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Le Tour du monde - 10.djvu/261
celle de l’opium, et une fois sous l’empire de ce funeste poison, il court se précipiter, le kriss à la main, sur la victime qui a excité sa haine et l’égorge sans pitié. Mais, jamais assouvi par ce premier meurtre, il se met alors à courir au hasard, tuant ou blessant tous ceux qu’il rencontre. On a vu des Indiens, ivres d’opium, assassiner jusqu’à quinze et dix-sept personnes. C’est ce qu’on appelle faire ''amok''. Dès que le cri : ''Amok !'' se fait entendre dans un kampong, les veilleurs de nuit et la garde urbaine prennent immédiatement les armes ; les uns frappent le thong-thong, les autres poursuivent le fugitif. On se rend d’abord maître de lui à l’aide de ces grandes fourches dont j’ai parlé plus haut et qu’on nomme ''bandhill'', et ordinairement on l’exécute séance tenante<ref>Le ''bandhill'' est une arme neutre extrêmement ingénieuse{{corr||.}} C’est une fourche dont les deux branches sont garnies d’une plante épineuse (''doêri''), de manière à ce que les épines, tournées dans le sens du manche, pénètrent dans les chairs du patient, et non seulement l’empêchent de s’échapper, mais paralysent tous ses mouvements et le rendent d’une docilité parfaite. L’homme le plus furieux est subitement dompté par l’horrible douleur que lui causent, quand il est enfourché par le bandhill, les milliers {{corr|d’épipines|d’épines}} qui lui labourent les côtes ; il suit alors comme un chien celui qui tient le manche de cette arme, redoutée à si juste titre des indigènes. On ne délivre le prisonnier qu’en dénouant les ligatures de roting qui se tiennent autour des branches de la fourche des joncs épineux en question.</ref>. <includeonly> [[Fichier:Le Tour du monde-10-p263.jpg|thumb|center|500px|{{c|Amock (effet de l’opium sur les Malais). — Dessin de MM. de Molins et Doërr.}}]] </includeonly> Ce ne fut que le lendemain que j’appris l’histoire de cet amok, le nom du malheureux fou, la cause de son crime et le nombre de ses victimes. Ali, cuisinier de l’hôtel Schmidt, était un bon serviteur que son zèle et son honnêteté avaient déjà fait apprécier et estimer de tous. Bien payé, considéré par ses compagnons et par ses maîtres, Ali avait tout ce qu’il faut pour être heureux. Mais il aimait, il aimait Léda, sa petite cousine, Léda, aussi belle qu’insensible. Vainement il lui avait fait les plus brillants cadeaux : sahrongs aux riches couleurs, bagues en malachite, bracelets en argent niellés et ciselés ; vainement il chantait les charmes de la cruelle jeune fille, ses dents noires, ses joues dorées comme l’écorce du mangoustan, ses yeux de charbon, ses sourcils arqués comme la feuille de siry, Léda refusait toujours de lui donner sa noire main. [[Fichier:Le Tour du monde-10-p261.jpg|thumb|center|500px|{{c|Hôtellerie javanaise. — Dessin de M. de Molins.}}]] Tout à coup, il apprend que Léda, au mépris d’une passion aussi sincère, épouse Naidinn, un rival indigne de lui, un rival auquel il n’aurait pas songé, et qui n’a d’autre séduction que les belles roupies toutes neuves qu’il entasse dans son coffre de bois de camphre. Indigné d’une pareille ingratitude, Ali jure de se venger d’une manière sanglante ; il fait amok, c’est-à-dire s’enivre d’opium, court chez sa maîtresse en brandissant son ''kriss'', le terrible poignard malais en forme de flamme, et essaye de lui trancher la tête, mort à laquelle la malheureuse n’échappe qu’à cause de l’épaisse chevelure qui préserve son cou. Ali, tout à fait en démence, s’élance alors dans les rues de Soërabaija et frappe plus ou moins grièvement plusieurs passants inoffensifs. Arrêté par la garde urbaine, comme nous l’avons dit, Ali fut mis en prison, puis jugé et condamné par un tribunal javanais, assisté, selon la coutume, d’un tribunal hollandais, chargé de commuer en peine de mort pure et simple les supplices atroces ordonnés par les premiers juges d’après les anciennes lois indigènes. Les deux causes de presque tous les crimes que commettent les Malais, sont la jalousie et le fanatisme. Je viens de faire voir les effets désastreux que peut produire la première de ces passions sur ces natures ardentes et primitives ; qu’il me soit aussi permis de raconter un autre drame dont la superstition avait été le principal mobile, et qui se dénoua devant la justice pendant mon séjour à Soërabaija. Ce forfait, d’ailleurs, est très-exceptionnel. <references/>
Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/271
}}sans cesse ; & vous doutez de ma prudence ! Hé bien ! rappelez-vous le temps où vous me rendîtes vos premiers soins : jamais hommage ne me flatta autant ; je vous désirais avant de vous avoir vu. Séduite par votre réputation, il me semblait que vous manquiez à ma gloire ; je brûlais de vous combattre corps à corps. C’est le seul de mes goûts qui ait jamais pris un moment d’empire sur moi. Cependant, si vous eussiez voulu me perdre, quels moyens eussiez-vous trouvés ? de vains discours qui ne laissent aucune trace après eux, que votre réputation même eût aidé à rendre suspects, & une suite de faits sans vraisemblance, dont le récit sincère aurait eu l’air d’un roman mal tissé. A la vérité, je vous ai depuis livré tous mes secrets : mais vous savez quels intérêts nous unissent, & si, de nous deux, c’est moi qu’on doit taxer d’imprudence<ref>On saura dans la suite, lettre CLII, non pas le secret de M. de Valmont, mais à peu près de quel genre il était ; et le lecteur sentira qu’on n’a pas pu l’éclaircir davantage sur cet objet.</ref>. Puisque je suis en train de vous rendre compte, je veux le faire exactement. Je vous entends d’ici me dire que je suis au moins à la merci de ma femme de chambre ; en effet, si elle n’a pas le secret de mes sentiments, elle a celui de mes actions. Quand vous m’en parlâtes jadis, je vous répondis seulement que j’étais sûre d’elle ; & la preuve que cette réponse suffit alors à votre tranquillité, c’est que vous lui avez confié depuis, & pour votre compte, des secrets assez dangereux. Mais à présent que Prévan vous <references/>
Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/458
hauteur variant de 600 à {{formatnum:1000}} mètres ; le principal, la Soufrière, situé dans la partie nord, absolument au mème point que le mont Pelé à la Martinique, atteint {{formatnum:1130}} mètres. Les îles de Grenade et de Saint-Vincent n’ont qu’un seul gouverneur qui réside tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre, le plus souvent dans la première. Pendant son absence, la direction des affaires est confiée à un administrateur qui occupe le palais du Gouvernement. Je m’empresse de rendre visite à M. Cameron, car le gouverneur, sir Robert Llewellen, est installé à Grenade en ce moment, et de lui remettre la lettre du ministère des Colonies de Londres, qui me recommande à son bienveillant accueil. M. Cameron se met de la façon la plus courtoise à ma disposition, et m’offre l’hospitalité de la Résidence. Pour atteindre la zone dévastée, j’aurai à me rendre en bateau à la côte ouest, ou Côte sous le vent, jusqu’à Château-Belair, et en voiture, à Georgetown, sur la Côte du vent, en traversant la plus grande partie de l’île. J’aurai la société, cette fois-ci, non plus de l’aimable M. Lacroix, mais d’un savant allemand, M. Sapper, que j’avais rencontré déjà à la Martinique, et qui a été envoyé en mission dans les deux îles, après avoir visité les volcans du Guatémala. Nous nous sommes munis de provisions nécessaires, et nous partons de grand matin de Kingstown, dans un bateau à rames, conduit par de vigoureux rameurs. En longeant de tout près la côte, je me rends compte tout de suite des terribles cataclysmes dont Saint-Vincent a été le théâtre dans les siècles reculés. L’île n’a été découverte par Colomb qu’en 1498, et l’histoire ne mentionne qu’une forte éruption en 1812. Ici, comme à la Martinique, on m’a montré des publications parlant de la Soufrière et du mont Pelé et les désignant sous le nom de volcans ''éteints'' ! Nous passons devant des soubassements de laves de plusieurs mètres de hauteur, divisés en deux étages, et entre lesquels une couche de verdure indique nettement que des siècles se sont écoulés probablement entre la formation du premier plateau et celle du second. En certains endroits, la masse compacte contient des tufs, ainsi que de grosses pierres, des amas de cendres qui se sont consolidées, même des bombes dans le genre de celles que le volcan a projetées l’année dernière. Il est facile de reconnaître que ces anciennes éruptions ont été accompagnées d’importantes coulées de laves, ce qui, en 1902, ne s’est pas plus produit ici qu’à la Martinique. Nous arrivons à Château-Belair. Il n’y a pas d’hôtel, mais un refuge que les Anglais désignent sous le nom de ''{{lang|en|resthouse}}''. C’est un établissement très propre, servant de résidence pour le rare étranger qui se présente, en même temps que de bureau de police et de bureau de poste et télégraphe. Un serviteur complaisant me conduit dans une chambre convenable, déballe mes provisions et complète le menu de mon dîner par des œufs frais et du thé. Le géologue allemand reçoit l’hospitalité d’un pasteur wesleyen, établi dans la localité, et passe la soirée avec son hôte à préparer les détails de l’ascension de la Soufrière pour le lendemain. N’ayant ni l’endurance de l’alpiniste, ni le désir ou le courage de me risquer dans une expédition aussi dangereuse, je les accompagnerai jusqu’à un certain point. Je me trouve à la première lueur de l’aube devant l’appontement où l’embarcation nous attend. LA RÉGION DÉVASTÉE DE L’ÎLE DE SAINT-VINCENT Encore une côte de laves, de basaltes qui est suivie, un peu plus loin, de plateaux pleins de cendres, émaillés des restes de deux usines, détruites par l’éruption du 7 mai. Les bateliers nous déposent dans une anse, et nous escaladons une paroi, composée de cendres plus ou moins consolidées, et dans laquelle nous taillons des marches au moyen de bâtons et de pics. Le sommet du volcan est caché par des vapeurs, et les pentes de la montagne s’allongent sous une couche épaisse de cendres, lesquelles, du reste, couvrent toute la plaine. Ces cendres sont d’une couleur généralement grise, d’une nuance <references/>
Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/557
M. Goblet, donnant le bras à Chevreul, un moment bien près de s’évanouir, le conduit dans la salle des Gardes. Toute cette partie de l’Hôtel de Ville est bien blanche, bien nue. Crudité de ton. Du neuf. Il n’y a point d’histoire dans ce monument. Tout à l’heure, un candélabre s’était brisé devant Chevreul. — De l’utilité des bougies ! dis-je au général Pittié... On avait du reste éclairé aux bougies (hommage à Chevreul, au chimiste) la salle du festin. À noter la cohue des reporters et leurs propos : — Floquet a envoyé quatre exemplaires de son discours à ''la Lanterne''. Je te vais le saler demain dans ''le Radical''. Et il me fait des mamours encore ! Lockroy, pris à part par un petit bonhomme boiteux : — Faites l’amnistie, citoyen, ou vous allez glisser ! Je suis le citoyen un tel, du Comité de défense du XIe arrondissement. L’amnistie ! ou sans ça, vous glissez ! L’amnistie ! Pour qui ? Pourquoi ? Regard narquois et étonné de Lockroy. Et, j’oubliais le général Boulanger. Très beau, mais rien du militaire. La barbe blonde entière, les cheveux bien peignés, les oreilles très décollées, des deux côtés de la tête. Voix claire, bien timbrée. Il rappelle en peu de mots bien frappés et considérablement applaudis que Chevreul, en 1870, a protesté contre le bombardement du Muséum, puis il se rassied, très calme, mais comme quelqu’un qui a produit un ''effet'' et non comme un homme qui a fait son devoir. Du reste, il a l’air crâne. Je vois que ce matin, Giffard dans le ''Figaro'' le compare à un commis de nouveautés. C’est trop, et c’est pourtant un peu ça. Je cherche, et je ne sens pas le militaire. C’est un bellâtre. Pourquoi n’était-il pas en uniforme ? Je sors avec G. Livet et Blavet. Vu la retraite aux (lambeaux d’une fenêtre de ''l’Événement''. Superbes les cuirassiers avec le reflet des torches sur leurs cuirasses. Les pompiers aux casques rougis par les lanternes. Derrière, des masques en casaques rouges, je ne sais quels ''trompettes de Paris'' (une association musicale) et une foule compacte, noire, hideuse, suivant en sifflant horriblement. Sifflant quoi ? La retraite manquée, piteuse, je ne sais ; et de temps à autre entonnant ''le Chant du Départ''. La fête de Chevreul où chacun parlait de la mort du vieillard, <references/>
Duboscq - Le Pacifique et la rencontre des races, 1929.pdf/30
de New-York la liberté d’allure dont ils avaient joui en Europe, la réaction contre eux ne se fit pas attendre. Elle fut brutale<ref>Voir un remarquable article du ''Correspondant'' du 10 mai 1926 sur « Le problème de la race aux États-Unis », sous la signature de {{M.|Bernard Faÿ}}.</ref>. Dans les États du Sud, l’hostilité des blancs contre les noirs s’est toujours expliquée par une crainte insurmontable. Il faut lire sur ce point cette page saisissante du livre de {{M.|André Siegfried}} : ''Les États-Unis d’aujourd’hui'' (p. 93) (Armand Colin) : {{t|Toute discussion relative aux nègres révèle une sorte de hantise sexuelle, pénétrant, implacable, jusqu’aux moindres replis de la pensée et de la sensibilité. C’est une terreur vague, demi-physique, de la population de couleur environnante, surtout dans les villages où elle est le nombre et donne l’impression de vous submerger ; c’est la peur hallucinante d’une hérédité barbare, bestiale, qui se manifesterait tout à coup par une tentative de viol : si l’on sort le soir, laissant une femme seule à la maison, jamais on ne se sent tout à fait rassuré. À la longue, cela devient une idée fixe qu’on ne raisonne plus, une sorte d’hystérie, de fureur, qui peut conduire aux pires horreurs. On comprend que, si un viol vient alors à se produire effectivement, si même il n’en existe que le simple soupçon, la répression sort du domaine de la légalité pour entrer dans celui de la vengeance passionnelle. Il faut un exemple, à tout prix, tout de suite, et la foule qui s’est ameutée ne retrouve de détente que quand le sang a coulé, par-|90}} <references/>
Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/261
{{Nr||DANGEREUSES.|255}} {{Séparateur|l}}{{tiret2|accor|dait}} à l’amour, il faut le livrer à la crainte : {{pom|Ses bras s’ouvrent encor quand son cœur est fermé.}} Sa prudence doit dénouer avec adresse, ces mêmes liens que vous auriez rompus. À la merci de son ennemi, elle est sans ressource, s’il est sans générosité : & comment en espérer de lui, lorsque, si quelquefois on le loue d’en avoir, jamais pourtant on ne le blâme d’en manquer ? Sans doute vous ne nierez pas ces vérités que leur évidence a rendues triviales. Si cependant vous m’avez vue, disposant des événements & des opinions, faire de ces hommes si redoutables les jouets de mes caprices ou de mes fantaisies ; ôter aux uns la volonté de me nuire, aux autres la puissance de me nuire ; si j’ai su tour à tour, & suivant mes goûts mobiles, attacher à ma suite ou rejeter loin de moi {{pom|Ces tyrans détrônés devenus mes esclaves<ref>On ne sait si ce vers, ainsi que celui qui se trouve ci-devant, ''Ses bras s’ouvrent encor quand son cœur est fermé'', sont des citations d’ouvrages peu connus ou s’ils font partie de la prose de madame de Merteuil. Ce qui le ferait croire, c’est la multitude de fautes de ce genre qui se trouvent dans toutes les lettres de cette correspondance. Celles du chevalier Danceny sont les seules qui en soient exemptes: peut-être que comme il s’occupait quelquefois de poésie, son oreille plus exercée lui faisait éviter plus facilement ce défaut.</ref> ;}} si, au milieu de ces révolutions fréquentes, ma réputation s’est pourtant conservée pure, n’avez-vous pas <references/>
LeMoine - Chasse et pêche au Canada, 1887.djvu/32
bottes canadiennes en cuir de bœuf à forte semelle — bien cirées.<ref>La cire, le suif de mouton, l’huile de pieds de bœufs (''{{lang|en|neats foot oil}}'') en proportion suivante : huile de pieds de bœuf une chopine, cire d’abeille deux onces et suif de mouton deux onces compose un enduit excellent, pour rendre souples et imperméables les bottes, {{corr|pourvû|pourvu}} que l’on ajoute un double de caoutchouc entre les semelles.</ref> L’indispensable gilet de flanelle sur la peau en tout temps — rempart contre les rhumatismes : le ceinturon pour contenir les cartouches et l’appareil pour les recharger, le couteau de chasse, la lunette d’approche pour la chasse au gros gibier, la griffe pour extraire l’étui de la cartouche, le sifflet pendu à la boutonnière, la clochette dans votre carnassière, pour le chien chassant dans un taillis — le fouet en poche, quand il est revêche : et vous voilà au grand complet. Le collier de force, usité en France et, un peu, en Angleterre — recommandé par Blaze et Berreyre, est peu connu au Canada. {{IllustPP|img=LeMoine - Chasse et pêche au Canada, 1887 (page 32 crop).jpg|taille=200px |txt=}} <references/>
Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/28
tour, suivant l’accent avec lequel ce nom : Emmelina, était prononcé le matin par la grosse Jeanne, la femme de confiance, à son sortir de la chambre sacrée. La passion de tous ces honnêtes gens pour l’être chéri n’était pas identique, de même valeur et de même poids. {{M.|Irnois}} faisait peu de bruit de son affection, n’en parlait jamais que je sache, mais la ressentait plus vivement, plus sérieusement que personne. La seule manière dont il manifestât son amour pour sa fille était de ne pas la rudoyer comme il faisait les autres. Il aimait Emmelina sans trop le savoir ; et comment l’aurait-il su, lui qui, de sa vie, n’avait réfléchi ni aux choses, ni aux hommes, ni à lui-même ? Sa fille ne pouvait l’empêcher d’être maussade, mais elle pouvait le rendre vingt fois plus désagréable qu’il n’était d’ordinaire, et cela, par le seul fait que, le matin, il n’aurait pas été réveillé par un rapport satisfaisant sur l’état de santé d’Emmelina : {{corr|Bref|bref}}, il l’aimait passionnément. Madame Irnois, de tempérament calme, que dis-je ! glacial, et n’ayant de sa vie éprouvé la moindre sensation vive (sans quoi elle n’eût jamais voulu entendre parler d’épouser Monsieur son mari), {{Mme|Irnois}} passait une grande partie du jour à tenir sa fille sur ses genoux, à l’embrasser, à la caresser, à lui dire tous les riens que lui présentait son imagination. Ces riens n’étaient pas jolis, ils n’étaient pas variés, surtout ils n’avaient rien de spirituel. {{Mme|Irnois}} était aussi complètement nulle que peut l’être une bourgeoise vieille, laide et ignorante ; mais
Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/33
nécessaire. Seulement la tante Julie Maigrelut, qui, de temps en temps, feuilletait assez volontiers un roman de {{M.|{{corr|Ducray-Duménil|Ducray-Duminil}}}}, ou de {{Mme|de{{lié}}Bournon-Malarme}}, lui avait appris à lire, et elle se servait de cette science pour prendre quelquefois Peau d’Âne ou le Chat Botté dans le volume de Perrault ; elle avait commencé par là avec son institutrice, et elle ne s’était jamais risquée seule à aller plus loin. À dix-sept ans encore, elle prenait Peau d’Ane ou le Chat Botté, et passait toute une journée dans sa compagnie. Elle n’y rencontrait pas grand charme, mais non plus grande fatigue, et il ne lui en fallait pas davantage. Tous les jours, à huit heures, Jeanne, qui couchait dans sa chambre auprès de son lit, s’en approchait pour savoir comment elle avait dormi, demande quotidienne à laquelle Emmelina répondait quotidiennement : — “Bien, Jeanne.” Mais son teint plus ou moins pâle, ses yeux plus ou moins battus, étaient les véritables témoins que Jeanne interrogeait. La consultation terminée, Jeanne se rendait tout en courant chez {{M.}}{{lié}}et {{Mme|Irnois}}, où elle communiquait ses sentiments, où elle déclarait combien de fois Emmelina avait bu pendant la nuit. Si le bulletin était mauvais, {{M.|Irnois}} devenait plus loup que de coutume, et sa voix furibonde allait porter la terreur jusqu’au fond de la cuisine. {{Mlles|Maigrelut}} savaient alors à quoi s’en tenir sur la marche de toute la journée, et venaient par leurs glapissements prendre part à la désolation générale.
Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/209
oblige à poser la question de la ''transformabilité des productions''. Nous disons la question de la transformabilité des ''productions'', et non la question de la transformabilité des ''produits''. C’est à la chimie qu’il appartient de nous enseigner s’il est ou non possible de tirer tel corps de tel autre. L’économique, elle, se préoccupe de savoir s’il est possible d’obtenir, en place de tel produit, tel produit d’une autre sorte, de substituer telle production à telle autre. Sur cette question que nous soulevons ici, c’est Effertz qui a exposé les idées les plus suggestives. Nous allons donner de ces idées un aperçu sommaire. '''111. Théorie d’Effertz.''' — D’après Effertz, les productions ne peuvent pas indifféremment être substituées les unes aux autres. Les biens de toutes sortes, dans notre économie, s’échangent les uns contre les autres : ils forment un vaste système, dans lequel chaque unité a sa ''valeur'', ce qui veut dire qu’elle peut être mesurée en fonction de toutes les autres. De là naît une illusion à laquelle les économistes eux-mêmes ne cèdent que trop : l’illusion de croire que l’on pourrait remplacer la production d’une quantité de biens ayant au total une certaine valeur par la production de cette quantité de tels ou tels biens différents des premiers qui représente une valeur égale. Mais ce n’est là qu’une illusion, qu’il importe de dénoncer. En réalité, la transformation des productions les unes dans les autres rencontre toutes sortes d’obstacles. On ne saurait entreprendre d’indiquer d’une manière exacte et complète quand et dans quelle mesure une production peut être remplacée par une autre. Effertz tient du moins à noter une limitation de la transformabilité des productions qui lui paraît particulièrement importante. On peut, dit-il, distribuer les biens en deux grandes classes : ceux qui coûtent à produire beaucoup de terre — relativement — et ceux qui coûtent beaucoup de travail. Il sera possible de remplacer la production d’un bien dans le coût duquel le rapport de la terre au travail est grand par la production d’un bien de la même classe ; les productions de la deuxième classe, pareillement, pourront être substituées les unes aux autres. Mais on ne pourra point substituer à une production de la première classe une production de la deuxième. Ou plutôt on pourra opérer cette substitution ; mais on ne pourra l’opérer que dans des conditions de plus en plus désavantageuses, et à l’intérieur de certaines limites. Il est possible d’accroître les produits qui coûtent surtout de la terre en employant à la culture un nombre d’hommes plus grand ; mais l’accroissement de produit qu’on obtiendra par là ira diminuant de plus en plus, et un moment viendra où on ne gagnera plus rien absolument à multiplier les travailleurs de la terre ; à ce moment d’ailleurs la production agricole totale ne représentera qu’un multiple en somme point très élevé de ce qu’elle est aujourd’hui. <references/>
Adolphe Chéruel
◄ Auteurs C Fac-similés Biographie Citations Médias Données structurées historien français, Inspecteur d'éducation et recteur d'académie (1809 – 1891) Les Normands d’Italie à la première croisade, 1839 Fragments d’une histoire de la conquête de l’Italie méridionale par les Normands, 1839 Histoire de Rouen sous la domination anglaise au XVe siècle, 1840 Histoire de Rouen pendant l’époque communale, 1150-1382, 1843-1844, Vol 1 books.google.fr et 2. Jeanne d’Arc à Rouen, 1845 Nicolas Bretel, seigneur de Gremonville, ambassadeur à Rome et à Venise ; 1644-1648, 1847. Le Dernier Duché de Normandie (1465-1466), 1847. De l’Instruction publique à Rouen, depuis la fin du Moyen Âge jusqu’à l’établissement définitif du collège des jésuites, 1849. De l'administration de Louis XIV, d'après les mémoires inédits d'Olivier d'Ormesson (1849) ; Marie Stuart et Catherine de Médicis (1850) ; Siège de Rouen en 1562, 1850 Histoire de l’administration monarchique en France depuis l’avènement de Philippe-Auguste jusqu’à la mort de Louis XIV, 1855, 2 vol. in-8° ; Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, 1855 Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet, surintendant des finances d'après ses lettres et des pièces inédites conservées à la bibliothèque impériale, 2 t., 1862. Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet (1862, 2 vol. in-8°) ; Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, 1865 Notice sur la vie et sur les mémoires du duc de Saint-Simon, 1876 Histoire de France pendant la minorité de Louis XIV, 4 t., 1880 Histoire de la France sous le ministère de Mazarin, 1882-1883 Guide bibliographique de la littérature française de 1800 à 1906 (1907), par Hugo P. Thieme
Les Liaisons dangereuses/Lettre 16
Pierre Choderlos de Laclos Les Liaisons dangereuses J Rozez, 1869 (volume 1, p. 56-58). ◄ Lettre XV — Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil Lettre XVII — Le chevalier Danceny à Cécile Volanges ► Lettre XVI — Cécile Volanges à Sophie Carnay bookLes Liaisons dangereusesPierre Choderlos de LaclosJ Rozez1869BruxellesCvolume 1Lettre XVI — Cécile Volanges à Sophie CarnayChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvuChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/956-58 Cécile Volanges à Sophie Carnay. Ah ! ma Sophie, voici bien des nouvelles ! je ne devrais peut-être pas te les dire : mais il faut bien que j’en parle à quelqu’un ; c’est plus fort que moi. Ce chevalier Danceny... Je suis dans un trouble que je ne peux pas écrire : je ne sais par où commencer. Depuis que je t’avais raconté la jolie soirée que j’avais passée chez maman avec lui & madame de Merteuil, je ne t’en parlais plus : c’est que je ne voulais plus en parler à personne ; mais j’y pensais pourtant toujours. Depuis il était devenu si triste, mais si triste, si triste, que ça me faisait de la peine ; & quand je lui demandais pourquoi, il me disait que non : mais je voyais bien que si. Enfin hier il l’était encore plus que de coutume. Ça n’a pas empêché qu’il n’ait eu la complaisance de chanter avec moi comme à l’ordinaire ; mais toutes les fois qu’il me regardait, cela me serrait le cœur. Après que nous eûmes fini de chanter, il alla renfermer ma harpe dans son étui ; &, en m’en rapportant la clé, il me pria d’en jouer encore le soir, aussitôt que je serais seule. Je ne me défiais de rien du tout ; je ne voulais même pas : mais il m’en pria tant, que je lui dis qu’oui. Il avait bien ses raisons. Effectivement, quand je fus retirée chez moi et que ma femme de chambre fut sortie, j’allai pour prendre ma harpe. Je trouvai dans les cordes une lettre, pliée seulement, & point cachetée, & qui était de lui. Ah ! si tu savais tout ce qu’il me mande ! Depuis que j’ai lu sa lettre, j’ai tant de plaisir, que je ne peux plus songer à autre chose. Je l’ai relue quatre fois tout de suite, & puis je l’ai serrée dans mon secrétaire. Je la savais par cœur ; &, quand j’ai été couchée, je l’ai tant répétée, que je ne songeais pas à dormir. Dès que je fermais les yeux, je le voyais là, qui me disait lui-même tout ce que je venais de lire. Je ne me suis endormie que bien tard, & aussitôt que je me suis réveillée (il était encore de bien bonne heure), j’ai été reprendre sa lettre pour la relire à mon aise. Je l’ai emportée dans mon lit, & puis je l’ai baisée comme si... C’est peut-être mal fait de baiser une lettre comme ça, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. À présent, ma chère amie, si je suis bien aise, je suis bien embarrassée ; car sûrement il ne faut pas que je réponde à cette lettre-là. Je sais bien que ça ne se doit pas, & pourtant il me le demande ; &, si je ne réponds pas, je suis sûre qu’il va encore être triste. C’est pourtant bien malheureux pour lui ! Qu’est-ce que tu me conseilles ? mais tu n’en sais pas plus que moi. J’ai bien envie d’en parler à madame de Merteuil, qui m’aime bien. Je voudrais bien le consoler : mais je ne voudrais rien faire qui fût mal. On nous recommande tant d’avoir bon cœur ! & puis on nous défend de suivre ce qu’il inspire, quand c’est pour un homme ! ça n’est pas juste non plus. Est-ce qu’un homme n’est pas notre prochain comme une femme, et plus encore ? car enfin, n’a-t-on pas son père comme sa mère, son frère comme sa sœur ? il reste toujours le mari de plus. Cependant si j’allais faire quelque chose qui ne fût pas bien, peut-être que M. Danceny lui-même n’aurait plus bonne idée de moi ! Oh ! ça, par exemple, j’aime encore mieux qu’il soit triste ; & puis, enfin, je serai toujours à temps. Parce qu’il a écrit hier, je ne suis pas obligée d’écrire aujourd’hui ; aussi bien je verrai madame de Merteuil ce soir, &, si j’en ai le courage, je lui conterai tout. En ne faisant que ce qu’elle me dira, je n’aurai rien à me reprocher. Et puis peut-être me dira-t-elle que je peux lui répondre un peu, pour qu’il ne soit pas si triste ! Oh ! je suis bien en peine. Adieu, ma bonne amie. Dis-moi toujours ce que tu penses. De..., ce 19 août 17... La lettre où il est parlé de cette soirée ne s’est pas retrouvée. Il y a lieu de croire que c’est celle proposée dans le billet de madame de Merteuil, et dont il est aussi question dans la précédente lettre de Cécile Volanges.
L’Homme à l’Hispano/Chapitre XXX
Pierre Frondaie L’Homme à l’Hispano (1924) Émile-Paul Frères, 1925 (p. 301-304). ◄ Chapitre XXIX Chapitre XXX bookL’Homme à l’Hispano (1924)Pierre FrondaieÉmile-Paul Frères1925ParisVChapitre XXXFrondaie - L'Homme à l'Hispano - 1925.djvuFrondaie - L'Homme à l'Hispano - 1925.djvu/1301-304 Depuis vingt minutes qu’il avait quitté son ami, Montnormand n’avait rien entendu. Il ne lui semblait pas possible que Georges s’exécutât sur-le-champ et il ne pensait plus qu’aux moyens de suspendre le destin, la nuit passée. Mais le silence de sa chambre inconnue lui fit peur. Il lui sembla, soudain, qu’il avait eu tort de quitter Dewalter. Il le revoyait dans son allégresse funèbre. Il se précipita hors de son appartement, traversa le grand couloir, arriva au salon. Il vit que l’amant n’y était pas et Stéphane danser avec Baragnas. Il alla vers la salle du souper. Il y trouva la vieille Antoinette. Elle rangeait, elle-même, les pièces précieuses d’argenterie et Nicolaï l’aidait. Sur ses petites jambes titubantes, Montnormand descendit les marches et, vers eux, il se hâta. — M. le Notaire n’est pas trop fatigué ? demanda le garde. — Non, non, dit-il... Je cherche M. Dewalter. — M. Dewalter vient de sortir dans le parc, répondit Nicolaï. Montnormand faillit tomber ; il entendit mal le vieux serviteur qui continuait tranquillement : — J’arrive du fumoir. Je l’ai vu s’éloigner... Un cri d’Antoinette les fit retourner. Elle s’était approchée de la fenêtre ; — Dans l’étang, balbutiait-elle... dans l’étang, quelqu’un vient de tomber. D’un grand pas de sa jambe traînante, Nicolaï la rejoignit. Il gronda : — Quelque braconnier !... quelque braconnier qui a passé sur le pont dont les planches sont pourries. Il n’en sortira pas, à cause des herbes. Il sera comme l’autre, qui y est tombé, il y a soixante ans... Il est fichu. Ce que c’est... ce que c’est, tout de même, que d’aller chasser sur les terres des riches !... Suivi d’Antoinette, il s’élança dehors. Montnormand essaya de les suivre. Mais il eut une défaillance et ses membres ne le portaient plus. Il resta seul au milieu des fortunes amoncelées des Coulevaï, agrafé de ses mains chétives au dossier d’un fauteuil, luttant de toutes ses forces pour ne pas rouler sur le tapis. Enfin, il se traîna vers la porte. Il y rencontra Oswill tel que tout à l’heure, impeccable. Mais, sur son visage, il vit la mort de Dewalter. Il lui cria, étouffant : — Il s’est tué ? Oswill répondit d’une voix lourde : — Je l’ai vu tomber dans les herbes. Et il fit un pas, Montnormand se redressa : — Vous l’avez conduit au suicide ! dit-il. Mais l’Anglais secoua la tête : — Pas moi : lui. Il fit derechef un pas. Il articula d’une voix plus basse : — Ne le plaignez pas trop. Il laisse ici un souvenir. Ils se regardèrent. Autour d’eux, la pièce immense, le musée héréditaire, maintenant presque obscur ; dehors, le silence du parc. — Le détruirez-vous, ce souvenir ? demanda Montnormand. Oswill soudain parut souffrir atrocement. Dans sa victoire, il se sentait prisonnier d’un pacte. Il répondit : — Non. J’avais fait un marché avec M. Dewalter. M. Dewalter a payé. Vous pouvez prévenir... par là... que votre ami... votre riche ami... vient de mourir... d’un accident. Il montra la direction du salon d’où venaient des lambeaux de musique. Il monta les marches, mais une jalousie terrible l’accablait. Il savait que Georges Dewalter avait gagné et que, pour garder lady Oswill et ne jamais plus la rendre à personne, il était vraiment, depuis quelques minutes, devenu le maître du jeu. Garavan, janvier 1924. Arcachon, septembre 1924. fin
Les Liaisons dangereuses/Lettre 39
Pierre Choderlos de Laclos Les Liaisons dangereuses J Rozez, 1869 (volume 1, p. 120-122). ◄ Lettre XXXVIII — La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont Lettre XL — Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil ► Lettre XXXIX — Cécile Volanges à Sophie Carnay bookLes Liaisons dangereusesPierre Choderlos de LaclosJ Rozez1869BruxellesCvolume 1Lettre XXXIX — Cécile Volanges à Sophie CarnayChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvuChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/9120-122 De Cécile Volanges à Sophie Carnay. Je suis triste & inquiète, ma chère Sophie. J’ai pleuré presque toute la nuit. Ce n’est pas que pour le moment je ne sois bien heureuse, mais je prévois que cela ne durera pas. J’ai été hier à l’Opéra avec Mme de Merteuil. Nous y avons beaucoup parlé de mon mariage, & je n’en ai appris rien de bon. C’est M. le comte de Gercourt que je dois épouser, & ce doit être au mois d’octobre. Il est riche, il est homme de qualité, il est colonel du régiment de... Jusques-là tout va fort bien. Mais d’abord il est vieux : figure-toi qu’il a au moins trente-six ans ! & puis, Mme de Merteuil dit qu’il est triste & sévère, & qu’elle craint que je ne sois pas heureuse avec lui. J’ai même bien vu qu’elle en était sûre, & qu’elle ne voulait pas me le dire, pour ne pas m’affliger. Elle ne m’a presque entretenue toute la soirée que des devoirs des femmes envers leurs maris : elle convient que M. de Gercourt n’est pas aimable du tout, & elle dit pourtant qu’il faudra que je l’aime. Ne m’a-t-elle pas dit aussi qu’une fois mariée, je ne devais plus aimer le chevalier Danceny ? comme si c’était possible ! Oh ! je t’assure bien que je l’aimerai toujours. Vois-tu j’aimerais mieux, plutôt, ne me pas marier. Que ce M. de Gercourt s’arrange, je ne l’ai pas été chercher. Il est en Corse à présent, bien loin d’ici ; je voudrais qu’il y restât dix ans. Si je n’avais pas peur de rentrer au couvent, je dirais bien à maman que je ne veux pas de ce mari-là ; mais ce serait encore pis. Je suis bien embarrassée. Je sens que je n’ai jamais tant aimé M. Danceny qu’à présent ; & quand je songe qu’il ne me reste plus qu’un mois à être comme je suis, les larmes me viennent aux yeux tout de suite ; je n’ai de consolation que dans l’amitié de Mme de Merteuil ; elle a si bon cœur ! elle partage tous mes chagrins comme moi-même ; & puis elle est si aimable, que, quand je suis avec elle, je n’y songe presque plus. D’ailleurs elle m’est bien utile ; car le peu que je sais, c’est elle qui me l’a appris, & elle est si bonne que je lui dis tout ce que je pense sans être honteuse du tout. Quand elle trouve que cela n’est pas bien, elle me gronde quelquefois ; mais c’est tout doucement, & puis je l’embrasse de tout mon cœur, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus fâchée. Au moins celle-là, je peux bien l’aimer tant que je voudrai, sans qu’il y ait du mal, & ça me fait bien du plaisir. Nous sommes pourtant convenues que je n’aurais pas l’air de l’aimer tant devant le monde, & surtout devant maman, afin qu’elle ne se méfie de rien au sujet du chevalier Danceny. Je t’assure que si je pouvais vivre toujours comme je fais à présent, je crois que je serais bien heureuse. Il n’y a que ce vilain M. de Gercourt... Mais je ne veux pas t’en parler davantage, car je redeviendrais triste. Au lieu de cela, je vais écrire au chevalier Danceny ; je ne lui parlerai que de mon amour, & non de mes chagrins, car je ne veux pas l’affliger. Adieu, ma bonne amie. Tu vois bien que tu aurais tort de te plaindre, & que j’ai beau être occupée, comme tu dis, qu’il ne m’en reste pas moins le temps de t’aimer & de t’écrire. On continue de supprimer les lettres de Cécile Volanges & du chevalier Danceny, qui sont peu intéressantes, et n’annoncent aucun événement.
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mauvais rêve dont le réveil sera délicieux ; &, à tout prendre, il me semble qu’elle me doit de la reconnaissance : au fait, quand j’y aurais mis un peu de malice, il faut bien s’amuser : {{pom|Les sots sont ici bas pour nos menus plaisirs.<ref>Gresset, ''Le méchant'', comédie.</ref>}} Je me retirai enfin, fort contente de moi. Ou Danceny, me disais-je, animé par les obstacles, va redoubler d’ardeur, & alors je le servirai de tout mon pouvoir ; ou si ce n’est qu’un sot, comme je suis quelquefois tentée de le croire, il sera désespéré & se tiendra pour battu : &, dans ce cas, au moins me serai-je vengée de lui, autant qu’il était en moi ; chemin faisant, j’aurai augmenté pour moi l’estime de la mère, l’amitié de la fille & la confiance de toutes deux. Et quant à Gercourt, premier objet de mes soins, je serais bien malheureuse ou bien maladroite, si, maîtresse de l’esprit de sa femme, comme je le suis & vas l’être plus encore, je ne trouvais pas mille moyens d’en faire ce que je veux qu’il soit. Je me couchai dans ces douces idées : aussi je dormis bien, & me réveillai fort tard. À mon réveil, je trouvai deux billets, un de la mère & un de la fille ; & je ne pus m’empêcher de rire, en trouvant dans tous deux littéralement cette même phrase : ''c’est de vous seule que j’attends quelque consolation''. N’est-il pas plaisant, en effet, de consoler pour & contre, & d’être le seul agent de deux intérêts directement contraires ? Me voilà comme la Divinité, recevant les <references/>
Daphné (La Fontaine)/Test
Jean de La Fontaine Daphné Barbin et Thierry, 1682 (p. 132). bookDaphnéJean de La FontaineBarbin et Thierry1682ParisCLa Fontaine - Poème du Quinquina et autres ouvrages en vers, 1682.djvuLa Fontaine - Poème du Quinquina et autres ouvrages en vers, 1682.djvu/1132 DAPHNÉ OPÉRA Personnages du Prologue JUPITER L'AMOUR VÉNUS MINERVE MOMUS PROMÉTHÉE CHOEUR UN MODÈLE DE NOUVEAUX HOMMES QUE PROMÉTHÉE A FORGÉ. DAPHNÉ OPÉRA PROLOGUE Le théatre s’ouvre, & laisse voir dans le fond & aux deux costez une suite de nuages à dix pieds de terre, & dans ces nuages les palais des dieux. Les dieux y paraissent assis & dormant. Au-dessous de ces nuages, la terre est représentée telle qu’elle étoit incontinent après le déluge, avec les débris qu’il a laissez. Pendant que la plupart des dieux dorment, Jupiter descend de sa machine, accompagné de Momus. Vénus, l’Amour & Minerve descendent aussi de la leur. JUPITER Vous, qui voulez qu’à la fureur de l’onde Jupiter mette un frein, & repeuple ces lieux, Vous vous lassez trop tost d’estre seul dans le monde ; Mille vœux vont troubler cette paix si profonde Dont la terre à présent laisse jouir les cieux. VÉNUS Charmante oisiveté, repos délicyeux ! MINERVE Ou plutost, repos ennuyeux ! VÉNUS Quoi ! le sommeil pourroit aux déesses déplaire ! Ne point souffrir, Ne point mourir, Et ne rien faire, Que peut-on souhaiter de mieux ? Ce qui foit le bonheur des dieux, C’est de n’avoir aucune affaire, Ne point souffrir, Ne point mourir, Et ne rien faire. MINERVE Est-ce ainsi qu’on a des autels ? JUPITER Eh bien, faisons d’autres mortels : Vos talents & nos soyns deviendront nécessaires. MOMUS Ne vous faites point tant d’affaires. JUPITER Les premiers des humains sont péris sous les eaux : Fille de ma raison, forgeons-en de nouveaux. Prométhée en foit des modèles ; Vents, allez le chercher, qu’il vienne sur vos ailes. À ce commandement de Jupiter, les Vents partent de tous les costez du théatre, et apportent Prométhée. PROMÉTHÉE Que me veut Jupiter ? JUPITER Ouvre tes magasins. PROMÉTHÉE Paraissez, nouveaux humains. À ce commandement de Prométhée, les toiles qui représentent la terre s’ouvrent de costé & d’autre, & au fond aussi, & laissent voir de toutes parts une boutique de sculpteur avec force outils & morceaux de toutes matières, & des statues d’hommes & de femmes debout sur des cubes. MOMUS Sont-ce là des humains ? Quelle race immobile ! J’aimais mieux la première, encor que moins tranquille. PROMÉTHÉE Vous ne les connaissez pas. MOMUS Fais-leur faire quelques pas. PROMÉTHÉE Descendez. Les statues descendent, & viennent à pas lents & graves faire une entrée, dansant presque sans mouvement, & d’une façon composée, comme feraient des sages & des philosophes. MOMUS Quelles gens ! Ce n’est qu’une machine. PROMÉTHÉE C’est l’idole d’un sage. LES DIEUX Hé quoy ! la passion Jamais chez eux ne domine ! PROMÉTHÉE Leur cœur en est tout plein ; ce n’est qu’ambition, Colère, désespoir, crainte, ou joie excessive. Machine, on veut voir vos ressorts ; Quittez tous ces trompeurs dehors. Les nouveaux hommes, qui paraissaient de véritables statues, quittent une partie de l’habit qui les enveloppe, & se font voir tels qu’ils sont dans l’intérieur, l’un représentant l’ambition, l’autre, la colère, la crainte, le désespoir, la joie excessive, etc. En cet état ils dansent en confusion & d’une manière aussi impétueuse & aussi vive que l’autre étoit grave & peu animée. MOMUS Considérant les divers ressorts de cette machine, dit ces paroles : Je la trouvais trop lente, & la voilà trop vive. MINERVE Laissez-moi régler ces transports. VÉNUS Mon fils, par de secrètes causes, Peut encor mieux que vous les calmer à son tour : Rien n’a d’empire sur l’Amour, L’Amour en a sur toutes choses. Le plus magnifique don Qu’aux mortels on puisse faire, C’est l’amour. MINERVE C’est la raison. Le don le plus nécessaire Aux hostes de ce séjour, C’est la raison. VÉNUS C’est l’amour. L’AMOUR L’effet en jugera : servez-vous de vos armes, Et moy j’emploierai mes charmes. MINERVE (Aux hommes : ) Que vous vous tourmentez, mortels ambitieux, Désespérez & furieux, Ennemis du repos, ennemis de vous-mesmes ! À modérer vos vœux mettez tous vos plaisirs : Régnez sur vos propres désirs ; C’est le plus beau des diadèmes. Les hommes qui s’étaient arrestez quelques moments pour Ouïr Minerve, attendent à peine qu’elle a achevé, & ne laissent pas, malgré ses conseils, témoigner toujours la mesme fureur & le mesme emportement. L’Amour leur faisant signe qu’il veut parler, ils s’arrestent. L’AMOUR (À Minerve) De vos sages discours voyez quel est le fruit Je ne dirai qu’un mot. L’AMOUR (Aux hommes) Aimez. À ce mot, ceux qui dansaient en confusion & en tumulte dansent deux à deux comme personnes qui s’aiment. Vous le voyez. L’AMOUR On obéit : VÉNUS Amour, qu’il est doux de te suivre ! JUPITER (Aux nouveaux hommes) Vivez, nouveaux humains. CHŒUR DES DIEUX Vivez, nouveaux humains. VÉNUS Laissez-vous enflammer. Que vaut la peine de vivre, Sans le doux plaisir d’aimer ? CHŒUR Que vaut la peine de vivre, Sans le doux plaisir d’aimer ? MOMUS D’où vient que si mal assortie Cette belle a foit choix d’un vieillard pour amant ? L’AMOUR C’est l’effet merveilleux d’un secret sentiment Que j’appelle sympathie. VÉNUS Le démon opposé n’a pas moins de pouvoir. Souvent nous haïssons ce qui devroit nous plaire. JUPITER Tel dieu sçait l’avenir, qui n’a pas su prévoir Quels maux ce démon luy va faire. Mais un jour un prince viendra Qui plaira plus qu’il ne voudra. Le Destin parmi nous luy garde un rang insigne, Et je luy veux accorder, Afin qu’il en soyt plus digne, L’art de savoir commander. Mars luy promet en apanage La grandeur d’ame & de courage. MINERVE Moi, la vertu. VÉNUS Moi, l’agrément. L’AMOUR Et moy le don d’aimer & d’estre heureux amant. VÉNUS, L’AMOUR ET MINERVE ensemble : Amour & la Raison s’accorderont pour faire Qu’aux cœurs comme aux esprits ce prince plaise un jour CHŒUR Heureux qui par raison doit plaire ! Plus heureux qui plaît par amour ! Acte premier La décoration de cet acte représente la vallée de Tempé, & au fond les eaux du Pénée, avec une prairie couverte de fleurs ; le Parnasse en éloignement. Scène première CLORIS, AMINTE. Chloris & Aminte, Nymphes, entrent sur la scène en se tenant par la main, et chantent ensemble cette chanson : Allons dans cette prairie : C’est un tranquille séjour ; Jamais les larmes d’amour N’y baignent l’herbe fleurie ; Les moutons y sont en paix, Et les loups n’y font jamais D’outrage à la bergerie. CLORIS Viens, ma sœur. AMINTE Je te suis. CLORIS Viens goûter une vie Dont le calme est digne d’envie. Notre Nymphe a banni de ces lieux si charmants Ce peuple d’importuns que l’on appelle amants. La voicy. AMINTE Que d’appas, de beautez, & de graces ! Dirait-on pas que l’air s’embellit à ses traces ? Scène II DAPHNÉ ; CLYMÈNE, sa confidente ; MEROÉ, sa nourrice & sa gouvernante ; CLORIS, AMINTE. DAPHNÉ Amour, n’approche point de nos ombrages doux, De nos prez, de nos fontaines ; Laisse en repos ces lieux ; assez d’autres que nous Se feront un plaisir de connaître tes peines. DAPHNÉ (À Chloris) Chloris, n’est-ce pas la ta sœur que tu m’amènes ? CLORIS Je vous la viens offrir. Nous cherchions en ces lieux Ce que Flore a pour vous de dons plus précieux. DAPHNÉ Cherchons, cherchons des fleurs ; l’age nous y convie : Parons-nous de bouquets pendant nostre printemps : Les plaisirs ont chacun leur temps, Comme les saisons de la vie Daphné, ayant achevé ces paroles, se baisse pour cueillir des fleurs, & les Nymphes de la suite en font autant ; pendant quoy un chœur de bergers, demeuré par respect derrière le théatre, répète ces mots : Cherchons, cherchons des fleurs ; Daphné nous y convie. DAPHNÉ J’entends de nos bergers le concert plein d’appas. Qu’ils chantent, je le veux, mais qu’ils n’approchent pas. CHŒUR DE BERGERS Cherchons, cherchons des fleurs ; Daphné nous y convie Il en renaît sous ses pas. DAPHNÉ Déployons nos trésors. CLORIS J’ai cueilli les plus belles. AMINTE Et moi, les plus nouvelles. MEROÉ Moi, les plus vives en couleur. DAPHNÉ (à Clymène) Et vous ? Quel mauvais choix vous avez fait, ma sœur ! Vous nous direz, pour votre peine, Une chanson contre l’Amour. Cependant je veux que ma Cour Jure de luy porter une éternelle haine ; Jurez la première, Clymène ! CLYMÈNE Tout serment De n’avoir jamais d’amant Est chose fort incertaine ; Il en est peu que l’on tienne Plus d’un jour, plus d’un moment : Tout serment De n’avoir jamais d’amant Est chose fort incertaine. DAPHNÉ Je veux que vous juriez ; dites donc après moy : Amour, CLYMÈNE Amour, DAPHNÉ Si jamais sous ta loi Je respire, CLYMÈNE Si jamais sous ta loi Je respire, DAPHNÉ Je consens de mourir. CLYMÈNE Mourir ? c’est beaucoup dire. DAPHNÉ Je consens de mourir, si jamais je soupire. CLYMÈNE Je consens de mourir, si jamais je soupire. DAPHNÉ Clymène, acquittez-vous ; accompagnons ses sons, Et que nos pas animent nos chansons. Daphné & les personnes de sa suite se prennent alors par la main, & Clymène chante cette gavotte que toute la troupe danse, la répétant après elle : L’autre jour sur l’herbe tendre Je m’assis près de Philandre : Il me conta ses tourments ; Ma mère alors me querelle. " Petite fille, dit-elle, N’écoutez point les amants. Ils sont indiscrets, volages, Téméraires, & peu sages ; Ils font mille faux serments : Ils sont jaloux, ils sont traîtres, Et tyrans quand ils sont maîtres, N’écoutez point les amants. " Écoutez ma chansonnette, Et l’écho qui la répète, Et ces rossignols charmants : Leur musique est sans pareille ; Mais ne prestez point l’oreille Au ramage des amants. DAPHNÉ Méroé, poursuivez nos divertissements. MEROÉ J’ai vu le temps qu’une jeune fillette Pouvait, sans peur, aller au bois seulette. Maintenant, maintenant les bergers sont loups : Je vous dis, je vous dis : « Filles, gardez-vous. » Scène III APOLLON, MOMUS. Pendant que ces Nymphes dansent, Apollon & Momus passent. C’étoit incontinent après la défaite du serpent Python. Toute la troupe des jeunes filles, à la vue de ces étrangers, s’enfuit, l’une d’un costé, l’autre de l’autre. Apollon et Momus demeurent. APOLLON Voicy Tempé, cette vallée Dont on vante partout l’ombrage & les beautez ; Et voilà les flots argentez Qu’y foit couler le dieu Pénée. Plus loin vers ces sommets mon empire s’étend. N’y veux-tu pas venir, Momus ? on nous attend. MOMUS Demeurons encore où nous sommes : Ai-je pu voir en un instant Toutes les sottises des hommes ? Par vos puissants efforts, invincible Apollon, On ne craint plus icy les fureurs de Python. Les habitants de ces rivages Devenus plus heureux, n’en seront pas plus sages : Le temps de la sottise est celuy du bonheur. APOLLON Mais que dis-tu de ma victoire ? MOMUS Elle vous a comblé d’honneur, Et rien n’égale votre gloire. APOLLON Que le fils de Venus cesse de se vanter Qu’ainsi que nous il sçait porter Un carquoys, un arc, & des flèches ; C’est un enfant qui foit des brèches Dans les cœurs aisez à dompter. Il remporte toujours des victoires faciles ; Je défais des serpents qui dépeuplent des villes. MOMUS Vous méprisez celuy qui tient tout sous sa loi. Si l’Amour vous entend ? APOLLON Et que crains-tu pour moy ? MOMUS Parlez bas, c’est un dieu ; s’il venoit à paraître ? APOLLON Un dieu ! c’est un enfant : quitte ce vain souci. MOMUS Qui donne à Jupiter un maître, Vous en pourroit donner aussi. Scène IV Dans le temps que Momus achève ces mots, l’Amour descend du ciel comme un trait, et se vient placer entre Apollon & Momus. CUPIDON (à Apollon) Quel est l’orgueilleux qui me brave ? Quel téméraire ose attaquer l’Amour ? Ah ! je vous reconnais : vous serez mon esclave Avant la fin du jour. Ces paroles dites, Cupidon s’en revole dans les airs. Scène V APOLLON, MOMUS. MOMUS Que cet enfant est fier ! Voyez comme il menace ! Ne le prendrait-on pas pour l’aîné des Titans ? Je plains le dompteur de serpents ; Il ne foit pas sûr en sa place. Tandis que Momus dit ces paroles, Daphné avec ses compagnes, par une curiosité de jeunes filles, avance un peu la teste sur le théatre, & foit quelques pas dans la scène pour voir ces deux étrangers. Apollon la voit un moment ; aussitost l’Amour, qui est demeuré dans l’air, foit son coup, & Daphné avec sa troupe s ’enfuit encore une fois. APOLLON Ah ! qu’ai je vu, Momus ! que de traits éclatants ! Que de jeunesse, que de grace ! MOMUS Elle fuit. APOLLON Mille amours avec elle ont paru. MOMUS Mille amours ? C’est beaucoup ; je n’en ay pas tant vu. Vous aimez ; vous voyez d’un autre oeil que le nostre : De quelques qualitez qu’un objet soyt pourvu, L’amant y voit toujours ou plus ou moins qu’un autre. APOLLON Déesse, tu me fuis ? T’ai-je déjà déplu ? C’est pourtant Apollon qui t’aime, qui t’adore. Je n’en puis plus, je sens un feu qui me dévore : Reviens, charmant objet ! Et vous, Olympe, cieux, Je vous dis d’éternels adieux ; Je vous méprise, je vous laisse : Qu’estes-vous près de ma déesse ? Tout votre éclat vaut-il un seul troit de ses yeux ? Ne la verrai-je plus ? Faut-il que cette belle Emporte mes plaisirs & mon cœur avec elle ? Demeurons sur ces bords, je ne les puis laisser. MOMUS Passerons-nous pour dieux ? APOLLON Et pour qui donc passer MOMUS Pour mortels, car les dieux, par leur grandeur supresme Ne font souvent qu’embarrasser : On les craint plus qu’on ne les aime. Les vrais amants doivent toujours Sous un maître commun vivre d’égale sorte : Ou monarques ou dieux, n’entrez chez vos amours Qu’après avoir laissé vos grandeurs à la porte Je te croirai ; changeons de nom : Je m’appelle Tharsis, satrape de Lycie. MOMUS Et moi, son suivant Télamon Que si sur mon chemin quelque Nymphe jolie Se rencontre en passant, je prétends bien aussi La cajoler, m’approcher d’elle, Non pas en amoureux transi : Je vous veux servir de modèle Et cependant, allons conquérir votre belle. Scène VI VÉNUS (descendant dans une machine) Qu’est devenu mon fils ? Mortels, le savez-vous ? Je souffre, je languis, je meurs en son absence : Si l’Amour ne me suit, rien ne me semble doux. Heureux les lieux qu’anime sa présence ! Heureux tout l’Univers qui me doit sa naissance ! Qu’est devenu l’Amour ? Échos, le savez-vous ? Quel nouveau cœur aujourd’hui de ses coups Éprouve la puissance ? Qu’est devenu l’Amour ? Échos, le savez-vous ? Je souffre, je languis, je meurs en son absence. Ce récit fait, l’Amour se vient jeter dans le giron de sa mère. VÉNUS Ah ! mon fils, d’où viens-tu ? L’AMOUR De blesser Apollon. Je l’ai rendu pour Daphné tout de flamme ; Tandis qu’un autre trait, par un autre poison, Fait que pour luy Daphné n’a que haine dans l’ame. VÉNUS (à son fils) Amour, tu sais dompter les cœurs & les esprits. Aux dieux & aux hommes : Que la terre & les cieux célèbrent de mon fils La dernière victoire ! Mortels & dieux, chantez sa gloire. Pour obéir à ce commandement de Vénus, on chante & on danse sur la terre, et dans la gloire, qui est au fond du théatre : sur la terre, des personnes de toutes conditions, & dans la gloire, des enfants qui représentent les Amours, les Jeux & les Ris. La danse achevée, Vénus, dont le char est entouré d’enfants chante ces paroles : Allez de toutes parts, courez, Amours & Ris ; Faites connaître de mon fils Le doux & le supresme empire : Ne laissez rien qui ne soupire. Allez de toutes parts, courez, Amours & Jeux ; Rendez l’Univers amoureux ACTE II Le théatre représente le palais d’un dieu de fleuve, avec de l’eau véritable, qu’on voit tomber & saillir de tous les costez. Scène première PÉNÉE, avec sa Cour, composée des fleuves SPERCHÉE, AMPHRISE, APIDAME, & autres dieux des sources voisines. PÉNÉE Dieux tributaires de mon onde, Je veux, par les beautez de ce moite séjour, Arrester quelque temps deux princes à ma Cour ; Que votre zèle me seconde ! LES FLEUVES Commandez. PÉNÉE Que le Sort vous a rendus heureux ! Hyménée & l’Amour fréquentent vos rivages : Vos grottes quelquefois leur prestent des ombrages : Ces dieux me méprisent tous deux. APIDAME Laissez agir le temps ; il peut tout auprès d’eux. À peine a-t-il encor foit passer la princesse Des appas de l’enfance à ceux de la jeunesse : Deux soleils ont à peine éclairé son printemps. PÉNÉE Combien de cœurs depuis ce temps Ont en vain soupiré pour elle ! Ah ! si Tharsis pouvoit la rendre moins cruelle ! SPERCHÉE Consultez la Sibylle Ismèle : Les dieux peut-estre par sa voix Obligeront Daphné de suivre votre choix PÉNÉE Hélas ! jamais Daphné n’aimera que les bois. AMPHRISE Ces plaisirs passeront : tout passe dans la vie ; De différents désirs elle est entre-suivie ; On y change d’humeur, on y change d’envie ; On y veut goûter de tout. Le plus libre enfin se lie ; Tost ou tard on s’y résout. APIDAME Il faut peu pour changer ces ames si sévères ; L’exemple à ce doux nœud les amène toujours. Des bergers chantant leurs amours, Dans les bras de l’hymen voir mener des bergères, Et leurs folatres jeux sur les vertes fougères, Apprivoisent les cœurs, qui, devenus plus doux, S’accoutument aux mots d’amour, d’amant, d’époux ; Des mots on en vient au mystère. PÉNÉE J’approuve vos raisons ; & Daphné, pour me plaire, Doit faire en mon palais les honneurs de ce jour. On y va célébrer l’hymen du jeune Amphrise Il s’engage avecque Florise ; La feste arrestera ces princes à ma Cour : Allons en prendre soyn. Daphné vient, & Clymène ; Entrons dans la grotte prochaine. Scène II DAPHNÉ, CLYMÈNE. DAPHNÉ Ah, Clymène ! plains-moi. CLYMÈNE Princesse, vous pleurez ; puis-je savoir pourquoy ? DAPHNÉ Je ne me connais plus ; ce n’est plus moi, Clymène : Ces puissants dédains, cette haine, Ces serments contre Amour, que sont-ils devenus. Un mortel les rend superflus. Hélas ! il vient de me dire sa peine, Et depuis ce moment je ne me connais plus. CLYMÈNE Un des princes, sans doute, a causé ces alarmes. Serait-ce point Tharsis ? Je luy trouve des charmes Contre qui je sens bien que ma sévérité N’employeroit pas toutes ses armes. DAPHNÉ Je crois ? si tu le veux, qu’on en est enchanté, Cependant il me cause une invincible haine ; Contre luy dans mon ame un dieu me semble agir. CLYMÈNE Je le connais, ce dieu : c’est Leucippe. DAPHNÉ Ah, Clymène ! Ne me regarde point, tu me ferais rougir. CLYMÈNE Pourquoy rougir ? commettez-vous un crime ? Le Ciel permet-il pas d’aimer ou de haïr ? Est-il rien de si légitime ? Tircis est des plus charmants, Je méprise son martyre ; Cependant sous mon empire Il languit depuis longtemps. Philandre à peine y soupire, Son service est reconnu ; La raison, je vais la dire : Mon temps d’aimer est venu. DAPHNÉ Hélas ! le mien aussi ; mais garde-toy, Clymène De découvrir ma flamme, & l’exposer au jour : Plains-toy que de Tharsis je méprise la peine ; Notre sexe veut bien que l’on sache sa haine, Mais il met tous ses soyns à cacher son amour. CLYMÈNE Le voilà, ce Tharsis ; son malheur vous l’amène. Scène III THARSIS, DAPHNÉ. THARSIS Que je dois au Destin de m’avoir arreste En des lieux ou l’on voit briller votre présence ! Vous y régnez par la beauté, Aussi bien que par la naissance : Souffrez que j’y demeure au rang de vos sujets. DAPHNÉ Non, Seigneur, je ne puis recevoir vos hommages ; Offrez-les à d’autres objets ; Abandonnez nos rivages : Quel plaisir aurez-vous parmi des cœurs sauvages ? THARSIS Je vous verrai. DAPHNÉ Fuyez cette triste douceur. Il vaut mieux qu’une prompte absence Rende le calme à votre cœur, Que de vous voir enfin guéri par ma rigueur, Ma haine, ou mon indifférence. THARSIS Ô Ciel ! luy dois-je ajouter foi ? Quoi ! ne pouvoir m’aimer ! me haïr ! me le dire ! Amour, tyran des cœurs, depuis que sous ta loi On gémit, on pleure, on soupire, Fut-il jamais amant plus malheureux que moy ? Que je sache au moins, inhumaine, Ce qu’a Tharsis en luy de si digne de haine ? DAPHNÉ Son amour ; c’est assez : je le dis à regret. Vous avez dans mon cœur quelque ennemi secret Qui met un voile sur ces charmes À qui d’autres auraient déjà rendu les armes. Enfin quittez nos bords, Seigneur, vous ferez mieux ; Qui ne peut estre aimé doit s’éloigner des lieux Où sans cesse il peut voir le sujet de ses peines. Faut-il livrer son cœur à d’éternelles gesnes Pour le plaisir de ses yeux ? Je vous laisse, & me tais ; ma fuite & mon silence Vous seront des tourments plus doux. THARSIS Princesse, demeurez : je trouve votre absence Plus cruelle encor que vous. Scène IV THARSIS, TÉLAMON. TÉLAMON Ceci vous trouble & vous étonne. THARSIS Suis-je donc le fils de Latone ? Ai-je dompté Python ? Suis-je un dieu ? Je n’ai pu Gagner une mortelle ! un enfant m’a vaincu ! Qu’il m’oste mes autels : que sert-il qu’on me donne En ces lieux l’encens qui m’est dû ? Et qu’est-ce que l’encens qu’une chose frivole Près des moindres faveurs que nous font de beaux yeux ? Daphné, vous me pourriez d’une seule parole Mettre au-dessus des autres dieux. TÉLAMON Espérez ce mot favorable : Il n’est amant si misérable Qui n’espère. THARSIS Tu ris. TÉLAMON Jupiter vous vaut bien : Je ris aussi quand l’Amour veut qu’il pleure. Vous autres dieux, n’attaquez rien Qui, sans vous étonner, s’ose défendre une heure : Sachez que le temps seul en a plus couronné Que tous les efforts qu’on peut faire. THARSIS Je n’ose plus parler de mes feux à Daphné. TÉLAMON Laissez dormir sa colère. Après que l’on vous aura Contraint longtemps de vous taire, Un moment arrivera Que l’on vous écoutera. Scène V Pénée & sa Cour entrent sur la scène, & la noce ensuite. Daphné conduit l’épousée, & un des fleuves le marie. Toute cette troupe foit le tour du théatre en cérémonie. Deux bergers chantent ces paroles, que le chœur répète : Hymen, Hyménée. Après que chacun s’est rangé & a pris sa place, les deux bergers chantent ce premier couplet de l’épithalame : Florise est donnée À l’un des plus beaux Qui porte à Pénée Tribut de ses eaux : Qu’il ait chaque année De nombreux troupeaux, Et chaque journée Des plaisirs nouveaux. Hymen, Hyménée. Daphné présente au sacrificateur l’épousée, & un des fleuves le marié.. LE SACRIFICATEUR, prend leurs mains, & dit ces paroles : Amants, je vous unis ; vivez sous mesmes nœuds. CHŒUR Parmi les plaisirs & les jeux. MOMUS À quelques filles de la noce, près desquelles il se rencontre : Pour un pareil lien formez-vous point des vœux ? Songez-y bien, bergères : Hyménée est un dieu jeune, charmant, & blond ; Mais les jours avec luy ne se ressemblent guères : Le premier est amour, amitié le second, Le troisième froideur ; songez-y bien, bergères. MEROÉ Interrompant Télamon : Vrayement, Télamon, La leçon Est jolie. Changez de place, Iris ; venez icy, Célie, Pholoé, ne l’écoutez plus. J’en suis d’avis ; mes soyns deviendront superflus ; Télamon corrompra cette troupe innocente. MOMUS Que vous estes reprenante, Gouvernante ! Laissez-nous causer en paix : Laissez la jeunesse rire : Elle inspire Toujours d’innocents secrets. Je crois que vous estes sage : À votre age On le doit estre, ou jamais. Vingt ou trente ans de veuvage, C’est dommage, Ont refroidi vos attraits. Ah ! si selon vos souhaits Vous redeveniez aurore, Vous vous serviriez encore De vos traits. MEROÉ Me faudra-t-il aussi souffrir la raillerie ? PÉNÉE À Méroé & à Télamon : Laissez-nous achever cette cérémonie. LE SACRIFICATEUR Hymen, Amour, joignez vos nœuds, Et rendez ces amants heureux. Les gens de la noce dansent, & pendant qu’ils se reposent on chante ces deux autres couplets de l’épithalame : Des pas de Florise Loin, bien loin les loups ; Et de ceux d’Amphrise Les soupçons jaloux ! Que leur destinée N’ait rien que de doux, Et que la lignée Ressemble à l’époux. Hymen, Hyménée. Jamais la constance Aux amants ne nuit ; On vit d’espérance, Puis le reste suit. L’amour obstinée Porte fleur & fruit. Ô douce journée ! Ô plus douce nuit ! Hymen, Hyménée. Le chœur répète à chaque fois ces deux dernières paroles. ACTE III La décoration de cet acte est une forest meslée d’architecture, comme d’un temple de Diane. Scène première CLYMÈNE Tout me semble parler d’amour En ces lieux amis du silence : Ici les oiseaux nuit & jour Célèbrent de ses traits la douce violence. Tout me semble parler d’amour En ces lieux amis du silence. Heureux les habitants de ces ombrages verts, S’ils n’avaient que ce mal à craindre ! Mais nous troublons leur paix par cent moyens divers : Humains, cruels humains, tyrans de l’Univers, C’est de vous seuls qu’on se doit plaindre. Après ces paroles, on entend un bruit de cors & de cris de chasse. CLYMÈNE Vois-je pas Télamon, confident de Tharsis ? Hélas ! il vient en vain me conter les soucis D’un prince que Daphné devroit trouver aimable. Plût au Ciel qu’elle fut à ses vœux favorable ! Scène II TÉLAMON CLYMÈNE. TÉLAMON Que vous avez de grace à porter un carquoys ! Rien ne vous sied si bien. CLYMÈNE On me l’a dit cent fois. TÉLAMON On ne vous l’a pas dit peut-estre au fond d’un bois. En ces forests, je vous prie, Écartons-nous un moment, Et mettons de la partie L’ombre & l’amour seulement. CLYMÈNE Tout rendez-vous un peu sombre Doit toujours estre évité : Quand je vois l’amour & l’ombre, Je vais d’un autre costé. TÉLAMON C’est trop s’en défier. Mais, dites-moi, Clymène, Daphné montre en ses yeux une secrète peine ; Qui la cause ? Leucippe est-il ce bienheureux ? Ou plutost est-ce un dieu qui s’attire ces vœux ? Je m’y connais, l’Amour la touche. CLYMÈNE On se laisse assez toucher, Mais on aime à le cacher ; Et d’une jeune farouche L’Amour est plus tost vainqueur Qu’il n’a tiré de sa bouche Le nom qu’elle a dans le cœur. TÉLAMON N’en saurai-je pas plus ? CLYMÈNE Je n’ai rien appris d’elle. TÉLAMON Vous voulez garder ce secret : Je serais importun aussi bien qu’indiscret Si je vous pressais trop, & la chasse m’appelle. Adieu, Nymphe cruelle. Scène III DAPHNÉ, CLYMÈNE. DAPHNÉ Je vous ay tous deux entendus : Heureuse, si Tharsis ne me pressçait pas plus ! Scène IV DAPHNÉ, LEUCIPPE. LEUCIPPE Puis-je interrompre le silence Qu’en ces paisibles lieux peut-estre vous cherchez ? Me le permettez-vous ? DAPHNÉ Oui, Leucippe, approchez ; On ne craint pas votre présence ; Venez me consoler de celle de Tharsis. LEUCIPPE Et qu’ordonnerez-vous de mes propres soucis ? Mon rival ne peut plaire à l’objet qu’il adore, Un sentiment jaloux ne me peut alarmer : C’est beaucoup ; mais que dis-je ? ah ! ce n’est rien encore Vous savez bien haïr, mais pourriez-vous aimer ? DAPHNÉ J’ai souffert votre amour ; répondez-vous vous-mesme. LEUCIPPE Ô dieux ! qu’ai-je entendu ? quelle gloire supresme ! Quel bonheur ! Doux transports qui venez me saisir, Exprimez, s’il se peut, ma joie & mon plaisir, Et votre juste violence. Princesse, après l’aveu qui vient de me charmer, Je ne sais rien, pour m’exprimer, Que le langage du silence. DAPHNÉ & LEUCIPPE, ensemble : Ô bienheureux soupirs, favorables moments Où l’un & l’autre cœur, plein de doux sentiments, Aime, & le dit, & se foit croire ! Les dieux, dans leurs ravissements, Les dieux, au milieu de leur gloire, Sont moins dieux quelquefois que ne sont les amants. LEUCIPPE Je bénis mon destin, & cependant Pénée Favorise mon rival. DAPHNÉ Quand il auroit pour luy le dieu mesme Hyménée, Ce n’est pas son bonheur qui fera votre mal. LEUCIPPE Et mon bien ? DAPHNÉ Attendez la réponse d’Ismèle : Peut-estre elle sera favorable à nos vœux. Allez : il reviendra quelque moment heureux ; Daphné craint qu’on ne trouve un amant avec elle. Scène V DAPHNÉ, demeurée seule : Que nostre sexe a d’ennemis ! À combien de tyrans le destin l’a soumis ! Des amants importuns, un père inexorable, Un devoir impitoyable ; Tout combat nos désirs : trop heureuses encor Si nous n’avions que cette peine ! Mais il faut, par un double effort, Ainsi que nostre amour, surmonter nostre haine. Scène VI PÉNÉE, DAPHNÉ, THARSIS. PÉNÉE Daphné, rendez graces aux dieux : Cet ours fatal aux bergeries, Fatal aux autres ours, teint de sang nos prairies ; Tharsis a vaincu seul ce monstre furieux. THARSIS L’Amour m’accompagnoit ; luy seul en a la gloire : Ce n’est pas à mes mains qu’on doit cette victoire, Belle Daphné, c’est à vos yeux. PÉNÉE Ma fille, venez voir aussi l’énorme beste. Réjouissez-vous, bergers ; Que les ours soyent de la feste : Ils avaient part aux dangers. Scène VII THARSIS, TÉLAMON. THARSIS Daphné ne peut souffrir ma flamme. Si je parlais au Sort ? TÉLAMON Changera-t-il son ame ? THARSIS Je vais le consulter. attends icy Tharsis. Scène VIII MOMUS, demeuré seul, & quittant le personnage de Télamon : Vous qui de votre sort, voulez estre éclaircis, Consultez, comme moi, le démon de la treille ; Mon oracle est Bacchus, quand j’ai quelques soucis, Et ma sibylle est la bouteille. Cette chasse m’altère. Ah ! si Bacchus... Je croi Que ce dieu m’entendait. Scène IX BACCHUS, qui descend sur son berceau tiré par des tigres : Momus, monte avec moi Viens écouter d’icy tous les chants de victoire. Ces gens m’ont au spectacle invité, les voicy. Quoi ! la peau de leur ours aussi ? Scène X BACCHUS, MOMUS, troupe de Sylvains, de chasseurs, & de bergers. Momus monte dans le berceau, qui s’arreste au milieu des airs. Cependant quatre chasseurs, & autant de Sylvains qui mènent chacun un ours, entrent sur la scène. Un autre Sylvain les suit, portant en guise de trophée la peau de l’ours au bout d’un épieu. Des chœurs de bergers les accompagnent. Toute cette troupe foit le tour du théatre, au son des cors & de leurs fanfares. Le Sylvain chargé du trophée se place au milieu de la scène, & un chasseur chante ces paroles : Tharsis, nous érigeons ce trophée à ta gloire UN SYLVAIN Par ta valeur, le monstre a vu finir son sort. UN BERGER L’ennemi commun est mort. MOMUS, comme s’il chantoit en éloignement : Noyez-en dans le vin la funeste mémoire. UN CHASSEUR, se tournant vers l’endroit où est le char de Bacchus : N’est-ce pas Télamon qui nous invite à boire ? TOUTE LA TROUPE, l’ayant aperçu, dit : Ô le mortel heureux, d’estre aimé de Bacchus ! UN SYLVAIN Amis, laissons à part les discours superflus. L’ours est mort. UN CHASSEUR L’ours ne vit plus. UN BERGER L’ours a passe l’onde noire. TOUS, ensemble : Noyons-en dans le vin la funeste mémoire. Les chasseurs & les Sylvains dansent à l’entour du trophée & font une forme de bacchanales. Les Sylvains sont suivis de leurs ours, qui vont en cadence. Pendant que les danseurs se reposent, Bacchus & Momus, faisant la débauche sous le berceau suspendu, animent toute cette troupe par leur exemple. BACCHUS, à Momus : Cher compagnon, me veux-tu croire ? Courons ensemble le pays ; Tu sais médire, & je sais boire : Nous ne manquerons point d’amis. MOMUS Toujours le vin & la satire Tiennent aux tables le haut bout ; Tu sais boire, & je sais médire : Voilà de quoy passer partout. ACTE IV La décoration de cet acte est un antre, dont les avenues ont quelque chose d’inculte, de sauvage, & de difficyle abord : & au fond un autel rustique et sans beaucoup d’ornements. Scène première CLYMÈNE, AMINTE. Clymène & Aminte, Nymphes de Daphné, viennent les premières & précèdent Pénée et sa Cour, pour apprendre de la Sibylle leur aventure. CLYMÈNE Quel étrange & sombre palais ! Je frémis à le voir ; n’as-tu point peur, Aminte ? Va seule dans ces lieux ; pour moi, j’ai trop de crainte. AMINTE Qu’y demanderais-tu ? tes vœux sont satisfaits. Philandre a l’ame blessée Des traits dont tu sais charmer ; Moi, que Tircis a laissée, J’ai sujet d’estre empressée Pour savoir qui doit m’aimer. CLYMÈNE Je te rends ce Tircis ; son ardeur m’importune. AMINTE J’aurai donc pour toute fortune Ton refus. CLYMÈNE Que t’importe ? examine ton cœur ; Et si Tircis te plaît, laisse le point d’honneur. AMINTE Tu ris ; que diras-tu, si je fais qu’il te quitte ? CLYMÈNE Mes rigueurs en cela préviendront ton mérite. AMINTE Tu dois aux miennes ce berger Que mes faveurs vont rengager. CLYMÈNE & AMINTE, ensemble : Une fille a cent adresses Pour rebuter un amant ; Mais de dire ses finesses Pour faire un engagement, On ne le peut nullement. CLYMÈNE Voilà, sans consulter Ismèle Un oracle bientost rendu. AMINTE Aurait-elle mieux répondu ? CLYMÈNE Non, & nous nous pouvons désormais passer d’elle : Aussi bien l’intérest de Daphné nous appelle. Scène II ISMÈLE, DAPHNÉ, PÉNÉE & sa Cour. Ismèle sort du fond de l’antre, accompagnée de deux ou trois prestresses aussi vieilles qu’elle. D’un autre costé, Pénée vient avec Daphné & les fleuves de sa Cour. PÉNÉE, à Daphné : Ma fille, tout est prest ; Ismèle va sortir : N’ayez point de repentir, Si le choix des dieux est autre Que le vostre. ISMÈLE, après quelques cérémonies étranges, dit, en invoquant la divinité : Monarque de l’Olympe, en qui sont tous les temps, Qui les fais devant toy passer comme moments, Et pour qui n’est qu’un point toute la destinée, Dis-nous, Ô maître des dieux, À qui doit estre donnée La princesse de ces lieux. Où sont tes truchements ? es-tu sourd aux prières ? Fantosmes, qui savez peindre en mille manières Les secrets du destin gravez au haut des cieux, Simulacres volants, frères du dieu des songes, Faites-nous voir sans mensonges Ce qu’ont ordonné les dieux Sur un si digne hyménée ; Dites-nous la destinée De la Nymphe de ces lieux. Après ces paroles, Ismèle, comme possédée du dieu, danse avec les autres prestresses, tantost comme si elles allaient tomber en extase, & tantost avec des contorsions étranges. Pendant qu’elles dansent, des enfants, en guise de petits démons, & représentant les simulacres & les espèces qui s’offrent aux yeux, viennent de divers endroits du ciel se présenter à Ismèle, portant des branches et des couronnes de laurier. Ismèle, ayant vu ces objets, dit : Que vois-je ! quel objet ! quelle image à mes yeux Si vive & si claire Vient se présenter, Et me tourmenter Plus qu’à l’ordinaire ? L’objet Me fait Tressaillir : Je sens Mes sens Défaillir. AMPHRISE, fleuve Les dieux à leur interprète Ont foit un étrange don ; Ne peut-on estre prophète, Si l’on ne perd la raison ? APIDAME SPERCHÉE & AMPHRISE Ensemble : Les démons Vont l’agitant, Ses poumons Vont haletant ; Et son cœur va palpitant. Les ressorts De son corps, Son esprit, Tout patit. ISMÈLE, jetant en l’air des feuilles sur lesquelles elle a écrit sa réponse : Qu’on se taise : soyez attentifs aux mystères. J’épands en l’air ces caractères : C’est ma réponse ; il faut la poser sur l’autel. Démons, peuples légers, ministres de l’oracle, Cherchez-la ; car aucun mortel Ne la peut trouver sans miracle. À ce commandement d’Ismèle, les esprits habitants de l’air cherchent en dansant les feuilles que la Sibylle a jetées, & les viennent, en dansant aussi, poser sur l’autel. Ismèle assemble ces feuilles, & dit à Pénée & à Daphné : Approchez-vous, lisez, & que dans ce vallon Un invisible chœur mon oracle répète. PÉNÉE & DAPHNÉ, lisant : Daphné doit aujourd’hui couronner Apollon. CHŒUR Daphné doit aujourd’hui couronner Apollon. PÉNÉE, à Ismèle : Ismèle, servez-vous vous-mesme d’interprète ; Expliquez-nous l’ordre des dieux. AMPHRISE Un prophète entend-il les choses qu’il annonce ? C’est à l’événement d’expliquer sa réponse. ISMÈLE Adieu, princesse, adieu, je vous laisse en ces lieux. Scène III PÉNÉE, DAPHNÉ, & leur Cour. PÉNÉE Couronner Apollon ! Qu’importe à l’hyménée De la fille de Pénée ? Pour comprendre ces mots, je fais un vain effort. AMPHRISE Nos conseils ont été frivoles ; La seule obscurité foit le prix des paroles Que l’on cherche aux livres du Sort. PÉNÉE, à Daphné : Ma fille, rendez-vous aux volontez d’un père : Qu’il soyt votre oracle aujourd’hui Aimez Tharsis ; il vous doit plaire ; Toute nostre Cour est pour luy. APIDAME Tels étaient ces mortels pour qui l’idolatrie Commença d’introduire au monde son pouvoir. AMPHRISE Il a tout l’air d’un dieu ; l’on diroit à le voir, Que l’Olympe est sa patrie. DAPHNÉ Hélas ! j’en crus autant, lorsqu’en nostre prairie Je le vis arriver inconnu dans ces lieux. Maintenant mon cœur tache à démentir mes yeux. Ne m’en accusez point : quelque force supresme M’entretient malgré moy dans cette erreur extresme. Que Tharsis soyt parfait, qu’il ait l’air qu’ont les dieux, Est-ce par raison que l’on aime ? PÉNÉE L’hymen change les cœurs : suivez mes volontez. DAPHNÉ Quoi ! Seigneur, vous aussi vous me persécutez ! De ses autres tyrans sans peine on se console ; Mais d’un père ! un père m’immole ! Je tiens le jour de vous, Seigneur ; vous me l’ostez. PÉNÉE Moi, je perdrais Daphné ! qu’ai-je à conserver qu’elle ? L’hymen m’a-t-il foit d’autres dons ? DAPHNÉ Cependant, quand je vous appelle Du plus tendre de tous les noms, Vous ne vous souvenez que de votre puissance ; Vous regardez l’obéissance, La raison, & jamais d’autres tyrans plus doux ; Il en est toutefois. Leucippe vient à nous : Je luy vais oster l’espérance. Vous le voulez, Seigneur ; je le lis dans vos yeux. Scène IV DAPHNÉ, LEUCIPPE. DAPHNÉ Leucippe, il faut tacher d’éteindre votre flamme. Je ne puis estre à vous. LEUCIPPE Ô cieux ! injustes cieux ! Est-ce là votre arrest ? DAPHNÉ Cet oracle odieux Vient de mon père seul. LEUCIPPE Votre père & les dieux Disposent de mon sort, mais non pas de mon ame : Moi-mesme en suis-je maître ? DAPHNÉ Il le faut. LEUCIPPE Ah ! Daphné ! Que ce mot est facile à dire ! Et que l’amour possède avecque peu d’empire Un cœur que la contrainte a si tost entraîné ! DAPHNÉ Quoi ! faut-il que mon cœur soyt par vous soupçonné ? Cruel ! n’avais-je pas encore assez de peine ? LEUCIPPE Enfin donc le Destin me déclare sa haine ; Vous serez à Tharsis ; & moi, par mes soupirs, J’augmenterai ses plaisirs. DAPHNÉ Plût au Ciel que Tharsis causat seul vos alarmes, Et qu’un père... LEUCIPPE Achevez. DAPHNÉ Eh ! que sert d’achever Un souhoit qu’on sçait bien qui ne peut arriver ? LEUCIPPE Il n’importe, mon ame y trouvera des charmes. DAPHNÉ Ne m’aimez plus. LEUCIPPE Le puis-je ? & le souhaitez-vous ? DAPHNÉ Vos tourments ont pour moy quelque chose de doux, Il est vrai ; mais cessez. LEUCIPPE Hélas ! cesser de vivre Est le seul remède à mon mal. Voilà le parti qu’il faut suivre ; Mais avec moy je veux perdre aussi mon rival. Vous ne me serez pas impunément ravie : Non, Daphné. Vous pleurez ? Ah ! princesse, je dois Mourir pour vos yeux mille fois. Avant qu’avoir Daphné, Tharsis aura ma vie. Je ne puis voir tant de biens En d’autres bras que les miens : Que mon rival me les cède, Et renonce à votre amour, Ou qu’il m’oste aussi le jour Si l’on veut qu’il vous possède. DAPHNÉ Leucippe, si je vous perds, Il faut que dans nos déserts La solitude me donne Un sort plus calme & plus doux ; Et ne pouvant estre à vous, je ne veux estre à personne. Scène V APOLLON, LEUCIPPE, DAPHNÉ. Apollon descend sur un trosne de lumière. Cette pompe est jointe à une musique douce. Il est entouré des Heures, qui chantent ces mots : Daphné, portez vos yeux Sur le plus beau des dieux. Daphné s’enfuit aussitost qu’elle a reconnu Apollon sous le visage de Tharsis. APOLLON Tu me fuis, divine mortelle ! Où cours-tu ? n’aperçois-tu pas Un précipice sous tes pas ? Il est plein de serpents : détourne-toy, cruelle. Suis-je encor plus à craindre ? Et rien dans ce vallon Ne peut-il t’arrester quand tu fuis Apollon ? Quoi ! tant de haine en une belle ! Insolent, qui brûles pour elle, Renonce à l’hymen de Daphné ; C’est Apollon qui te l’ordonne. Regarde quel rival ton malheur t’a donné. LEUCIPPE Mon malheur ? Dis le tien. Toi, le fils de Latone ! N’es-tu pas ce Tharsis que tantost on a vu ? D’un magique ornement ton front s’est revestu. Enchanteur, penses-tu que ta pompe m’étonne ? Ce n’est qu’un songe, ce n’est rien ; Va tromper d’autres yeux, & me laisse mon bien. APOLLON Ô dieux ! os citoyens du lumineux empire ! Que vient un mortel de me dire ? Malheureux, ton orgueil s’en va te coûter cher. Les dieux ne sont pas insensibles. Qu’on l’attache sur ce rocher Avec des chaînes invisibles. Ce commandement est exécuté par les ministres de la puissance d’Apollon, qui va se faire voir à Pénée, non plus sous le personnage de Tharsis, mais sous le sien propre. ACTE V Le théatre est une suite de rochers ; on y voit Leucippe retenu, sans que ses liens paraissent. Il est debout, appuyé, dans l’endroit le plus en vue. Scène première LEUCIPPE, sur un rocher : Astres, soyez témoins de ces injustes fers. J’atteste icy tout l’Univers, Et les vents emportent ma plainte. Jupiter, je t’implore ; on veut forcer les cœurs : Il n’est plus de libres ardeurs, Ni d’autres lois que la contrainte. Loges-tu dans le ciel ou dans les antres sourds ? Écoutez, déserts ; on m’oste mes amours : Est-il douleur pareille ? Qui me consolera sur ce rocher fatal ? Leucippe est un spectacle à son cruel rival. Déserts, écoutez-moi : les dieux ferment l’oreille. Daphné entend cette plainte à l’un des coins du théatre. Scène II DAPHNÉ, LEUCIPPE. DAPHNÉ Qui vous consolera ? ne le savez-vous pas ? LEUCIPPE Quoi ! je vous vois ! c’est vous ! c’est ma princesse ! Hélas ! J’avais perdu l’espoir d’une faveur si douce. Craignez-vous d’approcher ? DAPHNÉ Je sens qu’on me repousse : Quelque charme arreste mes pas. Mais, si c’est adoucir vos peines Qu’y prendre part, souffrir ces gesnes, Gémir avec vous sous ces chitines, Vous aimer malgré tous, malgré Cieux, malgré Sort, Votre princesse en est capable. LEUCIPPE Apollon, Apollon, tu fais un vain effort ! Je ne suis plus le misérable. DAPHNÉ Hélas ! j’irrite un dieu jaloux & redoutable. À qui dois-je adresser ma voix ? Je n’ose t’invoquer, déesse de nos bois. Dans ta Cour, dans ton cœur, autrefois j’avais place ; L’amour m’en a bannie ; écoute toutefois : Je ne demande point pour grace Que tu souffres mes feux, & qu’un hymen charmant Engage à d’autres dieux celle qui t’a servie ; Délivre seulement Mon amant, Et prends le reste de ma vie. Scène III APOLLON, DAPHNÉ, LEUCIPPE. APOLLON Pourquoy finir vos jours en des lieux pleins d’ennui ? Trouvez-vous le dieu du Parnasse Plus affreux qu’un désert ? Daphné témoigne vouloir s’enfuir. Hélas ! ce dieu la chasse : Elle aime mieux mourir que régner avec luy. C’est toy qui nous causes ces peines. Mortel, contre les dieux oses-tu contester ? LEUCIPPE Mes amours sont mes dieux. APOLLON Qu’on redouble ses chaînes Démons ! DAPHNÉ, se jetant à ses genoux : Faites-les arrester. Pouvez-vous bien me voir à vos pieds toute en larmes, Sans vous laisser toucher le cœur ? APOLLON Daphné, C’est contre vous que retournent ces armes. La pitié redouble vos charmes ; En combattant l’amour, elle le rend vainqueur. Votre douleur vous nuit ; vous en estes plus belle. Venez, venez estre immortelle : Je l’obtiendrai du Sort, ou je jure vos yeux Que les cieux Regretteront nostre présence. Zéphyrs, enlevez-la malgré sa résistance. DAPHNÉ, s’enfuyant : Ô dieux ! consentez-vous à cette violence ? Scène IV DIANE, aussitost paraît sur son char, & crie aux Zéphyrs : Démons, gardez de luy toucher ! Deviens laurier, Daphné ; Leucippe, soys rocher. Scène V À peine Diane a parlé, que le, deux métamorphoses se font, & la déesse remonte au ciel. APOLLON, accourt, & foit cette plainte : Barbare, qu’as-tu foit ? détruire un tel ouvrage ! Faire à ton frère un tel outrage ! Cruelle sœur, Cruelle, & cent fois plus sauvage Que les ours avec qui tu vis ! Que de trésors tu m’as ravis Rends-moi ces biens, rends-moi ce divin assemblage. Daphné, vous n’estes plus, j’ai perdu mes amours, Et ne saurais perdre la vie Heureux mortels, vos Pleurs cessent avec Vos jours : La mort est un bien que j’envie. Puissent les cieux cesser leur cours ! Périsse l’Univers avecque ma princesse Scène VI APOLLON, L’AMOUR L’AMOUR, qui descend sur le char de sa mère : Sèche tes pleurs, elle est déesse. Viens l’épouser : mes traits se sont assez vengez ; Ces mouvemens de haine en amour sont changez. APOLLON Puis-je t’ajouter foi ? m’as-tu foit cette grace ? L’AMOUR Viens l’éprouver. APOLLON Allons, & que sur le Parnasse On célèbre des jeux à l’honneur de Daphné. Que le vainqueur y soyt de laurier couronné. Bel arbre, adieu. je quitte à regret cette place, Et veux qu’à l’avenir on ceigne de lauriers Le front de mes sujets & celuy des guerriers. Apollon monte dans le char où est l’Amour, & tous deux retournant au ciel. Le théatre change aussitost. Le Parnasse se découvre au fond. Quelques Mimes sont assises en divers endroits de sa croupe, & quelques poètes à leurs pieds. Sur le sommet, le palais du dieu se foit voir. Les deux costez du théatre sont deux galeries qui ressemblent à celles où on étale des raretez les jours de jète et les jours de foire. Là sont les archives du Destin. L’architecture est ornée de feuilles de laurier. Sous chaque portique est un buste ; il y en a neuf de conquérants & autant dé poètes ; les conquérants d’un costé, les poètes de l’autre. Les conquérants sont Cyrus, Alexandre, etc. ; & les poètes sont Homère, Anacréon, Pindare, Virgile, Horace, Ovide, l’Arioste, le Tasse, & Malherbe. Apollon a voulu que l’avenir fût montré en faveur de cette feste. UN POÈTE HÉROÏQUE commence les jeux & chante ceci : Quel prince offre à mes yeux des lauriers toujours verts ? Je vois dans l’avenir cent potentats divers Lui disputer en vain l’honneur de la victoire. Ô toy, fils de Latone, amour de l’Univers, Protecteur des doux sons, des beaux-arts, des bons vers, Aide-nous à chanter sa gloire ! MELPOMÈNE Ce n’est pas l’ouvrage d’un jour : Sublime, allez dormir encor sur le Parnasse, Et vous, clairons, faites place Aux doux concerts de l’Amour. PHILIS, jeune muse, & DAPHNIS, poète lyrique, entrent sur la scène, accompagnez d’une musique de flûtes, de hautbois, & de musettes, & chantent ce dialogue de pastorale : PHILIS Les Zéphyrs sont de retour : Flore avec eux se promène. DAPHNIS Savez-vous qui les ramène ? C’est l’Amour. PHILIS De quoy parle en ce séjour La savante Philomèle ? DAPHNIS Et de quoy parlerait-elle, Que d’amour ? PHILIS & DAPHNIS, ensemble : Faisons aussi nostre cour Au printemps vestu de roses ; Ayons, comme toutes choses, De l’amour. UN POÈTE SATIRIQUE vient brusquement les interrompre, & dit : Aimez, mais permettez que je parle à mon tour. Comment faire Pour se taire ? Le monde est plein de sots, de l’un à l’autre bout ; Le passé, le présent, & l’avenir surtout. Comment faire Pour se taire ? CHŒUR Comment faire Pour se taire ? THALIE Ridicules, envoyez-nous Les principaux d’entre vous. Cinq ridicules entrent sur la scène. C’est une coquette emportée, une précieuse, un méchant poète, un homme affectant le bel air, & un vieillard amoureux. LE MÉCHANT POÈTE, chargé des intérests de la troupe, dit ces paroles : Quoi ! dans ces lieux sacrez on souffre la satire ! THALIE Soyez les premiers à rire. Les ridicules se consolent & font une entrée, dansant tous sur les mesmes pas, et gardant toutefois, autant qu’ils peuvent, leur caractère. Mercure, monté sur Pégase, descend au sacré vallon. Il interrompt la danse des ridicules, & vient présenter trois couronnes de laurier à ces trois genres de poésie. MERCURE Chacun de vous doit estre couronné : Recevez ces présents de la part de Daphné. Elle est maintenant déesse, Aimant le dieu de ces lieux : Poussez-en jusques aux cieux Des chants remplis d’allégresse. Mercure revole au ciel, ayant laissé Pégase sur le double mont. Quatre auteurs lyriques & autant de Muses du mesme genre viennent danser en témoignage de joie ; puis les ridicules se meslent avec eux, formant de différentes figures avec des branches de laurier qu’ils portent tous, & dont ils se font des espèces de berceaux. C’est le grand ballet. Après qu’ils ont dansé une fois, UNE MUSE DU GENRE LYRIQUE chante ceci : Il n’est que de s’enflammer ; Laissez, laissez-vous charmer ; La raison vous y convie : Sans le dieu qui foit aimer, Que serait-ce que la vie ? Le grand ballet recommence encore, puis UNE AUTRE MUSE LYRIQUE chante ce second couplet : Chacun sert quelque désir ; Tout consiste à bien choisir ; Faites-vous de douces chaînes : En amour tout est plaisir, Et mesme jusques aux peines. CHŒUR Aimez, doctes nourrissons : S’il n’étoit point d’amour, serait-il des chansons ? peu prés: peu près bon jour: bonjour
Revue de métaphysique et de morale, supplément 5, 1908.djvu/12
{{nr||12|}}à l’épistémologie même, ou réflexion sur la valeur du savoir, « le service qu’elle rend n’est pas logique, mais moral et spirituel ; elle ne modifie pas la connaissance, elle modifie le caractère ». (p. 156). — Mais, au fond, on n’esquive ainsi qu’en apparence les difficultés ; car, comme le met bien en lumière {{M.|Dickinson Miller}} (''Naïve realism : what is it?'') toutes les doctrines se prétendent à l’envi d’accord avec le sens commun, et il n’est pas du tout facile de savoir ce que pense celui-ci : peut-être parce que le vulgaire entend tour à tour et confusément la réalité objective du monde en des sens très différents ; il est, au vrai, plus naïf qu’on ne le pense ; le réalisme naïf n’existe pas « comme opinion définie ». Si l’on essayait d’ailleurs de préciser davantage ce nouveau réalisme auquel se rallient les Américains, on s’apercevrait peut-être que ce n’est que la doctrine même de Stuart Mill, à peine modifiée. Ainsi, {{M.|Strong}} (''Substitutionalism'') entend la connaissance comme une série d’expériences « qui se substituent les unes aux autres d’une manière satisfaisante pour la direction de la conduite ». — Pour {{M.|Broughton Pitkin}} (''World pictures'') on peut continuer à dire que nos idées sont « des images du monde », mais en prenant le mot ''image'' au sens le plus large (et le plus vague), au sens où l’on peut dire qu’une « chose se reflète en quelque sorte en ses effets ». Tout ce qui est réel peut dès lors être « défini par et identifié avec son activité, ou plus largement avec le rôle qu’il joue dans l’ensemble des choses : toute définition fondée sur quelque chose de moins que cela est abstraite et partielle. « En ce sens, et à la rigueur, le portrait de Rembrandt par lui-même est aussi un portrait des brosses avec lesquelles il a peint sa toile » (p. 220) ; et toute idée est vraie qui résulte à quelque degré de l’action de son objet sur l’esprit : « le monde est réellement moléculaire et atomique juste comme le ciel au-dessus de votre tête est réellement bleu » (p. 218) — c’est-à-dire autant qu’il détermine naturellement en nous une telle conception. — Resterait à savoir après cela quel fondement, autre que l’utilité pratique, on pourrait trouver à la distinction du vrai et du faux, du réel et de l’illusoire. Mais le mémoire le plus important du volume, auquel il faudra se référer lorsqu’on voudra tenter de déterminer la signification dernière du pragmatisme, est celui de {{M.|John Dewey}} : ''Does reality possess practical character ?'' — Non que, malgré des formules heureuses et frappantes, la pensée en soit nette : mais on y saisira sur le fait, une fois de plus, l’équivoque foncière de la théorie pragmatiste de la connaissance. – L’idée maîtresse en est celle-ci : toute connaissance « constitue un changement ''pour'' et ''dans'' les choses », ''makes a difference'' to ''and'' in ''things''. L’objection courante à cette thèse consiste à croire, dit l’auteur, qu’il s’agit « d’un changement dans l’objet à connaître » : or, on veut dire seulement que si le monde est un devenir, une évolution constante, comme il l’est, au témoignage et de la science et de la philosophie moderne, l’acte de connaître est lui-même un changement dans la réalité ; et plus cet acte révèle le changement, plus il est transparent, plus il est adéquat à son objet. « La fonction rationnelle apparaît intercalée dans un schème d’ajustements pratiques » ; elle résulte d’un rapport de l’organisme avec ce qui l’entoure, exactement comme l’eau résulte d’une relation entre l’hydrogène et l’oxygène. Ainsi tout semble se réduire à cette remarque, incontestable mais un peu simple, que toute connaissance est un acte, un événement dans l’histoire psychique du sujet connaissant ; quant à la question de savoir si elle n’est que cela, quant à la question de son exactitude, elle n’a d’autre sens que celle de l’utilité ou de l’efficacité pratique de cette même connaissance. — Il est bien vrai qu’on nous dit que l’acte de connaissance, s’il produit des changements, s’il est un changement, n’en doit pas produire dans son propre objet, auquel cas il constituerait une erreur. Mais on ajoute aussitôt : si l’acte de connaissance produit, ''après l’événement'', une différence dans les choses par ses effets, une nouvelle question se pose, une question de fait : comment exactement l’action conséquente se relie-t-elle à la connaissance antécédente ? ''Quand est-ce'', après l’événement ? Quel degré de continuité faut-il admettre ?... Comment une chose, si elle n’est pas déjà en changement dans l’acte même de connaître, finirait-elle, à son terme, par aboutir en action ? De telles remarques ne remettent-elles pas tout en question ? Il est vrai que {{M.|Dewey}} conclut à son tour, comme W. James, par une profession de foi réaliste : « transformation, réajustement, reconstruction, tout cela implique des existences antérieures ». Mais la grande alternative philosophique du temps présent lui paraît se formuler ainsi : {{lang|la|''sub specie æternitatis''}}, ou ''sub specie generationis'' ? « Il vaut mieux se tromper <references/>
Histoire des églises et chapelles de Lyon/Providence Caille
Jean-Baptiste Martin Histoire des églises et chapelles de Lyon H. Lardanchet, 1908 (tome I, p. 200-208). bookHistoire des églises et chapelles de LyonJean-Baptiste MartinH. Lardanchet1908LyonVtome IMartin - Histoire des églises et chapelles de Lyon, 1908, tome I.djvuMartin - Histoire des églises et chapelles de Lyon, 1908, tome I.djvu/13200-208 Joseph Caille, chanoine d’honneur de la cathédrale de Lyon, fut le fondateur de cet établissement. Il naquit en Savoie, le 9 août 1760, à Puisgros, canton de Chambéry. Ses parents vertueux, mais peu favorisés de la fortune, l’envoyèrent à Lyon à l’âge de quatre ans et demi chez un oncle maternel qui le fit recevoir, en 1766, enfant de chœur du chapitre de Saint-Just, et favorisa sa vocation ecclésiastique. En 1784, il fut nommé maître des enfants de chœur, c’est-à-dire chargé d’élever les enfants qui devaient servir les offices célébrés par les chanoines de Saint-Just. Lorsque cette collégiale fut obligée de se dissoudre, en novembre 1791, Caille embrassa l’état d’instituteur, afin de subvenir à sa vie quotidienne. Après la Révolution, la renommée de son pensionnat s’accentua, et l’abbé Joseph Caille profita des ressources acquises en instruisant les enfants riches, pour réaliser le projet qu’il caressait depuis longtemps de fonder une maison d’éducation gratuite à laquelle il donnerait le nom de Providence. On y recevrait les jeunes garçons nés à Lyon ou dans les faubourgs et qui seraient pauvres et sans parents. Par son testament, daté du 10 septembre 1840, il légua à cette œuvre future sa fortune, sa propriété de Fourvière et sa maison d’habitation. Celle-ci destinée à loger les administrateurs du futur établissement « est bornée, dit-il, au nord, par la vigne des Frères de la doctrine chrétienne, et elle est séparée des autres bâtiments qui serviront tous de grand berceau à l’établissement, dont la réussite est l’objet de tous mes désirs. Cette maison est composée au rez-de-chaussée, d’un salon, d’une salle à manger, d’une cuisine et d’un lavoir. Toutes les pièces qui sont au-dessus de ce rez-de-chaussée, sont comprises dans cette destination, aussi tous les meubles et effets, mon bureau, ma commode et mon lit ; la première administration disposera aussi de ma bibliothèque comme elle le croira plus convenable à l’utilité et à l’avantage de l’établissement ». Il ajoute des détails historiques qui ne manquent pas d’intérêt : « Nulle maison de Lyon, n’a été honorée, comme celle-là, de la présence d’un aussi grand nombre d’illustres personnages de l’Europe entière. Ils y sont venus pour jouir du spectacle ravissant que présente la terrasse de ce délicieux séjour. Le 19 avril 1806, l’immortel souverain pontife Pie VII, honora de sa présence ma maison de Fourvière, il daigna y accepter, de ma propre main, une légère réfection, du chocolat et un verre d’eau. Ce bon et très vénérable saint Père, pendant son déjeuner, daigna plusieurs fois m’adresser la parole. « Le 24 juillet 1814, Mme la duchesse d’Orléans vint visiter l’église de Notre-Dame de Fourvière ; après y avoir entendu la messe avec édification, cette princesse, dont les rares qualités et les vertus étaient célébrées dans toute l’Europe, fut conduite dans mon pensionnat par M. le comte d’Albon, alors maire de la ville, et Mme la comtesse d’Albon. » Le testament du bon chanoine renferme quelques articles fondamentaux du futur règlement de la Providence ; tous respirent l’amour du pauvre et le désir de porter les jeunes gens au bien en les rendant heureux. Il demande, comme tribut de reconnaissance, trois Pater et trois Ave à la suite de la prière du matin et du soir ; il désire que les élèves assistent au service anniversaire de son décès, et prient pour lui en leur particulier ; parce qu’il a grande confiance en la prière du pauvre. Un renseignement historique peu connu est fourni par ce testament. On sait que, pendant la Révolution, l’église de Fourvière fut désaffectée, vendue comme bien national, enfin rachetée plus tard par la fabrique de Saint-Jean. Le chanoine Caille ne fut pas étranger aux négociations qui aboutirent au rachat de Fourvière. Pie VII, lorsqu’il vint faire l’ouverture du célèbre sanctuaire, avait été mis au courant de cette situation par le cardinal Fesch, et il tint à féliciter hautement l’intelligent chanoine en lui disant : « Vous vous êtes fait une grande protection ». Il est juste de rendre à chacun ce qui lui revient, et ce ne sera pas une des moindres parties de la dette de reconnaissance contractée par le clergé du diocèse envers Joseph Caille. Outre la fondation de la Providence, il favorise dans son testament ce qu’on nomme le cimetière des prêtres à Loyasse : il accorde aux bienfaiteurs de son établissement le droit d’être inhumés dans la petite enceinte qui a pour centre une pyramide : ce monument, il l’a fait élever à la mémoire de son frère Antoine Caille, le vrai donateur du cimetière des prêtres. Le conseil d’administration de la Providence Caille, qui recrute lui-même ses membres, est composé de plusieurs curés de Lyon et de quelques dévoués laïques. Afin de réaliser pleinement les intentions du fondateur, et de confier les enfants à des mains habiles et à des éducateurs dévoués, on s’adressa à la maison-mère des frères Maristes de Saint-Genis-Laval qui envoya, dans cette maison, plusieurs de ses meilleurs sujets. Il est utile d’ouvrir ici une longue parenthèse, pour raconter en détail la vie du fondateur de cet Institut et rappeler l’extension de sa congrégation, devenue, par la suite, une des gloires du diocèse. La mémoire du père Marcellin Champagnat est restée populaire dans la province lyonnaise. La vie féconde de ce simple et robuste apôtre n’a rien pour attirer la curiosité de certains psychologues qui ne s’intéressent qu’aux néants de la mélancolie, de la lâcheté de l’âme et de la paresse d’esprit. Sorti lui-même du peuple, toute son œuvre fut pour le peuple. Le fondateur des Petits-Frères de Marie tourna de bonne heure ses facultés vers l’action, ayant constaté, après tant de saints, que c’est l’action constante et croissante qui suggère les pensées généreuses. Il s’approvisionna, par ses humbles labeurs, d’une intelligence et d’une vision nettes de la spiritualité et de la vraie direction. Ses entretiens, ses sermons, ses exhortations, ses colloques, dont ses disciples ont gardé quelque chose, sont remplis de traits, non seulement d’un bon sens assuré et impérieux, mais d’une délicatesse précieuse et claire. Son style, lui aussi, est fait directement des qualités de sa sainteté : fermeté, précision, lucidité, et cela dans les mots du meilleur choix. C’est le cas de répéter : « Aimez et comprenez toutes choses par la piété, et le reste vous sera donné par surcroît » ; le reste, c’est-à-dire les mille succès secondaires, qui ne sont que des conséquences, et où le monde croit pourtant voir des dons miraculeux. Parmi ces succès en est-il aucun qui soit aussi glorifié et envié que l’éloquence ? Or, c’est un fait connu que la piété raisonnée et ardente apprend l’éloquence. Le père Champagnat en fit l’épreuve. La parole efficace jaillissait de ses lèvres comme le bon exemple ; il ne dut presque rien aux méthodes humaines, ni à l’étude approfondie de l’attitude et du geste. Il ne fut ni un lettré, ni un philosophe, ni un théologien. Il fut plus et mieux : une âme docile à l’évidence des simples principes de la foi, riche par conséquent de tous les moyens de connaître et de faire connaître Dieu. Il naquit le 20 mai 1789 à Marlhes, paroisse située près les montagnes du Pilât, dans le canton de Saint-Genest-Malifaux. Cette paroisse faisait alors partie du diocèse du Puy-en-Velay. On sait que ce diocèse ne fut pas rétabli par le Concordat de 1801 et que le territoire en fut rattaché au diocèse déjà trop étendu de Lyon. Dès lors on se doute que l’instruction et les secours religieux n’abondèrent pas à Marlhes, outre que le village était d’accès fort difficile. Mais encore les bonnes populations, fermes sur leur territoire, rudes aux nouveautés révolutionnaires, avaient-elles gardé une solide fidélité à l’Église et suppléaient-elles de toute leur bonne volonté au défaut d’instruction et de consolations spirituelles où les laissait leur isolement. Quand vint au monde l’émule du bienheureux de La Salle, le futur restaurateur de l’instruction chrétienne des enfants du peuple, la révolution, dont il devait plus tard réparer les ruines dans l’âme des innocents, commençait à se développer. Les parents de notre héros étaient d’excellents chrétiens : son père Jean-Baptiste Champagnat, et sa mère Marie Chirat, l’élevèrent avec une force et une douceur qui montraient leur raison et leur amour. Il était le dernier de six enfants, trois garçons et trois filles, et ne fut pas un médiocre Benjamin. Le père avait du jugement et il était, de plus, très instruit pour le temps et le pays où il vivait. Les habitants de Marlhes, peu versés dans les lettres, ne cessaient de le prendre pour conseiller et pour arbitre dans leurs intérêts et leurs différents. Marie Chirat réalisait la perfection de la femme d’intérieur, prudente et énergique, économe et charitable, modeste et vigilante. Elle exigeait de ses fils comme de ses filles, beaucoup de retenue en paroles ; elle les accoutumait aussi à la sobriété du corps, au point de leur défendre de porter la main à quoi que ce fut à table, et de montrer trop ouvertement leur goût. C’est par de tels entraînements qu’on prépare les enfants aux rudes devoirs de toute vie humaine. Son rare naturel étant ainsi secondé, Marcellin faisait prévoir une foi ferme et une piété pure. Mais rien n’annonçait que ce garçonnet timide serait un apôtre si décidé et une sorte de réformateur. À douze ans, Marcellin était cité comme un modèle de sagesse précoce : il montrait de l’inclination, surtout pour le bon usage des choses temporelles et une habileté extraordinaire aux travaux manuels. Il gardait soigneusement les pièces d’argent que son père lui donnait en récompense de sa conduite sérieuse, et ne voulait pas qu’on touchât à son petit trésor, même pour lui acheter des vêtements. Assidu à la culture et à faire valoir le moulin de ses parents, il paraissait destiné à continuer l’état et les profits de ceux-ci. Nul signe ne le marquait au dehors pour la vocation des hommes que le Seigneur appelle dans les sentiers rares et difficiles. À cette époque, M. Gourbon, le zélé vicaire général du cardinal Fesch, se rendait auprès des curés pour recruter des élèves au grand séminaire et préparer ainsi la restauration du clergé. Natif de Saint-Genest-Malifaux et ami particulier du curé de Marlhes, il fit prier ce dernier par un professeur du grand séminaire qui passait dans cette paroisse une partie de ses vacances, de lui donner quelques jeunes gens intelligents et pieux, propres à devenir des prêtres actifs. M. Alirot, tel était le nom du curé, ne trouva à désigner à l’émissaire de M. Courbon que les garçons de la famille Champagnat « qui semblent assez retirés » écrivait-il. « Mais, je n’ai pas ouï dire qu’aucun eut l’intention d’étudier le latin ; au reste vous devez passer au Rozet, le hameau du bourg de Marlhes où habitent les Champagnat, entrez-y et vous verrez. » L’ecclésiastique se rendit au Rozet ; le père Champagnat le reçut avec respect, et lui présenta son aîné. « As-tu envie d’étudier le latin pour être prêtre, lui demanda-t-il, renouvelant une question de l’abbé. — « Non », répondit en rougissant mais d’un ferme accent, l’adolescent intimidé. À cet instant le cadet et le petit Marcellin revenaient ensemble du moulin. Le cadet fit une réponse aussi précise ; ce fut un « non » très expressif. Marcellin embarrassé balbutia quelques mots qui ne furent pas compris. Mais l’abbé le tira à part et fut tellement frappé de son air ingénu et de son caractère franc, qu’il lui dit soudain : « Mon enfant, il faut étudier le latin, et vous faire prêtre ; Dieu le veut. » Le « Dieu le veut » entra dans l’âme de l’enfant comme un ordre irrésistible du ciel, et depuis, il ne connut pas l’ombre d’un doute sur sa vocation. Dès octobre 1805, il était admis au petit séminaire de Verrières près de Montbrison. Là, les épreuves ne lui manquèrent pas. Il était demeuré timide ; la supériorité des connaissances de ses camarades plus jeunes que lui, ajoutait encore à sa crainte. Il avait dix-sept ans, était d’une haute taille, et d’une santé qui, après avoir été délicate, s’était raffermie par les travaux des champs. Son appétit, son allure empruntée prêtaient à rire et il s’entendit qualifier : le plus grand et le plus bête de sa classe. Mais bientôt il reprit le dessus. Sa régularité, sa docilité, sa piété lui acquirent l’estime et la confiance de ses maîtres qui n’hésitèrent pas à lui donner la charge de surveiller le dortoir, de préférence à beaucoup d’autres plus anciens et plus avancés que lui. Ses condisciples d’ailleurs ne tardèrent pas à le respecter et à l’aimer, avec cette équité de sentiment qui caractérise les jeunes gens honnêtes et les rend bons juges les uns des autres. Au grand séminaire, il ne se démentit pas. Tout au contraire, il se rapprocha très rapidement de l’idéal qu’il s’était proposé, dès son jeune âge : mortifications, renoncement à tout esprit propre, application aux bonnes œuvres de charité et de miséricorde, endurance, gaieté. Afin de se maintenir et de s’accroître dans les dispositions nécessaires pour réaliser ce programme, il se fit des règlements très détaillés, toute une comptabilité d’âme, comme autrefois il s’en était fait une de son pécule d’épargne. Jusque dans ses cahiers les plus intimes on le voit ordonné, ponctuel et ne supportant pas pour lui-même les moindres fautes. Il n’est pas rare que Dieu confie des travaux insignes à ce genre d’ouvriers. Pendant les vacances, l’abbé Champagnat s’adonnait, avec une initiative et une ardeur singulières, où ses parents ne reconnaissaient plus sa gaucherie d’autrefois, à des catéchismes dont maintes grandes personnes venaient prendre leur part avec les enfants. Que de confessions particulières et générales, d’ignorants et de pécheurs endurcis, suscita-t-il ainsi, sans rien entreprendre sur le ministère des prêtres ! Et quand il fut prêtre à son tour, le 22 juillet 1816, des mains de Monseigneur Louis-Guillaume Dubourg, évêque de la Nouvelle-Orléans, de passage à Lyon, le catéchisme resta sa besogne favorite dans le gros village de Lavalla. Gardons-nous de taire qu’auparavant, il avait rencontré, au grand séminaire même, des âmes qui, soit intuition, soit expérience de ce qui manquait à l’apostolat catholique à peine restauré, s’étaient, comme lui, pénétrées de cette idée qu’il fallait d’abord, pour assurer le succès des missions auprès des fidèles et des infidèles jeunes et vieux de tous les continents, créer une congrégation nouvelle entièrement vouée à la sainte Vierge, une société de Marie dont l’avenir montrerait l’impérieuse nécessité. Il y eut sur ce principe une sorte de serment sacré et quelques conceptions précises échangées. Les uns le gardèrent, d’autres l’oublièrent ou le dispersèrent. Mais la semence était enfouie : elle devait, à l’heure marquée par le Soleil divin, germer, fleurir et fructifier, devenir enfin la Société de Marie, répandue aujourd’hui jusqu’en Océanie. Lavalla, dans le canton de Saint-Chamond, était une paroisse modeste : l’abbé Champagnat avait commencé, par en saluer, à genoux, le clocher. Ce village, disséminé sur le penchant et dans les gorges des montagnes sur des hauteurs escarpées et dans des vallées profondes, convenait à sa vigueur de corps et d’esprit. Ce n’étaient que montées, descentes, rochers et précipices ; plusieurs des hameaux éloignés de l’église d’une heure ou deux et sans chemins praticables semblaient défier son enthousiasme. Les habitants étaient de bonnes gens, aussi confiants que peu instruits ; ils ne tardèrent pas à se louer de leur vicaire et, pour lui marquer leur contentement, à lui doubler la besogne en le mettant dans toutes leurs difficultés. Pour lui, il considéra que c’était le bon chemin qu’on lui montrait : peu à peu il entra dans les cœurs par les intérêts. Il prêchait d’un accent si persuasif, si naturel, que les auditeurs lui venaient de tous les côtés à travers les gouffres remplis de neige, à travers les éboulements, « à travers le diable », disait un de ses auditeurs les plus assidus, qui ne pensait pas dire si juste. Il va de soi que l’abbé Champagnat usait, par dessus ses moyens oratoires, du catéchisme et de l’instruction familière des enfants. Il avait commencé par attirer de la sorte les parents. Mais il songeait, au plus intime de lui-même, à développer ce moyen, à en faire quelque chose comme une institution stable. Appelé un jour à plusieurs lieues, au fond d’une vallée, tandis que la pluie faisait rage, au chevet d’un garçonnet d’une douzaine d’années qui agonisait, il fut stupéfait de le trouver plus dénué qu’un sauvage de toutes notions surnaturelles ; il fallut qu’il lui apprît jusqu’au nom même de Dieu. En rentrant au presbytère, il se sentit envahi par une pensée irrésistible, celle de fonder une société de frères « pour prévenir un si grand malheur, en instruisant chrétiennement les enfants de la campagne » : ce sont les propres expressions dont il se servit, peu après, dans son avant-projet. Sans tarder, il s’ouvrit de son dessein à un adolescent, Jean-Marie Grangeon, qui était accouru le chercher une nuit, pour qu’il confessât un malade, et dans lequel il avait discerné de suite son premier sujet. Il s’appliqua, dès lors, à seconder cet heureux naturel par des leçons répétées. Jean-Baptiste Andras, plus jeune encore, presqu’un enfant, mais dont la pureté avait mûri et fortifié l’intelligence et la volonté, se joignit à ce premier disciple. On peut dire que de ce jour, 13 décembre 1816, l’institut des Petits-Frères de Marie était né : Dieu l’avait fondé, si les hommes ne le connaissaient pas encore. Une petite maison proche du presbytère était en vente : l’abbé Champagnat, avec une belle audace qui ne l’abandonna jamais et qui le fit tenir pour fou dans la suite par les prudents du monde, n’hésita pas à l’acheter, quoiqu’il fut sans argent. Le 2 janvier 1817, il y établit la faible communauté composée de deux corps unis en une seule âme. Les exercices de piété qu’il prescrivit à Grangeon et à Andras furent d’abord courts et peu nombreux ; leur travail manuel était de faire des clous. L’hiver se passa paisible et fécond dans ces humbles occupations ; le printemps amena une nouvelle recrue, Antoine Couturier, qui devint plus tard le modèle de la société sous le nom de frère Antoine, et mourut à Ampuis, le 6 mars 1850, après avoir usé ses forces au service de plusieurs générations d’enfants qui ne cessèrent de l’appeler : « Le frère bon Dieu. » Gabriel Rivat, la meilleure conquête de l’abbé Cbainpagnat lors de ses débuts de catéchiste à Lavalla, prêchait lui-même, à neuf ans, comme un vrai missionnaire ; il vint rejoindre le noviciat. Le reste fut le merveilleux et prompt accroissement que Dieu donne à ses œuvres, mais non sans y mêler la contradiction et l’épreuve. Trois années à peine écoulées, l’abbé Champagnat envoyait ses Petits-Frères deux à deux faire le catéchisme et la classe dans les hameaux. On a bien lu : le catéchisme et la classe ; il serait encore plus vrai d’écrire : la classe par le catéchisme. L’admirable catéchiste qu’était en effet le pieux et très positif fondateur eut, de premier jet, sitôt le plan de son institut formé, la pensée que ses disciples devaient, pour se distinguer utilement des autres communautés de religieux, s’installer aux moindres hameaux, accepter des communes un traitement plus chétif, et c’est pourquoi il voulut les nommer : Petits-Frères, petits en humilité, petits en savoir humain, petits en ressources matérielles. Mais il voulut encore et surtout restituer au catéchisme son office primordial dans l’éducation, le remettre au centre de toutes les connaissances rudimentaires, de telle façon que celles-ci n’en fussent plus que l’expression, l’épanouissement, le rayonnement. Aussi à l’origine, les Petits-Frères de Marie faisaient-ils le catéchisme trois fois par jour. La Providence multiplia les preuves de ses bénédictions par un développement continu. Après l’école de Marlhes, en 1819, on fonda celles de Tarentaise et de Bourg-Argenlal. En 1822, une nuée de novices, disait l’abbé Champagnat, se jeta à la rescousse ; une bonne terre les avait nourris et préparés : le Velay de Notre-Dame et de saint François Régis, le Velay où les Joséphistes de M. Crétenet, avaient eu des collèges prospères. Puis le noviciat s’agrandit et sans cesse épuisé renaquit sans cesse. Peu après, l’abbé Champagnat le transféra dans le vallon de l’Hermitage arrosé par les belles eaux du Gier. En 1826, il admit ses fils spirituels à faire des vœux. En 1829, il tenta d’obtenir l’autorisation légale et il y serait parvenu l’année suivante sans la révolution de juillet ; en 1831, il fonda l’établissement de la côte Saint-André. L’autorisation de la société des prêtres Maristes, les aînés des Petits-Frères, par bref de Grégoire XVI, du 11 mars 1836, pressa encore la fortune spirituelle des petites écoles, dignes héritières transformées de leurs aïeules du xviie siècle, et répandues dans quatre diocèses. En 1839, peu de mois avant sa mort, l’abbé Champagnat accepta d’un prélat généreux, ami de la congrégation, le château de Vauban pour un second noviciat ; après quoi il se donna tout entier à revoir les règles, imprimées dès 1834, et qui résumaient le travail de toute sa vie intérieure. Il voulut expressément qu’on les remit entre les mains du père Colin, supérieur général de la société de Marie, pour bien marquer la subordination, en ce qui lui appartenait, des diverses branches du tronc marial encore si jeune et déjà si riche. Le Père Champagnat, après avoir écrit son testament spirituel, le 18 mai 1840, à Notre-Dame de l’Hermitage, son séjour préféré, y mourut, le jeudi 4 juin, dans de grandes souffrances. En 1896, Léon XIII l’a déclaré vénérable. Après sa mort, l’institut prospéra singulièrement par son union avec les frères de Saint-Paul-Trois-Châteaux, avec les frères de Viviers et par d’autres marques de la prédilection de Dieu. En moins de deux ans, il s’étendit à Saint-Lattier, dans l’Isère ; à Digoin en Saône-et-Loire, enfin dans le Pas-de-Calais. La loi sur l’enseignement du 15 mars 1850, dite loi Falloux, lui valut l’autorisation légale. Il tint cette même année un chapitre général qui accepta définitivement les règles. Il comptait, en 1806, plus de trois cents établissements contenant quinze cents frères, instituteurs et éducateurs chrétiens de cinquante mille enfants du peuple. L’institut ne cessa désormais de prospérer, protégé par les archevêques qui se succédèrent, leurs vicaires généraux, et en particulier M. Beaujolin, vicaire général de Lyon. D’une statistique récente, il résulte que la congrégation des Petits-Frères de Marie a été autorisée, en 1851, par décret du président de la République, et approuvée en 1863 par bref de Pie IX. Elle est aujourd’hui une des plus nombreuses de France après l’institut des Frères des Écoles chrétiennes. Elle se composait, il y a trois ans, avant les expulsions et dissolutions des congrégations religieuses, de 168 frères stables, 2081 frères profès, 1383 frères à vœu d’obéissance, 832 frères novices, 414 postulants, 984 juvénistes, soit un total de 5862 membres. L’institut comptait, tant en France qu’à l’étranger, 15 maisons provinciales, 15 noviciats, 12 juvénats et 639 écoles donnant l’instruction chrétienne à 91.315 enfants. Le diocèse de Lyon était fort avantagé dans cette distribution. Il possédait : 1° la maison-mère à Saint-Genis-Laval (Rhône) avec un noviciat et un juvénat ; 2° un second noviciat à Notre-Dame de l’Hermitage près de Saint-Cbamond ; 3° un second juvénat à Lavalla près de Saint-Chamond ; 4° une maison de retraite pour les vieillards et les infirmes à Charly (Rhône) ; 5° douze pensionnats dont les principaux sont ceux de Saint-Genis-Laval, Neuville-sur-Saône, Valbenoîte, Saint-Étienne et Charlieu ; 6° 105 écoles où plus de 18000 enfants recevaient l’instruction chrétienne. Les enfants de l’orphelinat Caille ont été confiés, pendant de longues années, aux mains expérimentées de ces éducateurs. Depuis trois ans, des maîtres laïques instruits et dévoués les ont remplacés, et s’efforcent de continuer les traditions de leurs prédécesseurs. La chapelle de l’établissement est modeste ; elle a été aménagée dans l’intérieur de la maison. Un autel de bois et quelques statues de saints forment tout le mobilier de l’oratoire. La maison est vaste, elle contient amplement les trente orphelins que la charité y entretient. Plusieurs maîtres y font la classe et les plus grands des enfants sont initiés aux travaux de l’agriculture dans le vaste enclos de l’établissement.
La Confédération Générale du Travail/03
Émile Pouget La Confédération Générale du Travail Librairie des sciences politiques et sociales, 1908 (p. 49-63). ◄ II. LA TACTIQUE III. LES RÉSULTATS bookLa Confédération Générale du TravailÉmile PougetLibrairie des sciences politiques et sociales1908ParisT III. LES RÉSULTATS Pouget - La Confédération générale du travail, 1908.djvuPouget - La Confédération générale du travail, 1908.djvu/149-63 Les bénéfices que les travailleurs français ont retirés et retirent de leur organisation de classe ne peuvent se mesurer que par approximations. Ces bénéfices sont de deux ordres : matériels et moraux, et, pour en fixer la valeur, il n’y a guère d’autre moyen d’appréciation que les résultats des conflits engagés contre le patronat. Il faut d’abord tenir compte qu’il est des causes automatiques d’améliorations : découvertes scientifiques, développement de l’outillage industriel, rapidité des moyens de communications, etc. Mais ces progrès — dont, au surplus, la classe ouvrière ne profite qu’en très minime proportion — ne modifient pas la structure sociale et ne changent rien aux rapports qui subordonnent le travailleur au patron et au dirigeant. Par conséquent, il ne faut enregistrer ces progrès automatiques, ni comme résultats de l’action ouvrière, ni comme preuve de la sympathie des capitalistes envers le prolétariat. Ne doivent être portées au compte syndical que les améliorations obtenues par la poussée ouvrière, — que cette poussée s’esquisse seulement en menace ou qu’elle aille jusqu’au conflit plus ou moins brutal. Au point de vue matériel, des indications nous sont fournies par l’Office du Travail, qui dresse annuellement une statistique des grèves. L’origine gouvernementale de cette statistique et la difficulté de l’établir doivent nous inciter à ne donner à ces chiffres qu’une valeur relative ; nous devons les recueillir comme indications générales et ne pas leur attribuer une trop grande exactitude. Cette statistique ne porte que sur les conflits déclarés et non sur ceux qui ont pu se solutionner à l’amiable, avant la crise de cessation de travail. En la décennie 1890-1900, sur 100 grèves, la proportion de résultats a été : réussites, 23,8 % ; transactions, 32,2 % ; échecs, 43,8 %. Si, au lieu de se borner à examiner le simple pourcentage des grèves, on cherche le pourcentage des résultats par nombre de grévistes, on trouve : réussites, 18,4 % ; transactions, 43,33 % ; échecs, 37,36 %. En cette dizaine d’années, il y a donc eu 56 grèves sur 100 qui se sont terminées par des améliorations plus ou moins considérables en faveur des ouvriers ; et, sur un cent de travailleurs, il y en a eu 61,38 qui ont retiré un bénéfice matériel de ces conflits. Dans les quatre années qui suivent (1901 à 1904), il a été enregistré 2,628 grèves qui ont englobé 718,306 travailleurs. Les résultats sont les suivants : 644 grèves (soit 24 %) se sont terminées par une réussite ; 995 (soit 38 %) par une transaction ; 989 (soit 37,8 %) par un échec. En examinant le chiffre des grévistes, on trouve que 14 % ont obtenu satisfaction (98.978), que 65 % ont eu satisfaction partielle (462.976) et, comme échec, seulement 21 % (156.441 grévistes). En ces quatre ans, par conséquent, pour 100 grèves, 62 se sont terminées favorablement (réussites ou transactions) et 37,8 défavorablement. Il y a donc, en comparaison de la décade antérieure, accroissement de résultats en faveur des travailleurs ; et cet accroissement est autrement sensible en examinant le chiffre des grévistes. Sur 100 travailleurs entrés en conflit, 79 en ont tiré un bénéfice et seulement 21 ont subi un échec. Cet accroissement de résultats favorables est encore plus marqué par la statistique des grèves de 1906 ; sur 830 grèves qui ont éclaté en cette année, 184 se sont terminées par la réussite totale (soit 22,17 %) ; 361 par une réussite partielle (soit 43,50%) ; 285 par un échec (soit 34,33 %) 147,888 travailleurs ont participé à ces 830 conflits et 22.872 d’entre eux ont obtenu les améliorations exigées (soit 12,87 sur 100), 125.016 n’ont obtenu que des améliorations partielles (soit 70,37 sur 100), 29.778 seulement ont subi un échec (soit 19,76 sur 100). Ainsi, sur 100 grèves déclarées en 1905, il y a 65, 67 de réussites et 34,33 d’échecs et, sur 100 travailleurs qui ont fait grève, 83,24 en ont tiré profit. La progression est caractéristique : Grèves terminées favorablement Nombre de grévistes bénéficiaires. La raison de cet accroissement graduel de victoires ouvrières, il ne faut pas la chercher ailleurs que dans le développement de la conscience ouvrière et de la puissance de l’organisation confédérale. Avant 1900, la Confédération du Travail n’avait pas acquis l’épanouissement actuel ; elle était tiraillée par les tendances politiciennes et, sous le ministère Waldeck-Rousseau-Millerand, les manœuvres du pouvoir tendaient à enrayer l’essor syndical, s’efforçant de domestiquer les syndicats et d’en faire des organismes d’État. Depuis 1900, au contraire, la Confédération du Travail, faisant front à toutes les embûches, a poursuivi l’œuvre d’organisation autonome de la classe ouvrière sur le terrain économique, proclamant que le combat devait se mener avec une égale vigueur contre le pouvoir et contre le patronat. Et le développement de l’organisme confédéral, vivifié par cette attitude de lutte, a suivi une marche ascendante. Dès lors, il est naturel que cette attitude révolutionnaire se soit traduite, dans les faits, par une accentuation du caractère révolutionnaire des grèves et, par conséquent, par une augmentation des solutions favorables aux travailleurs. C’est à la vigueur déployée dans la bataille et aussi à l’idéal révolutionnaire dont sont pénétrés les ouvriers français, et non à la puissance de leurs caisses syndicales, que sont dus ces résultats. Ces constatations ne sont pas pour les inciter à dévier de leur ligne de conduite. S’ils s’avisaient de remplacer l’élan révolutionnaire par la thésaurisation, et de n’entreprendre de mouvements qu’avec une caisse amplement garnie et avec la prudence qu’exige la crainte d’engager de gros capitaux dans une lutte dont l’issue est douteuse, auraient-ils de meilleurs résultats ? C’est peu probable. En tous les cas, la comparaison avec les résultats obtenus dans les pays où ces tactiques prédominent n’est pas défavorable à la France. L’accentuation révolutionnaire du mouvement gréviste est d’ailleurs caractérisée par ce fait qu’en 1905, si l’on ne tient compte que des deux plus importantes revendications parcellaires, qui sont l’augmentation des salaires et la diminution de la durée du travail, on constate que les mouvements offensifs dominent : Sur 177,666 grévistes, près de 70 % — 124.000 — ont exigé une augmentation de salaire et plus de 85 % ont obtenu gain de cause, totalement ou en partie. 530,000 grévistes ont réclamé une diminution du temps de travail. Sur ce nombre, près de 40 % ont eu complète satisfaction, 51 % ont bénéficié d’une victoire partielle et seulement 9,35 % ont subi un échec. Il faudrait pouvoir procéder à un examen d’ensemble et montrer quelle a été la répercussion heureuse de l’action syndicale sur l’amélioration générale des conditions de travail. Mais les éléments de cette appréciation manquent. Il n’est possible que de signaler quelques faits, en certaines corporations données, où la poussée syndicale a été d’une efficacité indéniable. Ainsi, chez les bûcherons du centre de la France (Cher et Nièvre), avant la création des syndicats, les salaires oscillaient entre 80 centimes et 1 fr. 25 par jour et la durée du travail était de 15 à 16 heures. Aujourd’hui, grâce à la puissance de l’organisation syndicale, le maximum de la durée du travail journalier est de dix heures, pour le travail des bois ; de plus, les conditions du travail ont été modifiées, les salaires augmentés de 40 à 50 % et le contrat collectif, ainsi qu’une sorte de commandite paysanne, remplace, pour le travail du bois, l’ancien embauchage individuel. Dans le midi de la France, par une série de grèves (1904-1905), les ouvriers viticulteurs ont obtenu de 25 à 30 % d’augmentation des salaires, avec une durée de travail oscillant entre un maximum de huit heures et un minimum de six heures. En dix ans, les ouvrières et ouvriers des manufactures de tabacs, qui sont très solidement groupés, ont fait passer leur salaire d’une moyenne de 5 fr. 15 à une moyenne de 5 fr. 90, pour les hommes ; dans le même laps de temps, le salaire des femmes montait d’une moyenne de 3 fr. 23 à 3 fr. 94. De plus, la journée de neuf heures a été acquise. Les ouvriers des manufactures d’allumettes, qui sont syndiqués dans la proportion de neuf sur dix, ont, en dix ans, fait monter la moyenne des salaires : pour les hommes, de 5 francs à 6 fr. 68 ; pour les femmes, de 3 fr. 45 à 5 francs. Eux aussi ont la journée de neuf heures. Les ouvriers des ateliers des postes, télégraphes et téléphones, ainsi que ceux occupés à la pose des lignes et à leur entretien, ont obtenu, par l’effort syndical, la journée de huit heures et un minimum de salaire de 5 francs. Le personnel des Arsenaux de la Marine de l’État a conquis, depuis cinq ans, la journée de huit heures. Les ouvriers boulangers ont obtenu des augmentations de salaire allant, dans certains centres, jusqu’à 1 franc par jour. Les ouvriers coiffeurs ont ramené la fermeture des salons de coiffure à des heures normales, et ce, en certaines villes, par la grève et, en d’autres, par le sabotage particulier qu’est le badigeonnage des devantures. Malgré ce qu’elles ont de très incomplet, ces quelques indications évoquent l’importance des résultats de l’action syndicale. Il faut observer que la grève n’a pas été toujours nécessaire ; la pression syndicale a quelquefois suffi pour rendre les exploiteurs conciliants, que ceux-ci fussent des patrons particuliers ou bien l’État. La force syndicale a, en effet, cet avantage qu’il lui est possible de s’affirmer et d’atteindre le résultat qu’elle vise, par la seule menace de la lutte. Et c’est cette menace qui, en se généralisant et s’accentuant, devient la vigoureuse manifestation de puissance ouvrière qu’est la pression extérieure, exercée sur les pouvoirs publics. C’est par la pression extérieure que fut arrachée au Parlement la suppression des bureaux de placement. Après des incidents divers, tels que mises à sac d’officines de placeurs, manifestations plus ou moins violentes, la Confédération du Travail organisait, le même jour, dans les principales villes de France, cent meetings de protestation (le 5 décembre 1903). L’impression que causa cette vigoureuse campagne d’agitation — menée à bien avec de faibles ressources — amena le Parlement à légiférer contre les bureaux de placement, ce qu’il s’était refusé à faire pendant vingt ans. C’est encore par la pression extérieure que, en 1905, les conseillers prud’hommes ouvriers de la Seine obligèrent le Parlement à modifier la loi régissant la jurisprudence prud’homale ; ils refusèrent de siéger et cette sorte de grève eut le résultat voulu. Nul mouvement ne symbolise mieux les méthodes d’action confédérale que la campagne d’agitation pour les huit heures, qui a eu son premier épanouissement en mai 1906, en conformité à la décision prise au Congrès Confédéral de Bourges, en 1904. a) Le sens de la résolution de Bourges. — Cette résolution stipulait que jusqu’au 1er Mai 1906, une intense campagne d’agitation allait familiariser les travailleurs avec la nécessité de réduire à 8 heures la durée du travail, leur faire comprendre que cette amélioration ne sera acquise que par leur volonté et que, par conséquent, il fallait qu’ils aient l’initiative et l’énergie de ne pas consentir à travailler plus de huit heures par jour. Le Premier Mai 1906 était indiqué comme date d’action. Certains ont pris à tâche de déformer cette résolution, d’en dénaturer l’esprit, pour la réduire à une formule impérative et, sous prétexte qu’au 1er Mai 1906, la classe ouvrière n’a pas, d’un bond, conquis la journée de huit heures, ils ont conclu avec empressement à la « faillite » du syndicalisme révolutionnaire. Qu’il me soit permis, à ce propos, de me citer, afin d’indiquer le mal fondé de cette déformation. Au lendemain du Congrès de Bourges, dans le Mouvement Socialiste du 15 Mars 1905, j’écrivais : ... Il faut comprendre que la formule « Conquête de la journée de Huit Heures » n’a pas un sens étroit et rigidement concret ; c’est une plateforme d’action qui s’élargit jusqu’à englober toutes les conditions de travail. La « journée de Huit Heures » est, si l’on peut s’exprimer ainsi, un mot de passe qui va permettre aux travailleurs de s’entendre facilement pour une action d’ensemble à accomplir. Cette action consistera à arracher au patronat le plus qu’il sera possible et, suivant les milieux et suivant les corporations, la pression revendicatrice pourra s’intensifier sur tel ou tel point particulier... Ainsi, pour les ouvriers de l’Alimentation, pour les Coiffeurs, etc... l’effort se concentre, momentanément, sur la conquête du repos hedomadaire... Et je concluais : ... Quoi qu’il advienne, le mouvement pour les huit heures portera des fruits. Le principe de physique « rien ne se crée, rien ne se perd » se vérifiera. L’effort accompli ne sera pas perdu ; toujours l’action engendre l’action... Tel était le sens de la résolution de Bourges qui, prise à la lettre, était une affirmation théorique, rigide, absolue, mais qui, en passant dans la réalité, devait subir — et a subi — les atténuations fatales qu’imposent les circonstances, le milieu, la vie. b) Les résultats moraux. — Ce qu’il faut avant tout retenir, c’est l’énorme travail éducatif qui a découlé de cette résolution. Pendant dix-huit mois, une propagande intense s’est faite pour les huit heures et il en est résulté la vulgarisation de la nécessité des courtes journées. Désormais, la journée de huit heures n’apparaît plus dans un lointain irréalisable, — telle que l’avait posée l’imprécise propagande du socialisme dogmatique, — et, qui plus est, se trouve détruit aussi le préjugé qui attribuait les conditions de vie restreinte aux faibles journées, tandis que c’est le contraire : aux courtes journées de travail correspondent les hauts salaires. Outre cette vulgarisation, qui était indispensable pour que puissent se réaliser des améliorations portant sur la durée du travail, le caractère dominant de cette agitation a été de faire vibrer en une commune aspiration la classe ouvrière. Et non seulement le prolétariat des usines, mais encore la masse paysanne a été secouée, arrachée à ses préjugés. C’est sur cette masse, jusqu’à ces derniers temps inerte et insensible, que s’appuyaient les éléments de réaction. Or, c’est grâce à la propagande syndicaliste que les paysans viennent à la Révolution. Grâce à l’agitation des huit heures, la classe ouvrière s’est sentie mêmes cœurs, mêmes espoirs, mêmes vouloirs. Elle a vibré à l’unisson. La secousse a amené une cohésion plus grande. Ainsi il a été constaté que les éléments de la Confédération, qui étaient imprégnés de tendances modérées et plus corporativistes, ont subi l’entraînement et sont entrés dans le mouvement ; de sorte que l’accentuation d’action s’est faite dans l’ensemble, sur toute la ligne. Certes, cette première levée en masse qu’ont été les journées de Mai 1906 n’a pas amené de déclenchement social. Mais elle a matérialisé la puissance d’action des travailleurs et a montré que l’entrée en lutte, sur le terrain économique, engendre les plus fécondes répercussions sociales, influençant les pouvoirs publics et agissant contre eux, aussi efficacement que contre les capitalistes. Cette levée en masse a été le choc de deux classes. Le Travail et le Capital se sont trouvés face à face, à l’état de guerre ; — et le pouvoir, pour « avancé » qu’il soit au point de vue simplement politique, s’est trouvé de « l’autre côté de la barricade » — contre le prolétariat. Cette gymnastique de révolte a eu, au point de vue moral, de précieuses conséquences : outre qu’elle a rendu la classe ouvrière plus consciente, elle lui a permis de mesurer sa force et lui a fait entrevoir ce qu’elle pourra — lorsqu’elle voudra fermement. c) Les résultats matériels. — Mais l’agitation pour les huit heures et la levée en masse de Mai 1906 ont eu aussi des résultats matériels, qu’il est utile d’esquisser. Sur le pouvoir, d’abord, la pression exercée s’est rapidement manifestée par le vote de la loi sur le repos hebdomadaire ; puis, pour étaler sa sollicitude à l’égard des travailleurs, le gouvernement a annoncé son intention de proposer que soit réduite au maximum de dix heures, la durée de la journée de travail, qui est actuellement de douze heures. Au point de vue économique, un premier résultat a été la vulgarisation de la pratique de la « semaine anglaise », c’est-à-dire la suspension du travail, dans les usines et les ateliers, le samedi après-midi. Cette pratique tend à se répandre, comme corollaire de la fermeture des magasins le dimanche et, depuis le 1er Mai 1906, elle est en usage dans nombre d’ateliers de mécanique ou de métallurgie. Les travailleurs de l’imprimerie ont obtenu la journée de neuf heures, au lieu de dix, avec une augmentation de salaire qui est, pour le typographe parisien, de 70 centimes par jour (7 fr. 20 au lieu de 6 fr. 50). Pour les ouvriers des machines à imprimer, l’augmentation a été variable et a été surtout caractérisée par un relèvement des petits salaires. Les lithographes, dont la Fédération se distingua par une merveilleuse campagne d’agitation, ne purent pas, malgré leur obstination, obtenir la journée de huit heures ; ils ont dû se satisfaire de celle de neuf heures dans certains centres. À Paris, dans la joaillerie, la journée a été réduite à dix heures, dans les trois quarts des maisons, avec une augmentation de salaire qui a atteint jusqu’à 1 fr. 50 par jour. Dans la bijouterie, il y a eu aussi la journée de neuf heures avec, en bien des cas, augmentation de salaire, en quelques rares maisons se fait aujourd’hui la journée de huit heures. Les infirmiers des hospices parisiens ont, par la seule pression syndicale, obtenu diverses améliorations, portant sur les congés du travail. Les coiffeurs ont, à partir du 1er Mai 1906, donc avant la loi, imposé la fermeture des salons de coiffure un jour par semaine. Les ouvriers terrassiers ont obtenu que, dans les prochaines adjudications, serait tentée la journée de huit heures et, pour une spécialité (les tubistes travaillant à l’air comprimé), la journée qui était de douze heures a été ramenée à huit heures, avec même salaire. De plus, le syndicat qui, avant le 1er Mai, comptait huit cents adhérents, en avait trois mille après. Dans le bâtiment, les résultats n’en sont pas moins appréciables : les tailleurs de pierre qui avaient 75 centimes de l’heure ont obtenu 85 et même 90 centimes. Les ouvriers du ravalement ont obtenu neuf heures au lieu de dix et même salaire (12 francs). Les maçons limousinants, qui avaient de 60 à 65, ont monté au minimum de 70 et la majorité 75 centimes de l’heure. Les maçons-plâtriers touchaient de 75 à 80 et, de façon générale, ils ont un sou d’augmentation par heure, allant même jusqu’à 95 centimes. Les « garçons de ces corporations ont tous obtenu une augmentation oscillant entre 5 et 10 centimes ; ceux qui avaient 45 centimes sont passés entre 50 et 55 centimes ; ceux de 50 à 55. En outre, le repos hebdomadaire, de façon générale, a été obtenu — et ce, avant la mise en vigueur de la loi. Mais, outre ces satisfactions matérielles, il y a, pour le bâtiment, d’autres observations à noter : avant le mouvement de mai, sur les chantiers, les ouvriers se modelaient sur le plus « bûcheur » ; celui-là était l’entraîneur qui poussait à « en abattre ». Aujourd’hui, c’est le contraire : on se modèle sur celui qui travaille le plus lentement, c’est lui qui est l’entraîneur, — si on peut s’exprimer ainsi. La conséquence est que, pour les entrepreneurs, il y a diminution de rendement d’environ 20 à 25 %. Outre cela, il y a, désormais, chez les ouvriers du bâtiment, un élan syndical superbe. Chez les menuisiers où, ces dernières années, s’était constatée une regrettable apathie, le mouvement de mai a été un coup de fouet. Si, en quelques rares maisons seulement, a été obtenue la journée de neuf heures, il s’est constaté un relèvement de la conscience syndicale de très heureux présage. Les peintres en bâtiment ont obtenu que le salaire soit porté à 0,85 au lieu de 0,75 et 0,80 par heure. Les ouvriers des tanneries et peausseries ont obtenu la réduction de la journée de travail à dix heures au lieu de douze, avec augmentation de salaire et le repos hebdomadaire. Ces quelques indications, bien que très incomplètes, et restreintes plutôt à Paris, montrent l’efficacité matérielle de la campagne des huit heures. En province, aussi, les résultats matériels acquis ont été importants : à de très rares exceptions près, partout où l’action s’est engagée, il s’est enregistré des résultats. Une énumération, outre que fastidieuse, ne pourrait être qu’incomplète. Parmi les corporations qui ont agi et qui, en nombre de villes, ont obtenu des améliorations, citons les diverses catégories d’ouvriers du bâtiment, les ouvriers des cuirs et de la chaussure, les ouvriers de l’alimentation, les coiffeurs, les métallurgistes, les lithographes, les typographes, etc. Telle est, en rapide raccourci, la vue d’ensemble des efforts et des conséquences, au double point de vue moral et matériel, de la campagne des huit heures, qui a eu son épanouissement au 1er mai 1906. Ce n’est pourtant là qu’un incident de la lutte engagée. Depuis le 1er mai 1906, l’action syndicaliste s’est poursuivie avec une vigueur inlassable : nous n’avons qu’à rappeler combien elle a gagné de couches qui semblaient loin de sa portée, comme cette partie du corps des fonctionnaires qui s’est révoltée contre l’autorité étatique. Les persécutions incessantes dont le gouvernement démocratique a poursuivi les militants syndicalistes, la rigueur des répressions judiciaires, la fréquence des interventions de l’armée, etc. — voilà autant de preuves de la force redoutable qu’est devenue, en face du pouvoir et du patronat, la Confédération Générale du Travail. Telles sont l’organisation, la tactique et l’action de la Confédération Générale du Travail. Nous avons suivi pas le développement de l’organisation syndicale, noté ses caractères d’autonomie et de fédéralisme, constaté que l’action qu’engage ainsi la classe ouvrière, sur le terrain économique, ne se limite pas aux broutilles corporatives, mais s’élargit au point d’englober l’ensemble des problèmes sociaux. Nous avons constaté les résultats de sa tactique et de ses moyens d’action, reconnu le caractère essentiellement révolutionnaire de cette pratique, même quand l’action engagée se limite à des revendications momentanées et parcellaires. Nous avons vu le processus normal de la grève ; la grève, d’abord partielle, battant en brèche le capital, visant à l’exproprier partiellement de ses privilèges ; puis, devenant grève de solidarité, ou bien, grève de corporation, accentuant son caractère social et s’attaquant, non seulement au capital, mais aussi au pouvoir. Ensuite, de la grève ainsi comprise et pratiquée, nous avons vu surgir l’idée de grève générale, qui est la matérialisation de l’idée de révolution intégrale et dont la réalisation s’esquisse par les levées en masse du genre de celle de mai 1906.
