marteau n’importe où, dans le sol, dans un mur, etc., ou tout clou qu’on enfonce à coups de marteau n’importe où, dans un mur, une planche, etc. ‖ ce avec quoi le suj. enfonce le rég. dir. peut être un marteau, un maillet, ou n’importe quoi en tenant lieu, une pierre, un morceau de bois, etc. ‖ p. ext. « enfoncer à coups de marteau les piquets d’[une tente, d’une tenture qlconque servant de velum et se tendant au moyen de petits piquets et de cordes] ; dresser (tendre) [une tente, une tenture qlconque servant de velum et se tendant par un moyen qlconque remplaçant les petits piquets et les cordes] ». — settiti ⵙⵜⵜⵉ va. f. 1 ; conj. 132 « seddeṛideṛi » ; (isteitei, iesîteitei, éd isettiti, our isteitei) ‖ faire enfoncer à coups de marteau ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — tâteitâi ⵜⵜⵉⵜⵉ va. f. 7 ; conj. 231 « tâdenkâi » ; (itâteitâi, our iteteiti) ‖ enfoncer hab. à coups de marteau ‖ a aussi le s. pas. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâteitâi ⵙⵜⵉⵜⵉ va. f. 1.7 ; conj. 231 « tâdenkâi » ; (isâteitâi, our iseteiti) ‖ faire hab. enfoncer à coups de marteau ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăteiti ⵜⵉⵜⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. iteitien ⵜⵉⵜⵉⵏ), daṛ teitien ‖ fait d’enfoncer à coups de marteau ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être enfoncé à coups de marteau » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsettîti ⵙⵜⵜⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettîtien ⵙⵜⵜⵉⵏ), daṛ settîtien ‖ fait de faire enfoncer à coups de marteau ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tăsettîtî ⵜⵙⵜⵜⵜ sf. φ (pl. tisettîtai ⵜⵙⵜⵜⵉ), daṛ tsettîtai ‖ petit piquet (de 0m,20c à 0m,30c de long, en bois ou fer) ‖ se dit des petits piquets qu’on enfonce n’importe où, dans le sol pour dresser des tentes ou des abris provisoires, dans les murs pour y suspendre des objets, etc. ⵜⵋⵔ ettajir ⵜⵋⵔ ✳ sm. (pl. ettajîren ⵜⵋⵔⵏ, ettoujjâr ⵜⵋⵔ) ‖ négociant (commerçant en gros) ‖ très peu us. ⵜⴾ tek ⵜⴾ sm. (s. et pl.) ‖ « tek » ; mot sans signification exprimant un arrêt brusque, une fin brusque, une fin complète ‖ ex. a s ennĭṛ aouâ-reṛ i Kenân, innă tek ⁒ ce que dans j’ai dit ceci à K., il a dit « tek » (lorsque j’ai dit ceci à K., il a fait « tek » ; lorsque j’ai dit ceci à K., il s’est tu net) = ihaḍân ouî-reṛ, oûdi innă tek ⁒ ces nuits-ci, le beurre a dit « tek » (ces jours-ci, le beurre a fait « tek » ; ces jours-ci, il n’y a plus de beurre de tout) = a s nous ihanân, Biska ibdĕd tek, innă « our é akieṛ » ⁒ ce que dans nous sommes arrivés aux tentes, B. s’est arrêté « tek », il a dit « je ne dépasserai pas » (lorsque nous sommes arrivés aux tentes, B. s’est arrêté net, il a dit « je n’irai pas plus loin ») ‖ syn. de zek et de zet ‖ v. ⵜⴱ teb ; ⴷⴱ deb. — toukket (Ta. 2) ⵜⴾⵜ va. prim. ; conj. 97 « doubet (Ta. 2) » ; (iettoŭkket, iettoûkket, éd ittoukket, our iettoukket) ‖ faire « tek » (s’arrêter court sans faire un pas de plus (dans la marche) ; s’arrêter court sans dire un mot de plus (dans des paroles) ; être complètement fini (être sans qu’il en reste rien de tout) (le suj. étant des p., des an., des ch. dont il n’y a plus du tout qlq. part)) ‖ d. le s. « s’arrêter court (dans la marche) », se dit de p. ou d’an. qui s’arrêtent court pour n’importe quelle cause. D. le s. « s’arrêter court (dans des paroles) », se dit de p. qui se taisent brusquement sans ajouter un mot, pour une cause qlconque. D. le s. « être complètement fini », se dit, p. ex., d’hom. dont il n’y a plus du tout dans un lieu parce qu’ils sont tous en expédition ou en voyage, de chameaux dont il n’y a plus du tout qlq. part parce qu’ils sont tous en caravane, d’eau dont il n’y a plus du tout dans un puits, de blé, de beurre, d’étoffe, dont il n’y a plus du tout chez qlq’un, etc. ‖ syn. de zoukket (Ta. 2) empl. d. ce s. Le v. zoukket (Ta. 2) a tous les sens de toukket (Ta. 2), mais il en a d’autres que toukket (Ta. 2) n’a pas. — settekket (Ta. 2) ⵙⵜⴾⵜ va. f. 1 ; conj. 134 « seġġereffet (Ta. 2) » ; (istekket, iesîtekket, éd isettekket, our istekket) ‖ faire faire « tek ». — tîtekkoût (Ta. 8) ⵜⵜⴾⵜ vn. f. 16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (itîtekkoût, our itetekkout) ‖ faire hab. « tek ». — sîtekkoût (Ta. 8) ⵙⵜⴾⵜ va. f. 1.16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (isîtekkoût, our isetekkout) ‖ faire hab. faire « tek ». — ătakkou ⵜⴾⵓ sm. nv. prim. ; φ (pl. itekkoûten ⵜⴾⵜⵏ), daṛ tekkoûten ‖ fait de faire « tek ». — ăsettekkou ⵙⵜⴾⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettekkoûten ⵙⵜⴾⵜⵏ), daṛ settekkoûten ‖ fait de faire faire « tek ». ⵜⴾ teket (Ta. 1) ⵜⴾⵜ va. prim. ; conj. 104 « deret (Ta. 1) » ; (ittĕket, iettîket, éd ietteket, our itteket) ‖ marteler légèrement à sa surface [une pierre (de manière à en rendre la surface rugueuse)] ‖ a aussi le s. pas. « être martelé légèrement à sa surface » ‖ se dit surtout des meules dormantes et des pierres ovoïdes qui servent à évaser le grain sur les meules dormantes, qu’on martèle légèrement à leur surface, avec une pierre dure ou un morceau de fer, pour les rendre un peu rugueuses. — setteket (Ta. 1) ⵙⵜⴾⵜ va. f. 1 ; conj. 133 « sedderet (Ta. 1) » ; (isteket, iesîteket, éd isetteket, our isteket) ‖ faire marteler légèrement à sa surface ‖ se c. av. 2 acc. — tâtekât (Ta. 5) ⵜⵜⴾⵜ va. f. 11 ; conj. 241 « tâderât (Ta. 5) » ; (itâtekât, our itetekit) ‖ marteler hab. légèrement à sa surface ‖ a aussi le s. pas. — sâtekât (Ta. 5) ⵙⵜⴾⵜ va. f. 1.11 ; conj. 241 « tâderât (Ta. 5) » ; (isâtekât, our isetekit) ‖ faire hab. marteler légèrement à sa surface ‖ se c. av. 2 acc. — atki ⵜⴾⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. itkîten ⵜⴾⵜⵏ), daṛ ĕtki (ătki), daṛ ĕtkîten ‖ fait de marteler légèrement à sa surface ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être martelé légèrement à sa surface ». — ăsetteki ⵙⵜⴾⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettekîten ⵙⵜⴾⵜⵏ), daṛ settekîten ‖ fait de faire marteler légèrement à sa surface. — tăsettekout ⵜⵙⵜⴾⵜ sf. φ (pl. tisetteka ⵜⵙⵜⴾⴰ), daṛ tsetteka ‖ objet servant à marteler à sa surface une pierre (objet qlconque pouvant servir à marteler légèrement la surface d’une pierre). — tektek ⵜⴾⵜⴾ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (ittĕktek, iettîktek, éd iettektek, our ittektek) ‖ frapper légèrement à plusieurs reprises [une ch.] (pour faire tomber une substance en poudre ou de la poussière attachés à ses parvis) ‖ a aussi le s. pas. « être frappé légèrement à plusieurs reprises » ‖ peut avoir pour suj. une p., la main, le doigt, l’ongle, un petit instrument. Peut avoir pour rég. dir. une ch. qlconque, p. ex. une caisse ou une boite qui ont contenu de la farine, une tabatière qui a contenu du tabac, de la viande ou du pain qui ont été posés sur le sable ou la cendre, etc. ‖ v. ⵜⴱ teb, tebteb. — settektek ⵙⵜⴾⵜⴾ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (istektek, iesîtektek, éd isettektek, our istektek) ‖ faire frapper légèrement à plusieurs reprises ‖ se c. av. 2 acc. — tâtektâk ⵜⵜⴾⵜⴾ va. f. 7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâtektâk, our itetektik) ‖ frapper hab. légèrement à plusieurs reprises ‖ a aussi le s. pas. — sâtektâk ⵙⵜⴾⵜⴾ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtektâk, our isetektik) ‖ faire hab. frapper légèrement à plusieurs reprises ‖ se c. av. 2 acc. — ătektek ⵜⴾⵜⴾ sm. nv. prim. ; φ (pl. itektîken ⵜⴾⵜⴾⵏ), daṛ tektîken ‖ fait de frapper légèrement à plusieurs reprises ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être frappé légèrement à plusieurs reprises ». — ăsettektek ⵙⵜⴾⵜⴾ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettektîken ⵙⵜⴾⵜⴾⵏ), daṛ settektîken ‖ fait de faire frapper légèrement à plusieurs reprises. ⵜⴾⵛⵍ tekch-oulli ‖ v. ⴾⵛ ekch. ⵜⴾⵍ touklet (Ta. 2) ⵜⴾⵍⵜ vn. prim. ; conj. 97 « doubet (Ta. 2) » ; (iettoŭklet, iettoûklet, éd ittouklet, our iettouklet) ‖ être réuni en masse (être réunis tous sans exception) ; se réunir en masse (d. le s. ci. d.) ‖ ne peut avoir pour suj. que des p. ‖ se dit des h., des f. et des enfants, qlq. soit la cause de leur réunion ‖ syn. de ṭoubet (Ta. 2) et de kourbet (Ta. 2) ‖ v. ⴹⴱ ṭoubet (Ta. 2). — ătâklou ⵜⴾⵍⵓ sm. nv. prim. ; φ (pl. itoûkloûten ⵜⴾⵍⵜⵏ), daṛ toûkloûten ‖ fait d’être réuni en masse ; fait de se réunir en masse. ⵜⴾⵍ tétakelt ⵜⵜⴾⵍ⵿ⵜ sf. φ (n. d’u. et col.) (pl. titakelîn ⵜⵜⴾⵍⵏ), daṛ tătakelt (tĕtakelt), daṛ tĕtakelîn ‖ nom d’une plante qui produit une courge comestible ‖ signifie aussi « courge comestible produite par la tétakelt » ‖ la tétakelt, vidée et desséchée, sert à faire divers objets, vases, bouteilles, plats, etc. ; elle ne sert pas à faire des violons. — étakel ⵜⴾⵍ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. itakelen ⵜⴾⵍⵏ), daṛ ătakel (ĕtakel), daṛ takelen ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. — ăteklas ⵜⴾⵍⵙ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. iteklasen ⵜⴾⵍⵙⵏ), daṛ teklasen ‖ nom d’une plante qui produit une courge non comestible ‖ signifie aussi « courge non comestible produite par l’ăteklas » ‖ l’ăteklas, rare dans l’Ăh., abonde au Soudan ‖ l’ăteklas, vidé et desséché, sert à faire divers objets, vases, bouteilles, plats, violons. Tous les violons de l’Ăh. sont faits d’un morceau demi-sphérique d’ăteklas ‖ p. ext. « violon (monocorde, en usage dans l’Ăh.) ». D. ce s., est syn. d’imżad, d’ăżiou, de dîdi, d’ătelkas, d’elkas. v. ⵎⵥⴷ imżad. — ătelkas ⵜⵍⴾⵙ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. itelkasen ⵜⵍⴾⵙⵏ), daṛ telkasen ‖ m. s. q. le pr. — elkas ⵍⴾⵙ sm. (pl. elkasen ⵍⴾⵙⵏ) ‖ courge non comestible appelée ătelkas vidée, desséché et convertie en calebasse de forme demi-sphérique de moyenne dimension propre à faire un violon ‖ p. ext. « violon (monocorde, en usage dans l’Ăh.) ». D. ce s., est syn. d’imżad, d’ăżiou, de dîdi, d’ăteklas, d’ătelkas. v. ⵎⵥⴷ imżad. ⵜⴾⵍ tekkel ‖ v. ⵓⴾⵍ ouekkel. ⵜⴾⵍⵍ éteklel ⵜⴾⵍⵍ sm. φ (pl. iteklelen ⵜⴾⵍⵍⵏ), daṛ ăteklel (ĕteklel), daṛ teklelen ‖ terrain plat (étendue de terrain absolument plate ayant plus de 100 mètres de diamètre, avec ou sans végétation) ‖ tout terrain absolument plat ayant plus de 100 mètres de diamètre, qu’il ait à peine davantage ou qu’il ait des centaines de kilomètres de longueur, avec ou sans végétation, avec ou sans eau, avec ou sans habitants, est un éteklel ‖ v. ⴼ af, asiaf ; ⵏⵥⵔⴼ tăneżrouft. ⵜⴾⵍⵙ ăteklas ‖ v. ⵜⴾⵍ tétakelt. ⵜⴾⵏⵜⴾ tekenteket (Ta. 1) ⵜⴾⵏ⵿ⵜⴾⵜ va. prim. ; conj. 46 « ferekket (Ta. 1) » ; (itkenteket, ietîkenteket, éd itkenteket, our itenteket) ‖ vanner (en inclinant le van vers le bas et en le secouant très légèrement, de manière que les matières les plus fines restent dans la partie haute du van et que les plus grossières se rassemblent dans sa partie basse) [de la farine ou une matière en poudre] ‖ a aussi le s. pas. « être vanné (d. le s. ci. d.) » ‖ v. ⵓⵍ ăoul, teouilet (Ta. 1). — settekenteket (Ta. 1) ⵙⵜⴾⵏ⵿ⵜⴾⵜ va. f. 1 ; conj. 133 « sedderet (Ta. 1) » ; (istekenteket, iesîtekenteket, éd isettekenteket, our istekenteket) ‖ faire vanner ‖ se c. av. 2 acc. — tîtkentekît (Ta. 7) ⵜⵜⴾⵏ⵿ⵜⴾⵜ va. f. 16 ; conj. 254 « tîtreġġît (Ta. 7) » ; (itîtkentekît, our itetkentekit) ‖ vanner hab. ‖ a aussi le s. pas. — sîtkentekît (Ta. 7) ⵙⵜⴾⵏ⵿ⵜⴾⵜ va. f. 1.16 ; conj. 254 « tîtreġġît (Ta. 7) » ; (isîtkentekît, our isetkentekit) ‖ faire hab. vanner ‖ se c. av. 2 acc. — ătkenteki ⵜⴾⵏ⵿ⵜⴾⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. itkentekîten ⵜⴾⵏ⵿ⵜⴾⵜⵏ), daṛ ĕtkentekîten ‖ fait de vanner ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être vanné ». — ăsettekenteki ⵙⵜⴾⵏ⵿ⵜⴾⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettekentekîten ⵙⵜⴾⵏ⵿ⵜⴾⵜⵏ), daṛ settekentekîten ‖ fait de faire vanner. — sekenseket (Ta. 1) ⵙⴾⵏⵙⴾⵜ va. prim. ; conj. 46 « ferekket (Ta. 1) » ; (iskenseket, iesîkenseket, éd iskenseket, our iskenseket) ‖ syn. de tekenteket (Ta. 1) ‖ peu us. — sessekenseket (Ta. 1) ⵙⵙⴾⵏⵙⴾⵜ va. f. 1 ; conj. 133 « sedderet (Ta. 1) » ; (issekenseket, iesîkenseket, éd isessekenseket, our issekenseket) ‖ syn. de settekenteket (Ta. 1). — tîskensekît (Ta. 7) ⵜⵙⴾⵏⵙⴾⵜ va. f. 16 ; conj. 254 « tîtreġġît (Ta. 7) » ; (itîskensekît, our iteskensekit) ‖ syn. de tîtkentekît (Ta. 7). — sîskensekît (Ta. 7) ⵙⵙⴾⵏⵙⴾⵜ va. f. 1.16 ; conj. 254 « tîtreġġît (Ta. 7) » ; (isîskensekît, our iseskensekit) ‖ syn. de sîtkentekît (Ta. 7). — ăskenseki ⵙⴾⵏⵙⴾⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. iskensekîten ⵙⴾⵏⵙⴾⵜⵏ), daṛ ĕskensekîten ‖ syn. d’ătkenteki. — ăsessekenseki ⵙⵙⴾⵏⵙⴾⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isessekensekîten ⵙⵙⴾⵏⵙⴾⵜⵏ), daṛ sessekensekîten ‖ syn. d’ăsettekenteki. ⵜⴾⵔ ătakôr ⵜⴾⵔ sm. φ (pl. itkâr ⵜⴾⵔ), daṛ ĕtkâr ‖ partie extrême et renflée (nœud extrême) ‖ se dit de toute extrémité renflée de corde, de ficelle, de fil, de bâton, de tige métallique, etc., p. ex. d’un nœud fait à l’extrémité d’une corde, d’une ficelle, ou d’un fil, d’une pomme de canne, d’un pommeau d’épée, des extrémités renflées de certains bracelets de femme formés d’une tige de métal en forme d’anneau entrouvert ‖ p. ext. « bouton (en peau, étoffe, soie, fil, matière textile qlconque) ». v. ⵔⴶ areġ, etreġ, tăsetrek ‖ p. ext. « pomme (en peau, bourrée de chiffons, ayant un manche flexible en peau) servant à battre du gros tambour appelé eṭṭebel » ‖ Ătakôr n Ăhaggar « partie extrême et renflée de l’Ăh. (nœud extrême de l’Ăh.) » signifie « massif montagneux central du pays des Kel-Ăh. (massif de forme ovale, dont l’altitude varie entre 2.000 et 3.000 mètres, et qui est compris entre 23° et 23° 30′ lat. N. et 2° 50′ et 3° 40′ long. E.) ». Ătakôr s’emploie souv., par abréviation, d. le s. d’Ătakôr n Ăhaggar. v. ⵂⴳⵔ ăhaggar, Ăhaggar ‖ d. le s. « pomme [de canne] ; pommeau [d’épée] », est syn. de tătakort, de tăkerkabbout et d’éṛef. — tătakort ⵜⵜⴾⵔ⵿ⵜ sf. φ (pl. titkâr ⵜⵜⴾⵔ), daṛ tĕtkâr ‖ pomme [de canne] ; pommeau [d’épée] ‖ v. ci-dessus ătakôr. ⵜⴾⵙ étekes ⵜⴾⵙ (Ăd.) sm. ‖ élargissement de vallée où, la pente étant faible, les eaux stationnent et produisent une belle végétation (ar. « mậder ») ‖ syn. d’éteṛes (Ăh.) ‖ non us. dans l’Ăh. ⵜⴾⵜ touketen ‖ v. ⴾ tăkat. ⵜⴾⵜⴾ settektek ⵙⵜⴾⵜⴾ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (istektek, iesîtektek, éd isettektek, our istektek) ‖ chuchoter (dire à voix basse à l’oreille (act.) ; parler bas à l’oreille (n.)). — metektek ⵎⵜⴾⵜⴾ va. f. 2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imtektek, iemîtektek, éd imtektek, our imtektek) ‖ se chuchoter réc. l’un à l’autre. — metektak ⵎⵜⴾⵜⴾ va. f. 2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imtektak, iemîtektak, éd imektak, our imtektak) ‖ m. s. q. le pr. — sâtektâk ⵙⵜⴾⵜⴾ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtektâk, our isetektik) ‖ chuchoter hab. — tîmtektîk ⵜⵎ⵿ⵜⴾⵜⴾ va. f. 2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmtektîk, our itemtektik) ‖ se chuchoter hab. réc. l’un à l’autre. — tîmtektâk ⵜⵎ⵿ⵜⴾⵜⴾ va. f. 2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmtektâk, our itemtektak) ‖ m. s. q. le pr. — ăsettektek ⵙⵜⴾⵜⴾ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettektîken ⵙⵜⴾⵜⴾⵏ), daṛ settektîken ‖ fait de chuchoter. — ămtektek ⵎ⵿ⵜⴾⵜⴾ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imtektîken ⵎ⵿ⵜⴾⵜⴾⵏ), daṛ ĕmtektîken ‖ fait de se chuchoter réc. l’un à l’autre. — ămtektak ⵎ⵿ⵜⴾⵜⴾ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imtektâken ⵎ⵿ⵜⴾⵜⴾⵏ), daṛ ĕmtektâken ‖ m. s. q. le pr. — étîktâk ⵜⴾⵜⴾ sm. φ (pl. itîktâken ⵜⴾⵜⴾⵏ), daṛ ătîktâk (ĕtîktâk), daṛ tîktâken ‖ syn. d’ăsettektek ‖ signifie aussi « chuchotement ; paroles dites à voix basse à l’oreille ». ⵜⴾⵜⴾ tektek ‖ v. ⵜⴾ teket (Ta. 1). ⵜⵈ touḳḳet (Ta. 2) ⵜⵈⵜ va. prim. ; conj. 97 « doubet (Ta. 2) » ; (iettoŭḳḳet, iettoûḳḳet, éd ittouḳḳet, our iettouḳḳet) ‖ toquer (de manière à lui faire « toc-toc ») [un mortier (en y pilant qlq. ch.) ; qlq. ch. (en le pilant dans un mortier)] ‖ a aussi le s. pas. « être toqué » ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un pilon. Ne peut avoir pour rég. dir. qu’un mortier ou son contenu ‖ peu us. — tîteḳḳoût (Ta. 8) ⵜⵜⵈⵜ va. f. 16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (itîteḳḳoût, our iteteḳḳout) ‖ toquer hab. ‖ a aussi le s. pas. — ătaḳḳou ⵜⵈⵓ sm. nv. prim. ; φ (pl. iteḳḳoûten ⵜⵈⵜⵏ), daṛ teḳḳoûten ‖ fait de toquer ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être toqué ». — setteḳḳet (Ta. 2) ⵙⵜⵈⵜ va. f. 1 ; conj. 134 « seġġereffet (Ta. 2) » ; (isteḳḳet, iesîteḳḳet, éd isetteḳḳet, our isteḳḳet) ‖ faire des appels de langue à [un chien] ‖ ne peut avoir pour suj. que des p. et pour rég. dir. que des chiens. — sîteḳḳoût (Ta. 8) ⵙⵜⵈⵜ va. f. 1.16 ; conj. 255 « tîġreffoût (Ta. 8) » ; (isîteḳḳoût, our iseteḳḳout) ‖ faire hab. des appels de langue à. — ăsetteḳḳou ⵙⵜⵈⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetteḳḳoûten ⵙⵜⵈⵜⵏ), daṛ setteḳḳoûten ‖ fait de faire des appels de langue à. ⵜⵈ éteḳ ‖ v. ⵜⵗ éteḳ. — téteḳḳeout ‖ v. ⵜⵗ éteḳ. ⵜⵆⵎ etk̤em ⵜⵆⵎ ✳ va. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (itk̤ĕm, itk̤âm, éd itk̤em, our itk̤im) ‖ rendre malade d’une indigestion ‖ a aussi les s. pas. et pron. « être malade d’une indigestion » et « se rendre malade d’une indigestion » ‖ très peu us. — ebk̤em ⴱⵆⵎ va. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (ibk̤ĕm, ibk̤âm, éd ibk̤em, our ibk̤im) ‖ m. s. q. le pr. ‖ très peu us. ⵜⵍ ettel ⵜⵍ va. prim. ; conj. 27 « eddel » ; (ittĕl, ittâl, éd ittel, our ittil) ‖ 1. enrouler [une ch. flexible A] (sur une ch. B, à une p., un an., une ch.) ; 2. enrouler (entourer de qlq. ch. d’enroulé) ; 3. mettre com. enveloppe [une ch. flexible A] (sur une ch. B) ; 4. envelopper [une ch. B] (au moyen d’une ch. flexible A) ‖ a aussi le s. pas. et pron. « 1. être enroulé ; 2. être enroulé ; 3. être mis com. enveloppe ; 4. être enveloppé » et « 1. s’enrouler ; 2. s’enrouler ; 3. se mettre com. enveloppe ; 4. s’envelopper » ‖ d. le s. 1., peut avoir pour suj. une p., un serpent, une plante grimpante. Ne peut avoir pour rég. dir. qu’une ch. flexible capable d’être enroulée sur qlq. ch. ou sur elle-même. Ce sur quoi le suj. enroule le rég. dir. est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. foull « sur ». Si ce sur quoi le suj. enroule le rég. dir. fait partie d’une p., d’un an., ou d’une ch., ceux-ci se mettent au datif. Se dit, p. ex., d’un h. qui enroule une corde, une ficelle, un fil, sur un bâton ou sur eux-mêmes, qui enroule une bande sur une blessure ou un membre malade, qui enroule une étoffe sur sa tête com. turban ; d’un serpent qui enroule son corps sur une branche ou sur lui-même ; d’une plante grimpante qui enroule sa tige sur qlq. ch. ou sur elle-même ; etc. ‖ d. le s. 2., peut avoir pour suj. une p., un serpent, une plante grimpante, ou le ch. flexible qui entoure le rég. dir. en s’enroulant autour de lui. Peut avoir pour rég. dir. toute ch. capable d’avoir qlq. d’enroulé autour de soi. Ce au moyen de quoi le suj. entoure le rég. dir. est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. s (es) « au moyen de ». Si ce que le suj. entoure de qlq. ch. d’enroulé fait partie d’une p., d’un an., ou d’une ch., ceux-ci se mettent au datif. Se dit, p. ex., d’un h. qui entoure un bobine de ficelle ou de fil enroulés sur elle, qui entoure une blessure ou un membre malade de bandes enroulées sur eux, qui entoure sa tête d’un turban enroulé sur elle ; d’un serpent qui entoure une branche de son corps enroulé sur elle ; d’une plante grimpante qui entoure un arbre de sa tige enroulée sur lui ; etc. ‖ d. le s. 3., ne peut avoir pour suj. qu’une p. Peut avoir pour rég. dir. toute ch. flexible capable de servir d’enveloppe à un objet, p. ex. un morceau d’étoffe, de peau souple, de papier. Ce sur quoi, autour de quoi, le suj. met le rég. dir. com. enveloppe est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. foull « sur » ; cela peut être toute ch. capable d’être enveloppée dans qlq. ch. de flexible, p. ex. un paquet, un meuble, un fusil, une selle, un livre, un vêtement plié, etc. ‖ d. le s. 4., peut avoir pour suj. une p. ou la ch. flexible qui enveloppe le rég. dir. Peut avoir pour rég. dir. toute ch. capable d’être enveloppée dans qlq. ch. de flexible, p. ex. un paquet, un meuble, un fusil, une selle, un livre, un vêtement plié, etc. Ce au moyen de quoi le suj. enveloppe le rég. dir. est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. s (es, se) « au moyen de » ; cela peut être toute ch. flexible capable de servir d’enveloppe à un objet, p. ex. un morceau d’étoffe, de peau souple, de papier ‖ au s. pron., signifie p. ext. « se déverser (se jeter) [dans une vallée, un ravin, un cours d’eau, la mer] », le suj. étant une vallée, un ravin, un thalweg avec ou sans eau, un cours d’eau. Ce dans quoi le suj. se déverse est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. daṛ « dans » ; le point où le suj. s’y déverse est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. ṛour « auprès de ». (Ex. Sêrsouf ittĕl daṛ Tămaṅṛaset ṛour ĕṛren ⁒ S. s’est déversé dans T. auprès du village (la vallée de S. se jette dans celle de T. au village [de Tămaṅṛaset])) ‖ p. ext. « embarasser (rendre indistinct, rendre presqu’ incompréhensible) [la langue, les paroles, ce qu’on dit] (par suite d’une prononciation incomplète, confuse, presqu’ inarticulée) », le suj. étant une cause accidentelle qlconque, p. ex. la maladie, le délire, le demi-sommeil, etc. Ne s’emploie pas pour exprimer un défaut de prononciation habituel ; ne s’emploie que pour exprimer la prononciation presqu’ inarticulée d’agonisants, de p. dormant à demi ou étant dans un autre état accidentel qui rend leurs paroles inintelligibles ou presqu’ inintelligibles. Diffère de ce qu’exprime tăkîlseout « lourdeur de langue (défaut consistant à avoir la langue com. lourde et épaisse et à ne pouvoir prononcer les mots qu’à demi) » ; la tăkîlseout est un défaut habituel ‖ d. le s. « se déverser », est syn. d’enfer. — soutel ⵙⵜⵍ va. f. 1 ; conj. 163 « soudel » ; (iessoŭtel, iessoûtel, éd isoutel, our isessoutel) ‖ 1. faire enrouler ; 2. faire enrouler ; 3. faire mettre com. enveloppe ; 4. faire envelopper ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — nemettel ⵏⵎⵜⵍ vn. f. 2bis ; conj. 42 « lekeslekes » ; (inmettel, ienîmettel, éd inmettel, our inmettel) ‖ être enroulé réc. l’un avec l’autre ; s’enrouler réc. l’un avec l’autre. — nemettal ⵏⵎⵜⵍ vn. f. 2bis ; conj. 42 « lekeslekes » ; (inmettal, ienîmettal, éd inmettal, our inmettal) ‖ m. s. q. le pr. — sennemettel ⵙⵏⵎⵜⵍ va. f. 2bis.1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isnemettel, iesînemettel, éd isennemettel, our isnemettel) ‖ enrouler l’un avec l’autre ; faire s’enrouler l’un avec l’autre. — tâttel ⵜⵜⵍ va. f. 6 ; conj. 226 « tâddel » ; (itâttel, our itettel) ‖ 1. enrouler hab. ; 2. enrouler hab. ; 3. mettre hab. com. enveloppe ; 4. envelopper hab. ‖ a aussi les s. pas. et pron. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — soûtoûl ⵙⵜⵍ va. f. 1.18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (isoûtoûl, our isoutoul) ‖ 1. faire hab. enrouler ; 2. faire hab. enrouler ; 3. faire hab. mettre com. enveloppe ; 4. faire hab. envelopper ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tînmettîl ⵜⵏⵎⵜⵍ vn. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmettîl, our itenmettil) ‖ être hab. enroulé réc. l’un avec l’autre ; s’enrouler hab. réc. l’un avec l’autre. — tînmettâl ⵜⵏⵎⵜⵍ vn. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmettâl, our itenmettal) ‖ m. s. q. le pr. — sînmettîl ⵙⵏⵎⵜⵍ va. f. 2bis.1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (isînmettîl, our senmettil) ‖ enrouler hab. l’un avec l’autre ; faire hab. s’enrouler l’un avec l’autre. — oûtoûl ⵜⵍ sm. nv. prim. ; (pl. oûtoûlen ⵜⵍⵏ) ‖ 1. fait d’enrouler ; 2. fait d’enrouler ; 3. fait de mettre com. enveloppe ; 4. fait d’envelopper ‖ a aussi les s. pas. et pron. « 1. fait d’être enroulé ; 2. fait d’être enroulé ; 3. fait d’être mis com. enveloppe ; 4. fait d’être enveloppé » et « 1. fait de s’enrouler ; 2. fait de s’enrouler ; 3. fait de se mettre com. enveloppe ; 4. fait de s’envelopper » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ p. ext. « point d’enveloppement (point de déversement, débouché) [d’une vallée dans une autre plus grande ou dans la mer] ». Signifie embouchure d’une vallée (d’un ravin, d’un thalweg, d’un cours d’eau) dans une autre plus grande, dans un lac, ou dans la mer. D. ce s., est syn. d’é̆nêfar, d’ésaoui et d’oûhoûf. v. ⵂⴼ ehef, oûhoûf. — ăsoûtel ⵙⵜⵍ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isoûtoûlen ⵙⵜⵍⵏ), daṛ soûtoûlen ‖ 1. fait de faire enrouler ; 2. fait de faire enrouler ; 3. fait de faire mettre com. enveloppe ; 4. fait de faire envelopper ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ănmettel ⵏⵎⵜⵍ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmettîlen ⵏⵎⵜⵍⵏ), daṛ ĕnmettîlen ‖ fait d’être enroulé réc. l’un avec l’autre ; fait de s’enrouler réc. l’un avec l’autre. — ănmettal ⵏⵎⵜⵍ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmettâlen ⵏⵎⵜⵍⵏ), daṛ ĕnmettâlen ‖ m. s. q. le pr. — ăsennemettel ⵙⵏⵎⵜⵍ sm. nv. f. 2bis.1 ; φ (pl. isennemettîlen ⵙⵏⵎⵜⵍⵏ), daṛ sennemettîlen ‖ fait d’enrouler l’un avec l’autre ; fait de faire s’enrouler l’un avec l’autre. — ăsâtel ⵙⵜⵍ sm. φ (pl. isoûtâl ⵙⵜⵍ), daṛ soûtâl ‖ 1. objet propre à entourer de qlq. ch. d’enroulé [une blessure ; un membre malade] (p. ex. bande, linge, etc.) ; 2. objet propre à envelopper [un paquet ; un objet mobilier] (p. ex. morceau d’étoffe, de peau souple, de papier, etc.) ‖ d. le s. 1., peut souv. se traduire par « bande » ; d. le s. 2., peur souv. se traduir par enveloppe ‖ ce qu’un ăsâtel entoure ou enveloppe se met au gén. — ételli ⵜⵍⵉ sm. φ (pl. itellân ⵜⵍⵏ), daṛ ătelli (ĕtelli), daṛ tellân ‖ bandeau étroit (s’enroulant autour de la tête pardessus tout le reste de la coiffure et servant à maintenir toute la coiffure) (chez les hom.) ‖ se dit d’un étroite bande d’étoffe, d’un ruban, d’un cordon, ou d’un faisceau de fils d’or ou de soie qui est pardessus tout le reste de la coiffure d’un h., de qlq. nombre de turbans et de bandeaux que celle-ci se compose ‖ p. ext. « bandeau étroit (s’enroulant autour de la tête immédiatement sur la voile de front et servant à le maintenir) (chez les hom.) ». D. ce s., est syn. d’ăsâded. — ămestelli ⵎⵙ⵿ⵜⵍⵉ sm. φ (pl. imestellân ⵎⵙⵜⵍⵏ ; fs. tămestellit ⵜⵎⵙ⵿ⵜⵍⵜ ; fp. timestellâtîn ⵜⵎⵙ⵿ⵜⵍⵜⵏ), daṛ mestellân, daṛ tmestellâtîn ‖ adolescent (hom. qui a depuis peu atteint la puberté, c. à d. qui est entre 14 et 25 ans) ‖ on appelle les adolescents ămestelli parce que c’est lorsque les h. atteignent la puberté qu’ils commencent à porter le voile de front et de bouche et l’ételli ‖ syn. d’ămâouad. — titlîn ⵜⵜⵍⵏ sf. (s. s. pl.), daṛ titlîn ‖ bandeaux de tête de couleurs alternées (chez les h.) ‖ se dit de bandeaux de couleurs alternées, que les h. se font sur la tête en manière de turban, avec des étoffes de 2 couleurs pliées de façon à faire une série de minces bandes dont les couleurs sont alternées. — etteli ⵜⵍⵉ sm. (pl. ettelîten ⵜⵍⵜⵏ) ‖ bague formée d’un joue de métal s’enroulant plusieurs fois autour du doigt ‖ l’etteli peut être en n’importe quel métal. — tăttoult ⵜⵜⵍ⵿ⵜ sf. (pl. tăttoûlîn ⵜⵜⵍⵏ) ‖ gland avec longues franges placé à l’extrémité de droite de la sangle de méhari ‖ la sangle de méhari et la tăttoult sont touj. en poil de chèvre dans l’Ăh. — émetelé ⵎⵜⵍⵉ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. imetelîten ⵎⵜⵍⵜⵏ), daṛ ămetelé (ĕmetelé), daṛ metelîten ‖ nom d’une plante persistante. — semmetel ⵙⵎⵜⵍ vn. f. 2.1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (ismetel, iesîmetel, éd isemmetel, our ismetel) ‖ être assis les jambes croisées (à la turque) ; s’asseoir les jambes croisées (à la turque) ‖ syn. de sennekref. — sâmetâl ⵙⵎⵜⵍ vn. f. 2.1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâmetâl, our isemetil) ‖ être hab. assis les jambes croisées ; s’asseoir hab. les jambes croisées. — ăsemmetel ⵙⵎⵜⵍ sm. nv. f. 2.1 ; φ (pl. isemmetîlen ⵙⵎⵜⵍⵏ), daṛ semmetîlen ‖ fait d’être assis les jambes croisées ; fait de s’asseoir les jambes croisées. — temetilt ⵜⵎⵜⵍ⵿ⵜ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (ittĕltel, iettîltel, éd ietteltel, our itteltel) ‖ signifie aussi « position consistant à être assis les jambes croisées (à la turque) » ‖ syn. de tenekrift. — teltel ⵜⵍ⵿ⵜⵍ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (ittĕltel, iettîltel, éd ietteltel, our itteltel) ‖ enrouler à plusieurs reprises (enrouler en faisant plusieurs tours) [une ch. flexible A] (sur une ch. B, à une p., un an., une ch.) ‖ a aussi les s. pas. et pron. « être enroulé à plusieurs reprises » et « s’enrouler à plusieurs reprises » ‖ peut avoir pour suj. une p., un serpent, une plante grimpante. Peut avoir pour rég. dir. toute ch. flexible capable d’être enroulée à plusieurs reprises le rég. dir. est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. foull « sur ». Si ce sur quoi le suj. enroule à plusieurs reprises le rég. dir. fait partie d’une p., d’un an., ou d’une ch., ceux-ci se mettent au datif. Se dit, p. ex., d’un h. qui enroule à plusieurs reprises une corde, une ficelle, un fil, sur un bâton ou sur eux-mêmes, qui enroule à plusieurs reprises une bande sur une blessure ou un membre malade, qui enroule à plusieurs reprises une étoffe sur sa tête com. turban ; d’un serpent qui enroule à plusieurs reprises son corps sur une branche ou sur lui-même ; d’une plante grimpante qui enroule à plusieurs reprises sa tige sur qlq. ch. ou sur elle-même ; etc. — setteltel ⵙⵜⵍ⵿ⵜⵍ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isteltel, iesîteltel, éd isetteltel, our isteltel) ‖ faire enrouler à plusieurs reprises ‖ se c. av. 2 acc. — meteltel ⵎⵜⵍ⵿ⵜⵍ vn. f. 2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imteltel, iemîteltel, éd imteltel, our imteltel) ‖ être entortillé ensemble (être enlacé ensemble sans pouvoir se séparer ; être enchevêtré) ; s’entortiller ensemble (d. le s. ci. d.) ‖ peut avoir pour suj. des cordes, des ficelles, des fils, des lanières, des bandes d’étoffe, des lianes, des plantes grimpantes, des serpents, tout ce qui est capable d’être entortillé ensemble. Ce avec quoi le suj. est entortillé est à l’abl. et accompagné de d (ed) « avec », à moins que tout ce qui est entortillé ensemble ne soit sujet ‖ fig. « être enlacé ensemble », le suj. étant 2 ou plusieurs p. de même sexe ou de sexes différents serrées les unes contre les autres très familièrement, p. ex. l’une ayant le bras sur l’épaule d’une autre, l’une ayant le genou sur le genou d’un autre, etc., com. font souv. les jeunes Touaregs assis ensemble dans un endroit abrité du soleil très restreint ‖ fig. « être enlacé ensemble (accomplir ensemble l’acte sexuel) », le suj. étant un h. et une f. ‖ fig. « être enlacé ensemble (être étroitement uni ensemble) (par le mariage, un commerce amoureux illégitime, l’amour, une grande amitié) », le suj. étant des p. de sexes différents ou de même sexe ‖ fig. « être enlacé ensemble (être lié ensemble) (par des relations amicales étroites ou non) », le suj. étant des p. de même sexe ou de sexes différents ‖ fig. « être enlacé ensemble (avoir des relations ensemble) (com. compagnons, connaissances, ou par un motif qlconque) », le suj. étant des p. de même sexe ou de sexes différents ‖ fig. « être enlacé ensemble (par des affaires d’argent, par des affaires matérielles) », le suj. étant des p. ‖ fig. « être enlacé ensemble (être occupé l’un avec l’autre) », le suj. étant des p., des an., des ch. Ce avec quoi est occupé le suj. peut être une p., un an., une ch., un travail, une affaire, etc. ‖ fig. « être entortillé (être enchevêtré ; être embrouillé) », le suj. étant des paroles, un écrit, une affaire, un compte, etc. Se dit de paroles, d’écrits, d’affaires, etc. embrouillés pour une cause qlconque ‖ fig. « s’entortiller ensemble (s’embarasser l’un dans l’autre) », le suj. étant les pieds d’une p. ou d’un an. qui marchent. — meteltal ⵎⵜⵍ⵿ⵜⵍ vn. f. 2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imteltal, iemîteltal, éd imteltal, our imteltal) ‖ m. s. q. le pr. — semmeteltel ⵙⵎⵜⵍ⵿ⵜⵍ va. f. 2.1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (ismeteltel, iesîmeteltel, éd isemmeteltel, our ismeteltel) ‖ entortiller ensemble ; faire s’entortiller ensemble ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2. — tâteltâl ⵜⵜⵍ⵿ⵜⵍ va. f. 7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâteltâl, our iteteltil) ‖ enrouler hab. à plusieurs reprises ‖ a aussi les s. pas. et pron. — sâteltâl ⵙⵜⵍ⵿ⵜⵍ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâteltâl, our iseteltil) ‖ faire hab. enrouler à plusieurs reprises ‖ se c. av. 2 acc. — tîmteltîl ⵜⵎ⵿ⵜⵍ⵿ⵜⵍ vn. f. 2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmteltîl, our itemteltil) ‖ être hab. entortillé ensemble ; s’entortiller hab. ensemble ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2. — tîmteltâl ⵜⵎ⵿ⵜⵍ⵿ⵜⵍ vn. f. 2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmteltâl, our itemteltal) ‖ m. s. q. le pr. — sîmteltîl ⵙⵎ⵿ⵜⵍ⵿ⵜⵍ va. f. 2.1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (isîmteltîl, our isemteltil) ‖ entortiller hab. ensemble ; faire hab. s’entortiller ensemble ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2.1. — ăteltel ⵜⵍ⵿ⵜⵍ sm. nv. prim. ; φ (pl. iteltîlen ⵜⵍ⵿ⵜⵍⵏ), daṛ teltîlen ‖ fait d’enrouler à plusieurs reprises ‖ a aussi les s. pas. et pron. « fait d’être enroulé à plusieurs reprises » et « fait de s’enrouler à plusieurs reprises ». — ăsetteltel ⵙⵜⵍ⵿ⵜⵍ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetteltîlen ⵙⵜⵍ⵿ⵜⵍⵏ), daṛ setteltîlen ‖ fait de faire enrouler à plusieurs reprises. — ămteltel ⵎ⵿ⵜⵍ⵿ⵜⵍ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imteltîlen ⵎ⵿ⵜⵍ⵿ⵜⵍⵏ), daṛ ĕmteltîlen ‖ fait d’être entortillé ensemble ; fait de s’entortiller ensemble ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2. — ămteltal ⵎ⵿ⵜⵍ⵿ⵜⵍ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imteltâlen ⵎ⵿ⵜⵍ⵿ⵜⵍⵏ), daṛ ĕmteltâlen ‖ m. s. q. le pr. — ăsemmeteltel ⵙⵎⵜⵍ⵿ⵜⵍ sm. nv. f. 2.1 ; φ (pl. isemmeteltîlen ⵙⵎⵜⵍ⵿ⵜⵍⵏ), daṛ semmeteltîlen ‖ fait d’entortiller ensemble ; fait de faire s’entortiller ensemble ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 2.1. — ămeteltel ⵎⵜⵍ⵿ⵜⵍ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. imeteltelen ⵎⵜⵍ⵿ⵜⵍⵏ), daṛ meteltelen ‖ nom d’une plante persistante ‖ l’ămeteltel est une liane ; il croît hab. au pied des arbres, grimpe le long de leurs troncs, et s’entrelace avec leurs rameaux. — semmetlou ⵙⵎⵜⵍⵓ vn. f. 2.1 ; conj. 131 « sebbedi » ; (ismetleou, iesîmetleou, éd isemmetlou, our ismetleou) ‖ bavarder (parler beaucoup en ne disant que des ch. insignifiantes) ‖ est touj. employé en mauvaise part. — sâmetlâou ⵙⵎⵜⵍⵓ vn. f. 2.1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâmetlâou, our isemetliou) ‖ bavarder hab. — ăsemmetlou ⵙⵎⵜⵍⵓ sm. nv. f. 2.1 ; φ (pl. isemmetliouen ⵙⵎⵜⵍⵓⵏ), daṛ semmetliouen ‖ fait de bavarder. — ăsemmetlaou ⵙⵎⵜⵍⵓ sm. n. d’é. f. 2.1 ; φ (pl. isemmetlaouen ⵙⵎⵜⵍⵓⵏ ; fs. tăsemmetlaout ⵜⵙⵎⵜⵍⵓⵜ ; tisemmetlaouîn ⵜⵙⵎⵜⵍⵓⵏ), daṛ semmetlaouen, daṛ tsemmetlaouîn ‖ hom. bavard. — teloutelou ⵜⵍⵜⵍⵓ vn. prim. ; conj. 45 « ġemiġemi » ; (itleouteleou, ietîleouteleou, éd itloutelou, our itleouteleou) ‖ syn. de semmetlou. — tîtloutelou ⵜⵜⵍⵜⵍⵓ vn. f. 12 ; conj. 245 « tîheḍeḍi » ; (itîtloutelou, our itetloutelou) ‖ syn. de sâmetlâou. — ătloutelou ⵜⵍⵜⵍⵓ sm. nv. prim. ; φ (pl. itlouteliouen ⵜⵍⵜⵍⵓⵏ), daṛ ĕtlouteliouen ‖ syn. d’ăsemmetlou. — ătelaoutelaou ⵜⵍⵓⵜⵍⵓ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. itelaoutelaouen ⵜⵍⵓⵜⵍⵓⵏ ; fs. tătelaoutelaout ⵜⵜⵍⵓⵜⵍⵓⵜ ; fp. titelaoutelaouîn ⵜⵜⵍⵓⵜⵍⵓⵏ), daṛ telaoutelaouen, daṛ tĕtelaoutelaouîn ‖ syn. d’ăsemmetlaou. ⵜⵍ toûtela ⵜⵜⵍⴰ (Ăd., Ăir) sf. (pl. toûtelaouîn ⵜⵜⵍⵓⵏ) ‖ hache ‖ syn. de tâḍeft (Ăh.) ‖ très peu us. dans l’Ăh. ⵜⵍⴱⵜⵍⴱ telebteleb ⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱ vn. prim. ; conj. 42 « lekeslekes » ; (itlebteleb, ietîlebteleb, éd itlebteleb, our itlebteleb) ‖ parler avec une volubilité excessive et en mangeant les mots. — settelebteleb ⵙⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (istelebteleb, iesîtelebteleb, éd isettelebteleb, our istelebteleb) ‖ faire parler avec une volubilité excessive et en mangeant les mots. — tîtlebtelîb ⵜⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱ vn. f. 13 ; conj. 13 « k̤ouk̤ou » ; (itîtlebtelîb, our itetlebtelib ‖ parler hab. avec une volubilité excessive et en mangeant les mots. — sîtlebtelîb ⵙⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱ va. f. 1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (isîtlebtelîb, our isetlebtelib) ‖ faire hab. parler avec une volubilité excessive et en mangeant les mots. — ătlebteleb ⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱ sm. nv. prim. ; φ (pl. itlebtelîben ⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱⵏ), daṛ ĕtlebtelîben ‖ fait de parler avec une volubilité excessive et en mangeant les mots. — ăsettelebteleb ⵙⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettelebtelîben ⵙⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱⵏ), daṛ settelebtelîben ‖ fait de faire parler avec une volubilité excessive et en mangeant les mots. — ătelebtelab ⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. itelebtelâben ⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱⵏ ; fs. tătelebtelabt ⵜⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱ⵿ⵜ ; fp. titelebtelâbîn ⵜⵜⵍⴱ⵿ⵜⵍⴱⵏ), daṛ telebtelâben, daṛ tĕtelebtelâbîn ‖ hom. qui parle avec une volubilité excessive et en mangeant les mots. ⵜⵍⴱ atleb ⵜⵍⴱ sm. φ (pl. itelben ⵜⵍⴱⵏ), daṛ ĕtleb (ătleb), daṛ telben ‖ abcès produit par la maladie du ver de Guinée ‖ le sing. atleb et le pl. itelben signifient tous 2 p. ext. « maladie du ver de Guinée » ‖ ahed n ĕtleb « fil à coudre mince d’atleb » signifie « ver de Guinée » ‖ chez la p. atteinte par le ver de Guinée, tantôt il se forme en seul abcès d’où il sort un ver, tantôt il se forme plusieurs abcès (parfois jusqu’à 30 ou 40) de chacun desquels sort un ver ; chacun des abcès desquels sort un ver s’appelle atleb. La plupart des Kel-Ăh. regardent le ver de Guinée non com. un ver, mais com. un fil inanimé ‖ le ver de Guinée est très rare dans l’Ăh. ; il ne s’y voit que chez des p. qui ont contracté cette maladie au Soudan. ⵜⵍⵉ tălia ⵜⵍⵉⴰ (Soudan) sf. (col. s. n. d’u. et sans pl.) ‖ vermicelle ‖ syn. d’eddeoueida ‖ très peu us. ⵜⵍⴾⵙ ătelkas ‖ v. ⵜⴾⵍ tétakelt. ⵜⵍⴾⵜⵍⴾ telektelek ⵜⵍⴾⵜⵍⴾ vn. prim. ; conj. 42 « lekeslekes » ; (itlektelek, ietîlektelek, éd itlektelek, our itlektelek) ‖ trottiner (du trottinement spécial aux chiens) ‖ ne se dit proprement que des chiens ‖ se dit p. ext. des p. ; dans ce cas, est un terme de dérision, par lequel on compare la façon de marcher de qlq’un au trottinement d’un chien ‖ v. ⵂⵍ ahel « courir ». — tîtlektelîk ⵜⵜⵍⴾⵜⵍⴾ vn. f. 13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîtkektelîk, our itetlektelik) ‖ trottiner hab. — ătlektelek ⵜⵍⴾⵜⵍⴾ sm. nv. prim. ; φ (pl. itlektelîken ⵜⵍⴾⵜⵍⴾⵏ), daṛ ĕtlektelîken ‖ fait de trottiner ‖ signifie aussi « trottinement (spécial aux chiens) (manière de trottiner (spéciale aux chiens)) ». — ătelektelak ⵜⵍⴾⵜⵍⴾ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. itelektelâken ⵜⵍⴾⵜⵍⴾⵏ ; fs. tătelektelak ⵜⵜⵍⴾⵜⵍⴾ ; fp. titelektelâkîn ⵜⵜⵍⴾⵜⵍⴾⵏ), daṛ telektelâken, daṛ tĕtelektelâkîn ‖ hom. qui trottine du trottinement spécial aux chiens. ⵜⵍⵆⴳ telk̤ig ⵜⵍⵆⴳ ✳ sm. (pl. telk̤îgen ⵜⵍⵆⴳⵏ) ‖ poudre d’amorce (qui se met dans le bassinet d’un fusil à pierre ou d’un pistolet à pierre). ⵜⵍⵍ ettelal ‖ v. ⵍⵍ ilal. ⵜⵍⵍⴾ teloulek ⵜⵍⵍⴾ vn. prim. ; conj. 52 « keroukeḍ » ; ρ (itlalek, ietîlalek, éd itloulek, our itlalek) ‖ aller lentement et silencieusement (le suj. étant une p., un an., le vent, un ruisseau, un cours d’eau) ‖ p. ext. « s’en aller lentement et silencieusement », le suj. étant une p. ou un an. ‖ p. ext. « répandre lentement et sans bruit des mensonges » ‖ v. ⵂⵍ ahel « courir ». — setteloulek ⵙⵜⵍⵍⴾ va. f. 1 ; conj. 138 « sekkeroukeḍ » ; ρ (istelalek, iesîtelalek, éd isetteloulek, our istelalek) ‖ faire aller lentement et silencieusement ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — tîtloûloûk ⵜⵜⵍⵍⴾ vn. f. 14 ; conj. 249 « tîkroûkoûḍ » ; (itîtloûloûk, our itetloulouk) ‖ aller hab. lentement et silencieusement ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sîtloûloûk ⵙⵜⵍⵍⴾ va. f. 1.14 ; conj. 249 « tîkroûkoûḍ » ; (isîtloûloûk, our isetloulouk) ‖ faire hab. aller lentement et silencieusement ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ătloûlek ⵜⵍⵍⴾ sm. nv. prim. ; φ (pl. itloûloûken ⵜⵍⵍⴾⵏ), daṛ ĕtloûloûken ‖ fait d’aller lentement et silencieusement ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsetteloûlek ⵙⵜⵍⵍⴾ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetteloûloûken ⵙⵜⵍⵍⴾⵏ), daṛ setteloûloûken ‖ fait de faire aller lentement et silencieusement ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ătelâlak ⵜⵍⵍⴾ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. itelâlâken ⵜⵍⵍⴾⵏ ; fs. tătelâlâk ⵜⵜⵍⵍⴾ ; fp. titelâlâkîn ⵜⵜⵍⵍⴾⵏ), daṛ telâlâken, daṛ tĕtelâlâkîn ‖ hom. qui répand lentement et sans bruit des mensonges. ⵜⵍⵍⵗ tătelouleṛet ⵜⵜⵍⵍⵗⵜ sf. φ (pl. titelouleṛetîn ⵜⵜⵍⵍⵗⵜⵏ), daṛ tĕtelouleṛetîn ‖ libellule (insecte vulg. appelé « demoiselle »). ⵜⵍⵓ semmetlou ‖ v. ⵜⵍ ettel. ⵜⵍⵓⵜⵍⵓ teloutelou ‖ v. ⵜⵍ ettel. ⵜⵍⵗ telouṛet (Ta. 2) ⵜⵍⵗⵜ vn. prim. ; conj. 57 « beroumet (Ta. 2) » ; π ρ (itlaṛet, ietîlaṛet, éd itlouṛet, our itlaṛet) ‖ être acajou clair (être couleur acajou clair) (le suj. étant un chameau) ‖ le part. prés. est très peu us. ; on se sert hab. du part. passé sing. et plur. pour exprimer les sens du participe passé et du participe présent. — tîtloûṛoût (Ta. 8) ⵜⵜⵍⵗⵜ vn. f. 16bis ; conj. 257 « tîdoûboût (Ta. 8) » ; (itîtloûṛoût, our itetlouṛout) ‖ être hab. acajou clair. — tetteloûṛet ⵜⵜⵍⵗⵜ sf. nv. prim. ; (pl. tetteloûṛetîn ⵜⵜⵍⵗⵜⵏ) ‖ fait d’être acajou clair ‖ signifie aussi « acajou clair (couleur acajou clair) (en parlant de la robe d’un chameau) ». — atlaṛ ⵜⵍⵗ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. itlaṛen ⵜⵍⵗⵏ ; fs. tatlaḳ ⵜⵜⵍⵈ ; fp. titlaṛîn ⵜⵜⵍⵗⵏ), daṛ ĕtlaṛ (ătlaṛ), daṛ ĕtlaṛen, daṛ tĕtlaḳ (tătlaḳ), daṛ tĕtlaṛîn ‖ chameau acajou clair. ⵜⵍⵗⵜⵍⵗ teleṛteleṛ va. prim. ; conj. 42 « lekeslekes » ; (itleṛteleṛ, ietîleṛteleṛ, éd itleṛteleṛ, our itleṛteleṛ) ‖ parler à tort et à travers et en mal (sur le prochain) ‖ syn. de ḍelefḍelef ‖ v. ⴹⵍⴼⴹⵍⴼ ḍelefḍelef. — tîtleṛtelîṛ ⵜⵜⵍⵗⵜⵍⵗ vn. f. 13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîtleṛtelîṛ, our itetleṛteliṛ) ‖ parler hab. à tort et à travers et en mal. — ătleṛteleṛ ⵜⵍⵗⵜⵍⵗ sm. nv. prim. ; φ (pl. itleṛtelîṛen ⵜⵍⵗⵜⵍⵗⵏ), daṛ ĕtleṛtelîṛen ‖ fait de parler à tort et à travers et en mal. — ăteleṛtelaṛ ⵜⵍⵗⵜⵍⵗ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. iteleṛtelâṛen ⵜⵍⵗⵜⵍⵗⵏ ; fs. tăteleṛtelaḳ ⵜⵜⵍⵗⵜⵍⵈ ; fp. titeleṛtelâṛîn ⵜⵜⵍⵗⵜⵍⵗⵏ), daṛ teleṛtelâṛen, daṛ tĕteleṛtelâṛîn ‖ h. qui parle à tort et à travers et en mal (sur le prochain). ⵜⵍⵙ setteles ⵙⵜⵍⵙ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isteles, iesîteles, éd isetteles, our isteles) ‖ faire aller à l’amble (faire aller à l’allure ordinaire de l’amble) [un chameau qu’on monte] (act.) ; aller à l’amble (aller à l’allure ordinaire de l’amble) (le suj. étant une p. montant un chameau, ou un chameau monté ou en liberté) (n.) ‖ syn. de sellouen ‖ v. ⵂⵍ ahel « courir ». — sâtelâs ⵙⵜⵍⵙ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtelâs, our istelis) ‖ faire hab. aller à l’amble (act.) ; aller hab. à l’amble (n.). — ăsetteles ⵙⵜⵍⵙ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettelîsen ⵙⵜⵍⵙⵏ), daṛ settelîsen ‖ fait de faire aller à l’amble ; fait d’aller à l’amble. — ăsettelas ⵙⵜⵍⵙ sm. n. d’é. f. 1 ; φ (pl. isettelâsen ⵙⵜⵍⵙⵏ ; fs. tăsettelast ⵜⵙⵜⵍⵙ⵿ⵜ ; fp. tisettelâsîn ⵜⵙⵜⵍⵙⵏ), daṛ settelâsen, daṛ tsettelâsîn ‖ hom. qui fait touj. aller son méhari à l’amble (h. qui, au lieu d’aller au pas, sur son méhari, com. c’est la coutume, va hab. et sans motif à l’amble). — tétalist ⵜⵜⵍⵙ⵿ⵜ sf. φ (pl. titelisîn ⵜⵜⵍⵙⵏ), daṛ tătalist (tĕtalist), daṛ tĕtelisîn ‖ amble (allure ordinaire de l’amble) (en parlant d’un chameau) ‖ p. ext. « temps d’amble (temps plus ou moins long pendant lequel on va sans interruption à l’amble) (en parlant d’un chameau) ». ⵜⵍⵜ ettelâta ‖ v. ⵜⵏⵜ ettenâta. ⵜⵍⵜⵍ teltel ‖ v. ⵜⵍ ettel. ⵜⵎ outtoûm ⵜⵎ sm. (pl. outtoûmen ⵜⵎⵏ) ‖ petite place à demi-trouée (dans une étoffe) ‖ se dit d’une petite place à demi-percée, une partie des fils étant entière et l’autre coupée, dans une étoffe neuve ou vieille, ayant une cause qlconque, usure, accident, insectes, teinture, etc. ⵜⵎ ettâm ⵜⵎ nom de nombre card. ; ms. ; α μ (fs. ettâment ⵜⵎⵜ) ‖ huit ‖ voir l’emploi des noms de nombre card. à ⴾⵔⴹ keraḍ. ⵜⵎⵎ ettemmim ‖ v. ⵜⵎⵏ ettemmin. ⵜⵎⵏ ettemmin ⵜⵎⵏ ✳ sm. (pl. ettemmînen ⵜⵎⵏⵏ) ‖ ablution religieuse (obligatoire avant la prière canonique musulmane) faite avec du sable ou une pierre. — ettemmim ⵜⵎⵎ sm. (pl. ettemmîmen ⵜⵎⵎⵏ) ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. ⵜⵎⵏ itmânen ⵜⵎⵏⵏ sm. φ (pl. s. s.), daṛ ĕtmânen ‖ bande de peau ornée de longues franges de peau (qui s’attache le long du côté de droite ou de gauche de la selle de méhari pour femme) ‖ l’itmânen (fig. α) est une bande de peau brodée et ornée, de même longueur AB que la siège de la selle de méhari pour femme, et de 0m,05c à 0m,20c de large, à laquelle sont cousues de longues franges en peau. On attache au siège de la selle, qui est carré, 2 itmânen, l’un le long de son bord droit, l’autre le long de son bord gauche. Chaque itmânen est muni de 2 cordons, AA′ et BB′, destinés à l’attacher l’un au coin antérieur, l’autre au coin postérieur du côté du siège. Les franges ont hab. 0m,50c à un mètre de long ‖ diffère d’iżżemân « cordelette de peau à laquelle sont cousues de longues franges de peau (qui s’attache autour du siège de la selle de méhari pour femme) ». L’iżżemân (fig. β) a la longueur MN du pourtour du siège de la selle de méhari pour femme ; il entoure le siège tout entier et s’attache au milieu du devant du siège au moyen de 2 cordons MM′ et NN′ dont sont munies ses extrémités. Les franges de l’iżżemân ont hab. 0m,50c à un mètre de long. ⵜⵎⵗⵙ Tămâṛĕs ⵜⵎⵗⵙ ⁂ sm. (s. s. pl.) ‖ np. d’hom. ‖ nom lég. ‖ d’après d’anciennes légendes de l’Ăh., il exista autrefois, parmi les Touaregs, 6 hommes qui furent des saints. Ils vécurent en des temps antiques, avant l’introduction de l’islam chez les Touaregs. Ils s’appelaient Tămâṛĕs, Bouṛdân, Iâsoûd, Oueṛdas, Noûfana, Ṛâdes. Les Kel-Ăh. des siècles passés les avaient en grande vénération et les invoquaient pour obtenir ce qu’ils désiraient ; aujourd’hui ils sont tombés en oubli ; il n’y a plus à avoir connaissance d’eux que qlq. personnes âgées des familles nobles. ⵜⵏ tenet (Ta. 1) ⵜⵏⵜ va. prim. ; conj. 104 « deret (Ta. 1) » ; (ittĕnet, iettînet, éd iettenet, our ittenet) ‖ polir (rendre uni et luisant par frottement) ‖ a aussi le s. pas. « être poli » ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un instrument servant à polir. Peut avoir pour rég. dir. toute ch. capable d’être polie par frottement au moyen d’un instrument, p. ex. du métal, du bois, de l’ivoire, une peau, un cuir, etc. ‖ fig. « polir (rendre absolument net et com. poli en le lavant parfaitement) [son visage] », le suj. étant une jeune femme. D. ce s., tenet (Ta. 1) est une expression élogieuse. Peu us. d. ce s. ‖ v. ⵙⵍ ésali, eslel. — settenet (Ta. 1) ⵙⵜⵏⵜ va. f. 1 ; conj. 133 « sedderet (Ta. 1) » ; (istenet, iesîtenet, éd isettenet, our istenet) ‖ faire polir ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — tâtenât (Ta. 5) ⵜⵜⵏⵜ va. f. 11 ; conj. 241 « tâderât (Ta. 5) » ; (itêtenât, our itetenit) ‖ polir hab. ‖ a aussi le s. pas. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — atni ⵜⵏⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. itnîten ⵜⵏⵜⵏ), daṛ ĕtni (ătni), daṛ ĕtnîten ‖ fait de polir ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être poli » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsetteni ⵙⵜⵏⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettenîten ⵙⵜⵏⵜⵏ), daṛ settenîten ‖ fait de faire polir ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăsettenou ⵙⵜⵏⵓ sm. φ (pl. isettena ⵙⵜⵏⴰ), daṛ settena ‖ polissoir (instrument qlconque servant à polir ; objet qlconque pouvant servir à polir) ‖ signifie aussi « polissoir (petite latte de bois confectionnée exprès pour servir au polissage des peaux) ». Se dit de petites lattes de dimensions variables, dont les plus petites ont 0m,03c de large. ⵜⵏ tătanout ⵜⵜⵏⵜ sf. φ (pl. titna ⵜⵜⵏⴰ), daṛ tĕtna ‖ longue et forte aiguille (servant à coudre des semelles aux pieds des chameaux et à les saigner au boulet) ‖ certaines tătanout ont un œil ; d’autres n’en ont pas. — tistent ⵜⵙ⵿ⵜⵏ⵿ⵜ sf. (pl. tistânîn ⵜⵙ⵿ⵜⵏⵏ), daṛ tistânîn ‖ alène fine (poinçon fin à manche en bois) ; poinçon fin (avec manche qlconque ou sans manche) ‖ le fer de la tistent a environ 0m,001mm à 0m,002mm de diamètre ‖ v. ⵏⴷⵍ êndel. — stenfous ⵙ⵿ⵜⵏⴼⵙ sm. (pl. stenfassen ⵙ⵿ⵜⵏⴼⵙⵏ) ‖ aiguille à coudre (ordinaire, fine ou grosse) ‖ diffère de tesoubla « grande aiguille de tapissier (ayant environ 0m,15c à 0m,20c de long) » ‖ diffère de tătanout « longue et forte aiguille (servant à coudre des semelles aux pieds des chameaux et à les saigner au boulet) ». ⵜⵏ ten ‖ v. ⵜ t. ⵜⵏⴱ tenba ⵜⵏ⵿ⴱⴰ (Soudan) sm. (s. et pl.) ‖ sandales de luxe (d’une espèce particulière) ‖ le tenba se fabrique au Soudan ; v. sa forme à ⵐⵂⵔ té̆ñhert ‖ syn. de tisellebâtîn et beauc. plus us. que lui ‖ tâded tenba : v. ⴷⴷ aded. — tenba-tenba ⵜⵏ⵿ⴱⵜⵏ⵿ⴱⴰ sm. (s. et pl.) ‖ m. s. q. le pr. ⵜⵏⴱⵔ étenber ⵜⵏ⵿ⴱⵔ sm. φ (pl. itenberen ⵜⵏ⵿ⴱⵔⵏ), daṛ ătenber (ĕtenber), daṛ tenberen ‖ van circulaire (en osier ou en joue) ‖ syn. de téseit et d’éteouêl ‖ peu us. ⵜⵏⴹⴹ tenḍeḍ ‖ v. ⵜⵏⴳⴹ teṅgeḍ. ⵜⵏⴳⴹ teṅgeḍ ⵜⵏ⵿ⴳⴹ sm. (s. s. pl.) ‖ bonheur [à une p., un an., une ch.] ! ‖ ne s’emploie que com. exclamation, pour exprimer que c’est un bonheur pour des p., des an., ou des ch. que telle ou telle ch. soit arrivée, ou que ce sera un bonheur pour eux si elle arrive. Peut hab. se traduire par « heureux ... ! » ‖ teṅgeḍ est touj. suivi d’un mot au datif, son régime. Si son rég. est un subs., un pr. relatif, un pr. indéfini, ceux-ci sont accompagnés de la prép. du datif. Si son rég. est pr. affixe, celui-ci est, non pas le pr. af. dépendant des noms, mais le pr. affixe rég. dir. des verbes ‖ ex. teṅgeḍ i Biska ! iġrĕou amis ⁒ bonheur à B. ! il a trouvé un chameau (heureux B. ! il a reçu un chameau) = teṅgeḍ i oulli ! ichkân ellân t ⁒ bonheur aux chèvres ! des herbes le sont (heureux les chèvres ! il y a de l’herbe) = teṅgeḍ i ăkâl ! Mess-îneṛ ikf ê eṅġi ⁒ bonheur au pays ! (heureux le pays !) Dieu lui a donné de l’eau courante provenant de pluies récentes = teṅgeḍ âk kout teġrĕoued tămeṭ tâ-reṛ ! ⁒ bonheur à toi si tu as trouvé cette f. ! (heureux seras-tu si tu obtiens cette f. !) = teṅgeḍ i koud nĕieṛ eddoûnet in ! ⁒ bonheur à moi si j’ai vu mes gens ! (heureux serai-je si je vois les miens !) = teṅgeḍ âsen koud iġ ĕṅġi ! ⁒ bonheur à eux si s’est faite de l’eau courante provenant de pluies récentes ! (heureux seront-ils s’il se produit de l’eau courante provenant de pluies récentes !). — tenḍeḍ ⵜⵏ⵿ⴹⴹ sm. (s. s. pl.) ‖ m. s. q. le pr. ⵜⵏⴶⵔ touṅġer ⵜⵏ⵿ⴶⵔ vn. prim. ; conj. 95 « doukkel » ; (iettoŭṅġer, iettoûṅġer, éd iettouṅġer, our iettouṅġer) ‖ être envenimé (le suj. étant une blessure, une plaie, un abcès) ; s’envenimer (d. le s. ci. d.) ‖ se dit d’une blessure, d’une plaie, d’un abcès qui s’enveniment à n’importe quel degré et pour n’importe quelle cause ‖ syn. d’enfeḍ ‖ v. ⵏⵜⵍ entel. — setteṅġer ⵙⵜⵏ⵿ⴶⵔ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isteṅġer, iesîteṅġer, éd isetteṅġer, our isteṅġer) ‖ envenimer. — tîteṅġoûr ⵜⵜⵏ⵿ⴶⵔ vn. f. 13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîteṅġoûr, our iteteṅġou) ‖ être hab. envenimé ; s’envenimer hab. — sîteṅġoûr ⵙⵜⵏ⵿ⴶⵔ va. f. 1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (isîteṅġoûr, our iseteṅġour) ‖ envenimer hab. — ătouṅġer ⵜⵏ⵿ⴶⵔ sm. nv. prim. ; φ (pl. iteṅġoûren ⵜⵏ⵿ⴶⵔⵏ), daṛ teṅġoûren ‖ fait d’être envenimé ; fait de s’envenimer. — ăsetteṅġer ⵙⵜⵏ⵿ⴶⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetteṅġîren ⵙⵜⵏ⵿ⴶⵔⵏ), daṛ setteṅġîren ‖ fait d’envenimer. ⵜⵏⵉ têné ‖ v. ⵏⵉ nai-aḍân. ⵜⵏⴾⵂ ătenkeh ⵜⵏ⵿ⴾⵂ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. et p. n. itenkehen ⵜⵏ⵿ⴾⵂⵏ), daṛ tenkehen ‖ fruit produit par le leouliouen ‖ l’ătenkeh est comestible ; il est de la grosseur d’une grosse datte ; il se forme dans les racines du leouliouen. ⵜⵏⴾⵍ tounkel ⵜⵏ⵿ⴾⵍ vn. prim. ; conj. 95 « doukkel » ; (iettoŭnkel, iettoûnkel, éd iettounkel, our iettounkel) ‖ être dérobé aux regards ; se dérober aux regards ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. ‖ se dit de tout ce qui est dérobé aux regards d’une manière qlconque et pour n’importe quelle cause ‖ v. ⴼⵔ effer. — settenkel ⵙⵜⵏ⵿ⴾⵍ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (istenkel, iesîtenkel, éd isettenkel, our istenkel) ‖ dérober aux regards ; faire se dérober aux regards. — metenkel ⵎⵜⵏ⵿ⴾⵍ vn. f. 2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imtenkel, iemîtenkel, éd imtenkel, our imtenkel) ‖ être réc. dérobé aux regards l’un de l’autre ; se dérober réc. aux regards l’un de l’autre ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. — metenkal ⵎⵜⵏ⵿ⴾⵍ vn. f. 2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imtenkal, iemîtenkal, éd imtenkal, our imtenkal) ‖ m. s. q. le pr. — tîtenkoûl ⵜⵜⵏ⵿ⴾⵍ vn. f. 13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîtenkoûl, our itetenkoul) ‖ être hab. dérobé aux regards ; se dérober hab. aux regards. — sîtenkoûl ⵙⵜⵏ⵿ⴾⵍ va. f. 1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (isîtenkoûl, our isetenkoul) ‖ dérober hab. aux regards ; faire hab. se dérober aux regards. — tîmtenkîl ⵜⵎ⵿ⵜⵏ⵿ⴾⵍ vn. f. 2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmtenkîl, our itemtenkil) ‖ être hab. réc. dérobé aux regards l’un de l’autre ; se dérober hab. réc. aux regards l’un de l’autre. — tîmtenkâl ⵜⵎ⵿ⵜⵏ⵿ⴾⵍ vn. f. 2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmtenkoûl, our itemtenkal) ‖ m. s. q. le pr. — ătounkel ⵜⵏ⵿ⴾⵍ sm. nv. prim. ; φ (pl. itenkoûlen ⵜⵏ⵿ⴾⵍⵏ), daṛ tenkoûlen ‖ fait d’être dérobé aux regards ; fait de se dérober aux regards. — ăsettenkel ⵙⵜⵏ⵿ⴾⵍ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettenkîlen ⵙⵜⵏ⵿ⴾⵍⵏ), daṛ settenkîlen ‖ fait de dérober aux regards ; fait de faire se dérober aux regards. — ămtenkel ⵎ⵿ⵜⵏ⵿ⴾⵍ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imtenkîlen ⵎ⵿ⵜⵏ⵿ⴾⵍⵏ), daṛ ĕmtenkîlen ‖ fait d’être dérobé aux regards l’un de l’autre ; fait de se dérober réc. aux regards l’un de l’autre. — ămtenkal ⵎ⵿ⵜⵏ⵿ⴾⵍ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imtenkâlen ⵎ⵿ⵜⵏ⵿ⴾⵍⵏ), daṛ ĕmtenkâlen ‖ m. s. q. le pr. — metenkal ⵎⵜⵏ⵿ⴾⵍ sm. (pl. metenkâlen ⵎⵜⵏ⵿ⴾⵍⵏ) ‖ lieu où ce qui est est dérobé aux regards (lieu propre à dérober une p., un an., ou une ch. aux regards ; lieu tel que la p., l’an., ou la ch. qui y sont dérobés aux regards) ‖ les metenkel sont très divers, selon ce qui est à cacher et ceux aux regards desquels on veut le cacher. Une large vallée, un massif étendu de montagnes peuvent être des metenkal propres à dérober des populations nombreuses avec leurs troupeaux aux yeux d’ennemis ou de voyageurs ; une poche peut être un metenkal pour dérober aux regards une lettre ou un autre petit objet. ⵜⵏⴾⵔⵔ ătenkerir ⵜⵏ⵿ⴾⵔⵔ sm. φ (pl. itenkerîren ⵜⵏ⵿ⴾⵔⵔⵏ), daṛ tenkerîren ‖ coussinet d’étoffe s’appliquant sur le front (sous le voile de front des hom.) ‖ l’ătenkerir est un coussinet de 6 à 8 centimètres de long et 4 à 6 centimètres de large, qui s’applique sur le haut du front, sous le voile de front et les turbans, de manière à relever ceux-ci et à les incliner un peu en avant, en donnant à la coiffure la forme d’un diadème ‖ syn. de tădebânat. ⵜⵏⵔ ătanoûr ⵜⵏⵔ ✳ sm. φ (pl. itnâr ⵜⵏⵔ), daṛ ĕtnâr ‖ four (en terre cuite) ‖ l’ătanoûr sert à faire cuire toute sorte d’aliments. Il y a des ătanoûr dans l’Ăj., il n’y en a pas dans l’Ăh. ‖ très peu us. ⵜⵏⵗ téteṅṛi ⵜⵜⵏⵗⵉ sf. φ (pl. titeṅṛiouîn ⵜⵜⵏⵗⵓⵏ), daṛ tăteṅṛi (tĕteṅṛi), daṛ tĕteṅṛiouîn ‖ testicule (d’hom. ou d’an.) ‖ signifie aussi « fruit de la tăboûraḳ » ‖ d. le s. « testicule », est syn. de tekażżat et de tékereoureout et beauc. moins us. qu’eux ‖ d. le s. « fruit de la tăboûraḳ », est syn. d’ăboûraṛ et beauc. moins us. que lui ‖ peu us. ⵜⵏⵙ Ta-nnes ‖ v. ⵓ oua. ⵜⵏⵜ ettenâta ⵜⵏⵜⴰ ✳ sf. (pl. ettenâtetîn ⵜⵏⵜⵜⵏ) ‖ mardi. — ettelâta ⵜⵍⵜⴰ sf. (pl. ettelâtetîn ⵜⵍⵜⵜⵏ) ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. ⵜⵏⵜ tenet ‖ v. ⵜ t. ⵜⵓ itaou ⵜⵓ va. prim. ; conj. 83 « itaou » ; (ittou, iettîou, éd itaou, our ittou) ‖ oublier (perdre le souvenir de [une p., un an., une ch.] ; laisser par inadvertance [une p., un an., une ch.] ) ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un an. Peut avoir pour rég. dir. une p., un an., une ch., un fait, une acte, etc. ‖ itaou s’emploie assez souv. accompagné de la particule în (hîn) « là-bas » signifiant l’éloignement, la dépossession ; elle n’ajoute rien au sens. Il ne s’emploie jamais accompagné de la particule ed (d, id, hid) signifiant le rapprochement, l’acquisition. — În (hîn), n’ajoutant rien au sens, constitue une longueur inutile ; il est touj. plus élégant de ne pas le mettre que de le mettre ‖ ex. Koûka, tettouet tet ? ⁒ K., l’as-tu oubliée ? = Koûka, tettouet tet-în ? ⁒ m. s. q. le pr. = ettoueṛ aoua hi tennĭd ⁒ j’ai oublié ce que tu m’as dit = ettoueṛ-în aoua hi tennĭd ⁒ m. s. q. le pr. = ettoueṛ tăkoûba hin ṛour Biska ⁒ j’ai oublié mon épée chez B. = ettoueṛ-în tăkoûba hin ṛour Biska ⁒ m. s. q. le pr. — setou ⵙⵜⵓ f. 1 ; conj. 114 « setou » ; (isteou, iesîteou, éd isetou, our isteou) ‖ faire oublier ‖ se c. av. 2 acc. — nemettou ⵏⵎⵜⵓ vn. f. 2bis ; conj. 43 « melelli » ; (inmetteou, ienîmetteou, éd inmettou, our inmetteou) ‖ s’oublier réc. l’un l’autre. — touetteou ⵜⵓⵜⵓ vn. f. 3 ; conj. 190 « toueksen » ; (ittouetteou, ietîouetteou, éd iettouetteou, our ittouetteou) ‖ être oublié. — touettaou ⵜⵓⵜⵓ vn. f. 3 ; conj. 190 « toueksen » ; (ittouettaou, ietîouettaou, éd iettouettaou, our ittouettaou) ‖ m. s. q. le pr. — tâtâou ⵜⵜⵓ va. f. 7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâtâou, our itetiou) ‖ oublier hab. — tîtâou ⵜⵜⵓ va. f. 18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (itîtâou, our ititaou) ‖ m. s. q. le pr. — sâtâou ⵙⵜⵓ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtâou, our isetiou) ‖ faire hab. oublier ‖ se c. av. 2 acc. — tînmettou ⵜⵏⵎⵜⵓ vn. f. 2bis.12 ; conj. 245 « tîheḍeḍi » ; (itînmettou, our itenmettou) ‖ s’oublier hab. réc. l’un l’autre. — tîtouettou ⵜⵜⵓⵜⵓ vn. f. 3.12 ; conj. 245 « tîheḍeḍi » ; (itîtouettou, our itetouettou) ‖ être hab. oublié. — tîtouettâou ⵜⵜⵓⵜⵓ vn. f. 3.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîtouettâou, our itetouettaou) ‖ m. s. q. le pr. — tetaout ⵜⵜⵓⵜ sf. nv. prim. ; (pl. tetaouîn ⵜⵜⵓⵏ) ‖ fait d’oublier ‖ signifie aussi « oubli ». — astou ⵙ⵿ⵜⵓ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. istiouen ⵙ⵿ⵜⵓⵏ), daṛ ĕstou (ăstou), daṛ ĕstiouen ‖ fait de faire oublier. — ănmettou ⵏⵎⵜⵓ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmettiouen ⵏⵎⵜⵓⵏ), daṛ ĕnmettiouen ‖ fait de s’oublier réc. l’un l’autre. — ătouettou ⵜⵓⵜⵓ sm. nv. f. 3 ; φ (pl. itouettiouen ⵜⵓⵜⵓⵏ), daṛ ĕtouettiouen ‖ fait d’être oublié. — ătouettaou ⵜⵓⵜⵓ sm. nv. f. 3 ; φ (pl. itouettaouen ⵜⵓⵜⵓⵏ), daṛ ĕtouettaouen ‖ m. s. q. le pr. ⵜⵓ tâttaout ⵜⵜⵓⵜ sf. (pl. tâttaouîn ⵜⵜⵓⵏ) ‖ erminette (sorte de hache de charpentier). ⵜⵓⵉ ettaouiet ⵜⵓⵉⵜ ✳ sf. (pl. ettaouietîn ⵜⵓⵉⵜⵏ) ‖ protection divine (protection accordée par Dieu) ‖ syn. d’ămiar et d’ettaouil et plus us. qu’eux ‖ peu us. — ettaouil ⵜⵓⵍ sm. (pl. ettaouîlen ⵜⵓⵍⵏ) ‖ m. s. q. le pr. ‖ très peu us. ⵜⵓⵉⵜⵓⵉ teouiteoui ⵜⵓⵉⵜⵓⵉ vn. prim. ; conj. 45 « ġemiġemi » ; (itoueiteouei, ietîoueiteouei, éd itouiteoui, our itoueiteouei) ‖ marcher en sautillant (de la démarche sautillante propre aux oiseaux) ‖ se dit proprement des oiseaux ‖ se dit p. ex. des p. et de qlq. quadrupèdes tels que les gazelles et les antilopes, quand ils marchent en sautillant ‖ v. ⵂⵍ ahel « courir ». — setteouiteoui ⵙⵜⵓⵜⵓⵉ va. f. 1 ; conj. 132 « seddeṛideṛi » ; (isteoueiteouei, iesîteoueiteouei, éd isetteouiteoui, our isteoueiteouei) ‖ faire marcher en sautillant. — tîtouiteoui ⵜⵜⵓⵜⵓⵉ vn. f. 12 ; conj. 245 « tîheḍeḍi » ; (itîtouiteoui, our itetouiteoui) ‖ marcher hab. en sautillant. — sîtouiteoui ⵙⵜⵓⵜⵓⵉ va. f. 1.12 ; conj. 245 « tîheḍeḍi » ; (isîtouiteoui, our isetouiteoui) ‖ faire hab. marcher en sautillant. — ătouiteoui ⵜⵓⵜⵓⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. itouiteouien ⵜⵓⵜⵓⵉⵏ), daṛ ĕtouiteouien ‖ fait de marcher en sautillant ‖ signifie aussi « marche sautillante (marche consistant à marcher en sautillant) (d. le s. ci. d.) ». — ăsetteouiteoui ⵙⵜⵓⵜⵓⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetteouiteouien ⵙⵜⵓⵜⵓⵉⵏ), daṛ setteouiteouien ‖ fait de faire marcher en sautillant. — ăteouaiteouai ⵜⵓⵉⵜⵓⵉ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. iteouaiteouaien ⵜⵓⵉⵜⵓⵉⵏ ; fs. tătateouaiteouait ⵜⵜⵓⵉⵜⵓⵉⵜ ; fp. titeouaiteouaîn ⵜⵜⵓⵉⵜⵓⵉⵏ), daṛ teouaiteouaien, daṛ tĕteouaiteouaîn ‖ hom. qui marche en sautillant. ⵜⵓⵍ teouilet (Ta. 1) ‖ v. ⵓⵍ ăoul. ⵜⵓⵍ ettaouil ‖ v. ⵜⵓⵉ ettaouiet. ⵜⵓⵍⵗⵉⴷⵏ tâouel-iṛeiden ‖ v. ⵓⵍ aoul « avoir l’œil sur ». ⵜⵓⵍⵜⵓⵍ teoueltouel ⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍ vn. prim. ; conj. 44 « helouen » ; (itouelteouel, ietîouelteouel, éd itoueltouel, our itouelteouel) ‖ être enflé démesurément ; enfler démesurément (n.) ‖ ne se dit que des enflures maladives du corps des p. ou des an. Se dit de toute enflure maladive démesurée, qu’elle provienne de maladie, de blessure, de morsure ou de piqûre venimeuse, etc. ‖ fig. « être enflé démesurément (dans ses paroles) (parler avec une abondance démesurée, sans discernement et d’une façon déplaisante) » ‖ v. ⵂⴹⴹⵉ heḍeḍi. — setteoueltouel ⵙⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍ va. f. 1 ; conj. 126 « zehhelouen » ; (isteouelteouel, iesîteouelteouel, éd isetteoueltouel, our isteouelteouel) ‖ enfler démesurément (act.) ; faire enfler démesurément ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — tîtoueltouîl ⵜⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍ vn. f. 13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîtoueltouîl, our itetoueltouil) ‖ être hab. enflé démesurément ; enfler hab. démesurément (n.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sîtoueltouîl ⵙⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍ va. f. 1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (isîtoueltouîl, our isetoueltouil) ‖ enfler hab. démesurément (act.) ; faire hab. enfler démesurément ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ătoueltouel ⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍ sm. nv. prim. ; φ (pl. itoueltouîlen ⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍⵏ), daṛ ĕtoueltouîlen ‖ fait d’être enflé démesurément ; fait d’enfler démesurément (n.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsetteoueltouel ⵙⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetteoueltouîlen ⵙⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍⵏ), daṛ setteoueltouîlen ‖ fait d’enfler démesurément (act.) ; fait de faire enfler démesurément ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăteouelteoual ⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍ sm. n. d’é. prim. ; φ (pl. iteouelteouâlen ⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍⵏ ; fs. tăteouelteoualt ⵜⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍ⵿ⵜ ; fp. titeouelteouâlîn ⵜⵜⵓⵍ⵿ⵜⵓⵍⵏ), daṛ teouelteouâlen, daṛ tĕteouelteouâlîn ‖ hom. démesurément enflé (dans ses paroles) (h. qui parle avec une abondance démesurée, sans discernement et d’une façon déplaisante). ⵜⵓⵔ etouĕr ⵜⵓⵔ va. prim. ; conj. 29 « edouĕl » ; (itouĕr, itouâr, éd itouĕr, our itouir ‖ 1. entonner [un liquide ou une matière solide en fragments ou en poudre] (dans un récipient tel que bouteille, outre, sac, etc., à orifice étroit ou large) ; 2. entonner [un récipient tel que bouteille, outre, sac, etc., à orifice étroit ou large] (d’un liquide ou d’une matière solide en fragments ou en poudre) ‖ a aussi le s. pas. « 1. être entonné ; 2. être entonné » ‖ d. le s. 1., ce dans quoi le suj. entonne le rég. dir. est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. daṛ « dans ». D. le s. 2., ce dont le suj. entonne le rég. dir. est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. s « au moyen de » ‖ dans l’Ăd. et l’Ăir, etouĕr signifie « serrer (mettre de côté pour conserver) » ; il n’a pas ce sens dans l’Ăh. ‖ v. ⴹⵏⵉ eḍni. — setouĕr ⵙⵜⵓⵔ va. f. 1 ; conj. 152 « sedouĕl » ; (issĕtouer, iessîtouer, éd isetouĕr, our issetouer) ‖ 1. faire entonner ; 2. faire entonner ‖ se c. av. 2 acc. — metouer ⵎⵜⵓⵔ vn. f. 2 ; conj. 99 « bereġ » ; (immĕtouer, iemmîtouer, éd iemmetouer, our immetouer) ‖ 1. être entonné d’un récipient dans un autre (être versé par entonnement d’un récipient dans un autre) (le suj. étant un liquide ou une matière solide en fragments ou en poudre) ; 2. être entonné l’un au moyen de l’autre (être rempli l’un au moyen du contenu de l’autre versé par entonnement) (le suj. étant des récipients tels que bouteilles, outres, sacs, etc.). — semmetouer ⵙⵎⵜⵓⵔ va. f. 2.1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (ismetouer, iesîmetouer, éd isemmetouer, our ismetouer) ‖ 1. entonner d’un récipient dans un autre ; 2. entonner l’un au moyen de l’autre. — tâgger ⵜⴳⵔ va. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (itâgger, our itegger) ‖ 1. entonner hab. ; 2. entonner hab. ‖ a aussi le s. pas. — sâtouâr ⵙⵜⵓⵔ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtouâr, our isetouir) ‖ 1. faire hab. entonner ; 2. faire hab. entonner ‖ se c. av. 2 acc. — tâmetouâr ⵜⵎⵜⵓⵔ vn. f. 2.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâmetouâr, our itemetouir) ‖ 1. être hab. entonné d’un récipient dans un autre ; 2. être hab. entonné l’un au moyen de l’autre. — sâmetouâr ⵙⵎⵜⵓⵔ va. f. 2.1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâmetouâr, our isemetouir) ‖ 1. entonner hab. d’un récipient dans un autre ; 2. entonner hab. l’un au moyen de l’autre. — ătaouar ⵜⵓⵔ sm. nv. prim. ; φ (pl. iteouâren ⵜⵓⵔⵏ), daṛ teouâren ‖ 1. fait d’entonner ; 2. fait d’entonner ‖ a aussi le s. pas. « 1. fait d’être entonné ; 2. fait d’être entonné ». — ăsetouer ⵙⵜⵓⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetouîren ⵙⵜⵓⵔⵏ), daṛ setouîren ‖ 1. fait de faire entonner ; 2. fait de faire entonner. — ămetouer ⵎⵜⵓⵔ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imetouîren ⵎⵜⵓⵔⵏ), daṛ metouîren ‖ 1. fait d’être entonné d’un récipient dans un autre ; 2. fait d’être entonné l’un au moyen de l’autre. — ăsemmetouer ⵙⵎⵜⵓⵔ sm. nv. f. 2.1 ; φ (pl. isemmetouîren ⵙⵎⵜⵓⵔⵏ), daṛ semmetouîren ‖ 1. fait d’entonner d’un récipient dans un autre ; 2. fait d’entonner l’un au moyen de l’autre. — ăsetouer ⵙⵜⵓⵔ sm. φ (pl. isetouâr ⵙⵜⵓⵔ), daṛ setouâr ‖ récipient propre à ce qu’on y entonne qlq. ch. (récipient tel que bouteille, outre, sac, etc., à orifice large ou étroit, dans lequel on peut entonner des liquides ou des solides en fragments ou en poudre). ⵜⵔ etter ⵜⵔ va. prim. ; conj. 27 « eddel » ; (ittĕr, ittâr, éd itter, our ittir) ‖ demander [de Dieu] dans la prière [qlq. ch.] (demander [de Dieu] [qlq. ch.] en le priant (au moyen de prières vocales ou mentales qlconques)) ‖ ce que le suj. demande de Dieu dans la prière est rég. dir. ; cela peut être n’importe quoi. Le mot qui signifie Dieu est à l’abl. et accompagné d’une prép. qui est hab. s « de chez ; de » ou ṛour « de chez » ‖ etter i « demander dans la prière pour » signifie « demander dans la prière [qlq. ch.] pour (en faveur de) [une p., un an., une ch.] ». Etter daṛ « demander dans la prière dans » signifie « demander dans la prière [qlq. ch.] contre [une p., un an., une ch.] » ‖ ne s’emploie qu’en parlant de demandes adressées à Dieu en le priant ; ne se dit pas de prières adressées à des hommes, ni de prières adressées à Dieu sans avoir pour but de demander qlq. ch. ‖ diffère de mouhed « réciter en priant [une ou plusieurs des prières musulmanes appelées ămoud] » ‖ diffère d’eṛled « adorer [Dieu] (d’une manière qlconque, au moyen d’actes de latrie qlconques) » ‖ diffère de ġeinen « supplier (demander avec des douces paroles [une p.] (passer avec des douces paroles [une p.]) » ‖ v. ⴶⵉⵏⵏ ġeinen. — tâtter ⵜⵜⵔ va. f. 6 ; conj. 226 « tâddel » ; (itâtter, our itetter) ‖ demander hab. [de Dieu] dans la prière. — té̆ttirt ⵜⵜⵔ⵿ⵜ sf. nv. prim. ; (pl. tittar ⵜⵜⵔ), daṛ tittar ‖ fait de demander [de Dieu] dans la prière ‖ p. ext. « prière faite à Dieu pour demander ». Se dit de toute prière, vocale ou mentale, longue ou courte, faite pour demander à Dieu n’importe quoi. D. ce s., le pl. tittar est syn. d’elfâtik̤en et beauc. plus us. que lui ‖ p. ext. « prière à Dieu (qlconque, vocale ou mentale, qui n’est pas un ămoud) ». v. ⵎⴷ ămoud. ⵜⵔ etrou ⵜⵔⵓ va. prim. ; conj. 14 « emdou » ; ω (itră, itrâ, éd itrou, our itré) ‖ 1. être héritier de [une qualité ou un défaut héréditaires] (de ses parents ou de ses ancêtres) ; 2. être héritier de [ses parents ou ses ancêtres] (dans une qualité ou un défaut héréditaires) ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un an. Peut avoir pour rég. dir., d. le s. 1., n’importe quelles qualités ou défauts physiques ou moraux dont il est possible d’hériter de ses ascendants ; les ascendants dont le suj. hérite d’une qualité ou d’un défaut sont à l’abl. et accompagnés d’une prép. qui est hab. ṛour « de chez » ou daṛ « de dans ». Peut avoir pour rég. dir., d. le s. 2., le père, la mère, un ou plusieurs ascendants à un degré qlconque ; la qualité ou le défaut dans lesquels le suj. est héritier de ses ascendants sont à l’abl. et accompagnés d’une prép. qui est hab. daṛ « dans » ‖ se dit, p. ex., d’un h. qui est héritier de la bonté, de la méchanceté, de l’intelligence, de la sottisse, de la beauté, de la laideur, du courage, de la poltronnerie, de la force, de la faiblesse, des belles mains, du grand nez, de la vilaine bouche, de tel ou tel de ses ascendants ou de plusieurs de ses ascendants ; se dit d’un h. qui est héritier de tel ou tel de ses ascendants dans la bonté, la méchanceté, etc. — toûrrou ⵜⵔⵓ va. f. 5 ; conj. 223 « moûddou » ; (itoûrrou, our itourrou) ‖ 1. être hab. héritier de ; 2. être hab. héritier de. — tăterraout ⵜⵜⵔⵓⵜ sf. nv. prim. ; φ (pl. titerraouîn ⵜⵜⵔⵓⵏ), daṛ tĕterraouîn ‖ 1. fait d’être héritier de ; 2. fait d’être héritier de. — é̆teri ⵜⵔⵉ sm. (s. s. pl.) ‖ héritage (consistant en une ou plusieurs qualités ou défauts héréditaires). ⵜⵔ atri ⵜⵔⵉ sm. φ (pl. itrân ⵜⵔⵏ), daṛ ĕtri (ătri), daṛ ĕtrân ‖ étoile ‖ se dit de toutes les étoiles et de tous les astres dont l’apparence est à peu près celle des étoiles, c. à d. de tous les astres excepté le soleil, la terre et la lune ‖ atri oua n teserriṭ « étoile celle de la ligne » et atri oua n ămellaouṛ « étoile celle de la queue » signifient « comète » ; la 2de expression est peu us. à cause du sens indécent qu’a qlqf. émellaouṛ ‖ atri itoûḍoun « étoile tombant » signifie « étoile filante » ‖ le pl. itrân s’emploie p. ext. pour désigner collectivement certaines étoiles, com. Orion, Aldébaran, les Pléiades, Sirius, etc., qui cessent de paraître au ciel de l’Ăh. au commencement de l’été et y reparaissent successivement à mesure que l’été s’avance ; itrân signifie non qlq. unes de ces étoiles mais leur collection entière. Ihaḍân n ĕġmoḍ n ĕtrân « nuits de la sortie des étoiles » et ihaḍân n ĕtrân « nuits des étoiles » sont des expr. syn. qui signifient « nuits de la réapparition des étoiles (surdites) au ciel de l’Ăh. (période de temps pendant laquelle les étoiles (surdites) réapparaissent successivement au ciel de l’Ăh.) » ; ces expressions indiquent la dernière partie de l’été. v. ⵔⵥ erż ; ⴾⵔⴼ kereffet (Ta. 2). — tatrit ⵜⵜⵔⵜ sf. φ (pl. titrâtîn ⵜⵜⵔⵜⵏ), daṛ tĕtrit (tătrit), daṛ tĕtrâtîn ‖ grande étoile (étoile particulièrement brillante) ‖ se dit des étoiles particulièrement brillants, qu’elles fassent ou non partie d’une constellation ‖ p. ext. « étoile du matin (Venus) ». D. ce s., est syn. de tatrit ta n toufat ‖ tatrit ta n toufat « grande étoile celle du matin » signifie « étoile du matin (Venus) » ‖ p. ext. « taie (tache blanche sur la cornée de l’œil) (chez les p. ou les an.) ». — teriteri ⵜⵔⵜⵔⵉ vn. prim. ; conj. 45 « ġemiġemi » ; (itreiterei, ietîtereiterei, éd itriterei, our itreiterei) ‖ être parsemé sans ordre çà et là (com. les étoiles sont parsemées dans le ciel) ‖ se dit, p. ex., d’arbres, d’arbrisseaux, qui sont parsemés çà et là dans une vallée, une plaine, un jardin ; de maisons, de jardins qui sont parsemés çà et là dans le ciel ; de ch. qlconques qui sont parsemés sans ordre çà et là sur une surface de manière à l’étoiler en qlq. sorte. — setteriteri ⵙⵜⵔⵜⵔⵉ va. f. 1 ; conj. 132 « seddeṛideṛi » ; (istereiterei, iesîtereiterei, éd isetteriteri, our istereiterei) ‖ parsemer sans ordre çà et là. — tîtriteri ⵜⵜⵔⵜⵔⵉ vn. f. 12 ; conj. 245 « tîheḍeḍi » ; (itîtriteri, our itetriteri) ‖ être hab. parsemé sans ordre çà et là. — sîtriteri ⵙⵜⵔⵜⵔⵉ va. f. 1.12 ; conj. 245 « tîheḍeḍi » ; (isîtriteri, our isetriteri) ‖ parsemer sans ordre çà et là. — ătriteri ⵜⵔⵜⵔⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. itriterien ⵜⵔⵜⵔⵉⵏ), daṛ ĕtriterien ‖ fait de parsemer sans ordre çà et là. ⵜⵔ tîtâr ⵜⵜⵔ sf. (pl. s. s.) ‖ fourreau (d’épée, de poignard, etc.) ‖ se dit des fourreaux d’épées, de sabres, de poignards, de toutes dimension et matière ‖ p. ext. « étui (de fusil, de livre, de lunettes, de ciseaux, de couteau, etc.) (en peau, étoffe, papier, métal, carton, matière qlconque) » ‖ v. ⵍⵙ els, élessi. ⵜⵔⴱ etreb ⵜⵔⴱ vn. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (itrĕb, itrâb, éd itreb, our itrib) ‖ être leste (faire les ch. rapidement et vivement) ‖ se dit des p. et de certains an. com. les chats, les souris, etc. — setreb ⵙⵜⵔⴱ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕtreb, iessîtreb, éd isetreb, our issetreb) ‖ rendre leste. — târreb ⵜⵔⴱ vn. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (itârreb, our iterreb) ‖ être hab. leste. — sâtrâb ⵙⵜⵔⴱ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtrâb, our isetrib) ‖ rendre hab. leste. — ătarab ⵜⵔⴱ sm. nv. prim. ; φ (pl. iterâben ⵜⵔⴱⵏ), daṛ terâben ‖ fait d’être leste. — ăsetreb ⵙⵜⵔⴱ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetrîben ⵙⵜⵔⴱⵏ), daṛ setrîben ‖ fait de rendre leste. ⵜⵔⴷ terd ⵜⵔⴷ pi. interj. ‖ fi ! (interj. exprimant le dégoût, la répugnance, ou le mépris) ‖ syn. d’êḳ et moins us. que lui ‖ exprime un dégoût moins grand qu’effô « pouah ! ». ⵜⵔⴼⵙ tarfest ⵜⵔⴼⵙ⵿ⵜ ✳ sf. φ (pl. tirfas ⵜⵔⴼⵙ), daṛ tĕrfest (tărfest), daṛ tĕrfas ‖ truffe ‖ l’Ăh. produit des truffes en très petit nombre, toutes blanches. ⵜⵔⴶ etreġ ‖ v. ⵔⴶ areġ. — tereġġet (Ta. 1) ‖ v. ⵔⴶ areġ. ⵜⵔⵉⵜⵔⵉ teriteri ‖ v. ⵜⵔ atri. ⵜⵔⴾ etrek ⵜⵔⴾ vn. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (itrĕk, itrâk, éd itrek, our itrik) ‖ donner un coup de poing [à une p., un an., une ch.] ; donner des coups de poing [à une p., un an., une ch.] ‖ ce à quoi le suj. donne un coup de poing se met au datif. — setrek ⵙⵜⵔⴾ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕtrek, iessîtrek, éd isetrek, our issetrek) ‖ faire donner un coup de poing ; faire donner des coups de poing. — nemetrek ⵏⵎⵜⵔⴾ vn. f. 2bis ; conj. 42 « lekeslekes » ; (inmetrek, ienîmetrek, éd inmetrek, our inmetrek) ‖ se donner réc. l’un à l’autre des coups de poing. — nemetrak ⵏⵎⵜⵔⴾ vn. f. 2bis ; conj. 42 « lekeslekes » ; (inmetrak, ienîmetrak, éd inmetrak, our inmetrak) ‖ m. s. q. le pr. — târrek ⵜⵔⴾ vn. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (itârrek, our iterrek) ‖ donner hab. des coups de poing. — sâtrâk ⵙⵜⵔⴾ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtrâk, our isetrik) ‖ faire hab. donner des coups de poing. — tînmetrîk ⵜⵏⵎⵜⵔⴾ vn. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmetrîk, our itenmetrik) ‖ se donner hab. réc. l’un à l’autre des coups de poing. — tînmetrâk ⵜⵏⵎⵜⵔⴾ vn. f. 2bis.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itînmetrâk, our itenmetrak) ‖ m. s. q. le pr. — ătarak ⵜⵔⴾ sm. nv. prim. ; φ (pl. iterâken ⵜⵔⴾⵏ), daṛ terâken ‖ fait de donner un coup de poing ; fait de donner des coups de poing. — ăsetrek ⵙⵜⵔⴾ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetrîken ⵙⵜⵔⴾⵏ), daṛ setrîken ‖ fait de faire donner un coup de poing ; fait de faire donner des coups de poing. — ănmetrek ⵏⵎⵜⵔⴾ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmetrîken ⵏⵎⵜⵔⴾⵏ), daṛ ĕnmetrîken ‖ fait de se donner réc. l’un à l’autre des coups de poing. — ănmetrak ⵏⵎⵜⵔⴾ sm. nv. f. 2bis ; φ (pl. inmetrâken ⵏⵎⵜⵔⴾⵏ), daṛ ĕnmetrâken ‖ m. s. q. le pr. — tăterrik ⵜⵜⵔⴾ sf. φ (pl. titerrâk ⵜⵜⵔⴾ), daṛ tĕterrâk ‖ coup de poing. ⵜⵔⴾⵎ tăterkemt ‖ v. ⵔⴾⵎ roukmet (Ta. 2). ⵜⵔⵎ etrem ⵜⵔⵎ va. prim. ; conj. 26 « eksen » ; (itrĕm, itrâm, éd itrem, our itrim) ‖ descendre [une vallée, un ravin, un thalweg] (le suj. étant une p., un an., une ch., des eaux courantes) (act.) ; aller en aval (aller vers l’aval) (le suj. étant une p., un an., une ch., une vallée, un ravin, un thalweg, des eaux courantes) (n.) ‖ p. ext. « aller vers l’Ouest (n.) », le suj. étant une p., un an., une vallée, un ravin, un thalweg, des eaux courantes. Ce sens vient de ce que le massif montagneux de l’Ăh., point culminant du Sahara central, est entouré, au N., à l’E. et au S. de régions moins élevées que lui, mais hautes et montagneuses, tandisqu’à son W. le terrain descend rapidement et constamment pendant plusieurs centaines de kilomètres ; en outre, presque toutes les vallées qui prennent leur source dans le massif central de l’Ăh. portent leurs eaux vers l’W. ou vers le SW. ‖ fig. s’emploie dans certaines expressions où entre aussi le v. ġeouei « remonter [le cours d’une vallée] ; aller en amont » ; dans la plupart de ces expr., etrem et ġeouei réunis signifient « aller et venir ». (Ex. eġġĕoueieṛ etrĕmeṛ daṛ ĕṛrem ⁒ je suis allé en amont je suis allé en aval dans la ville (je suis allé et venu dans la ville, j’ai fait des allées et venues dans la ville)) ‖ fig. « être divulgué (de tous côtés) (le suj. étant une nouvelle, un secret, une p. (entendue dans le sens « les secrets d’une p. »)) » ‖ fig. ġeouei et etrem, ayant pour suj. Dieu et pour rég. dir. une p., s’empl. au fig. pour rappeler à qlq’un la présence de Dieu, dans des phrases com. celle-ci « Dieu te remonte et te descend (Dieu te parcourt de part en part, te pénètre tout entier, voit le fond de ton âme) ». (Ex. itrĕm kai Ialla, iġġĕouei kai ; teslĭd i aouâ-reṛ, miṛ kala ? ⁒ t’a descendu Dieu, il t’a remonté ; as-tu entendu ceci, ou non ? (Dieu voit le fond de ton âme ; as-tu entendu ceci, oui ou non ?)) ‖ d. les s. « descendre (act.) ; allet en aval (n.) » diffère d’outrar « aller en descendant [un terrain (qlconque)] par une pente douce (n.) ». Outrar exprime une descente par une pente douce, etrem une descente par une pente qlconque si douce ou si rapide qu’elle soit : on peut touj. remplacer outrar par etrem, mais non inversement ‖ d. le s. « aller en aval (aller vers l’aval) (n.) », est syn. d’iñhou « s’en aller en descendant et en glissant (s’en aller en descendant) (le suj. étant une p., un an., une vallée, un terrain, un thalweg, des eaux courantes) » ‖ d. le s. « aller vers l’Ouest (n.) », est syn. d’outrar et d’iñhou ‖ d. le s. « être divulgué », est syn. de ġeouei, d’effi et d’enfer. — setrem ⵙⵜⵔⵎ va. f. 1 ; conj. 150 « seksen » ; (issĕtrem, iessîtrem, éd isetrem, our issetrem) ‖ faire descendre (se c. av. 2 acc.) ; faire aller en aval (se c. av. 1 acc.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — târrem ⵜⵔⵎ va. f. 5 ; conj. 220 « kâssen » ; (itârrem, our iterrem) ‖ descendre hab. (act.) ; aller hab. en aval (n.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. ‖ s’empl. au fig., ayant pour suj. un mot signifiant « respiration », d. le s. d’« aller hab. en aval (descendre hab. (c. à d. monter et descendre, aller et venir)) », en parlant des p. et des an. pour signifier qu’ils vivent ou ne vivent pas. Se dit de p. et d’an. en bonne santé ou malades ; se dit surtout de p. ou d’an. mourants pour exprimer qu’ils respirent encore ou ont rendu le dernier soupir. (Ex. Mîmi, itârrem d es ounfas ? – kala, ou d es iterrem ; aba tet ⁒ M., va en aval dans elle la respiration ? – non, elle ne va pas en aval dans elle ; il n’y a plus d’elle (M., la respiration va-t-elle et vient-elle en elle ? – non, elle ne va et vient plus en elle ; elle est morte)). — sâtrâm ⵙⵜⵔⵎ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtrâm, our isetrim) ‖ faire hab. descendre (se c. av. 2 acc.) ; faire hab. aller en aval (se c. av. 1 acc.) ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — atroum ⵜⵔⵎ sm. nv. prim. ; φ (pl. itroûmen ⵜⵔⵎⵏ), daṛ ĕtroum (ătroum), daṛ ĕtroûmen ‖ fait de descendre ; fait d’aller en aval ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsetrem ⵙⵜⵔⵎ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetrîmen ⵙⵜⵔⵎⵏ), daṛ setrîmen ‖ fait de faire descendre ; fait de faire aller en aval ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ătaram ⵜⵔⵎ sm. φ (pl. itermân ⵜⵔⵎⵏ), daṛ termân ‖ aval (côté vers lequel on descend un cours d’eau) ‖ ătaram présente cette particularité que son rég. peut se mettre au gén. ou au dat., le sens étant différent, selon celui des 2 cas qui est employé ; (ex. nĕieḳ ḳ ătaram en ferġân ⁒ je l’ai vu aval des jardins (je les ai vu dans l’aval des jardins, c. à d. dans la partie aval des jardins) = nĕieḳ ḳet ătaram i ferġân ⁒ je l’ai vue aval aux jardins (je l’ai vue en aval pour les jardins (par rapport aux jardins), c. à d. je l’ai vue en aval des jardins, hors des jardins et en aval d’eux)).—Quand le rég. d’ătaram est un pr. af., s’il doit être au gén., on empl. le pr. af. dépendant des noms ; s’il doit être au dat., on empl. le pr. af. rég. ind. des verbes ; (ex. ăfaraġ, ikk ătaram ennît ⁒ le jardin, il est allé aval de lui (le jardin, il est allé dans son aval, c. à d. dans sa partie aval) = ikk ătaram âk ⁒ il est allé aval à toi (il est allé en aval pour toi (par rapport à toi), c. à d. il est allé en aval de toi, en aval du lieu où tu es) = ăfaraġ, ikk ătaram âs ⁒ le jardin, il est allé aval à lui (le jardin, il est allé en aval pour lui (par rapport à lui), c. à d. le jardin, il est allé en aval de lui, hors de lui et en aval de lui)) ‖ p. ext. « ouest » ‖ eddoûnet oui n ătaram, kel-ătaram : v. ⴼⵍ afella ‖ v. ⵏⴶ denneġ, émeineġ. ⵜⵔⵔ outrar ⵜⵔⵔ va. prim. ; conj. 71 « ouksaḍ » ; (ietroŭr, ietroûr, éd ioutrar, our ietrour) ‖ aller en descendant [un terrain (qlconque)] par une pente douce (le suj. étant une p., un an., une ch., des eaux courantes) (act.) ; aller en descendant [dans un terrain (qlconque)] par une pente douce (le suj. étant une p., un an., une ch., une vallée, un ravin, un thalweg, des eaux courantes) (n.) ; aller en descendant en pente douce (le suj. étant en terrain qlconque, contrée, région, espace de terrain petit ou grand) (n.) ‖ p. ext. « aller vers l’Ouest » (n.), le suj. étant une p., un an., une vallée, un ravin, un thalweg, des eaux courantes. v. ⵜⵔⵎ etrem ‖ d. le s. « aller en descendant par une pente douce (act.) ; aller en descendant par une pente douce (n.) », diffère d’etrem « descendre (act.) ; aller en aval (n.) » et d’iñhou « s’en aller en descendant et en glissant (s’en aller en descendant) (le suj. étant une p., un an., une vallée, un ravin, un thalweg, des eaux courantes) », qui expriment une descente par une pente qlconque si douce ou si rapide qu’elle soit. v. ⵜⵔⵎ etrem ‖ d. le s. « aller vers l’Ouest (n.) », est syn. d’etrem et d’iñhou. — soutrer ⵙⵜⵔⵔ va. f. 1 ; conj. 162 « soukseḍ » ; (iessoŭtrer, iessoûtrer, éd isoutrer, our iessoutrer) ‖ faire aller en descendant par une pente douce (se c. av. 2 acc.) ; faire aller en descendant par une pente douce (se c. av. 1 acc.) ; faire aller en descendant en pente douce (se c. av. 1 acc.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — toûtrâr ⵜⵜⵔⵔ va. f. 18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (itoûtrâr, our itoutrar) ‖ aller hab. en descendant par une pente douce (act.) ; aller hab. en descendant par une pente douce (n.) ; aller hab. en descendant en pente douce (n.) ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — soûtroûr ⵙⵜⵔⵔ va. f. 1.18 ; conj. 260 « toûksâḍ » ; (isoûtroûr, our isoutrour) ‖ faire hab. aller en descendant par une pente douce (se c. av. 2 acc.) ; faire hab. aller en descendant par une pente douce (se c. av. 1 acc.) ; faire hab. aller en descendant en pente douce (se c. av. 1 acc.) ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — toutrart ⵜⵜⵔ⵿ⵜ sf. nv. prim. ; (pl. toutrârîn ⵜⵜⵔⵔⵏ) ‖ fait d’aller en descendant par une pente douce ; fait d’aller en descendant par une pente douce ; fait d’aller en descendant en pente douce ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsoutrer ⵙⵜⵔⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isoutroûren ⵙⵜⵔⵔⵏ), daṛ soutroûren ‖ fait de faire aller en descendant par une pente douce ; fait de faire aller en descendant par une pente douce ; fait de faire aller en descendant en pente douce ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tăsetterarout ⵜⵙⵜⵔⵔⵜ sf. φ (pl. tisetteroura ⵜⵙⵜⵔⵔⴰ), daṛ tsetteroura ‖ terrain en pente descendante et douce. — isoutrâr ⵙⵜⵔⵔ sm. φ (pl. s. s.), daṛ soutrâr ‖ m. s. q. le pr. ⵜⵔⵜⵔ terter ⵜⵔ⵿ⵜⵔ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (ittĕrter, iettîrter, éd ietterter, our itterter) ‖ forcer à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant [une p. ou un an.] (forcer à marcher (ou à courir) plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant [une p. ou un an.]) ‖ a aussi le s. pas. « être forcé à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant » ‖ peut avoir pour suj. une p., un an., une cause qlconque. — setterter ⵙⵜⵔ⵿ⵜⵔ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isterter, iesîterter, éd isetterter, our isterter) ‖ faire forcer à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant ‖ se c. av. 2 acc. — meterter ⵎⵜⵔ⵿ⵜⵔ vn. f. 2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imterter, iemîterter, éd imterter, our imterter) ‖ être forcé à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant ‖ syn. du prim. au s. pas. — metertar ⵎⵜⵔ⵿ⵜⵔ vn. f. 2 ; conj. 42 « lekeslekes » ; (imtertar, iemîtertar, éd imtertar, our imtertar) ‖ m. s. q. le pr. — semmeterter ⵙⵎⵜⵔ⵿ⵜⵔ va. f. 2.1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (ismeterter, iesîmeterter, éd isemmeterter, our ismeterter) ‖ forcer à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant ‖ syn. du prim. au s. act. — tâtertâr ⵜⵜⵔ⵿ⵜⵔ va. f. 7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâtertâr, our itetertir) ‖ forcer hab. à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant ‖ a aussi le s. pas. — sâtertâr ⵙⵜⵔ⵿ⵜⵔ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâtertâr, our isetertir) ‖ faire hab. forcer à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant ‖ se c. av. 2 acc. — tîmtertîr ⵜⵎ⵿ⵜⵔ⵿ⵜⵔ vn. f. 2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmtertîr, our itemtertir) ‖ être hab. forcé à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant. — tîmtertâr ⵜⵎ⵿ⵜⵔ⵿ⵜⵔ vn. f. 2.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (itîmtertâr, our itemtertar) ‖ m. s. q. le pr. — sîmtertîr ⵙⵎ⵿ⵜⵔ⵿ⵜⵔ va. f. 2.1.13 ; conj. 246 « tîdekkoûl » ; (isîmtertîr, our isemtertir) ‖ forcer hab. à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant. — ăterter ⵜⵔ⵿ⵜⵔ sm. nv. prim. ; φ (pl. itertîren ⵜⵔ⵿ⵜⵔⵏ), daṛ tertîren ‖ fait de forcer à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant ‖ a aussi le s. pas. « fait d’être forcé à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant ». — ăsetterter ⵙⵜⵔ⵿ⵜⵔ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettertîren ⵙⵜⵔ⵿ⵜⵔⵏ), daṛ settertîren ‖ fait de faire forcer à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant. — ămterter ⵎ⵿ⵜⵔ⵿ⵜⵔ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imtertîren ⵎ⵿ⵜⵔ⵿ⵜⵔⵏ), daṛ ĕmtertîren ‖ fait d’être forcé à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant. — ămtertar ⵎ⵿ⵜⵔ⵿ⵜⵔ sm. nv. f. 2 ; φ (pl. imtertâren ⵎ⵿ⵜⵔ⵿ⵜⵔⵏ), daṛ ĕmtertâren ‖ m. s. q. le pr. — ăsemmeterter ⵙⵎⵜⵔ⵿ⵜⵔ sm. nv. f. 2.1 ; φ (pl. isemmetertîren ⵙⵎⵜⵔ⵿ⵜⵔⵏ), daṛ semmetertîren ‖ fait de forcer à aller plus vite qu’on ne peut, précipitamment et en trébuchant. ⵜⵔⵜⵔ tătourtourt ⵜⵜⵔ⵿ⵜⵔ⵿ⵜ (dial. Berb. séd. Ṛ. et Ġ.) sf. φ (pl. titourtoûrîn ⵜⵜⵔ⵿ⵜⵔⵏ), daṛ tĕtourtoûrîn ‖ pigeon (sauvage ou domestique) (de sexe qlconque) ; tourterelle (de sexe qlconque) ‖ v. ⴷⴱⵔ tédebirt ; ⵏⴳⵔⵎⵉ ăṅgermei ‖ non us. dans l’Ăh. ⵜⵔⵣ terezzet (Ta. 1) ⵜⵔⵣⵜ vn. prim. ; conj. 46 « ferekket (Ta. 1) » ; (itrezzet, ietîrezzet, éd itrezzet, our itrezzet) ‖ sauter vivement et rapidement (de haut en bas) ‖ peut avoir pour suj. une p. ou un an. L’an. ou la ch. du haut desquels le suj. saute sont à l’abl. et accompagnés d’une prép. qui est hab. foull « de sur » ou daṛ « de dans ». La ch. sur laquelle ou dans laquelle le suj. saute est à l’abl. et accompagnée d’une prép. qui est hab. foull « sur » ou daṛ « dans » ‖ ne se dit que de sauts rapides de haut en bas ‖ v. ⴳⴷ egged. — zetterezzet (Ta. 1) ⵣⵜⵔⵣⵜ va. f. 1 ; conj. 133 « sedderet (Ta. 1) » ; (izterezzet, iezîterezzet, éd izeterezzet, our izterezzet) ‖ faire sauter vivement et rapidement. — tîtrezzît (Ta. 7) ⵜⵜⵔⵣⵜ vn. f. 16 ; conj. 254 « tîtreġġît (Ta. 7) » ; (itîtrezzît, our itetrezzît) ‖ sauter hab. vivement et rapidement. — zîtrezzît (Ta. 7) ⵣⵜⵔⵣⵜ va. f. 1.16 ; conj. 254 « tîtreġġît (Ta. 7) » ; (izîtrezzît, our izetrezzit) ‖ faire hab. sauter vivement et rapidement. — ătrezzi ⵜⵔⵣⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. itrezzîten ⵜⵔⵣⵜⵏ), daṛ ĕtrezzîten ‖ fait de sauter vivement et rapidement. — ăzetterezzi ⵣⵜⵔⵣⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. izetterezzîten ⵣⵜⵔⵣⵜⵏ), daṛ zetterezzîten ‖ fait de faire sauter vivement et rapidement. ⵜⵔⵥⵎ ăterżim ⵜⵔⵥⵎ sm. φ (n. d’u. et col.) (pl. de div. ou p. n. iterżâm ⵜⵔⵥⵎ), daṛ terżâm ‖ nom d’une plante non persistante. ⵜⵗ étaḳ ⵜⵈ sm. φ (pl. iteḳḳen ⵜⵈⵏ), daṛ ăteḳ (ĕteḳ), daṛ teḳḳen ‖ rocher à pic un peu surplombant ‖ syn. d’é̆kkaḍ ‖ v. ⴾⴹ é̆kkaḍ. — téteḳḳeout ⵜⵜⵈⵓⵜ sf. φ (pl. titeḳḳeouîn ⵜⵜⵈⵓⵏ), daṛ tăteḳḳeout (tĕteḳḳeout), daṛ tĕteḳḳeouîn ‖ trou naturel profond, à orifice circulaire, dans une paroi de rocher verticale. ⵜⵗⵛ témeteḳḳecht ⵜⵎⵜⵈⵛ⵿ⵜ sf. φ (pl. timeteḳḳechîn ⵜⵎⵜⵈⵛⵏ), daṛ tmeteḳḳechîn ‖ gecko des murailles ‖ syn. d’ămeżżeregga ‖ v. ⴾⵍⴾⵍ ăkelkel, témekelkelt. ⵜⵗⵉ teṛiiet (Ta. 1) ⵜⵗⵉⵜ vn. prim. ; conj. 48 « geḍiiet (Ta. 1) » ; (itṛeiiet, ietîṛeiiet, éd itṛiiet, our itṛeiiet) ‖ marcher en allongeant le pas instinctivement (marcher au pas, en allongeant le pas instinctivement) (le suj. étant une p. ou un an.) ‖ se dit d’une p. à pied ou d’un an. monté ou en liberté, qui instinctivement, d’eux-mêmes, en s’en rendant compte ou non, pour une cause qu’ils connaissent ou non, allongent machinalement le pas. L’allongement du pas exprimé par teṛiiet (Ta. 1) est instinctif et machinal ; on ne peut donc pas le déterminer à volonté chez une p. ni chez un an. ; diverses causes peuvent le produire, p. ex. la nuit, le froid, l’odeur de l’eau, l’odeur du pâturage, etc. ‖ v. ⵂⵍ ahel « courir ». — setteṛiiet (Ta. 1) ⵙⵜⵗⵉⵜ va. f. 1 ; conj. 135 « seggeḍiiet (Ta. 1) » ; (isteṛeiiet, iesîteṛeiiet, éd isetteṛiiet, our isteṛeiiet) ‖ faire marcher en allongeant le pas instinctivement ‖ ne peut pas avoir pour suj. une p. Peut avoir pour suj. une cause telle que la nuit, le froid, l’odeur de l’eau, l’odeur du pâturage, etc. — tîtṛiiît (Ta. 7) ⵜⵜⵗⵉⵜ vn. f. 16 ; conj. 254 « tîtreġġît (Ta. 7) » ; (itîtṛiiît, our itetṛiiit) ‖ marcher hab. en allongeant le pas instinctivement. — sîtṛiiît (Ta. 7) ⵙⵜⵗⵉⵜ va. f. 1.16 ; conj. 254 « tîtreġġît (Ta. 7) » ; (isîtṛiiît, our isetṛiiit) ‖ faire hab. marcher en allongeant le pas instinctivement. — ătṛiii ⵜⵗⵉ sm. nv. prim. ; φ (pl. itṛiiîten ⵜⵗⵉⵜⵏ), daṛ ĕtṛiiîten ‖ fait de marcher en allongeant le pas instinctivement. — ăsetteṛiii ⵙⵗⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetteṛiiîten ⵙⵜⵗⵉⵜⵏ), daṛ setteṛiiîten ‖ fait de faire marcher en allongeant le pas instinctivement. ⵜⵗⵉ étaṛei ⵜⵗⵉ sm. φ (pl. itaṛeien ⵜⵗⵉⵏ), daṛ ătaṛei (ĕtaṛei), daṛ taṛeien ‖ calvitie ‖ ex. Kenân iġ étaṛei ⁒ K. fait calvitie (K. est chauve) = Kenân il étaṛei ⁒ K. a calvitie (K. est chauve) = lân étaṛei ⁒ ils ont calvitie (ils sont chauves) ‖ syn. de tăselsela et plus us. que lui. — tétaṛeit ⵜⵜⵗⵉⵜ sf. φ (pl. titaṛeîn ⵜⵜⵗⵉⵏ), daṛ tătaṛeit (tĕtaṛeit), daṛ tĕteṛeîn ‖ m. s. q. le pr. ⵜⵗⵎ etteṛâm ⵜⵗⵎ ✳ sm. (col. s. n. d’u.) (pl. de div. etteṛâmen ⵜⵗⵎⵏ) ‖ grain (col.) (de céréale qlconque) ‖ se dit du grain de n’importe quelle céréale en quantité qlconque ‖ syn. d’âlloun et beauc. moins us. que lui. ⵜⵗⵓ téteḳḳeout ‖ v. ⵜⵗ éteḳ. ⵜⵗⵔ teṛiret (Ta. 1) ‖ v. ⵗⵔ iṛar. — atṛer ‖ v. ⵗⵔ iṛar. ⵜⵗⵙ atṛas ⵜⵗⵙ sm. φ (pl. itṛasen ⵜⵗⵙⵏ), daṛ ĕtṛas (ătṛas), daṛ ĕtṛasen ‖ canne (bâton droit et léger d’1m,25c de long et de 0m,015 à 0m,02c de diamètre, proprement arrangé et destiné à ce qu’on s’appuie sur lui en marchant) ‖ l’atṛas peut être garni de métal à une ou aux 2 extrémités, ou ne pas l’être ‖ v. ⴱⵔ aber, tăboûrit. ⵜⵗⵙ éteṛes ⵜⵗⵙ sm. φ (pl. iteṛsân ⵜⵗⵙⵏ), daṛ ăteṛes (ĕteṛes), daṛ teṛsân ‖ élargissement de vallée où, la pente étant faible, les eaux stationnent et produisent une belle végétation (ar. « mậder ») ‖ syn. d’ésaoui empl. d. ce s. ‖ diffère d’ăṛerṛoûr « élargissement très grand de vallée, à sol uni et dur, en plaine (lieu où une vallée prend une largeur extrême, et où son sol devient uni et dur, avec ou sans végétation, dans une région de vastes plaines) » ; diffère d’émeḳḳêrṛer « m. s. q. le pr. » ‖ diffère d’ăha « vallon à fond en pente très faible » ‖ v. ⴶⵏⵜⵔ ăġentour. — téteṛest ⵜⵜⵗⵙ⵿ⵜ sf. φ (pl. titeṛsîn ⵜⵜⵗⵙⵏ), daṛ tăteṛest (tĕteṛest), daṛ tĕteṛsîn (teṛsîn) ‖ dim. du pr. ⵜⵗⵙ tetôṛest ⵜⵜⵗⵙ⵿ⵜ sf. φ (pl. titôṛesîn ⵜⵜⵗⵙⵏ), daṛ tĕtôṛesîn (tôṛesîn) ‖ fesse (os et chairs) (chez l’h. et chez les an.) ‖ reġeh es tôṛesîn : v. ⵔⴶⵂ reġeh ‖ v. ⵍⵗ ăllaṛ, êleṛ. — ătôṛes ⵜⵗⵙ sm. φ (pl. itôṛesen ⵜⵗⵙⵏ), daṛ tôṛesen ‖ grosse fesse ‖ expr. de dérision. Ne s’empl. que com. terme de moquerie pour exprimer qu’une p. a de grosses fesses. ⵜⵗⵜⵗ teṛteṛ ⵜⵗⵜⵗ va. prim. ; conj. 99 « bereġ » ; (ittĕṛteṛ, iettîṛteṛ, éd ietteṛteṛ, our itteṛteṛ) ‖ casser menu (briser en tout petits morceaux) ‖ a aussi les s. pas. et pron. « être cassé menu » et « se casser menu » ‖ peut avoir pour suj. des p., des an., ou des ch. Peut avoir pour rég. dir. tout ce qui peut se casser menu, p. ex. des herbages secs, des dattes sèches, du sel, des morceaux de bois, des mottes de terre, des objets en bois, porcelaine, verre, etc. ‖ fig. « mettre en pièces (rompre entièrement) [des p., des an., des ch.] ». Peut avoir pour rég. dir., p. ex., une p. ou un an. qui une cause qlconque rompt entièrement com. santé, une p. que les pillages de l’ennemi, la sécheresse, des dépenses excessives, la maladie, une cause qlconque rompent entièrement com. fortune, des guerriers que l’ennemi met en pièces dans un combat, un troupeau que la sécheresse rompt entièrement, réduit presqu’à néant, un vase qu’on brise, etc. ‖ fig. « abîmer ; gâter ». Peut avoir pour rég. dir. la santé d’une p. ou d’un an., une ch. qlconque capable de se gâter ou de s’abîmer, p. ex. un vêtement, une peau, une outre, etc. ‖ syn. de rouffet (Ta. 2) et de degdeg ‖ v. ⴷⴳⴷⴳ degdeg. — setteṛteṛ ⵙⵜⵗⵜⵗ va. f. 1 ; conj. 122 « seddekkel » ; (isteṛteṛ, iesîteṛteṛ, éd isetteṛteṛ, our isteṛteṛ) ‖ faire casser menu ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. au s. act. — tâteṛtâṛ ⵜⵜⵗⵜⵗ va. f. 7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (itâteṛtâṛ, our iteteṛtiṛ) ‖ casser menu hab. ‖ a aussi les s. pas. et pron. ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — sâteṛtâṛ ⵙⵜⵗⵜⵗ va. f. 1.7 ; conj. 230 « târeġâh » ; (isâteṛtâṛ, our iseteṛtiṛ) ‖ faire hab. casser menu ‖ se c. av. 2 acc. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ăteṛteṛ ⵜⵗⵜⵗ sm. nv. prim. ; φ (pl. iteṛtîṛen ⵜⵗⵜⵗⵏ), daṛ teṛtîṛen ‖ fait de casser menu ‖ a aussi les s. pas. et pron. « fait d’être cassé menu » et « fait de se casser menu » ‖ a t. les s. c. à c. du prim. — ăsetteṛteṛ ⵙⵜⵗⵜⵗ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isetteṛtîṛen ⵙⵜⵜⵗⵏ), daṛ setteṛtîren ‖ fait de faire casser menu ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — émeteṛteṛ ⵎⵜⵗⵜⵗ sm. φ (pl. imeteṛteṛen ⵎⵜⵗⵜⵗⵏ), daṛ ămeteṛteṛ (ĕmeteṛteṛ), daṛ meteṛteṛen ‖ agama colonosum (Duv.) ‖ v. ⴾⵍⴾⵍ ăkelkel, témekelkelt. ⵜⵜ settiti ⵙⵜⵜⵉ va. f. 1 ; conj. 141 « seġġioui » ; ω (istata, iesîtata, éd isettiti, our istata) ‖ soupeser [un enfant, un petit an., une ch.] (avec la
