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Étant donné l’existence de commentaires contemporains, qui restreignaient unilatéralement au domaine de la théorie de la science ses propres recherches sur la fondation des sciences de l’esprit, Dilthey a lui-même souvent orienté ses publications dans cette direction.
Néanmoins, la " logique des sciences de l’esprit " n’est pas plus centrale à ses yeux que sa " psychologie " " n’ " aspire à être " qu’ " une amélioration de la science positive du psychique.
La tendance philosophique la plus propre de Dilthey dans son échange avec son ami, le comte Yorck, c’est celui-ci qui en donne une fois l’expression la plus nette lorsqu’il tait allusion au " commun intérêt qui nous anime de comprendre l’historialité " (nous soulignons) L’appropriation des recherches de Dilthey, qui ne nous sont accessibles qu’aujourd’hui dans toute leur étendue, exige la constante et la concrétion d’un débat fondamental.
Ce n’est pas le lieu d’exposer tous les problèmes qui le tinrent en haleine, et comment En revanche, il s’impose de donner de quelques idées centrales du comte Yorck une caractérisation provisoire, en citant un choix de passages caractéristiques de ses lettres.
La tendance qui anime Yorck dans son échange avec le questionnement et le travail de Dilthey se manifeste justement dans sa prise de position par rapport aux tâches de la discipline fondatrice, la psychologie analytique.
Il écrit en effet au sujet de l’essai académique de Dilthey " Idées directrices sur une psychologie descriptive et analytique (1894) : " L’auto- méditation comme moyen primaire de connaissance, l’analyse comme procédé primaire de connaissance sont solidement affirmées.
A partir de là sont formulées des propositions que l’expérience personnelle vérifie.
Mais le propos ne va pas jusqu’à une analyse critique, une explication, et ainsi une réfutation interne de la psychologie constructive et de ses hypothèses " (p.
177); " .
votre abstention d’une analyse critique d’une certification psychologique de provenance aussi bien dans le détail que dans l’ensemble est liée, à mon avis, au concept et à la position que vous assignez à la théorie de la connaissance " (p.
177).
" L’explication de l’inapplicabilité - le fait est affirmé et précisé ne peut être donnée que par une théorie de la connaissance.
C’est celle-ci qui a à rendre compte de l’inadéquation des méthodes scientifiques et à fonder la méthodologie, au lieu qu’aujourd’hui les méthodes sont empruntées - au petit bonheur, je dois le dire - aux domaines singuliers " (p.
179 sq.
).
" Dans cette exigence de Yorck - à savoir, fondamentalement, celle d’une logique précédant et guidant les sciences, comme c’était le cas pour la logique platonicienne et aristotélicienne -, est renfermée la tâche d’élaborer positivement et radicalesnent la structure catégoriale différentielle de l’étant-nature et de l’étant qui est histoire (du Dasein).
Yorck estime que les recherches de Dilthey " accentuent trop peu la différence générique entre ontique et historique " (p.
191; nous soulignons).
" En particulier, le procédé comparatif est revendiqué comme méthode des sciences de l’esprit.
Ici, je me sépare de vous.
La comparaison est toujours esthétique, elle s’attache toujours à la figure.
Windelband assigne à l’histoire des figures pour objets.
Son concept de type est un concept résolument intérieur.
Il s’agit alors de caractères, non pas de figures.
L’histoire, pour lui, est une série d’images, de figures individuelles, bref une exigence esthétique.
Au physicien, il ne reste justement, à côté de la science, comme moyen humain d’apaisement, que la jouissance esthétique.
Votre concept de l’histoire, au contraire, est celui d’une connexion de forces, d’unités de forces auxquelles la catégorie "figure" ne devrait être applicable que métaphoriquement " (p.
193).
" Grâce à cet instinct sûr de la " différence de l’ontique et de l’historique ", Yorck reconnaît à quel point la recherche historique traditionnelle s’en tient encore à " des déterminations purement oculaires " (p.
192), visant le corporel, le figuré.
Ranke n’est qu’un grand oculaire, pour lequel rien de ce qui a disparu ne peut devenir effectivité.
Tout le style de Ranke contribue aussi à expliquer la restriction de la matière historique au politique.
Celui-ci seul est le dramatique " (p.
60).
" Les modifications que le cours du temps a apportées m’apparaissent inessentielles, et j’apprécierais ici les choses différemment.
Car je tiens, par exemple, l’école dite historique pour un simple courant latéral à l’intérieur d’un même fleuve; elle ne représente qu’un membre d’une opposition plus large.
Son nom a quelque chose de trompeur.
Cette école n’était nullement une école historique (nous soulignons), mais une école antiquaire, contruisant esthétiquement, tandis que le grand mouvement dominant était celui de la construction mécanique.
Par suite, ce qu’elle a apporté méthodologiquement à la méthode rationnelle n’était qu’un sentiment d’ensemble " (p.
68 sq.
).
Le vrai philologue, c’est celui qui a un concept de l’histoire comme boite à antiquités.
Là où il n’y a pas de palpabilité, là où ne peut conduire qu’une transposition psychique vivante, là, ces messieurs ne s’aventurent pas.
lis ne sont justement, au fond d’eux-mêmes, que des savants de la nature, et le fait que l’expérimentation fasse défaut ne contribue qu’à les rendre plus sceptiques.
De tout le bric-à-brac - combien de fois Platon, par exemple, a-t-il été en Grande Grèce et à Syracuse-, il faut se tenir absolument éloigné.
Nulle vitalité là-dedans.