Le Littré de la Grand'Côte, éd. 1903.pdf/349
'''TRAVERSIN'''. — ''Faire du traversin.'' Se dit d’un ivrogne qui marche de travers. Spirituel calembour. <section end="TRAVERSIN"/> <section begin="TRAVIOLE"/><nowiki/> '''TRAVIOLE'''. — ''De traviole'', De travers. ''Marcher de traviole.'' C’est ''travers'', avec substitution d’un suffixe comique. <section end="TRAVIOLE"/> <section begin="TRAVON"/><nowiki/> '''TRAVON''', s. m, — Le même que ''tras''. — De ''{{lang|la|trabonem}}'', de ''{{lang|la|trabem}}''. <section end="TRAVON"/> <section begin="TRÉBUCHET, TRÉBICHOLET"/><nowiki/> '''TRÉBUCHET, TRÉBICHOLET''', s. m. — ''Faire le trébuchet, le trébicholet.'' Tour d’adresse qui consiste à mettre sa tête sur le sol, et à faire passer, parlant par respect, le cul par-dessus la tête. Très joli jeu de société à la campagne, mais les dames s’en abstiennent géneralement, en tout cas il est utile qu’elles ôtent le peigne de leur chignon pour que les dents du peigne ne leur entrent pas dans la bosse du crâne. — De ''trébuchet'', trappe qui bascule. La forme ''trabuchet'', fréquemment employée, est plus correcte. <section end="TRÉBUCHET, TRÉBICHOLET"/> <section begin="TRELAS"/><nowiki/> '''TRELAS''', s. m. — Gros morceau. ''Un trelas de pain'', Le contraire d’une chiquette. <section end="TRELAS"/> <section begin="TRÉMONTADE"/><nowiki/> '''TRÉMONTADE''', s. f. — ''Perdre la trémontade'', Perdre le tramontane. — Corruption de ''tramontane''. <section end="TRÉMONTADE"/> <section begin="TREMPE"/><nowiki/> '''TREMPE''', s. f. — 1. Lessive. Proverbe : ''Fatigué comme un pauvre homme qui coule sa ''trempe.'' — Subst. verbal de ''tremper'' dans ''tremper la lessive''. 2. Piquette. — De ''{{lang|la|temperare}}'', parce que le marc de raisin est trempé d’eau. <section end="TREMPE"/> <section begin="TREMPE"/><nowiki/> '''TREMPE''', adj. des 2 g. — Mouillé. J’ai ma chemise toute ''trempe''. — Sur la formation, voyez ''arrête''. <section end="TREMPE"/> <section begin="TREMPER"/><nowiki/> '''TREMPER''', v. a. — ''Tremper la lessive.'' Opération qui consiste à faire subir un premier lavage au linge et à le tremper dans l’eau avant de couler le lissieu par-dessus. <section end="TREMPER"/> <section begin="TREMPOTTE"/><nowiki/> '''TREMPOTTE''', s. f. — Pain trempé dans du vin. ''Faire une trempotte.'' <section end="TREMPOTTE"/> <section begin="TRENTE-SIX"/><nowiki/> '''TRENTE-SIX'''. — ''Se mettre sur ses trente-six'', Prendre ses plus beaux affaires, se mettre en grandissime toilette. Il me semble que ce serait encore plus beau de se mettre sur ses trente-sept, mais je n’ai jamais vu personne le faire. <section end="TRENTE-SIX"/> <section begin="TRÈS"/><nowiki/> '''TRÈS'''. — On ne peut pas dire ''J’ai très faim'', fait remarquer Humbert, car très ne modifie que les adjectifs (et les adverbes). C’est juste, mais en général, car l’expression ''très homme de bien'' se rencontre chez des auteurs du {{s|xvii}}, notamment chez Racine. <section end="TRÈS"/> <section begin="TRÉSORISER"/><nowiki/> '''TRÉSORISER''', v. n. — Le mot populaire est beaucoup mieux fait que son correspondant savant ''thésauriser''. <section end="TRÉSORISER"/> <section begin="TRESSAUTER, TRASSAUTER"/><nowiki/> '''TRESSAUTER, TRASSAUTER''', v. n. — En même chose que ''ressauter'' (voy. ce mot). — De ''sauter'', avec le suffixe ''tra'', ''très'', signifiant au travers. — L’idée est de sauts qui passent au travers du corps. <section end="TRESSAUTER, TRASSAUTER"/> <section begin="TRIAILLES"/><nowiki/> '''TRIAILLES''', s. m. pl. — Épluchures, débris. ''De triailles de truffes'', Des épluchures de pommes de terre. — De ''trier''. Comp. ''curailles''. <section end="TRIAILLES"/> <section begin="TRIANDINE"/><nowiki/> '''TRIANDINE''', s. f. — Outil pour travailler la terre, composé de trois pointes d’acier fixées sur un talon. — De ''trient'' (voy. ce mot), avec suffixe ''ine''. <section end="TRIANDINE"/> <section begin="TRICOT"/><nowiki/> '''TRICOT''', s. m. — Le sévère, mais peu juste Molard proscrit l’expression : « J’ai acheté une ''culotte de tricot'', » et veut qu’on dise « une ''culotte de tricotage'' ». Hélas, c’est lui qui fait le solécisme ! L’Académie (1798) définit le tricot, une « sorte de tissu fait en mailles ». Donc on peut dire une culotte de cette espèce de tissu. Quant à ''tricotage'', l’Académie le définit : « L’ouvrage d’une personne qui tricote. » Or on ne pourrait dire : « J’ai acheté une culotte de l’ouvrage, etc. » <section end="TRICOT"/> <section begin="TRICOTER"/><nowiki/> '''TRICOTER''', v. a. — 1. Donner des coups de bâton. ''M. Tartouilleux a tricoté les épaules ''à l’amoureux de sa fenne.'' — De ''tricot'', bâton. 2. ''Tricoter les cloches'', Carillonner. 3. v. n. — Tricoter, Danser, en battant des entrechats, en remuant les jambes avec agilité. — C’est le français ''tricoter'', avec dérivation de sens. On a comparé le mouvement des jambes au mouvement des aiguilles à tricoter. De même, pour 2, on a comparé le mouvement du sonneur à celui du danseur, le sonneur faisant, pour les églises où le carillon était important, manœuvrer un clavier de pédales.<section end="TRICOTER"/> <references/>
Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/280
{{nr|274|{{sc|revue philosophique}}|}}morales, telles qu’on les conçoit, sont ''proposées'' à l’homme sans lui être ''imposées ;'' elles comportent une violation que nous appelons le mal ; ce sont les lois de la liberté. Une psychologie sérieuse devra toujours faire une large part à l’élément involontaire dans l’ensemble des déterminations humaines ; mais, s’il ne reste pas un élément de liberté, si faible qu’il soit, dans le creuset de l’analyse psychologique, la ligne de démarcation entre les lois physiques et les lois morales disparaît, les actions des hommes sont utiles ou nuisibles, mais elles ne peuvent plus être légitimement qualifiées de bonnes ou de mauvaises, dans l’acception habituelle de ce terme. Les actes peuvent être constatés, mais les agents ne sont pas des êtres responsables qui puissent être jugés ; il n’y a plus de morale, il n’y a plus que des mœurs, dont l’étude rentre dans le cadre de l’histoire naturelle. Le conflit est donc bien manifeste entre la morale dont la liberté est le postulat fondamental, et la direction de la pensée qui ramène tous les phénomènes physiologiques à la physique et subordonne les phénomènes psychiques au déterminisme physiologique. Dans nombre d’esprits contemporains, le conflit cesse par la négation de la liberté ; mais tout le monde n’abandonne pas sans combat la cause d’une idée de cette importance. L’étude du problème s’impose. Il n’est pas possible de dire : « Il y a une science des forces physiques, il y a une science des esprits : chacune de ces sciences a son domaine, et l’une n’a le droit de nier les résultats de l’autre. » Si tout phénomène spirituel a le mouvement de la matière pour condition, et si tous les mouvements de la matière, en vertu du principe de la constance de la force, tombent sous la loi d’un déterminisme absolu, il n’y a pas de place pour la liberté. Le mouvement est le lien indissoluble du monde des corps et du monde des esprits. Ces deux propositions : « Tout mouvement est nécessairement déterminé ; — Il y a des mouvements libres, » affirment et nient, en parlant du même objet et en prenant les termes dans le même sens ; elles ne peuvent subsister ensemble, parce qu’elles sont directement contradictoires. C’est là qu’est la véritable importance de la question des rapports du physique et du moral, de l’esprit et du corps. L’observation établit de plus en plus que tout phénomène spirituel a un correspondant matériel, que tous les modes passifs de la conscience ont un point de départ dans l’organisme, et que tous les modes actifs de la conscience se traduisent immédiatement en un fait organique. Il n’y a rien là qui puisse inspirer la moindre inquiétude légitime aux hommes préoccupés des intérêts moraux de l’humanité. Mais, si les modes actifs de la conscience sont soumis à un déterminisme absolu, tout élément de liberté disparaît, et les fondements de la <references/>
Le Tour du monde - 10.djvu/264
Après eux le bourreau (''orang-itam'') venait seul ; celui-là était un superbe noir vêtu d’un costume rouge collant. Enfin le {{sic2|cortége}} se terminait par les deux autres condamnés et deux nouveaux détachements de cavalerie et d’artillerie européennes. L’atrocité des supplices auxquels j’allais assister devait me prouver encore l’utilité de tout ce déploiement de forces. Le procureur du roi donna lecture du jugement aux condamnés amenés devant le pondok : la femme souriait toujours. On commença par river à froid un anneau de fer autour du cou d’un des moindres acteurs de cette horrible scène. Agenouillé à terre, la tête posée sur une enclume, il reçut le choc d’une dizaine de coups de marteau. Un mouvement de sa part, une maladresse du forgeron, et il était mort ; mais l’opération eut lieu sans accident. [[Fichier:Le Tour du monde-10-p264.jpg|thumb|center|400px|{{c|L’empereur de Solo (Java) en grand costume. — Dessin de Bida.}}]] On procéda alors à la fustigation. Le second condamné, la face tournée contre le poteau, les mains attachées à la corde de la poulie, fut hissé par quatre vigoureux opazes jusqu’à ce que la pointe de ses pieds touchât seule la terre. Deux autres opazes, armés de rotings de deux mètres de long sur trois centimètres de diamètre et d’une flexibilité effrayante, vinrent se placer à droite et à gauche du poteau, à une distance mesurée de manière à ce que les cinquante derniers centimètres du roting vinssent frapper en plein sur le dos du patient. Alors après avoir posé son roting sur l’endroit où il allait frapper, le premier opaze lui fit décrire une courbe terrible et le laissa retomber de toutes ses forces ; le vêtement fut entamé. Une demi-minute s’écoula et le second opaze frappa le second coup ; le sang jaillit violemment. C’étaient vingt-cinq coups de roting que cet homme était condamné à recevoir ; un Européen n’y eût pas résisté, mais lui, quoique son dos ne fût bientôt <references/>
Revue de Paris - 1895 - tome 5.djvu/892
{{c|{{espacé|TABLE DU QUATRIÈME VOLUME}}|fs=150%}} {{c|'''Septembre-Octobre 1895'''|fs=}} {{brn|3}} {{c|LIVRAISON DU {{1er}} SEPTEMBRE|fs=110%}} {{brn|2}} {{Table|nodots|page={{sc|<small>pages.</small>}}}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=[[Auteur:J.-H. Rosny aîné|J.-H. ROSNY]]|titre=[[Un_autre_monde|Un autre Monde]]|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/2|5]]}} {{table|nodots|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=ERNEST RENAN,}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=HENRIETTE RENAN|titre=Correspondance intime. — {{rom-maj|II}}|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/34|37]]}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=MAURICE LEVEYRE|titre=Les Massacres des Sasounkh |page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/70|73]]}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=A. LE BRAZ|titre=Funérailles d’été|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/89|92]]}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=ABBÉ V. CHARBONNEL|titre=Un Congrès universel des religions en 1900|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/118|121]]}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=JACQUES VINCENT|titre=Un Bonheur (''2{{e}} partie'')|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/134|137]]}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=MAURICE BOUCHOR|titre=Shakespeare au théâtre|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/171|174]]}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|indentation=-1|section=ÉMILE MALE|titre=Les Origines de la sculpture française du<br />Moyen Age|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/195|198]]}} {{brn|3}} {{c|LIVRAISON DU 15 SEPTEMBRE|fs=110%}} {{brn|2}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=COMTE BENEDETTI|titre=Ma Mission à Ems|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/222|225]]}} {{table|nodots|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=ERNEST RENAN,}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=HENRIETTE RENAN|titre=Correspondance intime (''fin'')|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/255|258]]}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=A. FOGAZZARO|titre=Daniel Cortis (''{{1re}} partie'')|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/294|297]]}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=GASTON PARIS|titre=La Finlande|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/351|354]]}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=JACQUES VINCENT|titre=Un Bonheur (''fin'')|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/367|370]]}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=GUSTAVE LARROUMET|titre=Le Symbolisme de Gustave Moreau|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/405|408]]}} {{table|largeurp=50|largeurs=160|aligns=left|section=MAURICE WAHL|titre=Chez le Pape des Bonzes|page=[[Page:Revue de Paris, 2è année, Tome 5, Sep-Oct 1895.djvu/437|440]]}} <references/>
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/184
{{nr|170|CHAPITRE XV.||}}et aux <math>w'.</math> Je désignerai, comme au {{n°|{{t|151|112}}}}, par <math>\big[\mathrm{U}\big]</math> sa valeur moyenne prise par rapport aux <math>w</math> seulement et par <math>\big[\big[\mathrm{U}\big]\big]</math> sa valeur moyenne prise à la fois par rapport aux <math>w</math> et aux <math>w'.</math> On aura alors {{c|<math> \frac{d\big[\mathrm{U}\big]}{dw_k} = 0,</math>|mt=0em|mb=1em}} {{SA|mais en général}} {{c|<math> \frac{d\big[\mathrm{U}\big]}{dw_k'} \gtrless 0.</math>|mt=0em|mb=1em}} Quant à <math>\mathrm{S},</math> ce n’est pas une fonction périodique, mais seulement une fonction dont les dérivées sont périodiques. On aura donc seulement {{c|<math> \left[\frac{d\mathrm{S}}{dw_k}\right] = \mathrm{const.}</math>|m=1em}} Imaginons maintenant que l’on ait calculé complètement {{c|<math>\begin{array}{rrrrr} x_i^0,& x_i^1,& x_i^2,& \ldots,& x_i^{p-2}, \\ y_i^0,& y_i^1,& & \ldots,& y_i^{p-2}, \\ n_k^0,& n_k^1,& & \ldots,& n_k^{p-1}, \\ \mathrm{S}_0,& \mathrm{S}_1,& & \ldots,& \mathrm{S}_{p-2}. {{SA|ainsi que <math>x_i^{p-1},</math> <math>y_i^{p-1}</math> et <math>\mathrm{S}_{p-1},</math> ''à une fonction arbitraire près des'' <math>w',</math> et qu’on se propose d’achever la détermination de <math>x_i^{p-1}</math> {{corr|<math>y_i,p_i^{p-1}</math>|<math>y_i^{p-1}</math>}} et <math>\mathrm{S}_{p-1}</math> et de calculer <math>n_k^p</math> complètement ainsi que <math>x_i^p,\,y_i^p</math> et <math>\mathrm{S}_p</math> ''à une fonction arbitraire près {{nobr|des'' <math>w'.</math>}}}} L’{{lia|Chap.15|Eq.158-9|équation (9) du {{n°|{{t|158|112}}}}|173}}, obtenue en égalant dans l’{{lia|Chap.15|Eq.158-4|équation{{lié}}(4)|171}} les termes en <math>\mu^p,</math> prendra une forme un peu différente, parce que le second membre ne sera plus entièrement connu. Elle s’écrira {{MathForm1|(9 ''bis'')|<math> {\textstyle\sum}\, n_k^0 x_k^p = \boldsymbol{\sum} \frac{d\mathrm{F}_1}{dy_i^0} \, y_i^{p-1} + \boldsymbol{\sum} \frac{d\mathrm{F}_1}{dx_i^0} \, x_i^{p-1} + \Phi + \mathrm{const.} Dans le cas de <math>p=1,</math> on a simplement {{MathForm1|(9 ''ter'')|<math> {\textstyle\sum}\, n_k^0 x_k^1 = \mathrm{F}_1 + \mathrm{const.} Il va sans dire que, dans <math>\mathrm{F}_1,</math> <math>x_i</math> est supposé remplacé par <math>x_i^0</math> et <math>y_i</math> par <math>y_i^0=w_i.</math> Le second membre de (9 ''bis'') n’est pas entièrement connu parce <references/>
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/292
{{nr|278|CHAPITRE XVII.||}}suivant les puissances de <math>\mu,</math> ''ne sont plus convergentes'', de sorte que ces procédés n’ont plus d’autre valeur que celle que peut posséder, d’après le {{lia|Chap.08|ch-08|Chapitre VIII|15}}, toute méthode de calcul formel. Nous pourrons donc satisfaire formellement à l’équation{{lié}}(1), en faisant {{MathForm1|(2){{Ancre|Eq.189-2}}|<math>x = {\textstyle\sum}\, \mathrm{B}_m \cos(h+\gamma_m)t + {\textstyle\sum}\, \mathrm{C}_m \sin(h+\gamma_m)t . Dans cette formule, <math>h,</math> <math>\mathrm{B}_m</math> et <math>\mathrm{C}_m</math> sont des séries ordonnées suivant les puissances de <math>\mu</math> et dont les coefficients sont des constantes. Les <math>\gamma_m</math> sont des combinaisons linéaires à coefficients entiers des <math>\alpha_i,</math> de sorte que {{c|<math> \gamma_m = \mathrm{N}_1 \alpha_1 + \mathrm{N}_2\alpha_2 + \ldots + \mathrm{N}_n \alpha_n {{SA|et les sommations doivent être étendues à toutes les combinaisons des valeurs entières des <math>\mathrm{N}_1,</math> <math>\mathrm{N}_2,\,\ldots,</math> <math>\mathrm{N}_n.</math>}} La divergence de la série (2) pourra causer quelque étonnement. Supposons, en effet, que les <math>\alpha_i</math> sont de la forme {{c|<math> \alpha_i = m_i\lambda + m_i' ,</math>|m=1em}} {{SA|les <math>m_i</math> et les <math>m_i'</math> étant des entiers et une <math>\lambda</math> constante qui est la même pour tous les <math>\alpha_i.</math>}} Faisons varier <math>\lambda,</math> en conservant à <math>\mu,</math> aux <math>\mathrm{A}_i,</math> aux <math>\beta_i,</math> aux <math>m_i</math> et aux <math>m_i'</math> des valeurs invariables. Pour toutes les valeurs commensurables de <math>\lambda,</math> les <math>\alpha_i</math> seront commensurables entre eux et la fonction <math>\varphi</math> sera périodique. Nous savons alors, par le {{lia|Chap.02|par029|{{n°|{{t|29|112}}}}|75|Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 1, 1892.djvu}}, que l’équation{{lié}}(1) admet une solution de la forme (2) et de plus que cette solution n’est pas purement formelle et que les séries sont convergentes. Comme, dans tout intervalle, il y a une infinité de nombres commensurables, on s’étonnera que les séries auxquelles on parvient, quand <math>\lambda</math> varie dans un intervalle si petit qu’il soit, puissent être ainsi une infinité de fois convergentes et une infinité de fois divergentes. On comprendra mieux ce fait paradoxal si l’on étudie l’exemple simple qui va suivre. <references/>
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/363
{{nr||MÉTHODES DE M. BOHLIN.|349|}}{{SA|<math>\varphi</math> étant périodique ; je supposerai pour simplifier}} {{MathForm1|(10){{Ancre|Eq.204-10}}|<math> \frac{\alpha_1^p}{m_1} = \frac{\alpha_2^p}{m_2} = \ldots = \frac{\alpha_n^p}{m_n} , {{SA|ce qui n’est pas, comme nous le verrons bientôt, restreindre la généralité.}} Nous avons {{c|<math> - \left[ {\textstyle\sum}\, n_i^0 \, \frac{ d\mathrm{S}_p}{dy_i} \right] = \mathrm{C}_p' - \mathrm{C}_p , {{SA|équation analogue à la première des {{lia|Chap.19|Eq.204-6|équations{{lié}}(6)|360}}. Si les conditions{{lié}}(10) sont remplies, on aura <math>\mathrm{C}_p'=\mathrm{C}_p</math> et en particulier <math>\mathrm{C}_2'=\mathrm{C}_2.</math>}} Cela posé, revenons à la troisième {{lia|Chap.19|Eq.204-3|équation{{lié}}(3)|357}} qui peut s’écrire, maintenant que nous nous sommes donné <math>\mathrm{C}_2</math> et que <math>\mathrm{S}_1</math> est entièrement déterminée, {{MathForm1|(11){{Ancre|Eq.204-11}}|<math> {\textstyle\sum}\, n_i^0 \,\frac{d\mathrm{S}_2}{dy_i} = \Phi . {{SA|La fonction connue <math>\Phi</math> est périodique en <math>y_1,</math> <math>y_2,</math> <math>\ldots,\,y_n.</math>}} Soit donc {{c|<math> \Phi = {\textstyle\sum}\, \mathrm{A} \cos(p_1y_1 + p_2y_2 + \ldots + p_n y_n + \beta) , {{SA|l’équation{{lié}}(11) donnera}} {{c|<math>\begin{align} \mathrm{S}_2 = &{\textstyle\sum}\, \frac{ \mathrm{A} \sin(p_1y_1 + p_2y_2 + \ldots + p_n y_n + \beta)}{p_1n_1^0 + p_2n_2^0 + \ldots + p_n n_n^0} \\ &+\psi(m_1y_1+m_2y_2+\ldots+m_ny_n) , {{SA|<math>\psi</math> étant une fonction arbitraire de <math>m_1y_1+m_2y_2+\ldots+m_ny_n.</math> Cette solution deviendrait illusoire si, pour un terme quelconque de <math>\Phi,</math> on avait}} {{c|<math> p_1n_1^0 + p_2n_2^0 + \ldots + p_n n_n^0 = 0 ,</math>|mb=0em|mt=1em}} {{c|<math> \frac{p_1}{m_1} = \frac{p_2}{m_2} = \ldots = \frac{p_n}{m_n} \cdot</math>|mt=0em|mb=1em}} Mais cela ne peut arriver parce que {{c|<math> \big[\Phi\big] = 0 .</math>|m=1em}} En effet, nous venons précisément de déterminer <math>\mathrm{S}_1</math> de telle <references/>
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/367
{{nr||MÉTHODES DE M. BOHLIN.|353|}}{{corrBandeau}}{{SA|et en effet}} {{c|<math> \left[\frac{d\mathrm{S}_p}{dy_2}\right],\quad \left[\frac{d\mathrm{S}_p}{dy_3}\right],\quad \ldots,\quad \left[\frac{d\mathrm{S}_p}{dy_n}\right],\quad {{SA|se réduisent à des constantes et, d’autre part, la relation}} {{c|<math> {\textstyle\sum}\, m_i n_i^0 = 0 </math>|mb=0em|mt=1em}} {{SA|se réduit ici à}} {{c|{{corr|<math>n_0^1=0,</math>|<math>n_1^0 = 0,</math>}}|mt=0em|mb=1em}} {{SA|de sorte que le premier membre de{{lié}}(12) ne contient pas de terme en <math>\left[\frac{d\mathrm{S}_p}{dy_1}\right]\cdot</math>}} Je pourrai supposer que non seulement les <math>\frac{d\mathrm{S}_p}{dy_i},</math> mais encore les <math>\mathrm{S}_p</math> (du moins pour <math>p>0</math>) sont des fonctions périodiques de <math>y_1,</math> <math>y_2,</math> <math>\ldots,\,y_n\,;</math> c’est là une hypothèse identique aux {{lia|Chap.19|Eq.204-9|hypothèses{{lié}}(9)|362}} et{{lié}}(10) du numéro précédent qui, nous l’avons vu, ne restreignent pas la généralité. Si on l’admet, la constante du second membre de{{lié}}(12) est nulle. Cela posé, reprenons les {{lia|Chap.19|Eq.204-3|équations{{lié}}(3)|357}} du numéro précédent. La seconde nous apprend que <math>\mathrm{S}_1</math> ne dépend que de <math>y_1</math> et la troisième, quand on égale les valeurs moyennes des deux membres, donne {{MathForm1|(13){{Ancre|Eq.205-13}}|<math> \frac12 \,\frac{d^2 \mathrm{F}_0}{dx_1^2} \left(\frac{d\mathrm{S}_1}{dy_1}\right)^2 = \mathrm{C}_2 - \big[\mathrm{F}_1\big] , {{SA|ce qui détermine <math>\mathrm{S}_1.</math>}} En tenant compte de l’équation{{lié}}(13) la troisième équation{{lié}}(3) devient {{MathForm1|(14){{Ancre|Eq.205-14}}|<math> -{\textstyle\sum}\, n_i^0 \,\frac{d\mathrm{S}_2}{dy_i} = \big[\mathrm{F}_1\big] - \mathrm{F}_1 . Comme le second membre est une fonction de <math>y_1,</math> <math>y_3,</math> <math>\ldots,\,y_n</math> dont la valeur moyenne est nulle, l’application d’un procédé d’intégration dont nous avons déjà fait usage bien des fois nous donnera <math>\mathrm{S}_2</math> à une fonction arbitraire près de <math>y_1,</math> c’est-à-dire que l’équation{{lié}}(14) nous fera connaître {{c|<math> \mathrm{S}_2 - \big[\mathrm{S}_2\big] .</math>|m=1em}} Pour déterminer <math>\big[\mathrm{S}_2\big]</math> prenons la quatrième équation{{lié}}(3) et <references/>
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/345
{{nr||MÉTHODES DE M. BOHLIN.|331|}}{{SA|les développements de <math>\alpha,</math> <math>\beta</math> et <math>x_1,</math> il viendra en identifiant les deux membres de{{lié}}(7)}} {{MathForm1|(8){{Ancre|Eq.200-8}}|<math>\;\left\{\begin{array}{c} \dfrac{d\mathrm{S}_0}{dy_1} = \alpha_0, \qquad \dfrac{d\mathrm{S}_1}{dy_1} = \dfrac{d\mathrm{S}_1'(y_1-\beta_0)}{dy_1}, \qquad \dfrac{d\mathrm{S}_2}{dy_1} = \alpha_1 + \dfrac{d\mathrm{S}_2'}{dy_1}, \\[0.75ex] \dfrac{d\mathrm{S}_3}{dy_1} = \dfrac{d\mathrm{S}_3'}{dy_1} - \beta_1\,\dfrac{d^2 \mathrm{S}_1'}{dy_1^2}, \qquad \dfrac{d\mathrm{S}_4}{dy_1} = \alpha_2 + \dfrac{d\mathrm{S}_4'}{dy_1} - \beta_1\,\dfrac{d^2 \mathrm{S}_2'}{dy_1^2},\quad\ldots. \end{array}\right. </math>|m=1em}} Dans les dérivées des <math>\mathrm{S}_p',</math> <math>y'</math> doit être remplacé par l’argument {{corr|<math>y_1-\beta^0.</math>|<math>y_1-\beta_0.</math>}} On voit que les <math>\frac{d\mathrm{S}_p}{dy_1}</math> restent finis. Une fois qu’on a démontré la possibilité de déterminer les constantes <math>\mathrm{C}_p</math> de façon à éviter que les <math>\frac{d\mathrm{S}_p}{dy_1}</math> deviennent infinis, on peut faire effectivement cette détermination sans avoir besoin de chercher les développements de <math>\alpha</math> et {{nobr|de <math>\beta.</math>}} Il suffit de se servir des {{lia|Chap.19|Eq.200-4|équations{{lié}}(4)|336}}. Considérons l’une de ces équations ; {{c|<math> \mathrm{F}_0'' \,\frac{d\mathrm{S}_1}{dy_1} \,\frac{d\mathrm{S}_{p-1}}{dy_1} = \Phi + \mathrm{C}_p . Si <math>p</math> est pair, on prendra {{c|<math> \mathrm{C}_p = -\Phi(y_1^0) ,</math>|m=1em}} {{SA|et, comme <math>\Phi</math> est une fonction périodique de période <math>2\pi,</math> on aura également}} {{c|<math> \mathrm{C}_p = -\Phi(y_1^0+2\pi),</math>|m=1em}} {{SA|de sorte que <math>\frac{d\mathrm{S}_{p-1}}{dy_1}</math> ne deviendra infini ni pour <math>y_1=y_1^0,</math> ni pour <math>y_1=y_1^0+2\pi.</math>}} Si <math>p</math> est impair, il faut faire <math>\mathrm{C}_p=0,</math> et la condition {{c|<math> \Phi(y_1^0) = 0 </math>|mb=0em|mt=1em}} {{SA|<math>\big[</math>qui entraîne la suivante}} {{c|<math> \Phi(y_1^0+2\pi) = 0</math>|mt=0em|mb=1em}} {{SA|puisque <math>\Phi</math> change de signe quand <math>y_1</math> augmente de <math>2\pi\big]</math> sera remplie d’elle-même.}} <references/>
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/373
{{nr||MÉTHODES DE M. BOHLIN.|359|}}{{SA/f|de <math>x_1',</math> de même que la période des fonctions elliptiques est une fonction du module.}} Si nous posons {{c|<math> y_i' = z_i \sqrt{\mu}, </math>|m=0em}} {{SA|d’où}} {{MathForm1|(16 ''bis''){{Ancre|Eq.206-16bis}}|<math>\begin{aligned} z_1 &= \frac12 \int \frac{dy_1}{\sqrt{x_1'-\psi}} , & z_i &= y_i - \frac{y_1}{\mathrm{A}} \frac{d\mathrm{B}}{dx_i'} , {{SA|<math>\mathrm{F}</math> sera une fonction périodique des <math>z_i\,;</math> la période sera <math>\mathrm{P}</math> pour <math>z_1</math> et <math>2\pi</math> pour les autres <math>z_i\,;</math> <math>\mathrm{F}</math> sera en o’utre fonction des <math>x_i'\,;</math> cette fonction sera développable suivant les puissances de <math>\sqrt{\mu}\,;</math> les trois premiers termes du développement}} {{c|<math> \mathrm{C}_0 + \mathrm{C}_1 \sqrt{\mu} + \mathrm{C}_2 \,\mu </math>|m=1em}} {{SA|seront indépendants des <math>z_i</math> et fonctions seulement des <math>x_i'.</math> Le premier terme <math>\mathrm{C}_0</math> est une constante absolue ; <math>\mathrm{C}_1</math> est, par définition, une fonction linéaire des <math>x_i'</math> indépendante de <math>x_1'\,;</math> enfin on a}} {{c|<math> \mathrm{C}_2 = \mathrm{A} \,x_1' + \mathrm{D} - \frac{\mathrm{B}^2}{\mathrm{A}} ,</math>|m=1em}} {{SA|d’où il résulte que <math>\mathrm{C}_2</math> est un polynôme de premier ordre par rapport aux {{nobr|autres <math>x_i'.</math>}}}} {{c|<math> \mathrm{F} = \mathrm{C}_0 + \mathrm{F}^\star \sqrt{\mu} ,</math>|m=0em}} {{SA|nos équations deviendront}} {{MathForm1|(17){{Ancre|Eq.206-17}}|<math>\begin{aligned} \frac{dx_i'}{dt} &= \frac{d\mathrm{F}^\star}{dz_i}, & \frac{dz_i }{dt} &=-\frac{d\mathrm{F}^\star}{dx_i'} \cdot La fonction <math>\mathrm{F}^\star</math> est, comme la fonction <math>\mathrm{F},</math> au {{lia|Chap.09|par125|{{n°|{{t|125|112}}}}|31}}, périodique par rapport aux variables de la seconde série qui sont ici les <math>z_i.</math> Toutefois deux obstacles empêchent que les procédés du {{n°|{{t|125|112}}}} soient immédiatement applicables aux équations{{lié}}(17). 1{{o}} La fonction <math>\mathrm{F}^\star</math> est bien périodique par rapport aux <math>z_i,</math> mais, par rapport à <math>z_1,</math> la période n’est pas <math>2\pi,</math> mais <math>\mathrm{P}.</math> Pour tourner cette première difficulté, il suffit d’un simple <references/>
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/409
{{nr||SÉRIES DE M. BOHLIN.|395|}}{{corrBandeau}}{{SA/f|de <math>\mathrm{C}_2,</math> et si, dans les expressions ainsi obtenues, on considère les <math>x_k^0</math> et les <math>\mathrm{C}_2</math> comme constantes arbitraires et les <math>w</math> comme des fonctions linéaires du temps, on aura les coordonnées <math>x_i</math> et <math>y_i</math> exprimées en fonctions du temps. C’est ce que nous apprend le théorème du {{lia|Chap.01|par003|{{n°|{{t|3|112}}}}|25|Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 1, 1892.djvu}}.}} Mais il est préférable de modifier un peu la forme des équations{{lié}}(1) et d’écrire {{MathForm1|(2){{Ancre|Eq.213-2}}|<math>\begin{aligned} x_i &= \frac{d\mathrm{S}}{dy_i} , & \theta_1 w_1 &= \frac{d\mathrm{S}}{d\mathrm{C}_2} , & w_k + \theta_k w_1 &= \frac{d\mathrm{S}}{dx_k^0} , {{SA|les <math>\theta</math> étant des fonctions arbitraires {{corr||de}} <math>\mathrm{C}_2</math> et des <math>x_k^0.</math>}} Il est clair que si l’on remplace les équations{{lié}}(1) par les équations{{lié}}(2), les <math>w</math> resteront des fonctions linéaires du temps ; car les <math>\theta</math> ne dépendant que de <math>\mathrm{C}_2</math> et des <math>x_k^0</math> seront des constantes. Voici d’ailleurs l’usage que je ferai de ces fonctions arbitraires <math>\theta\,;</math> je les choisirai de telle sorte que les <math>x_i,</math> les <math>\cos{}y_i</math> et les <math>\sin{}y_i</math> soient des fonctions périodiques des <math>w</math> de {{nobr|période <math>2\pi.</math>}} Plaçons-nous d’abord dans le premier cas, celui où <math>\frac{d\mathrm{S}_1}{dy_1}</math> est toujours réel et ne s’annule jamais et voyons quelle est la forme des séries ainsi obtenues. Dans ce cas, les <math>\frac{d\mathrm{S}_q}{dy_i}</math> sont des fonctions des <math>y</math> périodiques et de période <math>2\pi\,;</math> quant à <math>\mathrm{S},</math> c’est une fonction de la forme suivante {{c|<math> \mathrm{S} = \mathrm{S}' + \beta_1 y_1 + \beta_2 y_2 + \ldots +\beta_n y_n ,</math>|m=1em}} {{SA|<math>\mathrm{S}'</math> étant une fonction périodique des <math>y</math> et les <math>\beta</math> étant des fonctions de <math>\mathrm{C}_2</math> et {{nobr|des <math>x_k^0.</math>}}}} De plus, <math>\mathrm{S}'</math> et les <math>\beta</math> sont développables suivant les puissances {{nobr|de <math>\sqrt{\mu}.</math>}} Comme, d’après les hypothèses faites sur les entiers <math>m_i,</math> les {{lia|Chap.19|Eq.204-10|conditions{{lié}}(10)|363}} de la page 349 se réduisent à {{c|<math> \alpha_i^p = 0 \quad(i=2,\,3,\,\ldots,\,n) ,</math>|m=1em}} {{SA|on aura tout simplement}} \beta_2 &= x_2^0, & \beta_3 &= x_3^0, & &\ldots,& \beta_n &= x_n^0, & <references/>
Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Tome 2 - Appendice
Jules Michelet Œuvres complètes de J. Michelet s.d. (1893-1898) (Histoire de France, édition 1893, p. 509-581). ◄ Éclaircissements LIVRE III ► Appendice bookŒuvres complètes de J. MicheletJules Michelets.d. (1893-1898)ParisVHistoire de France, édition 1893AppendiceMichelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvuMichelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvu/9509-581 1 — page 4 — En latitude, les zones de la France se marquent par leurs produits... Arthur Young, Voyage agronomique, t. II de la traduction, p. 189 : « La France peut se diviser en trois parties principales, dont la première comprend les vignobles ; la seconde, le maïs ; la troisième, les oliviers. Ces plants forment les trois districts : 1o du Nord, où il n’y a pas de vignobles ; 2o du Centre, où il n’y a pas de maïs ; 3o du Midi, où l’on trouve les vignes, les oliviers et le maïs. La ligne de démarcation entre les pays vignobles et ceux où l’on ne cultive pas la vigne, est, comme je l’ai moi-même observé, à Coucy, à trois lieues du nord de Soissons ; à Clermont dans le Beauvoisis, à Beaumont dans le Maine, et à Herbignai près Guérande, en Bretagne. » — Cette limitation, peut-être trop rigoureuse, est pourtant généralement exacte. Le tableau suivant des importations dont le règne végétal s’est enrichi en France, donne une haute idée de la variété infinie de sol et de climat qui caractérise notre patrie : « Le verger de Charlemagne, à Paris, passait pour unique, parce qu’on y voyait des pommiers, des poiriers, des noisetiers, des sorbiers et des châtaigniers. La pomme de terre, qui nourrit aujourd’hui une si grande partie de la population, ne nous est venue du Pérou qu’à la fin du seizième siècle. Saint Louis nous a apporté la renoncule inodore des plaines de la Syrie. Des ambassadeurs employèrent leur autorité à procurer à la France la renoncule des jardins. C’est à la croisade du trouvère Thibault, comte de Champagne et de Brie, que Provins doit ses jardins de roses. Constantinople nous a fourni le marronnier d’Inde au commencement du dix-septième siècle. Nous avons longtemps envié à la Turquie la tulipe, dont nous possédons maintenant neuf cents espèces plus belles que celles des autres pays. L’orme était à peine connu en France avant François Ier, et l’artichaut avant le seizième siècle. Le mûrier n’a été planté dans nos climats qu’au milieu du quatorzième siècle. Fontainebleau est redevable de ses chasselas délicieux à l’île de Chypre. Nous sommes allés chercher le saule pleureur aux environs de Babylone ; l’acacia dans la Virginie ; le frêne noir et le thuya, au Canada ; la belle-de-nuit, au Mexique ; l’héliotrope, aux Cordillères ; le réséda en Égypte ; le millet altier, en Guinée ; le ricin et le micocoulier, en Afrique ; la grenadille et le topinambour, au Brésil ; la gourde et l’agave, en Amérique ; le tabac, au Mexique ; l’amomon, à Madère ; l’angélique, aux montagnes de la Laponie ; l’hémérocalle jaune, en Sibérie ; la balsamine, dans l’Inde ; la tubéreuse, dans l’île de Ceylan ; l’épine-vinette et le chou-fleur, dans l’Orient ; le raifort, à la Chine ; la rhubarbe, en Tartarie ; le blé sarrasin, en Grèce ; le lin de la Nouvelle-Zélande, dans les terres australes. » Depping (Description de la France, t. I, p. 51). — V. aussi de Candolle, sur la Statistique végétale de la France, et A. de Humboldt, Géographie botanique. 2 — page 7 — Le génie de la Bretagne, etc... Il a percé bien loin sur une ligne droite, sans regarder à droite ni à gauche ; et la première conséquence de cet idéalisme qui semblait donner tout à l’homme, fut, comme on le sait, l’anéantissement de l’homme dans la vision de Malebranche et le panthéisme de Spinoza. 3 — page 8 — Saint-Malo et Nantes, etc... Ce sont deux faits que je constate. Mais que ne faudrait-il pas ajouter si l’on voulait rendre justice à ces deux villes, et leur payer tout ce que leur doit la France ? Nantes a encore une originalité qu’il faut signaler : la perpétuité des familles commerçantes, les fortunes lentes et honorables, l’économie et l’esprit de famille ; quelque âpreté dans les affaires, parce qu’on veut faire honneur à ses engagements. Les jeunes gens s’y observent, et les mœurs y valent mieux que dans aucune ville maritime. 4 — page 11, note 3 — Dans les Hébrides et autres îles, etc... V. Tolland’s Letters, p. 2-3 et Martin’s Hebrides, etc. Naguère encore, le paysan qui voulait se marier demandait femme au lord de Barra, qui régnait dans ces îles depuis trente-cinq générations. Solin, c. xxii, assure déjà que le roi des Hébrides n’a point de femmes à lui, mais qu’il use de toutes. 5 — page 14 et note — Superstitions bretonnes... D’autres se découvrent quand l’étoile de Vénus se lève (Cambry, I, 193). — Le respect des lacs et des fontaines s’est aussi conservé : ils y apportent à certain jour du beurre et du pain. (Cambry, III, 35. Voy. aussi Depping, I, 76.) — Jusqu’en 1788, à Lesneven, on chantait solennellement, le premier jour de l’an : Guy-na-né. (Cambry, II, 26.) — Dans l’Anjou, les enfants demandaient leurs étrennes, en criant : Ma guillanneu (Bodin, Recherches sur Saumur). — Dans le département de la Haute-Vienne en criant : Gui-gne-leu. — Il y a peu d’années que dans les Orcades la fiancée allait au temple de la Lune, et y invoquait Woden (? Logan, II, 360.) — La fête du Soleil se célébrerait encore dans un village du Dauphiné, selon M. Champollion-Figeac (Sur les Dialectes du Dauphiné, p. 11). — Aux environs de Saumur, on allait, à la Trinité, voir paraître trois soleils. — A la Saint-Jean, on allait voir danser le soleil levant. (Bodin, loco citato.) — Les Angevins appelaient le soleil Seigneur, et la lune Dame. (Idem, Recherches sur l’Anjou, I, 86.) 6 — page 16 — Un mot profond a été dit sur la Vendée, etc... Témoignage de M. le capitaine Galleran, à la cour d’assises de Nantes, octobre 1832. 7 — page 18 — Le dolmen de Saumur... C’est une espèce de grotte artificielle de quarante pieds de long sur dix de large et huit de haut, le tout formé de onze pierres énormes. Ce dolmen, placé dans la vallée, semble répondre à un autre qu’on aperçoit sur une colline. J’ai souvent remarqué cette disposition dans les monuments druidiques, par exemple, à Carnac. 8 — page 21 — L’abbaye de Fontevrault... En 1821, il restait de l’abbaye trois cloîtres, soutenus de colonnes et de pilastres, cinq grandes églises, et plusieurs statues, entre autres celle de Henri II. Le tombeau de son fils, Richard Cœur-de-Lion, avait disparu. 9 — page 22 — Le Poitou, le pays du mélange, des mulets... Les mules du Poitou sont recherchées par l’Auvergne, la Provence, le Languedoc, l’Espagne même. — La naissance d’une mule est plus fêtée que celle d’un fils. — Vers Mirebeau, un âne étalon vaut jusqu’à 3,000 francs. (Dupin, Statistique des Deux-Sèvres.) Des vipères... Les pharmaciens en achetaient beaucoup dans le Poitou. — Poitiers envoyait autrefois ses vipères jusqu’à Venise. (Stat. de la Vendée, par l’ingénieur La Bretonnière.) 10 — page 25 — Vers La Rochelle, une petite Hollande, etc... Le marais méridional est tout entier l’ouvrage de l’art. La difficulté à vaincre, c’était moins le flux de la mer que les débordements de la Sèvre. — Les digues sont souvent menacées. — Les cabaniers (habitants de fermes appelées cabanes) marchent avec des bâtons de douze pieds pour sauter les fossés et les canaux. — Le Marais mouillé, au delà des digues, est sous l’eau tout l’hiver. (La Bretonnière.) — Noirmoutiers est à douze pieds au-dessous du niveau de la mer, et on trouve des digues artificielles sur une longueur de onze mille toises. — Les Hollandais desséchèrent le marais du Petit-Poitou, par un canal appelé Ceinture des Hollandais. (Statistique de Peuchet et Chanlaire. Voyez aussi la Description de la Vendée, par M. Cavoteau, 1812.) 11 — page 26 — Le pape protégea La Rochelle contre les seigneurs... Raymond Perraud, né à La Rochelle, évêque et cardinal, homme actif et hardi, obtint en 1502, pour les Rochellois, des bulles qui défendent à tout juge forain de les citer à son tribunal. 12 — page 27 — La Vendée qui a quatorze rivières, et pas une navigable... Voy. Statist. du départ. de la Vienne, par le préfet Cochon, an X. — Dès 1537, on proposa de rendre la Vienne navigable jusqu’à Limoges ; depuis, de la joindre à la Corrèze qui se jette dans la Dordogne ; elle eût joint Bordeaux et Paris par la Loire ; mais la Vienne a trop de rochers. — On pourrait rendre le Clain navigable jusqu’à Poitiers, de manière à continuer la navigation de la Vienne. Châtellerault s’y est opposé par jalousie contre Poitiers. — Si la Charente devenait navigable jusqu’au-dessus de Civray, cette navigation, unie au Clain par un canal, ferait communiquer en temps de guerre Rochefort, la Loire et Paris. — Voy. aussi Texier, Haute-Vienne ; et La Bretonnière, Vendée. N’était ni plus religieuse ni plus royaliste que bien d’autres provinces frontières... J’ai déjà cité le mot remarquable de M. le capitaine Galleran. — Genoude, Voyage en Vendée, 1821 : « Les paysans disent : Sous le règne de M. Henri (de Larochejaquelein). » — Ils appelaient patauds ceux des leurs qui étaient républicains. Pour dire le bon français, ils disaient le parler noblat. — Les prêtres avaient peu de propriétés dans la Vendée ; toutes les forêts nationales, dit La Bretonnière (p. 6), proviennent du comte d’Artois ou des émigrés ; une seule, de cent hectares, appartenait au clergé. 13 — page 29 — Dans les montagnes d’Auvergne... L’hiver, ils vivent dans l’étable, et se lèvent à huit ou neuf heures. (Legrand d’Aussy, p. 283.) Voy. divers détails de mœurs, dans les Mémoires de M. le comte de Montlosier, 1er vol. — Consulter aussi l’élégant tableau du Puy-de-Dôme par M. Duché ; les curieuses Recherches de M. Gonod sur les antiquités de l’Auvergne : Delarbre, etc. 14 — page 31 — Le Rouergue... C’est, je crois, le premier pays de France qui ait payé au roi (Louis VII) un droit pour qu’il y fît cesser les guerres privées. Voy. le Glossaire de Laurière, t. I, p. 164, au mot Commun de paix, et la Décrétale d’Alexandre III sur le premier canon du concile de Clermont, publié par Marca. — Sur le Rouergue, voyez Peuchet et Chanlaire, Statistique de l’Aveyron, et surtout l’estimable ouvrage de M. Monteil. 15 — page 34 — Dans les Landes les troupeaux de moutons noirs, etc.. Millin, t. IV, p. 347. — On trouve aussi beaucoup de moutons noirs dans le Roussillon (Voy. Young, t. II, p. 59) et en Bretagne. Cette couleur n’est pas rare dans les taureaux de la Camargue. Vous les rencontrez montant des plaines, etc... Arthur Young, t. III, p. 83. — En Provence, l’émigration des moutons est presque aussi grande qu’en Espagne. De la Crau aux montagnes de Gap et de Barcelonnette, il en passe un million, par troupeaux de dix mille à quarante mille. La route est de vingt à trente jours. (Darluc, Hist. nat. de Provence, 1782, p. 303, 329.) — Statistique de la Lozère, par M. Jerphanion, préfet de ce département, an X, p. 31 : « Les moutons quittent les basses Cévennes et les plaines du Languedoc vers la fin de floréal, et arrivent sur les montagnes de la Lozère et de la Margéride, où ils vivent pendant l’été. Ils regagnent le bas Languedoc au retour des frimas. » — Laboulinière, I, 245 : Les troupeaux des Pyrénées émigrent l’hiver jusque dans les landes de Bordeaux. En Espagne, sous la protection de la compagnie de la Mesta, etc... A year in Spain, by an American, 1832 : Au seizième siècle, les troupeaux de la Mesta se composaient d’environ sept millions de têtes. Tombés à deux millions et demi au commencement du dix-septième, ils remontèrent sur la fin à quatre millions, et maintenant ils s’élèvent à cinq millions, à peu près la moitié de ce que l’Espagne possède de bétail. — Les bergers sont plus redoutés que les voleurs même ; ils abusent sans réserve du droit de traduire tout citoyen devant le tribunal de l’association, dont les décisions ne manquent jamais de leur être favorables. La Mesta emploie des alcades, des entregadors, des achagueros, qui, au nom de la corporation, harcèlent et accablent les fermiers. 16 — page 36 — L’escalier colossal des Pyrénées, etc... Dralet, I, 5, — Ramond : « Au midi tout s’abaisse tout d’un coup et à la fois. C’est un précipice de mille à onze cents mètres, dont le fond est le sommet des plus hautes montagnes de cette partie de l’Espagne. Elles dégénèrent bientôt en collines basses et arrondies, au delà desquelles s’ouvre l’immense perspective des plaines de l’Aragon. Au nord, les montagnes primitives s’enchaînent étroitement et forment une bande de plus de quatre myriamètres d’épaisseur... Cette bande se compose de sept ou huit rangs, de hauteur graduellement décroissante. » Cette description, contredite par M. Laboulinière, est confirmée par M. Élie de Beaumont. L’axe granitique des Pyrénées est du côté de la France. 17 — page 38 — Comparez les deux versants, etc... Dralet, II, p. 197 : « Le territoire espagnol, sujet à une évaluation considérable, a peu de pâturages assez gras pour nourrir les bêtes à cornes ; et comme les ânes, les mules et mulets se contentent d’une pâture moins succulente que les autres animaux destinés aux travaux de l’agriculture, ils sont généralement employés par les Espagnols pour le labourage et le transport des denrées. Ce sont nos départements limitrophes et l’ancienne province de Poitou qui leur fournissent ces animaux ; et la quantité en est considérable. Quant aux animaux destinés aux boucheries, c’est nous qui en approvisionnons aussi les provinces septentrionales, particulièrement la Catalogne et la Biscaye. La ville seule de Barcelone traite avec des fournisseurs français pour lui fournir chaque jour cinq cents moutons, deux cents brebis, trente bœufs, cinquante boucs châtrés, et elle reçoit en outre plus de six mille cochons qui partent de nos départements méridionaux pendant l’automne de chaque année. Ces fournitures coûtent à la ville de Barcelone deux millions huit cent mille francs par an, et l’on peut évaluer à une pareille somme celles que nous faisons aux autres villes de la Catalogne. La Catalogne paie en piastres et quadruples, en huile et lièges, en bouchons. » Les choses ont dû, toutefois, changer beaucoup depuis l’époque où écrivait Dralet (1812). 18 — page 38 — Aux foires de Tarbes, etc... Arthur Young, t. I, p. 57 et 116 : « Nous rencontrâmes des montagnards qui me rappelèrent ceux d’Écosse ; nous avions commencé par en voir à Montauban. Ils ont des bonnets ronds et plats, et de grandes culottes. » — « On trouve des flûteurs, des bonnets bleus, et de la farine d’avoine, dit sir James Stewart, en Catalogne, en Auvergne et en Souabe, ainsi qu’à Lochabar. » — Toutefois, indépendamment de la différence de race et de mœurs, il y en a une autre essentielle entre les montagnards d’Écosse et ceux des Pyrénées : c’est que ceux-ci sont plus riches, et sous quelques rapports plus policés que les diverses populations qui les entourent. Le Béarnais et le Basque... Iharce de Bidassouet, Cantabres et Basques, 1825, in-8o : « Le peuple basque, qui a conservé avec ses pâturages le moyen d’amender ses champs, et avec ses chênes celui de nourrir une multitude infinie de cochons, vit dans l’abondance, tandis que dans la majeure partie des Pyrénées... » — Laboulinière, t. III, p. 416 : Bearnes Faus et courtes. Bigordan Pir que can. « Le Béarnais est réputé avoir plus de finesse et de courtoisie que le Bigordan, qui l’emporterait pour la franchise et la simple droiture mêlée d’un peu de rudesse. » — Dralet, I, 170 : « Ces deux peuples ont d’ailleurs peu de ressemblance. Le Béarnais, forcé par les neiges de mener ses troupeaux dans les pays de plaine, y polit ses mœurs et perd de sa rudesse naturelle. Devenu fin, dissimulé et curieux, il conserve néanmoins sa fierté et son amour de l’indépendance... Le Béarnais est irascible et vindicatif autant que spirituel ; mais la crainte de la flétrissure et de la perte de ses biens le fait recourir aux moyens judiciaires pour satisfaire ses ressentiments. Il en est de même des autres peuples des Pyrénées, depuis le Béarn jusqu’à la Méditerranée : tous sont plus ou moins processifs, et l’on ne voit nulle part autant d’hommes de loi que dans les villes du Bigorre, du Comminges, du Conserans, du comté de Foix et du Roussillon, qui sont bâties le long de cette chaîne de montagnes. » 19 — page 41 — Quantité de hameaux ont quitté les hautes vallées faute de bois de chauffage... Dralet, II, 105. Les habitants allaient voler du bois jusqu’en Espagne. — Il y a de fortes amendes pour quiconque couperait une branche d’arbre dans une grande forêt qui domine Cauterets, et la défend des neiges. — Diodore de Sicile disait déjà (lib. II) : « Pyrénées vient du mot grec pur (feu), parce qu’autrefois, le feu ayant été mis par les bergers, toutes les forêts brûlèrent. » — Procès-verbal du 8 mai 1670 : « Il n’y a aucune forêt qui n’ait été incendiée à diverses reprises par la malice des habitants, ou pour faire convertir les bois en prés ou terrains labourables. » 20 — page 43, note 2 — Le Cers, etc... Senec. Quæst. natur. l. III, c. xi : « Infestat... Galliam Circius : cui ædificia quassanti, tamen incolæ gratias agunt, tanquam salubrilatem cœli sui debeant ei. Divus certe Augustus templum illi, quum in Gallia moraretur, et vovit et fecit. » 21 — page 45 — Les deux Chénier... Les deux Chénier naquirent à Constantinople, où leur père était consul général ; mais leur famille était de Limoux, et leurs aïeux avaient occupé longtemps la place d’inspecteur des mines de Languedoc et de Roussillon. 22 — page 48 — Ils ont préféré les figues fiévreuses de Fréjus... Millin, II, 487. Sur l’insalubrité d’Arles, id., III, 645. — Papon, I, 20, proverbe : Avenio ventosa, sine vento venenosa, cum vento fastidiosa. — En 1213, les évêques de Narbonne, etc., écrivent à Innocent III qu’un concile provincial ayant été convoqué à Avignon, « multi ex prælatis, quia generalis corruptio aeris ibi erat, nequivimus colloquio interesse ; sicque factum est ut necessario negotium differetur. » (Epist. Innoc. III, éd. Baluze, II, 762.) Il y eut des lépreux à Martigues jusqu’en 1731 ; à Vitrolles, jusqu’en 1807. En général, les maladies cutanées sont communes en Provence. (Millin, IV, 35.) Les marais pontins de la Provence... Il y a quatre cent mille arpents de marais. (Peuchet et Chanlaire, Statistique des Bouches-du-Rhône.) Voy. aussi la Grande statistique de M. de Villeneuve, 4 vol. in-4o. — Les marais d’Hyères rendent cette ville inhabitable l’été ; on respire la mort avec les parfums des fruits et des fleurs. De même à Fréjus. (Statistique du Var, par Fauchet, préfet, an IX, p. 52, sqq.) 23 — page 49 — Le Rhône symbole de la contrée... On trouve le long de tout le cours du Rhône des traces du culte sanguinaire de Mithra. On voit à Arles, à Tain et à Valence des autels tauroboliques ; un autre à Saint-Andéol. A la Bâtie-Mont-Saléon, ensevelie par la formation d’un lac, et déterrée en 1804, on a trouvé un groupe mithriaque. — A Fourvières, on a trouvé un autel mithriaque consacré à Adrien ; il y en a encore un autre à Lyon consacré à Septime-Sévère. (Millin, passim.) Page 49 et note 1 — Le drac, la tarasque... Millin, III, 453. Cette fête se retrouve, je crois, en Espagne. — L’Isère est surnommée le serpent, comme le Drac le dragon ; tous deux menacent Grenoble : Le serpent et le dragon Mettront Grenoble en savon. — A Metz, on promène le jour des Rogations un dragon qu’on nomme le graouilli ; les boulangers et les pâtissiers lui mettent sur la langue des petits pains et des gâteaux. C’est la figure d’un monstre dont la ville fut délivrée par son évêque, saint Clément. — A Rouen, c’est un mannequin d’osier, la gargouille, à qui on remplissait autrefois la gueule de petits cochons de lait. Saint Romain avait délivré la ville de ce monstre, qui se tenait dans la Seine, comme saint Marcel délivra Paris du monstre de la Bièvre, etc. 24 — page 51 — Fréjus... « Cette ville devient plus déserte chaque jour, et les communes voisines ont perdu, depuis un demi-siècle, neuf dixièmes de leur population. » (Fauchet, an IX, loc. cit.) 25 — page 52 et note 1 — Fidélité du peuple provençal aux vieux usages... Millin, III, 346. La fête patronale de chaque village s’appelle Romna-Vagi, et par corruption Romerage, parce qu’elle précédait souvent un voyage de Rome que le seigneur faisait ou faisait faire (?) — Millin, III, 336. C’est à Noël qu’on brûle le caligneau ou calandeau ; c’est une grosse bûche de chêne qu’on arrose de vin et d’huile. On criait autrefois en la plaçant : Calene ven, tout ben ven, calende vient, tout va bien. C’est le chef de la famille qui doit mettre le feu à la bûche ; la flamme s’appelle caco fuech, feu d’amis. On trouve le même usage en Dauphiné. (Champollion-Figeac, p. 124.) On appelle chalendes le jour de Noël. De ce mot on a fait chalendal, nom que l’on donne à une grosse bûche que l’on met au feu la veille de Noël au soir, et qui reste allumée jusqu’à ce qu’elle soit consumée. Dès qu’elle est placée dans le foyer, on répand dessus un verre de vin en faisant le signe de la croix, et c’est ce qu’on appelle : batisa la chalendal. Dès ce moment cette bûche est pour ainsi dire sacrée, et l’on ne peut pas s’asseoir dessus sans risquer d’en être puni, au moins par la gale. — Millin, III, 339. On trouve l’usage de manger des pois chiches à certaines fêtes, non seulement à Marseille, mais en Italie, en Espagne, à Gênes et à Montpellier. Le peuple de cette dernière ville croit que, lorsque Jésus-Christ entra dans Jérusalem, il traversa une sesierou, un champ de pois chiches, et que c’est en mémoire de ce jour que s’est perpétué l’usage de manger des sesès. — A certaines fêtes, les Athéniens mangeaient aussi des pois chiches (aux Panepsies.) 26 — page 52, note 2 — Procession du bon roi René à Aix, etc... Millin, II, 299. On y voyait le duc d’Urbin (le malheureux général du roi René) et la duchesse d’Urbin montés sur des ânes ; on y voyait une âme que se disputaient deux diables ; les chevaux frux ou fringants, en carton ; le roi Hérode, la reine de Saba, le temple de Salomon, et l’étoile des Mages au bout d’un bâton, ainsi que la Mort, l’abbé de la jeunesse couvert de poudre et de rubans, etc., etc. 27 — page 56 — Ces hommes de la frontière, raisonneurs et intéressés... On trouve dans les habitudes de langage des Dauphinois des traces singulières de leur vieil esprit processif. « Les propriétaires qui jouissent de quelque aisance parlent le français d’une manière assez intelligible, mais ils y mêlent souvent les termes de l’ancienne pratique, que le barreau n’ose pas encore abandonner. Avant la Révolution, quand les enfants avaient passé un an ou deux chez un procureur, à mettre au net des exploits et des appointements, leur éducation était faite, et ils retournaient à la charrue. » (Champollion-Figeac, Patois du Dauphiné, p. 67.) 28 — page 60 — Metz, Toul et Verdun... Sur les mœurs des habitants des Trois-Évêchés et de la Lorraine en général, voyez le Mémoire manuscrit de M. Turgot, qui se trouve à la bibliothèque publique de Metz : Description exacte et fidèle du pays Messin, etc. — Les trois évêques étaient princes du Saint-Empire. — Le comté de Créange et la baronnie de Fenestrange étaient deux francs-alleus de l’Empire. 29 — page 61 — On portait l’épée devant l’abbesse de Remiremont... Piganiol de la Force, XIII. Elle était pour moitié dans la justice de la ville, et nommait, avec son chapitre, des députés aux états de Lorraine. — La doyenne et la sacristaine disposaient chacune de quatre cures. La sonzier, ou receveuse, partageait avec l’abbesse la justice de Valdajoz (val-de-joux), consistant en dix-neuf villages ; tous les essaims d’abeilles qui s’y trouvaient lui appartenaient de droit. L’abbaye avait un grand prévôt, un grand et un petit chancelier, un grand sonzier, etc. 30 — page 62 — Les légendes du Rhin... Un duc d’Alsace et de Lorraine, au septième siècle, souhaitait un fils ; il n’eut qu’une fille aveugle, et la fit exposer. Un fils lui vint plus tard, qui ramena la fille au vieux duc, devenu farouche et triste, solitairement retiré dans le château d’Hohenbourg. Il la repoussa d’abord, puis se laissa fléchir, et fonda pour elle un monastère, qui depuis s’appela de son nom, sainte Odile. On découvre de la hauteur Baden et l’Allemagne. De toutes parts les rois y venaient en pèlerinage : l’empereur Charles IV, Richard Cœur-de-Lion, un roi de Danemark, un roi de Chypre, un pape... Ce monastère reçut la femme de Charlemagne et celle de Charles-le-Gros. — A Winstein, au nord du Bas-Rhin, le diable garde dans un château taillé dans le roc de précieux trésors. — Entre Haguenau et Wissembourg, une flamme fantastique sort de la fontaine de la poix (Pechelbrunnen) ; cette flamme, c’est le chasseur, le fantôme d’un ancien seigneur qui expie sa tyrannie, etc. — Le génie musical et enfantin de l’Allemagne commence avec ses poétiques légendes. Les ménétriers d’Alsace tenaient régulièrement leurs assemblées. Le sire de Rapolstein s’intitulait le Roi des Violons. Les violons d’Alsace dépendaient d’un seigneur, et devaient se présenter, ceux de la Haute-Alsace à Rapolstein, ceux de la Basse à Bischwiller. 31 — page 70 — Les Segusii lyonnais étaient une colonie d’Autun... Gallia Christiana, t. IV. — Dans un diplôme de l’an 1189, Philippe-Auguste reconnaît que Lyon et Autun ont l’une sur l’autre, quand l’un des sièges vient à vaquer, le droit de régale et d’administration. — L’évêque d’Autun était de droit président des états de Bourgogne. — On se rappelle les liaisons qui existaient entre saint Léger, le fameux évêque d’Autun, et l’évêque de Lyon. 32 — page 70 — En vain Autun déposa sa divinité... Inscription trouvée à Autun : DEAE BIBRACTI P. CAPRIL PACATUS I n n I VIR AUGUSTA. V. S. L. M. Millin, I, 337. Et se fit de plus en plus romaine... Il semble que l’aristocratie se livra entièrement à Rome, tandis que le parti druidique et populaire chercha à ressaisir l’indépendance. « Le sage gouvernement d’Autun, dit Tacite, comprima la révolte des bandes fanatiques de Maricus, Boïe de la lie du peuple, qui se donnait pour un dieu et pour le libérateur des Gaules. » (Annal., l. II, c. lxi.) On a vu, au Ier vol., la révolte de Sacrovir. — Enfin les Bagaudes saccagèrent deux fois Autun. Alors furent fermées les écoles Mœniennes, que le Grec Eumène rouvrit sous le patronage de Constance Chlore. — François Ier visita Autun en 1521, et la nomma « sa Rome française ». Autun avait été appelée la sœur de Rome, selon Eumène, ap. Scr. fr. I, 712, 716, 717. Toutes les grandes guerres des Gaules, etc... Elle fut presque ruinée par Aurélien, au temps de sa victoire sur Tétricus, qui y faisait frapper ses médailles. — Saccagée par les Allemands en 280, par les Bagaudes sous Dioclétien, par Attila en 451, par les Sarrasins en 732, par les Normands en 886 et 895. En 924, on ne put en éloigner les Hongrois qu’à prix d’argent. (Histoire d’Autun, par Joseph de Rosny, 1802.) 33 — page 71 — En Bourgogne les villes mettent des pampres dans leurs armes... Un bas-relief de Dijon représente les triumvirs tenant chacun un gobelet. Ce trait est local. — La culture de la vigne, si ancienne dans ce pays, a singulièrement influé sur le caractère de son histoire, en multipliant la population dans les classes inférieures. Ce fut le principal théâtre de la guerre des Bagaudes. En 1630, les vignerons se révoltèrent sous la conduite d’un ancien soldat, qu’ils appelaient le roi Machas. Pays de bons vivants, etc... La Fête des Fous se célébra à Auxerre jusqu’en 1407. — Les chanoines jouaient à la balle (pelota), jusqu’en 1538, dans la nef de la cathédrale. Le dernier chanoine fournissait la balle, et la donnait au doyen ; la partie finie, venaient les danses et le banquet. (Millin, I.) 34 — page 72 — L’aimable sentimentalité de la Bourgogne, etc... N’oublions pas non plus la pittoresque et mystique petite ville de Paray-le-Monial, où naquit la dévotion du Sacré-Cœur, où mourut madame de Chantal. Il y a certainement un souffle religieux sur le pays du traducteur de la Symbolique et de l’auteur de l’Histoire de la Liberté de conscience, MM. Guigniaut et Dargaud. 35 — page 74 — La coutume de Troyes déclare que « le ventre anoblit »... Cette noblesse de mère se trouve ailleurs aussi en France, et même sous la première race (Voy. Beaumanoir). Charles V (15 novembre 1370) assujettit les nobles de mère au droit de franc fief. A la deuxième rédaction de la Coutume de Chaumont, les nobles de pères réclament contre ; Louis XII ordonne que la chose reste en suspens. — La Coutume de Troyes consacrait l’égalité de partage entre les enfants ; de là l’affaiblissement de la noblesse. Par exemple, Jean, sire de Dampierre, vicomte de Troyes, décéda, laissant plusieurs enfants qui partagèrent entre eux la vicomté. Par l’effet des partages successifs, Eustache de Conflans en posséda un tiers, qu’il céda à un chapitre de moines. Le second tiers fut divisé en quatre parts, et chaque part en douze lots, lesquels se sont divisés entre diverses maisons et les domaines de la ville et du roi. 36 — page 76 — Les histoires allégoriques et satiriques de Renard et Isengrin... L’esprit railleur du nord de la France éclate dans les fêtes populaires. En Champagne et ailleurs, roi de l’aumône (bourgeois élu pour délivrer deux prisonniers, etc.) ; roi de l’éteuf (ou de la balle) (Dupin, Deux-Sèvres) ; roi des arbalétriers avec ses chevaliers (Cambry, Oise, II) ; roi des guétifs ou pauvres, encore en 1770 (almanach d’Artois, 1770) ; roi des rosiers ou des jardiniers, aujourd’hui encore en Normandie, Champagne, Bourgogne, etc. — A Paris, fêtes des sous-diacres ou diacres soûls, qui faisaient un évêque des fous, l’encensaient avec du cuir brûlé ; on chantait des chansons obscènes ; on mangeait sur l’autel. — A Évreux, le 1er mai, le jour de Saint-Vital, c’était la fête des cornards ; on se couronnait de feuillages, les prêtres mettaient leur surplis à l’envers, et se jetaient les uns aux autres du son dans les yeux ; les sonneurs lançaient des casse-museau (galettes). — A Beauvais, on promenait une fille et un enfant sur un âne... à la messe, le refrain chanté en chœur était hihan ! — A Reims, les chanoines marchaient sur deux files, traînant chacun un hareng, chacun marchant sur le hareng de l’autre... — A Bouchain, fête du prévôt des étourdis ; à Chalon-sur-Saône, des gaillardons ; à Paris, des enfants sans-souci, du régiment de la calotte, et de la confrérie de l’aloyau. — A Dijon, procession de la mère folle. — A Harfleur, au mardi gras, fête de la scie. (Dans les armes du président Cossé-Brissac, il y avait une scie.) Les magistrats baisent les dents de la scie. Deux masques portent le bâton friseux (montants de la scie). Puis on porte le bâton friseux à un époux qui bat sa femme. — Dès le temps de la conquête de Guillaume existait l’association de la chevalerie d’Honfleur. 37 — page 81 — Plus on avance au nord dans cette grasse Flandre, etc... Voy. les Coutumes du comté de Flandre, traduites par Legrand, Cambrai, 1719, 1er vol. Coutume de Gand, p. 149, rub. 26 : Niemandt en sal bastaerdi wesen van de mœder : Personne ne sera bâtard de la mère ; mais ils succéderont à la mère avec les autres légitimes (non au père). Ceci montre bien que ce n’est pas le motif religieux ou moral qui les exclut de la succession du père, mais le doute de la paternité. Dans cette Coutume, il y a communauté, partage égal dans les successions, etc. La Flandre est une Lombardie prosaïque... Vous y retrouvez la prédilection pour le cygne, qui, selon Virgile, était l’ornement du Mincius et des autres fleuves de Lombardie. Dès l’entrée de l’ancienne Belgique, Amiens, la petite Venise, comme l’appelait Louis XIV, nourrissait sur la Somme les cygnes du roi. En Flandre, une foule d’auberges ont pour enseigne le cygne. 38 — page 84 et note 1 — Cette frontière des races et des langues... La Marche, ou marquisat d’Anvers, créée par Othon II, fut donnée par Henri IV au plus vaillant homme de l’Empire, à Godefroi de Bouillon. — C’est au Sas de Gand qu’Othon fit creuser, en 980, un fossé qui séparait l’Empire de la France. A Louvain, dit un voyageur, la langue est germanique, les mœurs hollandaises et la cuisine française. — Avec l’idiome germanique commencent les noms astronomiques (Al-ost, Ost-ende) ; en France, comme chez toutes les nations celtiques, les noms sont empruntés à la terre (Lille, l’île). Les hommes poussent vite, multiplient à étouffer... Avant l’émigration des tisserands, en Angleterre, vers 1382, il y avait à Louvain cinquante mille tisserands. (Forster, I, 364.) A Ypres (sans doute en y comprenant la banlieue), il y en avait deux cent mille en 1342. — En 1380, « ceux de Gand sortirent avec trois armées. (Oudegherst, Chronique de Flandre, folio 301.) — Ce pays humide est dans plusieurs parties aussi insalubre que fertile. Pour dire un homme blême, on disait : « Il ressemble à la mort d’Ypres. » — Au reste, la Belgique a moins souffert des inconvénients naturels de son territoire que des révolutions politiques. Bruges a été tuée par la révolte de 1492 ; Gand, par celle de 1540 ; Anvers, par le traité de 1648, qui fit la grandeur d’Amsterdam en fermant l’Escaut. 39 — page 90 — ... dans les chefs-lieux des clans galliques, Bourges, etc... Bourges était aussi un grand centre ecclésiastique. L’archevêque de Bourges était patriarche, primat des Aquitaines, et métropolitain. Il étendait sa juridiction comme patriarche sur les archevêques de Narbonne et de Toulouse, comme primat sur ceux de Bordeaux et d’Auch (métropolitain de la 2me et 3me Aquitaine) ; comme métropolitain, il avait anciennement onze suffragants, les évêques de Clermont, Saint-Flour, le Puy, Tulle, Limoges, Mende, Rodez, Vabres, Castres, Cahors. Mais l’érection de l’évêché d’Albi en archevêché ne lui laissa sous sa juridiction que les cinq premiers de ces sièges. 40 — page 91 — La tour des Coucy... La tour de Coucy a cent soixante-douze pieds de haut, et trois cent cinq de circonférence. Les murs ont jusqu’à trente-deux pieds d’épaisseur. Mazarin fit sauter la muraille extérieure en 1652, et, le 18 septembre 1692, un tremblement de terre fendit la tour du haut en bas. — Un ancien roman donne à l’un des ancêtres des Coucy neuf pieds de hauteur. Enguerrand VII, qui combattit à Nicopolis, fit placer aux Célestins de Soissons son portrait et celui de sa première femme, de grandeur colossale. — Parmi les Coucy, citons seulement : Thomas de Marie, auteur de la Loi de Vervins (législation favorable aux vassaux), mort en 1130 ; Raoul Ier, le trouvère, l’amant, vrai ou prétendu, de Gabriel de Vergy, mort à la croisade en 1191 ; Enguerrand VII, qui refusa l’épée de connétable et la fit donner à Clisson, mort en 1397. — On a prétendu à tort qu’Enguerrand III, en 1228, voulut s’emparer du trône pendant la minorité de saint Louis. (Art de vérifier les dates, XII, 219, sqq.) 41 — page 92 et note 3 — L’Artois... Arras est la patrie de l’abbé Prévost. Le Boulonnais a donné en un même homme un grand poète et un grand critique, je parle de Sainte-Beuve. 42 — page 103 — Le monde devait finir avec l’an 1000... Concil. Troslej., ann. 909 (Mansi, XVIII, p. 266) : « Dum jamjamque adventus imminet illius in majestate terribili, ubi omnes cum gregibus suis venient pastores in conspectum pastoris æterni, etc. » — Trithemii Chronic., ann. 960 : « Diem jamjam imminere dicebat (Bernhardus, eremita Thuringiæ) extremum, et mundum in brevi consummandum. » — Abbas Floriacensis, ann. 990 (Gallandius, XIV, 141) : « De fine mundi coram populo sermonem in ecclesia Parisiorum audivi, quod statim finito mille annorum numero Antechristus adveniret, et non longo post tempore universale judicium succederet. » — Will. Godelli chronic., ap. Scr. fr. X, 262 : « Ann. Domini MX, in multis locis per orbem tali rumore audito, timor et mœror corda plurimorum occupavit, et suspicati sunt multi finem sæculi adesse. » — Rad. Glaber, l. IV, ibid. 49 : « Æstimabatur enim ordo temporum et elementorum præterita ab initio moderans secula in chaos decidisse perpetuum, atque humani generis interitum. » 43 — page 104 — Le diable lui disait : « Tu es damné ! »... Raoul Glaber, l. V, c. i : « Astitit mihi ex parte pedum lectuli forma homunculi teterrimæ speciei. Erat enim statura mediocris, collo gracili, facie macilenta, oculis nigerrimis, fronte rugosa et contracta, depressis naribus, os exporrectum, labellis tumentibus, mento subtracto ac perangusto, barba caprina, aures hirtas et præacutas, capillis stantibus et incompositis, dentibus caninis, occipitio acuto, pectore tumido, dorso gibbato, clunibus agitantibus, vestibus sordidis, conatu æstuans, ac toto corpore præceps ; arripiensque summitatem strati in quo cubabam, totum terribiliter concussit lectum... » 44 — page 105 — Calamités qui précèdent l’an 1000... Translatio S. Genulfi, ap. Scr. fr. X, 361. — Chronic. Ademari Cabannens, ibid. 147. Page 106 — Plusieurs tirant de la craie du fond de la terre, etc... Chronic Virdunense, ap. Scr. fr. X, 209. On sait que les sauvages de l’Amérique du Sud et les nègres de Guinée mangent habituellement de la glaise ou de l’argile pendant une partie de l’année. On la vend frite sur les marchés de Java. — Alex. de Humboldt, Tableaux de la Nature, trad. par Eyriès (1808), I, 200. 45 — page 107 — La paix ou la trêve de Dieu... Glaber, l. V, c. i : « On vit bientôt aussi les peuples d’Aquitaine et toutes les provinces des Gaules, à leur exemple, cédant à la crainte ou à l’amour du Seigneur, adopter successivement une mesure qui leur était inspirée par la grâce divine. On ordonna que, depuis le mercredi soir jusqu’au matin du lundi suivant, personne n’eût la témérité de rien enlever par la violence, ou de satisfaire quelque vengeance particulière, ou même d’exiger caution ; que celui qui oserait violer ce décret public payerait cet attentat de sa vie, ou serait banni de son pays et de la société des chrétiens. Tout le monde convint aussi de donner à cette loi le nom de treugue (trêve) de Dieu. » 46 — page 113 — Capet... Quelques-uns ont cru que le mot de Capet était une injure, et venait de Capito, grosse tête. On sait que la grosseur de la tête est souvent un signe d’imbécillité. Une chronique appelle Capet Charles-le-Simple (Karolus Stultus vel Capet. Chron. saint Florent., ap. Scr. fr. IX, 55). — Mais il est évident que Capet : est pris pour Chapet, ou Cappatus. — Plusieurs chroniques françaises, écrites longtemps après, ont traduit Hue Chapet ou Chappet. (Scr. fr. X, 293, 303, 313.) — Chronic. S. Medard. Suess., ibid. IX, 56 : Hugo, cognominatus Chapet. Voy. aussi Richard de Poitiers, ibid. 24, et Chronic. Andegav, X, 272, etc. Alberic. Tr.-Font. IX, 286 : Hugo Cappatus, et plus loin : Cappet. — Guill. Nang. IX, 82 : Hugo Capucii. — Chron. Sith., VII, 269. — Chron. Strozz. X, 273 : Hugo Caputius. — Cette dernière chronique ajoute que le fils d’Hugues, le pieux Robert, chantait les vêpres revêtu d’une chape. — L’ancien étendard des rois de France était la chape de saint Martin ; c’est de là, dit le moine de Saint-Gall, qu’ils avaient donné à leur oratoire le nom de Chapelle : « Capella, quo nomine Francorum reges propter cappam S. Martini quam secum ob sui tuitionem et hostium oppressionem jugiter ad bella portabant, Sancta sua appellare solebant. » (L. I, c. iv.) 47 — page 114 — La lettre où Gerbert appelle tous les princes au nom de la cité sainte... Gerberti epist. 107, ap. Scr. fr. X, 426 : « Ea quæ est Hierosolymis, universali Ecclesiæ sceptris regnorum imperanti : « Cum bene vigeas, immaculata sponsa Domini, cujus membrum esse me fateor, spes mihi maxima per te caput attollendi jam pene attritum. An quicquam diffiderem de te, rerum domina, si me recognoscis tuam ? Quisquamne tuorum famosam cladem illatam mihi putare debebit ad se minime pertinere, utque rerum infima abhorrere ? Et quamvis nunc dejecta, tamen habuit me orbis terrarum optimam sui partem : penes me Prophetarum oracula, Patriarcharum insignia ; hinc clara mundi lumina prodierunt Apostoli ; hinc Christi fidem repetit orbis terrarum, apud me redemptorem suum invenit. Etenim quamvis ubique sit divinitate, tamen hic humanitate natus, passus, sepultus, hinc ad cœlos elatus. Sed cum Propheta dixerit : « Erit sepulchrum ejus gloriosum », paganis loca cuncta subvertentibus, tentat Diabolus reddere inglorium. Enitere ergo, miles Christi, esto signifer et compugnator, et quod armis nequis, consilii et opum auxilio subveni. Quid est quod das, aut cui das ? Nempe ex multo modicum, et ei qui omne quod habes gratis dedit, nec tamen gratis recipit ; et hic eum multiplicat et in futuro remunerat ; per me benedicit tibi, ut largiendo crescas ; et peccata relaxat, ut secum regnando vivas. » — « Les Pisans partirent sur cette lettre, et massacrèrent, dit-on, un nombre prodigieux d’infidèles en Afrique. » (Scr. fr. X, 426.) Ce Gerbert n’était pas moins qu’un magicien... Guill. Malmsbur., l. II, ap. Scr. fr. X, 243 : « Non absurdum, si litteris mandemus quæ per omnium ora volitant... Divinationibus et incantationibus more gentis familiari studentes ad Saracenos Gerbertus perveniens, desiderio satisfecit... Ibi quid cantus et volatus avium portendit, didicit ; ibi excire tenues ex inferno figuras... Per incantationes Diabolo accersito, perpetuum paciscitur hominium. » — Fr. Andreæ chronic., ibid. 289 : « A quibusdam etiam nigromancia arguitur... a Diabolo enim percussus dicitur obiisse. » — Chronic. reg. Francorum, ibid., 301... « Gerbertum monachum philosophum, quin potius nigromanticum. » 48 — page 117 — Les traditions romanesques du moyen âge, etc... Dans le panégyrique allemand d’Hannon, archevêque de Cologne, César, exécutant les ordres du Sénat, envahit la Germanie, bat les Souabes, les Bavarois, les Saxons, anciens soldats d’Alexandre. Il rencontre enfin les Francs, descendus comme lui des Troyens, les gagne, les ramène en Italie, chasse de Rome Caton et Pompée, et fonde la monarchie barbare. (Schilter, t. I.) 49 — page 118 — Une reine qui a un pied d’oie... P. Damiani epist., t. II, ap. Sec. fr. X, 492 : « Ex qua suscepit filium, anserinum per omnia collum et caput habentem. Quos etiam, virum scilicet et uxorem, omnes fere Galliarum episcopi communi simul excommunicavere sententia. Cujus sacerdotalis edicti tantus omnem undique populum terror invasit, ut ab ejus universi societate recederent, etc. » — Voy. la Dissertation de Bullet sur la reine Pédauque (pied-d’oie). 50 — page 120 — Constance, fille du comte de Toulouse, etc... Fragment historique, ap. Scr. fr. X, 211. — Will. Godellus, ibid. 262. « Cognomento, ob suæ pulchritudinis immensitatem, Candidam. » (Rad. Glaber, l. III, c. ii.) — Guillaume Taille-Fer l’avait eue d’Arsinde, fille de Geoffroi Grise-Gonelle, comte d’Anjou, et sœur de Foulques. Hugues de Beauvais fut tué impunément sous les yeux du roi Robert... Rad. Glaber, l. III, c. ii : « Missi a Fulcone... Hugonem ante regem trucidaverunt. Ipse vero rex, licet aliquanto tempore tali facto tristis effectus, postea tamen, ut decebat, concors reginæ fuit. » 51 — page 131 — Ces prêtres imposent des pénitences avec la masse d’armes, etc... Voy. un chant suisse inséré dans le Des Knaben Wunderhorn. — V. aussi Actes du concile de Vernon, en 845, article 8. (Baluze, II, 17.) — Dithmar. chron., l. II, 34 : « Un évêque de Ratisbonne accompagna les princes de Bavière dans une guerre contre les Hongrois. Il y perdit une oreille et fut laissé parmi les morts. Un Hongrois voulut l’achever, « Tune ipse confortatus in Domino post longum mutui agonis luctamen victor hostem prostravit ; et inter multas itineris asperitates incolumis notos pervenit ad fines. Inde gaudium gregi suo exoritur, et omni Christum cognoscenti. Excipitur ab omnibus miles bonus in clero, et servatur optimus pastor in populo, et fuit ejusdem mutilatio non ad dedecus sed ad honorem magis. » — Gieseler, Kirchengeschichte, t. II, p. 197. 52 — page 132 — Il ne manquait à ces vaillants prêtres, etc... Nicol. a Clemangis, de præsul., simon., p. 165 : « Denique laïci usque adeo persuasum habent nullos cælibes esse, ut in plerisque parochiis non aliter velint presbyterum tolerare, nisi concubinam habeat, quo vel sic suis sit consultum uxoribus, quæ nec sic quidem usquequaque sunt extra periculum. » — Voy. aussi Muratori, VI, 335. On avait déclaré que les enfants nés d’un prêtre et d’une femme libre seraient serfs de l’Église ; ils ne pouvaient être admis dans le clergé, ni hériter selon la loi civile, ni être entendus comme témoins. (Schroeckh, Kirchengeschichte, p. 22, ap. Voigt, Hildebrand, als Papst Gregorius der siebente, und sein Zeitalter, 1815.) Rex immortalis ! quam longo tempore talis Mundit risus erunt, quos presbyteri genuerunt ? Carmen pro nothis, ap. Scr. fr. XI, 444. Page 132 et note 2 — Les prêtres mariés au moyen âge... D. Lobineau, 110. D. Morice, Preuves, I, 463, 542. — Il en était de même en Normandie, d’après les biographes des bienheureux Bernard de Tiron et Harduin, abbé du Bec. « Per totam Normanniam hoc erat ut presbyteri publice uxores ducerent, filios ac filias procrearent, quibus hereditatis jure ecclesias relinquerent et filias suas nuptui traductas, si alia deesset possessio, ecclesiam dabant in dotem. » 53 — page 133 — Les cloîtres se peuplaient de fils de serfs... Le clergé de Laon reprocha un jour à son évêque d’avoir dit au roi : « Clericos non esse reverendos, quia pene omnes ex regia forent servitute progeniti. » (Guibertus Novigentinus, de Vita sua, l. III, c. viii.) — Voy. plus haut comment l’Église se recrutait sous Charlemagne et Louis-le-Débonnaire. L’archevêque de Reims, Ebbon, était fils d’un serf. — Voy. un passage de Thégan, App. 162, au 1er volume. 54 — page 137 — L’adultère et la simonie du roi de France... Gregor. VII epist. ad episc : « Francorum Rex vester qui non rex, sed tyrannus dicendus est, omnem ætatem suam flagitiis et facinoribus polluit... Quod si vos audire noluerit, per universam Franciam omne divinum officium publice celebrari interdicite. » — Bruno, de Bello Sax., p. 121, ibid. : « Quod si in his sacris canonibus noluisset rex obediens existere... se eum velut putre membrum anathematis gladio ab unitate S. Matris Ecclesiæ minabatur abscindere. » 55 — page 137 — Sur la terre il y a le pape, et l’empereur qui est le reflet du pape, etc... Gregorii VII epist. ad reg. Angl., ibid. 6 : « Sicut ad mundi pulchritudinem oculis carneis diversis temporibus repræsentandam, Solem et Lunam omnibus aliis eminentiora disposuit (Deus) luminaria, sic... » — V. aussi Innoc. III, l. I, epist. 401. — Bonifacii VIII epist., ibid. 197 : « Fecit Deus duo luminaria magna, scilicet Solem, id est, ecclesiasticam potestatem, et Lunam, hoc est, temporalem et imperialem. Et sicut Luna nullum lumen habet nisi quod recipit a Sole, sic... » — La glose des Décrétales fait le calcul suivant : « Cum terra sit septies major luna, sol autem octies major terra, restat ergo ut pontificatus dignitas quadragies septies sit major regali dignitate. » — Laurentius va plus loin : « ... Papam esse millies septingenties quater imperatore et regibus sublimiorem. » (Gieseler, II.) 56 — page 141 — Les Normands parlaient français dès la troisième génération, etc... Guill. Gemetic, l. III, c. viii : « Quem (Richard I) confestim pater Baiocas mittens... ut ibi lingua eruditus danica suis exterisque hominibus sciret aperte dare responsa. » — Voy. Depping, Hist. des expéditions normandes, t. II ; Estrup, Remarques faites dans un voyage en Normandie, Copenhague, 1821 ; et Antiquités des Anglo-Normands. — On trouve aux environs de Bayeux Saon et Saonet. Plusieurs familles portent le nom de Saisne, Sesne. Un capitulaire de Charles-le-Chauve (Scr. fr. VII, 616) désigne le canton de Bayeux par le mot d’Otlingua Saxonia. — Le nom de Caen est saxon aussi : Cathim, maison du conseil. (Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XXXI, p. 242.) — Beaucoup de Normands m’ont assuré que dans leur province on ne rencontrait guère le blond prononcé et le roux que dans le pays de Bayeux et de Vire. Page 142 — Les Allemands se moquaient de leur petite taille... Guill. Apulus, l. II, ap. Muratori, V, 259. Corpora derident Normannica, quæ breviora Esse videbantur. Dans leur guerre contre les Grecs et les Vénitiens, se montrent peu marins... Gibbon, XI, 151. Rasés comme les prêtres... Guill. Malmsbur., ap. Scr. fr. XI, 183. Il leur fallait aller gaaignant par l’Europe... Gaufred. Malaterra, l. I, c. iii : « Est gens astutissima, injuriarum ultrix ; spe alias plus lucrandi, patrios agros vilipendens, quæstus et dominationis avida, cujuslibet rei simulatrix : inter largitatem et avaritiam quoddam modium habens. » — Guill. Malmsb., ap. Scr. fr. XI, 185 : « Cum fato ponderare perfidiam, cum nummo mutare sententiam. » — Guill. Apulus, l. II, ap. Muratori, 259. Audit... quia gens semper Normannica prona Est id avaritiam ; plus, qui plus præbet, amatur. — « Ceux qui ne pouvaient faire fortune dans leur pays, ou qui venaient à encourir la disgrâce de leur duc, partaient aussitôt pour l’Italie. » (Guill. Gemetic, l. VII, xix, xxx.) — Guill. Apul., l. I, p. 259. 57 — page 144 — Les fils de Tancrède de Hauteville... Chronic. Malleac, ap. Scr. fr. XI, 644 : « Wiscardus... cum generis esset ignoti et pauperculi. » — Richard. Cluniac. : « Robertus Wiscardi, vir pauper, miles tamen. » — Alberic. ap. Leibnitzii Access. histor., p. 124 : « Mediocri parentela. » Ils s’en allèrent sans argent, etc... Gaufred. Malaterra, l. I, c. v : « Per diversa loca militariter lucrum quærentes. » Le gouverneur (ou Kata pan)... Κατἁ πᾶν, commandant général. C’est ce que Guillaume de Pouille exprime par ce vers : Quod Catapan Græci, nos juxta dicimus omne. L. I, p. 254. Cette république de condottieri, etc... Chacun des douze comtes y avait à part son quartier et sa maison : Pro numero comitum bis sex statuere plateas, Atque domus comitum totidem fabricantur in urbe. Id., ibid., p. 256. 58 — page 147 — Guillaume-le-Bâtard (il s’intitule ainsi lui-même). « Ego Guillelmus, cognomento Bastardus... » Voy. une charte citée au douzième volume du Recueil des Historiens de France, p. 568. — Ce nom de Bâtard n’était sans doute pas une injure en Normandie. On lit dans Raoul Glaber, l. IV, c. vi (ap. Scr. fr., X, 51) : « Robertus ex concubinâ Willelmum genuerat... cui... universos sui ducaminis principes militaribus adstrinxit sacramentis... Fuit enim usui a primo adventu ipsius gentis in Gallias, ex hujusmodi concubinarum commixtione illorum principes extitisse. » Page 147 — C’était un gros homme chauve, etc... Will. Malmsb., l. III, ap. Scr. fr. XI, 190 : « Justæ fuit staturæ, immensæ corpulentiæ : facie fera, fronte capillis nuda, roboris ingentis in lacertis, magnæ dignitatis sedens et stans, quanquam obesitas ventris nimium protensa. » 59 — page 148, note 1 — En 1003, Ethelred avait envoyé une expédition contre les Normands... « Quand ses hommes revinrent, il leur demanda s’ils amenaient le duc de Normandie : « Nous n’avons point vu le duc, répondirent-ils, mais nous avons combattu pour notre perte, avec la terrible population d’un seul comté. Nous n’y avons pas seulement trouvé de vaillants gens de guerre, mais des femmes belliqueuses, qui cassent la tête avec leurs cruches aux plus robustes ennemis. » A ce récit, le roi, reconnaissant sa folie, rougit, plein de douleur. » (Will. Gemetic, l. V, c. iv, ap. Scr. fr. X, 186.) En 1034, le roi Canut, par crainte de Robert de Normandie, aurait offert de rendre aux fils d’Ethelred moitié de l’Angleterre. (Id., l. V, c. xii ; ibid., XI, 37.) 60 — page 149 — L’Église saxonne, comme le peuple, semble avoir été grossière et barbare... « Les Anglo-Saxons, dit Guillaume de Malmesbury, avaient, longtemps avant l’arrivée des Normands, abandonné les études des lettres et de la religion. Les clercs se contentaient d’une instruction tumultuaire ; à peine balbutiaient-ils les paroles des sacrements, et ils s’émerveillaient tous si l’un d’eux savait la grammaire. Ils buvaient tous ensemble, et c’était là l’étude à laquelle ils consacraient les jours et les nuits. Ils mangeaient leurs revenus à table, dans de petites et misérables maisons. Bien différents des Français et des Normands, qui, dans leurs vastes et superbes édifices, ne font que très peu de dépense. De là tous les vices qui accompagnent l’ivrognerie, qui efféminent le cœur des hommes. Aussi, après avoir combattu Guillaume avec plus de témérité et d’aveugle fureur que de science militaire, vaincus sans peine en une seule bataille, ils tombèrent eux et leur patrie dans un dur esclavage. — Les habits des Anglais leur descendaient alors jusqu’au milieu du genou ; ils portaient des cheveux courts, et la barbe rasée ; leurs bras étaient chargés de bracelets d’or, leur peau était relevée par des peintures et des stigmates colorés ; leur gloutonnerie allait jusqu’à la crapule, leur passion pour la boisson jusqu’à l’abrutissement. Ils communiquèrent ces deux derniers vices à leurs vainqueurs ; et, à d’autres égards, ce furent eux qui adoptèrent les mœurs des Normands. De leur côté, les Normands étaient et sont encore (au milieu du douzième siècle, époque où écrivait Guillaume de Malmesbury) soigneux dans leurs habits jusqu’à la recherche, délicats dans leur nourriture, mais sans excès, accoutumés à la vie militaire et ne pouvant vivre sans guerre ; ardents à l’attaque, ils savent, lorsque la force ne suffit pas, employer également la ruse et la corruption. Chez eux, comme je l’ai dit, ils font de grands édifices et une dépense modérée pour la table. Ils sont envieux de leurs égaux ; ils voudraient dépasser leurs supérieurs, et, tout en dépouillant leurs inférieurs, ils les protègent contre les étrangers. Fidèles à leurs seigneurs, la moindre offense les rend pourtant infidèles. Ils savent peser la perfidie avec la fortune, et vendre leur serment. Au reste, de tous les peuples ils sont les plus susceptibles de bienveillance ; ils rendent aux étrangers autant d’honneur qu’à leurs compatriotes, et ils ne dédaignent point de contracter des mariages avec leurs sujets. » (Willelm. Malmesburiensis, de Gestis regum Anglorum, l. III, ap. Scr. fr. XI, 185.) — Math. Paris (éd. 1644), p. 4 : « Optimates (Saxonum)... more christiano ecclesiam mane non petebant, sed in cubiculis et inter uxorios amplexus matutinarum solemnia ac missarum a presbytero festinantes auribus tantum prælibabant... Clerici... ut esset stupori qui grammaticam didicisset. » — Order. Vital, l. IV, ap. Scr. fr. XI, 242 : « Anglos agrestes et pene illiteratos invenerunt Normanni. » 61 — page 150 — Harold livré à Guillaume... Guill. Pictav., ap. Scr. fr. XI, 87 : « Heraldus ei fidelitatem sancto ritu Christianorum juravit... Se in curia Edwardi, quamdiu superesset, ducis Guillelmi vicarium fore, enisurum..., ut anglica monarchia post Edwardi decessum in ejus manu confirmaretur ; traditurum interim... castrum Doveram. » (Voy. aussi Guill. Malmsb., ibid. 176, etc.). — Suivant les uns, dit Wace (Roman de Rou, ap. Scr. fr. XIII, 223), le roi Édouard détourna Harold de ce voyage, lui disant que Guillaume le haïssait et lui jouerait quelque tour. (Voy. aussi Eadmer, XI, 192.) Suivant les autres, il l’envoya pour confirmer au duc la promesse du trône d’Angleterre : N’en sai mie voire ocoison, Mais l’un et l’autre escrit trovons. Guillaume de Jumièges (ap. Scr. fr. XI, 49), Ingulf de Croyland (ibid., 154), Orderic Vital (ibid., 234), la Chronique de Normandie (XIII, 222), affirment qu’Édouard avait désigné Guillaume pour son successeur. Eadmer même ne le nie point (XI, 192). — Au lit de mort, Edward, obsédé par les amis d’Harold, rétracta sa promesse. (Roger de Hoved., ap. Scr. fr. XI, 312, Roman de Rou et Chronique de Normandie, t. XIII, p. 224.) 62 — page 156 — Le conquérant essaya même d’apprendre l’anglais... Order. Vital, ap. Scr. fr. XI, 243. « Anglicam locutionem plerumque sategit ediscere... Ast a perceptione hujusmodi durior ætas illum compescebat. » — Il avait commencé par réprimer par des règlements sévères la licence de ses mercenaires. Guill. Pictav., ibid., 101 : « Tutæ erant a vi mulieres ; etiam illa delicta quæ fierent consensu impudicarum... vetabantur. Potare militem in tabernis non multum concessit... seditiones interdixit, cædem et omnem rapinam, etc. Portus et quælibet itinera negotiatoribus patere, et nullam injuriam fieri jussit. » Ce passage du panégyriste de Guillaume a été copié par le consciencieux Orderic Vital, ibid., 238. — « L’homme faible et sans armes, dit encore Guillaume de Poitiers, s’en allait chantant sur son cheval, partout où il lui plaisait, sans trembler à la vue des escadrons des chevaliers. » — « Une fille chargée d’or, dit Huntingdon, eût impunément traversé tout le royaume. » — (Scr. fr. XI, 211.) Plus tard, la résistance des Anglo-Saxons irrita Guillaume, et le poussa à ces violences dont retentissent toutes les Chroniques. 63 — page 168 — La chair maudite par l’islamisme... « Chez les musulmans les mots « femmes » et « objet défendu par la religion » peuvent se dire l’un pour l’autre. (Bibl. des Croisades, t. IV, p. 169.) Ils se battent depuis mille ans pour Fatema... Fatema entrera dans le Paradis la première après Mahomet ; les musulmans l’appellent la Dame du Paradis. — Quelques Schyytes (sectateurs d’Ali) soutiennent qu’en devenant mère Fatema n’en est pas moins restée vierge, et que Dieu s’est incarné dans ses enfants. (Description des Monuments musulmans du cabinet de M. de Blacas, par M. Reinaud, II, 130, 202.) Ils proclament l’incarnation d’Ali... Aujourd’hui encore des provinces entières, en Perse et en Syrie, sont dans la même croyance. « Ceux mêmes des Schyytes qui n’ont pas osé dire qu’Ali était Dieu ont été persuadés que peu s’en fallait, et les Persans disent souvent : « Je ne pense pas qu’Ali soit Dieu ; mais je ne crois pas qu’il en soit loin. » — Les Schyytes disent à ce sujet que tel était l’éclat qui reluisait sur la personne d’Ali, qu’il était impossible de soutenir ses regards. Dès qu’il paraissait, le peuple lui criait : Tu es Dieu ! — A ces mots, Ali les faisait mourir ; ensuite il les ressuscitait, et eux de crier encore plus fort : Tu es Dieu, tu es Dieu ! De là ils l’ont surnommé le Dispensateur des lumières ; et, quand ils peignent sa figure, ils lui couvrent le visage. » (Reinaud, II, 163.) Mahomet est la lumière incarnée... Suivant quelques docteurs, au moment de la création, l’idée de Mahomet était sous l’œil de Dieu, et cette idée, substance à la fois spirituelle et lumineuse, jeta trois rayons : du premier, Dieu créa le ciel ; du second, la terre ; du troisième, Adam et toute sa race. Ainsi la Trinité rentre dans l’islamisme, comme l’incarnation. — Les Occidentaux crurent y voir aussi la hiérarchie chrétienne. « Ces nations, dit Guibert de Nogent, ont leur pape comme nous. » (L. V, ap. Bongars, p. 312-13.) 64 — page 169 — Les Fatémites fondèrent au Caire la loge ou maison de la sagesse... Hammer, Histoire des Assassins, p. 4. — La maison de la sagesse n’est peut-être qu’une même chose avec ce palais du Caire dont Guillaume de Tyr nous a laissé une si pompeuse description. La progression de richesses et de grandeur semblerait correspondre à des degrés d’initiation. Quoi qu’il en soit, nous donnons la traduction de ce précieux monument : « Hugues de Césarée et Geoffroi, de la milice du Temple, entrèrent dans la ville du Caire, conduits par le soudan, pour s’acquitter de leur mission ; ils montèrent au palais, appelé Casher dans la langue du pays, avec une troupe nombreuse d’appariteurs qui marchaient en avant, l’épée à la main et à grand bruit ; on les conduisit à travers des passages étroits et privés de jour, et à chaque porte des cohortes d’Éthiopiens armés rendaient leurs hommages au soudan par des saluts répétés. Après avoir franchi le premier et le second poste, introduits dans un local plus vaste, où pénétrait le soleil, et exposé au grand jour, ils trouvent des galeries en colonnes de marbre, lambrissées d’or et enrichies de sculptures en relief, pavées en mosaïque, et dignes dans toute leur étendue de la magnificence royale ; la richesse de la matière et des ouvrages retenait involontairement les yeux, et le regard avide, charmé par la nouveauté de ce spectacle, avait peine à s’en rassasier. Il y avait aussi des bassins remplis d’une eau limpide ; on entendait les gazouillements variés d’une multitude d’oiseaux inconnus à notre monde, de forme et de couleur étranges, et pour chacun d’eux une nourriture diverse et selon le goût de son espèce. Admis plus loin encore, sous la conduite du chef des eunuques, ils trouvent des édifices aussi supérieurs aux premiers en élégance que ceux-ci l’emportaient sur la plus vulgaire maison. Là était une étonnante variété de quadrupèdes, telle qu’en imagine le caprice des peintres, telle qu’en peuvent décrire les mensonges poétiques, telle qu’on en voit en rêve, telle enfin qu’on en trouve dans les pays de l’Orient et du Midi, tandis que l’Occident n’a rien vu et presque jamais rien ouï de pareil. — Après beaucoup de détours et de corridors qui auraient pu arrêter les regards de l’homme le plus occupé, on arriva au palais même, où des corps plus nombreux d’hommes armés et de satellites proclamaient par leur nombre et leur costume la magnificence incomparable de leur maître ; l’aspect des lieux annonçait aussi son opulence et ses richesses prodigieuses. Lorsqu’ils furent entrés dans l’intérieur du palais, le soudan, pour honorer son maître selon la coutume, se prosterna deux fois devant lui, et lui rendit en suppliant un culte qui ne semblait dû qu’à lui, une espèce d’adoration. Tout à coup s’écartèrent avec une merveilleuse rapidité les rideaux, tissus de perles et d’or, qui pendaient au milieu de la salle et voilaient ainsi le trône ; la face du calife fut alors révélée : il apparut sur un trône d’or, vêtu plus magnifiquement que les rois, entouré d’un petit nombre de domestiques et d’eunuques familiers. » Willelm. (Tyrens., l. XIX, c. xvii.) Ils menaient par neuf degrés de la religion au mysticisme... Ce mysticisme des Alides leur a souvent fait appliquer à la dévotion le langage de l’amour, comme il leur a donné une tendance à s’élever de l’amour du réel à celui de l’idéal. Un poète persan dit en s’adressant à Dieu : « C’est votre beauté, ô Seigneur ! qui, toute cachée qu’elle est derrière un voile, a fait un nombre infini d’amants et d’amantes ; « C’est par l’attrait de vos parfums que Leyla ravit le cœur de Medjnoun ; c’est par le désir de vous posséder que Vamek poussa tant de soupirs pour celle qu’il adorait. » (Reinaud, I, 52.) Du mysticisme à l’absolue indifférence... Le principe de la doctrine ésotérique était : Rien n’est vrai et tout est permis. (Hammer, p. 87.) Un imam célèbre écrivit contre les Hassanites un livre intitulé : De la Folie des partisans de l’indifférence en matière de religion. 65 — page 178 — Pierre-l’Ermite... Guibert. Nov., l. II, c. viii : « Le petit peuple, dénué de ressources, mais fort nombreux, s’attacha à un certain Pierre-l’Ermite, et lui obéit comme à son maître, du moins tant que les choses se passèrent dans notre pays. J’ai découvert que cet homme, originaire, si je ne me trompe, de la ville d’Amiens, avait mené d’abord une vie solitaire sous l’habit de moine, dans je ne sais quelle partie de la Gaule supérieure. Il partit de là, j’ignore par quelle inspiration ; mais nous le vîmes alors parcourant les villes et les bourgs, et prêchant partout : le peuple l’entourait en foule, l’accablait de présents, et célébrait sa sainteté par de si grands éloges, que je ne me souviens pas que l’on ait jamais rendu à personne de pareils honneurs. Il se montrait fort généreux dans la distribution de toutes les choses qui lui étaient données. Il ramenait à leurs maris les femmes prostituées, non sans y ajouter lui-même des dons, et rétablissait la paix et la bonne intelligence entre ceux qui étaient désunis, avec une merveilleuse autorité. En tout ce qu’il faisait ou disait, il semblait qu’il y eût en lui quelque chose de divin ; en sorte qu’on allait jusqu’à arracher les poils de son mulet, pour les garder comme reliques : ce que je rapporte ici, non comme louable, mais pour le vulgaire qui aime toutes les choses extraordinaires. Il ne portait qu’une tunique de laine, et, par-dessus, un manteau de bure qui lui descendait jusqu’aux talons : il avait les bras et les pieds nus, ne mangeait point ou presque point de pain, et se nourrissait de vin et de poissons. » 66 — page 180 — Tous ensemble descendirent la vallée du Danube... Les environs du Rhin prirent peu de part à la croisade. — Orientales Francos, Saxones, Thoringos, Bavarios, Alemannos, propter schisma quod tempore inter regnum et sacerdotium fuit, hæc expeditio minus permovit. (Alberic, ap. Leibnit. Acces., p. 119.) — Voyez Guibert, l. II, c. i. 67 — page 181 — Le comte de Toulouse, Raymond de Saint-Gilles... Willelm. Tyr., l. VIII, c. vi, 9, 10. — Guibert. Novig., l. VII, c. viii : Au siège de Jérusalem « il fit crier dans toute l’armée, par les hérauts, que quiconque apporterait trois pierres pour combler le fossé recevrait un denier de lui. Or il fallut, pour achever cet ouvrage, trois jours et trois nuits. » — Radulph. Cadom., c. xv, ap. Muratori, V, 291 : « Il fut tout d’abord un des principaux chefs, et plus tard, lorsque l’argent des autres s’en fut allé, le sien arriva et lui donna le pas. C’est qu’en effet toute cette nation est économe et non point prodigue, ménageant plus son avoir que sa réputation ; effrayée de l’exemple des autres, elle travaillait non comme les Francs à se ruiner, mais à s’engraisser de son mieux. » — Raymond reçut aussi force présents d’Alexis (... quibus de die in diem de domo regis augebatur. Albert. Aq., l. II, c. xxiv, ap. Bongars, p. 205). Godefroi en reçut également, mais il distribua tout au peuple et aux autres chefs. (Willelm. Tyr., l. II, c. xii.) Ces gens du Midi, commerçants, industrieux, etc... Guibert. Nov., l. II, c. xviii : « L’armée de Raymond ne le cédait à aucune autre, si ce n’est à cause de l’éternelle loquacité de ces Provençaux. » — Radulph. Cadom., c. lxi : « Autant la poule diffère du canard, autant les Provençaux différaient des Francs par les mœurs, le caractère, le costume, la nourriture ; gens économes, inquiets et avides, âpres au travail ; mais pour ne rien taire, peu belliqueux... Leur prévoyance leur fut bien plus en aide pendant la famine que tout le courage du monde à bien des peuples plus guerriers ; pour eux, faute de pain, ils se contentaient de racines, ne faisant pas fi des cosses de légumes ; ils portaient à la main un long fer avec lequel ils cherchaient leur vie dans les entrailles de la terre : de là ce dicton que chantent encore les enfants : « Les Francs à la bataille, les Provençaux à la victuaille. » Il y avait une chose qu’ils commettaient souvent par avidité, et à leur grande honte ; ils vendaient aux autres nations du chien pour du lièvre, de l’âne pour de la chèvre ; et, s’ils pouvaient s’approcher sans témoin de quelque cheval ou de quelque mulet bien gras, ils lui faisaient pénétrer dans les entrailles une blessure mortelle, et la bête mourait. Grande surprise de tous ceux qui, ignorant cet artifice, avaient vu naguère l’animal gras, vif, robuste et fringant : nulle trace de blessure, aucun signe de mort. Les spectateurs, effrayés de ce prodige, se disaient : Allons-nous-en, l’esprit du démon a soufflé sur cette bête. Là-dessus, les auteurs du meurtre approchaient sans faire semblant de rien savoir, et comme on les prévenait de n’y pas toucher : Nous aimons mieux, disaient-ils, mourir de cette viande que de faim. Ainsi celui qui supportait la perte s’apitoyait sur l’assassin, tandis que l’assassin se moquait de lui. Alors s’abattant tous comme des corbeaux sur ce cadavre, chacun arrachait son morceau, et l’envoyait dans son ventre ou au marché. » 68 — page 182 — Bohémond... Guibert, l. III, c. i : « Lorsque cette innombrable armée, composée des peuples venus de presque toutes les contrées de l’Occident, eut débarqué dans la Pouille, Bohémond, fils de Robert Guiscard, ne tarda pas à en être informé. Il assiégeait alors Amalfi. Il demanda le motif de ce pèlerinage, et apprit qu’ils allaient enlever Jérusalem, ou plutôt le sépulcre du Seigneur et les lieux saints, à la domination des Gentils. On ne lui cacha pas non plus combien d’hommes, et de noble race et de haut parage, abandonnant, pour ainsi dire, l’éclat de leurs honneurs, se portaient à cette entreprise avec une ardeur inouïe. Il demanda s’ils transportaient des armes, des provisions, quelles enseignes ils avaient adoptées pour ce nouveau pèlerinage ; enfin quels étaient leurs cris de guerre. On lui répondit qu’ils portaient leurs armes à la manière française ; qu’ils faisaient coudre à leurs vêtements, sur l’épaule ou partout ailleurs, une croix de drap ou de toute autre étoffe, ainsi que cela leur avait été prescrit ; qu’enfin, renonçant à l’orgueil des cris d’armes, ils s’écriaient tous humbles et fidèles : Dieu le veut ! » 69 — page 190 — Un matin les Francs virent flotter sur la ville le drapeau de l’empereur, etc... « Il envoya en même temps de grands présents aux chefs, sollicitant leur bienveillance par ses lettres et par la voix de ses députés ; il leur rendit mille actions de grâces pour ce loyal service, et pour l’accroissement qu’ils venaient de donner à l’empire. » Willelm. Tyr., l. III, c. xii. — Il envoya, dit Guibert, l. III, c. ix, des dons infinis aux princes, et aux plus pauvres d’abondantes aumônes ; il jetait ainsi des germes de haine parmi ceux de condition moyenne, dont sa munificence semblait se détourner. » Voy. aussi Raymond d’Agiles, p. 142. 70 — page 192 — Un homme du peuple, averti par une vision, etc... Raymond. de Agil., p. 155 : « Vidi ego hæc quæ loquor, et Dominicam lanceam ibi (in pugna) ferebam. » — Foulcher de Chartres s’écrie : Audite fraudem et non fraudem ! et ensuite : Invenit lanceam, fallaciter occultatam forsitan, c. x. 71 — page 193 — Antioche resta à Bohémond, malgré les efforts de Raymond, etc... « Tancrède, dit son historien Raoul de Caen, eut d’abord grande envie de tomber sur les Provençaux ; mais il se souvint qu’il est défendu de verser le sang chrétien ; il aima mieux recourir aux expédients de Guiscard. Il fit entrer ses hommes pendant la nuit, et, lorsqu’ils furent en nombre, ils tirèrent leurs épées et chassèrent les soldats de Raymond, avec force soufflets. — L’origine de cette haine, ajoute-t-il, c’était une querelle pour du fourrage, au siège d’Antioche. Des fourrageurs des deux nations s’étaient trouvés ensemble au même endroit, et s’étaient battus à qui aurait le blé. — Depuis lors, chaque fois qu’ils se rencontraient, ils déposaient leurs fardeaux et se chargeaient d’une grêle de coups de poing ; le plus fort emportait la proie. » C. 98, 99, p. 316. — Ensuite Raymond et les siens soutinrent l’authenticité de la sainte lance ; « parce que les autres nations, dans leur simplicité, y apportaient des offrandes ; ce qui enflait la bourse de Raymond. Mais le rusé Bohémond (non imprudens, multividus, Rad. Cad., p. 317 ; Robert. Mon., ap. Bongars, p. 40) découvrit tout le mensonge. Cela envenima la querelle. » C. 101, 102. 72 — page 196 — Le nom de Francs devint le nom commun des Occidentaux... Guibert, l. II, c. i : « L’année dernière je m’entretenais avec un archidiacre de Mayence au sujet de la rébellion des siens, et je l’entendais vilipender notre roi et le peuple, uniquement parce que le roi avait bien accueilli et bien traité partout le seigneur pape Pascal, ainsi que ses princes : il se moquait des Français à cette occasion, jusqu’à les appeler par dérision Francons. Je lui dis alors : « Si vous tenez les Français pour tellement faibles ou lâches que vous croyiez pouvoir insulter par vos plaisanteries à un nom dont la célébrité s’est étendue jusqu’à la mer indienne, dites-moi donc à qui le pape Urbain s’adressa pour demander du secours contre les Turcs ? N’est-ce pas aux Français ? » — Id., l. IV, c. iii : « Nos princes, ayant tenu conseil, résolurent alors de construire un fort sur le sommet d’une montagne qu’ils avaient appelée Malreguard, pour s’en faire un nouveau point de défense contre les agressions des Turcs. » La langue française dominait donc dans l’armée des croisés. Voyez aussi les suites de la quatrième croisade. Le roi de France n’en était pas moins appelé par les Grecs : ὁ βασιλεὺς τῶν βασιλέων, καί ἀρχηγὸς τοῦ Φραγγικοῦ στρατοῦ. Mathieu Paris (ad ann. 1254) et Froissart (t. IV, p. 207) donnent au roi de France le titre de Rex regum, et de chef de tous les rois chrétiens. — Les Turcs eux-mêmes voulurent descendre des Francs : « Dicunt se esse de Francorum generatione, et quia nullus homo naturaliter debet esse miles nisi Turci et Franci. » Gesta Francorum, ap. Bongars, p. 7. 73 — page 198 — Godefroi languit et mourut... Guibert. Nov., l. VII, 22 : « Un prince d’une tribu voisine de Gentils lui envoya des présents infectés d’un poison mortel. Godefroi s’en servit sans défiance, tomba tout à coup malade, s’alita, et mourut bientôt après. Selon d’autres, il mourut de mort naturelle. » 74 — page 198 — Le langage des contemporains avant la croisade... Raym. d’Agiles, ap. Bongars, p. 149 : « Jocundum spectaculum tandem post multa tempora nobis factum... Accidit ibi quoddam satis nobis jocundum atque delectabile. » — Il raconte encore que le comte de Toulouse fit un jour arracher les yeux, couper les pieds, les mains et le nez à ses prisonniers, et il ajoute : « Quanta ibi fortitudine et consilio comes claruerit non facile referendum est. » 75 — page 200 — Les chrétiens de la croisade ont essayé de valoir mieux qu’eux-mêmes... Guib. Nov., l. IV, c. xv : « Unde fiebat, ut nec mentio scorti, nec nomen prostibuli toleraretur haberi : præsertim cum pro hoc ipso scelere, gladiis Deo judice vererentur addici. Quod si gravidam inveniri constitisset aliquam earum mulierum quæ probabantur carere maritis, atrocibus tradebatur cum suo lenone suppliciis. » — « Les mœurs sensuelles des Turcs contrastaient avec cette chasteté chrétienne. Après la grande bataille d’Antioche, on trouva dans les champs et les bois des enfants nouveau-nés dont les femmes turques étaient accouchées pendant le cours de l’expédition. » Guibert, l. V. 76 — page 201 — Avant l’an 1000 les paysans de la Normandie s’étaient ameutés... Will. Gemetic, l. V, ap. Scr. fr. X, 185 : « Rustici unanimes per diversos totius normannicæ patriæ plurima agentes conventicula, juxta suos libitus vivere decernebant ; quatenus tam in silvarum compendiis quam in aquarum commerciis, nullo obsistente ante statuti juris obice, legibus uterentur suis... Truncatis manibus ac pedibus, inutiles suis remisit... His rustici expertis, festinato concionibus omissis, ad sua aratra sunt reversi. » 77 — page 203 — Ils se dirent avec le poète du douzième siècle... Rob. Wace, Roman de Rou, vers 5979-6038 : Li païsan e li vilain Cil del boscage et cil del plain, Ne sai par kel entichement, Ne ki les meu primierement ; Par vinz, par trentaines, par cenz Uni tenuz plusurs parlemenz... Privéement ont porparlè E plusurs l’ont entre els juré Ke jamez, par lur volonté, N’arunt seingnur ne avoé. Seingnur ne lur font se mal nun ; Ne poent aveir od els raisun, Ne lur gaainz, ne lur laburs ; Chescun jur vunt a grant dolurs... Tute jur sunt lur bestes prises Pur aïes e pur servises... Pur kei nus laissum damagier ! Metum nus fors de lor dangier ; Nus sumes homes cum il sunt, Tex membres avum cum il unt, Et altresi grans cors avum, Et altretant sofrir poum. Ne nus faut fors cuer sulement ; Alium nus par serement, Nos aveir e nus defendum, E tuit ensemble nus tenum. Es nus voilent guerreier, Bien avum, contre un chevalier, Trente u quarante païsanz Maniables e cumbatans. » 78 — page 218 — Abailard était un beau jeune homme... Epistola I, Heloissæ ad Abel. (Abel. et Hel. opera, edid. Duchesne) : « Quod enim bonum animi vel corporis tuam non exornabat adolescentiam ? » — Abelardi Liber Calamitatum mearum, p. 10 : « Juventutis ei formæ gratia. » Personne ne faisait comme lui des vers d’amour en langue vulgaire, etc. Abel. Liber Calam., p. 12 : « Jam (à l’époque de son amour) si qua invenire licebat carmina, erant amatoria, non philosophiæ secreta. Quorum etiam carminum pleraque, adhuc in multis, sicut et ipse nosti, frequentantur et decantantur regionibus, ab his maxime quos vita simul oblectabat. » — Heloissæ epist. Ia : « Duo autem, fateor, tibi specialiter inerant quibus feminarum quarumlibet animos statim allicere poteras : dictandi videlicet, et cantandi gratia. Quæ cæteros minime philosophos assecutos esse novimus. Quibus quidem quasi ludo quodam laborem exerciti recreans philosophici, pleraque amatorio metro vel rhythmo composita reliquisti carmina, quæ præ nimia suavitate tam dictaminis quam cantus sæpius frequentata, tuum in ore omnium nomen incessanter tenebant : ut etiam illiteratos melodiæ dulcedo tui non sineret immemores esse. Atque hinc maxime in amorem tuum feminæ suspirabant. Et cum horum pars maxima carminum nostros decantaret amores, multis me regionibus brevi tempore nunciavit, et multarum in me feminarum accendit invidiam. » Page 218 — Il avait renoncé à l’escrime des tournois, par amour pour les combats de la parole... Liber Calam., p. 4 : « Et quoniam dialecticorum rationum armaturam omnibus philosophiæ documentis prætuli, his armis alia commutavi et trophæis bellorum conflictus prætuli disputationum. Præinde diversas disputando perambulans provincias... » Les seigneurs l’encourageaient... Liber. Calam., p. 5 : « Quoniam de potentibus terræ nonnullos ibidem habebat (Guillelmus Campellensis) æmulos, fretus eorum auxilio, voti mei compos extiti. » 79 — page 219 — Le hardi jeune homme simplifiait, expliquait, popularisait, humanisait... « De là l’enivrement des laïques et la stupéfaction des docteurs. Nouveau Pierre-l’Ermite d’une croisade intellectuelle, il entraînait après lui une jeunesse tourmentée de l’inextinguible soif de savoir, aventureuse et militante, impatiente de s’élancer vers un autre Orient inconnu, et d’y conquérir, non pas le tombeau du Christ, mais le Verbe éternellement vivant et Dieu lui-même. De l’Europe entière accouraient par milliers ces jeunes et ardents pèlerins de la pensée, tout bardés de logique et tout hérissés de syllogismes. « Rien ne les arrêtait, dit un contemporain, ni la distance, ni la profondeur des vallées, ni la hauteur des montagnes, ni la peur des brigands, ni la mer et ses tempêtes. La France, la Bretagne, la Normandie, le Poitou, la Gascogne, l’Espagne, l’Angleterre, la Flandre, les Teutons et les Suédois célébraient ton génie, t’envoyaient leurs enfants ; et Rome, cette maîtresse des sciences, montrait en te passant ses disciples que ton savoir était encore supérieur au sien. » (Foulques, prieur de Deuil.) « Lui seul, ajoute un autre de ses admirateurs, savait tout ce qu’il est possible de savoir. » De son école, où cinq mille auditeurs ordinairement venaient acheter sa doctrine à prix d’or, sortirent successivement un pape (Célestin II), dix-neuf cardinaux, plus de cinquante évêques ou archevêques, une multitude infinie de docteurs, et avec eux une espèce de régénération intérieure de l’Église d’Occident. » Les Réformateurs au douzième siècle, par M. N. Peyrat, p. 128, 1860. 80 — page 220 — Cette philosophie passa en un instant la mer et les Alpes... Guill. de S. Theodor. epist. ad. S. Bern. (ap. S. Bernardi opera, t. I, p. 302) : « Libri ejus transeunt maria, transvolant Alpes. » — Saint Bernard écrit en 1140, aux cardinaux de Rome : « Legite, si placet, librum Petri Abelardi, quem dicit Theologiæ ; ad manum enim est, cum, sicut gloriatur, a pluribus lectitetur in Curia. » Partout on discourait sur les mystères... Les évêques de France écrivaient au pape, en 1140 : « Cum per totam fere Galliam, in civitatibus, vicis et castellis, a scholaribus, non solum inter scholas, sed etiam triviatim, nec a litteratis aut provectis tantum, sed a pueris et simplicibus, aut certe stultis, de S. Trinitate, quæ Deus est, disputaretur... » S. Bernardi opera, I, 309. — S. Bern. epist. 88 ad Cardinales : « Irridetur simplicium fides, eviscerantur arcana Dei, quæstiones de altissimis rebus temerarie ventilantur. » 81 — page 225, note 1 — Abailard voulut réformer les mœurs de l’abbaye de Saint-Denis... « Sciebam in hoc regii consilii esse, ut quo minus regularis abbatia illa esset, magis regi esset subjecta et utilis, quantum videlicet ad lucra temporalia. » Liber Calamit., p. 27. 82 — page 226 — Saint Bernard vint avec répugnance au concile de Sens... S. Bern. epist. 189 : « Abnui, tum quia puer sum, et ille vir bellator ab adolescentia : tum quia judicarem indignum rationem fidei humanis committi ratiunculis agitandam. » Innocent II haïssait Abailard dans son disciple Arnaldo de Brescia... S. Bern. epist. ad papam, p. 182 : « Procedit Golias (Abælardus.)... antecedente quoque ipsum ejus armigero, Arnoldo de Brixia. Squama squamæ conjungitur, et nec spiraculum incedit per eas. Si quidem sibilavit apis, quæ erat in Francia, api de Italia, et venerunt in unum adversus Dominum. » — Epist. ad episc. Constant. p. 187 : « Utinam tam sanæ esset doctrinæ quam districtæ est vitæ ! Et si vultis scire, homo est neque manducans, neque bibens, solo cum diabolo esuriens et sitiens sanguinem animarum. » — Epist. ad Guid., p. 188 : « Cui caput columbæ, cauda scorpionis est ; quem Brixia evomuit, Roma exhorruit, Francia repulit, Germania abominatur, Italia non vult recipere. » — Il avait eu aussi pour maître Pierre de Brueys. Bulæus, Hist. Universit. Paris., II, 155. Platina dit qu’on ne sait s’il fut prêtre, moine ou ermite. — Trithemius rapporte qu’il disait en chaire, en s’adressant aux cardinaux : « Scio quod me brevi clam occidetis ?... Ego testem invoco cœlum et terram quod annuntiaverim vobis ea quæ mihi Dominus præcepit. Vos autem contemnitis me et creatorem vestrum. Nec mirum si hominem me peccatorem vobis veritatem annuntiantem morti tradituri estis, cum etiam si S. Petrus hodie resurgeret, ei vitia vestra quæ nimis multiplicia sunt, reprehenderet, et minime parceretis. » Ibid., 106. 83 — page 231 — Robert d’Arbrissel bâtit aux femmes Fontevrault, etc... L’ordre de Fontevrault eut trente abbayes en Bretagne. — Fondé vers 1100, il comptait déjà, selon Suger, en 1145, près de cinq mille religieuses. — Les femmes étaient cloîtrées, chantaient et priaient ; les hommes travaillaient. — Malade, il appelle ses moines, et leur dit : « Deliberate vobiscum, dum adhuc vivo, utrum permanere velitis in vestro proposito ; ut scilicet, pro animarum vestrarum salute, obediatis ancillarum Christi præcepto. Scitis enim quia quæcumque, Deo cooperante, alicubi ædificavi, earum potentatui atque dominatui subdidi... Quo audito, pene omnes unanimi voce dixerunt : Absit hoc, etc. » Avant de mourir il voulut donner un chef aux siens. « Scitis, dilectissimi mei, quod quidquid in mundo ædificavi, ad opus sanctimonialium nostrarum feci : eisque potestatem omnem facultatum mearum præbui : et quod his majus est, et me et meos discipulos, pro animarum nostrarum salute, earum servitio submisi. Quamobrem disposui abbatissam ordinare. » Considérant qu’une vierge élevée dans le cloître, ne connaissant que les choses spirituelles et la contemplation, ne saurait gouverner les affaires extérieures, et se reconnaître au milieu du tumulte du monde, il nomme une femme veuve et lui recommande que jamais on ne prenne pour abbesse une des femmes élevées dans le cloître. — Il recommande aussi de parler peu, de ne point manger de chair, de se vêtir grossièrement. Il enseignait la nuit et le jour au milieu d’une foule de disciples des deux sexes, etc... Lettre de Marbodus, évêque de Rennes, à Robert d’Arbrissel : « Mulierum cohabitationem, in quo genere quondam peccasti, diceris plus amare... Has ergo non solum communi mensa per diem, sed et communi occubitu per noctem digeris, ut referunt, accubante simul et discipulorum grege, ut inter utrosque medius jaceas, utrique sexui vigiliarum et somni leges præfigas. » D. Morice, I, 499. « Feminarum quasdam, ut dicitur, nimis familiariter tecum habitare permittis et cum ipsis etiam et inter ipsas noctu frequenter cubare non erubescis. Hoc si modo agis, vel aliquando egisti, novum et inauditum, sed infructuosum martyrii genus invenisti... Mulierum quibusdam, sicut fama sparsit, et nos ante diximus, sæpe privatim loqueris earum accubitu novo martyrii genere cruciaris. » Lettre de Geoffroi, abbé de Vendôme, à Robert d’Arbrissel, publiée par le P. Sirmond (Daru, Histoire de Bretagne, I, 320) : « Taceo de juvenculis quas sine examine religionem professas, mutata veste, per diversas cellulas protinus inclusisti. Hujus igitur facti temeritatem miserabilis exitus probat ; aliæ enim, urgente partu, fractis ergastulis, elapsæ sunt ; aliæ in ipsis ergastulis pepereunt. » Clypeus nascentis ordinis Fontebraldensis, t. I, p. 69. 84 — page 232 et note 1 — Louis VII reconnaît expressément aux femmes le droit de siéger comme juges... Voy. dans Duchesne, t. IV, la réponse du roi... « apud vos deciduntur negotia legibus imperatorum ; benignior longe est consuetudo regni nostri, ubi si melior sexus defuerit, mulieribus succedere et hæreditatem administrare conceditur. » 85 — page 236, note 1 — Sur les sceaux, le roi de France est toujours assis... Si Louis VII est quelquefois représenté à cheval (1137, 1138, Archives du Royaume, K. 40), c’est comme Dux Aquitanorum. L’exception confirme la règle. 86 — page 236 — Le descendant de Guillaume-le-Conquérant, quel qu’il soit, etc. On sait l’énorme grosseur de Guillaume-le-Conquérant (Voy. plus haut). « Quand donc accouchera ce gros homme ? » disait le roi de France. Lorsqu’il fallut l’enterrer, la fosse se trouva trop étroite et le corps creva. Il dépensait pour sa table des sommes énormes (Gazas ecclesiasticas conviviis profusioribus insumebat, Guill. Malmsb., l. III, ap. Scr. fr. XI, 188). Les auteurs de l’Art de vérifier les Dates (XIII, 15) rapportent de lui, d’après une chronique manuscrite, un trait de violence singulière. Lorsque Baudoin de Flandre lui refusa sa fille Mathilde, « il passa jusques en la chambre de la comtesse ; il trouva la fille au comte, si la prist par les trèces, si la traisna parmi la chambre et défoula à ses piés. » — Son fils aîné Robert était surnommé Courte-Heuse, ou Bas-Court (Order. Vit., ap. Scr. fr. XII, 596 : ... facie obesa, corpore pingui, brevique statura, unde vulgo Gambaron cognominatus est, et Brevis-ocrea) ; il se laissait ruiner par les histrions et les prostituées (ibid., p. 602 : Histrionibus et parasitis ac meretricibus ; item, p. 681). — Le second fils du Conquérant, Guillaume-le-Roux, était de petite taille et fort replet ; il avait les cheveux blonds et plats, et le visage couperosé (Lingard, t. II de la trad., p. 167). « Quand il mourut, dit Orderic Vital, ce fut la ruine des routiers, des débauchés et des filles publiques, et bien des cloches ne sonnèrent pas pour lui, qui avaient retenti longtemps pour des indigents ou de pauvres femmes » (Scr. rer. fr. XII, 679). — Ibid. « Legitimam conjugem nunquam habuit ; sed obscœnis fornicationibus et frequentibus mœchiis inexplebiliter inhæsit. » P. 635 : « Protervus et lascivus. » P. 624 : « Erga Deum et ecclesiæ frequentationem cultumque frigidus extitit. » — Suger, ibid., p. 12 : « Lasciviæ et animi desideriis deditus... Ecclesiarum crudelis exactor, etc. » — Huntingd., p. 216 : « Luxuriæ scelus tacendum exercebat, non occulte, sed ex impudentia coram sole, etc. » — Henri Beauclerc, son jeune frère, eut de ses nombreuses maîtresses plus de quinze bâtards. Suivant plusieurs écrivains, sa mort fut causée par sa voracité en mangeant un plat de lamproies (Lingard, II, 241). Ses fils, Guillaume et Richard, se souillaient des plus infâmes débauches. (Huntingd., p. 218 : « Sodomitica tabe dicebantur, et erant irretiti. » Gervas., p. 1339 : « Luxuriæ et libidinis omni tabe maculati. » Glaber (ap. Scr. fr. X, 51) remarque que dès leur arrivée dans les Gaules, les Normands eurent presque toujours pour princes des bâtards. — Les Plantagenets semblèrent continuer cette race souillée. Henri II était roux, défiguré par la grosseur énorme de son ventre, mais toujours à cheval et à la chasse. (Petr. Bles., p. 98.) Il était, dit son secrétaire, plus violent qu’un lion (Leo et leone truculentior, dum vehementius excandescit, p. 75) ; ses yeux bleus se remplissaient alors de sang, son teint s’animait, sa voix tremblait d’émotion (Girald. Cambr., ap. Caroden, p. 783). Dans an accès de rage, il mordit un page à l’épaule. Humet, son favori, l’ayant un jour contredit, il le poursuivit jusque sur l’escalier, et ne pouvant l’atteindre, il rongeait de colère la paille qui couvrait le plancher. « Jamais, disait un cardinal, après une longue conversation avec Henri, je n’ai vu d’homme mentir si hardiment (Ep. S. Thom., p. 566). Sur ses successeurs, Richard et Jean, voyez plus bas. — L’idéal, c’est Richard III, le Richard III de Shakespeare, comme celui de l’histoire. 87 — page 238 — Tous vrais saints quoique l’Église n’ait canonisé que le dernier... Encore Louis VII est-il saint lui-même, suivant quelques auteurs. On lit dans une chronique française, insérée au douzième volume du Recueil des historiens de France, p. 226 : « Il fu mors... ; sains est, bien le savons » ; et dans une chronique latine (ibid.) : « ... Et sanctus reputatur, prout alias in libro vitæ suæ legimus. » 88 — page 239 — Louis VII avait été élevé dans le cloître de Notre-Dame... Voy. une charte de Louis VII, ap. Scr. fr. XII, 90... « Ecclesiam parisiensem, in cujus claustro, quasi in quodam maternali gremio, incipientis vitæ et pueritiæ nostræ exegimus tempora. » 89 — page 241 — Saint Bernard refusa d’aller lui-même à la croisade... En 1128, il détourne un abbé du pèlerinage de Jérusalem. (Operum, t. I, p. 85 ; voy. aussi p. 323.) — En 1129, il écrit à l’évêque de Lincoln, au sujet d’un Anglais nommé Philippe, qui, parti pour la terre sainte, s’était arrêté à Clairvaux et y avait pris l’habit : « Philippus vester volens proficisci Jerosolymam, compendium viæ invenit, et cito pervenit quo volebat... Stantes sunt jam pedes ejus in atriis Jerusalem, et quem audierat in Euphrata, inventum in campis silvæ libenter adorat in loco ubi steterunt pedes ejus. Ingressus est sanctam civitatem... Factus est ergo non curiosus tantum spectator, sed et devotus habitator, et civis conscriptus Jerusalem, non autem terrenæ hujus, cui Arabiæ mons Sina conjunctus est, quæ servit cum filiis suis, sed liberæ illius quæ est sursum mater nostra. Et si vultis scire, Claræ-Vallis est » (p. 64). — Voici un passage d’un auteur arabe, qui offre, avec les idées exprimées par saint Bernard, une remarquable analogie : « Ceux qui volent à la recherche de la Caaba, quand ils ont enfin atteint le but de leurs fatigues, voient une maison de pierre, haute, révérée, au milieu d’une vallée sans culture ; ils y entrent, afin d’y voir Dieu ; ils le cherchent longtemps et ne le voient point. Quand avec tristesse ils ont parcouru la maison, ils entendent une voix au-dessus de leurs têtes : O adorateurs d’une maison ! pourquoi adorer de la pierre et de la boue ? Adorez l’autre maison, celle que cherchent les élus ! » (Ce beau fragment, dû à un jeune orientaliste, M. Ernest Fouinet, a été inséré par M. Victor Hugo dans les notes de ses Orientales, p. 416 de la première édition.) 90 — page 254 — Les jurisconsultes appelés par Frédéric-Barberousse, etc. Radevicus, II, c. iv, ap. Giesler, Kirchengeschichte, II, P. 2, p. 72. « Scias itaque omne jus populi in condendis legibus tibi concessum, tua voluntas jus est, sicuti dicitur : « Quod principi placuit, legis habet vigorem, cum populus et in eum omne suum imperium et potestatem concesserit. » — Le conseiller de Henri II, le célèbre Ranulfe de Glanville, répète cette maxime (de leg. et consuet. reg. anglic., in proem.). 91 — page 257 — Becket conduisait en son propre nom, etc... Newbridg., II, 10. Chron. Norm. Lingard, II, 325. — Lingard, p. 321 : « Le lecteur verra sans doute avec plaisir dans quel appareil le chancelier voyageait en France. Quand il entrait dans une ville, le cortège s’ouvrait par deux cent cinquante jeunes gens chantant des airs nationaux ; ensuite venaient ses chiens, accouplés. Ils étaient suivis de huit chariots, traînés chacun par cinq chevaux, et menés par cinq cochers en habit neuf. Chaque chariot était couvert de peaux, et protégé par deux gardes et par un gros chien, tantôt enchaîné, tantôt en liberté. Deux de ces chariots étaient chargés de tonneaux d’ale pour distribuer à la populace ; un autre portait tous les objets nécessaires à la chapelle du chancelier, un autre encore le mobilier de sa chambre à coucher, un troisième celui de sa cuisine, un quatrième portait sa vaisselle d’argent et sa garde-robe ; les deux autres étaient destinés à l’usage de ses suivants. Après eux venaient douze chevaux de somme sur chacun desquels était un singe, avec un valet (groom) derrière, sur ses genoux ; paraissaient ensuite les écuyers portant les boucliers et conduisant les chevaux de bataille de leurs chevaliers ; puis encore d’autres écuyers, des enfants de gentilshommes, des fauconniers, les officiers de la maison, les chevaliers et les ecclésiastiques, deux à deux et à cheval, et le dernier de tous enfin, arrivait le chancelier lui-même, conversant avec quelques amis. Comme il passait, on entendait les habitants du pays s’écrier : « Quel homme doit donc être le roi d’Angleterre, quand son chancelier voyage en tel équipage ? » Steph., 20, 2. Page 258 — Un second lui-même... Le prédécesseur de Becket, au siège de Kenterbury, lui écrivait : « In aure et in vulgis sonat vobis esse cor unum et animam unnam » (Bles. epist. 78). — Petrus Cellensis : « Secundum post regem in quatuor regnis quis te ignorat ? » (Marten. Thes, anecd. III.) — Le clergé anglais écrit à Thomas : « In familiarem gratiam tam lata vos mente suscepit, ut dominationis suæ loca quæ boreali Oceano ad Pyrenæum usque porrecta sunt, potestati vestræ cuneta subjecerit, ut in his solum hos beatos reputarit opinio, qui in vestris poterant oculis complacere. » Epist. S. Thom., p. 190. 92 — page 259 — Depuis le fameux Dunstan... S. Dunstan, archev. de Kenterbury, fit des remontrances à Edgar, et lui fit faire pénitence. Il ajouta deux clauses à leur traité de réconciliation : 1o qu’il publierait un code de lois qui apportât plus d’impartialité dans l’administration de la justice ; 2o qu’il ferait passer à ses propres frais dans les différentes provinces des copies des saintes Écritures pour l’instruction du peuple. — Et même, selon Lingard, le véritable texte d’Osbern doit être : « ... Justas legum rationes sanciret, sanctitas conscriberet, scriptas per omnes fines imperii sui populis custodiendas mandaret » au lieu de sanctas conscriberet scripturas. — Lingard, Antiquités de l’Église anglo-saxonne, I, p. 489. 93 — page 265 — La lutte de Becket fut imitée par l’évêque de Poitiers... Henri II lui avait adressé par deux de ses justiciers des instructions plus dures encore que les coutumes de Clarendon. Voy. la lettre de l’évêque ap. Scr. fr. XVI, 216. — Voyez aussi (ibid., 572, 575, etc.) les lettres que Jean de Salisbury lui écrit pour le tenir au courant de l’état des affaires de Thomas Becket. — En 1166, l’évêque de Poitiers céda, et fit sa paix avec Henri II. Joann. Saresber. epist., ibid., 523. 94 — page 273 — Becket se retira fort abattu... Mais Louis se repentit d’avoir abandonné Becket ; peu de jours après, il le fit appeler. Becket vint avec quelques-uns des siens, pensant qu’on allait lui intimer l’ordre de quitter la France. — « Invenerunt regem tristi vultu sedentem, nec, ut solebat, archiepiscopo assurgentem. Considerantibus autem illis, et diutius facto silentio, rex tandem, quasi invitus abeundi daret licentiam, subito mirantibus cunctis prosiliens, obortis lacrymis projecit se ad pedes archiepiscopi, cum singultu dicens : « Domine mi pater, tu solus vidisti. » Et congeminans cum suspirio : « Vere, ait, tu solus vidisti. Nos omnes cæci sumus... Pœniteo, pater, ignosce, rogo, et ab hac culpa me miserum absolve : regnum meum et meipsum ex hac ora tibi offero. » Gervas. Cantuar., ap. Scr. fr. XIII, 33. Vit. quadrip., p. 96. 95 — page 265 — Jean de Salisbury... Salisbury fait partie du pays de Kent, mais non du comté de ce nom. Du temps de l’archevêque Thibaut, ce fut Jean de Salisbury qu’on accusa de toutes les tentatives de l’Église de Kenterbury pour reconquérir ses privilèges. Il écrit, en 1159 : « Regis tota in me incanduit indignatio... Quod quis nomen romanum apud nos invocat, mihi imponunt ; quod in electionibus celebrandis, in causis ecclesiasticis examinandis, vel umbram libertatis audet sibi Anglorum ecclesia vindicare, mihi imputatur, ac si dominum Cantuariensem et alios episcopos quid facere oporteat solus instruam... » J. Sareber. epist., ap. Scr. fr. XVI, 496. — Dans son Policraticus (Leyde, 1639, p. 206), il avance qu’il est bon et juste de flatter le tyran pour le tromper, et de le tuer (Aures tyranni mulcere... tyrannum occidere... æquum et justum.). — Dans l’affaire de Thomas Becket, sa correspondance trahit un caractère intéressé (il s’inquiète toujours de la confiscation de ses propriétés, Scr. fr. XVI, 508, 512, etc.), irrésolu et craintif, p. 509 : il fait souvent intercéder pour lui auprès de Henri II, p. 514, etc., et donne à Becket de timides conseils, p. 510, 527, etc. Il ne semble guère se piquer de conséquence. Ce défenseur de la liberté n’accorde au libre arbitre de pouvoir que pour le mal (Policrat., p. 97). Il ne faut pas se hâter de rien conclure de ce qu’il reçut les leçons d’Abailard ; il vante saint Bernard et son disciple Eugène III. (Ibid., p. 311.) 96 — page 287 — Henri II déclara l’Angleterre fief du saint-siège... « Præterea ego et major filius meus rex, juramus quod a domino Alexandro papa et catholicis ejus successoribus recipiemus et tenebimus regnum Angliæ. » Baron. Annal., XII, 637. — A la fin de la même année il écrivait encore au pape : « Vestræ jurisdictionis est regnum Angliæ, et quantum at feudatirii juris obligationem, vobis duntaxat teneor et astringor. » Petr. Bles., epist., ap. Scr. fr. XVI, 650. 97 — page 300 — Philippe Ier, couronné à sept ans, lut lui-même le serment qu’il devait prêter... Coronatio Phil. I, ap. Scr. fr. XI, 32 : « Ipse legit, dum adhuc septennis esset : « Ego... defensionem exhibebo, sicut rex in suo regno unicuique episcopo et ecclesiæ sihi commissæ... debet. » 98 — page 302 — Philippe II à quatorze ans malade de peur, etc. Chronica reg. Franc, ibid., 214 : « ... Remansit in silva sine societate Philippus ; unde stupefactus concepit limorem, et tandem per carbonarium fuit reductus Compendium ; et ex hoc timore sibi contigit infirmitas, quæ distulit coronationem. » Il chasse et dépouille les Juifs... Ibid... « Fecit spoliari omnes una die... Recesserunt omnes qui baptizari noluerunt. » « Ils donnèrent pour se racheter 15.000 marcs. » Rad. de Diceto, ap. Scr. fr. XIII, 204. — Rigordus, Vita Phil. Aug., ap. Scr. fr. XVII. Philippe remit aux débiteurs des Juifs toutes leurs dettes, à l’exception d’un cinquième qu’il se réserva. Voy. aussi la chronique de Mailros, ap. Scr. fr. XIX, 250. Les hérétiques furent impitoyablement livrés à l’Église... Guillelmi Britonis Philippidos, l. I : « Dans tout son royaume il ne permit pas de vivre à une seule personne qui contredît les lois de l’Église, qui s’écartât d’un seul des points de la foi catholique, ou qui niât les sacrements. » 99 — page 306 et note 1 — Un messie paraît dans Anvers... Bulæus, Historia Universit. Pariensis, II, 98. — « Per matronas et mulierculas... errores suos spargere. » — « Veluti rex, stipatus satellitibus, vexillum et gladium præferentibus... declamabat. » Epistol. Trajectens. eccles. ap. Gieseler, II, IIe partie, p. 479. 100 — page 306 et note 2 — En Bretagne, Éon de l’Étoile... Guill. Neubrig., l. I : « Eudo, natione Brito, agnomen habens de Stella, illiteratus et idiota... sermone gallico Eon ; ... eratque per diabolicas præstigias potens ad capiendas simplicium animas... ecclesiarum maxime ac monasteriorum infestator. » Voy. aussi Othon de Freysingen, c. liv, lv, Robert du Mont, Guibert de Nogent ; Bulæus, II, 241, D. Morice, p. 100, Roujoux, Histoire des ducs de Bretagne, t. II. 101 — page 306 — Amaury de Chartres et David de Dinan, etc... Rigord., ibid., p. 375 : « ... Quod quilibet Christianus teneatur credere se esse membrum Christi. » — Concil. Paris, ibid. : « Omnia unum, quia quidquid est, est Deus, Deus visibilibus indutus instrumentis. — Filius incarnatus, i. e. visibili formæ subjectus. — Filius usque nunc operatus est, sed Spiritus sanctus ex hoc nunc usque ad mundi consummationem inchoat operari. » 102 — page 307 — Aristote prend place presque au niveau de Jésus-Christ... Averroès, ap. Gieseler, IIe partie, p. 378 : « Aristoteles est exemplar, quod natura invenit ad demonstrandam ultimam perfectionem humanam. » Corneille Agrippa disait, au quatorzième siècle : « Aristoteles fuit præcursor Christi in naturalibus ; sicut Joannes Baptista... in gratuitis. » Ibid. 103 — page 314 — Les évêques de Maguelonne et de Montpellier faisaient frapper des monnaies sarrasines... Epistola papæ Clementis IV, episc. Maglonensi, 1266 ; in Thes. novo anecd., t. II, p. 403 : « Sane de moneta Miliarensi quam in tua diœcesi facis cudi miramur plurimum cujus hoc agis consilio... Quis enim catholicus monetam debet cudere cum titulo Machometi ?... Si consuetudinem forsan allegas, in adulterino negotio te et prædecessores tuos accusas. » — En 1268, saint Louis écrit à son frère Alfonse, comte de Toulouse, pour lui faire reproche de ce que dans son comtat Venaissin, on bat monnaie avec une inscription mahométane : « In cujus (monetæ) superscriptione sit mentio de nomine perfidi Mahometi, et dicatur ibi esse propheta Dei ; quod est ad laudem et exaltationem ipsius, et detestationem et contemptum fidei et nominis christiani ; rogamus vos quatinus ab hujusmodi opere faciatis cudentes cessare. » — Cette lettre, selon Bonamy (ac. des Inscr., XXX, 725), se trouverait dans un registre longtemps perdu, et restitué au Trésor des Chartes en 1748. Cependant ce registre n’y existe point aujourd’hui, comme je m’en suis assuré. 104 — page 315 — Le bourgeois paraissait dans les tournois... Dans les Preuves de l’Histoire générale du Languedoc, t. III, p. 607, on trouve une attestation de plusieurs Damoisels (Domicelli), chevaliers, juristes, etc. « Quod usus et consuetudo sunt et fuerunt longissimis temporibus observati, et tanto tempore quod in contrarium memoria non existitit in senescallia Belliquadri et in Provincia, quod Burgenses consueverunt a nobilibus et baronibus et etiam ab archiepiscopis et episcopis, sine principis auctoritate et licentia, impune cingulum militare assumere, et signa militaria habere et portare, et gaudere privilegio militari. » — Chron. Languedoc. ap. D. Vaissète, Preuves de l’Histoire du Languedoc : « Ensuite parla un autre baron appelé Valats, et il dit au comte : « Seigneur, ton frère te donne un bon conseil (le conseil d’épargner les Toulousains), et si tu me veux croire, tu feras ainsi qu’il t’a dit et montré ; car, seigneur, tu sais bien que la plupart sont gentilshommes, et par honneur et noblesse, tu ne dois pas faire ce que tu as délibéré. » 105 — page 315 — Les cours d’Amour... Raynouard, Poésies des troubadours, II, p. 122. La cour d’Amour était organisée sur le modèle des tribunaux du temps. Il en existait encore une sous Charles VI, à la cour de France ; on y distinguait des auditeurs, des maîtres des requêtes, des conseillers, des substituts du procureur général, etc., etc. ; mais les femmes n’y siégeaient pas. 106 — page 319 — Dans les récits de leurs ennemis, on impute aux Albigeois des choses contradictoires, etc... Selon les uns, Dieu a créé ; selon d’autres, c’est le Diable (Mansi ap. Gieseler). Les uns veulent qu’on soit sauvé par les œuvres (Ébrard), et les autres par la foi (Pierre de Vaux-Cernay). Ceux-là prêchent un Dieu matériel ; ceux-ci pensent que Jésus-Christ n’est pas mort en effet, et qu’on n’a crucifié qu’une ombre. D’autre part, ces novateurs disent prêcher pour tous, et plusieurs d’entre eux excluent les femmes de la béatitude éternelle (Ébrard). Ils prétendent simplifier la loi, et prescrivent cent génuflexions par jour (Heribert). La chose dans laquelle ils semblent s’accorder, c’est la haine du Dieu de l’Ancien Testament. « Ce Dieu qui promet et qui ne tient pas, disent-ils, c’est un jongleur. Moïse et Josué étaient des routiers à son service. » « D’abord il faut savoir que les hérétiques reconnaissaient deux créateurs : l’un, des choses invisibles, qu’ils appelaient le bon Dieu ; l’autre, du monde visible, qu’ils nommaient le Dieu méchant. Ils attribuaient au premier le Nouveau Testament, et au second l’Ancien, qu’ils rejetaient absolument, hors quelques passages transportés de l’Ancien dans le Nouveau, et que leur respect pour ce dernier leur faisait admettre. « Ils disaient que l’auteur de l’Ancien Testament était un menteur, parce qu’il est dit dans la Genèse : « En quelque jour que vous mangiez de l’arbre de la science du bien et du mal, vous mourrez de mort » ; et pourtant, disaient-ils, après en avoir mangé, ils ne sont pas morts. Ils le traitaient aussi d’homicide, pour avoir réduit en cendres ceux de Sodome et de Gomorrhe, et détruit le monde par les eaux du déluge, pour avoir enseveli sous la mer Pharaon et les Égyptiens. Ils croyaient damnés tous les pères de l’Ancien Testament, et mettaient saint Jean-Baptiste au nombre des grands démons. Ils disaient même entre eux que ce Christ qui naquit dans la Bethléem terrestre et visible et fut crucifié à Jérusalem, n’était qu’un faux Christ ; que Marie-Madeleine avait été sa concubine, et que c’était là cette femme surprise en adultère dont il est parlé dans l’Évangile. Pour le Christ, disaient-ils, jamais il ne mangea ni ne but, ni ne revêtit de corps réel, et ne fut jamais en ce monde que spirituellement au corps de saint Paul. « D’autres hérétiques disaient qu’il n’y a qu’un créateur, mais qu’il eut deux fils, le Christ et le Diable. Ceux-ci disaient que toutes les créatures avaient été bonnes, mais que ces filles dont il est parlé dans l’Apocalypse les avaient toutes corrompues. « Tous ces infidèles, membres de l’Antéchrist, premiers-nés de Satan, semence de péché, enfants de crime, à la langue hypocrite, séduisant par des mensonges le cœur des simples, avaient infecté du venin de leur perfidie toute la province de Narbonne. Ils disaient que l’Église romaine n’était guère qu’une caverne de voleurs, et cette prostituée dont parle l’Apocalypse. Ils annulaient les sacrements de l’Église à ce point qu’ils enseignaient publiquement que l’onde du sacré baptême ne diffère point de l’eau des fleuves, et que l’hostie du très saint corps du Christ n’est rien de plus que le pain laïque ; insinuant aux oreilles des simples ce blasphème horrible, que le corps du Christ, fût-il aussi grand que les Alpes, il serait depuis bien longtemps consommé et réduit à rien par tous ceux qui en ont mangé. La confirmation, la confession étaient choses vaines et frivoles ; le saint mariage une prostitution, et nul ne pouvait être sauvé dans cet état en engendrant fils et filles. Niant aussi la résurrection de la chair, ils forgeaient je ne sais quelles fables inouïes, disant que nos âmes sont ces esprits angéliques qui, précipités du ciel pour leur présomptueuse apostasie, laissèrent dans l’air leurs corps glorieux, et que ces âmes, après avoir passé successivement sur la terre par sept corps quelconques, retournent, l’expiation ainsi terminée, reprendre leurs premiers corps. « Il faut savoir en outre que quelques-uns de ces hérétiques s’appelaient Parfaits ou Bons Hommes ; les autres s’appelaient les Croyants. Les Parfaits portaient un habillement noir, feignaient de garder la chasteté, repoussaient avec horreur l’usage des viandes, des œufs, du fromage ; ils voulaient passer pour ne jamais mentir, tandis qu’ils débitaient, sur Dieu principalement, un mensonge perpétuel ; ils disaient encore que pour aucune raison on ne devait jurer. On appelait Croyants ceux qui, vivant dans le siècle, et sans chercher à imiter la vie des Parfaits, espéraient pourtant être sauvés dans la foi de ceux-ci ; ils étaient divisés par le genre de vie, mais unis dans la foi et l’infidélité. Les Croyants étaient livrés à l’usure, au brigandage, aux homicides et aux plaisirs de la chair, aux parjures et à tous les vices. En effet, ils péchaient avec toute sécurité et toute licence, parce qu’ils croyaient que sans restitution du bien mal acquis, sans confession ni pénitence, ils pouvaient se sauver, pourvu qu’à l’article de la mort ils pussent dire un Pater, et recevoir de leurs maîtres l’imposition des mains. Les hérétiques prenaient parmi les Parfaits des magistrats qu’ils appelaient diacres et évêques ; les Croyants pensaient ne pouvoir se sauver s’ils ne recevaient d’eux en mourant l’imposition des mains. S’ils imposaient les mains à un mourant, quelque criminel qu’il fût, pourvu qu’il pût dire un Pater, ils le croyaient sauvé, et, selon leur expression, consolé ; sans faire aucune satisfaction et sans autre remède, il devait s’envoler tout droit au ciel. « ... Certains hérétiques disaient que nul ne pouvait pécher depuis le nombril et plus bas. Ils traitent d’idolâtrie les images qui sont dans les églises, et appelaient les cloches les trompettes du démon. Ils disaient encore que ce n’était pas un plus grand péché de dormir avec sa mère ou sa sœur qu’avec toute autre. Une de leurs plus grandes folies, c’était de croire que si quelqu’un des Parfaits péchait mortellement en mangeant, par exemple, tant soit peu de viande, ou de fromage, ou d’œufs, ou de toute autre chose défendue, tous ceux qu’il avait consolés perdaient l’Esprit-Saint, et il fallait les reconsoler ; et ceux mêmes qui étaient sauvés, le péché du consolateur les faisait tomber du ciel. « Il y avait encore d’autres hérétiques appelés Vaudois, du nom d’un certain Valdus, de Lyon. Ceux-ci étaient mauvais, mais bien moins mauvais que les autres ; car ils s’accordaient avec nous en beaucoup de choses, et ne différaient que sur quelques-unes. Pour ne rien dire de la plus grande partie de leurs infidélités, leur erreur consistait principalement en quatre points : en ce qu’ils portaient des sandales à la manière des apôtres ; qu’ils disaient qu’il n’était permis en aucune façon de jurer ou de tuer ; et en cela surtout que le premier venu d’entre eux pouvait au besoin, pourvu qu’il portât des sandales, et sans avoir reçu les ordres de la main de l’évêque, consacrer le corps de Jésus-Christ. « Qu’il suffise de ce peu de mots sur les sectes des hérétiques. — Lorsque quelqu’un se rend aux hérétiques, celui qui le reçoit lui dit : « Ami, si tu veux être des nôtres, il faut que tu renonces à toute la foi que tient l’Église de Rome. Il répond : J’y renonce. — Reçois donc des Bons Hommes le Saint-Esprit. Et alors il lui souffle sept fois dans la bouche. Il lui dit encore : — Renonces-tu à cette croix que le prêtre t’a faite, au baptême, sur la poitrine, les épaules et la tête, avec l’huile et le chrême ? — J’y renonce. — Crois-tu que cette eau opère ton salut ? — Je ne le crois pas. — Renonces-tu à ce voile qu’à ton baptême le prêtre t’a mis sur la tête ? — J’y renonce. C’est ainsi qu’il reçoit le baptême des hérétiques et renie celui de l’Église. Alors tous lui imposent les mains sur la tête et lui donnent un baiser, le revêtent d’un vêtement noir, et dès lors il est comme un d’entre eux. » Petrus Vall. Sarnaii, c. i, ap. Scr. fr. XIX, 5, 7. Extrait d’un ancien registre de l’Inquisition de Carcassonne. (Preuves de l’Histoire du Languedoc, III, 371.) Un Nicétas de Constantinople avait présidé comme pape, etc... Voy. Gieseler, II, P. 2a, p. 494 — Sandii Nucleus hist. eccles., IV, 404 : « Veniens papa Nicetas nomine a Constantinopoli... » Un certain Ydros... Steph. de Borb., ap. Gieseler, II, P. 2a, 508. 107 — page 321 et note 1 — Innocent III... « Fuit... matre Claricia, de nobilibus urbis, exercitatus in cantilena et psalmodia, statura mediocris et decorus aspectu. » Gesta Innoc. III (Baluze, folo), I, p. 1, 2. — Erfurt Chronic. S. Petrin. (1215) : « Nec similem sui scientia, facundia, decretorum et legum peritia, strenuitate judiciorum, nec adhuc visus est habere sequentem. » 108 — page 324 — Les évêques devaient être nommés, déposés par le pape, etc. Decretal. Greg., l. II, tit. 28, c. xi (Alex. III) : « De appellationibus pro causis minimis interpositis volumus te tenere, quod eis, pro quacumque levi causa fiant, non minus est, quam si pro majoribus fierent, deferendum. » Le pape défaisait les rois et faisait les saints... Decr. Greg., l. III, tit. 45, c. i (Alex. III) : « ... Etiamsi per eum miracula plurima fierent, non liceret vobis ipsum pro Sancto, absque auctoritate romanæ ecclesiæ publice venerari. » — Conc. Lat. IV, c. lxii : « Reliquias inventas de novo nemo publice venerari præsumat, nisi prius auctoritate romani pontificis fuerint approbatæ. » — Innocent III en vint à dire (l. II, ep. 209) : « Dominus Petro non solum universam ecclesiam, sed totum reliquit seculum gubernandum. » 109 — page 329 — Zenghi et son fils Nurheddin, deux saints de l’islamisme... Extraits des histor. arabes, par M. Reinaud (Bibl. des Croisades, III, 242) : « Lorsque Noureddin priait dans le temple, ses sujets croyaient voir un sanctuaire dans un autre sanctuaire. » — Il consacrait à la prière un temps considérable, il se levait au milieu de la nuit, faisait son ablution et priait jusqu’au jour. » — Dans une bataille, voyant les siens plier, il se découvrit la tête, se prosterna et dit tout haut : « Mon Seigneur et mon Dieu, mon souverain maître, je suis Mahmoud, ton serviteur ; ne l’abandonne pas. En prenant sa défense, c’est ta religion que tu défends. Il ne cessa de s’humilier, de pleurer, de se rouler à terre, jusqu’à ce que Dieu lui eût accordé la victoire. » — Il faisait pénitence pour les désordres auxquels on se livrait dans son camp, se revêtant d’un habit grossier, couchant sur la dure, s’abstenant de tout plaisir, et écrivant de tous côtés aux gens pieux pour réclamer leurs prières. Il bâtit beaucoup de mosquées, de khans, d’hôpitaux, etc. Jamais il ne voulut lever de contributions sur les maisons des sophis, des gens de loi, des lecteurs de l’Alcoran. « Son plaisir était de causer avec les chefs des moines, les docteurs de la loi, les Oulamas ; il les embrassait, les faisait asseoir à ses côtés sur son sopha, et l’entretien roulait sur quelque matière de religion. Aussi les dévots accouraient auprès de lui des pays les plus éloignés. Ce fut au point que les émirs en devinrent jaloux. » — Les historiens arabes, ainsi que Guillaume de Tyr, le peignent comme très rusé. Les esprits forts ou philosophes furent poursuivis avec acharnement... Bibliothèque des Croisades, p. 370. — On accusait Kilig Arslan d’avoir embrassé cette secte. Noureddin lui fit renouveler sa profession de foi à l’islamisme. « Qu’à cela ne tienne, dit Kilig Arslan ; je vois bien que Noureddin en veut surtout aux mécréants. » Page 330 — Nuhreddin était un légiste... Hist. des Atabeks, ibid. Il avait étudié le droit, suivant la doctrine d’Abou-Hanifa, un des plus célèbres jurisconsultes musulmans ; il disait toujours : Nous sommes les ministres de la loi, notre devoir est d’en maintenir l’exécution ; et quand il avait quelque affaire, il plaidait lui-même devant le cadi. — Le premier il institua une cour de justice, défendit la torture, et y substitua la preuve testimoniale. — Saladin se plaint dans une lettre à Noureddin de la douceur de ses lois. Cependant il dit ailleurs : « Tout ce que nous avons appris en fait de justice, c’est de lui que nous le tenons. » — Saladin lui-même employait son loisir à rendre la justice ; on le surnomma le Restaurateur de la justice sur la terre. Page 330 — Salaheddin, etc... La générosité de Saladin à l’égard des chrétiens est célébrée avec plus d’éclat par les historiens latins, et principalement par le continuateur de G. de Tyr, que par les historiens arabes : on trouve dans ceux-ci quelques passages, obscurs à la vérité, mais qui indiquent que les musulmans avaient vu avec peine les sentiments généreux du sultan. Michaud, Hist. des Croisades, II, 346. 110 — page 344 — En vain Simon de Montfort et plusieurs autres se séparèrent des croisés... Guy de Montfort, son frère, Simon de Néauphle, l’abbé de Vaux-Cernay, etc. Villehardouin, p. 171. — A Corfou, un grand nombre de croisés résolurent de rester dans cette île « riche et plenteuroise ». Quand les chefs de l’armée en eurent avis, ils résolurent de les en détourner. « Alons à els et lor crions merci, que il aient por Dieu pitié d’els et de nos, et que il ne se honissent, et que il ne toillent la rescousse d’oltremer. Ensi fu li conseils accordez, et allèrent toz ensemble en une vallée où cil tenoient lor parlemenz, et menèrent avec als le fils l’empereor de Constantinople, et toz les evesques et toz les abbez de l’ost. Et cùm il vindrent là, si descendirent à pié. Et cil cùm il les virent, si descendirent de lor chevaus, et allèrent encontre, et li baron lor cheirent as piez, mult plorant, et distrent que il ne se moveroient tresque cil aroient creancé que il ne se mouroient d’els (avant qu’ils n’eussent promis de ne pas les abandonner). Et quant cil virent ce, si orent mult grant pitié, et plorèrent mult durement. » Ibid., p. 173-177. Lorsque ceux de Zara vinrent proposer à Dandolo de rendre la place : « Endementières (tandis) que il alla parler as contes et as barons, icèle partie dont vos avez oi arrières, qui voloit l’ost depecier, parlèrent as messages, et distrent lor : Pourquoy volez vos rendre vostre cité, etc. » Ces manœuvres firent rompre la capitulation. — Dans Zara, il y eut un combat entre les Vénitiens et les Français. 111 — page 363 — Dans le Midi, dédaigneuse opulence... « Les princes et les seigneurs provençaux qui s’étaient rendus en grand nombre pendant l’été au château de Beaucaire, y célébrèrent diverses fêtes. Le roi d’Angleterre avait indiqué cette assemblée pour y négocier la réconciliation de Raymond, duc de Narbonne, avec Alphonse, roi d’Aragon ; mais les deux rois ne s’y trouvèrent pas, pour certaines raisons ; en sorte que tout cet appareil ne servit à rien. Le comte de Toulouse y donna cent mille sols à Raymond d’Agout, chevalier, qui, étant fort libéral, les distribua aussitôt à environ dix mille chevaliers qui assistèrent à cette cour. Bertrand Raimbaud fit labourer tous les environs du château, et y fit semer jusques à trente mille sols en deniers. On rapporte que Guillaume Gros de Martel, qui avait trois cents chevaliers à sa suite, fit apprêter tous les mets dans sa cuisine avec des flambeaux de cire. La comtesse d’Urgel y envoya une couronne estimée quarante mille sols. Raimand de Venous fit brûler, par ostentation, trente de ses chevaux devant toute l’assemblée. » Histoire du Languedoc, t. III, p. 37. — (D’après Gaufrid. Vos., p. 321.) 112 — page 363 — Cluny eut bientôt besoin d’une réforme... Dans une Apologie adressée à Guillaume de Saint-Thierry, saint Bernard, tout en se justifiant du reproche qu’on lui avait fait d’être le détracteur de Cluny, censure pourtant vivement les mœurs de cet ordre (édit. Mabillon, t. IV, p. 33, sqq.), c. x : « Mentior, si non vidi abbatem sexaginta equos et eo amplius in suo ducere comitatu. » c. xi : « Omitto oratoriorum immensas altitudines... etc. » Cîteaux s’éleva à côté de Cluny, etc... Ceux de Cluny répondaient aux attaques de Cîteaux : « O, ô, Pharisæorum novum genus !... vos sancti, vos singulares... unde et habitum insoliti coloris prætenditis, et ad distinctionem cunctorum totius fere mundi monachorum, inter nigros vos candidos ostentatis. » 113 — page 367 — Innocent III avait écrit aux princes des paroles de ruine et de sang... Innocent III écrit à Guillaume, comte de Forcalquier, une lettre, sans salut, pour l’exhorter à se croiser : « Si ad actus tuos Dominus hactenus secundum meritorum tuorum exigentiam respexisset, posuisset te ut rotam et sicut stipulam ante faciem venti, quinimo multiplicasset fulgura, ut iniquitatem tuam de superficie terræ deleret, et justus lavaret munus suas in sanguine peccatoris. Nos etiam et prædecessores nostri... non solum in te (sicut fecimus) anathematis curassemus sententiam promulgare, imo etiam universos fidelium populos in tuum excidium armassemus. » Epist. Inn. III, t. I, p. 239, anno 1198. 114 — page 368 — Raymond VI, comte de Toulouse... Nous citons le fragment suivant comme un monument de la haine des prêtres. « D’abord, dès le berceau, il chérit et choya toujours les hérétiques ; et comme il les avait dans sa terre, il les honora de toutes manières. Encore aujourd’hui, à ce que l’on assure, il mène partout avec lui des hérétiques, afin que s’il venait à mourir, il meure entre leurs mains. — Il dit un jour aux hérétiques, je le tiens de bonne source, qu’il voulait faire élever son fils à Toulouse, parmi eux, afin qu’il s’instruisît dans leur foi, disons plutôt dans leur infidélité. — Il dit encore un jour qu’il donnerait bien cent marcs d’argent pour qu’un de ses chevaliers pût embrasser la croyance des hérétiques ; qu’il le lui avait mainte fois conseillé, et qu’il le faisait prêcher souvent. De plus, quand les hérétiques lui envoyaient des cadeaux ou des provisions, il les recevait fort gracieusement, les faisait garder avec soin, et ne souffrait pas que personne en goûtât, si ce n’est lui et quelques-uns de ses familiers. Souvent aussi, comme nous le savons de science certaine, il adorait les hérétiques en fléchissant les genoux, demandait leur bénédiction et leur donnait le baiser. Un jour que le comte attendait quelques personnes qui devaient venir le trouver, et qu’elles ne venaient point, il s’écria : « On voit bien que c’est le diable qui a fait ce monde, puisque rien ne nous arrive à souhait. » Il dit aussi au vénérable évêque de Toulouse, comme l’évêque me l’a raconté lui-même, que les moines de Cîteaux ne pouvaient faire leur salut, puisqu’ils avaient des ouailles livrées à la luxure. O hérésie inouïe ! « Le comte dit encore à l’évêque de Toulouse qu’il vînt la nuit dans son palais, et qu’il entendrait la prédication des hérétiques ; d’où il est clair qu’il les entendait souvent la nuit. « Il se trouvait un jour dans une église où on célébrait la messe ; or, il avait avec lui un bouffon, qui, comme font les bateleurs de cette espèce, se moquait des gens par des grimaces d’histrion. Lorsque le célébrant se tourna vers le peuple en disant : Dominus vobiscum, le scélérat de comte dit à son bouffon de contrefaire le prêtre. — Il dit une fois qu’il aimerait mieux ressembler à un certain hérétique de Castres, dans le diocèse d’Albi, à qui on avait coupé les membres et qui traînait une vie misérable, que d’être roi ou empereur. « Combien il aima toujours les hérétiques, nous en avons la preuve évidente en ce que jamais aucun légat du siège apostolique ne put l’amener à les chasser de sa terre, bien qu’il ait fait, sur les instances de ces légats, je ne sais combien d’abjurations. « Il faisait si peu de cas du sacrement de mariage, que toutes les fois que sa femme lui déplut, il la renvoya pour en prendre une autre ; en sorte qu’il eut quatre épouses, dont trois vivent encore. Il eut d’abord la sœur du vicomte de Béziers, nommée Béatrix ; après elle, la fille du duc de Chypre ; après elle, la sœur de Richard, roi d’Angleterre, sa cousine au troisième degré ; celle-ci étant morte, il épousa la sœur du roi d’Aragon, qui était sa cousine au quatrième degré. Je ne dois pas passer sous silence que lorsqu’il avait sa première femme, il l’engagea souvent à prendre l’habit religieux. Comprenant ce qu’il voulait dire, elle lui demanda exprès s’il voulait qu’elle entrât à Cîteaux ; il dit que non. Elle lui demanda encore s’il voulait qu’elle se fît religieuse à Fontevrault ; il dit encore que non. Alors elle lui demanda ce qu’il voulait donc : il répondit que si elle consentait à se faire solitaire, il pourvoirait à tous ses besoins ; et la chose se fit ainsi... « Il fut toujours si luxurieux et si lubrique, qu’il abusait de sa propre sœur au mépris de la religion chrétienne. Dès son enfance, il recherchait ardemment les concubines de son père et couchait avec elles ; et aucune femme ne lui plaisait guère s’il ne savait qu’elle eût couché avec son père. Aussi son père, tant à cause de son hérésie que pour ce crime énorme, lui prédisait souvent la perte de son héritage. Le comte avait encore une merveilleuse affection pour les routiers, par les mains desquels il dépouillait les églises, détruisait les monastères, et dépossédait tant qu’il pouvait tous ses voisins. C’est ainsi que se comporta toujours ce membre du diable, ce fils de perdition, ce premier-né de Satan, ce persécuteur acharné de la croix et de l’Église, cet appui des hérétiques, ce bourreau des catholiques, ce ministre de perdition, cet apostat couvert de crimes, cet égout de tous les péchés. « Le comte jouait un jour aux échecs avec un certain chapelain, et tout en jouant il lui dit : « Le Dieu de Moïse, en qui vous croyez, ne vous aiderait guère à ce jeu », et il ajouta : « Que jamais ce Dieu ne me soit en aide ! » — Une autre fois, comme le comte devait aller de Toulouse en Provence, pour combattre quelque ennemi, se levant au milieu de la nuit, il vint à la maison où étaient rassemblés les hérétiques toulousains, et leur dit : « Mes seigneurs et mes frères, la fortune de la guerre est variable ; quoi qu’il m’arrive, je remets en vos mains mon corps et mon âme. » Puis il emmena avec lui deux hérétiques en habit séculier, afin que s’il venait à mourir il mourût entre leurs mains. — Un jour que ce maudit comte était malade dans l’Aragon, le mal faisant beaucoup de progrès, il se fit faire une litière, et dans cette litière se fit transporter à Toulouse ; et comme on lui demandait pourquoi il se faisait transporter en si grande hâte, quoique accablé par une grave maladie, il répondit, le misérable ! « Parce qu’il n’y a pas de Bons Hommes dans cette terre, entre les mains de qui je puisse mourir. » Or, les hérétiques se font appeler Bons Hommes par leurs partisans. Mais il se montrait hérétique par ses signes et ses discours, bien plus clairement encore ; car il disait : « Je sais que je perdrai ma terre pour ces Bons Hommes ; eh bien ! la perte de ma terre, et encore celle de la tête, je suis prêt à tout souffrir. » 115 — page 383 — Le pape fut un instant ébranlé... Il reprocha à Montfort « d’étendre des mains avides jusque sur celles des terres de Raymond qui n’étaient nullement infectées d’hérésie, et de ne lui avoir guère laissé que Montauban et Toulouse... » Don Pedro d’Aragon se plaignait qu’on envahît injustement les possessions de ses vassaux les comtes de Foix, de Comminges et de Béarn, et que Montfort lui vînt enlever ses propres terres tandis qu’il combattait les Sarrasins. Epist. Inn. III, 708-10. 116 — page 388 — Jean se soumit et fit hommage au pape... Rymer, t. I, p. 111 : « Johannes Dei gratia rex Angliæ... libere concedimus Deo et SS. Apostolis, etc., ac domino nostro papæ Innocentio ejusque catholicis successoribus totum regnum Angliæ, et totum regnum Hiberniæ, etc... illa tanquam feodatarius recipientes... Ecclesia romana mille marcas sterlingorum percipiat annuatim, etc. » Les barons déclarèrent leur roi dégradé par sa soumission aux prêtres... Math. Paris, p. 271 : « Tu Johannes lugubris memoriæ pro futuris sæculis, ut terra tua, ab antiquo libera, ancillaret, excogitasti, factus de rege liberrimo tributarius, firmarius, et vasallus servitutis. » 117 — page 397 — Innocent III voulut, dit-on, réparer... « Quand le saint-père eut entendu tout ce que lui voulurent dire les uns et les autres, il jeta un grand soupir ; puis s’étant retiré en son particulier et avec son conseil, lesdits seigneurs se retirèrent aussi en leur logis, attendant la réponse que leur voudrait faire le saint-père. « Quand le saint-père se fut retiré, vinrent devers lui tous les prélats du parti du légat et du comte de Montfort, qui lui dirent et montrèrent que, s’il rendait à ceux qui étaient venus recourir à lui leurs terres et seigneuries et refusait de les croire eux-mêmes, il ne fallait plus qu’homme du monde se mêlât des affaires de l’Église, ni fît rien pour elle. Quand tous les prélats eurent dit ceci, le saint-père prit un livre, et leur montra à tous comment, s’ils ne rendaient pas lesdites terres et seigneuries à ceux à qui on les avait ôtées, ce serait leur faire grandement tort : car il avait trouvé et trouvait le comte Ramon fort obéissant à l’Église et à ses commandements, ainsi que tous les autres qui étaient avec lui. « Par laquelle raison, dit-il, je leur donne congé et licence de recouvrer leurs terres et seigneuries sur ceux qui les retiennent injustement. » Alors vous auriez vu lesdits prélats murmurer contre le saint-père et les princes, en telle sorte qu’on eût dit qu’ils étaient plutôt gens désespérés qu’autrement, et le saint-père fut tout ébahi de se trouver en tel cas que les prélats fussent émus comme ils l’étaient contre lui. « Quand le chantre de Lyon d’alors, qui était un des grands clercs que l’on connût dans tout le monde, vit et ouït lesdits prélats murmurer en cette sorte contre le saint-père et les princes, il se leva, prit la parole contre les prélats, disant et montrant au saint-père que tout ce que les prélats disaient et avaient dit n’était autre chose sinon une grande malice et méchanceté combinées contre lesdits princes et seigneurs, et contre toute vérité : « Car, seigneur, dit-il, tu sais bien, en ce qui touche le comte Ramon, qu’il t’a toujours été obéissant, et que c’est une vérité qu’il fut des premiers à mettre ses places en tes mains et ton pouvoir, ou celui de ton légat. Il a été aussi un des premiers qui se sont croisés : il a été au siège de Carcassonne contre son neveu le vicomte de Béziers, ce qu’il fit pour te montrer combien il t’était obéissant, bien que le vicomte fût son neveu, de laquelle chose aussi ont été faites des plaintes. C’est pourquoi il me semble, seigneur, que tu feras grand tort au comte Ramon, si tu ne lui rends et fais rendre ses terres, et tu en auras reproche de Dieu et du monde, et dorénavant, seigneur, il ne sera homme vivant qui se fie en toi ou en tes lettres, et qui y donne foi ni créance, ce dont toute l’Église militante pourra encourir diffamation et reproche. C’est pourquoi je vous dis que vous, évêque de Toulouse, vous avez grand tort, et montrez bien par vos paroles que vous n’aimez pas le comte Ramon, non plus que le peuple dont vous êtes pasteur ; car vous avez allumé un tel feu dans Toulouse, que jamais il ne s’éteindra ; vous avez été la cause principale de la mort de plus de dix mille hommes, et en ferez périr encore autant, puisque, par vos fausses représentations, vous montrez bien persévérer en les mêmes torts ; et par vous et votre conduite la cour de Rome a été tellement diffamée que par tout le monde il en est bruit et renommée, et il me semble, seigneur, que pour la convoitise d’un seul homme tant de gens ne devraient pas être détruits ni dépouillés de leurs biens. » « Le saint-père pensa donc un peu à son affaire ; et quand il eut pensé, il dit : « Je vois bien et reconnais qu’il a été fait grand tort aux seigneurs et princes qui sont venus devers moi ; mais toutefois j’en suis innocent, et n’en savais rien ; ce n’est pas par mon ordre qu’ont été faits ces torts, et je ne sais aucun gré à ceux qui les ont faits, car le comte Ramon s’est toujours venu rendre vers moi comme véritablement obéissant, ainsi que les princes qui sont avec lui. » « Alors donc se leva debout l’archevêque de Narbonne. Il prit la parole, et dit et montra au saint-père comment les princes n’étaient coupables d’aucune faute pour qu’on les dépouillât ainsi, et qu’on fît ce que voulait l’évêque de Toulouse, « qui toujours, continua-t-il, nous a donné de très damnables conseils, et le fait encore à présent ; car je vous jure la foi que je dois à la sainte Église, que le comte Ramon a toujours été obéissant à toi, saint-père, et à la sainte Église, ainsi que tous les autres seigneurs qui sont avec lui ; et s’ils se sont révoltés contre ton légat et le comte de Montfort, il n’ont pas eu tort ; car le légat et le comte de Montfort leur ont ôté toutes leurs terres, ont tué et massacré de leurs gens sans nombre, et l’évêque de Toulouse, ici présent, est cause de tout le mal qui s’y fait, et tu peux bien connaître, seigneur, que les paroles dudit évêque n’ont pas vraisemblance ; car si les choses étaient comme il le dit et le donne à entendre, le comte Ramon et les seigneurs qui l’accompagnent ne seraient venus vers toi, comme ils l’ont fait, et comme tu le vois. » « Quand l’archevêque eut parlé, vint un grand clerc appelé maître Théodise, lequel dit et montra au saint-père tout le contraire de ce que lui avait dit l’archevêque de Narbonne. « Tu sais bien, seigneur, lui dit-il, et es averti des très grandes peines que le comte de Montfort et le légat ont prises nuit et jour avec grand danger de leurs personnes, pour réduire et changer le pays des princes dont on a parlé, lequel était tout plein d’hérétiques. Ainsi, seigneur, tu sais bien que maintenant le comte de Montfort et ton légat ont balayé et détruit lesdits hérétiques, et pris en leurs mains le pays ; ce qu’ils ont fait avec grand travail et peine, ainsi que chacun le peut bien voir ; et maintenant que ceux-ci viennent à toi, tu ne peux rien faire ni user de rigueur contre ton légat. Le comte de Montfort a bon droit et bonne cause pour prendre leurs terres ; et si tu les lui ôtais maintenant, tu lui ferais grand tort ; car nuit et jour le comte de Montfort se travaille pour l’Église et pour ses droits, ainsi qu’on te l’a dit. » « Le saint-père ayant ouï et écouté chacun des deux partis, répondit à maître Théodise et à ceux de sa compagnie qu’il savait bien tout le contraire de leur dire, car il avait été bien informé que le légat détruisait les bons et les justes, et laissait les méchants sans punition, et grandes étaient les plaintes qui chaque jour lui venaient de toutes parts contre le légat et le comte de Montfort. Tous ceux donc qui tenaient le parti du légat et du comte de Montfort se réunirent et vinrent devant le saint-père lui dire et le prier qu’il voulût laisser au comte de Montfort, puisqu’il les avait conquis, les pays de Bigorre, Carcassonne, Toulouse, Agen, Quercy, Albigeois, Foix et Comminges : « Et s’il arrive seigneur, lui dirent-ils, que tu lui veuilles ôter lesdits pays et terres, nous te jurons et promettons que tous nous l’aiderons et secourrons envers et contre tous. » « Quand ils eurent ainsi parlé, le saint-père leur dit et répondit que, ni pour eux, ni pour aucune chose qu’ils lui eussent dite, il ne ferait rien de ce qu’ils voulaient, et qu’homme au monde ne serait dépouillé par lui ; car, en pensant que la chose fût ainsi qu’ils le disaient, et que le comte Ramon eût fait tout ce qu’on a dit et exposé, il ne devrait pas pour cela perdre sa terre et son héritage ; car Dieu a dit de sa bouche « que le père ne payerait pas l’iniquité du fils, ni le fils celle de son père », et il n’est homme qui ose soutenir et maintenir le contraire ; d’un autre côté il était bien informé que le comte de Montfort avait fait mourir à tort et sans cause le vicomte de Béziers pour avoir sa terre : « Car, ainsi que je l’ai reconnu, dit-il, jamais le vicomte de Béziers ne contribua à cette hérésie... Et je voudrais bien savoir entre vous autres, puisque vous prenez si fort parti pour le comte de Montfort, quel est celui qui voudra charger et inculper le vicomte, et me dire pourquoi le comte de Montfort l’a fait ainsi mourir, a ravagé sa terre et la lui a ôtée de cette sorte ? » Quand le saint-père eut ainsi parlé, tous ses prélats lui répondirent que bon gré mal gré, que ce fût bien ou mal, le comte de Montfort garderait les terres et seigneuries, car ils l’aideraient à se défendre envers et contre tous, vu qu’il les avait bien et loyalement conquises. « L’évêque d’Osma, voyant ceci, dit au saint-père : « Seigneur, ne t’embarrasse pas de leurs menaces, car je te le dis en vérité, l’évêque de Toulouse est un grand vantard, et leurs menaces n’empêcheront pas que le fils du comte Ramon ne recouvre sa terre sur le comte de Montfort. Il trouvera pour cela aide et secours, car il est neveu du roi de France, et aussi de celui de l’Angleterre et d’autres grands seigneurs et princes. C’est pourquoi il saura bien défendre son droit, quoiqu’il soit jeune. » « Le saint-père répondit : « Seigneurs, ne vous inquiétez pas de l’enfant, car si le comte de Montfort lui retient ses terres et seigneuries, je lui en donnerai d’autres avec quoi il reconquerra Toulouse, Agen et aussi Beaucaire ; je lui donnerai en toute propriété le comté de Venaissin, qui a été à l’empereur, et s’il a pour lui Dieu et l’Église, et qu’il ne fasse tort à personne au monde, il aura assez de terres et seigneuries. » Le comte Ramon vint donc devers le saint-père avec tous les princes et seigneurs, pour avoir réponse sur leurs affaires et la requête que chacun avait faite au saint-père, et le comte Ramon lui dit et montra comment ils avaient demeuré un long temps en attendant la réponse de leur affaire et de la requête que chacun lui avait faite. Le saint-père dit donc au comte Ramon que pour le moment il ne pouvait rien faire pour eux, mais qu’il s’en retournât et lui laissât son fils, et quand le comte Ramon eut ouï la réponse du saint-père, il prit congé de lui et lui laissa son fils ; et le saint-père lui donna sa bénédiction. Le comte Ramon sortit de Rome avec une partie de ses gens, et laissa les autres à son fils, et entre autres y demeura le comte de Foix, pour demander sa terre et voir s’il la pourrait recouvrer ; et le comte Ramon s’en alla droit à Viterbe pour attendre son fils et les autres qui étaient avec lui, comme on l’a dit. « Tout ceci fait, le comte de Foix se retira devers le saint-père pour savoir si la terre lui reviendrait ou non ; et lorsque le saint-père eut vu le comte de Foix, il lui rendit ses terres et seigneuries, lui bailla ses lettres comme il était nécessaire en telle occasion, dont le comte de Foix fut grandement joyeux et allègre, et remercia grandement le saint-père, lequel lui donna sa bénédiction et absolution de toutes choses jusqu’au jour présent. Quand l’affaire du comte de Foix fut finie, il partit de Rome, tira doit à Viterbe devers le comte Ramon, et lui conta toute son affaire, comment il avait eu son absolution, et comment aussi le saint-père lui avait rendu sa terre et seigneurie ; il lui montra ses lettres, dont le comte Ramon fut grandement joyeux et allègre ; ils partirent donc de Viterbe, et vinrent droit à Gênes, où ils attendirent le fils du comte Ramon. « Or, l’histoire dit qu’après tout ceci, et lorsque le fils du comte Ramon eut demeuré à Rome l’espace de quarante jours, il se retira un jour devers le saint-père avec ses barons et les seigneurs qui étaient de sa compagnie. Quand il fut arrivé, après salutation faite par l’enfant au saint-père, ainsi qu’il le savait bien faire, car l’enfant était sage et bien morigéné, il demanda congé au saint-père de s’en retourner, puisqu’il ne pouvait avoir d’autre réponse ; et quand le saint-père eut entendu et écouté tout ce que l’enfant lui voulut dire et montrer, il le prit par la main, le fit asseoir à côté de lui, et se prit à lui dire : « Fils, écoute, que je te parle, et ce que je veux te dire, si tu le fais, jamais tu ne fauldras en rien. « Premièrement, que tu aimes Dieu et le serves, et ne prennes rien du bien d’autrui : le tien, si quelqu’un veut te l’ôter, défends-le, en quoi faisant tu auras beaucoup de terres et seigneuries ; et afin que tu ne demeures pas sans terres ni seigneuries, je te donne le comté de Venaissin avec toutes ses appartenances, la Provence et Beaucaire, pour servir à ton entretien, jusqu’à ce que la sainte Église ait assemblé son concile. Alors tu pourras revenir deçà les monts pour avoir droit et raison de ce que tu demandes contre le comte de Montfort. » « L’enfant remercia donc le saint-père de ce qu’il lui avait donné, et lui dit : « Seigneur, si je puis recouvrer ma terre sur le comte de Montfort et ceux qui la retiennent, je te prie, seigneur, que tu ne me saches pas mauvais gré, et ne sois pas courroucé contre moi. » Le saint-père lui répondit : « Quoi que tu fasses, Dieu te permet de bien commencer et mieux achever. » Nous avons copié mot pour mot une ancienne chronique qui n’est qu’une traduction du Poème des Albigeois, sans oublier pourtant que la poésie est fiction, sans fermer les yeux sur ce que présente d’improbable la supposition du poète qui prête au pape l’intention de défaire tout ce qu’il a fait avec tant de peine et une si grande effusion de sang. Voy. la note de la page 397. 118 — page 398 — Tout le Midi se jeta dans les bras de Philippe-Auguste... Raymond VII écrit à Philippe-Auguste (juillet 1222) : « Ad vos, domine, sicut ad meum unicum et principale recurro refugium... humiliter vos deprecans et exorans quatenus mei misereri velitis. » Preuves de l’Histoire du Langued., III, 275. — (Décembre 1222) : « Cum... Amalricus supplicaverit nobis ut dignemini juxta beneplacitum vestrum, terram accipere vobis et hæredibus vestris in perpetuum, quam tenuit vel tenere debuit, ipse, vel pater suus in partibus Albigensibus et sibi vicinis, gaudemus super hoc, desiderantes Ecclesiam et terram illam sub umbra vestri nominis gubernari et rogantes affectuose quantum possumus, quatenus celsæ majestatis vestræ regia potestas, intuitu regis regum, et pro honore sanctæ matris Ecclesiæ ac regni vestri, terram prædictam ad oblationem et resignationem dicti comitis recipiatis ; et invenietis nos et cæteros prælatos paratos vires nostras effundere in hoc negotio pro vobis, et expendere quidquid ecclesia in partibus illis habet, vel est habitura. » Preuv. de l’Hist. du Langued., III, 276. — (1223) : « Dum dudum et diu soli sederemus in Biterris civitate, singulis momentis mortem expectantes, optataque nobis fuit in desiderio, vita nobis existente in supplicium, hostibus fidei et pacis undique gladios suos in capita nostra exerentibus, ecce, rex reverende, intravit kal. Maii cursor ad nos, qui... nuntiavit nobis verbum bonum, verbum consolationis, et totius miseriæ nostræ allevationis, quod videlicet placet celsitudinis vestræ magnificentiæ, convocatis prælatis et baronibus regni vestri apud Melodunum, ad tractandum super remedio et succursu terræ, quæ facta est in horrendam desolationem et in sibilum sempiternum, nisi Dominus ministerio regiæ dexteræ vestræ citius succurratus, super quo, tanto mœrore scalidi, tanta lugubratione defecti respirantes, gratias primum, elevatis oculis ac manibus in cœlum, referimus altissimo, in cujus manu corda regum consistunt, scientes hoc divinitus vobis esse inspiratum, etc... Flexis itaque genibus, reverendissime Rex, lacrymis in torrentem deductis, et singultibus lacerati, regiæ supplicamus majestati quatenus vobis inspiratæ gratiæ Dei non deesse velitis... quod universalis Ecclesiæ imminet subversio in regno vestro, nisi vos occurratis et sucurratis, etc... » Ibid., 278. 119 — page 407 — Le dogme de l’immaculée conception, etc... L’Église de Lyon l’avait instituée en 1131. Saint Bernard lui écrivit une longue lettre pour la tancer de cette nouveauté (Epist. 174). Elle fut approuvée par Alain de Lille et par Petrus Cellensis (L. VI, epist 23 ; IX, 9 et 10). Le concile d’Oxford la condamna en 1222. — Les Dominicains se déclarèrent pour saint Bernard, l’Université pour l’Église de Lyon. Bulæus, Hist. Univ. Paris., II, 138, IV, 618, 964. Voyez Duns Scot, Sententiarum liber III, dist. 3, qu. 1, et dist. 18, qu. I. Il disputa, dit-on, pour l’immaculée conception, contre deux cents Dominicains, et amena l’Université à décider : « Ne ad ullos gradus scholasticos admitteretur ullus, qui prius non juraret se defensurum B. Virginem a noxa originaria. » Wadding., Ann. Minorum, ann. 1394. Bulæus, IV, p. 71. « La Vierge ouvrit son capuchon devant son serviteur Dominique, etc... » Acta SS. Theodor. de Appoldia, p. 583. « Totam cœlestem patriam amplexando dulciter continebat. » — Pierre Damiani disait que Dieu lui-même avait été enflammé d’amour pour la Vierge. Il s’écrie dans un sermon (Sermo XI, de Annunt. B. Mar., p. 171) : « O venter diffusior cœlis, terris amplior, capacior elementis ! etc. » — Dans un sermon sur la Vierge, de l’archevêque de Kenterbury, Étienne Langton, on trouve ces vers : Bele Aliz matin leva, Sun cors vesti et para, Ens un vergier s’en entra, Cink fleurettes y truva ; Un chapelet fit en a De bele rose flurie. Pur Dieu trahez vus en là, Vus ki ne amez mie ; Ensuite il applique mystiquement chaque vers à la mère du Sauveur, et s’écrie avec enthousiasme : Ceste est la belle Aliz, Ceste est la flur, Ceste est le lis. Roquefort, Poésies du douzième et du treizième siècle. On a attribué au franciscain saint Bonaventure le Psalterium minus et le Psalterium majus B. Mariæ Virginis. Ce dernier est une sorte de parodie sérieuse où chaque verset est appliqué à la Vierge. Psalm. I : « Universas enim fœminas vincis pulchritudine carnis ! » 120 — page 410 — Vingt-cinq seigneurs et dix-sept archevêques et évêques, etc... Voy. la lettre des évêques du Midi à Louis VIII, Preuves de l’Histoire du Lang., p. 289, et les lettres d’Honorius III, ap. Scr. fr. XIX, 699-723. 121 — page 411 — Le testament de Louis VIII, etc... Archives du royaume, J, carton 401, Lettre et témoignage de l’archevêque de Sens et de l’évêque de Beauvais. — J, carton 403, Testament de Louis VIII. 122 — page 413 — La régente empêcha le comte de Champagne d’épouser la fille de Mauclerc... Elle lui écrivit, dit-on : « Sire Thibaud de Champaigne, j’ai entendu que vous avez convenancé et promis à prenre à femme la fille au comte Perron de Bretaigne. Partant vous mande que si ne voulez perdre quan que vous avez au royaume de France, que vous ne le faites. Si cher que avez tout tant que amez au dit royaume, ne le faites pas. La raison pourquoy vous sçavez bien. Je n’ai jamais trouvé pis qui mal m’ait voulu faire que luy. » D. Morice, I, 158. 123 — page 414 — Soumission du comte de Toulouse... Voy. les articles du Traité, inséré au tome III des Preuves de l’Histoire du Languedoc, p. 329, sqq., et au tome XIX du Recueil des Historiens de France, p. 219, sqq. 124 — page 417 — Saint Louis, Espagnol du côté de Blanche... Il était parent par sa mère d’Alphonse X, roi de Castille ; celui-ci lui avait promis des secours pour la croisade ; mais il mourut en 1252, et saint Louis « en fut fort affligé. » Math. Paris, p. 565. — « A son retour, il fit frapper, dit Villani, des monnaies où les uns voient des menottes, en mémoire de sa captivité ; les autres, les tours de Castille. » Ce qui vient à l’appui de cette dernière opinion, c’est que les frères de saint Louis, Charles et Alphonse, mirent les tours de Castille dans leurs armes. Michaud, IV, 445. 125 — page 417 — Le sultan d’Égypte était le meilleur ami de Frédéric II... Extraits d’historiens arabes, par Reinaud (Bibl. des Croisades, IV, 117, sqq.). « L’émir Fakr-Eddin était entré fort avant, dit Yaféi, dans la confiance de l’empereur ; ils avaient de fréquents entretiens sur la philosophie, et leurs opinions paraissaient se rapprocher sur beaucoup de points. — Ces étroites relations scandalisèrent beaucoup les chrétiens... « Je n’aurais pas tant insisté, dit-il à Fakr-Eddin, pour qu’on me remît Jérusalem, si je n’avais craint de perdre tout crédit en Occident ; mon but n’a pas été de délivrer la ville sainte, ni rien de semblable ; j’ai voulu conserver l’estime des Francs. » — « L’empereur était roux et chauve : il avait la vue faible ; s’il avait été esclave, on n’en aurait pas donné deux cents drachmes. Ses discours montraient assez qu’il ne croyait pas à la religion chrétienne ; quand il en parlait, c’était pour s’en railler... etc... Un moezzin récita près de lui un verset de l’Alcoran qui nie la divinité de Jésus-Christ. Le sultan le voulut punir ; Frédéric s’y opposa. » — Il se fâcha contre un prêtre qui était entré dans une mosquée l’Évangile à la main, et jura de punir sévèrement tout chrétien qui y entrerait sans une permission spéciale. — On a vu plus haut quelles relations amicales Richard entretenait avec Salaheddin et Malek-Adhel. — Lorsque Jean de Brienne fut assiégé dans son camp (en 1221), il fut comblé par le sultan de témoignages de bienveillance. « Dès lors, dit un auteur arabe (Makrizi), il s’établit entre eux une liaison sincère et durable, et tant qu’ils vécurent, ils ne cessèrent de s’envoyer des présents et d’entretenir un commerce d’amitié. » Dans une guerre contre les Kharismiens, les chrétiens de Syrie se mirent pour ainsi dire sous les ordres des infidèles. On voyait les chrétiens marcher leurs croix levées ; les prêtres se mêlaient dans les rangs, donnaient des bénédictions, et offraient à boire aux musulmans dans leurs calices. Ibid., 445, d’après Ibn-Giouzi, témoin oculaire. 126 — page 420 — Les Mongols avançaient lents, irrésistibles... « Ils avaient, dit Mathieu Paris, ravagé et dépeuplé la grande Hongrie : ils avaient envoyé des ambassadeurs avec des lettres menaçantes à tous les peuples. Leur général se disait envoyé du Dieu très haut pour dompter les nations qui lui étaient rebelles. Les têtes de ces barbares sont grosses et disproportionnées avec leurs corps ; ils se nourrissent de chairs crues et même de chair humaine ; ce sont des archers incomparables ; ils portent avec eux des barques de cuir, avec lesquelles ils passent tous les fleuves ; ils sont robustes, impies, inexorables ; leur langue est inconnue à tous les peuples qui ont quelque rapport avec nous (quos nostra attingit notitia). Ils sont riches en troupeaux de moutons, de bœufs, de chevaux si rapides qu’ils font trois jours de marche en un jour. Ils portent par devant une bonne armure, mais aucune par derrière, pour n’être jamais tentés de fuir. Ils nomment khan leur chef, dont la férocité est extrême. Habitant la plage boréale, les mers Caspiennes, et celles qui leur confinent, ils sont nommés Tartares, du nom du fleuve Tar. Leur nombre est si grand qu’ils semblent menacer le genre humain de sa destruction. Quoiqu’on eût déjà éprouvé d’autres invasions de la part des Tartares, la terreur était plus grande cette année, parce qu’ils semblaient plus furieux que de coutume ; aussi les habitants de la Gothie et de la Frise, redoutant leurs attaques, ne vinrent point cette année, comme ils le faisaient d’ordinaire, sur les côtes d’Angleterre, pour charger leurs vaisseaux de harengs : les harengs se trouvèrent en conséquence tellement abondants en Angleterre, qu’on les vendait presque pour rien ; même dans les endroits éloignés de la mer, on en donnait quarante ou cinquante d’excellents pour une petite pièce de monnaie. Un messager sarrasin, puissant et illustre par sa naissance, qui était venu en ambassade solennelle auprès du roi de France, principalement de la part du Vieux de la Montagne, annonçait ces événements au nom de tous les Orientaux, et il demandait du secours aux Occidentaux, pour réprimer la fureur des Tartares. Il envoya un de ses compagnons d’ambassade au roi d’Angleterre pour lui exposer les mêmes choses, et lui dire que si les musulmans ne pouvaient soutenir le choc de ces ennemis, rien ne les empêcherait d’envahir tout l’Occident. L’évêque de Winchester, qui était présent à cette audience (c’était le favori d’Henri III), et qui avait déjà revêtu la croix, prit d’abord la parole en plaisantant. « Laissons, dit-il, ces chiens se dévorer les uns les autres, pour qu’ils périssent plus tôt. Quand ensuite nous arriverons sur les ennemis du Christ qui resteront en vie, nous les égorgerons plus facilement, et nous en purgerons la surface de la terre. Alors le monde entier sera soumis à l’Église catholique, et il ne restera plus qu’un seul Pasteur et une seule bergerie. » Math. Paris, p. 318. 127 — page 428 — Les envoyés du Vieux de la Montagne, etc... Il envoya demander au roi l’exemption du tribut qu’il payait aux Hospitaliers et aux Templiers. « Darière l’amiral avoit un Bacheler bien atourné, qui tenoit trois coutiaus en son poing, dont l’un entroit ou manche de l’autre ; pour ce que se l’amiral eust été refusé, il eust présenté au roy ces trois coutiaus pour li deffier. Darière celi qui tenoit les trois coutiaus, avoit un autre qui tenoit un bouqueran (pièce de toile de coton) entorteillé entour son bras, que il eust aussi présenté au roi pour li ensevelir, se il eust refusée la requeste au Vieil de la Montaigne. » Joinville, p. 95. — « Quand le viex chevauchoit, dit encore Joinville, il avoit un crieur devant li qui portoit une hache danoise à lonc manche tout couvert d’argent, à tout pleins de coutiaus ferus ou manche et crioit : « Tournés-vous de devant celi qui porte la mort des rois entre ses mains. » P. 97. Les Francs dans l’abondance s’énervaient... Joinville, p. 37 : « Le commun peuple se prist aus foles femmes, dont il avint que le roy donna congié à tout plein de ses gens, quant nous revinmes de prison ; et je li demandé pourquoy il avoit ce fait ; et il me dit que il avoit trouvé de certein, que au giet d’une pierre menue, entour son paveillon tenoient cil leur bordiaus à qui il avoit donné congié, et ou temps du plus grant meschief que l’ost eust onques été. » — « Les barons qui deussent garder le leur pour bien emploier en lieu et en tens, se pristrent à donner les grans mangers et les outrageuses viandes. » 128 — page 428 — Un coup de vent ayant poussé saint Louis vers Damiette... « Il est vraisemblable que saint Louis aurait opéré sa descente sur le même point que Bonaparte (à une demi-lieue d’Alexandrie), si la tempête qu’il avait essuyée en sortant de Limisso, et les vents contraires peut-être, ne l’avaient porté sur la côte de Damiette. Les auteurs arabes disent que le soudan du Caire, instruit des dispositions de saint Louis, avait envoyé des troupes à Alexandrie comme à Damiette, pour s’opposer au débarquement. » Michaud, IV, 236. 129 — page 433 — Saint Louis prisonnier... On dit au roi que les amiraux avaient délibéré de le faire soudan de Babylone... « Et il me dit qu’il ne l’eust mie refusé. Et sachiez que il ne demoura (que ce dessein n’échoua) pour autre chose que pource que ils disoient que le Roy estoit le plus ferme crestien que en peust trouver ; et cest exemple en monstroient, à ce que quant ils se partoient de la héberge, il prenoit sa croiz à terre et seignoit tout son cors ; et disoient que se celle gent fesoient soudanc de li, il les occiroit tous, ou ils deviendroient crestiens. » Joinville, p. 78. Les Arabes chantèrent sa défaite et plus d’un peuple chrétien, etc... Suivant M. Rifaut, la chanson qui fut composée à cette occasion se chante encore aujourd’hui. — Reinaud, Extraits d’historiens arabes (Biblioth. des Croisades, IV, 475). — Suivant Villani, Florence, où dominaient les Gibelins, célébra par des fêtes le revers des croisés. Michaud, IV, 373. Sa mère était morte... Joinville, p. 126 : « A Sayette vindrent les nouvelles au Roy que sa mère estoit morte. Si grand deuil en mena, que de deux jours on ne pot oncques parler à li. Après ce m’envoia querre par un vallet de sa chambre. Quant je ving devant li en sa chambre, là où il estoit tout seul, et il me vit et estandi ses bras et me dit : A ! Seneschal ! j’ai pardu ma mère. » — Lorsque saint Louis traitait avec le soudan pour sa rançon, il lui dit que s’il voulait désigner une somme raisonnable, il manderait à sa mère qu’elle la payât. « Et ils distrent : Comment est-ce que vous ne nous voulez dire que vous ferez ces choses ? et le roy respondi que il ne savoit se la reine le vourroit faire pour ce que elle estoit sa dame. » Ibid., 73. 130 — page 436 — L’insurrection des Pastoureaux... Math. Paris, p. 550, sqq. — « Aux premiers soulèvements du peuple de Sens, les rebelles se créèrent un clergé, des évêques, un pape avec ses cardinaux. » Continuateur de Nangis, 1315. — Les Pastoureaux avaient aussi une espèce de tribunal ecclésiastique. Ibid., 1320. — Les Flamands s’étaient soumis à une hiérarchie, à laquelle ils durent de pouvoir prolonger longtemps leur opiniâtre résistance. Grande Chron. de Flandre, quatorzième siècle. — Les plus fameux routiers avaient pris le titre d’archiprêtres. Froissart, vol. I, ch. clxxvii. — Les Jacques eux-mêmes avaient formé une monarchie. Ibid., ch. clxxxiv. — Les Maillotins s’étaient de même classés en dizaines, cinquantaines et centaines. Ibid., ch. clxxxii-iii-iv, Juvén. des Ursins, ann. 1382, et Anon. de Saint-Denis, hist. de Ch. VI ; Monteil, t. I, p. 286. 131 — page 440 — Une association s’était formée, etc... A la tête se trouvait Robert Twinge, chevalier du Yorkshire, qu’une provision papale avait privé du droit d’élire à un bénéfice provenant de sa famille. Ces associés, bien qu’ils ne fussent que quatre-vingts, parvinrent, par la célérité et le mystère de leurs mouvements, à persuader au peuple qu’ils étaient en bien plus grand nombre. Ils assassinèrent les courriers du pape, écrivirent des lettres menaçantes aux ecclésiastiques étrangers, etc. Au bout de huit mois, le roi interposa son autorité. Twinge se rendit à Rome, où il gagna son procès, et conféra le bénéfice, etc. Lingard, III, 161. 132 — page 447 — L’empereur Frédéric II... « Frédéric, dit Villani (l. VI, c. i), fut un homme doué d’une grande valeur et de rares talents ; il dut sa sagesse autant aux études qu’à sa prudence naturelle. Versé en toute chose, il parlait la langue latine, notre langue vulgaire (l’italien), l’allemand, le français, le grec et l’arabe. Abondant en vertus, il était généreux, et à ses dons il joignait encore la courtoisie ; guerrier vaillant et sage, il fut aussi fort redouté. Mais il fut dissolu dans la recherche des plaisirs ; il avait un grand nombre de concubines, selon l’usage des Sarrasins ; comme eux, il était servi par des mameluks ; il s’abandonnait à tous les plaisirs des sens, et menait une vie épicurienne, n’estimant pas qu’aucune autre vie dût venir après celle-ci... Aussi ce fut la raison principale pour laquelle il devint l’ennemi de la sainte Église. » « Frédéric, dit Nicolas de Jamsila (Hist. Conradi et Manfredi, t. VIII, p. 495), fut un homme d’un grand cœur ; mais la sagesse, qui ne fut pas moins grande en lui, tempérait sa magnanimité, en sorte qu’une passion impétueuse ne déterminait jamais ses actions, mais qu’il procédait toujours avec la maturité de la raison... Il était zélé pour la philosophie ; il la cultiva pour lui-même, il la répandit dans ses États. Avant les temps heureux de son règne, on n’aurait trouvé en Sicile que peu ou point de gens de lettres ; mais l’empereur ouvrit dans son royaume des écoles pour les arts libéraux et pour toutes les sciences ; il appela des professeurs de différentes parties du monde, et leur offrit des récompenses libérales. Il ne se contenta pas de leur accorder un salaire ; il prit sur son propre trésor de quoi payer une pension aux écoliers les plus pauvres, afin que dans toutes les conditions les hommes ne fussent point écartés par l’indigence de l’étude de la philosophie. Il donna lui-même une preuve de ses talents littéraires, qu’il avait surtout dirigés vers l’histoire naturelle, en écrivant un livre sur la nature et le soin des oiseaux, où l’on peut voir combien l’empereur avait fait de progrès dans la philosophie. Il chérissait la justice, et la respectait si fort, qu’il était permis à tout homme de plaider contre l’empereur, sans que le rang du monarque lui donnât aucune faveur auprès des tribunaux, ou qu’aucun avocat hésitât à se charger contre lui de la cause du dernier de ses sujets. Mais, malgré cet amour pour la justice, il en tempérait quelquefois la rigueur par sa clémence. » (Traduction de Sismondi. Remarquez que Villani est guelfe, et Jamsila gibelin.) 133 — page 447 — Le royaume de Naples resta au bâtard Manfred, au vrai fils de Frédéric II... Voici le portrait qu’en font les contemporains, Math. Spinelli, Ricordon, Summonte, Collonueio, etc. Il était doué d’un grand courage, aimait les arts, était généreux et avait beaucoup d’urbanité. Il était bien fait et beau de visage ; mais il menait une vie dissolue ; il déshonora sa sœur, mariée au comte de Caserte ; il ne craignait ni Dieu ni les saints ; il se lia avec les Sarrasins, dont il se servit pour tyranniser les ecclésiastiques, et s’adonna à l’astrologie superstitieuse des Arabes. — Il se vantait de sa naissance illégitime, et disait que les grands naissaient d’ordinaire d’unions défendues. Michaud, V, 43. 134 — page 452 — L’horreur pour les Sarrasins avait diminué... Saint Louis montra pour les Sarrasins une grande douceur. « Il fesait riches moult de Sarrasins que il avait fèt baptizer, et les assembloit par mariages avecque crestiennes... Quand il estoit outre mer, il commanda et fist commander à sa gent que ils n’occissent pas les femmes ne les enfans des Sarrasins ; ainçois les preissent vis et les amenassent pour fère les baptisier. Ausinc il commandoit en tant come il pooit, que les Sarrasins ne fussent pas ocis, mès fussent pris et tenuz en prizon. Et aucune foiz forfesait l’en en sa court d’escueles d’argent ou d’autres choses de telle manière ; et doncques li benoiez rois le soufroit débonnèrement, et donnoit as larrons aucune somme d’argent, et les envéoit outre mer ; et ce fist-il de plusieurs. Il fut tosjors à autrui moult plein de miséricorde et piteus. » Le Confesseur, p. 302, 388. 135 — page 464 — Saint Louis envoyait des Mendiants pour surveiller les provinces, etc... Math. Paris, ad. ann. 1247, p. 493. — Par son testament (1269), il leur légua ses livres et de fortes sommes d’argent, et institua pour nommer aux bénéfices vacants un conseil composé de l’évêque de Paris, du chancelier, du prieur des Dominicains et du gardien des Franciscains. Bulæus, III, 1269. — Après la première croisade, il eut toujours deux confesseurs, l’un dominicain, l’autre franciscain. Gaufred., de Bell. loc., ap. Duchesne, V, 451. — Le confesseur de la reine Marguerite rapporte qu’il eut la pensée de se faire dominicain, et que ce ne fut qu’avec peine que sa femme l’en empêcha. — Il eut soin de faire transmettre au pape le livre de Guillaume de Saint-Amour. Le pape l’en remercia, en le priant de continuer aux moines sa protection. Bulæus, III, 313. 136 — page 466 et note 1 — En 1246, Pierre Mauclerc forme une ligue contre le clergé, etc... Trésor des chartes, Champagne, VI, no 84 ; et ap. Preuves des libertés de l’Église gallicane, I, 29. 1247. Ligue de Pierre de Dreux Mauclerc avec son fils le duc Jean, le comte d’Angoulême et le comte de Saint-Pol, et beaucoup d’autres seigneurs, contre le clergé. — « A tous ceux qui ces lettres verront, nous tuit, de qui le seel pendent en cet présent escript, faisons à sçavoir que nous, par la foy de nos corps, avons fiancez sommes tenu, nous et notre hoir, à tousjours à aider li uns à l’autre, et à tous ceux de nos terres et d’autres terres qui voudront estre de cette compagnie, à pourchacier, à requerre et à défendre nos droits et les leurs en bonne foy envers le clergié. Et pour ce que grieffsve chose seroit, nous tous assembler pour cette besogne, nous avons eleu, par le commun assent et octroy de nous tous, le duc de Bourgogne, le comte Perron de Bretaigne, le comte d’Angolesme et le comte de Sainct-Pol ; ... et si aucuns de cette compagnie estoient excommuniez, par tort conneu par ces quatre, que le clergié li feist, il ne laissera pas aller son droict ne sa querele pour l’excommuniement, ne pour autre chose que on li face, etc. » Preuv. des lib. de l’Égl. gallic., I, 99. Voy. aussi p. 95, 97, 98. 137 — page 467 — Cette âme tendre et pieuse, blessée dans tous ses amours, etc... Lorsque saint Louis eut résolu de retourner en France « lors me dit robe entre ly et moy sanz plus, et me mist mes deux mains entre les seues, et le légat que je le convoiasse jusques à son hostel. Lors s’enclost en sa garde, commensa à plorer moult durement ; et quand il pot parler, si me dit : Seneschal, je sui moult li, si en rent graces à Dieu, de ce que le roy et les autres pèlerins eschapent du grand péril là où vous avez esté en celle terre ; et moult sui à mésaise de crier de ce que il me convendra lessier vos saintes compaingnies, et aler à la court de Rome, entre cel desloial gent qui y sont. » 138 — page 475 — Guillaume de Saint-Amour contre les Mendiants... Les ordres Mendiants étaient fort effrayés. « Cum prædicto volumini respondere fuisset prædicto doctori (Thomæ), non sine singultu et lacrymis, assignatum, qui de statu ordinis de pugna adversariorum tam gravium dubitabant, Fr. Thomas ipsum volumen accipiens et se fratrum orationibus recommendans... » Guill. de Thoco, vit. S. Thomæ, ap. Acta SS. Martis, I. 139 — page 476 — Albert-le-Grand déclara que saint Thomas avait fixé la règle... Processus de S. Thom. Aquin., ap. Acta SS. Martis, I, p. 714 : « Concludit quod Fr. Thomas in scripturis suis imposuit finem omnibus laborantibus usque ad finem sæculi, et quod omnes deinceps frustra laborarent. » — « Fuit (S. Thomas) magnus in corpore et rectæ staturæ... coloris triticei... magnum habens caput... aliquantulum calvus. Fuit tenerrimæ complexionis in carne. » Acta SS., p. 672. — « Fuit grossus. » Processus de S. Thom., ibid. 140 — page 482 — Le roi apparaît à la poésie féodale comme un lâche... Passage de Guill. au court nez (Paris, introd. de Berte aux grands pieds), cité dans Gérard de Nevers. Grant fu la cort en la sale à Loon, Moult ot as tables oiseax et venoison. Qui que manjast la char et le poisson, Oncques Guillaume n’en passa le menton : Ains menja tourte, et but aigue à foison. Quant mengier orent li chevalier baron, Les napes otent escuier et garçon. Li quens Guillaume mist le roi à raison : — « Qu’as en pensé », dit-il, li fiés Charlon ? « Secores-moi vers la geste Mahon. » Dist Loéis : « Nous en consillerons, « Et le matin savoir le vous ferons « Ma volonté, se je irai o non. » Guillaume l’ot, si taint, come charbon, Il s’abaissa, si a pris un baston. Puis dit au roi : « Vostre fiez vos rendon, « N’en tenrai mès vaillant une esperon, « Ne vostre ami ne serai ne voste hom, Et si venrez, o vous voillez o non. » (Ms. de Gérard de Nevers, no 7498, treizième siècle, corrigé sur le texte le plus ancien du ms. de Guillaume au Cornès, no 6995.) 141 — page 484 — On remonte au vieil élément indigène, etc... Le principal dépôt des traditions bretonnes du moyen âge est l’ouvrage du fameux Geoffroi de Monmouth. Sur la véracité de cet auteur et les sources où il a puisé, voyez Ellis, Intr. metrical romances ; Turner, Quaterly review, janvier 1820 ; Delarue, Bardes armoricains ; et surtout la dernière édition de Warton (1834), avec notes de Douce et de Park ; voyez aussi les critiques de Ritson, quelques passages des poésies de Marie de France, publiés par M. de Roquefort, 1820, etc. 142 — page 487, note 2 — La fête de l’âne... On chantait la prose suivante : Orientis partibus Adventavit asinus Pulcher et fortissimus Sarcinis aptissimus. Hez, sire asnes, car chantez Belle bouche rechignez, Vous aurez du foin assez Et de l’avoine à plantez. Lentus erat pedibus Nisi foret baculus Et eum in clunibus Pungeret aculeus. Hez, sire asnes, etc. Hic in collibus Sichem Jam nutritus sub Ruben, Transiit per Jordanem, Saliit in Bethleem. Hez, sire asnes, etc. Ecce magnis auribus Subjugalis filius Asinus egregius Asinorum dominus. Hez, sire asnes, etc. Saltu vincit hinnulos, Damas et capreolos, Super dromedarios Velox Madianeos. Hez, sire asnes, etc. Aurum de Arabia, Thus et myrrham de Saba, Tulit in ecclesia Virtus asinaria. Hez, sire asnes, etc. Dum trahit vehicula Multa cum sarcinula, Illius mandibula Durat terit pabula. Hez, sire asnes, etc. Cum aristis hordeum Comedit et corduum ; Triticum e palea Segregat in area. Hez, sire asnes, etc. Amen dicas Asine (hic genuflectebatur) Jam satur de gramine : Amen, amen itera, Aspernare vetera. Hez va ! hez va ! hez va hez ! Biax sire asnes car allez Belle bouche car chantez. (Ms. du treizième siècle, ap. Ducange, Glossar.) 143 — page 493 — La cathédrale de Cologne, le type de l’architecture gothique... Les maîtres de cette ville ont bâti beaucoup d’autres églises. Jean Hültz, de Cologne, continue le clocher de Strasbourg. — Jean de Cologne, en 1369, bâtit les deux églises de Campen, au bord du Zuiderzée, sur le plan de la cathédrale de Cologne. — Celle de Prague s’élève sur le même plan. — Celle de Metz y ressemble beaucoup. — L’évêque de Burgos, en 1442, emmène deux tailleurs de pierres de Cologne pour terminer les tours de sa cathédrale. Ils font les flèches sur le plan de celle de Cologne. — Des artistes de Cologne bâtissent Notre-Dame de l’Épine, à Châlons-sur-Marne. Boisserée, p. 15. 144 — page 496 — Les méandres de l’église de Reims... On voyait dans plusieurs églises, entre autres à Chartres et à Reims, une spirale de mosaïque, ou labyrinthe, ou dædalus, placé au centre de la croisée. On y venait en pèlerinage ; c’était l’emblème de l’intérieur du temple de Jérusalem. Le labyrinthe de Reims portait le nom des quatre architectes de l’église. Povillon-Pierard, Description de Notre-Dame de Reims. — Celui de Chartres est surnommé la lieue ; il a sept cent soixante-huit pieds de développement. Gilbert, Description de Notre-Dame de Chartres, p. 44. 145 — page 499 — La peinture sur vitres... Les Romains se servaient depuis Néron des vitres colorées, surtout en bleu. Le beau rouge est plus fréquent dans les anciens vitraux ; on disait proverbialement : Vin couleur des vitraux de la Sainte-Chapelle. Ceux de cette église sont du premier âge ; ceux de Saint-Gervais, du deuxième et du troisième, et de la main de Vinaigrier et de Jean Cousin. Au deuxième âge, les figures, devenant gigantesques, sont coupées par les vitres carrées. A cette époque appartiennent encore les beaux vitraux des grandes fenêtres de Cologne, qui portent la date de 1509, apogée de l’école allemande ; ils sont traités dans une manière monumentale et symétrique. — Angelico da Fiesole est le patron des peintres sur verre. On cite encore Guillaume de Cologne et Jacques Allemand. Jean de Bruges inventa les émaux ou verres à deux couches. — La Réforme réduisit cet art en Allemagne à un usage purement héraldique. Il fleurit en Suisse jusqu’en 1700. La France avait acquis tant de réputation en ce genre, que Guillaume de Marseille fut appelé à Rome, par Jules II, pour décorer les fenêtres du Vatican. A l’époque de l’influence italienne, le besoin d’harmonie et de clair obscur fait employer la grisaille pour les fenêtres d’Anet et d’Écouen ; c’est le protestantisme entrant dans la peinture. En Flandre, l’école des grands coloristes (Rubens, etc.) amène le dégoût de la peinture sur verre. Voyez dans la Revue française un extrait du rapport de M. Brongniart à l’Académie des sciences sur la peinture sur verre ; voyez aussi la notice de M. Langlois sur les vitraux de Rouen. fin du tome deuxième.