main ou avec les 2 mains, pour en connaître le poids) ‖ fig. « éprouver
(mettre à l’épreuve) [une p., un an.] (de manière à connaître par expérience
ce qu’ils sont) ; sonder [une p.] (chercher à connaître les intentions secrètes
d’[une p.]) ». — mesetiti ⵎⵙⵜⵜⵉ vn. f. 1.2 ; conj. 54 « reġiġi » ; (imsetata, iemîsetata,
éd imsetiti, our imsetata) ‖ s’éprouver réc. l’un l’autre (d. le s. ci. d.) ;
se sonder réc. l’un l’autre (d. le s. ci. d.). — sâtâta ⵙⵜⵜⴰ va. f. 1.10bis ; conj. 240 « tâfâta » ; ω (isâtâta, our
isetiti) ‖ soupeser hab. ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — tîmsetîti ⵜⵎⵙⵜⵜⵉ vn. f. 1.2.14bis ; conj. 250 « tîrġîġi » ; (itîmsetîti, our
itemsetiti) ‖ s’éprouver hab. réc. l’un l’autre ; se sonder hab. réc. l’un
l’autre. — ăsettîti ⵙⵜⵜⵉ sm. nv. f. 1 ; φ (pl. isettîtîten ⵙⵜⵜⵜⵏ), daṛ settîtîten ‖
fait de soupeser ‖ a t. les s. c. à c. de la f. 1. — ămsetîti ⵎⵙⵜⵜⵉ sm. nv. f. 1.2 ; φ (pl. imsetîtîten ⵎⵙⵜⵜⵜⵏ), daṛ ĕmsetîtîten ‖ fait de s’éprouver réc. l’un l’autre ; fait de sonder réc. l’un
l’autre. ⵜⵜ toutta ⵜⵜⴰ sm. (pl. touttâten ⵜⵜⵜⵏ) ‖ jeu consistant à avancer en sautillant en
étant presqu’assis sur les talons ‖ ce jeu est un jeu d’enfants, surtout de petites filles. ⵜⵜ tâtt ‖ v. ⴾⵛ ekch. ⵜⵜ tet ‖ v. ⵜ t. ⵜⵜⵉ toutia ⵜⵜⵉⴰ ✳ sm. (pl. toutiaten ⵜⵜⵉⵜⵏ) ‖ sulfate de zinc. ⵜⵜⵔ étetter ⵜⵜⵔ sm. φ (pl. itetteren ⵜⵜⵔⵏ), daṛ ătetter (ĕtetter), daṛ tetteren
‖ rangée (rang ; suite [de p., d’an., de ch.] rangés sur une même ligne) ‖ syn.
d’ămoûtei empl. d. ce s. et plus us. que lui. ⵜⵟ tiṭ ‖ v. ⴹ tiṭ. ⵜⵥ teżża ⵜⵥⴰ nom de nombre card. ; ms. ; α μ (pl. teżżâhet ⵜⵥⵂⵜ) ‖ neuf ‖ voir
l’emploi des noms de nombre card. à ⴾⵔⴹ keraḍ. |
Le bracelet de fer/51 | A. B. Lacerte Le bracelet de fer Éditions Édouard Garand, 1926 (29, p. 88-89). ◄ De Roberval à la Pointe Bleue Le bal chez les Laroche ► Yatcha bookLe bracelet de ferA. B. LacerteAlbert FournierÉditions Édouard Garand1926MontréalC29YatchaLacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvuLacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/188-89 — Quel singulier village ! s’écria Nilka, lorsqu’on fut parvenu à la Pointe Bleue. Il n’y a pas de rues... — Non, Mlle Nilka, répondit Raphaël Brisant, il n’y a pas de rues à la Pointe Bleue. Les maisons ont été, en quelque sorte, jetées ici et là, au hasard, de chaque côté du chemin du Roi, et cela produit un étrange effet. Les maisons de la Pointe Bleue n’étaient, en fin de compte, que des masures, dont les unes, blanchies à la chaux, les autres, en bois brut. Elles n’étaient que d’un étage, les pièces divisées au moyen de simples cloisons, le pavé en terre battue. Sur le seuil de quelques-unes de ces masures étaient des sauvagesses. Assises sur leurs talons, elles se balançaient lentement, tout en fredonnant un chant qui produisait un effet assez lugubre aux oreilles des blancs. Ces femmes travaillaient ; les unes à tresser des brins de paille teinte, dont elles fabriquaient des paniers, les autres à enfiler des verroteries, qu’elles cousaient ensuite sur des peaux de chamois, taillées en formes de chaussures. Nos amis descendirent de voiture. Sur les bords du chemin, Nilka vit des Sauvages, les uns portant le costume des blancs et les autres, se drapant dans des couvertes multicolores. Ces derniers, les bras croisés sur leur poitrine, regardaient, d’un air indifférent, mais grave, les étrangers, venus (ils le savaient bien) par curiosité, à la Pointe Bleue. Ceux qui portaient des complets bleus, bruns, gris ou noirs, saluaient les étrangers, en murmurant : « Couei », mot sauvage qui signifie « bonjour ». Nilka vit aussi des Sauvagesses s’acheminant vers le bord de l’eau, chacune portait sur sa tête un panier rempli de linge ; elles allaient faire la lessive à même la rivière. En effet, sur le bord de l’eau, d’autres Sauvagesses lavaient leur linge. Agenouillées, elles frottaient, battaient, rinçaient, tordaient ce linge, avec une dextérité remarquable. Une femme revenait chez elle, portant sur sa tête un panier rempli de linge qu’elle venait de lessiver. À côté d’elle, marchait un animal colossal, qui suscita l’étonnement de Nilka. — Oh ! dit-elle. Jamais je n’ai vu de chien aussi gros que celui-là ! Elle tendit la main, avec l’intention de flatter la bête ; mais Raphaël Brisant saisit cette main au passage en s’écriant : — Prenez garde ! — Mais, M. Brisant, répondit la jeune fille en riant, je n’ai nullement peur des chiens ! — Cette bête n’est pas... précisément un chien, chère enfant, fit Raphaël ; c’est un ours. — Un ours ! s’écria Nilka. Un ours ! Vous voulez rire, sans doute, M. Brisant ? Un ours courant les chemins... — C’est un ours, Nilka, dit sérieusement Léona. Voyez-le dandiner sa grosse tête, de droite à gauche, de gauche à droite... — Un ours !... Et il se promène ainsi, en toute liberté, dans le village ! C’est incroyable ! — Regardez, là-bas, chère petite, dit Cédulie, et vous en verrez deux autres, sur le bord de l’eau. Ils ne sont pas jugés dangereux, car ils sont apprivoisés ; mais, tout de même, un ours c’est un ours. — Certes ! fit Nilka. Et pourquoi les sauvages gardent-ils ces bêtes, Mme Brisant ? questionna-t-elle. — Pour les vendre à la compagnie de la Baie d’Hudson... Tenez, entendez-vous ces hurlements venant de l’autre extrémité du village ? Ce sont des loups. — Des loups ! Oh ! allons-nous en d’ici, M. Brisant ; j’ai... j’ai peur ! — Ces loups sont enchaînés, Mlle Nilka, répondit Raphaël ; car, si l’on peut, assez facilement apprivoiser un ours, le loup ne s’apprivoise pas. — Ainsi, le Lys Blanc a daigné venir nous rendre visite, à nous, humbles habitants de la Pointe Bleue ? fit une voix, à ce moment. — Tiens ! Towaki-dit-Fort-à-Bras ! s’exclama Ève. Comment va, Towaki, mon bon ? — Merci, cela va très bien, ma sœur blanche. — Towaki !... Je ne t’avais pas reconnu, dit naïvement Nilka. — Moi, je n’ai pas oublié, un seul instant, la « Demoiselle de L’épave » répliqua le Sauvage, d’un ton qui eut fait froncer les sourcils à Joël. Comment se porte mon frère blanc ? ajouta-t-il, en s’adressant à Alexandre Lhorians, et lui tendant (impudemment pensait Cédulie) la main. — Tiens ! Tiens ! C’est Fort-à-Bras ! s’exclama l’horloger. — Lui-même, mon frère blanc !... Et l’horloge de cathédrale ? — Je suis à la perfectionner, Fort-à-Bras, et je t’invite à venir nous rendre visite ; tu en jugeras par toi-même. — Merci, j’irai, répondit gravement le Sauvage. (Ô Joël, si tu savais ce qui se passe, à la Pointe Bleue, en ce moment, si tu le savais) ! — Je serais heureux de vous promener un peu dans le village, dit Towaki, en s’adressant à tous. Voyez cette masure blanchie à la chaux, à votre gauche ; c’est là que je demeure, et cette femme qui tresse de la paille sur le seuil de la porte, c’est Yatcha, ma mère. Me permettez-vous de vous conduire vers elle ? — C’est bien, répondit (prudemment) Raphaël Brisant. Nilka jeta un coup d’œil sur Leona et Ève ; elle semblait leur dire qu’elles avaient calomnié Towaki, la veille, en affirmant qu’il avait honte de sa mère. Puisqu’il tenait tant à les conduire chez lui, c’était qu’il ne rougissait nullement de celle qui lui avait donné le jour sûrement. Sur le seuil de sa masure se tenait Yatcha. Elle était recouverte d’un châle rouge feu, chamarré de bleu et de jaune ; sur sa tête était un autre châle, noir celui-là. Des mèches de cheveux blancs s’échappaient de sa coiffure, de longs cheveux, qui paraissaient avoir la résistance et la raideur de crins de cheval. Son nez épaté, sa bouche... immense, aux lèvres très épaisses, dont la supérieure découvrait de larges dents jaunes, à moitié cariées, faisaient de Yatcha un être fort repoussant, tandis que ses yeux, petits, mais noirs et perçants, vous produisaient une sensation de véritable frayeur ; d’ailleurs, ces yeux s’abaissaient devant les vôtres ; mauvais signe, généralement. Les trois jeunes filles, et aussi Alexandre Lhorians, furent pris d’un frisson de dégoût. Leona et Éve avaient vu Yatcha plus d’une fois déjà, mais elles ne s’habituaient pas à cette femme, et elles eurent un mouvement instinctif de répulsion, en la revoyant. Quant à Nilka, elle fut étreinte d’une sorte de pressentiment, en regardant la mère de Towaki ; son cœur se serra, et elle eut envie de pleurer. Elle s’approcha des époux Brisant, comme pour leur demander protection. Yatcha offrit ses paniers aux étrangers, dans un jargon qu’ils ne comprirent guère ; mais tous en achetèrent ; de fait, ils se seraient bien gardés de refuser. Lorsque Nilka s’approcha pour déposer une pièce de monnaie dans la main de la Sauvagesse, Towaki dit quelques mots à sa mère, d’un ton assez bref. Celle-ci leva sur la jeune fille ses petits yeux noirs et perçants, puis saisissant son poignet soudain, elle se mit à l’examiner attentivement. Nilka eut envie de crier, d’appeler ses amis à son secours, quand Yatcha lui donna sa liberté, tout en disant quelques mots à son fils. — Allons ! Partons ! s’écria Raphaël Brisant, comme s’il eut eu hâte, tout à coup de s’en aller. Retournons à Roberval ; il se fait tard d’ailleurs. — Ô M. Brisant ! Pas avant d’avoir vu les loups, n’est-ce pas ? demanda Ève. — Les loups ? Non ! Non ! Ce n’est guère intéressant, Ève. je t’assure ! — Je vous conduirai bien, moi, dit Towaki. Les loups ne sont qu’à quelques pas d’ici, mes sœurs blanches. — Oui ! Oui ! S’il vous plaît, M. Brisant ! — C’est bien. Mais dépêchons-nous ! On arriva vite à l’énorme cage en fer contenant les loups ; deux grandes bêtes, noires comme la nuit, et dont les yeux luisaient comme des boules de feu. Lorsque ces loups aperçurent les étrangers arrêtés devant leur cage, ils s’élancèrent au bout de leurs chaînes en hurlant. Leona et Ève rirent : les cages étaient solides, et on pouvait, si on le désirait, faire des niches à messieurs les loups. Mais Nilka fut prise d’une sorte d’horreur et Cédulie la vit devenir très pâle. — C’est assez, mes enfants ! dit-elle. Allons-nous en ! Venez, Nilka ! Mais Nilka, comme fascinée, regardait les loups, avec des yeux remplis de terreur. Cédulie dut l’arracher de devant la cage. — Ô Mme Brisant, fit Nilka, en se cramponnant au bras de la brave femme, n’est-ce pas que ce sont d’horribles bêtes ? Je... Je... Elle se mit à trembler, tandis que des sanglots convulsifs s’échappaient de sa bouche. Cédulie fit signe à son mari ; ce signe, il le comprit, car, s’emparant du bras de Nilka, il l’entraîna, ou plutôt la soutint jusqu’à la voiture, craignant qu’elle ne s’évanouît. Bientôt, on était sur le chemin de retour. Nilka était triste et nerveuse ; la Pointe Bleue ne lui avait pas causé une impression favorable. — Je suis fort contente d’avoir vu cette réserve de Sauvages, dit-elle, comme on approchait de Roberval ; mais je n’y retournerais pas pour des millions... Ces Sauvages... Yatcha... Ces ours... Ces loups... Et, ce soir-là, au moment de se mettre au lit, Raphaël Brisant dit à sa femme : — Cédulie, nous avons eu tort d’avoir emmené Nilka à la Pointe Bleue... Ce Towaki... Yatcha, sa mère... — Towaki, dis-tu ?... Yatcha ?... Eh ! bien ? — Lorsque Nilka a remis à Yatcha le prix d’un panier, j’ai entendu Towaki dire à sa mère... (Tu sais, Cédulie, que je comprends quelque peu leur jargouin à ces gens-là) ? — Oui, je sais. Continue ! Qu’a dit Towaki à sa mère ? — Voici ce qu’il a dit, en désignant Nilka... et c’est impossible que je me sois trompé, car, quoique je ne puisse peut-être suivre toute une conversation, je comprends joliment leur langage à ces Sauvages... — Raphaël ! cria Cédulie. Veux-tu bien me répéter, tout de suite, ce que Towaki a dit à sa mère ! — C’est ce que je suis en frais de faire, ma chère Cédulie, si tu voulais ne pas m’interrompre à tout bout de champ comme tu le fais. Si je n’avais pas eu l’intention de te répéter la chose, je ne l’aurais seulement pas mentionnée ; voilà ! — Seigneur ! s’exclama Cédulie, fort impatientée. Veux-tu bien me raconter la chose, sans tant d’inutiles détails, Raphaël, et m’épargner tes réflexions ?... Encore une fois, qu’a dit Towaki à sa mère ? — Eh ! bien, voici ; il a dit, en désignant Nilka : « C’est celle-là, mère ; regarde-la bien » ! — Hein ! s’écria Cédulie. Mais alors... — J’avertirai Joël, assura Raphaël. Cédulie ne répondit rien. Mais, une heure plus tard, alors que son mari ronflait « de plus belle », elle l’éveilla, pour lui dire : — Tu as raison, mon homme ; nous n’aurions pas dû emmener Nilka à la Pointe Bleue... Towaki-dit-Fort-à-Bras... Yatcha, sa mère... tout ça, c’est d’là fière ratatouille ! — Est-ce pour me dire cela que tu m’as réveillé, alors que je dormais si profondément, Cédulie ? — Oui, Raphaël... Et puis, après ? — Tu aurais aussi bien fait de me laisser dormir alors, car, il y a longtemps que je sais à quoi m’en tenir sur le compte de Yatcha et de son fils, répondit Raphaël, en baillant « à se décrocher les mâchoires ». |
Le Littré de la Grand'Côte, éd. 1903.pdf/322 |
'''RUETTE''', s. f. — Petite rue très étroite. Le
mot se retrouve dans quantité de vieux
actes, « Adieu le grand chemin, adieu la
vieille ruette, — Où, dans les temps jadis,
j’allais me bambaner, » dit le pauvre
Roquille.
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'''RUSTIQUE''', s. m. — 1. Terme de maçonnerie.
Sorte d’enduit fait en fouettant le mortier
avec un rameau de buis. Les gouttelettes
de mortier forment ainsi de fortes aspérités.
— Du franç. ''rustique''. En architecture
on appelait style rustique celui des constructions
faites pour paraître brutes.
2. Terme de taille de pierre, Boucharde
très grosse (voy. ''boucharde'').
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'''SABLIER''', s. m. — Petit récipient où l’on
met du sarron ou du sable pour sécher
l’écriture.
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'''SABLONNIER'''. — ''Le père Sablonnier'', le
Sommeil, parce que, lorsqu’il vient, il
jette du sable dans les yeux des petits
enfants.
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'''SABOT''', s. m. — 1. Têtard de grenouille. —
De ''{{lang|la|caput}}'', le têtard n’étant composé que
d’une tête et d’une queue. ''{{lang|la|Caput}}'', plus ''ot'',
a donné ''chabot'', passé à ''sabot'' sous
l’influence de ''sabot'', chaussure, encore bien
que les deux objets n’aient aucun rapport.
2. Mauvais ouvrier. ''Rossardaud, c’est pas
''un canut, c’est un sabot.''
3. Harnais du métier. Voy. sous ''cavalette''.
4. Espèce de maillon. Voy. sous ''maillon''.
5. (Métier de canut). ''Sabot de la marche'',
Douille de fer fixée au sol, et dans laquelle
joue l’extrémité fixe de la marche.
6. (Idem). ''Sabot du conducteur'' dans la
navette à défiler. — Morceau de bois dans
l’intérieur du conducteur en cuivre et
maintenant un agnolet où passe la trame.
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'''SABOTER''', v. à. — ''Saboter un travail'', Le
gâcher, l’abimer, littéralement le traiter
comme un sabot, encore bien qu’un sabot
puisse être traité avec beaucoup d’art.
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'''SABOULÉE''', s. f. — Une forte chasse, un bon
suif. ''Y a la Paméla qu’a découché l’autre
''nuit. Alle a beau y dire qu’alle avait perdu
''sa clef d’allée, c’est le pepa que l’y a fiché
''une saboulée !'' — Du français populaire
''sabouler''.
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'''SABRE'''. — ''Sabre de bois, pistolet de paille.''
Juron énergique que l’on emploie dans
les grands moments, et qui n’offense pas
Dieu.
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'''SAC'''. — ''Un sac à bouse'' (parlant par respect),
Un gros homme rustaud, sans manières,
un gros truffier. Quelques-uns même
emploient un terme plus énergique que
bouse.
''Un sac à vin'', Un ivrogne.
''Donner son sac et ses quilles à quelqu’un'',
Le renvoyer, lui donner son congé.
''L’affaire est dans le sac'', Est conclue,
terminée.
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'''SACCAGE''', s. m. — Abondance remuante.
''Je sons allé à la vogue. Quel saccage de
''monde !''
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'''SACHE''', s. f. — 1. Grand sac. ''Une pleine
''sache de truffes'', Un grand sac de pommes
de terre.
2. Spécialement, Grand sac de cotonnade
bleue, qui sert au canut pour emporter
du magasin la chaine et la trame.
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'''SACRISTAINE''', s. f. — C’est Molard qui m’a
fait connaître qu’on devait dire ''Sacristine''.
Il n’y a pas de bon sens, puisque ''vain'' à
fait ''vaine'' et non pas ''vine'' ; ''germain'',
''germaine'' et non pas ''germine'' ; ''châtelain'',
''châtelaine'' et non pas ''châteline'', etc.
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'''SADE''', adj. des 2 g. — Savoureux, de bon
goût (les médecins disent ''sapide''), avec
l’idée de salubrité, de chose saine. ''Une
''poire sade.'' Un vieux texte du moyen âge
dit que le vin doit être ''sek, sayn et sade''.
Par extension se dit des objets qui ne sont<section end="SADE"/>
<references/> |
Hamont - Dupleix d’après sa correspondance inédite, 1881.djvu/113 |
Dupleix, qui se multipliait, qui se portait partout
où il y avait du danger, qui, la veille, voyant un groupe
de soldats et de cipayes effarés devant une bombe dont
ils attendaient en tremblant l’explosion, avançait froidement
vers le projectile et l’éclatement produit, le
nuage de fumée et de poussière dissipé, disait avec le
plus grand calme : « Vous voyez bien, enfants, que cela
ne fait pas de mal. » Dupleix, aux premiers coups de
pioche des Anglais, courait aux remparts, et, après une
reconnaissance minutieuse, donnait l’ordre aux grenadiers
de la Tour, aux dragons d’Autheuil, aux volontaires
de Bussy de marcher en avant et de bouleverser les
travaux de l’ennemi. Malheureusement et par la faute
de l’officier qui servait de guide, la colonne prit le chemin
le plus long, le plus difficile, et fut aperçue de
l’ennemi bien avant de pouvoir prononcer le plus léger
mouvement offensif. La lenteur de la marche,
causée par l’état bourbeux du sol où les canons et la
cavalerie restaient enfoncés, servit encore les Anglais.
Aussi, quand nos troupes arrivèrent près de la tranchée,
ils la virent garnie par l’armée de Boscawen tout entière.
Cependant l’élan était donné. Les Français entrèrent
bravement dans le village qui constituait la première
ligne des assiégeants. Un feu effroyable, partant
des deux côtés à la fois, dispersa nos soldats. Beaucoup
d’officiers étaient tués, et malheureusement Paradis
était au nombre des morts. La défense venait de perdre
un de ses meilleurs auxiliaires. Dupleix restait sans ingénieur,
et tout le fardeau du siège allait peser sur ses
épaules.
Par bonheur, il était de taille à le porter. Voyant
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Hamont - Dupleix d’après sa correspondance inédite, 1881.djvu/111 | qu’un corps de cipayes, sorti de la redoute, les fusillait
en flanc. Ils prirent la fuite, laissant 150 des leurs sur le
terrain.
Cet échec démontrait suffisamment à Boscawen la
nécessité d’assiéger Ariancoupan dans les règles. Il
fit donc construire une batterie, qui tira bientôt sur le
fort. Elle ne put tenir longtemps. Paradis, dont le
principe était celui de Dupleix, que lorsque l’ennemi
montrait un canon, la place devait concentrer dessus le
feu de trois pièces, jeta derrière les parapets anglais
quatre fois plus de fer que ceux-ci n’en pouvaient
rendre. Les Anglais n’en ouvraient pas moins la tranchée
et se préparaient à garnir d’artillerie le centre de leurs
parallèles.
Le 27, Paradis, voyant ces travaux se développer,
fit une sortie avec les dragons et les volontaires.
On culbutait les Anglais et on bouleversait tout
le retranchement. Les troupes revenaient pleines
d’enthousiasme. Dupleix écrivait à Paradis pour le
féliciter. On espérait qu’Ariancoupan échapperait aux
attaques de l’ennemi, quand, le 30, un épouvantable
accident vint anéantir ces légitimes espérances. Deux
chariots de poudre sautèrent au milieu du fort ; il y eut
plus de cent hommes tués ou blessés ; une panique se
déclara, et Paradis, manquant pour la première fois de
coup d’œil et d’énergie, abandonna la redoute. Dupleix
lui ordonna d’y rentrer à tout prix. Il était trop tard.
Le fortin d’Ariancoupan n’était plus défendable ! La
Tour avait fait sauter les poudrières, et l’explosion avait
ruiné les remparts. Sa perte entraînait l’abandon des
autres redoutes.
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Ponson du Terrail - Le Bal des victimes.djvu/33 |
— Il y a un proverbe fort connu, poursuivit Cadenet, qui prétend que les vivants doivent la vérité aux morts.
— Je ne suis pas mort encore, monsieur, dit froidement Barras.
— Attendez donc un peu, citoyen directeur, vous allez voir que j’ai retourné le proverbe.
— Comment cela ? demanda Barras.
— C’est un mort qui va dire la vérité à un vivant.
— Un mort !
— Oui, et ce mort, c’est moi...
Madame Tallien et Marion se regardèrent avec inquiétude ; Barras fit, malgré lui, un pas en arrière.
Mais Cadenet poursuivit :
— Oui, cher citoyen directeur, je suis mort, bien mort, et cela depuis quatre ans révolus, car j’ai été guillotiné en octobre mil sept cent quatre-vingt-treize.
Barras ne répondit point directement à Cadenet, mais il regarda madame Tallien et lui dit :
— Je ne savais pas, madame, que vous eussiez des fous pour amis.
Madame Tallien, dont l’émotion allait croissant, ne répondit pas, Cadenet continua :
— De mon vivant, je m’appelais le marquis de Cadenet. J’étais seigneur d’un petit bourg situé en Provence, à une lieue de la Durance et à quatre ou cinq lieues de la ville d’Aix. La Révolution me surprit dans les fonctions de cornette de cavalerie.
J’émigrai d’abord ; puis le mal du pays, compliqué du mal d’amour, me prit, et je revins en France. J’entrai à Paris de nuit, j’allai me loger chez mon ancien valet de
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Inventaire general des meubles de la Couronne tome 1.pdf/331 | 251 <br>
tout compris. <br>
283. Une figure de Marc d'Anguier, tenant de la main gauche <br>
son Epée et de la droite; une draperie qui passe sur l'épaule <br>
gauche, ayant le pied droit sur son bouclier aupres de ses <br>
armes, posé sur un soc en triangle, haut de dix huit, <br>
pouce et demy tout compris. <br>
284. Une figure de Saturne, de francville, qui tient de la main <br>
gauche son Enfant qu'il dévore, ayant la main droite <br>
apuyée sur un tronc d'arbre, et le pied droit posé sur un <br>
bellier; haut de dix pouces et demy.
285. Une tete d'homme dont le regard est a droite; haute de <br>
quinze pouces. <br>
286. Une tête de femme, dont le regard est a gauche, ayant <br>
les cheveux noüées par derrière. haute de treize pouces. <br>
287. Une tête chauve de philosophe, ayant les yeux baissés; <br>
haute de quatorze pouce. <br>
288. Une tete de Pallau, ayant le casque en tête sur lequel est <br>
un Sphinx. haute de vingt pouces. <br>
289. Un buste d'homme dont les cheveux et la barbe sont <br>
frisées couvert d'une draperie noüée sur l'Epaule droite, <br>
haut de dix neuf pouces et demy. <br>
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Le Littré de la Grand’Côte/3e éd., 1903/Lettre T | Clair Tisseur Le Littré de la Grand’Côte - 1903 Chez l’imprimeur juré de l’académie, 1903 (p. 325-342). dictionaryLe Littré de la Grand’Côte - 1903Clair TisseurChez l’imprimeur juré de l’académie1903LyonCLe Littré de la Grand'Côte, éd. 1903.pdfLe Littré de la Grand'Côte, éd. 1903.pdf/4325-342 TABAGNON, s, m. — Cabinet borgne. Par extension, cabaret borgne. — De tabana pour cabana ? TABASER, v. n. — Remuer, trafiquer, faire du bruit. Que don que ces gones tabasent là-bas ?... Ça me tabase dans l’oreille, Ça me fait du bruit, des chatouillements dans l’oreille. — En rapport avec le vieux franç. tabust, tumulte, cris. Comp. tabass, timbale, et tabussé, frapper, en piémontais. TABASSEUX, EUSE, adj. — Souillé de tabac. Avoir le nez tabasseux. Comp. le patois tabassiri, tabatière. TABATIÈRE. — Tabatière de peau, parlant par respect. Offrir une prise de sa tabatière de peau. Très vilain mot pour une très vilaine chose. TABERNACLE. — Nous prenions souvent à la maison une ouvrière, excellente fille, quoique un petit peu catolle. Elle taconnait tout, très bien, mais un jour qu’on voulut lui faire rapetasser des culottes, elle refusa, disant qu’elle ne touchait pas le tabernacle de l’impureté. TABLE. — Humbert ne veut pas qu’on dise La soupe est sur la table, mais est sur table. Les grammairiens sont de grands enfants ! Littré donne l’exemple : Le dîner est sur la table. TABOURET, s. m. — Regard, en parlant d’une conduite d’eau. — De la forme carrée du regard, souvent surélevé par rapport au sol. TACHER. — Tâcher moyen. Voy. moyen. Je tâcherai que vous soyez content. Très usité. TACON, s. m. — 1. Grumeau, petite agglomération. Marie, tâchez donc moyen qu’il n’y ait pas tant de tacons dans votre farine jaune ! — Métathèse de caton (voy. ce mot). 2. Pièce à un soulier (vieilli). — De l’ital. taccone, même sens. — Par extension, raccommodage grossier, qui fait saillie. Se dit surtout des bas, parce que la reprise y est plus marquée. Sens péjoratif. — D’un radical tac, qui désigne dans les langues romanes une pièce rapportée, et faisant saillie sur une surface plane. TACONNER, v. a. — 1. Mettre une pièce à un soulier (c’est le sens primitif). 2. Faire un raccommodage très grossier, qui gêne. 3. Empaqueter en pressant sans soin, fouler, serrer quelque chose. Veux-tu bien ne pas taconner la coiffe comme ça ! — De tacon (voy. rataconner). TAFFETATIER, s. m. — Ouvrier qui fabrique du taffetas. TAILLANTS, s. m. pl. — Grands ciseaux de jardinier. Le pauvre Jacques Belle-Mine, clocheteur-juré de l’église de Saint-Étienne, dans son testament du 10° d’octobre 1692, donne à l’André, sa paire de taillants et un manche d’étrille. TAILLERIN, s. m., terme de canuserie, — Fausse manœuvre de l’ouvrier veloutier qui, au lieu de couper de son fer le poil seulement, coupe la chaine. Patatra ! voilà chaine et poil derrière le remisse. TAILLEUSE, s. f. — Molard et Humbert proscrivent le mot ! Rassurons leurs mânes ! Tailleuse, « Couturière qui coupe les vêtements de femme, » est dans la dernière édition de l’Académie. TAILLON, s. m. — Morceau, mais ne se dit que d’un morceau coupé. Un taillon de pomme. « Mangez ce taillon de massepain, » dit le très précieux Panurge au père Hippothadée. TALENTS. — Talents de société. On appelle de ce nom des petits talents qui sont toujours enviables dans une bonne compagnie. Par exemple, un jour que j’étais dans une réunion de ce genre, un monsieur introduisit censément un dialogue avec un ami qui venait inopinément lui demander à souper. Il n’avait de rien, mais il fit aussitôt le bruit et geste de scier du bois, de le casser, de tenter d’allumer une série d’allumettes qui ne voulaient jamais prendre ; de souffler le feu, de mettre le beurre daus la poêle, de casser l’œuf, de le jeter dans la poêle, de cracher sur l’œuf pour que l’œuf ne petât pas, etc., etc. Tout cela dialogué et mimé de façon adorable. Il eût gagné gros au Théâtre-Français. Puis un autre prit un pot à eau vide, appliqua sa bouche à l’orifice, et fit là-dedans un tas de bruits horrifiques, depuis le plus délié jusqu’au plus énorme, avec des éclats jaillissants, si bien qu’on en était épouvanté. Puis une dame ferma le poing gauche et l’entoura d’une serviette comme la tête d’un mami emmailloté, et dessina avec un crayon bleu des yeux fermés. La phalange du grand doigt faisait le nez de l’enfant. On eût juré que c’était vrai, d’autant plus que le mami criait à donner envie de s’asseoir dessus. Puis Mme la comtesse de X... imita si bien le braiement de l’âne, que l’âne de notre laitière, qui était à la porte, se mit à lui répondre. Puis la femme d’un colonel portugais mit un morceau de noix sur l’extrémité de son grand doigt, se donna un coup brusque sur l’avant-bras, et zig ! le morceau de noix, comme un obus bien dirigé, piqua droit dans sa bouche. Un savant archéologue nous expliqua que ceci était le principe de la catapulte. — Puis une autre dame roula deux morceaux de mie de pain en forme de petites chandelles, et se les colla sous les narines. C’était si bien imité que j’en faillis rendre mon royaume. Ce qui me remit, c’est qu’aussitôt, une petite demoiselle, feignant un grand mal de cœur, prit des coquilles de marrons rissolés, et appuyant contre le mur sa tête posée sur sa main, les écrasa du pied après quelques hoqutls. Chacun garait le bas de ses pantalons ou de ses jupes. On fit beaucoup d’autres tours dont le détail serait trop long. — Les personnes qui ont ces genres de talents sont toujours les bienvenues dans une société choisie, car cela est plus agréable que d’entendre une jeune personne cochonner au piano la Prière d’une Vierge. TALER, v. a. — Meurtrir par le frottement. Une dame dira très bien : J’ai fait une grande course à cheval, et je suis talée en plusieurs endroîts (ne pas confondre avec je suis t’allée en plusieurs endroits). Bescherelle donne le mot, mais Littré, l’orgueilleux, n’en a point voulu. — Du vieux haut allemand zâlôn, déchirer ; latin du moyen âge, talare. TALOCHE, s. f. — Galoche. — De talum, pied, avec le suffixe oche, par analogie avec galoche, filoche, bamboche. TALON. — La voiture des frères Talon. Voyez casse-talon. Toucher talon. Voy. défendre. Avoir les talons courts. Se dit d’une personne qui tombe facilement à la renverse. Talon, s. m., terme de canuserie, Corde d’une espèce de bascule. Voy. sous bascule. TAMBOUR, s. m., terme de pliage. — Engin circulaire à clairevoie, formé de bandes de bois, et placé horizontalement. Après que la chaîne a été ourdie, on l’enroule sur le tambour afin de la plier, c’est-à-dire de la faire passer du tambour sur l’ensouple du métier, en donnant aux fils la tension voulue. On donne aussi quelquefois le nom de tambour à l’engin vertical de même nature qui compose la partie essentielle de l’ourdissoir, et auquel on applique plus ordinairement le nom même d’ourdissoir. TAMPER. — Voy. étamper. Se tamper, S’arc-bouter, s’appuyer pour faire effort. TAMPONNE, s. f. — Débauche, ribotte. Faire la tamponne, S’enivrer. — Je crois l’origine italienne : far tempone, même sens : mot à mot « faire le temps long ». Nous devrions avoir timpone, mais le mot a été influencé par tampon : se tamponner l’estomac. TANNER, v. a. — Vexer, tourmenter, fatiguer par des importunités. C’te Mme Pistonneux est-elle tannante ! Elle veut toujours que je lui fasse des politesses ! — C’est le franç. tanner au fig. Il était déjà usité au moyen âge : « Quar le resveil — Me tanne assez quand je m’esveil, » dit le bon Rutebeuf. TANT. — Tant qu’à moi pour Quant à moi, — Simple métathèse. Tant qu’à faire pour À tant faire. — Construit par analogie avec tant qu’à moi. Le tant pour cent est blâmé par Humbert qui dit : « Tant n’est jamais substantif. » C’est pourtant la qualification que lui donne Littré. Le tant pour cent est d’ailleurs une expression commerciale admise, et qu’il est même parfois impossible de remplacer : Le tant pour cent des agents de change. — À moins que vous n’employiez l’horrible barbarisme pourcentage, que Littré définit précisément par : Le tant pour cent. Tant qu’à tant, Sans s’arrêter, sans discontinuer, tant que l’on peut. Expression originairement patoise qui s’est introduite à Lyon. — De tantum quantum, et par métathèse tanquetan, tanqu’à tant. Tant que dure dure, même sens. Tant que la barbe en fume, même sens. Voy. fumer. Le fait est que lorsque la barbe en fume, il serait dangereux d’aller plus loin. TANTOT, s. m. — L’après-midi. Nous irons vous voir ce tantôt, cette après-midi. Mon vieil oncle roupille tous les tantôts, C’est une bizarre dérivation de sens. TAPE, s. f. — Jeu des gones. Jouer à la tape. TAPÉ. — C’est tapé ! Exclamation de grande admiration qui se dit devant une belle œuvre. J’étais un jour à table à côté d’une aimable dame. La conversation se porta sur le poète Musset. — Musset, c’est tapé ! me dit-elle. TAPECUL, s. m. (parlant par respect). — Ce n’est pas, comme le dit l’Académie, « une voiture cahotante et rude ». C’est une sorte de voiture de campagne, légère, à deux roues et non couverte. Un tapecul peut être très bien suspendu, mais il est évident que l’idée primitive qui a inspiré le nom est celle d’une voiture qui fait taper la seconde partie du mot. TAPÉE, s. f. — Quantité, grand nombre. Une tapée de mardous, Une troupe d’enfants. — Comment une « quantité de tapes » est-elle devenue une « quantité » en général ? L’explication serait-elle dans poires tapées, où l’on aurait vu l’idée d’une grande quantité d’objets pressés les uns contre les autres ? TAPER, v. a. — « Donner des coups à quelqu’un pour le battre ; dites frapper. » (Molard.) — Mais « taper, frapper », est au Dictionnaire de 1798 ! TAPIS NOIR. — Le Toine s’est glissé en tapis noir pour me voir coucher, mais je te l’y ai campé une gifle. — Le fait est qu’un tapis noir n’est pas voyant et ne fait pas de bruit. TAPISSERIE, s. f. — Papier peint. Tâche voire moyen de ne pas abîmer la tapisserie ! — Les murs étant autrefois garnis de tapisserie, la dénomination a été conservée lorsque la tapisserie a été remplacée par du papier peint. TAPONNER, v. a. — Bourrer, mettre en tas, surtout en parlant du linge. Mme de Sévigné emploie taponner dans le même sens. Du franç. tapon, bouchon. Taponner : mettre en tampon. TAQUE, s. m., terme de canuserie. — Cale de bois en forme de coin qui, prise entre la tête du rouleau de devant et le pied de métier, servait jadis à maintenir fixe ce rouleau. De mon temps déjà, le taque était remplacé par une roue dentée, avec un chien s’abattant sur les dents. Lorsque l’ouvrier avait fait environ deux pouces d’étoffe, il « tournait devant » pour faire enrouler d’autant l’étoffe, en faisant avancer la roue de deux ou trois dents. Aujourd’hui l’étoffe s’enroule automatiquement à chaque coup de battant, à l’aide d’un mécanisme appelé régulateur. Mettre en taque ou entaquer. C’était proprement, après avoir inséré le compasteur (voy. ce mot) dans la rainure du rouleau de devant, fixer celui-ci à l’aide du taque pour commencer à battre. L’expression s’est conservée alors même que l’ouvrier ne sait plus ce que c’est que le taque, et aujourd’hui entaquer, c’est mettre le compasteur dans le rouleau, ou simplement, par extension, se mettre en mesure de commencer le tissage de la pièce. — D’une racine tac (voy. tacon). Sur l’extension du sens, comp. petas (voy. ce mot) qui, de pièce rapportée sur une étoffe, a pris le sens de gros morceau. TAQUENET, s. m. — Terme d’amitié comme Bouffi, Gros malin, qui s’adresse à un gone un peu patet qui veut faire le tarabâte. TAQUET, s. m. — C’est un taquet de moulin. Se dit de quelqu’un qui parle beaucoup. Taquet est pour traquet. TAQUIER, s. m. — Constructeur de bateaux. — Depuis que Molard a signalé ce mot, il me paraît tombé en désuétude. — Du celtique tac, tag, clou, cheville, pointe. De ce que le taquier cheville et cloue les planches composant le bateau. TARABAT, s. m. — Bruit, bouleversement, remuement bruyant, remue-ménage. — Vieux franç. tarabat, tapage, fait sur rabast (voy. rabâter), avec un préfixe péjoratif. TARABÂTE, s. m. — Se dit d’une personne remuante, turbulente. Mon Guieu, que c’t enfant est don tarabâte ! — Subst. verbal de tarabâter. TARABÂTER, v. n. — Remuer bruyamment. Se tarabâter, s’agiter, se tourmenter. Quand on se tarabâte trop, on se carcine les sanques. — De tarabat. TARTEIFLE (ei prononcé comme en grec). s. m. — Surnom donné aux Allemands. — De der Teufel, leur juron ordinaire. TARTEIFLES, TARTIFLES, s. f. pl. — Pommes de terre blanches. — Du piémontais tartifla, même sens, de terrae tubera. TATAN, s. f. — Tante. La Tatan Pierrette. — Surnom comique donné à l’hospice de la Charité. I se fait nourri par la tatan Pierrette, Il est à l’hospice de la Charité. TÂTE, s. f. — Petite tasse d’argent peu profonde, avec une anse, et dont on se sert pour goûter le vin. Elle est en argent parce qu’on y goûte plusieurs successivement, et que l’on croit que l’argent ne transmet jamais les maladies. Autrefois tout bon propriétaire campagnard avait sa tâte, dont il se servait en voyage. Le nom du propriétaire était gravé autour, avec la date d’acquisition. Beaucoup avaient un caractère artistique. — Subst. verbal de tâter, au sens de goûter. TÂTE-À-C...-DE-POLAILLE, s. m. — Tâte-en-pot, homme qui s’occupe des détails du ménage. TÂTE-GOLET, s. m. — Tâtillon, homme timide qui n’ose s’aventurer à rien. Par extension, benêt. — De tâter et golet, trou. Littéralement qui tâte les trous avant de s’y engager. TATI, adv. — 1. Tenir tati, Faire tati, Résister de toutes ses forces. « Faudra tenir tati, y aura de bousculade, » lit-on dans les Tribulations de Madame Poularde. — S’emploie comme interjection. Tati ! tiens bon ! Expression empruntée à la batellerie et qui représente probablement tè-ti, tiens-toi ! — 2. Exclamation pour Assez. Si quelqu’un verse à boire, on lui crie tati ! quand on veut qu’il s’arrête. TATOUILLE, s. f. — Volée de coups, rossée. — Vieux franç. tatin, coup, de taster, avec substitution du suffixe péjoratif ouille. TAUNE, s. f. — Proprement Frelon, mais abusivement Guêpe. — De tabana pour tabanus. TAUPURE, s. f. — Piège à prendre les taupes. Vieilli. TAVAN, s. m. — Bourdon, Taon. — De tabanum. TAVELÉ, ÉE, adj. — Tacheté, moucheté. — C’est le franç. tavelé, peu usité. TAVELEUSE, s. f. — Ouvrière chargée de la surveillance des tavelles à dévider la soie grège. Souvent nos canuts les nomment simplement des tavelles. Y a le garçon à M. Bardot que marie une tavelle de chez Moulineux. TAVELLE, s. f. — Bille dont les voituriers se servent pour biller leurs chargements. Par extension, trique en général. — De tabella, au sens d’ais, planchette longue. Sorte de guindre formé de deux roues parallèles sans jantes, composées chacune de quatre ou six rais fixés sur un moyeu et reliés d’une roue à l’autre à leurs extrémités par des ficelles sur lesquelles on place la soie grège à dévider dans les moulinages. — Ainsi nommée parce que les rayons de la roue, qui se raccourcissent ou s’allongent à volonté ont l’apparence d’une tavelle. TE, pron. régime, explétif. — S’ajoute toutes les fois que l’on veut donner de l’énergie à une affirmation. Les femmes, ça te vous a un batillon !... Je te vous fiche mon billet qu’il lui en cuira !...... Je te m’en vas lui renfoncer son compliment ! etc., etc. TEILLE, s. f. — Écorce de la tige du chanvre. — Du franç. tille. TEILLEUX, EUSE, adj. — Se dit d’une viande fibreuse, filamenteuse. Un gigot teilleux. — De teille. TEL. — Tel que, Tel quel. Mecieu le Merlan, vous laisserez mes cheveux tels que. Sous-entendu « qu’ils sont ». TÉMOIN, s. m., terme de construction. — Ce sont des lèches de plâtre ou de ciment que l’on pose en travers d’une lézarde dans un mur qui a donné coup, afin de savoir, par la rupture ou l’intégrité des témoins, si le mouvement se poursuit ou s’est arrêté. TEMPIA, s. m. — Ustensile du canut. C’est une règle plate, articulée, armée à ses extrémités de pointes appelées dents, et qui sert, en faisant entrer les dents dans les deux cordons, à tenir la façure tirante en largeur. — Ital. tempiale, même sens. Tempiale semble bien se rattacher à l’ital. tempia, tempe ; comme le temple, templet, templu, temploir (même sens que tempia) du tisserand semble bien se rattacher au vieux franç. temple, tempe. Mais comment est-on parvenu à voir dans cet outil une analogie avec l’os qui s’étend de l’œil à l’oreille ? TEMPS. — Un temps foireux. Voy. foireux. — Un temps malade. Voy. malade. — Un temps de dame. Voy. dame. — Un temps pourri. Voy. pourri. — Un temps à ne pas se laisser le sou dans la poche. Voy. poche. Il faut prendre le temps comme il vient, les gens pour ce qu’ils sont, et l’argent pour ce qu’il vaut. Proverbe admirable que l’on devrait avoir toujours présent à l’esprit. Mon maître d’apprentissage le complétait en ajoutant : et les femmes pour ce qu’elles ne sont pas. Il entendait que là seulement il fallait avoir des illusions, ce genre d’illusions étant si doux. Ô sage ! Une heure de temps, deux heures de temps. Voy. heure. Le père Dèchetet est mort. — Quel âge avait-il ? — Il était dans ses nonante. — Que voulez-vous, bonnes gens, il avait fait son temps. Expression que vous entendrez toutes les fois qu’il sera question de la mort d’un vieillard. — Allusion au temps du service militaire. Vous aurez meilleur temps de passer par la grand’route, Cela vous sera plus commode. — Curieuse dérivation de l’idée de temps. Du temps que, Pendant que, tandis que. Je m’en vas faire l’omelette du temps que t’iras à la cave. TENAILLER, s. m. — Cellier pour les cuves. — De tine, cuve. Il est probable que les grandes tines, les cuves, se sont appelées tinailles. Comp. futaille, de fût. Tenailler ou tinailler se disent dans le Bugey et le Mâconnais. Dans le lyonnais on dit cuvier. TENAILLES. — Monter à cheval comme une paire de tenailles sur le cul d’un chien. — C’était un peu ma manière. TENDRE. — Tendre comme de bave. Voy. bave. — Tendre comme la rosée. Voy. rosée. TENDRIÈRE, s. f., terme de carrier et de tailleur de pierre. — Partie friable d’une pierre de taille ou d’un rocher exploitable. — De tendre. TENDUE, s. f. — Toile destinée à couvrir les bateaux. TENIR. — Tenir coup. Voy. coup. — Tenir tati. Voy. tati. Tenir tirant, Est aux canuts ce qu’est tenir tati aux mariniers. Un supposé que vous allez rendre visite à un ami malade : Allons, mon vieux, lui direz-vous en manière d’encouragement, tiens tirant ! Autant dire : « Tâche moyen de ne pas le laisser glisser ! » J’entendais un jour la Marion, de Saint-Laurent-d’Agny (elle était canuse), qui disait à sa mère : Môre, lo grand Coyôrd, la Têta-blanchi, i est-i pôs voutron parrain ? — Oua. A causa ? — A causa de rin. Ah, varmina ! l’outro djor, voliet-t’i pôs !... — O y equiet par plésantô ! — Plésantôve rin du tot ! Se j’aviè pôs tegni tirant !... De ce que, en canuserie, pour faire de la bonne ouvrage, il faut tenir la longueur toujours tirante, et régulièrement tirante. Tenir pied, aux boules, Tenir, en jouant, le pied sur la raie qui marque l’endroit d’où l’on joue. Veux-tu bien tenir pied ! — Au fig. Je le forcerai bien à tenir pied, c’est-à-dire à ne pas se départir du droit chemin. — Être assidu à un travail, veiller de près une affaire. Quand on a l’honneur d’être canut faut teni pied à l’ouvrage. Tenir de rejuint, Tenir quelqu’un serré, sans lui laisser sa liberté. La Pierrette, c’est une fille que faut teni de rejuint. Cela s’entend, Tenir près de soi. Tenir une marchandise, en parlant d’un marchand. Le bazar tient-il des seringues ? (ou toute autre marchandise). TENTATIF, adj. — Tentant. Ne s’emploie guère qu’avec le pronom neutre. La Therèse a un petit, mais elle a six mille francs devant elle. C’est bien tentatif. — Tentatif est incorrect, mais tentant est horrible. TENTE, s. f. — Banne au-devant des magasins. — De tenta, participe de tendere. TENUE, s. f., terme de canuserie. — Se dit de plusieurs fils de la chaîne qui sont capiyés, et par ainsi ne peuvent pas passer dans le remisse. Manquablement ça fait vilain. TERMOYER, v. n. — 1. Prolonger le temps d’un payement. Le désordre de ses affaires l’a forcé de termoyer. 2. Ajourner, temporiser. Dans toutes les affaires, il n’est bon qu’à termoyer sans rien finir. TERNIGASSER, v. n. — Lambiner, muser, perdre son temps. C’est z’une affaire où i faut pas ternigasser. — Probablement pour termigasser, de terme, avec un suffixe de fantaisie, péjoratif et comique. TERRAILLE, s. f. — Vaisselle de terre. Un marchand de terraille, Un marchand de poteries. Il est arrivé une penelle de terraille. Le nom de la rue Terraille tire son origine d’une poterie. TERRAILLER, v. a. — Creuser, remuer la terre. I sont en train de terrailler pour les fornifications. — De terre, avec le suffixe fréquentatif ailler. TERRASSE, s. f. — Terrine pleine de braise. C’est le brasero espagnol et italien. On dit le plus souvent terrasse de boulanger parce que c’est chez le boulanger voisin qu’on prend la braise. Aubigné l’emploie simplement au sens de grande terrine : « Me boilà use terrace pleine de pissat. » (Fœneste.) — De terre (parce que le récipient est en terre) avec un suffixe agrandissant asse. TESTICOTER, v. n. — Contester aigrement et à propos de vétilles. Se testicoter, Se piquer mutuellement. Dans beaucoup de ménages le mari et la femme ne font que se testicoter. Corruption d’asticoter sous l’influence de teste, tête. Se testicoter, Se picoter la tête, s’attraper mutuellement par la bourre. TÊTE, s. f. — Avoir bonne tête. Voy. bonne. Ne savoir où donner de la tête, Avoir si tellement à faire qu’on ne sait par où commencer. Réciter de tête, Réciter sans avoir le livre. — Dessiner de tête, Dessiner de mémoire. Avoir la tête près du bonnet, Être colérique, emporté. Très curieuse métaphore. Quand on n’a pas bonne tête il faut avoir bonnes jambes. Tête d’oreiller, Taie d’oreiller. — Aussi pourquoi ne pas dire flène ? Tête de cheminée, Souche, partie de la cheminée au-dessus du toit. Tête de mogniau, terme de canuserie, Gros bourron à un fil de la chaine, Tête roulée. Voy. fromage. Une tête carrée, Un Allemand, parce qu’on prétend que les têtes carrées sont plus entêtées que les autres. TETER, v. n. — Au jeu de boules. Une boule qui tette, se dit d’une boule qui touche le petit. C’est une métonymie, car ce serait plutôt le petit qui tette. Il ferait teter un veau de quatre ans (c’est-à-dire un taureau). On dit quelquefois un vieux bœuf. — Se dit de quelqu’un qui sait si bien s’y prendre, qui a la langue si persuasive, qu’il persuade ou fait accepter les choses les plus invraisemblables. Un bon diplomate doit savoir faire teter un veau de quatre ans. — Cette expression nous est certainement venue de la campagne. TETET, s. m. — Sein de la nourrice. Faire son tetet, Teter. Le bon Chapelon dit de façon charmante : « Je voudrais, loin de l’injustice, être encore dans mon méchant berceau, et, dans les bras de ma nourrice, sucer mon petit tetet. » TÊTU, s. m. — Gros marteau carré d’un côté et pointu de l’autre, avec lequel on dégrossit les pierres que l’on veut tailler. Les moellons étêtués (voy. ce mot) sont les moellons travaillés au têtu, par opposition aux moellons piqués, travaillés plus finement à la pointe. THÉRÈSE, s. f. — Capuche que portaient autrefois les femmes, et qui avait quelque analogie avec le voile des converses carmélites. D’où le nom. THERIACLE, s. f. — Thériaque. — Thériacle est un souvenir de la forme primitive triacle, thriacle. THOMAS, s. m. — (Voyez pot.) — Ce mot doit venir du langage militaire. Un caporal facétieux aura fredonné, au moment de la corvée, et avec la prononciation de circonstance, la strophe de la prose pascale : Vidé Thomas, vidé l’as-tu ?... TIENS. — Exclamation à la vue de quelque chose d’inattendu. ! Tiens, tiens, Polaillon que s’amène ! — C’est le té, té des Provençaux si souvent employé par Alphonse Daudet. TIGNASSE, s. f. — Chevelure surabondante. C’est pourquoi, à Saint-Pierre, m’avait-on surnommé Tignasse. TIMBRÉ, ÉE, adj. — Demi-fou, qui a le cerveau légèrement dérangé. — On a considéré le cerveau comme un timbre qui reçoit un coup. Comp. toqué. TINTEBIEN, s. m. — C’est un bâtis en bois, des fois en osier, en forme de tronc de pyramide ou de tronc de cône monté sur des roulettes, dont la partie supérieure, plus étroite que le bas, arrive sous les aisselles des petits mamis. Ceux-ci, une fois engagés dans l’appareil, se promènent en trainant le tintebien avec eux, et sans crainte de chute. Par ainsi la meman peut faire tout ça que lui passe par la tête sans se tourmenter du mami. TI PAS. — Voy. pas, loc. On dit aussi : Viendrez-vous ti ? Toujours par analogie avec viendra-t-il ? TIRAGE, s. m., TIRE, s. f. — Tiraillements, difficultés. Ce mariage ne s’est pas fait sans tirage, Sans difficultés. Il y a de la tire dans le ménage. Le mari et la femme ne s’entendent pas. Tirage de sonnette, terme de serrurerie, Poignée pour tirer la sonnette. Tire-cheveux. — Se prendre à tire-cheveux, S’empoigner par la bourre. Le marquis et la marquise se prirent à tire-cheveux. (Octave Feuillet.) Jeter des dragées à la tire-cheveux. Voyez grispipi. TIRANNIE. Voy. tiranture. TIRANT. — Tenir tirant. Voy. tenir. TIRANTURE, s. f. Plusieurs disent TIRANNIE, s. f., terme de canuserie. — Tension des fils de la chaine. Faut mettre de pesouts dans la besace, ta longueur n’a pas assez de tiranture. — De tirer, fondamentalement. TIRÉ. — Tiré comme une l. Se dit de quelqu’un tiré à quatre épingles. TIRÉE, s. f. — Action de tirer. D’ici Roanne y a une bonne tirée de grollons. Ça, c’est vrai. Pourtant mon père alla une fois de Lyon à Roanne en un jour. Quant à prendre la voiture des frères Talon pour aller à Saint-Galmier, où il avait une féculerie, il n’y faillait jamais. TIRELLE, s. f., terme de canuserie. — Lorsqu’une pièce est terminée, le canut laisse, entre deux minces bandes d’étoffe, une bande de chaine non tissée dans laquelle il a passé le compasteur (voyez ce mot). L’ensemble des deux bandes et du morceau de chaine se nomme tirelle. Elle servira plus tard d’amorce pour recommencer la nouvelle pièce (voy. égancettes). Peigne de tirelle. Voy. sous peigne. TIRE-LONGE, s. f. — Se dit d’une longue route. Quand j’ai l’ayu vu cete tire-longe devant moi, ça m’a donné une soife ! — On ne s’explique pas clairement qu’on tire la longe d’un cheval en faisant une route à pied. Longe doit être un jeu de mots pour longue. TIREPILLE, s. f. — Partie cartilagineuse de la viande par opposition à la pourpe (voy. ce mot). — Subst. verbal. de tirepiller parce qu’il faut censément tirepiller cette portion de la viande avec les dents pour la pouvoir manger. TIREPILLER, TIRIPILLER, v. a. — Tirailler avec violence, tirailler en déchirant. Se tiripiller, Se déchirer mutuellement les habits. De tirer, plus une seconde partie, qui n’est point piller, comme on le pourrait croire, mais le vieux franç. peille, lambeau. Tirepiller, tirer en lambeaux. TIRER, v. a. — Les grammairiens sont toujours tout plein récréatifs. « Tirer son chapeau, dit Humbert, est une expression vicieuse. » Il n’avait pas lu Voltaire : « Les préjugés sont de trop grands seigneurs pas pour que je ne leur tire mon chapeau. » Et Littré donne pour exemple : « Tirer son chapeau, l’ôter pour saluer. Il ne m’a pas tiré son chapeau. » Tirer au pistolet est également proscrit par le même. Il veut qu’on dise tirer le pistolet. Mais Littré donne les exemples : « Tirer au pistolet, au fusil, à la carabine. » Bon lecteur, emploie ces expressions en sûreté de conscience, sans te marcourer le menillon ! Tire-toi voire un peu plus loin, Recule-toi un peu. Se tirer, S’écarter. Je me suis tiré de côté pour laisser passer cete dame. Faire tirer son portrait — Se faire tirer en peinture — Tirer un paysage, Le reproduire en peinture. Le pauvre Lavie (qui se souvient de son nom ?) peignait un jour à Sainte-Consorce un paysage d’après nature. Un paysan le regardait faire d’un air narquois. Au bout d’un moment le paysan dit : Vos tiri ce l’ôbre ? — Eh oui ! — Au bout d’un autre moment : Vos tiri cela méson ! — Eh oui ! — Comme iquien vos tiri tot ? — Eh oui ! — Ben, tiré don mon c... ! (Historique.) On ne peut pas tirer ses longueurs. Se dit d’une affaire, d’une entreprise où l’on ne peut joindre les deux bouts. — Un menuisier, un maçon vous dira : À ce prix-là je ne peux pas tirer mes longueurs. Pour tirer les longueurs successives qui composent une pièce, il faut pouvoir vivre en les tissant. Tirer le vin n’est pas la même chose que tirer du vin. Dans le premier cas on tire le vin de la récolte pour le mettre en tonneaux, dans le second cas, on le tire au tonneau pour le boire. Tirer les yeux, Les crever. « Folie tire les yeux à l’Amour, » dit Louise Labé dans le Dialogue de Folie et d’Amour. On dira encore : La reverbération du soleil dans cete vitre tire les yeux. Métaphore pour Les offense grièvement. On dit aussi en parlant d’un objet qu’on cherche : Je suis sûr qu’il me tire les yeux, pour dire : Je parie qu’il est en évidence, et pourtant je ne le vois pas. Tirer peine. Voy. peine. Tirer de, Ressembler. La petite tire de sa grand’. Lui ressemble. Tirer droit sur, Se diriger droit sur quelque objet. Vous tirerez droit sur ce cret, Vous vous dirigerez en ligne droite sur ce sommet. Cette dérivation du sens de tirer, qui signifie amener à soi, au sens contraire de se déplacer vers un objet, a son origine dans l’idée de tirer un trait sur cet objet. Tirer le lait, tirer les vaches, sont, n’en déplaise à maints grammairiens, des expressions correctes (voy. Littré à tirer). Tirer une boule. Voy. boule. Tirer un plan. Voy. plan. TIREUR, s. m. — 1. Celui qui, au jeu de boules, fait sa spécialité de tirer, par opposition au pointeur, celui qui fait sa spécialité de pointer. 2. Dans le métier antérieur à la Jacquard, c’était le jeune garçon qui tirait les lacs du semple. 3. Tireur de fers. C’est un gone qui tire les fers dans les velours frisés trop larges pour que le canut puisse tirer les fers lui-même. Il les pose ensuite sur la façure, mais c’est le canut qui les passe. TIRIGOUSSER, v. a. — Houspiller, secouer, tirailler. « C’est Lacandeur, bien sûr, qu’a crevé mon andouille, — En me tirigoussant. » (Une Partie de campagne.) — De tirer, avec un suffixe comique de fantaisie. TISANE. — Tisane de polisson. Voy. coco. TISONNASSE, s. f. — Se dit d’un morceau de charbon de bois mal carbonisé qui ne brûle pas et répand de la fumée et de la mauvaise odeur. Ce sale charbon est tout en tisonnasses. TISSEUR, EUSE, s. — Canut, use. Ce mot n’est pas français ; il n’a pas été admis par l’Académie. Il n’est pas lyonnais non plus, car on le chercherait vainement dans toutes les pièces relatives à la fabrique, si ce n’est depuis un certain nombre d’années relativement peu considérable. Les anciens documents ne parlent jamais que des ouvriers en soye. On ne rencontre même le mot de tisseur dans aucune pièce touchant l’insurrection de novembre 1831, qui fut cependant l’œuvre des canuts. — Au rebours, aujourd’hui, le nom d’ouvrier en soie est proscrit et l’on n’emploie que celui de tisseur. Je suppose qu’il a été introduit pour flatter l’amour-propre des canuts, qui ne sont ainsi plus qualifiés d’ouvriers. Le mot a existé au moyen âge, mais très exceptionnellement (on disait tissier). Littré ne donne qu’un seul exemple. Les dictionnaires ne le contiennent même pas (pas même Barré, 1842, ni Bescherelle, 1861), sauf Trévoux qui le donne au Supplément pour tisserand en étoffes de laine. Je ne sais qui le premier l’a revivifié en déviant le sens. TOCASSIN, s. m. — 1. Tocsin. — 2. Vacarme, boucan, grand bruit. Quel tocassin qu’i font là-bas ? — Vieux franç. toquesin. TOCASSINER, v. n. — Heurter de façon répétée, faire du tapage, surtout en choquant des objets, sonores les uns contre les eutres. T’amuse don pas à tocassiner avè ces pots ! TOILE. — La toile du ventre. Se dit pour coiffe du ventre. Voy. coiffe. TOILETTER (SE), v. pr. — Faire sa toilette. Le temps de me toiletter et je suis à toi. TOISÉ, ÉE, adj. — Fini, ie, achevé, ée, avec sens péjoratif. C’est une affaire toisée. D’un négociant : Il a son concordat, mais c’est un homme toisé. S’emploie pour mort. Le pauvre b... est toisé. TÔLÉE, s. f. — Une tôlée de pâtisseries. Certaines pâtisseries se mettent au four rangées par douzaines sur des plaques de tôle. D’où le nom. Un de mes amis avait bon appétit. À une foire, à Moulins, il demande à un pâtissier combien il lui prendrait pour manger des pâtisseries à discrétion. Cent sous, fait le pâtissier croyant le voler de quatre francs cinquante. — Tope ! mais vous donnerez une chopine de vin blanc pour les faire passer ! — Entendu ! — Le pâtissier apporte une tôlée, deux tôlées, voyant avec inquiétude que son client ne buvait pas. Enfin, après la quatrième tôlée, celui-ci met un demi-doigt de vin dans son verre. — Vous ne buvez que ça ! — Faut ben que j’en oye pour jusqu’à la fin ! — Épouvanté, le pâtissier lui rendit ses cinq francs et résilia le marché. — Il était temps ! l’autre était tube, s’il n’avait bu un grand verre d’eau ! Mais il avait mangé gratis pour quarante-huit sous de pâtisseries. TOMBÉE, s. f. — Surcroit, affluence, en parlant des personnes. Cet hôtel a la tombée des commis-voyageurs. Se dit de gens qui arrivent inopinément pour diner. À la maison, nous avions des fois la tombée de quatre cousins de Mornant. La tombée de la nuit, La chute du jour. Les deux images, quoique opposées, sont également justes. La nuit semble bien tomber du ciel. Aussi, bien que l’expression ne figure pas dans les dictionnaires, elle me parait susceptible d’emploi. TOMBER, v. n. — Tomber en faïence. Voy. faïence. De la rue de l’Enfant-qui-pisse, vous tombez dans la rue Longue. C’est une métaphore, car vous n’êtes pas obligé de faire une chute en arrivant dans la rue Longue. J’ai glissé sur une corce d’orange et j’ai tombé les quatre fers en l’air. Par comparaison, censément, avec un âne. Arriver, en parlant des fêtes. Cette année, le jour de l’an tombe un treize. Tomber, v. a. — Renverser. En se tiripillant, l’André a tombé le Jean-Pierre. — Archaïsme. Tomber s’employait au sens actif dans le vieux français. Il en tombe comme qui la jette. Il pleut à verse, il en tombe moins qu’une avale d’eau, mais de façon plus continue qu’une singotte. TOMBURE, s. f. — Chute. J’ai fait une tombure sur mon prussien. C’est des fois de mauvaises tombures. TOMME, s. f. — 1. Fromage frais. — 2. Lait caillé à l’aide de présure. — 3. Petit fromage. Tomme, dans ce dernier cas, est pour fromage de tomme. — Origine celtique. La racine a, dans les langues celtiques, le sens d’agglomération, masse. TONNE, s. f. — Tonnelle. De tonne, futaille, parce que la tonne s’est faite primitivement en forme de voûte, arrondie comme un tonneau scié en deux parties dans le sens de sa longueur. Comp. l’angl. tunnel. TOPETTE, s. f. — Fiole en verre blanc, de forme très allongée, à long goulot, qui doit contenir 125 grammes environ. Mais il y a la double topette. Aujourd’hui les topettes (agiter avant de s’en servir) ne s’emploient qu’en pharmacie. — Du vieux allemand toph, pot. TOQUÉ, ÉE, adj. — Timbré, extravagant. De toquer, frapper. Toqué : frappé au cerveau. Comp. le patois fiéru per la téta (frappé à la tête), fou. TORCHÉE, s. f. — Volée de coups. Se flanquer une bonne torchée. — De torcher, battre, qui est français. TORCHER, v. a. et n. — Manger de grand appétit. Nous ont torché en cinq minutes à deux un gigot de six livres. Extension du sens de torcher, essuyer. Torcher les plats, Manger les mets de façon à essuyer les plats. TORCHETTE. Nette comme torchette. Voyez nette. TORCHON, s. m. — Un torchon de paille. Un bouchon de paille. Un torchon de pain, Un gros carrichon de pain. — Du vieux lyonn. torche, sorte de pain, lui-même de torcare, pour torciare, sans doute parce que le pain avait une forme de tresse. Comp. tourte, de torta. Se donner un coup de torchon, Se donner une tatouille. Le torchon brûle. Se dit d’une brouille, d’une picoterie dans le ménage. — Curieuse métaphore, dont l’origine est difficile à expliquer. TORDEUSE, s. f. — Ouvrière chargée de tordre (voy. ce mot). TORDRE, v. a. — Tordre le nez à quelque chose, Refuser de le faire, ou ne le faire qu’avec répugnance. Le pipa a tordu le nez à ce mariage... Fallait cracher au bassinet, M. Crassaud a tordu le nez. Ne faire que tordre et avaler, Manger avec une telle faim qu’on ne prend pas le temps de mâcher. Terme de canuserie. Opération qui consiste à lier, en le tordant et en l’imprégnant de gomme, chacun des fils de la chaine qui finit à chacun des fils de la chaine que l’on va commencer à tisser. TORDU, UE, adj. — Mort, te. Le pauvre b... est tordu. TORMENTINE, s. f.— Potentille, tormentille, plante dont la racine contient du tannin, et qui était autrefois très employée par le peuple. TORT. — Faire tort à ses connaissances. Euphémisme pour Montrer, par ses paroles ou par sa conduite, son ignorance en telle ou telle matière. À table d’hôte : La mère d’Henri IV était bien Jeanne d’Arc ? — Monsieur, vous faites tort à vos connaissances ; c’était Jeanne d’Aragon. TORTILLER. — Se tortiller, en marchant. Cette expression, signalée par Humbert comme incorrecte, est absolument française au même titre que Ce ver se tortille, exemple donné par l’Académie dès 1835. Tortillez-vous donc, Mam’sell’ Susette, Tortillez-vous donc sur vos rognons ! dit une de nos vieilles chansons populaires. Tortiller des fesses (parlant par respect), Reculer, renacler. Allons, faut pas tortiller des fesses ! Faut dire à la femme que te vas avè de z’amis, et que te rentreras pas ce soir avant neuf heures. TORTILLONS, s. m. — Tordions, torsions. J’ai des tortillons dans le ventre, J’ai des coliques avec la sensation de torsions. TÔT-FAIT, s. m. — Sorte de gâteau, rapidement cuit, dont l’origine est, je crois, dauphinoise. TOUR, s. m. — Faire son grand tour, son petit tour. Voy. faire. En un tour de main, En aussi peu de temps qu’il en faut pour tourner la main. Pourquoi blâmer, ô Molard, cette expression si naturelle ? « Dites : En un tourne-main, » ajoute-t-il. L’un et l’autre sont bons, quoique, je l’avoue, j’aie un faible pour tournemain, devenu un peu archaïque. Plus souvent qu’à son tour, Très souvent. Le Tony va-t-i quèquefois chez la Rosa ? — Il y va plus souvent qu’à son tour. TOURMENTE, s. m. — So dit d’une personne qui vous harcèle de ses importunités, de ses insistances. Mon Guieu que ce gone est don tourmente ! I veut toujours savoir à quoi que l’on connait le fenne de le z’hommes quan i sont pas habillés ! — Subst. verbal de tourmenter. TOURMENTE-CHRÉTIEN, s. f. — Même sens. On a déjà eu l’occasion de remarquer que chrétien s’entend de l’homme en général (voy. chrétien). Ce mot de tourmente-chrétien se retrouve dans la basse Auvergne, dans le Piémont, et jusqu’à Gênes. Chez nous, l’idée d’homme ou de chrétien a disparu sous l’idée générale de tourmenter, et quand je turlupinais le chat, mon père ne manquait jamais de me traiter de tourmente-chrétien. TOURMENTINE, s. f. — Térébenthine. Vieilli. — Vieux franç. tourmentine, de terebenthina, par la marche suivante : trebentine, trementine, termentine, tourmentine. TOURNE, s. f., terme de jeu de cartes. — La Retourne. Quelle est la tourne ? TOURNER. — Tourner l’œil. Ignoble expression que quelques-uns emploient pour dire Mourir. Tourner l’œil signifie surtout chez nous s’évanouir. Ça lui a si tellement fait d’effet sur le moment qu’elle en a tourné l’œil. Tourner devant, terme de canuserie, Faire avancer de quelques crans, à l’aide de la cheville à tourner devant, le rouleau de devant au fur et à mesure de la fabrication de l’étoffe. Aussi, dit la chanson : Je vois aller la fabrique ; Rien ne me rend plus content. Tous les gens de la boutique Tournent devant très souvent. Au jour d’aujourd’hui, le rouleau tournant à cha-peu sous l’action du régulateur, on ne tourne plus devant, sauf qu’on ait besoin de raccourcir la façure. Dans ce cas, il suffit de tourner la manivelle dont le régulateur est pourvu à cet effet. Au fig. Expédier une besogne, avancer à l’ouvrage. Un jour, avec un vieux cenut, nous voyons passer une jolie canuse, bien allurée. Eh, eh, qu’il me dit, en voilà une qui ne demande qu’à tourner devant ! Tourner le corps, Tourner les sangs, La même chose que retourner les sangs (voy. retourner). Tourner, au jeu de cartes. Qu’est-ce qui tourne ? De quoi tourne-t-il ? TOURNIQUET, s. m. — C’était le nom donné au tour des Enfants trouvés, pratiqué dans le mur de la Charité. Le tourniquet de la pierre qu’arrape (voy. pierre). — Porter un enfant au tourniquet... C’est un enfant du tourniquet. TOURTE, s. f. — Disque de pâtisserie à bords relevés, recouvert d’une couche de confiture, sur laquelle on place un treillis de bâtonnets de pâte sucrée et dorée. Telle est exactement la vieille tourte, dont le nom s’est étendu à des gâteaux de forme analogue, mais aux fruits ou à la frangipane et sans treillis, qui ne diffèrent pas de la tarte ordinaire. — De torta, probablement de ce que les bords étaient primitivement tordus en façon de torsade. TOURTERELLE. — Une délicieuse naïveté de ce bon Molard : « Tourterelle. Oiseau qui hante les bois. Quand on parle de cet oiseau comme bon à manger, on le nomme tourtre, s. f. Servir des tourtres, de bonnes tourtres. » — Comme les élèves de ce digne homme étaient exactement renseignés ! Le tourdre (turdum), espèce de grive, n’a, comme on le sait, rien à voir avec la tourterelle (turtur). C’est à tort que Littré fait tourdre féminin. TOUS. — En partie tous. Voy. partie. Tous et un chacun. Charmant pléonasme archaïque pour bien expliquer que personne ne fait exception. Il est curieux que les Allemands aient la même locution : Alle und Jede. — Il est inutile d’ajouter ensemble comme font quelques-uns : Tous et un chacun ensemble. TOUSSE, s. f. — Toux. J’ai une tousse que ne me laisse gin de relâche. — Subst. verbal de tousser. TOUT. — Elle est jolie comme tout... Ça tient comme tout... C’est bête comme tout (voy. bête). Se dit de tous les objets quelconques, tout pouvant se comparer à tout. C’est bien de tout comme de tout. Adage que l’on répète à chaque instant de la journée, et qui exprime un désabusement de la vie qui n’est pas même dépassé par celui de l’Ecclésiaste. Cela veut dire : Tout revient au même, Rien ne vaut la peine de rien. Il est riche mais il n’est pas heureux. — C’est bien de tout comme de tout. Tout de même, adv. — 1. Volontiers, Je n’y vois pas d’obstacle. Vons-nous ce soir à Guignol ? — Tout de même. 2. Exclamation répondant à Vraiment, C’est étonnant. Abîmer sa femme parce qu’elle vous a fait ... ! Tout de même, c’est roide ! disait notre bon voisin, M. Manivelle. — Fectivement, c’est pas juste, répondait mon bourgeois : vous l’avez pas seulement sentu, et vous lui faites mal ! Tout nouveau, tout est beau. Se dit en parlant des jeunes mariés. C’est tout le bout du monde. À peine. Avè ce t’article, c’est tout le bout du monde si en cigrolant sa navette quatorze heures par jour, on arrive à manger du pain rubis. Locution très énergique, mais dont le formation est difficile à expliquer. TOUTE-BONNE, s. f. — Espèce de sauge, salvia sclarea. — De ce que ses infusions sont bonnes pour tous les maux. TOUTES. — Toutes fois et quantes, Autant de fois. Cet archaïsme est encore employé de fois à autres. TRABOULER, v. n. — S’emploie seulement dans l’expression Une allée qui traboule, Une allée de traverse. J’avais cru le mot tiré de l’argot, mais il est bien lyonnais. — De tra (trans) et bouler, rouler, Allée qui traboule est pour allée par où l’on traboule, comme allée qui traverse pour allée par où l’on traverse. TRACOLE, s. f. — Loquet. — De tra (trans) et du patois cola, couler. Comp. le patois trocola, piège à trappe pour prendre les oiseaux. TRAFIC, s. m. — Mener un trafic, Faire du bruit, du boucan, du remuement. I n’ont mené un trafic pour cette noce ! — Dans toutes les langues, trafic ou son équivalent a été pris au fig. pour mouvement, bruit. TRAFIQUER, v. n. — Remuer, ravauder, bourlayer. Voy. trafic. TRAFUSER, v. a., terme de fabrique. — Accomplir une opération qui consiste à mettre un matteau à une cheville, et, plaçant les deux poings à l’intérieur du matteau, à lui imprimer des secousses et un mouvement de rotation qui a pour but de séparer les flottes. On subdivise ensuite la flotte en flottillons (voy. ce mot), afin de faciliter le dévidage. — De tra (trans) et fusare, répandre. TRAFUSOIR, s. m., terme de fabrique. — Arbre vertical portant des chevilles pour trafuser la soie. TRAFUTER, v. n. — Même sens que trafiquer, dont il est peut-être une dérivation fantaisiste. TRAILLE. — Manquer la traille, Manquer l’occasion favorable. Comp. manquer le coche. TRAIN. — Faire du train, Faire du boucan, du bruit, On dit aussi faire le train. Le chien a fait le train cette nuit. TRAÎNARD, DE. — Nous l’employons comme adjectif. Un ton traînard. TRAÎNASSE, s. f. — 1. Nous donnons ce nom à divers végétaux dont les tiges traînent sur le sol. Ce sont la renouée des oiseaux, polygonum aviculare ; une graminée dénommée l’argrostis, et l’ers, ervum hirsutum. 2. Terme de construction. Se dit d’une gaine horizontale, placée dans le sol, pour aller chercher une gaine montante, comme cela se pratique des fois pour des fourneaux isolés du mur. TRAÎNE-FESSES, s. m. — C’est le nom qu’au début le populaire donne aux tramways, mot qui avait, surtout à la lecture, un caractère étranger et bizarre. Mais petit à petit la forme tramevet, très euphonique et très élégante, a pris le dessus. Sans compter qu’au moins de cette manière l’on parle français. TRAIN-TRAIN. — Mener son petit train-train, Continuer le courant d’une vie modeste. Train-train, par l’allongement même, est le diminutif de train. TRAITER, v. a. — Traiter quelqu’un, Le recevoir, lui offrir à diner. — Analogie avec traiteur. Traiter : faire à l’instar des traiteurs. Les médecins l’ont traité pour une fluxion de poitrine. Paraît qu’il faut dire : D’une fluxion de poitrine. Ça me semble bien refendre les cheveux de vierge en six. TRALALA, s. m. — Le grand Trulala des Indes. Se dit de quelque chose d’extraordinaire, pour lequel on a tout mis sens dessus dessous, d’une fête à tout casser. — C’est pas une noce qu’i n’ont fait pour Mlle Gouliasson, c’est le grand tralala des Indes. TRAME. — Trame tirante, Défaut à la pièce du canut, déterminé par un coup de navette où la trame, ayant rencontré quelque difficulté pour se dérouler, a trop tiré. On corrige le défaut en coupant adroitement la trame au cordon, et en desserrant l’étoffe avec l’ongle. TRAMEVET, s. m. Voy. traîne-fesses. TRAMPALER, v. n. — Tituber. C’est z’un homme qui boit ses six pots sans trampaler. Pour tituber, la langue lyonnaise est très riche : trampaler, balmer, zigzaguer, faire des esses, aller de gaviole. — C’est la forme urbaine du patois trampalô, même sens, d’un radical germanique qui signifie piétiner. Y avait de l’eau dans le vin, l’autre jour, ça me dérange. Quand y a que la graine pure, je trampale même pas, dit Guignol dans Un dentiste, pièce de l’ancien répertoire. TRANCANAGE, DÉTRANCANAGE, s. m. — Action de trancaner, au propre et au fig. TRANCANER, DÉTRANCANER, v. n., terme de fabrique. — Dévider sur la machine appelée trancanoir. Lorsque la soie sortant de la teinture est remise à la dévideuse, celle-ci met les flottes sur les guindres et dévide sur les roquets. Comme la flotte est sujette à s’embrouiller, le fil tire à ces moments, et fait une serrée sur le roquet. À l’ourdissage, le fil pourrait casser. Pour régulariser, on dévide une seconde fois le fil sur le trancanoir (voy. ce mot). Faire cette opération, c’est trancaner ou détrancaner la soie (voy. détrancaner). — Au fig. Transvaser. Trancane don ce vin, qu’y a de la bourbe au fond. — De l’ital. stracannare, mot technique. Au xve siècle stracannare ja seta, « passarla da una altra canna ». Ital. scannare, dévider. Le mot a été importé avec l’industrie de la soie. TRANCANOIR, DÉTRANCANOIR, s. m. — Sorte de dévidoir. — De trancaner, avec le suffixe oir, applicable aux objets moyens d’action. TRANCHET, s. m. — Trier sur le tranchet, Trier sur le volet. Cette locution, proscrite par Molard, me parait tombée en désuétude. Il est vraisemblable que tranchet signifie ici la planche à trancher, vulgairement nommée planche à hacher. TRANSON, s. m. — Gros morceau. Se dit surtout en parlant du pain. Un transon de pain, Un gros morceau de pain. — De truncionem, de truncum. TRANSPARENT. Voy. guide-âne. TRAPOT, OTTE, adj. — Gros et court. — C’est trapu, avec changement de suffixe. C’est par erreur que Littré indique la forme trapet comme lyonnaise. Du moins, je ne la connais pas. TRAPPON, s. m. — Trappe pratiquée dans le plancher d’un grenier ou d’une cave. — Diminutif de trappe. TRAQUENARD, s. m. — Tarare, van mécanique pour le grain. — De traquenard, piège à loups, parce que le tarare se compose de palettes qui sont mises en jeu par un mouvement de rotation, et font assez bien l’effet de trappes qui tombent, et en rappellent le bruit. TRAQUE, s. des 2 g. — Écervelé, timbré, demi-fou. Le Fiacre n’est pas méchant, mais il est un peu traque. — D’une racine trac, exprimant le dérangement d’un ressort, d’une mécanique, et qui est peut-être une onomatopée. Comp. détraquer, et l’argot avoir le trac. TRAQUOIRE, s. f. — Fille écervelée, à tête faible. La Lympe a fait de gognandises, mais c’est pas pour faire mal ; c’est une traquoire. — De traque, avec le suffixe oire, qui devient péjoratif, lorsque, au lieu de s’appliquer aux objets, il s’applique aux personnes, qui sont alors comparées à des objets métalliques. TRAS, s. m. — Solive. Il y a deux espèces de tras : le tras ordinaire de 8 cent. de largeur par 11 cent. de hauteur, et le tras de matte, de 16 cent. sur 16. Les premiers s’assemblent dans les poutres ; les seconds sont posés sans assemblage, et simplement en prise dans les murs. — De trabem. TRASSAUTER. Voy. tressauter. TRAVAILLER. — Travailler comme un massacre. Voy. massacre. Travailler sur l’or, sur l’argent. « Dites Travailler l’or, l’argent. » — Je le veux bien, ô grammairiens subtils ! Pourtant on ne peut dire de quelqu’un qui grave sur l’or, par exemple, qu’il travaille l’or : il travaille bien sur l’or. TRAVERSE. — Allée qui traverse. Voy. allée. TRAVERSE, s. f. — Vent d’ouest. Je crois que nous avons emprunté le mot aux Foréziens, qui ont donné ce nom au vent d’ouest parce qu’il prend en travers la plaine du Forez. TRAVERSER, v. a. — Traverser le pont, Passer le pont. Métonymie. L’idée est Traverser la rivière au moyen du pont. TRAVERSIN. — Faire du traversin. Se dit d’un ivrogne qui marche de travers. Spirituel calembour. TRAVIOLE. — De traviole, De travers. Marcher de traviole. C’est travers, avec substitution d’un suffixe comique. TRAVON, s. m, — Le même que tras. — De trabonem, de trabem. TRÉBUCHET, TRÉBICHOLET, s. m. — Faire le trébuchet, le trébicholet. Tour d’adresse qui consiste à mettre sa tête sur le sol, et à faire passer, parlant par respect, le cul par-dessus la tête. Très joli jeu de société à la campagne, mais les dames s’en abstiennent géneralement, en tout cas il est utile qu’elles ôtent le peigne de leur chignon pour que les dents du peigne ne leur entrent pas dans la bosse du crâne. — De trébuchet, trappe qui bascule. La forme trabuchet, fréquemment employée, est plus correcte. TRELAS, s. m. — Gros morceau. Un trelas de pain, Le contraire d’une chiquette. TRÉMONTADE, s. f. — Perdre la trémontade, Perdre le tramontane. — Corruption de tramontane. TREMPE, s. f. — 1. Lessive. Proverbe : Fatigué comme un pauvre homme qui coule sa trempe. — Subst. verbal de tremper dans tremper la lessive. 2. Piquette. — De temperare, parce que le marc de raisin est trempé d’eau. TREMPE, adj. des 2 g. — Mouillé. J’ai ma chemise toute trempe. — Sur la formation, voyez arrête. TREMPER, v. a. — Tremper la lessive. Opération qui consiste à faire subir un premier lavage au linge et à le tremper dans l’eau avant de couler le lissieu par-dessus. TREMPOTTE, s. f. — Pain trempé dans du vin. Faire une trempotte. TRENTE-SIX. — Se mettre sur ses trente-six, Prendre ses plus beaux affaires, se mettre en grandissime toilette. Il me semble que ce serait encore plus beau de se mettre sur ses trente-sept, mais je n’ai jamais vu personne le faire. TRÈS. — On ne peut pas dire J’ai très faim, fait remarquer Humbert, car très ne modifie que les adjectifs (et les adverbes). C’est juste, mais en général, car l’expression très homme de bien se rencontre chez des auteurs du xviie siècle, notamment chez Racine. TRÉSORISER, v. n. — Le mot populaire est beaucoup mieux fait que son correspondant savant thésauriser. TRESSAUTER, TRASSAUTER, v. n. — En même chose que ressauter (voy. ce mot). — De sauter, avec le suffixe tra, très, signifiant au travers. — L’idée est de sauts qui passent au travers du corps. TRIAILLES, s. m. pl. — Épluchures, débris. De triailles de truffes, Des épluchures de pommes de terre. — De trier. Comp. curailles. TRIANDINE, s. f. — Outil pour travailler la terre, composé de trois pointes d’acier fixées sur un talon. — De trient (voy. ce mot), avec suffixe ine. TRICOT, s. m. — Le sévère, mais peu juste Molard proscrit l’expression : « J’ai acheté une culotte de tricot, » et veut qu’on dise « une culotte de tricotage ». Hélas, c’est lui qui fait le solécisme ! L’Académie (1798) définit le tricot, une « sorte de tissu fait en mailles ». Donc on peut dire une culotte de cette espèce de tissu. Quant à tricotage, l’Académie le définit : « L’ouvrage d’une personne qui tricote. » Or on ne pourrait dire : « J’ai acheté une culotte de l’ouvrage, etc. » TRICOTER, v. a. — 1. Donner des coups de bâton. M. Tartouilleux a tricoté les épaules à l’amoureux de sa fenne. — De tricot, bâton. 2. Tricoter les cloches, Carillonner. 3. v. n. — Tricoter, Danser, en battant des entrechats, en remuant les jambes avec agilité. — C’est le français tricoter, avec dérivation de sens. On a comparé le mouvement des jambes au mouvement des aiguilles à tricoter. De même, pour 2, on a comparé le mouvement du sonneur à celui du danseur, le sonneur faisant, pour les églises où le carillon était important, manœuvrer un clavier de pédales. TRIENT, s. m. — Pioche à trois dents courtes, qui sert à enlever le fumier des étables. De tridentem. TRIMER, v. n. — Peiner, travailler avec effort, en supportant la fatigue. Je connais un monsieur qui a eu quatorze enfants. Hein, comme vous avez dû trimer ! lui disait quelqu’un. Le fait est que, pour élever tout ça, il y avait de quoi trimer ! — Dérivation du sens de trimer, marcher, qui est français. TRIPES. — Mou comme de tripes. Se dit de quelque chose de peu résistant. Le Pacôme, que voulez-vous que ça fasse ? c’est mou comme de tripes ! Faire de tripes cœur : « C’est le lieu où il faut faire de trippes cœur, comme l’on dit, et vous, qui n’êtes que cœur, pourriez-vous de cœur faire trippes ? Non certes. » (Lettre de 1601, Pericaud, cité par Em. Vingtrinier.) TRIPOTEUR. — Tripoteur est condamné par Humbert qui veut qu’on dise tripotier. Ce dernier est en effet meilleur, mais tripoteur a tellement passé en usage que Littré l’a fait figurer dans son dictionnaire. TROC, s. m. — Gros morceau. Un troc de pain, Un gros morceau de pain. — Peut-être de tort, torc, de tortiare. Comp. un torchon de pain, Un gros morceau de pain ; et le vieux lyonnais torche, Gros pain. TROIS. — Avoir trois demi-sous moins six liards. Manière de dire que l’on n’est pas bien riche. TROIS-CORNETS. — Tout le monde a connu la Fontaine des trois cornets, si célèbre pour l’abondance et la pureté de ses eaux, et qui était rue Saint-Georges. La source a été détournée par le percement du tunnel sous Fourvières. TROIS-PIEDS, s. m. — Ustensile en fer pour placer la marmite sur le feu. — De ce qu’il n’a pas quatre pieds. TROMPETER, v. n. — Molard, avec raison, je crois, dit que l’emploi de ce mot au sens de sonner de la trompette est une incorrection. Littré et Bescherelle admettent cependant cette acception, mais l’Académie est muette. Le mot est trop drôle pour ne pas s’en servir à l’occasion, comme de beaucoup d’autres, mais sans avoir la prétention de parler un français académique. TRONFLON, s. m. — Gros nez. Le tronflon d’Ajax brillait comme un ver luisant parmi de cloportes (Traduction inédite de l’Iliade). — Mot fantaisiste fait sur ronfle (voy. ce mot). TROP (DE), pour Trop. — « Je ne veux pas finir mon japillage en vous parlant politique, il y en a déjà de trop dans les réunions qui débitent leur baume aux ouvriers, qui leur disent que la révolution va venir et que nous serons tous heureux comme des coqs en plâtre. » (Mathevet.) Nous employons souvent le de avec valeur explétive : J’en ai de besoin. Elle a du soin de moi. Je ne l’ai pas vu du depuis, etc. TROTTIN. — Dévotion de saint Trottin, Dévotion des pèlerinages. Se dit aussi de la dévotion des inférieurs ou des jeunes gens qui demandent à sortir sous prétexte d’aller à l’église. C’était une des expressions favorites de ma mère. TROU. — Trou de louve. Voy. louve. Juste comme le doigt au trou. Voy. juste. Boire comme un trou de taupe. En effet, vous pouvez mettre arrosoirs sur arrosoirs dans un trou de taupe, jamais vous ne le voyez gorgé. Le trou que le maçon n’a pas bouché, La porte. J’ai eu vite fait de lui faire prendre le trou que le maçon n’a pas bouché. TROUBLE, s. f. — Sorte de filet pour le poisson. Ne pas confondre avec le franç. truble, trouble, petit filet en forme de poche, qui sert à prendre le poisson dans les viviers. Notre trouble est au contraire un assez grand filet dont l’ouverture, en demi-cercle, est fixée sur un arc en bois et sur une traverse formant la corde de l’arc. Le tout est muni d’un long manche. Il faut trois hommes pour pratiquer la pêche à la trouble. Ce genre de pêche, dont mon père me parlait souvent, a été abandonné depuis cinquante à soixante ans. TROUBLE, adj. des 2 g. — Tenir ses livres en partie trouble. Se dit d’un négociant dont les écritures laissent à désirer pour la bonne tenue. Élégant calembour sur partie double. TROUFIGNON, s. m. — Pouah ! Fignon est probablement une spirituelle approximation pour final, à moins que ce ne soit une spirituelle approximation pour finet, de fin. TROUILLANDIER, s. m. — Le meunier du moulin à huile. — De trouille, avec un suff. andier, par analogie avec dinandier, taillandier. TROUILLE, s. f. — Tourteau de noix qui sert à fumer les vignes. On s’en sert aussi pour la nourriture des chats, mais nous avions remarqué que cela leur faisait venir de la rogne aux oreilles. — Substantif verbal de trouiller. TROUILLÉE, s. f. — Pressée de vin, d’huile, etc. TROUILLER, v. a. — Presser, en parlant du raisin, du chènevis. — De torculare, presser à l’aide du pressoir. TROUSSEAU, s. m. — Molard fait remarquer que c’est par un abus de termes que l’on dit trousseau pour le linge, les langes, et tout ce qui est destiné à un nouveau-né, et qu’il faut dire layette. Ces exigences minutieuses sont assez puériles, d’autant plus que la signification primitive de layette étant caisse, le mot n’est pas bien approprié à des hardes, etc. Préparer une layette pour un nouveau-né, c’est l’analogue de cette phrase : préparer une malle pour la mettre à la lessive. TROUSSE-PETS, s. m. — Se dit d’une fillette de quatorze ou quinze ans. Il est venu un trousse-pets de chez Mme Caléchard pour apporter la cacaruche de Madame. — Pourquoi cette expression ? À cet âge trousse-t-on mieux les choses que plus tôt ou plus tard ? — Je l’ignore. TROUVER. — Quand vous vous trouverez d’aller à Lyon, n’oubliez pas de m’apporter des bésicles. Locution peu académique, mais constamment employée. Je l’ai trouvé sorti. Littré approuve cette façon de parler (!!) Pourtant s’il était sorti, je ne l’ai pas trouvé, sûr ! TRUFFE, s. f. — Pomme de terre. Va-t-en chercher pour deux sous de truffes frites chez le friseur. Même sens en Dauphiné : « Apprête la salade — De truffes avec de choux, » dit Blaise, le savetier. Le brave Molard, toujours bien « documenté », définit notre truffe : « Plante farineuse (!). On l’appelait autrefois ainsi (!!), mais depuis quelque temps (!!!) on la nomme Pomme de terre. » TRUFFIER, s. m., terme très péjoratif. — Se dit de quelque personnage grossier, de sentiments bas. Le Figaro ayant ouvert récemment parmi ses lectrices un plébiscite pour décider quel était la moins flatteuse de ces trois dénominations : Pignouf, pigne-c... et truffier, la grande majorité se prononça pour truffier. — De truffe, au sens français. Truffier, animal à truffes, c’est-à-dire, parlant par respect, un cayon. TUBE, adj. des 2 g. — Être tube, Être gonfle d’avoir trop mangé. Dans un grand diner, la maîtresse de maison : Monsieur Anthénor, prenez donc des truffes frites ! — Anthénor : Ah ! Madame la comtesse, je voudrais bien, mais j’ai déjà mangé tant de gonfle-b... que j’en suis tube ! Les personnes qui tiennent à parler très purement disent : Je suis tubé. — Adj. verbal de tuber. Sur la formation, voy. arrête. TUBER, v. a. — Météoriser, en parlant de bestiaux qui ont mangé du trèfle vert ou mouillé. Se tuber, en parlant des personnes, Manger énormément, de façon à être tout gonfle. TUER. — Il ne faut pas tuer tout ce qui est gras, Pour dire qu’il ne faut pas tout manger en un jour, mais garder quelque chose pour le lendemain. On le dit aussi à propos de toute chose exagérée. Il y a des mères qui forcent leurs enfants au travail. La mienne m’aimait tant que, si elle me voyait travailler avec un peu d’assiduité : Allons, me disait-elle, il ne faut pas tuer tout ce qui est gras, va t’amuser. TUILIÈRE, s. f. — Tuilerie. TUNE, s. f. — Faire la tune, Bambocher, faire la débauche. Subst. verbal de tuner. TUNER, v. n. — Boire abondamment, faire ripaille, se divertir. À propos de ce mot, Cochard dit : « On prétend qu’à l’époque des croisades, on établit, dans l’endroit que les Carmes déchaussés, ont habité à Lyon, des croisés venant de Tunis, qui étaient malades ; que, de là, ce local fut appelé la maison de Thunes ; que, dans la suite, il y eut une auberge où l’on allait souvent se divertir ; que de là est venu le mot tuner pour dire se divertir. » La présence du mot en Lorraine et en Limousin met à néant l’explication qui avait cours au temps de Cochard, et qui a été souvent reproduite. Je crois que l’origine est dans le provençal touno, grande futaille, d’où touner, tuner, boire abondamment. Cependant il faut remarquer que plusieurs dialectes ont la forme tumer, qui pourrait se rapporter au vieux franç. tumer, sauter, danser et dont tuner pourrait être une transformation avec dérivation de sens. TUPIN, s. m. — Pot. Sourd comme un tupin. Voy. sourd. On connait à Lyon la rue Tupin et la rue du Tupin rompu. — Du vieux haut allem. toph, pot. La rue Tupin, spirituel calembour pour désigner l’œsophage. TURLUBERLU, TURLEBRELU, s. m. Hurluberlu, dont il est une corruption. |
Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/143 | {{nr||REVUE. — CHRONIQUE.|139}}quelques hommes de talent et de cœur, qui reconnaîtront bientôt leur erreur, n’affaibliront pas le parti de l’ordre en France. Le pouvoir sera d’autant plus soutenu par le pays qu’il sera plus violemment attaqué, tant est grand en France l’instinct de stabilité et de conservation qui y domine. Le ministère qui a soutenu une si terrible lutte dans la session, a encore une belle tâche à remplir. Il y a un an, il arrêtait l’anarchie, prête à se répandre ; qu’il recommence ses efforts de l’année dernière, et qu’il se présente, à la session prochaine, comme il se présenta à la dernière session, en montrant les partis rentrés dans l’ordre et les esprits pacifiés. La chambre comprendra alors que ce n’est pas un ministère faible que celui qui résiste à des chocs aussi violens, et qui réprime sans réaction, non pas les partis, car nous ne voyons rien qui ressemble à un parti dans ce ramas d’opinions en colère, mais, comme le disait très bien le ''Journal des Débats'', tous les restes des partis mécontens.