Cette manière extérieure, que j’ai scrutée critiquement, n’aboutit finalement qu’à un grand point d’interrogation, et elle a porté préjudice aux grandes réalités comme Homère, Platon, le Nouveau Testament.
Toute réalité effective devient des schèmes si elle n’est pas considérée comme "chose en soi", si elle n’est pas vécue " (p.
61).
" Les "savants" se tiennent face aux puissances du temps comme jadis la société française raffinée face au mouvement révolutionnaire.
Ici comme là, du formalisme, le culte de la forme.
Les déterminations de rapports passent pour le dernier mot de la sagesse.
Une telle orientation de pensée a naturellement - je crois - son histoire non encore écrite.
L’absence de soI de la pensée et de la croyance à une telle pensée - un comportement métaphysique, si on la considère du point de vue de la théorie de la connaissance-est un produit historique " p.
39).
" Les ondulations provoquées par le principe excentrique qui a produit depuis plus de quatre cents ans un temps nouveau me semblent être devenues aussi larges et plates que possible, la connaissance a progressé jusqu’à sa propre suppression, l’homme s’est à tel point éloigné de lui-même qu’il ne s’avise même plus de lui-même.
L"‘homme moderne", c’est-à-dire l’homme depuis la Renaissance est prêt à aller en terre " (p, 83).
Mais au contraire : " Toute histoire qui est vraiment vivante, et ne se borne pas à faire chatoyer la vie, est critique " (p.
19).
" Mais la connaissance historique est pour la meilleure part connaissance des sources retirées " (p.
109).
" Il en va ainsi avec l’histoire, que ce qui fait spectacle et frappe les yeux n’est pas la principale affaire.
Les nerfs sont invisibles comme est en général invisible l’essentiel.
Et de même qu’on dit : "Si vous étiez calme, vous seriez fort, de même est également vraie la variante : si vous êtes calme, vous percevrez, c’est-à-dire comprendrez" " (p.
26).
" Et ensuite, je jouis du monologue tranquille et du commerce avec l’esprit de l’histoire.
Un esprit qui n’est point apparu à Faust dans sa cellule, et pas non plus au maître Goethe.
Si sérieuse et saisissante que fût son apparition, ils n’eussent point reculé effrayés devant lui.
Car elle est fraternelle et proche, en un sens autre, plus profond que les habitants des bois et ceux des champs.
Cet effort ressemble à la lutte de Jacob avec l’ange, qui combat, pourvu qu’il combatte, est sûr d’un gain.
Voilà ce qui importe en premier lieu " (p.
133).
" Son clair aperçu du caractère fondamental de l’histoire, la " virtualité ", Yorck le doit à sa connaissance du caractère d’être du Dasein humain lui-même, il ne l’obtient point en examinant en théoricien de la science l’objet de la considération historique : " Que l’ensemble du donné psycho-physique ne soit pas [être = être-sous-la-main de la nature, N.
d.
A.
] mais vive, voilà le point germinal de l’historialité.
Et une auto-méditation orientée non pas sur un Moi abstrait, mais sur la plénitude de mon Soi-même me découvrira historiquement déterminé tout comme la physique me connaît cosmiquement déterminé.
Comme je suis nature, je suis histoire.
" (p.
71).
Et Yorck, qui a scruté toutes les " déterminations " inauthentiques " de rapports " et tous les relativismes " privés de sol " n’hésite pas à tirer de son aperçu dans l’historialité du Dasein la conséquence ultime : " Mais d’un autre côté, étant donnée l’historialité interne de la conscience de soi, une systématique coupée de la science historique est méthodiquement inadéquate.
De même que la physiologie ne peut faire abstraction de la physique, de même la philosophie - spécialement si elle est critique - ne peut faire abstraction de l’historialité.
Le comportement personnel et l’historialité sont comme la respiration et le bol d’air, et, cela paraîtrait-il à quelque degré paradoxal, la non- historialisation du philosopher m’apparaît, au point de vue méthodique, comme un résidu métaphysique " (p.
69).
" C’est parce que philosopher, c’est vivre, c’est pour cette raison- ne vous effrayez pas-qui il y a à mon avis une philosophie de l’histoire - qui pourrait l’écrire ! -, non certes au sens où on l’a jusqu’à maintenant envisagée et tentée - ce contre quoi vous vous êtes irréfutablement déclaré.
Le questionnement jusqu’ici de mise était faux, et même impossible, mais il n’est pas le seul.
C’est pourquoi, en outre, il n’est pas de philosopher réel qui ne soit historique.
La séparation entre philosophie systématique et exposition historique est essentiellement incorrecte " (p.
251).
" Du reste, le pouvoir-devenir-pratique est le fondement juridique authentique de toute science.
Mais la praxis mathématique n’est pas la seule.
La visée pratique de notre point de vue est la visée pédagogique, au sens le plus large et profond du mot.
Elle est l’âme de toute vraie philosophie et la vérité de Platon et d’Aristote " (p.
42 sq.
).
" Vous savez ce que je pense de la possibilité d’une éthique comme science.
Néanmoins, il est toujours possible de faire mieux.
A qui, en vérité, de tels livres s’adressent- ils ? Ce sont des registres sur des registres ! Seule chose à remarquer : la tendance de la physique à aller en direction de l’éthique " (p.
73).
" Si l’on comprend la philosophie comme une manifestation de la vie, et non comme l’expectoration d’une pensée sans sol, apparaissant privée de sol parce que le regard est détourné du sol de la conscience, alors la tâche est autant que simple dans son résultat, si compliqué et pénible qu’en soit l’obtention.