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{{tiret2|gou|verneur}} général touche, pendant les cinq ans de séjour qu’il fait aux Indes, de superbes appointements qu’il économise ainsi que ses peines. Peu lui importe de rester quelquefois six ou huit heures de plus qu’il ne faut pour faire le trajet de sa résidence à Batavia, pourvu qu’il retourne riche en Hollande. Et puis, voilà deux cent cinquante ans que cela dure ainsi : cela peut encore continuer. » J’allais m’incliner en signe d’assentiment, quand la voiture s’arrêta tout à coup ; nous étions entrés jusqu’aux essieux dans une fondrière. Nous y serions sans doute restés, malgré les cris et les coups de fouet, sans une voiture qui nous rejoignit et nous prêta ses chevaux. Mais un peu plus loin, ce fut à recommencer ; on attela des buffles qui cassèrent les traits, et nous fumes obligés de mettre pied à terre et de décharger les malles pour alléger la voiture ; nous en sortîmes pourtant cette fois encore, mais non sans peine. Nous eûmes aussi à faire l’épreuve du caractère des chevaux de Java, qui ont parfois les lubies les plus singulières et même les plus dangereuses. L’un des nôtres se contenta de refuser tout à coup de marcher et se fit traîner par ses camarades, et ce ne fut qu’après qu’on l’eût dételé et changé de place, qu’il se décida à reprendre son allure habituelle. Plus loin, dans une route parallèle à celle des voitures, nous vîmes des kahars traînés par des buffles qui s’étaient tellement enfouis dans la boue, que chars et animaux ne la dépassaient plus que de quelques centimètres. Ajoutons, pour être juste, que les buffles préfèrent les routes les plus profondément bourbeuses, malgré le surcroît de tirage. Bref, partis de Batavia à six heures du matin, nous arrivâmes à Boghor à une heure et demie ; c’est-à-dire que nous avions mis huit heures pour faire dix lieues. Décidément, le gouvernement hollandais ne fait rien ou presque rien pour faciliter les communications avec l’intérieur : il est vrai qu’il a ses raisons pour cela. À mon arrivée à l’hôtel Bellevue, je fus cordialement accueilli par le propriétaire, M. Grenier, et logé dans un ravissant pavillon qui porte le nom de ''Villa d’Amore''. Je n’ai pas encore rencontré dans tous les pays que j’ai parcourus une habitation aussi admirablement située. De ma fenêtre, j’aperçois en face le groupe du Salac, couvert jusqu’à ses cimes les plus élevées de la splendide végétation des tropiques ; sur ma gauche, toute la chaîne des montagnes du Bantam, et, au-dessous, les croupes veloutées de Tjomas qui s’abaissent et viennent baigner leurs pieds dans la belle rivière qui coule au centre du tableau, à cent mètres au-dessous de moi ; à ma droite, s’élèvent de grands cocotiers par-dessus lesquels j’aperçois dans le lointain les bases du Pangrangoh{{corr||.}} Non-seulement je me déclare impuissant à décrire ce splendide paysage, mais je ne me suis même jamais senti le courage d’en faire le dessin. Comment reproduire cet ensemble merveilleux ? Comment ne pas perdre, en le réduisant, le charme infini du détail ? Ces fourrés impénétrables, cette mer d’arbres que le vent agite sans cesse et que le soleil, dans sa course, fait changer à chaque instant d’aspect ? Et cette rivière, tour à tour or, feu, argent, opale, serpentant à travers les sombres masses de verdure ? Je n’oublierai jamais les heures délicieuses que j’ai passées, mollement bercé par mon hamac, sur la terrasse de la ''Villa d’Amore'', à admirer les couchers du soleil. Chaque soir c’était un nouveau spectacle. Je ne me lassais pas de regarder ce tableau mouvant, ces vallées graduellement envahies par les ombres de la nuit, ces coteaux resplendissants de lumière tout à l’heure et revêtus maintenant des tons les plus puissants du vert, enfin tout cet admirable panorama qui finissait par se confondre en une masse imposante, riche de détails perdus, de formes disparues, de tons effacés ! J’oubliais tout alors, et n’eût été ma pensée, qui suivait avec inquiétude un navire voguant vers la France, mon bonheur eût été complet. Après avoir visité l’établissement de M. Grenier, j’allai faire un tour par la ville. Bien moins important que Batavia et que Soërabaija, Boghor diffère essentiellement de ces deux villes, en ce qu’il est construit sur les collines qui forment les premières croupes du groupe du grand Salak, volcan à demi éteint. Sauf le palais du gouverneur général, un Versailles en petit, je ne vois aucun monument remarquable ; mais par exemple ce palais possède le plus beau jardin botanique du monde. Signalons ici les superbes banians qui s’y trouvent ; ces arbres, qu’on peut justement appeler multipliants, étalent au loin leurs branches énormes qui, s’inclinant vers le sol et y reprenant racine, soutiennent l’arbre géant de leurs puissants étais. Il y a là une allée, taillée dans un seul de ces banians, dans laquelle peuvent passer six voitures de front, pendant six ou huit minutes, et au trot de leurs chevaux. Notons encore une collection complète de la famille des palmiers, réunion certainement unique dans le monde entier. <includeonly> [[Fichier:Le Tour du monde-10-p272.jpg|thumb|center|500px|{{c|Multipliant dans l’intérieur d’une forêt de Java. — Dessin de M. de Molins.}}]] </includeonly> Les environs de la ville sont véritablement un paradis terrestre. La végétation est ici plus vivace et plus vigoureuse encore que dans la plaine de Batavia. Les mouvements du sol, brusques et imprévus, révèlent facilement leur origine volcanique et donnent au paysage un caractère particulier. Ce sont de profondes vallées, des collines arrondies par endroits, ailleurs déchirées de profonds ravins, au fond desquels murmurent des eaux bouillonnantes, dérobées à la vue par de formidables épaisseurs de plantes de toutes sortes. Du côté de Batavia, le pays s’ouvre tout à coup et offre à l’œil charmé de longues perspectives, de larges rivières, des torrents impétueux. Je remarque, au-dessus de ces torrents, de merveilleux ponts suspendus, de l’architecture la plus solide et la plus ingénieuse, et dont le bambou, le Protée indien, et quelques pierres font tous les frais. <references/>
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Certes, il ne faut pas se laisser aller à l’absurde fantaisie de dénigrer la science. La découverte d’une brique babylonienne ou d’une étamine rudimentaire de fleur doit nous réjouir quand le savant, rattachant ce fait minime en apparence à tout un ensemble d’autres faits, démontre l’importance de la trouvaille ; mais plus que la science, il convient d’admirer et d’apprécier l’équilibre de l’intelligence qui permet de juger la valeur relative des idées, de les classer suivant leur véritable importance ; à cet égard, mille observateurs constatent que le monde des étudiants, spécialisé dans son travail, néglige beaucoup plus que les ouvriers l’étude par excellence, celle de la question sociale, et se trouve, par conséquent, singulièrement distancé comme part d’influence sur les destinées communes. Et ce n’est pas là un fait particulier à la jeunesse de langues latines ; il est même probable qu’à cet égard elle reste supérieure par l’esprit évolutionnaire — ou révolutionnaire, comme on voudra — à la foule enrégimentée des étudiants d’Allemagne et aux ''{{lang|en|young scholars}}'' des universités d’Amérique. Les socialistes se comptent par millions au-delà des Vosges, et cependant deux ou trois jeunes gens à peine, fort timorés d’ailleurs, osent parfois se réunir à l’écart, loin des buveurs de bière, dans telle grande université comprenant des milliers d’étudiants. {{corr|A|À}} l’école américaine de Harvard, où {{unité|3200|élèves}} sont réunis, les novateurs sont plus nombreux, mais sans avoir encore osé se dégager des formules chrétiennes : lors d’un vote récent, deux seulement déclarèrent n’appartenir à aucun des cultes énumérés dans la statistique des États-Unis. C’est peut-être dans l’aristocratique Angleterre que les esprits sont les plus libres. Mais quelles sont donc les causes de cette sagesse conservatrice des jeunes, tout à fait en désaccord avec le mouvement du siècle ? Les professeurs eux-mêmes les signalent, mais tel est l’engrenage social que le mécanisme universitaire se maintient fatalement avec toutes ses conséquences. Il est certain que dès le premier jour d’école, la vie normale de l’enfant se trouve faussée. Que dire d’une éducation qui risque de déjeter l’épine dorsale, de diminuer l’acuité de la vue, de pervertir les appétences, d’affaiblir la virilité ? Ne va-t-elle pas précisément à l’encontre de ce qui fut de tout temps, aux yeux des simples, le but principal de l’entraînement, la force, la grâce et la beauté ? Les Indiens du Nouveau Monde et les naturels de l’Australie, aussi bien que les ancêtres grecs s’accordaient à rechercher pour leurs jeunes gens une vie de grand air, de courses et d’exercice, qui en faisait des hommes adroits, dispos, resplendissants de vigueur. Et chez nous, n’est-ce pas très souvent l’adolescent le plus dévotieusement couvé qui est en même temps le plus triste échantillon d’humanité musculaire ? La statistique médicale nous ment-elle en affirmant que plus de la moitié <references/>
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{{nr|724|{{sm|LA SOCIÉTÉ NOUVELLE}}|}}dans les prisons ! Combien aussi, pénétrés d’une idée maîtresse, se firent les apôtres d’une foi sociale rénovatrice, sacrifiant fortune, position, carrière lucrative ! Alors que le saint-simonisme et le fouriérisme étaient encore dans leur jeune ferveur, c’étaient des étudiants qui se précipitaient dans les rangs de ces révolutionnaires de la pensée, courant au-devant des calomnies, des persécutions et de l’emprisonnement. L’armée actuelle des étudiants européens, quoique forte d’environ cent mille hommes, exerce dans le monde des idées une influence bien moindre que celle de ses devanciers. C’est par centaines seulement, non par milliers que l’on compte les jeunes des écoles qui, sous divers noms, se groupent en sociétés ferventes du progrès social et laissent au second plan leurs intérêts personnels. On dit, et je crois que ce n’est pas une calomnie, on dit que la foule des satisfaits l’emporte de beaucoup parmi les jeunes et que leur grande ambition est d’étonner le monde par ce qu’ils appellent leur « sagesse » ; à cet égard, ils revendiquent même avec complaisance une réelle supériorité sur leurs parents, convaincus d’avoir été des enthousiastes au printemps de leur vie. Phénomène bizarre : on en voit qui mettent leur orgueil à se sentir blasés, comme si l’impuissance d’admirer, de jouir et d’être heureux constituait un grand mérite. Mais c’est ainsi, croyez-le, c’est ainsi que meurent les classes. Sans aucun doute, la jeunesse universitaire, quoique naturellement fière d’avoir passé par le laminoir de tant d’examens, serait incapable, comme elle le prétendit souvent, d’initier les ouvriers au monde de l’étude et de la pensée. Ce n’est pas à elle d’enseigner, mais d’apprendre. Dans les grands mouvements populaires, — tel celui de la Commune, — les étudiants ne furent représentés que par de rares individus, tandis que les ouvriers s’y trouvaient en foule, et pourtant il ne s’agissait pas alors d’une question spéciale de travail et de salaires : les intérêts en jeu étaient communs à toute la nation, même à toute l’humanité. Et maintenant, dans cette crise de préparation à une nouvelle phase de l’histoire, dans cette solennelle veillée des armes, ce n’est pas, croyez-le, aux alentours de la Sorbonne que l’on discute sur les choses de l’avenir prochain avec le plus d’intelligence et de profondeur. Le baccalauréat ni la licence ne confèrent ce privilège. Ce n’est pas nécessairement l’homme qui a confié le plus de faits à sa mémoire qui possède la compréhension la plus large des choses, c’est celui dont l’esprit reste toujours en éveil pour utiliser les bribes recueillies çà et là, au profit des idées générales. Tel savant peut s’enfermer dans son étude spéciale comme dans une prison et perdre de vue l’ensemble des choses, mais le peuple se fait toujours une théorie de l’univers, fausse ou vraie. Hier encore on ne croyait pas à l’évolution sous la coupole de l’Institut : dans le sillon et dans la rue, paysans, ouvriers n’en doutèrent jamais. <references/>
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{{nr|730|{{sm|LA SOCIÉTÉ NOUVELLE}}|}}un bien : elle réveillerait les énergies, hausserait les courages, redresserait les caractères avilis dans la mollesse de la paix. S’entre-haïr de nation, peut-être de classe à classe, telle est, sinon leur morale, du moins leur espérance ! {{corr|A|À}} ceux qui ont subi les abominations de la guerre, pareille idée semble monstrueuse ; néanmoins, en faisant un effort d’intelligence, on peut comprendre la part de sentiment moral qui se trouve au fond de ce paradoxe. La guerre est une épreuve, et comme telle, vaut mieux, ou du moins entraîne moins de malheurs qu’un état d’avachissement. On peut en réchapper, tandis que l’inaction mène fatalement à la mort. Oui, l’épreuve est nécessaire : toute force doit se tremper avant de passer à l’œuvre définitive ; mais est-ce au hasard qu’il faut procéder à ces essais, ou bien doit-on le faire avec science et méthode ? {{corr|A|À}} cet égard, les peuples dits sauvages, aussi bien que les Grecs, les plus civilisés des hommes d’autrefois, nous donnent un enseignement. Les jeunes gens n’entraient dans la vie des égaux et n’étaient considérés comme aptes à fonder une famille, à exercer leurs droits de citoyens, qu’après avoir donné des preuves de leur adresse, de leur vigueur, de leur courage et de leur endurance. Nul ne les forçait ; ils étaient parfaitement libres d’échapper au redoutable essai, et cependant pas un seul ne prenait ce parti, qui eût fait son déshonneur. L’attente de l’opinion était trop intense pour qu’un seul individu désirât se soustraire aux expériences qui devaient le mettre au nombre des hommes. Chez la plupart des peuplades primitives, les héros volontaires, filles et garçons, se soumettaient aux peines les plus atroces, à de véritables tortures : ils souffraient de la faim et de la soif pendant plusieurs jours, se livraient aux morsures brûlantes des fourmis, se fustigeaient mutuellement, subissaient des mutilations affreuses, sans un cri, sans une plainte. C’est avec le regard clair et la bouche souriante qu’ils se présentaient devant leurs juges : l’avenir était à ce prix. Ce n’est pas sous cette forme grossière que nous nous imaginons les épreuves futures des jeunes gens à leur entrée dans la vie des hommes faits, mais il nous semble dériver de la nature humaine que dans la période de la sève montante, de force en excès et d’amour éperdu, les adolescents se révèlent dans tout leur éclat par des actes de force, de sacrifice, de dévouement. Que le sentiment public les encourage et nulle action ne leur paraîtra trop haute pour leur bonne volonté. Qu’on fasse appel au sentiment de leur dignité et tous répondront. Pendant la guerre américaine, les jeunes filles du collège d’Oberlin dirent aux jeunes hommes : « Partez, allez combattre ! », et les onze cents étudiants partirent, pas un seul ne resta. Que ne pourrait-on faire de ces forces prodigieuses soulevées par {{tiret|l’enthou|siasme}} <references/>
Le Littré de la Grand'Côte, éd. 1903.pdf/354
était le fameux bois d’Ars (v. ''Ars''). Le 5 avril 1694, {{Mme}} de Sévigné écrit à sa fille : « Vous y êtes aujourd’hui à ce beau Lyon. Je suppose que les voleurs de Vise (pour Vaise) vous aurons laissée passer : ceux que vous avez trouvés en chemin pendus et roués, étaient ou doivent être des passeports. » (Dans Poidebard.) <section end="VAISE"/> <section begin="VAISSELLE"/><nowiki/> '''VAISSELLE'''. — ''Faire la vaisselle'', Relaver. {{sc|{{Mme}} de Saint-Plumé}} : ''Ma chère amie, vous ''avez un grand diner mardi, j’irai vous ''aider à faire votre vaisselle.'' — {{sc|{{Mme}} de Roque-Ventouse}} : ''C’est ça, nous ferons un bon coup ''de mâchon pendant que les hommes seront ''après se soûler.'' <section end="VAISSELLE"/> <section begin="VALET"/><nowiki/> '''VALET''', s. m., terme de canuserie. — Ustensile de bois qu’on fixe sur le premier lisseron du remisse, lorsqu’on remet, afin d’y accrocher provisoirement les fils passés dans les mailles du remisse. Comp. ''valet'', outil du menuisier pour fixer la planche à travailler. ''Valet à frottement.'' C’est une espèce de bascule (voy. ce mot) formant frein pour empêcher le rouleau de se dérouler. Un levier de fer presse sur la gorge du rouleau en épousant sa forme. Un poids actionne ce levier et suivant qu’on recule ou avance le poids, exactement comme dans une romaine, le frottement est plus ou moins fort. Je crois ce système abandonné parce qu’il exigeait un poids très lourd. <section end="VALET"/> <section begin="VALLÉE"/><nowiki/> '''VALLÉE'''. — ''Le chemin de la vallée.'' Ingénieux calembour pour dire gosier. <section end="VALLÉE"/> <section begin="VALLIN"/><nowiki/> '''VALLIN''', s. m. — Déclivité, bas d’une colline. — De ''{{lang|la|ad vallem}}'', avec le suffixe ''in''. <section end="VALLIN"/> <section begin="VALOIR"/><nowiki/> '''VALOIR'''. — ''Il ne vaut pas les quatre fers ''d’un chien.'' Voy. ''fer''. <section end="VALOIR"/> <section begin="VALTER"/><nowiki/> '''VALTER''', v. n. — « Il me fait ''valter'' sans cesse, pour dire, il me fait aller et venir saus but, sans utilité. Ce mot n’est pas français. Il faut exprimer l’idée qu’on lui attache par une périphrase. » (Molard.) Il est incroyable que Molard n’ait pas vu que le prétendu ''valter'' n’est que le français ''valeter'', défini dès 1798 par l’Académie : « Faire beaucoup de courses, de démarches qui donnent de la peine et demandent de la patience. » <section end="VALTER"/> <section begin="VANTER"/><nowiki/> '''VANTER''', v. a. — Vanner. ''Vanter le blé.'' — '''Il fait un vent à vanter des capucins.''' Jeu de mots sur ''vent'' et ''van'' : le vent est tellement fort qu’il pourrait vanner des capucins. Métaphore d’autant plus énergique que le populaire considérait les capucins comme généralement gros et robustes. <section end="VANTER"/> <section begin="VARAI"/><nowiki/> '''VARAI''', s. m. — Bruit, tapage, tumulte, confusion. ''Quel varai que meniont ces ''députés !'' — Étymologie inconnue. <section end="VARAI"/> <section begin="VARGONDIER"/><nowiki/> '''VARGONDIER''', v. a. — Transporter de joie, affoler. ''Rien que de penser à la Pierrette, ''ça me vargondie !'' – ''Vergonder'', fait sur ''vergogne'', a signifié primitivement avoir honte (comp. ''dévergonder''). Par dérivation de sens le mot a exprimé le transport. La contradiction se résout facilement : la jeune fille qui aime éprouve à la fois de la honte et du transport. <section end="VARGONDIER"/> <section begin="VARIER"/><nowiki/> '''VARIER''', v. n. — Vaciller. ''La tête me varie'', J’ai des vertiges. ''La vue me varie.'' Le mot exprime très bien une certaine fatigue des yeux. ''Le cœur me varie'', J’ai des nausées, ''Cette serrure varie'', Elle vacille. <section end="VARIER"/> <section begin="VARLET"/><nowiki/> '''VARLET''', s. m., terme de batellerie. — Corde extrêmement souple, d’environ trois mètres de longueur, qui sert à attacher la maille ou gros câble de halage à la sangle du bateau. — C’est la vieux franç. ''vaslet''. Comp. ''valet'', outil du menuisier et outil du canut. <section end="VARLET"/> <section begin="VAROT, OTTE"/><nowiki/> '''VAROT, OTTE''', adj. — Corrompu, gâté, pourri. ''Un fruit varot'', Un fruit véreux. ''Une âme varotte'', Une âme corrompue. — De ''ver'', avec le suffixe ''ot''. Comp. ''véreux''. <section end="VAROT, OTTE"/> <section begin="VARTIGÔLERIE"/><nowiki/> '''VARTIGÔLERIE''', s. f. — Folie, lubie. ''Les vartigôleries de l’amour'', Les joies folles de l’amour. — De ''vertigo'', avec le suffixe collectif ''erie''. Comp. ''sampillerie'', ''liarderie'', ''saloperie''. <section end="VARTIGÔLERIE"/> <section begin="VASIVITE"/><nowiki/> '''VASIVITE''', s. f., parlant par respect. — Euphémisme courtois pour diarrhée. À table, {{sc|la maîtresse de maison}} : ''Mecieu Arthur, ''aimez-vous le melon ? — Oui, Madame, mais ''c’est lui qui ne m’aime pas. — C’est comme ''moi, j’en ai mangé six tranches l’autre ''jour ; et ça a suffi pour me donner la ''vasivite toute la sainte nuit.'' <section end="VASIVITE"/> <section begin="VEAU"/><nowiki/> '''VEAU'''. — ''Faire le veau.'' Expression naïve pour Accoucher. {{Mme}} X..., qui habitait un<section end="VEAU"/> <references/>
Histoire des églises et chapelles de Lyon/Béchevelin
Abbé Jean-Baptiste Martin Histoire des églises et chapelles de Lyon H. Lardanchet, 1908 (vol. II, p. 195-197). bookHistoire des églises et chapelles de LyonAbbé Jean-Baptiste MartinH. Lardanchet1908LyonVvol. IIMartin - Histoire des églises et chapelles de Lyon, 1908, tome II.djvuMartin - Histoire des églises et chapelles de Lyon, 1908, tome II.djvu/7195-197 Il exista à la Guillotière, depuis une époque fort ancienne jusqu’en 1834, une Vierge dite de Béchevelin, qui donna lieu à une chapelle et à un pèlerinage très fréquenté. Quelle en est l’origine ? « À une époque reculée, dit Ogier, un Bénédictin du chapitre d’Ainay, nommé Grillotier, était possesseur d’un terrain situé sur la rive gauche du Rhône, un peu après le pont de la Guillotière. Cette terre portait le nom de Bèchevelin ; ce religieux y fit construire une chapelle sous l’invocation de la Vierge : on l’appela dès lors Notre-Dame de Bèchevelin ; elle était assez simple, et existait encore au xvie siècle ; on croit qu’elle fut détruite par les Calvinistes. Néanmoins la dévotion à cette chapelle avait laissé des souvenirs, et, pour en perpétuer la mémoire, les habitants de la rive gauche du Rhône élevèrent un petit oratoire qui fut l’objet de continuels pèlerinages. Les troubles de 1834 entraînèrent la destruction de cet oratoire. Nous ne sommes fixés aujourd’hui sur le lieu que la primitive chapelle occupait que par un reste gothique de cet ancien souvenir, réduit à une chétive niche. » Il y a certainement des réserves à faire sur l’étymologie du mot Guillotière, mais les faits qui concernent Bèchevelin concordent avec les documents. « Il existait, en 1812, raconte Meifred, à l’angle des rues de Bèchevelin et de la Vierge, une chapelle ou bien une armoire renfermant une madone connue sous le nom de Notre-Dame de Bèchevelin, sans doute parce que cette chapelle était située dans l’ancien mandement de ce nom particulièrement en grande vénération parmi les mariniers du Rhône, à cause des nombreux miracles qu’elle faisait en leur faveur. Elle était très ornée et très décorée, exposée sur son autel, entourée de petites jambes, de petits bras, et d’une multitude d’ex-votos. Près de la niche dont on voit encore les traces au lieu désigné, se trouvait toujours une vieille femme qui, moyennant la simple rétribution de cinq centimes par prière, se chargeait des neuvaines qu’on voulait à Notre-Dame de Bèchevelin. » En 1846, la niche était vide, et la statue transportée dans une maison particulière ; elle n’avait pu soutenir la concurrence avec Notre-Dame de Fourvière. Aussi, ajoute le même auteur : « Mme P. a été obligée de renfermer chez elle la Vierge, et elle professe pour cette sainte la plus grande vénération. »
Les Rois en Exil/I
Alphonse Daudet Les Rois en exil (1879) Alphonse Lemerre (p. 1-32). bookLes Rois en exil (1879)Alphonse DaudetAlphonse LemerreParisVDaudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvuDaudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/41-32 LES ROIS EN EXIL I le premier jour Frédérique dormait depuis le matin. Un sommeil de fièvre et de fatigue où le rêve était fait de toutes ses détresses de reine exilée et déchue, un sommeil que le fracas, les angoisses d’un siège de deux mois secouaient encore, traversé de visions sanglantes et guerrières, de sanglots, de frissons, de détentes nerveuses, et dont elle ne sortit que par un sursaut d’épouvante. — Zara ?... Où est Zara ?... criait-elle. Une de ses femmes s’approcha du lit, la rassura doucement : S. A. R. le comte de Zara dormait, bien tranquille, dans sa chambre ; madame Éléonore était auprès de lui. — Et le roi ? — Sorti depuis midi dans une des voitures de l’hôtel. — Tout seul ? Non. Sa Majesté avait emmené le conseiller Boscovich avec elle... À mesure que la servante parlait dans son patois dalmate, sonore et dur comme un flot roulant des galets, la reine sentait se dissiper ses terreurs ; et peu à peu la paisible chambre d’hôtel qu’elle n’avait fait qu’entrevoir, en arrivant, au petit jour, lui apparaissait dans sa banalité rassurante et luxueuse, ses claires tentures, ses hautes glaces, le blanc laineux de ses tapis où le vol silencieux et vif des hirondelles tombait en ombre des stores, s’entre-croisait en larges papillons de nuit. — Déjà cinq heures !... Allons, Petscha, coiffe-moi vite... J’ai honte d’avoir tant dormi. Cinq heures, et la journée la plus admirable dont l’été de 1872 eût encore égayé les Parisiens. Quand la reine s’avança sur le balcon, ce long balcon de l’Hôtel des Pyramides qui aligne ses quinze fenêtres voilées de coutil rose au plus bel endroit de la rue de Rivoli, elle resta émerveillée. En bas, sur la large voie, mêlant le bruit des roues à la pluie légère des arrosages, une file ininterrompue de voitures descendait vers le Bois avec un papillotement d’essieux, de harnais, de toilettes claires envolées dans un vent de vitesse. Puis, de la foule pressée à la grille dorée des Tuileries, les yeux charmés de la reine allaient vers cette confusion lumineuse de robes blanches, de cheveux blonds, de soies voyantes, de jeux aériens, vers tout ce train d’endimanchement et d’enfance que le grand jardin parisien répand autour de ses terrasses, les jours de soleil, et se reposaient enfin délicieusement sur le dôme de verdure, l’immense toit de feuilles arrondi et plein que faisaient de là-haut les marronniers du centre abritant à cette heure un orchestre militaire, et tout frémissants de cris d’enfants, d’éclats de cuivre. L’âpre rancœur de l’exilée se calmait peu à peu à tant d’allégresse répandue. Un bien-être de chaleur l’enveloppait de partout, collant et souple comme un réseau de soie ; ses joues fanées par les veilles, les privations, s’animaient d’une rose vie. Elle pensait : « Dieu ! qu’on est bien.» Les plus grandes infortunes ont de ces subits et inconscients réconforts. Et ce n’est pas des êtres, mais de la multiple éloquence des choses qu’ils leur viennent. À cette reine dépossédée, jetée sur la terre d’exil avec son mari, son enfant, par un de ces soulèvements de peuple qui font penser aux tremblements de terre accompagnés d’ouvertures d’abîmes, d’éclairs de foudre et d’éruptions volcaniques ; à cette femme dont le front un peu bas et pourtant si hautain gardait le pli et comme le tassement d’une des plus belles couronnes d’Europe, aucune formule humaine n’aurait pu apporter de consolation. Et voici que la nature, joyeuse et renouvelée, apparue dans ce merveilleux été de Paris qui tient de la serre chaude et de la molle fraîcheur des pays de rivière, lui parlait d’espérance, de résurrection, d’apaisement. Mais tandis qu’elle laisse ses nerfs se détendre, ses yeux boire à pleines prunelles à ce verdoyant horizon, tout à coup l’exilée a tressailli. À sa gauche, là-bas, vers l’entrée du jardin, se dresse un monument spectral, fait de murs calcinés, de colonnes roussies, le toit croulé, les fenêtres en trous bleu d’espace, une façade à jour sur des perspectives de ruines, et tout au bout — regardant la Seine — un pavillon presque entier, atteint et doré par la flamme qui a noirci le fer de ses balcons. C’est tout ce qu’il restait du palais des Tuileries. Cette vue lui causa une émotion profonde, l’étourdissement d’une chute le cœur en avant sur ces pierres. Dix ans, il n’y avait pas dix ans encore, — oh ! le triste hasard et qui lui parut prophétique d’être venue se loger en face de ces ruines, — elle avait habité là, avec son mari. C’était au printemps de 1864. Mariée depuis trois mois, la comtesse de Zara promenait alors par les cours alliées tous ses bonheurs d’épouse et de princesse héréditaire. Tout le monde l’aimait, lui faisait accueil. Aux Tuileries surtout, que de bals, que de fêtes ! Sous ces murs effondrés elle les retrouvait encore. Elle revoyait les galeries immenses et splendides, éblouissantes de lumières et de pierreries, les robes de cour ondulant sur les grands escaliers entre une double haie de cuirasses étincelantes, et cette musique invisible qui montait du jardin par bouffées lui semblait l’orchestre de Valdteufel dans la salle des Maréchaux. N’était-ce pas sur cet air sautillant et vif qu’elle avait dansé avec leur cousin Maximilien, huit jours avant son départ au Mexique ?... Oui, c’était bien cela... Un quadrille croisé d’empereurs et de rois, de reines et d’impératrices, dont ce motif de la Belle Hélène faisait passer devant elle l’enlacement luxueux et les augustes physionomies... Max soucieux, mordillant sa barbe blonde. Charlotte en face de lui, près de Napoléon, rayonnante, transfigurée par cette joie d’être impératrice... Où étaient-ils, aujourd’hui, les danseurs de ce beau quadrille ? Tous morts, exilés ou fous. Deuils sur deuils ! Désastres sur désastres ! Dieu n’était donc plus du côté des rois maintenant !... Alors elle se rappelait tout ce qu’elle avait souffert depuis que la mort du vieux Léopold lui avait mis au front la double couronne d’Illyrie et de Dalmatie. Sa fille, son premier-né, emportée au milieu des fêtes du sacre par une de ces maladies étranges et sans nom qui résument l’épuisement d’un sang et la fin d’une race, — si bien que les cierges de la veille funèbre se mêlaient aux illuminations de la ville, et que le jour de l’enterrement à l’église du Dôme on n’avait pas eu le temps d’enlever les drapeaux. Puis, à côté de ces grandes douleurs, à côté des transes que lui donnait sans cesse la débile santé de son fils, d’autres tristesses connues d’elle seule, cachées au coin le plus secret de son orgueil de femme. Hélas ! le cœur des peuples n’est pas plus fidèle que celui des rois. Un jour, sans qu’on sût pourquoi, cette Illyrie qui leur avait fait tant de fêtes se désaffectionnait de ses princes. Venaient les malentendus, les entêtements, les méfiances, enfin la haine, cette horrible haine de tout un pays, cette haine qu’elle sentait dans l’air, dans le silence des rues, l’ironie des regards, le frémissement des fronts courbés, qui lui faisaient craindre de se montrer à une fenêtre, la rejetaient au fond de son carrosse pendant ses courtes promenades. Oh ! ces cris de mort sous les terrasses de son château de Leybach, en regardant le grand palais des rois de France, elle croyait les entendre encore. Elle voyait la dernière séance du conseil, les ministres blêmes, fous de peur, suppliant le roi d’abdiquer... puis la fuite, en paysans, la nuit, à travers la montagne... les villages soulevés et hurlants, ivres de liberté comme les villes... des feux de joie partout, sur les cimes... et l’explosion de larmes tendres qu’elle avait eue au milieu de ce grand désastre, en trouvant dans une cabane du lait pour le souper de son fils... enfin la subite résolution qu’elle inspirait au roi de s’enfermer dans Raguse encore fidèle, et là, deux mois de privations et d’angoisses, la ville investie, bombardée, l’enfant royal malade, mourant presque de faim, la honte de la reddition pour finir, l’embarquement sinistre au milieu d’une foule silencieuse et lasse, et le navire français les emportant vers d’autres misères, vers le froid, l’inconnu de l’exil, tandis que derrière eux le drapeau de la République illyrienne flottait tout neuf et vainqueur sur le château royal effondré... Les Tuileries en ruine lui rappelaient tout cela. — C’est beau Paris, n’est-ce pas ? dit tout à coup près d’elle une voix joyeuse et jeune, malgré son nasillement. Le roi venait de paraître sur le balcon, tenant entre ses bras le petit prince et lui montrant cet horizon de verdure, de toits, de coupoles, et le mouvement de la rue dans sa belle lumière de fin du jour. — Oh ! oui, bien beau !... disait l’enfant, un pauvre petit de cinq à six ans, aux traits tirés et marqués, les cheveux trop blonds, coupés ras comme après une maladie, et qui regardait autour de lui avec un bon petit sourire souffreteux, étonné de ne plus entendre les canons du siège et tout égayé de la joie d’alentour. Pour celui-là, l’exil s’annonçait d’une façon heureuse. Le roi non plus n’avait pas l’air bien triste ; il apportait du dehors, de deux heures de boulevard, une physionomie brillante, émoustillée, qui faisait contraste au chagrin de la reine. C’étaient, du reste, deux types absolument distincts : lui, mince, frêle, le teint mat, des cheveux noirs et frisés, sa moustache claire qu’il effilait perpétuellement d’une main pâle et trop souple, de jolis yeux un peu troubles et dans le regard quelque chose d’irrésolu, d’enfantin, qui faisait dire en le voyant et bien qu’il eût passé la trentaine : « Comme il est jeune ! » La reine, au contraire, une robuste Dalmate, l’air sérieux, le geste rare, le vrai mâle des deux malgré la splendeur transparente de son teint et ses magnifiques cheveux de ce blond de Venise où l’Orient semble mêler les tons rouges et fauves du henné. Christian, vis-à-vis d’elle, avait l’attitude contrainte, un peu gênée, d’un mari qui a accepté trop de dévouements, de sacrifices. Il s’informait doucement de sa santé, si elle avait dormi, comment elle se trouvait du voyage. Elle répondait avec une douceur voulue, pleine de condescendance, mais en réalité ne s’occupait que de son fils, dont elle tâtait le nez, les joues, dont elle épiait tous les mouvements avec une anxiété de couveuse. — Il va déjà mieux que là-bas, disait Christian à demi-voix. — Oui, les couleurs lui reviennent, répondait-elle sur le même ton intime qu’ils ne prenaient que pour parler de l’enfant. Lui riait à l’un et à l’autre, rapprochait leurs fronts dans sa jolie caresse, comme s’il eût compris que ses deux petits bras formaient le seul vrai lien entre ces deux êtres dissemblables. En bas, sur le trottoir, quelques curieux, avertis de l’arrivée des princes, s’étaient arrêtés depuis un moment, les yeux levés vers ce roi et cette reine d’Illyrie que leur héroïque défense dans Raguse avait rendus célèbres et dont les portraits figuraient à la première page des journaux illustrés. Peu à peu, comme on regarde un pigeon au bord d’un toit ou une perruche évadée, les badauds s’amassaient, le nez en l’air, sans savoir de quoi il s’agissait. Un rassemblement se formait en face de l’hôtel, et tous ces regards tendus attiraient d’autres regards vers ce jeune couple en costume de voyage, que l’enfant dominait de sa tête blonde, comme soulevé par l’espérance des vaincus et la joie qu’ils sentaient de le tenir encore vivant après une si effroyable tempête. — Venez-vous, Frédérique ? demanda le roi, gêné par l’attention de tout ce monde. Mais elle, la tête haute, en reine habituée à braver l’antipathie des foules : — Pourquoi ? l’on est très bien sur ce balcon. — C’est que... j’avais oublié... Rosen est là avec son fils et sa bru... Il demande à vous voir. À ce nom de Rosen qui lui rappelait tant de bons, de loyaux services, les yeux de la reine s’allumèrent : — Mon brave duc ! Je l’attendais... dit-elle, et comme avant de rentrer elle jetait un regard hautain dans la rue, un homme, en face d’elle, s’élança sur le soubassement de la grille des Tuileries, dominant pendant une minute l’attroupement de toute sa hauteur. C’était comme à Leybach quand on avait tiré sur leur fenêtre. Frédérique eut vaguement l’idée d’un attentat de ce genre et se rejeta en arrière. Un grand front, un chapeau levé, des cheveux au vent s’éparpillant dans le soleil, tandis qu’une voix calme et forte criait : « Vive le roi ! » par-dessus les bruits de la foule, c’est tout ce qu’elle avait pu voir de cet ami inconnu qui osait en plein Paris républicain, devant les Tuileries écroulées, souhaiter la bienvenue à des souverains sans couronne. Ce salut sympathique dont elle était privée depuis si longtemps fit sur la reine l’impression d’un feu flambant clair après une marche au grand froid. Elle en fut réchauffée du cœur à l’épiderme, et la vue du vieux Rosen compléta cette vive et bienfaisante réaction. Le général duc de Rosen, l’ancien chef de la maison militaire, avait quitté l’Illyrie depuis trois ans, depuis que le roi lui avait retiré son poste de confiance pour le donner à un libéral, favorisant ainsi les idées nouvelles au détriment de ce qu’on appelait alors à Leybach le parti de la reine. Certes, il pouvait en vouloir à Christian qui l’avait sacrifié froidement, laissé partir sans un regret, sans un adieu, lui le vainqueur de Mostar, de Livno, le héros des grandes guerres monténégrines. Après avoir vendu châteaux, terres et biens, caractérisé son départ de tout l’éclat d’une protestation, le vieux général s’était fixé à Paris, y mariait son fils, et pendant trois longues années d’attente vaine sentait sa colère contre l’ingratitude royale s’accroître des tristesses de l’émigration, des mélancolies d’une vie inoccupée. Et pourtant à la première nouvelle de l’arrivée de ses princes, il accourait à eux sans hésiter ; et maintenant raide et debout au milieu du salon, dressant jusqu’au lustre sa taille colossale, il attendait avec tant d’émotion la grâce d’un accueil favorable qu’on pouvait voir trembler ses longues jambes de pandour, haleter sous le grand cordon de l’ordre son buste large et court revêtu d’un frac bleu collant et militairement coupé. La tête seule, une petite tête d’émouchet, regard d’acier et bec de proie, restait impassible avec ses trois cheveux blancs hérissés et les mille petites rides de son cuir racorni au feu. Le roi, qui n’aimait pas les scènes et que cette entrevue gênait un peu, s’en tira par un ton d’enjouement, de cordialité cavalière : — Eh bien ! général, dit-il en venant vers lui les mains tendues, c’est vous qui aviez raison... J’ai trop tendu la bride... Je me suis fait secouer, et raide. Puis, voyant que le vieux serviteur inclinait le genou, il le releva d’un mouvement plein de noblesse et l’étreignit contre sa poitrine longuement. Personne, par exemple, n’aurait pu empêcher le duc de s’agenouiller devant sa reine, à qui la caresse respectueusement passionnée de cette antique moustache sur sa main causa une émotion singulière. — Ah ! mon pauvre Rosen !... mon pauvre Rosen !... murmura-t-elle. Et doucement elle fermait les yeux pour qu’on ne vît pas ses larmes. Mais toutes celles qu’elle versait depuis des années avaient laissé leur trace sur la soie délicate et froissée de ses paupières de blonde, avec les veilles, les angoisses, les inquiétudes, ces meurtrissures que les femmes croient garder au plus profond de l’être et qui remontent à la surface, comme les moindres agitations de l’eau la sillonnent de plis visibles. L’espace d’une seconde, ce beau visage aux lignes pures eut une expression fatiguée, douloureuse, qui n’échappa point au vieux soldat. « Comme elle a souffert ! » pensait-il en la regardant ; et pour cacher son émotion, lui aussi, il se releva brusquement, se tourna vers son fils et sa bru restés à l’autre bout du salon, et, du même air farouche qu’il criait dans les rues de Leybach : « Sabre haut !... Chargez la canaille !... » commanda : — Colette, Herbert, venez saluer votre reine. Le prince Herbert de Rosen, presque aussi grand que son père, avec une mâchoire de cheval, des joues innocentes et poupines, s’approcha, suivi de sa jeune femme. Il marchait péniblement, appuyé sur une canne. Huit mois auparavant, aux courses de Chantilly, il s’était cassé la jambe, défoncé quelques côtes ; et le général ne manqua pas de faire remarquer que, sans cet accident qui avait mis la vie de son fils en danger, tous deux auraient couru s’enfermer dans Raguse. — J’y serais allée avec vous, mon père ! interrompit la princesse d’un ton héroïque qui jurait avec son nom de Colette et son petit nez de chatte spirituel et gai sous un ébouriffement de boucles légères. La reine ne put s’empêcher de sourire et lui tendit la main cordialement. Christian, tortillant sa moustache, dévisageait, avec un intérêt d’amateur, une curiosité avide, cette Parisienne frétillante, ce joli oiseau de la mode au long et chatoyant plumage, tout en jupes et tout en volants, et dont la gentillesse parée le changeait des grands traits et du type majestueux de là-bas. « Diable d’Herbert ! où a-t-il pu se procurer un bijou pareil ? » se disait-il en enviant son ancien camarade d’enfance, ce grand dadais aux yeux à fleur de tête, aux cheveux divisés et plaqués à la russe sur un front court et trop étroit ; puis l’idée lui vint que si ce type de femme manquait en Illyrie, à Paris il courait les rues, et l’exil lui parut définitivement supportable. Du reste, cet exil ne pouvait pas durer longtemps. Les Illyriens en auraient vite assez de leur République. C’était une affaire de deux ou trois mois à passer loin du pays, des vacances royales qu’il fallait employer aussi gaiement que possible. — Comprenez-vous cela, général ? disait-il en riant... on a déjà voulu me faire acheter une maison... C’est un monsieur, un Anglais, qui est venu ce matin... Il s’engageait à me livrer un hôtel magnifique, meublé, tapissé, chevaux à l’écurie, voitures dans la remise, linge, argenterie, service, personnel, le tout en quarante-huit heures et dans le quartier qui me plairait le mieux. — Je connais votre Anglais, Monseigneur : c’est Tom Lévis, l’agent des étrangers... — Oui, il me semble bien... un nom dans ce goût-là... Vous avez eu affaire à lui ? — Oh ! tous les étrangers en arrivant à Paris reçoivent la visite de Tom et de son cab... Mais je souhaite à Votre Majesté que la connaissance en reste là... L’attention particulière avec laquelle le prince Herbert, dès qu’on parla de Tom Lévis, se mit à considérer les rubans de ses souliers découverts sur la rayure de ses bas de soie, le regard furtif que la princesse jetait à son mari, avertirent Christian que s’il avait besoin de renseignements sur l’illustre faiseur de la rue Royale, les jeunes gens pourraient lui en fournir. Mais en quoi les services de l’agence Lévis pouvaient-ils lui être utiles ? Il ne désirait ni maison, ni voiture et comptait bien passer à l’hôtel les quelques mois de leur séjour à Paris. — N’est-ce pas votre avis, Frédérique ? — Oh ! certainement, c’est plus sage... répondit la reine, quoique au fond du cœur elle ne partageât pas les illusions de son mari, ni son goût pour les installations provisoires. À son tour le vieux Rosen hasarda quelques observations. Cette vie d’auberge ne lui semblait guère convenir à la dignité de la maison d’Illyrie. Paris, en ce moment, était plein de souverains en exil. Tous y figuraient de façon somptueuse. Le roi de Westphalie occupait rue de Neubourg une magnifique résidence, avec un pavillon annexe pour les services administratifs. Aux Champs-Élysées, l’hôtel de la reine de Galice était un véritable palais d’un luxe, d’un train royal. Le roi de Palerme avait maison montée à Saint-Mandé, nombreux chevaux à l’écurie, tout un bataillon d’aides de camp. Il n’y avait pas jusqu’au duc de Palma qui, dans sa petite maison de Passy, n’eût un semblant de cour et toujours cinq ou six généraux à sa table. — Sans doute, sans doute, disait Christian impatienté... mais ce n’est pas la même chose... Ceux-là ne quitteront plus Paris... C’est entendu, définitif, tandis que nous... D’ailleurs il y a une bonne raison pour que nous n’achetions pas de palais, ami Rosen. On nous a tout pris, là-bas... Quelques cent mille francs chez les Rothschild de Naples et notre pauvre diadème que Mme de Silvis a sauvé dans un carton à chapeau, voilà tout ce qu’il nous reste... Dire que la marquise a fait ce grand voyage de l’exil, à pied, sur mer, en wagon, en voiture, avec son précieux carton à la main. C’était si drôle, si drôle !... Et l’enfantillage reprenant le dessus, il se mit à rire de leur détresse comme de la chose la plus plaisante du monde. Le duc ne riait pas, lui. — Sire, dit-il si ému que toutes ses vieilles rides en tremblaient, vous me faisiez l’honneur de m’assurer tout à l’heure que vous regrettiez de m’avoir laissé si longtemps loin de vos conseils et de votre cœur... Eh bien ! je vous demande une faveur en retour... Tant que votre exil durera, rendez-moi les fonctions que j’occupais à Leybach, près de Vos Majestés... chef de la maison civile et militaire. — Voyez-vous l’ambitieux ! fit le roi gaiement. Puis avec amitié : — Mais il n’y a plus de maison, mon pauvre général, pas plus civile que militaire... La reine a son chapelain et deux femmes... Zara, sa gouvernante... Moi j’ai emmené Boscovich pour la correspondance et maître Lebeau pour me raser le menton... Et c’est tout... — En ce cas, je vais encore solliciter... Votre Majesté voudra-t-elle bien prendre mon fils Herbert pour aide de camp et donner à la reine comme lectrice et dame d’honneur la princesse ici présente ?... — C’est accordé pour ma part, duc, dit la reine en tournant son beau sourire vers Colette, tout éblouie de sa nouvelle dignité. Quant au prince, il eut pour remercier son souverain, qui lui octroyait un brevet d’aide de camp avec la même bonne grâce, un gracieux hennissement dont il avait pris l’habitude à force de vivre au Tattershal. — Je présenterai les trois nominations demain matin à la signature, ajouta le général d’un ton respectueux mais bref, indiquant qu’il se considérait déjà comme entré en fonctions. En entendant cette voix, cette formule qui l’avaient si longtemps et si solennellement poursuivi, le jeune roi laissa voir sur sa figure une expression de découragement et d’ennui, puis il se consola en regardant la princesse que le bonheur embellissait, transfigurait, comme il arrive à ces mignons visages sans traits qui sont tous dans le voile piquant et déplacé sans cesse de leur physionomie. Songez ! dame d’honneur de la reine Frédérique, elle, Colette Sauvadon, la nièce à Sauvadon, le gros marchand de vins de Bercy ! Qu’est-ce qu’on dirait rue de Varennes, rue Saint-Dominique, dans ces salons si exclusifs où son mariage avec Herbert de Rosen l’avait fait admettre aux grands jours, mais jamais dans l’intimité ! Déjà sa petite imagination mondaine voyageait dans une cour de fantaisie. Elle songeait aux cartes de visite qu’elle se ferait faire, à tout un renouveau de toilettes, une robe aux couleurs d’Illyrie, avec des cocardes pareilles pour les têtières des chevaux... Mais le roi parlait auprès d’elle : — C’est notre premier repas sur la terre d’exil, disait-il à Rosen d’un ton demi-sérieux, à dessein emphatique... Je veux que la table soit gaie et entourée de tous nos amis. Et voyant l’air effaré du général devant cette brusque invitation : — Ah ! oui, c’est vrai, l’étiquette, la tenue... Dame ! nous nous sommes déshabitués de tout cela depuis le siège, et le chef de notre maison va trouver bien des réformes à faire... Seulement je demande qu’elles ne commencent que demain. À ce moment, entre les deux battants largement écartés de la porte, le maître d’hôtel annonça le dîner de Leurs Majestés. La princesse se dressait déjà toute glorieuse pour prendre le bras de Christian ; mais il alla l’offrir à la reine et, sans s’inquiéter des autres convives, la conduisit dans la salle à manger. Tout le cérémonial de la cour n’était pas resté, quoi qu’il en dît, au fond des casemates de Raguse. La transition du soleil aux lumières saisit les invités en entrant. Malgré le lustre, les candélabres, deux grosses lampes posées sur les buffets, on y voyait à peine, comme si le jour, brutalement chassé avant l’heure, avait laissé sur les choses l’hésitation d’un crépuscule. Ce qui ajoutait à cette tristesse d’apparence, c’était la longueur et la disproportion de la table avec le petit nombre des convives, une table que l’on avait cherchée dans tout l’hôtel, conforme aux exigences de l’étiquette, et où le roi et la reine prirent place ensemble à l’un des bouts, sans personne à leurs côtés ni en face. Ceci remplit d’étonnement et d’admiration la petite princesse de Rosen. Dans les derniers temps de l’empire, admise à un dîner aux Tuileries, elle se souvenait bien d’avoir vu l’empereur et l’impératrice bourgeoisement assis en face l’un de l’autre, comme les premiers mariés venus à leur repas de noces. « Ah ! voilà, se dit la petite cocodette, fermant son éventail d’un geste résolu et le posant près d’elle, à côté de ses gants. La légitimité !... Il n’y a que ça.» Cette pensée transformait, à ses yeux, cette espèce de table d’hôte dépeuplée dont l’aspect rappelait les splendides auberges de la Corniche Italienne, entre Monaco et San-Remo, au commencement de la saison, quand le gros des touristes n’est pas encore arrivé. Le même bariolage de monde et de toilettes : Christian en veston, la reine dans son amazone de voyage, Herbert et sa femme en watteau des boulevards, la robe de franciscain du Père Alphée, le chapelain de la reine, frôlant le semi-uniforme chamarré du général. Rien de moins imposant en somme. Une seule chose eut de la grandeur, la prière du chapelain appelant la bénédiction divine sur ce premier repas de l’exil : ... Quæ sumus sumpturi prima die in exilio... disait le moine, les mains étendues ; et ces mots lentement récités semblèrent prolonger bien loin dans l’avenir les courtes vacances du roi Christian. — Amen ! répondit d’une voix grave le souverain dépossédé, comme si, dans le latin de l’Eglise, il venait enfin de sentir les mille liens brisés, encore animés et frémissants, que traînent — comme des arbres arrachés leurs racines vivantes — les bannis de tous les temps. Mais sur cette nature de Slave, caressante et polie, les impressions les plus fortes ne tenaient pas. À peine assis, il reprit sa gaieté, son air absent, et se mit à causer beaucoup, s’appliquant, par égard pour la Parisienne qui était là, à parler français, très purement, mais avec un léger zézaiement italien qui allait bien à son rire. Sur un ton héroïcomique, il raconta certains épisodes du siège : l’installation de la cour dans les casemates et la singulière figure qu’y faisait, avec sa toque à plume verte et son plaid, la marquise gouvernante Éléonore de Silvis. Heureusement que l’innocente dame dînait dans la chambre de son élève et ne pouvait entendre les rires provoqués par les plaisanteries du roi. Boscovich et son herbier lui servirent ensuite de cible. On eût dit vraiment qu’il voulait, à force de gaminerie, se venger de la gravité des circonstances. Le conseiller aulique Boscovich, petit homme sans âge, peureux et doux, avec des yeux de lapin qui regardaient toujours de côté, était un jurisconsulte savant, fort passionné pour la botanique. À Raguse, les tribunaux étant fermés, il passait son temps à herboriser, sous les bombes, dans les fossés des fortifications ; héroïsme bien inconscient d’un esprit tout à sa manie, et qui se préoccupait uniquement, dans l’immense désarroi de son pays, d’un herbier magnifique resté aux mains des libéraux. — Tu penses, mon pauvre Boscovich, disait Christian pour l’effrayer, quel beau feu de joie ils ont dû faire de ces entassements de fleurs séchées... à moins que la République, étant trop pauvre, n’ait imaginé de tailler dans tes gros buvards gris des capotes de rechange pour ses miliciens... Le conseiller riait comme tout le monde, mais avec des mines effarées, des « Ma che... ma che » qui trahissaient ses peurs enfantines. — Que le roi est charmant !... qu’il a de l’esprit !...et quels yeux !... pensait la petite princesse vers qui Christian se penchait à chaque instant, cherchant à diminuer la distance que le cérémonial mettait entre eux. C’était plaisir de la voir s’épanouir sous la complaisance évidente de cet auguste regard, jouer avec son éventail, pousser de petits cris, renverser sa taille souple où palpitait le rire en ondes sonores et visibles. La reine, par son attitude, la conversation intime qu’elle avait avec le vieux duc son voisin, semblait s’isoler de cette gaieté débordante. À deux ou trois reprises, quand on parla du siège, elle dit quelques mots, et chaque fois pour mettre en lumière la bravoure du roi, sa science stratégique, puis elle reprenait son aparté. À demi-voix le général s’informait des gens de la cour, de ses anciens compagnons qui, plus heureux que lui, avaient suivi leurs princes à Raguse. Beaucoup y étaient restés, et à chaque nom que prononçait Rosen, on entendait la reine répondre de sa voix sérieuse un : « Mort !... mort !... » note funèbre sonnant le glas de ces pertes si récentes. Pourtant, après le dîner, quand on fut rentré dans le salon, Frédérique s’égaya un peu ; elle fit asseoir Colette de Rosen sur un divan à côté d’elle, et lui parla avec cette familiarité affectueuse dont elle se servait pour attirer les sympathies et qui ressemblait à la pression de sa belle main tendue, fine aux doigts mais forte de paume, et vous communiquant sa bienfaisante énergie. Puis tout à coup : — Allons voir coucher Zara, princesse. Au bout d’un long corridor encombré, comme le reste de l’appartement, de caisses empilées, de malles ouvertes, d’où débordaient le linge, les effets, dans le grand désordre de l’arrivée, s’ouvrait la chambre du petit prince, éclairée par une lampe à l’abat-jour surbaissé dont la clarté s’arrêtait juste au niveau des rideaux bleuâtres du lit. Une servante dormait assise sur une malle, la tête enveloppée dans sa coiffe blanche et ce grand fichu bordé de rose qui complète la coiffure des femmes dalmates. Près de la table, la gouvernante, légèrement appuyée sur son coude, un livre ouvert sur les genoux, subissait, elle aussi, l’influence soporifique de sa lecture et gardait même dans le sommeil cet air romanesque et sentimental que le roi raillait si fort. L’entrée de la reine ne la réveilla pas ; mais le petit prince, au premier mouvement de la moustiquaire de gaze dont sa couchette était voilée, étendit ses petits poings et fit l’effort de se redresser, les yeux ouverts, le regard perdu. Depuis quelques mois, il était tellement habitué à être levé en pleine nuit, précipitamment habillé, pour des fuites ou des départs, à voir autour de lui au réveil des endroits nouveaux et de nouveaux visages, que son sommeil avait perdu sa bonne unité, n’était plus ce voyage de dix heures au pays des rêves que les enfants accomplissent au souffle continu, régulier, presque insaisissable de leur petite bouche entr’ouverte. — Bonsoir, maman, dit-il tout bas... Est-ce qu’il faut nous sauver encore ? On sentait, dans cette exclamation résignée et touchante, l’enfant qui a beaucoup souffert, et d’un malheur trop grand pour lui. — Non, non, mon chéri, nous sommes en sûreté, cette fois... Dormez, il faut dormir. — Oh ! tant mieux alors... Je vais retourner avec le géant Robistor dans la montagne de verre... J’étais si bien. — Ce sont les histoires de Mme Éléonore qui lui troublent les idées, dit la reine doucement... Pauvre petit ! la vie est si noire pour lui... Il n’y a que les contes qui l’amusent... Il faudra pourtant bien se décider à lui mettre autre chose dans la tête. Tout en parlant, elle redressait l’oreiller de l’enfant, l’installait dans son repos avec des gestes de caresse, comme aurait fait une simple bourgeoise, ce qui renversait toutes les idées grandioses de Colette de Rosen sur la royauté. Puis, comme elle se penchait pour embrasser son fils, il lui demanda à l’oreille si c’était le canon ou la mer qu’on entendait gronder au loin. La reine écouta une seconde un roulement confus, perpétuel, qui, par instant, faisait craquer les cloisons et trembler les vitres, enveloppait la maison du sol au faîte, diminuait pour se renouveler, augmentait tout à coup pour fuir dans des étendues de bruit semblable. — Ce n’est rien... C’est Paris, mon fils... Dormez. Et ce petit tombé du trône, à qui l’on avait parlé de Paris comme du refuge, se rendormit avec confiance, bercé par la ville des révolutions. Quand la reine et la princesse revinrent au salon, elles y trouvèrent une femme jeune et de fort grand air causant debout avec le roi. Le ton familier de l’entretien, la distance respectueuse où se tenait le reste de l’auditoire, indiquaient que c’était là un personnage d’importance. La reine eut un cri ému : — Maria ! — Frédérique ! Et le même élan de tendresse les jeta dans leurs bras ouverts. À une muette interrogation de sa femme, Herbert de Rosen nomma la visiteuse. C’était la reine de Palerme. Un peu plus grande et plus mince que sa cousine d’Illyrie, elle semblait avoir quelques années de plus. Ses yeux noirs, ses cheveux noirs relevés à plat sur le front, son teint mat, lui donnaient l’aspect d’une Italienne, bien qu’elle fût née à la cour de Bavière. Il n’y avait d’allemand en elle que la raideur de la taille longue et plate, l’expression hautaine du sourire et je ne sais quoi de fagoté, de discord dans la toilette, qui distingue les femmes d’outre-Rhin. Frédérique, orpheline de bonne heure, avait été élevée à Munich avec cette cousine ; et, séparées par la vie, elles s’étaient gardé l’une à l’autre une vive affection. — Vois-tu, je n’ai pas pu attendre, disait la reine de Palerme en lui tenant les mains. Cecco ne rentrait pas... je suis venue sans lui.... Il me tardait tant !... J’ai si souvent pensé à toi, à vous... Oh ! ce canon de Raguse, de Vincennes, la nuit, je croyais l’entendre... — Il n’était que l’écho de celui de Caserte, interrompit Christian, faisant allusion à l’héroïque attitude qu’avaie eue, quelques années auparavant, cette reine exilée et déchue comme eux. Elle soupira : — Ah ! oui, Caserte... on nous a laissés bien seuls, nous aussi.,. Quelle pitié ! Comme si toutes les couronnes ne devaient pas être solidaires... Mais maintenant, c’est fini. Le monde est fou... Puis, se tournant vers Christian : — C’est égal ! mon compliment, cousin... vous êtes tombé en roi. — Oh ! dit-il en montrant Frédérique, le vrai roi de nous deux... Un geste de sa femme lui ferma la bouche... Il s’inclina en souriant,. fit une pirouette : — Allons fumer, Herbert ! dit-il à son aide de camp. Et tous deux passèrent sur le balcon. La soirée était chaude et splendide, le jour à peine éteint dans l’éblouissement du gaz où il mourait en lueurs bleues. La masse noire des marronniers des Tuileries entretenait un souffle d’éventail autour d’elle et dans le ciel au-dessus avivait l’éclat des étoiles. Avec ce fond de fraîcheur, cet espace pour les bruits de la foule, la rue de Rivoli perdait l’aspect étouffant des rues de Paris l’été ; mais on sentait pourtant l’immense circulation de la ville vers les Champs-Élysées, leurs concerts en plein air sous des girandoles de feu. Le plaisir que l’hiver enferme derrière les chaudes tentures des croisées closes chantait librement, riait, courait le plaisir, en chapeaux de fleurs, en mantilles. flottantes, en robes de toile dont un réverbère au passage éclairait l’échancrure sur un cou blanc serré d’un ruban noir. Les cafés, les glaciers débordaient sur les trottoirs avec des bruits de monnaie, des appels, des tintements de verres. — Ce Paris est inouï, disait Christian d’Illyrie en poussant sa fumée devant lui dans l’ombre... L’air n’y est pas le même qu’ailleurs..- il a quelque chose de capiteux, de montant... Quand je pense qu’à Leybach, à cette heure-ci tout est fermé, couché, éteint... Puis, sur un ton joyeux : — Ah ça ! mon aide de camp, j’espère qu’on va m’initier aux plaisirs parisiens... tu me parais au courant, tout à fait lancé... — Ça, oui, Monseigneur, dit Herbert hennissant d’orgueil satisfait... Au cercle, à l’Opéra, partout, ils m’appellent le roi de la Gomme. Et pendant que Christian se faisait expliquer le sens de ce nouveau mot, les deux reines qui, pour causer plus librement étaient entrées dans la chambre de Frédérique, s’épanchaient en longs récits, en tristes confidences dont on entendait le chuchotement derrière la persienne entr’ouverte. Dans le salon, le Père Alphée et le vieux duc causaient à voix basse, eux aussi. — Il a bien raison, disait le chapelain, c’est elle qui est le roi... le vrai roi... Si vous l’aviez vue à cheval, courant nuit et jour les avant-postes !... Au fort Saint-Ange, quand il pleuvait du fer, pour donner du cœur aux soldats elle a fait deux fois le tour des talus, droite et fière, l’amazone relevée sur le bras et la cravache au poing, comme dans son parc de la résidence... Il fallait voir nos marins, quand elle est descendue... Lui, pendant ce temps-là, couraillait Dieu sait où !... Brave, parbleu ! aussi brave qu’elle... mais pas d’étoile, pas de foi... Et pour gagner le ciel, comme pour sauver sa couronne, monsieur le duc, il faut la foi ! Le moine s’exaltait, grandi dans sa longue robe, et Rosen était obligé de le calmer : — Doucement, Père Alphée... Père Alphée, allons, allons... car il avait peur que Colette les entendît. Celle-ci restait abandonnée au conseiller Boscovich qui l’entretenait de ses plantes, mêlant les termes scientifiques aux détails minutieux de ses courses de botaniste. Sa conversation sentait l’herbe fanée et la poussière remuée d’une vieille bibliothèque de campagne. Eh bien ! il y a dans les grandeurs un si puissant attrait, l’atmosphère qu’elles répandent grise si fort et si délicieusement certaines petites natures avides à l’aspirer, que la jeune princesse, cette princesse Colette des bals du high-life, des courses et des premières représentations, toujours à l’avant-garde du Paris qui s’amuse, gardait son plus joli sourire en écoutant les arides nomenclatures du conseiller. Il lui suffisait de savoir qu’un roi causait à cette fenêtre, que deux reines échangeaient leurs confidences dans la pièce à côté, pour que ce banal salon d’hôtel où son élégance s’étalait toute dépaysée, s’emplît de la grandeur, de la majesté triste qui rend si mélancoliques les vastes salles de Versailles aux parquets cirés, luisants comme leurs glaces. Elle serait restée là, en extase, jusqu’à minuit, sans bouger, sans s’ennuyer, un peu intriguée seulement de la longue conversation qu’avait Christian avec son mari. Quelles graves questions agitaient-ils ? quels vastes projets de restauration monarchique ? Sa curiosité redoubla quand elle les vit reparaître tous deux, la figure animée, les yeux décidés et brillants. — Je sors avec Monseigneur, lui dit Herbert à voix basse... mon père vous reconduira. Le roi s’approcha à son tour : — Vous ne m’en voudrez pas trop, princesse... C’est son service qui commence. — Tous les instants de notre vie appartiennent à Vos Majestés, répondit la jeune femme, persuadée qu’il s’agissait de quelque démarche importante et mystérieuse, peut-être d’un premier rendez-vous de conjurés. Oh ! si elle avait pu en être, elle aussi !... Christian s’était avancé vers la chambre de la reine ; mais, près de la porte, il s’arrêta : — On pleure, dit-il à Herbert en s’en retournant... Bonsoir, je n’entre pas. Dans la rue, il eut une explosion de joie, de soulagement, passa son bras sous celui de l’aide de camp, après avoir allumé un nouveau cigare dans le vestibule de l’hôtel : — Vois-tu, c’est bon de s’en aller seul, en pleine foule, de marcher dans le rang comme les autres, d’être maître de ses paroles, de ses gestes, et, quand une jolie fille passe, de pouvoir retourner la tête sans que l’Europe en soit ébranlée... C’est le bénéfice de l’exil... Quand je suis venu il y a huit ans, je n’ai vu Paris que des fenêtres des Tuileries, du haut des carrosses de gala... Cette fois, je veux tout connaître, aller partout... Sapristi ! mais j’y pense... je te fais marcher, marcher, et tu boîtes, mon pauvre Herbert...Attends, nous allons arrêter une voiture. Le prince voulut protester. Sa jambe ne lui faisait aucun mal. Il se sentait de force à aller jusque là-bas. Mais Christian tint bon : — Non, non, je ne veux pas que mon guide soit fourbu dès le premier soir. Il héla un maraudeur qui roulait vers la place de la Concorde avec un bruit de ressorts faussés et des claquements de fouet sur l’échine osseuse de sa bête, sauta légèrement, s’installa, en se frottant les mains avec une joie d’enfant, sur le vieux drap bleu des coussins. — Où allons-nous, mon prince ? dit le cocher sans se douter qu’il avait parlé si juste. Et Christian d’Illyrie répondit d’une voix triomphante de collégien émancipé : — À Mabille !
Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/555
<p style="font-size:80%;text-indent:0">{{tiret2|Bor|deaux}}, depuis le 15 de juillet 1752, jour auquel elle fut soumise à cette compagnie ;</p> <p style="font-size:80%">2{{o}} Qu’elle fut lue dans la séance particulière du 17 du même mois ;</p> <p style="font-size:80%">3{{o}} Qu’elle fut lue, une seconde fois, dans l’assemblée publique du 25{{lié}}août suivant ;</p> <p style="font-size:80%">4{{o}} Qu’en 1756, un journaliste m’ayant paru chercher le moyen de m’enlever, à petit bruit, l’invention du cerf-volant, je demandai à l’Académie, le 7 de mars de la même année, une expédition de la finale de cette lettre ;</p> <p style="font-size:80%">5{{o}} Que je négligeai de me faire délivrer cette pièce, parce que personne ne se montra pour me disputer cet instrument ;</p> <p style="font-size:80%">6{{o}} Qu’un particulier s’étant avisé, en 1760, de renouveler la querelle à l’occasion d’une lettre de {{M.|Watson}}, je demandai de nouveau, au mois de mars 1761, l’expédition dont je viens de parler ;</p> <p style="font-size:80%">7{{o}} Que cette expédition fut faite enfin le 10 de juillet, ainsi qu’il conste<!--https://fr.wiktionary.org/wiki/conster--> du certificat de {{M.|de}} Lamontaigne, conseiller au parlement, et secrétaire perpétuel de notre Académie ; certificat dont je joins ici une copie écrite de ma main, pour qu’il vous plaise l’insérer dans votre journal, comme un des actes justificatifs de la présente lettre.</p> <p style="font-size:80%">Si, selon ces observations préliminaires, on ne peut soupçonner que j’aie écrit après coup ma lettre du 12{{lié}}juillet 1752 ; et si, à des yeux qui savent voir, ces termes, ''quoiqu’elle ne soit qu’un jeu d’enfant'', dévoilent le mystère du cerf-volant électrique, que je me réservais de mettre au jour, lorsque je me serais assuré de sa réussite par l’expérience : peut-on dire, monsieur, que ce même jour, 12 de juillet, j’avais entendu raconter l’expérience que l’on suppose avoir été faite en Angleterre par {{MM.|Delor}} et Dalibard en 1753, c’est-à-dire un an après ? On se gardera bien, apparemment, de soutenir aujourd’hui un anachronisme qui choquerait l’homme le moins sensé. Ainsi, il faudra se restreindre à soutenir que {{M.|Franklin}} fit son expérience dans la campagne de Philadelphie au mois de juin 1752, et que j’en étais instruit dès le 12 de juillet suivant.</p> <p style="font-size:80%">Sur ceci j’ai plusieurs réponses à fournir, sans m’écarter de la loi que je me suis imposée. Afin que j’eusse eu cette instruction si promptement, il faudrait supposer que j’eusse été connu de {{M.|Franklin}}, qu’il eût pour moi une prédilection toute particulière ; qu’entraîné par le penchant de cette prédilection, il se fût hâté de dépêcher vers moi un vaisseau pour m’annoncer la nouvelle de son expérience ; que ce vaisseau n’eût éprouvé, dans son passage, aucun contre-temps ; que cet incomparable voilier, conduit exactement sur la droite route par des vents favorables, forts et constants, eût parcouru plus de douze cents lieues en moins de treize jours.</p> <p style="font-size:80%">Oui, monsieur, il faut supposer ces choses ; parce que si l’expérience de {{M.|Franklin}} a été faite à Philadelphie dans le mois de juin, elle n’a pu avoir lieu que dans les derniers jours de ce mois-là ; c’est ce dont vous serez pleinement convaincu, au moyen d’un fait que vous verrez dans la suite de cette lettre.</p> <p style="font-size:80%">En attendant, je suis bien aise de vous observer, monsieur, qu’avant le mois de juin 1752, je n’avais nullement entendu parler de {{M.|Franklin}} ; et je n’ai pas assez de vanité pour me flatter que dans ce même temps j’eusse l’honneur d’être connu de lui ; d’où il résulte qu’il n’y a nulle vraisemblance à la dépêche de ce vaisseau, qui, encore supposée réelle, serait une chose des plus extraordinaires.</p> <p style="font-size:80%">Quoi qu’il en soit, monsieur, pour trancher d’un seul coup l’objection, je remarquerai que si, comme il n’est pas permis d’en douter, la première nouvelle de la prétendue expérience du cerf-volant de {{M.|Franklin}} ne parvint à ses plus intimes correspondants de Londres que dans le mois de janvier 1753, et que cette nouvelle passa en France avec la lettre écrite le 15 du même mois par {{M.|Watson}} à {{M.|l’abbé}} Nollet&#x202F;<ref>Voir p. 395, tome {{rom-maj|II|2}} des ''Mémoires présentés à l’Académie royale des sciences de Paris par des savants étrangers''.</ref>, je laisse à penser s’il y a apparence que j’en fusse instruit le 12 de juillet 1752 : je présume que l’esprit le plus subtil qui soit au monde ne saurait se débarrasser de l’argument qui se tire naturellement de cette observation.</p> <p style="font-size:80%">Mais, m’objectera-t-on peut-être, ces termes, ''quoiqu’elle ne soit qu’un jeu d’enfant'', qu’on lit à la fin de la lettre du 12 de juillet 1752, ne désignent point la machine du cerf-volant d’une manière aussi claire que vous l’avez soutenu. Ainsi, il vous reste de produire des preuves plus certaines de votre prétention au sujet de cette machine.</p> <p style="font-size:80%">Comme je n’ignore pas qu’il y a des yeux troubles ou louches, qui voient obscurément ou de travers les objets qui sont reconnus par d’autres très-distinctement, et tels qu’ils sont en effet, je ne dédaigne point de répondre à cette objection. Pour satisfaire tout le monde, je demande si le témoignage de trois personnes, dignes de foi, sera capable de terminer la contestation ? Si ce témoignage est trouvé suffisant, je prie quelqu’un de ceux qui se sont déclarés contre moi de vouloir prendre la peine d’interpeller M{{M.|Dutilh}}, Bégué, curé d’Asquets, et le chevalier de Vivens, qui est très-connu dans la république des sciences ; et l’on sera bientôt assuré que, par ces termes, ''quoiqu’elle ne soit qu’un jeu d’enfant'', j’entendais parler du cerf-volant électrique.</p> <p style="font-size:80%">{{M.|Dutilh}} répondra, que dès le lendemain de ma première expérience qui fut faite le 9{{lié}}juillet 1752 avec la barre de {{M.|Franklin}}, ainsi qu’il paraît par ma lettre du 12, je lui confiai, sous le sceau du secret, l’idée que j’avais d’employer le cerf-volant aux expériences de l’électricité du tonnerre ; qu’il se chargea de construire tout de suite cette machine, afin de la mettre à l’épreuve avant que la saison des orages ne</p> <references/>
Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, tome 002, 1836.djvu/682
{{nr||(672)}}{{table|largeurp=40|indentation=-2|nodots|titre={{Gauche|MM.|3|fs=90%}}|page={{Taille|Pages.|90}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=PRÉVOST ({{sc|Constant}}). — Voyage à l’''île Julia'', en ''Sicile'', aux ''îles Lipari'', et dans les environs de Naples ; — Rapport sur les résultats obtenus dans ce voyage|page={{pli|243|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=PUISSANT. — Nouvelles remarques sur la ''comparaison des mesures géodésiques et astronomiques de France'', et sur les irrégularités de la Terre dans cette contrée|page={{pli|50|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— Désigné pour prendre part à l’examen des ''pièces de concours des élèves des Ponts-et-Chaussées''|page={{pli|411|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— Nouvelle détermination de la ''longueur de l’arc du méridien'' compris entre Montjouy et Formentera, dévoilant l’inexactitude de celle dont il est fait mention dans la ''Base du système métrique décimal'', et modifiant un peu les dimensions de la Terre généralement adoptées ; note sur ce travail|page={{pli|428|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— Remarques sur une note de {{MM.|''Arago'' et ''Biot''}} relative à la précédente communication|page={{pli|453|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— Dernières remarques sur le même sujet|page={{pli|483|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— Dépôt du mémoire précédent, sur une nouvelle détermination de l’''arc du méridien'' compris entre Moutjouy et Formentera, etc.|page={{pli|522|10}}}} {{t4|Q|lh=2em|m=2em}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=QUENARD. — Mémoire sur un appareil (''Tuyau-Bonde'') destiné a remplacer avec avantage toutes bondes d’étang et de pièces d’eau|page={{pli|108|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=QUETELET. — Sur les ''variations annuelles de la température de la terre à différentes profondeurs''|page={{pli|357|10}}}} {{t4|R|lh=2em|m=2em}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=RAGUSE (Le maréchal duc de). — Observations de ''météorologie'' et de ''climatologie'' faites pendant nu voyage en Orient|page={{pli|210|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=RATTE. — Mémoire sur les ''citernes vénitiennes'', et observations relatives aux ''puits artésiens'', aux ''fontaines artificielles'', et aux ''mortiers romains''|page={{pli|73|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=RAUCOURT adresse un mémoire ayant pour titre : ''De l’influence des sciences appliquées à la vie humaine sur le bonheur et la moralité des hommes réunis en société''|page={{pli|505|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=RENAUX ({{sc|Jules}}). — Description d’un procédé de ''filtrage'' pour les eaux de rivières|page={{pli|1|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=RENAUX. — ''Ponts en tôle''|page={{pli|36|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=REVILLON demande qu’un ''pressoir cylindrique'' qu’il a inventé soit admis au concours pour le prix de mécanique|page={{pli|577|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=REYBAUD. — Mémoire sur l’''orthopédie''|page={{pli|331|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=RICHELOT. — Essai sur une méthode générale pour déterminer la valeur des ''intégrales ultra-elliptiques''|page={{pli|622|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=RIVIÈRE. — Détermination de ''plusieurs groupes d’époques différentes'' dans ce qu’on nomme ''terrains primitifs'' et ''terrains de transition inférieurs aux terrain houillers''|page={{pli|3|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— Lettre à l’occasion du précédent mémoire|page={{pli|28|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— ''Carte géologique du département de la Vendée'' ; rapport sur cette carte|page={{pli|136|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— Effets des ''défrichements''|page={{pli|358|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=ROBERT. — Lettre sur des ''spirules'' prises à la hauteur des îles Canaries|page={{pli|322|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— Lettre sur les ''spirules'', sur le ''lamentin du Sénégal'', et sur l’existence de ''l’hyène tachetée'' dans ce dernier pays|page={{pli|362|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=ROBINET et GOUPIL. — Dépôt d’un ''paquet cacheté'' portant pour suscription : ''Perfectionnement les armes de guerre''|page={{pli|84|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=ROBIQUET. — Notice sur l’''acide gallique''|page={{pli|548|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— Rapport sur un mémoire de ''{{M.|Pellas}}'', intitulé : ''Nouvelles recherches sur le sucre et le parenchyme de la tige de maïs''|page={{pli|461|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— Étude microscopique comparée de la ''barégine'' de {{M.|Robiquet}}, recueillie dans les eaux thermales de Néris, et de la ''barégine'' observée dans les eaux thermales sulfureuses de Barèges par {{M.|Longchamp}} ; note de {{M.|Turpin}}|page={{pli|17|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=ROUX. — Observation d’un fait qui semble confirmer la justesse de l’ancienne opinion relativement à l’''origine de la corde du tympan'', c’est-à-dire que ce nerf est un rameau du nerf facial et non de la cinquième paire, comme on l’a soutenu récemment|page={{pli|448|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=— ''Paraplégies'' traitées au moyen de l’''électro poncture'', en introduisent les aiguilles jusque dans la cavité du canal vertébral|page={{pli|449|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=ROWLAND. — Nouvel ''instrument à réflexion'' pour la mesure des grands angles ; rapport sur cet instrument|page={{pli|45|10}}}} {{table|largeurp=40|indentation=-2|titre=RUPPEL. — Observation sur les circonstances dans lesquelles tombe la ''grêle'' en Abyssinie, et sur les migrations des ''singes'' et des ''éléphants'' qui ont quelquefois lieu à travers des plateaux fort élevés|page={{pli|29|10}}}} <references/>
Revue de Paris - 1900 - tome 6.djvu/461
Il fit volte-face, les épaules à la cheminée, les mains derrière son dos. — Et maintenant, ajouta-t-il, quand la réparation sera faite, je voudrais avoir du thé... Mais pas avant que la réparation soit terminée. Madame Hall était sur le point de sortir — cette fois, elle n’essaya pas d’engager la conversation, pour ne pas s’exposer à être rabrouée devant {{M.|Henfrey}} — lorsque le client lui demanda si elle avait pris ses dispositions au sujet des malles restées à Bramblehurst. Elle répondit qu’elle avait parlé au facteur et que le voiturier les apporterait le lendemain. — Êtes-vous sûre que ce soit le moyen le plus rapide ? Elle en était sûre, elle l’affirma avec froideur. — C’est que, voyez-vous... Je vais vous expliquer ce que je n’ai pu vous dire plus tôt parce que j’étais trop gelé et trop fatigué : je suis un travailleur, un homme de laboratoire... — Ah ! vraiment, monsieur ! fit madame Hall, très intéressée. — Et mes bagages contiennent des appareils, un matériel... — Toutes choses bien utiles, sans doute ! — Naturellement, je suis impatient de poursuivre mes recherches. — Naturellement, monsieur ! — Ma raison de venir à Iping, — continua-t-il d’un ton assez délibéré, — était le désir de la solitude. Je tiens à n’être pas troublé dans mon travail. En plus, d’ailleurs, de mon travail, un accident qui m’est arrivé... (« Je le pensais bien ! » se dit madame Hall)... exige une certaine retraite. Mes yeux sont quelquefois si affaiblis et si douloureux que je dois m’enfermer dans l’obscurité des heures entières, m’enfermer à clef. Cela, de temps à autre. Pas pour le quart d’heure, toutefois. À ces moments-là, le moindre dérangement, par exemple l’entrée de quelqu’un dans ma chambre, est pour moi une cause de véritable torture... Il est bon que cela soit entendu. — Parfaitement, monsieur. Si j’osais me permettre de demander... — C’est bien tout, je crois, — dit l’étranger, de ce ton
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temps ; sa démarche précipitée, quand la nuit bien tombée l’invitait aux promenades tranquilles ; sa manière de repousser toutes les avances de la curiosité ; son goût pour l’ombre, qui le conduisait à fermer ses portes, à baisser ses stores, à éteindre ses bougies et ses lampes — qui donc ne se fût préoccupé de pareilles allures ? On s’écartait un peu quand il descendait le village, et, quand il était passé, les gamins moqueurs relevaient le col de leur vêtement, rabattaient les bords de leur chapeau, emboîtaient le pas derrière lui, singeant sa démarche mystérieuse. Il y avait à cette époque une chanson populaire intitulée ''le Croquemitaine'' : {{lang|en|miss}} Satchell l’avait chantée au concert de l’école — au profit de l’éclairage du temple : depuis lors, toutes les fois que plusieurs villageois étaient réunis, si l’étranger venait à paraître, les premières mesures de cet air partaient du groupe, sifflées plus ou moins haut. Aussi, le soir, les enfants criaient-ils sur son chemin : « Croquemitaine ! Croquemitaine ! » quitte à décamper aussitôt, prudemment. Cuss, l’empirique du pays, était dévoré par la curiosité. Les bandages excitaient son intérêt professionnel ; les mille et une bouteilles éveillaient sa jalousie. Pendant tout avril et tout mai, il souhaita une occasion de parler à l’étranger ; enfin, aux environs de la Pentecôte, n’y tenant plus, il imagina comme prétexte une liste de souscription en faveur d’une infirmière communale. Il découvrit alors avec étonnement que {{M.|Hall}} ignorait le nom de son hôte. — Il a donné un nom (affirmation tout à fait gratuite) mais je ne l’ai pas bien saisi — déclara madame Hall : tant il lui semblait bête de ne pas être mieux renseignée. Cuss frappa à la porte du salon et entra. Un juron parfaitement net lui répondit de l’intérieur. — Excusez mon importunité, dit Cuss. Puis la porte se referma, empêchant madame Hall de saisir la suite de la conversation. Dix minutes durant, elle perçut le murmure des voix ; puis un cri de surprise, un remuement de pieds, la chute d’une chaise, un éclat de rire, des pas rapides, — et Cuss reparut la face blême, regardant par-dessus son épaule. Il laissait la porte ouverte et, sans y faire attention, il passa en courant dans la grande salle et descendit les
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nous n’avons plus osé solliciter de l’aller voir. Dans ses rares et courtes réponses, il ne nous y à jamais engagées... Vous savez maintenant, monsieur Develt, quels sont nos rapports avec notre vieux parent, et si vous faites des conjectures à son sujet dans les insomnies que vous prévoyez pour cette nuit, elles auront du moins une base. Mais pour nous résumer, je vous demanderai, à M. Langeron et à vous, s’il est bon d’expédier à Châlon-sur-Saône ce second télégramme qui était destiné à arrêter le voyage sollicité par le premier ? Il y eut un léger débat sur ce point. M. Langeron opinait pour l’envoi du télégramme ; il conseillait même d’y joindre, sans économiser, le nombre de mots nécessaires à expliquer l’inopportunité, l’imprudence d’une apparition à Sennecey. Albert Develt convenait de la sagesse de cet avis mais il connaissait le naturel vif de Charles et certifiait que son ami passerait outre. Mme Maudhuy, indécise, flottait entre les deux opinions. — Mademoiselle, dit enfin le jeune homme à Cécile qui avait jusque-là dessiné sur son album, sans laisser voir autrement que par quelques jeux de physionomie les impressions variées que lui avait faites le long récit de sa mère, mademoiselle, si vous nous disiez votre idée personnelle sur le sujet qui nous embarrasse, peut-être y trouverions-nous la solution que nous cherchons. — Je ne puis donner que mon appréciation per- <references/>
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sévèrement attrapé par sa femme pour le temps qu’il avait passé à Sidderbridge ; ses questions timides furent accueillies avec aigreur, sans qu’elle répondît à l’objet de ses préoccupations. Mais, en dépit des rebuffades, la graine de méfiance semée par Teddy germait dans sa cervelle. — Vous ne savez pas tout, vous autres femmes ! dit {{M.|Hall}}, résolu à être renseigné le plus tôt possible sur la qualité de son hôte. Dès que l’étranger fut couché, vers neuf heures et demie, {{M.|Hall}} entra, l’air agressif, dans le salon, et il examina d’un œil soupçonneux le mobilier de sa femme, pour bien affirmer que l’étranger n’était pas maître dans la place ; il reluqua, non sans un peu de mépris, une feuille d’opérations mathématiques oubliée par l’autre. En se retirant, il recommanda à madame Hall de veiller de très près aux bagages, quand ils arriveraient le lendemain. — Occupez-vous de vos affaires, Hall ! répliqua celle-ci ; moi, je m’occuperai des miennes. Elle était d’autant plus portée à quereller son mari que l’étranger était évidemment un voyageur extraordinaire, et que, au fond, elle ne se trouvait pas du tout rassurée sur son compte. Au milieu de la nuit, elle s’éveilla en sursaut, rêvant de grosses têtes, blanches comme des navets, montées sur des cous sans fin, avec de gros yeux noirs, qui s’avançaient vers elle en rampant. Mais, femme de bon sens, elle maîtrisa ses terreurs, se retourna et se rendormit. <section begin="s2"/>{{T3|LES MILLE ET UNE BOUTEILLES|III}} C’est le 29 février, au commencement du dégel, que le singulier personnage était tombé des nues à Iping. Le lendemain, on apporta ses bagages, à travers la neige fondue. C’étaient des bagages bien remarquables. Il y avait deux malles, telles que le premier venu peut en posséder ; mais, en outre, il y avait une caisse de livres — de livres gros et<section end="s2"/> <references/>
Napoline/Chapitre I
Delphine de Girardin Chapitre I Poésies complètes, Librairie Nouvelle, 1856 (p. 96-113). ◄ Napoline — II. ► collectionChapitre IDelphine de GirardinLibrairie Nouvelle1856ParisCChapitre IDelphine de Girardin - Poésies complètes - 1856.djvuDelphine de Girardin - Poésies complètes - 1856.djvu/196-113 CHAPITRE PREMIER PORTRAITS UNE AMIE — UN AMANT — UN ONCLE — ET DEUX RIVALES Elle était mon amie, — et j’aimais à la voir, Le matin exaltée, et moqueuse le soir ; Puis tour à tour coquette, impérieuse et tendre, Du grand homme et du sot sachant se faire entendre : Sachant dire à chacun ce qui doit le ravir, Des vanités de tous sachant bien se servir ; Naïve en sa gaîté, rieuse et point méchante ; Sublime en son courage, en sa douleur touchante : Ayant un peu d’orgueil peut-être pour défaut, Mais femme de génie, et femme comme il faut. Combien nous avons ri quand nous étions petites ! De ce rire bien fou, de ces gaîtés subites Que rien n’a pu causer, que rien ne peut calmer ; Riant pour rire, ainsi qu’on aime pour aimer. Je plains l’être sensé qui cherche à tout sa cause, Qui veut aimer quelqu’un, rire de quelque chose : Mes grands bonheurs, à moi, n’eurent point de sujets : Mes plus vives amours se passèrent d’objets. La perruque de mon vieux maître d’écriture, Pendant plus de deux ans, a servi de pâture À ma gaîté ; — parfois je me rappelle encor Ses reflets ondoyants, mêlés de pourpre et d’or. Cette perruque-là, c’était tout un poème ; Ses malheurs surpassaient ceux d’Hécube elle-même. Perruque de hasard, achetée à vil prix, Elle était pour son maître un objet de mépris. Soumise au même sort que la Reine de Troie, D’un fatal incendie elle se vit la proie, Un soir que, fatigué d’un paraphe en oiseau, L’imprudent s’endormit sur les bords d’un flambeau ! Elle avait été belle au temps de sa jeunesse ; Les cheveux en étaient d’une extrême finesse, Mais rares, attestant la marche des hivers ; Partout ravins profonds, partout sentiers déserts ; De leurs fils espacés on eût compté le nombre. Jadis peut-être un sage a rêvé sous son ombre ; Dans ses anneaux bouclés, peut-être bien des fois Un poète rêveur a promené ses doigts ; Et peut-être elle avait — qu’un roi me le pardonne ! — De nobles souvenirs qu’envîrait la couronne. Vaut mieux être, à mon sens, neige sur le mont Blanc Que panache orgueilleux sur un guerrier tremblant ; Mieux vaut, dans la forêt, être le gui du chêne Que l’aigrette qui pare un chardon dans la plaine. Perruque de Rousseau ! tu vaux mieux, selon moi, Qu’une couronne d’or au front d’un mauvais roi ! ―― À quinze ans, que la vie est décevante... et belle ! L’erreur prend chaque jour une grace nouvelle. C’est ce brillant palais des MILLE ET UNE NUIT, Où l’on entre sans guide, et par l’espoir conduit. Partout ce sont des fleurs, de beaux apprêts de fêtes... Mais nulle voix ne vient vous apprendre où vous êtes. Un somptueux banquet se dresse sous vos yeux, Mais, pour ce grand festin, nul convive joyeux. Une douce harmonie à votre cœur résonne... Inutiles accords qui n’animent personne. Dans ce séjour magique ouvert à votre espoir, Nul hôte hospitalier ne vient vous recevoir ; Car le maître habitant ce palais de lumière Est un Prince enchanté dont les os sont de pierre ! L’éclat seul est vivant ; les fleurs, les fleurs d’un jour Son la réalité de ce brillant séjour. Une espérance ainsi d’un beau rêve suivie Est la réalité des plaisirs de la vie. Humble ou fat est celui qui compte des regrets. Hélas ! l’homme ici-bas fait d’éternels apprêts Pour la fête du cœur qui jamais ne commence : Un laboureur parfois se ruine en semence. Ainsi de jour en jour le grand bal est remis, Et l’on s’apprête en vain pour le plaisir promis : Le Temps fuit, emportant l’Espérance parjure, Et l’on n’a conservé du bal que la parure. À quinze ans, Napoline avait beaucoup rêvé : Or ce qu’on rêve bien est autant d’éprouvé. Dans ses choix de bonheur elle cherchait la gloire : J’aimais un idéal — elle — aimait dans l’histoire ; À son amour factice il fallait un grand nom, Qu’elle allait déterrer dans quelque Panthéon. Je me souviens encor d’avoir été jalouse De l’amour exclusif qu’elle eut pour Charles douze. Il fallait à ses vœux un malheur couronné ; Elle aimait Charles douze, et moi j’aimais RENÉ. Mais quand elle eut passé l’âge où le cœur s’enivre D’un amour de roman qui change avec le livre, Quand elle se lassa de ces héros parfaits, Auxquels on ne peut plaire, et qui n’aiment jamais, Et qu’un beau soir, rêveuse au doux son de la harpe, Alfred nous apparut, pâle, un bras en écharpe, Et paré d’un croix recue en combattant, Je vis que son malheur était juré. — Pourtant, Le comte de Narcet est un noble jeune homme : L’éloge retentit aussitôt qu’on le nomme. À vingt ans il obtint un grade à Navarin, Une balle à Delhy : c’est un brave marin, Un savant voyageur qui parcourut le monde. Son esprit est brillant, sa pensée est profonde... Mais les lois de la mode, il ne les savait pas ; Il n’avait d’élégant qu’une blessure au bras. Eh ! qu’importe l’esprit, les talents, la figure !... Ici nous n’aimons point les tableaux sans bordure. Les grandes qualités ne sont rien à Paris Sans un frac à la mode ou des chevaux de prix ; Ou bien, ce qui vaut mieux, quelque bon ridicule. Ce n’est que pour le faux que Paris est crédule ; Le vrai le trouve sage ; il en doute longtemps : Tel ne croit pas en Dieu peut croire aux charlatans. C’est ce qu’il fait, et c’èst pourquoi le jeune comte De son peu de succès dans un bal avait honte, Changeait son air rêveur polir des airs d’élégants, Se ruinait en fracs, gilets, anneaux et gants ; Et promenant partout sa menteuse richesse, S’attelait sans amour au char d’une duchesse. Napoline ignorait ces travers ; son amour Pour Alfred, malgré moi, s’augmentait chaque jour. Moi seule entrevoyais une cause mortelle Dans ces défauts mondains qu’il n’avait pas près d’elle ! J’appris alors comment, même sans fausseté, On trompe un esprit franc, dans ses goûts arrêté. Un esprit absolu n’a point droit de se plaindre Des fausses qualités qu’il nous oblige à feindre. Il doit croire aux vertus que pour lui l’on se fait ; On sait ce qui le blesse, on sait ce qui lui plaît, Et jamais il ne court la bienheureuse chance De surprendre un défaut qu’il a proscrit d’avance. Puis l’amour rend modeste ; à peine sous sa loi, On devient plus timide, et l’on doute de soi : On cherche à s’embellir... Ô modestie étrange !... On s’admire !... et sitôt qu’on veut plaire, on se change ! Certes, si Napoline avait vu comme nous Son Alfred dans un bal, avec de jeunes fous, Minaudant, étalé sur des coussins de soie, Enivré d’ironie, aux vanités en proie, Étouffant sous l’orgueil un cœur noble et brûlant, Pour se faire léger, et n’être qu’insolent, Elle n’eût point trouvé dans sa voix tant de charmes : Elle n’eût point, pour lui, répandu tant de larmes ! Mais le malheur voulait que la mort d’un parent La retînt à l’écart dans un deuil apparent. Elle ne rencontrait Alfred que chez ma mère : Là, du monde, pour lui, s’envolait la chimère ; Au coin du feu, sans faste, avec de vieux amis, Les succès de l’esprit étaient les seuls permis ; La froideur des grands airs devenant impossible, Il était bien forcé de se montrer sensible ; L’abandon succédait à son dédain moqueur ; Il osait être aimable et vivre de son cœur. Chaque soir, en récits sa mémoire féconde Nous faisait voyager sur la terre et sur l’onde, Des glaces de l’Islande aux déserts d’Orient. C’étaient d’affreux dangers... racontés en riant ; C’étaient de longs tableaux des pompes de l’Asie, Des chameaux, des palmiers si pleins de poésie, Des trombes, des volcans, des sièges, des combats, Et, ce qui me plaît tant, des bons mots de soldats : C’était enfin la force unie à la finesse, Et tant de souvenirs avec tant de jeunesse ! Alors je l’écoutais avec ravissement ; J’aimais la dignité de son regard charmant ; J’aimais dans son maintien cette noblesse innée, Des hommes du commun rarement pardonnée. Souvent j’avais besoin de me dire tout bas Qu’elle était mon amie, et qu’il ne m’aimait pas ! Mais, grâce au ciel, un vœu tant soit peu malhonnête N’a jamais pu rester plus d’une heure en ma tête. Aussi, sachant éteindre un parjure désir, Je les voyais tous deux s’aimer avec plaisir. Hélas ! ce court bonheur ne fut pas sans orage ; Car les illusions ne sont plus du jeune âge, Depuis que nos parents, par de prudents discours, Pour sauver l’avenir déflorent nos beau jours. Les précoces leçons de leur expérience, Sans éclairer le cœur, troublent la confiance : Même au sein des plaisirs on attend le chagrin. C’est un mauvais service à rendre au pèlerin Que l’avertir toujours des dangers du passage. Dans de certains périls vaut mieux un fou qu’un sage. Tel, sur le front des rocs s’élance avec ardeur, Chancelle — quand du gouffre il sait la profondeur. Vieillards, gardez pour vous vos préceptes arides, Gardez votre prudence, elle sied à vos rides ! D’une sublime erreur n’arrêtez point l’excès ; C’est la témérité qui fait les grands succès. La force du jeune âge est dans son ignorance ; Vieillards !... notre sagesse, à nous, c’est l’espérance ! Mais non... de nos erreurs les cruels sont jaloux : Le trop plein de leurs ans retombe aussi sur nous. Dans nos beaux jours troublés, la nuit touche à l’aurore : À quinze àns, dans l’erreur, ou peut rêver encore ; Mais à vingt ans l’on sait que plaire n’est qu’un jeu, Qu’un cœur froid peut parler un langage de feu ; Jeunes, on nous apprend à fuir ce qui nous charme. Ainsi, l’esprit tremblant d’une indécise alarme, Napoline, à l’espoir se livrant à demi, Sentait auprès d’Alfred un obstacle ennemi ; Puis venaient ces avis d’une grossière adresse, Qui taquinent le cœur et faussent la tendresse, Qui font d’un pur amour senti profondément Une sotte bravade, un fol entêtement. D’épigrammes sans art les parents sont prodigues. Napoline voyait ces petites intrigues ; Elle avait pour tuteur son oncle maternel, Un bellâtre, nominé monsieur de Beaucastel. Or, on écoute mal un oncle petit-maître. À ce portrait fidèle on peut le reconnaitre : C’était un de ces gens qu’on nomme bons garçons, De ces viellards légers qu’on traite sans façons. Un quasi philosophe à petites idées, Aux discours peu décents, aux manières guindées. Futile avec bon sens, ignorant avec goût, Il savait sans esprit causer fort bien de tout ; Bravant les préjugés, soumis aux convenances, Sa vie était un long concert de dissonances. Nos admirations nous trahissent parfois : Il prenait les défauts des héros de son choix ; Parmi les élégants il cherchait son modèle : Au temps de Louis treize, à la mode fidèle, Le plumet de Cinq-Mars aurait paré son front ; Au siècle de Turenne il eut singé Gramont, Richelieu sous Voltaire, et Flahaut sous l’Empire. Il imite aujourd’hui... mais je ne puis le dire !... ―― Ce héros de salon, maître en frivolité, Comme tout esprit faible était fort entêté, Et, malgé leurs succès, même encore il s’obstine À ne comprendre pas Hugo ni Lamartine : « Pour les louer, dit-il, ou pour les critiquer, Je prîrais ces messieurs de vouloir s’expliquer : Leurs vers sont un langage, ils devraient nous l’apprendre : Je ne condamne pas les gens sans les entendre. » Eh ! sans doute, un cœur sec au poète est fermé : Pour sentir le génie, il faut avoir aimé ! N’admire pas qui veut : la lyre parle à l’âme, Et cherche un foyer prêt à recevoir la flamme. Le poète des sots est rarement compris ; Il s’honore parfois de leurs pédants mépris. Puis il est des cerveaux que déroute la rime, Qui ne comprennent pas ce qu’un beau vers exprime, Si vous n’y savez pas glisser de temps en temps Quelques mots de zéphyrs, de roses, de printemps. Les vers ne sont pour eux qu’un ramage sonore, Qu’un vieux cadre où l’on place à son gré Mars ou Flore, Adonis ou Vulcain, Pomone et cætera... Pour eux, la poésie est toute à l’Opéra. Monsieur de Beaucastel, avec bien plus d’adresse, De son esprit étroit cachait la sécheresse, Et si l’on parlait vers, pour sortir d’embarras, Il exaltait Racine... et ne le sentait pas ; II était connaisseur en musique, en peinture ; En voyage, il rendait justice à la nature ; Mais tout ce qu’on appelle amour, grands sentiments, Il le considérait comme fable à romans. En fait de grand courage et d’action sublime, Il ne croyait à rien, pas même au noble crime ; Il avait le secret de traduire en calcul Le plus pur sacrifice, et de le rendre nul ; Enfin, comme Mentor près d’une jeune fille, Rien ne convenait moins qu’un tel chef de famille. Un franc carabinier, un hussard... amoureux Eût, selon moi, près d’elle, été moins dangereux. L’amour nous laisse encor du moins une croyance... Mais de nos vanités la fatale science, Mais ce rire infernal, ce rire sans gaîté, Qui flétrit notre espoir dans sa naïveté, Qui nous montre partout des ruses d’égoïsme, Qui fait dans notre cœur avorter l’héroïsme, Qui jette sur nos jours des voiles attristants, Et fait que, sans malheur, on se tue à vingt ans !... Voilà le vrai danger ; car l’amour qu’on expie... Offense moins le Ciel qu’un désespoir impie ! ―― Pauvre enfant, que d’ennuis ton jeune âge a souflerts Chez ce joyeux parent, négligemment pervers ! Que de trouble il jeta dans ton âme douteuse ! Comme de ta candeur il te rendait honteuse ! Pour l’étude et les arts il blâmait ton ardeur ; Puis, quand tu voulais rire, il devenait grondeur. Prude, pédant, léger, quel bizarre contraste ! À l’église il voulait te conduire avec faste, Et t’apprendre à prier en femme de bon ton ; Puis, tout le temps du prône, il riait du sermon ; Et, pour mieux exalter ta prière fervente, Plaisantait le curé sur sa grosse servante. Aussi ton jeune cœur, égaré dans sa foi, Du Ciel qu’il te fermait a méconnu la loi ; Du séjour des élus il t’a caché la route, Et ton dernier soupir s’est éteint dans le doute ! Si Dieu n’eut point pitié de toi quand tu mourais, S’il ne t’a point dicté de pénitents regrets, S’il n’a point révélé le Ciel à ton génie, Si, te voyant souffrir il ne t’a point bénie, Si tu hrûles, hélas ! dans l’abîme éternel... C’est grâce à ce charmant marquis de Beaucastel ! ! ! Lui seul par ses discours a perdu ta jeune âme ; Et quand je le maudis, quand je le nonmnie infâme, Lorsque ma lyre en deuil gémit pour te veiger... On dit : « Vous avez tort ; c’est un homme léger, Mais il n’est point méchant... » Oh ! puis-je me contraindre ? Mais les hommes légers sont les seuls qu’il faut craindre. Le vice est moins perfide : il choque la raison ; Le dégoût qu’il inspire est un contre-poison ; Il se nomme du moins... ; mais ce froid badinage, Parfum empoisonné où flétrit le jeune age, Ce dédain gracieux jeté sur la vertu, Cet ennemi charmant, sans avoir combattu, Triomphe !... et nous rions encor de sa faiblesse, Quand sa main nous atteint et quand son fer nous blesse. Nous ne reconnaisons le mal qu’après la mort. Ainsi ma pauvre amie a vu flétrir son sort Par cet homme léger, dont la froideur amère Ne lui laissa chérir ni le ciel ni sa mère, Sa mère ! qui mourut si jeune et par amour. « Ta mère, mon enfant, lui disait-il un jour, Elle était, comme toi, douce, mais un peu folle : L’Empereur, ton parrain, était sa seule idole ; C’était, dit-on, la mode alors... mais aujourd’hui, Tu ferais bien, crois-moi, de moins parler de lui, Après tous les propos qu’on a tenus sur elle... Et cette ressemblance... Oh ! mais, tu deviens belle !... Oui, je veux te mener au spectacle demain. » Et puis il s’éloignait... et, passant son chemin, Il laissait une enfant avec cette pensée : « L’Empereur est mon père !... » Ô faiblesse insensée ! Ne pas voir qu’il troublait l’esprit de cette enfant ! Lui livrer un secret dont rien ne la défend ! Eh ! quel secret, bon Dieu, jeté dans une vie ! Napoline soudain, de rêves poursuivie, Voit changer tout son cœur. — Sa tête s’alluma. Le vieillard tant pleuré, que jadis elle aima Avec un saint respect, n’est plus pour elle un père, C’est le mari trompé d’une femme légère. Elle se rappelait les fêtes d’autrefois, Et l’Empereur chéri, ses gestes et sa voix. Il lui souvint qu’un jour il dit, s’approchant d’elle, « Allons, regardez-moi ; l’on dit, mademoiselle, Que vous me ressemblez. » Et puis bien tendrement Il l’avait embrassée. Ô joie, enchantement ! Cette main qui tenait entre ses doigts le monde Un jour a caressé sa chevelure blonde ; Napoline a senti sur son front enfantin Ces lèvres qui donnaient des ordres au destin. Il a vanté sa grâce et sa beauté gentille ; Et, lorsqu’il l’emhrassait, il a pensé « Ma fille ! » Oui, cette idée a dû troubler tes jeunes ans ; Elle a dû te dicter des rêves séduisants, Napoline ! Souvent, dans tes désirs de gloire, Pour son jeune héritier tu rêvas la victoire. Tu ne prévoyais pas qu’il serait rappelé, Comme toi, jeune à Dieu... qu’il mourrait exilé ; Que ces Français, jadis si fiers de sa naissance, Qui de son berceau d’or encensaient la puissance, Indifférents un jour, ne verraient dans sa mort, Qu’un gage de repos, un heureux coup du sort, Et que lui, dont Paris célébra le baptême, Lui ! ! ! du nom d’ÉTRANGER subirait l’anathème !... C’est qu’il faut être vieux pour prévoir les ingrats : Seule prévision qui ne nous trompe pas ! ―― Cette prompte lueur, ce dangereux mystère, En exaltant son âme ardente et solitaire, Pour Napoline, hélas ! fut un tourment de plus. Son oncle l’accablait de sermons superflus : Il nommait son brillant esprit de la folie, Il se moquait tout haut de sa mélancolie, Dénonçait ses talents comme autant de travers, L’accusait, devant moi ! d’avoir rimé des vers, Lui vantait les vertus qu’il permettait aux femmes, Et noyait ses sermons dans des flots d’épigrammes. Pour ramener au vrai c’était un sot moyen. Oh ! qu’il était bavard ! Il nous ennuyait bien ! Enfin, il découvrit qu’Alfred et Napoline S’aimaient. Un amour pur aisément se devine. Alors il redoubla de ruse en ses discours ; De sa plaisanterie il reprit l’heureux cours. D’Alfred il critiquait l’esprit et la tournure ; Il l’appelait « Marin ! » croyant dire une injure : Mais comme on l’écoutait presque indifféremment, Plus cruel, il niait son tendre dévouement : « Il ne vous aime pas, lui disait-il, ma chère, À tous ses beaux projets vous êtes étrangère. Alfred a le cœur froid ; c’est un ambitieux Qui ne languira pas longtemps pour vos beaux yeux. » Ce jugement était injuste : au fond de l’âme, Alfred était guidé par une noble flamme ; Mais sous un fol orgueil ce feu s’était caché. Des pleurs de Napoline Alfred était touché, Il aimait sa candeur, sa bonté sans égales... Ce qui n’empêchait point qu’elle n’eût deux rivales, L’une pour le présent, l’autre pour l’avenir, Deux succès différents qu’il savait obtenir. La première, c’était la duchesse élégante Dont nous avons déjà parlé, femme charmante ; Regardez-la plutôt... Quel maintien gracieux ! Elle n’est point jolie, et le paraît aux yeux. Sa beauté ne saurait supporter l’analyse ; Mais elle est si coquette, et toujours si bien mise ! Son pied est moins bien fait, dit-on, que son soulier ; Mais, devant lui, comment ne pas s’humilier ! Elle est très maigre, mais ces cascades de blondes Imitent les contours des tailles les plus rondes. Elle a fort peu d’esprit, mais partout elle en prend ; Elle emprunte une idée, et jamais ne la rend. À vrai dire, après tout, c’est une étrange femme, Piquante sans gaîté, langoureuse sans âme ; L’humeur capricieuse et l’esprit positif ; Le ton impérieux et le regard plaintif : Elle appelle langueur, sentiment vague et triste, Le désenchantement de sa vie égoïste. Elle fait sonner haut son amour pour les arts, Chez elle les talents viennent de toutes parts ; Elle invite à grands frais le poète à la mode ; Puis, tandis que pour elle il dit sa plus belle ode, Elle rattache un gant, un nœud, un bracelet : Si l’on chante, elle cause au milieu d’un couplet. Fausse pour être aimable, et bonne par systéme, Chacun de ses regards semble implorer qu’on l’aime : Et je vous jure, moi, qu’on n’en refuse aucun. Elle sait enivrer d’un factice parfum ; Elle attire, elle plaît ; et moi-même j’avoue... Je la déteste.. eh bien ! je comprends qu’on la loue, Et je lui reconnais un charme séducteur. Toujours, à son aspect, d’un sentiment flatteur, Malgré tous mes griefs, je me sentais saisie... Ah ! c’est que l’élégance est de la poésie ! La seconde rivale était une beauté Imposante, en effet, par sa rotondité ; C’était tout bonnement une grosse héritière, Parure de princesse et mine de fruitière ; Sa démarche, son ton et ses discours bavards, Ses petits yeux chinois lançant de longs regards, Tout en elle disait aux âmes délirantes : « PAPA me donnera cent mille écus de rentes ! » Et, contre tout cela, combattait chaque jour Un ange de beauté, de génie et d’amour ! ―― Voilà bien des portraits, dira-t-on, dans ce livre ! Eh ! quand on voit les gens avec qui l’on doit vivre, Déjà ne sait-on pas le sort qui vous attend ? Tel ami, — tel destin, — tel défaut donne tant ! Du jaune avec du bleu font du vert en peinture. Tel vice marié mène à telle aventure : Pour moi, si j’écrivais un roman, j’y mettrais Un seul événement — entouré de portraits. Je prévois sans erreur l’effet involontaire Des défauts de chacun sur mon sot caractère : Un ennuyeux — me rend méchante au dernier point ; Je désire sa mort, je ne le cache point ; Un fat — me rend maussade, un sauvage — coquette : Je deviendrais CARLISTE avec un Lafayette, Républicaine avec monsieur de Metternich ! Oh ! des opinions j’abhorre le trafic ; Chaque partie me voit dans le contraire extrème ; J’aime ce qu’il déteste, et je hais ce qu’il aime ! N’allez pas croire, au moins, que j’éprouve, grand Dieu ! L’exagération dans le JUSTE-MILIEU !... Non ; je suis philosophe en fait de politique ; D’un très rare bon sens, entre nous, je me pique. Je pense de nos jours que les gouvernements Se nourissent d’impôts — et non de sentiments. C’est à notre raison que leur besoin s’adresse : Ils veulent notre argent, et non notre tendresse ; Et, puisque nous voilà sur ce sujet, je veux En deux mots, en passant, vous faire mes aveux: Un monarque absolu, je comprends qu’on l’encense. Au moins, ce qu’on adore en lui, c’est la puissance. Il peut nous exiler selon son bon plaisir, Repousser — ou combler notre plus cher désir, Nous dégrader — ou bien nous admettre à sa table, Nous faire pendre — ou nous faire connétable ; Et je comprends alors qu’on lui donne sa foi, Et que, dans son délire l’on s’écrie « Ô mon roi ! » D’ailleurs, ce dévouement sans bornes, il l’exige ; Et la toute-puissance est un fort bon prestige. Mais qu’on adore un roi cons-ti-tu-ti-on-nel ! Mais, pour un tiers de trône, un amour éternel ! D’amour !... aimer le roi, la pairie et la chambre, Quatre cents députés convoqués en novembre Pour régner !... et vouer un amour de roman À ce trio royal qui fait cent lois par an !... Non, les temps sont changés, messieurs ; un roi de France N’est plus qu’un contre-poids jeté dans la balance, Pour empêcher le peuple un jour de l’emporter. Il faut le soutenir, il faut le respecter ; Mais l’adorer, pourquoi ?... Les tendresses de prince Lui font cent ennemis, et sont d’un profit mince. Croyez-moi, ce grand mot, sentimentalité, S’harmonise très mal avec la royauté. Un prince qu’on discute, et qu’un seul journal prône, Qu’une combinaison a placé sur le trône, Entouré de ses preux qu’on retrouve toujours, Qui sont de tous les camps et de toutes les cours, Ne peut se croire aimé comme un autre Henri quatre, Qui voyait ses flatteurs à ses côtés combattre. Eh ! bon Dieu, que de rois adorés — et trahis ! Aimons tout bonnement, messieurs, notre pays. J’aime la France, moi, comme on aime sa belle, Avec tous ses défauts, vaine, folle, infidèle, Changeant de Dieu, de roi, comme on change d’amour. Je la suis à travers ses caprices d’un jour, Et je subis son roi, comme un amant supporte Un mari — pour ne pas être mis à la porte. Un prince peut encore avoir des partisans, Comme un système, soit, — mais plus de courtisans. On est las de souffrir pour que le trône brille, Et de verser du sang pour des soins de famille. Au culte des faux rois nous avons dit adieu : Notre amour... est au peuple, — et notre encens... à Dieu ! ―――――
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{{nr||{{sc|une journée de port-royal des champs}}|817}}vriers qui défrichent, tour à tour, la terre nourricière et la vigne mystique du Seigneur. Cette réunion de personnes si différentes par l’âge, la condition, le caractère, et conservant dans leur figure et sous l’habit rustique quelque chose de leur premier étal, n’est-ce pas un spectacle tout à fait propre à édifier le bon chrétien et à réjouir le bon peintre qu’est {{M.|Philippe de Champaigne}} ? Tous ses modèles sont là : {{M.|Hamon}}, figure circonspecte et froide aux fins yeux bleus, {{M.|de Pontchâteau}}, au visage enflammé sous la perruque noire, {{M.|Le Maistre}}, au grand nez noble, aux yeux étincelants, {{M.|Arnauld d’Andilly}}, le patriarche de Port-Royal, au regard de feu, à la voix de tonnerre, au corps sain et droit, et « dont les cheveux blancs s’accordaient si merveilleusement avec le vermillon de son visage ». Ici, de vieux soldats, là des chanoines qui ont quitté leurs bénéfices comme leurs belles soutanes de soie amples et traînantes. Tous, ils ont « changé leurs épées en bêches et leurs plumes en râteaux ». Dès l’aube, après ''Matines'', {{M.|Hamon}}, si mal vêtu que Fontaine en avait pitié, a fait cinq ou six lieues pédestrement, pour soigner de pauvres malades ; et les autres Messieurs ont coupé les blés, sarclé le jardin, mené la charrue, avant de reprendre, dans le silence de la cellule, quelque ouvrage de traduction. Voici près d’eux, mangeant au même plat, leurs domestiques qu’ils regardent comme leurs frères, et cet Innocent Faï, « chartier » des Granges, qu’ils vénèrent comme un saint. Car ils savent que ce pauvre garçon, esprit simple et simple cœur, a réparti son patrimoine entre les orphelins et les veuves, qu’il est un vivant exemple de charité et d’austérité, qu’il « dompte sa chair comme ses chevaux ». On l’a vu prier Dieu, à genoux dans l’écurie, au milieu des bêtes, et, bien souvent, il est revenu des champs sans souliers parce qu’il avait rencontré quelque misérable qui allait pieds nus. « Après le dîner, dit {{M.|Giroust}}, le chapelain fait l’action de grâces selon le bréviaire. On dit l’''Angelus'', puis on sort en silence, comme on y est venu en silence. Au sortir de là, on <references/>
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{{nr|820|{{sc|la revue de paris}}}}se partageaient en compagnies et veillaient le jour et la nuit. Les habits de pénitence étaient changés en casaques militaires. Des habits couverts d’or et d’argent cachaient des haires et des cilices ; et tout cet équipage de guerre était pour des soldats qui ne cessaient pas d’être des pénitents. Les vieux capitaines, {{MM.|de Ponlis}}, de la Petitière, d’Éragny, de Bessi, reprenaient une allure martiale et un ton de commandement, et l’on riait de voir un {{M.|Le Maistre}}, « l’épée au côté et le mousquet sur l’épaule, devenir l’effroi des soldats, lui qui n’avait accoutumé que d’être la terreur du Palais, et dont la langue avait toujours été plus redoutable que le bras ». {{M.|de Saci}}, qui était la douceur même, s’affligeait secrètement quand il voyait les Messieurs se faire un jeu de ces revues et exercices dont il avait horreur. Il ne reconnaissait plus son cher Port-Royal dans ce lieu retentissant du bruit des tambours et du cliquetis des armes. Aussi, quand on s’avisa de lui proposer ce cas de conscience : a Si on ne pouvait tirer tout de bon sur les coureurs et pillards qui s’approcheraient des portes pour les enfoncer », le prêtre pacifique et prudent répondit que, si la loi naturelle ordonnait peut-être de repousser la force par la force, ce n’était que la « loi naturelle des bêtes », et que toute la défense que l’Évangile permettait était la fuite et la retraite. « Il dit plusieurs choses semblables, — rapporte Fontaine, — qui firent rentrer les Solitaires en eux-mêmes, pour éviter un péril auquel ils étaient déjà si exposés, et pour se faire une espèce de morale militaire qui leur était propre, ne portant que des armes innocentes et ne connaissant plus d’autres ennemis à tuer que les péchés. » Ces souvenirs, encore tout récents, donnaient au duc de Luynes une autorité particulière, et il avait ses petites et grandes entrées chez les Messieurs. Il y portait quelquefois le trouble, par des nouvelles qui n’étaient pas précisément « de l’autre monde » touchant les sciences humaines et la philosophie, et les opinions de {{M.|Descartes}} sur le système du monde et l’automatisme des animaux. Pendant les heures de loisir, {{M.|Arnauld}} et ses amis, errant dans le jardin des Granges ; ou dans les bois des Mollerets, s’entretenaient de ces doctrines. « Il n’y avait guère de Solitaire qui ne parlât <references/>
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mari ensuite. La porte battit violemment sur leurs talons et fut refermée à clef. Chaise et lit, pendant une minute, semblèrent exécuter une valse triomphale, et tout brusquement rentra dans le silence. Madame Hall tomba presque évanouie dans les bras de son mari, sur le carré. Ce fut avec la plus grande difficulté que lui et Millie, qui avait été réveillée par un cri d’alarme, réussirent à la porter en bas et à lui faire prendre le cordial usité en pareil cas. — C’étaient des esprits ! dit madame Hall. Je suis sûre que c’étaient des esprits !... J’ai déjà lu, dans les journaux, des histoires de tables et de sièges qui se soulèvent et qui dansent... — Encore une gorgée, Janny ! Cela vous fera du bien. — Laissez-le dehors. Fermez la porte. Ne le laissez plus rentrer. Je m’en doutais... J’aurais dû savoir... Avec ses gros yeux, sa tête couverte de bandeaux... Il n’allait jamais à l’église le dimanche. Et sa collection de bouteilles !... Il a introduit des esprits dans le mobilier ! Mes bons vieux meubles ! C’était juste sur cette chaise que ma pauvre chère maman s’asseyait quand j’étais petite. Penser qu’elle a pu se lever contre moi !... — Encore une gorgée, Janny ! vos nerfs sont bouleversés. Vers cinq heures, sous les rayons dorés du soleil levant, ils envoyèrent Millie éveiller {{M.|Sandy Wadgers}}, le forgeron. Elle devait lui présenter les compliments de {{M.|Hall}} et lui dire que là-haut les meubles se comportaient de la façon la plus inaccoutumée. Aurait-il l’obligeance de venir ? C’était un homme habile que {{M.|Wadgers}}, et plein de ressources. Il considéra le cas avec beaucoup de gravité. — Le diable m’emporte, déclara-t-il, si ce n’est pas de la sorcellerie !... Un homme comme ça n’est pas un client pour vous. Il s’intéressa très vivement à l’affaire. On lui demanda de passer le premier jusqu’à la chambre ; mais il ne paraissait pas très pressé. Il préférait causer dans le corridor. Sur ces entrefaites, arriva l’apprenti de Huxter ; il se mit à ouvrir la devanture du bureau de tabac. On l’invita à prendre part à la discussion. Naturellement, {{M.|Huxter}} parut au bout de quelques minutes. Les habitudes parlementaires de la race
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— Chut ! fit {{M.|Teddy Henfrey}}. Il me semble que j’ai entendu la fenêtre !... — Quelle fenêtre ? — La fenêtre du salon. Chacun se tenait attentif, l’oreille au guet. Les yeux de madame Hall, dirigés droit devant elle, voyaient, sans voir, le rectangle lumineux de la porte d’entrée, la route blanche et animée, la façade de la boutique de Huxter, chauffée par le soleil de juin. Soudain, sur le seuil de sa boutique, Huxter parut, les yeux agrandis par l’émotion, les bras battant l’air. — Au secours ! criait-il. Au voleur ! Il passa en courant dans le rectangle lumineux, allant vers la grille de la cour, et il disparut. En même temps venait du salon un éclat tumultueux, un bruit de fenêtre que l’on ferme. Hall, Henfrey et tous les clients du ''bar'' se précipitèrent dans la rue en se bousculant. Ils virent quelqu’un tourner vivement le coin, allant vers les dunes, et {{M.|Huxter}} faire un bond qui se termina aux dépens de son nez et de son épaule. Dans le bas de la rue, les gens demeuraient immobiles d’étonnement ou accouraient. {{M.|Huxter}} gisait là, étourdi par sa chute : Henfrey s’arrêta pour regarder ; mais Hall et deux ouvriers sortis du ''bar'' continuèrent ensemble jusqu’au coin, en poussant des cris inarticulés, et virent {{M.|Marvel}} disparaître derrière l’église. Il leur vint cette idée singulière que cet homme était l’homme invisible devenu subitement visible, et ils se précipitèrent tous à la fois à sa poursuite. Mais Hall avait à peine franchi une douzaine de mètres qu’il poussa un grand cri de surprise et tomba de côté, la tête la première, se raccrochant à l’un des ouvriers et l’entraînant par terre dans sa chute. Il avait été bousculé tout à fait comme au ''{{lang|en|foot ball}}''. L’autre ouvrier fit demi-tour, regarda, et, croyant que Hall était tombé par accident, il reprit la chasse : ce ne fut que pour recevoir un croc-en-jambe, tout comme Huxter. Puis, tandis que son camarade se débattait à ses pieds, il reçut de côté un coup à renverser un bœuf. Au moment où il tomba, la foule affluait de la place
Mercure de France - 1899 - Tome 32, n° 118-120.djvu/133
{{nr|134|{{sc|mercvre de france—{{rom-maj|x|10}}-1899}}|}} Sa contrariété et son désappointement étaient naturellement fort grands. Il fit une seconde visite, également sans effet, chez le marchand, puis il eut recours à des annonces dans les périodiques qui devaient vraisemblablement tomber entre les mains des collectionneurs de bric à brac. Il écrivit aussi des lettres à la ''{{lang|en|Daily Chronicle}}'' et à ''{{lang|en|Nature}}'', mais ces deux feuilles, suspectant quelque mystification, lui demandèrent, avant de les insérer, de bien réfléchir à ce qu’il faisait, et on lui fit même entendre qu’une histoire aussi étrange pourrait porter préjudice à sa réputation scientifique. D’ailleurs, les exigences de ses propres travaux devinrent plus urgentes ; si bien qu’au bout de quelques semaines, à part d’occasionnels mementos à certains marchands, il dut, malgré lui, abandonner sa recherche de l’œuf de cristal, et depuis ce jour l’ovoïde reste introuvable. Quelquefois, cependant, il me raconte, et je le crois sans difficulté, qu’il a des accès de véritable frénésie qui lui font abandonner ses occupations les plus urgentes et reprendre ses recherches. Qu’il reste ou non perdu pour toujours, matière et origine sont choses également spéculatives au moment présent. S’il avait été acquis par un collectionneur, on aurait pu s’attendre à ce que les investigations de {{M.|{{lang|en|Wace}}}} vinssent à la connaissance de l’acquéreur par l’intermédiaire des marchands. {{M.|{{lang|en|Wace}}}} a pu néanmoins découvrir le {{lang|en|clergyman}} et l’Oriental de {{M.|{{lang|en|Cave}}}} — qui ne sont autres que le Révérend {{lang|en|James Parker}} et le Prince Bosso Kuni, de Java. Je leur suis redevable de certains détails de cette histoire. Le Prince n’avait eu d’autre objet qu’une simple curiosité — et son extravagance. Il n’avait été si désireux d’acheter le cristal que parce <references/>
Revue de Paris - 1900 - tome 6.djvu/476
très lentement. Je regardais. Cela dure un siècle. « Eh bien, — répétai-je, faisant effort pour parler, il n’y a — rien dedans ! » Il fallait bien dire quelque chose. Je commençais à avoir peur. Je pouvais voir jusqu’au fond de sa manche ; il l’avançait vers moi, lentement, lentement, comme ceci, jusqu’à six pouces de mon nez. C’est une chose étrange, allez, de voir une manche vide se tendre ainsi vers vous ! Alors... — Alors ?... — Quelque chose... comme un index et un pouce... me pinça le nez. Bunting se prit à rire. — Il n’y avait rien dedans ! — s’écria Cuss, et sa voix s’éleva en un cri perçant sur ce « dedans ». C’est facile de rire ! Mais je vous l’assure, j’étais si affolé que je frappai violemment cette manche : je me retournai, je m’enfuis de la chambre, je le plantai là. Cuss s’arrêta. Il n’y avait pas à se méprendre sur la sincérité de sa terreur. Il tournait sur lui-même, dans un état de grande faiblesse. Il but un second verre du mauvais sherry de l’excellent ministre. — Quand je frappai la manche, ce fut tout à fait comme si je touchais un bras. Et il n’y avait pourtant pas de bras ! Pas l’ombre de bras ! Bunting réfléchit. Il regardait Cuss avec inquiétude. — C’est une histoire bien curieuse. Il avait pris un air très prudent et très grave. — En vérité, — répéta {{M.|Bunting}} avec l’emphase d’un juge, — c’est une histoire bien curieuse ! <section begin="s2"/>{{T3|UN VOLEUR AU PRESBYTÈRE|V}} Les détails du vol commis au presbytère nous ont été rapportés en grande partie par le pasteur et sa femme. Il fut commis à l’aube, le lundi de la Pentecôte, jour consacré, à Iping, à des réjouissances publiques. Madame Bunting s’éveilla tout<section end="s2"/> <references/>
Blandy - Un oncle a heritage.djvu/44
vieillesse ou la dot de ses enfants. Nous partîmes pour Paris, ce grand refuge des existences déclassées qui se cherchent une nouvelle voie. Les prétentions de mon mari étaient si modestes, et il apportait avec lui tant de témoignages d’estime et de chaudes recommandations qu’il trouva facilement le poste qu’il souhaitait. Puisque vous êtes le compagnon de mon fils dans la maison de banque où son père a passé les quinze dernières années de sa vie, vous savez, monsieur Devell, quels bons souvenirs où y à gardé de ses services. « Quant à mon beau-frère Claude, il était incapable de se résigner à un emploi en sous-ordre. Il quitta la France avec sa femme et son fils pour aller tenter la fortune en Amérique à l’aide du mince capital qui lui restait, Depuis quinze ans, nos seuls rapports avec ce parent ont été l’échange des lettres de faire-part avec leurs réponses de condoléances obligées lorsqu’un des nôtres venait de mourir, J’ai appris de cette façon la mort de mon beau-frère, survenue il y a dix ans déjà, et j’ai su par le texte imprimé qu’il résidait à Chicago, tandis que nous Île croyions encore à New-York. Lorsqu’à mon tour j’ai adressé à ma belle-sœur et à son fils l’annonce de mon veuvage, j’ai reçu de Carloman, non pas même une lettre, mais une carte de visite sur laquelle il avait tracé d’une écriture aussi pointue, aussi anglaise que possible, les mots suivants : « Présente ses compliments à sa tante et exprime <references/>
La Sylphide, revue littéraire, 1897.djvu/262
<br> {{bloc centré|<poem>Au soir tombant, leurs voix fraîches éveilleront L’écho des jours lointains dormant dans ma mémoire ; Je verrai s’allumer les astres sur mon front Comme des lampes d’or au fond d’un oratoire ; Et lorsque peu à peu les funèbres pavots Sur mes yeux lourds seront tombés comme des voiles, Mon dernier souffle, avec l’odeur des foins nouveaux, S’en ira lentement vers le ciel plein d’étoiles. {{interligne|0.5em}}{{em|16}}{{sc|André Theuriet}}.</poem>}} <section begin="s2"/>{{T2|LA CHIMÈRE}} {{bloc centré|<poem>Protée est mon parfait emblème : Nul jamais ne peut me saisir... Je porte un riant diadème Formé des roses du plaisir ! Mon sourire inspire l’ivresse ; Mon regard fait germer des fleurs... Je suis la grande enchanteresse Qui promet l’oubli des douleurs !... Mais, aux caresses de mes songes, L’homme follement délecté Veut en vain par mes doux mensonges Colorer la réalité... Je suis fugitive et légère, Et ma décevante splendeur N’est qu’une image passagère... Qu’importe ?... Je suis le bonheur ! {{interligne|0.5em}}{{em|12}}{{sc|{{sc|Gabriel Monavon}}}}.</poem>}}<section end="s2"/> <references/>
Revue de Paris - 1902 - tome 2.djvu/570
{{nr|562|{{sm|LA REVUE DE PARIS}}|}}en lèvres un chuchotement courait, pareil aux grands murmures de l’automne dans la solitude des bois anxieux. — Où veut-il en venir ? se demandait-on. La procession des nuages avait suspendu sa marche au fond du ciel : on eût dit le cénacle des dieux de l’ombre en extase devant la nuit. Gor, ayant gravi la molle pente gazonnée, se planta debout au milieu des chefs. Sa haute taille se profilait, extraordinairement nette, sur le firmament élargi. Une rosée de sueur perlait à ses tempes. La peau de loup gris nouée à sa gorge s’était dégrafée, sous l’effort de ses muscles, et maintenant lui battait les reins. Son torse, incliné en arrière, s’arrondissait, ferme et lisse, ainsi qu’une colonne de porphyre veiné. Les femmes le trouvèrent beau, dans sa pose intrépide d’homme de proie, de héros ravisseur ; plus d’une songea, le cœur mordu d’un désir jaloux : « Heureuse l’épouse que bercent de tels bras, dans les soirs de printemps, quand une volupté sort de la terre, qui fait plus douce la douceur d’aimer !... » L’Osisme, cependant, n’était attentif qu’à guetter, chez le vieillard inerte, le réveil espéré, le premier frisson révélateur. Au-dessus des collines qui bornaient l’horizon, un vol d’oiseaux tournoya : ils étaient du blanc moucheté des colombes, mais leurs ailes s’effilaient en lames de glaives et fauchaient puissamment l’espace. Ils poussèrent un cri bref, un appel strident, et, plongeant tous ensemble, disparurent... À leur âpre coup de sifflet, Gor, plein d’une allégresse de triomphateur, avait senti tressaillir entre ses bras son faix humain !... Il ne s’était donc pas trompé dans ses calculs : ce qu’avec sa logique de barbare il avait escompté commençait à se produire. Il s’arc-bouta sur ses jarrets, brandit d’un geste encore plus impérieux le vieillard aux immenses souvenirs, le témoin qui ''devait savoir''. Et, mentalement, il lui adressait une supplication passionnée : « Père, tes fils hésitent. Il y a dans ces parages des nouveautés qui les troublent et, reniant la devise kymrique : ''Tout droit'', les chefs parlent d’obliquer... Pour toi qui connais les multiples visages de la terre, ces nouveautés, j’en suis sûr, <references/>
Revue de Paris - 1902 - tome 2.djvu/571
{{nr||{{sm|AR MÔR}}|563}}sont anciennes. Nous autres, nous sommes trop jeunes... Rappelle-toi, ô père !... Regarde dans les abîmes de ta mémoire, profonde comme les temps... Si le cri des grands oiseaux blancs t’a fait tressaillir, c’est qu’ailleurs, jadis, tes oreilles l’ont perçu... Rappelle-toi !... Qu’annonçait-il ?... Qu’annonçait l’approche des collines venteuses que les arbres fuyaient ?... Et quelle signification nos aïeux, tes frères, attribuaient-ils à l’air, nourri d’ineffables essences, qui, depuis des jours, se cristallise au poil de nos barbes, inonde nos veines, exalte notre sang et suscite en nous, avec je ne sois quelles ardeurs sans but, un irrésistible besoin d’agir ?... » Au bout des poings tendus de Gor, l’Ancêtre, dressé très haut dans le crépuscule, semblait planer sur la tribu. Une angoisse religieuse faisait palpiter tous les cœurs. Les devins, seuls, ricanaient, parce qu’ils n’avaient foi que dans leur science, c’est-à-dire dans leur routine. Assis auprès de la pierre sacrée dont ils avaient la garde, et qui ne devait être débarrassée des bandelettes qui l’enserraient que le jour où les Kymris auraient atteint le terme marqué pour la fin de leur exode, — ils désapprouvaient l’Osisme entreprenant, raillaient sa présomption, se gaussaient entre eux de l’insuccès promis à sa tentative. — Il n’obtiendra rien de l’Oracle, — disaient-ils. — Hudur elle-même ne l’a-t-elle pas interrogé en vain, quand, pour la première fois, aux abords de cette région, les buffles ont récalcitré ?... Pendant quelques minutes, l’événement parut leur donner raison. Grisé, sans doute, par les libres souffles du dehors, l’Oracle ne cessait de branler sa tête caduque, tel qu’un homme sous l’empire des boissons fermentées, tandis que ses bras, évidés comme des sarments, demeuraient incrustés dans ses côtes. Et, sur sa face morte, couleur de vieux buis, pas un rayon de vie ne transparaissait. Mais, soudain, comme une bouffée de brise, plus chargée d’arômes, franchissait la barrière des dunes, le miracle s’opéra. Les Kymris virent, avec stupeur, <references/>
Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/141
{{nr||REVUE. — CHRONIQUE.|137}}enquêtes. La loi des faillites, votée dans cette session, améliore les rapports commerciaux, et protége la probité contre la mauvaise foi. La loi contre l’agiotage n’a pu être présentée cette année ; mais on sait ce qui a rendu cette session si longue et si difficile, et ce n’est pas à {{M.|Duvergier}} de reprocher au gouvernement les effets des embarras que lui et ses amis ont suscités. Telle qu’elle est, la session a été toutefois d’une immense importance pour le bien moral et pour le bien matériel de la France ; et nous applaudirions au ministère des doctrinaires, si quelque jour ils étaient assez heureux et assez habiles pour doter le pays d’une masse de lois aussi bonnes. En attendant, nous ne pouvons que nous reporter à ce qu’ils ont fait quand ils étaient aux affaires. Qui les empêchait de présenter de pareilles lois ? Au lieu de cela, nous n’avons vu que des lois politiques, des lois acerbes, heureusement impossibles à réaliser, et repoussées par la chambre. L’opinion n’était pas éparpillée alors, les opinions divisées, comme s’en plaint aujourd’hui {{M.|Duvergier}}, et la majorité compacte qu’il cherche, se trouva à cette époque dont nous parlons. Elle se leva tout entière contre le parti doctrinaire, et le força d’abandonner ce pouvoir qu’il cherche à ressaisir. Quoique {{M.|Duvergier}} de Hauranne et ses amis abusent un peu de leur position de vaincus, il faut respecter la douleur qu’ils éprouvent de se voir rejeter, par leur faute, loin du maniement des affaires ; nous n’imiterons donc pas {{M.|Duvergier}} de Hauranne, qui est impitoyable dans ses récriminations, et qui va jusqu’à tirer une conséquence grave pour la société, et contre le ministère, d’une réduction opérée par la chambre dans les bénéfices des receveurs-généraux. Nous ne rechercherons pas à qui s’adresse cette doléance ; mais si l’on voulait énumérer les petits faits de la session, on verrait que le ministère, qui a obtenu la pension de {{Mme|de}} Damrémont, celle de la comtesse Lipano, des travaux publics pour Paris, n’a pas à se plaindre de la rigueur de la chambre. Si ces faits rapprochés ont l’importance que donne {{M.|Duvergier}} à ceux qu’il cite, il faudrait renverser les deux conséquences qu’il en fait ressortir. L’une de ces conséquences est que la chambre n’a pas voulu se laisser influencer par le ministère, l’autre qu’il a dû sacrifier la dignité du pouvoir, en subissant cet échec. Quant à nous, qui savons, comme tout député devrait le savoir, comment se votent le plus souvent les questions secondaires, nous ne conclurons rien de tout ceci, sinon que {{M.|Duvergier}} de Hauranne est un ennemi bien minutieux. Finissant comme lui, nous nous bornerons seulement à rétorquer sa conclusion, et à dire : « Pour expliquer sa situation, dont il ne peut se dissimuler le danger, le parti doctrinaire se croit obligé d’imaginer je ne sais quelles ridicules chimères d’usurpations royales et d’avances à tous les partis ! Qu’on veuille donc enfin comprendre que si la chambre a le droit de renverser les ministres, cette prérogative ne saurait être arbitraire, et que ce serait une prétention insensée que de vouloir diriger une assemblée puissante au gré de quelques ambitions individuelles qui lui sont étrangères, et auxquelles elle n’accorde qu’un appui négatif. Que l’on reconnaisse qu’un tel appui ne donne ni force, ni {{tiret|considéra|tion,}} <references/>
Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/732
{{nr|728|{{sm|LA REVUE DE PARIS}}|}}à faire attendre le public, le symbole de leur sentiment intime vis-à-vis des ''administrés''. Si l’autorité est sans durée et sans contrôle, le fonctionnaire est normalement porté à en abuser sans mesure : là-dessus il suffit de consulter les voyageurs qui reviennent d’Orient. Pour retenir les fonctionnaires sur cette pente naturelle, nous avons aujourd’hui deux freins puissants : la presse et le peuple. Mais au temps de Montesquieu, que pouvait la presse, enchaînée par la censure, dépourvue de moyens d’information, regardée comme un luxe réservé aux classes riches ? Et le peuple ? Dans les pays même les plus civilisés, ne justifiait-il pas la description de Voltaire<ref>Introduction de l’''Essai sur les mœurs''.</ref> ? « Entendez-vous par ''sauvages'' des rustres vivant dans des cabanes avec leurs femelles et quelques animaux, exposés sans cesse à toute l’intempérie des saisons ; ne connaissant que la terre qui les nourrit, et le marché où ils vont quelquefois vendre leurs denrées pour y acheter quelques habillements grossiers ; parlant un jargon qu’on n’entend pas dans les villes ; ayant peu d’idées, et par conséquent peu d’expressions ; soumis, sans qu’ils sachent pourquoi, à un homme de plume, auquel ils portent tous les ans la moitié de ce qu’ils ont gagné à la sueur de leur front ; se rassemblant, certains jours, dans une espèce de grange pour célébrer des cérémonies où ils ne comprennent rien, écoutant un homme vêtu autrement qu’eux et qu’ils n’entendent point ; quittant quelquefois leur chaumière lorsqu’on bat le tambour, et s’engageant à s’aller se faire tuer dans une terre étrangère, et à tuer leurs semblables, pour le quart de ce qu’ils peuvent gagner chez eux en travaillant ? Il y a de ces sauvages-là dans toute l’Europe. » Il ne restait de forces vivantes à opposer au despotisme des princes que l’aristocratie et la haute bourgeoisie, seules assez instruites pour désirer la liberté ; et elles ne pouvaient résister que par le moyen des anciens corps privilégiés, Parlements ou assemblées d’États. C’est à ces forces que faisait appel la théorie de la séparation des pouvoirs. Il s’agissait de persuader aux princes qu’ils devaient faire abandon d’une partie de leur autorité et respecter comme un égal le corps
Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/723
{{nr||{{sm|LA SÉPARATION DES POUVOIRS}}|719}}ne pouvait être souveraine qu’en organisant elle-même le pouvoir exécutif. Danton travaillait dans ce sens dès 1792 : en 1793 la nécessité de la concentration des pouvoirs s’imposait au parti républicain. Le 10 mars 1793, Buzot ayant dit à la Convention. « On veut que vous confondiez dans vos mains tous les pouvoirs », quelqu’un cria : « Il faut agir et non bavarder. » La Constitution de l’an {{rom-maj|I}}, préparée par Condorcet et adoptée par les Montagnards, ne parlait plus de la séparation des pouvoirs : le Conseil exécutif devait être élu par l’Assemblée sur une liste de noms désignés par un vote des électeurs. Après la chute des Jacobins, la Convention voulut rétablir la doctrine de la Constituante par une déclaration doctrinale. « La garantie sociale ne peut exister si la division des pouvoirs n’est pas établie, leurs limites fixées et la responsabilité des fonctionnaires publics assurée » (Constitution de l’an {{rom-maj|III}}, art. 22). Elle poussa à l’extrême la séparation des pouvoirs en organisant un Directoire exécutif absolument séparé du corps législatif (les deux Conseils), sans action réciproque de l’un sur l’autre. Quatre ans plus tard, après trois coups d’État partiels, le Directoire faisait expulser le Conseil des Cinq-Cents par les grenadiers de Bonaparte. La séparation des pouvoirs avait produit des conflits incessants et n’empêchait pas le retour du despotisme. Sieyès, chargé de rédiger la Constitution de l’an {{rom-maj|VIII}}, voulait organiser le gouvernement suivant les principes ; il avait même raffiné la théorie courante, et décomposé le pouvoir législatif en trois volontés, ''constituante'' (Sénat), ''pétitionnaire'' (Tribunat), ''législative'' (Corps législatif). Bonaparte accepta son mécanisme et lui laissa créer ses trois corps, mais il montra par sa conduite que dans un gouvernement centralisé, pourvu d’une armée et d’un corps de fonctionnaires, le seul véritable souverain est le chef du pouvoir exécutif qui dicte aux corps délibérants leurs décisions ; aussi le Sénat, en 1814, dans l’acte de déchéance, reprochait-il à Napoléon « la confusion de tous les pouvoirs ». Il semblait que la chute de Napoléon, en ramenant le régime constitutionnel, dût faire revivre la théorie de la séparation des pouvoirs. En Espagne, les patriotes soulevés contre la
Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/715