La joie de l’opposition, qui s’est jetée sur l’affaire de Belgique comme sur une proie, sera sans doute trompée. La ''Gazette d’Augsbourg'' a beau annoncer une campagne des troupes de la confédération, dans une correspondance venue peut-être de Paris, il paraît certain que l’Angleterre admet qu’une partie du traité des 24{{lié}}articles peut être encore sujette à discussion. La France, ou plutôt la Belgique, n’est donc pas abandonnée, comme on l’a dit, par l’Angleterre, et tant que la France et l’Angleterre s’entendront pour la paix du monde, cette paix ne sera pas troublée.
Toutes les lettres de Londres ne sont pas uniquement remplies des détails du couronnement. Les nôtres nous parlent des chances qui s’ouvrent pour les tories en Angleterre. Le ministère whig qui a l’appui de la reine dans la personne de lord Melbourne, se maintiendra sans doute encore ; mais on peut prévoir les effets de la réaction qui commence en faveur d’idées plus stationnaires, en dépit de la répugnance de la jeune reine pour les tories. Les radicaux eux-mêmes désirent le retour des tories. {{corr|Il|Ils}} espèrent puiser quelque force dans les mécontentemens qu’ils supposent devoir naître d’un ministère tory ; mais ces espérances pourraient ne pas se réaliser de long-temps, car {{corr|le|les}} ''{{lang|en|state and church}}'' ont retrouvé une force qu’ils n’avaient jamais perdue qu’en apparence en Angleterre. Pour la France, le ministère de sir Robert Peel aurait aussi peu de conséquences fâcheuses que le ministère du duc de Wellington, qui reconnut en 1830 le gouvernement de juillet. Le ministère tory subirait les nécessités de l’Angleterre, et l’alliance de la France est une de ces nécessités, comme l’alliance de l’Angleterre en est une pour la France. Le parti tory, en rentrant aux affaires, ne retrouverait pas ce terrain tel qu’il l’a laissé, et là aussi s’élèveront de plus en plus de puissantes nécessités, auxquelles le gouvernement whig ou tory devra obéir. Ainsi, la réforme qui décline évidemment au point de vue politique, gagne du terrain, en Angleterre, du côté de l’administration. À cet égard, il s’opère des changemens considérables, mais dont la portée échappe presque toujours au parti tory, qui les adopte pour n’avoir pas l’air de repousser des améliorations inoffensives. C’est ainsi que la nouvelle législation sur les pauvres, par exemple, a fondé et tend
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Vie, travaux et doctrine scientifique d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire.djvu/200 |
{{T2|CHAPITRE VII.|mb=0}}
{{Centré|ENSEIGNEMENT ET TRAVAUX DIVERS.|sm|m=1em}}
{{Alinéa|{{Lié|[[#I.|I.]] Création}} de la Faculté des sciences de Paris. — Offre faite à Lamarck, et noble refus de celui-ci. — Enseignement de l’anatomie philosophique. — {{Lié|[[#II.|II.]] Collections}} faites en Portugal. — Collaboration au grand ouvrage sur l’Égypte. — Monographies. — {{Lié|[[#III.|III.]] Chambre}} des Cent jours. — Protestation.
{{Centré|(1809 — 1815).}}|1|-1|fs=86%}}
Geoffroy Saint-Hilaire était à peine remonté dans sa chaire du Muséum, qu’il se voyait appelé à en occuper une autre dans l’Université. La Faculté des sciences de Paris venait d’être créée, et le célèbre décret de 1808, prescrivant un cumul que la législation ultérieure n’a fait du moins qu’autoriser, voulait que l’un des deux zoologistes, déjà professeurs au Muséum, devînt aussi le titulaire de la nouvelle chaire de zoologie.
On l’offrit d’abord à Geoffroy Saint-Hilaire. Sa nomination serait, on le lui fit savoir, un témoignage de la satisfaction du Gouvernement, pour sa généreuse conduite en Portugal. Nulles fonctions ne pouvaient mieux lui convenir : il devait y trouver à satisfaire également et ses goûts d’étude, et la seule ambition qu’il eût, celle d’être utile à la science. Pour la seconde fois, en 1809 comme en 1793, une place qu’il eût enviée, s’offrait donc à lui ; pour la seconde fois il voulut la refuser. Ce qu’il avait
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Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/85 |
{{t3
| 2 = CHAPITRE {{rom-maj|III}}
| 1 = {{t|LA MER|80}}
Si on se réfère aux racines homériques, la guerre du Péloponèse est à la fois une ''Iliade'' et une ''Odyssée''. Une ''Iliade'' par son duel d’Athènes et de Sparte, une ''Odyssée'' par sa figure maritime. Et c’est, à la réflexion, ce dernier aspect qui domine, qui lui donne sa plus saisissante analogie avec la guerre de 1914. Elle pose en pleine lumière, avec tous ses traits décisifs, la question de la mer.
Au temps des guerres médiques, la guerre continentale avait été terminée, les questions continentales liquidées, du jour où les Perses avaient été repoussés plus loin que de la Grèce même, au-delà du Bosphore. Lacédémone qui avait pris la tête de cette guerre pensait mettre le point final, déposer le harnais. Il n’en était pas de même de la guerre maritime menée par les Athéniens. Celle-ci ne pouvait que se nourrir d’elle-même, l’activité d’une marine n’ayant pas plus de limites que l’élément sur lequel elle navigue, et qu’engendrer une thalassocratie toujours en quête de tributaires, de comptoirs, de colonies nouvelles. L’inquiétude féconde d’Athènes, l’ardeur perpétuelle à entreprendre, le {{lang|grc|τί νέον ;}} de l’action pareil au {{lang|grc|τί νέον ;}} de la pensée, sont liés à cette destinée maritime.
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Le Littré de la Grand'Côte, éd. 1903.pdf/352 |
'''TUNER''', v. n. — Boire abondamment, faire
ripaille, se divertir. À propos de ce mot,
Cochard dit : « On prétend qu’à l’époque
des croisades, on établit, dans l’endroit
que les Carmes déchaussés, ont habité à
Lyon, des croisés venant de Tunis, qui
étaient malades ; que, de là, ce local fut
appelé la maison de Thunes ; que, dans
la suite, il y eut une auberge où l’on
allait souvent se divertir ; que de là est
venu le mot ''tuner'' pour dire se divertir. »
La présence du mot en Lorraine et en
Limousin met à néant l’explication qui
avait cours au temps de Cochard, et qui
a été souvent reproduite. Je crois que
l’origine est dans le provençal ''touno'',
grande futaille, d’où ''touner'', ''tuner'', boire
abondamment. Cependant il faut remarquer
que plusieurs dialectes ont la forme
''tumer'', qui pourrait se rapporter au vieux
franç. ''tumer'', sauter, danser et dont ''tuner''
pourrait être une transformation avec
dérivation de sens.
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'''TUPIN''', s. m. — Pot. ''Sourd comme un tupin.''
Voy. ''sourd''. On connait à Lyon la rue
''Tupin'' et la rue du ''Tupin rompu''. — Du
vieux haut allem. ''{{lang|de|toph}}'', pot.
''La rue Tupin'', spirituel calembour pour
désigner l’œsophage.
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'''TURLUBERLU, TURLEBRELU''', s. m.
Hurluberlu, dont il est une corruption.
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'''UN, UNE'''. — ''Une heure ont sonné.'' Exemple
de la puissance de l’analogie ! Onze fois
sur douze il faut employer le pluriel (deux,
trois heures, etc., ont sonné). Quoi d’étonnant
à ce que l’habitude le fasse employer
le douzième fois ?
''Sur les une heure.'' Littré donne comme
française cette phrase, que je croyais un
idiotisme populaire. Si l’on peut dire « les
une heure », on doit bien pouvoir dire
que une heure ont sonné.
''Il y a d’uns et d’autres'', Il y a de diverses
espèces. ''Sont-ce des filous, sont-ce des
''honnêtes gens ? — Il y a d’uns et d’autres.''
Je crois cette phrase très correcte.
''L’un dans l’autre'' est français ; mais cette
façon de parler est encore plus bizarre que
toutes les précédentes.
''Ce monsieur est un Italien'' pour
''Ce monsieur est Italien''. On comprend très bien la
raison de l’addition de ''un''. On ne dirait
pas : ''Cette pièce de cinq francs est une
''italienne''. Le ''un'' accuse l’idée de personne.
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'''UN QUELQU’UN'''. — Quelqu’un. Pléonasme
archaïque encore très usité.
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'''URBAIN''', s. m. — Bleu. — De ce que les
gardiens de la paix ont porté dans les
temps le nom de gardes urbains. Or nous
les appelons de tous les noms qu’ils ont
pu avoir jadis, mais jamais de celui qu’ils
ont.
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'''USAGE''', s. m. — Usage du monde, savoir-vivre.
''Ce monsieur n’a gin d’usage.'' Autant
dire : C’est un pacan.
''Faire de l’usage'', Faire un long service.
À ceux qui ont l’habitude de soigner leurs
affaires, il n’est pas étonnant qu’elles
fassent de l’usage. Étant jeune homme
j’avais un gilet à fleurs qui me faisait
seulement sa seconde année. Une jeune
dame eut l’impertinence de me dire : ''Vous
''avez là un gilet qui vous fait bien de l’usage !''
J’avais la langue levée pour lui répondre :
''En effet, Madame, il me fait plus d’usage
''que vous n’en avez.'' Mais je réfléchis que ce
serait n’en point avoir moi-même, et je
fis comme le dinde, qui ne disait rien,
mais n’en pensait pas moins.
''Faire un usage de pauvre.'' Se dit d’une
étoffe ou d’un objet quelconque si résistant
que l’on n’en peut voir la fin. Constamment
employé. — Lorsque l’on voulut
marier {{Mlle}} X..., dont j’ai parlé à ''pitrogner'',
{{Mme}} X... prit sa fille en particulier et lui
fit connaître qu’elle avait jeté les yeux<section end="USAGE"/>
<references/> |
Bachelin - Le Serviteur.djvu/107 | {{nr||LE SERVITEUR|99}}se baisser pour arracher, qu’à étendre le bras
pour cueillir. Tu n’as, toi, qu’à te courber pour
bêcher, qu’à tendre le bras pour arroser. Grâce
au jardin et grâce au champ, grâce à toi qui les
cultives, nous vivons sur nos propres ressources.
Il ne nous manque qu’une grange, qu’une batteuse
et qu’un four pour que nous puissions nous
passer du boulanger.
Mais je n’y songe même pas. Je ne rêve pas
d’une vie différente de celle que je découvre à
mesure que j’y vois plus clair. Elle m’entoure de
tous côtés. Elle épouse exactement tous les
retraits de ma pensée, ou plutôt c’est ma pensée
qui se moule sur elle. Il n’y a pas une défectuosité,
pas un vide. Avec toutes ses dépendances,
avec tous ses compléments, la maison
fonctionne comme une machine parfaite. C’est
toi qui l’as mise au point, qui la surveilles, qui
la diriges. Notre vie ne s’en va pas au hasard,
le long de routes indéterminées. Sur les deux
rails de l’ordre et du travail qui la maintiennent,
elle avance avec une force tranquille. Elle n’est
point haletante. Lorsqu’elle s’arrête, c’est pour
se reposer aux gares des beaux dimanches, par
des matinées claires où le soleil est tout neuf
<references/> |
Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 7.djvu/423 | Maintenant, si l’on repasse des fonctions génératrices à leurs coefficients, et si l’on observe que <math>y_{0,x'}</math> est nul, parce que le joueur <math>\mathrm A</math> perd nécessairement la partie lorsqu’il n’a plus de jetons, l’équation précédente donnera, en repassant des fonctions génératrices aux coefficients.
{{g|<math>y_{x,x'}=\frac{1}{2^xp^{x-1}}</math>}}
{{d|<math>\times\left[\mathrm X^{(x-1)}y_{1,x+x'-1}+\mathrm X^{(x-3)}y_{1,x+x'-3}+\ldots+\mathrm X^{(x-2r-1)}y_{1,x+x'-2r-1}+\ldots\right],</math>|fs=95%}}
{{SA|la série du second membre s’arrêtant lorsque <math>x-2r-1</math> a une valeur négative. <math>\mathrm X^{(x-1)},\mathrm X^{(x-3)},\ldots</math> sont les coefficients de <math>t'^{x-1},t'^{x-3},\ldots</math> dans le développement de la fonction}}
{{g|<math>(i)\qquad \qquad\frac{\left(\cfrac{1}{t'}+\sqrt{\cfrac{1}{t'^2}-4pq}\right)^x-\left(\cfrac{1}{t'}-\sqrt{\cfrac{1}{t'^2}-4pq}\right)^x}{\sqrt{\cfrac{1}{t'^2}-4pq}}.</math>}}
{{SA|Si l’on nomme <math>u'</math> le coefficient de <math>t^x</math> dans le développement de <math>u,\ u'</math> sera une fonction de <math>t'</math> et de <math>x,</math> génératrice de <math>y_{x,x'}.</math> Si l’on nomme pareillement <math>\mathrm T'</math> le coefficient de <math>t</math> dans le développement de <math>u,</math> le produit de <math>\frac{\mathrm T'}{2^xp^{x-1}}</math> par la fonction <math>(i)</math> sera la fonction génératrice du second membre de l’équation précédente ; cette fonction est donc égale à <math>u'.</math> Supposons <math>x=a+b,</math> alors <math>y_{x,x'}</math> devient <math>y_{a+b,x'},</math> et cette quantité est égale à l’unité ; car il est certain que <math>\mathrm A</math> a gagné la partie, lorsqu’il a gagné tous les jetons de <math>\mathrm B\,;\ u'</math> est donc alors la fonction génératrice de l’unité ; or <math>x'</math> est ici zéro ou un nombre pair, car le nombre des coups dans lesquels <math>\mathrm A</math> peut gagner la partie est égal à <math>b</math> plus un nombre pair : en effet, <math>\mathrm A</math> doit pour cela gagner tous les jetons de <math>\mathrm B</math>, et de plus il doit regagner chaque jeton qu’il a perdu, ce qui exige deux coups. Ensuite, <math>n</math> exprimant un nombre de coups dans lequel <math>\mathrm A</math> peut gagner la partie, il est égal à <math>b</math> plus un nombre pair ; <math>x'</math> étant le nombre des coups qui manquent au joueur <math>\mathrm A</math> pour arriver à <math>n,</math> est donc zéro ou un nombre pair. De là il suit que, dans le cas de <math>x=a+b,\ u'</math> devient <math>\frac{1}{1-t'^2}\,;</math> on}}
<references/> |
Lettres de Chopin et de George Sand/texte entier | Frédéric Chopin et George Sand Lettres de Chopin et de George Sand Texte établi par Ronislas-Edouard Sydow, Denise Colfs-Chainaye et Suzanne Chainaye, [Edicions La Cartoixa], 1975 (p. 7-126). bookLettres de Chopin et de George SandFrédéric Chopin et George Sand[Edicions La Cartoixa]1975Palma de MallorcaTChopin et Sand - Lettres, éd. Sydow, Colfs-Chainaye et Chainaye.djvuChopin et Sand - Lettres, éd. Sydow, Colfs-Chainaye et Chainaye.djvu/77-126 Quand, à la fin de 1836, Chopin et George Sand se virent pour la première fois, ils étaient célèbres tous deux depuis plusieurs années. Bien qu’il n’eût alors que vingt-six ans, Chopin avait composé déjà plusieurs de ses œuvres maîtresses : les deux cahiers d’études, la ballade en sol mineur, le premier scherzo, des nocturnes, des polonaises, des mazurkas ; sans oublier les deux concertos. C’était un des musiciens les plus unanimement appréciés dans les milieux les plus divers. Les littérateurs, les poètes, les artistes et le « grand monde » l’admiraient, sinon autant qu’il le méritait, mais du moins avec enthousiasme. Son talent transcendant et original de pianiste subjuguait ses auditeurs et sa présence était désirée, souhaitée, attendue tous les soirs dans les salons les plus célèbres de l’époque. Par le prestige de son art si neuf, si sincère, par son élégance aussi, il faut le dire, ce beau jeune homme était un des rois, ou pour parler le langage du temps, un des lions de Paris. De plus n’était-il pas Polonais en ce temps où l’on plaignait tant l’infortunée Pologne ? C’est dire qu’il charmait le cœur de multiples admiratrices et s’attirait beaucoup d’envieux ; ce dont il ne tirait nulle vanité du reste. Bien que conscient de sa valeur, Chopin était dénué de prétention ; son esprit, sa gaîté, son aimable caractère en faisaient un compagnon des plus agréables. George Sand avait conquis une renommée éclatante par des romans très vite fameux : Indiana, Lélia, Jacques. La Revue des Deux Mondes publiait ses ouvrages dont les péripéties étaient suivies avec curiosité, avec passion par une foule de lecteurs. Bref, George était, à trente-deux ans, la femme la plus célèbre de France. Elle n’était d’ailleurs pas sans charme, et ses grands yeux noirs, ses yeux de velours mat avaient commis bien des ravages. Sandeau, Musset, le docteur Pagello, Prosper Mérimée, Michel de Bourges — pour ne citer que les noms les plus connus — s’étaient, de 1830 à 1836, succédés dans la vie de cette ennemie du mariage. Aurore Dupin, baronne Dudevant, dite George Sand, avait deux enfants : Maurice, fils du mari, du banal baron Casimir Dudevant, et Solange, fille — on le sait à présent — de Stéphane Ajasson de Grandsagne, le gentilhomme berrichon qui fut peut-être le premier amant de la future romancière. Mais l’aventure n’était pas connue et Solange passait, elle aussi, pour un enfant de Casimir. En septembre 1836, Chopin, pendant un séjour à Dresde, se fiança a une jeune Polonaise, Marie Wodzinska, dont il s’était épris l’année précédente. Marie était la sœur d’anciens condisciples de Frédéric : Antoine, Casimir et Félix Wodzinski. C’était une charmante et rieuse jeune fille aux longs cheveux noirs, aux yeux noirs aussi. Mme Wodzinska — la mère — exigea que les fiançailles fussent d’abord secrètes, ce qui tourmenta et inquiéta cruellement le grand artiste. Quand Chopin rencontra George Sand en 1836, il avait le cœur plein et illuminé par son grand et sincère amour pour la jeune Polonaise. Puis, durant l’été de 1837, les Wodzinski rompirent les fiançailles... Un immense chagrin s’empara du jeune homme, et aussi une sourde et légitime colère. Sous l’impulsion de cette révolte, il composa le sublime scherzo en si bémol mineur. Coup de foudre. Comment employer d’autres termes pour caractériser l’impression que produisit Chopin sur l’auteur de Lélia ? On en trouvera la preuve dans le présent ouvrage. Ce sentiment ne devait d’ailleurs pas empêcher la romancière de nouer parallèlement d’autres intrigues amoureuses. Mais on peut dire qu’elle songea à Chopin dès 1836 avant d’entrer — définitivement — dans la vie du grand musicien, deux ans plus tard. Toutefois, si Aurore fut incontestablement la passion dominante de la vie de Frédéric, celui-ci sembla, au début de la liaison, subir plutôt le brûlant amour de cette femme à laquelle il devait bientôt s’attacher de toutes ses forces et de toute son âme. Autour des deux héros ont gravité à cette époque bien des personnages de second plan, intéressant à plus d’un titre. Voici d’abord la confidente de la romancière : la comtesse Marliani, née de Folleville. Charlotte, dite Carlotta Marliani, avait épousé un Espagnol dont la mère était Italienne : le comte Manoël Marliani, consul d’Espagne à Paris. Chopin, dans cette période angoissée de sa vie, eut, pour conseiller sentimental, son vieil ami, le comte Albert Grzymala, un exilé de Pologne à l’âme élevée et au caractère aimable. Frédéric avait deux autres amis très chers : le docteur Jean Matuszynski, dit Jeannot, dit Jasio, dit Janek, et le pianiste Julien Fontana. Rien de plus fraternel que le dévouement dont se donnèrent mutuellement preuve Chopin, Matuszynski, Fontana et Grzymala. Julien Fontana qui, durant le voyage à Majorque, fut le fidèle correspondant du grand compositeur, devait beaucoup à son génial ami. Ancien condisciple de Frédéric au Conservatoire de Varsovie, Julien avait un caractère sombre, inquiet et susceptible. Chopin s’efforça toujours d’encourager, de distraire son cher Julien et il l’aida dans sa vie matérielle. Marie d’Agoult, la célèbre maîtresse de Liszt, apparaît ici sous un jour fort peu favorable. Elle avait pris ombrage de la liaison de George Sand et de Chopin et elle cribla les deux amants des traits de sa spirituelle méchanceté. Dans les pages réunies plus loin, ce sont les deux héros eux-mêmes qui, en narrant chacun à son confident les débuts de leurs amours, puis les péripéties du célèbre voyage, nous révèleront le fond de leur cœur et nous emmèneront avec eux à Majorque, dans cette île d’or dont l’une des plus saisissantes merveilles est, certes, la prestigieuse Chartreuse de Valldemosa. Denise Colfs-Chainaye et Suzanne Chainaye. FRÉDÉRIC CHOPIN (Dessin au crayon de Gölzenberger, octobre 1838) PREMIÈRE APPARITION DE GEORGE SAND DANS LA CORRESPONDANCE DE CHOPIN [1836.] [...] J’ai fait la connaissance d’une grande célébrité : Madame Dudevant, connue sous le nom de George Sand ; mais son visage ne m’est pas sympathique et ne m’a pas plu du tout. Il y a même en elle quelque chose qui m’éloigne. [...] [sur une carte de visite]. [Paris s. d.] Mon âme, où habite Brzowski ? [Paris, 13 décembre 1836]. Je reçois aujourd’hui quelques personnes, entre autres Madame Sand. De plus, Liszt jouera et Nourrit chantera. Si cela peut être agréable à Monsieur Brzowski, je l’attendrai ce soir. Paris, le 26 mars 1837. [...] Chopin tousse avec une grâce infinie.[...] Paris, 8 avril 1837. [...] Chopin est l’homme irrésistible ; il n’y a chez lui que la toux de permanent [...] [Paris, mai 1837]. [...] Je vais peut-être aller passer quelques jours chez George Sand, mais cela ne retardera pas l’envoi de ton argent car, pour ces trois jours, je laisserai des instructions à Jeannot. Nohant, 2 janvier 1838. Bonsoir, bonne et charmante princesse, bonsoir, cher Crétin du Valais. N’oubliez pas Piffoël qui dépose à vos pieds son cœur, son cigare et les vestiges de sa robe de chambre écarlate. Piffoël ira peut-être à Paris à la fin de janvier, surtout si on célèbre une seconde fois, comme les journaux l’ont annoncé, la Messe de Berlioz. Piffoël serrera de grand cœur la main à Sopin à cause de Crétin et aussi à cause de Sopin [sic], because Sopin is veri zentil. Piffoël beseaches Fellow not to read Dernière Aldini but to read next production wich is much better and not yet finished. Piffoël vous presse dans ses bras et vous prie de l’aimer, après vous each other s’il en reste. [avril ou mai 1838]. Mon cher Lacroix, Je pars demain à cinq heures du matin, je voudrais bien ne pas partir sans vous dire adieu, sans vous parler de Medée, qui est une chose magnifique, superbe, déchirante ; décidément, vous êtes un fameux barbouilleur ! Pour vous décider à venir ce soir, je vous dirai que Chopin nous joue du piano en petit comité, les coudes sur le piano, et c’est alors qu’il est vraiment sublime. Venez à minuit si vous n’êtes pas trop dormeur, et si vous rencontrez des gens de ma GEORGE SAND connaissance, ne le leur dites pas car Chopin a une peur affreuse des Welches. Adieu, si vous ne venez pas, souvenez vous de m’aimer un peu. George On vous adore George et moi aussi ! et moi aussi ! et moi aussi !!! Marie Dorval [Nohant, le 23 mai 1838]. Chère belle, j’ai reçu vos bonnes lettres et je tarde à vous répondre à fond parce que vous savez que le temps est variable dans la saison des amours (style Dorat). On dit beaucoup de oui, de non, de si, de mais dans une semaine, et souvent on dit le matin : décidément ceci est intolérable, pour dire le soir : en vérité c’est le bonheur suprême. J’attends donc pour vous écrire tout de bon que mon baromètre marque quelque chose sinon de stable du moins de certain pour un temps quelconque. Je n’ai pas le plus petit reproche à faire mais ce n’est pas une raison pour être contente. Aujourd’hui je ne vous écris qu’un billet pour vous dire que je vous aime, que j’ai besoin que vous m’écriviez, que vous pensiez à moi, que vous vous occupiez de moi. Cette idée me donne de la force et m’empêche de retomber dans mes exagérations de désespoir sombre, bête et spleenitique. Ma pauvre vieille Sophie [Cramer] est très malade, m’écrit-on. Vous qui êtes la Madone des affligés et la patronne des malheureux, vous la secourrez, n’est-ce pas, chère bonne, et veillerez à ce qu’elle ne manque de rien. C’est une bien bonne créature qui m’aime tendrement. Permettez-moi aussi de vous demander un moyen d’envoyer chez Buloz. Il a mille francs à me remettre sur lesquels j’en dois cinq cents pour des emplettes que j’ai fait faire par le jeune Mallefille ; en outre Sophie a dépensé 182 francs environ pour la caisse qu’elle m’a envoyée dernièrement (et où, par parenthèse, j’ai trouvé mes walzes dont je vous rends mille grâces). Je crains que d’un côté Mr Léonce Mallefille ne soit gêné pour le payement, et que, de l’autre, Sophie ne soit à sec. Ayez donc la bonté, chère, d’envoyer chez Buloz, rue des Beaux-arts, 10, afin que l’argent soit chez Sophie où Mr Léonce ira prendre 500 Frs. Quant au reste, 318 francs, j’enverrai chez Sophie mon roulier Mornand que vous connaissez, chère bonne, et à qui je dois 300 francs. Je l’enverrai muni d’un billet de moi, et si Sophie était trop malade pour s’occuper de ces payements, veuillez en charger Enrico. On ira à votre domicile, ainsi il n’y a personne à déplacer, si ce n’est pour faire payer Buloz qui n’est jamais pressé d’envoyer. Adieu, pardon mille fois, chère amie, de vous charger de pareilles choses. Je n’ai pas le moyen d’aller à Paris encore, je ne réponds donc pas à vos questions sur mon établissement. Merci mille fois de vos offres, il me serait doux d’en profiter ! George [Paris, 1838]. Mon très cher, Je dois absolument te voir aujourd’hui, serait-ce même pendant la nuit... à minuit ou à une heure du matin. Ne crains aucun embarras pour toi, mon chéri ; tu sais que j’ai toujours su estimer ton cœur. Il s’agit d’un conseil que j’ai à te demander. Ton Ch. [Nohant, juin 1838]. Jamais il ne peut m’arriver de douter de la loyauté de vos conseils, cher ami ; qu’une pareille crainte ne vous vienne jamais. Je crois à votre évangile sans bien le connaître et sans l’examiner, parce que du moment qu’il a un adepte comme vous, il doit être le plus sublime de tous les évangiles. Soyez béni pour vos avis et soyez en paix pour mes pensées. Posons nettement la question une dernière fois, parce que de votre dernière réponse sur ce sujet dépendra toute ma conduite à venir, et puisqu’il fallait en arriver là, je suis fâchée de ne pas avoir surmonté la répugnance que j’éprouvais à vous interroger à Paris. Il me semblait que ce que j’allais apprendre pâlirait mon poème. Et, en effet, le voilà qui a rembruni, ou plutôt qui pâlit beaucoup. Mais qu’importe ! Votre évangile est le mien quand il prescrit de songer à soi en dernier lieu, et de n’y pas songer du tout quand le bonheur de ceux que nous aimons réclame toutes nos puissances. Écoutez-moi bien et répondez clairement, catégoriquement, nettement. Cette personne qu’il veut, ou croit devoir aimer, est-elle propre à faire son bonheur, ou bien doit-elle augmenter ses souffrances et ses tristesses ? Je ne demande pas s’il l’aime, s’il en est aimé, si c’est plus ou moins que moi. Je sais à peu près, par ce qui se passe en moi, ce qui doit se passer en lui. Je demande à savoir laquelle de nous deux il faut qu’il oublie ou abandonne pour son repos, pour son bonheur, pour sa vie enfin, qui me paraît trop chancelante et trop frêle pour résister à de grandes douleurs. Je ne veux pas faire le rôle de mauvais ange. Je ne suis pas le Bertram de Meyerbeer et je ne lutterai point contre l’amie d’enfance si c’est une belle et pure Alice ; si j’avais su qu’il y eût un lien dans la vie de notre enfant, un sentiment dans son âme, je ne me serais jamais penchée pour respirer un parfum réservé à un autre autel. De même, lui sans doute se fût éloigné de mon premier baiser s’il eût su que j’étais comme mariée. Nous ne nous sommes point trompés l’un l’autre, nous nous sommes livrés au vent qui passait et qui nous a emportés tous deux dans une autre région pour quelques instants. Mais il n’en faut pas moins que nous redescendions ici-bas, après cet embrassement céleste et ce voyage à travers l’Empyrée. Pauvres oiseaux, nous avons des ailes, mais notre nid est sur la terre et quand le chant des anges nous appelle en haut, le cri de notre famille nous ramène en bas. Moi, je ne veux point m’abandonner à la passion, bien qu’il y ait au fond de mon cœur un foyer encore bien menaçant parfois. Mes enfants me donneront la force de briser tout ce qui m’éloignerait d’eux ou de la manière d’être qui est la meilleure pour leur éducation, leur santé, leur bien être, etc. Ainsi je ne puis pas me fixer à Paris à cause de la maladie de Maurice, etc..., etc... Puis il y a un être excellent, parfait sous le rapport du cœur et de l’honneur, que je ne quitterai jamais parce que c’est le seul homme qui, étant avec moi depuis près d’un an, ne m’ait pas une seule fois, une seule minute, fait souffrir par sa faute. C’est aussi le seul homme qui se soit donné entièrement et absolument à moi, sans regret pour le passé, sans réserve pour l’avenir. Puis, c’est une si bonne et si sage nature, que je ne puisse l’amener avec le temps à tout comprendre, à tout savoir ; c’est une cire malléable sur laquelle j’ai posé mon sceau et quand je voudrai en changer l’empreinte, avec quelque précaution et quelque patience j’y réussirai. Mais aujourd’hui cela ne se pourrait pas, et son bonheur m’est sacré. Voilà donc pour moi ; engagée comme je le suis, enchaînée d’assez près pour des années, je ne puis désirer que notre petit rompe de son côté les chaînes qui le lient. S’il venait mettre son existence entre mes mains, je serais bien effrayée, car en ayant accepté une autre, je ne pourrais lui tenir lieu de ce qu’il aurait quitté pour moi. Je crois que notre amour ne peut durer que dans les conditions où il est né, c’est-à-dire que de temps en temps, quand un bon vent nous ramènera l’un vers l’autre, nous irons encore faire une course dans les étoiles et puis nous nous quitterons pour marcher à terre, car nous sommes des enfants de la terre et Dieu n’a pas permis que nous y accomplissions notre pèlerinage côte à côte. C’est dans le ciel que nous devons nous rencontrer, et les instants rapides que nous y passerons seront si beaux, qu’ils vaudront toute une vie passée ici-bas. Mon devoir est donc tout tracé. Mais je puis, sans jamais l’abjurer, l’accomplir de deux manières différentes : l’une serait de me tenir le plus éloignée que possible de C[hopin], de ne point chercher à occuper sa pensée, de ne jamais me retrouver seule avec lui ; l’autre serait au contraire de m’en rapprocher autant que possible sans compromettre la sécurité de M[allefille], de me rappeler doucement à lui dans ses heures de repos et de béatitude, de le serrer chastement dans mes bras quelquefois, quand le vent céleste voudra bien nous enlever et nous promener dans les airs. La première manière sera celle que j’adopterai si la personne est faite pour lui donner un bonheur pur et vrai, pour l’entourer de soins, pour arranger, régulariser et calmer sa vie, si enfin il s’agit pour lui d’être heureux par elle et que j’y sois un empêchement ; si son âme excessivement, peut-être follement, peut-être sagement scrupuleuse, se refuse à aimer deux êtres différents de deux manières différentes, si les huit jours que je passerai avec lui dans une saison doivent l’empêcher d’être heureux, dans son intérieur, le reste de l’année ; alors, oui, alors je vous jure que je travaillerai à me faire oublier de lui. La seconde manière, je la prendrai si vous me dites de deux choses l’une : ou que son bonheur domestique peut et doit s’arranger avec quelques heures de passion chaste et de douce poésie, ou que le bonheur domestique lui est impossible, et que le mariage ou quelque union qui y ressemblât serait le tombeau de cette âme d’artiste ; qu’il faut donc l’en éloigner à tout prix et l’aider même à vaincre ses scrupules religieux. C’est un peu là — je dirai où — que mes conjectures aboutissent. Vous me direz si je me trompe ; je crois la personne charmante, digne de tout amour, et de tout respect, parce qu’un être comme lui ne peut aimer que le pur et le beau. Mais je crois que vous redoutez pour lui le mariage, le lien de tous les jours, la vie réelle, les affaires, les soins domestiques, tout ce qui, en un mot, semble éloigné de sa nature et contraire aux inspirations de sa muse. Je le craindrais aussi pour lui ; mais à cet égard je ne puis rien affirmer et rien prononcer parce qu’il y a bien des rapports sous lesquels il m’est absolument inconnu. Je n’ai vu que la face de son être qui est éclairée par le soleil. Vous fixerez donc mes idées sur ce point. Il est de la plus haute importance que je sache bien sa position afin d’établir la mienne. Pour mon goût, j’avais arrangé notre poème dans ce sens, que je ne saurais rien, absolument rien de sa vie positive, ni lui rien de la mienne, qu’il suivrait toutes ses idées religieuses, mondaines, poétiques, artistiques, sans que j’eusse jamais à lui en demander compte, et réciproquement, mais que partout, en quelque lieu et à quelque moment de notre vie que nous vinssions à nous rencontrer, notre âme serait à son apogée de bonheur et d’excellence. Car, je n’en doute pas, on est meilleur quand on aime d’un amour sublime, et loin de commettre un crime, on s’approche de Dieu, source et foyer de cet amour. C’est peut-être là, en dernier ressort, ce que vous devriez tâcher de lui faire comprendre, mon ami, et ne contrariant pas ses idées de devoir, de dévouement et de sacrifice religieux, vous mettriez peut-être son cœur plus à l’aise. Ce que je craindrais le plus au monde, ce qui me ferait le plus de peine, ce qui me déciderait même à me faire morte pour lui, ce serait de me voir devenir une épouvante et un remords dans son âme ; non, je ne puis (à moins qu’elle ne soit funeste pour lui en dehors de moi) me mettre à combattre l’image et le souvenir d’une autre. Je respecte trop la propriété pour cela, ou plutôt c’est la seule propriété que je respecte. Je ne veux voler personne à personne excepté les captifs aux geôliers et les victimes aux bourreaux, et la Pologne a la Russie ; par conséquent, dites-moi si c’est une Russie dont l’image poursuit notre enfant ; alors je demanderai au ciel de me prêter toutes les séductions d’Armide pour l’empêcher de s’y jeter ; mais si c’est une Pologne, laissez-le faire. Il n’y a rien de tel qu’une patrie, et quand on en a une, il ne faut pas s’en faire une autre. Dans ce cas, je serai pour lui comme une Italie, qu’on va voir, où l’on se plaît aux jours du printemps, mais où l’on ne reste pas, parce qu’il y a plus de soleil que de lits et de tables et que le confortable de la vie est ailleurs. Pauvre Italie ! Tout le monde y songe, la désire ou la regrette ; personne n’y peut demeurer, parce qu’elle est malheureuse et ne saurait donner le bonheur qu’elle n’a pas. Il y a une dernière supposition qu’il est bon que je vous dise. Il serait possible qu’il n’aimât plus du tout l’amie d’enfance et qu’il eût une répugnance réelle pour un lien à contracter, mais que le sentiment du devoir, l’honneur d’une famille, que sais-je ? lui commandassent un rigoureux sacrifice de lui-même. Dans ce cas-là, mon ami, soyez son bon ange ; moi, je ne puis guère m’en mêler ; mais vous le devez ; sauvez-le des arrêts trop sévères de sa conscience, sauvez-le de sa propre vertu, empêchez-le à tout prix de s’immoler, car dans ces sortes de choses (s’il s’agit d’un mariage ou de ces unions qui, sans avoir la même publicité, ont la même force d’engagement et la même durée), dans ces sortes de choses, dis-je, le sacrifice de celui qui donne son avenir n’est pas en raison de ce qu’il a reçu dans le passé. Le passé est une chose appréciable et limitée ; l’avenir, c’est l’infini parce que c’est l’inconnu. L’être qui, en retour d’une certaine somme connue de dévouement, exige le dévouement de toute une vie future, demande une chose inique, et si celui à qui on le demande est bien embarrassé pour défendre ses droits en satisfaisant à la générosité et à l’équité, c’est à l’amitié qu’il appartient de le sauver et d’être juge absolu de ses droits et de ses devoirs. Soyez ferme à cet égard, et soyez sûr que moi qui déteste les séducteurs, moi qui prends toujours parti pour les femmes outragées et trompées, moi qu’on croit l’avocat de mon sexe et qui me pique de l’être, quand il faut, j’ai cependant rompu de mon autorité de sœur et de mère et d’amie plus d’un engagement de ce genre. J’ai toujours condamné la femme quand elle voulait être heureuse au prix du bonheur de l’homme ; j’ai toujours absous l’homme quand on lui demandait plus qu’il n’est donné à la liberté et à la dignité humaine d’engager. Un serment d’amour et de fidélité est un crime ou une lâcheté quand la bouche prononce ce que le cœur désavoue, et on peut tout exiger d’un homme excepté une lâcheté et un crime. Hors ce cas-là, mon ami, c’est-à-dire hors le cas où il voudrait accomplir un sacrifice trop rude, je pense qu’il ne faut pas combattre ses idées, et ne pas violenter ses instincts. Si son cœur peut, comme le mien, contenir deux amours différents, l’un qui est pour ainsi dire le corps de la vie, l’autre qui en sera l’âme, ce sera le mieux, parce que notre situation sera à l’avenant de nos sentiments et de nos pensées. De même qu’on n’est pas tous les jours sublime, on n’est pas tous les jours heureux. Nous ne nous verrons pas tous les jours, nous ne posséderons pas tous les jours le feu sacré, mais il y aura de beaux jours et de saintes flammes. Il faudrait peut-être aussi songer à lui dire ma position à l’égard de M[allefille]. Il est à craindre que, ne la connaissant pas, il ne se crée à mon égard une sorte de devoir qui le gêne et vienne à combattre l’autre douloureusement. Je vous laisse absolument le maître et l’arbitre de cette confidence ; vous la ferez si vous jugez le moment opportun, vous la retarderez si vous croyez qu’elle ajouterait à des souffrances trop fraîches. Peut-être l’avez-vous déjà faite. Tout ce que vous avez fait ou ferez, je l’approuve et le confirme. Quant à la question de possession ou de non-possession, cela me paraît une question secondaire à celle qui nous occupe maintenant. C’est pourtant une question importante par elle-même, c’est toute la vie d’une femme, c’est son secret le plus cher, sa théorie la plus étudiée, sa coquetterie la plus mystérieuse. Moi, je vous dirai tout simplement, à vous, mon frère et mon ami, ce grand mystère sur lequel tous ceux qui prononcent mon nom font de si étranges commentaires. C’est que je n’ai là-dessus ni secret, ni théorie, ni doctrines, ni opinion arrêtée, ni parti-pris, ni prétention de puissance, ni singerie de spiritualisme, rien enfin d’arrangé d’avance et pas d’habitude prise et, je crois, pas de faux principes, soit de licence, soit de retenue. Je me suis beaucoup fiée à mes instincts qui ont toujours été nobles ; je me suis quelquefois trompée sur les personnes, mais jamais sur moi-même. J’ai beaucoup de bêtises à me reprocher, pas de platitudes ni de méchancetés. J’entends dire beaucoup de choses sur les questions de morale humaine, de pudeur et de vertu sociale. Tout cela n’est pas encore clair pour moi. Aussi n’ai-je jamais conclu à rien. Je ne suis pourtant pas insouciante là-dessus ; je vous confesse que le désir d’accorder une théorie quelconque avec mes sentiments a été la grande douleur de ma vie. Les sentiments ont toujours été plus forts que les raisonnements et les bornes que j’ai voulu me poser ne m’ont jamais servi à rien. J’ai changé vingt fois d’idée. J’ai cru par dessus tout à la fidélité, je l’ai prêchée, je l’ai pratiquée, je l’ai exigée. On y a manqué et moi aussi. Et pourtant je n’ai pas senti le remords, parce que j’avais toujours subi dans mes infidélités une sorte de fatalité, un instinct de l’idéal, qui me poussait à quitter l’imparfait pour ce qui me semblait se rapprocher du parfait. J’ai connu plusieurs sortes d’amour : Amour d’artiste, amour de femme, amour de sœur, amour de mère, amour de religieuse, amour de poète, que sais-je ? Il y en a qui sont nés et morts en moi le même jour, sans s’être révélés à l’objet qui les inspirait. Il y en a qui ont martyrisé ma vie et qui m’ont poussée au désespoir, presque à la folie. Il y en a qui m’ont tenue cloîtrée durant des années dans un spiritualisme excessif. Tout cela a été parfaitement sincère. Mon être entrait dans ces phases diverses comme le soleil, disait Sainte-Beuve, entre dans les signes du Zodiaque. À qui m’aurait suivie en voyant la superficie, j’aurais semblé folle ou hypocrite ; à qui m’a suivie, en lisant au fond de moi, j’ai semblé ce que je suis en effet, enthousiaste du beau, affamée du vrai, très sensible de cœur, très faible de jugement, souvent absurde, toujours de bonne foi, jamais petite ni vindicative, assez colère et, grâce à Dieu, parfaitement oublieuse des mauvaises choses et des mauvaises gens. Voilà ma vie, cher ami, vous voyez qu’elle n’est pas fameuse. Il n’y a rien à admirer, beaucoup à plaindre, rien à condamner par les bons cœurs. J’en suis sûre, ceux qui m’accusent d’avoir été mauvaise en ont menti, et il me serait bien facile de le prouver, si je voulais me donner la peine de me souvenir et de raconter ; mais cela m’ennuie et je n’ai [pas] plus de mémoire que de rancune. Jusqu’ici j’ai été fidèle à ce que j’ai aimé, parfaitement fidèle en ce sens que je n’ai jamais trompé personne et que je n’ai jamais cessé d’être fidèle sans de très fortes raisons, qui avaient tué l’amour en moi par la faute d’autrui. Je ne suis pas d’une nature inconstante. Je suis au contraire si habituée à aimer exclusivement qui m’aime bien, si peu facile à m’enflammer, si habituée à vivre avec des hommes sans songer que je suis femme, que vraiment j’ai été un peu confuse et un peu consternée de l’effet que m’a produit ce petit être. Je ne suis pas encore revenue de mon étonnement et, si j’avais beaucoup d’orgueil, je serais très humiliée d’être tombée en plein dans l’infidélité du cœur, au moment de ma vie où je me croyais à tout jamais calme et fixée. Je crois que ce serait mal si j’avais pu prévoir, raisonner et combattre cette irruption ; mais j’ai été envahie tout à coup, et il n’est pas dans ma nature de gouverner mon être par la raison quand l’amour s’en empare. Je ne me fais donc pas de reproche, mais je constate que je suis encore très impressionnable et plus faible que je ne croyais. Peu m’importe, je n’ai guère de vanité ; ceci me prouve que je dois n’en avoir pas du tout et ne jamais me vanter de rien, en fait de vaillance et de force. Cela ne m’attriste que parce que voilà ma belle sincérité, que j’avais pratiquée si longtemps et dont j’étais un peu fière, entamée et compromise. Je vais être forcée de mentir comme les autres. Je vous assure que ceci est plus mortifiant pour mon amour-propre qu’un mauvais roman ou une pièce sifflée ; j’en souffre un peu : cette souffrance est un reste d’orgueil peut-être ; peut-être est-ce une voix d’en haut qui me crie qu’il fallait veiller davantage à la garde de mes yeux et de mes oreilles, et de mon cœur surtout. Mais si le ciel nous veut fidèles aux affections terrestres, pourquoi laisse-t-il quelquefois les anges s’égarer parmi nous et se présenter sur notre chemin ? La grande question de l’amour est donc encore soulevée en moi ! Pas d’amour sans fidélité, disais-je, il y a deux mois, et il est bien certain, hélas ! que je n’ai plus senti la même tendresse pour ce pauvre M[allefille] en le retrouvant. Il est certain que depuis qu’il est retourné à Paris (vous devez l’avoir vu), au lieu d’attendre son retour avec impatience et d’être triste loin de lui, je souffre moins et respire plus à l’aise. Si je croyais que la vue fréquente de C[hopin] dût augmenter ce refroidissement, je sens qu’il y aurait pour moi devoir à m’en abstenir. Voilà où je voulais [en] venir, c’est à vous parler de cette question de possession, qui constitue dans certains esprits toute la question de fidélité. Ceci est, je crois, une idée fausse ; on peut-être plus ou moins infidèle ; mais quand on a laissé envahir son âme et accordé la plus simple caresse avec le sentiment de l’amour, l’infidélité est déjà consommée, et le reste est moins grave, car qui a perdu le cœur a tout perdu. Il vaudrait mieux perdre le corps et garder l’âme tout entière. Ainsi, en principe, je crois qu’une consécration complète du nouveau lien n’aggrave pas beaucoup la faute ; mais, en fait, il est possible que l’attachement devienne plus humain, plus violent, plus dominant, après la possession. C’est même probable, c’est même certain. Voilà pourquoi, quand on veut vivre ensemble, il ne faut pas faire outrage à la nature et à la vérité, en reculant devant une union complète ; mais quand on est forcé de vivre séparés, sans doute il est de la prudence, par conséquent il est du devoir et de la vraie vertu (qui est le sacrifice) de s’abstenir, je n’avais pas encore réfléchi à cela sérieusement et, s’il l’eût demandé à Paris, j’aurais cédé, par suite de cette droiture naturelle qui me fait haïr les précautions, les restrictions, les distinctions fausses et les subtilités, de quelque genre qu’elles soient Mais votre lettre me fait penser à couler à fond cette résolution-là. Puis, ce que j’ai éprouvé de trouble et de tristesse en retrouvant les caresses de M[allefille], ce qu’il m’a fallu de courage pour le cacher, m’est aussi un avertissement. Je suivrai donc votre conseil, cher ami. Puisse ce sacrifice être une sorte d’expiation de l’espèce de parjure que j’ai commis. Je dis sacrifice, parce qu’il me sera pénible de voir souffrir cet ange. Il a eu jusqu’ici beaucoup de force ; mais je ne suis pas un enfant. Je voyais bien que la passion humaine faisait en lui des progrès rapides et qu’il était temps de nous séparer. Voilà pourquoi, la nuit qui a précédé mon départ, je n’ai pas voulu rester avec lui et que je vous ai presque renvoyés. Et puisque je vous dis tout, je veux vous dire qu’une seule chose en lui m’a déplu, c’est qu’il avait eu lui-même de mauvaises raisons pour s’abstenir. Jusque là, je trouvais beau qu’il s’abstînt par respect pour moi, par timidité, même par fidélité pour une autre. Tout cela était du sacrifice et par conséquent de la force et de la chasteté bien entendues. C’était là ce qui me charmait et me séduisait le plus en lui. Mais chez vous, au moment de nous quitter, et comme il voulait surmonter une dernière tentation, il m’a dit deux ou trois paroles qui n’ont pas répondu à mes idées. Il semble faire fi, à la manière des dévots, des grossièretés humaines et rougir des tentations qu’il avait eues, et craindre de souiller notre amour par un transport de plus. Cette manière d’envisager le dernier embrassement de l’amour m’a toujours répugné. Si ce dernier embrassement n’est pas une chose aussi sainte, aussi pure, aussi dévouée que le reste, il n’y a pas de vertu à s’en abstenir. Ce mot d’amour physique dont on se sert pour exprimer ce qui n’a de nom que dans le ciel, me déplaît et me choque, comme une impiété et comme une idée fausse en même temps. Est-ce qu’il peut y avoir, pour les natures élevées, un amour purement physique et, pour des natures sincères, un amour purement intellectuel ? Est-ce qu’il y a jamais d’amour sans un seul baiser et un baiser d’amour sans volupté ? Mépriser la chair ne peut être sage et utile qu’avec les êtres qui ne sont que chair ; mais avec ce qu’on aime, ce n’est pas du mot mépriser, mais du mot respecter, qu’il faut se servir quand on s’abstient. Au reste, ce ne sont pas là les mots dont il s’est servi. Je ne me les rappelle pas bien. Il a dit, je crois, que certains faits pouvaient gâter le souvenir. N’est-ce pas, c’est une bêtise qu’il a dite, et il ne le pense pas ? Quelle est donc la malheureuse femme qui lui a laissé de l’amour physique de pareilles impressions ? Il a donc eu une maîtresse indigne de lui ? Pauvre ange. Il faudrait pendre toutes les femmes qui avilissent aux yeux des hommes la chose la plus respectable et la plus sainte de la création, le mystère divin, l’acte de la vie le plus sérieux et le plus sublime dans la vie universelle. L’aimant embrasse le fer, les animaux s’attachent les uns aux autres par la différence des sexes. Les végétaux obéissent à l’amour, et l’homme, qui seul sur ce monde terrestre a reçu de Dieu le don de sentir divinement ce que les animaux, les plantes et les métaux sentent matériellement, l’homme chez qui l’attraction électrique se transforme en une attraction sentie, comprise, intelligente, l’homme seul regarde ce miracle qui s’accomplit simultanément dans son âme et dans son corps comme une misérable nécessité, et il en parle avec mépris, avec ironie ou avec honte ! Cela est bien étrange. Il est résulté de cette manière de séparer l’esprit de la chair qu’il a fallu des couvents et des mauvais lieux. Voici une lettre effrayante. Il vous faudra six semaines pour la déchiffrer. C’est mon ultimatum. S’il est heureux ou doit être heureux par elle, laissez-le faire. S’il doit être malheureux, empêchez-le. S’il peut être heureux par moi sans cesser de l’être par elle, moi je puis faire de même de mon côté. S’il ne peut être heureux par moi sans être malheureux avec elle, il faut que nous nous évitions et qu’il m’oublie. Il n’y a pas à sortir de ces quatre points. Je serai forte pour cela, je vous le promets ; car il s’agit de lui, et si je n’ai pas grande vertu pour moi-même, j’ai grand dévouement pour ce que j’aime. Vous me direz nettement la vérité ; j’y compte et je l’attends. Il est absolument inutile que vous m’écriviez une lettre ostensible. Nous n’en sommes pas là, M[allefille] et moi. Nous nous respectons trop pour nous demander compte, même par la pensée, des détails de notre vie. Il est impossible que Mme Dorval ait les raisons que vous lui supposez. Elle est plutôt légitimiste (si elle a une opinion) que républicaine. Son mari est carliste. Vous aurez été chez elle aux heures de ses répétitions ou de son travail. Une actrice est difficile à joindre. Laissez faire, je lui écrirai et elle vous écrira. Il a été question pour moi d’aller à Paris, et il n’est pas encore impossible que mes affaires, dont M[allefille] s’occupe maintenant, venant à se prolonger, j’aille le rejoindre. N’en dites rien au petit. Si j’y vais, je vous avertirai et nous lui ferons une surprise. Dans tous les cas, comme il vous faut du temps pour obtenir la liberté de vous déplacer, commencez vos démarches, car je vous veux à Nohant cet été, le plus tôt et le plus longtemps possible. Vous verrez que vous vous y plairez ; il n’y a pas un mot de ce que vous craignez. Il n’y a pas d’espionnage, pas de propos, il n’y a pas de province ; c’est une oasis dans le désert. Il n’y a pas une âme dans le département qui sache ce que c’est qu’un Chopin ou un Grzymala. Nul ne sait ce qui se passe chez moi. Je ne vois que des amis intimes, des anges comme vous, qui n’ont jamais eu une mauvaise pensée sur ce qu’ils aiment. Vous viendrez, mon cher bon, nous causerons à l’aise et votre âme abattue se régénérera à la campagne. Quant au petit, il viendra s’il veut ; mais, dans ce cas-là, je voudrais être avertie d’avance, parce que j’enverrai M[allefille] soit à Paris, soit à Genève. Les prétextes ne manqueront pas et les soupçons ne lui viendront jamais. Si le petit ne veut pas venir, laissez-le à ses idées ; il craint le monde, il craint je ne sais quoi. Je respecte chez les êtres que je chéris tout ce que je ne comprends pas. Moi, j’irai à Paris en septembre avant le grand départ. Je me conduirai avec lui selon ce que vous allez me répondre. Si vous n’avez pas la solution des problèmes que je vous pose, tâchez de la tirer de lui, fouillez dans son âme, il faut que je sache ce qui s’y passe. Mais maintenant vous me connaissez à fond. Voici une lettre comme je n’en écris pas deux en dix ans. Je suis si paresseuse et je déteste tant à parler de moi. Mais ceci m’évitera d’en parler davantage. Vous me savez par cœur maintenant et vous pouvez tirer à vue sur moi quand vous réglerez les comptes de la Trinité. À vous, cher bon, à vous de toute mon âme, si je ne vous ai pas parlé de vous en apparence dans toute cette longe causerie, c’est qu’il m’a semblé que je parlais de moi, à un autre moi, le meilleur et le plus cher des deux, à coup sûr. George Sand [Nohant, fin juin ou commencement juillet 1838]. Mes affaires me rappellent. Je serai à Paris jeudi. Venez me voir et tâchez que le petit ne le sache pas. Nous lui ferons une surprise. À vous, cher G. S. J’habiterai, comme toujours, chez Mme Marliani. [Paris, s. d.] Mon âme, xxx Je ne puis pas être surpris puisque j’ai vu hier Mar[liani] qui m’a annoncé son arrivée. Je resterai à la maison jusqu’à cinq heures et ne cesserai de donner des leçons. (Je termine déjà la deuxième). Que va-t-il advenir ? Dieu seul le sait. Moi, je ne me sens vraiment pas bien. Je suis allé chez toi tous les jours pour t’embrasser. Ch. Allons dîner quelque part ensemble. [Paris s. d.] À demain jeudi à 5 h. 3/4 ou à 6 heures au Café doré (de la Cité) en cabinet particulier. Nous irons ensuite chez Mar[liani]. L’Aurore était noyée dans la brume, hier. J’espère qu’il y aura du soleil aujourd’hui et je t’écrirai un mot avant le soir. Que Dieu te garde Ton vieux, Mercredi matin.xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxFr. [Paris 1838] À. M. F. Chopin sur sa Ballade polonaise. Mon cher ami ! Il y a quelque temps, dans une de ces soirées où, entouré de sympathies choisies, vous vous abandonniez sans méfiance à votre inspiration, vous avez fait entendre cette Ballade Polonaise que nous aimons tant. À peine le génie mélancolique enfermé dans votre instrument, reconnaissant les mains qui ont seules pouvoir de le faire parler, eut-il commencé à nous raconter ses douleurs mystérieuses que nous tombâmes tous dans une profonde rêverie. Et quand vous eûtes fini, nous restâmes silencieux et pensifs, écoutant encore le chant sublime dont la dernière note s’était depuis longtemps perdue dans l’espace. De quoi songions-nous donc ainsi tous ensemble et quelles pensées avait éveillées dans nos âmes la voix mélodieuse de votre piano ? Je ne puis le dire ; car chacun voit dans la musique, comme dans les nuages, des choses différentes. Seulement en voyant notre ami le Sceptique, qui a pourtant conservé une foi si vive dans l’amour et dans l’art, regarder vaguement devant lui, la tête penchée sur l’épaule et la bouche entr’ouverte par un triste sourire, je me suis imaginé qu’il devait rêver de ruisseaux murmurants et de mornes adieux échangés sous les sombres allées des bois, tandis que le vieux Croyant, dont nous écoutons avec une admiration si respectueuse la parole évangélique, avec ses mains jointes, ses yeux fermés, son front chargé de rides, semblait interroger le Dante, son aïeul, sur les secrets du ciel et les destinées du monde. Pour moi, caché dans le coin le plus sombre de la chambre, je pleurais en suivant de la pensée les images désolantes que vous m’aviez fait apparaître. En rentrant chez moi, j’ai essayé de les rendre à ma manière dans les lignes suivantes. Lisez-les avec indulgence, et quand même j’y aurais mal interprété votre Ballade, agréez-en l’offrande comme une preuve de mon affection pour vous et de ma sympathie pour votre héroïque patrie. Valmont, 5 septembre 1838. Cher bon[...] Autre commission que je réclame de ta bonté : ce serait, en te promenant, d’aller au coin de la rue Grange batelière et du boulevard chez Pleyel, facteur de pianos, le prier de faire enlever chez moi, Delacroix rue des Marais St Germain 17, le piano que M. Chopin y a fait porter il y a deux mois environ. Tu lui dirais que je l’ai oublié en partant pour la campagne [...] Eug D. [Paris] 26 septembre 1838. [...] Quand viendra entre vous [entre Mallefille et Leroux] la question des femmes, dites-lui bien qu’elles n’appartiennent pas à l’homme par droit de force brutale, et qu’on ne raccommode rien en se coupant la gorge... [...]. [Port-Vendres, fin octobre ou 1.er ou 2 novembre 1838]. Chère Bonne, Je quitte la France dans deux heures. Je vous écris du bord de la mer la plus bleue, la plus pure, la plus unie ; on dirait d’une mer de Grèce, ou d’un lac de Suisse par le plus beau jour. Nous nous portons bien tous. Chopin est arrivé hier soir à Perpignan, frais comme une rose et rose comme un navet ; bien portant d’ailleurs, ayant supporté héroïquement ses quatre nuits de malle-poste. Quant à nous, nous avons voyagé lentement, paisiblement, et entourés à toutes les stations de nos amis, qui nous ont comblés de soins M. Ferraris, sur la recommandation de Madrid, a été très aimable pour moi, et m’a paru être un excellent homme, absolument dans la même position que Manoël. Repoussé à Venise et à Trieste par le gouvernement autrichien, il attend sa destitution philosophiquement ; car, à Perpignan, il s’ennuie à avaler sa langue. Il a gardé un très doux souvenir de votre mari, et a appris de moi avec joie qu’il est heureux dans son ménage et amoureux de sa femme. Vous avez dû recevoir de mes nouvelles de Nîmes et un panier de raisins. Je n’ai rien reçu de vous, et je serais inquiète si je n’avais de vos nouvelles par Chopin. Notre navigation s’annonce sous les plus heureux auspices, comme on dit : le ciel est superbe, nous avons chaud et nous voudrions, pour être tout à fait contents de notre voyage, que vous fussiez avec nous. Adieu, chère ; mille tendresses à Marliani, poignées de main bien affectueuses à Enrico. Rappelez-moi à tous nos bons amis et donnez-leur de mes nouvelles. Je passerai huit jours à Barcelone. Dites à Valdemosa que je voyage avec son ami, qui est un charmant garçon. Adieu, chère amie ; aimez-moi comme je vous aime du fond de l’âme, et notre cher Manoël aussi. George Écrivez-moi sous le couvert de Senor Francisco Riotord, junto à San-Francisco en Palma de Mallorca. Florence, 8 novembre (1838). [...] George est allée aux îles Baléares, à ce qu’on m’écrit de Paris. Avez-vous de ses nouvelles directes ? [...]. [Florence] le 9 novembre 1838. [...] Priez Didier lorsque vous le verrez, de me pardonner de ne l’avoir pas remercié de l’envoi de son livre et dites-lui que le hazard [sic] m’ayant fait trouver sous le même toit et presque sous la même clef qu’Hortense Allart, je la vois à peu près tous les jours. C’est une personne d’infiniment d’esprit et d’un caractère supérieur. Elle est bien loin d’être douée comme notre amie George ; elle n’est ni poète, ni artiste, mais elle a pris la vie au sérieux, elle a travaillé et travaille encore énormément, elle est sincèrement sincère (la plus grande qualité chez nous autres femmes), et elle est parvenue à mettre beaucoup de dignité dans une existence pauvre et en dehors des convenances. J’espère vous la faire connaître un jour. Le voyage aux Baléares m’amuse. Je regrette qu’il n’ait pas eu lieu un an plus tôt. Quand G. se faisait saigner, je lui disais toujours : à votre place j’aimerais mieux Chopin ; que de coups de lancettes épargnés ! Puis elle n’eût point écrit les lettres à Marcie, puis elle n’eût pas pris Bocage [un mot biffé] et c’eût été tant mieux pour quelques bonnes gens. L’établissement aux Îles Baléares doit-il être de longue durée ? À la façon dont je les connais l’un et l’autre, ils doivent se prendre en grippe après un mois de cohabitation. Ce sont deux natures antipodiques, mais qu’importe, c’est joli au possible. Et Mallefille ? Que devient-il dans tous ces conflits ? Va-t-il pas retremper sa fierté castillanne [sic] comme il disait, aux eaux du Mançanarès ? Est-ce que par hazard [sic] George aurait eu raison de me certifier si souvent qu’il était outrageusement sot et ridicule ? Je n’ai jamais été alarmée par l’état de Maurice. En tout cas, ce serait un singulier remède pour des palpitations de cœur que le soleil d’Espagne. Vous avez bien raison d’aimer le talent de Chopin ; c’est la délicieuse expression d’une nature exquise. C’est le seul pianiste que je puisse entendre non seulement sans ennui, mais avec un profond recueillement. Donnez-moi des détails de tout cela. Pansez-vous les plaies de Bocage ou l’avez-vous aussi disgracié ? En vérité, je regrette de ne pouvoir jaser de tout cela avec vous ; je vous assure que c’est on ne peut plus drôle [...] Je n’ai pas lu l’article Éclectisme mais j’ai lu la première partie de Spiridion, j’attends la seconde pour juger. [...] Adieu, ma bonne et chère amie, mon respectueux souvenir à Mr. de Lamennais. Il a laissé de bien profondes sympathies dans quelques nobles âmes italiennes. Mille tendres baisers Florence Via della Scala, 4277 ou poste restante Madame de Marliani. Paris 15, rue Grange batelière Madame Marliani Rue Grange batelière, 15 à Paris Palma de Mallorca, 14 novembre 1838 Chère amie, Je vous écris en courant ; je quitte la ville et vais m’installer à la campagne ; j’ai une jolie maison meublée, avec jardin et site magnifique, pour cinquante francs par mois. De plus, j’ai, à deux lieues de là, une cellule, c’est-à dire trois pièces et un jardin plein de citrons, pour trente-cinq francs, par an, dans la grande chartreuse de Valdemosa ! Valdemosa bipède vous expliquera ce que c’est que Valdemosa chartreuse ; ce serait trop long à vous décrire. C’est la poésie, c’est la solitude, c’est tout ce qu’il y a de plus artiste, de plus chiqué sous le ciel ; et quel pays ! nous sommes dans le ravissement. Nous avons eu un peu de peine à nous installer, et je ne conseillerais à personne de le tenter dans ce pays-ci, à moins de s’y faire annoncer six mois à l’avance. Nous avons été favorisés par un concours de circonstances uniques. Si une famille venait après nous, je crois qu’elle ne trouverait rien à habiter ; car ici on ne loue rien, on ne prête rien, on ne vend rien. Il faut tout commander, et tout se fait lentement. Si l’on veut se permettre le luxe exorbitant d’un pot de chambre, il faut écrire à Barcelone. Valdemosa, en nous parlant des facilités et du bien-être de son pays, nous a horriblement blagués. Mais le pays, la nature, les arbres, le ciel, la mer, les monuments dépassent tous mes rêves : c’est la terre promise, et, comme nous avons réussi à nous caser assez bien, nous sommes enchantés. Nous nous portons très bien, Chopin a fait hier trois lieues à pied avec Maurice et nous sur des cailloux tranchants. Tous deux ne se portent que mieux aujourd’hui. Solange et moi engraissons à faire peur, mais non pitié. Enfin notre voyage a été le plus heureux et le plus agréable du monde, et comme je l’avais calculé avec Manoël, je n’ai pas dépensé quinze cents francs depuis mon départ de Paris jusqu’ici. Les gens de ce pays sont excellents et très ennuyeux. Cependant, le beau-frère et la sœur de Valdemosa sont charmants, et le consul de France est un excellent garçon qui s’est mis en quatre pour nous. Adieu, chère ; je vous écrirai plus longuement une autre fois. Aujourd’hui, je suis écrasée par le tintamarre de mon installation à la campagne. Je vous aime tous deux et je vous embrasse de toute mon âme. Je ne vous dis rien pour Chopin. Il est en course pour mes affaires [« mes » surchargé sur « nos »] mais vous savez qu’il est tout à vous. Adieu encore, écrivez-moi à Mr le chargé des affaires étrangères à Marseille pour faire passer à Mr le consul de France à Barcelone et sous enveloppe : Mme Sand à Palma. George Palma, le 15 novembre 1838. Mon bien cher, Je suis à Palma au milieu des palmiers, des cèdres, des cactus, des oliviers, des orangers, des citronniers, des aloès, des figuiers, des grenadiers... enfin de tous les arbres que possèdent les serres du Jardin des Plantes. Le ciel est de turquoise, la mer, de lapis-lazuli ; les montagnes, d’émeraude et l’air est comme au ciel. Du soleil toute la journée. Tout le monde est vêtu comme en été car il fait chaud. La nuit, on entend des chants et le son des guitares pendant des heures entières. Il y a d’énormes balcons, d’où des pampres retombent. Les remparts datent des Arabes. La ville et tout en général reflètent l’Afrique. Bref, une vie admirable ! Aime-moi. Fais une petite visite à Pleyel car le piano n’est pas encore arrivé. Par quelle voie me l’a-t-on expédié ? Tu recevras bientôt les Préludes. Je vais probablement habiter un cloître merveilleux dans le plus beau site du monde : j’aurai la mer, les montagnes, des palmiers, un vieux cimetière, une église teutonique, les ruines d’une mosquée, des oliviers millénaires. Ah ! ma vie, je vis davantage... Je suis près de ce qu’il y a de plus beau au monde. Je me sens meilleur. Remets à Grzymala les lettres de mes parents et tout ce que tu auras à m’envoyer. Il sait quelle est l’adresse la plus sûre. Embrasse Jeannot. Comme il guérirait ici ! Dis à Pleyel qu’il recevra bientôt les manuscrits. Parle peu de moi à nos connaissances. Je t’écrirai bientôt plus longuement. Dis que je rentrerai à la fin de l’hiver. Nous n’avons qu’un seul courrier par semaine. J’expédie ma correspondance par l’intermédiaire du Consulat. Fais parvenir telle quelle à mes parents la lettre que je t’envoie pour eux. Mets-la toi-même à la poste. Ton Ch. J’écrirai plus tard à Jeannot [de la main de Fontana :] reçu le 28. [Palma, novembre 1838]. Ma chère Christine, je suis à Palma depuis quatre jours seulement. Mon voyage a été fort heureux, mais assez long comme vous voyez et pénible jusqu’à la sortie de France. En mer, nous avons été très vaillans [sic], sauf Solange qui a eu un peu de mal au cœur, comme on dit. J’ai pris vingt fois la plume (comme on dit encore) pour terminer les cinq ou six pages qui, depuis six mois, manquent à Spiridion. Ce n’est pas la chose la plus facile du monde que de donner la conclusion de sa propre croyance religieuse et je vous assure qu’en voyage c’est tout-à-fait impossible. Je me suis arrêtée dans vingt endroits avec la volonté de me recueillir et d’écrire. Mais ces repos ont été les pires fatigues du voyage. Les visites, les dîners, les promenades, les curiosités, les ruines. La fontaine de Vaucluse, Reboul et les Arènes de Nismes, les cathédrales à Barcelone, les dîners à bord sur les vaisseaux de guerre, les théâtres italiens d’Espagne (quels théâtres et quels italiens !) Les guittares [sic]. Que sais-je moi ? Le clair de lune à la mer et Palma surtout, et Mallorque la plus délicieuse résidence du monde. Voilà qui m’écartait terriblement de la philosophie et de la théologie. Heureusement, j’ai rencontré ici de superbes couvents en ruines avec des palmiers, des aloès et des cactus, au milieu des mosaïques brisées et des cloîtres délabrés, et tout cela m’a remis sur la voie de Spiridion. De sorte que depuis trois jours, j’ai une rage de travail, mais jusqu’à présent impossible à satisfaire, car nous n’avons ni feu ni lieu. Pas d’auberges à Palma, pas de maison à louer, pas de meubles à acheter. Quand on arrive, on commence par acheter un terrain, après quoi, on fait bâtir, et puis on commande des meubles. Ensuite on obtient du gouvernement la permission de demeurer quelque part, et enfin, au bout de cinq ou six ans, on commence à ouvrir sa malle et à changer de chemise en attendant qu’on obtienne de la douane la permission de faire entrer des souliers et des mouchoirs de poche. Voilà donc quatre jours seulement que nous allons de porte en porte demander à ne pas coucher dehors, et nous espérons dans trois jours être installés, car un miracle s’est opéré en notre faveur. Pour la première fois de mémoire d’homme à Mallorque, une maison meublée s’est trouvée à louer ; maison de campagne charmante dans un désert délicieux mais le propriétaire, juif à ce que je crois, nous fait marchander... Le bateau à vapeur d’aujourd’hui vous portera ma lettre seulement, ce qui ne charmera pas Buloz, mais le prochain bateau (il en part un par semaine) portera mon manuscrit au consul de Barcelone pour le faire passer à Buloz par la voie la plus courte et la plus sûre. Mais, malgré les promesses de toute navigation, les vents et les flots de Neptune peuvent retarder l’envoi car quand le vent du nord souffle sur Palma, on y est bloqué. Cependant quoiqu’il arrive, la fin de Spiridion n’y manquera que d’un No si elle manque toutefois. Je mets tout au pire. Voilà de nos nouvelles. En attendant, Buloz fera la grimace ; vous qui n’êtes point éditeur, mais une petite amie bien gentille et bien aimable, vous m’en saurez gré et vous prierez pour que l’hiver nous soit favorable car les cheminées sont totalement inconnues à Mallorque. Jusqu’ici Maurice va très bien. Il s’amuse comme un bienheureux. Sans les mosquites [moustiques], nous serions tous délicieux. Mais nous avons tous la figure et les mains tachetées comme des truites, et nous nous grattons comme des... suffit. Bonsoir, chère enfant. Embrassez pour moi le beau petit Paul. Mes enfants l’embrassent et vous embrassent aussi. Pensez à nous quelquefois et aimez-nous toujours.. Je vous ferai un roman sur Palma qui pourra être divertissant. Depuis le peu de temps que j’y suis, j’ai déjà vu des coutumes et des habitudes dont on n’a plus d’idée en France. C’est un pays en arrière de trois cents ans au moins. Voilà les voitures à la dernière mode [ici un dessin représentant un carrosse juché sur de hautes roues]. Ajoutez à cela quatre mulets et des rues en escalier. Quand on va au grand trot, on fait scandale et on est traité de casse-cou. Du reste, palais arabes, orangers, citronniers, palmiers, montagnes magnifiques, la mer comme un beau lac, des vallées délicieuses, et une population excellente. Si nous pouvons nous caser commodément nous y passerons l’hiver. PS. — Mercredi : Le courrier c’est-à-dire le paquebot n’est pas revenu de Barcelone, c’est-à-dire que ma lettre ne partira d’ici que demain. Je la laisse au consul pour qu’il l’envoye et je pars pour la campagne, où je me suis installée avec maison meublée et jardin dans un site magnifique pour 50 francs par mois. J’ai en outre arrêté une cellule, c’est-à-dire 3 pièces et un jardin, pour 35 francs par an dans la Chartreuse de Valdemosa, immense et magnifique couvent désert, au milieu des montagnes. Notre jardin est jonché d’oranges et de citrons, les arbres en cassent. Nous avons des troncs de cactus de 20 et 30 pieds de haut, la mer à une demi-lieue, un âne pour aller à la ville, des chemins inaccessibles aux visiteurs, des cloîtres immenses et de la plus belle architecture, une église charmante, un cimetière avec un palmier et une croix de pierre comme celle du 3e acte de Robert le Diable, des parterres de buis taillé, le tout habité par nous seulement. Une vieille femme pour nous servir et le sacristain porte-clefs, intendant, jardinier, majordome, maître Jacques en un mot. J’espère que nous aurons des revenans [sic]. La porte de ma cellule donne sur un cloître énorme et quand le vent pousse la porte on entend comme une canonnade dans le couvent. Je suis dans l’enchantement et je crois que j’habiterai la cellule plus que la maison de campagne, qui est du reste éloignée de deux lieues. Vous voyez que la solitude et la poésie ne me manqueront pas. Si je ne travaille pas bien, il faudra que je sois une f... bête. Palma, 21 novembre 1838. Cher ami, Je suis arrivé à Palma, pays délicieux — printemps perpétuel — oliviers, orangers, palmiers, citronniers, etc., etc. Ma santé se trouve mieux — et la vôtre ? — J’ai eu le chagrin de partir sans savoir positivement comment je vous laissais. — Ne me laissez pas longtemps si loin de vous sans savoir si vous êtes tout à fait rétabli. Dites-moi aussi quelque chose sur les vôtres. Adieu, Chérissime, mes respects à votre Maman et mille belles choses à Mme et Mr Denoyers. Ch. Adressez vos lettres : À M. le chargé des Affaires étrangères à Marseille, pour faire passer à Mr le Consul de France à Barcelone (et sous enveloppe) à Mr Chopin à Palma de Mallorca. Mon piano n’est pas encore arrivé. Comment l’avez vous envoyé ? par Marseille, ou par Perpignan ? Je rêve musique mais je n’en fais pas — parce que ici on n’a pas de pianos... c’est un pays sauvage sous ce rapport. Florence, 26 novembre [1838]. [...] Décidément, je me vante d’avoir mis les pianistes à la mode. George enlève Chopin, la p[rince]sse Belgiojoso accapare Döhler [...] [Palma] le 3 décembre [1838]. Mon chéri, remets à Fontana la lettre pour mes parents. Je toussote, je tousse et je t’aime. Nous parlons souvent de toi. Jusqu’à présent, je n’ai pas reçu de tes nouvelles. C’est un pays diabolique en ce qui concerne les postes, les hommes et le confort. Le ciel est aussi beau que ton âme ; la terre est noire comme mon cœur. Je t’aime toujours. Ch. [Post-scriptum à la lettre précédente]. Cher, recevez-vous nos lettres ? Nous vous avons écrit trois ou quatre fois, nous sommes inquiets et tristes de votre silence. Nous avons pourtant des nouvelles de Marliani. La manière la plus sûre de nous écrire parmi toutes celles que nous avons tâtées, est d’adresser à Mr Canut y Mugnerot à Palma de Mallorca, Iles Baléares. Sous enveloppe : Pour Mme G. Sand. Affranchir jusqu’à la frontière indispensablement. Chopin a été assez souffrant ces jours derniers. Il est beaucoup mieux, mais il souffre un peu des variations de la température qui sont fréquentes ici. Nous allons avoir enfin une cheminée L’Homond et veuille la Providence veiller sur nous, car il n’y a ici ni médecin, ni médecine. Maurice va très bien. L’absence du piano m’afflige beaucoup pour le petit. Il en a loué un indigène qui l’irrite plus qu’il ne le soulage. Malgré tout il travaille. Nous allons dans trois jours habiter notre belle Chartreuse dans un site magnifique. Nous avons acheté un mobilier et nous voici propriétaires à Mallorque. C’est un ravissant pays et nous sommes heureux ; il ne nous manque que Vous. Nous avons appris avec douleur et consternation la malheur de la femme de Mickiewicz. Mon Dieu, mon Dieu ! Vous pouvez toujours compter sur moi pour l’article en question et pour celui de la vente. Mais, hélas ! je n’ai pas encore fini Spiridion. Je ne peux travailler encore. Nous ne sommes pas installés, nous n’avons ni âne, ni domestique, ni eau, ni feu, ni moyen sûr d’envoyer les manuscrits. Moyennant quoi, je fais la cuisine au lieu de faire de la littérature et ne sais encore si le dernier paquet que j’ai envoyé à Buloz est parvenu. Soyez assez bon pour le voir et pour lui dire que la 4ème partie de Spiridion voyage vers lui, si toutefois il ne l’a pas reçue. L’Espagne est fort troublée dans ce moment. Le porteur de Spiridion n’a peut-être pu arriver aux Pyrénées. Les communications avec la France qu’on nous avait... [la fin manque]. Palma, le 3 décembre 1838. Mon Julien, Ne donne pas congé de mon appartement à mon propriétaire. Je ne peux pas t’envoyer le manuscrit, je ne l’ai pas terminé. J’ai été malade comme un chien, ces deux dernières semaines. J’avais pris froid en dépit des dix-huit degrés de chaleur, des roses, des orangers, des palmiers et des figuiers. Trois médecins — les plus célèbres de l’île — m’ont examiné. L’un a flairé mes crachats, l’autre a frappé pour savoir d’où je crachais, le troisième m’a palpé en écoutant comment je crachais. Le premier a dit que j’allais crever, le deuxième que j’étais en train de crever, le dernier que j’étais crevé déjà. Cependant aujourd’hui je me sens comme toujours ; seulement je ne puis pardonner à Jeannot de ne m’avoir rien dit de ce qu’il fallait faire dans le cas d’une bronchite aiguë qu’il pouvait prévoir pour moi. C’est à grand peine que j’ai pu échapper aux saignées, aux vésicatoires et aux enveloppements et, grâce à la Providence, je suis aujourd’hui redevenu moi-même. Pourtant ma maladie a fait tort aux Préludes que tu recevras Dieu sait quand. J’irai habiter dans quelques jours la plus belle région du monde ; j’y aurai la mer, les montagnes, tout ce que tu peux imaginer. Je logerai dans un vieux cloître, énorme et abandonné, dont Mend[izabal] semble avoir chassé les chartreux à mon intention. C’est près de Palma et rien n’est plus beau. On y voit des arcades, les plus poétiques des cimetières, en un mot, j’y serai bien. Mais je n’ai pas encore de piano. J’ai écrit directement à Pleyel rue de Rochechouart. Va t’en informer... Dis que le jour suivant j’ai été fort malade et, qu’à présent, je suis de nouveau bien. D’ailleurs ne parle pas beaucoup de moi, ni des manuscrits. Écris-moi, je n’ai encore rien reçu de toi. Dis à Léo que je n’ai pas encore envoyé les Préludes à Albrecht. Dis leur que je les aime beaucoup et que je vais leur écrire. Mets toi-même à la Bourse ma lettre pour ma fam[ille]. Écris-moi. J’embrasse Jeannot. Ch. Ne dis pas aux gens que j’ai été malade car ils en feraient des commérages. [Post-scriptum à une lettre avec laquelle George Sand envoya, semble-t-il, une œuvrette dramatique à Grzymala] [Palma entre le 3 et le 14 décembre 1838.] Mon âme, Elle te prie de ne donner ce manuscrit à aucun journal, car cela pourrait lui amener des désagréments avec Buloz. Cette pièce sera bonne pense-t-elle pour quelque guignol et elle croit que vous pourrez l’arranger facilement p[ar] ex[emple] comme Bradi dedaur. [?] Quoi qu’il en soit ne l’expose pas à des remarques de Buloz. Nous t’aimons et t’embrassons et voudrions te rendre en un instant la santé sans laquelle tu ne vis pas. Encore une fois, je te le rappelle, ne l’expose à aucun fracas. Fatiguée qu’elle est, elle se repose et me demande de t’adresser cette prière. Quels fanfarons, ces Espagnols de Paris ! Tu vois comme la poste marche ici et combien il est facile de recevoir de la correspondance ! Je n’ai pas encore mon piano. Sera-t-il là dans un an ? Aime-moi Chx 5 décembre 1838. [...] Mme Sand est à Palma, dans les Baléares. J’ai vu l’autre jour d’elle la plus jolie et la plus folle lettre que l’on puisse imaginer écrite par elle à Mme Buloz, du milieu des orangers : cela donne regret vraiment de ne plus l’aimer. Elle est avec le pianiste polonais Chopin qui règne avec Mickiewicz, prenez garde à ce point là. Noble poète, il en est encore sur son compte à la foi, à l’amour, je n’en suis plus qu’à l’admiration, mais il ne faut jamais blesser l’amour. Au reste, vous l’aimez tous un peu, surtout Olivier, et moi un petit peu encore, cela pourrait bien être. [...] Palma, 14 décembre 1838. Mon Julien, Pas encore un mot de toi et c’est le troisième ou le quatrième billet que je t’adresse. As-tu affranchi tes lettres ? Les miens n’ont peut-être pas écrit. Un malheur aurait-il croisé leur chemin ? Ou bien serais-tu paresseux ? Non, tu n’es pas paresseux, tu es bon, tu es brave. Tu as certainement expédié à ma famille mes deux lettres (adressées de Palma) et tu m’as écrit, mais la poste locale ne m’a rien remis. Je n’ai reçu d’autres nouvelles que celle de l’embarquement de mon piano le ier décembre à Marseille, à bord d’un bateau marchand. Le lettre a mis quatorze jours pour me parvenir. Probablement, le piano hivernera-t-il dans le port où le bateau restera à l’ancre (car personne ici ne bouge quand il pleut). Je ne le recevrai donc pas juste au moment de mon départ, ce qui eût été très divertissant car outre le plaisir de payer 500 francs à la douane, j’aurais eu le joie de devoir le faire remballer. En attendant mes manuscrits sommeillent, et moi je ne puis dormir. Je tousse. Couvert de cataplasmes, j’attends le printemps ou quelqu’autre chose. Demain, je me rendrai dans cet admirable cloître de Valdemosa où j’écrirai dans la cellule d’un vieux moine qui avait peut-être dans l’âme plus de feu que moi et qui l’étouffa, l’étouffa et l’éteignit parce qu’il le possédait en vain. Va chez Léo. Ne lui dis pas que j’ai été malade car il aurait peur pour ses 1000 [francs]. Va aussi chez Pleyel. Ton Ch. Palma de Mallorca, 14 décembre 1838. Chère amie, Vous devez me trouver bien paresseuse, moi, je me plaindrais aussi de la rareté de vos lettres, si je ne savais comment vont les choses ici. Vous ne vous en doutez guère, vous autres ! Ce bon Manoël qui se figurait qu’en sept jours on pouvait correspondre avec Paris ! D’abord, sachez que le bateau à vapeur de Palma à Barcelone a pour principal objet le commerce des cochons. Les passagers sont en seconde ligne. Le courrier ne compte pas. Qu’importe aux Majorquins les nouvelles de la politique ou des beaux-arts ? Le cochon est la grande, la seule affaire de leur vie. Le paquebot est censé partir toutes les semaines ; mais il ne part en réalité que quand le temps est parfaitement serein et la mer unie comme une glace. Le plus léger coup de vent le fait rentrer au port, même lorsqu’on est à moitié route. Pourquoi ? Ce n’est pas que le bateau ne soit bon et la navigation sûre. C’est que le cochon a l’estomac délicat, il craint le mal de mer. Or, si un cochon meurt en route, l’équipage est en deuil et donne au diable journaux, passagers, lettres, paquets et le reste... Voilà donc plus de quinze jours que le bateau est dans le port ; peut-être partira-t-il demain ! Voilà vingt-cinq jours et plus que Spiridion voyage ; mais j’ignore si Buloz l’a reçu. J’ignore s’il le recevra. Il y a encore d’autres raisons de retard que je ne vous dis pas parce que toute réflexion sur la poste et les affaires du pays sont au moins inutiles. Vous pouvez les pressentir et les dire à Buloz. Je vous prie même de lui parler à ce sujet ; car il doit être dans les transes, dans la terreur, dans le désespoir ! Spiridion doit être interrompu depuis un siècle ; à cela je ne puis rien. J’ai pesté contre le pays, contre le temps, contre la coutume, contre les cochons. J’ai un peu pesté contre ce cher Manoël, qui m’a dépeint ce pays comme si libre, si abordable, si hospitalier. Mais à quoi bon les plaintes et les murmures contre les ennemis naturels et inévitables de la vie ? Ici, c’est une chose ; là, une autre ; partout, il y a à souffrir. Ce qu’il y a vraiment de beau ici, c’est le ciel, les montagnes, la bonne santé de Maurice et le radoucissement de Solange. Le bon Chopin n’est pas aussi brillant de santé ! Après avoir très bien, trop bien peut-être supporté les grandes fatigues du voyage, au bout de quelques jours la force nerveuse qui le soutenait est tombée et il a été extrêmement abattu et souffreteux. Mais il revient sur l’eau de jour en jour et j’espère qu’il sera mieux qu’auparavant. Je le soigne comme mon enfant. C’est un ange de douceur et de bonté ! Son piano lui manque beaucoup. Nous en avons enfin reçu des nouvelles aujourd’hui. Il est parti de Marseille et nous l’aurons peut-être dans une quinzaine de jours. Mon Dieu, que la vie physique est rude, difficile et misérable ici ! C’est au delà de ce qu’on peut imaginer. On manque de tout, on ne trouve rien à louer, rien à acheter. Il faut commander des matelas, acheter des draps, serviettes, casseroles, etc. tout absolument. J’ai, par un coup du sort, trouvé à acheter un mobilier propre, charmant pour le pays, mais dont un paysan de chez nous ne voudrait pas. Il a fallu se donner des peines inouïes pour avoir un poële, du bois, du linge, que sais-je ? depuis un mois que je me crois installée je suis toujours à la veille de l’être. Ici, une charrette met cinq heures pour faire trois lieues : jugez du reste ! Il faut deux mois pour confectionner une paire de pincettes, Il n’y a pas d’exagération dans ce que je vous dis. Devinez sur ce pays tout ce qu’on ne vous dit pas ! Moi, je m’en moque ; mais j’en ai un peu souffert dans la crainte de voir mes enfants en souffrir beaucoup. Heureusement mon ambulance va bien. Demain, nous partons pour la chartreuse de Valdemosa, la plus poétique résidence de la terre. Nous y passerons l’hiver, qui commence à peine et qui va bientôt finir. Voilà le seul bonheur de cette contrée. Je n’ai de ma vie rencontré une nature aussi délicieuse que celle de Majorque. [...] J’écrirai à Leroux de la Chartreuse, à tête reposée. Si vous saviez ce que j’ai à faire ! Je fais presque la cuisine. Ici, autre agrément, on ne peut se faire servir. Le domestique est une brute : dévôt, paresseux et gourmand ; un véritable fils de moine (je crois qu’ils le sont tous). Il en faudrait dix pour faire l’ouvrage que vous fait votre brave Marie. Heureusement, la femme de chambre que j’ai amenée de Paris est très dévouée et se résigne à faire de gros ouvrages ; mais elle n’est pas forte, et il faut que je l’aide. En outre, tout coûte très cher et la nourriture est difficile quand l’estomac ne supporte ni l’huile rance, ni la graisse de porc. Je commence à m’y faire ; mais Chopin est malade toutes les fois que nous ne lui préparons pas nous-mêmes ses aliments. Enfin, notre voyage ici est, sous beaucoup de rapports, un fiasco épouvantable. Mais nous y sommes... Nous ne pourrions en sortir sans nous exposer à la mauvaise saison et sans faire coup sur coup de nouvelles dépenses. Et puis j’ai mis beaucoup de courage et de persévérance à me caser ici. Si la providence ne me maltraite pas trop, il est à croire que le plus difficile est fait et que nous allons recueillir le fruit de nos peines. Le printemps sera délicieux, Maurice recouvrera une belle santé ; il se flatte d’avoir un jour des mollets ; moi je travaillerai et j’instruirai mes enfants, dont heureusement les leçons, jusqu’ici, n’ont pas trop souffert. Ils sont très studieux avec moi. Solange est presque toujours charmante depuis qu’elle a eu le mal de mer ; Maurice prétend qu’elle a rendu tout son venin. Nous sommes si différents de la plupart des gens et des choses qui nous entourent que nous nous faisons l’effet d’une pauvre colonie émigrée qui dispute son existence à une race malveillante ou stupide. Nos liens de famille en sont plus étroitement serrés, et nous nous pressons les uns contre les autres avec plus d’affection et de bonheur intime. De quoi peut on se plaindre quand le cœur vit ? Nous en sentons plus vivement aussi les bonnes et chères amitiés absentes. Combien votre douce intimité et votre coin de feu fraternel nous semblent précieux de loin ! autant que de près, c’est tout dire. Adieu, bien chère Amie ; embrassez pour moi votre bon Manoël et dites à nos braves amis tout ce qu’il y a de plus tendre. Palma, le 28 déc[embre] 1838, ou plutôt, à quelques lieues de là, Valdemosa. Tu peux m’imaginer, entre les rochers et la mer, dans une cellule d’une immense chartreuse abandonnée, aux portes plus grandes qu’aucune porte cochère de Paris. Je suis là sans frisures, ni gants blancs, et pâle comme à l’ordinaire. Ma cellule, en forme de grand cercueil, a une énorme voûte poussiéreuse, une petite fenêtre donnant sur les orangers, les palmiers, les cyprès du jardin. Face à la fenêtre, sous une rosace filigranée de style mauresque, un lit de sangle. À côté du lit, un vieil intouchable, sorte de pupitre carré, mal commode pour écrire et sur lequel est posé un chandelier de plomb avec (grand luxe pour ici) une bougie... Sur ce même pupitre, Bach, mes grimoires et d’autres papiers qui ne sont pas à moi... Silence... On peut crier... silence encore. En un mot, je t’écris d’un endroit bien étrange. J’ai reçu, il y a trois jours, ta lettre du 2 de ce mois. Comme c’est fête à présent, le courrier partira seulement la semaine prochaine, alors je t’écris sans me presser et la traite que je t’envoie mettra sans doute un mois russe pour te parvenir. C’est une belle chose que la nature, mais il faudrait ne pas avoir affaire aux hommes. Ni aux routes ; ni aux postes. Chaque fois que je me suis rendu de Palma à Valdemosa, ce fut toujours avec le même cocher et jamais par la même voie. Ici, les ruisseaux creusent les chemins, les avalanches les détruisent. Aujourd’hui, on ne peut plus passer parce que le sol vient d’être labouré ; demain, seules les mules pourront y accéder. Et quelles voitures il y a ici !!! Aussi, mon Julien, n’y trouve-t-on aucun anglais, pas même un consul. Peu m’importe ce que l’on dit de moi. Léo, quel juif ! Il m’est impossible de t’envoyer les Préludes ; ils ne sont pas finis. Ma santé est meilleure, je vais me dépêcher. Quant au juif, il recevra de moi une courte lettre ouverte qu’il avalera jusqu’au talon [en marge :] ou bien jusqu’où tu voudras. Le coquin ! et dire que je suis allé chez lui la veille de mon départ pour lui dire de ne rien envoyer chez moi. Schlesing[er] est encore plus chien d’avoir fait un album de mes valses et de l’avoir vendu à Probst alors qu’à sa demande instante je les lui avais données pour qu’il les adresse à son père à Berlin. Tous ces poux me démangent moins à présent. Que Léo soit furieux, soit ! Seulement, j’ai pitié de toi, mais au plus tard dans un mois tu seras délivré de tes tracas avec lui et avec mon propriétaire. Emploie, s’il le faut, l’argent de Wessel. Que fait mon domestique ? Donne de ma part vingt francs d’étrennes au portier quand tu auras reçu l’argent et paye le fumiste s’il vient. Je ne crois pas avoir laissé quelque grosse dette. En tout cas, je te le promets, nous serons quittes dans un mois au plus tard. La lune est admirable ce soir. Jamais je ne l’ai vue aussi belle. À propos ! tu dis m’avoir fait suivre une lettre des miens. Je n’ai rien vu, ni reçu. Et pourtant, elle me serait si nécessaire. L’as-tu bien affranchie ? Quelle adresse as-tu mise ? La seule lettre qui, jusqu’à présent, m’est parvenue de toi était fort mal adressée. N’écris donc jamais « junto » sans précision. Le monsieur chez qui on peut m’écrire (un grand imbécile par parenthèse) se nomme Riotord. Je te donnerai la bonne adresse. [Chopin avait d’abord écrit puis biffé : Je préférerais que tes lettres me fussent envoyées là où je suis, et mon piano aussi.] Le piano attend depuis huit jours dans le port la décision de la douane qui réclame des montagnes d’or pour cette cochonnerie. Ici, la nature est bienfaisante, mais les hommes sont voleurs. Ils ne voient jamais d’étrangers, aussi ne savent-ils quel prix leur réclamer pour ce qu’ils leur vendent. Les oranges sont pour rien, mais un bouton de culotte coûte des prix fantastiques. Mais tout cela n’est qu’un grano de sable en comparaison de ce ciel, de la poésie émanant de toutes choses et des vives couleurs de ce paysage. C’est l’un des plus beaux du monde et les yeux des hommes ne l’ont pas terni. Ils ne sont pas nombreux ceux qui ont effarouché les aigles planant chaque jour sur nos têtes. Je t’envoie une lettre pour les miens et la traite. J’aime Jeannot et déplore qu’il ne soit point préparé à assumer la direction d’une maison de bienfaisance pour les enfants dans quelque Bamberg ou Nuremberg. Qu’il m’écrive enfin et qu’il soit un homme. C’est, me semble-t-il, la troisième ou quatrième lettre que je t’envoie pour mes parents ! Embrasse Albrecht, mais parle peu. Ton Ch. Florence 10 janvier [1839] [...] À propos, le pauvre Mallefille ! le voilà au lit, malade de vanité rentrée, à tout jamais désabusé, désillusionné, désenchanté et tous les dés du monde. Devinez-vous pourquoi ? Oh ! mais c’est une histoire impayable ! pourvu que vous ne la sachiez déjà ! Je reprends, comme Petit Jean, au déluge. Il y a dix-huit mois lorsque j’étais à Nohant (immédiatement après les Lettres à Marcie) passe en Berry, Bocage, l’acteur de la Porte Saint-Martin, honnête créature un peu bossue et passablement bête, au demeurant l’amant le plus ridicule de France à se donner. Cette idée sourit à George ; elle prend Bocage... Mais, par suite de cette honnêteté dont je vous parlais, l’acteur veut garder des ménagements, tenir la liaison secrète et ne venir à Nohant que lorsque les prétextes seront plausibles. Voilà que l’absence paraît trop longue à George, le secret trop lourd, et qu’elle quitte le bossu pour le borgne, l’acteur pour le dramaturge, Bocage pour Mallefille ! On installe le susdit Mallefille en qualité de précepteur des mioches ; pour l’amour du grec, oh l’embrasse. Puis la fantaisie prend à George de venir s’amuser à Paris. Mallefille reste à Nohant, pour mettre de l’ordre dans des affaires de fermier ; et pendant ce temps George s’empare du tendre, rêveur et mélancolique Chopin. Mallefille arrive ; on ne lui dit rien ; on lui fait publier dans la Gazette musicale une ballade en l’honneur de Chopin... Enfin, je ne sais par quelle inspiration du démon, il conçoit des soupçons et va faire le guet à la porte de Chopin, où George se rendait toutes les nuits... Ici le dramaturge devient dramatique ; il crie, il hurle, il est féroce, il veut tuer. L’ami Grzymala se jette entre les illustres rivaux, on calme Mallefille, et George décampe avec Chopin pour filer le parfait amour à l’ombre des myrtes de Palma ! Convenez que voici une histoire bien autrement jolie que celles qu’on invente ! Ne pensez pas néanmoins que je ne sois frappée que par le côté plaisant de tout cela. Le plus souvent, lorsque ma pensée se reporte sur George, c’est avec une tendresse pleine d’affliction et d’amertume. Cette intelligence si élevée, ce cœur qui pouvait être si noble, se galvaudent, s’abaissent ainsi à la plus misérable vie d’intrigues. Cela fait mal. Serait-il donc vrai que l’énergie et le génie ne sont point à leur place dans une femme, et ne peuvent que l’égarer ? [...] Valdemosa, le 12. janvier 1839. Mon chéri. Je t’envoie les Préludes. Recopiez-les, Wolff et toi. Je ne crois pas qu’il y ait des fautes. Tu donneras les copies à Probst et l’original à Pleyel. Tu porteras à Léo, que je n’ai pas eu le temps de remercier, l’argent de Probst pour lequel je joins un billet et un reçu. Sur l’argent que te donnera Pleyel, c’est à dire quinze cents francs, tu payeras le loyer jusqu’au ier janvier — 425 francs — et tu donneras congé gentiment. S’il était possible de louer l’appartement pour mars, ce serait fort bien, sinon il faudra le garder un trimestre encore. Tu donneras, de ma part, à Nouguès les 1000 [francs] qui te resteront. Demande son adresse à Jeannot sans parler de l’argent, car il serait capable d’entreprendre Noug[uès] et je ne veux pas qu’en dehors de toi et de moi, quelqu’un soit au courant. Si l’appartement se louait, tu ferais mettre une partie des meubles chez Jeannot et le reste chez Grzymala. Demande à Pleyel de m’écrire par ton intermédiaire et dis-lui que j’en ai fini avec Wessel. Avant le nouvel an, je t’ai envoyé une traite pour ce dernier. Dans quelques semaines, tu recevras la Ballade. des Polonaises et un Scherzo. Prie Pleyel de s’entendre avec Probst au sujet de la date de la publication des Préludes. Jusqu’à présent, je n’ai pas reçu une seule lettre de mes parents ! Il faut que tu affranchisses tout ce que tu as à me faire parvenir. Mais ne sais-tu pas ce qu’est devenue la première lettre ? Je vis dans ma cellule. J’ai parfois des bals arabes, un soleil d’Afrique et une mer méditerranée. Embrasse les Albrecht, je vais leur écrire. Ne dis à personne — sauf à Grzymala — que je vais quitter mon appartement. Je n’en suis pas encore certain, mais peut-être ne rentrerai-je qu’en mai ou plus tard. Remets toi-même ma lettre et le Prélude [?] à Pleyel. Écris. Ton F.x Valdemosa, 15 janvier 1839. Chère amie, Même silence de vous, ou même impossibilité de recevoir de vos nouvelles. Je vous adresse la dernière partie de Spiridion par la famille Flayner, qui est, je crois, la voie la plus sûre. Ayez la bonté de la faire passer tout de suite à Buloz et de vous faire rembourser le port, qui ne sera pas mince et qui regarde le cher éditeur. Nous habitons la chartreuse de Valdemosa, endroit vraiment sublime, et que j’ai à peine le temps d’admirer, tant j’ai d’occupations avec mes enfants, leurs leçons et mon travail. Notre pauvre Chopin est toujours très faible et très souffreteux. Il fait ici des pluies dont on n’a pas d’idée ailleurs ; c’est un déluge effroyable ! l’air est si relâché, si mou, qu’on ne peut se traîner ; on est réellement malade. Heureusement Maurice se porte à ravir ; son tempérament ne craint que la gelée, chose inconnue ici. Mais le petit Chopin est bien accablé et tousse toujours beaucoup. J’attends pour lui avec impatience le retour du beau temps, qui ne peut tarder. Son piano est enfin arrivé à Palma ; mais il est dans les griffes de la Douane, qui demande cinq à six cents francs de droits d’entrée et qui se montre intraitable. Ah ! comme Marliani connaissait peu l’Espagne quand il me disait que les douanes n’étaient rien ! Elles sont exécrables, au contraire. Pour connaître l’Espagne, il faudrait y aller tous les matins. Ce qu’on y voyait hier n’est pas ce qu’on y voit aujourd’hui, et Dieu sait ce qu’on y verra demain ! Je vous avoue que je ne me faisais pas une idée de cette désorganisation de l’esprit humain ; c’est un spectacle vraiment affligeant. Heureusement, comme je vous le dis, chère, je n’ai pas le temps d’y penser : je suis plongée avec Maurice dans Thucydide et compagnie ; avec Solange, dans le régime indirect et l’accord du participe. Chopin joue d’un pauvre piano majorquin qui me rappelle celui de Bouffé dans Pauvre Jacques. Ma nuit se passe, comme toujours, à gribouiller. Quand je lève le nez, c’est pour apercevoir, à travers la lucarne de ma cellule, la lune qui brille au milieu de la pluie sur les orangers, et je n’en pense pas plus long qu’elle. Adieu, chère bonne, je suis heureuse quand même la pluie, quand même l’Espagne, quand même le travail, mais non pas quand même votre absence. J’embrasse votre Manoël et mon Bignat [Emmanuel Arago]. Amitiés à M. de Bonnechose, que j’aime, comme vous savez, de tout mon cœur, et mille bénédictions au cher Enrico ; ne le battez pas trop. Parlez-moi de tous nos amis ; je n’ai de nouvelles de personne, sauf de Grzymala. Chopin vous supplie d’envoyer tout de suite par votre domestique sa lettre ci-jointe à M. Fontana. De la chartreuse de Valdemosa, trois lieues de Palma, Île Majorque, 20 janvier 1839. Cher Boutarin, Tu ne m’écris donc pas ? Peut-être m’écris-tu et que je ne reçois rien ; car j’ai l’agrément, ici, de voir la moitié de ma correspondance aller je ne sais où ! Je suis véritablement au bout du monde, quoiqu’à deux jours de mer de la France. Les temps sont si variables autour de notre île, et la civilisation, qui fait les prompts rapports, est si arriérée autour de Palma et dans toute l’Espagne, qu’il me faut deux mois pour avoir des réponses à mes lettres. Ce n’est pas le seul inconvénient du pays. Il en a d’innombrables, et pourtant c’est le plus beau des pays. Le climat est délicieux. À l’heure où j’écris, Maurice jardine en manches de chemise, et Solange, assise par terre sous un oranger couvert de fruits, étudie sa leçon d’un air grave. Nous avons des roses en buissons et nous entrons dans le printemps. Notre hiver a duré six semaines, sans froid, mais pluvieux à nous épouvanter. C’est un déluge ! La pluie déracine les montagnes, toutes les eaux de la montagne se lancent dans la plaine ; les chemins deviennent des torrents. Nous nous y sommes trouvés pris, Maurice et moi. Nous avions été à Palma par un temps superbe. Quand nous sommes revenus le soir, plus de champs, plus de chemins, plus que des arbres pour indiquer à peu près où il fallait aller. J’ai été véritablement fort effrayée, d’autant plus que le cheval nous a refusé service, et qu’il nous a fallu passer la montagne à pied, la nuit, avec des torrents à travers les jambes, Maurice est brave comme un César. Au milieu du chemin, faisant contre fortune bon cœur, nous nous sommes mis à dire des bêtises. Nous faisions semblant de pleurer, et nous disions : « J’veux m’en aller cheux nous, dans noute pays de la Châtre, l’oûs qu’y a pas de tout ça ! » Nous sommes installés depuis un mois seulement et nous avons eu toutes les peines du monde. Le naturel du pays est le type de la méfiance, de l’inhospitalité, de la mauvaise grâce et de l’égoïsme. De plus, ils sont menteurs, voleurs, dévots comme au moyen âge. Ils font bénir leurs bêtes, tout comme si c’était des chrétiens. Ils ont la fête des mulets, des chevaux, des ânes, des chèvres et des cochons. Ce sont de vrais animaux eux-mêmes, puants, grossiers et poltrons ; avec cela, superbes, très bien costumés, jouant de la guitare et dansant le fandango. La classe monsieur est charmante. C’est le genre Adolphe. L’industriel tient le milieu entre Peigne-de-buis et Robin-Magnifique. Le prolétaire est un composé de Bonjean et du père Janvier. Si Chabin venait ici, il ferait un ravage de cœurs et serait capable de passer pour un aigle. Moi, je passe pour vouée au diable, parce que je ne vais pas à la messe, ni au bal, et que je vis seule au fond de ma montagne, enseignant à mes enfants la clef des participes et autres gracieusetés. Au reste, nous sommes bien admirablement logés. Nous avons pris une cellule dans une grande chartreuse, ruinée à moitié, mais très commode et bien distribuée dans la partie que nous habitons. Nous sommes plantés entre ciel et terre. Les nuages traversent notre jardin sans se gêner et les aigles nous braillent sur la tête. De chaque côté de l’horizon, nous voyons la mer. En face une plaine de quinze à vingt lieues ; laquelle plaine nous apercevons au bout d’un défilé de montagnes d’une lieue de profondeur. C’est un site peut-être unique en Europe. Je suis si occupée, que j’ai à peine le temps d’en jouir. Tous les jours, je fais travailler mes enfants pendant six ou sept heures ; et, selon ma coutume, je passe la moitié de la nuit à travailler pour mon compte. Maurice se porte comme le pont Neuf. Il est fort, gras, rose, ingambe. Il pioche le jardin et l’histoire avec autant d’aisance l’un que l’autre. Mais, mon Dieu ! pendant que je me réjouis à te parler de nous et à te dire des bêtises, n’es-tu pas dans le chagrin ? Vous êtes dans l’hiver jusqu’au cou, vous autres ! Ma pauvre Agasta n’est-elle pas malade ? Dieu veuille que ma lettre vous trouve tous bien portants et disposés à rire ! Quand je songe combien j’aurais voulu décider Agasta à venir avec moi ici, je vois que, d’une part, j’aurais bien fait de réussir à cause du climat ; mais de l’autre, il y aurait eu bien des inconvénients. La vie est dure et difficile. On ne se figure pas ce que l’absence d’industrie met d’embarras et de privations dans les choses les plus simples. Nous avons été au moment de coucher dans la rue. Ensuite, l’article médecin est soigné ! Ceux de Molière sont des Hippocrates en comparaison de ceux-ci. La pharmacie à l’avenant. Heureusement nous n’en avons pas besoin ; car, ici, on nous donnerait de l’essence de piment pour tout potage. Le piment est le fond de l’existence mayorquine. On en mange, on en boit, on en plante, on en respire, on en parle, on en rêve. Et ils n’en sont pas plus gaillards pour cela ! Du moins, ils n’en ont pas l’air ! Adieu, mon Boutarin ; je t’embrasse, toi, Agasta et les chers enfants. Donne de mes nouvelles à nos amis. Je les aime, je pense à eux aussi bien à Palma qu’à Nohant. Mais comment leur écrire, quand je n’ai le temps ni de dormir, ni de manger, ni de prendre l’air avec un peu de laisser aller. C’est une grande tâche pour moi d’élever mes enfants moi-même. Plus je vais, plus je vois que c’est la meilleure manière et qu’avec moi, ils en font plus en un jour qu’ils n’en feraient en un mois avec les autres. Solange est toujours éblouissante de santé. Tous les deux vous embrassent. G. S. [Valldemosa, 22 janvier 1839]. Cher ami, Je vous envoye enfin mes Préludes — que j’ai fini sur votre pianino arrivé dans le meilleur état possible malgré la mer et le mauvais temps, et la douane de Palma. J’ai chargé Fontana de vous remettre mon manuscrit. J’en veux mille-cinq-cents francs pour la France et l’Angleterre. Probst comme vous le savez, en a, pour mille francs, la propriété pour Haertel en Allemagne Je suis libre d’engagement avec Wessel à Londres ; il peut payer plus cher. Quand vous y penserez, vous remettrez l’argent à Fontana. Je ne veux pas tirer sur vous ici parce que je ne connais pas de banquier à Palma. Puisque vous avez voulu, chérissime, prendre la corvée d’être mon éditeur, il faut que je vous avertisse qu’il y a encore des manuscrits à vos ordres 1o la Ballade (qui entre encore dans les engagements Probst pour l’Allemagne) — Cette Ballade j’en veux mille frs, pour la France et l’Angleterre. 2o deux Polonaises (dont vous connaissez une en la) j’en veux mille cinq cents francs pour tous les pays du globe. 3o un 3ème Scherzo, même prix que les Polonaises pour toute l’Europe. Cela vous arrivera sur le dos si vous le voulez de mois en mois jusqu’à l’arrivée de l’auteur qui vous dira plus qu’il ne sait écrire. Je n’ai eu de vos nouvelles qu’indirectement par Fontana qui m’a écrit que vous alliez mieux. Les postes sont ici d’une organisation merveilleuse. J’attends depuis 3 mois une lettre des miens de Varsovie ! Et les vôtres ? Mme Pleyel ? M. et Mme Denoyers ? Dites-leur à tous mes meilleurs souhaits pour l’année 39. J’attends une lettre de vous, toute petite, toute petite, et vous aime comme toujours. Votre tout dévoué F. F. Chopin. pardonnez moi mon orthographe, Valdemosa, près Palma 22 janv. 1839. xxx Je m’aperçois que je ne vous ai pas remercié pour le piano — et que je ne vous parle que d’argent. — Décidément je suis un homme d’affaires ! Valdemosa, 22 janvier 1839. Chère amie, [...] Je vous dis : Rien de neuf. Et vous vous reportez à mon ancienne lettre, vous me voyez à ma chartreuse toujours sédentaire et occupée le jour à mes enfants, la nuit à mon travail. Au milieu de tout cela, le ramage de Chopin, qui va son joli train et que les murs de la cellule sont bien étonnés d’entendre. Le seul événement remarquable depuis cette dernière lettre, c’est l’arrivée du piano attendu. Enfin, il a débarqué sans accident, et les voûtes de la chartreuse s’en réjouissent. Et tout cela n’est pas profané par l’admiration des sots : nous ne voyons pas un chat. Notre retraite dans la montagne, à trois lieues de la ville, nous a délivrés de la politesse des oisifs. Pourtant nous avons eu une visite de Paris ! C’est M. Dembowski, Italiano-Polonais que Chopin connaît et qui se dit cousin de Marliani, à je ne sais quel degré. C’est un voyageur modèle, courant à pied, couchant dans le premier coin venu, sans souci des scorpions et compagnie, mangeant du piment et de la graisse avec ses guides. Enfin de ces gens à qui l’on peut dire : Bien du plaisir ! Il a été très étonné de mon établissement dans les ruines, de mon mobilier de paysan, et surtout de notre isolement, qui lui semblait effrayant. Le fait est que nous sommes très contents de la liberté que cela nous donne, parce que nous avons à travailler ; mais nous comprenons très bien que ces intervalles poétiques qu’on met dans sa vie ne sont que des temps de transition, un repos permis de l’esprit avant qu’il reprenne l’exercice des émotions. Je vous dis cela dans le sens purement intellectuel ; car, pour la vie du cœur, elle ne peut cesser un instant et je sens que je vous aime autant ici qu’à Paris. Mais l’idée de revivre à Paris m’épouvante, après ce bon silence et cet imperturbable calme de ma retraite. Et puis, en même temps, l’idée de vivre toujours ici, sans me retremper au spectacle d’anciens progrès de l’humanité me ferait l’effet de la mort, car vous ne pouvez pas vous figurer ce que c’est qu’un peuple arriéré. De loin, on le croit poétique, on imagine l’âge d’or, des mœurs patriarcales : — quelle erreur ! La vue de pareils patriarches vous réconcilie avec le siècle, et on voit bien clairement que, si nous valons peu encore, ce n’est pas parce que nous en savons trop, mais que c’est parce que nous en savons trop peu. Ainsi je suis bien embarrassée de vous dire combien de temps encore je resterai ici. Cela dépendra un peu de la santé de Chopin qui est meilleure depuis ma dernière lettre, mais qui a encore besoin de l’influence d’un climat doux. [...] J’avais écrit à M. Cauvière pour le piano. Il m’a répondu une lettre charmante. Quand les oranges seront mûres, je lui en enverrai pour vous mais elles sont acides même dans mon jardin où elles sont bien abritées. Nous avons ici quinze degrés de chaleur dans la journée, huit au-dessus de zéro la nuit. Je me permets de vous envoyer mes lettres pour le Berry parce que j’envoie le paquet à Madame Clavé à Barcelone et je ne veux faire qu’un paquet. Il y a un paquet de manuscrits de musique. Grzymala est chargé de rembourser le port. Chopin est à vos pieds. Adressez toujours aux Flayner. Barcelone, 15 février 1839. Ma bonne chérie, Me voici à Barcelone. Dieu fasse que j’en sorte bientôt et que je ne remette jamais le pied en Espagne ! C’est un pays qui ne me convient sous aucun rapport et dont je vous dirai ma façon de parler quand nous en serons hors, comme dit La Fontaine. Le climat de Majorque devenait de plus en plus funeste à Chopin, je me suis hâtée d’en sortir. Un trait des mœurs des habitants ! J’avais pour quitter ma montagne trois lieues de chemin très raboteux à faire jusqu’à Palma. Nous connaissions dix personnes qui ont voitures, chevaux, mulets, etc., aucune n’a pu nous prêter la sienne. Il a fallu faire cette course en patache de louage non suspendue si bien que Chopin a eu un crachement de sang épouvantable en arrivant à Palma. Et pourquoi cette désobligeance ? C’est que Chopin tousse. Quiconque tousse en Espagne est déclaré phtisique, quiconque est phtisique est pestiféré, lépreux, galeux. Il n’y a pas assez de pierres, de bâtons et de gendarmes pour le chasser de partout parce que selon eux la phtisie se gagne et qu’en raison de cela on doit si l’on peut assommer le malade comme on étouffait les enragés il y a deux cents ans. Ce que je vous dis est à la lettre. Nous avons été à Majorque comme des parias à cause de la toux de Chopin et aussi parce que nous n’allions pas à la messe. Mes enfants étaient assaillis à coups de pierres sur les chemins. On disait que nous étions payens, que sais-je ? Il faudrait écrire dix volumes si on voulait donner une idée de la lâcheté, de la mauvaise foi, de l’égoïsme, de la bêtise et de la méchanceté de cette race stupide, voleuse et dévote. Je crois que je ne pourrai jamais revoir la figure de Valdemosa. Enfin nous avons gagné Barcelone qui nous semble le paradis par comparaison. Nous avons voyagé sur le bateau à vapeur en compagnie de cent cochons dont l’odeur n’a pas contribué à guérir Chopin. Mais le pauvre enfant serait mort de spleen à Majorque et, à tout prix, il a fallu l’en faire sortir. Mon Dieu, si vous le connaissiez comme je le connais maintenant vous l’aimeriez encore davantage, chère amie. C’est un ange de douceur, de patience et de bonté. Nous avons été transportés du bateau majorquin sur le brick français qui était dans le port. Le commandant de station est charmant pour nous, son navire est un salon pour l’élégance et la propreté. Le médecin du bâtiment a vu Chopin et m’a rassurée sur l’accident du crachement de sang qui durait encore et qui s’est arrêté enfin cette nuit à l’auberge. Il m’a dit que c’était une poitrine excessivement délicate mais qu’il n’y avait rien de désespérant, qu’avec du repos et des soins, il reprendrait bientôt sa petite santé. Nous allons passer ici une huitaine pour le reposer après quoi nous irons par mer à Marseille. Là nous nous remettrons aux soins de votre bon docteur Cauvière qui nous dirigera soit à Hyères, soit à Nice selon sa sagesse et son expérience car il fait trop froid encore à Paris pour y retourner et nous attendrons le printemps dans un pays doux mais sec. À Majorque, nous vivions dans la vapeur tiède et moi-même j’ai été couverte de rhumatismes et j’y ai vieilli de dix ans. [...] Je dois à Monsieur Remisa trois mille francs que j’avais prié Buloz de lui rembourser. Je doute qu’il l’ait fait car c’est un juif et il ne donne rien pour rien : s’il l’a fait vous n’aurez à lui demander pour moi que trois mille francs sur Lélia et cinq cents sur Simon. S’il ne l’a pas fait, exigez les dix mille cinq cents francs comptant sur Lélia, payez tout de suite Monsieur Remisa et envoyez-moi l’excédent. [...] Soyez assez bonne pour dire à mes amis où je suis, et ce que je deviens. Je n’ai pas le temps d’écrire à d’autres qu’à vous car il y a un bateau en partance aujourd’hui même et je veux qu’il porte mon paquet. Adieu, mille baisers et tout mon cœur à vous. George. J’écrirai à Leroux de Marseille. En attendant demandez lui s’il veut bien corriger les épreuves de Lélia non pas typographiquement, les points et les virgules regardent Buloz, mais philosophiquement. Il doit y avoir des mots impropres et bien des arguments sans clarté, je lui donne plein pouvoir. Il fera cette corvée par amitié pour moi et par dévouement pour les idées que je soulève dans Lélia. Ne serait-ce que d’oser interroger le siècle sur ces choses, c’est je crois une chose utile. Lisez à Grzymala ce qui concerne Chopin et qu’il n’en parle pas car avec les bonnes espérances que le médecin me donne, il est inutile d’alarmer sa famille. Dites à mon cher époux que le temps me manque pour lui écrire une seule ligne. Marseille, 5 mars 1839. Enfin, chère, me voici en France. Vous recevrez cette lettre en même temps que mon paquet de Barcelone que j’aurais mieux fait d’apporter moi-même ici car les formalités de Douane n’ont pas encore permis au docteur Cauvière de le recevoir. Vous apprendrez donc en même temps et mon départ de Majorque et mon arrivée à Marseille. Nous avons séjourné huit jours à Barcelone. Chopin a été bien soigné par la médecine française, bien assisté par l’hospitalité et l’obligeance françaises mais toujours persécuté et contristé par la bêtise, la juiverie et la grossière mauvaise foi de l’Espagnol. À tel point que l’aubergiste des 4 nations (première auberge de Barcelone et de toute l’Espagne) a voulu lui faire payer le lit où il avait dormi sous prétexte qu’il fallait brûler ce lit comme infecté de maladie contagieuse. Ce trait vous peint l’Espagne d’un bout à l’autre. Spéculations éternelles sur les souffrances d’autrui avec accompagnement d’impudence et d’injures. Oh que je hais l’Espagne ! j’en suis sortie comme les anciens à reculons c’est-à-dire avec toutes les formules de malédiction ; j’en ai secoué la poussière de mes pieds et j’ai fait serment de ne plus jamais parler à un Espagnol de ma vie. Manoël n’est pas Espagnol, chère amie, son grand cœur, sa droiture, sa candeur, ses instincts généreux et sympathiques, donnent le plus éclatant démenti au préjugé de la paternité. Il est Italien par l’intelligence et par le cœur, il est de la planète de l’Idéal ; comme il est Français par l’éducation et les manières. Un mois de plus et nous mourions en Espagne, Chopin et moi ; lui, de mélancolie et de dégoût, moi de colère et d’indignation. Ils m’ont blessée dans l’endroit le plus sensible de mon cœur, ils ont percé à coup d’épingles un être souffrant sous mes yeux, jamais je ne leur pardonnerai cela et si j’écris sur eux, ce sera avec du fiel. Mais que je vous donne des nouvelles de mon malade, car je sais, bonne sœur, que vous vous y intéressez autant que moi. Il est beaucoup, beaucoup mieux, il a supporté très bien trente six heures de roulis et la traversée du Golfe de Lion qui du reste a été, sauf quelques coups de vents, très heureuse. Il ne crache plus de sang, il dort bien, tousse peu et surtout il est en France ! Il peut dormir dans un lit que l’on ne brûlera pas pour cela. Il ne voit personne reculer quand il étend la main. Il aura de bons soins et toutes les ressources de la médecine. Votre bon docteur Cauvière l’a reçu comme son enfant et va le guérir certainement. Je n’ai pas encore pu lui parler en particulier mais je vois à son air qu’il n’a pas d’inquiétude et qu’il ne doute pas du succès de ses soins. Mes enfants et moi allons à merveille. Maurice a fait l’admiration du Docteur par sa belle santé et après avoir écouté son cœur, il a déclaré qu’il n’y avait plus trace de l’ancien mal. Voilà une grande victoire. Solange est toujours comme une pêche, son caractère est fort amélioré bien que ses instincts de résistance soient toujours féroces, le cœur est grand et la raison vient. Nous avons fait beaucoup de projets avec le Docteur et, tous les inconvénients et avantages discutés, nous avons résolu de passer le mois de mars à Marseille vu que ce mois est variable et fantasque en tout pays et que le repos est maintenant la chose la plus désirable à notre malade. J’espère qu’en avril, il sera rétabli et capable d’aller où bon lui semblera, alors je consulterai sa fantaisie et le reconduirai à Paris s’il le désire. Je crois qu’au fond c’est le séjour qu’il aime le mieux. Mais je ne l’y laisserai retourner que bien guéri. Vous avez encore froid sans doute ; ici sauf les jours de mistral, il fait déjà chaud. Vous connaissez du reste ce beau climat. Nous allons habiter une bastide à deux pas de la sœur de Marliani. Et à propos de cela, dites moi si je dois la voir ou ne pas la voir. Il me semble qu’il y a brouille entre Manoël et sa sœur, parce que je lui ai fort peu entendu parler d’elle et qu’ils ne sont pas, je crois, en correspondance. Dites-moi comment je dois me conduire pour être agréable à votre mari [en] cette circonstance. Adieu chère, écrivez-moi maintenant sous le couvert du Docteur. Il me sera doux d’avoir de vos nouvelles toutes fraîches. Je crois bien avoir reçu toutes vos lettres (la dernière que j’ai reçue à Barcelone était datée du 15 février) mais comme j’étais malheureuse à Majorque de les attendre un mois et jusqu’à six semaines ! [...] Mille tendres hommages du malade. Les enfants baisent vos belles menottes et moi je vous serre sur mon cœur. 6 mars [P. S.] Le docteur me dit que mon paquet de Lélia ne partira d’ici que par l’occasion d’un sien neveu qui va à Paris. Vous recevrez donc cette lettre-ci bien avant l’autre. Vous verrez peut-être aussi ma femme de chambre Amélie que j’ai mise à la porte en débarquant à Marseille, c’est une mauvaise créature qui s’entendait avec tous les fournisseurs et tous les aubergistes pour me voler. Ne la prenez pas à votre service, c’est la fausseté même. Et je l’aimais cependant ! Je faisais le ménage pour lui épargner de la peine, ces gens-là sont maudits, je commence à désespérer d’en rencontrer un seul digne d’estime et de confiance. Ne la laissez pas babiller avec vos gens, elle pervertirait le diable. En un clin d’oeil, elle s’entendait avec toute une ville pour me piller, je n’ai jamais vu tant d’impudence et de sang-froid. Malheureuse espèce ! J’ai rouvert aussi ma lettre pour vous dire que, ce matin, nous nous installons dans une maison meublée pour quelque temps. Le Docteur trouve l’air des champs encore trop vif pour Chopin et devinez où il nous a trouvé un appartement ? Chez Monsieur Joseph Marliani que j’ai vu ce matin et qui est presque aussi beau que Manoël. N’est-ce pas étrange que, d’une façon ou d’une autre, je demeure chez des Marliani ? Adressez moi donc vos lettres : à Madame Sand, rue et Hôtel de la Darse. Ci-joint une lettre ouverte pour Buloz, veuillez la lire car vous allez être investie de grandes affaires avec lui et la faire mettre tout de suite à la poste. Marseille, le 7 mars 1838. Mon Julien, Grzymala t’aura certainement donné des nouvelles de ma santé et de mes manuscrits. Il y a deux mois, je t’ai envoyé mes Préludes, de Palma, en te priant de les recopier pour Probst. À ma demande, tu devais remettre à Léo les 1000 [francs] que t’en aurait donné Probst, puis, au moyen des 1500 francs versés par Pleyel pour les Préludes, payer Nougués et un terme de loyer à mon propriétaire. Si je ne me trompe, je t’ai demandé par cette même lettre de donner congé de mon appartement qu’il me faudra, s’il n’est pas loué en avril, garder un trimestre encore (jusqu’en juillet, me semble-t-il). L’argent de Wessel t’a probablement servi à payer le terme de janvier, sinon emploie-le pour le suivant. Les deuxièmes manuscrits viennent sans doute seulement de te parvenir. Ils ont dû rester assez longtemps à la douane, puis en mer, puis à l’autre douane. En même temps que les préludes, j’ai envoyé à P[leyel] une lettre lui disant que je lui donnais pour 100 [francs] la Ballade (dont Probst à la propriété pour Allemagne). Pour les deux Polonaises, je lui ai demandé quinze cents [francs] (propriété pour la France, l’Angleterre et l’Allemagne car mon engagement avec Probst a pris fin par la remise de la Ballade). Je crois que ce n’est pas trop cher. Quand les seconds manuscrits te seront parvenus, tu devras donc toucher deux mille cinq cents francs de Pleyel et cinq (ou six cents francs je ne me rappelle pas bien) de Probst pour la Ballade ; donc, en tout, trois mille francs. J’ai prié Grzymala de m’envoyer tout de suite au moins cinq cents francs mais cela ne doit pas t’empêcher de me faire parvenir au plus vite le reste. Tel est l’état de mes affaires. D’autre part, si l’appartement est — ce dont je doute — loué le mois prochain, veuillez, Grz[ymala], Jas [Matuszynski] et toi, vous partager mes meubles. C’est Jeannot qui a le plus de place chez lui mais il n’a pas trop de bon sens à en juger par sa lettre puérile : Il pense, m’a-t-il dit, que je vais me faire « camaldule ». Parmi mes affaires, choisis pour Jeannot ce qui lui rendra le plus service dans son ménage. N’encombre pas trop Grzymala [à cet endroit la lettre est légèrement abîmée] prends ce qui peut t’être utile car je ne sais pas encore si je resterai cet été à Paris (garde cette nouvelle pour toi). Dans [autre partie abîmée] nous nous écrirons et s’il faut, comme je le prévois, conserver l’appartement jusqu’au mois de juin, je te chargerai du paiement du dernier trimestre et te serai très obligé d’habiter d’un pied chez moi ; bien que tu aies ton propre logement. Tu trouveras, dans la deuxième Polonaise, ma réponse à ta lettre si vraie, si sincère. En puis-je (sic) si je suis comme un mauvais champignon auquel on ose goûter parce qu’il a l’aspect d’un bon ? Je sais que je n’ai jamais servi à rien ou du moins pas à grand chose ni aux autres ni à moi-même. Je t’ai dit qu’il y a dans le premier tiroir de mon secrétaire (le premier à partir de la porte) une lettre que vous pourriez décacheter, toi, Grzymala ou Jeannot. Mais à présent, je te prie de l’en retirer et de la brûler sans la lire. Fais-le, je t’en conjure sur notre amitié. Cette feuille est désormais inutile. Si Antek [Wodzinski] partait sans m’envoyer l’argent ce serait bien polonais — mais n b : d’un polonais pas fameux ; pourtant ne lui dis rien. Tâche de voir Pleyel. Dis-lui que je n’ai reçu aucun mot de lui. Dis-lui aussi que son piano est en sûreté. Est-il d’accord pour l’arrangement que je lui ai proposé par écrit ? J’ai reçu trois lettres à la fois des miens au moment où j’allais m’embarquer. Je t’en envoie encore une pour eux. Je te remercie pour l’aide cordiale que tu me dispenses à moi qui suis sans force. Embrasse Jeannot. Dis-lui que je ne me suis pas — ou plutôt qu’on ne m’a pas laissé saigner et que je porte des vésicatoires. Dis-lui aussi que je tousse peu, seulement le matin et que l’on ne me tient encore pas du tout pour tuberculeux. Je ne bois ni café ni vin, seulement du lait ; je m’habille chaudement et ressemble à une demoiselle. Envoie l’argent le plus vite possible et mets-toi en rapports avec Grzymala. Ton Fr. Ci-joint deux mots pour Antek. J’écrirai demain à Grzymala. Marseille, 11 mars 1839. Cher Bouc ou hareng, je suis à Marseille. L’Espagne a réussi physiquement à Maurice, mais moralement, elle nous fait horreur à tous ! Ce qui s’y passe maintenant vous donne la mesure du caractère national, nous avons secoué la boue et le sang qui collent aux pieds sur cette terre abandonnée à l’anarchie, à la démence et à la cruauté. Mon compagnon de voyage, Chopin, s’est trouvé bien mal de ce séjour. Sa santé déjà très compromise avait empiré à Majorque d’une manière effrayante. Je l’ai ramené par mer à Marseille, la voiture lui faisant beaucoup de mal. Voilà pourquoi nous n’avons pas passé à Nismes et sommes ici où nous avons pour ami et médecin le Docteur Cauvière dont la réputation vous est arrivée certainement. Grâce à Dieu, Chopin est en pleine convalescence et nous pourrons dans un mois ou deux reprendre la route de Nohant. Nous passerons à coup sûr tout le mois de mars à Marseille. J’espère qu’étant si près de nous, vous viendrez nous voir. [...] Adieu, mon enfant, à revoir bientôt n’est-ce-pas ? [...] de Marseille. [12 mars 1839] Merci, mon âme, de toutes tes démarches. Des procédés aussi juifs m’étonnent de la part de Pleyel. Mais puisqu’il en est ainsi, remets-lui cette lettre, je te prie, à moins qu’il n’accepte la Ballade et les Polonaises sans difficulté. Si non, veuille porter la Ballade à Schlesinger dès que Probst t’aura versé les 500 francs. Pour faire tant que de traiter avec des Juifs, que ce soit au moins avec des Juifs orthodoxes. Probst me flouerait plus encore, c’est un oiseau bien difficile à apprivoiser. Schlesinger m’a toujours dupé, il n’a pas mal gagné grâce à moi et ne refusera pas de nouveaux profits. Seulement procède avec politesse avec lui car ce Juif veut passer pour quelqu’un. Donc si Pleyel fait la moindre difficulté, va chez Sch[esinger] et dis-lui que je lui donne pour la France et l’Angleterre la Ballade pour 800 francs (car il n’en donnerait pas mille) et pour 1500 francs les Polonaises pour l’Allemagne, l’Angleterre et la France. S’il n’accepte pas, je veux bien les lui laisser pour 1400, pour 1300 ou même 1200 francs. Si d’autre part, Schlesinger (mis probablement au courant par Probst) te parle des Préludes et de Pleyel, dis-lui qu’ils lui étaient promis depuis longtemps car, avant mon départ, il avait demandé comme une faveur à pouvoir les éditer. Et c’est vrai. Vois-tu, mon âme : Pour Pleyel, je romprais avec Schlesinger mais pour Probst je ne le ferais pas. Peu m’importe que Schlesinger vende à Probst mes manuscrits plus cher que celui-ci ne les payerait à moi-même. Si Probst les paie cher à Schlesinger, c’est la preuve qu’il m’exploite quand il me paie peu. Je me sens mieux de jour en jour mais, comme mon médecin ne me permet pas de quitter le midi avant l’été, paie ces 50 francs au concierge que j’approuve entièrement. J’ai reçu les Dziady hier. Quant au gantier et au petit tailleur, ils peuvent attendre, les imbéciles. Que sont devenus mes papiers ! Tu laisseras mes lettres dans le secrétaire et mettras mes notes chez Jeannot ou chez toi. Il y a aussi des lettres dans le tiroir de la petite table de l’antichambre. Ne laisse pas ce tiroir ouvert. Tu fermeras la lettre pour Schlesinger et Schlesinger lui-même avec du pain à cacheter. Écris souvent Tonxxxx Ch.xxxx Embrasse Jeannot. [Marseille, 12 mars 1839]. Mon âme bien aimée. Les juifs seront toujours des juifs, et les teutons des teutons. Tu as raison, mais qu’y faire ? Il me faut bien traiter avec eux. Je te remercie encore une fois de ta bonté. Après les instructions que j’ai données à Fontana aujourd’hui, je n’aurai pas, j’espère, besoin de recourir à toi une seconde fois. Ma santé s’améliore de jour en jour. Les vésicatoires, la diète, les pilules, les bains et, plus que tout, les soins infinis de mon ange m’ont remis sur pieds — sur des jambes un peu maigres. Tu t’intéresses à mes projets ? Alors, voici ; le médecin ne veut pas me libérer avant mai... juin. De Marseille, nous comptons gagner Nohant où l’air d’été me fera beaucoup de bien. Si ma santé l’exige et suivant l’état de mes finances, je passerai l’hiver prochain dans le midi de la France ou à Paris. J’ai maigri et pâli terriblement mais maintenant je mange beaucoup. Ajoute à ma toux habituelle, tout le mal que m’ont fait les Espagnols et les multiples agréments éprouvés là-bas. Sans cesse, je la voyais inquiète de moi. Elle devait me soigner toute seule car Dieu nous préserve des médecins du pays ! Je la voyais faire mon lit, ranger la chambre, préparer les tisanes, se priver de tout pour moi, ne recevant aucun courrier, veillant sur les enfants qui avaient constamment besoin de son regard aimant [un mot illisible] dans des conditions de vie inusitées. Ajoute à cela qu’elle écrivait... [la fin manque.] Marseille, 15 mars 1839. Merci, chère amie, de votre aimable promptitude à me donner de vos nouvelles et à me procurer de l’argent. Chopin de son côté en a reçu hier de sorte que nous voici à flot, le retard de nos lettres de Barcelone nous avait mis à sec, et malgré toute la confiance que nous avons dans le bon vouloir et la grâce parfaite du Docteur nous avions refusé ses offres. Les artistes ont une si mauvaise réputation d’emprunteurs que nous n’aimions pas à laisser voir notre misère. Heureusement, elle cesse dès que la poste ne retient plus nos manuscrits. Notre petit Chopin va de mieux en mieux, le Docteur l’a tâtonné sur toutes les coutures et ne lui trouve aucune lésion, aucune cavité, aucun mal sérieux. Il le soigne comme son enfant, le voit soir et matin, le promène, le dorlotte, le comble de petits soins. C’est un bien aimable et bien excellent homme. Quoi que vous en disiez, je le crois bon médecin, consciencieux et attentif. Il nous disait aujourd’hui (nous dînions chez lui) que vous aviez déployé ici, dans l’affaire de votre moulin à vapeur, plus d’activité, d’énergie et de talent qu’aucun ministre n’a jamais fait en France. D’où je conclus, Chère, que si Louis-Philippe n’était pas un sot, il vous enverrait le porte-feuille et vous nommerait président des ministres. Puisque vous êtes un si habile homme, vous allez me mener Buloz de la belle manière pour mon affaire de Lélia. Au reste je me suis souvenue que je lui avais laissé un mémoire de tailleur, et le soin de payer à Charpentier les cadres de nos portraits, ce qui nécessairement doit rabattre huit cents à mille francs de mes prétentions. Voyez, Chère, à ce que du moins il paye ces dettes s’il m’en retient le montant. J’ai de quoi aller quelque temps avec ce qu’il m’enverra. Chopin de son côté a travaillé, et va rouler sur l’or. Moi, je travaille toujours et bientôt j’aurai un nouveau manuscrit à vous envoyer ; c’est un long article critique sur Goethe, Byron et Mickiewicz comparés. Mais pour l’amour de Dieu, dites à mon étourdi de Grzymala de m’envoyer la traduction du petit volume des Dziady que je lui demande à corps et à cris et sans lequel je ne puis continuer mon travail. Je voudrais bien savoir aussi où j’en suis avec Buloz, pour mon édition. Je voudrais qu’elle fût finie et qu’il s’occupât d’en recommencer une autre, ainsi qu’il me l’avait promis pour cette année ; cela demanderait des explications, et je crains de vous ennuyer. Répondez-moi franchement chère amie, si avec toutes les charges et occupations qui vous accablent, vous n’avez pas de mes affaires par dessus la tête. Vous savez que de votre part rien ne peut me sembler mauvais vouloir, et que je comprends bien ce que c’est que la vie de Paris. Je n’ai pas encore vu votre amie, je la verrai de bien bon cœur, et me ferai aussi aimable qu’il est possible à un ours comme moi de l’être, mais il faudra qu’elle me fasse un petit bout d’avance car, malgré son esprit et sa bonté que l’on vante beaucoup, on m’apprend qu’elle est légitimiste et catholique, deux choses qui peuvent bien faire qu’elle me reçoive par amitié pour vous et en surmontant un peu de répugnance. Vous savez mon excès de réserve en ces occasions-là, orgueil si vous voulez ! mais je crains tellement de m’imposer que qui veut me voir doit venir me chercher. Vous pensez bien que s’il s’agissait d’amis à vous dans une position inférieure à la mienne, socialement parlant, j’y courrais tout de suite et ferais toutes les avances. Jusqu’ici j’ai vécu tout à fait cachée et enfermée chez Monsieur Marliani, soignant mon petit Chopin qui, Dieu merci, reprend à vue d’œil, ne tousse plus, dort bien, mange bien, joue du piano et commence à sortir en voiture. Je m’occupe aussi de mes enfants plusieurs heures par jour, ils sont paresseux, mais intelligents. J’ai retrouvé ici Rey, que vous connaissez peut-être, qui était lié avec Liszt et qui est venu à Nohant. C’est un bon garçon passablement instruit et intelligent qui me seconde en leur donnant des leçons. La nuit, je gribouille comme de coutume. Je suis assaillie ici comme à Paris. Du matin au soir : oisifs, curieux et mendiants littéraires assiègent ma porte de leurs lettres et de leurs personnes. Je me tiens sur une défensive inflexible, ne réponds, ni ne reçois et me fais passer pour malade. Ne soyez pas effrayée s’il vous vient de ce pays la nouvelle que je suis mourante ; quand ils sauront que je me porte bien je crois qu’ils seront furieux, car moins que partout ailleurs, on comprend ici l’horreur que peut inspirer la populacerie littéraire et le charlatanisme de la réputation. Il y a cohue à ma porte, toute la racaille littéraire me persécute et toute la racaille musicale est aux trousses de Chopin. Pour le coup, lui je le fais passer pour mort, et si cela continue nous enverrons partout des lettres de faire-part de notre trépas à tous deux, afin qu’on nous pleure et qu’on nous laisse en repos. Nous pensons nous tenir cachés dans les auberges tous ce mois de mars à l’abri du mistral qui souffle de temps en temps assez vivement ; au mois d’avril, nous louerons dans la campagne quelque bastide meublée. Au mois de mai, nous irons à Nohant et en juin vraisemblablement à Paris, car je crois que c’est encore le pays où l’on peut vivre le plus libre et le plus caché. Plus je vais et plus la vie retirée m’est nécessaire, l’éducation de mes enfants me tient clouée, mes travaux deviennent aussi plus sérieux, ou au moins moins frivoles. Je voudrais m’établir à Paris, mais pour cela il faudrait me meubler et je ne vois pas que j’aie de quoi, à moins que Buloz ne se décide à me réimprimer et à me verser une vingtaine de mille francs d’avance ; c’est à quoi je voudrais peu à peu l’amener. [...] Comme l’Economie politique de Reynaud, est une magnifique prédication aussi ! Je l’ai lue la veille de mon départ de la Chartreuse, tout haut à Chopin et à Maurice, qui n’en ont pas perdu un mot, voilà la morale et la philosophie que j’entends, celle que tout esprit candide peut aborder d’emblée sans y être préparé par de longues études et sans être rompu à un long usage de convention. Il est vrai que tous les sujets ne peuvent se traiter aussi clairement, mais quel beau parti il a su en tirer de celui-là ! Décidément, ce sont deux hommes de l’avenir et l’humanité qui ne les connait pas aujourd’hui, leur élèvera un jour des autels. [...] Adieu, chère, mille fois chère. Parlez-moi de Manoël, revient-il, avez-vous de bonnes nouvelles de lui ? Son frère est bien je crois tel que vous le dites et associé à qui vous dîtes. Nous sommes bien mécontents de leur auberge, elle est chère comme poivre et pas bonne. Ils sont peu obligeants, la dame est insolente et rampante ; nous allons, sans nous fâcher, la quitter un de ces jours. Adressez-nous vos lettres chez le Docteur. Je n’ai parlé à Monsieur Marliani qu’une fois, il m’a dit qu’il ne savait pas pourquoi il était brouillé avec son frère, à quoi j’ai répondu que je ne savais pas qu’ils fussent brouillés et j’ai rompu l’entretien ; quant à la sœur, je me garderai bien d’après ce que vous m’en dites d’avoir aucune relation avec elle. Adieu encore, ma Chérie. Mille baisers à vous, mille tendresses à nos amis, à l’excellent Gaston, au bon Enrico et à mon Bignat, à Delacroix, Chopin vous baise la manine bianche. [Marseille, 17 mars 1839.] Chère amie, Que vous êtes aimable et bonne de vous occuper de moi comme vous faites ! Quand donc, moi, serai-je bonne à quelque chose ! Puisque Buloz vous remet l’argent de Simon, envoyez-le moi car celui que Chopin attend de son éditeur souffre quelque retard et je touche avec mon hôtesse au quart d’heure de Rabelais. Dans une dernière lettre à Buloz que je vous ai fait passer je lui demandais de m’envoyer le tout à la fois, mais j’aime autant avoir quelque chose tout de suite. Vous aurez, dans peu de jours, mon article sur Mickiewicz qui sera je crois plus long que je ne l’annonçais. [...] Encore un mot pour en finir avec Buloz : Faites-moi envoyer la Revue depuis le dernier No de Spiridion. J’avais écrit à Buloz de me l’adresser ici, il ne l’a pas fait. Chopin va toujours très bien. Il me charge de vous remercier bien tendrement de tout l’intérêt que vous prenez de lui. Soyez sûre que lui aussi vous aime bien, et que chacune de vos lettres est une fête pour nous deux. Le Docteur est très content de sa santé, il nous mène souvent promener et diner ensuite chez lui où il nous traite en gourmets. Hier, il a versé à son malade un demi-verre de Champagne coupé d’eau, quand il lui en versera un pur, il sera bu à votre santé. Je vous quitte, voici notre bon Docteur et il n’y a pas moyen de causer avec d’autres qu’avec lui, même avec vous ; vous savez que le Docteur ne tarit guère. Il vous dit mille compliments, mille amitiés. Je ferme ma lettre car l’heure du courrier arrive, et je veux vous embrasser par ce courrier. [Marseille, mars 1839]. [Écrit sur du papier aux initiales de George Sand] Mon chéri, Je me sens beaucoup mieux. Je commence à jouer, à manger, à marcher comme tout le monde. Tu vois que j’écris même facilement puisque je t’adresse de nouveau quelques mots. Mais c’est encore pour affaires. Je voudrais beaucoup que mes Préludes fussent dédiés à Pleyel (c’est possible puisqu’ils ne sont pas encore imprimés). Et la Ballade à Mr. Robert Schuhmann [sic]. Les Polonaises, à toi, comme elles le sont. Et rien à Kessler. Si Pleyel tient à la Ballade, dédie les Préludes à Schuhmann [sic]. [Constant] Gaszynski est venu d’Aix hier pour me voir. C’est la seule personne que j’ai reçue car les portes sont fermées à tous les amateurs de musique et de littérature. Après t’être entendu avec Pleyel, tu parleras à Probst du changement des dédicaces. Embrasse Jeannot. Sur les nouveaux fonds, tu rendras cinq cents à Grzymala et tu le prieras de me faire parvenir le reste — 2.500 — Ne t’endors pas, aime-moi et écris. Pardonne-moi de t’accabler de commissions, mais je crois que tu fais volontiers ce dont je te prie. Ton Ch. Marseille, 20 mars 1839 Voici encore une lettre pour Buloz qui vous remettra au courant de mes affaires avec lui. Il est plus simple de vous faire lire les lettres que je lui écris que de vous rabâcher des explications que je ne fais qu’embrouiller par ma bêtise. Vous êtes une charmante et excellente femme de m’écrire souvent. J’ai vu votre amie Madame Tallamel, je ne vous en puis rien dire car je ne l’ai vue qu’un instant. Elle ne peut sortir parce qu’elle a eu je ne sais quoi de dérangé à une jambe ; moi je ne puis sortir davantage car mon pauvre Chopin, quoique aussi bien portant que possible, ne peut guère rester seul. Il s’ennuye quand notre petit tripotage d’enfants et de lectures n’est pas autour de son fauteuil, et je n’ai aucune personne de confiance à qui le laisser. D’ailleurs, chère amie, vous savez comme je suis sauvage et comme je crains les nouvelles connaissances. Je ne veux aimer que vous, chère Sœur ; c’est pour la vie, il ne m’en faut pas davantage. Mon cœur est vieux et ne pourrait pas loger une autre amitié de femme. Quant aux simples relations, à quoi bon ? je n’ai pas le temps d’être polie, vous le savez bien. Je ne suis pas surprise du tout du mariage de Didier, vous savez que nous l’aurons deviné vingt fois pour une. [...] Je fais une grande tartine sur Goethe, Byron et Mickiewicz. Rien de neuf chez vous ? Chopin va très bien, il a été bien secoué aujourd’hui par l’histoire qu’on est venu nous raconter sur Nourrit, lequel se serait jeté d’une fenêtre et brisé sur le pavé et en mille pièces, la nouvelle arrive par le bateau à vapeur de Naples. Pourtant nous en doutons encore car c’est trop affreux. J’en suis malade moi-même. J’aimais beaucoup Nourrit comme vous savez. Je fais mes efforts pour persuader à Chopin que cette nouvelle est fausse. Elle lui fait bien du mal et lui a été bien sottement annoncée par un butor. Oh ! combien de butors en ce monde ! [...] Adieu, Bonne, quand vous écrivez à notre gros Manoël donnez-lui mille baisers sur ses grosses joues pour moi. Je ne parle pas du tout à son frère, c’est une si laide chose qu’une auberge ! Je vais quitter celle-ci au premier jour. Marseille, le 27 mars [1839]. Mon Chéri, Je me sens beaucoup mieux et puis te remercier, avec d’autant plus de force des fonds envoyés. Tu sais, ton bon vouloir m’étonne mais aussi as-tu en moi un homme reconnaissant dans l’âme, sinon toujours en apparence. Et tu es si aimable que tu as accepté de garder mes meubles ! Sois assez bon aussi de payer le déménagement. Je risque cette dernière dépense ; car je sais que ce n’est pas une grosse somme. En ce qui concerne mes revenus, que Dieu me garde ! Cet imbécile de Pl[eyel] m’a attiré des ennuis, mais qu’y faire ? Personne n’a jamais enfoncé de mur à coups de tête. Nous reverrons cet été, je te raconterai combien cela m’amuse. La mienne vient de terminer sur Goethe, Byron et Mickiewicz, le plus admirable des articles. Il faut le lire si l’on veut se réjouir le cœur. Je te vois te réjouissant. Tout y est si vrai avec des aperçus grandioses, le sentiment en est si élevé par la nature même du sujet, sans artifices, ni intention de louange ! Dis-moi qui fera la traduction [il s’agit de la traduction d’une partie des Dziady de Mickiewicz]. Si Mick[iewicz] voulait y mettre la main lui-même, elle reverrait volontiers l’ensemble du texte et son article pourrait servir de discours préliminaire à l’édition française. L’ouvrage susciterait le plus vif intérêt et un grand nombre d’exemplaires s’en vendraient facilement. Elle écrira à Mick[iewicz] ou à toi-même à ce sujet. Que fait ton âme ? Que Dieu te donne bonne humeur, santé et force ; ce sont des choses si nécessaires. Que dis-tu de Nourrit ? Son acte nous a profondément stupéfiés. Souvent, elle et moi te prenons avec nous en promenade. Tu ne pourrais croire comme on est bien en ta compagnie. Marseille est laide. C’est une ville vieille mais non ancienne. Elle nous ennuie un peu. Le mois prochain, à coup sûr, nous nous mettrons en route pour Avignon et, de là, nous gagnerons Nohant. Tu nous embrasseras certainement alors non plus par lettre mais de façon moustachue, si tes moustaches n’ont pas subi le sort de mes favoris. Baise les mains et les pieds, mais pas à toi-même. [C’est à dire « Baise les mains et les pieds de ton amie »]. À toi j’écris comme à moi-même sans être mort aux sentiments les plus élevés comme un vrai camaldule. Ch. [Marseille, le 28 mars 1839]. [Sur du papier aux initiales de George Sand]. Monsieur, Il y a plus d’un mois, que j’ai reçu une lettre de Pleyel relativement au piano, j’ai retardé ma réponse espérant toujours recevoir de vos nouvelles et je viens seulement de lui répondre que vous avez fait l’acquisition de cet instrument moyennant douze cents francs. Ma santé étant tout à fait rétablie, je quitterai Marseille incessamment et n’allant pas directement à Paris je crois de mon devoir de vous prier, pour empêcher tout retard, de vouloir bien pour le payement vous adresser à Paris, à Mr C. Pleyel et Cie, rue de Rochechouard No 20, qui sont avertis. Agréez, Monsieur, je vous prie, l’assurance de mes sentiments distingués. F. Chopin Marseille, ce 28 mars 1839. xxxxMonsieur Canut Marseille Palma [1839]. Monsieur, Monsieur Chopin xxxxxxx à Marseille. Mon cher Chopin, Les uns me disent que vous allez bien, les autres que vous souffrez davantage, d’autres enfin qu’ils n’ont point de vos nouvelles ; pour en finir, soyez assez bon pour m’écrire quatre lignes et me dire comment vous vous trouvez et quand vous nous revenez. Mille amitiés H. Berlioz.xx P. S. — Rappelez-moi, je vous prie au souvenir de Mme. Sand et mettez à ses pieds mes plus violentes admirations. Nous venons d’éprouver un rude opéra... d’Auber. [La Reine des Fées, créée à l’Opéra, le 1er avril 1839]. Marseille, 12 avril 1839. Mon Chéri ! Ainsi tu es encore souffrant et les saignées ne t’ont guère soulagé. Nous l’avons appris par une lettre de Mar[liani] au moment où nous te croyions de nouveau bien portant comme tu auras pu en juger par les lignes que je t’ai adressées hier. Et aujourd’hui, quelle déconfiture ! Marliani dit aussi que ma mère, fort inquiète à mon sujet, compterait se rendre à Paris. Je n’en crois rien mais j’ai immédiatement écrit aux miens pour les rassurer. Je t’envoie cette lettre que tu voudras bien mettre à la poste. Ce sera la troisième que je leur adresse de Marseille. Dis-moi si tu as entendu parler de cela. Il faudrait qu’une chose vraiment extraordinaire se passât pour que ma mère abandonne mon père. Mon père est souffrant. Plus que tout autre, il a besoin d’elle. Je ne conçois point pareille séparation. Mes anges terminent leur nouveau roman : Gabriel. Elle va écrire aujourd’hui pendant toute la journée dans son lit. Tu sais, tu l’aimerais plus encore si tu la connaissais comme je la connais à présent. J’imagine combien il doit être pénible pour toi de ne pouvoir sortir. Pourquoi, tout en étant ici, ne puis-je être auprès de toi ? Comme je te soignerais. Je sais à présent ce que c’est que soigner quelqu’un. Et je pense qu’il te serait agréable de l’être par moi, car tu sais combien de cœur j’ai pour toi. Notre projet de voyage à Gênes est, semble-t-il, abandonné. Probablement, nous reverrons-nous et pourrons-nous nous embrasser à la campagne, vers la mi-mai. Que le ciel t’accorde une prompte guérison. Je baise les mains de tu sais qui... Tonx Fryc. [P. S. de George Sand :] Cher, porte-toi mieux. Donne-nous de tes nouvelles. Nous sommes tristes car Charlotte [Carlotta Marliani] m’écrit ce matin que tu es toujours souffrant. Moi, je suis dans mon coup de feu. Je ne prends plus seulement le temps de me lever. Je suis en couche d’un nouveau roman qui aurait besoin de forceps. Je t’embrasse et nous t’aimons. [P. S. de Chopin :] Mets ma lettre à la poste de la Bourse. C’est la meilleure manière de la faire parvenir. [Marseille, 16 avril 1839]. [Cachet postal :] 16 avril 1839. Par la lettre reçue hier, je sais que tu n’es pas encore bien portant. Aussi pour donner au moins une minute de diversion à tes souffrances, je m’empresse de te dire, qu’elle t’a dédié son nouveau roman terminé cette nuit. Je remercie ton cœur d’être toujours la même. La nouvelle concernant ma mère m’étonne beaucoup. Évidemment, si des racontars l’ont effrayée, elle a peut-être entrepris ce voyage. Mais sans doute quelque cervelle polonaise a-t-elle inventé le tout. Il y a malentendu entre nous à propos de l’ouvrage de Mic [kiewicz]. C’est uniquement de l’édition de la dernière partie des Dziady qu’il s’agit. Cette publication serait certainement lue davantage si elle comprenait l’avant-propos. [C’est-à-dire l’article de George Sand]. Elle exercerait de la sorte et sur les intelligences françaises et sur les finances de Mic [kiewicz] une heureuse influence. Quant à ton projet, s’il est trop vaste pour aujourd’hui, sans doute pourra-t-il se réaliser plus tard. La dernière partie des Dziady forme un tout et son étude l’explique et l’éclaire. La traduction antérieure étant épuisée depuis longtemps dans les librairies, on pourrait, sans la première partie de l’œuvre, constituer un bon volume avec la partie non traduite D’ailleurs, nous serons bientôt à Nohant. Tu y viendras — ce n’est pas loin — et, en deux mots, elle t’apprendra plus à ce sujet que trente de mes lettres. Si aucun obstacle ne surgit, nous nous reverrons dans un mois. Le lait d’ânesse ne m’a pas réussi. On me fait boire du petit lait et, moi, j’ai besoin d’autre chose. Aime-moi comme je t’aime. Si tu as des nouvelles au sujet de mon déménagement, fais-les moi savoir. Adieu, sois bien portant et heureux. Rappelle-toi de moi. Baise les mains à tu sais qui. Ton Ch. Je plains le sort de la Ossolinska. Imbéciles, ânes ! — Sapieha est passé par ici, il y a quelques jours. Il m’a rendu visite, peut-être pour voir George — mais je l’ai reçu dans l’autre chambre. [P. S. de George Sand :] Bon jour, mon vieux. Je suis au lit et pendant que le petit te griffonne du tartare, je t’aime et je t’embrasse. Ta femme Monsieur Monsieur Albert Grzymala 16, rue de Rohan — Paris. (Marseille, le 25 avril 1839). Mon Chéri, J’ai reçu la lettre où tu me parles en détail du déménagement. Je ne te remercierai jamais assez de ton aide vraiment amicale. Tes renseignements m’ont vivement intéressé mais je suis bien fâché que tu aies à te plaindre et que Jeannot crache le sang. Hier, j’ai joué de l’orgue pour Nourrit ; cela te prouve que je vais mieux. Je joue parfois aussi pour moi mais je ne puis encore ni chanter, ni danser. Quant à la nouvelle concernant ma mère, il suffit — si agréable soit-elle — qu’elle provienne de Plat[er] pour n’être qu’un mensonge. Il commence à faire bien chaud ici et nous quitterons certainement Marseille en mai. Nous irons autre part dans le midi et j’y resterai encore quelques temps avant de vous revoir. Nous n’aurons pas de sitôt des nouvelles d’Antoine. Pourquoi écrirait-il ? Pour payer ses dettes ? Ce n’est pas la coutume en Pologne. Si Racibors[ki] a tant d’estime pour toi, c’est justement parce que tu es totalement dénué de ces habitudes polonaises. NB quand je dis polonaises, je ne parle pas de celles d’entr’elles que tu pratiques et je me comprends. Tu loges donc au No 26. À quel étage ? Y es-tu bien ? Combien payes-tu ? Ces questions m’intéressent davantage à mesure que je songe à me rapprocher de Paris car je devrai penser à y trouver un logement mais seulement lorsque j’y serai arrivé. Grzy[mala] est-il rétabli ? Je lui ai écrit dernièrement. Je n’ai reçu aucune lettre de Pleyel à part celle qui m’est parvenue par ton intermédiaire, il y a plus, d’un mois. Écris-moi sous le même nom mais Rue et Hôtel Beauvau. Tu n’as peut-être pas compris que j’ai joué pour Nourrit ? Son corps a été ramené pour être inhumé à Paris. Une messe funèbre a été célébrée ici ; à la demande de la famille, j’ai joué l’Élévation. [Clara] Wiek a-t-elle bien joué mon étude ? Pourquoi a-t-elle choisi justement celle-là, moins intéressante pour ceux ignorant qu’elle est écrite pour les touches noires. Que ne s’est-elle tenue tranquille ! Je n’ai plus rien d’autre à te dire sinon que je te souhaite le plus de bonheur possible. Veille à ce que mes manuscrits ne soient pas imprimés avant même d’avoir été remis. Si les Préludes sont déjà publiés, c’est un mauvais tour de Probst. Mais assez de ces saletés et lorsque je reviendrai je serai plus pratsi pratzu avec eux. Canailles d’Allemands, juifs, coquins, crapules, écorcheurs, etc., etc. Achève cette litanie car, à présent, tu les connais comme moi. Ton Ch. Jeudi, 25 de ce mois 1839. Embrasse Jeannot, et Grzymala aussi si tu le vois. Marseille [avril 1839]. Cher ami, vous êtes bien aimable de m’avoir écrit. Vous saviez bien que vous me feriez grand plaisir, sans cela vous auriez du mérite à m’avoir fait des avances mais ce mérite je vous le refuse : Je vous réponds de la ville des Phocéens qui n’est pas plus phocéenne que vous et moi. Telle qu’elle est, je la trouve charmante après l’Espagne, cette terre de brigands et de vermine où rien ne m’a réussi que la santé de Maurice, ce qui est déjà quelque chose. Mais tandis qu’il se fortifiait à vue d’œil notre [George Sand avait d’abord écrit « mon », puis, par surcharge, elle a transformé ce mot en « notre »] pauvre Chopin dépérissait. Le climat humide et mou des hautes montagnes que nous habitions lui était fort contraire. J’attendais toujours qu’il fût un peu mieux pour le ramener en France. Mais ce mieux, n’arrivant pas du tout, il a fallu le ramener tel quel. C’a été pour moi un voyage bien pénible et plein d’anxiétés que ce retour. Dieu merci, à peine a-t-il senti l’air sec de la Provence qu’il s’est mis à ressusciter à vue d’œil, et le voilà tout à fait bien, reprenant de l’embonpoint relatif dans le genre du vôtre et de celui de Maurice, mais ne toussant presque plus et redevenant gai comme un petit pinson quand le mistrrrrrâl (vous savez comme on prononce à Marrrrrrrseille) ne souffle pas. Moi je vais mieux aussi. J’ai souffert horriblement des rhumatismes à Majorque. Décidément, il y a quelque chose de pis que notre froid du nord, c’est l’humidité tiède du midi. Je vous dis cela pour votre gouverne quand vous exécuterez vos projets de voyage. Méfiez-vous bien de ces climats jésuitiques qui ne vous avertissent pas et qui vous tombent sur le dos comme des familiers du saint office. Ma fille n’a fait dans tout cela que croître et embellir. Elle a fait beaucoup de progrès dans l’histoire. Elle fait discourir Plutarque à mourir de rire. [...] Quand le tems [sic] permettra à Chopin de voyager, nous irons à Paris en passant par Nohant où nous nous arrêterons quelque tems. La Consulesse me promet de venir nous y rejoindre. Vous devriez bien être son chevalier et venir vous reposer, sous mes tilleuls, des fatigues de Paris. Vous savez que j’ai des fleurs, du bon air, du bon lait. Quant aux farces, nous sommes un peu vieux, mais nous en ferons quand même. Vous ferez l’homme à la poupée. Chopin fera l’anglais mon ami Duteil chantera la messe et Solange nous fera du Plutarque. Moi, je vous lirai quelque chose de léger, d’amusant, quelque roman mystique en 40 volumes, si cela ne vous tente pas vous êtes bien difficile ! mais ce qui doit vous attirer seulement chez moi, c’est que vous apporteriez chez nous une grande joie et seriez reçu en Frère. Vous le savez. Adieu chaque fois que vous me donnerez de vos nouvelles vous me charmerez. Chopin me charge de vous presser les deux mains. Il sait combien je vous suis attachée. Maurice vous embrasse, de même Solange qui ne prodigue pas sa bienveillance. À Marseille jusqu’à la fin d’avril. Marseille, 27 avril 1839. Mon cher vieux, J’ai été plusieurs jours sans t’écrire. J’ai été bien malade d’un nouveau rhumatisme plus aigu que tous les autres et qui m’a donné de forts accès de fièvres et de vives souffrances. Je suis de nouveau indisposée depuis hier mais moins sérieusement. En somme, je suis fort patraque et ne pourrai voyager en diligence, car je suis hors d’état de passer les nuits. En outre, je n’abandonne pas mon ami Chopin que j’ai ramené d’Espagne en bien mauvais état de santé et qui n’est pas plus capable que moi d’aller vite. Tout cela, c’est pour te dire que je n’arriverai guère à Nohant que vers le quinze car le voyage est long si nous sommes