{{nr||{{sm|LA SÉPARATION DES POUVOIRS}}|711}}actes du gouvernement sont les actes de la reine, la justice même est rendue en son nom. L’action du Parlement était limitée aux lois et au vote des impôts. Mais ce pouvoir même, que Montesquieu appelait le ''législatif'', loin d’être organisé sur le principe de la séparation, ne pouvait fonctionner que par la collaboration constante du roi et du Parlement : la loi était faite en commun par le roi, les Communes et les Lords, le budget par le roi et les Communes. Ce régime qui durait encore à la fin du {{s|xvii}} venait, au moment où Montesquieu visita l’Angleterre, d’être transformé par les ministres whigs des premiers rois de la dynastie de Hanovre ; il avait pris dans la pratique une forme plus différente encore du système de la séparation des pouvoirs. Les ministres avaient cessé d’être les commis du roi, ils étaient les chefs de la majorité de la Chambre basse. Le ministère, investi à la place et au nom du roi de tout le pouvoir gouvernemental, était devenu en fait une commission permanente de la Chambre des communes désignée par la majorité. Ainsi tous les pouvoirs, pour parler la langue de Montesquieu, se trouvaient confondus dans la Chambre qui les exerçait par l’intermédiaire du cabinet pris dans la majorité ; et tous les actes souverains qui constituent le gouvernement suprême s’accomplissaient non par l’impulsion séparée de trois pouvoirs indépendants, mais par la collaboration continue du ministère et des deux Chambres. Entre la pratique anglaise et la description de Montesquieu il n’y avait qu’un point commun, c’était le nombre ''trois''. Il n’est pas nécessaire de rechercher si le véritable caractère de la constitution anglaise avait échappé aux observateurs politiques de ce temps ou si Montesquieu a évité volontairement<ref>C’est ce que pourrait faire soupçonner la phrase énigmatique : « Ce n’est point à moi à examiner si les Anglais jouissent actuellement de cette liberté ou non. Il me suffit de dire qu’elle est établie par leurs lois... »</ref> d’en donner une analyse exacte. Mais il faut examiner dans quelle mesure sa théorie de la séparation des pouvoirs correspond aux conditions de la vie politique des peuples civilisés auxquels on a essayé de l’appliquer pendant un siècle. Le point de départ n’est pas l’observation d’un gouvernement où l’on aurait constaté l’existence réelle de trois corps
Revue de Paris, année 22, tome 2, 1915.djvu/243
{{nr||{{sm|LA PHILOSOPHIE FRANÇAISE}}|241}}commencement du {{s|xix|e|-}}), Lamarck avait affirmé avec la même netteté la transformation des espèces, et il avait essayé, en outre, d’en déterminer les causes. Plus d’un naturaliste revient aujourd’hui à Lamarck, soit pour combiner ensemble lamarckisme et darwinisme, soit même pour remplacer le darwinisme par un lamarckisme perfectionné. C’est dire que la France a fourni à la science et à la philosophie, au {{s|xviii}}, le grand principe d’explication du monde organisé, comme, au siècle précédent, avec Descartes, elle leur avait apporté le plan d’explication de la nature inorganique. Les recherches et les réflexions de Lamarck avaient d’ailleurs été préparées en France par beaucoup de travaux originaux sur la nature et la vie. Bornons-nous à rappeler les noms de Buffon<ref>1707-1788.</ref> et de Bonnet<ref>1720-1793. Charles Bonnet, né à Genève, appartenait à une famille française.</ref>. {{***}} D’une manière générale, les penseurs français du {{s|xviii}} ont fourni les éléments de certaines théories de la nature qui devaient se constituer au siècle suivant. Nous venons de parler du problème de l’origine des espèces. Celui de la relation de l’esprit à la matière, abordé dans un sens plutôt matérialiste, fut posé cependant par les philosophes français du {{s|xviii}} avec une précision telle qu’il appelait aussi bien, dès lors, d’autres solutions. Il faut citer ici les noms de La Mettrie<ref>1709-1751.</ref>, de Cabanis<ref>1757-1808.</ref>, etc., et encore celui de Charles Bonnet. On montrerait sans peine que leurs recherches sont à l’origine de la psycho-physiologie qui s’est développée pendant le {{s|xix}}. Mais la psychologie elle-même, entendue comme une ''idéologie'', c’est-à-dire comme une reconstruction de l’esprit avec des éléments simples, — la psychologie telle que l’a comprise l’école « associationiste » du siècle dernier, — est sortie, en partie, des travaux français du {{s|xviii}}, notamment de ceux de Condillac. Il est juste de reconnaître que les <references/> {{nr|{{sm|15 Mai 1915.}}||2}}
Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/730
{{nr|726|{{sm|LA REVUE DE PARIS}}|}}douteuse au plus haut degré. La séparation en trois est logiquement fausse et n’épuise pas la matière. Le démembrement du pouvoir de l’État en trois pouvoirs séparés et indépendants, dissout l’organisme de l’État... et mène pratiquement à l’anarchie. Un pouvoir exécutif supérieur auquel un pouvoir législatif donne des ordres est un non-sens. Citer la constitution anglaise comme exemple de la séparation en trois, c’est se mettre en opposition avec les faits. » En 1860 il écrivait : « Il y a peu de propositions condamnées aussi unanimement par la science que la théorie de l’indépendance réciproque des pouvoirs. » L’auteur du principal traité de droit constitutionnel prussien, Rœnne, disait en 1864 : « On ne peut nier qu’une différenciation des pouvoirs... est nécessaire parce que des fonctions spéciales sont mieux remplies par des organes propres, et que la liberté et la sécurité des individus en sont mieux garanties. Mais ce partage n’implique nullement une séparation absolue telle que les pouvoirs différents soient possédés par des personnes différentes ». Aucun des États qui ont eu à se faire une Constitution depuis la République de 1848 n’a tenté l’épreuve de la séparation des pouvoirs, ni le Danemark, ni la Suède en 1866, ni l’Autriche-Hongrie en 1867, ni aucun des États des Balkans. {{t4|III}} De la doctrine de la séparation des pouvoirs que reste-t-il encore dans le droit public de l’Europe ? D’abord trois mots définitivement entrés dans la langue politique de tous les peuples civilisés, trois mots assez mal faits, car le ''pouvoir législatif'' a bien d’autres occupations que de légiférer, le ''pouvoir exécutif'' décide beaucoup plus qu’il n’exécute, et le ''pouvoir judiciaire'' n’est pas un pouvoir, mais seulement une ''fonction'' comme la police, l’administration ou la perception des impôts. Il en reste aussi deux notions confuses. L’une, judicieuse malgré sa forme solennelle, c’est que les fonctionnaires chargés
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{{T3|I}} Toute la philosophie moderne dérive de Descartes<ref>1596-1650.</ref>. Nous n’essaierons pas de résumer sa doctrine : chaque progrès de la science et de la philosophie permet d’y découvrir quelque chose de nouveau, de sorte que nous comparerions volontiers cette œuvre aux œuvres de la nature, dont l’analyse ne sera jamais terminée. Mais de même que l’anatomiste fait dans un organe ou dans un tissu une série de coupes qu’il étudie tour à tour, ainsi nous allons couper l’œuvre de Descartes par des plans parallèles situés les uns au-dessous des autres, pour obtenir d’elle, successivement, des vues de plus en plus profondes. Une première coupe révèle dans le cartésianisme la philosophie des idées « claires et distinctes », celle qui a définitivement délivré la pensée moderne du joug de l’autorité pour ne plus admettre d’autre marque de la vérité que l’évidence. Un peu plus bas, en creusant la signification des termes « évidence », « clarté », « distinction », on trouve une théorie de la méthode. Descartes, en inventant une géométrie nouvelle, a analysé l’acte de création mathématique. Il décrit les conditions de cette création. Il apporte ainsi des procédés généraux de recherche, qui lui ont été suggérés par sa géométrie. En approfondissant à son tour cette extension de la géométrie, on arrive à une théorie générale de la nature, considérée comme un immense mécanisme régi par des lois mathématiques. Descartes a donc fourni à la physique moderne son cadre, le plan sur lequel elle n’a jamais cessé de travailler, en même temps qu’il a apporté le type de toute conception mécanistique de l’univers. Au-dessous de cette philosophie de la nature on trouverait maintenant une théorie de l’esprit ou, comme dit Descartes, de la « pensée », un effort pour résoudre la pensée en éléments <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/157
de Tony Johannot, gravées sur acier spécialement pour ce supplément et tirées sur Chine manque. En 1834, l’éd. Perrotin donna à Paris, une édition complète des œuvres de Déranger en 4 vol. in-18, avec 104 figures, sur chine. À ces quatre volumes, sortant de l’imprimerie Didot, on joignait un cinquième volume, de supplément, qui ne se vendait guère que secrètement et qui contenait toutes les chansons érotiques de notre auteur. La destruction de ce cinquième volume a été ordonnée pour outrages à la morale publique et religieuse, ainsi qu’aux bonnes mœurs : 1{{e|o}} Par arrêt de la Cour d’assises de la Seine, en date du 24 octobre 1834 (affaire jugée à huis-clos), condamnant J.-B. Constant Chantepie, père, imprimeur à Paris, et Chantepie, fils, également imprimeur, chacun à un mois de prison et 500 francs d’amende, pour distribution et mise en vente dudit supplément (''Moniteur'' du 30 déc. 1834) ; 2{{e|o}} Par arrêt de la même Cour, en date du 9 août 1842 (affaire contre Régnier-Becker. ''Moniteur'' du 15 décembre 1843). Contient toutes les chansons érotiques reproduites dans la première partie des « Gaietés » (voir {{lia|3|c0237|237|155}}), plus 4 chansons politiques publiées également dans les « Gaietés ». Voir les n{{os}} {{lia|3|c0236|236|155}}, {{lia|3|c0237|237|155}}, {{lia|3|c0238|238|156}}, {{lia|3|c0240|240|157}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0240|240}}. — '''Œuvres complètes''' de P.-J. {{sc|de Beranger}}. Tome V...|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} Double du {{lia|3|c0239|239|156}}, sur grand papier, broché sans couv. impr. La suite de gravures manque comme au précédent. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0241|241}}. — ['''Numéro supprimé.''']|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} ''Œuvres satiriques'' de P. Corneille Blessebois. A Leyde, 1676. Passé à la Réserve. Vitrine 38. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0242|242 à 246}}. — '''Le Décaméron''' de {{sc|Jean Boccace}}. Tome Premier [Deuxième, Troisième, Quatrième, Cinquième]. Londres, 1757-1761.|110}}|1.5|-1.5}} <references/>
L’Enfer de la Bibliothèque nationale/5
Guillaume Apollinaire, Fernand Fleuret, Louis Perceau L’Enfer de la Bibliothèque nationale Bibliothèque des curieux, 1919 (bibliographie méthodique et critique de tous les ouvrages composant cette célèbre collection, p. 201-240). ◄ nos 295 à 400 nos 500 à 599 ► nos 401 à 499 dictionaryL’Enfer de la Bibliothèque nationaleGuillaume Apollinaire, Fernand Fleuret, Louis PerceauBibliothèque des curieux1919ParisVbibliographie méthodique et critique de tous les ouvrages composant cette célèbre collectionnos 401 à 499Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvuApollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/9201-240 401. — Vie Privée et Amours secrètes de Lord Byron, faisant connaître par un détail exact et complet, sa naissance, son caractère, ses débuts dans la carrière amoureuse étant au Collège de Harrow, ses enlèvemens et liaisons particulières, ses rendez-vous, aventures et intrigues galantes avec diverses personnes, telles que Comtesses, Myladis, Bourgeoises, Demoiselles riches et pauvres, Actrices, Courtisanes, etc., etc. Les ruses et, pièges dont il se servait pour les attirer dans ses filets, et obtenir leurs faveurs ; tromper leurs Maris, et Amans, s’introduire auprès d’elles sans être reconnu de ces derniers ; les rôles curieux et les tours que lui ont joués ses favorites, et ceux qu’il a fait jouer à plusieurs d’entre elles ; de même que les espiègleries, vengeances spirituelles et singulières qu’il exerçait contre ceux qui le contrariaient dans ses amours. Tous ces faits se sont passés dans les divers pays qu’il a visités et habités, tels que l’Angleterre, l’Irlande, l’Ecosse, Londres, Rome, Venise, Naples, Paris, Ravenne, Libourne, Athènes, Iles Ioniennes, Itaque, Missolunghi, etc. Suivis de sa correspondance amoureuse, et terminés par des détails sur ses derniers moments et ses funérailles. Traduit de l’anglais sur la dixième édition, par M. F... traducteur d’un grand nombre d’ouvrages. Tome premier [second]. — Terry, éditeur, Palais-Royal, Galerie de Valois, 185. — 1837. 2 tomes en 1 volume in-18 de iv-179 et 158 p. Par John Mitford. Demi-reliure, chagrin violet, plais marbrés, dos orné, tranches jaspées. Titre entièrement lithographié ; ce titre manque au 2e tome. Encore un ouvrage dont rien ne motivait le classement à l’Enfer. 402. — Thérèse Philosophe, ou Mémoires pour servir à l’Histoire de D. Dirrag, et de Mademoiselle Eradice. Première [Seconde] Partie. — A La Haye. 2 parties en 1 volume in-8 de viii-140 et 72 p. avec 15 figures libres, au lieu de 16 (la 7e manque). (A la Sphère). Reliure ancienne, basane marbrée, doubles filets, dos orné pièces, tranches jaunes. Après le titre : Explication des 16 estampes contenues dans ce volume. « C’est le procès du P. Girard et de sa pénitente, la belle Cadière, qui a servi de cadre à cet ouvrage, et les noms de ces deux personnages sont ici anagrammatisés en Dirrag et Eradice. « D’après une note manuscrite de l’abbé Sepher, l’auteur serait De Montigny, commissaire des guerres, qui aurait été 8 mois à la Bastille à cause de cet ouvrage. « D’après les notes de M. Van Thol, le fameux marquis de Sade dit que l’auteur est le marquis J.-B. de Boyer d’Argens ; mais l’opinion de l’abbé Sepher paraît plus conforme à la vérité que celle de l’auteur de « Justine ». Le marquis de Sade est plus croyable lorsqu’il avance que ce fut le comte de Caylus qui grava les estampes de cet ouvrage infâme » (Barbier). Attribué aussi à Diderot. Voir 403, 404, 405, 406-407, 408-409, 410. La destruction de cet ouvrage a été ordonnée : 1o Par jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, du 6 juin 1822, condamnant Jean-François Leroux, libraire, à Paris, à deux mois d’emprisonnement et 500 francs d’amende (Moniteur du 7 novembre 1826) ; 2o Par jugement du même Tribunal, en date du 25 février 1825, condamnant Besson, Bourrut, Cottenet et Merlot, colporteurs et libraires, à des peines variant de 3 mois à un an de prison et à de fortes amendes (Moniteur du 7 novembre 1826). 403. — Thérèse Philosophe, ou Mémoires pour servir à l’Histoire de D. Dirrag, et de Mademoiselle Eradice. Première [seconde] Partie. — A La Haye. 2 parties en 1 volume s. d. (A la Sphère) de 144 et 71 p, Demi-reliure ; velin vert, plats marbrés, dos pièce, tranches jaunes. Édition différente de celle, sous la même rubrique, à 402. Les figures manquent. Voir 402, avec la notice, 404, 405, 406-407, 408-409, 410. 404. — Thérèse Philosophe, 1re, [2me] Partie. 2 tomes en 1 volume s. d. in-8 de 182 et 87 p. plus 1 f. volant n. ch. pour le placement des gravures : Avis au Relieur. Avec 2 frontispices et 24 très belles figures libres. Reliure moderne, maroquin rouge janséniste, larges dent, int., tranches dorées, signée L. Fixon, rel. Exemplaire de toute beauté, lavé et encollé, d’une édition superbe. Voir 402, avec notre notice, 403, 405, 406-407, 408-409, 410. 405. — Thérèse Philosophe, ou Mémoires pour servir à l’Histoire de D. Dirrag et de Mademoiselle Eradice. Première Partie. — [Seconde et dernière partie ; avec l’Histoire de Madame Bois-Laurier]. — A La Haye. 2 parties en 1 volume s. d. pet, in-8o de 141 et 69 p. Reliure ancienne, veau jaspé, filets et fleurettes sur les plats, dos orné pièce, tranches rouges. Avec 1 frontispice et neuf gravures libres, grand format, repliées. L’une d’elle est placée à la fin du volume. Le dos de la reliure porte : L’Ecole de la Pudeur. Après la 2e partie, on a relié des feuilles blanches sur lesquelles on avait commencé de transcrire à la main (5 pages 1 /2) la tragédie de Messaline. Le titre (manuscrit) porte : Messaline, Tragédie en un acte et en Vers. Faitte à Luxuriopolis, frontierre de haut le Culiaviconnoustesky. 1768. Voir 402, avec notre notice, 403, 404, 406-407, 408-409, 410. 406-407. — Thérèse Philosophe, ou Mémoires pour servir à l’Histoire de D. Dirrag, et de Mademoiselle Eradice. Nouvelle Edition, augmentée d’un plus grand nombre de figures que toutes les précédentes. Tome Premier [Second]. — A Londres, MDCCLXXXV. 2 volumes in-16 de 161 et 80 p. Avec 21 figures libres (10 au premier volume et 11 au second) (Paris, Cazin). Le tome second porte : Thérèse philosophe, avec l’histoire de Mme Bois Laurier. Reliure ancienne maroquin rouge, filets, dent, intér., dos Ornés, pièces, tranches dorées. À la fin : Jouissance (vers). Voir 402, avec notre notice, 403, 404, 405, 408-409, 410. 408-409. — Thérèse Philosophe, ou Mémoires pour servir à l’Histoire de D. Dirrag et de Mademoiselle Eradice. Nouvelle édition, augmentée d’un plus grand nombre de figures que toutes les précédentes. Tome Premier [Second]. A Londres, MDCCXCVI. 2 volumes petit in-12 de 156 et 86 p. Brochés, couv. de papier bleu. Le tome second porte : Thérèse philosophe avec l’histoire de Madame Bois-Laurier. Avec 1 frontispice, 6 figures libres au premier volume, 3 au second, les mêmes que celles de l’éd. de Londres 1785, mais mal venues et n’ayant rien de la vigueur du premier tirage. À la fin : La Jouissance et La Poularde, conte par M. Reb... Voir 402, 403, 404, 405, 406-407, 410. 410. — Thérèse Philosophe, avec l’Histoire de Mme Bois-Laurier. Nouvelle édition. Avec un grand nombre de figures. Tome Second. — A Cythère, chez l’Amour, au Palais des Grâces, MDCCXCVII. 1 volume in-12 de 122 p., broché, couv. de papier bleu. Tome II seulement. Les figures manquent. Voir 402, avec notre notice, 403, 404, 405, 406-407, 408-409. 411. — Deux Gougnottes, sténographie de Joseph Prudhomme, élève de Brard et St-Omer, expert en écritures assermenté près les Cours et Tribunaux. Avec un portrait calligraphié de l’auteur, et un frontispice révoltant dessiné et gravé par S. P. Q. R. — Partout et nulle part, l’an de Joie 1864. 1 volume in-8 de viii-142 pages, cartonné. Tiré à 130 exemplaires. Le frontispice (de Rops) manque. Par Henry Monnier. Un des 110 ex. pet. in-8o, sur papier vergé (no 7). Portrait d’Henry Monnier sur chine volant. Voir 197, avec notre notice, et 412 : L’Enfer de Joseph Prudhomme. 412. — L’Enfer de Joseph Prudhomme (Henry Monnier). C’est à savoir : La Grisette et l’Etudiant. Deux Gougnottes. Dialogues augmentés d’une figure infâme et d’un autographe accablant, — Paris, A la sixième Chambre. 1 volume s. d. in-12 de 63 pages, plus 4 ff. de table, cartonné. Avec un frontispice sur Chine volant de Félicien Rops, et un fac-similé de l’écriture d’Henry Monnier. Ex. sur Hollande. Note imprimée à la page 1 des Deux Gougnottes : (1) Ce dialogue a été copié, en 1863, sur le manuscrit autographe, appartenant alors à M. Nadar, également illustre comme littérateur, photographe et aéronaute. (Voir à Deux Gougnottes, notre note accompagnant le no 197). Ces deux pièces avaient déjà été publiées séparément. Elles sont on ne peut plus licencieuses. Par jugement du Tribunal de Lille, en date du 6 mai 1868, inséré au Moniteur du 19 septembre suivant, a été condamné à la destruction l’ouvrage intitulé : l’Enfer de Joseph Prudhomme, lequel contient des outrages à la morale publique ainsi qu’aux bonnes mœurs (Affaire contre Duquesne). 413. — Gamiani, ou Deux nuits d’excès, par Alcide, Baron de M******. — A Vénise, chez tous les marchands de nouveautés. Vénise, 1835. 1 volume lavé et encollé in-18 de 105 pages, sans préface, et avec titre gravé et 13 lithographies libres très mal exécutées. Cette édition est rare. C’est la 2e. (La 1re éd. de 1833 in-4o à 2 colonnes texte lithographié avec 12 grandes litho. attribués à Devéria ou à Grevedon n’est pas à la Nationale.) Ex. d’Alfred Bégis saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. Il y en a un autre exemplaire au no 414, tous deux proviennent de la saisie opérée chez M. Bégis. Voir à 66 notre notice. Voir aussi 147, 194, 414, 415, 416, 417, 418, 419, 420, 421. {{a|414. — Gamiani, ou Deux nuits d’excès, par Alcide, Baron de M******. — A Vénise, chez tous les marchands de nouveautés. Vénise, 1835. Double du 413, broché, sans couv. impr. Ex. d’Alfred Bégis saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. 415. — Gamiani, ou Deux nuits d’excès, par Alcide, Baron de M******. Orné de huit gravures en taille douce. — Amsterdam, MDCCCXL. 1 volume petit in-8 de viii et 123 p. broché, sans couv, impr. (Réimpression, vers 1865-70.) Tiré à 150 exemplaires, un des 136 sur pap. vergé (sans no). Avec 8 figures libres ressemblant à des Rops. Courte préface. 3e édition. Ex. d’Alfred Bégis, saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. Voir à 66, notre notice, et 147, 194, 413,414, 416, 417, 418, 419, 420, 421. 416. — Gamiani, ou Deux nuits d’excès, par Alcide Baron de M***. Nouvelle édition. — Lucerne, 1864. 1 volume petit in-12 de xvi-70 p. plus 1 f. n. chif. de table, tiré à 150 ex. dont 100 in-12o. Réimprimé sans gravure (il n’en faut pas), par J. Gay, à Bruxelles, broché, mais en tirage in-12 (Ex. no 19) sur vergé. 5e édition. Préface très intéressante, reproduite dans la 7e édition. Ex. d’Alfred Bégis saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. Voir à 66, notre notice, 147, 194, 413,414, 415, 417, 418, 419, 420, 421. 417. — Gamiani, ou Deux nuits d’excès, par Alcide, Baron de M***. Nouvelle édition. — Lucerne, 1864. Double du 416, un des 50 ex. pet. in-8o sur Hollande (Ex. no 7). Ex. d’Alfred Bégis saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. 418. — Gamiani. ou Deux nuits d’excès, par A. D. M. — En Hollande, 1866. 1 volume in-12, de xvi-147 p., broché, sans couv. impr. Sans gravure. 6e édition. Contient (les xvi p.) un Extrait des Mémoires de la comtesse de C******** [Céleste Mogador, comtesse de Chabrillan] sur lesquels on se fonde, non sans raison, pour attribuer la paternité de l’ouvrage ou au moins de la première partie à Alfred de Musset (reproduit dans l’édition de 1871, voir 66). Voir 66 (notre notice), 147, 194, 413,414, 415, 416, 417, 419, 420, 421. 419. — Gamiani, ou Deux nuits d’excès, par A. D. M. Avec un épisode de la vie de l’auteur extrait des mémoires de la Comtesse de C********. (« Hippolyte, cher cœur, que dis-tu de ces choses ? » Femmes damnées, Fleurs du Mal), — Lesbos, institution Méry. Pavillon Baudelaire. 1 volume in-8o de xvi-141 p. plus 1 f. n. chif. de table, cartonné. Tiré à 150 exemplaires (Bruxelles, Poulet-Malassis). Avec un frontispice libre (de Rops), en 2 états, noir et bistre (voir 66), et 7 belles figures libres reproduisant les lithographies de la deuxième édition : Venise (1835), de Félicien Rops, en 2 états, noir et bistre, sauf une (le singe) en deux états, tirage en noir, et une (le pendu) en noir seulement. Voir 66, notre notice, et 147, 194, 413,414, 415, 416, 417, 418, 420, 421. 420. — Gamiani, ou Deux nuits d’excès, par A. D. M. Avec un épisode de la vie de l’auteur, extrait des mémoires de la Comtesse de C***. (« Hippolyte, cher cœur, que dis-tu de ces choses ? » Femmes damnées, Fleurs du Mal). — Lesbos, Institution Méry. Pavillon Baudelaire. Double du 419, cartonné, sans gravures. 421. — Gamiani, ou Deux nuits d’excès, par A. D. M., suivi du Progrès du Libertinage, orné de 16 gravures. Tome II. — Londres, 1780. 2e volume seulement (1880), pet. in-8 carré de vi-80 p. broché sans couv. impr. contenant Les Progrès du Libertinage avec 4 lithos, coloriées à la main. Cette édition de Gamiani serait la 8e. Pour Gamiani, voir 66 (notre notice), 147, 194, 413,414, 415, 416, 417, 418, 419, 420. Pour Les Progrès du Libertinage, voir 751 et 752. 422. — Les Aphrodites, ou Fragments thali-priapiques pour servir à l’histoire du plaisir. Réimpression textuelle de l’édition unique et rarissime de Lampsaque, 1793. Tome Premier. — Bâle, imprimerie de Steuben Frères, 1864. 1 volume in-12 de viii-72, 77, 77 et 76 p., broché, sans couv. impr. Tiré à 200 exemplaires. Réimpression la meilleure (Bruxelles, Gay). Tirage à 200 ex. un des 158 pet, in-12 sur vergé (Ex. sans no). Tome premier seulement, renfermant les quatre premières parties. Par André-Robert Andrea de Nerciat. Cette réimpression, dont un seul volume figure à l’Enfer, a paru en 2 vol. in-12 (Bruxelles, Jules Gay, imprimé par Mertens), avec la reproduction des gravures originales. Ouvrage recherché. Vital-Puissant, qui ne vivait que de contrefaçons, rapporte ce qui suit : « Cette édition est tellement mauvaise, qu’à la suite de nombreux reproches reçus de quantité d’amateurs à ce sujet, Jules Gay fut obligé de la jeter en quelque sorte au panier. À cet effet, il vendit les 80 ou 90 exemplaires qui restaient sur 200, au sieur Jean-Pierre Blanche, son compatriote, parisien réfugié à Bruxelles, où il avait établi une petite librairie d’occasion, en chambre, rue Saint-Jean. Cette vente fut effectuée au prix de quatre-vingt centimes l’exemplaire ; Jules Gay, ayant préalablement enlevé les titres et la préface de l’ouvrage. Il va sans dire que J.-P. Blanche, l’acquéreur, s’empressa de faire réimprimer une préface quelconque et les titres enlevés et qu’ainsi, il parvint peu à peu à écouler entièrement les exemplaires en sa possession. Nous tenons ces renseignements certains d’un libraire qui fut témoin oculaire de cette affaire. » (Voir 423 à 426 un exemplaire complet d’une autre réimpression). Par jugement du Tribunal de police correctionnelle de la Seine (6e Chambre), en date du 2 juin 1865, et devenu définitif, le sieur Jules Gay, libraire-éditeur, quai des Grands-Augustins, no 41, à Paris, déclaré coupable : 1o d’outrages à la morale publique et religieuse, ainsi qu’aux bonnes mœurs ; 2o de ventes d’ouvrages précédemment condamnés ; 3o de vente d’ouvrages sans nom d’imprimeur ; 4o de vente de dessins et gravures non autorisés par l’administration ; pour avoir, en 1864 et 1865, à Paris, publié, vendu ou mis en vente, les Aphrodites et les gravures qui les accompagnent (ainsi que 17 ouvrages également immoraux), a été condamné à 4 mois d’emprisonnement et 500 francs d’amende, par application des art. 1 et 8 de la loi du 17 mai 1819, 27 de la loi du 26 mai 1819, 19 de la loi du 21 octobre 1814, et 22 du décret du 17 février 1852. Le même jugement a ordonné la destruction des exemplaires qui ont été saisis, ainsi que celle de tous ceux qui le seraient ultérieurement (Moniteur du 8 novembre 1865). Enfin, ce livre a encore été visé par une condamnation prononcée, le 25 février 1876, par le Tribunal correctionnel de la Seine (Affaire contre Searrieu). « Les Aphrodites, dit Monselet, sont une association de personnes des deux sexes, association qui n’a d’autre but que le plaisir... Il y a dans les Aphrodites quelques parties dramatiques et fantasmagoriques ;... mais ce sont les parties faibles et hors de leur place, En outre, M. de Nerciat ne perd jamais l’occasion de donner son coup de griffe aux événements et aux hommes de la Révolution. » Les Aphrodites font suite au Diable au corps. La première édition des Aphrodites est fort rare. En voici la description : « Les Aphrodites ou Fragments thali-priapiques pour servir à l’histoire du plaisir. Lampsaque, 1793, 8 part, petit in-8o de 800 p. et 1 planche chacune. Ces 8 parties se reliaient en 1 ou 2 vol. Les fig. sont libres. Cohen les attribue à Freudenberg. L’ouvrage est bien imprimé. Jusqu’ici il n’a été signalé que trois exemplaires de cette édition originale. Le premier a appartenu à M. Begis. La sixième figure qui manquait avait été reproduite de l’originale par le procédé Pilinski ; le deuxième exemplaire était complet, il a appartenu à M. Frédéric Henkey, anglais résidant à Paris. Un troisième exemplaire était en Angleterre, il a été vendu à Paris, en 1860. Cette édition aurait été imprimée à l’étranger pendant la Révolution. » D’une famille originaire de Naples, éparse en Sicile, dans le Languedoc et la Bourgogne, André-Robert Andrea de Nerciat naquit à Dijon, le 17 avril 1739. De bonne heure il voyagea, apprenant des langues. Il prit ensuite du service en Danemark où il fut capitaine d’infanterie. De retour en France, il entra dans les gendarmes de la Garde. En 1775, au moment de la Réforme qui réduisit la Maison du Roi, Nerciat fut licencié avec une pension et le grade de lieutenant-colonel. Aimant son métier, il était désespéré et voyagea pour se distraire et trouver une nouvelle position. Il parcourut la Belgique où il fut bien accueilli par le Prince de Ligne. On le retrouve, en 1780, à la Cour du Landgrave de Hesse-Cassel où l’avait introduit le marquis de Luchet, qui y était tout puissant. Nerciat s’installa à Cassel, fit représenter sur le théâtre de la Cour un opéra-comique dont il avait composé le livret et la musique. Puis, en qualité de sous-bibliothécaire, il fut attaqué en même temps que le marquis de Luchet. Les gazettes allemandes accusaient les deux Français d’avoir désorganisé la bibliothèque de Cassel. Dégoûté des bibliothèques, Nerciat entra au service du Prince de Hesse-Rheinfels-Rotenburg en qualité d’intendant des bâtiments. Bientôt Nerciat revint en France et fit partie des officiers que le Roi envoya soutenir les insurgents hollandais. En 1788, il reçut la croix de Saint-Louis. Pendant la Révolution, il émigra et, d’abord colonel dans l’armée de Brunswik, exerça ensuite divers métiers parmi lesquels il semble que celui d’agent secret fut le principal. En 1798, il fut chargé par la reine de Naples d’une mission secrète près du Pape, mais fut arrêté par les troupes françaises qui entraient dans Rome et on l’incarcéra au castel Saint-Ange. Élargi au commencement de 1800, il mourut dans les derniers jours de janvier. Il se maria, et peut-être même deux fois, et eut deux fils, dont l’un, Auguste, fut membre de la Société de Géographie et de la Société Asiatique. Les esprits dégagés des préjugés et de l’hypocrisie ont rendu justice au talent du chevalier de Nerciat. Citons Monselet qui, de cet auteur, loue l’esprit et le style : « deux qualités que M. de Nerciat possède à un rare degré ; que ne les a-t-il déployées dans des livres avouables ! Il a surtout une science et une aisance de dialogue on ne peut plus remarquable. » Baudelaire notait de son côté (Œuvres Posthumes, Paris, Mercure de France, 1908) : « ... La Révolution a été faite par des voluptueux. « NERCIAT (utilité de ses livres). « Au moment où la Révolution française éclata, la noblesse française était une race physiquement diminuée (de Maistre). « Les livres libertins commentent et expliquent la Révolution. « — Ne disons pas : Autres mœurs que les nôtres, disons : Mœurs plus en honneur qu’aujourd’hui. « Est-ce que la morale est relevée ? Non, c’est que l’énergie du mal a baissé. — Et la niaiserie a pris la place de l’esprit. « La fouterie et la gloire de la fouterie étaient-elles plus immorales que cette manière moderne d’adorer et de mêler le saint au profane ? « On se donnait alors beaucoup de mal pour ce qu’on avouait être bagatelle et on ne se damnait pas plus qu’aujourd’hui. « Mais on se damnait moins bêtement, on ne se pipait pas. » Ajoutons que plusieurs baudelairiens raffinés sont persuadés que Baudelaire travailla pour les réimpressions clandestines de Poulet-Malassis, particulièrement pour l’édition de Nerciat que donna cet éditeur et qui devait être complétée par un volume de correspondance lequel n’a jamais paru, chose fort regrettable. 423-424-425-426. — Les Aphrodites, ou Fragments thali-priapiques pour servir à l’Histoire du plaisir, par Andrea de Nerciat. « Priape, soutiens mon haleine. Piron, Ode à Priape. » Numéros un et deux [trois et quatre, cinq et six, sept et huit]. — 1793-1864. 4 volumes in-18 s. l. ni adresse de iv-158, plus 1 f. n. ch. 160 p. plus 2 f. n. chif., 162 p. plus 1 f. n. ch. et 186 p. plus 1 f. n. ch., cartonnés, dos cuir rouge, avec 1 frontispice de Félicien Rops et 8 figures libres, gravées sur acier, reproduction de celles de l’édition originale (Bruxelles, chez Briard, pour Poulet-Malassis). Le front. et les 2 prem. grav. sur Chine monté, les autres sur papier teinté. Voir à 422 notre notice. 427-428-429. — Le Diable au Corps, œuvre posthume du très recommandable Docteur Cazzoné, membre extraordinaire de la joyeuse Faculté Phallo-coïro-pygoglottonomique. — Avec figures, tome premier [deuxième, troisième]. — 1803. 3 volumes in-8o de 253, 252, et 254 p., demi-reliure, de l’époque, basane bleue, plats marbrés, dos orné, ébarbés. Avec 19 figures libres (8 tome I, 6 tome II, 5 tome III), avant la lettre et encadrées. Par A.-R. Andrea de Nerciat. Édition originale. Un des rares exemplaires avec les fig. avant la lettre. « Il en fut tiré 500 exemplaires de ce format et 500 exemplaires en format in-18, mais en 6 volumes et les figures ne sont pas encadrées. Elles portent sur le titre et avant la date : Avec figures. Quelques exemplaires in-18 présentent encore quelques différences et notamment la date est indiquée ainsi : MDCCCIII. Cette édition avait été préparée par Nerciat, il en écrivit l’Avertissement nécessaire, en 1789. La Révolution dérangea ces projets et l’ouvrage ne parut qu’en 1803, après la mort de son auteur. L’imprimeur fut, paraît-il, Frémont (Ardennes). La plus grande partie de l’édition fut saisie lors de son entrée à Paris, ce qui explique que les exemplaires en soient si rares. On recherche surtout les exemplaires in-8o. La Bibliothèque Nationale en possède un. On en a signalé un autre qui appartenait à M. Frédéric Henkey, bibliophile établi à Paris, l’un des auteurs, dit-on, du charmant ouvrage libre : L’école des Biches et le même qui possédait un des trois exemplaires connus de l’éd. orig. des Aphrodites. L’exemplaire du Diable au Corps de M. Henkey était parfait et contenait plus de 20 dessins exécutés par un artiste inconnu, mais moins beaux que ceux de Monnet. Le catalogue no 2 (1909) de la librairie Chrétien offre un exemplaire à toutes marges dans un état parfait, au prix de 700 francs. Avant de paraître, le Diable au corps avait été contrefait sous un autre titre : Les écarts du tempérament ou le Catéchisme de Figaro, esquisse dramatique. Avec cette épigraphe : Et flon flon, lure lure lure Chacun a son ton et son allure. A Londres, 1785. — In-18 avec 4 gravures libres assez mal faites. Nerciat dit que c’est « une brochure négligée, pleine d’absurdités, inintelligible en plusieurs endroits. » Il ajoute : « Je ne conçois pas trop bien quelle avait pu être la spéculation des éditeurs, mais il est clair qu’ils n’ont pas su lire, ou qu’ils se sont fait une tâche de tout gâter. Pas le moindre écart, pas la moindre addition, le moindre retranchement qui ne soit un contre-sens, une platitude, ou du moins une faute contre le goût, sans parler des innombrables difformités purement typographiques. » Quoi qu’il en soit, cette première partie lui fut dérobée vraisemblablement vers 1770, et c’est vers cette époque que Nerciat termina son ouvrage. Cette édition fautive, mal intitulée, volée à l’auteur, fut contrefaite dans le pays même où elle avait été publiée, et Nerciat ne paraît pas avoir eu connaissance de cette contrefaçon dont le titre était modifié. On s’était enfin aperçu que Figaro n’avait pas affaire dans cette fantaisie : Les écarts du libertinage et du tempérament ou Vie licentieuse de la comtesse de Motte-en-feu, du vicomte de Molengin, du valet Pinefort, de la Conbanal, d’un âne et de plusieurs autres personnages. Nouvelle édition. A Conculix, chez l’abbé Boujarron, bon bretteur, 1793. In-18 de 132 pp. figures. On cite également un manuscrit de 1798, en 2 vol. in-4o, antérieur à l’édition originale, mais nous ne pensons pas qu’il soit écrit de la main du Chevalier. Il est orné de 12 dessins libres attribués à Monnet. Le manuscrit en question a appartenu au duc d’Aumale. Le Diable au corps a été écrit avant les Aphrodites et longtemps avant 1775. Ces deux ouvrages sont excellents et mériteraient, malgré leur licence, d’être mieux appréciés par les gens qui goûtent les lettres. Certaines réimpressions du Diable au corps ont été condamnés le 5 décembre 1826, 9 avril 1843, et en 1852. (Voir deux autres exemplaires, 430 à 435 et 436 à 441). Le Diable au corps est un tableau des mœurs parisiennes un peu avant la Révolution, et ce tableau, Nerciat l’a complété par un autre : les Aphrodites, qui a lieu une quinzaine d’années plus tard, pendant les premières convulsions révolutionnaires... La plupart des personnages du Diable au corps font partie de la secte des Aphrodites, et plusieurs reparaissent dans l’ouvrage de ce nom. 430-431-432-433-434-435. — Le Diable au Corps, œuvre posthume du très recommandable Docteur Cazzoné, membre extraordinaire de la joyeuse Faculté Phallo-coïro-pygo-glottonomique. Avec Figures, Tome Premier [Deuxième, etc.]. — MDCCCIII. 6 volumes in-12 de xii-209. 205, 190, 259, 194 et 216 p., brochés, couv. de pap. bleu. Avec 19 figures libres, les mêmes que celle de l’éd. in-8o, mais sans cadre et très supérieures comme tirage et rajoutées bien plus tard. Voir, 427 à 429, notre notice, et 436 à 441. 436-437-438-439-440-441. Le Diable au Corps, œuvre posthume du très recommandable Docteur Cazzoné, membre extraordinaire de la joyeuse Faculté Phallo-coïro-pygo-glottonomique. Avec Figures, Tome Premier [Deuxième, etc.]. — MDCCCIII. Double, broché, couv. pap. gris avec 2 gravures, la même suite dont quelques unes en double, du 430 à 435. 442-443-444-445. — Félicia, ou Mes Fredaines, orné de Figures en taille-douce. « La faute en est aux Dieux qui me firent si folle. » Première [Deuxième, Troisième, Quatrième partie]. — A Londres. 4 volumes in-18 s. d. de 159, 352, 204 et 366 p., reliés basane jaune jaspée, dos orné pièce, tranches jaunes (1782, Paris, Cazin), avec 1 front. et 13 gravures non libres. Par Andrea de Nerciat. Voir 446 à 449 et 450. La destruction des éditions à figures de cet ouvrage, qui se vendait ouvertement au xviiie siècle, a été ordonnée par : 1o Arrêt de la Cour royale de Paris, du 21 décembre 1822 (Moniteur du 26 mars 1835) ; 2o Arrêt de la Cour d’assises de la Seine, du 9 août 1842, condamnant Régnier-Becker à 6 mois de prison et 200 francs d’amende (Moniteur du 15 décembre 1843). Andrea de Nerciat a mis en épigraphe à son délicieux roman, ce vers : La faute en est aux dieux qui me firent si folle. cri que sa frivolité consciente et un bonheur sans fin arrachent à l’héroïne. Félicia est un roman écrit sans prétention, le style manque parfois de soin, mais la grâce, l’esprit n’y manquent jamais et les trouvailles agréables y sont très fréquentes. L’auteur, qui se jugeait, plaça ces vers en tête de Félicia : Voici mon très cher ouvrage Tout ce qui t’arrivera : Tu ne vaux rien, c’est dommage ; N’importe, on t’achètera. Jusqu’au bout avec courage on te lira ; La plus catin, c’est l’usage, Au feu te condamnera ; Mais la plus sage rira. Sourira serait plus exact, et parfois même il se mêle un peu de mélancolie à cette folle production qui promène le lecteur dans les milieux d’artistes, parmi le haut clergé, dans la bourgeoisie et chez les personnes de qualité. Peintres, chanteurs, musiciens, prélats galants, chevaliers audacieux, clercs insolents, bourgeoises voluptueuses et timides se démènent, discourent et s’entraînent dans le plus provoquant désordre. « La vivacité de quelques tableaux, dit d’autre part Monselet, ne doit pas nous empêcher de rendre justice à l’une des plus charmantes productions que la décadence du xviiie siècle ait inspirées, coquette débauche de sentiment et d’esprit, esquisse folâtre des dernières ruelles à la mode, accentuée plus littérairement que le long roman de Louvet. Félicia a été rééditée à l’infini et dans tous les formats, avec un grand luxe de gravures. Ce sont encore des mémoires aussi rapides et aussi mutins qu’on peut le désirer. » 446-447-448-449. — Félicia, ou Mes Fredaines. Double de l’exemplaire 442 à 445, mais en papier vélin, relié en 4 vol. veau porphyre, plats encadrés, dent, intér., dos ornés, pièces, tranches dorées. La même suite que dans le précédent, mais augmentés d’un certain nombre de fig. libres qui portent le nombre total à 24 figures, compris le frontispice, quelques-unes libres. (1 frontispice et 7 figures au tome Ier ; 6 figures au tome II ; 6 au tome III, et 4 au tome IV). 450. — Félicia, ou Mes Fredaine. « La faute en est aux Dieux qui me firent si folle. » Tome Premier [Deuxième, Troisième, Quatrième], — Londres, MDCCLXXVI. 4 tomes en 1 volume in-18 de 100, 120, 111 et 99 p., demi-reliure ancienne, basane, plats papier jaspé, tranches jaunes (Paris, Cazin), sans figures. Voir 442 à 445 et 446 à 449. 451-452. — Monrose, ou Suite de Félicia, par le même Auteur, Première [Deuxième, Troisième, Quatrième] partie. — 1795. 4 tomes en 2 volumes in-18 s. l. ni adresse de : 1o 223 plus 2 f. n. chif. ; 246 plus 3 f. n. ch. ; 2o 247 plus 1 f. n. chif. et 219 p. plus 2 ff. n. ch. Reliure moderne maroquin rouge janséniste, larges dentelles intérieures, tranches dorées, superbe exemplaire, lavé et encollé. Avec 24 figures libres attribuées par Cohen à Quéverdo. Par A.-R. Andrea de Nerciat. Voir aussi 453-454. Suppression ordonnée par mesure de police, 15 octobre 1825, et par arrêt de la Cour d’assises de la Seine, en date du 10 février 1852 (Affaire contre Chapelle). Monrose est la suite de Félicia. La 1re, édition (1792) est intitulée Monrose ou le libertin par fatalité, suite de Félicia. Nerciat a été souvent pillé. Dans son autobiographie intitulée : Illyrine ou l’écueil de l’inexpérience (Paris, an VII), La Morency a inséré des passages qu’elle empruntait à Monrose et sans prévenir le lecteur. On trouvera notamment, dans la lettre CXXI (Julie à Lise), un morceau pris dans la première partie de Monrose, au chapitre VI. Monselet pense que l’Hermaphrodite Nicette de Monrose « pourrait bien avoir servi de modèle à Balzac pour son ou sa Zambinella, dans le petit roman de Sarrazine ». 453-454. — Monrose, ou Suite de Félicia, par le même Auteur. — A Paris, an Huitième. 2 tomes en 1 volume in-18, broché, couv. de papier marbré brun. Tomes I et III seulement. Avec les mêmes figures libres qu’à l’édition de 1795 (voir 451-452), 5 à chaque tome. 455-456. — Mon Noviciat, ou Les Joies de Lolotte. Pour être heureux, ô lubriques mortels ! Faut-il, hélas, un trône et des autels ! Faut-il, hélas, un trône et(Foutromanie, Chant I). 1792. 2 volumes in-18 de vii-248 et 255 p. y compris un f. d’errata chiffré, reliure moderne, maroquin citron janséniste, large dentelle intérieure, tranches dorées, signée Hardi., s. d. (Berlin), avec deux frontispices libres. Très rare. Par Andrea de Nerciat. Voir à 457-458, 459-460 et 461-462, trois exemplaires d’une réimpression moderne. 457-458. — Mon Noviciat, ou Les Joies de Lolotte par Andrea de Nerciat. Pour être heureux, ô lubriques mortels ! Faut-il, hélas, un trône et des autels ! Faut-il, hélas, un trône et(Foutromanie, Chant II). Première [Seconde] Partie. — 1792-1864. 2 volumes in-18 s. l. n. d. (Poulet-Malassis ?) de iii-235 et 242 p. plus 1 f. n. ch., brochés, sans couv. impr., sur Hollande, avec 2 figures libres sur papier teinté. Voir deux autres exemplaires à 459-460 et 461-462 et à 455-456, l’édition originale. 459-460. — Mon Noviciat, ou Les Joies de Lolotte par Andrea de Nerciat. Pour être heureux, ô lubriques mortels ! Faut-il, hélas, un trône et des autels ! Faut-il, hélas, un trône et(Foutromanie, Chant II). Première Partie. — 1792-1864. Double du 457-458, broché, sans couv impr. Celui-ci est en meilleur état. Ex. d’Alfred Bégis, saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. 461-462. — Mon Noviciat, ou Les Joies de Lolotte par Andrea de Nerciat. Pour être heureux, ô lubriques mortels ! Faut-il, hélas, un trône et des autels ! Faut-il, hélas, un trône et(Foutromanie, Chant II). Première Partie. — 1792-1864. Double des 457-458 et 459-460, broché, sans couv. impr., ex. d’Alfred Bégis, saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. 463. — L’Arétin françois, par Un membre de l’Académie des Dames. J’appelle un Chat un Chat. J’appelle un Chat unBoileau. A Londres, 1787. 1 volume pet. in-18 de 23 p. non chif. et 1 frontisp. et 17 planches libres, gravées par Elluin d’après Borel (non signées). Suivi de : Les épices de Vénus, ou Pièces diverses, du meme Académicien. Les plus intolérables sont les plus vicieux. Les plus intolérables sont (Anonyme). A Londres, 1787. Pet. in-12, 1 faux-titre, 1 titre et 53 p. avec 1 fig. libre gravée en taille douce. Les deux ouvrages par Félix Nogaret. Reliure moderne, maroquin rouge janséniste, larges dent, int., tranches dorées, signée L. Fixon rel. Bel exemplaire, lavé et encollé. Édition originale. Très rare. Voir deux réimpressions à 149, avec notre notice, et à 464. 464. — L’Arétin Français, par un membre de l’Académie des Dames. « J’appelle un chat un chat, Boileau. » — Bruxelles, chez les Marchands de nouveautés. 1 volume in-22 de 63 p., broché, sans couv. impr. La plupart des pages impr. d’un seul côté, pour faire vis-à-vis à 17 fig. qui manquent ici, sans doute reproduites d’après celles du no 463. On trouve à la suite quelques Priapées diverses. Réimpression (vers 1865) pour le colportage. Par Félix Nogaret. Voir, à 463, l’édition originale, et à 149, une autre réimpression, avec notre notice. 465. — La Capucinière, ou Le Bijou enlevé à la course. Poème. «... On peut avoir des mœurs et peindre ceux qui n’en ont guère. » — Paris, chez les Marchands de Nouveautés, 1820. 1 volume grand in-8 de xii-68 pages, avec 6 planches (non libres) au trait. Demi-reliure maroquin rouge, plats marbrés, dos orne, ébarbé, signée Allô. Réimpression de l’édition originale de 1780. Par Pierre-François Tissot. Attribué bien à tort à Nougaret, par suite d’une confusion avec un autre ouvrage intitulé : La Capucinade. Conte spirituel et fort badin, qui valut à Tissot son logement à la Bastille. Cité au Catalogue Wittersheim, page 13. 466. — Lucette, ou Les Progrès du Libertinage, par M N***. Première [Seconde] Partie. — A Londres, chez Jean Nourse, libraire, dans le Strand. MDCCLXV. [A la suite :] Suite de Lucette, ou des progrès du libertinage. Par M N*** Troisième Partie. A Londres MDCCLXVI. 3 tomes en 1 volume in-12, de 1o vj p., f. n. ch. 456 et 453 p. plus 1 f. n. chif. ; 2o xvj p., 1 f. n. chif. et 188 p. Reliure ancienne, velin vert, tranches rouges. Par P.-J.-B. Nougaret. La destruction de Lucette a été ordonnée par jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, en date du 12 mai 1865 (Affaire contre Poulet-Malassis et consorts). 467. — L’Alcibiade | Fancivllo | A Scola, | D. P. A. | Oranges. Par Iuann Vvart. ciɔ. iɔ. c. Iii. 1 volume petit in-8 carré de 102 p. y compris 3 ff. prél., plus à la fin 1 f. n. chif. contenant 4 sonnets de M. V. (1652). Reliure du xviiie siècle, maroquin rouge, à compartiments, dent. intérieures, dos orné, tranches dorées. Volume rarissime dont on ne connaît que quatre exemplaires de l’édition originale : à Dresde, à Grenoble, à Paris, et au British Muséum, « livre très rare en une matière délicate en fait d’amour », dit Lengley Dufresnoy. En italien. Par Ferrante Pallavicini. Cet ouvrage était attribué jadis à l’Arétin, comme l’indique le titre D. P. A., en effet, veut dire : Di Pietro Aretino. Voir 468, 469 et 470 et une traduction française avec la notice à 471. 468. — L’Alcibiade | Fancivllo | A Scola, | D. P. A. | Oranges. Par Iuann Vvart. ciɔ. iɔ. c. Iii. In-12 (1652) de 124 p. plus 2 ff. n. chif. pour les sonnets de M. V. Reliure ancienne, maroquin rouge à compartiments et milieux, dent, intér., dos orné, tranches dorées ; Bel exemplaire de la seconde édition originale. 469. — L’Alcibiade Fancivllo a Scola... Double de 468, relié en veau, dos orné, tranches rouges.- 470. — L’Alcibiade Fanciullo a Scola. — Paris, 1862. 1 volume petit in-8 de 2 f. n. ch ; pour titre et préface, 105 p : plus 2 ff. n. chif., broché, sans couv. impr. Tiré à 110 exemplaires sur papier de Hollande (Ex. no 7) (Paris, imprimerie G. Raçon, pour J. Gay). Texte en italien. Par Ferrante Pallavicini. Destruction ordonnée par jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, inséré au Moniteur du 8 novembre 1865 (Affaire contre Gay et consorts). Le C. d’I*** prétend que cet exemplaire n’est plus à la Bibliothèque Nationale, parce qu’en 1863, le ministère public l’avait pris, et fait ensuite détruire après la condamnation (rapportée ci-dessus). Il n’en est rien, comme on voit. Voir 467, 468 et 469 et une traduction française avec la notice à 471. 471. — Alcibiade enfant à l’école. Traduit pour la première fois de l’italien de Ferrante Pallavicini. Amsterdam, chez l’ancien Pierre Marteau. MDCCCLXVI. 1 volume petit in-8 de xv-124 pages et 2 ff. non numérotés pour les sonnets de M. V. Broché, sans couv. impr. Tiré à 550 exemplaires (Bruxelles, Gay). Précédé d’un Avant-propos. Condamné comme contenant des outrages à la morale publique et religieuse, ainsi qu’aux bonnes mœurs, par jugement du Tribunal correctionnel de Lille, du 6 mai 1868, inséré au Moniteur du 19 septembre suivant (Affaire contre Duquesne). « Alcibiade est un des travaux pour lesquels Gay fut puni, en 1863 ; il le fut à nouveau en 1868, par le Tribunal de Lille. Il ne doit pas être confondu avec l’ouvrage suivant : — Alcibiade enfant, jeune homme, homme fait, vieillard, — en 4 vol. ou parties, in-4o, — Athènes, et se trouve à Paris, 1789, — avec planches. » L’original italien « Alcibiade fanciullo a scola » est mentionné dans le « Dizionario di opere anonime e pseudonime di Scrittori italiani ». L’édition la plus ancienne porte l’indication supposée : Oranges, par Juann Vvart, (1652). La réimpression portant la même date est un petit in-12 de forme un peu allongée. En 1850, un pamphlet in-8 fut publié à Bassano. « Disquisizione intorno il rarissimo libro intitolato Alcibiade fanciullo a scola », par Giamb. Baseggio, qui restitua l’ouvrage à Ferrante Pallavicini. M. G. Brunet, qui traduisit cette dissertation sur l’Alcibiade fanciullo a scola, (Paris, Gay, 1861), a, dans une post-face, écrit, non seulement l’histoire du livre même, mais aussi dressé une liste d’autres ouvrages, et un vaste amas de documents historiques sur le même sujet. Ferrante Pallavicini fut membre de l’Academia des Incogniti, auteur de la Suzanna, des Rete di Vulcano, la Rettorica delle Puttane. Il fut décapité à Avignon, en 1644, à peine âgé de 26 ans ; on pense que son ami Gregorio Leti, dit il Sultanino, auteur du Putanisme de Rome (voir 374), fit imprimer l’Alcibiade à Genève, non en 1652 comme il est indiqué, mais vers 1660. L’Alcibiade fanciullo a scuola est un ouvrage remarquable où le vice socratique est présenté sous des couleurs riantes et poétiques. Voir les éditions en italien à 467, 468, 469, 470. 472. — La | Retorica | delle | Puttane |, composta conforme li precetti | di Cipriano. | Dedicata | Alla Vniversità delle Cortegiane più Celebri. | In Cambrai, 1642 | Con licenza de’ superiori, e privilegio. 1 volume petit in-12 78 ff. n. chif., signés A. G., le cahier G. de 6 f. seulement. Reliure ancienne maroquin rouge, double filet, dos orné, tranches jaspées. Par Ferrante Pallavicini. Voir 2 autres éditions à 473 et 474, et une adaptation française à 62. 473. — La | Rettorica | delle Puttane |, composte conforme li precetti | di | Cipriano. | Dedicata | Alla Università delle Cortegiane più Celebri. | In Cambrai, 1648. Con licenza de’ superiori, e privilegio. 1 volume pet. in-12 de 152 p., Reliure ancienne vélin blanc. Voir 472 et 474. 474. — La | Rettorica | delle | Pvttane, composta conforme li precetti di | Cipriano |. Dedicata | alla Vniversità delle Cortegiane più Celebri. | In Villafranca, MDCLXXIII. 1 volume petit in-12 (Hollande, Elzevier. A la Sphère) de 124 p., relié en chagrin rouge janséniste, filets intérieurs, tête dorée, tranches rouges, signée Simier R. du Roi. Cette édition est la plus recherchée. Ainsi que le fait remarquer Brunet, elle fait généralement partie du recueil intitulé Opere scelte di Ferrante Pallavicino. Les Réimpressions portant in Cambrai sont mal exécutées et de peu de valeur. Voir 472 et 473. 475. — La Guerre des Dieux, poème en dix chants, par Evariste Parny. A Paris, chez Debray, libraire ; au Grand Buffon, rue Saint-Honoré, barrière des Sergens MDCCCVIII. 1 volume in-16 de 132 p. Dérelié. Avec un frontispice non libre et 18 lithographies (au lieu de 19 ; une paraît arrachée et a marqué son empreinte). « Ce poème élégant fit sensation à son apparition sous le Directoire, et le Moniteur Officiel (1er octobre 1799) en rendit compte de la façon la plus élogieuse, en en donnant même de longs extraits. Depuis, ce même journal dut enregistrer plusieurs fois les condamnations encourues par cette production, qui est certainement celle qui a le plus fréquemment été frappée par la justice. » En effet, la destruction a été ordonnée par : 1o Arrêt de la Cour d’assises de la Seine, du 29 décembre 1821 (pas d’insertion au Moniteur) ; 2o Jugement du Tribunal correctionnel de la Seine du 31 mai 1826, condamnant Fuxy-Devaut, colporteur et étalagiste, à un mois de prison et 16 francs d’amende (Moniteur du 6 août 1826) ; 3o Jugement du Tribunal correctionnel de Coutances, du 30 août 1826 (point d’insertion au Moniteur) ; 4o Arrêt de la Cour royale de Paris, du 19 juin 1827 (point d’insertion au Moniteur) ; 5o Jugements du Tribunal correctionnel de la Seine, des 10 et 11 août 1829, condamnant Langlois et Lebailli, libraires à Paris, à un an de prison et 500 francs d’amende (point d’insertion au Moniteur) ; 6o, Arrêt de la Cour d’assises de la Vienne, du 12 décembre 1838, condamnant Clouzot et Antoine et Bertrand Porterie, chacun à 10 francs d’amende (Moniteur du 9 juin 1839) ; 7o Arrêt de la Cour d’assises de la Seine, du 9 août 1842, condamnant Régnier-Becker à six mois de prison et 200 francs d’amende (Moniteur du 15 décembre 1843) ; 8o Arrêt de la même Cour, en date du 23 février 1843, condamnant Louis-François Lemière, à 5 ans de prison et 500 francs d’amende (Moniteur du 15 décembre 1843) ; 9o Arrêt de la Cour d’assises de la Seine-Inférieure, du 8 septembre 1844, condamnant Bon Pierre, colporteur, à 5 ans de prison et 6.000 francs d’amende (Moniteur du 3 décembre 1844) ; 10o Enfin, jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, du 2 juin 1865, inséré au Moniteur du 8 novembre suivant (Affaire contre Gay). De plus, cet ouvrage a été mis à l’index, par mesure de police, en 1825. Malgré ces nombreuses condamnations, le poème de Parny a eu des centaines d’éditions. Inutile d’ajouter que toutes ces éditions sont d’une vente courante, et que l’exemplaire qui nous occupe n’a dû les honneurs de l’Enfer qu’aux figures libres qui y ont été ajoutées. 476. — Les égaremens de Julie. Première [Deuxième, Troisième] Partie. — A Londres, MDCCLXXVI. 3 parties en 1 volume in-12 de 4 ff. préf. n. chif. 91, 93, et 100 p. Reliure ancienne, basane marbrée, dos orné pièces, tranches marbrées. Par Dorat. On a aussi attribué à l’avocat Peirin (Jacques-Antoine-Réné) ce roman licencieux conçu dans le genre de ceux de Crébillon fils. La destruction en a été ordonnée, pour outrages aux bonnes mœurs, par arrêt de la Cour royale de Paris, en date du 5 août 1828, confirmatif d’un jugement du Trib. correct. de la Seine du 22 juillet précédent (pas d’insertion au Moniteur). Enfin, mis à l’index, par mesure de police, en 1825. 477. — Fragmentum Petronii. Texte latin, traduction française et notes, par Jos. Marchena. Nouvelle édition, tirée à 100 exemplaires format petit in-12 et à 20 exemplaires petit in-8. — no 1. — Soleure, 1865. Petit in-12 papier mince, viii-53 p. plus 1 f. de table, 5 p. de notice et 1 f. portant les indications d’édition et la marque de Gay avec cette mention : Bruxelles, Imprimerie de A. Mertens et fils, 1865. et le détail du tirage : 100 exemplaires numérotes, plus 2 sur peau vélin, et 4 sur papier de Chine, plus 20 exemp. in-8o sur Hollande. Le titre de l’édition originale est reproduit : Fragmentum Petronii ex Bibliothecæ Sti Galli antiquissimo mss, excerptum nunc primum in lucem editum. Gallice vertit ac notis perpetuis illustravit Lallemandus S, Theologiæ Doctor, 1800. Cette supercherie qui trompa tout le monde est l’œuvre de Joseph Marchena, Espagnol, né en 1768, à Utrera. Destiné à l’état ecclésiastique, il avait fait de bonnes études. Mais il aimait la philosophie et, pour fuir l’Inquisition, il vint en France, où il fut naturalisé. C’était un très petit homme, à figure de satyre, et qui se croyait aimé des femmes, ce qui ne laissait pas de le rendre ridicule. Il était bon latiniste, et, sans aucun livre, il composa ce fragment excellent pendant l’hiver de 1800, à Bâle, au quartier général de l’armée du Rhin. Il le publia avec de longues notes, et cette publication fit sensation. Plus tard, il réussit moins bien avec des vers supposés de Catulle. Marchena mourut dans la misère, à Madrid, en 1821. 478. — Ode à Priape, par Pyron. Ornée de gravures représentant les sujets de chacune des douze strophes. 1 volume s. l. n. d. de 12 pages, plus 6 planches de gravures (2 par planches). Demi-reliure maroquin rouge, plats marbrés, dos orné, tranches jaspées, signée ; Allô. Bel exemplaire bien complet. Ce texte de l’Ode à Priape porte en tête, au-dessous du titre répété : Air : Du malheureux Lisandre. Voir 479, 480, 481, 482, 483, pour les œuvres de Piron, qu’on trouvera, d’autre part, dans de nombreux recueils collectifs. Des exemplaires d’éditions différentes de celle-ci, introduits clandestinement en France, ont été condamnés à la destruction par jugement du Tribunal correctionnel de la Seine (6e Chambre), en date du 25 juin 1869, inséré au Journal Officiel du 7 mai 1875 (Affaire contre Puissant et consorts). 479. — Œuvres Badines d’Alexis Piron. — A Paris, An VI — 1798. 1 volume in-12 de 178 p. Demi-reliure toile rouge, plats marbrés, ébarbé. Avec 1 frontispice non libre avec ces vers : Il laisse ma tente il me happe, Il m’enlève comme un moineau... Voir aussi 478, 480, 481, 482, 483. Depuis la première édition de ce livre, en 1796, jusqu’en 1872, il en a été fait plus de vingt éditions sur lesquelles on peut consulter l’article de la Bibliographie Gay (t. V, p. 337 et suivantes). Presque toutes ces éditions, plus ou moins expurgées, contiennent des pièces dans lesquelles Piron n’est pour rien. Le recueil, cependant, a toujours porté son nom. Les condamnations suivantes ont été prononcées au sujet de cet ouvrage : 1o Arrêt de la Cour royale de Lyon, du 23 mars 1817 ; outrages aux bonnes mœurs ; destruction ordonnée (point d’insertion au Moniteur) ; 2o Arrêt de la Cour royale de Paris, du 5 janvier 1828 ; même mention que ci-dessus ; 3o Arrêt de la Cour d’assises de la Seine, du 24 novembre 1834 (inséré au Moniteur du 26 juin 1836), condamnant Auguste-Jean, commis-libraire, à 3 mois de prison et 300 francs d’amende, reconnu coupable d’outrages aux bonnes mœurs et à la religion, pour mise en vente dudit ouvrage et d’autres analogues ; 4o Arrêt de la Cour d’assises du Nord, en date du 2 février 1835 (inséré au Moniteur du 7 août suivant), condamnant Artigues, dit Jean Artigues, à un an de prison et 500 francs d’amende. 5o Arrêt de la Cour d’assises de la Vienne, en date du 12 décembre 1835 (inséré au Moniteur du 9 juin 1839), condamnant Clouzot, Antoine et Jean Porterie, chacun à 10 francs d’amende ; 6o Jugement du Tribunal de la Seine, en date du 27 mars 1852, ordonnant la destruction du dit ouvrage (Journal Officiel du 7 mai 1874) ; Et 7o Jugement du Tribunal de Lille, du 6 mai 1868, inséré au Moniteur du 19 septembre suivant, ordonnant la destruction pour outrages à la morale publique et religieuse, ainsi qu’aux bonnes mœurs (Affaire contre Duquesne). 480. — Œuvres Badines d’Alexis Piron. — A Paris, chez tous les marchands de nouveautés, 1800. 1 volume, pet. in-12 de 180 p., broché, couv. de papier violet. Avec le frontispice de l’édition de 1798 (voir 479) mais sans la coquille. Le texte présente des variantes. Voir aussi 478, 479, 481, 482, 483. 481. — Œuvres Badines, de Piron. A Voluptopolis, chez les marchands d’amourettes, 1804. 1 volume in-12 de 142 pages, demi-reliure chagrin rouge, plats papier chagriné, dos orné, tranches dorées. Avec 9 figures libres coloriées au pinceau. Texte différent des éditions précédentes. Voir 478, 479, 480, 482, 483. 482. — Œuvres Badines, de Piron. A Voluptopolis, chez les marchands d’amourettes, 1804. Pet. in-8o carré de 120 p., broché, sans couv. impr., non coupé. Contrefaçon du 481 (ne doit pas être de 1804) sans gravures. 483. — Œuvres Badines, Libres et Erotiques d’Alexis Piron, précédées d’une notice sur sa vie, et d’un essai sur le plaisir. Seule édition complète. — Bruxelles, imprimerie de Walhen et Cie, MDCCCXX. 1 volume in-16 de 180 p. Demi reliure toile rouge, plats marbrés, ébarbé. Avec 11 figures libres in-32, d’un format moitié plus petit que le texte. Édition très complète. Contient l’Ode à Priape et une parodie. Voir 478, 479, 480, 481, 482. 484. — La Berlue. — A Londres, à l’Enseigne du Lynx, MDCCLIX. 1 volume petit in-12 de x-166 p., reliure basane écaille, filet, dent, intér., dos orné, tranches rouges. Par Poinsinet de Sivry. Cet ouvrage, qui a été presque entièrement reproduit dans la Lorgnette Philosophique, de Grimaud de la Reynière, a été poursuivi, à ce qu’affirme le Catalogue Wittersheim. On n’a pas trouvé trace de la condamnation, qui, sans doute, vise une réimpression. Mais, pourquoi diable cet ouvrage est-il en Enfer ? 485. — Quatre Petits Poèmes Libertins. Avec un frontispice sacrilège dessiné et gravé par S. P. Q. R. — Partout et nulle part, l’an de Joie, MDCCCLXIV. 1 volume grand in-8 de iv-79 pages plus 1 f. de table, cartonné papier gris. Tiré à 140 exemplaires ; un des 20 ex. sur papier vergé (Ex. no 118). Avec un frontispice sur Chine volant de Félicien Rops. Note au crayon sur la page de garde : « Par Louis Protat, avoué à la Cour Impériale de Paris. » Contient : 1. — Examen subi par Mlle Flora, signé : Louis Protat. 2. — Le Théâtre de la Nature, signé : Auguste Roussel. 3. — La Messalienne, signé : Marc Constantin. 4. — Le Morpion pèlerin, histoire du temps des croisades, signé : B de Maurice. Une édition de l’Examen de Flora a été condamnée à la destruction par jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, en date du 13 mars 1852 (Affaire contre Langlois). 486. — Serrefesse, Tragédie-Parodie par Louis Pine-a-l’Envers, membre du Caveau, mais avoué près la Cour impériale de Paris. Avec un frontispice fangeux, dessiné et gravé par S. P. Q. R. — Partout et nulle part, l’An de Joie MDCCCLXIV. 1 volume de 4 ff. n. chif. et 87 p. cartonné, papier gris. Tiré à 140 ex., un des 20 gr. in-8o sur vergé teinté (ex. no 132). Avec un frontispice sur chine volant de Félicien Rops, en deux états : noir et (retourné) sanguine. Dédicace : A mon ami Bandeguère, jeu de mots sur Badinguet, (sobriquet de Napoléon III) Louis P. Par Louis Protat. Ex. d’Alfred Bégis, saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. Deux autres exemplaires à 487 et 488. 487. — Serrefesse, Tragédie-Parodie, par Louis Pine-a-l’Envers, membre du Caveau, mais avoué près la Cour impériale de Paris. Avec un frontispice fangeux, dessiné et grave par S. P. Q. R. — Partout et nulle part, l’An de Joie MDCCCLXIV. Double du 486 gr. in-8o (no 122) mais avec le front. en triple état noir, sanguine et (retourné) noir. Ex. d’Alfred Bégis, saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. 488. — Serrefesse, Tragédie-Parodie par Louis Pine-a-l’Envers, membre du Caveau, mais avoué près la Cour impériale de Paris. Avec un frontispice fangeux, dessiné et gravé par S. P. Q. R. — Partout et nulle part, l’An de Joie MDCCCLXIV. Double des 486 et 487, mais tiré pet. in-8o sur vergé (ex. no 82) avec un seul état (noir) du front. de Rops. 489. — Le | premier acte | du synode noct-|tvrne des tribades,| Lemanes, Vnelmanes, Prope-| tides à la ruine des biens, vie, | & honneur de | Calianthe. | « Spoliatis arma supersunt. » | MDCVIII. 1 volume petit in-8 de 85 pages, dont les 4 premières n. chif. et, à la fin, 1 f. blanc, reliure de maroquin rouge, filets et médaillons — marques de la Bibliothèque — frappés à froid sur les plats, dentelles intérieure, titre en long, tête dorée, non rogné. Exemplaire unique. Par Guillaume Reboul. Sur lequel ont été faites les réimpressions. Deux exemplaires d’une réimpression de Gay à 490 et 491. Un exemplaire d’une réimpression faite en 1852, par les « Frères Gébéodé », est coté Z 3, 797 Réserve. Cet ouvrage est une des productions les plus rares de la littérature facétieuse qui fleurissait au xvie siècle et au commencement du xviie siècle, et dans laquelle l’imitation de Rabelais se fait pleinement sentir. La réédition de Gay (Paris, 1862) reproduit fidèlement la préface de celle des Frères Gébéodé (Gustave Brunet et Octave Delepierre (s. l. Londres, 1852). Le Synode nocturne, qui mériterait la réputation du Moyen de Parvenir, est à peine connu. Brunet ne lui consacre que quelques lignes ; Lenglet Dufresnoy (Bibliothèque des Romans, t. II, p. 41) s’est borné à en donner le titre, et Barbier a simplement reproduit, dans son Dictionnaire des Anonymes, no 14609, l’opinion de Prosper Marchand (Dictionnaire, t. II, p. 60), qui a vu dans ce livre, volontairement obscur, une attaque contre l’Église de Genève. L’auteur a conservé l’anonymat, mais il est vraisemblable que c’est Guillaume Reboul qui, dans d’autres productions, telles que les Salmonées (1597) et le Nouveau Panurge, montre la même haine des ministres protestants et le même goût pour le style de Rabelais. « Gens heureux, dit-il, vostre seule foy vous exempte des grifes des plus abominables, sales, vilaines, ordes, infectes, puantes et venimeuses Harpies qui ayent jamais ravi les viandes apprestées et servies sur la table du misérable Planée. Ouy, elle vous en exempte, et davantage elle vous affranchit du hoqueton et de la hallebarde, pourveu, cela s’entend, qu’elle entretienne sans cesse sa ferveur en vous-mesmes. Ce n’est pas tout ; savez-vous mon theme, et sur quel subject je veux donner carrière à vos sens les plus aigus et délicats ? Ne vous mettez pas dans la fantaisie que ce soit sur quelque maheutre engrossement gamoisic, causé par je ne sais quel couillon vermoulu, discratié, et appelant, non ce ne sera pas. N’estimez pas aussi que je vous veuille entretenir de matrices. Bourgeoises charitables entrelardées de Verpes monachales. Nenny, rien moins que tout cela : Ma plume me feroit banqueroute et dédaigneroit de donner ces faicts à la lumière comme incapables de vous et de moy. Je vous ai faict eslever un théâtre sans comparaison bien plus magnificentissime démocritic et cachinnatic, où il vous sera représenté un Synode de deux nations limitrophes et adjoinctes de toutes les plus apparentes et engalochées Tribades d’icelles, Curis acuentes mortalia corda, assistées (d’autant qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul : Væ homini soli) de deux monstres fredons Aphistamistes, ... qualia demeus Ægyptus portenta colit, d’un Bagoas Badelovié et courbatu, d’un vespille citadin, et d’un Maistre Huissier nommé Harpetirade. Ausi omnes immane nefas. Idque en une ville Lemane, sur les occultes machinations prétendues d’une part, et refermées de l’autre, en la personne d’un pauvre diable querant fortune, et belistre d’icelle, nommé Calianthe ; où vous voirez le Deigma de l’intelligence des Lunettiers de Calabre avec le pape Grégoire, leur confédéré, qui fut telle que tous les enfants perdus s’estant rencontrez de hasard en un mesme chemin, ils se perdirent tous perdus ensemble, et fut dict ce temps-là le temps perdu. Et bien, Couillus, Couilletez, Couillards, Couillardes, Couillauds, Couillaudes, Couillatises et Couilletans, est-ce rien cela ? Hem ? Qu’en monopolle-balisez-vous ? est-ce rien ? Ouiy, je vous affie, c’est quelque chose, et des plus superlificoquentieux ; escoutez donc, viedazes, escoutez que dict le paillard : ventre sus ventre, quels trinquenailles, quels gallefretiers !... » Reboul est aussi l’auteur de quelques ouvrages dirigés contre les ministres protestants ; l’un a eux a pour titre : Actes du Synode universel de la Saincte Réformation (A Montpelier, chez le libertin, imprimeur juré de la Saincte Réformation, 1660, in-12). Une grande partie de ce livre est formée d’une suite de harangues prononcées par des personnages odieux et ridicules. À la page 339, on trouve celle d’une dame députée de tout le corps des femmes de religion contre la doctrine de Calvin, doctrine par laquelle toutes les femmes sont des putains. Plus loin, Luther est appelé « prophète de merde », et Reboul cite, à cet égard, les vers suivants : stercora cum parse ducat quocumque Lutherus, Oreque spurciloquo non nisi stercus habet... La Cabale des Reformez est également une suite de harangues burlesques. Le Synode conjugal ou Aloysia Sacra, Paris, an IV, 2 parties, in-18, qui a été, en 1815, l’objet d’une condamnation, n’a aucun rapport avec le Premier acte du Synode nocturne. Ce sont des conférences ou dialogues contre le divorce, dialogues où la Bible, les Pères, et surtout Sanchez sont examinés, dans ce qu’ils ont de plus scabreux. Après avoir parcouru diverses parties de la France en se livrant à son goût pour la polémique, Reboul passa en Italie où l’attendait une triste fin. Il fut mis à mort à Rome, le 25 septembre 1611, en châtiment de la publication de L’apologie pour ceux d’entre les Anglais catholiques qui refusent de prêter le serment d’allégeance, exigé par Jacques premier, en 1606 (Rome, par Reboul, 1611). Lorsque Jacques Ier, dit Peignot, lut cet écrit virulent dans lequel Reboul se vante de passer incessamment en Angleterre pour y exciter un soulèvement contre le Roi et étrangler de ses mains ce tyran, il en attribua la composition au cardinal Duperron ; mais celui-ci en fut justifié par Casaubon, qui, dans Paris même, avait su certainement que la pièce était de Reboul. C’est le Pape qui a ordonné le supplice de l’écrivain, comme coupable d’avoir violé la majesté royale en la personne du roi Jacques. On trouve l’histoire du supplice de Reboul dans les lettres mille cinquante et mille quatre-vingt-dix de Casaubon (Corresp., 1709, in-fol.). Elle lui a été écrite de Venise par un sénateur vénitien. On pourra également consulter Nicéron, t. XXXII, p. 406 ; le Mercure François, t. II, p. 277 ; et d’Artigny, t. I, p. 439. Si le Synode nocturne ne doit sa présence à l’Enfer qu’à quelques mots gaillards, on se demande pourquoi l’on n’y a pas également déposé l’Histoire de Gargantua. Quoi qu’il en soit, répétons que l’auteur de ce livre est un écrivain remarquable, digne de figurer dans les histoires de la littérature. 490. — Le Premier acte du Synode nocturne des Tribades, lemanes, vnelmanes, propetides, à la rvine des biens, vie et honneur de Calianthe. Réimpression collationnée sur l’exemplaire unique existant à la Bibliothèque impériale, à Paris. — Paris, chez Jules Gay, éditeur, Quai des Augustins, 25. — 1862. 1 volume petit in-12 de xii-120 pages, broché, couv. impr. Tiré à 100 ex. sur Hollande (Ex. non numér.) Un autre exemplaire à 491. Voir l’édition originale, avec notre notice, à 489. Une première réimpression avait été faite à Londres, en 1852, à 60 exemplaires, par G. Brunet et O. Delepierre. C’est la dernière réimpression, qui a été visée par le jugement du Tribunal de la Seine du 22 mai 1863, inséré au Moniteur du 8 novembre 1865, et qui en a ordonné la destruction, pour outrages à la morale publique et aux bonnes mœurs (Affaire contre Gay et consorts). 491. — Le premier acte du Synode nocturne des Tribades... Double du 490, broché, couv. impr. (Ex. no 7). 492. — L’Antijustine, ou Les Délices de l’Amour, par M. Linguet, av. au et en Parlem. « Casta placent Superis. — Manibus puris sumite [cunnos]. » Avec LX figures. Première [Seconde] Partie. [Fleuron : une tête de faune couronnée de pampres et de feuillage]. — Au Palais — Royal, chez feue la Veuve Girouard, très-connue, 1798. Le cunnos de l’épigraphe est entre []. Par Restif de la Bretonne. 2 tomes in-12 remontés in-8o en 1 vol. de (204) 252 p. dont 3 ff. n. chif. (195 à 200), à la fin 35 p. non numérotées (145 à 180). Reliure ancienne, veau marbré, dentelles sur les plats, armes royales de France recto-verso, dent, intér., dos orné chiffré d’L couronnées, pièce, tranches marbrées. Au dos, on lit : L’Antijustine. Avec 3 fig. rajoutées. Deux d’entre elles (très obscènes) sont les dessins originaux ; les nos xv et xxi de la table dressée par Restif. Les feuillets ont été remmargés soigneusement dans des feuilles de format petit in-8o. Deux feuilles, soit 36 pages (145 à 180), ajoutées à la suite de la première partie, sont des épreuves d’imprimerie qui comportent des corrections typographiques qui sont de la main même de Restif. Les feuillets n. ch. (195 à 200) contiennent une table très détaillée de trente-huit des soixante figures que souhaitait Restif. Ce vol. contient deux parties. La première va jusqu’à la page 204. La seconde commence à la page 207 et finit, au milieu d’une phrase, à la page 252 : l’ouvrage n’a pas été terminé. D’après l’auteur, cet ouvrage, non moins licencieux que la Justine, était destiné à empêcher les hommes d’avoir recours à la barbarie (sic) dans leurs rapports avec les femmes. Cet exemplaire est unique, il comprend deux dessins originaux obscènes (p. 56 et 82), portant les nos 15 et 21, et une gravure décente de Binet (p. 252), qui n’a pas rapport au sujet. Cet exemplaire comprend, en outre, 38 ff. encartés avec volets vides et destinés à recevoir des gravures. Ces feuillets sont presque tous protégés par un papier de soie. Au verso du faux-titre on lit cette note manuscrite : « Cet ouvrage extrêmement licencieux est de Restif la Bretonne, et cet exemplaire, peut-être unique, est précieux en ce qu’il contient des dessins originaux et deux feuilles en épreuves corrigées de la main même de l’auteur. « M. de Palmézeaux, éditeur d’une Histoire des campagnes de Maria ou Episodes de la vie d’une jolie femme, ouvrage posthume de Restif de la Bretonne, 3 vol. in-12, annonce, page 36 du premier, que Restif de la Bretonne avait composé une Antijustine, mais que son intention avait été de ne la point imprimer et de la supprimer. « L’annonce n’est donc pas exacte et l’existence de cet exemplaire en est la preuve. L’ouvrage, à la vérité, n’est pas complet ; mais il paraît à peu près certain, d’après les recherches qui ont été faites à ce sujet, qu’il n’y a eu d’imprimé de l’Anti-Justine que ce que contient ce volume-ci, et qu’il n’y a pas eu non plus d’autres dessins de faits que ce qu’il renferme. « On sait que Restif de la Bretonne a imprimé lui-même plusieurs de ses ouvrages, et vraisemblablement celui-ci est du nombre. » Restif attribue l’ouvrage à Jean-Pierre Linguet, et Monselet remarque que celui-ci s’appelait Simon-Nicolas-Henri. Le premier dessin, à l’encre de Chine, représente un homme débraillé, au phalle gigantesque. Ce personnage coupe le cou à une morte nue. La scène se passe dans une chambre. Il y a des rideaux et l’on aperçoit la fenêtre. Le deuxième, aussi à l’encre de Chine, représente une salle d’hôpital. Un homme étendu sur un lit montre un phalle gigantesque et pustuleux à un jeune homme à l’air effrayé, assis auprès du lit. Au-dessus du lit est suspendu un cadre où l’on voit, couchée, une femme nue. Au fond sont couchés trois malades ou trois cadavres. Ces deux images sont intercalées dans la Première partie. À la fin de la seconde partie on a intercalé une gravure de Binet. Au fond, une porte s’entr’ouvre, on aperçoit à peine un homme en robe de chambre qui passe la tête. Au premier plan, une jolie fille, en robe à panier, avec un tablier, coiffé d’un bonnet, chaussée de souliers à haut talon, la gorge provoquante et décolletée, la taille très fine, semble repousser en riant les propositions d’une dame d’âge mûr, robe à falbalas, double menton, yeux égrillards, qui tente de la persuader. Cet exemplaire se trouvait, vers 1860, dans la Bibliothèque du comte de La Bedoyère. Outre les exemplaires complets ou incomplets qui figurent à l’Enfer de la Bibliothèque Nationale (voir 196, 493, 494, 495, 496), on n’a signalé qu’un autre exemplaire de l’Anti-Justine, en demi-reliure, mais non rogné, qui, après avoir appartenu à M. Armand Cigongnes, fut compris dans la vente de ses livres au duc d’Aumale, et fut cédé à un riche Anglais demeurant à Paris (sans doute, M. Henkey), qui l’acquit pour 2.000 francs. Cet exemplaire est aujourd’hui aux États-Unis. M. B. de Villeneuve dit — « Il faut constater... que ces trois exemplaires incomplets, qui sont conservés dans l’Enfer de la Bibliothèque nationale, proviennent de la saisie opérée en 1803, chez les libraires du Palais-Royal et dans les maisons de prostitution, par ordre exprès du Premier Consul, qui décida que deux exemplaires de chaque ouvrage libre resteraient déposés, et sous clef, à la Bibliothèque... et que tous les autres seraient détruits et mis au pilori. Ce sont les trois ex. : nos 494, 495, 496). » Il y a de l’Anti-Justine (1863, 2 vol. in-16) une réimpression tronquée en 2 vol. in-12, ornée de mauvaises lithographies, où l’on a falsifié et même supprimé les passages impies du livre. On a aussi donné en 1864, une réimpression sans suppressions, et parmi d’autres réimpressions récentes il y en a une, conforme à l’édition de 1798 (Imprimerie Edwards Keene and Co London), pleine de fautes d’impression (pet. in-8o de 395 pages, couv. imprimée). Celui qui a lu Monsieur Nicolas n’a point de peine à retrouver dans l’Anti-Justine un supplément à cet ouvrage, supplément délirant et d’une obscénité inouïe. C’est un livre unique, le plus fou, le plus étonnant et le plus écœurant qui soit. Rien de plus triste que cette production où les beautés ne manquent point, mais qui témoigne d’un cerveau déréglé, d’une imagination insensée. La réimpression moderne orthographie Guac le nom d’un personnage de l’Anti-Justine, travestissant et rendant méconnaissable un des anagrammes les plus faciles à deviner dans ce livre. L’exemplaire de 1789 porte Guaé, ce qui est évidemment l’anagramme d’Augé, le misérable gendre de Restif qui essaya de perdre son beau-père. 493. — L’Antijustine... Double du 492, mais in-12 broché. Exemplaire non rogné, format primitif, manquent la feuille E et la fin, c’est-à-dire que la 2e partie s’arrête à la page 252. Sans figures ainsi que les suivants. 494. — L’Antijustine... Double des 492 et 493, in-12 broché. Non rogné. Incomplet. Manquent les pages 97 à 108 inclus, 145 à 180 inclus et la fin (252). 495. — L’Antijustine... Double des 492, 493, 494, in-12 broché. Non rogné. Incomplet. Manquent les pages 73 à 132 et la fin (252 pages). 496. — L’Anti-Justine, ou Les Délices de l’Amour, par Rétif de la Bretonne. Nouvelle édition sans suppressions, conforme à celle originale de 1798. « Casta placent superis : manibus puris sumite cunnos. » — 1798-1864. 1 volume in-12 s. l. n. d. (Poulet-Malassis), de viii-260 pages, broché, sans couv. impr. Papier de Hollande. Avec 5 figures libres sur Chine monté. Une 6e gravure manque. Voir 196, 492 (avec notre notice), 493, 494, 495. 497. — Œuvres Badines de Robbé de Beauveset. Tome Premier [Second]. A Londres, 1801. 2 tomes en 1 volume in-18 de 200 et 190 pages, plus 2 ff. de table n. chif. au second tome ; reliure basane jaspée, dos orné pièces, tranche jaune. Le Débauché Converti et les pièces les plus libres de Robbé ne sont pas dans ce recueil. 498. — Les Quarts-d’Heures d’un joyeux solitaire, ou Contes de M***. Castum esse decet... Poëtam Ipsum, versiculos nihil necesse est. Ipsum, versiculos nihil necesCatull. A la Haye, M. DCC. LXVI. 1 volume petit in-8 de 52 pages plus 1 f. n. ch. de table. Relié avec le 499. Demi-reliure empire veau vert, plats marbrés, tranches jaspées. Voici ce que dit, à propos de ce Recueil, M. Ad. Van Bever (Contes et Conteurs gaillards du XVIIIe, siècle, Paris, Daragon, 1906) : « Attribué successivement à l’abbé de la Marre, poète famélique auquel on doit l’Ennui d’un quart d’heure (Paris, Rollin, 1736, in-8o), et, sur l’opinion de Viollet le Duc, à Félix Nogaret, ce recueil qui s’ouvre sur une pièce de L. Sabatier de Castres : Conte qui n’en est pas un, n’en demeure pas moins anonyme. C’est une débauche... qui semble refuser toute paternité poétique... Cet ouvrage fut réimprimé de nos jours à Bruxelles, pour Henry Kistemaeckers (1882, in-8o). Il contient une quinzaine de contes dont le ton libertin nargue et désarme toute pudeur. » 499. — Mes Souvenirs, ou Recueil de Poésies Fugitives de Hoffmann. « Beatus ille qui procul negotiis. Horace. » — A Paris, chez Huet, libraire, rue Vivienne, no 8 ; Charron, libraire, passage Feydeau. An 10. 1 volume petit in-8 de 140 p. Relié avec le 498, et ne se trouvant à l’Enfer que pour cette raison. Bibliographie anecdotique et raisonnée de tous les ouvrages d’Andréa de Nerciat, par M. de C***, bibliophile anglais, édition ornée du portrait inédit de Nerciat gravé d’après l’original appartenant à M. B. de Paris. — Londres, Job Alex. Hooggs, éditeurs-libraires, Burlington Arcade et se trouv. à Paris, à Bruxelles et à Stuttgart, 1876. Ce fut pendant peu de temps la raison sociale de ce qui avait été la librairie Lehec et le redevint bientôt. C’est l’attribution de cette pièce, réimprimée sous la signature de Sabatier de Castres dans les Etrennes du Parnasse (Paris, Fetil, 1782), et ensuite anonymement dans les Contes Théologiques, qui a permis sans doute à certains bibliographes d’affirmer que L. Sabatier de Castres est l’« auteur des Quarts d’heures d’un joyeux solitaire ».
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/183
{{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0328|328}}. — '''Histoire de Dom B***'''. ''Portier des Chartreux, écrite par lui-même''. — A Francfort, chez J.J. Trotener, imprimeur-libraire, aux Cigognes. MDCCXLVIII.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume in-8 de 288 pages. Avec 1 frontispice et 20 figures libres. Reliure ancienne, maroquin rouge, triple filet, dent, intér., dos orné pièce verte, tranches dorées. C’est le plus bel exemplaire de cet ouvrage. Note au crayon sur le titre : ''Exemplaire de J. L. Hubaud''. Voir {{lia|4|c0326|326|182}} (avec notre notice), {{lia|4|c0327|327|183}}, {{lia|4|c0326|326|182}}, {{lia|4|c0330|330-331|183}} {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0329|329}}. — '''Histoire de Dom B***''', ''Portier des Chartreux, écrite par lui-même''. Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée, sous les yeux du Saint-Père. Avec vingt-une figures en taille-douce. Première [Seconde] Partie. — A Rome, aux dépens des Chartreux. MDCCLXXVII.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 2 parties en 1 volume {{in-8°}} de 115 p., demi-reliure basane violette, dos plat, plats papier marbre. Onze figures manquent sur 21 annoncées. Voir {{lia|4|c0326|326|182}} (avec notre notice), {{lia|4|c0327|327|183}}, {{lia|4|c0328|328|183}}, {{lia|4|c0330|330-331|183}} {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0330|330-331}}-331. — '''Mémoires de Saturnin''', ''écrits par lui-même''. Nouvelle édition, corrigée et augmentée, avec Figures. Première [Seconde] Partie. — A Londres. MDCCLXXXVII.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 2 volumes (Cazin) in-18, de 235 et 151 p., reliure ancienne, veau marbré vert, triple filet, dentelles intér., dos sans nerfs orné pièces, tranches dorées. Avec 24 figures libres : 13 au tome I{{er}} et 11 au second. C’est toujours ''Le Portier des Chartreux''. C’est l’édition qui contient les plus jolies gravures libres. Ex. d’Alfred Bégis, saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. Voir : ''Histoire de Dom B***'' (même ouvrage), aux n{{os}} {{lia|4|c0326|326|182}} (avec notre notice), {{lia|4|c0327|327|183}}, {{lia|4|c0328|328|183}}, {{lia|4|c0329|329|183}} <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/176
Le second volume n’a pas de titre, le titre de départ porte : (''Le Nouvel Enfant de la Goguette''), et le faux titre porte : ''Supplément aux Chansons de P. Emile Debraux''. Note manuscrite sur le dos du premier volume ; {{brn|1}} {{g|<poem>Ce livre est à moi Com paris est au roi. J’estime mon livre Comme le roi estime paris.</poem>|8}} {{brn|1}} Le premier volume contient 19 chansons, et le second 24. À la fin du deuxième volume : ''de l’imprimerie de F, P. Hardy, rue Saint-Méderic'', 44. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0311|311}}. — '''Un point curieux des mœurs privées de la Grèce'''. « Flagitii principium est nudare inter cives corpora. ({{sc|Ennius}}, cité par Cicero). » — Paris, J. Gay, 1861.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume in-18 de 29 pages. Broché, couv. impr. Tiré à 245 exemplaires numérotés, tous sur Hollande, dit le verso du faux titre. (Ex. non numér. et sur papier ordinaire). Notice relative au sujet de l’''Alcibiade Fanciullo''. Par Octave Delepierre. Voir un autre exemplaire à {{lia|4|c0312|312|176}}. {{brn|2}} {{ancre+|c0312|312}}. — '''Un point curieux des mœurs privées de la Grèce'''. « Flagitii principium est nudare inter cives corpora. ({{sc|Ennius}}, cité par Cicero). » — Paris, J. Gay, 1861. {{brn|1}} Double, sur grand papier de Hollande, du {{lia|4|c0311|311|176}}. (Ex. {{n°|72}}). {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0313|313}}. — '''Dictionnaire érotique moderne''', par {{sc|un professeur de langue verte}}. — Freetown, imprimerie de la Bibliomaniac Society, 1864.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume pet. in-12 de {{sc|x}}-319 pages (Bruxelles, J. Gay, éditeur, imprimé chez Mertens), avec un frontispice de Félicien Rops. <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/206
''{{tiret2|conver|sion}}'', citant le titre, donnant le plan, reproduisant des passages, notant les progrès de son ouvrage. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0395|395-396}}. — '''Le libertin de qualité''', ou '''Ma Conversion''', par {{sc|Le Comte de Mirabeau}}. Avec figures en taille douce. Nouvelle édition. Tome premier [Second]. — A Paris, 1801.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 2 tomes en 1 volume in-18 de 139 et 142 pages, avec 7 lithos libres. Le frontispice du tome II a été arraché. Demi-reliure toile chagrinée ; plats papier gaufré ; ébarbé. (Les Bibliographies annoncent 12 lithos, pour cette réimpression, faite en 1830). Sans la ''Lettre à Satan''. Voir {{lia|4|c0394|394|205}}, avec notre notice, et {{lia|4|c0397|397|206}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0397|397}}. — '''Le libertin de qualité''', ou '''Ma Conversion''', par M. D. R. C. D. M. F. (M. de Riquetti, comte de Mirabeau fils). Edition revue sur celle originale de 1783. — Londres, 1783-1866.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume in-18, de {{sc|iii}} 254 p. sur papier de Hollande cartonné, sans couverture (Bruxelles, Poulet-Malassis), avec 1 frontispice et 4 figures libres gravées sur acier (extraites de la ''Vie Privée''... (voir {{lia|8|c0795|795|380}}), moins la dernière). Voir {{lia|4|c0394|394|205}}, avec notre notice, et {{lia|4|c0395|395-396|206}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0398|398}}. — '''Œuvres Posthumes et Facéties de Mirabeau le Jeune'''. Deuxième édition. — A Paris, chez Vincent, imprimeur, rue des Jeûneurs, {{n°|1625}}. — An VIII.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume pet. in-12 de 2 ff. n. chif. (titre et table) et 120 p., demi-reliure, chagrin rouge, plats marbrés, dos orné, tranches, jaunes, avec 1 frontispice non libre. « Réimpression textuelle du Recueil de Pajon : ''Contes nouveaux et nouvelles nouvelles'', Anvers, 1753 » (Quérard). L’attribution à Mirabeau est une supercherie de l’Éditeur. <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/182
{{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0326|326}}. — '''Histoire de Dom B***''', ''portier des Chartreux. Ecrite par lui-même''. Avec Figures. — A Rome, chez Philotanus, imprimeur.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 4 volume s. d. {{in-8°}} de 318 pages (vers 1745), avec 16 gravures libres et 2 non libres (deux planches sont pliantes). (Le C. d’I***, en annonce 23 et les attribue à Caylus, ainsi que Drujon, qui parle de 26 gravures). Par Gervaise de Latouche, avocat. Dom Bougre désignerait le célèbre abbé Desfontaines. Reliure ancienne maroquin grenat, plats encadrés aux petits fers, dent, intér., dos orné pièce, tranches dorées. La pièce du dos porte ce titre édifiant : ''Heures de Paris''. Cette reliure est signée ''Derôme''. Ex. d’Alfred Bégis, saisi à son domicile et déposé à la bibliothèque en 1866. Le manuscrit se trouve à la Bibliothèque de l’Arsenal. Voir {{lia|4|c0327|327|182}}, {{lia|4|c0328|328|183}}, {{lia|4|c0329|329|183}}, {{lia|4|c0330|330-331|183}}, diverses éditions. Ouvrage condamné à la destruction pour outrages aux bonnes mœurs et à la morale publique et religieuse : {{1o}} Sous le titre de : ''Mémoires de Saturnin'', par arrêt de la Cour royale de Paris, du 29 décembre 1821 (pas d’insertion au ''Moniteur'') ; par arrêt de la même Cour (Chambre des mises en accusation), en date du 28 juin 1825 (pas d’insertion au ''Moniteur'') ; puis, par jugement du Tribunal correctionnel de Marennes, en date du 20 décembre 1865, condamnant, en outre, le colporteur Marie-Jean-Achille Régnault à 100 francs d’amende (''Journal officiel'' du 7 mai 1874) ; {{2o}} Sous le titre de : ''Portier des Chartreux'', par jugement du Tribunal correctionnel de Lille, en date du 6 mai 1868, inséré au ''Moniteur'' du 19 septembre suivant (Affaire contre Duquesne). {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0327|327}}. — '''Histoire de Dom B***''', ''Portier des Chartreux''.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume, double du n{{e|o}} {{lia|4|c0326|326|182}}. Reliure basane brune, dos orné pièce, tranche rouge. Le titre manque. L’exemplaire est complet des planches bien que celles-ci soient mal placées. On en a même ajouté deux « analogues au sujet », comme disaient nos pères, ce qui porte à 20 le nombre total des planches. Voir {{lia|4|c0326|326|182}}, avec notre notice, {{lia|4|c0328|328|183}}, {{lia|4|c0329|329|183}}, {{lia|4|c0330|330-331|183}} <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/198
{{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0377|377}}. — '''Priapées de Maynard''', ''publiées pour la première fois d’après les manuscrits, et suivies de quelques pièces analogues du même auteur, extraites de différents recueils''. — Freetown, imprimerie de la Bibliomaniac Society, 1864.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume petit in-12 de 69 pages plus 1 f. n. chif. de table, broché, sans couv. impr. Papier de Hollande. (Bruxelles, Gay). Tiré à 506 exemplaires. Un autre exemplaire à {{lia|4|c0378|378|198}}. Ouvrage condamné à la destruction par jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, du 2 juin 1865, inséré au ''Moniteur'' du 8 novembre suivant (Affaire contre Gay). {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0378|378}}. — '''Priapées de Maynard''', ''publiées pour la première fois d’après les manuscrits, et suivies de quelques pièces analogues du même auteur, extraites de différents recueils''. — Freetown, imprimerie de la Bibliomaniac Society, 1864.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} Double du {{lia|4|c0378|378|198}}. Broché, sans couv. imp. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0379|379-380-381}}. — '''Folies de la Jeunesse de sir S. Peters Talassa-Aitheï'''. « Omnia vincit amor, et nos cedamus amori. » — A Londres, 1777. Il n’y a eu que quinze exemplaires imprimés de cet ouvrage.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 3 vol. in-12, papier fort. Tiré à 15 exemplaires. Vol.1 : Sur le recto de la feuille suivante on lit le faux-titre : {{sc|Espiègleries, joyeusetés, bons mots, folies, des vanités}}. Au verso se trouve un {{sc|Envoi}} : {|align="center" width="60%" |A||{{Mr}}||style="text-align:center"|I||style="text-align:left"|I||N||||||||||P |- |||||D||B||||||||||L|| |- |A||C||||&nbsp;&nbsp;&nbsp;D||||L|||||||| |- |||||L||&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;G|||||||||||| |} {{brn|1}} Cet envoi, en douze vers, est suivi sur l’autre page de Réflexions préliminaires. Soit un feuillet de titre et {{sc|vi}} pages, puis vient une <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/190
{{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0349|349}}. — '''Les amours libertines de religieuses du Couvent des Carmélites''', par {{sc|Lebrun}}. Prix : 60 centimes. — Bruxelles, Joostens, imprimeur-libraire-éditeur, 24, Quai Mariemont, 1861.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume in-18 de 75 pages, broché, couv. imp. Un autre exemplaire à {{lia|4|c0350|350|190}}. Voir notre notice sur les productions de Lebrun à {{lia|4|c0347|347|189}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0350|350}}. — '''Les amours libertines de religieuses du Couvent des Carmélites''', par {{sc|Lebrun}}. Prix : 60 centimes. — Bruxelles, Joostens, imprimeur-libraire-éditeur, 24, Quai Mariemont, 1861.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} Double du {{lia|4|c0349|349|190}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0351|351}}. — '''Les Aventures Galantes d’une Prostituée de la Haute Société''', par {{sc|Lebrun}}. Prix : 60 centimes. — Bruxelles, J.-A. Joostens, imprimeur-éditeur, libraire 18, Boulevard de l’Abattoir, 1859.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume in-18, 26 ps. broché, couv. imp. La couv. porte : ''La femme publique, les Amants de deux jolies femmes et les aventures galantes se rapportent à la même personne''. Voir à {{lia|4|c0347|347|189}} notre notice sur Lebrun. La destruction de cet écrit a été ordonnée à Paris, le 12 mai 1865. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0352|352}}. — '''Confessions de Courtisanes''', ''avec la remise moyennant argent de leur péchés incestes'' [''sic''], ''selon le tarif du Pape Léon XIII'', par {{sc|Lebrun}}. Prix : 60 centimes. — Bruxelles, Joostens, imprimeur-libraire-éditeur, 5, rue du Billard, 1862.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume in-18 de 95 p., broché, couv. impr. Imprimé sur papier jaune. Voir à {{lia|4|c0347|347|189}} notre notice sur Lebrun. <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/230
{{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0472|472}}. — '''La''' <nowiki>|</nowiki> '''Retorica''' <nowiki>|</nowiki> '''delle''' <nowiki>|</nowiki> '''Puttane''' <nowiki>|</nowiki>, ''composta conforme li precetti'' <nowiki>|</nowiki> ''di Cipriano''. <nowiki>|</nowiki> Dedicata <nowiki>|</nowiki> Alla Vniversità delle Cortegiane più Celebri. <nowiki>|</nowiki> In Cambrai, 1642 <nowiki>|</nowiki> Con licenza de’ superiori, e privilegio.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume petit in-12 78 ff. n. chif., signés A. G., le cahier G. de 6 f. seulement. Reliure ancienne maroquin rouge, double filet, dos orné, tranches jaspées. Par Ferrante Pallavicini. Voir 2 autres éditions à {{lia|5|c0473|473|230}} et {{lia|5|c0474|474|230}}, et une adaptation française à {{lia|1|c0062|62|55}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0473|473}}. — '''La''' <nowiki>|</nowiki> '''Rettorica''' <nowiki>|</nowiki> '''delle Puttane''' <nowiki>|</nowiki>, ''composte conforme li precetti'' <nowiki>|</nowiki> ''di'' <nowiki>|</nowiki> ''Cipriano''. <nowiki>|</nowiki> Dedicata <nowiki>|</nowiki> Alla Università delle Cortegiane più Celebri. <nowiki>|</nowiki> In Cambrai, 1648. Con licenza de’ superiori, e privilegio.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume pet. in-12 de 152 p., Reliure ancienne vélin blanc. Voir {{lia|5|c0472|472|230}} et {{lia|5|c0474|474|230}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0474|474}}. — '''La''' <nowiki>|</nowiki> '''Rettorica''' <nowiki>|</nowiki> '''delle''' <nowiki>|</nowiki> '''Pvttane''', ''composta conforme li precetti di'' <nowiki>|</nowiki> ''Cipriano'' <nowiki>|</nowiki>. Dedicata <nowiki>|</nowiki> alla Vniversità delle Cortegiane più Celebri. <nowiki>|</nowiki> In Villafranca, MDCLXXIII.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume petit in-12 (Hollande, Elzevier. A la Sphère) de 124 p., relié en chagrin rouge janséniste, filets intérieurs, tête dorée, tranches rouges, signée ''Simier R. du Roi''. Cette édition est la plus recherchée. Ainsi que le fait remarquer Brunet, elle fait généralement partie du recueil intitulé ''Opere scelte di Ferrante Pallavicino''. Les Réimpressions portant ''in Cambrai'' sont mal exécutées et de peu de valeur. Voir {{lia|5|c0472|472|230}} et {{lia|5|c0473|473|230}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0475|475}}. — '''La Guerre des Dieux''', ''poème en dix chants'', par {{sc|Evariste Parny}}. A Paris, chez Debray, libraire ; au Grand Buffon, rue Saint-Honoré, barrière des Sergens MDCCCVIII.|110}}|1.5|-1.5}} <references/>
Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres/Lieux/G
Charles de Foucauld Dictionnaire abrégé touareg-français de noms propres Texte établi par André Basset, Larose Éditeurs, 1940 (p. 59-86). ◄ F ⴼ H ⵂ ► G ⴳ, Ġ ⴶ dictionaryDictionnaire abrégé touareg-français de noms propresCharles de FoucauldLarose Éditeurs1940ParisVG ⴳ, Ġ ⴶFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvuFoucauld, Dictionnaire Touareg Noms Propres.djvu/359-86 ⴶ iġġi ⴶⵉ nc. sm. (pl. iġġîten), daṛ iġġîten ‖ lieu élevé. Touġġ-esselâm ⵜⴶⵙⵍⵎ ⁂ (« elle est au-dessus du salut ») fs. ‖ mont ‖ Ṛâr. Touġġ-ikallen ⵜⴶⴾⵍⵏ ⁂ (« elle est au-dessus des pays ») fs. ‖ mont ‖ entre Ăġr. et Ăhn. Touġġ-ikallen ⵜⴶⴾⵍⵏ ⁂ (« elle est au-dessus des pays ») fs. ‖ mont ‖ Ăt. Touġġ-ikallen ⵜⴶⴾⵍⵏ ⁂ (« elle est au-dessus des pays ») fs. ‖ mont ‖ entre Ăh. et Ăj. Ouġġîṛ-âman ⴶⵗⵎⵏ ⁂ (« je suis au-dessus des eaux ») ms. ‖ mont ‖ entre Ăh. et Ăir. ⴶ Têġé ⵜⴶⵉ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Tăh. Tâġit ⵜⴶⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăd. Âġou ⴶⵓ ⁂ ms. ‖ vallée ; mont ‖ Oua-h. Âġou ⴶⵓ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ănh. ⴳ Ăgg-Ĕdda ‖ v. ⵓ. ⴶⴱⵔ Tăġîbart ⵜⴶⴱⵔ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ point d’eau (ăġ. =) (vallée de Tédeṛné) ‖ entre Ăd. et Niger. ⴳⴱⵔ Goûber ⴳⴱⵔ ⁂ ms. ‖ région (à l’Ouest du Damergou) ‖ Soudan. ⴶⴱⵙ Tăseġbest ⵜⵙⴶⴱⵙ⵿ⵜ ⁂ (« petit jupon de dessous ») fs. ‖ mont ‖ Ăj. ⴳⵛ I-n-ăgech ⵏⴳⵛ ⁂ ms. ‖ vallée ; point d’eau (ăb. 🚰 = γ) ‖ Ăd. Tigachiouîn ⵜⴳⵛⵓⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tgachiouîn ‖ vallée ‖ Ăd. ⴳⵛⴾ Ti-n-gechîka ⵜⵏ⵿ⴳⵛⴾⴰ ⁂ fs. ‖ monts ‖ Ăj. ⴳⴷ Ougdâden ⴳⴷⴷⵏ ⁂ (√ ⴳⴷ ougdou « être égal ») mp. (ms. Ougdad) ‖ monts ; vallées ‖ Ăhn. ⴳⴷ Tiggad-en-tĕṛlamt ⵜⴳⴷⵏ⵿ⵜⵗⵍⵎ⵿ⵜ ⁂ (« sauts de la chamelle de selle ») fp. ; daṛ Tiggad-en-tĕṛlamt ‖ lieu ‖ Imm. ⴶⴷ éġêdé ⴶⴷⵉ nc. sm. φ (pl. iġîdân), daṛ ăġêdé (ĕġêdé), daṛ ġîdân ‖ dune de sable ; massif de dunes de sable. téġêdit ⵜⴶⴷⵜ nc. sf. φ (pl. tiġoûda), daṛ tăġêdit (tĕġêdit), daṛ tġoûda (ġoûda) ‖ petite dune de sable ; massif de petites dunes de sable. Téġêdit ⵜⴶⴷⵜ ⁂ (« petite dune de sable ») fs. φ ; daṛ Tăġêdit (Tĕġêdit) ‖ point d’eau (ăb. 🚰 = δ) ‖ Ăt. ă-s. Oua-n-ăġêdé ⵓⵏⴶⴷⵉ ⁂ (« celui de la dune de sable ») ms. ‖ vallée ‖ Ăhn. Ta-n-ăġêdé ⵜⵏⴶⴷⵉ ⁂ (« celle de la dune de sable ») fs. ‖ point d’eau (source 🚰 ∞ β) (vallée d’Émihrou) ‖ Ăj. Oua-n-tăġêdit ⵓⵏ⵿ⵜⴶⴷⵜ ⁂ (« celui de la petite dune de sable ») ms. ‖ point d’eau ‖ entre Ăh. et Ăir. I-n-tăġêdit ⵏ⵿ⵜⴶⴷⵜ ⁂ (« un de la petite dune de sable ») ms. ‖ vallée ‖ Ăd. I-n-tăġêdit ⵏ⵿ⵜⴶⴷⵜ ⁂ (« un de la petite dune de sable ») ms. ‖ vallée ‖ entre Ăir et Ăd. Ti-n-tăġêdit ⵜⵏ⵿ⵜⴶⴷⵜ ⁂ (« une de la petite dune de sable ») fs. ‖ lieu ; monts ‖ Ăhn. Téġêdit-n-Elk̤asen ⵜⴶⴷⵜⵏⵍⵆⵙⵏ ⁂ (« petite dune de sable d’Elk̤asen ») fs. φ ; daṛ Tăġêdit (Tĕġêdit)-n-Elk̤asen ‖ dunes ‖ Ăhn. ‖ Elk̤asen est un np. d’hom. Tiġoûda ⵜⴶⴷⴰ ⁂ (« les petites dunes de sable ») fp. φ ; daṛ Tġoûda (Ġoûda) ‖ vallée ; point d’eau ‖ entre Ăh. et Ăir. Oua-n-tġoûda ⵓⵏ⵿ⵜⴶⴷⴰ ⁂ (« celui des petites dunes de sable ») ms. ‖ vallée ‖ entre Ăh. et Ăir. Ăouġêdit ⵓⴶⴷⵜ ⁂ ms. ‖ mont ‖ entre Ăh. et Ăj. ⴶⴷ tăġidda ⵜⴶⴷⴰ nc. sf. φ (pl. tiġiddaouîn), daṛ tġiddaouîn ‖ petit creux naturel dans le rocher, en forme de bassin, où l’eau de pluie s’amasse et se conserve. tăgidda ⵜⴳⴷⴰ nc. sf. φ (pl. tigiddaouîn), daṛ tgiddaouîn ‖ m. s. q. le pr. ‖ peu us. Tăġidda ⵜⴶⴷⴰ ⁂ (« petit creux naturel dans le rocher ») fs. ‖ village ‖ Ăir. Tăġidda-n-ĕdrar ⵜⴶⴷⵏⴷⵔⵔ ⁂ (« petit creux naturel dans le rocher de la montagne ») fs. ‖ point d’eau ‖ entre Ăir et Ăzaouaṛ. ⴶⴷ Tiġêdîn ⵜⴶⴷⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tġêdîn ‖ vallée ‖ Oua-h. ⴳⴷ Ăgg-Ĕdda ‖ v. ⵓ. ⴳⴷⴷ Ougdâden ‖ v. ⴳⴷ. ⴶⴷⵂ Éġedeh ⴶⴷⵂ (Égedez ⴳⴷⵣ (Ăir)) ⁂ (√ ⴳⴷⵣ egdez « visiter (faire une visite à) » (Ăir)) ms. φ ; daṛ Ăġedeh (Ĕġedeh) ‖ Agadès (ville) ‖ Ăir. ⴶⴷⵍ Tăseġdelt ⵜⵙⴶⴷⵍ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Oua-h. Ăsseġedal ⵙⴶⴷⵍ ⁂ ms. ‖ vallée ; point d’eau (ăġ. 🚰 ∞ β) (vallée d’Émihrou) ‖ Ăj. Imeġidalen ⵎⴶⴷⵍⵏ ⁂ mp. φ (ms. Ămeġidal), daṛ Meġidalen ‖ vallées ‖ Ăj. ⴶⴷⵍ Iġdâlen ⴶⴷⵍⵏ (Igdâlen ⴳⴷⵍⵏ (Ăir)) ⁂ mp. φ (ms. Ăġedal ; fs. Tăġedalt ; fp. Tiġdâlîn), daṛ Ĕġdalen, daṛ Tĕġdâlîn ‖ np. d’une tribu maraboutique de l’Ăzaouaṛ et de l’Ăir. ⴶⴷⵎ Ăġĕdĕm ⴶⴷⵎ (Ăgĕdĕm ⴳⴷⵎ (Ăd.)) ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăd. Tiġedamîn ⵜⴶⴷⵎⵏ (Tigedamîn ⵜⴳⴷⵎⵏ (Ăd.)) ⁂ fp. φ (fs. Tăġedamt), daṛ Tġedamîn ‖ vallées ‖ Ăd. Tăseġdemt ⵜⵙⴶⴷⵎ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăd. Ănseġdîm ⵏⵙⴶⴷⵎ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăd. ⴳⴷⵎⵓ Igédmaouen ⴳⴷⵎⵓⵏ ⁂ mp. φ (ms. Ăgédmaou ; fs. Tăgédmaout ; fp. Tigédmaouîn), daṛ Gédmaouen, daṛ Tgédmaouîn ‖ np. d’une tribu touaregue noble de l’Ăir. ⴳⴷⵎⵙ Ăgedoumis ⴳⴷⵎⵙ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăir. ⴶⴷⵏ Ġoûdĕn ⴶⴷⵏ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăd. ‖ la vallée de Ġoûdĕn est un affluent de droite de celle d’Ăġĕdĕm. ⴶⴷⵏⴱⵉ Tăġdenbait ‖ v. ⴶⵔⵏⴱⵉ. ⴶⴷⵔ Tăġâdirt ⵜⴶⴷⵔ⵿ⵜ ⁂ (√ ⴶⴷⵔ ăġâdir « mur ») fs. ‖ mont. ⴳⴷⵣ Égedez ‖ v. ⴶⴷⵂ. ⴶⴹ Tiġiḍi (Teġedi) ⵜⴶⴷⵉ ⁂ fs. ‖ point d’eau (ăb.) ‖ Ăj. ⴳⴹⴹ Ti-n-tĕgḍaḍ ⵜⵏ⵿ⵜⴳⴹⴹ ⁂ (« une des petits oiseaux ») fs. ‖ point d’eau ; vallée ‖ Ăfed. ⴶⴹⴼ Tăġḍoufet ⵜⴶⴹⴼⵜ (Tăgḍoufet ⵜⴳⴹⴼⵜ (Ăir)) ⁂ fs. ‖ point d’eau ‖ Ăir. Téġeḍeft ⵜⴶⴹⴼⵜ ⁂ fs. φ ; daṛ Tăġeḍeft (Tĕġeḍeft) ‖ mont ; vallées ‖ Serk. Téġeḍeft ⵜⴶⴹⴼⵜ ⁂ fs. φ ; daṛ Tăġeḍeft (Tĕġeḍeft) ‖ vallée ‖ Ăj. Ăouġeḍeft ⵓⴶⴹⴼⵜ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăj. ⴶⴹⵉ Eġeḍai ⴶⴹⵉ (Egeḍai ⴳⴹⵉ (Ăd.)) ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăd. Iġeḍiân ⴶⴹⵉⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Ġeḍiân ‖ vallées ‖ Téf. Iġeḍiân ⴶⴹⵉⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Ġeḍiân ‖ vallée ‖ entre Ăir et Ăd. Iġeḍiân-oui-n-tăhara ⴶⴹⵉⵏⵓⵏ⵿ⵜⵂⵔⴰ ⁂ (« Iġeḍiân ceux de la tăhara ») mp. φ ; daṛ Ġeḍiân-oui-n-tăhara ‖ vallée ‖ entre Ăir et Ăd ‖ la tăhara est une plante persistante. ⴳⴹⵍ Ăgâḍoul ⴳⴹⵍ ⁂ ms. φ (pl. Igoûḍal), daṛ Goûḍal ‖ vallée ‖ Imm. ⴳⴹⵓ Ăgḍaou ⴳⴹⵓ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăġr. ⴶⴼ éġif ⴶⴼ nc. sm. φ (pl. iġîfen), daṛ ăġif (ĕġif), daṛ ġîfen ‖ dos sablonneux avec végétation (terrain sablonneux et surélevé ayant de la végétation) ‖ akli n ăġif « esclave de dos sablonneux avec végétation » est syn. d’akli n bé̆lla « esclave faisant partie des bé̆lla » ; v. ⴱⵍ bé̆lla. téġift ⵜⴶⴼⵜ nc. sf. φ (pl. tiġîfîn), daṛ tăġift (tĕġift), daṛ tġîfîn ‖ dim. du pr. Éġif-mellen ⴶⴼⵎⵍⵏ ⁂ (« dos sablonneux blanc ») ms. φ ; daṛ Ăġif (Ĕġif)-mellen ‖ lieu ‖ Ăt. ă-ġ. Ġîf-âman ⴶⴼⵎⵏ ⁂ (« dos sablonneux de l’eau ») ms. ‖ vallée ; village (non cult. 06) ‖ Téf. ‖ Ġîf-âman est une déformation d’éġif-n-âman. Éġif-n-ădamam ⴶⴼⵏⴷⵎⵎ ⁂ (« dos sablonneux de l’ădamam ») ms. φ ; daṛ Ăġif (Ĕġif)-n-ădamam ‖ lieu ‖ Ăt. ă-s. ‖ l’ădamam est une plante non persistante. Éġif-en-K̤emmou ⴶⴼⵏⵆⵎⵓ ⁂ (« dos sablonneux de K̤emmou ») ms. φ ; daṛ Ăġif (Ĕġif)-en-K̤emmou ‖ lieu ‖ Ăj. ‖ K̤emmou est un np. d’hom. Iġîfen-ouĕtnîn ⴶⴼⵏⵓⵜⵏⵏ ⁂ (« dos sablonneux frappés ») mp. φ ; daṛ Ġîfen-ouĕtnîn ‖ éminences ‖ entre Ăh. et Ăir. Téġift-en-Bĕdda ⵜⴶⴼⵜⵏ⵿ⴱⴷⴰ ⁂ (« dos sablonneux de Bĕdda ») fs. φ ; daṛ Tăġift (Tĕġift)-en-Bĕdda ‖ lieu ‖ Ămeġ. ‖ Bĕdda est un np. d’hom. ⴶⴼⵙ Ti-n-ăġefes ⵜⵏⴶⴼⵙ ⁂ (« une de la mousse de rocher ») fs. ‖ vallée ‖ Ăt. ă-s. ⴶⴶ Ăġeġou ⴶⴶⵓ ⁂ (« support de tente en forme d’arceau ») ms. ‖ point d’eau (ăġ. 🚰 = α) ‖ Ăhn. I-n-ăġeġou ⵏⴶⴶⵓ ⁂ (« un du support de tente en forme d’arceau ») ms. ‖ vallée ‖ Ăneġ. ; Ăṛech. ; Ăfed. ⴶⴶ Ti-n-ăġġaġ-Âlemin ⵜⵏⴶⴶⵍⵎⵏ ⁂ (« une du lettré musulman Âlemin ») fs. ‖ colline ‖ Ăṛech. ‖ ainsi nommée parce que le tombeau d’Âlemin, religieux musulman des temps anciens, s’y trouve ‖ syn. de Tadreḳ-n-ăneslem. ⴶⴶ Éġiġ ⴶⴶ ⁂ ms. φ ; daṛ Ăġiġ (Ĕġiġ) ‖ vallée ‖ Ăṛech. ⴶⴶⵍ Iġîġalen ⴶⴶⵍⵏ ⁂ mp. φ (ms. Ăġîġal), daṛ Ġîġalen ‖ vallées ‖ Ăt. Tăġoûġelt ⵜⴶⴶⵍ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăj. Tiġîġal ⵜⴶⴶⵍ ⁂ fp. φ (fs. Tăġâġelt), daṛ Tġîġal ‖ mont ; vallées ‖ Ăṛef. Tiġîġal ⵜⴶⴶⵍ ⁂ fp. φ (fs. Tăġâġelt), daṛ Tġîġal ‖ vallées ‖ Téf. Tiġîġal ⵜⴶⴶⵍ ⁂ fp. φ (fs. Tăġâġelt), daṛ Tġîġal ‖ vallées ‖ Imm. Tiġîġal ⵜⴶⴶⵍ ⁂ fp. φ (fs. Tăġâġelt), daṛ Tġîġal ‖ vallées ‖ Oua-h. Tiġîġal ⵜⴶⴶⵍ ⁂ fp. φ (fs. Tăġâġelt), daṛ Tġîġal ‖ vallées ‖ Tour. Tiġîġal ⵜⴶⴶⵍ ⁂ fp. φ (fs. Tăġâġelt), daṛ Tġîġal ‖ vallées ‖ Tăh. Tiġîġal ⵜⴶⴶⵍ ⁂ fp. φ (fs. Tăġâġelt), daṛ Tġîġal ‖ vallées ‖ Tăż. Tiġîġal ⵜⴶⴶⵍ ⁂ fp. φ (fs. Tăġâġelt), daṛ Tġîġal ‖ vallées ‖ Ăt. Tiġîġal ⵜⴶⴶⵍ ⁂ fp. φ (fs. Tăġâġelt), daṛ Tġîġal ‖ vallées ‖ Ăir. ⴶⴶⵎ Teġoûġemet ⵜⴶⴶⵎⵜ ⁂ fs. ‖ monts ; vallées ; point d’eau (ăb. 🚰 ∞ δ) ‖ Ăd. ⴶⴶⵔ I-n-ġîġerîn ⵏ⵿ⴶⴶⵔⵏ ⁂ ms. ‖ mont ; vallée ‖ Tour. ⴳⴳⵔⵎ Goûgeram ⴳⴳⵔⵎ ⁂ ms. ‖ point d’eau ‖ Ăir. ⴶⵂ ăzâġeh ⵣⴶⵂ nc. sm. φ (pl. izoûġâh), daṛ zoûġâh ‖ rue (d’une ville, d’un village) ‖ p. ext. « gorge très étroite à flancs perpendiculaires (ressemblant à une rue) ». Téġehé ⵜⴶⵂⵉ ⁂ (« taille (partie rétrécie du corps humain, entre les hanches et le bas de la poitrine) ») fs. φ ; daṛ Tăġehé (Tĕġehé) ‖ lieu ‖ Tăż. ‖ la Téġehé est un lieu de 15 à 20 kil. de diamètre situé au milieu de la Tăż. Le sol y est blanc, tandis qu’il est noir dans le reste de la Tăż. On l’a nommé Téġehé « taille » parce qu’il est comme une tache blanche à la taille, au milieu du corps, de la Tăż. Téġehé-n-Ĕfis ⵜⴶⵂⵏⴼⵙ ⁂ (« descendance des sœurs d’Éfis ») mp. φ (ms. ou-Tăġehé-n-Ĕfis ; fs. oult-Tăġehé-n-Ĕfis ; fp. chêt-Tăġehé-n-Ĕfis), daṛ Tăġehé-n-Ĕfis ‖ np. d’une tribu touaregue plébéienne (ămṛid) dépendant des Tăitoḳ ‖ une partie des Téġehé-n-Ĕfis habite l’Ăh., une partie habite l’Ăir, une partie nomadise avec les Tăitoḳ dans l’Ăhn., l’Ăd. et l’Ăir. Téġehé-mellet ⵜⴶⵂⵎⵍⵜ ⁂ (« descendance blanche des sœurs ») mp. φ (ms. ou-Tăġehé-mellet ; fs. oult-Tăġehé-mellet ; fp. chêt-Tăġehé-mellet), daṛ Tăġehé-mellet ‖ np. d’une tribu touaregue noble de l’Ăh. ‖ il semble y avoir opposition entre les 3 noms Téġehé-mellet « descendance blanche des sœurs », Kel-ăhem-mellen « gens de la tente blanche (ou : gens de la femme blanche) » np. d’une tribu touaregue noble du Tidikelt, Éhem-mellen « la tente blanche (ou : la femme blanche) » surnom qui désignait autrefois l’ensemble des tribus touaregues nobles de l’Ăh., de l’Ăj. et des Tăitoḳ, qui montrent tous 3 l’idée de blancheur servant à désigner les tribus touaregues nobles de l’Ăh., de l’Ăj. et des Tăitoḳ, et les 2 noms têroua-seṭṭĕfet « progéniture noire » surnom qui désigne l’ensemble des tribus touaregues plébéiennes ămṛid de l’Ăh. (à l’exclusion des Iseḳḳemâren), Éhen-seṭṭĕfen « la tente noire (ou : la femme noire) » surnom qui désignait autrefois l’ensemble des tribus touaregues nobles des Ioul., qui montrent tous 2 l’idée de noir servant à désigner soit les tribus touaregues plébéiennes de l’Ăh., soit les tribus touaregues nobles des Ioul. Téġehé-n-Ăgg-Ali ⵜⴶⵂⵏⴳⵍⵉ ⁂ (« descendance des sœurs d’Ăgg-Ali ») mp. φ (ms. ou-Tăġehé-n-Ăgg-Ali ; fs. oult-Tăġehé-n-Ăgg-Ali ; fp. chêt-Tăġehé-n-Ăgg-Ali), daṛ Tăġehé (Tĕġehé)-n-Ăgg-Ali ‖ np. d’une fraction des Kel-Ăhem-mellen, tribu touaregue noble du Tidikelt ‖ les Téġehé-n-Ăgg-Ali sont éteints. Téġehé-n-Elîmen ⵜⴶⵂⵏⵍⵎⵏ ⁂ (« descendance des sœurs d’Elîmen ») mp. φ (ms. ou-Tăġehé-n-Elîmen ; fs. oult-Tăġehé-n-Elîmen ; fp. chêt-Tăġehé-n-Elîmen), daṛ Tăġehé-n-Elîmen ‖ surnom des Âġouh-en-tĕhlé tribu touaregue plébéienne (ămṛid) de l’Ăh. ‖ peu us. Téġehé-n-Ou-Sîdi ⵜⴶⵂⵏⵓⵙⴷⵉ ⁂ (« descendance des sœurs d’Ou-Sîdi ») mp. φ (ms. ou-Tăġehé-n-Ou-Sîdi ; fs. oult-Tăġehé-n-Ou-Sîdi ; fp. chêt-Tăġehé-n-Ou-Sîdi), daṛ Tăġehé-n-Ou-Sîdi ‖ np. d’une tribu touaregue noble de l’Ăh. ‖ les Téġehé-n-Ou-Sîdi sont éteints. Téġehé-n-Sekkel ⵜⴶⵂⵏⵙⴾⵍ ⁂ (« descendance des sœurs de Sekkel ») mp. φ (ms. ou-Tăġehé-n-Sekkel ; fs. oult-Tăġehé-n-Sekkel ; fp. chêt-Tăġehé-n-Sekkel), daṛ Tăġehé-n-Sekkel ‖ np. d’une fraction des Kel-Ăhem-mellen, tribu touaregue noble du Tidikelt ‖ les Téġehé-n-Sekkel sont presqu’éteints. Téġehé-n-Selâma ⵜⴶⵂⵏⵙⵍⵎⴰ ⁂ (« descendance des sœurs de Selâma ») mp. φ (ms. ou-Tăġehé-n-Selâma ; fs. oult-Tăġehé-n-Selâma ; fp. chêt-Tăġehé-n-Selâma), daṛ Tăġehé-n-Selâma ‖ surnom des Iselâmâten, tribu touaregue plébéienne (Iseḳḳemâren) de l’Ăh. Âġouh-en-tĕhlé ⴶⵂⵏ⵿ⵜⵂⵍⵉ ⁂ (« tendon d’Achille de la tahlé ») mp. (ms. ăgg-Âġouh-en-tĕhlé ; fs. oult-Âġouh-en-tĕhlé ; fp. chêt-Âġouh-en-tĕhlé) ‖ np. d’une tribu touaregue plébéienne (ămṛid) de l’Ăh. ‖ les Âġouh-en-tĕhlé sont appelés aussi Téġehé-n-Elîmen ‖ la tahlé est une sorte de roseau. Têġhîn ⵜⴶⵂⵏ ⁂ fp. ‖ vallée ‖ Ăneġ. ; Ăṛech. ⴶⵂⵍ I-n-ġezzoŭl ⵏ⵿ⴶⵣⵍ ⁂ (« un de il a été court ») ms. ‖ vallée ‖ entre Ăir et Ăd. Tiġhâl ⵜⴶⵂⵍ ⁂ fp. ; daṛ Tiġhâl ‖ monts ‖ Ăfed. Ti-n-tĕġhâl ⵜⵏ⵿ⵜⴶⵂⵍ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ entre Ăh. et Ăir. ⴶⵂⵍ Ăġâhil ⴶⵂⵍ ⁂ ms. ‖ village ‖ Ăj. ‖ Ăġâhil est un des villages de l’oasis de Ġânet. ⴶⵂⵎ teġoûhamt ⵜⴶⵂⵎ⵿ⵜ nc. sf. φ (pl. tiġoûhâmîn), daṛ tġoûhâmîn ‖ canal d’arrosage. ⴶⵉ Tăġit-n-ouerân ⵜⴶⵜⵏⵓⵔⵏ ⁂ (« corde d’attache de chamelons ») fs. ‖ mont ‖ entre Ăd. et Niger. Teġîet ⵜⴶⵉⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ănh. Teġîet ⵜⴶⵉⵜ (Tegîet ⵜⴳⵉⵜ (Ăir)) ⁂ fs. ‖ vallée ; point d’eau ‖ Ăir. ⴳⵉ Tagait ⵜⴳⵉⵜ ⁂ (« palmier d’Egypte ») fs. φ ; daṛ Tĕgait (Tăgait) ‖ vallée ‖ Ăir. Kel-Tĕgait ⴾⵍ⵿ⵜⴳⵉⵜ ⁂ (« gens de Tagait ») mp. (ms. ou-Tĕgait ; fs. oult-Tĕgait ; fp. chêt-Tĕgait) ‖ np. d’une tribu touaregue de l’Ăir. ⴳⵉ Igéiien ⴳⵉⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Géiien ‖ vallée ‖ Ăt. ă-s. ⴶⵉⵉ Ġiei ⴶⵉⵉ ⁂ ms. ‖ mont ; vallée ‖ Ăir. ⴶⵉⵎ Ăġouiam ⴶⵉⵎ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăt. ă-s. Tăġouiamt ⵜⴶⵉⵎ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăt. ă-s. ⴶⵉⵎⵍ I-n-ĕġeimel ⵏⴶⵉⵎⵍ ⁂ ms. ‖ mont ‖ Tăż. ⴶⵉⵏ teġainout ‖ v. ⵏ. ⴶⵉⵙ Tăġéouset ⵜⴶⵉⵙⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăj. ⴶⵉⵙⵙ Ămeġġeisest ⵎⴶⵉⵙⵙ⵿ⵜ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăneġ. ⴳⵋⵎ I-n-gejjâm ‖ v. ⴳⵣⵎ. ⴶⵍ Ăġela ⴶⵍⴰ (Ăgela ⴳⵍⴰ (Ăir)) ⁂ ms. ‖ contrée entre Ăir, Niger, Tchad, Sokoto et Bornou ‖ l’Ăzaouaṛ, le Damergou, Tahoua, Zinder, Kano, Menaka sont dans l’Ăġela. Iġelâten ⴶⵍⵜⵏ (Igelâten ⴳⵍⵜⵏ (Ăir)) ⁂ mp. φ ; daṛ Ġelâten ‖ syn. du précédent. Tiġelliouan ⵜⴶⵍⵓⵏ (Tigelliouan ⵜⴳⵍⵓⵏ (Ăir)) ⁂ fp. φ ; daṛ Tġelliouan ‖ vallées ‖ Ăir. Iġelîten ⴶⵍⵜⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Ġelîten ‖ vallées ‖ Ăhn. Tiġelîtîn ⵜⴶⵍⵜⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tġelîtîn ‖ vallées ‖ Ăhn. Ăġelli ⴶⵍⵉ ⁂ ms. ‖ mont ‖ Ăhn. Tiġéléouîn ⵜⴶⵍⵓⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tġéléouîn ‖ monts. Iġlen ⴶⵍⵏ ⁂ mp. ; daṛ Iġlen ‖ vallée ‖ Ăneġ. Iġlen ⴶⵍⵏ ⁂ mp. ; daṛ Iġlen ‖ vallées ; village (cult. 06) ‖ Ăfed. ‖ les diverses vallées appelées Iġlen se réunissent pour former une seule du même nom qui se jette sur la rive droite de la vallée d’Ăbalessa à 5 kil. en amont de la portion principale du village d’Ăbalessa. Le village d’Iġlen est un quartier de celui d’Ăbalessa, situé au confluent de la vallée d’Iġlen avec celle d’Ăbalessa. ⴶⵍ Teġellet ⵜⴶⵍⵜ ⁂ (« coloquinte ») fs. ‖ point d’eau (source 🚱 ∞ β) ‖ Ăhn. Ti-n-teġellet ⵜⵏ⵿ⵜⴶⵍⵜ ⁂ (« une de la coloquinte ») fs. ‖ mont ‖ Ăneġ. Ti-n-ġellet ⵜⵏ⵿ⴶⵍⵜ (Ti-n-teġellet ⵜⵏ⵿ⵜⴶⵍⵜ) ⁂ (« une de la coloquinte ») fs. ‖ vallée ; village (cult. 06) ‖ Oua-h. ‖ la vallée de Ti-n-ġellet est un affluent de gauche de celle de Tămaṅṛaset ; elle se jette dans la vallée de Tămaṅṛaset à 6 kil. en amont de la portion principale du village de Tămaṅṛaset. Le village de Ti-n-ġellet est un quartier de celui de Tămaṅṛaset ; il est situé au confluent de la vallée de Ti-n-ġellet avec celle de Tămaṅṛaset ‖ le mot Ti-n-ġellet est une déformation de Ti-n-teġellet. ⴶⵍⵛⵉ Ġelchiet ‖ v. ⴳⵍⵋⵉ. ⴶⵍⴷ Iġellad ‖ v. ⴶⵍⵍ. ⴶⵍⴼ I-n-tġoûlâf ⵏ⵿ⵜⴶⵍⴼ ⁂ (« un des troupes de pers. montées ») ms. ‖ vallée ‖ Ioul. Taġleft ⵜⴶⵍⴼⵜ ⁂ fs. φ ; daṛ Tĕġleft (Tăġleft) ‖ vallée (Ăt. ; Ăneġ.) ; points d’eau (ăb. 🚱 ∞ δ (Ăt.) ; ăb. 🚰 ∞ δ (Ăneġ.)) ‖ la vallée de Taġleft est tributaire de celle d’I-n-dâlaġ. ⴶⵍⴶⵍ Ăġelâġal ⴶⵍⴶⵍ ⁂ (« l’indécis ») ms. ‖ vallée ‖ Téf. ‖ ainsi nommée parce qu’à un certain point son cours est barré, de sorte que, quand vient la crue, les eaux, en atteignant le barrage, se répandent à droite ou à gauche comme si elles ne savaient où aller. Ăġelâġal ⴶⵍⴶⵍ ⁂ (« l’indécis ») ms. ‖ vallée ‖ Imm. Ăġelâġal ⴶⵍⴶⵍ ⁂ (« l’indécis ») ms. ‖ vallée ‖ Tăh. Ăġelâġal ⴶⵍⴶⵍ ⁂ (« l’indécis ») ms. ‖ vallée ‖ Ăhn. Ăġelâġal ⴶⵍⴶⵍ ⁂ (« l’indécis ») ms. ‖ vallée ‖ Tăż. Ăġelâġal ⴶⵍⴶⵍ ⁂ (« l’indécis ») ms. ‖ vallée ‖ Ăṛech. Ăġloûġel ⴶⵍⴶⵍ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăir. Iġloûġal ⴶⵍⴶⵍ ⁂ mp. φ ; daṛ Ĕġloûġal ‖ vallées ‖ Téf. ‖ ainsi nommées parce que leurs cours, fort rapprochés les uns des autres, ne sont pas nettement dessinés sur le terrain. Elles sont dans le lieu d’Iġloûġal auquel elles ont donné son nom. Iġloûġal ⴶⵍⴶⵍ ⁂ mp. φ ; daṛ Ĕġloûġal ‖ lieu ‖ Téf. ‖ le lieu d’Iġloûġal est ainsi nommé à cause des vallées de ce nom qui s’y trouvent ; il a 15 à 20 kilomètres de diamètre ; il est dans la partie Sud de la Téf. ; il touche à la portion de l’Ăṛech. appelée Menżaż. Teġoulġoult ⵜⴶⵍⴶⵍ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Téf. Teġoulġoult ⵜⴶⵍⴶⵍ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ; col et défilé ‖ Ăneġ. Teġoulġoult ⵜⴶⵍⴶⵍ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Oua-h. Teġoulġoult ⵜⴶⵍⴶⵍ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăhn. Teġoulġoult ⵜⴶⵍⴶⵍ⵿ⵜ ⁂ fs. φ (fp. Tiġoulġoulîn), daṛ Tġoulgoulîn ‖ vallée ; points d’eau ‖ Ăd. Tiġoulġoulîn ⵜⴶⵍⴶⵍⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tġoulġoulîn ‖ vallées ; mont ‖ entre Ănh. et Ăir. ⴶⵍⴶⵎ Tiġelġemîn ⵜⴶⵍⴶⵎⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tġelġemîn ‖ monts ‖ Imm. ⴶⵍⵂ Teġlĕh-êkrer ⵜⴶⵍⵂⴾⵔⵔ ⁂ (« elle a laissé un mouton ») fs. ‖ vallée ‖ Ăt. ⴶⵍⵂ Éġéléh ⴶⵍⵂ ⁂ (« l’éġéléh ») ms. φ ; daṛ Ăġéléh (Ĕġéléh) ‖ mont ‖ Téf. ‖ beaucoup de monts à surface de roche lisse comme une carapace portent le nom d’Éġéléh ‖ l’éġéléh est une sorte de coléoptères. Éġéléh ⴶⵍⵂ ⁂ (« l’éġéléh ») ms. φ ; daṛ Ăġéléh (Ĕġéléh) ‖ mont ‖ Ṛâr. Éġéléh ⴶⵍⵂ ⁂ (« l’éġéléh ») ms. φ ; daṛ Ăġéléh (Ĕġéléh) ‖ mont ‖ Ăġr. Éġéléh ⴶⵍⵂ ⁂ (« l’éġéléh ») ms. φ ; daṛ Ăġéléh (Ĕġéléh) ‖ mont ‖ Ăhn. Éġéléh ⴶⵍⵂ ⁂ (« l’éġéléh ») ms. φ ; daṛ Ăġéléh (Ĕġéléh) ‖ mont ‖ Ăj. Éġéléh ⴶⵍⵂ ⁂ (« l’éġéléh ») ms. φ ; daṛ Ăġéléh (Ĕġéléh) ‖ mont ‖ Tihôdaîn (lieu de l’Ămad). ⴶⵍⵂⴾ ăġelhok ⴶⵍⵂⴾ nc. sm. φ (pl. iġelhâk), daṛ ġelhâk ‖ petite dépression du sol où l’eau se conserve qlq. temps. Ăġelhok ⴶⵍⵂⴾ ⁂ (« petite dépression du sol etc. ») ms. ‖ lieu ‖ Ahṛ. Ăġelhok ⴶⵍⵂⴾ ⁂ (« petite dépression du sol etc. ») ms. ‖ lieu ‖ Tăh. Ăġelhok ⴶⵍⵂⴾ ⁂ (« petite dépression du sol etc. ») ms. ‖ vallée ; point d’eau (ăġ. 🚰 = β) ‖ Ăd. ⴳⵍⵉ Kel-Tegeleiat ⴾⵍ⵿ⵜⴳⵍⵉⵜ ⁂ (« gens de Tegeleiat ») mp. (ms. ou-Tegeleiat ; fs. oult-Tegeleiat ; fp. chêt-Tegeleiat) ‖ np. d’une tribu maraboutique de l’Ăir. ⴳⵍⵋⵉ Geljiet ⴳⵍⵋⵉⵜ (Gelchiet ⴳⵍⵛⵉⵜ) ⁂ fs. ‖ lieu ; point d’eau (ân. 🚰 ∞ β) ‖ entre Ăd. et Ăzaouaṛ. ⴶⵍⵍ Ăġlil ⴶⵍⵍ ⁂ (√ ⴶⵍⵍ ġelellet (Ta. 1) « former un rond ; s’installer à l’écart ») ms. ‖ vallée ; village (cult. 06) ‖ Téf. Ăġlil ⴶⵍⵍ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăj. Âġelal ⴶⵍⵍ (Âgelal ⴳⵍⵍ (Ăir)) ⁂ ms. ‖ vallée ; mont ; village ‖ Ăir. Kel-Âġelal ⴾⵍⴶⵍⵍ (Kel-Âgelal ⴾⵍⴳⵍⵍ (Ăir)) ⁂ mp. (ms. ăgg-Âġelal ; fs. oult-Âġelal ; fp. chêt-Âġelal) ‖ np. d’une tribu touaregue noble de l’Ăir. Ăġelella ⴶⵍⵍⴰ ⁂ ms. ‖ mont ‖ Oua-h. Ăġelella ⴶⵍⵍⴰ ⁂ ms. ‖ mont ‖ entre Ăh. et Ăir. Ġélélé ⴶⵍⵍⵉ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăir. Iġelâlen ⴶⵍⵍⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Ġelâlen ‖ vallées ‖ Ăhn. Tiġelellâtîn ⵜⴶⵍⵍⵜⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tġelellâtîn ‖ vallées ; village (cult. 06) ‖ Ăṛech. ‖ le village de Tiġelellâtîn est à 4 kil. de celui de Hêrhafek. Ăseġġelel ⵙⴶⵍⵍ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăhn. Ămesġelella ⵎⵙⴶⵍⵍⴰ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ entre Ăh. et Ăd. Émeġlel ⵎⴶⵍⵍ ⁂ ms. φ (pl. Imeġlelen), daṛ Ămeġlel (Ĕmeġlel), daṛ Meġlelen ‖ vallée ‖ Ăd. Émeġlel-denneġ-medden ⵎⴶⵍⵍⴷⵏⴶⵎⴷⵏ ⁂ (« Émeġlel au-dessus des gorges ») ms. φ ; daṛ Ămeġlel (Ĕmeġlel)-denneġ-medden ‖ syn. du précédent. Timeġlelîn ⵜⵎⴶⵍⵍⵏ ⁂ fp. φ (fs. Témeġlelt), daṛ Tămeġlelt (Tĕmeġlelt), daṛ Tmeġlelîn ‖ monts ; vallées ‖ Ăd. Ămejjelella ⵎⵋⵍⵍⴰ (Ămezġelella ⵎⵣⴶⵍⵍⴰ) ⁂ ms. ‖ mont ‖ entre Ăhn. et Ăd. Ămejjelellou ⵎⵋⵍⵍⵓ (Ămezġelellou ⵎⵣⴶⵍⵍⵓ ; Ămezgelellou ⵎⵣⴳⵍⵍⵓ (Ăir)) ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăir. Imejjelâlen ⵎⵋⵍⵍⵏ (Imezġelâlen ⵎⵣⴶⵍⵍⵏ ; Imezgelâlen ⵎⵣⴳⵍⵍⵏ (Ăir)) ⁂ mp. φ (ms. Ămejjelal ; fs. Tămejjelalt ; fp. Timejjelâlîn), daṛ Mejjelâlen, daṛ Tmejjelâlîn ‖ np. d’une tribu touaregue noble de l’Ăir. Iġellal ⴶⵍⵍ (Iġellad ⴶⵍⴷ) ⁂ mp. φ (ms. Ăġellil ; fs. Tăġellilt ; fp. Tiġellal), daṛ Ġellal, daṛ Tġellal ‖ np. d’une tribu maraboutique de la contrée située au Nord de Tombouktou. ⴶⵍⵍⵂ Ti-n-ăzeġġelâlih ⵜⵏⵣⴶⵍⵍⵂ ⁂ (« une du lieu de roulement dans la poussière ») fs. ‖ vallée ‖ Oua-h. ⴶⵍⵎ Iġêlmen ⴶⵍⵎⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Ġêlmen ‖ vallée ‖ Ioul. ⴶⵍⵎⴶⵍⵎ Tăġelemġelema ⵜⴶⵍⵎⴶⵍⵎⴰ ⁂ fs. ‖ mont ‖ Ăt. ă-s. ⴶⵍⵎⵎ ăġelmam ⴶⵍⵎⵎ nc. sm. φ (pl. iġelmâmen), daṛ ġelmâmen ‖ réservoir d’eau naturel (lac, bassin, mare, flaque d’eau, réservoir d’eau naturel qlconque, de n’importe quelle dimension et en n’importe quel terrain, permanent ou temporaire, conservant l’eau pendant un temps long ou court). tăġelmamt ⵜⴶⵍⵎⵎ⵿ⵜ nc. sf. φ (pl. tiġelmâmîn), daṛ tġelmâmîn ‖ dim. du pr. Ăġelmam ⴶⵍⵎⵎ ⁂ (« réservoir d’eau naturel ») ms. ‖ vallée ‖ Tăh. Ăġelmam-erĕṛen ⴶⵍⵎⵎⵔⵗⵏ ⁂ (« réservoir d’eau naturel jaune ») ms. ‖ vallée ‖ Téf. Ăġelmam-en-Touârḍiouîn ⴶⵍⵎⵎⵏ⵿ⵜⵓⵔⴹⵓⵏ ⁂ (« réservoir d’eau naturel de Tiouârḍiouîn ») ms. ‖ point d’eau ‖ entre Ăh. et Ăir. Tăġelmamt ⵜⴶⵍⵎⵎ⵿ⵜ ⁂ (« petit réservoir d’eau naturel ») fs. ‖ vallée ‖ Ăir. Tăġelmamt-semmîḍet ⵜⴶⵍⵎⵎ⵿ⵜⵙⵎⴹⵜ ⁂ (« petit réservoir d’eau naturel froid ») fs. ‖ vallée ‖ Ăt. ă-ġ. ⴶⵍⵏ aġlan ⴶⵍⵏ nc. sm. φ (pl. iġlânen ; fs. taġlant ; fp. tiġlânîn), daṛ ĕġlan (ăġlan), daṛ ĕġlânen, daṛ tĕġlant (tăġlant), daṛ tĕġlânîn ‖ relief de terrain de couleur crême avec de très petits points plus foncés ‖ p. ext. le fém. taġlant sign. qlqf. « petite colline conique (ou tronconique) isolée de couleur crême avec de très petits points plus foncés ». ⴶⵍⵙⵎⵎⴹ Teġelesmâmaṭ ⵜⴶⵍⵙⵎⵎⵟ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăhn. ⴶⵍⵥ Iġelżân ⴶⵍⵥⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Ġelżân ‖ vallées ‖ Imm. ⴶⵎ aġăma ⴶⵎⴰ nc. sm. φ (pl. iġemâten), daṛ ĕġăma (ăġăma), daṛ ġemâten ‖ campagne (terrain qui n’est ni ville ni village). ⴶⵎ Ti-n-ăġġam ⵜⵏⴶⵎ ⁂ (« une du fait de puiser ») fs. ‖ vallée ‖ Ăt. ; Ăneġ. ; Ăṛech. Tăġemout ⵜⴶⵎⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ; village (non cult. 06) ‖ Imm. Ġoûmet ⴶⵎⵜ ⁂ fs. ‖ lieu ‖ Ăhn. Ġoûmet ⴶⵎⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăir. Ġoûmet ⴶⵎⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ; point d’eau (ân. 🚰 ∞ γ) ‖ Ăd. Ăġemet ⴶⵎⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ; mont ‖ Tăh. Âġam ⴶⵎ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăhn. ⴶⵎ I-n-tîġmîn ⵏ⵿ⵜⴶⵎⵏ ⁂ (« un des anneaux de nez ») ms. ‖ point d’eau (ân.) ‖ Ahṛ. Îġmâten ⴶⵎⵜⵏ ⁂ mp. (ms. Îġem) ‖ monts ‖ Ăṛech. ⴶⵎ Kel-Teġâma ⴾⵍ⵿ⵜⴶⵎⴰ ⁂ mp. (ms. ou-Teġâma ; fs. oult-Teġâma ; fp. chêt-Teġâma) ‖ np. d’une tribu touaregue noble du Damergou. ⴳⵎⴱⵔ Tegemberet ‖ v. ⴾⵏⴱⵔ. ⴶⵎⴹ Ouġmîḍen ⴶⵎⴹⵏ ⁂ mp. ‖ mont (au bord de la vallée de Târat) ‖ Ăj. ⴶⵎⵂ Tiġemhîn ⴶⵎⵂⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tġemhîn ‖ vallées. ⴶⵎⵉ tăġamait ⵜⴶⵎⵉⵜ nc. sf. φ (pl. tiġemaîn), daṛ tġemaîn ‖ chiendent ‖ p. ext. « place où il y a du chiendent (place où il pousse du chiendent) ». Tăġamait ⵜⴶⵎⵉⵜ ⁂ (« chiendent ») fs. ‖ vallée ‖ Ăt. Tiġemaîn-en-tsîta ⵜⴶⵎⵉⵏ⵿ⵜⵙⵜⴰ ⁂ (« chiendents des vaches ») fp. φ ; daṛ Tġemaîn-en-tsîta ‖ vallées ‖ Ăṛech. Tiġemaîn-en-tsîta ⵜⴶⵎⵉⵏ⵿ⵜⵙⵜⴰ ⁂ (« chiendents des vaches ») fp. φ ; daṛ Tġemaîn-en-tsîta ‖ vallées ‖ Ămeġ. ⴳⵎⵉ Igeméien ⴳⵎⵉⵏ ⁂ mp. φ (ms. Égemai ; fs. Tégemeit ; fp. Tigeméîn), daṛ Ăgemei (Ĕgemei), daṛ Geméien, daṛ Tăgemeit (Tĕgemeit), daṛ Tgeméîn ‖ np. d’une tribu arabe de l’Ăir. Ékabil-en-Geméien ‖ v. ⴾⴱⵍ. ⴶⵎⵎⵔ Ăġememmar ⴶⵎⵎⵔ ⁂ ms. ‖ vallée ; point d’eau (ăb., taġ. 🚰 = β) ‖ Ahṛ. ⴶⵎⵔ Ouġmir ⴶⵎⵔ ⁂ ms. ‖ mont ‖ Téf. Taġmart ⵜⴶⵎⵔ⵿ⵜ ⁂ fs. φ ; daṛ Tĕġmart (Tăġmart) ‖ vallée ‖ Ăt. ; Ăneġ. ; Ăṛech. ‖ la vallée de Taġmart est un affluent de gauche de celle d’Ăfoûnas. Teġmert ⵜⴶⵎⵔ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăd. Touġmîrîn ⵜⴶⵎⵔⵏ ⁂ fp. (fs. Touġmirt) ‖ monts ‖ Téf. ⴶⵏ Ti-n-ăġen ⵜⵏⴶⵏ ⁂ (« une de la troupe irrégulière réunie pour une expédition guerrière ») fs. ‖ vallée ; mont. Ti-n-é̆ġnân ⵜⵏⴶⵏⵏ ⁂ (« une des troupes irrégulières réunies pour des expéditions guerrières ») fs. ‖ vallée ‖ Ṛâr. Ti-n-tăġâna ⵜⵏ⵿ⵜⴶⵏⴰ ⁂ (« une de la troupe des chameaux des combattants accroupie en arrière du combat ») fs. ‖ vallée ; point d’eau (ăb. 🚰 = γ) ‖ Ăd. ‖ Ti-n-tăġâna est le nom du cours inférieur de la vallée d’Ăġĕdĕm, après qu’elle a reçu sur sa rive droite les vallées de Ġoûdĕn et de Tesâmeḳ. ⴶⵏ Tăġant ⵜⴶⵏ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ lieu ; dunes ; point d’eau ‖ Ahṛ. ‖ le lieu dit Tăġant a environ 20 kil. de diamètre ; il se trouve à l’extrémité Est de l’Ahṛ. ; il confine vers l’Est aux Iṛer. Ăh., vers le Sud au Ṛâr. et à l’Imm. Tăġant ⵜⴶⵏ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée (Sêrs. ; Ăneġ. ; Ăṛech.) ; mont (Ăṛech.). Tăġant ⵜⴶⵏ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ entre Ăh. et Ăir. Tăġant ⵜⴶⵏ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ région (18° lat. N. ; 13° long. W.) ‖ Mauritanie. Ti-n-tăġant ⵜⵏ⵿ⵜⴶⵏ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ṛâr. Ti-n-tăġant ⵜⵏ⵿ⵜⴶⵏ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ṛâr. ⴶⵏ Iġnaouen ⴶⵏⵓⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Ĕġnaouen ‖ vallée ‖ Ăneġ. I-n-ġenaouen ⵏ⵿ⴶⵏⵓⵏ ⁂ mp. ‖ vallée ‖ Ăir. Tiġeneouîn ⵜⴶⵏⵓⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tġeneouîn ‖ vallées ; village (non cult. 06) ‖ Tăh. ‖ le village de Tiġeneouîn est au confluent de la vallée de Tiġeneouîn avec celle de Tămaṅṛaset, à environ 50 kil. en aval du village de Tămaṅṛaset. ⴶⵏ Ġânet ⴶⵏⵜ ⁂ fs. ‖ Djanet (oasis et villages) ‖ Ăj. ⴶⵏ Tăġinou ⵜⴶⵏⵓ ⁂ fs. ‖ vallée ; point d’eau (ăb. 🚰 = δ) ‖ Ăd. ⴶⵏ taġnout ‖ v. ⵏ. ⴳⵏ I-n-ăggânen ‖ v. ⵓⵏ. ⴶⵏⴱ Ti-n-ăġânba ⵜⵏⴶⵏ⵿ⴱⴰ ⁂ (« une du crocodile ») fs. ‖ vallée ‖ Ăd. ⴳⵏⵛⵛ Genchechi ⴳⵏⵛⵛⵉ ⁂ ms. ‖ mont ; vallée ; point d’eau (ân. 🚰 = δ) ‖ Ăd. ⴶⵏⴷ Iġenda ⴶⵏ⵿ⴷⴰ ⁂ mp. φ ; daṛ Ġenda ‖ vallée ‖ Ăneġ ‖ Iġenda est le nom de la vallée d’Ăġanar dans son cours supérieur. Tiġendaouîn ⵜⴶⵏ⵿ⴷⵓⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tġendaouîn ‖ vallées ‖ Ăt. ă-s. ⴳⵏⴷⵉⵏ Igendéinen ⴳⵏ⵿ⴷⵉⵏⵏ ⁂ mp. φ (ms. Ăgendéin ; fs. Tăgendéint ; fp. Tigendéinîn), daṛ Gendéinen, daṛ Tgendéinîn ‖ tribu ‖ Ăir. ⴶⵏⴶ Iġnoûġân ⴶⵏⴶⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Ĕġnoûġân ‖ vallées ‖ Ăhn. Iġnoûġân ⴶⵏⴶⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Ĕġnoûġân ‖ vallées ‖ Ahṛ. Iġnoûġân ⴶⵏⴶⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Ĕġnoûġân ‖ vallées ‖ Ăj. Iġnoûġân ⴶⵏⴶⵏ ⁂ mp. φ ; daṛ Ĕġnoûġân ‖ vallées ‖ Éġé. ⴳⵏⴳⵔ Ăginger ⴳⵏ⵿ⴳⵔ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ à l’Ouest de l’Ăir. ⴶⵐⵂ Ġouñhân ⴶⵐⵂⵏ ⁂ (√ ⴶⵐⵂ ġouñhet (Ta. 2) « être en forme d’arceau ») mp. ‖ mont ; vallée ; point d’eau (ân. 🚰 = δ) ‖ Ăd. ⴳⵏⵏ Tăgenenet ⵜⴳⵏⵏⵜ ⁂ fs. ‖ mont ; vallée ‖ Ăir. ⴶⵏⵓⵏⵓ Ġenounaou ⴶⵏⵓⵏⵓ ⁂ (√ ⴶⵏⵓⵏⵓ ġenounou « produire un son égal et prolongé ») ms. ‖ vallée ‖ Ăir. ⴶⵏⵔ Ăġanar ⴶⵏⵔ ⁂ ms. ‖ vallée ; lieu ‖ Oua-h. ‖ la vallée d’Ăġanar est un affluent de gauche de celle d’Oûtoûl. Le lieu d’Ăġanar, traversé par la vallée de ce nom, est une plaine de 10 à 15 kil. de diamètre. Tiġenerîn ⵜⴶⵏⵔⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tĕġenerîn ‖ vallées ; point d’eau (taġ. 🚰 ∞ β) ‖ Iṛer. Ăj. ⴶⵏⵙⵙ Ăseġġensas ⵙⴶⵏⵙⵙ ⁂ mp. ‖ mont ‖ Ăt. ⴶⵏⵜⵔ ăġentour ⴶⵏ⵿ⵜⵔ nc. sm. φ (pl. iġentâr, iġentoûren), daṛ ġentâr, daṛ ġentoûren ‖ petit vallon à fond en pente très faible. tăġentourt ⵜⴶⵏ⵿ⵜⵔ⵿ⵜ nc. sf. φ (pl. tiġentâr, tiġentoûrîn), daṛ tġentâr, daṛ tġentoûrîn ‖ dim. du pr. Ăġentour ⴶⵏ⵿ⵜⵔ ⁂ (« petit vallon etc. ») ms. ‖ village ‖ Ăj. ‖ Ăġentour est situé à un jour et demi de Ṛât, dans la vallée d’Ărrikin. Tăġentourt-en-Hôdi ⵜⴶⵏ⵿ⵜⵔ⵿ⵜⵏⵂⴷⵉ ⁂ (« petit vallon etc. de Hôdi ») fs. ‖ vallée ‖ Ăṛech. ‖ Hôdi est un np. d’hom. Tiġentoûrîn ⵜⴶⵏ⵿ⵜⵔⵏ ⁂ (« les petits vallons etc. ») fp. φ ; daṛ Tġentoûrîn ‖ vallons (entre la vallée de Haṛet et Insalah) ‖ Tidikelt. ⴶⵓ Éġéoui ⴶⵓⵉ ⁂ ms. φ (pl. Iġiouân), daṛ Ăġéoui (Ĕġéoui), daṛ Ġiouân ‖ vallée ‖ Tăs. ; Ăneġ. ⴳⵓⴳ Geougo ⴳⵓⴳⵓ ⁂ ms. ‖ Gao (ville, sur le Niger) ‖ Soudan. ⴶⵔ têġert ⵜⴶⵔ⵿ⵜ nc. sf. (pl. têġrîn) ‖ ruisseau (filet d’eau permanent ou à peu près permanent coulant naturellement au fond d’une vallée). Têġert ⵜⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ (« ruisseau ») fs. ‖ vallée ; point d’eau ‖ Éġé. ; Ăhel. ‖ la vallée de Têġert forme limite entre l’Éġé. et l’Ăhel. Têġert ⵜⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ (« ruisseau ») fs. ‖ vallée ‖ Ăṛech. Têġert ⵜⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ (« ruisseau ») fs. ‖ vallée ‖ entre Ăh. et Ăir. Têġert ⵜⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ (« ruisseau ») fs. ‖ vallée ‖ Ăd. Têġert ⵜⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ (« ruisseau ») fs. ‖ vallée ; point d’eau (ruisseau 🚰 ∞ δ) ‖ entre Ăh. et Ăd. Têġert-en-Telouhet ⵜⴶⵔ⵿ⵜⵏ⵿ⵜⵍⵂⵜ ⁂ (« ruisseau de Telouhet ») fs. ‖ point d’eau ‖ Ăṛech. ‖ Telouhet est le np. d’une vallée. Têġrîn ⵜⴶⵔⵏ ⁂ (« les ruisseaux ») fp. ‖ vallées ‖ Ăd. Têġrîn ⵜⴶⵔⵏ ⁂ (« les ruisseaux ») fp. ‖ vallées ‖ Ăir. Têġrîn ⵜⴶⵔⵏ ⁂ (« les ruisseaux ») fp. ‖ vallée ‖ Ăneġ. ; Ăṛech. Têġrîn ⵜⴶⵔⵏ ⁂ (« les ruisseaux ») fp. ‖ vallée ‖ Oua-h. Têġrîn ⵜⴶⵔⵏ ⁂ (« les ruisseaux ») fp. ‖ vallée ‖ Ăj. I-n-têġrîn ⵏ⵿ⵜⴶⵔⵏ ⁂ (« un des ruisseaux ») ms. ‖ vallée ; point d’eau. Kel-Têġert ⴾⵍ⵿ⵜⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ (« gens de Têġert ») mp. (ms. ou-Têġert ; fs. oult-Têġert ; fp. chêt-Têġert) ‖ np. d’une tribu touaregue noble de l’Ăir. Our-teġġir ‖ v. ⵓⵔ. Éġîr ⴶⵔ ⁂ (« collyre en poudre ») ms. φ ; daṛ Ăġîr (Ĕġîr) ‖ mont ‖ Téf. Amġer ⵎⴶⵔ ⁂ (« combat ») ms. φ ; daṛ Ĕmġer (Ămġer) ‖ mont ‖ Sêrs. Éġéré ⴶⵔⵉ ⁂ ms. φ ; daṛ Ăġéré (Ĕġéré) ‖ région ‖ Ăh. ‖ l’Éġéré est limité au Nord par l’Ăhellakan, à l’Est par l’Ăhellakan et l’Ămadṛor, au Sud par la Tourha, à l’Ouest par la Téfedest et le Ṛâris. La vallée de Têġert forme limite entre l’Éġéré et l’Ăhellakan ; la vallée de Ti-n-tṛes forme limite entre l’Éġéré et la Tourha ; la vallée d’Éṛerṛer forme limite entre l’Éġéré d’une part, la Téfedest et le Ṛâris de l’autre. L’Éġéré se divise en 2 parties, Éġéré-oua-mellen « l’Éġéré blanc » et Éġéré-oua-seṭṭĕfen « l’Éġéré noir », ainsi nommés à cause de la couleur de leur sol. ⴶⵔ Ti-n-ăġar ⵜⵏⴶⵔ ⁂ (« une de l’ăġar ») fs. ‖ vallée ‖ Ăhn. ‖ l’ăġar est un arbre. Ti-n-ăġar ⵜⵏⴶⵔ ⁂ (« une de l’ăġar ») fs. ‖ vallée ‖ entre Ăh. et Ăir. I-n-ăġar ⵜⵏⴶⵔ ⁂ (« un de l’ăġar ») ms. ‖ vallée ‖ Ăir. I-n-ġarren ⵏ⵿ⴶⵔⵏ ⁂ (« un des ăġar ») ms. ‖ vallée. Ti-n-ġarren ⵜⵏ⵿ⴶⵔⵏ ⁂ (« une des ăġar ») fs. ‖ vallée ‖ Ăt. ă-s. ; Ăneġ. Tăġart ⵜⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ (« la tăġart ») fs. ‖ vallée ‖ Oua-h. ‖ la tăġart est un arbre. Tăġart ⵜⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ (« la tăġart ») fs. ‖ vallée ‖ entre Ăhn. et Ăd. Tăġart-touġġĕt ⵜⴶⵔ⵿ⵜⴶⵜ ⁂ (« tăġart ayant été au-dessus ») fs. ‖ mont ‖ Ăd. Tăġart-touġġĕt ⵜⴶⵔ⵿ⵜⴶⵜ ⁂ (« tăġart ayant été au-dessus ») fs. ‖ mont ‖ Ăṛech. Ti-n-tăġart ⵜⵏ⵿ⵜⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ (« une de la tăġart ») fs. ‖ vallée ; mont ; point d’eau (ăb., taġ. 🚰 ∞ α) ‖ Ăhn. Ti-n-tġarrîn ⵜⵏ⵿ⵜⴶⵔⵏ ⁂ (« une des tăġart ») fs. ‖ vallée ‖ Tăh. ⴶⵔ Taġġart ⵜⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ (« la taġġart ») fs. φ ; daṛ Tĕġġart (Tăġġart) ‖ vallée ‖ Ăt. ă-s. ‖ la taġġart est un arbre. Taġġart-n-ĕfella ⵜⴶⵔ⵿ⵜⵏⴼⵍⴰ ⁂ (« Taġġart du haut ») fs. φ ; daṛ Tĕġġart (Tăġġart)-n-ĕfella ‖ vallée ‖ Ăt. ă-s. I-n-tĕġġart ⵏ⵿ⵜⴶⵔ⵿ⵜ (I-n-tehiġġart ⵏ⵿ⵜⵂⴶⵔ⵿ⵜ (Ăd.)) ⁂ (« un de la taġġart ») ms. ‖ vallée ; point d’eau (ăb. 🚰 = δ) ‖ Ăd. ⴶⵔ Ti-n-ġerân ⵜⵏ⵿ⴶⵔⵏ ⁂ (« une des grenouilles ») fs. ‖ point d’eau (ruisseau, ăb. 🚰 = β) (vallée d’Ilâman) ‖ Ăt. ă-s. ⴳⵔ I-n-ăggoûren ⵏⴳⵔⵏ ⁂ (« un des chacals ») ms. ‖ vallée ‖ Ăzaouaṛ. ⴶⵔ Ti-n-eġġer ⵜⵏⴶⵔ ⁂ fs. ‖ mont ; vallée ‖ Ăhn. ⴶⵔ Ġerat ⴶⵔⵜ ⁂ fs. ‖ village ; palmeraie ‖ Ăj. ⴶⵔ Tăġoûra ⵜⴶⵔⴰ ⁂ fs. ‖ mont ‖ Ăt. Tăġoûra ⵜⴶⵔⴰ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăhn. Ġoûret ⴶⵔⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăzaouaṛ. Touġert ⵜⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăneġ. ⴶⵔ Ămesseġré ⵎⵙⴶⵔⵉ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ămeġ. ⴳⵔ Touggourt ⵜⴳⵔ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ village et oasis ‖ Algérie. ⴳⵔ I-n-ġerouten ⵏ⵿ⴶⵔⵜⵏ ⁂ ms. ‖ mont ‖ Ioul. ⴶⵔⴷⵎ Ăġerdemmou ⴶⵔⴷⵎⵓ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăir. ⴶⵔⴹ Taġreṭ ⵜⴶⵔⵟ ⁂ fs. φ ; daṛ Tĕġreṭ (Tăġreṭ) ‖ vallée ‖ Ăṛech. Ăseġraḍ ⵙⴶⵔⴹ ⁂ ms. ‖ mont ; lieu ‖ Ăhn. Ti-m-meġerḍen ⵜⵎⴶⵔⴹⵏ ⁂ fs. ‖ mont ; vallée ; point d’eau (taġ.) ‖ Ăhn. ⴶⵔⴼ I-n-ăġerouf ⵏⴶⵔⴼ ⁂ (« un de l’ăġerouf ») ms. ‖ vallée ; point d’eau ‖ entre Ăh. et Ăir ‖ l’ăġerouf est le grain produit par la plante appelée en tăm. tăġerouft. Tăġerâfet ⵜⴶⵔⴼⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Tăż. ⴶⵔⴶⵔ Ăġerġer ⴶⵔⴶⵔ ⁂ (« séné ») ms. ‖ vallée ‖ Ăir. Ti-n-ăġerġer ⵜⵏⴶⵔⴶⵔ ⁂ (« une du séné ») fs. ‖ vallée ‖ Oua-h. Ti-n-ăġerġer ⵜⵏⴶⵔⴶⵔ ⁂ (« une du séné ») fs. ‖ vallée ‖ Ănh. Ti-n-ăġerġer ⵜⵏⴶⵔⴶⵔ ⁂ (« une du séné ») fs. ‖ vallée ‖ Tăh. Ti-n-ăġerġer ⵜⵏⴶⵔⴶⵔ ⁂ (« une du séné ») fs. ‖ vallée ‖ Ăd. Téġerġert ⵜⴶⵔⴶⵔ⵿ⵜ ⁂ (« fruit de séné ») fs. φ ; daṛ Tăġerġert (Tĕġerġert) ‖ vallée ‖ Iṛer. Ăj. ⴶⵔⴶⵔ Ăġerâġer ⴶⵔⴶⵔ ⁂ ms. ‖ lieu ; monts ; points d’eau ‖ Ăj. Kel-Ăġerâġer ⴾⵍⴶⵔⴶⵔ ⁂ (« gens d’Ăġerâġer ») mp. (ms. Ăġerâġer ; fs. oult-Ăġerâġer ; fp. chêt-Ăġerâġer) ‖ np. d’une tribu touaregue plébéienne (ămṛid) de l’Ăj. Iġerâġriouen ⴶⵔⴶⵔⵓⵏ ⁂ mp. φ (ms. Ăġerâġer ; fs. Tăġerâġert ; fp. Tiġerâġriouîn), daṛ Ġerâġriouen, daṛ Tġerâġriouîn ‖ syn. du précédent. ⴳⵔⴳⵔ Tăgergera ‖ v. ⵔⴶⵔⴶ. ⴶⵔⴶⵙ Tăġerġist ⵜⴶⵔⴶⵙ⵿ⵜ ⁂ (« omoplate ») fs. ‖ mont ‖ Ăt. ă-s. ⴶⵔⴶⵙ éġerêġes ⴶⵔⴶⵙ nc. sm. φ (pl. iġeroûġas), daṛ ăġerêġes (ĕġerêġes), daṛ ġeroûġas ‖ crevasse (dans le sol, produite par ravinement) ; trou (dans le sol, produit par ravinement) ‖ p. ext. le pl. iġeroûġas sign. qlqf. « sol rempli de crevasses et de trous produits par ravinement ». iseġġeroûġas ⵙⴶⵔⴶⵙ nc. sm. φ (pl. s. s.), daṛ seġġeroûġas ‖ sol rempli de crevasses et de trous produits par ravinement. ⴶⵔⴾ Ăġârak ⴶⵔⴾ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăd. Ăġârak ⴶⵔⴾ ⁂ ms. ‖ vallée ; point d’eau (ân. 🚰 ∞ α) ‖ Ăd. ⴳⵔⵎ Teggermet ⵜⴳⵔⵎⵜ ⁂ mp. (ms. ou-Teggermet ; fs. oult-Teggermet ; fp. chêt-Teggermet) ‖ np. d’une tribu touaregue noble de l’Ăzaouaṛ. ⴶⵔⵏⴱⵉ Tăġrenbait ⵜⴶⵔⵏ⵿ⴱⵉⵜ (Tăġdenbait ⵜⴶⴷⵏ⵿ⴱⵉⵜ) ⁂ fs. ‖ village (cult. 06) ‖ Oua-h. ‖ le village de Tăġrenbait est dans la vallée de Tămaṅṛaset, près de son confluent avec celle d’Éżerżé ; il est à 18 kil. en aval du village de Tămaṅṛaset et il est à 2 kil. du village d’Amsel. ⴳⵔⵏⵏ Gernen ⴳⵔⵏⵏ ⁂ ms. ‖ mont ; vallée ; point d’eau (ăġ. 🚰 = γ) ‖ entre Ăhn. et Ăd. ⴶⵔⵓ éġéré̆ou ⴶⵔⵓ nc. sm. φ (pl. iġéré̆ouen), daṛ ăġéré̆ou (ĕġéré̆ou), daṛ ġéré̆ouen ‖ mer ‖ p. ext. « lac ; fleuve très large (comme le Niger ou le Nil) » ‖ p. ext. « fleuve du Niger » ‖ aṛil n ăġéré̆ou « côté du Niger » sign. p. ext. « Sud ». ⴶⵔⵓ Tăġeraout ⵜⴶⵔⵓⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ entre Ăh. et Ăd. ⴶⵔⵓⵍ ăġrioual ‖ v. ⵓⵍ. ⴶⵔⵔ éġérir ⴶⵔⵔ nc. sm. φ (pl. iġérîren), daṛ ăġérir (ĕġérir), daṛ ġérîren ‖ creux de terrain formé par l’eau (place de forme et de dimension qlconques creusée par les eaux dans un sol dur). téġérirt ⵜⴶⵔⵔ⵿ⵜ nc. sf. φ (pl. tiġérîrîn), daṛ tăġérirt (tĕġérirt), daṛ tġérîrîn ‖ dim. du pr. ‖ dans l’Ăd. téġérirt sign. souv. « lit (de vallée, de torrent, de ravin, de cours d’eau qlconque, à sec ou ayant de l’eau) » ; il n’a pas ce sens dans l’Ăh. Éġérir ⴶⵔⵔ ⁂ (« creux de terrain etc. ») ms. φ ; daṛ Ăġérir (Ĕġérir) ‖ vallée ‖ Ăd. ‖ la vallée d’Éġérir est tributaire de celle de Têlemsé. Éġérir-en-Reġmân ⴶⵔⵔⵏⵔⴶⵎⵏ ⁂ (« creux de terrain etc. d’Ireġmân ») ms. φ ; daṛ Ăġérir (Ĕġérir)-en-Reġmân ‖ lieu ‖ Ăfed. ‖ Ireġmân est le np. d’une vallée. Éġérir-en-Hemma ⴶⵔⵔⵏⵂⵎⴰ ⁂ (« creux de terrain etc. de Hemma ») ms. φ ; daṛ Ăġérir (Ĕġérir)-en-Hemma ‖ vallée ‖ Imm. ‖ Hemma est un np. d’hom. Iġérîren ⴶⵔⵔⵏ ⁂ (« les creux de terrain etc. ») mp. φ ; daṛ Ġérîren ‖ vallées ‖ Ăd. Téġérirt ⵜⴶⵔⵔ⵿ⵜ ⁂ (« le petit creux de terrain etc. ») fs. φ ; daṛ Tăġérirt (Tĕġérirt) ‖ vallée ; point d’eau ‖ entre Ăd. et Niger. Téġérirt ⵜⴶⵔⵔ⵿ⵜ ⁂ (« le petit creux de terrain etc. ») fs. φ ; daṛ Tăġérirt (Tĕġérirt) ‖ vallée ‖ Ăd. Ti-n-ĕġror ⵜⵏⴶⵔⵔ ⁂ (« une de l’enclos en pierres sèches servant à enfermer les chevreaux ») fs. ‖ vallée ‖ Ăt. ă-s. Ăġrar ⴶⵔⵔ ⁂ ms. ‖ région ‖ Ăh. ‖ l’Ăġrar est limité au Nord par l’Immîdir, à l’Est par la Téfedest, au Sud par l’Ăṛechchoum et l’Ăfedâfeda, à l’Ouest par l’Ăhnet et l’Immîdir. Le point d’eau d’I-m-meseknân forme limite entre l’Ăġrar, l’Immîdir et l’Ăhnet. Le point d’eau d’Énîker forme limite entre l’Ăġrar, l’Ăṛechchoum et la Téfedest. Ti-n-ġoûrar ⵜⵏ⵿ⴶⵔⵔ ⁂ fs. ‖ mont ‖ Ăd. Tăġroûrit ⵜⴶⵔⵔⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăneġ. Tiġoûrarîn ⵜⴶⵔⵔⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tġoûrarîn ‖ Gourara (région au Nord-Est du Touat) ‖ Sahara algérien. Tăġrira ⵜⴶⵔⵔⴰ (Tăgrira ⵜⴳⵔⵔⴰ) ⁂ fs. ‖ vallée ; mont ; point d’eau ‖ entre Ăh. et Ăir. ⴳⵔⵔⵎ I-n-tĕgrouram ⵏ⵿ⵜⴳⵔⵔⵎ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Ăir. ⴶⵔⵙ ăġoûras ⴶⵔⵙ (Ăir, Ioul.) nc. sm. φ (pl. iġoûrasen), daṛ ġoûrasen ‖ vallée ‖ non us. dans l’Ăh. tăġoûrast ⵜⴶⵔⵙ⵿ⵜ (Ăir, Ioul.) nc. sf. φ (pl. tiġoûrasîn), daṛ tġoûrasîn ‖ dim. du pr. ‖ non us. dans l’Ăh. Tegôrast ⵜⴳⵔⵙ⵿ⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ entre Ăd. et Ăzaouaṛ. ⴶⵔⵙ Iġerrésouten ⴶⵔⵙⵜⵏ ⁂ mp. φ (ms. Ăġerrésou ; fs. Tăġerrésout ; fp. Tiġerrésoutîn), daṛ Ġerrésouten, daṛ Tġerrésoutîn ‖ np. d’une tribu touaregue noble de l’Ăhaggar aujourd’hui éteinte. ⴳⵔⵙ Iseggeresen ⵙⴳⵔⵙⵏ ⁂ mp. φ (ms. Ăseggeres ; fs. Tăseggerest ; fp. Tiseggeresîn), daṛ Seggeresen, daṛ Tseggeresîn ‖ np. d’une tribu touaregue plébéienne (ămṛid) de l’Ăir. Kel-Geres ⴾⵍⴳⵔⵙ ⁂ mp. φ (ms. Ămesgeres ; fs. Tămesgerest ; fp. Timesgeresîn), daṛ Tmesgeresîn ‖ np. d’une tribu touaregue noble habitant au Sud de l’Ăzaouaṛ ‖ les Kel-Geres et les tribus qui dépendent d’eux forment un des 7 groupes principaux dont se composent les Touaregs. ⴳⵔⵙⵎ Égersemmi ⴳⵔⵙⵎⵉ ⁂ (Ăir) (« l’égersemmi ») ms. ‖ vallée ‖ Ăir ‖ l’égersemmi est un arbre. ⴳⵔⵜ Kel-Geret ⴾⵍⴳⵔⵜ ⁂ mp. (ms. ou-Geret ; fs. oult-Geret ; fp. chêt-Geret) ‖ np. d’une tribu touaregue noble de l’Ăir. ⴶⵔⵜⵎⵗ ăġertemmeṛ ⴶⵔ⵿ⵜⵎⵗ nc. sm. φ (pl. iġertemmeṛen), daṛ ġertemmeṛen ‖ endroit à sol inégal (endroit à sol bosselé, ayant des trous). ⴶⵔⵟ Taġreṭ ‖ v. ⴶⵔⴹ. ⴳⵔⵣⴳ I-n-gerzeget ⵏ⵿ⴳⵔⵣⴳⵜ ⁂ ms. ‖ point d’eau (ân. 🚰 ∞ β) ‖ Ăd. ⴳⵔⵣⵓ Igerzaouen ⴳⵔⵣⵓⵏ ⁂ mp. φ (ms. Ăgerzaou ; fs. Tăgerzaout ; fp. Tigerzaouîn), daṛ Gerzaouen, daṛ Tgerzaouîn ‖ np. d’une fraction des Ikeżkeżen, tribu touaregue noble de l’Ăir. ⴶⵔⵥⵔⵥ Ăġereżraż ‖ v. ⵔⵥ. ⴶⵗ Ti-n-tăġouḳ ⵜⵏ⵿ⵜⴶⵈ ⁂ (« une de la tăġouḳ ») fs. ‖ vallée ‖ Ăneġ. ‖ la tăġouḳ est une plante persistante. ⴶⵙ Ăġous ⴶⵙ ⁂ ms. ‖ région ‖ entre Ăd. et Niger. Teġassat ⵜⴶⵙⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăj. ⴳⵙ Gîset ⴳⵙⵜ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăir. Ti-n-egis ⵜⵏⴳⵙ ⁂ fs. ‖ vallée ‖ Ăir. ⴶⵙⵍⵎ Touġġ-esselâm ‖ v. ⴶ. ⴳⵙⵙ Tagsest ⵜⴳⵙⵙ⵿ⵜ (Taisest ⵜⵉⵙⵙ⵿ⵜ) ⁂ (« la tagsest ») fs. φ ; daṛ Tĕgsest (Tăgsest) ‖ vallée ; point d’eau (ăb.) ‖ Ăhn. ‖ la tagsest est une plante persistante. ⴶⵜ Tiġetteouîn ⵜⴶⵜⵓⵏ ⁂ (« les bâtons fourchus ») fp. φ ; daṛ Tġetteouîn ‖ monts ‖ Imm. ⴶⵜ Ăġatou ⴶⵜⵓ ⁂ (« fleur de dattier mâle ») ms. ‖ vallée ‖ Ăj. ⴶⵜ Ăġġit ⴶⵜ ⁂ ms. ‖ vallée ‖ Tăż. ⴳⵜ Kel-Ăggaten ⴾⵍⴳⵜⵏ ⁂ mp. (ms. ăg-Ăggaten ; fs. oult-Ăggaten ; fp. chêt-Ăggaten) ‖ np. d’une tribu touaregue noble de l’Ăir. ⴶⵜⴼ Tiġetfîn ⵜⴶⵜⴼⵏ ⁂ fp. φ ; daṛ Tġetfîn ‖ vallée ; monts ‖ Ăd. ⴳⵟⵉ I-n-geṭṭai ⵏ⵿ⴳⵟⵉ ⁂ mp. (ms. I-n-geṭṭai) ‖ vallées ‖ Ahṛ. ‖ la vallée d’I-n-geṭṭai est formée par la réunion de 2 vallées nommées chacune I-n-geṭṭai, qu’on distingue qlqf. en appelant l’une I-n-geṭṭai-mellen « I-n-geṭṭai blanc », l’autre I-n-geṭṭai-seṭṭĕfen « I-n-geṭṭai noir ». ⴶⵥ I-n-ġażżen ⵏ⵿ⴶⵥⵏ ⁂ (« un des joues ») ms. ‖ vallée ‖ entre Ăd. et Niger. I-n-ġażżen ⵏ⵿ⴶⵥⵏ ⁂ (« un des joues ») ms. ‖ vallée ‖ Ăneġ. ⴶⵥⵉ tăżeġġeżżit ⵜⵥⴶⵥⵜ nc. sf. φ (pl. tiżeġġeżżai), daṛ tżeġġeżżai ‖ pente (versant) [d’un relief de terrain qlconque]. ⴳⵥⵍ Tagżelt ⵜⴳⵥⵍ⵿ⵜ ⁂ (« rognon ») fs. φ ; daṛ Tĕgżelt (Tăgżelt) ‖ mont ; vallée ‖ Ăġr. Tigeżżâl ⵜⴳⵥⵍ ⁂ (« les rognons ») fp. φ ; daṛ Tgeżżâl (Geżżâl) ‖ monts ; vallées ‖ Ăġr. I-n-geżżâl ⵏ⵿ⴳⵥⵍ ⁂ (« un des rognons ») ms. ‖ point d’eau (ân. 🚰 = γ) ‖ Ăd. Agżel ⴳⵥⵍ ⁂ ms. φ ; daṛ Ĕgżel (Ăgżel) ‖ vallée ; point d’eau (ăġ. 🚰 ∞ α) ‖ Ăj. I-n-ĕgżel ⵏⴳⵥⵍ ⁂ ms. ‖ point d’eau (ân. 🚰 = γ) ‖ Oua-h. ⴶⵣⵍ I-n-ġezzoŭl ‖ v. ⴶⵂⵍ. ⴳⵣⵎ I-n-gezzâm ⵏ⵿ⴳⵣⵎ (I-n-gejjâm ⵏ⵿ⴳⵋⵎ) ⁂ ms. ‖ lieu ; point d’eau (ân. 🚰 ∞ α) ‖ entre Ăh., Ăd. et Ăir. ⴳⵣⵔⵎ I-n-gezzerâmen ⵏ⵿ⴳⵣⵔⵎⵏ ⁂ (« un des fouette-queue ») ms. ‖ chemin ‖ Imm.