forcés de passer par Lyon. Dans ce moment, je cherche à louer une voiture qui me conduirait par Clermont, ce qui abrégerait beaucoup ma route. [...] Marseille, 28 avril 1839. [...] On lui a fait ici [à Nourrit] un très maigre service funèbre, l’évêque rechignant. Je ne sais pas si les chantres l’ont fait exprès mais je n’en ai jamais entendu chanter plus faux. Chopin s’est dévoué à jouer de l’orgue à l’élévation, quel orgue ! C’était, dans la petite église de N. D. du Mont, un instrument faux, criard, n’ayant de souffle que pour détonner. Pourtant notre petit en a tiré tout le parti possible. Il a pris les jeux les moins aigres et il a joué les astres non pas d’un ton exalté et glorieux comme faisait Nourrit, mais d’un ton plaintif et doux comme l’écho lointain d’un autre monde. Nous étions là deux ou trois au plus qui avons vivement senti cela et dont les yeux se sont remplis de larmes ; le reste de l’auditoire qui s’était porté là en masse et qui avait poussé la curiosité jusqu’à payer 50 centimes la chaise (prix inouï pour Marseille) a été fort désappointé, car on s’attendait à ce que Chopin fasse un vacarme à tout renverser et qui briserait pour le moins deux ou trois jeux d’orgue. On s’attendait aussi à me voir en grande tenue au beau milieu du chœur, que sais-je ? Assise sur le catafalque peut-être. On ne m’a point vue du tout car nous étions cachés dans l’orgue et nous apercevions par une fente ce pauvre cercueil de Nourrit. Vous souvenez-vous comme je l’embrassai de grand cœur chez Viardot, la dernière fois que nous le vîmes. Qui pouvait s’attendre à le revoir sous un drap noir entre des cierges ? J’ai passé cette journée très tristement, je vous assure. La vue de sa femme et de ses enfants m’a fait encore plus de mal. J’avais le cœur si gros et je craignais tant de pleurer devant elle que je ne pouvais lui dire un mot quoique j’eusse été la voir de mon chef. [...] Bonsoir, chère amie, j’espère que cette lettre se croisera avec une de vous, je pense que vous avez reçu Gabriel et que vous ferez payer le Buloz. Je compte sur l’argent que je lui ai demandé et que je vous prie de me faire passer, pour quitter Marseille, car tout y est plus cher qu’à Paris, et mon voyage très lent et très précautionneux me coûtera gros comme on dit. Adieu ma Chérie, je vous embrasse tendrement. Chopin serait à vos pieds s’il n’était dans les bras de Morphée. Il est accablé depuis quelques jours d’une somnolence que je crois très bonne, mais contre laquelle son esprit inquiet et actif se révolte. C’est en vain, il faut qu’il dorme toute la nuit et une bonne partie du jour. Il dort comme un enfant ; j’espère beaucoup de cette disposition et le Docteur assure que le voyage lui sera excellent. Ce Chopin est un ange, sa bonté, sa tendresse et sa patience m’inquiètent quelquefois ; je m’imagine que c’est une organisation trop fine, trop exquise et trop parfaite pour vivre longtemps de notre grosse et lourde vie terrestre. Il a fait à Majorque, étant malade à mourir, de la musique qui sentait le paradis à plein nez, mais je suis tellement habituée à le voir dans le ciel qu’il ne me semble pas que sa vie ou sa mort prouve quelque chose pour lui. Il ne sait pas bien lui-même dans quelle planète il existe, il ne se rend aucun compte de la vie comme nous la concevons et comme nous la sentons. [Rome avril 1839]. [...] George Dudevant Kamaroupi nous a laissés sans nouvelles depuis l’ère Chopin (9 mois environ). Elle est positivement à Marseille avec Chopin dont la santé ne s’est guère améliorée aux Baléares. Les dernières productions du Docteur Piffoëls [sic] (les Aldini, [sic] Spiridion, et les sept cordes de la Lyre) m’ont laissé une impression pénible. Lélia et les Lettres d’un Voyageur sont assurément d’autres paires de manches ; il y a évidemment lassitude, épuisement, décadence depuis lors. Mais attendons encore ; et puisque nous avons été ses amis, ne disons ces choses-là que bas et entre nous. Mallefille a justifié nos prévisions amicales du lac Léman. C’est un bien excellent et honnête garçon : malheureusement il n’est pas assez poète pour se passer de sens commun : [...] Marseille, 4 mai 1839. Chère amie, Nous partons ce soir pour Gênes par le bateau à vapeur. C’est une promenade de cinq à six jours, dont nous avions tous besoin car Marseille commence à sentir horriblement mauvais. Chopin va très bien depuis quelques jours et désire cette promenade autant que les enfants. [...] Marseille, 20 mai 1839. Mon Amie, Nous arrivons de Gênes, battus en mer par une tempête affreuse. Nous avons fait dans cette ville un séjour assez agréable. Nous y avons vu de magnifiques peintures, une nature admirable, des palais et des jardins échaffaudés les uns sur les autres avec une grâce particulière. Enfin, Gênes n’a rien perdu à nos yeux de ce qu’elle était dans mes souvenirs. Chopin s’y est bien porté et y a fait beaucoup d’exercice. Mais au retour le mauvais temps nous a tenus en mer le double du temps ordinaire. Nous avons eu surtout quarante heures d’un roulis tel que je n’en avais pas vu depuis longtemps. C’était un beau spectacle et, si tout mon monde n’eût été malade, j’y aurais pris un grand plaisir. Mais Chopin était cruellement fatigué, et les enfants quoique moins accablés souffraient aussi. J’étais malade moi-même mais pas assez pour être insensible à ce bel orage. Pendant que nous essuyions celui-là, vous étiez, vous autres, tous, préoccupés d’orages bien plus sérieux encore et que nous ignorions. Nous avons appris en arrivant chez le docteur (où nous nous reposons de nos fatigues) tout ce qui s’était passé en France durant notre absence. Au delà de la frontière, il y a comme une muraille de Chine, entre les nouvelles de la civilisation et l’immobilité du vieux monde... Mais ces nouvelles sont tristes. Encore des victimes généreuses et folles inutilement sacrifiées. Encore du temps perdu, encore un bon coup de vent pour la Monarchie en attendant le naufrage inévitable mais trop tardif. [...] Nous partons après demain pour Nohant. Adressez-moi là votre prochaine lettre, nous y serons dans huit jours, car je ne veux pas fatiguer Chopin par de fortes journées. Ma voiture est arrivée de Châlons à Arles par le bateau et nous nous en irons en poste tout tranquillement, couchant dans les auberges comme de vieux bourgeois. On me cherche la brochure de l’Abbé [Lamennais] et on ne me la trouve pas encore. Marseille est arriérée, mais je l’aurai pourtant. Le Docteur lit l’Encyclopédie et se passionne pour Leroux et Reynaud avec une ardeur libérale et philosophique qui le rajeunit de quarante ans. Il va dans toute la ville prônant cette doctrine, et il me remercie de l’avoir initié. Il rêve de venir à Paris, rien que pour voir Leroux qu’il se reproche de n’avoir pas connu plus tôt. C’est un bien digne homme que ce docteur, je le quitte avec regret, mais j’ai besoin de retrouver une vie plus assise. Je n’aime plus les voyages ou plutôt je ne suis plus dans les conditions où je pouvais les aimer, je ne suis plus garçon, une famille est singulièrement peu conciliable avec les déplacements fréquents. Je vous écrirai dès mon arrivée à Nohant, faites ma chérie que j’y trouve une lettre de vous. Marseille, le 21 mai 1839. Mon Chéri, Nous partons demain pour Nohan[t] — un peu fatigués — La mer nous a éprouvés au retour de Gênes où nous avons passé quelques semaines tout tranquillement. Court repos à Marseille mais à Nohan[t] il sera plus long et nous t’attendrons là-bas avec impatience — moi j’en rêve — tu viendras, n’est-ce pas ? Ne fût-ce que pour 24 heures. Tu as certainement déjà oublié ta maladie. Mets, je t’en prie, la lettre pour les miens à la poste. Baise les mains à qui de droit et écris nous un petit mot à Nohan[t]. Ton F. F. C. [P. S. de George Sand]. Bonjour, cher mari, nous voici encore par monts et par vaux, mais dans huit jours nous nous reposerons de toutes traversées. Nous venons d’essuyer une tempête affreuse en mer. Le petit s’est distingué par sa valeur et je crois qu’il pourrait demander la croix. Vous viendrez à Nohant, n’est-ce pas mon cher bon ? nous comptons sur vous ! G. S. Naples, ce mercredi 22 mai [1839]. [...] J’ai vu de bien beaux lieux depuis mon départ, à commencer par Avignon, Nîmes, Arles. J’ai eu le temps de parcourir le palais et les églises à Gênes : Je n’ai aperçu Madame Dudevant à aucun balcon. On dit qu’elle y est [...] Je n’ai pas encore travaillé pour vous, je le ferai dès qu’il le faudra : et il le faudra bientôt, car l’argent coule vite dans ce pays. [...] [Nohant], 2 juin 1839. Enfin sur place après une semaine de voyage. Nous nous sentons tous parfaitement bien. Belle campagne : alouettes, rossignols. Il ne manque que toi, mon oiseau. Surtout qu’il n’en soit pas cette année comme il y a deux ans. Viens ne serait-ce que pour quelques minutes. Choisis un moment où ils seront tous [l’entourage de Grzymala] en bonne santé et s’y résigneront pendant quelques jours par charité pour le prochain. Laisse-toi embrasser. Tu recevras, en échange, des pilules et du lait excellent. Mon piano sera à ta disposition. Rien ne te manquera. Ton Fryc. Fais, je te prie, porter ma lettre à la Bourse. Écris nous un mot et si Jeannot a reçu des nouvelles des miens, veuille me les faire parvenir. [P. S. de George Sand]. Cher Époux, Je suis dans la tristesse aujourd’hui. J’ai appris la mort de mon pauvre ami Gaubert, et je ne pourrais vous dire une parole gaie. Mais, dans ma douleur, je sens plus que jamais le besoin de vous voir et de vous serrer dans mes bras, mon ami qui remplace celui que j’ai perdu. Il faut donc que vous soyez aimé pour deux aussi de votre côté. Ce n’est pas dire qu’on cesse d’aimer les morts, mais on les aime autrement. Ils n’ont plus besoin de nous. Je ne les plains pas ! Mais nous avons besoin les uns des autres, nous qui continuons ce pèlerinage. Venez donc, cher ami ; nous vous attendons avec impatience et nous ne saurons, admettre la pensée de ne pas vous voir bientôt. Je ne veux pas vous dire adieu mais à revoir. La première impression faite par George Sand sur Chopin n’eut, on le voit, rien de favorable. Les phrases ci-dessus, extraites d’une lettre détruite et dont la trace subsiste grâce à l’ouvrage de Karasowski, sont corroborées par ce fragment d’un message de Ferdinand Hiller à Liszt : « Un soir, dit Hiller, tu réunis chez toi l’élite de la littérature française. Certes, George Sand ne pouvait y manquer. En me reconduisant chez moi, Chopin me dit : — « Quelle femme antiphatique, cette Sand ! Est-ce vraiment bien une femme ? Je suis prêt à en douter ». Joseph Brzowski 1805-1888), compositeur et professeur de musique polonais. Son « Journal » faisait partie de la collection Polinski. Seuls quelques fragments de ce journal, à présent détruit, sont connus. On y trouvait notamment le récit d’une excursion faite par Brzowski en 1837 à Montmorency, à Enghien et à St. Gratien, en compagnie de Chopin. Ferdinand Denis, qui assista à cette soirée, en a fait un récit où il décrit la toilette de George Sand : une robe turque blanc et rouge. La romancière arborait ainsi les couleurs de la Pologne. Il faut dire que si Chopin n’éprouvait alors que de l’indifférence, voire même de l’antipathie pour Aurore Dudevant, celle-ci portait un très vif intérêt au grand compositeur. Pendant l’été de 1836, George Sand et ses deux enfants avaient fait un voyage en Suisse en compagnie de Franz Liszt et de Marie d’Agoult. En 1837, la romancière invita « les Liszt » à Nohant. Pendant ce séjour, Franz se rendit à Paris où la comtesse d’Agoult le rejoignit peu après. Marie d’Agoult désirait nuire à Chopin dans l’esprit de George Sand. Trois jours auparavant, la romancière lui avait adressé de Nohant les lignes suivantes : « Dites à Mick... (manière non compromettante d’écrire les noms polonais) que ma plume et ma maison sont à son service et trop heureuses d’y être, à Grr... que je l’adore, à Chopin que je l’idolâtre, à tous ceux que vous aimez que je les aime et qu’ils seront les bienvenus amenés par vous [...] » Sous le ton de badinage de cette lettre, Marie avait, sans doute, deviné qu’Aurore était éprise de Chopin. Or, Chopin était loin d’être indifférent à Marie, qui, en grande coquette, désireuse que les hommages s’adressassent à elle seule, usa de beaucoup de ruses pour tenter d’empêcher Aurore et Frédéric de se lier. Chopin n’alla pas à Nohant à cette époque. Il était d’autre part fort mal renseigné sur la distance qui sépare ce village berrichon de Paris puisqu’il comptait consacrer seulement trois jours à ce voyage. Antoine Wodzinski se trouvait alors en Espagne où ses parents devaient lui envoyer des fonds par l’intermédiaire de Chopin. George Sand écrivit la Dernière Aldini en collaboration avec son amant du moment : le jeune auteur dramatique Félicien Mallefille qu’elle avait installé à Nohant en qualité de précepteur de son fils. Sa liaison avec Mallefille ne l’empêchait pas, on le voit, de songer à Chopin. La « Médée » d’Eugène Delacroix fut exposée au Salon de 1838. George Sand traça ces mots sur une feuille de papier à son chiffre. Où ? On ne sait. En tout cas. Marie Dorval était auprès d’elle. La célèbre actrice écrivit, en effet, sur la même page. Chopin inséra ce précieux document dans son album. L’album est détruit. Une photocopie en avait été faite heureusement. On peut sans contredit affirmer que ces lignes datent de la période qui précéda de peu le commencement de la liaison de Frédéric et d’Aurore. Elles en sont, en somme, comme le prélude. Bien que très attiré alors par George Sand, Chopin hésitait à se lier avec la romancière. De Chopin sans doute. François Buloz, (1803-1877), directeur de la Revue des Deux Mondes ou pour parler comme les contemporains, directeur de la « Revue » car la Revue des Deux Mondes éclipsait toutes les autres. Buloz fut aussi, mais avec un succès infiniment moindre, « commissaire du Roi près la Comédie française » (1838-1847) dont il devint ensuite administrateur (1847-1848). Beau-frère de Carlotta Marliani. George Sand avait l’intention de s’installer à Paris. En attendant d’en avoir la possibilité matérielle, elle accepta la proposition de la comtesse Marliani qui l’avait invitée à descendre chez elle. Grzymala, ce vieil ami de Chopin, était le confident du grand musicien et celui de George Sand. Il s’agit évidemment de Marie Wodzinska. L’avenir prouva le contraire. Il ne faut pas voir dans cette appellation une marque de familiarité de la part de George Sand. C’est Albert Grzymala, qui âgé de près de vingt ans de plus que Chopin, avait coutume de dire « mon petit » en parlant du compositeur. « Notre amour »... Cela prouverait, s’il en était besoin, que George Sand ne dit pas la vérité quand dans « l’Histoire de ma vie », elle affirme n’avoir jamais eu que de l’amitié pour Chopin. Plaidoyer pour l’inconstance. La romancière avait une forte propension à s’idéaliser. George Sand avoue ici nettement sa passion pour Chopin. Duplicité bien franchement avouée. Grzymala fit savoir à George que les fiançailles de Chopin étaient rompues et la romancière partit pour Paris. C’est, semble-t-il, très peu de temps après cette lettre que Frédéric devint l’amant d’Aurore. Il s’agit de la fameuse Maison dorée, au coin de la rue Laffitte et du boulevard des Italiens. C’est-à-dire George Sand. Chopin aimait tout particulièrement le véritable prénom de la femme de lettres ; prénom qu’il traduisit plus tard par Jutrzenka, ce qui, en polonais signifie l’aurore, le lever du jour. Mallefille ignorait que le compositeur fût devenu son rival. De son côté, Chopin ne savait pas que des liens avaient existé entre Mallefille et George Sand. Celle-ci avait éloigné le malheureux auteur dramatique sous divers prétextes, et, en dernier lieu, en l’envoyant pendant le mois d’août au Havre avec le jeune Maurice. La présente lettre servit d’introduction à un essai de Mallefille intitulé Les Exilés qui parut dans la « Gazelle musicale », de Paris du 9 septembre 1838. À son retour du Havre, Mallefille conçut des soupçons. À ce propos, citons quelques lignes des « Souvenirs » du journaliste Paul Perret, parus dans le Gaulois du 29 septembre 1885 : « George Sand avait quitté, pour Chopin, Félicien Mallefille qui, un jour, se posta devant la porte de son harmonieux rival. Elle sort, il s’élance. Heureusement, une longue voiture de roulage arrive à fond de train, occupant toute la largeur de la rue et les sépare. Elle s’enfuit, rencontre plus loin un fiacre, s’y jette et fouette cocher. Que serait-il arrivé sans ce fiacre ? ». Mallefille était armé d’un pistolet. Certains estiment que Mallefille désigne de la sorte Eugène Delacroix. Adam Mickiewicz. Il s’agit de l’instrument que Chopin avait fait porter 17, rue des Marais St-Germain, chez Delacroix lorsque celui-ci désira faire, dans son atelier, le portrait de George Sand et du grand pianiste réunis sur la même toile. Curieuse destinée que celle de ce tableau resté inachevé ! Il devint, après la mort de Delacroix, la propriété du peintre Constant Dutillieux. Après la disparition de celui-ci, survenue en 1865, ses héritiers n’hésitèrent pas à faire couper la toile en deux. Le portrait de George Sand est à présent à la Glyptothèque de Copenhague ; celui de Chopin — le chef-d’œuvre du portait romantique — au Louvre après avoir appartenu au pianiste Marmontel qui l’avait entouré d’un véritable culte. La froideur de ces lignes adressées par George Sand à son ami le philosophe Pierre Leroux contraste étrangement avec les éloges à l’adresse de Mallefille contenus dans la longue lettre de la romancière à Grzymala. Les éditeurs de la « Correspondance » de George Sand, Paris 1882, indiquent en tête de cette lettre non datée « Perpignan, Novembre 1838 » ; mais c’est à Port-Vendres qu’elle fut écrite par la grande romancière deux jours avant son embarquement, et au bord de la mer. Perpignan ne s’y trouve point. Il y a d’autre part lieu de croire que cette lettre date des derniers jours d’octobre ou bien du premier — ou du deux — novembre. Après avoir passé la plus grande partie de l’été à Paris auprès de Chopin, George Sand décida celui-ci à entreprendre avec elle un assez long voyage. George ne pouvait se fixer à Paris où la jalousie de Mallefille la poursuivait. Quel prétexte Frédéric aurait-il pu donner à ses amis, à ses relations, à ses élèves pour aller passer l’hiver à Nohant ? Or, les deux amants ne voulaient pas se séparer. D’autre part, depuis longtemps déjà, George Sand déclarait qu’un voyage dans un « pays à climat chaud » était indispensable au rétablissement de la santé de son fils. Sur les conseils de Manoël Marliani, consul d’Espagne, et du chanteur Valdemosa, le choix d’Aurore et de Frédéric se porta sur l’île de Majorque. Un séjour dans le midi pouvait sembler favorable à Chopin qui avait souffert d’influenza l’hiver précédent, et motiver son départ. Celui-ci souleva néanmoins de nombreux commentaires. George Sand, Chopin, Maurice Dudevant (1823-1889), Solange Dudevant, (1828-1899) et Melle Amélie, femme de chambre de George Sand s’embarquèrent à bord du Phénicien pour gagner Barcelone où ils descendirent dans « la meilleure auberge » de la ville : l’Hôtel des quatre nations situé sur la Rambla. Huit jours se passèrent en visites de la grande cité catalane et des environs. Le 7 novembre, à 5 heures du soir, les voyageurs s’embarquèrent à bord de l’El Mallorquin, petit vapeur surnommé « El Pagés », (le Paysan) en raison de la figure de proue représentant un naturel du pays. Ils arrivèrent à Palma le lendemain à 11 h 1/2 du matin. Ces détails figurent dans : « Chopin et George Sand à Majorque », l’ouvrage de Bartomeu Ferra, conservateur de la Cellule Chopin-George Sand à la Chartreuse de Valldemosa. M. Ferra les a puisés aux Archives de Majorque dans les documents relatifs au vapeur « El Mallorquin ». À Palma, les voyageurs eurent la déception de ne pas trouver d’hôtel : il n’en existait pas alors à Majorque. Finalement, ils découvrirent deux petites chambres au-dessus de l’atelier d’un tonnelier de la Calle de la Marina. L’enchevêtrement de ruelles à la droite de cette rue conserve encore tout son pittoresque. Mais quel séjour mal commode ! Les voyageurs songeaient à se rembarquer quand ils eurent l’occasion de louer, à six kilomètres de Palma, une maison de campagne dans l’agréable site d’Establiments. Valdemosa, c’est-à-dire Francisco Frontera, un musicien de valeur qui se produisait sous le nom si harmonieux de son village natal. Adolphe Pictet (1799-1875) — Descendant d’une famille originaire de Savoie fixée à Genève dès le XVème siècle, Adophe Pictet fut professeur d’esthétique et d’histoire des littératures. Il appartint aussi à l’armée et fit faire des progrès dans la fabrication des obus. Ami de Liszt, de Marie d’Agoult et de George Sand, il accomplit en 1837 une randonnée à travers son pays, en leur compagnie. Les enfants de George Sand, Maurice et Solange, étaient de ce voyage dont le major Pictet a fait le récit dans son « Conte fantastique » : « Une course à Chamounix » George Sand a parlé de cette excursion dans les Lettres d’un voyageur. Elle y présente Pictet sous des traits ridicules. Le major ne le lui pardonna pas. Charles-Emmanuel Didier (1805-1864) appartenait à une vieille famille dauphinoise réfugiée à Chardonney dans le pays de Vaud où elle fut reçue « bourgeoise » en 1756. D’abord rédacteur au « Courrier de Léman », Didier s’établit à Paris. On lui doit « Mélodies historiques », « Coup d’œil sur les révolutions de la Suisse », « Rome souterraine »,... Il fut, en 1836, l’amant de George Sand. Hortense Allart (1801-1879), femme de lettres française, cousine germaine de Delphine Gay. Spirituelle et très jolie, Hortense Allart écrivit des romans mais son nom doit de survivre aux Enchantement de Prudence qu’elle fit paraître en 1872 et où sont évoquées ses amours avec Chateaubriand. Hortense avait eu d’autres adorateurs, notamment le comte de Sampayo et Bulwer-Lytton, frère du romancier. Sainte-Beuve appréciait son style : ne l’appelait-il pas « femme à la Staël ». Dans sa correspondance, Melle Allart désigne George Sand par ces mots : « la Reine » tandis que Chopin a déclaré qu’Hortense lui semblait « un écolier en jupons ». La femme de lettres épousa en 1843 Napoléon-Louis Frédéric-Corneille de Méritens de Malvézie de Marcignac l’Asclaves, de Saman et de l’Esbat qui l’emmena vivre à Montauban. L’union fut moins longue que le nom de l’époux. Quelques mois après les noces, Hortense Allart, désormais « Allart de Méritens », reprit sa liberté. « Les lettres à Marcie » parurent dans « Le Monde » en février et mars 1837. George Sand en interrompit la publication, Lamennais qu’elle avait consulté à leur sujet ne lui ayant permis d’aller plus avant. Pierre Bocage, ou plutôt Pierre-Martinien Tousez, dit Pierre Bocage (1798-1863), un des plus grands acteurs de la période romantique. Enfant du peuple de Rouen, le jeune Pierre fut ouvrier cardeur avant de devenir l’artiste fêté, l’incarnation du sombre Antony, puis de l’éblouissant Buridan de la Tour de Nesles. « On ne peut être beau que si l’on ressemble à Bocage » disait-on à l’époque du comédien. Grand et mince, Bocage était servi par son physique pour incarner les héros séduisants. Pourquoi Marie d’Agoult a-t-elle dans ses lettres critiqué ce physique si âprement ? S’il avait lu ces lignes, Franz Liszt eût été ravi ! Spiridion, roman de George Sand. L’amitié de Marie d’Agoult et de George Sand, si vive à un certain moment, subissait alors une éclipse. Parmi les causes multiples de ce refroidissement, la moindre n’était certes pas le dépit éprouvé par Madame d’Agoult lorsqu’elle apprit que la romancière était parvenue à se faire aimer de Chopin. Sur les conseils de Lamennais, Carlotta Marliani montra la présente lettre à George Sand qui, outrée, écrivit en tête : « Voila comment on est jugée et arrangée par certaines amies ! », puis en corrigea ostensiblement fautes de style et fautes d’orthographe. Elle cessa d’écrire à Marie d’Agoult qui ne tarda pas à s’étonner de ce silence. L’original de cette lettre curieuse fait partie de la collection Spoelberch de Lovenjoul, à Chantilly. Cette phrase et la suivante ont été supprimées par les éditeurs de la « Correspondance » de George Sand. Madame Wladimir Karénine ne l’a pas rétablie dans la reproduction qu’elle donne du texte de cette lettre dans George Sand, sa vie et ses œuvres (tome III — 1838-1848) Paris 1912. — Ces deux phrases ont leur importance biographique. Elles prouvent que, contrairement à ce qui a été avancé par certains biographes, Chopin a pris largement sa part des soucis de l’installation à Majorque. C’est lui qui notamment se rendit au Palais pour y présenter les lettres de créance des voyageurs au Gouverneur. L’original de cette lettre se trouve au département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, à Paris. Mot employé fréquemment par Chopin pour « ami ». Discret, Chopin désirait que l’on parlât le moins possible de ses amours. Contrairement aux assertions d’Édouard Ganche, cette circonstance ne prouve pas que Chopin ait caché son voyage à Majorque aux siens. Plus tard, de Nohant, il enverra ses lettres pour Varsovie à un ami habitant Paris en priant celui-ci de les mettre à la poste au bureau de la Bourse. C’était, comme Chopin l’a écrit lui-même, « la meilleure manière de les faire parvenir à destination ». Commencé en France, Spiridion fut donc terminé à Majorque. Dans la dernière partie de cet ouvrage, la description de l’ermitage de St. Hyacinthe est visiblement inspirée par l’admirable ermitage qui s’élève, non loin de la Chartreuse de Valdemosa, sur un rocher dominant la mer. La maison louée par Chopin et George Sand à Establiments près de Palma était connue dans le pays sous le nom de « So’n Vent » (Maison du Vent). Elle appartenait à un certain señor Gomez, intéressé et vaniteux. Dès que les pluies se mirent à tomber, cette demeure construite pour la bonne saison devint inhabitable. Elle n’avait ni feu ni cheminées et ses murs étaient très minces. Chopin prit froid. Les émanations étouffantes du brasero allumé à l’intérieur de la maison le firent tousser plus encore. George Sand appela successivement trois médecins. Ceux-ci déclarèrent que Chopin était ni plus ni moins que tuberculeux, ce qui, à ce moment, n’était probablement pas vrai. Or comme la tuberculose était crainte alors en Espagne à l’égal de la peste, Gomez expulsa ses locataires. La « Maison du Vent » existe encore, mais elle a subi de grandes transformations. George Sand fait erreur. Chopin, nous venons de le voir, avait été examiné par trois médecins ; sans doute, le manque absolu de science de ceux-ci pousse-t-il la romancière à dire qu’il n’y avait alors « ni médecin, ni médecine » à Majorque. À ce propos, relevons un passage d’« Un Hiver à Majorque » omis dans toutes les éditions de cet ouvrage de George Sand, mais que M. B. Ferra a inséré dans : « Chopin et George Sand à Majorque » d’après le manuscrit de l’ouvrage, manuscrit qui est un des joyaux de la cellule-musée de la Chartreuse de Valdemosa. Ce passage, le voici : « Son aide major [celui d’un des médecins] que nous avions surnommé « Malvavisco » [guimauve], à cause de sa prescription favorite, était si malpropre que notre malade ne pouvait se résoudre à lui laisser tâter son pouls. Nous étions en plein Diafoirusisme. » On peut voir ce piano majorquin dans la cellule-musée de la Chartreuse. Madame Mickiewicz venait d’être frappée de démence. Il s’agit de l’étude intitulée par George Sand : Essai sur le drame fantastique : Goethe, Byron, Mickiewicz et qui parut dans la Revue des deux Mondes du 1er décembre 1839. La vente dont il est question ici est une de celles que la princesse Adam Czartoryski organisait tous les ans au profit des émigrés polonais. Le docteur Jean Matuszynski. Juan Alvarez y Mendizabal [Juan Alvaro Mendizabal]. (1790-1853) homme d’État espagnol. Président du Conseil en 1835, il supprima les monastères d’hommes et fit vendre les biens monastiques. Caroline Buchat, dame Juste Olivier (1803-1879), auteur de quelques nouvelles et collaboratrice de son mari. Ce dernier, né en 1803 et mort en 1876, fut professeur d’histoire nationale à l’Académie de Lausanne. La Revue des Deux Mondes a publié de ses ouvrages. Juste Olivier et sa femme furent en correspondance suivie avec Sainte-Beuve. Cette inquiétude, exprimée de façon poignante, montre toute la profondeur de la tendresse du grand artiste pour les siens. Auguste Léo avait avancé cette somme à Chopin sur les droits à toucher pour la reproduction des Préludes en Allemagne. Il faut rapprocher ces mots que l’on sent jaillis du cœur de ce que George Sand écrivit plus tard à propos de Chopin à Majorque dans l’Histoire de ma vie : « Le pauvre grand artiste, y lit-on, était un malade détestable ». Déclaration faite après coup pour — la chose est certaine — donner quelque excuse à la cruelle rupture. À ce propos, permettons-nous de faire remarquer combien certains excellents historiographes tirent parfois peu parti des documents originaux qu’ils ont été souvent les premiers à avoir la faveur de consulter. Ainsi Mme Wladimir Karénine, après avoir cité les lignes où la romancière parle du caractère angélique de Chopin, n’en abonde pas moins, dans le même volume, dans le sens de la thèse du malade détestable. Chopin était donc rétabli, ou du moins semblait l’être, au moment de son arrivée à Valdemosa. Non, c’était Amélie, la femme de chambre, qui cuisinait, mais elle le faisait en maugréant et George Sand était réellement surchargée de soucis et de besogne. Cette phrase, séparée de son contexte, a fait dire que des dissensions avaient éclaté à Majorque entre les deux amants. La lecture de l’ensemble de la lettre prouve que George fait ici uniquement allusion à des difficultés d’ordre matériel. Et cela vient corroborer notre réflexion de la note précédente. Cette lettre, justement célèbre et d’une importance biographique si grande, fait partie de la collection de M. Arthur Hedley. Voilà le preuve de ce que Chopin n’est pas resté « cloîtré » dans la Chartreuse durant tout son séjour à Valldemosa, comme on l’a dit et redit ! Julien avait donc rapporté à Frédéric des cancans faits à Paris. Comment ne pas regretter amèrement la disparition des lettres de Fontana à Chopin ! Elles furent sans aucun doute brûlées par leur destinataire et probablement à Majorque même. On devine que Léo avait fait opérer un recouvrement chez Chopin. Vingt francs-or, soit environ quatre mille francs de la monnaie d’aujourd’hui. À Probst, pour l’édition en Allemagne ; à Pleyel pour celle en France. La deuxième Ballade en fa majeur, op. 38. dédiée à Schumann. Les deux Polonaises (la majeur et do mineur) op. 40, dédiées à Julien Fontana. Le Scherzo en do dièse mineur, dédié à Adolphe Gutmann. Représentant à Paris de plusieurs éditeurs allemands et, notamment, Breitkopf et Härtel, de Leipzig. Un soir de Carnaval, la paix de la Chartreuse fut troublée par d’étranges rumeurs : « Ce fut d’abord, dit George Sand, un bruit inexplicable et que je ne pourrais comparer qu’à des milliers de sacs de noix roulant avec continuité sur un parquet. Nous nous hâtâmes de sortir dans le cloître, pour voir ce que ce pouvait être. Le cloître était désert et sombre comme à l’ordinaire ; mais le bruit se rapprochait toujours sans interruption, et bientôt une faible clarté blanchit la profondeur des voûtes. Peu à peu elles s’éclairèrent du feu de plusieurs torches, et nous vîmes apparaître, dans la vapeur rouge qu’elles répandaient, un bataillon d’êtres abominables à Dieu et aux hommes. Ce n’était rien de moins que Lucifer en personne, accompagné de toute sa cour, un maître diable tout noir, cornu et avec la face couleur de sang ; et autour de lui un essaim de diablotins avec des têtes d’oiseau, des queues de cheval, des oripeaux de toutes couleurs et des bergères en habits blancs et roses, qui avaient l’air d’être enlevées par ces vilains gnomes [...]. C’étaient des gens du village, riches fermiers et petits bourgeois, qui fêtaient le mardi-gras et venaient établir leur bal rustique dans la cellule de Maria-Antonia. [Vieille espagnole habitant la Chartreuse et qui servit de domestique à George Sand]. Quand tous ces diables furent près de nous, ils nous entourèrent avec beaucoup de douceur et de politesse, car les Majorquins n’ont rien de farouche ni d’hostile en général dans leurs manières [...]. Nous les suivîmes dans la cellule de Maria-Antonia qui était décorée de petites lanternes de papier suspendues en travers de la salle à des guirlandes de lierre. L’orchestre, composé d’une petite guitare, d’un espèce de violon aigu et de trois ou quatre paires de castagnettes, commença à jouer les jotas et les fandangos indigènes qui ressemblent à ceux de l’Espagne, mais dont le rythme est plus original et plus hardi encore. [...] Les boléros majorquins ont la gravité des ancêtres et point de ces grâces profanes que l’on admire en Andalousie. Hommes et femmes se tiennent les bras étendus et immobiles, les doigts roulant avec précision et continuité sur les castagnettes ». « Pauvre Jacques » : Il s’agit ici de la « Comédie-Vaudeville » de MM. Cogniard frères, créée à Paris le 15 septembre 1835 sur la scène du Gymnase dramatique. Le célèbre acteur Marie Bouffé (1800-1886) y remporta un éclatant succès. Bouffé avait l’art de faire naître et le rire et les larmes. On lui doit d’intéressants Souvenirs (1880). Monsieur de Bonnechose et sa femme étaient des intimes des Marliani. George Sand a conté de la sorte, dans l’Histoire de ma Vie, la fin de cet épisode tragique : « Nous nous hâtions en vue de l’inquiétude de notre malade, [on devine qu’il s’agit de Chopin]. Elle avait été vive en effet, mais elle s’était figée en une sorte de désespérance tranquille, et il jouait son admirable prélude en pleurant. En nous voyant entrer, il se leva en jetant un grand cri, puis il nous dit d’un air égaré et sur un ton étrange : « Ah ! je le savais bien, que vous étiez morts ! » Sa composition de cette nuit-là était bien pleine de gouttes de pluie qui résonnaient sur les tuiles de la Chartreuse, mais elles s’étaient traduites dans son imagination et dans son chant par des larmes tombant du ciel sur son cœur. Auquel des 24 préludes George Sand fait-elle allusion dans ces lignes ? Bien des musicologues se sont posé la question. D’après l’opinion la plus répandue, il s’agirait du 15ème. prélude (ré bémol majeur). Cette assertion est corroborée par un témoignage de Maurice Dudevant, rapporté par la fille de celui ci, Mme. Aurore Lauth-Sand. On voit ainsi que Pleyel avait proposé à Chopin d’être son éditeur pour la France et « pour tous les autres pays ». Ceci vient à l’appui des arguments présentés dans notre note 61. Chopin cependant fit durant cette période une excursion en compagnie de George Sand et des enfants de celle-ci aux environs de Barcelone, à Arenys de Mar où ils furent les hôtes d’un gentilhomme de l’endroit nommé de Pastor y Campllonch. Ce dernier avait fait, pendant un séjour à Paris, la connaissance de la romancière chez Madame de Girardin. Le fils de ce noble espagnol, Joaquim, alors âgé de 23 ans, tenait son journal et ce curieux document a été édité en 1921 par Joseph Palomer. Voici la traduction des lignes relatives à la visite des deux illustres parisiens. Nous la devons à Madame Anne-Marie Ferra, conservateur de la cellule-musée de Valdemosa : « 18 février [1839]. — Une diligence venant de Barcelone s’est arrêtée aujourd’hui devant notre maison. Quatre personnes que je ne connaissais pas en sont descendues. C’était une dame française avec qui mon père s’était lié d’amitié à Paris et qu’il m’a dit s’appeler Aurore Dupin. Les autres étaient deux enfants qu’elle m’a présentés en me disant que c’était les siens, et un monsieur très mince qui, je l’ai appris, était musicien. Deux messieurs de Barcelone sont descendus ensuite de la diligence. Mon père les a très bien reçus parce qu’il les attendait. Ils ont tous gagné le salon du haut où se trouvaient ma mère et ma tante Joaquina. Nous avons déjeuné tous ensemble et j’ai appris qu’ils venaient de Majorque où ils avaient passé une saison et qu’ils retourneraient bientôt à Paris. L’après-midi ils se sont reposés et pendant la veillée nous avons parlé de beaucoup de choses et j’ai admiré le talent de la dame qui, de toutes les personnes présentes, parla le plus. 19 février : Ce matin nous sommes sortis avec nos parents et les étrangers pour visiter le village. Madame Dupin donnait le bras à ma mère et nous allions avec le musicien qui n’a presque pas parlé, peut-être parce qu’il ne sait pas bien le français. Son silence nous a fait croire qu’il n’était pas en bonne santé. Les enfants étaient restés chez nous avec ma tante. Nous avons déjeuné à la maison Ramis parce que le maître de la maison. M. Mana, a voulu les recevoir. Pendant l’après midi, nous avons été à la Pietat, dans une vigne de mon père, et ils ont dit que cela leur plaisait beaucoup. M. Lieu m’a dit ce soir que cette dame était de vie très libre, mais qu’elle écrivait très bien et qu’elle avait fait grand tapage en France. Personne ne le penserait en la voyant ou en lui parlant. 20 février : Aujourd’hui les étrangers, accompagnés par mon père, sont repartis pour Barcelone et nous avons tous été jusqu’à la Picordia où nous avons pris congé d’eux. Pendant qu’on attachait les chevaux. Mme. Dupin m’a embrassé et m’a dit qu’elle m’attendait à Paris avec mon père. Je ne sais pas si on me permettra d’y aller. Ils sont partis à neuf heures du matin ». Il s’agit évidemment de la deuxième version du célèbre roman de George Sand. Par badinage, George Sand appelait Grzymala son époux. Lettre inédite dont le texte est conservé dans les dossiers de la collection Spoelbarch de Lovenjoul à Chantilly. Certains biographes estiment qu’il s’agissait d’une sorte de testament. Antoine Wodzinski avait emprunté de l’argent à Chopin. Premier précepteur de Maurice Sand. Exagération de la part de George Sand. La santé de Chopin n’était pas compromise à ce point au moment du départ pour Majorque. Par cette affirmation George Sand cherchait sans doute à diminuer, aux yeux de ses amis, la part de responsabilité qui lui incombait. Il ne faut pas — on l’a fait trop souvent — traduire par « Les Ancêtres » le titre du grand poème dramatique d’Adam Mickiewicz, car il s’agit des âmes des aïeux. Nous conservons donc ici le titre original de cette œuvre admirable évocation d’une coutume païenne qu’observe encore le paysan polonais quand il appelle à lui les âmes des ancêtres pour leur faire des offrandes. Lettre inédite jusqu’ici en français. Jean Reynaud (1806-1863), philosophe français, adepte des doctrines saint-simoniennes. Auteur de l’Encyplopédie nouvelle (1836-1841), en collaboration avec Pierre Leroux. « Simon », roman de George Sand. Comme M. Bronislas Sydow a pu le constater sur l’original de cette lettre qui appartient aujourd’hui au professeur Roman Jasinski, de Varsovie. Dans l’édition allemande parue à Leipzig chez Breitkopf et Härtel, les Préludes sont toutefois dédiés à J. C. Kessler. Désespéré par l’accueil des Napolitains, le grand ténor français s’était en effet, donné la mort. Chopin désigne ainsi George Sand. George Sand projetait donc de donner son « Essai sur le drame fantastique » pour préface à une nouvelle traduction française des « Dziady », de Mickiewicz. Manière adorable de faire savoir à quelqu’un qu’on pense à lui et qu’on en parle entre soi. Pour éviter à Chopin les soucis et les frais du retour du piano, George Sand résolut de replacer cet instrument à Majorque même. Elle y parvint à grand’peine ; personne ne voulant toucher un piano dont un phtisique avait joué. Expression originale et enthousiaste d’un grand amour. Chopin estimant qu’Aurore vaut plusieurs anges, emploie le pluriel pour la désigner. Une lettre pour ses parents à Varsovie. Lettre inédite jusqu’ici en français. Le comte Luis Plater (1775-1846). Le comte Plater — un vétéran de l’armée de Kosciuszko — se rendit à Paris au début de la révolution polonaise de 1830, pour y solliciter, mais en vain, l’aide de la France. Auteur de la Description du grand Duché de Posen (1841). Cette messe fut célébrée à Notre-Dame du Mont, à Marseille. Chopin joua « les Astres » de Schubert, un des airs favoris d’Adolphe Nourrit. Les orgues de la petite église étaient détestables, l’improvisation de Chopin n’en fut pas moins émouvante. L’étude no 5 en sol bémol majeur, op. 10. Il est probable que Probst n’avait pas tenu compte des instructions de Chopin. Celui-ci désirait, que les Préludes fussent, ainsi que toutes ses autres œuvres, publiés simultanément en France, en Angleterre et en Allemagne. Avant la publication des Préludes en France, il demanda que l’édition allemande paraisse sans dédicace. Il semble bien que cette édition était déjà faite à ce moment : elle porte en effet la dédicace à J. C. Kessler que Chopin avait demandé de n’y pas faire figurer. « bras-dessus, bras-dessous » écrit phonétiquement à la polonaise. L’hésitation qu’avait eue Bocage se comprend quand on pense à ses relations antérieures avec la romancière. Celle-ci se joue de la difficulté en traitant, dans cette lettre, le grand artiste dramatique de « Frère » et d’« Ami ». La comtesse Marliani, femme du consul d’Espagne. Comme on le sait, Chopin était un mime merveilleux. Hippolyte Chatiron, demi-frère de la romancière. C’était un fils naturel de Maurice Dupin, père d’Aurore Dupin, la future George Sand, et d’une paysanne du nom de Chatiron. Il naquit à la Châtre et sa mère le fit déclarer sous le nom de Pierre Laverdure. Madame Dupin de Francueil, grand’ mère de George Sand s’occupa bientôt de l’enfant qui obtint de s’appeler Chatiron. Toutefois, son nom fut toujours, officiellement, Pierre Laverdure, dit Hippolyte Chatiron. Hippolyte, après être passé par l’armée, se maria honorablement avec une demoiselle Emilie de Villeneuve, dont il eut une fille : Léontine, celle-ci, épousa en 1843, Théophile-Guillaume Simonnet. Les époux Chatiron habitaient le château de Montgivray, non loin de Nohant. Le souvenir d’Hippolyte n’est pas perdu dans le pays et des renseignements nous ont été aimablement donnés à son sujet à la mairie de Montgivray et à celle de La Châtre. On n’a jamais reproché à cet homme, dont les qualités étaient réelles, que son trop grand « amour de la bouteille ». Il mourut prématurément le 23 décembre 1848. Chopin et Chatiron devaient, dans la suite, se lier d’une sincère amitié. Il ne faut pas tenir compte des assertions de Melle de Rozières, cette élève de Chopin et amie de George Sand. Il ne faut pas, en effet, croire que Chopin était choqué par les façons du gentilhomme campagnard. Ce n’était pas le premier bon vivant qu’il lui était donné de rencontrer. Hippolyte n’était d’ailleurs nullement dénué de bon sens, voire de finesse. Très attaché à sa demi-sœur et tourmenté par le nombre des aventures de cette dernière, il discerna en Chopin un homme supérieur — et discret — capable de fixer le cœur d’Aurore et d’empêcher celle-ci de continuer à être la fable de ses contemporains. Preuve qu’à Marseille nul n’ignorait la liaison de Chopin et de George Sand. Gabriel, roman dialogué qui parut dans la Revue des Deux Mondes. George Sand l’écrivit à Marseille. C’est le roman qu’elle termina dans son lit, et qu’elle dédia à Grzymala. Ce n’est pas le premier hommage rendu par George Sand à la douceur du caractère de Chopin, ce caractère qu’elle affirma, dans la suite, (voir Histoire de ma vie) s’être montré détestable pendant la maladie dont le grand musicien souffrit à Majorque. Si Madame d’Agoult maniait la méchanceté avec virtuosité et plaisir, Franz Liszt se montre, dans cette lettre, le digne disciple de son amie. Cette lettre fait partie de la collection Alfred Cortot. |
Les Origines de la France contemporaine/Index général/H | Hippolyte Taine Les Origines de la France contemporaine Librairie Hachette et Cie, 1899 (Index général des onze volumes, p. 62-65). ◄ G I ► bookLes Origines de la France contemporaineHippolyte TaineLibrairie Hachette et Cie1899ParisVIndex général des onze volumesTaine - Les Origines de la France contemporaine, Index général, 1899.djvuTaine - Les Origines de la France contemporaine, Index général, 1899.djvu/962-65 A – B – C – D – E – F – G – H – I – J – K – L – M – N – O – P – Q – R – S – T – U – V – W – X – Y H Hainaut. — I : p. 23, 34, 55n, 64n, 65, 85. —X : 116n. Voyez aussi Flandre. Hallé (Jean-Noël), médecin. — XI : p. 255. Haller (Albert de), médecin et naturaliste. — I : p. 269. — VII : 200n, 202. Hamilton (Emma Harte, lady), — IX : p. 117n. Hannaches (Mlle de), citée par Mme Roland, 1770. — II : p. 185n. Hanon (l’abbé), supérieur des Lazaristes et des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. — XI : p. 34. Harcourt (Anne-Pierre, duc d’), — I : p. 76, 136, 188. Voyez aussi Beuvron. Hardy, libraire à Paris, 1750. — II : p. 163n, 178n, 179. Harmand (Jean-Baptiste), député de la Meuse, Convention et Anciens. — VI : p. 206n. — VII : 198n. — VIII : 184n. Hartley (David), médecin anglais. — I : p. 284n. — II : 78. Hasard, ex-prêtre, adjudant de Rossignol en Vendée, 1793-94. — V : p. 242n. — VII : 327. Hassenfratz (Jean-Marie), chimiste, membre de la Commune. — VI : p. 35, 221n, 241n, 243n. Haupt, agent de police, Alsace, 1793. — VIII : p. 54n, 56, 101n, 250n, 256n. Hauser, agent de police, Alsace. 1793. — VIII : p. 54n, 256n. Hausset (Mme du), femme de chambre de Mme de Pompadour. — I : p. 123n, 157n, 240n. Haussonville (Charles-Louis-Bernard de Cléron, cte d’), chambellan de Napoléon. — X : p. 20, 145. Haute-Garonne (dépt de la). — IV : p. 246, 248, 250. — VII : 17n, 89n à 91n. — VIII : 274, 276n, 296n. — IX : 164n, 165. — X : 129n, 234n, 246n. Voyez aussi Toulouse. Haute-Loire (dépt de la). — III : p. 88, 89, 113n. — VI : 139. — VIII : 258, 409n. — IX : 138n. — X : 125n, 129n. Haute-Marne (dépt de la). — III : p. 124. — IV : 119. — VII : 17n. — VIII : 50. Haute-Saône (dépt de la). — III : p. 116, 117, 119 à 122, 124. — IV : 152. — VI : 85n. — VIII : 138n. — X : 67n. Haute-Vienne (dépt de la). — III : p. 19, 257n. — IV : 73. — V : 50. — VI : 80n, 94. — VII : 14n, 17, 34, 36n. — VIII : 168n, 319n. — X : 30n. Hautes-Alpes (dépt des). — V : p. 109n, 206n. Hautes-Pyrénées (dépt des). — VII : p. 328. — VIII : 49n, 202n, 256. — IX : 166n. Hauteville (René de), avocat au parlement de Bretagne, 1776, — I : p. 85n. — II : 293n. Haüy (l’abbé René-Just), minéralogiste. — I : p. 268. — XI : 271, 272, 351n. Haüy (Valentin), pédagogue, fondateur des Jeunes-Aveugles. — XI : p. 306. Hawkesbury (Robert-Banks Jonkinson, lord), secrétaire d’État anglais. — IX : p. 116n. Hébert (Jacques-René), dit le père Duchesne, substitut de l’agent national de la Commune. — V : p. 44, 319. — VI : 5, 35, 36, 38, 180, 189, 230, 234, 235, 238 à 240, 246, 258, 261. — VII : 68, 126n, 190, 222, 226, 252n, 255, 261, 300n. — VIII : 11, 12, 29, 97, 176, 180n, 331. Hébrard de Fau (Pierre), avocat à Aurillac, député de Saint-Flour, Constituante. — VII : p. 72n. Hébray, propriétaire à Gourdon (Lot), 1790. — IV : p. 165. Hecht, pharmacien à Strasbourg, an II. — VIII : p. 250n. Helvétius (Claude-Adrien), littérateur. — I : p. 316. — II : 21, 26, 124. — VII : 200n, 202. Hénault (Charles-Jean-François, président), historien. — I : p. 248. — II : 186. Hénin (Alexandre-Marc-Marcellin d’Alsace de Boussu de Chimay, pce d’). — II : p. 174. Hénin (Charles, bon d’), général de brigade, 1813. — X : p. 197. Henri de Larivière. Voyez Larivière. Henriot (François), général de la garde nationale de Paris. — V : p. 44, 75n, 320. — VI : 5, 35, 36, 168, 174, 235, 243, 245, 246, 249, 251, 252, 260, 261. — VII : 266. — VIII : 18, 21, 23, 24n, 28 à 32, 104, 175, 176, 206n, 243n, 268n. — X : 162. Hérault de Séchelles (Marie-Jean), député de Seine-et-Oise, Législative et Convention. — V : p. 40, 165, 288n. — VI : 238, 252. — VII : 9, 13n, 27, 275, 276n, 299, 302n. 308. — VIII : 196. Hérault (dépt de l’). — III : p. 286n à 288. — IV : 70, 104, 137, 240, 246, 249n, 253n. — V : 53, 111 à 113, 147, 226. — VI : 86n, 139n, 140, 152n, 208n. — VII : 34, 36, 215n. — VIII : 272n, 287n, 296n, 390. — IX : 138n. — X : 38, 97n, 129n. Héricy (le chevr d’), officier emprisonné à Caen, 1792. — IV : p. 203. Héritage et droit de tester. — I : p. 33, 60, 62. — II : 3, 8. — III : 243, 253, 260 à 262. — VI : 148, 210n. — VII : 118, 119, 132, 133, 167, 168, 245n. — VIII : 170 à 172. — IX : 192, 193. — X : 101, 102n 155. — XI : 131. Voyez aussi Famille et Propriété. Herluison, bibliothécaire à Troyes, an V. — VIII : p. 362n. Hermann (Armand-Martial-Joseph), ministre de l’Intérieur, président du Tribunal révolre. — VII : p. 79, 271. Héron, agent du Comité de sûreté générale, un des chefs de l’insurrection du 10 août 1792. — V : p. 283n. Héron (Jean d’), tailleur à Nantes, inspecteur des vivres, 1793-94. — VIII : p. 106n, 107n. Herschell (William), astronome. — I : p. 267. — XI : 172. Hervet, ancien intendant des Noailles, arrêté en 1793. — VIII : p. 186n. Hervilly (Louis-Charles, cte d’), colonel de la garde du Roi. — IV : p. 69. — V : 302. Hesse-Rheinfeld-Rottenbourg (Charles, pce de), général au service de la France. — V : p. 40. — VI : 141n. Heulard, propriétaire à Moulins, brumaire an II. — VIII : p. 199n. Hézecques (Félix, cte de France d’), bon de Mailly, page de Louis XVI. — I : p. 139n, 144n, 145n, 149n, 158n, 162n, 168n, 173n. — III : 42n. Hézine, procureur du district, Blois, 1793. — VIII : p. 353, 386. Hingray, cavalier de la gendarmerie nationale, Paris, 1792. — V : p. 315n. — VI : 5n. Hoche (Lazare), général. — II : p. 303. — VIII : 131n, 374, 402. — X : 162. Holbach (Paul-Henri Thiry, bon d’). — I : p. 272. — II : 21, 26n, 27n, 35, 75, 82, 101, 121n. 124, 145. Hollande. — II : p. 66. — IV : 82, 173. — V : 128. — VIII : 400, 407, 408. — IX : 52, 121, 125, 126, 151, 231n. — X : 145n, 174, 188, 211, 242n, 243n. — XI : 45, 57, 70. Hortense de Beauharnais, reine de Hollande. — VII : p. 145n. Hourier-Éloy (Charles-Antoine), député de la Somme, Convention et Cinq-Cents. — VIII : p. 324. Hua (Eustache-Antoine), député de Seine-et-Oise, Législative. — V : p. 120n, 139 à 142n, 249n, 250n, 280n, 288n, 314. — VI : 30n. — VII : 45n. — VIII : 41n, 43n, 45n, 99n, 314n, 315n. Huché, général commandant en Vendée en 1793. — VII : p. 293n. Huez (Claude), maire de Troyes, assassiné en 1789. — II : p. 294n. — III : 4n, 104 à 107. — V : 53n. — VIII : 167. Huguenin (Sulpice), président de la Commune, août et septembre 1792. — V : p. 242, 249, 291, 306n, 319. — VI : 35, 66. — VII : 224. Hugues, accusateur public en 1793. — VI : p. 201n. — VII : 354. Huguet (Marc-Antoine), député de la Creuse, Législative et Convention. — VIII : p. 359. Hulin, chef de brigands, condamné en 1782. — II : p. 287. Hullin (Pierre-Augustin, cte), général. — III : p. 69. Hume (David), historien anglais. — I : p. 311. — II : 59, 78, 105n, 107n, 124, 127. — VII : 200n, 202. — XI : 264n, 274. Humières de Scorailles (N. d’), ancien officier, Cantal, 1792. — IV : p. 247. Huré, habitant de Pont-sur-Yonne, 1792. — V : p. 127. Hutchinson (Lucy Apsley, dame), écrivain anglais. — V : p. 36n. Hutton (James), chimiste écossais. — I : p. 268. Hydens, commissaire national à Lyon, 1793. — VI : p. 182n. |
Les Origines de la France contemporaine/Index général/I | Hippolyte Taine Les Origines de la France contemporaine Librairie Hachette et Cie, 1899 (Index général des onze volumes, p. 65-66). ◄ H J ► bookLes Origines de la France contemporaineHippolyte TaineLibrairie Hachette et Cie1899ParisVIndex général des onze volumesTaine - Les Origines de la France contemporaine, Index général, 1899.djvuTaine - Les Origines de la France contemporaine, Index général, 1899.djvu/965-66 A – B – C – D – E – F – G – H – I – J – K – L – M – N – O – P – Q – R – S – T – U – V – W — X — Y I Ichon (Pierre-L.), député du Gers, Législative et Convention. — VIII : p. 59n. Ilari (Camilla), nourrice de Napoléon ier. — IX : p. 80. Île de France (gouvt de l’). — I : p. 35n, 54, 64, 66, 74, 88 à 91, 101, 103, 136 à 140, 145, 146, 150, 151, 171, 174, 177, 188, 189, 319, 320. — II : 157, 209, 212, 233, 235, 237, 244n, 247, 252, 256, 259, 264, 265, 273n, 290, 293n, 321, 322. — III : 6, 15, 16, 35 à 38, 74, 91, 131, 132, 134, 138, 262. — IV : 112. — VIII : 289. — X : 29, 96n. Voyez aussi Paris. Ille-et-Vilaine (dépt d’). — IV : p. 155, 156, 162, 163, 244n, 245. — V : 224. — VI : 139. — VII : 34, 40, 351. — VIII : 385. — X : 52n, 67n, 109. — XI : 140. Imbert de Boudeaux (Guillaume), écrivain, collaborateur de Métra. — I : p. 198n. Imbert-Colomès (Jacques), prévôt des marchands à Lyon, député aux Cinq-Cents. — II : p. 279n. — VIII : 364. Imonnier, lieutt-colonel, assassiné par les volontaires à Châlons-sur-Marne, 1792. — VI : p. 98n. Impôts, aides, tailles, taxes, etc. — I : p. 25 à 30, 32, 34 à 36, 64, 67, 81n, 121, 130, 197, 281, 330, — II : 131, 144, 155, 156, 166, 178, 186n, 191, 201, 203 à 206, 209, 211 à 213, 221, 222, 230, 231, 232 à 271, 278, 284, 307, 321 à 323. — III : 10, 11, 24 à 27, 33, 40, 74, 82, 99, 103, 107 à 110, 116, 130, 213 à 216. — IV : 5, 9, 17, 20, 22, 44, 64, 66, 87, 131 à 146, 168, 175, 177. — V : 10, 30, 77, 94, 119, 158, 176, 189n, 193, 207. — VI : 17, 117, 119, 152, 212, 219 à 221, 265. — VII : 57 à 59, 74, 80, 116 à 118n, 123, 153, 163 à 167, 178, 184. — VIII : 41, 74 à 77, 147, 164, 190, 199, 200n, 227, 239n 296, 333, 395n, 407, 408. — IX : 157, 163n, 170n, 174, 182, 183, 209n, 210, 214, 224. — X : 65, 80 à 115, 133, 140, 213 à 216, 219, 220, 229n, 231, 249, 260 à 274, 299, 300. — XI : 301. Voyez aussi Dîme et Droits féodaux, Finances. Inde. — II : p. 246. — VII : 150. — VIII : 231. — X : 155, 156. Indre (dépt de l’). — IV : p. 73. — VIII : 136n, 258, 279n. — X : 28n, 34n, 246n. Indre-et-Loire (dépt d’). — IV : p. 30, 34n, 57, 111, 137, 144. — VII : 317n, 345n. — VIII : 59n, 238n, 296n, 352, 380. — X : 96n, 116n, 246n. Infantado (Marie-Anne de Salm-Salm, desse de l’). — III : p. 135. Ingrand (François-Pierre), député de la Vienne, Législative, Convention et Cinq-Cents. — VII : p. 312. Intendants. — I : p. <span class="romain" title="Nombre X écrit en chiffres romains">X, 29, 32, 35n, 36n, 56 à 59, 65, 67, 100, 103, 121. — II : 67, 120, 160n, 176, 200n, 206, 209 à 211, 215, 229, 238, 240n, 242n à 244n, 260 à 265n, 278n, 281, 289 à 293n, 301n, 309n. — III : 7, 11, 12, 18n à 21, 87n, 89, 91, 101, 109, 182, 183. — IV : 62, 65, 134n. — VII : 81, 82. — VIII : 144, 169, 174. — XI : 182. Voyez aussi Administration. Irlande. — I : p. 78, 82. — II : 221. — VII : 73. — XI : 57, 70, 153, 167n. Isère (dépt de l’). — III : p. 25. — VI : 115. — VII : 36n. — VIII : 49n, 203n, 316n. Voyez aussi Grenoble. Isnard (Maximin), député du Var, Législative, Convention et Cinq-Cents. — V : p. 34n, 124, 132n, 153, 154, 165, 171, 231n à 233, 264. — VI 147, 238, 251. — VII : 59n, 210. Isoré (Jacques), député de l’Oise, Convention. — VII : p. 91. — VIII : 97. Italie. — I : p. 182, 192, 237. — II : 11. — IV : 89. — VII : 182. — VIII : 118, 281, 398n, 400, 403, 405 à 409. — IX : 5 à 8, 25 à 28, 41n, 52, 53n, 82, 83n, 121, 125, 150, 226 à 228, 231n. — X : 4, 174, 188, 211. — XI : 20, 21, 57, 70, 75n, 153, 154, 210. |
Les Origines de la France contemporaine/Index général/C | Hippolyte Taine Les Origines de la France contemporaine Librairie Hachette et Cie, 1899 (Index général des onze volumes, p. 23-36). ◄ B D ► bookLes Origines de la France contemporaineHippolyte TaineLibrairie Hachette et Cie1899ParisVIndex général des onze volumesTaine - Les Origines de la France contemporaine, Index général, 1899.djvuTaine - Les Origines de la France contemporaine, Index général, 1899.djvu/923-36 A – B – C – D – E – F – G – H – I – J – K – L – M – N – O – P – Q – R – S – T – U – V – W – X – Y C Cabanis (Pierre-Jean-George de Salagnac-), médecin. — I : p. 272, 316, 318n. Cabarrus. Voyez Mme Tallien. Cabrol, commandant de la garde nale, Marseille, 1791. — V : p. 191n. Cacault (François), diplomate, — IX : p. 20n. Cadet de Gassicourt (Charles-Louis), pharmacien. — IX : p. 39n. Cadillot, correspondant de Robespierre, Lyon, 1793. — VII : p. 60n. — VIII : 126. Caen. — II : p. 201, 211, 229, 321. — III : 16, 85, 107, 109, — IV : 70, 105, 199 à 205, 217, 238, 239. — V : 64, 146, 225. — VI : 80n, 97, 132n, 261. — VII : 17, 34, 35, 38n, 40, 41, 44, 51. — VIII : 151n, 300. — X : 22n. Cagliostro (Joseph Balsamo, prétendu comte Alexandre), — XI : p. 7, 283. Cahier de Gerville (Bon-Claude), ministre de l’intérieur, 1791. — IV : p. 73n, 199n, 233n, 245n, 246n. — V : 151n, 225n, 227n. Cailhasson (F.-M.), député de la Hte-Garonne, Législative. — IV : p. 243n. — V : 119n. Caillard (Antoine-Bernard), diplomate. — IV : p. 71. Caillard, agent de police, Lyon, 1793. — VIII : p. 54n. Calas (Jean), négociant à Toulouse. — II : p. 128, 148. Calès (Jean-Marie), député de la Hte-Garonne, Législative et Convention. — VII : p. 351n. — VIII : 57n, 97n. Calon (Étienne-Nicolas de), député de l’Oise, Législative et Convention. — VI : p. 196n. Calonne (Charles-Alexandre de), contrôleur général des Finances. — I : p. 29, 107n, 110, 123, 130. — II : 167, 169n, 253n, 257, 284n. — X : 82n, 109n. Calvados (dépt du). — III : p. 108. — IV : 70n, 72, 199 à 205, 238, 239. — V : 144, 225, 227n. — VI : 67, 96, 97. — VII : 15, 44, 113n, 135n, 316n. — VIII : 23n, 283n, 321n. — X : 6n, 9n, 26, 28n, 39n, 96n. — XI : 40, 50n. Voyez aussi Caen. Cambacérès (Jean-Jacques-Régis, duc de), député de l’Hérault, Convention, 2e consul et archichancelier. — VI : p. 205. — VII : 119n, 132n. — VIII : 322, 324. — IX : 52n, 96n, 99, 101n, 124n, 203. —X : 144, 153, 186. — XI : 18, 236n, 284n. Cambis (Mme de). — I : p. 208. Cambon (Joseph), député de l’Hérault, Législative et Convention, ministre des finances. — IV : p. 23n, 140n. — V : 119, 120n. — VI : 23, 152n, 207, 208, 210n. — VII : 14n, 34n, 42n, 44n, 88n, 89n, 92n, 115n, 117n, 234, 285, 291, 311n. — VIII : 41n, 58n, 70n à 72n, 77n, 88n, 146, 147, 197, 227n, 228n, 230, 239n, 333. — IX : 90. Cambon, substitut au procès de Fouquier-Tinville. — VIII : p. 132n. Caminade, capitaine de la garde nale, Paris, 1793. — VII : p. 107n. Camoin, administrateur, Marseille, 1792. — V : p. 197, 204n, 205. Campan (Jeanne-Louise-Henriette Genest, dame). — I : p. 18n, 99n, 105n, 106n, 123n. 156n, 166n, 167n, 173n, 218n, 240n, 254n, 261n, 333. — III : 93n, 94, 152n, 160n, 163n. — V : 255n, 256n, 280n, 299n, 304. — X : 85n. Campbell (sir Neil), commissaire anglais à l’île d’Elbe. — IX : p. 33n, 121n. Camus (Armand-Gaston), député de Paris, Constituante, et de la Hte-Loire, Convention et Cinq-Cents. — III : p. 224n, 273n. — V : 122n, 209n. Camuzat de Belombre (Nicolas-Jacques), député de Troyes, Constituante. — III : p. 85n. Canac (Pierre), témoin à Saint-Affrique. — VI : p. 77n. Canillac (l’abbé Cl.-Fr. de Montboissier-), Bourges, 1753. — I : p. 74n. Canning (George), homme d’État anglais. — III : p. 226. — VIII : 400n, 401n. Canonge, dépositaire du Mont-de-Piété, Avignon, 1791. — V : p. 214n. Cantal (dépt du). — III : p. 19, 112n, 260. — IV : 246 à 248. — V : 218n, 219n, 225. — VI : 114. — VII : 17n, 72n, 351. — VIII : 191, 273n. — X : 30n. Capdenet, témoin à Saint-Affrique, 1792. — VI : p. 77n. Caprara (J.-B.), cardinal, légat du pape Pie VII. — XI : p. 38n. Caraman (Victor-Maurice, cte de), commandant gal de Provence. — I : p. 104. — II : 278n. — III : 4n, 27n, 33n. — IV : 216n. Carboire (N. de), témoin au procès du pce de Lambesc. — III : p. 62n. Carbonnière (le vte de), Auvergne, 1789. — III : p. 120n. Cardito (le pce de), Milan, 1805. — IX : p. 116n. Carion, curé d’Issy-l’Évêque, 1789. — IV : p. 63, 64. Carle (Raphaël), commandant de gendarmerie, assassiné à Paris, 1792. — V : p. 304. Carlenc, capitaine nommé commandant de l’armée du Rhin. — VII : p. 333. Carneville (N. Symon, cte de), major de dragons. — VIII : p. 149n. Carnot (Lazare-Nicolas-Marguerite), député du Pas-de-Calais, Législative et Convention. — II : p. 176. — IV : 228. — V : 75n. — VI : 204n, 207, 263. — VII : 76, 131n, 191, 234, 237n, 250n, 254n, 270n, 289 à 293n, 295, 297, 300, 301, 306n, 307n, 309, 325n, 346n, 347n. —VIII : 147, 347n, 349, 364n, 366n, 372, 374, 375, 387n, 399 à 401, 404n, 409n, 426n. — IX : 84. — X : 13. — XI : 268, 271. Carra (Jean-Louis), député de Saône-et-Loire, Convention. — III : p. 139n. — V : 282n, 318. — VII : 65, 224. Carrier (Jean-Baptiste), député du Cantal, Convention. — V : p. 83. — VI : 193. — VII : 258n, 287, 289n, 318, 319, 328, 337 à 341, 345, 354 à 356 — VIII : 40n, 106, 108, 109n, 125n, 130n à 132, 201n, 205, 246, 333. Cars (Jean-François de Pérusse, cte, puis duc des). — I : p. 153. Carteaux (Jean-François), général. — X : p. 162n. Casanova de Seingalt (Giovanni-Jacopo), littérateur. — I : p. 162n. Cassini (Jacques, cte), astronome. — XI : p. 271. Castanet, gendarme, Gard, 1792. — IV : p. 241n. — VI : 82n, 115n. Castellane (Jean-Arnaud de), év. de Mende. — I : p. 187. Castellane (Marie-Anne Rouillé de Jouy, mquise de). — I : p. 109. Castellas (le chev. de), Auvergne, 1789. — III : p. 93n. Castries (Armand-Charles-Augustin, duc de). — III : p. 202. — IV : 211. — V : 62. Catherine II, impératrice de Russie. — II : p. 127, 148. — V : 164n. — IX : 35. Caulaincourt (Armand-Augustin-Louis de), duc de Vicence, diplomate. — IX : p. 99. — X : 171n. Caumartin de Saint-Ange (Marc-Antoine Le Fèvre de), intendant de Besançon. — II : p. 281n. — III : 102. Cavaignac (Jean-Baptiste), député du Lot, Convention et Cinq-Cents. — V : p. 319n. — VII : 34n, 321n. Cavellier (B.), député du Finistère, Législative. — V : p. 154n. Cavendish (Henry), chimiste anglais. — I : p. 268. Cayol (la femme), bouquetière, pendue à Aix, 1792. — V : p. 193. Cazalès (Jacques-Antoine-Marie de), député de Verdun, Constituante. — III : p. 203. — V : 138. Caze de la Bove (Nicolas-Robert), intendant de Bretagne. — II : p. 264n, 293n. — III : 24n. Cazotte (Jacques), littérateur. — II : p. 316 à 319. Cederhielm (le bon de), Suédois. — II : p. 105n. Cerutti (Joseph-Antoine-Joachim), député de Paris, Législative. — III : p. 42. Ceyrat (Joachim), président de section, Paris, 2 septembre 1792. — VI : p. 39. Chabannes (le cte de). — II : p. 184. Chabaud (l’abbé), Barbentane, Bouches-du-Rhône, 1791. — V : p. 110n. Chabot (Jean-Baptiste), év. de Saint-Claude. — II : p. 158. Chabot (François), député de l’Aveyron, Constituante, et du Cher, Convention. — V : p. 43, 127n, 135, 230n. — VI : 193, 243n. — VII : 18n, 229n, 259n, 275, 299. — VIII : 12. Chabot (Louis-François-Auguste, cte de, puis duc de Rohan-), chambellan de Napoléon. — X : p. 145. Chabrillan (Aimé-Jacques de Moreton, cte de). — VIII : p. 163n. Chabrol de Volvic (Gilbert-Joseph-Gaspard, cte de), préfet de la Seine. — X : p. 246n. — XI : 61n. Chabroud (Charles), député du Dauphiné, Constituante. — III : p. 179n. — IV : 134n. Chabry (Madeleine), bouquetière, Paris, 1789. — III : p. 154. Chaila (le mquis du), Franche-Comté, 1789. — II : p. 309. Chaillot (le président de), Franche-Comté, 1789. — II : p. 158. Chalabre (Mme de), admiratrice de Robespierre. — VII : p. 248n. Chalandon (C.), m. du Comité révolre. — VIII : p. 35. Chalgrin (Marie-Félicité Vernet, dame). — VIII : p. 128. Châlier (Marie-Joseph), président du tribunal révolre de Lyon. — V : p. 34n, 44, 81n, — VI : 67n, 83, 84n, 111, 182n, 233n. — VII : 54, 136. — VIII : 6, 226n, 359. Chambon (Aubin Bigorie-), député de la Corrèze, Convention. — VII : p. 65, 69. Chambon de Montaux (Nicolas), médecin, maire de Paris. — VI : p. 163n, 164n, 174n. Chameron (la demoiselle), danseuse à l’Opéra. — XI : p. 49. Chamfort (Sébastien-Roch-Nicolas de), littérateur. — I : p. 177n, 197n, 209n, 245n, 251, 263n. — II : 112, 142n, 169n, 174, 177n, 186, 187, 245n, 315, 317, 318. — III : 153n, 154, — V : 67. — VIII : 126, 140. — X : 98n, 151. Chamolles (le président de), Franche-Comté. — II : p. 158. Chamonart, marchand de vin, Cambrai, 1793. — VII : p. 335n. Champagne (gouvt de). — I : p. 17, 29, 35n à 37, 96, 102, 103, 117, 188, 189, 231, 330, 331. — II : 157, 206, 209, 220, 221, 235, 237, 241, 247, 250 à 252, 257, 258, 267, 272, 294n, 321, 322. — III : 4n à 6, 14n, 15, 17, 35, 109, 111, 247. — — IV : 51, 112. — X : 96n. — XI : 84n. Champagny (Jean-Baptiste Nompère de), duc de Cadore. — IX : p. 49n, 52n, 72n, 103n, 106n, 108, 119n, 231n. — X : 196n. — XI : 203n, 269n. Champcenetz (Jean-Louis-Edmond Quentin, mquis de), gouverneur des Tuileries. — I : p. 154. Champion, m. du club des Cordeliers. — VI : p. 203. Champion de Cicé (Jérôme-Marie), archev. de Bordeaux. — I : p. 101, 187, 235. Champion de Villeneuve, commissaire du roi à Avignon, 1792. — V : p. 216n. Champlost (Jean-Marie Quentin, bon de). — I : p. 154. Chanlaire, Châlons-sur-Marne. 1792. — VI : p. 108. Chaperon (les frères), cultivateurs aux Loges, près Sens, 1794. — VIII : p. 103n, 104n. Chaponay (Pierre-Élisabeth, cte de), Lyonnais, 1791. — IV : p. 193 à 195. Chapron, témoin au 10 août, 1792. — V : p. 286n. Chaptal (Jean-Antoine), cte de Chanteloup, ministre de l’intérieur. — IX : p. 14n, 27n, 29n, 50n, 57n, 88n, 90n, 96n, 113n, 168n, 205n. — X : 112n, 164n, 240n, 244. — XI : 63n, 136, 251n, 272, 275, 287n. Charcot, de Virieu (Ain), 1793. — VIII : p. 334n. Charente (dépt de la). — III : p. 18, 93, 114n. — V : 266n. — X : 97n. Charente-Inférieure (dépt de la). — IV : p. 159 à 161, 239n. — V : 146. — VII : 105n, 145n, 352n. — VIII : 49, 55, 59, 125, 133n, 299n, 385, 391. — X : 13, 213n. Charles X. Voyez Artois (le cte d’). Charles, maire de Trannes, (Aube), 1794. — VIII : p. 44n. Charles (Jacques-Alexandre-César), physicien. — III : p. 142. — VII : 200. Charlot, perruquier, assassin de septembre. — VI : p. 53. Charmont, agent de police, 1794. — VII : p. 112n, 232n. — VIII : 10n, 143n. Charost (Armand-Joseph de Béthune, duc de). — II : p. 158. Charpentier, président du district d’Étampes, 1791. — IV : p. 121n. Chartres (Louis-Philippe d’Orléans, duc de), puis roi des Français. — I : p. 173. — V : 67. — VI : 29n, 30n. Chartres, agent de police, Lyon. 1793. — VIII : p. 54n. Chasles (Pierre-Jacques-Michel), député d’Eure-et-Loir, Convention. — V : p. 43. — VI : 182n, 255n. — VIII : 180n, 226n. Chassagnon (Jean), écrivain lyonnais. — VI : p. 84n. Chassaignac (Noël), député de la Corrèze, Législative. — V : p. 217n. Chasset (Charles-Antoine), député de Rhône-et-Loire, Constituante, Convention et Anciens. — I : p. 22n. — III : 201n. — VII : 38n, 65. — X : 147. Chastellux (François-Jean, mquis de), littérateur. — II : p. 124. Chateaubriand (François-Auguste, vte de), littérateur. — I : p. 35n, 46n, 58n à 60, 113n, 140, 168, 210n, 230, 293. — II : 130, 141n. — VII : 156n. — VIII : 211n. — IX : 46n, 106. — XI : 269 à 271, 282. Chateauneuf-Randon (Alexandre-Paul, cte de), député de la Lozère, Constituante et Convention. — III : p. 283n. — V : 39. — VII : 346. — VIII : 102n. Châtel, lieutenant du maire, égorgé à Saint-Denis, 1789. — III : p. 131, 138. Châtelet (Gabrielle-Emilie le Tonnellier de Breteuil, mquise du). — II : p. 80, 82, 97n. Châtelet (Marie-Louis-Florent, duc du), colonel des gardes françaises. — I : p. 35n. — III : 44n, 48, 52, 59. — VIII : 77. Châtelet (Claude-Louis), juré au Tribunal révolre. — VII : p. 78n. Châtillon. Voyez Luxembourg. Chatry l’aîné (Pierre-Jacques-Samuel), député du Calvados, Anciens. — VI : p. 232n. Chaumette (Pierre-Gaspard), procureur de la Commune. — V : p. 44, 126n, 275n. — VI : 35, 66, 180, 189, 191, 224, 226, 258. — VII : 17n, 226, 238n, 261, 312n. — VIII : 12. Chauvel, émeutier, procès du pce de Lambesc. — III : p. 62n. Chauvelin (François-Bernard, mquis de) diplomate. — I : p. 153. Chaux (Pierre), m. du comité révolre de Nantes. — VII : p. 338n, 341n, 354n. — VIII : 95. Chazal (Jean-Pierre), député du Gard, Convention, Cinq-Cents et Tribunat. — VIII : p. 392. Chazerat (Ch.-Ant.-Cl. de), intendant d’Auvergne. — III : p. 19n. Chemin (Charles), commissaire, section des Gravilliers, 1792. — V : p. 315n. — VI : 5n. Chenantin, cultivateur, Touraine, 1792. — IV : p. 87n, 144n. Chénier (André-Marie de), poète. — V : p. 45n, 172. — VIII : 213. Chénier (Marie-Joseph de), député de Seine-et-Oise, Convention et Cinq-Cents. — I : p. 310, 318n. — V : 55n, 67, 76n, 244n. — VI : 35, 36, 39. — VII : 23, 139n. — VIII : 336, 355, 392. — XI : 270. Chépy (P.-P.), agent politique à Grenoble. — VII : p. 53n, 55n. — VIII : 49n, 55n, 56n, 103n ; 255n. — IX : 89n. Cher (dépt du). — IV : p. 119, 133n. — VII : 35, 41, 93n. — VIII : 258, 279n. — X : 28n. Chérin (Louis-Nicolas-Henri), généalogiste. — I : p. 63n, 319. — II : 176. Chéron-La-Bruyère (Louis-Claude), député de Seine-et-Oise Législative, préfet de la Vienne. — V : p. 131n. Chesterfield (Philippe-Dormer Stanhope, cte). — I : p. 216. — II : 122. Chevalier, maréchal ferrant, Paris, 1792. — VI : p. 22n. Chevalier (l’abbé), agent de Mmes de Boufflers. — VIII : p. 78n. Chevalier-Saint-Dizier, m. du 1er comité de surveillance. — VI : p. 40n. — VII : 215n. Chevert (François de), lieutenant-général. — X : p. 154. Chevreuse (Henriette-Nicole-Pignatelli d’Egmont, desse de). — I : p. 109. Chevreuse (Françoise-Marie-Félicité-Ermessinde-Raymonde de Narbonne-Pelet, desse de). — X : p. 20, 22n. Cheynard, serrurier à Paris, 1793. — VI : p. 235. Chiappe (Ange), député de la Corse, Convention et Cinq-Cents. — VI : p. 238. Chimay (Marie-Charlotte Le Peletier, pcesse de). — VIII : p. 210. Chine. — VII : p. 150, 156n, 158n, 159. — VIII : 282. Chladni (Frédéric), physicien. — I : p. 267. Choiseul (Étienne-François, duc de). — I : p. 83n, 128, 179, 199, 205n, 224 à 228, 260, 261n. — VIII : 148n. Choiseul (Louise-Honorine Crozat du Châtel, desse de). — I : p. 224 à 228, 257. — II : 82. Choiseul (Claude-Antoine-Gabriel, duc de). — VIII : p. 119. Choiseul-Gouffier (Marie-Gabriel-Florent-Auguste, cte de). — II : p. 245. Choiseul-Praslin (Charles-Raynald-Laure-Félix, duc de). — X : p. 20. Cholat, md de vin, vainqueur de la Bastille. — III : p. 69, 70n. Choudieu (Pierre-René), député de Maine-et-Loire, Législative et Convention. — V : p. 137, 138. — VI : 23. — VIII : 359. Chrétien (Pierre-Nicolas), juré au Tribunal révolre. — VIII : p. 26. Christine (Marie-Christine, pcesse de Saxe), abbesse de Remiremont. — I : p. 186. Cicé. — Voyez Champion de Cicé. Civrac (Anne-Marie de la Faurie, mquise de). — I : p. 218. Clairaut (Alexis-Claude), géomètre. — I : p. 267. Clairon (Claire-Josèphe-Hippolyte Legris de Latude, dite Mlle), actrice. — II : p. 126. Clarac (Roger-Valentin, cte de), maréchal de camp. — IV : p. 164n, 166, 232. Claraz (le docteur). — XI : p. 61n. Clarke (Henri-Jacques-Guillaume), duc de Feltre, maréchal de France. — IX : p. 49n, 52n, 123n, 137n. Clauer, commissaire à Strasbourg, 1794. — VIII : p. 180n. Clavel, m. du Tribunal révolre de Strasbourg, 1794. — VIII : p. 67n. Clavier (Étienne), helléniste. — XI : p. 271. Clavière (Étienne), député de Paris, Législative, ministre des finances. — III : p. 195, — IV : 140n, 150n. — V : 233, 307. — VI : 33, 247, 254. — VII : 69, 254. — VIII : 227n. Clédat, commandant en second à Metz, 1794. — VII : p. 322n, 323. Clémence (J.-B.-H.), juré au Tribunal révolre. — VI : p. 241n. Clément de Barville. — I : p. 111n. Clergé assermenté (Le). — III : p. 202, 273, 276 à 285. — IV : 20, 27, 29, 37, 62, 175, 234 à 236. — V : 50, 91, 121, 145. — VI : 77. — VII : 103 à 108n, 283n, 284n. — VIII : 159. — IX : 151, 194. — X : 44, 45, 47n. Clergé catholique (Le). Voyez Église et Religion. Clerget, curé d’Ornans, publiciste. — I : p. 36n. — II : 158n. Clermont (év. de). Voyez Bonal. Clermont (Louis de Bourbon-Condé, cte de). — I : p. 176, 235n, 236, 241, 331. Clermont-Tonnerre (J.-L.-A. de), abbé de Luxeuil. — III : p. 120, 121. Clermont-Tonnerre (Stanislas, cte de), député de Paris, Constituante. — II : p. 279n. — III : 203. — V : 97, 98, 306. — VI : 7. Clermont-Tonnerre (Jules-Charles-Henri, duc de). — II : p. 183. — VIII : 210. Clermont-Tonnerre (Mme de). Voyez Talaru. Clootz (Jean-Baptiste du Val-de-Grâce, dit Anacharsis, bon). — III : p. 180. — V : 35, 44, 128. — VII : 226, 259n, 260n, 275. — VIII : 12. Clubs. — I : p. 86, 262. — II : 195. — III : 48 à 53, 57, 66, 138, 144, 145, 148, 149, 151, 180, 197, 200, 208, 244, 245, 249, 280, 285. — IV : 38, 42, 43, 76, 79, 88 à 94, 100n, 104, 130, 171, 196, 199, 200, 212, 217, 222, 225, 226, 230, 243, 248. — V : 4n à 6, 16, 17, 25, 33 à 35, 44, 46, 52 à 58, 61 à 69, 75n, 81n, 83n, 84n, 90, 95, 97 à 101, 105 à 106, 110 à 112, 114, 117, 122, 129, 142, 144, 146n, 154n, 155n, 171, 173 à 175, 182n, 188 à 190, 196, 198, 205, 206, 212n, 221, 222n, 224n à 226n, 234, 238, 245, 261, 266, 275, 285, 306, 315n. — VI : 5, 12, 13, 21, 29, 36, 55, 62, 65, 67, 70 à 75, 79 à 82, 90, 104, 112, 119 à 121, 130, 131, 134n, 135, 138, 139, 142, 151, 161, 172n, 175, 177n, 182n, 199, 200, 202, 203, 228n, 233n, 236 à 238, 265. — VII : 18, 24, 30, 31, 36n, 44, 46, 53n, 54, 68, 89n, 114n, 116n, 126n, 128n, 136n, 218, 226, 246, 248 à 252n, 261n, 277, 286n, 291, 295, 304, 312, 313, 318, 322n, 325n, 329, 330, 340. — VIII : 7 à 11, 16, 19, 21n, 23, 49 à 52, 56, 59, 64, 66, 67, 72, 73, 80n, 83, 87, 99, 107n, 178n, 180n, 188, 225, 226n, 262, 359, 367n, 420n. — X : 84, 161, 166. Clugny (François de), év. de Riez. — III : p. 31. Cochin (Charles-Nicolas), graveur. — I : p. 159n. Cochon de Lapparent (Charles, cte), préfet. — VIII : p. 320n. Coëtlosquet (Marc-Guy-Marie, cte de). — II : p. 284n. Coffinhal (Jean-Baptiste), vice-président du Tribunal révolre. — VI : p. 9n. — VII : 79. — VIII : 213. Coignet (Jean-Roch), capitaine. — VIII : p. 428n, 429n. — IX : 67n. — X : 183n, 192n. Coigny (Jean-Antoine-François de Franquetot, duc de). — I : p. 240. Coigny (Marie-François-Henri de Franquetot, duc de). — I : p. 154. — II : 140. — VI : 19n. — VIII : 29. Coigny (Jean-Philippe de Franquetot, chevr de). — I : p. 230. Coigny (Louise-Marthe de Conflans d’Armentières, cesse de). — II : p. 139. Coincy (La Rivière de), lieutenant gal, Toulon, 1791. — V : p. 224n. Colardeau (Charles-Pierre), littérateur. — I : p. 251. Colchen (Jean-Victor, cte), préfet et ministre. — VIII : p. 148, 231n, 367n, 394n, 401. — X : 26n. Collé (Charles), littérateur. — I : p. 79n, 223, 236, 239, 242, 248n, 310. — II : 137n, 138, 149n. Collignon (dom), curé de Valmünster. — II : p. 142. Collin, préfet de la Drôme, an IX. — X : p. 33n. Collin d’Harleville (Jean-François), littérateur. — I : p. 296n. Collinet, massacré à Aurillac, 1792. — IV : p. 248. Collot d’Herbois (Jean-Marie), député de Paris, Convention. — V : p. 17n, 37n, 43, 163, 278n. — VI : 7, 36, 39, 61. — VII : 76, 91n, 116n, 124n, 191, 257, 269n, 276n, 285, 295, 301n, 315, 318n, 326, 329n, 342, 343, 350, 351, 353. — VIII : 19n, 49n, 52n, 82, 97n, 133, 182, 198n, 254, 333, 335, 387, 395. Comeau-Créancé (de), chevr de St-Louis, Saône-et-Loire, 1791. — IV : p. 192. Comité de salut public. — VI : p. 179n, 190n, 213, 237, 241n, 257, 263. — VII : 32, 42n, 43n, 57n, 70n, 74, 76 à 81n, 121n, 122n, 129n, 144n, 145n, 218, 227, 228, 250, 258n, 262n, 265, 269, 270n, 272, 276, 285n, 288 à 311, 314n à 320, 325n, 331, 339, 347n, 348. — VIII : 11, 13, 14, 23n, 39, 42n, 49, 64n, 97, 131, 132, 142n, 253n, 259n, 272n à 274, 276n, 302n, 307, 322 à 324, 348, 355, 359, 370, 371, 377, 398n, 399. — IX : 89, 205. Comité de sûreté générale et de surveillance. — V : p. 318n, 319n. — VI : 34, 40n, 45, 47n, 58n, 105, 213 à 219. — VII : 20, 65, 67, 70n, 74, 77, 122n, 229n, 276, 296, 312, 317, 345n, 346. — VIII : 12, 14n, 24n, 29n, 121n. Commerce et Industrie. — I : p. 5, 8. — II : 50n, 159, 165 à 167, 170, 171, 207, 211, 252, 305. — III : 6, 16, 18 à 20, 23, 36, 39, 44, 90, 96n, 135, 136. — IV : 99, 105, 118, 123, 126, 127, 144, 145. — V : 40, 170, 173 à 173, 186, 237. — VI : 67n à 69, 71, 74n, 76, 91, 96, 97, 111, 156, 165, 170, 171, 178, 202, 212. — VII : 56 à 59, 63, 74, 90, 93, 94, 121, 123 à 129, 141, 148, 152, 166, 170, 175, 181, 188, 289n, 305n, 340. — VIII : 94, 95, 101, 133n, 135, 145, 146, 160, 166, 171n à 175, 178, 179, 185, 201, 202, 219, 222, 231 à 244, 246 à 253, 256n, 264, 267, 268, 271, 302, 303. — IX : 121, 126, 177, 179, 186, 200. — X : 100 à 105, 109 à 112, 116n, 141, 179, 212, 215, 219, 240. — XI : 289n. Commeret, témoin au procès Carrier. — VIII : p. 109n. Commune de Paris (la). — III p. 127, 143, 149, 155n, 161. — IV : 50n. — V : 51n, 242, 246n, 259, 263, 267, 275, 278 à 280n, 291, 292, 306, 319, 320. — VI : 8n à 10, 15 à 25, 27 à 29, 32, 34 à 40n, 57, 62n, 66, 99, 104, 122n, 142, 144, 147, 151n, 155, 169, 175, 187, 188, 191, 199 à 203, 207, 217 à 219, 223 à 230, 234, 236, 237, 240, 242, 244 à 249n, 257n, 260. — VII : 18n, 21, 22, 24n, 34n, 107n, 120n, 124n, 143n, 215, 227, 263, 264, 299n. — VIII : 8, 9, 11 à 13, 18, 19n, 21, 24, 25, 32 à 36, 228, 247, 263, 281, 336. Voyez aussi Sections. Condé (Louis-Joseph de Bourbon, pce de). — I : p. 64, 68, 91n, 111, 136, 153, 176, 230, 238n, 241. — III : 51, 52, 77, 249. — IV : 189. — V : 159n. — VI : 18, 105. Condillac (l’abbé Étienne Bonnot de), philosophe. — I : p. 265, 272, 284 à 285n, 299, 303, 316 à 318n. — II : 52, 53n, 79, 80, 83, 85. — VIII : 166. — XI : 263n, 274, 306, 314, 315n. Condorcet (Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, mquis de), député de l’Aisne, Législative et Convention. — I : p. 272, 280, 316, 318. — II : 21, 44n, 47n, 48n, 50n, 63n, 317. — III : 174n. — V : 24 à 26, 40, 67, 120, 132, 140n, 147, 230, 234, 266. — VI : 147, 149, 151, 153, 154, 210n. — VII : 65, 69, 119n, 248n. — VIII : 126. Conflans (Louis-Gabriel, mquis de). — I : p. 108, 109. Consalvi (Hercule), cardinal, secrétaire d’État de Pie VII. — IX : p. 67n. Conseil d’État (le). — III : p. 262n. — VI : 146n. — IX : 29, 32, 43 à 46, 69, 72, 89, 96n, 151, 158, 170n, 208n, 210n, 224. — X : 4, 8n, 10n, 12, 13n, 16n, 36n, 38n, 44n, 54n, 56n, 58, 61, 62n, 75, 96n, 124n, 128n, 146, 147, 180n, 226n, 227n, 232n. 8n, 252, 254. — XI : 7n, 23, 36, 37, 196n, 198n, 211, 222, 362n, 243n, 254n, 270 à 274n, 278n, 314, 322n, 350, 354. Conseil municipal. Voyez Sociétés locales et Commune de Paris. Constant, valet de chambre de Napoléon. — IX : p. 71n. Constant de Bedecque (Henri-Benjamin), publiciste. — XI : p. 298n. Constitution (la). — I : p. 1 à 5. — II : 63 à 68, 161, 190, 192, 193. — III : 79, 169, 170, 185 à 190, 194, 213 à 217, 220 à 223. — IV : 40 à 42. — V : 62, 122. — VI : 149 à 155, 181, 184. — VII : 4, 81, 162, 234n, 237n. — VIII : 405, 426. — IX : 47, 158 à 161, 174, 188, 191, 230n, 231n. — X : 118n. Constitution de 1791. — III : p. 146n, 148, 151, 157, 158, 190, 191, 205, 206, 230, 231, 236, 250, 264n, 265, 273 à 284, 289. — IV : 4 à 18, 25, 27, 28, 39 à 47, 49, 52, 63, 81, 82, 113, 168, 176, 179, 190, 199, 236, 237. — V : 7, 8, 91, 106, 107, 143, 145, 161, 168, 175, 229, 232n, 255, 259, 268n, 313n. — VI : 71, 150. — VII : 4, 203. — IX : 150. Constitution de 1793. — VI : p. 158n. — VII : 8 à 19, 25 à 29, 33, 35 à 37n, 43, 44, 46, 49, 71, 81, 112n, 122n, 125n, 138. — VIII : 310, 381. — IX : 148n. Constitution de l’an III. — VI : p. 138n. — VIII : 339 à 344 348 à 350, 355 à 358n, 361, 366 à 368n, 376, 381, 390n, 423. — IX : 148n à 150. —X : 46n. Constitution de l’an VIII. — IX : p. II, 161n, 168 à 171, 207, 217 à 220. — X : 12 à 15, 52, 226. Id., Sénatus-consulte du 16 thermidor an X. — X : p. 227n, 229n. Id., Sénatus-consulte du 18 mai 1804. — X : p. 52. Contades (Méri, cte de), chambellan de Napoléon. — X : p. 145. Contat (Louise), actrice. — III : p. 68n. Conti (Louis-François de Bourbon, pce de). — I : p. 90n, 110, 176, 202. Conti (Louise-Élisabeth de Bourbon, pcesse douairière de). — I : p. 176. Conti (Louis-François-Joseph de Bourbon, cte de la Marche, puis pce de). — I : p. 176, 204, 218, 238. — III : 37, 51, 52, 77, 135. Contrat social (le). — II : 42, 43, 47n à 51, 62 à 76, 113, 120, 145, 179 à 181, 193, 313. — III : 31, 50, 57, 141, 190, 217, 263. — IV : 50, 262. — V : 4n, 16, 23, 25, 27, 31, 125, 281n. — VI : 148. — VII : II, 10, 39, 87, 99, 145, 159, 216. — VIII : 331, 365. — IX : 201, 204n, 209. — X : 120. — XI : 23, 256, 356. Voyez aussi Doctrine révolutionnaire et Rousseau. Conzié (Louis-François Marc-Hilaire de), év. d’Arras. — I : p. 235. — II : 185. Coppin, commandant de la prison du séminaire, Strasbourg, 1794. — VIII : p. 188n. Coraÿ (Diamant), helléniste. — V : p. 170n, 235n, 237n. — XI : 271. Corbière (Jacques-Joseph-Guillaume-Pierre, cte de). — XI : p. 297n, 299n. Corday d’Armans (Marianne-Charlotte de). — VI : p. 261. Corlet (François-Charles-Honoré), assassin de Septembre. — VI : p. 53n. Corneille (Pierre), poète tragique. — I : p. 297, 304, 306, 307. — XI : 220, 281. Corneille, Paris, 1791. — V : p. 157. Corneret, négociant à Nantes, témoin au procès Carrier. — VII : p. 340n. Cornet (Matthieu-Augustin, cte), président du Conseil des Anciens. — VIII : p. 423. Coroller du Moustoir (Louis-Jacques-Hippolyte), député d’Hennebont, Constituante. — V : p. 96n. Corps, suspect à Troyes, 1793. — VIII : p. 46n. Corps et Corporations. — I : p. 27, 95 à 99. — II : 19, 163, 304 à 307. — III : 13, 28, 49, 77, 135, 136, 197, 223, 239, 251 à 268, 270 à 273, 289. — IV : 45, 79, 228. — VII : 115, 130, 131, 168, 179. — VIII : 94n, 134, 155n à 157, 161 à 164, 166n à 171n, 200, 244, 408, 431. — IX : 177, 179 à 187, 191 à 194, 201, 205 à 207n. — X : 25, 65, 116n, 133, 134, 150, 172, 173, 203, 222 à 225, 251 à 255. — XI : 31, 82, 83, 168, 169, 211 à 218n, 248 à 250, 255, 354. Voyez aussi Associations, Église, Enseignement. Corrèze (dépt de la). — IV : p. 169 à 172, 213, 237n, 246, 251. — V : 100n, 110, 114. — XI : 187n. Corse (dépt de la). — I : p. 16. — II : 153n. — IV : 70, 217. — IX : 7 à 14n, 78 à 81. Corvisart-Desmarets (Jean-Nicolas, bon), médecin de Napoléon. — IX : p. 64n, 70n. — XI : 255. Cosson, témoin au procès du pce de Lambesc. — III : p. 63n. Côte-d’Or (dépt de la). — V : p. 51, 76n, 102, 103. — VI : 109, 110, 123n, 260. — VII : 17n, 34, 330n. — VIII : 46, 50, 56, 65n à 67, 96, 97, 205n. — X : 46n, 67n, 246n. Côtes-du-Nord (dépt des). — VII : p. 18. — VIII : 342n. — X : 52n. — XI : 43. Cottin (Sophie Risteau, dame), littérateur. — I : p. 313. Coudert, cordonnier et officier municipal, Toulouse, 1793. — VIII : p. 79n. Couhey (François), député des Vosges, Convention et Cinq-Cents. — VII : p. 64. Coulomb (Charles-Auguste de), physicien. — I : p. 267. Courant (Louise), de Nantes, témoin au procès Carrier. — VII : p. 346n. Courbis, maire de Nîmes, 1794. — VII : p. 329. Courtenvaux (François-César Le Tellier, mquis (le). — I : p. 240. Courtivron (Gaspard François Le Compasseur de Créquy-Montfort, cte de), député suppléant, Constituante. — III : p. 121n à 123n. Courtois d’Arcis (Edme-Bonaventure), député de l’Aube, Législative et Convention. — VII : p. 224n, 249n, 257n, 258n, 345n. — VIII : 19n, 48n, 56n, 83n, 84n, 333. Cousin (Victor), philosophe. — XI : p. 294, 298, 299n, 306, 308, 348, 351n. Cousinéry (Esprit-Marie), numismate, condamné à Marseille, 1794. — VIII : p. 128n. Coustard de Massy (Anne-Pierre), député de la Loire-Infre, Législative et Convention. — VII : p. 65, 69. Couthon (George), député du Puy-de-Dôme, Législative et Convention. — V : p. 135, 163, 230n. — VI : 66, 238, 254, 263. — VII : 23n, 60n, 75, 76, 114n, 146, 191, 256n, 269, 271n, 285, 295, 301n, 315, 320. — VIII : 6n, 23n, 47, 102n, 121n, 281, 331. Couturier (l’abbé), supérieur du séminaire de Saint-Sulpice. — XI : p. 114n. Couturier (Jean-Pierre), député de la Moselle, Législative et Convention. — VIII : p. 53. Coye, propriétaire à Mouriès (Bouches-du-Rhône), 1792. — V : p. 203n. Crappier (Antoine-Victor), assassin de septembre. — VI : p. 53n. Crassous de Médeuil (Jean-Augustin), député de la Martinique, Convention. — VIII : p. 333. Crébillon fils (Claude-Prosper Jolyot de), littérateur. — I : p. 208, 223, 248n, 310, 313. — II : 101, 110, 129. Crétet (Emmanuel), cte de Champmol, conseiller d’État. — IX : p. 97n, 107, 229n. Creuse (dépt de la). — IV : p. 145, 166, 170. — VII : 17n. — X : 48n. Creutz (Frédéric-Karl-Casimir, cte de). — II : p. 124. Creux (Jean), restaurateur à Paris. — V : p. 318. Crèvecœur (Michel-Guillaume-Jean, dit Saint-John de), littérateur. — VIII : p. 220n. Croiset, gendarme, Aube, 1795. — VIII : p. 284n. Croismare (Marc-Antoine-Nicolas, mquis de). — II : p. 102n. Crosne. Voyez Thiroux de Crosne. Crouzet (dame), massacrée à la Glacière, 1792. — V : p. 215n. Croy (Adélaïde-Louise-Angélique-Gabrielle de Croy, desse d’Havré de). — II : p. 147. Croy (Alfred-François, cte de), chambellan de Napoléon. — X : p. 20, 145. Crussol d’Amboise (Anne-Emmanuel-François-George, mquis de), député de Poitiers, Constituante. — VIII : p. 210. Cuirette-Verrières, avocat jacobin, Paris, 1789-92. — V : p. 241. Cumont (Marc-Antoine, mquis de), Charente-Infre, 1790. — IV : p. 160. Cuny aîné, agent de police, Rochefort, 1793. — VIII : p. 55n. Cuny jeune, agent de police, Brest, 1793. — VIII : p. 55n. Cureau, massacré au Mans, 1789. — III : p. 115, 116. Curtius, marchand à Paris, 1789. — III : p. 61. Cusset (Joseph), député de Rhône-et-Loire, Convention. — VI : p. 67n. — VII : 279, 328. — VIII : 6, 359. Cussy (Gabriel de), député du Calvados, Constituante et Convention. — VII : p. 65, 69. Custine (Adam-Philippe, cte de), général. — IV : p. 228. — VI : 85n. — VII : 21. Cuvier (George-Chrétien-Léopold-Dagobert), naturaliste, — II : p. 85. — IV : 214n. — XI : 172, 249, 250, 257, 261, 271, 306. Cypierre de Chevilly (Jean-Claude-François Perrin, bon de), intendant d’Orléans. — II : p. 210n, 242n, 243n. |
Les Aphrodites/5-3 | Andréa de Nerciat Les Aphrodites (1793) Briard (Poulet-Malassis), 1864 (p. 48-70). ◄ II. Du tragique ! pourquoi non ? IV. Passe pour ceux-ci ! ► III. Eh bien ! de l’héroïque. bookLes Aphrodites (1793)Andréa de NerciatBriard (Poulet-Malassis)1864BruxellesVIII. Eh bien ! de l’héroïque.Nerciat - Les Aphrodites, 1864.djvuNerciat - Les Aphrodites, 1864.djvu/748-70 La scène est dans l’appartement de madame Durut. La comtesse de Mottenfeu et madame Durut viennent de parcourir ensemble les bâtiments et les jardins de l’hospice. La comtesse de Mottenfeu (se reposant). — C’est de la plus grande vérité, ma chère Durut. Je suis émerveillée de tout ce que tu m’as fait voir, et ton administration mérite les plus grands éloges. La Durut. — Le vôtre est sans prix pour moi, madame la comtesse. J’espère, puisque vous paraissez contente, que nous aurons le plaisir et l’honneur de vous voir souvent dans cette solitude ? La Comtesse. — Comment ! j’espère bien y vivre et mourir. Il faut faire une fin, ma chère Durut. Un beau jour j’arrive ici dans ce charmant pavillon des pensionnaires, et c’est pour y finir mes jours. Ma fortune est assez honnête pour pouvoir faire un arrangement raisonnable avec toi. La Durut. — Nous n’aurons pas de peine à nous arranger, madame la comtesse. La Comtesse (interrompant). — Je vois que l’ordre a pris, pendant ma longue absence, une forme infiniment plus agréable que de mon temps... La Durut. — Croyez-vous ? La Comtesse. — Au reste, je ne pourrais raisonner pertinemment de tout : je n’étais qu’affiliée. Mais d’après ce que j’ai pu connaître du dessous des cartes, j’ai toujours jugé qu’on n’avait pas atteint le vrai but. On faisait alors une espèce de culte religieux de ce qui devait n’être qu’un badinage, une folie... La Durut. — N’est-ce pas ? voilà tout à fait mon idée. C’est précisément à quoi j’ai tâché, moi, de ramener les choses, autant que la besogne d’une simple servante pouvait influencer le très-digne ordre... Mais ayez la bonté de m’achever ce que vous avez commencé. La Comtesse. — Les gros bonnets d’alors étaient des espèces d’adeptes qui faisaient semblant d’avoir trouvé la pierre philosophale du plaisir et de vouloir en demeurer seuls dépositaires. La Durut. — La pierre philosophale ! Voilà ce que je cherchais, et n’ai jamais eu l’esprit de trouver ; quand j’avais sur la langue... ce n’était pas cela... Mais je vous écoute, ayez la complaisance de continuer. La Comtesse. — Il se tenait de belles et longues assemblées où l’on s’emmystiquait, et puis il y avait des harangues de réception, des remerciements. Tout cela devait être aussi plat, aussi pédantesque qu’à l’Académie. Il y avait des hymnes à prétention, où sans doute les prétendus inspirés s’étaient battu les flancs pour être, comme au Parnasse, bien exaltés, bien sublimes, bien ridicules. Tout cela, ma Durut, n’était point la volupté, et ce qui prouve bien que ces illustres n’étaient pas infiniment heureux par toutes ces simagrées, c’est que lorsqu’il s’agissait de s’amuser tout de bon, on convoquait un essaim de fous et de folles devant qui, certainement, on n’aurait osé ni haranguer, ni célébrer, car nous aurions infailliblement éclaté de rire au nez des orateurs et des grands prêtres. La Durut (affectueusement). — Vous êtes toujours la même, madame la comtesse ; vous n’avez rien perdu... de vos attraits d’abord... ni de votre précieuse originalité. La Comtesse. — J’ai fait comme toi, ma chère Durut, excepté que je n’avais pas une aussi belle figure à conserver... La Durut. — Oh ! vous plaisantez ! La Comtesse. — Non ; je me suis toujours rendu justice. Je n’ai ni traits, ni formes, mais je n’en ai pas moins valu de plus avantagées... Pour toi... pas plus haute que cela, tu étais déjà bien... Car nous sommes du même temps, et nous étions si voisines ! Je me souviens toujours (il y a toujours de cela) comment ta grave mère, bien aussi catin qu’une autre... La Durut. — On le dit. La Comtesse. — Te chassait devant elle, à l’heure de la grand’messe... “ Tenez-vous droite, mademoiselle ; les pieds en dehors... Regarde-t-on ainsi les garçons ? Songez où vous allez, et ne levez pas tant le nez en l’air. „ Ah ! ah ! c’était une rude femme ! La Durut. — Faisant tout, buvant comme un soldat, fausse comme un jésuite... Ah ! dame ! c’est comme cela qu’il fallait être pour mettre le grappin sur un sot tel que le maître qu’elle servait, et puis protéger les galanteries de madame. Aussi madame ma chère mère m’a-t-elle laissé quelques écus ; ensuite je les ai fait profiter. La Comtesse. — Dis donc, Durut, quand nous nous rencontrions, souvent nez à nez, dans cette rue Jacob, car on me faisait faire mon salut aussi, qui aurait deviné, nous voyant si candides, si béates, qu’un jour nous aurions cet entretien-ci ? Que tu sois devenue galante, rien d’étonnant ; tout le monde disait de toi : “ Cette Agathe sera un jour une maîtresse-fille. Voyez, à quinze ans, comme elle a déjà de la taille et de la gorge ! C’est déjà bon à marier. „ La Durut. — Et ils avaient raison. La Comtesse. — J’étais une chafouine, moi ; ma vilaine bonne me reprochait mon museau de sapajou, ma dorure, ma petitesse ; il semblait à la sotte femme que, pour faire honneur à son éducation, j’aurais dû grandir comme la chenevière, et me déroussir ! Telle que j’étais, j’ai fini par ne pas mal tourner pourtant. Si l’on voulait me le disputer... (Elle tire un livre de sa poche.), voilà de quoi leur répondre. La Durut. — Qu’est-ce que cela, s’il vous plaît ? La Comtesse (le baisant). — Les titres de ma gloire, le bienheureux dépôt des noms des quatre m... Mais non, je veux que tu devines, Durut. Là dedans sont inscrits, sans en avoir omis un seul, tous ceux qui ont eu l’honneur de m’avoir... La Durut. — Vous avez fait l’enfance de noter cela ? La Comtesse. — Et de quoi de plus essentiel donc voudrais-tu que j’eusse fixé le souvenir ? La Durut. — Ce n’est pas cela que j’ai voulu dire, mais on n’a pas toujours l’occasion, le moment. La Comtesse. — Oh ! dès la première fois (il y a vingt ans de Dieu grâce !) qu’il m’est arrivé de me frotter à ce monsieur que tu sais, je prévis que familiariser avec lui serait la plus essentielle affaire de ma vie ; or, comme j’ai de l’ordre... Mais devine : combien y a-t-il, à vue de pays, de noms là dedans ? La Durut. — Que sais-je ? quatre cents... La Comtesse. — Prr ! Passe au mille et va... La Durut. — Eh bien ! mille et quelques ? La Comtesse. — Oui, quelques mille, mais combien ? La Durut. — Quelques mille ! deux ? trois ? La Comtesse. — Tu es encore loin de compte. La Durut. — Loin ! si je viens à vous offenser, songez que vous m’avez provoquée... Quatre mille ? La Comtesse (appuyant sur les mots). — Quatre mille neuf cent cinquante-neuf, ma fille, depuis le jour de mon début jusqu’à celui-ci, tout autant. La Durut (très-étonnée). — Quatre mille neuf cent cinquante-neuf ! La Comtesse. — Mais songe donc... en vingt ans !... Songe qu’une année est composée de trois cent soixante-cinq jours ! Je te parle donc à peine de deux cent soixante à quatre-vingts animaux porte-pine par an : ce n’est pas un par jour. Le total en impose d’abord : au détail, on voit que ce n’est rien. La Durut (lui baisant la robe avec un respect badin). Quel rien, juste ciel ! La Comtesse. — Tu vas voir ; chaque classe est à part, écoute... (Elle ouvre son livre, qui ressemble à un Almanach de Gotha, doré sur tranches et qui a son étui). Princes, grands seigneurs, gens à cordons, prélats : deux cent soixante et douze, en vingt ans ! Cela, je crois, est assez modeste. La Durut. — Il n’y a pas de quoi faire crier. La Comtesse. — Mais voici qui est un peu plus fort. Militaires (elle tourne rapidement beaucoup de pages) : neuf cent vingt-neuf. Tous officiers, bien entendu. Les soldats sont compris ailleurs. La Durut. — Vous avez eu des soldats aussi ? La Comtesse. — Ne sont-ce pas des hommes ? La Durut. — Neuf cent vingt-neuf officiers ! cela doit donner bien du plaisir ! La Comtesse. — Robins,... tu vois que leur liste est courte,... quatre-vingt-treize... La Durut. — C’est encore beaucoup, pour ce qu’ils valent au boudoir. La Comtesse. — Fi donc ! on ne les a jamais que chez eux, quand on a quelque procès, ou qu’on veut bien solliciter pour des amis. Financiers : trois cent quarante-deux. Tu conçois qu’il y a de bonnes raisons pour qu’il se trouve quantité de ces messieurs sur une liste telle que celle-ci ? La Durut. — Je comprends fort bien... les sacs... Après ? La Comtesse. — La calotte. Je ne parle pas des simples tonsurés, de ce que l’on nomme les abbés : je les ai réunis aux gens sans aveu. La Durut. — C’est leur vraie place. De cette calotte, combien ? La Comtesse. — Deux cent trente-neuf. La Durut. — Cela est modeste. La Comtesse. — Moines. La Durut. — Ah ! vous en faites un article à part ? La Comtesse. — Sans doute ; c’est le capuchon : quatre cent trente-quatre, la plupart cordeliers, carmes ou bernardins : quelques ex-jésuites à virgules, mais ils sont englobés dans la calotte. La Durut. — À propos de ces virgules et des guillemets dont j’ai aperçu grand nombre tandis que vous feuilletiez, qu’est-ce que cela veut dire ? La Comtesse. — Je viens de prévenir à moitié ta question. Les noms sans virgules ni guillemets sont ceux des gens favorisés à l’ordinaire ; les autres,... cela parle de soi-même. La Durut. — Ah ! j’y suis ; mais il m’a semblé voir beaucoup de noms décorés de guillemets et de virgules. La Comtesse. — Eh ! mais tous ceux qui l’ont voulu. Tu vois une bonne diablesse qui ne chicane point sur la façon et tâche de contenter tout le monde. La Durut. — Le charmant caractère ! Revenons à la liste. La Comtesse. — Gens de société : quatre cent vingt. Cette classe comprend tout ce qui n’a pas un état dans le monde, mais qu’on rencontre pourtant au spectacle, dans les maisons de jeu, aux promenades, en voyage, etc... Cette colonne que tu vois à part, où il n’y a que le mot Inconnus, rend compte d’une quantité d’individus qui n’ont pas voulu se nommer, ou dont la promptitude des circonstances n’a pas permis de demander le nom. La Durut. — J’y vois beaucoup de virgules. La Comtesse. — Ce sont précisément ceux-là qui n’aiment pas à se décliner. Bourgeois ; vois si cet article n’est pas bien raisonnable : en tout cent dix-sept. La Durut. — C’est exemplaire. La Comtesse. — Il s’agit ici de marchands, faiseurs d’avances, propriétaires ou sous-loueurs d’appartements, gens d’affaires, etc. La Durut. — J’appelle cela des faveurs bien placées : rien de mieux que d’unir l’agréable à l’utile. La Comtesse. — Voici l’article des étrangers : mille six cent quatorze... Mais il faut penser, ma chère, que j’ai fait quatre ans de séjour à Londres. La Durut. — Aussi ne me suis-je pas récriée. La Comtesse. — Gens du commun... Ce sont des soldats, des ouvriers, des faiseurs de commissions, des gens que je me suis amusée à raccrocher parfois la nuit, déguisée, au Palais-Royal ou sur les boulevards. Mais ces caprices ne se montent en tout qu’à deux cent quatre-vingt-huit. La Durut. — Allons, je ne vous passe pas cet article-là, car cela date de loin, et pour lors il n’y avait point encore d’égalité. C’était de la démocratie anticipée. Vous voyez que je ne flatte point. Tout net, madame la comtesse, c’était déroger. La Comtesse. — Et c’était justement ce qu’il y avait de piquant. Quant à ces passades, il est si plaisant à une femme de qualité de s’étendre sous un vigoureux crocheteur qui a longtemps marchandé pour donner six sous, et qu’elle étonne ensuite en lui glissant douze francs dans la main ! à occuper un soldat du guet, tandis que le reste de la patrouille fait la guerre à l’œil, et dit brusquement aux gens : “ Détournez-vous ! il y a là un trou qu’on travaille à boucher ; prenez à droite ! „ La Durut. — Je conçois que ces petites débauches peuvent amuser. La Comtesse. — Ah ! j’avais franchi l’article parents : deux oncles, une douzaine de cousins, des alliés ; cela ne va qu’à vingt-cinq. La Durut. — Cela n’est pas la peine d’en parler. La Comtesse. — Valets... La Durut. — Vous oubliez quelque chose, car je viens de lire, à la volée, Volange et Placide. La Comtesse. — Tu as, ma foi ! raison. Il y a l’article musiciens, histrions, sauteurs, etc. Peste ! c’était une importante omission. Il ne s’agit pourtant que de cent dix-neuf personnes : c’est à peine six par an. La Durut. — Pure misère ! Et puis voici les valets ! La Comtesse. — Tant les miens que ceux d’autrui. Il y en a de si beaux, si bien tournés ! et puis quelquefois ils ont rendu des services si essentiels, qu’on ne sait comment les récompenser. Ou bien un secret à payer, ou bien il s’agit d’exécuter une rouerie, le projet exige qu’on monte la tête à l’auxiliaire ; les faveurs marchent d’abord, c’est l’encouragement ; le salaire suit après l’exécution... La Durut. — Cela est plein de sens. La Comtesse. — Tu vas voir que je n’ai pas eu l’ignoble goût de la livrée, comme la plupart de nos privées de l’ancien régime. Je n’ai eu, dans toute ma vie, que cent dix-sept de ces porte-couleurs. La Durut. — Bagatelle, vraiment. D’après votre idée proportionnelle de tout à l’heure, ce n’est pas tout à fait six par an, un seul laquais en deux mois !... Est-ce tout ? La Comtesse. — Il reste un article encore : Nègres, mulâtres et quarterons, ensemble quarante-sept. (Soupirant). Ah ! de ce nombre, ma chère Durut, il y eut un Zamor ! celui-là, mon cœur, je le regretterai jusqu’à mon dernier soupir. La Durut. — Vous me donnez une bien haute idée du mérite d’un homme qui laisse d’ineffaçables impressions dans un cœur qu’ont pu toucher quatre mille neuf cent cinquante-neuf amants... La Comtesse. — Voilà de la mauvaise plaisanterie, par exemple. Dois-je me fâcher ? (Elle sourit.) La Durut. — À Dieu ne plaise ! Touchez là, si vous ne m’en voulez point. (La comtesse, par malice, touche si fort, qu’elle-même se fait un certain mal.) La Durut. — Maintenant que j’ai eu sur les doigts, que pourrai-je faire pour vous amuser, car vous ne me quittez pas encore ? La Comtesse. — Ce n’est pas mon dessein, je compte dîner ici en famille. La Durut. — Vous m’enchantez. Mais il n’est que midi. Quelle est votre heure ? La Comtesse. — La tienne, celle de la maison. La Durut. — Trois heures. La Comtesse. Soit. La Durut. — En attendant, si vous voulez, je ferai descendre le Trottignac ? La Comtesse. — Pour moi ? La Durut. — Pour qui donc ? Je n’ai pas le temps de vous donner moi-même avec lui la petite récréation. Mais attendez, voulez-vous lui voir exploiter Fringante ? La Comtesse. — Célestine plutôt. La Durut. — Oh ! non, celle-ci ne peut le souffrir. C’est une antipathie !... Et lui, pourtant, il en est fou. L’autre jour il la surprit et faillit la violer. Elle poussa des cris horribles, et se trouva mal quand on l’eut délivrée... de trois ou quatre pouces qu’il lui avait déjà mis tout de travers,... car il avait aussi perdu la tête, lui !... La Comtesse. — Pas mal ! Eh bien ? La Durut. — Ma pauvre sœur, dis-je, fut évanouie pendant vingt minutes ; ensuite elle eut des convulsions et un tremblement !... Nous crûmes qu’elle était frappée d’épilepsie. Depuis ce temps-là, c’est à lui de l’éviter, car à sa vue la plus douce créature de la terre devient comme une lionne et lui court sus ; elle le poignarderait ! La Comtesse. — Ces aversions sont inconcevables ; on en a vu pourtant des exemples fréquents. Fringante n’est pas si difficile ? La Durut. — Oh ! pour elle, ce serait Lucifer avec ses cornes et ses pieds de griffon, qu’elle l’endurerait. (Madame Durut sonne. On frappe en dehors le petit coup d’avertissement.) Fringante et Trottignac ! (On répond selon l’usage.) La Comtesse. — Voilà ce qui sera fort bien, mais je veux aussi qu’on m’occupe... La Durut (après un moment de réflexion). — J’ai votre affaire. Elle conduit madame de Mottenfeu dans un cabinet de toilette, dont un mur est commun à l’alcôve du lit de la chambre à coucher. Pour lors elle ouvre un intervalle carré, et fait remarquer à la comtesse qu’en y passant le buste elle y verra parfaitement les ébats qui vont avoir lieu pour l’amuser, et que pendant cette fête elle sera servie substantiellement. La Comtesse. — Par qui ? La Durut. — Ne vous embarrassez pas. Êtes-vous difficile sur le choix des gens que vous n’êtes pas dans le cas de voir en face ? La Comtesse. — Pas du tout, mais encore ? La Durut. — Songez que qui que ce soit en âge de maturité n’est admis à servir ici, s’il n’en porte un de huit pouces au moins. La Comtesse. — Voilà d’abord une contenance. La Durut. — Et puis on répond de la parfaite santé. La Comtesse. — Tout cela convient. La Durut. — De plus, je n’ai chez moi que des gens d’une certaine tournure. Laissez-vous faire, en un mot, à moins qu’il ne vous faille des comtes, des marquis !... La Comtesse. — Tu te moques, je pense ! Ne viens-tu pas de voir ma liste ? La Durut. — Eh bien donc ! pourvu que vous ne soyez pas un moment désœuvrée, foutez à la fortune du pot ! La Comtesse. — Me voilà prête. La Durut. — Demeurez là. Voulez-vous un masque ? Fringante n’a jamais eu l’honneur de vous voir ; mais si vous craignez que Trottignac ne vous reconnaisse... La Comtesse. — Que m’importe ? pourvu que je ne les gêne pas quand ils me verront le nez sur eux... La Durut. — Fringante et Trottignac ? Ils le feraient imperturbablement à la barbe des onze mille vierges. La Comtesse. — Voilà comme j’aime qu’on soit. Madame Durut a disparu. Fringante entre nue comme le visage. On peut se montrer, et même avec orgueil, quand on a tant de beautés et de fraîcheur. Son œil est en feu, son sein palpite ; elle s’élance avec grâce sur le lit, en jetant, du bout du doigt, un baiser familier à la comtesse qui a son petit nez en l’air passé dans l’embrasure. Trottignac, aussi nu, survient, ardent comme un taureau qu’on lâche dans l’arène à quelque combat d’animaux : il n’a fait qu’un saut de la porte au lit, et d’un seul coup de reins il s’est planté... En même temps, dans le cabinet, quelqu’un, avec la même énergie, se niche en levrette chez l’heureuse spectatrice. La Comtesse (avec feu). — Ah foutre ! C’est trop de plaisir, mes yeux déchargent... Que mon cyclope ne peut-il voir ! On ne cite pas les dits de Fringante et Trottignac, parce que ce n’est point par l’esprit que brillent ces athlètes ; mais ils travaillent ! c’est à s’extasier. Trois fois, sans bouger, l’onctueux Trottignac a fourni la carrière. — On n’a fait courir encore que deux postes à la petite comtesse, parce qu’après chacune on l’a purifiée avec une éponge imbibée d’eau. Cette cérémonie a coûté quelque instants ; et puis, chaque fois, c’est un éclair !... On va de nouveau grand train avec elle. Quand elle est au moment d’une troisième crise, Fringante et Trottignac, qui se sont reposés et rafraîchis, se raccrochent avec la première ardeur. Pendant cette accolade on a fini la comtesse, et l’éponge a joué son rôle. On la renfile, mais c’est avec une variation qui fait que... La Comtesse (s’écrie en riant). — Sacrebleu ! tout est ici pour le mieux, autrement le cyclope aurait l’œil crevé ! Soit fait ainsi qu’il est requis... Et puis elle joue des hanches de si bonne grâce, que l’auteur de la trahison ne peut douter qu’il lui soit pardonné. La petite folle allonge un bras et postillonne l’hercule Trottignac. Il n’a nullement besoin de cet accessoire, mais il le tolère, parce qu’il suppose que la galerie y trouve du plaisir. C’est ainsi que jusqu’à l’heure du dîner Trottignac tient sa Fringante en haleine. Quant à la comtesse, traitée comme un canon, on ne fait avec elle que charger, tirer, écouvillonner, recharger, décharger, etc. L’un n’est pas plutôt ôté que l’autre est mis. Quatre vigoureux bostangis font, à tour de rôle, les frais de cette tenue. C’est dans un moment de quiproquo entre ces messieurs que mons Belamour, purificateur, a placé, comme je l’ai dit, son petit mot, mais à l’autre oreille, ne se sentant pas digne de parler à la même dont se sont emparés de respectables orateurs qu’il se flatte bien de surpasser un jour en éloquence ? lorsqu’il jouira de toute l’étendue de ses moyens. — Fringante, appelée par quelque devoir, se retire ;... mais mons Trottignac, qui n’a rien à faire et sent que Martin vit encore, saute au cou de la comtesse, l’attire par la lucarne, la dispute à quelqu’un de robuste qui se cramponne à son tour. C’est à qui l’aura. La frêle créature a peur d’être écartelée par ces brutaux. Elle crie à faire pitié. Cependant Trottignac est le plus fort : il l’a passée, couchée, et tout de suite enclouée, de manière à ne pas lui laisser l’ombre d’humeur. — C’est cette fois madame Durut qui (venue toujours courant aux cris de la patiente) occupe l’embrasure, et voit, non sans surprise, des gens bien éloignés, pour lors, de vouloir s’arracher les yeux. Ils s’obligent, au contraire, du plus parfait accord. La Comtesse (à Durut, en riant). — Il a failli me disloquer, mais voilà qu’il me raccommode. L’expédition achevée, Trottignac fait sa retraite encore avec les honneurs de la guerre. Belamour vient (un peu décontenancé) pour le petit détail de son service. La comtesse le regarde d’un certain air... Il rougit... La Comtesse. — Ne serait-ce pas vous, monsieur le fripon, qui tout à l’heure,... hein ? Belamour (avec timidité). — C’est moi, madame, qui avais cet honneur-là. Elle lui saute au cou avec transport, le baise au front, aux yeux, à la bouche. Il l’habille, elle lui glisse un louis dans la main. La Durut (avec sévérité.) — Belamour, je ne sais rien, je ne vois rien. Mais gardez-vous une autre fois d’outre-passer si témérairement les ordres de votre service. La Comtesse. — Ne le gronde pas, ma chère Durut. Je t’assure qu’il m’a fait tout le plaisir imaginable. (Elle sort de la poche son livre.) Les autres n’étaient-ils pas quatre ? La Durut. — Tout autant. La Comtesse (écrivant au crayon). — Quatre inconnus et monsieur Belamour... La Durut. — Avec une virgule. On passe dans la salle à manger. Jolie petite rousse dont il est déjà parlé page 29 de ce numéro, et dont le portrait est dans le Diable au corps, ouvrage que celui-ci ne doit pas copier. (Note de l’Éditeur.) Madame la comtesse ne se piquait pas de purisme et formait un mot au besoin, sans songer qu’il serait un jour sanctionné ou proscrit par les Quarante. On ne sait où madame Durut a péché cette version de ce vers si connu : Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci. Fameux personnage du Diable au corps. Les cyclopes ont la réputation d’être fort lascifs, mais celui de la comtesse, quoiqu’il fût très joufflu, qu’il eût l’œil renfoncé et la gueule perpendiculaire au lieu de l’avoir horizontale, était pourtant fort joli et faisait des conquêtes, au bout de vingt ans de services, aussi facilement que le premier jour. Uno avulso non déficit alter. |
Exercices de dévotion de M. Henri Roch avec Mme la duchesse de Condor/04 | Claude-Henri de Fusée de Voisenon, Meunier de Querlon (préfacier) Exercices de dévotion de M. Henri Roch avec Mme la duchesse de Condor (1780) 1786 (p. 81-104). ◄ Exercices de Dévotion La Rocambole, notes bookExercices de dévotion de M. Henri Roch avec Mme la duchesse de Condor (1780)Claude-Henri de Fusée de Voisenon, Meunier de Querlon (préfacier)1786VaucluseVLa Rocambole, notesVoisenon - Exercices de dévotion de M. Henri Roch avec Mme la duchesse de Condor, 1786.djvuVoisenon - Exercices de dévotion de M. Henri Roch avec Mme la duchesse de Condor, 1786.djvu/981-104 (1) La Grenée, Peintre très-estimé ; d’un pinceau tendre & voluptueux. (2) M. de Rhuilleres, dont il s’agit ici, n’est pas celui qui est attaché aux affaires étrangeres, qui, en société, est très-aimable, qui est auteur d’un excellent petit traité, en vers alexandrins, sur les disputes. Il ne manque à ce M. de Rhuillieres, pour avoir une très-grande réputation, que du courage. Il aime mieux, dit-il, digérer paisiblement, que d’avoir un nom plus connu. Si nos prédécesseurs, qui n’avaient ni plus d’esprit, ni plus de connaissances que lui, avoient ainsi pensé, nous serions encore dans les bois. (3) Greüse, Peintre d’une grande réputation. Tout le monde connaît son tableau de la dame de charité. Les Peintres sont dans l’usage de faire venir chez eux des filles publiques, & de les faire mettre toutes nues ; lorsqu’ils trouvent des formes parfaites, ils travaillent d’après ces modèles. C’est ainsi que la nature sert à la perfection de l’art. M, Greüse passe pour le Peintre qui a vu le plus de modèles, & pour le mari qui, dans son état, a été le plus fidele. Demandez-le lui, (4) Heureux celui. Madame dit des croix de cette vie, ce que Salomon dit de la sagesse. Lignum vitæ qui aprebenderit cam beatus. Prov, ch. 3, v. 18. Cette erreur est sans conséquence, comme la plupart de celles qui ne font pas renchérir le bled au marché. En théologie on a fait souvent des citations plus dangereuses. (5) Une troisieme fois. On ne doit pas être étonné de ce triple acte de dévotion, sur-tout quand on songe que Salomon a dit qu’il y avait trois choses insatiables. Tria insaturabilia, infernus, terra & os vulva. Salomon, à ce que disait M. Boulierot, Curé de S. Gervais, aurait pu dire des choses plus utiles & plus honnêtes. Ce M. Boulierot avait beaucoup d’esprit. Il a laissé en mourant cent mille écus comptant. (6) Démoniens. Madame la Duchesse veut sans doute parler des Lacédémoniens ; c’est par ignorance qu’elle s’exprime ainsi. On ne lui avait rien appris ; & elle était en état de tout apprendre. Elle parle aujourd’hui plusieurs langues, sait l’histoire, la géométrie ; &c. mais elle se gardera bien de faire comme Madame de...... quatorze volumes en six ans. L’abondance est souvent stérile. (7) L’Abbé de Reyrac a fait en prose l’Hymne au Soleil. Cet Hymne, si fort vanté dans le Journal de Paris, est, ainsi que tous les discours des prophêtes, pauvre en pensées, mais riche en paroles sonores. La pompe & l’abondance des expressions y couvre une stérilité générale d’idées : c’est un gueux vêtu de magnifiques haillons. (8) Chatou, Triel, Maisons, Creteil, S. Ouen, S. Denis, Vanvres, Menil-Montant, Nogent, Montreuil, Belleville, sont des campagnes du voisinage de Paris. Emath était une bourgade de l’Idumée. Arad, Basan, Torgama, étaient en Syrie ; Dibon, Medaba, étaient des villes des Moabites. (9) Les douze mois de l’année, poëme en douze chants, formant un petit volume, auquel l’auteur a joint trois volumes de notes. On commente ordinairement l’ouvrage des autres. M. Roucher s’est commenté lui-même. On n’a jamais poussé aussi loin que lui, le privilège d’être bavard en notes. Redire ce que des hommes de génie ont dit ; imprimer ce qui est déjà imprimé ; vendre ce que les autres ont dit & imprimé : cela passe la raillerie. On sait la double réputation qu’eut le poëme des douze mois, avant d’être & après avoir été imprimé. Voyez ce qu’en ont dit MM. Imbert & Garat, bons juges & amis de l’auteur. Ah ! mon cher M. Roucher, quand on a fait un poëme qui, à sa naissance ne peut être lu, & qui aujourd’hui est profondément oublié, on doit être modeste ; on ne doit pas surtout se permettre des satyres contre la Henriade, laquelle fait les délices de bien d’honnêtes citoyens. On pardonne à un homme d’être un poëte ennuyeux, mais on ne voudrait pas qu’il fût un juge ridicule. (10) Les malins ont prétendu que l’Abbé de Voisenon, sous les noms barbares de Tel-Ment, de Jon-Rouk, de Ron-fer, de Seri-Rog, de Ro-Te-Sot & de Sei-batar, avait voulu désigner MM ; Clément, Roujou, Freron, Grosier, Sautreau & Sabatier. Nous n’en croyons rien. Nous pensons au contraire qu’il a voulu parler de six Juifs, aussi fameux par le mépris public dont ils sont couverts, que par les haillons qu’ils vendent. (11) Osée. Dieu envoya d’abord ce petit prophete chez une femme de mauvaise vie, avec ordre à lui de s’évertuer avec elle, & de lui faire des enfans de prostitution. Filios prostitutionum. Il lui enjoignit ensuite d’aimer & de coucher avec une femme adultere. Vade & dilige mulierem adulteram. Si on envisageait ces ordres conformément aux idées reçues, il semblerait que Dieu eût pu traiter un peu mieux ses petits prophetes, que de les envoyer chez des femmes de mauvaise vie. Les grands prophetes étaient moins bien traités ; à l’un il ordonne de manger un livre de parchemin, à l’autre de se promener tout nu dans les rues ; à celui-ci de porter un bât, & à celui-là de manger des excrémens humains. Tout considéré, le traitement d’Osée, qu’on envoye se gaudir avec des filles de joie, vaut encore mieux que de déjeûner comme Ezéchiel, avec une tartine de m...... Tout change, autrefois Dieu envoyait ses prophetes à des filles de joie, & aujourd’hui, sous peine de l’enfer, il défend à ses prêtres de prendre pour compagnes des femmes honnêtes. Ce qui mérite l’attention du philosophe, c’est que dans la plus haute antiquité il y avait des filles publiques, à Babylonne, à Jérusalem, à Ninive, comme il y en a à Paris, à Londres, à Rome, & dans toutes les grandes villes policées. Il y en avait dans les tems patriarchaux. Il s’en trouva une dans le désert du tems de Moïse. C’était une femme publique avec laquelle était couché Zambri, lorsqu’il fut transpercé par le pieux Phinée. Ce fut une femme publique qui cacha les espions que Moïse avait envoyé à Jéricho. Samson était avec une fille de joie à Gaza, lorsque sur le minuit on ferma les portes de la ville pour le prendre. Dalila, de la vallée de Sorec, n’était, ce me semble, qu’une courtisanne, dont le fort Samson était éperdument amoureux. Long-tems avant les aventures de ce Samson, on avait vu le patriarche Juda accoler sa bru Thamar, croyant être avec une fille publique. La méprise fut salutaire au genre humain ; car de cet inceste il en vint Pharès, l’un des ancêtres de Jesus-Christ. Du tems de Salomon, le manege de ces filles était tel qu’il est aujourd’hui. Voici ce que ce Roi en dit dans le livre des Proverbes. Supposez toutefois que ce Roi se soit amusé à enfiler ces proverbes, dont les uns renferment des erreurs, & les autres sont fastidieux par leurs répétitions. “ Étant à la fenêtre de ma maison, j’apperçois un jeune insensé qui, sur le soir, & lorsque la nuit devient obscure, passe dans le coin d’une rue près la maison d’une fille. Je la vois venir au-devant de lui, en sa parure de courtisanne ; elle prend ce jeune homme, le baise & le caresse effrontément, lui disant : je me suis acquittée de mon vœu aujourd’hui. C’est pourquoi je suis venue au devant de vous, désirant vous caresser. Venez : enivrons-nous de plaisir jusqu’à ce qu’il fasse jour. Jouissons de ce que nous avons tant désiré. Mon mari est absent pour long-tems. — Entraîné par ses caresses, le jeune homme la suit comme un agneau qui va à la mort en bondissant. Prov. chap. 7. ” Remarquons que cette donzelle dit qu’elle a fait sa priere. Hodie vota mea Deo reddidi. Il en est ainsi de nos jours : point de fille de joie, qui de temps en temps ne fasse dire des messes, pour que Dieu lui envoye des chalans. L’Abbé de Voisenon en avait trouvé plusieurs qui lui avaient assuré que cela leur avait toujours réussi. Cet Abbé se plaisait à conter les scrupules & la délicatesse de conscience de la Tante-Miel, l’une des plus honnêtes pourvoyeuses de Paris. Il lui demanda un jour si elle faisait bien ses affaires, & elle répondit très-chrétiennement : ah ! M. l’Abbé, quand on fait son métier en honneur & conscience, Dieu ne nous abandonne jamais. L’Abbé une autrefois lui témoignait des craintes sur la santé d’une demoiselle qu’elle lui avait envoyée. Pour qui me prenez-vous, dit-elle, n’ai-je pas, tout comme vous, une ame à sauver ? Laissons les filles & M. l’Abbé. Revenons au prophete Osée. La seconde femme chez qui Dieu lui ordonna d’aller s’amuser, lui coûta quinze pieces d’argent & une mesure & demi d’orge. Quindecim argenteis & coro & dimidio hordei. Il y a des filles de nos jours, qui coûtent beaucoup plus, & d’autres beaucoup moins. Il y en a de vingt, de trente, de quarante mille francs par an. Il y en a à douze sous pour les laquais, & à vingt-quatre pour les étudians, soit en chirurgie, soit en théologie. (12) Tel que Salomon. J’irai, dit ce Roi, en parlant d’une visite qu’il veut faire à la Sulamite, j’irai au mont de la myrrhe & à la colline de l’encens. Vadam ad montem myrrhæ & ad collem thuris. Cent commentateurs, Espagnols, Portugais, Italiens, Flamands, François, Allemands, Polonais, se sont signalés pour expliquer ce passage. (13) Sous la forme d’un maître ouvrier. Dieu demanda au prophete Amos, quid vides ? Que voyez-vous ? Et Amos répondit, je vous vois sur une muraille avec une truelle à la main. Je ne me servirai plus de truelle avec mon peuple, lui réplique le Seigneur, je ne recrépirai plus ses murailles. Et ecce ponam truellam, non dejiciam super indue eum. (14) Quoique son né. La comparaison que Salomon fait du né de sa maîtresse avec une tour, prouve que de son tems les grands, nés étaient à la mode chez les femmes juives. Il comparait aussi son ventre à un boisseau. Les gros ventres sont regardés de nos jours, comme une imperfection dans la taille des femmes ; mais les grands nés ont encore leur prix. (15) Le savant Baumé, fameux Apoticaire ; il est de l’Académie des Sciences ; il est aussi le premier qui ait dépouillé l’opium de sa partie enivrante. Il est bon d’observer que M. Henri Roch dans cet endroit de sa priere, parle par inspiration. Personne n’ignore que dans l’état d’inspiré, un homme fait peu de cas de l’exactitude, que souvent il ne sait ce qu’il dit, témoins tous ces livres orientaux, dans lesquels les auteurs inspirés, ou se disant inspirés, ont laissé tant d’absurdités & tant d’erreurs sur la physique, sur la chymie, sur la géométrie, sur l’astronomie, la géographie & l’histoire naturelle. La bible en est remplie. (16) Lucienne, situé sur la machine de Marly, a un point de vue des plus beaux & des plus agréables. Cette campagne appartient à Madame la Comtesse du Barry, jadis en grande faveur. (17) Engaddi. Les raisins d’Engaddi étaient fort renommés. Les prophetes en parlent avec éloge. Jacob en bénissant son fils Juda, compare ses yeux au vin. (18) Le Sanci. Ce diamant est en effet le plus beau de la couronne de France ; il vint d’Antoine, Roi de Portugal. Ce Roi détrôné & réfugié en France, mit pour vivre ce diamant en gage ; il pensait qu’il valait encore mieux avoir du pain que des diamans. Les malheurs avaient formé ce Roi. (19) Allegrain, excellent sculpteur. Pendant tout un été, on courut à son atelier pour voir sa statue de Diane, qui est un chef-d’œuvre, & de laquelle quelques jeunes gens, dit-on, devinrent amoureux, quoiqu’elle fût de marbre. (20) Le beau Gabriel. Il n’est point de peintre, qui ne cherche à exceller, en peignant le tableau de l’Annonciation. Ils aiment à représenter l’ange Gabriel, qui tout-à-coup parait aux yeux d’une jeune Vierge, montrant une jambe belle & nue ; une cuisse bien nourrie & toute nue ; un derriere à demi découvert, & une légere draperie voltigeant & couvrant à peine cette partie de l’homme, qui dans un Ange, est fort inutile ; mais dont les alentours peuvent, en un seul clin d’œil, embraser les sens de toutes les vierges juives & françaises. J’ai été témoin de l’effet prodigieux que dans l’église d’un village près de Paris, fit un pareil tableau sur l’imagination d’une demoiselle bien née, sage & vertueuse jusqu’alors. (21) Sanir. Les prophetes dans leurs visions parlent des sapins de Sanir & des chênes de Basan. Ces chênes étaient très-renommés ; mais un peu moins que ceux de Dodone qui prophétisaient. Les prophéties de ces arbres sont tombées dans le discrédit. Chaque chose a son tems ; nous nous en tenons toujours à celles des grands & des petits prophetes juifs. (22) Cinq anus d’or. Dieu, pour punir les Philistins de ce qu’ils retenaient son arche, les affligea d’hémorroïdes, & leur fit pourrir le derriere. Pour se délivrer de cette horrible maladie, ils lui offrirent cinq anus d’or. Dieu fut sensible à leur offrande & les guérit. Cette offrande n’est plus d’aucun prix aux yeux de Dieu. J’en ai fait la triste expérience. (23) Andresi est un des villages des plus rians des environs de Paris. Il est situé au bas de la montagne du Hauti, au confluant de l’Oise & de la Seine. L’air d’Andresi est très-pur, ses vins sont bons, ses cerises délicieuses, & Mademoiselle de Bourbon Condé qui l’habite, une princesse adorable. (24) Sein Virginal. Comment peut-on appeller sein virginal le sein de Madame la Duchesse ? C’est, sans doute par un trope ou figure de rhétorique dont j’ai oublié le nom. Le lecteur, qui sera curieux de le savoir, peut s’adresser à M. Bauzée de l’Académie française. Il n’en coûte que deux sous par la petite poste, &, en vérité, pour une figure d’académie, deux sous sont bien peu de chose ! (25) Chérubins. Il n’est que trop ordinaire de confondre les Chérubins avec les autres puissances célestes ; c’est, comme si on confondait nos grands Seigneurs à talons rouges & les valets de pied du Prince. Dans le ciel il y a des chérubins, des séraphins, des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des potentats, des vertus, des forts, des légers, des souffles, des flammes, des étincelles, &c. Si on veut s’instruire à fond de la hiérarchie de ces êtres, on peut lire l’ouvrage d’un docteur de Sorbonne sur les aîles des chérubins. Cet ouvrage qui valut à son auteur le titre de Docteur ailé, n’a que neuf volumes in-folio : c’est le comble du génie d’avoir en si peu de volumes dit tant de choses, de si curieuses & de si utiles. Les théologiens de Sorbonne ont, ma foi, rendu de très-grands services à l’état. Que Dieu & le Roi les maintiennent en leur garde contre ces malheureux philosophes qui prétendent qu’une frérie de cordonniers est encore plus nécessaire dans Paris, que des théologiens, qui disputent contre ces malheureux philosophes, qui assurent que M. Parmentier, qui a perfectionné l’art de la boulangerie, vaut cent fois plus que le Docteur ailé ; qui désirent que les étables de Sorbonne soient bientôt converties en un beau college de medécine & de pharmacie. St. Bonaventure a aussi beaucoup écrit sur les chérubins & sur les séraphins. Ce fut un chérubin, qui fut mis en sentinelle à la porte du paradis terrestre, brandissant une épée flamboyante pour empêcher Adam & Eve de rentrer dans ce séjour de délices. C’était des chérubins, qui précédaient les roues mystérieuses, qu’Ezechiel vit sous le firmament. Quand Dieu allait en voyage ; c’était ordinairement un chérubin, qui lui servait de monture, ascendit super Cherubin & volavit ; & c’est peut-être à cause de cela que le prophete donne aux chérubins le nom d’animaux, animalia. Papa, disait Voltaire dans son enfance, quelle est cette bête qu’un chérubin ? Y en a-t-il à la foire ? Quand il y en aura, je vous prie de m’en faire voir un. (26) Avec les cometes. Nous avons un excellent traité, qui contient des choses neuves & des vérités utiles en astronomie sur les marches, les promenades & les courses de ces astres ; mais il n’y est pas dit un mot, ni de leurs chevelures, ni de leurs queues, ni de leurs danses, & c’est le seul défaut que le pere Berthier de l’oratoire trouve à cet ouvrage sur les cometes. L’auteur de cet ouvrage est M. Dionis du Séjour, Conseiller de Grand-Chambre, Magistrat aussi integre, aussi judicieux, aussi paisible qu’Académicien éclairé. Je ne sais quel bon citoyen a dit, que si parmi les peres conscripts il y en avait beaucoup qui le valussent, on ne désespérerait pas du salut d’Israël. (27) Agag. On sait que Saül qui, en cherchant des ânesses, avait trouvé un royaume, usa de miséricorde envers Agag, après l’avoir vaincu. Cette miséricorde, comme on sait encore, déplût à Dieu & à son prêtre Samuel, qui, pour réparer la faute de Saül, coupa en petits morceaux sa majesté Amalécite. Voltaire a dit quelque part, que le prêtre Samuel mit ce Roi Agag en hachis : c’est-là une des petites goguenarderies de ce grand’homme. Les meilleurs interpretes pensent au contraire, que Samuel en fit une fricassée avec une sausse à la maître d’hôtel. Quelques Jésuites, tels que Dina, Tambourinus & Gambacurta ont bien prétendu que sa majesté Agag fut mis en haricot. Mais ce sentiment n’a jamais été que probable, & même, depuis la destruction des Jésuites, il est entierement rejetté par les théologiens de Sorbonne. Voyez ce qu’en dit Marcillon dans le Cuisinier bourgeois. (28) Cataractes. Qu’entend-on par cataractes ? Qu’est-ce qu’un Ciel ? Qu’est-ce qu’un firmament ? C’est-là le sujet d’un prix, que nous proposons aux érudits de toutes les universités, sans en excepter les professeurs du college de Tours, de Poitiers, de Bordeaux, de Toulon, de Nantes, de la Rochelle & de Clermont en Auvergne. Le prix sera un chérubin vivant, ou un chérubin en or du poids de mille francs. Les discours écrits en français feront adressés, francs de port, à M. le Marquis de Condorcet, Secrétaire de l’Académie des sciences de Paris. (29) On l’eut accusé d’être sorcier. Dans le quatorzième siecle un docteur de Sorbonne, nommé Guillaume Edelin & Prieur de St. Germain en Laye, eut une intrigue avec une jeune Dame de condition. Elle devint grosse. Le docteur de Sorbonne fut arrêté & accusé d’être sorcier. On devait le faire brûler ; mais il rachetta sa vie, en s’avouant coupable ; en s’accusant d’avoir été au sabbath ; d’y avoir adoré le diable sous la forme d’un bouc ; de lui avoir baisé le derriere : enfin d’être un vrai sorcier. Il en fut quitte après cette confession pour une prison perpétuelle, & pour jeûner le reste de sa vie. C’était s’en tirer à bon marché ! Il y a, ma foi, des gens heureux. Depuis le docteur Edelin il n’y a plus de sorcier en Sorbonne : c’est du moins le sentiment de maître Ribaudier, Syndic de ladite école. FIN DES NOTES. |
Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres/Personnes/N | Charles de Foucauld Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres Texte établi par André Basset, Larose Éditeurs, 1940 (p. 326-328). ◄ M ⵎ OU ⵓ ► N ⵏ dictionaryDictionnaire abrégé touareg-français de noms propresCharles de FoucauldLarose Éditeurs1940ParisVN ⵏFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvuFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvu/3326-328 ⵏ Émenni ⵎⵏⵉ (« diseur ») φ ; daṛ Ămenni (Ĕmenni) ‖ H. ⵏ Ănna ⵏⴰ (« maman ») ‖ F. Nanna ⵏⵏⴰ (« maman ») ‖ F. Mâma ⵎⵎⴰ (dial. Berb. séd. Ṛ. et Ġ) (« maman ») ‖ F. Nâna ⵏⵏⴰ (Ăir) (« maman ») ‖ F. Ăg-Ănna ‖ v. ⵓ. Ăg-Mâma ‖ v. ⵓ. Mâmi ⵎⵎⵉ ‖ F. Mîmi ⵎⵎⵉ ‖ F. Moûma ⵎⵎⴰ ‖ F. ⵏ Teġainout ⵜⴶⵉⵏⵜ (« trou cylindrique (en forme de petit puits) ») ‖ F. (surn.). ⵏⴱ Ănâba ⵏⴱⴰ (Ăir) (« grand bouc ») ‖ H. ⵏⴱ Ounbou ⵏ⵿ⴱⵓ ‖ H. ⵏⴱⵍⴾ Tănbelâkou ⵜⵏ⵿ⴱⵍⴾⵓ ‖ F. (nom lég.). ⵏⴱⵈ Ennâbiḳ ⵏⴱⵈ (Ioul.) ‖ H. ⵏⴱⵔ Enbâra ⵏ⵿ⴱⵔⴰ ‖ H. ⵏⴱⵔⴾ Nebroûk ‖ v. ⴱⵔⴾ. Enbârek ‖ v. ⴱⵔⴾ. ⵏⴷⵍ Ăndela ⵏ⵿ⴷⵍⴰ (Ăir) ‖ H. ⵏⴷⵓ Ămehendaou ⵎⵂⵏ⵿ⴷⵓ (« hom. qui n’a pas l’esprit d’aplomb ») ‖ H. ⵏⴷⵔⵎⵍ Ăndermoul ⵏ⵿ⴷⵔⵎⵍ ‖ H. ⵏⴹⵓ Tenḍĕou ⵜⵏ⵿ⴹⵓ (« elle a été rejetée ») ‖ F. (surn.). ⵏⴹⵔ Ta-nḍerret ‖ v. ⵎⴹⵔⵉ. ⵏⴹⵔⵂⵓⵍ Ănḍerhouâl ⵏ⵿ⴹⵔⵂⵓⵍ ‖ H. ⵏⴹⵙ Ănḍis ⵏ⵿ⴹⵙ ‖ H. F. ⵏⴼ Oua-infĕn ⵓⵉⵏⴼⵏ (« celui ayant été utile ») ‖ H. ⵏⴼⵏ Noûfana ⵏⴼⵏⴰ ‖ H. (nom lég.). ⵏⴼⵏ Ăneffeni ⵏⴼⵏⵉ ‖ H. ⵏⴼⵙ Ennefîsa ⵏⴼⵙⴰ ★ ‖ F. ⵏⴼⵙ Tănfoust ‖ v. ⴼⵙ. ⵏⴳⵛ Eṅgîcha ‖ v. ⵏⴳⵉⵛ. ⵏⴳⴳ Eṅgoug ⵏ⵿ⴳⴳ ‖ H. (nom lég.). ⵏⴳⵉⵛ Eṅgeicha ⵏ⵿ⴳⵉⵛⴰ ‖ F. Eṅgîcha ⵏ⵿ⴳⵛⴰ ‖ F. ⵏⴳⵆ Ăṅgoûk̤i ⵏ⵿ⴳⵆⵉ ‖ H. ⵏⴳⵍ Ăṅgela ⵏ⵿ⴳⵍⴰ ‖ H. ⵏⴶⵍⵙ Tăṅġeloust ⵜⵏ⵿ⴶⵍⵙ⵿ⵜ (« ange ») ‖ F. ⵏⴳⵎ Teṅgemi ⵜⵏ⵿ⴳⵎⵉ ‖ F. ⵏⴳⵔⴱ Ăṅgerbou ⵏ⵿ⴳⵔⴱⵓ ‖ H. ⵏⴳⵔⵏⴳ Teṅgereṅga ⵜⵏ⵿ⴳⵔⵏ⵿ⴳⴰ (np. de lieu) ‖ F. ⵏⴳⵜ Ăṅgoutta ⵏ⵿ⴳⵜⴰ ‖ H. ⵐⵂⵔ Ăñher ⵐⵂⵔ (« sang s’écoulant par les narines ») ‖ H. ⵏⵉ Menéét ⵎⵏⵉⵜ (np. de lieu) ‖ F. ⵏⵉⵍ Enniâl ⵏⵉⵍ ‖ H. ⵏⴾⵔⴼⵍ Ănekerfal ‖ v. ⴾⵔⴼⵍ. ⵏⵏ Nounnou ⵏⵏⵓ (dial. Berb. séd. Ṛ. et Ġ.) (« mon frère ; ma sœur ») ‖ H. F. Nounnou ⵏⵏⵓ (Ăir) ‖ H. Nîna ⵏⵏⴰ (dial. Berb. séd. Ṛ. et Ġ.) ‖ F. ⵏⵏ Nanna ‖ v. ⵏ. Nâna ‖ v. ⵏ. ⵏⵏⴾ Ti-n-nennekâten ⵜⵏⵏⴾⵜⵏ (« une des ravins ») ‖ F. ⵏⵓ Ănaou ⵏⵓ ‖ H. Noua ⵏⵓⴰ ‖ F. Ănnéouen ⵏⵓⵏ ‖ F. ⵏⵔ Oua-n-tĕnéré ⵓⵏ⵿ⵜⵏⵔⵉ (« celui de la plaine ») ‖ H. ⵏⵔ Ténirt ⵜⵏⵔ⵿ⵜ (« antilope mohor ») φ ; daṛ Tănirt (Tĕnirt) ‖ F. ⵏⵗ Oua-n-Tănaṛ ⵓⵏ⵿ⵜⵏⵗ (« celui de Tănaṛ ») ‖ H. ‖ Tănaṛ est un np. de lieu. ⵏⵗⵍⵙ Neṛles ⵏⵗⵍⵙ ‖ H. ⵏⵗⵎⴹ Tăneṛmiṭ ⵜⵏⵗⵎⵟ (« safran ») ‖ F. ⵏⵗⵏⴷⵔⵙ Ăṅṛenderous ⵏⵗⵏ⵿ⴷⵔⵙ ‖ H. ⵏⵗⵔ I-n-ăṅṛâren ⵏⵏⵗⵔⵏ (« un des ravins ») ‖ H. Ti-n-ăṅṛâren ⵜⵏⵏⵗⵔⵏ (« une des ravins ») ‖ F. ⵏⵗⵔⴱ Enṛrôbou ‖ v. ⵗⵔⴱ. ⵏⵙ Oua-nnes ⵓⵏⵙ (Ăir) (« celui d’elle (le sien) ») ‖ H. (nom lég.). Ta-nnes ⵜⵏⵙ (Ăir) (« celle de lui (la sienne) ») ‖ F. (nom lég.). ⵏⵙ I-n-tinsaouîn ⵏ⵿ⵜⵏⵙⵓⵏ (« un des doigts de pied ») ‖ H. ⵏⵙⵍⵎ Ăneslem ‖ v. ⵙⵍⵎ. ⵏⵙⵔ Ennaser ⵏⵙⵔ ★ ‖ H. ⵏⵙⵗ Tănsoḳ ⵜⵏⵙⵈ (√ ⵏⵙⵗ enseṛ « siffler ») ‖ F. |
Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres/Personnes/L | Charles de Foucauld Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres Texte établi par André Basset, Larose Éditeurs, 1940 (p. 314-319). ◄ K̤ ⵆ M ⵎ ► L ⵍ dictionaryDictionnaire abrégé touareg-français de noms propresCharles de FoucauldLarose Éditeurs1940ParisVL ⵍFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvuFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvu/3314-319 ⵍ Tel-aṅġi ⵜⵍⵏ⵿ⴶⵉ (« elle a de l’eau courante ») ‖ F. ⵍ Oult-ăbba ⵍ⵿ⵜⴱⴰ (« fille de papa ») ‖ F. ⵍ Êlou ⵍⵓ (« éléphant ») ‖ H. ⵍ Têlout ⵜⵍⵜ (« nom d’un petit rongeur ») ‖ F. ⵍ Ălla ⵍⴰ ‖ H. Oua-n-ălla ⵓⵏⵍⴰ ‖ H. Tella ⵜⵍⴰ ‖ F. Tâlât ⵜⵍⵜ ‖ F. Illi ⵍⵉ (Ăd.) ‖ H. ⵍ Âli ⵍⵉ ★ ‖ H. ⵍⴱ Lebbou ⵍⴱⵓ ‖ H. Lâba ⵍⴱⴰ ‖ F. (escl.). ⵍⴱⵛⵔ Elbechir ‖ v. ⴱⵛⵔ. ⵍⴱⴷⵉ Labdéén ⵍⴱⴷⵉⵏ ‖ H. ⵍⴱⴹ Ălebboḍ ⵍⴱⴹ (√ ⵍⴱⴹ loubbeḍ « être anéanti ») ‖ H. ⵍⴱⵂ Ălebbouh ⵍⴱⵂ ★ (« datte encore verte ») ‖ H. ⵍⴱⵂ Ta-n-elbouh ⵜⵏⵍⴱⵂ ★ (« celle de l’étoffe de laine rouge ») ‖ F. ⵍⴱⵋ Lebbouj ⵍⴱⵋ ‖ H. ⵍⴱⴾ Ilbâk ⵍⴱⴾ (« il est extrêmement maigre et faible ») ‖ H. ⵍⴱⴾⵔ Elbekri ⵍⴱⴾⵔⵉ ★ ‖ H. ⵍⵛ Ălechcho ⵍⵛⵓ (« pièce d’étoffe de coton tissée au Soudan et teinte à l’indigo ») ‖ H. Ilâchen ⵍⵛⵏ ‖ H. ⵍⴼⴶ Ălefoġ ⵍⴼⴶ ‖ H. ⵍⴼⵈ Elfaḳḳi ⵍⴼⵈⵉ ★ (« lettré musulman ») ‖ H. ⵍⴼⵜⵛ I-n-telefticht ‖ v. ⵍⴼⵜⵙ. ⵍⴼⵜⵆ Ăleftek̤a ⵍⴼⵜⵆⴰ ‖ H. ⵍⴼⵜⵙ I-n-telefticht ⵏ⵿ⵜⵍⴼⵜⵛ⵿ⵜ (« un de la moitié des chairs qui forment le devant du ventre ») ‖ H. ⵍⴼⵟⵎ Elfâṭmi ⵍⴼⵟⵎⵉ ★ ‖ np. sous lequel les Kel-Ăhaggar désignent habituellement le personnage que les Arabes appellent habituellement « elmehdi » ou « elimam elmehdi ». ⵍⴶⵓ Léġouet ⵍⴶⵓⵜ (√ ⵍⴶⵓ leġouet (Ta. 1) « être infléchi ») ‖ H. Éleġouei ⵍⴶⵓⵉ φ ; daṛ Ăleġouei (Ĕleġouei) ‖ H. ⵍⴳⵔⵏ Elgerîni ⵍⴳⵔⵏⵉ ★ ‖ H. ⵍⴳⵟ Elgoûṭ ⵍⴳⵟ ‖ H. ⵍⵂ Lahi ‖ v. ⴱⴷⵍ. ⵍⵂⵎⵙ Telhâmoust ⵜⵍⵂⵎⵙ⵿ⵜ ★ (« buffle ») ‖ F. Elhâmous ⵍⵂⵎⵙ ‖ H. ⵍⵉ Laia ⵍⵉⴰ ‖ H. Ăliiou ⵍⵉⵓ ‖ H. ⵍⵉⵏ Loueini ⵍⵉⵏⵉ ‖ H. ⵍⵉⵏⵙ Ăleinous ⵍⵉⵏⵙ ‖ H. ⵍⵉⵙ Elias ⵍⵉⵙ ★ ‖ H. Leisa ⵍⵉⵙⴰ ‖ H. Ăliesen ⵍⵉⵙⵏ (Ioul.) ‖ H. ⵍⵋⵎⵜ Eljemet ⵍⵋⵎⵜ ★ (« vendredi ») ‖ F. (escl.). ⵍⴾ Ăloûki ⵍⴾⵉ (« veau sevré ») ‖ H. Loûki ⵍⴾⵉ ‖ H. Ilekken ⵍⴾⵏ (Ioul.) ; daṛ Ilekken ‖ H. ⵍⴾⴱⵙ Elkâbous ⵍⴾⴱⵙ ★ (Ăir) ‖ H. ⵍⴾⴹ Ămâlkaḍ ⵎⵍⴾⴹ (« hom. qui rejoint en coupant à travers pays ») ‖ H. ⵍⴾⵉ Ăloukain ⵍⴾⵉⵏ ‖ H. ⵍⴾⵆⵍ Elkik̤el ⵍⴾⵆⵍ ★ ‖ H. ⵍⴾⵎ Ălikemma ⵍⴾⵎⴰ ‖ H. ⵍⴾⵏⵜ Elkounti ⵍⴾⵏ⵿ⵜⵉ ★ ‖ H. ⵍⴾⵜ Elkoût ⵍⴾⵜ ★ ‖ H. ⵍⵈⵍ Elḳâli ⵍⵈⵍⵉ ★ (Ăir) (« juge musulman ») ‖ H. ⵍⵆⴱⴱ Elk̤ebib ⵍⵆⴱⴱ ★ ‖ H. Sîd-Elk̤ebib ⵙⴷⵍⵆⴱⴱ ‖ H. ⵍⵆⴷ Elk̤ĕd ⵍⵆⴷ ★ (« dimanche ») ‖ H. ⵍⵆⵂ Elk̤ah ‖ v. ⵂⴶⴶ. ⵍⵆⵉⵔ Elk̤iâr ‖ v. ⵍⵆⵔ. ⵍⵆⵋ Elk̤aj ‖ v. ⵂⴶⴶ. Elk̤âji ‖ v. ⵂⴶⴶ. ⵍⵆⵎⴷ Elk̤amdou ‖ v. ⵆⵎⴷ. ⵍⵆⵓⵍ Elk̤ououlli ⵍⵆⵓⵍⵉ ‖ F. ⵍⵆⵔ Elk̤îr ⵍⵆⵔ ★ ‖ H. Elk̤iâr ⵍⵆⵉⵔ ‖ H. K̤iiâr ⵆⵉⵔ ‖ H. ⵍⵆⵙⵏ Elk̤asen ⵍⵆⵙⵏ ★ ‖ H. Ăk̤asen ⵆⵙⵏ ‖ H. Lek̤sen ⵍⵆⵙⵏ ‖ H. Elk̤oûsîn ⵍⵆⵙⵏ ‖ H. Elk̤oseini ⵍⵆⵙⵉⵏⵉ ‖ H. Eḳḳesen ⵈⵙⵏ ‖ H. (surn.) ‖ dim. d’Elk̤asen. ⵍⵍ Oua-n-ălélli ⵓⵏⵍⵍⵉ (« celui de libre (le noble) ») ‖ H. Lilli ⵍⵍⵉ ‖ H. Lilla ⵍⵍⴰ ‖ F. Lêlét ⵍⵍⵜ ‖ F. ⵍⵍ Lalla ⵍⵍⴰ ★ ‖ F. ⵍⵎ Lemma ⵍⵎⴰ ‖ H. F. ⵍⵎⴱⵔⴾ Elmoubârek ‖ v. ⴱⵔⴾ. ⵍⵎⵛ Élemech ⵍⵎⵛ (« hom. qui a les veines saillantes et les yeux sortants ») φ ; daṛ Ălemech (Ĕlemech) ‖ H. ⵍⵎⴷⵏ Elmĕdĕni ⵍⵎⴷⵏⵉ ★ ‖ H. ⵍⵎⴷⵏ Elmoûden ⵍⵎⴷⵏ ★ ‖ H. ⵍⵎⴷⵙⵔ Elmoudessir ⵍⵎⴷⵙⵔ ★ ‖ H. Telmoudessirt ⵜⵍⵎⴷⵙⵔ⵿ⵜ ‖ F. ⵍⵎⵂⴾ Ălemhôk ⵍⵎⵂⴾ ‖ H. ⵍⵎⵉ Lamia ⵍⵎⵉⴰ (Ăd.) ‖ F. (art.). ⵍⵎⵆⵜⵔ Elmek̤tar ⵍⵎⵆⵜⵔ ★ ‖ H. Sîd-elmek̤tar ⵙⴷⵍⵎⵆⵜⵔ ‖ H. ⵍⵎⵍ Ăloûmĕlli ⵍⵎⵍⵉ (Ăir) ‖ H. ⵍⵎⵍⵗ Ălemlaṛ ⵍⵎⵍⵗ (« roux ») ‖ H. ⵍⵎⵎ Ălemoum ⵍⵎⵎ (« faon d’antilope mohor ») ‖ H. Tălemoumt ⵜⵍⵎⵎ⵿ⵜ (« faon d’antilope mohor ») ‖ F. ⵍⵎⵎ Ălimam ⵍⵎⵎ ★ ‖ H. ⵍⵎⵏ Elîmen ⵍⵎⵏ ★ ‖ H. Âlemin ⵍⵎⵏ ‖ H. Lamin ⵍⵎⵏ ‖ H. Elamen ⵍⵎⵏ ‖ H. Elmĭnna ⵍⵎⵏⴰ ‖ H. ⵍⵎⵏⵔ Elmenir ⵍⵎⵏⵔ ★ ‖ H. ⵍⵎⵗⴷ Elmiṛda ⵍⵎⵗⴷⴰ ★ ‖ H. ⵍⵎⵙⴾ Elmesek ⵍⵎⵙⴾ ★ (« muse ») ‖ H. ⵍⵎⵙⵍ Elmesâlet ⵍⵎⵙⵍⵜ ★ (« merveille ») ‖ F. (nom lég.). ⵍⵎⵙⵙ Lemsis ⵍⵎⵙⵙ ‖ H. ⵍⵎⵙⵟⴼ Elmousṭâfa ⵍⵎⵙⵟⴼⴰ ★ ‖ H. ⵍⵎⵜ Lemtoûna ⵍⵎ⵿ⵜⵏⴰ ‖ F. (nom lég.) ‖ d’après les légendes touaregues, Lemtoûna serait la mère commune de tous les Touaregs, de la tribu des Ilemtéen et de certaines tribus berbères établies à Ghadamès et dans son voisinage. Élemtei ⵍⵎ⵿ⵜⵉ (« hom. de la tribu des Ilemtéen ») φ ; daṛ Ălemtei (Ĕlemtei) ‖ H. ⵍⵏⴶ Tel-aṅġi ‖ v. ⵍ. ⵍⵏⴾⵛ Ălenkach ⵍⵏ⵿ⴾⵛ ‖ H. ⵍⵏⵙⵔ Elinsar ⵍⵏⵙⵔ (Ioul.) ‖ H. ⵍⵓ I-n-âléo ⵏⵍⵓ (« un de l’âléo ») ‖ H. ‖ l’âléo est un olivier sauvage. ⵍⵓ Telliouet ⵜⵍⵓⵜ ‖ F. ⵍⵓⴹⵙ Elouiḍas ⵍⵓⴹⵙ (Ăir) ‖ H. ⵍⵓⴼⵍ Elouâfil ⵍⵓⴼⵍ ★ ‖ H. ⵍⵓⴳⴼ Eloueggaf ⵍⵓⴳⴼ ★ ‖ H. ⵍⵓⵉ Eleouei ⵍⵓⵉ ‖ H. ⵍⵓⵉⵏ Ellouina ⵍⵓⵉⵏⴰ (Ăir) ‖ H. ⵍⵓⵍ Elouâli ⵍⵓⵍⵉ ★ ‖ H. ⵍⵓⵙ Ălâouas ⵍⵓⵙ (« datte desséchée avant maturité ») ‖ H. ⵍⵓⵜ I-n-helouât ⵏⵂⵍⵓⵜ (Ăd.) (√ ⵍⵓⵜ alouât « nom d’une plante ») ‖ H. ⵍⵓⵜⵔ Eloûter ⵍⵓⵜⵔ ★ (Ioul.) ‖ F. ⵍⵔⵙ Ăloursi ⵍⵔⵙⵉ ‖ H. F. ⵍⵗⴷⵍ Elṛoûdela ⵍⵗⴷⵍⴰ ★ ‖ H. ⵍⵗⴼⵉ Elṛâfiet ⵍⵗⴼⵉⵜ ★ (« paix ») ‖ H. Elṛâfia ⵍⵗⴼⵉⴰ ‖ F. (escl.). ⵍⵗⵍⵉ Elṛâlia ⵍⵗⵍⵉⴰ ★ ‖ F. ⵍⵗⵍⵎ Elṛâlem ⵍⵗⵍⵎ ★ (« savant ») ‖ H. Elṛelâma ⵍⵗⵍⵎⴰ ‖ F. ⵍⵗⵎⵛ Leṛmech ⵍⵗⵎⵛ ‖ H. ⵍⵗⵔⴱ Elṛarbi ⵍⵗⵔⴱⵉ ★ (ar. « El-Ạrbi ») ‖ H. ⵍⵗⵜ Élĕṛté ⵍⵗⵜⵉ φ ; daṛ Ăleṛté (Ĕleṛté) ‖ H. ⵍⵜ Lîta ⵍⵜⴰ ‖ H. ⵍⵜ Ettellâta ‖ v. ⵜⵍⵜ. ⵍⵜⴱ Oult-ăbba ‖ v. ⵍ. ⵍⵜⴾ Élîtek ⵍⵜⴾ φ ; daṛ Ălîtek (Ĕlîtek) ‖ H. ⵍⵜⵏⵉ Lîtni ⵍⵜⵏⵉ ★ (« lundi ») ‖ H. ⵍⵜⵗ Émelteṛ ⵎⵍ⵿ⵜⵗ (√ ⵍⵜⵗ elteṛ « adhérer à ») φ ; daṛ Ămelteṛ (Ĕmelteṛ) ‖ H. |
Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres/Animaux/M | Charles de Foucauld Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres Texte établi par André Basset, Larose Éditeurs, 1940 (p. 355-356). ◄ L ⵍ N ⵏ ► M ⵎ dictionaryDictionnaire abrégé touareg-français de noms propresCharles de FoucauldLarose Éditeurs1940ParisVM ⵎFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvuFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvu/3355-356 ⵎ I-n-ămi-mellen ⵏⵎⵎⵍⵏ (« un de la bouche blanche ») ms. ‖ CHA. ⵎⴷⵔⵙ Témederrest ‖ v. ⴷⵔⵙ. ⵎⴷⵙⵓⵍ Ămedesoual ‖ v. ⵓⵍ. ⵎⵂⵍⵓ Măhellaou ⵎⵂⵍⵓ ms. ‖ np. de la Voie Lactée. ⵎⵉⵙ Ămâias ‖ v. ⵉⵙ. ⵎⵋⴷ Tămejjîda-n-Ămanar ⵜⵎⵋⴷⵏⵎⵏⵔ (« oratoire d’Orion ») fs. ‖ np. d’étoiles de la constellation d’Orion. Tămejjîda-n-Chêt-ăhoḍ ⵜⵎⵋⴷⵏⵛⵜⵂⴹ (« oratoire des Pléiades ») fs. ‖ np. d’étoiles de la constellation des Pléiades. ⵎⵍ Ămellal ⵎⵍⵍ (« antilope adax ») ms. ‖ CHI. Temoûlat ⵜⵎⵍⵜ (√ ⵎⵍ imlal ; moulet (Ta. 3) « avoir du blanc à la face ») fs. ‖ CHÈV. ‖ nom se donnant aux chèvres qui ont du blanc à la tête. Ămoûlas ⵎⵍⵙ (« animal à liste ») ms. ‖ CHE. Tămoûlast ⵜⵎⵍⵙ⵿ⵜ (« animal à liste ») fs. ‖ J. Tăjemlalt ⵜⵋⵎⵍⵍ⵿ⵜ (« animal pie, à robe semée de petites taches, sans grandes plaques, avec des yeux vairons entourés de ladre ») fs. ‖ CHA. Ămĕlĕlou ⵎⵍⵍⵓ ms. ‖ CHÈV. ‖ nom se donnant aux chèvres blanches. Tămĕlĕlout ⵜⵎⵍⵍⵜ fs. ‖ CHÈV. ‖ nom se donnant aux chèvres blanches. ⵎⵍⵍ Ămellal ‖ v. ⵎⵍ. Ămĕlĕlou ‖ v. ⵎⵍ. ⵎⵍⵙ Ămoûlas ‖ v. ⵎⵍ. ⵎⵎ Tememmat ⵜⵎⵎⵜ fs. ‖ CHÈV. ⵎⵏⵔ Ămanar ‖ v. ⵔ. ⵎⵏⵗⵙ Ămaṅṛasa ⵎⵏⵗⵙⴰ (« animal de la tribu des Imaṅṛasâten ») ms. ‖ CHI. ⵎⵗⵔ Tamṛart ⵜⵎⵗⵔ⵿ⵜ (« la vieille ») fs. φ ; daṛ Tĕmṛart (Tămṛart) ‖ np. d’une épée. ⵎⵙ Témesmest ⵜⵎⵙⵎⵙ⵿ⵜ (« étincelle ») fs. φ ; daṛ Tămesmest (Tĕmesmest) ‖ CHÈV. ⵎⵙⵎⵙ Témesmest ‖ v. ⵎⵙ. ⵎⵜⵍⵗⵍⵗ Ma-teleṛleṛ ‖ v. ⵍⵗⵍⵗ. ⵎⵜⵔⴶⵔⴶ Ma-tereġreġ ‖ v. ⵔⴶⵔⴶ. ⵎⵜⵙ Ămettesa ⵎⵜⵙⴰ (« poltron ») ms. ‖ CHA. ⵎⵜⵙⴾⵙⴾ Ma-teseksek ‖ v. ⵙⴾⵙⴾ. ⵎⵥⴾ I-n-tămeżżouk ⵏ⵿ⵜⵎⵥⴾ (« un de l’oreille ») ms. ‖ CHÈV. ‖ nom se donnant aux chèvres qui ont une oreille fendue ou coupée. I-n-tmeżżouġîn ⵏ⵿ⵜⵎⵥⴶⵏ (« un des oreilles ») ms. ‖ CHA. |
Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres/Animaux/OU | Charles de Foucauld Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres Texte établi par André Basset, Larose Éditeurs, 1940 (p. 357-358). ◄ N ⵏ R ⵔ ► OU ⵓ dictionaryDictionnaire abrégé touareg-français de noms propresCharles de FoucauldLarose Éditeurs1940ParisVOU ⵓFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvuFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvu/3357-358 ⵓ Ăg-Ikki ⴳⴾⵉ (« fils d’Ikki ») ms. ‖ CHA. ‖ Ikki est un np. d’hom. Ăg-Ikken ⴳⴾⵏ (« fils d’Ikken ») ms. ‖ CHA. ‖ Ikken est un np. d’hom. Ăg-Boûchen ⴳⴱⵛⵏ (« fils de Boûchen ») ms. ‖ CHA. ‖ Boûchen est un np. d’hom. ⵓⴷ Ouâdet ⵓⴷⵜ fs. ‖ np. de l’étoile de Canopus. Ouâlet ⵓⵍⵜ fs. ‖ syn. du précédent. ⵓⴼ Ti-n-tăouâfa ⵜⵏ⵿ⵜⵓⴼⴰ (« une de la terreur panique ») fs. ‖ CHA. ⵓⵍ Ti-n-tăouâla ⵜⵏ⵿ⵜⵓⵍⴰ (« une du fait de faire des sauts ») fs. ‖ CHA. Ămedesoual ⵎⴷⵙⵓⵍ (« animal qui se balance en marchant ») ms. ‖ CHA. ⵓⵍ Ouâlet ‖ v. ⵓⴷ. ⵓⵍⵎⴷ Ăoullemmed ⵓⵍⵎⴷ (« animal d’une tribu d’Ioullemmeden ») ms. ‖ CHI. Tăoullemmet ⵜⵓⵍⵎⵜ (« animal d’une tribu d’Ioullemmeden ») fs. ‖ CHI. ⵓⵏⴼ Teouînafet ⵜⵓⵏⴼⵜ (« elle est curieuse ») fs. ‖ J. ⵓⵔ I-n-sâouâr ⵏⵙⵓⵔ (« un de mets sur (un de porte auprès de) ») ms. ‖ CHA. ⵓⵔⴼⵏ Teouîrafen ⵜⵓⵔⴼⵏ (« elle est vive ») fs. ‖ CHA. ⵓⵗⵙ Aṛsi ⵗⵙⵉ (« loup ») ms. φ ; daṛ Ĕṛsi (Ăṛsi) ‖ CHI. Ăṛsîsi ⵗⵙⵙⵉ ms. ‖ CHI. ‖ Ăṛsîsi est une déformation d’Aṛsi « loup ». |
Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres/Animaux/N | Charles de Foucauld Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres Texte établi par André Basset, Larose Éditeurs, 1940 (p. 357). ◄ M ⵎ OU ⵓ ► N ⵏ dictionaryDictionnaire abrégé touareg-français de noms propresCharles de FoucauldLarose Éditeurs1940ParisVN ⵏFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvuFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvu/3357 ⵏⴼⵔ Ennefri ⵏⴼⵔⵉ ms. ‖ CHA. ⵏⴶⵍ Émeṅġel ⵎⵏ⵿ⴶⵍ (« chameau gris souris ») ms. φ ; daṛ Ămeṅġel (Ĕmeṅġel) ‖ CHA. Témeṅġelt ⵜⵎⵏ⵿ⴶⵍ⵿ⵜ (« chamelle gris souris ») fs. φ ; daṛ Tămeṅġelt (Tĕmeṅġelt) ‖ CHA. Ămeṅġoûli ⵎⵏ⵿ⴶⵍⵉ ms. ‖ CHA. ⵐⵂⵔ Inzer ⵏⵣⵔ (Ăir) (√ ⵐⵂⵔ té̆ñhert ; ăñher « sang s’écoulant par les narines ») ms. ‖ CHA. ⵏⴾⵔ Oua-dd-inkĕren ⵓⴷⵏ⵿ⴾⵔⵏ (« celui qui s’étant levé pour venir ici (celui qui vient ici) ») ms. ‖ CHA. ⵏⵍⴶ Ănellouġ ⵏⵍⴶ (« fourmi ») ms. ‖ CHÈV. ⵏⵔ Néré-néré ⵏⵔⵏⵔⵉ ms. ‖ CHÈV. ⵏⵗ Émeṅṛi ⵎⵏⵗⵉ (« animal qui tue ses cavaliers ») ms. φ ; daṛ Ămeṅṛi (Ĕmeṅṛi) ‖ CHA. ⵏⵗⵉ I-n-tiṅṛaîn ⵏ⵿ⵜⵏⵗⵉⵏ ms. ‖ CHÈV. ⵏⵗⵔⴼⵍ Ineṛerfelen ⵏⵗⵔⴼⵍⵏ ★ (« clous de girofle ») mp. φ ; daṛ Neṛerfelen ‖ CHÈV. ⵏⵣⵔ Inzer ‖ v. ⵐⵂⵔ. |
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/417 | {{t3|{{sc|des noms, préfaciers, annotateurs{{br0}}traducteurs et illustrateurs}}|TABLE}}
{{c|{{Lia|table2|T_a|A|417}} – {{Lia|table2|T_b|B|417}} – {{Lia|table2|T_c|C|418}} – {{Lia|table2|T_d|D|418}} – {{Lia|table2|T_e|E|418}} – {{Lia|table2|T_f|F|418}} – {{Lia|table2|T_g|G|418}} – {{Lia|table2|T_h|H|419}} – {{Lia|table2|T_i|I|419}} – {{Lia|table2|T_j|J|419}} – {{Lia|table2|T_k|K|419}} – {{Lia|table2|T_l|L|419}}{{br0}}{{Lia|table2|T_m|M|419}} – {{Lia|table2|T_n|N|420}} – {{Lia|table2|T_p|P|420}} – {{Lia|table2|T_q|Q|420}} – {{Lia|table2|T_r|R|420}} – {{Lia|table2|T_s|S|420}} – {{Lia|table2|T_t|T|420}} – {{Lia|table2|T_v|V|420}}– {{Lia|table2|T_w|W|420}}– {{Lia|table2|T_x|X|420}} – {{Lia|table2|T_z|Z|420}}}}
{{-|3}}
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|style="width:50%"|Abdul-Haqq Effendi,||{{lia|1|c0020|20|25}}
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|Alcide (baron de M***), ||{{lia|1|c0066|66|64}}
|-
| (voyez suivants à {{lia|1|c0066|66|64}}).
|-
|Alexis (Émile), ||{{lia|3|c0200|200|141}}.
|-
|valign=top|Arétin, ||{{lia|1|c0019|19|24}}, {{lia|1|c0067b|67<sup>b</sup>|66}}, {{lia|1|c0067d|67<sup>d</sup>|67}}, {{lia|2|c0107|107|83}}, {{lia|2|c0119|119|87}} ; de {{lia|3|c0201|201|141}} à {{lia|3|c0212|214|143}} ; de {{lia|3|c0216|218|147}} à {{lia|3|c0226|226|151}} ; {{lia|8|c0753|753|365}}, {{lia|8|c0754|754|365}}, {{lia|8|c0766|766|370}}, {{lia|8|c0767|767|371}}, {{lia|10|c0927|927|397}}.
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|Argens (marquis d’), ||{{lia|1|c0048|48|48}}, {{lia|1|c0050|50|49}}.
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{{t3mp|{{ancre+|T_b|B}}}}
|style="width:50%"|Baffo (Giorgio), ||{{lia|1|c0093|93|78}}, {{lia|2|c0160|160|124}}, {{lia|3|c0227|227|152}}.
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|Barin (abbé), ||{{lia|3|c0228|228|152}}, {{lia|7|c0674|674|338}}.
|-
|Barrière (Théodore), ||{{lia|2|c0146|146|98}}.
|-
|Bataille (Charles), ||{{lia|2|c0146|146|98}}.
|-
|Battachi, ||{{lia|1|c0056|56|52}}, {{lia|3|c0230|230|152}}.
|-
|Barville (Cheval. de), ||{{lia|1|c0038|38|45}}.
|-
|Baudelaire, ||{{lia|3|c0235|235|154}}.
|-
|Baudouin, ||{{lia|1|c0080|80|73}}.
|-
|Bayle (Pierre), ||{{lia|1|c0017|17|24}}.
|-
|Bazin (abbé), ||{{lia|6|c0563|563|273}}.
|-
|Beauchamp (L. Godard de), ||{{lia|4|c0321|321|178}} à {{lia|4|c0323|323|179}}.
|-
|Beccadelli (Anton.), ||{{lia|2|c0123|123|88}}.
|-
|Bellay (J. du), ||{{lia|3|c0225|225|151}}, {{lia|8|c0766|766|370}}.
|-
|Béranger, ||{{lia|3|c0236|236|155}} à {{lia|3|c0240|240|157}}.
|-
|Bever (van), ||{{lia|2|c0183|183|135}}.
|-
|Blessebois (Corneille), ||{{lia|1|c0030|30|41}}, {{lia|3|c0241|241|157}}, {{lia|8|c0725|725|354}}.
|-
|Blondeau (Nic.), ||{{lia|1|c0099|99|80}}.
|-
|Boccace, ||{{lia|3|c0242|242|157}} à {{lia|3|c0247|251|159}}.
|-
|valign=top|Bonneau (Alcide), ||{{lia|1|c0067b|67<sup>b</sup>|66}}, {{lia|1|c0067d|67<sup>d</sup>|67}}, {{lia|1|c0067e|67<sup>e</sup>|67}} ; de {{lia|1|c0087|87|75}} à {{lia|1|c0089|89|76}} ; de {{lia|1|c0091|91|77}} à {{lia|1|c0093|93|78}} ; de {{lia|1|c0097|97|80}} à {{lia|1|c0099|99|80}} ; {{lia|2|c0102|102|81}}, {{lia|2|c0126|126|89}}, {{lia|2|c0133|133|91}}, {{lia|2|c0159|159|124}}, {{lia|10|c0927|927|397}}.
|-
|Borde (Charles), ||{{lia|1|c0064|64|60}}, {{lia|3|c0252|252-253|160}}, {{lia|6|c0547|547|264}}, {{lia|9|c0823|823|385}}.
|-
|Borel, ||{{lia|3|c0254|254|160}}, {{lia|5|c0463|463|226}}.
|-
|Boucher, ||{{lia|3|c0242|242 à 246|157}} ; {{lia|3|c0247|247 à 251|159}}.
|-
|Boussiron (M<sup>me</sup> de), ||{{lia|1|c0052|52|50}}.
|-
|}
<references/> |
Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/A. Guérisons suivant les variétés de délire. | Honoré Aubanel, Ange-Marie Thore Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre 1841 (p. 121-124). bookRecherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de BicêtreHonoré Aubanel, Ange-Marie Thore1841VAubanel - Thore - Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre.djvuAubanel - Thore - Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre.djvu/1121-124 A.Plusieurs autres considérations se rattachent à ce chapitre : ainsi, tous les genres de folie ne présentent pas le même degré de curabilité ; il importe de faire connaître la proportion que chaque forme fournit dans le chiffre des guérisons. Ensuite nous verrons si les mois et les saisons exercent quelque influence sur cette heureuse terminaison : nous ferons aussi connaître l’âge auquel correspond le plus grand nombre de malades guéris, ainsi que l’état civil de chacun d’eux ; et si nous négligeons les professions, c’est que nous ne pensons pas qu’elles nous eussent amenés à quelque résultat significatif. Voici le tableau de 243 malades guéris en 1839 ; il donne la proportion pour chaque mois et pour chaque variété de délire. Examinant d’abord le degré de curabilité de chaque espèce d’aliénation, nous voyons sur ce tableau que la moitié et plus des malades guéris appartiennent à la manie ; ensuite vient la monomanie, qui fournit aussi beaucoup de guérisons. Quant à la démence, que nous croyons incurable, ainsi que l’imbécillité et l’épilepsie, les guérisons qu’elles semblent avoir fournies appartiennent à des malades qui n’ont subi qu’une amélioration passagère. Les guérisons qui ont eu lieu de 1831 à 1838 présentaient les formes d’aliénation suivantes : Toutes les statistiques n’indiquent pas pour les guérisons le nombre relatif de chaque variété de délire, et nous n’en avons trouvé que cinq qui en aient fait mention. Le résultat est toujours le même à l’égard de la manie, et certainement il nous est permis de conclure qu’elle est de toutes les formes de l’aliénation celle qui offre le plus de chances de guérison. La monomanie viendrait en seconde ligne ; cependant, sur la statistique de M. Bonacossa, elle se trouve au premier rang, ce qui peut venir de ce qu’il donne une plus grande extension à cette dénomination ; cette même raison nous explique pourquoi, à Charenton, il y a eu sur le chiffre des malades guéris beaucoup plus de monomaniaques que sur nos relevés. |
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/183 |
Reste l’équation (6) ; les termes du degré 0 nous donnent
{{c|<math>
d\left(\mathrm{S}_{0.0} + \mathrm{S}_{0.1} + \mathrm{S}_{0.2} + \ldots \right) = 0,
{{SA|en remarquant que, les <math>\eta_i^0</math> étant des constantes, <math>d\eta_i^0</math> est nul. Il
suffit, pour satisfaire à cette équation, de supposer que les <math>\mathrm{S}_{0.q}</math> sont
des constantes.}}
Les termes de degré 1 nous donnent
{{c|<math>
d\left(\mathrm{S}_{1.0} + \mathrm{S}_{1.1} + \mathrm{S}_{1.2} + \ldots \right) =
{\textstyle\sum}\, \xi_i^0\, d\eta_i^1 - {\textstyle\sum}\,d\xi_i^{1.0}\, \eta_i^0 .
Il suffit, pour y satisfaire, de supposer
{{c|<math> \mathrm{S}_{1.q} = {\textstyle\sum}\left(
\xi_i^{0.1} \eta_i^{1.q-1} +
\xi_i^{0.2} \eta_i^{1.q-2} + \ldots +
\xi_i^{0.q} \eta_i^{1.0} \right) - {\textstyle\sum}\,\left(\xi_i^{1.0} \eta_i^{0.q}\right).
Les termes de degré 0 et 1 n’engendreront donc pas de difficultés,
ainsi qu’on aurait pu le craindre.
{{T4|'''Problème du {{lia|Chap.11|par134|{{n°|{{t|134|112}}}}|62}}.'''|mb=1.0em|mt=1.5em}}
'''{{Ancre+|par161|161.}}'''{{iv|0.25em}}La même méthode est évidemment applicable au problème
du {{n°|{{t|134|112}}}}. Reprenons les notations du {{n°|{{t|151|112}}}}.
Reprenons les {{lia|Chap.15|Eq.158-1|équations{{lié}}(1)|171}} à (6) du {{n°|{{t|158|112}}}}, en convenant que
les signes <math>{\textstyle\sum}</math> porteront non seulement sur tous les <math>x_i</math> (ou sur tous
les <math>y_i,</math> ou sur tous les {{nobr|<math>w_i,</math> etc.),}} mais à la fois sur les <math>s_i</math> et les <math>x_i'</math> (ou
sur les <math>y_i</math> et les <math>y_i',</math> ou sur les <math>w_i</math> et les {{nobr|<math>w_i',</math> etc.).}}
On verrait alors, comme au {{n°|{{t|158|112}}}}, que les' équations{{lié}}(2) sont
des conséquences des équations{{lié}}(1), (3), (4) et{{lié}}(6). Nous conserverons
donc les équations{{lié}}(4), (6) et{{lié}}(1{{lié}}''bis'') qui vont nous servir
à la détermination de nos inconnues.
Nous allons, comme au {{n°|{{t|158|112}}}}, remplacer dans ces diverses
équations les <math>x_i,</math> les <math>y_i,</math> les <math>n_i</math> et <math>\mathrm{S}</math> par leurs développements suivant
les puissances de <math>\mu</math> et égaler ensuite dans les deux membres
les coefficients des puissances semblables de <math>\mu.</math>
Mais les équations ainsi obtenues ne sont pas les seules dont
j’aurai à faire usage : je me servirai également de celles que l’on en
déduit en égalant dans les deux membres les valeurs moyennes
prises par rapport aux <math>w_k</math> seulement (et non par rapport {{nobr|aux <math>w_k'</math>)}}
Soit <math>\mathrm{U}</math> une fonction quelconque périodique par rapport aux <math>w</math>
<references/> |
Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/311 |
Et l’on recommença le passage, qui parut encore
plus faux que la première fois. Dalayrac s’élança vers
le second violon, lui arracha l’instrument des mains, et
se mettant à jouer le trait comme il l’avait composé :
— Tenez, Monsieur, voilà ce qu’il y a, et cela ne
ressemble guère à ce que vous venez de jouer.
— C’est ce que vous venez de jouer qui ne ressemble pas
à ce qui est écrit, dit l’amateur exaspéré ; voyez plutôt.
Et il passa sa partie à Dalayrac, qui ne fit qu’y
jeter un coup d œil, et s’écria avec colère :
— Là ! j’en étais sûr ! ils n’ont pas corrigé la seconde épreuve.
— Eh ! qu’en savez-vous ? dit l’amateur triomphant.
L’auteur, près de se trahir, demeura muet ; mais
Langlé, confident discret jusqu’alors de l’innocente
supercherie de son élève, se crut dispensé de garder
plus longtemps un secret qu’on était sur le point de
pénétrer.
— Il en sait très-long sur ce sujet, Messieurs, leur
dit-il, car c’est lui qui est l’auteur de tous les morceaux publiés sous le même nom que celui-ci.
Ce furent alors des exclamations et des éloges à perte
de vue. Dalayrac ne pouvait suffire à toutes les louanges et toutes les félicitations qu’il recevait. Il fut forcé
de se mettre au pupitre et de concourir à l’exécution de
tout son répertoire, qu’on voulut passer en revue le
soir même, et à chaque morceau c’était un nouveau
concert d’éloges et de bravos.
Cette petite aventure eut du retentissement, et {{tiret|Da|layrac}}
<references/> |
Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/307 |
{{M.|Savalette}} de Lange donnait de fort beaux concerts dans son hôtel. Dalayrac s’y montrait très-assidu.
C’est là qu’il rencontra Langlé pour la première fois,
et il lui fut présenté par le maître du logis, comme
un jeune amateur passionné pour la musique. Langlé
accueillit parfaitement le jeune officier, et Dalayrac
employa tous ses moyens de séduction pour captiver
les bonnes grâces de celui dont il ambitionnait la
faveur, il y réussit parfaitement. Langlé était spirituel et homme de bonne compagnie ; il fut enchanté
des manières aimables et aisées du jeune garde du
corps, et surtout de son enthousiasme pour la musique.
Une espèce d’intimité s’était déjà établie entre eux,
et Dalayrac n’avait pas encore osé faire la confidence
de l’objet de ses désirs. Un soir il prit, comme on dit
vulgairement, son courage à deux mains, et aborda
la grande question.
— Monsieur Langlé, lui dit-il tout d’un coup,
pour qui me prenez-vous ?
— Moi, Monsieur le chevalier ? mais je vous prends
pour un jeune seigneur fort spirituel et fort aimable,
cultivant la musique pour son plaisir, ce qui est le
plus agréable délassement pour un homme de votre
condition et de votre fortune.
— Et bien ! Monsieur, vous êtes dans une erreur
complète. Tel que vous me voyez, je suis pauvre
comme Job ; quoique l’aîné de ma famille, je suis
moins à mon aise que le plus mince cadet, car je n’ai
au monde que mes appointements de six cents livres
et une pension de pareille somme. Mon père a fait de
<references/> |
Le dernier des Trencavels 3 Reboul Henri.djvu/147 | {{nr|138|LE DERNIER|}}caverne produire les mêmes merveilles
qu’on ne saurait obtenir ailleurs sans l’invocation
des saints, l’attouchement des reliques
et l’intervention des hommes de
Dieu.
Guiraud de Salivo{{Refl|Livre 23 note 8|num=(8)}}, procureur de la
milice des templiers de la vallée, était alors
à l’hospice. Instruit par son confrère, il
accueillit l’évêque de Toulouse avec tous
les égards dûs à son rang, feignit de ne
pas voir le moine de Citeaux, s’inclina
profondément devant Cécile, et, en se
relevant, ne put regarder sans quelque
trouble ce visage charmant, coloré par
la pudeur. Il offrit à Foulques de lui
servir de guide, et le conduisit au monastère
de {{Corr|Ste|{{Ste}}}}.-Marie, sous le couvert que
forment à la rive gauche du Bastan les
branchages entrelacés des peupliers et des
ormes.
Guiraud fit avertir l’abbesse, lui présenta
l’évêque et sa fille, et se retira avec
son confrère et le moine, non sans jeter
un regard curieux sur la silencieuse Cécile.