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/235
{{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0481|481}}. — '''Œuvres Badines''', de {{sc|Piron}}. A Voluptopolis, chez les marchands d’amourettes, 1804.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume in-12 de 142 pages, demi-reliure chagrin rouge, plats papier chagriné, dos orné, tranches dorées. Avec 9 figures libres coloriées au pinceau. Texte différent des éditions précédentes. Voir {{lia|5|c0478|478|233}}, {{lia|5|c0479|479|233}}, {{lia|5|c0480|480|234}}, {{lia|5|c0482|482|235}}, {{lia|5|c0483|483|235}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0482|482}}. — '''Œuvres Badines''', de {{sc|Piron}}. A Voluptopolis, chez les marchands d’amourettes, 1804.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} Pet. {{in-8°}} carré de 120 p., broché, sans couv. impr., non coupé. Contrefaçon du {{lia|5|c0481|481|235}} (ne doit pas être de 1804) sans gravures. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0483|483}}. — '''Œuvres Badines, Libres et Erotiques''' d’{{sc|Alexis Piron}}, ''précédées d’une notice sur sa vie, et d’un essai sur le plaisir''. Seule édition complète. — Bruxelles, imprimerie de Walhen et {{Cie}}, MDCCCXX.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume in-16 de 180 p. Demi reliure toile rouge, plats marbrés, ébarbé. Avec 11 figures libres in-32, d’un format moitié plus petit que le texte. Édition très complète. Contient l’''Ode à Priape'' et une parodie. Voir {{lia|5|c0478|478|233}}, {{lia|5|c0479|479|233}}, {{lia|5|c0480|480|234}}, {{lia|5|c0481|481|235}}, {{lia|5|c0482|482|235}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0484|484}}. — '''La Berlue'''. — A Londres, à l’Enseigne du Lynx, MDCCLIX.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume petit in-12 de {{sc|x}}-166 p., reliure basane écaille, filet, dent, intér., dos orné, tranches rouges. Par Poinsinet de Sivry. Cet ouvrage, qui a été presque entièrement reproduit dans la ''Lorgnette Philosophique'', de Grimaud de la Reynière, a été poursuivi, à ce qu’affirme le Catalogue Wittersheim. On n’a pas trouvé trace de la condamnation, qui, sans doute, vise une réimpression. Mais, pourquoi diable cet ouvrage est-il en Enfer ? <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/233
Cette supercherie qui trompa tout le monde est l’œuvre de Joseph Marchena, Espagnol, né en 1768, à Utrera. Destiné à l’état ecclésiastique, il avait fait de bonnes études. Mais il aimait la philosophie et, pour fuir l’Inquisition, il vint en France, où il fut naturalisé. C’était un très petit homme, à figure de satyre, et qui se croyait aimé des femmes, ce qui ne laissait pas de le rendre ridicule. Il était bon latiniste, et, sans aucun livre, il composa ce fragment excellent pendant l’hiver de 1800, à Bâle, au quartier général de l’armée du Rhin. Il le publia avec de longues notes, et cette publication fit sensation. Plus tard, il réussit moins bien avec des vers supposés de Catulle. Marchena mourut dans la misère, à Madrid, en 1821. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0478|478}}. — '''Ode à Priape''', par {{sc|Pyron}}. Ornée de gravures représentant les sujets de chacune des douze strophes.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume s. l. n. d. de 12 pages, plus 6 planches de gravures (2 par planches). Demi-reliure maroquin rouge, plats marbrés, dos orné, tranches jaspées, signée ; ''Allô''. Bel exemplaire bien complet. Ce texte de l’''Ode à Priape'' porte en tête, au-dessous du titre répété : Air : ''Du malheureux Lisandre''. Voir {{lia|5|c0479|479|233}}, {{lia|5|c0480|480|234}}, {{lia|5|c0481|481|235}}, {{lia|5|c0482|482|235}}, {{lia|5|c0483|483|235}}, pour les œuvres de Piron, qu’on trouvera, d’autre part, dans de nombreux recueils collectifs. Des exemplaires d’éditions différentes de celle-ci, introduits clandestinement en France, ont été condamnés à la destruction par jugement du Tribunal correctionnel de la Seine (6{{e}} Chambre), en date du 25 juin 1869, inséré au ''Journal Officiel'' du 7 mai 1875 (Affaire contre Puissant et consorts). {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0479|479}}. — '''Œuvres Badines''' d’{{sc|Alexis Piron}}. — A Paris, An VI — 1798.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume in-12 de 178 p. Demi-reliure toile rouge, plats marbrés, ébarbé. Avec 1 frontispice non libre avec ces vers : {{brn|1}} <poem class=verse>Il laisse ma tente il me happe, Il m’enlève comme un moineau...</poem> {{brn|1}} Voir aussi {{lia|5|c0478|478|233}}, {{lia|5|c0480|480|234}}, {{lia|5|c0481|481|235}}, {{lia|5|c0482|482|235}}, {{lia|5|c0483|483|235}}. Depuis la première édition de ce livre, en 1796, jusqu’en 1872, <references/>
Poésies complètes (Charles d'Orléans)/Vie de Charles d’Orléans
Charles d’Orléans Vie de Charles d’Orléans Poésies complètes, Texte établi par Charles d’Héricault, Ernest Flammarion, 1915 (p. v-xlvii). Le Poème de la prison ► collectionVie de Charles d’OrléansCharles d’OrléansErnest Flammarion1915ParisCVie de Charles d’OrléansCharles d Orléans - Poésies complètes, Flammarion, 1915.djvuCharles d Orléans - Poésies complètes, Flammarion, 1915.djvu/7v-xlvii VIE DE CHARLES D’ORLÉANS. ______ L’Esprit Français possède deux qualités qu’il semble particulièrement chargé de faire valoir dans le concert de l’Esprit Humain. D’autres peuples peuvent cultiver l’intelligence plus profondément ou plus minutieusement ; ils peuvent rendre leurs sentiments avec une poésie plus souple, plus mélodieuse, plus gracieuse, plus colorée, leurs sensations avec une imagination plus variée, plus humoristique, plus ironique, plus réellement observatrice, plus habile ou plus saisissante. Le génie de la France a, par-dessus tout, la Force et la Finesse. Je ne veux pas prouver ici que c’est de la première que naissent sa Simplicité et sa Précision, — les vrais éléments de la force durable, — que c’est de la seconde que vient sa Clarté, — première conséquence de la véritable finesse. — Mais je puis dire que dès le début de notre histoire littéraire, dès que notre langue eut cessé de bégayer, Force et Finesse se montrent de compagnie : le Voyage de Charlemagne, cette raillerie si inattendue, n’est pas bien loin de la chanson de Roland ; chansons de gestes et fabliaux cheminent côte à côte, parfois même en se mêlant ; et la chanson de Beaudoin de Sebourg finit le grand cycle de la croisade. Nous reconnaissons pour grand siècle, non pas celui où il y a eu le plus de puissance créatrice, le plus de poésie, le plus de philosophie, non pas le xiiie ou le xvie ou le xviie, mais celui où la Force a été le plus constamment à côté de la Finesse, où Corneille est en compagnie de Racine, Bossuet près de La Fontaine, Sévigné dans le voisinage de Pascal ; et notre grand homme, ce n’est pas celui qui a l’esprit le plus varié, le génie le plus vaste, l’imagination la plus colorée, le style le plus pur, c’est l’homme qui a su le mieux équilibrer la force et la finesse, c’est Molière. Cet équilibre, il semble que nous devions le chercher sans cesse par des réactions, même par des excès de l’une de ces qualités quand l’autre s’est livrée à la débauche : après les épenses de mièvrerie et de poésies fugitives où la Finesse se ruinait au commencement du xviiie siècle, vinrent à la fin les extravagances mugissantes de la Force, les discours pompeux, les proclamations emphatiques et les déclamations enthousiastes. Et pourtant derrière toutes ces parades de la Force en délire la Finesse, tout efl’arouchée qu’elle fût, préparait ses traits qui allaient partir sous le Directoire en mille couplets, vaudevilles et pamphlets. Enfin, cet équilibre, la postérité dans ses jugements travaille toujours à l’établir. Elle donne leur revanche aux représentants de la Finesse quand ceux-ci, écrasés par une puissante rhétorique, par un pédantisme tyrannique, par un goût excessif de l’ampleur et de la vigueur, ou par un besoin momentané du travail scolastique et de la recherche érûdite, ont été méconnus par leurs siècles. C’est ici que j’en viens directement à Charles d’Orléans. Il occupe dans l’histoire littéraire, comme dans l’histoire politique, nous le verrons, la plus rare position, et si rare qu’elle a presque les allures d’un mystère. Voici, en effet, un poëte, un vrai poëte, non pas un artiste dans telle et telle école, au nom de telle ou telle mode ou règle de rhétorique, mais un poëte du cœur humain, inspiré par un sentiment large, naturel et sincère. Encore aujourd’hui, il nous paraît charmant malgré la vétusté et les couleurs ternies de l’habit qu’il porte. Ce poëte était, en même temps, un grand seigneur, un prince, un Mécène. Il méritait donc d’être connu, et il avait toute chance d’être vanté. De plus, il arrive au commencement de la Renaissance, au moment où la passion de la poésie est développée jusqu’au délire ; il écrit aux débuts de l’imprimerie, au temps où les plus creuses rimes sont reproduites. Il avait donc de plus en plus chance d’être connu. Son fils, Louis XII, un protecteur des lettrés, monte sur le trône. François Ier est son neveu, et François Ier développe, met en honneur justement les qualités littéraires où son oncle a brillé, il protège les poëtes qui sont de la même famille intellectuelle, et c’est tout ce qui fait l’immense gloire de Marot, que d’avoir des tendances poétiques analogues à celles de Charles d’Orléans. Là encore, celui-ci avait donc toute chance d’être vanté. Or non-seulement il n’est pas vanté, il n’est même pas connu. Il est oublié à un point qui ne se peut dire. Ses contemporains n’en parlent pas, ses successeurs du xvie siècle n’en sonnent mot et son existence était ignorée du xviie siècle. Il y a là, sans doute, un mystère qui a paru assez étonnant à tous ceux qui se sont occupés de Charles d’Orléans. Je crois que l’explication est possible, on la trouve en étudiant l’histoire littéraire du xve siècle. La linesse pure que représente Charles d’Orléans était exclue de ce siècle. Villon n’a passé, si je puis dire, qu’à l’aide de sa vigueur intellectuelle ; encore la place que ses contemporains lui ont faite est-elle bien petite. La postérité a été obligée de prendre sa cause en main, quoique avec moins d’efforts que pour Charles d’Orléans et pour ces trois autres inconnus du xve siècle, ces trois autres charmants et réhabilités représentants de la Finesse, les auteurs du Petit Jean de Saintré, de Jean de Paris et de l’avocat Pathelin. Villon et Pathelin n’avaient survécu que par ce qu’ils avaient de grossièrement populaire. Les trois autres écrivains qui n’avaient rien que de fin furent oubliés. L’instinct littéraire du xve siècle, l’instinct général se portait vers la science, vers l’ampleur, vers la gravité et l’emphase, vers tous les excès du travail et de la vigueur intellectuelle ; l’aisance, la simplicité, la grâce étaient oubliées ou méprisées. Or cet instinct était énergique, et il avait créé une école puissante, dédaigneuse comme toutes les écoles de pédants, habile dans l’art de l’admiration mutuelle, comme toutes les écoles oij la médiocrité domine, et violemment exclusiviste comme toutes celles où la recherche et la convention sont le mot du guet. Pour elle, pour cette école où les Molinet, les Crestin, les Le Maire étaient les grands maîtres, tout ce qui ne se rangeait point parmi les disciples, qui n’acceptait pas les formules consacrées, et avait la candeur de cultiver les formes aisées soit du rhythme, soit de la langue, tout cela était méprisable, grotesque, inavouable et soumis à l’excommunication majeure du dédain et de l’oubli. Pour de tels pontifes littéraires, Charles d’Orléans qui disait simplement les choses, dans une langue sans prétention ; qui n’avait essayé aucune des soixante manières de torturer un rondeau, et qui n’avait pas eu l’humilité de demander la permission de parler français en s’excusant humblement de son maternel et rural langage, Charles d’Orléans était un profane. Il était un poëte amateur, un poëte d’album, pour me servir de cette désignation moderne. C’est là le mot, et c’est là l’explication du mystère de sa position. Ce jugement fut accepté, imposé à ceux deses parents qui occupèrent le trône et tenu pour bon par Louis XII comme par François Ier. Il fut donc dédaigné parce qu’en un temps où l’école était toute-puissante, il ne fut pas poëte de l’école du xve siècle, mais un poëte français, un poëte humain. Par contre, c’est pour cela que la postérité l’a réhabilité. Je me suis parfois demandé si le trouble apporté dans les habitudes littéraires par les premiers efforts de l’imprimerie ne fut pas pour quelque chose dans l’obscurité de notre poète. J’ai supposé que Charles et ses copistes avaient été portés à rester dans les vieilles traditions du Moyen Âge qui renfermaient les œuvres importantes, les œuvres des princes dans les manuscrits, dans les parchemins bien écrits et bien ornés. Peut-être les préjugés du temps forçaient-ils le duc de sang royal à considérer la publicité de ses œuvres comme indigne de lui, et les œuvres imprimées comme choses de commerce banal et de marchandise bourgeoise. Il n’y a là qu’une hypothèse, que je livre à la discussion. J’ajouterai que Louis XII et François Ier ont dû être tentés de voir dans ces poésies des impressions toutes personnelles, tout intimes, toutes de famille, et qu’il ne convenait pas de confier au public. Quoi qu’il en soit, c’est aux accidents de sa vie, à son long emprisonnement que le prince dut d’être resté ainsi personnel, original, de s’être maintenu dans le grand courant de la poésie humaine et dans les lignes générales de la littérature. Sans eux, il eût eu quelque chance de devenir un savant élève d’Eustache Deschamps, un émule d’Alain Chartier, de Georges Chastelain et de Meschinot, il nous eût peut-être donné, avant Blaise d’Auriol, des ballades doubles couronnées à double unissonnance, ou dorées par équivoques mâles ou femelles, simples, composées ou mêlées. Mais il n’eût pas affermi, fortifié la langue française et enrichi de véritables joyaux notre trésor intellectuel. Il n’eût pas surtout, ce qui est sa plus grande gloire comme son mérite éminent, été un des chaînons de cette tradition qui permit au xviie siècle de fixer la langue française ; un de ces fermes et indépendants écrivains qui, de la fin du xiiie siècle au milieu du xvie, pendant ce long sommeil où l’originalité créatrice avait cédé la place à l’imitation consciencieuse, lourde et pédante, ont défendu naïvement le génie français. Les incidents de sa vie ne servirent pas seulement à lui donner une place à part dans notre littérature, ils le mirent aussi dans une des plus curieuses situations que l’histoire puisse enregistrer. Il fut la Belle-au-Bois-dormant de la féodalité. Il s’endormit quand les grands vassaux, dont il était l’un des plus puissants, étaient tout, et se réveilla quand la royauté restait presque complètement maîtresse de la France. La biographie que nous allons donner aussi étendue que le permettent les limites de ce livre, va nous fournir les preuves et le développement de ces idées préliminaires. I Notre poëte est fils de Louis de Valois, duc d’Orléans, qui était frère de Charles VI et second fils de Charles V. Il eut pour mère Valentine, fille de Galéas Visconti, seigneur de Milan. Louis et Valentine ont laissé dans l’histoire une trace lumineuse qui éclaire et la vie que nous esquissons et les origines de la Renaissance. Louis d’Orléans est un des types les plus accusés de cette race des Valois, la branche la plus épanouie et la plus parfumée de la fleur de lis, la poésie chevaleresque de la maison de France ; race qui paraît avoir eu pour caractère d’aimer les belles ou les grandes choses, qui subit le plus de revers, qui tomba le plus bas et porta le pays au plus haut. Non moins saisissante par la variété de ses fortunes que par la fougue de son mouvement, elle semble avoir fait de l’histoire de France un merveilleux poème épique, moitié chanson de peste héroïque, moitié roman d’aventures, amoureux et chevaleresque. Louis de Valois, l’un des plus ambitieux et des plus voluptueux de ce sang audacieux et galant, l’un des plus lettrés de cette famille magnifique, et des plus fanatiques d’art et de luxe, résuma en lui toute cette diversité des destinées de sa maison, son éclat et son infortune. Il rêva dix couronnes et mourut comme l’on sait. Exécré de la masse de ses contemporains qu’il insultait par l’effronterie de ses amours, haï par le peuple qu’il pressurait pour les besoins de son luxe, méprisé par la bourgeoisie, déjà maîtresse de l’opinion et de la chronique et qui voyait en lui, non-seulement un libertin effréné, non-seulement un tyran cupide, mais un savant, un penseur, un curieux, un novateur dont les recherches inquiétaient les préjugés ; il sut pourtant séduire jusqu’à l’histoire. Cette puissance de séduction, si grande que les gens du xve siècle y voyaient de la sorcellerie, il l’exerce jusque sur nous ; et nous sommes toujours tentés d’oublier les hontes de sa corruption, l’odieux de son avidité et la folie de son ambition, pour nous représenter sa générosité, sa bonté, sa franchise, pour nous rappeler l’ami des poites et des lettrés, l’amoureux des beaux livres, des peintures, des grands monuments comme des tins joyaux, des reliures, des tapisseries, des pierres fines. Mais ses contemporains mêmes, si disposés qu’ils fussent à le mal juger, rendaient justice à ses hautes qualités intellectuelles. Un voyageur qui nous raconte ses impressions de l’an 1395 nous dit, non-seulement qu’il est taillé pour faire un grand prince, mais il constate sa sagesse (sa science). Quel cœur de fer ne s’attendrirait pas, dit le Religieux de Saint-Denis, en voyant l’exécrable meurtre de ce prince si intelligent et si politique, dont l’éloquence élégante le mettait au-dessus des autres seigneurs, et que sa beauté et sa bonté infinie rendaient si attrayant. C’était cette facilité d’éloquence plus encore peut-être que l’étendue de ses connaissances qui frappait les gens graves de son temps. Le Religieux de Saint-Denis y revient encore : il avait, dit-il, à titre de prérogative singulière, une éloquence naturelle et d’une extrême facilité. Juvénal des Ursins nous le montre un jour haranguant ses ennemis les Parisiens. « Il usa de moult belles et gracieuses paroles, dit-il, car il en estoit bien aisé. » Retenons ces qualités de facilité, d’aisance et de grâce en songeant à notre poëte. Celui-ci dut plus encore à Valentine, Valois elle aussi par sa mère, mais par-dessus tout italienne, et si je puis dire, l’une des mères de la Renaissance. C’est elle qui, en donnant à ses enfants des droits sur ritalie, poussa la France à aller chercher là le soleil qui devait faire éclore les germes littéraires ensevelis par le xve siècle sous la poussière germaine, flamande et bourguignonne ; elle aussi qui en donnant à ses descendants Louis XII, François Ier et Henri II cette grâce particulière au génie transalpin, assouplit la force française et étendit, en l’amollissant, la finesse gauloise. Cette grâce si expressive en elle que les contemporains, là encore, criaient à la sorcellerie, cette souplesse, cette mollesse, cette chaleur intellectuelle, nous ne devons pas les oublier non plus en songeant à Charles d"Orléans. C’est donc de ce Valois, poëte, amoureux, lettré, remarquable par les qualités faciles de son esprit et de son cœur, de cette Italienne sensible, gracieuse, aimante et intelligente, de ce père et de cette mère énergiques tous deux, ambitieux tous deux, que naquit notre poite, le 26 mai 1391. Cette date n’est mise en doute par personne, et à défaut d’autres preuves, les Comptes de l’Hôtel suffiraient pour laisser cette année 1391 hors de doute. Pourtant les deux plus graves historiens de ce temps, l’un, historiographe presque officiel, le Religieux de Saint-Denis, dont je parlais plus haut, nous dit : Vers le milieu de novembre — de l’année 1394, — madame la duchesse d’Orléans, dans la maison royale de Saint-Paul, mit au monde un fils auquel « le roi de France, Charles, en le tenant sur les fonts sacrés, donna son nom. » « En ladite année, 1394, nous raconte l’autre historien Juvénal, que je citais aussi, la duchesse d’Orléans eut un fils nommé Charles, et à le baptiser y eut grande solennité. » Belle-forêt, Guyon, Mézeray nous donnent aussi 93 ou 94. Devons-nous supposer que les deux vieux chroniqueurs aient confondu la naissance avec le baptême qui eut lieu, deux ans plus tard, et où, en effet, entre autres solennités, Louis d’Orléans créa cet ordre du Porc-Épic dont parlait tout au long la Chronique aujourd’hui perdue, ou momentanément perdue, d’Hannotin de Clairieux, héraut dOrléans. Nous aurions trouvé dans cette Chronique le nom de tous les personnages, familiers ou amis de la maison d’Orléans et parmi lesquels Charles avait passé son enfance. Nous pouvons supposer qu’il fut élevé au milieu des poëtes et parmi les livres. Les poëte avaient toujours joué un grand rôle dans l’éducation militaire et chevaleresque des grands barons, et les livres, au xive siècle et sous les Valois, commençaient à joindre leurs efforts à ceux des poëte-chanteurs. Cette sorte de cour d’amour qui gravitait autour de Louis d’Orléans et à laquelle nous devons le livre des Cent Ballades ne fut pas sans influence sur ce jeune esprit. Les deux grands auteurs d’alors, Eustache Deschamps et Christine de Pisan, étaient les favoris de Louis, entouré d’ailleurs de translateurs et d’escrivains tout autant que de peintres-enlumineurs, d’imagiers, d’architectes et d’orfèvres. La Bible, les Histoires anciennes, la Vie de saint Louis, le Miroir historial, les Chroniques de France, il fait tout traduire. Il achète des Ballades, des Chansons, tous les livres de poésie, de moralité et d’histoire. La collection de Joursanvault nous donne le détail de ces achats, les titres de ces ouvrages qu’on retrouvera plus tard dans la bibliothèque de Charles et signés de sa main. C’est là, sans doute, qu’il chercha la récréation de ses yeux d’enfants, de son esprit d’adolescent. Je ne veux pas oublier de citer, à côté de toutes ces élégances des palais paternels et de toutes ces sources d’instruction, ce jardin de Saint-Marcel où son père avait rassemblé tant de plantes rares et dont la verdure et les fleurs purent fournir à son imagination poétique les éléments que nous y trouverons plus tard. En fait, la première fois que je le vois agir, c’est en 1399 et 1400. Il est alors escuyer, et au mois de mai, en compagnie de quelques grands seigneurs, il reçoit, sslon l’usage, une houppelande des mains du roi. En 1402, les comptes des dépenses de la maison d’Orléans nous le montrent escorté d’un chapelain et d’un maistre d’école. En 1403, Charles VI lui fait une pension de 12,000 livres d’or. Je n’ai plus présente à l’esprit la date des pourparlers qui eurent lieu sur la question de le marier avec la marquise de Moravie, nièce de Wenceslas, roi des Romains. Louis d’Orléans, très-ambitieux pour son fils comme pour lui, le voyait déjà, grâce à cette union, roi de Bohême, de Hongrie et de Pologne. Ce projet fut très vague, j’imagine. Le 4 juin 1404, on le fiança avec Isabelle, fille aîné de Charles VI, veuve à dix ans du roi Richard d’Angleterre qu’elle n’avait pas connu, et revenue en France depuis le mois d’août 1401. Le mariage eut lieu le 29 juin 1406. La jeune princesse avait alors dix-sept ans, — elle était née le 13 novembre 1389, — Charles, quinze ans. « Pleuroit fort ladite Isabeau, » dit Juvénal des Ursins, qui indique en la Îirincesse un grand dépit d’avoir pour mari un enfant, e lis, dans une des notes de Gaignères qu’elle apporta à ce jeune époux 500,000 francs de dot. J’avais d’abord été tenté de trouver là quelque confusion avec les 500,000 francs de la dot que les Anglais devaient restituer et qu’ils gardèrent, en menaçant de conserver la princesse, si on ne leur permettait pas de la dépouiller. Les archives nationales, dans l’original du traité de mariage (5 juin 1406), ne parlent que de 300,000 livres. Mais je vois une lettre du 23 juin 1406, par laquelle Charles VI promet de donner en outre 200,000 livres. Quant à Louis d’Orléans, il assigna pour douaire à sa belle-fille six mille livres de rente sur la châtellenie de Crécy en Brie. Les dispenses nécessaires pour célébrer le mariage entre cousins germains avaient été accordées par Benoît XIII, à Tarascon, le 5 janvier 1405. Nous ne savons rien de ce mariage, sinon que la pauvre princesse mourut en couches le 13 septembre 1409, laissant une fille, celle même dont la naissance lui coûtait la vie. Quelques biographes s’étonnent que Charles n’ait pas chanté son bonheur, lui qui aimait tant, disent-ils, à entretenir le public de tout ce qui le concernait et qui a tant vanté sa seconde femme, Bonne d’Armagnac Ils en concluent qu’il a été fort malheureux. Mais l’embarras même où ils sont pour deviner qui est cette beauté que le prince a chantée, démontre au contraire que s’il disait volontiers ses impressions, il racontait peu ses aventures, et qu’il faisait de la poésie, non de la chronique scandaleuse. Je montrerai plus tard, du reste, que rien ne prouve qu’il n’ait pas adressé ses vers à Isabelle, et c’est pure fantaisie de supposer que son poème s’inspire de Bonne d’Armagnac, morte deux ans avant le temps où il envoie un messager à cette dame Beauté, le soi-disant symbole de la demoiselle d’Armagnac. Quoi qu’il en soit du rêve ou du cauchemar qu’a pu être pour lui cette première année de ménage, il en fut réveillé par un terrible coup. Le 23 novembre 1407, Louis d’Orléans était assassiné par les gens du duc de Bourgogne, « la plus piteuse et douloureuse aventure, dit Monstrelet, qui de longtemps fut arrivée au chrétien royaume de France. » La nouvelle de ce crime fut apportée à Château-Thierry où il était avec sa femme et sa mère. Cette mort lui donnait, au nom du testament fait par Louis en 1403, le duché d’Orléans, les comtés de Valois, de Blois, de Dunois et de Beaumont, la baronnie de Coucy, la châtellenie de Chauny, Fallouel et Coudren, le duché du Luxembourg, le comté d’Ast, tous les droits qui pouvaient lui venir du chef de sa mère, héritière des ducs de Milan, et un véritable trésor d’objets mobiliers. Mais il lui imposait aussi une situation que nous allons étudier. II. À la mort de son père, Charles, jusque-là comte d’Angoulême, devint duc d’Orléans et l’un des quatre chefs de la féodalité française. Je compte, en etfet, avec lui, non-seulement le duc de Bourgogne et le duc de Bretagne, mais aussi le roi d’Angleterre. Il faut bien comprendre la situation de ce dernier pour expliquer et excuser la conduite de Charles d’Orléans en mainte circonstance. Le roi d’Angleterre était dans une position analogue à celle du roi de Sicile, prince français, seigneur de l’Anjou. Il était, non pas seulement un roi étranger, mais un grand baron français par droit légitime de mariage et d’héritage. À ne consulter que les vieux usages féodaux, largement interprétés dans ces temps de troubles, ses pairs pouvaient, sans forfaire à l’honneur contemporain, voir en lui un allié. C’était là le vice de la féodalité déclinante. Elle avait été le progrès, la civilisation, le salut de la France, elle en devenait la ruine. Après avoir été une institution féconde, elle était un parti, et comme l’histoire nous le montre de tous les partis, elle mettait ses pré- jugés et ses intérêts au-dessus des instincts supérieurs de la famille, du patriotisme, de la morale et de la religion. J’insiste sur cela qui doit éclairer, ai-je dit, quelques points de cette biographie. On ne prouverait pas grande équité j’imagine, en faisant peser sur Charles d’Orléans tout le poids des fautes et des idées de son temps. Je n’ai pas compris les barons du Midi dans ma liste des puissances féodales. Ecrasé depuis la guerre des Albigeois, obligé de lutter, constamment contre les Anglais maîtres de la Guyenne, ce pays cherchait à former des ligues de province pour sa propre défense. Mais il n’avait pas à présenter un seigneur dont la puissance pût se comparer à celle des quatre grands princes que nous venons de signaler. Il se mêla pourtant à la lutte et y prit bientôt, grâce au génie de son représentant, le comte d’Armagnac, une part prépondérante. Dans le début, et avant d’être un des derniers incidents de la grande querelle entre le Nord et le Midi, avant de devenir le suprême événement de la bataille engagée entre la France et l’Angleterre, l’affaire fut surtout un duel féodal, une sorte de combat judiciaire entre Orléans et Bourgogne. Duel, combat, où chacun en appelait au jugement de Dieu et où la royauté devait intervenir comme juge de camp, pouvant, au moment venu, jeter entre les combattants le bâton de commandement qui devait les séparer. Mais débile encore, plus affaiblie en ce début de sa puissance que la féodalité en son déclin, la royauté se laissa traîner à la suite des deux combattants pour mettre au service tantôt de l’un tantôt de l’autre ce peu qu’elle avait alors de prestige et de force. Il nous faut nous contenter de ce résumé sommaire de la situation historique au milieu de laquelle notre prince s’agita depuis la mort de son père jusqu’à la bataille d’Azincourt. Était-il bien capable de diriger et de dominer des événements aussi graves que ceux où il se trouvait si brusquement, si douloureusement jeté, événements dont la gravité allait se développer de jour en jour et le mettre lui en une telle lumière que l’histoire de France n’est plus à ce moment que l’histoire de Charles d’Orléans ? C’est la première de toutes les questions sur lesquelles les biographes de notre poëte sont peu d’accord ; et ici, comme en tout le reste de cette étude, je voudrais me délier de l’enthousiasme des uns comme de la rudesse critique des autres. On ne peut pas demander à cet adolescent de feize ans, quittant brusquement la tutelle d’un père tel que Louis d’Orléans, d’avoir vu tout clairement que lui, son nom, son parti allaient devenir la France, la nationalité française et d’avoir été de prime abord à la hauteur d’une telle situation. Je reconnais volontiers qu’il n’y fut jamais — et pour y être, il n’eût fallu rien moins que voler la couronne et prendre le pouvoir royal. — Ce fut son nom plutôt que sa personne qui commanda son parti, et il fut un drapeau plutôt qu’un chef. Si je puis dire, le vrai chef fut Bernard d’Armagnac et il portait notre duc comme un drapeau. Je sais bien encore que les qualités intellectuelles fines et charmantes que Charles montra plus tard et qui étaient essentielles à sa nature, n’accompagnent généralement pas les dons du grand capitaine et du grand homme d’État. Mais il n’était pas si dénué qu’on le dit de l’ambition qui distingue son père, de l’ardeur et de la diplomatie que montra Valentine. Nous le voyons toujours en tête des siens, à la bataille et mêlé à tous les conseils. Il n’était sans doute pas en âge de les diriger ; toutefois il accepta volontiers les plus énergiques, et il les suivit, revenant sans cesse à la rescousse, reprenant toujours la lutte. On lui reproche d’avoir laissé à son frère Philippe la plus grande part du soin de la guerre, on oublie qu’il était, non-seulement chef de guerre, mais chef de famille et chef de parti et qu’il avait des devoirs politiques, des fonctions diplomatiques à remplir qui pouvaient fort bien le forcer à remettre à son frère une autre partie de son fardeau. On l’accuse encore d’avoir accepté à plusieurs reprises de faire la paix avec l’assassin de son père. Ne faut-il pas tenir compte et des circonstances et de l’autorité royale qui reparaissait, en ces moments !à, avec toute sa puissance et son prestige pour dominer l’adolescent, et aussi de l’impression profonde que pouvaient faire dans ce jeune et sincère esprit les conseils de gens pieux qui parlaient du pardon des injures, les rériexions des gens graves qui montraient le besoin que la pauvre France avait de la paix. Les détails que nous avons sur ses entrevues avec les Bourguignons nous le inontrent résistant de son mieux ; et toujours, et aussitôt qu’il le put, il reprit les soins de sa vengeance et de sa politique. On le voit trop tel qu’il fut plus tard quand, alourdi physiquement, et moralement affaissé par vingt ans de captivité, il eut pris pour devise Nonchaloir, pour consolation l’Insouciance et pour Dieu la Résignation. On oublie que ce sont les plus ardents, les plus actifs, les plus ambitieux que l’âge amollit le plus quand ils ont lutté longuement contre des liens que nul effort n’a pu briser. Il me serait facile de montrer combien Charles dépensa d’énergie, si je pouvais entrer dans les détails minutieux de ces sept années de luttes. Mais, ainsi que je le disais plus haut, sa biographie, à cette date, c’est toute l’histoire de France. Elle est connue. Je n’en veux indiquer que les grandes lignes et quelques traits plus particuliers, ou plus ignorés, ou plus personnels à notre poëte. Louis d’Orléans avait été assassiné le 7 novembre. La première pensée de Valentine est pour la sûreté de ses enfants. Elle les envoie au château de Blois où l’on commence ces travaux de fortifications, ces amas d’artillerie qui vont se continuer pendant les années suivantes, dans les principales forteresses des domaines d’Orléans. Messire Guillaume de Braquemont, messire Guillaume de Trie, et Pierre de Mornay, seigneur de Gaules, chevalier fort connu sous le nom de Galuet, nous sont indiqués par divers documents comme présidant alors la maison militaire des d’Orléans : Galuet surtout, qui était chambellan de Charles d’Orléans, et qui devint gouverneur du château de Blois. Nous avons ses quittances en cette qualité, de juillet 1408 à février 1409. Nous le retrouvons souvent dans le cours de cette biographie. Nous vovons notamment qu’il accompagnait Valentine, partant le 24 novembre 1407, — Monstrelet ne nous indique son arrivée que le 10 décembre, — par le plus terrible hyver du siècle, pour venir à Paris demander vengeance de la mort de son mari. Elle y vint avec son pl’is jeune fils, Jean, et sa belle fille, fille du roi « en estat du plus hault deuil, dit le Geste des nobles, qui devant eust esté veu. » Mais, comme le dit Juvénal des Ursins, « pour lors elle ne fit guères. » Elle avait pourtant en son nom et, « comme ayant la garde et gouvernement de ses enfants, » selon la formule qu’elle employa toujours, prêté serment au roi pour les diverses seigneuries de la maison d’Orléans. Charles, après s’être préparé de son mieux à la guerre facile à prévoir, et avoir notamment gagné l’alliance du duc de Bretagne, vint à Paris pour faire lui-même cet hommage de ses terres au roi. Sa mère l’avait précédé de quelques jours. Cette fois elle était arrivée le 27 août 1408, avec une suite qui était une armée. Le registre du conseil du roi dit que ce fut le lundi 28. « Elle arriva en une litière couverte de noir, à quatre chevaulx couverts de drap noir, à heure de vespres, accompaignez de plusieurs charios noirs pleins de dames et de femmes et de plusieurs ducs et comtes et gens d’armes. » « Environ huit jours après, écrit Monstrelet, Charles — il avoit été nommé comte d’Angoulesme jusqu’à la mort de son père — d’Orléans accompagné de 300 hommes d’armes — environ 1500 hommes — vint à Paris. » « C’étoit le 9e jour de septembre, dit Juvénal, le duc d’Orléans en bien humble estat, vestu de noir, tout droit s’en alla à Saint-Paul vers le roy pour lui demander vengeance de la mort de son père. » Valentine resta à Paris avec sa belle-fille. Si nous en jugeons par certains détails domestiques que nous livrent les litres et papiers de la maison d’Orléans, elle y demeura assez longtemps, plus longtemps même que je ne l’eusse supposé. En effet, Philippot Boulart, épicier, chargé de fournir l’hostel de Behaigne ou de Bohême, d’épiceries de chambre (dragées et sucreries) et qui paraît faire un commerce lucratif puisqu’il vend chaque jour une quinzaine de livres de cette épicerie, nous donne le compte de ce qu’il a livré en 1408 à Madame Valentine de dragées (à 10 sous la livre), de noix confites (à 7 sous la livre), de pignolet, de sucre rosat, etc., pour la fête du roi. Ce devait être le 4 novembre. Valentine mourut le 4 du mois suivant à Blois, « de courroux et de desplaisance de ce qu’elle ne pouvoit avoir justice de son feu bon seigneur et mari. » Charles était depuis longtemps retourné à Blois. Nous l’y voyons au mois de septembre, s’occupant toujours de fortifier ses bonnes villes et son parti. Nous avons, en effet, plusieurs montres et revues de gensd’armes qui prouvent son activité et sa prévoyance. Entre autres détails nous voyons que treize écuyers qui formaient, si je ne me trompe, une compagnie de quarante hommes lui coûtaient 87 francs par mois. Dès la mort de sa mère, Charles VI l’émancipe et lui fait don de tous les droits de garde et de prise auxquels le roi avait droit comme tuteur des princes mineurs. Le principal obstacle qui s’opposait à la pacification des seigneurs de la fieur de lis paraissait enlevé avec la mort de l’énergique et vindicative duchesse. Le 2 mars 1409, le roi mande à Chartres plusieurs membres du parlement pour aviser à la paix entre les princes. On peut lire dans les mémoires de Monstreict et dans ceux de Saint-Remi le récit de la scène de réconciliation, qui se passa alors en cette ville de Chartres, scène émouvante et grande, où Charles et ses frères furent loin de montrer cette faiblesse dont on les accuse. Mais que pouvaient faire ces enfants doublement orphelins à qui le roi, l’Église, toute la France, pour ainsi dire, venaient au nom de la religion et du patriotisme imposer le pardon des injures ? Mais si, comme l’indique un chroniqueur, ils consentirent à se laisser embrasser par Jean de Bourgogne, la tendresse ne fut pas longue. Le conseil royal a beau régler la maison militaire de Charles, décider — pour le temps qu’il passera à Paris, autant que je puis comprendre — qu’elle se composera, en dehors des conseillers, chambellans et gentilshommes, de douze chevaliers et douze escuyers servant quatre par quatre pendant deux mois, ayant bouche a cour, foin et avoine pour quatre ou deux chevaux et payés, les chevaliers : 5 sous, les escuyers : 2 sous par jour, il passa aisément par-dessus ces règles. Le cartulaire de Senlis nous le montre dès septembre 1409, cherchant à attirer les bonnes villes dans son - parti. Nous le voyons pendant cette année 1409 à Blois ou au château de Brie-comte-Robert. Au Ier juin 1409 une lettre patente nous le montre à « Monstereau où Fault d’Yonne. » C’est le 13 septembre de cette année qu’il perdit, avons-nous dit, sa première femme « pour la mort de Inquelle le duc eut au cœur très-grand’douleur, et depuis prit consolation pour l’amour de sa fille, » de cette fille qui coûtait la vie à sa mère. Cette consolation semble être venue assez vite, quoioue le Religieux de Saint Denis parle de ses continua lamenta. Galuet, qui avait été dépêché vers le comte d’Armagnac, revint avec un traité d’alliance politique et matrimonial. Charles se fiançait avec Bonne, fille de ce comte d’Armagnac et de Bonne de Berry. Les fiançailles eurent lieu à Meun-sur-Yèvre. Dans l’intervalle des préparatifs, nous le voyons, en janvier, février, mars 1410, à Blois où il signa, fin mars, les comptes de son secrétaire, maître Pierre Sauvage. Il avait refusé de se joindre à cette « grande compagnée » de princes et seigneurs que le roi avait convoquée à Paris, à la Noël de l’année qui venait de linir. Il ne paraît pas avoir donné grand temps aux fêtes de son mariage ; peut-être d’ailleurs n’y eut-il que des fiançailles, et le bon chanoine Claude Dormay, dans son histoire de Soissons, incline fort à penser qu’il n’y eut jamais autre chose et que le mariage ne fut pas consommé. Toute cette année 1410 est pour lui pleine d’activité diplomatique. On se prépare énergiquement à la guerre. Le 15 avril, il est à Gien où se fonde définitivement la ligue Orléanaise, entre les princes d’Orléans, les ducs de Berri, de Bourbon, de Bretagne, les comtes d’Alençon , d’Armagnac, etc. Ce comte d’Armagnac était le général, l’homme politique qui avait manqué jusqu’ici ; lui trouvé, le parti d’Orléans était désormais fondé, jusqu’à ce qu’absorbé par l’énergie du chef réel, il devint le parti d’Armagnac, le parti Dauphinois, le parti de Jeanne d’Arc, national et français. Charles était venu à Gien avec son chambellan et maréchal, Galuet, et vingt-neuf gentilshommes dont les noms nous ont été conserés et dont les gages étaient de 15 livres par mois. Il y vint aussi avec une bourse bien garnie, et nous le voyons notamment prêter au duc de Bourbon une somme de 200 livres, à propos de laquelle, en janvier suivant, il se fâcha contre son trésorier qui voulait la réclamer. Après cette assemblée, il resta dans le pays à armer ses gens. En juillet, il est à Amboise. Mais tout est prêt, les princes se réunissent encore à Chartres, au commencement de septembre. « Et après, les dits Orléanois vinrent, atout leur puissance, de Chartres jusqu’à Monthléry, et es villes aux environs de Paris se logèrent. » Dans le courant de septembre, Charles est à Étampes. Il vient se loger à l’hôtel de l’évêque de Paris, à Gentilly, et ses gens arrivèrent jusqu’au faubourg Saint-Marcel et à la porte Bordelles. Après de nouvelles assemblées à Gien, en août et septembre, il passa le mois d’octobre à Bicêtre, auprès de son oncle le duc de Berry, et il distribua, aux officiers, aux ménestrels de son dit oncle la somme de 118 livres. Puisque nous sommes sur ces détails intimes de la vie de notre poëte — nous devrions dire de la vie de son siècle — constatons que la livrée de la bûche, c’est-à-dire le bois de chauffage destiné aux principaux serviteurs, coûtait en cette année 1410, à ce premier prince du sang royal, 2 livres 8 sous. Le quarteron de bûches en comptait 1,040, il coûtait 8 francs, ou 64 sous — le franc valant à ce moment-là 8 sous, et le chancelier d’Orléans, qui était le premier des serviteurs, avait 6 quarterons ou 48 francs de bois pour sa provision annuelle. J’ai déjà parlé à plusieurs reprises et j’aurai maintefois encore à parler des objets et de leur valeur pécuniaire — ne fût-ce que de celle qu’on donna à notre prince quand on le mit à rançon. — Je désirerais, à chaque fois, donner l’équivalent en monnaie contemporaine. Cela est fort difficile, sinon impossible, à cause de la valeur relative qui changeait évidemment selon l’espèce des objets. On dit généralement qu’il faut multiplier par 40 les chiffres monétaires donnés au xve siècle pour avoir une idée de ce qu’ils vaudr lient aujourd’hui. Cela me paraît excessif, ou plutôt je voudrais distinguer. Ainsi, pour juger la position de fortune de ces chevaliers auxquels on donnait 5 sous par jour, et qui étaient de notables personnages, je crois que ce n’est pas exagéré, tant s’en faut, que de dire qu’ils sont dans une situation analogue aux employés du gouvernement actuel dont les émoluments sont de 10 francs par jour ou 3,600 francs par an. — Ces chevaliers étaient évidemment beaucoup plus élevés en grade que nos capitaines d’infanterie. Mais quand je vois que la livre de dragées, par exemple, coûtait 10 sous, je ne puis croire qu’elle valût 20 francs de notre monnaie. Je ne veux pas trop allonger cette parenthèse, si importante qu’elle soit même dans cette biographie. C’est donc par à peu près et pour la satisfaction vague de son imagination que le lecteur peut multiplier par 40 tous les chiffres monétaires que je lui donnerai. Pour la valeur intrinsèque de l’argent on a des résultats plus positifs et je prends les résumés donnés par M. de Wailly. La livre tournois a valu, sous Charles VI, entre 13 francs 28 centimes et 4 francs 77 ; sous Charles VII, entre 12,05 et 6,14 ; sous Louis XI, entre 8,20 et 6,99. La comparaison entre les chiffres de ces trois règnes prouve que sous chaque règne la moyenne se rapproche beaucoup plus souvent du plus haut chiffre que du moindre. Les écus d’or et les saluts d’or, qui n’en différaient pas sensiblement, valaient à peu près un quart en plus de la livre, et il y avait une différence d’un sixième entre la livre parisis et la livre tournois. Il faut que mes lecteurs se contentent de ces données, si générales qu’elles soient. Nous retrouvons notre duc à Étampes en novembre. Il est de retour à Blois en décembre 1410 ; en janvier 1411, il y reçoit, sans que j’en comprenne bien la cause, des habitants de Saint-Aignan, en Berry, un aide de 80 livres. Il y donne un reçu à Guillaume Sizain, auditeur de ses comptes, du prix de divers bijoux qu’il lui avait remis pour vendre le 12 septembre précédent. Puis, tandis que son maréchal Galuet passe des revues ou montres de gens d’armes — il nous en reste des procès-verbaux scellés de son sceau, un au moins, en juillet 1411 — le duc veille au payement de ses hommes de guerre. Les gages des chevaliers, escuyers, archers, arbalétriers de son hôtel, au mois de novembre 1410, montaient à 1,490 livres 10 sous tournois. En février, les gages des archers, arbalétriers et portiers du château de Blois seulement, vont à 252 livres, les archers et ies arbalétriers étant payés environ 8 francs par mois et le portier 80 francs par an. Charles continue de se montrer généreux envers le duc de Bourbon auquel il donna en ce mois de février 100 escus d’or. Grosse somme, si l’on pense qu’il octroyait à son frère Philippe 10 livres tournois par mois pour ses menus plaisirs, en cette même année 1411. Pour lui-même et pour son argent de poche, si je puis dire, il se donnait, en 1414, au temps de sa splendeur, 100 livres par mois. En mars 1411, il continuait de chercher à rassembler de l’argent. Il met un droit d’octroi sur les grains et vins amenés dans ses bonnes villes et c’est toujours pour « poursuivre la réparation de la très-cruelle et très-inhumaine mort de feu nostre très redoubté seigneur et père » et pour « reparer l’onneur de monseigneur le roy qui, en ce, a esté tant blecié, etc. » L’argent et les soldats étant prêts, il songeait à l’opinion publique, et dès le commencement de cette année il écrit aux bonnes villes, à l’Université, au roi, car tout prouvait que l’accord fait pendant ce séjour à Bicétre, dont nous avons parlé, serait vain. Ces lettres sont énergiques et claires. La dernière, qui fut écrite au roi, de Jargeau, 14 juillet, est fort belle. On l’a attribuée, sans grande raison, à Jean Gerson. Charles d’Orléans ne devait pas sans doute être étranger à ces combats de plume. Le 18 juillet partaient les lettres de défi des fils d’Orléans à Jean de Bourgogne. La guerre est commencée. C’est le roi, on le sait, qui accepta le gant. Il proclama la forfaiture des Orléanais, conrisqua le comté de Soissons, réunit au bailliage de Senlis les comtés de Valois, Beaumont, etc. Pendant ce temps, ou plutôt avant ce temps, le duc d’Orléans était venu assiéger Paris. De sa personne, il logeait tantôt à Saint-Ouen, tantôt à Saint-Denis. C’est à cette époque que se place ce fait raconté par la Chronique bourguignonne de la bibliothèque de Lille. Les Armagnacs en arrivant à Saint Denis, dit-elle, forcèrent les coffres où se trouvaient les joyaux de la reine et, parmi eux, une couronne, « laquelle le comte d’Armagnac l’assist sur la teste du duc d’Orléans et lui dit : « Monseigneur, pour sauver mon serment, je vous fais roi de France, quoique vous n’en possédiez pas la terre. Mais cette possession, je vous la donnerai avant de retourner en ma seigneurie, et je vous ferai couronner à Reims. « Le bruit courait, en effet, et le Religieux de Saint-Denis le confirme, que l’on voulait le faire roi de France, et un chevalier picard, Vivet d’Espineuse, l’avait affirmé en ajoutant que ses adhérents voulaient se partager la France. Ce projet a bien pu traverser l’esprit ambitieux de Bernard d’Armagnac. Mais la haine du Parisien contre les Armagnacs était bien niaisement crédule, la Chronique lilloise est bien lourdement, partialement et grossièrement Hamande, et Vivet d’Espineuse fut fort aidé par la torture dans ses révélations. Le 9 octobre, vingt-huit des plus nobles chevaliers de l’armée orléanaise démentaient ces bruits avec indignation. Dans ce canevas que nous donnons de la vie de notre poëte, nous n’admettons que les détails absolument personnels et qui ont échappé jusqu’ici aux historiens, nous n’avons pas à nous occuper de la retraite des Orléanais, mais un peu plus de leur alliance avec le roi d’Angleterre, alliance que se disputaient le duc de Bourgogne comme le duc de Bretagne, que l’état de la France et de la féodalité, et la situation particulière des enfants de Louis d’Orléans peuvent expliquer, mais qui reste une des grandes fautes politiques et morales de la vie de Charles. Elle commença pourtant par lui procurer un traité de paix assez favorable. Dès le 12 mars, Les bases en sont arrêtées et prcfque tout le reste de l’année se passe en négociations. Mais il fallait payer les Anglais qui avaient vendu cher leurs services et qui pillaient de leur mieux en attendant qu’on leur payât leur solde. Charles leur donna le plus d’argent qu’il put trouver et remit, le 14 novembre 1412, son frère Jean d’Angoulême et quelques gentilshommes en otages pour la somme de 209,000 francs Dès le 5 avril de l’année suivante, Charles VI donnait à ses baillis l’ordre de l’aider à faire rentrer les impôts mis sur les domaines d’Orléans pour le payement de cette rançon. Mais il se trouva dès lors et toujours arrêté par les plaintes des habitants, qui au moment où il songeait à leur demander quelque aide le prévenaient toujours en lui demandant une remise des anciens impôts Le 12 août, à Auxerre, la paix avait été solennellement proclamée entre les enfants du duc d Orléans et le duc de Bourgogne. Le même jour, on leur restitua leur- biens. Le 23, Charles renonce à l’alliance d’Angleterre Le 8 septembre, à Melun, il fait un traité particulier d’alliance avec Jean de Bourgogne. Le 20, il assiste avec lui au conseil du roi. Il termine plus dignement cette année douloureuse en faisant tenir les Grands-Jours à Blois. La paix solennelle eut le sort de tous les traités qui devaient jamais intervenir entre Orléans et Bourgogne. La guerre recommença plus âpre. En mars 1413, Charles est à Angers où il s’allie avec le roi de Sicile ; après avoir toutefois, dès le 20 février, muni sa bonne cave de Blois de dix queues de vin. Le 25 mai, on le déclare encore déchu de tous ses honneurs et dignités. Le 2 septembre, séance du Parlement pour établir de nouveau ; la paix solennelle entre les princes. Cette fois, l’astre des d’Orléans l’emporte dicidiment. Du 5 au 15 septembre on lui rend tous ses biens. Il entre à Paris le 30 septembre. Le 18 du même mois, il avait reçu de l’empereur Sigisinond — son allié, depuis le 12 septembre, contre le duc de Bourgogne — l’investiture du comté d’Asti. L’Université de Paris, sa vieille ennemie, veut bien simuler quelque tendresse pour lui. On condamne l’apologie faite par Jean Petit du meurtre de Louis d’Orléans ; on transporte sur la tête des Bourguignons l’excommunication dont on avait frappé les Armagnacs. Le 18 décembre, il assiste aux fiançailles de Charles — plus tard Charles VII — avec Marie d’Anjou. Pendant toute l’année 1414 il est au faîte de sa gloire. Dès le mois de janvier il fait un traité avec la reine ; en février il se trouve à Paris. Le pauvre roi, qui l’année précédente le redoutait comme un monstre, ne peut plus se passer de lui. Charles a hérité de son père, de sa mère surtout, cette grâce aisée, ouverte, pénétrante, cette grâce de famille si charmante que les contemporains, nous lavons vu, l’attribuaient à la magie. Charles l’avait exercée sur le duc de Guyenne après le traité d’Auxerre, maintenant le roi en était séduit au point, nous dit Lottin, d’après les registres de la ville d’Orléans, que Charles VI le faisait coucher dans sa chambre. Il le voulait toujours avoir présent à ses conseils. Nous le voyons au conseil tenu au Louvre. La guerre est déclarée par Charles VI au duc de Bourgogne. Le 6 juin, le roi donne à Charles 2,000 livres par mois pour l’entretien des cent hommes d’armes qu’il doit mener contre le duc de Bourgogne. Il accompagna Charles VI pendant toute la campagne. L’armée va battre Compiègne tandis que le roi et les princes vont l’y rejoindre par Senlis et Verberie. Compiègne prise, le 8 mai, on vint mettre le siège devant Soissons. Notre duc loge à l’abbaye de Saint-Quentin. De là, l’on va à Laon où l’on est joyeusement reçu. Le 10 juin l’on part pour s’en aller en Thiérache, à Ribémont, à Saint-Quentin où la comtesse de Hainaut, sœur du duc de Bourgogne, vient inutilement faire des ouvertures pacitiques. Le roi et les princes gagnent Guise en Thiérache, reviennent à Saint-Quentin, puis à Péronne où l’on passe en fêtes et en vaines tentatives d’accommodement la fin de juin et le commencement de juillet. Le 8 de ce mois, il est en affaire avec l’Angleterre, il donne neuf livres pour procurer un sauf-conduit à un Anglais. Le 9, le roi et les princes vont en pèlerinage à Notre-Dame de Cuerlu et viennent mettre le siège devant Bapaume. La ville prise, le 19, l’armée qui comptait, selon Monstrelet, 200,000 personnes, se resente devant Arras. Le 8 septembre l’on fit la paix. Le duc d’Orléans résista longtemps à la signer. Dans les détails qui nous sont donnés, rien n’indique le manque d’énergie que l’on aime à lui reprocher. La paix solennellement proclamée et jurée, le 6 mars, Charles VI et les princes regagnèrent, par Bapaume, Péronne, Noyon, Compiègne, Senlis, où l’on demeura le mois de septembre. Dès le début de l’année 1415, la veille des Rois, nous voyons Charles au service que le roi fait célébrer à Notre-Dame de Paris, pour le repos de l’âme de Louis d’Orléans. Il avait naguère quitté les habits de deuil à la demande du duc de Guyenne. Le 10 février, il prit part à des fêtes plus brillantes encore que celles où, vêtu d’une huque violette à boutons d’argent, il avait assisté en 1413. Cette fois il jouta contre le duc de Bavière. Il retourna ensuite a Orléans pour y faire tenir les Grands-Jours, comme il le fit, du reste, encore en 1438 et 1460. Nous trouvons à cette date (1413) dans les comptes de sa maison bien des renseignements, celui-ci entre autres, que 43 livres parisis valaient 53 livres 15 sous tournois, et cet autre, moins important, que sa maison dépensait en deux mois pour 20 livres 9 sous 4 deniers de souliezs et houseaulx. Arrive, avec le mois d’octobre la bataille d’Azincourt. Charles y amenait un contingent de cinq cents hommes d’armes ou bassinets, sous le commandement de Galuet, car il était avec le duc de Bourbon, commandant en chef de l’armée. Le 20 octobre, il envoie trois hérauts au roi d’Angleterre pour l’avertir qu’il livrera bataille au jour que celui-ci voudra choisir. Dans la nuit du 24 octobre il détacha deux cents hommes d’armes pour observer la position de l’ennemi, le 25 octobre, au début de la bataille, il est à l’avantgarde. Quelques auteurs disent qu’on l’a trouvé blessé, sous un monceau de morts : d’autres, qu’il échappa avec peine-à la tuerie des prisonniers désarmés que le roi anglais ordonna à la fin de la bataille. On peut lire dans Saint-Remy et Juvénal des Ursins le récit de la conversation qu’il eut avec Henri d’Angleterre. Les documents anglais et notamment Harris Niçois, historien de la bataille d’Azincourt, assurent que le roi lui parla avec la plus grande commisération et courtoisie. J’y vois surtout cette hypocrisie puritaine dont Cromwell n’eut pas seul le secret parmi les grands politiques d’Angleterre. Les mêmes documents nomment sir Richard Wallas, le chevalier qui le fit prisonnier. Il reste prisonnier à Calais jusqu’au 16 novembre, et accompagne le roi vainqueur en Angleterre. J’ignore si c’est à Eltham, à Westminster, à la Tour ou à Windsor qu’il fut mené tout d’abord. J’incline pour ce dernier endroit. Il était sûrement à Londres à la fin de novembre. Après quoi on ne tarda pas à l’envoyer au château de Bolingbroke, où il est en mai 1423, puis à l’extrémité septentrionale de l’Angleterre, au château de Domfret. En 1430, il était à la Tour de Londres. Vallet de Viriville nomme le château de Ampthill, parmi ceux où il fut conduit. Je le vois à Vingfield en 1433, il est sous la garde du duc de Suffolk, en 1436 sous celle de sir Reginald Cobham, puis à la Tour jusqu’en juillet 1440. Nous trouvons aussi parmi ses geôliers Jean de Cornouailles. Mais nos renseignements sur les incidents de sa vie pendant les vingt-cinq ans de sa captivité ne se bornent pas absolument à ces vagues données III. La première infortune de Charles d’Orléans, en lui enlevant son père dans des circonstances aussi tragiques, lui avait fourni la chance de devenir, par la guerre et la diplomatie, l’un des plus grands hommes du siècle, et le maître de la France et l’arbitre de la royauté comme de la féodalité. Le second et le plus çrand de ses malheurs lui offrit une nouvelle chance que, cette fois, il ne manqua pas. Il devint réellement l’un des écrivains de la France, l’un des grands poëtes du Moyen Âge. Aussi l’historien bénit-il ces vingt-cinq années de captivité, là où le biographe compatissant pour son héros trouve les preuves de tant d’angoisses. L’imagination nous aide facilement à deviner les souffrances que le pauvre et doux prince indique avec son vague et triste sourire. Dans ces liens sans cesse renaissants, si l’on peut dire, dans ces murs qui semblaient, comme le laurier enveloppant Daphné, monter lentement, serrement, continûment autour du prisonnier, il chercha, quand toute espérance de salut lui fut enlevée, sa consolation dans la poésie. Adieu les rêves de l’ambition, adieu les brillants voyages, les belles chasses, les aventures de guerre ; adieu les fêtes galantes, le luxe, le bien-être même ; adieu l’amie et l’ami. Mais la poésie a rendre tout cela, elle va changer cette grande tempête de la douleur en la douce et chaude petite pluie de la mélancolie. Je sais bien qu’on ne peut ici parler de noir cachot, de cette porte des antiques prisons qui s’entr’ouvrait pour laisser entrevoir le beau ciel pendant un instant et rendre plus horribles encore les murailles de la prison. Moralement pourtant c’était cela, et ces efforts toujours vains, ces espérances de liberté toujours trompées, rendaient bien l’effet de découragement et d’affaissement de cette porte de cachot qui s’ouvre un instant et se referme encore, et encore, et toujours. Bien des traits nous prouvent d’ailleurs qu’il s’agissait pour lui d’une véritable prison. Il avait une trop grande valeur, et politique et financière, pour que le gouvernement anglais, qui avait déjà les qualités pratiques qu’il a continué de perfectionner, ne sacrifiât pas tout au soin de le garder savement comme le dit un de ses geôliers. Les lettres du Conseil d’Angleterre à ses gardiens, recommandaient une garde sévère. Nous voyons qu’on ne lui permettait de causer avec nul étranger sans témoins. Et quand je l’aperçois dans ces gravures d’un manuscrit anglais qui nous le montrent assis dans son roide banc, devant sa tabe écrivant et rêvant au milieu de gardes et de soldats, je remercie la bonne muse de pouvoir lui faire oublier cette muraille vivante de corps brutaux et de cœurs ennemis qui ne le quittaient plus. Je le remercie, lui, d’avoir demandé aux lettres la compensation de tant de biens perdus. Je comprends comment ce jeune chef de guerre, ce chevalier actif, ce tendre et hardi servant du dieu d’amours est devenu cet alourdi vieillard, je devine comment la religion du dieu Nonchaloir s’est imposée à lui, et je prépare dans mon esprit, dans l’esprit de mes lecteurs, j’espère, les excuses dont il aura bientôt besoin. Mais nous en sommes encore au règne de Cupido et Vénus la déesse. La poésie domine donc, à nos yeux, cette période de vingt-cinq années qui s’écoula entre la bataille d’Azincourt et la délivrance. « Ici finit, nous disent certains manuscrits, le livre que monseigneur d’Orléans écrivit dans sa prison. » C’est ce que j’ai traduit par Poëme de la Prison. Je n’ignore pas que cette note des manuscrits n’est pas un document irréfutable ; mais il en faut tenir grand compte. Bien des pièces, d’ailleurs, qui composent ce poème, portent avec elles la preuve absolue qu’elles ont été composées entre 1415 et 1440 ; pour d’autres, il n’y a qu’une preuve morale. Mais ont-elles été toutes écrites à cette époque ? je suis porté à ne pas le supposer. Je pense que ce poème allégorique est un cadre qui aura servi à enfermer, à conserver, à coordonner les pièces composées jadis, à côté d’autres écrites pendant la prison, soit pour une nouvelle amie, soit pour compléter l’œuvre d’art. Le poëme allégorique est généralement une œuvre de pure imagination. Celui-ci — et c’est ce qui lui donne un caractère à part — renferme nombre de ballades qui sont réellement un récit, un envoi, une offrande. On comprend qu’elles se rapportent à tel fait vraiment arrivé, à telle impression ressentie à un moment précis, et à la suite d’un incident réel. Que plusieurs de ces pièces aientété faites avant l’an 1415, j’en suis très-convaincu. On y trouve l’élan, l’ardeur primesautière, le vif écho du sentiment, le jet de l’inspiration, le cri naïf de la plainte ou du désir qui veulent obtenir les dons d’amour bien plutôt que plaire à la muse ou à l’amante ; et c’est la marque, non-seulement de la réalité mais aussi de la jeunesse. Le fils qui pleurait son père assassiné, et sa mère morte de douleur, le vengeur qui poursuivait sa mission de haine, le capitaine courant sans cesse aux aventures sanglantes, le chef féodal, empêché de diplomatie, n’avait sans doute pas grand loisir pour songer aux rimes et aux gracieuses tendresses. Toutefois, dans ce cerveau si bien disposé pour la poésie, dans ce cœur facilement tenté par l’amour, dame Vénus et le seigneur Apollo ne durent pas attendre l’âge mûr pour parler. Il nous dit lui-même que dame Jeunesse, quand elle le prit des mains d’Enfance, le mena au palais de Cupido, et l’éternel amour, l’adolescence insouciante pouvaient bien trouver un coin de terre vert et tieuri dans cette France ravagée du xve siècle. Pourtant j’ai dû me dérier de l’imagination du critique. Je n’ai pas osé séparer nettement des autres les morceaux que notre poëte avait dû composer avant son âge de vingt-quatre ans. J’ai cru pouvoir chercher plus utilement à qui ces rimes amoureuses, et toutes celles qu’il y a jointes dans son poëme, avaient pu être adressées. Quelle est cette Beauté qui l’entraîne, qui le retient dans les liens du dieu Amour. Les précédents biographes y voient tantôt une femme réelle dont Beauté eût été le surnom, tantôt Bonne d’Armagnac, sa seconde femme, tantôt la France. Le texte et le détail des vers, les habitudes du poëme allégorique, le genre d’esprit de l’auteur ne se prêtaient aisément à aucune de ces hypothèses. Il ne faut pas oublier que c’est un poème que Charles a voulu composer, c’est-à-dire une œuvre patiemment élaborée, c’est un poème allégorique, c’est-à-dire — cela paraît clair — une allégorie. Il veut raconter comment il fut amoureux depuis sa jeunesse jusqu’à ce moment de son âge mûr où il est obligé, par l’approche de Vieillesse, de se despartir du dieu Cupido. Ce n’est donc pas un amour qu’il a chanté, mais toute sa vie amoureuse ; et Beauté ce n’est pas telle femme, c’est la femme, la femme belle, la femme qu’on aime, c’est le symbole, l’allégorie — il faut y insister — de tous ces cœurs féminins qui se sont donnés à lui. Seulement, ainsi que je le disais plus haut, il a, avec un sens parfait de la vraie poésie, inséré dans ce cadre, incrusté dans cette charpente les pièces qu’il avait offertes à telle ou telle personne, en choisissant ces morceaux selon qu’ils convenaient aux unes ou aux autres des parties logiques de son œuvre. Il a ainsi communiqué à son labeur artistique une vie plus intense, en précisant des états de sentiment, des faits de passion, des événements de la vie journalière ou historique mêlés à ses mémoires galants. Rien ne prouve que telle ballade, telle chanson, extraite de ce journal d’amour, n’ait pas été adressée à sa première femme Isabelle, à sa seconde femme Bonne ; mais que telle autre ait été écrite pour Marie de Berry, par exemple, ou pour quelqu’une desdamoiselles de l’hôtel de la reine, je n’y voudrais contredire. Ce ne fut pas dès 1415, ni vraisemblablement dans les premières années, que sa captivité put avoir une ardeur poitique suffisante pour fournir et l’idée et les éléments de l’œuvre et cette quantité de chansons, de rondeaux. La blessure, les vives angoisses, les inquiétudes patriotiques et ambitieuses, la brusquerie du changement, l’irritation plus vive contre la nouveauté de l’esclavage et l’espoir de la liberté plus fiévreuse, ne semblent pas permettre la réflexion nécessaire à l’art. Mais à part ces premiers mois, ou ces premiers ans, la Muse, la Muse amoureuse, consolante et rêveuse devint sa compagne d’exil. Il ne faut pas l’oublier. Si le manuscrit du Roi — que j’indiquais plus haut — nous montre le prisonnier ici, à la fenêtre de sa prison, regardant venir le messager porteur des nouvelles d’espérance, là, dans son estude ou son retrait, éternellement escorté de sa troupe de gardiens ennemis, l’imagination doit nous faire voir, à côté de tous les événements que sa biographie va nous fournir, une garde aussi fidèle et plus douce, qui est la Poésie, et un messager plus consolant encore. Il venait auprès de lui par les fenêtres de sa geôle, et c’était le regard que lui envoyait le ciel clair et l’horizon verdissant. Ce fut là, nous le répétons, le bénétice de sa prison. S’il eût continué la vie commencée, il fût devenu peut-être un capitaine comme Dunois, un diplomate rusé comme La Trémoille, mais au milieu des rigueurs et des distractions d’une telle existence, au milieu des amours faciles, au milieu des grandes et cruelles chevauchées, le poëte sensible, souriant et touchant, qu’eût-il pu devenir ? Il lui a fallu cette solitude, les tristesses de l’espérance toujours trompée et cette nécessité de rentrer en soi-même, il lui a fallu aussi la difficulté, désormais grande, de jouir de l’espace, de l’air et des champs pour enfoncer dans son âme, comme dans son cerveau, l’image, le souvenir, la douceur des belles amours et des libres perspectives. Aussi gagna-t-il la triple qualité de son génie : le sentiment intense de la nature, le mouvement profond et sincère de la sensibilité cordiale, et la légèreté souriante du philosophe résigné. Je suis forcé de prier les lecteurs de rechercher dans l’ensemble des poésies ci-après publiées la trace des consolations que la Muse put lui fournir Ils y trouveront aussi l’indication de quelques incidents intimes ou politiques, des échanges d’amitié ou de tendresse, qui aidèrent le travail du rêve et de l’intelligence à faire triompher la résignation dans l’âme du prisonnier. Mais c’est à leur imagination surtout que je fais appel pour deviner les distractions que la vie journalière lui apportait par l’intermédiaire soit de ses compagnons de captivité, soit de la famille de ses geôliers, soit des visiteurs anglais. Nous voyons qu’il se mit de grand cœur à apprendre la langue anglaise. On a peut-être exagéré la connaissance qu’il en eut, et les critiques anglais croient pouvoir assurer que parmi les nombreuses pièces, ou traduites, ou originales qu’on lui attribue, trois seules, et des plus lourdes, sont de lui. En dehors de ces distractions que la poésie, le travail et les hasards de la captivité lui apportaient, les espérances de liberté, les visites très-surveillées de ses serviteurs français, les lettres qu’on lui permettait d’écrire, le mouvement de cette illustre colonie française que la captivité avait formée en Angleterre, les nouvelles châtrées, révisées et arrangées qu’on lui laissait parvenir, et plus tard l’activité diplomatique où le gouvernement anglais aux abois le poussa, constituaient la vie du prisonnier. De ces espérances de liberté toujours vaines, l’empereur Sigismond lui apporta la première en 1416. Elles durent recevoir un grand coup quand, après la mort de Henri V, en 1422, il avait appris que ce grand et habile roi, à son lit de mort, avait par-dessus tout recommandé qu’on ne délivrât pas son beau cousin d’Orléans. Ce passage du testament politique d’un homme d’État de cette trempe mériterait d’être approfondi et analyse. Nous indiquons seulement la principale raison de cette recommandation. Il s’agissait surtout d’enlever à une partie de la féodalité française son chef, à cette partie de l’armée française qui était justement l’armée du Dauphin, son général. Quelque soin que Guillaume Cousinot ; le représentant diplomatique et administratif de Charles, quelque zèle que ses représentants militaires, Galuet, puis le comte de Vertus, puis Dunois, aient pu mettre dans le gouvernement de ses seigneuries, l’apanage d’Orléans n’en était pas moins féodalemerit dans l’apparence et la situation d’un orphelin. Monstrelet, qui paraît connaître à fond l’esprit pratique des Anglais, ajoute que le duc eût été délivré bien plus tôt s’il n’avait pas fait venir chaque année, en Angleterre, beaucoup d’argent dont le roi, les conseillers, les geôliers, leurs gens et leurs fournisseurs s’enrichissaient. Plus tard, l’espérance put renaître, non pas seulement quand il vit qu’on délivrait (en 1427, pour 200,000 saluts d’or) le duc d’Alençon, grand chef féodal, lui aussi, qui avait été pris à Verneuil, mais Gaucourt (1428, pour 12,000 livres), puis le comte d’Eu, qui avaient été désignés, comme lui, parmi les prisonniers à garder jusqu’à la majorité d’Henri VI. Puis il pouvait deviner que dans chaque bataille ses amis songeaient à lui et cherchaient à faire des prisonniers qui pussent s’échanger contre lui, et ce fut, après la bataille de Beaugé, notamment, une des préoccupations du fidèle Cousinot et des ministres de Charles VII. Mais s’il perdait momentanément l’espérance pour lui-même, il la conservait toujours pour son frère Jean d’Angoulême. Rymer et nos Archives nationales renferment plusieurs pilces se rapportant à ces efforts (K 64, etc., etc.). Nous avons aussi l’état des sommes qu’il lui donna de 1413 à 1436. Elles pourraient servir de point de comparaison — toute différence gardée entre l’aîné et le cadet — pour nous aider à deviner le chiffre des propres dépenses de Charles. Disons seulement qu’en 1415, par exemple, l’année même de la captivité du donataire, Jean reçut de son frère : en février, 200 livres, en avril, d’abord, 4,820 livres, puis 2,125 ; en juin, 980 livres et en un autre payement, 3,562 ; en septembre, 2,000. Il subvenait à ces dépenses, aux siennes, aux avances qu’il faisait aux autres prisonniers, grâce aux soins de son conseil institué à Blois. Il avait songé dès le 29 novembre 1415 à faire des économies, et il avait cassé aux gages ses serviteurs et officiers. Non pas tous, sans doute, car nous en voyons venir un grand nombre en Angleterre. Rymer a conservé beaucoup d’actes — j’en compte vingt jusqu’en 1433 — qui, dès le 27 novembre 1415, parlent du prisonnier, des serviteurs qui le vinrent visiter, des eU’orts qu’il fit pour se libérer et de maint détail personnel, qui permettent à l’historien de reconstituer son existence d’alors et celle de ses compagnons d’exil. Citons quelques brefs traits. C’est le Ier juin 1417 qu’on le transporte de Windsor au château de Pountfreet, sous la garde de Robert Watterton qui doit le remettre au vicomte de Bedtort. Nous devinons que par ce redoublement de rigueur on veut punir le prince qui vient de refuser fort dédaigneusement de reconnaître le roi d’Angleterre pour suzerain, ce qui était, dès lors, la condition de sa délivrance. C’est à cette date qu’il faut rapporter le bruit qui indignait le Religieux de Saint-Denis et qui montrait le prince d’Orléans relégué à l’extrémité de l’Angleterre et humilié par une lâche et sournoise recherclie d’insolence : il était obligé de se contenter d’un seul serviteur français, quand les nombreux Anglais qu’il était forcé de rencontrer l’écrasaient de leur luxe. En 1419 on recommande un redoublement de surveillance, la fuite du duc, dans les circonstances actuelles, serait du plus grand préjudice. En 1423, la garde est confiée à Thomas Combworth, qui reçoit, pour l’entretien du prisonnier, 20 sous par jour. En 1432, c’est Jean Cornewaille, seigneur de Fanhope, qui est son gardien. Un an après, ce seigneur se fait donner par le prince une reconnaissance de 2,000 écus. Puis vient, de 1433 à 1440, la série des actes concernant les longs préliminaires de la délivrance. N’oublions pas pourtant que le duc de Suffolk avait offert lin rabais sur le prix de l’entretien du prisonnier et qu’on l’en avait chargé pour 14 sous 4 deniers par jour. Nous ne relevons pas les noms de tous les visiteurs qui lui venaient de France. Que lui apprenaient-ils, et qu’avaient-ils le droit de lui apprendre et quelle étrange histoire de France ils devaient s’engager à lui narrer ? Les événements de famille, la capture de son frère, le bâtard d’Orléans (1418), la mort de son frère, le comte de Vertus (1420), le mariage de Marguerite sa sœur, avec Richard de Bretagne — mariage dont il ne fut pas content, dit Cousinot — les fiançailles et le mariage de sa fille Jeanne avec le duc d’Alençon (1421-1424) et autres incidents de cette sorte purent sans doute lui être connus assez promptement. On peut supposer aussi qu’il prenait intérêt aux voyages que faisaient ses belles tapisseries et courtines empruntées pour les noces et relevailles des princesses royales de France. Quand nous le voyons, d’un zèle qui touche notre cœur d’érudit, lutter avec son frère d’Angoulême à qui recueillera les livres de la bibliothèque du roi Charles V, pillés par Bedfort et vendus par lui aux marchands de Londres, nous devons croire aussi qu’il se préoccupait de cette bibliothèque, de ce riche mobilier rassemblés au château de Blois par son père. Ce fut, sans doute, par ses ordres spéciaux qu’en 1427, on dressa le catalogue — que nous avons encore — de cette bibliothèque, et qu’on la transporta liors du voisinage des Anglais, de Blois à Saumur. Mais comment lui furent racontés cette vaillante épopée du siége d’Orléans, et cette miraculeuse Iliade de Jeanne d’Arc ? Pourtant parmi les traits touchants de ce cœur héroïque de Jeanne, qui représente, au milieu d’une lumière surnaturelle, la plus noble, la plus clairvoyante partie du cœur de la France, je trouve sa tendresse naïve pour le pauvre duc d’Orléans. Au fond c’était son parti qui défendait la nationalité française, et Jeanne avait pitié de sa ville comme de la patrie, et elle s’était attachée à lui comme au gentil Dauphin. C’est à lui qu’elle songeait en faisant des prisonniers, lui qu’elle voulait aller bravement délivrer après avoir délivré la France. Elle le délivra réellement. Non-seulement elle écrasa la puissance anglaise, mais il ne paraît pas douteux que ses prédictions excitèrent le zèle de celle qui fut surtout sa libératrice, je veux dire la duchesse de Bourgogne. Le siége d’Orléans lui porta de toute façon bonheur. En 1427, il avait fait, avec le gouvernement anglais, un traité qui donnait à ses terres protection et exemption de guerre. Les Anglais l’oublièrent quand leur intérêt leur montra les inconvénients de cette promesse. Nous pouvons nous rendre difficilement compte de l’horreur que souleva ce procédé, non parce qu’il violait ertrontément un traité — chose vulgaire — mais parce qu’il affrontait audacieusement i’opinion. publique. La chevalerie avait tendu à protéger à titre drphelin la terre prisée de son seigneur vaillamment tombé dans la bataille. Aussi ce fut un cri général quand on apprit le siège d’Orléans, cri dont l’écho nous est précieusement conservé, dans toutes les Chroniques. On peut même conclure des paroles du pape Pie II que ce fut un des traits qui dévoilèrent le mieux, aux yeux de la chrétienté, le caractère insolemment et vilainement brutal de la politique anglaise. Le principe des nationalités n’était pas encore entré dans la diplomatie européenne ; la royauté n’avait pas encore t’ait prévaloir l’iticc de patrie telle qu’elle existe aujourd’hui ; la patrie, sous la féodalité, était à la fois plus générale et plus restreinte, elle ne visait pas directement la France, mais la chrétienté et la municipalité. Toutetois l’opinion publique avait adopté certains instincts d’une haute générosité chevaleresque, et, nous le répétons, elle ne permettait pas d’attaquer les forteresses de l’homme qu’on tenait en captiité. C’est en 1432, que la sympathie éveillée par Jeanne d’Arc et la politique de la duchesse de Bourgogne commencèrent à faire entrevoir à Charles de nouvelles chances de salut. Rymer, dom Plancher, dans son histoire de Bourgogne, Monstrelet, Chartier, les chroniqueurs de Charles Vil, les poésies du duc lui-même, nos archives nous renseignent sur les incertitudes de ces huit années, où le pauvre prince fut le jouet de la politique anglaise et où il laissa trop voir combien la captivité avait obscurci son jugement et brisé son âme. C’est dans cet intervalle, en effet, qu’oublieux des fières résolutions d’autrefois, il fit, pour le dire en deux mots, soumission au roi d’Angleterre et cela sans réserve. Je n’ai pas mission de l’en excuser, j’écris son histoire, non son apologie ; je fais la biographie non pas d’un héros, mais d’un poëte, et j’ai tout droit de le blâmer bien que j’aie entrepris d’esquisser sa vie et de publier ses rimes. Mais si cet abaissement, ou cette erreur, peuvent difficilement s’excuser, ils s’expliquent fort bien. Il faut lire dans le tome IV de l’histoire de Bourgogne, de dom Plancher, le très-curieux récit des relations que les ambassadeurs de Bourgogne ont, en 1433, avec le duc d’Orléans. On ne veut le laisser communiquer avec personne ; il tient ses renseignements politiques uniquement des Anglais ; on surveille jusqu’à ses moindres gestes, il ne peut écrire, sans une permission qui lui est ordinairement refusée. Le prince ajoute qu’il est désespéré de passer sa vie dans les fers, que tout le monde l’abandonne. Il ignore que les négociateurs français font de sa liberté une des conditions du traité de paix ; il se rappelle seulement cet acte du 4 juin 1402 où Charles VI s’engage à payer la rançon des fils de son frère, au cas où ils seraient prisonniers. Enfin, il dit expressément qu’il veut se procurer la liberté à toute force. C’est dans ce désespoir, dans les conséquences intellectuelles et morales d’une telle situation, dans ces vingt-cinq années d’une telle servitude qu’on trouve l’explication de l’acte humiliant et inutile de 1433. Il ignorait le véritable état des affaires de France. De plus la loi Salique, on le sait maintenant, n’avait pas alors cette grande autorité qu’elle acquit par la suite. La légitimité de Charles VII avait été fortement mise en question. Henri VI d’Angleterre, petit-fils de Charles VI, reconnu comme héritier de la couronne de France par un consentement dont on avait dû exagérer la généralité, et par une assemblée que les Anglais aimaient à faire passer pour les États généraux, avait des apparences de roi de France tout autant que d’Angleterre. Ces usages, ces lois, ces préjugés de la féodalité auxquels l’ai fait mainte lois allusion, ne donnaient pas à Charles sur le patriotisme les idées que nous avons aujourd’hui. Ces raisons me portent à croire que ses contemporains, meilleurs juges de la situation historique, ne le jugèrent pas aussi sévèrement que nous avons le droit de le faire au nom de la morale. Nous pourrions donner ici la liste des demandes que Jean Hardouin lui apporta à Londres, au nom de ses sujets, aux Pâques de 1437 ; ce nous serait un spécimen des affaires courantes qu’il avait à traiter pendant sa captivité, en dehors des grandes questions de politique générale. Mais j’ai hâte d’arriver à ce douzième jour de novembre où il se trouve à Gravelines et absolument libre. Il l’était en fait depuis le 3 du même mois. Mais ce 12, il avait encore à prêter un millième et dernier serment de reconnaissance et de tendresse au roi d’Angleterre. IV. Je voudrais pouvoir donner le texte de la convention écrite en latin le 2 juillet 1440 à Windsor. J’y rencontre une ampleur de style, une aisance de dignité, une sincérité de tristesse et un développement de sentiments personnels qui me font attribuer ce document à Charles lui même. Après avoir déploré l’état de misère où il est réduit et qui l’empêche de trouver aisément la somme qu’il eût si facilement recueillie au début de sa captivité, il s’engage à donner immédiatement 80,000 saluts d’or — dont deux valent un noble anglais. — Il fournira dans les six mois 120,000 autres écus d’or pour le payement desquels s’engagent le Dauphin, le duc de Bretagne, le duc d’Alençon, le comte de Vendôme, etc. ; plus 20,000 autres écus d’or ; s’engageant à ne se considérer comme définitivement délivré que dans un an, à ne pas prendre avant ce temps les armes contre le roi d’Angleterre, à venir reprendre sa prison s’il ne peut complétement payer. Il avait dû surtout sa délivrance au duc de Bourgogne et à ces vue ; politiques qui préparaient le dernier combat de la féodalité contre la royauté. Les grands vassaux voulaient être au complet, et la diplomatie anglaise continuait, en le relâchant, la politique qui l’avait engagée à le garder jusqu’alors. Dans les deux cas elle voulait affaiblir la France, hier en lui enlevant un élément de force, un prince du sang ; aujourd’hui en lui envoyant un nouvel élément de discorde, un chef féodal. Il nous faut ici encore renvoyer nos lecteurs aux chroniqueurs de Charles VII, aux histoires générales. Notre duc, après avoir été soustrait au mouvement général de la civilisation française, pendant ces vingt-cinq ans passés dans la demi-mort de l’exil, et dans cette obscurité des préjugés étrangers, revenait en France avec les idées de l’an 1415. Il se croyait encore au tenps de Charles VI et de la puissance absolue des princes du sang, il devint l’instrument de la politique bourguignonne, comme il avait été le jouet de la diplomatie anglaise, jusqu’à ce que l’âge éteignant les dernières ardeurs de cette ambition renouvelle, son intelligence et sa bonté naturelles vinrent en aide à son insouciance, à ses habitudes de loisirs poétiques et de labeur philosophique, et donnèrent gain de cause à la diplomatie de Charles VII et aux conseils du véritable patriotisme. La vieillesse venait d’ailleurs ; il avait quarante-neuf ans quand il sortit de prison. Dès l’âge de quarante-trois ans, il se plaint de ses infirmités, et en 1437, il annonçait solennel ement qu’il quittait le Dieu Amours. On n’attendait pas toujours si tard, et son futur secrétaire, Antoine Astezan, déclare, à l’âge de trente ans, qu’il devient trop grave pour rester amoureux. Cet âge, cette gravité, l’estime compatissante et la vénération entourant un prince qui avait tant souffert pour la France ; le grand rôle que lui, son nom, son drapeau, son parti avaient dans les chroniques, son intelligence, son état de prince du sang lui gardèrent une situation très-haute et très imposante. Nous ne le voyons mêlé et en première ligne aux plus grandes affaires. Mais, je le ripèie, je me borne à signaler les traits les plus personnels, ou les moins connus. Il avait été délivré le 3 novembre 1440 — avec la réserve que j’ai indiquée. — La politique bourguignonne avait tant de hâte de l’attacher décidément à elle, que le 6 il est fiancé à Marie de Clèves, fille de Marie de Bourgogne et nièce de Philippe de Bourgogne. Le contrat de mariage est reçu le 6 novembre par Jean Pocholle, bourgeois de Montreuil, garde des sceaux du bailliage d’Amiens, en la ville de Montreuil. Marie apporta 100,000 saluts d’or en dot. Le mariage est célébré !e 18 à Saint-Omer. Les nouveaux époux suivent Philippe en Flandre jusqu’à Gand où on se sépare après des tendresses infinies. Charles reçoit la Toison d’or, et donne à son bel-oncle l’ordre du Camail. Maipre don d’ailleurs que Charles prodiguait et continua de prodiguer comme nous le montrent les plaintes de Alonstrelet et les comptes de la maison de Valois. — Je ne puis me retenir de citer, parmi les personnages qui le reçurent, la femme de Poton de Xaintrailles. C’est au moment de ce troisième mariage qu’il m’est le moins difficile d’esquisser le portrait de mon héros. Un manuscrit (traduction de la Passion, Bib. Nationale, 968,) nous donne deux portraits qu’on croit être le sien et celui de Marie de Clèves. Malheureusement les couleurs en sont fort ternies. Il reste une figure maigre, sèche, une grande bouche, un nez fin, une physionomie austère. Marie de Clèves nous présente une figure longue, grave, blanche, peu attrayante. Dans l’Armorial manuscrit du Héraut Berry nous avons un autre portrait de lui un peu plus jeune. Mais c’est bien le même type, cou long, figure maigre à l’air naïf et timide, d’une vulgarité presque champêtre, nez fin légèrement retroussé, cheveux châtains, teint fort coloré. Il est là presque le seul de tous ces personnages peints dont le visage ne soit pas arrondi. La statue couchée sur son tombeau donne seule une idée noble de son type : le profil est d’une grande régularité et finesse, d’une grande délicatesse et douceur, le nez surtout légèrement aquilin est d’un dessin très-fin. On m’excusera de ne pas m’étendre sur les félicités domestiques de notre poëte. Si nous en croyons le très-curieux roman historique que Georges Chastellian publia sous le nom de Chronique de Jacques de La Lain, la tendresse de Madame ne fut pas extrême pour Monseignieur. Mais il faut lire cette chronique, ici un peu scandaleuse, en songeant aux partis pris, aux préjugés et aux innocents devoirs de la galanterie poétique et chevaleresque du temps. Le 18 décembre 1440, Charles est à Bruges, comme nous l’indique un traité qu’il signe là avec le duc de Bourgogne ; et sur le contre-sceau dudit traité se trouve la devise ma contente ou m’a contenté, que notre duc paraît avoir adoptée à cette époque en signe de joie, sans doute, de sa libération. Le 14 janvier il vint à Paris avec sa nouvelle épouse. Les Parisiens le reçurent à merveille. Au bout de huit jours, selon le Bourgeois de Paris, il retourna dans son pays d’Orléanais. Charles VII, le voyant entouré d’une sorte d’armée de gentilshommes bourguignons, qui s’étaient attachés à lui pour les raisons qu’énumère Monstrelet avec sa finesse ordinaire, lui avait fait savoir qu’il le recevrait plus tard en moins grande compagnie. Le roi, d’ailleurs, surveillait le développement du grand mouvement féodal qui éclata en 1442, et il était mécontent de voir le duc d’Orléans se faire si aisément l’agent de la politique bourguignonne. Celui-ci crut bon de bouder et il passa les années suivantes à goûter, en voyageant, la joie de revoir cette France pendant si longtemps perdue et à servir d’instrument à ces intrigues auxquelles justement il devait ce long exil. Les 16 et 17 avril, il est encore à Blois. Il va à Tours. En août et juillet, il parcourt le Perche et la Bretagne. Nous avons ses étapes et ses dépenses pendant ce voyage en Bretagne, qu’il renouvela en 1442 et 1445. En octobre, il revient à Paris, « pour prendre une beschée sur la povre ville » et regagne la Bourgogne. Il était à Hesdin à la Toussaint. Cette beschée, je ne sais pas bien ce qu’elle lui rapporta. Mais celle qu’il avait prise en Bretagne n’avait pas été à dédaigner : le duc breton lui avait donné 20,000 écus et lui en avait promis 9,500 autres. En cette année il fait faire hommage au roi des Romains pour son comté d’Asti. En 1442, il vend Beaugency pour sa rançon, à laquelle chacun travaille de son mieux. Ainsi cette même année, il reçoit, entre autres, 5,000 francs du pays d’Auvergne et 530 écus de la ville de Senlis. Il négocie un traité entre le roi d’Angleterre et le comte d’Armagnac. Mais la nécessité, le patriotisme, l’habile politique de Charles VII et peut-être la soi-disant tentative d’assassinat de 1441, commencèrent à le ranger à la politique royale. Il vient trouver le roi à Limoges, comme le représentant des princes rebelles, et il quitte Limoges comme représentant, auprès des princes, de la diplomatie de Charles II. Il le quittait plus riche aussi : il reçut 160,000 livres du roi. qui leva une taille pour l’aider à payer sa rançon. Les sommes énumérées plus haut faisaient partie de cet impôt, ainsi que 16,890 écus des aides de Saintonges, 26,200 des aides dû Languedoc, etc. Tout ne fut pas payé immédiatement ; en 1448 encore, il fallait batailler pour les derniers mille écus. Le roi joignit à ce don une pension de 10,000 livres tournois, qui fut portée à 18,000, en 1443, au mois de juin. Il était alors à Cognac avec sa femme et la comtesse d’Étampes. Le 28 juillet, il est de retour à Orléans. Il y fait don, à l’un des frères de la Pucelle, de l’Île-aux-Bœufs, domaine de 200 arpents. L’acte de donation présente cette curiosité, que le duc n’est pas convaincu de la mort de Jeanne ; il en parle seulement comme d’une absente. Active année pour lui que celle de 1444. En février, il est à Blois, tout occupé de sa rançon, puis de celle de son frère, qui sort enfin de captivité pour 210,000 écus d’or. Il est chargé de traiter de la paix avec les Anglais. Il reçoit à Blois le duc de Suffolk, son ancien geôlier, le mène à Tours. Pourtant, les documents anglais ne nous l’y montrent pas assistant, le 24 mai, aux fiançailles de Marguerite d’Anjou et du roi d’Angleterre. Mais enfin, aidé du comte de Vendôme, de Bertrand de Beauvau et surtout de Pierre de Brézé, il conclut la trêve de Tours. Il accompagna le roi pendant la campagne de Lorraine, 1444-1445 ; c’est là, durant les fêtes de Nancy, que son frère vient le trouver, durant la solennité des noces de Ferry de Vandemont et d’Yolande de Lorraine. C’est là que nous le montre à plusieurs reprises la Chronique de Jacques de La Lain. En cette annexe 1445, il est mêlé au procès du comte d’Armagnac. En 1446, il se prépare à faire valoir ses droits sur le duché de Milan et se ligue avec le roi de Naples. Il est en Flandre, à Gand, pour la fête de la Toison-d’Or. Il gagne la Bourgogne où il organise une armée qui entre en Italie et lui gagne assez aisément son comté d’Asti. La guerre continue. Charles le vient visiter. Les poésies latines d’Antoine Astezan, qui devint son secrétaire, nous donnent de nombreux et curieux détails sur ce voyage. En janvier 1448, les comptes de sa maison nous montrent que le salaire de ses officiers pour ce comté était de 840 livres. Par contre nous voyons, dans les comptes de l’hôtel pour cette même année 1448-49, que si la recette totale de ses revenus est de 14,887 livres, la dépense est de 20,974. Il n’en continue pas moins ses voyages. En 1448, il retourne auprès du duc de Bourgogne pour activer son zèle en sa faveur. Il est avec lui à Arniens qui le reçoit avec grande solennité, et qui déjà, dès 1440, avait donné 1,000 saluts d’or pour sa rançon. Il fait un traité sur ses affaires italiennes avec le roi des Romains ; et disons immédiatement qu’en 1450, quoiqu’il eût successivement annulé par des traités deux des concurrents, le roi des Romains et le roi de Naples, le quatrième, François Sforce, l’emporta décidément. Dès le mois d’août 1449, Charles était de retour à Blois. Il est à Lyon au printemps de 1430. En 1451, il assiste à Mons aux fêtes de la Toison-d’Or. En 1452, le 20 mai, il nomme ses procureurs pour réclamer de l’empereur l’investiture du comté d’Asti. En juillet 1455, il est à Mehun-sur-Yèvre, auprès de Charles II, dans le conseil duquel on agitait fort vivement la question de la succession du duché de Bretagne. En 1456, dans ce même conseil du roi, il défend cette idée d’une croisade qui fut toujours chère aux aventureux Valois. La grande affaire de cette partie de sa vie fut le procès de son gendre, le duc d’Alençon, en 1456-58. Nous avons le discours par lequel, au lit de justice de Vendôme, il le recommande à l’indulgence du roi, discours où l’on peut relever quelques traits intéressants pour sa biographie, et, d’ailleurs, plein de gravité, de douceur et d’ampleur. Il peut paraître lourd et pédantesque si on le compare aux lettres de Voltaire, mais il est très-fin élégant pour ceux qui connaissent cette éloquence scolastique que la pesante solidité du raisonnement, le besoin d’autorités, et l’escorte obligée de cette nuée de philosophes, de poëtes et de saints rendent si pompeuse, si nette en chacune de ses parties et si écrasante dans son ensemble. En 1460 il n’a pas oublié le duché de Milan. Il se prépare à la guerre contre Sforce. Il se ligue avec le duc de Bretagne. La mort de Charles VII arrête tous ces projets. Jean de Troyes, Jacques du Clercq, et surtout Georges Chastellain nous indiquent le rôle qu’il joua aux obsèques du roi, comment il n’assista pas au couronnement de Louis XI à Reims, la part qu’il prit aux fêtes qui eurent lieu à Paris pour célébrer ce couronnement et la gracieuse réception qu’il fit au comte de Charolais au retour de ces têtes En 1462 naquit son fiis qui devint Louis XII. Il avait eu en 1467 un premier enfant, Marie, qui épousa le vicomte de Narbonne, puis Anne, qui lut abbesse de Fontevrault. V Malgré les quelques préoccupations que pouvaient lui donner les affaires d’Italie, les petites persécutions du nouveau roi Louis XI, qui ha ssait en lui le grand feudataire, l’ami de Charles VII, l’esprit délicat et le cœur sensible, — une lettre de Dunois nous montre Louis XI à Blois et insistant pour prendre à Charles son comté d’Asti — malgré les quelques soucis que lui occasionnait sa ranron non encore payée — si nous en croyons cette lettre de Dunois — en 1402, nous pouvons considérer notre prince comme entré depuis longtemps déja dans le temple de la Fée Nonchaloir l’insouciance philosophique et la résignation pieuse), qui fut sa dernière dame et maîtresse. De toutes les ambitions qu’avait eues pour lui son père, rien n’était resté. Louis d’Orléans avait pu rêver que l’enfant serait empereur d’Allemagne, roi d’Italie, roi de France, peut-être. L’enfant devint seulement roi de poésie, et, après tant de fortunes diverses, il finit sa vie dans ia paix, en prince religieux et lettré. Je regrette vivement de ne pouvoir retracer minutieusement cette existence du grand seigneur chrétien de la fin du Moyen Âge. Les états de dépenses de la maison d’Orléans nous fournissent tous les éléments de ce curieux travail. Ils nous montrent jusque dans ses plus intimes détails cette petite cour de Blois, élégante, paisible, brillante, ordonnée, pittoresque, grave et résonnant de rimes. Les poésies que nous publions nous ouvrent aussi quelques-unes des perspectives de cette existence. Nous voyons dans cet échange de rimes, dans ces jeux poétiques, les idées dominantes, les amis de la maison, les personnages qui passent, les serviteurs qui pensent. Il faudrait creuser un peu et se laisser, trop peut-être, aller à l’imagination pour donner à tous les pîojtes qui s’agitent autour du prince une physionomie caractérisée ; mais nous y voyons comme correspondants ou comme compagnons en Apollon, des poëtes, des écrivains qui ont lai se quelque nom, Villon, René d’Anjou, Olivier de la Marche, Meschinot, peut-être Georges Chastelain, Robertet, Villebrême ; puis les princes et grands seigneurs Jean de Lorraine, Jean de Bourbon, le grand sénéchal, Jacques de la Trémoille, le cadet d’Albret, Boucicaut, Jean de Garancières, les sires de Tignonville, de Torsy, etc. ; enfin, les serviteurs et officiers du prince et de la princesse, Guiot et Philippe Pot, Boulainvilliers, Pierre Chevalier, Blosseville, les deux Caillau, Gilles des Ormes, Le Voys, Le Goût, Benoit d’Amien, Faret, Fraigne, Fredet, Cadier, etc. À ces distractions poétiques se joignait le jeu d’eschecs pour le prince, dont les partenaires principiaux sont Gilles des Ormes et Guillaume de Fontenay ; de dames, de marelle, ou de glic, pour la duchesse, qui joue le plus souvent avec Philippe ou Guiot Pot ; puis les plaisirs que les fêtes traditionnelles du Moyen Âge apportaient, et auxquels les bateleurs, les musiciens, les danseurs, les ménestrels de passage travaillaient ; puis encore venaient les voyages, les rencontres de princes, qui se rattachaient parfois à cette partie de la vie, grave et politique, que nous avons notée plus haut ; puis les messages qui apportent ou envoient les nouvelles, les livres, les joyaux ; enfin les promenades champêtres, les exercices de piété, les occupations administratives de ces immenses domaines, les aumônes, les dons. Oui, c’est bien là l’existence de Charles d’Orléans telle que nous la montrent les comptes de sa maison. J’ose à peine citer quelques-unes des notes que j’y ai prises, tant je crains de ne savoir me borner. Je ne puis pourtant résister à indiquer ces cadeaux du jour de l’an 1463, aux enfants de chœur de Saint-Sauveur de Blois, pour festoyer l’évêque qu’ils ont nommé le jour des Innocents ; à l’évêque des Fous, pour se régaler ; aux ménestrels de Blois qui viennent jouer ; aux pages pour régaler le Roi qu’ils nomment le jour des Rois, etc., etc. Disons encore que les gages ordinaires de toute la maison pour le mois de mai 1450, qui me paraît représenter une moyenne, sont de 855 livres 15 sous tournois ; les dépenses de la maison, personnelles au duc et à la duchesse, les dons, messages et voyages, au mois de février 1457, par exemple, sont de 900 livres 1 sol 3 deniers ; en avril 1456, 601 livres 8 s. 6 d. ; en novembre 1459, 786 livres 2 sols 1 denier ; en voyage pour le duc avec vingt quatre chevaux, la duchesse avec douze, pour tel seigneur ou dame de sa nourriture, ou de sa société, comme Mme d’Estampes ou le sire de Beaujeu, et une suite nombreuse, on dépense 12 livres par jour ; en juillet 1459 le duc reçoit de son argentier, pour argent de poche, 10 livres 20 sous et la duchesse 110 sous tournois. Je ne veux pas oublier cette habitude si caractéristique et que nous indique un contemporain, Jacques du Clercq : « Il fut de belle et honneste vie (il s’agit de notre prince), et servit fort bien Dieu et ne feit oncques puis chose que bon prince ne debvoit faire. Toutes les semaines, le jour de vendredy, donnoit à treize pauvres à disner et les servoit luy mesme et après leur lavoit les pieds comme Nostre Seigneur Jésus Christ feit à ses apostres. Il mourut comme bon chrestien. » Il était devenu infirme, non pas de cette infirmité un peu coquette dont ses vers nous entretiennent depuis l’année 1437, mais l’âge lui pesait fort ; il dit en 1463 qu’il ne pouvait plus écrire, plus même signer. Il se rendit pourtant à Tours, à cette assemblée de princes et seigneurs que Louis XI avait réunis vers le milieu de décembre 1464. Charles d’Orléans voulut prendre la défense du duc de Bretagne accusé par le roi. Mais, dit le bon Claude de Seyssel, Louis XI « le contemna de paroles sans avoir regard à la majesté de sa vieillesse ni à sa loyauté. Dont, de regret qu’il en eut, et autrement pour débilité de sa personne, il finit sa vie dedans deux jours. » Il mourut le 4 janvier 1465, à Amboise, quelques-uns disent à Châtellerault. Les comptes nous indiquent avec quelle hâte on avait cherché à Orléans son médecin, — que nous trouverons rimant dans ce recueil de rondeaux — maistre Jehan Caillau. Ils nous montrent encore comment l’on dépensa 3,557 livres 2 sous 6 deniers tournois pour le deuil, et comment Louis XI laissa à sa veuve 12,000 livres de pension. Nous avons expliqué au début de cette esquisse biographique quelle fortune subit sa renommée. Nous indiquerons dans nos notes quelques pièces de lui dont ses contemporains enrichirent leurs propres œuvres. L’abbi Sellier, frappé de la liberté françoise, de l’heureuse facilité, de la retenue et de la décence relative de ses vers, commença sa résurrection au xviiie siècle. Depuis lors il a pris dans notre histoire littéraire une place supérieure que plusieurs critiques vigoureuses, violentes même, ne lui ont pas enlevée. La plupart des historiens ont été frappés en effet de cette qualité qu’il a et que j’ai essayé de résumer en disant que c’est un des classiques du Moyen Âge : il n’appartient à aucune école, il est uniquement de l’école française. Ces deux volumes fourniront les éléments du procès. Les lecteurs, en pardonnant la monotonie inhérente à ce genre de poésie intime, comprendront tout ce qu’il y a de véritable élégance et de charmante finesse dans cette simplicité qui ne saurait lutter avec la puissante grossièreté de Villon, et qui demande une grande culture intellectuelle pour être bien goûtée, mais qui ne ressemble en rien à la banalité des polisseurs de rimes du xviiie et du xixe siècles. Il faut juger Charles d’Orléans comme un poëte méridional. Il possède les qualités de la langue d’oc plutôt que de la langue du Nord. Il en a les défauts aussi. Je voudrais dire en terminant que c’est un troubadour qui a abandonné la langue provençale. Il a de la littérature du midi la monotonie, l’étroitesse de l’idée, l’absence de conception, mais la grâce, la politesse, la mesure, la perfection de la forme et, à défaut de l’ardeur qu’il ne montre guère, une exquise sensibilité. Moralement, politiquement, historiquement, nous l’avons jugé aussi impartialement que possible. Mais je crois que malgré ses fautes et ses faiblesses, il est difficile de vivre auprès de lui quelque temps, comme nous l’avons fait, sans se sentir pris de tendresse pour ce prince doux, généreux, sincère et sage, aimant les lettres et les arts, avec cette vive et intelligente passion dont Mécène est resté le type, aimant les pauvres, ses serviteurs et ses amis, avec une charité, une fine bonhomie et une loyauté parfaite. Enfin nous pouvons surtout lui savoir gré et d’être un des pères de l’esprit français et l’un des maîtres de la langue française. C. D’HÉRICAULT.