<references/> |
De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication/Tome I/11 | Charles Darwin De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication (The Variation of Animals and Plants under Domestication) Traduction par Jean-Jacques Moulinié. C. Reinwald, 1868 (Vol. 1, p. 396-437). bookDe la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication (The Variation of Animals and Plants under Domestication)Charles DarwinJean-Jacques MouliniéC. Reinwald1868ParisTVol. 1Darwin - De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication, tome 1, 1868.pdfDarwin - De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication, tome 1, 1868.pdf/3396-437 Variations par bourgeon dans les Pêchers, Pruniers, Cerisiers, Vigne, Groseillers et Bananiers, manifestées par les modifications du fruit. — Fleurs ; Camellias, Azaleas, Chrysanthemums, Roses, etc. — Altération des couleurs chez les Œillets. — Variations par bourgeon dans les feuilles. — Variations par drageons, tubercules et bulbes. — Bigarrage des Tulipes. — Passage des variations par bourgeons à des modifications résultant de changements dans les conditions extérieures. — Cytisus Adami ; son origine et ses transformations. — Réunion de deux embryons différents dans une même graine. — L’orange trifaciale. — Retour par bourgeons dans les hybrides. — Production de bourgeons modifiés par la greffe d’une variété ou d’une espèce sur une autre. — Action immédiate d’un pollen étranger sur la plante fécondée. — Effets d’une première fécondation sur la progéniture ultérieure des femelles d’animaux. — Conclusion et Résumé. Je consacrerai ce chapitre principalement à l’étude des faits de variation par bourgeons qui, sous plusieurs rapports, ont une certaine importance. Je comprends sous cette expression, tous les brusques changements de structure et d’aspect qui apparaissent occasionnellement sur les bourgeons foliifères ou floraux des plantes adultes. La différence entre la reproduction par semences ou par bourgeons n’est pas si considérable qu’elle peut le paraître d’abord ; car dans un sens le bourgeon est un individu nouveau et distinct, produit sans le concours d’un appareil spécial, tandis que les graines fertiles nécessitent pour leur formation le concours de deux éléments sexuels. Les modifications qui doivent leur origine à une variation de bourgeons, se propagent en général par greffes, boutures, bulbes, etc., quelquefois même par graine. Quelques-unes de nos productions les plus utiles et les plus belles sont nées de variations de bourgeons. On ne les a encore observées que dans le règne végétal ; mais il est probable que si les animaux composés, tels que les coraux, etc., eussent été soumis à l’influence d’une domestication prolongée, ils eussent également varié par bourgeons ; car, sous beaucoup de rapports, ils ressemblent aux plantes. Ainsi tout caractère nouveau ou particulier, chez un animal composé, peut se propager par bourgeonnement, comme cela arrive chez les Hydres de diverses couleurs, et comme M. Gosse l’a démontré, sur une variété singulière de vrai corail. On a aussi greffé des variétés de l’Hydre sur d’autres, et elles ont conservé leurs caractères. Après avoir exposé les cas de variations par bourgeons que j’ai pu recueillir, je discuterai leur importance. Ces cas prouvent que les auteurs qui, comme Pallas, attribuent toute variabilité au croisement soit de races distinctes, soit d’individus un peu différents entre eux, mais appartenant à la même race, sont dans l’erreur ainsi que ceux qui l’attribuent au fait unique de l’union sexuelle. Le principe du retour à des caractères perdus n’explique pas, dans tous les cas, l’apparition de caractères nouveaux par variation de bourgeons, et les faits qui vont suivre permettront de juger de l’influence que les conditions extérieures peuvent exercer sur chaque variation particulière. Pêchers (Amygdalus Persica). — J’ai signalé, dans le chapitre précédent, deux cas de pêcher-amandier et d’un amandier à fleurs doubles, qui avaient subitement produit des fruits ressemblant à de vraies pêches. J’ai aussi rappelé quelques cas de pêchers ayant produit des bourgeons, qui, développés en rameaux, avaient donné des pêches lisses ; et nous avons vu que six variétés distinctes de pêcher, et quelques autres non dénommées, ont de la même manière, produit plusieurs variétés de pêches lisses. J’ai montré l’improbabilité que ces pêchers, dont quelques-uns sont d’anciennes variétés, qui ont été cultivées par millions, soient des métis de pêcher vrai et du lisse ; et qu’on ne peut attribuer cette production occasionnelle de pêches lisses à l’action directe d’un pollen provenant de quelque pêcher voisin de cette variété. Quelques cas sont fort remarquables, parce que, 1o, le fruit ainsi produit a été quelquefois partie pêche proprement dite et partie pêche lisse ; 2o, parce qu’il a pu se reproduire de graine ; et 3o, parce qu’on peut produire des pêches lisses aussi bien par la graine du pêcher proprement dit que par ses bourgeons. La graine de la pêche lisse, par contre, donne quelquefois des pêches, et nous avons vu un cas où un pêcher lisse a donné de vraies pêches par variation de bourgeons. La pêche étant certainement la variation la plus ancienne ou primaire, la production de pêches vraies par le pêcher lisse, tant par graine que par bourgeons, doit être considérée comme un cas de retour. Sur certains arbres qu’on a décrits comme portant indistinctement les deux sortes de pêches, il y a eu probablement une variation de bourgeons poussée à un degré extrême. La pêche grosse mignonne de Montreuil a produit de cette manière sur une branche, la grosse mignonne tardive, une variété aussi excellente que la première, mais qui mûrit quinze jours plus tard. Cette même pêche a aussi produit par variation de bourgeons la grosse mignonne précoce. La grosse pêche lisse fauve de Hunt est provenue également de la petite fauve de Hunt, mais non par reproduction séminale. Pruniers. — M. Knight rapporte qu’un prunier de la variété magnum bonum jaune, qui avait toujours donné son fruit ordinaire, poussa à l’âge de quarante ans, une branche portant des prunes rouges. M. Rivers m’apprend que, sur environ cinq cents arbres de la variété « Early Prolific » (Prolifique précoce) du prunier, qui descend d’une ancienne variété française à fruit pourpre, un seul a produit à l’âge de dix ans des prunes d’un jaune vif, qui ne différaient que par la couleur de celles des autres arbres de la même variété, mais ne ressemblaient à aucune des prunes jaunes connues. Cerisiers (Prunus cerasus). — M. Knight a observé un cas d’une branche d’un cerisier « May Duke, » qui quoique n’ayant jamais été greffée, donnait toujours des fruits plus oblongs, et d’une maturation plus tardive que ceux des autres branches. On a aussi constaté en Écosse sur deux cerisiers de la même variété, la présence de branches portant de fort beaux fruits oblongs, qui arrivaient invariablement, comme dans le cas précédent, à maturité quinze jours plus tard que les autres cerises. Raisins. (Vitis vinifera). — Le Frontignan noir a dans un cas produit pendant deux années consécutives (et sans doute d’une manière permanente), des pousses portant des Frontignans blancs. Dans un autre cas, sur la même grappe, les baies inférieures furent noires, celles près du pédoncule blanches, excepté une noire et une bigarrée ; ensemble quinze baies noires et douze blanches. Dans une autre variété, on a observé sur la même grappe des baies noires et des baies ambrées. Le comte Odart a décrit une variété qui porte souvent sur la même grappe de petites baies arrondies et d’autres plus grandes et oblongues ; la forme de la baie est cependant généralement un caractère fixe. Voici encore un cas frappant que je donne d’après M. Carrière ; une souche de Hambourg noir (Frankenthal) après avoir été coupée, poussa trois rejetons, dont l’un ayant été marcotté, produisit plus tard des raisins beaucoup plus petits, et qui atteignaient leur maturité quinze jours plus tôt que les autres. Des deux autres rejetons, l’un donna chaque année de beaux raisins, et l’autre en produisit beaucoup, mais de qualité inférieure, et ne mûrissant que difficilement. Groseilliers épineux (Ribes grossularia). — Le Dr Lindley a signalé un cas remarquable d’un buisson qui portait à la fois quatre sortes de baies, — rouges et velues, — lisses, petites et rouges, — vertes, — et jaunes teintées de chamois. Ces deux dernières avaient les graines rouges, et une saveur différente de celle des baies de cette couleur. De trois rameaux qui poussaient près les uns des autres sur ce buisson, le premier portait trois baies jaunes et une rouge, le second quatre jaunes et une rouge, le troisième quatre rouges et une jaune. M. Laxton m’apprend aussi qu’il a eu occasion de voir un groseillier rouge « Warrington » qui portait sur la même branche des fruits rouges et des jaunes. Groseillier à grappes (Ribes rubrum). — Un groseillier Champagne, variété qui porte un fruit pâle intermédiaire entre le rouge et le blanc, a, pendant quatorze ans, produit, soit sur des branches différentes, soit sur la même, des fruits rouges, blancs et champagnes. On pourrait soupçonner que cette variété provienne d’un croisement entre une variété rouge et une blanche, auquel cas la transformation que nous venons de voir, s’expliquerait par un retour vers les deux formes parentes, mais le cas compliqué du groseillier épineux qui précède rend cette supposition douteuse. On a observé en France un groseillier à grappes rouges, âgé de dix ans, dont une branche portait à son sommet cinq baies blanches, et plus bas, parmi des rouges, une unique baie moitié blanche et moitié rouge. Alexandre Braun a aussi souvent vu des branches de groseilliers blancs portant des groseilles rouges. Poiriers (Pyrus communis). — D’après Dureau de la Malle, les fleurs de quelques poiriers d’une ancienne variété, dite doyenné galeux, ayant péri par le gel, d’autres fleurs poussèrent en juillet et produisirent six poires qui, par leur goût et la nature de la peau ressemblèrent exactement au fruit d’une variété fort distincte, le gros doyenné blanc, et aux poires bon-chrétien par la forme ; on n’a pas vérifié si cette nouvelle variété pouvait se propager par greffe ou bouture. Le même auteur ayant enté un bon-chrétien sur un coignassier, la greffe produisit, outre son fruit ordinaire, une variété d’apparence nouvelle, d’une forme particulière, et ayant une peau épaisse et rugueuse. Pommiers (Pyrus malus). — Un arbre de la variété « Pound Sweet, » au Canada, produisit entre deux de ses fruits habituels, une pomme bien rousse, petite, d’une forme différente et à pédoncule très-court. Aucun pommier à fruits de cette couleur ne croissant dans les environs, on ne peut attribuer le fait à l’action immédiate d’un pollen étranger. Je donnerai plus loin des cas de pommiers produisant régulièrement deux formes différentes de fruits, ou des fruits mixtes, c’est-à-dire moitié l’un moitié l’autre ; on suppose généralement, et probablement avec raison, que ces arbres sont le résultat d’un croisement, à la suite duquel leurs fruits font retour aux formes parentes. Bananes (Musa sapientium). — Sir R. Schomburgk a observé à Saint-Domingue un racème de la figue banane qui portait vers la base cent vingt-cinq fruits normaux, auxquels succédaient plus haut, comme d’habitude, des fleurs stériles, puis quatre cent vingt fruits d’aspect fort différent, et mûrissant plus tôt que le fruit habituel. Ces fruits anormaux ressemblaient beaucoup, sauf leurs dimensions plus petites, à ceux de la Musa Chinensis ou Cavendishii, qu’on considère généralement comme étant une espèce distincte. FLEURS. On connaît beaucoup de cas de plantes entières, ou simplement de branches isolées ou de bourgeons ayant subitement produit des fleurs différant du type ordinaire, par la couleur, la forme, la grosseur, et d’autres caractères. Le changement de coloration peut porter sur une demi ou même sur une fraction moindre de la fleur. Camellia. — L’espèce à feuilles de myrte (C. myrtifolia), et deux ou trois variétés de l’espèce commune, ont quelquefois produit des fleurs hexagonales et imparfaitement quadrangulaires, et on a pu propager par greffe des branches portant de pareilles fleurs. La variété Pompone porte souvent quatre sortes de fleurs distinctes : les blanches pures et les tachées de rouge qui apparaissent mélangées ; les roses mouchetées et les roses qu’on peut conserver distinctes assez sûrement en greffant les rameaux qui les portent. Dans un vieil arbre de la variété rose, on a observé l’exemple d’une branche qui a fait retour à la couleur blanche pure, ce qui est moins fréquent que le cas inverse. Cratægus oxyacantha. — Une aubépine d’un rose foncé a produit une touffe unique de fleurs blanches pures, et M. A. Clapham, pépiniériste de Bradford, m’apprend que son père avait eu une aubépine incarnat foncé, greffée sur une aubépine blanche, qui pendant plusieurs années donna toujours, passablement au-dessus de la greffe, des bouquets de fleurs blanches, roses, et d’un rouge cramoisi intense. L’Azalea indica produit souvent de nouvelles variétés par bourgeons, et j’en ai moi-même observé plusieurs cas. On a exposé une plante d’Azalea Indica variegata, qui portait une touffe de fleurs de l’Azalea I. Gledstanesii aussi exacte que possible, montrant ainsi avec évidence l’origine de cette belle variété. Une plante d’A. Ind. variegata a, dans un autre cas, produit une fleur parfaite d’A. Ind. lateritia, de sorte que les deux variétés Gledstanesii et lateritia ont sans aucun doute dû surgir comme variations subites de l’A. Ind. variegata. Cistus tricuspis. — Une de ces plantes, levée de graine, produisit après quelques années à Saharunpore, quelques branches portant des feuilles et des fleurs très-différentes de la forme normale. La feuille anormale est moins divisée et point acuminée. Les pétales sont plus grands et entiers, et à l’état frais on remarque sur la partie postérieure de chaque segment du calice, une grosse glande oblongue pleine d’une sécrétion visqueuse. Althæa rosea. — Une rose-trémière jaune double changea subitement et devint blanche et simple, mais ultérieurement une branche, portant les fleurs jaunes et doubles primitives, reparut parmi les blanches simples. Pelargonium. — Ces plantes semblent tout particulièrement susceptibles de variations par bourgeons, je vais en donner quelques exemples frappants. Gartner a observé sur une plante du P. zonale, une branche à feuilles bordées de blanc, qui resta constante pendant des années, et portait des fleurs d’un rouge plus foncé qu’à l’ordinaire. En général, ces branches ne présentent que peu ou point de différences quant aux fleurs ; ainsi le jet principal d’une plante du P. zonale ayant été pincé, il poussa trois branches qui différaient par la grandeur et la couleur des feuilles, mais les fleurs furent identiques dans les trois, un peu plus grandes dans la variété à tiges vertes, plus petites dans celle à feuillage panaché ; ces trois variétés ont été propagées depuis et répandues. On a observé sur une variété nommée compactum, dont les fleurs sont d’un rouge orangé vif, des branches ou même des plantes entières portant des fleurs roses. La variété rouge pâle « Hill’s Hector » a produit une branche portant des fleurs lilas, et quelques touffes contenant des fleurs lilas et des fleurs rouges ; cette variété provenant du semis de la graine d’une variété lilas, il y a eu là probablement un cas de retour. De tous les Pélargoniums, la variété « Rollisson’s Unique » paraît être la plus capricieuse ; son origine n’est pas bien connue, et on la regarde comme étant le résultat d’un croisement. M. Salter d’Hammersmith, assure qu’il a vu cette variété pourpre produire les variétés lilas, rose-incarnat ou conspicuum, et rouge ou coccineum ; cette dernière a aussi donné la rose d’amour ; de sorte que quatre variétés doivent ensemble leur origine à des variations par bourgeons de la seule Rollisson’s Unique. L’auteur fait remarquer que, bien qu’elles donnent encore quelquefois des fleurs de la couleur originelle, on peut regarder ces variétés comme fixes. La variété coccineum a « cette année fourni des fleurs de trois différentes couleurs, rouges, roses et lilas sur une même touffe, et des fleurs moitié rouges, moitié lilas sur d’autres. » Outre ces quatre variétés, on connaît deux autres « Uniques » écarlates, qui toutes deux produisent parfois des fleurs lilas, identiques à celles de la Rollisson ; et dont l’une n’ayant pas pris naissance par variation de bourgeons, est regardée comme probablement le résultat du semis de graine de la Rollisson’s Unique. Il existe encore dans le commerce deux autres variétés de ce nom peu différentes, d’origine inconnue, de sorte que cette plante nous offre un cas complexe de variation tant par bourgeons que par graine. Une plante sauvage anglaise, le Geranium pratense, a produit, cultivée dans un jardin, et sur la même plante, des fleurs tant bleues que blanches, et d’autres rayées de bleu et de blanc. Chrysanthemum. — Cette plante offre souvent des variations soudaines, soit par ses branches latérales soit aussi par drageons. Une plante levée de graine par M. Salter, a produit par variation de bourgeons six variétés distinctes, dont cinq différant par la couleur, et une par le feuillage, et qui sont actuellement fixes. Les variétés importées de Chine furent d’abord si excessivement variables, qu’il aurait été difficile de déterminer quelle avait dû être leur couleur originelle. Une même plante pouvait une année ne donner que des fleurs couleur chamois, et l’année suivante des fleurs roses ; puis ensuite changer encore, ou donner à la fois des fleurs des deux couleurs. Ces variétés flottantes sont maintenant perdues, et lorsqu’une branche offre quelque variété nouvelle, on peut généralement la conserver et la propager ; mais d’après l’observation de M. Salter, il faut essayer chaque variété dans divers sols avant de pouvoir la considérer comme fixe, car on en a vu revenir en arrière dans des sols richement fumés ; mais une fois les épreuves faites avec tous les soins et le temps nécessaires, on risque peu d’avoir des mécomptes. M. Salter m’apprend que, dans toutes les variétés, la variation par bourgeons la plus fréquente, est celle qui produit des fleurs jaunes, laquelle étant précisément la couleur primitive, doit être attribuée à un effet de retour. M. Salter m’a communiqué une liste de sept Chrysanthèmes de couleurs différentes, ayant tous produit des branches à fleurs jaunes ; trois d’entre eux ont donné aussi des fleurs d’autres couleurs. Lorsqu’il y a changement de coloration de la fleur, le feuillage change généralement d’une manière correspondante en clair ou foncé. Une autre composée, la Centauria cyanus, cultivée en jardin, produit assez souvent sur le même tronc des fleurs de quatre différentes couleurs, bleues, blanches, pourpres et bicolores. Les fleurs d’Anthémis varient aussi sur la même plante. Roses. — On attribue à la variation par bourgeons l’origine d’un grand nombre de variétés de la rose. La rose mousseuse double fut importée en 1735 d’Italie en Angleterre. Son origine est inconnue, mais on peut, par analogie, admettre qu’elle a probablement dû provenir par variation de bourgeons de la rose de Provence (R. centifolia) ; car on sait que des branches de la rose mousse commune ont plusieurs fois produit des roses de Provence, entièrement ou partiellement dépourvues de mousse, cas dont a consigné quelques exemples. M. Rivers m’informe aussi qu’il a obtenu quelques roses du groupe des roses de Provence, de la graine de l’ancienne rose mousseuse simple, qui elle-même fut produite en 1807 par variation de bourgeons de la rose mousseuse ordinaire. La rose mousseuse blanche a aussi été obtenue en 1788 par un rejeton de la rose mousseuse rouge commune ; elle fut d’abord pâle et rougeâtre, et devint par la suite blanche. Les jets qui avaient produit cette rose blanche ayant été coupés, deux rejets faibles poussèrent, dont les bourgeons donnèrent la magnifique rose mousseuse rayée. La rose mousseuse commune a produit par variation de bourgeons, outre l’ancienne rose mousseuse simple rouge, l’ancienne rose mousseuse demi-double écarlate, et celle à feuilles de sauge, qui est d’un beau rose pâle, et a une forme de coquille très-délicate ; elle est maintenant (1852) presque éteinte. On a vu une rose mousseuse blanche porter une fleur moitié blanche et moitié rose. Bien que quelques roses mousseuses doivent certainement, comme nous venons de le voir, leur origine à une variation de bourgeons, la plupart ont dû probablement provenir de graine. M. Rivers, en effet, m’apprend que ses semis de l’ancienne rose mousseuse simple lui ont presque toujours donné des roses de même nature ; or, nous l’avons déjà dit, l’ancienne rose mousseuse simple a été le résultat d’une variation de bourgeons de la rose mousseuse double importée d’Italie ; et il est probable que la rose mousseuse primitive est elle-même le produit d’une variation de bourgeons, d’après les faits que nous avons indiqués, et surtout d’après celui de l’apparition de la rose mousseuse de Meaux (aussi une variété de la R. centifolia), sur un rameau de la rose commune du même nom. Le professeur Caspary a décrit avec soin un cas d’une rose mousseuse blanche âgée de six ans, qui poussa plusieurs rejetons, dont l’un, épineux, produisit des fleurs rouges, dépourvues de mousse, et semblables à la rose de Provence (R. centifolia) ; un autre rejeton produisit des fleurs des deux sortes, plus quelques autres rayées longitudinalement. Cette rose mousseuse ayant été greffée sur un rosier de Provence, le professeur Caspary attribue ces changements à une influence de la souche ; mais tant d’après les faits précédents que d’après d’autres que nous donnerons par la suite, ils sont suffisamment expliqués par la variation par bourgeons, avec retour. On pourrait ajouter encore bien des cas de roses variant par bourgeons. La rose blanche de Provence est née de cette manière. On a vu la rose Belladone double, si richement colorée, donner naissance par rejetons à des roses blanches demi-doubles, ou même presque simples, tandis que des drageons de ces roses blanches demi-doubles sont revenus au véritable type des Belladones. Des variétés de la rose de Chine qu’on propage par boutures à Saint-Domingue, font retour, après un an ou deux, à l’ancienne rose de Chine. On a enregistré beaucoup de cas de roses devenant soudainement rayées, ou changeant partiellement de couleur ; ainsi quelques plantes de la « Comtesse de Chabrillant », qui est normalement rose, exposées en 1862, présentaient des taches écarlates sur un fond rose. J’ai vu la « Beauty of Billiard » avec un quart ou la moitié de la fleur blanche. La ronce autrichienne (R. lutea), produit fréquemment des branches portant des fleurs d’un jaune pur ; et le professeur Henslow a eu l’occasion d’en voir une fleur dont la moitié était jaune ; j’ai moi-même vu un pétale unique rayé de lignes jaunes très-étroites sur un fond cuivré ordinaire. Les cas suivants sont très-remarquables. M. Rivers possédait une rose française nouvelle à tiges lisses et délicates, à feuilles d’un vert glauque pâle, et à fleurs demi-doubles de couleur chair pâle striées de rouge foncé ; à plusieurs reprises il vit apparaître sur les branches de ce rosier, et subitement, une ancienne rose célèbre connue sous le nom de la « Baronne Prevost, » à rameaux épineux et forts, et à fleurs doubles très-grandes, et d’une couleur riche et uniforme ; dans ce cas donc, les tiges, feuilles, et fleurs ont toutes à la fois changé de caractères par variation de bourgeons. D’après M. Verlot, la variété Rosa cannabifolia dont les folioles ont une forme particulière, et qui diffère du reste de tous les autres membres de la famille, en ce que chez elle ses feuilles sont opposées au lieu d’être alternes, a apparu subitement dans le jardin du Luxembourg, sur une plante de R. alba. Enfin M. H. Curtis ayant greffé un rejeton de l’ancienne « Aimée Vibert Noisette, » sur la variété « Celine, » obtint une Aimée Vibert grimpante, qui fut ensuite propagée. Dianthus. — On voit très-fréquemment chez le D. Barbatus, des fleurs de couleurs différentes sur le même pied, et j’en ai observé sur la même touffe de quatre couleurs et nuances diverses. Les œillets (D. caryophyllus, etc.) varient occasionnellement par marcottes ; et quelques formes sont si peu constantes par leurs caractères, que les horticulteurs les appellent des « attrapes. » M. Dickson qui a fort bien discuté la confusion des teintes qui a souvent lieu chez les œillets rayés ou tachetés, dit qu’on ne saurait l’expliquer par le sol où elles croissent, car des marcottes de la même plante peuvent donner des fleurs altérées, et d’autres qui ne le sont pas, même lorsque toutes sont traitées d’une manière semblable ; une fleur seule peut souvent se trouver ainsi dégénérée, toutes les autres étant intactes. Il y a là apparemment un cas de retour par bourgeons à la teinte primitivement uniforme de l’espèce. Je mentionnerai encore quelques exemples de variation par bourgeons, pour montrer combien dans tous les ordres, il y a de plantes qui ont varié par leurs fleurs. J’ai vu sur une même plante de muflier, (Antirrhinum majus), des fleurs blanches, roses, et rayées, et chez une variété rouge, des branches portant des fleurs rayées. Sur une giroflée double (Matthiola incana), j’ai vu une branche portant des fleurs simples ; et sur une variété double pourpre foncé du violier (Cheiracanthus cheiri), une branche dont les fleurs avaient fait retour à la couleur primitive à reflets métalliques. Sur d’autres branches de la même plante, quelques fleurs étaient exactement pourpres et cuivrées par moitié ; mais quelques-uns des petits pétales du centre étaient pourpres et striés en long de raies cuivrées, ou cuivrés et striés de pourpre. On a observé chez un Cyclamen, des fleurs blanches et roses de deux formes, dont l’une ressemblait à la forme Persicum, l’autre à la forme Coum ; on a vu également des fleurs de trois colorations différentes sur l’Œnothera biennis. Le Gladiolus colvillii hybride porte occasionnellement des fleurs de couleur uniforme, et on cite un cas où toutes les fleurs d’une plante avaient ainsi changé de couleur. On a observé aussi deux sortes de fleurs chez un Fuchsia. Le Mirabilis jalapa est extrêmement capricieux, et peut présenter sur un même pied des fleurs rouges, jaunes ou blanches, et d’autres diversement panachées de ces trois couleurs. Il est probable que, ainsi que l’a montré le professeur Lecoq, les plantes de Mirabilis qui produisent des fleurs si extraordinairement variables, doivent leur origine à des croisements entre les variétés de diverses couleurs. Feuilles et tiges. — En traitant des changements causés dans les fleurs et fruits par la variation de bourgeons, nous avons incidemment signalé quelques modifications dans les tiges et les feuilles des Roses et des Cistes, et dans le feuillage des Pélargoniums et Chrysanthèmes. J’ajouterai encore quelques cas de variations dans les bourgeons foliifères. Verlot a constaté que chez l’Aralia trifoliata, dont les feuilles ont normalement trois folioles, il apparaît souvent des branches portant des feuilles simples de diverses formes, qui peuvent se propager par boutures ou par greffes, et qui, d’après cet auteur ont donné naissance à plusieurs espèces nominales. Pour ce qui concerne les arbres, on ne connaît l’histoire que de peu des nombreuses variétés d’arbres d’ornement, ou curieux par leur feuillage, mais il est probable que plusieurs doivent leur origine à la variation par bourgeons. En voici un cas : un vieux frêne (Fraxinus excelsior), raconte M. Mason, a eu, pendant bien des années, une branche ayant un caractère tout différent de toutes celles de l’arbre, ainsi que de tout autre arbre de la même espèce ; elle était court-jointée et couverte d’un feuillage épais. On s’est assuré que la variété pouvait se propager par greffe. Les variétés de quelques arbres à feuilles découpées, tels que le Cytise à feuilles de chêne, la vigne à feuilles de persil, et surtout le hêtre à feuilles de fougère, peuvent revenir par bourgeons à la forme ordinaire. Les feuilles à forme de fougère du hêtre ne reviennent quelquefois que partiellement, et çà et là les branches poussent des rameaux portant des feuilles ordinaires, des feuilles fougères, ou de formes variées. Ces cas diffèrent peu des variétés dites hétérophylles, dans lesquelles l’arbre porte habituellement des feuilles de diverses formes, mais il est probable que la plupart des arbres hétérophylles sont provenus de semis de graine. Il existe une sous-variété de saule pleureur dont les feuilles sont enroulées en spirale, et M. Masters a eu dans son jardin un arbre semblable qui, après avoir gardé ce caractère pendant vingt-cinq ans, poussa tout à coup une tige droite portant des feuilles plates. J’ai souvent remarqué sur des hêtres et quelques autres arbres, des rameaux dont les feuilles étaient complétement étalées, avant que celles des autres branches fussent ouvertes ; et comme rien dans leur exposition ne pouvait rendre compte de cette différence, je présume qu’elle était due à une variation de bourgeons, analogue aux variétés précoces ou tardives des pêchers ordinaires et des pêchers lisses. Les Cryptogames peuvent présenter la variation par bourgeons, car on constate souvent des déviations singulières de structure dans les frondes des fougères. Les spores, qui sont de la nature des bourgeons, provenant de ces frondes anormales, reproduisent avec une constance remarquable la même variété, après avoir passé par la phase sexuelle. En ce qui concerne la couleur, les feuilles peuvent fréquemment, par variation de bourgeons, devenir zonées, tachées ou piquetées de blanc, de jaune et de rouge, ce qui s’observe quelquefois même dans les plantes à l’état de nature. Les panachures apparaissent toutefois plus souvent chez les plantes venues de graine, et même leur cotylédons peuvent être ainsi affectés. Il y a eu des discussions interminables pour savoir si la panachure devait être regardée comme une maladie. Nous verrons plus tard que, tant pour les jeunes plantes levées de graine que pour les adultes, elle est fortement influencée par la nature du sol. Les plantes venant de semis qui sont panachées, transmettent généralement par graine leur caractère à la plus grande partie de leurs descendants ; je dois à M. Salter la liste de huit genres chez lesquels cela est arrivé. Sir F. Pollock m’a fourni quelques renseignements plus précis ; ayant semé la graine d’une Ballola nigra panachée, qu’il avait trouvée sauvage, trente pour cent des plantes levées de ce semis furent panachées, et des graines de celles-ci donnèrent ultérieurement soixante pour cent de produits panachés. Lorsque les branches panachées viennent d’une variation de bourgeons, et qu’on cherche à propager la variété par graine, les produits levés de semis sont rarement panachés. M. Salter a constaté ce fait sur des plantes appartenant à onze genres, et chez lesquelles la majeure partie des jeunes plantes eurent les feuilles vertes ; un petit nombre furent légèrement panachées ou toutes blanches, et ne valaient pas la peine d’être conservées. Que les plantes panachées proviennent de graine ou de bourgeons, elles peuvent généralement se reproduire par bourgeons et greffes, etc. ; mais toutes sont aptes à faire retour par variation de bourgeons au feuillage ordinaire. Cette tendance peut toutefois différer beaucoup dans les variétés d’une même espèce ; ainsi la variété à raies dorées du Euonymus Japonicus, revient facilement à la variété à feuilles vertes, tandis que celle à raies argentées ne change presque jamais. J’ai vu une variété de houx, dont les feuilles avaient une tache jaune centrale, qui était partout, mais partiellement, revenue au feuillage ordinaire, de sorte que chaque branche portait des rameaux de deux sortes. Dans le Pélargonium et quelques autres plantes, la panachure est généralement accompagnée d’un rapetissement, fait dont le Pélargonium « Dandy » est un exemple. Lorsque ces variétés naines retournent par bourgeons ou par rejets au feuillage ordinaire, les nouvelles plantes conservent quelquefois leur petite taille. Il est remarquable que les plantes propagées de branches ayant fait retour du feuillage panaché au feuillage uni, ne ressemblent pas toujours (d’après un observateur, jamais), à la plante primitive à feuillage simple, dont est provenue la branche panachée ; et il semblerait qu’une plante, passant par variation de bourgeons de feuilles unies à feuilles panachées, et revenant de feuilles panachées aux feuilles unies, soit généralement et à quelque degré, affectée de manière à revêtir un aspect un peu différent. Variations de Bourgeons par Drageons, Tubercules et Bulbes. — Les cas que nous avons jusqu’à présent signalés de variations par bourgeons dans les fruits, fleurs, feuilles et tiges, n’ont porté que sur les bourgeons de branches, et ce n’est qu’incidemment que nous avons mentionné la variation de drageons dans les Roses, Pélargoniums et Chrysanthèmes. Je vais maintenant indiquer quelques exemples de variation dans les bourgeons souterrains, c’est-à-dire dans les tubercules et les bulbes, bien qu’il n’y ait aucune différence essentielle entre les bourgeons, qu’ils soient au-dessus ou au-dessous du sol. M. Salter m’apprend que deux variétés panachées de Phlox sont provenues de drageons, et qu’il a en vain essayé de les propager par division de racines, ce qui se fait très-facilement pour le Tussilago farfara panaché ; mais il est possible que cette dernière plante dérive originairement d’un produit de semis panaché, ce qui expliquerait la plus grande fixité de ses caractères. L’épine-vinette (Berberis vulgaris) offre un cas analogue ; il en existe une variété dont le fruit est dépourvu de graines, et qu’on peut propager par boutures ou marcottes, mais les drageons retournent toujours à la forme commune, dont les fruits contiennent des graines ; ces essais ont été souvent répétés par mon père, et toujours avec le même résultat. Pour en venir aux tubercules, dans la pomme de terre commune (Solanum tuberosum), un seul bourgeon ou œil peut varier et produire une nouvelle variété ; ou occasionnellement, et ce qui est bien plus remarquable, tous les yeux d’un tubercule peuvent varier de la même manière et en même temps, de sorte que le tubercule tout entier acquiert un nouveau caractère. Par exemple, un seul œil d’un tubercule de l’ancienne variété pourpre de la Pomme de terre Forty-Fold étant devenu blanc, fut découpé et planté séparément, et donna une variété qui a été depuis largement répandue. Une plante de la pomme de terre Kemp, qui est blanche, produisit une fois, dans le Lancashire, deux tubercules rouges et deux blancs ; les rouges furent propagés à la manière habituelle par yeux et conservèrent leur nouvelle couleur, et la variété, ayant été reconnue plus productive, fut bientôt recherchée et répandue sous le nom de Taylor’s Forty-fold. La variété ancienne, comme nous l’avons dit, était pourpre, mais une plante cultivée depuis longtemps dans le même sol a produit, non pas comme dans le cas précédent, un seul œil blanc, mais un tubercule tout entier de cette couleur, qu’on a depuis propagé et qui est resté constant. On a signalé encore plusieurs cas de fortes portions de rangs entiers de pommes de terre ayant légèrement changé de caractères. Sous l’influence du climat très-chaud de Saint-Domingue, les Dahlias propagés par tubercules varient beaucoup. Sir R. Schomburgk signale le cas de la variété « Papillon », qui, dès la seconde année, portait sur la même plante des fleurs doubles et simples, ici des pétales blanches bordées de marron, à des pétales uniformément marron foncé. M. Bree mentionne aussi une plante qui portait deux sortes de fleurs de couleurs différentes, et une troisième qui réunissait les deux admirablement mélangées. On a encore décrit un Dahlia à fleurs pourpres qui portait une fleur blanche rayée de pourpre. Quoiqu’un grand nombre de plantes bulbeuses aient été cultivées sur une grande échelle et depuis longtemps, et aient produit une grande quantité de variétés de graine, elles n’ont pas varié autant qu’on aurait pu le croire par rejetons, c’est-à-dire par production de nouveaux bulbes. On cite le cas d’une jacinthe bleue qui, pendant trois années consécutives, a donné des rejetons qui ont produit des fleurs blanches à centre rouge. On en a aussi décrit une autre qui portait sur la même grappe une fleur rose et une bleue, toutes deux parfaites. M. John Scott m’informe que, en 1862, un Imatophyllum miniatum poussa, au jardin botanique d’Édimbourg, un drageon différant de la forme normale par ses feuilles, qui étaient à deux rangs au lieu de quatre, plus petites, et avaient leur surface supérieure saillante au lieu d’être creuse. Dans la culture des Tulipes, on lève de semis des plantes dont les fleurs offrent une couleur unique sur fond blanc ou jaune. Celles-ci, cultivées dans un sol sec et peu riche, deviennent panachées ou « se brisent » et produisent de nouvelles variétés ; ce changement peut se faire dans un temps qui varie de un à vingt ans, et n’a quelquefois jamais lieu. Les diverses couleurs ainsi panachées qui font la valeur des tulipes, sont dues à une variation de bourgeons, car, bien que quelques variétés soient sorties de plusieurs plantes de semis distinctes, on dit que tous les « Baguets » sont provenus exclusivement d’une seule. Cette variation de bourgeons est, d’après l’opinion de MM. Vilmorin et Verlot, un commencement de retour vers la couleur uniforme qui est naturelle à l’espèce. Une tulipe peut toutefois, lorsqu’elle a commencé à varier ses couleurs, perdre, par un second acte de retour, sa panachure et s’uniformiser sous l’action d’une fumure trop énergique ; cela arrive surtout à quelques variétés plus facilement qu’à d’autres, par exemple à l’Imperatrix florum. M. Dickson croit qu’on ne peut pas plus expliquer ce fait qu’on ne peut le faire pour les variations d’autres plantes, et pense que les horticulteurs anglais ont quelque peu diminué la tendance qu’ont les fleurs panachées à redevenir unicolores et à perdre leurs caractères, par le fait qu’ils ont eu le soin de choisir de leur graine plutôt que celle des fleurs simples. Pendant deux ans de suite, toutes les fleurs précoces dans une plantation de Tigridia conchiflora ressemblaient à celles de l’ancien T. pavonia ; mais les fleurs tardives reprenaient leur couleur normale d’un beau jaune tacheté de cramoisi. On a signalé un cas qui paraît authentique, de deux formes d’Hemerocallis universellement regardées comme étant spécifiquement distinctes, et qui ont passé de l’une à l’autre, car les racines de l’espèce à grandes fleurs H. fulva, ayant été divisées et plantées dans un sol différent, ont produit la H. flava à petites feuilles jaunes, avec quelques formes intermédiaires. J’en suis à me demander si les cas de cette nature, ainsi que ceux de la décoloration ou du coulage des tulipes et des œillets panachés, — c’est-à-dire leur retour plus ou moins complet vers une teinte uniforme, — doivent être rattachés à la variation par bourgeons, ou réservés pour le chapitre où je traiterai de l’action directe des conditions extérieures sur les êtres organisés ; mais, dans tous les cas, ils ont ceci de commun avec les variations de bourgeons, que les changements s’effectuent par des bourgeons et non par reproduction séminale, avec la différence que dans les cas ordinaires de variation par bourgeons, un seul d’entre eux est affecté, tandis que dans les exemples précédents, tous les bourgeons de la plante sont modifiés à la fois. Nous avons cependant un cas intermédiaire dans celui de la pomme de terre, où les yeux d’un seul tubercule ont ensemble changé de caractère. Je terminerai par quelques faits analogues, qu’on peut regarder comme dus, soit à une variation de bourgeons, soit à l’action directe des conditions extérieures. Lorsqu’on sort l’Hépatique commune de ses bois pour la transplanter dans un jardin, ses fleurs changent de couleur dès la première année. Il est bien connu que lorsqu’on transplante les variétés améliorées de la Pensée (Viola tricolor), elles produisent des fleurs fort différentes par leur forme, leur taille et leur couleur ; ainsi ayant transplanté une grosse variété pourpre foncé d’une nuance uniforme pendant qu’elle était en fleur, elle me donna des fleurs beaucoup plus petites, plus allongées, avec les pétales inférieurs jaunes ; auxquelles succédèrent des fleurs marquées de larges taches pourpres, et finalement, à la fin de l’été, les grandes fleurs pourpres primitives. André Knight regardait comme très-analogues aux variations de bourgeons, les légers changements qu’éprouvent quelques arbres fruitiers, lorsqu’on les greffe sur différentes souches. Nous avons encore le cas de jeunes arbres fruitiers, qui, en vieillissant changent de caractères ; ainsi des poiriers provenant de graine, qui, avec l’âge, perdent leurs épines, et donnent des fruits de meilleur goût. Les bouleaux pleureurs, greffés sur la variété commune, ne deviennent tout à fait pendants que lorsqu’ils sont vieux ; je donnerai plus tard par contre l’exemple de quelques frênes pleureurs, qui ont peu à peu et lentement, acquis un port relevé. On peut comparer ces changements résultant de l’âge à ceux dont nous avons parlé dans le précédent chapitre, et qui ont lieu naturellement dans certains arbres, comme le cèdre du Liban et le Deodora qui, dissemblables dans leur jeunesse, se ressemblent à un âge plus avancé ; et aussi dans quelques chênes, et certaines variétés de tilleul et d’épine. Avant de résumer les variations par bourgeons, je veux discuter quelques cas singuliers et anormaux, qui tiennent de plus ou moins près au même sujet. Je commencerai par le cas du fameux Cytisus Adami, forme métis ou intermédiaire entre deux espèces fort distinctes, les C. laburnum et purpureus. Dans toute l’Europe dans des sols et sous des climats divers, cet arbre a souvent et subitement fait retour par ses feuilles et ses fleurs vers ses deux formes parentes. C’est en effet assez surprenant de voir, mélangées sur le même arbre, des touffes de fleurs rouge foncé, jaunes, et pourpres, portées sur des branches ayant des feuilles et un facies fort différents. La même grappe renferme quelquefois deux sortes de fleurs, et j’ai eu occasion de voir une fleur dont un côté était d’un jaune vif, et l’autre pourpre, de sorte que l’étendard était partagé en deux zones inégales, dont la plus grande était jaune et l’autre pourpre. La corolle était tout entière jaune dans une autre fleur, et la moitié du calice était pourpre ; dans une troisième, un des pétales de l’aile était d’un rouge sombre traversé d’une raie étroite et d’un jaune vif ; et enfin dans une dernière, une des étamines devenue un peu foliacée, était moitié jaune et moitié pourpre, ce qui montre que la tendance au retour peut affecter des organes isolés, et même des parties d’organes. Cet arbre présente la particularité remarquable que, dans son état intermédiaire, même lorsqu’il croît dans le voisinage de ses deux espèces parentes, il est complètement stérile, tandis que quand ses fleurs sont ou d’un jaune ou d’un pourpre pur, elles donnent des graines, et les siliques provenant des fleurs jaunes en produisent beaucoup. Deux plantes levées de cette graine par M. Herbert ont présenté une teinte pourpre sur les pédoncules des fleurs ; mais j’en ai obtenu moi-même qui ressemblaient exactement à l’espèce ordinaire (C. laburnum), à l’exception des grappes qui étaient plus longues, et qui furent tout à fait fertiles. Il est étonnant qu’une telle fécondité et une telle pureté de caractères aient pu être si promptement réacquises dans des plantes provenant d’une forme hybride et stérile. Les branches à fleurs pourpres paraissaient d’abord exactement semblables à celles du C. purpureus, mais en les examinant de plus près, j’ai trouvé qu’elles différaient de l’espèce pure par des tiges plus épaisses, des feuilles plus larges et des fleurs plus petites, à corolle et calice d’une couleur pourpré moins brillante ; la partie basilaire de l’étendard portait aussi une trace de la tache jaune. Les fleurs n’avaient donc pas, dans ce cas, repris leurs caractères exacts, elles n’étaient pas non plus très-fertiles, car plusieurs siliques ne renfermaient pas de graines, quelques-unes en contenaient une, et un très-petit nombre deux ; tandis que sur un C. purpureus pur de mon jardin, les siliques contenaient trois, quatre et même cinq graines. Le pollen était en outre très-imparfait, un grand nombre de ses grains étaient petits et ridés, fait d’autant plus singulier que, sur l’arbre parent aux fleurs rouges et stériles, les grains de pollen étaient en apparence en un bien meilleur état, et il n’y en avait que fort peu de racornis. Quoi qu’il en soit de l’apparence chétive des grains de pollen de la plante à fleurs pourpres, les ovules furent bien formés, et après leur maturation, germèrent facilement. M. Herbert ayant semé des graines de cette plante, obtint des produits ne différant que très-peu du C. purpureus ordinaire, mais ce terme même montre qu’ils n’avaient pas complètement repris leurs caractères propres. Le professeur Caspary a trouvé que les ovules des fleurs rouge foncé et stériles du C. Adami qu’il a examinées sur le continent, étaient généralement monstrueux. J’ai observé le même fait sur trois plantes que j’ai vues en Angleterre, le nucléus variait beaucoup dans sa forme, et faisait irrégulièrement saillie au delà de ses enveloppes. Les grains de pollen, d’autre part, semblaient bons, et projetaient bien leurs tubes polliniques. En comptant sous le microscope le nombre proportionnel de mauvais grains, le professeur Caspary a constaté qu’il n’y en avait que 2,5 pour cent, proportion qui est plus faible qu’elle n’est pour les pollens des trois espèces de cytises cultivées, et qui sont les C. purpureus, laburnum, et alpinus. Malgré la bonne apparence du pollen du C. Adami, les observations de M. Naudin sur les Mirabilis, montrent qu’on ne peut pas en conclure à son efficacité fonctionnelle. Le fait de la monstruosité des ovules du C. Adami, et de l’état sain de son pollen, est d’autant plus remarquable, que c’est l’inverse de ce qui arrive, non-seulement dans les autres hybrides, mais aussi dans deux hybrides du même genre, les C. purpureo-elongatus, et le C. Alpino-laburnum. Dans tous deux, ainsi que le professeur Caspary et moi-même l’avons vu, les ovules étaient bien constitués, tandis que beaucoup de grains de pollen étaient difformes, et la proportion des mauvais se montait à 84,8 pour cent dans le premier hybride, et à 20,3 pour cent dans le second. Le professeur Caspary a invoqué cette condition peu ordinaire des éléments reproducteurs mâles et femelles du C. Adami, comme un argument contre l’opinion que cette plante soit un hybride ordinaire provenant de graine ; mais nous ne devons pas oublier qu’on n’a jamais examiné chez les hybrides aussi attentivement ni aussi souvent les ovules que le pollen, et qu’ils peuvent être plus fréquemment imparfaits qu’on ne le suppose. Le Dr E. Bornet d’Antibes, (par l’entremise de M. J. Traherne Moggridge), m’apprend que dans les hybrides de Cistes, l’ovaire est souvent difforme, que les ovules manquent quelquefois, et que, dans d’autres cas ils ne peuvent être fécondés. On a proposé plusieurs théories pour expliquer l’origine du C. Adami, et les transformations dont il est l’objet. Quelques auteurs les ont attribuées à une simple variation de bourgeons, mais on peut écarter sommairement cette manière de voir, d’après les différences qui existent entre les C. laburnum et purpureus, qui sont deux espèces naturelles, et d’après la stérilité de la forme intermédiaire. Nous verrons bientôt que dans les plantes hybrides, deux embryons différents peuvent se développer dans une même graine et se souder, on a supposé que c’était peut-être l’origine du C. Adami. On sait que lorsqu’on ente sur une plante à feuilles uniformes une plante à feuilles panachées, la première est quelquefois affectée, et plusieurs personnes pensent que c’est ce qui est arrivé au C. Adami. Ainsi M. Purser assure qu’un Cytise ordinaire de son jardin, revêtit graduellement les caractères du C. Adami, après avoir reçu trois greffes de C. purpureus ; mais il faudrait plus de détails et de preuves pour rendre croyable une assertion aussi extraordinaire. Plusieurs auteurs soutiennent que le C. Adami est un hybride, produit de la manière ordinaire par graine, et qui, par bourgeons, a fait retour à ses deux formes mères. Les résultats négatifs ont peu de valeur, il est vrai, mais des essais de croisement des C. laburnum et purpureus, ont été vainement tentés par MM. Reisseck, Caspary et moi ; j’ai cru un moment avoir réussi en fécondant le premier par le pollen du second, car il se forma des siliques, mais treize jours après la chute de la fleur, ils tombèrent aussi. Néanmoins la supposition que le C. Adami soit un hybride provenant des deux espèces susmentionnées, est fortement appuyée par le fait que des hybrides, entre ces espèces et deux autres, ont spontanément pris naissance. Ainsi le métis stérile C. purpureo-elongatus a apparu au milieu d’un semis de la graine de C. elongatus, près duquel croissait un C. purpureus, qui avait probablement fécondé le premier par l’intermédiaire d’insectes, lesquels, comme je le sais par expérience, jouent un grand rôle dans la fécondation du Cytise commun. Ainsi encore, à ce que m’apprend M. Waterer, un hybride, le C. alpino-laburnum, a spontanément surgi d’au milieu d’un semis. Nous avons d’autre part un récit très-clair de M. Adam, qui a élevé la plante, et qui montre qu’elle n’est pas un hybride ordinaire. M. Adam avait, de la manière habituelle, enté sur un C. laburnum, un écusson de l’écorce du C. purpureus ; le bourgeon resta dormant pendant une année, comme cela arrive souvent ; il poussa ensuite plusieurs bourgeons et des jets, dont l’un plus droit, plus vigoureux et à feuilles plus grandes que le C. purpureus, fut propagé. Il faut noter que M. Adam vendit ces plantes avant leur floraison, comme une variété du C. purpureus, et le récit en fut publié par M. Poiteau après la floraison, mais avant qu’elles eussent manifesté leur tendance remarquable à revenir aux formes mères. Il n’y a donc là aucun motif de falsification supposable, et il semble difficile qu’il ait pu y avoir matière à erreur. Si nous acceptons la vérité du récit de M. Adam, il nous faut admettre le fait extraordinaire que deux espèces peuvent se réunir par leur tissu cellulaire, et produire ultérieurement une plante portant des feuilles et des fleurs stériles, intermédiaires entre la greffe et le sujet, et des bourgeons susceptibles de retour ; en un mot ressemblant par tous les points importants, à un hybride formé comme à l’ordinaire par reproduction séminale. Ces plantes, si elles se forment réellement de cette manière, pourraient être nommées des métis par greffe. Je donnerai maintenant tous les faits que j’ai pu recueillir propres à éclairer les théories avancées ci-dessus, non-seulement pour élucider l’origine du C. Adami, mais pour montrer par combien de moyens extraordinaires et complexes une plante peut en affecter une autre. La supposition que les C. laburnum ou purpureus aient l’un ou l’autre produit par variation de bourgeons la forme intermédiaire, peut, comme nous l’avons vu, être immédiatement écartée, par le manque de preuves, par la stérilité de la forme nouvelle, et par les grands changements qu’elle a éprouvés. Cependant des cas comme la brusque apparition de pêches lisses sur des pêchers proprement dits, et de fruits participant à la fois des deux formes, — l’apparition de roses mousseuses sur d’autres rosiers, avec des fleurs divisées en deux, ou rayées de diverses couleurs, — et d’autres cas semblables, sont, quant au résultat, produit, sinon par leur origine, très-analogues à celui du C. Adami. M. G. H. Thwaites, botaniste distingué, a rapporté un cas remarquable d’une graine du Fuchsia coccinea, fécondé par le F. fulgens, qui contenait deux embryons, et constituait ainsi un véritable jumeau végétal. Les deux plantes qui provinrent de ces deux embryons furent fort différentes par leurs caractères et leur aspect, quoique ressemblant à d’autres hybrides de même origine produits en même temps. Ces plantes jumelles étaient adhérentes au-dessous des deux paires de cotylédons, et formaient là une tige unique, cylindrique, de façon à ressembler plus tard à deux branches sortant d’un même tronc. Si les deux réunies avaient pu croître et atteindre leur hauteur complète, au lieu de périr, on eût eu là un hybride curieux ; mais, même si quelques bourgeons eussent ultérieurement fait retour aux formes parentes, le cas, quoique plus complexe, n’eût pas encore été tout à fait analogue à celui du C. Adami. D’autre part, un melon hybride décrit par Sageret, a peut-être eu une origine semblable, car ses deux branches principales, qui partaient de deux cotylédons, produisirent des fruits très-différents, — l’une portant des melons comme ceux de la variété paternelle, tandis que les fruits de l’autre ressemblaient à ceux de la maternelle, le melon de Chine. La fameuse orange Bizarria offre un cas parallèle à celui du C. Adami. Le jardinier qui a produit cet arbre en 1644 à Florence, a déclaré que c’était un individu levé de graine et qui avait été greffé. La greffe ayant péri, la souche avait poussé des rejetons qui ont produit la Bizarria. Galesio qui en a examiné plusieurs échantillons vivants, et les a comparés à la description donnée par P. Nato, assure que l’arbre produit en même temps des feuilles, fleurs et fruits, identiques à ceux de l’orange amère, et du citron de Florence, et également des fruits mixtes, où les deux sortes sont fondues ensemble, tant extérieurement qu’intérieurement, ou séparées de diverses manières. Cet arbre se propage par boutures en conservant ses caractères mixtes. L’orange trifaciale d’Alexandrie et de Smyrne ressemble d’une manière générale à la Bizarria, mais en diffère en ce qu’elle réunit sur le même fruit, le citron et l’orange douce, ou les produit séparément sur le même arbre ; on ne sait rien de son origine. Plusieurs auteurs regardent la Bizarria comme un métis de greffe ; Gallesio croit que c’est un hybride ordinaire, qui fait facilement retour aux formes parentes par bourgeons ; nous avons vu dans le précédent chapitre que les espèces du genre se croisent souvent d’une manière spontanée. Voici encore un cas analogue mais douteux. Un Æsculus rubicunda a produit annuellement dans un jardin, sur une de ses branches, des épis de fleurs d’un jaune pâle, semblables par la couleur à celles de l’Æ. flava, mais plus petites. Si, comme Je croit l’auteur de l’observation, l’Æ. rubicunda est un hybride dont l’Æ. flava soit un des parents, nous avons un cas de retour partiel vers une des formes souches. Si comme le soutiennent quelques botanistes, l’Æ. rubicunda n’est pas un hybride, mais une espèce naturelle, ce n’est alors qu’un cas de variation de bourgeons. Voici quelques faits qui montrent que les hybrides produits de graine font quelquefois retour par bourgeons aux formes parentes. Ainsi, des métis entre les Tropæolum minus et majus ont produit d’abord des fleurs intermédiaires par leur grosseur, leur couleur et leur structure, à celles des deux parents, mais plus tard dans la saison, quelques plantes donnèrent des fleurs ressemblant, sous tous les rapports, à celles de la forme maternelle, mélangées d’autres conservant leur état intermédiaire. Un hybride entre le Cereus speciosissimus et le C. phyllanthus, plantes qui diffèrent beaucoup par leur apparence, a donné pendant ses trois premières années des tiges anguleuses et pentagonales, puis ensuite des tiges plates comme celles du C. phyllanthus. Kölreuter cite aussi des cas de Lobelias et de Verbascums qui ont produit d’abord des fleurs d’une couleur, puis plus tard dans la saison d’autres de couleur différente. Naudin a obtenu du Datura lævis fécondé par le D. stramonium, quarante hybrides ; dont trois produisirent des capsules, ayant une moitié ou un quart ou un segment moindre, lisse et plus petit, comme la capsule du D. lævis, le reste de la capsule étant épineux et plus grand, comme dans le D. stramonium ; on a obtenu de ces capsules composées des plantes ressemblant parfaitement aux deux formes parentes. Passons aux variétés. Un pommier provenant de graine, et qu’on croit être d’origine croisée, a été décrit en France comme portant des fruits ayant un côté plus grand que l’autre, rouge, à goût acide, et odeur spéciale, le petit étant d’un jaune verdâtre et très-doux, il paraît ne renfermer que rarement de la graine complètement développée. Je pense que ce n’est pas le même arbre que Gaudichaud a montré à l’institut de France, portant sur la même branche deux espèces distinctes de pommes, dont l’une était une reinette rouge, l’autre une reinette canada jaunâtre. Cette variété à double fruit peut être propagée par greffe, et continue à produire les deux sortes de pommes ; son origine est inconnue. Le Rév. J. D. La Touche m’a envoyé un dessin colorié d’une pomme du Canada, dont la moitié correspondante au calice et à l’insertion du pédoncule, est verte, tandis que l’autre est brune et de la nature de la pomme grise ; les deux moitiés étant très-nettement limitées par une ligne de séparation très-apparente. L’arbre avait été greffé, et M. La Touche croit que la branche qui portait cette pomme curieuse, partait du point de jonction de la greffe et de la souche ; si ce point eût été vérifié, le cas aurait probablement dû rentrer dans celui des métis par greffe que nous allons donner. La branche peut aussi avoir poussé sur la souche, qui était sans doute levée de semis. Le professeur Lecoq, qui a entrepris un grand nombre de croisements sur les diverses variétés colorées de Mirabilis Jalapa, a observé que, dans les plantes levées de graine, les couleurs se combinent rarement, mais forment des bandes distinctes, ou se partagent par moitié sur les fleurs. Quelques variétés portent régulièrement des fleurs striées de jaune, de blanc, et de rouge, mais des plantes de ces variétés produisent parfois sur mêmes racines, des branches à fleurs uniformément colorées de ces trois teintes, d’autres dont les fleurs sont à deux couleurs, d’autres enfin panachées. Gallesio a croisé ensemble des œillets blancs et rouges, les produits de la graine furent en général marbrés, mais on y voyait encore des fleurs toutes rouges ou toutes blanches. Quelques plantes n’ont donné une année que des fleurs rouges, l’année suivante des fleurs rayées, ou inversement, après n’avoir donné pendant deux ou trois ans que des fleurs rayées, certaines plantes sont revenues à la fleur rouge. J’ai fécondé le pois de senteur pourpre (Lathyrus odoratus) avec du pollen de la variété claire de la Dame Peinte, et les plantes obtenues du semis des grains d’une même gousse, au lieu d’être intermédiaires par leurs caractères, se trouvèrent ressembler aux parents. Plus tard dans la saison, les plantes qui avaient d’abord fourni des fleurs identiques à celles de la deuxième variété, donnèrent ensuite des fleurs rayées et tachetées de pourpre, marques qui dénotaient une tendance au retour vers la variété maternelle. A. Knight a fécondé deux raisins blancs avec du pollen du raisin d’Alep, qui a le fruit et les feuilles panachés de teintes foncées. Les jeunes plantes qui en résultèrent ne furent pas d’abord panachées, mais elles le devinrent toutes l’été suivant ; de plus, plusieurs produisirent sur la même plante des grappes toutes noires ou toutes blanches, ou de couleur plombée striée de blanc, ou blanches marquées de petites raies noires, et on pouvait rencontrer sur la même grappe des raisins de toutes ces nuances. Dans la plupart de ces cas de variétés croisées, et aussi dans quelques cas de croisements d’espèces, les couleurs propres à chacun des parents, ont apparu chez leurs produits de graine, dès leur première floraison, sous la forme de bandes, ou par le développement de fleurs ou fruits des deux sortes sur la même plante ; on ne peut, dans ce cas, attribuer l’apparition des deux couleurs à un effet de retour, mais plutôt à quelque obstacle s’opposant à leur mélange intime. Mais lorsque les fleurs ou fruits produits ultérieurement, soit dans la même saison, soit dans une génération suivante, deviennent rayés ou moitié d’une des couleurs et moitié de l’autre, etc., la séparation complète des deux couleurs qui se manifeste quelquefois, est alors un cas de retour par variation de bourgeons. Je montrerai, dans un chapitre futur, que chez des animaux provenant de croisements, on a vu des cas d’individus qui, pendant leur croissance, ont changé de caractères, et sont revenus vers ceux d’un des parents auxquels ils ne ressemblaient pas d’abord. Les faits que nous avons signalés ici montrent, à n’en pas douter, qu’une plante hybride, peut, par ses feuilles, ses fleurs ou ses fruits, en tout ou partie, faire retour à l’une ou l’autre de ses formes parentes, comme le Cytisus Adami, ou l’orange Bizarria. Examinons maintenant les quelques cas qu’on a observés, et qui sont favorables à l’opinion qu’une variété greffée sur une autre peut quelquefois affecter la souche entière, ou donner à son point d’insertion, naissance à un bourgeon, ou à un métis de greffe, participant à la fois des caractères tant du sujet que de la greffe. On sait que lorsqu’on ente la variété panachée du Jasmin sur la forme ordinaire, celle-ci produit quelquefois des bourgeons portant des feuilles panachées ; M. Rivers me dit en avoir observé plusieurs exemples. Le même cas s’est présenté chez le Laurier-rose. M. Rivers rapporte un cas de bourgeons de la variété panachée dorée d’un frêne, qui, entés sur le frêne commun, périrent tous à l’exception d’un seul ; la souche n’en fut pas moins affectée, et poussa, tant en dessus qu’en dessous du point d’insertion des lames d’écorce portant les bourgeons morts, des rameaux à feuilles panachées. J’ai reçu communication par M. J. Anderson Henry, d’un cas semblable, et M. Brown de Perth, a observé il y a bien des années dans les Highlands, un frêne à feuilles jaunes, dont des bourgeons entés sur le frêne commun, modifièrent ce dernier qui produisit le frêne Breadalbane tacheté. Cette variété a été propagée, et a depuis cinquante ans conservé ses caractères. Le frêne pleureur, enté sur le même sujet, est devenu également panaché. Plusieurs auteurs considèrent les panachures comme une maladie ; et d’après cette manière de voir, qui est douteuse, puisqu’un grand nombre de plantes panachées sont très-fortes et robustes, on pourrait regarder les faits qui précèdent comme le résultat d’une inoculation directe de la maladie. La panachure est, comme nous le verrons plus loin, fortement influencée par la nature du sol dans lequel croissent les plantes, et il ne serait pas impossible que les modifications que certains sols peuvent apporter à la sève et aux tissus, qu’on les appelle maladie ou non, pussent s’étendre du fragment de l’écorce de la greffe au sujet. Mais un changement de cette nature ne saurait être considéré comme analogue à un métis de greffe. Il y a une variété du noisetier à feuilles pourpres foncées ; personne n’a jamais regardé cette coloration comme une maladie, car elle n’est apparemment qu’une exagération d’une teinte qui s’observe très-fréquemment sur les feuilles du noisetier commun. Lorsqu’on ente cette variété sur ce dernier, on a prétendu que les feuilles situées au-dessous de la greffe prenaient la même couleur, je dois toutefois ajouter que M. Rivers qui a eu en sa possession des centaines d’arbres ainsi greffés, n’a jamais vu d’exemple de ce fait. Gärtner rapporte deux cas différents de branches de vigne à raisins foncés et blancs qui avaient été réunies de diverses manières, en les fendant en long et rejoignant ensemble les sections fraîches, etc., et qui produisirent parmi des grappes de raisins des deux couleurs, d’autres grappes panachées ou ayant une couleur intermédiaire nouvelle. Dans un des cas, les feuilles mêmes furent panachées. Ces faits sont d’autant plus remarquables, que A. Knight n’a jamais pu réussir à produire des raisins panachés par la fécondation des variétés blanches au moyen du pollen des variétés foncées, bien que, comme nous l’avons vu, il ait obtenu de graine des plantes à fruits et à feuilles panachés, en fécondant une vigne blanche par le raisin foncé et panaché d’Alep. Gärtner attribue les cas ci-dessus signalés à une simple variation de bourgeons ; mais il est étrange que les branches seules greffées d’une manière particulière aient ainsi varié ; et M. Adorne de Tscharner affirme positivement qu’il a obtenu plus d’une fois le résultat indiqué, et qu’il pouvait l’atteindre à volonté, en fendant les branches et en les réunissant de la manière décrite. Je n’aurais pas cité le cas suivant sans la conviction que j’ai pu me faire des vastes connaissances et de la véracité de l’auteur des Jacinthes ; il rapporte qu’on peut couper en deux les bulbes des jacinthes bleues et rouges, et que, plantées, elles poussent une tige unique (ce que j’ai moi-même observé), portant sur les côtés opposés des fleurs des deux couleurs. Mais le point le plus important est qu’il se produit quelquefois ainsi des fleurs sur lesquelles les deux couleurs sont mélangées, ce qui rend le cas tout à fait analogue à celui des couleurs mixtes des raisins produits par deux branches réunies de la vigne. M. R. Trail a communiqué en 1867, à la Société botanique d’Édimbourg, le fait suivant, sur lequel il m’a depuis donné des renseignements plus complets. Ayant partagé par le milieu des yeux, et par moitiés une soixantaine de pommes de terre bleues et blanches, il les planta en les réunissant deux à deux avec soin, et après avoir détruit tous les autres yeux. Quelques-uns de ces tubercules rejoints, produisirent des pommes de terre blanches, d’autres des bleues ; il est à présumer que, dans ces cas, une seule des deux moitiés a dû pousser. Quelques-uns donnèrent des tubercules en partie blancs et en partie bleus, et sur quatre ou cinq d’entre eux, les tubercules furent régulièrement marbrés des deux couleurs. Nous devons conclure de ces derniers cas, que la réunion des deux bourgeons coupés en deux avait produit une tige, et les tubercules étant le résultat du développement et du renflement des branches souterraines qui partent de la tige principale, leur couleur marbrée semble prouver assez clairement un mélange intime des deux variétés. J’ai essayé de répéter ces expériences sur une grande échelle tant sur la pomme de terre que sur les jacinthes, mais sans succès ; mais le Dr Hildebrand vient de m’informer par lettre du 2 janvier 1868, que les essais tentés par lui sur la pomme de terre viennent d’être couronnés de succès. Après avoir enlevé tous les yeux d’une pomme de terre blanche à peau lisse, ainsi que ceux d’une pomme de terre rouge écailleuse, il les inséra réciproquement les uns dans les autres, et réussit à faire lever deux plantes. Parmi les tubercules produits par ces deux plantes, il s’en trouva deux qui, rouges et écailleux à une de leurs extrémités, furent blancs et lisses à l’autre, leur portion intermédiaire étant blanche et marquée de stries rouges. La possibilité de la production d’un métis de greffe peut donc être considérée comme bien établie. Le cas le plus authentique que je connaisse de la formation d’un métis de greffe, après celui que nous venons de rapporter, a été publié par M. Poynter, qui m’a confirmé par lettre l’exactitude du fait. Une Rosa Devoniensis avait quelques années auparavant été entée sur une rose de Banks blanche. Du point de jonction assez étendu, outre les roses des deux variétés qui continuèrent à pousser comme à l’ordinaire, surgit une troisième branche, qui n’était identique à aucune des deux variétés, mais tenait un peu des deux. Ses fleurs ressemblaient à celles de la variété Lamarque, tout en leur étant un peu supérieures, et ses rameaux étaient analogues à ceux de la rose de Banks, sauf que les tiges les plus fortes étaient pourvues de piquants. Cette rose fut présentée au Comité floral de la Société d’Horticulture de Londres, et fut examinée par le Dr Lindley, qui conclut qu’elle devait certainement être produite par le mélange de la R. Banksiæ avec une rose semblable à la R. Devoniensis, car tout en étant plus vigoureuse et plus forte dans toutes ses parties, ses feuilles se trouvaient intermédiaires entre celles de la rose de Banks et de la rose Thé. Il paraît aussi que les cultivateurs de roses savaient déjà que la rose de Banks affecte quelquefois les autres variétés. Sans ce renseignement, on aurait pu supposer que cette nouvelle variété était due simplement à une variation de bourgeons, et ne s’était qu’accidentellement manifestée au point de jonction des deux anciennes. Pour résumer les faits précédents : les renseignements relatifs à l’origine du Cytisus Adami sont assez précis pour qu’on puisse difficilement ne pas admettre qu’il ne soit un métis de greffe, surtout après d’autres faits analogues que nous venons de voir et qui rendent celui-là probable. L’état particulier et monstrueux des ovules, celui du pollen qui paraît normal, appuient l’idée qu’il ne doit pas être un hybride ordinaire résultant d’une reproduction séminale. D’autre part, il y a dans le fait que les deux mêmes espèces, les C. laburnum et purpureus, ont produit spontanément et par graine des hybrides, un puissant argument en faveur d’une origine analogue pour le C. Adami ; et quant à la tendance remarquable qu’il manifeste à revenir complètement ou partiellement aux formes qui lui ont donné naissance, nous l’avons également retrouvée chez des hybrides incontestablement provenus de graine. En somme, je suis disposé à accepter les affirmations de M. Adam, et si on venait à en démontrer la vérité, on aurait à étendre la même explication aux oranges Bizarria et Trifaciales, ainsi qu’aux pommes que nous avons décrites ; mais avant qu’on puisse admettre complétement la possibilité de la production de métis par greffe, des preuves plus décisives sont nécessaires. Pour qu’il soit actuellement possible d’arriver à une conclusion certaine sur l’origine de ces arbres remarquables, les divers faits dont nous avons eu à nous occuper me paraissent, à plusieurs points de vue, dignes d’attention, surtout en tant que montrant que la propriété du retour au type, ou la réversion, est inhérente aux bourgeons. De l’action directe et immédiate de l’élément mâle sur la forme maternelle. — Nous avons maintenant à examiner une autre catégorie de faits remarquables, et qui doivent prendre place ici, parce qu’on les a invoqués pour expliquer quelques cas de variations par bourgeons ; je veux parler de l’action directe que peut exercer l’élément mâle, non sur les ovules, mais sur certaines parties de la plante femelle, ou dans le cas des animaux, sur la progéniture ultérieure de la femelle fécondée par un second mâle. Je peux rappeler que chez les plantes, l’ovaire et les enveloppes des ovules sont évidemment des parties de la femelle, et on ne pouvait prévoir qu’elles dussent être affectées par le pollen d’une variété ou d’une espèce étrangère, bien que le développement de l’embryon dans son sac embryonnaire, dans l’ovule, et dans l’ovaire dépendent incontestablement de l’élément mâle. Déjà, en 1729, on avait observé que les variétés blanches et bleues du Pois se croisaient mutuellement, lorsqu’elles se trouvaient rapprochées l’une de l’autre (et cela sans doute par l’intermédiaire des abeilles), de sorte qu’en automne on trouvait dans les mêmes cosses des pois bleus et des blancs. La même observation a été faite dans ce siècle par Wiegmann, et le même résultat a été fréquemment obtenu lorsqu’on a tenté des croisements entre des variétés de pois de couleurs différentes. Ces données déterminèrent Gärtner, fort sceptique à cet endroit, à entreprendre une longue série d’expériences soignées. Il choisit les variétés les plus constantes et obtint des résultats décisifs, qui montrèrent que la couleur de la pellicule du pois est modifiée lorsqu’on emploie pour sa fécondation le pollen d’une variété autrement colorée. De nouvelles expériences faites par le Rév. J. M. Berkeley ont confirmé cette conclusion. M. Laxton, de Stamford, occupé aussi d’expériences sur les pois pour déterminer l’action d’un pollen étranger sur la plante mère, a récemment observé un fait nouveau et important. Il avait fécondé le grand Pois sucré, dont les cosses sont vertes, très-minces, et deviennent d’un blanc brunâtre lorsqu’elles sont sèches, avec du pollen du Pois à cosses pourpres, dont les cosses colorées, comme l’indique son nom, sont très-épaisses, et deviennent d’un rouge-pourpre pâle à l’état de dessiccation. M. Laxton a cultivé depuis vingt ans le grand Pois sucré sans lui avoir vu produire une seule cosse pourpre, et sans jamais avoir entendu dire que cela lui soit arrivé ; et cependant une fleur fécondée par le pollen de la variété pourpre donna une cosse nuancée de rouge pourpré, qu’il m’a obligeamment communiquée. Cette couleur occupait une longueur d’environ deux pouces vers l’extrémité de la cosse, et un espace plus petit près de sa base. Cette cosse, comparée à celle du Pois pourpré, toutes deux ayant été séchées, puis ramollies dans l’eau, se trouvèrent identiques par la couleur, qui, dans l’une comme dans l’autre, était limitée aux cellules placées immédiatement sous la membrane extérieure de la cosse. Les valves de celle-ci, dans le produit croisé, étaient décidément plus épaisses et plus fortes que celles de la plante mère, circonstance qui était peut-être accidentelle, car je ne sais jusqu’à quel point leur épaisseur peut être variable dans le grand Pois sucré. Les Pois de cette dernière variété desséchés sont d’un brun verdâtre pâle, couverts de points foncés pourpres assez petits pour n’être visibles qu’à la loupe, et jamais on n’a eu connaissance que cette variété ait produit un pois pourpre ; mais dans la cosse croisée, un des grains était d’une teinte pourpre violacée magnifique, et un second était irrégulièrement tacheté de pourpre pâle. La couleur réside dans l’enveloppe extérieure du pois. Comme les pois de la variété à cosses pourprées sont d’une couleur chamois verdâtre pâle à l’état sec, il semblerait que ce changement remarquable dans la coloration du pois croisé ne puisse pas avoir été causé par l’action directe du pollen de la variété à cosses pourprées ; mais si nous remarquons que cette dernière variété a des fleurs pourpres, des marques sur ses stipules et ses cosses de cette couleur, et que le grand Pois sucré a aussi ses fleurs, ses stipules et des points microscopiques pourpres sur ses grains, nous ne pouvons presque pas douter que la tendance à la production de cette couleur chez les deux formes parentes n’ait, par sa combinaison, modifié la coloration du pois de la cosse croisée. Après avoir examiné ces échantillons, je croisai les deux mêmes variétés, et les pois d’une cosse, mais pas les cosses elles-mêmes, se trouvèrent teintés de rouge pourpré d’une manière plus apparente que ceux contenus dans les cosses non croisées produites en même temps par les mêmes plantes. Je dois faire remarquer que j’ai reçu de M. Laxton divers autres pois croisés, plus ou moins modifiés quant à la couleur ; mais ce changement était, dans ce cas, dû à une altération de la teinte des cotylédons, visible au travers de l’enveloppe transparente des pois ; or, les cotylédons étant une partie de l’embryon, il n’y avait rien là de remarquable. Passons au genre Matthiola. Le pollen d’une variété peut affecter quelquefois la couleur des graines d’une autre plante employée comme plante mère. Je cite d’autant plus volontiers le cas suivant, que Gärtner a mis en doute des résultats analogues signalés antérieurement par d’autres observateurs. Le major Trevor Clarke, horticulteur fort connu, m’apprend que les graines de la souche de la Matthiola annua, ou Cocardeau, plante bisannuelle à fleurs rouges, sont d’un brun clair, tandis que celles de la M. incana sont d’un violet noirâtre ; et il a trouvé que, lorsqu’on féconde des fleurs de la plante rouge par du pollen de la seconde, elles donnent environ cinquante pour cent de graines noires. Il m’envoya quatre siliques de la plante à fleurs rouges, dont deux fécondées par leur propre pollen, renfermaient des graines d’un brun pâle ; et deux, qui avaient été fécondées par du pollen de la variété violette, contenaient des graines fortement teintées de noir. Ces dernières produisirent des plantes à fleurs violettes, comme la plante paternelle, tandis que les graines brunes donnèrent des plantes à fleurs rouges normales ; le major Clarke a obtenu sur une plus grande échelle les mêmes résultats. Il y a donc là une démonstration concluante de l’action directe du pollen d’une espèce sur la couleur des graines d’une autre espèce. Dans les cas que nous venons d’examiner, à l’exception de celui du pois à cosses pourprées, il n’y a que les enveloppes de la graine dont la couleur ait été affectée. Nous allons maintenant voir que l’ovaire lui-même, soit qu’il forme un gros fruit charnu, soit qu’il reste à l’état d’enveloppe mince, peut être modifié dans sa couleur, sa texture, son goût, sa grosseur et sa forme, par un pollen étranger. Le cas le plus remarquable, constaté par des autorités des plus compétentes est celui rapporté dans une lettre écrite en 1866, par M. Naudin au Dr Hooker. M. Naudin raconte qu’il a vu croissant sur le Chamærops humilis des fruits que M. Denis avait fécondés avec du pollen du Dattier. La drupe produite était deux fois aussi grande et plus allongée que celle du Chamærops, et se trouvait sous ce rapport aussi bien que sous celui de sa texture, intermédiaire entre les fruits des deux parents. Ces graines hybrides ont germé et ont également produit des plantes intermédiaires par leurs caractères. Ce cas est d’autant plus remarquable que le Chamærops et le Phœnix appartiennent non-seulement à des genres distincts, mais, selon quelques botanistes, à des sections différentes de la famille. Gallesio a fécondé les fleurs d’un oranger par le pollen d’un citronnier ; un des fruits ainsi obtenus portait une bande longitudinale d’écorce ayant la couleur, le goût et tous les caractères du citron. M. Anderson a fécondé un melon à pulpe verte par le pollen d’un autre melon à chair rouge, et dans deux des fruits obtenus il y eut un changement appréciable ; quatre autres furent quelque peu altérés tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Les graines des deux premiers fruits ont donné des plantes qui participaient des propriétés des deux formes parentes. Dans les États-Unis, où on cultive, sur une grande échelle, les Cucurbitacées, l’affectation directe du fruit par le pollen étranger est un fait populaire, et il en est de même en Angleterre pour les concombres. On sait que des raisins ont été ainsi modifiés en couleur, grosseur et forme ; une variété pâle a eu en France son jus teinté par le pollen de la variété foncée Teinturier ; une autre variété en Allemagne a donné des baies modifiées par le pollen de deux variétés voisines ; quelques baies n’étaient que partiellement affectées et marbrées. On a déjà, dès 1751, observé que lorsque des variétés de maïs de couleurs diverses croissent à proximité les unes des autres, elles affectent mutuellement leurs graines respectives, et ce fait constitue une croyance populaire aux États-Unis. Le Dr Savi a fait des expériences précises à ce sujet ; il sema ensemble des maïs à grains jaunes et à grains noirs, et obtint sur le même épi des grains jaunes, des noirs, quelques grains marbrés, les grains de couleurs différentes pouvant être rangés en lignes ou d’une manière irrégulière. M. Sabine raconte qu’il a vu la forme presque globulaire de la capsule des graines de l’Amaryllis vittata s’altérer à la suite de la fécondation de cette plante, par le pollen d’une autre espèce dont la capsule était anguleuse. M. J. Anderson Henry a fécondé le Rhododendron Dalhousiæ par le pollen du R. Nuttallii, qui est une des espèces du genre ayant les plus grandes et les plus belles fleurs. La plus grande gousse produite par la première espèce fécondée par son propre pollen, mesurait 1 1/4 de pouce en longueur et 1 1/2 de circonférence, tandis que trois des gousses, qui avaient été fécondées par le pollen du R. Nuttallii, mesuraient 1 5/8 de pouce de longueur, et 2 pouces de circonférence. Dans ce cas, nous voyons que l’action du pollen étranger paraît s’être bornée à augmenter les dimensions de l’ovaire ; mais comme le montre le cas suivant, ce n’est qu’avec circonspection qu’on peut affirmer que, dans ce cas, l’augmentation de grosseur a été directement transférée du parent mâle à la capsule de la plante femelle. M. Henry ayant fécondé l’Arabis blepharophylla par le pollen de l’A. Soyeri, en obtint des gousses dont il m’a communiqué les dimensions et les croquis, et qui se trouvaient beaucoup plus grandes que celles produites naturellement par les espèces parentes mâle ou femelle. Nous verrons, dans un chapitre futur, que dans les plantes hybrides, et indépendamment des caractères des parents, les organes de la végétation sont quelquefois développés à un degré monstrueux, et il est possible que l’augmentation de grosseur des gousses dont nous venons de parler, soit un cas analogue. L’action directe du pollen d’une variété sur une autre, n’est nulle part plus remarquable ni mieux démontrée que dans le cas du pommier ordinaire. Chez cet arbre, le fruit est formé de la partie inférieure du calice, et de la partie supérieure du pédoncule floral métamorphosé, de sorte que l’influence du pollen étranger se fait sentir au delà des limites de l’ovaire. Bradley a enregistré des cas de pommes ainsi affectées, au commencement du siècle dernier, et on en trouve d’autres dans d’anciens volumes des Transactions philosophiques ; l’un est relatif à deux variétés de Reinettes qui avaient réciproquement modifié leurs fruits respectifs ; l’autre à une variété lisse qui avait affecté la surface d’une variété à peau rugueuse. On a encore signalé un cas de deux pommiers fort différents, croissant à peu de distance l’un de l’autre, et qui portèrent tous deux des fruits semblables, mais seulement sur les branches qui étaient les plus rapprochées. Mais il est superflu de rappeler de pareils cas, après celui du pommier de Saint-Valery qui, ne produisant pas de pollen par suite de l’avortement de ses étamines, doit être chaque année artificiellement fécondé, opération s’exécutant par les filles de l’endroit, au moyen de pollens de différentes variétés. Il en résulte des fruits différents de grosseur, couleur et saveur, et ressemblant à ceux des variétés qui ont fourni l’élément fécondant. Nous venons de montrer, d’après l’autorité de plusieurs bons observateurs que, dans des plantes appartenant à des ordres fort différents, le pollen d’une variété ou espèce, appliqué sur une forme distincte, peut occasionnellement modifier les enveloppes des graines, l’ovaire ou le fruit, et même dans un cas, le calice et la partie supérieure du pédoncule de la plante mère. Cette action peut s’exercer sur l’ensemble de l’ovaire et sur toutes les graines, ou parfois sur un certain nombre de ces dernières, comme dans le pois, ou sur une partie seulement de l’ovaire, comme dans les cas de l’orange segmentée, du maïs, et des raisins tachetés. On ne doit pas admettre qu’un effet direct et immédiat doive invariablement et toujours résulter de l’emploi d’un pollen étranger ; cela n’est pas le cas, et on ignore complètement les conditions dont dépend cet effet. M. Knight affirme que, bien qu’il ait opéré des milliers de croisements de pommiers et d’autres arbres fruitiers, il n’a jamais eu occasion d’observer un cas d’une modification pareille dans leurs fruits. Il n’y a aucune raison pour croire qu’une branche qui a porté des fruits affectés par du pollen étranger, doive elle-même l’être, de manière à produire ultérieurement des bourgeons modifiés ; un pareil fait semble presque impossible, vu le peu de durée des connexions qui n’existent que passagèrement entre la fleur et la tige. On ne peut donc expliquer, par l’action d’un pollen étranger, que bien peu, pour ne pas dire point, des modifications subitement apparues sur les fruits, dont nous avons parlé au commencement de ce chapitre, car elles ont ensuite été généralement propagées par greffes. Il est également évident que les changements de coloration qui se manifestent dans les fleurs longtemps avant qu’elles soient prêtes à être fécondées, ou dans la forme ou la couleur des feuilles, ne peuvent aucunement être rattachés à l’action d’un pollen étranger : tous ces cas doivent être attribués à une simple variation de bourgeons. Nous avons donné, avec quelques détails, les preuves de l’action du pollen étranger sur la plante mère, à cause de sa grande importance théorique, comme nous le verrons par la suite, et parce qu’en elle-même cette action est un fait singulier et même anormal en apparence. Elle est remarquable, au point de vue physiologique, car, en vertu de ses fonctions spéciales, l’élément mâle doit affecter non-seulement le germe, mais les tissus voisins de la plante mère. Quant à son anomalie, elle n’est qu’apparente, car en fait l’élément mâle joue un rôle analogue dans la fécondation ordinaire d’un grand nombre de fleurs. Gärtner a montré en augmentant graduellement le nombre de grains de pollen pour arriver à féconder une Mauve, qu’un grand nombre de grains sont nécessaires pour développer, ou plutôt pour rassasier le pistil et l’ovaire. Quand une plante est fécondée par une espèce très-distincte, il arrive souvent que l’ovaire se développe complètement et rapidement sans qu’il s’y forme aucune graine, ou que les enveloppes de ces dernières s’achèvent sans qu’aucun embryon se montre dans leur intérieur. Le Dr Hildebrand a aussi montré, dans un travail récent, que chez plusieurs Orchidées, l’action du pollen propre de la plante lui est nécessaire pour le développement de l’ovaire, et que ce développement se fait, non-seulement avant que les tubes polliniques aient atteint les ovules, mais même avant que le placenta et les ovules soient formés ; dans ces orchidées, le pollen paraît donc agir directement sur l’ovaire. Il ne faut pas d’autre part, surévaluer, sous ce rapport, l’efficacité du pollen, car on pourrait, dans le cas de plantes croisées, objecter qu’un embryon formé aurait pu affecter les tissus voisins de la plante mère avant de périr à un âge très-jeune. On sait encore que l’ovaire peut, dans un grand nombre de plantes, se développer complètement, même en l’absence totale de pollen. Enfin, M. Smith (ancien administrateur de Kew) a observé sur un orchidée, Bonatea speciosa, le fait curieux qu’on pouvait déterminer le développement de l’ovaire par une irritation mécanique du stigmate. Toutefois, d’après le nombre de grains de pollen employés pour la saturation du pistil et de l’ovaire, — la formation générale de ce dernier et des enveloppes des graines dans les plantes hybrides et stériles, — et les observations du Dr Hildebrand sur les Orchis, nous pouvons admettre que, dans la plupart des cas, l’action directe du pollen facilite, si elle n’en est la seule cause, le gonflement de l’ovaire et la formation des enveloppes des graines, indépendamment de son action fécondante. Nous n’avons donc, pour les cas ci-dessus énoncés, qu’à accorder au pollen, outre sa propriété de favoriser le développement de l’ovaire et des enveloppes des graines de sa propre plante, celle d’influencer la forme, la grosseur, la couleur, texture, etc. de ces mêmes parties, lorsqu’il est mis en contact avec la fleur d’une autre espèce ou variété. Venons-en maintenant au règne animal. Si une même fleur pouvait donner des graines pendant plusieurs années consécutives, il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’une fleur, dont l’ovaire aurait été modifié par un pollen étranger, donnât ensuite, fécondée par elle-même, naissance à des produits modifiés par l’action de l’élément mâle antérieur. Or, c’est ce qui a été effectivement observé sur les animaux. Un cas souvent cité est celui de lord Morton ; une jument alezane, de race arabe presque pure, après avoir été croisée avec un quagga, et mis bas un métis, fut remise à sir Gore Ousely, qui, ultérieurement, en obtint deux poulains par un cheval arabe noir. Ces poulains furent partiellement isabelles, et avaient les jambes plus nettement rayées que le métis, et même que le quagga. Les deux avaient aussi le cou et quelques autres parties du corps portant des raies bien marquées. Les raies sur le corps, et la couleur isabelle sont très-rares chez nos chevaux d’Europe, et inconnues chez les Arabes. Mais ce qui rend le cas très-frappant, c’est que chez les deux poulains, les poils de la crinière étaient courts, roides et dressés, exactement comme chez le quagga. Il n’y a donc aucun doute sur le fait que ce dernier a nettement affecté les caractères de la progéniture ultérieurement procréée par le cheval arabe noir. On a publié un grand nombre de faits analogues et parfaitement authentiques, sur nos variétés d’animaux domestiques, et on m’en a communiqué plusieurs autres, qui tous démontrent avec évidence l’action qu’exerce le premier mâle sur les portées subséquentes d’une femelle fécondée par d’autres mâles. Il suffit d’en donner un seul cas qui se trouve consigné dans les Transactions philosophiques, dans une notice qui suit celle de lord Morton : M. Giles ayant livré à un sanglier sauvage de manteau marron foncé, une truie de la race d’Essex noire et blanche, les produits de la portée participèrent des caractères tant de la truie que du sanglier ; mais, dans quelques-uns, la couleur du père prédomina fortement. Longtemps après, la même truie rendue à un verrat de sa même race noire et blanche, — race qui se reproduit avec une constance parfaite, et chez laquelle jamais la moindre trace de marron n’a été signalée, — fit une portée dans laquelle quelques petits se trouvèrent avoir le même manteau marron que ceux de la première. Ces faits sont si fréquents et connus des éleveurs soigneux, qu’ils évitent toujours de donner une femelle de choix à un mâle inférieur, précisément à cause du préjudice qui peut en résulter pour les produits de ses portées subséquentes. Quelques physiologistes ont tenté d’expliquer ces résultats remarquables d’une première fécondation, par l’attachement intime et par la communication libre des vaisseaux sanguins entre l’embryon modifié et la mère. Mais cette hypothèse d’une modification des organes reproducteurs d’un individu par le sang d’un autre, de façon à modifier la progéniture subséquente, est au plus haut point improbable. L’action directe d’un pollen étranger sur l’ovaire et l’enveloppe des graines de la plante mère doivent, par analogie, appuyer l’idée que c’est l’élément mâle qui exerce une action directe sur les organes reproducteurs de la femelle, si étonnante qu’elle soit, et non l’embryon croisé. Chez les oiseaux, où il ne peut y avoir, comme pour les mammifères, aucune connexion entre l’embryon et la mère, un observateur consciencieux, le Dr Chapuis, a constaté que dans le pigeon, l’influence d’un premier mâle se manifeste quelquefois dans les couvées subséquentes ; cependant le fait mériterait confirmation. Conclusions et résumé du chapitre. — Les faits que nous venons d’exposer méritent d’être pris en considération, car ils nous montrent qu’une forme organique peut entraîner la modification d’une autre, par plusieurs modèles extraordinaires, et même sans l’intervention de la reproduction séminale. Nous venons de voir qu’il y a évidence que l’élément mâle peut affecter directement la conformation de la femelle, et dans les animaux déterminer même une modification de sa progéniture. Nous avons donné des preuves nombreuses, montrant que les tissus de deux plantes peuvent s’unir et former un bourgeon ayant un caractère mixte, ou encore que des bourgeons entés sur une souche peuvent affecter tous les bourgeons ultérieurement produits par cette souche. Deux embryons différents contenus dans une même graine, peuvent se souder et donner naissance à une seule plante. Les produits du croisement de deux espèces ou variétés peuvent, dans la première génération ou dans les suivantes, faire retour par variation de bourgeons, et à des degrés divers, aux formes parentes ; ce retour peut porter sur l’ensemble de la fleur, du fruit, du bourgeon foliifère, ou seulement sur la moitié ou une fraction plus petite, ou sur un organe isolé. Il semble que, dans quelques cas, cette séparation de caractères soit plutôt due à un défaut de combinaison qu’à un retour, car les fleurs et les fruits d’abord produits portent par places les caractères séparés des deux parents. Quelle qu’ait pu être l’origine du Cytisus Adami et de l’Orange Bizarria, les deux espèces parentes se trouvent ou mélangées sous la forme d’un hybride stérile, ou reparaissent avec tous leurs caractères propres et leurs organes reproducteur, et ces arbres, conservant leurs caractères capricieux, peuvent se propager par bourgeons. Tous ces faits doivent être pris en considération pour permettre d’envisager à un point de vue général les divers modes de reproduction par germination, division, ou par sexes, la restauration de parties perdues, la variation, l’hérédité, le retour et autres phénomènes semblables. J’essayerai, vers la fin du présent ouvrage, de relier ces différents ordres de faits par une hypothèse provisoire. Nous avons, dans la première moitié de ce chapitre, donné une longue liste de plantes chez lesquelles, par variation de bourgeons, c’est-à-dire, indépendamment de toute reproduction par graine, les fruits se sont brusquement modifiés quant à leur grosseur, couleur, saveur, forme, et époque de maturation ; les fleurs ont de même changé de forme, de couleur, sont devenues doubles, et ont présenté de grandes différences dans le calice ; les jeunes branches ont changé de couleur, pris des épines, modifié leur facies, sont devenues grimpantes ou pendantes ; les feuilles ont aussi présenté des changements dans leur couleur, leur forme, l’époque de leur épanouissement, et dans leur disposition autour de l’axe. Les bourgeons de toute nature, qu’ils se trouvent sur des branches aériennes ou souterraines, qu’ils soient simples, ou comme dans les bulbes et tubercules, modifiés et entourés d’une provision de nourriture, sont tous susceptibles d’éprouver des variations subites de même nature. Dans le nombre, plusieurs cas sont certainement dus à un retour à des caractères non acquis par un croisement, mais qui ont existé autrefois et ont été perdus depuis plus ou moins longtemps ; ainsi, lorsqu’un bourgeon d’une plante panachée produit des feuilles uniformes, ou lorsque les fleurs, diversement colorées des Chrysanthèmes, font retour à la couleur primitive jaune. D’autres cas sont probablement dus à ce que les plantes ayant une origine croisée, font retour par bourgeons à l’une ou à l’autre des formes parentes. Pour élucider l’origine du Cytisus Adami, nous avons cité plusieurs cas de retour partiel ou total chez des plantes hybrides, et de là nous pouvons supposer que la tendance prononcée qu’a, par exemple, le Chrysanthème à produire, par variation de bourgeons, des fleurs de diverses couleurs, doit provenir de ce que ses variétés ayant été autrefois accidentellement ou intentionnellement croisées, les descendants actuels de ces croisements font encore parfois, et par bourgeons, retour aux couleurs des variétés parentes plus persistantes. C’est certainement ce qui est arrivé pour le Pélargonium « Rollisson’s Unique, » et il peut en avoir été de même pour les variétés de bourgeons des Dahlias et pour les Tulipes. Il est cependant des cas de variations de bourgeons, qui ne sont point attribuables à un effet de retour, et ne sont qu’un fait de variabilité spontanée ; c’est ce qui a lieu ordinairement pour les plantes cultivées levées de graines. Comme une seule variété de Chrysanthème a produit par bourgeons six autres variétés, et qu’une variété du Groseiller épineux a pu donner en même temps quatre variétés distinctes de fruits, il n’est guère possible d’admettre que toutes ces variations soient des retours à des formes parentes antérieures. Ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, on ne peut croire que tous les pêchers qui ont fourni des bourgeons de pêches lisses aient eu une origine croisée. Enfin, dans les cas comme celui de la rose mousseuse avec son calice particulier, de la rose à feuilles opposées, dans celui de l’Imatophyllum, etc., on ne connaît aucune espèce naturelle, ou variété de graine, d’où ces caractères aient pu dériver par croisement. Tous ces cas sont donc attribuables à une variabilité propre des bourgeons. Les variétés ainsi formées ne se distinguent par aucun caractère extérieur des plantes levées de graine, ce qui est très-manifeste chez les Roses, Azaleas, et quelques autres. Notons encore que les plantes qui ont fourni beaucoup de variations par bourgeons, ont également beaucoup varié par graine. Nous avons constaté ces variations chez des plantes appartenant aux ordres les plus divers, d’où nous pouvons admettre que probablement toute plante placée dans les conditions convenables doit être susceptible de variation par bourgeons. Ces conditions, autant que nous pouvons en juger, sont surtout une culture soignée et longtemps prolongée ; car presque toutes les plantes dont nous avons parlé sont vivaces, et ont été largement propagées dans différents sols et climats, par boutures, rejetons, bulbes, tubercules et surtout par greffe. Les cas de plantes annuelles variant par bourgeons, ou présentant des fleurs de diverses couleurs sur une même plante, sont relativement rares : Hopkirk l’a observé sur le Convolvulus tricolor ; et il se présente quelquefois chez la Balsamine et la Dauphinelle annuelle. D’après R. Schomburgk, les plantes des régions tempérées chaudes, cultivées sous le climat brûlant de Saint-Domingue, sont éminemment susceptibles de variations par bourgeons, mais un changement de climat n’est toutefois pas une condition absolument indispensable, comme nous le prouvent le groseiller et quelques autres végétaux. Dans leurs conditions naturelles, les plantes paraissent beaucoup moins aptes à varier par bourgeons ; on a cependant observé parfois des feuilles panachées et colorées ; j’ai indiqué un cas de variation des bourgeons d’un frêne, mais il est douteux qu’on puisse considérer un arbre, planté dans une propriété d’agrément, comme vivant rigoureusement dans des conditions naturelles. Gärtner a observé sur une même racine de l’Achillea millefolium sauvage, des fleurs blanches et des fleurs rouge foncé ; et le professeur Caspary a vu la Viola lutea, complétement sauvage, porter des fleurs de grosseurs et de couleurs différentes. Les plantes sauvages ne présentant que rarement des variations par bourgeons, tandis que les plantes cultivées, longtemps propagées par des moyens artificiels, ont par cette forme de reproduction, fourni beaucoup de variétés ; si nous considérons la série suivante, — la variation simultanée et semblable de tous les yeux d’une pomme de terre, — la coloration brusque en jaune de tous les fruits d’un prunier pourpre, — la transformation en pêches de tous les fruits d’un amandier à fleurs doubles, — la modification légère exercée par le sujet sur tous les bourgeons qui ont été greffés sur lui, — le changement temporaire qui se manifeste dans la couleur, la dimension et la forme des fleurs de la Pensée après leur transplantation, — tous ces faits nous portent à considérer les cas de variation par bourgeons comme le résultat direct des conditions extérieures auxquelles la plante a été exposée. Mais, d’autre part, si nous envisageons les cas comme celui du pêcher qui, après avoir, pendant bien des années, été cultivé par milliers dans divers pays et avoir annuellement produit des millions de bourgeons, qui tous paraissent avoir été soumis aux mêmes conditions, — pousse subitement un bourgeon unique, dont tous les caractères sont fortement modifiés, nous nous trouvons conduits à une tout autre conclusion. En effet, des cas comme ce dernier sembleraient impliquer que la transformation n’est aucunement en relation directe avec les conditions extérieures. Nous avons vu que les variétés provenant de graines ressemblent, par leur apparence générale, à celles produites par bourgeons, au point qu’il n’est presque pas possible de les distinguer. Il en est de certaines variétés de bourgeons comme de quelques espèces ou groupes d’espèces qui, lorsqu’on les propage par graines, se montrent plus variables que d’autres. Ainsi la Chrysanthème « Reine d’Angleterre » a donné de cette manière pas moins de six, et le Pélargonium « Rollisson’s Unique, » quatre variétés distinctes ; les Roses mousseuses en ont aussi produit d’autres. Les Rosacées ont varié par bourgeons plus qu’aucun autre groupe de plantes, ce qui peut tenir au grand nombre des plantes de cette famille qui ont été depuis fort longtemps cultivées. Dans ce même groupe, le pêcher a souvent varié par bourgeons, tandis que les pommiers et les poiriers, tous deux arbres greffés et très-cultivés, n’ont, autant que j’ai pu m’en assurer, présenté que peu de variations de ce genre. La loi des variations analogiques se vérifie aussi bien pour les variétés produites de bourgeons, que pour celles provenant de graine ; ainsi on a vu plus d’un rosier donner naissance à des roses mousseuses ; plusieurs Camellias acquérir une forme hexagonale, et au moins sept ou huit variétés de pêcher produire des pêches lisses. Les lois de l’hérédité paraissent être les mêmes chez les variétés de semence et de bourgeons. Nous savons combien les phénomènes du retour s’observent souvent chez toutes deux, affectant soit l’ensemble, soit des parties des feuilles, fleurs, ou fruits. Quand la tendance au retour se manifeste sur beaucoup de bourgeons d’un même arbre, celui-ci porte des feuilles, fleurs, ou fruits de différentes sortes, mais on a des raisons de croire que des variétés flottantes de ce genre sont généralement provenues de graine. Il est bien connu que sur un certain nombre de variétés de semis, il en est qui transmettent leurs caractères plus exactement que d’autres ; nous en avons vu des exemples chez deux formes panachées de Euonymus et chez quelques Tulipes. Malgré la brusquerie de l’apparition des variétés de bourgeons, leurs caractères peuvent quelquefois se transmettre par reproduction séminale, et c’est ainsi que, d’après M. Rivers, les roses mousseuses se reproduisent généralement ; le caractère mousseux a aussi été transféré par croisement, d’une espèce de rosier à une autre. La pêche lisse de Boston, qui apparut par variation de bourgeon, a produit de graine une pêche lisse voisine. Nous avons cependant vu que, d’après M. Salter, la graine prise sur une branche devenue panachée par variation de bourgeons, n’a transmis que faiblement ce caractère, tandis que plusieurs plantes panachées provenant de graine, ont transmis leur panachure à une forte proportion de leurs descendants. Bien que j’aie pu recueillir un bon nombre de cas de variations de bourgeons, et que j’en eusse probablement trouvé beaucoup d’autres en dépouillant des ouvrages d’horticulture étrangers, leur nombre est cependant très-faible en comparaison des variétés produites de graine. Dans les plantes cultivées les plus changeantes, le nombre des variations est presque infini, mais leurs différences sont généralement faibles ; ce n’est qu’à de longs intervalles qu’il surgit une modification marquée. D’autre part, il est singulier que, lorsque les plantes viennent de bourgeons, leurs variations, qui sont, relativement aux autres, plus rares, soient souvent et même ordinairement très-fortement prononcées. J’ai pensé que ce n’était peut-être qu’une illusion, et qu’il se pouvait que de légères modifications de bourgeons fussent encore fréquentes, mais étaient négligées ou passaient inaperçues à cause de leur peu de valeur. Je m’adressai donc à deux autorités d’une haute compétence en ces matières, M. Rivers pour les arbres fruitiers et M. Salter pour les fleurs. Le premier ne se rappelle pas d’avoir remarqué de légères modifications dans les bourgeons à fruits. M. Salter m’a appris qu’il s’en présente effectivement chez les fleurs, mais que, si on les propage, elles perdent leurs caractères dès l’année suivante ; il est cependant d’accord avec moi pour reconnaître que les variations de bourgeons prennent d’emblée des caractères permanents et bien accusés. Nous ne pouvons guère douter que ce ne soit la règle, quand nous réfléchissons à des cas comme ceux du pêcher, qui a été suivi et observé avec tant de soin, et chez lequel on a propagé de graine tant de variétés insignifiantes ; et cependant cet arbre a, à maintes reprises, donné par variation de bourgeons, des pêches lisses ; tandis qu’il n’a produit (d’après ce que j’ai pu savoir), que deux variétés de vrais pêchers, les Grosse mignonne tardive et précoce, qui ne diffèrent d’ailleurs de la forme souche que presque uniquement par leur période de maturation. M. Salter m’a appris, à ma grande surprise, qu’il applique la sélection aux plantes panachées propagées de bourgeons, et que, par ce moyen, il a pu améliorer et fixer plusieurs variétés. Ainsi une branche peut d’abord ne présenter de feuilles panachées que d’un seul côté, feuilles imparfaites, et n’étant qu’irrégulièrement bordées de jaune ou de blanc, ou marquées seulement de quelques lignes de ces mêmes couleurs. Pour améliorer et fixer ces variations, il faut favoriser le développement des bourgeons qui se trouvent à la base des feuilles les mieux marquées, et ne propager que ceux-là. En suivant avec persévérance cette marche, pendant trois ou quatre saisons consécutives, on peut obtenir de cette manière une variété fixe et distincte. Finalement, les faits que nous avons donnés dans ce chapitre, démontrent combien le germe d’une graine fécondée, et la petite masse cellulaire qui constitue le bourgeon, se ressemblent d’une manière remarquable, par leurs fonctions, — par leur force d’hérédité, avec retour occasionnel, — et par leur aptitude à présenter des variations de nature semblable, et soumises aux mêmes lois. Cette analogie, ou plutôt cette identité, est encore plus frappante si on peut avoir confiance dans les faits qui semblent indiquer que le tissu cellulaire d’une espèce ou variété, greffé sur une autre, peut donner naissance à un bourgeon ayant des caractères intermédiaires. Nous avons vu dans ce chapitre que la variabilité n’est pas nécessairement liée à la génération sexuelle, quoiqu’elle paraisse l’accompagner beaucoup plus souvent que la reproduction par bourgeons. Nous voyons aussi que la variabilité des bourgeons ne dépend pas uniquement de l’atavisme ou du retour à des caractères depuis longtemps perdus, ou acquis à la suite d’un croisement, mais qu’elle est souvent spontanée. Mais, lorsque nous cherchons la cause d’une variation de bourgeons donnée, nous tombons dans le doute, car, dans certains cas, nous sommes conduits à admettre comme suffisante une action directe des conditions extérieures, et dans d’autres, nous éprouvons la conviction profonde que celles-ci n’ont dû prendre qu’une part très-accessoire au résultat, part dont l’importance n’est pas plus grande que celle de l’étincelle qui enflamme une masse de matière combustible. FIN DU PREMIER VOLUME. Gardener’s Chronicle, 1854, p. 821. Lindley, Guide to Orchard, Gard. Chron. 1852, p. 821. — Pour la pêche mignonne précoce, voir Gard. Chron. 1864, p. 1251. Transact. Hort. Soc., vol. II, p. 160. Gardener’s Chronicle 1863, p. 27. Ibid. 1852, p. 821. Ibid. 1852, p. 629. — 1856, p. 648. — 1864, p. 986. — Braun, Ray Soc. Bot. Mem. 1853, p. 314. Ampélographie, etc., 1849, p. 71. Gardener’s Chronicle, 1866, p. 970. Gardener’s Chronicle, 1855, pp. 597, 612. Ibid. 1842, p. 873 ; 1855, p. 646. — Mr Mackenzie (Gard. Chron., 1866, p. 876) annonce que le même buisson continue à fournir les trois sortes de fruit, bien qu’elles n’aient pas été identiques toutes les années. Revue Horticole, citée dans Gard. Chron. 1844, p. 87. Rejuvenescence in Nature ; Bot. Mem. Ray Society, 1853, p. 314. Comptes rendus tome XLI, 1855, p. 804. Le second cas est emprunté à Gaudichaud, Comptes rendus, tome XXXIV, 1852, p. 748. Garden. Chronicle 1867, p. 403. Journ. of Proc. Linn. Soc., vol. II, Botany, p. 131. Gardener’s Chronicle, 1847, p. 207. Herbert, Amaryllidaceæ, 1838, p. 369. Gardener’s Chronicle, 1843, p. 391. Exposée à la Société d’Hort. de Londres, Gard. Chron., 1844, p. 337. W. Bell. Bot. Soc, of Edinburgh, mai 1863. Revue horticole, cité dans Gard. Chron., 1845, p. 475. Bastarderzeugung, 1849, p. 76. Journ. of Horticulture, 1861, p. 336. W. P. Ayres, Gardener’s Chronicle, 1842, p. 791. Id., ibid. Ibid., 1861, p. 968. Gardener’s Chronicle, 1861, p. 945. W. Paul, ibid., 1861, p. 968. Ibid., p. 945. Pour d’autres cas de variations par bourgeons, voir Gard. Chron. 1861, p. 578, 600, 925. — Pour des cas distincts de même nature dans le genre Pélargonium, voir Cottage Gardener, 1860, p. 194. Rev. W. T. Bree, dans Loudon’s Gard. Magazine, vol. VIII, 1832, p. 93. J. Salter, The Chrysanthemum, its history and culture, 1865, p. 41, etc. Bree, O. C., p. 93. Bronn, Geschichte der Natur, vol. II, p. 123. T. Rivers, Rose Amateurs Guide, 1837, p. 4. M. Shailer ; cité dans Gard. Chron., 1848, p. 759. Trans. Hort. Soc., vol. IV, 1822, p. 137. — Gardener’s Chron., 1842, p. 422. Loudon, Arboretum, etc., vol. II, p. 780. J’ai emprunté ces faits sur l’origine des diverses variétés de la rose mousse à Mr Shailer, qui s’est occupé, avec son père, de leur propagation originelle, Gardener’s Chron., 1852, p. 759. Gardener’s Chronicle, 1845, p. 564. Trans. Hort. Soc. vol. II, p. 242. Schriften der Phys. Oekon. Gesellschaft zu Koenigsberg, 3 fév. 1865, p. 4. — Dr Caspary dans Transactions of Hort. Congress of Amsterdam, 1865. Gardener’s Chronicle, 1852, p. 759. Transact. Hort. Soc., vol. II, p. 242. Sir R. Schomburgk, Proc. Linn. Soc. Bot., vol. II, p. 132. Gard. Chronicle, 1862, p. 619. Hopkirk, Flora anomala, p. 167. Sur la production et la fixation des variétés, 1865, p. 4. Journal of Horticulture, 1865, p. 233. Gardener’s Chronicle, 1843, p. 135. Ibid., 1842, p. 55. Ibid., 1867, p. 235. Gärtner, Bastarderzeugung, p. 305. D. Beaton, Cottage Gardener, 1860, p. 250. Gardener’s Chron., 1850, p. 536. Braun, Ray Soc. Bot., Mem. 1853, p. 315. — Hopkirk, O. C., p. 164. — Lecoq, Géog. Bot. de l’Europe, t. III, 1854, p. 405. — et de la Fécondation, 1862, p. 303 O. C., p. 5. W. Mason, Gardener’s Chronicle, 1843, p. 878. Alex. Braun, O. C., p. 315. — Gardener’s Chron., 1841, p. 329. Dr M. T. Masters ; Royal Institution Lecture ; mars 16, 1860. W. K. Bridgeman, Ann. and Mag. of Nat. Hist., déc. 1861 ; et J. Scott, Bot., Soc. Edinburgh ; juin 12, 1862. Journal of Hort., 1861, p. 336. — Verlot, O. C., p. 76. Verlot, O. C., p. 74. Gardener’s Chronicle, 1844, p. 86. Ibid., 1861, p. 968. Ibid., 1861, p. 433. — Cottage Gardener, 1860, p. 2. M. Lemoine (cité dans Gardener’s Chronicle 1867, p.74) a récemment observé que le Symphitum à feuilles panachées ne peut pas être propagé par division des racines. Il a aussi trouvé que sur cinq cents plantes d’un Phlox à fleurs rayées qui avaient été propagées par division des racines, sept ou huit seulement eurent des fleurs rayées. Voir aussi pour les Pélargoniums rayés, Gard. Chron., 1867, p. 1000. Anderson, Recreations in Agriculture, vol. v, p. 152. Gardener’s Chronicle, 1857, p. 662. Ibid., 1841, p. 814. Ibid., 1857, p. 613. Ibid., 1857, p. 679. — Phillips, Hist. of Végétables, vol. II, p. 91, pour d’autres cas semblables. Journ. of Proc. Linn. Soc., vol. II, Botany, p. 132. Loudon, Gard. Mag. vol. VIII, p. 832, p. 94. Gardener’s Chron., 1850, p. 536 ; et 1842, p. 729. Des Jacinthes, etc. Amsterdam, 1768, p. 122. Gardener’s Chron., 1845, p. 212. Loudon, Encyc. of Gardening, p. 1024. O. C., p. 63. Gardener’s Chron., 1841, p. 782 ; — 1842, p. 55. Gardener’s Chronicle, 1849, p. 565. Trans. Linn. Soc., vol. II, p. 354. Godron, O. C., t. II, p. 84. M. Carrière, dans Revue Horticole, 1er déc. 1866, p. 547, décrit un cas fort curieux. Ayant, à deux reprises, greffé l’Aria vestita sur des Épines croissant en vases, ses greffes donnèrent des jets dont l’écorce, les bourgeons, les feuilles, pétioles, pétales et pédoncules de fleurs furent tous très différents de ceux de l’Aria. Les tiges greffées furent aussi plus robustes et fleurirent plus tôt que celles de l’Aria non greffé. Transact. Hort. Soc. vol. II, p. 160. Alph. de Candolle, Bibl. Univ. Genève, nov. 1862 pour le chêne ; — et Loudon’s Garden Magazine, vol. XI, 1835, p. 503, pour le tilleul, etc. Braun, Rejuvenescence dans Ray Soc. Bot. Mem., 1853, p. 320 ; — et Gardener’s Chronicle, 1842, p. 397. Journ. of Hort. Soc., vol. II, 1847, p. 100. Transact. of Hort. Congress of Amsterdam, 1865 ; la plupart des renseignements m’ont été transmis par le prof. Caspary. Nouvelles Archives du Muséum, t. I, p. 143. Ibid. p. 141. Le Dr Lindley admet cette assertion, Gard. Chron., 1857, p. 382, 400. Braun, O. C., 1853, p. xxiii. Ce métis n’a jamais été décrit. Par son feuillage, l’époque de sa floraison, les stries foncées de la base de l’étendard, les villosités de l’ovaire et presque tous ses autres caractères, il est exactement intermédiaire entre les C. laburnum et alpinus, mais s’approcha plus du premier par la couleur, tout en ayant des grappes plus longues. Nous avons vu plus haut que 20,3 pour cent de ses grains de pollen sont difformes et inefficaces. La plante, quoique croissant à peu de distance des deux espèces parentes, ne donna point de bonnes graines pendant plusieurs saisons ; mais, en 1866, elle se montra fertile, et ses longues grappes produisirent de une à quatre siliques, dont plusieurs ne contenaient point de bonnes graines, mais d’autres en renfermaient une ou deux, et une seule en avait trois. Quelques graines ont germé. Annales de la Soc. d’Hort. de Paris, t. VII, 1830, p. 93. Ann. et Mag. of Nat. Hist., mars 1848. Pomologie physiologique, 1830, p. 126. Gallesio, Gli Agrumi dei Giard. Bot. Agrar. di Firenze, 1839, p. 11. Gard. Chron., 1835, p. 628. Voir prof. Gaspary, Transact. Hort. Congress of Amsterdam, 1865. Gard. Chron., 1851, p. 406. Gärtner, Bastarderzeugung, p. 549. — Il est toutefois encore douteux si ces deux plantes doivent être regardées comme des espèces ou variétés. Gärtner, Bastarderzeugung, p. 550. Journ. de Physique, t. XXIII, 1783, p. 100. — Act. Acad. Saint-Pétersbourg, 1781, t. I, p. 249. Nouvelles Archives du Muséum, t. I, p. 49. L’Hermès, janv. 14, 1837, cité dans Loudon’s Gard. Mag., vol. XIII, p. 230. Comptes rendus, t. xxxiv, 1852, p. 746. Geog. Bot. de l’Europe, t. III, 1854, p. 405. — De la Fécondation, 1862, p. 302. Traité du Citrus, 1811, p. 48. Transact. Linn. Soc., vol. IX, p. 268. Gärtner, O. C., p. 611, donne beaucoup de renseignements sur ce point. Bradley, Treatise on Husbandry, 1724, vol. I, p. 199, mentionne un cas très-analogue. Loudon, Arboretum, etc., vol. IV, p. 2595. O. C., p. 619. Amsterdam, 1768, p. 124. Gardener’s Chronicle, 1860, p. 672, avec figure. Philosophical Transact., vol. XLIII, 1744–45, p. 525. Mr Swayne, Trans. Hort. Soc., vol. v, p. 234. — Gärtner O. C., 1849, p. 81 et 499. Gardener’s Chron., 1854, p. 404. Id., 1866, p. 900. Voir le travail de cet observateur lu devant le Congrès international horticole et botanique de Londres, 1866. Traité du Citrus, p. 40. Transact. Hort. Soc., vol. IV, p. 318, — et vol. v, p. 65. Prof. Asa Gray, Proc. Acad. Sc. Boston ; vol. IV, 1860, p. 21. Proc. Hort. Soc., vol. I, 1866, p. 50, pour le cas français ; — pour celui d’Allemagne, Mr Jack, dans Henfreys Bot. Gazette, vol. I, p. 277. Un cas arrivé en Angleterre a été récemment communiqué à la Société d’horticulture de Londres, par le Rév. J. M. Berkeley. Philosoph. Transact., vol. XLVII, 1751–52, p. 206. Gallesio, Teoria della Riproduzione, 1816, p. 95. — Le Dr Hildebrand de Bonn, par lettre du 2 janvier 1868, m’informe qu’il a récemment croisé un maïs jaune avec un rouge, et a obtenu les mêmes résultats que le Dr Savi, avec la particularité que, dans un cas, l’axe qui porte les graines, était taché de couleur brune. Le Dr Hildebrand me signale aussi quelques cas remarquables relatifs au pommier, et analogues à ceux dont il est question plus loin. Ces faits intéressants seront prochainement publiés dans le Bot. Zeitung. Il peut être utile de rappeler ici les différents modes suivant lesquels les fleurs et fruits deviennent rayés ou pommelés : 1o par l’action directe du pollen d’une autre variété ou espèce, comme dans les cas donnés ci-dessus pour l’orange et le maïs ; 2o par des croisements de la première génération, lorsque les couleurs des parents ne s’unissent pas franchement, comme dans les croisements des Mirabilis et Dianthus ; 3o par des plantes croisées d’une génération suivante, par retour, tant par variation de bourgeons que par génération séminale ; 4o par retour à un caractère provenant non pas d’un croisement, mais depuis longtemps perdu, comme pour les variétés à fleurs blanches, qui, ainsi que nous le verrons, deviennent souvent rayées d’une autre couleur. Enfin, il y a des cas, comme celui des pêches portant une moitié ou un quart de pêche lisse, où le changement paraît dû à une simple variation, soit par bourgeon, soit par génération ordinaire. Transact. Hort. Soc., vol. v, p. 69. Journal of Horticult., 20 janv. 1863, p. 46. Prof. Decaisne, traduit dans Proc. Hort. Soc., vol. i, 1866, p. 48. Vol. XLIII, 1744–45, p. 525 ; vol.xlv, 1747–48, p. 602. Trans. Hort. Soc., vol. v, p. 63 et 68. — Puvis, de la Dégénération, 1837, p. 36, cite aussi plusieurs cas, mais il n’est pas toujours possible de distinguer entre l’action directe du pollen étranger et celle des variations par bourgeons. T. de Clermont-Tonnerre, Mém. Soc. Linn. de Paris, t. III, 1825, p. 164. Trans. Hort. Soc., vol. v, p. 68. Beiträge zur Kenntniss d. Befruchtung, 1844, p. 347–351. Die Fruchtbildung der Orchideen, ein Beweis für die doppelte Wirkung des Pollen ; Botanische Zeitung, no 44 et seq., oct. 30, 1863 et 1865, p. 249. Philos. Transact., 1821, p. 20. Alex. Harvey ; A remarkable effect of Cross-Breeding, 1851. — Physiology of Breeding, par R. Orton, 1855. — Intermarriage, par A. Walker, 1837. — L’Hérédité naturelle, par Dr P. Lucas, tom. II, p. 58. — W. Sedgewick, dans British and Foreign Medico-Chirurgic. Review, 1863, p. 183. — Bronn, Geschichte der Natur, 1843, vol. II, p. 127, a recueilli plusieurs cas sur les juments, les truies et les chiens. — M. W. C. L. Martin (Hist. of the Dog, 1845, p. 104), donne plusieurs observations personnelles sur l’influence du premier mâle, sur les portées faites ultérieurement par la femelle et par des autres mâles ; Jacques Savary, poëte français, qui a écrit, en 1665, sur les chiens, paraît avoir connu ce fait singulier. — Le Dr Bowerbank me communique le cas frappant suivant : une chienne turque noire et sans poils, ayant été accidentellement couverte par un épagneul métis à longs poils bruns, mit bas cinq petits, dont trois furent sans poils et deux couverts d’un poil brun et court. Livrée ensuite à un chien turc également noir et sans poils, les petits de cette seconde portée furent pour moitié semblables à la mère, c’est-à-dire turcs purs, l’autre moitié des produits ressemblant tout à fait aux chiens à poils courts provenant du premier père. Le Pigeon voyageur belge, 1863, p. 59. Flora anomala, p. 164. Schriften d. Phys.-OEkon. Gesell. zu Königsberg, vol. VI, 1865, p. 4. |