Jean Petithuguenin Une mission internationale dans la Lune 1933.djvu/17
{{nr||{{sc|une mission internationale dans la lune}}|15}}qui lancerait progressivement le projectile par déflagrations successives ? — Impraticable, chère madame ! Savez-vous quelle longueur il faudrait donner à un pareil canon pour rester toujours dans cette limite infranchissable de dix mètres d’accélération par seconde ? — Plusieurs kilomètres, sans doute. — Plus de sept mille kilomètres, environ le sixième de la circonférence terrestre ! — Comment a-t-on calculé ça ? demanda Madeleine, stupéfaite. — Le problème est d’une extrême simplicité, repartit Dessoye, en tirant un carnet de sa poche. Et il se mit à aligner des chiffres au crayon. — Le projectile doit parcourir dix mètres dans la première seconde, vingt dans la deuxième, trente dans la troisième, et ainsi de suite, en augmentant chaque fois de dix mètres jusqu’à ce qu’il ait atteint la vitesse de douze mille mètres à la seconde. Il devrait donc par courir dans le canon un nombre de mètres représenté par la somme suivante. Dessoye mit son carnet sous les yeux de la jeune femme, qui lut cette formule : {{c|<math>10+20+30+etc\ldots+12.000</math>}} — Je n’ai inscrit, reprit-il que les trois premiers termes et le dernier de cette somme, car il y en a douze cents. Mais vous vous représentez facilement ceux que j’ai remplacés par des points, puisqu’il suffit d’augmenter un terme de dix pour passer au suivant. Une telle somme est ce que les mathématiciens appellent une progression arithmétique, du moins la série des termes, abstraction faite des signes +, compose une telle progression. Or rien n’est plus facile que de calculer la somme des termes d’une progression arithmétique, et, dans le cas particulier qui nous occupe, la somme de nos douze cents nombres est donnée par cette formule <nowiki /> <references/>
Etudes de métaphysique et de morale, 1916.djvu/47
{{nr||'''E. BOUTROUX.''' — {{sm|L’INTELLECTUALISME DE MALEBRANCHE.}}|35}}la morale, la puissance et la sagesse divine, les conditions suprêmes de la perfection. Ce système, qui s’annonce comme essentiellement intellectualiste, aboutirait à distinguer radicalement, dans les choses, l’essence et l’existence, et à réserver l’intelligibilité pour la première, tandis que la seconde relèverait uniquement de la croyance et de la révélation. Ainsi en juge, par exemple, Kuno Fischer, qui réduit Malebranche au rôle de chaînon intermédiaire entre Descartes et Spinoza, parce qu’il ne voit dans tout ce qui se rattache à la théorie des causes occasionnelles autre chose que des résidus, que Malebranche n’a pas su ou n’a pas osé réduire aux principes de l’intellectualisme. Mais cette interprétation de la doctrine de Malebranche est infidèle. Malebranche ne saurait admettre que l’intelligence laisse en dehors d’elle une partie quelconque de l’être, à plus forte raison, la partie la plus relevée. En réalité il conçoit l’intelligence comme comportant des degrés ; et, tandis qu’il tient l’existence du contingent, les rapports entre l’âme et le corps, les principes du monde moral et religieux pour absolument indémontrables au regard de l’entendement mathématique, il voit ces mêmes réalités conformes à une plus haute sagesse, intelligibles pour une intelligence supérieure. La religion même est, selon lui, la plus parfaite des évidences rationnelles, pour une raison infiniment parfaite. Le système de Malebranche pose donc devant nous un grave problème. Étant donnée l’impossibilité de réduire à l’intelligible mathématique une partie considérable des choses que nous tenons pour des réalités, telles que l’existence du monde matériel et les vérités morales et religieuses, deux partis sont possibles : ou tenter de démontrer que ces éléments réfractaires ne possèdent aucune réalité effective, et ne sont que des fantômes de notre imagination ; ou se demander si l’intelligence mathématique est bien toute l’intelligence, si l’intelligence ne comporterait pas des modes de penser et de comprendre, analogues, mais supérieurs à la démonstration mathématique. De cette alternative, Malebranche adopte le second terme. Il y est conduit par le souci des vérités religieuses et des conditions de la vie naturelle, lequel, chez lui, va de pair avec le culte de la science. Céda-t-il, en raisonnant ainsi, à des mobiles étrangers à la philosophie et à la raison ? <references/>
Revue de Paris, 29è année, Tome 2, Mar-Avr 1922.djvu/639
{{nr||{{t|MAHATMA GANDHI|90}}|641}}1921, les deux frères Ali sont poursuivis pour propagande antimilitariste. Au compte rendu de leur procès, imprimé, en octobre, à Karachi, sur de mauvais papier à chandelle, Gandhi signe un avant-propos qui célèbre la vertu libératrice de la franchise et de la vérité, dussent-elles paraître un peu rudes. La presse anglaise n’avait longtemps parlé de lui qu’avec les plus respectueux égards ; rien, chez lui, de l’ambitieux vulgaire ; une personnalité vigoureuse et belle qui agit sur les plus puissants ressorts ethniques, sociaux et religieux de sa race, et qui se pose en champion des croyances et des coutumes d’autrefois ; idéaliste implacable et peu pratique, mais sincère ; visionnaire, fanatique, agitateur dangereux, c’est vrai, mais dont l’exaltation spirituelle et la ferveur d’altruisme se sont assigné pour modèles les plus grands maîtres religieux de tous les temps, le plus grand de tous, le Christ qu’il admire sans l’adorer. Pourtant l’inquiétude point et grandit. Le Gandhi d’aujourd’hui est bien différent du Gandhi d’il y a vingt ans ou même d’il y a huit ans, écrit le ''Times'' en décembre 1920. Il peut avoir gagné en stature spirituelle ; il a certainement perdu en équilibre et l’équilibre n’a jamais été son fort. Sans doute est-ce d’Afrique du Sud qu’il a rapporté cette amertume, à voir traiter ses compatriotes en parias. Ce qui se passait en Afrique du Sud se passait aussi ailleurs. Cela se passe encore en Afrique Orientale, et ce qu’en dit le Ministre des Colonies, {{M.|Churchill}}, n’est pas pour apaiser les susceptibilités d’une race justement fière de sa culture et de son antiquité. La victoire des Japonais sur les Russes a rendu à tout l’Orient confiance en lui-même. La proclamation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’a fait qu’encourager l’esprit de revendications. La propagande de Moscou entretient l’effervescence. Enfin mesurerons-nous jamais à quel point une trop familière fraternité d’armes, et les soins mêmes, donnés par des femmes blanches aux hospitalisés orientaux comme aux autres, ont achevé de ruiner ce que notre Occident pouvait encore conserver là-bas de mystérieux prestige ? Quoi qu’il en soit des causes, les effets s’étalent à tous les yeux. Le désordre et les violences, les conflits meurtriers <references/> {{nr|{{sm|{{1er}} Avril 1922.}}||7}}
Les Matelots de la Belle-Julie
Jean de La Ville de Mirmont Les Matelots de la Belle-Julie La Revue hebdomadaire, série 12, numéro 52, 1928 (p. 27-30). ◄ Le Piano droit Les Matelots de la Belle-Julie journalLa Revue hebdomadaireLes Matelots de la Belle-JulieJean de La Ville de MirmontLibrairie Plon1928ParisCsérie 12, numéro 52Les Matelots de la Belle-JulieLa Revue hebdomadaire, série 12, numéro 52, 1928.djvuLa Revue hebdomadaire, série 12, numéro 52, 1928.djvu/127-30 Les matelots Pompez, pompez, De la Belle-Julie L’ont pavoisée Pompez, pompez, De brillantes couleurs. Canonniers, Gabiers, Vive le jus de la treille ! Lorsque la Belle-Julie (pavoisée de brillantes couleurs) traversa pour la première fois la ligne équatoriale, chacun à bord but plus que de raison, au point que la perruche verte du timonier, demeurée muette depuis le désastre de Trafalgar, recouvra dans l’alcool le don de la parole, sinon l’oubli de ses vieilles rancunes et cria par trois reprises en battant des ailes sur la corne d’artimon : « Chiens d’Anglais ! qu’on leur brûle la gueule ! » Cet incident, toutefois, ne présente que peu d’importance en comparaison de la rixe sanglante dont les matelots de la Belle-Julie devinrent les héros dans le port de Pointe-à-Pître ; l’équipage malais d’un brick de Haarlem y pensa périr en entier. Quant à la gigantesque saoulerie qui termina le repas des noces du roi Hatalulu, nous ne la citerons que pour mémoire ; on ignore, d’ailleurs, à la suite de quelles circonstances de leur vie errante, officiers, gabiers et canonniers se trouvaient alors convives du prince cafre. Il va sans dire que là, comme partout, le meilleur buveur de la corvette fut le commandant Bartus (de Bayonne), qui mesurait six pieds six pouces et connaissait le cœur des femmes. Mais son second le lui cédait à peine ; et c’est justice également de reconnaître que si le maître d’équipage portait moins bien le vin des îles, nul ne l’égalait dans le dosage minutieux des mélanges savants. Il n’est pas jusqu’au mousse Lartigolle, sur qui vous n’eussiez fondé les plus vastes espérances en le découvrant un jour à fond de cale, ivre mort, auprès d’une futaille éventrée et presque vide, celle-là même qu’un notable commerçant de Bordeaux avait confiée aux bons soins du capitaine d’armes pour qui lui fît accomplir le voyage des Indes... De tous ces gais lurons, pas un ne serait descendu sur la terre ferme sans être gris au préalable, car le pied de l’homme de mer a toujours besoin d’un sol mouvant pour se poser. Et vraiment quand la Belle-Julie, roulant et tanguant vent arrière, ouvrait les lames avec sa proue et de son sillage d’écume semblait diviser la mer en deux parties égales, il eût été difficile de dire qui était le plus saoul, de la corvette, des vagues ou de l’équipage. Tout dansait : le soleil sur la mer, les ailes des mouettes dans le ciel et le cœur des hommes dans leur poitrine. Chaque bouffée de brise emportait au large, avec la fumée des pipes et le refrain des chansons à boire, l’odeur des vins de France et des alcools anglais. Il ne fallut pourtant qu’une bourrasque imprévue par 65° 57′ 25′′ long., 29° 44′ 12′′ lat. dans la mer des Sargasses pour mettre fin à tant de saine et vigoureuse gaieté. Alors que le vaisseau, courant grande largue, essayait de parer au grain en serrant ses cacatoès et en rentrant ses bonnettes, la vergue sèche d’artimon se rompit et brisa le crâne du commandant Bartus, qui, debout sur le gaillard d’arrière, commandait la manœuvre en criant ses ordres dans un porte-voix. Le calme plat qui suivit la bourrasque ne peut se comparer à la stupeur dans laquelle resta plongé l’équipage de la Belle-Julie. Il fallut pourtant procéder aux funérailles. Elles furent, selon l’usage, simples mais tragiques. Toutefois, comme il convenait de respecter la volonté du défunt, qui avait fait le serment à la veuve d’un avoué de Bayonne (nul n’ignore qu’il portait dans un médaillon d’or, sur sa poitrine, une boucle de cheveux noirs) de revenir mort ou vif, à ses pieds, de l’autre bout du monde, le corps du commandant Bartus ne fut pas abandonné à la fureur des flots. La cérémonie terminée par un roulement de tambour sur les dernières paroles de l’aumônier, quatre fusiliers descendirent leur chef à la cambuse et le plongèrent dans un fût d’eau-de-vie, seul tombeau, avec l’Océan, digne de recevoir sa dépouille mortelle. Et la Belle-Julie, le pavillon en berne, reprit sa course vers les côtes de France. Mais ses voiles, naguère fermes et rondes comme les seins d’une sirène amoureuse, retombaient flasques et vides sur les vergues. À l’exception de quelques jurons du second et des sonneries réglementaires, pas un bruit ne s’entendait sur le pont du navire. Par les sabords, les caronades regardaient tristement la mer, qui, jusqu’à l’infini, s’étendait plate et immobile comme l’image du désespoir. Pour tout dire, il ne restait à bord, de toute la provision d’alcool, que le fût de trois-six au fond duquel le commandant Bartus dormait son dernier sommeil, et chacun, pour ne pas périr de soif, en était réduit à boire de l’eau. Une circonstance aussi exceptionnelle, aussi contre nature, peut, seule, faire comprendre la suite de ce récit. Nous hésiterions à le poursuivre, si nous n’étions convaincus que nous nous adressons à des gens au cœur solide, habitués aux choses de la mer, et non à ces blêmes habitants des villes, dont la tête tourne et l’estomac se vide dès qu’ils ont mis le pied sur un embarcadère. Le cuisinier fut le premier qui osa descendre dans la cale, un gobelet au fond de sa poche, un vilebrequin à la main. Il remonta bientôt après, titubant mais consolé. Puis ce fut l’un, puis l’autre, chacun à son tour. Puis les marins, par groupes, à certaines heures de la journée prirent l’habitude de se réunir autour du fût du commandant Bartus. Ils buvaient à petits coups la précieuse liqueur, avec une sorte de recueillement. Il leur semblait que quelque chose pénétrait en eux de l’âme noble et généreuse du défunt. Il va de soi, naturellement, que lorsque le navire eut regagné son port d’attache, le fût était vide. Cependant le souvenir n’en devait pas périr de si tôt. Tant, en effet, qu’il survécut quelque part, dans un port de la Manche, de l’Océan, ou de la Méditerranée, un matelot de la Belle-Julie, certes il ne se refusa jamais à choquer son verre contre celui d’un ami, fût-il terrien. Mais, malgré la politesse bien connue des gens de mer, si on lui eût demandé : « Que dites-vous de ce cognac ? » ou bien : « Eh ! Eh ! ce marc, en avez-vous bu de pareil aux Îles-sous-le-Vent ? » — il aurait invariablement répondu : « Faites excuse, sauf votre respect, ça ne vaut pas la cuvée du commandant Bartus. »
Etudes de métaphysique et de morale, 1916.djvu/46
{{nr|34|{{sm|REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.}}|}}misères. Veux-tu être semblable aux impies, qui me contemplent avec plaisir lorsque je les éclaire de la lumière de la vérité, et qui ont horreur de moi, lorsque je les reprends et que je les condamne par la manifestation de l’ordre<ref>Voir ''Méditations chrétiennes''. ''Troisième Méditation'', 19-23.</ref> ? De telles exhortations ne sont pas rares chez Malebranche. Il serait tout à fait contraire à sa pensée de supposer que, par cette distinction, il se propose d’introduire en Dieu quelque principe irrationnel. Nul doute, au contraire, que ce qu’il appelle l’ordre ne soit, ici même, la vérité la plus haute, la chose intelligible par excellence. Si, pour notre raison, l’ordre de l’amour est moins évident que l’ordre de la géométrie, et paraît distinct de l’ordre de la vérité, c’est qu’en cette vie notre raison est tournée vers la matière, et sujette à l’erreur. Une raison plus puissante et plus droite apercevrait dans l’ordre moral la source de l’ordre géométrique. Et si, maintenant, l’on se ressouvient que ce que Malebranche, sous les noms de causes occasionnelles, causes naturelles, lois naturelles, nature, distingue des déterminations mathématiques, repose, en dernière analyse, sur la puissance et la sagesse de Dieu, c’est-à-dire sur Dieu en tant qu’ordre, et non sur Dieu en tant que principe de l’étendue intelligible, on conclura que les relations contingentes qui existent entre les créatures, loin d’être moins intelligibles que les relations des essences mathématiques, relèvent directement du principe même de la raison et de l’intelligibilité. Quand on prend pour accordé que tout intellectualisme véritable, et en particulier l’intellectualisme de Malebranche, consiste à ne tenir pour intelligibles que les manières d’être réductibles à des déterminations mathématiques, on est amené à une conclusion étrange. Malebranche, après avoir célébré avec enthousiasme l’intelligence, après nous avoir montré l’homme admis à voir, en Dieu même, les raisons intelligibles des choses, en serait arrivé successivement à rejeter du domaine de l’intelligibilité les existences corporelles, les rapports entre les corps et les esprits, les relations mutuelles des phénomènes de la nature en général, les principes de <references/>
La Saga de Gunnlaug Langue de Serpent, trad. Wagner, 1899.djvu/34
sant désormais et exclusivement sur le sol mouvant des idées, des aspirations, des goûts individuels des narrateurs, elle continue son évolution lente mais irrésistible. Pendant au moins deux siècles encore, sujette à toutes les fluctuations que subissent les tendances morales et intellectuelles chez des nations où l’imagination est toujours en éveil, la saga vit sur les lèvres du peuple, se modifie au gré de ses dispositions, et l’accompagne dans toutes ses migrations. C’est ainsi qu’elle se répand, par voie de tradition orale, dans la plupart des contrées du Nord et se transmet pendant une longue suite de générations. Enfin arrive le jour où l’œuvre est mise par écrit. Il est des cas où l’histoire orale continue à circuler pendant quelque temps encore ; mais, d’une façon générale, on peut dire que la fixation par l’écriture l’arrête définitivement dans sa transformation et marque le terme de son évolution. C’est la seconde étape et la plus significative. L’écrivain fait son apparition. Cette rédaction des récits, faite plusieurs siècles après l’accomplissement des faits qui en constituent comme le tissu fondamental et immuable, est de la plus haute portée au point de vue historique et littéraire ; elle atteste un progrès important dans la vie intellectuelle des peuples scandinaves : l’usage de l’écriture basée sur l’alphabet latin. Pour ce qui concerne spécialement la saga de Gunnlaug, toute une série de détails, notamment l’exactitude des indications relatives aux rapports de parenté, font supposer que les exploits des héros et les émouvantes péripéties dont leur vie est remplie, ont été l’objet de récits peu de temps après leur mort. Son origine première remonte donc à l’époque qui marque les confins du paganisme et du christianisme. Pendant deux siècles elle vit à l’état <references/>
Maupassant - Émile Zola, 1883.djvu/22
mauvaise, puisque c’est produire une œuvre d’erreur. L’imagination a été ainsi définie par Horace : {{g|{{T|<poem> Humano capiti cervicem pictor equinam Jungere si velit, et varias inducere plumas Undique collatis membris, ut turpiter atrum Desinit in piscem mulier formosa superne...</poem>|85}}|4}} C’est-à-dire que tout l’effort de notre imagination ne peut parvenir qu’à mettre une tête de belle femme sur un corps de cheval, à couvrir cet animal de plumes et à le terminer en hideux poisson ; soit à produire un monstre. Conclusion : Tout ce qui n’est pas exactement vrai est déformé, c’est-à-dire devient un monstre. De là à affirmer que la littérature d’imagination ne produit que des monstres, il n’y a pas loin. Il est vrai que l’œil et l’esprit des hommes s’accoutument aux monstres, qui, dès lors, cessent d’en être, puisqu’ils ne sont monstres que par l’étonnement qu’ils excitent en nous. Donc, pour Zola, la vérité seule peut produire des œuvres d’art. Il ne faut donc pas imaginer ; il faut observer et décrire scrupuleusement ce qu’on a vu. <references/>
Reveille-matin des François, 1574.djvu/21
{{Gauche|force de vous seruir de ce{{ligat|s|t}}uy-cy,}} {{Gauche|ayans irrité tous les autres, qui luy}} {{Gauche|e{{ligat|s|t}}oyent competiteurs abbayans à}} {{Gauche|vo{{ligat|s|t}}re Royaume.}} {{Gauche|{{Em|1}}Les François vous sont au{{ligat|s|s}}i bien}} {{Gauche|fort obligez, de ce que apres ces}} {{Gauche|ma{{ligat|s|s}}acres vous ne voulu{{ligat|s|t}}es iamais}} {{Gauche|pa{{ligat|s|s}}er outre à la cõfirmation de l’e-}} {{Gauche|le{{ligat|c|t}}ion, sans vne prome{{ligat|s|s}}e solennel}} {{Gauche|le, que Monluc {{ligat|e|t}} Lansac vous firẽt}} {{Gauche|de plusieurs articles, qu’ils iurerent}} {{Gauche|au nom de leur Mai{{ligat|s|t}}re. Entre les-}} {{Gauche|quels ce{{ligat|s|t}} article e{{ligat|s|t}}oit l’vn des}} {{Gauche|principaux : Qu’il seroit fai{{ligat|c|t}}e dili-}} {{Gauche|gente enque{{ligat|s|t}}e des ma{{ligat|s|s}}acres {{ligat|e|t}} pu}} {{Gauche|nition condigne des ma{{ligat|s|s}}acreurs :}} {{Gauche|moyen souuerain {{ligat|e|t}} vnique pour}} {{Gauche|e{{ligat|s|t}}ablir la Paix en France.}} {{Gauche|{{Em|1}}En ce que vos amba{{ligat|s|s}}adeurs, les-}} {{Gauche|quels apres cela vous enuoya{{ligat|s|t}}es sa}} {{Gauche|luer vo{{ligat|s|t}}re Roy en France, trai{{ligat|c|t}}e-}} {{Gauche|rent auec grande in{{ligat|s|t}}ance tout pre}} <references/>
Quatrevingt-treize/Notes – Éditeur
Victor Hugo Quatrevingt-treize (1874) Texte établi par Gustave Simon, Imprimerie Nationale ; Ollendorff, 1924 (9, p. 451-489). ◄ Le Manuscrit de Quatrevingt-treize Notes de cette édition bookQuatrevingt-treize (1874)Victor HugoImprimerie Nationale ; Ollendorff1924ParisV9Notes de cette éditionHugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvuHugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/7451-489 À quelle date Victor Hugo avait-il conçu Quatrevingt-treize ? Dans une lettre du 10 janvier 1863 à son éditeur Lacroix, qui lui offrait de faire un traité pour des volumes inédits déjà tout prêts et pour les volumes de l’exil : Napoléon le petit, les Châtiments, les Discours de l’exil (Œuvres oratoires), Victor Hugo répondait : Vous me demandez une réponse définitive, mais cette réponse ne peut être qu’un ajournement pour vous comme pour tous les autres éditeurs qui veulent bien me faire des offres. Et voici pourquoi : — Je suis au seuil d’un très grand ouvrage à faire. J’hésite devant l’immensité, qui en même temps m’attire. C’est 93. Si je fais ce livre, et mon parti ne sera pris qu’au printemps, je serai absorbé. Impossibilité de publier quoi que ce soit jusqu’à ce que j’aie fini. Il m’est donc impossible de me lier. J’ai bonne volonté absolue, et pour vous c’est une affection véritable, mais vous voyez que je ne peux qu’ajourner. Si je ne fais pas ce volume (Eheu ! labuntur anni), au printemps nous reparlerons. Mais le printemps se passe, Victor Hugo ne donne pas signe de vie. Lacroix s’impatiente. Cette incertitude lui pèse. Il écrit une première fois, il écrit une seconde fois ; enfin Victor Hugo lui répond : H.-H., 20 décembre [1863]. Mon cher monsieur Lacroix, le temps me manque aujourd’hui pour répondre en détail à vos deux lettres, je veux pourtant vous écrire tout de suite, car je vois que vous vous méprenez sur mon silence, cruel dites-vous. N’accusez que ces jours courts et mes yeux fatigués. Je me lève au crépuscule, je donne toutes les heures de jour au travail, qui a pour moi l’urgence du devoir, et le soir je n’y vois plus. Telle est la cause de mon retard à vous répondre, retard bien involontaire ; croyez à ma bonne amitié. Je m’en réfère à ma dernière lettre. Ne donnez pas, je vous prie, tant d’importance à de petits détails que l’éloignement grossit. La réalité, la voici : Nos relations sont bonnes, et par conséquent solides. Je ne veux pas aliéner ma liberté ni enchaîner la vôtre. Celui qui tiendra mon passé tiendra, dans une certaine mesure, mon avenir. Vous avez eu plus d’une fois des occasions que, sans doute, vous avez eu vos raisons pour négliger. Du reste, ce que je vous dis, je le dis à tous. Je tiens à rester libre. Dans tous les cas, je ne serais en mesure d’examiner les offres de traités d’ensemble qu’après l’achèvement de 93 (s’il m’est donné de faire ce livre). Je suis également forcé, par défaut de temps, d’ajourner tout pourparler sur les Chansons des rues et des bois jusqu’après la mise à fin de mon travail actuel. Comprenez, je vous prie, tout ceci ; vous êtes on ne peut mieux situé près de moi pour que nos relations continuent et s’améliorent encore, comptez sur ma cordialité entière et complète. In baste. V. H. Victor Hugo préparait ses notes sur Quatrevingt-treize. Lacroix persiste à le presser de publier quelque chose en 1864, mais Victor Hugo résiste, et il écrit à Lacroix : H.-H., 15 mai [1864]. Mon cher monsieur Lacroix, j’hésite à publier cette année quoi que ce soit. J’aurai deux ouvrages terminés : ce roman et les Chansons des rues et des bois. Mais je voudrais me mettre tout de suite à 93, et ces deux publications me prendraient, en correspondances et en corrections d’épreuves, cinq ou six mois, ce qui m’effraie. J’ai peu d’années devant moi et plusieurs grands livres à faire ou à finir. C’est ce qui me rend si avare de mon temps. Enfin, je songerai à ce que vous voulez bien me demander. Victor Hugo céda pourtant aux sollicitations de Lacroix pour les Travailleurs de la mer et les Chansons des rues et des bois. Dans une note qui date du début de l’année 1866, Victor Hugo expose le plan suivant : Sous ce titre : Études sociales, l’auteur commence une série. Un octogénaire plantait. Cette série, qui a aujourd’hui pour prélude l’Homme qui rit, c’est-à-dire l’Angleterre avant 1688 se continuera par la France avant 1789 et s’achèvera par 93. Victor Hugo commençait à Bruxelles l’Homme qui rit, le 21 juillet 1866. Dans sa courte préface, il dit : Le vrai titre de ce livre serait l’Aristocratie. Un autre livre qui suivra pourra être intitulé la Monarchie. Et ces deux livres, s’il est donné à l’auteur d’achever ce travail, en précéderont et en amèneront un autre qui sera intitulé : Quatrevingt-treize. Ces lignes sont datées d’Hauteville-House, avril 1869. Dans un projet de préface qui n’a pas été publié, Victor Hugo écrit : L’histoire montre les faits, le roman montre les mœurs ; l’histoire montre l’organisme, le roman montre l’âme. Le roman, c’est le drame hors cadre. L’Homme qui rit est une sorte d’avant-scène du livre Quatrevingt-treize que prépare l’auteur ; 93 est une résultante immense, la Révolution française est un fait produit par toute l’Europe. L’Europe a deux pôles, la France et l’Angleterre. L’auteur, dans ce livre, expose et tâche de faire visible l’Angleterre après 1688 ; plus tard, dans un autre livre spécial, il exposera la France avant 1789 ; puis 93 suivra. H. H. Les mots tâche de faire visible sont placés entre deux traits verticaux ; s’ils traduisaient sa pensée, ils lui paraissaient défectueux dans la forme et devaient être modifiés. Ainsi donc, c’est en 1863 que nous trouvons pour la première fois, dans la correspondance, trace de Quatrevingt-treize. Au début de 1866 il arrêtait le plan d’une intrigue. C’est le 16 décembre 1872, à Hauteville-House, qu’il commence à écrire Quatrevingt-treize ; le 9 juin 1873, il l’achève. Mais auparavant que de lectures, que de recherches, que de méditations ! car, en dépit de certaines affirmations, Victor Hugo se documentait, surtout lorsqu’il donnait à ses romans et à ses pièces un cadre historique. Pour Cromwell, pour Notre-Dame de Paris, pour Marie Tudor, pour l’Histoire d’un crime, pour l’Homme qui rit, pour d’autres œuvres encore, il a lu beaucoup de livres, fouillé des archives, consulté des chroniques, des chartes, des procès-verbaux. Il ne cherche pas à dissimuler les sources où il a puisé ses renseignements, il les indique dans des notes à la fin du livre ou au cours même de son récit ; il lui arrive même d’en dresser le catalogue. Si parfois il ne mentionne pas l’origine de ses documents, il comble la lacune par un renseignement dans ses carnets ; et dans sa bibliothèque sont alignés nombre de volumes, tout remplis de signets de papier, au haut desquels sont inscrits quelques mots résumant les pages du texte consulté. Victor Hugo, loin de faire mystère, comme on l’a dit parfois, des documents qu’il utilisait, mettait au contraire une sorte de coquetterie à les divulguer. Était-ce bien de la coquetterie ? N’était-ce pas plutôt le désir de s’assurer des témoins et des garants de ses récits ? Précaution sage pour ne pas être accusé du délit d’invention qu’on n’aurait pas manqué de lui reprocher, lorsqu’il produisait des faits susceptibles de paraître invraisemblables en raison de leur énormité. Lorsque Victor Hugo écrivait une œuvre, il plaçait les livres à consulter dans la bibliothèque qui précède le look-out, son cabinet de travail. Lors de notre dernier voyage à Guernesey, en juillet 1913, nous trouvâmes un certain nombre de volumes d’histoire contenant des signets de papier annotés. Parfois, les signets étaient remplacés par des traits ou des accolades à l’encre dans le texte ; ou bien des pages étaient cornées ou pliées, ce qui nous a permis de suivre le travail préliminaire, travail considérable. Nous avons acquis la preuve que, pour son Quatrevingt-treize, Victor Hugo avait lu attentivement un grand nombre de volumes. Il ne fallait rien moins que sa prodigieuse mémoire pour retenir tant de renseignements disséminés, les mettre en relief suivant les besoins de son récit, les coordonner en quelques pages, préciser les marches des combattants à travers les routes de la Vendée, dénombrer tant de personnages en conservant à chacun d’eux son allure, son caractère, et cela sans trahir l’histoire, tout en donnant à l’œuvre d’imagination une part prépondérante. Sans doute il connaissait bien la géographie de la Bretagne et de la Vendée ; il avait sur cette guerre les souvenirs de sa mère ; mais il était difficile de se débrouiller dans ce réseau presque inextricable de combats et d’engagements ; il y avait, en effet, comme il l’a écrit, deux Vendées : « la grande, qui faisait la guerre des forêts ; la petite, qui faisait la guerre des buissons ». Il semble qu’il se soit plus particulièrement attaché à la petite, qui lui fournissait des détails plus colorés, plus pittoresques, plus dramatiques. Il a négligé la première période de l’insurrection vendéenne dirigée par le marquis de la Rouarie, qui aboutit à de lamentables échecs. L’infortuné, qui devait mourir de maladie — ce qui le sauva de l’échafaud — fut accusé de trahison ; il avait eu l’imprudence de confier son plan à son médecin Latouche qui avertit Danton de la conspiration. Ses complices furent exécutés. Victor Hugo fait allusion à la Rouarie parce qu’il commence son récit à l’époque où l’insurrection se trouvait décapitée. Il fallait un chef pour réparer les fautes de la Rouarie. Dans son roman, Victor Hugo l’appelle le marquis de Lantenac ; dans l’histoire, il se nomme le comte Joseph de Puisaye. Suivons le travail note par note ; nous verrons ainsi comment le poète a tiré parti des documents historiques : sources historiques. Les Mémoires de Joseph de Puisaye. Victor Hugo a tout d’abord consulté les Mémoires du comte Joseph de Puisaye, lieutenant général, etc., etc., qui pourront servir à l’histoire du parti royaliste français durant la dernière révolution. Ces mémoires ont été publiés en 1803. Lantenac est évidemment Puisaye, et, en effet, dans un ouvrage intitulé : Lettres sur l’origine de la chouannerie et sur les chouans du Bas-Maine, dédiées au Roi, par J. Duchemin-Descepeaux, publié en 1825, et que Victor Hugo a soigneusement étudié, nous trouvons un portrait de Puisaye, homme entreprenant, ayant l’esprit d’organisation, faisant reconnaître son autorité par des bandes de paysans, soulevant les campagnes, armant les paysans, formant des compagnies, leur nommant des chefs. C’est bien le Lantenac de Victor Hugo. Dans les Mémoires de Puisaye, nous voyons (p. 615, t. II) le lieutenant général Joseph de Puisaye s’emparant d’un canot de onze pieds de quille, aménageant une voile avec des draps de lit, convertissant en mât une longue perche, s’embarquant, par une mer houleuse, dans le canot faisant eau de toutes parts. Le signet marquant cette page est éloquent : Vieux canot utilisé. Important à lire. Cette fuite historique du comte de Puisaye par une mer agitée a inspiré à Victor Hugo la fuite du marquis de Lantenac. Mais celle-ci est rendue plus tragique par la présence du pilote Halmalo, le propre frère de celui que Lantenac vient de faire fusiller. Lantenac donne comme instructions à Halmalo d’aller trouver Cœur-de-Roi, Mousqueton, Jean Chouan, Miélette, Bénédicité, Treton, Sans-Regret, Bourdoiseau, chefs et soldats vendéens empruntés à l’histoire, puis il poursuit sa route sur la dune et rencontre le mendiant Tellmarch. Nous trouvons dans les Mémoires de Puisaye un signet à la page 419, tome II, sur lequel Victor Hugo a écrit : Tête mise à prix, le mendiant ; et de Puisaye raconte : J’aperçus un mendiant qui venoit à nous ; la figure de cet homme s’est profondément gravée dans mon souvenir. Il étoit couvert de haillons, et portoit sur son épaule un mauvais sac qui, comme il étoit percé en plusieurs endroits, laissoit entrevoir quelques morceaux de pain qu’il avoit reçus de la charité des habitants. Il m’avoit reconnu de loin : « Où allez-vous, me dit-il, ainsi, Monsieur, sans être mieux accompagné ? J’arrive de la ville ; votre tête y a été mise à prix. On promet soixante mille francs à celui qui pourra vous faire prendre. Ce pays n’est pas sûr ; on sait que les chouans n’y sont pas ; les espions et les patrouilles vont se répandre sur toute la campagne. » Cela fut dit avec un accent de frayeur et de sensibilité qui commandoit ma confiance. « Je suis fatigué, lui répondis-je, il me seroit impossible d’aller plus loin ; et je vais me reposer à cette ferme. » « M’est-il permis de vous donner un conseil. Monsieur ? N’en faites rien : le fermier est un homme riche. Si les bleus viennent ici, ce sera chez lui qu’ils iront. Venez dans ma cabanne (sic) ; on sait que je suis pauvre ; je n’ai rien qui puisse les tenter. J’irai chercher à la ferme un lit et à souper pour vous ; je veillerai toute la nuit, et vous serez averti à la première alerte. » De tels sentiments ne m’étonnoient pas ; ce bon peuple m’y avoit accoutumé ! J’acceptai la proposition sans hésiter, et nous passâmes, dans cette misérable hutte, une nuit plus douce que nous ne l’eussions fait dans un palais. Qu’on se reporte au livre quatrième du roman de Victor Hugo : Tellmarch, on y trouvera la rencontre de Lantenac avec le mendiant, on y lira l’affiche mettant la tête de Lantenac à prix pour la somme de soixante mille livres. Mais la conversation entre le marquis et le mendiant est autrement émouvante. La Révolution française. Suivons le roman de Victor Hugo : la deuxième partie se passe à Paris, c’est d’abord le cabaret de la rue du Paon, avec Danton, Marat et Robespierre, puis c’est la Convention. Pour ces chapitres, Victor Hugo a consulté plusieurs ouvrages. Ce sont d’abord les deux volumes de la Révolution française de Louis Blanc. Dans le premier, il a introduit plusieurs signets sur lesquels il a écrit, de sa main, les indications suivantes : 1791. Élections. Cafés. — Marat. — Le clergé, les prêtres, leur richesse. — Le Livre Rouge. — Fureurs et trahisons des prêtres. — Les clubs. — Procès-verbaux du club des Jacobins. — Coblentz ; révélations de Cervières. — Gamain, l’armoire de fer. Dans le deuxième volume, Victor Hugo a introduit les signets suivants avec ces indications : Citoyens français nommés par l’Assemblée Légslative. — Énumération des pièces prouvant la corruption de la cour, saisies par le Comité de surveillance. — Cosmopolitisme de la Convention. — Libération de tous les peuples. — Marat. Vendée. Comité de sûreté générale. — Salle où est jugé Louis XVI. — Aspect de la séance où l’on juge Louis XVI (cette note au revers d’une lettre du 28 octobre 1872). — La Convention pendant le vote (au revers d’un fragment de lettre du 27 septembre 1872). — Énormité de la lutte. — Vendée, théâtre de la guerre. — Détails. — Vendée, armées et chefs (relire en entier). — La France en danger. — Vendée en marche (au revers d’un fragment de note date du 15 août 1870). — Vendée. D’Elbée. Saumur (à voir) [au revers d’un faire-part du 26 octobre 1871]. — Vêtements, costumes. — Le duc d’York. — Vendée. — Travaux de civilisation de la Convention mêlés aux œuvres de révolution. — Institut, Conservatoire, Musées, etc. — Nécrologie. — Salle de la Convention. — L’hébertisme. — Évêques abdiquant. — La terreur ; Tribunal révolutionnaire (au dos d’une enveloppe du 9 novembre 1872). — La Vendée vaincue. — Vendée (très important à lire pour relier Fontenay à la grande armée royaliste). — Pouvoirs absolus des commissaires délégués. — Club des Jacobins. On remarquera qu’il y a plusieurs indications semblables : le nom Vendée est répété plusieurs fois et répond aux chapitres de l’histoire de Louis Blanc intitulés : Soulèvement de la Vendée ; les Girondins et la Vendée ; Guerre de la Vendée ; la Vendée menace. On pourra, en compulsant les volumes de Louis Blanc, voir dans quelle mesure Victor Hugo leur a emprunté des détails pour son œuvre. Cet examen nous conduirait bien loin. Ce que nous pouvons dire, c’est qu’il a condensé tout ce qu’il a lu sur la Convention. Au tome II de la Révolution française de Louis Blanc, page 118, chapitre : Exécution de Louis XVI, Victor Hugo a introduit un signet avec ces mots : la Convention pendant le vote ; puis il a, dans son livre III, reproduit les votes les plus caractéristiques ; parfois, il a retenu certains détails sur la guerre de Vendée et sur les menées royalistes qui pouvaient prêter à des scènes dramatiques, et il les a présentés sous forme de dialogues, comme dans le livre deuxième, le Cabaret de la rue du Paon. Quant à la Vendée, nous verrons plus loin ce qu’il a pu emprunter à Louis Blanc. Dans les deux volumes intitulés : Histoire de Robespierre, d’Ernest Hamel, 1865, Victor Hugo a fait un certain nombre d’accolades. Et tout d’abord, une note de lui au crayon bleu : Mal écrit, mais avec l’accent de la vérité ; but que s’est proposé l’auteur. Les accolades se trouvent aux passages suivants du tome 1 : Éloge de Grasset. — Sur les contributions publiques. — Encore la liberté de la presse. — Les membres de la famille royale. — Dernière lutte contre Barnave. — Triomphe de Robespierre. Au tome II : Premiers pas vers la terreur ; en marge, on lit : la terreur fille des Girondins, curieux. — Barbaroux chez Robespierre ; il y a un signet qui porte : la chambre de Robespierre ; odieuses insinuations (accolade). — Pétion se jette dans la mêlée ; le signet porte : Robespierre peint par Condorcet (au dos d’une enveloppe d’octobre 1872). — La société populaire d’Amiens ; sur le signet, cette indication : Réconciliation essayée. Des volumes avec le titre : Révolution française, qui sont la réimpression de l’ancien Moniteur, ont été très feuilletés, et notamment les volumes XV, XVI, XVII, XVIII, XIX, XX. Victor Hugo a lu également l’Histoire de la Révolution française, par Gustave Bonnin, 1853. Il n’y a qu’un signet, p. 376, avec cette note de sa main : Situation critique par le 31 mai 1793. D’autres auteurs ont été consultés : Michelet, Garat, Delandine, Félix Pyat, Sébastien Mercier ; un volume de ce dernier : Paris pendant la Révolution (1789-1798) ou Le nouveau Paris, porte un signet p. 104, avec ce mot : évêché, au chapitre XXI intitulé : le Comité central de l’Évéché. Lettres sur l’origine de la chouannerie. La troisième partie du volume de Quatrevingt-treize a pour titre : la Vendée. On se rappelle que Victor Hugo a décrit les forêts bretonnes, dépeint la vie des chouans sous terre et en guerre, et les bataillons invisibles serpentant dans les terrains creusés ou vallonnés, sortant tout à coup des bois, des broussailles. C’est dans les Lettres sur l’origine de la chouannerie, de Duchemin-Descepeaux, que Victor Hugo a puisé ses renseignements. On sait que la plupart des chouans avaient adopté l’usage de prendre un nom de guerre : le Blond, Belle-Jambe, Vif-Argent, Fend-l’air, Carabine, Mousqueton, Houzard, la Musette, Branche-d’Or, Belle-Vigne, Brin-d’Amour, Sans-Peur, Cœur-de-Lion, Brise-Bleu, Sabre-Tout : on trouvera tous ces surnoms à la page 202, tome I des Lettres sur l’origine de la chouannerie. Nous ne les citons pas tous. Victor Hugo en a utilisé un certain nombre, se bornant à condenser en un petit nombre de pages tant d’aventures et tant de combats auxquels sont mêlés plusieurs chouans que nous venons de signaler. Dans son chapitre iii : Connivence des hommes et des forêts, il nous donne une topographie des cantonnements des divers rassemblements vendéens, en peignant d’un trait chacun des chefs : renseignements disséminés dans un grand nombre de pages des Lettres sur l’origine de la chouannerie ; c’est ainsi que nous lisons dans le volume de Victor Hugo ces lignes : Il y avait le bois de Misdon, au centre duquel était un étang, et qui était à Jean Chouan ; il y avait le bois de Gennes qui était à Taille-fer ; il y avait le bois de la Huisserie qui était à Gouge-le-Bruant ; le bois de la Charnie qui était à Courtillé-le-Bâtard, dit l’apôtre saint Paul, chef du camp de la Vache noire ; le bois de Burgault qui était à cet énigmatique Monsieur Jacques, réservé à une fin mystérieuse dans le souterrain de Juvardeil. L’énumération se poursuit et se termine ainsi : Le bois de la Croix-Bataille qui assista aux insultes homériques de Jambe-d’Argent à Morière et de Morière à Jambe-d’Argent. Dans les Lettres sur l’origine de la chouannerie, on retrouve tous ces noms, p. 265, tome II : Courtillé, dit saint Paul ou le Bâtard ; il était le chef de la bande du camp de la Vache noire : Les chouans avaient donné ce nom de Camp de la Vache noire à une hauteur située au milieu du bois de la Charnie dans la paroisse de Saint-Symphorien. Page 81, tome II des Lettres, il s’agit de M. Jacques : Le nom de M. Jacques était répété par toutes les bouches. Ce nom, qu’entourait le prestige du mystère, semblait avoir quelque chose de magique. Il suffisait de le prononcer pour calmer les craintes, ranimer l’espoir, réveiller le courage. Toutefois, le personnage que l’on désignait ainsi n’avait fait que se laisser voir et ne se laissait pas connaître. Le portrait, longuement tracé, est fort curieux. Ce Jacques s’appelait La Mérozières ; il avait pris un surnom pour ne pas compromettre sa famille ; aux pages 280-284 est le récit de sa mort dans le souterrain de Juvardeil. La querelle de Jambe-d’Argent et de Morière est racontée dans les Lettres, tome I, page 305 : après une bataille, Morière éleva la voix : « Sais-tu bien, Jambe-d’Argent, qu’on nous avait dit que tu étais le brave des braves, et que tu ne reculais jamais, et voilà qu’aujourd’hui on prétend ne t’avoir vu faire que des pas en arrière ? » Jambe-d’Argent dédaigna de se justifier, et contenant son indignation : « Vante-toi, si tu veux, Morière, lui dit-il, d’avoir été ce jour-ci plus brave que Jambe-d’Argent, car tu n’auras pas une seconde fois à t’en vanter. » — « Eh bien, reprit Morière, c’est ce qu’il faudra voir, nous attendrons. » — « Tu n’attendras pas, je veux te le faire voir tout à l’heure », s’écria Jambe-d’Argent, en mettant le sabre à la main et s’avançant sur lui. Victor Hugo ne fait qu’une allusion à cette querelle qu’il qualifie d’homérique. Nous avons donné ces détails pour montrer avec quelle conscience Victor Hugo se documentait, se bornant à recueillir les indications, sans emprunter les récits qu’il trouvait dans les ouvrages mis à contribution. Il ne prenait que ce qui était utile à caractériser les personnages de son livre, que les grandes lignes du cadre dans lequel se développait son drame. Mais il ne s’attardait pas dans les détails historiques ; lorsqu’il reproduisait quelques-unes des atrocités de la guerre civile, on se plaisait à dire qu’il les exagérait ; or on les retrouverait dans les Mémoires du comte de Puisaye et dans les Lettres sur l’origine de la chouannerie. Quand il parle de Jean Chouan et quand il veut retracer un des angles de sa physionomie, il dit, dans le chapitre : Leur vie sous terre : Tout le jour, dit Bourdoiseau, Jean Chouan nous faisait cbapeletter. Or à la page 218, tome I, des Lettres, il est dit : On souffrait, mais avec résignation. Dans ces instants fâcheux, Jean Chouan occupait sa troupe à de longues prières, et en cela encore il donnait l’exemple. « Il nous faisait cbapeletter tout le jour durant, m’ont dit ces bonnes gens, et cela nous ôtait les mauvaises pensées. » Victor Hugo ajoute : Il était presque impossible, la saison venue, d’empêcher ceux du Bas-Maine de sortir pour se rendre à la fête de la Gerbe. À la page 127 du tome II des Lettres, il est dit : Le vieux paysan, arrivé à ses derniers jours, s’estime heureux s’il peut se vanter que pas une seule fois, depuis qu’il est sur terre, il n’a manqué la fête de la Gerbe. Il y a une description de cette fête qui termine le battage des grains ; la gerbe ornée de fleurs et de rubans est portée en triomphe escortée par la famille suivie d’un vanneur qui, ayant son van rempli de grains, les fait voler en l’air ; les batteurs ferment la marche ; le tour de l’aire étant fait, la gerbe est déliée, on tire quelques coups de fusils, on mange une miche de pure fleur de froment et on boit quelques bouteilles de vin. Victor Hugo raconte, entre autres faits d’armes, qu’il arriva aux chouans de détruire en un seul jour quatorze cantonnements républicains ; au tome II des Lettres, page 125, on lit : Ainsi qu’on l’a observé, se croire invincible est le gage le plus sûr de la victoire ; aussi, dans les quatorze combats qui se succédèrent presque sans interruption, le succès ne fut pas un instant douteux. Ce jour-là rien ne put tenir devant les chouans... À la bataille de Dol, Lantenac donne la lieutenance à Gouge-le-Bruant, surnommé Brise-Bleu ; on retrouve Brise-Bleu, dans les Lettres sur l’origine de la chouannerie. Victor Hugo a ajouté le surnom de l’Imânus qui exprime la laideur. Dans Quatrevingt-treize un crieur public va de village en village lisant un décret de la Convention qui met hors la loi plusieurs des insurgés désignés dans les Mémoires du comte de Puisaye et dans les Lettres sur l’origine de la chouannerie : Lantenac (qui n’est autre que le comte de Puisaye), Gouge-le-Bruant dit Brise-Bleu, Grand-Francœur, Pique-en-Bois, Houzard, Chatenay dit Robi, Branche-d’Or, Belle-Vigne, la Musette, Brin-d’Amour, Chante-en-hiver, etc. Toutes les instructions données par le marquis de Lantenac et transmises par Gouge-le-Bruant dit Brise-Bleu, indiquent aux vendéens qui l’écoutent que Delière avait le pays entre la route de Brest et la route d’Ernée, que Tréton dit Jambe-d’Argent occupait le pays entre le Roc et Laval, que Jacquet dit Taillefer était sur la lisière du Haut-Maine, etc. ; tous ces renseignements se retrouvent dans les Lettres sur l’origine de la chouannerie. Victor Hugo a tenu à respecter l’histoire en ce qui concerne les chefs et les combats. Il a voulu cependant mêler à quelques-uns des récits qu’il a imaginés des personnages vendéens : c’est ainsi que, dans l’assaut de la Tourgue, les blessés sont Chatenay dit Robi, Guinoiseau, Hoisnard, Branche-d’Or, Brin-d’Amour, Grand-Francœur, etc. L’histoire et l’invention se côtoient dans ce livre. Nous avons montré à grands traits à quelles sources Victor Hugo avait puisé ses renseignements, et avec quel soin il avait lu un grand nombre de volumes. Nous avons reproduit les passages des divers livres consultés dont il s’était inspiré pour son roman. Nous avons donné le résultat de ses lectures. C’est là où l’on voit ce qui distingue le simple historien, narrateur des faits, du grand écrivain qui les anime de son souffle. Mais pour atteindre son but, pour ne retenir que ce qui pouvait servir de cadre à son roman, à quels efforts, à quelles recherches préalables l’auteur n’a-t-il pas dû se condamner ? travail préliminaire. Après avoir signalé dans une sorte de tableau d’ensemble les divers ouvrages consultés, il nous semble intéressant de suivre le travail ardu et minutieux auquel Victor Hugo s’est livré en ce qui concerne la guerre de la Vendée. Dans les Mémoires du comte Joseph de Puisaye et les Lettres sur l’origine de la chouannerie, de Duchemin-Descepeaux, que nous avons déjà cités, d’innombrables signets avec des annotations sont introduits dans les volumes. Victor Hugo n’a pas utilisé tous les faits qui ont éveillé son attention, il a retenu seulement ceux qui lui permettaient de caractériser d’une façon générale les hommes de la Vendée, leur vie, leur méthode de combat, leur âme ; il était d’ailleurs obligé d’omettre tous les événements qui ne se rapportaient pas à la période relativement courte de son roman. Il avait sans doute l’intention de se servir des renseignements recueillis pour d’autres volumes à venir et notamment pour ce « livre spécial » dont il parle dans son projet de préface (voir p. 452) et auquel il semble avoir momentanément renoncé. Ce qu’il cherchait surtout par ces lectures, c’était à établir plus fidèlement l’atmosphère de son drame. Nous allons donc reproduire en italiques toutes les notes inscrites sur les signets, en résumant les faits auxquels chaque note se rapporte. C’est un jeu de patience qui peut avoir quelque attrait pour les curieux et les amateurs de documentation. Prenons d’abord les Mémoires du comte Joseph de Puisaye, lieutenant général. C’est le tome II qui a été particulièrement étudié, le tome I et le tome III n’apportant à Victor Hugo aucun élément d’information pour la période historique de son roman. Tome II, p. 97. — Armée de Wimpfen et de Puisaye à Caen (Wimpfen est écrit avec un seul f). Cette note est sur une bande de papier vert de même que les deux suivantes. C’est une feuille coupée en plusieurs morceaux et qui est toute surchargée de mots illisibles. P. 107. Wimpfen. P. 148. Composition d’une petite armée volante attaquant un château. P. 262. Très important à relire pour le détail des commencements de la guerre. ( Quatre pages sont pliées.) Il s’agit d’abord de l’impôt de la Gabelle, qui faisait vivre tout un peuple de paysans devenus contrebandiers et de paysans devenus gabelous. L’impôt supprimé, traqueurs et traqués furent sans pain et s’enrôlèrent dans les bandes du marquis de la Rouarie ; c’est dans ces pages que Victor Hugo a trouvé l’appel des chouans, cri du chat-huant, dont il parle page 56 de cette édition. P. 292. Comment y voyageaient les insurgés isolés. Les bois pour asile, un pain noir fourni par les paysans et l’eau bourbeuse des fossés. P. 310. Surprise. P. 323. Envoi de Jersey. Un exprès, chargé d’un paquet contenant une déclaration de S. M. Britannique accordant « protection et amitié » aux émigrés ; des lettres de lord Dundas et du duc d’Harcourt. L’envoyé annonçait aux royalistes qu’un armement était actuellement dans la rade de Guernesey prêt à se rendre à leur premier appel. P. 340. Talmont. Talmont exécuté. Sa tête placée sur la porte d’une maison du duc de la Trémouille. P. 381. Officiers vendéens. Forestier, le chevalier de Chantereau, du Perrat, de Poncet, Guignard, l’abbé Cercleron, Bréchard, le comte de Belle-vue, le chevalier de Cacqueray, Jarry, Fabré. P. 396. Curieuse tentative sur Rennes. Puisaye veut surprendre la ville de Rennes en pleine fête ; deux canonniers républicains, en se disant royalistes, se glissent dans les rangs de l’armée vendéenne, mais ils renseignent fort mal les chefs de l’armée républicaine sur les forces royalistes ; et les républicains sont repoussés. P. 419. Tête mise à prix, le mendiant. Nous avons donné plus haut des détails sur cette rencontre du comte de Puisaye et du mendiant. P. 423. Comment on faisait évader un prisonnier. Puisaye avait fait prisonnier un gendarme à Redon. Ses hommes voulaient l’exécuter puisqu’on exécutait bien les blancs dans l’autre camp. Puisaye, au moment où l’on se met en marche, passe le dernier avec le gendarme qu’il fait évader à la faveur de l’obscurité et dit à ses soldats que cet homme lui ayant donné des renseignements utiles, il l’avait envoyé à Redon en le chargeant d’une mission. P. 429. Leur manière de combattre. Charge brusque et désordonnée sans tirer un coup de fusil, mais en poussant de grands cris, ce qui met le désarroi dans l’armée ennemie. Attaques feintes et retraite sans obstacle. P. 488. Les acculés sans défenseurs. — Décret de la Convention prononçant la peine de mort contre les ennemis du peuple. Dans ce décret il est dit : il n’y aura plus de défenseurs officieux, si ce n’est pour les patriotes calomniés. P. 522. Les indications ne sont pas ici de l’écriture de Victor Hugo ; elles ont été évidemment dictées par lui : Expédition nocturne de Jean Chouan. — Noms de guerre. — Jambe-d’Argent. — L’homme qui ne sait pas lire. Ces indications ne répondent pas à la page 522. En revanche, une accolade marque d’un large trait tout un passage relatant la tactique des royalistes ; Victor Hugo, sans l’utiliser textuellement, en a conservé l’esprit dans le début de la troisième partie. Voici ce curieux passage : ... Former à des distances assez éloignées des rassemblements considérables, assez inquiétants pour contraindre l’ennemi de se porter contre eux ; ne s’engager avec lui que lorsque les avantages résultant de la position, du nombre, et de la disposition des esprits, nous promettroient la victoire ; en tout autre cas disperser ces rassemblements, dès qu’il viendroit à paroître ; en susciter aussitôt de nouveaux à vingt ou trente lieues de là, et se le renvoyer, pour ainsi dire, sans discontinuité, d’une extrémité du pays insurgé à l’autre ; le faire harceler durant ces marches et ces contre-marches par des petits partis qui, sans cesse sur ses derrières ou sur ses flancs, enverroient, comme invisiblement, la mort dans ses rangs, et s’il venoit à se livrer à une poursuite illusoire, sans connoissance du pays, comme sans guides, à travers des campagnes hérissées de haies, de buissons, de ravins, de ruisseaux et de bois, ne lui faire rencontrer que des embuscades et des pièges ; ne pas lui laisser enfin une minute de relâche ; ménager tellement nos mouvements successifs que, n’importe où il se trouvât, et quelque chemin qu’il eût fait pour attaquer nos rassemblements, les plus dangereux, en apparence, fussent toujours à la même distance de lui ; et que le soldat rebuté se déterminât enfin, ou à se réunir à nous, ou bien à aller chercher ailleurs le pillage que lui promettoient ses chefs, et qu’il ne trouveroit pas aussi facile qu’on le lui avoit fait espérer. P. 529. Noms utiles. Le comte de la Bourdonnaye, le chevalier de Silz, le comte de Boulainvilliers. (Ces noms sont employés dans le livre : La corvette Claymore.) P. 536. Georges Cadoudal et Mercier. Leur portrait. P. 578. 44 noms de chefs. C’est une proclamation du comte de Puisaye signée par quarante-quatre chefs. P. 615. Vieux canot utilisé — important à lire. Victor Hugo a mis une grande accolade en marge. Nous avons parlé de ce canot à propos du chapitre de la corvette Claymore (livre deuxième, chapitre x ; livre troisième, chapitre ier). Victor Hugo a, comme nous l’avons montré, étudié surtout deux volumes : lettres SUR L’ORIGINE DE LA CHOUANNERIE ET SUR les chouans du bas-maine dédiés au Roi par j. duchemin-descepeaux Imprimé par autorisation du Roi À L’IMPRIMERIE ROYALE mdcccxxv Voici la nomenclature des signets annotés avec le résumé des faits auxquels ils se rapportent : Tome I. P. 59. Costume des paysans vendéens. P. 89. Un signet sans note. Ce sont les premières opérations de Jean Chouan. P. 101. Route d’Ernée à Granville. P. 104-105. Échelles placées aux murs des jardins pour les fuites. Au-dessus de cette note et d’une autre écriture : détails curieux. P. 123. Le maire de Granville traître. Jean Chouan choisissait le port de Granville pour y conduire ceux qu’il voulait faire embarquer parce que le maire, en apparence zélé patriote, fermait les yeux sur les démarches des royalistes. P. 159. Signet sans note. Les royalistes du Bas-Maine au nombre de cinq mille se réunirent à l’armée de la Vendée. On en forma un corps à part, ce fut ce qu’on appela la petite Vendée, sous les ordres supérieurs du prince de Talmont. P. 216. Bois de Misdon, tannières des chouans. Titres qui ne sont pas écrits par Victor Hugo. Excavations pratiquées avec la largeur nécessaire seulement pour le passage d’un homme, l’intérieur s’élargissant en entonnoir renversé. Morceaux de bois soutenant cette espèce de voûte garnie avec des fougères, de la mousse et des feuilles sèches. Plusieurs de ces trous contenaient jusqu’à six hommes ; l’ouverture se fermait avec une petite trappe couverte de mousse ; plusieurs fois les républicains ont marché sur ces trappes sans s’en douter. C’est là que Jean Chouan faisait chapeletter ses hommes. Victor Hugo a utilisé ces renseignements dans les chapitres iii et iv du livre premier de la troisième partie. P. 245. Un combat. Pimousse, Coquereau et quatre de leurs camarades surprennent une colonne d’éclaireurs républicains en employant le stratagème que Victor Hugo utilisera dans la bataille de Dol, mais en l’attribuant à Gauvain : Quand les républicains ne furent plus qu’à « dix pas ; Pimousse s’écrie : « Garde à vous, soldats du Roi ! cent hommes sur la droite, cent hommes sur la gauche, et le centre en avant ! » Nos six braves, qui étaient alors à vingt pas les uns des autres, font leur décharge en même temps, et sortant des buissons par six endroits différents, courent sur les bleus en croisant la baïonnette. P. 277. Mort de François Cottereau. Ce titre n’est pas de l’écriture de Victor Hugo. P. 279. Paroisses et communes républicaines. Le Bourg-Neuf, Launey-Villiers, Saint-Pierre-la-Cour, Saint-Ouën. P. 283. Jean Chouan sauve un soldat. Ce titre et les suivants ne sont pas de l’écriture de Victor Hugo, ils ont été évidemment dictés par lui. Jean Chouan ayant sauvé la vie à un soldat, celui-ci s’écria : « Tuez-moi, si vous voulez, mais je ne peux plus marcher, » « Pauvre malheureux ! sois tranquille, lui répondit Jean Chouan, je ne te ferai pas de mal. Tu peux rester ici et quand les bleus te rejoindront, dis-leur que nous t’avions emmené de force, cela te sauvera. Adieu, que le ciel te protège ! Un jour, peut-être, tu pourras témoigner en faveur de Jean Chouan, lorsque tu entendras dire qu’il n’était qu’un brigand ! » P. 287. Laval la nuit. Jean Chouan, accompagné de Goupil, s’introduit la nuit à Laval et, à cent pas de l’église qui servait de caserne aux républicains, s’introduit dans la maison où la poudre était en dépôt et en rapporte à ses amis. P. 293. Épouvante des bleus dans le bois de Misdon. Six mille républicains postés à l’entour du bois de Misdon pénètrent dans le bois ; les chouans, cachés au milieu des broussailles, avaient pu, sans être vus, suivre de l’œil la marche des colonnes. P. 301. Détails curieux sur le mode d’attaque d’un poste. Jean Chouan devait, à midi, attaquer le poste de Saint-Ouën avec les quatre troupes commandées par Pierre Cottereau, Morière, Miélette et Jambe-d’Argent, mais l’imprudence d’un chouan donna l’alarme et l’on dut attaquer avant l’heure indiquée ; Jambe-d’Argent, surpris par cette avance, ne se trouva pas à temps à l’endroit indiqué. Les troupes républicaines, dispersées, revinrent au poste chercher leurs armes, mais les royalistes les ayant prises, les bleus durent s’enfuir. C’est après ce combat que Morière eut sa querelle avec Jambe-d’Argent au sujet du retard de ce dernier. Victor Hugo y fait allusion dans la troisième partie : En Vendée, livre I, chapitre iv. P. 310. Arrivée de recrues au rendez-vous. Rassemblement des recrues à la châtaignerie de la Bodinière. Elles étaient amenées successivement par Moustache, Place-Nette, Brin-d’Amour. Il vint aussi d’anciens soldats de l’armée vendéenne, notamment Brise-Bleu, les frères Herminie. Fleur-d’Épine, Cœur-de-Roi, Sans-Rémission, suivis de la jeunesse de leur canton, qui voulait se dérober au tirage de la réquisition. — Surpris par les bleus, Jambe-d’Argent exhorte ses soldats et reste vainqueur. Ces combattants ont été mis en scène par Victor Hugo dans la troisième partie de son livre. P. 337. Le Grand-Bordage, quartier général de Jambe-d’Argent. Jambe-d’Argent avait choisi, comme rendez-vous des principaux chouans, la métairie du Grand-Bordage, habitée par une veuve, mère d’une nombreuse famille. Il était si bien traité que, plus tard, son frère aîné, Treton dit l’Anglais, épousa une des filles de la maison. P. 348. Le jeune La Raitrie. Âgé de quinze ans, il avait suivi l’armée de la Vendée à son passage à Mayenne. Après la déroute du Mans, il était venu se réfugier sur la paroisse de Bazougers, à trois lieues de Laval, dans une ferme qui appartenait à son père ; il s’empressa de sortir de sa retraite lorsqu’il sut la reprise des hostilités, et débuta par un succès à Saint-Georges-le-Fléchard). P. 351. Noms de plusieurs chefs chouans. La Ramée, La France, Sans-Peur, L’Épine, Guillaume dit Court-Bleu, Rattelade dit Sans-Regret, Bénédicité, Sans-Chagrin, Malines dit Francœur, Métayer dit Rochambeau. Victor Hugo a mis en scène tous ces chefs dans son livre (troisième partie). P. 360. Bourdoiseau dit Sans-Peur. P. 363. Les deux sœurs de Jean Chouan. C’est ici que commence le récit de ce qui se passa vers les derniers temps dans le pays occupé par Jean Chouan. Ce récit a été ajourné jusque-là par l’auteur des Lettres, afin de lui conserver son unité. Les deux jeunes filles sont enlevées de leur ferme, sont emmenées prisonnières ; puis exécutées plus tard, malgré les efforts de Jean Chouan. Victor Hugo n’a pas utilisé, dans son livre, cet épisode trop tardif. P. 367. Efforts de Jean Chouan pour sauver ses sœurs. P. 370. Mort des sœurs de Jean Chouan. P. 372. Femmes grosses employées comme espions. Dans ce temps, les femmes enceintes, ou qui feignaient de l’être, étaient employées comme espionnes dans l’un et l’autre camp. Ici l’auteur des Lettres dit que c’est une espionne au service des patriotes qui fut tuée par les royalistes. P. 375. Mort de Pierre Cottereau. Placé en sentinelle sur la paroisse de Cosme, il fut saisi par les bleus, emmené et exécuté. P. 379. Les trois hussards. Trois hussards caracolent devant les chouans à la lande du Maine, les chouans les visaient sans les atteindre, ils se distrayèrent si bien à ce jeu plusieurs fois répété qu’ils se laissèrent envelopper par les troupes républicaines et opérèrent difficilement leur retraite. P. 387. Jean Chouan veut tuer son frère. René Chouan avait tué un homme qui portait la cocarde tricolore afin de pouvoir s’emparer de ses munitions ; il revenait charge de cartouches et de poudre. L’homme tué était un ami de Jean Chouan. Aussitôt, Jean Chouan voulut fusiller son frère, mais Michel Cribier lui arracha son arme. P. 392. Mort de Jean Chouan. Jean Chouan, surpris par les bleus à la ferme de la Babinière, est blessé grièvement en voulant sauver la femme de son frère René ; il expira après une longue agonie et fut enterré aussitôt sur le lieu même où il avait succombé. P. 411. Les chouans peints par les républicains. Pièces justificatives : Extrait d’un rapport de Carrier aux Jacobins, n° 159 du Moniteur : « Voici comment s’est formée cette guerre fatale connue sous le nom de Petite Vendée. Les chouans qui la composaient étaient des voleurs de grands chemins, détroussant les passants, et se retirant toutes les nuits dans le creux des montagnes, où un immense rocher leur servait de rempart. » P. 416. Les chouans peints par les royalistes. « Les chouans étaient fiers de leur nom ; car qui est-ce qui ignore que, dans les révolutions, les injures des ennemis sont des titres de gloire ?... Se soumettre à toutes les privations, endurer toutes les fatigues, braver tous les dangers, affronter tous les tourments et tous les genres de mort, sans intérêt et sans désir, comme sans espoir de récompense, uniquement par principe de religion et de fidélité ; voilà ce dont j’ai été journellement le témoin pendant les cinq années que j’ai été à la tête de ce peuple simple et magnanime qui m’a honoré de sa confiance. » (Mémoires du comte Joseph de Puisaye.) Tome II. Les lettres sur l’origine de la chouannerie. Tous les signets avec notes de ce second volume ne sont pas de l’écriture de Victor Hugo. Il les a simplement dictées. P. 19. Rendez-vous nocturne des bleus et des chouans. Une entrevue entre quatre bleus et quatre chouans eut lieu dans la nuit du samedi au dimanche de la Trinité. Jambe-d’Argent promet au chef du poste qui s’est enrôlé dans les rangs républicains pour sauver sa famille d’épargner les hommes qui sont sous sa conduite. P. 28. Petit Prince vit plusieurs jours et plusieurs nuits caché dans le tronc d’un arbre. C’est le récit qui a inspiré à Victor Hugo l’idée de donner à la Flécharde et à ses enfants une émousse pour abri. P. 43. Bandes diverses du Bas-Maine. À la tête de ces bandes, Chambord, La France, Sans-Pardon, Rattelade, le petit Sans-Peur, les trois frères Corbin, La Ramée, Malines, Bénédicité, Taillefer, Morière, Delières, Jambe-d’Argent, etc. Victor Hugo a cité plusieurs de ces chefs de bandes dans la troisième partie. P. 47. Mousqueton bandit. Portrait de Mousqueton. P. 67. Soldat bleu secouru par des femmes. P. 69. L’homme nu sauvé par un tisserand. Un soldat républicain, dépouillé de ses vêtements par la bande de Moulins, s’était sauvé à travers la campagne et blotti dans un champ ; il était venu demander l’hospitalité à un tisserand qui ne la lui refusa pas. P. 73. Pourquoi les chouans choisissent la lisière des bois. Victor Hugo en a parlé dans leur manière de combattre (troisième partie, livre premier, chapitres ii, iii). Les chouans se ménageaient un refuge en cas de surprise, car les républicains ne se mettaient plus à leur poursuite, l’expérience leur ayant appris que les chouans, étant d’habiles tireurs et ayant la connaissance du terrain, avaient un grand avantage sur eux. P. 74. Déguisements et visages noircis. Les chouans du canton qui servaient de guide aux troupes royalistes se déguisaient et se barbouillaient le visage pour ne pas être reconnus des habitants qui, par leurs dénonciations, auraient pu compromettre leurs familles. P. 82. Monsieur Jacques. Portrait de l’énigmatique Monsieur Jacques ; comme l’appelle Victor Hugo. P. 88. Brigandages de Coquereau. Au bourg Saint-Laurent ; un dimanche, l’agent de la commune, le chef de la garde nationale, les membres du conseil municipal et d’autres personnes s’étaient rassemblés pour lire les gazettes. Coquereau, qui le savait, se dirigea vers le lieu de réunion, entra avec sa troupe. Ils tuèrent trois hommes, en blessèrent plusieurs autres, et entraînèrent les derniers hors de la maison pour les fusiller. P. 91. Belle conduite des femmes. — Les six cents grenadiers de la garnison de Sablé. Les femmes du bourg de Saint-Laurent, oubliant le danger, entreprirent de sauver les malheureux, mais elles n’étaient pas écoutées et étaient repoussées durement. Ces cruelles exécutions furent reprochées vivement à Coquereau. Les chouans, en s’avançant vers le bourg de Miré, entendirent la voix d’un officier commandant le repos d’armes à six cents grenadiers. Ils se retirèrent sans que l’ennemi eût soupçonné leur présence. P. 94. Petit-Prince sauvé par Coquereau. Au carrefour des Cinq-Chemins, Petit-Prince, avec quatre hommes, veut attirer les troupes républicaines pendant que les chouans sont cachés plus loin dans les genêts ; il monte avec ses quatre hommes sur un talus, et après avoir fait mettre double charge de poudre et remplir de gravier le canon des fusils il tire ; les troupes républicaines foncent, Petit-Prince a une blessure à la tête, Coquereau survient, met en déroute les troupes républicaines et fait transporter Petit-Prince à la métairie de la Surfinière où il guérit. P. 105. Le Murat chouan. Il s’agit de Francœur qui, au milieu d’une grêle de balles, ne reçut pas une blessure, et montrait la même intrépidité dans tous les combats. Victor Hugo a utilisé ce nom, mais il en a fait un abbé et un des combattants de Lantenac. P. 113. Très beau combat. À la Butte-de-Terre, caché dans le petit bois de la Heureuserie, avec dix hommes, Francœur engage le combat contre trois cents républicains ; de part et d’autre on ne reculait pas, les républicains gardaient une contenance fière, mais le feu meurtrier des chouans les força à la retraite. P. 125. Quatorze cantonnements républicains détruits en un Jour. Jambe-d’Argent vainqueur dans quatorze combats sans avoir perdu un seul homme. Nous avons noté plus haut que Victor Hugo avait signalé le fait. P. 128. Fête de la Gerbe. Nous en avons parlé plus haut et Victor Hugo y fait allusion page 161. P. 140. Détails curieux. Tant que dura la chouannerie, deux jeunes paysans de la paroisse de Changé, Pierre et Jean Lefèvre, ne manquèrent jamais d’entrer toutes les semaines dans la ville de Laval, parce qu’ils voulaient être confessés seulement par leur ancien curé. Ils choisissaient la nuit et pénétraient dans la ville en passant par-dessus des murs de jardins. Ils avaient des habits de mendiants et suivaient nu-pieds le lit d’un ruisseau pour qu’on ne vît pas la trace de leurs pas près de l’enceinte de Laval. Le jeune Denys dit Tranche-Montagne s’habillait en femme pour aller à la comédie à Laval, où la salle n’était remplie que de patriotes et de militaires P. 145. Poste fortifié de Morannes. P. 176. L’émigré et Jambe-d’Argent. Un gentilhomme émigré habitait dans ses terres, protégé par ses fermiers qui étaient des chouans. Jambe-d’Argent, averti de cet abus, pénétra chez le gentilhomme au moment où il dînait avec plusieurs chefs royalistes et des dames de sa famille. Il lui fit une remontrance. Le gentilhomme répondit par une injure. Jambe-d’Argent lève son sabre sur le provocateur, mais il est retenu par son frère et, sans regarder l’homme qui le contient, il lui assène un coup sur la tête. Il s’aperçoit que c’est son frère ; désespéré, il l’emmène et abandonne sa vengeance. P. 179. Fromentières. Troupe appelée compagnie de Fromentières (arrondissement de Château-Gontier), sous la conduite du jeune Gareau dit le Petit-Auguste. P. 187. Attaque imprévue des bleus. À l’étang de la Ramée, dans la paroisse de la Chapelle-du-Bourg-le-Prêtre, des républicains, avec cocardes et plumets blancs, se présentent, se disant royalistes. C’étaient des grenadiers. Moustache tire, l’affaire s’engage et les républicains se retirent. P. 190. Blessure de Jambe-d’Argent. Nouveau combat. Jambe-d’Argent, secondé par le Petit-Sans-Peur, Francœur, Bénédicité, Taillefer, est atteint d’un coup de feu et tombe. Il est emporté par Priou et conduit, sur un brancard, à la métairie des Gennetés, dans la paroisse de Bazougers. P. 196. Nous des montagnards défectionnaires réunis aux chouans. Deville dit Tamerlan, Gaillard dit Raoul, Gregis dit Robert, Picot, La Fosse dit l’Entreprenant. P. 198. Carpar. Fait curieux. Ce fut Carpar qui, appartenant au bataillon de la Montagne, chercha le premier à quitter les républicains pour se joindre aux chouans. Le bataillon de la Montagne, en garnison à Fougères, fouillait les maisons des paysans pour y surprendre les chouans ; dans une ferme voisine, un des soldats fit remarquer au chef de l’escouade, Carpar, une porte cachée par des fagots. Carpar entr’ouvrit la porte et vit, dans un petit réduit obscur, huit hommes blottis dans un coin. C’étaient des chouans. Il ne laissa rien voir sur son visage et dit : « Il n’y a rien là-dedans, voyons d’un autre côté. » Quelques instants après, il rejoignait ceux qu’il venait de sauver, annonçant son intention de se réunir à eux. Parmi ceux qui s’allièrent aux insurgés, deux furent célèbres, Tranche-Montagne et Lechandelier. P. 200. M. Tranche-Montagne. Quelques traits de bravoure de Tranche-Montagne. P. 204. Tranche-Montagne tout seul. Tranche-Montagne entreprend d’attaquer à lui seul un régiment... Il le laisse défiler tout entier et, au moment où les derniers hommes passent, il tire sur eux en poussant de grands cris, rechargeant sans cesse son arme. Puis il monte sur un talus et crie aux républicains : « Si l’on vous demande le nom du corps d’armée qui vous a attaqués, vous pourrez dire qu’il s’appelle Tranche-Montagne tout seul, et que c’est un drôle de corps ! » Pour avoir le plaisir de débiter ce calembour, il n’avait pas craint de s’exposer à une grêle de balles. P. 232. Fait d’armes de M. Jacques. Un combat à la baïonnette, dirigé par M. Jacques suivi de Moustache, Placenette et toute la troupe de Jambe-d’Argent. Dans toute cette suite d’engagements, le malheureux abbé Jean de la Grange, cher à tous les chouans, parce qu’il était venu leur apporter les secours de son ministère, avait reçu une blessure assez grave. Dans le volume de Victor Hugo, le confesseur est l’abbé Turmeau dit Grand-Francœur. P. 239. Confiance de Jambe-d’Argent. Un déserteur républicain ayant été tué par Mousqueton, Tranche-Montagne, au moment où il se disposait à quitter les rangs républicains, crut devoir demander une entrevue à Jambe-d’Argent pour savoir l’accueil qui lui serait fait, et s’il ne subirait pas plus tard le sort du déserteur. Jambe-d’Argent n’hésita pas à aller au rendez-vous, au milieu des républicains que commandait encore Tranche-Montagne. P. 244. Coquereau fait démonter les charrettes dans les villages. Mesure prise pour empêcher les approvisionnements d’arriver dans les villes. Il en est parlé page 225 de ce volume. P. 253. Noms des diverses victoires des chouans. Affaires de la Cropte, de Daon, de Noirieux, de Mauvinet, de Seurdres, des Sept-Sillons, de Longuefuye, etc. P. 254. Querelle de Coquereau et de Petit-Prince. Coquereau avait donne l’ordre à Petit-Prince de brûler, à Daon, l’église et le presbytère qui avaient servi de casernes aux républicains ; Petit-Prince refusa, alléguant qu’il avait été baptisé dans l’église et élevé au presbytère. Coquereau renouvelle l’ordre, un pistolet à la main. Petit-Prince met la main sur son pistolet, tout en refusant, et Coquereau replace son pistolet dans sa ceinture en invitant Petit-Prince à trinquer avec lui en raison de sa crânerie. P. 257. Générosité d’un grenadier républicain. Combat près du château de Noirieux, dans la paroisse de Saint-Laurent ; retraite des chouans. Chasse-Bleu grièvement blessé. Branche-d’Or le charge sur ses épaules ; un grenadier allait tirer, il détourne son arme et dit : « Tu es un brave homme, je ne te tuerai pas ; sauve-toi si tu peux ! » P. 265. Les chouans avaient peur des canons. La garnison de Cossé amène deux pièces de canon. Le bruit de la décharge et le ravage que fit la mitraille dans les haies et dans les buissons suffirent pour effrayer les chouans qui en étaient témoins pour la première fois, et le cri de sauve-qui-peut se fit entendre. Mais Jambe-d’Argent se jette en avant au milieu de la mitraille sans être atteint : « Vous le voyez, s’écria-t-il, la mitraille ne fait que balayer la poussière ! » L’ennemi dut se réfugier à Cossé qui était fortifié. Victor Hugo parle de cette peur des canons au chapitre v (3e partie), Leur vie en guerre. P. 266. La bande du camp de la Vache-Noire. Victor Hugo en a parlé, et nous avons donné une note plus haut. P. 271. Noms et états de plusieurs chouans. Métayer dit Rochambeau, fils de laboureur ; Gaudon, laboureur ; d’Auffray dit La Forêt, tisserand ; Michel Garnier dit La Couronne, laboureur ; Salin dit Cœur-d’Acier, laboureur ; Le Brun, serrurier ; L’Enfant dit La Fleur. P. 284. Mort de M. Jacques. Victor Hugo la signale, nous avons donné une note plus haut. P. 309. Mort de Taillefer. Mort victime de son dévouement, en voulant aider la fuite d’un gentilhomme émigré, M. de Tercier. P. 321. Mort de Coquereau. Poursuivi par cinq hussards, malgré le dévouement de son de camp Binet, est blessé, puis tué. P. 324. Combat livré par Grand-Pierre. Pierre-Marin Gaulier dit Grand-Pierre, succédant à Coquereau, livra les combats du Buret, de Saint-Charles, de Marigné, où se fit remarquer Louis Coquereau, qui, pour la première fois, combattait avec les chouans. P. 359. Mort de Jambe-d’Argent. Jambe-d’Argent, frappé de deux balles à la poitrine près d’une maison appelée la Chevrolais, est caché sous un monceau de chaume ; quand ses soldats, la bataille finie, vinrent le chercher, il était mort ; il fut enterré par ses hommes, la nuit, dans le cimetière du bourg de Quelaines. P. 363. Fin des principaux chefs chouans. Lecomte, trahi par un des siens et fusillé. Delière, tué du côté du bois de Misdon. Rochambeau, fusillé. Placenette, Mousqueton, tués. P. 377. Malheurs de la famille Chouan. Résumé des malheurs des trois frères et des deux sœurs de Jean Chouan, et supplique en faveur du dernier survivant, René Cottereau. P. 393. Pièces justificatives. Lettre de Kléber sur la chouannerie. Kléber écrit le 16 avril 1794, au général en chef Rossignol, le résultat de ses observations, et considère que les chouans ne sont nullement des troupes de brigands, mais sont parfaitement organisés, connaissant très bien le pays coupé de fossés, de haies et de bois, évitant les troupes républicaines quand ils ne sont pas en force et les attaquant quand ils supposent avoir sur elles l’avantage. Kléber conclut qu’on ne terminera pas cette guerre sans de vastes mesures sagement combinées. Victor Hugo s’est servi de ces renseignements pour préciser la méthode de combat des chouans. P. 395. Énumération des cantonnements de Kléber. Le général Chabot à Mayenne, Laval et Craon ; Bernard à Fougères ; Bouland à Ernée ; Decaën à la Gravelle ; Vérine à Vitré ; Trahour à la Guerche ; Bouchotte au Cormier. P. 450. La chouannerie expliquée et peinte par Coquereau. C’est une lettre adressée le 15 mars par Coquereau au Comité de Salut public, qui explique pour quels motifs quatorze départements ont pris les armes : le mauvais choix des autorités dans le principe, leur intolérance ; les entraves mises aux opinions religieuses. L’amnistie étant accordée, l’exercice de la religion étant libre, les vexations ayant disparu, les insurgés sont décidés à crier : vive la paix ! Coquereau expose la tactique qui a été suivie par les insurgés et les résultats obtenus. Dans les volumes de Louis Blanc sur la Révolution française, Victor Hugo n’a guère retenu, sur la Vendée, que la prise des canons. Louis Blanc rapporte que, dans le village de Pin-en-Mauge, vivait un brave homme, Cathelineau, d’abord ouvrier en laines, puis colporteur et sacristain de sa paroisse ; il mena ses hommes à Jallais où était un poste républicain, le poste fut enlevé, on prit une pièce de canon que les paysans, ravis, baptisèrent gaiement le Missionnaire, et Cathelineau, poussant plus loin ses avantages, entra à Cholet, y trouva des munitions, des armes, du canon, et la Marie-Jeanne fut donnée pour compagne au Missionnaire. Mais l’armée vendéenne avait perdu devant Fontenay sa chère Marie-Jeanne, cette belle pièce en bronze qui portait les armes du cardinal de Richelieu et l’image de la Vierge ; elle avait juré de la reprendre ou de mourir. Victor Hugo, dans son chapitre v : Leur vie en guerre, rappelle ces faits : Ils prirent d’abord un beau canon de bronze qu’ils baptisèrent le Misssonnaire, puis un autre qui datait des guerres catholiques et où étaient gravées les armes de Richelieu et une figure de la Vierge ; ils l’appelèrent Marie-Jeanne. Quand ils perdirent Fontenay, ils perdirent Marie-Jeanne, autour de laquelle tombèrent sans broncher six cents paysans ; puis ils reprirent Fontenay afin de reprendre Marie-Jeanne. Victor Hugo ajoute : Cathelineau, jaloux, partit de Pin-en-Mauge, donna l’assaut à Jallais et prit un troisième canon. Il semble bien qu’il a commis une erreur et que le canon pris à Jallais, baptisé le Missionnaire, avait été conquis le premier. C’est peut-être la seule erreur qu’on puisse relever dans son récit, où il a su concentrer, dans un résumé aussi saisissant que rapide, les mouvements de troupes, les multiples engagements, le rôle des chefs, les tactiques des armées, les pièges, les ruses, les actes héroïques ; ayant lu beaucoup de volumes, obligé de démêler les écheveaux compliqués de l’insurrection pour tout mettre en valeur, sans se perdre dans trop de détails, il a du faire appel à sa mémoire qui l’a toujours bien servi ; et quand on a lu, comme nous l’avons fait, tous les livres qu’il a consultés, en suivant son travail de signets annotés, on ne peut qu’admirer l’habileté avec laquelle il a su, en si peu de pages, tirer un si grand parti de l’histoire. Nous sommes fondés à croire, d’après les notes des signets, que Victor Hugo avait primitivement le projet de donner une plus grande étendue à la partie historique. Nous en avons encore la preuve dans les notes qu’il a prises sur d’innombrables petits bouts de papier, dans les fragments importants du reliquat. Mais, au moment d’écrire le roman, il a considéré que l’histoire risquait de devenir trop envahissante, et, pour que le drame gagnât en intensité et en vigueur, il a été amené à réduire la durée de l’action, puisque, en somme, tous les faits de guerre se développent à partir de juin 1793 ; pendant une période très limitée, depuis l’instant où la Flécharde est blessée jusqu’au sauvetage des enfants. Victor Hugo a donc dû négliger les préparatifs de la guerre de la Vendée et le dénouement pour viser le point culminant des hostilités. C’est pour le même motif qu’il devait peindre en traits plus rapides la Convention, supprimant de nombreuses pages qu’on retrouve dans le reliquat. Il perdait ainsi le bénéfice de son travail préliminaire, puisqu’il diminuait les proportions du cadre, le marquis de Lantenac et Gauvain, la Flécharde et ses enfants formant le centre principal de l’action. marche du travail. Si l’on trouve des notes prises des 1841 et utilisées pour Quatrevingt-treize, c’est surtout après la publication de l’Homme qui rit (le premier volume avait paru le 19 avril, le quatrième le 8 mai 1869) que Victor Hugo fit des recherches plus actives. Plusieurs signets intercalés dans les volumes de Louis Blanc sur la Révolution française sont des fragments d’enveloppes de lettres portant les dates : 15 août 1870, 26 octobre 1871, 27 septembre 1872, 28 octobre 1872, 9 novembre 1872 ; et c’est le 16 décembre 1872 qu’il commença la première partie de son livre, achevée en janvier 1873. On lit dans ses carnets : 21 janvier 1873. Je commence aujourd’hui la deuxième partie du livre 93, celle dans laquelle sera la peinture de la Convention. 9 février. La tempête a inondé, dans mon look-out, plusieurs papiers et, en outre, le livre de Descepeaux sur la chouannerie, déjà. fort délabré et que j’aurai grand’peine à faire sécher. (En effet, le tome I est débroché, n’a plus de couverture et est fortement taché.) 16 mai. J’ai fait porter hier jeudi, par Mariette, dans la galerie de chêne, tous les livres qui étaient dans le cristal-room et qui m’ont servi pour le livre 93. 9 juin. Aujourd’hui 9 juin, à midi et demi, dans l’atelier d’en bas où je travaille depuis une huitaine de jours le matin, j’ai terminé le livre Quatrevingt-treize. Il me reste à faire un travail de revision pour les petits détails. Cela me prendra une quinzaine de jours. J’ai écrit à Victor, à Vacquerie et à Meurice pour leur annoncer que j’avais fini 93. En effet, ce même jour, Victor Hugo écrit à Paul Meurice : Ce matin à midi et demi, j’ai écrit la dernière ligne du livre Quatrevingt-treize. Je l’ai écrite avec la plume qui vous écrit en ce moment. Ce premier ouvrage est un commencement d’un grand tout. Ne sachant si j’aurai le temps de faire toute l’immense épopée entrevue par moi, j’ai voulu peindre cette première fresque. Le reste suivra Deo volente. Cela sera intitulé : Quatrevingt-treize. Premier récit : La guerre civile. C’est la Vendée. — Cela aura, je crois, deux volumes. Victor Hugo considère que « ce premier ouvrage est un commencement d’un grand tout », il parle d’une « immense épopée » dont il a voulu « peindre cette première fresque », or, dans sa courte préface de l’Homme qui rit, Quatrevingt-treize était le dernier terme d’une trilogie dont l’Aristocratie et la Monarchie étaient les deux premiers termes. Mais il n’avait pas écrit la Monarchie. Doit-on penser qu’il avait renoncé à son projet primitif et que Quatrevingt-treize devenait désormais le commencement d’un grand tout ? Quel était donc le plan du poète ? M. Asseline l’indiquait dans la Tribune de Bordeaux : Ces trois volumes ne sont que la première partie de la trilogie que Hugo consacrera à cette année plus remplie qu’un siècle. Il peindra et la guerre étrangère et la lutte politique dans deux autres poëmes que couronnera peut-être un quatrième récit qui sera comme la synthèse sereine, comme la concentration puissante en lumière, de tous ces matériaux de lave et de flamme. Victor Hugo avait voulu « peindre cette première fresque », et c’est sans doute dans la crainte de ne pouvoir achever l’œuvre entrevue qu’il a tenu tout au moins à condenser les événements militaires, comme les luttes des partis politiques, quitte à les développer plus tard en utilisant les renseignements qu’il avait amassés. Ce qui l’a détourné assurément de poursuivre l’épopée entrevue, c’est le désir d’achever certaines œuvres commencées. (La mise en ordre, en 1875, de ses volumes Actes et paroles, la deuxième série de la Légende des siècles, l’Histoire d’un crime, publiées en 1877 et en 1878.) C’est ensuite la politique : il devenait sénateur en janvier 1876, et les séances, les réunions, les visites à une époque troublée où Mac-Mahon préparait son coup d’État parlementaire, lui enlevaient la liberté d’esprit nécessaire à son travail. Poursuivons la lecture de ses carnets : 11 juin 1873. J’ai commencé hier 10 juin le travail de revision du manuscrit de Quatre-vingt-treize. 16 juin. L’éditeur Le Chevalier, 61, rue Richelieu, m’écrit pour me demander le livre Quatrevingt-treize. Paul Meurice arrivait à ce moment à Guernesey. 22 juin. À 4 heures et demie j’ai commencé la lecture de Quatrevingt-treize. J’ai lu le commencement jusqu’à la Vendée a une tête. La lecture a duré jusqu’au dîner. Les 23, 24, 25, 26, 27 juin, Victor Hugo continue la lecture de son livre. En août Victor Hugo était à Auteuil, à la villa Montmorency. 1er octobre, Paul Meurice m’a annoncé hier que Michaëlis avait conclu en mon nom le traité pour le droit de traduction de 93 en Angleterre et en Amérique moyennant 1 500 livres st. (37 500 francs). Michaëlis recevra de moi 15 p. 100 au-dessous de 40 000 francs, 20 p. 100 au-dessus pour toutes les transactions qu’il fera en mon nom pour 93. 10 octobre. Claye m’envoie le spécimen typographique de Quatrevingt-treize. 16 pages de la copie font 26 pages du texte. Il y a 496 pages de copie. Le livre pourra faire trois volumes. {14 octobre. J’ai porté chez Claye la copie du 1er volume de 93 jusqu’à la page 104 (1re partie). 18 octobre. J’ai porté chez Claye la fin de la copie du tome 1er de Quatrevingt-treize. 19 octobre. Je corrige les épreuves de 93. 20 octobre. Ce matin Meurice est venu déjeuner avec moi. D’après son avis, 93 sera cliché en cuivre. Claye fera le tiers des frais. La feuille clichée en cuivre coûtera 45 francs. Claye donnera 15 francs, je donnerai le reste. Les clichés m’appartiendront. 2 novembre. Jeanne vient déjeuner avec moi. Je lui ai donné la mère Guignol, Polichinelle et le Gendarme. Elle étale tout cela sur le manuscrit de '93 qui est sur ma table. Nous jouons. 11 novembre. J’ai porté à Claye le premier tiers du 2e volume de 93. 20 novembre. J’ai fini ce matin à midi la revision de la copie du manuscrit de Quatrevingt-treize. 25 novembre. J’ai terminé, ce matin, la revision et le numérotage des chapitres du tome III de 93 sur la copie. Victor Hugo note dans ses carnets des traites de traduction que M. Michaëlis lui a fait signer aux dates des 11 et 27 octobre, 26 et 29 novembre et du 3 décembre. 22 décembre. J’envoie à Meurice pour Claye la fin du manuscrit de Quatrevingt-treize. 28 décembre. Le 26, vers onze heures du soir, j’étais dans ma chambre rue Pigalle, je corrigeais une des dernières feuilles du tome III de Quatrevingt-treize, j’avais l’œil sur ceci que Gauvain dit à Cimourdain... « Je rêvais que la mort me baisait la main. » C’est à ce moment-là qu’on m’a apporté le billet de Gouzien m’appelant en hâte près de Victor. Le billet, collé sur le carnet, est ainsi conçu : Cher et bien-aimé maître. Nous attendons M. Sée qui doit venir d’un instant à l’autre. Victor est beaucoup plus mal depuis ce matin. Votre très respectueux, Armand Gouzien. François-Victor Hugo mourut le 16 décembre. L’éditeur pressait Victor Hugo de donner les dernières feuilles du tome III. 30 décembre. Aujourd’hui avant-dernier jour de l’année, j’ai corrigé en épreuves les dernières feuilles du tome III et dernier du livre Quatreving-treize. 19 janvier 1874. J’ai complètement achevé aujourd’hui la revision de Quatrevingt-treize. J’envoie ce matin le dernier bon à clicher. 30 janvier. Meurice a décidé que 93 paraîtrait que le 19 février à cause du dimanche gras qui tombe le 15. 31 janvier. M. Michaëlis est venu m’apporter pour Georges un grand jouet mécanique représentant la Claymore (de 93). C’est une corvette à roues. Les roues sont un anachronisme, mais c’est égal à Georges pourvu que le bateau aille sur l’eau. 10 février. M. Michaëlis m’a envoyé à signer le traité pour la traduction de 93 en langue russe. 12 février. M. Franck, 87, rue Richelieu, m’écrit pour s’entendre avec moi sur la traduction allemande de 93. 15 février. Mon livre 93 paraîtra le 19 février. Les journaux en publient aujourd’hui la table. Un libraire allemand, Wolf, de Strasbourg, m’écrit pour m’offrir 4 000 francs comptant du droit de traduction en Allemagne pour trente ans du livre Quatrevint-treize. 17 février. Nous avons été dîner chez Meurice. Il y avait M. et Mme Ernest Lefèvre, Vacquerie, MM. Blum et Constant Laurent. On m’a conté l’incident d’aujourd’hui qui les a tenus sur pied une partie de la nuit et tout le jour. Cinq lignes de texte de Quatrevingt-treize manquaient p. 210 (t. II), il a fallu faire un carton en hâte, même dans les volumes déjà brochés, plus de 2 000. 19 février. Quatrevingt-treize paraît aujourd’hui. Date à ajouter pour moi à toutes celles de mon mois de février. Meurice est revenu. Nous sommes allés ensemble chez Michel Lévy. J’ai signé des exemplaires de Quatrevingt-treize. Pendant que j’étais là, un télégramme est arrivé de Londres demandant en hâte un nouvel envoi. Le succès de 93 semble s’annoncer très grand ; il est parti aujourd’hui de chez Michel Lévy 5 200 exemplaires. 20 février. M. Michaëlis est venu m’apporter une offre de l’Allemagne de 5000 francs comptant pour le droit de traduction de Quatrevingt-treize. J’ai dit d’accepter. À midi, nouvelle proposition de l’Allemagne. La première est venue de Strasbourg, la seconde de Leipsick. J’ai fait répondre à la seconde : Trop tard. 93 emplit les journaux. La coupure suivante du Rappel est collée au carnet : L’excellent poète italien Boïto nous envoie avec prière de le transmettre au destinataire le télégramme suivant : « Milan, 22, 1 h. 22 soir. « À Victor Hugo, « Je suis à la page 192, troisième volume. Gloire. Boïto. » Nous ouvrons le troisième volume de Quatrevingt-treize à la page 192. C’est celle où le marquis de Lantenac redescend de la tour incendiée où il est allé sauver les trois petits enfants. Et nous trouvons que le poète italien n’a pas trop mal placé son admiration. 24 février. M. E. Douay, du journal l’Éclipse, est venu hier et m’a raconté que la censure venait d’interdire un dessin d’André Gill représentant Victor Hugo, statuaire, sculptant les bustes de Robespierre, de Danton et de Marat avec une petite figure d’enfant mêlée à ces hommes. 7 mars. M. Michaëlis m’envoie son bordereau pour le droit de traduction qui se résume ainsi : Depuis le mois de septembre 1873, Michel Lévy a vendu en 12 jours 8 000 exemplaires de Quatrevingt-treize, grande édition. 20 mars. Meurice m’a apporté le spécimen de l’édition in-16 de Quatrevingt-treize qui paraîtra dans six semaines. 21 mars. Claye m’envoie son compte pour l’impression de 93 in-8°, en tout 42000 francs. 4 avril. Michel Lévy a déjà payé sur 93 : 18 avril. Après le dîner, Paul Meurice est venu m’offrir pour autoriser le Rappel à publier 93 en feuilleton 11,000 francs. J’ai accepté. Ils ont été payés le 20 avril. 19 avril. Michel Lévy, mon libraire, a fait en mon nom, sur les bénéfices de 93, à Claye, mon imprimeur, un nouveau versement de 10,000 francs, ce qui fait que sur les 47,000 francs de frais d’impression du livre, j’ai déjà payé 40,000 francs, et que je ne reste plus devoir que 7,000 francs. 25 avril. Il n’y a plus que 60 exemplaires de Quatrevingt-treize chez Michel Lévy. Claye fait en hâte un nouveau tirage de 1,000. 26 avril. Le Rappel commence aujourd’hui la publication de 93. 17 mai. La publication de 93 a beaucoup fait monter le Rappel. Il tirait à 50,000. Il a tiré aujourd’hui à 89,500. 14 juin. En dînant, Vacquerie disait : le Rappel publiait 93 et son tirage était monté à 93 mille. Il a été arrêté un treize (le 13 juin). 14 juin. Réapparition du Rappel aujourd’hui. 27 juin. Le Rappel, hier, jour de sa réapparition, a tiré à 104,000. L’édition in-16 de 93 s’épuise rapidement. L’édition in-8° est épuisée, Claye est intégralement payé. Il a reçu 45,000 francs. 30 juillet. Paul Meurice m’a apporté de chez Michel Lévy (compte 93) 10,000 francs, il me reste à recevoir en août 9,600 francs. Ainsi Quatrevingt-treize, la première édition seulement, m’aura déjà rapporté comme droits d’auteur 69,600 francs. Il y a en outre ce qu’ont gagné Michel Lévy et tous les autres vendeurs et sous-vendeurs, au moins quatre fois plus que moi. 20 octobre 1875. Après le dîner, M. Vierge m’a apporté son dessin pour le frontispice de l’édition illustrée de Quatrevingt-treize. JEAN CHOUAN dans la Légende des siècles. Si Victor Hugo avait pris pour son Quatrevingt-treize un grand nombre de notes qu’il avait dû négliger ou écarter, il n’était pas douteux qu’il tirerait un parti de ses lectures. Il avait dû ébaucher rapidement le rôle de Jean Chouan en raison de la période historique très courte qui servait de cadre à son récit ; le 14 décembre 1876, il écrivait, sur la mort de Jean Chouan, une poésie qui parut dans la deuxième série de la Légende des siècles, le 26 février 1877, anniversaire de sa naissance. Il avait lu tous les détails de cette fin tragique dans les Lettres sur l’origine de la chouannerie. Nous donnons ici un résumé d’après les Lettres ; on verra ainsi ce qu’il emprunta à l’histoire : Jean Chouan, étant parti du bois de Misdon, s’arrêta à la ferme de la Babinière appartenant à la famille Olivier, il était avec ses hommes lorsque tout à coup la femme de René Chouan cria : « Miséricorde, voilà les bleus ! nous sommes perdus ! ». Aussitôt des coups de fusils partirent, les chouans s’enfuirent dans les bois ; la femme de René avait essayé de les suivre, mais en raison de sa grossesse avancée, elle ne put franchir une haie, elle s’écria : « À moi, Jean Chouan ! je suis une femme perdue, si tu ne viens à moi ! » Jean Chouan était déjà loin et à couvert du feu de l’ennemi ; mais il a entendu l’appel de sa sœur ; il revient à la haie, écarte les broussailles, parvient à faire passer la malheureuse femme à travers une haie, mais elle n’était pas hors de péril, il gravit un monticule pour s’offrir au feu de l’ennemi, et donner à sa belle-sœur le temps de se sauver. Tous les coups se dirigent sur lui, il ne tarde pas à être atteint d’une balle, il est blessé grièvement, il surmonte sa douleur, recueille ses forces ; une châtaigneraie l’aide à se dérober à la vue des républicains, il se soutient à peine, il cherche à se diriger vers le bois de Misdon pour parler une dernière fois à ses amis, son frère René arrive suivi des chouans, on place Jean Chouan sur un drap de lit et on le transporte dans le bois de Misdon à l’endroit appelé la Place royale, on l’appuie contre un arbre, et Jean Chouan se sachant frappé à mort remercie Dieu de pouvoir adresser une dernière fois la parole aux combattants, il leur demande de rester fidèles à leur Roi et à leur religion et leur désigne Delière pour le remplacer. Et après une longue agonie il expire. La scène est très émouvante, les discours in extremis de Jean Chouan sont très dramatiques. Nous n’avons pu que les signaler. Mais il est curieux de rapprocher la poésie du récit auquel Victor Hugo a emprunté des détails. Un coteau dominait cette plaine, et derrière Ce monticule nu, sans arbre et sans gazon. Les farouches forêts emplissaient l’horizon. C’est bien exactement le paysage ; les chouans se dispersent dans les bois, c’est alors que Jean Chouan entend le cri de la femme de René : Tout à coup on entend un cri dans la clairière. Une femme parmi les balles apparaît. Toute la bande était déjà dans la forêt, Jean Chouan seul restait ; il s’arrête, il regarde. C’est une femme grosse, elle s’enfuit, hagarde Et pâle, déchirant ses pieds nus aux buissons ; Elle est seule ; elle crie : « À moi, les bons garçons ! » Jean Chouan sent qu’elle est perdue s’il ne paye pas de sa personne, il monte sur le coteau et s’offre comme cible aux coups des bleus. « Sauve-toi ! Cria-t-il, sauve-toi, ma sœur ! » Folle d’effroi, Jeanne hâta le pas vers la forêt profonde. Victor Hugo a suivi scrupuleusement le récit jusque-là ; le dénouement dans la poésie est plus brusque lorsque Jean Chouan reçoit une balle dans le ventre : Il resta droit, et dit : « Soit, ave Maria ! Puis, chancelant, tourné vers le bois, il cria : « Mes amis ! mes amis ! Jeanne est-elle arrivée ? » Des voix dans la forêt répondirent : « Sauvée ! » Jean Chouan murmura : « C’est bien ! » et tomba mort. LE DRAME DE QUATREVINGT-TREIZE Victor Hugo avait donné à Paul Meurice l’autorisation de tirer de son roman un drame qui fut représenté à la Gaîté, Les directeurs du théâtre étaient MM. Larochelle et Debruyère. Le drame était divisé en quatre actes et douze tableaux et reproduisait les principaux épisodes du livre : le bois de la Saudraie, le carnichot, le massacre dans le hameau d’Herbe-en-Pail, le cabaret de la rue du Paon, la prise de Dol, l’assaut de la Tourgue, les trois enfants dans la Tourgue, l’incendie, la cour martiale, le chemin creux conduisant à l’échafaud. La distribution comprenait les plus grands artistes de l’époque. Cimourdain : Dumaine ; Lantenac : Clément Just ; Gauvain : Romain ; Radoub : Paulin Ménier ; l’Imânus : Taillade ; le Caïmand : Talien ; la Flécharde : Mme Marie Laurent. On lit dans les carnets de Victor Hugo : 18 décembre 1881. J’ai donné à dîner aux principaux comédiens qui joueront 93 (Mme Marie Laurent, Gabrielle Gautier, MM. Dumaine, Paulin Ménier, Taillade, Clément Just). 22 décembre. Répétition de Quatrevingt-treize. Je suis très content. 26 décembre. Représentation de Quatrevingt-treize, mis en scène par Paul Meurice. J’y vais. (Voir les journaux.) nowiki/> 26 mars 1882. Banquet à l’occasion de la 100e représentation de Quatrevingt-treize. Je suis un de ceux qui invitent, Paul Meurice est l’autre. 27 mars. Hier j’ai mangé à dîner de quoi attendre le souper. Lesclide était avec moi. À minuit et demi le souper a eu lieu. J’ai dit quelques mots. Double remerciement, aux acteurs qui avaient joué 93 et aux journalistes qui avaient bien accueilli la pièce. J’étais assis entre Mme Laurent et Mlle Gautier. On était une centaine. Souper excellent et fort cordial. Larochelle m’a adressé un speach. Je suis parti à 3 heures, les laissant en fort bon appétit. Rentré et couché à 4 heures. CONCLUSION. Quatrevingt-treize obtint un succès retentissant en France et en Europe. Le roman était poignant, l’histoire était présentée dans un raccourci saisissant. La conclusion de cet historique nous sera donnée par Émile Blémont qui publia dans le Livre d’or cette page vibrante et éloquente : Quatrevingt-treize est plus que du roman, plus que de l’histoire, c’est toute la nature et toute l’humanité, avec le « je ne sais quoi de divin » qui les enveloppe et les pénètre. Dans chacun des trois protagonistes du drame s’incarne le principe d’un des trois âges de la société humaine. Lantenac, chef monarchique et catholique, personnifie l’aveugle Foi, le Passé. Cimourdain, prêtre devenu citoyen, figure l’inflexible Justice, le Présent. Gauvain, qui affronte la mort pour donner la vie, est le héros de l’idéale Miséricorde et annonce l’Avenir. Et il n’est pas de spectacle plus tragique, plus touchant, plus majestueux, que de voir ainsi la Vertu, sous ses trois aspects de Religion, de Droit et de Conscience, se dévouer pour sauver l’enfance, « la vénérable enfance », l’innocence en fleur, l’espoir du monde. L’Évangile parle de trois rois mages qui vinrent, guidés par une étoile, adorer le Christ en sa crèche. Le temps des rois et des dieux est passé. Mais ne trouvez-vous pas dignes des plus saintes légendes ces trois petits Jésus plébéiens, vers qui viennent et pour qui se sacrifient les trois grands soldats de l’idée divine, de l’idée sociale et de l’idée humaine ? Pauvres et chers orphelins, frêles et radieux rejetons d’une race immémorialement en proie à la féodalité sacerdotale et royale, le bataillon du Bonnet-Rouge, c’est-à-dire la République, les adopte ! C’est l’histoire de France résumée en trois petites têtes blondes. C’était une tâche ardue d’écrire un livre intitulé Quatrevingt-treize, sans éveiller les colères des partis. Il fallait, pour y réussir, une âme haute et sereine capable de juger les événements et d’en tirer des leçons sans heurter les consciences des combattants. La critique a été presque unanime à rendre justice au caractère d’équité et d’impartialité que Victor Hugo a voulu imprimer à son œuvre. Nous disons presque unanime. Il y a en effet une note discordante, c’est l’appréciation de M. de Lescure ; nous l’avons reproduite, voulant conserver à cette revue son caractère habituel. Cette critique ne peut d’ailleurs porter ombrage qu’à son auteur ; en contestant l’impartialité du livre, en voulant y découvrir une apologie systématique de la Révolution, M. de Lescure prouve qu’il ne l’a pas lu ou qu’il ne l’a pas compris. Car ce qui caractérise Quatrevingt-treize, c’est le souci qu’a eu Victor Hugo de conserver le calme, la sérénité et la probité du jugement en s’élevant avec une incomparable maîtrise au-dessus de la mêlée des passions. Le Siècle. 25 février 1874. ... Il a été le premier sur la brèche littéraire, il restera le dernier sur la brèche sociale. C’est pour lui qu’a été trouvé ce mot : le repos est une fatigue. Quatrevingt-treize doit être un enfant que le père a longtemps porté dans son cerveau avant de le mettre au jour. Tout jeune, il avait entendu parler par le général Hugo, son père, de la guerre des géants, mais je ne crois pas que le livre eût été aussi complet et aussi puissant, sans les années d’exil passées au milieu de la Manche. Là l’auteur a coudoyé la Bretagne, qui s’étendait au temps de la guerre civile jusqu’au Mont Saint-Michel, jusqu’à Avranches et à Granville. S’il n’eût vécu à Guernesey, corbeille de fleurs pendant l’été, bouche de la tempête pendant l’hiver, comment aurait-il pu décrire avec tant d’exactitude et en un style inimitable les ruses, les perfidies, les animosités, les fureurs et les épouvantables folies de cette mer implacable, le seul chemin par où l’Angleterre tentât de pénétrer en France ? Quel tableau que celui de cette corvette battue par le vent, battue par les flots et qui n’a à choisir qu’entre l’écueil et l’extermination ! Avec quelle émotion on suit de l’œil cette petite barque, ce you-you lancé sur la haute mer, qui le roule de lame en lame, à travers les brisants et les récifs, et qui porte César et sa fortune. Il y a, dans les premières pages de ce premier volume, quelque chose d’éblouissant, quelque chose qui dépasse et surpasse tout ce qui a été essayé dans ce genre : c’est le chapitre intitulé Tormentum belli... Tout ce chapitre est prodigieux. Cela ressemble à un défi accepté de créer avec le néant et de tirer un chef-d’œuvre de rien. Du reste, rien de plus simple et en même temps de plus émouvant que le drame qui sert de charpente au livre de Victor Hugo. Trois enfants : deux garçons, l’un de quatre ans, l’autre de trois ans, et une petite fille de vingt mois, voilà le point de départ et le point d’arrivée. L’Iliade, qui est le plus grand roman de l’antiquité, repose sur la querelle d’Agamemnon et d’Achille. Ôtez Briséis, il n’y a plus de poème. Autour des trois enfants, nœud de l’action, l’auteur a groupé les personnages terribles du temps : un général blanc qui tue au nom du roi, un général bleu qui voudrait pardonner au nom de la république, et un envoyé en mission qui extermine au nom du comité de salut public. Je ne parle pas des personnages secondaires ni des incidents : batailles sur terre et sur mer, embuscades, incendies, sacs de villes, blocus de châteaux forts, luttes épiques où le fanatisme fait des prodiges, où le patriotisme fait des miracles. L’illustre écrivain plane sur son récit et, comme les dieux d’Homère, qui regardaient combattre les Grecs et les Troyens, il se place, pour juger les partis, sur un sommet où le romancier passe tour à tour la plume à l’historien et au philosophe. Victor Hugo, avec ce grand titre : Quatrevingt-treize, ne pouvait se confiner dans la guerre civile, il y avait, en cette terrible année, autre chose que la lutte des blancs et des bleus dans un coin de la France. À de certains instants, il sort de la Vendée, de ces sept forêts dont il a fait une description saisissante, forêts muettes, sourdes, immobiles, et où grouille une fourmilière humaine, il se retourne vers Paris, nous montre ses rues, ses habitants, nous fait voir sous tous ses aspects la physionomie sinistre de la grande ville sous la Terreur ; puis il fait entrer le lecteur au cabaret avec Marat, Danton et Robespierre, brelan d’hommes d’État voués, l’un, au couteau de Charlotte Corday, les deux autres, à la guillotine. Quant au chapitre consacré à la Convention, c’est un croquis puissant, éclairé par le sentiment de la justice, de l’impartialité, de la raison, lumière tardive, phare qui ne peut se dresser au-dessus de l’histoire que longtemps après les événements accomplis. Je ne sais si, dans les quelques lignes qui précèdent, j’ai pu donner une idée du nouveau livre de Victor Hugo, mais qu’importe ? Qui voudra se refuser le plaisir de lire une des œuvres les plus puissantes et les plus extraordinaires de notre temps, peu habitué à de telles fortunes ? Le Petit Journal. Thomas Grimm. (21 février 1874.) ... L’auteur de Quatrevingt-treize, Victor Hugo, se pose en face des déchaînements, des colères, des rages, des désespoirs de la Révolution ; il les interroge. Au milieu de s tueries, des égorgements, des massacres sans pitié ni merci, il jette, comme un défi, trois enfants, trois têtes blondes, souriantes. « Qu’en ferez-vous, dit-il ? L’humanité se dresse devant vous et réclame ses droits. » Et ces enfants, fils de paysans, domptent ces indomptables chefs de bande, le républicain Gauvain, le vendéen Lantenac, l’austère révolutionnaire Cimourdain, lui-même. Ce qu’ils en feront, ces farouches ? Ils les sauveront au péril de leur vie. Ce qu’en fera la société, quand les fureurs seront calmées ? L’auteur nous le dira à la fin de son livre dans une sorte de vision apocalyptique. Mais avant d’arriver à cette conclusion, voyons ses jugements sur les hommes et sur les événements. J’ai dit que Victor Hugo n’a de complaisances ni pour les républicains combattants de l’idée nouvelle, ni pour les royalistes défenseurs des institutions abolies. Il admire leur courage, leur intrépidité ; il flétrit leurs crimes ; il les rend égaux dans l’héroïsme humain. Le marquis de Lantenac se dévoue pour sauver du feu les trois enfants, et cet acte de compassion le rend prisonnier. Gauvain se substitue au marquis et meurt guillotiné à sa place. Parité dans le retour aux sentiments d’humanité. Victor Hugo a la même indépendance de jugement quand il s’occupe de la Convention, cette assemblée monstrueuse et patriotique, qui organisait la victoire avec Carnot et votait la mort de Louis XVI, qui créait l’instruction publique et promulguait la « ténébreuse » loi des suspects, « le crime de Merlin de Douai» qui « faisait la guillotine visible au-dessus de toutes les têtes ». C’est Victor Hugo qui parle ainsi. Quant aux hommes qui ont joué un grand rôle dans cette phase de la Révolution, Victor Hugo est loin de les amnistier. Il nous montre Robespierre, Danton et Marat dans un conciliabule. Robespierre, le logicien implacable ; Danton, le tribun interprète passionné de toutes les violences du peuple qui le pousse ; Marat, la bête féroce. ... Eh bien ! à tous ces hommes, tous ces crimes, toutes ces fatalités, Victor Hugo oppose l’humanité, représentée par trois enfants. ... Que fera la Révolution des trois enfants de la femme Fléchard ? ... Ayant fait triompher ses principes, et réduit les révolutionnaires à la préparation lente et continue du progrès, la Révolution fera de ces enfants des hommes libres. Le Bien public de Paris. Louis Ulbach. 22 février 1874. ... Derrière ce titre sombre : Quatrevingt-treize, nous trouvons, à travers des péripéties sanglantes, féroces, des idylles dont les larmes sont la rosée, des paysages dont la rosée émeut comme des larmes ; une virilité de sentiments qui fortifie le cœur, et, par intervalles, des tendresses qui l’ouvrent jusqu’au fond. Aucun autre amour que l’amour maternel ne se mêle à ce drame de la guerre civile. Ce premier récit est l’histoire de trois pauvres petits êtres que la bataille peut broyer, que l’incendie peut dévorer, que le pas massif de la guillotine peut écraser, et qui rient, qui jasent, qui vivent, qui sont sauvés, comme le seront l’espérance et l’avenir après ces jours effroyables de la Terreur. 2e article, 1er mars. ... Est-il vrai que Quatrevingt-treize soit une œuvre de décadence et que cet illustre vieillard que rien n’a épargné soit las, comme un jeune homme de nos jours, et ploie sous l’entassement de ses peines ? Non. Je renvoie ceux qui pourraient avoir des craintes à cet égard aux pages nombreuses de Quatrevingt-treize où la force se montre comme dans le combat naval du début, où la grâce s’épanouit comme dans toutes les scènes des enfants, où la science du décor et la fraîcheur du coloris se déploient comme dans toutes les descriptions. Quant au style, si j’avais à constater une modification, je dirais qu’en avançant sous la neige de la vie l’écrivain se recueille, se resserre, se concentre, et que les mots prennent de plus en plus cette empreinte ineffaçable qui en fait des médailles. Je n’exagère pas. Je ne peux citer tout ce que j’ai noté dans ces trois volumes. Je suis restreint par l’espace et j’ai mon avarice de collectionneur. Mais, je le demande, n’est-ce pas un trait superbe que celui-ci ? Victor Hugo, après avoir raconté l’effort des combattants de la Claymore contre l’escadre française et constaté le courage de ces insurgés, dit : « La corvette la Claymore mourut de la même façon que le Vengeur, mais la gloire l’a ignoré. On n’est pas héros contre son pays. » Je connais peu de sentences aussi belles ; je n’en connais pas une qui dépasse celle-là, qui ait plus de patriotisme et de grandeur. Ailleurs, parlant des enfants et des tendresses dont ils sont la cause : « Ceux qui nous doivent tout ; dit-il, on les adore. » N’est-ce pas à la fois délicat et simple ? humain et paternel ? (Allusion aux deux articles :) C’est beaucoup de distraire deux fois l’attention du public pour un roman qui résume les passions, les fureurs, les grandeurs, les héroïsmes d’une époque. Ceux qui savent encore lire ouvriront le livre et n’ont pas besoin que je le leur épelle. Les autres se moqueront de la vivacité avec laquelle je prends parti pour une œuvre de grand style et de grand art. ... Toutes les fois qu’un livre, vers ou prose, me donne l’occasion d’admirer, j’en use jusqu’à l’abus, espérant ainsi, en tenant haut mon cœur dans les régions de l’enthousiasme, relever, soutenir et entraîner avec moi ceux qui se découragent et qui s’enfoncent dans l’ennui du temps présent. L’Opinion nationale. Armand Silvestre. ... Notre patrie humaine est bien celle de ce travailleur puissant et infatigable ; c’est le champ de nos affections, de nos espérances et de nos joies qu’il a sans cesse remué, jetant souvent par delà les semences à mains pleines. Mais il n’en a cultivé que les sommets, aimant par instant les hauteurs d’où le ciel se voit de plus loin. Si jamais œuvre a mérité ce glorieux épigraphe : Sursum corda, c’est assurément le sien. Quatrevingt-treize est dans les traditions de tout ce que nous connaissons du grand poète. Les passionnés de politique qui attendaient une œuvre de parti en sont pour leurs prévisions. Ce beau livre est au-dessus de tous les partis, car il nous montre, dans tous, des âmes élevées très haut par la folie héroïque d’une époque inouïe dans les fastes du monde. Dans le tourbillon sanglant où sont entraînés tous les exaltés, qui songerait à reconnaître la cocarde qui les décore ? À les voir mourir, qui se demanderait si c’est à la République ou au Roy qu’ils font litière de leur vie ? Misère que tout cela. Il s’agit bien de savoir pour qui ils versent leur sang, mais avec quelle indifférence sublime ils affrontent les balles et les échafauds. Quel souffle effroyable peut ainsi détacher toute une génération des plus incurables soucis, la déraciner des instincts les plus tenaces, la jeter pantelante, ivre de sacrifice, altérée de dévouement, à travers toutes les audaces, tous les périls, toutes les morts — voilà ce qu’il importe de montrer et aussi de quel effort peut soudain s’enfler et se grandir le peu que nous sommes. Admirable effet ! plein de scènes étrangement inhumaines, ce livre permet d’aimer l’humanité. (2e article. 27 février.) ... J’ai dit que tout était haut dans ce drame, que les sentiments s’y mesuraient à l’idéal même, que la générosité en était le fond et le sacrifice la loi. Voyez plutôt : Lantenac captif est destiné à la guillotine : Gauvain, son ennemi, se dévoue et l’y arrache en lui prêtant son manteau. Mais Gauvain va payer pour tous, pour le marquis échappé et pour les enfants sauvés. L’échafaud attend sa proie. Ce n’est pas Lantenac qui va y monter, mais Gauvain, que son ami, que son maître, que son père a condamné sans hésiter. Ici se place la scène capitale de l’œuvre. En condamnant son ami, son enfant, Cimourdain s’est condamné lui-même ; il ne lui survivra pas. Or, la nuit même qui précède leur double suicide, ces deux hommes, le juge et la victime, le magistrat et le condamné causent une dernière fois. Dans un cachot, comme autrefois Socrate, celui qui va mourir parle à celui qu’il croit laisser à la vie. Ce dialogue testamentaire de deux grandes âmes qui semblent comme deux flambeaux prêts à s’éteindre, ayant réuni toute leur lumière dans un suprême et fugitif éclat, est d’une grandeur qui éblouit. ... Telle est l’analyse bien succincte de ce livre plein de vigueur, d’enthousiasme et de foi. On y chercherait vainement la marque d’un déclin, la fatigue d’une longue carrière. Comme George Sand, Victor Hugo est encore Victor Hugo tout entier, le grand et admirable poète. Jamais il n’a plané plus haut au-dessus des misérables instincts, des fureurs bestiales, des égoïsmes étroits, de tout ce qui déshonore l’âme humaine et la rejette dans des limbes éternelles. Des hommes faits grands par de grandes passions, des cœurs élargis par de nobles souffrances, voilà ce qu’il nous montre sans cesse dans ces pages élevées et profondes. Conférence à la salle des Capucines. Maurice Talmeyr. 1874 ... Il y a trois mois, un livre paraissait en même temps en Europe et en Amérique. Un roman était l’entretien de tous les peuples qui savent lire. Il est vrai qu’il venait de la France, et que, signé d’un grand nom, il parlait d’une grande époque. À mesure qu’on avance dans ces trois volumes, on est, à la fois, charmé et bouleversé. L’extrême grandeur et l’extrême grâce y mêlent leurs rayonnements. Parfois, l’épopée tout entière se fond en un sourire, comme l’éclair concis d’une épée se dissoudrait en un rayon de soleil. L’œuvre a la simplicité d’une tragédie antique. Trois grandes figures, animées d’âmes différentes, se détachent sur un fond de guerre, au-dessus d’un berceau où dorment des enfants. Elles incarnent trois idées : Lantenac est la royauté, Cimourdain la révolution, et Gauvain l’humanité. Les enfants, victimes innocentes des catastrophes, sourient à toutes les choses sombres qui les entourent. Un instant, les trois puissantes figures semblent prêtes se réconcilier pour les bénir ; l’une d’elles se détourne, la plus tragique, celle de Cimourdain. Tel est le tableau d’ensemble qu’offre Quatrevingt-treize. Le poète n’y a pas mis d’amour. On démêle une intention profonde dans cette rigidité. L’œuvre est vierge comme la déesse de la Révolution. Il s’est établi une sorte d’intimité entre l’Océan et le génie de Victor Hugo. Les drames de la mer tiennent une place considérable dans ses derniers romans. On y sent la contemplation passionnée de cette immensité perfide ou tumultueuse à laquelle Othello compare Desdemone. En même temps qu’il nuance la masse des flots avec une puissance de dieu, il en observe tous les détails. On pourrait presque dire qu’il regarde le vieux Neptune au microscope, Quatrevingt-treize renferme une des plus belles marines littéraires que le poète nous ait données. ... Nous venons de voir comment Victor Hugo sait jeter un drame dans le tumulte de la mer. Voyons maintenant comment il sait peindre les enfants. Le grand poète se penche tour à tour sur l’océan où il voit l’infini et sur les berceaux où il voit l’avenir. Quel merveilleux sujet de tableau pour un artiste que le chapitre intitulé : Le bois de la Saudraie ! Un bataillon républicain, le bataillon du Bonnet-rouge, fouille un bois regorgeant des plus délicieuses végétations et, comme dit le poète, tout rempli de ténèbres vertes. On est en Vendée, au plus doux du printemps, et dans le feu de la guerre civile ce bois est le plus terrible lieu qu’on puisse rêver. ... Tout est calme, ombreux, charmant. Les vagues profondeurs du bois de la Saudraie donnent l’illusion des transparences sous-marines et rappellent la caverne de la pieuvre dans les Travailleurs de la mer. Douces et mystérieuses demeures hantées, l’une par un poulpe hideux, l’autre par la guerre, toutes les deux par une hydre. ... En tête des soldats attroupés là se trouve Radoub, figure digne, comme celle de Gavroche, de rester proverbiale. ... L’interrogatoire que Radoub fait subir à la mère touche à la fois à la comédie et à la tragédie. Quelle stupeur dans les réponses de cette mère vagabonde ! Il y a dans cette mère je ne sais quoi de douloureusement bestial. Ses paroles rappellent les gémissements de la bête blessée que vont achever des chasseurs. ... En écrivant l’épopée de 93, Victor Hugo devait incarner dans deux figures les deux éléments, les deux tendances de cette époque ; ce que les uns voient alors, c’est surtout l’avenir ; ils y vont d’un bond et veulent la mise en pratique immédiate des principes de la Révolution. D’autres, au contraire, considèrent d’abord le présent, l’étranger aux portes, l’émigration derrière l’étranger, l’Europe puissante, la France faible, la nécessité de la victoire matérielle avant la possibilité du triomphe moral, et, suspendant toute liberté, l’application de tout principe humain, sacrifient tout au salut public. Les premiers disent : amour, clémence, pensée, liberté, et regardent le ciel ; les seconds disent : terreur, suspicion, mort, indépendance, et regardent les frontières. Les premiers sont grands d’une grandeur lumineuse, les autres grands d’une grandeur sombre. Les premiers sont surtout la République et les seconds surtout la Révolution. Les premiers sont incarnés dans Gauvain, les seconds sont incarnés dans Cimourdain. Et Cimourdain arrête Lantenac, et Gauvain le sauve. Et le poète, après les avoir montrés l’un et l’autre, après avoir maudit la guillotine et le donjon féodal, après avoir pris conseil de sa conscience et de cette immense bonté qu’il sent éparse dans la nature, crie à l’histoire, au peuple d’aujourd’hui et au peuple de demain : Gauvain, toujours ! et Cimourdain, jamais ! Le dernier chapitre de Quatrevingt-treize est une des plus grandioses conceptions de Victor Hugo. Il est intitulé : « Cependant le soleil se lève. » On voit une machine hideuse dressée en face de la Tourgue. Cette machine, c’est la guillotine amenée là pour Lantenac et sur laquelle va mourir Gauvain. ... Telle est la dernière œuvre de Victor Hugo... Ce qu’il a écrit dans Quatrevingt-treize, c’est l’épopée et non l’histoire. Il n’a pas fait de la critique, il a exprimé par la fiction la vérité de l’ensemble. Il est le grand poète ; d’autres, Thiers, Michelet, Louis Blanc, ont été les grands historiens. Ce qu’il faut dire surtout, après avoir montré l’immense poésie de ce livre, c’est la douceur, la clémence, l’apaisement qu’il conseille. Il faut penser, lutter, parler, écrire, mais il faut aimer, et au-dessus des passions, des partis, des idées, mettre ces deux mots : pitié ! humanité ! oh ! non, point de représailles, point de morts, point de supplices ! Au passé plein de tortures, répliquons par l’avenir plein de clémence ; soyons libres, mais soyons bons et qu’on dise pour toujours adieu au sang ! Le livre de Quatrevingt-treize nous montre l’idéal, et ce n’est pas sa moindre grandeur ! Il est aussi largement impartial. Le poète de la Révolution y salue la Vendée et désigne l’avenir dans la République ! La Renaissance littéraire et artistique. Émile Blemont. (22 février 1874.) Ce livre est au-dessus des passions. Le poète est sur la cime. À sa gauche, les fantômes de la nuit déchue s’enfuient pêle-mêle hors de l’horizon ; à sa droite, le soleil se lève dans une aurore ensanglantée. Des nuées, des roulements de tonnerre, des éclats de foudre passent à ses pieds. Là-bas, sur un océan battu par les aveugles brises, les navires des hommes, voiles blanches et carènes noires, plongent et se dressent tour à tour dans l’immense houle des vagues informes, cherchant le port à tâtons au milieu des écueils. Lui droit, fort et grand, il reste haut placé sous le ciel ; il s’affermit dans le calme, non de l’orgueilleuse impassibilité, mais de la sérénité généreuse, et attend, avec le recueillement de l’invincible espérance, que la tempête se taise et s’éclaircisse un peu, pour montrer à tous, même aux naufragés, le chemin de l’avenir, le chemin du sublime. Descendons dans la mêlée. Jamais luttes plus grandioses n’ont été décrites avec plus de splendeur, jugées avec plus d’impartialité. C’est plus que du roman, plus que de l’histoire, c’est de la vie, c’est de l’âme, dans tout ce que la vie a de plus intense et de plus fervent, dans tout ce que l’âme a de plus douloureux et de plus pur. Point d’amours, point d’amoureux ; et pourtant un livre tout amour. Rien n’est abandonné aux hasards et aux surprises des entraînements passionnels. Point d’intrigues galantes, ni de platoniques extases. Nulle héroïne, si ce n’est la grande République, cette Vierge, cette Immaculée-Conception pour qui l’on meurt, et la petite Georgette qui a vingt mois et qui est blonde. Au premier plan, se détachent trois hommes et trois enfants. Trois aspects de l’innocence et trois aspects de la vertu. Le petit René-Jean est brun ; Gros-Alain, son cadet, est châtain ; la petite Georgette, vous le savez, est blonde. Quant aux trois hommes, l’un, Lantenac le vendéen, est l’incarnation de l’aveugle Foi ; l’autre, le révolutionnaire Cimourdain, porte en lui l’inflexible Justice ; le troisième, le commandant républicain Gauvain, est le héros de l’idéale Miséricorde. Ajoutez à ces personnages la mère des petits enfants ; évoquez la lointaine Convention et ses figures épiques ; groupez ici des Chouans, là des Bleus, et vous aurez tous les acteurs du drame. Drame terrible et profond plein de vertige et d’infini. Il s’ouvre par une scène d’une fraîcheur exquise, par une surprise d’un charme souverainement gracieux et pénétrant. ... Lire le chapitre intitulé : Les rues de Paris dans ce temps-là, c’est vivre, se promener, se perdre au sein de la grande cité révolutionnaire, soudain ressuscitée avec sa fièvre ardente, ses fantaisies du jour, ses caprices du moment, ses enseignes, ses affiches, ses boutiques, ses clubs, ses passants, ses cris et ses éclats. Il semble qu’on marche sur le pavé gras entre les vieilles maisons noirâtres, qu’on entend les rumeurs, qu’on voit les regards de la foule. Admirable pendant au chapitre des Misérables qui s’appelle L’année 1819. L’évocation est complète, irrésistible. ... Une tristesse nous a saisi, en voyant que ce livre se terminait par un suicide. Nous en voulons un peu au poète ; nous avons tant besoin d’encouragement et d’espérance ! Mais, en parcourant de nouveau ces pages lumineuses, nous avons vu peu à peu se développer dans toute sa grandeur le dénouement tragique, et nous nous sommes souvenus qu’après tout c’est le sang des martyrs volontaires qui féconde le mieux l’avenir. ... Pour qui Lantenac, lui aussi, affronte-t-il la guillotine ? Pour ces trois pauvres petits enfants qui portent en eux l’immense avenir. La Vertu sous sa triple incarnation : Foi aveugle. Justice inflexible et souveraine Miséricorde, la Vertu se dévoue pour que la frêle innocence, c’est-à-dire l’Espérance du monde, soit sauvée. La mort est ici le gage solennel d’une vie meilleure, et le fanatisme de l’intolérance, cédant aux forces invincibles de la nature, prête lui-même aide et appui à la loi suprême du progrès humain. Ce royaliste et ces républicains pourraient s’écrier dans l’épreuve : Nous nous sentons perdu pour nous, gagnés pour tous. ... Ce généreux livre donne la preuve pénétrante que depuis la grande crise révolutionnaire le génie humain est devenu maternel. Avec ses profonds déchirements, ses fièvres ardentes, ses angoisses, ses affres, ses tressaillements de joie et d’espoir, ses longs ruisseaux de sang, ses enfantements douloureux et sa fécondité triomphante, la sombre et gigantesque année Quatre-vingt-treize fait songer elle-même aux principes féminins, aux types mystérieux et éternels, aux déesses toutes puissantes que Gœthe évoque et qu’il nomme les Mères. L’Égalité de Marseille. Camille Pelletan. (5 mars 1874.) J’ai lu, relu Quatrevingt-treize, Comment en parler ? On est saisi par tout à la fois, dans ces grandes œuvres de Victor Hugo ; par la conception dramatique de l’œuvre, par la conception morale, par la création des caractères, par les miracles d’exécution, que sais-je encore ? Avant tout, le poète est prodigue. Résumer ses impressions semble impossible. C’est pourtant ce que j’essaye, sans me dissimuler l’énormité de la tâche. ... Tout d’abord une description du château (La Tourgue), qui dépasse tout. Avez-vous vu quelquefois des dessins de Victor Hugo ? Ces rêves d’une terrible précision de ruines fantastiques, où les pierres déchiquetées semblent vivre ? Nous y pensions en lisant ces admirables pages où les mots arrivent à la netteté de la peinture. La lecture finie, on connaît le château, comme si on l’avait, je ne dis pas vu, mais habité. ... Le grand poète, qui toute sa vie a lutté contre la peine de mort et combattu sans trêve l’échafaud, se trouve ici en présence de ce terrible et sanglant Quatre-vingt-treize, — de la Convention, — de la Terreur. D’un côté la Vendée, dont le mot d’ordre est : « Pas de quartier » ; de l’autre, la Révolution dont la devise est : « Pas de grâce ». C’était à lui surtout, — à lui, qui a défendu l’inviolabilité de la vie humaine dans le monde entier, — qu’il appartenait de juger cette époque, dont on est tenté de dire que ses crimes mêmes sont sublimes. Il le fait de deux façons, en la montrant avec une réalité frappante ; en la jugeant avec une admirable élévation. Tout d’abord, n’est-ce pas la Terreur ? On nous rappelle toujours le sang versé. On oublie ce qui l’a fait verser : L’avenir, le droit, la justice assaillis par l’étranger, trahis dans le pays même ; voilà ce qui domine cette grande époque ; voilà ce qui remplit le livre. Victor Hugo l’a fait ressortir non seulement dans cette grande et dure figure du serviteur inexorable de l’idéal qu’il a appelée Cimourdain, mais encore dans chaque ligne du livre, dans chaque détail de l’action. Le drame qui clôt le livre n’est pas seulement saisissant : historiquement, il est d’une vérité, d’une justesse, d’une profondeur absolues. Il était facile à Victor Hugo, avec un génie si merveilleusement pathétique, de faire condamner par les larmes ce féroce Cimourdain ; il ne l’a pas fait. Gauvain est sublime quand il délivre Lantenac. Mais en le délivrant il rallume la guerre civile, il prolonge les massacres ; sa peine est juste et son exemple nécessaire, au point de vue rigoureux. Il le sent lui-même et il l’accepte. Toutes les fatalités qui ont rendu la lutte implacable agissent et vivent dans le livre. On ne les comprend pas seulement, on les voit. Les pages admirables sur la nuit qui s’épaississait dans les cerveaux vendéens ; le personnage de Lantenac ; le passage sur le paysan breton, qui restera présent à tous les souvenirs ; tout cela est de l’histoire profonde et magnanime. C’est ainsi que l’auteur a groupé autour de l’action la Révolution tout entière, et qu’il a fait revivre avec une puissance incomparable son génie, ses périls, sa logique inflexible, ses entraînements sublimes ; il fallait être Victor Hugo, pour dresser une œuvre à la taille de cette période démesurée de notre histoire vers laquelle la France et l’Europe n’ont pas cessé d’avoir les yeux tournés. Paul de Saint-Victor. J’étais assuré d’avance que la pensée de Victor Hugo ne se ferait pas la complice des atrocités de Quatre-vingt-treize. La bonté est la vertu de ce grand génie ; il pousse, à l’excès peut-être, l’horreur des vengeances et des représailles ; il a passé sa vie à assiéger l’échafaud. Mais je craignais, en le voyant entrer au cœur de cette mêlée où tout se confond, où l’épée jette des rayons qui font pâlir, par instants, les affreux éclairs de la hache, une admiration excessive, une absolution en masse, donnée, au nom de la Fatalité, à ses œuvres, un parti-pris violent de flétrir et de rabaisser ses ennemis. Ces craintes ont été superbement démenties. Quatrevingt-treize est un livre de paix, de conciliation, de justice. J’y rencontre sans doute des pages qui m’étonnent, des vues et des effets d’optique grossissante qui déconcertent mon jugement. Il m’est impossible d’admettre que la Convention soit « le point culminant de l’histoire ». Un chaos n’est pas un sommet. ... Je dirai tout à l’heure combien Cimourdain, le représentant de la terreur dans le livre, me paraît surfait et grandi. Mais ces divergences de détail sont rectifiées par l’esprit d’impartialité supérieure qui plane sur l’ensemble, par l’équité magnanime qui maintient la balance égale entre les deux causes, entre la Vendée royaliste et la France révolutionnaire. L’oriflamme de la monarchie est aussi hautement portée dans Quatrevingt-treize que le drapeau de la république ; les paladins du Passé y tiennent tête aux soldats de l’Idée nouvelle. La grande figure du roman, celle qui le domine et qui le commande, est celle du marquis de Lantenac, le chef royaliste. ... Les plus grandes pages du livre sont celles qu’il traverse. Quelle scène que celle de cette barque lancée en pleine mer, où le vieux chef se trouve seul, face à face, avec le matelot dont il vient de faire fusiller le frère et qui veut le tuer, pour venger cette mort. ... Ce chef inexorable, le poète, après l’avoir montré féroce dans les hautes œuvres de la guerre civile, l’attendrit d’un élan de bonté sublime. Il vient d’échapper miraculeusement de la forteresse, fermée comme un antre, où il soutenait, avec sa bande, l’assaut d’une armée. Un souterrain s’ouvre devant lui qui aboutit à la fuite, à la liberté, à la guerre reprise, peut-être au triomphe de la cause royale incarnée en lui. À ce moment, il entend les cris désespérés d’une mère qui voit ses enfants enveloppés par un incendie. Lui seul peut les sauver, ayant, dans sa main, la clef de l’enfer qui flambe sur leurs têtes. Mais en les sauvant il se livre ; l’échafaud l’attend, au sortir des flammes, s’il parvient à leur échapper. Lantenac n’hésite pas ; il sacrifie à trois enfants inconnus, non pas seulement sa vie, mais la royauté dont il tient le dernier drapeau. La pitié renverse ce colosse d’orgueil et de haine, sur le chemin d’un berceau. On ne saurait plus noblement mettre en scène un ennemi vaincu. L’action grandiose de l’oncle a pour pendant l’action sublime du neveu faisant évader Lantenac, le remplaçant dans la prison et sur l’échafaud. C’est le côté idéal de la Révolution, que Victor Hugo a personnifié dans Gauvain, noble et candide figure illuminée par la pure aurore des idées nouvelles, tandis que celle de son aïeul est assombrie par le crépuscule sanglant du passé. Victor Hugo, en créant Gauvain, songeait évidemment à Marceau. Même jeunesse et même héroïsme, même génie précoce tranché dans sa fleur, même terrain d’exploit de guerre. ... Le Gauvain de Victor Hugo est un Marceau légendaire, transfiguré par une mort qui a la beauté et la sainteté d’un martyre. Martyre accepté, prémédité, réfléchi, dont l’acceptation sort, comme un fruit divin, d’une âme héroïquement déchirée. On se rappelle l’étonnant chapitre des Misérables : Tempête sous un crâne ; celui de Gauvain pensif en est le pendant. Avec le merveilleux don de renouvellement qu’il possède, le poète nous fait assister, une seconde fois, à cette lutte sublime qui rappelle le mystérieux combat de Jacob, lutte de l’homme contre l’ange qu’il porte en lui et qui s’y déploie. Et cet ange est celui de la mort, il somme Gauvain de se perdre, il lui commande de se sacrifier. Cas obscur, injonction douteuse ; les deux termes du problème vacillent également. D’un côté, le dévouement du vieillard, qu’il serait inique de payer par le couperet du supplice ; de l’autre, sa délivrance, qui déchaînera la guerre civile arrêtée et décapitée avec lui. Les deux voix parlent tour à tour, elles se réfutent, elles se contredisent. On voit cette âme en détresse, ballottée par le flux et le reflux des idées contraires. Il y a des moments où elle incline vers l’égoïsme et vers le sophisme ; on croit qu’elle va s’y laisser tomber ; puis elle remonte, d’un élan, vers la sublimité et vers la lumière. Le génie du poète fait une grandiose tragédie de la double exécution du condamné et du juge. Cette guillotine dressée contre le donjon féodal, comme une monstrueuse catapulte qui va lui jeter la tête de son dernier suzerain ; ce jeune héros marchant au supplice devant son armée qui s’indigne ; l’apothéose céleste dont l’aurore éclaire son martyre ; ce juge effrayant comme les consuls parricides de la Rome antique, qui a, lui aussi, un glaive dans le regard et qui le fait peser sur ses légions frémissantes, ce coup de pistolet répondant au coup de hache, et « ces deux âmes, sœurs tragiques, s’envolant ensemble, l’ombre de l’une mêlée à la lumière de l’autre », tout cela compose un tableau d’une incomparable grandeur. Une mère cherchant ses enfants perdus est l’humble nœud de cette action formidable. ... Qu’est-ce que la Flécharde ? Une femme si simple et si misérable qu’elle s’ignore elle-même, une créature toute passive et toute instinctive qui n’a que des entrailles, à peine un cerveau. On a brûlé sa maison, on a tué son mari ; elle s’est enfuie, ses enfants aux bras, effarée, hagarde, farouche. Dans l’admirable prologue qui ouvre le livre, quand le bataillon la trouve sous le bois fouillé par les baïonnettes, elle apparaît comme une Geneviève de Brabant rustique, revenue l’état sauvage. La guerre la traque comme une chasse ; elle tombe, abattue d’une balle, dans une ferme incendiée. Les enfants ont disparu quand elle se relève. Elle part alors, cherchant ses petits, désespérément, à tâtons, mangeant de l’herbe, couchant dans les halliers et sous les étoiles, déchirant ses pieds aux cailloux et ses haillons aux broussailles, de même qu’une bête poursuivie y laisse son poil et sa chair. On a reproché au poète cette maternité de femelle et l’espèce de stupeur idiote dont la Flécharde reste frappée dans tout le récit. Mais ce dénûment d’intelligence fait partie de sa misère et aussi du type qu’elle incarne. Ce que représente la Flécharde, c’est cette foule d’êtres presque anonymes, tant ils sont obscurs, que les révolutions et les guerres déracinent de leur inerte existence, et roulent au hasard, comme des feuilles mortes, sans qu’ils puissent comprendre ce que leur veut la tempête. Victimes inaperçues, broyées sous des roues dont elles ne voient ni le conducteur, ni le char, ni l’idole ou le dieu qu’il porte, et qui les écrase fatalement, pour arriver à son but. Comme les expiations des cultes antiques, toutes les grandes crises sociales réclament des sacrifices de troupeaux humains. La Flécharde, dans son effarement et son ignorance, dans son hébétement consterné, dans sa stupeur pathétique, concentre admirablement cette masse sacrifiée. Les plaintes et les imprécations les plus éloquentes ne vaudraient pas ses cris indistincts, ses paroles inarticulées. Elles expriment tout un monde de douleurs inintelligibles ou muettes. L’hécatombe mugit, elle ne parle pas. Ces trois enfants, que la Flécharde cherche à travers l’orage, sous une pluie battante de sang et de larmes, et autour desquels s’agite tout le drame, y jettent un divin sourire d’arc-en-ciel ; au plus fort de l’action violente, en plein combat et en plein carnage, quand l’armée des Bleus assiège la petite troupe des Blancs, acculés dans leur dernier gîte, le poète interrompt subitement son récit. Comme un guerrier qui ramasserait une couvée tombée sur un champ de bataille, il s’arrête devant les berceaux de Georgette, de René-Jean et de Gros-Alain, qui s’éveillent ; et, de leurs molles attitudes, de leurs gestes, pareils à des battements d’ailes ébauchées, de leurs puérilités ravissantes, il compose une idylle céleste, teinte des couleurs de l’aube et de l’innocence. Des sons confus qui bruissent sur leurs lèvres, il fait une mélodie délicieuse. Il écoute germer leurs idées naissantes, comme l’homme du conte écoute pousser les brins d’herbe. Ce que disent ces petites âmes, encore enfermées dans les limbes, il l’entend et il le répète. On voit poindre sous sa plume les vagues lueurs de leur esprit comme les étoiles percent, sous le doigt qui les cherche, dans l’ombre du ciel. Il n’y a que les enchanteurs pour comprendre ainsi les gazouillements des oiseaux. Les miracles de l’infiniment petit se révèlent à ce regard profond, penché sur un microcosme enfantin. Un vol d’hirondelle, une visite d’abeille entrant dans la chambre, un insecte qui la traverse, un livre à images déchiré par ces ongles roses avec la furie ingénue de becs folâtres émiettant des feuilles, ce sont autant d’événements et d’émerveillements. Cette poésie de l’enfance, ce sentiment pénétrant de ses grâces et de ses candeurs, a toujours été un des admirables dons de Victor Hugo ; il l’a conservé dans toute sa fraîcheur. L’âge n’a fait que le développer et que l’attendrir ; après la tendresse du père, l’amour de l’aïeul s’est mêlé à la divination du poète. Le chêne frappé par la foudre ne berce et n’entend que mieux les nids qui lui restent. ... Les récits de guerre sont incomparables. Aucun poète ne manie plus grandement l’épée que Victor Hugo. On peut dire que la prise de Dol, l’attaque et la prise de la Tourgue sont des faits d’armes de style. La précision du plan s’y mêle à une couleur prodigieuse ; c’est exact comme un bulletin militaire, et c’est héroïque comme un chant d’Iliade. « Guerre de géants » disait Napoléon de la Vendée insurgée. Cette guerre a enfin trouvé un poème à sa taille dans ce roman, vivant comme une chronique, pathétique comme un drame, grandiose comme une épopée. C’est la Révolution élevée au style souverain et à l’idéal visionnaire des Légendes des siècles. Le génie de Victor Hugo s’y montre pacifique et sage, comme le chœur des tragédies grecques. Il intervient dans la plus redoutable époque de l’histoire, non pour irriter, mais pour concilier ses discordes. Il ne descend pas, comme Dante, dans l’Enfer, pour attiser ses haines et ses flammes, mais pour les éteindre avec ces « larmes des choses » lacrymæ rerum, dont parle Virgile. Il inscrit sa pensée sur la « Cité dolente » de 93 ; et c’est une pensée de clémence, de paix et d’espoir. La pitié humaine, antérieure et supérieure à tous les partis, plane sur les furieuses passions qu’il nous montre aux prises, et, dans cette région sublime, les ennemis se rencontrent, les acharnements font trêve, les antagonismes s’accordent. Trois enfants en détresse remuent les entrailles de la guerre civile, poussent une armée à l’assaut et un proscripteur à la mort. Je ne sais pas de conception plus haute et plus touchante à la fois que celle de ce berceau jeté sur un monde en fureur qui s’y brise, comme au mystérieux grain de sable sur lequel Dieu arrête l’Océan. Paul de Saint-Victor a rendu justice à l’impartialité de Victor Hugo ; cette impartialité n’a pu trouver grâce devant M. de Lescure, héritier d’un grand nom que le poète a glorifié en passant et qui le remercie par les deux articles suivants dont nous donnons les principaux extraits, c’est-à-dire les plus injurieux : La Presse. M. de Lescure. Voici un livre qui n’est pas un chef-d’œuvre, signé d’un nom qui, après avoir été justement célèbre, est tombé au-dessous de sa gloire et semble se contenter de n’être plus que fameux. Nous venons de le lire la plume à la main, avec le sincère désir de le trouver très beau, mêlé de la crainte de le trouver plus mauvais qu’il n’est en réalité. Nous voici, après l’avoir lu, désabusé de notre illusion, mais en même temps guéri de nos alarmes. Le nouvel ouvrage de M. Victor Hugo n’est ni meilleur ni pire que les précédents. Il appartient à cette veine de décadence, que s’obstine à fouiller, au grand regret de ses anciens admirateurs, la vieillesse d’un homme de génie, qui, à force de chercher la popularité et pour en être plus sûre sans doute, dans un pays où ce qui est supérieur ne plaît qu’à l’élite, s’est condamnée à n’avoir plus que des restes de talent accommodés au goût du jour. Le goût du jour, c’est ce qui caresse la fibre révolutionnaire, plus complaisante encore chez nous que la fibre nationale. (1er mars.) ... Dans le moindre détail de ce livre-manifeste, au titre choisi comme un appât pour les uns, comme un défi contre les autres : Quatrevingt-treize ; dans les moindres discours prêtés à son héros favori, à celui dans lequel il se personnifie et s’admire lui-même, on sent passer le souffle de ce démon révolutionnaire dont le poète accepte aujourd’hui l’inspiration ; on voit flotter au vent ce drapeau de la revendication sociale dont il s’est fait le pontife, ce drapeau, qui n’est ni le drapeau blanc, certes, ni le drapeau tricolore, qui du moins est déplié et arboré de façon qu’on n’en voit plus que le rouge. Il serait curieux de comparer le livre déjà ancien de M. Jules Simon, philosophe de la Révolution : La Politique radicale, avec le livre récent de M. Victor Hugo, poète de la Révolution, mais cette comparaison nous mènerait trop loin, elle pourrait faire croire à l’auteur de Quatrevingt-treize qu’il n’a rien inventé. Journal des Débats. Amédée Achard. Quatrevingt-treize est plus qu’un titre, c’est une profession de foi, presque une enseigne. On voit l’œuvre dans le nom de baptême comme on voit un abîme dans un éclair. ... Est-ce un roman, est-ce un poème, est-ce un pamphlet, est-ce un livre d’histoire ? Je ne sais ; il y a un peu de tout. Le lien qui en relie les différentes parties vous échappe, à moins que ce ne soit la haine de la monarchie qui a fait la France et l’amour de la Terreur qui l’a défaite. On pourrait le comparer à ces galeries où des mains prodigues plus qu’intelligentes ont entassé sans ordre et sans règle des aquarelles et de grandes toiles, des eaux-fortes et des fusains, des pastels et des peintures sur cuivre, des paysages et des batailles, des ébauches et des miniatures, un portrait de Rembrandt et un croquis de Salvator Rosa, un tableau de l’école flamande et une esquisse de l’école florentine, un Corrège avant un Van Ostade, un Albert Durer à côté d’un Murillo. Cela produit l’effet d’un kaléidoscope éclatant, mais confus. ... Il serait puéril d’ajouter que dans ce livre, signé d’un nom illustre entre les plus glorieux, des chapitres vous emportent par leur flamme, leur mouvement, leur éloquence. Que de pages abondent, qui sont des enchantements de grâce, de poésie, de fraîcheur ! Que de paysages enlevés d’une plume ailée où brille et rayonne un sentiment exquis de la nature ! Que de tableaux où la vie palpite, où l’émotion vous prend à la gorge, où la pitié vous gagne, la pitié ou la terreur ! ... Une pensée ample, large, claire, profonde se présente-t-elle ? M. Victor Hugo se garde bien de l’exposer avec cette sobriété magistrale qui en double la force. Il part, il s’emporte, et le voilà qui piaffe et caracole autour de sa pensée. Il y revient, il la retourne, il la délaie, il se sert de sa plume comme un virtuose de son archet ; les comparaisons, les images accourent, les antithèses se suivent à la file. Les variations continuent et l’idée se noie dans une avalanche de mots. ... Une chose est à remarquer, du reste, à mesure qu’on avance dans cette lecture : c’est la tendance de plus en plus accusée de M. Victor Hugo de donner une âme, une pensée aux choses inanimées, une forme, une physionomie, en quelque sorte des organes aux choses de l’esprit ; il arrive ainsi à matérialiser l’idéal, à idéaliser la matière... c’est l’introduction violente du panthéisme dans la phrase. ... Le livre est terrible, on pourrait dire néfaste. C’est encore un de ces livres faits, et l’on sait s’ils abondent, pour égarer la conscience publique, pour la tromper et la perdre. Il porte ce titre : Quatrevingt-treize. C’est en effet la glorification, plus encore, l’apothéose de 93. La philosophie de Quatrevingt-treize. Réponse aux détracteurs. E. Telle. ... L’humanité est au-dessus de tous les partis. Voilà la pensée-mère. Thiers avait à peine entrevu la Révolution française. Lamartine en avait fait un roman sans valeur historique et divinisé l’ange de l’assassinat. Louis Blanc l’avait placée tout entière dans la Montagne. Hamel l’avait seulement imaginée dans le cerveau de Robespierre ou de Saint-Just. Les positivistes religieux l’avaient fait tenir dans l’âme de Danton. D’autres, amants dévoués, jusqu’à mourir pour elle, mais ceux-là sérieux et convaincus, l’avaient vue dans l’œil profond de Marat, et dans les grandes joies ou les grandes colères du Père Duchesne. Michelet l’avait montrée dans l’âme du peuple. Tous avaient été plus ou moins Girondins, Jacobins, Robespierristes, Hébertistes ou éclectiques. Tous avaient eu leur homme nécessaire, leur culte, leur ange, leur Dieu, leur secte, leur parti, leur personnification populaire. Vous, Hugo, vous avez placé la Révolution dans l’âme même de l’humanité, comme dans un refuge indestructible. Vous avez élevé le fond de l’âme humaine au-dessus de tous les partis, vous lui avez dressé un sanctuaire sacré en dehors de la portée du sang ; vous avez immortalisé la Révolution par l’amour. Voilà pourquoi vous en êtes devenu le philosophe. Voilà pourquoi vous la ferez aimer, même par le monde des partis, des préventions et des préjugés. Quatrevingt-treize est le roman, le poème, le drame et l’épopée, l’histoire du cœur humain, non pas plein de ses passions mesquines, secondaires et égoïstes, qui tiennent souvent trop de place dans son évolution, mais rempli ou inondé spontanément par cet amour désintéressé qui s’élève en lui comme une voix intérieure, comme le cri de la conscience au milieu des grandes débâcles, des colères implacables de la guerre civile, en face du peloton d’exécution, des monstruosités d’une lutte sans pitié ; par cet amour pur et désintéressé pour l’enfant, pour la femme, pour le vieillard ; de la force pour la faiblesse, du vainqueur, même pour un ennemi abattu, par pur esprit d’humanité. ... Quatrevingt-treize est une leçon laissée par Victor Hugo aux générations futures. Certains esprits faux lui ont déjà reproché d’avoir trop peu fait d’histoire ; quelques autres, d’en avoir beaucoup trop fait. Quelle contradiction ! La vérité, c’est que vous trouvez que l’auteur a trop éclairé le fond des choses ; la preuve, c’est qu’en plein Journal des Débats, à la date du 8 mars, sous la signature : Amédée Achard, vous lui reprochez d’avoir fait une profession de foi politique. Et vous allez jusqu’à dire que le lien de l’œuvre est sans doute l’amour de la Terreur. Vous ne l’avez donc pas approfondie, et vous osez la juger quand même. Mais je n’ai qu’à vous prendre dans vos propres inconséquences : et cette mère ! et l’adoption de ces trois enfants sauvés par un vendéen au milieu même de la lutte ! et ce Lantenac, ce chef vendéen, sauvé son tour par un révolutionnaire ! Et tout cela, qui forme le nœud même de l’action, c’est l’amour de la Terreur, de l’échafaud, de la guerre civile ! Allons donc, cela n’a qu’un nom : c’est de l’humanité. Mais ce qui vous trahit, c’est ce passage : «Au travers de ce duel farouche, — on se sert volontiers des expressions favorites de M. Victor Hugo, quand on vient de le lire, — errent une femme et trois enfants. — La mère a été fusillée — par les Vendéens naturellement : avec M. Victor Hugo, on ne se douterait pas que les Républicains aient jamais fusillé. » Là est le défaut de la cuirasse : ce que vous reprochez à l’auteur de Quatrevingt-treize, c’est d’avoir rappelé aux générations futures le cri de la Vendée : Point de quartier ! et d’avoir montré que celle-ci avait été effectivement sans pitié. Les Vendéens n’ont jamais fusillé, n’est-ce pas ? Et comment avez-vous osé hasarder cette critique, quand vous dites d’abord que Victor Hugo a peint les deux partis avec leurs haines implacables, et que vous constatez après que l’auteur montre le marquis de Lantenac, vaincu par la pitié, qui rentre dans l’incendie et sauve les trois petits enfants pris dans un tourbillon de flammes. Est-ce là charger quand même la Vendée, noircir le tableau au profit de l’un ou de l’autre des groupes ? Dans toutes les langues, on appelle cela de l’impartialité, mais c’est cette impartialité qui vous blesse, cette vérité qui vous écrase ! Vous eussiez sans doute voulu que la Vendée eut été laissée dans l’ombre, afin qu’on ne vît pas trop ce qu’elle avait été. Mais vous comptiez sans le châtiment de l’auteur, je veux dire sans sa justice. Le juge s’est mis entre les deux partis : et vous aurez beau faire, votre jugement sera, en somme, sa justification, et se réduira au reproche que vous lui faites d’avoir, avec son style, mis dans son œuvre des âmes partout, et idéalité la matière, selon votre expression, force de génie et de cœur. Le National. Théodore de Banville. 2 mars 1874. Toute l’Europe connaît déjà le nouveau livre de Victor Hugo : Quatrevingt-treize, et l’impression produite par ce chef-d’œuvre est immense. Comme un Titien, comme un Michel-Ange, Victor Hugo en entrant dans la vieillesse a pu garder tout entière la faculté créatrice ; les jours se sont ajoutés aux jours en rendant sans cesse plus agile et plus robuste la main du puissant ouvrier. Les temps futurs appartenant d’avance au bien, la cruauté déclarée stérile, et l’amour reconnu tout puissant, telle est en somme et absolument l’idée générale du livre dont nous ne connaissons encore que le Premier Récit intitulé la Guerre civile. Cette conclusion est magnifiquement développée dans la conversation que tiennent ensemble Gauvain et Cimourdain pendant la nuit suprême qui précède la matinée où Gauvain, commandant la colonne d’expédition, va être guillotiné par ordre de Cimourdain, délégué du Comité de salut public. ... Cependant le soleil se lève ! la hideuse machine est dressée, et le patient paraît. Toute l’armée frénétiquement demande grâce pour le commandant, qui n’est coupable que d’avoir fait évader un ennemi capturé pour avoir arraché des enfants à la mort ; mais le délégué crie d’une voix inexorable : « Force à la loi. » Le bourreau fait son office, et, au moment où la tête de Gauvain tombe dans le panier, Cimourdain prend un de ses pistolets et se traverse le cœur d’une balle. « Un flot de sang lui sortit de la bouche, il tomba mort. Et ces deux âmes, sœurs tragiques, s’envolèrent ensemble, l’ombre de l’une mêlée à la lumière de l’autre. » En lisant cette phrase magique qui termine le Premier Récit de Quatrevingt-treize, ne croit-on pas voir un de ces grands et magnifiques dessins où Prud’hon fait traverser l’azur par de grandes déesses guerrières s’enfuyant dans un vol radieux vers l’invincible clarté ? Et on pense à Prud’hon aussi en admirant, en regardant ces trois enfants adorables, René-Jean, Gros-Alain et la blonde Georgette, qui sont les seuls héros du livre ; mais dire que Victor Hugo est un grand peintre, c’est dire de lui bien peu de chose, car la poésie contient en elle tous les autres arts. C’est par une pensée profonde, c’est par un bon sens lumineux que le poète a choisi pour seuls héros ces petits enfants, car, dans le grand âge de Quatrevingt-treize où tous comprenaient que la patrie et l’humanité ne pouvaient être sauvées que dans un flot de sang, quelles existences furent vraiment précieuses, si ce n’est celles des enfants innocents qui devaient vivre plus tard ? C’est ce qui fait la grandeur de ce temps horrible, furieux, et en même temps sublime et épique, et c’est ce qui, d’avance, le livrait à un poète d’épopée, qu’à ce moment unique dans l’histoire de l’humanité, tout le monde fît bon marché de sa vie, voulut bien mourir. Et si les têtes qui furent alors les plus coupables et les plus justement condamnées nous apparaissent belles de jeunesse et d’héroïsme, c’est que d’elles-mêmes elles s’offrirent avec une sombre joie au baiser de la mort. Et en vrai poète qui de haut voit tout et domine, Victor Hugo a tenu entre tous la balance égale. Dans son livre qu’anime le souffle sévère de l’Histoire, celui-ci dont le seigneur a tenaillé, martyrisé, envoyé aux galères le père et les parents, combat pour son seigneur ; cet autre, que son Dieu et son roi semblent abandonner, combat pour son Dieu et son roi ; celui-là, à qui demain la patrie demandera sa tête pour la jeter dans le panier, combat pour sa patrie avec une fièvre de tendresse et d’amour. D’intérêts, il n’y en a nulle part ; il n’y a que des dévouements. Ni dans les rangs des Bretons royalistes, ni dans les rangs des bleus, on ne trouvera le Chrysale qui dit : « Ma guenille m’est chère ! » Il n’y a personne à qui sa guenille soit chère, et chacun la jette joyeusement, fiévreusement sur la pointe du sabre, entre les dents de l’incendie et sous les lourdes roues du canon. Il est vrai que le poète semble avoir fait une exception pour, ou plutôt contre ce grand marquis de Lantenac, prince breton, envoyé des princes, âme de l’insurrection, qui, condamné à mort, se laisse sauver par son ennemi, par son neveu Gauvain, et qui pourtant doit bien penser qu’après l’avoir fait évader Gauvain mourra à sa place. Mais c’est ici le cas de nous souvenir que l’épisode de Quatrevingt-treize, intitulé La Guerre civile, n’est que le premier récit d’une épopée qui en contiendra trois. Lantenac, que nous avons vu grand comme un dieu, dans cette barque où, abandonné en pleine mer, entre des écueils et la croisière française, à la merci de Halmalo dont il a fait fusiller le frère, il n’avait qu’à dire à ce paysan : « Je suis ton seigneur » ; et où il ne lui parle que de l’intérêt de la patrie et du sort de son âme, Lantenac, dis-je, ne peut fuir par une lâcheté, et il ne peut se contenter de faire claquer ses doigts, comme Célimène, en quittant Alceste, fait dédaigneusement évoluer son éventail. La République alors n’a vu de lâches, ni parmi ceux qui combattaient pour elle, ni parmi ceux qui combattaient contre elle ; et pourquoi aurait-il voulu d’une vie souillée, ce prince breton qui, à l’heure où il aurait paru devant Dieu, pouvait lui montrer ses mains brûlées en arrachant trois petits enfants à l’incendie ? Donc, excepté cette énigme, dont les récits qui doivent suivre nous donneront le mot, le poète a été pour tous généreux et miséricordieux, c’est-à-dire juste. Ennemi né de toute persécution, il n’a voulu proscrire ni les royalistes, ni les républicains, et il a laissé à ceux-ci la grandeur de leur fanatisme, à ceux-là la noblesse de leur dévouement à la patrie. ... Dans un livre de Victor Hugo tout prend une vie durable, toutes les figures grandies et généralisées par la puissance du génie deviennent allégoriques et expriment, caractérisées par un trait immortel, une des faces de l’humanité. Ce ne sera pas un des moindres étonnements de l’avenir que l’universalité de ce poète épique comme aux premiers âges, tragique comme un Eschyle, lyrique comme un Pindare, et qui, aussi bien que les orages de l’âme humaine et que la mêlée furieuse des batailles, sait prendre la sérénité des paysages silencieux et la caresse de la lumière sur une fleur mouillée de rosée. Nos fils nous envieront le bonheur d’avoir vu et connu ce grand homme vivant lorsqu’ils chercheront à se figurer le colosse qui fit l’œuvre d’où sont sorties toute la poésie et toute la littérature de ce siècle, car parmi les hommes qui écrivent aujourd’hui il n’en est pas un qui ne doive à Victor Hugo son initiation artistique et l’outil dont il se sert. Alors, pour comprendre les attaques dont il a été l’objet, il faudra qu’on se rappelle que le divin Shakespeare a été longtemps appelé un sauvage ivre ; car les hommes médiocres ne peuvent pardonner à un contemporain l’éclatante supériorité de son génie. Victor Hugo ne saurait avoir de juges dans une génération où tous les écrivains sont des écoliers et élèves de lui ; il y aurait presque autant de fatuité à le louer qu’à le critiquer, et je pense que le plus sage est de l’admirer naïvement, comme Boileau admirait Molière et La Fontaine. Quatrevingt-treize. — Paris, Michel Lévy frères, éditeurs, rue Auber, no 3, et boulevard des Italiens, no 15, à la Librairie nouvelle (imprimerie J. Claye), 1874, trois volumes in-8o, couverture imprimée. Édition originale, publiée à 18 francs les trois volumes. Quatrevingt-treize. — Premier récit. La Guerre civile. — Paris, Michel Lévy frères, éditeurs, rue Auber, no 3, et boulevard des Italiens, no 15, à la Librairie nouvelle (imprimerie J. Claye), 1874, deux volumes in-18, couverture imprimée. Première édition in-18, publiée à 7 francs les deux volumes. Quatrevingt-treize. — Paris, Eugène Hugues, éditeur, rue du Hazard-Richelieu, no 8 (imprimerie J. Claye), s. d. (1876), grand in-8o, couverture illustrée. Première édition illustrée. A paru d’abord en 60 livraisons à 10 centimes, l’ouvrage complet, 6 francs. Quatrevingt-treize. — Edition définitive. Roman xiv. — Paris, J. Hetzel et Cie, rue Jacob, no 18, A. Quantin et Cie, rue Saint-Benoît, no 7 (imprimerie A. Quantin), 1880, in-8o, couverture imprimée. Prix : 7 francs. Quatrevingt-treize. — Petite édition définitive. Hetzel-Quantin, deux volumes in-16 (s. d.), à 2 francs le volume. Quatrevingt-treize. — Édition nationale, Roman xiv. Paris, librairie de l’Édition nationale, Emile Testard, éditeur, rue de Condé, no 18 (typographie Chamerot et Renouard), 1892, cinq compositions hors texte, in-4o, couverture imprimée. Prix : 30 francs. Quatrevingt-treize. — Paris, Lemerre, éditeur, passage Choiseul, no 23-33 (imprimerie A. Lemerre, rue des Bergers, no 6), 2 volumes in-12. Prix : 6 francs le volume. Quatrevingt-treize. — Édition à 25 centimes le volume. Paris, Jules Rouff et Cie, rue de la Vrillière, no 43, 7 volumes in-32. Quatrevingt-treize. — Edition collective, Paris, E. Flammarion, éditeur, rue Racine, no 26 (imprimerie Lahure, rue de Fleurus, no 9), 1913, in-18. Prix : 3 fr. 50. Quatrevingt-treize. — Collection Nelson, Roman xi. Paris, Nelson, éditeurs, rue Saint-Jacques, no 189, et à Londres, Édimbourg et New-York, 1913. Prix : 1 fr. 25 le volume. Quatrevingt-treize. — Edition de l’Imprimerie Nationale, Paris, Paul Ollendorff, éditeur, chaussée d’Antin, no 50, grand in-8o illustré. 1924. 1874. 22 mars. Paris à l’eau-forte. — Huit eaux-fortes originales de Frédéric Régamey : En mer. — Le marquis de Lantenac. — Danton, Marat et Robespierre. — Le commandant Gauvain. — La Mère. Michelle Flécharde. — Le William Shakespeare. (Note de l’éditeur.) Les Travailleurs de la mer Historique de l’Homme qui rit. Deux volumes reliés, in-4° ; 1866. Librairie du Figaro. Imprimerie Ch. Lahure. Au verso des quatre signets, des vers de la Légende des siècles. Victor Hugo a utilisé ce nom de Fléchard. Ce détail a été utilisé par Victor Hugo. Ce dernier détail est reproduit page 161. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice. L’édition originale a trois volumes. Voir la représentation de ce dessin p. 107.
Le dernier des Trencavels 3 Reboul Henri.djvu/151
{{nr|142|LE DERNIER|}}murmure ; le sentier descend ensuite lentement jusqu’au fond de l’abîme, auprès des cascades bruyantes et des flots écumeux qu’il faut franchir, pour passer à l’autre rive, sur un pont rustique formé de tiges de sapin mal ajustées. Après avoir marché pendant deux heures dans ce défilé, Foulques vit tout-à-coup les parois de la montagne s’écarter, et le Gave, suspendant la vitesse de ses eaux, pénétrer dans un vaste bassin dont le sol inégal, entremêlé de plaines et de coteaux, de prairies et de vergers, est bordé d’une enceinte de hautes collines émaillées par les teintes diverses de la verdure des pâturages et de celle des forêts. De nombreux villages sont parsemés sur ces pelouses inclinées. Quelques masses de rochers isolés s’élèvent du fond du bassin ; elles montrent au-dessus des touffes d’arbres leurs plate-formes bordées de murailles crénelées et dominées par des châteaux hérissés de tours. Vers le couchant, une immense forêt se prolonge en {{tiret|amphithéâ|tre}} <references/>
Histoire artistique des ordres mendiants/Deuxième leçon
Louis Gillet Histoire artistique des ordres mendiants 1912 (p. PIII-62). bookHistoire artistique des ordres mendiantsLouis Gillet1912ParisVGillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvuGillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/11PIII-62 PLANCHE III ÉGLISE DES JACOBINS, À TOULOUSE Voir p. 57. Vaisseau à deux nefs, séparées par une file de sept piliers. Les fenêtres ont été murées sous la Révolution. Aujourd’hui, chapelle du lycée. Cliché des Monuments Historiques. Les stigmates de saint François et la basilique d’Assise. — I. La question de la Règle : la Pauvreté franciscaine. Comment les Mendiants furent amenés à construire. — II. La basilique d’Assise. L’architecte. Les trois églises, — III. Caractères généraux de l’architecture des Mendiants. Cette architecture est du gothique modifié. Sa valeur artistique et son sens religieux. — IV. Quelques variétés de ce style en Europe. Les Jacobins de Toulouse. Individualité des églises des Mendiants. Les chaires et les tombeaux. Saint François d’Assise mourut à Sainte-Marie-des-Anges, dans la soirée du 3 octobre 1226. Ce soir-là, Assise illumina. « Nous aurons ses reliques ! » répétait la foule en délire. Et tandis que les frères, dans la cabane de la Portioncule, gémissaient et veillaient autour du lit funèbre, toute la nuit, là-haut, se passa en réjouissances sauvages. Comprenons qu’au XIIIe siècle, un saint en vie est moins que le saint enterré. Le mort est à l’abri des rechutes, des hasards. Ce qui vit échappe sans cesse. La relique est un gage, une hypothèque sur la volonté du défunt. Pour une cité, rien ne valait un de ces talismans. Quand sainte Élisabeth mourut à la Marbourg, le peuple se rua sur sa dépouille fraîche : ses oreilles furent arrachées, des femmes lui coupèrent l’extrémité des seins. Ce carnage était de l’amour. Un fait rendit Assise encore plus jalouse de garder saint François. Je laisse la parole à Élie de Cortone, vicaire général de l’ordre, qui porta la nouvelle à la connaissance des frères. Après une page ou deux d’oraison funèbre et de regrets, le ton change brusquement et l’auteur s’exprime en ces termes : « Et maintenant, mes frères, je vous annonce une grande joie et une merveille. Depuis l’origine du monde, on n’a pas vu un pareil signe, excepté chez le fils de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Peu de temps avant sa mort, notre frère et père est apparu crucifié, portant imprimées dans sa chair cinq plaies qui sont vraiment les stigmates du Christ. Il avait aux mains et aux pieds comme des pointes de clous, qui traversaient de part en part et qui étaient mobiles dans leurs quatre cicatrices, d’aspect noirâtre et toutes pareilles à de véritables clous ; son côté était perforé d’un trou de lance, qui souvent suppurait du sang. » Élie ajoute que le mort devint tout de suite très beau, que ses membres contractés recouvrèrent leur souplesse, et il conclut : « Bénissons donc, mes frères, le Dieu du ciel ! Confessez-le bien haut, puisqu’il a daigné opérer parmi nous sa miséricorde : et conservez pieusement la mémoire de notre père et frère François, à l’honneur et gloire de Celui qui le magnifie entre les hommes et qui le glorifie à la face même des anges. » L’effet de cette lettre fut extraordinaire. Le prodige de l’Alverne mettait saint François au-dessus de tous les fils des hommes. Il apparut dès lors comme une créature à part, investie par une grâce spéciale d’un privilège unique. Seul de tous les saints, il avait reçu les marques ineffables, le seing ou le sceau même du Christ : il était devenu un second exemplaire, un double de Jésus. La canonisation n’était plus qu’une formalité. Elle fut prononcée moins de deux ans après la mort. La proclamation eut lieu à Assise, le 16 juillet 1228. Le lendemain, 17 juillet, le pape posait la première pierre de la basilique qui devait conserver les restes de saint François. Je vous parlerai dans un moment de la construction elle-même, et nous passerons en revue quelques-unes des principales églises des Mendiants, en Italie et dans le reste de l’Europe. Mais avant de nous demander ce que les nouveaux ordres, tant Mineurs que Prêcheurs, ajoutèrent au domaine de l’architecture, comment ils la comprirent, comment ils la traitèrent, il faut vous dire quelques mots d’une question essentielle, la première que les frères trouvèrent à résoudre, et dont la solution n’alla pas dans chaque ordre sans de graves difficultés : à savoir, comment on pourrait concilier la nature de l’art et la doctrine de la pauvreté. Bâtir est un luxe. On ne fait rien pour rien. L’argent est le nerf de la construction. Pour amasser les fonds nécessaires aux frais de la basilique, des collectes furent organisées par Élie parmi les frères de la chrétienté ; un tronc de marbre fut disposé pour recueillir les offrandes sur l’emplacement choisi pour la future église et le couvent qui devait lui être annexé. Ces mesures soulevèrent, chez une partie des frères, un mécontentement profond. Des compagnons de François, de ses disciples de la première heure, beaucoup vivaient encore ; ces vétérans de l’ordre conservaient la liberté d’allures, l’esprit tout spontané de la première société franciscaine. Leur petite coterie avait peine à se faire aux mœurs et aux idées de la majorité nouvelle. Ils ne se gênaient pas pour critiquer hautement la conduite d’Élie, ses habitudes de faste, ses visées de grandeur mondaine, ses manières de dictateur. De la Portioncule ou des hauteurs de Pérouse, ils regardaient monter avec indignation les murailles sacrilèges. Chaque pierre était un affront à l’esprit du Poverello. Parmi les mécontents, se trouvait frère Léon, le disciple bien-aimé, celui que le maître appelait son « petit agneau du bon Dieu ». Un jour, le mouton se fâcha, il fit sauter le tronc. Élie, furieux, n’eut pas honte de le faire bâtonner. Égide, le mystique, gardait mieux son sang-froid, mais il avait des mots amers, une ironie redoutable. On lui faisait visiter les nouveaux locaux conventuels : il paraissait tout approuver. Quand il eut terminé sa ronde : « À la bonne heure ! Rien n’y manque. Et bientôt, nous aurons des femmes ? » Tel fut le germe de divisions qui allaient longtemps agiter l’Institut d’Assise, et devenir pour lui une cause de difficultés parfois aiguës. La querelle ne prit fin qu’au bout d’un siècle, sur le bûcher. Et pourtant, on ne peut le nier : au point de vue absolu, au point de vue des intentions évidentes du fondateur et de sa volonté mille fois déclarée, c’étaient les réfractaires qui avaient la raison pour eux. Avec quelle force le maître n’avait-il pas interdit les grandes constructions ! Quelle n’était pas son horreur pour tout contact avec l’argent ! Et saint Dominique n’était pas, sur l’article de la pauvreté, moins radical que son ami. Lui aussi, il avait senti qu’une Église opulente, des évèques féodaux et des abbés à cheval ne seraient jamais des apôtres bien écoutés de l’Évangile. En même temps que François, à coup sûr en dehors de lui, il avait fait du dépouillement volontaire la base de sa création. Mais c’est dans leur manière de comprendre la pauvreté que se marque la différence des deux tempéraments. Pour l’un, elle est surtout une prédication : c’est un argument de plus, une réponse à l’hérésie ou une arme contre elle. Pour l’autre, elle est l’objet d’un choix passionné et des plus intimes préférences. Saint François, cet ancien viveur, cet ex-roi de la jeunesse dorée, ce ravissant enfant gâté du monde et de la fortune, avait soudain compris, un jour, à vingt-cinq ans, que le seul obstacle au bonheur, à la fraternité, réside dans la propriété, si petite qu’elle soit : elle seule enlaidit et rétrécit la vie, nous tourmente, nous travaille, nous empoisonne d’inquiétudes, de convoitises et d’envie. Et pour quoi faire ? Les vrais biens, les seuls nécessaires, l’air, la lumière, la santé, la patrie, la grâce des horizons, sont ceux qui ne coûtent rien : ils sont à tout le monde et n’appartiennent à personne. Quel artiste, pour jouir d’une belle chose, a besoin qu’elle soit à lui ? Lequel, en présence d’un chef-d’œuvre, échangerait sa pure émotion esthétique contre la satisfaction du philistin qui la possède ? La vraie richesse est celle du cœur, tout le reste est du superflu. Il y a plus. Le renoncement, dans la doctrine franciscaine, est une philosophie, une tendre religion. La morale de la pauvreté est la morale de l’amour. Avouons-le : avec nos idées de confort et de bien-être, quel gaspillage, quel massacre nous faisons de la vie ! Quel gâchis des choses précieuses ! La crainte de profaner, d’abuser, de détruire ; l’économie, la précaution, le respect du don divin dans les moindres créatures, formaient la plus utile des leçons : elles enseignaient le prix incomparable de l’existence, en relevaient à l’infini la valeur et la dignité. Le saint, le fou d’amour, qui ne se passait de tout que pour mieux tout chérir ; celui qui de ses doigts délicats transportait le vermisseau sur le bord du chemin, afin qu’il ne courût pas le risque d’être broyé ; celui qui délivrait le lièvre pris au collet et l’instruisait fraternellement à ne plus se faire prendre ; qui, en se lavant les mains, prenait soin que les gouttes rejaillissent à terre de façon que leur pureté n’en reçût pas de souillure ; qui laissait son manteau brûler pour ne pas souffler une étincelle, et qui jamais sans regret ne put voir une lumière s’éteindre, — celui-là faisait mieux que de nous donner la terre : il y ramenait la poésie. Ah ! je comprends le chagrin de ceux qui avaient été les témoins de ces choses, et qui assistaient à leur fin. Les compagnons de Rivo Torto, de Sainte-Marie-des-Anges, pouvaient-ils se résigner à voir s’évanouir l’œuvre de l’enchanteur ? Aujourd’hui encore, l’idylle de la Portioncule parfume ces contrées et répand sur l’Ombrie on ne sait quelle atmosphère qui rappelle la Galilée. Ces petits ermitages des premiers solitaires, leurs misérables huttes de boue et de roseaux, les parcs où ils gîtaient sans même une clôture, entre une haie et un fossé, sont des lieux saints, les lieux où le Père céleste a été approché de plus près. On vit là des spectacles comme il ne s’en était pas vu depuis la multiplication des pains : tel ce chapitre de 1219, célèbre sous le nom du « Chapitre des Nattes », où cinq mille frères de toutes les langues campèrent, pendant l’octave de la Pentecôte, autour de Sainte-Marie-des-Anges. Comme chrétiens, ces gens-là forment l’école du plein air. Qu’on se figure la surprise, quand ils essaimaient deux par deux et qu’on voyait se répandre ces missionnaires en guenilles, avec leurs capuchons, leurs pieds nus, quelques livres dans une sacoche de cuir, presque tous jeunes, joyeux, comme une troupe en vacances, prêchant, pleurant, riant, tels que des chanteurs ambulants et de vrais « jongleurs du bon Dieu » ! Seulement, il y avait dans l’esprit même de saint François quelque ambiguïté sur la nature de son ordre : ou, plus exactement, sa riche pensée comprenait une double tendance. Lequel l’emporterait, l’ascétisme ou l’apostolat, la contemplation ou l’action ? Laquelle devait-on embrasser, l’existence de Marthe ou celle de Marie ? Le mieux était de les unir, mais encore fallait-il prévoir que l’une des deux triompherait. Le jour devait venir où ce délicat équilibre ne se maintiendrait plus. D’autre part, cette gageure presque insensée, ce paradoxe ou ce défi d’une immense société vivant au jour le jour, sans propriété d’aucune sorte, sans ressources ni revenus fixes, en ne comptant pour subsister que sur les chances aléatoires de la charité publique, exposaient les Mendiants à des voisinages dangereux. Les anciens ordres, voués à la contemplation, s’étaient établis à l’écart, dans des solitudes sauvages, des forêts, des montagnes ; ils défrichaient aux alentours et vivaient en commun du produit de leurs terres. Mais les ordres nouveaux, inaptes à posséder, n’ayant ni greniers ni récoltes, semblables aux oiseaux qui ne moissonnent ni ne sèment, étaient bien obligés de se rapprocher des villes : ils s’y trouvaient contraints autant par leur nature active ou semi-active, que par les exigences de leur état de mendiants. Toutes leurs fondations, presque sans exception, sont des fondations urbaines. C’est un des traits qui les caractérisent. C’est leur marque : les Mendiants sont les ordres de la démocratie. Ils expriment à leur manière l’immense mouvement de réorganisation sociale qui groupe les bourgeoisies sous la bannière des Communes. Plus d’une fois on vit les Mendiants marcher à la tête des milices contre les barons et les tyrans. Partout ces ordres populaires épousent la cause populaire. Mais dans ces grands centres, près desquels ils élisaient leur domicile, où ils étaient à même d’agir et de trouver leur vie, n’était-il pas inévitable qu’ils prissent des habitudes sédentaires, et perdissent en partie leurs allures de nomades ? Un compromis devait forcément s’établir entre le dénûment complet et l’état civilisé. François ne s’y résignait pas. L’idée d’une installation le mettait hors de lui. Un toit l’empêchait de dormir. Cet homme de Dieu était un vagabond incorrigible. Il avait le génie du paladin, du chemineau, de l’aventurier. Toute attache lui faisait horreur. Il ne comprenait pas que ses frères ne fussent pas tous faits comme lui. Il faut se représenter la stupeur des bourgeois, surtout dans les pays du Nord, race d’esprit plus rassis, en voyant arriver les gueux de cette école. Les Allemands n’en revenaient pas. À Erfurt, le bourgmestre, à qui l’on dit que ce sont des moines, poliment propose un couvent. Un couvent ! Ces Italiens ne savaient ce que c’était. Une bicoque près de l’eau, pour pouvoir se laver les pieds, c’est tout ce qu’il leur fallait. Ainsi fut fait. Mais il était aisé de prévoir qu’on n’en resterait pas là. Pouvait-on arrêter les dons et les offrandes ? Comment décourager la reconnaissance des fidèles et leur bonne volonté ? Comment refuser la dîme du riche et le denier de la veuve ? Le mouvement était irrésistible. En dépit des défenses et des efforts des fondateurs, en dépit de l’opposition farouche des Spirituels, malgré les décisions, les restrictions et les entraves apportées par la règle à la permission de bâtir, malgré la surveillance et le contrôle des inspecteurs, — les frères suivirent leur destinée : ils grandirent avec le flot qui les portait. Les règlements qui limitaient l’élévation des murs, interdisaient les voûtes, prohibaient les marbres, les statues, les mosaïques, les peintures eurent le sort commun à toutes les lois somptuaires. Il en résulta une infinité de tracasseries, et peu d’effet réel. Partout le législateur se trouva débordé. À la fin du XIIIe siècle, les Prêcheurs prirent le parti de les abroger tout à fait. J’ignore si les Mineurs eurent le même courage, mais pratiquement leurs ordonnances tombèrent en désuétude. Avec plus de tiraillements, d’hésitation de côté et d’autre, eux aussi, ils finirent par « s’adapter ». C’est dommage, dira-t-on peut-être. On regrettera que les Mendiants n’en soient pas demeurés à leur premier état d’entière liberté et de sainte bohême, la bride sur le cou, imprévoyants, charmants, — qu’ils aient subi, en quelque sorte, la domestication sociale. Sans doute, de tous les édifices dont nous allons parler, aucun ne dut être plus agréable à Dieu que cette première chapelle d’Oxford, si humble que le charpentier ne fut qu’un jour à la bâtir : quoi de plus touchant que ces hommes qui s’en vont conquérir le monde avec des jouets d’enfants ? Mais si les Spirituels et les intransigeants eussent triomphé, par impossible, quelle perte, non seulement pour l’art, mais aussi pour le bien ! Quel capital moral, quel trésor de spiritualité représenté par ces églises qu’ils maudissaient ! Quelle foule, à travers les âges, a entendu là les mots divins ! Mieux encore : l’âme des fondateurs n’est pas absente de ces murs qu’ils n’ont pas construits ; leurs églises sont faites, malgré tout, à leur ressemblance. La matière n’a pu opprimer leur esprit : c’est elle qui, au contraire, en a reçu sa forme. Quelque chose d’indestructible, un charme sui generis y flotte ou y subsiste, où se respire encore le génie des deux chefs des tribus mendiantes. La basilique d’Assise fut élevée presque tout entière sous le généralat d’Élie. La dédicace n’eut lieu qu’en 1253, mais le gros œuvre était achevé en 1239, puisqu’à ce moment on monte déjà les cloches. Les travaux ne prirent donc qu’une dizaine d’années. L’exécution ne traîna pas : tout fut mené tambour battant ; l’œuvre, aujourd’hui encore, frappe par son caractère d’ensemble et un aspect de volonté. Qui fut l’auteur du plan ? Vasari parle d’un concours où prirent part les meilleurs architectes du temps et où fut couronné le projet d’un certain Jacques l’Allemand. Traduction : la basilique d’Assise est un ouvrage gothique. Déjà au temps de Vasari, on se figurait que « gothique » était synonyme d’« allemand » ; c’est-à-dire qu’on prenait un qualificatif, d’ailleurs tout arbitraire, pour une marque d’origine. Quant à Jacques, « allemand » ou autre, aucun architecte de ce nom n’a jamais travaillé à la basilique d’Assise : celui-là est sorti de toutes pièces de l’imagination féconde de Vasari. L’auteur de S. Francesco d’Assise est parfaitement connu : il s’appelait Philippe de Campello, et il est mentionné comme « maître de l’œuvre », dans divers documents qui s’échelonnent de 1232 à 1253. Il y a deux ou trois ans, un critique italien, le savant Venturi, a cru devoir proposer une nouvelle attribution. Selon ses conjectures, le véritable auteur serait l’ami de saint François, le mystique Jean de Penna. Mais l’hypothèse est toute gratuite ; elle ne repose que sur un texte qui paraît mal interprété, et sur la confusion de deux personnages contemporains, portant le nom de Jean de Penna. Rien ne prouve que le second, le constructeur d’aqueducs, ait jamais été employé aux travaux de la basilique. Jusqu’à nouvel ordre, nous tiendrons Philippe de Campello pour le seul architecte. A-t-il eu un inspirateur, un collaborateur ? A-t-il obéi à quelqu’un ? Pour M. Sabatier, il n’y a aucun doute : le choix de l’emplacement sur un éperon de roches, au confluent de deux vallées, la silhouette dominatrice, l’autorité de la construction, l’unité du travail, la fierté des idées, tout révèle la résolution et la poigne d’Élie. Il paraît qu’il avait plus d’une corde à son arc. On lui prête des talents d’ingénieur militaire. Il aurait fait plus tard, en Sicile, pour Frédéric II, des travaux d’art et des ouvrages de fortification. Cet homme, le mauvais génie de l’ordre, à en croire les chroniqueurs, le général désarçonné par un pronunciamiento des frères révoltés, aurait donc eu l’honneur d’élever à la gloire du maître le mausolée où reposent ses cendres, et d’où son âme rayonne encore sur le monde. C’est lui qui aurait conçu ce monument d’apothéose. La basilique d’Assise est une église double, c’est-à-dire que, par une circonstance assez rare, elle est formée de deux églises superposées et se chevauchant l’une l’autre. C’est une disposition dont on ne connaît guère qu’un exemple antérieur, au célèbre couvent bénédictin, le Sagro Speco de Subiaco ; la Sainte-Chapelle du Palais, bâtie un peu après Assise, peut vous en donner une idée. Ces deux nefs hardiment juchées sur les reins l’une de l’autre, l’une sombre, surbaissée, pesante, la seconde au contraire toute essor et clarté, ont frappé vivement l’imagination. Selon une tradition, saint François aurait désigné lui-même l’emplacement de son tombeau, en dehors de la ville, dans un endroit désert, lugubre et mal famé, qui servait de terrain d’exécution et de fosse aux criminels : on l’appelait pour cette raison la colline infernale. Mais quand les restes bénis y furent apportés, le roc funeste fut changé en pierre salutaire, et le coteau de l’Enfer devint le coteau du Paradis. Ce n’est pas la seule légende qui avait pris naissance sur la tombe de François. Lors de la translation de ses restes en 1230, sur le chemin de la cathédrale à la nouvelle église, il se produisit un coup de théâtre : le convoi fut attaqué et, dans le tumulte qui suivit, le cercueil disparut. L’histoire est restée très obscure. Tout le monde accusa Élie. Il voulait connaître seul le lieu exact de la sépulture, afin de soustraire les reliques à toute tentative de rapt ou de recherches. Sur ce fond dramatique, la fiction populaire jeta sa riche broderie. Sous les deux églises, disait-on, il en existait une troisième, profonde, mystérieuse, souterraine, dont l’accès n’a été connu que d’un petit nombre d’initiés, qui n’ont jamais parlé. Là, le saint d’Assise demeure, non pas étendu, mais debout, immobile, vivant, baigné d’une lueur surnaturelle, la corde aux reins, les yeux au ciel, dans une perpétuelle extase, saignant éternellement de ses membres stigmatisés. Le mystérieux revenant n’a été visité que de quelques personnes, la dernière fois par Pie V, accompagné de deux cardinaux, qui n’ont pas révélé le secret. En 1818, des fouilles furent exécutées sous le pavé de l’édifice. Le corps du saint fut découvert sous le maître-autel, encastré à cru dans la roche, comme il l’avait voulu, et comme Dante l’avait dit : Nel crudo sasso intra Tevere ed Arno. On se rappela la vieille fable. Pour qu’elle n’eût pas tort, une crypte fut creusée sous l’autel. On réalisa la légende : on eut une poignée d’ossements dans un caveau funèbre, à la place du fantôme ardent qui vivait en silence dans le sanctuaire du cœur. Les deux églises du XIIIe siècle sont fort belles. Orientée contrairement aux habitudes, la basilique présente sa façade au levant, et offre à l’occident les verrières de son chœur. La même composition se répète à chaque étage : croix latine à une seule nef, à quatre croisées d’ogives, avec cette différence que le chœur, en bas, est circulaire et voûté en cul-de-four, tandis que celui d’en haut, plus dégagé, plus svelte, présente un plan hexagonal et est voûté sur branches d’ogives. L’extérieur est très simple, tout uni, presque nu ; en dehors des portes et façades, et exception faite du joli porche de style Renaissance, ajouté par Sixte IV et par où on accède à l’église inférieure, — pas un morceau un peu fleuri, pas un rinceau, pas une corniche ou un tympan sculpté : rien pour rompre et pour égayer la monotonie des grandes lignes. Il est vrai que la situation est par elle-même fort pittoresque et que la basilique, avec son cloître, son campanile, l’imprévu de son port, de ses perspectives et de ses terrasses, se montre sous un angle assez capricieux pour n’avoir pas besoin d’un surcroît de fantaisie et de variété. La nature se chargeait des trois quarts de l’effet. Quant à l’intérieur, toute la force expressive en repose sur un contraste : un même thème est repris sur deux modes divers. En bas, quatre éléments de voûte montés sur des cintres puissants, de larges arcs bandés comme pour soutenir un monde ; ils retombent sur des fûts de piliers engagés, aux demi-cylindres trapus, aux chapiteaux bas, déprimés, comme écrasés ; la lumière rare, incertaine, glisse par des fenêtres parcimonieusement ménagées, à l’air de soupiraux, et d’où filtre un jour fugitif, douteux, crépusculaire. En haut, c’est le même motif, mais comme transfiguré : au lieu de se courber, tout se redresse ; au lieu de ployer, tout monte ; au lieu de la pénombre, la lumière. Une nappe de jour inonde les verrières du chœur, la double rose de la façade et les charmantes lancettes de la nef et des transepts. Les lourds cintres d’en bas se brisent en arcs aigus ; les gros piliers massifs se résolvent en faisceaux de colonnes délicates ; une galerie court à mi-hauteur et s’ajoure au pourtour du chœur en un triforium aux trèfles élégants. Les proportions sont si exactes qu’on les dirait produites par la pression d’une matière élastique, chargée en bas et libre en haut. Ainsi les sensations se doublent mutuellement et la radieuse église ne serait pas tout ce qu’elle est, sans le sourd accompagnement et la basse profonde que l’église inférieure apporte à son concert. C’est à elles deux seulement qu’elles font leur harmonie. Chacune, prise à part, pourrait n’être qu’un morceau médiocre, et il n’en manque pas ailleurs qu’on aurait le droit de leur préférer ; mais c’est leur union et leur intime soudure qui en font un chef-d’œuvre. Ce chef-d’œuvre a-t-il, en outre, une valeur idéale et un sens symbolique ? Faut-il y voir une sorte d’allégorie de pierre, une représentation de l’Église souffrante et de l’Église triomphante, une espèce de diptyque dantesque sur le Purgatoire et le Ciel ? Évidemment, rien ne s’y oppose ; mais on peut affirmer que l’artiste n’y a point songé. Le moyen âge n’a pas pensé partout par hiéroglyphes. Il ne s’agissait pour l’auteur que d’utiliser un terrain particulièrement inégal et de tirer parti de la difficulté même. Mais il l’a fait en grand artiste. La solution qu’il a trouvée, en divisant la question, fait face séparément à toutes les données du problème. L’art s’est borné à obéir aux conditions de la nature et à écouter l’ordre des choses. Cet architecte était un homme qui savait son métier, et qui maniait supérieurement la langue du clair-obscur. Ce monument servit de type pendant un siècle à presque toutes les églises des Mendiants. Partout en Italie, et même en deçà des Alpes, nous verrons se reproduire, à travers les variations d’individus ou de familles, quelques-uns des traits distinctifs de l’église supérieure d’Assise. Avant d’en parcourir ensemble les principales, j’ai besoin de revenir un moment en arrière, et de traiter un point que je n’ai fait qu’indiquer, le réservant pour l’éclaircir à cette place. La basilique d’Assise est un édifice gothique. On a vu de quelle manière fantaisiste Vasari, avec son Allemand, en a expliqué l’existence. Et il est vrai qu’en Italie l’art gothique n’a jamais été qu’un produit exotique. Mais c’est un produit d’origine et d’importation françaises. Personne n’ignore aujourd’hui que c’est en France, — en Île-de-France, — qu’a été inventée cette admirable architecture, cette armature de pierre, cette charpente de piliers, d’ogives et de doubleaux, un des plus beaux systèmes qui aient été conçus, peut-être le plus divers et le plus riche de tous, le plus logique et le plus complet, hormis l’architecture grecque. Cette merveilleuse formule était à peine créée, qu’elle commençait son tour d’Europe. C’était la première fois qu’une pensée française se mettait en chemin : plus d’une autre dans la suite devait faire le voyage. Les moines de Cîteaux furent les agents de cette propagande. On connaît les idées de saint Bernard sur l’art, sa lettre à l’abbé de Saint-Thierry et sa fougueuse sortie contre le luxe des églises. La lui a-t-on assez reprochée ! La vérité est qu’il n’a fait que ramener l’art à la raison. Le style de Cîteaux est remarquable d’austérité. C’est un modèle de goût pur et de pensée châtiée. Les grandes écoles cisterciennes abondent en Italie. Au Midi celles de Fossanova et de Casamari, celle de Chiaravalle près de Milan, celle de S. Galgano en Toscane, qui a donné naissance à la cathédrale de Sienne, sont toutes les aînées ou les contemporaines de la basilique d’Assise. Toute église gothique d’Italie est fille de ces bourguignonnes ou de ces champenoises. Et c’est de là que sortent les églises des Mendiants. Faut-il aller plus loin et dire que saint François, qui nous aimait beaucoup, qui adorait nos poètes et nos romans de la Table ronde, qui faisait des vers en provençal et s’appelait François en l’honneur de la France, avait encore des préférences pour l’architecture française et quelque vague idée de la façon de faire une voûte ogivale ? Pour quelques moellons apportés à des chapelles en ruines, et quelques lézardes bouchées à Saint-Pierre ou à la Portioncule, a-t-on le droit de parler, comme le fait M. Thode, d’un « style personnel » à François et de son « gothique instinctif » ? Saint François, je le crains, en eût ri de bon cœur ! Non, les Mendiants n’ont pas d’architecture à eux : ils prennent la première venue, celle de tout le monde, sans y mettre de prétention, sans faire les difficiles, et en cela se marque leur esprit de pauvreté. Ils n’ont pas derrière eux, comme les Cisterciens, une forte doctrine esthétique, un credo et des lois qu’ils appliquent partout. On voit bien que ce ne sont pas des ordres d’invention française ! Les têtes de chez nous, les partisans de l’alignement, comme Humbert de Romans, le grand général dominicain, se plaignent de la fantaisie et de l’irrégularité dans les constructions. « Autant de maisons, autant de styles » ! Il souhaite un canon, une règle invariable. Autant vaut dire qu’il dénie à son ordre son véritable caractère. Car il se trouve justement que cette spontanéité, cet air de circonstance et même d’occasion sont peut être le plus grand charme des églises nouvelles et leur meilleure chance d’originalité. Nous allons voir comment le type cistercien modifié, altéré, simplifié, remanié un peu au petit bonheur par les moines mendiants, en arrive à une formule extrêmement éloignée de son point de départ, et à des résultats qui n’ont plus en réalité de gothique que le nom. Essayons de nous représenter comment les choses se passent, et de voir un peu les frères à l’œuvre. Voilà une mission qui arrive dans une ville. Elle s’installe dans les faubourgs, dans quelque terrain vague d’un quartier excentrique, près des petites gens, au bout d’une rue populeuse. Parfois, les villes ont grandi, les couvents se trouvent englobés dans les constructions modernes : à Florence, à Venise, les maisons des Mendiants ont l’air aujourd’hui d’être au centre : c’est la périphérie qui a changé de place. Dans les villes qui ont conservé leur physionomie, à Sienne ou à Pérouse, — et il en fut ainsi un jour dans toute l’Europe, — vous êtes sûr de trouver, à un petit quart d’heure de marche en partant de la cathédrale, d’une part un S. Francesco, de l’autre un S. Domenico, chacun à son extrémité de la ville, pour se partager la tâche et ne pas trop se faire concurrence. Une fois ce chemin reconnu, vous êtes orienté : vous avez dans la tête le plan de la ville ancienne et les grandes lignes de sa vie. Les frères se mettent à bâtir. Il est clair que dans chaque endroit les choses vont dépendre des ressources du pays. En général, tout le monde y va de tout son cœur : personne ne refuse à Dieu et aux Frati. À Reggio, en 1233, pour l’église des Prêcheurs, toute la ville s’attelle à la construction. La ferveur est extraordinaire. « C’était à qui viendrait, hommes et femmes, petits et grands, chevaliers ou soldats, bourgeois ou paysans, à qui porterait des pierres, du sable, de la chaux sur son dos, dans des sacs ou des outres de toutes sortes. Et bien heureux celui qui en pouvait porter le plus ! » À Venise, pour les Frari, même émulation, seulement sur une plus grande échelle : un Anguiè donne un pilier, un Giustiniani en donne deux, un Gradenigo en donne quatre. Le condottiere Savello paye les frais des voûtes. Un Viara donne 16.000 ducats pour ériger la tour. À Florence, pour la reconstruction de Sainte-Marie-Nouvelle, la Ville en trois ans vote deux fois 1200 florins d’or ; l’année d’après, mille florins, 500 pour les remparts et 500 pour l’église : les deux allaient de pair, la défense et la piété, comme également nationales et pareillement patriotiques. Le principe est de faire, pour la somme dont on dispose, aussi grand, aussi vite et aussi simple que possible. On ne raffine pas, on ne va pas chercher midi à quatorze heures. « C’étaient, écrit Ruskin, des églises faites pour le service, pas du tout par ostentation, par amour-propre d’auteur ou par vanité de clocher. Des églises où prêcher, où prier, où célébrer, où enterrer, rien de plus : et aucune idée de montrer jusqu’à quelle hauteur l’artiste saurait jeter une tour, ni quelle surface il voûterait d’une voûte prodigieuse. » Des murs de briques, un toit de bois, voilà une formule (et à mon gré la plus heureuse) de l’église des Mendiants. Le problème était celui-ci : faire, sur un espace donné, le maximum d’entrées, et de façon que tous à la fois, et de toutes les places, pussent voir l’officiant à l’autel et le prédicateur en chaire. Il s’agissait de faire une salle assez vaste pour que tout un peuple, un quartier tout au moins d’une ville, pût y tenir à l’aise, assez commode pour que chacun y fût un peu chez soi. Par conséquent, rien d’inutile : aucune espèce d’encombrement, pas de place perdue ; des piliers, s’il y a piliers, aussi minces et aussi rares que possible ; portant les voûtes les moins pesantes qu’il se pourra ; rien d’accessoire, rien de superflu, peu de chapiteaux sculptés, des colonnes sans bases, et en toutes choses la plus grande simplicité de moyens et d’effets. M. Thode déduit parfaitement tout cela. Il classe les églises des Mendiants par provinces, en quatre familles principales, et voici le résumé de sa carte monumentale. (Je rappelle qu’il ne traite que de l’Italie.) — Famille ombrienne et toscane, la plus voisine de l’église mère : nef unique, mais au lieu de voûtes, une simple toiture en charpente. C’est le type des églises de Sienne ou de Pérouse. — Famille vénitienne : trois nefs presque égales en hauteur, et couvertes de voûtes comme la basilique d’Assise. Exemples : les Frari, San Zanipolo à Venise, ou la charmante église dominicaine de Sainte-Anastasie à Vérone. — Famille émilienne (les églises de Bologne et de Padoue) : celle-là est un peu à part, avec son mélange singulier de gothique et de byzantin, et sa combinaison de voûtes et de coupoles. Le Santo de Padoue est le classique du genre. — Enfin la famille lombarde, la moins belle de toutes, un peu bâtarde et amorphe : une église comme celle de Saint-François à Crémone, avec ses quatorze travées (Notre-Dame n’en a que huit) donne vraiment l’impression d’une chose inarticulée, traînante, interminable. Il y a d’ailleurs beaucoup de types intermédiaires, mais l’essentiel est là. Les caractères saillants restent partout les mêmes : dimensions spacieuses, absence de décoration sculptée, grande impression de calme et de vide. Pourquoi le nier ? On voit bien qu’une architecture de ce genre n’a presque plus rien de gothique. Elle n’en conserve que l’apparence et les formes les plus extérieures ; tout ce qui constitue la vie intime de ce style, son sens et sa logique profonde, se dissipe, s’évanouit. De toutes les églises des Mendiants, je ne vois guère que Saint-François de Bologne où le système gothique soit appliqué correctement, sans chaleur ni génie, mais par un élève consciencieux. La basilique d’Assise est la seule où le faisceau de colonnes présente quelque pureté, et où les chapiteaux soient d’un travail soigné. Dans la plupart des cas, c’est l’âme même du gothique qui a été sacrifiée. La valeur de cet art réside dans la structure complexe, dans la subordination des parties, dans la nécessité qui lie tout l’organisme, de la façade au chevet et de l’arc-boutant au pinacle, dans un jeu de forces et de poussées, de charges et de résistances d’où résultent la forme et la nature de tout le détail. Eh bien ! il faut le reconnaître : l’Italie n’y a rien compris. Elle n’en retient que les éléments les plus superficiels. Presque toujours, elle en limite l’usage à la forme mitrée des portes et des fenêtres. Son gothique est un contresens perpétuel, une méconnaissance continue du gothique. Mais qu’importe ? Il est vrai, les Italiens n’ont pas fait du gothique : mais s’ils avaient fait autre chose ? Si leur génie, réfractaire au génie du Nord, avait transformé, adapté, presque sans le vouloir, peut-être sans le savoir, ce qu’il a reçu de nous, pour le recréer selon son humeur indigène ? Il est clair que l’église elle-même d’Assise n’a qu’un déguisement ogival ; c’est déjà du gothique décomposé, dissous, et dont les éléments retournent en une combinaison nouvelle. Si le gothique est un système de poids et de soutiens, où les supports se réduisent aux colonnes et aux nervures, et dont l’idéal est l’amincissement progressif et la suppression des murailles, — l’architecte d’Assise a manifestement fait une œuvre toute différente, où les surfaces pleines l’emportent sur les vides, et où ce sont les murs qui jouent le rôle essentiel. — Si le gothique est un faisceau de forces ascendantes, une façon de jeter en l’air, de diviser et de répartir à l’infini les pesées, l’architecte d’Assise a fait une œuvre, tout italienne, qui impose par ses lignes paisibles et la sérénité des masses. De même que le gothique est un élan vertical, de même l’art italien tend à l’horizontale, comme vers son repos. Je ne comprends pas la colère avec laquelle certains érudits de chez nous parlent de ce malheureux gothique italien. Écoutez plutôt M. Enlart : « L’austérité de l’ordre de Cîteaux n’avait fait qu’épurer l’architecture ; la pauvreté des ordres mendiants sut la rendre misérable. » On dirait que l’Italie a fait quelque chose de déloyal ; on lui reproche une sorte de trahison archéologique. Blasphémerai-je ? Depuis que le moyen âge français est devenu un dogme, c’est presque une impiété que d’avoir des regards pour ce qui n’est pas lui. Je serai donc cet hérétique. N’est-il pas vrai que, chez nos gothiques, il y a souvent, comme dit Burckhardt, quelque abus de l’algèbre et de l’échafaudage ? Ces géomètres enflammés ne se sont-ils pas quelquefois enivrés de leurs équations ? N’y a-t-il pas chez eux un peu de vertige logique ? Je suis sensible autant que personne au charme de nos églises françaises ; j’en admire, tout comme un autre, le porte-à-faux sublime ; on est transporté de ces prodiges d’équilibre et de virtuosité. N’est-il pas permis d’y regretter un peu de scolastique ? C’est une belle chose qu’une fugue de Bach, mais après ces triomphes d’ingéniosité, comme une simple mélodie, un air sans accompagnement, semblent rafraîchissants ! En faut-il tant pour plaire ? Tant de savoir est-il indispensable à la beauté ? Il semble que certains arts, comme certaines musiques, se trouvent dépréciés, un peu discrédités, de ce qu’ils sont produits avec facilité. On dirait que l’effort ajoute au prix de l’art, lui donne plus de mérite et quelque chose de plus moral. « Je ne joue, disait Ingres, que de la musique vertueuse, celle qui a de bonnes mœurs. L’Italienne n’en a que de mauvaises. » Et pourtant, une belle phrase est-elle moins immortelle pour être de Rossini que pour être de Wagner ? Je ne trancherai pas cette question insoluble, mais elle a été parfaitement indiquée, en ce qui concerne l’architecture, par le Parisien Jean Mignot parlant aux Milanais. Les Milanais ne venaient pas à bout de construire leur Dôme. En 1399, ils firent venir ce Mignot, qui examina tout et fit un rapport très sévère. En même temps, il proposait un « corrigé » de l’édifice. Les architectes milanais l’admirèrent, le trouvèrent très fort, et ne le suivirent pas. « Alors, pourquoi m’avoir demandé mon avis ? » s’écria le Français. Les autres dirent ce mot profond : « La science est une chose et l’art en est une autre ». — « L’art, répliqua Mignot, sans la science n’existe pas. » Voilà toute la question, et encore une fois je ne décide point. Si j’osais, je vous dirais que je suis sur cela du sentiment de la Vénitienne. Ce n’était qu’une courtisane, mais elle se connaissait aux choses de l’amour. Jean-Jacques était chez elle et lui faisait des théories ; elle ne comprenait pas où il voulait en venir ; enfin, « Zanetto, lui dit-elle, lascia le donne e studia la matemmatica. » Si vous ne comprenez pas la beauté toute simple, celle qui parle au cœur, ne touchez pas à l’art, faites plutôt des mathématiques. Ce n’est pas là seulement que s’arrêtent les critiques. On accuse ces églises de n’être pas chrétiennes. C’était l’idée de Taine, et vous connaissez la belle page du Voyage en Italie, où il oppose au paganisme foncier des Italiens le mysticisme des races du Nord. Jamais je ne pourrai admettre que les églises de Rome soient chrétiennes... Que de fois, par contraste, j’ai pensé à nos églises gothiques, — Reims, Chartres, Paris, Strasbourg surtout ! J’avais revu Strasbourg trois mois auparavant, et j’avais passé un après-midi seul dans son énorme vaisseau noyé d’ombre. Un jour étrange, une sorte de pourpre ténébreuse et mouvante, mourait dans la noirceur insondable... Comme ces barbares du moyen âge ont senti le contraste des jours et des ombres ! Que de Rembrandt il y a eu parmi les maçons qui ont préparé ces ondoiements mystérieux des ténèbres et des lueurs ! Comme il est vrai de dire que l’art n’est qu’expression, qu’il s’agit avant tout d’avoir une âme, qu’un temple n’est pas un amas de pierres ou une combinaison de formes, mais d’abord et uniquement une religion qui parle ! Cette cathédrale parlait tout entière aux yeux, dès le premier regard, au premier venu, à un pauvre bûcheron des Vosges ou de la Forêt-Noire, demi-brute engourdie et machinale, dont nul raisonnement n’eût pu percer la lourde enveloppe, mais que sa misérable vie au milieu des neiges, sa solitude dans sa chaumine, ses rêves sous les sapins battus par la bise, avaient rempli de sensations et d’instincts que chaque forme et chaque couleur réveillaient ici. Le symbole donne tout du premier coup et fait tout sentir ; il va droit au cœur par les yeux, sans avoir besoin de traverser la raison raisonnante. Un homme n’a pas besoin de culture pour être touché de cette énorme allée avec ses piliers graves régulièrement rangés qui ne se lassent pas de porter cette sublime voûte : il lui suffit d’avoir erré dans les mois d’hiver sous les futaies mornes des montagnes. Il y a un monde ici, un abrégé du grand monde tel que le christianisme le conçoit : ramper, tâtonner des deux mains contre des parois humides dans cette vie ténébreuse, parmi les vacillements de clartés incertaines, parmi les bourdonnements et les chuchotements aigres de la fourmilière humaine, et, pour consolation, apercevoir çà et là, dans les sommets des figures rayonnantes, le manteau d’azur, les yeux divins d’une vierge et d’un petit enfant, le bon Christ tendant ses mains bienfaisantes, pendant qu’un concert de hautes notes argentines et d’acclamations triomphantes emporte l’âme dans ses enroulements et dans ses accords. Certes, je n’irai pas nier (et surtout aujourd’hui !) l’émotion religieuse qui s’exhale de nos cathédrales. Mais pourquoi n’y aurait-il qu’une sorte d’émotion religieuse ? Pourquoi serait-il interdit à la sensibilité d’en inventer une autre ? De quel droit limiter à une forme unique la faculté de l’exprimer ? Et n’y a-t-il qu’une langue pour balbutier le divin ? Quelle délicatesse prend à certains critiques, sur la pureté chrétienne du génie italien ? Que leur importe ? Et qui donc les en a faits juges ? Étrange manie de vouloir que l’ogive soit religieuse et que la ligne droite ne le soit pas ! Pourquoi n’y aurait-il de chrétien que le gothique, et de mystique que le barbare ? L’ogive, système de voûtes, sert indifféremment à voûter n’importe quel espace ; elle n’a par elle-même aucun sens spirituel. Le moyen âge couvrait ainsi un réfectoire, une salle d’armes, un palais de Justice, une halle, un hôpital ou un hôtel de ville... Quelle niaiserie d’attacher le sentiment à une formule ! Le sentiment chrétien ! J’ose dire que celui-là n’en a pas complètement éprouvé la tendresse, qui n’a pas erré quelque jour sur le pavage de briques d’une église déserte de Toscane ou d’Ombrie, et n’a pas promené longuement ses regards sur ces murailles nues et veloutées par les siècles. Nulle part peut-être l’atmosphère n’est plus douce et plus vraiment suave. Nulle part on ne sent mieux l’intimité du christianisme, ce je ne sais quoi de divin et de familier tout ensemble, cette paix enchanteresse qui ne se respire que là. Quelle absence de pédantisme ! Quel manque de rigueur ! Quel sens poétique des espaces ! Quelle liberté intérieure ! Qu’il est doux de s’y abandonner, et comme la rêverie y devient la prière ! Qui donc a imprimé à ces parois dépouillées une grâce si touchante ? D’où naît le charme de leur vaste silence ? Elles n’ont qu’un jour égal qui vient de derrière l’autel : il est sans drame ni inquiétude, mais non pas sans mystère ; une confiance vous enveloppe comme d’une caresse. Les toits ne sont que des poutres, mais cette charpente ingénue rappelle l’étable de Bethléem, et sa rusticité a un parfum évangélique. Aimables églises mendiantes, point savantes, point compliquées, n’ayant rien qui intrigue l’esprit et s’adresse à l’intelligence, — êtes-vous de l’architecture, êtes-vous même de l’art ? Je l’ignore. Mais à coup sûr vous êtes de la poésie. Ces caractères persistent même en pays gothique, en France ou en Allemagne. Partout, vous retrouvez la même simplicité, cet accueil, cette bienveillance que j’essayais de vous décrire. À travers toute l’histoire, ces roturières sont restées les églises des foules. En 1789, c’est là que se tiennent spontanément les assemblées du peuple, les États-Généraux de la démocratie. Les Prêcheurs de la rue Saint-Jacques avaient reçu, dès le XIIIe siècle, le sobriquet de Jacobins ; les Cordeliers ou Franciscains logeaient là tout auprès (leur réfectoire est aujourd’hui le musée Dupuytren). Cordeliers, Jacobins, les noms en témoignent encore : ces deux églises plébéiennes devinrent naturellement les deux laboratoires de la Révolution. De tout ce que les frères avaient bâti, il reste par malheur peu de chose. En Espagne même, de rares maisons remontent plus haut que le XVe siècle, et elles relèvent de notre gothique du Midi : Saint-François de Lugo, Saint-Thomas d’Avila, ou le beau couvent portugais de Batalha peuvent servir d’exemples. Dans le reste de l’Europe, le « progrès » ne nous a pas ménagé les ruines : presque tout a disparu. Et les couvents des Mendiants, par leur situation dans les villes, étaient plus exposés que d’autres à tous les vandalismes. On détruit tous les jours : l’église des Jacobins, à Gand, qui était admirable, n’a été abattue qu’en 1860 ; on a rasé l’original, pour en faire à Ostende une copie moderne. Il reste toutefois quelques exemplaires charmants : les Prêcheurs de Colmar, avec leur chœur ogival et leur nef à plafond de bois, sont une église aussi précieuse par sa forme que par ses souvenirs. Autant qu’on peut juger après tant de ravages, ce sont les Jacobins qui ont été les architectes les plus originaux. Ils avaient des églises à quatre nefs, comme à Strasbourg, et surtout un type à deux nefs, qu’ils avaient inauguré au « Grand Couvent » de Paris, et dont quelques spécimens se sont conservés jusqu’à nous, aux Jacobins de Constance, d’Agen et de Toulouse. Les Jacobins de Toulouse sont un des purs joyaux de la France. C’est un long vaisseau divisé dans le sens de la longueur par une file de sept colonnes qui reçoivent les nervures d’une double voûte de briques. Sapientia ædificavit sibi domum, excidit columnas septem. Division inédite, d’une grâce incomparable. Le chœur, où les deux voûtes se confondent en une seule, et où quarante arceaux retombent sur un pilier central ou rejaillissent en gerbe comme un bouquet de palmes, — ce chœur est une trouvaille dont les yeux ne se lassent pas. Mais j’ai à vous parler, pour finir, de deux traits qui se retrouvent dans toutes les églises des Mendiants et qui sont essentiels à leur physionomie. Ces églises sont bâties pour la prédication. Le nom même des Prêcheurs indique assez leur fonction, et les Cordeliers, avec quelques nuances, avaient le même programme. Par exemple, à Paris, en 1273, de soixante prédicateurs dont nous avons les noms, quarante-quatre appartiennent aux deux ordres mendiants, dont trente aux Jacobins. Au début, ces sermons se prononçaient en plein air, à toute heure, en toute occasion, dans les foires, aux marchés, aux tournois, aux carrefours, sur les places publiques. Quand frère Berthold de Ratisbonne prêchait, toute la ville le suivait dans une prairie, où il se plaçait sur une petite éminence ; une corde séparait les auditeurs en deux groupes, celui des hommes et celui des femmes ; et un fanion fixé auprès de lui à un mât indiquait d’où venait le vent, afin qu’on se plaçât du côté où portait la voix. Il affectionnait, pour parler, de monter sur un arbre : on montrait près de Gratz, au XVIIe siècle, un tilleul appelé le tilleul de Berthold. On se rappelle le beau tableau de Lazare Bastiani, à Venise, où saint Antoine de Padoue est représenté méditant de la même manière, dans une cellule aérienne suspendue aux branches d’un laurier. Cet âge-là ne pouvait durer. On n’a pas toujours de ces tribuns héroïques, pour lesquels il fallait, comme à Jean de Vicence, un échafaud de soixante pieds. Quand l’institution se fut régularisée et que les Mendiants eurent leurs églises, un des éléments essentiels du mobilier devint la chaire. On se servait ordinairement d’un petit escabeau, assez semblable à ce que sont nos chaires de professeurs. Un tableau de Pesellino, à l’Académie de Florence, montre saint Antoine de Padoue prêchant dans une chaire de ce genre. On pouvait parler encore du haut du jubé. Mais une chaire fixe, conçue comme faisant corps avec l’architecture, ne se rencontre guère qu’à dater de l’entrée en scène des Mendiants. Une des plus anciennes, avec celle d’Assise, est celle des Jacobins de Toulouse. C’est une petite niche avec une balustrade, pareille à la chaire du lecteur dans les réfectoires conventuels ; on y accède par un escalier pratiqué dans la muraille. Et sans doute, ceci n’est qu’une conjecture ; mais ne peut-on se demander si le développement des chaires dans les cathédrales, aux environs de 1260, et l’idée de les décorer de bas-reliefs de la Passion, ne résultent pas du renouveau de la prédication ? N’est-il pas frappant que la première œuvre importante de la sculpture italienne, celle de Nicolas et de Jean Pisani, soit justement la double chaire du baptistère de Pise et du dôme de Sienne ? Un second fait, plus important encore par ses conséquences artistiques, c’est la volonté des fidèles qui se firent enterrer dans les églises des Mendiants, et le nombre infini de ceux qui désirèrent dormir là leur dernier sommeil. Par la même sympathie qui les avait liés toute leur vie à ces églises bienfaisantes, ils pensaient que leurs dépouilles seraient mieux là pour y attendre le jour suprême. Dès le XIVe siècle, le sol des églises franciscaines et dominicaines fut littéralement pavé de tombes. Aujourd’hui encore, on y marche, on s’y agenouille, on y prie sur les morts. Leurs dalles à demi effacées jonchent çà et là les nefs ; leurs figures y gisent en désordre, comme des dormeurs fatigués s’étendent dans un champ par une nuit de moisson. Ils passent là leur temps de mort, bercés par le murmure des prières familières. De bonne heure, les églises mendiantes devinrent des cimetières. Sainte-Marie-Nouvelle, dont le sol a dû être exhaussé, renferme deux étages de morts superposés ; et sur tout le pourtour extérieur de l’église, est disposée une ceinture de niches funéraires. Ces églises ne se lassent pas de recueillir de nouvelles cendres. Sainte-Croix à Florence, ou Saint-Jean-Saint-Paul à Venise, sont les Panthéons nationaux de ces deux républiques. L’église des Cordeliers joue le même rôle à Nancy. À Paris, les Jacobins et les Cordeliers partagent avec Saint-Denis les dépouilles royales. Par une coutume singulière, les princes des maisons de Bourbon ou de Valois, pour témoigner leur attachement aux ordres mendiants, et pour réserver à leur âme une plus large assurance de prières, avaient pris l’habitude de partager leurs restes mortels entre plusieurs églises : tandis que le corps était à Saint-Denis, mêlé aux corps des autres rois, ils léguaient leur cœur à un couvent, leurs entrailles à un autre, et dans chaque endroit se faisaient représenter par leur figure d’albâtre gisant sur un tombeau, et tenant en main le petit sac qui gardait leurs viscères. Je ne puis étudier ici, quoique le sujet en vaille la peine, l’évolution artistique du tombeau du XIVe au XVIe siècle. Il suffit d’avoir indiqué l’origine de tant de chefs-d’œuvre. Mais une forme spéciale de la dévotion fut d’avoir, au lieu de sépultures isolées, une chapelle de famille dans une des églises des Mendiants. Là, chaque famille était chez elle : les Cordeliers de Paris étaient pleins de trophées, d’étendards, de bannières prises à l’ennemi, d’ex-voto de tous genres, boucliers, casques, panoplies, écussons, épitaphes : c’étaient déjà les Invalides et Notre-Dame des Victoires. En Italie, chaque chapelle des grandes églises mendiantes porte un nom de famille illustre : chapelle des Strozzi, des Bardi, des Peruzzi, des Rucellai ; chacune rivalisait à qui aménagerait la sienne, à qui l’embellirait et l’ornerait le mieux. De là le caractère extraordinairement intime, individuel, qui rend toujours nouvelles ces églises charmantes. De là, dans la décoration, une source inépuisable de chefs-d’œuvre. Peintures, sculptures, fresques et tableaux allaient s’épanouir dans la paix de ces temples et y perpétuer le rêve des défunts. Ainsi, par la tendresse des foules, ces sanctuaires de la pauvreté devinrent les plus beaux musées de la terre : l’art, une fois de plus, allait fleurir des tombes. C’est ce qu’exprime très bien le dominicain Barthélémy de Bragance dans le sermon qu’il prononça en 1267 à la translation des restes de saint Dominique dans la châsse fameuse commencée par Frà Guglielmo et terminée par Michel-Ange. Il prit sa division des trois sarcophages successifs qui avaient contenu la relique, et prêcha sur ce texte : « Bénédiction et gloire au Seigneur pour le lieu de l’abondance et de la paix ». Voici les trois points de son discours : Bénédiction du parfum, pour le premier tombeau de briques, à l’ouverture duquel s’exhala un arôme de myrrhe et d’aromates : Benedictio odoris. Bénédiction de la puissance, pour le tombeau de pierre brute : Benedictio vigoris. Et pour le merveilleux tombeau de marbre enrichi de sculptures et fouillé de bas-reliefs, la dernière bénédiction : Benedictio decoris, manifestée par la perfection du travail et par un monde de fines figures. Nous verrons la prochaine fois comment les églises des Mendiants reçurent, elles aussi, la « bénédiction de la Beauté ». On ne saurait exagérer, au point de vue qui nous occupe, l’importance capitale de ce miracle des stigmates. Pour le moyen âge, ce fut là, sans l’ombre d’un doute, la cause de la gloire incomparable de François. L’idée d’un parallèle, d’une « conformité » du saint avec Jésus, thèse qui forme le fond du célèbre traité de Barthélémy de Pise (voir déjà le premier chapitre des Fioretti), sort de là tout entière. J’aurai, dans la prochaine leçon, à montrer comment cette idée inspire toutes les représentations de la vie du patriarche. Ce leit-motiv est ébauché dès 1250, dans la double série des fresques de Giunta Pisano, dans la nef inférieure d’Assise : cinq scènes de la légende du saint sont placées en regard d’autant de scènes de l’Évangile. L’Alverne, par exemple, fait pendant au Calvaire, L’idée reçut plus tard des développements nouveaux. On fit naître François, comme Jésus, dans une crèche. C’est ainsi que la scène se trouve représentée, vers 1450, par Benozzo Gozzoli, dans une fresque de l’église Saint-François, à Montefalco. Telle est, si l’on y regarde bien, la raison de l’influence artistique personnelle de François ; elle ne tient nullement à son génie de poète, à son amour de la nature, mais uniquement au fait de sa ressemblance avec le Christ. « On peut dire, a écrit Renan, que depuis Jésus, saint François a été le seul parfait chrétien... Il a été vraiment un second Christ, ou, pour mieux dire, un parfait miroir du Christ. » Voilà ce qui a tant frappé le moyen âge, et ce dont il a vu la preuve dans les stigmates. Nous attacherions moins d’importance à ce phénomène. Sabatier glisse légèrement sur le sujet. Hase n’y voit qu’une supercherie, une fraude d’Élie : hypothèse dont il croit trouver la confirmation dans les circonstances mystérieuses de la translation du saint (voir plus loin, p 42). Cette conjecture est toute gratuite. Les stigmates ont été observés sur une foule de sujets, surtout parmi les femmes (on en trouvera une longue liste dans la Mystique de Görres, au tome II de la traduction de Sainte-Foi). Mais le XIIIe siècle y reconnaissait le signe éminent de la sainteté : nous y verrions plutôt une lésion nerveuse, une tare pathologique, un peu compromettante. Si bien que ce qui a fait, jusqu’à la Renaissance, la situation unique et le privilège de François, le rendrait aujourd’hui, aux yeux d’une certaine école, suspect de dégénérescence, et comme passible d’une surveillance ou d’une sorte de quarantaine scientifique (Cf. Cotelle, Saint François, étude médicale, Paris, 1895) : conception bien digne d’une science pédantesque, qui s’est fait de la vie une idée si étroite, que tout ce qui l’excède lui semble monstrueux, et que le génie lui-même devient une infériorité ou une infraction aux règles de la nature ! On peut trouver que le moyen âge, avec son idée toute contraire du « don » et de la « grâce », avait une opinion infiniment plus haute de la nature humaine et de ses facultés. Toujours est-il que les stigmates, jusqu’au XVIIe siècle ont passé pour le symbole même de la personnalité morale de François, pour le certificat de son rapport particulier avec Jésus. Il semble cependant que certaines Églises aient élevé des difficultés. Celle de Portugal, l’église scolastique et universitaire de Bologne, n’admirent pas sans résistance un prodige si exceptionnel. Il est permis de soupçonner que l’animosité des Prêcheurs, envieux d’un privilège que les Mineurs exaltaient d’ailleurs sans modestie, ne fut pas étrangère à ces querelles. Les stigmates de sainte Catherine de Sienne, la grande tertiaire dominicaine, parurent à l’Ordre entier une revanche des stigmates de saint François. Ce fut le début d’une nouvelle ère de disputes. Le premier soin de Sixte IV, le pape franciscain, le pape de la Sixtine et de la Vaticane, fut de fulminer une bulle prohibant toute représentation de nouveaux stigmatisés, et affirmant le monopole des stigmates de saint François (Cf. Mortier, Histoire des Maîtres-Généraux, IV, p. 504). Cette mesure ne fit qu’irriter la colère des Prêcheurs. Une plaisanterie de couvent, relatée dans une note de l’Alcoran des Cordeliers (édit. d’Amsterdam, 1734, I, p. 7). montre jusqu’où allait le ressentiment de l’Ordre vexé. Il paraîtrait, d’après ce récit, que Dominique, dans une altercation avec François, aurait stigmatisé ce dernier à coups de lardoire. Je ne rapporte ce conte, espèce de « pendant » burlesque à l’histoire du baiser, que pour montrer l’état d’esprit de certains couvents à la fin du XVe siècle, et le ton qu’y avaient pris les plus nobles rivalités. Encore Bayle fait-il observer que l’auteur de l’Alcoran aurait bien fait de citer ses sources. Lempp, Élie de Cortone, Paris, 1901. Toute cette histoire de P.-J. Olivi et des quatre condamnés de Marseille, en 1319, est très bien éclaircie par le P. Ehrle dans l’Archiv für Litteratur und Kirchengeschichte Mittelalters du P. Denifle (t. II, III et IV). Elle vient d’être résumée dans un esprit très modéré par le P. René de Nantes, Histoire des Spirituels, Couvin, 1909, Cf. F. Tocco, Studii Francescani, Naples, 1909. Constitutions de saint Bonaventure, dites Constitutions de Narbonne, datées de 1260, et réglant la « fabrique » des églises. « VIII. Défense de voûter les églises (testudinatae ecclesiae), excepté au-dessus de l’autel, et avec l’autorisation du général. « IX. De transformer les églises en monuments de curiosité (hélas !) au moyen de peintures d’ornement, de vitraux, de colonnes, comme aussi au moyen de dimensions trop grandes. « XVI. De séparer le clocher de l’église. « XVII. De faire des fenêtres coloriées et ornées de figures, à l’exception de la fenêtre principale, derrière le maître-autel, laquelle pourra contenir les images du Christ en croix, de la Vierge, de saint François et de saint Antoine. « XVIII. De placer sur l’autel ou ailleurs des tableaux de prix ou de curiosité. S’il y en a de faits, les enlever. Toute infraction sera sévèrement punie, et les chefs qui auront désobéi devront être cassés sans pitié. « XXI. Ôter les encensoirs, crucifix, vases d’or ou d’argent, excepté les crucifix à reliques, ou encore l’ostensoir et le calice qui conservent le Saint-Sacrement ; et désormais, ils devront être d’un travail plus simple, et d’un poids ne dépassant pas deux marcs et demi. » Les admonitions de saint François étaient beaucoup plus rigoureuses : « Un fossé, une haie, rien de plus ; pas de mur en l’honneur de la Sainte Pauvreté et Humilité ; des cabanes de boue et de bois ; des églises toutes petites, et ni la prédication, ni aucune autre considération ne doivent amener les frères à construire des temples grands et richement ornés ». La bulle du 22 mars 1222 dit aux frères : « Nous vous accordons licence de célébrer en temps d’interdit dans vos églises, si vous venez à en avoir ». Preuve qu’en 1222, ils n’en ont pas encore. D’autre part, on conclut de là à la rapidité du mouvement, puisque S. Francesco de Sienne, S, Croce de Florence, Saint-Antoine-de-Padoue, sont commencés entre 1230 et 1240. Études franciscaines, t. XXIII, février 1910, article du P. Egidio M. Giusta : Du véritable architecte de la basilique d’Assise. Cf. Lempp, loc. cit. On a proposé également une allégorie des « trois vœux » : mais, jusqu’au XIXe siècle, il n’exista que deux églises. Le moyen âge a fait un grand usage du symbolisme, mais d’un symbolisme très spécial, et qui n’a rien de commun avec ce que nous entendons par là. Par exemple, la déviation de l’axe de certaines cathédrales a passé pour représenter l’inclinaison de la tête du Christ expirant sur la croix : on peut être sûr que cette intention est entièrement étrangère à la pensée des architectes. Il faut, dans ce genre d’explications, se garder de substituer notre tour d’esprit moderne à celui du moyen âge. N’a-t-on pas cru reconnaître, dans les sculptures du portail de Notre-Dame de Paris, tout le système de la cabale et les symboles secrets d’une religion magique ? Chiaravalle, Clairvaux, même nom. Sur tout ceci, Cf. Enlart, les Origines françaises de l’architecture gothique en Italie, Paris, 1894. On reconnaît ici : 1o le paradoxe romantique, le paradoxe de Rousseau, aussi vieux que la Germania de Tacite : à savoir que l’élément salubre et créateur, le pur sang de l’humanité, est l’élément barbare. Qui nous délivrera de cette illusion ? Non, les barbares n’ont rien créé : la civilisation est une conquête de tous les jours contre la barbarie. Le mythe germanique est une chimère à rayer du programme latin ; 2o (et corollairement), l’idée qu’une cathédrale est un extrait des bois, d’abord construit en poutres, et conservant encore les signes de son origine sylvestre. De là, dans ce beau passage, le choix de Strasbourg, et tout ce développement sur les bûcherons de la Forêt-Noire. Confusion enfantine d’une « forêt de colonnes » et d’une véritable futaie. C’est une métaphore prise pour un argument. Une des traces ou des survivances que l’on croyait saisir de l’ancienne architecture en bois, c’était le « modillon à copeaux » des églises auvergnates (Cf. Viollet-le-Duc, Dictionnaire de l’Architecture, t. IV, p. 309). M. Mâle vient de prouver que ce fameux modillon est un emprunt mauresque : il l’a retrouvé à la mosquée de Cordoue. Voir son article décisif de la Revue de l’Art, août 1911 : la Mosquée de Cordoue et les églises de l’Auvergne et du Velay. Le fameux club se tenait aux Jacobins de la rue Saint-Honoré. Lamperez y Romea, Historia de la arquitectura cristiana española, Madrid, 1909, t. II, p. 516 et suiv. San Juan de Los Reyes, le célèbre couvent franciscain de Tolède, le type du style « mudejar », et de l’architecture la plus décorative et la plus blasonnée qui soit, date de 1476. Cf. Percin, Monumenta conventus Tholosani, Toulouse, 1690, et Manavit, Mémoires de la société archéologique du Midi, t. VII, p. 109 et suiv. — Sur le « Grand Couvent » de Paris, cf. Lenoir, Statistique monumentale de Paris, 1867, p. 165, 170 et planches. — En général, sur les églises dominicaines de France, consulter Rohault de Fleury, Gallia dominicana, Paris, 1901, 2 vol. in-fo. Lecoy de la Marche, la Chaire française au moyen âge, 2e édit., Paris, 1886. Viollet-le-Duc, Dictionnaire de l’Architecture, t. III, art. Chaire. Rien de plus touchant que les testaments des fidèles enterrés dans l’ancienne église des Cordeliers d’Oxford. Cf. Little, The Grey Friars in Oxford, Oxford, 1892. En 1430, Robert Keneyshame, bedeau de l’Université, veut être enseveli « in the midst between the two altars beneath the highest cross in the body of the Church ». Agnès, femme de Michael Norton, enterrée en 1438 « in the Conventual Church of the Friars Minors of Oxford, before the image of the blessed Mary the Virgin of Pity ». La plus émouvante de ces inscriptions est celle d’un ex-brasseur, Richard Leke, qui désira reposer « within the Graye freres in Oxford before the awter (altar) where the first mass is daily used to be sayde ». Ce pauvre homme voulait assurer à son âme le bénéfice quotidien de la messe de l’aurore, aussi longtemps que le soleil se lèverait encore. C’était en 1526. Douze ans plus tard, l’Ordre était supprimé par Henri VIII. En 1578, il ne restait plus trace de l’église, non plus que des défunts qui s’y étaient endormis. L’église, consacrée en 1262, fut détruite par un incendie en 1580. Lire la description de Gonzague, De Origine Seraphicae Religionis, Rome, 1587. p. 115-134. Cf. Corrozet, Antiquités de Paris, 1550, p. 76 et suiv. Les tombeaux existaient encore au XVIIe siècle. Voici ce qu’en dit le P. Castet, Annales des Frères Mineurs, Toulouse, 1680, t. I, p. 313. « Cette église était très magnifique, elle avait 230 pieds de longueur et 90 de largeur ; la nef était remplie de sépulcres ornés d’épitaphes sur l’airain ou sur le marbre, le chœur était garni de très belles chaises, et entouré de 25 chapelles fort richement parées, où il y avait des tombeaux très riches. Au premier rang, était le sépulcre de Marie, femme du roi Philippe, fils de saint Louis, et celui de Jeanne, reine de France et de Navarre, femme de Philippe le Bel ; ils étaient tous deux de marbre noir, et les effigies de ces deux reines étaient par-dessus faites d’albâtre. Au second rang, il y avait deux sépulcres de marbre couverts de deux figures, l’une d’un homme et l’autre d’une femme, chacune tenait un cœur à la main et leurs écussons portaient des fleurs de lys liées avec un ruban. Celui de Jeanne, comtesse de Bourgogne et d’Artois, reine de France et de Navarre, occupait le troisième rang, et à son côté était celui du cœur du roi Philippe le Long, son mari. Au quatrième rang, était celui du cœur de Jeanne, reine de France et de Navarre, femme du roi Charles, fils de Philippe le Bel, et celui du cœur de dame Blanche, fille du roi Philippe, qui a été religieuse à Longchamp. Au cinquième rang, était celui de Mathilde, fille du comte de Saint-Paul et femme de Charles, roi de France, et celui d’une autre princesse vêtue d’un habit de religieuse, mais sans nom et sans épitaphe ; au sixième rang, était celui de sainte Blanche, fille de Saint Louis et femme de Ferrand, roi de Caslona (sic) en Espagne. Celui de Louis de Valois, fils de Charles, comte d’Alençon, et celui d’Albert-Pie de Savoye, prince de Carpi : il y en avait encore plusieurs autres de quelques prélats et de quelques autres grands seigneurs. » De même, dans Félibien, Histoire de Paris, t. I, p. 262, la description des Jacobins n’est qu’un catalogue de tombes. Et il en est partout ainsi. Aux Jacobins de Sens, Roy a relevé soixante-deux épitaphes. Plusieurs dalles recouvraient chacune deux ou trois corps. Cf. le beau passage de Taine, Voyage en Italie, t. I, p. 371, à propos de l’église franciscaine de S. Maria del Popolo : « Partout la mort présente et palpable, etc. ». Et se rappeler encore la vigoureuse prosopopée du cordelier Maillart, rapportée par Henri Estienne (Apologie pour Hérodote, éd. Ristelhuber, t. I, p. 81) : parlant aux femmes galantes qui prennent les églises pour lieux de rendez-vous : « Est-ce que les saints qui reposent là, s’écrie-t-il, ne vont pas se lever pour vous arracher les yeux ? ».
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traduction manuscrite (26 p.) de ce dernier (dont le texte latin n’accompagnait qu’une imitation versifiée d’Ansselin, moins exacte). Cette traduction paraît de la même écriture que la signature du titre ; elle serait donc un autographe du comte de Caylus et probablement son œuvre. Nous ne croyons pas qu’elle ait été jamais publiée. Voir aussi {{lia|6|c0556|556|271}}, {{lia|6|c0557|557|271}} et {{lia|6|c0558|558|271}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0556|556}}. — '''Le Voluptueux hors de Combat''', ou '''Le Défi Amoureux de Lygdame et de Chloris'''. ''Nouvelles Poésies galantes en françois et latin''. — A Cythéropolis, chez Pierre l’Arretin, imprimeur de l’Académie des Dames, à la Vénus de Grèce.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} Double du {{lia|6|c0555|555|270}}, cartonnage dos toile, plats gris, (Le texte imprimé seulement, bien entendu). {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0557|557}}. — '''Le Voluptueux hors de Combat''', ou '''Le Défi Amoureux de Lygdame et de Chloris'''. ''Nouvelles Poésies galantes en françois et latin''. — A Cythéropolis, chez Pierre l’Arretin, imprimeur de l’Académie des Dames, à la Vénus de Grèce.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} Double des {{lia|6|c0555|555|270}} et {{lia|6|c0556|556|271}}, cartonnage dos toile, plats marbrés. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0558|558}}. — '''Le Voluptueux hors de Combat''', ou '''Défi Amoureux de Lygdame et de Chloris.''' — A Amsterdam.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume pet. {{in-8°}} de 47 p. cartonné papier gris. La traduction en vers d’Ansselin seulement ; texte encadré ({{s|xviii|e}}). Voir {{lia|6|c0555|555|270}}, avec notre notice, {{lia|6|c0556|556|271}} et {{lia|6|c0557|557|271}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0559|559}}. — '''La''' <nowiki>|</nowiki> '''Pvttana''' <nowiki>|</nowiki> '''Errante'''.|110}}|1.5|-1.5}} {{brn|1}} 1 volume s. l. n. d. et. in-8 de 4 cahiers de 8 ff. n. ch. signés <references/>
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1 volume in-18 (Paris, 1800). Avec 1 frontispice et 3 figures libres, ne se rapportant pas au texte. La dernière a servi de frontispice aux ''Bordels de Paris'' (voir {{lia|7|c0607|607|311}}). (Le C. d’I*** parle de 5 figures obscènes ne se rapportant pas au texte). C’est le conte : ''Point de Lendemain'', de Vivant Denon, attribué aussi quelquefois à Dorat. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0723|723}}. — '''Ode aux Bougres'''. — 1789.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} 1 brochure in-8 de 8 pages. Cette pièce de vers doit être l’''Hymne au Con'', attribué à ''Piron'', sans raison, d’ailleurs, comme beaucoup d’autres morceaux. Voir à {{lia|8|c0724|724|354}} un exemplaire avec frontispice libre. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0724|724}}. — '''Ode aux Bougres'''. — 1789.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} Double du {{lia|8|c0723|723|354}}. Avec 1 frontispice libre. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0725|725}}. — '''Les Offrandes à Priape''', ou '''Le Boudoir des Grisettes'''. ''Contes nouveaux et gaillards, ornés de jolies figures en taille-douce''. A Conculis. — 1794.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} 1 volume in-18. Les figures sont arrachées. Contes du chevalier de Piis, suivis de ''Filon réduit à mettre cinq contre un'', par Corneille Blessebois, et de diverses poésies satiriques du {{sc|xvii|}}{{e}} et du {{s|xviii|e}}. À consulter. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0726|726}}. — '''L’Origine des Cons sauvages''' ; ''La manière de les apprivoiser'' ; ''le moyen de prédire toute chose advenir par iceux''. ''Plus'' '''Le Bail à ferme desdits Cons''', ''avec les sens (sic) et rentes, et tout ce qui en dépend. Plus'' '''La source du gros fessier des Nourrices, et la raison pourquoi elles sont si fendues entre les jambes'''. — Chez Jean de la Montagne, à Lyon, 1797.|110}}|1.5|-1.5}} <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/331
{{brn|1}} 1 volume in-16 de 44 pages. Avec une gravure libre coloriée. Relié avec le {{lia|7|c0653|653|330}}. {{brn|1}} Acteurs : Le marquis de la Couille, fouteur. {{Mme}} Duvagin, tribade. Monique, nièce de {{Mme}} Duvagin, de 16 à 17 ans. Foutine, suivante de {{Mme}} Duvagin, et tribade. Foutin, valet du marquis. M. Ducu, bougre. {{brn|1}} Une autre édition à {{lia|7|c0655|655|331}}. Destruction ordonnée par jugement du Tribunal de Lille, en date du 6 mai 1868, insérée au ''Moniteur'' du 19 septembre suivant (Affaire contre Duquesne). {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0654|654}}. — '''Les Fureurs Utérines de Marie-Antoinette''', ''femme de Louis XVI''.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} 1 vol. in-18. Avec 1 figure libre coloriée, la même qu’à {{lia|7|c0653|653|330}} (voir ce numéro). La page de titre est arrachée. Relié avec les {{lia|7|c0655|655|331}}, {{lia|7|c0656|656|331}}, {{lia|7|c0657|657|332}} et {{lia|7|c0658|658|332}}. Suivi de : ''Les Amours de Chariot et Toinette'' (voir pour cette dernière pièce, les n{{os}} {{lia|2|c0145|145|97}}, {{lia|6|c0592|592|298}} et {{lia|6|c0593|593|299}}). {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0655|655}}. — '''Le Triomphe de la Fouterie''', ou '''Les Apparences sauvées'''. ''Comédie en deux actes et en vers''. « Castigat ridendo mores. »|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} 1 volume in-18. Avec une gravure libre coloriée, ne se rapportant pas au texte, et différente de celle qui se trouve à l’exemplaire {{lia|7|c0653b|653&nbsp;''bis''|330}}. Relié avec les {{lia|7|c0654|654|331}}, {{lia|7|c0656|656|331}}, {{lia|7|c0657|657|332}}, {{lia|7|c0658|658|332}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0656|656}}. — '''Vie privée et publique du Ci-derrière Marquis de Villette'''.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} 1 volume in-18 de 20 pages. Avec 1 figure libre coloriée. La page de titre manque. <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/382
{{a|{{t|''des Jeunes Demoiselles'', par {{sc|{{sp|1.2px|Le Marquis de Sade}}}}. « La mère en prescrira la lecture à sa fille. » Tome Premier [Second]. — Londres, Aux dépens de la Compagnie, 1795.|110}}|1.5|-1.5|fin=1}}{{brn|1}} 2 volumes in-18 de 208 et 262 pages (En Belgique, 1866). Réimpression moderne avec reproduction du frontispice et des 4 figures libres de l’exemplaire {{lia|6|c0535|535-536|258}}. Voir aussi {{lia|6|c0537|537|259}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0804|804-805-806-807}}. — '''Histoire de Justine''', ou '''Les Malheurs de la Vertu''', par {{sc|{{sp|1.2px|Le Marquis de Sade}}}}, illustrée de 44 gravures sur acier.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} {{bloc centré|<poem>« On n’est point criminel pour faire la peinture, Des bizarres penchants qu’inspire la nature. »</poem>}} {{brn|1}} {{a|{{t|Tome Premier [Second Troisième Quatrième]. En Hollande, 1797.|110}}|1.5|}}{{brn|1}} 4 volumes in-12 de 347, 351 et 366 pages, demi-reliure moderne bleue, avec coins. Ornés de 44 gravures sur acier (reproduction du frontispice et des 40 gravures de l’édition originale, en Hollande, 1797, avec 3 autres gravures). Réimpression moderne (Bruxelles, 1870). Voir la suite : Histoire de Juliette ({{lia|9|c0808|808 à 813|382}}). Voir {{lia|6|c0515|515 à 518|253}}, {{lia|6|c0519|519 à 524|256}}, {{lia|6|c0515|525 à 528|257}} et {{lia|6|c0529|529 à 534|258}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0808|808-809-810-811-812-813}}. — '''Histoire de Juliette''', ou '''les Prospérités du vice''', par {{sc|{{sp|1.2px|Le Marquis de Sade}}}}, illustrée de soixante gravures sur acier.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} {{bloc centré|<poem>« On n’est point criminel pour faire la peinture, Des bizarres penchants qu’inspire la nature. »</poem>}} {{brn|1}} {{a|{{t|Tome Premier [Deuxième Troisième Quatrième Cinquième Sixième]. — En Hollande, 1797.|110}}|1.5|}}{{brn|1}} 6 volumes in-12 de 371, 360, 357, 371, 369 et 352 pages. Demi-reliure moderne, bleue, avec coins. Ornés de 60 gravures, {{tiret|reprodui|sant}} <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/349
traitées à la manière de la Restauration. (Le C. d’I*** en annonce 8). Un autre exemplaire, sans gravures, à {{lia|8|c0707|707|349}}. Voir aussi {{lia|1|c0057|57|52}}, {{lia|8|c0703|703|348}}, {{lia|8|c0704|704|348}} et {{lia|8|c0705|705|348}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0707|707}}. — '''Mémoires de Suzon''', ''sœur de D** B***, Portier des Chartreux, écrits par elle-même''. Orné de belles gravures. — A J’Enconne, rue des Déchargeurs, aux dépens de la Gourdan, cette année même.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} Double (sans gravures) du {{lia|8|c0706|706|348}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0708|708}}. — '''La Messaline Française''', ''ou les Nuits de la duch... de Pol... et Aventures mystérieuses de la pr...se d’He... et de la ... '' Ouvrage fort utile à tous les jeunes gens qui voudront faire un cours de libertinage. Par l’Abbé, compagnon de la fuite de la Duch... de Pol... — A Tribaldis, de l’Imprimerie de Priape, 1789.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} 1 volume in-18 de 101 pages. Une autre édition, augmentée, à {{lia|8|c0709|709|349}}. À la fin : ''Note de l’Editeur'' : {{brn|1}} « L’auteur de ces mémoires est actuellement de retour, et il donne ici les preuves du patriotisme le plus soutenu ; mais on ignore qu’il ait jamais eu aucune liaison avec la Pol... C’est de son consentement que j’ai mis au jour son manuscrit, et j’espère que le public m’en saura gré. Peut-on trop faire connaître la prostituée dont il s’agit ? »> {{brn|1}} Destruction ordonnée par arrêt de la Cour d’assises de la Seine, en date du 9 août 1842, inséré au ''Moniteur'' du 15 décembre 1843. (Affaire contre Régnier-Becker, commissionnaire en marchandises, condamné à 6 mois de prison et 200 francs d’amende, pour outrages à la morale publique et religieuse ainsi qu’aux bonnes mœurs.) {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0709|709}}. — '''La Messaline Françoise''', ou ''Les Nuits de la Duch... de Pol... et aventures mystérieuses de la Pr... se d’He... et de la'' ... Ouvrage fort utile à tous les jeunes|110}}|1.5|-1.5|début=1}} <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/344
{{brn|1}} 1 volume. Texte gravé. Voir {{lia|7|c0609|609-610|312}}, {{lia|7|c0690|690|343}} et {{lia|7|c0691|691|343}} (avec des notices sur cet ouvrage à ces deux derniers numéros). {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0693|693}}. — '''Lettres galantes et Philosophiques de Deux Nonnes''', ''publiées par un'' {{sc|Apôtre du Libertinage}}, ''avec des notes''.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} <poem class=verse>On n’est pas criminel, pour faire une peinture, Des tendres sentimens qu’inspire la nature. {{caché|Des tendres sentimens qu’inspire la nat}}{{sc|Pétrone}}.</poem> {{brn|1}} {{a|{{t|Au Paraclet, 1777.|110}}|1.5|}}{{brn|1}} 1 volume in-8 de {{sc|viii}}-172 pages. Incomplet. Manquent les pages 33 à 48 inclus. Voir une seconde édition complète à {{lia|7|0694|694|344}}. {{brn|1}} Notons que l’épigraphe ressemble à celle que le marquis de Sade mit en tête de sa Nouvelle Justine, dix ans plus tard, en 1797 (voir {{lia|6|c0515|515|253}}). {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0694|694}}. — '''Lettres Galantes et philosophiques de deux nones.''' — A Rouen, de l’imprimerie de Christine, 1797.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} 1 volume. Édition moins belle que celle du n{{e|o}} {{lia|7|c0693|693|344}}, mais avec le texte complet. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0695|695}}. — '''Liste de tous les Prêtres trouvés en flagrant délit chez les Filles publiques de Paris, sous l’Ancien Régime''' ; ''avec le nom et la demeure des femmes chez lesquelles ils ont été trouvés, et le détail des différens amusemens qu’ils ont pris avec elles. Tirée de papiers trouvés à la Bastille''.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} {{c|Ministres de la religion, apprenez les vices de ce{{br0}}gouvernement que vous regrettez.}} <references/>
L’Enfer de la Bibliothèque nationale/8
Guillaume Apollinaire, Fernand Fleuret, Louis Perceau L’Enfer de la Bibliothèque nationale Bibliothèque des curieux, 1919 (bibliographie méthodique et critique de tous les ouvrages composant cette célèbre collection, p. 341-375). ◄ nos 600 à 699 nos 800 à 825 ► nos 700 à 799 dictionaryL’Enfer de la Bibliothèque nationaleGuillaume Apollinaire, Fernand Fleuret, Louis PerceauBibliothèque des curieux1919ParisVbibliographie méthodique et critique de tous les ouvrages composant cette célèbre collectionnos 700 à 799Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvuApollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/9341-375 700. — Margot la Conciacalze e le sue avventure galanti. — 1861. 1 volume. Avec 2 figures libres. Traduction italienne de Margot La Ravaudeuse (324). À la suite : Lettere a Rosina et Sonetto di Gioseffo d’Ippolito Pozzi : « Voi siete cosi bella, o mia signora... » 701. — Marie-Antoinette dans l’embarras, ou Correspondance de la Fayette avec le Roi, la Reine, la Tour-du-Pin et Saint-Priest. 1 volume in-8 de 48 pages s. l. n. d. (1790). Orné d’un frontispice représentant la reine se livrant aux officiers de la garde nationale, au moment où Louis XVI entre dans la pièce. Légende : Bravo ! Bravo ! La Reine se pénètre de la Patrie. 702. — La Masturbomanie, ou Jouissance solitaire. Stances ornées de 57 gravures. V. I. T. L’homme est heureux dans ses mensonges, Il n’est mal qu’en réalité. Branlefort, chez Poignet, rue du Bras. 1 volume in-32 de 122 pages. Avec 1 frontispice libre, une vignette libre dans le titre et 55 figures, également libres (lithographies) accompagnées de 55 stances. Poème sur la masturbation. Précédé d’une Préface qui débute ainsi : « Je chante l’incomparable plaisir d’Onan, le plus indépendant, le plus philosophique de tous les plaisirs dans l’homme... » L’auteur s’y place sous l’égide de Socrate, Diogène, Mirabeau, Parny et J.-Jacques Rousseau. Voir : Trois petits Poèmes Erotiques (34). 703. — Mémoires de Suzon, Sœur de D** B***, Portier des Chartreux ; écrits par elle-même. Où l’on a joint la Perle des Plans économiques ou la Chimère raisonnable. — A Londres, MDCCLXXVIII. 1 volume. La Perle des Plans Economiques manque à cet exemplaire. Voir 57, 704, 705, 706, 707. 704. — Mémoires de Suzon, Sœur de D** B***, Portier des Chartreux, écrits par elle-même, suivis de La Perle des Plans économiques, ou La Chimère raisonnable. Première Partie. — A J’enconne, rue des Déchargeurs. Aux dépens de la Gourdan, cette année même. 1 volume. Avec 1 frontispice et 13 gravures libres (une autre gravure manque). C’est la meilleure édition (un autre exemplaire, dans le même état, à 705). Voir aussi 57, 703, 706 et 707. 705. — Mémoires de Suzon, Sœur de D** B***, Portier des Chartreux, écrits par elle-même, suivis de La Perle des Plans économiques, ou La Chimère raisonnable. — A J’enconne, rue des Déchargeurs. Aux dépens de la Gourdan, cette année même. Double du 704. 706. — Mémoires de Suzon, sœur de D** B***, Portier des Chartreux, écrits par elle-même. Orné de Belles gravures. — A J’enconne, rue des Déchargeurs. Aux dépens de la Gourdan, cette année même. 1 volume in-18 de 178 pages. Réimpression (vers 1830). Avec 7 belles lithographies libres, d’après celles des anciennes éditions, traitées à la manière de la Restauration. (Le C. d’I*** en annonce 8). Un autre exemplaire, sans gravures, à 707. Voir aussi 57, 703, 704 et 705. 707. — Mémoires de Suzon, sœur de D** B***, Portier des Chartreux, écrits par elle-même. Orné de belles gravures. — A J’Enconne, rue des Déchargeurs, aux dépens de la Gourdan, cette année même. Double (sans gravures) du 706. 708. — La Messaline Française, ou les Nuits de la duch... de Pol... et Aventures mystérieuses de la pr...se d’He... et de la ... Ouvrage fort utile à tous les jeunes gens qui voudront faire un cours de libertinage. Par l’Abbé, compagnon de la fuite de la Duch... de Pol... — A Tribaldis, de l’Imprimerie de Priape, 1789. 1 volume in-18 de 101 pages. Une autre édition, augmentée, à 709. À la fin : Note de l’Editeur : « L’auteur de ces mémoires est actuellement de retour, et il donne ici les preuves du patriotisme le plus soutenu ; mais on ignore qu’il ait jamais eu aucune liaison avec la Pol... C’est de son consentement que j’ai mis au jour son manuscrit, et j’espère que le public m’en saura gré. Peut-on trop faire connaître la prostituée dont il s’agit ? »> Destruction ordonnée par arrêt de la Cour d’assises de la Seine, en date du 9 août 1842, inséré au Moniteur du 15 décembre 1843. (Affaire contre Régnier-Becker, commissionnaire en marchandises, condamné à 6 mois de prison et 200 francs d’amende, pour outrages à la morale publique et religieuse ainsi qu’aux bonnes mœurs.) 709. — La Messaline Françoise, ou Les Nuits de la Duch... de Pol... et aventures mystérieuses de la Pr... se d’He... et de la ... Ouvrage fort utile à tous les jeunes gens qui voudront faire un cours de libertinage. Par l’Abbé compagnon de la fuite de la Duch · · · · de Pol... — Suivi du Voyage Découvert. — A Tribaldis, de l’imprimerie de Priape, 1790. 1 volume in-18 de 108 pages. Voir 708, la première édition, avec notre notice. Cet exemplaire est suivi de : Le Voyage découvert, par M. Destrin, des Académies de la Vérité et de la Franchise, etc..., libelle de 12 pages écrit en faveur et à l’instigation de la comtesse de la Mothe. 710. — Mylord Arsouille, ou Les Bamboches d’un Gentleman. Vive le plaisir de la couille. Dit Mylord Arsouille ! Je veux sagement amis, filer mes jours Entre le vin, les chevaux, les amours : Je dois ces goûts à la nature, J’aime je bois et change de monture. A Bordel-opolis, chez Pinard, rue de la Motte, 1789. 1 volume in-12 broché (vers 1866). Avec 5 mauvaises gravures libres (Le C. d’I*** en annonce 7). Voir 68 : Mylord, ou les Bamboches d’un Gentleman. 711-712. — Momus Redivivus, ou Les Saturnales Françaises. Biblia Jovialis ad usum compagnonorum adhuc ridentium. Editio modernissima, grandissimis soinis collecta, excusa et amendata, a minimo grandissimi Merlini Cocaii filio., sumptibus achetentium utriusque sexus. « Os, dum ludit, non laedit. » Tome Premier [Second]. — A Lutipolis, de l’imprimerie du libraire-auteur, 2496. 2 tomes en 1 volume in-18 (Paris, 1796). Ex d’Alfred Bégis, saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. La troisième partie de cet ouvrage manque souvent. C’est le cas pour cet exemplaire et pour celui qui se trouve à la cote 713-714. Anthologie érotique et satirique, par Mercier de Compiègne. Ce livre, aujourd’hui rare et recherché, a été condamné à la destruction par arrêt de la Cour royale de Paris, en date du 16 novembre 1822, inséré au Moniteur du 26 mars 1825, comme contenant des outrages aux bonnes mœurs (Affaire contre Rousseau). 713-714. — Momus Redivivus, ou Les Saturnales Françaises. Biblia jovialis ad usum compagnonorum adhuc ridentium. Editio modernissima, grandissimis soinis collecta, excusa et amendata, a minimo grandissimi Merlini Cocaii filio, sumptibus achetentium utriusque sexus. « Os, dum ludit, non laedit. » Tome Premier [Second]. — A Lutipolis, de l’imprimerie du libraire-auteur, 2496. Double du 711-712. Ex. d’Alfred Bégis, saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. 715. — Les Muses en Belle humeur, ou Chansons et Autres Poésies joyeuses. — Ville Franche, MDCCXLII. 1 volume in-8 de XIV, 1 f. n. ch. d’errata et 260 p. Reliure ancienne maroquin noir, plats ornés et à froid, dent, intér., dos plat, tranches dorées. Vignette gravée au titre, fort jolie, (danse de faunes autour d’un Priape). Recueil de chansons et poésies libres du xviiie siècle. 716. — Nouveau décret du Manège. Foutez. L’Assemblée Nationale l’a ainsi décidé en faveur des Nonnes, des Moines et de tous les citoyens. « Foutre est le bonheur du paradis. » — Par un amateur de la fouterie. In-8 de 16 pages, cartonné gris (Paris, vers 1790). Vient de chez Labédoyère comme beaucoup de ces pièces. 717. — Le nouveau Dom Bougre à l’Assemblée Nationale, ou L’Abbé Maury au Bordel, suivi des Doléances au Dieu Priape, et d’une Ode aux Bougres, par l’Auteur du Bordel National. Bougre quoique calotin, J’aime les femmes et le vin ; Amis, viens me contempler, Foutre et boire, voilà mon métier. Double (incomplet, manquent les pages 7 à 10) du 140. 718. — Nouveau Recueil des Poésies Héroïques et Gaillardes de ce Temps. Augmenté de plusieurs pièces curieuses, qui n’ont point encore paru dans les précédentes éditions. — MDCCXXII. 1 volume in-12. Recueil de poésies satiriques. Très intéressant. Un autre exemplaire à 719. 719. — Nouveau Recueil des Poésies Héroïques et Gaillardes de ce Temps. Augmenté de plusieurs pièces curieuses, qui n’ont point encore paru dans les précédentes éditions. — MDCCXXII. Double du 718. 720. — La Nouvelle Bigarure. 1 volume (xviiie siècle). Recueil contenant : 1. — Le Voluptueux, satire en vers. 2. — Le Bréviaire du curé de... diocèse de Monpelier (sic), histoire véritable, conte en prose. 3. — Le Serment légitimement violé, conte en vers. 4. — L’heureux fruit de la lecture, à l’auteur de la Tragédie de la Nouvelle Messaline, par un ami, épitre en vers. 5. — La Comédie, grosse de Mérope, conte en vers. 6. — L’Etimologie des mots favoris des dames : Otés de là votre main, conte en vers. 7. — Lettre de Flora à Pompée. Sur ce qu’il l’avoit abandonnée et cédée à son ami Geminius, stances. Ces stances, qui n’ont rien d’obscène, sont d’assez belle venue. Fin du xvie ou commencement du xviie siècle. 8. — Le choix du Berger Pâris, conte en vers. 9. — Agnès aux bains, conte en vers. 721. — La Nouvelle Messaline. Tragédie en un acte, par Pyron, dit Prepucius. Se vend à Chaud-Conin et à Babine, elle est dit-on de Granval. L’on y a joint le Sérail de Delis et la description du Temple de Vénus. — A Ancone, chez Clitoris, libraire rue du Sperme, vis-à-vis la Fontaine de la semence, à la Verge d’Or. MDCCLXXIII. 1 volume in-8 de 2 feuilles. Par Ch. Fr. Ragot de Grandval fils. Voir 910 et le Théâtre Gaillard dans lequel cette pièce a été imprimée. Suivie de : 1. — Le sérail de Delys, ou Parodie d’Alcibiade, comédie (voir 768). 2. — Description du Temple de Vénus (en vers). Sur la dernière page, après le mot Fin, on a copié ce couplet : Menuet Je lui faisais caresse Il était las : Mais il avait l’adresse Comme les chats, De s’enfler et devenir gros Lorsque sur son dos Je passais le bras : Au gué lonla Bergère, etc... 722. — La Nuit Merveilleuse, ou Le nec plus ultra du plaisir. Avec des figures analogues. — Partout, et nulle-part. 1 volume in-18 (Paris, 1800). Avec 1 frontispice et 3 figures libres, ne se rapportant pas au texte. La dernière a servi de frontispice aux Bordels de Paris (voir 607). (Le C. d’I*** parle de 5 figures obscènes ne se rapportant pas au texte). C’est le conte : Point de Lendemain, de Vivant Denon, attribué aussi quelquefois à Dorat. 723. — Ode aux Bougres. — 1789. 1 brochure in-8 de 8 pages. Cette pièce de vers doit être l’Hymne au Con, attribué à Piron, sans raison, d’ailleurs, comme beaucoup d’autres morceaux. Voir à 724 un exemplaire avec frontispice libre. 724. — Ode aux Bougres. — 1789. Double du 723. Avec 1 frontispice libre. 725. — Les Offrandes à Priape, ou Le Boudoir des Grisettes. Contes nouveaux et gaillards, ornés de jolies figures en taille-douce. A Conculis. — 1794. 1 volume in-18. Les figures sont arrachées. Contes du chevalier de Piis, suivis de Filon réduit à mettre cinq contre un, par Corneille Blessebois, et de diverses poésies satiriques du xviie et du xviiie siècle. À consulter. 726. — L’Origine des Cons sauvages ; La manière de les apprivoiser ; le moyen de prédire toute chose advenir par iceux. Plus Le Bail à ferme desdits Cons, avec les sens (sic) et rentes, et tout ce qui en dépend. Plus La source du gros fessier des Nourrices, et la raison pourquoi elles sont si fendues entre les jambes. — Chez Jean de la Montagne, à Lyon, 1797. 1 volume in-18 de 70 pages. Réimpression de cette facétie du xvie siècle. Sommaire : 1. — Avertissement au Lecteur. 2. — Le Prologue de l’auteur. 3. — Chap. I : De quelle manière sont les cons, et leur différence. 4. — Chap. II : De la dimension des cons, et de leurs diverses aventures, et comme se font les cons camus. 5. — Chap. III : Diverses opinions de la diversité des cons, selon aucuns docteurs. 6. — Chap. IV : Quels cons l’on doit élire, et lesquels on doit éviter. 7. — Bail des Cons. 8. — Prognostication des Cons sauvages. 9. — Ci-après ensuit la chanson, chantée de très méchant son. 10. — La source du gros fessier des nourrices, et la raison pourquoi elles sont si fendues entre les jambes. Un autre exemplaire à 727. Voir aussi à 769 : La Prognostication des Cons sauvages... à 770 : La Source et Origine des Cons sauvages... et à 733 : La Source du gros fessier des Nourrices... 727. — L’Origine des Cons sauvages ; La manière de les apprivoiser ; le moyen de prédire toute chose advenir par iceux. Plus Le Bail à ferme desdits Cons, avec les sens et rentes, et tout ce qui en dépend. Plus La source du gros fessier des Nourrices, et la raison pourquoi elles sont si fendues entre les jambes. — Chez Jean de la Montagne, à Lyon, 1797. Double du 726. 728. — Le Parfact | Macqvereau | svivant la Covr, | contenant vne Histoire nouuellement | passée à la Foire de Sainct-Germain. | Entre un Grand, et l’vne des plus notables et | Renommées Courtisannes de Paris. | 1622. 1 brochure petit in-8 de 16 pages. Caractères de civilité. Poésie satirique en 18 strophes de 6 vers de 8 Syllabes par Claude d’Esternod. Voir : L’Espadon satyrique, Cologne, 1630 (Réserve Ye 2195) sous le titre : La Belle Madeleine. A la page 10 commence : Complainte sur le succès de l’Histoire dont est question, 19 strophes de 6 vers de 8 syllabes. 729. — Le Parnasse Libertin, ou Recueil de Poésies libres. « Nitimur in vetitum semper... quod licet ingratum est. Ovid. » — A Amsterdam, chez Cazals et Ferrand, libraires, MDCCLXIX. 1 vol. in-12. Relié avec les nos 730 et 731. Recueil d’Épigrammes et de pièces satiriques. À consulter. Voir différentes éditions à 322 (avec notre notice), 732, 733, 734. 730. — Lettre philosophique, par M. de V***, Avec plusieurs pièces galantes et nouvelles, de différents auteurs. — A Berlin, aux Dépens de la Compagnie, MDCXCLX. Relié avec les 729 et 731. Double des 571 et 572. 731. — Pièces Libres de M. Ferrand, et poésies de quelques Auteurs sur divers sujets. — A Londres, MDCCLX. 1 volume in-12. Relié avec les nos 729 et 730. Voir 77 (avec notre notice), 320 et 321. 732. — Le Parnasse Libertin, ou Recueil de Poésies Libres. « Nitimur in vetitum semper... quod licet ingratum est. Ovid. » — A Amsterdam, chez Cazals et Ferrand, Libraires, MDCCLXXVI. 1 volume petit in-8 de 119 pages. Voir 322 (avec notre notice), 729, 733 et 734. 733. Le Parnasse Libertin, ou Recueil de Poésies Libres, « Nitimur in vetitum semper... quod licet ingratum est, Ovid. » — A Amsterdam, Aux dépens de la Compagnie, MDCCLXXXVIII. 1 volume. Cet exemplaire contient, à la fin, une table manusciùte donnant des indications précieuses sur les auteurs des pièces composant le recueil. Voir 322 (avec notre notice), 729, 732 et 734. 734. — Le Parnasse Libertin, ou Recueil de Poésies libres. « Nitimur in vetitum semper... quod licet ingratum est. Ovid. » — A Paillardisoropolis, chez le Dru, à l’Enseigne de Priape, l’An des Plaisirs. 1 volume petit in-8 de 201 pages, plus la table. Voir 322 (avec notre notice), 729, 732 et 733. 735-736. — Le Parnasse Satyrique du dix-neuvième siècle. Recueil de vers piquants et gaillards de MM. de Béranger, V. Hugo, E. Deschamps, A. Barbier, A. de Musset, Barthélémy, Protat, G. Nadaud, de Banville, etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc. Tome Premier [Second]. Pigritia. Invidia. Avaritia. Superbia. Furor. Luxuria. Gula. — Rome, à l’Enseigne des sept péchés capitaux. 2 volumes in-12 de iv-241 et iv-251 pages. Avec 1 frontispice de Félicien Rops (Bruxelles, Poulet-Malassis). Première édition de ce recueil, dont le 3e volume : Le Nouveau Parnasse... est à la cote Réserve P y2 57. Un autre exemplaire de cette édition à 737-738. Voir deux éditions augmentées à 739-740 et (2 exemplaires) 188-189, 191-192. Voir aussi Le Nouveau Parnasse à 190 et 193. Des exemplaires du Parnasse satyrique du XIXe siècle, cédés par Poulet-Malassis à J. Gay, ont été condamnés à la destruction pour outrages à la morale publique et religieuse, ainsi qu’aux bonnes mœurs, par jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, en date du 2 juin 1865, inséré au Moniteur du 8 novembre suivant (Affaire contre Gay). 737-738. — Le Parnasse Satyrique du dix-neuvième siècle... Double du 735-736. Exemplaire sur Chine, sans le frontispice. 739-740. — Le Parnasse Satyrique du dix-neuvième siècle. Recueil de vers piquants et gaillards de Béranger, V. Hugo, E. Deschamps, A. Barbier, A. de Musset, Barthélémy, Protat, G. Nadaud, de Banville, Baudelaire, Monselet, etc. Augmenté du Nouveau Parnasse. Tome Premier [Second]. » Viens donc, viens donc, ce n’est que pour pisser... » L’illustre auteur de la Muette de Portici, dans une vespasienne, exhortant à remonter à la braguette sa vieille queue dévallée dans les profondeurs du pantalon. — Oxford, imprimé pour la coterie des amoureux, 1878. 2 volumes in-12 de 2 ff. n. ch. vi-359 pp. et 6 ff. n. ch. 372 pp., brochés. Avec 2 frontispices libres à l’eau-forte de Félicien Rops (différents de celui de la 1re édition), en deux états, noir et rouge et noir. Un titre intérieur dit au 1er vol. : Recueil de pièces contemporaines tirées du cabinet d’un curieux pour servir à l’Histoire du temps présent. Vienne, chez William Fisher, imprimeur, 1868 ; et au second : Pièces contemporaines en vers pour servir à l’histoire de ce temps. Recueillies par E. K. J. Londres, impr. de John King, 1850. Lire les appendices qui sont fort curieux pour les identifications et l’attribution des pièces. 2e édition, contenant le Nouveau Parnasse. Voir la 1re édition (2 exemplaires) à 735-736 (avec notre notice), et 737-738 ; la 3e édition (2 exemplaires) à 188-189 (avec notre notice) et 191-192. Voir aussi Le Nouveau Parnasse Satyrique (2 exemplaires) à 190 et 193. 741. — Le Parvenu | légende | composée | de la Nature | du Présent, Passé, et Avenir, avec évidence pure et simple de | tout ce qui sert à former l’esprit : | or verra-t-on | que cil qui a l’intellect dur sera | confondu par son ignorance, | tout ainsi comme le docte aura pouvoir | de s’endoctriner | d’iceux misteres. | Alpha et Oméga | jmprimé vers la fin de la trente- | huitième année de L’Auteur. | En | Philopotamie. 1 volume in-12 de deux feuillets liminaires dont 1 blanc et l’autre ayant au recto le titre avec au verso l’épître dédicatoire et 22 pages plus 1 f. blanc. Reliure ancienne de maroquin vert, triple filet d’or. Dentelle intérieure, dos orné. Papier de garde marbré. Ornements au dos, avec Le Parvenu en long, tranches dorées. Les ff. ont 10 centimètres de large et 13 de haut ; ils sont rognés irrégulièrement. Sur le verso du 1er feuillet liminaire se trouvent ces deux notes manuscrites : 1. — Au crayon : Exemplaire de L. J. Hubaud. 2. — À l’encre, écriture du xviiie siècle : Ouvrage d’une exessive (sic) rareté, exempl. de M. le duc de la valière (sic) acheté 25 fr. à Paris à l’amiable chez M. de Bure, libraire, en may 1784. D’après Brunet, la note à l’encre serait de la main de M. le M. de M. (?) Sur la page de titre, autre note manuscrite à l’encre : « Il n’y a jamais eu que ceci d’imprimé, et c’est le seul fragment qui existe de l’ouvrage, la planche ayant été rompue et le reste du manuscrit brûlé par l’auteur, qui craignit d’être surpris en l’imprimant lui-même. » Plus le cachet de la Bibliothèque Nationale, et un autre cachet : Don n° 10825. Brunet prétend que le feuillet de frontispice porte au verso une épitre dédicatoire de 19 lignes. Le savant auteur du « Manuel du Libraire » s’est trompé. L’épitre dédicatoire se trouve au verso du titre (2e feuillet liminaire) et ne comprend que 6 vers (10 lignes en tout, avec le titre et les renvois). Du reste, la voici, telle qu’elle est disposée : EPITRE dedicatoire. Salut, bon an Joye et Santé A vous Dame de grand’ beauté, N’ayés jamais de vôtre vie Ni forte ni petite envie. De nominer cil qui vous fait En ce jourd’huy cettui bien- fait. La première page est chiffrée O et on y lit, en tête, le mot Fin par lequel commence l’ouvrage. L’ouvrage est écrit dans le style et dans le goût du Moyen de Parvenir. Cette première partie intitulée Fin (p. 1 à 21, c’est-à-dire 12) traite de Caron, d’Adam et d’Ève, et du pape ; la 2, (p. 21-12 à 17) intitulée Exorde, traite d’une aventure galante de Saint-Joseph, qui se continue dans la 3e partie ; (p. 17 à 20) Sistème ; la 4e partie : Apostille (p. 20 à la fin) se termine à la 22e ligne de la p. 21 qui n’est pas terminée. Ainsi que l’indique la note manuscrite, le volume n’est pas terminé. L’auteur-compositeur (le volume a été imprimé sur une petite presse à bras appartenant à l’auteur, et par lui-même) s’est arrêté au milieu d’une phrase, aux 3/4 de la page 22. L’impression était si pâle, que l’on a dû repasser à l’encre toutes les lettres de cette dernière page. À partir de la page 15 les feuillets sont tirés à la brosse. On y a rajouté, en-dessous de la dernière ligne de texte, et à l’encre, quatre lignes de tirets et ces mots : Hiatus magnus Deplorabilis. Il n’existe que ce seul exemplaire et on n’a pu découvrir l’auteur. 742. — Le Passe-Tems du Boudoir, ou Recueil Nouveau de Contes en vers. « Quis leget hec ? Perse Sat. — Ce sera moi, ce sera moi, Opéra de Zemir. » — A Galipoly, chez la Veuve Turban, libraire, rue du Ramasan, MDCCLXXXVII. 1 volume petit in-12 de 149 pages (y compris faux-titre, titre), plus 1 f. n. ch. de table. Rel. moderne, dem. chagrin bleu poli, à coins, filets, dos orné, tête dorée, non rogné. Déchirure raccommodée à la table. Le titre est double. (Sans quoi, fort joli exemplaire). 743. — La Perle, ou Quelques années de la vie d’une femme célèbre. — A Cythère, chez le Gardien du Temple. 1 volume in-18 s. d. (vers 1830), de 107 pages y compris les liminaires. Avec 1 frontispice et 4 lithographies libres (une autre manque). Pamphlet contre Mlle Mars. 744. — Le Petit Fils d’Hercule. — 1701. 1 volume in-18 de 166 pages (1781, et non 1701). Roman libertin, très bien écrit. Contient plusieurs poésies, parmi lesquelles des stances satiriques de Motin et de Sygognes. 745. — Le Petit Polisson, ou Le Chanteur Joyeux, par M. Libertini. — A Polissoneopolis, chez Roger-bon temps, de drôleries. Rue de la Gayeté, A la Lire Gaillarde. Texte et musique gravés (seconde moitié du xviiie siècle). In-8 s. d. de 1 titre et 28 ff. imprimés d’un seul côté et se faisant vis-à-vis deux par deux. Sans doute ces chansons se vendaient aussi séparément. Broché, papier rose. Une des chansons nous révèle le nom des éditeurs : Le Pelletier, renommé pour ces ariettes et chansons les plus nouvelles ; rue de la Tabletterie, près celle Saint-Denis, n° 2 à Par s et Toulan, rue Fromenteau, n 10. Voici la liste des 14 chansons grivoises qui composent ce recueil : Le Petit Hermitage. — Comme çà s’enfile. — Le Consenti. — L’Abbé triomphant. — Le Vinaigre d’amour. — Le grand Curé. — Chanson du gros René. — Les Quenouilles. — La fille ébranlable. — Les Amants satisfaits. — Gilles-le-Niais. — Ce qui s’ouvre un peu. — L’appartement de Glicère. — Le Boudoir d’Aspasie. 746. — Les Petits Bougres au Manège, ou Réponse de M***, Grand maître des enculeurs, et de ses adhérents, défendeurs, à la requête des fouteuses, des maquerelles et des branleuses, demanderesses. « Trahit sua quemque voluptas. » — A Enculons, chez Pierre Pousse-Fort, et se trouve au Palais-Royal, Thuileries et Luxembourg, L’an second du rêve de la liberté. Double du 657, broché papier rouge. Avec 1 frontispice et 3 gravures libres, dont les deux premières se trouvent également dans la Vie Privée du ci-derrière marquis de Villette (voir 656). 747. — Les Plaisirs de l’Ancien Régime et de tous les pays. Cet ouvrage, qui contient les Chef-d’œuvres de divers bons Auteurs, et orné de XX gravures à la manière anglaise, est pour faire suite à l’Aretin. Nouvelle édition. — A Londres, imprimé par ordre des Paillards. MDCCXCV. 1 volume in-18 de 144 pages. Avec 1 frontispice et 19 figures libres, dont 2 coloriées. Reliure moderne, maroquin bleu-foncé, plein, dentelle intérieure et tranches dorées. Le frontispice et les 16 premières gravures (accompagnant les 16 stances de l’Ode à Priape), sont les mêmes que dans plusieurs éditions de l’Ode de Piron. La 17e sert de frontispice à la Messaline en Pleurs. La 18e en couleurs, accompagne le Chapitre des Cordeliers, et la dernière, également en couleurs, le Débauché converti. Toutes se retrouvent dans divers autres recueils ou pamphlets. Voici le sommaire de cet ouvrage : 01. — Introduction (en prose). 02. — Ode à Priape, par M. Piron. 03. — La Messaline en Pleurs (C’est la Garce en Pleurs). 04. — Réponse du Clergé, dictée par l’abbé Grécourt. 05. — Petite leçon à ma Flûte (satire en vers). 06. — Vers Gaillards (3 épigrammes). 07. — Le Chapitre général des Cordeliers. 08. — (Deux épigrammes). 09. — (Deux épitaphes). 10. — Enigme (en vers). 11. — La Gageure, conte (en vers). 12. — Le Contrat de rente, conte (en vers). 13. — Le Débauché converti, par M. Robbé de Beauveset 14. — Le Frère et la sœur (épigramme). 15. — Chloé et le Papillon (en vers). 16. — L’Ave Maria, conte (en vers). 17. — Le premier coup de vêpres (épigramme). 18. — La Fille charitable (épigramme). 19. — Le Jubilé (conte en vers). 20. — La Maîtresse de Plain-Chant (conte en vers). 21. — Sermon contre le péché de la Chair (en vers), 22. — Les Belles Jambes (épigramme). 23. — Les cinq ponts (épigramme). 24. — L’expérience fit la science (épigramme). 25. — (Deux épigrammes). 26. — (Deux impromptus). 27. — Mon testament (en vers). La plupart de ces épigrammes sont de J.-B. Rousseau, Grécourt et Piron. 748. — Das Frauenzimmer von Vergnügen. — Boston, R. Chesterfield. 2 parties en 1 volume in-16 de 407 pages (Leipzig, 1872). Traduction allemande de Memoirs of Fanny Hill (voir 104). 1er vol. de la série : Priapische Romane (voir 749 et 750). C’est une réimpression en 3 vol. faite à Leipzig vers 1860, des Priapische Romane, Rom bei Seraph. Cazzovulva, 1791-97 (Berlin, 3 tomes). 749. — Die Frauenzimmer Schule in Sieben Gesprsæchen nach Meursius. Boston, bei R. Chesterfield. 1 volume in-16 de 454 pages (Leipzig, 1872). Traduction allemande de la Satire sotadique de Chorier (voir 28). 2e vol. de la série : Priapische Romane (voir 748 et 750). 750. — Mein Noviziat. — Boston, Bei Reginald Chesterfield. 1 volume in-16 de 480 pages (Leipzig, 1872). 3e volume des Priapische Romane (voir 748 et 749). Traduction allemande de Mon Noviciat d’Andrea de Nerciat, (voir 455-456). 751. — Les Progrès du Libertinage, Historiette trouvée dans le porte-feuille d’un carme réformé. Publiée par Un novice du même ordre. Ornée d’estampes en taille-douce. — De l’imprimerie de l’Abbesse de Mont-Martre, l’an second de la Liberté ; avec approbation des Danseuses de l’Opéra. 1 volume in-18 de 108 p.. Par J.-B. Nougaret. L’Epitre dédicatoire au foyer de l’opéra est signée : frère Enculos. Ex. d’Alfred Bégis saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. Un autre exemplaire à 752, avec 2 gravures libres. Voir aussi : Lucette (466). Condamné : 1o Par arrêt de la Cour d’assises de la Seine, en date du 9 août 1842, condamnant Régnier-Becker à 6 mois de prison et 200 francs d’amende (Moniteur du 15 décembre 1843) ; 2o Par arrêt de la même Cour, en date du 10 février 1852, condamnant Honoré Chapelle à un mois de prison et 16 francs d’amende (Moniteur du 8 mai 1852). Ce livre a encore été visé dans l’arrêt rendu par la même Cour, contre Vallade et consorts, le 29 avril 1845. 752. — Les Progrès du Libertinage, Historiette trouvee dans le portefeuille d’un carme réformé. Publiée par Un novice du même ordre. Ornée d’estampes en taille-douce. — De l’imprimerie de l’Abbesse de Mont-Martre. L’an second de la Liberté ; avec approbation des Danseuses de l’Opéra. Double du 751. Cartonné. Ex. d’Alfred Bégis, saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. Avec 1 frontispice et 2 figures libres. 753. — La Putain errante, ou Dialogue de Madeleine et Julie. Vers libres. 1 volume in-8 (xviiie siècle) ; manque le titre. Relié en veau. Voir La Putain Errante, 754, et La Puttana Errante, 89, 156, 220, 559 et 560. 754. — La Putain Errante, ou Dialogue de Madeleine et de Julie. Fidèlement traduit de l’italien en françois, par Pierre Aretino. — Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée, enrichie de gravures, aux dépens de Mademoiselle Théroigne de Méricourt, Présidente du Club du Palais-Royal, et spécialement chargée des Plaisirs des Gauches de notre auguste Sénat. — 1791. 1 volume s. l. in-18 de v-68 pages dont le titre, car l’avertissement chiffre en romain a été intercalé après coup. Rel. plein maroquin rouge janséniste, larges dent. intér., tranches dorées, avec 2 gravures libres. Il manque 4 pages qui ont été arrachées. Le texte est le même que dans la « Bibliothèque d’Aretin » (voir 597), et il est suivi (p. 65) des Vers Gaillards et Satyriques qui le suivent dans cet ouvrage, mais, ici, il est, en outre, précédé d’une Epitre dédicatoire à Mlle Théroigne. C’est une imitation du dialogue en prose faussement attribué à l’Arétin. Un ouvrage intitulé la Puttana Errante, ou Dialogues de Madeleine et de Julie, a été condamné à la destruction par un jugement du Tribunal correctionnel de la Seine (2e Chambre), en date du 25 février 1876. Voir, pour le texte italien et différentes traductions ou adaptations en français : 89, 156, 220, 559 et 560 et 753. 755. — Les Putins Cloîtrées, parodie des Visitandines, en deux actes. Ornée de jolies gravures. — A Bicêtre, et se trouve à Paris chez tous les libraires marchands de nouveautés. — 1796. 1 volume in-12 de 50 pages. Avec 4 figures libres (Paris, Mercier). Amusante parodie, très bien écrite, mais très obscène, et dont la destruction a été ordonnée, comme outrageant les bonnes mœurs, par arrêt de la Cour royale de Paris, du 16 novembre 1822, inséré au Moniteur du 26 mars 1825 (Affaire contre Rousseau). 756. — Les Quarante manières de foutre, dédiées au Clergé de France. — A Cythère, Au Temple de la Volupté, 1790. 1 volume in-18 de 72 pages, liminaires compris, broché bleu. Avec 7 planches libres, contenant l s 40 « postures », (il y en a 41 décrites en prose) et une gravure libre pour le conte : Les Œufs frais. Recueil de « Postures », suivi de plusieurs contes en vers. On y trouve entre autres cette épitaphe de Gervais (Gervaise de Latouche), auteur du Portier des Chartreux : Des bougres, des fouteurs, il écrivit l’histoire. Des bougSa plume fut son vit, Des bougSes couillons son esprit, Le foutre son génie, un con son écritoire. 757. — Les | Qvinze | marques approuuées | pour cognoistre les | faux Cons d’auec les | légitimes |. A la requeste des cercheurs de Mi-dy, Courriers de la foire | Sainct Germain, | MDCXX. S. l. petit in-8 de 8 pages dont le titre et la dernière non chiffrés. Cartonné. Facétie en prose. La dernière page contient 18 vers : Recepte approuvée de Dame Alix, pour en brief temps r’accoustrer le pucellage perdu. Voir diverses autres facéties du même genre : Sermon Joyeux d’un Dépucelleur de nourrices (voir 772). La Source du gros Fessier des nourrices (voir 773). La Source et Origine des Cons sauvages (voir 770). La grande et véritable prognostication des Cons sauvages (voir 667 et 771). Prognostication des Cons sauvages (voir 769). L’Origine des Cons sauvages (voir 726 et 727). 758. — Les Réclusières de Vénus. Allégorie. — A la Nouvelle Cithéropolis, MDCCL. 1 volume petit in-8o de 20 pages. Poème par Blanchet de Pravieux. 759. — Recueil de Comédies et de quelques chansons gaillardes. — Imprimé pour ce monde, MDCCLXXV. 1 volume in-18 de 309 pages. Avec 1 gravure libre, sur bois. Contient : Le Tempérament. — La Nouvelle Messaline. — Léandre-Nanette. — Le Bordel. — La comtesse d’Olonne. — Le Luxurieux. Et, en outre de ces comédies, des contes et poésies : L’Ode à Priape. — Le Débauché converti. — Le Chapitre général des Cordeliers. — Le Mal d’aventure. — Epitre à Uranie, des stances satiriques de Motin et Sygognes et quelques chansons libres. 760. — Recueil de pièces choisies rassemblées par les soins du Cosmopolite. — A Anconne, chez Uriel Bandant, à l’Enseigne de la Liberté, 1735. 1 volume in-16 de x-512 pages, avec une notice de 12 pages. Réimpression faite pour une Société de Bibliophiles, à 163 exemplaires, Leyde, 1865 (Exempl. no 5, sur papier de Chine) (Gay. Bruxelles). Voir à 923 et 924 deux exemplaires de l’Édition originale de ce Recueil célèbre, avec notre notice. 761. — Le Rendez-Vous de Madame Elisabeth, sœur du Roi, avec l’Abbé de S. Martin, Aumônier de la Garde Nationale, dans le Jardin des Tuileries. — A Paris, de l’imprimerie de la Foutro-Manie, 1790. 1 brochure in-12 de 24 pages. Avec 1 frontispice obscène. Cartonné. Pamphlet révolutionnaire. 762. — Requête et Décret en faveur des Putains, des Fouteuses, des Maquerelles et des Branleuses, contre les Bougres, les Bardaches et les Brûleurs de Paillasses. — A Gamahuchon, et se trouve chez toutes les Fouteuses Nationales. L’an second de la régénération foutative. 1 brochure s. d. in-8 de 21 pages (Paris, 1791). Sommaire : 1. — Epitre dédicatoire à Mme la vicomtesse de Confendu, dite la Bacchante ; Grande prêtresse de Bacchus, maîtresse jurée en fouterie (en prose). 2. — Réponse de la vicomtesse de Confendu au chevalier de Couille-Plate (en prose). 3. — Humble Requête des Fouteuses... (en vers). Elle commence à la page 13. 4. — Décret (en vers). 763. — Satan et Eve, ou l’Origine de la Fouterie et du Cocuage. Lorsque Satan eut foutu Madame Eve, Aussitôt le Père éternel Fit le sabat, et dit : J’endève, Mon jardin n’est plus qu’un bordel. A Damnopolis, chez Diabolino, libraire-éditeur, rue d’Enfer. 1 volume in-18 de 108 pages. Avec 6 lithographies libres (Paris, 1832). Parodie de la Genèse, assez bien écrite. La destruction de cet ouvrage a été ordonnée, par arrêt de la Cour d’assises de la Seine, en date du 29 avril 1845, pour outrages à la morale publique et religieuse, ainsi qu’aux bonnes mœurs (Affaire contre Vallade et consorts). (Insertion irrégulière, sans désignation spéciale, au Moniteur du 9 juin 1846). 764. — Satyres, ou Choix des meilleures pièces de vers qui ont précédé et suivi la Révolution. Ah ! quand il serait vrai que l’absurde pouvoir Eût entraîné Tarquin par de là son devoir, Qu’il en eût trop suivi l’amorce enchanteresse ; Quel homme est sans erreur et quel roi sans foiblesse ! Quel homme est sans erreur et quel roi sVolt. A Paris, l’An premier de la Liberté. 1 brochure in-8 de 32 pages (1790). Cartonné. Avec un frontispice libre en simili lavis. Recueil de pièces satiriques qui aurait été formé par Camille Desmoulins, si l’on en croit Barbier. Contient, en tout cas, plusieurs pièces signées de lui, comme on peut voir au sommaire suivant : 01. — Qu’aujourd’hui dans mes vers... : Camille Desmoulins. 02. — Tu dormois sur le trône... : Anonyme. 03. — La Diarrhée diabolique : Anonyme. 04. — La question difficile à résoudre : Camille Desmoulins. 05. — Épigramme sur le retranchement de la maison du roi : Anonyme. 06. — Fable, Le lion de toute antiquité... : Anonyme. 07. — Vers sur la lettre de M. de Calonne au Roi : Anonyme. 08. — Épigramme sur le cirque du Palais-Royal : Anonyme. 09. — Chanson d’un batellier de Saint-Cloud : J.-M. de Chénier. (Contre la Reine). 10. — Vers à l’occasion du buste du Roy : Anonyme. 11. — Vers sur la détention de Rohan : Anonyme. 12. — Mlle Le Gai d’Oliva : Anonyme. 13. — Cagliostro : Anonyme. (Défense de Cagliostro). 14. — Le Cardinal : Anonyme. 15. — Épigramme sur la flétrissure de Mlle de la Motte : Anonyme. 16. — Au Cardinal, lors de son exil : C. Desmoulins. 17. — Apostrophe de la Reine à Mlle d’Oliva : Anonyme. 18. — Chanson, Votre patronne... : Anonyme. (Sur la naissance du Dauphin). 19. — Noel, sur la naissance du Dauphin : Anonyme. (En 21 couplets). 20. — Complainte de la supérieure des Bénédictines : Abbé de la Baume. 21. — Brienne : Anonyme. 765. — La Scuola d’Amore, ossia stori galante e vera di un seminarista, cheimparo a far l’amore dal suo reverendo padre rettore. Con otto eleganti figure litografie fate per illustrare la presente storia. — Londra. 1862. 1 volume in-16 de 32 pages. Avec 8 figures obscènes coloriées. En italien. 766. — Les Secrettes Ruses d’Amour, où est monstré le vray moyen de faire les approches, et entrer aux plus fortes places de son Empire, par le S. D. M. A. P. — A Paris, pour Thomas Estoc, au Palais, en la galerie des prisonniers, MDCX. 2 parties en 1 volume in-12 de 107 ff. dont les 3 premiers y compris le titre n. chif. Reliure veau marbré, tranches jaspées. Suivi de (au f. 35 n. ch.) : Dialogues de l’Aretin, ou sont desduites les Vies, mœurs et desportemens de Laïs et Lamia, Courtisanes de Rome, traduit d’italien en françois (voir 767), et de (au f. 95) : La Maqverelle ou Vieille Covrtisane de Rome (en vers) (par Joachim du Bellay), pièce qui commence ainsi : Bien que du mal du quel ie suis atteinte Soit désormais tardive la Complainte Et qu’on ne doive imputer à raison Le repentir qui vient hors de saison... 767. — Dialogue de l’Aretin, où sont desduites les vies, mœurs et déportemens de Lais et Lamia, courtisanes de Rome, traduit d’italien en françois, Paris, M. DC. XI. 1 volume in-12 (Peut-être de Cologne). Voir 766. 768. — Le Sérail de Delys, ou Parodie de la Tragédie d’Alcibiade, petite comédie en vers, par M***. A Cologne, chez Pierre Marteau, imprimeur et libraire, à la Vérité, MDCCXXXV. In-8 de 16 pages. Comédie fort médiocre. 769. — Prognostication des cons sauvages. 1 volume petit in-8 de 24 pages. Avec 1 gravure libre (xvie siècle). La page de titre manque. Sommaire : 1. — Prognostication des Cons sauvages (en vers). 2. — Cy-après ensuyt la Chanson. 3. — La Source du gros Fessier des Nourrices, et la raison pourquoy elles sont si fendues entre les jambes. Avec la complainte de Monsieur le Cul contre les Inventeurs des Vertugalles. — Ici, au milieu de cette page de titre, la gravure représentant une nourrice nue, tournant le dos, avec, de chaque côté, deux phallus ailés (finement gravés). — Imprimé pour Yves Bomont, demeurant à Rouen en la rue de la Chievre. 4. — La Source du gros fessier (prose). 5. — M. le Cul aux Lecteurs (prose). 6. — Ensuyt la Complaincte de M. le Cul (vers). 7. — Chanson pour la réponse et consol. des Dames. Malgré cette page de titre au milieu, la pagination se suit depuis le débuts Voir diverses facéties du même genre à 667, 726, 727, 757, 770, 771, 772, 773. 770. — La source et origines des cons sauvages, et la manière de les apriuoiser, et le moyen de predire toutes choses à advenir par iceux. Plus la cruelle Bataille de Messer Bidault culbute et ses compagnons, contre le Reuerend Monstard le Baueux, ses aliez et confederez. Plus enrichy du Bail à Ferme desdits cons, avec les sens et rente et tout ce qui en despend. — A Lyon, Par Jean de la Montagne, 1610. 12 ff. n. ch. (Prose). Relié avec les nos 771, 772 et 773. Voir aussi diverses facéties semblables à 667, 726, 727, 757, 769. 771. — La grande et véritable Prognostication des Cons sauvages, avec la manière de les apprivoiser. — Nouvellement imprimée par l’autorité de l’Abbé des Conars. s. l. n. d. 10 p. titre compris. (En vers), Relié avec les nos 770, 772 et 773. Un autre exemplaire à 667. Voir aussi aux nos 726, 727, 757, 769 des facéties du même genre. 772. — Sermon Joyeux d’un Depucelleur de Nourrices. s. l. n. d. de 11 p. titre compris. (En vers). Relié avec les nos 770, 771 et 773. Voir aussi 667, 727, 757 et 769. 773. — La Source du gros Fessier des Nourrices, et la raison pourquoy elles sont si fendues entre les jambes. Avec La Complainte de Monsieur le Cul contre les inventeurs des Vertugalles. — Imprimé pour Yves Bomont, demeurant à Rouen en la rue de la Chievre. S. d. La source est en prose, et la complainte en vers et suivie de la Chanson pour la response et consolation des dames. Relié avec les nos 770, 771 et 772. Ensemble 4 pièces (réimpression du début du xviiie siècle) en 1 vol. in-12, reliure ancienne maroquin vert, filets, dos orné, dent. intér., tranches dorées. Voir aussi 667, 727, 757 et 769. 774. — Suite des Pantins des Boulevards ou Bordels de Thalie ; Confessions paillardes des tribades et catins, des tréteaux du boulevard, recueillies par le compère Mathieu ; Savoir : Au Théâtre de Nicolet ; Aux Associés ; Aux Beaujolais. Ouvrage aussi utile qu’agréable, dédié à tous les baladins de la fin du dix-huitième siècle, et enrichi de figures, par Leur espion ordinaire. Le tartuffe Sallé, le paillard Nicolet, Noisel le scélérat, mon ouvrage est complet. A Paris, de l’Imprimerie de Nicodème dans la Lune, 1791. 1 volume. Avec 4 figures libres, les mêmes que Les Bordels de Thalie (voir 608). Voir aussi les Costumes Théâtrales (624). 775. — Le Sylphe galant et observateur, Contes anti-moraux, et dédiés à la confrérie très morale des Auteurs du Mercure et Compagnie, par F. G***, un de leurs abonnés. — A Paris, de l’imprimerie de Tiger, et se trouve chez les marchands de nouveautés. An IX. 1 volume in-18 de 177 pages. Dem. rel. veau fauve, dos pièce, plats marbrés, tête dorée. Avec 1 frontispice non libre, mais anti-religieux. L’auteur rencontré par le diable, jadis boiteux, chez Mesmer, rue de la Huchette, reçoit de lui l’anneau babillard qui le rend sylphe. 776. — Le Tartufe Libertin, ou le Triomphe du vice. Qui curios simulant et bacchanalia vivat. Il prêche la sagesse et vit dans la débauche. Il prêche la sagesse et vit dans lJuvénal. A Cythère, chez le Gardien du Temple. 1 volume s. d. in-18 de 108 pages. Avec 1 frontispice et 5 mauvaises lithographies libres (Paris, vers 1831). Très rare. Dem.-rel. maroquin rouge, dos fleuronné d’une feuille de vigne dans chaque caisson, tranches peigne. Cet opuscule a été attribué au marquis de Sade, mais bien à tort, car il y est question de personnages du règne de Louis-Philippe. La destruction de cet écrit extrêmement licencieux a été ordonnée, pour outrages à la morale publique et aux bonnes mœurs, par arrêt de la Cour d’assises de la Seine, en date du 29 avril 1845. (Affaire contre Vallade et autres. — Moniteur du 9 juin 1846.) 777. — Almanach d’Amour et d’Amitié. 1 album petit in-12 de 18 pages. Avec 18 figures obscènes, une par page. Album de postures. Texte et légendes en trois langues, allemand, anglais et français. 778. — Le Taureau Bannal de Paris. — Cologne, chez Pierre Marteau, MDCCXII. 1 volume petit in-12 de 160 pages. Composé en caractères de divers corps. Gros au début, plus petits à partir de la page 311, et encore plus petits de la page 157 à la fin. Note manuscrite à l’encre (écriture du xviiie siècle) sur la page de titre : « On prétend que dans ce petit livre on a voulu représenter M. d’Artagnan, depuis maréchal de France, sous le nom de Montesquiou. La 1re édition est de Cologne, 1689. » 779-780. — Théâtre Gaillard, Tome Premier [Second]. — Glascow, 1776. 2 tomes en 1 volume in-18 de 167 et 155 pages. Avec 9 figures libres (Le C. d’I*** en annonce 10). Contient : Tome I : Le Luxurieux. — Le Tempérament. — Le Bordel — L’Appareilleuse. — Le Gascon, conte. — Le mal d’aventure, conte — Chanson (Qu’on me baise...). — Le Débauché converti, conte. Tome II : La comtesse d’Olonne. — Vasta, reine de Bordélie — Messaline. — Alphonse l’Impuissant. — Les Deux Biscuits. — Les Plaisirs du Cloître. On compte au moins neuf réimpressions de cet ouvrage licencieux. La dernière a été faite à Bruxelles, en 1865. Le Théâtre Gaillard a été condamné à la destruction pour outrages à la morale publique et aux bonnes mœurs, par : 1o Arrêt de la Cour royale de Paris, du 16 novembre 1822, inséré au Moniteur du 26 mars 1825 (Affaire contre Rousseau). 2o Arrêt de la Cour d’assises de la Seine, du 24 novembre 1834, inséré au Moniteur du 26 juin 1836, condamnant en outre Auguste-Jean, commis-libraire, à 3 mois de prison et 300 francs d’amende, pour mise en vente dudit ouvrage. 3o Arrêt de la Cour d’assises de la Vienne, du 12 décembre 1838 inséré au Moniteur du 9 juin 1839, condamnant en outre Henri Clouzot, libraire à Niort, Jean-Antoine et Jean-Bertrand Porterie, chacun à 10 francs d’amende, pour mise en vente dudit ouvrage. Et 4o Par jugement du tribunal correctionnel de Lille, du 6 mai 1868, inséré au Moniteur du 19 septembre suivant, condamnant à la destruction le Théâtre Gaillard (éd. de 1865), ouvrage commençant par ces mots : « Le Théâtre Gaillard contient », et finissant par ceux-ci : « Divertissement et Fouterie générale. » (Affaire contre Duquesne). Voir à 781, 782-783, 784, 785-786, d’autres éditions ou réimpressions. 781. — Théâtre Gaillard. Tome Premier. — Glacsʍo, 1782. 1 volume in-18. Premier volume seulement. Contient : Le Luxurieux. — Le Bordel. — L’appareilleuse. Voir d’autres éditions à 779-780 (avec notre notice), 782-783, 784, 785-786. 782-783. — Théâtre Gaillard. Tome Premier [Second]. — Londres, Alfeston et Comp. 1803. 2 volumes in-18 de 248 pages chacun. Avec 11 gravures libres (4 au tome I et 7 au second). Un autre exemplaire de cette édition à 784. Voir aussi 779-780 (avec notre notice), 781, 785-786. 784. — Théâtre Gaillard... Double du 782-783. Relié en 10 volumes, 1 par pièce, numérotés 784-1 à 784-10. 785-786. — Le Théâtre Gaillard, revu et augmenté. — 1776-1865. 2 volumes in-12. Voir 779-780 (avec notre notice), 781, 782-783, 784. 787. — La Tourelle de Saint-Etienne. ou le Séminaire de Vénus. Chronique historique, traduite du Latin, par Un clerc tonsuré. C’est bien connu, les gens d’église Sont très fervens en paillardise. Ces messieurs fêtent sans façon Tantôt le cu, tantôt le con. A Cythère, chez le gardien du Temple. 1 volume in-18 de viii-95 pages. Broché. Avec 6 lithographies libres (Paris, vers 1830). Un autre exemplaire à 788. Production obscène et sans esprit, dirigée contre Mgr de Quélen, archevêque de Paris, et contre les moines et les nonnes. L’action roule depuis le Consulat jusqu’aux premières années du règne de Louis-Philippe. Destruction ordonnée, pour outrages à la morale publique et religieuse, ainsi qu’aux bonnes mœurs : 1o Par arrêt de la Cour d’assises de la Seine, en date du 21 août 1831, acquittant d’ailleurs Gautier, ouvrier bouquiniste (point d’insertion au Moniteur) ; 2o Par jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, en date du 10 février 1852 (Affaire contre Chapelle, Journal Officiel du 7 mai 1874). 788. — La Tourelle de Saint-Etienne, ou le Séminaire de Vénus. Chronique historique, traduite du Latin, par Un clerc tonsuré. C’est bien connu, les gens d’église Sont très fervens en paillardise. Ces messieurs fêtent sans façon Tantôt le cu, tantôt le con. A Cythère, chez le gardien du Temple. Double du 787. Exemplaire non rogné. 789. — Venere e Marte, ossia Scherzi amorosi e galanti della vita militare, operetta graziosa, scritta per gli uomini, e per le donne, e principalmente per coloro, che fortunatamente non hanno ancora preso moglie. Decorata con 8 belle figure, Scritta da un uomo géniale. — Palmira, 1863. 1 volume in-18. Avec 8 figures libres. En italien. Ouvrage pour le colportage. 790-791-792. — Vie de Marie-Antoinette d’Autriche, reine de France, Femme de Louis XVI, roi des Français, depuis la perte de son pucelage jusqu’au premier mai, 1791. Ornée de vingt-six figures, et augmentée d’une troisième partie. — A Paris, chez l’auteur et ailleurs, avec permission de la Liberté. 3 tomes en 1 volume in-18 de 144, 142 et 138 pages, plus 4 ff. blancs. (1792-1793). Ex. d’Alfred Bégis saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. Relié en maroquin rouge, tranches dorées, dentelle intérieure. Avec 33 figures libres, paginées et accompagnées de distiques. Second titre : Vie privée, libertine et scandaleuse de Marie-Antoinette d’Autriche, ci-devant Reine des François, depuis son arrivée en France, jusqu’à sa détention au Temple... — Aux Thuileries, et au Temple, et se trouve au Palais de l’Egalité, ci-devant Palais-Royal, chez les marchands de nouveautés. L’an premier de la République. L’Epitre dédicatoire est signée : Dom Bougre. Il y a 4 parties. La troisième commence à la page 107 du tome II. La 4e comprend tout le tome III. Le titre de cette partie est entièrement refait à la main par un nommé Vigna. Les gravures du tome III ne sont pas libres. Trois d’entre elles, Affaire du Champ-de-Mars (17 juillet 1791), Attaque des Tuileries et Entrée de la famille royale à l’Assemblée Législative (10 août 1792), semblent appartenir à une autre publication, car les légendes ne sont point conformes au texte des passages correspondants. Les deux autres représentent un épisode du soi-disant rendez-vous de la reine et de la Fayette et l’apparition de Frédégonde à Marie-Antoinette. En annonçant sous son no 3844 cette Vie privée, libertine et scandaleuse... et en ajoutant que le troisième volume paraîtrait le 1er décembre suivant, le rédacteur de la Feuille de correspondance du libraire (Dubroca) apostillait cet avis de l’appréciation que voici : « Nous avertissons par avance les pères de famille de ne pas laisser tomber cet ouvrage dans les mains de leurs enfants. Les gravures libres dont il est accompagné, le style non moins libre dont il est écrit, pourraient bien produire en eux des ravages dont ils se repentiraient et nous sommes au moment où des mœurs sévères doivent présider à l’éducation de notre jeunesse. Il ne faut donc mettre cet ouvrage que dans les mains des hommes faits ; encore doit-on les prévenir que ce n’est pas la vérité tout entière qu’ils liront, mais bien de fortes présomptions sur les faits racontés. Au surplus, le mal que la calomnie pourrait répandre sur une famille aussi perverse, est si peu de chose en comparaison de celui qu’elle a voulu nous faire que, quand il arriverait que les traits les plus faux de cette histoire seraient crus à la lettre, ce ne serait encore qu’une juste peine que subiraient des êtres malveillants auxquels une nation généreuse avait voulu assurer le plus beau sort de l’univers et qui, pour prix d’un semblable bienfait, tramèrent le complot le plus affreux dont jamais l’histoire nous a transmis le détail ». Voir 793 et 794. 793. — Vie privée, libertine et scandaleuse de Marie-Antoinette d’Autriche, ci-devant Reine des Français ; depuis son arrivée en France, jusqu’à sa détention au Temple. Ornée de gravures. Nouvelle édition, gmentée [sic] d’un troisième volume. Tome Troisième. — A Paris, Au Palais de la Révolution, 1793, seconde de la République. 1 volume in-18, de 1 titre et 138 pp. broché. Le titre de départ porte : « Vie politique et libertine de Marie-Antoinette. » Avec 5 figures non libres. Les mêmes qu’au tome III de l’exemplaire complet : 790-791-792. C’est le 3e volume de la Vie de Marie-Antoinette d’Autriche. Il provient de Labédoyère. Voir aux nos cités plus haut. Voir aussi 794. 794. — Vie Politique de Marie-Antoinette d’Autriche, ci-devant Reine des Français ; Depuis son arrivée en France, jusqu’à sa détention au Temple... (Le reste de la page de titre est déchiré). In-18 de 138 p. au lieu de 142, les 4 dernières ayant été mangées des rats. Avec 4 figures libres numérotées 21, 22, 24, 26. C’est le 2e volume de la Vie de Marie-Antoinette d’Autriche. Il provient de Labédoyère. (Voir exemplaire complet à 790-791-792). Voir aussi 793. 795. — Vie privée, libertine et scandaleuse de feu Honoré-Gabriel Riquetti, ci-devant Comte de Mirabeau, député du Tiers-Etat, des Sénéchaussées d’Aix et de Marseille, membre du département de Paris, commandant de bataillon de la milice bourgeoise du district de Grange-Batellière, président du club Jacobiste, etc., etc., etc. A Paris, rue de l’Echelle, en Suisse, à Londres, en Prusse et en Hollande, chez tous ses créanciers MDCCXCI. In-8o de iv-192 pages avec portrait de Mirabeau, frontispice et 5 figures libres. Demi-rel. toile grise. C’est une réimpression du Libertin de qualité, avec un nouveau titre et quelques modifications : L’Epitre à Satan y est signée Mirabeau, et on a fait précéder le texte du Libertin de quatre pages inédites. Il s’agit à la fois d’une manœuvre des ennemis de Mirabeau et d’une supercherie d’éditeur. 796. — Vie Voluptueuse des Capucins et des Nonnes, tirée de la confession d’un Frère de cet Ordre. Augmentée d’un Poëme héroï-comique sur leurs Barbes, et de plusieurs autres pièces relatives à cet Ordre. — A Cologne, chez Pierre le Sincère, 1775. 1 volume petit in-12 de 168 pages. Ouvrage licencieux et obscène, cité au Catalogue Wittersheim, page 61. Suivi de Poésies, Contes et Epigrammes. 797. — Le vrai bonheur. Ode à l’Amour. — Où l’on a pu, avec privilège du Grand Turc, MDCCLVIII Pet. in-8o, titre, faux-titre et 12 pages, cartonné. Mauvaise parodie de l’Ode à Priape en 20 strophes de 10 vers. Les coquilles sont innombrables (plusieurs à chaque mot) et un bon quart des vers manquent. 798-799. — Les Cousines de la Colonelle, par Madame la Vicomtesse de Cœur-Brûlant. — Lisbonne, chez Antonio da Boa-Vista. 2 volumes de 172 et 268 pages. Le frontispice manque. Édition à 500 ex. (Ex. non numéroté). C’est la 2e édition. (Voir à 52 la 1re édition en un seul volume, avec notre notice). Les clichés de la 1re édition ont servi pour tirer la couverture de celle-ci, mais le texte de l’ouvrage a été composé à nouveau. Les vignettes en haut des chapitres, sont différentes de celles de l’exemplaire 52, et le texte tient une page de plus.