Dorci, ou la Bizarrerie du sort, avec une Notice sur l'auteur/Texte entier | Donatien Alphonse François de Sade, notice par Anatole France Dorci, ou la Bizarrerie du sort, avec une Notice sur l’auteur (1881) Texte établi par Anatole France, Charavay frères, 1881 (p. 7-29). bookDorci, ou la Bizarrerie du sort, avec une Notice sur l’auteur (1881)Donatien Alphonse François de Sade, notice par Anatole FranceG. Charpentier SctCharavay frères1881ParisVSade - Dorci, ou la Bizarrerie du sort, 1881.djvuSade - Dorci, ou la Bizarrerie du sort, 1881.djvu/117-29 Nous ne l’avons pas cherché, ce sujet rare, ce beau et riche sujet de pathologie littéraire. Mais, puisqu’il se présente à nous, nous nous faisons un devoir de l’observer. Toutefois, avant de rédiger quelques notes sur le cas surprenant qu’il nous offre, avertissons les lecteurs très choisis auxquels s’adresse cette plaquette que la nouvelle qui y est publiée pour la première fois ne nous servira nullement de pièce justificative. Bien que du marquis de Sade, elle n’est pas sadique ; elle est au contraire fort innocente et ne porte aucune trace de la maladie mentale qui déshonora son auteur. Voilà ce que nous avions hâte de dire. Maintenant, considérons le malade et la maladie. Donatien-Alphonse-François de Sade, né dans l’hôtel de Condé le 2 juin 1740, était issu d’une ancienne et noble maison qui remontait à Foulques de Sade et à sa femme Laure de Noves, la dame austère chantée par Pétrarque, et qui, plus tard, s’allia à la maison de Condé par Mlle de Maillé, nièce du cardinal de Richelieu. Il passa son enfance en partie en Provence, où sa famille avait des terres, et en partie à Exeuil, en Auvergne, auprès de son oncle, le vicaire général de Toulouse et de Narbonne, qui joignait à la galanterie d’un abbé de cour le savoir d’un homme de cabinet, et précéda de loin Fauriel, avec une spirituelle érudition, dans des recherches sur la poésie provençale. Le jeune marquis fit ses études au collège Louis-le-Grand qu’il quitta à quatorze ans, pour entrer dans les chevau-légers. De là, il passa comme sous-lieutenant au régiment du Roi, puis il fut lieutenant dans les carabiniers, fit la guerre en Allemagne et gagna sur le champ de bataille le grade de capitaine de cavalerie. Il revint à Paris en 1766, et ceux qui le connurent alors se firent de lui l’idée d’un aimable libertin. Ses folies de jeunesse ne passaient pas ce qui était permis en ce temps-là à un jeune homme de famille. Toutefois, son père résolut d’y mettre fin en le mariant. Il s’entendit à ce sujet avec son ami M. de Montreuil, président à la Cour des aides, qui destina sa fille aînée au marquis. C’était une belle, honnête, pieuse et froide demoiselle. Sa sœur cadette, avec moins de rectitude dans l’esprit, avait plus de charme sur sa personne. Le marquis de Sade l’aima et déclara que c’était elle qu’il voulait épouser. Son père et M. de Montreuil, tous deux bien opiniâtres dans cette affaire, exigèrent, l’un qu’il se mariât, l’autre qu’il prît l’aînée. Après d’impérieuses sollicitations, le marquis céda. Un an après ce mariage forcé, la mort de son père le mit en possession d’une grande fortune et du titre de comte que portaient les aînés dans sa famille, mais qui, par une singularité inexpliquée, ne prévalut jamais, pour lui, sur celui de marquis que l’usage lui a conservé. Il se jeta alors dans de furieuses débauches avec des roués, des hommes de lettres, des laquais et des merlans. Cela est ignoble, mais n’a rien de particulier. Le premier acte, rendu public, qui révèle une aberration caractéristique du sens moral chez cet homme, date du 3 avril 1768. Ce jour-là, tandis que deux filles raccolées par son valet de chambre l’attendaient dans sa petite maison d’Arcueil, il rencontra à Paris une femme du peuple nommée Rose Keller, à qui il offrit à souper et qui ne se fit pas prier. Quand il entra avec elle dans la maison, les deux filles étaient à table, couronnées de roses selon la mode grecque, remise en honneur par l’abbé Barthélemy. Mais, au lieu de la faire asseoir au banquet, il la poussa dans un grenier avec l’aide de son valet, la mit nue, la lia, la fouetta au sang, et redescendit souper avec les deux créatures. Il était jour quand Rose Keller, folle de terreur, parvint à rompre ses liens et se jeta par la lucarne dans la rue où elle tomba nue, bleue de coups et ensanglantée par sa chute. On la releva, le peuple s’amassa autour d’elle, les cris, les menaces éclatèrent, et le marquis de Sade, encore ivre, s’enfuit poursuivi par des paysans indignés. Rose Keller porta plainte, et le marquis, dont l’aventure occupait les salons, fut enfermé dans le château de Saumur, puis dans la prison de Pierre-Encise, à Lyon. Mais, au bout de six semaines, la famille du marquis obtint des lettres d’abolition portant, dit-on, que le délire du 3 avril était d’un genre non prévu par les lois, et que l’ensemble en présentait un tableau si obscène et si honteux, qu’il fallait en éteindre jusqu’au souvenir. Quoi qu’il en soit de ces lettres, dont il faudrait vérifier la teneur, l’accusation était mise à néant par le désistement de la plaignante qui, moyennant une somme de cent louis, donna quittance de sa fessée. Avec ces cent louis pour dot, elle trouva mari l’année suivante. D’ailleurs, c’était une prostituée ; mais l’acte commis sur elle par Sade n’en était pas moins une monstruosité. Un sentiment unique et violent, une sorte de désespoir amoureux précipitait ainsi le marquis, s’il faut l’en croire, dans l’enfer de la débauche, jusqu’au septième cercle. Autant il détestait sa femme, autant il adorait sa belle-sœur. Il avait quelque raison de croire que celle-ci répondait à ses sentiments, si peu avouables qu’ils fussent, et M. de Montreuil avait cru devoir prendre la précaution de la cacher au fond d’un couvent que Sade ne put découvrir. De plus, il obtint un ordre de la police pour que son gendre fût exilé en Provence, au château de la Coste. Il y emmena une fille de théâtre qu’il fit passer pour sa femme et qu’il présenta à toute la noblesse des environs. Bientôt la vraie marquise de Sade vint habiter avec sa sœur, nouvellement sortie du couvent, la terre de Saumane, qui touchait à la fontaine de Vaucluse. Le marquis courut les rejoindre. Il demanda pardon à sa femme de l’avoir offensée. Mais il ne venait que pour revoir Mlle de Montreuil, dont il était encore épris. À celle-ci il jura qu’il n’avait jamais aimé qu’elle, et que les fautes même dont il s’avouait coupable n’étaient que le résultat de cet amour poussé au désespoir ; il menaça de se frapper de son épée, de se noyer dans la Sorgue, de se jeter du haut des tours de Saumane, si elle refusait de lui pardonner et de lui rendre le même amour dont il s’était cru digne avant de contracter un mariage détesté. Il reconnut, à l’effet de ses paroles, que la jeune fille l’aimait encore, et il résolut de l’enlever. Dans le courant de juin, il se rendit à Marseille avec le domestique qui l’assistait dans ses débauches. Pourvu de pastilles de chocolat dans la composition desquelles entrait une forte dose de cantharides, il se rendit dans une maison publique où il prodigua aux filles les vins, les liqueurs et les pastilles. Ces créatures, ainsi excitées et empoisonnées, s’agitèrent avec une telle frénésie et poussèrent de tels cris que la foule s’ameuta autour de la maison. Une malheureuse, devenue tout à fait folle, se jeta par la fenêtre. Sade et son valet s’étaient enfuis, mais le parlement d’Aix fut saisi de cette affaire scandaleuse. Deux filles moururent des blessures qu’elles s’étaient faites pendant l’accès déterminé par les cantharides. Le marquis, bien que caché, se fit écrire par un conseiller une lettre qui lui annonçait l’issue inévitable du procès : la roue. Muni de cette lettre, il se rend secrètement à Saumane et se jette aux pieds de sa belle-sœur, les lui baise en sanglotant, « se nomme lui-même un monstre indigne de pitié, s’accuse des plus grands forfaits et déclare qu’il va s’en punir par un suicide. » Elle tremble, elle pleure, elle le plaint doucement. Il lui tend la lettre et lui raconte obscurément quelque drame de désespoir. « ... Je sais que vous ne m’aimez pas ; je sais que vous me méprisez ! cette pensée a fait mon crime... j’ai préparé de mes mains le poison... plusieurs personnes ont succombé... le hasard m’a sauvé... je vais me faire justice. Adieu ! » Mlle de Montreuil ne comprend rien, sinon qu’il va mourir dans un supplice infâme, et qu’elle l’aime. Elle le retient, elle le supplie de ne pas se perdre. — « Eh bien ! s’écrie-t-il, je consens à vivre, je consens à fuir, si vous ne m’abandonnez pas, si vous m’aimez ! Autrement, adieu ! laissez-moi mourir. » Une heure après, Mlle de Montreuil montait dans la chaise de poste qu’il avait préparée et qui les emporta en Italie. Le marquis de Sade, pendant qu’il était rompu vif en effigie, par arrêt du 11 septembre, jouissait dans un palazzo de l’inceste qu’il avait préparé par des moyens plus abominables que le but même. Mlle de Montreuil mourut dans ses bras, d’une maladie violente, à l’âge de vingt et un ans, et son amant, dont le cerveau se troublait de plus en plus, revint en France, où il fut pris, conduit à Vincennes, en vertu d’une lettre de cachet, et ensuite transféré à la Bastille. Sa maladie cérébrale se développa étrangement dans le régime de la prison, qui avait d’abord été très dur : ni linge l’été, ni bois l’hiver. Toujours attentive à son devoir, la marquise de Sade lui fit passer, dès qu’elle le put, des vêtements, des livres, du papier. C’est alors qu’il écrivit ces récits de l’érotisme le plus noir, pleins de flagellations, d’orgies de sang et de vin, de cadavres poignardés et violés, d’enfants mutilés, ces abominables romans ayant leur morale particulière, leur philosophie et leur doctrine propres, ces manuels compliqués de la débauche et de la cruauté, auprès desquels les petits livres polissons du XVIIIe siècle sont innocents. Justine, puisqu’il faut nommer le monstre, ne ressemble pas plus aux Bijoux indiscrets que Sophie Arnould ne ressemble à la Brinvilliers. Pendant que le marquis de Sade écrivait à la Bastille ses rêves monstrueux de malade, le faubourg Saint-Antoine s’agitait, et le gouverneur de Launey, craignant que la vue de ses prisonniers excitât le populaire, supprima la promenade quotidienne sur la plate-forme. Le marquis de Sade, irrité de cette mesure, saisit un long tuyau de fer-blanc terminé en entonnoir qu’on lui avait fabriqué pour vider ses eaux, et s’en fit un porte-voix au moyen duquel il appela le peuple aux armes. M. de Launey en écrivit à Versailles. On lui répondit qu’il pouvait disposer de la vie de son prisonnier, mais il se contenta de l’envoyer à Charenton. Le 17 mars 1790, le décret de la Constituante, qui rendait la liberté à tous les prisonniers enfermés par lettres de cachet, délivra le marquis de Sade. Sa belle-mère, en apprenant qu’il était libre, se contenta de dire : Fasse le ciel qu’il soit heureux ! Il avait vécu en trop mauvaise intelligence avec l’ancien régime pour n’être pas partisan du nouveau. D’ailleurs, les révolutionnaires l’accueillaient avec enthousiasme, comme une victime de la tyrannie. Sa longue captivité lui valut des honneurs municipaux. Secrétaire de la société des Piques, il usa de son influence avec une douceur qu’on n’eût point attendue d’un être dénaturé par un si furieux érotisme. Pendant la Terreur, il se montra humain et s’employa à sauver son beau-père et sa belle-mère de qui il se savait haï et méprisé, et qui ne l’avaient point épargné. Sa bienveillance et son nom le rendirent suspect. Accusé de modérantisme, il fut emprisonné aux Madelonnettes, d’où la réaction thermidorienne le tira plus fou que jamais, car la guillotine, sur la place de la Révolution, et les nudités provocantes du Palais-Égalité, pendant la fièvre de la Terreur, n’étaient pas des spectacles propres à le guérir de sa monomanie. Le Directoire, pendant lequel il fit, pour vivre, de mauvaises pièces de théâtre, lui fut remarquablement favorable. Il trouva un capitaliste pour lui imprimer ses livres en beaux caractères, sur beau papier, avec vignettes ; il trouva des libraires pour les vendre. On en imprima cinq exemplaires sur papier vélin pour les offrir aux Directeurs, qui remercièrent l’auteur. En outre, le marquis crut bien faire en présentant son ouvrage doré sur tranches au général Bonaparte. Le mari de Joséphine fut peu flatté de ce présent cynique. Devenu empereur et plus soucieux que jamais de l’ordre moral depuis que c’était son ordre, à lui, il fit saisir chez le marquis une édition clandestine, illustrée de cent figures, et fit enfermer l’auteur à Charenton. Le marquis de Sade y passa les quatorze années qui lui restaient à vivre. C’était un beau vieillard, blanc, dont la politesse était parfaite. Il disait doucement d’abominables ordures, traçait du bout de sa canne, sur le sable du préau, des figures obscènes, et écrivait dans sa cellule de sanglantes infamies. Il composait des comédies qu’il faisait jouer par les fous sur un théâtre élevé dans la prison. Et de belles dames venaient, dit-on, assister à ces représentations. Il resta jusqu’au bout sain et robuste de corps, et mourut doucement, presque sans maladie, le 2 décembre 1814. Son crâne fut étudié par les disciples de Gall, qui y trouvèrent une grande ressemblance avec le crâne d’Héloïse. Cette grave bouffonnerie n’a aucune importance, puisque l’étude des bosses de la tête en apprend sur le moral de l’homme exactement autant que le vol des oiseaux et la position des astres. C’est le cerveau qu’un physiologiste moderne aurait examiné, et c’est dans la substance grise centrale de la couche optique qu’il aurait cherché la lésion, car c’est là que sont disséminées les incitations génitales dont la perversion était notoire chez ce sujet. Mais il n’aurait probablement rien trouvé. On a étudié le cerveau de gens affectés de satyriasis sans y rien remarquer d’anormal. S’il est certain que le marquis de Sade était un malade, le trait clinique fondamental de sa maladie est encore aujourd’hui impossible à saisir, et la pathologie s’arrête avec nous, en ce cas, dans les domaines un peu vagues de l’analyse psychologique. Remarquons tout d’abord, dans cet ordre d’idées, que la folie du marquis de Sade fut rigoureusement localisée. Dans tous les rapports qui n’intéressent pas le sexe, il se montra inoffensif, et parfois même, comme nous l’avons vu, humain et généreux. On l’a comparé au maréchal de Raiz ; c’est très injuste. Raiz commit réellement des mutilations lubriques ; Sade, qui ne fit qu’en raconter, ce qui est déjà beaucoup trop, ne lacéra jamais des enfants ou des femmes. L’indécente flagellation de Rose Keller et les pastilles offertes aux filles de Marseille sont des actes très mauvais, mais qui n’atteignent pas à l’atrocité des mutilations dont Néron fut soupçonné et Raiz convaincu. Je sais bien que ces deux faits d’Arcueil et de Marseille, qui ne devinrent publics que grâce à des circonstances particulières, en font raisonnablement supposer d’autres tout aussi détestables, mais il est certain que la folie de Sade n’alla jamais jusqu’au meurtre. Quand cette folie prit, dans les cachots, une issue théorique, elle se complut dans des idées scélérates, mais la morale la plus sévère n’égale pas les crimes imaginés aux crimes perpétrés. Notre fou aurait été en somme peu dangereux si on avait brûlé ses livres au lieu de les imprimer. Il était intelligent ; il y a, dans son Idée sur les romans, des observations judicieuses et un sens littéraire assez droit. La remarque qu’il y fait que « ce n’est qu’en travaillant que les idées viennent » frappera, sans doute, par sa justesse, tous ceux qui ont quelque expérience de la production intellectuelle. À la façon dont il parle de la Princesse de Clèves, de Manon Lescaut et de Clarisse Harlowe, il semble que ces œuvres charmantes se soient reflétées dans son âme sans déformation ni enlaidissement. La nouvelle, que nous publions pour la première fois, ressemble à ces petits récits romanesques que l’abbé Prévost sema dans le Pour et le Contre, et n’est pas inférieure à la plupart de ces contes noirs. Le désordre mental, qui est manifeste dans les actes et dans les écrits du marquis de Sade, résulte de l’association, et, par suite, de la confusion de deux idées qui restent parfaitement distinctes et même opposées dans toutes les intelligences saines : le plaisir et la souffrance. Des images de volupté et de supplices se formaient simultanément dans le cerveau de ce malheureux. Cela apparaît dès son premier crime et cela est la caractéristique de sa littérature. Sur un de ses derniers manuscrits, écrits à Charenton, Jules Janin lut cette phrase : « J’ai oublié deux supplices. » J’ai vu, il y a quelques années, dans un cabinet d’autographes, un plan de maison publique tracé par l’incurable vieillard ; la destination de toutes les salles était marquée ; celles du fond portaient ces légendes : « Ici l’on estropie. Ici l’on tue. » On voit que l’abominable association de ces deux séries d’idées fut suivie avec une terrible logique par ce fou dont Carrier réalisa l’idéal en faisant ses mariages républicains. Cette folie est rare ; elle n’est pas unique, et le monde romain en sentit les atteintes sous les empereurs. Le temps où Sade fut élevé n’en fut point infesté. On imprima beaucoup de sottises au XVIIIe siècle, et on en fit encore davantage ; mais on les dit et on les fit gaiement, et c’est ce qui les rend pardonnables. Je laisserai dans le livre du docteur Tardieu l’histoire assez récente de ce sergent qui déterrait les morts et qu’on eut bien tort de ne pas mettre dans un cabanon de fou ; il y a entre cet homme et le marquis de Sade une certaine parenté morale, mais je ne veux pas sortir de la tératologie littéraire. Un livre, publié il y a une vingtaine d’années, en Belgique, et que je me garderai bien de nommer, contient un grand nombre de scènes dans lesquelles la débauche et la cruauté sont étroitement unies et confondues pour former des tableaux d’une obscénité dégoûtante. L’auteur, quel qu’il soit, de cette infamie, la produisit dans un accès d’érotisme scélérat tel que le marquis de Sade n’en éprouva jamais d’aussi violent. Nous rappelons ici ce livre innommable parce qu’on y retrouve à chaque ligne ce que nous considérons comme l’aberration initiale du marquis de Sade. Ce mal, que l’auteur de Justine a eu la triste gloire de nommer, le sadisme, n’est pas toujours à l’état aigu. Il s’est rencontré avec quelque bénignité chez plusieurs écrivains qui n’en sont pas morts. Il serait odieux de rapprocher d’un nom déshonoré un nom digne au contraire d’honneur, puisque c’est celui d’un poète qui a trouvé une forme neuve et rare du beau. Mais comment ne pas noter sur ces feuillets de nosologie littéraire le penchant irrésistible de l’auteur des Fleurs du mal à associer le crime et la volupté, en sorte qu’on ne sait plus s’il chante, dans ses strophes d’un sombre éclat, le crime de la volupté ou la volupté du crime ? La peste sadique n’a pas tué ce poète magnifique et singulier, mais elle l’a atteint, comme elle en a atteint plusieurs autres en ce temps-ci. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. La nouvelle que nous publions ici pour la première fois, d’après le manuscrit autographe signé, devait entrer dans le recueil intitulé les Crimes de l’Amour (Paris, Massé, an VIII (1800), 4 vol. in-12), comme l’indique une note mise au crayon par l’auteur en marge du premier feuillet : « Le crime de l’amour, dans ce conte, n’est que l’épisode, car le sujet principal est bien réellement l’action de l’être vertueux qui veut sauver une victime des loix. » Le marquis de Sade a raison, et son récit rentre dans ce genre vertueux, fort goûté aux approches de la Révolution. L’histoire de Dorci fut certainement écrite sous l’ancien régime, pendant la détention du marquis. L’auteur, renonçant à la faire entrer dans les Crimes de l’Amour, où elle s’adaptait assez mal, comme il le reconnut judicieusement, songea à l’insérer dans un autre recueil. C’est ce qui ressort de l’avis qu’on lit en marge de la dernière page et que voici : « À l’éditeur. » Ce conte est bon. Il doit produire de l’effet. Il faut le mettre avec un bien long. » Mais on était alors en pleine révolution, et la rédaction primitive, qui datait de l’ancien régime, fut soumise à un système curieux de corrections : « Le comte et le marquis de Dorci » devinrent « Paul et François Dorci. » Cela était nécessaire. Paul Dorci « a de la sensibilité et des vertus » ; il ne peut donc pas être un aristocrate. Le « château » qui éveillait dans les âmes des patriotes des idées odieuses, devint la « maison » ; la « terre » devint la « possession ». Un homme libre ne peut labourer la terre du seigneur, mais il peut travailler sur la possession d’un citoyen, ce qui est bien différent, n’est-il pas vrai ? Dans la rédaction primitive se trouvait une jeune paysanne du nom d’Annette qui faisait « sa première communion ». On ne pouvait laisser plus longtemps cette innocente enfant victime du fanatisme et de l’imposture. On remplaça sa première communion par un peu d’instruction laïque, ce qui explique immédiatement « la sensibilité » d’Annette et toutes ses vertus. Ces corrections sont dans l’esprit de l’époque. La censure en exigeait de semblables des auteurs dont elle examinait les comédies et les mélodrames. Je trouve dans un très intéressant livre de M. Henri Welschinger, sur le théâtre de la Révolution, des rapports de censeurs qui concluent à la suppression de tous les titres nobiliaires et de tous les termes féodaux dans les pièces qui leur sont soumises. En 1794, un auteur avait donné à son héros le nom de Louis. L’administration biffa ce nom pour la raison qu’on ne peut donner le nom de Louis à un homme, surtout à un homme vertueux. Aussi, tous les gens de lettres faisaient comme le citoyen Sade : ils effaçaient de leurs écrits jusqu’aux moindres vestiges de l’ancien régime. Les plus zélés ne s’en tenaient pas à leurs propres ouvrages. Il y eut un patriote qui mit du civisme dans le Cid de Corneille. Cette guerre aux mots fait pitié ; mais, en réalité, elle était plus odieuse qu’inepte. En matière de gouvernement, le mot importe plus que la chose. Les politiques savent qu’on se fait très bien tuer pour un mot. Dans le Philoctète de Sophocle, Ulysse dit très justement : « Toute chose considérée et tentée, je vois que la parole, et non l’action, mène tout parmi les mortels. » Ulysse était sage. Nous reproduisons exactement le manuscrit du marquis de Sade avec son orthographe fautive, mais généralement régulière. Nous avons ponctué le texte pour le rendre lisible. Nous aurions pu rétablir en note tous les passages raturés ; ils sont nombreux, et la leçon primitive se lit sous le trait qui l’efface. Mais nous n’avons indiqué que les changements un peu curieux. Il n’est pas nécessaire de traiter un texte du marquis de Sade comme un texte de Pascal. A. F. De toutes les vertus que la nature nous a permis d’exercer sur la terre, la bienfaisance est incontestablement la plus douce. Est-il un plaisir plus touchant, en effet, que celui de soulager ses semblables ? et n’est-ce pas à l’instant où notre âme s’y livre, qu’elle approche le plus des qualités suprêmes de l’être qui nous a créés ? Des malheurs, nous assure-t-on, y sont quelquefois attachés ; qu’importe ? on a joui, on a fait jouir les autres ; n’en est-ce pas assez pour le bonheur ? Il ne s’était point vu depuis longtemps une intimité plus parfaite que celle qui régnait entre Paul et François Dorci. Tous deux frères, tous deux à peu près du même âge, c’est-à-dire environ de trente à trente-deux ans, tous deux officiers dans le même corps, et tous deux garçons ; aucun événement ne les avait jamais désunis, et, pour serrer les nœuds d’une liaison qui leur était si précieuse depuis que, par la mort de leur père, ils se trouvaient l’un et l’autre maîtres de leur bien, ils habitaient la même maison, se servaient des mêmes gens et étaient résolus à ne se marier jamais qu’à deux femmes dont les qualités répondissent aux leurs et qui consentissent de même à cette perpétuelle union dans laquelle ils trouvaient le bonheur de leurs jours. Les goûts de ces deux frères n’étaient pourtant pas absolument les mêmes. Paul, l’aîné de la maison, aimait le repos, la solitude, la promenade et les livres ; son caractère un peu sombre était néanmoins doux, sensible, honnête, et le plaisir d’obliger les autres, l’un des plus délicieux de son âme. Recherchant peu la société, il ne se trouvait jamais plus heureux que quand ses devoirs lui permettaient d’aller passer quelques mois à un assez joli bien que les deux frères possédaient du côté de l’Aigle, aux environs de la forêt du Perche. François, infiniment plus vif que son frère, infiniment plus livré au monde, n’avait pas un aussi grand amour pour la campagne. Doué d’une figure charmante et de la sorte d’esprit qui plaît aux femmes, il en était un peu trop l’esclave, et ce penchant qu’il ne put jamais régler, étayé d’une âme fougueuse et d’un esprit ardent, devint la source cruelle de ses malheurs. Une très jolie personne des environs de la terre dont on vient de parler occupait tellement François depuis un an qu’il n’était pour ainsi dire plus à lui. Il n’avait pas joint son corps cette année, il s’était séparé de Paul pour aller s’établir dans la petite ville où demeurait l’objet de son culte, et là, uniquement occupé de cet objet chéri, il oubliait à ses pieds toute la terre, il y sacrifiait et son devoir et les sentiments qui l’enchaînaient autrefois dans la maison de son aimable frère. On dit que l’amour augmente quand la jalousie l’aiguillonne. C’était l’histoire de François, mais le rival que le sort lui donnait était, disait-on, un homme aussi lâche que dangereux. Plaire à sa maîtresse, prévenir les trames de ce rival perfide, se livrer aveuglément à son amour, tels étaient les liens de ce jeune homme, telles étaient les raisons qui l’éloignaient entièrement cet été des bras d’un frère qui l’idolâtrait et qui pleurait avec amertume et son absence et son refroidissement. À peine Paul recevait-il des nouvelles de François Dorci. Écrivait-il ? Point de réponse, ou un simple mot qui n’achevait que de convaincre encore mieux Paul et que son frère avait la tête tournée et qu’il s’éloignait insensiblement de lui. Tranquillement à sa terre il y menait pourtant toujours la même vie. Des livres, de longues promenades, de fréquents actes de bienfaisance, telles étaient ses uniques occupations, et il était en cela bien plus heureux que son frère, puisqu’il jouissait au moins de lui-même, et que l’agitation perpétuelle dans laquelle vivait François lui laissait à peine le temps de se connaître. Les choses étaient en cet état, lorsque Paul, occupé d’une lecture intéressante, séduit par un temps délicieux, s’écarta tellement un jour de chez lui, qu’à l’heure où il projetait de revenir sur ses pas, il se trouva à plus de trois lieues au delà des bornes de sa possession, et à plus de cinq de sa maison, dans un coin de bois éloigné, et presque hors d’état de retrouver sans secours le vrai chemin qui devait le ramener. Dans cette perplexité, jetant les yeux de toutes parts, il aperçoit heureusement à cent pas une cabane vers laquelle il se dirige pour prendre conseil et se reposer une minute... Il arrive... il ouvre... il pénètre dans une mauvaise cuisine composant la plus belle pièce du logis, et là, quel intéressant tableau s’offre à son âme sensible et de quels traits il la pénètre ! Une fille de seize ans, belle comme le jour, tenait dans ses bras une femme évanouie, d’environ quarante ans, qui paraissait sa mère et qu’elle arrosait des larmes de la plus profonde douleur. Elle jette un cri à la vue de Paul : « Qui que vous soyez, dit-elle, venez-vous aussi pour m’arracher ma mère ?... Ah ! prenez plutôt ma vie, si cela est, mais laissez respirer cette malheureuse. » Et, en disant cela, Annette, se jetant aux pieds de Paul, l’implore en formant de ses bras élevés vers le ciel un rempart entre sa mère et lui. « En vérité, mon enfant, dit Paul, aussi ému que surpris, voilà des marques de crainte bien déplacées ; j’ignore ce qui vous alarme, mes bonnes amies, mais ce qu’il y a de sûr, c’est que le Ciel vous offre en moi, quelles que puissent être vos peines, bien plutôt un protecteur qu’un ennemi. — Un protecteur, dit Annette, en se relevant et volant à sa mère qui, revenue de son anéantissement, s’était réfugiée dans un coin, pleine d’effroi ;... un protecteur ! ma mère, entendez-vous ? ce monsieur dit qu’il nous protégera ; il dit que c’est le Ciel que nous avons tant prié, ma mère... il dit que c’est le Ciel qui l’envoie près de nous pour nous protéger... » Et, revenant à Paul : « Ah ! monsieur, quelle belle action, si vous nous secourez. Il n’exista jamais sur la terre deux créatures plus à plaindre. Secourez-nous, monsieur !... secourez-nous !... cette pauvre et digne femme !... elle n’a pas mangé depuis trois jours... et que mangerait-elle ?... de quoi la soulagerais-je, quand son état lui permettrait-il de l’être ?... Il n’y a pas un morceau de pain dans la maison... Tout le monde nous abandonne... On va sans doute nous faire mourir nous-mêmes, et cependant Dieu sait si nous sommes coupables... Hélas ! mon pauvre père... le plus honnête et le plus malheureux des hommes !... il n’est pas plus coupable que nous, et, demain, peut-être... Ô monsieur ! monsieur ! vous n’êtes jamais entré dans une maison plus misérable que la nôtre... on dit que Dieu n’abandonne jamais l’infortune, et nous voilà pourtant bien délaissées !... » Paul qui vit, au désordre de cette fille, à ses propos sans suite, à l’état déchirant de la mère, qu’il était vraisemblablement arrivé dans cette maison quelque catastrophe épouvantable, et, trouvant là pour son âme tendre une occasion si belle d’exercer la vertu qui lui était familière, commença par supplier ces deux femmes de se calmer, leur renouvela plusieurs fois, pour les y engager, l’assurance positive de les protéger, et exigea d’elles de lui raconter le sujet de leurs peines. Après de nouveaux torrents de larmes, suite de l’émotion d’un bonheur aussi peu attendu, la jeune Annette, ayant supplié Paul de s’asseoir, lui fit ainsi l’histoire des malheurs affreux de sa famille... récit funeste qu’il lui fut impossible de ne pas souvent interrompre par ses sanglots et par ses pleurs. « Mon père est un des plus pauvres et des plus honnêtes hommes de la contrée, monsieur ; il est bûcheron de son métier, il s’appelle Christophe Alain ; il n’a eu que deux enfants de cette pauvre femme que vous voyez : un garçon qui a dix-huit ans et moi qui viens d’en prendre seize. Malgré sa pauvreté, il a fait tout ce qu’il a pu pour nous bien faire élever. Mon frère et moi nous avons été pendant plus de trois ans en pension à l’Aigle, et nous savons tous les deux bien lire et bien écrire. Quand nous fûmes un peu instruits, mon père nous retira ; il ne lui était plus possible de faire tant de dépenses pour nous, et le pauvre cher homme, ainsi que sa femme, n’ont mangé pendant tout ce temps-là que du pain, afin de pouvoir nous donner un peu d’éducation. Quand mon frère revint, il était assez fort pour travailler avec lui ; j’aidais ma mère, et notre pauvre maison en allait bien mieux ; enfin, monsieur, tout nous favorisait, et il semblait que notre exactitude à remplir nos devoirs attirât sur nous la bénédiction du Ciel, lorsqu’il nous est arrivé, il y a aujourd’hui huit jours, le plus grand des malheurs qui puisse survenir à de pauvres gens sans crédit, sans argent et sans protection, comme nous. Mon frère n’y était pas ; il travaillait à plus de deux lieues de là ; mon père était tout seul à près de trois lieues d’ici, du côté de la forêt qui remonte vers Alençon, lorsqu’il aperçoit le cadavre d’un homme couché au pied d’un arbre... il s’en approche avec l’intention de secourir ce malheureux, s’il en est encore temps ; il retournait ce corps, il lui frottait les tempes avec un peu de vin qu’il avait dans sa gourde, quand tout à coup quatre cavaliers de la maréchaussée, accourant au galop, tombent sur lui, l’enchaînent et le conduisent dans les prisons de Rouen, où ils le déposent comme coupable d’avoir assassiné l’homme qu’il cherchait, au contraire, à rappeler à la vie. Ne voyant point mon père revenir comme de coutume, vous vous représentez aisément notre inquiétude, monsieur. Mon frère, qui venait de rentrer, a couru bien vite dans tous les environs, et il est revenu le lendemain nous apprendre cette triste nouvelle. Nous lui avons aussitôt remis le peu d’argent qu’il y avait dans la maison, et il a volé à Rouen porter du secours à notre pauvre père. Trois jours après, mon frère nous a écrit ; nous avons reçu la lettre hier... la voilà, dit Annette en s’interrompant par ses sanglots... la voilà, cette fatale lettre ! Il nous dit de nous tenir sur nos gardes, qu’au premier moment on viendra peut-être nous enlever nous-mêmes pour nous conduire aussi en prison afin d’être confrontés à notre père, que rien, dit-il, quoique innocent, ne pourra jamais sauver ; on ignore encore quel est ce cadavre ; on fait des perquisitions et l’on assure, en attendant, que c’est un habitant tué et volé par mon père qui, voyant venir à lui, a jeté l’argent dans le bois. Ce qui confirme cette opinion, c’est qu’on n’a pas trouvé un sol dans la poche du mort ; mais, monsieur, cet homme tué de la veille ne peut-il pas avoir été volé par ceux qui l’ont assassiné ou par ceux qui depuis son accident peuvent l’avoir rencontré ?... Oh ! croyez-moi, monsieur, mon père est incapable d’une telle action ; il aimerait mieux mourir lui-même que de l’avoir fait... Et voilà pourtant que nous allons avoir le malheur de le perdre. Et de quelle façon, grand Dieu !... Vous savez tout, monsieur, vous savez tout... Excusez ma douleur et secourez-nous, si vous le pouvez. Nous passerons le reste de nos jours à invoquer le Ciel pour la conservation des vôtres... vous ne l’ignorez pas, monsieur : les larmes de l’infortune attendrissent l’Éternel ; il daigne quelquefois exaucer les vœux du faible, eh bien ! monsieur, tous ces vœux seront pour vous ; nous ne l’implorerons qu’en votre faveur, nous ne l’invoquerons que pour votre prospérité. » Paul n’avait pas entendu sans émotion le récit d’une aventure aussi funeste. Plein du désir d’être utile à ces braves gens, il leur demanda d’abord de quel propriétaire dépendait leur local, en leur faisant entendre qu’il était prudent de se munir avant tout de cette protection. — Hélas ! monsieur, répondit Annette, cette maison dépend des moines. Nous leur avons déjà parlé, mais ils nous ont répondu qu’ils ne pouvaient nous être d’aucune utilité ; ah ! si nous étions seulement à deux lieues d’un autre côté, sur les terres de M. Paul Dorci, nous serions bien sûrs d’être secourus... c’est le plus aimable homme de la province, le plus compatissant... le plus charitable. — Et vous ne connaissez personne auprès de lui, Annette ? — Non vraiment, monsieur. — Eh bien, je me charge de vous présenter ; je fais plus, je vous promets sa protection... Je vous engage sa parole qu’il vous servira de tout son pouvoir. — Oh ! monsieur, que vous êtes bon ! dirent ces pauvres femmes... Comment pourrons-nous reconnaître ce que vous faites pour nous ? — En l’oubliant dès que j’aurai réussi ? — L’oublier, monsieur ! ah ! jamais, jamais, le souvenir d’un tel acte de bienfaisance ne s’éteindra qu’avec notre vie. — Eh bien ! mes enfants, voyez donc dans vos bras celui même dont vous désirez l’appui. — Vous, monsieur ? Paul Dorci ? — Moi-même, votre ami, votre soutien et votre protecteur. — Ô ma mère... ma mère, nous sommes sauvées, s’écria la jeune Annette ; nous sommes sauvées, ma mère, puisqu’un aussi honnête homme veut bien nous promettre son appui. — Mes enfants, dit Paul, il est tard ; j’ai du chemin à faire pour me retirer chez moi. Je vous quitte et ne me sépare de vous, qu’en vous donnant ma parole d’être demain au soir à Rouen et de vous envoyer sous peu de jours des nouvelles sûres de mes démarches... Je ne vous en dis pas davantage, mais attendez tout de mes soins. Tenez, Annette, vous devez avoir besoin de quelques fonds dans ce moment-ci. Voilà quinze louis ; gardez-les pour votre ménage, je me charge de pourvoir aux dépenses que votre affaire exigera. — Eh ! monsieur, que de bontés ! — Ma mère, aurions-nous dû nous attendre ?... Juste Ciel ! jamais autant de bienfaisance n’éclata dans l’âme d’un mortel ! Monsieur, monsieur, continuait Annette, en se jetant aux genoux de Paul, non ! vous n’êtes point un homme, vous êtes la Divinité même descendue sur la terre pour secourir l’infortune. Ah ! que pouvons-nous faire pour vous ? Ordonnez, monsieur, ordonnez et permettez-nous de nous consacrer éternellement à votre service. — Je vais en exiger un à l’instant, ma chère Annette, dit Paul... Je me suis perdu ; j’ignore la route qu’il faut tenir pour me rendre chez moi ; daignez me servir de guide une ou deux lieues, et vous vous serez acquittée de ce bienfait, auquel votre âme douce et sensible met plus de prix qu’il n’en mérite. » On imagine aisément comme Annette vole à l’instant au désir de son bienfaiteur. Elle le devance, elle le met dans la route, elle chante ses louanges pendant le chemin. Si elle s’arrête un instant, c’est pour arroser de larmes les mains de celui qui la protège, et Paul, dans cette douce émotion que nous donne le charme d’être aimé, goûte un échantillon du bonheur céleste, et se trouve un Dieu sur la terre. Ô sainte Humanité, fille du Ciel et reine des hommes, dois-tu donc permettre qu’une source de remords et de chagrins soit la récompense de tes sectateurs, pendant que ceux qui t’outragent sans cesse triomphent, en t’insultant, sur les débris de tes autels ? À environ deux lieues de la maison de Christophe, Paul se reconnut. « Il est tard, ma petite, dit-il à Annette ; me voici en pays de connaissance. Retournez chez vous, mon enfant ; votre mère serait inquiète, continuez de l’assurer de mes services et dites-lui que je m’engage à ne revenir de Rouen qu’en lui ramenant son mari. » Annette pleura quand il fallut se séparer de Paul ; elle aurait été au bout de la terre avec lui... Elle lui demanda la permission d’embrasser ses genoux... « Non Annette, c’est moi qui vous embrasserai, dit Paul, en la pressant chastement dans ses bras. Allez, mon enfant, continuez de servir vos parents et votre prochain ; soyez toujours honnête, et la bénédiction du Ciel ne vous abandonnera jamais... » Annette serrait les mains de Paul ; elle fondait en larmes ; ses sanglots l’empêchaient d’exprimer ce que son âme sensible éprouvait. Dorci lui-même, trop ému, l’embrasse une dernière fois, la repousse doucement et s’éloigne. Ô gens du siècle qui lirez ceci, voyez l’empire de la vertu sur une belle âme, et que cet exemple vous touche au moins, si vous vous sentez incapable de l’imiter ! À peine Paul avait-il trente-deux ans... il était chez lui... il était au milieu d’une forêt ; il avait dans ses bras une jeune fille charmante, que la reconnaissance lui livrait... Il versa des larmes sur les malheurs de cette créature infortunée et ne s’occupa que de la secourir. Paul arrive et dispose tout pour son départ... Funeste effet du pressentiment ! voix intérieure de la nature, à laquelle l’homme ne devrait jamais résister !... Paul avoua à un de ses amis qui l’attendait et qu’il instruisit de son avanture, il avoua qu’il lui était impossible de se dissimuler à lui-même un mouvement impénétrable qui semblait lui conseiller de ne se point mêler de cette affaire... Mais la bienfaisance l’emporta ; rien ne tint aux charmes qu’éprouvait Dorci à faire le bien, et il partit. Arrivé à Rouen, Paul fut voir tous les juges ; il leur dit à tous qu’il s’offrait pour caution du malheureux Christophe, si cela était nécessaire ; qu’il était sûr de son innocence, et si constamment sûr qu’il offrait sa vie si l’on voulait pour sauver celle du prévenu. Il demanda à le voir ; on le lui permit, il l’interrogea et fut si content de ses réponses, si persuadé qu’il était incapable du crime dont on l’accusait, qu’il déclara aux juges qu’il prenait ouvertement la défense de ce brave homme, que si malheureusement on venait à le condamner, il en appellerait au conseil, il ferait faire des mémoires qui se répandraient dans toute la France et qui couvriraient de honte les magistrats assez injustes pour condamner un malheureux aussi certainement innocent. Paul Dorci était connu dans Rouen ; il y était aimé. Sa probité, ses vertus, tout fît ouvrir les yeux ; on s’apercevait qu’on avait été un peu vite dans la procédure de ce Christophe. Les informations recommencèrent ; Paul paya tous les nouveaux frais d’informations et de recherches ; insensiblement il ne se trouva plus une seule preuve à la charge de l’accusé. Ce fut alors que Paul envoya le frère d’Annette à sa mère et à sa sœur en leur recommandant de se tranquiliser, et les assurant que sous peu elles reverraient en pleine liberté celui dont les malheurs les interressaient. Tout allait donc le mieux du monde. Paul reçut un billet anonime contenant le peu de mots qu’on va lire. « Abandonnés sur le champs l’affaire que vous suivés ; renoncés à toutes perquisitions du meurtrier de l’homme de la forêt. Vous creusés vous même l’abime où vous allés vous engloutir... Combien vos vertus vont vous coûter cher ! Cruel homme, je vous plains..., mais il n’est peut être plus temps. Adieu. » Paul éprouva un frémissement si terrible à la lecture de ce billet, qu’il pensa s’en évanouir. En réunissant ce que contenait ce fatal écrit au pressentiment qu’il avait éprouvé, il vit bien que quelque chose de sinistre le menaçait infailliblement. Il resta dans la ville, mais ne se mêla plus de rien. — Juste ciel, on avait eu raison de le lui dire... Il n’était plus temps, il en avait trop fait ; ses cruelles démarches n’avaient que trop réussi ! À huit heures du matin, le quinzième jour de son arrivée à Rouen, un des juges de sa connaissance demanda à lui parler, et, l’abordant avec précipitation : — « Partés, mon cher, partes à la minute même, lui dit ce magistrat, tout ému. Vous êtes le plus infortuné des êtres. Puisse votre malheureuse aventure s’anéantir de la mémoire des hommes. Ah ! s’il était possible de croire la Providence injuste, ce serait bien sûrement aujourd’hui. — Vous m’effrayés, monsieur, expliquez-vous, de grâce ! Que m’arrive-t-il donc ? — Votre protégé est innocent, les portes vont lui être ouvertes, vos recherches ont fait trouver le coupable... Au moment où je vous parle, il est déjà dans nos prisons. Ne m’en demandés pas d’avantage. — Parlés, monsieur, parlés, enfoncés le poignard dans mon cœur, eh bien ! le coupable ?... — C’est votre frère ! — Lui, grand Dieu !... » et Dorci tomba sans mouvement. On fut plus de deux heures sans pouvoir le rappeler au jour ; il reprit ensuite connaissance dans les bras de cet ami, qui, par des motifs d’alliance, ne se trouvait point au nombre des juges, et put, quand Paul eut rouvert les yeux, lui apprendre au moins ce qui suit. L’homme tué était le rival de François. Tous deux revenaient ensemble de l’Aigle. Chemin faisant, quelques propos avaient amené la dispute ; François, furieux de ne pouvoir engager son ennemi à se battre, reconnaissant qu’il était aussi lâche que fourbe, l’avait culbuté de son cheval dans un mouvement de colère, et avec le sien lui avait passé sur le ventre. Le coup fait, François, voyant son adversaire sans vie, avait perdu totalement la tête et, au lieu de se sauver, il s’était contenté de tuer le cheval du défunt, d’en jeter le corps dans un étang, et de là il était effrontément revenu dans la petite ville où demeurait sa maîtresse, quoiqu’en partant il eût répandu qu’il s’en absentait pour un mois. En le revoyant, on lui avait demandé des nouvelles de son rival ; il n’avait, disait-il, voyagé qu’une heure avec lui, ensuite chacun avait pris une route différente. Quand on apprit dans cette ville la mort de ce rival et l’histoire du bucheron accusé de l’avoir tué, François écouta tout sans se troubler et raconta lui-même l’aventure comme tout le public, mais les démarches secrètes de Paul produisant des recherches plus exactes, tous les soupçons tombèrent alors sur François ; il ne lui fut plus possible de se défendre ; il ne l’essaya pas ; capable d’une vivacité, mais nullement fait pour le crime, il avoua tout à l’exempt du prévôt qui vint lui faire quelques questions ; il se laissa arrêter et dit qu’on pouvait faire de lui tout ce qu’on voudrait. Ignorant la part que son frère avait à tout ceci, le croyant bien tranquille dans sa maison où il pensait même à le rejoindre incessamment, il demandait pour toute grâce, si cela était possible, que ses malheurs fussent cachés à ce frère qu’il adorait et que cette cruelle aventure précipiterait au tombeau. À l’égard de l’argent pris sur le cadavre, il avait été dérobé sans doute par quelques braconiers qui s’étaient bien gardés de rien dire. On avait enfin amené François à Rouen ; il y était quand on vint tout apprendre à Paul. Celui-ci, un peu revenu du premier choc de son abattement, fit tout au monde et par lui-même et par ses amis pour sauver son misérable frère. On le plaignit, mais on ne l’écouta point. On lui refusa même la satisfaction d’embrasser ce malheureux ami et, dans un état difficile à peindre, il quitta Rouen le propre jour de l’exécution du mortel de l’univers qui lui fût le plus précieux et le plus sacré, et que lui-même traînait à l’échafaud. Il revint un instant dans sa terre, mais avec le projet de la quitter bientôt pour toujours. Annette n’avait que trop appris quelle victime s’immolait à la place de celle qui possédait ses vœux ; elle osa paraître chés Dorci, elle y vint avec son père. Tous deux se précipitent aux pieds de leur bienfaiteur et frappent la terre de leur front. Ils le supplient de faire aussitôt couler leur sang en dédommagement de celui qu’il a répandu pour eux. S’il ne veut pas se faire cette justice, ils le conjurent de leur permettre d’user au moins leurs jours à le servir sans gages. Paul, aussi prudent au sein de l’infortune que bienfaisant dans la prospérité, mais dont le cœur endurci par l’excès de ses maux ne peut plus comme autrefois s’ouvrir au sentiment qui lui coûte aussi cher, ordonne au bûcheron et à sa fille de se retirer, et leur souhaite de jouir tous deux aussi longtemps qu’il leur sera possible d’un bienfait qui lui enlève pour toujours l’honneur et le repos. Les malheureux n’osèrent répliquer ; ils disparurent. Paul laissa de son vivant ses biens à ses plus proches héritiers, sous la seule charge d’une pension de mille écus qu’il fut manger dans une retraite impénétrable aux yeux des hommes, où il mourut au bout de quinze ans d’une vie sombre et triste, dont tous les instans furent marqués par des actes de désespoir et de misantropie. SADE. Cf. Le Marquis de Sade, par Jules Janin, dans la Revue de Paris de 1834, t. XI, p. 321 ; — La Vérité sur les deux procès criminels du marquis de Sade, par Paul L. Jacob, bibliophile, dans la Revue de Paris de 1837, t. XXXVIII, p. 135. — Voir aussi la biographie Michaud. Ces paroles sont citées par M. Paul Lacroix (loc. cit.), sur la foi des témoignages qu’il invoque en ces termes : « J’ai souvent interrogé des personnes respectables, dont quelques-unes vivent encore, plus qu’octogénaires (1837) ; je leur ai demandé avec une indiscrète curiosité d’étranges révélations sur le marquis de Sade... » Les Mémoires de Bachaumont, Nouvelles à la main, 1772, racontent tout autrement cette affaire. C’est à sa belle-sœur, selon le nouvelliste, que le marquis aurait, dans un dîner, à Marseille, offert les pastilles de chocolat aux cantharides. Cette version ne se soutient pas. Pour l’authenticité de ce dialogue, je n’ai que les références indiquées à la note de la page 8. Pourtant l’esthétique que le marquis de Sade a exprimée dans son Idée sur les romans est assez soutenable et n’est nullement celle de ses œuvres. Dans cet opuscule, après avoir loué le naturel de Clarisse, il ajoute : « C’est donc la nature qu’il faut saisir quand on travaille ce genre (le roman), c’est le cœur de l’homme, le plus singulier de ses ouvrages, et nullement la vertu, parce que la vertu, quelque belle, quelque nécessaire qu’elle soit, n’est pourtant qu’un des modes de ce cœur étonnant, dont la profonde étude est si nécessaire aux romanciers, et que le roman, miroir fidèle de ce cœur, doit nécessairement en tracer tous les plis. » (p. xxv) Plus loin, Sade exige de l’auteur qui veut parvenir à la connaissance du cœur humain deux conditions, auxquelles il avait lui-même satisfait et qui résumaient pour ainsi dire sa vie, telle du moins qu’il se la représentait : malheurs et voyages. « Il faut, dit-il, avoir vu des hommes de toutes les nations pour les bien connaître, il faut avoir été leur victime pour savoir les apprécier. » (p. xxxiij) Jules Janin conte (loc. cit.) l’histoire d’un honnête petit jeune homme, neveu de curé, qui, ayant lu un soir un roman du marquis de Sade, devint incurablement idiot le lendemain à son réveil. C’est un conte à dormir debout. Luys, le Cerveau, p. 222. Ce savant physiologiste ajoute, dans son remarquable livre : « Il a été jusqu’à présent impossible de déterminer d’une façon précise, soit le noyau spécial qui leur est réservé (aux incitations génitales) dans la couche optique, soit le territoire où elles opèrent leur dissémination dans les réseaux du sensorium. » Dans son Idée sur les Romans. Cet opuscule, placé par l’auteur en tête des Crimes de l’Amour, a été réédité récemment chez M. Rouveyre, par les soins de M. Octave Uzanne. Le mot n’est pas dans Littré. Lisez surtout à cet égard une Martyre. Toutefois le poème est encore normal, puisqu’il est beau, et ne sort pas des lois esthétiques qui relèvent en somme de la morale publique. M. H. Welschinger et MM. Charavay, ses éditeurs, ont bien voulu me communiquer les placards de ce livre qui s’imprime en ce moment. Ce préambule était primitivement beaucoup plus étendu. On lit en regard de l’alinéa suivant cette note qui a été biffée : « Décidément il ne faut commencer que là. » Il y avait d’abord : « Le comte et le marquis de Dorci. » Disons une fois pour toutes que les deux prénoms de Paul et de François ont remplacé partout les titres de comte et de marquis. La forêt de l’Aigle ou de Laigle, prés du village de ce nom, situé à 30 kil. N.-E. de Mortagne, sur la Rille. Charles Nodier a rendu cette forêt célèbre par l’histoire du chien Brisquet. Il y avait « terre » au lieu de « possession » et « château » au lieu de « maison ». Le récit d’Annette était précédé de cette note que l’auteur a biffée : « Il faut que le lecteur veuille bien se prêter à la simplicité de ce récit ; il est dans la bouche d’une jeune paisane naïve et sans art ; pouvait-on la faire parler autrement ? » « Quand nous fûmes un peu instruits. » Le texte primitif était : « Quand nous eûmes fait notre première communion. » Il y avait d’abord : « De quel seigneur ils dépendaient. » On lisait : « Sur les terres de M. le comte Dorci... c’est le plus aimable seigneur de la province. » Il y a « pourrés-vous » sur le manuscrit ; c’est une erreur évidente. Cette pudeur du ci-devant comte de Dorci me rappelle celle de Jérôme Pétion. Ce girondin se cacha, étant proscrit, chez deux lingères « d’une physionomie intéressante ». Il s’habillait devant elles ; elles s’habillaient devant lui. « J’éprouvai, je l’avoue, dit-il dans ses Mémoires, ces embarras de décence, que sans doute elles éprouvèrent encore plus que moi. Mais il était facile de voir combien l’action généreuse qu’elles faisaient éloignait de leurs âmes ces idées qui auraient pu les troubler. Elles ne firent même aucune de ces réflexions qui font remarquer la délicatesse de la circonstance. Je n’ai pas besoin de dire que je ne me permis aucun de ces propos, aucune de ces plaisanteries qui pussent effaroucher la pudeur la plus sévère. J’avoue même que je n’éprouvai aucune de ces sensations, aucun de ces désirs si naturels qu’ils sont involontaires dans l’homme que la nature a fait véritablement homme. Je me fusse fait honte à moi-même si j’eusse été tenté d’abuser de cette touchante hospitalité. J’étais un frère avec des sœurs. » — (Mémoires publ. par Dauban ; Plon, 1866, p. 132). L’ancien texte porte « chez lui » et, en surcharge, « au château », qui fut effacé, puis remis et définitivement ôté. On lit sous la rature « du prétendu coupable ». « Sa probité, ses vertus » remplace « sa naissance, son grade », qui était dans la première rédaction. « Dans sa maison. » Il y avait « dans son château ». « Chés Dorci » — « au château de Dorci. » « À le servir sans gages. » Il y avait « à son service ». |
Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue et autres contes merveilleux/Le Miracle du grand saint Nicolas | Anatole France LE MIRACLE DU GRAND SAINT NICOLAS Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue et autres contes merveilleux, Calmann-Lévy, 1921 (p. 57-126). ◄ LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE HISTOIRE DE LA DUCHESSE DE CICOGNE ET DE MONSIEUR DE BOULINGRIN ► collectionLE MIRACLE DU GRAND SAINT NICOLASAnatole FranceCalmann-Lévy1921ParisCLE MIRACLE DU GRAND SAINT NICOLASAnatole France - Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue.djvuAnatole France - Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue.djvu/757-126 Saint Nicolas, évêque de Myre en Lycie, vivait à l’époque de Constantin le Grand. Les plus anciens et les plus graves auteurs qui aient parlé de lui célèbrent ses vertus, ses travaux, ses mérites ; ils donnent de sa sainteté des preuves abondantes ; mais aucun d’eux ne rapporte le miracle du saloir. Il n’en est pas fait mention non plus dans La Légende dorée. Ce silence est considérable : pourtant on ne se résout pas volontiers à mettre en doute un fait si célèbre, attesté par la complainte universellement connue : Il était trois petits enfants qui s’en allaient glaner aux champs... Ce texte fameux dit expressément qu’un charcutier cruel mit les innocents « au saloir comme pourceaux » . C’est-à-dire apparemment qu’il les conserva, coupés par morceaux, dans un bain de saumure. En effet, c’est ainsi que s’opère la salaison du porc : mais on est surpris de lire ensuite que les trois petits enfants restèrent sept ans dans la saumure, tandis qu’à l’ordinaire on commence au bout de six semaines environ à retirer du baquet, avec une fourchette de bois, les morceaux de chair. Le texte est formel : ce fut sept années après le crime que, selon la complainte, le grand saint Nicolas entra dans l’auberge maudite. Il demanda à souper. L’hôte lui offrit un morceau de jambon. — Je n’en veux pas ; il n’est pas bon. — Voulez-vous un morceau de veau ? — Je n’en veux pas ; il n’est pas beau. — Du p’tit salé je veux avoir — Qu’y a sept ans qu’est dans le saloir. Quand le boucher entendit c’la, Hors de la porte il s’enfuya. Aussitôt, par l’imposition des mains sur le saloir, l’homme de Dieu ressuscita les tendres victimes. Tel est, en substance, le récit du vieil anonyme ; il porte en lui les caractères inimitables de la candeur et de la bonne foi. Le scepticisme semble mal inspiré quand il s’attaque aux souvenirs les plus vivants de la conscience populaire. Aussi n’est-ce pas sans une vive satisfaction que j’ai trouvé moyen de concilier l’autorité de la complainte avec le silence des anciens biographes du pontife lycien. Je suis heureux de proclamer le résultat de mes longues méditations et de mes savantes recherches. Le miracle du saloir est vrai, du moins en ce qu’il a d’essentiel ; mais ce n’est pas le bienheureux évêque de Myre qui l’a opéré ; c’est un autre saint Nicolas, car il y en a deux : l’un, comme nous l’avons dit, évêque de Myre en Lycie ; l’autre, moins ancien, évêque de Trinqueballe en Vervignole. Il m’était réservé d’en faire la distinction. C’est l’évêque de Trinqueballe qui a tiré les trois petits garçons du saloir ; je l’établirai sur des documents authentiques et l’on n’aura pas à déplorer la fin d’une légende. J’ai été assez heureux pour retrouver toute l’histoire de l’évêque Nicolas et des enfants ressuscités par lui. J’en ai fait un récit qu’on lira, j’espère, avec plaisir et profit. Nicolas, issu d’une illustre famille de Vervignole, donna dès l’enfance des marques de sainteté et fit vœu, à l’âge de quatorze ans, de se consacrer au Seigneur. Ayant embrassé l’état ecclésiastique, il fut élevé, jeune encore, par l’acclamation populaire et le vœu du chapitre, sur le siège de saint Cromadaire, apôtre de Vervignole et premier évêque de Trinqueballe. Il exerçait pieusement son ministère pastoral, gouvernait ses clercs avec sagesse, enseignait le peuple et ne craignait pas de rappeler les grands à la justice et à la modération. Il se montrait libéral, abondant en aumônes, et réservait aux pauvres la plus grande partie de ses richesses. Son château dressait fièrement, sur une colline dominant la ville, ses murs crénelés et ses toits en poivrière. Il en faisait un refuge ou tous ceux que poursuivait la justice séculière trouvaient un asile. Dans la salle du bas, la plus vaste qu’on pût voir en toute la Vervignole, la table dressée pour les repas était si longue que ceux qui se tenaient à l’un des bouts la voyaient se perdre au loin en une pointe indistincte, et, quand on y allumait des flambeaux, elle rappelait la queue de la comète apparue en Vervignole pour annoncer la mort du roi Comus. Le saint évêque Nicolas se tenait au haut bout. Il y traitait les principaux de la ville et du royaume et une multitude de clercs et de laïques. Mais un siège était réservé à sa droite pour le pauvre qui viendrait à la porte mendier son pain. Les enfants surtout éveillaient la sollicitude du bon saint Nicolas. Il se délectait de leur innocence et se sentait pour eux un cœur de père et des entrailles de mère. Il avait les vertus et les mœurs d’un apôtre. Chaque année, sous l’habit d’un simple religieux, un bâton blanc à la main, il visitait ses ouailles, jaloux de tout voir par ses yeux ; et pour qu’aucune infortune, aucun désordre ne pût lui échapper, il parcourait, accompagné d’un seul clerc, les parties les plus sauvages de son diocèse, traversant, durant l’hiver, les fleuves débordés, gravissant les montagnes de glace et s’enfonçant dans les forêts épaisses. Or, une fois qu’il avait chevauché sur sa mule, depuis l’aube, en compagnie du diacre Modernus, à travers les bois sombres, hantés du lynx et du loup, et les sapins antiques qui hérissent les sommets des monts Marmouse, l’homme de Dieu pénétra, au tomber du jour, dans des halliers épineux où sa monture se frayait difficilement un chemin sinueux et lent. Le diacre Modernus le suivait à grand’peine sur sa mule, qui portait le bagage. Accablé de fatigue et de faim, l’homme de Dieu dit à Modernus : — Arrêtons-nous, mon fils, et, s’il te reste un peu de pain et de Vin, nous souperons ici, car je ne me sens guère la force d’aller plus avant, et tu dois, bien que plus jeune, être presque aussi las que moi. --Monseigneur, répondit Modernus, il ne me reste ni une goutte de vin ni une miette de pain, car j’ai tout donné, par votre ordre, sur la route, a des gens qui en avaient moins besoin que nous. --Sans doute, répliqua l’évêque, s’il était resté encore dans ton bissac quelques rogatons, nous les eussions pris avec plaisir, car il convient que ceux qui gouvernent l’Église se nourrissent du rebut des pauvres. Mais puisque tu n’as plus rien, c’est que Dieu l’a voulu, et sûrement il l’a voulu pour notre bien et profit. Il est possible qu’il nous cache à jamais les raisons de ce bienfait ; peut-être, au contraire, nous les fera-t-il bientôt paraitre. En attendant, ce qui nous reste a faire est, je crois, de pousser devant nous jusqu’à ce que nous trouvions des arbouses et des mûres pour notre nourriture et de l’herbe pour nos mules et, ainsi réconfortés, de nous étendre sur un lit de feuilles. — Comme il vous plaira, seigneur, répondit Modernus en piquant sa monture. Ils cheminèrent toute la nuit et une partie de la matinée, puis, ayant gravi une côte assez roide, ils se trouvèrent soudain à l’orée du bois et virent à leurs pieds une plaine recouverte d’un ciel fauve et traversée de quatre routes pâles, qui s’allaient perdre dans la brume. Ils prirent celle de gauche, vieille voie romaine, autrefois fréquentée des marchands et des pèlerins, mais déserte depuis que la guerre désolait cette partie de la Vervignole. Des nuées épaisses s’amassaient dans le ciel, où fuyaient les oiseaux ; un air étouffant pesait sur la terre livide et muette ; des lueurs tremblaient à l’horizon. Ils excitèrent leurs mules fatiguées. Soudain un grand vent courba les cimes des arbres, fit crier les branches et gémir le feuillage battu. Le tonnerre gronda et de grosses gouttes de pluie commencèrent à tomber. Comme ils cheminaient dans la tempête, aux éclats de la foudre, sur la route changée en torrent, ils aperçurent dans un éclair une maison où pendait une branche de houx, signe d’hospitalité. Ils arrêtèrent leurs montures. L’auberge paraissait abandonnée ; pourtant l’hôte s’avança vers eux, à la fois humble et farouche, un grand couteau à la ceinture, et leur demanda ce qu’ils voulaient. — Un gîte et un morceau de pain, avec un doigt de vin, répondit l’évêque, car nous sommes las et transis. Tandis que l’hôte prenait du vin au cellier et que Modernus conduisait les mules à l’écurie, saint Nicolas, assis devant l’âtre, près d’un feu mourant, promena ses regards sur la salle enfumée. La poussière et la crasse couvraient les bancs et les bahuts ; les araignées tissaient leur toile entre les solives vermoulues, où pendaient de maigres bottes d’oignons. Dans un coin sombre, le saloir étalait son ventre cerclé de fer. En ce temps-là, les démons se mêlaient bien plus intimement qu’aujourd’hui à la vie domestique. Ils hantaient les maisons ; blottis dans la boîte au sel, dans le pot au beurre ou dans quelque autre retraite, ils épiaient les gens et guettaient l’occasion de les tenter et de les induire en mal. Les anges aussi faisaient alors parmi les chrétiens des apparitions plus fréquentes. Or, un diable gros comme une noisette, caché dans les tisons, prit la parole et dit au saint évêque : Regardez ce saloir, mon père : il en vaut la peine. C’est le meilleur saloir de toute la Vervignole. C’est le modèle et le parangon des saloirs. Le maître de céans, le seigneur Garum, quand il le reçut des mains d’un habile tonnelier, le par fuma de genièvre, de thym et de romarin. Le seigneur Garum n’a pas son pareil pour saigner la chair, la désosser, la découper curieusement, studieusement, amoureusement, et l’imprégner des esprits salins qui la conservent et l’embaument. Il est sans rival pour assaisonner, concentrer, réduire, écumer, tamiser, décanter la saumure. Goûtez de son petit salé, mon père, et vous vous en lècherez les doigts : goûtez de son petit salé, Nicolas, et vous m’en direz des nouvelles. Mais, à ce langage, et surtout à la voix qui le tenait (elle grinçait comme une scie), le saint évêque reconnut le malin esprit. Il fit le signe de la croix et aussitôt le petit diable, comme une châtaigne qu’on a jetée au feu sans la fendre, éclata avec un bruit horrible et une grande puanteur. Et un ange du ciel apparut, resplendissant de lumière, à Nicolas, et lui dit : — Nicolas, cher au Seigneur, il faut que tu saches que trois petits enfants sont dans ce saloir depuis sept ans. Le cabaretier Garum a coupé ces tendres enfants par morceaux et les a mis dans le sel et la saumure. Lève-toi, Nicolas, et prie afin qu’ils ressuscitent. Car si tu intercèdes pour eux, ô pontife, le Seigneur, qui t’aime, les rendra à la vie... Pendant ce discours, Modernus entra dans la salle, mais il ne vit pas l’ange, et il ne l’entendit pas, parce qu’il n’était pas assez saint pour communiquer avec les esprits célestes. L’ange dit encore : — Nicolas, fils de Dieu, tu imposeras les mains sur le saloir et les trois petits enfants seront ressuscités. Le bienheureux Nicolas, rempli d’horreur, de pitié, de zèle et d’espérance, rendit grâces Dieu, et, quand l’hôtelier reparut, un broc à chaque bras, le saint lui dit d’une voix terrible : — Garum, ouvre le saloir ! A cette parole, Garum, épouvanté, laissa tomber ses deux brocs. Et le saint évêque Nicolas étendit les mains et dit : — Enfants, levez-vous ! A ces mots, le saloir souleva son couvercle et trois jeunes garçons en sortirent. Enfants, leur dit l’évêque, louez Dieu qui, par mes mains, vous a tirés du saloir. Et, se tournant vers l’hôtelier, qui tremblait de tous ses membres : — Homme cruel, lui dit-il, reconnais les trois enfants que tu as vilainement mis à mort. Puisses-tu détester ton crime et t’en repentir pour que Dieu te pardonne ! L’hôtelier, rempli d’effroi, s’enfuit dans la tempête, sous le tonnerre et les éclairs. Saint Nicolas embrassa les trois enfants et les interrogea avec douceur sur la mort qu’ils avaient misérablement soufferte. Ils contèrent que Garum, s’étant approché d’eux tandis qu’ils glanaient aux champs, les avait attirés dans son auberge, leur avait fait boire du vin et les avait égorgés pendant leur sommeil. Ils portaient encore les haillons dont ils étaient vêtus au jour de leur mort et gardaient en leur résurrection un air craintif et sauvage. Le plus robuste des trois, Maxime, é tait le fils d’une folle femme, qui suivait sur un âne les gens d’armes à la guerre. Il tomba une nuit du panier dans lequel elle le portait, et resta abandonné sur la route. Depuis lors, il avait vécu seul de maraude. Le plus malingre, Robin, se rappelait à peine ses parents, paysans des hautes terres, qui, trop pauvres ou trop avares pour le nourrir, l’avaient exposé dans la forêt. Sulpice, le troisième, ne connaissait rien de sa naissance, mais un prêtre lui avait appris sa croix-de-Dieu. L’orage avait cessé. Dans l’air limpide et léger les oiseaux s’entr’appelaient à grands cris. La terre verdoyait et riait. Modernus ayant amené les mules, l’évêque Nicolas monta la sienne et tint Maxime enveloppé dans son manteau ; le diacre prit en croupe Sulpice et Robin, et ils s’acheminèrent vers la ville de Trinqueballe. La route se déroulait entre des champs de blé, des vignes et des prairies. Chemin faisant, le grand saint Nicolas, qui aimait déjà ces enfants de tout son cœur, les interrogeait sur des sujets proportionnés à leur âge et leur posait des questions faciles, comme, par exemple : « Combien font cinq fois cinq ? » ou « Qu’est-ce que Dieu ? » Il n’en obtenait pas de réponses satisfaisantes. Mais, loin de leur faire honte de leur ignorance, il ne songeait qu’à la dissiper graduellement par l’application des meilleures règles pédagogiques. Modernus, dit-il, nous leur enseignerons premièrement les vérités nécessaires au salut, secondement les arts libéraux, et, en particulier, la musique, afin qu’ils puissent chanter les louanges du Seigneur. Il conviendra aussi de leur enseigner la rhétorique, la philosophie et l’histoire des hommes, des animaux et des plantes. Je veux qu’ils étudient, dans leurs mœurs et leur structure, les animaux dont tous les organes, par leur inconcevable perfection, attestent la gloire du Créateur. Le vénérable pontife avait à peine achevé ce discours qu’une paysanne passa sur la route, tirant par le licol une vieille jument si chargée de ramée que ses jarrets en tremblaient et qu’elle bronchait à chaque pas. — Hélas ! soupira le grand saint Nicolas, voici un pauvre cheval qui porte plus que son faix. Il échut, pour son malheur, à des maîtres injustes et durs. On ne doit surcharger nulles créatures, pas même les bêtes de somme. A ces paroles les trois garçons éclatèrent de rire. L’évêque leur ayant demandé pourquoi ils riaient si fort : — Parce que..., dit Robin. — A cause..., dit Sulpice. — Nous rions, dit Maxime, de ce que vous prenez une jument pour un cheval. Vous n’en voyez pas la différence : elle est pourtant bien visible. Vous vous connaissez donc pas en animaux ? — Je crois, dit Modernus, qu’il faut d’abord apprendre à ces enfants la civilité. A chaque ville, bourg, village, hameau, château, où il passait, saint Nicolas montrait aux habitants les enfants tirés du saloir et contait le grand miracle que Dieu avait fait par son intercession, et chacun, tout joyeux, l’en bénissait. Instruit par des courriers et des voyageurs d’un événement si prodigieux, le peuple de Trinqueballe se porta tout entier au-devant de son pasteur, déroula des tapis précieux et sema des fleurs sur son chemin. Les citoyens contemplaient avec des yeux mouillés de larmes les trois victimes échappées du saloir et criaient : « Noël ! » Mais ces pauvres enfants ne savaient que rire et tirer la langue ; et cela les faisait plaindre et admirer davantage comme une preuve sensible de leur innocence et de leur misère. Le saint évêque Nicolas avait une nièce orpheline, nommée Mirande, qui venait d’atteindre sa septième année, et qui lui était plus chère que la lumière de ses yeux. Une honnête veuve, nommée Basine, l’élevait dans la piété, la bienséance et l’ignorance du mal. C’est a cette dame qu’il confia les trois enfants miraculeusement sauvés. Elle ne manquait pas de jugement. Très vite elle s’aperçut que Maxime avait du courage, Robin de la prudence et Sulpice de la réflexion, et s’efforça d’affermir ces bonnes qualités qui, par suite de la corruption commune à tout le genre humain, tendaient sans cesse à se pervertir et à se dénaturer ; car la cautèle de Robin tournait volontiers en dissimulation et cachait, le plus souvent, d’âpres convoitises ; Maxime était sujet à des accès de fureur et Sulpice exprimait fréquemment avec obstination, sur les matières les plus importantes, des idées fausses. Au demeurant, c’étaient de simples enfants qui dénichaient les couvées, volaient des fruits dans les jardins, attachaient des casseroles à la queue des chiens, mettaient de l’encre dans les bénitiers et du poil à gratter dans le lit de Modernus. La nuit, enveloppés de draps et montés sur des échasses, ils allaient dans les jardins et faisaient évanouir de peur les servantes attardées aux bras de leurs amoureux. Ils hérissaient de pointes le siège sur lequel madame Basine avait coutume de se mettre, et, quand elle s’asseyait, ils jouissaient de sa douleur, observant l’embarras où elle se trouvait de porter publiquement une main vigilante et secourable à l’endroit offensé, car elle n’eût pour rien au monde manqué à la modestie. Cette dame, malgré son âge et ses vertus, ne leur inspirait ni amour ni crainte. Robin l’appelait vieille bique, Maxime, vieille bourrique, et Sulpice ânesse de Balaam. Ils tourmentaient de toutes les manières la petite Mirande, lui salissaient ses belles robes, la faisaient tomber le nez sur les pierres. Une fois, ils lui enfoncèrent la tête jusqu’au cou dans un tonneau de mélasse. Ils lui apprenaient à enfourcher les barrières et à grimper aux arbres, contrairement aux bienséances de son sexe ; ils lui enseignaient des façons et des termes qui sentaient l’hôtellerie et le saloir. Elle appelait, sur leur exemple, la respectable dame Basine vieille bique, et même, prenant la partie pour le tout, cul de bique. Mais elle restait parfaitement innocente. La pureté de son âme était inaltérable. — Je suis heureux, disait le saint évêque Nicolas, d’avoir tiré ces enfants du saloir pour en faire de bons chrétiens. Ils deviendront de fidèles serviteurs de Dieu et leurs mérites me seront comptés. Or, la troisième année après leur résurrection, déjà grands et bien formés, un jour de printemps, comme ils jouaient tous trois dans la prairie, au bord de la rivière, Maxime, dans un moment d’humeur et par fierté naturelle, jeta dans l’eau le diacre Modernus, qui, suspendu à une branche de saule, appela au secours. Robin s’approcha, fit mine de le tirer par la main, lui prit son anneau et s’en fut. Cependant, Sulpice immobile sur la berge et les bras croisés, disait : — Modernus fait une mauvaise fin. Je vois six diables en forme de chauves-souris prêts à lui cueillir l’âme sur la bouche. Au rapport que la dame Basine et Modernus lui firent de cette grave affaire, le saint évêque s’affligea et poussa des soupirs. — Ces enfants, dit-il, ont été nourris dans la souffrance par des parents indignes. L’excès de leurs maux a causé la difformité de leur caractère. Il convient de redresser leurs torts avec une longue patience et une obstinée douceur. — Seigneur évêque, répliqua Modernus, qui dans sa robe de chambre grelottait la fièvre et éternuait sous son bonnet de nuit, car sa baignade l’avait enrhumé, il se peut que leur méchanceté leur vienne de la méchanceté de leurs parents. Mais comment expliquez— vous, mon père, que les mauvais soins aient produit en chacun d’eux des vices différents, et pour ainsi dire contraires, et que l’abandon et le dénuement où ils ont été jetés avant d’être mis au saloir aient rendu l’un cupide, l’autre violent, le troisième visionnaire ? Et c’est ce dernier qui, a votre place, seigneur, m’inquiéterait le plus. — Chacun de ces enfants, répondit l’évêque, a fléchi par son endroit faible. Les mauvais traitements ont déformé leur âme dans les parties qui présentaient le moins de résistance. Redressons-les avec mille précautions, de peur d’augmenter le mal au lieu de le diminuer. La mansuétude, la clémence et la longanimité sont les seuls moyens qu’on doive jamais employer pour l’amendement des hommes, les hérétiques exceptés, bien entendu. — Sans doute, mon seigneur, sans doute, répliqua Modernus, en éternuant trois fois. Mais il n’y a pas de bonne éducation sans castoiement, ni discipline sans discipline. Je m’entends. Et, si vous ne punissez pas ces trois mauvais garnements, ils deviendront pires qu’Hérode. C’est moi qui vous le dis. — Modernus pourrait n’avoir pas tort, dit la dame Basine. L’évêque ne répondit point. Il cheminait avec le diacre et la veuve, le long d’une haie d’aubépine, qui exhalait une agréable odeur de miel et d’amande amère. A un endroit un peu creux, où la terre recueillait l’eau d’une source voisine, il s’arrêta devant un arbuste, dont les rameaux serrés et tordus sa couvraient abondamment de feuilles découpées et luisantes et de blancs corymbes de fleurs. — Regardez, dit-il, ce buisson touffu et parfumé, ce beau bois-de-mai, cette noble épine si vive et si forte ; voyez qu’elle est plus copieuse en feuilles et plus glorieuse en fleurs, que toutes les autres épines de la haie. Mais observez aussi que l’écorce pâle de ses branches porte des épines en petit nombre, faibles, molles, épointées. D’où vient cela ? C’est que, nourrie dans un sol humide et gras, tranquille et sûre des richesses qui soutiennent sa vie, elle a employé les sucs de la terre à croître sa puissance et sa gloire, et, trop robuste pour songer à s’armer contre ses faibles ennemis, elle est toute aux joies de sa fécondité magnifique et délicieuse. Faites maintenant quelques pas sur le sentier qui monte et tournez vos regards sur cet autre pied d’aubépine, qui, laborieusement sorti d’un sol pierreux et sec, languit, pauvre en bois, en feuilles, et n’a pensé, dans sa rude vie, qu’à s’armer et à se défendre contre les ennemis innombrables qui menacent les êtres débiles. Aussi n’est-il qu’un fagot d’épines. Le peu qui lui montait de sève, il l’a dépensé à construire des dards innombrables, larges à la base, durs, aigus, qui rassurent mal sa faiblesse craintive. Il ne lui est rien resté pour la fleur odorante et féconde. Mes amis, il en est de nous comme de l’aubépine. Les soins donnés à notre enfance nous font meilleurs. Une éducation trop dure nous durcit. Quand il toucha à sa dix-septième année, Maxime remplit le saint évêque Nicolas de tribulation et le diocèse de scandale en formant et instruisant une compagnie de vauriens de son âge, en vue d’enlever les filles d’un village nommé les Grosses-Nattes, situé à quatre lieues au nord de Trinqueballe. L’expédition réussit merveilleusement. Les ravisseurs rentrèrent la nuit dans la ville, serrant contre leurs poitrines les vierges échevelées, qui levaient en vain au ciel des yeux ardents et des mains suppliantes. Mais quand les pères, frères et fiancés de ces filles ravies vinrent les chercher, elles refusèrent de retourner au pays natal, alléguant qu’elles y sentiraient trop de honte, et préférant cacher leur déshonneur dans les bras qui l’avaient causé. Maxime qui, pour sa part, avait pris les trois plus belles, vivait en leur compagnie dans un petit manoir dépendant de la mense épiscopale. Sur l’ordre de l’évêque, le diacre Modernus vint, en l’absence de leur ravisseur, frapper a leur porte, annonçant qu’il les venait délivrer. Elles refusèrent d’ouvrir, et comme il leur représentait l’abomination de leur vie, elles lui lâchèrent sur la tête une potée d’eau de vais selle avec le pot, dont il eut le crâne fêlé. Armé d’une douce sévérité, le saint évêque Nicolas reprocha cette violence et ce désordre à Maxime : — Hélas ! lui dit-il, vous ai-je tiré du saloir pour la perte des vierges de Vervignole ? Et il lui remontra la grandeur de sa faute. Mais Maxime haussa les épaules et lui tourna le dos sans faire de réponse. En ce moment-là, le roi Berlu, dans la quatorzième année de son règne, assemblait une puissante armée pour combattre les Mambourniens, obstinés ennemis de son royaume, et qui, débarqués en Vervignole, ravageaient et dépeuplaient les plus riches provinces de ce grand pays. Maxime sortit de Trinqueballe sans dire adieu à personne. Quand il fut à quelques lieues de la ville, avisant dans un pâturage une jument assez bonne, à cela près qu’elle était borgne et boiteuse, il sauta dessus et lui fit prendre le galop. Le lendemain matin, rencontrant d’aventure un garçon de ferme, qui menait boire un grand cheval de labour, il mit aussitôt pied à terre, enfourcha le grand cheval, ordonna au garçon de monter la jument borgne et de le suivre, lui promettant de le prendre pour écuyer s’il était content de lui. Dans cet équipage Maxime se présenta au roi Berlu, qui agréa ses services. Il devint en peu de jours un des plus grands capitaines de Vervignole. Cependant Sulpice donnait au saint évêque des sujets d’inquiétude plus cruels peut-être et certainement plus graves ; car si Maxime péchait grièvement, il péchait sans malice et offensait Dieu sans y prendre garde et, pour ainsi dire, sans le savoir. Sulpice mettait à mal faire une plus grande et plus étrange malice. Se destinant dès l’enfance à l’état ecclésiastique, il étudiait assidûment les lettres sacrées et profanes ; mais son âme était un vase corrompu où la vérité se tournait en erreur. Il péchait en esprit ; il errait en matière de foi avec une précocité surprenante ; à l’âge où l’on n’a pas encore d’idées, il abondait en idées fausses. Une pensée lui vint, suggérée sans doute par le diable. Il réunit dans une prairie appartenant à l’évêque une multitude de jeunes garçons et de jeunes filles de son âge et, monté sur un arbre, les exhorta à quitter leurs père et mère pour suivre Jésus-Christ et à s’en aller par bandes dans les campagnes, brûlant prieurés et presbytères afin de ramener l’Église à la pauvreté évangélique. Cette jeunesse, émue et séduite, suivit le pécheur sur les routes de Vervignole, chantant des cantiques, incendiant les granges, pillant les chapelles, ravageant les terres ecclésiastiques. Plusieurs de ces insensés périrent de fatigue, de faim et de froid, ou assommés par les villageois. Le palais épiscopal retentissait des plaintes des religieux et des gémissements des mères. Le pieux évêque Nicolas manda le fauteur de ces désordres et, avec une mansuétude extrême et une infinie tristesse, lui reprocha d’avoir abusé de la parole pour séduire les esprits, et lui représenta que Dieu ne l’avait pas tiré du saloir pour attenter aux biens de notre sainte mère l’Église. — Considérez, mon fils, lui dit-il, la grandeur de votre faute. « Vous paraissez devant votre pasteur tout chargé de troubles, de séditions et de meurtres. Mais le jeune Sulpice, gardant un calme épouvantable, répondit d’une voix assurée qu’il n’avait point péché ni offensé Dieu, mais au contraire agi sur le commandement du Ciel pour le bien de l’Église. Et il professa, devant le pontife consterné, les fausses doctrines des Manichéens, des Ariens, des Nestoriens, des Sabelliens, des Vaudois, des Albigeois et des Bégards, si ardent à embrasser ces monstrueuses erreurs, qu’il ne s’apercevait pas que, contraires les unes aux autres, elles s’entre-dévoraient sur le sein qui les réchauffait. Le pieux évêque s’efforça de ramener Sulpice dans la bonne voie ; mais il ne put vaincre l’obstination de ce malheureux. Et, l’ayant congédié, il s’agenouilla et dit : — Je vous rends grâce, Seigneur, de m’avoir donné ce jeune homme comme une meule où s’aiguisent ma patience et ma charité. Tandis que deux des enfants tirés du saloir lui causaient tant de peine, saint Nicolas recevait du troisième quelque consolation. Robin ne se montrait ni violent dans ses actes ni superbe en ses pensées. Il n’était pas de sa personne dru et rubicond ainsi que Maxime le capitaine ; il n’avait pas l’air audacieux et grave de Sulpice. De petite apparence, mince, jaune, plissé, recroquevillé, d’humble maintien, révérencieux et vérécondieux, il s’appliquait à rendre de bons offices à l’évêque et aux gens d’Église, aidant les clercs à tenir les comptes de la mense épiscopale, faisant, au moyen de boules enfilées dans des tringles, des calculs compliqués, et même il multipliait et divisait des nombres, sans ardoise ni crayon, de tête, avec une rapidité et une exactitude qu’on eût admirées chez un vieux maître des monnaies et des finances. C’était un plaisir pour lui de tenir les livres du diacre Modernus qui, se faisant vieux, brouillait les chiffres et dormait sur son pupitre. Pour obliger le seigneur évêque et lui procurer de l’argent, il n’était peine ni fatigue qui lui coûtât : il apprenait des Lombards à calculer les intérêts simples et composés d’une somme quelconque pour un jour, une semaine, un mois, une année ; il ne craignait pas de visiter, dans les ruelles noires du Ghetto, les juifs sordides, afin d’apprendre, en conversant avec eux, le titre des métaux, le prix des pierres précieuses et l’art de rogner les monnaies. Enfin, avec un petit pécule qu’il s’était fait par merveilleuse industrie, il suivait en Vervignole, en Mondousiane et jusqu’en Mambournie, les foires, les tournois, les pardons, les jubilés où affluaient de toutes les parties de la chrétienté des gens de toutes conditions, paysans, bourgeois, clercs et seigneurs ; il y faisait le change des monnaies et revenait chaque fois un peu plus riche qu’il n’était allé. Robin ne dépensait pas l’argent qu’il gagnait, mais l’apportait au seigneur évêque. Saint Nicolas était très hospitalier et très aumônier ; il dépensait ses biens et ceux de l’Église en viatiques aux pèlerins et secours aux malheureux. Aussi se trouvait-il perpétuellement à court d’argent ; et il était très obligé à Robin de l’empressement et de l’adresse avec lesquels ce jeune argentier lui procurait les sommes dont il avait besoin. Or la pénurie où, par sa magnificence et sa libéralité s’était mis le saint évêque, fut bien aggravée par le malheur des temps. La guerre qui désolait la Vervignole ruina l’église de Trinqueballe. Les gens d’armes battaient la campagne autour de la ville, pillaient les fermes, rançonnaient les paysans, dispersaient les religieux, brûlaient les châteaux et les abbayes. Le clergé, les fidèles ne pouvaient plus participer aux frais du culte, et, chaque jour, des milliers de paysans, qui fuyaient les coitreaux, venaient mendier leur pain a la porte du manoir épiscopal. Sa pauvreté, qu’il n’eût pas sentie pour lui même, le bon saint Nicolas la sentait pour eux. Par bonheur, Robin était toujours prêt à lui avancer des sommes d’argent que le saint pontife s’engageait, comme de raison, à rendre dans des temps plus prospères. Hélas ! la guerre foulait maintenant tout le royaume du nord au midi, du couchant au levant, suivie de ses deux compagnes assidues, la peste et la famine. Les cultivateurs se faisaient brigands, les moines suivaient les armées. Les habitants de Trinqueballe, n’ayant ni bois pour se chauffer ni pain pour se nourrir, mouraient comme des mouches à l’approche des froids. Les loups venaient dans les faubourgs de la ville dévorer les petits enfants. En ces tristes conjonctures, Robin vint avertir l’évêque que non seulement il ne pouvait plus verser aucune somme d’argent, si petite fût-elle, mais encore que, n’obtenant rien de ses débiteurs, harassé par ses créanciers, il avait dû céder à des juifs toutes ses créances. Il apportait cette fâcheuse nouvelle à son bienfaiteur avec la politesse obséquieuse qui lui était ordinaire ; mais il se montrait bien moins affligé qu’il n’eût dû l’être en cette extrémité douloureuse. De fait, il avait grand’peine à dissimuler sous une mine allongée son humeur allègre et sa vive satisfaction. Le parchemin de ses jaunes, sèches et humbles paupières cachait mal la lueur de joie qui jaillissait de ses prunelles aiguës. Douloureusement frappé, saint Nicolas demeura, sous le coup, tranquille et serein. — Dieu, dit-il, saura bien rétablir nos affaires penchantes. Il ne laissera pas renverser la maison qu’il a bâtie. — Sans doute, dit Modernus, mais soyez certain que ce Robin, que vous avez tiré du saloir, s’entend, pour vous dépouiller, avec les Lombards du Pont-Vieux et les juifs du Ghetto, et qu’il se réserve la plus grosse part du butin. Modernus disait vrai. Robin n’avait point perdu d’argent ; il était plus riche que jamais et venait d’être nommé argentier du roi. A cette époque, Mirande accomplissait sa dix-septième année. Elle était belle et bien formée. Un air de pureté, d’innocence et de candeur lui faisait comme un voile. La longueur de ses cils qui mettaient une grille sur ses prunelles bleues, la petitesse enfantine de sa bouche, donnaient l’idée que le mal ne trouverait guère d’issue pour entrer en elle. Ses oreilles étaient a ce point mignonnes, fines, soigneusement ourlées, délicates, que les hommes les moins retenus n’osaient y souffler que des paroles innocentes. Nulle vierge, en toute la Vervignole, n’inspirait tant de respect et nulle n’avait plus besoin d’en inspirer, car elle était merveilleusement simple, crédule et sans défense. Le pieux évêque Nicolas, son oncle, la chérissait chaque jour davantage et s’attachait à elle plus qu’on ne doit s’attacher aux créatures. Sans doute il l’aimait en Dieu, mais distinctement ; il se plaisait en elle ; il aimait à l’aimer ; c’était sa seule faiblesse. Les saints eux-mêmes ne savent pas toujours trancher tous les liens de la chair. Nicolas aimait sa nièce avec pureté, mais non sans délectation. Le lendemain du jour où il avait appris la faillite de Robin, accablé de tristesse et d’inquiétude, il se rendit auprès de Mirande pour converser pieusement avec elle, comme il le devait, car il lui tenait lieu de père et avait charge de l’instruire. Elle habitait, dans la ville haute, près de la cathédrale, une maison qu’on nommait la maison des Musiciens, parce qu’on y voyait sur la façade des hommes et des animaux jouant de divers instruments. Il s’y trouvait notamment un âne qui soufflait dans une flûte et un philosophe, reconnaissable à sa longue barbe et à son écritoire, qui agitait des cymbales. Et chacun expliquait ces figures à sa manière. C’était la plus belle demeure de la ville. L’évêque y trouva sa nièce accroupie sur le plancher, échevelée, les yeux brillants de larmes, près d’un coffre ouvert et vide, dans la salle en désordre. Il lui demanda la cause de cette douleur et de la confusion qui régnait autour d’elle. Alors, tournant vers lui ses regards désolés, elle lui conta avec mille soupirs que Robin, Robin échappé du saloir, Robin si mignon, lui ayant dit maintes fois que, si elle avait envie d’une robe, d’une parure, d’un joyau, il lui prêterait avec plaisir l’argent nécessaire pour l’acheter, elle avait eu recours assez souvent à son obligeance, qui semblait inépuisable, mais que, ce matin même, un juif nomme Séligmann était venu chez elle avec quatre sergents, lui avait présenté les billets signés par elle à Robin, et que, comme elle manquait d’argent pour les payer, il avait emporté toutes les robes, toutes les coiffures, tous les bijoux qu’elle possédait. — Il a pris, dit-elle en gémissant, mes corps et mes jupes de velours, de brocart et de dentelle, mes diamants, mes émeraudes, mes saphirs, mes jacinthes, mes améthystes, mes rubis, mes grenats, mes turquoises ; il m’a pris ma grande croix de diamants à têtes d’anges en émail, mon grand carcan, composé de deux tables de diamants, de trois cabochons et de six nœuds de quatre perles chacun ; il m’a pris mon grand collier de treize tables de diamants avec vingt perles en poire sur ouvrage à canetille... ! Et, sans en dire davantage, elle sanglota dans son mouchoir. — Ma fille, répondit le saint évêque, une vierge chrétienne est assez parée quand elle a pour collier la modestie, et la chasteté pour ceinture. Toutefois il vous convenait, issue d’une très noble et très illustre famille, de porter des diamants et des perles. Vos joyaux étaient le trésor des pauvres, et je déplore qu’ils vous aient été ravis. Il l’assura qu’elle les retrouverait sûrement en ce monde ou dans l’autre ; il lui dit tout ce qui pouvait adoucir ses regrets et calmer sa peine, et il la consola. Car elle avait une âme douce et qui voulait être consolée. Mais il la quitta lui-même très affligé. Le lendemain, comme il se préparait à dire la messe en la cathédrale, le saint évêque vit venir à lui, dans la sacristie, les trois juifs Séligmann, Issachar et Meyer, qui, coiffés du chapeau vert et la rouelle à l’épaule, lui présentèrent très humblement les billets que Robin leur avait passés. Et le vénérable pontife ne pouvant les payer, ils appelèrent une vingtaine de portefaix, avec des paniers, des sacs, des crochets, des chariots, des cordes, des échelles, et commencèrent à crocheter les serrures des armoires, des coffres et des tabernacles. Le saint homme leur jeta un regard qui eût foudroyé trois chrétiens. Il les menaça des peines dues en ce monde et dans l’autre au sacrilège ; leur représenta que leur seule présence dans la demeure du Dieu qu’ils avaient crucifié appelait le feu du ciel sur leur tête. Ils l’écoutèrent avec le calme de gens pour qui l’anathème, la réprobation, la malédiction et l’exécration étaient le pain quotidien. Alors il les pria, les supplia, leur promit de payer sitôt qu’il le pourrait, au double, au triple, au décuple, au centuple, la dette dont ils étaient acquéreurs. Ils s’excusèrent poliment de ne pouvoir différer leur petite opération. L’évêque les menaça de faire sonner le tocsin, d’ameuter contre eux le peuple qui les tuerait comme des chiens en les voyant profaner, violer, dérober les images miraculeuses et les saintes reliques. Ils montrèrent en souriant les sergents qui les gardaient. Le roi Berlu les protégeait parce qu’ils lui prêtaient de l’argent. A cette vue, le saint évêque, reconnaissant que la résistance devenait rébellion et se rappelant Celui qui recolla l’oreille de Malchus, resta inerte et muet, et des larmes amères roulèrent de ses yeux. Séligmann, Issachar et Meyer enlevèrent les châsses d’or ornées de pierreries, d’émaux et de cabochons, les reliquaires en forme de coupe, de lanterne, de nef, de tour, les autels portatifs en albâtre encadré d’or et d’argent, les coffrets émaillés par les habiles ouvriers de Limoges et du Rhin, les croix d’autel, les évangéliaires recouverts d’ivoire sculpté et de camées antiques, les peignes liturgiques ornés de festons de pampres, les diptyques consulaires, les pyxides, les chandeliers, les candélabres, les lampes, dont ils soufflaient la sainte lumière et versaient l’huile bénite sur les dalles ; les lustres semblables a de gigantesques couronnes, les chapelets aux grains d’ambre et de perles, les colombes eucharistiques, les ciboires, les calices, les patènes, les baisers de paix, les navettes a encens, les burettes, les ex-voto sans nombre, pieds, mains, bras, jambes, yeux, bouches, entrailles, cœurs en argent, et le nez du roi Sidoc et le sein de la reine Blandine, et le chef en or massif de monseigneur saint Cromadaire, premier apôtre de Vervignole et benoît patron de Trinqueballe. Ils emportèrent enfin l’image miraculeuse de madame sainte Gibbosine, que le peuple de Vervignole n’invoquait jamais en vain dans les pestes, les famines et les guerres. Cette image très antique et très vénérable était de feuilles d’or battu, clouées a une armature de cèdre et toutes couvertes de pierres précieuses, grosses comme des œufs de canard, qui jetaient des feux rouges, jaunes, bleus, violets, blancs. Depuis trois cents ans ses yeux d’émail, grands ouverts sur sa face d’or, frappaient d’un tel respect les habitants de Trinqueballe, qu’ils la voyaient, la nuit, en rêve, splendide et terrible, les menaçant de maux très cruels s’ils ne lui donnaient en quantité suffisante de la cire vierge et des écus de six livres. Sainte Gibbosine gémit, trembla, chancela sur son socle et se laissa emporter sans résistance hors de la basilique où elle attirait depuis un temps immémorial d’innombrables pèlerins. Après le départ des larrons sacrilèges, le saint évêque Nicolas gravit les marches de l’autel dépouillé et consacra le sang de Notre-Seigneur dans un vieux calice d’argent allemand mince et tout cabossé. Et il pria pour les affligés et notamment pour Robin qu’il avait, par la volonté de Dieu, tiré du saloir. A peu de temps de là, le roi Berlu vainquit les Mambourniens dans une grande bataille. Il ne s’en aperçut pas d’abord, parce que les luttes armées présentent toujours une grande confusion et que les Vervignolais avaient perdu depuis deux siècles l’habitude de vaincre. Mais la fuite précipitée et désordonnée des Mambourniens l’avertit de son avantage. Au lieu de battre en retraite, il se lança à la poursuite de l’ennemi et recouvra la moitié de son royaume. L’armée victorieuse entra dans la ville de Trinqueballe, toute pavoisée et fleurie en son honneur, et dans cette illustre capitale de la Vervignole fit un grand nombre de viols, de pillages, de meurtres et d’autres cruautés, incendia plusieurs maisons, saccagea les églises et prit dans la cathédrale tout ce que les juifs y avaient laissé, ce qui, à vrai dire, était peu de chose. Maxime, qui, devenu chevalier et capitaine de quatre-vingts lances, avait beaucoup contribué à la victoire, pénétra des premiers dans la ville et se rendit tout droit à la maison des Musiciens, où demeurait la belle Mirande, qu’il n’avait pas vue depuis son départ pour la guerre. Il la trouva dans sa chambre qui filait sa quenouille et fondit sur elle avec une telle furie que cette jeune demoiselle perdit son innocence sans, autant dire, s’en apercevoir. Et, lorsque, revenue de sa surprise, elle s’écria : « Est-ce, vous, seigneur Maxime ? Que faites-vous la ? » et qu’elle se mit en devoir de repousser l’agresseur, il descendait tranquillement la rue, rajustant son harnais et lorgnant les filles. Peut-être aurait-elle toujours ignoré cette offense, si, quelque temps après l’avoir essuyée, elle ne se fut sentie mère. Alors le capitaine Maxime combattait en Mambournie. Toute la ville connut sa honte ; elle la confia au grand saint Nicolas, qui, à cette étonnante nouvelle, leva les yeux au ciel et dit : — Seigneur, n’avez-vous tiré celui-ci du saloir que comme un loup ravissant pour dévorer ma brebis ? Votre sagesse est adorable ; mais vos voies sont obscures et vos desseins mystérieux. En cette même année, le dimanche de Laetare, Sulpice se jeta aux pieds du saint évêque. — Des mon enfance, lui dit-il, mon vœu le plus cher fut de me consacrer au Seigneur. Permettez-moi, mon père, d’embrasser l’état monastique et de faire profession dans le couvent des frères mendiants de Trinqueballe. — Mon fils, lui répondit le bon saint Nicolas, il n’est pas d’état meilleur que celui de religieux. Heureux qui, dans l’ombre du cloître, se tient a l’abri des tempêtes du siècle ! Mais que sert de fuir l’orage si l’on a l’orage en soi ? A quoi bon affecter les dehors de l’humilité si l’on porte dans la poitrine un cœur plein de superbe ? De quoi vous profitera de revêtir la livrée de l’obéissance, si votre âme est révoltée ? Je vous ai vu, mon fils, tomber dans plus d’erreurs que Sabellius, Arius, Nestorius, Eutychès, Manès, Pélage, et Pachose ensemble, et renouveler avant votre vingtième année douze siècles d’opinions singulières. A la vérité, vous ne vous êtes obstiné dans aucune, mais vos rétractations successives semblaient trahir moins de soumission à notre sainte mère l’Église, que d’empressement à courir d’une erreur à une autre, à bondir du manichéisme au sabellianisme, et du crime des Albigeois aux ignominies des Vaudois. Sulpice entendit ce discours d’un cœur contrit, avec une simplicité d’esprit et une soumission qui touchèrent le grand saint Nicolas jusqu’aux larmes. — Je déplore, je répudie, je condamne, je réprouve, je déteste, j’exècre, j’abomine mes erreurs passées, présentes et futures, dit-il ; je me soumets à l’Église pleinement et entièrement, totalement et généralement, purement et simplement, et n’ai de croyance que sa croyance, de foi que sa foi, de connaissance que sa connaissance ; je ne vois, n’entends ni ne sens que par elle. Elle me dirait que cette mouche qui vient de se poser sur le nez du diacre Modernus est un chameau, qu’incontinent, sans dispute, contestation ni murmure, sans résistance, hésitation ni doute, je croirais, je déclarerais, je proclamerais, je confesserais, dans les tortures et jusqu’à la mort, que c’est un chameau qui s’est posé sur le nez du diacre Modernus. Car l’Église est la Fontaine de vérité, et je ne suis par moi-même qu’un vil réceptacle d’erreurs. — Prenez garde, mon père, dit Modernus : Sulpice est capable d’outrer jusqu’à l’hérésie la soumission à l’Église. Ne voyez-vous pas qu’il se soumet avec frénésie, transports et pâmoison ? Est-ce une bonne manière de se soumettre que de s’abîmer dans la soumission. Il s’y anéantit, il s’y suicide. Mais l’évêque réprimanda son diacre de tenir de tels propos contraires à la charité et envoya le postulant au noviciat des frères mendiants de Trinqueballe. Hélas ! au bout d’un an, ces religieux, jusqu’alors humbles et tranquilles, étaient déchirés par des schismes effroyables, plongés dans mille erreurs contre la vérité catholique, leurs jours remplis de trouble et leurs âmes de sédition. Sulpice soufflait ce poison aux bons frères. Il soutenait envers et contre ses supérieurs qu’il n’est plus de vrai pape depuis que les miracles n’accompagnent plus l’élection des souverains pontifes, ni propre ment d’Église depuis que les chrétiens ont cessé de mener la vie des apôtres et des premiers fidèles ; qu’il n’y a pas de purgatoire ; qu’il n’est pas nécessaire de se confesser à un prêtre si l’on se confesse à Dieu ; que les hommes font mal de se servir de monnaies d’or et d’argent, mais qu’ils doivent mettre en commun tous les biens de la terre. Et ces maximes abominables, qu’il soutenait avec force, combattues par les uns, adoptées par les autres, causaient d’horribles scandales. Bientôt Sulpice enseigna la doctrine de la pureté parfaite, que rien ne peut souiller, et le couvent des bons frères devint semblable à une cage de singes. Et cette pestilence ne demeura pas contenue dans les murs d’un monastère. Sulpice allait prêchant par la ville ; son éloquence, le feu intérieur dont il était embrasé, la simplicité de sa vie, son cou rage inébranlable, touchaient les cœurs. A la voix du réformateur, la vieille cité évangélisée par saint Cromadaire, édifiée par sainte Gibbosine, tomba dans le désordre et la dissolution ; il s’y commet tait, nuit et jour, toutes sortes d’extravagances et d’impiétés. En vain le grand saint Nicolas avertissait ses ouailles, exhortait, menaçait, fulminait Le mal augmentait sans cesse et l’on observait avec douleur que la contagion s’étendait sur les riches bourgeois, les seigneurs et les clercs autant et plus que sur les pauvres artisans et les gens de petits métiers. Un jour que l’homme de Dieu gémissait dans le cloître de la cathédrale sur le déplorable état de l’église de Vervignole, il fut distrait de ses méditations par des hurlements bizarres et vit une femme qui marchait toute nue, à quatre pattes, avec une plume de paon plantée en guise de queue. Elle s’approchait en aboyant, léchant la terre et reniflant. Ses cheveux blonds étaient couverts de boue et tout son corps souillé d’immondices. Et le saint évêque Nicolas reconnut en cette malheureuse créature sa nièce Mirande. — Que faites-vous là, ma fille ? s’écria-t-il. Pour quoi vous êtes-vous mise nue et pourquoi marchez vous sur les genoux et sur les mains ? N’avez-vous pas honte ? Non, mon oncle, je n’ai point honte, répondit Mirande avec douceur. J’aurais honte, au contraire, d’une autre contenance et d’une autre démarche. C’est ainsi qu’il faut se mettre et se tenir s’il l’on veut plaire à Dieu. Le saint frère Sulpice m’a enseigné à me gouverner de la sorte, afin de ressembler aux bêtes, qui sont plus près de Dieu que les hommes, car elles n’ont pas péché. Et tant que je serai dans la contenance où vous me voyez, il n’y aura pas de danger que je pèche. Je viens vous inviter, mon oncle, en tout amour et charité, à faire comme moi : car vous ne serez pas sauvé sans cela. Ôtez vos habits, je vous prie, et prenez l’attitude des animaux en qui Dieu regarde avec plaisir son image, que le péché n’a point déformée. Je vous fais cette recommandation sur l’ordre du saint frère Sulpice et conséquemment par l’ordre de Dieu lui même, car le saint frère est dans le secret du Seigneur. Mettez-vous nu, mon oncle, et venez avec moi, afin que nous nous présentions au peuple pour l’édifier. — En puis-je croire mes yeux et mes oreilles ? soupira le saint évêque d’une voix que les sanglots étouffaient. J’avais une nièce florissante de beauté, de vertu, de piété, et les trois enfants que j’ai tirés du saloir l’ont réduite à l’état misérable où je la vois. L’un la dépouille de tous ses biens, source abondante d’aumônes, patrimoine des pauvres ; un autre lui ôte l’honneur ; le troisième la rend hérétique. Et il se jeta sur la dalle, embrassant sa nièce, la suppliant de renoncer à un genre de vie si condamnable, l’adjurant avec des larmes de se vêtir et de marcher sur ses pieds comme une créature humaine, rachetée par le sang de Jésus Christ. Mais elle ne répondit que par des glapissements aigus et des hurlements lamentables. Bientôt la ville de Trinqueballe fut remplie d’hommes et de femmes nus, qui marchaient à quatre pattes en aboyant ; ils se nommaient les Edéniques et voulaient ramener le monde aux temps de la parfaite innocence, avant la création malheureuse d’Adam et d’Ève. Le R. P. dominicain Gilles Caquerole, inquisiteur de la foi dans la cité, université et province ecclésiastique de Trinqueballe, s’inquiéta de cette nouveauté et commença à la poursuivre curieusement. Il invita de la façon la plus instante, par lettres scellées de son sceau, le seigneur évêque Nicolas à appréhender, incarcérer, interroger et juger, de concert avec lui, ces ennemis de Dieu et notamment leurs chefs principaux, le moine franciscain Sulpice et une femme dissolue nommée Mirande. Le grand saint Nicolas brûlait d’un zèle ardent pour l’unité de l’Église et la destruction de l’hérésie ; mais il aimait chèrement sa nièce. Il la cacha dans son palais épiscopal et refusa de la livrer à l’inquisiteur Caquerole, qui le dénonça au pape comme fauteur de troubles et propagateur d’une nouveauté très détestable. Le pape enjoignit a Nicolas de ne pas soustraire plus longtemps la coupable à ses juges légitimes. Nicolas éluda l’injonction, protesta de son obéissance et n’obéit pas. Le pape fulmina contre lui la bulle Maleficus pastor, dans laquelle le vénérable pontife était traité de désobéissant, d’hérétique ou fleurant l’hérésie, de concubinaire, d’incestueux, de corrupteur des peuples, de vieille femme et d’olibrius, et véhémentement admonesté. L’évêque se fit de la sorte un grand tort sans profit pour sa nièce bien-aimée. Le roi Berlu, menacé d’excommunication s’il ne prêtait pas son bras à l’Église pour la recherche des Edéniques, envoya à l’évêché de Trinqueballe des gens d’armes, qui arrachèrent Mirande à son asile ; elle fut traînée devant l’inquisiteur Caquerole, jetée dans un cul de basse fosse et nourrie du pain que refusaient les chiens des geôliers ; mais ce qui l’affligeait le plus, c’est qu’on lui avait mis de force une vieille cotte et un chaperon et qu’elle n’était plus sûre de ne pas pécher. Le moine Sulpice échappa aux recherches du Saint-Office, réussit à gagner la Mambournie et trouva asile dans un monastère de ce royaume, où il fonda de nouvelles sectes plus pernicieuses que les précédentes. Cependant l’hérésie, fortifiée par la persécution et s’exaltant dans le péril, étendait maintenant ses ravages sur toute la Vervignole ; on voyait par le royaume, dans les champs, des milliers d’hommes et de femmes nus qui paissaient l’herbe, bêlaient, meuglaient, mugissaient, hennissaient et disputaient, le soir, aux moutons, aux bœufs et aux chevaux l’étable, la crèche et l’écurie. L’inquisiteur manda au Saint-Père ces scandales horribles et l’avertit que le mal ne ferait que croître, tant que le protecteur des Edéniques, l’odieux Nicolas, resterait assis sur le siège de saint Cromadaire. Conformément à cet avis, le pape fulmina contre l’évêque de Trinqueballe la bulle Deterrima quondam par laquelle il le destituait de ses fonctions épiscopales et le retranchait de la communion des fidèles. Foudroyé par le vicaire de Jésus-Christ, abreuvé d’amertume, accablé de douleur, le saint homme Nicolas descendit sans regret de son siège illustre et quitta, pour n’y plus revenir, la ville de Trinqueballe, témoin, durant trente années, de ses vertus pontificales et de ses travaux apostoliques. Il est dans la Vervignole occidentale une haute montagne, aux cimes toujours couvertes de neige : de ses flancs descendent, au printemps, les cascades écumeuses et sonores qui remplissent d’une eau bleue comme le ciel les gaves de la vallée. La, dans la région où croit le mélèze, l’arbouse et le noisetier, des ermites vivaient de baies et de laitage. Ce mont se nomme le mont Sauveur. Saint Nicolas résolut de s’y réfugier et d’y pleurer, loin du siècle, ses péchés et les péchés des hommes. Comme il gravissait la montagne, à la recherche d’un lieu sauvage où il établirait son habitation, parvenu au-dessus des nuages qui s’assemblent presque constamment aux flancs du roc, il vit au seuil d’une cabane un vieillard qui partageait son pain avec une biche apprivoisée. Sa cuculle retombait sur son front, et l’on n’apercevait de son visage que le bout du nez et une longue barbe blanche. Le saint homme Nicolas le salua par ces mots : — La paix soit avec vous, mon frère. — Elle se plaît sur cette montagne, répondit le solitaire. — Aussi, répliqua le saint homme Nicolas, y suis-je venu terminer, dans le calme, des jours troublés par le tumulte du siècle et la malice des hommes. Tandis qu’il parlait de la sorte, l’ermite le regardait attentivement : — N’êtes-vous pas, lui dit-il enfin, l’évêque de Trinqueballe, ce Nicolas dont on vante les travaux et les vertus ? Le saint pontife ayant fait signe qu’il était cet homme, l’ermite se jeta à ses pieds. — Seigneur, je vous devrai le salut de mon âme, si comme je l’espère, mon âme est sauvée. Nicolas le releva avec bonté et lui demanda : —— Mon frère, comment ai-je eu le bonheur de travailler à votre salut ? — Il y a vingt ans, répondit le solitaire, étant aubergiste à l’orée d’un bois, sur une route abandonnée, je vis, un jour, dans un champ, trois petits enfants qui glanaient ; je les attirai dans ma maison, leur fis boire du vin, les égorgeai pendant leur sommeil, les coupai par morceaux et les salai. Le Seigneur, regardant vos mérites, les ressuscita par votre intervention. En les voyant sortir du saloir, je fus glacé de terreur : sur vos exhortations, mon cœur se fondit ; j’éprouvai un repentir salutaire, et, fuyant les hommes, me rendis sur cette montagne où je consacrai mes jours à Dieu. Il répandit sa paix sur moi. — Quoi, s’écria le saint évêque, vous êtes ce cruel Garum, coupable d’un crime si atroce ! Je loue Dieu qui vous accorda la paix du cœur après le meurtre horrible de trois enfants que vous avez mis dans le saloir comme pourceaux ; mais moi, hélas ! pour les en avoir tirés, ma vie a été remplie de tribulations, mon âme abreuvée d’amertume, mon épiscopat entièrement désolé. J’ai été déposé, excommunié par le père commun des fidèles. Pourquoi suis-je puni si cruellement de ce que j’ai fait ? — Adorons Dieu, dit Garum, et ne lui demandons pas de comptes. Le grand saint Nicolas bâtit de ses mains une cabane auprès de celle de Garum et il y finit ses jours dans la prière et dans la pénitence. |
Revue de Paris - 1843, tome 16.djvu/382 | {{c|CONTENUES DANS LE SEIZIEME VOLUME}}
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