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/365
Ce livre a encore été visé dans l’arrêt rendu par la même Cour, contre Vallade et consorts, le 29 avril 1845. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0752|752}}. — '''Les Progrès du Libertinage''', ''Historiette trouvee dans le portefeuille d’un carme réformé. Publiée par'' {{sc|{{sp|1px|Un novice du même ordre}}}}. Ornée d’estampes en taille-douce. — De l’imprimerie de l’Abbesse de Mont-Martre. L’an second de la Liberté ; avec approbation des Danseuses de l’Opéra.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} Double du {{lia|8|c0751|751|364}}. Cartonné. Ex. d’Alfred Bégis, saisi à son domicile et déposé à la Bibliothèque en 1866. Avec 1 frontispice et 2 figures libres. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0753|753}}. — '''La Putain errante''', ou ''Dialogue de Madeleine et Julie. Vers libres''.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} 1 volume in-8 ({{s|xviii|e}}) ; manque le titre. Relié en veau. Voir ''La Putain Errante'', {{lia|8|c0754|754|365}}, et ''La Puttana Errante'', {{lia|1|c0089|89|76}}, {{lia|2|c0156|156|123}}, {{lia|3|c0220|220|149}}, {{lia|6|c0559|559|271}} et {{lia|6|c0560|560|272}}. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0754|754}}. — '''La Putain Errante''', ou ''Dialogue de Madeleine et de Julie. Fidèlement traduit de l’italien en françois'', par {{sc|{{sp|1px|Pierre Aretino}}}}. — ''Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée, enrichie de gravures, aux dépens de Mademoiselle Théroigne de Méricourt, Présidente du Club du Palais-Royal, et spécialement chargée des Plaisirs des Gauches de notre auguste Sénat''. — 1791.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} 1 volume s. l. in-18 de {{sc|v}}-68 pages dont le titre, car l’avertissement chiffre en romain a été intercalé après coup. Rel. plein maroquin rouge janséniste, larges dent. intér., tranches dorées, avec 2 gravures libres. Il manque 4 pages qui ont été {{corr|a rachées|arrachées|coquille}}. Le texte est le même que dans la « Bibliothèque d’Aretin » (voir {{lia|6|c0597|597|300}}), et il est suivi (p. 65) des ''Vers Gaillards et Satyriques'' qui le suivent dans cet ouvrage, mais, ici, il est, en outre, précédé d’une ''Epitre dédicatoire à {{Mlle}} Théroigne''. <references/>
Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/358
{{tiret2|ou|trages}} à la morale publique et religieuse, ainsi qu’aux bonnes mœurs, par jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, en date du 2 juin 1865, inséré au ''Moniteur'' du 8 novembre suivant (Affaire contre Gay). {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0737|737-738}}. — '''Le Parnasse Satyrique du dix-neuvième siècle'''...|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} Double du {{lia|8|c0735|735-736|357}}. Exemplaire sur Chine, sans le frontispice. {{brn|2}} {{a|{{t|{{ancre+|c0739|739-740}}. — '''Le Parnasse Satyrique du dix-neuvième siècle'''. ''Recueil de vers piquants et gaillards de Béranger, V. Hugo, E. Deschamps, A. Barbier, A. de Musset, Barthélémy, Protat, G. Nadaud, de Banville, Baudelaire, Monselet, etc. Augmenté du'' '''Nouveau Parnasse'''. Tome Premier [Second]. » Viens donc, viens donc, ce n’est que pour pisser... » L’illustre auteur de la Muette de Portici, dans une vespasienne, exhortant à remonter à la braguette sa vieille queue dévallée dans les profondeurs du pantalon. — Oxford, imprimé pour la coterie des amoureux, 1878.|110}}|1.5|-1.5}}{{brn|1}} 2 volumes in-12 de 2 ff. n. ch. {{sc|vi}}-359 pp. et 6 ff. n. ch. 372 pp., brochés. Avec 2 frontispices libres à l’eau-forte de Félicien Rops (différents de celui de la {{1re}} édition), en deux états, ''noir'' et ''rouge et noir''. Un titre intérieur dit au {{1er}} vol. : ''Recueil de pièces contemporaines tirées du cabinet d’un curieux pour servir à l’Histoire du temps présent. Vienne, chez William Fisher, imprimeur'', 1868 ; et au second : ''Pièces contemporaines en vers pour servir à l’histoire de ce temps. Recueillies par E. K. J. Londres, impr. de John King'', 1850. Lire les appendices qui sont fort curieux pour les identifications et l’attribution des pièces. 2{{e}} édition, contenant le ''Nouveau Parnasse''. Voir la {{1re}} édition (2 exemplaires) à {{lia|8|c0735|735-736|357}} (avec notre notice), et {{lia|8|c0737|737-738|358}} ; la 3{{e}} édition (2 exemplaires) à {{lia|2|c0188|188-189|137}} (avec notre notice) et {{lia|2|c0191|191-192|138}}. <references/>
Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue et autres contes merveilleux/La Chemise
Anatole France LA CHEMISE Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue et autres contes merveilleux, Calmann-Lévy, 1921 (p. 161-306). ◄ HISTOIRE DE LA DUCHESSE DE CICOGNE ET DE MONSIEUR DE BOULINGRIN collectionLA CHEMISEAnatole FranceCalmann-Lévy1921ParisCLA CHEMISEAnatole France - Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue.djvuAnatole France - Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue.djvu/7161-306 C’était un jeune berger nonchalamment étendu sur l’herbe de la prairie et charmant sa solitude aux sons du chalumeau... On lui avait enlevé de force ses habits, mais... (Grand Dictionnaire de Pierre Larousse, article Chemise ; t. IV, p. 5 ; col. 4.) LE ROI CHRISTOPHE, SON GOUVERNEMENT, SES MŒURS, SA MALADIE Christophe V n’était pas un mauvais roi. Il observait exactement les règles du gouvernement parlementaire et ne résistait jamais aux volontés des Chambres. Cette soumission ne lui coûtait pas beaucoup, car il s’était aperçu que, s’il y a plusieurs moyens d’arriver au pouvoir, il n’y en a pas deux de s’y maintenir ni deux façons de s’y comporter, que ses ministres, quels que fussent leur origine, leurs principes, leurs idées, leurs sentiments, gouvernaient tous d’une seule et même façon et que, en dépit de certaines divergences de pure forme, ils se répétaient les uns les autres avec une exactitude rassurante. Aussi portait-il sans hésitation aux affaires tous ceux que les Chambres lui désignaient, préférant toutefois les révolutionnaires comme plus ardents à imposer leur autorité. Pour sa part, il s’occupait surtout des affaires extérieures. Il faisait fréquemment des voyages diplomatiques, dînait et chassait avec les rois ses cousins et se vantait d’être le meilleur ministre des affaires étrangères qu’on pût rêver. A l’intérieur, il se soutenait aussi bien que le permettait le malheur des temps. Il n’était ni très aimé ni très estimé de son peuple, ce qui lui assurait l’avantage précieux de ne jamais donner de déceptions. Exempt de l’amour public, il n’était point menacé de l’impopularité assurée à quiconque est populaire. Son royaume était riche. L’industrie et 1e commerce y florissaient sans toutefois s’étendre de façon à inquiéter les nations voisines. Ses finances surtout commandaient l’admiration. La solidité de son crédit semblait inébranlable ; les financiers en parlaient avec enthousiasme, avec amour et les yeux mouillés de larmes généreuses. Quelque honneur en rejaillissait sur le roi Christophe. Le paysan le rendait responsable des mauvaises récoltes ; mais elles étaient rares. La fertilité du sol et la patience des laboureurs faisaient ce pays abondant en fruits, en blés, en vins, en troupeaux. Les ouvriers des usines, par leurs revendications continues et violentes effrayaient les bourgeois qui comptaient sur le roi pour les protéger contre la révolution sociale, les ouvriers de leur côté, ne pouvaient point le renverser, car ils étaient les plus faibles, et n’en avaient guère envie, ne voyant pas ce qu’ils gagneraient à sa chute.Il ne les soulageait point ni ne les opprimait davantage afin qu’ils fussent toujours une menace et jamais un danger. Ce prince pouvait compter sur l’armée : elle avait un bon esprit. L’armée a toujours un bon esprit ; toutes les mesures sont prises pour qu’elle le garde ; c’est la première nécessité de l’État. Car, si elle le perdait, le gouvernement serait aussitôt renversé. Le roi Christophe protégeait la religion. A vrai dire, il n’était pas dévôt et, pour ne point penser contrairement à la foi, il prenait l’utile précaution de n’en examiner jamais aucun article. Il entendait la messe dans sa chapelle et n’avait que des égards et des faveurs pour ses évêques, parmi lesquels se trouvaient trois ou quatre ultramontains qui l’abreuvaient d’outrages. La bassesse et la servilité de sa magistrature lui inspiraient un insurmontable dégoût. Il ne concevait pas que ses sujets pussent supporter une si injuste justice ; mais ces magistrats achetaient leur honteuse faiblesse envers les forts par une inflexible dureté a l’égard des faibles. Leur sévérité rassurait les intérêts et commandait le respect. Christophe V avait remarqué que ses actes ou ne produisaient pas d’effet appréciable ou produisaient des effets contraires à ceux qu’il en attendait. Aussi agissait-il peu. Ses ordres et ses décorations étaient son meilleur instrument de règne. Il les décernait à ses adversaires, qui en étaient avilis et satisfaits. La reine lui avait donné trois fils. Elle était laide, acariâtre, avare et stupide, mais le peuple, qui la savait délaissée et trompée par le roi, la poursuivait de louanges et d’hommages. Après avoir recherché une multitude de femmes de toutes les conditions, le roi se tenait le plus souvent auprès de madame de la Poule, avec laquelle il avait des habitudes. En femmes il eût toujours aimé la nouveauté ; mais une femme nouvelle n’était plus une nouveauté pour lui et la monotonie du changement lui pesait. De dépit, il retournait à madame de la Poule et ce « déjà vu » qui lui était fastidieux chez celles qu’il voyait pour la première fois, il le supportait moins mal chez une vieille amie. Cependant elle l’ennuyait avec force et continuité. Parfois, excédé de ce qu’elle se montrât toujours fadement la même, il essayait de la varier par des déguisements et la faisait habiller en Tyrolienne, en Andalouse, en capucin, en capitaine de dragons, en religieuse, sans cesser un moment de la trouver insipide. Sa grande occupation était la chasse, fonction héréditaire des rois et des princes qui leur vient des premiers hommes, antique nécessité devenue un divertissement, fatigue dont les grands font un plaisir. Il n’est plaisir que de fatigue. Christophe V chassait six fois par semaine. Un jour, en forêt, il dit à M. de Quatrefeuilles, son premier écuyer : — Quelle misère de courre le cerf ! — Sire, lui répondit l’écuyer, vous serez bien aise de vous reposer après la chasse. — Quatrefeuilles, soupira le roi, je me suis plu d’abord à me fatiguer, puis à me reposer. Main tenant je ne trouve d’agrément ni à l’un ni à l’autre. Toute occupation a pour moi le vide de l’oisiveté, et le repos me lasse comme un pénible travail. Après dix ans d’un règne sans révolutions ni guerres, tenu enfin par ses sujets pour un habile politique, érigé en arbitre des rois, Christophe V ne goûtait nulle joie au monde. Plongé dans un abattement profond, il lui arrivait souvent de dire : — J’ai constamment des verres noirs devant les yeux, et, sous les cartilages de mes côtes, je sens un rocher où s’assied la tristesse. Il perdait le sommeil et l’appétit. - Je ne puis plus manger, disait-il à M. de Quatrefeuilles, devant son couvert auguste de vermeil. Hélas ! ce n’est pas le plaisir de la table que je regrette, je n’en ai jamais joui : Ce plaisir, un roi ne le connut jamais. J’ai la plus mauvaise table de mon royaume. Il n’y a que les gens du commun qui mangent bien ; les riches ont des cuisiniers qui les volent et les empoisonnent. Les plus grands cuisiniers sont ceux qui volent et empoisonnent le plus et j’ai les plus grands cuisiniers d’Europe. Pourtant j’étais gourmand, de mon naturel, et j’eusse, comme un autre, aimé les bons morceaux, si mon état l’eût permis. Il se plaignait de maux de reins et de pesanteurs d’estomac, se sentait faible, avait la respiration courte et des battements de cœur. Par moments, les insipides bouffées d’une chaleur molle lui montaient au visage. — Je ressens, disait-il, un mal sourd, continu, tranquille, auquel on s’habitue, et que traversent, de temps à autre, les éclairs d’une douleur fulgurante. De là ma stupeur et mon angoisse. La tête lui tournait ; il avait des éblouissements, des migraines, des crampes, des spasmes et des élancements dans les flancs qui lui coupaient la respiration. Les deux premiers médecins du roi, le docteur Saumon et le professeur Machellier, diagnostiquèrent la neurasthénie. — Unité morbide mal dégagée ! dit le professeur Saumon. Entité nosologique insuffisamment définie, par là même insaisissable... Le professeur Machellier l’interrompit ; — Dites, Saumon, véritable Protée pathologique qui, comme le Vieillard des Mer, se transforme sans cesse sous l’étreinte du praticien et revêt les figures les plus bizarres et les plus terrifiantes ; tour à tour vautour de l’ulcère stomacal ou serpent de la néphrite, soudain elle dresse la face jaune de l’ictère, montre les pommettes rouges de la tuberculose ou crispe des mains d’étrangleuse qui feraient croire qu’elle a hypertrophié le cœur ; enfin elle présente le spectre de tous les maux funestes au corps humain, jusqu’à ce que, cédant à l’action médicale et s’avouant vaincue, elle s’enfuit sous sa véritable figure de singe des maladies. Le docteur Saumon était beau, gracieux, charmant, aimé des dames en qui il s’aimait. Savant élégant, médecin mondain, il reconnaissait encore l’aristocratie dans un caecum et dans un péritoine et observait exactement les distances sociales qui séparent les utérus. Le professeur Machellier, petit, gros, court, en forme de pot, parleur abondant, était plus fat que son collègue Saumon. Il avait les mêmes prétentions et plus de peine à les soutenir. Ils se haïssaient ; mais, s’étant aperçus qu’en se combattant l’un l’autre ils se détruisaient tous deux, ils affectaient une entente parfaite et une communion plénière de pensées : l’un n’avait pas plutôt exprimé une idée que l’autre la faisait sienne. Bien qu’ayant de leurs facultés et de leur intelligence une mésestime réciproque, ils ne craignaient pas de changer entre eux d’opinion, sachant qu’ils n’y risquaient rien et ne perdraient ni ne gagneraient au change, puisque c’étaient des opinions médicales. Au début, la maladie du roi ne leur causait pas d’inquiétude. Ils comptaient que le malade en guérirait pendant qu’ils le soigneraient et que cette coïncidence serait notée à leur avantage. Ils prescrivirent d’un commun accord une vie sévère (Quibus nervi dolent Venus inimica), un régime tonique, de l’exercice en plein air, l’emploi raisonné de l’hydrothérapie. Saumon, à l’approbation de Machellier, préconisa le sulfure de carbone et le chlorure de méthyle ; Machellier, avec l’acquiescement de Saumon, indiqua les opiacés, le chloral et les bromures. Mais plusieurs mois s’écoulèrent sans que l’état du roi parût s’amender si peu que ce fût. Et bientôt les souffrances devinrent plus vives. — Il me semble, leur dit un jour Christophe V étendu sur sa chaise longue, il me semble qu’une nichée de rats me grignotent les entrailles, pendant qu’un nain horrible, un kobold en capuchon, tunique et chausses rouges, descendu dans mon estomac, l’entame à coups de pic et le creuse profondément. — Sire, dit le professeur Machellier, c’est une douleur sympathique. — Je la trouve antipathique, répondit le roi. Le docteur Saumon intervint : — Ni l’estomac, Sire, ni l’intestin de Votre Majesté n’est malade, et, s’ils vous causent une souffrance, c’est, disons-nous, par sympathie avec votre plexus solaire, dont les innombrables filets nerveux, emmêlés, embrouillés, tiraillent dans tous les sens l’intestin et l’estomac comme autant de fils de platine incandescent. — La neurasthénie, dit Machellier, véritable Protée pathologique... Mais le roi les congédia tous deux. Quand ils furent partis : — Sire, dit M. de Saint-Sylvain, premier secrétaire des commandements, consultez le docteur Rodrigue. — Oui, Sire, dit M. de Quatrefeuilles, faites appeler le docteur Rodrigue. Il n’y a que cela à faire. A cette époque le docteur Rodrigue étonnait l’univers. On le voyait presque en même temps dans tous les pays du globe. Il faisait payer ses visites d’un prix tel que les milliardaires reconnaissaient sa valeur. Ses confrères du monde entier, quoi qu’ils pussent penser de son savoir et de son caractère, parlaient avec respect d’un homme qui avait porté à une hauteur inouïe jusque-là les honoraires des médecins ; plusieurs préconisaient ses méthodes, prétendant les posséder et les appliquer à prix réduits et contribuaient ainsi à sa célébrité mondiale. Mais, comme le docteur Rodrigue se plaisait à exclure de sa thérapeutique les produits de laboratoire et les préparations des officines pharmaceutiques, Comme il n’observait jamais les formules du codex, ses moyens curatifs présentaient une bizarrerie déconcertante et des singularités inimitables. M. de Saint-Sylvain, sans avoir pratiqué Rodrigue, avait en lui une foi absolue et y croyait comme en Dieu. Il supplia le roi de faire appeler le docteur qui opérait des miracles. Ce fut en vain. — Je m’en tiens, dit Christophe V, à Saumon et Machellier, je les connais, je sais qu’ils ne sont capables de rien ; tandis que je ne sais pas ce dont est capable ce Rodrigue. LE REMÈDE DU DOCTEUR RODRIGUE Le roi n’avait jamais beaucoup aimé ses deux médecins ordinaires. Après six mois de maladie, ils lui devinrent tout à fait insupportables ; du plus loin qu’il voyait les belles moustaches qui couronnaient le sourire éternel et victorieux du docteur Saumon et les deux cornes de cheveux noirs collées sur le crâne de Machellier, il grinçait des dents et détournait farouchement le regard. Une nuit, il jeta par la fenêtre leurs potions, leurs globules et leurs poudres, qui remplissaient la chambre d’une odeur fade et triste. Non seulement il ne fit plus rien de ce qu’ils lui ordonnaient, mais il prit grand soin d’observer au rebours leurs prescriptions : il demeurait étendu quand ils lui recommandaient l’exercice, s’agitait quand ils lui ordonnaient le repos, mangeait quand ils le mettaient à la diète, jeûnait quand ils préconisaient la suralimentation ; et montrait à madame de la Poule une ardeur si inusitée qu’elle n’en pouvait croire le témoignage de ses sens et pensait rêver. Pourtant, il ne guérissait point, tant il est vrai que la médecine est un art décevant et que ses préceptes, en quelque sens qu’on les prenne, sont également vains. Il n’en allait pas plus mal, mais il n’en allait pas mieux. Ses douleurs abondantes et variées ne le quittaient pas. Il se plaignait de ce qu’une fourmilière s’était établie dans son cerveau et que cette colonie industrieuse et guerrière y creusait des galeries, des chambres, des magasins, y transportait des vivres, des matériaux, y déposait des œufs par milliards, y nourrissait les jeunes, y soutenait des sièges, donnait, repoussait des assauts, s’y livrait des combats acharnés. Il sentait, disait-il, quand une guerrière tranchait de ses mandibules acérées le dur et mince corselet de l’ennemie. — Sire, lui dit M. de Saint-Sylvain, faites venir le docteur Rodrigue. Il vous guérira sûrement. Mais le roi haussa les épaules et, dans un moment de faiblesse et d’absence, il redemanda des potions et se remit au régime. Il ne retourna plus chez madame de la Poule et prit avec zèle des pilules de nitrate d’aconitine qui étaient alors dans leur claire nouveauté et leur radieuse jeunesse. A la suite de cette abstinence et de ces soins, il fut saisi d’un tel accès de suffocation que la langue lui sortait de la bouche et les yeux de la tête. On mettait son lit debout comme une horloge et son visage congestionné y faisait un cadran rouge. — C’est le plexus cardiaque qui est en pleine révolte, dit le professeur Machellier. — En grande effervescence, ajouta le docteur Saumon. M. de Saint-Sylvain trouva l’occasion bonne pour recommander une fois encore le docteur Rodrigue, mais le roi déclara qu’il n’avait pas besoin d’un médecin de plus. — Sire, répliqua Saint-Sylvain, le docteur Rodrigue n’est pas un médecin. — Ah ! s’écria Christophe V, ce que vous dites là, monsieur de Saint-Sylvain, est tout à son avantage et me prévient en sa faveur. Il n’est pas médecin ? Qu’est-il ? — Un savant, un homme de génie, Sire, qui a découvert les propriétés inouïes de la matière à l’état radiant et qui les applique à la médecine. Mais, d’un ton qui ne souffrait pas de réplique, le roi invita le secrétaire de ses commandements à ne lui plus parler de ce charlatan. Jamais, fit-il, jamais je ne le recevrai, jamais ! Christophe V passa l’été d’une façon supportable. Il fit une croisière à bord d’un yacht de deux cents tonneaux, avec madame de la Poule habillée en mousse. Il y reçut à déjeuner un président de la république, un roi et un empereur et y assura, de concert avec eux, la paix du monde. I1 lui était fastidieux de fixer les destins des peuples ; mais, ayant trouvé dans la cabine de madame de la Poule un vieux roman pour les petites ouvrières, il le lut avec un intérêt passionné qui, durant quelques heures, lui procura l’oubli délicieux des choses réelles. Enfin, hors quelques migraines, des névralgies, des rhumatismes et l’ennui de vivre, il se porta passablement. L’automne le rendit à ses anciennes tortures. Il endurait l’horrible supplice d’un homme pris dans glaces depuis les pieds jusqu’à la ceinture et le buste enveloppé de flammes, Pourtant, ce qu’il subissait avec plus d’horreur encore et d’épouvante, c’était des sensations qu’il ne pouvait exprimer, des états indicibles. Il y en avait, disait il, qui lui faisaient dresser les cheveux sur la tête. Il était dévoré d’anémie et sa faiblesse croissait chaque jour sans diminuer sa capacité de souffrir. — Monsieur de Saint-Sylvain, dit-il un matin, après une mauvaise nuit vous m’avez plusieurs fois parle du docteur Rodrigue Faites-le venir. Le docteur Rodrigue était à ce moment-là, signalé au Cap, à Melbourne, a Saint— Pétersbourg. Des câblogrammes et des radiogrammes furent aussitôt envoyés dans ces directions. Une semaine ne s’était pas écoulée que le roi réclamait le docteur Rodrigue avec instance. Les jours qui suivirent, il demandait a toute minute : « Ne viendra-t-il pas bientôt ? » On lui représenta que sa Majesté n’était pas un client à dédaigner et que Rodrigue voyageait avec une rapidité prodigieuse. Mais rien ne pouvait calmer l’impatience du malade. — Il ne viendra pas, soupirait-il ; vous verrez qu’il ne viendra pas ! Une dépêche arriva de Gênes, annonçant que Rodrigue prenait passage à bord du Preussen. Trois jours après, le docteur mondial, après avoir fait à ses collègues Saumon et Machellier une visite de déférence insolente, se présenta au palais. Il était plus jeune et plus beau que le docteur Saumon avec un air plus fier et plus noble. Par respect pour la nature, a laquelle il obéissait en toutes choses, il laissait croître ses cheveux et sa barbe et ressemblait à ces philosophes antiques que la Grèce a figurés dans le marbre. Ayant examiné le roi : — Sire, dit-il, les médecins, qui parlent des maladies comme les aveugles des couleurs, disent que vous avez une neurasthé nie ou faiblesse des nerfs. Mais, quand ils auront reconnu votre mal, ils n’en seront pas plus propres à le guérir, car un tissu organique ne se peut reconstituer que par les moyens que la nature a employés pour le constituer, et ces moyens, ils les ignorent. Or quels sont les moyens, quels sont les procédés de la nature ? Elle ne connaît ni la main ni l’outil ; elle est subtile, elle est spirituelle ; elle emploie à ses plus puissantes, à ses plus massives constructions les particules infiniment ténues de la matière, l’atome, le protyle. D’un impalpable brouillard elle fait des rochers, des métaux, des plantes, des animaux, des hommes. Comment ? par attraction, gravitation, transpiration, pénétration, imbibition, endosmose, capillarité, affinité, sympathie. Elle ne forme pas un grain de sable autrement qu’elle n’a formé la voie lactée : l’harmonie des sphères règne dans l’un comme dans l’autre ; ils ne subsistent tous deux que par le mouvement des parcelles qui les composent et qui est leur âme musicale, amoureuse et toujours agitée. Entre les étoiles du ciel et les poussières qui dansent dans le rayon de soleil qui traverse cette chambre, il n’y a aucune différence de structure, et la moindre de ces poussières est aussi admirable que Sirius, car la merveille dans tous les corps de l’univers est l’infiniment petit qui les forme et les anime. Voilà comment travaille la nature. De l’imperceptible, de l’impalpable, de l’impondérable elle a tiré le vaste monde accessible à nos sens et que notre esprit pèse et mesure, et ce dont elle nous a faits nous-mêmes est moins qu’un souffle. Opérons comme elle au moyen de l’impondérable, de l’impalpable, de l’imperceptible, par attraction amoureuse et pénétration subtile. Voilà le principe. Comment l’appliquer au cas qui nous occupe ? Comment redonner la vie aux nerfs épuisés, c’est ce qu’il nous reste à examiner. « Et d’abord, qu’est-ce que les nerfs ? Si nous en demandons la définition, le moindre physiologiste, que dis-je ? un Machellier, un Saumon nous la donnera. Qu’est-ce que les nerfs ? Des cordons, des fibres qui partent du cerveau et de la moelle épinière et vont se distribuer dans toutes les parties du corps pour transmettre les excitations sensorielles et faire agir les organes moteurs. Ils sont donc sensation et mouvement. Cela suffit pour nous en faire connaître la constitution intime, pour nous en révéler l’essence : de quelque nom qu’on la nomme, elle est identique à ce que, dans l’ordre des sensations, nous appelons joie, et, dans l’ordre moral, bonheur. Où se trouvera un atome de joie et de bonheur, se trouvera la substance réparatrice des nerfs. Et quand je dis un atome de joie, je désigne un objet matériel, une substance définie, un corps susceptible de passer par les quatre états, solide, liquide, gazeux et radiant, un corps dont on peut déterminer le poids atomique. La joie et la tristesse dont les hommes, les animaux et les plantes éprouvent les effets depuis l’origine des choses sont des substances réelles ; elles sont matière ; puisqu’elles sont esprit et que sous ses trois aspects, mouvement, matière, intelligence, la nature est une. Il ne s’agit donc plus que de se procurer en quantité suffisante des atomes de joie et de les introduire dans l’organisme par endosmose et aspiration cutanée. C’est pourquoi je vous prescris de porter la chemise d’un homme heureux. — Quoi ! s’écria le roi, vous voulez que je porte la chemise d’un homme heureux — Sur là peau, Sire, afin que votre cuir aride aspire les particules de bonheur que les glandes sudoripares de l’homme heureux auront exhalées par les canaux excréteurs de son derme prospère. Car vous n’ignorez pas les fonctions de la peau : elle aspire et expire et opère des échanges incessants avec le milieu où elle est placée. — C’est le remède que vous m’ordonnez, monsieur Rodrigue ? — Sire, on n’en saurait ordonner de plus rationnel. Je ne trouve rien dans le codex qui le puisse remplacer. Ignorant la nature, incapables de l’imiter, nos potards ne fabriquent dans leurs officines qu’un petit nombre de médicaments toujours redoutables et non pas toujours efficaces. Les médicament que nous ne savons pas faire, il faut bien les prendre tout faits, comme les sangsues, le climat de la montagne, l’air de la mer, les eaux thermales naturelles, le lait d’ânesse, la peau de chat sauvage et les humeurs exsudées par un homme heureux... Ne savez-vous donc pas qu’une pomme de terre crue qu’on porte dans sa poche ôte les douleurs rhumatismales ? Vous ne voulez pas d’un remède naturel : il vous faut des remèdes artificiels ou chimiques, dès drogues ; il vous faut des gouttes et des poudres : vous avez donc beaucoup à vous en louer, de vos poudres et de vos gouttes ?... Le roi s’excusa et promit d’obéir. Le docteur Rodrigue, qui avait déjà gagné la porte, se retourna : — Faites-la légèrement chauffer, dit-il, avant de vous en servir. MM. DE QUATREFEUILLES ET DE SAINT-SYLVAIN CHERCHENT UN HOMME HEUREUX DANS LE PALAIS DU ROI. Pressé de revêtir cette chemise dont il attendait sa guérison, Christophe fit appeler M. de Quatrefeuilles, son premier écuyer, et de M. de Saint Sylvain, secrétaire de ses commandements, et les chargea de la lui procurer dans le moins de temps qu’il leur serait possible. Il fut convenu qu’ils garderaient un secret absolu sur l’objet de leurs recherches. On avait à craindre en effet que, si le public venait à savoir quelle sorte de remède convenait au roi, une multitude de malheureux et spécialement les personnes les plus infortunées, les plus accablées de misère, n’offrissent leur chemise dans l’espoir d’une récompense. On redoutait aussi que les anarchistes n’envoyassent des chemises empoisonnées. Ces deux gentilshommes pensèrent qu’ils pourraient se procurer le médicament du docteur Rodrigue sans quitter le palais, et se mirent à l’oeil-de-bœuf d’où l’on voyait passer les courtisans. Ceux qu’ils aperçurent avaient la mine longue, le visage hâve ; ils portaient leur mal écrit sur la figure ; ils se consumaient du désir d’une charge, d’un ordre, d’un privilège, d’un bouton. Mais, descendus dans les grands appartements, Quatrefeuilles et Saint-Sylvain trouvèrent M. du Bocage dormant dans un fauteuil, la bouche retroussée jusqu’aux pommettes, les narines dilatées, les joues rondes et rayonnantes comme deux soleils, la poitrine harmonieuse, le ventre rythmique et paisible, riant, transpirant la joie depuis la voûte étincelante du crâne jusqu’aux orteils en éventail dans de légers escarpins, au bout des jambes écartées. A cette vue : — Ne cherchons pas davantage, dit Quatrefeuilles. Quand il sera éveillé, nous lui demanderons sa chemise. Aussitôt, le dormeur se frotta les yeux, s’étira et regarda piteusement tout autour de lui. Les coins de sa bouche s’abaissaient ; ses joues tombaient, ses paupières pendaient comme du linge aux fenêtres des pauvres ; de sa poitrine sortait un souffle plaintif ; toute sa personne exprimait l’ennui, le regret et la déception. Reconnaissant le secrétaire des commandements et le premier écuyer : — Ah ! Messieurs, je viens de faire un beau rêve. J’ai rêvé que le roi érigeait en marquisat ma terre du Bocage. Hélas ! ce n’est qu’un rêve et je sais trop bien que les intentions du roi sont toutes contraires. — Passons, dit Saint-Sylvain. Il se fait tard ; nous n’avons pas de temps à perdre. Ils croisèrent dans la galerie un pair du royaume qui étonnait le monde par la force de son caractère et la profondeur de son esprit. Ses ennemis ne niaient point son désintéressement, sa franchise ni son courage. On savait qu’il écrivait ses mémoires et chacun le flattait dans l’espoir d’y figurer honorablement aux yeux de la postérité. — Il est peut-être heureux, dit Saint-Sylvain. — Demandons-le-lui, dit Quatrefeuilles. Ils l’abordèrent, échangèrent avec lui quelques propos et, mettant la conversation sur le bonheur, firent la question qui les intéressait. — Les richesses, les honneurs ne me touchent pas, répondit-il, et les affections même les plus légitimes et les plus naturelles, les soins de famille, les plaisirs de l’amitié ne remplissent pas mon cœur. Je n’ ai d’affection qu’au bien public, et c’est la plus malheureuse des passions et l’amour la plus contrariée. » J’ai été au pouvoir ; je me suis refusé à soutenir des fonds du trésor et du sang de mes soldats les expéditions organisées par des flibustiers et des mercantis pour leur propre enrichissement et la ruine publique ; Je n’ai pas livré la flotte et l’armée en proie aux fournisseurs et je suis tombé sous les calomnies de tous ces fripons qui me reprochaient, aux applaudissements de la foule imbécile, de trahir les intérêts sacrés et la gloire de ma patrie. Contre les bandit de haute volée personne ne m’a soutenu. A voir de quelle sottise et de quelle lâcheté est fait le sentiment populaire, je regrette le pouvoir absolu. La faiblesse du roi me désespère ; la petitesse des grands m’est un spectacle affreux ; l’impéritie et l’improbité des ministres, l’ignorance, la bassesse et la vénalité des représentants du peuple me jettent dans des alternatives de stupeur et de rage. Pour me soulager des maux que j’endure le jour, je les écris la nuit et rends ainsi le fiel dont je me nourris. Quatrefeuilles et Saint-Sylvain tirèrent leur chapeau au noble pair et, faisant quelques pas dans la galerie, se trouvèrent face à face avec un tout petit homme, apparemment bossu, car on lui voyait le dos par-dessus la tête, et qui, de façon mignarde, se dandinait avantageusement. — Il est inutile, dit Quatrefeuilles, de s’adresser celui-là. — Qui sait ? fit Saint-Sylvain. — Croyez-moi : je le connais, reprit l’écuyer ; je suis son confident. Il est content de lui et parfaitement satisfait de sa personne, et il a des raisons de l’être. Ce petit bossu est la coqueluche des femmes. Dames de la cour, dames de la ville, comédiennes, bourgeoises, filles galantes, coquettes, prudes, dévotes, les plus fières, les plus belles sont à ses pieds. Il perd, à les contenter, sa santé et la vie et, devenu mélancolique, porte la peine d’être un porte-bonheur. Le soleil se couchait et, sur l’avis que le roi ne paraîtrait point aujourd’hui, les derniers courtisans vidaient les appartements. — Je donnerais volontiers ma chemise, dit Quatrefeuilles. J’ai, je puis dire, une heureuse nature. Toujours content ; je bois et mange bien, je dors bien. On me fait compliment de ma mine fleurie ; on me trouve bon visage : aussi n’est-ce pas du visage que je me plains. Je sens à la vessie une chaleur et un poids qui me gâtent la joie de vivre. Ce matin j’ai mis au jour une pierre grosse comme un œuf de pigeon. Je craindrais que ma chemise ne valût rien pour le roi. — Je donnerais bien la mienne, dit Saint Sylvain. Mais j’ai aussi ma pierre : c’est ma femme. J’ai épousé la plus laide et la plus méchante créature qui ait jamais existé, et, bien qu’on sache que l’avenir est à Dieu, j’ajoute hardiment la plus méchante et la plus laide qui existera jamais, car la répétition d’un pareil original est d’une telle improbabilité qu’on peut pratiquement la dire impossible. Il est des jeux auxquels la nature ne se livre pas deux fois... Puis, quittant ce pénible sujet : — Quatrefeuilles, mon ami, nous avons manqué de sens. Ce n’est pas à la cour ni chez les puissants de ce monde qu’il faut chercher un heureux. — Vous parlez comme un philosophe, riposta Quatrefeuilles ; vous vous exprimez comme ce gueux de Jean-Jacques. Vous vous faites du tort. Il y a autant d’hommes heureux et dignes de l’être dans les palais des rois et dans les hôtels de l’aristocratie que dans les cafés des gens de lettres et dans les cabarets fréquentés par les ouvriers manuels. Si nous n’en avons pas trouvé aujourd’hui sous ces lambris, c’est qu’il se faisait tard et que nous n’avons pas eu de chance favorable. Allons ce soir au jeu de la reine, et nous y aurons meilleure fortune. — Chercher un homme heureux autour d’une table de jeu !, s’écria Saint-Sylvain, autant chercher un collier de perles dans un champ de navets et une vérité dans la bouche d’un homme d’État !... L’ambassadeur d’Espagne donne cette nuit une fête, toute la ville y sera. Allons-y et nous mettrons facilement la main sur une bonne et convenable chemise. — Il m’est arrivé quelquefois, dit Quatrefeuilles, de mettre la main à la chemise d’une femme heureuse. C’était avec plaisir. Mais notre bonheur n’était que d’un moment. Si je vous parle ainsi, ce n’est pas pour me vanter (il n’y a vraiment pas de quoi), ni pour rappeler des félicités passées, qui peuvent revenir, car, contrairement à ce que dit le proverbe, chaque âge a le même plaisir. Mon intention est tout autre ; elle est plus grave et plus vertueuse et se rapporte directement a l’auguste mission dont nous sommes chargés tous deux : c’est de vous soumettre une idée qui vient de naître dans mon cerveau. Ne pensez-vous pas, Saint-Sylvain, qu’en prescrivant la chemise d’un homme heureux, le docteur Rodrigue a pris le terme d’ « homme » dans son sens générique, considérant l’espèce humaine tout entière, abstraction faite du sexe, et entendant une chemise de femme aussi bien qu’une chemise d’homme. Pour moi, j’incline à le croire, et, si tel était aussi votre sentiment, nous pourrions étendre le champ de nos recherches et croître de plus du double nos chances favorables, car, dans une société élégante et policée comme la nôtre, les femme sont plus heureuses que les hommes : nous faisons plus pour elles qu’elles ne font pour nous. Saint-Sylvain, la tâche étant de la sorte agrandie, nous pourrions nous la partager. Ainsi, par exemple, a partir de ce soir jusqu’à demain matin, je chercherais une femme heureuse pendant que vous chercheriez un heureux homme. Convenez, mon ami, que c’est une délicate chose qu’une chemise de femme. J’en ai jadis palpé une qui passait dans une bague ; la batiste en était plus fine qu’une toile d’araignée. Et que dites-vous, mon ami, de cette chemise qu’une dame de la cour de France, au temps de Marie— Antoinette, porta au bal chiffonnée dans sa coiffure ? Nous aurions bonne grâce, il me semble, à présenter au roi notre maître une belle chemise de linon avec ses entre-deux, ses volants de valenciennes et ses glorieuses épaulettes de ruban rose, plus légère qu’un souffle, sentant l’iris et l’amour. Mais Saint-Sylvain s’éleva vivement contre cette manière de comprendre la formule du docteur Rodrigue. — Y pensez-vous, Quatrefeuilles ? s’écria-t-il, une chemise de femme ne procurerait au roi qu’un bonheur de femme qui ferait sa misère et sa honte. Je n’examinerai pas ici, Quatrefeuilles, si la femme est plus capable de bonheur que l’homme. Ce n’est ni le lieu ni le temps : il est l’heure d’aller dîner. Les physiologistes attribuent à la femme une sensibilité plus exquise que la nôtre ; mais ce sont 1à des généralités transcendantes qui passent par-dessus les têtes et n’embrassent personne. Je ne sais pas si, comme vous semblez le croire, notre société polie est mieux faite pour le bonheur des femmes que pour celui des hommes. J’observe que, dans notre monde, elles n’élèvent pas leurs enfants, ne dirigent pas leur ménage, ne savent rien, ne font rien, et se tuent de fatigue : elles se consument à briller, c’est un sort de chandelle ; j ignore s’il est enviable. Mais ce n’est pas la question. Peut-être qu’un jour il n’y aura plus qu’un sexe ; peut-être qu’il y en aura trois ou même davantage. Dans ce cas, la morale sexuelle en sera plus riche, plus diverse et plus abondante. En attendant, nous avons deux sexes ; il se trouve beaucoup de l’un dans l’autre, beaucoup de l’homme dans la femme et beaucoup de la femme dans l’homme. Toutefois, ils sont distincts ; ils ont chacun leur nature, leurs mœurs et leurs lois, leurs plaisirs et leurs peines. Si vous féminisez son idée du bonheur, de quel oeil glace notre roi regardera-t-il désormais madame de la Poule ?... Et peut-être enfin, par son hypocondrie et par sa mollesse, en viendra-t-il à compromettre l’honneur de notre glorieuse patrie. Est-ce donc ce que vous voulez, Quatrefeuilles ? » Jetez les yeux, dans la galerie du palais royal, sur l’histoire d’Hercule en tapisserie des Gobelins, et voyez ce qui est arrivé à ce héros particulièrement malheureux en chemises, il mit, par caprice, celle d’Omphale et ne sut plus que filer la laine. C’est la destinée que votre imprudence prépare à notre illustre monarque. — Oh ! oh ! fit le premier écuyer, mettons que je n’aie rien dit et n’en parlons plus. JERONIMO L’ambassade d’Espagne étincelait dans la nuit. Du reflet de ses lumières elle dorait les nuées. Des guirlandes de feu, bordant les allées du parc, donnaient aux feuillages voisins la transparence et l’éclat de l’émeraude. Des feux de Bengale rougissaient le ciel au-dessus des grands arbres noirs. Un orchestre invisible jetait des sons voluptueux a la brise légère. La foule élégante des invités couvrait la pelouse ; les fracs s’agitaient dans I ombre ; les habits militaires brillaient de cordons et de croix ; des formes claires glissaient avec grâce sur l’herbe, traînant leurs parfums derrière elles. Quatrefeuilles, avisant deux illustres hommes d’État, le président du conseil et son prédécesseurs qui causaient ensemble sous la statue de la Fortune, pensait les aborder. Mais Saint-Sylvain l’en dissuada. — Ils sont tous deux infortunés, lui dit-il ; l’un ne se console pas d’avoir perdu le pouvoir, l’autre tremble de le perdre. Et leur ambition est d’autant plus misérable qu’ils sont l’un et l’autre plus libres et plus puissants dans une condition privée que dans l’exercice du pouvoir, ou ils ne peuvent se maintenir que par une humble et déshonorante soumission aux caprices des Chambres, aux passions aveugles du peuple et aux intérêts des gens de finance. Ce qu’ils poursuivent avec tant d’ardeur, c’est leur pompeux abaissement. Ah ! Quatrefeuilles, restez avec vos piqueux, vos chevaux et vos chiens et n’aspirez pas à gouverner les hommes. Ils s’éloignèrent. A peine avaient-ils fait quelques pas que, attirés par des fusées de rite jaillies d’un bosquet, ils y entrèrent et trouvèrent sous la charmille, assis sur quatre chaises, un gros homme débraillé qui, d’une voix chaude, faisait des contes a une assemblée nombreuse, suspendue à ses lèvres de satyre antique et penchés sur son visage surhumain, qu’on eût dit barbouillé de la lie dionysiaque. C’était l’homme le plus célèbre du royaume et le seul populaire, Jeronimo. Il parlait abondamment, joyeusement, richement lançait des propos en l’air, enfilait des histoires, les unes excellentes, les autres moins bonnes, mais qui faisaient rire. Il contait qu’un jour, à Athènes, la révolution sociale s’accomplit, que les biens furent partagés et les femmes mises en commun, mais que bientôt les laides et les vieilles se plaignirent d’être négligées et qu’on fit alors, en leur faveur, une loi obligeant les hommes à passer par elles pour arriver aux jeunes et aux jolies ; et il décrivait avec une robuste gaieté des hymens comiques, des embrassements grotesques et les courages épouvantés des jeunes hommes a l’aspect de leurs amantes chassieuses et roupieuses, qui semblaient casser des noisettes entre leur nez et leur menton. Puis il disait des histoires grasses et salées, des histoires de juifs allemands, de curés, de paysans, toute une ribambelle de propos récréatifs et de joyeux devis. Jeronimo était un prodigieux instrument oratoire. Quand il parlait, toute sa personne, des pieds à la tête, parlait, et jamais le jeu du dis cours n’avait été si complet dans un orateur. Tour à tour grave, enjoué, sublime, bouffon, il avait toutes les éloquences, et ce même homme qui sous la charmille débitait en comédien consommé, pour des oisifs et pour lui-même, toutes sortes d’amusantes facéties, la veille, à la Chambre, soulevait de sa voix puissante les clameurs et les applaudissements, faisait trembler les ministres et palpiter les tribunes et des échos de son dis cours agitait sa patrie. Adroit dans sa violence et calculé dans ses emportements, il était devenu chef de l’opposition sans se brouiller avec le pou voir et, travaillant dans le peuple, fréquentait l’aristocratie. On le disait l’homme du temps. Il était l’homme de l’heure. son esprit se proportionnait toujours au moment et au lieu. Il pensait à propos ; son génie vaste et commun correspondait à la communauté des citoyens ; sa médiocrité énorme effaçait toutes les petitesses et toutes les grandeurs environnantes : on ne voyait que lui. Sa santé seule aurait dû assurer son bonheur ; elle était solide et massive comme son âme. Grand buveur, grand amateur de chair rôtie et de chair fraîche, il s’entretenait en joie et prenait une part léonine des plaisirs de ce monde. En l’entendant conter ses merveilleuses histoires, Quatrefeuilles et Saint-Sylvain riaient comme les autres et, se tâtant du coude, lorgnaient du coin de l’oeil la chemise sur laquelle Jeronimo avait libéralement répandu les sauces et les vins d’un joyeux repas. L’ambassadeur d’un peuple orgueilleux, qui marchandait au roi Christophe son amitié intéressée, passait alors, superbe et solitaire, sur la pelouse. Il s’approcha du grand homme et s’inclina légèrement devant lui. Aussitôt Jeronimo se transforma : une sereine et douce gravité, un calme souverain se répandit sur son visage et les sonorités éteintes de sa voix flattèrent des plus nobles caresses du langage l’oreille de l’ambassadeur. Toute son attitude exprimait l’entente des affaires extérieures, l’esprit des congrès et des conférences ; il n’était jusqu’à sa cravate en ficelle, sa chemise bouffante et son pantalon éléphantique qui ne prissent par miracle la dignité diplomatique et l’air des ambassades. Les invités s’écartèrent et les deux illustres personnages causèrent longtemps ensemble sur un ton amical, et parurent sur un pied d’intimité qui fut très observé et très commenté par les hommes politiques et les dames de la « carrière » . — Jeronimo, disait l’un, sera ministre d affaires étrangères quand il voudra. — Lorsqu’il le sera, disait l’autre, il mettra le roi dans sa poche. L’ambassadrice d’Autriche, l’examinant à travers sa face-à-main, dit : — Ce garçon est intelligent, il se fera. L’entretien terminé, Jeronimo s’en fut faire un tour de jardin avec son fidèle Jobelin, espèce d’échassier à tête de hibou qui ne le quittait jamais. Le secrétaire des commandements et le premier écuyer le suivirent. — C’est sa chemise qu’il nous faut, dit tout bas Quatrefeuilles. Mais la donnera-t-il ? Il est socialiste et combat le gouvernement du roi. Bah ! ce n’est pas un méchant homme, répliqua Saint-Sylvain, et il a de l’esprit. Il ne doit pas souhaiter de changement, puisqu’il est de l’opposition. Il n’a pas de responsabilité ; sa situation est excellente : il doit y tenir. Un bon opposant est toujours conservateur. Ou je me trompe fort, ou ce démagogue serait bien fâché de nuire à son roi. Si l’on négocie habilement, on obtiendra la chemise. Il traitera avec la Cour, comme Mirabeau. Mais il faut qu’il soit assuré du secret. Tandis qu’ils parlaient ainsi, Jeronimo se promenait, le chapeau sur l’oreille, faisait le moulinet avec sa canne, répandait son humeur hilare en plaisanteries, en badinages, en rires, en exclamations, en mauvais jeux de mots, en calembours obscènes et scatologiques, en fredons. Cependant, à quinze pas devant lui, le duc des Aulnes, arbitre des élégances et prince de la jeunesse, rencontrant une dame de sa connaissance, la salua très simplement d’un petit geste sec, mais non sans grâce. Le tribun l’observa d’un regard attentif, puis, devenu sombre et songeur, il abattit sa main pesante sur l’épaule de son échassier : - Jobelin, lui dit-il, je donnerais ma popularité et dix ans de ma vie pour porter le frac et parler aux femmes comme ce freluquet. Il avait perdu sa gaieté. Il allait maintenant, morne, la tête basse et regardait sans plaisir son ombre que la lune ironique lui jetait dans les jambes comme un poussah bleu. — Qu’a-t-il dit ?... Se moque-t-il ? demanda Quatrefeuilles inquiet. — Il n’a jamais été plus sincère ni plus sérieux, répondit Saint-Sylvain. Il vient de nous découvrir la plaie qui le ronge. Jeronimo ne se console pas de manquer d’aristocratie et d’élégance. Il n’est pas heureux. Je ne donnerais pas quatre sols de sa chemise. Le temps s’écoulait et la recherche s’annonçait laborieuse. Le secrétaire des commandements et le premier écuyer décidèrent de poursuivre leur enquête chacun de son coté et convinrent de se retrouver pendant le souper dans le petit salon jaune pour s’instruire réciproquement du résultat de leur enquête. Quatrefeuilles interrogeait de préférence les militaires, les grands seigneurs et les gros propriétaires, et ne négligeait pas de s’enquérir auprès des femmes. Saint-Sylvain, plus pénétrant, lisait dans les yeux des financiers et sondait les reins des diplomates. Ils se rejoignirent à l’heure dite, tous deux las et la mine allongée. — Je n’ai vu que des heureux, dit Quatrefeuilles, et leur bonheur a tous é tait gâté. Les militaires sèchent du désir d’une croix, d’un grade ou d’une dotation. Les avantages et les honneurs obtenus par leurs r ; vaux leur ravagent le foie. A la nouvelle que le général de Tintille était nommé duc des Comores, je les ai vus jaunes comme du coco et verts comme des lézards. L’un d’eux devint pourpre : c’était d’apoplexie. Nos gentilshommes crèvent à la fois d’ennui et de tracas sur leurs terres ; toujours en procès avec leurs voisins, dévorés par les hommes de loi, ils traînent dans les soucis leur pesante oisiveté. — Je n’ai pas mieux trouvé que vous ! dit Saint-Sylvain. Et ce qui me frappe, c’est de voir que les hommes ont pour souffrir des motifs contraires et des raisons opposées. J’ai vu le prince des Estelles malheureux parce que sa femme le trompe, non qu’il l’aime, mais il a de l’amour propre, et le duc de Mauvert malheureux de ce que sa femme ne le trompe pas et le frustre ainsi des moyens de relever sa maison ruinée. Celui-ci est excédé par ses enfants ; celui-là se désespère de n’en pas avoir. J’ai rencontré des bourgeois qui ne rêvent que d’habiter la campagne et des campagnards qui ne pensent qu’à s’établir à la ville. J’ai reçu la confidence de deux hommes d’honneur, l’un, inconsolable d’avoir tué en duel l’homme qui lui avait pris sa maîtresse ; l’autre, désespéré d’avoir manqué son rival. — Je n’aurais jamais cru, soupira Quatrefeuilles, qu’il fût si difficile de rencontrer un homme heureux. — Peut-être aussi que nous nous y prenons mal, objecta Saint-Sylvain : nous cherchons au hasard, sans méthode, nous ne savons pas au juste ce que nous cherchons. Nous n’avons pas défini le bonheur. Il faut le définir. — Ce serait du temps perdu, répondit Quatre feuilles. - Je vous demande pardon, répliqua Saint Sylvain. Quand nous l’aurons défini, c’est-à— dire limité, déterminé, fixé en son lieu et en son temps, nous aurons plus de moyens de le trouver. - Je ne crois pas, dit Quatrefeuilles. Toutefois ils convinrent de consulter à ce sujet l’homme le plus savant du royaume, M. Chaudesaigues, directeur de la Bibliothèque du roi. Le soleil était levé quand ils rentrèrent au palais. Christophe V avait passé une mauvaise nuit et réclamait impatiemment la chemise médicinale. Ils s’excusèrent du retard et grimpèrent au troisième étage, où M. Chaudesaigues les reçut dans une vaste salle qui contenait huit cent mille volumes imprimés et manuscrits. LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE Après les avoir fait asseoir, le bibliothécaire montra d’un geste aux visiteurs la multitude de livres rangés sur les quatre murs, depuis le plancher jusqu’à la corniche : — Vous n’entendez pas ? vous n’entendez pas le vacarme qu’ils font ? J’en ai les oreilles rompues. Ils parlent tous à la fois et dans toutes les langues. Ils disputent de tout : Dieu, la nature, l’homme, le temps, le nombre et l’espace, le connaissable et l’inconnaissable, le bien, le mal ; ils examinent tout, contestent tout, affirment tout, nient tout. Ils raisonnent et déraisonnent. Il y en a de légers et de graves, de gais et de tristes, d’abondants et de concis ; plusieurs parlent pour ne rien dire, comptent les syllabes et assemblent les sons selon des lois dont ils ignorent eux mêmes l’origine et l’esprit : ce sont les plus contents d’eux. Il y en a d’une espèce austère et morne qui ne spéculent que sur des objets dépouillés de toute qualité sensible et mis soigneusement à l’abri des contingences naturelles ; ils se débattent dans le vide et s’agitent dans les invisibles catégories du néant, et ceux-là sont d’acharnés disputeurs qui mettent à soutenir leurs entités et leurs symboles une fureur sanguinaire. Je ne m’arrête pas à ceux qui font des histoires sur leur temps ou les temps antérieurs, car per sonne ne les croit. En tout, ils sont huit cent mille dans cette salle et il n’y en a pas deux qui pensent tout à fait de même sur aucun sujet, et ceux qui se répètent les uns les autres ne s’entendent pas entre eux. Ils ne savent, le plus souvent, ni ce qu’ils disent ni ce que les autres ont dit. » Messieurs, d’ouïr ce tapage universel, je deviendrai fou comme le devinrent tous ceux qui vécurent avant moi dans cette salle aux voix sans nombre, à moins d’y entrer naturellement idiot, comme mon vénéré collègue, monsieur Froidefond, que vous voyez assis en face de moi cataloguant avec une paisible ardeur. Il est né simple et simple il est resté. Il était tout uni et n’est point devenu divers. Car l’unité ne saurait produire la diversité, et c’est là, je vous le rappelle en passant, messieurs, la première difficulté que nous rencontrons en recherchant l’origine des choses : la cause n en pouvant être unique, il faut qu’elle soit double, triple, multiple, ce qu’on admet difficilement. Monsieur Froidefond a l’esprit simple et l’âme pure. Il vit catalogalement. De tous les volumes qui garnissent ces murailles il connaît le titre et le format, possédant ainsi la seule science exacte qu’on puisse acquérir dans une bibliothèque, et, pour n’avoir jamais pénétré au dedans d’un livre, il s’est gardé de la molle incertitude, de l’erreur aux cent bouches, du doute affreux, de l’inquiétude horrible, monstres qu’enfante la lecture dans un cerveau fécond. Il est tranquille et pacifique, il est heureux. — Il est heureux ! s’écrièrent ensemble les deux chercheurs de chemise. — Il est heureux, reprit M. Chaudesaigues, mais il ne le sait pas. Et peut-être n’est— on heureux qu’à cette condition. — Hélas ! dit Saint-Sylvain, ce n’est pas vivre que d’ignorer qu’on vit ; ce n’est pas être heureux que d’ignorer qu’on l’est. Mais Quatrefeuilles, qui se défiait du raisonnement et n’en croyait, en toutes choses, que l’expérience, s’approcha de la table où Froidefond, dans un amas de bouquins recouverts de veau, de basane, de maroquin, de vélin, de parchemin, de peau de truie, d’ais de bois, sentant la poussière, le moisi, le rat et la souris, cataloguait. — Monsieur le bibliothécaire, lui dit-il, obligez-moi de me répondre. Êtes-vous heureux ? — Je ne connais pas d’ouvrage sous ce titre, répondit le vieux catalogal. Quatrefeuilles, levant les bras en signe de découragement, vint reprendre sa place. — Réfléchissez, messieurs, dit Chaudesaigues, que l’antique Cybèle, portant monsieur Froidefond sur son sein fleuri lui fait décrire un orbe immense autour du soleil et que le soleil entraîne monsieur Froidefond, avec la terre et tout son cortège d’astres, à travers les abîmes de l’espace, vers la constellation d’Hercule. Pourquoi ? Des huit cent mille volumes assemblés autour de nous aucun ne peut nous l’apprendre. Nous ignorons cela et le reste. Messieurs, nous ne savons rien. Les causes de notre ignorance sont nombreuses, mais je suis persuadé que la principale est dans l’imperfection du langage. Le vague des mots produit le trouble de nos idées. Si nous prenions plus de soin de définir les termes au moyen desquels nous raisonnons, nos idées seraient plus nettes et plus sûres. — Qu’est-ce que je vous disais, Quatrefeuilles ? s’écria Saint-Sylvain triomphant. Et, se tournant vers le bibliothécaire : — Monsieur Chaudesaigues, ce que vous dites là me comble de joie. Et je vois que, en venant vers vous, nous nous sommes bien adressés. Nous venons vous demander la définition du bonheur. C’est pour le service de Sa Majesté. — Je vous répondrai de mon mieux. La définition d’un mot doit être étymologique et radicale. Qu’entend-on par « bonheur ? me demandez vous. Le « bonheur ou « heur bon », c’est le bon augure, c’est le favorable présage tiré du vol et du chant des oiseaux, à l’opposé du « malheur » ou « mauvais heur » qui signifie un essai infortuné des volailles, le mot l’indique. — Mais, demanda Quatrefeuilles, comment découvrir qu’un homme est heureux ? A l’inspection des poulets ! répondit le bibliothécaire. Le terme l’implique. « Heur vient d’augurium, qui est pour avigurium. — L’inspection des poulets sacrés ne se fait plus depuis les Romains, objecta le premier écuyer. — Mais, demanda Saint-Sylvain, un homme heureux, n’est-ce pas un homme à qui la chance est favorable et n’existe-t-il pas certains signes extérieurs et visibles de la bonne chance ? — La chance, répondit Chaudesaigues, c’est ce qui tombe bien ou mal, c’est le coup de dés. Si je vous ai bien compris, messieurs, vous cher chez un homme heureux, un homme chanceux, c’est-à-dire un homme pour qui les oiseaux n’aient que de bons présages et que les dés favorisent constamment. Ce rare mortel, cherchez-le parmi les hommes qui achèvent leur vie, et, de préférence, parmi ceux qui déjà sont étendus sur leur lit de mort, parmi ceux enfin qui n’auront plus à consulter les poulets sacrés ni à jeter les dés. Car ceux-là seuls peuvent se féliciter d’une chance fidèle et d’un bonheur constant. » Sophocle n’a-t-il pas dit en son Œdipe roi : Ne proclamons heureux nul homme avant sa mort ? Ces conseils déplaisaient à Quatrefeuilles, qui goûtait mal l’idée de courir après le bonheur derrière les saintes huiles. Saint-Sylvain ne se faisait pas non plus un plaisir d’aller tirer la chemise aux agonisants ; mais, comme il avait de la philosophie et des curiosités, il demanda au bibliothécaire s’il connaissait un de ces beaux vieillards ayant jeté pour la dernière fois leurs dés glorieusement pipés. Chaudesaigues hocha la tête, se leva, alla à la fenêtre et tambourina sur les vitres. Il pleuvait ; la place d’armes était déserte. Au fond se dressait un palais magnifique dont l’attique était surmonté de trophées d’armes et qui portait à son fronton une Bellone casquée d’une hydre, cuirassée d’écailles et brandissant un glaive romain. — Allez dans ce palais, dit-il enfin. — Quoi ! fit Saint-Sylvain surpris. Chez le maréchal de Volmar ? — Sans doute. Quel mortel plus fortuné, sous le ciel, que le vainqueur d’Elbruz et de Baskir ? Volmar est un des plus grands hommes de guerre qui aient jamais existé, et, de tous, le plus constamment heureux. — Le monde entier le sait, dit Quatrefeuilles. — Il ne l’oubliera jamais, reprit le bibliothécaire. Le maréchal Pilon, duc de Volmar, venu dans un temps où les conflagrations des peuples n’embrasaient plus toute la surface de la terre à la fois, sut corriger cette ingratitude du sort en se jetant avec son cœur et son génie sur tous les points du globe où s’allumait une guerre. Dès l’âge de douze ans il servit en Turquie et fit la campagne du Kourdistan. Depuis lors il a porté ses armes victorieuses dans toutes les parties du monde connu ; il a franchi quatre fois le Rhin, avec une si insolente facilité que le vieux fleuve couronné de roseaux, séparateur des peuples, en parut humilié et bafoué ; il a, plus habilement encore que le maréchal de Saxe, défendu la ligne de la Lys, il a franchi les Pyrénées, forcé l’entrée du Tage, ouvert les portes caucasiennes et remonté le Borysthène ; il a tour à tour défendu et combattu toutes les nations d’Europe et trois fois sauvé sa patrie. LE MARÉCHAL DUC DE VOLMAR Chaudesaigues fit apporter les campagnes du duc de Volmar. Trois garçons de bibliothèque pliaient sous le faix. Les atlas ouverts s’étendaient sur les tables à perte de vue. — Voici, messieurs, la campagne de Styrie, la campagne du Palatinat, la campagne de Karamanie, celle du Caucase et celle de la Vistule. Les positions et la marche des armées sont indiquées exactement sur ces cartes par des losanges accompagnés de jolis petits drapeaux et l’ordre des batailles y est parfait. Cet ordre se détermine généralement après l’action et c’est le génie des grands capitaines d’ériger en système, à leur gloire, les caprices du hasard. Mais le duc de Volmar a toujours tout prévu » Jetez les yeux sur ce plan au dix-millième de la fameuse bataille de Baskir remportée sur les Turcs par Volmar. Il y déploya le plus prodigieux génie tactique. L’action était engagée depuis cinq heures du matin ; à quatre heures du soir, les troupes de Volmar, accablées de fatigue et leurs munitions épuisées, se repliaient en désordre ; l’intrépide maréchal, seul a la tête du pont jeté sur l’Aluta, un pistolet à chaque main, brûlait la cervelle des fuyards. Il opérait sa retraite quand il apprit que les ennemis, en pleine déroute, se précipitaient éperdument dans le Danube. Aussitôt il fit volte-face, se jeta à leur poursuite et acheva leur destruction. Cette victoire lui valut cinq cent mille francs de revenu et lui ouvrit les portes de l’Institut. » Messieurs, pensez-vous trouver un homme plus heureux que le vainqueur d’Elbruz et de Baskir ? Il a fait avec un bonheur constant quatorze campagnes, gagné soixante batailles rangées et trois fois sauvé d’une ruine totale sa patrie reconnaissante. Chargé de gloire et d’honneurs, il prolonge au delà du terme ordinaire, dans la richesse et la paix, son auguste vieillesse. — Il est vrai qu’il est heureux, dit Quatrefeuilles. Qu’en pensez-vous, Saint-Sylvain ? — Allons lui demander audience, répondit le secrétaire des commandements. Introduits dans le palais, ils traversèrent le vestibule où se dressait la statue équestre du maréchal. Sur le socle étaient inscrites ces fières paroles : « Je lègue à la reconnaissance de la patrie et à l’admiration de l’univers mes deux filles Elbruz et Baskir. » L’escalier d’honneur élevait la double courbe de ses degrés de marbre entre des murs décorés de panoplies et de drapeaux et son vaste palier conduisait à une porte dont les battants s’ornaient de trophées d’armes et de grenades enflammées et que surmontaient les trois couronnes d’or décernées par le roi, le parlement et la nation au duc de Volmar, sauveur de sa patrie. Saint-Sylvain et Quatrefeuilles s’arrêtèrent, glacés de respect, devant cette porte close ; à la pensée du héros dont elle les séparait, l’émotion les tenait cloués sur le seuil et ils n’osaient affronter tant de gloire. Saint-Sylvain se rappelait la médaille frappée en commémoration de la bataille d’Elbruz, et qui présentait à l’avers le maréchal posant une couronne sur le front d’une victoire ailée, avec cet exergue magnifique : Victoria Caesarem et Napoleonem coronavit ; major autem Volmarus coronat Victoriam. Et il murmura : — Cet homme est grand de cent coudées. Quatrefeuilles pressait des deux mains son cœur, qui battait à se rompre. Ils n’avaient pas encore repris leurs sens quand ils entendirent des cris aigus qui semblaient sortir du fond des appartements et se rapprochaient peu à peu. C’était des glapissements de femme mêlés à des bruits de coups, suivis de faibles gémissements. Soudain, les battants brusquement écartés, un très petit vieillard, lancé à coups de pied par une robuste servante, s’abattit comme un mannequin sur les marches, dégringola l’escalier, la tête la première, et tomba cassé, disloqué, brisé, dans le vestibule, devant les valets solennels. C’était le duc de Volmar. Ils le relevèrent. La servante, échevelée et débraillée, hurlait d’en haut : — Laissez donc ! On ne touche ça qu’avec le balai. Et, brandissant une bouteille : — Il voulait me prendre mon eau-de-vie ! De quel droit ? Eh ! va donc, vieux décombre ! C’est pas moi qui suis allée te chercher, bien sûr, vieille charogne ! Quatrefeuilles et Saint-Sylvain s’enfuirent à grands pas du palais. Quand ils furent sur la place d’armes, Saint-Sylvain fit cette remarque qu’à sa dernière partie de dés le héros n’avait pas été heureux. — Quatrefeuilles, ajouta-t-il, je vois que je me suis trompé. Je voulais procéder avec une méthode exacte et rigoureuse ; j’avais tort. La science nous égare. Revenons au sens commun. On ne se gouverne bien que par l’empirisme le plus grossier. Cherchons la bonheur sans vouloir le définir. Quatrefeuilles se répandit longuement en récriminations et en invectives contre le bibliothécaire, qu’il traitait de mauvais plaisant. Ce qui le fâchait le plus, c’était de voir sa foi dévastée, le culte qu’il vouait au héros national avili, souillé dans son âme. Il en souffrait. Sa douleur était généreuse, et, sans doute, les douleurs généreuses contiennent en soi leur adoucissement et, pour ainsi dire, leur récompense : elles se supportent mieux, plus aisément d’un plus facile courage, que les douleurs égoïstes et intéressées. Il serait injuste de vouloir qu’il en fût autrement. Aussi Quatrefeuilles eut bientôt l’âme assez libre et l’esprit assez clair pour s’apercevoir que la pluie, tombant sur son chapeau de soie en altérait le lustre, et il soupira : — Encore un chapeau de fichu ! Il avait été militaire et avait jadis servi son roi comme lieutenant de dragons. C’est pourquoi il eut une idée : il alla acheter chez le libraire de l’état-major, sur la place d’armes, à l’angle de la rue des Grandes-Écuries, une carte du royaume et un plan de la capitale. — On ne doit jamais se mettre en campagne sans cartes ! dit-il. mais le diable, c’est de les lire. Voici notre ville avec ses environs. Par où commencerons-nous ? Par le nord ou par le sud, par l’est ou par l’ouest ? On a remarqué que les villes s’accroissaient toutes par l’ouest. Peut-être y a-t-il là un indice qu’il ne faut pas négliger. Il est possible que les habitants des quartiers occidentaux, à l’abri du vent malin de l’est, jouissent d’une meilleure santé, aient l’humeur plus égale et soient plus heureux. Ou plutôt, commençons par les coteaux charmants qui s’élèvent au bord de la rivière, à dix lieues au sud de la ville. C’est là qu’habitent, en cette saison, les plus opulentes familles du pays. Et, quoi qu’on dise, c’est parmi les heureux qu’il faut chercher un heureux. — Quatrefeuilles, répondit le secrétaire des commandements, je ne suis pas un ennemi de la société, je ne suis pas un adversaire du bonheur public. Je vous parlerai des riches en honnête homme et en bon citoyen. Les riches sont dignes de vénération et d’amour ; ils entretiennent l’État en s’enrichissant encore et, bienfaisants même sans le vouloir, ils nourrissent une multitude de personnes qui travaillent à la conservation et à l’accroissement de leurs biens. Oh ! que la richesse privée est belle, digne, excellente ! Comme elle doit être ménagée, allégée, privilégiée par le sage législateur et combien il est inique, perfide, déloyal, contraire aux droits les plus sacrés, aux intérêts les plus respectables et funeste aux finances publiques de grever l’opulence ! C’est un devoir social de croire à la bonté des riches ; il est doux aussi de croire à leur bonheur. Allons, Quatrefeuilles ! DES RAPPORTS DE LA RICHESSE AVEC LE BONHEUR Résolu de s’adresser d’abord au meilleur, au plus riche, Jacques Felgine-Cobur, qui possédait des montagnes d’or, des mines de diamant, des mers de pétrole, ils longèrent longtemps les murs de son parc, qui renfermait des prairies immenses, des forêts, des fermes, des villages ; et à chaque porte du domaine où ils se présentaient, on les renvoyait à une autre. Las d’aller et de venir et de virer sans cesse, ils avisèrent un cantonnier qui sur la route, devant une grille armoriée, cassait des pierres, et lui demandèrent Si c’était par cette entrée qu’on passait pour se rendre chez M. Jacques Felgine-Cobur qu’ils désiraient voir. L’homme redressa péniblement sa maigre échine et tourna vers eux son visage creux, masqué de lunettes grillées. — Monsieur Jacques Felgine-Cobur, c’est moi, dit-il. Et, les voyant surpris : — Je casse les pierres : c’est ma seule distraction. Puis, se courbant de nouveau, il frappa de son marteau un caillou qui se brisa avec un bruit sec. Tandis qu’ils s’éloignaient : — Il est trop riche, dit Saint-Sylvain. Sa fortune l’écrase. C’est un malheureux. Quatrefeuilles pensait se rendre ensuite chez le rival de Jacques Felgine-Cobur, chez le roi du fer, Joseph Machero, dont le château tout neuf dressait horriblement sur la colline voisine ses tours crénelées et ses murs percés de mâchicoulis, hérissés d’échauguettes. Saint-Sylvain l’en dissuada. — Vous avez vu son portrait : il a l’air minable on sait par les journaux qu’il est piétiste, vit comme un pauvre, évangélise les petits garçons et chante des psaumes à l’église. Allons plutôt chez le prince de Lusance. Celui-là est un véritable aristocrate, qui sait jouir de sa fortune. Il fuit le tracas des affaires et ne va pas à la cour. Il est amateur de jardins et a la plus belle galerie de tableaux du royaume. Ils s’annoncèrent. Le prince de Lusance les reçut dans son cabinet des antiques ou l’on voyait la meilleure copie grecque qu’on connaisse de l’Aphrodite de Cnide, œuvre d’un ciseau vraiment praxitélien et pleine de vénusté. La déesse semblait humide encore de l’onde marine. Un médaillier en bois de rose, qui avait appartenu à madame de Pompadour, contenait les plus belles pièces d’or et d’argent de Grèce et de Sicile. Le prince, fin connaisseur, rédigeait lui-même le catalogue de ses médailles. Sa loupe traînait encore sur la vitrine des pierres gravées, jaspes, onyx, sardoines, calcédoilles, renfermant dans la grandeur de l’ongle des figures d’un style large, des groupes composés avec une ampleur magnifique. Il prit d’une main amoureuse sur sa table un petit faune de bronze pour en faire admirer à ses visiteurs le galbe et la patine, et son langage était digne du chef-d’œuvre qu’il expliquait. - J’attends, ajouta-t-il, un envoi d’argenterie antique, des tasses et des coupes qu’on dit plus belles que celles d’Hildesheim et de Bosco-reale ! Je suis impatient de les voir. Monsieur de Caylus ne connaissait pas de volupté plus grande que de déballer des caisses. c’est mon sentiment. Saint-Sylvain sourit : — On dit pourtant, mon cher prince, que vous êtes expert on toutes les voluptés. — Vous me flattez, monsieur de SaintSylvain. Mais je crois que l’art du plaisir est le premier de tous, et que les autres n’ont de prix que par le concours qu’ils prêtent a celui-là. Il conduisit ses hôtes dans sa galerie de tableaux, où se concertaient les tons argentés de Véronèse, l’ambre du Titien, les rougeurs de Rubens, les rousseurs de Rembrandt, le gris et les roses de Vélasquez ; où toutes les palettes chantantes formaient une harmonie glorieuse. Un violon dormait oublié sur un fauteuil devant le portrait d’une dame brune, à bandeaux plats, le teint olivâtre ; ses grands yeux marrons lui mangeant les joues : une inconnue, dont Ingres avait caressé les formes d’une main amoureuse et sûre. - Je vais vous avouer ma manie, dit le prince de Lusance. Parfois, quand je suis seul, je joue devant ces tableaux et j’ai l’illusion de traduire par des sons l’harmonie des couleurs et des lignes. Devant ce portrait, j’essaye de rendre la ferme caresse du dessin et, découragé, je laisse mon violon. Une fenêtre s’ouvrait sur le parc. Le prince et ses hôtes s’accoudèrent au balcon. — Quelle belle vue ! s’écrièrent Quatrefeuilles et Saint-Sylvain. Des terrasses, chargées de statues, d’orangers et de fleurs, conduisaient par de lents et faciles escaliers à la pelouse bordée de charmille et aux bassins où l’eau jaillissait en gerbes blanches des conques des tritons et des urnes des nymphes. A droite et à gauche une mer de verdure étendait ses houles apaisées j jusqu’à la rivière lointaine dont on suivait le fil argenté entre les peupliers, sous les collines enveloppées de brumes roses. Naguère souriant, le prince attachait un regard soucieux sur un point de cette vaste et belle étendue. — Ce tuyau !... murmura-t-il d’une voix altérée, en désignant du doigt une cheminée d’usine qui fumait à plus d’une demi-lieue du parc. — Cette cheminée ? On ne la voit guère, dit Quatrefeuilles. — Je ne vois qu’elle, répondit le prince. Elle me gâte toute cette vue, elle me gâte la nature entière, elle me gâte la vie. Le mal est sans remède. Elle appartient à une compagnie qui ne veut céder son usine à aucun prix. J’ai essayé de tous les moyens pour la masquer ; je n’ai pas pu. J’en suis malade. Et, quittant la fenêtre, il s’abîma dans un fauteuil. — Nous devions le prévoir, dit Quatrefeuilles en montant en voiture. C’est un délicat : il est malheureux. Avant de poursuivre leurs recherches, ils s’assirent un moment dans le jardinet d’une guinguette située à la pointe de la montagne et d’où l’on découvrait la belle vallée, le fleuve clair et sinueux et ses îles ovales. Au mépris de deux épreuves désespérantes, ils espéraient découvrir un milliardaire heureux. Il leur en restait une douzaine à voir dans la contrée, et entre autres, M. Bloch, M. Potiquet, le baron Nichol, le plus grand industriel du royaume, et le marquis de Granthosme, le plus riche peut-être de tous et d’une famille illustre, aussi chargée de gloire que de biens. Près d’eux un homme long, maigre, buvait une tasse de lait, plié en deux, mou comme un traversin ; ses gros yeux pâles lui tombaient au milieu des joues ; son nez lui pendait sur la bouche. Il semblait abîmé de douleur et regardait avec affliction les pieds de Quatrefeuilles. Après une contemplation de vingt minutes, il se leva, lugubre et résolu, s’approcha du premier écuyer et, s’excusant de l’importunité : — Monsieur, lui dit-il, permettez-moi de vous faire une question qui est pour moi d’une extrême importance. Combien payez-vous vos bottines ? — Malgré l’étrangeté de la demande, répondit Quatrefeuilles, je ne vois pas d’inconvénient à y répondre. J’ai payé cette paire soixante-cinq francs. Longtemps l’inconnu examina alternativement son pied et celui de son interlocuteur, et compara les deux chaussures avec une attention minutieuse. Puis, pâle et d’une voix émue : — Vous dites que vous payez ces bottines-là soixante-cinq francs. En êtes-vous bien sûr ? — Certainement. — Monsieur, prenez bien garde à ce que vous dites !... — Ah çà ! grommela Quatrefeuilles, qui commençait à s’impatienter, vous êtes un plaisant bottier, monsieur. — Je ne suis pas bottier, répondit l’étranger plein d’une humble douceur, je suis le marquis de Granthosme. Quatrefeuilles salua. — Monsieur, poursuivit le marquis, J’en avais le pressentiment : hélas ! je suis encore volé ! Vous payez vos bottines soixante-cinq francs, je paye les miennes, toutes semblables aux vôtres, quatre-vingt-dix. Ce n’est pas le prix que je considère : le prix n’est rien pour moi : mais je ne puis supporter d’être volé. Je ne vois, je ne respire autour de moi qu’improbité, fraude, larcin, mensonge, et je prends en horreur mes richesses qui corrompent tous les hommes qui m’approchent, domestiques, intendants, fournisseurs, voisins, amis, femme, enfants, et me les rendent odieux et méprisables. Ma position est atroce. Je ne suis jamais certain de ne pas voir devant moi un malhonnête homme. Et d’appartenir moi-même à l’espèce humaine, je me sens mourir de dégoût et de honte. Et le marquis s’en fut s’abattre sur sa tasse de lait en soupirant : — Soixante-cinq francs ! soixante-cinq francs !... A ce moment, des plaintes et des gémissements éclatèrent sur la route, et les deux envoyés du roi virent un vieillard qui se lamentait, suivi de deux grands laquais galonnés. Ils s’émurent à cette vue. Mais le cafetier fort indifférent : — Ce n’est rien, leur dit-il, c’est le baron Nichol, qui est si riche !... Il est devenu fou, il se croit ruiné et se lamente nuit et jour. — Le baron Nichol ! s’écria Saint-Sylvain, encore un à qui vous vouliez demander sa chemise, Quatrefeuilles ! Sur cette dernière rencontre, ils renoncèrent à chercher plus longtemps chez les plus riches du royaume la chemise salutaire. Comme ils étaient mécontents de leur journée et craignaient d’être mal reçus au château, ils s’en prirent l’un à l’autre de leur mécompte. — Quelle idée aussi aviez-vous, Quatrefeuilles, d’aller chez ces gens-là pour faire autre chose que des observations tératologiques ? Mœurs, idées, sensations, rien n’est sain, rien n’est normal en eux. Ce sont des monstres. — Quoi ! ne m’avez-vous pas dit, Saint-Sylvain, que la richesse est une vertu, qu’il est juste de croire à la bonté des riches et doux de croire à leur bonheur ? Mais prenez-y bien garde : il y a richesse et richesse. Quand la noblesse est pauvre et la roture riche, c’est la subversion de l’État et la fin de tout. — Quatrefeuilles, je suis fâché de vous le dire : vous n’avez aucune idée de la constitution des États modernes. Vous ne comprenez pas l’époque où vous vivez. Mais cela ne fait rien. Si maintenant nous tâtions de la médiocrité dorée ? Qu’en pensez— vous ? je crois que nous ferions sagement d’assister demain aux réceptions des dames de la ville, bourgeoises et titrées. Nous y pourrons observer toutes espèces de gens, et, si vous m’en croyez, nous visiterons d’abord les bourgeoises de condition modeste. LES SALONS DE LA CAPITALE Ainsi firent-ils. Ils se présentèrent d’abord chez madame Souppe, femme d’un fabricant de pâtes alimentaires qui avait une usine dans le Nord. Ils y trouvèrent monsieur et madame Souppe malheureux de n’être pas reçus chez madame Esterlin, femme du maître de forges, député au parlement. Ils allèrent chez madame Esterlin et l’y trouvèrent désolée, ainsi que M. Esterlin, de n’être pas reçue chez madame du Colombier, femme du pair du royaume, ancien ministre de la Justice. Ils allèrent chez madame du Colombier et y trouvèrent le pair et la pairesse enragés de n’être pas dans l’intimité de la reine. Les visiteurs qu’ils rencontrèrent dans ces diverses maisons n’étaient pas moins malheureux, désolés, enragés. La maladie, les peines de cœur, les soucis d’argent les rongeaient. Ceux qui possédaient, craignant de perdre, étaient plus infortunés que ceux qui ne possédaient pas. Les obscurs voulaient paraître, les illustres paraître davantage. Le travail accablait la plupart ; et ceux qui n’avaient rien à faire souffraient d’un ennui plus cruel que le travail. Plusieurs pâtissaient du mal d’autrui, souffraient des souffrances d’une femme, d’un enfant aimés, Beaucoup dépérissaient d’une maladie qu’ils n’avaient pas, mais qu’ils croyaient avoir ou dont ils craignaient les atteints. Une épidémie de choléra venait de sévir dans la capitale et l’on citait un financier qui, de peur d’être atteint par la contagion et ne connaissant pas de retraite assez sûre, se suicida. — Le pis, disait Quatrefeuilles, c’est que tous ces gens-là, non contents des maux réels qui pleuvent sur eux dru comme grêle, se plongent dans une mare de maux imaginaires. — Il n’y a pas de maux imaginaires, répondait Saint-Sylvain Tous les maux sont réels des qu’on les éprouve, et le rêve de la douleur est une, douleur véritable. — C’est égal, répliquait Quatrefeuilles. Quand je pisse des pierres grasses comme un œuf de canard, je voudrais bien que ce fût en rêve. Cette fois encore Saint-Sylvain observa que bien souvent les hommes s’affligent pour des raisons opposées et contraires. Il causa successivement, dans le salon de madame du Colombier, avec deux hommes de haute intelligence, éclairés, cultivés, qui, par les tours et détours qu’à leur insu ils imprimaient à leur pensée, lui décelaient le mal moral dont ils étaient profondément atteints. C’est de l’état public que tous deux tiraient la cause de leur souci ; mais ils la tiraient à rebours. M. Brome vivait dans la peur perpétuelle d’un changement. Dans la stabilité présente, au milieu de la prospérité et de la paix dont jouissait le pays, il craignait des troubles et redoutait un bouleversement total. Ses mains n’ouvraient qu’en tremblant les journaux ; il s’attendait tous les matins à y trouver l’annonce de tumultes et d’émeutes. Sous cette impression, il transformait les faits les plus insignifiants et les plus vulgaires incidents en préludes de révolutions, en prodromes de cataclysmes. Se croyant toujours à la veille d’une catastrophe universelle, il vivait dans un perpétuel effroi. Un mal tout contraire, plus étrange et plus rare, ravageait M. Sandrique. Le calme l’ennuyait, l’ordre public l’impatientait, la paix lui était odieuse, la sublime monotonie des lois humaines et divines l’assommait. Il appelait en secret des changements et, feignant de les craindre, soupirait après les catastrophes. Cet homme bon, doux, affable, humain, ne concevait d’autres amusements que la subversion violente de son pays, du globe, de l’univers, épiant jusque dans les astres les collisions et les conflagrations. Déçu, abattu, triste, morose, quand le style des papiers publics et l’aspect des rues lui révélait l’inaltérable quiétude de la nation, il en souffrait d’autant plus qu’ayant la connaissance des hommes et l’expérience des affaires, il savait combien l’esprit de conservation, de tradition, d’imitation et d’obéissance est fort dans les peuples et comme d’un train égal et lent va la vie sociale. Saint-Sylvain observa, à la réception de madame du Colombier, une autre contrariété, plus vaste et de plus de conséquence. Dans un coin du petit salon, M. de la Galissonnière, président du tribunal civil, s’entretenait paisiblement et à voix basse avec M. Larive-du-Mont, administrateur du Jardin zoologique. — Je le confierai à vous, mon ami, disait M. de la Galissonnière : l’idée de la mort me tue. J’y pense sans cesse, j’en meurs sans cesse. La mort m’épouvante, non par elle— même, car elle n’est rien, mais pour ce qui la suit, la vie future. J’y crois ; j’ai la foi, la certitude de mon immortalité. Raison, instinct, science, révélation, tout me démontre l’existence d’une âme impérissable, tout me prouve la nature, l’origine et les fins de l’homme telles que l’Église nous les enseigne. Je suis chrétien ; je crois aux peines éternelles ; l’image terrible de ces peines me pour suit sans trêve ; l’enfer me fait peur et cette peur, plus forte qu’aucun autre sentiment, détruit en moi l’espérance et toutes les vertus nécessaires au salut, me jette dans le désespoir et m’expose à cette réprobation que je redoute. La peur de la damnation me damne, l’épouvante de l’enfer m’y précipite et, vivant encore, j’éprouve par avance les tourments éternels. Il n’y a pas de supplice comparable à celui que j’endure et qui se fait plus cruellement sentir d’année en année, de jour en jour, d’heure en heure, puisque chaque jour, chaque minute me rapproche de ce qui me terrifie. Ma vie est une agonie pleine d’affres et d’épouvantements. En prononçant ces paroles, le magistrat battait l’air de ses mains comme pour écarter les flammes inextinguibles dont il se sentait environné. — Je vous envie, mon bien cher ami, soupira M. Larive-du-Mont. Vous êtes heureux en comparaison de moi ; c’est aussi l’idée de la mort qui me déchire ; mais que cette idée diffère de la vôtre et combien elle la dépasse en horreur ! Mes études, mes observations, une pratique constante de l’anatomie comparée et des recherches approfondies sur la constitution de la matière ne m’ont que trop persuadé que les mots âme, esprit, immortalité, immatérialité ne représentent que des phénomènes physiques ou la négation de ces phénomènes et que, pour nous, le terme de la vie est aussi le terme de la conscience, enfin que la mort consomme notre complet anéantissement. Ce qui suit la vie, il n’y a pas de mot pour l’exprimer, car le terme de néant que nous y employons n’est qu’un signe de dénégation devant la nature entière. Le néant, c’est un rien infini et ce rien nous enveloppe. Nous en venons, nous y allons ; nous sommes entre deux néants comme une coquille sur la mer. Le néant, c’est l’impossible et le certain ; cela ne se conçoit pas et cela est. Le malheur des hommes, voyez-vous, leur malheur et leur crime est d’avoir découvert ces choses. Les autres animaux ne les savent pas ; Nous devions les ignorer à jamais. Être et cesser d’être, l’effroi du cette idée me fait dresser les cheveux sur la tête ; elle ne me quitte pas. Ce qui ne sera pas me gâte et me corrompt ce qui est et le néant m’abîme par avance. Atroce absurdité I je m’y sens, je m’y vois. — Je suis plus à plaindre que vous, répliqua M. de la Galissonnière. Chaque fois que vous prononcez ce mot, ce perfide et délicieux mot de néant, sa douceur caresse mon âme et me flatte, comme l’oreiller du malade, d’une promesse de sommeil et de repos. Mais Larive-du-Mont : — Mes souffrances sont plus intolérables que les vôtres, puisque le vulgaire supporte l’idée d’un enfer éternel et qu’il faut une force d’âme peu commune pour être athée. Une éducation religieuse, une pensée mystique vous ont donné la peur et la haine de la vie humaine. Vous n’êtes pas seulement chrétien et catholique ; vous êtes janséniste et vous portez au flanc l’abîme que côtoyait Pascal. Moi, j’aime la vie, la vie de cette terre, la vie telle qu’elle est, la chienne de vie. Je l’aime brutale, vile et grossière ; je l’aime sordide, malpropre, gâtée ; je l’aime stupide, imbécile et cruelle ; je l’aime dans son obscénité, dans son ignominie, dans son infamie, avec ses souillures, ses laideurs et ses puanteurs, ses corruptions et ses infections. Sentant qu’elle m’échappe et me fuit, je tremble comme un lâche et deviens fou de désespoir. » Les dimanches, les jours de fête, je cours a travers les quartiers populeux, je me mêle à la foule qui roule par les rues, je me plonge dans les groupes d’hommes, de femmes, d’enfants, autour des chanteurs ambulants ou devant les baraques des forains ; je me frotte aux jupes sales, aux camisoles grasses, j’aspire les odeurs fortes et chaudes de la sueur, des cheveux, des haleines. Il me semble, dans ce grouillement de vie, être plus loin de la mort. J’entends une voix qui me dit : » —— La peur que je te donne, seule je t’en guérirai ; la fatigue dont mes menaces t’accablent, seule je t’en reposerai. » Mais je ne veux pas ! Je ne veux pas ! — Hélas ! soupira le magistrat. Si nous ne guérissons pas en cette vie les maladies qui ruinent nos âmes, la mort ne nous apportera pas le repos. — Et ce qui m’enrage, reprit le savant, c’est que, quand nous serons tous deux morts, je n’aurai pas même la satisfaction de vous dire : « Vous voyez, La Galissonnière ! je ne me trompais pas : il n’y a rien. » Je ne pourrai pas me flatter d’avoir eu raison. Et vous, vous ne serez jamais détrompé. De quel prix se paie la pensée ! Vous êtes malheureux, mon ami, parce que votre pensée est plus vaste et plus forte que celle des animaux et de la plupart des hommes. Et je suis plus malheureux que vous parce que j’ai plus de génie. Quatrefeuilles, qui avait attrapé des bribes de ce dialogue, n’en fut pas très frappé. — Ce sont là des peines d’esprit, dit-il ; elles peuvent être cruelles, mais elles sont peu communes. Je m’alarme davantage des peines plus vulgaires, souffrances et difformités du corps, mal d’amour et défaut d’argent, qui rendent notre recherche si difficile. — En outre, lui fit observer Saint-Sylvain, ces deux messieurs forcent trop violemment leur doctrine à les rendre misérables. Si La Galissonnière consultait un bon père jésuite, il serait bientôt rassuré, et Larive-du-Mont devrait savoir qu’on peut être athée avec sérénité comme Lucrèce, avec délices comme André Chénier. Qu’il se répète le vers d’Homère : « Patrocle est mort qui valait mieux que toi », et consente de meilleure grâce à rejoindre un jour ou l’autre ses maîtres les philosophes de l’antiquité, les humanistes de la Renaissance, les savants modernes et tant d’autres qui valaient mieux que lui. « Et meurent Pâris et Hélène », dit François Villon. « Nous sommes tous mortels », comme dit Cicéron. « Nous mourrons tous », dit cette femme dont l’Écriture a loué la prudence au second livre des Rois. LE BONHEUR D ÊTRE AIME Ils allèrent dîner au parc royal, promenade élégante qui est à la capitale du roi Christophe ce qu’est le bois de Boulogne à Paris, la Cambre à Bruxelles, Hyde-Park à Londres, le Thier-garten à Berlin, le Prater à Vienne, le Prado à Madrid, les Cascines à Florence, le Pincio à Rome. Assis au frais, parmi la foule brillante des dîneurs, ils promenaient leurs regards sur les grands chapeaux chargés de plumes et de fleurs, pavillons errants des plaisirs, abris agités des amours, colombiers vers lesquels volaient les désirs. - Je crois, dit Quatrefeuilles, que ce que nous cherchons se trouve ici. Il m’est arrivé tout comme à un autre d’être aimé : c’est le bonheur, Saint-Sylvain, et aujourd’hui encore je me demande si ce n’est pas l’unique bonheur des hommes ; et, bien que je porte le poids d’une vessie plus chargée de pierres qu’un tombereau au sortir de la carrière, il y a des jours où je suis amoureux comme a vingt ans. — Moi, répondit Saint-Sylvain, je suis misogyne. Je ne pardonne pas aux femmes d’être du même sexe que madame de Saint-Sylvain. Elles sont toutes, je le sais, moins sottes, moins méchantes et moins laides, mais c’est trop qu’elles aient quelque chose en commun avec elle. — Laissez cela, Saint-Sylvain. Je vous dis que ce que nous cherchons est ici et que nous n’avons que la main à étendre pour l’atteindre. Et, montrant un fort bel homme assis seul à une petite table : - Vous connaissez Jacques de Navicelle. Il plaît aux femmes, il plaît à toutes les femmes. C’est le bonheur ; ou je ne m’y connais pas. Saint-Sylvain fut d’avis de s’en assurer. Ils invitèrent Jacques de Navicelle à faire table commune, et, tout en dînant, causèrent familièrement avec lui. Vingt fois, par de longs circuits ou de brusques détours, de front, obliquement, par insinuation ou en toute franchise, ils s’informèrent de son bonheur, sans pouvoir rien apprendre de ce compagnon dont la parole élégante et le visage charmant n’exprimaient ni joie ni tristesse. Jacques de Navicelle causait volontiers, se montrait ouvert et naturel ; il faisait même des confidences, mais elles enveloppaient son secret et le rendaient plus impénétrable. Sans doute il était aimé ; en était-il heureux ou malheureux ? Quand on apporta les fruits, les deux inquisiteurs du roi renonçaient à le savoir. De guerre lasse, ils parlèrent pour ne rien dire, et parlèrent d’eux mêmes : Saint-Sylvain de sa femme et Quatrefeuilles de sa pierre fondamentale, endroit par lequel il ressemblait à Montaigne. On débita des histoires en buvant des liqueurs : l’histoire de madame Bérille qui s’échappa d’un cabinet particulier déguisée en mitron, une manne sur la tête ; l’histoire du général Débonnaire et de madame la baronne de Bildermann ; l’histoire du ministre Vizire et de madame Cérès, qui, comme Antoine et Cléopâtre, firent fondre un empire en baisers, et plusieurs autres, anciennes et nouvelles. Jacques de Navicelle conta un conte oriental : — Un jeune marchand de Bagdad, dit-il, étant un matin dans son lit, se sentit très amoureux et souhaita, à grands cris, d’être aimé de toutes les femmes. Un djinn qui l’entendit lui apparut et lui dit : a Ton souhait est désormais accompli. A compter d’aujourd’hui tu seras aimé de toutes les femmes. » Aussitôt le jeune marchand sauta du lit tout joyeux et, se promettant des plaisirs inépuisables et variés, descendit dans la rue. A peine y avait-il fait quelques pas, qu’une affreuse vieille, qui filtrait du vin dans sa cave, éprise à sa vue d’un ardent amour, lui envoya des baisers par le soupirail. Il détourna la tête avec dégoût, mais la vieille le tira par la jambe dans le souterrain où elle le garda vingt ans enfermé. Jacques de Navicelle finissait ce conte, quand un maître d’hôtel vint l’avertir qu’il était attendu. Il se leva et, l’oeil morne et la tête baissée, se dirigea vers la grille du jardin où l’attendait, au fond d’un coupé, une figure assez rêche. — Il vient de conter sa propre histoire, dit Saint-Sylvain. Le jeune marchand de Bagdad, c’est lui-même. Quatrefeuilles se frappa le front : — On m’avait bien dit qu’il était gardé par un dragon : je l’avais oublié. Ils rentrèrent tard au palais sans autre chemise que la leur, et trouvèrent le roi Christophe et madame de la Poule qui pleuraient à chaudes larmes en écoutant une sonate de Mozart. Au contact du roi, madame de la Poule, devenue mélancolique, nourrissait des idées sombres et de folles terreurs. Elle se croyait persécutée, victime de machinations abominables ; elle vivait dans la crainte perpétuelle d’être empoisonnée et obligeait ses femmes de chambre à goûter tous les plats de sa table. Elle ressentait l’effroi de mourir et l’attrait du suicide. L’état du roi s’aggravait de celui de cette dame avec laquelle il passait de tristes jours. — Les peintres, disait Christophe V, sont de funestes artisans d’imposture. Ils prêtent une beauté touchante aux femmes qui pleurent et nous montrent des Andromaque, des Artémis, des Madeleine, des Héloïse, parées de leurs larmes. J’ai un portrait d’Adrienne Lecouvreur dans le rôle de Cornélie, arrosant de ses pleurs les cendres de Pompée : elle est adorable. Et, dès que madame de la Poule commence à pleurer, sa face se convulse, son nez rougit : elle est laide à faire peur. Ce malheureux prince, qui ne vivait que dans l’attente de la chemise salutaire, vitupéra Quatrefeuilles et Saint-Sylvain de, leur négligence, de leur incapacité et de leur mauvaise chance, comptant peut-être que de ces trois reproches un du moins serait juste. - Vous me laisserez mourir, comme font mes médecins Machellier et Saumon. Mais, eux, c’est leur métier. J’attendais autre chose de vous ; je comptais sur votre intelligence et sur votre dévouement. Je m’aperçois que j’avais tort. Revenir bredouille ! vous n’avez pas honte ? Votre mission était-elle donc si difficile à remplir ? Est-il donc si malaisé de trouver la chemise d’un homme heureux ? Si vous n’êtes même pas capables de cela, à quoi êtes-vous bons ? On n’est bien servi que par soi-même. Cela est vrai des particuliers et plus vrai des rois. Je vais de ce pas chercher la chemise que vous ne savez découvrir. Et, jetant son bonnet de nuit et sa robe de chambre, il demanda ses habits. Quatrefeuilles et Saint-Sylvain essayèrent de le retenir. — Sire, dans votre état, quelle imprudence ! — Sire, il est minuit sonné. — Croyez-vous donc, demanda le roi, que les gens heureux se couchent comme les poules ? N’y a-t-il plus de lieux de plaisir dans ma capitale ? N’y a-t-il plus de restaurants de nuit ? Mon préfet de police a fait fermer tous les claquedents : n’en sont-ils pas moins ouverts ? Mais je n’aurai pas besoin d’aller dans les cercles. Je trouverai ce que je cherche dans la rue, sur les bancs. A peine habillé, Christophe V enjamba madame de la Poule qui se tordait à terre dans des convulsions, dégringola les escaliers et traversa le jardin à la course. Quatrefeuilles et Saint-Sylvain, consternés, le suivaient de loin, en silence. SI LE BONHEUR EST DE NE SE PLUS SENTIR Parvenu à la grande route, ombragée de vieux ormes, qui bordait le Parc royal, il aperçut un homme jeune et d’une admirable beauté qui, appuyé contre un arbre, contemplait avec une expression d’allégresse les étoiles qui traçaient dans le ciel pur leurs signes étincelants et mystérieux. La brise agitait sa chevelure bouclée, un reflet des clartés célestes brillait dans son regard. « J’ai trouvé ! » pensa le roi. Il s’approcha de ce jeune homme riant et si beau, qui tressaillit légèrement à sa vue. -Je regrette, monsieur, dit le prince, de troubler votre rêverie. Mais la question que je vais vous faire est pour moi d’un intérêt vital. Ne refusez pas de répondre à un homme qui est peut-être à même de vous obliger, et qui ne sera pas ingrat. Monsieur, êtes-vous heureux ? — Je le suis. — Ne manque-t-il rien à votre bonheur ? — Rien. Sans doute, il n’en a pas toujours été ainsi. J’ai, comme tous les hommes, éprouvé le mal de vivre et peut-être l’ai-je éprouvé plus douloureusement que la plupart d’entre eux. Il ne me venait ni de ma condition particulière, ni de circonstances fortuites, mais du fond commun à tous les hommes et à tout ce qui respire ; j’ai connu un grand malaise : il est entièrement dissipé. Je goûte un calme parfait, une douce allégresse ; tout en moi est contentement, sérénité, satisfaction profonde ; une joie subtile me pénètre tout entier. Vous me voyez, monsieur, au plus beau moment de ma vie, et, puisque la fortune me fait vous rencontrer, je vous prends à témoin de mon bonheur. Je suis enfin libre, exempt des craintes et des terreurs qui assaillent les hommes, des ambitions qui les dévorent et des folles espérances qui les trompent. Je suis au dessus de la fortune ; j’échappe aux deux invincibles ennemis des hommes, l’espace et le temps. Je peux braver les destins. Je possède un bonheur absolu et me confonds avec la divinité. Et cet heureux état est mon ouvrage ; il est dû à une résolution que j’ai prise, si sage, si bonne, si belle, si ver tueuse, si efficace, qu’à la tenir on se divinise. » Je nage dans la joie, je suis magnifiquement ivre. Je prononce avec une entière conscience et dans la plénitude sublime de sa signification ce mot de toutes les ivresses, de tous les enthousiasmes et de tous les ravissements : « Je ne me connais plus ! » Il tira sa montre. — C’est l’heure. Adieu. — Un mot encore, monsieur. Vous pouvez me sauver. Je... — On n’est sauvé qu’en me prenant pour exemple. Vous devez me quitter ici. Adieu ! Et l’inconnu, d’un pas héroïque, d’une allure juvénile, s’élança dans le bois qui bordait la route. Christophe, sans vouloir rien entendre, le poursuivit : au moment de pénétrer dans le taillis, il entendit un coup de feu, s’avança, écarta les branches et vit le jeune homme heureux couché dans l’herbe, la tempe percée d’une balle et tenant encore son revolver dans la main droite. A cette vue, le roi tomba évanoui. Quatrefeuilles et Saint-Sylvain, accourus à lui, l’aidèrent à reprendre ses sens et le portèrent au palais. Christophe s’enquit de ce jeune homme qui avait trouvé sous ses yeux un bonheur désespéré. Il apprit que c’était l’héritier d’une famille noble et riche, aussi intelligent que beau et constamment favorisé par le sort. SIGISMOND DUX Le lendemain, Quatrefeuilles et Saint-Sylvain, a la recherche de la chemise médicinale, descendant à pied la rue de la Constitution, rencontrèrent la comtesse de Cécile qui sortait d’un magasin de musique. Ils la reconduisirent à sa voiture. — Monsieur de Quatrefeuilles, on ne vous a pas vu hier à la clinique du professeur Quillebœuf ; ni vous non plus, monsieur de Saint-Sylvain. Vous avez eu tort de n’y pas venir ; c’était très intéressant. Le professeur Quillebœuf avait invité tout le monde élégant, à la fois une foule et une élite, à son opération de cinq heures, une charmante ovariotomie. Il y avait des fleurs, des toilettes, de la musique ; on a servi des glaces. Le professeur s’est montré d’une élégance, d’une grâce merveilleuses. Il a fait prendre des clichés pour le cinématographe. Quatrefeuilles ne fut pas trop surpris de cette description. Il savait que le professeur Quillebœuf opérait dans le luxe et les plaisirs ; il serait allé lui demander sa chemise, s’il n’avait vu quelques jours auparavant l’illustre chirurgien inconsolable de n avoir pas opéré les deux plus grandes célébrités du jour, l’empereur d’Allemagne qui venait de se faire enlever un kyste par le professeur Hilmacher, et la naine des Folies-Bergère qui, ayant avalé un cent de clous, ne voulait pas qu’on lui ouvrît l’estomac et prenait de l’huile de ricin. Saint-Sylvain, s’arrêtant à la devanture du magasin de musique, contempla le buste de Sigismond Dux et poussa un grand cri. — Le voilà, celui que nous cherchons ! le voilà, l’homme heureux ! Le buste, très ressemblant, offrait des traits réguliers et nobles, une de ces figures harmonieuses et pleines, qui ont l’air d’un globe du monde. Bien que très chauve et déjà vieux, le grand compositeur y paraissait aussi charmant que magnifique. Son crâne s’arrondissait comme un dôme d’église, mais son nez un peu gros se plantait au-dessous avec une robustesse amoureuse et profane ; une barbe, coupée aux ciseaux, ne dissimulait pas des lèvres charnues, une bouche aphrodisiaque et bachique. Et c’était bien l’image de ce génie qui compose les oratorios les plus pieux, la musique de théâtre la plus passionnée et la plus sensuelle. — Comment, poursuivit Saint-Sylvain, n’avons nous pas pensé à Sigismond Dux qui jouit si pleinement de son immense gloire, habile à en saisir tous les avantages et tout juste assez fou pour s’épargner la contrainte et l’ennui d’une haute position, le plus spiritualiste et le plus sensuel des génies, heureux comme un dieu, tranquille comme une bête, joignant dans ses innombrables amours à la délicatesse la plus exquise le cynisme le plus brutal ? — C’est, dit Quatrefeuilles, un riche tempérament. Sa chemise ne pourra que faire du bien à Sa Majesté. Allons la quérir. Ils furent introduits dans un hall vaste et sonore comme une salle de café-concert. Un orgue, élevé de trois marches, couvrait un pan de la muraille de son buffet aux tuyaux sans nombre. Coiffé d’un bonnet de doge, vêtu d’une dalmatique de brocart, Sigismond Dux improvisait des mélodies et sous ses doigts naissaient des sons qui troublaient les âmes et faisaient fondre les cœurs. Sur les trois marches tendues de pourpre, une troupe de femmes couchées, magnifiques ou charmantes, longues, minces et serpentines, ou rondes, drues, d’une splendeur massive, toutes également belles de désir et d’amour, ardentes et pâmées, se tordaient à ses pieds. Dans tout le hall, une foule frémissante de jeunes Américaines, de financiers israélites, de diplomates, de danseuses, de cantatrices, de prêtres catholiques, anglicans et bouddhistes, de princes noirs, d’accordeurs de pianos, de reporters, de poètes lyriques, d’impresarii, de photographes, d’hommes habillés en femmes et de femmes habillées en hommes, pressés, confondus, amalgamés, ne formaient qu’une seule masse adorante, au-dessus de laquelle, grimpées aux colonnes, à cheval sur les candélabres, pendues aux lustres, s’agitaient de jeunes et agiles dévotions. Ce peuple immense nageait dans l’ivresse : c’était ce qu’on appelait une matinée intime. L’orgue se tut. Une nuée de femmes enveloppa le maître qui, par moments, en sortait à demi, comme un astre lumineux, pour s’y replonger aussitôt. Il était doux, câlin, lascif, glissant. Aimable, pas plus fat qu’il ne fallait, grand comme le monde et mignon comme un amour, en souriant, il montrait dans sa barbe grise des dents de jeune enfant et disait à toutes des choses faciles et jolies qui les enchantaient, et qu’on ne pouvait retenir tant elles étaient ténues, de sorte que le charme en demeurait tout entier, embelli de mystère. Il était pareillement affable et bon avec les hommes et, voyant Saint-Sylvain, il l’embrassa trois fois et lui dit qu’il l’aimait chèrement. Le secrétaire du roi ne perdit pas de temps : il lui demanda deux mots d’entretien confidentiel de la part du roi et, lui ayant expliqué sommairement de quelle importante mission il était chargé, il lui dit : —— Maître, donnez-moi votre che... Il s’arrêta, voyant les traits de Sigismond Dux subitement décomposés. Un orgue de barbarie s’était mis à moudre dans la rue la Polka des Jonquilles. Et, dès les premières mesures, le grand homme avait pâli. Cette Polka des Jonquilles, le caprice de la saison, était d’un pauvre violon de bastringue, nommé Bouquin, obscur et misérable. Et le maître couronné de quarante ans de gloire et d’amour ne pouvait souffrir qu’un peu de louange s’égarât sur Bouquin ; il en ressentait comme une insupportable offense. Dieu lui-même est jaloux et s’afflige de l’ingratitude des hommes. Sigismond Dux ne pouvait entendre la Polka des Jonquilles sans tomber malade. Il quitta brusquement Saint Sylvain, la foule de ses adorateurs, le magnifique troupeau de ses femmes pâmées et courut dans son cabinet de toilette vomir une cuvette de bile. — Il est a plaindre, soupira Saint-Sylvain. Et, tirant Quatrefeuilles par ses basques, il franchit le seuil du musicien malheureux. SI LE VICE EST UNE VERTU Durant quatorze mois, du matin au soir et du soir au matin, ils fouillèrent la ville et les environs, observant, examinant, interrogeant en vain. Le roi, dont les forces diminuaient de jour en jour et qui se faisait maintenant une idée de la difficulté d’une semblable recherche, donna l’ordre à son ministre de l’Intérieur d’instituer une commission extraordinaire, chargée, sous la direction de MM. Quatrefeuilles, Chaudesaigues, Saint Sylvain et Froidefond, de procéder, avec pleins pouvoirs, à une enquête secrète sur les personnes heureuses du royaume. Le préfet de police, déférant à l’invitation du ministre, mit ses plus habiles agents au service des commissaires et bientôt, dans la capitale, les heureux furent recherchés avec autant de zèle et d’ardeur que, dans les autres pays, les malfaiteurs et les anarchistes. Un citoyen passait-il pour fortuné, aussitôt il était dénoncé, épié, filé. Deux agents de la préfecture traînaient, à toute heure, de long en large, leurs gros souliers ferrés sous les fenêtres des gens suspects de bonheur. Un homme du monde louait-il une loge à l’Opéra, il était mis aussitôt en surveillance. Un propriétaire d’écurie, dont le cheval gagnait une course, était gardé a vue. Dans toutes les maisons de rendez-vous un employé de la préfecture, installé au bureau, prenait note des entrées. Et, sur l’observation de M. le préfet de police, que la vertu rend heureux, les personnes bienfaisantes, les fondateurs d’œuvres charitables, les généreux donateurs, les épouses délaissées et fidèles, les citoyens signalés pour des actes de dévouement, les héros, les martyrs étaient également dénoncés et soumis à de minutieuses enquêtes. Cette surveillance pesait sur toute la ville ; mais on en ignorait absolument la raison. Quatre feuilles et Saint-Sylvain n’avaient confié à per sonne qu’ils cherchaient une chemise fortunée, de peur, comme nous l’avons dit, que des gens ambitieux ou cupides, feignant de jouir d’une félicité parfaite, ne livrassent au roi, comme heureux, un vêtement de dessous tout imprégné de misères, de chagrins et de soucis. Les mesures extraordinaires de la police semaient l’inquiétude dans les hautes classes et l’on signalait une certaine fermentation dans la ville. Plusieurs dames très estimées se trouvèrent compromises et des scandales éclatèrent. La commission se réunissait tous les matins à la Bibliothèque royale, sous la pré sidence de M. de Quatrefeuilles, avec l’assistance de MM. Trou et Boncassis, conseillers d’État en service extraordinaire. Elle examinait, à chaque séance, quinze cents dossiers en moyenne. Après une session de quatre mois, elle n’avait pas encore surpris l’indice d’un homme heureux. Comme le président Quatrefeuilles s’en lamentait : — Hélas, s’écria M. Boncassis, les vices font souffrir, et tous les hommes ont des vices. — Je n’en ai pas moi, soupira M. Chaudesaigues, et j’en suis au désespoir. La vie sans vice n’est que langueur, abattement et tristesse. Le vice est l’unique distraction qu’on puisse goûter en ce monde ; le vice est le coloris de l’existence, le sel de l’âme, l’étincelle de l’esprit. Que dis-je, le vice est la seule originalité, la seule puissance créatrice de l’homme ; il est l’essai d’une organisation de la nature contre la nature, de l’intronisation du règne humain au-dessus du règne animal, d’une création humaine contre la création anonyme, d’un monde conscient dans l’inconscience universelle ; le vice est le seul bien propre à l’homme, son réel patrimoine, sa vraie vertu au sens propre du mot, puisque vertu est le fait de l’homme (virtus, vir). » J’ai essayé de m’en donner ; je n’ai pas pu : il y faut du génie, il y faut un beau naturel. Un vice affecté n’est pas un vice. — Ah çà ! demanda Quatrefeuilles, qu’appelez-vous vice ? — J’appelle vice une disposition habituelle à ce que le nombre considère comme anormal et mauvais, c’est-à-dire la morale individuelle, la force individuelle, la vertu individuelle, la beauté, la puissance, le génie. — A la bonne heure ! dit le conseiller Trou, il ne s’agit que de s’entendre. Mais Saint-Sylvain combattit vivement l’opinion du bibliothécaire. — Ne parlez donc pas de vices, lui dit-il, puisque vous n’en avez pas. Vous ne savez pas ce que c’est. J’en ai, moi : j’en ai plusieurs et je vous assure que j’en tire moins de satisfaction que de désagrément. Il n’y a rien de pénible comme un vice. On se tourmente, on s’échauffe, on s’épuise à le satisfaire, et, dès qu’il est satisfait, on éprouve un immense dégoût. — Vous ne parleriez pas ainsi, monsieur, répliqua Chaudesaigues, si vous aviez de beaux vices, des vices nobles, fiers, impérieux, très hauts, vraiment vertueux. Mais vous n’avez que de petits vices peureux, arrogants et ridicules. Vous n’êtes pas, monsieur, un grand contempteur des dieux. Saint-Sylvain se sentit d’abord piqué de ce propos, mais le bibliothécaire lui représenta qu’il n’y avait là nulle offense. Saint-Sylvain en convint de bonne grâce et fit avec calme et fermeté cette réflexion : — Hélas ! la vertu comme le vice, le vice comme la vertu est effort, contrainte, lutte, peine, travail, épuisement. Voilà pourquoi nous sommes tous malheureux. Mais le président Quatrefeuilles se plaignit que sa tête allait éclater. — Messieurs, dit-il, ne raisonnons donc point. Nous ne sommes pas faits pour cela. Et il leva la séance. Il en fut de cette commission du bonheur comme de toutes les commissions parlementaires et extraparlementaires réunies dans tous les temps et dans tous les pays : elle n’aboutit à rien, et, après avoir siégé cinq ans, se sépara sans avoir apporté aucun résultat utile. Le roi n’allait pas mieux. La neurasthénie, semblable au Vieillard des mers, prenait pour le terrasser des formes diversement terribles. Il se plaignait de sentir tous ses organes, devenus erratiques, se mouvoir sans cesse dans son corps et se transporter à des places inaccoutumées, le rein au gosier, le cœur au mollet, les intestins dans le nez, le foie dans la gorge, le cerveau dans le ventre. — Vous n’imaginez pas, ajoutait-il, combien ces sensations sont pénibles et jettent de confusion dans les idées. — Sire, je le conçois d’autant mieux, répondit Quatrefeuilles, que dans ma jeunesse il m’arrivait souvent que le ventre me remontait jusque dans le cerveau, et cela donnait à mes idées la tournure qu’on peut se figurer. Mes études de mathématiques on ont bien souffert. Plus Christophe ressentait de mal, plus il réclamait ardemment la chemise qui lui était prescrite. M. LE CURE MITON — J’en reviens à croire, dit Saint-Sylvain à Quatrefeuilles, que, si nous n’avons pas trouvé, c’est que nous avons mal cherché. Décidément, je crois à la vertu et je crois au bonheur. Ils sont inséparables. Ils sont rares ; ils se cachent. Nous les découvrirons sous d’humbles toits au fond des campagnes. Si vous m’en croyez, nous les chercherons de préférence dans cette région mon tueuse et rude qui est notre Savoie et notre Tyrol. Quinze jours plus tard, ils avaient parcouru soixante villages de la montagne, sans rencontrer un homme heureux. Toutes les misères qui désolent les villes, ils les retrouvaient dans ces hameaux, où la rudesse et l’ignorance des hommes les rendaient encore plus dures. La faim et l’amour, ces deux fléaux de la nature, y frappaient les malheureux humains à coups plus forts et plus pressés. Ils virent des maîtres avares, des maris jaloux, des femmes menteuses, des servantes empoisonneuses, des valets assassins, des pères incestueux, des enfants qui renversaient la huche sur la tête de l’aïeul, sommeillant à l’angle du foyer. Ces paysans ne trouvaient de plaisir que dans l’ivresse ; leur joie même était brutale, leurs jeux cruels. Leurs fêtes se terminaient en rixes sanglantes. A mesure qu’ils les observaient davantage, Quatrefeuilles et Saint-Sylvain reconnaissaient que les mœurs de ces hommes ne pouvaient être ni meilleures ni plus pures, que la terre avare les rendait avares, qu’une dure vie les endurcissait aux maux d’autrui comme aux leurs, que s’ils étaient jaloux, cupides, faux, menteurs, sans cesse occupés à se tromper les uns les autres, c’était l’effet naturel de leur indigence et de leur misère. — Comment, se demandait Saint-Sylvain, ai j e pu croire un seul moment que le bonheur habite sous le chaume ? Ce ne peut être que l’effet de l’instruction classique. Virgile, dans son poème administratif, intitulé les Géorgiques, dit que les agriculteurs seraient heureux s’ils connaissaient leur bonheur. Il avoue donc qu’ils n’en ont point connaissance. En fait, il écrivait par l’ordre d’Auguste, excellent gérant de l’Empire, qui avait peur que Rome manquât de pain et cherchait à repeupler les campagnes. Virgile savait comme tout le monde que la vie du paysan est pénible. Hésiode en a fait un tableau affreux. — Il y a un fait certain, dit Quatrefeuilles, c’est que, dans toutes les contrées, les garçons et les filles de la campagne n’ont qu’une envie : se louer à la ville. Sur le littoral, les filles rêvent d’entrer dans des usines de sardines. Dans les pays de charbon les jeunes paysans ne songent qu’à des cendre dans la mine. Un homme, dans ces montagnes, montrait, au milieu des fronts soucieux et des visages renfrognés, son sourire ingénu. Il ne savait ni travailler la terre ni conduire les animaux ; il ne savait rien de ce que savent les autres hommes, il tenait des propos dénués de sens et chantait toute la journée un petit air qu’il n’achevait jamais. Tout le ravis sait. Il était partout aux anges. Son habit était fait de morceaux de toutes les couleurs, bizarre ment assembles. Les enfants le suivaient en se moquant ; mais, comme il passait pour porter bonheur, on ne lui faisait pas de mal et on lui donnait le peu dont il avait besoin. C’était Hurtepoix, l’innocent. Il mangeait aux portes, avec les petits chiens, cl couchait dans les granges. Observant qu’il était heureux et soupçonnant que ce n’était pas sans des raisons profondes que les gens de la contrée le tenaient pour un porte-bonheur, Saint-Sylvain, après de longues réflexions, le chercha pour lui tirer sa chemise. Il le trouva prosterné, tout en pleurs, sous e porche de l’église. Hurtepoix venait d’apprendre la mort de Jésus-Christ, mis en croix pour le salut des hommes. Descendus dans un village dont le maire était cabaretier, les deux officiers du roi le firent boire avec eux et s’enquirent si, d’aventure, il ne connaissait pas un homme heureux. — Messieurs, leur répondit-il, allez dans ce village dont vous voyez, à l’autre versant de la vallée, les maisons blanches pendues au flanc de la montagne, et présentez-vous au curé Miton ; il vous recevra très bien et vous serez en présence d’un homme heureux et qui mérite sa félicite. Vous aurez fait la route en deux heures. Le maire offrit de leur louer des chevaux. Ils partirent après leur déjeuner. Un jeune homme qui suivait le même chemin, monté sur un meilleur cheval, les rejoignit au premier lacet. Il avait la mine ouverte, un air de joie et de santé. Ils lièrent conversation avec lui. Ayant appris d’eux qu’ils se rendaient chez le curé Miton : — Faites-lui bien mes compliments. Moi, je vais un peu plus haut, à la Sizeraie, où j’habite, au milieu de beaux pâturages. J’ai hâte d’y arriver. Il leur conta qu’il avait épousé la plus aimable et la meilleure des femmes, qu’elle lui avait donne deux enfants beaux comme le jour, un garçon et une fille. — Je viens du chef-lieu, ajouta-t-il sur un ton d’allégresse, et j’en rapporte de belles robes en pièces, avec des patrons et des gravures de modes ou l’on voit l’effet du costume. Alice (c’est le nom de ma femme) ne se doute pas du cadeau que je lui destine. Je lui remettrai les paquets tout enveloppés et j’aurai le plaisir de voir ses jolis doigts impatients s’agacer à défaire les ficelles. Elle sera bien contente ; ses yeux ravis se lèveront sur moi, pleins d’une fraîche lumière et elle m’embrassera. Nous sommes heureux, mon Alice et moi. Depuis quatre ans que nous sommes mariés, nous nous aimons chaque jour davantage. Nous avons les plus grasses prairies de la contrée. Nos domestiques sont heureux aussi ; ils sont braves à faucher et à danser. Il faut venir chez nous un dimanche, messieurs : vous boirez de notre petit vin blanc et vous regarderez danser les plus gracieuses filles et les plus vigoureux gars du pays, qui vous enlèvent leur danseuse et la font voler comme une plume. Notre maison est à une demi-heure d’ici. On tourne à droite, entre ces deux rochers que vous voyez a cinquante pas devant vous et qu’on appelle les Pieds-du-Chamois ; on passe un pont de bois jeté sur un torrent et l’on traverse le petit bois de pins qui nous garantit du vent du nord. Dans moins d’une demi-heure, je retrouverai ma petite famille et nous serons tous quatre bien contents. — Il faut lui demander sa chemise, dit tout bas Quatrefeuilles à Saint-Sylvain ; je suppose qu’elle vaut bien celle du curé Miton. - Je le suppose aussi, répondit Saint-Sylvain. Au moment où ils échangeaient ces propos, un cavalier déboucha entre les Pieds-du— Chamois, et s’arrêta sombre et muet devant les voyageurs. Reconnaissant un de ses métayers : — Qu’est-ce, Ulric ? demanda le jeune maître. Ulric ne répondit pas. — Un malheur ? parle ! — Monsieur, votre épouse, impatiente de vous revoir, a voulu aller au-devant de vous. Le pont de bois s’est rompu et elle s’est noyée dans le torrent avec ses deux enfants. Laissant le jeune montagnard fou de douleur, ils se rendirent chez M. Miton, et furent reçus au presbytère dans une chambre qui servait au curé de parloir et de bibliothèque ; il y avait là, sur des tablettes de sapin, un millier de volumes et, contre les murs blanchis à la chaux, des gravures anciennes d’après des paysages de Claude Lorrain et du Poussin ; tout y révélait une culture et des habitudes d’esprit qu’on ne rencontre pas d ordinaire dans un presbytère de village. Le curé Miton, entre deux âges, avait l’air intelligent et bon. A ses deux visiteurs, qui feignaient de vouloir s’établir dans le pays, il vanta le climat, la fertilité, la beauté de la vallée. Il leur offrit du pain blanc, des fruits, du fromage et du lait. Puis il les mena dans son potager qui était d’une fraîcheur et d’une propreté charmantes ; sur le mur qui recevait le soleil les espaliers allongeaient leurs branches avec une exactitude géométrique ; les quenouilles des arbres fruitiers s’élevaient à égale distance les unes des autres, bien régulières et bien fournies. — Vous ne vous ennuyez jamais, monsieur le curé ? demanda Quatrefeuilles. — Le temps me paraît court entre ma bibliothèque et mon jardin, répondit le prêtre. Pour tranquille et paisible qu’elle soit, ma vie n’en est pas moins active et laborieuse. Je célèbre les offices, je visite les malades et les indigents, je confesse mes paroissiens et mes paroissiennes. Les pauvres créatures n’ont pas beaucoup de péchés à dire ; puis je m’en plaindre ? Mais elles les disent longuement. Il me faut réserver quelque temps pour préparer mes prônes et mes catéchismes : mes catéchismes surtout me donnent de la peine, bien que je les fasse depuis plus de vingt ans. Il € est si grave de parler aux enfants : ils croient tout ce qu’on leur dit. J’ai aussi mes heures de distraction. Je fais des promenades ; ce sont toujours les mêmes et elles sont infiniment variées. Un paysage change avec les saisons, avec les jours, avec les heures, avec les minutes ; il est toujours divers, toujours nouveau. Je passe agréablement les longues soirées de la mauvaise saison avec de vieux amis, le pharmacien, le percepteur et le juge de paix. Nous faisons de la musique. — Morine, ma servante, excelle à cuire les châtaignes ; nous nous en régalons. Qu’y a— t-il de meilleur au goût que des châtaignes, avec un verre de vin blanc ? — Monsieur, dit Quatrefeuilles à ce bon curé, nous sommes au service du roi. Nous venons vous demander de nous faire une déclaration qui sera pour le pays et pour le monde entier d’une grande conséquence. Il y va de la santé et peut être de la vie du monarque. C’est pourquoi nous vous prions d’excuser notre question, si étrange et si indiscrète qu’elle vous paraisse, et d’y répondre sans réserve ni réticence aucune. Monsieur le curé, êtes-vous heureux ? M. Miton prit la main de Quatrefeuilles, la pressa et dit d’une voix a peine perceptible. — Mon existence est une torture. Je vis dans un perpétuel mensonge. Je ne crois pas. Et deux larmes roulèrent de ses yeux, UN HOMME HEUREUX Après avoir toute année vainement parcouru le royaume, Quatrefeuilles et Saint-Sylvain se rendirent au château de Fontblande où le roi s’était fait transporter pour jouir de la fraîcheur des bois. Ils le trouvèrent dans un état de prostration dont s’alarmait la Cour. Les invités ne logeaient pas dans ce château de Fontblande, qui n’était guère qu’un pavillon de chasse. Le secrétaire des commandements et le premier écuyer avaient pris logis au village et, chaque jour, ils se rendaient sous bois auprès du souverain. Durant le trajet ils rencontraient sou vent un petit homme qui logeait dans un grand platane creux de la forêt. Il se nommait Mousque et n’était pas beau avec sa face camuse, ses pommettes saillantes et son large nez aux narines toutes rondes. Mais ses dents carrées que ses lèvres rouges découvraient dans un rire fréquent, donnaient de l’éclat et de l’agrément à sa figure sauvage. Comment s’était-il emparé du grand platane creux, personne ne le savait ; mais il s’y était fait une chambre bien propre, et munie de tout ce qui lui était nécessaire. A vrai dire il lui fallait peu. Il vivait de la forêt et de l’étang, et vivait très bien. On lui pardonnait l’irrégularité de sa condition parce qu’il rendait des services et savait plaire. Quand les dames du château se promenaient en voiture dans la forêt, il leur offrait, dans des corbeilles d’osier, qu’il avait lui même tressées, des rayons de miel, des fraises Les bois ou le fruit amer et sucré du cerisier des oiseaux. Il était toujours prêt à donner un coup d’épaule aux charrois embourbés et aidait à rentrer les foins quand le temps menaçait. Sans se fatiguer, il en faisait plus qu’un autre. Sa force et son agilité étaient extraordinaires. Il brisait de ses mains la mâchoire d’un loup, attrapait un lièvre à la course et grimpait aux arbres comme un chat. Il faisait pour amuser les enfants des flûtes de roseau, des petits moulins à vent et des fontaines d’Hiéron. Quatrefeuilles et Saint-Sylvain entendaient souvent dire, dans le village : « Heureux comme Mousque. » Ce proverbe frappa leur esprit et un jour, passant sous le grand platane creux, ils virent Mousque qui jouait avec un jeune mopse et paraissait aussi content que le chien. Ils s’avisèrent de lui demander s’il était heureux. Mousque ne put répondre, faute d’avoir réfléchi sur le bonheur. Ils lui apprirent en gros et simplement ce que c’était. Et, après y avoir songé un moment, il répondit qu’il l’avait. A cette réponse, Saint-Sylvain s’écria impétueusement : — Mousque, nous te procurerons tout ce que tu peux désirer, de l’or, un palais, des sabots neufs, tout ce que tu voudras ; donne-nous ta chemise. Sa bonne figure exprima non le regret et la déception, qu’il était bien incapable d’éprouver ; mais une grande surprise. Il fit signe qu’il ne pouvait donner ce qu’on lui demandait. Il n’avait pas de chemise.
La Psychologie de la race allemande/2
Edgar Bérillon La Psychologie de la race allemande A. Maloine et Fils, Éditeurs, 1917 (p. 24-48). ◄ L’objectivité anatomique de la race allemande L’objectivité psychologique de la race allemande ► L’objectivité physiologique de la race allemande bookLa Psychologie de la race allemandeEdgar BérillonA. Maloine et Fils, Éditeurs1917ParisVL’objectivité physiologique de la race allemandeBérillon - La psychologie de la race allemande, 1917.djvuBérillon - La psychologie de la race allemande, 1917.djvu/124-48 Chez l’homme, de même que chez les animaux, les différences ethniques ne sont pas constituées seulement par des caractères anatomiques tels que l’élévation de la taille, le poids, la couleur de la peau, des poils et des yeux, les dimensions du crâne, l’implantation du nez et des oreilles, la forme des seins, la disposition des organes génitaux, etc. Elles existent aussi dans le mode d’apparition des fonctions de la puberté, la précocité sexuelle, dans la fécondité, la durée de la gestation, la longévité, dans l’activité des sécrétions. Mais, surtout, la composition chimique des humeurs et des tissus présente des termes de comparaison établissant les différences essentielles qui se rencontrent entre les organismes. Si la personnalité anatomique se transmet avec une fixité relative, par contre la personnalité chimique se perpétue avec un caractère de précision en quelque sorte absolu. À l’objectivité des formes correspond une objectivité physiologique. L’individualité et la spécificité des diverses races ne seraient donc pas constituées seulement par des caractères extérieurs ; elles résulteraient encore plus de la composition de leur milieu intérieur. Les réactions de la matière vivante, à tous leurs degrés de complexité et dans toutes leurs manifestations, ne sont, comme l’enseignait Claude Bernard, que celles de combinaisons chimiques élémentaires constituant la substance même de ces organismes. Les conditions d’existence résultant de la constitution du sol, des habitudes alimentaires dérivées de ses produits, les influences du climat, le rythme moteur spécial à la constitution organique des ancêtres, les habitudes mentales entretenues et cultivées par les coutumes et les traditions, ont, en vertu de l’hérédité, constitué en Allemagne, comme dans tous les autres pays, une race douée de réactions chimiques particulières. La prédominance du tempérament lymphatique chez les Allemands, la mollesse générale de leurs tissus, leur tendance à la prolifération adipeuse, — comparées à la tonicité du système musculaire chez les Français, — permettent d’inférer qu’il existe entre ces deux peuples, au point de vue physique, de notables différences. La densité, c’est-à-dire le rapport de la masse à son volume, n’est assurément pas la même chez le Français que chez l’Allemand. Le poids spécifique des individus de race française est supérieur, d’une façon notable, à celui de ceux de race allemande. Il y a une très grande différence entre la chair et le fumet des lièvres allemands et ceux des lièvres français ; de même pour les chevreuils et les cerfs. Les gourmets le savent si bien que le gibier allemand est systématiquement exclu des maisons de premier ordre. Les modifications qu’imprime le sol aux races animales s’étendent à l’espèce humaine. Déjà on avait été frappé du fait que certaines races sont plus sensibles à telles maladies infectieuses. Velpeau expliquait la faiblesse de résistance de certaines races aux conséquences des opérations chirurgicales en disant : La chair du noir n’est pas celle du blanc. Leur chair est autre. Nous répéterons : « La chair de l’Allemand n’est pas celle du Français ; elle est autre. » Beaucoup d’indices permettent de considérer qu’au point de vue physique et chimique, il y a plus de différence entre un Français et un Allemand qu’entre un blanc et un nègre. Le sang. — Par exemple, considérons la composition du sang qui, de tous les liquides de l’organisme, est celui dont le rôle est le plus important dans la constitution spécifique de l’animal. Cela est tellement admis que la pureté du sang est devenue synonyme de pureté de la race. C’est de la plasticité particulièrement active de son liquide sanguin que le cheval de pur sang tire sa noblesse, et ce n’est pas sans motif qu’on lui attribue la plus grande part dans la constitution de ses formes, c’est-à-dire de ses éléments plastiques. De même, chez les races humaines, le sang offre des différences appréciables dans le nombre et la proportion des globules blancs et rouges. On doit au docteur Maurel la connaissance d’un fait important. Pour étudier les globules rouges, on les conserve dans un sérum contenant 4 centigrammes de sulfate de soude. Or, ce sérum, capable de conserver dans leur forme les globules européens, de même que ceux des Hindous, demande des proportions différentes pour d’autres races : 8/100 pour les globules de nègre et 2/100 pour ceux des Chinois. Jusqu’ici la numération du nombre des globules blancs et rouges du sang des diverses races n’a pas encore été jugée digne d’intérêt. Cependant, cette étude pourrait aboutir à d’utiles constatations. Par la comparaison des chiffres publiés dans les travaux des principaux spécialistes en la matière, on peut déjà se rendre compte qu’une différence appréciable existe pour la quantité de leurs leucocyles chez les Allemands et chez les Français : Variétés de leucocytes. Formule leucocytaire normale. D’après Arneth (Allemand): V = 2 0/0... I = 5 0/0 ; II = 35 0/0 ; III = 41 0/0 ; IV = 17 0/0 D’après Routaboul (Français): V = 1 0/0... I = 10 0/0 ; II = 45 0/0 ; III = 34 0/0 ; IV = 10 0/0 Nota. — Les chiffres romains représentent le nombre de noyaux des leucocytes du sang. La formule représente le pourcentage des leucocytes à 1, 2, 3, 4, et 5 noyaux chez les adultes sains. Pourcentage des leucocytes polynucléaires. Globules rouges. Nombre par millimètre cube : De la comparaison entre le chiffre d’Hayem et celui d’Ehrlich, concernant le nombre des globules du sang, ne pourrait-on conclure qu’à ce point de vue le sang de la race française apparaîtrait comme de qualité supérieure au point de vue de la richesse globulaire. Quand on connaît l’importance du sang, au triple point de vue de la nutrition, de la désintoxication et de l’excitation, on peut se rendre compte des variations importantes que la moindre différence dans sa plasticité et sa composition peut apporter à la vitalité des organismes et, consécutivement, à la mentalité des races. L’urine. — En ce qui concerne les moyennes données par les analyses d’urine, l’étude des coefficients n’est pas moins frappante : Ces variations n’avaient pas manqué de frapper le professeur Albert Robin. Se demandant si les moyennes de nos analyses d’urine n’étaient pas influencées par quelques causes d’erreur, il les a contrôlées avec l’exactitude la plus rigoureuse. Il est arrivé à la conclusion que, tandis que d’après les analyses officielles allemandes, la proportion d’azote non uréique s’élève en Allemagne à 20 0/0, elle n’est que de 15 0/0 dans les autres pays. En France, le coefficient d’utilisation azotée atteint 85 0/0, s’éliminant sous forme d’urée ; chez les Allemands, le coefficient s’abaisse et n’est, en moyenne, que de 80 0/0. Le coefficient urotoxique est donc chez les Allemands au moins d’un quart plus élevé que chez les Français. Cela veut dire que si 45 centimètres cubes d’urine française sont nécessaires pour tuer un kilogramme de cobaye, le même résultat sera obtenu avec environ 30 centimètres cubes d’urine allemande. Cette augmentation de la toxicité urinaire explique pourquoi les tables de nuit où l’urine d’individus de race allemande a séjourné sont imprégnées d’une odeur nauséabonde. Elle explique également pourquoi les armoires où ils suspendent leurs vêtements conservent d’une façon si persistante l’odeur de leurs excrétions sudorales. Enfin elle éclaire pour nous d’un jour particulier la principale particularité organique de l’Allemand qui, impuissant à amener par sa fonction rénale surmenée l’élimination des éléments uriques, y ajoute la sudation plantaire. Cette conception peut s’exprimer en disant que l’Allemand urine par les pieds. C’est, en effet, en partie à l’usage des bottes, si répandu dans la nation allemande, qu’il faut reporter l’origine de la prolifération et de l’hypersécrétion des glandes sudorifiques de la région plantaire. Cette hypersécrétion, cultivée pendant de longs siècles, a fini par se transformer, par l’hérédité, sous l’influence de la prédisposition lymphatique, en caractère fixe, c’est-à-dire en caractère de race. Ainsi, préalablement à toute recherche poursuivie dans un but expérimental, la simple comparaison des moyennes établies par des analyses biologiques, dans les laboratoires officiels, et publiées dans les traités classiques en France et en Allemagne, suffit à démontrer les divergences les plus frappantes entre la constitution chimique de la race française et celle de la race allemande. ⁂ Déjà un certain nombre de savants français avaient pressenti le rôle joué par la constitution chimique en biologie. Chevreul, en 1824, exprimait l’opinion que chaque espèce, chaque race, devait avoir et avait sa caractéristique chimique. Le rapport entre les dispositions mentales et la constitution chimique avait été exprimé par Charles Robin dans les termes suivants : L’accomplissement des actes de l’ordre le plus élevé par leur complication est subordonné à celui d’actes d’ordre inférieur, la réaction chimique par exemple. Le professeur Armand Gautier est également arrivé à la conclusion que parmi les caractères héréditaires les plus tenaces, le plus imprescriptible était le caractère chimique. Le professeur A. Bordier, dont l’enseignement à l’École d’Anthropologie comportait les vues les plus originales sur l’acclimatation et sur la pathologie comparée, a insisté à la fois sur l’importance du milieu intérieur dans la constitution définitive des races et sur son rôle dans la création de leurs immunités particulières à l’égard des maladies. Deux ordres de faits permettent d’affirmer que la constitution d’un milieu chimique intérieur, propre aux individus de chaque race, n’est pas une simple vue de l’esprit, mais est conforme à la réalité. Les premiers se rattachent aux recherches expérimentales, les seconds sont du domaine de l’observation clinique. La clinique nous a déjà fait connaître l’aptitude de la race allemande à l’égard du typhus, la fréquence et la gravité des affections cutanées dans la même race. En poursuivant d’une façon systématique, dans les diverses races, l’étude comparée de la composition et de la viscosité du sang ; de la proportion des sels dans les divers tissus, de l’absorption des graisses, de la constitution des humeurs, des tissus, des sécrétions glandulaires, des excrétions, de la densité des organes, des données fournies par la réaction de déviation du complément et par d’autres réactions du même ordre, d’utiles éléments d’appréciation seraient réunis. Ils permettraient de déterminer le statut chimique de chacune des races soumises à l’observation. Cette science nouvelle, pour laquelle je propose le nom d’ethno-chimie, collaborera efficacement avec la psychologie pour éclairer sur la persistance des tendances, des instincts, des impulsions, des besoins et des appétits chez les individus de telle ou telle race. Elle permettra de comprendre pourquoi, en présence des mêmes stimuli et des mêmes excitations, les diverses races se montrent si différentes dans leurs réactions psychologiques et mentales. Déjà, certaines nations se sont préoccupées de se prémunir contre l’infiltration d’éléments indésirables. L’ethno-chimie mettra à leur disposition les indications les plus propres à réaliser ce dépistage d’individus de races inférieures ou malfaisantes. On lui devra également d’établir la cause des antagonismes irréductibles de races hostiles, l’affinité psychologique et la sympathie sociale ne pouvant se manifester là où l’identité chimique n’existe pas. Les réunions d’animaux se groupant en sociétés ne sauraient se concevoir qu’entre animaux doués d’un isomérisme chimique absolument identique. C’est de cet isomérisme que résulte l’odeur spécifique de la race, dont la perception constitue pour eux le principal moyen de se reconnaître et de maintenir leur groupement. Il n’est pas téméraire de supposer que, grâce à l’ethno-chimie, le pédantisme des individus de race allemande, leur lourdeur, leur absence de goût artistique, leur brutalité, de même que l’odeur fétide qui se dégage de leurs personnes, seront réductibles à leur appétit pour la graisse et pour les aliments hydro-carbonés. ⁂ Dès à présent, il est admis par un certain nombre d’observateurs, et en particulier par des biologistes allemands, que quand, par la sélection et l’adaptation, la vie moléculaire et la composition chimique de la race se trouvent constituées, quelles que soient les modifications superficielles présentées par des individus isolés, le type racial se rapporte toujours au point de départ fixé par la constitution chimique primordiale. Admettre que l’appétence présentée depuis des siècles par les individus de race allemande pour les aliments hydro-carbonés, par opposition à la préférence donnée par ceux de race celte ou française aux aliments phosphatés, dérive vraisemblablement d’une orientation alimentaire différente, survenue dans l’état proloplasmique, n’est donc pas une hypothèse dépourvue de base logique. En ce qui me concerne, je suis disposé à inférer que, dans l’ordre chimique, l’Allemand, mangeur de graisse, est un carbonatide, tandis que le Français, mangeur de pain, est un phosphatide. De là, dérive probablement la constitution des formes extérieures de chacune des deux races. Chaque sel implique des dimensions spéciales pour les cellules qu’il contribuera, à former : les phosphates donnant naissance à des tubes et des formes déliées ; les carbonates formant des cellules rondes, devenant carrées par leur juxtaposition. Ce serait donc de leurs tendances alimentaires si opposées que résulteraient les antagonismes, les oppositions irréductibles entre la race germanique et la race française, que la guerre actuelle vient de mettre en évidence d’une façon encore plus indiscutable. En attendant que la science biologique nous apporte sur le chimisme ethnique les contributions qu’on peut en espérer, je me propose d’étudier l’objectivité physiologique de la race allemande dans ses trois expressions les plus frappantes : sa voracité, sa polychésie et son odeur. La voracité de la race allemande. — De toutes les manifestations objectives par lesquelles se révèle la spécificité de la race allemande, la voracité est assurément la plus caractéristique. Tacite écrit, dans maints passages de son livre sur les Mœurs des Germains, qu’ils ... aiment, avec passion le lit et la table. Il nous apprend qu’aux repas chacun des convives dispose d’une table qui lui est personnelle et qu’ils consacrent la plus grande partie de leur temps à des festins : Passer sans interruption le jour et la nuit à boire n’est, pour aucun d’eux une honte. Dans un autre passage, il ajoute : Si vous encouragez leurs penchants à l’ivrognerie, en mettant à leur portée toute la boisson qu’ils convoitent, vous aurez plus de facilité à les vaincre par leurs vices que par leurs armes. Il leur arrivait fréquemment d’être si absorbés par la satisfaction de leur gloutonnerie qu’ils en perdaient toute notion de prudence. Toujours d’après Tacite, après un copieux repas, et d’abondantes libations, ils tombèrent dans un sommeil si profond qu’ils furent surpris et mis à mort sans défense par les Aggrifiniens. La voracité des Allemands, étant inconciliable avec le choix raisonné des aliments les porte à préférer la quantité à la qualité. De là la propension à s’accommoder des aliments les plus grossiers. Déjà Jules César, dans les Commentaires, nous avait renseigné sur les tendances alimentaires des Germains : Chaque année, écrit-il, leurs guerriers se mettent en campagne pour se livrer au pillage. Ils ne séjournent jamais dans la même région plus d’un an et ils se nourrissent surtout de lait, de viande et de gibier. Plus tard, Tacite a confirmé ce goût des Germains pour les ingrédients dont le mélange constitue la saucisse, le mets national des Allemands. Et l’on peut dire qu’un des principaux effets de la civilisation germanique a été de substituer, dans l’alimentation courante, à la chair du sanglier la viande toute prosaïque du porc. Et si quelqu’un se demande les causes d’une fidélité si persistante de la race allemande à l’égard de la race porcine, Voltaire se charge de lui répondre, dans le roman Candide, par la bouche de Pangloss : Et les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année. Il est vrai qu’à défaut d’autre moyen de subvenir à sa voracité, l’Allemand n’hésiterait même pas à se nourrir de la chair de ses compatriotes. Wilhem Pierson, dans son Histoire de Prusse, écrit que, même au milieu du xviie siècle, les Germains étaient certainement cannibales, car en Silésie et dans une seule occasion cinq cents hommes turent tués et mangés. Les Allemands d’aujourd’hui étant demeurés dans le même état de barbarie, on peut s’attendre à ce que, poussés par la faim, ils se comportent comme l’ont fait leurs ancêtres du xviie siècle. Dans tous les cas, l’Allemand ne se fait pas faute, à l’occasion, de consommer du chien. Des boucheries de viande de chien ont été depuis longtemps ouvertes dans les principales villes d’Allemagne. La chair du fidèle compagnon de l’homme y est souvent servie dans les reslaurants sous le titre engageant de « côtelette de mouton d’Espagne ». Un géographe du xviie siècle, Manesson Mallet, décrivant les peuples des divers pays du monde, disait en parlant de l’Allemagne : Le menu peuple est rude et mange sans propreté. Toute la nation, en général, aime les longs repas et se fait une volupté de bien boire. Frappé de la voracité innée des Allemands, Kant, dans un chapitre intitulé : De l’abrutissement occasionné par l’usage immodéré des aliments, rappelle à ses compatriotes qu’en se gorgeant de nourriture el de boisson, l’homme devient pour quelque temps incapable de se servir de ses facultés dans les actions qui demandent de la promptitude et de la réflexion. Nietsche se trouvait sous la même impression lorsque, à une époque assez récente, il a écrit : Si l’on considère la cuisine allemande dans son ensemble, que de choses elle a sur la conscience : les légumes rendus gras et farineux, l’entremets dégénéré au point qu’il devient un véritable presse-papier. Si l’on y ajoute le besoin véritablement animal de boire après le repas, en usage chez les vieux Allemands, et non pas seulement chez les Allemands vieux, on comprendra ainsi l’origine de l’esprit allemand, de cet esprit qui vient des intestins affligés. L’esprit allemand est une indigestion, il n’arrive à en finir avec rien. Obéissant à l’amour de la graisse et du beurre, les Allemands ont préféré se conformer à l’opinion de Luther, qui leur a dit : Le beurre est une chose très saine, et je crois vraiment que si les Saxons sont une race d’hommes si robustes, c’est grâce au grand usage qu’ils font du beurre. De tous les aliments, celui pour lequel l’appétence des Allemands est portée au plus haut degré, c’est la graisse. Ce besoin exagéré de corps gras peut même être considéré comme un caractère de race. Il se manifeste chez les enfants dès qu’ils sont capables d’absorber des aliments solides. La graisse devient pour eux l’objet d’une véritable gourmandise. Voulez-vous le signe certain qui distingue un enfant de race celte d’un enfant de race germanique ? Vous le trouverez dans l’appétit différent qu’ils éprouvent pour la graisse. La répulsion des enfants de race celtique à l’égard des aliments gras est bien connue. Si vous voulez être agréable à l’enfant celte, offrez-lui une part de viande maigre. Vous satisferez le jeune Germain en lui octroyant le gras. La personnification alimentaire de l’Allemand tient dans ces deux mots : brassicaire et porcophile. Les choux et la viande de porc, sous toutes les formes, voilà ce qui est l’objet de leur préférence. Je n’entreprendrai pas ici l’énumération des innombrables variétés de saucisses dont la cuisine allemande a enrichi son répertoire. Je me bornerai à citer la Bockwurst, petite et longue ; la Leberwurst, faite de foie haché ; la Blutwurst, qui est crue et fumée ; la Pressack, amalgame de sang et de graisse ; la Weisswurst, mélange de farine et de foie ; la Knackwurst, qui réunit les produits les plus innommables ; sans parler des saucisses dites de Francfort, dans la composition desquelles entre souvent la chair du cheval, du chien et même du rat. À ces aliments de constitution anonyme, il faut ajouter les Kloesse, boulettes constituées de viande, de graisse, de foie, d’abats, de poissons, de farine, de purées et de tous les ingrédients susceptibles d’être digérés par un estomac allemand. Mais l’usage de la graisse de porc, dont l’Allemand fait une si grande consommation, ne va pas sans comporter quelques retentissements sur sa constitution anatomique. Les graisses de l’alimentation, lorsqu’elles sont absorbées en excès, se déposent dans les tissus en conservant le caractère des graisses ingérées. De telle façon que l’embonpoint dont les Allemands tirent assez facilement vanité ne serait constitué que par un dépôt de graisse de porc. Le physiologiste allemand J. Munck, auquel on doit cette démonstration, n’a pas songé un seul instant qu’elle pourrait exercer une influence sur le goût favori de ses compatriotes. La voracité allemande a donné lieu, en Alsace-Lorraine, à de nombreux sujets de plaisanterie. Quand il arrivait, par extraordinaire, qu’un Allemand vînt prendre place à une table d’hôte, il était le point de mire de toute l’attention. C’est toujours dans un silence profond, à peine entrecoupé de rires dont l’Allemand ne soupçonnait pas la cause, que nos compatriotes annexés assistaient à ce spectacle de gloutonnerie. Un industriel alsacien, ayant reçu à la campagne un acheteur allemand, dut le retenir à déjeuner. Ce convive fit preuve d’une voracité qui mit tout le monde en gaieté. Au moment où il allait partir, les Alsaciens eurent l’idée plaisante de lui offrir, pour manger pendant son retour, tous les reliefs du festin. On fit alors un énorme cornet qu’il emporta en le serrant contre son cœur. Les Sioux et les Peaux-Rouges des réserves américaines, quand ils sont invités dans une fête annuelle, chez les colons du voisinage, emportent tout ce qui reste du festin. Ils apportent, à cet effet, de grands sacs de cuir où ils entassent pêle-mêle la viande, le sucre, le sel, le pain, les fruits. L’Allemand en question ne s’est jamais douté qu’il avait été, de la part des Alsaciens, victime d’une véritable mystification et qu’ils l’avaient traité comme ils eussent fait d’un Peau-Bouge. Aux États-Unis, la grossièreté alimentaire des Allemands est bien connue. Un proverbe courant, dit : Au marché, les Américains commencent par acheter tout ce qu’il y a de meilleur ; les Allemands prennent ce qu’ils ont laissé ; puis, s’il reste quelque chose, c’est pour les cochons. Ceux de nos compatriotes qui ont séjourné en Allemagne ont été tellement frappés de la voracité allemande qu’ils n’ont pas manqué de le consigner dans leurs impressions de voyage. La description suivante, empruntée à Jules Huret, qui, cependant, n’a jamais été suspect d’animosité à l’égard des Allemands, constitue un témoignage qui mérite d’être reproduit : Bientôt ils mangent. Alors, la terre n’existe plus pour eux. Le buste très penché en avant, le nez dans leur assiette, la chaise le plus possible éloignée de la table, les coudes écartés, ils mastiquent sans s’arrêter, avec une ardeur grave, sans lever les yeux et sans parler, aussi longtemps qu’il reste quelque chose devant eux. S’ils se trouvent devant une arête ou des os, ils ne les lâchent que complètement nettoyés, les découpent, les rognent et les grattent comme s’ils se livraient à quelque travail d’orfèvrerie. Ils font beaucoup de bruit en mangeant, raclent la sauce avec leur couteau qu’ils sucent ; si la lame est pointue, elle sert quelquefois de cure-dents ; ils enfournent coup sur coup de larges morceaux des mets variés placés devant eux. Car on leur a apporté tout ensemble : viande, pommes de terre et autres légumes, souvent des asperges ou des choux-fleurs, qu’ils avalent en même temps que la viande et les pommes de terre. Ils coupent les asperges avec leur couteau et les mangent jusqu’au bout, car elles sont généralement très cuites. Si elles sont dures, l’habitude ou leur goût les entraînant, ils s’y acharnent ; et j’ai vu des gens mastiquer énergiquement, les fibres des gros bouts d’asperges qui résistaient à la déglutition comme du caoutchouc. J’en ai vu d’autres, dans des wagons-restaurants et des brasseries fréquentés par la société moyenne, essayer d’avaler le foin des artichauts et de croquer la croûte des melons. La goinfrerie des femmes allemandes ne se distingue par aucune atténuation. À aucun point de vue, on ne saurait distinguer la moindre trace de cette réserve, de cette pudeur alimentaire, qu’on retrouve chez les femmes de tous les autres pays. Le fait est tellement frappant que Jules Huret a cru devoir le signaler dans les termes suivants : Toute trace de coquetterie a disparu. La femme et l’homme sont égaux et semblables : ce sont des bêtes repues et digérantes ; le ton des voix monte très haut, une sorte d’expression insolite a remplacé la retenue du commencement du repas. Nous sommes au moyen âge encore païen et on voit bien que ce qui empêche la kermesse publique, c’est la seule ombre de Luther. En 1879, un observateur auquel on doit les plus judicieuses observations, Gaétan Delaunay écrivait dans ses Études de biologie comparée : Cet appétit des Allemands tient à la race, puisque les bonnes allemandes, de l’avis des placeuses de Paris, ne sont jamais rassasiées. Il ajoute dans un autre passage : Toutes les placeuses vous diront que les bonnes allemandes sont extrêmement gourmandes et s’empiffrent constamment. Dans les Récits d’un vieil Alsacien, dont la lecture nous apporte des renseignements d’une si grande valeur sur la psychologie des immigrés en Alsace-Lorraine, Jeanne et Frédéric Régamey ont dessiné la silhouette de l’Allemand qui mange. Il est impossible de fixer d’une façon plus exacte l’objectivité par laquelle apparaît un des traits les plus caractéristiques de la mentalité germanique. Le véritable Allemand, au sang pur, non souillé de mélanges étrangers, commence par éloigner un peu sa chaise de la table, même lorsque la rotondité de son ventre ne l’y oblige pas. Il s’assied bien d’aplomb, fixe à droite et à gauche de son assiette ses deux robustes coudes bien écartés ; sa loyale poitrine s’étant inclinée, ses larges pectoraux s’appuient alors sur le bord de la table, et la ligne superbe de son dos apparaît comme un arc puissant. Ainsi posé, inébranlable sur sa vaste base, le voilà prêt à montrer comment l’Allemand, suivant une expression qu’il a inventée, la « Gründlichkeit », sait faire tout ce qu’il entreprend, soigneusement, méthodiquement, à fond. Les devoirs gastronomiques, comme tous les autres, seront remplis avec conscience, sérieux, énergie. De son poing gauche fermé, il saisit la fourchette, en agrippe le morceau de viande, le transperce, le fixe sur la faïence, le pouce contracté ; puis du poing droit, armé du couteau, coupe une tranche, qu’il charge sur la lame pour la porter à sa bouche. La fourchette, toujours piquée, n’abandonne sa proie qu’après complet engloutissement. À la viande succèdent les légumes. N’ayant plus à trancher, l’énergie n’étant plus indispensable, il desserre gracieusement l’étreinte de la main gauche, et sur le couteau, tenu plus légèrement, pousse haricots verts, choux ou petits pois, qu’il réussit à faire tenir en équilibre sur la lame, jusqu’à ce qu’elle enfourne sa charge. Le couteau, du reste, n’a pas grand chemin à faire, car l’Allemand n’élève pas la nourriture à sa bouche : il se courbe vers elle. Son visage se penche vers sa pâture comme un mufle de bœuf broutant ou un museau de chien lapant dans son écuelle. Il a gardé les vertueuses rusticités de ses ancêtres, les Germains vêtus de peaux de bêtes, et s’efforce de rester toujours en communion avec la grande, la simple nature. Mais, parfois, il ne se contente pas du couteau et se sert aussi de la fourchette pour manœuvrer les légumes. Alors, les coudes toujours immobiles et bien écartés sur la nappe, la tête basse, il exécute avec les deux poignets un mouvement de va-et-vient, de l’assiette à la bouche, qui lui donne l’apparence d’une puissante machine à manger. ⁂ De nombreux documents historiques permettent de suivre à travers les âges l’aggravation héréditaire de la voracité germanique déjà signalée par Tacite. Alors que tous les peuples font usage des aliments dans le but de conserver leur existence, l’Allemand cède à une impulsion de goinfrerie. L’historien Jornandès affirme qu’Attila, après avoir exercé son appétit dans nos provinces de l’Est, s’empiffra tellement dans un repas de noces qu’il succomba sous le poids d’une indigestion. Montaigne, après un long voyage en Allemagne, où il avait eu tout le loisir d’observer les Allemands, pouvait écrire : Leur fin est l’avaler plus que le goûter. L’histoire privée des empereurs et Grands Électeurs d’Allemagne, des rois de Prusse et des roitelets des divers États allemands, a consigné, avec autant de soin qu’elle eût fait d’actions d’éclat, le souvenir des orgies gastronomiques les moins vraisemblables. Charles-Quint passait la plus grande partie de ses journées à manger. Ceux qui assistaient à l’un de ses repas étaient étonnés de la quantité d’aliments qu’il absorbait. D’ailleurs, il présentait au plus haut degré le prognathisme de la mâchoire inférieure, ce signe de dégénérescence, commun à tous les membres de la dynastie des Habsbourg, dans lequel se reconnaît la prédominance des appétits matériels les plus inférieurs. En 1511, à l’occasion du mariage du duc Ulrich de Wurtemberg avec une princesse bavaroise, on organisa un festin dans lequel on mangea 136 bœufs, 1.800 veaux, 570 chapons, 1.200 poules, 2.759 grives, 11 tonnes de saumons, 90 tonnes de harengs, 120 livres de clous de girofle, 40 livres de safran, 200.000 œufs et 3.000 sacs de farine. Il fallut 15.000 tonneaux de vin pour étancher la soif de ces polyphages. Le menu de ce repas pantagruélique est enregistré par les chroniques du Wurtemberg comme un des faits les plus admirables de leur histoire. Le maréchal de Grammont, interné comme prisonnier à Ingolstadt, en 1646, nous a transmis la relation des festins auxquels il fut convié par les Grands Électeurs. Nous savons par lui qu’aucune de ces réunions ne se terminait avant que tous les convives fussent ivres-morts. Les dîners duraient d’habitude sans discontinuer depuis midi jusqu’à neuf heures, au bruit des trompettes et des cymbales qu’on ne cessait d’avoir dans les oreilles. Frédéric-le-Grand continue la série. Il faut voir le despote prussien pour juger de ce qu’un homme peut absorber sans éclater. Voici les termes dans lesquels M. G. Lenôtre nous décrit la fureur de son impulsion dévoratrice : Il avale, broie, ronge comme un fauve ; ses mains, sa bouche, ses joues sont inondées de sauce. Jamais il ne trouve assez épicés les mets qu’on lui sert : son cuisinier, las de reproches, a l’idée de saupoudrer les plats d’assa fœtida, et ce jour-là le roi se montre d’un appétit féroce. Il souffre d’horribles douleurs de goutte ; n’importe, il se bourre ; ses indigestions sont célèbres ; dès qu’il reprend ses sens, c’est pour réclamer de la victuaille, du pâté d’anguille ou de Périgueux. Car son affectation de mépris pour tout ce qui vient de France n’englobe ni nos friandises ni nos bons vins. Quand, à force de s’empiffrer, il est à la mort, il mange encore, et comment ! ! On possède un de ses menus du mois de juin 1786, alors que tordu par la goutte, gonflé par l’hydropisie, couvert depuis les pieds jusqu’aux hanches d’une inflammation érysipélateuse, il est à bout de forces et sans connaissance une partie du jour : d’abord une soupière de bouillon exprimé des choses les plus fortes et les plus chaudes, auquel il ajoute, comme à son habitude, une grande cuillerée de fleurs de muscade et de gingembre. Puis un morceau de bouilli à la « russe », c’est-à-dire cuit dans un pot d’eau-de-vie ; ensuite une grande assiette de « polenta » au jus d’ail, arrosée d’un bouillon d’épices ; enfin un pâté d’anguille si poivré qu’il paraît « avoir été cuit dans les enfers ». Frédéric prétend, d’ailleurs, qu’il ne mange que « pour se soutenir » et il disgracie les médecins qui lui conseillent quelque ménagement. Peu d’heures avant de mourir, il absorbe encore « pour se soutenir » du café au lait et un plat de crabes à la sauce piquante. Mais le type le plus éminent de cette série de goinfres célèbres fut Frédéric Ier, roi de Wurtemberg. À cause de sa corpulence, il avait été surnommé l’Éléphant. Venu à Paris pour le mariage de l’impératrice Marie-Louise, il assiste à un banquet donné à l’Hôtel de Ville. Pendant longtemps on y montra la vaste échancrure pratiquée à l’une des tables pour lui permettre d’y loger son énorme abdomen. S. M. le roi de Wurtemberg, disait Napoléon, faisant allusion à sa corpulence abdominale, arrive toujours à Paris ventre à terre. Quand le général Moreau, étant entré à Stuttgart, se présenta au palais du premier roi de Wurtemberg, il le trouva à table, la serviette au menton et la bouche pleine : Il était armé de sa fourchette el. ses cuisiniers étaient à leurs pièces. Il invita le général français à se mesurer avec lui sur le seul champ de bataille où il était sûr de remporter la victoire. Des exemples aussi illustres ne pouvaient manquer de porter leurs fruits. À mesure que les conquêtes de l’Allemagne lui ont permis de donner satisfaction à l’appétit, de la race, la consommation alimentaire s’est développée dans des proportions surprenantes. Dechambre, nous apprend que l’Allemagne, est le pays qui compte le plus de boulangers et de bouchers en proportion de sa population. À la veille de la guerre, en dehors de sa production toujours croissante, ses dépenses annuelles s’élevaient, pour l’importation des comestibles, à la somme de deux milliards deux cent millions de marks, non compris 170 millions de bétail sur pied. De tout ce qui précède et de ce que j’ai personnellement observé, pour l’Allemand de pure race germanique, c’est dans le ventre que la nature a placé la raison et le but de l’existence. La fonction intestinale est pour lui le primum movens de toute activité vitale, le centre d’élection de toute jouissance. Toutes les autres sensations ne sont que les auxiliaires, les servantes de cette satisfaction matérielle, supérieure à toutes les autres. C’est donc par sa voracité que l’Allemand objective sa joie de vivre et la conscience de son expansion envahissante. « Je me remplis la panse, donc je suis. » De là vient que celui qui absorbe les plus grandes quantités d’aliments, dans un temps donné, se démontre à lui-même qu’il occupe la place la plus importante. D’où le proverbe : Der Mensch, ist was er isst (l’homme vaut par ce qu’il mange). Étant bien entendu que lorsqu’il s’agit d’Allemands, on ne se place qu’au point de vue de la quantité. La polychésie de la race allemande. — La polychésie est la manifestation d’une suractivité anormale de la fonction intestinale. Elle est la conséquence de la polyphagie et est en rapport, non seulement avec la quantité, mais avec la qualité des aliments absorbés. Elle se traduit par une excrétion exagérée des matières fécales. Le besoin fréquent de défécation qui en est la conséquence est la source, dans le domaine mental, d’aberrations se rapportant à la satisfaction de ce besoin. La polychésie, par sa fréquence et sa constance, peut être considérée comme une des particularités les plus marquées de la race allemande. Dans le passé, l’ironie des peuples avait trouvé ample matière à s’exercer aux dépens de nos ennemis. Déjà du temps de Louis XIV, on disait que, par le seul aspect de l’énormité des excréments, le voyageur pouvait savoir s’il avait franchi les limites du Bas-Rhin et si son pied foulait le sol du Palatinal. Le grave Leibnitz, faisant le récit des festins pantagruéliques donnés à l’occasion du carnaval de 1702, à la Cour de Hanovre, mentionne ce détail qui se rapporte aux habitudes d’un personnage du plus haut rang : D’ailleurs, un pot de chambre de grandeur énorme, où il aurait pu se noyer la nuit, le suivait partout. Depuis lors, la polychésie des Allemands n’a pas varié. Une vieille plaisanterie alsacienne consiste à poser la question, suivante : « Savez-vous pourquoi, lorsque trois Allemands sont réunis, il n’y en a jamais que deux de présents ? » Les initiés répondent : « C’est parce que sur les trois, il y en a toujours un aux cabinets. » C’est un fait, bien connu qu’en Allemagne, par le fait de la polychésie, les water-closets, dans tous les endroits publics et privés, sont constamment, assiégés. L’hyperchésie allemande constituait un champ d’éludes si particulier, que son étude a suscité en Allemagne les émulations les plus ardentes. Aux laboratoires de scatologie ont été annexés des musées stercoraires dans lesquels sont exposés de nombreux modèles en cire, en pâte, de la plus rigoureuse exactitude. Comme le faisait justement remarquer, dans un congrès international, un des maîtres les plus éminents de la scatologie allemande, un tel degré de perfection ne saurait être atteint sans l’intervention d’un nombre respectable de collaborateurs : le photographe, le dessinateur, le mouleur, qu’il ne faut pas confondre avec le procréateur initial, le peintre-coloriste, et, enfin le clinicien qui définit, compare et interprète. Les modèles sont naturellement déposés et brevetés, afin d’éviter les contrefaçons. À la place d’honneur, dans ce musée d’un goût spécial, figure la selle allemande normale, afin que les élèves puissent se familiariser avec son apparence. La présence des troupes allemandes sur notre territoire a eu pour effet de nous rappeler cette hypertrophie de la fonction intestinale chez les Allemands. Dans leurs multiples invasions antérieures, les hordes germaniques s’étaient signalées par le débordement des évacuations intestinales dont elles jalonnaient leur marche. Actuellement encore, dans la poursuite des Allemands battant en retraite, la marche de nos soldats n’est pas seulement retardée par des dévastations systématiques, elle est encore contrariée par les émanations des immondices stercoraires accumulées par des ennemis dépourvus de toute dignité et de toute pudeur. En ce qui concerne les constatations positives relatives à l’hyperchésie, un premier fait est hors de doute. Comme je l’ai exposé dans une précédente communication sur l’odeur des Allemands, dans des conditions identiques de nombre et de séjour, la proportion des matières fécales des Allemands s’élève à plus du double de celle des Français. Dans les usines de papeteries de Chenevières, en Meurthe-et-Moselle, cinq cents cavaliers allemands ont résidé pendant trois semaines. Ils y ont absorbé des quantités énormes de victuailles de toute sorte. La conséquence en a été qu’ils ont encombré de leurs déjections toutes les salles de l’usine. Une équipe d’ouvriers a mis une semaine pour retirer de l’usine trente mille kilos de matières fécales. Les dépenses de cet enlèvement se sont élevées à une somme considérable. L’amas de ces déjections a été photographié ; il s’élève à une hauteur à peine croyable. À Liège, après un séjour de cent quatre-vingts Allemands pendant six jours dans l’immeuble n° 112, boulevard de la Sauvenière, les water-closets débordants ont nécessité une démolition complète pour les évacuer. La maison tout entière était encombrée de matières fécales. Les lits en étaient remplis. Des ordures avaient été déposées dans les tapis, ensuite roulées avec soin. Les robes de soirée avaient été salies, puis rangées dans les armoires. Six personnes furent occupées pendant une semaine à cet épouvantable nettoyage. La ville tout entière fut submergée, selon l’expression d’un témoin, sous une marée d’excréments. Dans un grand nombre de localités serbes, on a été surpris de l’énormité des déjections intestinales laissées par les troupes autrichiennes. En certains endroits, les couloirs des maisons, les cours, les ruelles, les maisons elles-mêmes en étaient remplis jusqu’à un mètre de hauteur. Il a fallu une main-d’œuvre considérable et des dépenses très élevées pour en assurer l’évacuation. Les mêmes constatations ont été faites en Serbie, partout où des localités furent occupées par des Autrichiens de race allemande. À Valyevo, je tiens le fait du docteur Petrowitch, délégué à l’Office international d’hygiène, les Serbes, quelques instants après la déroute des Autrichiens à Valyevo, éprouvèrent un véritable sentiment de stupéfaction. Les rues étaient encombrées de monceaux de matières fécales, s’élevant à une hauteur à peine croyable. Ces amas d’excréments humains dégageaient une odeur intolérable et constituaient même, par leurs émanations pestilentielles, un obstacle à la marche des troupes. La première impression fut que les ennemis avaient intentionnellement encombré les rues de leurs déjections dans le but d’offenser leurs adversaires. Il fallut cependant reconnaître que leur accumulation avait été progressive. Or, la ville avait été occupée principalement par des officiers supérieurs et par les services de l’état-major autrichien. Les Serbes ne purent jamais s’expliquer comment tous ces officiers avaient pu circuler pendant plusieurs semaines en piétinant ces immondices, ni surtout comment ils avaient pu supporter la puanteur qui s’en dégageait. Des exemples analogues pourraient être multipliés à l’infini. Le Dr Cabanès, dans la Chronique Médicale, en a recueilli un nombre considérable. Il a en particulier rappelé le cas historique du roi Guillaume ii, en 1870, qui, dans son séjour à l’archevêché de Reims, souille le lit dans lequel il avait passé la nuit. Mais je m’en tiendrai aux principales conclusions suivantes : 1o La polychésie de la race allemande, par sa constance, par sa répétition et par sa fixité, constitue un caractère de race. 2o Au point de vue hygiénique, elle résulte de l’inobservance habituelle des règles de la tempérance et de l’hygiène alimentaire. Elle est en rapport avec le degré de gloutonnerie et de polyphagie ; tout polyphage étant, nécessairement, doublé d’un polychésique. 3o Au point de vue clinique, elle est caractérisée par une activité hypertrophique de la fonction digestive, ayant des répercussions inévitables sur toutes les autres fonctions. La suractivité de l’intestin explique la fréquence des affections de cet organe chez les Allemands et l’importance accordée, en Allemagne, aux travaux de scatologie pure et appliquée. 4o Au point de vue anatomique, la mesure de l’intestin révèle, chez les Allemands, une augmentation de longueur d’environ trois mètres. Cet accroissement porte particulièrement sur le gros intestin dont la capacité est développée, dans les mêmes proportions. Les glandes annexes de l’appareil digestif présentent un développement corrélatif. L’ampoule rectale des Allemands atteint des dimensions considérables, en rapport avec le surmenage fonctionnel dont elle est l’objet. Leur sphincter anal, comme cela a été fréquemment constaté au cours de l’anesthésie chirurgicale, n’offre qu’une résistance extrêmement faible et il se dilate avec la plus grande facilité. La polychésie apporte le témoignage de l’infériorité biologique de la race allemande. Odeur spécifique de la race allemande. — Au nombre des propriétés physico-chimiques des corps simples ou organisés se trouve celle de dégager une odeur. Il n’y a probablement pas d’objet ou de substance qui ne soit doué d’une odeur ou d’une saveur caractéristique. La spécificité des odeurs, de même que celle des saveurs, dérive de la mémoire olfactive et de la mémoire gustative. C’est parce que la fonction d’enregistrer les impressions olfactives et gustatives a été dévolue à des centres nerveux spéciaux, que la spécificité de l’odeur propre à chaque corps est susceptible de devenir une notion positive. Elle est donc absolument liée à la faculté du souvenir olfactif, qui nous permet de reconnaître et de qualifier une odeur quand, par l’intermédiaire de l’organe de l’odorat, nos centres olfactifs sont, après un espace de temps souvent considérable, impressionnés de nouveau par elle. À ce point de vue, il faut reconnaître que la mémoire olfactive et la mémoire gustative ne le cèdent en rien en puissance aux autres mémoires sensorielles. On rencontre même des individus chez lesquels la mémoire des goûts et des saveurs est douée d’une acuité véritablement surprenante. En ce qui concerne les hommes, on peut admettre qu’une des causes contribuant à maintenir le caractère spécifique de l’odeur propre à chacune des races, c’est l’attachement à leurs habitudes alimentaires. Les représentants des diverses races ne renoncent à leur régime habituel que quand ils y sont absolument obligés. Pour peu que les circonstances leur en donnent la possibilité, ils s’empressent de revenir à leurs traditions culinaires. La multiplicité des échanges commerciaux facilite, d’ailleurs, de plus en plus cette fidélité au régime de prédilection. Les émigrants, loin de perdre le goût de leurs mets nationaux, ressentent d’autant plus d’attrait pour ces mets qu’ils sont plus éloignés du pays d’origine. Dans toutes les colonies tropicales, les Européens, plutôt que de se conformer aux usages locaux, ont transporté leur manière de vivre. C’est ainsi qu’aux Indes, où les indigènes professent le plus grand éloignement pour la chair de bœuf, les Anglais ont conservé leur prédilection pour la viande de cet animal. La bière, la choucroute, les saucisses et les « delicatessen » ont accompagné les Allemands dans toutes les parties du monde, ce qui laisserait à supposer que les préférences alimentaires des races leur sont inspirées beaucoup plus par des instincts innés que par les influences du milieu. En réalité, l’alimentation n’est qu’un facteur secondaire dans la production de l’odeur. Des boucs et des béliers, paissant dans les mêmes pâturages, n’exhalent pas la même odeur. Les chevaux et les bœufs nourris des mêmes herbages conservent l’odeur caractéristique de leur espèce. Les différents groupes d’hommes fournissent de nombreux exemples analogues. Bien que soumis au même régime alimentaire, il en est qui exhalent une odeur forte, tandis que les émanations des autres sont à peine perceptibles. Au Mexique, deux races évoluent parallèlement en Basse-Californie : celle des Yoquis et celle des Moyos. Les Yoquis, demeurés à demi sauvages, négligent les soins de propreté ; les Moyos, au contraire, se lavent très fréquemment. Cependant, les Moyos et surtout les femmes Moyos se reconnaissent à leur odeur très spéciale. L’odeur de certaines races humaines est si pénétrante que les soins de propreté les plus minutieux n’arrivent pas à en atténuer l’intensité. J’ai réuni un certain nombre de faits analogues dans une étude assez approfondie parue dans la Revue de l’Hypnotisme en 1909, sous le titre : Psychologie de l’olfaction. Chez les espèces animales, l’odorat joue le rôle prépondérant dans la conservation et la défense de la race. À son rôle de réveiller périodiquement et de stimuler les fonctions de reproduction, s’en ajoutent d’autres d’une importance non moins considérable. C’est par lui que les animaux sont avertis de la présence de l’ennemi. C’est également l’odorat qui leur permet de dépister les proies dont ils doivent faire leur nourriture. Les perceptions olfactives tiennent la première place aussi bien dans le domaine de la guerre que dans celui de la chasse. Sans jouer chez l’homme un rôle équivalent, elles n’en sont pas moins importantes. Comme chez les animaux, les impressions olfactives jouent le rôle prédominant aussi bien dans les attractions sexuelles que dans les affinités sociales. Il n’est pas téméraire d’ajouter que l’antipathie, la sympathie et l’électivité olfactives dominent impérieusement toutes les questions de pénétration et de collaboration internationales. La première condition pour que les peuples de race différente ne soient pas gênés dans leurs relations courantes, c’est que l’odeur de l’un n’affecte pas péniblement les fonctions olfactives de l’autre. Ici la linguistique se trouve d’accord avec la sociologie, car on ne peut présumer de longues relations de courtoisie entre des gens dont la disposition réciproque est de « ne pouvoir se sentir ». La haine entre les races blanche et noire, qui se manifeste avec tant d’intensité aux États-Unis, a pour principale cause l’odeur que les Américains reprochent aux nègres. C’est d’ailleurs le motif le plus fréquemment invoqué pour exiger la séparation des deux races dans les tramways, les restaurants et les hôtels. Des oppositions sensorielles du même ordre existent également entre les individus de race blanche et ceux de race jaune. Une dame qui a fait plusieurs séjours au Canada, dans des milieux où les cuisiniers sont Chinois, éprouvait la plus grande aversion pour les mets préparés par eux, car ils restaient imprégnés de leur odeur spécifique. Les habitants de l’Égypte ancienne se rendaient un compte exact du rôle que l’odeur humaine et le sens de l’odorat qui la perçoit jouent dans l’appréciation de la personnalité. C’est ce qui ressort d’une remarquable étude présentée par le baron Textor de Ravisi, au congrès des orientalistes de 1880. Il y démontrait que les anciens Égyptiens ne reconnaissaient comme des frères que ceux qui réunissaient un certain nombre de conditions, parmi lesquelles figurait au premier rang celle d’être de la race du Mesraïm et d’être les Rot-U, c’est-à-dire « qui conservaient la même odeur sui generis ». Les anciens Égyptiens, en limitant leurs élans de fraternité à ceux de leurs congénères chez lesquels ils retrouvaient une odeur sympathique, ne faisaient que se conformer à une loi naturelle. La spécificité des odeurs de race à été reconnue également par Lavater : il affirme qu’il existe des odeurs nationales. Après avoir déclaré que le premier soupçon de leur existence avait été confirmé par de nombreuses expériences, il exprime l’idée que si elles peuvent s’expliquer par la nourriture et le genre de vie, il faut plutôt en trouver l’origine dans la qualité du sang et dans la constitution originelle : Il ne s’agit pas seulement ici, dit-il, des exhalaisons de la malpropreté, mais de celles qui sont inhérentes au corps ; j’oserai même affirmer qu’il est des figures et des physionomies dont on peut dire ou plutôt pressentir quelle est leur odeur particulière. (Lavater, t. iv, p. 45.) Dans l’exposé de Lavater, il n’est pas difficile de reconnaître que c’est à l’odeur des Allemands qu’il fait allusion. L’odeur nauséabonde qui se dégage de l’organisme des individus de race allemande a été maintes fois signalée à la suite des invasions germaniques. Pendant toute la durée du moyen âge, l’expression « puer comme un Goth » servit à exprimer l’opinion qu’un individu exhalait une odeur repoussante. De toutes les invasions barbares, celle des Burgondes fut la moins cruelle. Peu nombreux, les Burgondes furent rapidement assimilés par les populations celtiques auxquelles ils imposèrent leur domination ; aussi le type germanique ne se rencontre plus dans les régions qui constituent la Bourgogne qu’à l’état d’exception ; encore est-il facile, si l’on en croit l’évêque Sidoine Apollinaire, de reconnaître le Germain-Burgonde à son amour de la table autant qu’à son odeur butyrique. Quod Burgondio cantat esculentus Infundens acido comam butyro. (Poésies de Sidoine Apollinaire.) Une autre preuve non moins démonstrative de la puanteur spécifique des Longobards, se trouve dans la lettre adressée en 770, par le pape à l’empereur Charlemagne ainsi qu’à son frère Carloman, à l’occasion de son projet de mariage avec Berthe, fille du roi Didier. Le pape écrit au roi de France pour lui recommander de ne pas souiller le très noble sang des Francs en prenant femme dans la race très perfide et, extrêmement puante des Longobards. Quæ est enim, præcellentissimi filii, magni reges, talis desipiensia, ut penitus vel dici liccat, quod vestrapræclara Francorũm gens, quæ super omnes gentes enitet, et tam splendiflua ac nobilissima regalis vestræ potentia proles, perfida, quod absit, ac fætentissima Longobardorum gente polluatur. (Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. v, p. 542.) Cette accusation de puanteur portée contre les Longobards, qui constituaient une des hordes les plus importantes de la Germanie, se trouve confirmée par un récit de Paul Diacre. Il rapporte que dans un banquet où Turisende, roi des Gepides, avait convié quelques guerriers lombards, un des fils du roi leur reproche d’exhaler une odeur puante, analogue à celle qui se dégage des pieds des cavales lorsqu’ils sont blancs et atteints de suppuration. (Pauli Warnefridi, De Gestis Longobardorum.) Pendant leur occupation de l’Aquitaine et du Béarn, les Goths avaient eu recours, à l’égard des populations indigènes, à des procédés d’intimidation et de barbarie exactement identiques à ceux que les Allemands d’aujourd’hui emploient dans la Belgique. Aussi, après la victoire de Vouillé par Clovis, les survivants des armées gothes, s’étant réfugiés dans les vallées les plus profondes des Pyrénées, y furent l’objet des représailles les plus méritées. Pendant de longs siècles, la population les tint à l’écart, les traitant comme de véritables pestiférés ; il ne leur était jamais permis de s’asseoir à la même table que les habitants du pays ; boire dans un verre que leurs lèvres auraient touché eût été l’équivalent d’un empoisonnement. À l’église, ils ne pouvaient entrer plus avant que le bénitier. Tout mariage avec une femme indigène leur était interdit ; on voit par ce précédent à quelle dégradation doivent s’attendre les Allemands s’il était donné à quelques-uns de séjourner dans les pays envahis, après l’évacuation de leurs armées. De dominateurs arrogants, les Visigoths vaincus passèrent sans transition à l’état d’esclaves les plus obséquieux. Ces cagots, comme on les appelait par une altération de mots cans gots (chiens goths), ne pouvant se mélanger avec la population, conservèrent, dans toute leur impureté, les caractères de la race germanique. Après Laurent Joubert, le commingeois François de Belle-Forest les a décrits ainsi : Et au reste portant en leurs faces et actions quelque cas qui les rend dignes de cette détestation ; si ont-ils tous l’haleine puante et si les approchant vous sentez ne scay quel malplaisante odeur sortir de leur chair, comme si quelque malédiction, de père en fils, tombait sur cette race misérable d’hommes. Outre les imputations de hâblerie, de mensonge, de gourmandise et d’autres vices, les cagots passaient pour avoir le cou plus rouge que les individus de race indigène. C’était une chose tellement reçue que lorsque, les paysans trouvent un épi plus rouge que les autres, ils disent : voilà un cagot, et ils le séparent de la pile (fig. 15). La description de l’odeur du cagot, qui augmente pendant les grandes chaleurs, suffit pour démontrer la réalité de leur origine germanique. La persistance de cette odeur à travers les siècles, alors qu’ils étaient transplantés dans un pays très différent de la Germanie et qu’ils faisaient usage d’une alimentation analogue à celle des indigènes, témoigne qu’il s’agissait bien d’une odeur de race. Par les exemples qui précèdent, on s’explique qu’à notre époque les populations d’Alsace-Lorraine se soient montrées si réfractaires à l’assimilation germanique. C’est qu’une question d’odeur de race divise profondément la race indigène de la race des envahisseurs. L’odeur de la race allemande a toujours produit les impressions les plus désagréables sur la fonction olfactive de nos compatriotes d’Alsace-Lorraine. Beaucoup de jeunes Alsaciens-Lorrains déclarent que, dans les casernes allemandes, leur odorat était continuellement soumis au plus douloureux des supplices. Ceux qui ont eu l’occasion de servir en France, ont assuré qu’aucune impression olfactive aussi désagréable ne les avait frappés de ce côté-ci du Rhin. Fig. 15. — Tête de cagot, Goth, boche du moyen âge (Église de Moncin, Pyrénées). Un Alsacien auprès duquel je me renseignais pour savoir si des exemptions du service militaire ne devraient pas être faites en Allemagne pour ce motif, me répondit avec humour : « Si on se mettait en Allemagne à exempter les soldats pour cause de puanteur des pieds, il serait absolument impossible de recruter la garde impériale. » En Alsace, l’épithète couramment employée pour désigner un Allemand à partir de 1870 fut celle de Slincksliefel. La traduction littérale de ce mol serait pue-bottes. Ce qualificatif trouve une variante fréquemment usitée dans le mot de Stenkpreisse, c’est-à-dire Prussiens puants. L’influence repoussante exercée sur l’olfaction des habilants des pays annexés par l’odeur des Allemands a été continuée par Jeanne et Frédéric Regamey dans un article intitulé : La Fétidité allemande : Certes, nul Alsacien ne contredira le docteur Bérillon lorsqu’il parle de l’odeur, détestable et persistante qu’exhale l’Allemand. Qui donc, sur la terre annexée, n’a respiré ces relents composites ? Qui ne s’est bouché le nez au passage d’un régiment dans la rue ou même sur une route bien aérée, en pleine campagne ? Qui n’a souffert de l’atmosphère empestée de certains bureaux de l’administration où étaient réunis plusieurs employés teutons ? Les soldats alsaciens, obligés de servir dans l’armée allemande, nous disaient qu’ils avaient l’habitude de donner régulièrement quelque argent à leurs camarades germaniques, pour acheter ainsi le droit de marcher dans le rang extérieur de la compagnie, car, lorsqu’ils étaient complètement encadrés d’Allemands, ils se trouvaient suffoqués par leur odeur. Dans une étude sur la bromidrose fétide de la race allemande, je me suis appliqué à démontrer que l’odeur nauséabonde constatée dans tous les endroits où avait séjourné quelque Allemand, tirait sa source d’une disposition spécifique de la race allemande. Depuis lors mes affirmations ont été confirmées par des milliers d’attestations. Un grand nombre de médecins français, lorsqu’ils ont eu à soigner des blessés allemands, ont reconnu spontanément qu’une odeur spéciale, très caractéristique, émanait de ces blessés. Tous sont d’accord pour affirmer que cette odeur, par sa fétidité, affecte péniblement l’odorat. En effet, dans un hôpital ou une ambulance, elle est appréciable même lorsqu’il ne s’y trouve qu’un seul blessé allemand. On la perçoit déjà à une certaine distance du lit, et elle vous poursuit lorsqu’on s’en éloigne, parce qu’elle reste fixée sur les vêtements et sur les objets qui ont été eu contact avec le malade. L’enquête que j’ai entreprise sur cette question est venue pleinement confirmer mes impressions personnelles. Il n’est pas douteux qu’il se dégage des Allemands une odeur spécifique, sui generis, et que cette odeur est particulièrement fétide, nauséabonde, imprégnante et persistante. On ne la constate pas seulement chez les sujets blessés ou malades. Elle est également l’apanage de ceux qui sont bien portants. Plusieurs officiers français m’ont déclaré qu’ayant eu à accompagner des détachements de prisonniers allemands, ils étaient obligés de détourner la tête, tant l’odeur nauséabonde qui se dégageait de ces hommes les incommodait. Des officiers d’administration, ayant dans leurs attributions de recueillir et de classer les objets trouvés sur les prisonniers, m’ont dit que les billets de banque trouvés sur les Allemands étaient imprégnés à un tel point de cette odeur désagréable qu’ils étaient dans la nécessité de les désinfecter. Il en était de même pour tous les autres objets. Les exhalaisons fétides qui émanent de tout groupement d’Allemands, qu’il soit composé d’éléments civils ou militaires, ont été l’objet de nombreuses constatations. Ainsi, en Alsace, c’est une habitude de dire que lorsqu’un régiment allemand passe, l’odeur nauséabonde qu’il a dégagée ne met pas moins de deux heures à se dissiper. Récemment des infirmières m’ont rapporté qu’une de leurs collègues, désignée pour assister à une séance de vaccination de prisonniers allemands, avait rapporté dans ses vêtements l’odeur spécifique de ces hommes et qu’elle l’avait conservée pendant plusieurs heures. Le chirurgien Bazy me disait il y a quelques jours, à l’hôpital Beaujon, que, après la guerre de 1870, les casernes dans lesquelles avaient résidé des troupes du corps d’occupation allemande, conservèrent une odeur spéciale, très désagréable. Elle demeura nettement accusée pendant plus de deux ans après le départ des troupes, aucun des procédés de désinfection mis en usage ne parvenant à la neutraliser. On ne manquera pas d’objecter que l’odeur des soldats allemands résulte surtout des conditions dans lesquelles ils se trouvent placés par la guerre. À cela il est facile de répondre qu’aussi bien dans l’état de paix que dans les périodes de guerre, l’odeur des Allemands présente les mêmes caractères de fétidité, et j’en ai recueilli d’innombrables preuves. Les faits suivants tendraient même à prouver que l’alimentation ne joue aucun rôle dans cette fétidité. Une famille alsacienne, plusieurs années avant la guerre de 1914, ayant loué un appartement à un officier supérieur, ne peut, après son départ, prendre possession des pièces avant de les avoir complètement remises à neuf. Cependant cet officier s’était depuis longtemps soumis à un régime alimentaire analogue aux habitants du pays. Des hôteliers du Quartier Latin ont du faire désinfecter des chambres occupées par des étudiants allemands. Leur régime n’était pas différent de celui de leurs autres pensionnaires dont l’odeur ne comportait aucune particularité spéciale. De nombreux faits de bromidrose fétide chez les Allemands ont été constatés dans des circonstances analogue. Dans les hôtels de la Riviera, les chambres qui ont été occupées par des Allemands conservent indéfiniment cette odeur spéciale très pénible pour les odorats sensibles. Elle explique pourquoi les hôtels où descendent les Allemands sont délaissés par les voyageurs d’autres nationalités. Les imprégnations de cette odeur se retrouvent dans les placards, les armoires, les meubles où des vêtements ont été renfermés, mais elle a surtout son lieu d’élection dans les tables de nuit. L’odeur de la race allemande présente des caractères si particuliers que lorsqu’on l’a une fois perçue, elle reste définitivement gravée dans la mémoire sensorielle. C’est par elle qu’il fut permis de dépister, quelques semaines avant la guerre, un employé allemand qui, sous le couvert de la qualité d’Alsacien-Lorrain, s’était fait admettre à l’Établissement médico-pédagogique de Créteil. Il s’agit donc d’une odeur spécifique de race qu’on retrouve chez la grande majorité des individus allemands. Cette odeur, par l’effet de soins de propreté, de pratiques d’hygiène spéciale, de l’usage de désinfectants, est moins appréciable dans les classes riches ou aisées ; elle n’en est pas moins sensible pour un odorat délicat. Elle n’est pas particulièrement liée à la couleur des poils. Elle émane des individus bruns aussi bien que des blonds roux. Une différence sensible existe cependant entre les émanations des uns et des autres. Tandis que chez les bruns un examen attentif rappelle l’odeur du boudin dans lequel on aurait incorporé de l’encens ou du musc, chez les blonds on perçoit l’odeur de la graisse rance avec les senteurs aigres qui se révèlent à l’approche des fabriques de chandelles. L’impression ressentie est exprimée d’une manière différente par les observateurs. Les uns disent que l’odeur de l’Allemand est analogue à celle qui se dégage des clapiers de lapins. D’autres la comparent à un relent de ménagerie mal tenue pendant l’été. Il en est aussi qui se rattachent à l’odeur aigrelette des fermentations lactiques, de la bière répandue sur le sol, de barils ayant renfermé des salaisons, du petit salé. J’ai entendu exprimer l’opinion que l’odeur exhalée par les Allemands est analogue à celle qu’on perçoit chez un grand nombre de vieillards arrivés à la période de la décrépitude. Il s’agit en réalité d’une odeur composite, de laquelle un odorat exercé pourrait seul dégager les éléments disparates. Au premier rang de ces éléments constitutifs de l’odeur allemande, je puis indiquer : 1° L’odeur hircinique qui émane des aisselles et a reçu son nom de l’analogie qu’elle présente avec l’odeur du bouc. Elle tendrait à prédominer chez les Bavarois et les Allemands du Sud ; 2° L’odeur butyrique, dont le siège d’élection se trouve dans les interstices des doigts des pieds et qui est en rapport avec le tempérament, le développement graisseux et le tempérament lymphatique d’un grand nombre d’individus de race allemande. Elle est assurément plus accentuée chez les Allemands du Nord et chez les Prussiens. En dotant les corps et les individus nuisibles d’odeurs capables de nous avertir de leur présence, la nature a eu pour but de pourvoir à notre sécurité. Ne pas tenir compte de ses avertissements serait le témoignage d’une dégénérescence de l’instinct de conservation. Si, comme nous le disait H. Cloquet, l’odorat est à la fois l’organe de l’instinct et de la sympathie, ne soyons pas surpris si les hommes doués d’un « flair » normal n’accordent leur confiance qu’à ceux dont l’odeur ne leur inspire ni dégoût ni antipathie. La bromidrose fétide des Allemands peut donc, à elle seule, et à défaut de tout autre grief, justifier la défiance instinctive dont ils ont toujours été l’objet de la part d’un si grand nombre d’humains. Lorsqu’il s’agit de la défense de la race, l’odorat est encore la sentinelle la plus vigilante. S’il arrive que la vue et l’ouïe, trop portées à se laisser suborner et illusionner, ne nous gardent plus, l’olfaction ne cesse de nous avertir et de nous tenir en éveil. Le même fait s’est reproduit au cours de notre victoire de la Marne où de nombreux officiers et soldats allemands furent capturés étant dans l’ivresse la plus complète. Nulli domus, aut ager aut aliqua cura pro ut ad quam venere aluntur. Wilhem Pierson : Histoire de Prusse, tome 1, page 132. A. Manesson Mallet : La description de l’Univers, 1683. Kant : Principes métaphysiques de morale. Gaétan Delaunauy : Études de biologie comparée. Physiologie, p. 12, 18. G. Lenotre : La petite histoire : Prussiens d’hier et de toujours, 1916, p. 166. Bérillon : La polychésie de la race allemande. Broch. in-8, 20 pages. Maloine, Paris, 1915. Bérillon: La bromidrose fétide de la race allemande. Broch. in-8,. 12 pages, Paris, 1915.
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Voilà donc comment la métaphysique cartésienne en vient tout naturellement chez Malebranche à s’identifier avec la théologie, et avec une certaine théologie. Théologie même qui mérite d’être suspectée ; car très involontairement et très indirectement sans doute, mais très certainement, elle favorise cette conception des athées qui fait jouer aux lois générales le rôle de causes efficientes<ref>''Note sur certains passages de Malebranche et de Bossuet'', Ed. Cousin, t. {{rom-maj|III}}, p. 336.</ref>. Tout au moins peut-on dire, — et là-dessus Maine de Biran prend volontiers à son compte une idée qui, pour être courante, n’en est pas historiquement mieux fondée, — que le malebranchisme et le spinozisme sont de très proches parents : l’importance souveraine que l’un et l’autre accordent, sous l’influence du cartésianisme, à la notion de substance, leur même façon d’abstraire la causalité de la forme du moi pour affirmer l’unité de cause, leur commune tendance à faire résider l’être dans une sorte de fond immobile et passif : tout cela les rapproche singulièrement l’un de l’autre, jusqu’à les faire coïncider en bien des points essentiels<ref>''Considérations sur les principes d’une division des faits psychologiques et physiologiques'', Ed. Cousin, t. {{rom-maj|III}}, p. 170. — ''Réponses aux arguments contre l’aperception immédiate d’une liaison causale entre le vouloir primitif et la motion'', à la suite des ''Nouvelles Considérations sur les rapports du physique et du moral'', publiées par Cousin, p. 373. — ''Réponse à {{M.|Guisot}}'', Ed. Cousin, t. {{rom-maj|II}}, p. 386. — ''Nouveaux Essais d’Anthropologie'', Ed, Naville, {{rom-maj|III}}, p. 382, p. 415, p. 503, p. 511. — ''Rapports des sciences naturelles avec la Psychologie, Nouvelles Œuvres inédites'' publiées par Bertrand, 1887, p. 219.</ref>. Que faut-il donc objecter à la doctrine de Malebranche ? Avant tout, qu’elle contredit le témoignage décisif de la conscience, et <ref follow=p161>{{tiret2|rap|ports}} ''du physique et du moral de l’homme'', ouvrage posthume de {{M.|Maine de Biran}} publié par {{M.|Cousin}}, 1834, p. 38-42. — ''Essai sur les Fondements de la Psychologie'', ''Œuvres inédites'' de Maine de Biran publiées par Ernest Naville, avec la collaboration de Marc Debrit, 1859, t. {{rom-maj|I}}, p. 248-249, p. 292 et suiv. — ''Nouveaux Essais d’Anthropologie, Ibid.'', t. {{rom-maj|III}}, p. 416. p. 435, — ''Nouvelle édition de la note de 1824'' de Maine de Biran ''sur l’idée d’existence'', par Tisserand, 1908. <p>Que l’occasionalisme dérive directement du cartésianisme, cela est incontestable. Que Descartes ait été en fait occasionaliste par endroits, ceci est moins sûr. (Voir O. Hamelin. ''Le système de Descartes''. p. 213-289.) Maine de Biran, quoiqu’il fasse de Descartes le promoteur de l’occasionalisme, relève cependant lui-même tel passage où Descartes déclare que l’expérience qui nous enseigne que l’âme meut le corps est une expérience certaine. Au fait, la façon dont Descartes, dans sa ''Correspondance'' avec la princesse Élisabeth, explique l’action de l’âme sur le corps, beaucoup moins scolastique dans le fond que ne le dit Hamelin, et même nullement scolastique, paraît rapprocher Descartes en quelque mesure de Maine de Biran : car elle représente cette action comme ''{{lang|la|sui generis}}'', et prévient qu’il ne faut pas confondre « la notion de la force dont l’âme agit dans le corps avec celle dont un corps agit dans une autre », 21 mai 1643, Ed. Adam-Tannery, t. {{rom-maj|III}}, p. 667. Voir aussi la lettre du 28 juin 1643, ''Ibid.'', p. 691 et suiv.</p></ref> <references/>
Revue de Paris, année 22, tome 2, 1915.djvu/246
{{nr|244|{{sm|LA REVUE DE PARIS}}|}}génie qui s’interroge sur la méthode qu’il a suivie, et qui tire de sa propre expérience des règles générales d’expérimentation et de découverte. La recherche scientifique, telle que Claude Bernard la recommande, est un dialogue entre l’homme et la nature. Les réponses que la nature fait à nos questions donnent à l’entretien une tournure imprévue, provoquent des questions nouvelles auxquelles la nature réplique en suggérant de nouvelles idées, et ainsi de suite indéfiniment. Ni les faits ni les idées ne sont donc constitutifs de la science : celle-ci, toujours provisoire et toujours, en partie, symbolique, naît de la collaboration de l’idée et du fait. Immanente à l’œuvre de Claude Bernard est ainsi l’affirmation d’un écart entre la logique de l’homme et celle de la nature. Sur ce point, et sur plusieurs autres, Claude Bernard a devancé les théoriciens « pragmatistes » de la science. Le ''Cours de philosophie positive'' d’Auguste Comte<ref>1798-1857.</ref> est une des grandes œuvres de la philosophie moderne. L’idée, simple et géniale, d’établir entre les sciences un ordre hiérarchique qui va des mathématiques à la sociologie<ref>La sociologie devant faire l’objet d’une monographie spéciale, nous ne parlons ici ni de Saint-Simon, ni de Fourier, ni de Pierre Leroux, ni de Proudhon. La même raison fait que nous laissons de côté des penseurs contemporains éminents qui se sont orientés vers la sociologie : Espinas, Tarde, Durkheim, Lévy-Brühl, Le Bon, Worms, Bouglé, Simiand, Izoulet, Lacombe, Richard et beaucoup d’autres. L’œuvre de l’école sociologique française est considérable ; il faut qu’elle soit étudiée séparément. On y rattacherait l’œuvre des moralistes : Bureau, Belot, Parodi, H. Michel, Caro, Bourdeau, Rauh, Darlu, Malapert, Buisson, etc. Enfin il faudrait faire une place à part — car il ne rentre dans aucune catégorie — au penseur original qu’est G. Sorel.</ref>, s’impose à notre esprit, depuis que Comte l’a formulée, avec la force d’une vérité définitive. Si l’on peut contester sur certains points l’œuvre sociologique du maître, il n’en a pas moins eu le mérite de tracer à la sociologie son programme et de commencer à le remplir. Réformateur à la manière de Socrate, il eût été tout disposé, comme on l’a fait remarquer, à adopter la maxime socratique « connais-toi toi-même » ; mais il l’eût appliquée aux sociétés et non plus aux individus, la connaissance de l’homme social étant à ses yeux le point culminant de la science et l’objet par excellence de la philosophie. Ajou- <references/>
Etudes de métaphysique et de morale, 1916.djvu/168
{{nr|156|{{sm|REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.}}|}}tions, elle peut se dispenser des idées, elle n’obtient pas par cette expérience intime la connaissance claire que les idées enveloppent. L’idée que nous avons de l’étendue suffit pour nous faire connaître toutes les propriétés dont l’étendue est capable, alors même que nous ne sentons pas ces propriétés. Au contraire nous ne sommes informés de nos modifications intérieures que par le fait de les sentir, et il nous est impossible de découvrir entre elles des rapports rationnels : ce qui montre bien que nous n’avons point d’idée de notre âme. C’est pourquoi nous attribuons aux corps des qualités sensibles qui sont à nous, faute de savoir clairement qu’elles se rattachent à notre âme, et par quel lien ; il faut la connaissance claire des corps, fondée sur les idées, pour nous apprendre indirectement que ces qualités sont nôtres, qu’elles sont uniquement des sentiments que nous éprouvons. La substance des corps nous est donc parfaitement intelligible ; mais notre substance nous est inintelligible à nous-mêmes. Il y a sans doute en Dieu une idée qui répond à notre âme, ou plutôt à laquelle notre âme répond ; mais nous ne la voyons pas. Quelque imparfaite que soit pourtant la connaissance que nous avons de notre âme, elle n’est point fausse. Si elle ne rend pas raison de ce qu’elle nous révèle, ce qu’elle nous révèle est certain. Nous ne nous trompons point lorsque nous nous considérons comme affectés de telle ou telle sensation, même si nous nous trompons en rapportant cette sensation à des objets extérieurs. Nous ne nous trompons point non plus lorsque, sur la foi de notre sentiment intérieur, nous nous attribuons la liberté. Ceux qui disputent sur la liberté exigent qu’on leur en fournisse une idée claire ; or, ils oublient que nous ne connaissons point la nature de l’âme par une idée, que par conséquent nous ne pouvons pas définir absolument ce qu’elle est, son activité, son pouvoir de produire les actes par lesquels elle acquiesce ou n’acquiesce pas aux motifs qui la sollicitent. Quand on est interrogé sur ce que c’est que la liberté, si l’on ne veut pas se contenter des termes généraux selon lesquels elle est le pouvoir de suspendre ou de donner son consentement, tout ce que l’on peut répondre, c’est qu’elle est ce que chacun sent en soi-même lorsqu’il consent ou ne consent pas, et que personne n’en sait davantage<ref>''Recherche de la Vérité'', liv. {{rom-maj|III}}, part. {{rom-maj|II}}, ch. {{rom|vii}} ; {{rom-maj|XI}}{{e|e}} Éclaircissement. — ''Méditations chrétiennes'', {{rom-maj|IX}}. — ''Réponse au livre de {{M.|Arnauld}} des vraies et des fausses idées'', ch. {{rom|xxiii}}. — ''Entretiens sur la Métaphysique'', {{rom-maj|III}}, 7. — ''Réflexions sur la prémotion physique'', {{rom|viii}}. — Etc.</ref>. <references/>